LETTRE CXXIX
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LETTRE CXXIX. (Année 411.)

 

Marcellin avait pensé qu'un petit nombre d'évêques choisis de part et d'autre par leurs collègues suffiraient pour une sérieuse et sincère discussion dans la conférence; mais les évêques donatistes demandèrent à y être tous présents. Les catholiques écrivirent à ce sujet à Marcellin; saint Augustin rédigea la lettre; elle va au fond de la question; elle est très-habile, très-forte : c'est une argumentation directe et sans réplique.

 

AURÈLE, SILVAIN ET TOUS LES ÉVÊQUES CATHOLIQUES A LEUR HONORABLE ET TRÈS-CHER FILS, L'ILLUSTRE TRIBUN ET SECRÉTAIRE MARCELLIN.

 

1. Nous sommes très-inquiets du manifeste ou de la lettre par laquelle nos frères que nous désirons ramener d'une division funeste à la paix catholique, ont refusé d'accepter l'édit de votre Excellence qui pourvoit à la tranquillité et au repos de nos délibérations; nous craignons non pas que tous ces évêques, mais que quelques-uns d'entre eux ne rendent impossible, par le tumulte ou le bruit de la multitude, une conférence qui doit être calme et pacifique. Plût à Dieu que cette pensée ne fût point dans leur esprit et que nous nous trompassions dans nos soupçons ! Plût à Dieu que ces évêques ne voulussent tous assister à la conférence, où nous serions également, que pour en sortir dans une parfaite union avec nous, et pour aller, sur les ruines du schisme, dans les liens fraternels du Christ , rendre grâces à Dieu et le louer tous ensemble dans une même église, avec la charité la plus ardente et la plus éclatante, au milieu de l'admiration et de la joie des gens de bien, ne rencontrant d'autre affliction que celle du démon et de ceux qui lui ressemblent !

2. Si c'est avec un oeil de paix que l'on regarde ce qui nous occupe, si c'est avec une pensée chrétienne qu'on veuille juger, on trouvera tout simple de mettre de côté les accusations vraies ou fausses dirigées contre des hommes, pour chercher l'Eglise dans les saintes Ecritures où le Christ, son Rédempteur, se révèle à nous. De même que nous n'écoutons pas contre le Christ ceux qui disent que son corps a été enlevé du sépulcre par ses disciples, de même nous ne devons pas écouter contre son Eglise ceux qui disent qu'elle n'existe plus que parmi les Africains et le petit nombre de ceux qui leur sont unis. Les chrétiens véritables sont membres du Christ, selon la parole de l'Apôtre (1) : Comme donc nous ne croyons pas que le corps mort du Christ ait disparu du sépulcre par le larcin de quelqu'un, ainsi nous ne devons pas croire que, par le péché de qui que ce soit, ses membres vivants aient disparu du monde. Le Christ étant le chef et l'Eglise le corps, il n'est pas difficile de voir dans l'Evangile le chef défendu contre les calomnies des juifs et le corps contre les accusations des hérétiques. On y lit : « Il fallait que le Christ souffrit et qu'il ressuscitât d'entre les morts le troisième jour; » c'est contre ceux qui disent qu'il a été enlevé mort du tombeau. Et aussitôt après: « Et qu'on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem (2) ; » c'est contre ceux qui prétendent que l'Eglise n'est pas répandue dans l'univers : par là, en un seul endroit et en peu de mots, l'ennemi

 

1. Eph. IV, 25. — 2. Luc, XXIV, 46, 47.

 

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du chef et l'ennemi du corps sont repoussés, et peuvent être ramenés, s'il y a de leur part attention et sincérité.

