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LE IX AVRIL. SAINTE MARIE ÉGYPTIENNE, PÉNITENTE.
Un des plus solennels exemples de la pénitence nous est
proposé aujourd'hui : la pécheresse Marie d'Egypte vient encourager les fidèles
dans la voie de l'expiation.
Coupable comme autrefois Madeleine, comme Marguerite de
Cortone, mais purifiée par le repentir
et par les œuvres de la réparation, elle brille au ciel, dans les chœurs des Anges. Adorons la
toute-puissance de Dieu qui d'un vase
souillé a su faire un
vase d'honneur, et espérons dans les
richesses de la miséricorde céleste. Toutefois, sachons le comprendre,
le pardon n'est accordé qu'au repentir; et le repentir est illusoire s'il ne
produit, d'une manière durable, les
sentiments et les oeuvres
de la pénitence. Marie d'Egypte eut
le malheur de pécher durant dix-sept années;
l'expiation dura quarante-sept
ans : et quelle expiation que celle du désert, sous un soleil brûlant, sans
consolation humaine, au milieu de toutes les privations ! La réconciliation qui
nous a été offerte si promptement après
le péché, Marie l'attendit pendant près d'un demi-siècle ; le gage du pardon que le
Rédempteur a placé dans la participation au mystère d'amour, et qui nous
a été livré avec tant de confiance, Marie
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ne le reçut, pour la seconde fois,
qu'au moment où la mort allait séparer son âme de son corps exténué
d'austérités ! Humilions-nous devant la justice de Dieu qui nous demandera
compte des grâces dont nous sommes comblés, et efforçons-nous de mériter un
jour, par la sincérité de notre pénitence, une place aux pieds de la pécheresse
du désert.
Nous empruntons aux anciens
Bréviaires Romains-Français les Leçons de l'Office de
sainte Marie Egyptienne.
Maria Aegyptia, duodecennis, tempore Justini imperatoris, relictis parentinus, Alexandriam venit, fuitque per annos
septemdecim ea in civitate peccatrix. Cum autem Hierosolymam profecta, Calvariæ templum in festo Exaltationis sancta; Crucis ingredi tentasset ,
ter divinitus repuisa, in
atrio coram imagine Deiparae
Virginis vovit pœnitentiam , si liceret sibi vivificum Crucis lignum videre et adorare : moxque templum ingressa, vidit et adoravit.
Inde sumpto tnum
panum viatico, perceptaque Eucharistia in
oratorio Sancti Johannis
ad ripam Jordanis, ultra flumen in vastissimam solitudinem recessit. Ibi, consumpto viatico detritisque vestibus, ignota permansit annis quadraginta septem, donec ad torrentem quemdam occurrit ei Zozimas presbyter,
a quo obtinuit ut vespere
in Coena Domini, in adversam Jordanis ripam afferret sibi Corpus et Sanguinem Domini, quorum participatione tot annos caruerat.
Condicto die accessit ad eumdem locum Zozimas, quo et Maria
signo crucis impresso
super aquas ambulans pervenit; recitatoque Symbolo et Oratione Dominica, ut moris erat, divina dona suscepit ; rursumque precata est Zozimam, ut anno recurrente ad eumdem torrentem veniret. Qui cum eo accessisset. conspexit corpus cjus jacens in terra, in qua scripta haec
legit : Sepeli, Abba Zozima. miseras
Maris corpusculum; redde terrae quod suum est, et pulveri adjice pulverem ; ora tamen Deum pro me : transeunte
mense Pharmuthi,
nocte salutiferae Passionis, post divinae et sacrae Coenae communionem. Corpori ejus leo adveniens, effossa ungulis terra, paravit sepulcrum.
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Marie Egyptienne quitta ses parents à l'âge de douze ans , au temps de l'empereur Justin, et s'en vint à
Alexandrie. Elle se livra au vice, dans cette ville, durant dix-sept années;
mais, étant allée à Jérusalem, et ayant essayé d'entrer dans l'église du
Calvaire, au jour de l'Exaltation de la sainte Croix, elle se sentit
repoussée jusqu'à trois fois, par une force divine. Etant sous le portique,
elle fit vœu, devant l'image de la Vierge Mère de Dieu, d'embrasser la
pénitence, s'il lui était permis de voir et d'adorer le bois vivifiant de la
Croix. Tout aussitôt elle put entrer dans l'église, où elle vit et adora.
