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LE LUNDI DE LA SEXAGESIME.« Toute chair avait corrompu sa voie. » Ainsi la terrible leçon qu'avaient reçue les hommes lorsqu'ils furent expulsés du Paradis de délices en la personne des deux premiers parents, avait été perdue. Ni la certitude d'une mort plus ou moins prochaine, qui devait les amener aux pieds du Juge incorruptible, ni les humiliations de leur entrée en cette vie, ni les douleurs et les fatigues dont elle est semée, rien n'avait pu les réduire à la soumission envers le souverain Maître dont la main pesait sur eux. L'espérance d'être un jour sauvés et de recouvrer par le Médiateur, fils de la femme, la félicité et les honneurs qu'ils avaient perdus, ne relevait pas leur cœur et ne l'arrachait pas à ses instincts mauvais. L'exemple du premier père, courbé durant tant de siècles sous le joug de la pénitence, témoin vivant des bontés et des justices du Seigneur, perdait de jour en jour son empire sur les fils qui se multipliaient autour de lui ; et quand l'infortuné vieillard fut descendu dans la tombe, sa race se montra plus oublieuse encore des liens de service et de dépendance qui l'enchaînaient à Dieu. La longue vie dont avaient été gratifiés les hommes de ce premier âge du monde fut une nouvelle arme qu'ils tournèrent contre Dieu ; et les enfants de Seth contractant alliance avec la famille de Caïn, l'espèce humaine tout entière sembla vouloir protester contre son auteur et n'adorer plus qu'elle-même. Dieu néanmoins ne les avait pas abandonnés sans défense au penchant déréglé de leurs cœurs. Le divin secours de la grâce leur était offert pour vaincre l'orgueil et l'entraînement de la sensualité. Les mérites du Rédempteur à naître étaient déjà présents devant la suprême justice, et le sang de l’Agneau immolé, comme parle saint Jean, dès le commencement du monde (1), imputait ses divins mérites aux générations qui devaient s'écouler avant le grand Sacrifice. Les hommes pouvaient donc tous être justes comme Noé, et mériter comme lui les complaisances de l'Eternel ; mais les pensées de leurs cœurs se dirigeaient vers le mal de préférence au bien, et la terre se peuplait d'ennemis de Dieu. Ce fut alors que, selon la naïve et sublime expression de Moïse, Dieu se repentit de les avoir créés. Il décréta d'abréger la vie de l'homme, afin que le souvenir de la mort fût plus près de lui, et d'éteindre toute cette race perverse, sauf une seule famille, sous les eaux d'un déluge universel. Réduit à recommencer ses destinées, le genre humain, après une si effroyable catastrophe, connaîtrait mieux peut-être sa dépendance à l'égard de son auteur. Le Missel Mozarabe nous fournira aujourd'hui cette belle formule liturgique, qui convient si parfaitement au temps de la Septuagésime. 1. Apoc. XIII,
8. 191 (Dominica ante
carnes tollendas.) MISSA
Ils sont proches, ces jours
de salut que nous ramène le cours de l'année, et durant lesquels nous nous
efforçons de chercher un remède à nos œuvres mauvaises dans les travaux d'une
salutaire abstinence. Comme parle l'Apôtre : C'est là le temps favorable, ce
sont là les jours de salut. C'est alors que le remède spirituel est appliqué à
l'âme qui le désire, et que le mal qui, par sa fausse douceur, produit l'ulcère
du péché, est déraciné des âmes. Nous qui par une funeste habitude sommes
portés à décliner sans cesse, la divine miséricorde s'apprête à nous relever ;
il nous faudra diriger nos efforts pour remonter en haut. Voyons donc arriver
avec joie ces saints jours, et nous mériterons d'être affranchis de la
culpabilité de nos crimes, et d'être rendus participants de la béatitude des
élus. Amen. |