3. Nous sommes d'autant plus affligés de ces inimitiés de nos frères, qu'ils ont en main comme nous ces mêmes Ecritures qui renferment d'aussi évidents témoignages. Au moins les juifs qui nient la résurrection du Christ ne reçoivent pas l'Évangile ; mais nos frères admettent l'autorité de l'Ancien et du Nouveau Testament ; cependant ils veulent nous imputer à crime que l'Évangile ait été livré, et refusent de croire à l'Évangile quand nous le lisons ! Mais peut-être que, voulant se préparer à cette conférence, ils ont plus soigneusement scruté les saintes Ecritures ; ils y auront trouvé d'innombrables preuves des promesses faites à l'Église qu'elle sera répandue au milieu de toutes les nations, sur toute la terre ; on voit ses premiers progrès dans l'Évangile, les Epîtres et les Actes des apôtres, où se lisent les noms des lieux, des cités et des provinces à travers lesquels elle s'est propagée; cette Eglise, commençant par Jérusalem, et s'étendant jusqu'en Afrique, non pas en s'éloignant, mais en grandissant à travers le monde, ils n'ont pas découvert un seul endroit des livres saints où il soit dit qu'elle doive disparaître de la terre pour ne plus être qu'en Afrique dans le parti de Donat ; ils auront vu toute l'absurdité qu'il y a à multiplier les témoignages divins en faveur de celle qui doit périr et à ne pas apercevoir le moindre mot en faveur de celle qui, selon eux, plaît au Seigneur : c'est peut-être la pensée de toutes ces choses qui les a déterminés à se réunir tous à la conférence, afin de mettre un terme à des inimitiés vaines et funestes et contraires au salut éternel : au lieu de songer à faire naître un nouveau désordre, ils ne sont occupés qu'à finir d'anciennes divisions.

4. Car, pour ce qui fait. le sujet de leurs récriminations accoutumées, je veux parler des lois contre les hérétiques et les schismatiques portées dans l'intérêt de la paix catholique, par les rois de la terre, dont il est dit depuis si longtemps qu'ils seront soumis au Christ, nous croyons qu'ils ont enfin compris qu'on ne doit pas en faire un crime. Les anciens rois de la nation juive et même des rois étrangers ont défendu à tous leurs peuples, sous des peines très-sévères, non-seulement de ne rien faire, mais même de ne rien dire contre le Dieu d'Israël, c'est-à-dire le vrai Dieu ; et les ancêtres des donatistes ont déféré au tribunal de l'empereur Constantin, par le proconsul Anulin, la cause même de Cécilien, d'où est née notre division : il est bien évident qu'ils sollicitaient par là, auprès de l'empereur Constantin, un acte quelconque de son autorité souveraine contre le parti qui serait condamné; ils ont pu voir, dans les registres publics et peut-être ont-ils vu pour les besoins de la conférence, que toute cette cause est depuis longtemps finie; et qu'elle l'est après les jugements ecclésiastiques qui ont absous Cécilien, après la décision de l'empereur lui-même devant qui l'affaire fut d'abord portée et en dernier lieu reportée par eux. Ils ont pu y reconnaître aussi que le proconsul Aelien, jugeant par l'ordre de l'empereur, a pleinement disculpé Félix, évêque d'Aptonge, ordinateur de Cécilien, qu'ils ont appelé dans leur concile la source de tous les maux.

5. Si, de plus, ils ont fait attention aux saintes Ecritures, et c'était bien facile, s'ils y ont remarqué que, dans l'Église du Christ, l'ivraie et le froment, la paille et le grain, les bons et les mauvais poissons doivent se trouver mêlés jusqu'au temps où l'on moissonnera, où l'on vannera, où l'on tirera les filets sur le rivage t; ils auront pensé que, quand même Cécilien et ses collègues auraient eu des torts, ces torts ne seraient pas retombés sur l'univers chrétien, promis jadis à un petit nombre de croyants, et devenu aujourd'hui un spectacle pour tout le monde : à moins que par hasard le péché d'un homme ne soit plus fort contre l'Église que ne peut l'être pour elle le serment d'un Dieu, et que les châtiments de l'iniquité ne l'emportent sur les promesses de la vérité. Peut-être nos adversaires ont-ils déjà vu ce qu'il y aurait d'insensé et d'impie dans un pareil sentiment; ils se seront souvenus qu'après avoir condamné les maximianistes, lesquels avaient condamné Primien, ils les ont chassés de leurs églises au moyen des puissances temporelles; ce récent exemple leur aura prouvé sûrement que l'Église peut sans péché demander aux puissances un appui contre ses enfants révoltés. Ils auront songé que leurs rangs se sont ouverts à quelques-uns de ceux qu'ils avaient condamnés, en même temps qu'ils donnaient à plusieurs un terme pour revenir de la communion schismatique et sacrilège de Maximien, où ils ont dit qu'ils étaient restés sans se souiller; et qu'ils n'ont osé ni annuler ni réitérer le

 

1. Matth. III, 12; XIII, 24-30, 47, 48.

 

