PSAUME CXI
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DISCOURS SUR LE PSAUME CXI.

SERMON AU PEUPLE.

LE TEMPLE SPIRITUEL.

 

L‘inscription du titre porte : Conversion d’Aggée et de Zacharie. Ces prophètes, bien postérieurs à l’époque des Psaumes, ont prédit la reconstruction du Temple après les soixante-dix années de captivité. Mais ce temple est l’Eglise, par qui l’homme est renouvelé et entre comme pierre vivante dans sa construction. Tel est le temple que prophétisaient Aggée et Zacharie, et dont le couronnement sera la sagesse qui commence par la crainte du Seigneur. C’est au Seigneur qu’il appartient de juger l’homme qui se fait un bonheur d’accomplir sa loi, dont la postérité sera puissante sur la terre , puisqu’elle pourra, par de bonnes oeuvres, acquérir la vie éternelle. Loin de nous d’agir pour un motif humain, et de perdre la gloire qui demeure de siècle en siècle. Dieu nous a tirés de la vie ténébreuse pour nous apprendre à mériter le ciel par le pardon et le bienfait. L’homme doux, du Psaume, pardonne et prête; et il y a dans le pardon une gloire plus pure que dans la vengeance, dans le bienfait une richesse plus solide que celle de la terre. La gloire donc et les richesses sont pour le coeur juste. Régler nos paroles pour le jugement, c’est aussi régler nos oeuvres qui nous défendront alors ; de là cette bénédiction pour la race des justes, tandis que leurs ennemis n’ont voulu que les biens périssables, et seront loin du Verbe de Dieu.

 

1. Je pense, mes frères, que vous avez en tendu et fixé dans votre mémoire le titre de ce psaume: « Conversion d’Aggée et de Zacharie », est-il dit. Or, ces Prophètes n’étaient point encore, quand ce cantique fut chanté. Car, entre l’époque de David et la transmigration du (616) peuple d’Israël à Babylone, on compte quatorze générations, au témoignage des saintes Ecritures, et surtout de l’Evangéliste saint Matthieu 1. Or, selon la parole du saint prophète Jérémie, on espérait que le temple sortirait de ses ruines soixante et dix ans après celte transmigration 2. Or, à l’accomplissement de ces soixante et dix ans, sous Darius, roi de Babylone 3, ces deux saints prophètes, Aggée et Zacharie, furent aussi remplis de l’Esprit-Saint  4 ; et tous deux, dans l’espace d’une année, commencèrent à prédire ce qui concernait la reconstruction du temple, déjà prédite si longtemps auparavant. Mais arrêter les yeux du coeur sur des faits complètement corporels, et ne pas élever son âme jusqu’aux actes spirituels de la grâce, c’est circonscrire sa pensée dans les pierres d’un temple dont la structure visible s’élève par la main des hommes, c’est ne pas devenir soi-même une pierre vivante qui se taille et se prépare à faire partie de ce temple auquel Jésus-Christ compara son corps en disant : « Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours 5 ». L’Eglise est d’une manière bien plus parfaite le corps de Jésus-Christ, dont la tête s’élève au ciel, et qui est par excellence la pierre vivante, la pierre angulaire dont saint Pierre a dit: « Approchez-vous de lui comme de la pierre vivante », rejetée par les hommes, choisie et honorée par Dieu; et vous-mêmes, soyez établis sur lui, comme des pierres vivantes, pour former un édifice spirituel, un sacerdoce saint, afin d’offrir à Dieu des hosties spirituelles « qui lui soient agréables par Jésus-Christ 6». L’Ecriture dit en effet: « Voici que je place en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse, et quiconque croira en elle ne sera point confondu 7 ». Celui donc qui veut devenir une pierre vivante, propre à entrer dans cet édifice, doit comprendre d’une manière spirituelle comment le temple se relève de cette ruine antique faite en Adam, comment se régénère le peuple nouveau, selon l’homme nouveau, l’homme céleste; afin qu’après avoir porté l’image de l’homme terrestre, nous portions aussi l’image de Celui qui est dans le ciel 8, et qu’en lui, après tous les âges de cette vie, comme après ces septante années qui figuraient mystérieusement

 

1. Matth. I, 17.— 2. Jérém. XXV, 12; XXIX, 10.— 3. I Esdr. I, 1.— 4. Agg. I, 1; Zach. I, 1, 26.— 5. Jean, II, 19.— 6. I Pierre, 11, 4-6. — 7. Isa. XXVIII, 16. — 8. I Cor. XV, 49.

