PSAUME XCIV
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DISCOURS SUR LE PSAUME XCIV (1).

LES JOIES CHRÉTIENNES.

 

La joie est légitime quand elle est selon Dieu. Le Prophète nous appelle auprès de Dieu afin de la goûter. On est près de Dieu quand on porte son image dans une vie pure, loin de lui quand on aime l’impiété. Dieu cherche son image en nous comme César son effigie sur sa monnaie. Il appelle donc auprès de Dieu ceux qu’une vie dissolue en éloignait. Que votre joie soit inexprimable, qu’elle éclate par l’aveu de nos fautes et par la Louange du Dieu qui les pardonne, du médecin qui guérit nos plaies. Chantons donc le Seigneur parce qu’il est au-dessus des simulacres des nations, au-dessus des dieux qui sont tels par la participation à sa grâce, parce qu’il ne repoussera point son peuple, ce peuple issu d’Abraham, dont plusieurs furent retranchés à cause de leur infidélité, mais dont le reste fut sauvé avec les Apôtres et avec les membres de la primitive Eglise, parce que les confins de la terre sont à lui, qu’il est La pierre angulaire, unissant la synagogue à l’Eglise des Gentils, qu’il a renversé les hauteurs de la terre qui le persécutaient, parce que sont à lui et la mer ou le monde avec ses scandales, où il proportionnera nos forces à l’épreuve, et la terre qu’il abreuve de ses grâces; parce que nous sommes ses créatures, ses brebis accomplissant ses lois, et qu’il aura pour nous la bonté. Donc n’endurcissons pas nos coeurs comme les Juifs au désert, ils seront nos pères si nous les imitons; s’il doit toujours y avoir des méchants pour irriter Dieu, prenons part au repos qu’il nous promet, comme il menace de la damnation les rebelles.

 

1. J’aimerais bien mieux, mes frères, que nous pussions écouter notre Père commun mais obéir à un Père est aussi une bonne oeuvre. Donc, puisque nous en avons reçu l’ordre de celui qui daigne prier pour nous, j’exposerai à voire charité ce qu’il plaira à Dieu de m’inspirer au sujet de ce psaume. Il a pour titre: « Louange du cantique pour David lui-même ». Or, « louange du cantique » désigne la joie, parce que c’est un chant, et la piété parce qu’il y a une louange. Quel objet plus digne l’homme peut-il assigner à ses chants que ce qui lui plaît sans pouvoir jamais lui déplaire? On peut donc louer sans crainte, quand on loue le Seigneur ; et celui qui chante une louange est en pleine sécurité quand il n’a point à rougir de celui qu’il chante. Louons donc le Seigneur, louons-le par nos chants, c’est-à-dire avec joie et allégresse. Le psaume nous indique dans les versets suivants, ce qu’il nous faut chanter.

2. « Accourez, chantons au Seigneur ». Il nous invite au grand festin de l’allégresse, non point à nous réjouir selon le monde, mais selon Dieu. S’il n’y avait point dans le monde une allégresse condamnable, qu’il faut distinguer de la sainte allégresse, il suffirait de dire « Accourez, et chantons». Mais un seul mot marque la distinction. Qu’est-ce

 

1. Sermon prêché sur l’invitation d’Aurélien, de Carthage, ou plutôt de Valère, évêque d’Hippone, soit peu après, soit peu avant la promotion d’Augustin à l’épiscopat.

 

qu’une joie sainte ? Celle que l’on prend en Dieu. La joie est donc mauvaise quand elle est selon le monde, légitime quand elle est selon Dieu. Il te faut goûter en Dieu une sainte joie, si tu veux sans crainte mépriser le siècle. Mais pourquoi dire: «Venez?» D’où vient qu’il appelle, qu’il fait venir ceux avec lesquels il veut se réjouir dans le Seigneur, sinon parce qu’ils sont loin encore de venir et de s’approcher, loin de s’approcher et d’arriver, loin d’arriver et de se réjouir? Comment sont-ils loin ? Y a-t-il une distance locale entre l’homme et celui qui est présent partout ? Veux-tu t’éloigner de Dieu? Où iras-tu pour en être loin ? Un homme encore pécheur, il est vrai, mais déjà pénitent, s’affligeant de ses péchés, espérant son salut, craignant la colère de Dieu et voulant l’apaiser, parle ainsi dans un autre psaume : « Où me dérober à votre esprit? Où fuir votre face ? Si je monte au ciel, vous y êtes 1». Que faire donc ? Puisque, s’il monte au ciel, il y trouve Dieu; où aller pour fuir loin de Dieu ? Vois ce qu’il dit : « Si je descends dans l’abîme, vous y êtes encore 2 ». Si donc en s’élevant au ciel, il y trouve Dieu, s’il n’évite pas Dieu quand il descend dans l’abîme, où irait-il pour éviter sa colère, sinon à ce même Dieu apaisé ? Et toutefois, bien qu’on ne puisse s’éloigner d’un Dieu qui est partout, s’il n’y avait des hommes éloignés de Dieu, l’Ecriture ne dirait point : « Ce peuple m’honore

 

1. Ps. CXXXVIII, 7. — 2. Id. 8.

 

