LETTRE XIV
Précédente Accueil Remonter Suivante

 

Accueil
Remonter
LETTRE I
LETTRE II
LETTRE III
LETTRE IV
LETTRE V
LETTRE VI
LETTRE VII
LETTRE VIII
LETTRE IX
LETTRE X
LETTRE XI
LETTRE XII
LETTRE XIII
LETTRE XIV
LETTRE XV
LETTRE XVI
LETTRE XVII
LETTRE XVIII
LETTRE XIX
LETTRE XX
LETTRE XXI
LETTRE XXII
LETTRE XXIII
LETTRE XXIV
LETTRE XXV
LETTRE XXVI
LETTRE XXVII
LETTRE XXVIII
LETTRE XXIX
LETTRE XXX

LETTRE XIV. (A la fin de l'année 359.)

 

Réponse à d'autres questions de Nébride. Pourquoi le soleil ne fait-il pas la même chose que les autres astres? —  Si la vérité suprême renferme la raison de chaque homme. — Belles pensées de saint Augustin sur le Christ et sur la création.

 

AUGUSTIN A NÉBRIDE.

 

1. J'aime mieux répondre à vos dernières lettres. Ce n'est pas que je dédaigne vos questions précédentes ou qu'elles me plaisent moins; mais je me prépare à y répondre par quelque chose de plus grand que vous ne pensez. Vous me demandez une lettre plus longue que les plus longues que je vous aie adressées; je n'ai pas autant de loisir que vous croyez et que j'en ai toujours souhaité, comme vous savez, et que j'en souhaite encore. Ne demandez pas pourquoi il en est ainsi : il me serait plus aisé de vous dire tout ce qui m'empêche que de vous dire pourquoi je suis empêché.

2. « Tandis que vous et moi nous faisons beaucoup de choses qui se ressemblent, pourquoi le soleil ne fait-il pas ce que font les autres astres?» voilà ce que vous m'écrivez. Mais si nous agissons de même, il en est souvent ainsi du soleil à l'égard des autres astres; je marche et vous marchez, le soleil et les astres se meuvent. Je veille et vous veillez, le soleil et les astres luisent; je discute et vous discutez; le soleil tourne et les astres aussi : je ne veux pas pour cela mettre sur la même ligne les opérations de l'âme et rien de ce qui frappe les yeux. En comparant l'esprit à l'esprit, et s'il y a dans les corps célestes quelque principe d'intelligence, vous trouverez que, sous ce rapport, les astres sont bien autrement semblables entre eux que ne le sont les hommes. Au reste, si vous voulez porter votre attention accoutumée sur les mouvements des corps, vous verrez qu'il n'y a pas deux hommes dont les mouvements se ressemblent. Quand nous nous promenons ensemble, pensez-vous que nous marchions tous les deux de même? votre sagesse ne le croit point. Celui de nous qui chemine le plus près du nord, dépassera l'autre avec une marche égale ou bien il devra s'avancer plus lentement : on peut ne pas sentir la différence. Mais, si je ne me trompe, vous regardez à ce que nous comprenons et non pas à ce que nous sentons. Supposez que nous allions du septentrion au midi, côte, à côte autant que possible, posant le pied sur un marbre uni ou sur de l'ivoire: il y aura toujours une différence dans votre mouvement et dans le mien, comme dans le battement de notre pouls, dans notre personne, dans notre visage. Mettez à notre place les enfants de Glaucus , et vous ne serez pas plus avancé ils ont beau être jumeaux et parfaitement semblables, il faut qu'ils se meuvent séparément comme leur naissance fut distincte.

3. « Mais, me direz-vous, ceci n'est aperçu que par la raison, et la différence entre le soleil et les autres astres est d'une claire évidente pour les sens. » Si c'est la grandeur du soleil que vous voulez que je considère, vous savez bien ce qu'on dit de la distance qui le sépare des autres astres, et combien il est incertain que le soleil soit plus grand. Quand même je vous accorderais, comme je le crois, que l'apparence est ici conforme à la réalité (1), Naevius (2) ne s'élève-t-il pas d'un pied au-dessus des six pieds qui sont la plus haute taille des hommes? Vous avez beaucoup cherché quelqu'un d'aussi grand, et, n'en ayant point trouvé, vous m'avez demandé une lettre de la taille de Nœvius. Si quelque chose de pareil se rencontre sur la terre, nous n'aurons pas tant à nous étonner de ce qui se trouve dans le ciel.

S'il vous semble extraordinaire que le soleil soit le seul astre qui éclaire le jour, quel homme, dites-moi, s'est jamais montré au monde avec autant de grandeur que cet homme à qui Dieu s'est uni bien autrement qu'il ne l'avait fait à

 

1. Nous n'avons pas besoin de faire remarquer que l'astronomie était peu avancée au temps de saint Augustin.

2. Quel est ce Nœvius? nous l'ignorons.

 

533

 

d'autres saints et à d'autres sages? Si vous le comparez aux plus sublimes d'entre les hommes, vous trouverez entre eux et lui plus de différence encore qu'entre le soleil et les autres astres. Réfléchissez avec votre rare esprit à cette comparaison que j'indique en passant, et peut-être y trouverez-vous réponse à une question que vous m'aviez posée sur l'humanité du Christ.

4. Vous désirez aussi savoir si cette vérité suprême, cette suprême sagesse, cette forme première des choses, par laquelle tout a été fait, que notre religion déclare être le Fils unique de Dieu, renferme la raison générale de l'homme et la raison même de chacun de nous. Grande question ! Il me parait que, pour faire l'homme, il y a en lui la raison de l'homme seulement, non la mienne ni la vôtre; mais que, pour former le cercle des temps, les diverses raisons des hommes vivent dans cette Intelligence toujours pure. Ceci est fort obscur, et j'ignore par quelle comparaison on pourrait l'éclaircir, à moins qu'on ne recourût aux sciences dont l'idée est au fond de notre esprit. Dans la géométrie l'angle a sa raison, le carré a la sienne. Toutes les fois que je veux marquer un angle, c'est seulement l'idée de l'angle qui se présente à moi; mais je ne pourrai jamais tracer un carré sans avoir en même temps l'idée de quatre angles : ainsi chaque homme est fait d'après la raison unique par laquelle il est un homme; mais, pour qu'il y ait un peuple, quoique la raison soit une, ce n'est plus la raison de l'homme qu'il faut, c'est la raison des hommes. Nébride fait partie de l'universalité, et l'universalité se compose de parties; le Dieu qui est le créateur de ce tout a dû avoir la raison des parties. C'est pourquoi ce qui est en lui la raison de plusieurs hommes n'appartient pas à l'homme même, quoique, par des moyens merveilleux, tout soit de nouveau ramené à l'unité. Mais vous y repenserez à votre aise; contentez-vous de cette lettre qui déjà dépasse la taille de Naevius.

 

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante