LET. CCCXCII-CCCXCVIII
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LETTRE CCCXCII. A RAOUL, PATRIARCHE D'ANTIOCHE.

LETTRE CCCXCIII . A G. (a), PATRIARCHE DE JÉRUSALEM.

LETTRE CCCXCIV. A L'ARCHEVÊQUE DE LYON.

LETTRE CCCICV. A L'ÉVÊQUE D'ARRAS, ALVISE.

LETTRE CCCXCVI. A RICUIN (a), ÉVÊQUE DE TOUL.

LETTRE CCCXCVII. A EUDES (a), ABBÉ DE MARMOUTIERS PRÈS TOURS.

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE CCCXCVIII. A L'ABBÉ GUY ET AUX RELIGIEUX DE MONTIER-RAMEY.

NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE CCCXCII. A RAOUL, PATRIARCHE D'ANTIOCHE.

Saint Bernard s'efforce de lui inculquer des sentiments d'humilité.

A son très-révérend père et seigneur B..., par la grâce de Dieu patriarche d'Antioche, le frère Bernard, abbé de Clairvaux, salut et tout ce qu'on peut attendre du dévouement d'un pauvre religieux et de la prière d'un pécheur.

Si malgré mon néant j'ose écrire à Votre Grandeur, ne l'imputez point à présomption de ma part, mais à une confiante simplicité. Le frère Hatton m'en a suggéré la pensée et la charité m'a déterminé à le faire. Après vous avoir témoigné en deux mots mon dévouement et mon respect, et vous avoir rendu mes hommages, laissez-moi vous dire que je n'adresse pas d'autre vœu pour vous au Tout-Puissant que de faire de vous un digne successeur de Pierre sur le siège qu'il a occupé; d'ailleurs vous êtes trop éclairé pour ignorer que vous ne recevrez la même couronne que lui, que si vous combattez selon les règles; c'est pourquoi celui à qui j'ai emprunté ces paroles ne parle de la couronne qui l'attend qu'après avoir dit: «J'ai combattu le bon combat (II Tim., IV, 7). » S'il est vrai, comme le dit Job, «que la vie de l'homme soit une guerre continuelle sur la terre,(Job., VII, 1), » que doit-ce être de la vie d'un évêque qui doit combattre pour lui-même d'abord, et pour son troupeau ensuite ? Il faut en effet qu'il lutte contre la chair et ses révoltes, le monde et ses artifices, les puissances de l'air et leur perversité. Je me demande quel homme est capable de rompre les mailles de ce triple filet, il n'est pas facile d'en trouver un qui le puisse. On peut dire de ces trois sortes d'ennemis que ce sont ces trois troupes de Chaldéens qui fondirent sur les troupeaux de Job et s'en emparèrent; oui, ce qu'elles figurent n'est autre que la chair, ses vices et ses concupiscences. Mais que Dieu se lève, et ses ennemis seront dispersés (Psal. LXVII, 2). Oui, qu'il se lève, celui qui dit: « Sans moi vous ne pouvez rien (Joann. XV, 5),» et dont l'Apôtre disait: « Je puis tout en celui qui est toute ma force (Philip., IV, 13). » Qu'il soit donc la vôtre aussi , mon père, et ne pliez pas dans la lutte : ceignez vos reins, tenez ferme dans la mêlée, combattez avec courage pour sauver les brebis qui ont été confiées à votre garde et les représenter toutes un jour à celui de qui vous les tenez, c'est là votre devoir d'évêque; mais combattez également pour vous, car il vous sera aussi demandé compte de votre âme. Vous êtes élevé en dignité, n'en soyez que plus vigilant, peut-être pourriez-vous tomber et la chute serait d'autant plus grave qu'elle aurait lieu de plus haut. Si vous occupez un poste élevé, n'en concevez pas de sentiments de complaisance. Suivez le conseil de l'Apôtre : « Tremblez là-haut et ne vous enorgueillissez pas d'y être (Rom., XI, 20); » en effet, pour un homme sensé, l'élévation est bien plutôt un sujet de crainte que d'orgueil. Si l'Eglise confère des dignités, elle n'en redoute pas moins la chute de ceux qu'elle élève ; toutefois, ce n'est pas le rang, mais l'orgueil du rang qu'elle reprend et blâme. Or l'homme n'est humble au sommet des honneurs et ne baisse les yeux que lorsqu'il craint le précipice placé à ses pieds. Supprimez cette crainte de son cœur et vous le verrez tout entier en proie aux orgueilleuses pensées du pouvoir. D'ailleurs montrons-nous pour les autres ce que nous voulons que les autres soient à notre égard. Nous réclamons la soumission de nos inférieurs, remplissons le même devoir envers nos supérieurs, et ne soyons pas de ces gens qui ont deux poids et deux mesures, c'est une chose abominable aux yeux de Dieu (Prov., XX, 10). Or nous sommes dans ce cas si nous ne rendons pas à nos supérieurs les mêmes devoirs que nous réclamons de nos inférieurs. Je ne puis assez admirer la sage et humble réponse du centurion qui disait au Sauveur: « De même que je suis soumis à d'autres, ainsi j'ai des soldats qui me sont soumis (Luc. VII, 8). » Quel cœur humble! Quelle âme prudente! avant de parler de son propre pouvoir, il commence par s'humilier en rappelant celui qu'un autre a sur lui, pour montrer qu'il fait passer sa dépendance avant son propre droit de commander. Sa phrase même est composée de manière à mettre l'une en évidence avant l’autre. Je m'étendrais volontiers davantage sur ce sujet, mais je n'ose me le permettre; je vous en écrirai plus long une autre fois si vous me dites que ces lignes ne vous ont pas trop déplu. Je finis en vous priant, si je jouis auprès de vous du crédit qu'on me croit généralement, de vouloir bien en donner des preuves aux chevaliers du Temple et par considération pour moi-même les considérer davantage. En agissant ainsi, soyez sûr de vous rendre agréable à Dieu et aux hommes en même temps.

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LETTRE CCCXCIII . A G. (a), PATRIARCHE DE JÉRUSALEM.

Saint Bernard lui recommande l'humilité.

A son vénérable seigneur et très-cher père, par la grâce de Dieu patriarche de Jérusalem, Bernard, abbé de Clairvaux, salut avec l'esprit de vérité qui procède du Père.

1. Je profite de l'occasion que me fournit notre ami commun, le fidèle messager qui doit vous remettre cette lettre, pour vous écrire quelques mots; mes nombreuses occupations ne me permettent pas de faire plus. Si ma démarche paraît indiscrète, la charité qui m'inspire de la tenter sera du moins mon excuse : mais pour ne pas dépasser les bornes que je me suis prescrites, permettez-moi d'en venir de suite au fait. Le Créateur., voulant montrer la profondeur de ses desseins de salut pour les hommes, les aima au point de leur donner son Fils unique; fait homme pour les hommes, ce Fils appela à lui ceux d'entre nous qu'il voulut, et ce choix de prédilection leur valut en même temps un amour privilégié de sa part; mais dans le nombre, il y en eut de plus aimés les uns que les autres, qu'il s'attacha par un choix particulier. Or, parmi ces derniers, c'est-à-dire parmi les élus d'entre les élus, Jésus en distingua encore un plus que tous les autres, pour le faire le favori de son cœur, et le substituer à sa place du haut de la croix où, les mains étendues vers le ciel, il consommait le sacrifice du soir avant de remettre son âme entre les mains de son Père, et tel qu'un frère plein de confiance en son frère, Dieu vierge il recommanda la vierge mère au disciple vierge. Peut-être me demandez-vous où je veux en venir avec ce préambule; écoutez, le voici.

a Il se nommait Guillaume; c'est le même que celui à qui est adressée la lettre cent soixante-quinzième. Voir la note qui accompagne cette lettre.

