Dom Eugène Vandeur
  Ce rapide survol de la vie de Dom Eugène Vandeur nous est gracieusement fourni par
Dom Nicolas Dayez, Abbé de Maredsous; c'est extrait de la Revue des Oblats de Maredsous, à l'époque; aujourd'hui, elle se nomme La lettre de Maredsous
No. 189, 1967 : Lumière du Christ.

Le dimanche 5 novembre (1967) Dom Eugène se trouvait à l'Office de Matines. Vers 7 h. 30, les Laudes achevées, il célébra la messe, fit son action de grâce et se rendit au réfectoire pour le déjeûner. À peine l'avait-il commencé qu'il s'affaissa; on courut chercher le Père Abbé qui lui donna l'Extrême-Onction. Le médecin, qui se trouvait à l'église, arrivait de son côté; il ne put rien pour ranimer le coeur défaillant. En quelques minutes la mort avait emporté le cher Père.

Dom Eugène souhaitait s'en aller ainsi, discrètement, sans donner d'embarras aux infirmiers, disait-il. Il fut non seulement exaucé en cela, mais aussi quant au moment choisi par le Seigneur: il venait d'offrir le Sacrifice de la messe, lui qui en fut l'apôtre infatigable. Dans sa modestie, il eût peut-être aussi souhaité qu'après son départ pour le ciel, on parlât peu ou même pas du tout de sa vie. Il nous permettra cependant d'en faire ici une rapide esquisse; elle fera, espérons-le, quelque bien à ceux qui la liront, et en cela son approbation serait certainement acquise: « Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'à la vue de vos bonnes oeuvres, ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. Mt.5,16 »


Victor-Joseph Vandeur vit le jour à Namur, le 21 mai 1875. Il fut baptisé le 23 mai en la paroisse de Saint-Joseph. De 5 à 7 ans il fut mis à l'école des Soeurs de Sainte-Marie à Namur où sa tante, Soeur Hélène de la Croix, était religieuse. Quand il eut 7 ans on le placa à l'École Saint-Louis pour les classes primaires, puis il devint externe au Collège Notre-Dame de la Paix où il fit ses humanités gréco-latines jusqu'en 3ième. En 1889, il entrait dans le groupre des jeunes oblats qui faisaient leurs études à Maredsous, et c'est à l'école abbatiale qu'il termina
brillamment ses humanités.

Le 11 septembre il recevait l'habit monastique des mains du Père Abbé Primat, Dom Hildebrand de Hemptinne; deux mois plus tard il commençait son noviciat. Le Père Abbé Primat reçut également sa profession simple, le 15 février 1894, et solennelle le 22 février 1897. Après deux années d'études philosophiques à Maredsous, il fut envoyé pour sa théologie au Collège Saint-Anselme à Rome de 1896 à 1900 où, le 18 juin 1900, il obtint le grade de Docteur en théologie. Une date capitale dans sa vie fut celle du 15 août 1899 : ce jour-là, en effet, il reçut la prêtrise en la cathédrale de Namur des mains de S. E. Mgr. Van den Braden de Reeth, archevêque titulaire de Tyr.

Ses études achevées, il fut nommé professeur à l'école abbatiale, charge qu'il exerça de 1900 à 1909, Dom Columba Marmion, qui venait d'être élu abbé de Maredsous, l'envoya le remplacer comme prieur à l'abbaye du Mont César à Louvain. Il y demeura jusqu'en 1924, exerçant en même temps les charges de Préfet des clercs, de professeur successivement de théologie dogmatique, de morale, d'Écriture sainte, de Pastorale, de Casuistique. En plus, il fut, trois ans durant, confesseur ordinaire des Petites Soeurs des Pauvres de Louvain et près de douze ans confesseur extraordinaire des Ursulines de Thildonck. À cette époque commence aussi une autre activié de Dom Eugène : la prédication inlassable de la Parole de Dieu en des conférences innombrables, ayant surtout comme sujets la sainte messe et la liturgie.

Cet apostolat fit germer en lui l'idée, approuvée par son E. le Cardinal Mercier et par ses supérieurs, de fonder des Bénédictines qui en vivant le plus parfaitement possible l'idéal monastique, contribueraient par leur rayonnement sur les âmes à la rechristianisation de la famille. Le 15 octobre 1917, à Bruxelles,furent jetés les fondement de ce monastères de Bénédictines qui vint ensuite se fixer au diocèse de Namur, à Wépion, au célèbre et antique « Saint Désert de Marlagne » . Cette fondation, travail principal et de longue haleine, a été l'oeuvre par excellence du Père Eugène Vandeur : il y a mis toutes ses énergies et s'y est consacré jusqu'à l'épuisement. Afin d'être davantage au service de cette communauté naissante, il obtint du Père Abbé Président, Dom Robert de Kerchove, de reprendre sa vie à Maredsous, son maonastère d'origine où il revint le 6 janvier 1925.

