Explication suivie
des
QUATRE EVANGILES
par le docteur angélique
Saint Thomas d’Aquin
composée des interprètes grecs et latins, et surtout des ss. Pères
admirablement coordonnés et enchaînés
de manière à ne former qu’un seul texte suivi et appelé à juste titre
la
Edition où le texte corrigé par le P. Nicolaï a été revu avec le plus grand
soin sur les textes originaux grecs et latins
TRADUCTION NOUVELLE
par
M. L’ABBE J.-M. PERONNE
Chanoine titulaire de l’Eglise de Soissons, ancien professeur d’Ecriture
sainte et d’éloquence sacrée
Tome premier
PARIS
LIBRAIRIE DE LOUIS VIVÈS, ÉDITEUR
rue Delambre, 9
1868
cf. reproduction offset
aux « Editions pamphiliennes », rue St. Louis, F 84400 Saignon
Saint Matthieu ; Saint Marc ; Saint Luc ;
Saint Jean
PRÉFACE DE L’EXPLICATION SUIVIE
DE L’ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU
CONCESSION
Du
révérend Père provincial de la province de Paris de l’ordre des Frères
prêcheurs, pour une nouvelle édition de la Chaîne d’or.
Nous F. Étienne
Blondel, docteur en théologie de la Faculté de Paris et prieur, quoique
indigne, de la province de Paris des frères prêcheurs, nous donnons le pouvoir
et accordons la faculté au R. P. F. Jean Nicolaï, docteur en théologie et
premier professeur de théologie, ainsi que préfet des études dans le couvent de
Saint-Jacques, de publier la Chaîne d’or de
saint Thomas sur les quatre évangiles qu’il a corrigée et augmentée des notes
qui étaient nécessaires ; nous lui accordons aussi la permission de
publier les autres ouvrages qu’il pourra dans la suite corriger ou annoter, par
tels libraires qu’il choisira, conformément au privilège qui lui a été accordé
de par le Roi ; ce à quoi nous l’exhortons vivement par notre désir que
nous avons d’être utile au public. En foi de quoi nous lui donnons ces
présentes lettres, scellées du sceau de notre secrétariat, et signées de notre
main, pour les apposer au commencement de son édition.
Donné dans notre
susdit couvent de Saint-Jacques à Paris, le 2 mai de l’an 1657.
A NOTRE TRÈS SAINT PÈRE URBAIN
PAR LA PROVIDENCE DIVINE, QUATRIÈME PAPE DE CE NOM
F. Thomas d’Aquin, de l’ordre des Frères
Prêcheurs, baise les pieds avec un pieux respect.
La source de la
sagesse, le Verbe unique de Dieu qui habite au plus haut des cieux (Si 1, 5 ; et pour ce qui suit, Sg 8, 1), par lequel le Père avait tout
créé avec sagesse et ordonné toutes choses avec douceur, voulut se revêtir de
notre chair à la fin des temps, afin que le regard de l’homme, qui ne pouvait
atteindre dans une si haute élévation sa majesté divine, pût contempler son
éclat sous les voiles de la nature humaine. Il avait répandu ses rayons,
c’est-à-dire les marques de sa sagesse sur toutes les œuvres qu’il avait
créées ; mais par une prérogative plus excellente, il avait imprimé dans
l’âme des hommes le sceau de sa ressemblance et gravé avec plus de soin encore
cette image auguste dans le cœur de ceux qui devaient recevoir le don de l’aimer
de l’abondance de sa grâce. Mais qu’est-ce que l’esprit de l’homme au milieu de
l’immensité de la création, pour qu’il puisse saisir dans toute leur perfection
les empreintes de la divine sagesse ? D’autant plus que la lumière de Dieu
répandue dans les hommes a été couverte par les ténèbres du péché et par les
nuages des préoccupations temporelles ; et le cœur de quelques insensés a
été tellement obscurci, qu’ils ont attribué la gloire de Dieu à de vaines
idoles, et qu’ils ont fait des actions indignes, livrés qu’ils étaient à ce
sens dépravé (Rm 1, 21, 23, 28,
etc.).
Or la sagesse
divine qui avait fait l’homme pour qu’il pût jouir d’elle-même, ne permit point
qu’il fût privé d’un don si excellent ; elle se porta donc tout entière
vers notre nature, se l’unissant d’une manière admirable pour rappeler
entièrement à elle l’homme qui s’était égaré. Le prince des Apôtres fut le
premier qui mérita de contempler l’éclat de cette sagesse au travers des voiles
de la mortalité, et de la confesser avec fermeté et dans la plénitude d’une
conviction exempte d’erreur par ces paroles « Vous êtes le Christ, le Fils
du Dieu vivant. » O bienheureuse confession, ce n’est ni la chair ni le
sang, mais le Père qui est au ciel qui
vous révèle. C’est elle qui fonde l’Église sur la terre, ouvre les portes du
ciel, reçoit le pouvoir de remettre les péchés, et contre elle les portes de
l’enfer ne prévaudront jamais. Héritier légitime de cette foi et de cette
confession, vous veillez avec soin, très saint-Père, à ce que la lumière de la
divine sagesse inonde les cœurs des fidèles, et repousse les folles inventions
des hérétiques, qui sont appelées avec raison les portes de l’enfer. Si Platon
estimait heureuse la république dont les chefs se livrent à l’étude de la
sagesse, de cette sagesse que la faiblesse de l’esprit humain défigure si
souvent par tant d’erreurs, combien doit-on estimer heureux le peuple chrétien
qui vit sous votre gouvernement, et à qui vous distribuez avec tant de
sollicitude cette sagesse si élevée, que la sagesse de Dieu elle-même revêtue
d’une nature mortelle, nous a enseignée par ses paroles et démontrée par ses
œuvres ? C’est par un effet de cette vigilante sollicitude que Votre
Sainteté a daigné me confier la tâche d’expliquer l’Évangile de saint Matthieu,
tâche que j’ai remplie selon mes forces, en recueillant avec soin dans les
divers traités des saints docteurs de quoi former une exposition suivie de cet
Évangile. Les citations peu nombreuses que j’ai tirées d’auteurs non connus, et
puisées le plus souvent dans des Gloses, je les ai données sous le titre
général de Gloses, pour qu’on pût les distinguer d’avec les passages des saints
Pères. J’ai pris soin de donner toujours le nom des auteurs latins, avec
l’indication précise du livre auquel là citation était empruntée, à l’exception
des ouvrages qui sont un commentaire ou une exposition du livre que
j’expliquais moi-même. J’ai cru inutile alors d’ajouter cette indication.
Ainsi, par exemple, lorsque je cite le nom de saint Jérôme sans indication de
livre ou de traité, c’est que le passage est tiré de son commentaire sur saint
Matthieu, et ainsi des autres. Toutefois, pour les citations empruntées au
commentaire de saint Chrysostome sur saint Matthieu, j’ai cru devoir ajouter sur saint Matthieu, pour les distinguer
des autres passages empruntés aux homélies du même Père.
Il a fallu aussi
retrancher souvent quelque chose des citations empruntées aux saints Pères pour
plus de brièveté et de clarté ; comme aussi, pour l’intelligence du texte,
j’ai dû parfois changer l’ordre des phrases. Quelquefois j’ai laissé le texte
pour ne donner que le sens, surtout dans les homélies de saint Chrysostome dont
la traduction est défectueuse. Le but que je me suis proposé dans cet ouvrage,
a été non seulement de chercher le sens littéral, mais d’exposer aussi le sens
mystique, de détruire chemin faisant les erreurs, et d’appuyer sur de nouvelles
preuves la vérité catholique ; ce qui m’a paru indispensable, parce que
c’est surtout dans l’Évangile qu’on trouve la forme, la perfection de la foi
catholique, et la règle de toute la vie chrétienne. Puisse cet ouvrage ne
paraître trop long à personne. Il m’a été impossible de poursuivre un plan si
étendu sans abréger beaucoup, ayant à citer tant de saints docteurs, ce que
j’ai tâché de faire avec la plus grande concision. Que Votre Sainteté daigne
agréer cet ouvrage, dont je soumets l’examen et la correction à votre jugement.
Ce travail est le fruit de notre sollicitude et de mon obéissance ; c’est
vous qui me l’avez imposé, c’est à vous qu’il appartient de le juger en dernier
ressort. Les fleuves reviennent au lieu d’où ils sont sortis (Si 1, 7).
Au très-vénérable Père en Jésus-Christ
LE SEIGNEUR ANNIBAL
CARDINAL PRÊTRE DE LA BASILIQUE DES DOUZE APOTRES
Le Frère Thomas d’Aquin, de l’ordre des Frères
Prêcheurs,
tout à lui.
Le souverain
auteur de toutes choses, Dieu, qui a tout créé par la seule inspiration de sa
bonté, a donné à toute créature l’amour naturel du bien, afin qu’au moment où
elle aime et recherche naturellement le bien qui lui est propre, on la voie par
un retour admirable revenir à son auteur. Mais la créature raisonnable
l’emporte sur les autres en ce qu’elle peut contempler par la sagesse la source
universelle de tout bien, et y puiser avec suavité par l’amour de la charité.
De là vient qu’au jugement de la saine raison, le don de la sagesse, qui nous
conduit à la source même de toute bonté, doit être préféré à tous les autres
biens. C’est cette sagesse qui n’engendre pas le dégoût ; celui qui s’en
nourrit a encore faim, celui qui la boit ne cesse d’avoir soif. C’est elle qui
est si opposée au péché, que ceux qui agissent d’après ses inspirations n’y
tombent jamais. C’est elle qui donne à ses ministres des fruits vraiment
impérissables, car ceux qui la manifestent aux hommes reçoivent comme
récompense la vie éternelle. Elle est supérieure à toutes les voluptés par sa
douceur, aux trônes et aux royaumes par sa sécurité, à toutes les richesses par
les avantages qu’elle procure. Après avoir goûté le charme de ses faveurs, j’ai
essayé, en recueillant les pensées des saints docteurs, de donner une
exposition de cette sagesse évangélique qui, avant tous les siècles, était
cachée dans les mystérieuses profondeurs de l’éternité, et qui a été produite
au jour par la sagesse incarnée. J’avais d’abord été invité à ce travail par
l’ordre d’Urbain IV, d’heureuse mémoire ; mais comme après la mort de ce
pontife il me restait encore à expliquer les trois Évangiles, de saint Marc, de
saint Luc et de saint Jean, je n’ai pas voulu que la négligence laissât
inachevé un ouvrage qu’avait commencé l’obéissance ; je me suis donc
appliqué avec le soin le plus scrupuleux à compléter l’exposition des quatre
Évangiles, en suivant le même plan dans les citations des saints docteurs, que
j’ai toujours fait précéder de leurs noms.
Pour rendre cette
exposition de la doctrine des saints interprètes plus complète et plus suivie,
j’ai fait traduire en latin un grand nombre de passages des Pères qui ont écrit
en grec, et je les ai entremêlés avec ceux des auteurs latins, en ayant
toujours soin de placer leurs noms en tête de chaque citation. Et comme il est
de toute convenance que les prémices des fruits de nos travaux soient offertes aux
prêtres, j’ai cru de mon devoir d’offrir cette exposition de l’Évangile, fruit
de mon travail, au prêtre de la basilique des douze apôtres. Daignez l’agréer
comme un hommage dû à votre autorité, et en même temps que votre science
éminente le soumettra à son jugement, que votre vieille amitié y voie un
témoignage de ma sincère affection.
EXPLICATION SUIVIE
DES QUATRE ÉVANGILES
PAR SAINT THOMAS
Celui qui a
prédit avec plus de clarté les mystères de l’Évangile, le prophète Isaïe,
renfermant en peu de mots la sublimité de la doctrine évangélique, son nom et
ce qui en a fait l’objet, s’adresse au nom du Seigneur au docteur évangélique,
et lui parle en ces termes « Montez sur une haute montagne vous qui
évangélisez Sion ; élevez la voix avec force, vous qui évangélisez
Jérusalem ; criez, ne craignez pas, dites aux villes de Juda : Voici
Votre Dieu, voici que le Seigneur Dieu paraît dans sa force, il dominera par la
force de son bras et il tient entre ses mains le prix de ses travaux. » (Is 40)
Commençons par le
nom même d’Évangile. — S. Aug. (cont. Faust. liv. 2, chap. 2.) Évangile
signifie en latin bon message ou bonne nouvelle. Ce mot peut être employé
toutes les fois qu’on annonce une heureuse nouvelle ; mais il a été
spécialement réservé pour désigner le divin message qui nous annonce le
Sauveur, et on appelle Évangélistes proprement dits les écrivains sacrés qui
ont raconté la naissance, les actions, les paroles et les souffrances de Notre
Seigneur Jésus-Christ. — S. Chrys. (Hom. 1 sur S. Matth.) En effet, que pourra-t-on jamais comparer
à une si heureuse nouvelle ? Dieu sur la terre, l’homme dans le ciel,
notre nature rentrée en amitié avec Dieu, cette si longue guerre enfin
terminée, la puissance du démon détruite, la mort anéantie, le paradis ouvert,
et toutes ces grâces qui étaient au-dessus de notre nature nous ont été données
avec libéralité, non comme récompense de nos efforts, mais par un effet de
l’amour de Dieu pour nous. — S. Aug. (de la vraie relig., chap. 16.) Dieu qui
a des moyens à l’infini pour guérir les âmes suivant les circonstances
favorables des temps qu’il fait naître et dispose dans son admirable sagesse,
n’a jamais fait paraître plus de bonté pour le genre humain, que lorsque son
Fils unique consubstantiel et coéternel à son Père a daigné s’unir l’homme tout
entier. « Et le Verbe a été fait chair, et il a habité parmi nous, »
et en apparaissant ainsi au milieu des hommes revêtu de leur nature, il a fait
voir quel rang élevé la nature humaine occupait dans la création. — S. Aug. (serm. sur la Nativ.) Enfin Dieu s’est fait homme, pour que l’homme
devînt Dieu ; c’est cette grâce extraordinaire, qui devait être publiée
dans la suite des temps, que le Prophète prédit en ces termes « Voici
notre Dieu. » — S. Léon, pape. (Lettre 10, chap. 3.) Cet anéantissement par lequel l’invisible
s’est rendu visible, et le Créateur, le Seigneur Dieu de toutes choses s’est
réduit à la condition des mortels, a été en lui une inclination de miséricorde,
et non un amoindrissement de puissance. La
Glose. (interlin. sur Isaïe, XL.)