2. De tant de prélats que le Seigneur honore de son sacerdoce et place à la tête de son peuple comme des chefs qui doivent le conduire, c'est vous que par une faveur particulière, il a placé dans la vraie maison de David son serviteur. Oui, de tous les évêques du monde, vous êtes le seul à qui il ait confié la garde de l'heureux pays où naquit l'arbre de vie par excellence, celui qui se couvre de fruits selon sa nature, et au pied duquel poussent les fleurs des champs et les lis de la vallée. Oui, vous êtes entre tous son pontife intime, celui qui tous les jours entre dans sa tente et l'adore à l'endroit même qu'il a marqué de l'empreinte de ses pieds. Il est dit que Moïse reçut un jour du Seigneur l'ordre de dire aux Israélites : « Otez la chaussure de vos pieds, car le lieu où vous êtes est saint (Exod., III, 5.) » Quelle différence en faveur de celui où vous habitez! Si l'un était saint, l'autre l'est deux fois plus; si le premier fut sanctifié par des figures et des ombres, le second l'a été par la Vérité même. Quelle proportion y a-t-il entre la figure et la vérité, entre ce qu'on ne voit qu'en énigme et comme une figure réfléchie par un miroir, et cette splendeur qui se manifeste enfin à découvert et sans voile? Néanmoins, quoique toutes ces choses ne se passassent alors qu'en ombres et en figures, Dieu disait à Moïse : « Ote la chaussure de tes pieds, car le lieu où tu te trouves est saint. » N'ai-je pas plus de raison de vous dire également : Déposez vos sandales, la terre que vous foulez aux pieds est sainte! Ce qui veut dire: Si votre cœur est empêché dans sa marche par les lourdes chaussures des œuvres de péché, hâtez-vous de les débarrasser de leurs entraves, en vous rappelant que la terre où vous êtes est sainte. Qui ne se sentirait ému d'une crainte respectueuse en foulant aux pieds ces contrées où les entrailles de la miséricorde de Dieu se sont ouvertes sur nos têtes et ont permis au vrai Soleil levant de venir du haut du ciel à nous pour nous visiter (Luc., I, 78) ; où le Père a tendu les bras à son Fils bien-aimé et l'a comblé de ses plus doux baisers quand il est revenu d'un monde si peu fait pour lui? Il me semble impossible de se défendre d'un secret tremblement en touchant cette terre où le Père de toutes consolations et d'infinies miséricordes a daigné verser sur nos blessures le vin et l'huile qui devaient les cicatriser, ce pays qui l'a vu sceller son alliance avec nous. Soyez à jamais béni, Seigneur, d'avoir opéré le salut des hommes au sein de cette heureuse contrée et au milieu des temps et de nous y avoir montré un visage apaisé. N'est-ce pas le cas de dire avec le Prophète : « Votre colère cédera le pas à la miséricorde (Habac., III, 2) ? » On ne peut nier que cette terre ne soit bien autrement ennoblie et sanctifiée que celle où se trouvait Moïse, car c'est vraiment la patrie du Seigneur, c'est là qu'est né Celui qui est venu dans l'eau et dans le sang (I Joan., V, 6), non pas seulement dans l'eau comme Moïse, mais dans l'eau et dans le sang. On peut dire en montrant cette contrée aux hommes: Voilà où l'on a déposé son corps. Après cela je me demande qui est-ce qui osera monter sur la montagne du Seigneur et s'arrêter à l'endroit même qu'il a sanctifié? Ce ne peut être qu'un homme qui, à l'école du Seigneur Jésus, est devenu doux et humble de cœur comme lui.

3. Oui, il n'y a que les humbles qui puissent monter sans crainte sur la montagne du Seigneur, par la raison qu'ils ne sauraient tomber. L'orgueilleux monte et s'élève certainement aussi, mais ce n'est pas pour longtemps, il semble qu'il ne peut se tenir d'aplomb sur ses jambes; il est vrai qu'il n'a qu'un pied, encore n'est-il même pas à lui, car c'est le pied dont le Prophète a dit: « Dieu me garde à jamais d'avoir le pied de l'orgueil (Psalm. XXXV, 12) ! » On peut bien dire, en effet, qu'il n'en a qu'un, l'amour de sa propre excellence; on comprend donc qu'il ne puisse se maintenir longtemps debout sur ce pied unique; aussi voyez comme sont tombés tous ceux qui n'en avaient pas d'autres, les anges dans le ciel et l'homme sur la terre. Dieu n'a point épargné l'arbre qu'il destinait à faire touche, il a puni l'homme qu'il avait créé plein de gloire et de grandeur, pour lui donner l'empire du monde au sortir de ses mains divines; bien plus, il a sévi sur les anges eux-mêmes, ses premières créatures, qu'il s'était plu à faire riches en sagesse, admirables de beauté, et je ne craindrais pas d'être puni pour la même faute, moi obscur habitant d'une vallée de larmes, bien différente, hélas ! du paradis de délices et située si loin du ciel ! Voulez-vous donc être sûr de ne pas tomber, soyez humble, appuyez-vous non sur l'unique pied de l'orgueil, mais sur les deux pieds de l'humilité ; rien ne pourra vous ébranler en quelque endroit que vous vous posiez. De ces deux pieds, l'un est la pensée de la puissance de Dieu, l'autre est la conviction de notre propre faiblesse. Que ces pieds-là sont beaux à voir, qu'ils sont fermes à la marche ! Ils ne savent ce que c'est que de s'avancer au milieu des ténèbres de l'ignorance ou de se souiller de la boue des passions. Au lieu donc de vous laisser aller à des sentiments de vaine gloire et d'orgueil, à cause du poste élevé que vous occupez, ne cessez de vous humilier sous la main puissante de celui qui foule aux pieds la tête des hommes glorieux et superbes. Songez que l'Eglise qui vous est confiée a été remise entre vos mains, non comme une esclave dans celles d'un maître, mais, pour en revenir au début de ma lettre, comme une mère à son fils, comme Marie à saint Jean, et faites en sorte qu'on puisse dire à cette Eglise en parlant de vous: « Femme, voilà votre fils; » et à vous, en parlant de votre Eglise : «Voici votre mère. » Il n'est pas de plus sûr moyen pour vous de remplir dignement tous les devoirs de votre place et de vous élever vers le royaume de celui qui, tout grand qu'il est, jette ses regards de prédilection sur tout ce qu'il y a de plus petit dans le ciel et sur la terre.

