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CHAPITRE PREMIER : LE XVI° SIÈCLE, LA TRADITION ET LES RÉSERVES DU MYSTICISME FRANÇAIS

 

I. De la prétendue décadence religieuse du XVIe siècle. — Que tous les mystiques dont nous allons parler n'appartiennent pas moins au XVIe siècle qu'au XVIIe. — Chartreux et victorins. — Les Ordres nouveaux. — L'Université de Pont-à-Mousson. — Les familles saintes. — Que la mode n'était pas encore aux biographies religieuses. — M. Roussel.

II. Comment le XVIe siècle mystique prépare le XVIIe et lui passe le flambeau. — Le Sud-Ouest. — Jeanne de Lestonnac. — Jean de la Barrière et la réforme des feuillants. — Le comtat Venaissin et la Provence. — César de Bus et son cousin Romillon. — César et la jeunesse dorée de Cavaillon. — Le P. Péquet. — Louis Guyot et Antoinette. — Conversion de César de Bus. — Romillon abjure le calvinisme.

III. Débuts apostoliques de César de Bus et de Romillon. — La Contre-réforme et les évêques du Comtat et de Provence. — La « Doctrine chrétienne ». — Romillon se sépare de César de Bus. —L'Oratoire provençal.

IV. Antoinette d'Avignon et son petit cénacle. — Françoise de Bermond. --Ni le mariage, ni la clôture. — Mlle de Mazan et la règle de sainte Angèle. — Commencements de la congrégation des ursulines.

V. Les anciens ordres religieux. — Fermeture du couvent de Sainte-Praxède. — Philippe d'Arpajon et les dominicaines à Saint-Jean-le-Vieux. - Anne de Monclar et la réforme. — Retour à Sainte-Praxède. — Importance de cette réforme dans l'histoire religieuse du XVIII° siècle.

VI. Saint–Remy et les Rampalle. — Une mission du P. Péquet. — Exode des Rampalle à Avignon. — Une famille de mystiques.

 

 

I. N'allons pas nous représenter une Jérusalem nouvelle, sortant radieuse du néant au son des cloches de Saint-Denis qui annoncent au monde l'abjuration de Henri IV. L'automne ne succède pas immédiatement à l'hiver, un seul jour ne fait pas lever sur une terre épuisée toute une moisson de saints. La plupart des personnages qui vont nous occuper dans le présent volume,

 

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le XVIe siècle peut les réclamer comme siens. Presque tous ils sont nés, ils ont été élevés et bien élevés, sous le règne des Valois, dans une France où se maintenait vivace, malgré tant d'abus et de scandales, le plus pur esprit du christianisme. Il y avait alors des Ordres religieux qui gardaient leur austérité première. Les chartreux, par exemple, plus nombreux qu'aujourd'hui et moins éloignés des centres actifs, tenaient bon sur toute la ligne. Après une rude tourmente, les victorins de Paris s'étaient ressaisis. Dans leur cloître, nous assure un historien fort compétent, s'épanouit, de 155o à 1600, « une assez belle efflorescence de vie religieuse et intellectuelle (1) ». Les monastères qui, vus de loin et en bloc, nous paraissent le plus relâchés, ont encore des saints qui gémissent dans l'ombre et appellent de tous leurs voeux la réforme. Capucins, jésuites, des Ordres nouveaux, frémissant de zèle et chez qui se rencontrent des hommes d'un mérite exceptionnel, évangélisent la France entière, villes et villages, bataillant contre les protestants, apprenant aux foules les éléments de la religion, mais aussi, on l'oublie trop, dirigeant l'élite vers les sommets de la prière. Que l'on prenne, par exemple, une des forteresses des jésuites, la paisible Université de Pont-à-Mousson, fondée en 1572. Là, vers 158o, reçoivent l'étincelle, plusieurs jeunes gens qui seront parmi les meilleurs ouvriers de la renaissance prochaine, Pierre Fourier; Servais de Lairuels, le futur réformateur des prémontrés; Didier de la Cour, le futur réformateur de Saint-Vanne, l'initiateur de la plus fameuse réforme de Saint-Maur; Claude François, le collaborateur de Didier; un peu plus tard, Philippe Thibaut qui réformera les carmes et à qui se donnera Jean de Saint-Samson (2).

 

(1) Fourier-Bonnard, Histoire de l'abbaye royale de Saint-Victor de Paris, Paris, s. d. (19o8), II, pp. 57-7o.

(2) Dom Didier Laurent, Dom Didier de la Cour de la Vallée et la réforme des bénédictins de Lorraine, Nancy, 1904, pp. s5-28; Eugène Martine Servais de Lairuels et la réforme des Prémontrés, Nancy, 1893; Dom, Vuillemin, La vie de Saint Pierre Fourier, Paris, 1897, pp. 18 sq. ; Abram, Histoire de l'Université de Pont-à-Mousson (t. V des Documents inédits du P. Carayon.

 

 

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Il y avait aussi, du plus haut au plus bas de l'échelle sociale, des familles exemplaires où s'entretenaient les réserves de la piété nationale, où germaient parfois, souvent peut-être — qui le dira? — les semences du haut mysticisme. Sur plusieurs de ces familles on nous a conservé de précieux détails. Claude Bernard, « le pauvre prêtre », (1588-1641) a publié le testament de son père, pièce touchante où Jean-Pierre Camus trouvait « ces exhalaisons du paradis dont il est parlé dans le Cantique (1)». Charles Bochart de Champigny, conseiller au Parlement de Paris sous Charles IX et Henri III, fut pour sa jeune cousine, Mme Acarie, une sorte de directeur spirituel. Du reste, ces pères et ces mères, leurs enfants les jugent. De ce même Bochart de Champigny et de sa pieuse femme — petite-nièce de Guillaume Briçonnet, l'évêque de Meaux — nous viennent le saint et fameux capucin, Honoré de Paris (1566-1624), un autre capucin et tin chartreux (2). Prenons le P. Denis Petau qui est né à Orléans en 1 583 et qui est entré chez les jésuites en 16o5. Nous ignorons tout de son père Jérôme et de sa mère, mais nous savons que de leurs enfants, « sans parler de Denis, Jacques se fit chartreux, Claude devint curé de Pithiviers, François entra dans l'Ordre des capucins, Étienne fut chanoine de l'église d'Orléans et Marguerite se cloîtra au Carmel (3) ». Il tombe sous le sens qu'en de tels milieux le niveau surnaturel n'avait pas fléchi. Aussi bien ce que la première moitié du XVIIe siècle nous présente de vraiment nouveau, d'unique même, ce n'est pas la ferveur, ni-même, peut-être,  après tout, le nombre de ses mystiques, mais leur activité rayonnante,

 

 

(1) De Broqua, Claude Bernard, dit le Pauvre Prêtre, Paris, s. d. (1914), p. 22.

(2) Boucher, Vie de la bienheureuse Marie de l'Incarnation, édition Bouix, Paris, 1873, p. 25 ; Mazelin, Histoire du vénérable serviteur de Dieu, le P. Honoré de Paris, Paris, 1882, pp. 1-10.

(3) Vital Chatellain, Le Père Denis Petau, Paris, 1884, p. 8.

 

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leur prestige, leur influence. On les voit soudain surgir de l'obscurité qui les cache d'ordinaire, s'imposer à l'attention de la foule, envahir de tous les côtés le devant de la scène, faire figure de héros, s'unir, se grouper, tenir école publique de sainteté, créer des oeuvres qui prolongeront leur propre action, peser sur la machine politique, entrer au conseil des princes, seconder tour à tour et inquiéter les ministres qui les traitent comme de véritables puissances. L'époque précédente n'avait rien connu de semblable C'était bien déjà la même source d'eau vive, mais dont le murmure ne dépassait pas les treillages du jardin fermé; le même arbre, mais dont les branches timides ne faisaient encore qu'une ombre incertaine, n'attiraient que les plus humbles des oiseaux du ciel.

Il est vrai que la plupart des historiens, même religieux, et notamment les premiers biographes du P. de Condren et de Vincent de Paul, ont peint le XVIe siècle et les premières années du XVIIe, sous les plus noires couleurs. On exagère, je le crois du moins          (1). En tout cas peu nous

 

(1) « Le nom même de prêtre était devenu honteux et infâme, écrit le P. Amelote, dans sa vie du P. de Condren, et il ne s'employait presque plus dans le monde que pour exprimer un ignorant ou un débauché. Leur conversation était tenue à déshonneur. On ne les voyait qu'au marché et dans quelques boutiques d'un vil artisan ; leur couronne était effacée et ils craignaient de porter leurs habits, comme n'étant qu'une matière de la raillerie publique. » Vie du P. de Condren, pp. 391, 392. Nous l'avons déjà dit dans le volume précédent, cela ne peut être vrai que des dernières catégories du bas clergé. Parmi les docteurs de Sorbonne et les curés de Paris ou des grandes villes, il y avait alors des hommes éminents, qu'aujourd'hui nous égalerions avec peine, qui ne mettaient pas les pieds au marché et qu'on ne saurait faire passer pour des ignorants. L'admirable biographe de Vincent de Paul, Abelly, ne parle pas avec moins d'outrance et l'on s'étonne qu'un historien comme l'abbé Maynard ait accueilli, dans sa vie de Vincent de Paul, et le texte d'Abelly sur ce point et des témoignages contemporains qui certes gardent leur valeur mais qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre, comme le remarque fort bien M. Calvet dans son Vincent de Paul de la Bibliothèque française, Paris, s. d., p. 31. En général du reste, ces tableaux d'ensemble sur le XVIe siècle, qui précèdent souvent les biographies modernes des saints du XVIIe siècle, ne sont que des généralisations oratoires, ainsi, par exemple, l'introduction de l'histoire de la vénérable Marguerite du Saint-Sacrement par l'abbé Deberre, Paris 1907. Il y a eu de tout temps des critiques tant-pis pour déclarer avec M. Bourdoise, que « le siècle est fort malade » ou avec Guy Patin qu'on est arrivé « à la lie des siècles ». A suivre une pareille méthode quel sinistre tableau ne ferait-on pas de ce qu'on appelle les a siècles de foi » ?

