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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXII.SERMON AU PEUPLE (1).VANITÉ DES BIENS TERRESTRES.
Dans lAncien Testament était caché le Nouveau, comme le fruit dans sa racine. De cette racine Dieu a retranché des branches pour y greffer les Gentils qui doivent craindre et persévérer dans le bien. Les promesses temporelles, figures des promesses spirituelles, nétaient que pour un temps, non plus que les hymnes de David, ou ce culte de la synagogue, mère des Apôtres ou des chefs du bercail. Ce peuple tiré de la servitude, puis errant dans le désert, et introduit dans la terre promise, était la figure du peuple chrétien, délivré par le baptême. Toutefois la terre promise qui finit pour les Juifs, les force à chercher une terre sans fin. La synagogue servait Dieu pour les biens du temps et se scandalisait de voir ces biens entre les mains des impies Elle ne bénit plus le Seigneur, elle laccuse, puis arrive à comprendre quil faut chercher Dieu lui-même. Le Prophète a failli ségarer en voyant la prospérité des impies, qui pèchent dans labondance et non par nécessité, qui haïssent tout avertissement, qui se glorifient du mal sans penser à leur fin. Mais la mort changea les rôles pour Lazare et pour le mauvais riche. Le vrai fidèle se demande si Dieu na pas soin des choses dici-bas ; il se rassure par lautorité des livres saints, qui prêchent la providence et la justice ; il méprise des biens que Dieu donne h ses ennemis. il sunit à Dieu pour voir, à la lueur du jugement, que lélévation des impies nest quune vaine fumée, leur félicité, celle dun songe quil ny a quà nous laisser mener par la main à la possession de Dieu, seul et souverain bien.
1. Ecoutez, écoutez, ô vous, mes frères bien-aimés, qui êtes les entrailles du corps de Jésus-Christ, vous qui avez mis votre espoir dans le Seigneur votre Dieu, qui détournez les yeux des vanités et des folies mensongères 2; et vous qui les regardez encore, écoutez, pour ne les regarder plus. Ce psaume a pour inscription ou pour titre : « Fin des psaumes de David, fils de Jessé, psaume dAsaph 3 ». Nous avons beaucoup de psaumes qui portent le nom de David, mais nulle autre part quen celui-ci ne se lit cette addition : « Fils de Jessé », qui, nous devons le croire, nest pas sans motif ni sans raison. Partout en effet Dieu se montre à nous, et stimule en nous lamour et le pieux désir de comprendre. Que signifie: « Fin des psaumes de David, fils de Jessé ? » On appelle hymnes des louanges que lon chante en lhonneur de Dieu; des chants qui contiennent la louange du Seigneur. Une louange qui ne serait point la louange de Dieu, ne serait plus une hymne; de même une louange, et même louange de Dieu,, mais que lon ne chante pas, nest pas lhymne. Dès lors, lhymne renferme ces trois conditions la louange, la louange de Dieu, puis le chant. Que signifie donc : « Fin des hymnes? » Cest dire : fin des louanges
1. Ce sermon prêché au peuple, probablement en 411, la veille de la fête de saint Cyprien. Voir Lettre CXL à Honor. 2. Ps. XXXIX, 5.3. Id. LXXII, 1.
que lon chante en lhonneur de Dieu. Le Prophète semble nous annoncer un événement triste et lamentable. Car celui qui chante une louange, non-seulement loue, mais loue avec allégresse, et celui qui chante une louange, non-seulement chante, mais aime celui quil chante. La louange témoigne dun zèle de prédication; le chant est lélan du coeur. Donc « fin des hymnes de David », dit le Prophète, et il ajoute « Du fils de Jessé ». Car ce David, fils de Jessé 1 fut roi en Israël, dans lAncien Testament, lorsque le Nouveau Testament était caché dans lAncien comme le fruit dans la racine cherchez du fruit dans la racine, vous nen trouverez point, et néanmoins vous nen trouverez point dans les branches qui ne soient issus de la racine. En ces jours donc, et chez ce peuple issu le premier dAbraham selon la chair, car le second peuple aussi est issu dAbraham, mais selon lesprit; chez ce peuple donc encore charnel où quelques Prophètes comprenaient et les desseins de Dieu, et le moment où il devait se révéler au monde; ces Prophètes annoncèrent les temps à venir et lavènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et comme ce Christ qui devait naître selon la chair, étau caché dans la génération patriarcale comme dans sa racine, et devait se manifester au temps marqué, semblable au fruit qui apparaît,
1. I Rois, XVI, 18.
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ainsi quil est écrit : « Voilà que fleurit la tige sur la racine de Jessé 1 » ; de même, cette nouvelle alliance dont le Christ est lauteur, était voilée dans ces premiers temps, connue seulement des Prophètes, et de quelques âmes délite, à qui Dieu, sans découvrir le présent, voulait bien révéler lavenir. Pour nen citer quun exemple, en effet, que signifie, mes frères, cette action dAbraham, qui envoie son serviteur fidèle chercher une épouse à son fils unique, et lui dit : « Pose ta ain sur ma cuisse, et jure-moi 2? » Que signifiait la cuisse dAbraham, que touchait le serviteur en faisant serment? Quy avait-il, sinon cette promesse : « En ta postérité seront bénies toutes les nations 3? » Cette cuisse désigne le corps entier; or, du corps dAbraham, par Isaac, par Jacob, et pour abréger, par Marie, est né Jésus-Christ Notre-Seigneur. 2. Comment ferons-nous voir que la racine était chez les Patriarches? Interrogeons saint Paul. Voilà que des Gentils convertis au Christ prétendent sélever contre les Juifs qui ont crucifié le Christ, bien que de ce peuple soit sortie une muraille qui est venue sunir à langle, ou dans le Christ, à cette autre muraille venant des incirconcis ou des Gentils. Donc les Gentils prétendent sélever, et lApôtre abaisse ainsi leurs prétentions: « Si toi, qui nétais que lolivier sauvage, as été greffé parmi les branches, ne télève point au-dessus des rameaux naturels. Si tu te glorifies, ce nest point toi qui portes la racine, mais la racine qui te porte ». LApôtre le déclare donc : sur le tronc des Patriarches on a retranché des branches à cause de leur infidélité, et lon a inséré lolivier sauvage, afin de lui donner part au suc et à la séve de lolivier franc; cest là lEglise venue de la gentilité. Qui enta jamais un olivier sauvage sur un olivier franc? Cest le franc que lon greffe sur le sauvage, et lon ne voit point le sauvage sur le franc. Quiconque le ferait, ne recueillerait que des baies sauvages. Cest en effet ce que lon cuite qui pousse et qui porte du fruit. Car le fruit nest point celui de la racine, mais celui de la greffe. LApôtre veut nous montrer que Dieu, par sa toute-puissance , a fait que lolivier sauvage, greffé sur lolivier franc, ne donnât plus de fruits sauvages, mais bien lolive, et