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des lèvres, mais leur coeur est loin de moi 1». Ce n’est donc point par la distance des lieux qu’on s’éloigne de Dieu, mais pas la dissemblance. Qu’est-ce à dire, dissemblance? Une vie mauvaise, des moeurs dépravées. Si une vie pure nous rapproche de Dieu, une vie désordonnée nous en éloigne. Ainsi donc le même homme qui est par la présence corporelle dans un même lieu, se rapproche de Dieu par l’amour qu’il a pour lui, s’en éloigne par l’amour de l’iniquité : il s’approche donc ou s’éloigne sans mouvoir les pieds. Car dans cette voie, nos pieds sont nos affections. Selon, la direction que prend notre coeur, la direction de notre amour, nous nous approchons de Dieu, ou nous nous en éloignons. Ne disons-nous pas bien souvent, en parlant d’objets dissemblables, que l’un est bien loin de l’autre ? Si nous venons à comparer deux hommes, deux chevaux, deux vêtements, et que l’on nous dise : Voilà un vêtement qui ressemble bien à tel autre, un homme, qui ressemble à un tel, que dit-on, si l’on veut nous contredire? Point du tout, il en est ben loin. Qu’est-ce à dire, il en est bien loin ? Il est bien dissemblable. Ces deux hommes sont juxtaposés, et néanmoins l’un est bien loin de l’autre. De même voilà deux impies qui se ressemblent par leur vie et par leurs crimes, fussent-ils l’un à l’orient, l’autre à l’occident, ils sont rapprochés l’un de l’autre. Mettez encore un juste à l’orient, un autre à l’occident, ils sont rapprochés parce qu’ils sont en Dieu. Au contraire, qu’un juste et un impie soient rivés à la même chaîne, ils sont fort éloignés. Donc si la dissemblance nous éloigne de Dieu, la ressemblance nous en rapproche. Quelle ressemblance? C’est à cette ressemblance que nous avons été faits : le pêché l’a détériorée en nous, nous la recouvrons par la rémission des péchés, elle se renouvelle au dedans de nous, comme l’empreinte qui reparaît sur une pièce de monnaie, c’est-à-dire l’image de Dieu qui reparaît en notre âme, afin que nous revenions dans ses trésors. Comment en effet, mes frères, Jésus-Christ se servit-il d’une pièce de monnaie pour faire comprendre aux Juifs qui le tentaient ce que Dieu exige de nous? Lorsqu’ils voulurent l’accuser à l’occasion du tribut de César, qu’ils consultèrent le maître de ta vérité, et qu’ils demandèrent, pour le tenter,

 

1. Isa. XXIX, 13; Matth. XV, 8.

 

s’il était permis ou non de payer le tribut à César, que leur répondit-il? « Pourquoi me « tenter, hypocrites? » Il commanda qu’on lui apportât une pièce de monnaie, et on l’apporta. « De qui est cette image, leur dit-il ? Ils répondirent: De César; et Jésus : Rendez donc à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui est à Dieu 1». Si César cherche son effigie sur la monnaie, Dieu ne cherche-t-il point son image dans l’homme. C’est à cette ressemblance avec Dieu que nous invite Jésus-Christ Notre-Seigneur, quand il nous ordonne d’aimer nos ennemis, et qu’il nous donne pour modèle Dieu lui-même : « A l’exemple de votre Père», nous dit-il, «qui  fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes comme sur les injustes. Soyez donc parfaits, comme votre Père 1 ». C’est nous inviter à lui ressembler, que nous dire : « Soyez parfaits  comme lui-même est parfait». Mais nous inviter à la ressemblance, c’est constater que nous étions dissemblables eu nous séparant de lui, que la ressemblance nous en rapproche, afin que s’accomplisse en nous ce qui est écrit : « Approchez de Dieu, et recevez la lumière 3 ». C’est donc à ceux qu’une vie dissolue éloignait de Dieu, que notre psaume vient dire: « Venez et chantons au Seigneur». Où allez-vous? Pourquoi vous écarter? vous éloigner? Où fuyez-vous en prenant part aux joies du siècle ? « Venez, réjouissons-nous dans le Seigneur ». Pourquoi ces joies qui feront votre perte? Venez, réjouissons-nous dans celui qui nous a faits. « Venez, tressaillons dans le Seigneur».

3. « Faisons éclater nos jubilations devant « le Dieu qui est notre salut ». Qu’est-ce à dire, nos jubilations? Cette joie que ne peuvent exprimer nos paroles, qui s’échappe de nos coeurs par des voix confuses, et non point par une parole articulée, telle est la jubilation. Que votre charité veuille bien considérer ceux qui se livrent à la jubilation par certains refrains, et qui se livrent à l’envi l’un de l’autre aux joies mondaines; vous les voyez entrecouper leurs refrains d’une joie qui les transporte, et que la parole ne saurait ex primer; des tressaillements qui sont la voix de l’âme, impuissante à rendre en paroles ce que ressent leur coeur. Si une joie terrestre leur donne des jubilations, nous, à notre

 

1. Matth. XXII, 15-21. — 2. Id. V, 45, 48. — 3. Ps. XXXIII, 5.

 

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tour, ne devons-nous pas ressentir cette joie du ciel qui laisse bien loin les paroles humaines?