 

 

la perfection, comme après la captivité de ce long exil, nous puissions non plus être construits en un édifice qui doit crouler un jour, mais être solidement établis dans une immortalité sans fin. Ne croyez pas en effet que la Jérusalem spirituelle soit plus aux Juifs qu’à vous-mêmes. Comme l’a dit en effet l’Apôtre: « Vous n’êtes plus désormais des étrangers, des exilés; mais vous êtes les concitoyens des saints, habitants de la cité de Dieu, construits sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, édifice dont Jésus-Christ est lui-même la principale pierre angulaire; c’est sur lui que tout l’édifice construit s’élève jusqu’à devenir un temple consacré au Seigneur; et c’est par lui que vous faites partie de la construction de cet édifice, devenant la maison de Dieu par l’Esprit-Saint ».Voilà le temple que prophétisaient en figure Aggée et Zacharie, auquel saint Paul dit encore: « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple 2 ». Quiconque dès lors veut sortir de ce monde qui tombe en ruines, pour entrer comme pierre vivante dans la construction de cet édifice, et pour espérer une part dans cette union sainte et solide, comprend le titre du psaume, il comprend la conversion d’Aggée et de Zacharie. Qu’il chante notre psaume, non plus par la voix, mais par les oeuvres. Et le couronnement de cet édifice sera l’ineffable paix dans la sagesse, dont le commencement est la crainte du Seigneur 3 : qu’il commence par cette crainte, celui qui veut par sa conversion entrer dans l’édifice spirituel.

2. « Bienheureux l’homme qui craint le Seigneur, qui se tait un bonheur d’accomplir sa loi 4 ». C’est à Dieu, qui seul juge avec miséricorde et vérité, de voir combien notre interlocuteur a marché dans ses commandements : « Car la vie de l’homme sur la terre est une épreuve sans fin 5 », a dit Job. Et il est dit encore que le corps corruptible appesantit l’âme, et que cette habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées 6. Or, celui qui nous juge, c’est le Seigneur, et nous ne devons pas juger avant le temps, «jusqu’à ce que le Seigneur vienne et qu’il éclaire ce qui est caché dans les ténèbres, qu’il manifeste les pensées des coeurs; et alors chacun recevra sa louange de Dieu 7 ».

 

1. Ephés. II, 19-22.— 2. I Cor. III, 17.— 3. Prov. I, 7.— 4. Ps. CXI, 1. — 5. Job, VII, 1. — 6. Sag. IX, 15. — 7. I Cor. IV, 4, 5.

 

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Que le Seigneur voie donc les progrès de chacun dans la voie de ses commandements; et toutefois il sera plein d’ardeur, celui qui aimera la paix de ce saint édifice; et il ne doit point désespérer, puisque sa volonté est pleinement dans la loi du Seigneur, et qu’il y a paix sur la terre pour les hommes de bonne volonté 1.

3. C’est pourquoi « sa postérité sera puissante sur la terre 2 ». Cette race ou semence, qui nous prépare une moisson pour l’avenir, consiste dans les oeuvres de miséricorde, selon l’Apôtre, qui nous dit: « Ne nous lassons pas de faire le bien, puisque nous moissonnerons dans la saison 3» ; et encore: « Je vous le dis, quiconque sème peu, moissonnera peu 4 ». Quelle plus grande puissance, mes frères, que celle d’acheter le royaume des cieux, non-seulement avec la moitié de nos biens, comme Zachée 5 mais encore avec les deux deniers de la veuve 6, et d’y posséder tous un héritage égal? Quelle plus grande puissance que d’acquérir un royaume, et le riche par ses trésors, et le pauvre par un verre d’eau froide? Or, plusieurs font ces oeuvres, pour acquérir les biens de la terre, ou dans l’espérance d’une récompense de ha part du Seigneur, ou dans le désir de plaire aux hommes; mais le Prophète ajoute que « la race des justes sera bénie », c’est-à-dire leurs oeuvres; car « le Seigneur est bon pour ceux « qui ont le coeur droit », et la droiture du coeur consiste à ne point résister au Père qui nous châtie, et à croire à ses promesses: et nulle bénédiction pour la race de ceux dont les pieds chancellent, dont la démarche est mal assurée et finit par la chute, comme un autre psaume l’a chanté, parce qu’ils ressentent de l’envie contre les pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent, et qu’ils s’imaginent que leurs oeuvres ont péri, dès lors qu’ils n’en reçoivent pas une récompense périssable 7. Mais pour cet homme qui craint le Seigneur, et qui en redressant son coeur le façonne pour le royaume de Dieu, il ne cherche point la gloire humaine et ne convoite pas les richesses terrestres, et pourtant: « La gloire et la richesse sont dans sa maison ». Car sa maison, c’est son coeur, et là, fortifié par la faveur de Dieu, il est plus riche par l’espérance de la vie éternelle, qu’il ne le