1. Isa. XI, 1. 2. Gen. XXIV, 2. 3. Id. XXII, 18.
cest à la toute-puissance de Dieu quil attribue ce miracle, en nous disant: « Si tu as été retranché de lolivier sauvage, ta tige naturelle, pour être enté, contre ta nature, sur lolivier franc, ne te glorifie point contre les branches. Mais, diras-tu », poursuit lApôtre, « ces branches mit été rompues, afin que je fusse inséré. Il est vrai, elles ont été rompues à cause de leur incrédulité; et toi, cest par la foi que tu es debout: crains au lieu de télever dans ta sagesse». Quest-ce à dire : « Ne point sélever dans sa sagesse?» Ne pas senorgueillir de son insertion, mais craindre que linfidélité naboutisse au retranchement, comme il en a été deux-mêmes. « Car cest leur infidélité » , dit-il encore, « qui les a fait retrancher; mais toi, tiens ferme dans la foi, crains au lieu de télever. Car si Dieu na point épargné les branches naturelles, il ne tépargnera point non plus». Puis il continue par ce passage si intéressant, si beau, quil faut si bien écouter : « Vois donc », nous dit-il, « la bonté et la sévérité de Dieu: sa sévérité pour ceux quil a retranchés, et sa bonté pour toi, qui es inséré, si tu persévères dans le bien. Autrement », cest-à-dire si tu ne persévères pas dans le bien, « tu tomberas à ton tour, et pour eux, sils ne demeurent point dans linfidélité, ils seront insérés de nouveau 1 ». 3. Ainsi donc, mes frères, dans lAncien Testament, notre Dieu avait fait au peuple charnel des promesses temporelles et terrestres. Il leur promit un royaume terrestre, il leur promit cette terre vers laquelle on les conduisit après la délivrance de lEgypte : Josué les introduisit dans la terre promise, qui vit sélever cette Jérusalem terrestre, où régna David. Ils reçurent donc cette terre après la délivrance de lEgypte et le passage de la mer Rouge; après des allées et des venues dans le désert, ils furent mis en possession de la terre et du royaume. Maîtres du royaume, comme ils navaient reçu que des biens terrestres, ils méritèrent par leurs péchés dêtre attaqués, vaincus, emmenés captifs ; enfin la ville elle-même fut entièrement détruite. Telles étaient ces promesses qui ne devaient point durer, et qui étaient des figures de promesses plus durables; en sorte que ce cours de promesses temporelles était la figure prophétique de lavenir. Il devait donc
1. Rom. XI, 17-24.
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finir ce royaume, qui était le royaume de David fils de Jessé, le royaume dun homme, dun saint, dun prophète, lequel voyait et annonçait le Christ à venir, et issu de lui-même selon la chair; il nétait néanmoins quun homme, il nétait pas le Christ, il nétait pas notre roi, le Fils de Dieu, mais seulement le roi David, fils de Jessé. Il devait périr ce royaume quavaient reçu ces hommes charnels, et dont ils bénissaient Dieu. Rien ne leur paraissait grand comme cette délivrance temporelle de leurs oppresseurs, comme le passage de la mer Rouge qui les dérobait à la poursuite de leurs ennemis, comme cette course à travers le désert qui aboutit à fonder une patrie et un empire. Cétait là pour eux le seul motif de louer Dieu; ils ne comprenaient point les promesses divines que dérobaient ces figures. Or, quand sévanouirent ces biens qui portaient à louer Dieu un peuple charnel qui eut David pour roi, durent cesser aussi « les hymnes de David, fils de Jessé », et non fils de Dieu. Nous voilà, Dieu aidant, sauvés de lécueil que ce titre nous présentait; vous comprenez ce que signifie: « Fin des psaumes de David, fils de Jessé ». 4. Qui parle dans ce psaume? « Asaph 1». Quest-ce que « Asaph? » Daprès le sens que nous donne la traduction de lhébreu en grec, et du grec en latin, « Asaph » signifie synagogue. Voici donc la voix de la synagogue. Maïs à ce mot de synagogue, nécoute pas ta haine contre cette meurtrière du Sauveur. Il est vrai que cette synagogue a mis à mort le Sauveur, nul nen doute; mais souviens-toi que cest de la synagogue que sont venus ces chefs du bercail dont nous sommes les agneaux. De là cette parole du psaume « Amenez au Seigneur les fils des béliers 2 ». Or, quels sont ces béliers? Cest Pierre, cest Jean, cest Jacques, cest André, cest Barthélemy, ce sont les autres Apôtres. Cest de là que vient Saul dabord, ensuite appelé Paul, cest-à-dire tout dabord orgueilleux, puis humble. Car, vous le savez, Saül, doù vient le nom de Saul, fut un roi superbe et insoumis. Ce ne fut point par une espèce de jactance que lApôtre changea son nom ; mais Saul devint Paul, ou plutôt lorgueilleux devint humble. Car Paul, ou paulum, désigne la médiocrité. Or, veux-tu savoir ce que signifie
1. Ps. LXXII, 1. 2. Id. XXVIII, I.
Saul? Ecoute ce même Paul, te racontant ce quil a été par sa propre malice, et ce quil est devenu par la grâce de Dieu : écoute quel était Saul, et quel est Paul. « Tout dabord, jai été un blasphémateur », nous dit-il, « jai persécuté, jai outragé 1 ». Voilà Saul, écoute maintenant Paul : « Je suis », dit-il, « le moindre des Apôtres ». Quest-ce à dire le moindre, sinon le plus petit ou Paul? Et il ajoute : « Je ne suis pas digne dêtre appelé Apôtre ». Pourquoi ? parce que jai été Saul. Comment Saul? Quil nous lexplique : « Parce que jai persécuté lEglise de Dieu : mais la grâce de Dieu ma fait ce que je suis 2 ». Il se dérobe à sa propre grandeur, il se fait petit en lui-même, et grand en Jésus-Christ. Le voilà Paul, que dit-il? « Dieu », nous dit-il, « na point repoussé son peuple », et il parle du peuple Juif, son peuple quil a connu dans sa prescience. Car moi aussi, je suis enfant dIsraël, de la race dAbraham, et de la tribu de Benjamin 3 ». Donc Paul lui-même nous vient de la synagogue, Pierre et les autres Apôtres de la synagogue. Donc à ce nom de synagogue, ne tarrête pas à ce quelle mérite, mais à ce quelle a produit. Donc la synagogue parle dans ce psaume, alors que finissent les psaumes de David, fils de Jessé : cest-à-dire, alors que touchaient à leur fin, ces objets temporels dun culte que ce peuple charnel rendait à Dieu. Pourquoi devaient-elles finir, sinon pour que lon en cherchât dautres? Et quelles autres chercher? dautres qui nétaient point là? Nullement, mais bien celles qui étaient voilées sous ces figures, et non celles qui ny étaient point; mais celles qui sy cachaient sous lenveloppe des mystères, comme le fruit dans sa racine. Quelles autres chercher? Ces promesses qui étaient pour nous des figures 4. 5. Voyez rapidement, comme nous étions peints dans ces figures. Le peuple dIsraël est sous le joug de Pharaon et des Egyptiens 5; le peuple chrétien, que Dieu se réservait, était avant la foi sous lempire du démon, assujéti à leur prince. Voilà un peuple esclave en Egypte, et un peuple esclave de ses péchés; car ce nest que par le péché seulement que le diable peut nous dominer, Moïse délivra du joug de lEgypte le peuple ancien, et
1. I Tim. I, 13. 2. I Cor. XV, 9, 10. 3. Rom. XI, 1, 2. 4. I Cor. X, 6. 5. Exod. I, 10.
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Notre-Seigneur Jésus-Christ délivre le peuple nouveau de sa vie ancienne du péché. Le premier peuple dut passer par les eaux de la mer Rouge, le second par celles du baptême. Les ennemis de lun sont submergés dans la mer Rouge 1, tous les péchés de lautre dans les eaux du baptême. Soyez attentifs, mes frères: après le passage de la mer Rouge, ce nest point aussitôt la patrie, ce nest pas aussitôt le triomphe, comme sil ny avait plus dennemis à combattre; mais il restait la solitude, et dans ce pèlerinage, il restait les embûches des ennemis: ainsi après le baptême, il nous reste la vie chrétienne dans les épreuves. Dans ce désert, on soupirait après la terre promise, et quel est lobjet des soupirs des chrétiens quand ils sont purifiés par le baptême? Règnent-ils donc avec Jésus-Christ? Ils ne sont point encore parvenus à cette patrie qui nous est promise, mais qui ne doit point se terminer, et où les hymnes de David ne finiront point. Que tous les fidèles veuillent bien écouter mes paroles, et quils sachent où ils sont: ils sont au désert, et soupirent après la patrie. Leurs ennemis sont morts par le baptême, ceux-là toutefois qui les suivaient par derrière. Quest-ce à dire qui les suivaient par derrière? Nous avons devant nous lavenir, derrière nous le passé tous les péchés du passé sont noyés dans les eaux du baptême; et nos tentations ne sont plus derrière nous, mais dans les embûches du voyage. Aussi lApôtre marchant encore dans ce désert sécriait; « Joublie ce qui est derrière moi, pour mavancer vers ce qui est devant moi, afin datteindre la palme à laquelle Dieu ma appelé den haut 3 ». Comme sil disait : Je veux atteindre la patrie céleste que Dieu ma promise. Et dans ce désert, mes frères, tout ce quendura ce peuple, tous les dons que lui fit le Seigneur, tous les châtiments quil lui infligea, sont des figures de ce qui doit nous arriver dans le désert de cette vie, quand nous marcherons en Jésus-Christ cherchant notre patrie, et qui sera pour nous une source de consolations ou dépreuves. Il ne faut donc pas sétonner de voir à sa fin ce qui nétait quune figure de lavenir. Ce peuple fut conduit à la terre promise, mais devait-elle durer toujours? Sil en était ainsi, elle ne serait pas une figure, mais bien une réalité. Comme donc elle nétait quune