Afin que l’on ne pût croire que la venue de Dieu sur la terre entraînait pour
lui un affaiblissement de puissance, le Prophète ajoute « Voici que le Seigneur
vient dans sa force. » — S. Aug. (de la doct. chrét., liv. 1, chap. 12.)
Il vient, non pas en traversant l’espace, mais en apparaissant aux yeux des
mortels revêtu d’une chair mortelle. — S. Léon,
pape. (serm. 49 sur la pass.) Par un
miracle de puissance ineffable, il est arrivé que le vrai Dieu s’étant revêtu
d’une chair passible, l’homme a obtenu la gloire par ses abaissements,
l’incorruptibilité par son supplice, la vie par sa mort. — S. Aug. (du bapt. des enf., r, 30.) Car c’est l’effusion de ce sang
innocent qui a effacé tous les traités qui soumettaient les hommes au honteux
esclavage du démon. — La Glose. (interlin. sur Isaïe, 40.) Mais les hommes n’ont été délivrés du
péché par la vertu de la passion de Jésus-Christ que pour être soumis à l’empire
de Dieu ; c’est pour cela que le Prophète ajoute : « Il dominera
par la force de son bras. » — S. Léon,
pape. (serm. sur la passion.) Nous
avons reçu par Jésus-Christ un secours si puissant, que notre nature passible a
été affranchie de la loi de mort à laquelle la nature impassible s’était
soumise, car par ce privilège d’immortalité qui lui est propre, il peut
ressusciter ce qui était condamné à une mort éternelle. — La Glose. (interlin.) Et c’est ainsi que Jésus-Christ nous a ouvert les
portes de la gloire immortelle, comme le Prophète l’exprime en disant « Sa
récompense est avec lui ; » et comme saint Matthieu le déclare
lui-même par ces paroles : « Votre récompense est grande dans les
cieux. » — S. Aug. (contre Faust., liv. 4, chap. 2.) La
promesse de la vie éternelle et le royaume des cieux sont le privilège du
Nouveau Testament ; quant à l’Ancien, il ne contenait que des promesses de
biens temporels.
La Glose. (sur Ezéchiel, 1.) L’Évangile nous enseigne donc ces quatre
choses sur la personne de Jésus-Christ : la divinité s’est unie à la
nature humaine ; l’humanité a été élevée par cette union ; la mort du
Fils de Dieu nous a délivrés de la servitude, et sa résurrection nous a ouvert
les portes de la vie éternelle ; c’est ce qu’Ezéchiel a prophétisé sous la
figure des quatre animaux. — S. Grég.
(sur Ezéch., hom. 4.) En effet, le
Fils unique de Dieu s’est réellement fait homme ; dans le sacrifice de
notre rédemption il a été immolé comme un taureau ; il s’est levé du
tombeau comme un lion ; il a pris le vol de l’aigle pour monter au ciel. —
La Glose. (sur Ezéch., 1, 9.) Dans son ascension, sa divinité se
révèle avec éclat. Or, saint Matthieu nous est figuré par l’homme, parce qu’il
s’attache surtout à ce qui concerne l’humanité de Jésus-Christ ; saint Marc
par le lion, parce qu’il s’étend davantage sur sa résurrection ; saint Luc
par le taureau, parce qu’il traite de son Sacerdoce ; saint Jean par
l’aigle, parce qu’il a pénétré les profonds mystères de la divinité. — S. Amb. (préf. sur S. Luc.) C’est par un rapprochement heureux qu’ayant
appelé l’Évangile selon S. Matthieu un livre moral, nous donnons place à cette
interprétation figurée, car les mœurs sont propres à la nature humaine ;
saint Marc est la figure du lion, parce qu’il commence son Évangile en
proclamant la puissance de Dieu « Commencement de l’Évangile de
Jésus-Christ, Fils de Dieu ; » saint Luc nous est représenté sous la
figure d’un taureau, parce qu’il commence son récit par une histoire
sacerdotale, et que le taureau était une des victimes immolées par les
prêtres ; enfin on attribue à saint Jean la figure de l’aigle, parce qu’il
a raconté les circonstances miraculeuses de la résurrection du Sauveur. — S. Grég. (sur Ezéch., hom. 4.) Le commencement de chaque Évangile atteste la
vérité de cette interprétation symbolique ; saint Matthieu est
parfaitement figuré par l’homme, puisqu’il commence son Évangile par la
génération humaine de Jésus-Christ ; saint Marc par le lion, à cause du
cri dans le désert par lequel il ouvre son récit ; saint Luc par le
taureau, parce qu’il débute par le récit d’un sacrifice ; saint Jean par
l’aigle, lui qui commence par la génération éternelle du Verbe. — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 1, chap. 6.) On peut dire aussi que
saint Matthieu est figuré par le lion, parce qu’il s’est appliqué à faire
ressortir la royauté de Jésus-Christ ; saint Luc par le taureau, parce que
c’était une des victimes immolées par les prêtres ; saint Marc par
l’homme, parce que, sans vouloir raconter la descendance royale ou sacerdotale
du Christ, il s’est attaché à ce qui concerne son humanité. Ces trois animaux,
le lion, le taureau et l’homme, vivent et marchent sur la terre : aussi
les trois évangélistes qu’ils représentent se sont-ils principalement occupés
de ce qu’a fait Jésus-Christ revêtu dune chair mortelle. Mais saint Jean prend
le vol de l’aigle et il fixe la lumière de l’être immuable avec les yeux
perçants de son cœur. On peut en conclure que les trois premiers Évangélistes
ont traité surtout de la vie active, et saint Jean de la contemplative. — Remi. Les docteurs grecs dans la figure
de l’homme voient saint Matthieu qui a écrit la généalogie humaine de
Jésus-Christ ; dans celle du lion, saint Jean, parce que de même que le
rugissement du lion fait trembler tous les animaux, ainsi saint Jean a été
l’effroi de tous les hérétiques ; dans la figure du taureau, saint Luc,
parce que le taureau était une des victimes du sacrifice, et que cet
évangéliste parle souvent du temple et du sacerdoce ; dans celle de
l’aigle, saint Marc, parce que dans les saintes Écritures l’aigle représente
ordinairement l’Esprit saint (Dt 32, 11 ; Ez 17, 3 ; Os 8, 1)
qui a parlé par la bouche des prophètes, et que saint Marc a commencé son
Évangile par un texte prophétique. — S. Jérôme.
(à Eusèbe, prologue de l’Evang.) Quant
au nombre des Évangélistes, il faut observer qu’un assez grand nombre
d’écrivains ont rédigé des évangiles, au témoignage de saint Luc
lui-même : « Puisque plusieurs se sont efforcés de mettre en
ordre, » etc. Nous avons encore aujourd’hui des preuves subsistantes de ce
grand nombre d’Évangiles composés par divers auteurs, et qui ont été la source
de diverses hérésies, tels que les évangiles selon les Égyptiens, selon saint
Thomas, selon saint Barthélemy, les évangiles des douze apôtres, de Basilide,
d’Apelles et d’autres qu’il serait trop long d’énumérer. Mais l’Église de Dieu,
bâtie sur la pierre par la parole du Seigneur et qui a donné naissance comme le
paradis terrestre à quatre grands fleuves, a aussi quatre anneaux aux quatre coins,
de manière à pouvoir être portée sur quatre bâtons mobiles comme l’arche de
l’Ancien Testament dépositaire et gardienne de la loi divine (Ex 27, 3 ; 25, 12).
S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 1, chap. 2.) Le nombre quatre est
peut-être aussi en rapport avec les parties de la terre, dans toute l’étendue
de laquelle se développe l’Église de Jésus-Christ. Or, l’ordre qu’il faut
assigner aux Apôtres dans la connaissance et la prédication de l’Évangile n’est
pas le même qu’il faut suivre pour les écrivains sacrés. Les premiers qui
furent appelés à connaître et à prêcher la vérité sont ceux qui suivirent le
Seigneur pendant sa vie mortelle, entendirent ses enseignements, furent témoins
de ses miracles, et reçurent de sa bouche l’ordre d’aller prêcher l’Évangile.
Mais quant à la composition de l’Évangile, qui a été certainement réglée par
une disposition toute divine, deux apôtres du nombre de ceux que Jésus-Christ a
choisis avant sa passion, saint Matthieu et saint Jean, tiennent l’un la
première place, l’autre la dernière. Les deux autres évangélistes n’étaient pas
de ce nombre, ils avaient cependant suivi Jésus-Christ dans la personne de deux
apôtres, qui les reçurent comme des fils, et au milieu desquels ils furent
placés comme pour en être soutenus des deux côtés. — Remi. Saint Matthieu écrivit son Évangile dans la Judée, sous
le règne de l’empereur Caligula ; saint Marc en Italie et à Rome, sous le
règne de Néron ou de Claude ; saint Luc dans l’Achaïe ou la Béotie, sur la
prière de Théophile ; saint Jean à Ephèse dans l’Asie Mineure, sons le
règne de Nerva. — Bède. On
compte, il est vrai, quatre Évangélistes, mais c’est moins quatre évangiles
différents qu’ils ont écrit, qu’un seul parfaitement d’accord avec la vérité de
ces quatre livres. De même que deux vers, ayant absolument le même sujet,
diffèrent cependant par les expressions et par la mesure, et ne présentent
toutefois qu’une seule et même pensée, ainsi les livres des Évangélistes, tout
en étant au nombre de quatre, ne contiennent cependant qu’un seul et même
Évangile, parce qu’ils ne renferment qu’une seule et même doctrine sur la foi
catholique. — S. Chrys. (hom. 1 sur S. Matth.) Il suffisait
qu’un seul Évangéliste racontât tous les faits de la vie de Jésus-Christ ;
mais lorsqu’on les voit tous les quatre tenir le même langage, et, tout en
étant séparés par les lieux comme par les temps, et sans avoir pu se concerter
en aucune manière, c’est là une démonstration péremptoire de la vérité. Leurs divergences
apparentes sont en outre la plus grande preuve de leur véracité ; car
s’ils s’accordaient en tout, nos ennemis pourraient dire qu’ils se sont
entendus pour avancer ce qu’ils ont écrit. Dans les choses essentielles qui ont
pour objet la règle des mœurs et la prédication de la foi, on ne voit pas en
eux la moindre différence. Quant aux miracles, que l’un en raconte
quelques-uns, et un autre ceux que n’a pas racontés le premier, cela ne doit
nullement ni vous troubler, ni vous surprendre. Car si un seul les avait tous
racontés, le récit des autres devenait tout à fait inutile ; au contraire,
s’ils avaient toujours raconté des miracles différents, comment pourrait-on
découvrir cette admirable unité qui existe entre eux ? Quant aux variantes
sur le temps où les faits se sont passés, ou sur la manière dont ils ont eu
lieu, elles ne détruisent en rien la vérité du récit, ainsi que nous le
montrerons dans la suite. — S. Aug. (de l’accord des Evang. liv. 1, chap.
2.) Quoique chacun d’eux paraisse avoir adopté un plan particulier de
narration, il ne le suit pas cependant, comme s’il ignorait le récit de celui
qui l’a précédé, et en omettant les faits qu’un autre aurait racontés. Ils
écrivent selon l’inspiration qu’ils reçoivent, et ajoutent à cette inspiration
l’utile coopération de leurs propres efforts.
