PSAUME XLVII
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DISCOURS SUR LE PSAUME XLVII.

SERMON AU PEUPLE.

ÉTABLISSEMENT DE L’ÉGLISE.

 

Ce psaume est pour le deuxième jour de la semaine, celui où fut formé le firmament par Jésus-Christ ressuscité. Ce firmament est l’image de 1’Eglise, qui est la cité du grand roi, la montagne sainte sur laquelle Dieu exauce nos prières, et qui remplit le monde entier; Elle est un seul édifice formé néanmoins de la circoncision et de la gentilité, deux murailles unies par le Christ, qui est la pierre de l’angle. La gentilité, figurée par l’aquilon, dépose son orgueil, vient avec ses rois recevoir la grâce. Mélange des bons et des méchants; les bons sont le froment parfois recouvert de paille. La force de Sion, c’est la charité qui nous fait proclamer Jésus-Christ comme notre Dieu.

 

1. Ce psaume a pour titre : « Cantique à la louange des fils de Coré, pour le second jour de la semaine 1» . Ecoutez, comme les enfants du ciel, ce que le Seigneur voudra bien me suggérer à ce sujet. Ce fut le second jour de semaine, ou le lendemain du jour que nous appelons Dimanche, et que l’on appelle encore tonde férie, que fut créé le firmament du ciel, ou plutôt le firmament qui est le ciel. Car Dieu donna au ciel le nom de firmament 2. Le premier jour il avait fait la lumière qu’il avait séparée des ténèbres; il avait appelé la lumière jour, et les ténèbres nuit. Or, comme l’indique le contexte du psaume, Dieu nous marqué dans cet ouvrage quelque chose qui sait s’accomplir en nous ; et les siècles se sont écoulés sur le modèle de cette création. n’est point en effet sans raison que le Seigneur a dit de Moïse : « C’est de moi qu’il a écrit 3 », puisque toutes les Ecritures, même celles qui regardent la création, peuvent être envisagées comme une prophétie de l’avenir; et qu’ainsi la création de la lumière annonçait la résurrection du Christ. Car alors la lumière fut vraiment séparée des ténèbres, quand l’immortalité se dégagea des liens, de mort. Quelle devait en être la conséquence, sinon qu’il se formât pour ce chef un corps qui est l’Eglise ? Enfin, il y a aussi un autre psaume, pour le premier jour du Sabbat, et qui annonce clairement la résurrection du Seigneur. Car on y lit : « Princes, ouvrez vos portes; élevez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera 1 ». N’est-il pas visible que ce Roi de gloire est le Christ? Lui dont

 

1. Ps. XLVII,1.— 2. Gen. I, 3-8.— 3. Jean, V, 46.— 4. Ps. XXLIII, 7, 9..

 

saint Paul a dit: « S’ils eussent connu le Roi de gloire, ils ne l’eussent jamais crucifié 1 ». Donc par le second jour de la semaine il nous est impossible d’entendre autre chose que l’Eglise du Christ; mais l’Eglise du Christ dans les saints, l’Eglise du Christ dans ceux dont les noms sont écrits au ciel, 1’Eglise du Christ dans ceux qui ne cèdent point aux tentations de ce monde. Car ceux-là méritent de s’appeler firmament. C’est donc l’Eglise du Christ qui est appelée firmament, dans ceux qui sont forts et dont l’Apôtre a dit : « Nous devons, nous qui sommes plus forts, supporter les faiblesses des infirmes 2 ». C’est de ce firmament qu’il est parlé dans ce Psaume. Ecoutons-le, comprenons-le, associons-nous à la gloire et au règne qu’il célèbre. Aussi voyons-nous que tette Eglise est appelée un firmament dans les lettres de l’Apôtre; écoutons et voyons: « Elle est », dit-il, « l’Eglise de Dieu, la colonne et le firmament de la vérité 3 ». C’est de ce firmament que notre psaume entretient les fils de Coré, que vous savez déjà être les fils de 1’Epoux crucifié au Calvaire 4  ; car Coré signifie Chauve. Voici donc la suite du psaume intitulé: « Le second jour de la semaine ».

2. « Le Seigneur est grand et digne de nos louanges 5 ». Oui, « le Seigneur est grand, il est souverainement louable »; mais est-il béni parles infidèles? Est-il béni par ceux qui le connaissent et qui néanmoins vivent dans le désordre, qui sont pour le nom du Seigneur une cause de blasphème parmi les nations 6?

 

1. Cor. II, 5. — 2. Rom. XV, 1. — 3. I Tim. III, 15.— 4. Matt. XXVII, 33. — 5. Ps. XLVII, 2. — 6. Isa. LII, 5; Rom, II, 24.

 

