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DISCOURS SUR LE PSAUME XLIII.SERMON AU PEUPLE.LAFFLICTION ET LA GRÂCE. Les fils de Coré sont les martyrs qui en appellent à Dieu dans leurs tourments, qui comparent aux maux quils endurent les merveilles de Dieu en faveur de son peuple délivré, puis établi dans la terre promise. Dieu demeure sourd à nos demandes, pour que nous apprenions à lui demander les biens éternel : quil naccorde pas en cette vie. Les merveilles du Seigneur étaient leffet gratuit de sa bonté qui nous délivrera des maux dici-bas. Entre la gloire du passé et celle de lavenir, il y a la peine du présent, épreuve nécessaire pour nous faire connaître si nous servons Dieu par amour, et dont Dieu nous délivrera par sa grâce. 1. Ce psaume, daprès lindication du titre, est pour les fils de Coré. Or, Coré signifie chauve, ou calvaire, et lEvangile nous raconte que Notre-Seigneur Jésus-Christ fut crucifié en un lieu appelé Calvaire 1. II est donc visible que ce Psaume est pour les fils de ses douleurs. Nous en avons dailleurs le témoignage évident et sûr de lapôtre saint Paul qui, dans les persécutions que les Gentils faisaient subir à lEglise, emprunte un verset de notre psaume, dont il tire un encouragement à souffrir et une consolation. Cest ici en effet quest écrit ce quil intercale dans sa lettre: « Chaque jour on nous égorge pour votre amour, ô mon Dieu, on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie 2 ». Ecoutons donc en notre psaume la voix des martyrs, et voyez la justice de cette 1. Matt. XXVII, 31. 2. Ps. XLIII, 22 ; Rom. VIII, 36. cause que soutiennent les martyrs, puisquils sécrient: « Cest pour vous, Seigneur ». Cest pour cela que le Seigneur ajoute: «A cause de la justice », quand il dit : « Bienheureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice 1 »; de peur quon ne vînt à revendiquer la gloire de souffrir, quand on endure la persécution sans défendre une cause juste. De là vient encore cette exhortation à ses disciples: « Vous serez heureux quand les hommes vous traiteront de telle manière et vous maudiront à cause de moi » Tel est le sens de cette parole : « On nous égorge tous les jours à cause de vous ». 2. Il est bien digne en effet de nos méditations, ce profond dessein du Seigneur qui, dune part, délivre de lEgypte, avec tant déclat, nos ancêtres, les patriarches, ainsi que 1. Matt. V, 10. 463 tout le peuple dIsraël, submerge dans les eaux ennemis qui les poursuivent, les conduit à travers les nations qui se soulèvent, leur assujettit leurs ennemis et les établit dans la terre promise, leur fait remporter avec peu de soldats déclatantes victoires sur de grandes armées; puis, dautre part, il se plaît à se détourner de son peuple, laisse maltraiter et égorger ses saints, et nul ne résiste, nul ne les défend, nul ne les protége. On dirait que Dieu se dérobe à leurs gémissements, quil les a oubliés, quil nest plus leur Dieu, ce Dieu à la main puissante, au bras si élevé, dont la force merveilleuse a, disons-nous, délivré de lEgypte nos pères ou le peuple dIsraël, les a établis en royaume dans une terre dont il chassait les nations vaincues, à la face des peuples étonnés quun si petit nombre pût vaincre un si grand nombre. Tel est laveu plein de larmes qui ouvre le chant de notre psaume. tout cela nest pas arrivé sans motif, mais afin que nous en comprissions les raisons. Quelles soient arrivées, cela est évident; approfondissons quelque peu les raisons pour lesquelles Dieu la permis. Aussi bien le psaume na-t-il pas seulement pour titre: « Aux fils de Coré »; mais: « Intelligence aux fils de Coré 1 ». Cest ce que nous avons déjà vu dans cet autre dont le Sauveur récita sur la croix le premier verset: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné 2 ? » Car cétait nous que le Seigneur figurait dans ces paroles; il parlait au nom de son corps (nous sommes en effet son corps, et il est notre chef), quand il proféra sur la croix cette parole qui est moins la sienne que la nôtre. Dieu, en effet, ne la jamais abandonné, et lui ne sétait point retiré de son Père; mais cétait en notre nom quil disait: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné ? » En effet, nous lisons ensuite: « Le rugissement de mes péchés éloigne de moi le salut 3 ». Voilà ce qui nous montre au nom de qui il parlait, puisquon ne pouvait trouver en lui aucun péché. « Je crierai vers vous pendant le jour», dit le même psaume, « et vous ne mexaucerez point: et la nuit», il sous-entend assurément, et vous nexaucerez point ma prière; il ajoute: « Et ce ne sera point une folie pour moi ». Cest-à-dire, par cela même que vous ne mécouterez point, il y aura là pour moi, non pas un défaut de sagesse, mais une 1. Ps. XLIII, 1, 2. Id. XXI, 2. 