La Glose. La sublimité de
la doctrine évangélique consiste d’abord dans l’excellence de l’autorité dont
elle émane. — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 1, chap. 1.) En effet, parmi les livres
sacrés qui sont revêtus d’une autorité divine, l’Évangile occupe à juste titre
le premier rang, puisqu’il eut pour premiers prédicateurs les Apôtres qui
avaient suivi Notre Seigneur Jésus-Christ, le Sauveur du monde revêtu de notre
nature, et que deux d’entre eux, saint Matthieu et saint Jean, ont cru devoir
consigner, chacun dans un ouvrage différent, les choses dont ils avaient été
les témoins. Et afin qu’on ne crût pouvoir établir en ce qui concerne la
connaissance et la prédication de l’Évangile, une différence entre les Évangélistes
qui avaient suivi le Sauveur sur la terre et ceux qui avaient cru sur leur
témoignage, la providence divine a disposé les choses de manière que le
privilège non seulement de prêcher, mais d’écrire l’Évangile fût donné aux
disciples des premiers apôtres. — La
Glose. Il est donc évident que l’autorité souveraine de l’Évangile vient
de Jésus-Christ ; c’est ce que déclare le prophète Isaïe que nous avons
déjà cité, lorsqu’il dit « Montez sur une haute montagne. » Cette
haute montagne, c’est le Christ lui-même, au témoignage du même prophète dans
cet autre endroit : « Dans les derniers jours, la montagne sur
laquelle se bâtira la maison du Seigneur sera fondée sur le haut des
monts, » c’est-à-dire au-dessus de tous les saints appelés montagnes, à
cause de Jésus-Christ qui est comparé lui-même à une haute montagne, parce que
nous avons reçu tous de sa plénitude. Or, c’est avec raison que ces
paroles : « Montez sur une haute montagne, » sont adressées à
saint Matthieu, car, comme nous l’avons dit plus haut, il fut en personne
témoin des actions de Jésus-Christ, et apprit à son école sa divine doctrine. —
S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 8, chap. 7) Nous avons maintenant à
répondre à une difficulté qui fait impression sur quelques personnes. Pourquoi,
disent-elles, le Sauveur n’a-t-il rien écrit par lui-même, et pourquoi
sommes-nous obligés d’ajouter foi au récit de ceux qui ont écrit sa vie ?
Il est faux de dire, répondrons-nous, que le Sauveur n’a rien écrit, puisque
ses membres n’ont fait que rapporter ce que leur chef leur dictait, car tout ce
qu’il a voulu nous transmettre de ses discours et de ses actions, il leur a
commandé de l’écrire, en dirigeant leur main comme la sienne propre. — La Glose. En second lieu l’Évangile
est sublime par sa vertu, au témoignage de l’Apôtre : « L’Évangile
est la vertu de Dieu pour sauver tous ceux qui croient, et c’est ce qu’a prédit
le Prophète lui-même dans les paroles citées plus haut : « Élève ta
voix avec force, » paroles qui indiquent la manière dont la doctrine
évangélique doit être annoncée, l’élévation de la voix figurant la clarté de la
doctrine. — S. Aug. (à Volusien, lettre 3.) Le langage simple
de la sainte Écriture est accessible à tous, mais il n’est pénétré à fond que
par un très petit nombre. Les vérités claires qu’elle renferment, elle les
propose sans artifice, comme un ami intime, au cœur des savants comme à celui
des ignorants. Quant aux mystères qu’elle recouvre d’un voile, elle ne les
élève pas au-dessus de nous à l’aide d’une parole prétentieuse, propre à
éloigner les intelligences sans instruction et de conception lente, comme le
pauvre est porté à s’éloigner du riche, mais elle invite tous les hommes par la
simplicité de son langage, non seulement à se nourrir de la vérité qui leur est
révélée, mais encore à exercer leur foi au milieu de ses divins secrets, aussi
riche et quand elle use d’expressions claires, et quand elle recouvre la vérité
d’un voile mystérieux ; et afin que la clarté n’engendre pas le dégoût, le
voile qui les recouvre de nouveau excite de saints désirs qui leur donnent un
nouvel attrait, et les font goûter avec plus de suavité. C’est ainsi que par
une méthode salutaire, les esprits dévoyés sont ramenés au bien, les faibles
nourris, et les esprits supérieurs remplis d’une douce joie. — La Glose. La voix qui éclate s’entend
de plus loin ; on peut voir dans cette voix élevée une figure de la
prédication évangélique, que Dieu commande de porter non pas à une nation, mais
à tous les peuples, d’après ce précepte du Seigneur : « Allez,
prêchez l’Évangile à toute créature. » — S. Grég. Ces paroles : « Toute créature, »
peuvent signifier tous les peuples de la terre. — La Glose. En troisième lieu la doctrine évangélique est
sublime par son caractère de liberté. — S. Aug.
(contre Faust.) Dans l’Ancien
Testament, la Jérusalem terrestre, sous l’impression de la promesse des biens
temporels et de la menace des châtiments, n’engendrait que des esclaves ;
dans le Nouveau, où la foi obtient la charité qui fait accomplir la loi moins
par un sentiment de crainte que par l’amour de la justice, la Jérusalem
éternelle n’engendre que des enfants libres. — La Glose. Cette sublimité de la doctrine évangélique nous est
indiquée dans ces paroles du Prophète : « Élevez la voix, ne craignez
pas. »
Il nous reste à
examiner les raisons qui ont déterminé saint Matthieu à écrire son Évangile, et
à quelles personnes il le destinait. — S. Jér.
(prolog. sur S. Matth.) Saint
Matthieu a écrit son Évangile dans la Judée et en hébreu, parce qu’il le
destinait principalement à ceux d’entre les Juifs qui avaient embrassé la foi.
Après leur avoir prêché l’Évangile, il l’écrivit en hébreu pour en perpétuer le
souvenir dans l’esprit de ses frères, dont il se séparait ; car de même
qu’il était nécessaire pour confirmer la foi que l’Évangile fût prêché, il
fallait aussi qu’il fût écrit pour combattre les hérétiques. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Voici dans quel ordre les faits sont racontés dans
saint Matthieu : premièrement la naissance de Jésus-Christ ;
secondement son baptême ; troisièmement sa tentation ; quatrièmement
sa prédication ; cinquièmement ses miracles ; sixièmement sa
passion ; septièmement sa résurrection et son ascension. En suivant cet
ordre, il a voulu non seulement nous présenter la suite de la vie de Jésus-Christ,
mais encore nous donner comme le plan de la vie évangélique. Ce ne serait rien,
en effet, de recevoir la vie de nos parents, si Dieu ne nous donnait une
nouvelle naissance par l’eau et l’Esprit saint. Après le baptême, il faut
lutter contre le démon ; lorsqu’on a triomphé pour ainsi dire de toutes
les tentations, et qu’on est devenu capable d’enseigner les autres, si on est
prêtre, on doit enseigner et donner pour appui à sa doctrine une bonne vie, qui
a autant de force que les miracles ;si on est simple fidèle, on doit
inspirer la foi par ses œuvres. Enfin il nous faut sortir de cette arène du
monde, et c’est alors que la récompense éternelle et la gloire de la
résurrection viennent couronner nos combats et nos victoires.
La Glose. D’après tout ce
que nous venons de dire, on voit clairement ce qui fait l’objet de l’Évangile,
le nombre des Évangélistes, les symboles qui les ont figurés, leurs
divergences, la sublimité de leur doctrine, ceux pour qui cet Évangile a été
écrit et l’ordre adopté par l’écrivain sacré.
LE
SAINT ÉVANGILE DE JESUS-CHRIST
SELON SAINT MATTHIEU
S. Jérôme. Saint Matthieu nous est
représenté sous la figure d’un homme (cf. Ez 1, 10), il commence donc son
évangile en parlant de l’humanité du Sauveur : « Livre de la
génération, » etc.
Raban. Cet exorde prouve
suffisamment que l’Évangéliste a voulu nous raconter la génération de
Jésus-Christ selon la chair. — S. Chrys.
Saint Matthieu écrivait pour les Juifs, qui connaissaient la nature
divine ; il était donc inutile de leur en parler ; ce qu’il importait
de leur apprendre, c’était le mystère de l’incarnation. Saint Jean au contraire
a écrit son évangile pour les Gentils, qui ignoraient que Dieu eut un Fils, il
lui fallait donc tout d’abord leur enseigner que Dieu a un Fils, Dieu lui-même,
et que ce Fils s’est incarné.
Raban. Quoique la
généalogie du Sauveur occupe une très petite place dans le livre des Évangiles,
saint Matthieu l’intitule : Livre de
la génération, car c’est un usage chez les hébreux de prendre le titre de
leurs livres dans les premiers faits qu’ils racontent, comme on le voit dans le
livre de la Genèse. — La Glose. (de S. Jérôme.) Le sens serait plus
clair si on lisait Voici le livre de la génération ; mais on trouve de
nombreux exemples de cette manière de s’exprimer, tels que celui-ci :
« Vision d’Isaïe, » sous-entendez : Voici. On lit au singulier : « Livre de la
génération, » bien qu’il énumère successivement plusieurs séries de
générations, parce que ces générations ne sont ici rappelées qu’en vue de la
génération de Jésus-Christ. — S. Chrys.
(hom. 2 sur S. Matth.) Ou bien
encore, ce livre est appelé livre de la génération, parce que le mystère d’un
Dieu fait homme est l’abrégé de toute l’économie de notre salut et la source de
tous les biens ; ce don une fois fait aux hommes, tous les autres devaient
nécessairement en découler. — Remi. L’Évangéliste
écrit : « Livre de la génération de Jésus-Christ, » parce qu’il
savait qu’il existait un ouvrage intitulé : Livre de la génération d’Adam.
Par cet exorde, il a donc intention d’opposer ce livre au premier, le nouvel
Adam à l’ancien, parce que le second a rétabli tout ce que le premier avait
perdu. — S. Jér. Nous lisons dans
le prophète Isaïe (chap. 53) : « Qui racontera sa
génération ? » N’allons pas croire que l’Évangéliste soit contraire
au prophète, en voulant raconter ce qu’Isaïe déclare au-dessus de toute
expression ; l’un parle de la génération divine, l’autre de la génération
humaine. — S. Chrys. (même hom.) Ne regardez pas l’exposé de
cette génération comme de peu d’importance, car c’est une chose souverainement
ineffable qu’un Dieu ait daigné prendre naissance dans le sein d’une femme et
qu’il compte David et Abraham parmi ses aïeux. — Remi. Si l’on entend les paroles du prophète de la génération
humaine, à la question qu’il fait, il ne faut pas répondre : Aucun, mais
un très petit nombre, puisque saint Matthieu et saint Luc l’ont racontée.
Rab. Ces paroles :
« de Jésus-Christ, » font
connaître la dignité royale et sacerdotale dont il est revêtu, car Josué, dont
le nom était la figure de celui de Jésus, fut après Moïse le chef du peuple de
Dieu, et Aaron, consacré par une onction mystérieuse, fut le premier
grand-prêtre de la loi. — S. Aug. (Quest. sur le Nouv. et l’Anc. Test., chap.
45). Ce que Dieu conférait par l’onction à ceux qui étaient consacrés prêtres
et rois, l’Esprit saint l’a communiqué au Christ fait homme, en y ajoutant un
caractère de sanctification : car l’Esprit saint a purifié ce qui dans la
Vierge Marie servit à former le corps du Sauveur, et c’est en vertu de cette
onction de son corps qu’il a reçu le nom de Christ.
S. Chrys. (sur S. Matth.) La fausse sagesse des Juifs impies niait que Jésus
fût de la race de David, l’Évangéliste prend donc soin d’ajouter :
« Fils de David, Fils d’Abraham. »
Mais pourquoi ne suffisait-il pas de dire qu’il était le fils de l’un des
deux ou d’Abraham, ou de David ? C’est que tous les deux avaient reçu la
promesse que le Christ naîtrait de leur postérité : « Toutes les nations de la terre seront bénies en ta
race, » avait dit Dieu à Abraham ; et à David : « Je ferai
asseoir sur ton trône un fils qui naîtra de toi. Aussi l’Évangéliste appelle
Jésus-Christ fils de David et d’Abraham pour montrer l’accomplissement des promesses
qui leur ont été faites. Une autre raison, c’est que le Christ devait réunir en
sa personne la triple dignité de roi, de prophète et de prêtre. Or, Abraham a
été prêtre et prophète : prêtre, puisque Dieu lui dit dans la
Genèse : « Prends pour me
l’immoler une génisse de trois ans » (Gn
15) ; prophète, comme Dieu le déclare au roi Abimélech : « Il
est prophète et il priera pour toi. » Quant à David, il fut roi et
prophète, mais sans être prêtre. Jésus-Christ est donc appelé fils de l’un et
de l’autre, pour nous apprendre que cette triple dignité de ses deux aïeux lui
était dévolue par le droit de sa naissance. — S. Amb. (sur S. Luc.) Parmi les ancêtres du Sauveur,
l’Écrivain sacré en choisit deux, l’un à qui Dieu avait promis l’héritage des
nations, l’autre à qui Il avait prédit que le Christ naîtrait de sa race.