Jusqu'en 1933 il prêche plus que jamais en France et en Belgique. De la liste impressionnante des villes et des communautés où il exerça son ministère, je retiens seulement la maison acueillante de Neuilly-sur-Seine, celle des Oblates apostoliques, pieuse Union fondée par lui et approuvée par Son E. le Cardinal Verdier en 1937. De 1933 à 1934, Dom Eugène fut hôtelier à Maredsous; âgé de près de 60 ans, déjà fort fatigué, cette charge l'épuisa beaucoup. Au bout d'un an un repos prolongé s'imposa, et il partit en septembre 1934 pour l'abbaye de Clervaux, où écrit-il, « il fut accueilli avec une charité incroyable ».

En septembre 1935 il rentrait à Maredsous, et de 1938 à 1940 il fut professeur de théologie dogmatique en notre abbaye. En 1940, avec une partie de la communauté, il se réfugia en France, à la Barge, au château des Montmorin. Rentré le 15 août de la même année, il donna aux clercs durant un an des cours de théologie ascétique et mystique. De 1941 à 1950 il prêche des retraites au monastère, quelques-unes aussi à l'extérieur, mais durant cette époque il écrit surtout beaucoup de livres : livres de spiritualité, brochures, lettres de direction. La liste de ses écrits a été faite: elle compte 80 ouvrages édités et 60 manuscrits. Quant aux lettres elles atteignent certainement le chiffre de plusieurs milliers, s'adressant aussi bien à des adultes qu'à des enfants. Il avait une mémoire étonnante qu'il mettait au service de sa délicate charité, n'omettant pas de marquer un anniversaire ou tout autre événement par un mot plein de bonté.

En 1949, inspiré et aidé par une âme pieuse, il fonde l'«Union des Petites Compagnes de Charité », oeuvre destinée à promouvoir la charité dans tous les milieux du monde. Il rassemble régulièrement ces Compagnes en des retraites, et, pendant près de 20 ans, il leur envoya chaque mois une lettre imprimée destinée à soutenir la ferveur de leur vie chrétienne. En 1960, note Dom Eugène, cette Union atteint presque le chiffre de 10,000 adhérentes. À l'âge de 85 ans il déborde encore de projets, tous inspirés de son ardent désir de faire beaucoup aimer Dieu. Malgré l'âge, les épreuves, les infirmités, il reste toujours aussi souriant, aimable, prévenant, « aimant son abbaye, écrit-il,
par dessus tout ici-bas ». Il sent bien cependant qu'il doit ralentir son activité, car les forces déclinent, et ce moine étonnant, que la moindre ombre de neurasthénie semble n'avoir jamais effleuré, se déclare alors heureux de pouvoir enfin vivre en ermite!

Si dans ses dernières années il paraîtra tel aux yeux de ses frères, qui admirent sa vie humble et recueillie, toute donnée au service de Dieu dans une fidélité admirable, il restera cependant un ermite facilement accessible; il écrit encore autant et reçoit de nombreuses visites. En certaines occasions d'ailleurs il voyage à nouveau, toujours dans un but apostolique. Une de ses joies est de pouvoir de temps à temps faire une visite à ses Filles, les Bénédictines de Notre-Dame d'Ermeton, où, de Wépion, elles avaient émigré en 1936.

La Providence lui permit d'assister au cinquantième anniversaire de ce monastère d'Ermeton, le 15 octobre 1967. Il a dit le grand bonheur et l'émotion que lui procura cette journée: comme jamais il avait constaté que ses directives de charité s'épanouissaient dans cette communauté, avec la grâce de Dieu, pour le bien de l'Église et des âmes.


Le 8 novembre (1967) une assistance recueillie, où l'on remarquait les Bénédictines d'Ermeton, participa à la messe concélébrée des funérailles. Puis ce fut l'inhumation : comme il y a deux mille ans devant la tombe de Lazare, le Christ illuminait les ténèbres de la pauvre vie terrestre :« Je suis la Résurrection et la Vie : celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra » , Jn.11,25. Et l'on songeait à la foi intrépide du moine qui avait quitté ce monde : « Je vais enfin, écrivait-il, vivre de la Vie de Dieu que je verrai, je le sais, j'y crois de toute mon âme...On ne meurt pas pour mourir; on meurt pour vivre d'une vie plus haute, plus divine. Le grain de blé, froment précieux, que j'étais, reste toujours terre et poussière ici-bas. Il est jeté dans les tribulations de tout genre mais il y germe magnifiquement. Peu à peu il produit son fruit, le fruit d'une autre vie, la Vie de Dieu, trois fois Saint : oui, Vie véritable, éternelle, la Vie qu'aucune mort ne pourra plus vaincre, la Vie de mon Seigneur Jésus, celle dont je vais vivre à jamais, dans la vision de Dieu ».

Dom Marc Mélot
Début...Pax --->