3. Id. 3. leçon. Quest-ce à dire, que je comprendrai parce que vous ne mexaucerez point? cest-à-dire que vous nécouterez point mes voeux temporels, afin que je comprenne que je dois vous demander les biens éternels. Dieu en effet nabandonne pas réellement, quand il semble abandonner ; il nous ôte ce que nous avons tort de désirer, et nous enseigne ce quil est bon de demander. Si Dieu nous exauçait toujours dans ce qui regarde les biens de cette vie, si nous avions tout en abondance, ne souffrant dans le cours de cette vie mortelle aucune affliction, aucune nécessité, aucune angoisse, nous croirions que Dieu na pas pour ses serviteurs dautres grands biens que ceux de la terre, et nous nen désirerions pas de plus excellents. Dieu donc mêle à nos joies de cette vie lamertume de laffliction, afin que nous soupirions après une autre vie, dont la douceur est sans danger ; tel est le titre: « Intelligence pour les enfants de Coré ». Ecoutons le psaume, afin dy mieux comprendre encore cette vérité. 3. « Seigneur, nous avons entendu de nos oreilles; nos pères nous ont raconté luvre que vous avez accomplie en leurs jours, et dans les siècles passés ». Etonnés de ce que le Seigneur paraisse abandonner ceux quil veut exercer par les souffrances, les interlocuteurs rappellent ces merveilles quils ont apprises de leurs pères, et semblent dire : Ces maux que nous endurons sont loin de ce que nos pères nous ont raconté. « En vous ont espéré nos pères; ils ont espéré, et vous les avez délivrés. Pour moi, je suis un ver et non pas un homme. Je suis lopprobre des hommes, le rebut de la populace 1 ». Ils ont espéré et vous les avez délivrés; moi jai espéré, vous mavez délaissé; est-ce donc en vain que jai mis en vous ma confiance, en vain que mon nom est écrit sur votre livre, que votre nom est écrit dans mon âme ? Voici donc ce que nous ont raconté nos pères : « Votre main a détruit les nations, et pour eux, vous les avez solidement assis ; vous avez affaibli les peuples, et puis chassés 2 ». Cest-à-dire, vous avez chassé les nations du pays quelles possédaient pour y introduire et y asseoir nos pères, et pour affermir leur royaume dans votre miséricorde. Voilà ce que nos pères nous ont raconté. 4. Mais peut-être ont-ils accompli ces 1. Ps. XXI, 27. 2. Id. XLIII, 3. 464 merveilles parce quils étaient un peuple courageux, guerrier, invincible, exercé, belliqueux? Point du tout. Nos pères ne nous ont point dit cela, lEcriture nen dit rien; mais, que dit-elle? sinon ce qui suit : « Ce nest point par le glaive quils ont acquis en héritage la terre promise, et leur bras ne les a point sauvés; mais cest votre droite, votre bras et la lumière de votre visage ». Votre droite ou votre puissance; votre bras ou votre Fils. « Et la lumière de votre face ». Que signifie cette expression? Cest que vous leur avez donné de tels signes de protection, que lon reconnaissait votre présence. Quand le Seigneur, en effet, nous signale sa présence par quelque miracle, est-il pour cela visible à nos yeux? Mais le miracle. a pour effet de montrer quil est présent. Enfin, que disent tous ceux que de pareils faits remplissent détonnement? Jai vu Dieu, il était là. «Cest votre droite, votre bras, le reflet de votre face; parce que vous avez mis en eux vos complaisances ». Cest-à-dire, vous avez agi comme si vous vous plaisiez en eux; en sorte que tous ceux qui vous voyaient en agir ainsi avec eux, disaient : Cest Dieu qui est avec eux, cest Dieu qui les conduit. 5. Quoi donc? Dieu était-il alors autre quil nest maintenant? Loin de là. Que nous dit ensuite le Psalmiste? « Cest vous-même qui êtes mon Roi et mon Dieu 2 ». Cest vous-même, vous nêtes point changé. Les temps sont changés, je le vois; mais le Créateur des temps ne change point. « Cest vous-même qui êtes mon Roi et mon Dieu ». Cest toujours vous qui me conduisez, toujours vous qui venez à mon secours. « Cest vous qui ordonnez le salut de Jacob ». Quest-ce à dire: « Vous ordonnez?» Cest-à-dire, bien que cette nature qui vous constitue ce que vous êtes en votre substance, demeure cachée à nos regards, et que vous ne soyez pas intervenu en faveur de nos pères, dans votre essence, de manière quils pussent vous voir face à face; néanmoins, cest vous qui ordonnez à telle créature quil vous plaît de sauver Jacob. Vous voir face à face nest en effet réservé quà ceux quaura délivrés la résurrection. Nos pères eux-mêmes du Nouveau Testament, bien quils aient vu vos mystères à découvert, bien quils aient annoncé aux autres ces mystères révélés, ont proclamé quils ne voyaient quen 1. Ps. XLIII,4. 