 

1. Luc, IX, 14. — 2. Ps, CXI, 2. — 3. Gal. VI, 9. — 4. II Cor. IX, 6. — 5. Luc, XIX, 8. — 6. Marc, XII, 42. — 7. Ps. LXXII, 1-14.

 

serait, avec les flatteries des hommes, dans des palais de marbre et d’azur, avec la crainte de la mort éternelle. « Car la justice de Dieu demeure cia siècle en siècle 1 ». Telle est la vraie gloire, telles sont les véritables richesses. Quant à cet autre, sa pourpre, son fin lin, ses festins splendides 2, tout cela s’en va, même quand il en jouit; et quand tout cela sera passé, sa langue desséchée demandera à grands cris qu’une goutte d’eau tombe du doigt de Lazare.

4. «Du sein des ténèbres la lumière s’est levée pour les coeurs droits 3 ». C’est avec raison qu’ils redressent leur coeur vers Dieu, avec raison qu’ils marchent dans le chemin droit, en présence de leur Dieu, préférant toujours sa volonté, et ne présumant point de la leur. Ils se souviennent, en effet, qu’autrefois ils étaient ténèbres, et qu’ils sont maintenant lumière dans le Seigneur 4. « Car le Seigneur Dieu est clément, juste et miséricordieux ». Sa clémence et sa miséricorde nous réjouissent, mais sa justice nous effraie peut-être. Loin de toi tout désespoir et toute crainte, ô toi, homme bienheureux, qui crains le- Seigneur,qui mets ta joie dans l’accomplissement de sa volonté: sois doux, miséricordieux, et bienfaisant. Car c’est ainsi que le Seigneur Dieu est juste, au point d’exercer un jugement sans miséricorde contre celui qui n’a point fait miséricorde 5. Or, « celui-là est doux, qui fait miséricorde et qui prête 6 » ; Dieu ne le rejettera point de sa bouche comme celui qui serait fade. « Remettez -les dettes » ,vous est-il dit, « et l’on vous remettra ; donnez, et l’on vous donnera 7». C’est faire miséricorde, que remettre les dettes, afin que les nôtres nous soient remises; c’est prêter, que donner pour que l’on nous donne. Bien qu’en général on appelle miséricorde le soulagement que l’on procure à la misère; il y a néanmoins une différence entre donner, et ces occasions où l’on ne fait aucune dépense, ni en argent, ni en assistance par un travail corporel, et où nous acquérons gratuitement le pardon de nos péchés, en pardonnant aux autres leurs offenses envers nous. Ces deux effets de la charité, de pardonner les offenses et de procurer des bienfaits, comme nous l’avons remarqué dans l’Evangile : « Remettez, et il vous sera remis; donnez, et l’on vous donnera »,

 

1. Ps. CXI, 5.— 2.Luc, XVI, 19.— 3. Ps. CI , 4.— 4. Ephés. V, 8.— . Jacob, II, 13. — Ps. CXI, 5. — 3. Luc, XI, 37, 38.

 

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sont ainsi résumés dans notre verset: «Celui-là est l’homme doux, qui pardonne et qui  prête ». Ne négligeons rien ici, mes frères; c’est chercher la gloire, que vouloir se venger; mais écoutez ce qui est écrit: « L’homme qui dompte sa colère est plus fort que celui qui prend une ville 1». C’est vouloir s’enrichir que ne rien donner aux pauvres; mais

écoutez ce qui est écrit: « Vous aurez un trésor dans le ciel 2 ». Donc, pardonner n’est

point sans gloire; car il est plus grand de triompher de sa colère: on ne s’appauvrit point en donnant, parce que le trésor du ciel est bien plus sûr. Tout cela nous était annoncé par ce verset précédent : « La gloire et les richesses sont dans sa maison ».

