LETTRES II

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HEXAËMÉRON X

 

A SAINT GREGOIRE DE NAZIANZE. XIX— III.
AU MÊME. XIV—XIX.
A OLYMPIUS. IV—CLXIX.
AU MÊME. XII—CLXXI
A THÉODORA , QUI FAISAIT PROFESSION D'UNE VIE RETIRÉE ET RÉGULIÈRE. CLXXIII—CCCII.
A PALLADIUS. CCXCII.—CCCLXXXVI.
ATHANASE, ÉVÊQUE D'ALEXANDRIE. LXXXII — LI
A HÉLIE , GOUVERNEUR DE PROVINCE. XCIV—CCCLXXXII.
A EUSÈBE, ÉVÈQUE DE SAMOSATE. XXX—VII.
AU MÊME. CXXXVIII—VIII.
A L'ÉGLISE DE NÉOCÉSARÉE. XXVIII — LXII.
A AMPHILOQUE , NOMMÉ ÉVÊQUE. CLXI—CCCXCIII.
A EUSÈBE , ÉVÊQUE DE SAMOSATE. CLXVI—CCLI.
AUX PRÊTRES DE NICOPOLIS. CCXL—CXCII.

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A SAINT GREGOIRE DE NAZIANZE. XIX— III.

 

Saint Basile s'excuse d’avoir tardé à répondre à la lettre de son ami ; il s'en prend au porteur même de la lettre qui était parti avec trop de précipitation : il se plaint que ses lettres sont trop courtes.

 

Il m'est venu dernièrement une lettre de vous , qui est bien de vous. Je l'ai reconnue moins au caractère de l'écriture qu'au style de la lettre. Elle renfermait peu de mots et beaucoup de sens. Je ne vous ai pas fait aussitôt réponse, parce que j'étais absent pour lors, et que votre messager, après avoir donné la lettre à un de mes amis , est parti sans m'attendre. Pierre vous entretiendra de ma part. Il acquittera pour moi une dette de l'amitié ; et ce sera une occasion pour vous engager à me récrire. Cela ne doit pas vous coûter infiniment ; car en général toutes les lettres que vous m'envoyez sont fort laconiques.

 

AU MÊME. XIV—XIX.

 

Il apprend à son ami la résolution qu'il a prise de renoncer au commerce et au bruit du monde , pour vivre désormais dans la retraite. Belle description d'une solitude propre pour la vie contemplative.

 

MON frère Grégoire m’ayant écrit qu'il désirait depuis longtemps de me rejoindre, et ayant ajouté que vous aviez pris la même résolution , je

 

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me suis vu si souvent trompe par vous, que je n'ose plus croire que vous avez une véritable envie de venir. D'ailleurs, mille raisons m'ont empêché de rester pour vous attendre. Il faut que je parte pour le Pont (1), où, s'il plaît à Dieu, je mettrai fin à mes courses. J'ai enfin renoncé aux vaines espérances que j'avais de vous voir, ou plutôt aux songes s'il faut dire la vérité : car j'approuve fort celui qui a dit que les espérances étaient les songes d'un homme qui veille. Je me retire clone dans le Pont pour y trouver un genre de vie particulier. Dieu m'y au fait découvrir une demeure parfaitement conforme à mon caractère ; une demeure réellement telle que nous l'imaginions dans nos moments de loisir pour nous amuser. C'est tine montagne fort élevée, couverte d'une vaste et sombre forêt , arrosée vers le Septentrion par des eaux fraîches et limpides. Au pied de la montagne , s'étend une grande plaine , continuellement engraissée par les eaux qui viennent des hauteurs. La forêt qui l'entoure naturellement par une infinité d'arbres de toute nature, forme une espèce de palissade. L'île de Calypso, tant vantée par Homère , n'est rien en comparaison. Peu s'en faut que ce ne soit une île, puisqu'elle est enfermée de toutes parts. Elle est coupée dans deux de ses côtés par des vallées profondes. Un fleuve qui tombe d'un précipice, coule à son troisième côté, et lui sert d'un rempart inaccessible. De l'autre, une spacieuse montagne, jointe à la vallée par des chemins tortueux et impraticables, en interdit l'entrée. Il n'y a qu'un seul endroit, dont nous sommes les maîtres, par

 

(1) Le Pont , province de l'Asie mineure aussi bien que la Cappadoce.

 

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où l'on puisse approcher. L'habitation est sur une éminence, laquelle est une sorte de tour ou de guérite, d'où la plaine se découvre à la vue, et d'où l’on aperçoit le fleuve dont les eaux se répandent tout autour. Cet aspect, à mon avis, cause autant de plaisir que le fleuve du Strymon (1) aux Amphipolitains. Encore ce dernier coule si tranquillement, ses eaux font si peu de bruit, qu'on a de la peine à lui donner le nom de fleuve: au lieu que le nôtre est plus rapide qu'aucun des fleuves que je connaisse. Son cours est rendu plus impétueux par un rocher voisin, d'où il se précipite dans un gouffre profond. C'est pour moi et pour tout autre un spectacle des plus agréables , outre que les habitants en retirent de grands avantages, et qu'il nourrit une quantité prodigieuse de poissons. Pourquoi parler des douces vapeurs qui sortent de la terre , ou du bon air que le fleuve fait respirer ? Un autre admirerait peut-être la variété des fleurs ou le concert des oiseaux ; mais moi je n'ai pas le temps de m'occuper de pareilles bagatelles. Le plus grand avantage de ce lieu, c'est qu'outre qu'il produit , par son heureuse situation , toutes sortes de fruits en abondance, le plus flatteur pour moi est le repos et la tranquillité qu'on y goûte. J'y trouve une retraite entièrement éloignée du tumulte de la ville, où l'on ne rencontre absolument que quelques chasseurs qui se joignent quelquefois à nous : car ce pays offre encore le plaisir de la chasse. On n'y voit cependant, comme dans le vôtre, ni ours, ni loups, ni autres bêtes féroces ; il ne

 

(1) Le Strymon séparait la Macédoine de la Thrace. Il prenait sa source au mont Hémus, et allait se rendre dans un golfe de la mer Egée, auprès d'Amphipolis , ville de Thrace, sur les confins de la Macédoine.

