II - CHAPITRE IV
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CHAPITRE IV : LA TRACE DE DIEU DANS LA QUIÉTUDE

I. - LA TRACE DE DIEU DANS LA QUIÉTUDE

II. - QUIÉTUDE ET ANGOISSE

III. - ÉCLAIRS DE QUIÉTUDE DANS LA PRIÈRE COMMUNE

 

I. - LA TRACE DE DIEU DANS LA QUIÉTUDE

 

Rappelons d'abord un fait capital et constant : à savoir que l'oraison de quiétude commence d'ordinaire et parfois se poursuit pendant quelque temps sans que le contemplatif prenne une claire conscience de cette grâce. Et même lorsqu'un certain choc moins imperceptible, lorsqu'une paralysie du discours ou plus soudaine ou plus aiguë l'avertit qu'il se passe en lui quelque chose d'anormal, le contemplatif n'a pas aussitôt la certitude que ce je ne sais quoi soit le don de Dieu. Il hésite au contraire, s'inquiète souvent, se désole. Cette inertie ne punirait-elle pas les négligences passées et cette nuit tant de péchés contre la lumière? Ou encore ne serait-ce pas les démons qui le paralyseraient ainsi pour lui faire perdre le bénéfice évident de la méditation méthodique? D'où l'on doit conclure que la quiétude ne porte pas en soi, pour ainsi dire, ses lettres de créance, qu'elle ne donne pas nécessairement la lumière et la paix d'une certitude.

Qu'est-ce, d'ailleurs, qu'une certitude, au sens courant de ce mot, sinon une conviction consciente, réfléchie et raisonnée? Et comment la quiétude, réduite à son activité propre, c'est-à-dire privée de concepts distincts, incapable de réfléchir, serait-elle sûre d'une vérité quelconque? Si la quiétude est l'envahissement du moi profond par un « autre », seul un travail proprement discursif permettrait enfin d'identifier cet Autre et de l'appeler par son nom. Bien que cette expérience échappe, par définition, aux prises

 

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du discours, le discours seul peut l'interpréter. Comment s'y prendra-t-il pour cela?

Nous avons parlé plus haut de ces éclairs discursifs qui déchirent parfois la nuit de la quiétude. Il en est de deux sortes : les uns spéculatifs, les autres introspectifs. Qu'on me pardonne ce jargon. Les premiers projettent, pour un vif instant, les lumières de la raison sur la réalité qui s'unit obscurément à la substance de l'âme; ils évoquent l'Être divin tel que l'entendement se le représente, comme Créateur, par exemple, ou comme Rédempteur. D'autres éclairs, beaucoup plus multipliés et qui, présentement, nous intéressent davantage, semblent percer le voile épais qui dérobe à la conscience le mystère de l'union. Éclairs de conscience réflexe ou introspectifs.

La raison ressemble ici à un homme qui serait obligé de rester dans la coulisse pendant que se joue une tragédie, et qui, l'oeil ou l'oreille collés sur les fentes du décor, tâcherait de ne rien perdre du spectacle. Comparaison fautive, puisque nulle fente ne permet au contemplatif de suivre l'essentiel du spectacle, à savoir la saisie de l'âme par Dieu et de Dieu par l'âme. Si néanmoins la conscience ne peut atteindre directement ni la présence de Dieu ni la substance de l'âme envahie, certains indices qui parviennent à la surface, donnent parfois comme un pressentiment de cet insaisissable mystère. Signes négatifs d'abord : cette conscience, vive ou sourde, mais presque toujours assez claire, du malaise qu'introduit dans l'organisme spirituel l'impuissance croissante du discours. Avec cela, des signes positifs, parfois extrêmement sensibles, parfois évanescents et à peine perceptibles, révèlent à la conscience, non pas encore une fois l'envahissement divin, mais certaines résonances, psychologiques ou physiologiques de cette grâce suprasensible. « Nous avons ici un jour », disait Marie de Valence, en se touchant le front (1). Pour Canfeld « l'Esprit s'approche

 

(1) L'invasion mystique, p. 65.

 

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si près de l'âme qu'elle voit son ombre vraie (1). D'autres parlent « d'un certain parfum », d'une « odeur de paradis, qui, pénétrant les sens intérieurs et extérieurs, fait fondre l'âme (2) ». Les images tactiles abondent dans ces confidences. « Poussés par quelque chose (3) » ; « un poids secret (4) » ; « comme le vol d'un lourd oiseau dont les ailes frôlent mon visage (5) » ; « une éponge dans le grand océan (6) » ; « un toucher obscur », ou simplement des « touches ». Ce ne sont là que des métaphores sans doute, mais qui veulent exprimer un je ne sais quel ébranlement qui, de l'âme profonde, s'est communiqué à l'homme tout entier, esprit et corps. Éclairs introspectifs. disons-nous, et pour deux raisons. D'abord parce que le reflux du fond jusqu'à la surface ne devient sensible que d'une manière intermittente et presque toujours fugitive ; ensuite, parce que l'attention consciente s'émousse d'autant plus que la quiétude se resserre davantage. Au demeurant, les contemplatifs ont-ils pour consigne de ne pas céder à la curiosité, inquiète ou vaniteuse, que provoquent ces lueurs d'introspection. S'ils examinaient ce qui se passe en eux d'anormal, plus rien ne s'y passerait. Le discours réveillé a si vite fait de couper le courant mystique. Si fuyant toutefois et si crépusculaire qu'ait été leur apparition, ces éclairs restent gravés dans la mémoire - au moins les plus fulgurants - et quand l'intelligence retrouve sa liberté, elle soumet cette cendre de souvenirs à ses manipulations ordinaires - notions, réflexions, raisonnements - ce qui permet aux contemplatifs de s'expliquer, vaille que vaille, le mystère de leur oraison et de le décrire à leurs directeurs. Ceux-ci, pour peu qu'ils aient de bon sens et de lecture, auront

 

(1) L'invasion mystique, p. 164.

(2) Ib., p. 336 ; L'école du P. Lallemant, p. 323.

(3) Le Nuage, p. 158.

(4) Guilloré, Maximes, p. 245.

(5) Garrigou-Lagrange, L'Amour de Dieu et la Croix de Jésus, Paris, 193o, p. 612.

(6) Conquête mystique, VI, p. 156.

 

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bientôt discerné le caractère de l'expérience qui leur est soumise, et qui ne paraît extraordinaire ou dangereux qu'aux maniaques du discours. Illusion parfois, mais le plus souvent quiétude. Et c'est ainsi que l'on arrive, de part et d'autre, non pas à une certitude absolue, mais à ce qu'il faut de vraisemblance pour que l'âme se laisse faire à la grâce.

Souvent, très souvent même, semble-t-il, aces traces psychologiques et physiologiques de l'action divine sont inexistantes, ou plutôt, presque uniquement négatives.

 

Qu'il te suffise, écrit l'auteur du Nuage, de te sentir poussé avec une complaisance intérieure

 

et qui n'apaise pas la détresse de la conscience,

 

par quelque chose dont tu ne sais rien,

 

dont tu ne sens rien,

 

sinon qu'alors tu n'as la pensée particulière d'aucune chose au-dessous de Dieu et que ton âme tend vers Dieu dans une nudité parfaite (1).

 

Elle ne sait même pas, à proprement parler qu'elle tend vers Dieu, mais, du moins, qu'elle ne tend vers aucun autre objet. « L'Ame se croit perdue, écrit Rigoleuc, et cependant, dans son fond, elle demeure tranquille en la présence de Dieu (2). » Et Guilloré : vous avez beau vous croire inerte, « un certain témoignage secret de votre conscience » vous assure « que vous ne perdez pas votre temps (3) ». Jusque dans les pires épreuves, écrit le R. P. Cayré, l'âme reste « préoccupée de Dieu, dont la réalité mystérieusement saisie

 

(1) Le Nuage, p. 158.

(2) Rigoleuc, p. 268.

(3) Conférences, p. 158.

 

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l'occupe seule et la pousse à se reposer en lui, dans une simple attention amoureuse, ou du moins lui inspire du dégoût pour toute autre occupation (1) ». « Le dégoût, écrit M. Baruzi, que nous ressentons pour tout ce qui serait un état différent de celui-là même où nous souffrons (2). »

Mais nul n'a mieux décrit que Dom Chapman la pauvreté noétique et affective, l'humilité des quelques rares lueurs qui parviennent ainsi à la conscience réflexe. Je le traduis cursivement. Un désir intense de Dieu, écrit-il, parfois un amour intense, c'est tout ce que trouveraient en eux-mêmes la majorité de ceux qui ont passé de la méditation à la contemplation, lorsqu'ils tâchent d'expliquer ce mystérieux progrès. Rares sont ceux qui répondraient qu'ils perçoivent, de quelque façon que ce soit, la présence de Dieu ou son existence. Les plus avancés diraient probablement, qu'ils ont faim de lui, plutôt qu'ils ne le perçoivent. Ils sont plus conscients de son absence que de sa présence. More conscious of his absence than his presence. La certitude qu'ils ont de Dieu, ils l'attribueraient moins à une perception directe où à une conscience immédiate qu'à une conclusion de leur raison ou qu'à un acquiescement de leur foi. Les plus hauts mystiques eux-mêmes insistent plus longuement sur les ténèbres au sein desquelles ils s'unissent à Dieu que sur une appréhension claire de celui qu'ils étreignent. Ils parlent beaucoup plus des touches divines que de celui qui les touche. - Nul besoin d'ajouter, je pense, que ces touches ne sont pas Dieu. - Peut-être même ceux qui pensent connaître immédiatement l'existence de Dieu, - ceux qui pour croire qu'Il existe n'ont besoin d'aucune preuve rationnelle - sont-ils plus nombreux chez les simples dévots que chez les contemplatifs (3).

