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DEUXIEME PARTIE DÉVELOPPEMENTS ET PROPAGANDE

 

CHAPITRE PREMIER : LE PÈRE HERCULE (1603-1655)

 

I. Les papiers de Conrart. - L'oncle maternel de Fléchier. - Hercule et Godeau à Grasse.

II. Hercule et l'éloquence de la chaire. - Oraison funèbre de Marguerite de Jésus. - De profundis. - La voix de la prière. - Oraison funèbre de Jeanne de Lorraine. - « Moi qui découvrais son sentiment dans le son de sa voix. »

III. Les opuscules du P. Hercule. - La rhétorique des couvents. - Retraites par correspondance - Direction des religieuses.

IV. « La Science de l'oraison. Dialogue fait en Provence, vers la grotte de sainte Magdelaine. » - « Unité de sujet et d'application. » - Détresse d'Olympie - « Oraison d'état. » - «Oraison de pénitence. » - Ironies de Parthénope. - Le pur amour et la critique de la dévotion sensible.

 

I. - Après sa mort, en 1659, on a trouvé dans les papiers du P. Hercule, le brouillon inachevé d'un dialogue sur l'oraison. Peut-être aurais-je dû m'en tenir à l'analyse de ce peu de pages, où se trouve résumée, avec beaucoup de charme, la philosophie dont le présent volume a pour objet d'étudier la diffusion, pendant les trois premiers quarts du XVII° siècle. Même si nous ne savions rien de son auteur, ce petit traité nous serait déjà précieux; un anneau de plus, et assez étincelant, dans la chaîne de nos témoignages. Mais le P. Hercule me paraît si attachant, j'ai tant de raisons de l'aimer, que je n'ai pu me résigner à le traiter comme un anonyme. Qu'on me pardonne cette faiblesse, qui m'entraînera peut-être à côtoyer d'ici de là le frivole, dans un livre aussi grave et impersonnel que celui-ci. Je me rassure en songeant qu'un arc ne doit pas être toujours bandé; qu'après tout, l'auteur d'une histoire littéraire a bien le droit de s'occuper

 

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de littérature, et qu'ici enfin la qualité du témoin illustre, précise, enrichit le témoignage lui-même.

Par bonheur, il nous reste de lui autre chose que l'appellation héroïque par où ses contemporains le désignaient. Hercule Audiffret, de son vrai nom, mais d'un commun accord, on laissait tomber l'Audiffret. Chose amusante, les érudits le rencontrent, mais masqué, dans ces fameux papiers de Conrart où le sacré tient d'ordinaire moins de place que le profane. Le P. Hercule avait d'ailleurs un neveu qui n'est pas le premier venu, et qui l'a sauvé de l'oubli total, comme Jean Racine a fait pour l'oncle d'Uzès. La mère de Fléchier, Marguerite Audiffret, était la propre soeur du P. Hercule. D'où, pour les biographes du neveu, l'obligation de faire à l'oncle une courte révérence, et de se demander, selon les rites, ce que l'illustre des deux aurait bien pu devoir à l'autre. Enfin nous avons de lui quelques recueils posthumes qui nous le rendent délicieusement présent (1).

Il est né en 16o3, à Carpentras, une des deux Athènes de notre midi, mais non la plus insigne. Fils de Pancrace Audiffret, «marchand », et d'Esprite Dambrun -la mère de l'oncle aura donc été marraine du neveu, Esprit Fléchier, le bien nommé, - et il est mort à Paris, en 1659, général des Pères de la Doctrine Chrétienne, depuis 1646. Brillante carrière, comme on voit - général à quarante ans - mais dont je laisse aux chartistes la joie de reconstituer les étapes 2. Une seule m'est connue, ou à peu près, grâce à Conrart, celui-ci ayant conservé les lettres que le P. Hercule lui écrivait de Grasse, pendant les années qui suivirent l'explosion du Cid. Mais que de mystères tantalisants. Dès la première de ces lettres, Hercule semble s'adresser à un vieil ami. Il l'appelle Philandre, et il signe Philémon, ce qui parait indiquer

 

(1) Questions et explications spirituelles et curieuses sur le psautier et divers psaumes de David, par le R. P. H. A. D. L. D. C. (Hercule Audiffret de la Doctrine Chrétienne). Paris, 1668. Ouvrages de piété. Instructions chrétiennes et religieuses, par le P. Hercule. Paris, 1675.

(2) Il n'y a plus de doctrinaires chez nous, depuis la Révolution, mais il y en a encore en Italie. Où sont leurs archives ?

 

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une intimité préalable. Hercule, en mal de littérature, serait-il venu à Paris avant d'entrer dans les ordres, ou pendant ses premières années de vie religieuse? L'a-t-on vu rôder autour de l'Académie commençante ? Balzac, auquel il écrira aussi et qui vantait la « régularité et la justesse de son style » (1), et Chapelain ont-ils deviné et encouragé son génie? Ou bien est-ce Théopompe Godeau - qui, de Grasse, aura servi d'intermédiaire entre ce débutant et tous ces grands hommes. Nous savons aussi qu'avant de s'installer à Grasse, où Godeau peut-être l'aura fait venir, et où il passera, je crois, plusieurs années, Hércule avait résidé à Rome. Il a de trente-cinq à quarante ans. Prêtre exemplaire, sans quoi le pieux évêque ne lui aurait pas témoigné tant de faveur, mais peut-être encore divisé entre la littérature et la sainteté. C'est à Grasse, conjecture un peu hasardée, mais qui me flatte, qu'il aura fait le grand pas. Est-ce Paris, ou Rome qu'il regrette, ou Carpentras, toujours est-il que d'abord il s'ennuie dans ce « désert », où rien ne lui plaît que l'amitié de Godeau. Ayant trouvé une bibliothèque « dans une galerie écartée », il se réfugie dans l'étude, commençant par les livres divertissants, et il envoie à Conrart le journal de ses lectures. Dépouillons en courant ces vieux papiers, beaucoup moins balzaciens qu'on n'aurait pu craindre. A son insu peut-être, ce génie facile et riant lutte déjà contre la rhétorique de ses modèles. Déjà plus simple, coulant et vrai, Hercule est d'un demi-siècle en avant sur la prose savante et toute latine de son temps. C'est par là, me semble-t-il, qu'il eût mérité de ne pas mourir. Genre délicieux, dit-il,que l'épistolaire, « où l'esprit se fait le mieux paraître, ou le coeur parle par la main. Qui fait une lettre fait son portrait ». Il envoie à Conrart la copie d'une consolation - hélas ! bien pompeuse - adressée par Godeau à M. l'abbé de Cerisy, « pour la mort de son père ».

L'amour que j'ai pour lui (Godeau) m'y fait trouver tout ce

 

(1) A. Fabre, La jeunesse de Fléchier. Paris, 1882, I, p. 81.

 

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que j'aime en lui. De pareilles consolations effaceraient bien des tristesses dans mon âme. J'aimerais bientôt une mort que cette aimable main aurait peinte avec de si belles couleurs.

 

La crise de mélancolie se poursuit, prélude, peut-être, de la conversion que j'imagine, et à laquelle Godeau semble travailler. Ils se promènent dans la campagne, et, se prenant pour anachorètes, au milieu de ces « rochers si affreux et des bois si verts et si sombres », ils condamnent le monde, empire du diable. Encore mondains l'un et l'autre, au moins par la concupiscence du style, ils se cachent tour à tour et se confient leur péché mignon. Godeau lui conseille de ne pas tant préparer ses sermons.

 

Ce pauvre peuple... n'a pas besoin de vos fleurs ni de vos ajustements ; il vous demande des catéchismes et non pas des harangues... Plût à Dieu que nous fussions un peu plus détachés de nous-mêmes! Notre ministère en vaudrait bien mieux... Mais tout de bon, Philémon, ne feriez-vous point conscience d'avoir tous les jours l'Imitation de Jésus-Christ devant les yeux, et de l'avoir si peu dans votre coeur? Souvenez-vous de la rhétorique de notre saint Paul, qui ne se préparait que par l'oraison et l'humilité...

 

Cela est assez émouvant, et deux fois, en quelque manière, si l'on songe que ces pieuses réprimandes, Hercule s'empresse de les transmettre à Conrart. Godeau• étonne fort plusieurs de ses biographes, désolés de le voir parfois si frivole. « Il y avait (en lui) deux personnages bien distincts, dit M. Coguet : d'un côté, l'évêque austère tout à son devoir... et, de l'autre, le prélat mondain, cultivant avec plaisir des amitiés toutes profanes, et s'amusant parfois à écrire les choses les plus futiles (1). » Ce dédoublement, ces alternances, les contemporains ne s'en troublaient pas. Ils ne connaissaient qu'un seul Godeau, et tout vénérable, même quand il payait tribut à la mode littéraire. « C'est une bonne et sainte âme, disait Chapelain, qui s'est.

 

(1) L'abbé Cognet, Antoine Godeau, p. 392.

 

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mise dans le repos où elle se souhaitait il y a longtemps (1).»

Le jour où il lui fit cette jolie scène sur la « rhétorique des saints », Godeau venait de surprendre Philémon en train d'écrire sa lettre à Philandre, et donc en posture d'application, et il avait cru que c'était un sermon. D'où la réprimande. Pour se faire pardonner cet injuste reproche, il lui montrera quelque pièce semi-frivole de sa façon. Et ego in Arcadia...

Ils font des vers l'un et l'autre, parfois à l'envi l'un de l'autre, s'essayant à traduire le même psaume (2). Car Philémon est poète à ses heures :

 

Les douces horreurs de ces lieux, le bruit de la mer, l'air de la solitude m'inspiraient quelque humeur de faire des vers. Il me semblait que je n'avais qu'à parler pour en faire.