 

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nourrit que des cerfs , des chèvres sauvages, des lièvres, et autres animaux semblables. Croyez-vous que je sois assez dépourvu de raison , pour préférer à un séjour si délicieux votre retraite de Tibérine (1) qui n'est qu'une horrible fondrière ? Pardonnez-moi donc le désir que j'ai de m'y fixer. Alcméon mit fin à ses courses lorsqu'il eut rencontré les Echinades.

 

A OLYMPIUS. IV—CLXIX.

 

Olympius avait envoyé des présents considérables à saint Basile, qui faisait profession d'une pauvreté austère. Il les refuse d'une manière fine et agréable.

 

Que faites-vous , ô mon admirable ami ? vous voulez bannir de ma solitude la pauvreté qui m'est chère, la pauvreté mère de la sagesse. Si elle pouvait parler , elle vous accuserait de violence, et vous dirait : Je voulais demeurer avec un homme qui applaudit à Zénon (2), lequel ayant tout perdu dans un naufrage, ne proféra que des paroles généreuses : Courage , dit-il, Fortune, tu nous réduis à porter un simple manteau; avec un homme qui fait un grand mérite à Cléanthe

 

(1) Tibérine , pays de Cappadoce , dans lequel était situé le bourg d'Arianze , où St. Grégoire avait un bien. Arianze était voisin de la ville de Nazianze.

(2) Zénon , de la ville de Citium dans l'île de Cypre, chef de la secte des Stoïciens : jeté à Athènes par un naufrage , il regarda toute sa vie cet accident comme un grand bonheur. Cléanthe , fils de Phanias et natif d'Epire , fut son disciple ; Diogène, de la ville de Sinope, philosophe cynique fort connu.

 

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de s'être loué pour tirer de l'eau d'un puits, afin de gagner de quoi vivre et de quoi payer ses maîtres ; avec un homme qui ne cessa jamais d'admirer Diogène, lequel était si jaloux de se borner à ce que demande la nature, qu'il jeta sa tasse, en voyant un enfant qui se baissait pour puiser de l'eau dans le creux de sa main. Voilà les reproches que vous adresserait la Pauvreté, notre bonne arme, que vous voudriez bannir par vos présents magnifiques. Elle ajouterait même quelques menaces : Si je vous surprends encore ici , dirait-elle, je me vengerai de vous avec mes armes, je ferai voir que vous avez mené par le passé la vie voluptueuse des Siciliens et des Romains. En voilà assez sur ce chapitre. Je suis bien aise d'apprendre que vous vous occupez de votre santé, que vous prenez des remèdes. Je souhaite qu'ils vous soulagent: vous avez une âme si belle, qu'elle mérite bien le secours d'un corps sain et exempt d'infirmités.

 

AU MÊME. XII—CLXXI

 

Il reproche agréablement à Olympius sa paresse , et le prie de lui écrire plus souvent.

 

A U P A R A V A N T VOUS nous écriviez quelques mots, maintenant vous ne nous écrivez plus rien. trous parliez peu d'abord, avec le temps vous êtes devenu absolument muet. Reprenez, je vous prie, votre ancienne méthode. Nous ne nous plaindrons plus du style laconique de vos lettres. Les plus courtes nous seront infiniment précieuses, comme étant le gage d'une grande affection. Écrivez-nous seulement.

 

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A THÉODORA , QUI FAISAIT PROFESSION D'UNE VIE RETIRÉE ET RÉGULIÈRE. CLXXIII—CCCII.

 

Cette lettre contient les plus belles maximes de morale , et peut servir de modèle à ceux qui aspirent à la perfection évangélique.

 

L'INCERTITUDE où je suis si mes lettres parviennent jusqu'à vous, me rend paresseux à vous écrire. La perfidie des messagers fait tomber les lettres en mille autres mains, surtout au milieu des troubles qui agitent à présent le monde. J'attends donc que vous me fassiez de vives plaintes, et que vous me pressiez de vous écrire, pour m'assurer si mes lettres vous sont rendues. Mais , soit que je vous écrive ou que je garde le silence, je me fais une loi de conserver au fond de mon cœur le souvenir de votre personne, et de demander pour vous à Dieu la grâce que vous puissiez achever votre carrière , et arriver au but que vous vous êtes proposé. Ce n'est pas une petite entreprise que de remplir avec fidélité tous ses engagements. Tout le monde peut embrasser un état de vie conforme aux maximes évangéliques ; mais je connais peu de personnes qui remplissent exactement jusqu'aux plus simples devoirs de leur profession, et qui ne négligent aucune des règles de l’Evangile. Parler avec sobriété, avoir les yeux purs comme Jésus-Christ le demande, travailler des mains pour plaire à Dieu, se servir de ses pieds et des autres membres de son corps selon l'ordre que le Créateur a établi, être modeste

 

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dans ses vêtements, circonspect dans le commerce des hommes, manger uniquement pour le besoin, retrancher le superflu dans ses possessions: des préceptes , ainsi présentés , paraissent peu de chose; mais l'expérience nous apprend que la pratique exige de grands efforts. Et cette humilité parfaite, qui nous fait oublier l'éclat de notre naissance, qui empêche de nous applaudir des avantages naturels du corps ou de l'esprit, d'être fiers de la bonne opinion que les autres ont de notre mérite: cette vertu n'est-elle pas essentielle à la vie évangélique , aussi bien qu'une tempérance soutenue , l'assiduité dans la prière , la compassion pour les maux de ses semblables, l'empressement à soulager les pauvres, la modeste des sentiments, la contrition du cœur, la pureté de la foi, l'égalité d'âme dans la mauvaise fortune, le souvenir perpétuel des jugements de Dieu et de son tribunal redoutable, devant lequel nous paraîtrons tous bientôt, et dont peu de personnes songent à se représenter les suites ?