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Ceux-là bénissent-ils Dieu ? Quand même ils le béniraient, leurs bénédictions seraient-elles acceptées, puisqu’il est écrit: « La louange n’est pas bonne dans la bouche d’un pécheur 1 ? » Tu nous dis donc, ô saint Prophète : « Le Seigneur est grand et souverainement digne de nos louanges ». Mais dis-nous, en quel endroit le faut-il bénir? « Dans la cité de notre Dieu, sur la montagne sainte ». Il est dit ailleurs à propos de cette montagne : « Qui s’élèvera sur la montagne du Seigneur? L’homme au coeur pur, aux mains innocentes 2 ». C’est pour eux que « le Seigneur est grand et souverainement louable »; et encore : « Dans la cité de notre Dieu, sur la montagne sainte ». Telle est la cité placée sur la montagne et qui ne peut être cachée 3. Tel est le flambeau que l’on ne cache point sous le boisseau, que chacun connaît, qui brille partout. Mais tous ne sont pas citoyens de cette ville ; il n’y a que ceux pour qui « le Seigneur est grand et souverainement louable ». Voyons quelle est cette cité ; et comme il est dit : « Dans la cité de notre Dieu, sur la montagne sainte », peut-être devons-nous rechercher aussi cette montagne où Dieu exauce nos prières. Car ce n’est probablement pas sans raison qu’il est dit dans un autre psaume : « Ma voix s’est élevée jusqu’à Dieu, et il m’a exaucé du haut de la montagne sainte 4 ». Cette montagne a contribué à te faire exaucer. Car si tu n’y étais monté, tu aurais pu crier d’en bas, mais non être exaucé. Quelle est donc cette montagne, mes frères? Il faut la rechercher avec soin, avec la plus vive attention; il faut des efforts pour s’en emparer et y monter. Mais que faire si elle n’occupe qu’un lieu dans le monde? Faudra-t-il quitter la patrie pour arriver à cette montagne? Au contraire, ne pas l’habiter, c’est être hors de notre patrie. Car c’est bien elle qui est notre cité, si nous sommes les membres de ce roi qui est le chef de la cité. Où donc est cette montagne? Si elle occupait une seule partie du monde, il nous faudrait tout entreprendre pour y arriver. Mais à quoi bon te tourmenter? Plaise à Dieu que tu ne mettes pas plus de lenteur pour aller à cette montagne qu’elle n’en a mis à venir t’éveiller. Il y eut en effet une pierre angulaire méprisée par les Juifs 5, qui s’y

 

1. Eccl. XV, 9.— 2. Ps. XXIII, 3.— 3. Matt. V, 15, 15.— 4. Ps. III, 5. —     5. Rom. IX, 32.

 

heurtèrent, détachée d’une certaine montagne sans la main d’un homme 1, c’est-à-dire détachée du royaume des Juifs, et qui vint sans la main d’un homme, parce que nul homme n’eut part à cet enfantement de Marie qui mit au monde Jésus-Christ 2. Mais si cette pierre était demeurée à l’endroit où les Juifs la heurtèrent 3, tu n’aurais rien où tu puisses monter. Qu’est-il donc arrivé? Que dit la prophétie de Daniel? sinon que cette pierre a grandi et qu’elle est devenue une grande montagne? Combien grande? jusqu’à remplir toute la terre 4. Donc, cette montagne en grandissant, jusqu’à embrasser toute la terre, est venue jusqu’à nous. A quoi bon dès lors chercher cette montagne comme si elle était loin de nous, et ne pas y monter puisqu’elle est sous nos yeux, afin que pour nous aussi, « le Seigneur soit grand et souverainement louable? »

3. Et même afin que tu ne puisses méconnaître la montagne dont parle notre psaume, et que tu ne croies devoir la chercher en quelque lieu de la terre, écoute la suite. Après avoir dit : « Dans la cité de notre Dieu, sur la montagne sainte », qu’ajoute le Psalmiste ? « Vous étendez les montagnes de Sion qui sont la joie de la terre entière 5 ». Il n’y a qu’une seule montagne de Sion: pourquoi est-il dit : « Les montagnes? » Serait-ce parce que ceux-là aussi appartiennent à Sion, qui sont venus d’un côté différent, de manière à se rencontrer dans la pierre de l’angle, et à former deux murs, comme deux montagnes dont l’une viendrait des circoncis, l’autre des incirconcis, l’une des Juifs, l’autre des Gentils, et qui dès lors ne sont plus séparés? S’il y a une divergence parce qu’ils viennent de directions différentes, ils ne sont plus différents dans l’angle qui les unit. « C’est lui », dit l’Apôtre, « qui est notre paix, c’est lui qui de deux peuples n’en fait qu’un ; c’est là cette pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, et qui est devenue la pierre angulaire ». Cette montagne a réuni en elle deux montagnes. C’est un seul édifice, et il y a pourtant deux édifices : deux à cause des deux peuples qui viennent de deux directions différentes, un seul à cause de la pierre angulaire qui les unit. Ecoute ceci encore : «Les montagnes de Sion, les flancs de l’Aquilon, sont la cité du

 

1. Dan. II, 34.— 2. Matt. I, 16 ; Luc, I, 34, II, 7.—3. Rom. IX, 32.— 4. Dan. II, 35.— 5. Ps. XLVII, 3.— 6. Eph. II, 14.— 7. Ps. CXVII, 22.

 

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grand roi ». Au nom de Sion, tu te figurais cet unique endroit de la terre où est bâtie Jérusalem, et tu n’y rencontrais qu’un peuple circoncis, et dont Jésus-Christ n’a recueilli que les restes, la plus grande partie ayant été chassée par le vent comme la paille. Il est écrit en effet : « Les restes seront sauvés 1». Mais jette les yeux sur les Gentils, et vois l’olivier sauvage greffé sur l’olivier franc 2, dont il boit la sève. Les Gentils sont donc « ces flancs de l’Aquilon » ajoutés au palais du grand Roi. L’Aquilon est ordinairement opposé à Sion, car Sion est au midi, et l’Aquilon est l’opposé du midi. Quel est cet Aquilon, sinon celui qui a dit: « J’établirai mon trône du côté de l’Aquilon, et je serai semblable au Très-Haut 3? » C’était jadis l’empire de Satan, qui régnait sur les Gentils adonnés à l’idolâtrie et au culte des démons. Or, tout ce qu’il y avait d’hommes dans l’univers entier, s’étant attaché à lui, était devenu Aquilon. gais comme celui qui peut enchaîner le fort, lui enlève aussi ses dépouilles 4, et se les approprie, les hommes délivrés de l’infidélité et du culte superstitieux des démons, ont cru au Christ et sont entrés dans la structure de cette ville, et ils se sont rencontrés, à l’angle, avec cette muraille qui venait de la circoncision, et ces flancs de l’aquilon sont devenus la cité du grand Roi. Aussi est-il dit dans un autre endroit de l’Ecriture : « Les nuées aux reflets d’or viennent de l’Aquilon, c’est en elles que le Tout-Puissant fait consister son honneur et sa gloire  5». La convalescence d’un malade désespéré fait la gloire du médecin. Les nuées de l’Aquilon ne sont point noires, ni ténébreuses, ni obscures, mais elles ont des reflets d’or. D’où vient cela, sinon de la grâce qui les éclaire par le Christ? Voilà « les flancs de l’Aquilon devenus la cité du grand Roi ». Ils sont bien des flancs, puisqu’ils avaient adhéré au démon. On dit en effet de ceux qui s’attachent à quelqu’un qu’ils sont toujours à ses côtés. Souvent encore, à propos de quelques hommes, nous disons: Il est honnête homme et pourtant mal flanqué; c’est-à-dire, il a de la probité, mais ceux qui l’accompagnent sont mauvais. Donc les flancs de l’Aquilon désignent ceux qui adhéraient au diable; c’est de là que revenait celui dont nous entendions tout à l’heure l’histoire, qui était mort et qui

 

1. Rom. IX, 27.— 2. Id. XI, 17.— 3. Isa. XIV,  13, 14. — 4. Matt. XII, 29. — 5. Job, XXXVII, 22.

 

 

ressuscita, qui était perdu et qui fut retrouvé 1. Il s’en était allé dans une région lointaine, était arrivé jusqu’à l’Aquilon, et là, comme vous l’avez entendu, s’était attaché à un prince de ces contrées. Il devint donc un flanc de l’Aquilon en s’attachant à ce prince de ces contrées; mais comme la cité du grand Roi se peuple des flancs de l’Aquilon, il rentra en lui-même et dit : « Je me lèverai et j’irai à mon Père 2 ». Alors, accourant au-devant de lui, il s’écria: « Il était mort, il est ressuscité; il était perdu et je l’ai retrouvé ». Le veau gras devint la pierre angulaire 3. Enfin, le fils aîné, qui ne voulait prendre aucune part au festin, entra sur les instances de son père : et ainsi ces deux murailles, comme ces deux fils, arrivèrent au veau gras et formèrent la cité du grand Roi.

4. Continuons donc le psaume et disons : « Dieu sera connu dans ses demeures 4». Dans ses demeures, est-il dit, à cause des montagnes, à cause des deux murailles, à cause des deux fils. « Le Seigneur sera connu dans ses palais ». Mais le Prophète ajoute à l’instant, pour nous prêcher la grâce : « Quand il en prendra la garde ». Que deviendrait en effet la cité, si Dieu ne la gardait? Ne s’écroulerait-elle pas à l’instant, si elle n’avait tin tel fondement? Car nul ne peut en poser d’autre que celui qui a été posé et qui est Jésus-Christ 5, « Que nul donc ne se prévale de ses mérites, mais que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur »; puisque cette ville n’est grande, et que le Seigneur n’est en elle qu’à la condition qu’il en prendra la garde: comme un médecin prend un malade pour le guérir, et non pour l’aimer tel qu’il est. Le médecin, en effet, n’aime pas la fièvre. Il n’aime pas le malade non plus, et néanmoins il l’aime. S’il aimait le malade, il le souhaiterait toujours en cet état, et s’il n’aimait le malade, il ne viendrait pas le visiter; il aime donc le malade afin de le guérir. Le Seigneur a donc pris cette cité sous sa garde, et il s’y est fait connaître, c’est-à-dire que sa grâce y a été connue; car tous les privilèges de cette ville qui se glorifie en Dieu, elle ne les tient pas d’elle-même. De là vient cette parole qui lui est adressée : « Qu’avez vous que vous n’ayez reçu? Mais si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier comme si vous

 

1. Luc, XV, 32.— 2. Id. 18.— 3. Eph. II, 20.— 4. Ps. XLVII, 4.— 5. I Cor. III, 11. — 6. Id. I, 31.

 

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« n’aviez pas reçu 1? » « Le Seigneur sera donc connu dans les demeures de cette ville, quand il l’aura prise sous sa garde ».

5. « Car voilà que les rois de la terre se sont rassemblés 2 ». Voyez comme viennent ces flancs de l’Aquilon, voyez comme ils disent: « Venez, allons à la montagne du Seigneur;  car il nous a fait connaître ses voies, afin que nous y marchions 3. Voilà que les rois de la terre se sont rassemblés, ils se sont réunis dans l’unité». Où donc se sont-ils réunis dans l’unité, sinon en celui qui est la pierre angulaire 4? « Eux-mêmes à cette vue ont été dans l’admiration ». Après qu’ils ont admiré les miracles et la gloire du Christ, qu’est-il arrivé? « Ils ont été dans la stupéfaction, dans le trouble, saisis de crainte 5». D’où leur venait cette crainte, sinon du remords de leurs péchés? Que les rois courent donc après ce roi, que les potentats le reconnaissent pour maître. Aussi est-il dit ailleurs: « Pour moi, j’ai été établi roi dans Sion, sur la montagne sainte, pour prêcher la loi du Seigneur; le Seigneur m’a dit : Tu es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, et ton domaine s’étendra jusqu’aux confins de la terre; tu les gouverneras avec un sceptre de fer, tu les briseras comme un vase d’argile 6 ». Le roi établi dans Sion a été entendu, et il a reçu en héritage les confins de la terre. Les rois ont-ils donc à redouter de perdre leur domination, de se la voir enlever, comme le craignit ce misérable Hérode, qui, pour tuer un petit enfant, en fit mourir tant d’autres 7? Il craignait de perdre la royauté, et il ne mérita point de connaître le roi. Hélas! que n’adorait-il ce roi avec les Mages! la malheureuse passion de régner ne lui eût pas fait égorger tant d’innocents pour mourir si coupable. Sa part, en effet, fut d’égorger des innocents, et le Christ, nonobstant son jeune âge, couronna ces enfants qui mouraient pour lui. Il y avait donc de quoi trembler pour les rois, quand le Christ disait: « Pour moi, j’ai été établi roi par lui », et celui qui m’a sacré roi me donnera pour héritage les confins de la terre. Pourquoi, ô rois, porter envie à ce roi? Voyez-le, mais sans envie. Car il est bien différent des autres, celui qui a dit: « Mon royaume n’est pas de