Il lit quantité de poèmes latins, mais aussi Minutius. Felix, Origène, la Rhétorique céleste du jésuite Drexelius, et il reproche, en prose et en vers, à Conrart de négliger Grégoire de Nazianze,

 

ennemi généreux des grandeurs de la terre.

 

Ce n'est encore qu'une conjecture, usais aussi plausible que jolie. Il se peut que le paysage de la vraie Provence, dont la saine rudesse l'avait d'abord éprouvé, n'ait pas été sans hâter la pleine conversion du P. Hercule. Il envoie à Conrart une description enthousiaste de Cannes : « un vrai pays à rêver ». Peu à peu le charme plus tonique de Grasse l'enveloppe. Il s'apprivoise avec « l'horreur » de nos collines - on sait que, pour un homme du XVII° siècle, le moindre rocher est « horrible ». Il avoue enfin que cette

 

(1) Cognet, op. cit., p. 29.

(2) Cf. le brouillon d'une de ces lettres, qui a été recueilli dans les Ouvrages de piété du P. Hercule. « Voici comment Théopompe et votre Philémon expriment cette prière (le psaume Laudate) en divers termes, avec des cadences également saintes et harmonieuses. » Dans une autre lettre, il rappelle le dégoût qu'inspiraient à Godeau les mascarades poétiques, où l'on mêle le merveilleux mythologique au surnaturel chrétien, où la Vierge converse avec les Dryades. C'est là « un christianisme païen, et une idolâtrie chrétienne ».

 

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« terre ne laisse pas d'être belle pour être déserte ». Dans ce cadre propice à la sèche sérénité des mystiques,

 

j'étudie, écrit-il, à plaire à mon Dieu et à me dérober de moi-même. Je fais des prières sans inquiétude; je lis sans interruption; je veille sans contrainte; je jeûne sans altération; je m'attriste sans mélancolie ; je m'égare sans me dissiper; je suis content sans me complaire. Je sens que mon coeur s'amollit et se détache insensiblement. Ce n'est pas moi qui suis auteur de ces beaux miracles; c'est Dieu qui les opère en moi et quasi sans moi (1).

 

Ainsi, longtemps auparavant, le frère de Pétrarque, dans un paysage tout voisin et presque semblable, l'exquise Chartreuse de Montrieux.

 

II. - Pendant ce temps, grandissait le jeune Esprit, né à Pernes, près de Carpentras, en 1632. Les anciens biographes veulent que le P. Hercule l'ait « élevé dans le sein des lettres et de la vertu ». Non, démontre fort bien Mgr Fabre. Non, hélas ! ajouterai-je. Grasse est assez loin de Carpentras. Fléchier, du reste, avait quatorze ans lorsque son oncle, nommé général de la Doctrine, partit pour Paris. Mais c'est bien sans doute pour imiter le grand homme de la famille, et peut-être aussi pour mettre à profit sa protection, que Fléchier a fait un premier stage chez les Doctrinaires. Il les quitte en 1659, et vient à Paris chercher la fortune, mais il y arrive trop tard pour revoir son oncle. Il ne l'a donc pas connu à l'heure où l'exemple et les leçons de ce beau prédicateur auraient pu lui être si utiles, et c'est grand dommage. Il l'a lu, mais avec une tendresse peut-être un peu dédaigneuse, et lorsque tout le bien et tout le mal étaient déjà faits que pouvait lui faire son vrai maître, le sieur de Riche-source, lequel n'eut assurément jamais de meilleur élève. Il

 

(1) J'emprunte cette dernière citation à la « lettre de l'hermite Palémon à Artémis, après sa retraite de Rome à Grasse », lettre non pas adressée directement, mais communiquée à Conrart. Tout me fait croire, en effet, que Palémon c'est encore le P. Hercule. Les lettres à Conrart se trouvent à l'Arsenal, Mss. 4116, tome XI du recueil Conrart. Les inédits étant défendus à mes pauvres yeux, c'est mon docte ami, Emile Dermenghem, qui a bien voulu dépouiller ceux-ci pour moi.

 

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faut savoir en effet que le P. Hercule, bien qu'il écrivît beaucoup, n'a rien publié de son vivant. Se « faire imprimer » était « la chose du monde, à laquelle il avait le plus de répugnance » (1). Fléchier était déjà célèbre, lorsqu'on s'avisa de publier en 1675 - l'année même de l'oraison funèbre de Turenne - un volume posthume de son oncle.

Je suis bien aise, écrit-il à un ami, qu'on vous ait envoyé le second tome des oeuvres du P. Hercule ; vous y trouverez peut-être quelque chose de plus parfait que dans le premier.

 

C'est bien vu, mais que veut dire ici « parfait» ? Et encore à propos d'un troisième volume :

 

Je vous renvoie le livre du P. Hercule. Ce sont des fragments de quelque carême qu'il avait prêché, qui ne laissent pas d'être beaux et éloquents (2).

 

On voudrait qu'il n'insinuât pas in petto : pour l'époque. D'un autre côté, comment aurait-il pu soupçonner que, pour tel esprit paradoxal du XX° siècle, le plus archaïque des deux ne serait pas le plus ancien ? Non que je fasse fi de ses propres discours. Il y a là de si belles choses ! Mais un peu lointaines. Hercule, au contraire. Écoutez plutôt. Je prends comme de juste, une de ses oraisons funèbres. Car il en a fait lui aussi.

C'était dans le sang. Rappelez-vous donc le splendide morceau d'orgue : A ces mots, Jérusalem redoubla ses pleurs..., et le reste. Maintenant, au P. Hercule. Mais non, son dernier biographe, Mgr Fabre, nous arrête. « Ménard affirme, dit-il, que (deux oraisons funèbres) furent imprimées à la fin d'un ouvrage du P. Audiffret... Nous avons trouvé ces deux volumes à la Bibliothèque Nationale, mais les deux oraisons funèbres n'y sont pas (3). » Oh ! Oh ! moi aussi, j'ai demandé ces deux mêmes volumes, que nul n'avait touchés depuis quarante ans, et j'y ai trouvé non pas deux, mais trois oraisons

 

(1) Dédicace (à Harlay) du tome premier des Ouvrages de piété.

(2) Fabre, op. cit., pp. 86-87.

(3) Ib., pp. 76-77.

 

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funèbres. Mais, en vérité, elles le sont si peu, si peu a oraisons », veux-je dire, si peu solennelles et selon la formule, que, malgré les cent pages qu'elles remplissent, Mgr Fabre parait presque louable de ne pas les avoir aperçues. La plus parfaite des trois, et la plus simple, est consacrée à une insigne religieuse, la Mère Marguerite de

Jésus, prieure des dominicaines de Paris.

 

De profundis. Expliquons le psaume qu'on applique aux morts,

 

ou plutôt écoutons les morts eux-mêmes, car « ce sont les morts proprement qui doivent parler ». Les vivants sont toujours obligés de craindre « leur inclination à mentir ».

 

Ecoutez donc, ô vous qui vivez encore dans un pays où l'on ne parle qu'avec danger, écoutez la parole des morts qui sont plus vivants... que nous... Ecoutez la voix d'une bienheureuse morte, qui parlait si bien quand elle vivait parmi vous, et qui parle bien mieux depuis qu'elle vous a quittées. Elle voit les choses comme elles sont... Le déguisement n'environne plus les objets qu'elle trouve dans ce nouveau monde où elle est entrée... La présomption ne va pas, comme vous savez, au-delà du tombeau. L'intérêt ne règne point où Dieu règne seul et sans voiles. Ecoutez cette voix qui ne vous peut dire que de grandes choses, puisqu'elle vient du pays de l'éternité.

De Profundis. Du profond d'un tombeau, dit cette voix sombre, mais sainte, je viens vous annoncer les profondeurs adorables des secrets de Dieu ; les profondeurs de sa miséricorde et de notre misère... Voyez, mes soeurs, voyez ce que je vois.

 

On peut hésiter entre cette musique racinienne et le noble fracas de l'oraison funèbre type. « Profondeur, profond... », comme il sait charger de sens et faire vibrer ces émouvantes syllabes. Songez, du reste, que ce qu'il y a de plus réel et de plus prenant dans cet exorde nous échappe. Rien d'un lieu commun sur l'éloquence des morts. De son vivant, Marguerite de Jésus était une voix, tour à tour pressante et désolée, et dont les échos remplissaient encore ce cloître. Pour elle, et jusque dans sa prière, étaient levées les consignes du silence, aussi éloquente devant Dieu que devant les hommes.

 

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De Profundis clamavi... dans ces profondeurs étonnantes ou mystérieuses, cette sage et savante Mère élevait autrefois sa voix pour se faire entendre de son Epoux. Elle criait, parce, disait-elle, qu'elle se trouvait quelquefois, selon l'apparence et le sentiment, fort éloignée de son oreille, dans des sécheresses et des amertumes qui font une profonde et prodigieuse désolation. Clamavi ! J'étais malade, dit-elle, la douleur me faisait crier et le Seigneur approuvait mes cris. Clamavi! je sentais le bruit que faisaient les créatures autour de moi, et j'élevais le ton de ma voix pour me faire entendre... Je voyais que l'orgueil, l'amour-propre et la complaisance me venaient ravir mon trésor. Je criais : au voleur, à l'aide ! Je prenais garde que le feu du péché se prenait aux plus beaux endroits de la cité de Dieu.

 

Transition discrète de la chapelle au parloir et au chapitre, où elle criait aussi.