 

A PALLADIUS. CCXCII.—CCCLXXXVI.

 

Il le félicite de ce qu'il s'était, fait baptiser depuis peu : il lui parle des avantages du baptême, et l'exhorte à en profiter par une vie régulière.

 

DIEU a rempli la moitié de mes désirs en me faisant voir notre chère soeur votre épouse; il ne tient qu’à lui de suppléer le reste et de mettre le comble à ses dons en m'accordant la faveur de vous voir vous-même. Je le désire plus que jamais depuis que j'ai appris de quel honneur insigne

 

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vous avez été gratifié, en vous revêtant de cette robe immortelle qui couvre notre nature, qui détruit la mort dans notre chair, qui absorbe ce qu'il y a en nous de mortel. Puis donc que le Seigneur par sa grâce vous a admis dans sa famille, qu'il a effacé tous vos péchés, qu'il vous a ouvert le royaume des cieux, qu'il vous a montré le chemin qui conduit à la béatitude céleste, je vous exhorte, vous qui vous distinguez de tous les autres par votre prudence, d'estimer cette race autant que vous le devez , de garder fidèlement ce trésor spirituel , de conserver avec tout le soin possible le dépôt du Roi suprême, afin que vous puissiez un jour le lui rendre tout entier, paraître devant lui brillant dans la splendeur des justes, n'ayant ni tache, ni ride, sans avoir souillé en aucune manière votre habit d'immortalité, sanctifié dans tous vos membres, comme doit l'être celui qui s'est revêtu de Jésus-Christ. Vous tous, dit saint Paul, qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez été revêtus de Jésus-Christ (Gal. 3. 27.). Que tous vos membres soient donc saints, clignes de recevoir une robe sainte et brillante.

 

ATHANASE, ÉVÊQUE D'ALEXANDRIE. LXXXII — LI

 

Belle comparaison de la mer agitée avec l'Eglise divisée par un schisme qui la déchire. Saint Basile propose à Athanase un moyen de réunir plusieurs évêques orthodoxes qui étaient en division.

 

LORSQUE j'envisage l'état présent des affaires, et que je vois les embarras qui retiennent comme

 

 

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dans des entraves toute ardeur porte le bien, je désespère absolument de nous-mêmes mais lorsque je pense à votre fermeté et a votre sagesse, lorsque je fais attention que le Seigneur vous a placé au milieu de nous comme un médecin pour remédier aux maux des Eglises, je reprends courage, je me rassure, et je conçois de meilleures espérances. Toute l’Eglise est en désordre: votre prudence ne petit l'ignorer. Du haut de votre esprit sublime, comme d'une tour, vous voyez tout ce qui se passe ; vous voyez, comme sur une vaste mer, des navires qui voguent ensemble, poussés par les flots qui sont violemment agités, faire naufrage, et parce qu'une cause étrangère soulève la mer avec violence, et parce que les navigateurs dans leur trouble s'embarrassent mutuellement et se brisent eux-mêmes. Je n'entreprends pas d'expliquer la comparaison: vous êtes trop éclairé pour qu'il soit besoin que j'en dise davantage, et d'ailleurs les circonstances ne me permettent point de parler librement. Où trouverons-nous un pilote assez habile pour nous diriger dans une navigation aussi périlleuse , un homme qui ait assez de crédit auprès du Seigneur pour le réveiller et obtenir de lui qu’il commande aux vents et à la mer? peut-on en choisir un autre que celui qui s'est exercé dès son enfance dans les combats pour la foi ? Puis donc que tous les partisans de la vérité désirent sincèrement que les orthodoxes communiquent ensemble et se réunissent, je vous exhorte à écrire à tous une lettre qui nous marque ce que nous devons faire. Les évêques souhaitent que vous ouvriez les conférences sur la réunion des orthodoxes: lisais comme leur conduite passée pourrait vous les rendre suspects, voici le parti que je vous propose,

 

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mon très-religieux père. Envoyez-moi les lettres que vous écrirez aux évêques, soit par quelque personne sûre, soit par le ministère de notre cher frère Dorothée. Je ne remettrai vos lettres qu'autant que je serai sûr qu'on y fera réponse. Si j'y manque, je consens que vous ne me le pardonniez jamais (Gen. 43. 9.). Or cette promesse n'engageait pas plus fortement le fils de Jacob qui la faisait à son père, que moi qui vous la fais à vous notre père spirituel. Si vous désespérez de réussir, permettez-moi du moins de m'en charger, puisque je le fais à bonne intention, par un pur motif de la paix, et pour réunir entre eux tous les orthodoxes, puisque c'est-là uniquement ce qui m'engage à prendre cet emploi et cette médiation.

A HÉLIE , GOUVERNEUR DE PROVINCE. XCIV—CCCLXXXII.

 

Saint Basile avoir commencé de construire dans Césarée un grand édifice qui pouvait être utile à l'état et à l'Eglise; ses ennemis voulaient l'empêcher de continuer cet ouvrage : il écrit au gouverneur de la province pour se justifier sur ce bâtiment ; il le prie de ne pas écouter les autres calomnies qu'on débitait à son sujet.