4. « Prévenons sa présence par une confession ». Ce mot de confession a deux sens dams les saintes Ecritures. Il y a une confession qui loue, et une confession qui gémit. La confession qui loue est en l’honneur de Dieu qui est loué: et la confession qui gémit est une pénitence pour celui qui la fait. Il y a donc confession dans l’homme qui loue Dieu, et confession chez celui qui avoue ses fautes; la langue n’a rien de plus digne. Ce sont là, je le crois, ces voeux dont le Prophète a dit dans un autre psaume: « Je vous rendrai les voeux que mes lèvres ont discernés 1 ». Rien de plus relevé que cette distinction, rien de plus nécessaire que de la comprendre et de la pratiquer. Comment donc discerner les voeux que tu fais à Dieu? En le louant et en t’accusant toi-même; car la rémission de nos péchés est un effet de sa miséricorde. S’il voulait nous traiter selon nos mérites, il ne trouverait qu’à nous condamner. Venez donc, dit le Prophète, éloignons-nous de nos péchés, afin que le Seigneur ne nous demande pas compte du passé, mais qu’en venant à nouveau compter avec nous, il brûle toutes les obligations de nos dettes précédentes. Confessons donc sa louange, confessons sa miséricorde en chantant sa louange. Si la confession était toujours l’expression de la pénitence, l’Evangile ne nous dirait pas du Sauveur lui-même « En cette heure Jésus se réjouit dans l’Esprit-Saint, et dit: Père, Seigneur du ciel et de la terre, je vous confesse, parce que vous avez dérobé ces choses aux sages et aux prudents, pour les révéler aux petits 2» : cette confession faisait-elle de Jésus-Christ un pénitent? Il ne pouvait se repentir de rien, puisqu’il n’était coupable d’aucune faute: c’était une confession à la gloire de son Père. Et comme dans notre psaume il est question de jubilations, il nous faut sans doute par confession entendre celle qui est en l’honneur de Dieu; et dès lors, louange du cantique, ne sera point la confession du repentir, mais la confession de la louange. Mais pourquoi le Prophète nous parle-t-il aussitôt d’une certaine confession en disant: « Prévenons sa face par la confession?» Qu’est-ce à dire : « Prévenons sa face par

 

1. Ps. LXV, 13, 14. — 2. Luc, X, 21.

 

la confession ? » Dieu viendra; auparavant « prévenons sa face par la confession »: avant qu’il arrive, condamnons par un humble aveu ce que nous avons fait, afin qu’il ne trouve plus rien à condamner, mais de quoi couronner. Mais confesser tes péchés, n’est-ce point rendre gloire à Dieu? C’est assurément le plus grand honneur qu’on puisse lui rendre. Pourquoi le plus grand honneur? Parce que le médecin est d’autant plus digne de louanges qu’on désespérait plus du malade. Confesse donc tes péchés d’autant plus que tu désespérais de toi-même à cause de tes iniquités. Plus ta confession grossira tes fautes, plus tu relèveras là gloire de celui qui les pardonne. Ne croyons donc point nous écarter de la louange du cantique, en prenant la confession dans le sens de l’aveu des péchés. Car il y a dans cette confession louange de Dieu, puisque, reconnaître nos péchés, c’est signaler la gloire à Dieu. « Prévenons sa présence par la confession ».

5. « Chantons avec allégresse des psaumes en son honneur 1». Déjà nous avons dit ce qu’est l’allégresse ou la jubilation. Le Prophète la ramène encore afin de nous exhorter à la ressentir. La répétition est une exhortation, car nous n’avions pas oublié ce qui est dit pour avoir besoin d’être avertis de nouveau d’entrer en jubilation: mais souvent dans les transports de l’âme on répète une parole déjà émise, non pour la faire connaître encore, mais pour exhorter plus vivement; cette répétition nous fait comprendre l’allégresse du Prophète. De là vient cette locution de Notre-Seigneur : « En vérité, en vérité, je vous le dis 2 ». Il suffisait de dire : « En vérité», une seule fois; pourquoi dire : « En vérité, en vérité », sinon parce que la répétition est une confirmation? « Chantons des psaumes avec allégresse en son honneur », dit le Prophète. Et que dirons-nous, ou plutôt que ressentirons-nous dans cette allégresse? Quels sont ces sujets do louanges? Ecoutez: « C’est que Dieu, le Seigneur, est grand, c’est qu’il est un roi plus grand que tous les dieux » : voilà pourquoi doit éclater notre allégresse. « C’est parce qu’il ne rejettera pas son peuple », qu’il mérite nos jubilations. « C’est parce que tous les confins de la terre sont en sa main, et que les plus hautes montagnes sont à lui » : c’est

 

1. Ps. XCIV, 2. — 2.  Jean, I, 51.

 

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pour tout cela que nous devons tressaillir en sa présence. « C’est parce que la mer est à lui, et qu’il l’a faite, et que ses mains ont formé la terre 1 », qu’il mérite nos transports. Mais pour discuter convenablement le sens de ces paroles, le temps nous manquerait; et néanmoins, si nous gardons un silence absolu, nous vous serons redevables. Ecoutez donc le peu que m’en laissera dire la brièveté du temps, puisqu’un peu de semence peut, dans une bonne terre, produire une grande moisson.