David, quoique le dernier dans l’ordre des temps, est cependant nommé le
premier, parce que les promesses qui ont le Christ pour objet sont supérieures
à celles qui concernent l’Église, qui n’existe que par Jésus-Christ celui qui
sauve est évidemment au-dessus de celui qui est sauvé. — S. Jér. L’ordre est interverti, mais pour
une raison nécessaire, car si le nom d’Abraham avait précédé celui de David, il
aurait fallu répéter le nom d’Abraham pour l’enchaînement de la suite des
générations. — S. Chrys. (sur S. Math.) Une autre raison, c’est
que la dignité du trône l’emporte sur celle de la nature, et, bien qu’Abraham
fût le premier par ordre de temps, David l’était par son titre de roi.
Glose. Comme ce livre tout entier a pour objet la vie de Jésus-Christ, il est
nécessaire tout d’abord de s’en former une idée juste. Ou pourra ainsi plus
facilement expliquer tout ce qui dans le cours de cet ouvrage a rapport à sa
divine personne. — S. Aug. (Quest. sur les Evang. liv. 5, chap.
45.) Les erreurs des hérétiques sur la personne de Jésus-Christ peuvent se
réduire à trois chefs, sa divinité, son humanité, ou l’une et l’autre à la
fois. — S. Aug. (Des hérés. chap. 8 et 10.) — Cérinthe
et Ebion prétendirent que Jésus-Christ n’était qu’un homme. Paul de Samosate
suivit leur erreur en soutenant que Jésus-Christ n’était pas éternel, que son
existence ne remontait pas au-delà de sa naissance du sein de Marie, car il ne
voyait en lui rien qui fût au-dessus de la nature humaine. Photin appuya plus
tard cette hérésie. — S. Athan.
L’apôtre saint Jean, voyant cet hérétique bien longtemps auparavant à la
lumière de l’Esprit saint, plongé dans le profond sommeil de cette erreur
insensée, le secoue de sa léthargie par ces paroles : « Au commencement était le Verbe. » Puisqu’il était en
Dieu dès le commencement, il est impossible qu’il ait reçu de l’homme dans ces
derniers temps le commencement de son existence. Jésus-Christ lui-même n’a-t-il
pas dit : « Mon Père, glorifiez-moi de cette gloire que j’avais en
vous avant la création du monde ? » Que Photin comprenne donc qu’il
possédait cette gloire dès le commencement. — S. Aug. (Des hérés. chap.
19.) L’impiété de l’erreur de Nestorius fut d’avancer que celui qui était né de
la Vierge Marie n’était qu’un homme, avec lequel le Verbe divin avait formé
unité de personne et contracté une union indissoluble, erreur que les oreilles
catholiques ne purent jamais supporter. — S. Cyrille.
(Aux moines d’Égypte.) L’Apôtre
parlant du Fils unique dit « Lui
qui avait la nature de Dieu, n’a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de
s’égaler à Dieu. » Quel est donc celui qui a la forme et la nature de
Dieu ? et comment s’est-il humilié, anéanti en prenant la forme et la
nature de l’homme ? Si les hérétiques dont nous venons de parler divisent
Jésus-Christ en deux (d’un côté l’homme, de l’autre le Verbe), et qu’ils
prétendent, en séparant le Verbe de l’homme, que c’est ce dernier seul qui
s’est anéanti, il leur faut prouver auparavant qu’il avait réellement la forme,
la nature de Dieu son Père, qu’il était son égal, pour qu’il ait pu se
soumettre à l’anéantissement. Mais aucune créature, considérée dans sa nature,
ne peut être l’égale du Père. Comment donc s’est-il anéanti ? De quelle
hauteur est-il descendu pour se faire homme ? Comment comprendre qu’il ait
pris la forme d’un esclave, qu’il n’avait pas auparavant ? Ils répondent
que le Verbe égal au Père a daigné habiter dans l’homme né de la femme, et que
c’est ainsi qu’il s’est anéanti. J’entends, il est vrai, le Fils de Dieu dire à
ses apôtres « Si quelqu’un m’aime il gardera ma parole, et mon Père
l’aimera : et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre
demeure. » Vous comprenez
comment il déclare que son Père et lui feront leur demeure dans ceux qui l’aiment ?
Or pensez-vous qu’on puisse dire qu’il s’est appauvri, anéanti, qu’il a pris la
forme d’esclave, parce qu’il fait sa demeure dans le cœur de ceux qui
l’aiment ? Et que direz-vous de l’Esprit saint qui habite en nous ?
Pensez-vous que ce soit là une véritable incarnation ? — L’abbé Isidore. (Au prêtre Archibius.) Pour ne pas nous étendre indéfiniment, nous
dirons, en quelques mots qui résument tout, que celui qui était Dieu, en tenant
un langage plein d’humilité, fait une chose sage, utile et qui ne porte aucun
préjudice à sa nature immuable ; tandis que l’homme au contraire ne peut
s’approprier le langage des choses divines et surnaturelles sans une
présomption souveraine et coupable. Un roi peut faire des actions communes, un
soldat ne peut s’arroger la parole du commandement. Si donc celui qui s’est
incarné est Dieu, les actions humbles et ordinaires ont leur raison d’être,
mais s’il n’était qu’homme, les choses divines sont impossibles.
S. Aug. (Des hérés., chap. 41). Quelques écrivains parlent de Sabellius
disciple de Noet, qui prétendait que le Christ n’était autre que le Père et
l’Esprit saint. — S. Athan. (Contre les hérés.) Je mettrai un frein
à cette fureur aussi insensée qu’audacieuse, en m’appuyant sur l’autorité de
témoignages divins pour démontrer la personnalité du Fils et la
consubstantialité divine. Pour cela, je ne me servirai pas des passages que par
une fausse interprétation il applique sans scrupule à l’humanité prise par le
Sauveur, mais de ceux qui sans aucune ambiguïté et de l’aveu de tous ne peuvent
s’entendre que de la divinité. Au chapitre 1er de la Genèse, Dieu s’exprime ainsi : « Faisons l’homme à notre
image et à notre ressemblance, » il
parle au pluriel, et il indique nécessairement quelqu’un à qui
s’adressent ces paroles. Car si celui qui parle était seul, il dirait qu’il a
fait l’homme à son image, tandis qu’il déclare ouvertement l’avoir fait
également à la ressemblance d’un autre. — La
Glose. D’autres ont nié la vérité de l’humanité du Sauveur. C’est ainsi
que Valentin a enseigné que le Christ envoyé par son Père, avait apporté sur la
terre un corps spirituel et céleste, qu’il n’avait rien pris de la Vierge
Marie, mais qu’il n’avait fait que passer par son sein, comme l’eau passe dans
un canal ou dans le lit d’un ruisseau. Pour nous, nous ne croyons pas que
Jésus-Christ est né de la Vierge Marie parce qu’il n’aurait pu autrement
exister ou apparaître aux hommes dans une chair véritable, mais parce que telle
est la doctrine de l’Écriture, qu’il nous faut croire sous peine de n’être plus
chrétiens, et d’encourir la damnation. Si Jésus-Christ avait voulu donner à son
corps formé d’un élément aérien ou liquide les propriétés d’une chair humaine
véritable, qui oserait dire que cela lui était impossible ?
S. Aug. (Des hérés. chap. 46.) Les Manichéens ont prétendu que
Notre-Seigneur Jésus-Christ n’avait eu qu’un corps imaginaire et fantastique et
qu’il n’avait pu naître du sein d’une femme. — S. Aug. (Liv. des LXXXIII
quest. 13.) Or, si le corps du Christ
ne fut qu’une apparence, lui-même nous a trompés, et s’il nous a trompés, il
n’est plus la vérité. Or le Christ est la vérité, donc son corps ne fut pas un
corps fantastique. — La Glose. Le
commencement de l’évangile selon saint Luc nous montre clairement aussi que le
Christ est né d’une femme, ce qui prouve la vérité de son humanité ; les
hérétiques rejettent en conséquence le commencement des deux évangiles. — S. Aug. (Contre Fauste, liv. 2, chap. 1.) C’est pour cela que Fauste nous
dit : L’Évangile n’a commencé et ne tire son nom que de la prédication du
Christ, et nulle part dans cet Évangile Jésus-Christ ne dit que sa naissance
est humaine. Quant à la généalogie, elle est si peu l’Évangile, que celui qui
en est l’auteur n’a pas osé lui donner ce nom. Comment s’exprime-t-il en
effet : « Livre de la génération de Jésus-Christ, Fils de
David. » Ce n’est donc pas le
livre de l’Évangile de Jésus-Christ, mais de la génération. Au contraire, Marc
ne s’est pas occupé d’écrire la génération, mais uniquement la prédication du
Fils de Dieu, prédication qui est vraiment l’Évangile. Aussi voyez avec quel
à-propos il commence son récit « L’Évangile
de Jésus-Christ Fils de Dieu. » Ce qui prouve suffisamment que la
généalogie ne fait point partie de l’Évangile. Dans Matthieu lui-même, ce n’est
qu’après que Jean-Baptiste eut été jeté en prison que nous lisons que Jésus
commença à prêcher l’Évangile du royaume. Donc tout ce qui précède appartient à
la généalogie, et non pas à l’Évangile. Je me suis donc reporté à Marc et à
Jean dont les commencements me plaisent avec raison, car ils ne font mention ni
de David, ni de Marie, ni de Joseph. Voici comment saint Augustin le
réfute : Que répondra-t-il a ces paroles de l’Apôtre (2 Tm 2) : « Souvenez-vous que
Jésus-Christ, qui est de la race de David, est ressuscité selon l’Évangile que
je prêche ? » Or,
l’évangile de l’apôtre saint Paul, c’était l’évangile des autres apôtres, et de
tous les fidèles dispensateurs d’un si grand mystère. C’est ce que lui-même dit
ailleurs « Que ce soit moi, que
ce soient eux (qui vous prêchent l’Évangile), voilà ce que nous prêchons, voilà
aussi ce que vous avez cru. » Tous,
en effet, n’ont pas écrit l’Évangile, mais tous l’ont prêché.
S. Aug. (Des hérésies, chap. 49.) Les Ariens ne veulent pas admettre que le
Père, le Fils et l’Esprit saint n’aient qu’une seule et même substance, une
seule et même nature, une seule et même existence ; mais ils voient dans
le Fils une créature du Père, et dans l’Esprit saint une créature produite par
une créature, c’est-à-dire par le Fils ; ils soutiennent encore que le
Christ a pris un corps sans âme.
S. Aug. (Liv. 1 de la Trinité, chap.
6.) Mais Jean déclare dans son évangile que non seulement le Fils est Dieu,
mais qu’il est consubstantiel à son Père ; car après avoir dit : a Et le Verbe était Dieu, » il ajoute : » Toutes choses ont été faites par
lui. » Donc il n’a pas été fait
lui-même, puisque tout a été fait par lui, et s’il n’a pas été fait, il n’a pas
été créé, et il a la même substance que son Père, car toute substance qui n’est
pas Dieu est une substance créée. — S. Aug.
(Contre Félicien, chap. 13.)
Je ne sais pas quel avantage la personne du Médiateur nous aurait procuré, si
en laissant la meilleure partie de nous-mêmes sans rédemption, il n’a pris de
notre nature que la chair, qui, séparée de l’âme, est incapable d’apprécier ce
bienfait. En effet, si Jésus-Christ est venu sauver ce qui avait péri, comme
tout en nous était perdu, tout réclamait le bienfait de la rédemption. Aussi
Jésus-Christ vient sur la terre pour tout sauver en s’unissant tout notre être,
le corps et l’âme. — S. Aug. (Liv. des LXXXIII quest. 80.) Comment encore peuvent-ils répondre aux difficultés
évidentes que leur présente le saint Évangile, où le Seigneur produit entre eux
des témoignages si frappants, par exemple : « Mon âme est triste
jusqu’à la mort, » et
encore : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, » et beaucoup
d’autres semblables. Diront-ils que ce langage de Notre-Seigneur est figuré,
nous leur opposerons l’autorité des Évangélistes, qui, dans le récit des faits,
établissent également que Jésus-Christ avait un corps, et qu’il avait une âme,
et lui attribuent des sentiments qui supposent nécessairement l’existence de
l’âme. C’est ainsi que nous lisons : « Et Jésus fut dans
l’admiration, » il s’irrita, et d’autres semblables exemples.
S. Aug. (Des hérésies, chap. 55.) Les Apollinaristes ainsi que les Ariens
soutinrent que le Christ s’était revêtu d’un corps, mais sans prendre l’âme.