 

Je criais au secours. Je voyais que ce feu n’épargnait pas les beautés de la solitude. Je m'écriais avec un prophète : Ad te Domine clamabo, quia ignis comedit speciosa deserti!

 

Rappel délicat des exhortations qu'elle adressait à ses filles.

 

Voilà les sujets qui lui faisaient faire autrefois de si belles exclamations. Elle en fait aujourd'hui de plus fortes et de plus éclatantes. Elle crie au Seigneur, elle parle à vos coeurs. Que vos coeurs soient l'écho de cette clameur pénitente, charitable et religieuse.

 

Puis il vante, en l'excusant, la monotonie de ses cris.

 

Ad te Domine, Domine... A ouïr parler quelquefois votre sage et vertueuse Mère, quand elle était dans ses familiarités avec son Epoux, lorsque, redisant le nom de Jésus ou celui d'amour ou de croix, elle faisait un cantique de trois paroles (1), on eût dit qu'elle ne savait pas toutes les règles du discours, et que ces redites pouvaient devenir importunes. Mais ces redites étaient des ornements et des figures de son amour, et des imitations de

 

(1) Il dit ailleurs que la Mère M. de Jésus s avait composé une manière de chapelet qui ne contenait que ces trois beaux mots : Jésus, Amour, Miséricorde II, ib., p. 36.

 

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cet hymne éternel et céleste, qui n'est composé que d'un mot toujours répété : Sanctus, Sanctus...

 

Sur quoi il greffera suavement toute une psychologie de la prière vocale :

 

Cette répétition de mots est une espèce de bégaiement dont se servent les saints, qui t'ont gloire d'être comme des petits enfants devant Dieu. « C'est mon parler, c'est ma voix, disait votre Mère, après le Prophète. Je m'adresse à vous, avec cette simplicité, parce que vous savez par avance ce que je vous dois demander... Vocem meam; la voix d'un enfant, d'une malade et d'une servante, ne peut être que mal formée .. Mais toute défaillante qu'elle est, toute plaintive et mal articulée, c'est la voix de mon oraison ; c'est la pure expression de ma nécessité... ; c'est nia misère proprement qui vous parle, voilà ma voix, exaucez-la.

Voilà la voix la plus douce et la plus harmonieuse de votre Mère. Je sais bien que la voix de sa bouche avait un son tout à fait charmant, et que lorsqu'elle chantait au choeur et qu'elle entonnait en quelque autre lieu quelques cantiques de dévotion, elle ravissait les oreilles ; mais la voix gémissante de la colombe, la voix intérieure et secrète de son âme affligée, touchait les oreilles et le coeur de Dieu.

C'est la voix que vous devez estimer, mes chères soeurs, c'est le ton de voix que vous devez prendre, quand vous voudrez être exaucées ; une voix de pénitence et d'humilité. La voix de vos passions serait trop bruyante ; celle de vos désirs déréglés aurait trop d'éclat ; celle de vos péchés crie vengeance contre vous-mêmes; la voix de votre orgueil n'est jamais d'accord; il n'y a que la voix de votre coeur que vous puissiez appeler vôtre, et qui mérite l'attention et la complaisance de votre Epoux.

In vocem deprecationis. La plupart de nos oraisons sont des harangues intéressées ou ridicules ; des discours indigestes et insipides, qui n'ont ni feu, ni sel, ni mouvement, ni vie, qui ne vont point jusqu'à Dieu ; qui n'ont point de voix. Oraisons muettes, quoique vocales; oraisons mentales sans entendement; oraisons frivoles, quoique fort longues, à qui l'on peut dire : après avoir beaucoup parlé, vous n'avez rien dit.

 

La vraie prière n'a qu'une voix, celle du néant.

 

Y avez-vous pris garde, mes chères soeurs, y avez-vous fait réflexion comme moi ? Cette manière d'oraison était une des

 

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méthodes de votre Mère. Elle ne s'élevait jamais au-dessus du troisième ciel, elle ne parlait jamais des plus grands mystères de l'Empyrée, elle ne disait rien de grand, en parlant du Souverain Tout, qu'elle ne descendît bientôt jusque dans l'abîme de son néant.. J'ai un billet de sa main..., peut-être le dernier qu'elle a écrit, qui est tout plein de ce caractère. C'est un admirable entortillement du Tout et du Néant; un chiffre de croix et de couronnes si bien entrelacées, un mélange industrieux d'élévation et d'humilité, un tempérament de mystère et de morale, qui vaut un chef-d'oeuvre, et qui est comme un abrégé de sa manière de parler à Dieu et de parler de Dieu.

 

Les faveurs sublimes qu'elle recevait du ciel, non seulement elle ne les affichait pas, mais encore elle eût voulu se les cacher à elle-même.

 

Neque in mirabilibus... Les choses admirables sont si charmantes dans les voies de la dévotion, qu'il faut une tempérance héroïque pour ne les aimer que modérément. Pour peu que le ciel s'ouvre devant les yeux d'une pauvre créature..., son coeur, naturellement amoureux du plaisir, et son esprit ardent pour tout ce qui peut flatter sa curiosité, s'épanouissent aussitôt pour recueillir toutes ces beautés lumineuses.

 

Mais les dons extraordinaires de la prieure ne l'ont pas « amusée », mot cher à François de Sales, « en des fausses admirations » ; et c'est en cela qu'elle est véritablement admirable. Mais rien de plus beau, me semble-t-il, que la virile tendresse des dernières phrases.

 

Dites au Seigneur que c'est avec justice qu'il vous prive de sa vue, de ses entretiens, de ses instructions, et de ses caresses. Dites hardiment que vous ne méritez pas ces saintes douceurs...

Nous serons donc désormais comme des enfants sevrés de la main de Dieu, à l'égard de cette aimable et bienheureuse Mère, qu'il nous a ravie. Nous n'entendrons plus ces douces et salutaires exhortations, qu'elle nous faisait ; ces bons mots spirituels, ces paroles ardentes et ingénieuses, ces explications admirables des versets du psautier... ; ces vers si doux et si dévots, ces billets, ces lettres, ces écritures si charmantes. Nous n'aurons plus la satisfaction de voir la source de tous ces biens ; au contraire, quand nous approcherons de sa chambre, quand nous

 

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verrons le lieu de ses oraisons, de ses colloques, de ses souffrances et de sa mort, nous dirons : Hélas ! c'est son ancienne habitation, mais ce n'est pas elle. Elle était en ces lieux, mais elle n'y vit plus que par son souvenir et par son exemple ; et c'est ce qui nous rend semblables aux enfants sevrés, qui ne trouvent plus le sein de leur mère, ou qui n'y trouvent plus que de l'amertume (1).

 

Nul homme de goût, j'imagine, ne peut s'y tromper. Il y a là le don, le je ne sais quoi, cette chose si rare dans les pièces de ce genre, une sensibilité qui se manifeste en se maîtrisant, et dont la séduction n'est pas liée au pathétique, sincère mais fugitif, de ces lugubres cérémonies. Cet émule de Godeau égale le Newman de l'oraison funèbre de Hope Scott. Pour mieux sentir la qualité rare, unique même de ce morceau, il n'y a qu'à le comparer à ces épîtres de consolation qui étaient alors à la mode, celles de Godeau, par exemple, que le P. Hercule admirait fort, et qu'il avait même décidé son ami à recueillir en volume. Belle éloquence, humaine, chrétienne, autant que cicéronienne, mais curieusement périssable. Le rhéteur ne cache pas l'homme, cependant il lui survit. Ici, au contraire - on le voit bien en le lisant à haute voix - un art raffiné, mais qui ne paraît plus. Il paraissait encore dans les premiers discours du P. Hercule, et bien joliment.

Ainsi, dans le « discours funèbre » prononcé à Reims, en 1639, pour l'anniversaire de Jeanne de Lorraine, abbesse de Jouarre (2).

 

(1) Questions et explications, p. 257-328. Il est bien regrettable que le biographe récent de Marguerite de Jésus, M. Lorber, n'ait pas connu ce petit chef-d'œuvre, ce portrait si peu banal, et que l'on sent si vrai, de la sainte prieure.

(2) 1639, précieuse date pour nous, qui n'arrivons pas à fixer le curriculum vitæ du P. Hercule. Il dit, en passant, que s'il n'a pas prononcé un an plutôt l'oraison funèbre de Jeanne, c'est que les circonstances - son absence - ne l'ont pas permis. En 1638, il connaissait donc cette abbaye princière. Il aura donc quitté Grasse, au plus tard vers 1638. Il s'y trouvait, nous le savons par Conrart, au moment de la querelle du Cid. Mais bien des indices laissent croire que, dès cette époque, il était un assez gros personnage. Un inconnu, débarquant à Paris, n'eût pas été appelé du jour au lendemain à donner des conseils à l'abbesse de Jouarre.

 

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C'est une entreprise bien hardie et bien malaisée de parler en public de ces bienheureux morts qui meurent au Seigneur... Saint Basile..., cet orateur adroit et puissant, appréhende d'entrer dans ces panégyriques funèbres, et y témoigne, dans ses exordes, que pour réussir en cette sorte de discours, il faut avoir une rhétorique plus que commune, et savoir des choses que l'art n'apprend pas. En effet, outre qu'on est obligé en ces occasions de mêler industrieusement la louange humaine avec la divine, pour louer le Maître avec ses serviteurs ; outre qu'on est contraint de lier le plaisir avec la douleur, et tracer des peintures vives et brillantes avec des couleurs sombres et mortes, il faut combattre ensuite trois ennemis puissants, vaincre tout d'un coup le temps, la mort et la tristesse, qui nous importunent.