 

1. I Cor. IV, 7.— 2. Ps. XLVII, 5.— 3. Isa. II, 3. — 4. Eph. II, 20. — 5. Ps. XLVII, 6,7. — 6. Id II, 16-9. — 7. Matt. II, 3.

 

ce monde 1 ». Ne craignez donc point qu’il vous ôte un royaume temporel, il vous donnera au contraire un royaume, mais dans les cieux, dont il est le Roi. Quelle est donc la suite du psaume? « Et maintenant, ô rois, comprenez ». Déjà s’aiguisait votre envie: « Comprenez » qu’il s’agit d’un roi tout différent, dont le royaume n’est point d’ici-bas. C’est donc à bon droit que les rois de la terre se sont rassemblés, se sont troublés, ont été saisis de crainte ». De là vient qu’on leur dit: « Maintenant, ô rois, comprenez, instruisez-vous, juges de la terre 2 », Et qu’ont-ils fait? « Ils ont ressenti des douleurs comme celles de l’enfantement ». Quelles sont « ces douleurs comme celles de l’enfantement », sinon les douleurs de la pénitence? Voyez encore ces douleurs, ce travail de l’enfantement : « Votre crainte, ô Dieu », s’écrie lsaïe, « nous a fait concevoir et enfanter l’esprit de salut 3 », Ainsi conçurent les rois, dans la

crainte que leur inspira le Christ, et ils enfantèrent le salut en s’attachant par la foi à celui

qu’ils redoutaient. « Là donc sont des douleurs comme celles de l’enfantement ». Quand on parle d’enfantement, espérez un fruit. Le vieil homme a enfanté, et il en est résulté l’homme nouveau. « Là sont des douleurs comme celles de l’enfantement ».

6. « D’un souffle tempêtueux vous briserez les vaisseaux de Tharsis 4 ». C’est-à-dire, en un mot, vous renverserez l’orgueil des Gentils. Mais quel est dans cette histoire le fait qui marquerait en figure la chute de l’orgueil des nations? A cause « des vaisseaux de Tharsis ». Les savants ont cherché quelle était cette ville de Tharsis, c’est-à-dire quelle ville pouvait être ainsi désignée. Les uns ont cru que la Cilicie était désignée sous le nom de Tharsis, à cause de Tharse, qui en est la métropole. C’était la patrie de l’apôtre saint Paul, né à Tharse en Cilicie 5. D’autres y ont vu Carthage, qui aurait peut-être jadis porté ce nom, ou que désignerait quelque expression semblable. Dans le prophète Isaïe on trouve en effet: « Hurlez, vaisseaux de Carthage 6 ». Un même endroit d’Ezéchiel est traduit, Carthage par les uns et Tharsis par les autres 7 : cette variante chez les interprètes pourrait bien nous faire croire que cette ville appelée Carthage

 

1. Jean , XVIII, 36.— 2. Ps. II, 10, 11. — 3. Isa. XXVI, 18.— 4. Ps. XLVII, 8.— 5. Act. XXI, 39.— 6. Isa. XXIII, 1, selon les LXX.— 7. Ézéch. XXXVIII, 13, selon les LXX.

 

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est appelée ici Tharsis. On sait en effet que Carthage, à son origine, était florissante en vaisseaux, et tellement florissante qu’elle était célèbre chez tous les peuples par son commerce et sa navigation. Car Didon, fuyant son frère et abordant ces côtes d’Afrique, où elle bâtit Carthage, avait enlevé, du consentement des principaux du pays, tous les vaisseaux qui mouillaient près de Tyr pour le commerce. Depuis son origine, Carthage n’a jamais manqué de vaisseaux pour le négoce. De là l’orgueil de cette cité; en sorte que, sous la figure de ses vaisseaux, on peut voir l’orgueil des nations, qui fondent leur espoir sur des choses inconstantes comme le souffle des vents. Ne mettons donc point notre confiance dans nos voiles nombreuses, ni dans la prospérité du siècle, houleux comme la mer; que notre point d’appui soit dans Sion, où nous pourrons être solidement établis, et non plus exposés à tout vent de doctrine 1. Que tous ceux alors que les biens de cette vie enflaient d’orgueil soient renversés, et que tout orgueil des Gentils soit soumis au Christ, « qui doit briser d’un souffle impétueux les vaisseaux de Tharsis », non pas d’une ville quelconque, mais de Tharsis. Pourquoi « d’un souffle impétueux? » C’est-à-dire, par une grande crainte. Tout orgueil, en effet, a redouté le jugement du Christ, au point de croire en lui avec humilité, pour ne plus craindre sa gloire.