 

J'AURAIS bien voulu me rendre auprès de votre personne, afin que mes calomniateurs ne se prévalussent pas de mon absence : mais puisque mes maux, redoublant plus que jamais , m’en ont empêché, je me vois forcé de vous écrire. Il y a quelque temps que me trouvant près de vous, j’avais fort envie de vous faire le détail de ma conduite, et de vous entretenir des affaires de

 

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l'Eglise. Je me retins , croyant que ce serait une chose inutile et un zèle déplacé , d'aller donner de nouvelles inquiétudes à un homme déjà accablé de tant d'affaires. D'ailleurs, je dirai la vérité, je craignais de me voir réduit à blesser la délicatesse de votre conscience par le récit de nos disputes , à vous scandaliser, vous qui servez Dieu avec une piété si exemplaire , et qui attendez la récompense du zèle que vous montrez pour la Religion. Oui , si nous vous engagions dans nos affaires, à peine auriez-vous le temps de respirer et de vaquer à celles de l'état. Ce serait obliger le pilote qui conduit un navire, neuf au milieu d'une violente tempête, de le charger de nouvelles marchandises, au lieu de le soulager d'une partie de sa charge. C’est pour cela, à ce qu’il me semble, que notre grand prince nous abandonne le gouvernement de l’Eglise; il sait que ce soin nous regarde particulièrement. Je demanderais volontiers à ceux qui vous obsèdent et qui abusent de votre bonne foi , quel tort nous faisons à l'état , et si ses intérêts sont lésés le moins du monde par le gouvernement ecclésiastique : à moins qu’on ne dise que c’est offenser les droits de l'empire, de bâtir et d'orner une église magnifique en l’honneur de Dieu , d’y joindre une demeure honnête pour l’évêque, et des logements moins considérables pour les autres ministres des autels , logements dont vous pouvez vous servir vous-même vous et votre suite. Quel mal faisons-nous en bâtissant des hospices pour les étrangers qui passent, ou qui, tombant malades , ont besoin d’être secourus en leur procurant , dans leurs maladies , des personnes pour les servir, des médecins, des bêtes de somme, des conducteurs ? Il faut absolument ajouter les arts, ceux qui sont nécessaires

 

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pour vivre, et ceux qui aident à passer la vie avec quelque douceur. Il faut encore des ateliers pour diverses manufactures. Tous ces bâtiments embellissent la ville et font honneur au gouverneur lui-même, à qui on en attribue la gloire. Ce n'est point , sans doute , par ce motif que vous avez enfin consenti à nous gouverner. Vous pouvez, sans le secours de personne , rétablir des édifices que le temps a démolis , remplir d’habitants les déserts, et changer les solitudes en des villes peuplées. Toutefois ne doit-on pas honorer et considérer , plutôt que persécuter et outrager, celui qui Vous seconde dans ces opérations ? Et ne croyez pas que je vous parle de desseins chimériques : nous avons delà mis la main à oeuvre, et on apporte de toutes parts des matériaux. Dans ce qui précède, je me suis justifié envers le gouverneur. Je ne parlerai pas de ce que j'aurais pu vous dire comme à un chrétien et à un ami qui s'intéresse à ce qui me regarde je ne répondrai pas aux reproches de mes adversaires , parce que ma lettre est déjà trop longue, et qu’il n’y aurait pas de sûreté à confier mes raisons au papier. Cependant, de peur qu'avant que nous ayons pu vous joindre, vous ne vous laissiez ébranler par la calomnie , et que votre amitié pour moi ne se ralentisse, je vous conseille de faire ce que fit un jour Alexandre. On accusait un de ses amis ; il écoutait d'une oreille les accusations, et il bouchait l’autre avec le doigt, mesurant par-là qu'un juge équitable ne devait point se laisser prévenir par les calomniateurs , mais qu'il fallait réserver une parti; de son attention pour écouter l'apologie des absents.

 

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A EUSÈBE, ÉVÈQUE DE SAMOSATE. XXX—VII.

 

Il lui expose les raisons qui l'ont empêché de l'aller trouver, quelqu'envie qu'il en eût, la rigueur du froid , les maladies , les affaires , la mort de sa mère. Les Eglises étaient toujours dans l'agitation : il reconnaît que c'est aux prières d'Eusèbe que celles de Néocésarée et d'Ancyre devaient leur tranquillité.

 

 

SI je voulais vous mander un détail de toutes les raisons qui m'ont empêché de vous voir jusqu’à ce jour , quelque envie que j'en eusse, il faudrait vous écrire une longue histoire. Je ne parle ni de mes maladies fréquentes , ni de la rigueur de la saison , ni de l’embarras continuel des affaires, causes qui ne vous sont pas inconnues et dont je vous ai déjà fait part. Ma mère était mon unique consolation ; je viens de la perdre pour mes péchés. Et n'insultez pas à ma faiblesse en me voyant gémir à mon âge sur l'état d'orphelin ; mais pardonnez-moi d’être inconsolable de la perte d’une personne que rien ne peut remplacer dans le monde. Je suis donc retombé malade, condamné de nouveau à garder le lit, abandonné de presque toutes mes forces, et attendant, pour ainsi dire, ma dernière heure à chaque instant, La situation des Eglises n'est guère meilleure que la mienne ; elles ne voient luire aucun rayon d'espérance , et les choses vont tous les jours de mal en pis. Néocésarée et Ancyre ont vu enfin des successeurs de leurs évêques morts ; jusqu'à présent elles sont

tranquilles. Ceux qui ne nous veulent pas de bien n’ont pu rien entreprendre contre nous

 

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de ce que, leur haine et leur animosité leur suggéraient. Nous en attribuons visiblement la cause à vos prières pour ces Eglises. Ainsi ne vous lassez point de prier pour elles et de fléchir le Seigneur. Saluez de ma part ceux qui ont été jugés dignes de seconder votre zèle.

 

AU MÊME. CXXXVIII—VIII.

 

IL lui fait une vive peinture de l'état où la maladie l'avait réduit: il lui parle des affaires de plusieurs Eglises, sur lesquelles il lui demande réponse: il finit par se recommander à ses prières.