 

Exorde fait de main d'ouvrier. En le lisant, Fléchier a dû se dire qu'il n'avait pas à rougir de son oncle. Mais il y a là des traits que Fléchier lui-même n'eût peut-être pas trouvés.

 

Et toutefois l'amour et le devoir nous pressent d'entreprendre. Larmes, soupirs, sanglots, tristesses, importuns objets d'horreur, images du trépas, église couverte de deuil, appareils pompeux mais lugubres, dépouilles que le temps et la mort emportent sur nous, tombeaux ouverts pour nous montrer les richesses qu'on nous a ravies... ; matière funeste, mais sainte, pourquoi m'obligeant à parler, me venez-vous ôter le moyen de le faire avec hardiesse ? Pourquoi troublez-vous ma raison ? Pourquoi venez-vous m'attendrir le coeur et affaiblir. le courage ? Pourquoi me ravissez-vous donc la parole et la voix? Jour destiné pour achever les funérailles d'une sainte vierge ! Jour ténébreux que des flambeaux éclairent... Sombres et funestes clartés, qui faites voir à tous le zèle et l'ardeur de ces filles qui pleurent encore leur mère ! Vous me faites voir par même moyen la difficulté de l'ouvrage que j'entreprends, puisque j'entreprends de parler d'une belle lumière éteinte et d'une vertu que rien ne saurait éclipser, d'une vie secrète et publique, d'une mort précieuse et lugubre..., d'une Princesse humble, et d'une religieuse illustre, d'une fille du sang de Lorraine et d'une religieuse de saint Benoît.

 

1639. Bossuet toujours excepté, fera-t-on beaucoup mieux cinquante ans plus tard. Cette aisance harmonieuse,

 

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cette sensibilité vraie qui se laisse voir même dans la recherche de l'effet. - « Pourquoi venez-vous m'attendrir le coeur... ? » - Il y a là néanmoins une page délicieuse où notre Hercule se révèle tout entier, avec sa « tendresse naturelle », comme il dit lui-même, sa gentillesse, son humanité, son esprit de foi, et, pourquoi pas ? son esprit tout court.

 

J'avoue, Mesdames, que mon zèle a été sensiblement mortifié par la Providence, quand elle a permis que je ne me sois pas trouvé sur les lieux. Je sais que vous eussiez désiré de moi que j'eusse fait son oraison funèbre, en public, au jour de ses funérailles ; et mon affection eût eu peine à résister à votre désir. Je bénis et j'adore cette divine Providence, qui en a ordonné de la sorte ; car outre que ma tendresse naturelle et mon peu de capacité se fussent opposées à l'exécution de ce dessein, il m'eût semblé, si j'eusse entrepris une action si publique, que cette belle âme eût fait un reproche public à mon amitié, et se fût plainte de ma complaisance infidèle. Il me souvient en effet, Mesdames, qu'elle me disait autrefois par manière de divertissement demi-prophétique : Je mourrai bientôt, et vous verrez que, parce que je suis Abbesse, et Abbesse d'un monastère fameux et indépendant, on me voudra traiter après ma mort comme une personne considérable, et que quelqu'un de mes amis ira mentir pour l'amour de moi dans la chaire de vérité. Mais je prierai Dieu de tout mon coeur que personne ne commette cette injustice, et qu'on me laisse enterrer comme une simple religieuse, qui ne désire et qui ne mérite rien de particulier? Comme le Seigneur est ma force, il doit être seul ma louange ; pourvu qu'il tue fasse miséricorde, je n'ai plus rien à souhaiter. Ce qu'on doit craindre dans ces rencontres, c'est que, par un zèle peu religieux, ou par une coutume mal observée, on aille faire la généalogie d'une pauvre créature consacrée à Dieu, qui, comme Melchisédech, ne doit plus avoir ni parents, ni amis, ni généalogie. Ne serait-ce point un abus étrange des choses saintes, si on allait par exemple prendre mes vices déguisés pour de véritables vertus, et en faire dans un discours public, la matière d'un bon exemple ? Je serais inconsolable si je savais que je dusse un jour être le sujet d'une si grande profanation ; et si je n'en sentais présentement une grande horreur, je m'en croirais dans moi-même à demi-coupable. - Elle me disait ces choses en se jouant, et comme pour se divertir dans ses longues et fâcheuses infirmités : mais moi, qui connaissais

 

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son style, et qui découvrais son sentiment dans le ton de sa voix, je sentais bien qu'il y avait quelque chose d'extraordinaire dans ses paroles, et que son coeur parlait tout de bon, et comme les Prophètes ont accoutumé de parler en ces occasions.

Que faut-il donc que je fasse, Mesdames, pour ne pas déplaire à cette sainte âme, et pour ne m'éloigner pas de vos sentiments? Vous souhaitez que je parle de ses vertus; elle ne veut pas que j'en parle. Louez les morts, me dites-vous ? Ne louez que Dieu, me dit-elle. Je sais bien ce que je ferai ; j'imiterai le Roi-Prophète qui, se trouvant dans cette même irrésolution, et ne sachant s'il (levait parler ou se taire des merveilles qui se passaient sur la Montagne de Sion, dit une fois qu'il adorera ses merveilles avec son silence. Te decet silentium Deus in Sion, et puis il dit qu'il les veut adorer avec sa parole : Propter Sion non tacebo (1).

 

N'aimez-vous pas dans le balancement de ces périodes, encore plus flexibles que savantes, ces jolis mots de tous les jours, ennemis nés de la rhétorique, «Mon amitié » - « Mais moi qui découvrais son sentiment dans le son de sa voix » - « Que faut-il donc que je fasse? Je sais bien ce que je ferai. »

 

(1) Ouvrages de Piété. Instructions chrétiennes et religieuses, IIe partie, pp. 255-361. Il y a dans cette oraison funèbre un curieux passage contre la lecture des romans. « Je veux dire une chose que je ne puis taire sans lui faire tort ; qu'encore qu'elle se plût merveilleusement à ouïr bien dire, et que son esprit eût beaucoup de complaisance pour ce bel art, elle ne lut jamais trois lignes d'un livre profane. Elle déclara une guerre mortelle à tout ce qui n'était pas de l'école ou du langage du Saint-Esprit, et voulut toujours saintement ignorer ce que c'était des romans et des comédies. Ces termes mêmes lui paraissaient si malséants qu'elle n'osait les prononcer, et disait un jour à une dame, qui n'avait pas encore cette même pensée : Que cette sorte de livres avait amené le libertinage à la Cour et que c'était le cinquième fléau de la France. Que direz-vous ici, dévotions mondaines et libertines ! Vertus, qu'on appelle du temps ! Que direz-vous ici, âmes présomptueuses, qui croyez que vous avez assez de feu pour consumer toutes les ordures que vous présente votre folle curiosité ! qui ne savez rien refuser à votre amour-propre ! qui vous laissez remplir des images de vos ennemis, et n'appréhendez pas de périr parmi les dangers où ils vous conduisent! Comment pouvez-vous converser et vous plaire parmi des meurtriers et des empoisonneurs? J'appelle ainsi ces livres, qui sous le prétexte d'une relation agréable, d'un conte gracieux ou d'une parole bien ajustée, font des panégyriques à la volupté, inspirent l'amour des beautés défendues, aident aux desseins des démons, et causent de grands embrasements par de petites étincelles. Comment se peuvent donc agréer ces ânes, qui se font appeler dévotes, en la compagnie des vrais ennemis de la véritable dévotion? Comment peuvent-elles aimer ces idoles sans idolâtrie? Avec quels yeux peuvent-elles regarder ces caractères diaboliques, qui ont souvent enchanté les saints et fait apostasier les sages ?

 

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III. - J'ignore si l'admiration que m'inspire le P. Hercule sera partagée de tous mes lecteurs, mais, parmi eux, je suis assuré que les religieuses ne la trouveront pas excessive. Leur suffrage me suffirait, une longue expérience des couvents, de ceux d'autrefois et de ceux d'aujourd'hui, m'ayant édifié sur les susceptibilités presque infaillibles de leur goût en matière spirituelle. La littérature profane n'a pas été seule à avoir ses hôtels de Rambouillet, et il y a eu moins de « précieuses » dans les couvents. A elles dé juger les juges, que, d'ailleurs, elles ont discrètement façonnés, humanisés, dérusticisés, s'il est permis de parler ainsi. Aujourd'hui comme avant-hier, elles nous apprennent ce que nous n'aurions pas trouvé dans les livres, le sens des réalités divines et humaines, les exigences, aussi délicates qu'héroïques, de la grâce. Aussi vite et mieux que Balzac, Conrart et les autres, les couvents ont deviné le P. Hercule. N'a-t-on pas remarqué avec quelle autorité douce, ce jeune et souple Provençal s'adresse à ces nobles femmes ; comme il est chez lui, aimable et grave dans ces chaires difficiles et glorieuses! Lui-même, du reste, aussi réfléchi que spontané. il se connaît bien et il les connaît. Écoutez ce qu'il écrit à un prédicateur de ses amis :

 

Vous croyez peut-être railler et vous divertir,.quand vous me dites qu'il faut avoir une éloquence toute fleurie et toute parfumée, pour prêcher avec approbation aux grilles des Religieuses, et qu'à moins d'avoir étudié dans le Livre de Vie, et dans l'Ecole du troisième Ciel, on ne saurait contenter le goût délicat de son auditoire.