6. Tout d’abord le psaume nous expose pourquoi nos transports, pourquoi nos louanges: « C’est que Dieu le Seigneur est grand, c’est qu’il est un roi plus grand que tous les dieux ». Il est en effet des dieux bien inférieurs à ce grand Dieu qui est le nôtre, dont nous chantons les louanges dans nos cantiques, avec joie, avec transport; il en est, mais non pour nous. L’Apôtre dit à ce propos : « S’il est des êtres appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, et qu’ainsi il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, néanmoins il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, de qui vient toute chose, et qui nous a faits pour lui; il n’y a qu’un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites, set nous sommes en lui 2». Si donc ces êtres ne sont point dieux pour nous, pour qui sont-ils dieux? Ecoutez un autre psaume : « Les dieux des nations sont les démons, mais le Seigneur a fait les cieux 3». Le Saint-Esprit ne pouvait, par son Prophète, vous marquer, avec plus de brièveté et de magnificence quel est votre Dieu. C’était peu que Dieu fût terrible par-dessus tous les démons; quelle grandeur d’être supérieur aux démons ? « Car les dieux des nations sont des démons». Où est donc ton Dieu? « Mon Dieu a fait le ciel». Ton Dieu a fait cette demeure inaccessible aux démons, puisqu’ils en ont été chassés. Les cieux sont supérieurs aux démons, elle Seigneur aux cieux, car les cieux sont l’oeuvre de ton Seigneur. Combien donc est Supérieur aux démons, à ces dieux des peuples, celui qui est supérieur aux cieux, d’où sont tombés les anges pour devenir des démons? Et néanmoins les démons régnaient sur tous les peuples, on leur élevait des temples, on leur offrait des sacrifices, les démons avaient leurs prêtres, leurs autels, et pour

 

1. Ps. XCIV, 3. — 2. I Cor. VIII, 5, 6. — 3. Ps. XCV, 5.

 

prophètes les plus démoniaques. Voilà le culte que les peuples ont rendu au démon, culte véritable qui n’est dû qu’au seul Dieu véritablement grand. Les peuples ont élevé des temples aux démons, et Dieu aussi a son temple, il a ses prêtres, comme les démons eurent leurs prêtres, et son sacrifice comme ils eurent leurs sacrifices. Car les démons, voulant passer pour des dieux, n’eussent point exigé ce culte de ceux qu’ils trompaient, s’ils n’eussent compris qu’il était dû au Dieu véritable. D’ordinaire, en effet, le faux dieu exige qu’on lui rende les honneurs dus au vrai Dieu. Nous connaissons donc le véritable temple de Dieu. « Car le temple de Dieu est saint», est-il dit, « et vous êtes ce temple 1». Si donc nous sommes le temple de Dieu, notre âme est son autel. Le sacrifice de Dieu, quel est-il? C’est peut-être ce que nous faisons maintenant, car c’est offrir un sacrifice sur l’autel de Dieu, que chanter ses louanges: puisque le Psalmiste nous dit: « Le sacrifice de louanges est un culte qui m’honore, et telle est la voie par laquelle je lui montrerai le salut de Dieu 2». Mais si tu en cherches le prêtre, il est élevé par-dessus tous les cieux; c’est là qu’il intercède pour toi, lui qui est mort pour toi sur la terre 3. Donc « Dieu le Seigneur est grand, c’est un roi qui domine les autres dieux »; Nous entendons ici les hommes divins: car le Seigneur n’est point le roi des démons. L’Ecriture nous donne encore ce témoignage: « Dieu s’est assis dans l’assemblée des dieux; au milieu des dieux pour les juger 4 ». Ces dieux le sont par la participation, et nous par la nature; par cette grâce qui veut faire des dieux. Combien est grand ce Dieu qui fait des dieux! Ou quels sont les dieux que fait un homme? A la grandeur de Celui qui fait les dieux répond le néant de ces dieux que font les hommes. Le vrai Dieu fait dieux ceux qui croient en lui et auxquels il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu 5. De là vient qu’il est le vrai Dieu, parce qu’il n’a pas été fait : mais nous, qui avons été faits, nous ne sommes point véritablement dieux, quoique supérieurs aux dieux que font les hommes. « Car les idoles des nations sont de l’or et de l’argent, l’oeuvre de la main des hommes: ils ont une bouche, et ne parlent point ; des yeux, et ne voient

 

1. I Cor. III, 17.— 2. Ps. XLIX, 23. — 3. Rom. VIII, 31. — 4. Ps. LXXXI, 1.— 5. Jean, I, 12.

 

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point 1 ». Mais à nous, Dieu a donné des yeux pour voir. Néanmoins, pour avoir des yeux qui voient, nous ne sommes cependant pas des dieux, car il en a fait de même aux bêtes; mais il a fait de nous des dieux, quand il a éclairé nos yeux intérieurs. Donc, louange à Dieu, confession à Dieu, jubilation à Dieu : « Car le Seigneur est grand, il est roi par-dessus tous les dieux ».

