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JUSTICE - HOMME

 

LIVRE QUATRIÈME.

 

Merci à M. l'abbé Bernard Chalmel  d'avoir découvert ce Livre manquant dans l'édition et de l'avoir numérisé.

 

CHAPITRE PREMIER. LES CINQ MYSTÉRIEUSES RETRAITES DES PÉLAGIENS.

CHAPITRE II. ÉLOGES DONNÉS PAR LES PÉLAGIENS A LA CRÉATURE, AU MARIAGE, A LA LOI, AU LIBRE ARBITRE, AUX SAINTS.

CHAPITRE III. LA DOCTRINE CATHOLIQUE CONDAMNE A LA FOIS LES PÉLAGIENS ET LES MANICHÉENS.

CHAPITRE IV. LA NATURE HUMAINE DEVANT LES PÉLAGIENS ET LES MANICHÉENS.

CHAPITRE V. DU MARIAGE.

CHAPITRE VI. DU LIBRE ARBITRE. — QUESTION INSOLUBLE.

CHAPITRE VII. ÉLOGES DONNÉS AUX SAINTS.

CHAPITRE VIII. LES PÉLAGIENS RÉFUTÉS PAR LA TRADITION.

CHAPITRE IX. DOCTRINE DE SAINT CYPRIEN SUR LA GRÂCE DE DIEU.

CHAPITRE X. DOCTRINE DE SAINT CYPRIEN SUR L'IMPERFECTION DE NOTRE JUSTICE.

CHAPITRE XI. LES PÉLAGIENS RÉFUTÉS PAR LA DOCTRINE DE SAINT AMBROISE SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL, SUR LA GRÂCE DE DIEU ET SUR L'IMPERFECTION DE LA JUSTICE ICI-BAS.

CHAPITRE XII. L'HÉRÉSIE PÉLAGIENNE BIEN POSTÉRIEURE A SAINT AMBROISE. LES ASSEMBLÉES SYNODALES NE SONT PAS TOUJOURS NÉCESSAIRES POUR CONDAMNER LES HÉRÉSIES.

 Saint Augustin met dans tout leur jour les séduisantes subtilités à l'aide desquelles, dans la dernière partie de leur seconde lettre, les Pélagiens cherchent à cacher leur erreur et à tromper les faibles ; il prouve que ces deux hérésies, manichéenne et pélagienne, malgré leur opposition réciproque, sont hautement confondues par la doctrine catholique. 


 

CHAPITRE PREMIER. LES CINQ MYSTÉRIEUSES RETRAITES DES PÉLAGIENS. 

 

1. La première partie de la lettre des Pélagiens n'était qu'un tissu de calomnies contre nous, mais nous l'avons suffisamment réfutée ; dans la seconde, ils traitent de nouveau les mêmes matières, mais sous un mode différent. Après nous avoir reproché de soutenir telle ou telle doctrine, ils entreprennent de formuler leur propre enseignement qui ne saurait être que la contre-partie des accusations qu'ils portent contre nous ; seulement ils émettent deux nouvelles propositions. Dans l'une, « ils soutiennent que le baptême est nécessaire à tous les âges » ; dans l'autre, « ils affirment qu'Adam nous a transmis la a mort et non le péché ». Nous examinerons en leur lieu et place ces deux propositions. Dans le livre précédent nous avons signalé cinq questions qu'ils couvrent de ténèbres afin d'y cacher les erreurs qu'ils professent contre la grâce de Dieu et contre la foi catholique : la créature, le mariage, la loi, le libre arbitre, les saints. Au lieu d'une réfutation générale de leur doctrine, je crois plus utile d'envisager graduellement et en particulier l'opinion qu'ils formulent sur chacun de ces sujets ; cette distinction rendra notre réponse plus courte, et surtout beaucoup plus claire. 

 

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CHAPITRE II. ÉLOGES DONNÉS PAR LES PÉLAGIENS A LA CRÉATURE, AU MARIAGE, A LA LOI, AU LIBRE ARBITRE, AUX SAINTS. 

 

2. Pour faire l'éloge de la créature ou plutôt du genre humain, voici comme ils s'expriment : « Dieu est le créateur de tous les hommes qui naissent, et les enfants des hommes sont tous l'œuvre de Dieu ; quant au péché, il ne vient pas de la nature, mais de la volonté ». A cet éloge de la créature, ils appliquent la proposition par laquelle ils affirment que « le baptême est nécessaire à tous les âges », nécessaire en ce sens que par le baptême nous devenons les enfants adoptifs de Dieu, mais non pas en ce sens que le péché nous soit transmis par nos parents, et que nous ayons besoin de l'expier dans le bain de la régénération ». Ils ajoutent que « Jésus-Christ n'a jamais été souillé d'aucun péché, quant à ce qui regarde son enfance ; que sa chair a toujours été pure de toute contagion du péché, non pas en vertu de sa dignité propre et d'une grâce singulière, mais par l'effet de cette communauté de nature que partagent tous les enfants ». C'est également à ce sujet qu'ils soulèvent la question de l'origine de l'âme, voulant par là égaler à l'âme de Jésus-Christ toutes les âmes des enfants, dans lesquelles ils n'admettent la souillure d'aucun péché. De là cette autre parole : « Adam ne nous a transmis aucun mal, si ce n'est la mort ; et encore », disent-ils, « la mort n'est pas toujours un mal, puisqu'elle a été pour les martyrs le principe de leurs récompenses, et qu'elle est rendue bonne ou mauvaise, non point par la dissolution des corps qui ressusciteront un jour, mais par la diversité des mérites, laquelle ne dépend que de la liberté humaine ». C'est dans leur lettre elle-même que nous trouvons ces éloges de la créature. 

Quant au mariage, c'est d'abord à l'Écriture qu'ils empruntent les éloges qu'ils lui donnent, « car le Seigneur dit dans l'Évangile : « Celui qui a créé dès le commencement, les « a créés homme et femme (1), et il a dit : « Croissez, multipliez-vous et remplissez la terre (2) ». Si ces textes ne sont pas tous dans l'Évangile, du moins on les rencontre dans la loi. Ils ajoutent même celui-ci : « Ce que « Dieu a uni, que l'homme ne le sépare 

 (1) Matt. XIX, 4. —  (2) Gen. I, 58. 

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pas (1) ». Et, en effet, nous trouvons ces paroles dans l'Évangile. 

A la louange de la loi, ils s'expriment en ces termes : « La loi ancienne, laquelle, selon l'Apôtre, est juste, sainte et bonne (2), a pu conférer la vie éternelle à ceux qui observent les préceptes et qui vivent dans la justice par la foi, comme elle l'a conférée aux prophètes, aux patriarches et à tous les saints ». 

Pour louer le libre arbitre, ils affirment que « le libre arbitre n'a pas péri, puisque le Seigneur nous dit par l'organe de son Prophète : Si vous voulez et si vous m'écoutez, tous les biens de la terre seront à vous ; mais si vous refusez et si vous ne m'écoutez pas, le glaive vous dévorera (3). D'où il suit », ajoutent-ils, « que la grâce vient en aide à chacun dans ses bonnes résolutions, sans cependant lui inspirer directement le zèle de la vertu, car Dieu ne fait aucune acception des personnes (4) ». 

A la louange des saints, et pour mieux se cacher, ils affirment que « le baptême renouvelle parfaitement les hommes, puisque l'Apôtre n'hésite pas à dire que, par le bain de l'eau salutaire, l'Église formée de toutes les nations devient sainte et sans tache (5). D'un autre côté, le Saint-Esprit, dans les temps anciens, venait au secours des bonnes âmes, puisque le Prophète dit à Dieu : Votre Esprit bon me conduira par la voie droite (6). Quant aux Prophètes, aux Apôtres et aux saints, tant du Nouveau que de l'Ancien Testament, et auxquels Dieu a rendu témoignage, ils étaient justes, non-seulement par comparaison avec les scélérats, mais encore en raison de leur conformité à la règle des vertus ; or, c'est dans l'éternité que les bonnes œuvres obtiennent leur récompense, et les mauvaises leur châtiment. Du reste, ceux qui auront méprisé les commandements ici-bas ne pourront les accomplir dans l'autre vie, car l'Apôtre a dit : Nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites pendant « qu'il était revêtu de son corps (7) ». 

Par tout ce qui précède, il est facile de comprendre que les éloges qu'ils prodiguent

 

 (1) Matt. XIX, 6 —  (2)Rom. VII, l2— (3) Isa. I, 19, 20 —  (4) Rom. II, 11 —  (5) Eph. V, 26 —  (6) Ps. CXLII, 10. —  (7) II Cor. V, 10.

 

à la créature et au mariage ont pour but de prouver que le péché originel n'existe pas. S'ils louent la loi et le libre arbitre, c'est pour prouver que la grâce ne nous est accordée qu'en raison de nos mérites, et dès lors que la grâce n'est plus la grâce. S'ils exaltent les saints, c'est pour montrer que les saints ont vécu sur la terre sans péché, et qu'ils n'ont pis eu besoin de demander à Dieu le pardon de leur péché. 

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CHAPITRE III. LA DOCTRINE CATHOLIQUE CONDAMNE A LA FOIS LES PÉLAGIENS ET LES MANICHÉENS.

 

3. Tout catholique sincère éprouve pour ces trois chefs d'erreurs vraiment condamnables une horreur profonde ; qu'il sache donc déjouer les cinq embûches qui pourraient l'y attacher, qu'il se tienne prudemment à égale distance du manichéisme et du pélagianisme ; s'il échappe à l'un, que ce ne soit pas pour tomber dans l'autre ; qu'il se sépare des Pélagiens, de manière à ne pas s'unir aux Manichéens ; ou bien, s'il est déjà la victime des uns ou des autres, qu'il prenne garde, en brisant ses premiers liens, de s'engager dans les autres. En effet, les Manichéens et les Pélagiens semblent entre eux de véritables ennemis, puisque les Manichéens condamnent ce que les Pélagiens approuvent sans réserve, pour mieux cacher leur erreur. Or, Manichéens et Pélagiens sont formellement condamnés par quiconque, se montrant docile à la règle de la foi catholique, remercie le Créateur d'avoir fait bons le corps et l'âme, n'en déplaise aux Manichéens pour qui l'âme et le corps sont intrinsèquement mauvais. Toutefois, malgré leur bonté originelle, et en raison du mal qui est transmis à la postérité par suite du péché du premier homme, tout catholique doit confesser que même les enfants ont besoin d'un Sauveur, quoiqu'en disent les Pélagiens qui soutiennent le contraire. De cette manière, il sait mettre une distinction entre le mal de la concupiscence et la honte du mariage, et, de cette manière encore, il évite d'accuser, comme le font les Manichéens, le principe duquel nous tenons l'existence, et de louer, comme le font les Pélagiens, ce qui doit, au contraire, nous couvrir de confusion. Parla encore, il proclame que la loi mosaïque, celle loi sainte, juste et bonne, nous a été donnée par un Dieu 

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saint, juste et bon : c'est ce qu'affirme l'Apôtre et ce que nient les Manichéens ; toutefois, il soutient également avec l'Apôtre ce que nient également les Pélagiens, c'est-à-dire que cette loi constate le péché et ne l'efface pas ; qu'elle commande la justice et qu'elle ne la donne pas. De même il affirme l'existence du libre arbitre, mais il attribue le mal de l'ange et de l'homme, non pas à je ne sais quelle nature éternellement mauvaise, mais uniquement au libre arbitre, et du même coup il confond l'hérésie manichéenne ; d'un autre côté, il soutient que la volonté humaine devenue captive ne peut, sans la grâce de Dieu, recouvrer une liberté salutaire, et il tue par cela même l'hérésie pélagienne. Enfin, il loue dans le Seigneur tous les saints et tous ceux qui ont pratiqué la justice, non-seulement depuis l'incarnation du Verbe, mais encore dans les temps antérieurs, tandis que, pour ces justes anciens, les Manichéens n'ont que des blasphèmes ; d'un autre côté, il croit à l'aveu que ces justes font de leurs péchés, plutôt qu'au mensonge des Pélagiens proclamant leur parfaite justice. Le cri de tous ces saints n'est-il pas : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous (1) ? »

 

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CHAPITRE IV. LA NATURE HUMAINE DEVANT LES PÉLAGIENS ET LES MANICHÉENS.

 

4. S'il en est ainsi, qu'importe à ces nouveaux hérétiques, ennemis de la croix de Jésus-Christ et de la divine grâce, de paraître sains de tout contact avec l'hérésie des Manichéens, des qu'ils sont eux-mêmes atteints d'une autre maladie mortelle ? Qu'importe qu'ils disent en l'honneur de la créature, « que tous ceux qui naissent sont créés par un Dieu bon, par qui tout a été fait, et que les enfants des hommes sont son œuvre », au lieu d'être l'œuvre du prince des ténèbres, comme l'affirment les Manichéens ? pour les uns comme pour les autres, est-ce que la créature de Dieu, telle qu'elle se trouve dans les enfants, n'est point condamnée à périr éternellement ? En effet, les uns et les autres soutiennent qu'elle n'est point délivrée par la chair et par le sang de Jésus Christ. Comment le serait-elle aux yeux des Manichéens, puisqu'ils nient 

 (1) 1 Jean, I, 8. 

que le Verbe ait revêtu la chair et le sang de l'homme ou dans l'homme ? Comment le serait-elle aux yeux des Pélagiens, puisqu'ils nient dans les enfants l'existence de tout mal originel, dont ils aient à obtenir la délivrance par le sacrement de la chair et du sang de Jésus-Christ ? C'est ainsi qu'entre les uns et les autres gît la nature humaine des enfants, bonne par son institution, viciée par sa propagation ; par les biens qu'elle possède confessant la bonté de son Créateur, par les maux qui l'obsèdent cherchant un miséricordieux rédempteur ; entendant les Manichéens mépriser les biens qui lui restent, et les Pélagiens nier les maux dont elle est la victime, tous enfin se faisant ses persécuteurs. Trop jeune encore, cette nature enfantine ne saurait parler, mais dans son silence et cachée sous sa faiblesse, elle interpelle l'impie vanité des uns et des autres, et dit aux uns : Croyez que je suis créée par Celui qui crée tous les biens ; et aux autres : Croyez que je suis guérie par Celui qui m'a créée. Le manichéen répond : Dans cet enfant rien n'est à délivrer que son âme bonne ; en dehors de cette âme tout en lui est à mépriser comme appartenant, non pas à un Dieu bon, mais au prince -des ténèbres. Le pélagien reprend : Rien dans cet enfant n'est à délivrer, puisque nous avons prouvé qu'en lui tout est sauvé. Tous deux sont dans l'erreur, et pourtant je préfère encore celui qui n'accuse que la chair, à celui qui, sous le voile de la louange, sévit cruellement contre la personne tout entière. Toutefois quel secours le manichéen apporte-t-il à l'âme humaine, puisqu'il n'a que des blasphèmes pour Celui qui a créé dans l'homme et son âme et son corps ? Quant au pélagien, en niant le péché originel, il ne permet pas à la grâce divine de venir au secours de l'enfance humaine. Où se montre la miséricorde de Dieu, c'est donc dans la foi catholique qui pourvoit au salut de l'enfant en réprouvant à la fois ces deux funestes erreurs. Elle crie aux Manichéens : Écoutez cette voix de l'Apôtre : « Ignorez-vous donc que vos corps sont le temple du Saint-Esprit qui habite en vous (1) ? » Croyez que c'est le Dieu bon qui est le créateur des corps, puisque l'œuvre du prince des ténèbres ne saurait servir de temple au Saint-Esprit. Elle dit aux 

 (1) I Cor. VI, 19. 

