MDCCCXLVI
PRÉFACE
PREMIÈRE
LETTRE A MONSEIGNEUR L'ÉVÊQUE D'ORLÉANS
§ I.
Idée des INSTITUTIONS LITURGIQUES et
de leur auteur, d'après L'EXAMEN de
Monseigneur l'évêque d'Orléans.
§
II. Le livre des institutions liturgiques
a-t-il été pour l'Église de
France une occasion de troubles ?
§
III. Inconvénients de la méthode suivie par Monseigneur l'évêque d'Orléans,
dans l'Examen des INSTITUTIONS LITURGIQUES.
§
IV. Monseigneur l'évêque d'Orléans est-il fondé à attaquer la définition de la
Liturgie donnée dans le livre des INSTITUTIONS LITURGIQUES.
§ V.
Les notions de Dom Guéranger sur la Liturgie sont-elles aussi neuves que le
soutient Monseigneur l’évêque d'Orléans ?
APPENDICE
Monseigneur l'évêque d'Orléans
(1) ayant cru devoir signaler au public mes Institutions liturgiques,
comme un livre dangereux et rempli d'erreurs, je me suis senti obligé, par des
devoirs de la nature la plus impérieuse, d'entreprendre une nouvelle Défense de
cet ouvrage. En conséquence, ayant réduit à plusieurs chefs les griefs que le
Prélat m'impute, je me suis mis en mesure de produire sur chacun d'eux la
justification convenable.
Dans cette première Lettre, après
l'exposé de la controverse et de ses nouveaux incidents, j'entre dans la
question doctrinale de la Liturgie, et je me mets en devoir de suivre
Monseigneur l'évêque d'Orléans sur le terrain où il m'appelle.
La Lettre suivante traitera
principalement de l'autorité de la Liturgie dans les controverses de la foi.
Je discuterai ensuite les
questions canoniques soulevées dans l'Examen de mon livre par le Prélat.
Enfin, je répondrai en détail aux
reproches que Monseigneur l'évêque d'Orléans a jugé à propos de faire à la
partie historique de mon travail.
Ma conscience de catholique, de
religieux et de prêtre m'oblige à vaincre plus d'une répugnance, en soutenant
cette lutte qui m'est trop souvent personnelle. Le soin que je suis contraint
de prendre de ma réputation, à l'endroit de l'orthodoxie, ne me permettait
cependant pas d'hésiter.
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D'autres décideront si j'ai
satisfait à mes promesses. Je n'ai pas désiré cette controverse ; j'en
abandonne le jugement à ceux qui ont mission et compétence pour prononcer.
Un journal ecclésiastique (1) a
annoncé dans ses colonnes que plus de trente de Nosseigneurs les Évêques
auraient écrit à Monseigneur l’évêque d'Orléans pour lui dire qu'ils adhéraient
à son Examen des Institutions liturgiques. Je ne suis point en mesure de
contester directement ce fait ; mais je puis dire que, parmi les Prélats qui
ont cru devoir écrire à Monseigneur Fayet, dans cette circonstance, deux (2)
ont bien voulu m'écrire à moi-même qu'ils l'avaient fait pour lui exprimer leur
déplaisir de la publication de son livre.
Le même journal est allé jusqu'à
citer les paroles d'un illustre Cardinal archevêque (3) dont le nom est cher à
tous les catholiques, et qui, dans sa lettre à Monseigneur Fayet, eût déclaré
qu'il ne peut y avoir qu'une voix pour louer la forme et le fond de ce livre.
Son Éminence a daigné me faire savoir directement que, dans cette Lettre, Elle
avait simplement exprimé un vœu, en déclarant d'ailleurs expressément qu'Elle
n'avait pas encore eu le temps de lire l'ouvrage.
On me permettra ces détails dans
une controverse qui intéresse à un si haut degré l'intégrité de ma foi et mon
attachement à l'épiscopat, contestés l'un et l'autre par l'auteur de l’ Examen.
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MONSEIGNEUR,
Après avoir consacré de longues
années à l'étude des monuments de la science liturgique, la pensée m'est venue
de composer un ouvrage dans lequel fussent résumés, autant qu'il est possible à
ma faiblesse, tous les principes et tous les faits de cette science. Je ne me
suis point dissimulé les difficultés d'une entreprise qui n'avait encore été
tentée par personne ; mais le nombre immense et la gravité des travaux que les
savants français et étrangers ont publiés sur diverses branches de la Liturgie,
m'encouragèrent à tenter un essai, auquel j'ai cru pouvoir donner le titre peu
ambitieux d'Institutions. Après tout, si je succombais sous le poids de
la tâche que je m'étais imposée, il n'en résultait, pour tout malheur, qu'un
livre de plus à ajouter à la longue liste de ceux qu'un zèle désintéressé a
fait entreprendre, et que l'insuffisance de l'auteur l'a contraint d'arrêter.
Quoi qu'il en soit du
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résultat final de mes efforts, le
courage jusqu'ici ne m'a point abandonné, et, s'il plaît à Dieu, je poursuivrai
de mon mieux l'œuvre que j'ai entreprise.
Au premier abord, rien n'eût
semblé plus pacifique que l'accomplissement d'un tel dessein. Réduire en corps
de doctrine, théorique et pratique, tout ce qui est renfermé dans les
bréviaires, missels, rituels, pontificaux, martyrologes et cérémoniaux de
l'Église latine; dans les liturgies, euchologes, archieratichon, typicon, triodion, paracleticon, menées et ménologes de l'Eglise orientale ; décrire et explorer les sacramentaires,
cornes, antiphonaires, responsoriaux, hymnaires, agenda, sacerdotaux, qui ont été
la source des recueils liturgiques usités aujourd'hui dans l'Église;
réunir autour de ces monuments séculaires les faits d'origines, les
interprétations traditionnelles, depuis les Pères de l'Église jusqu'à Durand, et depuis Durand jusqu'aux derniers
liturgistes. Nul travail ne pouvait assurément s'offrir, qui semblât éloigner
davantage toute idée de controverse violente ou de discussion passionnée.
Cependant, il n'en a pas été
ainsi. A qui devons-nous l'attribuer ? En rendrons-nous responsables les
personnes? Je me garderai de le penser et de le dire. La date de la publication
des Institutions liturgiques suffit à tout expliquer. Ce livre eût été
publié au XVII° siècle, au lieu de l'être au XIX°, il n'eût eu à subir d'autres
critiques que celles qui attendent tout ouvrage nouveau, et qui s'exercent
uniquement sur sa valeur propre, et sur la méthode suivie par l'auteur. Au XVII°
siècle, la France n'avait d'autres livres liturgiques que ceux du reste de
l'Occident, et si ses églises se distinguaient par quelques usages
particuliers, ces usages étaient antiques, autorisés; leur place était toute
naturelle dans l'ensemble des rites sacrés, et leurs éléments d'interprétation
faciles à découvrir dans ces mêmes monuments de
la tradition liturgique, qui
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nous fournissent, de siècle en
siècle, l'explication des symboles et des paroles de la Liturgie universelle (1).
Mais depuis qu'un esprit de
nouveauté osa, dans le cours du dernier siècle, remplacer par de modernes
formules de prière publique les formules séculaires qui remplissaient nos
bréviaires, nos missels et nos rituels, de grands embarras attendaient tout
écrivain à qui viendrait l'idée de composer, en France, un traité complet de
science liturgique. Passerait-il sous silence la teneur énorme de ces livres
nouveaux plus volumineux que les anciens ? Son livre demeurait par là même
privé de toute utilité pratique. Entreprendrait-il d'expliquer ces systèmes
d'office divin inconnus à l'antiquité, et dépourvus de toute confirmation de
l'autorité supérieure ? Dès l'abord, il se trouvait arrêté par l'impuissance de
justifier par des traditions quelconques mille faits nouveaux, et, qui plus
est, contradictoires; car les sept ou huit bréviaires et missels principaux qui
se partagent les églises de France détachées de la Liturgie romaine, sont
rédigés d'après des principes aussi neufs que différents entre eux. Pour
justifier cette dissonance eût-il faussé les maximes générales sur lesquelles
reposent toutes les Liturgies antérieures ? Cette méthode n'eût été ni loyale,
ni catholique, outre qu'elle eût offert d'insurmontables difficultés.
Restait donc à apprécier le fait
liturgique du XVIII° siècle
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comme une vaste contradiction à
tous les principes reconnus jusqu'ici sur la matière,comme un renversement des
traditions les plus respectées durant tous les siècles ; enfin, comme un
obstacle au rétablissement de la science liturgique qui s'éteignit en France
avec les anciens livres.
Tel est le parti que j'ai cru
devoir adopter dans la composition de mes Institutions liturgiques, et
je défie tout homme, après avoir parcouru la série des Pères, des écrivains
ecclésiastiques et des commentateurs qui ont traité des rites sacrés, après
avoir lu attentivement les monuments liturgiques de toutes les Églises, de
résoudre autrement le problème.
Mais en prenant un tel parti, je
devais bien m'attendre à provoquer au moins de l'étonnement chez quelques-uns
de mes lecteurs. L'histoire des changements liturgiques du siècle dernier était
si peu familière au public, que beaucoup
de personnes graves considéraient les bréviaires et les missels modernes comme
des monuments de l'antiquité, comme un dépôt qui nous venait de l'ancienne
Église gallicane. La cause première de
l'innovation, les principes dans lesquels elle fut opérée, les résultats
qu'elle a produits, étaient choses sur lesquelles on fermait constamment les
yeux, et la science liturgique n'était
bientôt plus aux yeux du grand nombre que l'humble et patiente industrie avec
laquelle un pauvre prêtre, par diocèse, est chargé de composer, chaque année, l’Ordo
ou le Bref à l'usage de ses
confrères.
Je me trouvai donc dans la
nécessité de faire précéder mon grand travail d'une introduction historique,
dans laquelle j'étais d'autant plus dans l'obligation d'assigner une large
place à l'innovation française du XVIII° siècle que la matière était plus neuve
pour le grand nombre de mes lecteurs. Cette œuvre, toute imparfaite qu'elle
est, me coûta de sérieux labeurs ; personne ne m'avait précédé dans cette voie,
et les matériaux du récit étaient difficiles
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à rassembler. Cheminant donc seul,
dans cette route non frayée, j'étais sans doute, comme tout homme, exposé à me
tromper : le public a été à même de juger si mes adversaires ont pu jusqu'ici
se flatter de m'avoir sérieusement pris en défaut.
J'écrivis cette histoire de la
Liturgie avec conviction ; et, partant, avec chaleur : je ne saurais m'en repentir.
N'ayant jamais écrit une ligne par calcul, par engagement ou par exigence de
position, j'ai toujours ignoré les précautions oratoires à l'aide desquelles
d'autres cherchent à voiler leur pensée. L'origine des liturgies françaises me
semble un fait affligeant, leur permanence me paraît un obstacle à l'unité
complète que nous devons tous désirer, et au rétablissement de la science, si
négligée, des rites sacrés; je déplore cet état de choses, j'en désire la fin,
et je crois faire une bonne action en travaillant à faire partager mes
convictions à cet égard. Il ne s'agit point ici d'un système : je n'ai pas
l'honneur d'avoir inventé quoi que ce soit. Quand bien même j'eusse gardé le
plus profond silence, il n'en serait pas moins vrai que l'Église catholique
tend à l'unité liturgique; qu'elle a porté clans ce but de solennels règlements
; que cette unité a existé en France ; qu'elle a été brisée plus tard, sans le
concours de l'autorité qui l'avait exigée et maintenue ; que le Jansénisme a
été l'auteur principal de l'étonnante révolution qui a produit les nouveaux
livres ; que les principes de la science liturgique ne sont pas applicables à
ces récentes compositions, dépourvues d'ailleurs de la sanction de l'Église et
du Siège apostolique, et rédigées au rebours de tout ce que la tradition nous
avait enseigné jusqu'alors sur les principes de la Liturgie.
Telle était la nécessité imposée
non seulement à moi, mais à tout écrivain français auquel serait venue la
pensée d’écrire à fond sur la Liturgie, et conséquemment d'apprécier la
situation que nous a faite, sous ce rapport, le
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XVIII° siècle. Mais ici se présentaient deux graves
difficultés d'application : comment excuserait-on les prélats qui donnèrent la
main à des changements déplorables ? En quel sens déciderait-on la question
pratique qui résulte d'une situation aussi irrégulière ? En présence de ces
deux problèmes, dont, je l'avoue, le second me semblait plus grave, de toute
manière, que le premier ; il me sembla qu'il n'y avait qu'à procéder avec franchise,
et je me fis un devoir de me montrer conséquent à des principes qui étaient
au-dessus de moi.
Abordant la première difficulté,
je racontai les faits et je crus remplir une obligation en signalant comme
hérétiques tous les personnages, sans exception, qui s'étaient déclarés
notoirement appelants des décisions dogmatiques de l'Église. Quant aux prélats
qui favorisèrent l'innovation liturgique ; soit en acceptant des bréviaires et
des missels tout faits de la main de rédacteurs connus pour leur opposition aux
jugements solennels du Saint-Siège; soit en demandant ces livres à des
écrivains soumis aux décisions de l'Eglise, mais peu effrayés de se mettre en
opposition formelle avec le droit catholique sur la Liturgie; soit enfin en
faisant imprimer, à l'usage de leurs diocèses, ces récentes compositions déjà
admises par plusieurs de leurs collègues; je ne dissimulai pas les
inconvénients de ces diverses mesures pour l'unité extérieure de l'Eglise
considérée dans toutes ses conséquences; mais loin de taxer d'hérésie ces
prélats dans leurs personnes, je m'attachai à faire comprendre comment des
opérations dont le résultat vient d'être signalé comme très périlleux
par le Saint-Siège (1), avaient pu néanmoins devenir possibles sous le régime
de prélats irréprochables dans la foi. Les jugements que je portais sur le fait
des changements liturgiques étaient malheureusement applicables à tout un en-
251
semble d'autres faits dont
l'histoire ecclésiastique de France, au XVII° et au XVIII° siècles, est remplie
; et je ne sache pas qu'un écrivain qui se respecte et qui tient à la moralité
historique ait jamais abordé un pareil sujet avec le parti pris d'excuser
toujours et en toutes choses les personnes et les faits. Lorsque mon récit
m'amena en présence des grands prélats qui parurent encore à cette époque
dégénérée, les cardinaux de Bissy et de Tencin ; les
archevêques Fénélon, Languet, Saint-Albin,
de Beau-mont, de Juigné ;
les évêques Belzunce, de Fumel, la Parisière, de Froullay, de la Mothe d'Orléans, etc., je m'empressai de rendre hommage à
leurs vertus et à la dignité de leur caractère. Dans un travail historique
d'une nature moins restreinte, un plus grand nombre de noms vénérables se fût
présenté sous ma plume, et je ne les eusse pas enregistrés avec moins de
bonheur. Quant à l'époque plus récente et tout à fait contemporaine, je
m'imposai un silence absolu sur les livres liturgiques publiés par des prélats
qui vivaient encore.
Devant le second problème, je
gardai une réserve encore plus stricte que celle que j'avais observée sur le
premier. Je savais qu'il intéressait au plus haut degré la conscience du
clergé, et la question étant d'elle-même aussi complexe que délicate, je crus
devoir l'ajourner à la fin de mes Institutions.
J'avais eu si peu l'envie delà
soulever que dans plusieurs endroits de mes deux volumes (1), ayant à
m'expliquer en passant sur les conséquences pratiques des principes de Liturgie
que j'étais à portée de rappeler, j'avais cru pouvoir dire (quoiqu'on ait
constamment refusé de m'en tenir
252
compte) que le mouvement de
régénération de la Liturgie en France devait être accompli avec lenteur et
prudence, et par l'autorité des évêques. M'était-il possible déparier plus
clairement ? Et ce langage était-il celui d'un homme qui cherche à mettre le
trouble dans les églises ?
En 1843, sur l'honorable
consultation d'un de nos plus savants archevêques, j'entrai enfin dans la
discussion publique de cette grave question du Droit liturgique que j'avais
jusqu'alors évitée. Je publiai ma Lettre à Monseigneur l'archevêque de Rheims sur le Droit de la Liturgie. Les lecteurs sans
passion sont à même de juger si les principes que je mis en avant dans la
solution du cas de conscience étaient nouveaux ou exagérés. Je profitai de
l'occasion pour répéter, avec plus d'insistance encore, les maximes que j'avais
inculquées dans mes Institutions sur la nécessité de procéder, dans la
réforme liturgique, avec une sage lenteur et un sincère esprit de subordination
aux premiers pasteurs.
La même année 1843, Monseigneur
l'archevêque de Toulouse fit paraître une brochure intitulée : L'Église de
France injustement flétrie dans un livre qui a pour titre : Institutions
liturgiques. J'étais accusé dans cet écrit d'avoir voulu flétrir l'Église
de France, à propos de la Liturgie, et pour atteindre ce but, d'avoir cité à
faux, falsifié des passages, fabriqué des textes, inventé des faits.
L'accusation était grave, et comme il m'était facile de m'en disculper par le
simple exposé des pièces du procès, je crus qu'il ne m'était pas permis de
négliger ma justification. Je publiai donc, l'année suivante, la Défense des
Institutions liturgiques, dans laquelle je crois avoir procédé avec une
entière sincérité, ne dissimulant aucune des imputations dont on m'avait
chargé, et me faisant une loi de répondre constamment par des faits.
Le 1er décembre 1844,
Mgr l'évêque de Périgueux donnait un mandement pour rétablir la Liturgie
romaine dans
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son diocèse. Il était imité,
l'année suivante, par Mgr l'évêque de Gap, et en ce moment même, plusieurs
autres prélats disposent toutes choses pour un très prochain rétablissement de
l'unité romaine de la Liturgie, dans leurs , diocèses. Ainsi le bel exemple
donné dès le 15 octobre 1839,
par Mgr l'évêque de Langres, est devenu fécond, dans l'Église de France, pour
l'édification des fidèles et pour la consolation du Siège apostolique.
Au milieu d'événements d'une
portée si supérieure à l'influence d'un livre et d'un auteur, je poursuivais
tranquillement la publication des Institutions liturgiques ; oeuvre
laborieuse, sans doute, mais affranchie désormais des inconvénients, plus ou
moins réels, qu'avait pu présenter l'introduction historique dont j'avais cru
devoir la faire précéder. C'est au milieu de ces pacifiques travaux que m'est
parvenu le volume que vous donnâtes au public, Monseigneur, dans le cours de
décembre dernier, et qui porte le titre d' Examen
des Institutions liturgiques. Je me hâtai de prendre lecture d'un livre qui
devait m'intéresser à tant de titres, et il ne me fut pas difficile de
reconnaître que le résultat de l’Examen, en ce qui dépendait de vous,
Monseigneur, était loin d'être favorable et au livre et à l'auteur.
Je pris alors la liberté de vous
faire connaître la résolution inspirée par ma conscience de travailler de bonne
foi à une nouvelle défense des Institutions liturgiques ; les motifs les
plus graves m'en faisaient un devoir. Vous me fîtes alors l'honneur de
m'écrire, Monseigneur, que c'était une rétractation, et non une justification,
que vous attendiez de moi. J'avoue que cette rétractation me parut prématurée,
par la raison qu'il me semblait évident que je pourrais facilement dégager mon
livre et ma personne de toutes les imputations dont l'une et l'autre se
trouvent être l'objet dans votre Examen.
