LETTRE CCXLVIII
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LETTRE CCXLVIII.

 

Les souffrances des gens de bien en présence des prospérités des méchants.

 

AUGUSTIN A SON CHER ET SAINT SEIGNEUR, A SON DOUX FRÈRE EN JÉSUS-CHRIST, SÉBASTIEN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

1. Quoique le doux lien de la charité ne permette pas que vous soyez jamais loin de notre coeur , et quoique nous nous rappelions sans cesse vos saintes moeurs et vos bons entretiens , vous avez bien fart pourtant et nous vous remercions de nous avoir comblé de joie en nous donnant des nouvelles de votre santé. Je vois par votre lettre la peine que vous causent les pécheurs qui abandonnent la loi de

 

1. Matth. X, 12, 1.

 

Dieu; car vous vivez de cet esprit qui a fait dire : « J'ai vu les insensés, et j'ai séché de douleur (1). » C'est une pieuse tristesse, et, si on peut parler ainsi, c'est une heureuse misère de s'affliger des désordres d'autrui sans y prendre aucune part; de s'en attrister, sans s'y mêler ; d'en éprouver de la douleur et de ne sentir pour ces péchés aucun amour. Voilà la persécution due souffrent tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ, selon le mot si pénétrant et si vrai de l'Apôtre (2). Quoi de plus capable de persécuter la vie des gens de bien que la vie des méchants ! Ce n'est pas qu'on soit par là forcé de faire ce qui déplaît, mais on ne peut pas le voir sans douleur, car celui qui vit mal en présence de celui qui vit bien, le tourmente dans son âme quoiqu'il ne l'entraîne dans aucune complicité. Il arrive souvent que les méchants, quant à leur corps, demeurent longtemps sans avoir rien à souffrir des puissances de la terre et rien à souffrir de personne; mais la piété souffrira toujours du spectacle de l'iniquité des hommes jusqu'à la fin des temps. Ainsi donc s'accomplit plutôt la parole de l'Apôtre que j'ai citée plus haut : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ souffriront persécution ; » elle sera d'autant plus amère qu'elle sera plus intime ; le corbeau et la colombe demeurent ensemble dans l'arche jusqu'à ce que le déluge ait passé.

2. Mais unissez-vous, mon frère, à celui qui vous a dit : « Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé (3); » unissez-vous au Seigneur., afin que votre vie spirituelle croisse de plus en plus jusqu'aux derniers jours. Je sais que les consolations qui viennent de bons frères ne manquent pas à votre coeur. Ajoutez à ces joies les fidèles promesses de Dieu, promesses grandes, certaines, éternelles, et l'immuable et ineffable récompense de nos souffrances d'ici-bas. Voyez avec quelle vérité vous chantez au Seigneur : « Vos consolations ont réjoui mon âme, en proportion de mes douleurs (4). » Envoyez notre lettre à notre frère Firmus. Les frères et les soeurs qui sont auprès de nous rendent le salut à votre sainteté et à la famille de Dieu que vous gouvernez. Et d'une autre main. Portez-vous bien et priez pour nous, chers et saints frères.

Moi, Alype, je salue avec empressement votre

 

1. Ps. CXVIII, 53, 158. — 2. II Tim. III, 12. — 3. Matth. XXIV, 13. — 4. Ps. XCIII, 19.

 

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sincérité et tons ceux qui vous sont unis dans le Seigneur; je vous demande de regarder cette lettre comme venant de moi; j'aurais pu vous en envoyer une autre, mais j'ai mieux aimé signer celle-ci, pour que la même page atteste mieux l'étroite intimité de notre union.

 

 

 

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