7. « Comme il ne repoussera point son peuple » : louange à lui, jubilation à lui. Quel peuple ne repoussera-t-il point? Il ne nous est point permis de donner un sens par nous-mêmes : saint Paul a éclairci ce passage, et nous apprend pourquoi cette parole 2. Il y avait jadis un peuple juif, peuple des Prophètes, peuple des Patriarches, peuple issu d’Abraham selon la chair; peuple qui figura toutes les promesses du Sauveur; peuple où Dieu avait un temple, l’onction, le sacerdoce figuratif, afin qu’à la disparition des figures, arrivât la véritable lumière : c’était donc là le peuple de Dieu : c’est à ce peuple que furent envoyés les Prophètes, et au milieu de ce peuple que sont nés ceux qui lui furent envoyés; c’est à lui que furent livrées et confiées les paroles de Dieu. Quoi donc? Tout ce peuple est-il condamné? Loin de là. Saint Paul le compare à l’olivier, dont la tige a commencé à pousser par les Patriarches, mais dont plusieurs branches se sont desséchées, parce qu’elles se sont élevées trop haut par l’orgueil; ils ont donc été retranchés à cause de leur stérilité, et l’humilité y a fait insérer l’olivier sauvage. Néanmoins, mes bien aimés, pour détourner de l’orgueil l’olivier sauvage greffé sur l’olivier franc, que dit l’Apôtre ? « Si tu as été retranché de l’olivier sauvage, ta tige naturelle, et inséré contre nature sur l’olivier franc, à combien plus forte raison les branches de l’olivier même seront-elles entées sur leur propre tronc 3 ». De même, en effet, qu’en abandonnant l’infidélité, tu as mérité d’être inséré sur l’olivier franc, quand tu étais l’olivier sauvage; ainsi les branches corrigées seront plus facilement greffées sur l’olivier franc, leur tige naturelle: telle est la parole de l’Apôtre à leur sujet. Tel est donc l’arbre : et si quelques rameaux en sont retranchés, tous ne le sont point. Si tous les rameaux en étaient retranchés, d’où viendraient Pierre, et Jean, et Thomas, et Matthieu, et André, et tous

 

1. Ps. CXIII, 4, 5. — 2. Rom. XI, 1. — 3. Id. 16-2.1.

 

les autres Apôtres? D’où viendrait l’apôtre saint Paul lui-même, qui nous parle ainsi, et qui par le fruit qu’il portait rendait témoignage à l’olivier ? Tons n’ont-ils point là leur tige? D’où viennent ces cinq cents frères auxquels le Seigneur apparut après sa résurrection ? Et ces autres, par milliers, qui se convertirent à la voix de Pierre, alors que les Apôtres pleins du Saint-Esprit parlaient toutes les langues, qui furent si prompts à bénir Dieu, et à s’accuser, eux qui avaient répandu cruellement le sang du Seigneur, et qui le burent par la foi ? Ces milliers d’hommes étaient tellement convertis, qu’ils vendaient leurs biens pour en apporter le prix aux pieds des Apôtres 2. Ce qu’un riche n’avait point fait sur la parole du Sauveur, de qui il s’éloigna avec tristesse 3, voilà ce qu’accomplirent tant de milliers d’hommes qui avaient de leurs mains crucifié le Christ. Plus était grande la blessure de leurs coeurs, plus avidement ils cherchaient le médecin. Si donc de là sortirent tous ces hommes, c’est d’eux que le Psalmiste a dit, que « Dieu ne repoussera point son peuple ». C’est ce témoignage du psaume qu’a emprunté saint Paul, quand il a dit: « Que répondre, mes frères ? Dieu a-t-il donc repoussé le peuple élu dans sa prescience? Loin de là ; car moi aussi je suis Israélite, de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamin. Le Seigneur n’a point repoussé le peuple élu dans sa prescience 4».Si Dieu avait repoussé son peuple, saint Paul n’en eût pas été tiré ; son origine est aussi celle des autres. Ce sont eux, et non tous les Juifs, qui forment le peuple de Dieu, ainsi qu’il est écrit : « Les restes seront sauvés 5 ». Tous ne forment donc point le peuple de Dieu : mais l’aire a été vannée; la masse du froment est dans le grenier, et la paille au dehors 6. Dans tous les Juifs que vous voyez réprouvés, vous voyez la paille. Mais de cette paille que vous voyez est sorti le grain mis en dépôt dans les greniers célestes. Voyons ces deux destinées, pour cri faire le discernement.

8. Qu’ajoute le Psalmiste? « Parce que dans sa main sont tous les confins de la terre». Reconnaissons la pierre angulaire; cette pierre est le Christ. Or, il n’y a d’angle, qu’à la condition d’unir l’une à l’autre deux murailles, qui viennent de directions différentes, mais

 

1. I Cor. XV, 6. — 2. Act. II, IV. — 3. Matth. XIX, 21, 22.—  4. Rom. XIX, XI, 1, 2. — 5. Isa. X, 22 ; Rom. IX, 27. — 6. Matth. III, 1, 2.