Ces graves paroles que l'on devine si justes étonneraient

 

(1) La Contemplation Augustinienne, Paris, 1927, p. 75.

(2) Baruzi, op. cit., p. 601.

(3) Dom John Chapman, What is mysticism, pp. 15-17.

 

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moins, n'étonneraient pas du tout si l'on réalisait une bonne fois la définition de la quiétude. Mais parviendrons-nous jamais à faire comprendre aux obsédés du discours qu'en lui-même, le don mystique ne comble d'aucune façon, ni les curiosités de l'esprit, ni les désirs affectifs du coeur? Non seulement pas de visions, de révélations, de prophéties mais pas de lumières. Rien par suite, absolument rien qui puisse faire de la quiétude une école d'illuminisme. Répétons-le sans nous lasser. De toute son essence, elle se dresse contre l'illuminisme, le renie, le défie et au besoin le guérit, quoi qu'en aient pu dire les Nicole et les Segneri (1).

 

II. - QUIÉTUDE ET ANGOISSE

 

Nous croyons aveuglément, mais sans peine, les contemplatifs qui décrivent les délices de leur quiétude. Comment s'étonner en effet d'une telle surabondance de joie chez qui s'abreuve aux sources mêmes de la joie. Nous trouverions d'abord plus invraisemblable que l'union au souverain Bien,

 

(1) Par où l'on voit comme il faut entendre certaines formules que l'on rencontre chez les théoriciens de la mystique. On définit par exemple la quiétude « une connaissance expérimentale de Dieu ». J'avoue ne pouvoir lire ces quatre mots sans me hérisser. Qu'on y pense ou non, on semble prendre ici expérimental au sens propre, c'est-à-dire au sens discursif. Et qui ne voit qu'une expérience de Dieu est ici bas impossible ? Depuis quelque temps, la mode est venue d'insister sur le caractère conscient de la quiétude. Rien de mieux si on ne donne pour terme ou pour objet à cette conscience que la passivité elle-même, laquelle ne devient proprement quiétude que lorsqu'elle se prolonge assez pour que, d'une manière ou d'une autre, la conscience en soit avertie. Les éclairs introspectifs qui sillonnent la nuit de la quiétude ne présentent à la conscience que les répercussions que produit à la surface l'ébranlement mystique et insensible du moi profond. Si la conscience ne peut même atteindre le moi profond, combien moins Dieu lui-même. Bref, la connaissance de Dieu n'est pas ici, ne peut être immédiate. Elle est toujours écrit M. Baruzi, « enveloppée dans la connaissance de soi », op. cit., p. 594.  « Si bien, enseigne Jean de la Croix, que la connaissance de Dieu ne surgit que de la connaissance de soi ». « Sentiment de présence », dit-on encore, oui et non, non plutôt que oui. On ne sent pas la présence de Dieu ; on se sent touché, envahi, possédé par un je ne sais quoi qui ne peut être qu'une présence. Et cette présence, un certain raisonnement, souvent facile, mais tout discursif, permet de l'identifier. Sur tous ces points, cf. l'article déjà si souvent cité du P. de la Taille : il écrira, modifiant sans avoir l'air d'y toucher, une définition récente de la quiétude : « L'origine de la contemplation (et son tout) est dans cet amour passivement reçu, et dans la conscience de cette passivité. »

 

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pût se nouer aussi dans la souffrance. Mais c'est là néanmoins ce qu'ils affirment presque tous. Cette horrible nuit de la quiétude, écrit saint Jean de la Croix. Aquella horrenda noche de contemplacion (1). On réduirait au moins de moitié l'immense littérature mystique si l'on en retranchait le chapitre effrayant des « épreuves », Nul conflit du reste entre ces deus: séries de témoignages. Il n'est que de réaliser la philosophie des mystiques pour comprendre que la quiétude peut s'accompagner alternativement de délices ou d'angoisses. Délices, puisqu'elle donne Dieu, angoisses, puisqu'elle ne le donne que dans la nuit (2).

Rejaillissement, choc en retour du mystère supra-sensible qui ébranle la substance de l'âme, ces émotions, joie ou souffrance, ne se forment qu'à la surface consciente. Une oraison de quiétude à l'état pur, c'est-à-dire au cours de laquelle les activités rationnelles et affectives se trouveraient tout à fait suspendues, ne serait ni savoureuse ni douloureuse. Elle ne peut être l'un ou l'autre que sous l'action tour à tour déprimante ou dilatante des éclairs discursifs que nous savons et auxquels il faut toujours revenir.