Ayant ensuite pris pour la route trois pains, et reçu
l'Eucharistie dans l'oratoire de Saint-Jean, au bord du Jourdain, elle se
retira dans une vaste solitude, au delà de ce fleuve. Ce fut là que, avant
consommé ses provisions, et ses vêtements ayant fini par tomber en lambeaux,
elle demeura ignorée quarante-sept ans, jusqu'au jour où le prêtre Zozime la rencontra au bord d'un torrent. Elle obtint de
lui que, le soir du Jeudi saint, il viendrait sur l'autre rive du Jourdain
lui apporter le Corps et le Sang du Seigneur, auxquels elle n'avait pas participé durant tant d'années.
Au jour
marqué, Zozime
vint au lieu qui avait été fixé; et Marie, ayant fait le signe de la croix
sur les eaux, arriva près de
lui. Après la récitation du Symbole et de l'Oraison Dominicale,
selon la coutume, elle reçut les dons
divins. Elle pria encore Zozime de revenir l'année
suivante près du même torrent. Il y vint et aperçut le corps de Marie étendu par
terre ; et sur le sable étaient écrits
ces mots : « Abbé Zozime, ensevelissez le corps de
la misérable Marie; rendez à la terre ce qui lui appartient, réunissez la
poussière à la poussière ; priez cependant Dieu pour moi. Ceci a été écrit le
dernier jour du mois Pharmuthi, en la nuit de la
Passion qui a donné le salut, après avoir participé à la sainte et divine
Cène. » Un lion arriva près du corps, creusa la terre avec ses griffes et
prépara le tombeau.
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A la louange de notre
incomparable pénitente, nous empruntons cette belle Séquence aux anciens
Missels d'Allemagne.
SEQUENCE.
Ex Aegypto Pharaonis
In amplexum Salomonis
Nostri transit filia ;
Ex abjecta fit electa,
Ex rugosa fit formosa,
Ex lebete phiala.
Stella maris
huic illuxit,
Ad dilectum quam conduxit
Pacis nectens feedera ;
Matre Dei mediante,
Peccatrici, Christo dante,
Sunt dimissa scelera.
Vitam ducens haec carnalem,
Pervenit in Jerusalem,
Nuptura Pacifico ;
Hinc, excluso
adultero,
Maritatur
Sponso vero
Ornatu mirifico
Dei templum
introire
Dum laborat,
mox redire
Necdum digna
cogitur;
Ad cor suum
revertitur.
Fletu culpa
submergitur,
Fletu culpa teritur.
Locus desertus
quaeritur,
Leviathan conteritur,
Mundus, caro vincitur,
Domus patris postponitur,
Vultus mentis componitur,
Decor carnis spernitur.
Laetare filia
Thanis,
Tuis ornata tympanis,
Lauda quondam sterilis,
Gaude , plaude , casta , munda,
Virtutum prole fœcunda,
Vitis meri fertilis.
Te
dilexitnoster risus,
Umbilicus est prrecisus
Tuus continentia
:
Aquis lotam, pulchram totam
Te salivit, te condivit
Sponsi
sapientia.
Septem pannis involuta,
Intus tota delibuta
Oleo lætitiae ;
Croco rubens caritatis,
Bysso cincta castitatis,
Zona pudicitiae.
Hinc hyacintho
calciaris,
Dum superna contemplaris,
Mutatis affectibus ;
Vestiris discoloribus,
Cubile vernat floribus
Fragrat aromatibus.
O Maria, gaude
quia
Decoravit et amavit
Sic te Christi gratia ;
Memor semper peccatorum,
Et cunctorum populorum,
Plaude nunc in gloria.
Amen.
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Du fond de l'Egypte des Pharaons, une fille a été appelée
aux honneurs d'épouse de notre Salomon; d'abjecte elle a été élue ; de
difforme qu'elle était, elle a éclaté en beauté; le
vase vulgaire a paru comme le vase le plus précieux.