2. Id. 5. énigme et comme dans un miroir; et que vous voir face à face 1, était une faveur réservée au moment dont lApôtre parle ainsi: « Vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ; or, à lapparition du Christ qui est votre vie, vous apparaîtrez aussi avec lui dans la gloire 2 ». Cest pour ce moment que Dieu nous réserve de le voir face à face; ce qui a fait dire à saint Jean: « Mes bien-aimés, nous sommes les fils de Dieu, mais ce que nous serons un jour ne paraît point encore. Nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel quil est 3 ». Quoique nos pères ne vous aient, donc point vu face-à- face, et tel que vous êtes; quoique cette vision nous soit différée jusquà la résurrection; quoique ce soient des anges qui nous ont assistés, « cest vous néanmoins qui ordonnez le salut de Jacob ». Non-seulement par vous-même, vous nous assistez; mais de quelque créature que vous vous serviez pour nous assister, vous ne lordonnez pas moins pour le salut de vos serviteurs que vous opérez par vous-même; et ce qui sopère pour le salut de vos serviteurs, cest ce que lon fait daprès vos ordres. Mais dès lors que vous êtes mon Dieu et mon Roi, et que vous ordonnez le salut de Jacob, pourquoi ces maux que nous endurons? 6. Mais peut-être ces merveilles que lon nous a racontées ne sont-elles que pour le passé, et navons-nous rien de semblable à espérer pour lavenir ? Telle est au contraire lespérance quil nous faut avoir. « Cest en vous que nous abattrons la puissance de nos ennemis ». Donc nos pères nous ont raconté les merveilles que vous avez accomplies dans leur temps et dans les jours anciens; ils nous ont dit que, pour les établir, vous aviez dissipé les nations, chassé les peuples, voilà pour le passé; mais dans lavenir, que doit-il arriver? « En vous nous abattrons la puissance des peuples » : un temps viendra où de tous les ennemis des chrétiens seront vannés comme la paille, dissipés comme la poussière et emportés de dessus la terre. Mais avec un passé glorieux comme on nous le on raconte, avec un avenir tel quil nous est annoncé, pourquoi donc aujourdhui ces maux 1. I Cor. XIII,12. 2. Coloss. III, 3, 4. 3. I Jean, III, 2, 4. Ps. XLIII, 6. 465 que nous souffrons, sinon pour donner lintelligence aux fils de Coré? «Par vous nous abattrons la puissance de nos ennemis, et en votre nom nous foulerons aux pieds nos persécuteurs 1 ». Voilà pour lavenir. 7. «Je ne mettrai point mon espérance dans mon arc 2 » ; de même que nos pères ne la mettaient point dans lépée. « Et ce ne sera point mon glaive qui me sauvera ». 8. «Car cest vous qui nous avez sauvés de ceux qui nous affligeaient 4 ». Cette forme du passé nous désigne lavenir; cet emploi de la forme du passé nous marque une certitude aussi grande que si les faits étaient accomplis. Remarquez que souvent les Prophètes parlent des faits quils annoncent pour lavenir, comme sils étaient accomplis déjà. Car, en parlant de la passion du Sauveur, quil annonçait pour lavenir, le psalmiste a dit : « Ils ont percé mes pieds et mes mains, ils ont compté tous mises os » ; il na point dit : Ils perceront, ils compteront. « Ils mont considéré, ils mont regardé »; et non: Ils me considéreront, ils me regarderont. « Ils se sont partagé mes vêtements 4 » ; et non : Ils se partageront. Tous ces faits sont à venir, et néanmoins prédits comme accomplis: parce que devant Dieu ce qui doit arriver est aussi certain que sil était déjà passé. Pour nous, ce qui est arrivé est certain; ce qui est à venir, incertain. Nous savons un fait quand il est accompli, et il est impossible quun fait accompli ne le soit point. Mais donne-moi un prophète, et lavenir est pour lui aussi certain que pour toi le passé : et autant pour toi il est impossible quun fait accompli, présent à ta mémoire, ne soit point arrivé; autant pour lui il est impossible quun fait quil connaît pour lavenir, narrive point. Cest pour cela quil prédit ce qui doit arriver, avec la même certitude que sil était arrivé. Cest là donc ce que nous espérons: « Vous nous avez sauvés de ceux qui nous affligeaient, et ceux qui nous haïssaient, vous les avez couverts de confusion ». « Durant tout le jour, nous nous glorifierons dans le Seigneur ». Voyez comme il entremêle des paroles au futur, afin de vous montrer que sous la forme du passé il annonce néanmoins lavenir. « Durant tout le jour, nous nous glorifierons en Dieu; et sous chanterons les louanges en votre nom 1. Ps. XLIII, 6. 2. Id. 7. 3. Id. 8. 4. Ps. XXI,17, 19. pendant tous les siècles 1 » . Pourquoi-nous glorifier ? pourquoi chanter des louanges? Parce que vous nous avez arrachés à ceux qui nous persécutaient , parce que vous nous donnerez un royaume éternel , parce que vous accomplirez en nous cette parole : « Bienheureux, Seigneur, ceux qui habitent votre maison; ils vous loueront dans les siècles des siècles 2 ». 