5. Observer ces préceptes, c’est « régler ses paroles pour le jugement ». Les actes sont des paroles qui nous défendront au jugement, et ce jugement ne sera point sans miséricorde pour l’homme qui aura lui-même fait miséricorde. « Car il ne sera point ébranlé éternellement 4 » celui qui, placé à droite, entendra ces paroles : « Venez, ô bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde 5 ». Et dans ce jugement il ne sera question que de leurs oeuvres de miséricorde. Il entendra donc : Venez, ô bénis de mon Père; parce que « la race des justes sera bénie », de même aussi « la mémoire du juste sera éternelle « et il ne craindra point cette parole sévère 6», qu’il doit entendre prononcer contre ceux qui seront à gauche : « Allez au feu éternel, préparé à Satan et à ses anges 7 ».

6. Celui donc qui n’aura point cherché ses propres intérêts, mais ceux de Jésus-Christ 8, supporte le labeur avec une grande patience, et attend avec confiance les promesses divines:

« Son coeur est tout prêt à espérer dans le Seigneur » ; et nulle épreuve ne saurait le briser. « Son coeur est fortifié et ne sera point ébranlé, jusqu’à ce qu’il voie le sort de ses ennemis 9». Ses ennemis n’ont voulu voir en cette vie que des biens, et quand on leur en promettait d’invisibles, ils disaient : « Qui nous fera voir les biens 10? » Que notre coeur donc s’affermisse, et ne soyons pas ébranlés jusqu’à ce que nous voyions le sort de nos ennemis. Pour eux, ils ont voulu voir les biens

 

1. Pro. XVI, 32. — 2. Matth. XIX, 21. — 3. Ps. CXI, 5. — 4. Id. 6.— 5. Matth. XXV, 34. — 6. Ps. CXI, 7. — 7. Matth. XXV, 41. — 8. Philipp. II, 21. — 9. Ps. CXI, 7, 8.— 10. Id. IV, 6.

 

des hommes dans la terre des mourants; et nous, nous espérons « voir les biens du Seigneur sur la terre des vivants 1 ».

7. Mais c’est un grand point, d’avoir le coeur affermi, de n’être point ébranlé, quand on voit dans la joie ceux qui aiment ce qu’ils voient, et qui prodiguent l’insulte à celui qui espère ce qu’il ne voit pas. Toutefois, celui-là ne sera point ébranlé, dit le Prophète, jusqu’à ce qu’il voie, non les choses de la terre comme ses ennemis, mais les choses d’en haut au-dessus de ses ennemis, « celles que l’oeil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, qui ne sont point montées au coeur de l’homme,et que Dieu néanmoins a préparées à ceux qui le craignent ». Quel n’est point le prix de ce bien invisible, et que l’on n’acquiert qu’au prix de ce que chacun peut avoir? Aussi le Prophète a-t-il ajouté: « Il a répandu ses biens, les a donnés aux pauvres ». Il ne voyait pas, et pourtant il achetait; mais Celui qui ne dédaignait point d’avoir faim et soif dans les pauvres, lui réservait un trésor dans le ciel. Il n’est donc pas étonnant que « sa justice demeure dans les siècles des siècles », puisqu’elle est gardée par Celui qui a fondé les siècles, « Sa force sera élevée en gloire », lui dont les superbes méprisaient les saints abaissements.

8. « Le pécheur verra et frémira de colère »: donc une pénitence tardive et sans huit. Contre qui sa colère, sinon contre lui-même, quand il dira: « De quoi nous a servi notre orgueil, et que nous revient-il de l’ostentation de nos richesses ? » En voyant donc la force du juste s’élever en gloire, parce qu’il a répandu ses biens en les donnant aux pauvres, « il grincera les dents et séchera de dépit »; car il y aura des pleurs et des grincements de dents. Il ne ressemblera point à cet arbre qui reverdit et se couvre de feuilles, comme il serait devenu par un repentir à temps opportun; mais son repentir viendra quand « le désir des pécheurs s’évanouira » sans être adouci par aucune consolation. Car ce désir du pécheur doit s’évanouir, lorsque tout passera comme l’ombre, et quand la fleur tombera du foin desséché. « Mais le Verbe du Seigneur, qui demeure éternellement », se rira de leur perte et de leur véritable malheur, comme on l’a tourné lui-même en dérision, dans l’enivrement d’un bonheur passager.

 

1. Ps. XXVI, 13.

 

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