 

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importe. Du point de vue rigoureusement limité où nous nous sommes placés, les scandales voisins ne nous touchent pas. Nous ne parlons que de cette élite qui restera toujours un petit troupeau.

Il ne faut du reste pas juger des mérites comparés du XVIe et du XVIIe siècle par le nombre des biographies pieuses qu'ont vu paraître ces deux périodes. A partir de Louis XIII, ces livres abondent : une tourière de couvent, un laquais, un cordonnier trouvent leur historien. Mode touchante mais entièrement nouvelle, comme nous l'avons rappelé dans notre premier volume  (1). L'âge précédent s'était livré à des publications qu'il estimait plus urgentes, ou plus respectueuses du secret divin. « Dieu... se fait gloire, pensait-on alors, de tenir en réserve, hors la connaissance des hommes, des milliers de fidèles adorateurs (2). » Aussi bien les grands crimes font-ils d'ordinaire plus de bruit que la vertu. Tout le monde sait ou peut savoir que les génovéfains de Paris firent un sabbat d'enfer lorsque le P. Faure entreprit de les réformer, mais c'est un miracle que nous soit parvenu le nom d'un saint prêtre du temps de Henri III, M. Roussel, qui passait d'interminables heures à prier chaque jour dans l'église Sainte-Geneviève et qui ne sortait de son extase que pour aller à Saint-Étienne-du-Mont, « confesser les jeunes écoliers et plusieurs bonnes dames dévotes ». « Avec d'autres écoliers, continue le D' André Duval, quand nous le voyions passer, nous nous entre-disions : voilà ce saint prêtre ! Il y en eut un qui dit qu'il s'était opiniâtré pour voir combien il. demeurerait en prière à Sainte-Geneviève et qu'enfin, après avoir demeuré longtemps, il fut contraint de le laisser (3). »

 

(1) L'Humanisme dévot, p. 25o.

(2) La vie du R. P. D. Eustache de Saint-Paul... Paris, 1646, préface.

(3) La vie admirable de la bienheureuse soeur Marie de l'Incarnation par M. André Duval, Paris 1893, pp. 13, 14. Ce M. Roussel était le confesseur de Pierre Acarie qui lui empruntait des livres spirituels pour l'usage de sa femme. Un de ces livres produisit sur la jeune 11.0 e Acarie une impression profonde et fut, comme dit Duval, l'instrument dont Dieu se servit pour l'élever « à l'état de son éminente sainteté ». Cf. plus bas, p 2o3. C'est à cette rencontre heureuse que nous devons de connaître M. Roussel. — Sur la réforme de Sainte-Geneviève cf. Féret: L'abbaye de Sainte-Geneviève, Paris, 1833, et surtout la longue et très intéressante Vie du R. P. Charles Faure Abbé de Sainte-Geneviève de Paris, Paris, 1698.

 

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Celui-ci du moins, nous l'entrevoyons, mais beaucoup de 'mystiques et l'immense majorité des chrétiens fervents ressemblent à cette « fourmi noire » dont parle le Coran et qui « dans la nuit noire, marche sur la pierre noire ». Dieu les connaît et parfois leur entourage qui, le plus souvent, ne sait ou ne veut pas écrire.

Ajoutons que la bibliographie confirme sur ce point d'une manière éclatante nos pressentiments et nos conjectures. Je ne puis donner ici une statistique fastidieuse. Un mot suffit. De 157o à 1615 ont été publiés et republiés chez nous, soit en latin, soit en français, presque tous les classiques de la haute vie spirituelle, pour ne rien dire d'une foule d'autres ouvrages du même ordre mais moins importants (1).

 

(1) La propagande de traduction mystique avait été commencée bien avant par Lefebvre d'Etaples. Dès 1553 paraissait à Anvers une traduction de la Théologie germanique. Pour la période qui nous intéresse, voici quelques dates :

157o. Denis le Chartreux.

1572. Grenade.

15i4. Grenade.

1575. Grenade.

1577. Grenade.

1580. Catherine de Sienne.

1586. Suse ; Stella.

1587.  Taulère ; Alphonse de Madrid ; Denis le Chartreux.

1588. Avila.

1589. Avila.

1597. Catherine de Gênes.

1599. Catherine de Gênes ; Grenade.

16o1. Vie de sainte Thérèse.

16o3. Angèle de Foligno.

1615. Vie de Balthazar Alvarez.

La liste complète serait, je crois, quatre ou cinq fois plus longue. Parmi les traducteurs se distinguent, au moins pour la fécondité du travail, l'invraisemblable Chapuyset les chartreux de Bourgfontaine. Avec le XVIIe siècle paraît un nouvel ouvrier, M. R. Gauthier qui publie les Fleurs des Saints de Ribadeneyra en Gog, et la Vie d'Alvarez en 1615. Je ne dis rien des textes latins, traductions du pseudo-Denis ou réimpressions des Victorias, de Harphius, etc., etc., rien non plus des «livrets » manuscrits si répandus pendant cette période.

 

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II. On trouverait néanmoins et sans beaucoup de peine, les éléments d'un très beau livre sur la vie intérieure du catholicisme français pendant cette époque bouillonnante. De ce livre qu'il ne m'appartient pas d'écrire je voudrais au moins esquisser rapidement le dernier chapitre qui montrera comment le XVIe siècle mystique prépare le XVIIe et lui passe le flambeau. Pour cela je me cantonnerai dans une seule province, préférant aux généralités souvent assez vaines d'une vaste fresque d'ensemble, le détail précis et vivant.

J'aurais pu choisir notre sud-ouest, le Quercy et deux de nos, villes saintes, Bordeaux, Toulouse : prendre, par exemple une nièce de Montaigne, la vénérable Mère Jeanne de Lestonnac (1556-164o) et son coopérateur le jésuite Jean de Bordes; ou. mieux encore; ce fameux Jean de la Barrière, dans le nom duquel les contemporains, plus initiés que nous au jeu des anagrammes, pouvaient lire : j'ai relevé Bernard.

Celui-ci « était né à Saint-Céri, au diocèse de Cahors, et avait été pourvu à titre de commendataire de l'abbaye cistercienne des feuillants, qui était dans le diocèse de Rieux, à six lieues de Toulouse. Durant les premières années qu'il la posséda, il ne s'en occupa guère que pour en recevoir les revenus, faisant alors ses études et vivant d'une vie dont le seul mérite était d'éviter les désordres. Mais bientôt, touché de la grâce de Dieu, il résolut d'être par la réalité ce qu'il était par le titre, véritable religieux et véritable Abbé ». Pour se préparer à la réforme qu'il médite, il se retire en 1573 à la chartreuse de Paris et « passe quatre années entières dans les exercices de l'oraison et d'une mortification si rigoureuse qu'il renonce même à l'usage du pain et ne vit que d'herbes». Alors il propose à ses religieux de suivre son exemple. Effroi, intrigues diverses, tous le quittent pour d'autres maisons

 

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de l'Ordre et Jean reste seul dans son abbaye. Les novices arrivent aussitôt, « et c'est à cette époque que commença la congrégation de Notre-Dame des Feuillants (1577). En peu d'années son monastère fut peuplé de cent cinquante religieux attirés par la réputation de sa sainteté. D'autres couvents furent fondés ensuite et la congrégation, régulièrement approuvée par Sixte-Quint en 1586 et 1587. Les règles en étaient très sévères. L'on en peut donner une idée en disant qu'elles interdisaient aux religieux l'usage de la viande, du vin, du poisson et des oeufs. Le reste des pratiques répondait à la nourriture. On mangeait à genoux, on couchait sur des planches, on se levait la nuit, on marchait nu-pieds, on gardait un silence rigoureux... Bientôt il se trouva des femmes qui aspirèrent à embrasser ce genre de vie et demandèrent à Jean de la Barrière de se réunir sous sa conduite (1) ». Ce furent les premières feuillantines. Elles avaient à leur tête Marguerite de Polastron (1588). Chez elles viendra se réfugier en 1599, Antoinette d'Orléans-Longueville qui doit plus tard, avec le P. Joseph, fonder le Calvaire.

Henri III qui avait établi au bois de Boulogne, puis à Vincennes, des religieux qu'il avait connus en Pologne, les hiéronymites, voulut avoir ses feuillants et leur bâtit un monastère au faubourg Saint-Honoré, près des jardins des Tuileries.

L'exode de cette colonie frappa vivement l'imagination des foules. Le roi avait envoyé quarante cavaliers pour leur faire escorte. « Jamais de mémoire d'homme on ne vit un voyage pareil à celui-ci. Toute cette troupe sacrée — ils étaient soixante -- marcha comme en procession, le chemin de 15o lieues. Un des religieux marchait devant eux avec la croix ; les autres suivaient deux à deux, conduits par le saint Abbé qui venait le dernier. Les cavaliers allaient, qui devant, qui après et qui sur les ailes de

 

(1) Petit, Vie de la Mère Antoinette d'Orléans, Paris, 1880, pp. 22-24.