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LETTRE CCCXCIV. A L'ARCHEVÊQUE DE LYON.

Pour l'abbé d'Aisnay près de Lyon,

A l'archevêque de Lyon, légat du saint Siège, Bernard, abbé de Clairvaux, salut et vœu sincère qu'il songe à s'enrichir de bonnes œuvres aux yeux de Dieu et des hommes.

Je ne puis voir sans une profonde douleur la bonne réputation dont vous jouissez et la sainteté que vous répandez dans l'Eglise où vous poussez et fleurissez comme un lis odorant, sur le point de s'évanouir. Ce qu'est le cèdre sur le Liban, vous l'êtes dans votre Eglise; vous y êtes aimé, estimé, chéri de tous; vous avez déjà fait de grandes choses dans votre diocèse, nous en espérons de plus grandes encore; mais en attendant, gardez-vous bien de perdre ce que vous avez déjà acquis; ne laissez pas se ternir une réputation aussi belle que celle dont vous jouissez, car il n'est pas de trésors comparables à un tel bien. Or comment avez-vous traité l'abbé d'Aisnay (a)? Il ne vous a fallu qu'un instant pour le juger, le condamner, le déposer et lui enlever en même temps son titre et ses fonctions! Vous avez agi en cette occasion avec beaucoup de précipitation, tout cela ne vous a demandé qu'un moment: en un clin d'œil, tout a été fini; absolument comme les choses se passeront à la résurrection générale. Souffrez que je vous parle avec la franchise que permet l'amour que je vous porte. Or, je vous le demande, qu'a fait ce pauvre abbé ? quelle faute lui reprochez-vous ? Tout le monde sait qu'il est universellement estimé, il n'y a qu'une voix sur son compte, et elle lui est favorable; les gens du dehors sont d'accord sur ce point avec ses propres religieux. Aussi n'est-il rien moins que prouvé qu'il soit coupable; on n'a pas examiné sa cause selon les formes prescrites par les canons. Or il me semble qu'il n'y avait que deux choses à faire à son égard, le déposer dans les formes, sinon le laisser à sa place. En effet, il ne se reconnaît pas coupable, personne ne l'accuse, nul ne le convainc de quelque faute que ce soit, et vous le condamnez ! Il n'avait, me direz-vous, qu'à se défendre quand il fut mis en demeure de le faire. Or il a si bien reconnu que sa cause était mauvaise qu'il s'est gardé de produire les témoins que je lui demandais. Fort bien! Selon vous, ce sont ses propres adversaires qui auraient dû déposer en sa faveur ; mais c'était évidemment leur dire: Si vous ne déposez maintenant contre vous, il ne peut manquer d'être condamné. D'ailleurs à la place de ces témoins il eût pu en produire d'autres tout aussi dignes de foi que les vôtres. Envisageons à présent cette affaire à un autre point. de vue. Je vous accorde qu'il soit coupable, il a fait défaut à l'appel de sa cause, il n'a plus le droit de se dire innocent, il est jugé. Mais la voie de l'appel ne lui restait-elle pas ouverte pour soumettre toute son affaire à un autre tribunal, et si vous avez pu ne tenir aucun compte de cet appel quand il l'interjeta, au moins vous auriez dû cesser toutes vos procédures dès que le juge auquel il avait appelé évoqua sa cause à lui. Il ne sied pas au chef d'une Eglise de parler d'une manière inconsidérée et de rendre des jugements précipités; la précipitation, surtout dans une cause de cette nature qui ne saurait demeurer secrète et dont tout le monde est instruit, ne peut que nuire singulièrement à un prélat. Permettez-moi de vous dire que votre conduite dans cette affaire a blessé bien des gens qui ne voient pas d'un œil indifférent la persécution dont cet abbé est l'objet; et pour ne vous rien cacher, je vous dirai que j'ai été vivement pressé d'écrire à Rome en faveur de cet abbé d'Aisnay, par un certain nombre de personnes dont les prières sont pour moi presque des ordres; mais comment aurais-je pu me résoudre à le faire sans m'être adressé directement à vous, mon seigneur et mon père bien-aimé ? Je vous supplie donc, dans l'intérêt de la paix et de votre honneur, dont l'intégrité me préoccupe, de révoquer la malencontreuse sentence que vous avez portée, de rétablir cet homme dans son poste en attendant que son procès soit fait selon toutes les règles. Si votre très-humble serviteur se permet de vous écrire comme il le fait, ce n'est pas parce qu'il est contre vous, au contraire, c'est parce qu'il est tout entier pour vous; car soyez sûr que je me déclarerai toujours en votre faveur devant Dieu et devant les hommes.

a Aisnay était une abbaye de Bénédictins non moins ancienne que fameuse, située au confluent de la Saône et du Rhône. Ce fut plus tard une abbaye de chanoines séculiers.

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LETTRE CCCICV. A L'ÉVÊQUE D'ARRAS, ALVISE.

Saint Bernard représente à cet évêque ce qu'il y a d'injuste dans sa demande de rendre aux religieux de Saint-Bertin, Thomas de SaintOmer, qui était venu faire profession à Clairvaux, et qu'ils réclamaient comme ayant été, dans son enfance, voué par ses parents à l'abbaye de Saint-Bertin.

A son vénérable père et ami Alvise (a), par la grâce de Dieu évêque d'Arras, le frère Bernard, abbé de Clairvaux, salut et l'assurance de ses humbles prières.

1. Vous sollicitez de moi une grâce pour l'abbaye de Saint-Bertin que vous affectionnez et que (aime aussi beaucoup moi-même depuis

a C'est le même abbé que celui à qui est adressée la lettre soixante-cinquième. Il fut évêque de 1131 à 1148, année de sa mort arrivée, d'après le Nécrologe de Saint-Denys de Reims, le 8 octobre, à Philippopolis. Il est mention de sa mort dans une lettre de Louis le Jeune, qui est la vingt-deuxième de la collection des lettres de Suger. Voir la lettre trois cent trente-neuvième.

fort longtemps; je regrette que vous n'ayez pas réfléchi plus mûrement sur la demande dont l'abbé de cette maison vous a fait l'interprète, car je suis sûr qu'au lieu de vous en charger, vous l'auriez déclarée contraire à la justice, et que vous n'auriez certainement pas manqué de blâmer l'abbé lui-même d'oublier à ce point les lois de l'amitié à mon égard, de vouloir porter un tel préjudice au religieux qu'il réclame et d'aller si évidemment contre les desseins mêmes de la Providence. Je me demande, mon bon père, comment on a pu vous déterminer à solliciter une pareille chose, de moi que vous honorez de votre amitié. Ainsi Dieu a fait entendre sa voix à Thomas, du haut du ciel, il lui a inspiré la pensée de quitter son pays et sa famille, de s'éloigner même de la maison de son père pour aller dans le lieu qu'il lui montrait en esprit, et moi je devrais étouffer l'inspiration de Dieu? Mais qui suis-je pour essayer de couvrir la voix de celui qui appelle ses brebis par leur nom et marche devant elles pour qu'elles ne suivent que lui? Thomas a choisi la pauvreté, ce n'est pas à moi de le renvoyer aux richesses et à leurs délices.