 

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qui mie sont point opposées dans l’angle qui les réunit. Or, vint d’une part la circoncision, de l’autre la gentilité ; deux peuples qui s’unirent dans le Christ, parce qu’il est la pierre dont il est écrit : « La pierre, qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient, est devenue la pierre angulaire 1 ». Si donc le Christ est ta tête de l’angle, n’envisageons plus la différence de ceux qui viennent de loin, mais bien leur rapprochement dans le Christ qui les unit. C’est là que s’accomplit cette parole, que « le Seigneur ne repoussera point son peuple». C’est là le premier côté de l’angle,dans lequel, avons-nous dit, « Dieu n’a point repoussé son peuple ». De là sont venus les Apôtres, de litons les Israélites qui ont embrassé la foi, pour apporter aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens vendus 2; pauvres de volonté riches de Dieu. Nous connaissons donc une muraille, envers laquelle s’est accomplie cette promesse que « Dieu ne rejettera point son peuple » ; voyons l’autre muraille. « Il tient dans sa main tous les confins de la terre ». Telle est l’autre muraille qui vient des Gentils: «Dans sa main, tous les confins de la terre ». Toutes les nations du monde sont venues à cette pierre angulaire, où elles ont reçu le baiser de paix en celui-là seul qui, de deux peuples, en a fait un seul ; non point à la manière des hérétiques, qui d’un seul ont fait deux. Voici ce que nous a dit l’Apôtre, du Christ Notre- Seigneur : « C’est lui », dit-il, « qui est notre paix, qui de deux peuples n’en a fait qu’un 3 ». Bénissons-le dans nos transports. Pourquoi ? « Parce que le Seigneur ne rejettera point son peuple ». Pourquoi encore? « Parce que tous les confins de la terre sont en sa main, et que les sommets des montagnes sont à lui ». Les sommets des montagnes sont les hauteurs de la terre. Autrefois ces hauteurs, c’est-à-dire ces puissances terrestres, se sont révoltées contre l’Eglise, ont promulgué des lois contre l’Eglise, ont tenté d’effacer de la terre le nom de chrétien; mais depuis l’accomplissement de cette prophétie : « Tous les rois de la terre l’adoreront 4 », cette autre prophétie, à son tour, s’est accomplie : « Les sommets des montagnes sont à lui ».

9. Mais tu crains peut-être les tentations, et à la hauteur de ces grâces de la divine promesse,

 

1. Ps. CXVII, 22.— 2. Act. IV, 34, 35.— 3. Ephés. II, 14.— Ps. LXXI, 11.

 

tu redoutes les scandales du monde? Or, ces scandales ne te nuiront point, Dieu en a posé les bornes : « Car la mer est à lui ». Ce monde effectivement est une mer, et Dieu a fait la mer. Les flots ne peuvent pousser leur violence que jusqu’au rivage, où il leur a mis un terme. Viennent donc les tentations, viennent les tribulations, q u’elles consomment ta vertu sans te consumer. Vois si les tentations ne sont point utiles. Ecoute l’Apôtre « Dieu est fidèle, et ne vous laissera point tenter au-dessus de vos forces; mais il vous rendra la tentation avantageuse, afin que vous puissiez persévérer 1». Il ne dit point: Il vous délivrera de toute tentation; car, refuser la tentation, c’est refuser la perfection. Dieu donc nous réforme par là; et s’il nous réforme, nous sommes entre les mains de l’ouvrier. Il retranche en nous, il redresse, il aplanit, il purifie; il agit en nous comme avec le fer; il y a des scandales ici-bas, mais toi, ne redoute que de tomber des mains du Créateur. Nulle tentation ne sera au-dessus de tes forces. Dieu le permet pour ton avantage, afin de stimuler tes progrès. Ecoute l’Apôtre, qui ajoute : « Dieu vous rendra la tentation avantageuse, afin que vous puissiez persévérer ». Craindrais-tu donc encore la mer? Sois sans crainte : « Puisque la mer est à Dieu, et qu’il en est le créateur ». Craindrais-tu les scandales des Gentils ? C’est Dieu aussi qui a fait les Gentils, et il ne leur permettra point de sévir plus que vos progrès rie le demandent. N’est-il pas dit dans un autre psaume: « Toutes « les nations que vous avez faites, viendront, « et se prosterneront devant vous, ô mon Dieu 2? » Si toutes les nations que vous avez faites viendront, il est clair que toutes sont vos créatures. « La mer est à lui, puisqu’il l’a  faite, et ses mains ont formé la terre qui est aride ». Sois une terre aride, aie soif de la grâce de Dieu, afin qu’une douce rosée descende en toi, et que Dieu y trouve des fruits. Il ne permettra point que les flots recouvrent ce qu’il a semé : « Et ses mains ont formé la terre , qui est aride ». Pour cela aussi offrons-lui des cantiques de joie

10. Puisqu’il en est ainsi, puisqu’à tous ces points de vue Dieu est si digne de louanges, retournez aux premiers sentiments qui commencent le psaume : « Venez , adorons le Seigneur , prosternons- nous devant lui;

 

1. I Cor. X, 13. — 2. Ps. LXXXV, 9.

 

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pleurons devant le Seigneur qui nous a créés 1». Maintenant que je vous ai dit les merveilles du Seigneur, ne soyez point lents, rie vous attardez ni dans votre vie, ni dans vos moeurs : « Venez, adorons, et prosternons-nous devant lui ». Peut-être vos péchés qui vous tiennent loin de Dieu ne vous laissent-ils pas sans inquiétude : faisons ce qui est dit ensuite : « Pleurons nos péchés devant le Seigneur qui nous a créés ». Si tu ressens dans ta conscience l’embrasement des fautes, éteins les flammes du péché dans tes larmes, et pleure devant le Seigneur : pleure en sûreté devant le Seigneur qui t’a créé , car il ne méprisera point l’oeuvre de ses mains. Loin de toi de croire que tu pourras te guérir toi-même celui qui t’a fait peut seul te refaire. « Pleurons devant le Seigneur qui nous a faits » oui, pleure devant lui, confesse tes fautes, préviens sa face par un humble aveu. O toi qui pleures, et qui confesses ta faute, qui es-tu, sinon sa créature? L’ouvrage a toujours plus de confiance en l’ouvrier, surtout quand il n’est point une oeuvre vulgaire, mais une oeuvre faite à son image et à sa ressemblance. « Venez, adorons le Seigneur, prosternons-nous devant lui, pleurons devant le Seigneur qui nous a faits ».