1. Exod. XIV, 22, 23. 2. Philip. III, 13, 14.
figure, le peuple naboutit quà une situation temporaire; or, une situation temporaire devait finir, et en finissant nous forcer à chercher ce qui na point de fin. 6. Donc, la synagogue, ou ceux qui servaient Dieu avec piété, mais en vue des biens terrestres, (les biens de cette vie (car il est des impies qui demandent ces biens dici-bas aux dénions, et le peuple avait cette supériorité sur les Gentils, que sil recherchait les biens présents, les biens temporels, il les demandait néanmoins au seul Dieu créateur et des choses visibles et des choses invisibles); ces hommes pieux donc, mais charnels, cette partie de la synagogue, bonne en ce temps-là, mais non dune piété spirituelle comme celle des Prophètes, et de ceux qui attendaient un royaume céleste et éternel; cette synagogue vit les biens que Dieu prodiguait à son peuple, et quil lui promettait pour lavenir labondance des richesses de la terre, une patrie, la paix, une félicité terrestre. Mais il ny avait là que des symboles; et sans coin Prendre les promesses que cachaient ces figures, elle simagina que cétait beaucoup pour Dieu de la traiter ainsi, et quil navait rien de mieux à donner à ceux qui le servent avec amour et fidélité. Dans cette pensée elle vit des hommes pécheurs, impies, blasphémateurs, des adorateurs de démons, iles fils du diable, qui vivaient dans les excès de la malice et de lorgueil, et qui possédaient néanmoins ces biens de la terre et du temps, dont la convoitise la portait à servir Dieu. Alors surgit dans sois coeur une exécrable pensée, bien capable de la faire chanceler dans la voie de Dieu, et même de len écarter. Or, voici la pensée qui tourmentait ce peuple de lAncien Testament: à Dieu ne plaise quelle soit aussi chez ceux de nos frères qui sont charnels, quand on leur prêche ouvertement la félicité ! Que dit alors cette synagogue? Que dit ce peuple? Nous servons Dieu, et voilà des châtiments, des fléaux, voilà quon nous prive de ce que nous aimons, de ce que nous regardions comme une grande faveur de Dieu : des hommes criminels au contraire, des hommes injustes, orgueilleux, blasphémateurs, remuants, ont en abondance tous ces biens, pour lesquels nous servons le Seigneur; cest donc inutilement que nous le servons. Cest jusque-là quest tombé le peuple de notre psaume, peuple qui touche à sa fin, qui
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chancelle. Il voit en effet que ces biens terrestres qui lui font servir Dieu, coulent en abondance chez ceux qui ne servent point le Seigneur, et le voilà qui chancelle, qui tombe en défaillance, qui disparaît avec les hymnes de David, parce quen de semblables coeurs il ny avait plus de louanges. Quest-ce à dire, quen de semblables coeurs il ny avait plus de louanges? Quavec de telles pensées on ne bénit plus le Seigneur. Comment en effet bénir Dieu, quand peu sen faut quon ne laccuse dinjustice, parce quil donne tant de biens aux méchants, et quil en prive ceux qui le servent? A ces hommes, Dieu paraissait navoir aucune bonté; or, ceux qui ne voient en Dieu aucune bonté, sont loin de le louer, et comme ils cessent de louer Dieu, la louange fait défaut chez eux. Plus tard néanmoins ce peuple comprit ce que Dieu lavertissait de chercher, quand il privait ainsi ses serviteurs des biens temporels quil donnait àses ennemis, à des impies, à des blasphémateurs; cet avertissement lui fit connaître quen outre des biens que Dieu donne aux bons et aux méchants, et dont il prive quelquefois les méchants comme les bons, il en est quil réserve particulièrement aux bons. Quest-ce à dire, quil réserve pour les bons? Que leur réserve-t-il? Lui-même. Nous pouvons, si je ne me trompe, aller rapidement dans le psaume; nous le comprendrons avec le secours du Seigneur. Voyons revenir de ses erreurs et se repentir, celui qui avait cru que Dieu manquait de bonté, parce quil donnait aux méchants les biens terrestres et les refusait à ceux qui le servent. Il a compris ce que Dieu réserve à ses adorateurs; dans cette pensée, et comme pour se châtier de cette erreur, il sécrie: 7. « Quelle bonté chez le Dieu dIsraël ! » Mais pour qui ? « Pour ceux qui ont le coeur droit ». Quest-il pour limpie? Il paraît injuste. Cest ainsi que dans un autre psaume il est dit : « Vous êtes saint pour lhomme saint, innocent avec linnocent, et pervers avec lhomme pervers 1 ». Quest-ce à dire « pervers avec le pervers? » Lhomme corrompu ne verra chez vous que corruption. Non que Dieu se puisse laisser corrompre. Loin de là: il est ce quil est; mais de même que le soleil est agréable pour lhomme qui a les yeux purs, sains, fermes et vigoureux,
1. Ps. XVII, 26, 27.
tandis quil paraît avoir des aiguillons pour les yeux chassieux, quil est la joie de lun, et le tourment de lautre, non que lui-même change, mais bien lobjet quil frappe ; ainsi dès que tu seras corrompu, tu verras en Dieu la corruption, tu seras changé, mais non lui. Tu trouveras ton supplice dans ce qui fera la joie des bons. Telle est la pensée du Prophète qui sécrie: « Combien est bon le Dieu dIsraël, pour lhomme au coeur droit ». 8. Mais pour toi, ô Prophète? « Pour moi, mes pieds ont failli chanceler 1 ». Quand est-ce que les pieds chancellent, sinon quand le coeur nest point droit? Et doù vient que le coeur nétait point droit? Ecoute: « Peu sen faut que mes pas ne glissent». Tout à lheure il disait : « Ont failli », maintenant « peu sen faut »; tout à lheure : « Ses pieds chancelaient », maintenant « ses pas glissent». Mes pieds ont failli chanceler, peu sen faut que mes pas ne ségarent. « Des pieds chancelants » ; mais dans quelle voie ont-ils chancelé, de quelle voie mes pas se seraient-ils égarés? « Mes pieds chancelaient » pour ségarer, « mes pas glissaient » pour tomber, non pas tout à fait, mais « presque ». Jallais à lerreur, sans y être encore ; je tombais, mais je nétais pas encore tombé. 9. Mais pourquoi? « Cest », répond le Prophète, « que je porte envie aux pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent 2 ». Jai considéré les pécheurs, je les ai vus dans la paix. Quelle paix ? Une paix temporelle, fragile, caduque et terrestre, mais telle cependant que je la désirais de Dieu. Jai vu chez ceux qui ne servaient point le Seigneur, ce que je désirais pour prix de mes adorations; et mes pieds ont chancelé, et mes pas ont presque glissé. 10. Mais il va vous dire en quelques mots pourquoi les méchants possèdent ces biens: « Cest que leur mort est inévitable, et que leur châtiment saffermira. Aussi ne sont-ils point dans les travaux des hommes, et ne seront-ils point châtiés comme eux 3 ». Jai compris, nous dit-il, pourquoi ils ont la paix et fleurissent ici-bas. Cest que leur mort est inévitable, cest-à-dire que la mort est pour eux certaine, et quelle sera éternelle; elle ne se détournera point deux, et ils ne pourront sen détourner; « cest que leur mort est inévitable, et que leur châtiment saffermira ». Un châtiment qui saffermit, nest plus un