2. Je ne prétends pas qu'il soit impossible aux religieux de Saint-Bertin d'opérer leur salut dans leur abbaye, ils le peuvent certainement si Dieu les y a appelés a, et s'ils en observent exactement la règle. Mais je ne puis oublier que j'ai lu quelque part que « quiconque regarde en arrière après avoir mis la main à la charrue, est impropre au royaume de Dieu (Luc., IX, 62). » Or, pour rien au monde je n'en fermerai l'accès à mon très-cher fils Thomas, et jamais je ne détournerai de la voie du ciel une âme qui m'a été confiée. Aussi ne puis-je assez m'étonner qu'un évêque aussi judicieux que vous, se soit laissé persuader de me faire une pareille demande. Je serais tenté de vous dire, comme le Seigneur aux enfants de Zébédée : «Vous ne savez pas ce que vous demandez (Matth., XX, 22); » mais si l'amitié dont vous m'honorez est assez grande, du moins je le crois, pour excuser ce langage, elle ne doit pourtant pas me faire oublier que je parle à un évêque de l'Eglise.

3. Ne vous démentez point en cette occasion, mais honorez votre

a Quelles obligations la profession religieuse n'impose-t-elle pas à l'âme, quand il en résulte de si graves de la simple vocation? On peut lire sur ce sujet les lettres cent septième et cent huitième de saint Bernard, qui n'hésite pas à compter parmi les apostats, les novices mêmes qui s'éloignent de l'ordre monastique, ainsi qu'on peut le voir dans son sermon soixante-troisième sur le Cantique des cantiques, n. 6. Mais si, d'après notre Saint, dans son Apologie à Guillaume, n. 30, c'est une apostasie de passer d'un ordre sévère dans un ordre relâché, n'en sera-ce pas une de mener une vie malle et déréglée, au grand scandale de ses frères et au détriment certain de l'ordre tout entier, dans une communauté d'une stricte observance? On voit pourtant des religieux qui se croient en sûreté de conscience si leur relâchement ne va point jusqu'à porter atteinte aux pratiques essentielles de la vie religieuse, comme si on pouvait fouler aux pieds les observances saintes et les prescriptions de la règle, sans attaquer la profession religieuse elle-même, et respecter effectivement l'essentiel de la vie monastique en en négligeant à dessein les détails.

ministère en aidant de toutes vos forces les âmes qui sont les épouses du Christ à entrer sans difficulté et sans retard dans la chambré nuptiale où l'Epoux les appelle; montrez que vous êtes fami de l'Epoux par le bonheur que vous ressentez à entendre sa voix; prêtez la main à ces religieux, comme vous la prêtez aux autres, et au lien de combattre et d'éteindre l'inspiration d'en haut, montrez-vous fidèle coopérateur de la grâce. D'ailleurs Votre Paternité peut être bien assurée que jamais je ne conseillerai ni ne permettrai à ces religieux de sortir et d'aller dans une autre maison, tant je suis convaincu que je ne le puis sans pécher et sans les faire pécher eux-mêmes. Ce qu'ils ont de mien: à faire, c'est d'accomplir exactement les vœux qu'ils ont prononcés; s'ils ont la faiblesse de prêter l'oreille à ceux qui leur disent : « Le Christ est ici ou il est là, » je leur demanderai compte un jour au tribunal de Dieu du vœu qu'ils ont prononcé entre mes mains.

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LETTRE CCCXCVI. A RICUIN (a), ÉVÊQUE DE TOUL.

Saint Bernard s'excuse d'avoir reçu par ignorance un de ses religieux profès.

Au vénérable Ricuin, par la grâce de Dieu évêque de Toul, le frère Bernard de Clairvaux et le petit troupeau confié à sa garde, salut, paix et santé.

Nous remercions le Seigneur de la lettre dont vous avez daigné nous honorer; mais nous devons confesser que le bonheur que nous en avons ressenti s'est trouvé bien vite tempéré par l'ordre qu'elle nous apportait; quelque dur qu'il nous paraisse, nous nous y soumettons, mais en protestant devant Dieu et Votre Sainteté, que nous ignorions que frère Guillaume eût fait profession chez vous. Ce vénérable religieux en peut lui-même rendre témoignage, et c'est ce qui nous rend excusables de l'avoir reçu; car si quelqu'un se trouve dans son tort en cette affaire, c'est évidemment lui et non pas nous. Maintenant que nous vous avons donné pleine et entière satisfaction, nous comptons sur vos bonnes grâces et sur votre bénédiction. Puissiez-vous vous bien porter et arriver à la fin de votre carrière plein de jours et d'œuvres ! Tels sont les vœux que nous faisons à Dieu pour vous, mon très-révérend père.

a C'est d'après le manuscrit de Corbie qui date du siècle de saint Bernard, que nous avons rétabli le titre de cette lettre. Dans toutes les éditions qui ont paru jusqu'à présent, il y a: « A un abbé. » Il n'était pas difficile de soupçonner que tel n'était pas le véritable titre de cette lettre, puisque dans le contexte il est parlé de Guillaume comme d'un religieux profès dépendant de celui à qui la lettre elle-même est adressée; il est probable que c'était un religieux de Saint-Epore ou de Saint-Mansuy. Le titre de sainteté, ainsi que les épithètes de saint et de très-révérend père conviennent évidemment beaucoup mieux à un évêque qu'à un abbé. Il y a encore une autre lettre adressée à Ricuin, c'est la soixante et unième.

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LETTRE CCCXCVII. A EUDES (a), ABBÉ DE MARMOUTIERS PRÈS TOURS.

Les religieux de Marmoutiers étaient en procès avec quelques ecclésiastiques séculiers pour certains revenus; saint Bernard est d'avis qu'ils doivent se soumettre à la décision des arbitres.

Au très-révérend père et Seigneur Eudes, par la grâce de Dieu abbé de Marmoutiers, et à la sainte communauté qui lui est soumise dans la charité de Jésus-Christ, Hugues de Pontigny et Bernard de Clairvaux, salut et vau sincère qu'ils vivent selon l'esprit et ne cessent d'aspirer après le bonheur de contempler face à face le Dieu de Jacob.