11. « Car c’est lui qui est le Seigneur notre Dieu 2 ». Mais qui sommes-nous, pour nous prosterner et pour pleurer devant Dieu en toute sécurité? « Nous sommes le peuple de son pâturage, les brebis de ses mains ». Vois comme le Prophète a sagement changé l’ordre des mots; il néglige leur acception propre, afin de nous faire comprendre que ces mêmes brebis sont des peuples. Il n’a point dit : Les brebis de son pâturage, et les peuples de ses mains, ce qui paraîtrait plus naturel , puisque les brebis sont en rapport avec les pâturages; mais il dit : « Le Peuple de son pâturage ». Donc ce peuple désigne des brebis, puisqu’il est dit : « Le peuple de son pâturage », et ce peuple sont ses brebis. Mais parce que les brebis que nous avons, sont les brebis que nous achetons, et non les brebis que nous avons faites, et que le Prophète avait dit plus haut : « Prosternons-nous devant Celui qui nous a faits »; il a raison de dire ensuite: « Les brebis de ses mains ». Nul homme ne se fait des brebis:

 

1. Ps. XCIV, 6.— 2. Id. 7.

 

il peut en acheter, en recevoir, en trouver, en rassembler, et même en voler; il ne saurait en faire. Quant à notre Dieu, c’est lui qui nous a faits ; aussi sont-ils « le peuple de son pâturage, et les brebis de ses mains », ceux qu’il a formés pour lui par sa grâce. Telles sont les brebis qu’il célèbre dans le Cantique des cantiques, en appelant les plus parfaites dans son Eglise, les dents de cette sainte épouse : « Vos dents sont un troupeau de brebis, nouvellement tondues, remontant du lavoir, portant un double fruit, sans que nulle soit stérile 1 ». Qu’est-ce à dire : « Vos dents? » Ceux par qui vous parlez : les dents de l’Eglise ou ceux qui portent sa parole. A quoi ressemblent ces dents? « A un troupeau de brebis tondues». Pourquoi « tondues ? » Parce qu’elles ont déposé le fardeau du siècle. N’étaient-ils pas des brebis tondues, ces hommes dont je parlais tout à l’heure, et qu’avait dépouillés cette parole de Dieu : « Allez, vendez tous vos biens, donnez-les aux pauvres, et vous aurez un trésor dans les cieux; puis venez, et suivez-moi 2 ». Ils ont accompli ce précepte, et sont venus sans toison. Et comme ils reçurent le baptême et crurent en Jésus-Christ, qu’est-il dit? « Qu’ils remontaient du lavoir », c’est-à-dire du bain qui les avait purifiés. « Toutes ont un double fruit ». Quel double fruit? Ces deux préceptes qui renferment la loi et les Prophètes: « Nous sommes donc le peuple de son pâturage, et les brebis de sa main ».

12. Donc : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix 3 »; ô mon peuple, ô peuple de Dieu. C’est Dieu qui s’adresse à son peuple, non-seulement à ce peuple qu’il ne repoussera point, mais aussi à tout son peuple. Car il parle de l’angle à chacune des murailles 4, c’est-à-dire que dans le Christ la prophétie s’adresse au peuple Juif et au peuple des Gentils. « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos coeurs». Vous avez entendu sa voix par Moïse, et vous avez endurci vos coeurs; il parle maintenant par lui-même, que vos coeurs s’attendrissent. Lui qui envoyait jadis des hérauts, daigne venir lui-même; il vous parle de sa bouche sacrée, lui qui parlait par la bouche des Prophètes. « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos coeurs ».

 

1. Cant. IV 2; VI, 5.— 2. Matth. XIX, 21.— 3. Ps. XCIV, 8. — 4. Ephés. II, 20.

 

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13. Pourquoi dire : « N’endurcissez pas vos coeurs? » Parce qu’il vous souvient de ce que faisaient vos pères. « N’endurcissez pas vos coeurs, comme ils le firent dans leur murmure, au jour de la tentation au désert 1 ». Vous le savez, mes frères, ce peuple tenta Dieu 2, il en fut châtié, et il fut conduit au désert par un excellent cavalier, au moyen du frein des lois et du frein des préceptes, Dieu n’abandonna point ce peuple indomptable, et ne cessa non-seulement de l’attirer par des bienfaits, mais de le corriger par le malheur. « N’endurcissez donc point vos coeurs, comme ils firent par leurs murmures, le jour de la tentation au désert ». Que ces hommes ne soient point vos pères; gardez-vous de les imiter. Ils étaient vos pères; mais si vous ne les imitez point, ils ne le seront plus; et pourtant ils étaient vos pères, puisque c’est d’eux que vous êtes issus. Et si les nations viennent des extrémités de la terre, comme le dit Jérémie : « Les nations viendront vers vous des extrémités de la terre, en disant: Nos pères n’ont adoré que le mensonge, et des idoles qui ne servent de rien 3 » ; si les nations ont quitté leurs idoles pour venir au Dieu d’Israël; ceux que le Dieu d’Israël a tirés de 1’Egypte, en leur faisant passer la mer Rouge, dont les flots engloutirent leurs ennemis 4, ceux qu’il a nourris de la manne 5, sans détourner d’eux ni la verge de la discipline, ni les bienfaits de sa miséricorde, doivent-ils quitter leur Dieu quand les nations viendront l’adorer? « Vos pères m’ont tenté; ils ont éprouvé, ils ont vu mes oeuvres ». Pendant quarante ans, ils ont vu mes oeuvres, et pendant quarante ans, ils ont irrité ma colère. Sous leurs yeux, je faisais des miracles par la main de Moïse, et leurs coeurs n’en allaient que plus à l’endurcissement.