7. « Ce qui nous était annoncé, nous le voyons dans la cité de Dieu 2 ». O bienheureuse Eglise, un jour tu as entendu, un autre jour tu as vu. Elle a entendu les promesses, elle en voit l’accomplissement; elle a entendu les Prophètes, elle voit l’Evangile. Tout ce qui s’accomplit aujourd’hui a été prophétisé. Elève donc les yeux, tourne tes regards dans le monde entier et vois ses possessions s’étendre jusqu’aux confins de la terre; vois s’accomplir cette prophétie : « Tous les rois de la terre se prosterneront devant lui, tous les peuples le serviront 3 ». Vois comme s’est accomplie cette parole: « Elevez-vous, ô Dieu, par-dessus les cieux, et que votre gloire s’étende par toute la terre 4 ». Contemple donc celui dont les mains et les pieds furent  percés par des clous, dont on a pu compter les os lorsqu’il pendait à la croix, dont la robe

 

1. Eph. IV, 14. — 2. Ps. XLVII, 9. — 3. Id. LXXI, 11. — 4. Id. CVII, 6.

 

fut tirée au sort 1 : vois dans sa royauté celui qu’ils ont vu pendu à la croix; vois siéger dans les cieux celui qu’ils ont méprisé quand il marchait sur la terre. Vois dès lors s’accomplir cette parole : « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui, toutes les nations du monde se prosterneront devant lui 2 ». A cette vue tu n’as plus qu’à t’écrier : « Ce qui était annoncé, nous le voyons ». C’est avec raison que l’Eglise est ainsi appelée du milieu des Gentils : « Ecoute, ô ma fille, et vois; oublie ton peuple et la maison de ton père 3». Ton père était jadis l’Aquilon, viens à Sion, à la montagne sainte. Ecoute et vois non pas vois et écoute, mais écoute et vois d’abord écoute, et vois ensuite. Vous écoutez d’abord ce que vous ne voyez pas, et ensuite vous verrez ce que vous aurez entendu. « Un  peuple qui m’était inconnu m’a servi », dit le Prophète, « il m’a écouté lorsqu’il m’a entendu parler ». S’il s’est rendu parce qu’il a entendu, il n’avait donc point vu. Que deviendrait cette parole : « Ceux à qui il n’avait pas été annoncé verront sa lumière, et ceux qui n’ont rien ouï de lui le comprendront?» Ceux à qui les Prophètes n’ont pas été envoyés, ont été les premiers à écouter et à comprendre les Prophètes; ceux qui d’abord ne les avaient pas entendus, les ont écoutés ensuite avec admiration. Mais ceux à qui les Prophètes étaient envoyés sont demeurés en arrière, portant nos livres, n’en comprenant pas la vérité. Ils avaient les tables du Testament et n’en ont point l’héritage. Pour nous, «ce qui nous a été annoncé, nous le voyons,  dans la cité du Dieu des armées, dans la cité de notre Dieu ». C’est là que nous avons entendu, là aussi que nous avons vu. Quiconque est au dehors ne peut entendre ni voir; quiconque est dans cette ville n’est ni sourd ni aveugle: « Comme nous avons entendu, ainsi nous avons vu». Où donc as-tu entendu? Où as-tu vu? « Dans la cité du Dieu des vertus, dans la cité de nôtre Dieu. Le Seigneur l’a fondée pour l’éternité ». Qu’ils ne viennent point nous insulter, ces hérétiques divisés par provinces ; qu’ils ne s’élèvent point, en disant: « Le Christ est ici ou il est là 4! » Nous dire que le Christ est ici ou qu’il est là, c’est nous porter à la division.

 

1. Matt. XXVII, 35. — 2. Ps. XXI, 28. — 3. Id. XLIV, 1l. — Matt. XXIV, 23.

 

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Dieu nous a promis l’unité : les rois ont été rassemblés dans l’unité et non divisés par le schisme. Cette cité qui embrasse le monde entier sera peut-être détruite un jour? Point du tout. « Dieu l’a fondée pour l’éternité ». Si donc c’est pour l’éternité que Dieu l’a fondée, pourquoi redouter que le fondement soit renversé?

8. « Grand Dieu ! nous avons senti votre miséricorde au milieu de votre peuple 1 ». Qui donc a ressenti cette miséricorde, et où l’a-t-il ressentie? N’est-ce point votre peuple, ô Dieu, qui a ressenti votre miséricorde, et comment « l’avons-nous ressentie au milieu de votre peuple? » comme si autres étaient ceux qui l’ont ressentie, et autres ceux au milieu desquels ils l’ont ressentie. C’est là, mes frères, un grand symbole, que vous connaissez pourtant; et quand nous aurons dégagé d’ici, ou de ces versets, ce que vous connaissez, il n’en sera pas plus obscur, mais plus doux. En cette vie on range dans le peuple de Dieu tous ceux qui participent à ses sacrements, quoique tous n’aient point la même part à sa miséricorde. Tous ceux qui reçoivent le sacrement de baptême, sont appelés chrétiens, mais tous ne vivent pas d’une manière digne de ce sacrement. Car il est plusieurs dont l’Apôtre a dit « qu’ils ont l’apparence de la piété, sans en avoir la réalité 2 ». Néanmoins celte apparence de piété leur donne un rang dans le peuple de Dieu, de même que, quand on bat le grain dans l’aire, la paille y tient une place comme le froment. Mais aura-t-elle aussi sa place dans le grenier? C’est au milieu de ce peuple mauvais qu’habite le peuple de Dieu qui a ressenti les effets de sa miséricorde. Il vit d’une manière digne de cette miséricorde, car il écoute, il retient, il pratique ce conseil de saint Paul : « Nous vous enjoignons et vous conjurons de ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu 3 ». Celui-là donc reçoit tout à la fois le sacrement et la miséricorde de Dieu, qui ne reçoit pas en vain la grâce de Dieu. Est-ce alors un obstacle pour lui d’habiter au milieu d’un peuple insubordonné, jusqu’à ce que le van passe dans l’aire, et que les bons soient séparés des méchants? Est-ce un obstacle d’habiter chez ces peuples? Qu’il s’efforce d’être de ceux qui sont appelés firmament en recevant la divine miséricorde, qu’il soit un lis au milieu des