Vaincus sur ce point par les témoignages de l’Évangile, ils se retranchèrent à
dire que cette faculté qui constitue l’homme raisonnable avait manqué à l’âme
du Christ, et qu’elle avait été remplacée en lui par le Verbe de Dieu. — S. Aug. (Liv. des LXXXIII Quest.,
quest. 80.) S’il en était ainsi, il faudrait dire que le Verbe divin aurait
pris la nature d’un animal sans raison avec une figure humaine. — S. Aug. (Des hérésies, chap. 55.) Quant à la vérité de sa chair, ils se
sont éloignés de la vraie foi à ce point de prétendre que le Verbe et la chair
n’avaient qu’une seule et même substance, et de soutenir à force de sophismes
que le Verbe s’était fait chair en ce sens qu’une partie du Verbe avait été
changée, convertie en chair, et que cette chair n’avait pas été formée du sang
de Marie. S. Cyrille. (Lettre à Jean d’Antioche.). Il faut
avoir perdu le sens et la raison, a notre avis, pour soupçonner l’ombre même de
changement dans la nature du Verbe divin. Elle demeure ce qu’elle est toujours,
elle ne change pas, elle n’est susceptible d’aucune altération. — S. Léon. (Lettre au concile de Constant. 23.) Pour nous, nous ne dirons pas
que le Christ s’est fait homme en ce sens qu’il lui ait manqué ce qui constitue
la nature humaine, soit l’âme, soit l’intelligence ordinaire, soit un corps qui
ne serait point né d’une femme, mais qui serait le produit du changement, de la
conversion du Verbe dans la chair, trois erreurs qui forment les trois
différentes parties de l’hérésie des Apollinaristes.
S. Léon. (Aux moines de la Palest. let. 83.) Eutychès s’empara de la
troisième erreur des Apollinaristes, et il nia qu’il y eut en Notre-Seigneur
Jésus-Christ la réalité d’une chair humaine et d’une âme semblable à la nôtre,
et soutint qu’il n’y avait en lui qu’une seule nature. Dans son système, la
substance divine du Verbe serait comme changée en corps et en âme ; et ces
différentes actions, être conçu, naître, croître, être nourri, étaient des
actions de la nature divine, toutes choses qui ne peuvent lui être attribuées
que par son union à une chair véritable ; car la nature du Fils est la
même que la nature du Père, que la nature du Saint-Esprit, elle a la même
impassibilité et la même éternité. Si cet hérétique parait se séparer de
l’erreur perverse d’Apollinaire, pour ne pas être obligé d’admettre que la
divinité est passible et mortelle, et que cependant il ne craigne pas de
soutenir qu’il n’y a dans le Verbe incarné, c’est-à-dire dans le Verbe et la
chair qu’une seule nature, il tombe infailliblement dans l’erreur insensée des
Manichéens et de Marcion ; il faut qu’il admette encore que tout en
Jésus-Christ a été feint et imaginaire, et que sans avoir un corps véritable il
n’a fait qu’en présenter l’apparence aux yeux de ceux qui le voyaient.
Le même (Lettre 2 à Julien.) Eutychès ayant osé
dire devant l’assemblée des évêques qu’il y avait eu en Jésus-Christ deux
natures avant l’incarnation, et une seule après, on dut le presser par des
questions habilement posées de bien préciser sa foi. Quant à moi, je pense
qu’en s’exprimant ainsi il était persuadé que l’âme que le Sauveur s’est unie a
séjourné dans les cieux avant de naître de la Vierge Marie. Mais c’est un
langage que ni la conscience ni les oreilles des catholiques ne peuvent
tolérer, attendu que le Seigneur en descendant des cieux n’en a rien apporté de
ce qui est propre à notre nature, ni une âme qui eût préexisté à sa naissance,
ni un corps venu d’ailleurs que du sein maternel. Aussi l’erreur condamnée
justement dans Origène, qui a soutenu que les âmes, avant d’être unies à des
corps, non seulement avaient existé, mais qu’elles avaient agi diversement,
doit l’être également dans Eutychès. — Remi.
Les Évangélistes anéantissent toutes ces hérésies au commencement de
leur Évangile : saint Matthieu en soutenant que Jésus-Christ tire son
origine des rois de Juda, prouve qu’il est véritablement homme, et qu’il a
réellement revêtu notre chair ; de même saint Luc, qui décrit son origine
sacerdotale. Saint Marc au contraire par ces mots : Commencement de
l’Évangile de Jésus-Christ, et saint Jean par ces autres : Au commencement
était le Verbe, proclament tous les deux qu’avant tous les siècles il a
toujours été Dieu en Dieu le Père.
S. Aug. (de
l’accord des Evang. liv.
2, chap. 1.) Saint Matthieu en commençant son évangile par la généalogie de
Jésus-Christ, prouve par là qu’il a entrepris de nous raconter l’origine de
Jésus-Christ selon la chair. Saint Luc au contraire qui se propose de nous le
présenter surtout comme Prêtre chargé d’expier nos péchés, ne raconte la
généalogie de Jésus-Christ qu’après son baptême, alors que saint Jean lui
rendit ce témoignage : Voici celui qui efface les péchés du monde.
La suite des
générations dans saint Matthieu nous représente Notre-Seigneur Jésus-Christ
prenant sur lui nos péchés, et dans saint Luc, Notre-Seigneur effaçant ces
mêmes péchés (cf. Lc 3, 23 : « Et Jésus avait alors trente ans
commencés, étant comme l’on croyait, fils de Joseph ») ; c’est pour
cela que saint Matthieu dresse cette généalogie en descendant, et saint Luc en
remontant. Or saint Matthieu, qui raconte la génération de Jésus-Christ en
commençant par ses premiers ancêtres, ouvre la série des générations par
Abraham. — S. Amb. (sur S. Luc.) En effet, Abraham fut le
premier qui mérita que Dieu rendit témoignage à sa foi, parce qu’il crut à
Dieu, et que sa foi lui fut imputée à justice (Gn 15, 16 ; Rm 4, 6 ;
Gal 3, 1 ; Jc 3, 23). Il avait aussi droit à nous être représenté comme la
souche de la génération du Christ, parce que le premier encore il reçut la
promesse de l’établissement de l’Église par ces paroles : « En toi seront bénies toutes les
nations de la terre. » David
partage également cet honneur que Jésus soit appelé son fils, et la prérogative
de voir la généalogie du Sauveur commencer par son nom. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 15, chap. 15.) L’Évangéliste S. Matthieu
voulant graver dans la mémoire la génération de Jésus-Christ selon la chair par
la série de ses aïeux, commence par Abraham et dit : « Abraham
engendra Isaac. » Pourquoi ne dit-il pas : il engendra Ismaël qui fut
l’aîné de ses enfants ? Il ajoute Isaac engendra Jacob. » Pourquoi n’a-t-il pas dit : Il
engendra Esaü qui fut son premier-né ? C’est que ni par Ismaël, ni par
Esaü on ne pourrait descendre jusqu’à David. — La Glose. Cependant les frères de Juda sont comptés avec lui
dans la génération, parce qu’ils font partie du peuple de Dieu, tandis
qu’Ismaël et Esaü n’ont pas persévéré dans le culte d’un seul Dieu. — S. Chrys. (hom. 3 sur S. Matth.) Ou bien il fait mention des douze
patriarches pour ôter tout prétexte à l’orgueil qui vient de la noblesse des
aïeux. Car plusieurs d’entre eux eurent pour mères de simples servantes, mais
tous furent également patriarches et chefs de tribu. — La Glose. Juda est désigné nommément, parce que c’est de lui
seul qu’est descendu le Seigneur.
S. Anselme. Chacun des aïeux du Christ doit nous rappeler non seulement leur
histoire, mais encore une allégorie et une moralité : une allégorie en ce
que tous ont été la figure du Christ ; une moralité, parce que chacun
d’eux nous inspire la vertu par la signification de son nom ou par les exemples
de sa vie. Ainsi Abraham dans plusieurs circonstances a été la figure du Christ
et il l’a été de plus par son nom, car Abraham signifie père de plusieurs
nations, et le Christ a été aussi le père de tous les fidèles (Ps 17, 40).
Abraham sortit encore de sa famille pour aller habiter dans une terre
étrangère, et le Christ abandonna le peuple juif pour aller chez les Gentils
dans la personne de ses Apôtres. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Isaac signifie ris. Or le rire des saints n’est pas
l’éclat insensé qui sort des lèvres, mais la joie modérée d’une âme
raisonnable. En cela il a été la figure du Christ, car de même qu’Isaac fut
donné à ses parents dans leur extrême vieillesse pour être leur joie, et leur
apprendre qu’il n’était pas l’enfant de la nature mais de la grâce, ainsi
Jésus-Christ naquit dans les derniers temps d’une mère juive, pour être la joie
de tous ; l’un naquit d’une vierge, l’autre d’une femme âgée, tous deux
contre les lois et l’espérance de la nature. — Remi. Le nom de Jacob signifie qui supplante, qui renverse, et il est dit du Christ : « Vous avez renversé sous moi ceux
qui s’élevaient contre moi (Ps 17,
40). »
S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre Jacob engendra douze apôtres non dans la
chair, mais dans l’esprit, non de son sang, mais par sa parole. Juda signifie
celui qui confesse, qui rend gloire, et en cela il était la
figure de Jésus-Christ qui devait rendre gloire à son Père : « Je vous
rends gloire, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre. » — La
Glose. Au sens moral, Abraham par ses exemples est une figure de la
vertu de foi, puisqu’il est dit de lui « Abraham crut à Dieu, et sa foi
lui fut imputée à justice. » Isaac est la figure de l’espérance, car son
nom signifie ris, et il fut en effet
la joie de ses parents. Or c’est ce que fait également l’espérance en nous
comblant de joie dans l’attente des biens éternels. Abraham engendra Isaac,
parce que la foi est mère de l’espérance. Jacob est la figure de la charité,
car la charité embrasse à la fois deux vies différentes : la vie active
par l’amour du prochain, la vie contemplative par l’amour de Dieu. La vie
active est figurée par Lia, la contemplative par Rachel. Lia signifie celle qui travaille, parce que la vie active
suppose nécessairement le travail, Rachel le
principe vu, car par la vie contemplative on voit Dieu qui est le principe
de toutes choses. Jacob a pour aïeul et pour père Abraham et Isaac, parce que
la charité naît de la foi et de l’espérance. En effet, ce que nous croyons, ce
que nous espérons, nous ne pouvons nous empêcher de l’aimer.
La Glose. L’Évangéliste laissant de côte les autres
enfants de Jacob, poursuit la descendance de Juda en ces termes « Juda engendra Phares et
Zara. » — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 15, chap. 45.) Juda n’était pas l’aîné. Ces
deux enfants jumeaux n’étaient pas non plus ses premiers-nés, car il en avait
eu trois autres avant eux. L’écrivain sacré les place dans la série des générations,
pour arriver par eux jusqu’à David, et de là au but qu’il se propose.
S. Jér. Il est à remarquer que dans la
généalogie du Sauveur l’Évangéliste ne nomme aucune des saintes femmes de
l’ancienne loi, mais uniquement celles dont l’Écriture blâme la conduite. En
voulant naître ainsi de femmes pécheresses, celui qui était venu pour les
pécheurs veut nous apprendre qu’il venait effacer les péchés de tous les
hommes, c’est pour cette raison que nous trouvons dans les versets suivants
Ruth la Moabite. — S. Amb. (sur S. Luc, chap. 3.) S. Luc les a
omises pour montrer dans toute sa
pureté la généalogie sacerdotale du Sauveur. Et toutefois, le dessein de saint
Matthieu n’a rien qui blesse la raison ou la justice. Il se proposait en effet
d’exposer la génération selon la chair de celui qui venait se charger de nos
péchés, se soumettre à tous les outrages, s’assujettir à toutes les
souffrances, et il n’a pas cru qu’il fût indigne de cette bonté, de faire
connaître qu’il n’avait pas voulu se soustraire à l’humiliation d’une origine
qui n’était pas exempte de tache. L’Église en voyant le Seigneur compter des
pécheurs parmi ses ancêtres apprenait aussi à ne point rougir de se voir
elle-même composée de pécheurs. Enfin le Sauveur faisait ainsi remonter jusqu’à
ses ancêtres le bienfait de sa rédemption, nous apprenait qu’une tache dans la
naissance n’était pas un obstacle à la vertu, et anéantissait l’arrogance de
ceux qui se vantent de la noblesse de leur origine.
S. Chrys. (hom. 3 sur S. Matth.) Le
dessein de l’Évangéliste est de nous montrer que tous ont été coupables de
péché. C’est Thamar accusant Juda de fornication ; c’est David devenant le
père de Salomon par suite d’un adultère. Or, si la loi était violée par les
personnes les plus marquantes du peuple de Dieu, elle l’était de même par tous
les autres ; ainsi tous avaient péché, et la venue du Christ était
indispensablement nécessaire.
S. Amb. (sur S. Luc.) Remarquez que ce n’est pas sans raison que saint
Matthieu nomme ces deux frères, bien qu’il ne fût nécessaire que de faire
mention de Pharès. La vie de chacun d’eux renferme un mystère, et ces deux
frères jumeaux représentent la double vie des peuples, l’une selon la loi,
l’autre selon la foi. S. Chrys. (sur S. Matth.) Zara représente le
peuple juif qui apparut le premier à la lumière de la foi, sortant pour ainsi
dire du sein ténébreux du monde, c’est pour cela qu’il fut marqué par le ruban
d’écarlate de la circoncision, l’opinion générale étant que le peuple circoncis
devait être plus tard le peuple de Dieu. Mais la loi fut placée devant lui
comme une haie ou comme une muraille, et devint pour ce peuple un empêchement.