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Pélagiens : « Celui que vous voyez enfant a été conçu dans l'iniquité, et sa mère l'a engendré dans le péché (1) ». Pourquoi donc soutenir qu'il est exempt de tout péché, et par là même lui refuser une miséricordieuse délivrance ? « Personne n'est exempt de toute souillure, pas même l'enfant qui n'est que depuis un jour sur la terre (2) ». Laissez un malheureux recevoir le pardon de ses péchés, de la part de celui qui seul, qu'il fût petit ou grand, n'a pu être coupable d'aucun péché. 

5. « Le péché », disent-ils, « ne vient pas de la nature, mais de la volonté ». Mais à quoi cette distinction peut-elle leur servir ? Pensent-ils donc, par cette maxime, réfuter les Manichéens qui soutiennent que la mauvaise nature est la cause du péché ? Et qu'importe après tout cette réfutation, si, en refusant d'admettre le péché originel dont la cause primitive est assurément la volonté du premier homme, ils laissent les enfants mourir dans le péché ? Ils soutiennent que « le baptême est nécessaire à tous les âges », tandis que les Manichéens le regardent en tout temps comme une superfluité ; mais qu'importe après tout leur aveu, s'ils prétendent que le baptême est faux dans les enfants, du moins quant à ce qui regarde la rémission des péchés ? Contre les Manichéens qui n'admettent en Jésus-Christ aucune chair, ou du moins qu'une apparence de chair sans réalité, les Pélagiens affirment, non-seulement que Jésus-Christ avait une chair véritable, mais encore que « cette chair a toujours été exempte de tout péché et de toute souillure ». Mais qu'importe cette affirmation, si entre Jésus-Christ et les enfants ils ne mettent aucune différence, même quant à la pureté, de telle sorte que la chair de Jésus-Christ comparée à celle des enfants, n'ait plus aucune sainteté qui la distingue, et que ces enfants à leur tour n'aient à attendre de cette chair aucun saint ? 

6. Quand ils disent qu'« Adam nous a transmis la mort, et non pas le péché », qu'ils ne craignent pas de se voir contredits par les Manichéens. En effet, ces derniers se gardent bien d'affirmer l'existence du péché originel et sa transmission depuis le premier homme créé pur de corps et d'esprit, et ensuite dépravé par le libre arbitre, jusqu'au dernier 

 (1) Ps. L, 7. —  (2) Job, XIV, 5, selon les Sept. 

des hommes, devant ainsi hériter de la mort et du péché. Loin de là, les Manichéens soutiennent que dès le commencement la chair a été créée mauvaise, d'un mauvais corps, par un esprit mauvais et avec un esprit mauvais. Quant à notre âme, elle est essentiellement bonne, puisqu'elle est une partie de Dieu ; toutefois, en punition de la souillure contractée par la nourriture et le breuvage auxquels elle a été précédemment liée, elle a été condamnée à venir habiter l'homme auquel elle reste attachée par le lien du commerce charnel. Les Manichéens se trouvent donc d'accord avec les Pélagiens en tant qu'ils soutiennent que le péché du premier homme ne s'est transmis au genre humain ni par la chair qui n'a jamais été bonne, ni par l'âme qui a clé condamnée à venir habiter te corps de l'homme, en punition des souillures qu'elle avait contractées avant d'être unie à la chair. Quant aux Pélagiens, comment peuvent-ils dire que « la mort seule nous a été transmise par Adam ? » Si nous mourons, parce qu'Adam est mort, et si Adam est mort, parce qu'il avait péché, n'est-ce pas dire que le châtiment nous est transmis sans la coulpe, et que des enfants innocents sont injustement punis en subissant la mort sans l'avoir méritée ? Selon la foi catholique, cette triste condition n'appartient qu'à celui qui s'est fait Médiateur entre Dieu et les hommes, c'est-à-dire à Jésus-Christ qui, par amour pour nous, a daigné mourir pour nous, et subir le châtiment du péché, sans être coupable du péché. De même que seul il s'est fait le Fils de l'homme, afin que par lui nous devinssions les enfants de Dieu ; de même, seul il a subi te châtiment sans l'avoir mérité, afin que par lui nous pussions obtenir la grâce sans l'avoir méritée. Aucun bien ne nous était dû, connue aucun mal ne lui était dû à lui-même. Afin donc de mieux faire comprendre son amour pour ceux auxquels il devait donner une vie qu'ils no méritaient pas, il a voulu pour eux souffrir une mort qu'il n'avait point méritée. Cette glorieuse prérogative du Médiateur, les Pélagiens la réduisent à néant, en soutenant qu'Adam avait subi la mort qu'il avait méritée par sou péché, tandis que les enfants, qui n'ont reçu de lui aucune tache originelle, sont frappés d'une mort qu'ils n'ont point méritée. Sans doute la mort peut être pour les bons un 

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véritable bienfait, ce qui a déterminé certains auteurs à prendre pour thèse le bonheur de mourir ; cependant, si quelque chose doit ici mériter des éloges, c'est l'infinie miséricorde de Dieu, qui sait nous faire tirer avantage de ce qui n'est après tout que le châtiment du péché. 

7. Pour émettre une semblable doctrine, il leur faut dénaturer ce langage si formel de l'Apôtre : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, et c'est ainsi que tous les hommes en sont atteints ». Or, les Pélagiens soutiennent que ce n'est pas le péché, mais la mort qui est transmise aux hommes. Et que signifient donc les paroles suivantes : « En qui tous ont péché ? » Ou bien l'Apôtre affirme que tous les hommes ont péché dans un seul homme, c'est-à-dire en celui dont il avait dit : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme » ; ou bien c'est dans ce péché lui-même que tous les hommes ont péché, ou bien c'est dans la mort. Comment dans la mort, dira-t-on, puisque le texte porte : En qui, et non pas, Dans laquelle tous ont péché ? N'oublions pas que dans la langue grecque le mot qui signifie la mort est du genre masculin. Donc, que nos adversaires choisissent : ou bien c'est dans le premier homme que tous les autres ont péché, voilà pourquoi l'on dit que quand il a péché, tous étaient virtuellement en lui ; ou bien ils ont tous péché dans ce péché, parce qu'une loi générale était portée en vertu de laquelle tous les enfants devaient, à leur naissance, contracter ce péché ; ou bien enfin il faudra dire que c'est dans la mort que tons les hommes ont péché. Quant à cette dernière hypothèse, je ne vois pas qu'il soit possible de l'admettre. En effet, si l'on peut dire que tous meurent dans le péché, pourrait-on dire que tous pèchent dans la mort ? Ce qui précède logiquement, c'est le péché ; ce qui suit, c'est la mort ; mais ce qui suit la mort, ce n'est pas le péché. « L'aiguillon de la mort, c'est le péché (1) » ; en d'autres termes, le péché est l'aiguillon dont la piqûre produit la mort, et non pas l'aiguillon dont la mort nous frappe. Prendre du poison, c'est prendre un breuvage de mort, parce que la mort est la conséquence naturelle de ce breuvage ; cela ne veut donc pas dire que ce breuvage soit fait par la mort, ou qu'il

 (1) I Cor. XV, 56. 

soit donné par la mort. D'un autre côté, ce n'est pas du péché que l'Apôtre a dit : « En et qui tous ont péché », puisque le mot grec que nous traduisons par le mot péché, est du genre féminin, et tout le monde sait que cette épître a été écrite en grec. Par conséquent, c'est nécessairement du premier homme qu'il a été dit : « En qui tous ont péché », puisque tous étaient virtuellement renfermés en lui, quand il a péché ; voilà pourquoi tous contractent le péché en naissant, et n'en reçoivent la rémission que dans la renaissance. Telle est l'interprétation que saint Hilaire nous donne de ces paroles : « En qui tous ont péché » ; il s'exprime ainsi : « En qui, c'est-à-dire dans Adam, tous ont péché ». Il ajoute : « Il est évident que c'est dans Adam comme dans une masse commune que tous ont péché. Parce qu'il s'est laissé corrompre parle péché, tous ceux qu'il a engendrés sont nés sous le joug du péché ». Saint Hilaire pouvait-il nous expliquer plus clairement dans quel sens on doit interpréter ces paroles : « En qui tous ont péché ? »

 

8. Et quand l'Apôtre nous dit que la réconciliation s'est faite entre nous et Dieu par Jésus-Christ, sur quel point s'est-elle faite, si ce n'est pas sur celui qui nous avait rendus ses ennemis ? Et ce point, quel est-il, si ce n'est le péché ? De là ce mot du Prophète : « Vos péchés établissent une séparation entre vous et Dieu (1) ». C'est pour détruire cette séparation que le Médiateur a été envoyé, afin d'effacer ce péché du monde qui faisait de nous les ennemis de Dieu, et de nous réconcilier avec Dieu en nous rendant ses enfants. Tel était le sens des paroles de l'Apôtre, et c'est pour le faire mieux sentir qu'il ajoutait : « Le péché est entré par un seul homme ». Un peu auparavant il avait dit : « Dieu a fait éclater son amour pour nous, car alors même que nous étions encore des pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous dans le temps marqué. Maintenant donc que nous sommes justifiés par son sang, nous serons à plus forte raison délivrés par lui de la colère de Dieu. Car si, lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, à plus forte raison, étant maintenant réconciliés avec lui, nous serons sauvés par la vie de ce même Fils. Et non seulement cela, mais 

 (1) Isa. LIX, 2. 

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« nous nous glorifions même en Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui nous avons obtenu maintenant cette réconciliation ». Il ajoutait : « Car, comme le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, et qu'ainsi la mort est passée dans tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché (1) ». Les Pélagiens peuvent-ils encore tergiverser ? Si la réconciliation opérée par Jésus-Christ est nécessaire à tous, c'est donc qu'à tous a été transmis ce péché qui nous a rendus les ennemis de Dieu, et nous a imposé le besoin d'une réconciliation. Cette réconciliation s'opère dans le bain de la régénération et dans la chair et le sang de Jésus-Christ, sans lequel, même les enfants ne peuvent avoir la vie en eux-mêmes. Ce qu'un seul homme a été par le péché pour la mort de tous, un seul l'est par la justice pour la vie de tous. En effet, « de même que tous meurent en Adam, de même tons seront vivifiés en Jésus-Christ (2) ; comme c'est par le péché d'un seul que plusieurs sont tombés dans la condamnation, ainsi c'est par la justice d'un seul que tous les hommes reçoivent la justification de la vie (3) ». Contre des paroles apostoliques aussi formelles, comment pousser une coupable impiété jusqu'à soutenir aveuglément qu'Adam nous a transmis la mort sans le péché ? Pour en arriver là, ne faut-il pas se poser comme les adversaires de la grâce de Dieu et les ennemis de la croix de Jésus-Christ ? La fin de tels hommes peut-elle ne pas être la ruine éternelle (4), s'ils persévèrent dans leur obstination ? Ces observations nous paraissent suffire pour confondre la ruse diabolique de ceux qui, par les plus pompeux éloges prodigués à la créature, ne veulent en réalité que corrompre les âmes simples et les détourner de la pureté de la foi catholique.

 

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CHAPITRE V. DU MARIAGE.

 

9. Les Manichéens attribuaient le mariage, non pas au Dieu véritable et bon, mais au prince des ténèbres. Les Pélagiens les réfutent par ces paroles véritablement chrétiennes : « Le Seigneur ne dit-il pas dans l'Évangile : Celui qui a fait l'homme dès le commencement, ne l'a-t-il pas créé homme 

 (1) Rom. V, 8-12. —  (2) 1 Cor. XV, 22. —  (3) Rom. V, 18. —  (4) Philip. III, 18, 19. 

et femme (1) ? et il a dit : « Croissez, multipliez-vous, et remplissez la terre (2). Dès lors, ce que Dieu a uni. que l'homme ne le sépare pas (3) ? » Mais qu'importent ces éloges qu'ils font du mariage ? Qu'importe de ne faire de la vérité qu'un instrument pour insinuer le mensonge ? En partant ainsi, ils prétendent prouver que les enfants naissent sans aucune souillure, et dès lors qu'ils n'ont aucun besoin d'être réconciliés avec Dieu par Jésus-Christ ; qu'ils ne sont coupables d'aucun péché originel qui puisse les obliger tous à être réconciliés par celui-là seul qui est venu au monde sans péché ; comme tous seraient devenus ennemis par celui-là seul par qui le péché est entré dans le monde. Or, sans porter aucune atteinte à la bonté du mariage, la foi catholique admet cette transmission du péché, et la nécessité absolue d'une réconciliation ; et, en effet, ce qui l'ait la beauté du mariage, c'est l'union légitime des sexes, et non la criminelle justification des vices. Quand donc les Pélagiens font ressortir la bonté du mariage pour convaincre d'erreur les Manichéens et se les attacher, ils ne veulent que changer, et non pas guérir, la maladie dont ils sont atteints. 