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baptême, donné ostensiblement dans le schisme par ceux qu'ils avaient condamnés ou par leurs adhérents. Ils ont assez compris qu'ils condamnaient par leur propre exemple leurs accusations contre nous, et il faut croire qu'ils reconnaissent ce qu'il y a d'indigne, d'intolérable à s'asseoir sur leurs sièges d'évêques avec les maximianistes, avec Primien lui-même qu'ils ont condamné comme ils ont été condamnés par lui et tout cela pour conserver la paix dans le parti de Donat, pendant qu'à cause de Cécilien ils réprouvent le monde chrétien et troublent la paix et l'unité du Christ !

6. Voilà peut-être les souvenirs et les considérations qui, mêlés à la crainte de Dieu, les portent à vouloir tous assister à la conférence c'est de leur part une pensée de paix et non point un dessein de désordre. Ils ont dit que leur intention, en venant tous à l'assemblée, c'était de montrer leur nombre et de répondre à ceux qui ont menti en parlant de leur petit nombre. Si cela a été dit parmi nous, on a pu le dire avec vérité des lieux où nos évêques, nos clers et nos laïques sont assurément de beaucoup les plus nombreux, surtout dans la province proconsulaire, quoique, la Numidie consulaire exceptée, nous soyons aussi plus nombreux dans les autres provinces de l'Afrique ; ou bien, certainement, nous avons raison d'affirmer que les donatistes sont en très-petit nombre, si on les compare à toutes les nations à travers lesquelles s'étend la communion catholique. Si les évêques donatistes veulent se compter à nos yeux, ne pourraient-ils pas le faire avec plus d'ordre et de tranquillité en mettant sous vos yeux leurs signatures au bas de la procuration demandée par votre ordonnance? Pourquoi donc leur désir d'assister tous à la conférence ? Car s'ils n'arrivent pas avec des pensées de paix, que ne troubleront-ils pas en parlant, et que feront-ils là en gardant le silence? Supposez qu'il n'y ait pas de cris, le seul bruit des mots dits à l'oreille par beaucoup d'hommes deviendra un assez grand bruit pour empêcher la conférence.

7. Ils ont cru devoir déclarer dans leur manifeste qu'ils sont fondés à vouloir tous assister à la conférence parce qu'on les a tous convoqués. Mais qui donc pouvait choisir le petit nombre de ceux qui devaient prendre part à la discussion, sinon tous les évêques invités à la réunion? c'est en votre présence que tous avaient à désigner leurs mandataires : tous seraient ainsi dans un petit nombre, puisqu'un petit nombre aurait été choisi par tous. Ou c'est au désordre ou c'est à la paix qu'ils aspirent; nous souhaitons l'une de ces choses, nous prenons garde à l'autre; et de peur qu'ils ne se préparent à ce que nous craignons plutôt qu'à ce que nous souhaitons, nous consentons qu'ils assistent tous à la conférence, pourvu toutefois que nous -restions, nous, dans le nombre qui avait paru suffisant à Votre Excellence : s'il y avait du tumulte, il ne serait imputable qu'à ceux qui auraient voulu inutilement se montrer en grand nombre, afin de régler une chose pour laquelle il fallait peu d'hommes seulement. Si, au contraire, ce que nous désirons de tous nos voeux, ce que nous recherchons ardemment, ce que nous demandons humblement au Seigneur, ils ne se réunissent en grand nombre qu'en vue de la paix, nous serons tous présents quand ils le voudront, et à l'aide de Dieu, auteur de cette grâce, nous volerons joyeusement vers un si grand bien, en disant : « Vous êtes nos frères (1), » non plus à ceux qui nous détestent, mais à des frères qui nous embrassent après avoir éteint la haine; c'est ainsi que le nom du Seigneur sera honoré, et ils verront, ils expérimenteront eux-mêmes en partageant notre joie, combien il est bon et doux que les frères habitent ensemble (2) ! (Et d'une autre main :) Nous vous souhaitons, notre fils, de vous bien porter en Dieu. (D'une autre main :) Moi., Aurèle, évêque de l'église de Carthage, j'ai signé. (Et encore d'une autre main:) Moi, Silvain, primat de la province de Numidie, j'ai signé.

 

 

1. Isaïe, LXVI, 5, version des Septante.

2. Ps. CXXXII, 1.

 

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