Vous ne vous trompez qu'en vos expressions, qui sont un peu trop fortes ; mais, au reste, il est très vrai que, comme les Religieuses, qui sont la bonne odeur de Jésus-Christ, comme parle saint Paul ; les plus belles fleurs du parterre de l'Eglise, comme les appellent les Pères ; les Vierges prudentes, qui ne s'appliquent qu'à leur devoir, et les Epouses de l'Agneau, qui leur révèle tous ces Mystères ; comme ces Filles voilées sont toujours par profession en solitude et en prière, on peut dire, sans les flatter, qu'elles ont pour la plupart des connaissances fort délicates et des lumières fort épurées, et qu'il est à propos que ceux

 

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qui les dirigent ou qui leur prêchent, aient aussi dans leur éloquence et dans leur conduite une particulière adresse, qui puisse toucher leur esprit et gagner leur coeur.

Quand je dis quelque adresse particulière, je ne dis rien d'extraordinaire ni d'extravagant ; je ne dis pas qu'on se fasse une rhétorique efféminée à force d'être radoucie, un style ridicule pour être trop doux et trop figuré, et une théologie de bagatelles éclatantes et mystérieuses.

Je veux seulement qu'on emploie une sage et sainte discrétion, pour considérer que tous les articles et toutes les questions de la théologie ne seraient pas propres pour ce saint auditoire ; que toutes sortes de styles ne lui conviendraient pas ; et qu'assurément il y a une rhétorique particulière, qui ne manque jamais de leur plaire et de les toucher, quand on observe bien ses préceptes.

 

Et critiquant, sans en avoir l'air, ce qui restait de grossièreté dans l'éloquence religieuse de son temps, « il faut soigneusement prendre garde, continuait-il,

 

quand on fait quelque narration tirée, ou de l'Ecriture sainte, ou des Conciles, ou des Pères, ou de quelques histoires bien approuvées ; il faut s'étudier à ne rien avancer qui puisse faire baisser les yeux à qui que ce soit ; il ne faut rien dire que la Vierge la plus pudique ne puisse entendre sans abattre son voile ; il faut éviter Ies mots séculiers, les paroles équivoques, les termes nouveaux, les expressions molles, flatteuses et courtisanes, ce qu'on appelle le style galant, l'air du grand monde, le tour et la manière des beaux esprits, le monde, la mode, la galanterie, les mots de Cercle, de Cour, de Cabinet, de Ruelles, d'Alcôves, ,et tout ce qui a rapport à l'amour séculier. Toutes ces choses doivent être religieusement évitées, et celui qui a la commission de découvrir les secrets de Dieu devant les personnes voilées, doit avoir un voile toujours prêt pour couvrir tout ce qui pourrait offenser leur pudeur; ce voile doit être composé de discrétion et de silence.

Ainsi lorsqu'il est indispensablement obligé de parler par exemple de la nudité de nos premiers Pères, de celle du Patriarche Noé, de la Circoncision d'Abraham, de la débauche des Sodomites, de l'adultère de David et de telles autres matières un peu délicates et dangereuses ; lorsque même son sujet le porte à parler simplement de la beauté de Rachel, des attraits de Judith, ou des caresses et des sensibilités de l'Epouse ; il faut

 

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que la discrétion l'avertisse de son devoir, et qu'il s'imagine entendre toujours la voix de l'Apôtre, qui lui recommande d'être sobre en paroles et circonspect pour bien remplir son ministère. Ministerium tuum impie, sobrius esto. Voilà pour ce qui regarde l'histoire et la narration (1).

 

Il savait aussi qu'à ces tendres créatures, chez qui l'imagination est restée active et fraîche, la doctrine sèche ne suffit pas, que, du reste, elles possèdent déjà par coeur.

Chose remarquable, je veux dire infiniment rare, il n'est pas de ces bourreaux qui ne dispensent qu'à coups de marteau leur théologie ou leur morale. Il ne les ennuie jamais. Il excelle, comme personne, à varier des exhortations qui tournent fatalement autour de quelques idées toujours les mêmes? Chacun de ses triduum, chacune de ses retraites est un poème et toujours nouveau.

Exercice de la réparation du coeur, - un temple à moitié ruiné qu'il faut reconstruire. Les saintes solitudes du Nouveau Testament. Sur les trois jours de Jésus. Exercices de la Vierge, comparée à l'aurore, à la lune, et au soleil. Exercices sur la promptitude des Anges. Sur les différents états de la Madeleine. Sur les trois différentes conduites de David. Exercices sur le lit et le char de Salomon. Délicieuse solitude, ou de la Perfection. C'étaient le plus souvent, et cela encore est assez curieux, des retraites par correspondance. Ces exercices, nous dit l'éditeur de ces charmants débris, ont été faits « à la hâte, et seulement pour servir à des personnes particulières, selon le génie, l'attrait et le besoin que l'auteur reconnaissait en elles, et cela à mesure seulement qu'elles rentraient en retraite et qu'elles y avançaient ».

Tout cela écrit à course de plume, comme en se jouant. Son beau naturel revient au galop.

Sur « les péchés légers et secrets ».

 

Premier point : Un coeur attentif à se considérer soi-même, s'il

 

(1) Ouvrages de Piété. Instructions chrétiennes et religieuses. IIe partie, pp. 509 à 513 et 518 à 520.

 

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est éclairé de la lumière du soleil de Justice et de Vérité, verra bien des ordures secrètes dans sa conscience. Que d'attachements imparfaits ! que d'amusements inutiles ! que de désirs immortifiés, que d'amours indiscrètes ! que d'aversions peu charitables ! que de pensées vaines ! que de raisonnements séculiers! que de réflexions immodestes ! que de rêveries blâmables ! que de dépits, que de colères ! que d'envies ! que de jalousies ! que de murmures intérieurs! que de soupçons ! que de jugements téméraires ! que de paroles oiseuses, hautaines, libres, piquantes, malgracieuses, mondaines, menteuses, médisantes, malicieuses! que d'actions précipitées, languissantes, légères, passionnées, et pleines d'amour-propre et de propre intérêt! mais surtout combien ce coeur découvrira-t-il d'omissions et de négligences secrètes, de manquements d'obéissance à la loi de Dieu, à l'inspiration, à la règle, à ses supérieurs, et quand il aura découvert dans les abîmes de sa conscience ces trésors de malice et d'iniquité, dans quel sentiment d'amertume ne doit-il pas entrer pour commencer sa pénitence (1) !

 

Voilà de quoi nourrir sans ennui une heure de méditation. Cette densité jaillissante, si j'ose dire, est bien remarquable.

 

Le recueillement continuel n'est pas si malaisé, que pourrait craindre ma paresse. Pour prier sans cesse, et ne se lasser point en priant, le Saint-Esprit a ordonné diverses sortes de prières, du coeur, de l'esprit, des lèvres, des mains, par pensées, par paroles, par actions, par souffrances, par aspirations et par simple comparution. Le coeur s'élève à Dieu par ses affections, l'esprit s'adresse à lui par ses pensées ; les lèvres le bénissent par des paroles, qui viennent du coeur et de l'esprit; les bonnes .actions et la bonne vie le louent mieux que les belles paroles et les grandes pensées; les souffrances portées avec humilité lui plaisent encore mieux que les plus nobles actions. L'aspiration est un gémissement du coeur, un soupir intérieur, une jubilation muette. La simple comparution est une disposition de l'âme empêchée de faire oraison par quelque infirmité du corps, de coeur et d'esprit, qui ne laisse pas d'approcher Dieu, de se tenir en sa présence, de lui offrir ses infirmités et de lui montrer ses désirs. Quel prétexte pouvons-nous avoir pour nous excuser de ce

 

(1) Instructions chrétiennes, pp. 5o-51.

 

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saint exercice de recueillement, puisque nous le pouvons pratiquer en tant de manières, et que Dieu ne demande de nous que ce que nous pouvons lui donner (1) ?

 

Nous avons de lui, sur le style épistolaire dans les couvents, de jolies lettres, que je donnerai dans l'Appendice. Il ne peut souffrir « l'empressement de voir un directeur », ce mal chronique des personnes pieuses. Si on veut le voir lui-même trop souvent, si on lui écrit de trop longues lettres, si on se plaint qu'il ne réponde pas, bref, si l'on fait mine de ne pouvoir se passer de lui, il se fâche presque, mais avec

autant de gentillesse que de vivacité : Dieu ne veut,

 

point absolument qu'on se confie à la créature ni qu'on attende d'autre que de lui le repos et le soulagement; il veut qu'on apprenne que c'est lui qui donne les biens, et qui chasse les maux, et que ceux qui s'adressent à d'autres qu'à lui, augmentent leurs maux et perdent leurs biens. Supposons que j'aie le loisir de faire avec vous une conférence de vive voix, et que votre volonté soit en ce point pleinement accomplie ; qu'arrivera-t-il de cet entretien spirituel? Que vous dirai-je que je ne vous aie déjà dit dans mes lettres, et que vous ne sachiez aussi bien que moi ? Tout ce qui arrivera, c'est que je vous redirai toutes les choses que je vous ai déjà dit, et si j'y ajoute quelque chose, ce sera pour vous assurer que je ne saurais approuver votre empressement et que si j'étais en la place de votre supérieur, je ne vous donnerais jamais ce que vous demandez, que vous ne vous fussiez mise dans un état d'indifférence religieuse. Voilà ce que je vous dirais et ce qui peut-être vous affligerait : là-dessus vous verseriez quelques larmes, et je vous exhorterais de dire à Notre-Seigneur qu'il vous délivrât de vos nécessités. Ainsi se passerait notre conférence ; vous vous en retourneriez dans votre cellule, et vous ne trouveriez pas que votre esprit fût plus tranquille qu'auparavant. Que faut-il donc faire ? il faut s'adresser au Médecin qui guérit toujours, qu'on trouve toujours, et qui seul mérite nos empressements et notre persévérance ; je vous laisse donc entre ses mains, prêt d'exécuter tout ce qu'il m'ordonnera de faire pour votre service et pour votre salut.