 

DANS quels sentiments croyez-vous que j'aie été en recevant soue lettre ? Si j'avais voulu suivre le premier mouvement qu'elle m'inspirait, j'aurais volé vers vous; mais la faiblesse qui m'attachait au lit était si grande, que, bien loin de voler, je ne pouvais pas même me remuer. Il y avait cinquante jours que j'étais malade, lorsque j’ai été visite par notre très-cher et excellent frère Elpictius. La fièvre m'a entièrement usé ; le peu de matière qu'elle trouvait dans un corps décharné, qui ressemble à une mèche desséchée par le feu, m'a fait tomber dans une longue faiblesse et dans une langueur importune. Le foie, mon ancien mal, se joignant à tous les autres, m'a empêché de prendre aucune nourriture, a chassé le sommeil de mes yeux, m'a conduit jusque sur les bords du tombeau, et ne m'a laissé qu’autant de vie qu’il en fallait pour sentir mes douleurs. J’ai usé d’eaux naturellement chaudes, et j'ai employé les remèdes des médecins: le mal

 

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a été supérieur à tout. Peut-être que l’habitude rendra supportable, mais il n'est pas d homme. assez ferme pour résister à ses premières violences. Le plus grand chagrin que me cause ma longue maladie, c'est qu'elle me prive de l'avantage d'aller vous joindre. Or je sais par moi-même de quel plaisir je suis privé, quoique l'année précédente je n'aie fait que goûter du bout du doigt le miel si doux de votre Eglise (1. Rois. 14. 27.). J’avais bien des choses importantes à vous communiquer; et je souhaitais avec passion de vous voir pour m'éclaircir sur mes doutes. Il m'est impossible de trouver ici un ami sincère, un ami qui ait vos lumières et cette expérience acquise par de longs travaux dans l'Eglise, pour me donner des conseils dans les conjonctures présentes. Ce que je pourvois vous mander d’ailleurs n’est pas de nature à être mis dans une lettre; voici seulement ce que je puis vous écrire en toute sûreté. Le prêtre Evagre, fils de Pompeianus d'Antioche, qui s’était transporté dans l’Occident avec le bien-heureux Eusèbe, est revenu de Morne. Il nous demande une lettre entièrement conforme à l'écrit dont on l'a chargé, nous rapportant la nôtre. comme si elle ne plaisait pas aux docteurs de ce pays: il demande encore qu'on y envoie au plutôt des hommes de confiance, afin qu'on ait occasion de se voir réciproquement. Ceux de Sébaste, qui pensent comme nous, et qui ont découvert le poison caché dans la doctrine d’Eustathe, implorent notre assistance. Icone était autrefois la première ville de Pisidie après la capitale; elle est maintenant métropole d’une province composée des débris de plusieurs autres. Elle m’invite à me rendre chez elle pour y nommer un évêque, parce que Faustin est mort. J’aurais donc

 

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en besoin d'aller moi-même vous consulter, pour savoir si je dois me charger d'ordinations étrangères, la réponse que je dois donner aux habitants de Sébaste, et ce que je dois penser des conseils d'Evagre: mais ma mauvaise santé m'empêche de pouvoir vous joindre, Si vous avez quelqu'un qui doive bientôt venir ici, envoyez-moi, je vous conjure , des réponses sur tous ces chefs : sinon, demandez à Dieu qu'il m'inspire ce qui peut lui être le plus agréable; priez pour moi et engagez le peuple à joindre ses prières aux vôtres, afin que les jours ou les heures qui restent de mon pèlerinage soient entièrement consacrés au service et à la gloire du Seigneur.

 

A L'ÉGLISE DE NÉOCÉSARÉE. XXVIII — LXII.

 

L'Eglise de Néocésarée , qu'avait gouvernée St. Grégoire surnommé le Thaumaturge , venait de perdre son évêque : saint Basile écrit à cette Eglise pour la consoler de la perte de son pasteur , et pour l'engager à en choisir un autre digne de le remplacer, qui maintienne son peuple dans la foi orthodoxe. Il fait un assez long et très-bel éloge du pontife qui venait de mourir.

 

LA perte que vous venez: d'essuyer, demanderait que je fusse dans votre ville pour rendre au saint prélat les derniers devoirs avec vous qui teniez de si près à son coeur, pour participer à votre tristesse par le spectacle même des objets tristes, et pour vous donner les conseils dont vous avez besoin. Mais comme beaucoup de raisons m'empêchent d'aller vous joindre, il me reste à vous témoigner par une lettre la part que je prends

 

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votre douleur. Les actions et les vertus distinguées de celui que nous pleurons, lesquelles nous rendent sa perte si sensible, ne pourraient être renfermées dans une lettre, et d'ailleurs il ne serait pas à propos d'en. parcourir les détails lorsque notre âme est accablée par l'affliction. Ces actions et ces vertus sont telles qu'il est impossible d’en perdre la mémoire, et qu'on ne doit point les passer sous silence: mais elles sont en si grand nombre que je ne pourrais parvenir à les rapporter toutes, et si j’en omettais quelques-unes je craindrais de trahir la vérité.

La mort nous a enlevé l'homme de notre siècle qui était doué des plus grandes qualités naturelles, le soutien de sa patrie, l'orneraient des Eglises, la colonne de la vérité, l'appui le plus ferme de la foi en Jésus-Christ , gardien sûr de ses enfants, ennemi redoutable des ennemis de Dieu, attaché aux anciennes coutumes , opposé aux nouveautés, montrant dans sa personne la ligure de l’Eglise primitive, et réglant sur ce modèle l'Eglise particulière confiée à ses soins; de sorte rime les fidèles qu'il gouvernait semblaient avoir vécu avec les chrétiens qui ont brillé il y a deux cents ans et au-delà: tant le pontife dont nous parlons ne disait rien de lui-même, ne produisait aucune imagination nouvelle, mais savait,, selon la bénédiction de Moise, tirer du fond de son coeur, comme d'un excellent trésor, ce qu'il y avait de plus ancien préférablement à ce qui était nouveau. C'est pour cela que parmi ses égaux, sans avoir égara à son gage, tous d'un accord unanime lui déféraient la première place, parce qu'il se distinguait entre tous pat une sagesse vraiment antique. Pour comprendre combien l'attachement aux anciennes maximes est utile, il suffit de jeter

 