Lorsque le Christ fut venu, la muraille de la loi qui séparait les Juifs des
Gentils fut renversée selon ces paroles de l’Apôtre : « Détruisant la
muraille de séparation (Ep 2, 14). » Et il arriva que le peuple des
Gentils signifié par Pharês, entra le premier dans le chemin de la foi, après
que la loi eut été renversée par les commandements du Christ, tandis que le
peuple juif ne vint qu’à sa suite (cf. Gn 28, 27-30).
« Pharès
engendra Esrom. » — La Glose. Juda
engendra Pharès et Zara avant d’aller en Égypte, et ses deux enfants vinrent
s’y fixer plus tard avec lui. Ce fut en Égypte que Pharès engendra Esrom ;
Esrom, Aram ; Aram, Aminadab ; Aminadab, Nahasson ; et c’est
alors que Moïse fit sortir le peuple d’Egypte. Nahasson fut sous Moïse, chef de
la tribu de Juda dans le désert, où il engendra Salmon. Ce dernier fut un des
chefs de la tribu de Juda, et entra avec Josué dans la terre promise. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Nous croyons que ce n’est pas sans un dessein
providentiel que l’Évangéliste rappelle ici les noms de ces ancêtres du
Sauveur.
« Nahasson engendra Salmon. » — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Salmon prit une femme
du nom de Raab. On croit communément que cette Raab fut la courtisane de
Jéricho qui reçut chez elle les espions du peuple d’Israël, les cacha et leur
sauva la vie. Or, Salmon qui était un des principaux des enfants d’Israël, de
la tribu de Juda, et fils du chef de cette tribu, voyant la fidélité de Raab,
mérita de la prendre pour épouse, comme si elle eut été de grande naissance.
Peut-être aussi la signification du nom de Salmon fut pour lui comme une
Invitation de la providence à recevoir Raab comme un vase d’élection. Car
Salmon signifie reçois ce vase (cf.
Tit 9).
« Salmon engendra Booz de Raab. » — La
Glose. Ce fut dans la terre promise que Salmon eut Booz de Raab, et
Booz, Obed de Ruth. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Je crois inutile
d’expliquer comment Booz prit pour épouse une femme moabite, parce que chacun
connaît cette histoire de la sainte Écriture. Je ferai remarquer seulement que
Ruth épousa Booz en récompense de sa foi qui lui fit abandonner les idoles de
son pays pour adorer le Dieu vivant ; et que c’est aussi à cause de sa foi
que Booz fut jugé digne d’épouser cette femme, et de contracter cette sainte
union qui devait le rendre père d’une race royale. — S. Amb. (sur S. Luc.) Pourquoi
Ruth qui était étrangère a-t-elle épousé un israélite, et comment l’Évangéliste
croit-il devoir parler d’un mariage, que défendait tout l’ensemble de la
loi ? Il vous paraîtra sans doute déshonorant pour la mémoire du Sauveur
de compter parmi ses ancêtres une femme illégitime, si vous ne vous rappelez
cette maxime de l’apôtre saint Paul : « Que la loi n’est pas établie
pour les justes, mais pour les méchants. » Comment en effet, cette femme
étrangère et moabite aurait-elle fait partie du peuple de Dieu, alors que la
loi défendait ces unions avec les filles de Moab et leur admission dans
l’assemblée des enfants d’Israël (cf. Ex 23, 52 ; 34, 15.16 ; Nb 25,
1 ; Dt 7, 7 ; 23, 1.3), si elle n’avait été élevée au-dessus de la
loi par la sainteté et la pureté de ses mœurs. Elle se plaça au-dessus des prescriptions
de la loi, et mérita d’être comptée parmi les ancêtres du Seigneur, honneur
qu’elle dut non pas aux liens du sang, mais à la parenté spirituelle qui
l’unissait au Christ. Or elle est pour nous un grand exemple, car elle est la
figure de nous tous qui avons été choisis parmi les Gentils pour entrer dans
l’Église du Seigneur. — S. Jér. (lettre à Paulin.) Ruth la moabite
accomplit cet oracle d’Isaïe : Envoyez, Seigneur, l’agneau dominateur de
la terre, du rocher du désert à la montagne de la fille de Sion.
« Obed
engendra Jessé. » — La Glose. Jessé
père de David porte deux noms, il est plus souvent appelé du nom d’Isaï, mais
comme le Prophète lui donne le nom de Jessé, et non celui d’Isaï (Is 11) « Un rejeton sortira de la tige de Jessé, »
l’Évangéliste choisit le nom de Jessé pour montrer l’accomplissement de cette
prophétie en Jésus et en Marie.
« Jessé engendra David qui fut roi. » — Remi. Pourquoi donc l’Auteur sacré ne donne-t-il qu’à David
le titre de roi ? C’est pour nous rappeler qu’il a été le premier roi
sorti de la tribu de Juda. Or, le Christ est un nouveau Pharès, c’est-à-dire séparateur, car il séparera les boucs
des brebis. Il est aussi l’Orient comme
Zara, selon ces paroles : « Voici
un homme, et l’Orient est son nom. » Comme Esrom il est une flèche selon ces autres paroles :
« Il m’a placé comme une flèche de choix. » — Rab. Ou bien il
est encore comme le vestibule d’une maison, à cause de l’abondance de la grâce
qui est en lui, et de l’étendue de sa charité. Il est Aram, c’est-à-dire l’élu selon ces paroles :
« Voici mon enfant que j’ai choisi, » ou bien il signifie encore élevé, d’après ces autres paroles :
« Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations. » Il est
Aminadab, c’est-à-dire volontaire, lui
qui dît à Dieu par la bouche du Roi-prophète : « Je vous sacrifierai
de tout cœur. » il est Nahasson, ou l’augure,
lui qui connaît le passé, le présent et l’avenir ; ou bien le serpent, d’après ces paroles :
« Moïse a élevé un serpent dans le désert. » Il est encore Salmon, c’est-à-dire sensible, lui qui a dit : « J’ai senti une vertu
s’échapper de moi. » — La Glose. Il
a épousé Raab, c’est-à-dire l’Église composée de toutes les nations, car Raab
veut dire faim ou étendue, ou mouvement impétueux, et en
effet, l’Église des nations a faim et soif de la justice, et elle a converti
les philosophes et les rois par l’élan impétueux de sa doctrine. Ruth signifie
aussi celle qui voit ou qui se hâte, image de l’Église qui voit
Dieu d’un cœur pur et se hâte vers le but de sa sublime vocation (cf. Ph 3, 14). — Remi. Il est Booz, celui
qui est fort, car il a dit : « Lorsque je serai élevé de terre,
j’attirerai tout à moi. » il est Obed, celui
qui est serviteur, comme il le dit de lui-même : « Le Fils de
l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir. » Il est Jessé,
ou l’encens, lui qui a dit « Je
suis venu apporter le feu sur la terre. » Il est David, dont la main est forte ; car il est
dit de lui : « Le Seigneur est fort et puissant. » Il est aussi
le désirable, lui dont le Prophète a
écrit : « Le désiré des nations viendra ; il est d’une rare
beauté selon ces paroles du Roi-prophète : « Il surpasse en beauté
les plus beaux des enfants des hommes. »
La Glose. (ou S. Anselme.) Considérons maintenant les vertus que le souvenir
de ces ancêtres de Jésus-Christ doit nous inspirer. La foi, l’espérance et la
charité sont comme le fondement de toutes les autres vertus. Celles qui
viennent ensuite n’en sont que la continuation et le couronnement. Or, Juda
signifie confession. Il y a deux
sortes de confession, celle de la foi, et celle des péchés. Si donc après avoir
reçu le don des trois vertus dont nous avons parlé, on vient à offenser Dieu,
la confession de la foi ne suffit pas, il faut y ajouter la confession des
péchés. Après Juda viennent Pharês et Zara, Pharès signifie division, Zara, Orient, Thamar, amertume. En
effet, la confession produit la division en nous séparant des vices, et elle
fait en même temps lever les vertus du sein de l’amertume de la pénitence.
Après Phares vient Esrom qui veut dire flèche,
car celui qui s’est détaché des inclinations vicieuses du siècle, doit
devenir une flèche qui perce les vices dans les cœurs des hommes, et y fasse
pénétrer l’amour de Dieu. Vient ensuite Aram qui veut dire l’élu ou le sublime, car lorsqu’on s’est éloigné du monde, et qu’on
s’est rendu utile aux autres, on est regardé nécessairement comme l’élu de
Dieu, et ou acquiert aux yeux des hommes la réputation d’une haute vertu.
Nahasson veut dire augure, mais
augure du ciel et non de la terre. Joseph se glorifiait de ce titre en faisant
dire à ses frères : (Gn 44, 5) « Vous
avez enlevé la coupe de mon maître, dont il se sert pour les
divinations. » Cette coupe, c’est l’Écriture sainte qui contient le
précieux breuvage de la sagesse. Le Sage se sert de cette coupe pour augurer,
parce qu’il y voit les choses futures ou célestes. Vient ensuite Salmon,
c’est-à-dire sensible, car lorsqu’on
s’est livré à l’étude de la divine Écriture, on acquiert cette sensibilité qui
fait discerner le bien du mal, ce qui est doux de ce qui est amer. Après Salmon
vient Booz, le fort, car celui qui.
est versé dans les saintes Écritures y puise une force invincible contre toute
sorte d’épreuves. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ce fort, c’est le fils
de Raab, c’est-à-dire de l’Église ; Raab, en effet, signifie étendue qui s’est dilatée, parce que
l’Église a été réunie et formée de toutes les nations de la terre. — La Glose. (ou S. Anselme.) Vient ensuite Obed ou celui qui sert, car on n’est propre au joug de la servitude
qu’autant qu’on est fort. Cet état de servitude vient de Ruth, qui signifie celle qui se hôte, car le serviteur doit
être actif et ennemi de la paresse. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Disons maintenant que
ceux qui cherchent la richesse plutôt que la vertu, la beauté plutôt que la
foi, qui désirent trouver dans leurs épouses ce que l’on cherche ordinairement
dans les femmes de mauvaise vie, auront des enfants sans soumission pour leurs
ordres et pour ceux de Dieu, juste châtiment de leur propre impiété. Obed a
engendré Jessé ou le rafraîchissement, car
celui qui est soumis à Dieu et à ses parents par une grâce particulière de
Dieu, aura des enfants qui seront comme le rafraîchissement de sa vie. — La Glose.(ou S. Anselme.) Ou bien encore Jessé signifie encens, car si nous servons Dieu par un
motif de crainte et d’amour, notre piété aura sa source dans notre cœur et
deviendra comme un foyer spirituel sur lequel elle pourra offrir à Dieu un
encens de la plus suave odeur. Or, lorsqu’un homme est devenu un digne
serviteur de Dieu et un sacrifice d’agréable odeur, il faut également qu’il
soit fort et robuste, et qu’il combatte courageusement les ennemis, et rende
tributaires les Iduméens, c’est-à-dire qu’il doit soumettre à Dieu les hommes
charnels par ses paroles aussi bien que par ses exemples.
La Glose. L’Évangéliste poursuit la seconde partie
de la généalogie composée de quatorze générations, elle contient celle des rois
et commence à David le premier roi de la tribu de Juda : « Le roi
David engendra Salomon de celle qui fut la femme d’Urie. »
S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 4.) Comme la généalogie de
saint Matthieu a pour objet de montrer que le Sauveur a pris sur lui nos
péchés, elle nous présente la descendance de David par Salomon dont la mère fut
complice du crime commis par David. Saint Luc au contraire remonte à David par
Nathan, prophète dont Dieu se servit pour faire expier à ce prince son péché,
parce que la généalogie donnée par saint Luc est la figure de la rémission de
nos péchés. — S. Aug. (Rétract. liv. 2, chap. 16.) Il était
nécessaire de dire comment s’appelait ce prophète, par lequel s’accomplit cette
expiation pour ne pas le confondre avec un autre différent qui portait le même
nom. — Remi. On peut se demander
pourquoi l’Évangéliste ne désigne pas Bersabée par son nom propre comme les
autres femmes. La raison en est que ces autres femmes quoique répréhensibles en
un point, s’étaient cependant rendues recommandables par leurs vertus, tandis
que Bersabée fut complice non seulement de l’adultère de David, mais encore de
l’homicide de son mari, et c’est pourquoi son nom n’a pas été inséré dans la
généalogie du Sauveur. — La Glose. Il
est une autre raison pour laquelle le nom de Bersabée est remplacé par celui
d’Urie, c’est afin que ce nom rappelle le plus grand des crimes commis par
David. — S. Amb. (sur S. Luc. chap. 3.) Ce qui élève ce
saint roi au-dessus des antres, c’est qu’il reconnut qu’il était homme et qu’il
s’efforça d’effacer par les larmes de la pénitence le crime d’avoir enlevé la
femme d’Urie ; nous apprenant ainsi à ne point mettre notre confiance dans
nos propres forces. Nous avons, en effet, un ennemi dont nous ne pouvons
triompher sans le secours de Dieu, et c’est souvent dans des personnages
illustres que vous rencontrerez de plus grandes fautes, pour vous apprendre
qu’ils ont pu succomber à la tentation comme des hommes ordinaires, et afin que
leurs qualités brillantes ne les placent pas dans votre esprit au-dessus de
l’humanité. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Salomon veut dire pacifique ; en effet, lorsqu’il
monta sur le trône, toutes les nations voisines étaient pacifiées et
tributaires de son royaume et son règne ne fut troublé par aucune guerre.