 

(1) Ouvrages de piété, Ière partie, pp. 89-91.

(2) Ib., II° partie, pp. 490-495.

 

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On n'est pas moins égoïste que lui. Cependant il est tout entier dans tout ce qu'il dit. On ne peut le perdre de vue. N'est-ce pas là au fond, le vrai charme? Encore une lettre de lui, toujours galopante, et à peine cohérente, mais qui n'en paraîtra pas moins aimable.

 

Je réponds à votre silence, comme je répondrais à vos billets; et je vous dis sans cérémonie, que, dans les sables dé Sologne où je suis depuis quelques jours, j'ai loisir de faire des méditations assez profitables, et que je n'en fais point où vous n'ayez part. Après avoir tâché de cultiver un peu la stérilité de mon âme, d'offrir à Dieu toutes mes plus grandes nécessités et. de lui donner mon coeur, comme il me semble, sans réserve ; après avoir fait la visite intérieure de mon devoir, de mes défauts, et de mes affaires plus importantes, je me dis à moi-même : Quelle affaire, avons-nous, mon âme ! quelle grande affaire avons-nous, qui soit plus considérable et plus précieuse après notre salut que le salut de notre ami? Que fait-il Seigneur ? que fera-t-il ? mais que doit-il faire ? que voulez-vous qu'il fasse pour vous obéir? Vous qui pénétrez dans l'abîme du coeur humain, vous voyez qu'il ne veut, ou pour le moins qu'il ne veut vouloir que ce qu'ordonne votre sagesse pour sa conduite. Achevez de changer ces vélléités en vouloirs, et ces vouloirs en volontés exécutées par votre grâce. Inspirez-moi ce que je lui dois dire, pour satisfaire aux pures obligations de mon amitié, pour répondre aux mérites de sa conscience, pour tempérer l'ardeur de son zèle, ou pour animer sa tépidité. Et si vous découvrez que ma tendresse naturelle, ou ces autres intérêts imperceptibles qui se glissent dans nos plus simples affections, doivent tant soit peu s'opposer à la pureté des conseils qu'il doit prendre, agissez, Seigneur, selon le conseil de votre sainte dilection, et traitez-moi comme je mérite... Que si votre bonté daigne bien se servir d'un sujet faible comme moi, vous qui vous êtes servi d'un corbeau pour nourrir un de vos Prophètes, faites, Seigneur, que, comme cet oiseau que vous avez béni en le choisissant, je sois capable de renoncer aux inclinations de la malignité naturelle parla force de votre grâce, et de faire l'obéissance, sans y prendre autre part que. la gloire de vous obéir.

Si ce corbeau eût agi selon son naturel, il eût mangé ce qu'il portait au Prophète Hélie ; il en eût au moins retenu sa part, il n'eût pas fait son voyage sans s'arrêter en chemin faisant; il se fût amusé à chanter sa chanson de remise et de retardement :

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Cras, cras, eût-il dit, comme disent les autres corbeaux; demain, demain, nous ferons notre obéissance, nous irons faire notre commission, nous verrons le Prophète. Celui qui sortit de l'Arche après le déluge, n'y revint point, quoiqu'il l'eût promis à Noé : la terre était couverte de tant de corps morts, et il trouva tant de tentations sur sa route qu'il ne songea plus au bonheur qu'il avait d'être en sûreté dans la Maison de Dieu, et qu'il oublia les bénédictions qu'on lui promettait, s'il eût apporté le rameau d'olive. La colombe fit beaucoup mieux; faisons, faisons comme elle; apprenons comme elle à gémir en simplicité d'intention; élevons-nous un peu de la terre, mais ne nous reposons pas dans des lieux bourbeux ; aimons l'honnêteté, la blancheur, l'innocence ; allons où le vent de l'esprit de Dieu nous voudra faire aller ; allons dans les trous de la pierre, dans le désert le plus écarté, où le Seigneur se plaît de parler au coeur de ses serviteurs. Que s'il ne nous juge pas dignes de cette faveur, et qu'il ne veut pas que nous soyons corbeaux miraculeux et colombes blanches et bienheureuses dans la solitude, faisons notre solitude dans la Cité ; élevons-nous sur le toit de Babylone ; Sicut Passer solitarius in tecto (1).

 

Si les temps étaient moins durs aux amis des bonnes lettres, nous tirerions de toutes ces feuilles volantes un petit volume, d'une lecture aussi agréable que pieusement stimulante, et qui, pour revenir au profane, intéresserait vivement les historiens de notre langue. Encore une fois, l'étonnant est que le P. Hercule nous étonne si peu, qu'il nous paraisse plus loin de Balzac et de Godeau que de Fénelon et du P. Grou. Écrits avant les Provinciales, ses petits commentaires sur le Psautier pourraient être de Massillon - un Massillon qui s'écoute moins que l'autre.

Vives paraphrases, légères, voltigeantes, chantantes :

 

L'harmonie, écrivait-il, est une chose qui plait à Dieu, qui anime la dévotion des âmes fidèles, qui détourne leur esprit et leur coeur des plaisirs humains, et qui cause une sainte et salutaire volupté... Car enfin la musique est la mère du plaisir, la soeur germaine de la sagesse, la compagne de la dévotion, l'image de

 

(1) Ouvrages de piété, IIe partie, pp. 481-484.

 

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l'ordre, la source des bons sentiments, l'occupation des anges, le divertissement des vierges (1).

 

Harmonie que nous trouvons aujourd'hui facile, banale même depuis le succès de Télémaque, mais qui, vers 1640, avait la grâce d'un renouveau ; retour au vieil Aymot et à François de Sales, réaction ionienne contre les élégances lourdement latines du Socrate chrétien et des sermons de Senault.

 

Paraphrase du Psaume LXIV. - Pour les religieuses d'un monastère de Saint-Bernard.

 

Te decet hymnus... Quoique nous soyons comme cachées dans un vallon sombre et profond, nous ne laissons pas d'appeler ce saint lieu votre sainte Sion. C'est pour nous un lieu de refuge, c'est un séjour favorable à tous nos désirs. Les montagnes qui l'environnent nous séparent du monde, mais elles n'empêchent pas que nous ne puissions voir le ciel. Cette profondeur nous plaît, cette obscurité nous instruit. Cet air solitaire, cette fraîcheur naturelle, ce silence, ces ruisseaux qui murmurent, ces oiseaux qui chantent, ces fleurs qui paraissent..., toutes ces choses... nous pressent de chanter vos divines louanges, comme si nous étions les filles de Sion, ou comme si notre terre ressemblait à cette montagne sainte, où David chantait ces beaux hymnes...

Sanctum est templum tuum. Nous sentons bien que les impressions de la sainteté sont répandues dans tous les endroits de notre aimable solitude... Nos Pères ont fait gloire de choisir les vallées pour leur demeure; comme eux nous nous aimons en ces lieux bas et profonds, qui nous prêchent l'humilité. Cette vertu semble se plaire dans ces lieux sombres (1).

 

« On croit, disait Fléchier, que je compose avec peine et contention. On se trompe. J'ai beaucoup travaillé dans ma jeunesse et j'ai mis tous les moments à profit. » C'est fort vrai. Ils écrivent en courant, l'un et l'autre, mais le neveu comme un forçat à qui ses chaînes seraient devenues

 

(1) Questions, pp. 16-17.

(2) Ib., pp. 33o, suiv.

 

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légères, ces chaînes balzaciennes qu'on dirait que le P. Hercule s'amuse tour à tour à briser et à reprendre.

 

In imagine pertransit homoe. En effet, qu'est-ce que l'homme, si ce n'est une image qui s'efface aussitôt qu'elle est peinte, un crayon que le moindre souffle peut altérer? Il passe comme l'ombre, il coule comme l'eau. Il fuit comme le vent; il est semblable à ces nuages que le vent agite, et qu'il dissipe presque à même heure. Il a perdu la substance des choses par son péché, il n'en a plus que les ombres et que les images, et c'est de ces vaines images qu'il se nourrit. Ce n'est pas seulement l'homme pécheur, c'est l'homme spirituel aussi qui se nourrit de ces mensonges, qui passe sa vie, s'il n'y prend garde, en fausses imaginations Il s'amuse après des vertus qui ne sont que des vertus peintes, des vices travestis en vertus, ou pour le moins des bagatelles sous de beaux titres.

 

Tout cela, libre comme l'air ; puis il reprend, pour une seconde, le collier balzacien ; il rentre dans le moule, mais pour en sortir aussitôt, arrêtant net l'amplification antithétique dont son instinct d'écrivain et de poète lui fait sentir qu'elle fausserait le mouvement léger du morceau,

 

il appelle, pour se tromper, ses rêveries des méditations; ses complaisances, des charités, et passe ainsi toute sa vie en vaines et fausses images (1).

 

Aussi bien ne voudrais-je pas le surfaire. Nous avons nombre de spirituels qui font plus que lui figure de philosophes. S'il était moins intelligent et moins humain peut-être nous semblerait-il plus profond. Il comprend si vite et si bien qu'il ne s'arrête ni à creuser, ni à construire. Ainsi le veut, sans doute, l'air de Carpentras. Passée la zone de l'olivier, un écrivain qui se respecte ne se contente pas de

dire en deux mots que l’ « homme a perdu la substance des choses par son péché ». Ainsi tantôt, quand il appelait la musique « soeur germaine de la sagesse ». Expliquez-vous donc ! Hélas, les abeilles ne s'expliquent pas.