1. Ps. LXXII, 2. 2. Id. 3. 3. Id. 4, 5.
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châtiment passager; il est ferme pour léternité. Cest donc parce que Dieu leur réserve des maux qui doivent durer éternellement, qu « ils ne sont point aujourdhui dans les travaux des hommes, et quils ne sont point châtiés avec eux ». Toutefois nest-il point châtié avec les hommes, ce diable auquel on prépare un supplice sans fin? 11. Aussi quarrive-t-il ici-bas à ceux qui ne sont point châtiés avec les hommes, qui ne souffrent point avec eux? « Voilà », dit le Prophète, « que lorgueil les domine ». Voyez ces orgueilleux incorrigibles ; voyez cette victime dévouée au sacrifice, quon laisse errer à son gré, dévaster comme il lui plaît, jusquau jour où lon doit légorger. Or, il est bon, mes frères, de voir dans les paroles du Prophète, cette victime dont nous parlons. LEcriture qui en fait mention ailleurs, nous dit que ces hommes sont destinés à limmolation, quon ne les épargne quen leur laissant une triste liberté 2. « Cest pourquoi », dit le Prophète, « ils sont au pouvoir de lorgueil ». Quest-ce qu « être au pouvoir de lorgueil? Leur iniquité, leur impiété, les enveloppe comme un vêtement». Il ne dit pas quils sont couverts, mais « enveloppés », complètement revêtus de leur impiété. Malheur bien légitime ! sous leur manteau, ils ne voient point, ils ne sont vus de personne, et leur intérieur est invisible. Tel en effet qui pourrait sonder lâme de ces hommes que lon croit heureux ici-bas, tel qui verrait les tortures de leur conscience, tel qui découvrirait dans leurs coeurs ces déchirements, ces tyrannies de la crainte et de la convoitise, les trouverait malheureux dans ce quon regarde comme un bonheur; « mais enveloppés de leur iniquité et de leur impiété», ils ne voient point et ne sont point vus. LEsprit-Saint les connaissait quand il en parlait de la sorte; et nous devons les regarder avec cet oeil qui nous montre la vérité, quand on nous ôte le voile de limpiété. Sachions donc les connaître, et fuyons-les nonobstant leur bonheur; nonobstant leur bonheur, ne les imitons point: gardons-nous de demander au Seigneur notre Dieu, comme une grande faveur, des biens quont mérité dobtenir ceux qui ne le servent point. Car il nous réserve un tout autre bien, un bien vraiment désirable: écoutez quel bien. 12. Voici dabord leur portrait. « Leur iniquité
1. Ps. LXXII, 6. 2. Prov. VII, 22.
sortira de leur abondance 1». Voyez si cette grosse victime ne se reconnaît point ici. Ecoutez, mes frères, et ne passons pas légèrement sur cette parole : « Leur iniquité sortira comme de leur embonpoint ». Il y a des méchants, mais méchants par maigreur, et qui sont méchants précisément parce quils sont maigres, cest-à-dire des âmes faibles, chétives, et comme sous lempire de la nécessité; ils sont mauvais à la vérité, et vraiment condamnables; car on doit plutôt subir la nécessité que de commettre le crime. Et toutefois autre est pécher dans la nécessité , autre dans labondance. Quun pauvre mendiant commette un vol, son péché vient de sa maigreur ; mais un riche dans labondance, pourquoi sempare-t-il du bien dautrui ? Le péché vient chez lun de sa maigreur, chez lautre de sa graisse. Aussi, dis à ce pauvre : Pourquoi cette injustice ? et le voilà qui shumilie, qui se repent, qui safflige. Cest la nécessité, dit-il, qui my a forcé. Comment nas-tu pas craint le Seigneur? La nécessité ma contraint. Dis à un riche au contraire : Pourquoi cette injustice, et ne crains-tu pas le Seigneur ? si tu as toutefois assez de considération pour le pouvoir faire. Vois sil daignera même técouter, et si liniquité qui vient de son abondance ne rejaillira point sur toi. Car ces hommes déclarent la guerre à tous ceux qui les instruisent et qui les reprennent, ils deviennent ennemis de quiconque dit la vérité, accoutumés quils sont aux flatteries, ayant eux-mêmes loreille délicate, et le coeur corrompu. Qui ose dire à un riche: Cest mal à toi de prendre le bien dautrui ? Et si quelquun ose le dire, et quil soit de telle condition quon nose point lui résister, que répondra ce riche ? Il nouvre la bouche que pour blasphémer Dieu. Pourquoi ? parce quil est orgueilleux. Pourquoi ? parce quil est dans labondance. Pourquoi? parce quil est une victime dévouée au sacrifice. « Leur iniquité sortira de leur graisse ». 13. « ils ont tout dépassé dans la pensée de leur coeur ». Cest intérieurement quils ont dépassé. Quest-ce à dire « dépassé ? » Au-delà de la voie. Quest-ce à dire encore ? Ils ont dépassé les bornes de la nature humaine, et ne se croient plus des hommes comme les autres hommes. Oui, dis-je, ils ont franchi les bornes de la nature humaine. Parfois tu dis
1. Ps. LXXII, 7.
à lun de ces hommes: Ce pauvre que tu vois est ton frère, vous êtes issus des mêmes parents, dAdam et dEve : nécoute point ton orgueil, nécoute point cette enflure de la vanité, quelque nombreux que soient tes serviteurs, quels que soient lor et largent que lu possèdes, quelque précieux que soit le marbre de ton palais, quelque étincelant quen soit le dôme: non plus que le pauvre, tu nas pour te couvrir quun même ciel, qui est le toit du monde. Rien ne tappartient de tout ce qui te distingue du pauvre; tout cela est étranger pour toi ; cest en cela quil faut te voir, et non pas voir cela en toi-même. Considère ce que tu es en face du pauvre, mais considère toi-même, non ce que tu possèdes. Pourquoi mépriser ton frère? Vous étiez nus lun et lautre dans les entrailles de vos mères ; et certes quand vous serez sortis de cette vie, quand lâme aura quitté vos chairs en pourriture, démêle qui pourra discerner les ossements du pauvre et du riche. Je parle de légalité de nature qui est la condition du genre humain, et dans laquelle nous naissons tous; or, celui que nous voyons riche en cette vie, ny sera pas toujours, non plus que le pauvre. Le riche, à sa naissance, nest point riche, àsa mort il ne sera point riche ; pour le riche comme pour le pauvre, même entrée dans la vie, même sortie de ce monde. Jajoute même que leur sort peut être changé. Partout aujourdhui on prêche lEvangile ; remarque ce pauvre couvert dulcères, couché à la porte du riche, et dont le désir est de se rassasier des miettes qui tombaient de la table de ce riche ; vois ce même riche, revêtu comme toi de pourpre et de fin lin , et qui était chaque jour dans la bonne chère. Or, il arriva que ce pauvre mourut et fut porté par les anges dans le sein dAbraham. Le riche mourut aussi et fut enseveli ; nul peut-être navait eu soin de la sépulture de lautre ; et quand ce riche était dans les tourments de lenfer, ne leva-t-il point les yeux, et ne vit-il pas au sein dune joie infinie celui quil avait méprisé au seuil de sa porte ? Ne désira-t-il point quune goutte deau tombât du doigt de celui qui avait envié jadis les miettes de sa table? Combien, mes frères, dura langoisse du Pauvre? Combien durèrent les délices du riche? Mais ce qui ensuite leur échut en partage est éternel. Comme il ny avait donc pour lui nul moyen déchapper à la mort,et comme son châtiment devait être sans fin, il na point partagé le labeur des hommes, ni subi avec eux son châtiment. Le pauvre, au contraire, flagellé en cette vie, doit se reposer en lautre; car Dieu châtie celui quil reçoit au nombre de ses enfants 1. Mais à qui parle-t-on ainsi? A lhomme de la bonne chère, qui est chaque jour vêtu de pourpre et de fin lin. A qui tenir ce langage? A lhomme qui a tout dépassé « dans la pensée de son coeur », qui dira un jour avec raison, mais trop tard: « Envoyez Lazare, afin quil avertisse mes frères 2 » : car il ne tirera aucun profit de sa pénitence. Non point quil nait aucun regret, mais ce regret doit être éternel, ce regret ne produira point le salut. ils ont donc « tout dépassé dans la « pensée de leur coeur ». 