 

1. Ps. XLVII, 10.— 2. II Tim. III, 5».— 3. II Cor. VI, 1.

 

épines. Car veux-tu comprendre que les épines elles-mêmes appartiennent au royaume de Dieu? Voici une comparaison : « Comme le lis », dit l’Ecriture, « est au milieu des épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu des filles 1 ». Est-il dit au milieu des étrangères? Non, mais au milieu des filles. Il y a donc des filles qui sont mauvaises et il y en a d’autres qui sont parmi elles comme des lis au milieu des épines. Donc ceux qui ont part aux sacrements, sans mener une vie pure, sont appelés enfants de Dieu sans être enfants de Dieu : on dit qu’ils sont à lui et ils lui sont étrangers; à lui à cause du sacrement; étrangers à cause de leurs vices. Il en est de même des filles étrangères : elles sont filles à cause de leur piété apparente, étrangères parce qu’elles ont perdu la vertu. Que le lis y habite aussi, qu’il y reçoive la divine miséricorde, qu’il conserve la racine d’une belle fleur, et ne se montre pas ingrat envers la douce rosée qui tombera du ciel. Que les épines soient ingrates et croissent par ces pluies; elles croissent pour le feu, et non pour le grenier. « Grand Dieu! nous avons reçu votre miséricorde au milieu de votre peuple ». Oui, au milieu de ce peuple insensible à votre miséricorde, nous avons reçu votre miséricorde. « Le Christ est venu en effet chez les siens, et les siens ne l’ont point reçu ». Mais « à tous ceux qui l’ont reçu » au milieu du peuple, « il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu 2».

9. Mais ici tout homme qui réfléchit se demande: Quoi donc? Ce peuple qui, au milieu du peuple de Dieu, reçoit la divine miséricorde, est-il bien nombreux? Hélas, qu’il est en petit nombre ! c’est à peine si l’on en trouve quelques-uns : et Dieu se contentera-t-il de si peu, et perdra-t-il le grand nombre? Ainsi parlent ceux qui se promettent ce qu’ils n’ont pas entendu promettre par le Seigneur. Est-il vrai que si nous vivons dans le désordre, si nous jouissons des plaisirs du monde, si nous donnons satisfaction à nos convoitises, Dieu nous perdra? Combien en trouvera-t-on pour gar. der les commandements de Dieu? A peine en trouverez-vous un ou deux, bien peu du moins. Dieu ne doit-il sauver que ceux-là, et damner les autres ? Point du tout, nous dit-on, mais quand il viendra, et qu’il verra une si grande foule à sa gauche, il en aura pitié et pardonnera tout. C’est bien là ce que promit le

 

1. Cant. 11,2. — 2. Jean, I, II, 12.

 

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serpent au premier homme : Dieu l’avait menacé de la mort, s’il touchait au fruit défendu 1; « Point du tout », dit le serpent, « vous ne mourrez point 2 ». Nos premiers parents crurent le serpent, et virent que la menace de Dieu était vraie, que la promesse du diable était fausse. Ainsi en est-il aujourd’hui, mes frères; figurez-vous l’Eglise comme un paradis terrestre où le serpent ne cesse de suggérer ce qu’il suggérait alors. Toutefois la chute premier homme doit être pour nous un préservatif de chute et non un modèle de péché. Adam est tombé pour que nous nous relevions. A ses suggestions faisons constamment la réponse de Job. Car le démon le tenta par la femme, comme par une nouvelle Eve; et l’homme vaincu dans le paradis, fut vainqueur sur le fumier 3. Loin de nous d’écouter ses dires et de croire qu’il y ait si peu de justes; il y en a beaucoup, mais ils sont cachés dans un plus grand nombre. Nous ne pouvons le nier, les méchants, sont en plus grand nombre, et tellement en plus grand nombre, que les bons n’apparaissent au milieu d’eux, que comme le bon grain dans l’aire. Quiconque en effet jette un regard dans l’aire, pourrait croire qu’il n’y a que de la paille. Que l’on y fasse entrer un homme peu connaisseur, il croira que c’est inutilement qu’on y introduit les boeufs, et que des hommes supportent la chaleur du jour, pour briser la paille; et néanmoins il y a là une masse de bons grains, que le van doit séparer de la paille. Alors on verra cet amas de blé se dégager de la paille qui l’enveloppait. Et dès maintenant, voulez-vous connaître de bons chrétiens? soyez bons et vous en trouverez.

10. Vois ce que notre psaume oppose à ce désespoir. Après avoir dit : « Nous avons ressenti, ô Dieu, votre miséricorde, au milieu de votre peuple », il nous montre que c’est au milieu de ce peuple insensible à la divine miséricorde , que plusieurs ressentent les effets de cette miséricorde : et pour empêcher qu’on ne regardât ce nombre comme tellement petit qu’il deviendrait nul, en quels termes le Prophète va-t-il nous consoler? « Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre louange se répandra jusqu’aux confins de la terre 4 ». Qu’est-ce à dire? « Le Seigneur est grand, et infiniment digne de louanges, dans la cité de notre Dieu, sur sa montagne sainte »;

 