1. Mes frères, la charité nous porte à vous écrire en vue de votre bien auquel nous ne pouvons demeurer étrangers de cœur, quelque éloignés de corps que nous soyons. Ce qui nous a rapprochés de vous, c'est l'excellente et suave odeur de sainteté qui s'exhalait de votre illustre communauté ; mais nous voyons avec un profond regret qu'elle diminue de jour en jour depuis quelque temps. Une nouvelle bien regrettable est venue tout à coup nous surprendre, elle a éclaté sur nos têtes comme un nuage orageux poussé par l'aquilon et nous a couverts de honte et de confusion, tant nous étions loin de nous y attendre et peu préparés à entendre dire de vous ce qu'on en rapporte ! Craignant donc le coup que votre réputation ne peut tarder à recevoir et le contre-coup dont notre propre honneur se trouve menacé si on n'arrête à son début un bruit qui ne se répand déjà que trop vite, nous engageons, par un mouvement de pure sollicitude fraternelle, Vos Révérences à remédier promptement au mal que la renommée au vol rapide ne peut manquer d'agrandir en le publiant. Nous ne saurions trop vous exprimer avec quelle surprise nous avons appris que plusieurs d'entre vous, car nous ne pouvons croire que vous soyez tombés tous dans la même faute, aient été assez simples ou assez cupides pour ne point hésiter à sacrifier une excellente réputation au gain des misérables revenus d'une paroisse (b). Il n'est pas de biens temporels qui vaillent le renom de sainteté dont vous jouissez depuis longtemps, nos bien chers frères, et que votre maison s'est acquis dès le principe même parmi les gens du monde. Peut-être

a Eudes fut abbé de Marmoutiers, près de Tours, de 1124 à 1137, comme on le voit par les archives de ce couvent. Voir aux notes placées à la fin du volume.

b On donnait aussi le nom d'autels aux paroisses qui jouissaient de la dîme, et qu'il n'était pas rare de voir à cette époque réunir à des maisons religieuses, même par de simples séculiers. Voir la lettre trois cent soixante-quinzième.

nous direz-vous que vous ne faites de tort à personne, que vous vous contentez de maintenir vos droits, tout disposés, si on vous les conteste, à vous en rapporter à la sentence du juge. C'est bien; mais que répondriez-vous à celui qui vous dirait avec l'Apôtre : « Vous péchez par cela seulement que vous intentez un procès; pourquoi ne soufrez-vous pas plutôt qu'on vois fasse tort (I Cor., VI, 7)? » Qu'opposeriez-vous encore à ces autres paroles : « Si on vous enlève votre bien, ne le redemandez pas (Luc., VI,) » et même présentez la joue gauche à celui qui vous a frappés sur la droite et abandonnez votre manteau à celui qui vous dérobe votre tunique?

2. Voilà les objections que nous pourrions vous faire, si nous cherchions plutôt à vous piquer qu'à vous corriger; mais nous nous contenterons de vous dire qu'il est plus sûr pour un chrétien, et surtout pour un religieux, de posséder un peu moins de bien en conservant la paix que d'en obtenir davantage au prix d'un procès; car il peut dire alors en toute vérité: « Le juste est bien plus heureux dans sa médiocrité que le pécheur dans son abondance (Psalm. XXXVI, 16). » Quel est d'ailleurs le fond de votre procès? Vous disputez la possession d'une

`- paroisse aux enfants de Lévi, c'est-à-dire aux ecclésiastiques. Or, de même qu'ils sont seuls destinés au service des autels, de même ils ont seuls le droit de vivre de l'autel. Pour nous autres religieux, notre profession et l'exemple des anciens ne nous assignent d'autre moyen de vivre que le travail ; nous n'avons rien à prétendre dans les revenus du sanctuaire. D'ailleurs la paroisse dont vous réclamez actuellement les revenus n'est desservie que par des ecclésiastiques, et vous prétendez partager avec eux là où vous ne travaillez pas! Vous n'entendez donc pas saint Paul et Moïse même vous crier de plus loin encore: « Vous ne tiendrez pas la bouche liée au boeuf qui foule le grain (Deut., XXV, 4). » Quel est le vigneron qui n'aura pas le droit de goûter du raisin de la vigne que ses mains ont plantée et le berger qui ne pourra boire du lait des brebis qu'il mène au pâturage « I Cor., IX, 9) ? » Nous vous demanderons, au contraire, de quel front vous voulez recevoir une part du vin d'une vigne que vous n'avez point plantée ou du lait d'un troupeau que vous ne menez point paître. Réclamerez-vous un salaire quand vous n'avez rien fait? Baptisez les enfants, enterrez les morts, visitez les malades, mariez les époux, catéchisez les ignorants, reprenez les pécheurs, excommuniez les rebelles, absolvez ceux qui reconnaissent leurs torts et reconciliez les pénitents ; en un mot, qu'un moine dont le devoir est de garder le silence à l'église oublie l'humilité de son état et élève la voix dans ce lieu saint, il pourra peut-être alors avoir quelque droit à réclamer son salaire; mais vous faites preuve d'une odieuse avidité si vous voulez moissonner là où vous n'avez rien semé, et c'est une véritable et criante injustice d'aller recueillir le fruit du travail des autres.

3. Nous voulons bien que tout cela vous soit devenu permis par suite ; d'une concession épiscopale et que l'évêque qui vous a investis de ce bien vous ait donné le droit d'en jouir sans blesser les canons ; mais d quel cas faites-vous de la transaction que vous avez consentie? car, si nous sommes bien informés, lorsque les chanoines se plaignirent du tort que vous leur faisiez, vous convîntes avec eux de remettre la décision de cette affaire au jugement de l'évêque de Chartres (Geoffroi) et du comte T... (Thibaut), en promettant les uns et les autres de vous en tenir irrévocablement à ce que ces deux arbitres auraient décidé. Rien de mieux que cela, c'était le parti le plus sage auquel vous pussiez vous arrêter; car vous aviez pris pour juges deux hommes d'une intégrité reconnue et qui vous portent, comme nous l'avons su, le plus affectueux intérêt. Pourquoi donc nos bons, amis, n'avez-vous pas accepté ce que ces arbitres consciencieux et dévoués ont résolu de concert pour rétablir la paix entre vous et mettre fin à vos contestations? Leur reprocherez-vous d'avoir sacrifié vos intérêts, parce qu'ils ont terminé l'affaire par un compromis que vous trouvez à votre désavantage? Peut-être, en effet, vous ont-ils proposé d'échanger un revenu plus grand contre un moins considérable; mais il faudrait ne songer qu'aux avantages matériels et faire moins de cas des amis que des écus, de la justice que de l'argent, de la charité fraternelle que d'un titre de propriété, pour sentir les choses de la sorte. Si vous étiez encore du monde, il n'y aurait rien d'étonnant ni d'extraordinaire de voir le monde en vous, aimer ce qui lui appartient ; mais vous, enfants de lumière et de paix, voilà que vous préférez les ténèbres à la lumière, et la possession des biens de la terre à la paix! N'est-ce pas ce que le Prophète déplorait jadis quand il s'écriait: « Ils étaient nourris dans la pourpre, et voici qu'ils se roulent dans le fumier (Thren., IV, 5) ! »