L'Etoile de la mer a daigné luire sur elle ; c'est elle
qui l'a conduite à son bien-aimé, et a serré les nœuds de l'alliance; par la
médiation de la Mère de Dieu, la bonté du Christ a remis à la pécheresse tous
ses crimes.
Esclave d'abord des passions charnelles
, elle est entrée en Jérusalem,
celle qui devait être l'épouse du Roi pacifique; ses liens adultères
sont brisés; parée avec magnificence, elle
s'unit à l'Epoux céleste.
Elle cherche d'abord à pénétrer dans le temple de Dieu ;
non digne encore, elle s'en voit refuser l'entrée : alors elle rentre en
elle-même; ses péchés sont noyés sous ses larmes, les crimes de sa vie passée
sont dissous par ses pleurs.
Aussitôt elle court se cacher dans le désert; c'est là
qu'elle triomphe de Léviathan. là qu'elle remporte la victoire sur le monde
et sur la chair; elle y oublie la maison de son père ; et tandis qu'elle
sacrifie sa beauté corporelle, la beauté de l'âme se forme en elle.
Réjouis-toi, fille de Thanis,
sous ta parure nouvelle: chante le cantique de jubilation, toi qui fus si
tristement stérile; devenue féconde en vertus, vigne abondante en vin
délicieux, triomphe et réjouis-toi devenue chaste et pure.
Il t'a aimée, celui qui est notre joie; ta honte a disparu
sous le mérite de la continence ; purifiée par l'eau, devenue toute belle,
les mains de l'Epoux qui est la Sagesse ont pris plaisir à te parer.
Tu as reçu les sept voiles ; l'huile de l'allégresse a
inondé ton cœur ; l'éclat vermeil de la charité, la robe de la chasteté, la
ceinture de la continence : telle est ta parure.
Ta chaussure est d'azur, à toi qui, par un heureux changement,
contemples désormais les choses célestes ; ta robe est éclatante de mille
couleurs variées ; ton lit est parsemé de Heurs ; il exhale l'odeur des plus
suaves parfums.
Réjouis-toi, ô Marie ! car c'est la grâce du Christ, ton
céleste amant, qui t'a parée ainsi ; goûte maintenant la gloire et les
délices ; mais souviens-toi des pécheurs, et sois propice aux peuples de la
terre. Amen.
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Vois chantez éternellement, ô
Marie, les miséricordes du Seigneur; vous remerciez sa bonté, qui, d'une pécheresse, a fait de
vous une élue. Nous le louons avec vous, et nous lui rendons grâces de ce qu'il a daigné nous faire voir, par votre exemple, que,
malgré ses fautes, l'âme repentante peut
non seulement éviter les feux
éternels, mais prétendre encore aux
félicités du ciel. Qu'elle vous paraît légère aujourd'hui, ô Marie, cette
pénitence de quarante-sept ans, dont La seule pensée accable notre imagination ! Que sa durée
est courte en face de l'éternité
! que ses rigueurs sont douces, comparées aux tourments de l'enfer ! que
sa récompense est magnifique, dans les délices
sans fin que le Seigneur
vous fait goûter ! Nous
aussi, nous sommes pécheurs ; mais sommes-nous pénitents ? Aidez notre faiblesse, ô Marie ! Votre vie, longtemps inconnue au fond du désert,
s'est révélée à sa dernière heure, afin que les chrétiens apprissent à connaître mieux la gravité du
péché qu'ils commettent si facilement,
la justice de Dieu dont ils se font trop souvent, dans leur orgueil, une fausse
idée, sa bonté qu'ils outragent, sans l'avoir jamais bien comprise.
Eclairez-nous, ô Marie ! faites pénétrer en nous les
leçons que l'Eglise nous prodigue en ce saint temps ; par vos prières achevez
notre conversion ; brisez nos hauteurs, confondez nos lâchetés, apprenez-nous
le prix du pardon, et obtenez que nous approchions toujours de la table du
Seigneur avec cette componction et cet amour qui parurent en vous, à cette
heure fortunée où Jésus vint se donner à vous dans son Sacrement, pour vous
enlever ensuite avec lui dans le séjour du repos et des joies sans fin.
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