10. Si donc voilà un avenir très-assuré pour nous, si nos pères nous ont raconté les merveilles du passé, quavons-nous maintenant? « Maintenant vous nous avez repoussés, vous « nous avez couverts dignominie ». Cette ignominie nest point dans notre conscience, mais à la face des hommes. II y eut des temps, en effet, où lon persécutait les chrétiens, où ils fuyaient partout, où lon disait de toutes parts : Voilà un chrétien, comme si cétait là un sujet dopprobre et dinsulte. Où est donc ce Dieu, qui est notre Dieu et notre Roi, qui ordonne le salut de Jacob? Où est celui qui a opéré toutes ces merveilles que nous racontaient nos pères? Où est celui qui doit accomplir tout ce quil nous a prédit par lEsprit-Saint? Serait-il donc changé ? Non; mais tout cela est pour lintelligence aux fils de Coré. Nous devons comprendre quelque peu pourquoi Dieu veut nous faire endurer ces choses au milieu des temps. Pourquoi toutes ces douleurs? « Maintenant vous nous avez rejetés et couverts dignominie ; et vous ne marcherez plus, Seigneur, à la tête de nos armées 3 ». Nous marchons contre nos ennemis, et vous ne marchez point avec nous nous les voyons, ils sont victorieux et nous succombons. Où donc est votre force dautrefois? Où est votre droite et votre puissance? Où est donc cette mer qui se dessèche ? Où sont donc ces Egyptiens qui poursuivent Israël dans les flots? Où est cet Amalech dont le signe de la croix vainquit les résistances? « Et vous ne marcherez plus, Seigneur, à la tête de nos armées ». 11. « Vous nous avez fait reculer à la suite de nos ennemis »; en sorte quils paraissent ouvrir la marche et que nous sommes en arrière; ils paraissent vainqueurs et nous vaincus. « Et ceux qui nous haïssaient enlevaient nos dépouilles 5 » : quelles dépouilles, Sinon! nous-mêmes? 1. Ps. XLII, 9. 2. Id. 10. 3. Ibid. 4. Exod. XIV, 21,27 ; XVII, 11. 5. Ps. XLIII, 11. 466 12. « Vous nous avez livrés comme des brebis que lon dévore, et dispersés parmi les nations ». Les nations nous dévorent; on désigne ici ceux que la persécution a incorporés aux Gentils. LEglise les pleure comme des membres qui sont dévorés. 13. « Vous avez vendu votre peuple pour rien ». Nous avons vu ceux que vous avez livrés, sans voir ce que vous avez reçu. « Et la foule ne se pressait point dans leurs fêtes 1 ». Quand les chrétiens fuyaient les persécutions des idolâtres leurs ennemis, pouvaient-ils sassembler pour chanter les louanges de Dieu? Pouvaient-ils chanter ces hymnes dans les églises de Dieu, comme on les chante pendant la paix, quand les frères élèvent jusquaux oreilles de Dieu leurs mélodieux concerts? « Et la foule ne se pressait point à leurs fêtes ». 14. « Vous avez fait de nous un sujet dopprobre pour nos voisins, la fable et la dérision de tous ceux qui nous environnent. « Vous avez fait de nous un exemple pour les nations 3 ». Que signifie « un exemple? »Lhomme qui fait des imprécations apporte quelquefois un type des maux quil adjure. Puisses-tu mourir comme un tel, subir de pareils châtiments! Combien na-t-on pas dit : Puisses-tu être ainsi crucifié ! Il ne manque pas aujourdhui dennemis du Christ, comme les Juifs, pour nous dire, quand nous défendons contre eux le Christ: Puisses-tu mourir comme il est mort! Car ils ne lui auraient point infligé ce genre de mort, sils ne lavaient eu en horreur, ou sils en avaient pu comprendre le mystère. Laveugle à qui lon met un collyre, ne voit point ce collyre dans la main du médecin. Or, la croix elle-même dut profiter à ceux qui ly clouaient. Ce remède les guérit ensuite, et ils crurent à celui quils avaient crucifié. « Vous avez fait de nous un exemple pour les nations; les peuples en nous voyant ont branlé la tête » ; ils branlaient la tête par mépris. « Leurs lèvres parlaient et ils branlaient la tête 4 ». Voilà ce quils oni fait au Seigneur, ce quils ont fait à tous les saints quils ont pu persécuter, enchaîner, tourner en dérision, livrer aux magistrats, flageller et faire mourir. 15. « Tout le jour ma honte est présente à mes yeux, la confusion a couvert mon visage, à la voix de celui qui minsulte 1. Ps. XLIII, 12. 2. Id. 13. 3. Id. 14, 15. 4. Id. XXI, 8. et maccable doutrages 1 »; cest-à-dire, à la voix de ceux qui maccablent doutrages, me faisant un crime du culte que je vous rends, de lhonneur que je témoigne à votre nom; ils me reprochent comme un crime ce nom qui doit effacer tous mes crimes. « A la voix de celui qui insulte, et qui outrage », cest-à-dire, qui parle contre moi. « A la face de lennemi, du persécuteur ». Que devons-nous comprendre ici? Ce qui a été dit du passé naura plus lieu dans nos temps; ce que nous espérons pour lavenir, napparaît point encore. Dans le passé : le peuple sortit de lEgypte avec tout léclat des prodiges, il fut délivré de ceux qui le poursuivaient, il fut conduit à travers les peuples que Dieu chassa, et enfin établi en royaume. Quel est lavenir?Cest que le peuple sera tiré de lEgypte de ce bas monde, sous la conduite du Christ et à la splendeur de sa gloire; que les saints seront placés à sa droite, et ses ennemis à sa gauches, que les méchants subiront, avec le diable, un châtiment éternel, que le Christ avec ses saints régnera éternellement. Voilà lavenir, le reste est du passé. Quy a-t-il entre les deux? Les peines. Pourquoi? Pour montrer lâme qui honore Dieu, et comment elle