4. N'avons-nous pas raison, nous direz-vous, de ne pas accepter un arrangement qui nous est désavantageux ? Eh quoi, aurait-il fallu pour qu'il vous parût juste et équitable que, vos adversaires fussent lésés a votre place? Que ne l'avez-vous dit en mettant (affaire en train? Mais tant qu'il n'y a rien de convenu, il n'y a rien d'obligatoire pour personne. A présent que vous avez engagé votre parole, les conventions font loi pour vous et il ne peut plus être question de vos intérêts. Que répondez-vous à cela pour justifier vos chicanes ? Vous donnez singulièrement à penser qu'en faisant appel au jugement d'arbitres, vous ne songiez qu'à brouiller les choses, à éluder la sentence et à rompre les conventions. Vous n'avez qu'une chose à faire: accepter la transaction ou la refuser net. Au lieu de cela vous reconnaissez qu'elle existe et en même temps vous dites que vous avez été circonvenus, et vous vous plaignez de l'évêque comme s'il n'avait pas été d'une parfaite droiture avec vous et avait usé de ruse et d'artifice pour vous engager dans l'accord auquel vous vous repentez maintenant d'avoir souscrit ; tout cela est bon à dire, mais vous ne le ferez croire à personne et nous pensons que vous n'en croyez rien vous-mêmes. Il est vrai que les choses se sont passées ainsi, nous répondrez-vous ; mais nous ne saurions être tenus d'observer une convention que le chapitre de notre maison n'a pas sanctionnée et qui s'est conclue sans l'intervention du conseil de notre communauté. Comment donc? prétendrez-vous que ce que l'abbé a réglé de concert avec les anciens de la maison ne saurait avoir de valeur tant que le reste des religieux n'y a point adhéré? Mais ce serait faire bien peu de cas des prescriptions même de la règle qui veut que : « Les religieux étant assemblés l'abbé demande à chacun son sentiment qu'il exprimera sans avoir le droit de le soutenir ; puis, après avoir recueilli les avis, qu'il s'arrête à celui qui lui semblera le meilleur, et que tous les religieux s y soumettent sans résistance et sans contradiction (Reg. S. Bernad., C. III). » Si la règle veut que dans tout ce qui concerne l'administration l'autorité de l'abbé soit décisive et si elle remet à sa discrétion le gouvernement du monastère, il est évident que vous violez la règle en vous efforçant, contre la volonté de votre abbé, de rendre nui l'arrangement dont il est convenu. A moins que votre abbé n'ait résolu au fond de son cœur, par une duplicité criminelle, de se servir du ministère de ses religieux pour détruire sous main ce qu'il a fait en public, ce serait le comble de la prévarication, et nous ne saurions croire un si saint homme capable d'une pareille indignité. Enfin nous avons été informés que plusieurs d'entre vous, qui veulent être plus justes que la justice, cherchent des difficultés là où il n'y en a point, et se font un scrupule de souscrire à cet arrangement parce qu'ils croient qu'il y a simonie dans les permutations des bénéfices: des docteurs habiles et fort orthodoxes qui ont décidé le contraire, doivent être, je pense, des autorités suffisantes pour dissiper vos inquiétudes de conscience et répondre à , vos doutes; sinon il est bien facile de puiser dans les sacrés canons la preuve convaincante que les églises peuvent faire entre elles toutes les permutations de bénéfices qu'elles jugent à propos. Ce que nous ne disons que pour fermer la bouche à certaines gens qui ont la présomption de se mêler de ce qui ne les regarde pas et ne sont propres qu'à porter partout le trouble et le désordre.

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE CCCXCVII.

219. A Eudes, abbé de Marmoutiers, Le même abbé que Geoffroy de Vendôme, lettre XXI du livre IV, détournait de la pensée d'entreprendre pour la seconde fois le pèlerinage de. la Terre sainte; il encore de lui dans la lettre XXVI, livre II, dans laquelle il se plaint amèrement des religieux de Marmoutiers à Geoffroy, évêque de Chartres, à l'occasion des rapines et des violences de personnes séculières dont son propre couvent avait à se plaindre, et des injustices dont l'évêque de Tours avait à souffrir. Tout cela n'empêcha pas qu'à peu prés à la même époque Ulger, évêque d'Angers, ne fît les plus grands éloges de sa piété et de l'esprit de Marmoutiers, dans une charte de 1131. Voici en quels termes il s'exprimait : « Moi évêque d'Angers, à l'abbaye de Marmoutiers, et à mes frères, le vénérable abbé Eudes et ses religieux, les moines les plus fervents que je connaisse dans le service de Dieu, j'ai donné, l'an de Notre-Seigneur 1131, l'église de Bessiac et la chapelle de Beaufort, etc. » Dans un autre titre on lit encore : « Moi Ulger, évêque d'Angers, ayant été informé que l'abbaye de Marmoutiers ne possède point la moindre propriété dans notre ville d'Angers, lui ai donné, le chapitre consentant, le verger que je possédais à titre d'évêque dans la paroisse Saint Etienne, lion loin de l'église du même nom, attendu qu'il ne convenait pas qu'une maison si sainte, si religieuse et se justement célèbre par son hospitalité, n'eût point une maison de refuge dans une ville aussi populeuse et aussi voisine d'elle que l'est Angers, quand elle en possède partout..... Sous Louis roi de France, Geoffroy, de Foulques, roi de Jérusalem, et Hugues, archevêque de Tours.

Normann, successeur d'Ulger, ne rend pas un moindre témoignage que lui aux religieux de Marmoutiers, dans la charte de donation de l'église de Ver à ce monastère, en l'année 1152 de l'incarnation de Notre-Seigneur, indiction XV. Voici en quels termes il s'exprime : « J'ai pour eux une affection singulière, à cause de leur sainteté et de leur régularité privilégiées, et parce qu'ils se montrent de bons et zélés propagateurs de leur ordre dont ils fondent partout de nouvelles maisons. »

Enfin Yves de Chartres, dans sa lettre cent huitième, au pape Paschal, prend chaudement en main, contre les accusations de Raoul, archevêque de Tours, la défense de l'abbé de Marmoutiers. C'était alors l'abbé Guillaume qui avait succédé à Eudes en 1124 et qui fut en charge jusqu'en 1135. Il est vrai que dans la lettre deux cent trente-quatrième Yves de Chartres engage Guillaume à promettre obéissance son métropolitain.

On peut voir sur tous ces procès à propos de dîmes, entre autres écrivains, Pierre le Vénérable, qui traite solidement la question dans sa lettre XXVIII liv. III. (Note de Mabillon.)

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LETTRE CCCXCVIII. A L'ABBÉ GUY ET AUX RELIGIEUX DE MONTIER-RAMEY.

Saint Bernard se plaint à l'abbé Guy et à ses religieux de ce qu'ils lui ont demandé de composer un office pour leur patron saint Victor; il n'a pas le talent que réclame cette œuvre d'ailleurs très-difficile; il dit à cette occasion quelles doivent être les compositions destinées au culte public, et trace les règles du chant ecclésiastique.

Au vénérable Guy, abbé de Montier-Ramey (a), et à sa sainte communauté, Bernard, le serviteur de Leurs Saintetés, salut et le vœu de les voir servir Dieu saintement.

1. Vous me demandez, mon cher abbé Guy, et tous vos bons religieux me demandent avec vous de composer pour la fête de saint Victor, dont le corps repose dans votre église, un office en rapport avec la solennité et destiné à être lu ou chanté. La résistance que je vous oppose redouble vos instances, vous faites semblant de ne pas comprendre les trop justes raisons de mon refus, et comme s'il pouvait y avoir rien de plus puissant pour me déterminer à céder à vos désirs que vos désirs mêmes, vous faites encore appel au crédit des autres. Il me semble que, pour ne point faire tort à votre propre jugement, vous n'auriez pas dit prendre conseil de votre affection pour moi, mais de la pensée du peu que je suis effectivement dans l'Église. Pour une chose de cette importance, il ne saurait être question d'ami, il faut un homme instruit et capable dont l'autorité, la sainteté et le style soient à la hauteur du sujet qu'il doit traiter, et répondent à sa sainteté.