14. « Ils ont pensé et dit le mal 3 ». Mais ce nest quen tremblant que les hommes disent le mal: comment ceux-ci le disent-ils? « Ils publient liniquité sur les hauteurs ». Non. seulement ils publient liniquité, mais ils le font à haute voix, aux oreilles de tous, avec orgueil: cest à moi que tu as affaire, moi qui te donnerai une leçon, tu sauras qui je suis, tu y laisseras la vie. Avoir cette pensée, ce serait beaucoup, quand même tu ne la montrerais pas: quand même ce désir de vengeance demeurerait inconnu, et enseveli dans le secret de ton coeur. Mais à quoi bon? Cet homme est-il maigre? « Leur injustice sortira comme de leur graisse. lis publient liniquité sur les hauteurs ». 15. « Ils opposent leurs bouches au ciel, et leur langue dépasse la terre 4 ». Quest-ce à dire, « dépasse la terre? » Cest la répétition de ce qui est dit: « Ils opposent leurs bouches au ciel »; car dépasser la terre signifie aller au-delà de tout ce qui est terrestre. Mais quest-ce qualler au-delà de tout ce qui est terrestre? Cest-à-dire que lhomme dans son langage ne songe point quil peut mourir subitement, quil menace comme sil devait toujours vivre: sa pensée oublie lhumaine fragilité, et ne sait point de quel faible manteau il est revêtu; il ignore ce que lEcriture a dit ailleurs à propos de ces orgueilleux: « Son âme sen ira et il retournera dans la terre, en ce jour périront toutes ses pensées 5 ». Mais ces hommes , peu soucieux de leur dernier jour, nont quun langage dorgueil; ils opposent
1. Hébr. XIII 6. 2. Luc, XVI, 19-31. 3. Ps. LXXII, 8. 4. Id. 9. 5. Id. CXIV, 4.
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leurs bouches au ciel, et sélèvent au-dessus de la terre. Rien de plus insensé quun voleur jeté dans une prison, qui ne penserait point à son dernier jour, au jour qui termine sa condamnation; et pourtant il peut encore senfuir. Mais où fuir la mort? Ce jour arrivera certainement. Quelle peut être pour toi la plus longue vie? Combien dure peu ce qui a une fin, quelle quen soit la durée ! Ajoutez que cette durée nest point longue; car celle quon appelle une longue vie est courte et encore incertaine. Pourquoi ny point réfléchir? Cest que lon oppose sa bouche au ciel, et que la langue dépasse la terre. 16. « Aussi mon peuple eu reviendra-t-il à ces pensées 1». Asaph lui-même en revient le premier. Il a vu que les biens sont pour les impies, sont pour les orgueilleux; il se retourne vers Dieu, et commence à lui en demander raison. Mais quand? « alors que les jours saccompliront pour eux ». Que sont «des jours accomplis? » « Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils 2 ». Ainsi les temps étaient accomplis quand le Christ est venu nous apprendre à mépriser ce qui est temporel, à ne pas estimer ce que désirent les méchants, à souffrir ce que redoutent les hommes diniquité. Il sest donc fait la voie, il nous a fait rentrer en nous mêmes, et nous a montré ce quil faut demander à Dieu. Vois maintenant comment de ses pensées qui se détruisent mutuellement, et qui se brisent comme des flots par leur propre choc, il sélève aux vrais biens désirables. « Cest pourquoi mon peuple en reviendra là, et les jours saccompliront en eux ». 17. « Et ils ont dit: Comment Dieu le sait-il? le Très-Haut en a-t-il connaissance 3? » Vois par quelles réflexions ils doivent passer. Les méchants sont heureux, donc Dieu na aucun soin des choses humaines. Est-il vrai quil sache ce que nous faisons? Ecoutez les paroles du psaume; et je vous en supplie, mes frères, que des chrétiens ne disent plus: «Comment Dieu le sait-il? et le Très-Haut en a t-il connaissance? » 18. Comment peux-tu croire en effet que Dieu ignore ce qui se passe ici-bas, que le Très-Haut nen a point de connaissance? Le Psalmiste répond : « Voilà que les pécheurs et les heureux du siècle ont obtenu des
1. Ps. LXXII, 10. 2. Gal, IV, 4. 3. Ps. LXXII, 11.
richesses 1 ». Ils sont pécheurs, ils sont dans labondance, et néanmoins ils ont encore obtenu des richesses ici-bas. Il la déclaré, il na point voulu être pécheur, afin davoir des richesses. Cette âme charnelle vendait sa justice au prix des biens visibles et terrestres. Quelle justice peut-on acheter avec de lor, comme si lor était plus précieux que la justice? Quand un homme nie un dépôt, pour qui le dommage est-il plus grand, pour celui qui nie, ou pour celui à qui on le nie? Lun perd un vêtement, lautre sa foi. « Voilà que les pécheurs et les riches du siècle ont obtenu des biens». Donc Dieu ne le sait pas? donc le Très-Haut nen a point de connaissance? 19. « Et jai dit: Cest donc en vain que jai justifié mon coeur ». Voilà que je sers Dieu, et je nai pas ces biens; ceux-là ne le servent point et sont dans labondance: « Donc cest vainement que jai justifié mon coeur, et que jai lavé mues mains parmi les innocents 2 ». Cest donc en vain que jai fait cela. Où est la récompense pour une vie juste? Où est le prix de ta fidélité? Je vis dans la justice et jai faim, tandis que limpie est dans labondance. « Et jai purifié mes mains parmi les innocents ». 20. « Durant tout le jour je suis flagellé 3 ».Vos fléaux ne séloignent point de moi. Je vous sers fidèlement, et je suis châtié: cet autre ne vous sert point, il est au comble des biens. Terrible question que lhomme se pose à lui-même ! Son âme est dans le trouble, elle est sur le point de passer au mépris de ce qui passe pour désirer ce qui dure éternellement. Telle est la pensée qui bâte pour lâme ce passage. Dès quelle est agitée par la tempête, cest pour arriver au port. Il en est de même de ces malades, qui souffrent moins lorsque la santé est bien loin encore, et dont la douleur est plus aigué quand la guérison est proche. Cest ce que les médecins appellent des accès de crise, qui sont le passage à la convalescence : la lièvre est plus vive, mais aboutit à la santé; la crise est plus violente, mais la guérison est proche. Telles sont les récriminations du Psalmiste. Ses paroles sont fâcheuses, insolentes, presque blasphématoires : « Comment Dieu le sait-il? » Je dis « presque », et en effet il ne dit point : Dieu ne le sait point; il ne dit point : Le Très-Haut nen a point connaissance; mais il se