 

(1) Questions, pp. 189-19o.

 

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IV. - Il n'est donc qu'un essayiste dévot. Mais c'est là justement ce qui rend plus significatif le chétif opuscule sur la prière, qui ouvre au P. Hercule le présent volume sur la métaphysique des saints au XVII° siècle.. Métaphysique profonde, certes, mais en même temps si peu ésotérique, si accessible, voire si populaire qu'un tel esprit peut l'exposer le mieux du monde, comme par manière de divertissement pieux, et qui plus est, dans une lettre à Conrart (1). Le morceau est malheureusement très incomplet. En voici le titre, qui ajoute à nos regrets.

 

La science de l'oraison.

Dialogue fait en Provence, vers la grotte de la Magdelaine.

Que le Saint-Esprit est le principe de nos oraisons.

 

A quatre pas de la grotte, ou bien, tout près de là, sous les arbres de la forêt merveilleuse, ou qui sait? à la pointe du Saint-Pilon, cinq personnages : Théopompe (Godeau), qui préside ; Philémon (Hercule), le conférencier de ce jour-là, et trois Provençales, Olympie, Clarice, Parthénope. Tout n'est pas ici pure fiction. Godeau a fait plusieurs fois le pèlerinage de la Sainte-Baume, il n'a pu manquer d'y conduire son ami. Qu'ils aient pris avec eux, ou qu'ils aient rencontré chemin faisant de pieuses pèlerines, rien de plus plausible. Ils seront venus peut-être en carrosse de Grasse à Saint-Maximin, où les attendaient, pour les hisser jusqu'à la grotte, et par un chemin qui a dû leur paraître « horrible », les chers petits ânes dont les arrière-neveux nous rendaient encore le même service quand j'étais enfant. Après quoi je me garderais bien de les interrompre : ils ne s'arrêteront que trop tôt. Tout au plus me risquerai-je à supprimer quelques développements moins utiles.

Cela commence, assez maladroitement, d'ailleurs, par

 

(1) Si la pièce ne se trouve pas dans les recueils de Conrart, c'est peut-être qu'elle n'a pas été achevée. Ce n'est visiblement qu'un brouillon. Mais tel ou tel indice parait indiquer que la pièce devait être montrée à Conrart.

 

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un concours de poésie entre Godeau et le P. Hercule, chacun des deux traduisant à sa manière les versets du Laudate : Transition du Cantique des Créatures à une

prière plus haute, où l'activité des puissances a moins de part. Cette irruption en pleine mystique est pour nous d'autant plus intéressante qu'elle est plus brusque. On peut croire, du reste, que le P. Hercule aurait mieux gradué ses effets, s'il avait donné la dernière main à ce dialogue. Philémon prend donc la parole.

 

C'est ainsi que les Saints se servent des créatures pour faire leur oraison, et pour se délasser de leurs contemplations plus austères. Ainsi ils adorent Dieu dans la multitude des objets; et puis par un retour merveilleux, ils reviennent avec de nouvelles forces pour l'envisager dans son unité, et pour se séparer de toute autre chose, et d'eux-mêmes, s'il est possible.

 

Oraison en unité de sujet et d'application (1).

 

La grâce, qui est une gloire commencée et une nature achevée, leur peut donner quelques petites gouttes de ces délices du Paradis, où les Bienheureux regardent toujours un même visage, et ont des yeux qui ne se divertissent ni ne s'éblouissent aucunement. Magdelaine, par exemple, priait en l'unité de sujet, et en l'unité d'application. Un Dieu crucifié s'offrait à sa pensée; elle s'arrêtait là sans raisonnement, sans détours, sans réflexions; elle se gardait bien de vouloir chercher autre chose que cette simple unité, qui est capable d'être l'objet d'une méditation éternelle : Jésus mort sur un gibet. Aussi c'est de quoi il se faut donner de garde, de raisonner trop librement en cette sorte de prière ; l'âme alors court danger, ou de se complaire en son action, si elle s'y contente; ou de se troubler, si elle n'y réussit pas, et ce sont deux effets de son amour-propre, et deux sortes de poisons de l'avancement intérieur. Outre que cela est contraire à la simplicité que nous y devons apporter, qui consiste à ne rien voir que ce qu'il plaît à Dieu de nous manifester, à nous fier à lui de la conduite de notre action, et par une soumission et dépendance de notre esprit au regard du sien, n'avoir mouvement ni connaissance que pour aller où il nous porte, et suivre fidèlement

 

(1) Je garde les titres que donne l'édition, et qui ne sont peut-être pas du P. Hercule.

 

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sa direction, sans nous détourner pour considérer comme la chose nous réussit : imitant en cela l'assujettissement et la simplicité de l'enfant, qui fait ce qu'on lui fait faire, sans savoir pourquoi ni comment. L'esprit est captif en cette pratique, parce qu'il perd la moitié de son action, et ce qu'il aime le mieux dans son action, qui est le discernement qu'il en veut faire, et le jugement qu'il en veut porter ; mais il renonce à tout cela par respect et par déférence à l'Esprit de Dieu, qui le conduit, et il se captive volontairement dans la fidélité qu'il apporte à cette conduite, marchant toujours ainsi devant soi, sans regarder ni deçà ni de là dans la voie qui lui est ouverte, et se laissant aller comme un pauvre aveugle que l'on mène où l'on veut. Ubi spiritus dirigentis voluerit. Il y a quelque chose en nous qui n'est ni entendement, ni volonté, ni mémoire, ni imagination, ni sentiment, ni sens, ni chair ; c'est le fond de l'âme, l'essence de l'âme, où Dieu réside proprement, parce que c'est notre unité, et c'est par là que nous sommes unis et uns avec lui; sicut et nos unum sumus, dit le Fils de Dieu ; or le Fils et le Père sont un, non pas par leurs personnes, mais par leur essence. C'est dans le fond de l'âme et dans cette essence qu'il épand ses trésors, qu'il célèbre ses noces, c'est où le démon ne saurait aller, c'est un jardin clos, etc. Ce n'est donc pas dans l'entendement ni dans la volonté, ni dans cette haute partie de l'âme qu'on nomme Intelligence que la bonne oraison se fait; ce n'est pas à beaucoup penser, ni à bien sentir, ni à beaucoup voir que consiste cette divine façon de prier...

 

Oraison d'Etat et de Repos.

 

Olympie, oyant ces choses, ne put s'empêcher de dire qu'elle ne les entendait point, et que son oraison était une oisiveté importune, où elle n'avait que des inquiétudes et des remords. Sur quoi Théopompe, prenant la parole pour me donner le loisir de me reposer ; Mais encore, lui dit-il, chère Olympie, de quoi vous tourmentez-vous ! Je vous prie de me dire pourquoi vous faites oraison, ou pour l'amour de qui est-ce que vous avez si fort envie de la bien faire ? Est-ce pour Dieu, ou pour vous-même? Si c'est pour vous, je ne vous conseille pas de passer outre ; car vous allez commettre un sacrilège, idolâtrer et adorer votre propre amour ; si c'est pour Dieu, de quoi vous mettez-vous en peine? Il vous veut ainsi muette et ignorante, il vous aime ainsi : n'est-ce pas assez que vous soyez devant Dieu, et que Dieu vous y souffre?

 

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Cela s'appelle prier par état, qui est mieux que prier par action. Quand vous ne feriez autre chose que consumer votre vie comme un cierge sur l'Autel, ne seriez-vous pas bienheureuse ? C'est ici une prière de repos, qui honore le repos de Dieu (1). Que Magdelaine ne se plaigne pas dans sa grotte de ce que Marthe et Lazare, et les autres Disciples opèrent beaucoup, et qu'elle semble condamnée à l'oisiveté ; cette oisiveté est une secrète opération qui, représentant le repos et la quiétude de Dieu, représente toutes ses grandeurs. Pourquoi donc, Olympie, vous plaindrez-vous d'être oisive devant le Seigneur, en votre oraison? A-t-il besoin de votre éloquence ? vos entretiens lui sont-ils nécessaires ? se peut-il ennuyer?

 

Oraison de Pénitence.

 

Après que Théopompe eut parlé, et dit de si belles choses en meilleurs termes que je ne les rapporte, je poursuivis son discours et le mien, et ajoutai qu'il y avait une oraison qui se faisait en esprit de Pénitence, qui avait beaucoup de rapport à cette bienheureuse oisiveté en la présence du Seigneur; lorsque l'âme, reconnaissant ses ordures et son impureté auprès de cet Être pur et adorable, fait un sacrifice de son coeur contrit et humilié; c'est un vrai sacrifice que celui-là et un sacrifice à Dieu seulement. Sacrificium Deo spiritus contribulatus. Dans les extases, les visions, les révélations, les ravissements, les beaux discours, les belles pensées, les meilleures réflexions, les goûts intérieurs les grâces sensibles, nous faisons sacrifice plutôt à nous-mêmes qu'à Dieu; ou pour le moins, nous partageons avec lui notre sacrifice ; il donne plus qu'il ne reçoit ; il ne reçoit rien qu'il ne donne ; nous sommes payés avant que de donner; mon offrande et ma dévotion sont intéressées : j'offre pour recevoir... Mais quand je donne mon coeur anéanti, mon néant, je me donne moi-même, parce que, par mon péché, je suis devenu comme rien : je donne pour lors quelque chose qui m'appartient; je donne ma substance, puisque ma substance n'est autre chose que mon néant...

 

Objection.