Mais je répéterai ici,
Monseigneur, comme j'ai eu l'honneur de vous l'écrire, que cette controverse
n'est qu'un bien
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léger incident au milieu des graves
préoccupations qu'inspire aujourd'hui au clergé et aux fidèles la situation de
l'Église en France. Je ne cherche point d'influence; je n'ai point de parti
autour de moi, et j'affirme bien sincèrement, et devant Dieu, que je ne tiens à
mon livre que parce que je le crois catholique. Il ne le serait pas,
Monseigneur, s'il méritait les inculpations que vous avez lancées contre lui.
Or, si mon livre n'était pas catholique, que devrait-on penser de la foi de
celui qui l'a écrit ? Il n'est donc pas ici question d'amour-propre d'auteur,
ni de mérite littéraire ou scientifique. Quiconque s'avise de publier un livre
doit compter sur la critique, juste ou injuste; il n'y a en cela rien de
nouveau. Mais quand un enfant de l'Église est attaqué dans sa foi et dans son
attachement à l'Église et à sa divine
hiérarchie, s'il ne se sent pas coupable, il doit publier sur les toits sa
justification. Une rétractation émise, quand il n'y a pas eu erreur,
serait un scandale de plus.
Permettez-moi donc, Monseigneur,
d'aborder, sans tarder davantage, un sujet qui importe si fort à l'honneur de
ma foi et de mon orthodoxie, et de dire à l'Église mes réclamations. Je
serai grave, Monseigneur, dans un sujet de si haute gravité, et j'espère
n'employer pour ma défense que des armes convenables, dignes à la fois de la
cause que je soutiens, et du caractère sacré dont vous avez l'honneur d'être
revêtu.
En commençant, je prendrai la
liberté d'exposer, d'après vos propres paroles, l'idée que vous vous êtes
formée, et que vous avez voulu donner à vos lecteurs, de mon livre et de ma
personne. C'est en même temps rendre compte au public des motifs de devoir et
de convenance qui m'ont fait prendre la plume. Les personnes
qui n'ont pas lu les Institutions liturgiques doivent me considérer
comme un homme suspect dans la doctrine, animé d'intentions hostiles contre
l'unité; je relève l'accusation avec franchise avant d'y répondre.
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Si, dans mon livre, Monseigneur, vous vous fussiez borné à critiquer le style et la
manière de mes écrits, comme cela est permis à tout le monde, je n'aurais eu garde d'entreprendre une défense pour de si médiocres intérêts. Deux
ou trois phrases d'une rhétorique
incorrecte, aggravées peut-être par une erreur de typographie, ne vaudront
jamais la peine d'être défendues, dans
une discussion grave. Bien moins encore, perdrai-je le temps à relever celles
du même genre qui se rencontrent dans votre écrit : ces choses-là ne mènent à rien, et à mes yeux le suffrage des personnes que l'on pourrait
gagner par de tels moyens n'est d'aucun
poids dans une controverse de faits et de principes. Je fais tout aussi bon
marché de l'éloge beaucoup trop
flatteur que vous voulez bien faire de mon amour de l'étude,
de mes talents vraiment remarquables, de mon style armé pour le
combat, et des qualités éminentes
qui peuvent faire de moi un vrai défenseur de l'Eglise (1). Il
s'agit tout simplement de savoir si je
suis catholique.
Vous pouviez donc en toute
liberté, Monseigneur, dire, par exemple, que contre l'intention de son auteur,
l'ANNEE LITURGIQUE que j'ai commencé de publier l'emporte
en raideur et en aridité sur les livres de prière jansénistes les plus durs et
les plus secs (2), personne n'étant obligé de lire cet ouvrage; que j'ai
résolu de faire pratiquer à mes lecteurs
la sainte vertu de patience
(3), ce qui peut tous
256
les jours arriver à un écrivain, au moment même où il y
pense le moins; que mes longues
études n'ont pas embrassé les premiers
éléments de la théologie, ce qui sera, sans doute, mieux démontré encore par cette Défense; que je me complais à faire de
la prose (1), comme si jusqu'à
cette heure mes adversaires avaient pris leur vol vers des régions d'une
si haute poésie; que mes assertions finissent par inspirer une sincère compassion aux gens graves,
pendant qu’elles font rire les enfants (2), ce qui est assurément fort éloigné
du but que je me suis proposé ; qu'on ne saurait dire si je suis
historien ou poète (3), malgré ma prose
obstinée; que néanmoins, on peut charitablement me laisser croire que je
fais de l'histoire (4); que je remue les questions moins pour les
résoudre que pour les embrouiller (5); que je manque de patriotisme, parce
que j'ai peu de goût pour les grosses voix des chantres de certaines
cathédrales (6), etc.
Je me résignerais bien volontiers
à ces légers sarcasmes,
et je vous assure même,
Monseigneur, que les efforts que vous avez faits ailleurs pour me donner une couleur grotesque ne m'ont
pas mis de mauvaise humeur. Je me sens
même d'assez bonne composition pour en
rire avec le public. Après tout, je sais qu'il serait par trop sévère d'exiger
qu'un grand écrivain, à qui la nature a
départi une incontestable souplesse de talent, renonçât à faire usage de toutes ses ressources dans un volume de cinq cents
pages. Ainsi, Monseigneur, tant qu'il vous plaira, appelez-moi le
Pape de Solesmes (7) ; peignez-moi dans mon antique Abbaye, transformée
par moi en citadelle armée (8), construisant une machine de guerre pour
battre en brèche, du haut de mes tours, les
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Liturgies des Églises de France (1); armez-moi aussi d'une
longue vue (2); dites que je me porte pour le successeur de saint
Grégoire VII, comme abbé de Cluny (3), quoique j'aie dit et que chacun
sache que ce grand Pape a été simplement prieur de ce monastère ; montrez-moi
attablé à l'auberge de l’Ours-Noir, à Vittemberg (4), et ailleurs priant la Sorbonne de
couvrir mes pauvres petits de son égide tutélaire, contre le Pape (5) ;
exécutant des procédés de fantasmagorie (6); cherchant à piper les
esprits par des sophismes (7) ; enseignant une théologie et un droit
canonique qui font très mauvais ménage ensemble, attendu qu'il y a entre eux
incompatibilité d'humeur, et que tôt ou tard cela finira par un divorce
(8); écrivant un livre tel qu'on ne sait si c'est un traité, une dissertation,
une satire ou un roman (9) ; problème qui se trouve résolu plus
loin en faveur du roman feuilleton (10), etc.
Toutes ces libertés de style (et
je choisis entre mille) n'ont rien qui me choque ; elles ont même l'avantage de
rendre un livre d'une plus agréable lecture, et le commun des lecteurs est si
peu grave aujourd'hui, qu'on peut quelquefois sentir le besoin de ranimer son
attention par quelques traits spirituels et de bon goût. J'en juge par
moi-même, peut-être; mais, tout en reconnaissant que des plaisanteries ne sont
pas des raisons, et ne sauraient faire avancer une question sérieuse, je n'ai
pu m'empêcher de me trouver très égayé du dialogue dans lequel, Monseigneur,
vous mettez aux prises un pauvre professeur de séminaire et un curé de
campagne, à propos des Institutions liturgiques et de leur auteur, et
dans lequel aussi l'un et l'autre disent, en
effet, des choses fort
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extraordinaires (1) ; et encore de
cet autre dialogue entre un professeur de théologie et ses élèves, auxquels il
fait fort agréablement les honneurs de ma personne {2) ; et encore de ce
monologue de M. Montagne, mort depuis longues années, que vous évoquez tout
exprès pour venir me réfuter, et qui se livre avec tant de bonne volonté à
cette tâche, que bientôt vous êtes obligé de dire : J'arrête ici M. Montagne
(3).
Il est donc bien entendu,
Monseigneur, que je ne me plains pas de ces procédés, que je n'en crains
nullement la portée, et que si votre Examen n'eût renfermé contre la
cause que je soutiens, et contre mon caractère, que des scurrilités
de ce genre, je me serais bien aisément résigné à subir en silence l'effet de
votre attaque. Je ne reviendrai plus sur cette manière de poursuivre un livre,
et je renonce à faire assaut sur ce terrain. D'ailleurs, Monseigneur, le genre
de Pascal, pour être convoité, n'est pas toujours accessible, et n'écrit pas
ses petites Lettres qui veut. Nous passerons donc à des détails d'une
toute autre portée.
Or, voici, Monseigneur, l'idée
que vos lecteurs doivent se former de moi, d'après la partie sérieuse de votre
livre. Sur le but que je me suis proposé en écrivant les Institutions
liturgiques, vous leur apprenez que les évêques de France ayant,
selon moi, dévié dans la foi, je me suis donné comme ayant, à moi
seul, la mission de les ramener dans le droit chemin (4), et de les
faire rentrer dans l'unité de l'Eglise (5) ; que mon livre est destiné
par moi à faire leur éducation religieuse (6) ; que, selon moi encore, ils
ne tiennent plus que par un fil au Saint-Siège (7); que je désire les
trouver en faute pour avoir droit de les accuser (8), etc.
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Ces étranges accusations,
contredites par tout ce que j'ai écrit jusqu'ici ne vous empêchent pas
cependant, Monseigneur, d'avouer que je reconnais à tout moment que jamais
on ne vit une plus intime union entre le Saint-Siège et l'épiscopat français,
entre les premiers pasteurs et le clergé (1). Mais vous ne m'en faites pas
plus de grâce, et après m'avoir attribué un mépris injuste pour les Évêques de
France, vous allez bientôt jusqu'à m'imputer de la haine contre eux, et les
projets les plus abominables contre l'unité même de l'Eglise de Jésus-Christ.
Ainsi vous dites, sérieusement sans doute, Monseigneur, que j'ai déclaré la
guerre aux Eglises de France et à leurs premiers pasteurs (2) ; que je
lance la foudre de l'excommunication sur plus de cent évêques (3) ; que,
levé par moi, le drapeau de l'unité liturgique devient le drapeau de
l'insubordination et de la révolte (4); que, depuis la publication de mes
livres, l'Eglise de France est agitée comme la mer (5) ; que, sous un
air de science et de piété, je couvre le schisme du drapeau de l'unité (6) ;
que j'ai publié deux gros volumes pour révolutionner l'Eglise de France
(7) ; que mes paroles ont une effrayante conformité avec le langage des
factieux et des révolutionnaires de tous les temps et de tous les pays (8)
; que je me sers d'armes empoisonnées (9); etc. Ce qui vous amène tout
naturellement, Monseigneur, à ajouter : « L'épiscopat français, attaqué de toutes parts, résiste
encore aux efforts de ses ennemis, et ceux-ci ne manquent que d'un chef ardent
et habile pour en finir. Mettez-vous à leur tête, mon Révérend Père, dirigez
l'armée sainte (sic) qui marche contre nous ; c'est un beau rôle à jouer
(10) ».
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Mais ce n'est pas tout.
Après avoir fait de moi un schismatique, vous ne vous arrêtez
pas là, Monseigneur ; vous attaquez jusqu'à ma foi, et j'ai dû m’entendre
accuser d'hérésie par votre bouche. Ainsi, non
content de me comparer à Voltaire (1), de prophétiser en moi un nouvel Arius
(2); vous m'attribuez à la fois les doctrines du Presbytérianisme (3), l'erreur
des Pauvres de Lyon (4), le système humanitaire (5) ; enfin jusqu'à
la solidarité des cours du Collège de France (6). Et pour clore dignement cette
incroyable série d'injures dont je n'ai détaché que quelques traits, il vous
plaît, Monseigneur de m'appelez à plusieurs reprises un saint Religieux
(7), sorte d'ironie qui donnerait à penser que vous professez pour l'état
monastique le même respect dont paraîtrait animé envers l'épiscopat un auteur
qui, après avoir déversé sur un évêque les plus odieuses imputations,
s'amuserait à l'appeler en même temps un saint évêque.
Si votre Examen,
Monseigneur, eût été publié par un laïque, par un prêtre même, qui se fût ainsi
permis de jeter des nuages sur ce que j'ai de plus sacré, ma foi et mon
attachement à l'unité, j'avoue que j'eusse méprisé des accusations que leur
violence rend déjà suspectes à tout lecteur non prévenu, n'eût-il pas lu une
page des Institutions liturgiques; mais, Monseigneur, vous avez
l'honneur d'être évêque; c'est le doigt d'un évêque qui me signale à
l'animadversion des fidèles. Quels que soient les motifs qui aient dirigé votre
plume, je sens que j'ai un devoir sacré à remplir, avant de vous suivre dans
l'examen de mon livre , j'ai à faire ma profession de
foi devant l'Église scandalisée, et je supplie tous les pasteurs et tous les fidèles
qui liront cet écrit de l'écouter et de la recevoir.
«
En présence du Dieu tout-puissant, et de notre mère
261
la sainte Eglise catholique,
apostolique, romaine, je déclare adhérer de cœur à tous les dogmes proposés à la
foi des fidèles de Jésus-Christ par la même sainte Eglise, et anathématiser
toutes les hérésies et toutes les erreurs anathématisées par elle, dans le cours
des siècles jusqu'aujourd'hui. J'approuve tout ce qu'elle approuve, je condamne
tout ce qu'elle condamne, et non seulement je réprouve toutes les erreurs
directement proscrites, mais je réprouve encore tous les sentiments nouveaux,
hardis ou suspects de témérité, qui n'auraient pas reçu encore la condamnation
de la sainte Église, mais seraient en quelque chose suspects dans la foi, ou
dans l'ordre de la subordination ecclésiastique.
« De plus, je professe une
entière soumission au Saint-Siège apostolique en lequel Jésus-Christ a établi
la règle de la foi catholique et le fondement de l'unité pour toute l'Église.
Je proteste ne point diviser de ce Saint-Siège apostolique la personne du
Pontife qui y est assis, afin de ne pas rendre inutile le mystère de l'unité.
Je reconnais dans les évêques institués par l'autorité du Pontife romain et
demeurant en communion avec lui le pouvoir de régir les Églises qu'il leur a
confiées, sauf les réserves apostoliques, et pour les fidèles, clercs et
laïques, l'obligation de leur
rendre une véritable obéissance.
« Enfin, je désavoue et rétracte
bien volontiers tout ce que j'aurais écrit de contraire à la présente
profession de foi. C'est dans cette foi que, par la grâce de Dieu, j'espère
vivre et mourir. »
Il arrive quelquefois que des
abus enracinés par une longue possession deviennent l'occasion d'agitations
262
violentes, lorsqu'il s'agit de les
extirper. L'histoire ecclésiastique est remplie d'exemples qui déposent de ce
fait, et plus d'une fois, on a été à même de déplorer certains effets de la
précipitation, ou de l'inexpérience, qui aggravent le mal au lieu de le guérir.
L'esprit de l'Eglise est donc de procéder dans de semblables occurrences par un
esprit de discrétion qui n'a rien de commun avec la faiblesse.
Si telle est la conduite de ceux
auxquels appartiennent le droit et le devoir d'opérer
les réformes dans l'Église, qu'elle ne doit pas être la modération de ceux qui
croient devoir publier des livres dans le sens de ces réformes ! Autant ils
doivent être fermes sur les principes et sur les faits, autant ils doivent se
garder de provoquer des mouvements indiscrets qui pourraient de près ou de loin
favoriser l'anarchie. Je crois, Monseigneur, avoir eu ces maximes devant les
yeux, en écrivant sur la liturgie. Relisez les passages des Institutions
et de la Lettre à Monseigneur l'archevêque de Rheims
que j'ai rappelés dans ma Défense (1), et peut-être cesserez-vous de
m'accuser de prêcher la révolte et l'insurrection.
Je sais bien que vous avez
attaqué jusqu'à la légitimité de l'existence de mon livre, en me reprochant de
n'avoir écrit que pour faire l’éducation religieuse des évêques (2).
Vous vous êtes égayé fort spirituellement sur les professeurs
bénévoles, et sur le préceptorat que, selon vous, je m'arroge à
l'égard des premiers pasteurs. Ces sarcasmes tombent plus ou moins à propos ;
mais je vais tout de suite au fond. Votre pensée visible est que je ne devais
pas écrire un livre dont le résultat pourrait être de faire désirer au clergé
et aux fidèles des changements qui dépendent de la volonté des évêques.
A cela je
répondrai deux choses : premièrement, en
203
exprimant le vœu de voir ces
changements s'opérer, en exposant la nécessité de s'en occuper, j'ai fait
remarquer à mes lecteurs que la bonne volonté de nos prélats rencontrerait des
difficultés dans l'exécution, à raison de certains obstacles matériels d'une
nature impérieuse, et qui ne peuvent disparaître qu'avec le temps.
En second lieu, je dirai que si
la prétention de vouloir faire l'éducation religieuse des évêques doit
être attribuée à tout écrivain non évêque qui vient à traiter des matières de
pratique épiscopale, tous les prêtres désormais devront renoncer à écrire non
seulement sur le droit canonique, parce que les évêques sont chargés d'office
de l'appliquer ; mais encore sur le dogme, parce qu'ils sont chargés de
l'enseigner et d'en conserver le dépôt; sur la morale, parce que c'est à eux de
l'expliquer au peuple dont ils sont les pasteurs. Cette maxime a cependant été
mise en avant, et je sais un diocèse où on avait songé à interdire toute
publication, en matière religieuse, aux ecclésiastiques, sans la permission
préalable de l'évêque. Et n'avons-nous pas entendu mettre en question si les
laïques pouvaient prendre publiquement la défense de l'Église ?
Certes, quand il s'agit de
l'Ecriture sainte, des versions nouvelles, des commentaires à publier sur ce
texte divin, rien de plus sage que la disposition souveraine du saint concile
de Trente qui soumet tous les travaux de cette nature à la censure préalable de
l'Évêque. Le texte sacré est la propriété de l'Église entière; il n'est pas
possible d'y rien ajouter, ni d'en rien retrancher. L'interprétation de cette
divine parole appartient à l'Église seule; son texte doit demeurer sous la
surveillance exclusive des évêques qui en doivent compte à leur troupeau et à
toute l'Église. C'est donc dans l'intérêt de la foi que des limites ont été
opposées au zèle des prêtres et des laïques qui veulent livrer au public le
résultat de leurs études sur la parole de Dieu.
264
Mais s'agit-il de traiter des
diverses sciences ecclésiastiques, il est inouï qu'on ait prétendu que
l'écrivain qui publie des travaux sur de
telles matières, méritât d'être accusé d'entreprendre sur le droit des évêques,
et de se poser pour leur donner des leçons. Assurément, quand l'autorité sacrée
de l'épiscopat brille dans l'auteur d'un
livre de science ecclésiastique, ce livre acquiert dès lors une gravité toute
particulière; ainsi aimons-nous à vénérer la qualité de Pontifes dans les
Grégoire, les Athanase, les Chrysostôme, les
Augustin, les Bonaventure ; mais la doctrine de vie n'est pas moins sûre, ni
moins lumineuse dans les Jérôme, les Bernard, et les Thomas d'Aquin. Depuis l'époque des Docteurs de l'Église
jusqu'aujourd'hui, le vaste champ de la science ecclésiastique a été cultivé
par de savants hommes en lesquels l'orthodoxie a brillé autant que l'érudition
: la majeure partie de ces écrivains appartient au clergé du second ordre; mais
je ne sache pas que Bossuet ait jamais rougi d'emprunter à leurs lumières sur
la controverse, ni que Benoît XIV ait cru abdiquer la majesté de son trône, en
interrogeant tant de savants canonistes
du second ordre sur la manière dont il devait non seulement gouverner l'Église de Bologne comme archevêque, mais aussi régir l'Eglise universelle comme
Souverain Pontife.
Ces principes généraux,
Monseigneur, sont applicables à tout écrivain catholique, et je ne sais pas
pourquoi le dernier des prêtres n'en réclamerait pas sa part. Au reste, si j'ai
cru pouvoir, à mon tour, écrire sur la liturgie après tant et de si illustres
prêtres, les Mabillon, les Le Brun, les Zaccaria, et cette innombrable nuée de
liturgistes, je me suis fait un devoir, dès qu'il s'est agi de la question
pratique, d'en remettre exclusivement l'application à la prudence de nos
prélats. Déjà plusieurs archevêques et plusieurs évêques de l'Église de France,
loin de se tenir pour offensés de mes conclusions, s'étaient donné
265
la peine de m'écrire pour me
témoigner leurs sympathies et leurs encouragements. Depuis la publication de
votre Examen, Monseigneur, d'autres prélats que je n'en avais pas
sollicités, ont bien voulu m'adresser les témoignages de leur honorable
intérêt; je les en remercie du fond de mon cœur ; tout mon désir est de me
rendre digne de leur confiance.
Certes, Monseigneur, vous avez
surpris plus d'un de vos lecteurs, quand vous avez cru devoir affirmer au
public que depuis l'apparition des Institutions liturgiques, l'Église de
France était agitée comme la mer. Mais où sont donc les traces de cette
tumultueuse agitation ? Qui jamais, jusqu'à cette heure, eût soupçonné que ce
livre eût pu avoir une telle portée ? Quelques brochures, quelques articles de
journaux paraissant les uns et les autres à longs intervalles; quelques
demandes respectueuses adressées par un ou deux chapitres à leurs évêques ;
quelques désirs émis avec la plus grande mesure pour solliciter un changement
dans les livres liturgiques ; voilà tout. Dans de rares localités, il sera
peut-être arrivé que deux ou trois prêtres auront été indiscrets dans leurs
démonstrations ; mais de bonne foi, l'Église de France s'en est-elle aperçue ?
Plût à Dieu que nous n'eussions point d'autres scandales à déplorer pour le
présent, ou à craindre pour l'avenir ! Les prêtres auxquels le joug de
l'obéissance sacerdotale est incommode ne comptent pas pour l'ordinaire parmi
ceux qui aspirent à prolonger les instants qu'ils donnent au service divin. Us
trouvent suffisante la somme de prières qui leur est imposée par le bréviaire
diocésain, et sont peu jaloux de la voir s'accroître.
Cette controverse tout
ecclésiastique a occupé surtout les hommes graves et qui s'intéressent aux
matières de science religieuse. On a pu se prononcer dans un sens ou dans un
autre ; mais, pour ma part, je puis dire que, sans être plus étranger qu'un
autre aux relations qui peuvent
266
mettre à même d'apprécier la
situation, je n'ai rien découvert qui ressemblât le moins du monde à une
agitation, et qui sortît des limites d'une discussion tout individuelle. J'ai
eu l'honneur de vous l'écrire, Monseigneur, mon livre ne méritait pas tant de
bruit, et il pourrait se faire que, si l'importance des questions qu'il a
soulevées est destinée à grandir, ce résultat dût être justement attribué au
fait de votre attaque contre les Institutions liturgiques.
Vous dites, Monseigneur, que le drapeau
de l'imité liturgique est un drapeau de révolte; mais, de grâce, où
voyez-vous un drapeau dans tout ceci ? Le clergé a-t-il donc formé des
mouvements menaçants pour la subordination cléricale, sous le prétexte de la
Liturgie romaine ? Pourrait-on citer un seul diocèse dans lequel ce scandale
soit arrivé ? Les prêtres qui s'occupent de cette question ne sont-ils pas
évidemment en minorité dans l'Église de France ? Parmi eux, ceux qui désirent
la Liturgie romaine ne sont-ils pas encore les moins nombreux ? Et au sein de
cette minorité, les plus zélés, pour l'ordinaire, que font-ils autre chose que
former des vœux, que demander à celui qui seul tient les cœurs dans sa main et
sait aplanir les obstacles, le retour à cette belle et salutaire unité dont la
France ne s'écarta que dans des jours mauvais, et au milieu de perfides
influences ?
Or, ces prêtres, non moins soumis
à l'épiscopat qu'obéissants au Saint-Siège, ces hommes de paix et de charité
qui n'ont su que prier et exhorter leurs confrères à faire de même, vous avez
eu le courage, Monseigneur, de les poursuivre de vos sarcasmes. Vous ne vous
êtes pas contenté de dire qu'ils forment une secte qui poursuit les évêques
de ses complaintes (1); vous avez cherché à déverser le ridicule et l'odieux
sur les manifestations de leur
267
humble attachement à l'unité.
Rappelez-vous vos paroles, Monseigneur ; peut-être qu'un jour vous regretterez
de les avoir écrites. Je les relève
ici avec d'autant plus de liberté qu'elles ne m'atteignent qu'indirectement:
« Ceux-ci se tournent vers
la prière, ils font des neuvaines pour la conversion des évêques ; et afin que
la grâce les ramène au Bréviaire romain, ils écrivent de touchantes homélies à
l'adresse des premiers pasteurs, et ils les conjurent, avec larmes, de rentrer
dans la communion et le giron de l'Eglise universelle; et pour triompher de
l'endurcissement des plus aveugles, ils dédient leurs livres à l’ Immaculée
Conception de la Sainte Vierge. Et ces pieuses scènes se jouent en plein
vent, et elles sont gravement répétées par les échos de la publicité! Quelle
est donc cette nouvelle secte de zélateurs moitié rusés, moitié fanatiques, qui
vient souffler la discorde sur nos églises (1) ? »
Oh! Monseigneur, comment
n'avez-vous pas senti que la prière est
toujours respectable, et que les cœurs d'où elle s'épanche ne sont pas des
cœurs glacés! En ce siècle où l'on peut tout dire et tout oser, vous vous
plaignez que l'on fasse des neuvaines pour obtenir ce qu'on désire ! Le
nom de Marie, le glorieux mystère de sa Conception immaculée, invoqués pour
obtenir ce qu'on estime une grâce, tout cela n'est pour vous qu'une pieuse
scène jouée en plein vent.
Mais, Monseigneur, nous ne sommes
pas même obligés de recourir à la bonne foi comme au seul moyen d'expliquer les
prières, les neuvaines et les vœux â Marie pour le retour de la
France à la Liturgie romaine. Cet heureux retour ne serait-il pas une grâce
signalée pour notre Église? Or, s'il en est ainsi, n'y a-t-il pas lieu de
déplorer amèrement le ridicule que vous vous efforcez de jeter sur
268
les œuvres de piété accomplies pour
l'obtenir du Père des miséricordes. Après tout, de quoi s'agit-il donc? De
remplacer par la prière universelle imposée à toutes les églises par le Siège
apostolique, au nom du saint concile de Trente, des prières modernes, d'une
autorité si inférieure, et dont la plus grande partie a été rédigée et compilée
par des ennemis de notre foi; de remplir un désir cher au cœur de Grégoire XVI;
de faire cesser ce que, dans son bref à Monseigneur l'archevêque de Rheims, ce Pontife ne craint pas d'appeler un très grand
péril; de resserrer un des principaux liens des églises particulières avec
l'Église romaine; de rendre plus touchante encore et plus visible la Communion
des Saints; de retrancher aux simples fidèles une occasion de scandale, en
faisant disparaître une variété et une mobilité de rites qu'ils ne peuvent
concilier avec l'idée qu'ils se forment de l'Église, leur mère. Et vous ne
pensez pas, Monseigneur, qu'une telle grâce vaille la peine d'être demandée à
Dieu, même par des neuvaines, même au nom de celle qui est le Secours
des chrétiens ! Et vous ne voyez dans tout cela qu'une secte de
délateurs moitié rusés, moitié fanatiques, qui vient souffler la discorde sur
nos églises! Franchement, à la lecture de semblables pages, il faut
convenir que la passion peut entraîner quelquefois bien loin.
Encore un mot, au nom de la
justice, Monseigneur. Où avez-vous vu qu'on ait demandé à Dieu la conversion
des évêques ? Sans doute, saint Charles Borromée, saint François
de Sales désiraient qu'on priât pour leur conversion, et croyaient humblement
en avoir besoin ; mais je sais que cette manière de parler pourrait être
inconvenante : je ne la défends donc pas. Qui donc l'a employée ? Où l'a-t-on
découverte ? Le vénérable curé de Rennes (1), dont
269
les opuscules si remplis de charité
et du plus sincère respect pour l'autorité épiscopale ont été accueillis avec
tant de faveur, a-t-il représenté nos Évêques comme exposés au péril de leur
salut, par le seul fait qu'ils ne rétablissaient pas immédiatement la Liturgie
romaine ? Parce que, dans sa piété, il a remis au pouvoir si doux et si fort de
Marie immaculée l'accomplissement de ses désirs, qui sont ceux du Pontife
romain, a-t-il cessé d'exhorter le clergé à s'en rapporter sur la réforme de la
Liturgie à la sagesse, à la prudence, à l'inviolable fidélité de nos évêques
envers celui qui est leur frère par le caractère, mais aussi leur chef par la
dignité et la puissance ? Où les a-t-il conjurés de rentrer dans la
communion et le giron de l’Église universelle, comme si toute infraction
des règles canoniques avait pour résultat de faire sortir ceux qui se la
permettraient de la communion de l'Église? Telle est cependant, Monseigneur,
l'idée que concevront, à la lecture de votre livre, ceux qui n'ont point sous
les yeux les diverses publications auxquelles vous faites allusion.
Mais, Monseigneur, en poursuivant
ainsi comme des révolutionnaires les prêtres qui travaillent, sauf
l'obéissance aux premiers pasteurs, à préparer le retour de l'Église de France
à la prière de l'Église romaine, comment n'avez-vous pas vu que vos paroles
attaquaient ceux de vos collègues dans l'épiscopat qui se sont déjà trouvés en
mesure de suivre le glorieux exemple de Monseigneur l'évêque de Langres,
proposé à l'imitation de tous par le Souverain Pontife lui-même ? Relisons ces
paroles de Monseigneur l'évêque de Périgueux :
« Saintement jaloux de la gloire
de notre épouse, nous
270
désirions depuis longtemps lui
rendre son antique splen-deur, en lui rendant une
unité qui fera sa force et sa vie. L'unité romaine a souri à notre cœur
d'évêque, en nous rappelant les vœux, les craintes et les espérances exprimées
par le Prince des Pasteurs, dans sa lettre à notre illustre prédécesseur
immédiat. Les vœux du successeur de Pierre seront accomplis, ses craintes
dissipées et ses espérances réalisées dans ce beau diocèse qu'il a confié à
notre sollicitude pastorale.
« Rallions-nous toujours à ce
trône de Pierre qui ne croulera pas, d'après la parole de Jésus-Christ
lui-même. Dans un siècle surtout où tous les efforts tendent avec une habileté
si acharnée à diviser pour détruire, enlaçons-nous plus fortement que jamais à
cet arbre mystérieux de l'Église, que les tempêtes pourront agiter, mais
qu'elles ne. renverseront pas. Plus une branche est
près du tronc, plus elle a de force et de vie (1). »
Monseigneur l’évêque de Gap
s'exprime d'une manière non moins éloquente : « C'est pour nous fortifier
davantage au milieu des tempêtes que soulève plus violentes que jamais le vent
des variations humaines; c'est pour nous conformer aux bulles si pressantes de
plusieurs saints Pontifes, et donner un éclatant témoignage de notre
attachement au Saint-Siège; c'est pour obéir à la voix de notre conscience
d'évêque, que nous avons cru devoir resserrer encore les liens déjà si étroits
qui attachent l'antique Église de Gap à l'Église mère et maîtresse, en lui
rendant cette forme liturgique dont elle fut dépouillée en 1764, malgré les hautes
et unanimes réclamations du chapitre de sa cathédrale et de tout son clergé.
271
« Dans un siècle, Messieurs, où
l'impiété cherche à diviser pour détruire ensuite, attachons-nous plus
étroitement à cette pierre, à ce roc contre lequel les vents se déchaîneront,
il est vrai; que les torrents viendront battre avec fureur, que les vagues
amoncelées voudront couvrir, mais qui, inébranlable sur sa base immortelle,
bravera leurs vains efforts. Unis par la foi, rallions-nous encore par l'unité
des formes à cette Église, seule indéfectible. Les moments sont graves, les
temps mauvais; déjà nous sommes remués, et peut-être le serons-nous plus
profondément encore. L'unité seule, acceptée dans toutes ses applications, fera
notre force, assurera notre triomphe et nous préservera de ces fluctuations, de
ces divergences trop communes à l'esprit humain, qui souvent viennent déparer
l'ordre parfait et la merveilleuse beauté de l'Église de Dieu (1). »
Et il ne nous serait pas permis,
Monseigneur, de nous associer, nous, prêtres de Jésus-Christ et de son Église,
à des sentiments si purs et si catholiques! et nous ne
pourrions parler et écrire dans le même sens, qu'au risque d'encourir le
reproche incroyable de vouloir planter un drapeau contre l'unité de l'Église!
Non, Monseigneur, personne ne le croira. Il viendra un temps où l'évidence
frappera les yeux de tout le monde, où l'injustice et la violence même des
attaques témoigneront en faveur de ceux qu'on poursuit avec si peu de raison.
Alors, on lira avec plus d'étonnement encore qu'aujourd'hui cette prédiction
dont vous faites suivre vos invectives contre les prières, les neuvaines et les
invocations adressées à Marie immaculée pour obtenir le retour à la Liturgie
romaine. On se demandera comment il vous fut possible d'ajouter ces lignes : «
A tous ces caractères de mépris pour l'autorité
272
épiscopale, de blâme pour ses œuvres, et d'une pitié
insultante pour son ignorance et sa mauvaise volonté, ne devine-t-on pas la
prochaine apparition de quelque nouvel Arius brisant tous les liens de la
hiérarchie sacrée, violant Tordre et l'unité du sacerdoce, au nom de
l'inviolabilité de la liturgie (1) ? »
Je ne forme peut-être pas un
jugement téméraire, Monseigneur, en pensant que c'est moi-même à qui vous
attribuez le rôle futur de ce nouvel Arius; je puis toujours bien supposer que,
dans votre pensée, j'en suis tout au moins le précurseur. L'injure est,
assurément, trop forte pour ne pas dépasser son but; je n'ai donc garde de
récriminer. J'aime mieux relever ici une autre insinuation, un peu moins
odieuse, peut-être, mais tout aussi inattendue que celle que je viens de
rappeler. Selon vous, Monseigneur, en publiant mon livre, j'aurais eu une
pensée secrète (2), et mon intention serait, selon vous encore, d’ ébranler l'Église, afin de me donner ensuite la
gloire de la relever de mes propres mains (3). Le plan serait, en effet,
non moins étrange que criminel; mais, de bonne foi, Monseigneur, qui pourrait
jamais être assez fou pour se persuader qu'il ne dépend que de lui d'ébranler l’Église,
pour la rebâtir ensuite à volonté ? Je ne parle pas de la perversité d'un tel
dessein; il serait digne de Satan ; mais quelles traces de si grande
perversité, ou tout au moins de si complète aliénation
mentale avez-vous découvertes en moi, Monseigneur, pour m'attribuer d'aussi
étranges idées? Il n'y a qu'une vérité dans tout cela, c'est que l’Église n'est
point ébranlée, c'est qu'elle n'est point agitée comme la mer, c'est qu'elle
est au-dessus de l'influence que peut exercer un livre, quel qu'il soit.
Parce que j'aurai raconté et
prouvé par les faits l'origine
273
malheureuse de notre situation
liturgique, ses inconvénients pour la
doctrine et pour l'unité, j'aurai ébranlé
l'Église de Dieu? Non! Monseigneur, elle est trop ferme, cette Église bâtie sur
la pierre, pour avoir rien à craindre des écrits d'un homme, quel qu'il soit.
Grâce à Dieu, la religion en France ne tient pas aux nouveaux bréviaires et
missels, et la conduite d'un grand nombre d'évêques français du XVIII° siècle
peut être blâmée sur un point, sans que
l'autorité de ceux qui régissent aujourd'hui nos églises, fussent-ils
contraints, par des circonstances indépendantes de leur volonté, à maintenir
provisoirement un ordre de choses jugé très périlleux par le Siège
apostolique; sans que leur conduite, dis-je, doive cesser d'être appréciée par
le clergé et les fidèles, comme le résultat d'une prudence vraiment pastorale.
Aussi, est-ce en vain que l'on regarde autour de soi pour découvrir les schismes,
les actes d'insubordination, le drapeau
de révolte dont vous parlez d'un bout à l'autre de votre livre,
Monseigneur. Tout est
tranquille, tout est dans
l'ordre; les évêques qui jugent que le
moment est venu d'accomplir le désir du Souverain Pontife mettent la main à ce
grand œuvre; ceux de leurs collègues qui pensent que le moment n'est pas arrivé
pour eux leur applaudissent; les prêtres se livrent avec plus de zèle à l'étude
des rites sacrés; des prières sont offertes à Dieu et à la très-sainte
Vierge, pour l'heureuse consommation de
cette pieuse et pacifique réforme. L'Église n'a donc point besoin d'être relevée;
car elle n'a pas souffert même un ébranlement.
Mais on a dit : « Pourquoi
s'occuper de la Liturgie, quand nous avons tant d'ennemis à combattre? Les
dangers de l'Église ne sont pas de ce côté, et c'est un mauvais soldat que
celui qui s'obstine à combattre là où sont les moindres périls, abandonnant
ainsi le champ de bataille, pour tenter des exploits isolés et sans portée. »
274
A cela j'ai répondu déjà dans mon
livre et dans sa Défense, en démontrant l'importance de la Liturgie, et
de l'unité dans la Liturgie; j'y reviendrai encore. Mais assurément, je ne
dirai jamais rien de plus fort, surtout rien d'aussi imposant que ces belles
paroles par lesquelles Monseigneur l'évêque de Périgueux termine son Mandement
sur le rétablissement de la Liturgie romaine.
« Un clergé tendrement uni à son
évêque, étroitement uni lui-même à la chaire pontificale, c'est la forteresse
inexpugnable, c'est l'armée rangée en bataille dont parlent nos livres saints.
Elle se lève et marche comme un seul homme, toujours invincible, puisqu'elle
n'a qu'un cœur et qu'une âme. Les amis de l'Église édifiés, fortifiés, s'en
glorifieront, et ses ennemis humiliés nous respecteront (1). »
Non, rien n'émeut davantage le
cœur du fidèle que le spectacle de l'unité dans l'Église, de cette unité qui
n'offre pas d'exceptions, et qui rend visible le don sublime de la Catholicité.
Or, une des manifestations de cette catholicité qui frappe le plus les fidèles,
c'est l'unité dans les formes du culte divin; comme aussi rien ne leur paraît
plus inexplicable que cette variété qui les contraint à changer de livres
d'offices d'un diocèse à l'autre. Quand la France sera rentrée sous les lois de
la Liturgie romaine, ils ne se demanderont plus pourquoi, non seulement dans un
même royaume, mais dans une même province ecclésiastique où l'on professe la
même foi, on n'a pu s'accorder encore sur les mêmes manifestations de cette
même foi, pourquoi l'Église de France cherche encore un Bréviaire et un Missel,
quand, depuis si longtemps, toutes les autres églises l'ont trouvé.
Si cette unité est destinée à
faire l’ édification, la force et la gloire
des enfants de l'Église, elle fera aussi, comme
275
le dit le pieux Prélat que je viens
de citer, l’humiliation des ennemis de cette même Église, et les
contraindra de la respecter. N'est-il pas évident que nos variations
dans le culte divin sont un triomphe pour ceux qui sont jaloux de notre foi ?
Ne fournissent-elles pas des motifs à leur espérance de posséder comme un
héritage le sanctuaire de Dieu (1) ? N'ont-ils pas conçu le projet
d'emprisonner dans une prière nationale cette Église qui, n'ayant point d'autre
foi, d'autre espérance, d'autre hiérarchie, d'autre centre divin que toutes les
autres, a le droit et le besoin d'appeler le jour où tous les ministres du
Seigneur pourront répéter entre eux ces belles paroles de Monseigneur l'évêque
de Gap :
« Ainsi, frères chéris, nous
entrerons véritablement en communion de prières avec l'Église catholique.
Chaque jour elles monteront vers le ciel, ces prières, unies et mêlées avec
celles du chef des pasteurs, avec celles de tant de saints prêtres, de tant de
fervents religieux, de tant de courageux missionnaires qui, de tous les points
de l'univers, ne forment qu'un seul chœur d'invocations, de louanges, de
cantiques et d'actions de grâces. Quelle consolante pensée pour votre religion
et votre foi (2) ! »
De pareils avantages valent
assurément la peine d'être achetés au prix de quelques labeurs, et même de
quelques persécutions : mais on ne parviendra pas à faire croire au clergé que
tout est perdu par cela seul qu'un plus vif intérêt s'attache aux questions
liturgiques, et que la polémique religieuse, toujours si utile, s'est chargée
d'en faire jaillir la lumière. Rien n'est, rien ne sera compromis dans ces
luttes théologiques, canoniques et historiques ; elles seront tout simplement
un indice du mouvement des études
276
cléricales. On les joindra, dans
l'histoire, à tant d'autres qui ont eu lieu, aux siècles précédents, et qui ont
servi à former un si grand nombre d'hommes doctes et graves, sans aucun
préjudice pour la doctrine, ni pour l'unité. Que si quelques personnes, faute
de connaître assez l'histoire de la science ecclésiastique, prenaient
l'alarme sur ces débats, et s'en exagéraient la portée, ils trouveront la
solution de leurs inquiétudes dans ces remarquables paroles de Monseigneur
l'évêque de Langres :
« Ce serait se méprendre
étrangement que de vouloir, aujourd'hui, appeler et concentrer toutes les
forces de l'Église dans les débats, et surtout dans les questions personnelles,
qui ont récemment éclaté à l'occasion d'un ouvrage sur la Liturgie. Oh ! non, ni les évêques, ni les prêtres, ni même les pieux
fidèles, ne sont assez aveugles pour croire que ce que l'Église a le plus à
craindre en France, en ce moment, se
trouve renfermé dans quelques volumes où l'on disserte sur la valeur
relative des bréviaires et des missels en usage parmi nous.
« Qu'on signale les torts de
l'auteur, s'il en a eu ; qu'on déplore
les abus partiels qui ont pu être faits de ses paroles, nous le
comprenons ; mais ne plus jeter le cri d'alarme que de ce côté, c'est tromper
l'armée sainte ; car l'ennemi n'est pas là. Nous avons dit ailleurs où il se
trouve, nous avons signalé sa marche et ses tendances, nous l'avons montré
corrompant tout par l'enseignement, envahissant
tout par l'administration. Nous
conjurons les défenseurs de la vérité de ne pas prendre le change et de tourner
toujours tous leurs efforts sur ce double point.
« Que résulte-t-il donc
aujourd'hui de tout ce qui s'est dit et de tout ce qui s'est passé au sujet de
la Liturgie en France depuis quelque temps ? Il n'en résulte que deux faits
certains, mais déjà très précieux : le premier, c'est que l'attention publique
est complètement éveillée, et
277
les études sérieusement dirigées
vers la science liturgique, abandonnée en France depuis longtemps. Le second,
c'est que la propagation de la Liturgie parisienne est arrêtée, et que le
mouvement de retour à la Liturgie romaine la remplace. A nos yeux, ce double
fait est d'une grande importance, parce que surtout il est d'un grand avenir. »
« Le plus difficile était de
remettre en faveur des études discréditées, et défaire réfléchir sur des
habitudes dominantes ; or, voilà ce qui est obtenu. D'une part, un point
d'arrêt est mis à certaine propagande, et cela nous paraît définitif ; de
l'autre, le travail de régénération est commencé, et certainement il se
poursuivra (1). »
Les détails que j'ai été
contraint de relater dans les deux paragraphes précédents, sont de nature à
convaincre le lecteur que l'impartialité n'a pas présidé à l'Examen que
vous avez cru devoir faire, Monseigneur, du livre des Institutions
liturgiques, et c'est un grave inconvénient dans une discussion de cette
nature. En faisant cette remarque, je n'entends pas le moins du monde me
plaindre de la vigueur, de la véhémence avec laquelle vous m'avez attaqué. Si
j'ai accepté de bonne grâce les plaisanteries dont le livre est semé, les
invectives et les sarcasmes qui s'y succèdent sans interruption, pourvu,
cependant, que les uns et les autres n'aient pas pour but de mettre en
278
suspicion ma foi et mon attachement
à l'unité ; si, dis-je, je me suis montré d'aussi bonne composition, je n'ai
garde de trouver mauvais que votre conscience, Monseigneur, alarmée des
résultats d'un livre qu'elle estime dangereux, se soit exprimée avec énergie,
et que l'invective se soit rencontrée de temps en temps sous votre plume.
Puisque vous m'avez pris pour un hérétique et pour un schisma-tique,
je trouve tout simple que vous m'ayez poursuivi sur le ton que les saints
Docteurs ont presque constamment gardé dans la lutte contre les ennemis de la
foi et de l'unité.
Mais, Monseigneur, pour être
véhément, on n'est pas dispensé d'être juste, même à l'égard des hérétiques et
des schismatiques, et vous n'avez pas été juste dans l'Examen démon
livre. Cet Examen donne une tout autre idée des Institutions
liturgiques que celle qu'on est à même de puiser dans la lecture du livre
lui-même, et il y a tout lieu de craindre que le zèle ne vous ait entraîné au
delà des bornes.
D'abord, en thèse générale,
Monseigneur, ayant à faire la critique d'un livre écrit par un catholique,
religieux et prêtre, l'équité, la charité demandaient que vous voulussiez bien
prendre acte des intentions catholiques de l'auteur, et ne pas forcer ses
expressions jusqu'à en tirer des conséquences qui iraient tout simplement à faire
de lui un homme pervers et sans foi. Vous aviez pourtant reconnu expressément
le danger et l'injustice de cette manière de torturer les paroles d'autrui,
quand vous disiez, dans votre Examen même, « qu'il n'y a pas de texte si
clair qui ne puisse être obscurci par le raisonnement, et que celui-là
connaissait bien la faiblesse de l'esprit humain qui ne demandait à un homme
que quatre lignes insignifiantes écrites de sa main, pour y trouver un sens
capable de le faire pendre (1). »
279
C'est là une si grande vérité,
Monseigneur, que la sainte Église romaine, la colonne immuable de la vérité,
dans l'exercice du ministère si important pour toute l'Église, de juger et de
censurer les livres déférés à son suprême tribunal, craignant par dessus tout
de blesser la justice ou la charité, s'est fait une loi d'observer les plus
minutieuses précautions. Elle dit aux censeurs qui préparent le jugement
pontifical :
« Nous vous avertissons de bien
comprendre qu'il est impossible de porter sur le sens d'un auteur un jugement
qui soit juste, si on n'a pas lu son livre en entier ; si l'on n'a pas comparé
ensemble les divers passages qui se trouvent en différents endroits du livre.
Il faut reconnaître aussi le but général que s'est proposé l'auteur; et ne pas
prononcer sur une ou deux propositions isolées du texte, ou considérées et
appréciées à part des autres qui sont contenues dans le même livre. En effet,
il arrive souvent que des choses qui sont données par l'auteur, en passant et
d'une manière obscure, dans certain endroit de son livre, se trouvent
expliquées ailleurs distinctement, abondamment et clairement, en sorte que les
ombres qui couvraient la première proposition, et sous lesquelles elle offrait
l'apparence d'un sens mauvais, se dissipent entièrement, et cette même
proposition est reconnue exempte de reproche.
« Que s'il arrive que des
propositions ambiguës aient échappé à un auteur catholique, et d'une réputation
entière sous le rapport de la religion et de la doctrine, l'équité semble exiger
que ses paroles soient expliquées et prises en bonne part, autant qu'il
est possible (1). »
280
Telle est, Monseigneur, la
justice du Saint-Siège, dans ces grandes circonstances où il s'agit de
prononcer sur un livre et sur un auteur un jugement qui doit retentir dans
toute l’Église ; cette bienveillance pour les écrivains catholiques ne
devrait-elle pas servir d'exemple à tout le monde ? Si vous l'eussiez eue,
cette bienveillance à mon égard, Monseigneur, vous eussiez probablement pris
acte de la déclaration que j'avais cru devoir insérer dans la préface du
deuxième volume des Institutions liturgiques.
« Il ne sera peut-être pas
inutile, disais-je, de répéter ici ce que nous avons déjà dit ailleurs, savoir
que, dans cette introduction historique, nous touchons un grand nombre de
questions, sur lesquelles nous sommes amené à prendre un parti, sans que la
marche du récit nous permette de nous arrêter assez pour motiver notre avis. Si
quelquefois le lecteur avait peine à se rendre compte des raisons qui nous
déterminent pour telle ou telle conclusion, nous le prierions d'attendre le
développement même de l'ouvrage ; il n'est pas une seule des questions
soulevées dans l'Introduction, qui ne doive être discutée dans la partie
didactique de notre travail. On peut revoir le plan de l'ouvrage entier dans la
préface du premier volume (1). »
281
Au reste, en faisant cette
déclaration, j'étais bien loin de convenir que les deux premiers volumes des Institutions
Liturgiques renfermassent des propositions repréhensibles,
même par simple défaut de clarté ; je voulais uniquement prévenir les lecteurs
que la marche de l'ouvrage fournirait à mes assertions les développements
nécessaires pour les mettre complètement hors d'atteinte. Je ne me suis jamais
cru autorisé à négliger le devoir de tout écrivain catholique, qui est de
parler en tout et toujours d'une manière orthodoxe, et d'expliquer les termes
dont il se sert, sinon chaque fois qu'il les emploie, du moins assez souvent
pour que sa pensée puisse être facilement saisie.
Vous avez vous-même reconnu,
Monseigneur, ce fait si important pour moi, et les paroles que je vais citer,
peu bienveillantes sans doute, ne laissent pas d'avoir une grande portée pour
tout lecteur qui se rappellera qu'elles viennent d'un adversaire, et d'un
adversaire passionné :
« Si nous accusons ce livre, même
en le copiant mot à mot, de contenir de graves erreurs, à l'enseignement que
nous aurons puisé dans une page, on opposera l'enseignement qui se trouve avant
ou après. Si nous citons des propositions et des
maximes dangereuses, on nous répondra par d'autres citations qui le sont moins,
car le pour et le contre se touchent souvent dans cet ouvrage (1). »
Il y avait donc lieu d'y regarder
à deux fois, diront les personnes non prévenues, et, je le répète, j'en appelle
avec confiance à ceux qui ont lu le livre lui-même. Mais, Monseigneur, je n'ai
pas seulement à me plaindre que vous ayez procédé contre moi par un système
d'attaque qui sent si évidemment le parti pris; j'oserai réclamer contre la
manière dont vous avez dirigé cette attaque dans les détails.
282
Pourquoi tant de citations
isolées du contexte, tant de passages dénaturés par les expressions que vous y
ajoutez, tant d'inductions démenties par mes propres paroles, souvent dans les
mêmes pages ? Nous en ferons plus tard le relevé ; mais je dois à mon honneur
de mettre tout de suite sous les yeux du lecteur quelques exemples de cette
manière de procéder : que le public donc juge entre vous et moi.
Au premier volume des Institutions,
page j6, on lit cette phrase :
« Dieu a tant aimé le monde qu'il
lui a donné son Fils unique (1) pour l'instruire dans l'accomplissement de
l'œuvre liturgique. »
(1) Joan , III, 16.
Cette proposition, qui exprime le
don que Dieu nous a fait de son Fils pour être notre Victime et notre Prêtre,
et pour nous initier au véritable Sacrifice qui est l'Œuvre
liturgique et l’Action par excellence, comme parle l'Église, cette
proposition n'est pas incriminéee par vous,
Monseigneur, je le reconnais, mais avec quelle surprise n'ai-je pas relu mon
texte dans votre Examen, à la page 47, où il se présente exposé de cette
manière :
« Dieu a tant aimé le monde qu'il
lui a donné son Fils unique pour l'instruire dans l'accomplissement de l'œuvre
liturgique (1) ? »
(1) Evangile saint
Jean, ch. troisième, verset seizième.
J'avais emprunté à saint Jean
cette sentence Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son fils unique,
parce qu'elle explique admirablement tous les bienfaits qui ont été la suite de
l'Incarnation du Fils de Dieu ; je l'avais séparée de mon texte par un
chiffre indiquant la source
283
sacrée où je la puisais, et
j'achevais ensuite ma phrase. Il vous a plu, Monseigneur, de déplacer le
chiffre indication du texte sacré, et de le renvoyer à la fin de ma phrase,
afin de faire croire que je donnais ma proposition entière comme de saint Jean.
Dom Guéranger, dites-vous,
Monseigneur, a copié la moitié de ce texte, et il a refait l'autre moitié
(1). Vous appelez mon procédé une ingénieuse adresse, une malheureuse
témérité (2) ; vous argumentez longuement sur cette falsification que
j'aurais commise, vous y revenez encore ailleurs (3) ; en un mot, vous y
trouvez l'occasion de je ne sais quel triomphe. Vous ne jouirez pourtant de ce
triomphe, Monseigneur, qu'aux yeux de ceux qui n'ont pas mon livre sous les
yeux. Ceux qui prendront la peine de l’ouvrir, à la page indiquée, jugeront
s'il y a adresse ou témérité à employer de pareils moyens ; pour
moi, je me bornerai à vous dénoncer tous les Pères de l'Église, et Bossuet
lui-même, comme coupables du même attentat que vous poursuivez en moi. Sans
cesse il leur arrive de commencer une phrase par un texte de l'Écriture et de
la finir de leur propre fonds : il est vrai que leurs éditeurs ont soin
d'indiquer par une note l'endroit où finit le texte sacré ; je l'ai fait aussi
; mais ils ne sont pas plus que moi à l'abri des manœuvres à l'aide desquelles
on pourrait, par un déplacement de notes, les rendre passibles de l'accusation
d'avoir voulu confondre leur parole humaine avec celle de Dieu.
Il est, Monseigneur, une autre
accusation répétée plusieurs fois (4) dans le cours de votre volume, et destinée,
au moins autant que la précédente, à faire naître des préventions fâcheuses
dans l'esprit de ceux qui n'ont pas
284
lu les Institutions liturgiques.
J'aurais, selon vous, dans mon livre, défini quelque part, les Évêques, des
chefs éphémères et sans autorité. Il eût été à propos de citer la page où
je me serais permis une aussi scandaleuse définition ; vous ne l'avez pas fait,
Monseigneur; cela devait cependant vous être facile, si la proposition existe
quelque part. Vous avez bien cité la page de mon livre où vous m'accusez
d'avoir refait le texte de saint Jean.
Sans doute, l'autorité de
l'Église et celle du Pontife romain sont au-dessus de l'autorité d'un évêque
particulier, et tous les actes qu'un évêque particulier accomplirait contre une
discipline générale de l'Église sont nuls par défaut de droit ; mais je n'ai
jamais dit que, pour cette raison, les évêques particuliers sont des chefs sans
autorité dans l'Église, soit assemblée, soit dispersée (1). Pourquoi les
aurais-je défini des chefs éphémères ? Cette qualification
n'appartient-elle pas à tous les hommes, chefs ou sujets ? Nous passons tous
comme des eaux courantes (2) : et la vie des Pontifes romains n'est pas
plus longue que celle des simples évêques. Il y a seulement cette différence
que la suite des Pontifes romains est indéfectible, ce qui n'est accordé à
aucune autre succession d'évêques dans l'Église.
Que si j'ai mis en contraste, à
propos de l'innovation liturgique, l'autorité de la Liturgie romaine promulguée
par les souverains Pontifes, et suivie depuis tant de siècles par un si grand
nombre d'évêques, et l'autorité d'une Liturgie locale et récente, affirmant que
cette dernière n'a pour elle que l'autorité faillible d'un évêque particulier
qui n'est même pas assuré de voir son œuvre lui survivre, j'ai parlé le langage
de la théologie la plus élémentaire,
285
et je m'étonne qu'on veuille en
induire de ma part l'intention de nier par là l'autorité divine des
évêques.
L'illustre archevêque Languet ne
s'était pas exprimé différemment lorsqu'il disait : « Ce qu'on voudrait
introduire de nouveau, dans une église particulière, au mépris de l'antiquité
et de l'universalité, ne peut avoir d'autre autorité que celle d'un prélat
particulier, homme sujet à erreur, et d'autant plus sujet à erreur qu'il est
seul, qu'il introduit des choses nouvelles, qu'il méprise l'antiquité et
l'universalité (1). »
Tout récemment, Monseigneur
l'évêque de Montauban, dans une lettre à l'Univers, n'a pas craint de
parler dans le même sens :
« Il y a évidemment, au point de
vue de la règle générale de la foi dans l'Église catholique, un côté faible
dans toute oeuvre liturgique qui n'appartient qu'à un diocèse isolé, et qui est
le fait d'un évêque particulier, fût-il Bossuet ou saint Augustin (2). »
Je n'ai donc pas tout à fait
tort, Monseigneur, de me plaindre de vos procédés dans la manière de citer mon
livre. J'ajouterai encore quelques traits de votre Examen. Parlant des
efforts de saint Grégoire VII et du Roi Alphonse VI, pour amener l'Espagne à la
Liturgie romaine, je dis ces paroles : « Il était temps, en effet, que
l'Espagne chrétienne, déjà sinon affranchie, du moins agrandie par les
conquêtes de ses héroïques chefs, comptât dans la grande unité européenne.
Sa Liturgie particulière faisait obstacle à cette réunion intime (3). »
286
J'avais cru jusqu'à présent,
comme tant d'autres, que l'unité européenne, l'un des plus grands
résultats de l'action de la Papauté, avait eu pour caractère propre et pour
lien, l'usage de la langue latine, et, comme sanction de cet usage, l'unité
liturgique avec Rome. C'est du moins là un des résultats les plus heureux des
efforts de Charlemagne, de saint Grégoire VII et du concile de Trente,
travaillant à amener les diverses églises de l'Occident à la pratique de la
Liturgie romaine. Il vous était bien libre, Monseigneur, de contester ce fait;
mais vous ne deviez pas donner à entendre à vos lecteurs qu'en proclamant la
Liturgie romaine comme un des moyens de procurer l'unité européenne, je
prétendais que l’unité de l'Église elle-même n'existe pas là où la
Liturgie romaine n'est pas établie.
« Heureusement, dites-vous,
Monseigneur, il suffit de bien savoir son Je crois en Dieu pour
affirmer, sans aucune crainte d'erreur, que le rite mozarabe n'empêchait pas la
catholique Espagne de compter dans la grande unité de l'Eglise (1). » Et
vous partez de là pour me réfuter tout à votre aise, comme si j'eusse dit que
l'introduction de la Liturgie romaine en Espagne par saint Grégoire VII, avait
eu pour but de faire entrer ce royaume dans l’unité de l'Eglise, et non
pas seulement dans l’unité européenne. Je conviens, Monseigneur, que vos
arguments sont forts et victorieux; ils n'ont qu'un seul inconvénient, c'est
d'être évidemment hors la question, et de donner à croire à vos lecteurs que je
soutiens tout autre chose que ce que j'ai réellement énoncé.
Autre exemple. J'avais dit, avec
la théologie catholique : « Lorsque l'Église a déterminé la valeur d'un
passage de l'Écriture, soit dans un jugement en matière de foi ou de mœurs,
soit dans la célébration de l'Office
287
divin, ce passage n'est plus
simplement un verset du livre inspiré qu'on appelle la Bible ; mais il vient se
placer au rang de ces propositions
sur lesquelles s'exerce explicitement la foi du fidèle catholique (1). »
Il me semble que ces assertions
ne présentent rien de nouveau à quiconque n'est pas d'avis que la Bible
s'explique par elle-même ; système qu'un catholique ne soutiendra jamais. Les
fidèles doivent croire que les livres reconnus comme Écriture sainte par
l'Église renferment la Parole de Dieu ; mais ils ne sont tenus de faire l'acte
de foi explicite sur le sens de tel ou tel verset qu'autant que l'Église
elle-même a déterminé la signification de ce verset. Nous reviendrons sur cette
matière ; aujourd'hui, je ne veux que produire un exemple de la manière dont
vous avez pensé, Monseigneur, qu'il vous était permis de m'attaquer.
Voici donc les conclusions que
vous déduisez de mon texte, et que vous en voulez faire déduire à vos lecteurs
: La presque totalité de la Bible est donc demeurée, pendant dix-huit siècles,
à l'état de simples versets sans valeur; elle est même menacée de n'en
pas sortir, puisque l'Église ne se presse pas de fixer le sens des passages de
l'Écriture par décision souveraine (2). »
Mais, Monseigneur, où ai-je dit
cette impiété, que les versets de l'Écriture dont l'Eglise n'a pas déterminé le
sens par une décision quelconque, sont de simples versets sans valeur ?
Est-ce parce que j'ai dit que c'est à l'Eglise de déterminer la valeur des
passages de l'Écriture? Mais, Monseigneur, si l'Église, selon moi et selon
tous les docteurs, détermine la valeur d'un verset, cette valeur
existait donc, avant d'être déterminée ? Les théologiens catholiques
ont-ils jamais dit que l'Église créait cette
288
valeur ? Et si la foi des
fidèles, d'après mes paroles expresses, devait déjà s'exercer implicitement
sur ce verset, avant la décision, comme sur un passage du livre inspiré,
quel rapport ont mes paroles avec le sens que vous leur donnez ? Il s'agit
pourtant ici d'une matière de haute gravité dans la foi, et ma phrase est assez
claire. Cependant, Monseigneur, je regrette d'avoir à le dire et à le prouver,
votre Examen est rempli d'un bout à l'autre d'arguments de ce genre.
Bornons-nous, pour le moment, à
ces quelques traits qui sont de nature à faire voir que l'impartialité n'a pas
présidé à votre jugement sur les Institutions liturgiques. Toutefois,
avant de clore ce paragraphe, permettez, Monseigneur, que je réclame encore sur
un procédé que vous vous êtes permis contre moi, et dont peut-être vous avez
attendu un grand résultat. Ce procédé consiste à répéter agréablement, d'un
bout du volume à l'autre, que je ne sais pas mon catéchisme. Je conviens
avec vous que le nombre de ceux qui ignorent leur catéchisme est fort grand
aujourd'hui ; nous en rencontrons des preuves de toutes parts ; mais, pour ce
qui me concerne, Monseigneur, de quel catéchisme entendez-vous parler ?
Sans doute, ce n'est pas du catéchisme
d'Orléans ; il serait par trop exigeant que les auteurs catholiques qui
écrivent hors du diocèse d'Orléans, fussent obligés de connaître et de répandre
les définitions émises dans ce catéchisme, respectable sans doute, mais
resserré dans les mêmes limites que le bréviaire et le missel de cette église
particulière. Il ne peut donc s'agir évidemment que du Catéchisme romain,
appelé aussi Catéchisme du concile de Trente, qui, rédigé par les plus
illustres docteurs, a été publié par l'autorité des Souverains Pontifes,
recommandé par un si grand nombre de conciles provinciaux, et est en usage dans
tout le monde catholique. Naturellement, Monseigneur, quand j'ai vu que vous me
rappeliez
289
si souvent au catéchisme,
que vous me citiez si souvent le catéchisme, j'ai dû croire que vous
pensiez avoir pour vous l'autorité si imposante du Catéchisme du concile de
Trente. Ce livre m'est assez familier, je l'avoue ; aussi j'étais fort
étonné de ne trouver dans vos citations de catéchisme, ni la manière, ni
les termes du Catéchisme romain. J'ai cependant voulu faire tous mes
efforts pour vérifier expressément vos citations, et je suis réduit à vous
avouer, Monseigneur, que pas une des demandes et réponses que vous avez alléguées
ne se trouvent dans le catéchisme; car vous me permettrez de me servir à
mon tour de l'antonomase pour désigner le Catéchisme du concile de Trente, à
meilleur droit, certainement, que vous ne l'avez fait vous-même pour désigner
le livre auquel vous avez emprunté certains passages (1).
Nous mettrons donc le catéchisme
hors de cause, et nous demanderons à la théologie, au droit canonique et à
l'histoire ecclésiastique les lumières nécessaires pour éclairer notre
discussion. Permettez néanmoins, Monseigneur, en finissant ce paragraphe, que
je réclame contre le projet impie que vous m'attribuez si gratuitement
de songer à travailler le catéchisme, pour le mettre en harmonie avec mes définitions
(2). Des insinuations de ce genre lancées par un évêque doivent nécessairement
produire de l'effet ; telle doit être, et telle a été évidemment votre
intention, Monseigneur; mais comment est-il possible de l'accommoder avec la
justice et avec la charité ? Travaille-t-on donc le catéchisme
comme on veut ? le catéchisme n'est-il pas le
bien commun de la chrétienté, autant que le Bréviaire et le Missel, et s'il
vous plaît de faire de moi un sectaire, un audacieux novateur, quelle preuve
avez-vous donc que j'aie perdu le sens,
jusqu'à
290
rêver de refaire à ma guise un
livre aussi sacré et aussi inviolable ?
Encore une fois, Monseigneur,
votre Examen n'est pas simplement un livre écrit avec véhémence ; il
porte partout l'empreinte d'une passion qui ne calcule pas. Vous marchez droit
à votre but qui n'est que trop évident. Permettez donc qu'un prêtre à qui vous
voulez ravir la réputation d'une foi intègre se relève avec vigueur, et défende
ce qui est pour lui le plus précieux des biens.
Vous m'avez accusé, Monseigneur,
d'avoir écrit deux gros volumes, sans une définition arrêtée des matières
que j'y traite (1), et néanmoins vous employez de nombreuses pages à
critiquer ma définition de la Liturgie ; je n'avais donc pas omis de la
donner, cette définition, et le reproche général que vous m'adressez n'est donc
pas aussi fondé que vous l'affirmez. Maintenant, ma définition est-elle aussi
inexacte que vous le lui reprochez ? c'est ce que
nous allons examiner ensemble.
Vous savez mieux que moi,
Monseigneur, que le mot Liturgie signifie en grec un ministère public,
comme l'indique son étymologie; que dans les saintes Ecritures il exprime un ministère
sacré ; que l'Église grecque l'emploie pour signifier tantôt le saint
Sacrifice lui-même, tantôt les prières sacrées qui l'accompagnent : que
plusieurs Pères latins l'ont employé dans le même sens ; mais que les exemples
ne manquent pas, même dans l'antiquité,
291
d'une acception plus ample donnée à
ce terme générique. Ainsi, dès le cinquième siècle, nous le trouvons, dans une
lettre du faux concile d'Ephèse à l'empereur, employé à signifier l’Office
du matin et celui du soir (1) ; au douzième siècle, Zonaras,
à propos d'un canon du IVe concile d'Antioche, nous apprend que le mot Liturgie
signifie non seulement la célébration du Sacrifice, mais encore toutes les
fonctions sacrées du souverain sacerdoce (2).
De là est venu que, dans les deux
derniers siècles, le mot Liturgie est entré dans le domaine de la science
ecclésiastique pour exprimer l'ensemble des rites sacrés, et je ne pense pas
qu'il soit menacé de perdre de sitôt cette glorieuse acception. En attendant,
voici quelques définitions assez graves.
Muratori, dans sa Liturgia
Romana vetus, définit
ainsi la Liturgie : « La manière de rendre le culte au vrai Dieu, par les rites extérieurs légitimes, afin de témoigner
l'honneur qui lui est dû, et
d'attirer ses bienfaits sur les hommes (3) »
Galliciolli,
dans son Isagoge liturgica,
qu'il a placée en tête des ouvrages liturgiques de saint Grégoire, dans sa
magnifique édition de ce saint Docteur, donne cette définition de la
Liturgie. « Le culte rendu à Dieu, non d'après l'idée de
chaque particulier, mais d'après un mode
commun, et une institution légitime (4). »
292
Le grand et docte Zaccaria, dans l’Onomasticon rituale,
définit ainsi la Liturgie : « Tout culte de Dieu établi par l'autorité de
l'Église (1). »
Ayant à définir la Liturgie après
ces grands hommes, j'ai cru devoir le faire d'une manière plus détaillée, tout
en me conformant à leur esprit, et je me suis exprimé de cette manière : « La
Liturgie, considérée en général, est l'ensemble des symboles, des chants et des
actes au moyen desquels l'Église exprime et manifeste sa religion envers Dieu
(2). »
Il me semble, Monseigneur, que
voilà une définition, et même une définition arrêtée. Mais après
en avoir nié jusqu'à l'existence, vous accordez tout à coup qu'elle existe, et
c'est pour contester sa valeur. Discutons maintenant les reproches que vous
faites à cette définition équivoque qui m'a exposé à des méprises dont
rémunération sera malheureusement bien longue (3).
« Si la Liturgie, dites-vous,
Monseigneur, est l'ensemble des symboles, des chants et des actes par
lesquels l’Église exprime et manifeste sa religion envers Dieu,
voudriez-vous nous dire, mon Révérend Père, ce que c'est que le culte divin (4)
? »
Le culte divin, Monseigneur, peut
être exercé par les particuliers, en leur nom privé, ou par l'Église, en son
nom de société. Dans ce dernier cas, (et c'est le seul dont nous ayons à nous
occuper) puisqu'il s'agit des symboles, des chants et des actes par lesquels
l'Eglise exprime et manifeste sa religion envers Dieu, dans ce dernier cas,
dis-je, le culte divin, ou la Liturgie sont une seule et même chose. Ratio colendi Deum verum, dit
Muratori ;
293
Cultus Deo
tributus, dit Galliciolli ; Dei cultus, dit Zaccaria.
« Confondriez-vous donc, me
dites-vous, Monseigneur, le culte divin et la Liturgie ? Auriez-vous élevé
votre système liturgique sur cette confusion, et prenant ainsi perpétuellement
la forme pour le fond , seriez-vous arrivé à ne nous
faire de la religion qu'une espèce de brillant symbolisme, où tout est disposé
moins pour le cœur que pour les yeux (1) ? »
Je n'ai eu garde, Monseigneur, de
bâtir un système liturgique. Nous sommes ici dans la région des faits,
et il ne reste pas place au plus petit système. La Liturgie et le culte rendu à
Dieu par l'Église sont une seule et même chose ; on est donc bien obligé de les
confondre. Et quel si grand inconvénient y trouverait-on ? celui
de confondre la forme avec le fond? Mais, Monseigneur, ne sommes-nous
pas membres d'une Église qui adore Dieu en esprit et en vérité (2) ? Les
actes de son culte ne sont-ils pas en rapport continuel avec le fond, en
même temps qu'ils brillent par la forme? L'Église. peut-elle jamais être accusée d'isoler l'un de l'autre, et
si des yeux charnels ont le malheur de n'apercevoir que le brillant symbolisme,
s'ensuit-il, que l'Epoux qui agrée toujours l'Épouse sans taches ni rides
(3) qu'il s'est choisie, la voie jamais réduite à ne lui offrir qu'un vain et
froid simulacre de religion?
La Religion est sur la terre.
Monseigneur; elle y est par l'Église; elle y est sans interruption; elle y est
visible, et c'est par la Liturgie qu'elle se manifeste visible et incessante.
Un ministre particulier de l'Église peut être distrait, peut manquer de foi
dans l'exercice des fonctions de la Liturgie; nous ne nous occupons pas de lui,
mais de l'Eglise, toujours pleine de foi, jamais distraite. Encore,
294
l'œuvre liturgique exercée par ce ministre, même distrait,
même faible dans la foi, opère-t-elle des merveilles, dans l'ordre des
sacrements et des sacramentaux; tant l'union de la Liturgie et du culte divin
est étroite.
Mais remontons aux principes,
Monseigneur, et voyons lequel de nous deux est le plus éloigné de la vérité sur
l'importante question de la vertu de Religion.
J'ai dit : « de même que la vertu
de Religion renferme tous les actes du culte divin ; ainsi la Liturgie, qui est
la forme sociale de cette vertu, les comprend tous également (1). »
Je vais démontrer maintenant
cette proposition qui ne semblait pourtant pas avoir si grand besoin de preuves.
Et d'abord, pour la première
partie de la proposition : la vertu de Religion renferme tous les actes du
culte divin, elle n'est que le développement de la définition de saint
Thomas : Religio est quœ
Deo debitum cultum affert. La Religion a pour objet de rendre à Dieu le
culte qui lui est dû (2). Or, le culte qui est dû à Dieu se compose de tous
les actes religieux qu'il a prescrits lui-même, et de ceux que l'Eglise a
prescrits en son nom. Donc, la Religion, par là même qu'elle renferme le culte
divin, contient aussi les actes du culte divin.
Mais vous dites à cela,
Monseigneur, que « la Religion est une vertu morale qui ne produit par
elle-même que des actes intérieurs d'adoration, de louange, de sacrifice,
etc., et qui n'a, par conséquent, rien à démêler avec la Liturgie (3). »
Je vous avoue, Monseigneur, que,
malgré toute la bonne volonté du monde, il m'est impossible de partager vos
idées sur ce point. Si vous vous borniez à dire qu'il peut y avoir des actes de
religion purement intérieurs, et qui
295
soient néanmoins légitimes, la théologie vous l'accordera
volontiers ; encore vous faudra-t-il admettre en même temps pour l'homme,
créature composée d'un corps aussi bien que d'une âme, l'obligation de
pratiquer, par la vertu même de religion, les actes extérieurs du culte
divin.
En effet, comme dit encore saint
Thomas : « La révérence et l'honneur que nous rendons à Dieu, nous les lui
rendons, non pour lui-même, puisque de lui-même il est plein de gloire, et
d'une gloire à laquelle la créature ne peut rien ajouter ; mais nous les lui
rendons à cause de nous, soumettant notre âme à Dieu, par l'honneur et la
révérence que nous lui rendons ; ce qui est la perfection de notre âme. Mais,
pour s'unir à Dieu, l'âme humaine a besoin du secours des choses
sensibles, et c'est pour cela qu'il est NECESSAIRE, dans le culte divin,d'user
de certains moyens corporels, comme de signes, par lesquels l’âme de l'homme
est excitée aux actes spirituels qui l'unissent à Dieu. La religion comprend donc
les actes intérieurs qui lui sont comme principaux, et appartiennent par
eux-mêmes à la religion, et les actes extérieurs qui lui sont comme
secondaires et sont en rapport avec les actes intérieurs (1). »
296
Il n'y a donc pas de Religion complète, pour l'homme, sans
le culte extérieur ; ce culte est donc nécessaire à la vertu de Religion, pour
qu'elle existe dans sa notion tout entière.
Donc, on ne peut pas dire que la
Religion ne produit par elle-même que des actes intérieurs (1).
Que si on objectait ces paroles
de Jésus-Christ que je rappelais tout à l'heure, que Dieu veut être adoré en
esprit et en vérité ; je répondrais, avec les Pères et les théologiens, que le
sens de ces divines paroles n'est pas exclusif du culte extérieur comme faisant
partie de la Religion ; mais qu'elles nous enseignent que, pour être agréés de
Dieu, nos hommages extérieurs doivent procéder de l’esprit et de la vérité, et
n'être pas de pures démonstrations, comme celles que faisaient les payens et les juifs charnels.
Ces notions qui appartiennent à
la théologie scholastique, et même à la théologie naturelle, ont bien une autre
portée quand on les considère avec tout cet ensemble de lumières que le
christianisme nous a données, sur la manière dont Dieu veut être servi et
honoré par les hommes.
Quel est en effet le dogme
fondamental du christianisme ? Le Fils de Dieu fait homme, afin de pratiquer
dans son corps, aussi bien que dans son âme, les devoirs de la Religion envers
son Père. Il prie ce Père pour nous, et il ne se contente pas de prier dans le
sanctuaire de son âme ; sa voix éclate au dehors, il fléchit les genoux, il se
prosterne. S'il offre son sacrifice, un sang véritable s'épanche de ses veines.
S'il institue la commémoration réelle de ce divin sacrifice, c'est son vrai
corps et son vrai sang qu'il destine à être l'hostie, et il veut que ce vrai
corps et ce vrai sang soient la nourriture de notre âme.
(1) Examen, page 40.
297
S'il triomphe de la mort, c'est en reprenant son corps,
toujours matériel quoique glorieux, afin de rendre par son moyen le culte
extérieur éternel au ciel.
S'il nous enseigne à prier, c'est
au moyen d'une prière positive, composée de paroles que la langue prononce et
qui frappent l'oreille. S'il établit des sacrements pour notre justification et
notre progrès dans la justice, c'est au moyen de signes sensibles, et tellement
indispensables, que, sans leur emploi matériel, la grâce qu'ils doivent
communiquer n'est pas donnée à l'âme.
Instruite à cette divine école,
l'Église nous lie par des devoirs de Religion extérieure d'une si haute
nécessité, que quiconque s'en affranchit, sous le prétexte de chercher la
religion dans son propre cœur, court le risque de sortir de la communion de
cette sainte société, et de devenir, sans autre crime, un payen
et un publicain.
Donc il n'est pas possible de
dire que le christianisme ait jamais enseigné que la
religion produise simplement des actes intérieurs. Ni pour l'homme,
créature de Dieu, ni pour le chrétien racheté et initié aux mystères divins par
Jésus-Christ, la Religion n'est véritable et complète, sans le
culte divin extérieur ; et ce qui fait la perfection du christianisme, c'est
que le Verbe éternel de Dieu qui était au commencement, s'est fait chair
dans le temps, et a habité parmi nous pour fonder la Religion sur le
véritable culte dont les symboles visibles contiennent la grâce en même
temps qu'ils la signifient. Enfin, ce qui fait encore la perfection du
christianisme, c'est que le Fils de Dieu a investi son Eglise du droit et du
devoir de maintenir et de régler la vertu de Religion, jusqu'à la consommation
des siècles, lui ayant confié le dépôt des sacrements, la charge de le louer
publiquement et d'une manière digne de lui, et la vertu de sanctifier toute
créature par des rites sacrés, et toujours extérieurs.
Cette union du culte extérieur
avec la vertu de Religion
298
est si indissoluble que vous-mêmes,
Monseigneur, y rendez hommage tous les jours dans l'exercice de votre charge pastorale.
Lorsqu'il vous arrive de vous informer ; de l'état de la Religion dans une
paroisse, ne demandez-vous pas si les habitants assistent à la messe et aux
offices divins, les dimanches et fêtes, s'ils approchent du tribunal de la
pénitence, s'ils paraissent à la sainte table, s'ils font bénir leurs mariages
à l'Eglise, s'ils sont empressés de procurer aux mourants les derniers
sacrements, si les pratiques de piété approuvées sont suivies avec zèle, etc ? Et ne concluez-vous pas, d'une manière absolue, sur
le plus ou moins de Religion qu'il y a dans cette paroisse, d'après les
réponses qui sont faites à vos questions? Et n'appelle-t-on pas tous les jours,
dans le langage catholique, un homme sans religion, celui qui s'abstient
des pratiques extérieures du culte divin, quand bien même il prétendrait rendre
à Dieu un culte assidu, au fond de son âme ?
Certes, les ennemis de la
révélation firent un grand , mal, au siècle dernier, par l'affectation qu'ils
montrèrent dans leurs écrits de séparer toujours la Religion du culte
divin; et cela, avec un tel succès qu'ils sont parvenus à étendre cette
façon de parler jusqu'en nos jours. Ces déistes consentaient bien à reconnaître
une Religion ; mais elle ne devait avoir son siège, sa sanction et son exercice
qu'au fond du cœur de l'homme ; toute Religion positive était indifférente pour
eux, et ils se plaisaient à la désigner sous le nom de culte. Les cultes
sont indifférents, disaient-ils; et vint le jour où les prêtres de la
Religion de Jésus-Christ ne furent plus que les ministres du culte
catholique. La législation adopta ce mot; il devint l'argot d'une
administration sans foi religieuse qui réglementa la conscience ; il forme
encore un des caractères les plus significatifs des Articles organiques,
après avoir été l'un des termes caractéristiques de la
299
Constitution civile du clergé. Ne devons-nous pas
reconnaître ici le danger d'une distinction réprouvée par la théologie, et au
moyen de laquelle l'État a su organiser le système de persécution religieuse
qui fait gémir l'Eglise de France, sous le spécieux prétexte que le culte
étant extérieur, il est du domaine de la police, comme si, avant tout, il
n'était pas une partie essentielle et nécessaire de la Religion ?
Mais revenons à la proposition
incriminée. J'ai donc pu dire, Monseigneur, que la vertu de Religion
renferme tous les actes du culte divin, sans, pour cela, confondre les
notions. Maintenant qu'il est démontré que le culte divin fait partie
nécessaire de la Religion, je dirai avec les savants hommes dont j'ai cité les
paroles tout à l'heure, que le culte divin est identique à la Liturgie,
en tant que ce culte est exercé et réglé par l'Église, et ici j'amène la
seconde partie de ma proposition : « La liturgie qui est la forme sociale de la
vertu de Religion comprend tous les actes de la Religion (1). »
Je prouve cette proposition en
disant que l'Église étant essentiellement une société, et une société
visible, et la Liturgie étant la forme extérieure par laquelle se complète
et se manifeste la Religion, cette manifestation faite par l'Église est la forme
sociale de la Religion.
Quant à ce que j'ai avancé que la
Liturgie comprend tous les actes de la Religion, la vérité de cette
assertion est évidente ; puisqu'il serait impossible de désigner un sentiment
religieux qui n'ait pas son expression dans la Liturgie.
Vous dites à cela, Monseigneur,
que « la Liturgie proprement dite n'a aucun rapport nécessaire avec la vertu de
Religion, et que si elle renferme tous les actes du culte divin, les fidèles ne pouvant se sauver que par
300
l'accomplissement de ces actes,
seraient nécessairement assujétis à tous les
règlements et à toutes les exigences de la Liturgie (1). »
Mais, Monseigneur, comment
pourrait-il se faire que la Liturgie qui n'est autre chose que le culte
divin dans l'Eglise, n'eût aucun rapport nécessaire avec la vertu
de Religion, tandis qu'il est indubitable que le culte divin fait partie
nécessaire de cette vertu de Religion? Par quel autre moyen que la
Liturgie, l'Église exercera-t-elle donc la Religion, d'une manière complète, et
en tant que société ? J'avoue que je ne comprends pas.
Vous dites ensuite, Monseigneur,
que « si la Liturgie renferme tous les actes du culte divin, les fidèles
seront nécessairement assujettis à tous les règlements et à toutes les
exigences de la Liturgie. — La conséquence, permettez-moi de vous le dire,
ne ressort pas des prémisses. De ce que la Liturgie renferme tous les actes du
culte divin exercé par l'Église, rien ne porte à
conclure que chaque fidèle en particulier doive pratiquer tous ces actes par la
Liturgie. L'Acte liturgique par excellence, le Sacrifice ne peut être offert
que par ceux qui sont revêtus du caractère sacerdotal; pour ce qui est des
sacrements, en exceptant le Baptême, des bénédictions et des autres fonctions
qui requièrent un caractère sacré, l'Église les exerce par ses ministres, et
cela suffit bien. Vous savez mieux que moi, Monseigneur, que l'Église est
divisée en deux parts, les ministres de Dieu, et les fidèles. Ce que font les
premiers, comme tels, est et doit être réputé fait par l'Église, tout
aussi complètement que si les fidèles y participaient. Ce principe est
fondamental dans la notion de l'Église catholique; il suffit de se rappeler la
XXIIIe session du concile de Trente.
J'ajouterai
encore, avec la théologie, que
les fidèles
301
eux-mêmes ne sont pas étrangers à
cette première classe des actes liturgiques, puisqu'il est un grand nombre de
ces actes auxquels ils doivent prendre part, d'une certaine manière, pour
obtenir le salut. Mais si vous eussiez bien voulu, Monseigneur, considérer la
teneur de mes propositions, vous eussiez reconnu que tout en enseignant que la
Liturgie est la forme de la Religion dans la société chrétienne, je n'ai
pas dit le plus petit mot qui tende à faire croire que je voudrais assujettir
chaque membre de cette société à exercer par lui-même tous les règlements,
ni à subir toutes les exigences de la Liturgie.
Vous m'attaquez encore, pour avoir
dit que la Liturgie est la forme sociale de la vertu de Religion. « Si
par la prière considérée à l'état social, dites-vous, Monseigneur, les nouveaux
bénédictins ont entendu la prière que ferait le président de la chambre des
députés, à la tête du parlement, ou celle que dirait un roi à la tête de la
nation : à la bonne heure (1)! » — Ainsi, Monseigneur, vous reconnaissez à la
prière un caractère social, dans les circonstances dont vous parlez, et
vous ne voudriez pas le reconnaître lorsque la prière et les autres actes de la
religion sont accomplis par le prêtre, par le Pontife qui président au nom de
toute l'Église, profèrent des paroles, accomplissent des rites qui ont été
fixés, tantôt par Jésus-Christ lui-même, tantôt par les Apôtres, tantôt par l'Église
! L'Église n'est-elle donc pas une société tout aussi bien que cette
nation avec son roi et son parlement ? Ne peut-elle pas donner tout aussi
solennellement le caractère social à ses actes, que ne le fera une chambre des
députés, ou une assemblée d'États généraux ? Assurément, nous sommes fort
éloignés de nous entendre-, mais n'y a-t-il pas lieu enfin à regarder
sérieusement de quel côté se trouve la méprise? Quelques pages
302
plus loin, vous consentez,
Monseigneur, à reconnaître la Liturgie pour une forme publique (1), et
vous lui refusez la qualité de forme sociale ! Certainement, plus d'un
de nos adversaires s'accommoderait de cette distinction. On nous accorde
encore, assez volontiers, à nous catholiques, d'avoir quelque chose de public,
et c'est pour cela qu'on administre notre culte; mais nous considérer
comme une société, c'est à quoi on répugne vivement. L'Eglise pourtant
ne sera affranchie que le jour où sa vie sociale sera libre, et ce jour, nous
devons l'appeler de tous nos vœux, le hâter de tous nos efforts.
Je me permettrai de réclamer
aussi, Monseigneur, sur votre assertion que le peuple chrétien n’est pas
obligé de savoir, ni même de connaître les rites liturgiques (2). Sans
doute c'est une conséquence de ce que vous dites plus haut, que la liturgie
n'a aucun rapport nécessaire avec la vertu de Religion (3); mais pourtant,
le christianisme tout entier est l'expression de la doctrine contraire. Je
viens de le prouver par les principes de la théologie. Mais ce n'est pas tout
encore ; les faits de la tradition ecclésiastique, les canons des conciles,
ceux de France en particulier, déposent de l'obligation pour les pasteurs
d'instruire le peuple sur le sens et les raisons des cérémonies, afin que les
fidèles les puissent contempler dans un véritable esprit de Religion,et remplir avec foi ceux des rites sacrés dont la pratique
les regarde directement. Si les limites de cette lettre me permettaient de
citer les innombrables passages des sermons et homélies des Pères, et des
grands évêques du moyen âge, dans lesquels ils emploient leur éloquence à
expliquer au peuple confié à leurs soins les mystères du saint Sacrifice, des
sacrements, des sacramentaux, des
3o3
fêtes, des offices divins, j'aurais
bientôt fait un gros volume. Ce sont précisément ces sermons, ces homélies qui
sont la base de la science liturgique ! C'est par leur moyen qu'on arrive à
l'intelligence du Missel, du Bréviaire, du Pontifical, du Rituel, du
Cérémonial. Les liturgistes de profession n'ont fait pour ainsi dire que
recueillir et coordonner cet enseignement populaire, qui est en même temps si
profond et si élevé, et dans lequel s'accomplit magnifiquement la belle parole
de l'Église : ut dum visibiliter
Deum cognoscimus, per hunc in invisibilium amorem rapiamur.
Je le dis avec regret,
Monseigneur, un immense intervalle nous sépare; mais je vous proteste que c'est
avec confiance que j'attends sur cette controverce le
jugement des théologiens. C'est à eux de décider si, réellement, j'ai plus
de bon vouloir dans l’âme que de saine théologie dans l'esprit (1).
J'ai répondu, je crois, à vos
difficultés sur ma manière d'exprimer les rapports de la Liturgie avec la vertu
de Religion ; je vais justifier maintenant ma définition en elle-même.
J'ai dit : « La Liturgie, en
général, est l'ensemble des symboles, des chants et des actes au moyen desquels
l'Église exprime et manifeste sa Religion envers Dieu. » En effet, le culte
rendu à Dieu par l'Église se manifeste 1°dans l'accomplissement des rites qui
ont pour but d'opérer la gloire de Dieu par la sanctification de l'homme et de
ce monde visible. Ces rites, qui sont la chose principale de la Religion, ont
été les uns enseignés par Dieu lui-même aux patriarches, et plus tard à Moïse,
les autres établis par Jésus-Christ pour accomplir la loi et non la détruire,
les autres enfin, institués par les Apôtres et par l'Église dépositaire et
interprète
304
des traditions divines et apostoliques.
Ces rites se divisent en trois classes, le sacrifice, les sacrements et les
sacramentaux. Je les ai compris sous le nom générique de symboles, parce
que ce terme est employé continuellement par les Pères pour exprimer les signes
sensibles à l'aide desquels la grâce est conférée, augmentée et maintenue dans
le cœur des fidèles. Eusèbe, saint Athanase, saint Grégoire de Nysse, saint Basile, Théodoret,
etc., ne s'expriment point autrement que saint Denys l'Aréopagite. Que si on
n'a pas le loisir de feuilleter les Pères et les Conciles, on en peut voir les
preuves réunies dans Suicer, pour les Pères grecs
(1). Quant aux Pères latins, il suffit de revoir Tertullien, saint Ambroise et
saint Augustin, dans un grand nombre de passages de leurs écrits, où ils
traitent des sacrements et des autres rites chrétiens.
J'ai donc eu lieu d'être surpris,
Monseigneur, que, dans ma définition de la Liturgie, vous ayez entendu le mot symboles,
dans le sens restreint de formule de profession de foi. Le pluriel symboles
suffisait bien cependant pour empêcher toute équivoque.
2° Le culte rendu à Dieu par
l'Église se manifeste dans les chants sacrés. Par ce mot, il faut
entendre non seulement l'harmonie musicale des chants religieux qui n'en est
que l'accessoire, mais la lettre même sur laquelle s'exécutent ces chants. Or,
ceci comprend tout d'abord la totalité des offices divins qui sont destinés à
être chantés, sur divers modes, dans toutes leurs parties, et aussi un nombre
considérable de formules qui accompagnent la collation des sacrements et des
sacramentaux. Je n'ai pas besoin, sans doute, de rappeler que toute poésie est
réputée chant, lors même qu'on ne la chante pas, et personne n'ignore
que la Liturgie tout entière
3o5
appartient à la poésie, et que
c'est pour cela même que le chant en est le complément.
3° Le culte rendu à Dieu par
l'Eglise se manifeste par des actes. Or, ces actes sont le Sacrifice qui
est le principal (1), l'accomplissement et l'usage des rites sacramentels, des
sacramentaux, et généralement toutes les démonstrations religieuses à l'aide
desquelles l'Eglise exprime par ses ministres, et par ses fidèles, ses
sentiments d'adoration, d'actions de grâces et de louanges, ses prières et ses
supplications.
Tel est, Monseigneur, le sens de
la définition que j'avais cru pouvoir donner de la Liturgie, en tête de mon
Introduction historique, et que mon ouvrage tout entier doit développer. Je ne
sais si tout le monde sera de votre avis, quand vous dites : « Si l'on ne veut
pas savoir ce que c'est que la Liturgie, il faut demander ce qu'elle est aux
trois premiers chapitres des Institutions (2). »
Il est vrai qu'après avoir
reconnu enfin l'existence d'une définition qui peut se lire à la première ligne
de mon premier volume, vous proposez de la changer en cette manière : « La
Liturgie est la forme des symboles,
3o6
des chants et des actes par
lesquels l'Église exprime et manifeste sa religion envers Dieu (1). » J'avoue
que je ne comprends pas la forme d'un symbole qui est lui-même une forme,
ni la forme d'un chant, à moins que vous n'entendiez par cette
expression, la tonalité de ce chant, seul côté par lequel, selon vous,
Monseigneur, il appartiendrait à la Liturgie. Quant à la forme des actes,
je ne vois plus à quoi vous réduisez la Liturgie dans ces actes, puisque ceux
dont nous parlons sont essentiellement extérieurs. Il est vrai que vous tenez
avant tout à laisser la Liturgie dans son domaine et le culte divin dans le
sien (2), tandis que j'ai le double malheur de les identifier, et d'unir
dans une même notion le culte divin et la vertu de Religion : mais, malgré
toute ma bonne volonté, il me serait impossible de faire sur ce point une
concession quelconque, attendu qu'il y va de notions fondamentales.
J'avais dit, Monseigneur, que «
la Liturgie est l'expression la plus haute, la plus sainte de la pensée, de
l'intelligence de l'Eglise, par cela seul qu'elle est exercée par l'Eglise en
communication (3) directe avec Dieu, dans la Confession, la Prière
et la Louange(4). »
307
— « Hélas ! mon Révérend Père! me répondez-vous, « Monseigneur; par ce nouvel aperçu de la
Liturgie, vous nous menez plus loin du catéchisme que jamais. Nulle part,
relisez-le bien , vous n'y verrez que , l'Église se
met en communication directe avec Dieu par l'exercice de la Liturgie, dans la
confession, la prière et la louange, parce que l'Eglise est toujours en
communication directe avec Dieu, dans tous ses actes, et que par l'exercice
public de la Liturgie, elle se met plutôt en communication avec les hommes,
accomplissant devant le monde tous les devoirs du culte divin. Si l'Église se
mettait principalement en communication directe avec Dieu, par la Liturgie, le
culte extérieur serait préférable au culte intérieur, puisqu'il établirait
entre Dieu et son Eglise, un lien plus direct, et, partant, plus intime et plus
fort (1). »
Je ne me permettrai pas de vous
parler de catéchisme, Monseigneur; je sens combien toute allusion de ce
genre serait inconvenante; mais permettez-moi cependant de réclamer au nom de
la théologie, contre les assertions qui vous échappent en me poursuivant. La
Liturgie est le Culte divin ordonné et exercé par l'Église; comment
peut-il se faire que ce culte mette plutôt l’Église en communication avec les hommes
qu'avec Dieu ? Quand vous offrez, Monseigneur, le saint Sacrifice, qui est
l'Acte liturgique par excellence, ne présentez-vous pas à Dieu une offrande qui
intéresse directement sa gloire et paie les dettes du monde entier,
indépendamment de l'effet religieux que ce grand acte est appelé à exercer sur
les assistants ? La Messe célébrée dans le secret n'est-elle pas, comme l'a
défini le saint concile de Trente, l'acte liturgique aussi complet, et en aussi
parfaite communication avec Dieu, que celle qui se célèbre pontificalement
308
au maître-autel d'une cathédrale ?
Dans l'administration des sacrements, quelle est la source du pouvoir surhumain exercé par
le ministre, si ce n'est cette communication
avec Dieu qu'il obtient en accomplissant, dans l'intention de l'Eglise, les
rites prescrits par Jésus-Christ; et si ce ministre épanche la grâce
divine sur le fidèle qui reçoit le
sacrement, n'est-ce pas parce qu'il est lui-même, par la Liturgie, en communication
avec Dieu, source de tout don parfait et auteur de toute sanctification? Quand
l'Eglise loue Dieu, dans ses divins offices, n'est-ce pas Dieu qu'elle prie,
qu'elle exalte, qu'elle remercie, avant de songer à se mettre en communication
avec les hommes? Sans doute, elle veut les réunir dans une prière commune, et
c'est pour cela qu'elle a ses lieux et ses heures de prière publique;
mais qui a jamais pensé que, dans ces moments solennels, elle cherchait plus à se mettre en communication avec les hommes,
qu'à s'unir à celui que confesse sa bouche et à qui s'adressent directement ses paroles? La
Liturgie, il est vrai, porte instruction avec
elle; mais ses prières les plus fortes de
doctrine, s'adressent à Dieu comme les autres, et si le peuple fidèle,
dont l'Église aussi se compose, y trouve son instruction, il n'est pas, pour cela, distrait du service
de ce grand Dieu dont la louange est
aussi une confession.
Non, Monseigneur, il ne suit
point de cette doctrine, que le culte extérieur soit préférable au culte
intérieur; mais la foi catholique nous oblige de croire que le culte
intérieur n'est point agréé de Dieu sans les rites extérieurs, toutes les fois
que ces derniers sont prescrits par Jésus-Christ ou par son Eglise, comme le
complément delà religion. Si nous étions des Anges, nos actes religieux
pourraient être parfaits sans le secours des cérémonies et de la parole
matérielle ; nous ne sommes que des hommes, et le Verbe fait chair a voulu que notre
309
religion fût impuissante, tant
qu'elle n'appellerait pas à son secours les moyens visibles de communication
qu'il a institués et inspirés à son Église d'établir.
Vous dites, Monseigneur, que
l'Église ne se met pas en communication directe avec Dieu par l'exercice de la
Liturgie, parce que l'Eglise est toujours en communication directe avec Dieu
dans tous ses actes; sans doute l'Eglise est toujours en communication avec
Dieu par la foi et la grâce sanctifiante qui demeure en elle, bien que
plusieurs de ses membres soient privés de cette grâce; mais comment l'Église,
société visible, peut-elle exercer ces actes, en tant qu'Église, si ces actes
ne sont pas eux-mêmes visibles et extérieurs? Or, vous ne pouvez, Monseigneur,
assigner d'autres actes de l'Église, comme Église, que ceux qui ont rapport à
son enseignement, à son gouvernement et enfin à sa Liturgie. Ces derniers sont
les plus fréquents, et aussi les plus sacrés puisqu'ils ont Dieu pour objet
direct et immédiat : quand l'Église les exerce, elle mérite les grâces par
lesquelles l'Esprit qui l'anime continue de présider à ses enseignements et au
gouvernement de ses enfants. Suspendez sur la terre l'action du grand
Sacrifice, l'administration des sacrements, la célébration des divines
louanges; tout à coup les dons gratuits et merveilleux que le ciel nous
préparait s'arrêtent dans leurs cours, et l'Église est devant Dieu comme une
terre sans eau (1).
Quant à ce que vous ajoutez,
Monseigneur, que la conséquence des principes que j'ai exposés, amènerait à
dire que le culte extérieur serait préférable au culte intérieur, puisqu'il
établirait entre Dieu et son Eglise un lien plus direct, et, partant, plus
intime et plus fort, je n'ai qu'un tout petit mot à vous répondre. C'est
que l'Église ne sépare jamais le culte extérieur du culte intérieur,
310
puisque l'un et l'autre font partie
essentielle de la Religion qu'elle rend à Dieu. J'avoue que je plaindrais
sincèrement le catéchisme qui enseignerait que la célébration des rites
de la Liturgie n'a pas pour résultat de rendre plus direct, et partant plus
intime et plus fort, le lien qui unit Dieu et son Eglise. Une telle
assertion me semblerait la négation du Christianisme.
Vous avez dit, il est vrai,
Monseigneur, que la Religion ne produit que des actes intérieurs
d'adoration, de louange, de SACRIFICE (1) ; plus j'examine cette
doctrine, moins je la comprends. Comment
en effet peut-on se figurer un sacrifice qui soit purement intérieur? N'est-ce
pas renverser toutes les notions du sacrifice, qui est pourtant le centre
de la Liturgie? Toutefois, je comprends
que vous ayez été contraint de reculer jusque-là dans le système périlleux que vous vous êtes imposé. Pour
moi, je m'en tiens à la théologie universelle, et je Continue de croire que les
actes extérieurs de la religion, prescrits par Jésus-Christ ou établis par
l'Eglise, nous unissent à Dieu, en nous rendant chrétiens et catholiques.
Il me resterait beaucoup à dire
sur les autres principes que vous avez émis dans vos chapitres II, III et IV,
pour réfuter ce que vous appelez mes notions toutes neuves sur la Liturgie.
Ainsi, j'aurais droit de m'étonner que vous
ayez trouvé étrange que je me
sois servi du mot Confession pour exprimer la proclamation que fait
l'Église,des mystères de sa foi par la Liturgie; comme si cette expression, fondée
sur les Écritures de l'Ancien et 'du
Nouveau Testament, et spécialement sur les Psaumes que vous et moi
récitons tous les jours, avait droit d'étonner qui que ce soit. Je sais bien
que les nouveaux bréviaires, en détruisant le titre de confesseur dans
311
la désignation des Saints, ont
contribué sur ce point aussi à appauvrir le langage ecclésiastique; mais il
reste encore assez de confitebor et de confitemini dans le Psautier, pour que cette
acceptation, si populaire dans tous les siècles, ne s'éteigne pas de si tôt.
J'avais dit : « La Liturgie est
une chose si excellente que, pour en trouver le principe, il faut remonter
jusqu'à Dieu; car Dieu, dans la contemplation de ses perfections infinies, se
loue et se glorifie sans cesse, comme il s'aime d'un amour éternel. Toutefois,
ces divers actes, accomplis dans l'essence divine, n'ont eu d'expression
visible et véritablement liturgique que du moment où une des trois personnes
divines, ayant pris la nature humaine, a pu, dès lors, rendre les devoirs de la
Religion à la glorieuse Trinité. Dieu a tant aimé le monde, qu'il lui a donné
son Fils unique (1) pour l'instruire dans l'accomplissement de l'œuvre
liturgique (2). »
Que trouvez-vous donc dans ces
paroles, Monseigneur, qui puisse légitimer vos agréables plaisanteries sur mon
outrecuidance d'aller considérer la Liturgie dans le Saint des Saints, ce
qui m'oblige de me voiler la face à l'exemple des Chérubins éblouis, sans trop
savoir où je suis (3) ? Serais-je donc le premier qui ait enseigné que
Dieu, dans la contemplation de ses perfections infinies, se loue et se
glorifie sans cesse, comme il s'aime d'un amour éternel ? Sans doute, ces
mystères sont profonds ; mais puisqu'il a plu à Dieu de nous les révéler, et de
nous associer, faibles créatures, à sa gloire éternelle, par le moyen de notre
grand Pontife Jésus-Christ qui a pénétré les deux (4), pourquoi ne
contemplerions-nous
312
pas, dans notre foi et notre
reconnaissance, ce Fils de l'Homme assis à la droite de Dieu, pour être
à jamais le principe et le moyen de notre religion tout entière, en même temps
qu'il rend à la glorieuse Trinité des devoirs dont la valeur s'élève à
l'infini, par son union hypostatique avec le Verbe de Dieu ?
Saint Jean nous montre ce divin
Agneau, sur l'autel sublime du ciel, debout dans sa force, mais immolé dans son
sacrifice éternel (1) ; or, notre autel de la terre est le même que celui du
ciel; l'un et l'autre sont consacrés par une seule et même Liturgie extérieure et visible. En
vain chercherez-vous, Monseigneur, à rendre ridicules mes propositions en les
traduisant de cette manière : « Il
tardait à Dom Guéranger de nous élever plus haut que le ciel et de nous faire
contempler la Liturgie, c'est-à-dire, selon lui, l'ensemble des symboles,
des chants et des actes par lesquels l'Eglise manifeste sa religion envers Dieu, dans la sainte Trinité, se louant et se
glorifiant sans cesse dans la contemplation de ses perfections infinies
(2). » Cette phrase absurde et impie ne m'appartient pas. J'ai dit que le
principe de la Liturgie remontait jusqu'à Dieu, que la Liturgie nous
associait à la glorification que Dieu se rend à lui-même, par Jésus-Christ qui
a pris notre nature pour mettre la Religion à
notre portée ; mais je n'ai pas dit que les symboles, les chants et les
actes, que l'Église emploie, par ordre de Dieu, pour exprimer cette
religion, s'accomplissent dans la sainte Trinité. Franchement, vous vous
exposez, Monseigneur, en altérant si
évidemment les textes mêmes que vous reproduisez. Permettez-moi
d'ajouter que la matière est trop grave pour se prêter à de pareils jeux
d'esprit.
313
Vous vous
divertissez ensuite sur ma citation de saint Jean, qu'il vous plaît de donner
comme une falsification de mon fait, par la suppression que vous avez cru
devoir faire du chiffre que j'avais inséré dans mon texte pour avertir le
lecteur que les paroles qui suivent ne sont plus de l'Évangéliste. Je n'insiste
pas davantage sur ce procédé ; mais permettez-moi de vous dire, Monseigneur,
que vous tirez des paroles de saint Jean, qui viennent après celles que j'ai
citées, des inductions que la théologie n'avoue pas.
L'Évangile dit : Sic Deus dilexit mundum ut Filium suum unigenitum
daret, ut omnis qui credit in eum non pereat, sed habeat vitam œternam (1). Donc, concluez-vous, le premier
but de l'Incarnation aura été de nous sauver par la foi, ou par l’accomplissement
des actes intérieurs du culte divin (2). Je distingue, Monseigneur : par
la foi ou par l’accomplissement des actes intérieurs du culte divin, si la
foi et ces actes sont rendus efficaces par le baptême, qui est extérieur,
sans doute, et, pour les adultes, par la participation aux sacrements, et
spécialement à celui du corps et du sang de Jésus-Christ, je l'accorde. Par la
foi ou par les actes intérieurs du culte divin, qui ne seraient pas
essentiellement liés aux actes extérieurs, établis par Jésus-Christ et par son
Église, je le nie, avec le concile de Trente (3). Vous pensez, sans doute,
comme moi, Monseigneur ; le seul point qui nous sépare, c'est que vous dites
que le culte intérieur est simplement le fondement du culte extérieur,
tandis que je soutiens que l'un et l'autre nous sont imposé* par l'autorité
divine, en sorte que la Liturgie vient du ciel, aussi bien que la foi même à
l'Incarnation.
Il est également
impossible d'admettre ce que vous
314
dites ensuite, Monseigneur, que
Jésus-Christ n'est venu accomplir et perfectionner que la partie dogmatique
et morale de l'ancienne loi, et qu'il en a aboli la partie liturgique et
cérémoniaire (1). Cette doctrine est dangereusement incomplète, si vous
n'ajoutez que Jésus-Christ venant, comme il le dit lui-même, non
détruire la loi, mais l'accomplir (2), a substitué un sacrifice réel
extérieur, des rites réels extérieurs, aux sacrifices et aux rites figuratifs
extérieurs de la loi mosaïque; et que l'Église dirigée par l'Esprit-Saint a établi un nombre immense de rites extérieurs
qui accompagnent le Sacrifice, les sacrements, les offices divins, et remplissent
encore le Rituel et le Pontifical ; au grand scandale des protestants qui, par
un luxe inutile d'érudition, ont voulu convaincre cette même Église d'avoir
renouvelé, sous la loi de grâce, toutes les cérémonies des Juifs et même de la
gentilité.
Permettez-moi aussi, Monseigneur,
de me plaindre de ce que, dans cet endroit, vous avez ajouté à mon texte des
mots importants qui n'y sont pas, lorsque vous me faites dire que le Fils de
Dieu est venu perfectionner seulement les ombres et les figures, au lieu de les
faire disparaître (3) ; j'avais dit simplement : non détruire, mais
accomplir et perfectionner les traditions liturgiques (4) ; le reste vous
appartient en propre.
Vous vous
scandalisez, Monseigneur, que j'aie dit que la vie mortelle de Jésus-Christ
n'était elle-même qu'un grand acte liturgique (5) ; « c'est-à-dire, sans
doute, ajoutez-vous, un mystérieux symbolisme dont les formes extérieures
l'emportaient de beaucoup sur les sentiments et les pensées, et où ce qui
frappait les yeux était plus vénérable et plus grand
315
que ce qui se passait dans l'âme du Sauveur des hommes (1). »
Cette conséquence ne vaudrait que
dans le cas où j'aurais enseigné que les
formes extérieures constituent à elles seules la Liturgie, et qu'elles sont
complètes sans que l'esprit ait besoin de s'y unir. Heureusement je n'ai a
jamais rien dit de semblable : j'ai dit tout le contraire. Le culte extérieur
fait partie de la Religion pour l'homme et pour la société chrétienne; mais,
c'est à la condition qu'il sera exercé en esprit et en vérité. Or, Notre-Seigneur descendu
sur la terre pour rendre, dans la chair, les devoirs de la Religion à son Père,
réunissait, sans doute, les conditions de toute Liturgie, et tous ses actes
avaient pour but d'honorer, au nom de l'homme, et par les moyens de l'homme, la
majesté divine, en attendant le jour de
l'immolation sanglante. J'avoue que je tiens à ce catéchisme.
Plus loin, à propos de ce que
j'ai dit, « que le symbolisme chrétien (qui contient les réalités en même temps
qu'il les figure), accomplit
magnifiquement le but de l'Incarnation,
exprimé d'une manière
sublime dans cette admirable phrase
liturgique : Ut dum visibiliter Deum cognoscimus, per hunc in invisibilium amorem rapiamur (2)
; » vous prétendez, Monseigneur, que
mon intention est de
démontrer par ces paroles, que l'Incarnation du Verbe n'a eu pour but que de relever
l'importance des gestes et des figures du corps, sans trop se préoccuper des mouvements et des affections du cœur (3).
Cette conséquence absurde et impie est démentie par le texte même que vous
citez, puisque les symboles élevés déjà à la dignité de matière et de forme des
sacrements, ou sanctifiés par
l'Église comme sacramentaux,
316
n'ont d'autre but, d'après mes
paroles, que de nous élever jusqu'à l’amour des choses invisibles. Vous
avez écrit pour le public, Monseigneur, le public jugera qui de vous ou de moi
a mieux défendu les principes constitutifs d'une religion qui repose sur le
mystère d'un Dieu incarné. Je croirais manquer aux convenances en vous
renvoyant à Bellarmin, et aux autres Controversistes des XVI° et XVII° siècles,
qui ont écrit contre Kemnitz, Hospinien,
les Centuriateurs, Daillé, etc. ; mais j'oserai vous
dire que le Missel, le Rituel et le Pontifical romains, surtout ce dernier, ne
cessent d'insister, dans leurs oraisons et allocutions, sur la doctrine que
j'ai exposée, non pas le premier, mais après mille autres.
Vous vous
étonnez ensuite, Monseigneur, que j'aie : affirmé que la résurrection des corps
des bienheureux soit destinée à donner plus de plénitude à leur expression
liturgique au ciel (1); j'avoue que je ne comprends pas ce qui vous
surprend dans cette doctrine. Notre divin chef, Jésus-Christ, garde
éternellement son corps glorieux, et s'immole à jamais sur l'autel du ciel pour
la gloire de la Très Sainte Trinité ; au-dessous de lui, la très pure Marie et
les Saints, pour compléter cet hommage éternel, assistent en qualité de
membres, avec leurs corps, et ainsi Dieu est glorifié dans son œuvre tout
entière. Il me semble que telle est la foi de l'Église catholique, et je ne
comprends pas pourquoi nous ne prêcherions pas sur les toits une doctrine qui
relève si haut la Liturgie de la terre, en l'unissant à celle du ciel.
317
De mes paroles vous concluez
ainsi, Monseigneur : « La religion tout entière n'est donc qu'un vaste et
radieux symbolisme, un mystérieux ensemble de formes, de figures et de
cérémonies mystiques (1). »
Je vous demande pardon,
Monseigneur; la religion n'est pas seulement ce vaste et radieux symbolisme
; ce symbolisme fait simplement partie de la religion, mais il n'est pas
la religion à lui seul. Visibiliter
Deum cognoscimus, ut per hune in invisibilium amorem rapiamur. Nous ne trouvons point au fond de
notre cœur la religion telle que Dieu l'exige, pas plus que nous n'y trouvons
les vérités qu'il a révélées; il nous faut le moyen sacré des symboles
visibles, et, par cette voie, nous arrivons au Dieu invisible. Nul ne va au Père
que par le Fils (2) ; nul ne va au Fils que par le mystère de l'Incarnation, et
nul ne perçoit les fruits célestes de l'Incarnation que par la Liturgie
instituée par Jésus-Christ, et sanctionnée par l'Église.
N'ayant dit nulle part que la
religion n'est qu'un vaste et radieux symbolisme, et ayant
même dit tout le contraire, et publié déjà les deux premiers volumes d'un
ouvrage qui n'a d'autre but que de montrer la plénitude d'esprit et de vie
renfermée dans les sublimes symboles de la religion catholique, j'ai
donc droit d'être surpris, autant que le public, de l'aplomb avec lequel vous
m'imputez, Monseigneur, cette doctrine impie, que la religion ne serait qu'un
vaste et radieux symbolisme, et je ne puis concevoir comment vous avez pu
ajouter ces mots : « Mais ici, mon Révérend Père, vous n'avez pas la gloire de
l'invention ; d'autres, avant vous, avaient enseigné ces belles choses; et
certes ! on ne les
comptait pas au nombre des
318
docteurs catholiques, et leurs
livres étaient loin de passer pour orthodoxes (1). » Je suis de votre avis,
Monseigneur, sur ces docteurs et sur leurs écrits ; aussi ai-je cru pouvoir
diriger mon grand ouvrage contre eux, en même temps que j'y poursuis l'erreur
opposée des rationalistes qui font de la Liturgie une chose inutile et
arbitraire.
Mais n'y a-t-il pas évidente
contradiction, lorsque vous ajoutez ces mots : « Loin de moi aussi la pensée de
vouloir comparer le symbolisme de vos Institutions aux symbolismes de
tous ces inventeurs de types et de mythes chrétiens : le vôtre, mon Révérend
Père, laisse subsister la réalité des mystères, le leur avait pour but de le
faire disparaître (2). »
Mais s'il en est ainsi,
Monseigneur, qu'est-ce donc que mon symbolisme si ce n'est celui de l'Église
catholique? D'un côté, il montre des signes extérieurs et sacrés, et institués
par Jésus-Christ ou par son Église; de l'autre, il proclame les mystères
divins, cachés et opérant sous ces symboles ; n'a-t-il pas le droit, encore une
fois, de se formuler dans ces paroles de l'Église : Visibiliter
Deum cognoscimus, ut per hunc in invisibilium amorem rapiamur ?
« Mais, mon Révérend Père, en
vous rapprochant de leur langage, vous vous rapprochez de leur point de vue, et
malgré vous (3). » .— Je ne le crois pas, Monseigneur
-, je crains bien plutôt que cette longue et franche discussion, dans laquelle
je n'ai dissimulé aucune dé vos objections, ne donne lieu à nos lecteurs de
penser que c'est vous-même qui vous rapprochez du langage des
rationalistes.
319
Arrêtons ici cette première
lettre, Monseigneur, et tirons quelques conséquences de cette importante
controverse.
Pour les lecteurs des Institutions
liturgiques et de votre Examen de cet ouvrage, il est un fait
capital qui résulte de tout ce que nous avons écrit l'un et l'autre, c'est que,
si de mon côté je relève la dignité de la Liturgie, votre but patent est de la
déprimer.
Vous êtes allé jusqu'à dire,
Monseigneur, que la Liturgie n'avait aucun rapport avec la vertu de Religion ;
que la vertu de Religion ne produit par elle-même que des actes intérieurs,
même de sacrifice; que le culte divin extérieur ne fait pas partie essentielle
de la vertu de Religion : la conséquence naturelle était, j'en conviens, que je
faisais bien du bruit pour peu de chose.
De mon côté, j'ai établi que la
Religion n'est point complète sans le culte extérieur, et que la Liturgie n'est
autre chose que le culte extérieur rendu à Dieu par l'Église.
La Liturgie fait donc partie
essentielle de la Religion.
Pénétrant plus avant dans la
doctrine, nous en sommes venus à examiner si la foi chrétienne ne repose pas
tout entière sur le mystère de l'Homme-Dieu, Prêtre
selon l'ordre de Melchisédech et Pontife éternel, instituant les rites
extérieurs en harmonie avec son Incarnation, et laissant à son Église le
pouvoir de sanctifier toute créature visible pour élever l'homme jusqu'au Dieu
invisible : cette thèse démontrée pour l'affirmative, la conclusion devait être
que la religion chrétienne repose tout entière sur l'immolation réelle
et visible de l'Agneau de Dieu, à qui seul appartient d'ouvrir par son
sang le livre fermé des sept Sceaux qui sont les sept Sacrements, symboles
visibles, et de répandre sur la terre la rosée de cette bénédiction
universelle dont l'Église est dispensatrice par la Liturgie.
320
D'où nous avons été amenés à
conclure que la Liturgie, qui est le moyen nécessaire de la Religion, est
divine ; qu'elle est l'admirable objet de notre foi comme de notre pratique.
D'où il suit enfin qu'on ne
saurait avoir une trop haute idée de la Liturgie, ni la traiter avec trop de
respect, ni la garantir avec trop de précautions dans les rites dont elle se
compose, et dans les livres qui la contiennent.
Il nous reste à faire l'application
de cette doctrine aux détails en apparence les plus extérieurs, tels que les
livres liturgiques, leur histoire et le droit qui les régit. Nous y viendrons
successivement; mais, auparavant, une grande thèse de lieux théologiques nous
réclame. Non content d'avoir disputé à la Liturgie l'honneur de faire partie de
la vertu de Religion, vous avez voulu lui enlever, Monseigneur, la gloire
d'être, dans ses formules, le dépôt de la Tradition. Dans la lettre suivante,
nous examinerons cette belle et grande question, et puisque vous me demandez
quels sont les théologiens que je puis citer en faveur de ma doctrine, je crois
vous être agréable en vous donnant par avance cette sentence de Bossuet :
« Le principal instrument de la Tradition de l'Église est renfermé dans
ses prières (1). »
Quant à ceux qui contestent la
valeur des livres liturgiques pour autoriser la foi, l'Évêque de Meaux, assez
énergique parfois, comme chacun sait, les qualifie en cette sorte : « Ces
grands savants ne songent point à la prière. Ils méprisent les arguments qu'on
tire de là, qu'ils appellent des pensées pieuses et une espèce de sermon : ils
ne répondent après cela qu'en souriant avec dédain, et dans leur cœur se
moquent de ceux qui
321
ne leur allèguent pour preuve que
leur bréviaire ou leur missel (1). »
Veuillez agréer, Monseigneur, le
profond respect avec lequel je suis,
DE VOTRE GRANDEUR,
le très humble et très obéissant serviteur,
Fr. Prosper
GUÉRANGER,
Abbé de Solesmcs.
Le catéchisme ayant été
invoqué en témoignage dans la discussion présente, par Monseigneur l'évêque
d'Orléans, il m'a semblé utile de produire ici un document peu connu en France,
à l'aide duquel la question générale qui nous occupe va s'éclaircir encore, en
même temps que cet incident inattendu y trouvera sa véritable appréciation.
Il est de fait que, dans l'Église
catholique, il n'existe qu'un seul catéchisme qui puisse être appelé en
témoignage comme autorité décisive, dans une contestation théologique, et ce
catéchisme est celui qui est appelé du concile de Trente, ou le Catéchisme
romain. Il fut publié par saint Pie V, comme le Bréviaire et le Missel,
avec cette différence, que le Pontife n'exigea pas d'une manière expresse
l'adoption de ce catéchisme par toutes les Eglises de l'univers catholique. Ce
corps de doctrines n'en fut pas moins reçu partout avec acclamation, et un
grand nombre des conciles provinciaux du XVI° et du XVII° siècles en
recommandent l'usage dans les termes les plus formels. Le fait est que, en
France, il ne se trouve pas aux mains de tous les curés, bien loin de servir de
base à l'enseignement qu'ils dispensent à leurs peuples. Depuis un siècle et
plus, des particuliers ont fabriqué de nombreux catéchismes plus volumineux les
uns que les autres ; à peine si quelques-uns ont été honorés d'une approbation
épiscopale, encore parmi ces derniers devons-nous compter celui de Montpellier,
qui fut promulgué par un prélat notoirement hérétique. 11 fut corrigé, sans
doute, par le successeur orthodoxe de Colbert; mais le travail du Père Pouget
n'en a pas acquis pour cela une autorité supérieure à celle des évêques
particuliers qui l'ont approuvé. Pour le catéchisme comme pour la Liturgie, la
sanction apostolique demeurera toujours l'inviolable sceau de l'autorité.
Le pieux et courageux Clément
XIII, considérant que l'amour des changements tendait, au siècle dernier, à
priver l'Eglise du grand bienfait d'un catéchisme universel, crut devoir
adresser à tous les Patriarches, Primats, Archevêques et Évêques de l'Église
catholique, un bref solennel dans lequel
il signale les périls de cette mobilité continuelle
324
et les exhorte, au nom de la paix
et de la tranquillité de l'Eglise, à prescrire l'usage du seul catéchisme qui
est la règle de la foi catholique et de la discipline chrétienne.
Le Pontife se plaint que l'amour
de la nouveauté ait fait tomber des mains des Pasteurs un livre rédigé avec une
si profonde doctrine, et revêtu d'un consentement si universel, et il signale
deux graves inconvénients qui ont résulté des nouveaux catéchismes. Le premier
a été une atteinte portée à l'unité de l'enseignement et une occasion de
scandale pour les faibles, qui, dit le Pontife, pensent ne plus habiter une
terre d'un seul langage et d'un parler uniforme. Le second consiste dans
les dissensions qui résultent nécessairement de la publication de ces divers
exposés de la vérité catholique, les fidèles se trouvant à même de prendre
parti les uns pour Apollo, les autres pour Céphas,
d'autres pour Paul. Le Pontife juge donc qu'il est de son devoir de travailler
à déraciner un tel abus, en réclamant les droits de ce livre vénérable, dont
les enseignements avaient été soustraits au peuple fidèle par des hommes
imprudents ou superbes, qui se prétendaient les plus sages dans l'Eglise.
Il publie donc de nouveau le Catéchisme romain, afin que les âmes des fidèles
soient corroborées dans la doctrine de l'Eglise, et préservées de la contagion
de ces opinions nouvelles qui n'ont pour elles ni l'universalité ni
l'antiquité.
La portée du bref, que nous
donnons ici en entier, sera facilement comprise, et peut-être que ce document
apostolique, dont la connaissance est très peu répandue parmi nous, ayant été
publié à une époque où les rapports de la France avec le Siège apostolique se
réduisaient presque à de simples relations officielles; peut-être,dis-je, que
la publicité donnée à ce document apostolique, contribuera en quelque chose à
rectifier les idées sur l'existence de l'unique et véritable Catéchisme de
l'Eglise catholique. La saine théologie y gagnerait assurément, et l’instruction
des peuples en tirerait des fruits précieux.
Quant à l'opportunité de la
publication de ce bref dans la controverse liturgique, elle sera sentie par
tout le monde. Le Siège apostolique regarde comme un malheur pour l'Eglise, que
le catéchisme du concile de Trente ne soit pas suivi universellement, malgré la
recommandation de saint Pie V. L'abandon du Bréviaire et du Missel du concile
de Trente, si fortement et si directement établis l'une et l'autre par saint
Pie V, ne saurait donc être un fait indifférent, et moins encore un
perfectionnement pour l'Église catholique. En un mot, si après la bulle de
saint Pie V et le bref de Clément XIII, il n'est plus possible de dire que le
meilleur catéchisme est celui qu'on récite ou qu'on explique le mieux; à plus
forte raison, après la bulle du même saint Pie V, les brefs de Clément VIII et
d'Urbain VIII, et enfin le bref de notre Saint Père le Pape Grégoire XVI à
Monseigneur l'archevêque de Rheims, sur le Bréviaire
romain, il ne reste plus lieu de dire que le meilleur bréviaire est celui
qu'on dit le mieux.
325
CLEMENS PAPA XIII
VENERABILIBUS FRATRIBUS
PATRIARCHIS, PRIMATIBUS, ARCHIEPISCOPIS
ET EPISCOPIS.
VENERABILES FRATRES,
SALUTEM, ET APOSTOLICAM BENEDICTIONEM.
In dominico agro, cui excolendo, divina disponente providentia, praesumus, nihil tam vigilantem curam, et perseverantem
requirit industriam, quam jacti boni seminis, catholicas nimirum doctrinas a
Christo Jesu, et ab Apostolis acceptae, nobisque traditas custodia; ne si pigro otio, et inerti
desidia negligatur, dormientibus operariis inimicus humani generis superseminet
zizania ; ex quo fiat, ut in die messis,potius quam condenda in horreis,
inveniantur ea, quœ urenda sint flammis. Atque ad
tuendam quidem semel traditam Sanctis fidem (1), Nos vehementer excitat
Beatissimus Paulus, qui Timotheo scribit, ut bonum
custodiat depositum (2), quod periculosa tempora instarent (3), cum in Ecclesia
Dei homines mali, et seductores (4) existerent, quorum opera adhibita
insidiosus ille tentator, his erroribus incautas mentes conaretur inficere, qui
sint evangelicas veritatis inimici.
Verum si, quod saepe accidit, quœdam
in Ecclesia Dei sese extulerint prava; sententiœ, quae adversis quidem sibi frontibus pugnantes, in eo tamen
conspirent, ut catholicae fidei puritatem quoquo modo
labefactent; tum vero difficillimum est, ea cautione inter utrumque hostem ita
nostrum librare sermonem, ut nulli eorum terga vertisse, sed utrosque Christi
hostes œque vitavisse, et condemnasse videamur. Atque
interdum res est ejusmodi, ut facile diabolica falsitas, veri quadam
similitudine, coloratis se tegat mendaciis, dum vis sententiarum brevissima
adjectione, aut commutatione corrumpitur, et confessio, quœ
operabatur salutem, subtili nonnumquam transitu vergat in mortem.
Ab his propterea lubricis, angustisque semitis,
quibus insistere, aut ingredi sine prolapsione vix possis, avertendi sunt fideles,
ac praesertim qui rudiore sint ac simpliciore ingenio
: nec per invia loca ducenda; sunt oves ad pascua : nec singularia quaedam, etiam catholicorum Doctorum, placita iis sunt
proponenda : sed illa certissima catholicae: veritatis
nota tradenda est, doctrinae
universitas, antiquitas et consensio.
326
Praterea cum non possit
vulgus ascendere in montem (1), in quem gloria Domini descendit ; et transcendens
terminos ad videndum peribit; termini figendi sunt populo ab ejus Doctoribus
per circuitum, ut ultra ea, quas sunt ad salutem necessaria, aut summopere
utilia, sermo non divagetur, et fideles Apostolico dicto pareant : non plus
sapere quam oportet sapere, sed sapere ad sobrietatem (2).
Haec cum probe intellexissent Romani Pontifices praedecessores
Nostri, in id omnem suam operam contulerunt, ut non modo venenata germina sub
nascentium errorum anathematis gladio praeciderent, sed etiam subcrescentes opiniones quasdam
amputarent, quos vel redundantia in
Christiano populo, fidei uberiorem fructum
impedirent, vel fidelium animis
proximitate nocere possint erroris. Postquam igitur Tridentina Synodus, eas, quae tum temporis Ecclesiae lucem
obfuscare tentaverant, haereses condemnavit, et
catholicam veritatem, quasi discussa
errorum nebula, in clariorem lucem eduxit ; cum iidem praedecessores
Nostri intelligerent sacrum illum
universalis Ecclesia; conventum,
tam prudenti consilio, tantaque usum esse temperantia, ut, ab
opinionibus reprobandis abstineret, qua; Doctorum ecclesiasticorum auctoritatibus fulcirentur ; ex ejusdem sacri Concilii mente aliud opus confici voluerunt, quod omnem doctrinam complecteretur, qua fideles informari oporteret;
et quae ab omni errore quam longissime
abesset. Quem librum Catechismi Romani nomine typis impressum evulgarunt ; dupliciter in ea re laudandi. Nam et illuc eam
doctrinam contulerunt, quae communis est in Ecclesia,
et procul abest ab omni periculo erroris
; et hanc palam populo tradendam disertissimis verbis proposuerunt,
ita Christi Domini praecepto obtamperantes,
qui Apostolos dicere in lumine jussit, quod in tenebris ipse dixisset, et quod in aure audierant, super tecta praedicare (3), Ecclesiaeque sponsae obsecuti, cujus illae voces :
Indica mihi ubi cubes in meridie (4); ubi enim non sit meridies, atque ita
perspicua lux, ut liquido veritas cognoscatur, facile pro ea recipitur falsitas
propter veri similitudinem, qua; in obscuro
difficulter a vero discernitur. Noverant
enim fuisse antea, et deinceps futuros, qui pascentes invitarent, et sapientiae, scientiaeque uberiora promitterent pascua, ad quos multi confluerent, quia aquas furtivae dulciores
sunt, et suavior panis absconditus (5). Ne igitur seducta vagaretur Ecclesia post greges
sodalium, qui et ipsi sint vagi,
nulla stabiles certitudine
veritatis, semper discernes, numquam ad
scientiam veritatis pervenientes (G) idcirco
quas ad salutem tantummodo essent
necessaria, et maxime utilia, clare in
Romano Catechismo, et dilucide explanata, christiano
populo tradenda proposuerunt.
Verum hunc librum non mediocri labore et studio compositum omnium
consensione probatum, ac summis laudibus exceptum his temporibus
327
e Pastorum
manibus propemodum novitatis amor excussit, cum alios atque alios catechismos
extulerit nullo modo cum Romano comparandos : unde duo mala extiterunt, quod
illa fuerit in eadem docendi ratione prope sublata consensio, oblatumque pusillis quoddam scandali genus, quibus sibi
ipsi jam non amplius esse videantur in terra labii unius, et sermonum eorumdem (1) : alterum, quod ex diversis variisque tradenda; catholicœ
veritatis rationibus ortae sunt contentiones, et ex aemulatione, dum alius se Apollo, alius Cephae,
alius Pauli se dictitat sectatorem, disjunctiones animorum, et magna dissidia :
quarum dissensionum acerbitate nihil ad Dei gloriam minuendam exitialius putamus, nihil ad extinguendos fructus, quos e
christiana disciplana aequum
est fideles percipere, calamitosius. Itaque duplex hoc malum ut ab Ecclesia
tandem amoliremur, illuc duximus redeundum, unde
quidam parum prudenti consilio, nonnulli etiam superbia ducti, ut sese in
Ecclesia jactitent sapientiores, jamdudum fidelem populum avocaverant
; et cumdem Catechismum Romanum, Pastoribus animarum
iterum porrigendum existimavimus ; ut qua ratione confirmata olim fuit
catholica fides, et in doctrina Ecclesia;, qua; est columna veritatis (2),
fidelium mentes corroboratoe, eadem nunc a novis
quoque opinionibus, quibus nec consensio, nec antiquitas suffragatur, quam
longissime avertantur. Atque parabilior ut fieret liber, et maculis, quas
operariorum vitio contraxerat, emendatior, illum ad ejus exemplum, quem Sanctus
Pius V praedecessor Noster, ex Tridentinoe
Synodi decreto vulgavit, iterum omni adhibita diligentia excudendum in Alma
Urbe curavimus; qui in popularem sermonem ejusdem Sancti Pii jussu conversus,
et editus, propediem mandato itidem Nostro, typis impressus, denuo prodibit in
lucem.
Quod igitur hoc christianoe reipublica;
difficillimo tempore, ad pravarum opinionum fraudes removendas, et veram sanamque doctrinam propagandam, stabiliendamque
opportunissimum subsidium cura Nostra praebet et
diligentia, vestrum est, Venerabiles fratres, operam dare, ut a fidelibus
recipiatur. Ac propterea hune librum, quem veluti catholica; fidei, et
christiana; disciplina; normam, ut etiam in tradendoe
doctrine ratione constaret omnium consensio, Romani Pontifices Pastoribus
propositum voluerunt, vobis, Venerabiles fratres, nunc maxime commendamus, vosque etiam enixe in Domino cohortamur, ut jubeatis ab
omnibus, qui animarum curam gerunt, in informandis catholica veritate populis
adhiberi, quo tum eruditionis unitas, tum charitas, animorumque
servetur concordia. Vestrum enim est tranquillitati omnium studere ; quae denique sunt partes Episcopi : qui propterea illuc
intentos oculos habere debet, ne quisquam propter suos honores superbe agendo
schismata faciat, unitatis compage disrupta.
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Nullum tamen aut certe exiguum hi libri fructum praebebunt
utilitatis, si qui eos proponere, et explanare audientibus debent, minus
docendo sint ipsi idonei. Itaque permagni interest, ut ad hoc munus christianae doctrinae populo
tradenda;, homines eligatis, non modo sacrarum rerum scientia praeditos, sed multo magis et humilitate, et
sanctificandarum animarum studio, et charitate flagrantes. Tota enim christiana
disciplina non in abundantia verbi, non in astutia disputandi, neque in
appetitu laudis et gloriae, sed in vera et voluntaria
humilitate consistit. Sunt enim, quos major quidem scientia erigit, sed a caeterorum societate disjungit; et quo plus sapiunt, eo a concordiae virtute desipiunt : qui Sapientia ipsa, Dei
verbo admonentur : Habete sal in vobis, et pacem habete inter vos (1); ita enim
sapientia; sal habendum, ut eo proximi amor custodiatur, et infirmitates
condiantur. Quod si a sapientia; studio, a cura etiam proximi ad discordias
vertantur, sal sine pace habent ; non virtutis donum, sed damnationis
argumentum ; et quo melius sapiunt, eo deterius delinquunt ; quos quidem damnat
Jacobi Apostoli sententia illis verbis : Quod si zelum amarum habetis, et
contentiones sint in cordibus vestris, nolite gloriari, et mendaces esse
adversus veritatem : non est enim ista sapientia desursum descendens, sed
terrena, animalis, diabolica : ubi enim zelus est, et contentio, ibi inconstantia,
et omne opus pravum. Qua: autem desursum est sapientia, primum quidem pudica
est, deinde pacifica, modesta, suadibilis, bonis consentiens, plena
misericordia, et fructibus bonis, non judicans, sine simulatione (2).
Dum ergo Deum in humilitate cordis et afflictione anima; deprecamur, ut diligentiae atque industriae Nostrae conatibus, suam impertiat indulgentiae
et misericordia; largitatem, ne dissensio populum fidelem disturbet, utque in vinculo pacis, et in charitate Spiritus, unum
sapiamus omnes, unum laudemus, et glorificemus Deum, et Dominum nostrum Jesum
Christum, Vos Venerabiles Fratres salutamus in osculo sancto; vobisque omnibus, itidemque
cunctis Ecclesiarum vestrarum fidelibus, Apostolicam Benedictionem amantissime
impertimur.
Datum in Arce Castri Gandulphi, die XIV. Junii
MDCCLXI. Pontificatus Nostri Anno III.
(1) Marc. IX. 49.
(3) Jacob. III. 14. 15.
16. 17.
FIN DE L'APPENDICE.