1. Ps. LXXII, 12. 2. Id. 13. 3. Id. 14.
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questionne, il est dans lhésitation et dans le doute, Il disait un peu auparavant : « Mes pieds ont failli chanceler », comme il dit maintenant: « Comment Dieu le sait-il, et le Très-Haut en a-t-il connaissance? » Il naffirme point, mais son doute est dangereux, et tel est le péril qui le ramène à la santé. Ecoute bien cette guérison : « Cest donc en vain que jai justifié mon coeur, et que jai lavé mes mains parmi les innocents, tout le jour je subis la flagellation, je suis châtié dès le matin ». Or, le châtiment est une correction : châtier, cest se corriger. Quest-ce à dire : « dès le matin ? » Sans délai. Il est un délai pour les impies, il nen est point pour moi. Pour eux le châtiment est tardif, ou même nul, pour moi il vient « dès le matin. Tout le jour je suis flagellé, et mon châtiment est du matin ». 24. « Et je disais: Voilà ce que je raconterai 1 »; ou ce que jenseignerai. Quenseigneras-tu? Que le Très-Haut nen a point connaissance, et que Dieu ne sait rien? Veux-tu donc enseigner que les justes mènent sans profit une vie juste, que lhomme de bien sert Dieu inutilement, puisque Dieu, ou favorise les méchants, ou na souci de personne? Est-ce là ce que tu veux dire, enseigner? Il cède à lautorité qui le domine. Quelle autorité? Souvent lhomme veut sabandonner à ces sentiments; mais il est retenu par les saintes Ecritures qui lui disent de vivre toujours dans la justice, qui lui répètent que Dieu a soin des choses dici-bas, et quil met une différence entre le juste et limpie. Voilà donc ce qui retient le Psalmiste, alors quil voudrait enseigner une telle doctrine. Et que dit-il? « Si je disais : Voilà ce que je raconterai : je rejetterais la race de vos enfants ». Mon langage serait une condamnation portée contre vos enfants, contre les justes. Ou bien, comme on lit dans certains exemplaires: « Parmi vos enfants à qui ai-je parlé? » ou bien auquel de vos enfants ai-je parlé? Auquel mon langage convenait-il, qui lapprouvait? Parler ainsi, cest méloigner de tous. Celui-là map. prouve en effet qui est daccord avec moi; mais point daccord, point dapprobation. Je tiendrai un langage autre que celui dAbraham, celui dIsaac, celui de Jacob, et celui des Prophètes. Car ils se sont tous accordés à dire que Dieu prend soin de ce qui se passe
1. Ps. LXXII, 15.
ici-bas : et moi jirai dire quil nen prend aucun soin? Aurai-je donc plus de lumière queux tous? Telle est lautorité salutaire qui éloigne de lui toute pensée impie. 22. Que dit ensuite le Prophète? « Si je disais : Voilà ce que jenseignerai, je rejetterais la race de vos enfants ». Que fait-il donc pour ne point la rejeter? « Jai résolu de comprendre », nous dit-il. Il veut donc comprendre ce mystère; Dieu veuille bien laider et le lui faire connaître : toujours est-il, mes frères, quil évite une chute effroyable, alors quil ne présume point de sa science, et quil veut apprendre ce quil ne sait point. Naguère il prétendait que lon crût à sa science, il voulait enseigner que Dieu na aucun soin des actions des hommes. Cest la doctrine impie et pernicieuse que prêchent tous les méchants. Il est bon que vous le sachiez, mes frères; il en est beaucoup qui prétendent et qui osent dire que Dieu na aucun souci des actions des hommes, que tout est gouverné par le hasard, ou que nos volontés sont sous linfluence des astres, et que chacun de nous, loin dêtre dirigé selon ses propres mérites, ne lest que par la fatalité de son étoile. Doctrine impie! Doctrine effroyable! Cest là que devait aboutir celui dont « les pieds ont quelque peu chancelé, dont les pas ont failli trébucher 1 »; cest à cette erreur quil courait : mais comme il nétait point daccord avec la génération des enfants de Dieu, il entreprend de connaître ; le voilà qui condamne ce qui est en dissonance avec les justes de Dieu. Ecoutons ce quil va dire, car il a entrepris de connaître, et avec le secours de Dieu, il a compris, et nous en a fait part. « Jai entrepris de connaître », dit-il, « et cest là un travail devant moi ». Cest vraiment un labeur pénible, de connaître comment Dieu prend soin de ce que font les hommes, quand les méchants sont heureux, les justes dans la peine ! Cest là une grande difficulté. Aussi, « cest là un labeur pénible devant moi ». Cest comme une muraille en face de moi ; mais le Prophète a dit : « Avec le secours de Dieu jirai au-delà du mur 2. « Cest là un labeur pénible devant moi ». 23. Tu dis vrai, ô Prophète, cest un labeur pénible. Mais pour Dieu, il nest point de labeur; mets-toi en présence du Dieu qui ne connaît point la peine, et il ny aura rien de
1. Ps. LXXII, 16. 2. Id. XVII, 30.
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pénible pour toi. Cest ce qua fait le Prophète, car il précise combien de temps ce labeur sera devant lui : « Jusquà ce que jentre dans le sanctuaire du Seigneur, et que je comprenne la fin des choses 1 ». Voilà une grande parole, mes frères. Je suis dans un long travail, dit le Prophète, et je vois devant moi un labeur en quelque sorte inextricable, quand je veux examiner comment Dieu connaît les choses humaines et en prend soin, et comment nest-il point injuste, alors que les pécheurs, les criminels sont heureux sur la terre, tandis que les hommes pieux, qui le servent avec fidélité, sont souvent dans lépreuve, et brisés par la tribulation : voilà ce quil est très-difficile de comprendre, mais seulement « jusquà ce que jentre dans le sanctuaire de Dieu ». Mais que verras-tu dans ce sanctuaire, afin de résoudre cette difficulté? « Je comprendrai », dit le Psalmiste, «la fin des choses», non celles qui sont présentes. Cest vers le sanctuaire de Dieu que-je dirige mes yeux pour voir la fin, peu soucieux du présent. Tout ce qui porte le nom dhomme, toute cette masse de mortels doit subir lexamen, tout alors sera pesé; et alors seront appréciées les oeuvres des hommes. Aujourdhui tout est enveloppé dun nuage, mais Dieu connaît les mérites de chacun. «Je comprendrai », dit le Prophète, « quelle est la fin » ; non par moi-même, car il ny a devant moi que labeur. Comment alors «comprendrai-je la fin? » En entrant dans le sanctuaire de Dieu. Cest donc là quil comprendra pourquoi les méchants sont heureux ici-bas. 24. « A cause de leurs artifices, vous les avez fait tomber 2» A cause de leurs artifices, ou de leur fraude : parce quils cherchent la fraude, ils sont trompés. Quest-ce à dire: Ils sont trompés, parce quils veulent tromper ? Ils veulent tromper les hommes par mille artifices, eux-mêmes sont trompés, et délaissent les biens de léternité, pour les biens du temps, Donc, mes frères , ils se trompent en voulant tromper. Je vous lai déjà dit, mes frères, quelle âme peut avoir celui qui vole un manteau, et qui perd la foi? Est-ce bien celui qui perd ce vêtement qui est victime de la fraude, ou celui qui éprouve un si grand dommage? Cest le premier, si le manteau est plus précieux que la foi; mais si
