LETTRE CLXXXII
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LETTRE CLXXXII. (Année 416.)

 

Le pape Innocent répond aux pères du concile de Milève sur les erreurs de Pélage et de Célestius.

 

INNOCENT A SILVAIN L'ANCIEN, A VALENTIN ET A SES AUTRES BIEN-AIMÉS FRÈRES QUI ONT ASSISTÉ AU CONCILE DE MILÉVE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

1. Au milieu des soins de l'Église romaine et des occupations du Siège apostolique, où il nous faut répondre brièvement et exactement aux questions qui nous arrivent de toutes parts, notre frère et collègue Jules nous a remis inopinément la lettre que vous nous avez adressée du concile de Milève dans votre intérêt pour la foi, en y joignant la lettre du concile de Carthage exprimant les mêmes plaintes. L'Église se réjouit beaucoup fille les pasteurs montrent une si grande sollicitude pour les troupeaux qui leur sont confiés ; ils ne se bornent pas à empêcher leurs brebis d'errer, mais s'ils apprennent que d'autres brebis sont séduites par l'attrait cruel de pâturages dangereux et qu'elles persistent dans l'égarement, ces pasteurs veulent les séparer complètement du troupeau ou bien les rappeler de leurs longs désordres et les soumettre à la vigilance d'autrefois. Toujours prudents dans le parti qu'ils prennent, ils redoutent la contagion des mauvais exemples par de faciles admissions et prennent garde aussi de ne pas exposer des brebis aux loups en les repoussant dans leur . sincère retour. Votre consultation à cet égard est pleine de sagesse et de foi catholique. Qui peut supporter l'erreur ou ne pas accueillir le repentir? De même que je trouverais mauvais d'agir de connivence avec les pécheurs, ainsi je trouverais impie de ne pas tendre la main à ceux qui se convertissent.

2. Vous consultez donc avec empressement et convenance, sur le parti à prendre dans les choses difficiles, les oracles du Siège apostolique, de ce siège, dis-je, qui demeure chargé de la sollicitude de toutes les Eglises, sans compter les affaires du dehors; vous ne faites que suivre en cela D'ancienne règle qui, vous le savez comme moi, s'est toujours pratiquée dans tout l'univers. Mais je laisse cela, car je ne crois pas que votre sagesse l'ignore : que prouve en effet votre démarche si ce n'est que vous savez bien que de la source apostolique coulent sans cesse à travers tous les pays des réponses aux questions adressées? C'est surtout quand on agite les matières de foi que tous nos frères et collègues doivent, je le crois, comme le fait maintenant votre charité, s'en référer uniquement à Pierre, c'est-à-dire à l'auteur même de leur nom et de leur dignité, à cause du profit commun que peuvent en tirer toutes les Églises du monde entier. Car nécessairement elles y prendront garde davantage, lorsqu'elles verront que, sur le rapport de deux conciles, notre sentence a retranché de la communion catholique les inventeurs de cette détestable doctrine.

3. Votre charité accomplit donc un double bien: vous avez le mérite de suivre les canons, et tout l'univers y trouve son profit. Quel catholique voudrait désormais communiquer avec des ennemis du Christ? qui voudrait même partager avec eux la même lumière par la communauté de vie? Qu'on fuie donc les auteurs de la nouvelle hérésie. Que pouvaient-ils faire de pis contre Dieu que d'anéantir la prière de tous les jours en niant les secours divins? C'est comme si on disait : qu'ai-je besoin de Dieu? — C'est bien contre eux que le Psalmiste peut dire : « Voilà des hommes qui n'ont pas pris Dieu pour leur appui (1). » En niant le secours de Dieu, ils disent que l'homme peut se suffire, qu'il n'a pas besoin de la grâce divine sans laquelle il tombe dans les pièges du démon, pendant qu'il prétend qu'avec sa seule liberté il accomplira parfaitement tous les commandements. O mauvaise doctrine d'intelligences dépravées ! Qu'on se     rappelle comment cette même liberté trompa le premier homme; en la gouvernant mollement, il tomba par orgueil dans la prévarication, et il n'en serait jamais sorti si, par une régénération providentielle, l'avènement de Jésus-Christ Notre Seigneur n'avait rétabli la liberté humaine dans son ancien état. Qu'on écoute David lorsqu'il dit : « Notre secours est dans le nom du Seigneur (2); soyez mon appui, ne m'abandonnez pas, ne me

rejetez pas, Dieu mon Sauveur (3) ! » A quoi bon ces paroles si ce que David demande au Seigneur en gémissant dépend de sa seule volonté ?