lhonore; si elle sert gratuitement celui qui la sauvée gratuitement. Que Dieu vous dise en effet: Que mavez-vous donné pour vous créer? si vous avez pu bien mériter de moi depuis votre création, assurément vous naviez rien mérité avant dêtre créé; que pouvons-nous répondre à celui qui tout dabord nous a créés gratuitement, parce quil est bon, et non parce que nous avions des mérites? Que dirons-nous aussi de notre réparation, qui est une seconde naissance ? Que nos mérites nous ont valu de la part du Seigneur ce salut éternel quil nous envoie? Point du tout. Si Dieu avait pris en considération nos mérites, il nous aurait condamnés. Il nest donc point venu pour examiner nos mérites, mais pour nous remettre nos péchés. Tu nétais pas, et tu es aujourdhui; quas-tu donné à Dieu?Tu étais dans le mal, Dieu ten a délivré; quas-tu. donné à Dieu? Que nas-tu pas reçu de lui gratuitement? Cest justement que lon appels grâce ce qui est donné pour rien. Dieu donc te demande de le servir gratuitement, toi aussi, non parce quil te donne les biens temporels, mais parce quil ten promet déternels. 1. Ps. XLIII, 16, 17. 2. Matt. XXV, 33. 467 16. Mais à légard de ces biens éternels, garde-toi de toute fausse idée, de peur que tu ne serves pas Dieu gratuitement, en te faisant des biens célestes une idée charnelle. Eh quoi! si tu sers le Seigneur parce quil te donne une belle terre, cesseras-tu de le servir sil te la reprend? Mais peut-être dis-tu en toi-même : Je servirai Dieu parce quil doit te donner une belle campagne, mais qui nest point du temps. Tu as encore des motifs défectueux, car tu ne sers point le Seigneur par amour simplement, puisque tu en attends une récompense. Tu veux avoir dans le siècle à venir ce que tu dois quitter dans celui-ci; tu veux changer et non retrancher tes délices charnelles. On ne fait pas un mérite de jeûner à celui qui ne le fait que pour se préparer à un dîner dapparat. Souvent en effet on invite à un grand repas des hommes qui ont jeûné pour y venir avec plus dappétit; ce jeûne est-il bien celui de la continence, et ne serait-il pas celui de lintempérance? Garde-toi donc despérer que Dieu te donnera ce quil tordonne de mépriser en cette vie. Cest en effet ce quespéraient les Juifs, cest la question qui les troublait. Eux aussi espèrent une résurrection, mais ils croient à une résurrection qui leur donnera ce quils aiment sur la terre. Aussi, quand les Sadducéens, qui ne croient pas à la résurrection, leur proposèrent la question de cette femme qui avait eu successivement sept frères pour maris, et quon leur demanda de qui elle serait épouse à la résurrection, ils furent en défaut et ne trouvèrent aucune réponse. Mais quand la question fut posée au Seigneur, comme il nous promet une résurrection telle que lon naura plus aucun désir des voluptés charnelles, mais dont les joies sans fin seront puisées en Dieu, il répondit: « Vous êtes dans lerreur, ne sachant ni les Ecritures, ni la puissance de Dieu; car au jour de la résurrection les hommes nauront point de femmes, ni les femmes de maris, puisquils ne seront plus assujettis à la mort 1 ». Cest-à-dire quil nest pas besoin de successeur, quand nul ne cède sa place. Quarrivera-t-il donc? « Tous», dit le Sauveur, « seront comme les anges de Dieu ». A moins peut-être que tu nen sois à croire que les anges mettent leur joie dans les festins de chaque jour, dans le vin dont tu tenivres, ou que tu ne croies que les 1. Matt.
XXII, 29, 30 ; Luc XX, 35, 36. anges ont des épouses. Il ny a rien de tout cela parmi les anges. Doù vient la joie des anges, sinon de ce qui a fait dire au Seigneur: «Vous ne savez donc pas que les anges voient la face de mon Père 1? » Si donc la vue de mon Père constitue la joie des anges, prépare ton âme à une joie semblable, à moins que tu ne trouves mieux que la face de Dieu. Malheur à ton amour, si tu as la moindre pensée quil y ait une beauté plus grande que la beauté de celui qui a donné à tout objet la beauté quil possède, et si cette beauté tabsorbe au point que tu ne mérites plus de penser à Dieu. Le Seigneur était incarné, cétait un homme qui apparaissait aux hommes. Comment apparaissait-il ? Je lai dit, cétait un homme aux yeux des hommes. Avec quelle grandeur apparaissait-il ? La chair y voyait la chair. Que montrait de grand celui dont il est dit: « Nous lavons vu, et il navait ni grâce ni beauté 2 ? » Quel est celui qui navait ni grâce, ni beauté? Cest celui dont il est dit : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes 3 ». Comme homme, il navait ni grâce ni beauté, mais il était beau dans la nature qui lélève au-dessus des enfants des hommes. Aussi, en montrant aux hommes ce que lon peut appeler la difformité de la chair, que dit-il? « Celui qui maime, garde mes commandements, et celui qui maime sera « aimé de mon Père, et moi je laimerai, et je me montrerai à lui 4 ». Il promettait de