10. Pour ce qui concerne la loi, qu'importe aux Pélagiens d'opposer la vérité aux Manichéens, si ce n'est là qu'un moyen de leur faire partager les erreurs pélagiennes contre la foi catholique ? « Nous soutenons avec l'Apôtre », disent-ils, « que même la loi ancienne est sainte, juste et bonne (4), et qu'elle peut conférer la vie éternelle à tous ceux qui observent ses commandements et qui vivent dans la justice par la foi, et c'est ce qui s'est fait dans la personne des Prophètes, des patriarches et de tous les saints ». Sous l'habileté de ce langage, ils affectent de louer la loi au détriment de la grâce. En effet, cette loi, quoique sainte, juste et bonne, ce n'est pas elle, mais la foi en Jésus-Christ qui a conféré à tous ces hommes de Dieu la vie éternelle. La foi qui opère par la charité en était seule capable (5), car elle opère, non pas selon la lettre qui tue, mais selon l'esprit qui vivifie (6). Tout ce que peut cette loi, c'est, par les terreurs dont elle poursuit la prévarication, de nous conduire à la grâce de Dieu, comme un maître conduit 

 (1) Matt. XIX, 1.—  (2) Gen. I, 28.—  (3) Matt. XIX, 6.—  (4) Rom. VII, 12. —  (5) Gal. V, 6. —  (6) II Cor. III, 6. 

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ses enfants (1), et de procurer ainsi à l'homme ce qu'elle-même n'aurait pu lui conférer, a La loi »,disent-ils, « a pu conférer la vie éternelle aux Prophètes, aux patriarches et à tous les saints qui observent ses commandements ». Qu'ils écoutent ce que l'Apôtre leur répond : « Si la justice est donnée par la loi, c'est donc en vain que Jésus-Christ est mort (2). Si c'est par la loi que nous obtenons l'héritage, ce n'est donc pas par la promesse (3). Si ceux qui appartiennent à la loi sont les héritiers, notre foi est donc vaine, et la promesse s'évanouit (4). Il est clair que personne n'est justifié par la loi devant Dieu, puisque le juste vit de la foi. Or, la loi ne vient pas de la foi, mais celui qui observera ces préceptes y trouvera la vies (5) ». L'Apôtre parle ici de la vie temporelle en vue de laquelle les hommes accomplissaient les œuvres de la loi, uniquement par crainte de perdre la vie et sans recourir aux inspirations de la foi. Ne sait-on pas que les transgresseurs de la loi ancienne étaient condamnés à mort au nom de cette loi et par le peuple ? Ou bien, doit-on prendre ces paroles dans un sens plus élevé, et s'appliquant à la vie éternelle : « Celui qui observera ces préceptes y trouvera la vie (6) ? » Alors on devrait ajouter qu'en face de ce commandement, l'homme se sentant par lui-même trop peu de forces pour l'accomplir, devait par la foi chercher du secours dans la grâce de Dieu, de qui seul nous vient la foi. Si donc nous avons la foi, c'est « selon la mesure du don de la foi que Dieu a départie à chacun de nous (7) ». Ce n'est point par eux-mêmes que les hommes ont l'esprit de vertu, de charité et de continence, comme le prouvent ces paroles de l'Apôtre : « Nous n'avons pas reçu l'esprit de crainte, mais l'esprit de vertu, de charité et de continence (8) ». A plus forte raison avons-nous reçu également l'esprit de foi, dont il est dit : « Ayant donc le même esprit de foi (9) ». La loi dit : « Celui qui observera ces préceptes y trouvera la vie ». Mais pour les observer et y trouver la vie, on a besoin, non pas de la loi, qui commande, mais de la foi qui obtient la grâce de les accomplir. Enfin, cette foi elle-même, nous ne la méritons pas, elle nous est donnée gratuitement. 

 (1) Gal. III, 24. —  (2) Id. II, 21. —  (3) Id. III, 18. —  (4) Rom. IV, 14. —  (5) Gal. III, 11, 12.—  (6) Lévit. XVIII, 5.—  (7) Rom. XII, 3.—  (8) II Tim. I, 7 —  (9) II Cor. IV, 13. 

11. Jamais les Pélagiens ne dressent contre la grâce, dont ils sont les ennemis, des batteries aussi habilement déguisées, que dans les éloges qu'ils prodiguent à la loi, ce qui ne veut pas dire assurément qu'elle n'en mérite point. Quelle que soit la forme de leur langage et la variété de leurs discours, partout et toujours ils nous présentent la loi comme étant un secours que Dieu nous accorde pour nous faire connaître les devoirs que nous avons à accomplir ; mais ils se gardent bien de nous parler d'aucune inspiration de dilection qui nous porte à accomplir par un saint amour les obligations connues, et qui constitue la grâce proprement dite. Sans la charité, la science de la loi enfle et n'édifie pas, selon cette parole énergique de l'Apôtre : « La science enfle, la charité édifie  (1) », ce qui revient à dire en d'autres termes : « La lettre tue, et l'esprit vivifie  (2) ». « La science enfle », signifie que « la lettre tue » ; et « la charité édifie, « veut dire que l'esprit vivifie » ; car la charité de Dieu est répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné  (3). C'est donc la connaissance de la loi qui fait l'orgueilleux prévaricateur, tandis que c'est le don de la charité qui fait le joyeux observateur de la loi. Ne détruisons donc pas la loi par la foi ; au contraire, nous l'établissons  (4), car elle conduit à la foi par les terreurs qu'elle inspire. Voilà pourquoi la loi produit la colère  (5), afin que l'homme, effrayé par ses menaces, se décide à l'accomplissement de la justice de la loi, et qu'ainsi la miséricorde de Dieu lui accorde la grâce par Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est la sagesse divine (6) dont il est écrit : « Elle porte sur sa langue la loi et la miséricorde  (7) » ; la loi pour effrayer, la miséricorde pour aider ; la loi par le serviteur, la miséricorde par elle-même ; la loi comme le bâton envoyé par Élisée pour soulever le fils de la veuve, lequel pourtant n'est point ressuscité, « car si la loi était donnée pour vivifier, la justice viendrait absolument de la a loi  (8) » ; la miséricorde enfin, c'est-à-dire Élisée lui-même, qui appliqua son corps sur le cadavre du jeune homme, le ressuscita, et devint ainsi la brillante figure de Jésus-Christ et des grâces du Nouveau Testament  (9). 

 (1) 1 Cor. VIII, 1. —  (2) II Cor. III, 6. —  (3) Rom. V, 5.—  (4) Id. III, 31. —  (5) Id. IV, 15. —  (6) I Cor. I, 30. —  (7) Prov. III, selon les Sept. —  (8) Gal. III, 21. —  (9) IV Rois, IV, 29-35. 

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CHAPITRE VI. DU LIBRE ARBITRE. — QUESTION INSOLUBLE.

 

12. Pour confondre les disciples de Manès, les Pélagiens font un pompeux éloge du libre arbitre, et l'appuient sur ces paroles du Prophète : « Si vous le voulez, et si vous m'écoutez, vous goûterez les biens de la terre ; mais si vous ne le voulez pas, et si vous ne m'écoutez pas, le glaive vous dévorera (1) ». Mais que leur importe cet éloge ? Le véritable but qu'ils se proposent, ce n'est pas de justifier le libre arbitre contre les Manichéens, mais d'en exagérer la puissance contre les catholiques. En effet, par ces paroles du Prophète : « Si vous le voulez, et si vous m'écoutez », n'ont-ils pas la prétention de prouver que c'est dans la volonté précédente que se trouve le mérite de la grâce subséquente ; de telle sorte que la grâce n'est plus la grâce, car loin d'être absolument gratuite, elle n'est plus qu'une dette rigoureuse ? Au contraire, qu'ils admettent avec nous, que cette parole : « Si vous le voulez », suppose que cette volonté humaine a été rendue bonne par Celui qui peut seul la préparer, selon qu'il est écrit : « La volonté est préparée par le Seigneur (2) » ; et alors ils saperont par la base l'ancienne hérésie des Manichéens et ne trouveront plus aucun fondement pour bâtir la nouvelle hérésie des Pélagiens. 

13. Que leur importe de dire à la louange du libre arbitre « que la grâce vient au secours de tout bon propos ? » Ce langage pourrait être pris dans un sens catholique, s'ils n'admettaient pas en principe que tout mérite réside exclusivement dans le bon propos, de telle sorte que la récompense conférée à l'homme est à son égard une dette rigoureuse, et non point une grâce. Au lieu de soutenir cette erreur, qu'ils confessent avec nous que le bon propos lui-même, quoiqu'aidé par une grâce subséquente, n'a pu se former dans l'homme que par une grâce antérieure. Puisqu'il n'y a de bonne volonté que celle qui est préparée par le Seigneur, comment l'homme pourrait-il concevoir un seul bon propos, sans en avoir antérieurement reçu la grâce de la part du Seigneur ? Ils avaient dit : « La grâce vient au secours de tout bon propos » ; ils ajoutent aussitôt : « Cependant cette grâce ne saurait, à celui qui lui résiste, inspirer 

 (1) Isa. I, 19, 20. —  (2) Prov. VIII, selon les Sept. 

le zèle de la vertu ». Cette proposition pourrait être acceptée, si l'on ne connaissait pas à l'avance le sens qu'elle revêt dans la pensée de nos adversaires. En effet, c'est de la grâce même de Dieu que nous vient la première ouverture qui' nous est faite de la vocation divine, et alors, si la volonté ne résiste pas, le zèle de la vertu s'enflamme dans le cœur. Voilà pourquoi, dans tout ce qu'il fait selon Dieu, l'homme est toujours prévenu par la divine miséricorde (1). Mais c'est là ce que nos adversaires ne veulent pas admettre, parce qu'ils veulent être, non pas catholiques, mais Pélagiens. Quelle joie n'éprouve pas une orgueilleuse impiété à ne voir qu'une dette rigoureuse, et non pas un don gratuit, dans tout ce qu'elle reçoit de Dieu ? Et c'est ainsi que ces fils, non pas de la promesse, mais de la perdition, se croient eux-mêmes les auteurs du bien qui peut se trouver en eux, et soutiennent que tout ce qui leur vient de Dieu n'est que la récompense rigoureusement due à leurs propres mérites. 

14. L'orgueil a tellement fermé les oreilles de leur cœur qu'ils n'entendent pas ces paroles : « Qu'avez-vous donc que vous n'ayez reçu (2) ? Sans moi, vous ne pouvez rien faire (3) ; la charité vient de Dieu (4) ; Dieu a départi la mesure de la foi (5) ; l'Esprit souffle où il veut (6) ; ceux-là sont les enfants de Dieu qui sont conduits par l'Esprit de Dieu (7) ; personne ne peut venir à moi, si ce don ne lui a été fait par mon Père (8) ; béni soit le Seigneur de nos pères, qui a donné au cœur du roi de glorifier son temple de Jérusalem (9) ; j'inspirerai ma crainte à leur cœur, afin qu'ils ne s'éloignent point de moi, et je les visiterai, afin de les rendre bons (10) ». Bien moins encore entendent-ils le prophète Ezéchiel, dans ce passage où le Seigneur déclare qu'il n'est dans les hommes aucun mérite suffisant qui puisse le provoquer à les rendre bons, c'est-à-dire soumis à ses préceptes ; qu'au contraire il leur rend le bien pour le mal, et qu'en cela il agit, non point pour eux, mais pour lui-même. Voici ce passage : « Écoutez ce que dit le Seigneur Dieu : Ce n'est pas pour vous, maison d'Israël, que je ferai ce que je dois faire, mais c'est pour la gloire de mon saint nom, que vous avez déshonoré 

 (1) Ps. LVIII, 11. —  (2) I Cor. IV, 7. —  (3) Jean, xv, 5. —  (4) I Jean, IV, 7. —  (5) Rom. XII, 3. —  (6) Jean, III,8. —  (7) Rom. VIII,11. —  (8) Jean, vi, 60. —  (9) III Esdras, VIII, 28. —  (10) Jérém. XXXII, 10, 11. 

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parmi les nations où vous étiez allés. Et je sanctifierai mon grand nom qui a été souillé parmi les nations, que vous avez déshonoré parmi elles, afin que les nations sachent que c'est moi qui suis le Seigneur, dit le Seigneur des armées, lorsque j'aurai été sanctifié à leurs yeux au milieu de vous. Car je vous retirerai d'entre les peuples, je vous rassemblerai de tous les pays, et je vous ramènerai dans votre terre. Je répandrai sur vous de l'eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos souillures, et je vous purifierai des impuretés de toutes vos idoles. Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai un esprit nouveau au milieu de vous ; j'ôterai de votre chair le cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon esprit au milieu de vous ; je ferai que vous marcherez dans mes préceptes, que vous garderez mes commandements et que vous les pratiquerez ».Un peu plus loin, le Seigneur ajoute par le même Prophète : « Ce n'est point pour vous que je ferai ceci, dit le Seigneur Dieu ; sachez bien, soyez confus et rougissez de honte pour les excès de votre vie, maison d'Israël. Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Lorsque je vous aurai purifiés de toutes vos iniquités, que j'aurai repeuplé vos villes, et rétabli les lieux ruinés ; lorsque cette terre qui paraissait déserte et toute désolée aux yeux des passants aura été cultivée de nouveau, on dira : Celle terre qui était inculte est devenue comme un jardin de délices, et les villes qui étaient désertes, abandonnées et ruinées, sont maintenant rebâties et fortifiées. Et tout ce qui restera des peuples qui vous environnent, reconnaîtra que c'est moi qui suis le Seigneur, qui ai rétabli les lieux ruinés et qui ai cultivé de nouveau les champs incultes, que c'est moi qui suis le Seigneur qui ai parlé et qui ai exécuté. Voici ce que dit le Seigneur : Les enfants d'Israël me trouveront encore favorable en ceci, et je leur ferai encore cette grâce : Je les multiplierai comme un troupeau d'hommes, comme un troupeau saint, comme le troupeau de Jérusalem dans les fêtes solennelles ; c'est ainsi que les villes qui étaient désertes seront remplies de troupeaux d'hommes, et ils sauront que c'est moi qui suis le Seigneur (1) ». 

 (1) Ézéch. XXXVI, 22-38. 

