LETTRE CLXXI
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LETTRE CLXXI. (Année 415)

 

Les lettres à de grands personnages n'étaient écrites que d'un seul côté; on écrivait des deux côtés avec des amis ou avec des personnes qu'on traitait sans cérémonie; la lettre au médecin Maxime avait cette forme; saint Augustin et Alype croient devoir s'expliquer à ce sujet dans un billet adressé à l'évêque Pérégrin.

 

ALYPE ET AUGUSTIN , A LEUR BIENHEUREUX SEIGNEUR , A LEUR VÉNÉRABLE ET CHER FRÈRE ET COLLÈGUE PÉRÉGRIN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

Nous avons écrit à notre honorable frère Maxime, pensant qu'il recevra notre lettre avec plaisir. Veuillez toutefois nous apprendre, par la première occasion que vous pourrez trouver, si nous avons obtenu quelque chose. Qu'il sache que quand nous adressons de longues lettres à nos amis, non-seulement laïques mais encore évêques , nous avons coutume de les écrire comme celle-là, parce que c'est plus rapide et que les lettres sont plus aisées à lire ; dites-lui cela de peur que, ne connaissant pas notre usage, il ne s'imagine que nous lui avons manqué de respect.

 

LETTRE CLXXI bis.

 

Nous donnons ici le fragment d'une lettre de saint Augustin qui ne figure pas dans les éditions latines des lettres de l’évêque d'Hippone , si on excepte l'édition de 1845 (2). On suppose qu'elle est adressée au médecin Maxime , de Ténès, et c'est pourquoi nous la plaçons ici. Ce fragment, qui touche aux sept béatitudes, marque les sept degrés de la vie chrétienne. il a été trouvé dans les commentaires de Primase sur l'Apocalypse.

 

1. C'est par une crainte religieuse que vous devez commencer à mettre d'accord votre vie et vos moeurs avec les commandements de Dieu que noirs avons reçus pour bien vivre; car «la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse, (3) » et c'est par elle que

 

2.  Edition Migne. — 3. Ps. CX, 10.

 

l'orgueil de l'homme diminue et se brise. Vous devez ensuite, par une piété douce et docile, ne pas repousser ce que vous ne comprenez point encore dans les Ecritures et ce que des ignorants jugent absurde et contradictoire; ne pas mettre dans l'audace de vos contestations, votre propre sens au-dessus du sens des Livres Saints; mais vous aimerez mieux croire avec docilité et attendre de comprendre, que d'accuser violemment ce qui demeure un secret pour vous. Troisièmement, quand votre misère humaine commencera à se connaître; quand vous saurez où vous êtes gisant; quand vous reconnaîtrez la pesanteur de ces chaînes de mortalité dont vous accable le péché d'Adam, et que vous verrez combien vous cheminez loin du Seigneur; enfin quand vous sentirez dans votre corps une loi contraire à la loi de votre esprit et vous retenant captif sous la loi de péché, écriez-vous : « Malheureux homme que je suis , qui me délivrera du corps de cette mort (1) ? » afin que Dieu vous console dans vos gémissements en vous promettant la délivrance par sa grâce au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Quatrièmement, souhaitez ensuite, avec beaucoup plus de vivacité et d'ardeur , d'accomplir les oeuvres de justice , que les hommes les plus dépravés ne désirent les voluptés de la chair; et toutefois, avec l'espérance du secours divin , il y a du calme dans l'ardeur de ces souhaits et de la sécurité dans ces flammes sacrées. Dans ce quatrième degré de la vie spirituelle, on prie beaucoup, afin que ceux qui ont faim et soif de justice en soient rassasiés , et que ce ne soit plus une pénible difficulté, mais une douceur de s'abstenir, même avec lutte , des voluptés de toute corruption, qu'elle vienne de nous ou d'autrui. Dans le cinquième degré, on conseille la miséricorde comme moyen d'obtenir aisément cette grâce d'en-haut: aidez le pauvre en ce que vous pouvez, puisque vous désirez que le Tout-Puissant vous aide en ce que vous ne pouvez pas accomplir encore. Il y a deux manières d'exercer la miséricorde ; dans la première on renonce à se venger, dans la seconde on est bienfaisant. Le Seigneur a exprimé en deux mots ce double caractère : « Pardonnez, « et l'on vous pardonnera; donnez , et l'on « vous donnera (2). » Ces oeuvres servent aussi à purifier le coeur, afin que nous puissions voir avec la pure intelligence, autant qu'il est permis

 

1. Rom. VII, 24. — 2. Luc, VII, 37, 38.

 

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mis dans cette vie, l'immuable substance de Dieu. Car il y a devant nous un obstacle qui doit disparaître pour que la lumière se montre à nos yeux. Aussi le Seigneur a dit lui-même «Donnez l'aumône , et tout sera pur pour vous (1). » C'est pourquoi la pureté du coeur est elle-même le sixième degré. Mais pour que notre regard s'ouvre droit et pur vers la véritable lumière, il faut que ni nos Oeuvres bonnes et louables, ni nos habiles et ingénieuses découvertes n'aient pour but de plaire aux hommes ni de subvenir aux besoins du corps. Car Dieu veut être servi gratuitement , parce qu'il n'y a rien à cause de quoi on doive le rechercher. Lorsque , dans une marché plus lente ou plus rapide, nous serons arrivés , par les degrés de la vie chrétienne , à cette pureté de l'intelligence, alors nous oserons dire que nous pouvons quelque peu atteindre à l'unité de la souveraine et ineffable Trinité : là sera la paix suprême, parce qu'il n'y aura plus rien à attendre, quand les hommes qui auront été faits enfants de Dieu et rétablis dans leur dignité première jouiront de l'immutabilité de leur Père.

2. Ainsi donc premièrement : « Bienheureux les pauvres d'esprit; » c'est ici la crainte de Dieu. Ensuite : « Bienheureux ceux qui sont doux; » c'est ici la piété docile. Troisièmement : «Heureux ceux qui pleurent; » on apprend ici sa propre infirmité. Quatrièmement: « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice; » nous apprenons ici par quel effort on soumet ses passions. Cinquièmement: « Heureux les miséricordieux, parce qu'il leur sera fait miséricorde ; » c'est un conseil d'aider les autres pour mériter qu'on nous aide. On arrive alors au sixième degré où il est dit : « Heureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu (2) ; » sachons ici que l'entendement purifié et capable de comprendre , ne pénétrera jamais rien de l'auguste mystère de la Trinité , si nous cherchons les louanges des hommes, même en faisant des choses louables. Enfin, par le septième degré, nous arrivons à cette ineffable paix que le monde ne peut pas donner. Les philosophes anciens ont fait d'admirables efforts pour rechercher la prudence, la force, la tempérance et la justice; si, pour la perfection de la religion, nous ajoutons à ces quatre vertus ces trois autres : la foi, l'espérance et la charité , nous trouvons

 

1. Luc, XI, 41. — 2. Matth. V, 3-8.

 

le nombre sept. C'est avec raison qu'on ne doit pas oublier ces trois vertus, puisque , sans elles, nul ne peut ni servir Dieu ni lui plaire.

 

  

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