14. « Pendant quarante ans, j’ai été près de ce peuple». Qu’est-ce à dire, « j’ai été proche ? » J’ai signalé ma présence au milieu de ce peuple par des signes et des prodiges, non pas un jour, ni deux jours, mais c’est « pendant quarante années, que j’ai été près de cette génération, et que j’ai dit : Leurs coeurs sont toujours égarés 6 ». Le Prophète explique par le mot toujours, ce qu’il a dit par l’expression quarante années, car ce nombre quarante

 

1. Ps. XCIV, 9.— 2. Exod. XVI, 2, 3; XVII, 2-7.— 3. Jérém. XVI, 19. — 4. Exod. XIV, 21- 31.— 5. Id. XVI, 13-35.— 6. Ps. XCIV, 10.

 

indique l’accomplissement des siècles, comme si ce nombre en était le couronnement. C’est pourquoi Jésus-Christ jeûna quarante jours, fut tenté Pendant quarante jours au désert 1, et demeura pendant quarante jours avec ses disciples après la résurrection 2. Dans la première quarantaine, il nous désigne les tentations, et dans la seconde quarantaine la consolation, car dans les épreuves la consolation nous soutient. Son corps ou l’Eglise doit souffrir ici-bas: mais le divin consolateur ne lui fait pas défaut, lui qui a dit « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 3». « Et j’ai dit : Leurs coeurs sont toujours égarés ». J’ai voulu demeurer auprès d’eux, pour figurer en eux cette race d’hommes qui doit m’irriter jusqu’à la fin des siècles ; c’est donc tous les siècles qu’il a voulu désigner par ces quarante années.

15. Quoi donc? D’autres ne doivent-ils pas, à leur place, entrer dans le repos de Dieu? Dieu les a réprouvés, parce qu’ils ont méprisé sa miséricorde, qu’ils n’ont opposé au Seigneur qu’un coeur endurci : mais Dieu qui les a rejetés perdra-t-il tout son peuple? Ne sera-t-elle pas vraie, cette parole: « Dieu peut de ces pierres susciter des enfants d’Abraham 4 ? » Il est donc vrai que leurs coeurs sont toujours égarés ; ils n’ont point connu mes voies, et je leur ai juré dans ma colère qu’ils n’entreront point dans mon repos 5». Terribles paroles que celles-ci : je leur ai juré dans ma colère qu’ils n’entreront point dans mon repos ! Ce psaume qui a commencé par la jubilation se termine par une grande terreur : « J’ai juré dans ma colère qu’ils n’entreront point dans mon repos ». C’est beaucoup que Dieu parle; mais qu’est-ce, quand il jure? Craignons, quand un homme jure, qu’il n’accomplisse son serment même contre sa volonté ; mais combien ne faut-il pas craindre le Seigneur, dont nul serinent n’est téméraire? Il a voulu confirmer sa parole par un serment; et par qui Dieu peut-il jurer? Par lui-même. Nul n’est au-dessus de lui, par qui il puisse jurer 6. C’est par lui-même qu’il confirme ses promesses, par lui-même ses menaces. Que nul ne dise en son coeur: Sa promesse est vraie, sa menace est fausse. Tu dois être aussi certain de parvenir à son repos, à sa félicité,

 

1. Matth. IV, 1-11.— 2. Act. I, 3.— 3. Matth. XXVIII, 20.— 4. Id. III, 9. — 5. Ps. XCIV, 11.— 6. Hébr. VI, 13.

 

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à son éternité, à son immortalité, si tu accomplis ses préceptes, que certain de la mort, des flammes éternelles, de la damnation avec le diable, si tu les méprises. Il leur jura donc dans sa colère qu’ils n’entreraient point dans son repos; et pourtant il faut que plusieurs entrent dans ce repos ; car il y en aura qui le posséderont. C’est donc nous qui prendrons la place des Juifs réprouvés; car si plusieurs branches ont été retranchées à cause de leur dissemblance et de leur infidélité, notre foi et notre humilité nous feront insérer 1. Entrons donc dans ce repos. Qu’est-ce qui a procuré à ceux qui y sont entrés, le bonheur d’y entrer, d’être élus, de n’avoir pas un coeur obstiné? C’est qu’il est vrai que « Dieu n’a pas rejeté son peuple ».

 

1. Rom. XI, 19, 20.

 

 

 

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