15. De quoi donc cette peau de cadavre peut-elle encore se glorifier ? et quand elle se glorifie, comment peut elle dédaigner de se glorifier dans le Seigneur ? Qu'elle dise donc encore que l'homme fait le bien par ses propres forces, et que c'est en conséquence de ce mérite antérieur que Dieu lui accorde la grâce ; aussitôt lui sera adressée cette réponse, cette réclamation, cette réfutation : « Je fais ceci, non point à cause de vous, mais pour mon nom qui est saint, dit le Seigneur Dieu ». Se pouvait-il un langage plus formellement opposé à l'orgueil des Pélagiens qui soutiennent que la grâce de Dieu nous est accordée selon nos propres mérites ? Pelage lui-même n'a-t-il point condamné cette proposition, non pas sans doute pour rentrer franchement dans la doctrine catholique, mais par crainte de la sentence dont il était menacé de la part des évêques orientaux ? Le texte cité réduit donc à néant la présomption de ces hommes qui se disent : Nous agissons d'abord, afin de mériter que Dieu agisse ensuite avec nous. Écoutez la réponse, non pas de Pelage, mais de Dieu lui-même : « Je fais ceci, non point à cause a de vous, mais à cause de mon saint nom ». Et, en effet, quel bien pouvez-vous donc tirer d'un cœur qui n'est pas bon ? Or, pour que vous ayez un cœur bon : « Je vous donnerai », dit le Seigneur, «  un cœur nouveau et un nouvel esprit ». Pouvez-vous dire : Nous avons d'abord marché dans la voie de ses justifications ; nous avons observé ses commandements et nous avons mérité qu'il nous donnât sa grâce ? Quel bien pouviez-vous donc faire, vous qui étiez mauvais ? pour faire le bien, ne fallait-il pas que vous fussiez lions vous-mêmes ? Or, quel est celui qui peut rendre les hommes bons, si ce n'est Celui qui a dit : « Je vous visiterai, afin que je vous rende bons ; je vous donnerai mon Esprit et je vous ferai marcher dans la voie de mes préceptes et dans l'accomplissement de mes ordonnances ? » Ne vous éveillerez-vous pas ? n'écouterez-vous pas enfin : « Je vous ferai marcher, je vous ferai observer » ; enfin : « Je vous ferai faire ? » De quoi donc vous glorifiez-vous encore ? Nous marchons, c'est vrai, nous obéissons, nous agissons, mais c'est Dieu qui fait que nous marchons, que nous obéissons, que nous agissons. Telle est cette grâce de Dieu qui nous rend bons, telle 

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est cette miséricorde de Dieu qui nous prévient. Que peuvent mériter ces lieux déserts, ruinés, bouleversés ? et cependant ils seront reconstruits, enrichis, fortifiés. Cette restauration sera-t-elle donc obtenue par les mérites de leur désertion, de leur ruine, de leur destruction ? C'est impossible. Leurs prétendus mérites sont tout autant de maux véritables, tandis qu'il leur est accordé les biens les plus précieux. C'est ainsi que le bien leur est rendu pour le mal ; ce bien est donc pour eux, non pas une dette, mais un don purement gratuit, voilà pourquoi c'est une grâce. « C'est moi, dit Dieu, c'est moi qui suis le Seigneur ». Cette parole ne vous écrase-t-elle pas, vous, orgueil humain, qui osez dire : J'agis d'abord afin de mériter que Dieu me construise et me plante ? N'entendez-vous donc pas cette parole : « Ce n'est point à cause de vous que je ferai ceci : moi le Seigneur j'ai reconstruit les lieux ruinés, j'ai planté les champs incultes ; moi le Seigneur, j'ai dit et exécuté ; toutefois ce n'est pas à cause de vous, mais à cause de mon saint nom ? » Et qui donc multiplie les hommes comme un troupeau, comme un troupeau saint, comme le troupeau de Jérusalem ? Qui peut faire que ces cités aujourd'hui désertes se remplissent d'habitants ? N'est-ce pas celui-là seul qui peut dire : « Et ils sauront que je suis le Seigneur ? » Mais quelles seront donc ces ouailles dont il remplira les villes selon la teneur de ses promesses ; attendra-t-il qu'il trouve ces ouailles, ou bien les créera-t-il lui-même ? Interrogeons le psalmiste, et écoutons sa réponse : « Venez, adorons-le, prosternons-nous devant lui, et pleurons en présence du Seigneur qui nous a créés ; car il est notre Dieu, nous sommes le peuple de son bercail et les brebis de sa main (1) ». C'est donc lui-même qui crée les brebis dont il remplira les cités désolées. Et quoi d'étonnant ? S'adressant à cette brebis unique qui est l'Église, et dont tous les hommes sont comme les agneaux, il lui dit : C'est moi qui suis le Seigneur, c'est moi qui vous ai faite. Pourquoi m'objecter le libre arbitre, quand il est certain que cette volonté n'est pas libre d'accomplir la justice, à moins que vous ne soyez vous-même une brebis fidèle ? Celui donc qui rend les hommes des brebis fidèles, c'est lui encore qui 

 (1) Ps. XCIV, 6, 7. 

donne à la volonté humaine la liberté d'obéir et de faire le bien. 

16. Mais puisque Dieu ne fait point acception des personnes, pourquoi (1), parmi les hommes, prend-il les uns pour en faire des brebis fidèles, et pourquoi laisse-t-il les autres ? Telle est la question que faisaient à l'Apôtre certains hommes plus curieux qu'intelligents ; voici la réponse : « Ô hommes, qui êtes-vous donc pour oser répondre à Dieu ? Un vase d'argile dit-il à celui qui l'a fait : Pourquoi m'avez-vous fait ainsi (2) ? » Cette question touche à cet abîme insondable, sur lequel l'Apôtre essaya de jeter un regard, et s'écria : « Ô profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables ! Car qui a connu les desseins de Dieu ? ou qui est entré dans le secret de ses conseils ? ou qui lui a donné quelque chose, le premier, pour en prétendre la récompense ? Car tout est de lui, tout est par lui, et tout est en lui ; à lui seul, gloire dans tous les siècles (3) ». Qu'ils se gardent donc de scruter cette question insondable, ceux qui, soutenant la priorité du mérite avant la grâce et par là même contre la grâce, veulent être les premiers à donnera Dieu, afin que Dieu leur rende ; veulent être les premiers à lui donner par la vertu propre de leur libre arbitre, afin que la grâce leur soit accordée comme récompense. Qu'ils comprennent enfin, et qu'ils croient fermement que le don qu'ils se flattent d'avoir fait à Dieu les premiers, ils l'avaient reçu de celui dont il est dit que tout est de lui, tout est par lui et tout est en lui. Mais enfin, pourquoi l'un reçoit-il quelque chose, tandis que l'autre ne reçoit rien, si aucun des deux ne mérite de recevoir, si ce que l'un reçoit ne lui est dû à aucun titre ? Avant de poser cette question, que l'homme mesure l'étendue de ses forces, et qu'il n'aspire point à scruter ce qui dépasse infiniment son pouvoir (4). Qu'il nous suffise de savoir que l'iniquité ne saurait se trouver en Dieu. Paul, ne trouvant aucun mérite précédent qui nous explique pourquoi Jacob a été préféré à son frère jumeau, s'écrie sans hésiter : « Que dirons-nous donc ? Est-ce qu'il y a en Dieu de l'injustice ? Dieu nous garde d'une telle pensée ! Car il a dit à Moïse : Je ferai miséricorde à qui il me plaira de faire 

 (1) Rom. II, 11. —  (2) Id. IX, 20.—  (3) Id. XI, 33-36. —  (4) Eccli. III, 22. 

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miséricorde, et j'aurai pitié de qui il me plaira d'avoir pitié. Ainsi, cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde ». Bénissons donc en Dieu cette miséricorde gratuite, quoique cette miséricorde elle-même soit pour nous une question insoluble. Toute la solution que nous puissions lui donner nous est fournie par le même Apôtre, quand il écrit : « Qui peut se plaindre, si Dieu, voulant montrer sa colère et faire connaître sa puissance, souffre avec une patience extrême les vases de colère préparés pour la perdition, afin de faire paraître les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu'il a préparés pour la gloire (1) ? » La colère divine ne frappe que ceux qui l'ont méritée, autrement Dieu se rendrait coupable d'iniquité ; mais peut-on l'accuser d'iniquité quand il fait miséricorde à ceux qui n'ont aucun droit à ta miséricorde ? Voilà pourquoi les vases de miséricorde comprennent d'autant mieux la parfaite gratuité de la miséricorde dont ils sont gratifiés, qu'ils voient la colère frapper en toute rigueur de justice les vases de colère, avec qui ils ne font qu'une seule et même masse de perdition. Mais je crois ces réflexions suffisantes pour confondre ceux qui, en exaltant outre mesure le libre arbitre, veulent détruire la parfaite gratuité de la grâce. 

 

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CHAPITRE VII. ÉLOGES DONNÉS AUX SAINTS. 

 

17. Quant aux louanges prodiguées aux saints, nos adversaires ne veulent pas que nous ayons faim et soif de la justice à l'exemple du publicain ; à les en croire, nous serions plutôt des pharisiens rassasiés et repus de toute la vanité de notre justice (2). Répondant aux Manichéens qui nient le baptême, ils soutiennent contre eux que « les hommes sont parfaitement renouvelés par le baptême », et pour preuve ils citent ces paroles de l'Apôtre : « Afin qu'après l'avoir purifiée dans le baptême de l'eau, il rendit sainte et immaculée son Église formée de toutes les nations (3) ». Mais à quoi leur sert-il détenir ce langage, quand on les voit aussitôt, cédant à leur sens orgueilleux et pervers, soulever de brûlantes disputes contre les prières mêmes de l'Église ? Ne se proposent-ils pas de nous 

 (1) Rom. IX, 14-16. 22, 23. —  (2) Luc, XVIII, 10-11. —  (3) Eph. V, 26. 

faire croire que, après le saint baptême, dans lequel s'accomplit la rémission des péchés, l'Église ne saurait plus désormais commettre aucune faute ? Et pourtant, depuis l'orient jusqu'au couchant, n'est-ce pas cette même Église que nous entendons s'écrier dans la personne de ses membres : « Pardonnez-nous nos offenses (1) ? » Pressez-les de questions sur ce point, ils ne savent plus que répondre. S'ils disent qu'ils sont sans péché, saint Jean leur réplique qu'ils se trompent, et que la vérité, n'est point en eux (2). S'ils confessent qu'ils sont coupables, comme ils veulent être les membres du corps de Jésus-Christ, qu'ils nous expliquent comment il peut se faire que l'Église soit dès ici-bas d'une entière perfection, sans tache et sans souillure, quand tous ses membres proclament en toute vérité qu'ils ne sont point sans péché ? Pourtant il est parfaitement vrai de dire que les péchés sont remis dans le baptême, et que, par ce bain de l'eau avec la parole, Jésus-Christ se forme une Église sans tache et sans souillure (3). En effet, si l'Église n'était point baptisée, c'est en vain qu'elle dirait : « Pardonnez-nous nos offenses », et c'est ce qu'elle dira toujours jusqu'à ce qu'elle parvienne à cette gloire éternelle où elle sera réellement sans tache et sans souillure. 

18. On doit confesser également que, même « dans les temps anciens », non-seulement, « comme ils en conviennent, le Saint-Esprit a prêté secours aux âmes bonnes », mais encore que c'est lui-même qui les a rendues bonnes, quoique les Pélagiens soutiennent le contraire. « Quant aux Prophètes, aux Apôtres, et en général, quant à tous les saints auxquels Dieu rend témoignage dans l'Ancien et le Nouveau Testament, ils sont justes, non-seulement en comparaison des scélérats, mais en eux-mêmes et conformément aux règles des vertus ». Cette proposition est de toute évidence et confond les Manichéens qui blasphèment les patriarches et les Prophètes. Elle confond également les Pélagiens, car, pressés de s'expliquer sur leur état ici-bas, ces saints répondraient d'une voix unanime : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous (4) ». « Dans le siècle futur, on ne saurait nier que toutes les œuvres bonnes et mauvaises  

 (1) Matt. VI, 12.—  (2) I, Jean, I, 8.—  (3) Eph. V, 27. —  (4) 1 Jean, I. 8. 

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recevront leur récompense, et qu'il ne sera commandé à personne d'accomplir les préceptes qu'il aura méprisés sur la terre ». Quant à ce rassasiement complet de la justice, lequel est absolument incompatible avec le péché, et qui est ici-bas, de la part des saints, l'objet de leur faim et de leur soif la plus ardente, nous ne le possédons sur la terre qu'en précepte, mais au ciel, nous le posséderons en récompense, après l'avoir imploré par l'aumône et par la prière, afin d'obtenir de l'infinie miséricorde le pardon des péchés que nous avons commis en violant les commandements. 

19. Que les Pélagiens cessent donc de dresser devant nous, comme autant d'embûches, ces pompeux éloges qu'ils font de la créature, du mariage, de la loi, du libre arbitre et des saints, sous prétexte d'arracher les hommes à l'erreur manichéenne, mais en réalité, pour mieux les tenir dans leurs propres filets. En d'autres termes, qu'ils cessent de nier le péché originel, et de ravir aux enfants le secours et la guérison qui leur viennent de Jésus-Christ. Qu'ils cessent de dire que la grâce de Dieu nous est donnée selon nos mérites, d'où il suivrait que la grâce ne serait plus une grâce (1). Qu'ils cessent de dire que les saints sur la terre n'avaient aucun péché, ce qui rendrait inutile la prière laissée aux hommes par celui-là seul qui était sans péché, et par qui les péchés sont remis à ceux qui prient dans la justice et la sainteté. N'est-ce point pour enchaîner les simples et les ignorants à ces trois erreurs capitales, qu'ils se répandent en pompeux éloges sur ces cinq articles que nous venons d'énumérer ? Mais je crois avoir suffisamment répondu à cette vanité pélagienne dont la cruauté n'a d'égales que l'impiété et l'orgueil.

 

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CHAPITRE VIII. LES PÉLAGIENS RÉFUTÉS PAR LA TRADITION. 

