LETTRE CXXXIV
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LETTRE CXXXIV. (412.)

 

Voici la lettre au proconsul; on admirera le même esprit de douceur à l'égard des coupables, et l'on remarquera, comme dans la précédente lettre, le ton d'autorité épiscopale.

 

AUGUSTIN A SON ILLUSTRE SEIGNEUR ET TRÈS-EXCELLENT FILS APRINGIUS, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

1. Au milieu de cette puissance que Dieu vous a donnée sur les hommes, à vous qui n'êtes qu'un homme, vous pensez, je n'en doute pas, à ce jugement divin devant lequel les juges de ce monde auront à rendre compte de leurs propres arrêts. Je sais quelle foi chrétienne vous anime; j'y trouve un plus grand motif de m'adresser à vous avec confiance soit par mes prières, soit par mes avis : il s'agit de la gloire de ce Maître, à la famille duquel vous appartenez comme nous par un droit céleste, en qui nous mettons ensemble l'espérance d'une éternelle vie, et que nous implorons pour vous dans les saints mystères. Aussi je vous prie d'abord , illustre seigneur et très-excellent fils, de me pardonner si je me jette ainsi tout à coup au travers des actes de votre administration, avec la sollicitude que je dois à l'Eglise dont les intérêts sont confiés à mes soins, et à laquelle je suis moins jaloux de commander que d'être utile; je vous conjure ensuite de ne pas dédaigner mes avis ou mes instances et de ne pas hésiter à en tenir compte.

2. Des circoncellions et des clercs donatistes ont été mis en jugement, après déposition faite, par les soins des magistrats chargés de l'ordre public. Interrogés par l'illustre tribun et secrétaire mon fils Marcellin, votre frère, mais pressés seulement par les verges et non point condamnés à souffrir les ongles de fer et le feu, ils ont avoué d'horribles crimes commis par eux sur des frères et prêtres de mon Eglise; (278) l'un de ces prêtres, surpris dans des embûches, a été massacré; l'autre, arraché de sa demeure, a eu un oeil crevé et un doigt coupé. Informé des aveux des coupables et sachant qu'ils vont être sous la juridiction de votre hache (1), je me suis empressé d'adresser cette lettre à votre excellence, pour vous supplier et vous conjurer, au nom de la miséricorde du Christ, de nous réjouir en vous assurant à vous-même une félicité plus grande et plus certaine, et de ne pas leur rendre la pareille, quoique les lois, en punissant, ne puissent pas faire couper un doigt, ni arracher un oeil avec une pierre, comme ces furieux l'ont fait. Je suis donc sûr que les coupables n'auront pas à subir les mêmes traitements qu'ils avouent avoir fait subir aux autres; mais je crains que vous ne condamniez ceux-là à mort ou bien ceux qui ont été convaincus d'homicide : chrétien, je prie le juge de n'en rien faire; évêque, j'en avertis le chrétien.

3. L'Apôtre dit de ceux qui sont ce que vous êtes que ce n'est pas en vain que vous portez le glaive, que vous êtes les ministres de Dieu, chargés de sa vengeance contre les hommes qui agissent mal (2); mais autre chose est la cause d'une province, autre chose est la cause de l'Eglise; le gouvernement de l'une a besoin de sévérité, le gouvernement de l'autre doit être inséparable de la mansuétude. Si j'avais affaire à un juge qui ne fût pas chrétien, j'agirais autrement; toutefois je ne déserterais pas la cause de l'Eglise, et, autant qu'il daignerait m'entendre , j'insisterais pour que les souffrances des serviteurs catholiques de Dieu, qui doivent servir d'exemples de patience, ne fussent pas souillées par l'effusion du sang de leurs ennemis; si le juge refusait de m'écouter, je le soupçonnerais de résister par une inspiration ennemie. Mais avec vous j'ai d'autres sentiments et d'autres pensées. Je vois en vous un homme revêtu d'une grande autorité, mais j'y vois aussi un fils rempli de piété chrétienne. Que votre grandeur fléchisse , que votre foi se soumette; l'affaire que je traite avec vous nous est commune, mais vous y pouvez ce que je n'y puis moi-même ; concertons-nous, et prêtez-nous secours.

4. On a réussi à faire avouer aux ennemis de l'Eglise les crimes horribles qu'ils ont commis sur des clercs catholiques; ces hommes- qui , par leurs discours menteurs, trompaient les

 

1. Allusion aux haches portées devant les proconsuls.

2. Rom. XIII, 4.

 

ignorants, et se décernaient les honneurs de la persécution, ont été pris ainsi dans leurs propres paroles. On doit faire lire les actes publics pour guérir les âmes empoisonnées par tant de mensonges : nous n'oserions pas lire ces actes jusqu'à la fin si on y trouvait le supplice des coupables. Faut-il que ceux qui ont souffert aient l'air d'avoir rendu le mal pour le mal?- Si la peine de mort était le seul moyen d'arrêter la fureur des méchants, peut-être s'y résignerait-on dans une extrême nécessité, quoique, en ce qui nous touche, à défaut d'un châtiment moins sévère que la mort, nous aimerions mieux mettre les coupables en liberté que de venger par l'effusion du sang les souffrances de nos frères. Mais d'autres peines étant possibles dans le double but de rester fidèle à la mansuétude de l'Eglise et de refréner l'audace des pervers, pourquoi ne prendriez-vous pas le parti le plus sage et ne consentiriez-vous pas à une sentence douce, ce qui est fort permis aux juges, même quand il ne s'agit pas d'affaires de l'Eglise ? Craignez donc avec nous le jugement de Dieu notre Père, et que par vous on reconnaisse la mansuétude de notre mère; car ce que vous faites, l'Eglise le fait; vous êtes son fils et vos oeuvres sont pour elle. Luttez avec les méchants à force de bonté; ils ont criminellement arraché les membres d'un être vivant; que, par votre miséricorde, ils conservent entiers ces membres qui leur ont servi à commettre des actions barbares, pour les occuper à quelque ouvrage utile. Ils n'ont pas épargné les serviteurs de Dieu qui leur prêchaient le retour à l'unité; épargnez-les eux-mêmes après qu'ils ont été pris, conduits auprès de vous et convaincus. Armés d'un fer impie, ils ont répandu le sang chrétien; empêchez pour le Christ, empêchez que leur sang ne coule pas même sous le glaive de la justice. Ils ont enlevé la vie à un ministre de l'Eglise qui a été leur victime ; ne tuez pas ces ennemis de l'Eglise pour leur laisser le temps de se repentir. Voilà comment il faut que vous soyez un juge chrétien dans une. affaire de l'Eglise, quand nous prions, nous avertissons et nous intercédons. D'ordinaire les hommes, lorsqu'ils trouvent que leurs ennemis convaincus en justice ont été trop peu punis, appellent de la sentence ; mais nous aimons tellement nos ennemis que si votre obéissance chrétienne nous faisait défaut, nous appellerions d'un jugement sévère. Que le Dieu tout-puissant vous rende (279) de plus en plus grand et heureux, illustre seigneur et très-excellent fils !

 

  

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