 

A ce que je vois, dit alors Parthénope, qui n'avait point encore parlé, on joue ici à nous persuader de couper non seulement nos

 

(1) Il est probable que le P. Hercule s'inspire ici du livre de Séguenot ou de quelque autre manuel bérullien.

 

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cheveux, mais encore de nous crever les yeux ; de vivre aussi insensibles que ces roches, et nous enterrer toutes vivantes comme la Madeleine dans ce désert. Encore faudrait-il avoir quelque égard à celles qui commencent, et nous traiter un peu plus doucement. Il faut vous souvenir, Philémon, ajouta-t-elle, que nous sommes de faibles novices, et qu'il n'y a que trois jours que nous allions à la comédie et au bal. Clarice et Olympie, par leur complaisance ordinaire, font semblant d'approuver et d'entendre ce que vous dites. Mais moi qui les connais, j'entends qu'elles disent dans leur âme qu'elles n'y entendent rien du tout, et que ces hautes maximes ne sont pas pour elles. Vous aurez peine de nous gagner avec ces rigueurs ; et nous ne saurons vous suivre longtemps, si vous ne marchez que sur des épines. J'avais ouï dire que la Croix avait fleuri depuis que le sang du Fils de Dieu l'avait arrosée, et que les trous étaient rebouchés, que les épines n'étaient plus piquantes, que le Calvaire était cultivé, et qu'il n'y avait plus de Chérubin armé à la porte du Paradis Terrestre.

Philémon ne niera pas qu'il ne nous ait prêché autrefois, que Dieu recevait les âmes qui venaient à lui avec des douceurs et des caresses plus grandes que celles qu'elles avaient quittées dans le monde; que l'Epouse n'était point rebutée, quand, au commencement de sa conversion, elle demandait des baisers et des embrassements de l'Epoux ; que cet Epoux n'avait rien de rude, ni de farouche, et que c'était le prendre mal que de lui faire un visage affreux et de lui donner des yeux terribles ou des mains armées. Les jeunes filles ne le suivraient pas dans les Cantiques aussi passionnément qu'elles le font, si son abord n'était agréable, et ses yeux attrayants. Ne dit-on pas que ses regards sont pleins de charmes inévitables, que sa voix enchante nos coeurs, que des délices innocentes enivrent nos âmes; qu'on ne saurait l'aborder sans être ravi, que sa première vue efface toutes nos autres amours passées, qu'avec ses douceurs il nous détache de celles que nous goûtions dans la maison de son ennemi?

 

Réponse : Il faut se défaire de tout attachement

pour bien prier.

 

Il est vrai, repris-je pour lors, il est certain que Dieu nous attire avec des cordes de soie et des filets d'or. Mais après qu'il nous a pris, il veut que nous quittions ces belles attaches, et que nous soyons à lui pour l'amour de lui. Il faut se rendre sans

 

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condition, et il ne serait pas bien de capituler avec un vainqueur qui nous peut avoir comme bon lui semble, et qui, sans armes et sans assistance, nous peut assujettir à toutes ses lois. Trouveriez-vous bon qu'on dise à un si puissant maître : nous serons vos esclaves, pourvu que vous nous donniez une prison spacieuse et bien peinte, et des chaînes d'or et de diamants ? Il y aurait de l'incivilité et de l'étourdissement en cette pratique. Il faut plutôt lui dire : Seigneur, nous sommes tellement à vous que nous ne voulons plus être à nous-mêmes; ce n'est que pour vous que nous venons à vous; nous renonçons de bon coeur à tous les intérêts de notre nature et vous déclarons que nous ne sommes point d'intelligence avec elle, pour tous les désirs qu'elle pourrait avoir de se satisfaire elle-même en sa dévotion. Nous ne dirons pas adieu seulement à tous les plaisirs du monde, mais encore au plaisir qu'il y a de l'avoir quitté et aux consolations sensibles qui se trouvent dans votre service.

En effet, il faut prendre garde, dans les voies de l'oraison, aux attachements imparfaits. Je ne parle point de l'adhérence volontaire au mal ou aux choses mauvaises ; car ce serait péché : mais de l'adhérence mal réglée aux choses qui de soi sont bonnes, ou qui le semblent être, ou qui le peuvent être... On se lie insensiblement, et on s'attache à une méthode, à une pensée, à un livre, à un directeur, sous prétexte que l'on en a été aidé quelquefois, ou que l'on a opinion de l'avoir été car, pour en parler franchement, comme une grande partie des besoins des âmes sont imaginaires, aussi une grande partie des secours qu'elles reçoivent, ou qu'elles recherchent, sont inutiles ; et pour en juger, il ne faut que prendre garde au trouble et à l'inquiétude qui naît de leur perte, qui est la mesure de l'attachement, et par conséquent, la mesure de notre faiblesse.

Dieu est si pur, que les moyens mêmes qui nous portent à lui, sont impurs devant lui, et sa sainteté, en quelque manière, ne les peut souffrir ; tellement qu'il faut qu'ils soient détruits et anéantis, non seulement à la porte du Ciel, mais encore avant cet état de gloire... D'où vient que nous pouvons faire un mauvais usage d'une bonne chose, et nous servir de la grâce pour déplaire à Dieu, quand nous nous complaisons en elle; quand nous voulons nous prévaloir de ses avantages sans les bien référer à Dieu; quand nous ne pouvons souffrir la privation sensible que Dieu nous en veut faire souffrir, sans qu'il y ait de notre faute ; et enfin toutes les fois que nous regardons tant soit peu notre propre intérêt.

 

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Et surtout de l'attachement aux grâces sensibles.

 

J'allais passer outre, mais Clarice m'interrompit, et me demanda lequel de tous les attachements spirituels est le plus dangereux ? Je répondis que c'est celui de la grâce sensible, parce que c'est le plus délicat, le plus imperceptible, le plus décevant, le moins connaissable. Pour entendre ceci, il faut que vous supposiez que les vrais et les naturels effets de la grâce, ne sont point sensibles, comme la régénération par le Baptême, l'incorporation à Jésus-Christ en qualité de membres, l'admission à l'Eglise en qualité d'enfants, la communion des Fidèles, l'appartenance à Jésus-Christ ; les vertus infuses ne se sentent pas non plus : la grâce elle-même, qui est comme le fond de ces vertus est un état spirituel et divin, par lequel la créature est élevée au-dessus d'elle-même sans qu'elle le sente. Il est vrai que comme Dieu ne nous a pas donné la raison seulement, mais encore l'instinct qui nous porte avec plaisir aux choses raisonnables, il ne se contente pas de nous donner la grâce, mais il y ajoute bien souvent une certaine suavité pour nous attirer; et c'est cette douceur, ajoutai-je, que j'appelle dangereuse, et de laquelle il est facile de mal user. Or, comme un vrai philosophe n'agit que par la force de la raison, et tâche d'étouffer cet instinct naturel qui le fait ressembler aux bêtes, un vrai vertueux doit renoncer à ces petites tendresses et facilités sensibles, et croire qu'en matière de dévotion il n'y a rien de si dangereux que la sensibilité...

 

Raisons de la nécessité de ce détachement.

 

Ce discours choque bien, à mon avis, l'esprit et le raisonnement d'Olympie ; mais je me suis déclaré l'ennemi des sens...

Il faut craindre les illusions et les tromperies des imaginations, qui ne sont bonnes que pour fournir des amusements à l'esprit, et former des extravagances dans les sens. Un ange de lumière, et un ange de ténèbres transfiguré, paraissent sous une même forme ; il faut être lapidaire pour connaître les bons diamants d'avec les faux : et puis les naturels doux et paisibles, étant plus sujets aux sensibilités, sont aussi en plus grand danger de se méprendre et de tromper leur conducteur ; car comme ils sont ordinairement dans de bons desseins, et qu'ils ont des intentions apparemment pures, on ne saurait se défier d'eux ; ainsi ils prennent pour vertu et pour dévotion ce qui n'est que nature,

 

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qu'inclination, et que tendresse. Votre sexe, Olympie, est plus sujet à ce mal, parce qu'il est plus tendre, plus affectif et plus ignorant. Vous devez donc soigneusement apprendre à servir et adorer Dieu en esprit, en vérité, en charité, et en lumière ; en esprit contre les sentiments naturels ; en vérité contre les illusions et les tromperies ; en charité contre l'amour-propre ; en humilité contre l'orgueil. Ne vous souciez pas de ce qui se passe dans le sens pourvu que votre esprit soit à Dieu et que vous puissiez dire avec saint Paul : Mente servio legi Dei. Laissons maintenant ces fleurs sous lesquelles le serpent se peut glisser ; laissons ces fruits qui ne sont pas mûrs, ces douceurs qui ne nourrissent pas, mais qui corrompent, ces sensibilités qui deviennent souvent des sensualités. Enfin disons tout en un mot, laissons-nous nous-mêmes ; car partout où nous nous trouverons, nous gâterons tout...

 

On ne saurait ni pénétrer plus à fond ni présenter avec plus de bonheur la doctrine de François de Sales et de Bérulle. En vérité, cette petite merveille ne vous paraît-elle pas tout ensemble et digne et contemporaine de Fénelon?

Mais cette philosophie, qui, au lendemain du Cid, paraissait toute simple à un Godeau, à un P. Hercule, et au fond, même à Parthénope, pourquoi faut-il que Fénelon ait dû la réapprendre, à ses risques et périls, la tradition salésienne et bérullienne ayant été lentement refoulée par les forces anti-mystiques du moralisme religieux et du panhédonisme janséniste?

 

(1) Ouvrages de piété, p. 586-637.

 

 

 

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