 

20. Je lis encore dans leur lettre : « Nos ennemis ont dénaturé nos paroles en haine de la vérité ; dans presque tout l'Occident un dogme aussi insensé qu'impie a obtenu créance, et l'on a même vu de simples évêques, en dehors de toute réunion synodale et ne prenant conseil que d'eux-mêmes, y donner leur signature et se plaindre ensuite 

 (1) Rom. XI, 6. 

que cette signature leur avait été arrachée par la violence ». Ce qui est vrai, c'est que l'Église d'Occident et d'Orient a été saisie d'horreur en face de ces profanes nouveautés de langage (1). Aussi je crois de mon devoir, après leur avoir cité le témoignage des saintes Écritures, de leur opposer encore certains documents extraits des écrits de ceux qui avant nous ont traité ces matières et s'y sont acquis une gloire bien méritée. Loin de moi, sans doute, la pensée de mettre sur un même pied d'égalité avec nos livres canoniques, l'autorité, si grande fût-elle, d'un docteur catholique ; car du moment que ces docteurs ne sont que des hommes, la vérité, en passant sur leurs lèvres, subit toujours la condition des personnes. Mais je sens le besoin de dissiper la funeste illusion dans laquelle peuvent se trouver certains hommes qui croiraient trop facilement que nos adversaires, malgré la funeste nouveauté de leur langage, ne font que suivre les traces des évêques catholiques, tandis que ceux-ci ne se sont inspirés que des oracles divins. Je veux qu'ils sachent que la foi catholique est fondée sur la tradition la pins antique, et qu'an nom seul de cette tradition, elle peut être victorieusement opposée à cette présomption sortie hier du cerveau malade des hérétiques Pélagiens. 

21. Tout d'abord je rencontre le bienheureux Cyprien, couronné de la gloire du martyre, et dont le nom et les écrits, portés sur les ailes de la renommée, l'ont rendu si célèbre, non-seulement en Afrique et en Occident, mais jusque dans les églises les plus lointaines de l'Orient. Pelage lui-même, l'auteur de la secte que nous combattons, cite avec éloge le nom de Cyprien et se flatte même de marcher sur ses traces, quand il écrit « qu'il s'adresse au Romain, comme Cyprien en avait appelé au Quirite ». Voyons donc ce que pensait Cyprien de ce péché originel qui est entré dans le monde par un seul homme (2). Dans sa lettre sur le travail et l'aumône, voici comme il s'exprime : « Après avoir, par sa venue sur la terre, cicatrisé les blessures faites par le premier homme à la nature humaine, après avoir guéri l'antique poison du serpent, le Seigneur donna des lois à l'homme guéri et lui ordonna de ne plus pécher, de peur que son dernier état ne devînt pire que le premier (8) ». « Nous 

 (1) I Tim. VI, 20. —  (2) Rom V, 12. —  (3) Jean, V, 14. 

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étions enchaînés et captifs depuis longtemps par la perte de notre innocence ; la faiblesse et l'ignorance nous auraient tenus dans une impuissance absolue de sortir de cet abîme, si Dieu lui-même n'était venu à notre secours, et, nous montrant ses œuvres de justice et de miséricorde, ne nous avait ouvert la voie du salut ; maintenant donc purifions par des aumônes toutes les souillures nouvelles que nous aurions pu contracter (1) ». Dans ce seul passage le saint martyr réfute victorieusement ces deux erreurs de nos adversaires : l'une par laquelle ils soutiennent que le genre humain ne tire d'Adam aucune souillure originelle qui ait besoin d'être lavée et guérie par Jésus-Christ ; l'autre qui leur fait dire que depuis le baptême les saints, sur la terre, n'ont commis aucun péché. Dans la même épître, saint Cyprien dit encore : « Que chacun se représente le démon entouré de ses serviteurs, c'est-à-dire du peuple de perdition et de mort, s'élançant au milieu de la foule des hommes, et en face de Jésus-Christ juge suprême, provoquant le peuple de ce même Jésus-Christ et s'écriant : Vous voyez ceux qui sont avec moi ; or, je n'ai pas été souffleté pour eux, je n'ai pas a été flagellé, je n'ai pas porté la croix, je n'ai pas répandu mon sang, enfin je ne les ai pas rachetés au prix de mes souffrances et de ma vie ; à plus forte raison je n'ai pas à leur promettre un royaume céleste, et surtout je ne puis les rappeler en paradis après leur avoir rendu l'immortalité ». Que les Pélagiens répondent et nous disent quand et comment nous avons joui de l'immortalité du paradis, et comment nous en avons été chassés, de telle sorte que nous y sommes rappelés par la grâce de Jésus-Christ. Comme leur perversité est sur ce point encore réduite à un honteux silence, qu'ils se demandent du moins dans quel sens saint Cyprien interprète ces paroles de l'Apôtre : « En qui tous ont péché (2) ». Que ces Pélagiens, nouvellement sortis des flancs de l'hérésie manichéenne, se gardent donc bien de lancer quelque calomnie que ce soit à un catholique, car autrement ils seraient facilement convaincus de faire par là même la plus grossière injure au saint martyr Cyprien. 

22. Dans son livre intitulé De la mortalité, c'est ainsi qu'il s'exprime : « Frères bien-aimés, le royaume de Dieu vient d'apparaître 

 (1) Luc, xi, 41. —  (2) Rom. V, 12. 

au milieu de nous ; la récompense de la vie, la joie du salut éternel, l'allégresse perpétuelle, et la possession, naguère perdue, du paradis, nous arrivent avec le cours des siècles ». Un peu plus loin il ajoute : « Embrassons ce jour qui assigne chacun à son propre domicile, et qui, après nous avoir arrachés à ce monde et à ses pièges, nous réintègre dans le paradis et dans le royaume ». Dans sa lettre sur la patience, il s'exprime ainsi : « Qu'on médite la sentence fulminée, dès l'origine du monde et du genre humain, contre Adam oublieux du précepte et transgresseur de la loi qu'il avait reçue. Nous comprendrons alors de quelle patience nous devons faire preuve en ce monde, nous qui ne naissons que pour gémir ici-bas sous le poids des souffrances et des épreuves. Parce que, dit le Seigneur, vous avez écouté la voix de votre femme et que vous avez mangé du fruit de cet arbre, auquel je vous avais défendu de toucher, la terre sera maudite sous vos travaux. Vous en recueillerez les fruits dans la tristesse, et les gémissements tous les jours de votre vie ; elle produira ce pour vous des ronces et des épines, et vous vivrez des fruits de vos champs. Vous mangerez votre pain à la sueur de votre front, ce jusqu'à ce que vous retourniez en terre, comme vous en êtes sorti ; car vous êtes terre et vous retournerez en terre (1). Nous sommes tous liés et enchaînés sous le joug de cette sentence, jusqu'à ce que ces liens soient brisés par la mort et que nous sortions de ce monde ». Dans cette même lettre, saint Cyprien dit encore : « Avec cette première transgression du précepte, la force de notre corps a disparu ainsi que notre immortalité, avec la mort nous est venue la faiblesse, et nous ne pouvons recouvrer la force qu'en recouvrant l'immortalité. Et pourtant, dans cette fragilité et cette faiblesse du corps il nous faut toujours lutter, toujours combattre. Cette lutte et ce combat ne peuvent être soutenus qu'au prix de toutes les forces de la patience ». 

23. L'évêque Fidus, au nom de soixante-six de ses collègues, avait consulté Cyprien au sujet de la loi de la circoncision, et lui avait demandé s'il était permis de baptiser un enfant avant le huitième jour. Or, la Providence permit que la solution donnée à cette question 

 (1) Gen. III, 17-19. 

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par l'Église catholique fût une réfutation anticipée de l'hérésie pélagienne. En effet, celui qui consultait ne cloutait nullement de la transmission du péché originel dans les enfants, et de la rémission de ce même péché par le baptême. A Dieu ne plaise, du reste, que la foi chrétienne ail jamais hésité sur ce point ! L'évêque Fidus doutait uniquement s'il était permis, avant le huitième jour, de conférer le baptême, dans lequel, il en était sûr, les enfants recevaient la rémission du péché. Saint Cyprien répondit : « Pour ce qui regarde les enfants dont vous me parlez, vous pensez qu'on ne doit point les baptiser avant le huitième jour, et qu'il faut suivre sur ce point les prescriptions de la loi de la circoncision (1). Or, telle n'est point la décision que nous avons adoptée dans notre concile. En effet, personne ne s'est trouvé de votre avis ; et tous à l'unanimité nous avons jugé que du moment qu'un homme est né, on ne saurait lui refuser la grâce d'un Dieu plein de miséricorde. Le Sauveur n'a-t-il pas dit dans l'évangile : Le Fils de l'homme n'est pas venu pour perdre les âmes, mais pour les sauver (2) ? Donc, en ce qui nous regarde, il ne faut pas qu'une seule âme périsse ». Un peu plus loin il ajoute : « Personne d'entre nous ne doit avoir horreur de ce que notre divin Maître a daigné faire. L'enfant dont vous parlez vient à peine de naître, je le sais, mais pour lui conférer la grâce et la paix doit-on avoir horreur de l'embrasser ? En l'embrassant, que chacun d'entre nous réveille sa foi et contemple les traces encore toutes récentes des mains de Dieu ; et dès lors c'est bien l'œuvre de Dieu lui-même que nous embrassons ». Il continue : « Du reste, si quelque chose pouvait empêcher les hommes d'obtenir la grâce, ne seraient-ce pas ces péchés graves que commettent parfois les adultes et les personnes plus avancées en âge ? Or, si des adultes déjà coupables de nombreux péchés, et très criminels aux yeux de Dieu, sont acceptés au baptême et y reçoivent la grâce et la rémission de leurs péchés, de quel droit rejeter un enfant dont tout le crime, parce qu'il est né charnellement du premier Adam, est d'avoir contracté la faute originelle ? S'il est quelqu'un qui doive être accueilli facilement à la rémission des 

 (1) Gen. XVII, 12. —  (2) Luc, IX, 56. 

péchés, n'est-ce pas celui qui n'y apporte que des péchés d'autrui, et non pas des fautes personnelles ? » 

24. A cela que répondront des hommes qui se font, non-seulement les déserteurs, mais les persécuteurs de la grâce de Dieu ? A quel titre la possession du paradis nous est-elle donc rendue ? Si nous n'avons jamais été dans le paradis, comment pouvons-nous y être réintégrés ? Et si nous y avons été, n'est-ce point parce que nous y étions en Adam ? Comment la sentence portée contre le transgresseur de la loi peut-elle nous atteindre, s i nous ne recevons pas la souillure du transgresseur lui-même ? Enfin saint Cyprien pense qu'on doit baptiser les enfants même avant le huitième jour, dans la crainte que quelques âmes ne viennent à périr par la funeste transmission de la mort antique ; or, comment peuvent-elles périr, si les enfants même qui naissent de parents chrétiens, ne sont pas sous le joug du démon, jusqu'à ce qu'ils renaissent en Jésus-Christ et qu'ils passent de la puissance des ténèbres au royaume de la lumière (1) ? Et qui donc ose dire des âmes des enfants qu'elles périront, si elles n'ont pas le bonheur de renaître ? N'est-ce pas celui qui loue le Créateur et la créature, l'ouvrier et l'ouvrage, jusqu'à condamner cette horreur naturelle que l'on éprouve à embrasser des enfants nouveau-nés, et veut au contraire que l'on fasse retomber sur eux la vénération que l'on éprouve pour le Créateur ? ne dit-il pas que l'on doit voir dans ces enfants les traces encore toutes récentes des mains du Tout-Puissant ? Et puisqu'il proclame l'existence du péché originel, condamne-t-il donc la nature, ou le mariage ? Parce qu'il oblige l'enfant né coupable à se purifier dans le bain de la régénération, nie-t-il pour cela que Dieu soit le Créateur de ces enfants ? Parce que, dans la crainte de voir périr une âme de quelque âge qu'elle soit, il a jugé dans un concile avec ses collègues, qu'on pouvait baptiser les enfants avant le huitième jour, a-t-il pour cela même condamné le mariage ? Que cet enfant soit né d'un mariage légitime ou de l'adultère, du moment qu'il naît homme, ne nous montre-t-il pas en lui la trace toute récente des mains de Dieu et n'est-il pas digne du baiser de paix ? Si donc ce saint et glorieux martyr Cyprien

 

 (1) Coloss, I, 13. 

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a pu admettre dans les enfants l'existence du péché originel et la nécessité absolue de la régénération, tout en faisant l'éloge de la créature et du mariage, de quel droit cette nouvelle pestilence, n'osant sans doute accuser de manichéisme ce saint évêque, s'attaque-t-elle aux catholiques et leur reproche-t-elle un crime dont ils sont innocents, pour déguiser celui dont elle est coupable ? A une époque où le manichéisme n'était ni connu, ni même pressenti, Cyprien, cet illustre interprète des divins oracles, sans jeter aucun blâme ni sur l'œuvre divine, ni sur le mariage, confesse hautement l'existence du péché originel, n'excepte de cette loi générale que Jésus-Christ qui en est exempt par nature, quoique du reste il ait daigné revêtir notre chair de péché, afin de nous faire trouver dans sa parfaite ressemblance avec nous, sauf le péché, la purification du péché ; ne soulève sur l'origine de l'âme aucune question effrayante d'obscurité, et proclame au contraire que tous ceux qui sont justifiés par la grâce de Jésus-Christ, recouvrent tous leurs droits au royaume du ciel. Dit-il que la triste condition de la mort est passée d'Adam à tous les hommes, en dehors de toute contagion du péché ? Ce n'est point pour échapper à la mort corporelle, mais pour effacer le péché, qui est entré dans le monde par un seul homme, qu'il proclame la nécessité de conférer le baptême à tous les enfants, sans s'occuper aucunement du nombre des jours qui ont suivi leur naissance.

 

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CHAPITRE IX. DOCTRINE DE SAINT CYPRIEN SUR LA GRÂCE DE DIEU.