1. Gen. II, 17. — 2. Id. III, 4. — 3. Job, II, 8.10.— 4. Ps. XLVII, 11.

 

or, il ne peut être loué que par ses saints. Car ceux qui vivent dans le désordre ne le louent point ; mais ils ne le prêchent de bouche, que pour le blasphémer par leur vie. Si donc il m’y a que les saints pour louer Dieu, que les hérétiques ne se disent point à eux-mêmes : C’est chez nous que subsiste encore la louange, parce que nous sommes peu nombreux, que nous vivons loin de la foule, et dans la justice, que nous bénissons Dieu, non-seulement par nos paroles, mais aussi par notre vie. On leur répond par le même psaume : Pourquoi dire que vous bénissez dans une partie du monde ce Dieu auquel il est dit: « Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre louange se répandra jusqu’aux confins de la terre? » c’est-à-dire, de même que vous êtes connu dans toute la terre, ainsi vous y êtes béni; et c’est vous louer que vivre dans la piété. « Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre louange est répandue », non point dans une partie de la terre, mais « dans toute la terre ». « Votre droite est pleine de justice », c’est-à-dire, ils sont nombreux, ceux qui se tiendront à votre droite. Et non-seulement ils seront nombreux ceux qui sont à votre gauche, mais la masse du bon grain qui sera à votre droite formera aussi une plénitude 1 : « Votre droite est pleine de justice ».

11. « Que la montagne de Sion soit dans la joie, et les filles de Juda dans l’allégresse, à la vue de vos jugements, ô mon Dieu ». O montagne de Sion, ô filles de Juda, vous souffrez aujourd’hui au milieu de l’ivraie, au milieu de la paille, au milieu des épines; mais tressaillez à cause des jugements de Dieu. Votre Dieu ne peut errer dans ses jugements. Que votre vie vous sépare des méchants, si votre naissance vous a jetées au milieu d’eux; ce n’est pas en vain que vous avez chanté de la voix et du coeur: « Ne perdez pas mon âme avec les impies, ni ma vie avec les hommes de sang 2 ». Le souverain Créateur viendra faire le discernement, il viendra le van à la main afin de ne laisser ni tomber un grain de blé dans la paille destinée au feu, ni passer la moindre paille avec le froment destiné au grenier céleste 3. Tressaillez donc, filles de Sion, à la vue des infaillibles jugements du Seigneur, et gardez-vous de juger témérairement. A vous de recueillir, à Dieu de séparer. « Que la montagne de Sion

 

1. Matt. XXV, 33. — 2. Ps. XXV, 9. — 3. Matt. III, 12.

 

soit dans la joie, et les filles de Juda dans l’allégresse, à cause de vos jugements, ô mon Dieu ». Par ces filles de Juda, gardez-vous d’entendre les Juifs, Juda signifie confession.

Tous les fils de la confession sont les fils de Juda : et le salut qui vient des Juifs n’est

autre que le Christ issu des Juifs 1. Voilà ce que dit l’Apôtre : « Car le juif n’est pas celui qui l’est au dehors, et la circoncision n’est pas celle qui se fait sur la chair, qui est extérieure ; mais le juif est celui qui l’est intérieurement; et la circoncision du coeur se fait par l’esprit, et non par la lettre; et ce juif tire sa gloire non des hommes, mais de Dieu 2 ». Sois juif de cette manière: glorifie-toi de la circoncision du coeur, quoique tu n’aies pas celle de la chair. « Que les filles de Sion tressaillent à cause de vos jugements, ô mon Dieu »

12. « Environnez Sion, embrassez son enceinte 3 ». Que l’on dise à ceux dont la vie est un désordre, et au milieu desquels se trouve le peuple qui a reçu la divine miséricorde: Il y a au milieu de vous un peuple dont la vie est sainte. « Environnez Sion ». Mais comment? « Embrassez son enceinte » ; embrassez-la, non par le scandale, mais par la charité, afin d’imiter ceux qui mènent au milieu de vous une vie sainte, et par cette imitation d’être incorporés au Christ dont ils sont les membres. « Environnez Sion, embrassez son enceinte, parlez sur ses tours ». Chantez ses louanges du haut de ses forteresses.

13. « Reposez votre amour dans sa vertu 4», afin de n’avoir pas l’extérieur de la piété, et d’en repousser l’esprit 5; « mais affermissez vos coeurs dans sa vertu ». Quelle est la vertu de cette cité? Pour comprendre la vertu de cette cité, il faut comprendre la force de la charité. C’est là une vertu que nul ne peut vaincre ; c’est un feu que n’éteignent point ni les flots de cette vie, ni les fleuves des tentations. C’est d’elle qu’il est écrit: « L’amour est fort comme la mort 6 ». De même en effet qu’on ne peut résister à la mort, qui s’avance, et que nul artifice, nul remède ne peuvent dérober à ses coups l’homme qui est né mortel; de même le monde, est impuissant contre la charité. Toutefois la comparaison avec la mort est en sens contraire; et comme

 

1. Jean, IV, 22.— 3. Rom. II, 28, 20.—  4. Ps. XLVII, 13.— 5. Id. 14. —      6. II Tim. III, 5.— 7. Cant. VIII, 6.

 

la mort est invincible à nous enlever, la charité au contraire est invincible à nous sauver. Beaucoup en effet ne sont morts victimes de la charité qu’afin de vivre pour Dieu. C’est la charité qui embrasait les martyrs, non les martyrs hypocrites, non ceux qu’enflait la vaine gloire, non ceux dont il est dit: « Quand même je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, cela ne me sert de rien 1 ». Mais ces martyrs du Christ et de la vérité, qu’une véritable charité conduisait à la mort, quelle prise ont eue sur eux les violences des bourreaux? Les larmes de leurs proches avaient plus d’empire sur eux que, les cruautés des persécuteurs. Combien de fils ont retenu leurs pères en présence de la mort? Combien d’épouses embrassaient les genoux de leurs maris, afin de n’être point laissées dans le veuvage? Combien de fils s’opposaient au trépas de leurs pères, comme nous le voyons dans le martyre de sainte Perpétue? Tout cela est arrivé. Mais quelle que fût l’abondance ou l’impétuosité de ces larmes, quel feu de la charité ont-elles pu éteindre? Telle est la force de Sion, à laquelle on dit ailleurs: « Que la paix s’affermisse dans votre vertu, et l’abondance dans vos forteresses 2. Parlez du haut de ses tours, reposez vos coeurs dans sa force, et distribuez ses demeures ».