 

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cette dévote compagnie. On marchait en tel silence qu'on pouvait entendre la lecture spirituelle que les Pères faisaient les uns après les autres en marchant doucement... Quand ils approchaient des villes, des bourgs et des villages, les ecclésiastiques et les peuples et même quelques évêques venaient au-devant d'eux en procession... Le matin, l'Abbé disait la messe, donnait ensuite une prédication, ou . la faisait faire par Dom Bernard, le tant renommé petit feuillant (1). » Plusieurs feuillants joueront un rôle très actif dans notre histoire, Eustache de Saint-Paul, entre autres, et deux des meilleurs amis de François de Sales, Dom Sans de Sainte-Catherine, et « Dom Jean-de Saint-François, surnommé au siècle Goulu ». Saluons, en passant, ce dernier, une des figures les plus originales de son temps. Fils de Nicolas Goulu, professeur royal de langue grecque, petit-fils, par sa mère, du grand humaniste Jean Daurat, en 1608, il traduit les oeuvres du pseudo-Denis et en 16o9 le Manuel d'Épictète ; plus tard, en 1624, il publie la vie de François de Sales et en 1629, contre Balzac, les fameuses Lettres de Phyllarque, alternant ainsi du mysticisme à l'humanisme, avec une symétrie parfaite (2).

Jeanne de L'Estonnac, Jean de la Barrière, voilà plus qu'il n'en faudrait pour nous retenir dans le Languedoc. Paris qui du reste ne nous absorbera que trop par la suite, ne serait pas moins intéressant. Mais, à ma connaissance, le foyer mystique le plus actif, vers la fin du XVIe siècle, c'est le Comtat, c'est la Provence.

Au premier plan, Avignon, l'Isle-sur-Sorgue, Cavaillon, Saint-Remy, Arles, les Baux, Aix-en-Provence ; dans le lointain, le dôme de Milan, l'Oratoire de Philippe de Néri à Rome et le Vatican, tel est le vaste et noble décor de l'histoire qu'il me faut résumer en quelques pages.

 

(1) Cf. La vie du R. P. Dom Eustache de Saint-Paul, pp. 198-202.

(2) Cf. Oeuvres de saint François de Sales, XV, pp. 77, 78. Jean Goulu, né en 1576, et Sans de Sainte-Catherine moururent en 1629.

 

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Scène bigarrée et touffue comme un drame romantique, plus de cent personnages la remplissent, dévotes et boutiquiers de village, ermites, petits rentiers, riches bourgeois, soldats, jeunes filles de la haute bourgeoisie ou de la noblesse, évêques, cardinaux, pris, les uns et les autres dans un même réseau. de grâces, travaillant de- concert à de très grandes oeuvres, ébauchant, achevant déjà des entreprises que les mystiques de l’île-de-France vont bientôt reprendre. Comment donner l'impression de cette vie débordante et surtout comment choisir parmi tant de fantômes? Ils sont trop nombreux à m'appeler. Je ne puis pas les ramener tous sur l'autre rive. Derrière les quelques personnages que je retiendrai, que l'on évoque la foule anonyme, leurs maîtres, leurs disciples, leurs amis, une poussière de saints.

César de Bus est ou paraît être le personnage. le plus important de tout le groupe. Son cousin, Jean,-Baptiste Romillon l'égale. presque. Ils` sont nés l'un et l'autre dans le Comtat, le premier à Cavaillon en 1544, le second, à l'Isle-sur-Sorgue en 1553. Les de Bus ou de Buxis viennent de Home et ont émigré chez nous vers le milieu du XVe siècle. Ils ont accès à la cour. Le frère aîné de César, Alexandre de Bus, capitaine des gardes de Charles IX, aura, sans doute, joué son petit rôle, au moment de la Saint-Barthélemy. Les Romillon, quoique de bonne maison, semblent plus modestes. Beaucoup plus jeune que nos deux saints, leur cousin, Louis Suffren, fils d'un conseiller au Parlement de Provence, sera jésuite et confesseur de Louis XIII.

D'abord parti pour Paris où son frère lui promettait un bel avenir, César avait trouvé trop lent et trop rude le noviciat du courtisan et il était rentré à Cavaillon où il fut, de vingt à trente ans, le boute-en-train de la jeunesse dorée. On nous le dit, à demi mot, comme il convient. a Il aimait la compagnie, raconte un de ses biographes, et il était toujours souhaité... et faisait de la dépense ; il

 

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était bien mis; il composait des vers qui, flattant les passions, se faisaient admirer de ceux qui en étaient possédés. J'ai honte d'écrire ceci, mais il faut montrer la profondeur de la plaie, pour faire plus remarquer la main qui la guérira. Il faut dire encore qu'il était aussi adroit et aussi heureux pour terminer les querelles des autres que ferme à soutenir les siennes quand on lui en faisait mal à propos (1). » Il composait des tragédies en vers qu'on jouait à Cavaillon, mais qui ont malheureusement disparu avec le reste de son oeuvre poétique. Après sa conversion, il brûlera tout. Chose curieuse, cet ancien ronsardisant deviendra un des réformateurs de la chaire. « Son discours était d'un style bas et familier, fuyant ainsi qu'un très dangereux écueil les mots nouveaux et choisis et toutes choses inutiles et curieuses, quoique belles ;... Se ressouvenant d'un mot affecté qu'il avait autrefois employé dans quelqu'une de ses doctrines, il fit feuilleter un grand cahier manuscrit pour le faire rayer fort longtemps après (2).» « Étant à Cavaillon avec un religieux, grand prédicateur, entendant tous deux quelques vers français qu'on récitait à l'entrée du Vice-Légat d'Avignon..., et, passant ce mot : boubouillonnant, ce bon religieux, se tournant vers le Père : « Voilà un mot bien enflé, » lui dit-il. — « Vous en dites bien en chaire, lui répondit le P. César, qui le sent davantage (3). »

Plus élégant, plus raffiné qu'aujourd'hui, Cavaillon, riche faubourg de la cité papales n'était pourtant qu'une petite ville. Tout le monde s'y connaissait. Dans les plus humbles maisons on parlait de César de Bus et de ses brillantes folies. Les bonnes gens se rappelaient avec une tristesse affectueuse sa jeunesse angélique, le temps où il

 

(1) La vie du V. César de Bus..., par le R. P. Pierre Dumas, Paris, 1703, p. 24.

(2) La vie du R. P. César de Bus..., par le P. J. Marcel, Paris, 1619, pp. ao6, ao7.

(3) Ib., p. 415.

 

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portait la cagoule des pénitents noirs, où il décorait les chapelles du jeudi saint et les reposoirs pour les processions. Il serait bientôt prêtre, puis chanoine de Cavaillon. Paris avait changé tout cela, mais on ne désespérait pas du prodigue et on demandait à Dieu son retour. On faisait plus : on s'occupait hardiment, persévéramment à le convertir. Deux saintes personnes, un chapelier, une paysanne, s'étaient donné cette mission et travaillaient de concert, à la mener à bien. Petites gens, direz-vous, oui, mais la libre Provence n'a jamais connu la terreur féodale, elle a toujours traité sa noblesse, d'ailleurs assez modeste, avec une familiarité simple qui, dans ce pays-là du moins, n'exclut pas le respect. Aussi bien le chapelier Louis Guyot avait-il de qui tenir. Un de ses arrière-cousins était évêque de Riez, et lui-même, s'il l'eût voulu, eût trouvé facilement un bénéfice. Seule son humilité l'avait empêché d'être d'église. Longtemps sacristain de la cathédrale de Cavaillon, il avait trouvé ce poste encore trop au-dessus de lui et il avait ouvert une boutique de chapelier qui était devenue bientôt un des foyers spirituels de la petite ville. On le vénérait, on l'aimait, on se laissait sermonner par lui. Il exhortait les uns au repentir, les autres à plus de ferveur. Il disposait lui-même ses néophytes « à des confessions générales, les conduisant en foule quelquefois à Avignon, au R. P. Péquet, de la Compagnie de Jésus ». Ce dernier trait n'est pas le moins curieux. Il nous fait comme toucher du doigt la liaison qui s'établissait alors spontanément entre les saints de la foule, entre les mystiques indigènes, si l'on peut dire, et les agents de la Contre-Réforme. Ce Père Péquet, longtemps recteur du collège d'Avignon, est un des ouvriers les plus actifs de cette renaissance religieuse. Ses dirigés, César de Bus et Romillon, lui doivent beaucoup. Ils les a formés, guidés pas à pas, avec une sûreté de main et une délicatesse exceptionnelles. Aujourd'hui qui le connaît? Dans la grande histoire

 

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officielle des jésuites français, vous ne trouverez son nom qu'une fois (1).

L'évêque de Cavaillon, Mgr Pompée Roch était le premier à encourager le zèle de ce missionnaire laïque et à célébrer la haute vertu de Guyot. Il recevait aussi chez lui et écoutait avec bienveillance la bonne paysanne qui s'était promis de ramener César de Bus dans le droit chemin. Antoinette — nous ne la connaissons que par ce nom-là, — « après la mort de son mari... ayant quitté sa demeure des champs par inspiration divine », était venue « habiter Cavaillon, pour travailler plus commodément à la conversion de César. Afin de ne lui laisser aucun doute sur le dessein qui la conduisait, Dieu permit qu'elle fut accompagnée, durant tout le trajet, d'une lumière céleste qui marchait devant elle. Le choix de son logement ne fut pas longtemps douteux. Elle se fixa tout exprès en face de la maison de Bus, où elle se rendit familière... Elle... passait la plus grande partie du jour en oraison... Quoiqu'elle fût exténuée, pâle et presque réduite en squelette, à cause de ses oraisons continuelles et de ses austères pénitences, en discourant sur la miséricorde de Dieu, elle prenait une couleur vermeille et paraissait tout enflammée... En parlant de la mort... du divin Sauveur, elle pleurait et se lamentait comme si elle eût été présente à ce sanglant sacrifice.

« Le zèle qui la transportait lui faisait dire souvent qu'elle eût traversé les épées nues... pour exécuter les ordres de Dieu. Cette ardeur l'excita à réprimer énergiquement les vices dans; toute sorte de personnes et à se rendre à Orange pour encourager les catholiques et affermir... ceux qui déjà chancelaient dans la foi. Elle y harangua les protestants dans un synode et dit hardiment...

 

(1) Histoire de la Compagnie de Jésus en France, par le P. H. Fouqueray, Paris, t913, II, p. 6g. — Louis Guyot est mort en 1578.

 

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avec un esprit prophétique, que la sainte messe serait rétablie dans la ville (1). »

Elle s'était donc insinuée au coeur de la place, je veux dire, dans la propre maison des de Bus. On la recevait comme une sainte, on faisait cercle autour d'elle, et César, allant à ses plaisirs, s'arrêtait parfois pour l'entendre. Elle ne manquait pas alors de le prendre vivement à partie. Il se laissait faire, avec sa belle humeur comtadine mais il né répondait qu'en plaisantant. Le siège fut long. La pauvre femme déconcertée par cette résistance, allait reprendre courage chez Louis Guyot. Ils imaginèrent tous deux un stratagème enfantin et touchant. Antoinette ne savait pas lire. Armée d'une Vie des saints que lui avait prêtée son pieux ami, elle se plaçait sur le passage de César : « Vous êtes si obligeant, lui disait-elle, et si courtois envers tout le monde; ne serez-vous rigoureux et sévère que pour moi, je vous conjure de me lire pour ma consolation sept lignes de ce livre... Si vous jugez que c'est trop, lisez-en du moins trois. » César ne résistait pas et lisait, d'un ton moitié complaisant, moitié goguenard, quelques périodes. Le livre rendu, le sermon suivait et pathétique : « Eh bien ! monsieur, que dites-vous de ces exemples, qu'avez-vous à répondre en faveur de vos excès? Ne rougissez-vous pas en comparant votre vie à celle des saints ? Garde la mort, la mort, le jugement, le jugement, l'enfer, l'enfer éternellement! » Elle répétait plusieurs fois ces formidables paroles, d'un ton aigu, véhément et plein de ferveur. César riait de toutes ces vives apostrophes et regagnait ses rendez-vous accoutumés, « tant il est difficile de se déprendre » d'une

 

(1) Vie du vénérable César de Bus..,, par M. l'abbé Chamoux, Paris, 1864, pp. 36-38. Ce livre assez mal écrit et à qui l'on peut reprocher des défauts plus graves, a, du moins, l'avantage de résumer ici fidèlement t'excellente vie du P. de Bus par le P. Marcel. Celle-ci publiée peu après ta mort du vénérable, est, en somme, très digne de confiance. Elle nous donne la tradition encore toute chaude. Le gros in-4° du P. Dumas paraît beaucoup moins sûr.

 

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mauvaise habitude (1)! Un jour vint pourtant où il fallut cédera la grâce. César se met docilement sous la direction d'Antoinette et de Louis Guyot d'abord, puis des jésuites d'Avignon. Il ne sera ordonné prêtre qu'en 1582, mais dès 1575 ou 1576, il est tout à Dieu. Son cousin Romillon va bientôt suivre ses traces. Avant que le XVI° siècle s'achève, ces deux provençaux auront fondé un Ordre nouveau, la Congrégation de la Doctrine Chrétienne, introduit chez nous les ursulines et posé les premiers fondements de l'Oratoire français.

« Il y a, dans le comté d'Avignon, une fort belle rivière qu on appelle Sorgue, qui vient de la fontaine de Vaucluse et qui, à une lieue de là, environne de toutes parts une petite ville, à qui l’on donne pour ce sujet, le nom de Piste. C'est le lieu de la naissance de Romillon qui vint au monde en l'année 1553... Son père, qui s'appelait Barthélemy, avait été nourri et élevé dans le sein de l'Eglise, mais il s'en sépara par un coup de désespoir, presque aussitôt qu'il eut épousé Catherine de Suffren... L'avarice de quelques personnes qui l'accusaient faussement d'hérésie pour lui enlever ses biens, contribua beaucoup à le précipiter dans sa perte, et comme tout était pour lors dans les troubles des guerres civiles, il ne fut pas bien difficile à ces avares importuns de réussir dans leur dessein... Dans la nécessité où il fut réduit, il se laissa tellement aveugler à sa douleur... (qu'il prit) le malheureux dessein de se jeter dans le parti et dans quelque ville hérétique, espérant d'y trouver un asile contre les entreprises de ses persécuteurs. » Mal lui en prit. Il ne retrouva pas sa fortune et il perdit sa foi, mais la perdit pour de bon. Zélé calviniste comme lui, son fils prit tout jeune du service dans les troupes du parti. « Que pouvait-on espérer d'un jeune homme qui faisait profession de porter les armes pour l'hérésie, si ce n'est toute sorte de vices

 

(1) Cf. Chamoux, op. cit., pp. 44, 45.

 

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que cet âge entraîne avec lui, que la guerre entretient et que l'erreur autorise? Le voilà dans les débauches de la jeunesse, dans les emportements d'un soldat et dans les blasphèmes d'un hérétique, jusqu'à l'âge de vingt-six ans.» Le souvenir de sa pieuse mère le troublait pourtant et certains prêches, par trop maladroits, lui faisaient entrevoir le faible de la Réforme. Inquiet, agité, il cherche à se divertir et prend la première occasion qui passe, une visite d'amitié à son parent, M. de Chateauneuf qui revenait d'un petit voyage à Paris. « Après les premiers compliments de civilité, où il eut bien de la peine à dissimuler sa douleur, son mal s'augmenta si fort qu'il ne fut plus en son pouvoir de le supporter. Il eut besoin que quelque main charitable appliquât le remède qui était nécessaire à ses plaies et ce coup de faveur fut réservé à la charité de sa bonne parente, Mme de Chateauneuf qui, le voyant tout languissant et tout abattu, prit la liberté de lui demander la cause de ce changement, et l'ayant conjecturé par quelques mots que l'excès de sa douleur lui arracha, elle s'avisa de lui présenter et de lui conseiller de lire le Traité de l'Oraison du R. P. Louis de Grenade, que monsieur son mari lui avait apporté de Paris. » Détails savoureux, pleins de sens et qui nous font entrevoir une France que les historiens des guerres de religion ne semblent pas soupçonner : ce jeune soldat huguenot allant villégiaturer chez des catholiques ; ce bon Chateauneuf qui rapporte de Paris à sa femme un livre dévot; cette provençale, douce et subtile, qui au lieu de fatiguer son cousin par un ouvrage de controverse, lui offre gentiment un traité sur l'oraison. Et voilà Jean-Baptiste Romillon méditant ce livre avec délices et le « conférant » avec « les Institutions de Calvin ». « Après avoir lu une page de l'un, il lisait une page de l'autre, il se consultait ensuite lui-même, pour voir dans lequel de ces deux ouvrages il trouvait plus de vérité et plus de grâce. » Calvin n'eut pas le dessus et Romillon « abjura publiquement

 

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son hérésie dans l'église de Cavaillon, en l'année 1579, entre les mains de Mgr l'Évêque du lieu (1) ». Disons-le en passant, le disciple fidèle, le grand ami et le continua. Leur de Romillon, le Père Jacques de Rez (1577-1666) nous vient aussi du calvinisme. Originaire des Baux, « il n'avait encore que treize ans, lorsque, assistant un jour à la messe du P. Romillon qui pour lors demeurait à Avignon, il vit plusieurs personnes s'approcher de la sainte table. Il fut poussé à faire la même chose, soit par une inspiration surnaturelle, soit par une légèreté d'enfant ; et, dans le même temps qu'il eut reçu la sainte hostie, il sentit dans son âme une si grande ardeur d'embrasser la religion catholique, que, se levant de sa place, il suivit le prêtre dans la sacristie, et lui dit d'un ton ferme et d'un visage riant : « Monsieur, je veux me faire de votre religion ». Le P. Romillon le regarde et connaissant qu'il venait de lui donner la sainte communion, il fut extrêmement surpris de cette parole. Il l'interroge, il apprend de lui qu'il est calviniste... ce qui lui donna un scrupule très grand. Cependant, il remarqua en ce jeune homme je ne sais quoi de miraculeux et de divin..., (il) s'appliqua à l'instruire... et, au bout de quelques mois, il lui fit faire abjuration (2).» Lorsque, longtemps après, Pierre de Bérulle voudra connaître l'Oratoire de Provence, le P. Romillon lui enverra Jacques de Rez.

III. Jusque-là Romillon, quand il n'était pas à la guerre, demeurait à l'Isle avec ses parents et il aidait son père dans « l'exercice de la marchandise ». Converti, il se sentit appelé à un autre genre de vie et voulut se faire prêtre. C'était bien tard pour un homme qui n'avait reçu qu'une instruction très sommaire. Mais il avait beaucoup

 

(1) La Vie du Père Romillon..., par M. Bourguignon, Marseille, 1649 pp. 1-13. Cette Vie très bien faite est aussi très sûre, Bourguignon, s'étant longuement renseigné sur son héros auprès du Père de Rez qui avait été l'intime ami de Romillon.

(2) Recueil des vies de quelques prêtres de l'Oratoire, du P. Cloyseault, publié par le R. P. Ingold, Paris, 1882, II, pp. 73-75.

 

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d'intelligence, une volonté de fer et sa vocation ne semblait pas douteuse. Son directeur — le directeur universel du Comtat — le P. Péquet, lui proposa « le collège de Tournon, qui était alors dans une réputation extraordinaire ». Il partit donc, « arriva à Tournon le 15 du mois de mai de l'année 1583, et sans écouter les raisons que son âge lui suggérait, pour éviter la honte de paraître dans une classe avec de petits écoliers, il se mit d'abord à apprendre la grammaire et les premiers éléments de la langue latine, et à écouter la leçon qu'on y faisait dans la Sixième... Assis parmi plus de deux cents petits enfants qui étaient la plupart au-dessous de l'âge de sept ans, quoiqu'il en eût alors plus de trente... ses petits condisciples l'appelaient : mon père, et lui faisaient essuyer tous les jours mille mortifications ». Il vivait là, réduit à une extrême misère, jusqu'au jour où il fut assez avancé dans ses études pour prendre « une chambre, où la réputation de sa vertu attira aussitôt sous sa conduite une partie de la petite jeunesse qui était à Tournon ». Le voilà enfin en philosophie, « mais Dieu qui le destinait à de plus grandes choses et qui lui apprenait lui-même la science des saints, ne voulut pas qu'il s'appliquât plus longtemps à une étude qui est toute abaissée à la connaissance du monde et de la nature... Il  ne faisait que commencer à apprendre les principes de la science d'Aristote et de Platon, lorsqu'il se vit obligé de la quitter pour ne plus s'employer qu'à celle de Jésus-Christ. La cause de ce changement fut,que l'évêque de Cavaillon, étant parfaitement instruit de sa vertu et de son mérite, lui conféra une chanoinie de l'église collégiale de l'Isle » (1). Ainsi allaient les choses dans le bon vieux temps. Romillon, et comme lui César de Bus, apprirent la théologie en préparant leurs catéchismes et en méditant l'Ecriture. La moisson jaunissait déjà, s'annonçait splendide; les évêques accueillaient à

 

(1) Bourguignon, op. cit., pp. 34-44.

 

bras ouverts les quelques bons ouvriers qui s'offraient à eux. Archevêques d'Avignon et d'Aix, évêques de Cavaillon, de Carpentras, d'Arles, je n'en vois pas un qui ait gêné les initiatives souvent hardies de César de Bus et de Roi-Milon. Au contraire ils encouragent les deux saints, les défendent contre d'infâmes calomnies, les appuient à Rome, et souvent même prennent une part active à leurs fondations. Il se trouve du reste que la plupart de ces évêques sont italiens. Par eux la Contre-réforme française se rattache à l'Église mère, nos saints français, aux saints de Rome ou de Milan. L'archevêque d'Aix révèle à César de Bus Charles Borromée qu'il avait personnellement connu et qui venait à peine de mourir (1584). La première vie qui fût faite de  ce grand homme, il l'envoie aussitôt à son ami et César de répondre. «  J’ai reçu l'histoire de celui dont la vie mortelle a été, je crois, changée en une meilleure. Je vous assure qu'en la lisant, j'ai été tellement hors de moi et embrasé d'un si grand désir de faire quelque chose à son imitation, que je n'accorderai sommeil à mes yeux, ni repos à mes jours que je n'aie donné quelque contentement à ma résolution (1) ». Ainsi commence chez nous une dévotion qui sera bientôt si populaire et si féconde. Tarugi, archevêque d'Avignon de 1593 à 1597, et lui aussi l'un des protecteurs de César et de Romillon, avait été le compagnon intime, le bras droit de Philippe de Néri auquel il, avait succédé dans le gouvernement de l'Oratoire. Ainsi;de plusieurs autres. Le contact est alors constant entre l'Italie et la Provence, comme il va bientôt s'établir entre l'Espagne et la France. Ici et là, c'est bien le même esprit qui circule. Rome, attentive, seconde ce va-et-vient, facilite ces échanges. Nos fondateurs obtiennent, sans la moindre peine, toutes les bulles dont ils ont besoin.

L'Isle n'est pas loin de Cavaillon. Les deux cousins se

 

(1) Marcel, op. cit., p. 110.

 

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voyaient beaucoup. Une même ferveur les animait, un même champ s'ouvrait à leur ambition, ils recevaient leur inspiration du même homme, le P. Péquet. Bientôt leurs vies se croisent, se mêlent si bien qu'il est difficile de fixer exactement la part qui revient à chacun d'eux dans les oeuvres qu'ils vont entreprendre. Ils se ressemblent assez peu du reste et ils sont faits pour se compléter l'un l'autre jusqu'au jour où la diversité de leur grâce les séparera. César de Bus, de souche italienne, poète, a plus de primesaut, d'imagination, une sainteté plus brillante. Romillon, solide provençal, a plus de pénétration, une plus sûre connaissance des hommes, une volonté plus ferme : il organise plus fortement ce qu'il fonde. Mais la grande histoire, simplificatrice, pressée, un peu femme, retient de préférence ce qui prête à la légende. Elle se rappellera confusément César de Bus; elle oubliera Romillon.

Chanoines l'un et l'autre, ils avaient commencé par le plus urgent, je veux dire par apprendre le catéchisme à leurs ouailles, aux grandes personnes comme aux enfants. C'était là certainement une nouveauté merveilleuse. Nos biographes l'annoncent sous des titres sonores. « César de Bus découvre une nouvelle méthode pour enseigner la doctrine chrétienne », ou encore, « L'invention de faire la grande doctrine lui est découverte ». « Voici sa méthode jusqu'alors inconnue aux hommes, écrit le P. Marcel. Commençant par l'explication du symbole... il en prenait un article après l'autre à traiter faisant sur chacun d'iceux trois ou quatre doctrines. Les plus capables de la ville avaient alors prou de peine à se savoir confesser, tant à cause de la négligence des pasteurs que pour l'indévotion que les guerres traînent ordinairement. Le commun peuple ne savait pas même les choses de nécessité absolue. » Il y avait bien encore des prédicateurs, mais trop savants et qui se perdaient dans la nue. « Quittant toute autre manière d'enseignements publics, chacun courait

 

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à celui-ci, comme le plus facile, voire le plus utile... Toutes sortes de gens, grands et petits, doctes et ignorants en sortaient instruits... Cette méthode et manière d'enseigner où je rencontre un artifice extrêmement simple avec une simplicité riche au possible, jointe à l'exemple de l'Eglise primitive et du Concile de Trente, lui agréa de telle façon que méprisant dès lors l'artifice oratoire pour celui de la charité, il s'adonna du tout en icelle, quoique basse aux esprits superbes (1).» L'invention était moins miraculeuse qu'on ne veut le dire. Après Canisius et tant d'autres, les capucins et les jésuites faisaient déjà la « doctrine » et, si je ne me trompe, de la même façon. Noua voyons en effet dans la propre ville du P. de Bus, le jésuite Philippe Chanan employé à ce ministère, et parmi les disciples de ce Père, notre Romillon, envoyé là par le Père Péquet. « II assistait avec toute l'assiduité possible, nous dit le biographe de Romillon, aux catéchismes du P. Philippe, suivant le dessein qu'il avait pris de se mouler sur cette façon d'instruire qui était le principal motif de son séjour à Cavaillon. Il remarquait avec beaucoup de soin, sa familiarité et sa méthode, la douceur avec laquelle il traitait les petits enfants et la gravité qu'il reprenait, de temps en temps, pour en obtenir du silence. Il considérait l'adresse qu'il avait d'instruire et même d'interroger ceux qui étaient déjà avancés en âge, sans qu'ils en eussent de la confusion, ni que la honte les empêchât de répondre... Il ne se contentait pas d'entendre les discours de ce Père : mais il le voyait aussi souvent en particulier, conférant avec lui du profit et des particularités de ces sortes d'instructions et du moyen d'en étendre l'établissement dans les autres villes. Il en communiquait aussi quelquefois avec Mgr de Cavaillon et avec son saint directeur (Péquet) et même (2) avec M. de

 

(1) Marcel, op. cit., p. 135-158.

(2) Ce « même » est, je crois, une malice, innocente et opportune, du biographe de Romillon. Sa dévotion pour son héros stimule son esprit naturellement critique. Il proteste, et selon moi fort justement, contre une légende qui exalte César de Bus aux dépens de son collaborateur Romillon et de ses inspirateurs, les jésuites d'Avignon.

 

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Bus, avec lequel il était déjà lié d'une amitié très étroite... jusqu'à ce que étant instruit par l'exemple et par les règles que lui donna le P. Philippe, il ne songea plus qu'à se retirer à l'Isle pour s'y appliquer entièrement »

Quoi qu'il en soit, César à Cavaillon et Romillon à l'Isle, font publiquement « la doctrine chrétienne n et avec un fruit merveilleux. Bientôt on commence à les connaître au dehors : ils donnent ensemble de véritables missions dans les régions d'alentour et jusque dans les Cévennes ; de jeunes disciples se joignent à eux; vers 1593, la Congrégation de la Doctrine chrétienne est fondée à Avignon et se répand bientôt dans plusieurs provinces. Je n'ai pas à suivre les destinées de ces catéchistes missionnaires, mais je dois au moins raconter en peu de mots, l'innocent et providentiel conflit qui sépara Romillon et César de Bus. A l'origine, les doctrinaires n'étaient pas liés par des voeux ; bien que vivant en communauté, ils restaient dans «l'état purement ecclésiastique », comme feront plus tard l'Oratoire du P. de Bérulle et Saint-Sulpice. En 16oa, César de Bus, cédant peut-être à la pression de quelque autre Père, voulut modifier, sur ce point essentiel, les règles de sa congrégation, et il proposa ce changement à ses frères. Plusieurs acceptèrent aussitôt; mais Romillon « plus ferme qu'un rocher dans l'esprit du sacerdoce et de l'état purement ecclésiastique, demanda, avec toute la modération possible (1), si les voeux se devaient faire par la persuasion des hommes ou par l'inspiration du Saint-Esprit, et comme on ne lui apporta point d'autre réponse, si ce n'est qu'il fallait obéir ou quitter, il dit qu'il ne faisait pas un voeu sans en avoir consulté Dieu et qu'il ne se sentait aucune disposition à ce sujet. Il se retira après ces paroles, tout baigné dans ses larmes ». Quelques Pères

 

(1) Bourguignon, op. cit., pp. 75-77.

 

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pensaient comme lui.. Ce n'était pas encore un schisme proprement,dit, mais une pareille situation ne pouvait se prolonger. Après. de, longues négociations, fut décidé «que, le Père de Bus et les siens demeureraient maîtres de la maison. d'Avignon, et le Père Romillon et, ceux qui l'avaient suivi posséderaient celle d'Aix. », n'ayant plus avec leurs anciens confrères que des relations amicales.

Voici donc, au lieu d'une, deux petites sociétés indépendantes l'une de l'autre : ici les doctrinaires d'Avignon, ayant à leur tête le P. de Bus, là les confrères d'Aix en Provence. Qu'allait faire notre Romillon de « cette petite communauté — ils étaient douze — qu'il avait sauvée de l’orage dans la nacelle de Saint-Pierre ? Il écrivit à tout ce qu’il connaissait de gens de bien.» Il s'adressa, entre autres, à Tarugi, qui depuis quelques années avait été rappelé d'Avignon à Rome et fait cardinal. Celui-ci « témoigna par sa réponse qu'il était très satisfait de son. procédé et. que puisqu'il était tout visible que Dieu l'appelait à l'état purement ecclésiastique, pour le confirmer dans le dessein qu'il avait.., il lui envoya une idée de l'Oratoire de Rome et des exercices qui s'y pratiquaient, ajoutant qu'il lui conseillait de mouler sa petite communauté sur les règlements de. saint Philippe, son maître dans. la,vie spirituelle, et de. prendre le nom de l'Institut de l'Oratoire et qu'il n'aurait aucune peine d'obtenir des bulles pour cette fondation en France, puisque cette communauté, était répandue dans plusieurs villas, d'Italie » (1). Ainsi

 

(1) Bourguignon, p. 239-241. Les biographes, de César de Bus, et surtout le plus récent, Chamoux inclinent à donner, dans cette affaire, tons les torts à Romillon. Les plus élémentaires principes de la morale lui donnent néanmoins raison. Si, dix ans après la fondation de la Compagnie de Jésus, saint Ignace avait proposé la règle des chartreux à ses compagnons, ceux-ci auraient eu certes le droit de reprendre leur parole. Le P. Romillon « n'avait point eu d'autre pensée en travaillant à l'établissement de la doctrine chrétienne, que celle de la perfection du sacerdoce »; il priait ses frères « de faire réflexion aux bulles du Pape » qui avaient établi cette congrégation sur certaines bases fixées par Tarugi « qui avait eu toute la conduite de cette affaire » (Bourguignon, op. cit., p. 240). S'il faut en croire ce même biographe, César, qui était alors aveugle et infirme, aurait avoué à Romillon « qu'il n'était pas l'auteur de cette séparation, qu'on s'était servi de son autorité et de la faiblesse de sa santé et de son âge » ib., p 241. A cette date, Romillon, supérieur des doctrinaires d'Aix et qui avait naturellement, en sa qualité de co-fondateur un prestige particulier, Romillon, assez entreprenant et indépendant, faisait peut-être ombrage à celui des premiers doctrinaires, (le P. Vigier) qui, resté auprès de César de Bus, avait la direction effective de la société. Cf. les Mémoires domestiques de Batterel, Paris, 1902, I, pp. 17 sq.

 

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fût fait de point en point, et peu après, la maison d'Aix fut érigée en congrégation par Paul V, ad instar Oratorii romani (1625). Peu après, le P. de Bérulle qui projetait une fondation analogue se mit en relations avec les oratoriens de Provence et en 1619, l'Oratoire de Romillon, qui comptait déjà onze maisons, se réunit à l'Oratoire de France. Heureuse réunion et sans doute nécessaire, mais qu'il est permis de regretter quelque peu. Nul n'admire plus que moi le P. de Bérulle, le P. de Condren et les premières générations de l'Oratoire français. Il me semble pourtant que les oratoriens provençaux, aussi voisins de Rome que de Paris et d'ailleurs formés par un disciple immédiat de Tarugi, se rapprochaient davantage de l'esprit primitif de Philippe de Néri. Moins métaphysiciens, moins sublimes, moins éloquents, leur simple ferveur, leur bonhomie, parfois même leurs singularités, les rendaient populaires et leur donnaient aux yeux de la foule un prestige qui manquera d'ordinaire aux fils raffinés de Bérulle. Ils gardent l'accent du pays qui les a vus naître et ils y mêlent quelque chose de l'accent de la Vallicelle. L'Oratoire de France ressemble peu à celui de Rome, il est tout français et, trop vite, français du grand siècle. Dans les premiers chapitres de sa glorieuse chronique, on voit défiler quelques-uns des compagnons de Romillon, le P. de Rez, le P. Jacques Merindol, le P. Jean Jaubert, entre autres. Ce dernier, nous dit-on, « avait beaucoup de ressemblance avec saint Philippe de Néri, tant pour la taille et les traits du visage que pour les manières d'agir (1) ». Il allait, monté sur un âne, évangéliser le pays. Un autre de la même

 

 

(1) Cloyseault-Ingold, op. cit., II, p. 111 . Toute la notice sur Jean Jaubert est fort intéressante. Cf. sur le P. De Rez, le même ouvrage, p. 73, sq.

 

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période, le P. Yvan, avait une vive dévotion pour le saint fondateur qu'il appelait souvent en langue italienne : il mio padre Filippo; « ne se contentant pas d'imiter les vertus extérieures de ce grand saint, il tachait encore de se conformer à son extérieur : de façon qu'il portait sa soutane à la façon de celle avec laquelle on dépeint ce grand saint. Et quand on lui faisait le poil, il tenait son image entre ses mains, s'en servant comme d'un miroir pour le mieux exprimer (1) ». Ce sont là des riens. Mais tout le reste est à l'avenant. Ceux qui tiennent que la tiédeur et le formalisme naissent de l'uniformité aussi bien que l'ennui, s'attachent- à ces bons personnages, gardiens d'une tradition. Mais peu à peu l'ancienne naïveté s'efface : nos provençaux prennent le ton de Paris. Compatriotes du P. Yvan, ni Mascaron, ni Massillon n'ont déshonoré l'Oratoire, mais qu'aurait dit saint Philippe s'il les avait entendus (2) ?

IV. Dans le présent chapitre, mon dessein ne saurait être de peindre un à un et longuement les mystiques qui s'offrent à nous. Précurseurs, personnages de transition entre le XVIe et le XVIe siècle, c'est à peine s'ils nous appartiennent ; d'un autre côté, nous avons peu de détails sur leur vie intérieure et leur apostolat n'est pas de notre sujet. Je voudrais seulement stimuler l'imagination du lecteur, lui faire entendre comme le murmure lointain d'une marée montante, ou, mieux encore, les bruits imperceptibles d'une germination prochaine. Dès que paraissent César de Bus et Romillon, mille sympathies les soutiennent ; ils trouvent aussitôt qui les dirige et qui

 

(1) Cf. Henri Bremond, La Provence mystique, Antoine Yvan et Madeleine Martin, Paris, i9o8, p. 39.

(2) Avant Romillon, Rollin-Ferrier avait établi à Notre-Dame de Grâces, près de Cotignac, dans le Var, une communauté oratorienne, ayant au préalable, conféré de ce projet avec Philippe de Néri lui-même, qu'il était allé voir à Rome vers 1586. Dans ce petit Oratoire, qui s'unit à celui de Bérulle en 1615, vivait encore en i6o8, un vieux prêtre, le P. Paul, extrêmement original et que le P. Yvan, son disciple, regardait comme un des plus hauts mystiques de l'époque. J'ai essayé le portrait de ce curieux personnage dans mon livre sur le P, Yvan, op. cit., chap. III : Le bon géant de Cotignac.

 

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les suive. S'ils ont plus de relief que d'autres, ils ne sont pas seuls. L'histoire des premières ursulines nous laissera la même impression. Des ombres encore, rien que des ombres, mais qui sans parler, nous en disent long sur le milieu surnaturel; qu'elles traversent, sur la terre qui les porte.

Dans ce qui va suivre, je me contente de copier le récit que nous a laissé M. Bourguignon, prêtre de Marseille et biographe de Romillon. Ce contemporain, de Balzac écrit mieux que je ne saurais faire et avec une onction qui n'est plus de notre temps.

Le P. Romillon ayant passé quelques mois en Avignon dans les premières années de son ministère, Dieu lui avait donner « la direction de quelques bonnes filles et... étant éclairé de la lumière du Ciel, il avait connu d'abord que Dieu ne les appelait ni au mariage, ni à aucun Ordre de toutes les religieuses qui étaient établies dans le royaume, parce qu'il les destinait pour le salut du prochain et pour l'instruction de celles de leur sexe. Mais, soit que le temps de cette sainte moisson ne fût pas encore venu, ou que l'établissement de la Doctrine chrétienne que ce fervent prêtre ne faisait que commencer dans l'Isle, l'empêchât de s'y appliquer plus particulièrement, ou plutôt que Dieu lui ayant donné la connaissance de leur vocation, ne lui eût pas encore découvert les voies qu'elles devaient tenir pour la suivre, ce ne fut qu'en 1594 que l'Épouse de l'Agneau fut parée de ce nouvel ornement et que ce charitable prêtre... institua une communauté de saintes filles pour l'éducation des pauvres... L'occasion que Dieu lui en donna fut telle.

« Il y avait dans Avignon une servante, appelée Antoinette, originaire d'Orange, dont le père avait été tué par les. hérétiques pour soutenir la vérité de notre sainte foi. Cette bonne. fille logeait chez une dame d'une haute vertu, et vivait elle-même avec tant de piété et de dévotion que tout le monde la regardait comme une sainte... Comme c'est le propre du bien de se répandre et que la vertu n'a

 

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jamais plus d’éclat que lorsqu’elle est dans l'obscurité, il y eut une fille d'un marchand de la même ville, appelée Sibylle d’Olivier, qui, profitant dut bon, exemple et du voisinage de cette servante de Dieu, contracta une sainte amitié. avec elle et l'imita en toutes les vertus qui reluisaient dans son âme et surtout en la pureté, pour l'amour de laquelle elle résolut de sortir entièrement du monde... et d'entrer dans le couvent des religieuses de Sainte Claire. Mais, comme elle n'avait pas les commodités qui étaient nécessaires pour y être reçue, on la refusa et Dieu le permit pour sa plus grande gloire... Elle s'unit tout à fait cette bonne servante et ce fut en sa compagnie

qu’elle continua de fréquenter les sacrements et de s’exercer à toutes les pratiques de piété dont elles étaient capables. »

Touchée de leur « modestie angélique et de la sainte gaîté que la paix de leur à me faisait paraître sur leur visage... une jeune demoiselle (chercha) les moyens d'avoir la, connaissance de ces deux saintes filles. Elle s'appelait Françoise de Bermond ; son père était de Paris, marié dans Avignon et trésorier général de France. Comme elle avait un esprit capable de grandes choses, ce fut elle aussi qui contribua le plus à l'établissement des ursulines. Dieu l'associa à notre saint prêtre pour la perfection d'une si sainte entreprise et nous la pouvons véritablement appeler. fondatrice de cette sainte congrégation... Comme elle était extrêmement bien faite de corps et d'esprit et qu'elle avait l'air de la pluie haute galanterie, sa conversion fit beaucoup de bruit dans la ville... (Plusieurs voulurent la suivre, sa soeur, par exemple), qui s'appelait Catherine de Bermond et une soeur de Sibylle d'Olivier, qui s'appelait Jeanne. Celles-ci en attirèrent aussitôt plusieurs autres, de sorte que ces bonnes filles se trouvaient en peu de temps vingt-quatre, toutes dans le désir de servir Dieu et de n'avoir plus de commerce avec le monde... Elles fréquentaient les sacrements

 

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et les exercices de la Doctrine chrétienne ; elles assistaient les pauvres, visitaient les malades et s'exerçaient à toutes les autres oeuvres de piété que leur âge et leur sexe leur permettaient d'entreprendre. Mais, comme elles n'étaient pas toutes sous la conduite d'un même directeur, et qu'elles n'avaient ni le même dessein, ni le même pouvoir de l'exécuter, à cause de la différence de leurs conditions, quelques-unes d'entre elles demandèrent le monastère de Sainte-Praxède (ancien couvent de dominicaines que n'habitait plus personne) pour y vivre, ou selon la règle de saint Benoît, ou selon celle de saint Dominique ou de saint François... Une des principales en parla même, sans en avoir la commission des autres, à Mgr Grimaldi, archevêque d'Avignon. Ce prélat, qui était d'une sagesse et d'une vertu consommées, lui répondit que les religieuses du royaume n'étaient pas assez recueillies et qu'il y avait de saintes filles dans l'Italie, qui ne faisant que des voeux simples et sans clôture, les observaient avec beaucoup plus de sainteté et d'exactitude ; et que, sans perdre la solitude et la retraite intérieure, elles étaient infiniment plus utiles au salut de celles de leur sexe. Mais, elles ne purent jamais concevoir que cette façon de vivre fût possible, et croyant qu'elles ne pouvaient choisir que le mariage ou la religion (c'est-à-dire, la vie religieuse à l'ancienne mode avec la clôture et les voeux solennels) elles se partagèrent toutes entre ces deux différents états, à la réserve des deux soeurs d'Olivier et des deux demoiselles de Bermond... Celles-ci, sans se pouvoir déterminer à la clôture ou au mariage, continuaient de vivre dans la maison de leurs parents, avec beaucoup de piété et d'éloignement du monde, jusqu'à ce que Dieu se fût plus particulièrement expliqué à M. Romillon, qui était leur directeur, sur le sujet de leur vocation.

« Il y avait dans le comté d'Avignon, une jeune demoiselle de l'ancienne et noble maison de Mazan, fille unique

 

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de M. le baron de Vaucluse, qui méprisant les avantages de ses richesses, de sa beauté et de sa condition... résolut de prendre Jésus-Christ pour son époux et de lui consacrer sa pureté; et parce que la délicatesse de sa complexion ne lui permettait pas de vivre dans une communauté religieuse... elle se contenta d'en faire un voeu,.. prosternée aux pieds de Mgr l'évêque de Carpentras, pour ôter toute sorte d'espérance à ceux qui prétendaient de l'épouser et à ses parents qui avaient unanimement conspiré contre son repos. Ce sage prélat lui ayant donné plusieurs bonnes instructions, l'entretint longtemps de la l'en de vivre des ursulines que saint Charles avait établies dans Milan et lui fit présent d'un livre de leurs constitutions qu'il avait apporté de Ferrare où cette congrégation était en très haute estime (1). Cette demoiselle l'accepta avec beaucoup de témoignages de reconnaissance, et le mit aussitôt après entre les mains de M. Romillon... sans le sentiment duquel elle n'entreprenait aucune affaire qui regardât son salut. Le saint prêtre le reçut de cette vertueuse demoiselle, dans son château de Mazan », et ravi d'avoir enfin trouvé ce qu'il cherchait en vain depuis si longtemps, « s'en retourna à Avignon, portant comme un autre Moïse, les tables de la loi, écrites dans ce petit livre ».

« Aussitôt qu'il fut de retour, il donna cette heureuse nouvelle à ces quatre bonnes filles qui s'offrirent d'abord avec beaucoup de joie à embrasser ce genre de vie, surtout Françoise de Bermond, qui avait déjà fait dessein de vivre, avec quelques autres filles, dans l'état de virginité, sans entrer dans aucune religion... Elle en avait même parlé fort souvent à quelques personnes spirituelles... Mais le R. P. Majorius (jésuite)... l'en ayant toujours détournée et lui représentant fort souvent que c'était une pure tentation et qu'il fallait absolument à une jeune fille,

 

(1) Les ursulines avaient été fondées à Brescia par Angèle Merici de Desenzano sur le lac de Garde (1474-154o).

 

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ou un mari, ou une muraille, elle n'avait pas osé entreprendre cet ouvrage jusqu'à ce que Dieu lui en donnât le modèle et l'occasion et qu'elle se vît fortifiée de notre sage directeur, qui lui conseilla de ne point perdre de temps et de disposer sa soeur et les deux soeurs d'Olivier pour en venir faire le premier établissement à l'Isle... (Sur ces entrefaites) le P. Majorius, qui s'était le plus opposé à l'exécution de ce dessein, reçut ordre de son Général de se retirer d'Avignon et d'aller régir une maison de la Compagnie dans le Duché de Milan, où les ursulines faisaient de très grands fruits, de sorte que l'expérience lui ayant fait connaître la nécessité de cette congrégation, il en écrivit à Mlle Françoise de Bermond et la conjura d'entreprendre ce qu'il lui avait si souvent défendu.

« Celui qui était venu de Rome pour lui succéder à la supériorité de leur maison professe d'Avignon, et qui était homme d'un grand jugement et d'une vertu fort solide, leur conseillait aussi la même chose : de sorte que tout conspirant heureusement à l'exécution de ce grand dessein, ces saintes filles partirent de chez leurs parents, pour se retirer en la maison qui leur avait été préparée dans l'Isle, où elles commencèrent à enseigner la doctrine chrétienne à celles de leur sexe, en attendant que M. Romillon, qui avait tout seul la direction de cet ouvrage, eût travaillé à leurs autres constitutions et qu'il eût obtenu du Pape une bulle expresse pour leur établissement et pour ceux qui se feraient après dans les autres villes du royaume (1). » L'Isle-sur-Sorgue d'abord, puis Aix en Provence où Françoise de Bermond suivra bientôt le P. Romillon, tels sont les deux berceaux de cette congrégation des ursulines qui allait se répandre par toute la France avec une rapidité merveilleuse. Ce qu'on vient de raconter se passait dans les dernières années du XVIe  siècle :

 

(1) Bourguignon, op. cit., p. 164-174.

 

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cent ans plus tard, en 1699, il y aura chez nous plus de tee a cents maisons d'ursulines (1).