2. Quelle estime faites-vous donc de mon néant pour vouloir que mes lettres soient lues en pleine église? Et quelle idée avez-vous de mon pauvre génie et de la portée de ma mince éloquence pour me demander un chant de fête digne d'être entendu? Y avez-vous réfléchi ? vous voulez que je chante ici-bas les louanges d'un saint dont les cieux mêmes célèbrent actuellement la gloire! Mais ce serait les diminuer que de prétendre y ajouter quelque chose! Ce n'est pas que je veuille dire qu'on ne puisse essayer de louer ici-bas ceux que les anges glorifient là-haut, mais je crois que dans les solennités de l'Église on ne doit rien dire qui sente la nouveauté, rien qui ne soit sérieux et authentique, qui ne rappelle la saine antiquité, quine soit grave et édifiant.

a Montier-Ramey était une abbaye de Bénédictins, située dans le diocèse de Troyes; elle avait pour patron saint Victor, dont les actes se trouvent parmi les autres de saint Bernard. Le moine Nicolas, qui fut secrétaire de saint Bernard, était de cette abbaye ; il est parlé de lui dans la lettre deux cent quatre-vingt-dix-huitième. Pour ce qui concerne le chant de l'Eglise, on peut consulter les notes placées à la fin du volume.

Dans le cas même où le sujet serait susceptible des grâces de la nouveauté et mériterait d'en être paré, je voudrais, je le répète, qu'on ne se permit rien qu'on ne pût traiter avec assez d'éloquence et d'autorité, pour le rendre profitable aux auditeurs par la manière agréable de le leur présenter; il faudrait que les pensées de l'auteur fissent briller la vérité, aimer la vertu, goûter l'humilité, embrasser la justice; qu'elles fussent capables d'éclairer l'esprit, de redresser le cœur, de mortifier les passions, de réformer les sens, d'inspirer la dévotion et de faire triompher l'amour de la discipline dans les âmes. Pour le chant quand il y en a, je voudrais qu'il fût plein de gravité, également éloigné de la mollesse et de la rusticité : l'harmonie devrait en être douce sans être efféminée, et ne flatter les oreilles que pour toucher le cœur. Il faudrait qu'il fût de nature à dissiper la tristesse et à calmer le feu de la colère, et qu'enfin il mit le sens des paroles en relief au lieu de l'écraser. Convenez qu'on perd beaucoup au point de vue spirituel, lorsqu'on est distrait par la légèreté du chant, de la gravité des paroles; et qu'on est plus frappé des accents de la voix que du sens des mots qu'on entend.

3. Voilà les qualités que je voudrais trouver dans les offices de l'Eglise et le talent que je crois nécessaire à quiconque entreprend d'en composer. Avez-vous trouvé tout cela en moi, et dans ce que j'ai écrit pour vous; car malgré mon impuissance, pour céder à vos importunités plutôt qu'aux prières de l'amitié; je me suis vu réduit, selon la parole du Sauveur, à me lever enfin, pour vous donner ce que vous me demandiez. Je vous envoie donc sinon ce que vous vouliez, du moins ce que j'ai pu trouver de mieux sous ma plume; c'est tout ce dont je suis capable, sinon tout ce que vous attendiez. J'ai fait usage des documents anciens que vous m'avez envoyés, et j'ai composé de mon mieux deux discours où je me suis tenu en garde contre l'obscurité d'un style trop concis et la fatigue d'une longueur excessive. Pour le chant, j'ai fait une hymne où je me suis attaché au sens des paroles plutôt qu'aux règles de la prosodie. J'ai placé dans leur ordre douze répons et vingt-sept antiennes avec un répons pour les premières Vêpres, et deux autres pour être chantés, selon l'usage de votre règle, l'un à Laudes et l'autre à Vêpres. Mais je vous déclare que je n'ai pas fait tout cela pour rien, je veux être payé du mal que je me suis donné: peu m'importe que vous soyez contents ou non de mon travail, je vous ai servi de mon mieux, j'ai droit à mon salaire. Ce sera le secours de vos prières; je ne demande pas autre chose.

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NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON

LETTRE CCCXCVIII.

220. - Pour le chant quand il y en a, je voudrais qu'il fût plein de gravité. Le sentiment que saint Bernard exprime ici avec son élégance habituelle mérite la plus sérieuse attention. Il serait bien facile de le corroborer par celui des saints Pères et de montrer ce qu'ils ont pensé aussi du chant et des offices de l'église, mais ni la place ni le but de cette note ne nous permettent ce genre de travail. Toutefois, comme la règle posée par saint Bernard pourrait sembler un peu trop sévère, et trop rigoureuse, eu égard à l'état des mœurs et des esprits,

je ne crois pas hors de propos de citer sur ce sujet l’opinion d'un homme d'une religion et d'une piété connues, qui a traité dans un style plein de charme et d'élégance, de choses qui intéressent également la piété et la vertu. Voici en quels termes il s'adresse aux musiciens

« Permettez-moi de vous dire que nos églises retentissent maintenant d'un genre de musique tout à fait nouveau pour elles et on ne peut plus déplacé sous leurs voûtes: son mouvement bref et sautillant n'a rien de religieux; il peut convenir au théâtre et pour un choeur de danse, mais nullement à l'église. Nous sacrifions à l'art, l'ancienne manière de prier et de chanter ; mais si un goût mondain trouve son compte à ce sacrifice, il n'en est pas de même de la piété. Que signifie, en effet, cette nouvelle espèce de chant sautillant où, comme dans une pièce de théâtre, des chanteurs qu'on prendrait volontiers pour des acteurs, viennent faire entendre tour à tour des solos, des duos; puis des choeurs dans lesquels les parties semblent se répondre comme dans un dialogue, puis laissent tout à coup la parole à l'une d'elles qui triomphe seule un instant, et bientôt se confondent de nouveau avec elle?»

Un peu plus loin, le même auteur continue : « Au siècle dernier, on vit des musiciens vraiment dignes de ce nom, vous en conviendrez avec moi, qui faisaient entendre une musique bien différente de la vôtre, et, permettez-moi de le dire, beaucoup plus religieuse. Mais leurs œuvres ne vous plaisent point et vous les avez depuis longtemps enterrées dans l'oubli. Je vous en prie, rendez-nous quelque chose de leur antique piété dans nos chants d'église; ayez à cœur, vous qui cultivez leur art de nos jours, de contribuer à la beauté du culte divin, en ne composant que des chants plus en harmonie avec le sens des paroles qu'ils doivent nous aider à comprendre. Que me font, à moi, dans l'église vos airs variés et vos choeurs aux parties nombreuses, si je perds le meilleur du chant, si je ne puis rien comprendre au sens des paroles, que vous devez, par mes oreilles, faire descendre dans mon cœur (Jérôme Drexélius, dans sa Rhélor. célest. l. I. ch. 5) ? »

Mais n'exposons pas davantage un homme plein de sentiments religieux, dont la cendre est à peine éteinte, aux ressentiments que sa critique ne peut manquer de lui attirer de la part des musiciens de nos jours. ou plutôt ne le laissons pas seul exposé à leur haine, fruit trop ordinaire que recueillent ceux qui sèment la vérité: citons avec lui d'autres écrivains non moins célèbres qui partageront son sort et même corroboreront son sentiment.