4. Cela étant ainsi et toutes les pages nous montrant que la volonté libre doit s'appuyer sur l'as. sistance de Dieu, et qu'elle ne peut rien sans elle, comment Pélage et Célestins, d'après ce que vous nous dites, se persuadent-ils à eux-mêmes que la volonté suffit, et, ce qui est plus douloureux, comment l'ont-ils déjà persuadé à beaucoup d'autres? Les témoignages des Écritures ne nous manque. raient point pour renverser un pareil enseignement, si nous ne savions pas que votre sainteté possède à fond les Livres Saints; les autorités,et en si grand nombre, que renferme votre lettre suffisent bien pour faire justice de cette doctrine; il n'est pas besoin de ce qui reste caché, puisqu'ils n'osent, ni ne peuvent répondre aux témoignages qui se sont présentés sans peine à vous. Ils s'efforcent donc de détruire la grâce de Dieu qu'il est nécessaire que clous demandions, même après le rétablissement de notre ancienne liberté; ah! sans cette grâce il ne nous est pas possible d'échapper aux artifices du démon.

5. Quant à ce que votre fraternité nous rapporte de leur opinion, que les enfants peuvent, sans la grâce du baptême, obtenir la vie éternelle, c'est là vraiment une doctrine insensée. Car s'ils n'ont pas mangé la chair du Fils de l'homme, ni bu sou sang, ils n'auront pas la vie en eux (4). Or, ceux qui soutiennent que les enfants parviennent à la vie éternelle sans la régénération, me paraissent vouloir

 

1. Ps. LI, 7. — 2. Ps. CXXIII, 7. — 3. Ibid. XXVI, 9. — 4. Jean, VI, 54

 

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anéantir le baptême même, puisque les enfants auraient ainsi ce que nous croyons que le

baptême seul leur confère. Si, pour les partisans de cette doctrine , il n'y a pas de mal à n'être pas régénéré, il faut qu'ils avouent que les eaux de la régénération ne servent de rien. Le Seigneur dans l'Évangile a, d'un mot, coupé court à l'erreur de ces esprits légers : « Laissez venir à moi les enfants, a-t-il dit, et ne les empêchez, pas; car à de tels est le royaume des cieux. (1)»

6. C'est pourquoi, armé de toute l'autorité apostolique, nous croyons devoir retrancher de la communion de l'Église Pélage et Célestius, c'est-à-dire les inventeurs « de ces nouveautés profanes de paroles (2) » qui, comme dit l'Apôtre, n'édifient pas, mais ont coutume d'engendrer les vaines disputes; nous les retranchons de l'Église jusqu'à ce qu'ils sortent des piéges du démon « qui les tient captifs pour en faire ce qu'il lui plaît (3); » ils ne doivent plus faire partie de la bergerie du Seigneur qu'ils ont voulu eux-mêmes abandonner en s'enfonçant dans une voie perverse : il faut qu'ils soient retranchés « ceux qui mettent le trouble parmi vous et qui veulent changer l’ Évangile du Christ (4). » Nous ordonnons en même temps que ceux qui s'efforcent de défendre cette doctrine avec une opiniâtreté pareille soient frappés du même châtiment. « Ce ne sont pas seulement ceux qui font le mal qui sont dignes de mort, mais encore ceux qui approuvent ceux qui le font (5); » et je ne vois pas grande différence entre faire le mal et y acquiescer. Je dis plus : souvent or, ne reste pas dans son erreur lorsqu'on s'y voit tout seul. Que cette sentence, très-chers frères, demeure donc contre les susdits ; qu'ils n'entrent pas dans les demeures du Seigneur, qu'ils ne soient plus sous la garde pastorale, de peur que la funeste contagion de deux brebis ne gagne le peuple imprudent, et que le loup ne mette cruellement sa joie à faire un vaste carnage dans la bergerie du Seigneur, tandis que les gardiens négligent de découvrir la blessure des deux brebis. Il ne faut pas que des complaisances pour des loups fassent croire que nous sommes des mercenaires plutôt que des pasteurs.

7. Notre-Seigneur Jésus-Christ ayant déclaré lui-même qu'il ne veut pas la mort du pécheur, mais sa conversion et sa vie « , nous ordonnons que s'ils reviennent de leur erreur et s'ils condamnent ce qui les a fait condamner, on ne leur refuse pas le remède accoutumé, c'est-à-dire le refuge dans l'Église: il ne faudrait pas qu'au moment peut-être où nous les empêcherions de revenir, et où ils resteraient et attendraient, hors de la bergerie, l'ennemi qu'ils ont excité contre eux par l'aiguillon de leur doctrine impie , vint les engloutir. Portez-vous bien, frères. Donné le sixième des calendes de février, sous le consulat des illustres Honorius et Constance.

 

1. Luc, XXIII, 16. — 2. I Tim. VI, 20. — 2. II Tim. II, 26. — 3. Galat., I,  7. —  4. Rom. I, 32. — 5. Matth. IX, 13.

  

 

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