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les yeux sur vous. Vous êtes les seuls des peuples que nous connaissons, ou du moins avec très-peu d'autres, qui, grime à son gouvernement, avez. joui du calme le plans paisible au milieu des orages et des tempêtes qui apitoient le monde chrétien. Les vents violons des hérésies ne vous ont point troublés , ces vents dangereux qui n'ont subir tant de naufrages aux aunes inconstantes. Puissent-ils ne vous troubler jamais ! je le demande au souverain Seigneur, qui avait choisi son serviteur fidèle pour être l'appui de l’Eglise, et pour y maintenir le plus long temps possible la tranquillité. Ne l'exposez pas, cette tranquillité,dans la circonstance présente ; et en vous livrant à uns douleur excessive, à des lamentations immodérées, ne fournissez pas à ceux qui veulent vous nuire l'occasion de vous surprendre. Que si vous voulez absolument verser des pleurs, ce que je ne vous conseille pas dans la crainte que vous ne ressembliez à ceux qui n'ont pas d'espérance, pleurez du moins d'une manière qui convienne au digne pasteur que la mort vient de vous ravir. Quoiqu'il ne soit point parvenu jusqu'à l'extrême vieillesse, cependant il a eu assez de vie pour vous bien gouverner. Il ne s'intéressait à son corps qu'autant qu'il lui donnait sujet de montrer la force de son âme dans les douleurs de la maladie. Quelqu'un de vous pensera peut-être que le temps et l’habitude de vivre avec les personnes, loin de nous rassasier pour elles, augmentent en nous le plaisir de les voir, et redoublent notre tendresse; de sorte que plus vous avez joui longtemps d’un grand bien, plus vous en sentez la privation. Peut-être penserez-vous aussi que les cendres d'un juste doivent être honorées par tout ce qu'il y a d’hommes vertueux. Je désire moi-même que vous soyez

 

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tous dans ces sentiments; car je ne dis pas qu'on doive négliger la mémoire de votre pontife, mais je vous conseille de supporter votre douleur avec une modération raisonnable. Je n'ignore pas ce que peuvent dire ceux qui pleurent leur évêque. Elle est muette cette bouche dont les paroles se répandaient comme les eaux d’un fleuve abondant. Ce coeur immense, dont personne ne pouvait mesurer l'étendue, s'est évanoui, du moins pour les hommes, comme un vain songe. Qui jamais eut plus de pénétration pour prévoir l'avenir ? qui jamais eut une âme plus ferme et plus décidée pour entreprendre avec promptitude les affaires? O ville infortunée, tu as déjà éprouvé bien des malheurs ; mais celui-ci t'a porté le coup le plus sensible. Ton plus bel ornement est absolument flétri, un morne silence règne dans ton église, tes grandes assemblées sont obscurcies par la douleur, le clergé regrette son chef, les Ecritures Saintes n'ont plus et interprète , les enfants ont perdu leur père, les anciens leur égal , les magistrats leur maître, le peuple un prélat qui le gouvernait, les pauvres un ami compatissant qui les nourrissait. Tous lui donnent les noms les plus tendres, et chacun regarde sa perte par l'endroit qui le touche davantage.

Mais où m'emporte le plaisir que j'ai moi-même à pleurer ? Ne nous réveillerons-nous pas ? Ne rentrerons-nous pas en nous-mêmes ? ne nous résignerons-nous pas à la volonté du Maître commun, qui rappelle à lui ses saints après qu'ils ont fourni leur carrière ? Souvenez-vous, dans la conjoncture présente , des paroles de l'Apôtre que votre pontife vous répétait sans cesse dans ses discours : Gardez-vous des chiens , gardez-vous des mauvais ouvriers (Phil. 3. 2.). Il est

 

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beaucoup de chiens. Que dis-je ? toute la terre est pleine de loups ravisseurs qui , cachant leur malignité sous la peau de brebis, déchirent le troupeau du Fils de Dieu. Mettez-vous à d'abri de ces loups, en vous mettant sous la conduite de quelque vigilant pasteur. C'est à vous à le demander avec un esprit soumis, sans dispute et sans intrigue : c'est à dieu à vous le désigner , lui qui , depuis votre illustre évêque Grégoire , jusqu'au pontife que vous venez de perdre , les a tous choisis les uns après les autres , et les a disposés comme des pierres précieuses pour l'ornement de votre Eglise. Ne désespérez donc point pour l'avenir; le Seigneur connaît les siens , et il en peut produire que nous n'attendons pas. Il y a longtemps que j'aurais voulu finir cette lettre , la douleur que j'éprouve m'en empêche. Je vous conjure, au nom des pères , au nom de la foi orthodoxe, au nom de l'évêque dont vous regrettez la perte , de penser sérieusement au choix de son Successeur, de croire que ce soin vous regarde chacun particulièrement, et, quel que soit le succès de la chose bon ou mauvais, que chacun de vous sera le premier à en ressentir les effets. Que personne comme ce n'est que trop l'ordinaire, ne rejette sur son voisin le soin des affaires publiques : car tandis que chaque particulier les néglige pour sa part, tous , sans y prendre garde , s'attirent à eux-mêmes un malheur qui leur est propre. Soif, que mes avis soient ceux d'un homme qui s'intéresse à ses voisins , ou qui communique avec vous de sentiments, ou, ce qui est le plus véritable , qui, selon la loi de charité , craint et encourir le blâme d'avoir gardé le silence , recevez-les avec bienveillance , je vous prie, persuadés que vous êtes ma gloire comme nous sommes la votre pour le

 

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jour du Seigneur , et que d'après le choix du pasteur que vous allez élire , ou nous serons unis davantage, ou qu'une séparation totale… Je n'achève pas, je ne veux point présager un malheur que Dieu éloignera par sa grâce, je l'espère. Au reste, et c'est par oit je finis, si le pontife que nous pleurons n'a pas travaillé de concert avec nous pour la paix de l’Eglise, à cause de certaines préventions (1) , comme il l'assurait lui-même , je prends à témoins Dieu et tous ceux qui me connaissent, que je ne cessai jamais de penser comme lui , et de l'inviter à prendre part aux combats que je livrais aux hérétiques.