Que l'on prenne par exemple le malaise, imperceptible souvent, mais aussi parfois très pénible, qu'entraîne après soi la cessation ou le ralentissement du discours. Ce malaise, nous avons rappelé déjà qu'il ne peut affecter que l'activité discursive, Si la raison et le « sens » étaient réduits à une inertie totale, on n'aurait pas conscience de cet état. Mais d'ordinaire Animus sent qu'il agonise ; il assiste à sa propre mort et bien qu'il entrevoie que cette mort est le

 

(1) Baruzi, op. cit., p. 611.

(2) Il va sans dire que la présence de Dieu au centre de l'âme est en soi béatifiante, mais d'une béatitude mystique, substantielle, et qui se confond avec la saisie obscure de cette présence. C'est, je crois, ce « goût de Dieu » dont parlent tant de mystiques, une sorte d'euphorie confuse qui résiste aux pires épreuves. Deux délectations écrit Le Gaudier ; « prima nascitur ex ipso intellectus actu...; altera... efficitur ab ipso charitatis erga Deum affecte, qui contemplationis anima dici potest... Pura est hoec delectatio ». (I, pp. 36o-361.) Mais s'il y a deux sortes de délectations, il n'y a qu'une sorte de souffrance. L'âme profonde ne jouit pas toujours, mais elle ne souffre jamais.

 

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commencement d'une vie nouvelle et meilleure, il souffre d'une pareille mortification.

 

            La manière la plus pénible de mourir à soi-même, écrit Maine de Biran, c'est de mourir à tout ce qui est le plus intime,

 

dans la zone consciente.

 

à ces facultés dont l'exercice peut nous consoler de tout, lorsque nous nous rendons le témoignage intérieur de leur activité, de leur force et de leur bon emploi;

 

ce témoignage intérieur est le suprême rempart de l'amour-propre; et voilà pourquoi, disent les mystiques, la grâce même de la quiétude semble s'appliquer à le démolir.

 

Se sentir mourir par ce en quoi réside la vie intellectuelle et morale, sentir qu'on n'a plus de pensée forte, élevée,

 

pas même distincte,

 

enfin n'avoir plus de personnalité réfléchie que ce qu'il en faut pour reconnaître

 

et pour accepter généreusement

 

la dégradation successive de ses facultés par lesquelles on s'estimait, on était content de soi...; que lui importe puisqu'il lui reste lui,

 

Anima

 

qui juge les changements et les pertes en tant qu'il reste la même personne qui se rend témoignage qu'elle meurt à tout ce qui n'est pas elle (1).

 

Texte prodigieux, et qui, à lui seul, venant d'une telle plume, ne nous permettrait pas de traiter un Malaval, un Fénelon de petits garçons ! Bientôt quand péroreront dans le vide Segneri et Nicole, vous verrez la différence. Mais

 

(1) Journal (édit., La Valette-Moubrun), II, pp. 121-122.

 

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la philosophie de nos maîtres est ensemble moins hautaine et encore plus profonde. Pour eux, la souffrance la plus cruelle d'Animus n'est pas précisément de se sentir ainsi exterminé, elle est d'entrevoir à la clarté des éclairs discursifs qui lui révèlent son agonie, d'entrevoir, dis-je, la misère insondable, la laideur, le sordide néant du moi tout entier, Anima comme Animus. « L'horrible nuit ! » En quoi horrible ? En ce qu'elle fait toucher la présence, l'être même, si peu être, du moi. « The painful perception of the presence of self », écrit Dom Chapman. « C'est un enfer que

ce nous-même quand Dieu par sa vérité... le fait voir (1). »

Seigneur, priait Moyse, cachez-vous de moi, car je mourrais sur le coup si je vous voyais face à face. Nous mourrions également de honte, de dégoût, d'épouvante si notre moi profond s'étalait à nos regards. Aussi bien les contemplatifs

eux-mêmes ne peuvent-ils avoir de ce moi qu'une conscience indirecte, sourde, intermittente. Ils n'en saisissent que l'ombre et elle suffit à les plonger dans l'angoisse. Auprès de leur philosophie, comme toutes les autres paraissent courtes ! Pascal, admirable certes ! dans ses pages sur le « divertissement », mais je ne crois pas qu'il ait compris, comme nos maîtres, que tout acte, mauvais ou bon, peu importe, nous divertît de notre vrai moi. L'homme qui s'affirme par ses actes, se croit quelque chose, oublie son néant. « Il m'est préférable, écrit l'auteur du Nuage,

d'éprouver ce douloureux sentiment de moi-même.

 

Je dis : de moi-même, et non : de mes actions. Beaucoup de personnes confondent leurs actions avec elles-mêmes, mais à tort. Autre est le moi qui agit, autres sont mes actes. Aussi... je préfère gémir, jusqu'à me rompre le coeur... de sentir le pesant fardeau de moi-même... (cela) vaut mieux pour moi que de me livrer... aux méditations (2),

 

les plus sublimes.