 

25. Voulons-nous savoir comment saint Cyprien réfutait longtemps à l'avance les erreurs des Pélagiens sur la grâce ? qu'il nous suffise de connaître les explications qu'il nous donne de l'Oraison dominicale. En voici quelques extraits : « Nous disons : Que votre nom soit sanctifié ; nous demandons par ces paroles, non pas que Dieu soit sanctifié par nos prières, mais que son nom soit sanctifié en nous et par nous. Dieu peut-il donc être sanctifié par quelqu'un, lui qui est le principe de toute sanctification ? Soyez saints, nous a-t-il dit, parce que je suis saint moi-même (1) ; voilà pourquoi, après 

 (1) Lévit. XIX, 2. 

avoir été sanctifiés dans le baptême, nous lui demandons instamment la grâce de persévérer dans la première grâce qui nous a été conférée ». Dans un autre endroit il ajoute : « Nous disons également : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Nous ne demandons pas que Dieu fasse ce qu'il veut, mais que nous puissions faire ce que Dieu nous commande. Quelqu'un peut-il donc empêcher Dieu de faire ce qu'il veut ? Il n'en est pas ainsi de nous, car le démon ne cesse de dresser devant nous des obstacles pour nous empêcher de conformer nos pensées et nos actes à la volonté de Dieu ; voilà pourquoi nous demandons que la volonté de Dieu se fasse en nous et par nous. Or, pour qu'elle se fasse ainsi, nous avons besoin de la volonté de Dieu, c'est-à-dire de son secours et de sa protection, car ce n'est pas par nos propres forces que nous sommes forts, nous ne sommes en sûreté que sous l'aile de la boulé et de la miséricorde de Dieu ». Plus loin il continue : « Nous demandons que la volonté de Dieu se fasse sur la terre comme au ciel, et c'est ce double accomplissement de la volonté divine qui constitue notre sûreté sur la terre et notre salut éternel. Notre corps nous vient de la terre, et notre esprit du ciel ; nous sommes donc tout à la fois terrestres et célestes, et voilà pourquoi nous demandons que la volonté de Dieu se fasse à ce double point de vue, c'est-à-dire par notre corps et par notre esprit. Une lutte ouverte est engagée entre notre corps et notre esprit, il se livre entre eux un combat de chaque jour ; pendant que l'esprit cherche ce qui est céleste et divin, la chair convoite ce qui est terrestre et mondain ; comment donc pourrions-nous faire ce que nous voulons ? Notre seule ressource est de demander que la grâce et le secours de Dieu établissent la concorde entre les deux substances qui nous composent ; que la volonté de Dieu se fasse dans notre esprit et dans notre chair, et notre âme, régénérée en Dieu, se conservera pure et sans tache. Tel est le sens de cette énergique parole de saint Paul : La chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair, ils sont opposés l'un à l'autre, voilà pourquoi vous ne faites pas toujours les choses que vous voudriez (1) ». Un 

 (1) Gal. V, 17. 

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peu plus loin Cyprien ajoute : « Frères bien-aimés, de même que le Seigneur nous avertit et nous commande d'aimer nos ennemis et de prier pour ceux qui nous persécutent (1), de même pouvons-nous conclure que nous devons prier pour ceux qui sont encore sur la terre et qui ne sont point encore célestes, afin que sur eux s'accomplisse cette volonté de Dieu, que Jésus-Christ a élevée à son dernier degré de perfection en conservant et en régénérant l'homme ». Plus loin encore : « Nous demandons que ce pain nous soit donné chaque jour, dans la crainte qu'après avoir appartenu à Jésus-Christ, après avoir reçu chaque jour le pain de l'Eucharistie et du salut, nous ne nous voyions séparés du corps de Jésus-Christ en punition de quelque grand crime qui nous priverait de la participation à ce pain céleste ». Il ajoute : « Quand nous demandons de ne point succomber à la tentation (2), nous affirmons le sentiment de notre faiblesse et de notre ignorance. En mettant sur nos lèvres cette demande, le Sauveur voulait nous prévenir contre toute présomption insensée qui nous pousserait à nous attribuer orgueilleusement quelque mérite et à tirer gloire et vanité de nos œuvres ou de nos souffrances. N'est-ce point l'humilité qui nous est inspirée dans ces paroles de Jésus-Christ : Veillez et priez, de crainte que vous ne succombiez à la tentation ; car l'esprit est prompt, mais la chair est faible (3) ? Quand nous débutons ainsi par l'humble aveu de notre faiblesse, quand nous rapportons tout à Dieu, quand nous lui adressons nos demandes avec crainte et respect, son amour ne saurait rien nous refuser ». Dans l'ouvrage qu'il adresse à Quirinus et dont Pelage se flatte de reproduire les traces et le caractère, saint Cyprien, arrivé au troisième livre, formule ainsi sa pensée : « Nous ne devons nous glorifier de rien, puisque rien ne nous appartient en propre ». Appuyant alors sa proposition sur les oracles divins, il cite en particulier ce passage de saint Paul, lequel serait bien capable de réduire au silence nos adversaires : « Qu'avez-vous donc que vous ne l'ayez reçu ? Et si vous l'avez reçu, pourquoi vous en glorifier, connue si vous ne l'aviez pas reçu (4) ? » Dans son livre sur la patience, le même docteur écrit : « Cette vertu nous est commune 

 (1) Matt. V, 41.—  (2) Id. VI, 9-13.-  (3) Id. XXVI, 41.—  (4) I Cor. IV, 7. 

avec Dieu ; le principe de la patience, son éclat et sa dignité lui viennent de Dieu seul, c'est là ce qui fait son origine et sa grandeur ». 

26. Cet illustre docteur de tant d'Églises nie-t-il donc le libre arbitre dans l'homme, parce qu'il voit en Dieu l'auteur de la vie sainte que nous menons ? Accuse-t-il la loi de Dieu, parce qu'il lui refuse le pouvoir de justifier l'homme, et qu'il déclare que c'est à Dieu que nous devons demander la grâce d'accomplir ce que la loi commande ? Dira-t-on que, sous le nom de la grâce, c'est le destin qu'il affirme, parce qu'il dit que nous ne devons nous glorifier de rien, puisque nous n'avons rien en propre ? Quand il assure que toute vertu est aidée par le Saint-Esprit, parle-t-il dans le sens des Pélagiens, qui affirment que notre vertu, quoique aidée par le Saint-Esprit, n'en est pas moins notre œuvre propre, et n'a d'autre principe que nous-mêmes ? Comment le supposer, quand nous entendons ce saint docteur enseigner que nous n'avons rien en propre, et citera l'appui de sa proposition cette parole de l'Apôtre : « Qu'avez-vous donc que vous ne l'ayez. reçu ? » Parlant de la patience, cette vertu par excellence, loin de dire qu'elle commence par nous et qu'ensuite elle est aidée par l'Esprit de Dieu, il déclare formellement que cette vertu n'a d'autre source et d'autre origine que le Saint-Esprit lui-même. Enfin, quand il enseigne que nous ne devons nous glorifier de rien, parce que nous n'avons rien en propre, il enseigne clairement que tout bon propos, tout amour de la vertu, toute bonne disposition n'a d'autre principe que la grâce même de Dieu. Si quelque chose appartenait en propre au libre arbitre, ne serait-ce pas l'accomplissement de ce point de la loi : Vous n'adorerez point les idoles, vous ne commettrez point l'adultère, vous ne serez point homicide ? Ce sont là des crimes si graves, que celui qui les commettrait serait exclu de la communion du corps de Jésus-Christ. Et cependant, si le bienheureux Cyprien pensait que, pour éviter ces crimes, il suffit de notre propre volonté, pourrait-il interpréter comme il le fait ces paroles de l'Oraison dominicale : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien ? » Dirait-il que nous demandons par là de ne commettre aucun péché grave qui nous priverait du 

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pain céleste et nous séparerait du corps de Jésus-Christ ? Que ces nouveaux hérétiques nous apprennent donc quel mérite antérieur peuvent avoir des hommes qui jusque-là se sont déclarés les ennemis du nom chrétien ? S'ils ont quelque mérite, assurément ce n'est pas pour le bien, mais pour le mal. Et cependant, s'il s'agit de ces mots : « Que votre volonté soit faite au ciel et sur la terre », saint Cyprien nous y voit obligés de prier pour ces coupables désignés par ce mot : la terre. Nous prions donc, non-seulement pour ceux qui ne veulent pas la grâce, mais même pour ceux qui la combattent et la repoussent. Et que demandons-nous pour eux, sinon la bonne volonté, au lieu de leur volonté mauvaise ; sinon qu'ils acceptent la grâce, au lieu de la combattre ; qu'ils l'aiment, au lieu de la repousser ? A qui le demandons-nous ? n'est-ce pas à celui dont il est écrit : « La volonté est préparée par le Seigneur (1) ? » Que ceux donc qui ne font pas le mal apprennent à devenir catholiques ; s'ils ont dédaigné jusque-là cette faveur, et s'ils font quelque bien, qu'ils en attribuent la gloire, non pas à eux-mêmes, mais à Dieu.

 

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CHAPITRE X. DOCTRINE DE SAINT CYPRIEN SUR L'IMPERFECTION DE NOTRE JUSTICE. 

 

27. Chacun des membres de Jésus-Christ et son corps tout entier frémit d'horreur en entendant les Pélagiens soutenir que, dès cette vie, il y a, ou il y a eu des justes absolument exempts de tout péché. Se peut-il une présomption plus manifestement opposée à l'oraison dominicale, dans laquelle tous les membres de Jésus-Christ s'écrient chaque jour et avec toute la sincérité de leur cœur : « Pardonnez-nous nos offenses ? » Sur cette troisième erreur des Pélagiens, voyons ce que pensait le glorieux Cyprien ; chargé comme il l'était d'instruire les églises, non pas manichéennes, mais catholiques, voyons, non-seulement ce qu'il a dit, mais ce qu'il a écrit dans ses lettres et ses traités. Dans sa lettre sur le travail et l'aumône, il écrit : « Frères bien-aimés, connaissons le don salutaire que nous avons reçu de la miséricorde divine, pour le pardon et la purification de nos péchés ; nous qui ne pouvons être sans porter quelque blessure dans notre conscience, 

 (1) Prov. VIII, selon les Sept. 

guérissons nos plaies en y appliquant les remèdes spirituels. Oserait-on se flatter d'avoir un cœur pur et immaculé, de posséder une innocence telle qu'on n'ait absolument aucune blessure à guérir ? Mais n'est-il pas écrit : Qui se glorifiera d'avoir le cœur chaste ? qui se flattera d'être absolument pur de tout péché (1) ? Saint Jean ne dit-il pas également dans son épître : Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous (2) ? Si donc personne ne peut être sans péché, quiconque se proclame innocent est un orgueilleux ou un insensé. Et dès lors, quel besoin n'avons-nous pas de cette infinie miséricorde de Dieu, de cette bonté divine qui, sachant fort bien que, même après notre guérison, il nous reste encore les cicatrices de nos blessures, nous prodigue, pour les guérir, les remèdes les plus salutaires ? » Le même docteur continue : « Comme il nous arrive chaque jour de pécher en présence du Seigneur, il nous faut des sacrifices quotidiens pour effacer nos péchés ». Dans sa lettre sur la mortalité, nous lisons : « Nous avons à lutter contre l'avarice, contre l'impudicité, contre la colère, contre l'ambition, contre les vices charnels, contre les séductions du siècle ; c'est là pour nous un combat aussi difficile que continuel ; l'esprit de l'homme obsédé de toute part et attaqué de tous les côtés à la fois par le démon, peut à peine tenir tête à ses ennemis et leur résister. L'avarice est-elle vaincue, l'impureté surgit à l'instant ; triomphez de l'impureté, l'ambition prend aussitôt sa place ; méprisez l'ambition, la colère s'exaspère, l'orgueil se gonfle, l'intempérance séduit, l'envie détruit la concorde, la jalousie tue l'amitié ; vous êtes pressé de médire, et la loi divine le défend ; de jurer, et rien ne vous y autorise. Chaque jour, combien de persécutions l'esprit n'a-t-il pas à subir, combien de dangers viennent enceindre le cœur, et pourtant nous trouvons un certain plaisir à prolonger notre séjour au milieu des glaives du démon ? Cependant la seule chose digne d'envie, ne serait-ce pas de voir la mort nous réunir au plus tôt à Jésus-Christ ? » Dans cette même lettre saint Cyprien dit encore : « Le bienheureux apôtre saint Paul s'écrie dans une 

 (1) Prov. XX, 9. —  (2) I Jean, I, 8. 

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de ses épîtres : Jésus-Christ est ma vie, et la mort m'est un gain (1). Pour lui, le plus grand de tous les gains, c'est de ne plus être retenu par les liens du siècle, c'est d'être à jamais soustrait aux péchés et aux vices de la chair ». Ailleurs, expliquant ces paroles de l'Oraison dominicale : « Que votre nom soit sanctifié », saint Cyprien s'exprime en ces termes : « Nous avons besoin d'une sanctification quotidienne, afin que, péchant chaque jour, nous soyons chaque jour justifiés ». Commentant ensuite ces paroles de la même prière : « Pardonnez-nous nos offenses (2) », le même docteur écrit : « Quel besoin n'avions-nous pas que la divine Providence nous répétât que nous sommes pécheurs, puisque nous sommes obligés de demander chaque jour le pardon de nos péchés ? En invoquant l'indulgence divine, rappelons-nous toujours l'état de notre conscience ! Afin que personne ne se flatte d'être innocent, et ne trouve dans son orgueil un nouveau sujet de ruine, Dieu lui-même nous rappelle que nous péchons chaque jour, puisque chaque jour il nous ordonne de demander le pardon de nos péchés. De là cet avertissement de saint Jean, dans son épître : Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous. Au contraire, si nous confessons nos péchés, Dieu qui est infiniment juste et fidèle nous les pardonnera (3) ». Dans son livre à Quirinus, il émet cette proposition très absolue qu'il devait appuyer sur les oracles sacrés : « Personne n'est sans souillure et sans péché (4) ». Les passages qu'il apporte comme preuve démontrent tous l'existence du péché originel ; aussi nos adversaires s'efforcent-ils d'en dénaturer le sens et d'en fausser la signification. C'est ce qu'ils font, soit pour ce texte de Job : « Personne n'est sans souillure, pas même l'enfant qui n'est que depuis un jour sur la terre (5) » ; soit pour ces paroles du psaume : « J'ai été engendré dans le péché, et ma mère m'a enfanté dans l'iniquité ° ». A tons ces témoignages, il en ajoute un autre qui s'applique plus spécialement aux adultes, pour montrer qu'ils ne sont pas sans tache et sans péché ; ce sont ces paroles de saint Jean qu'il rappelle très souvent

 

 (1) Philipp. I, 21. —  (2) Matt. VI, 9, 12. —  (3) I Jean, I, 8, 9.—  (4) Liv. III, chap. LIV. —  (5) Joh, XIV, 5, selon les Sept. —  (6) Ps. l, 7.

 

dans un grand nombre de ses ouvrages : « Si nous disons que nous sommes sans péché, etc. » Forts de ces mêmes paroles, les catholiques ne cessent de les opposer à ces Pélagiens qui se trompent eux-mêmes, et prouvent par là que la vérité n'est point en eux. 

       28. Si les Pélagiens en ont la hardiesse, qu'ils disent de saint Cyprien qu'il était imbu des erreurs manichéennes, puisque, tout en louant les saints, il proclame que personne, en cette vie, ne saurait atteindre à un tel degré de perfection qu'il soit absolument sans péché, et qu'il appuie sa proposition sur la vérité manifeste et l'autorité divine des saintes Écritures. Nie-t-il donc que « tous les péchés soient remis dans le baptême », parce qu'il enseigne que, même après le baptême, il nous reste cette fragilité, cette faiblesse qui est la source de nos péchés, et qui explique cette lutte perpétuelle que nous avons à soutenir jusqu'à la fin de notre vie contre la concupiscence charnelle ? Aurait-il oublié ce que l'Apôtre a dit « de l'Église immaculée (1) », parce qu'il défend à qui que ce soit de se flatter d'une innocence parfaite, et de croire qu'il n'est en lui aucune blessure qui réclame une prompte guérison ? Je suppose également que nos nouveaux hérétiques accorderont à Cyprien l'honneur de savoir que, « même dans les temps anciens, le Saint-Esprit venait au secours des âmes bien disposées », voire même qu'il n'y avait d'âmes bien disposées que celles qui avaient été rendues telles par le Saint-Esprit, quoique nos adversaires refusent d'accepter ce principe catholique. Je suppose également que ce saint docteur savait parfaitement que les Prophètes, les Apôtres, et en général tous les saints qui se sont rendus agréables au Seigneur, étaient justes, non pas seulement d'une justice relative, et par comparaison avec les scélérats, comme ou nous accuse calomnieusement de le soutenir, mais d'une justice réelle fondée sur leur conformité à la règle des vertus, selon leur expression favorite. Saint Cyprien le savait, et cependant il ne craint pas de dire : « Personne ne peut être sans péché, et quiconque se dit parfaitement innocent est un orgueilleux ou un fou. N'est-ce point là, en effet, le sens de cette parole : Qui se glorifiera d'avoir le cœur chaste ? ou qui se 

 (1) Eph. V, 27. 

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glorifiera d'être exempt de tout péché (1) ? » Je suppose que saint Cyprien savait parfaitement, sans avoir besoin qu'ils le lui apprissent, que dans le siècle futur les bonnes œuvres seront récompensées et les mauvaises punies, et que personne ne pourra y accomplir les préceptes, s'il les a méprisés ici bas. Et cependant, qu'il s'agisse de l'apôtre saint Paul qui n'était point un contempteur des préceptes divins ; qu'il ait à citer ces paroles : « Jésus-Christ est ma vie, et la mort m'est un gain (2) », il n'hésite pas à dire que l'Apôtre regardait comme le gain le plus précieux de n'être plus, après cette vie, retenu dans les liens du siècle, de n'être plus exposé aux péchés et aux vices de la chair. Par conséquent, à la lumière des divines Écritures, saint Cyprien a vu que les Apôtres eux-mêmes, quoique menant une vie bonne, sainte et juste, n'en ont pas moins ressenti les tristes effets des liens qui les attachaient à ce siècle, et qu'ils ont été en butte aux attaques de certains péchés et de certains vices de la chair. Voilà pourquoi ils désiraient la mort, afin de se soustraire à ces maux de la vie, et d'arriver à cette autre vie qui ne connaît aucun de ces dangers présents, et où l'on possède une justice parfaite, non plus une justice à réaliser par l'accomplissement des préceptes, mais une justice qui est l'éternelle récompense des vertus pratiquées ici-bas. Quand viendra la réalisation de cette prière : « Que votre règne arrive (3) », il n'y aura plus aucune justice à acquérir dans ce royaume, car l'Apôtre a dit : « Le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire et le manger, mais dans la justice, la paix et la joie que donne le Saint-Esprit (4) ». Ces trois choses, en effet, ne nous sont-elles pas commandées comme tous nos autres devoirs ? La justice nous est commandée par ces paroles : « Pratiquez la justice (5) » ; la paix, quand il est dit : « Ayez la paix entre vous (6) » ; la joie enfin : « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur (7) ». Eh bien ! donc, que les Pélagiens nient la présence de ces biens dans le royaume de Dieu, où nous vivrons sans fin ; ou bien, s'ils le veulent, qu'ils poussent la folie jusqu'à soutenir que la justice, la paix et la joie ne seront pour les élus au ciel, que ce qu'elles sont ici-bas pour les justes. Elles y 

 (1) Prov. XX, 9. —  (2) Philipp. I, 21. —  (3) Matt. VI, 10.—  (4) Rom. XIV, l7. —  (5) Isa. LVI, 1. —  (6) Marc, IX, 49. —  (7) Philipp. IV, 4. 

seront, il est vrai, mais non pas telles que nous les voyons sur la terre ; par conséquent, notre devoir ici-bas, c'est d'agir conformément aux préceptes et d'espérer la perfection comme récompense au ciel. Là, en effet, nous ne serons plus retenus par aucun des liens de ce siècle, nous n'aurons plus à lutter contre les péchés et les vices de la chair, toutes choses qui, selon l'Apôtre, interprété par saint Cyprien, doivent nous faire regarder la mort comme un gain ; nous aimerons Dieu parfaitement, parce que nous le contemplerons face à face (1) ; nous aimerons aussi notre prochain parfaitement, puisqu'il ne sera plus possible ni de faire le mal, ni même de le soupçonner. 

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CHAPITRE XI. LES PÉLAGIENS RÉFUTÉS PAR LA DOCTRINE DE SAINT AMBROISE SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL, SUR LA GRÂCE DE DIEU ET SUR L'IMPERFECTION DE LA JUSTICE ICI-BAS. 

29. Après avoir opposé à nos adversaires le glorieux martyr Cyprien, rendons la démonstration plus complète encore en leur citant le bienheureux Ambroise. En effet, Pelage prodigue à ce dernier les plus brillants éloges, jusqu'à dire que l'œil le plus clairvoyant de ses ennemis n'a jamais rien trouvé de répréhensible dans ses nombreux écrits. Les Pélagiens nient formellement l'existence du péché originel, et accusent de manichéisme les catholiques qui leur opposent l'antiquité de leur croyance sur ce point. Voyons donc ce que leur répond sur ce point saint Ambroise, cet illustre catholique, loué par Pelage lui-même pour la vérité de sa foi. Dans son commentaire de la prophétie d'Isaïe, voici comme il s'exprime : « Jésus-Christ est absolument immaculé, car il n'a même pas été souillé par le mode ordinaire sous lequel nous naissons ». Plus loin, parlant de l'apôtre saint Pierre, il ajoute : « Après avoir refusé de se laisser laver les pieds, il demande qu'on lui lave, non-seulement les pieds, mais encore la tête (2), comme s'il eût immédiatement compris que la faute traditionnelle était détruite par le lavement des pieds qui ont été le premier instrument du péché de l'homme ». Dans le même ouvrage, il dit encore : « Il a été décrété que tout ce qui naîtrait de l'homme et de la 

 (1) I Cor. XIII, 12. —  (2) Jean, XIII, 9. 

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femme, c'est-à-dire du mélange des sexes, serait coupable du péché originel, et qu'il n'y aurait pour échapper à cette souillure que celui qui aurait connu une autre conception. » Dans son ouvrage contre les Novatiens (1), il écrit : « Tous, en notre qualité d'hommes, nous naissons dans le péché. Il suit de là que notre naissance est souillée, selon cette parole de David : J'ai été conçu dans le péché, et ma mère m'a enfanté dans l'iniquité (2) ». Dans son apologie du prophète David, il dit également : « Avant a de naître, nous sommes souillés par la contagion originelle, et avant d'avoir ouvert les yeux à la lumière, nous subissons la tache de notre origine, nous sommes conçus dans l'iniquité ». Parlant du Sauveur, il s'écrie : « Celui qui ne devait subir aucune défaillance corporelle, ne devait pas non plus être atteint par la contagion naturelle de la génération. C'est donc avec raison que David déplore la souillure de la nature, qui rend l'homme coupable, avant même qu'il soit vivant (3) ». Au sujet de l'arche de Noé, le même docteur formule cette pensée : « Il nous est clairement annoncé que le Seigneur Jésus sera le salut des nations, lui qui seul a pu être juste quand toutes les générations naissent coupables ; il est juste, parce qu'en naissant d'une vierge il n'a participé d'aucune manière au triste privilège de notre génération. Voici que j'ai été conçu dans le péché, et que ma mère m'a enfanté dans l'iniquité, s'écrie celui qui paraissait le plus juste de son siècle. Si donc la justice parfaite doit se trouver quelque part, n'est-ce pas en celui qui est entièrement libre de ces liens de la nature ? » C'est ainsi que ce saint évêque, dont la foi catholique est louée par Pelage lui-même, confond dans leur erreur les Pélagiens qui nient l'existence du péché originel ; et pourtant il est loin de soutenir, avec les Manichéens, que Dieu n'est pas l'auteur de la créature, ou d'accuser le mariage que Dieu a institué et béni. 

30. Les Pélagiens soutiennent que par son libre arbitre l'homme acquiert le premier mérite, et que c'est en conséquence de ce mérite que Dieu, par sa grâce, vient au secours de ce libre arbitre. Saint Ambrais confond cette erreur, quand il écrit dans son 

 (1) Livre I de la Pénitence, chap. III. —  (2) Ps. L, 7. —  (3) Chap. XI. 

explication de la prophétie d'Isaïe : « Parce que la nature humaine, privée du secours divin, est impuissante à se guérir, il est absolument nécessaire qu'elle invoque l'intervention de Dieu ». Dans son livre intitulé : De la fuite du siècle (1), il s'exprime ainsi : « Nous parlons très souvent de la nécessité de fuir le monde ; et plût à Dieu qu'il nous fût aussi facile de réaliser cette fuite que d'en parler ! Mais le grand mal, c'est que très souvent nous nous sentons obsédés par le charme des vanités et des cupidités terrestres, de telle sorte que nous sommes d'autant plus attachés au monde, qu'il nous faut le quitter. Il est difficile de se tenir toujours en garde contre ces dispositions ; les dépouiller entièrement serait impossible. Nous y aspirons par nos désirs, mais la réalité n'est pas toujours conforme à ces désirs, j'en ai pour preuve ces paroles : Inclinez mon cœur vers votre loi, et non vers l'avarice (2). Est-ce que notre cœur et nos pensées sont absolument et toujours en notre pouvoir ? combien de fois ces pensées se précipitent à l'improviste sur votre esprit et l'entraînent bien loin du but que vous vous étiez proposé ! Elles vous reportent aux choses du siècle ; elles vous plongent dans les ténèbres du monde, dans les voluptés de la terre, dans toutes les séductions des sens. Au moment même où nous nous préparons à élever notre âme, nous sommes souvent entraînés vers les choses mondaines par le flot agité de nos pensées. Où est l'homme assez heureux pour toujours monter dans son propre cœur ? Et qui peut réaliser ce phénomène sans un secours particulier de Dieu ? Personne assurément. Ne lisons-nous pas dans l'Écriture : Bienheureux, Seigneur, l'homme que vous daignez secourir ; son cœur gravite sans cesse vers les hauteurs (3) ». Pouvait-on s'exprimer d'une manière plus claire et plus catégorique ? Peut-être les Pélagiens vont-ils me répondre que, par cela même que nous implorons le secours divin, nous avons acquis un mérite antérieur à la grâce, mérite qui consiste dans l'acte même de la prière, par laquelle nous demandons que la grâce divine vienne à notre secours. Or, nous les prions de peser ce que dit saint Ambroise dans son commentaire d'Isaïe : 

 (1) Chap. I. —  (2) Ps. CXVIII, 36. —  (3) ld. LXXXIII, 6. 

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« Prier Dieu, c'est déjà une grâce spirituelle, En effet, personne ne peut prononcer le nom de Jésus, si ce n'est dans le Saint-Esprit (1) ». Il formule la même pensée dans ses réflexions sur l'Évangile de saint Luc : « Vous voyez que toujours la vertu du Seigneur agit avec les saints désirs de l'homme, de telle sorte que personne ne peut édifier sans le Seigneur, personne ne peut rien garder sans le Seigneur, personne ne peut rien commencer sans le Seigneur (2) ». Saint Ambroise détruit-il donc le libre arbitre, parce qu'en digne fils de la promesse, il exalte la grâce de Dieu avec autant d'amour que de reconnaissance ? Ou bien, dans sa pensée, la grâce n'est-elle autre chose que la loi elle-même, comme le disent sur tous les Ions les Pélagiens ? De telle sorte que le secours de Dieu n'aurait d'autre efficacité que de nous faire connaître ce que nous avons à faire, et non pas de nous aider à faire ce que nous connaissons. Si telle était l'opinion qu'ils ont de saint Ambroise, qu'ils écoutent ce qu'il dit de la loi. Dans le livre : De la fuite du monde, il s'exprime ainsi : « La loi a pu fermer la bouche à tous les hommes, mais non pas convertir leur cœur (3) ». Plus loin il ajoute : « La loi condamne l'action, mais n'enlève point la malice (4) ». Que les Pélagiens sachent donc que cet illustre catholique partage de tous points ce langage de l'Apôtre : « Nous savons que toutes les paroles de la loi s'adressent à ceux qui sont sous la loi, afin que toute bouche soit fermée, et que tout le monde soit soumis à Dieu, car nul homme ne sera justifié devant Dieu par les œuvres de la loi (5) ». N'est-il pas évident que saint Ambroise n'a fait que s'inspirer de ce langage de l'Apôtre ?

 

31. Les Pélagiens soutiennent également qu'il est ou qu'il y a eu sur la terre des justes qui ont vécu absolument sans péché, de telle sorte que la vie future, que nous espérons comme récompense, ne pouvait rien ajouter à leur perfection présente. Écoutons comment l'Apôtre les réfute. A l'occasion de ces paroles d'Isaïe : « J'ai engendré et élevé des enfants, et ils m'ont méprisé (6) », il entreprend de traiter des générations qui sont nées de Dieu. Dans cette discussion, il cite ces 

 (1) I Cor. XII, 3. —  (2) Liv. II sur le chap. III de saint Luc, n. 81. —  (3) Chap. III. —  (4) Chap. VII. —  (5) Rom. III, 19, 20. —  (6) Isa. I, 2.