Salomon engendra Roboam qui veut dire multitude
du peuple, car c’est la multitude qui engendre les séditions, ajoutez que
les désordres commis par un grand nombre, restent presque toujours impunis, le
petit nombre au contraire est ami et protecteur de l’ordre.
S. Jér. Nous lisons au quatrième livre des Rois (4 R 8,
24 ; 11, 2ss) que Joram engendra Ochosias, et qu’à la mort de ce dernier,
Josabeth, fille du roi Joram et sœur d’Ochosias, enleva Joas fils de son frère,
pour le soustraire au massacre commandé par Athalie. Joas eut pour successeur
son fils Amasias ; après Amasias, régna son fils Azarias, qui fut appelé
Ozias et auquel succéda son fils Joathan. Ce témoignage historique vous
démontre l’existence de trois rois que l’Évangéliste n’a point insérés dans sa
généalogie. Joram, en effet, n’a pas engendré Osais, mais Ochosias et les deux autres
que nous venons de citer. La raison de cette omission est que l’Évangéliste
s’était proposé trois séries de quatorze noms chacune, correspondant à trois
différentes époques. Ajoutons que Joram s’était allié à la famille de l’impie
Jézabel, et qu’en punition de cette alliance son souvenir est effacé jusqu’à la
troisième génération, et son nom jugé indigne de figurer parmi ceux qui forment
la généalogie du Sauveur.
S. Hil. Après avoir épuré la généalogie du
Christ de tout contact avec la gentilité, l’Évangéliste reprend sa descendance
royale dans la quatrième des générations qui suivent. — S. Chrys. (sur S. Matth.) L’Esprit saint avait prédit par le Prophète que
Dieu détruirait tout enfant mâle de la race d’Achab et de Jézabel, et cette
prédiction fut accomplie par Jéhu fils de Nanzi, à qui Dieu avait promis que
ses enfants s’assiéraient sur le trône d’Israël jusqu’à la quatrième
génération. La bénédiction que Dieu répandit sur Jéhu pour avoir tiré vengeance
de la maison d’Achab, fut égale à la malédiction dont il frappa la maison de
Joram à cause de son alliance avec la fille de l’impie Achab et de Jèzabel.
Jusqu’à la
quatrième génération, ses enfants sont retranchés du catalogue des rois, et
ainsi son péché descend sur ses enfants, selon qu’il avait été écrit (Ex 34, 7) : « Je punirai les
péchés des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième
génération. » voyez par là quels dangers entraînent les alliances avec les
impies. — S. Aug. (quest. du Nouv. et de l’Anc. Test., chap.
85.) C’est avec justice que les noms d’Ochosias, de Joas et d’Amazias ne
figurent pas dans cette généalogie avec les autres ; car leur impiété
continua pendant toute leur vie sans interruption et sans intervalle. Salomon
dut au mérite de son père et Roboam au mérite de son fils d’avoir été conservés
parmi les rois dans la généalogie du Sauveur. Quant à ces trois rois impies,
leurs noms en ont été retranchés, car l’exemple du vice entraîne la ruine de
toute une race quand il est donné avec éclat et sans discontinuité.
« Ozias
engendra Joatham ; Joatham engendra Achaz ; Achaz engendra Ezéchias.
— La Glose. C’est à Ezéchias qui
était sans enfant qu’il fut dit : « Mets
ordre à ta maison, parce que tu mourras bientôt (Is 38) ». Il versa
des larmes en entendant ces paroles, non pas qu’il désirait une vie plus
longue, car il savait que Salomon avait été agréable à Dieu en ne demandant pas
une longue suite d’années, mais il se voyait sans enfants, lui, descendant de
David, d’où devait naître le Christ, et il craignait que les promesses de Dieu
ne pussent s’accomplir.
« Ezéchias engendra Manassé, Manassé engendra Amon ; Amon engendra
Josias ; Josias engendra Jéchonias et ses frères vers le temps où les
Juifs furent transportés à Babylone. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le
livre des Rois ne nous présente pas le même ordre dans les générations (4 R 23,
30.31). Nous lisons que Josias engendra Eliachim, plus tard appelé Joachim, et
Joachim, Jéchonias. Mais Joachim a été rayé du nombre des rois, parce que ce
n’était pas le choix du peuple de Dieu qui l’avait placé sur le trône, mais
Pharaon qui l’avait imposé par force. Car si trois princes ont été justement
effacés du catalogue des rois, uniquement à cause de leur alliance avec la
famille d’Achab, pourquoi Joachim n’aurait-il pas été lui-même éliminé, lui que
Pharaon en guerre avec le peuple de Dieu lui avait imposé par violence ?
Voilà pourquoi Jéchonias fils de Joachim et petit-fils de Josias, a pris la
place de son père dans la généalogie comme s’il était fils de Josias. — S. Jér. Ou bien il nous faut admettre que
le premier Jéchonias est le même que Joachim, le second est le fils et non pas
le père ; le nom du premier s’écrit par un k et un m, celui du
second lias ch et n, ce qui s’est trouvé confondu dans le
texte grec et dans le texte latin par la négligence des copistes et la longue
suite du temps. — S. Amb. (sur S. Luc, chap. 3.) Nous lisons dans
les livres des Rois qu’il y eut deux Joachim : « Joachim dormit avec ses pères, et son fils Joachin régna en
sa place (4 R 24, 5-6). Or c’est ce fils que Jérémie appelle Jéchonias (Jér 22, 24 ; 1 Paral 3, 16-17).
Saint Matthieu en inscrivant le nom de Jéchonias et non celui de Joachim, n’a
pas voulu s’exprimer autrement que le Prophète, et par là il a fait ressortir
davantage les effets de la bonté du Seigneur. Nous ne le voyons pas, en effet,
rechercher la noblesse qui vient des ancêtres, mais il préfère pour aïeux des
pécheurs réduits en esclavage, parce qu’il venait lui-même prêcher la
délivrance à ceux que le péché retenait captifs. L’Évangéliste n’a donc pas
voulu supprimer l’un des deux rois, mais il les a exprimés tous deux par le nom
de Jéchonias qui leur était commun. — Remi.
Mais comment l’Évangéliste peut-il dire que ces princes naquirent dans
l’exil, tandis que leur naissance a précédé l’époque de la
transmigration ? C’est qu’ils semblent n’avoir été mis au monde que pour
être arrachés du trône et emmenés captifs en punition de leurs péchés et de
ceux du peuple, et comme Dieu prévoyait leur captivité future, l’Évangéliste a
pu dire qu’ils étaient nés dans la transmigration. Remarquons ici que tous ceux
qu’il a fait entrer dans la généalogie du Sauveur ont été également
remarquables par l’éclat de leurs vertus ou de leurs vices ; c’est ainsi
que par leurs vertus Juda et ses frères se sont rendus dignes d’éloge, tandis
que Phares et Zara, Jéchonias et ses frères ne se sont fait remarquer que par
le dérèglement de leur vie.
La Glose. Dans un sens
mystique, David est la figure du Christ qui a terrassé Goliath (c’est-à-dire le
démon). Une, dont le nom signifie Dieu
est ma lumière, est le symbole du démon, qui avait dit : « Je
serai semblable au Très-Haut (Is 14, 14). » L’Église lui était unie
lorsque le Christ la voyant des hauteurs de la majesté divine, il l’aima, la
rendit belle et la prit pour épouse. Ou bien Urie représente le peuple juif qui
se glorifiait de posséder la lumière dans la loi ; le Christ est venu lui
enlever la loi, en lui montrant qu’il en était lui-même l’objet. Bersabée
signifie le puits de satiété, c’est-à-dire
l’abondance de la grâce spirituelle. — Remi.
Bersabée peut s’interpréter aussi le
septième puits ou le puits du
serment, et elle représente la fontaine du baptême dans laquelle on reçoit
l’Esprit saint avec ses sept dons, et on prononce des adjurations contre le
démon. Le Christ est aussi Salomon le
pacifique, selon ces paroles de l’Apôtre : « Il est lui-même
notre paix. » (Ep 2) Il est
Roboam ou l’étendue du peuple, d’après
ses propres paroles : « Il
en viendra un grand nombre d’Orient et d’Occident. » (Mt 8, 11) — Rab. Ou
bien il est l’impétuosité du peuple, lui
qui a si rapidement converti les peuples à la foi. — Remi. Il est Abias, c’est-à-dire le Seigneur Père, d’après ces paroles (Mt 23) : « Vous
n’avez qu’un seul Père qui est dans les cieux. » Et ces autres : « Vous m’appelez Maître et
Seigneur. » (Jn 13.) Il est Aza, c’est-à-dire celui qui ôte, au sens de ces
paroles : « Voilà celui qui efface les péchés du monde. » (Jn 1) Il est aussi Josaphat, celui qui juge, car il dit
lui-même : « Dieu a donné tout
jugement au Fils. » (Jn 5) Il
est Joram le sublime, selon ces
autres paroles : « Personne ne monte au ciel que celui qui descend du
ciel. » (Jn 3) Il est Ozias, le fort du Seigneur, d’après ces paroles
du Psalmiste : « Le
Seigneur est ma force et ma gloire. » (Psaume
117.) Il est Joatham, celui qui est consommé en perfection, lui dont
l’Apôtre a écrit : « Le Christ est la fin de la loi. » (Rm 10) Il est Achaz, celui qui
convertit, selon ces paroles : « Convertissez-vous à moi. » (Za 1) — Rab. Ou bien il
est celui qui comprend, car personne
ne connaît le Père si ce n’est le Fils (Mt 11, 27). — Remi. Il est Ezéchias, c’est-à-dire le Seigneur fort ou le
Seigneur a fortifié, lui qui a dit : « Ayez confiance, j’ai
vaincu le monde. » (Jn 16) Il
est aussi Manassé, celui qui est porté à
oublier ou qui a oublié, selon ce
qui est écrit : « Je ne me rappellerai plus vos péchés. » (Is 43 ; Ez 28) Il est Amon, le
fidèle, selon ces paroles du Psalmiste : « Le Seigneur est fidèle dans toutes ses paroles. » (Ps. 144.) Il est Josias, l’encens du seigneur, selon ces
paroles : « Étant tombé en agonie, il redoublait ses prières. » (Luc, 22.) — Rab. Que l’encens soit le symbole de la prière, c’est le
Psalmiste lui-même qui l’enseigne : « Que ma prière s’élève comme l’encens
en votre présence. » (Ps 140.)
Ou bien encore il est le salut du
Seigneur, selon ces paroles d’Isaïe : « Le salut que je donnerai
sera éternel. » (Is 51) — Remi. Il est Jéchonias, celui qui prépare ou la préparation du Seigneur, comme il le
dit de lui-même : « Si je m’en vais et que je vous prépare une
place. » (Jn 16)
La Glose. Au sens moral, David a pour fils Salomon, le pacifique, car on devient pacifique
dans ses mœurs lorsqu’on a su éteindre ses inclinations vicieuses, et ou semble
jouir déjà d’une paix éternelle un servant Dieu et en s’efforçant de convertir
les autres à lui. Vient ensuite Roboam ou l’étendue
du peuple, car celui qui a triomphé de tous ses défauts doit tourner ses
efforts vers les autres et entraîner avec lui le peuple de Dieu vers les choses
du ciel. Après lui, vient Abias, c’est-à-dire le Seigneur Père, car après tout ce que nous venons de dire, le
Christ peut se glorifier d’être le Fils de Dieu. Alors il pourra devenir Asa, celui qui élève, et de vertu en vertu
s’élever jusqu’à Dieu son Père. Alors encore il sera Josaphat, celui qui juge, car il jugera les autres
sans être jugé par personne ; et c’est ainsi qu’il deviendra Joram,
c’est-à-dire le sublime, qui semble
habiter dans les cieux. Il devient de la sorte Osais ou le fort du Seigneur, qui attribue toute sa force à Dieu et
persévère dans ses résolutions. Après Osais vient Joatham, le parfait, car il avance tous les jours en perfection, et c’est
ainsi qu’il devient Achaz ou celui qui
comprend, parce que la connaissance se développe par les œuvres, selon
qu’il est écrit : « Ils ont annoncé les œuvres de Dieu, et ils ont
compris ses actions. Vient ensuite Ezéchias, c’est-à-dire le Seigneur fort, car il comprend toute la force de Dieu et c’est
pour que cela converti à son amour il devient Manassé, celui qui oublie, et qui perd le souvenir des choses de la terre.