 

(1) Berthod, Lettres, IV, p. 223.

(2) Le Nuage, p. 381.

 

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Plusieurs âmes, même surnaturelles, écrit M. Berthod, sont toujours inclinées à amasser action sur action. D'autant que, ne se perdant pas de vue, leur joie est... de se voir toujours opérer des merveilles qu'elles croient quelque chose de grand (1).

 

Je pense, je médite, je multiplie des actes de dévotion : donc je suis. Même en s'humiliant, ils s'affirment, défiant par là leur néant, l'escamotant, pour ainsi dire. Dans la quiétude, au contraire, ces échasses discursives sont brisées : plus rien de consistant où se puisse accrocher la self consciousness; plus rien qui nous cache l'horreur essentielle de notre vrai moi.

Est-ce parce que le péché est frère du néant, est-ce parce que la formation antérieure des mystiques les oblige à identifier le mal métaphysique, source première de cette horreur, au mal moral ? Je ne sais, mais une sorte de remords vague ajoute à l'angoisse de ce face à face. « On ne peut, disent-ils, à moins de l'expérience, comprendre comment une âme qui est si dénuée, si obscure », si vide ou presque de tout souvenir précis,

 

soit cependant si clairvoyante. Cela vient de ce qu'on ne comprend pas la manière avec laquelle on voit. Mais quand cette lumière est beaucoup crue, pour lors on découvre qu'un atome de défaut ne peut échapper qu'on ne le voie (2).

 

C'est là un phénomène psychologique extrêmement curieux, mais que mille témoignages concordants ne nous permettent pas de révoquer en doute - et ce sera aussi, plus loin, une des maîtresses pièces du dossier mystique, puisqu'enfin on les accuse de ne plus faire de différence entre le bien et le mal : - à mesure que s'éteint chez eux la conscience tout court, on dirait que la conscience morale s'exalte jusqu'à l'exaspération. Cette nuit leur montre tous leurs

 

(1) Lettres, IV, p. 136.

(2) Lettres, IV, p. 152.

 

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défauts, non pas un à un, mais ce qui est pire, comme en bloc. « Le péché leur fait l'effet d'une masse pesante, ils ne savent trop quoi, qui ne se distingue pas d'eux-mêmes (1). » Leur substance la plus intimé n'est que péché. Après quoi, il serait plaisant, s'il n'était plus douloureux encore, odieux même, d'entendre les Nicole, les Segneri, leur apprendre le devoir d'humilité. Où leur vanité se prendrait-elle ? Autant mettre un aveugle en garde contre la concupiscence des yeux.

 

L'âme, dit Mme de Guyon, connaît sa misère à des profondeurs jusque-là insoupçonnées, et, par contraste, elles pressent de plus en plus l'infinie grandeur de Dieu qui lui paraît inaccessible... Je me considère comme la maison du diable, son suppôt, sa dupe et sa fille.

 

Le feu qui purifie le bois

 

lui fait répandre une mauvaise odeur... Il en est ainsi du feu divin de la contemplation. Avant d'opérer l'union, il (en) extrait toutes les vilenies, la rend noire, l'âme paraît plus abominable et laide que jamais (2).

 

D'où ces tentations d'incrédulité et de désespoir qu'on s'obstine à trouver chimériques et scandaleuses; d'où cette acceptation hypothétique de l'enfer qui a fait rouler tant de mauvaise encre. Les plus terribles des éclairs discursifs leur montrent l'enfer qui les attend et leur y marque leur place. De là vient aussi la liaison, que tous n'aperçoivent pas, entre quiétude et pur amour. Le travail de la grâce est ici « d'affamer, de deviez et de dépouiller jusqu'à ce que cette pauvre âme », n'ayant plus rien de soi qu'elle puisse trouver aimable, « aime Dieu plus qu'elle-même (3) ».

 

(1) Le Nuage, p. 247.

(2) Justification, p. 563.

(3) Berthod, IV, p. 138. Ce chapitre des épreuves que je ne pouvais ici qu'effleurer a été supérieurement traité par le R. P. Garrigou-Lagrange, l'Amour de Dieu et la Croix de Jésus, II, pp. 458-637. Cf. aussi Baruzi, op. cit., pp. 612, seq.