se montrer à ceux qui le voyaient. Mais quel est le sens de ses paroles? Il semble leur dire: Vous voyez en moi la forme de lesclave, la forme divine vous est cachée : lune est douce pour vous, lautre vous est réservée; par lune je vous donne la nourriture des petits enfants, par lautre je suis laliment des parfaits. Dieu en agit donc ainsi afin de préparer aux choses invisibles cette foi qui nous purifie, cest-à-dire que tout cela doit donner lintelligence aux fils de Coré, afin que les saints soient dépouillés de ce quils ont de terrestre, et même de la vie temporelle; afin quils ne servent point le Seigneur par amour pour ces biens, mais quimpur amour pour lui leur fasse endurer tout ce quils ont à souffrir dans le temps. 17. Or, après avoir compris tout cela, que disent les fils de Coré? « Tous ces maux sont 1. Matt. XVIII 10. 2. Isa. LIII, 2. 3. Ps. XL V, 3. 4. Jean, XIV, 21 468 « venus fondre sur nous, et nous ne vous avons pas oublié ». Quest-ce à dire: « Et nous ne vous avons pas oublié? Et nous navons point répudié votre alliance; et notre coeur ne sest point retiré de vous; et nos pas ne se sont point égarés loin de vos sentiers 1 ». Cest là lintelligence, que notre coeur ne séloigne pas de vous, que nous ne vous mettions pas en oubli, que nous ne commettions pas le mal dans votre alliance, nous qui sommes en butte aux tribulations et aux vexations des païens. « Pourtant vous avez détourné nos sentiers de votre voie ». Nos sentiers sont dans les voluptés du siècle; nos sentiers sont dans la prospérité des biens temporels; or, vous avez détourné nos sentiers de votre voie, et nous avez montré combien est peu large et combien est étroite la voie qui conduit à la vie. « Et vous avez détourné nos sentiers de votre voie ». Que signifie cette parole, que « nos sentiers sont loin de votre voie? » Cest comme sil nous disait : Vous êtes dans langoisse, vous avez beaucoup à souffrir, vous avez perdu ici-bas bien des choses que vous aimiez; mais moi, je ne vous ai point abandonné dans cette voie dont je vous ai dit quelle est étroite. Vous cherchiez de larges sentiers; et moi, quest-ce que je vous dis? Cest par là quon arrive à la vie éternelle; celle que vous voulez prendre conduit à la mort. « Combien est large et spacieuse la voie qui conduit à la mort, et combien en est-il qui la suivent! Combien est petite et étroite la voie qui conduit à la vie, et combien peu y veulent marcher 2 ! » Quel est ce petit nombre? Ceux qui souffrent les afflictions, qui endurent les épreuves, qui ne se laissent point abattre dans les maux de cette vie, qui ne se réjouissent pas pour une heure seulement de la parole de Dieu, pour sécher au temps de lépreuve comme sous les feux du soleil 3, mais qui ont les racines de la charité, comme nous venons de lentendre dans lEvangile 4. Ayez donc, vous dirai-je, la racine de la charité, afin que vous ne soyez point brûlés, mais alimentés par le soleil qui se lèvera. « Tous ces maux sont venus foudre sur nous, et nous ne vous avons point oublié, et nous navons pas répudié votre alliance, et notre coeur ne sest point retiré de vous ». Mais parce que nous en agissons 1. Ps. XLIII, 18, 19. 2. Matt. VII, 13, 14. 3. Id. XIII, 20-23. 4. Marc, IV, 16-20. de la sorte au milieu des tribulations, déjà nous marchons dans la voie étroite; « et vous, vous avez détourné vos sentiers de notre voie». 18. « Et pourtant vous nous avez oubliés dans le lieu de notre faiblesse ». Vous nous relèverez donc dans te lieu de notre force. « Et lombre de la mort nous a couverts 1», La mortalité est pour nous lombre de la mort. La véritable mort sera dêtre condamné avec Satan. 19. « Si nous avons oublié le nom de notre Dieu ». Cest là lintelligence pour les fils de Coré. « Si nous avons tendu les bras vers les dieux étrangers 2». 20. « Dieu ne doit-il pas rechercher ces crimes, lui qui connaît le secret des curs 3 » Il le connaît, et pourtant il le recherche; sil connaît le secret des coeurs, que devient cette parole: « Le Seigneur ne doit-il pas rechercher tout cela ? » Il le connaît pour lui-même, il le cherche à cause de nous. Souvent, en effet, le Seigneur dit quil recherche et quil comprend ce quil nous fait comprendre. Il te dit alors ce quil fait en toi, et non ce quil connaît. Nous disons en effet dun jour quil est joyeux, quand il est serein; or, le jour ressent-il de la joie? Mais nous vous disons quil est joyeux, parce quil nous procure de la joie. De même nous disons : Un ciel triste, non que les nuées soient capables de sens, mais parce que les hommes à cette vue sont tristes eux-mêmes; on appelle triste ce qui peut les contrister. De même on dit que Dieu connaît, quand il nous fait connaître. Dieu dit à Abraham: « Cest maintenant que je connais la crainte pour le Seigneur 4 ». Ne la connaissait-il donc pas auparavant? Mais Abraham ne se connaissait point, et ce fut à cette épreuve quil apprit à se connaître. Souvent, en effet, lhomme croit pouvoir ce quil ne peut réellement, ou il croit ne pouvoir point ce quil peut; il arrive alors que la divine Providence le met à lépreuve, et quà cette épreuve il se connaît; or, on dit alors que Dieu connaît ce quil nous a fait connaître ainsi. Pierre se connaissait-il quand il dit au Médecin: « Je suis avec vous jusquà la mort 5? ». Mais le Médecin lui avait tâté le pouls, et connaissait chez ce malade lintérieur que le malade ne connaissait point. La tentation survint : le 1. Ps. XLIII, 20. 