 

A AMPHILOQUE , NOMMÉ ÉVÊQUE. CLXI—CCCXCIII.

 

Amphiloque s'était caché de peur qu'on ne l'élût évêque : saint Basile le félicite après son élection, et l'exhorte à remplir dignement toutes les fonctions de son ministre, dans un temps surtout où l'Eglise était désolée par l'erreur des Ariens.

 

BÉNI soit Dieu qui , dans tous les temps, choisit ceux qui lui plaisent, qui connaît ses vases d'élection et les emploie au service de ses saints. C'est lui qui, quand vous cherchiez, non pas à nous fuir, comme vous le dites vous-même, mais à vous dérobe, à l'élection qui devoir, se faire par nous , vous a arrêté par les liens inévitables de sa grâce , vous a placé au milieu de la Pisidie, pour lui conquérir des âmes, et pour ramener des

 

(1) Je n'ai trouvé, ni dans l'histoire ecclésiastique, ni dans la vie de saint Basile , la vraie cause de ces préventions.

 

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ténèbres à la lumière des hommes dévoués au démon. Dites donc avec le Roi-Prophète : Où irai-je pour me cacher de votre présence , et pour me dérober à votre esprit (Ps. 138. 7.) ? Voilà les prodiges que le Seigneur a coutume d'opérer dans sa miséricorde. Des ânesses s'égarent afin qu'Israël ait un roi (1. Rois. 9.). Ce roi donné à Israël était israélite : pour vous , ce n'est pas la patrie qui vous a nourri et qui vous a conduit a un si haut degré de vertu , qui vous possède; mais elle voit une ville voisine parée de ses ornements. Au reste, puisque tous ceux qui croient en Jésus-Christ ne font qu'un peuple , et que tous les chrétiens composent la même Eglise, quoiqu'elle soit dispersée partout , votre patrie se réjouit et s'applaudit de contribuer à l'exécution des décrets divins; elle ne croit pas avoir perdu un homme seul, mais par un seul homme s'être acquis toutes les Eglises. Nous ne demandons à Dieu que la grâce de vous voir et d'entendre parler des progrès que vous faites pour l'avancement de l'Evangile et la prospérité des Eglises. Armez-vous donc de force et de courage; et, gouvernant le peuple que le Très-Haut a confié à vos soins , mettez-vous, comme un habile pilote, au-dessus de la tempête qu’a excitée le vent des hérésies. Empêchez que le vaisseau ne soit submergé par les flots amers des doctrines perverses. Attendez le calme que ramènera bientôt le Seigneur , quand il aura trouvé quelqu'un capable de commander de sa part aux vents et à la mer. Si vous voulez visiter un ami que ses longues infirmités conduisent en hâte à sa dernière fin , n'attendez pas un temps plus commode, ni que je vous donne le signal : c'est toujours le temps pour un père d'embrasser un fils qu il chérit, et l'affection du coeur triomphe de tous les

 

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obstacles. Ne vous plaignez point que le fardeau q’on vous a imposé soit au-dessus de vos forces; même alors il ne serein pas insupportable, et vous ne succomberiez pas sous le faix : mais, si le Seigneur le porte avec vous , jetez dans son sein toutes vos inquiétudes (Ps. 54. 23.), et il vous soulagera lui-même. Permettez-moi seulement de vous donner cet avis : prenez garde de vous laisser entraîner à la corruption du siècle ; servez-vous de la sagesse que Dieu vous a donnée pour réformer les vices que vous trouverez établis. Jésus-Christ vous a envoyé, non pour suivre ceux qui se perdent, mais pour guider ceux qui se sauvent. Priez pour moi le Seigneur , afin que , si je dois vivre encore quelque temps, il me fasse la grâce de vous voir dans votre Eglise; ou, si je dois bientôt sortir de ce monde , je voie en Dieu , votre Eglise comme une vigne fleurissante de bonnes oeuvres , et vous , comme un vigneron habile , comme un excellent serviteur, qui distribue dans le temps la nourriture à ses compagnons , et qui reçoit la récompense d'un prudent et fidèle économe. Ceux qui sont avec moi vous saluent. Portez-vous bien et réjouissez-vous dans le Seigneur. Que les dons de l'esprit et de la sagesse vous comblent de gloire.

 

A EUSÈBE , ÉVÊQUE DE SAMOSATE. CLXVI—CCLI.

 

Il loue le zèle d'un de ses amis qui avait eu le courage d'aller visiter dans sou exil Eusèbe, exilé par les Ariens; il félicite Eusèbe des maux qu'il a soufferts pour la défense de la vérité ; il lui en promet la récompense dans le ciel; il se recommande à ses prières.

 

J' AVAIS toujours eu beaucoup de vénération pour notre très-honoré frère Eupraxius, et je Pavais mis au nombre de mes plus intimes amis ; mais j'ai redoublé mon estime et ma tendresse depuis qu'il vous a témoigné une si vive affection. Il est allé vous trouver avec le même empressement, pour me servir des paroles de David, qu'un cerf pressé par la soif court à une fontaine pure pour se désaltérer ( Ps. 41. 2. ). Je le trouve heureux de pouvoir jouir de votre société ; mais vous êtes bien plus heureux, vous, d'avoir couronné de la sorte les maux. que vous avez soufferts pour Jésus-Christ, les travaux que vous avez endurés pour la défense de la vérité : peu d’hommes craignant Dieu ont eu cet avantage. Votre vertu a été mise à l'épreuve : ce n'est pas seulement dans le calme que vous avez navigué, que vous avez gouverné habilement les autres ; mais vous vous êtes distingué au milieu des plus violentes tentations , et vous vous êtes élevé au-dessus de vos persécuteurs, en vous retirant en exil avec courage. Que les autres habitent paisiblement la terre où ils sont nés; pour nous, notre patrie est le ciel. Ils ont peut-être envahi notre siége épiscopal , mais nous avons toujours avec

 

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nous Jésus-Christ. Heureux commerce ! quelles richesses nous acquérons pour des bagatelles que nous méprisons ! Nous avons passe par l'eau et par le feu, j'espère que nous serons mis dans un lieu de rafraîchissement. Le Seigneur ne nous abandonnera pas juqu'à la fin , il ne souffrira pas que la vérité demeure opprimée , il proportionnera ses consolations à nos douleurs. C'est-là ce que nous espérons et ce que nous lui demandons. Je vous conjure de prier pour moi et de me donner votre bénédiction toutes les fois que vous m'écrirez. Fortifiez mon courage en m'apprenant de vos nouvelles, comme vous avez eu la complaisance de le faire.