 

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III. - ÉCLAIRS DE QUIÉTUDE DANS LA PRIÈRE COMMUNE

 

L'expression, est, je crois nouvelle ; mais elle ne fait qu'illustrer la doctrine commune, explicite ou non, de nos maîtres. J'avoue que l'alliance de ces deux mots, éclair et quiétude, semble d'abord trop hardie. Éclair évoque une idée de lumière ; et quiétude est synonyme de nuit ; éclairs évoque aussi l'idée d'un jaillissement brusque et fugitif; quiétude, l'idée d'une continuité paisible, les eaux dormantes d'un lac. Sans doute; prenez garde toutefois que ce qui dort ou sommeille dans la quiétude, c'est uniquement le discours, et que les activités profondes qu'elle met en branle sont au contraire, ce qu'on peut imaginer de plus vif, de plus jaillissant. La quiétude est amour, donc élan ; élan, du reste, si peu agité qu'il en paraît immobile, si prolongé

qu'on le croirait en dehors du temps, mais précisément c'est par là, je veux dire par cette continuité ardente, que l'oraison de quiétude se distingue des éclairs de quiétude. Montrons que ceux-ci n'en méritent pas moins leur nom.

Camus remarquait déjà : « Plus de gens contemplent, quoique sans le penser, qu'il n'y en a qui méditent. » Ou plutôt : beaucoup de gens qui ne pensent que méditer, contemplent déjà. « A peine, disait-il encore, se peut-on imaginer la méditation sans quelque degré de contemplation, la fin de celle-là étant le commencement de celle-ci, et leurs naissances étant liées comme celles de Jacob et d'Esaü. » « On est contemplatif sans le penser être », dira plus tard Bossuet. Désormais, concluait Camus

 

ne nous étonnons plus de ces grands mots qui ne font peur qu'aux simples; oraison de quiétude; sommeil des puissances; silence intérieur; recueillement des puissances dans l'unité de l'esprit; le centre, le fond et l'essence de l'âme, et semblables puisqu'ils ne disent que des choses fort simples et qui sont au pouvoir de chacun (1).

 

(1) Métaphysique des Saints, I, pp. 156-161.

 

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Naturellement, il exagère peu ou prou. Les grâces mystiques ne sont en vérité « au pouvoir » de personne, pas même de Jean de la Croix ; mais il n'est pas de baptisé qui leur soit tout à fait imperméable; mieux que cela il n'est pas de véritable prière à qui elles soient tout à fait refusées.

« Il n'est pas d'état spirituel, absolument pas, nullus omnino, écrit Le Gaudier, dans lequel le discours, lancé jusqu'à Dieu par l'élan de l'amour - et pour peu que cet élan se prolonge - ne s'épanouisse en une simple intuition, qui, suspendant son activité normale, lui permette d'adhérer à l'être même de Dieu (1). » Simplici intuitu fixus in Deum atque suspenses. Ainsi le P. de Clorivière :

 

Le recueillement passif... que le Seigneur opère dans l'âme, sans que l'entendement et la volonté y contribuent en rien, sinon par l'acquiescement qu'ils y donnent, ce recueillement, dis-je, qui n'était que passager dans les états précédents, devient comme habituel dans l'oraison de quiétude (2).

 

Et le P. Grou :

 

Que dans de certaines oraisons où Dieu agit seul, nous nous perdions de vue, et nous n'ayons même aucun objet distinct, je le conçois sans peine, et cet état est assez ordinaire, même aux commençants (3).

 

(1) Le Gaudier, I, pp. 365-366.

(2) Considérations sur l'exercice de la Prière..., réédition, Paris, 1928, p. 98.

(3) Intérieur de Jésus et de Marie, édition Hamon, p. 163. Sur quoi le rigide éditeur estime nécessaire de protester : « Non seulement, écrit-il en note, cet état n'est pas ordinaire aux commençants, mais il est très rare dans la vie spirituelle ». C'est toujours le même hérissement, la même phobie. Malgré le torrent des docteurs mystiques, on s'obstine à tenir la quiétude pour une grâce extraordinaire et quasi-miraculeuse. Mais non, rien de plus normal, j'allais dire de plus inévitable. Il n'y a d'un peu équivoque dans ces lignes du P. Grou, que le mot état. Comprenez-le bien : il ne dit pas que l'état de quiétude soit commun; mais que, dans tous les états, la prière est normalement traversée par des éclairs de quiétude ; c'est tout différent.

 

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Comment, du reste, ne le serait-il pas, s'il reste vrai que, - parfaits ou commençants, peu importe - le Christ prie en nous et par nous toutes nos prières ? Elles sont plus de lui que de nous. Si bien que, dès qu'il cesse d'en être l'auteur principal, elles cessent d'être de véritables prières. Et, comme cette divinisation échappe toujours à la conscience de celui qui prie, il faut bien admettre que toute prière, nous introduit, pour si peu que ce soit, dans la zone ténébreuse de la quiétude. Même lorsqu'on acquiesce, par des actes discursifs distincts et délibérés, à cette élévation de l'âme, ainsi devenue la collaboratrice du Christ, on ne se fait aucune idée distincte de l'activité plus haute, par laquelle on accepte de se laisser faire. Comme tous les actes de foi, celui-ci, bien que d'abord éclairé par le discours, nous replonge bientôt dans la nuit.