14. Quel est le sens de ces paroles: « Reposez vos coeurs dans sa force, et distribuez ses demeures 3 ? » c’est-à-dire, faites le discernement d’une demeure et d’une autre demeure, ne les confondez point. Il est en effet des maisons qui ont l’apparence de la piété, sans en avoir l’esprit; et il est des maisons qui ont tout à la fois l’apparence et l’esprit de la piété. Distinguez et ne confondez point. Pour vous, ce sera distinguer sans confondre, que de reposer vos coeurs dans sa force, c’est-à-dire de devenir spirituels par la charité. Alors vous ne jugerez pas témérairement; alors vous verrez que les méchants ne font aux bons aucun obstacle réel, tant que nous sommes dans l’aire: « Comptez ses demeures ». On peut encore donner un autre sens à ces paroles, et y voir une recommandation faite aux Apôtres de distribuer ces deux palais, dont l’un vient de la circoncision et l’autre de la gentilité. Quand Paul, appelé d’abord Saul, devint Apôtre, et qu’il

 

I Cor. XIII, 3. —  2. CXXI, 7. — 3. Id. XLVII, 14.

 

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entra dans l’unité avec les autres Apôtres, il parut bon à ces derniers de prêcher aux Juifs, et à Paul d’aller chez les Gentils 1. Cette distinction de leur apostolat distribuait entre eux les palais de la cité du grand Roi; et, se rencontrant à la pierre angulaire, ils divisèrent en quelque sorte la prédication de l’Evangile, mais se réunirent par la charité. Car les paroles qui suivent nous montrent qu’il s’agit ici de prédicateurs: « Distribuez ses demeures, afin de parler aux races futures »; c’est-à-dire, afin que la prédication de l’Evangile arrive jusqu’à nous, qui devons suivre. Car ils n’ont pas borné leur travail à ceux qui vivaient de leur temps; comme ce ne fut pas seulement pour les Apôtres, mais aussi pour nous, que le Seigneur daigna se montrer après sa résurrection. Car, en leur parlant, il avait aussi les yeux sur nous, quand il disait: « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 2». Devaient-ils vivre ici-bas en effet jusqu’à la du monde? De même il dit encore : « Je ne prie pas seulement pour eux, mais pour tous ceux qui croiront en moi sur leur prédication 3 ». C’est donc nous qu’il avait en vue, puisqu’il est mort pour nous. est alors avec raison que le Prophète leur

: « Afin que vous racontiez aux races futures ».

15. Que direz-vous? « Que c’est là Dieu, et notre Dieu 4 ». On voyait en, lui la terre, et non le Créateur de la terre; on touchait sa chair, on ne connaissait pas Dieu sous cette chair. La chair était entre les mains de ceux dont il l’avait prise, puisque la vierge Marie était de la race d’Abraham; ils se sont arrêtés à la chair, sans comprendre la divinité. O Apôtres, ô grande cité, annonce du haut de tes tours: « Celui-là est Dieu, notre Dieu ». De même, oui, de même qu’il a été méprisé,

 

1. Gal. II, 9. — 2. Matt. XXVIII, 20. — 3. Jean, XVII, 20.— 4. Ps. XLVII, 15

 

 

qu’il n’a été qu’une pierre devant les pieds de ceux qui la heurtaient, afin d’humilier les coeurs de ceux qui le confesseraient; de même « il est notre Dieu ». On l’a vu dans le monde, comme dit le Prophète: « On l’a vu ensuite sur la terre, et il a conversé avec les hommes 1 » . « Celui-là est notre Dieu». Il est homme aussi, et qui pourra le connaître? « Car c’est là notre Dieu ». Mais peut-être n’est-ce que pour un temps, comme les faux dieux. Car si l’on peut les appeler des dieux, bien qu’ils ne le soient pas, on ne les appelle ainsi que pour un temps. Que nous dit en effet le Prophète, ou que leur apprend-il à leur dire? Voici ce que vous leur direz, Quoi donc? « Qu’ils soient bannis de la terre, et de tout ce qui est sous le ciel, ces dieux qui n’ont pas fait le ciel et la terre 2 ». Tel n’est point notre Dieu, qui s’est élevé au-dessus de tous les dieux. Au-dessus de quels dieux? de « tous les dieux des païens qui sont des démons; mais le Seigneur a fait le ciel 3». C’est donc lui qui est notre Dieu; oui, « c’est là notre Dieu ». Jusques à quand? « Pour jamais, et dans les siècles des siècles, il régnera sur nous éternellement ». S’il est notre Dieu, û est aussi notre Roi; il nous protège contre la mort, car il est notre Dieu; il nous conduit, de peur que nous ne tombions, car il est notre Roi. Mais en nous conduisant il ne nous brise point; car il ne brise que ceux qu’il ne conduit point. « Vous les conduirez avec un sceptre de fer », dit le Prophète, « et vous les briserez comme des vases d’argile 4 ». Il en est qu’il ne conduit point; mais il les brisera sans ménagement comme des vases d’argile. Puisse-t-il toujours nous régir, nous délivrer; car « c’est lui qui est notre Dieu pour jamais, dans les siècles des siècles; lui qui régnera éternellement sur nous ».

 

1. Baruch, III, 38.— 2. Jérém. X, II— 3. Ps. CXV, 5.— 4. Id. II, 9.

 

 

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