1. Ps. LXXII, 17. 2. Id. 18.
la foi est infiniment préférable au monde enlier, lun perdra son manteau à la vérité, mais il est dit à lautre : « Que sert à lhomme de gagner le monde, sil vient à perdre son âme 1». Quarrive-t-il donc aux méchants? « A cause de leurs artifices vous les avez fait tomber : vous les avez humiliés pendant quils sélevaient ». Il nest pas dit: Vous les avez humiliés, parce quils sélevaient :car ce nest point après quils se sont élevés que vous les avez humiliés, mais à linstant même quils sélevaient vous les avez humiliés. Car sélever ainsi, cest déjà tomber, « Vous les avez humiliés pendant quils sélevaient ». 25. « Doù leur est venue cette catastrophe subite 2?» Le Prophète sétonne à leur sujet, il comprend leur dernière fin. «Ils se sont véritablement évanouis» comme une fumée qui ne sélève que pour se dissiper. Comment dit-il qu « ils se sont évanouis? » Il en parle comme un homme qui comprend la fin des choses. « Ils se sont évanouis; ils ont péri à cause de leur iniquité». 26. « Comme le songe dun homme qui séveille 3 ». Comment se sont-ils évanouis? Comme sévanouit le songe dun homme qui séveille. Suppose un homme qui voit en songe, qui dans son rêve croit avoir trouvé des trésors, il est riche, mais seulement jusquà ce quil séveille. Ces hommes se sont donc évanouis, « comme le songe de cet homme à son lever » ; il cherche, et ne trouve rien; rien dans ses mains, rien dans son lit. Il sétait endormi pauvre, un songe lavait enrichi; il eût été riche sans le réveil, mais il sest éveillé, et na retrouvé que la misère, qui lavait abandonné dans son rêve. Ainsi les méchants retrouveront la misère quils ont entassée. Quand ils séveilleront de cette vie, alors sévanouira ce quils ont possédé pendant leur sommeil. Tel est le songe pour lhomme qui séveille. Et pour éviter cette objection : Nest-ce donc rien à vos yeux que cet éclat qui les environne, rien que cette pompe, rien que ces titres, que ces images, que ces statues, que ces louanges, que cette foule de clients? « Seigneur », répond le Prophète, « vous anéantirez leur image dans votre cité ». Je vous parlerai donc avec liberté, mes frères, dans la place que joccupe et qui my autorise, car, quand nous nous mêlons à vous, cest plus pour vous
1. Matth. XVI, 26. 2. Ps. LXXII, 19. 3. Id. 20.
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soutenir que pour vous instruire ; je vous en supplie donc, dans la crainte et dans lamour du Christ, ô vous qui êtes privés de ces biens, ne les convoitez point, et vous qui les possédez, ny mettez point votre confiance. Remarquez-le, je ne vous dit point: Vous serez damnés dès lors que vous les possédez; mais : Vous serez damnés, si ces biens vous donnent de la présomption, sils stimulent votre orgueil, sils vous grandissent à vos propres yeux, sils vous font mépriser les pauvres, si dans lexaltation de votre vanité, vous en venez à oublier la condition de la nature humaine. En ce cas, en effet, Dieu devrait à sa justice de châtier au dernier jour, et danéantir dans sa cité limage de ces hommes. Que celui qui est riche le soit donc, selon le précepte de lApôtre : « Ordonnez», dit-il, « aux riches de ce monde, de nêtre point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie ». Il réprime ainsi lorgueil des riches, et leur donne un conseil. Comme si ces riches lui disaient: Nous avons les richesses, et vous nous défendez de nous enorgueillir, vous nous interdisez détaler toutes les pompes de nos richesses, que ferons-nous donc de ces biens ? Nont-ils pas occasion den faire usage? « Quils soient riches en bonnes oeuvres » , dit lApôtre, « quils donnent facilement, et quils prêtent ». Que leur en reviendra-t-il ? « Quils se fassent ainsi un trésor, et sétablissent un fondement solide pour lavenir, afin darriver à la véritable vie 1 ». Où doivent-ils samasser un trésor ? où linterlocuteur a jeté les yeux, quand il est entré dans le tabernacle de Dieu. Que tous ceux dentre vous, mes frères, qui sont riches, tremblent à cette parole; que tous ceux qui ont des biens, de lor, de largent, des esclaves, des honneurs, tremblent quand le Prophète sécrie : « Seigneur, vous réduirez au néant leur image dans votre cité ». Nest-il pas bien juste que Dieu anéantisse leur image dans sa cite, lorsque dans leur cité terrestre ils ont anéanti limage de Dieu ? « Vous réduirez donc au néant, Seigneur, leur image dans votre cité ». 27. « Alors mon coeur sest trouvé dans la joie ». Voici lobjet de ses tentations. « Mon coeur sest trouvé dans la joie, et mes reins
1. I Tim. VI, 17-19.
se sont changés 1 ». Mes reins se changeaient, lorsque je faisais mes délices des biens temporels. On peut aussi donner ce sens : « Parce que mon coeur a mis sa joie en Dieu, mes reins se sont changés», cest-à-dire mes affections charnelles se sont changées, et je suis devenu entièrement chaste. « Mes reins se sont changés »; voyons de quelle manière. 28. « Voilà que jai été réduit au néant, et je ne lai point connu 2 ». Moi qui vous parle maintenant contre les richesses, jai quelquefois désiré ces sortes de biens. Aussi, « ai-je été réduit au néant, quand mes pieds chancelaient». «Jai été réduit au néant sans rien connaître ». On voit dès lors quil ne faut pas désespérer de ces hommes dont je viens de parler. 29. Quest-ce à dire : « Je ne lai point connu? » « Jétais devant vous comme le stupide animal, et néanmoins jétais toujours avec vous 3». Il y a une grande différence entre ce nouvel interlocuteur et les autres. Celui-ci a ressemblé à lanimal par ses désirs terrestres, quand, réduit au néant, il na point connu les biens éternels; mais il ne sest point éloigné de Dieu, car il na point espéré recevoir ces biens des esprits malins, ni du diable. Je vous en ai déjà fait la réflexion, cest la synagogue qui parle ici, ou ce peuple qui na point servi les idoles. Jai donc ressemblé aux bêtes, en espérant de mon Dieu les biens terrestres; mais je ne me suis jamais séparée de mon Dieu. 30. Dès lors quelle ne sest point éloignée de Dieu, même en ressemblant à lanimal, elle ajoute : « Vous avez tenu la main de ma droite 4 ». Elle ne dit point Ma main droite, mais « la main de ma droite » ; si cest la main de la droite, la main a donc une main. « Vous avez tenu la main de ma droite », afin de me conduire. Que nous marque cette main? la puissance. Nous disons de quelquun quil tient dans sa main ce quil tient en son pouvoir. Cest ainsi que, en parlant de Job, le diable dit à Dieu : « Etendez votre main et ôtez-lui ce quil a ». Que signifie : « Etendez votre main? » Donnez-moi le pouvoir. La main de Dieu est donc la puissance de Dieu, selon quil est écrit ailleurs: « La mort et la vie sont dans les mains
1. Ps. LXXII, 21. 2. Ibid. 22. 3. Ibid. 23. 4. Ibid. 24. 5. Job. I, 11.
173
de la langue 1 ». La langue a-t-elle donc des mains? Que signifie alors: « Dans les mains de la langue », sinon au pouvoir de la langue? « Cest ta bouche qui te justifiera, et ta bouche qui te condamnera 2. Vous avez tenu la main de ma droite », ou la puissance de ma droite. Quelle était ma droite? «Je suis toujours avec vous ». Ma gauche était de ressembler au stupide animal, ou davoir en moi des convoitises terrestres, mais ma droite était dêtre toujours avec vous. Vous avez donc tenu la main de cette droite, ou plutôt vous en avez dirigé la puissance. Quelle puissance? « Il leur a donné la puissance de devenir les enfants de Dieu 3 ». Asaph commence dêtre parmi les enfants de Dieu, et appartient au Nouveau Testament. Vois comment Dieu a tenu la main de sa droite. « Vous mavez dirigé selon votre volonté ». Quest-ce à dire, « selon votre volonté? » Non point selon mes mérites. Quest-ce encore, « selon votre volonté? » Ecoute lApôtre qui eut comme lanimal des désirs terrestres, et qui vécut selon lAncien Testament: que dit-il? « Tout dabord, je fus un blasphémateur, un persécuteur, un véritable ennemi; mais jai obtenu miséricorde 4 ». Quest-ce encore, selon votre volonté? « Cest par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis 5. Et vous mavez reçu u avec gloire». Où mavez-vous reçu? et dans quelle gloire? Qui nous lexpliquera? qui nous le dira? Attendons cet honneur, qui doit nous arriver à la résurrection, au dernier jour. « Et vous mavez reçu avec gloire». 31. Le voilà qui commence à méditer le bonheur du ciel, à se reprocher davoir ressemblé à lanimal par ses désirs terrestres. « Quy a-t-il pour moi dans le ciel, et sans vous, quai-je désiré sur la terre 6?» Vous comprenez ces paroles, je lentends à ce bruit. Asaph compare à ses désirs terrestres, cette récompense du ciel quil doit recevoir, il a vu ce que Dieu lui réserve; alors il médite, et cette méditation lenflamme dun saint désir pour je ne sais quel bien ineffable que loeil na point vu, que loreille na point entendu, et qui nest pas entré dans le coeur de lhomme 7. Il ne dit pas : Cest tel ou tel bien que jai dans le ciel, mais: « Quy a-t-il au ciel
1. Prov. XVIII, 21. 2. Math. XII, 37. 3. Jean, I, 12. 4. I Tim. I, 13. 5. I Cor. XV, 10. 6. Ps. LXXII, 25. 7. I Cor. II, 9.