 

La théologie mystique, écrit le P. de la Taille, part de l'application aux actes, qui sont communs à tous les justes, mais qui (en tous les justes) s'appuyant à la foi, non seulement actionnée par l'amour, mais par l'amour douée d'une sensibilité intérieure aux attraits de la Vérité Béatifique, se trouvent par là même contenir en germe tous les développements ultérieurs propres aux contemplatifs. Elle dépasse le niveau commun, et entre dans son propre domaine, lorsqu'elle rencontre une passivité, qui existe bien partout dans la vie de la grâce, mais qui ne se laisse apercevoir que chez certains (1).

 

Le moins parfait des actes de foi, implique déjà une passiveté commençante, mais trop grêle et trop fugitive pour que l'âme en prenne conscience. Une comparaison saugrenue nie fera peut-être mieux comprendre. Libre d'accepter ou non une opération chirurgicale, je l'ai acceptée; je me suis rendu à la clinique. Soit une foule d'actes distincts qui ont préludé à l'opération. Une fois sous le couteau, mon moi discursif entre en quiétude. Même si l'on ne m'a pas endormi, son activité persévérante - attention, réflexion,

 

(1) Recherches, juin-août 1928, p. 318. Des remarques analogues reviennent souvent dans cet admirable article qu'on ne saurait trop méditer.

 

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peur, souffrance - ne se mêleraient pas activement aux gestes mêmes du chirurgien. Il y aurait là deux activités séparées, dont la première - la mienne - se contente d'abdiquer devant la seconde et d'en suivre le progrès. Il n'en va pas de même de ma chair ainsi travaillée. Elle se prête activement à ce travail. Si elle était capable de conscience, elle seconderait de tout son effort ces gestes qu'elle saurait bienfaisants ; elle irait, pour ainsi dire, au devant d'eux. Elle y collabore si bien, quoique sourdement, que les os disloqués se remettent en leur place et qu'assez vite les tissus commencent à se reformer. Activité à deux, la chair et le chirurgien. Ainsi plus encore de nous et de l'action insensible qui divinise nos efforts délibérés - mais par eux-mêmes impuissants - vers la prière : et qui fait que cette prière, tout en restant nôtre, est aussi et plus encore la prière même du Christ. La substance de l'âme ne dit pas : je veux, puisqu'elle est muette, et qu'elle ne se fait aucune idée de ce qui se passe en elle. Mais cette divinisation incompréhensible, son élan même la veut; elle s'y prête, elle y travaille, elle la fait sienne dans la nuit.

A cette explication, plus expressément théologique, ajoutez ce que nous disions plus haut sur l'activité nécessairement supra-discursive de l'amour. On ne saisit, on n'étreint, on ne possède, on n'aime enfin qu'une personne. Celle-ci, notre entendement nous la signale comme il peut; il en esquisse une image, il nous révèle quelques-uns de ses attributs. Mais au seuil, pour ainsi dire, de la personne même, il s'arrête court, frappé d'une impuissance totale. Il en a fait le tour, mais il ne saurait y entrer. Cet autre, quel qu'il soit, à qui on se donne, en qui on se perd, cet autre, en tant que donné, reçu, possédé est toujours un inconnu. On ne le connaît que dans la mesure où connaissance est synonyme de possession. Ainsi faut-il entendre et étendre le proverbe qui veut que l'amour soit aveugle. Il ne l'est jamais plus que lorsqu'il a pour objet l'inconnaissable par excellence. On peut ne pas en savoir très long sur l'objet

 

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aimé, assez néanmoins pour savoir - et c'est bien ici le cas ou jamais - qu'en l'aimant on ne sera pas déçu. Aveugle néanmoins, non pas seulement la raison qui nous le présente, mais l'élan de tout notre être qui se porte vers lui. Aveugles, la saisie et la possession. Dès que s'ébauchent celles-ci, le discours s'éclipse nécessairement. Dès que l'amour paraît, il entraîne après soi la quiétude ; il est lui-même quiétude, c'est-à-dire cette activité vitale et substantielle, qui se déploie dans une zone où le discours ne respire plus.