V. Pendant que naissent ainsi des Ordres nouveaux, plusieurs des anciens se réveillent d'un trop long sommeil. Sous le pape Jean XXII, le cardinal d'Albornos avait fondé en Avignon une maison de dominicaines, et comme le titre de son cardinalat était de sainte Praxède, il avait voulu que le monastère portât ce nom (1347). Peu à peu, ce vieux cloître, jadis sanctifié disait-on par le séjour de Catherine de Sienne, avait dépéri. Vers 1587, il ne comptait plus que cinq religieuses qu'un bref de Sixte V dispersa dans les divers monastères de la ville. Peu de temps de temps après, (1593) la maison vide fut donnée par l'archevêque Tarugi à César de Bus et aux premiers Pères de la Doctrine chrétienne qui l'occupèrent jusqu'en 1538. Chose étrange et qui s'explique sans doute par le relâchement complet de cette vieille maison, dès avant la triste fin de Sainte-Praxède, une autre communauté de dominicaines s'était formée en Avignon. Il y avait là deux anciennes religieuses du fameux monastère de Prouille, Philippe et Marguerite d'Arpajon qui, pendant ales guerres religieuses de Languedoc, étaient venues se réfugier dans leur famille (1564). « Et parce que ces ferventes religieuses qui avaient déjà passé quatorze ans chez leurs parents, s'ennuyaient de vivre sans les exercices de leur Ordre, parmi les séculiers » l'archevêque d'Avignon, cardinal d'Armagnac, obtint pour elles l'abbaye bénédictine de Saint-Jean-le-Vieux, « située en cette ville d'Avignon, et dans laquelle il ne restait plus que deux religieuses, l'Abbesse, Mme Romane de Jarente d'Ardaillon, et une autre ». (1577). Ces

 

(1) Bourguignon exagère un peu lorsqu'il dit que Romillon eut « tout seul la direction s de cette oeuvre. César de Bus y a travaillé de son côté, mais somme toute, c'est bien à Romillon que doit en revenir l'honneur, et plus encore sans doute, à Françoise de Bermond. Celle-ci, née en 1572, mourut en 1628. On a écrit récemment sa vie, et il est beaucoup parlé d'elle dans l'histoire de Mme Acarie et de Mme de Sainte-Beuve. Cf. La R. M. Françoise de Bermond et l'établissement des ursulines en France, Lyon (maintenant Paris, Beauchesne), 1896.

 

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dernières consentant à cette transformation, l'ancienne abbaye bénédictine devint prieuré dominicain, et la Mère Philippe d'Arpajon fut supérieure de ce groupe minuscule. Ces deux débris d'une part, ces deux épaves de l'autre, tout cela est d'un pittoresque intense et poignant. Et voici presque aussitôt refleurir le vieux tronc. De toutes jeunes filles, des enfants plutôt, se présentent, Lucrèce de Peyrès, Anne de Jarente de Monclar, âgées de 13 ans, Jeanne de Bermnond, âgée de 11 ans, soeur de la fondatrice des ursulines, d'autres encore parmi lesquelles la peste de 158o ne fera que trop de victimes. Les anciennes conduisaient doucement ce petit troupeau. « Comme elles étaient déjà âgées et que les novices qu'elles recevaient à l'habit étaient fort jeunes, elles n'introduisirent pas tout d'abord les austérités de l'Ordre », mais lorsque la Mère de Monclar fut nommée prieure en 1592, « son premier soin fut de travailler sans relâche à l'établissement de la vie régulière et de commencer heureusement la réforme de son monastère ». Elle avait, pour la conseiller, l'illustre dominicain provençal, Sébastien Michaelis (1543-1618) qui lui-même préparait dès lors la réforme des Frères Prêcheurs. Celle de nos dominicaines se fit, pour ainsi parler, toute seule. Il ne leur manquait plus que le vieux cloître dominicain de Sainte-Praxède et celui-ci leur fut donné en 1598 (1).

« Il faut bien le reconnaître, écrit un savant dominicain, le monastère de Sainte-Praxède a occupé dans l'histoire de notre second Ordre en France, une place considérable ; on pourrait dire, avec plus de vérité, une place exceptionnelle. Fondé dans ces dernières années du XVIe siècle, si fécondes en belles et saintes oeuvres, par des religieuses venues de notre ancien monastère de Prouille

 

(1) On offrit aux Pères de la doctrine chrétienne, la maison de Saint. Jean-le-Vieux que les dominicaines allaient quitter. Tous les détails qui viennent d'être donnés sont empruntés au livre charmant du R. P. Rousset, Intérieur d'un cloître dominicain. Le monastère de Sainte-Praxède à Avignon, Lyon (maintenant Paris, Beauchesne), 1876.

 

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où elles avaient vécu quarante ans, il appartient, tout à la fois, au passé et à l'avenir. Du passé, il tient ses traditions déjà quatre fois séculaires ; et il va se développer, dans l'avenir, avec un essor et une fécondité dont l'histoire offrira peu d’exemples. C'est de Sainte-Praxède, en effet, qu'est parti ce grand mouvement religieux qui a dominé tout le XVIIe siècle (dominicain), et a, en quelques années, enrichi la France de plus de vingt-cinq monastères de notre second Ordre (1). » Nous retrouverons dans le volume suivant, une des fondations de Sainte-Praxède, le monastère de Langeac, où nous attendent la Mère Agnès et M. Olier. Quant au monastère d'Avignon lui-même, il accueillera bientôt une des plus aimables mystiques du XVIIe siècle, Julienne Morell.

VI. Nicolas Rampalle, petit rentier de Saint-Rémy en Provence, et sa femme, Dauphine Lanfrèze, ont fait peu de bruit en ce monde, mais, par bonheur, on a publié la vie d'une de leurs filles, Jeanne de Jésus, fondatrice de six maisons d'ursulines (1583-1636), et nous savons que, de bonnes gens qu'ils avaient été jusque-là, Nicolas et Dauphine se sont un beau jour, « entièrement dédiés à la dévotion par l'entremise » de deux jésuites, les PP. Péquet et Balsamo, qui donnaient, vers 158o, une mission « en la ville de Saint-Remy ». Chose curieuse, amusante et significative, au bout de quelques années, ces deux humbles mystiques, « reconnaissant bien qu'ils n'avaient plus de temps à perdre de leur âge, prirent résolution de quitter Saint-Remy, pour aller faire séjour dans la belle et dévote ville d'Avignon, afin qu'ils y pussent plus commodément pratiquer les exercices de la vie dévote, assistés des conseils de ceux qui avaient été les premiers pères de leur esprit, et tout ensemble y faire mieux élever leurs filles, auprès de leur fils unique qui étudiait alors aux écoles des Pères jésuites. Ce qui arriva en l'année 159o... et l'année

 

(1) Rousset, op. cit., pp. VIII, IX.

 

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1593, furent déclarés et reçus pour enfants et habitants de la ville, par lettres patentes de Mgr l'éminentissime cardinal Aquaviva, lors légat». Une fois en Avignon, leur petite maison, — ils n'étaient pas riches — devint un vrai monastère: Rampalle « vaquait soigneusement à l'oraison et à la lecture spirituelle, soulageait charitablement les nécessités des pauvres... et portait partout ses pieds, ses mains, son coeur, où il pensait de pouvoir rendre quelque service à Dieu. Mais surtout il était extraordinairement austère en sa vie et rude au traitement de son corps, ne vivant d'ordinaire que de pain et d'eau... portant presque toujours.., le cilice ou la haire, et prenant souventefois la discipline en des lieux secrets du logis, avec une rigueur si extrême que ses enfants qui oyaient souvent le bruit des coups, en demeuraient épouvantés et en pleuraient amèrement. Et il arriva même un jour qu'ayant mené son fils à la cave, sous prétexte de lui faire voir quelques fruits, il se dépouilla soudain à demi-corps devant lui, et s'étant fouetté d'une étrange furie, le voyant pleurer et sécrier éperdument, lui dit : Apprends, mon enfant, à fuir le péché, car voilà comment Dieu le châtie ». Quant à Dauphine, elle inventait de pieux « instruments de mortification... des noms de Jésus, des coeurs et des croix armés de pointes », qu'elle portait elle-même et qu'elle « fournissait » à ses filles, « leur disant que c'étaient les joyaux de prix dont elle les voulait parer ». Depuis leur installation en Avignon, elle et son mari « séparés de couche... vivaient dans le mariage comme font les anges dans le ciel ». Nicolas était-il mort en 1602 ? On ne le dit pas, mais à cette date, Dauphine, deux de ses filles et deux de ses nièces partent pour Arles, où elles fondent une communauté d'ursulines (1) .

 

(1) La vie de la Mère Jeanne de Jésus... par le R. P. Henry Albi de la Compagnie fie Jésus, Lyon, z64o. Les détails donnés par le biographe doivent être exacts : ils ont été fournis par le fils de Nicolas et de Dauphine, Antoine Rampalle, docteur en théologie, protonotaire du Saint-Siège, à qui le livre est dédié. Quant au biographe lui-même, lorsqu'il était jeune professeur de philosophie à la Trinité de Lyon (1622-1624), il avait eu pour élève J.-J, Olier. Cf. Monier, Vie de J.-J. Olier, Paris, 1934, I, p. 28.

 

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Comme on le voit, nous n'avons fait que traverser rapidement une seule de nos provinces, nous n'avons presque jamais perdu de vue Avignon aux beaux remparts. Course de printemps. L'heure n'est pas encore venue des longs entretiens au bord des claires fontaines. Ou bien encore, comme des sourciers, nous promenions en tous sens notre baguette, nous faisions quelques sondages et nous repartions aussitôt à la recherche de nouvelles sources. Il nous suffit d'avoir constaté que dans une de nos régions qui sans doute ressemble plus ou moins à toutes les autres, circulent déjà et de toutes parts les eaux vives la grâce. D’ores et déjà nous en sommes sûrs, des nappes profondes alimentent ces divers courants c'est le mysticisme des humbles, de ceux qui ne savent pas lire : Antoinette de Cavaillon, Antoinette d'Avignon, Sibylle d'Olivier ; c'est la tradition que gardent certaines familles élues, les Bermond, les Rampalle. Sources prêtes à jaillir, à rejoindre le fleuve puissant qui descend des collines saintes , Rome, Brescia, Milan. Qu'une poignée d'hommes apostoliques, hérauts de la Contre-réforme italienne ou saints du pays, le cardinal Tarugi, le P. Péquet, César de Bus, Romillon, Michaëlis, creusent le sol déjà tout humide et mille ruisseaux impatients se hâteront vers le fleuve qui bientôt sera tout français.

 

 

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