Le premier qui se présente à nous est un élève de l'école de notre saint Docteur ; comme son maître, il blâme sévèrement les abus de la musique; c'est Aelred, abbé de Ridai, en Angleterre; la plupart de ses écrits se trouvent imprimés avec les œuvres de saint Bernard. Voici comment il s'exprime livre II du Miroir de la charité, chapitre II :

« Que signifient ces sons étranglés et saccadés ? ces chants où des voix font la taille pendant que d'autres font la basse ou le dessus et sèment une foule de notes intermédiaires qui coupent et divisent l'harmonie? Ce ne sont que notes rapides ou traînantes qui vous percent les oreilles ou se prolongent sans mesure. Quelquefois même, en vérité je ne puis en faire la remarque sans rougir, quelquefois, dis-je, il en est qui hennissent comme des chevaux plutôt qu'ils ne chantent comme des humains, ou qui, préférant aux mâles accents de leur propre sexe l'aigre fausset des voix de femmes, se plaisent à broder sur le chant principal une foule de notes d'agrément qui se déroulent comme les replis d'un serpent. D'autres fois c'est un chantre qu'on voit la louche toute grande ouverte, comme sur le point de rendre l'âme, faute de respirer; on ne l'entend plus, un silence ridicule a suspendu ses chants, il semblerait que tout est fini et qu'on va tomber dans le sir lente le plus profond; mais il se ranime pour imiter le râle de l'agonie et les soupirs des extatiques. Tout cela est accompagné de gestes et de mouvements d'histrions, ils tordent la bouche, roulent les yeux, agitent les épaules et crispent les doigts à chaque note d'une manière différente. Voilà pourtant ce qu'on prend pour un acte de religion, quand ce n'est qu'un concert de gestes ridicules ; comment peut-on croire qu'on célèbre par ces moyens-là les louanges de Dieu avec d'autant plus de pompe et de solennité qu'on en fait un plus large emploi?

« De leur côté, les fidèles, d'abord plutôt épouvantés que charmés par le tapage que font toutes ces voix mêlées au bruit des flûtes et des cymbales, éprouvent bientôt toutes les peines du monde à ne pas rire aux éclats, en voyant les contorsions indécentes de tous ces chanteurs et en les entendant dialoguer en choeur de leurs voix efféminées. On croirait volontiers qu'on assiste à une représentation de théâtre plutôt qu'à une solennité de l'Eglise. D'ailleurs, nul respect pour la redoutable majesté de Dieu, sous les yeux de qui on se trouve assemblé, nulle acception à la crèche mystique où se célèbrent les saints mystères pendant lesquels le Christ reprend ses langes, son sang sacré coule dans le calice, les Cieux s'ouvrent, les anges en descendent, la terre et les Cieux se rapprochent, les esprits célestes et les simples mortels se mêlent et se confondent. Voilà comment ce que les anciens ont établi pour développer, dans nos âmes distraites, des sentiments de piété, est détourné de satin et devient l'occasion de plaisirs défendus. Il ne faut jamais sacrifier le sens des paroles aux exigences de la musique, car cette dernière ne doit servir qu'à donner au premier plus d'énergie afin d'émouvoir, de toucher nos âmes plus sûrement; par conséquent, les qualités qui lui conviennent avant tout sont la gravité et la sobriété; il manque son but dès qu'au lieu d'aider l'esprit à saisir plus vivement le sens des paroles qu'il accompagne, il détourne au contraire l'attention à son profit, par un charme profane. Ecoutons saint Augustin sur ce sujet : « Je ne prête l'oreille au chant des cantiques que pour développer dans mon âme le sentiment de la piété, mais si le chant me captive au détriment du sens des paroles qu'il accompagne, il manque son but, et je ne puis le trouver bon. Ailleurs, le même Père continue : S'il m'arrive de trouver plus de charmes à la musique qu'au sens des paroles, je me le reproche comme un mal, et je préfère n'en point entendre du tout.» Voilà comment s'exprimait Aelred.

Terminons par les paroles du pape Jean XXII; voici ce qu'il pense sur le genre de musique qui nous occupe et les règles qu'il prescrit à ce sujet : « Il n'y a de musique religieuse digne de ce nom que celle qui ouvre notre cœur à Dieu, et développe dans nos âmes le sentiment de la piété pendant qu'elle porte les paroles saintes à nos oreilles. Aussi, quand nous voulons qu'on chante les psaumes dans nos églises, ce n'est que pour porter les âmes à la piété; c'est pour la même raison que nous faisons chanter les offices du jour et de la nuit, et des messes solennelles où le peuple et le clergé alternent sur un ton grave et sévère, et dans un ordre déterminé de manière à charmer les oreilles sans qu'on ait jamais à craindre la confusion.

« Il s'est produit une nouvelle école de musiciens qui, tout entiers à la mesure et à des effets nouveaux, substituent leurs compositions musicales aux chants qui nous viennent des anciens: ce ne sont plus que notes brèves et légères qui arrivent à l'oreille; nos vieilles mélodies sont coupées de hoquets ridicules, altérées parles faux-bourdons et par le léchant, entremêlées de chants et de motets populaires; on ne tient presque plus aucun compte des paroles du graduel et de l'antiphonaire, on rejette cette base essentielle du chant de l'Église; bien plus, il semble que tous ces musiciens nouveaux ignorent la différence des tons; ils les confondent à chaque instant ou ils les noient dans un tel déluge de notes, qu'on ne peut plus retrouver dans leurs compositions ces traits ascendants ou descendants qui sont propres au plain-chant, et dont la simplicité noble et sévère aide beaucoup à distinguer les tops entre eux. C'est une course aux notes, sans arrêts ni repos, que leur manière de chanter; ils fatiguent les oreilles au lieu de les récréer. Bien plus, comme si ce n'était pas assez, ils ajoutent les gestes aux paroles, et au lieu d'inspirer les sentiments de piété qu'on vient chercher à l'église, ils n'éveillent dans l'âme que des pensées qu'on ne saurait trop étouffer; car ce n'est pas en vain, dit Boëce lui-même, qu'un esprit lascif entend des chants efféminés, il s'amollit et s'énerve encore davantage à mesure qu'il les entend.

Pour nous, persuadé qu'un tel état de choses doit être réformé, nous avons résolu de repousser loin de nous, d'expulser du sanctuaire et de rejeter de nos temples ce genre de musique, etc. » Voir Jean XXII, extrav. com., lib. III, tit. de Vit. et hon. cleric., cap. un., où ce Pape fait connaître quelle doit être selon lui la véritable musique d'église, (Note de Horstius.)

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