 

AUX PRÊTRES DE NICOPOLIS. CCXL—CXCII.

 

Il les remercie de la lettre qu'ils lui ont écrite et de celui qu'ils ont chargé de la lettre. Il les exhorte à tenir ferme dans les persécutions : il déplore l'infortune d'un mauvais prêtre qui avait renoncé à la bonne doctrine pour devenir évêque par le crédit et par les cabales des Ariens. Il proteste qu'il ne reconnaît point pour évêque un homme installé de la sorte ; qu'il rompra tout commerce avec ceux qui ne seront point dans ce sentiment, et avec tous ceux qui se feront ordonner prêtres par un tel pontife.

 

Vous avec fort bien fait de m'écrire , et de m'écrire par un homme qui, sans aucune lettre, était capable de me délivrer de mes inquiétudes, et de m'instruire exactement des choses. Il y avait mille objets que je désirais d'apprendre d'une personne bien informée, parce qu'on avait répandu beaucoup de nouvelles incertaines. Notre très-cher et vénérable frère Théodose m'a parfaitement

 

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bien éclairci sur tout. Ce que je me conseille à moi-même, je vous l'écris dans cette lettre. Les maux que vous souffrez sont arrivés à beaucoup d'autres. Le temps passé et le temps présent fournissent une infinité d'exemples semblables, que nous connaissons par la tradition ou par l'histoire ; ils nous apprennent que les serviteurs de Dieu, villes et particuliers, ont toujours été persécutés pour le nom du Seigneur. Mais ces persécutions passent, et les maux ne sont pas éternels. Les grêles, les torrents, et autres calamités semblables, attaquent et détruisent tout ce qui ne résiste point , mais perdent toutes leurs forces contre les corps durs et solides : ainsi les persécutions violentes qui s'élèvent contre l’Eglise ne peuvent rien contre la fermeté de la foi en Jésus-Christ. Comme donc le nuage de grêle passe et fait place au beau temps ; comme le torrent s'écoule et laisse la campagne à sec , de même les tempêtes qui nous tourmentent maintenant disparaîtront bientôt, pourvu que, sans envisager le présent, nous portions nos pensées et nos espérances jusque dans l'avenir. Quoique la tentation soit rude, accoutumons-nous à supporter ce qu'il y a de plus pénible. Si nos disgrâces ne sont que des jeux du démon, et si nos persécuteurs nous paraissent incommodes parie qu'ils sont ses ministres, mais sont très-méprisables parce que Dieu a joint l'impuissance à leur malice, prenons garde qu'on ne nous reproche de nous affliger trop pour des peines médiocres. Il n'y a de vraiment affligeant que la perte de celui même qui, pour une gloire passagère ( si l'on doit appeler gloire de se déshonorer soi-même ), s'est privé de la splendeur éternelle des justes. Vous êtes les enfants de confesseurs, les enfants de martyrs qui ont

 

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répandu leur sang pour s'opposer au péché. Que chacun se serve de ses exemples domestiques pour être ferme dans la piété. On ne nous a point encore déchirés de coups, on n a point confisqué nos maisons, on ne nous a point condamnés à l'exil, on ne nous a point traînés en prison. Quel niai avons-nous souffert ? à moins que nous ne nous affligions de n'avoir pas été jugés dignes de souffrir pour Jésus-Christ. Si vous vous chagrinez parce qu'on s'est emparé de votre église, et que vous êtes contraints de prier en pleine campagne le Seigneur du ciel et de la terre, songez que les Apôtres restaient renfermés dans le cénacle, tandis que ceux qui avaient crucifié le Seigneur célébraient les sacrifices de la loi judaïque dans un temple célèbre. Judas, qui aima mieux s'étrangler lui-même que de vivre avec infamie, est peut-être préférable à ceux qui ont endurci leur front contre tous les reproches, et qui commettent; avec la dernière impudence les actions les plus honteuses. Prenez garde seulement de vous laisser séduire par leurs mensonges , et de prendre pour dogme de foi tout ce qu'ils vous proposent. Ce ne sont pas des chrétiens, ce sont des traîtres à Jésus-Christ, qui ne cherchent que leurs intérêts, et qui ne se mettent guère en peine de la vérité. Lorsqu'ils ont cru pouvoir obtenir une vaine puissance, ils se sont attachés aux ennemis de Jésus-Christ ; lorsqu'ils voient les peuples soulevés contre l'erreur, ils feignent de reprendre des sentiments orthodoxes. Je ne reconnais point pour évêque, et je ne mets point au rang des prêtres de Jésus-Christ, celui que de profanes mains ont installé pour la destruction de la foi. Voilà ce que je pense ; et sans doute vous pensez de même, si vous communiquez avec moi de sentiments.

 

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Si vous avez une opinion à part, chacun est maître de croire ce qu’il veut , nous sommes du moins purs de votre sang. Si je vous écris de la sorte, ce n'est pas que j'aie de vous aucune défiance, mais c'est pour fixer l'irrésolution de certaines personnes en leur déclarant nettement ce que je pense : c'est pour les empêcher d'entrer dans la communion d'un hérétique, et de s'ingérer aux fonctions sacerdotales, après que la paix sera rendue à l’Eglise, si elles permettent qu'il leur impose les mains. Je salue tout le clergé, celui de la ville et des environs, avec tous les fidèles qui craignent Dieu.

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