pour moi? » Quest-ce que je possède au ciel? Quest-ce que ce bien? Est-il grand? de quelle nature? Et comme ce bien du ciel ne doit point passer, « que puis-je désirer sur la terre, si ce nest vous? » Voilà que vous vous réservez à mon amour : (je mexplique, mes frères; comme je le puis; ayez de la condescendance pour moi, suppléez à mes efforts pour stimuler votre piété; il mest impossible de mexpliquer parfaitement.) Vous me réservez dans le ciel des biens impérissables, et cest vous-même. Et moi, je vous ai demandé, sur la terre, des biens que possèdent les impies, des richesses, de lor, de largent, des pierres précieuses, des esclaves, que possèdent les méchants, qui sont le partage des criminels, le partage de tant de scélérats, le partage de tant de femmes débauchées, le partage de tant dhommes souillés; voilà ce qui me paraissait considérable, et ce que je demandais à Dieu sur la terre, tandis que mon Dieu lui-même se réserve à moi dans le ciel. « Au ciel, quel est mon bien? » Ce bien, il peut maintenant le faire connaître. « Et que puis-je, après vous, désirer sur la terre? » 32. « Mon coeur et ma chair ont défailli, ô Dieu de mon coeur 1». Voilà donc ce qui mest réservé au ciel, « le Dieu de mon coeur, le Dieu qui est mon partage ». Eh quoi! mes frères? Cherchons les richesses dici-bas, que les hommes se choisissent un apanage. Voyez-les déchirés par toutes sortes de passions contraires; les uns choisissent lépée, les autres le barreau, ceux-ci les sciences diverses, ceux-là le négoce ou la culture des champs. Quils se fassent une part dans les choses dici-bas; mais que le peuple de Dieu sécrie: « Cest Dieu qui est mon partage », non pas mon partage pour un temps, mais « mon partage pour léternité ». Quand jaurai de lor éternellement, quest-ce que cela? Mais avoir Dieu, quand même ce ne serait pas éternellement, quel bien pour moi! Ajoutez que cest Dieu qui daigne se promettre à moi, et massurer que je le posséderai éternellement. Ineffable bien que je posséderai sans cesse! Indicible félicité! « Cest Dieu qui est mon partage ». Pour combien de temps? « Pour léternité ». Voyons, en effet, comment notre interlocuteur a aimé Dieu; il a châtié son coeur: « Cest le Dieu de mon coeur, cest
1. Ps. LXXII, 26.
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le Dieu qui est mon héritage pour léternité». Son coeur est donc chaste, il aime Dieu gratuitement sans lui demander dautre récompense. Demander à Dieu toute autre récompense que lui-même, et le servir dans ce dessein, cest estimer ce que lon demande plus que Dieu dont on lattend. Mais quoi ! Dieu na-t-il donc nulle récompense à nous donner? Aucune, si ce nest lui-même. La récompense de Dieu, est Dieu même. Voilà pour le Prophète lobjet de son amour, de ses transports: tout autre amour ne Serait plus un amour chaste. Loin de ce feu immortel, cest le froid, cest la corruption. Ne ten éloigne point, ô mon frère, tu aurais pour apanage la corruption, pour apanage la souillure. Asaph revient, il cède au repentir, il choisit la pénitence, il sécrie: « Dieu est mon partage ». Quelles délices pour lui dans ce partage quil a choisi! 33. « Voilà quils périront, ceux qui séloignent de vous 1 ». Celui-ci donc sétait « éloigné de Dieu, mais pas loin. « Je ressemble », dit-il, « au stupide animal, mais je suis toujours avec vous ». Les autres, au contraire, se sont retirés bien loin de Dieu; car non-seulement ils ont désiré les biens terrestres, mais ils les ont demandés aux mauvais anges et au diable. « Ceux qui séloignent de vous, périront ». Et quest-ce que séloigner de Dieu? « Vous perdrez, Seigneur, quiconque porte son amour à dautre quà vous». Lamour chaste est opposé à cette fornication spirituelle. Quest-ce que lamour chaste? Lamour de lâme pour Dieu son époux. Mais que désire-t-elle de cet époux quelle aime de toute sa flamme? Va-t-elle, comme les femmes de la terre, se choisir un homme pour gendre ou pour époux, et lui demander les richesses, comme si elle naimait que son or, ses campagnes, son argent, ses pierreries, ses cheveaux, ses esclaves, et le reste? Point du tout. Asaph naime que Dieu, il laime gratuitement parce quil trouve en lui toutes choses, et que cest par lui que tout a été fait 2. « Vous perdrez », dit-il, « tous ceux qui portent loin de vous leur amour ». 34. Mais toi, Prophète, que fais-tu? « Pour moi, il mest bon de mattacher au Seigneur 3 ». Cest là le comble des biens, Désires-tu mieux? Je te plains de ton désir. Mes frères, que
1. Ps. LXXII, 27. 2. Jean, I, 3. 3. Ps. LXXII, 28.
voulez-vous de plus? Le bien suprême est de nous attacher à Dieu, quand nous le verrons face à face 1. Et quel est le bien aujourdhui? Aujourdhui, que je parle en étranger, « mon bien est de mattacher à Dieu » ; mais comme je ne suis que voyageur, comme je nai pas encore atteint le but, « je mets en Dieu mon espérance ». Tant que tu nes pas encore attaché à Dieu, mets en lui ton espoir. Es-tu dans lagitation? Jette lancre sur la terre ferme. Adhère au Seigneur, sinon par la présence, du moins par lespoir. « Mon bien est de mettre en Dieu mon espérance ». Et quarrivera-t-il, si tu mets en Dieu ton espoir? Que devras-tu faire, sinon louer le Seigneur, et le faire bénir par les autres? Si tu étais partisan dun habile cocher, ne forcerais-tu pas les autres à laimer avec toi? Tout partisan dun cocher parle de lui partout sur son passage, il veut déterminer les autres à laimer aussi. On aime gratuitement des hommes flétris, et lon ne veut pas aimer Dieu sans récompense! Aimez donc le Seigneur gratuitement, et nenviez cet amour à personne. Emparez-vous de lui, vous tous qui le pouvez, vous tous qui devez le posséder. Il peut vous suffire, car il ne connaît point de limites; vous le posséderez tous tout entier, il est tout entier à chacun de vous. Que ce soit donc là ton occupation, ô mon frère, dans ton séjour ici-bas, mets ton espoir dans le Seigneur. Que dit ensuite le Prophète? « Afin que je publie toutes vos louanges, sous les portiques de la fille de Sion ». « Afin que je publie toutes vos louanges », dit le Prophète, mais où? « Sous les portiques de la fille de Sion » ; parce que lon prêche Dieu inutilement, en dehors de lEglise. Cest peu de louer Dieu, cest peu de publier toutes ses louanges. Il faut le prêcher « sous les portiques de la fille de Sion ». Cherche lunité de lEglise, et ne jette point le schisme parmi les peuples, porte-les à lunité, nen fais quun seul corps. Jai oublié depuis quel temps je vous parle. Notre psaume est fini; la sueur me fait conjecturer que jai parlé bien longtemps: mais il mest difficile de vous satisfaire; vous me faites violence, et puissiez-vous par cette violence ravir le ciel!
1. I Cor. XIII, 12.
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