Mais bien que le mécanisme naturel - et plus encore le surnaturel - de l'amour exige que le discours cesse, que l'introversion s'amorce aussitôt que vibre le vol de l'âme vers le Dieu qui l'envahit, cette quiétude est à peine digne d'un nom si auguste, lorsque, ainsi qu'il arrive dans la prière commune, l'élan se brise presque aussi vite qu'il s'est ému. Éclairs d'amour ou de quiétude qui suffisent à diviniser la prière, mais non pas à l'élever jusqu'à la contemplation proprement dite, jusqu'à l'oraison de quiétude. C'est là toute la différence essentielle entre la prière commune, - prière vocale ou méditation - et la prière proprement mystique. Dans l'une et dans l'autre se donne le même Dieu, et, par cela même qu'il se donne, il tend à « recueillir » l'âme profonde, à paralyser les activités de surface. Mais dans la première, ce recueillement n'est que « passager » ou fugitif, comme disait tantôt le P. de Clorivière, au lieu que, dans la seconde, il se prolonge, persiste, s'achève, devient « comme habituel », et par là, perceptible, en quelque façon à la conscience. Pas plus dans la seconde que dans la première, on ne perçoit directement celui qui se donne et que l'on saisit, mais dans la seconde seule, la cessation du discours, provoquée par ce don et cette saisie, se poursuit assez longtemps pour que l'âme soit avertie, ou puisse l'être, par un certain choc, souvent à peine sensible, de la transformation qui se continue en elle. Vaste différence de durée, d'intensité, non pas précisément de nature. « Ce qui est notoirement passif, écrit le P. de la Taille, c'est l'insistance

 

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du regard.... On est épris, épris d'une manière soutenue (1). »

Il n'est pas à craindre, du reste, que cette égalité foncière de grâce, atténue, si peu que ce soit, l'excellence de la contemplation. Ces recueillements fugitifs, dont tout baptisé est capable, qui rêverait de les comparer aux oraisons des mystiques ! Qui égalerait la courte fulguration d'un éclair à la lumière insistante du soleil ? Je craindrais plutôt que l'on dédaignât cette quiétude imperceptible qui palpite parmi le commun des hommes. On ne vit que si l'on aime, que dans la mesure où l'on aime, et l'on n'aime que dans la quiétude.

Fondée sur le double dogme de la présence active de Dieu en nous - in eo movemur - et de la grâce sanctifiante, cette philosophie a l'immense avantage de proclamer l'unité foncière de la vie spirituelle et des dons divins qui président aux ascensions de cette vie. Elle démolit les cloisons étanches que les faux spirituels prétendent élever entre les commençants et les « parfaits ». Elle nous rend sensible le progrès mystérieux et constant, le rythme auguste de la prière.

Discourir n'est pas prier. Voici néanmoins que, dans la méditation discursive, paraissent déjà, d'ici de là, quelques éclairs de quiétude, autant dire d'amour, autant dire de vraie prière. Mais les efforts intellectuels qu'exige la méthode, éteignent bientôt ces éclairs, ou ne permettent pas à l'âme de s'arrêter à leurs fulgurations ténébreuses. Si elle n'est pas manoeuvrée avec assez de liberté et de souplesse, la savante machine suspend d'elle-même le courant dont elle a pour unique fin d'amorcer le passage.

Aux prières vocales, et à ce qu'on appelle méditation affective, le discours préside encore, puisque toutes ces prières sont provoquées et animées par des pensées ou par des images distinctes : mais un discours où les mouvements

 

(1) Recherches, pp. 298-299.

 

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de ferveur tiennent plus de place que les considérations. Ralentissement du discours intellectuel, intensification du discours affectif. Qui ne voit que cet exercice affectueux est déjà plus proche de la vraie prière ou de l'amour, que le travail de la méditation méthodique ? Si proche même qu'on ne saurait fixer le point précis où l'activité mystique prend le dessus. Des éclairs de quiétude traversent, de plus en plus nombreux, de moins en moins fugitifs cette oraison « affective », tant qu'enfin, la simple dévotion s'épanouit en contemplation. Affectivus Dei amor in hoc ultimo statu contemplationem rudem adhuc et in aliis statibus inchoatam perficit (1). Par où l'on voit qu'il est moins exact de dire, comme nous l'avons fait avec tout le monde, que l'âme passe du discours à la quiétude ; disons plutôt qu'elle passe des éclairs ténébreux de quiétude à la nuit de l'oraison de quiétude. Inutile de rappeler que d'autres éclairs tout différents, ces éclairs discursifs dont nous parlions plus haut, traversent par moments cette quiétude commençante. Ils n'y mettent fin que si l'âme, fascinée par ces pensées distinctes, cède à la nostalgie du discours, et par là se laisse dessaisir de Dieu. Nous savons aussi que l'activité discursive sera largement récompensée des sacrifices qu'elle a dû accepter, en abdiquant ainsi devant une activité supérieure. Bientôt lui seront rendus et multipliées au centuple par cette inertie transitoire, les joies de la spéculation et de la ferveur sensible. Spéculations et ferveurs qui prépareront à leur tour de nouveaux recueillements. Ainsi le cycle ne se ferme pas, la méditation conduisant à la quiétude et la quiétude nourrissant la méditation. Rappelons enfin que la cessation du discours n'est pas le plus haut sommet ni le terme de la vie spirituelle. Une étape simplement. Dans les états sublimes, pleine liberté est rendue aux activités discursives du contemplatif. Au moment même où ils contemplent, leur méditation se poursuit.

 

(1) Le Gaudier, 1, p. 354.

 

 

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