 

paroles de saint Jean : « Celui qui est né de Dieu, ne pèche pas (1) ». Soulevant alors cette question très difficile, il formule ainsi sa pensée : « Personne dans ce monde n'est exempt de tout péché, puisque ce même saint Jean a dit : Si nous disons que nous n'avons pas péché, nous faisons de Dieu un menteur (2). Or, si ceux qui sont nés de Dieu ne pèchent pas, et si nous voulons qu'il s'agisse ici de ceux qui sont encore sur la terre, nous devons conclure que ceux qui ont obtenu la grâce de Dieu par la régénération du baptême sont innombrables. Pourtant, voici que le roi-prophète s'écrie : Tous attendent que vous leur donniez la nourriture qui leur est nécessaire. Si vous leur donnez, ils jouissent de votre libéralité ; si vous ouvrez votre main, ils sont tous remplis de biens. Mais si vous détournez votre visage, ils tomberont dans le trouble ; vous leur ôterez le souffle qui les anime, ils cesseront de vivre, et ils rentreront dans la poussière d'où ils sont sortis. Vous enverrez votre Esprit, et ils seront créés de nouveau, et vous renouvellerez la face de la terre (3). Or, tout cela ne a semble pas devoir s'appliquer à tous les temps, mais seulement au siècle futur, alors qu'il y aura une nouvelle terre et un ciel nouveau. Toutes choses seront donc troublées, pour recevoir un commencement, et si vous ouvrez votre main, elles seront toutes remplies de biens. Je demande : Dans le siècle présent cette transformation peut-elle se faire facilement ? N'est-ce pas en parlant de ce siècle, que l'Écriture s'écrie : Il n'est aucun homme qui fasse le bien, il n'en est pas un seul (4) ? Si donc nous devons admettre diverses générations ; si, en entrant dans cette vie, le péché nous est tellement inoculé que nous allions jusqu'à mépriser celui qui nous a engendrés ; et s'il y a une autre génération pour laquelle le péché ne sera plus possible, voyons si, après le cours de cette vie, nous ne serons pas l'objet de cette régénération dont il est dit : A la régénération, lorsque le Fils de l'homme siégera sur le trône de sa gloire (5). De même que nous appelons le baptême une régénération parce que nous y sommes renouvelés dans la purification complète de nos péchés ; de même, et à plus forte raison, 

 (1) I Jean, III, 9. —  (2) Id. I, 10.—  (3) Ps. CIII, 27-30.—  (4) Id. XIII, 1. —  (5) Matt, XIX, 28. 

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devons-nous appeler régénération cet acte solennel qui nous délivrera de tout ce qui est corporel, et nous spiritualisera dans tout notre être pour nous faire goûter les délices d'un renouvellement pour la vie éternelle ? Cette régénération dernière sera donc pour nous le principe d'une purification plus entière que celle du baptême, car alors tout péché aura disparu pour nous, non-seulement de nos actes, mais même de nos pensées ». Plus loin, mais toujours dans le même ouvrage, saint Ambroise continue : « Comprenons donc l'impossibilité où est l'homme, tant qu'il est uni à un corps matériel, de se conserver entièrement pur de tout péché. Saint Paul lui-même ne confesse-t-il pas sa propre imperfection ? Ne s'écrie-t-il pas : Ce n'est point que j'aie déjà reçu ce que j'espère, ou que je sois déjà parfait ? Ce qui ne l'empêche pas de dire un peu plus loin : Nous tous qui sommes parfaits (1). Peut-être distingue-t-il de la perfection de ce monde cette autre perfection qu'il annonçait aux Corinthiens : Lorsque sera venu ce qui est parfait (2) ; puis aux Éphésiens : Jusqu'à ce que nous parvenions tous à l'unité d'une même foi et d'une même connaissance du Fils de Dieu, à l'état d'un homme parfait, à la mesure de l'âge et de la plénitude selon laquelle Jésus-Christ doit être formé en nous (3). Ces hommes que l'Apôtre appelle parfaits pour ce monde, cessent de l'être si vous les considérez par rapport à la perfection véritable ; car il a dit lui-même : Nous ne voyons maintenant que comme en un miroir et en énigme, mais alors nous verrons face à face ; je ne connais maintenant qu'imparfaitement, mais alors je connaîtrai comme je suis moi-même connu (4). Or, ce que nous venons de dire de la perfection pour ce monde et pour l'autre, peut également se dire de la pureté pour la vie présente et pour la vie éternelle. Car, pour peu que vous vouliez y réfléchir, vous comprendrez qu'il n'y a point ici-bas de pureté parfaite, puisque personne ne peut être absolument sans péché ». Saint Ambroise continue : « Nous voyons que, pendant cette vie, nous devons toujours nous purifier, chercher Dieu, commencer par la purification de notre 

 (1) Philip, III, 12, 15. —  (2) I Cor. XIII, 10. —  (3) Eph. IV, 13. —  (4) I Cor. XIII, 12. 

âme, et jeter en quelque sorte les fondements de la vertu, afin qu'après cette vie nous puissions arriver à la justification parfaite ». Il ajoute : « Quel homme accablé, gémissant sous le poids de son corps, ne s'écrierait : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort (1) ? N'est-ce donc pas à l'école même de saint Paul, que nous apprenons cette variété d'interprétations ? En effet, si, pour se dire malheureux, il suffit de reconnaître que le corps est pour nous une cause de continuelles inquiétudes, ne peut-on pas affirmer que ce corps est pour nous un triste fardeau ? D'un autre côté, dois-je appeler heureux celui qui, plongé dans les ténèbres les plus épaisses, ne connaît pas sa propre condition ? Je ne vois pas, du reste, que mon langage puisse être taxé d'absurdité. En effet, si tout homme qui se connaît est malheureux, je dis que tous les hommes sont malheureux ; car, s'il est sage, tout homme connaît sa propre faiblesse, et s'il ne la connaît pas, c'est qu'il est insensé ». Dans un livre où il traite du bien de la mort (2), le saint évêque s'exprime ainsi : « Que la mort agisse donc en nous, afin que la vie y agisse également, j'entends la bonne vie après la mort, c'est-à-dire la bonne vie après la victoire, la bonne vie après le combat, alors que la loi de la chair ne saura plus lutter contre la loi de l'esprit (3), et que nous n'aurons plus à combattre contre ce corps de mort ». Plus loin il ajoute : « Puisque les justes possèdent pour récompense de voir Dieu face à face et de contempler celle lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde (4), ayons pour but, ici-bas, que notre âme se rapproche de Dieu, que notre prière monte jusqu'à lui, que nos désirs n'aient que lui pour objet, que nous lui soyons toujours unis. Malgré notre exil sur la terre, nous nous unissons à Dieu par la méditation, par la lecture, par le soin que nous mettons à le chercher ; travaillons à le connaître aussi parfaitement que possible. Maintenant nous ne le connaissons qu'imparfaitement, parce qu'ici-bas tout est imparfait, tandis qu'au ciel tout est parfait ; ici-bas nous ne sommes que des enfants ; au ciel nous serons forts.

  (1) Rom. VII, 24. —  (2) Chap. III et XI. —  (3) Rom. VII, 23. —  (4) Jean, I, 9. 

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Nous ne voyons maintenant que comme dans un miroir et en énigme, mais alors nous verrons face à face. Nous contemplerons alors la gloire du Seigneur se révélant à nous face à face, tandis qu'aujourd'hui nous en sommes incapables, quand notre âme est enchaînée sous l'enveloppe de ce corps matériel, et comme obscurcie par les taches et les passions de la chair. Qui verra mon visage et vivra (1) ? Et, en effet, si nos yeux ne peuvent supporter l'éclat des rayons du soleil, si l'on raconte de tel homme qu'il a été frappé d'aveuglement pour avoir fixé trop longtemps ses regards sur cet astre éclatant, si dès lors une créature ne peut contempler une autre créature sans s'exposer à des suites fâcheuses, comment l'homme, tant qu'il est couvert de la misérable enveloppe de ce corps, pourrait-il, sans péril pour lui-même, contempler le front scintillant du Créateur éternel ? Qui est justifié en présence de Dieu (2), puisque même l'enfant d'un jour ne saurait être pur de tout péché (3), et que personne ne peut se glorifier de l'intégrité et de la chasteté de son cœur (4) ? »

 

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CHAPITRE XII. L'HÉRÉSIE PÉLAGIENNE BIEN POSTÉRIEURE A SAINT AMBROISE. LES ASSEMBLÉES SYNODALES NE SONT PAS TOUJOURS NÉCESSAIRES POUR CONDAMNER LES HÉRÉSIES.

 

32. Il serait trop long de citer en détail tous les passages dans lesquels saint Ambroise réfute longtemps d'avance l'hérésie des Pélagiens, non pas assurément dans le but de leur répondre, mais uniquement pour établir la foi catholique et en donner aux hommes une connaissance suffisante. De même, je n'ai pu rapporter, dans les lettres du glorieux Cyprien, toutes les preuves qu'il donne pour montrer que notre foi est la véritable foi chrétienne et catholique, qu'elle s'appuie sur l'antiquité des Écritures, qu'elle nous a été parfaitement conservée et transmise par les saints Pères jusqu'au jour où ces nouveaux hérétiques ont tenté de la détruire, et enfin, que par la miséricorde et la protection de Dieu elle sera ainsi conservée dans toute son intégrité jusqu'à la fin des siècles. C'est là ce 

 (1) Exod. XXXIII, 20. —  (2) Ps. CXLII, 2. —  (3) Job, XIV, 5, selon les Sept. —  (4) Prov. XX, 9.

 que prouvent tous ces témoignages que nous avons empruntés aux lettres de saint Cyprien ; c'est ce que prouvent également les écrits de saint Ambroise, dont la doctrine, parfaitement conservée jusqu'à nous, avait été proclamée longtemps avant que nos sectaires bouillonnassent dans leur orgueil, et émissent ces nouveautés sacrilèges, devant lesquelles toutes les oreilles catholiques ont frémi d'horreur. Ainsi conservée jusqu'à nous, la foi véritable se conservera jusqu'à la fin des siècles, je n'en veux d'autre preuve que la condamnation dont les Pélagiens sont frappés, et la rétractation qui leur est imposée. Quels que soient leurs murmures contre la foi légitime et vraie de saint Cyprien et de saint Ambroise, je n'ose supposer qu'ils pousseraient la fureur jusqu'à accuser de manichéisme ces illustres serviteurs de Dieu.

 

33. Pourquoi donc, dans l'aveuglement de leur haine, osent-ils s'écrier : « Dans presque tout l'Occident s'est répandue la croyance à un dogme aussi inepte qu'impie ? » Grâce à l'infinie miséricorde du Seigneur qui gouverne invisiblement son Église, grâce à l'inquiète vigilance de la foi catholique, jamais dogme insensé et impie n'a été reçu par l'Église, pas plus l'erreur des Manichéens, que celle des Pélagiens. Tous les docteurs catholiques, proclamés comme tels dans l'Église universelle, ont toujours soutenu que les créatures par elles-mêmes sont bonnes ; que le mariage a été institué par Dieu ; que c'est lui qui est l'auteur de la loi donnée par Moïse ; que la nature humaine est douée du libre arbitre ; et enfin, que les patriarches et les Prophètes ont acquis une sainteté digne des plus grands éloges. Or, ce sont là les cinq vérités principales que les Manichéens rejettent et condamnent ; d'où il suit que nos docteurs catholiques sont loin de partager les doctrines manichéennes, ce qui ne les empêche pas d'affirmer l'existence du péché originel ; de soutenir que la grâce prête au libre arbitre un secours purement gratuit et divin, antérieurement à tout mérite de la volonté ; d'enseigner que les saints, pendant qu'ils étaient unis à un corps, malgré la justice de leurs œuvres, avaient absolument besoin de demander chaque jour dans la prière le pardon de leurs péchés ; et enfin, que la justice parfaite, qui ne peut plus pécher, est exclusivement réservée à l'autre vie, comme récompense

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pense de ceux qui auront vécu saintement sur la terre.

 

34. Que signifie donc cette parole dont nos adversaires font si grand bruit : « On extorqua la signature à de simples évêques, isolés dans leur demeure, et en dehors de toute réunion synodale ? » Est-ce que ces illustres défenseurs de la foi catholique, Cyprien et Ambroise, se sont, si longtemps à l'avance, laissé extorquer leur signature contre les Pélagiens ? Avouons pourtant que ces deux athlètes ont foudroyé l'erreur pélagienne avec tant d'énergie et de clarté qu'il nous serait impossible, à nous qui avons cette erreur sous les yeux, de la réfuter avec plus d'évidence et d'autorité. Et puis, quel besoin pouvait-on avoir d'une assemblée synodale pour condamner une erreur aussi pernicieusement évidente ? Est-ce que jamais hérésie n'a été condamnée en dehors d'une assemblée synodale ? Je dis, au contraire, qu'il s'en est élevé bien peu dont la condamnation ail exigé ce déploiement d'autorité ; le plus grand nombre de ces erreurs ont été immédiatement frappées sur les lieux mêmes de leur naissance de telle sorte qu'avant même de les connaître on savait qu'il fallait les éviter. Je ne l'ignore pas sans doute, aujourd'hui nous avons, devant nous un orgueil qui aspire ouvertement à se glorifier, non pas en Dieu, mais dans son libre arbitre ; est-il étonnant dès lors qu'il cherche à se faire un nouveau piédestal pour sa gloire, en exigeant que sa condamnation ne soit prononcée que par l'Orient et l'Occident réunis ? Comme Dieu leur résiste ouvertement, ils ne peuvent parvenir à pervertir l'univers catholique ; au moins voudraient-ils le jeter dans le trouble et l'agitation. Qu'ils sachent donc que la sollicitude et la vigilance des pasteurs a formulé contre eux un jugement légitime et compétent ; que partout où ils se présenteront, on ne verra en eux que des loups ravissants dont on doit enchaîner la fureur, soit pour les guérir et les changer, soit pour soustraire la foi des fidèles à leur funeste contagion. Nous comptons avant tout sur le secours du Pasteur des pasteurs qui cherche la brebis perdue, même quand elle n'est qu'un enfant, qui rend ses ouailles gratuitement justes et saintes, et, après les avoir sanctifiées, et justifiées leur rappelle que dans la fragilité et la faiblesse de cette vie elles ne peuvent être sans péché, les invite à en demander la rémission quotidienne, et leur accorde cette rémission avec une clémence et une miséricorde infinies.

 

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

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