2. Id. 21. 3. Id. 12. 4. Gen. XIII, 12. 5. Mat. XXVI, 35. 469 Médecin prouva quil avait bien jugé, et le malade perdit sa confiance en lui-même. Cest ainsi que Dieu connaît et quil recherche. Pourquoi rechercher ce quil connaît? Cest tour toi, afin que tu puisses te connaître toi-même et que tu en rendes grâces à ton Créateur. « Dieu ne doit-il pas rechercher tout cela? » 21. « Cest lui qui connaît les secrets des azurs ». Que signifie : « Il connaît les secrets?» Quels secrets? « Cest que pendant tout le jour nous sommes livrés à la mort à cause de vous, que nous sommes regardés comme des brebis quon va égorger ». Tu peux voir en effet quun homme se mortifie, non le motif pour lequel il se mortifie; Dieu le connaît; cest là un secret. Mais quelquun sen vient me dire: Voilà quon arrête cet homme pour le nom du Christ, il confesse le nom du Christ. Les hérétiques ne confessent-ils pas aussi le nom du Christ, et pourtant ils ne meurent point pour lui? Et dans lEglise catholique, vous dirai-je, pensez-vous quil ny en ait pas eu, quil ne sen puisse trouver qui aient souffert pour une gloire purement humaine? Sil ny avait point de ces gens-là, saint Paul ne dirait point : « Quand je livrerais mon corps aux flammes, si je nai la charité, cela ne me sert de rien 2 ». Il savait quil pouvait sen trouver quelques-uns qui nendurassent ces douleurs que par ostentation, et non par amour. Cest donc là un secret impénétrable pour nous, et que Dieu seul peut sonder. Il peut seul en juger, lui qui connaît les secrets du coeur. « Pendant tout le jour, on nous livre à la mort, nous ressemblons aux brebis que lon égorge ». Je vous ai dit déjà que saint Paul cite ce passage pour encourager les martyrs, afin quils ne viennent pas à défaillir dans leurs douleurs pour le nom du Christ. 22. « Levez-vous, Seigneur, pourquoi dormez-vous? » A qui va cette parole? Quel est linterlocuteur? Ne semble-t-il pas plutôt dormir lui-même et rêver, celui qui parle de la sorte : « Levez-vous, Seigneur, pourquoi dormir? » Alors il vous répond: Je sais ce que je dis; je sais quil ne dort point, celui qui est le gardien dIsraël; et toutefois les martyrs crient : « Levez-vous, Seigneur, pourquoi dormez-vous? » Seigneur Jésus, vous avez été mis à mort, vous avez dormi 1. Ps. XLIII, 22. 2. I Cor. XIII, 3. dans votre passion et vous vous êtes levé en ressuscitant pour nous. Oui, cest pour nous que vous êtes ressuscité, nous le savons; pourquoi êtes-vous ressuscité? Les Gentils qui nous persécutent croient que vous êtes mort, sans croire que vous êtes ressuscité. Levez-vous donc pour eux. Pourquoi dormir, et dormir pour eux, non pour nous? Sils croyaient en effet à votre résurrection, pourraient-ils bien persécuter ceux qui croient en vous? Mais doù viennent leurs persécutions? Pourquoi ces cris: Effacez de la terre, tuez je ne sais quels hommes qui ont cru en vous, en je ne sais quel homme mort sur un gibet? Vous dormez encore pour eux: levez-vous, afin quils comprennent que vous êtes ressuscité, et quils demeurent en paix. Enfin, il est arrivé que les martyrs, mourant au milieu de ces cris, se sont endormis, mais leur sommeil a éveillé le Christ vraiment mort; et le Christ sest comme éveillé parmi les Gentils, cest-à-dire quils ont cru à sa résurrection; ainsi peu à peu leur foi au Christ, leur conversion a grossi leur nombre, a inspiré des craintes aux persécuteurs et a fait cesser les persécutions. Pourquoi? parce que le Christ sest levé chez les Gentils, lui qui dormait auparavant pour leur incrédulité. « Levez-vous, Seigneur, ne nous rejetez pas toujours ». 23. « Pourquoi détourner votre visage? »comme si vous nétiez point avec nous, comme si vous nous aviez oubliés. « Pourquoi oublier notre pauvreté et notre misère 2?». 24. « Notre âme est abaissée dans la poussière 2 ». Où a-t-elle été abaissée? Dans la poussière, cest-à-dire que la poussière nous persécute. ils nous persécutent, ceux dont il est dit: « Il nen est pas ainsi des impies, non, il nen est pas ainsi; mais ils seront comme la poussière que le vent chasse de la surface de la terre 3 ». « Notre âme est abaissée dans la poussière, nos entrailles rampent sur la terre ». Il paraît désigner par là un excès dhumiliation, que subit un homme lorsquil se prosterne et que son ventre touche à la terre. Quand on sabaisse en effet jusquà mettre un genou en terre, on a de quoi sabaisser encore. Mais quand par labaissement le ventre touche à la terre, on ne peut sabaisser davantage. Tenter de le faire ne serait plus sabaisser, mais sécraser. Cest là peut- 1. Ps. XLIII, 24. 2. Id. 25. . 3. Idi. I, 4. 470 être ce que lon veut dire ici : Nous sommes prosternés dans ha poussière à un tel point quil nous est impossible de lêtre davantage; lhumiliation est à son comble, soulagez-nous par votre pitié. 25. LEglise, mes frères, en parlant de la sorte, ne gémirait-elle point sur le sort de ceux que les persécuteurs ont entraînés à limpiété, en sorte que ceux qui ont résisté diraient: « Notre âme a été humiliée dans la poussière? » Cest-à-dire, entre les mains de cette poussière, livrés à ces persécuteurs impies, « notre âme a été humiliée dans la poussière », afin que nous invoquions votre puissance, et que vous nous accordiez votre secours dans la tribulation : « Nos entrailles sattachaient à la terre », cest-à-dire, nos entrailles se laissaient persuader par cette poussière impie : tel est le sens de cette expression sattachaient ». En effet, si dans les flammes de la charité on dit très-bien : « Mon âme sattache à vous, ô mon Dieu 1 »; et encore: « Il mest bon de mattacher à Dieu 2 », cest bien sattacher à Dieu que consentir à ce quil nous demande : et alors ce nest pas sans raison que lon dit du ventre quil sest attaché à la terre, puisquil désigne ceux qui ont cédé à la persécution et consenti à limpiété; ils se sont donc attachés à la terre. Mais pourquoi les désigner par le ventre, sinon parce quils sont charnels, et quainsi le front de lEglise désignerait les saints, les hommes spirituels; et le ventre, les hommes charnels? Le front de lEglise est en évidence; le ventre est caché, comme plus faible et moins résistant. Cest là ce que nous marque lEcriture, à cet endroit où quelquun dit quil a reçu un livre, et que « ce livre était doux à sa bouche, mais amer dans ses entrailles 3 ». Quest-ce à dire, sinon que les principaux commandements, acceptés avec joie par lhomme spirituel, sont rejetés par lhomme charnel, et que cet homme charnel trouve la peine où lhomme spirituel trouve la joie? Que dit encore ce livre, mes frères? « Vends ce que tu possèdes, et donne-le aux pauvres». Combien est suave une telle parole dans la bouche de lEglise! Tout homme spirituel laccomplit. Mais pour lhomme charnel, dites-lui : Fais cela; et alors vous quitter avec tristesse, comme le riche de lEvangile 4 quitta 1. Ps. LX1I, 9. 2. Id. LXIII, 28. 3. Apoc. X, 10. 4. Matt. XIX, 22. le Seigneur, est chose plus certaine que faire ce que vous lui avez dit. Pourquoi sen aller triste, sinon parce que ce livre est doux à la bouche, amer dans les entrailles? Tu as donné je ne sais combien dor ou dargent, et tu es dans cette alternative, ou de perdre cette somme, ou de commettre quelque péché, de faire outrage à lEglise, dêtre contraint au blasphème; alors, dans cette fâcheuse alternative, ou de perdre ton argent, ou de blesser la justice, on te dit : Perds ton argent plutôt que de perdre la justice. Mais toi, dont la bouche ne trouve rien de suave dans la justice, et qui es encore au nombre de ces membres infirmes qui composent les entrailles de lEglise, tu es dans une tristesse qui te fait préférer la perte de la justice à la perte de quelque pièce de monnaie, et tu encours un dommage bien plus grave, tu nemplis ta bourse quen vidant ton coeur. Cest probablement de ceux-là quil est dit : « Nos entrailles sattachaient à la terre ». 26. « Levez-vous, Seigneur, secourez-nous 1». Il sest levé, mes frères bien-aimés; oui, il sest levé et nous a secourus. Car à son lever, cest-à-dire à sa résurrection, quand il sest fait connaître aux Gentils, la persécution a cessé, et alors ceux qui sattachaient à la terre se sont arrachés à la terre, et la pénitence les a réintégrés au corps du Christ, malgré leur faiblesse, malgré leur imperfection, et cette parole sest accomplie en eux: « Vos yeux ont vu ce quil y avait en moi dimparfait, et tous seront écrits dans votre livre 2. Levez-vous, Seigneur, secourez-nous, et rachetez-nous à cause de votre nom », cest-à-dire gratuitement; à cause de votre nom, et non point à cause de mes mérites; parce que vous daignez le faire, et non parce que je suis digne que vous le fassiez. Si en effet nous ne vous avons pas oublié, si notre coeur ne sest point éloigné de vous, si nous navons pas tendu les mains à des dieux étrangers, comment laurions-nous pu faire sans votre secours? Doù nous serait venue cette force, si votre grâce ne nous eût parlé intérieurement, ne nous eût exhortés sans nous abandonner? Que nous soyons donc, ou abattus par la tribulation, où consolés par la félicité, rachetez-nous, non point à cause de nos mérites, mais à cause de votre nom. 1. Ps.
XLIII, 26. 2. Id.
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