Il devient ainsi Amon, c’est-à-dire fidèle,
car celui qui méprise les choses de la terre ne fait tort à personne dans
ses biens, et il devient par là Josias, qui veut dire salut du Seigneur, car il attend avec confiance et sécurité le
salut qui vient de Dieu.
S. Chrys. (sur
S. Matth.) Après la
transmigration, l’Évangéliste place Jéchonias parmi les personnes privées,
comme n’étant lui-même qu’un simple particulier. — S. Aug. (sur S. Luc chap.
3.) C’est de lui que Jérémie a dit : « Écrivez la déchéance de cet
homme, car il ne sortira personne de sa race pour s’asseoir sur le trône de
David (Jr 22, 30). Mais comment le
Prophète peut-il dire qu’aucun descendant de Jéchonias ne doit régner, car si
le Christ a régné et qu’il descende d’ailleurs de Jéchonias, le Prophète s’est
évidemment trompé. Nous répondons que le Prophète ne dit pas que Jéchonias
n’aura pas de descendant, le Christ a donc pu naître de son sang, et on ne peut
opposer à l’oracle du Prophète la royauté de Jésus-Christ, car cette royauté
n’a pas été une royauté temporelle, comme Jésus-Christ l’atteste
lui-même : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » (Jn 19)
La Glose. L’Évangéliste paraît ici en contradiction
avec la généalogie qui se trouve au livre des Paralipomènes ; nous y
voyons, en effet, que Jéchonias engendra Salathiel et Phadaia ; Phadaia,
Zorobabel ; et Zorobabel, Mosolla, Ananie et Salomith leur sœur. Mais nous
savons que le texte des Paralipomènes a été fréquemment altéré par la
négligence des copistes, et qu’il est pour les généalogies le sujet de
difficultés sans fin que l’Apôtre nous ordonne d’éviter. On pourrait peut-être
dire que Salathiel et Phadala sont une même personne sous un double nom, ou que
ce sont deux frères dont les fils ont porté le même nom, ou l’historien sacré
n’aurait suivi que la ligne de Zorobabel, fils de Phadaia, laissant de côté
celle de Zorobabel, fils de Salathiel. D’Abias jusqu’à Joseph, on ne trouve
aucun document historique dans les Paralipomènes ; mais il existait chez
les Juifs d’autres annales, appelées les paroles
des jours, et dont Hérode, roi de race étrangère, fit brûler, à ce que l’on
dit, une grande partie pour détruire les traces de la race royale. C’est dans
ces annales que Joseph aurait peut-être trouvé les noms de ses ancêtres, si
d’ailleurs il ne les avait pas conservés d’une autre manière, et c’est d’après
ces renseignements que l’Évangéliste aurait dressé la suite de cette
généalogie. Remarquons que des deux Jéchonias le premier signifie la résurrection du Seigneur, le second la préparation du Seigneur, et que l’une
et l’autre signification conviennent au Seigneur Jésus-Christ, qui a dit :
« Je suis la résurrection et la vie. » (Jn 11) Et encore : « Je vais vous préparer une
place. » (Jn 14) Le nom de
Salathiel, ou ma demande est Dieu,
convient aussi au Christ qui a dit : « Père saint, conservez ceux que
vous m’avez donnés. » (Jn 17) — Remi. Il est aussi Zorobabel, le maître de la confusion, lui à qui on
a fait ce reproche : « Votre
maître mange avec les publicains et avec les pécheurs. » (Mt 9) Il est encore Abiud, qui veut
dire celui-ci est mon père, lui qui a
dit : « Mon Père et moi nous ne sommes qu’un. » (Jn 10) Il est aussi Eliachim ou le Dieu qui ressuscite, selon ces
paroles : « Je le ressusciterai au dernier jour. » Il est Azor
ou celui qui est aidé, car il a
dit : « Celui qui m’a envoyé est avec moi. » Il est Sadoc, le juste ou
le justifié, selon ces paroles :
« Le juste a été livré pour les injustes. » (1 P 3) Il est Achias ou celui-ci
est mon frère, d’après ce qu’il a dit de lui-même : « Celui qui
fait la volonté de mon père, celui-ci est mon frère. » (Mt 7) Il est Eliud ou celui-ci
est mon Dieu, d’après ces paroles : « Mon Dieu est mon
Seigneur. » (Ps. 34) — La Glose. Il est Eléazar ou mon Dieu est mon aide, d’après ces
autres paroles du Psalmiste : « Mon Dieu est mon soutien. » (Ps 17) Il est Mathan, celui qui donne ou celui qui est donné, car il est écrit : « Il a répandu ses dons
sur les hommes ; » (Ep. 4)
et encore : « C’est ainsi que Dieu a aimé le monde, qu’il lui a donné
son Fils unique. » (Jn 3) — Remi. Il est Jacob, celui qui supplante, car non seulement il a
supplanté le démon, mais encore il a donné à ses enfants tout pouvoir sur lui
par ces paroles : « Voici que je vous ai donné la puissance de
marcher sur les serpents. » (Lc 10) Enfin
il est Joseph, celui qui ajoute, selon
ce qu’il a dit lui-même : « Je suis venu pour qu’ils aient la vie, et
qu’ils l’aient en plus grande abondance. » (Jn 10)
Rab. Mais voyons ce que
signifient au sens moral les noms des ancêtres du Seigneur. Après Jéchonias,
qui veut dire préparation du seigneur, vient
Salathiel, ou Dieu est ma demande, car
celui qui est déjà préparé par l’Esprit saint ne demande rien que le Seigneur.
Il devient encore Zorobabel ou le maître
de Babylone, c’est-à-dire des frontières des hommes auquel il fait
connaître que Dieu est Père. Alors ce peuple sort du tombeau de ses
vices ; ce que veut dire le mot Eliachim ou résurrection, et il ressuscite pour se livrer aux bonnes œuvres
intérieures, ce que signifie Azor. Il devient Sadoc ou juste, et alors la charité fraternelle lui fait tenir ce
langage : Il est mon frère, selon
la signification du mot Achim, et l’amour de Dieu lui inspire ces paroles
« Mon Dieu, » ou Eliud. Il
devient ensuite Eléazar, ou Dieu est mon
aide, parce qu’il reconnaît que Dieu est son secours. Le mot Mathan, qui
signifie celui qui donne ou qui est donné, indique le but qu’il se
propose, c’est-à-dire qu’il attend les dons de Dieu et qu’il combat contre les
vices à la fin de sa vie comme il l’a fait au commencement, ce que signifie le
nom de Jacob, et on arrive ainsi à Joseph, c’est-à-dire à l’accroissement des
vertus.
v. 16
Après la
généalogie des ancêtres de Jésus-Christ, l’Évangéliste donne en dernier lieu
celle de Joseph, époux de Marie, à laquelle toutes les autres se
rapportaient : « Et Jacob engendra Joseph. » S. Jér. Julien Auguste voit ici une preuve
de contradiction entre les Évangélistes ; pourquoi, dit-il, Matthieu
écrit-il que Joseph est le fils Jacob, tandis que Luc le donne comme le fils
d’Héli ? Julien paraît ne pas comprendre le langage de l’Écriture, qui
appelle également du nom de père et celui qui l’est par nature et celui qui
l’est en vertu de la loi. C’est ce que nous apprend la loi de Moïse, expression
de la volonté divine, en ordonnant, lorsqu’un homme meurt sans enfant, que son
frère ou un de ses proches parents prenne pour épouse la femme du défunt pour
donner des enfants à ce dernier (Deut.) Africanus
le chronologiste et Eusèbe de Césarée (dans son traité intitulé διαφωνιας
Ευανγελιων ou de la divergence des Évangélistes) ont
parfaitement discuté et résolu cette question.
Eusèbe. (Hist. eccl., liv. 1, chap. 7.) Mathan
et Melchi eurent, chacun à des époques différentes, des enfants de la même
femme appelée Jesca. Mathan qui descendait de Salomon l’avait eue le premier
pour épouse, et il était mort en lui laissant un fils unique appelé Jacob.
Après sa mort, la loi ne défendant pas à sa veuve de prendre un autre époux,
Melchi, qui était parent de Mathan, de la même tribu, mais non de la même
famille, épousa la femme de Mathan et en eut un fils nommé Héli. C’est ainsi
que Jacob et Héli, frères utérins, naquirent de deux pères différents. Jacob,
de son côté, en vertu de la prescription expresse de la loi, épousa la femme de
son frère Héli, mort sans enfants, et en eut un fils, Joseph ; c’est pour
cela que nous lisons : « Jacob engendra Joseph. » Joseph fut
donc le fils naturel de Jacob, tandis qu’il était considéré comme le fils légal
d’Héli, dont Jacob n’avait épousé la veuve que pour donner des enfants à son
frère. C’est ainsi que se trouvent justifiées la vérité et l’intégrité des
généalogies de saint Matthieu et de saint Luc. Ce dernier a suffisamment
distingué la succession légale qui était une espèce d’adoption à l’égard du
défunt, en évitant, dans l’exposé de ces successions, de parler de génération
proprement dite. — S. Aug. (De l’Acc. des Evang., 2, 3.)
L’expression de fils à l’égard de celui qui ne l’était que par adoption, était
plus convenable et plus juste que celle d’engendré, puisqu’il n’était pas né de
son sang. Saint Matthieu, au contraire, en commençant sa généalogie par ces
mots : « Abraham engendra Isaac, » et en s’exprimant toujours de
même jusqu’à la fin, où il dit : « Jacob engendra Joseph, » marque assez par là que ce père l’a
engendré selon l’ordre naturel, et que Joseph est, non pas son fils adoptif,
mais son véritable fils. Et toutefois, quand même saint Luc aurait employé la
même expression à l’égard de Joseph adopté par Héli, nous ne devrions pas en
être embarrassé, car on peut sans absurdité dire d’un homme qu’il a engendré,
par l’affection et non dans la réalité, l’enfant qu’il a cru devoir adopter.
Eusébe. (Hist. ecclés.) Ce ne sont pas là des
documents arbitraires, trouvés par hasard et dépourvus de toute authenticité,
car ce sont les parents du Sauveur qui nous les ont transmis, soit par le désir
de faire connaître une naissance si auguste, soit pour rétablir la vérité des
faits.
S. Aug. (De l’Accord des Evang., 2, 4.) C’est avec raison que saint Luc,
qui place la généalogie du Christ, non pas en tête de son Évangile, mais au
baptême du Christ, en le présentant surtout comme le prêtre chargé de
l’expiation de nos péchés, a choisi de préférence l’origine d’adoption, car
c’est par l’adoption et en croyant au Fils de Dieu que nous devenons nous-mêmes
les enfants de Dieu. Dans la génération charnelle, au contraire, que raconte
saint Matthieu, le Fils de Dieu se montre surtout à nous comme s’étant fait
homme pour nous. D’ailleurs, saint Luc nous apprend assez qu’eut appelant
Joseph fils d’Héli, il veut parler de son adoption, puisqu’il donne le nom de
fils de Dieu à Adam, que Dieu avait établi comme un fils dans le paradis
terrestre en vertu d’une grâce qu’il perdit plus tard.
S. Chrys. (Hom. 4 sur
S. Matthieu.) Après avoir énuméré tous les ancêtres de Jésus-Christ,
il finit par Joseph, et il ajoute : « L’époux de Marie, » pour montrer que c’est à cause de Marie
qu’il l’a placé dans la généalogie. — S. Jér.
Que ce nom « l’époux de Marie » ne vous rappelle aucune idée de mariage, car les saintes Écritures
donnent ordinairement le nom d’époux ou d’épouse aux simples fiancés.
Gennad. (Des Dogm. de l’égl., chap. 2.) Le Fils
de Dieu est né de l’homme (c’est-à-dire de Marie), et non par le moyen de
l’homme, c’est-à-dire des relations de l’homme avec la femme, comme le prétend
Ebion, et c’est avec un dessein marqué que l’Évangéliste ajoute :
« Marie, de laquelle est né Jésus. » — S. Aug. (Des Hérés., chap.
2.) Ces paroles condamnent l’opinion de Valentin, qui soutenait que le Christ
n’avait rien reçu de Marie, mais qu’il n’avait fait que passer par elle comme
par un ruisseau ou par un canal.
S. Aug. (Des Hérés., chap. 2.) Que le Christ ait voulu prendre dans le sein
d’une femme un corps semblable au nôtre, c’est chez lui l’effet d’une haute
sagesse, soit qu’il ait voulu ainsi honorer les deux sexes en prenant la forme
d’un homme et en recevant l’existence par le moyen d’une femme, soit pour tout
autre motif qu’il ne nous appartient pas d’examiner. — S. Aug. (Des Quest. du Nouv. et de l’Anc. Test.) Ce que Dieu donnait par
l’onction à ceux qui étaient sacrés rois, l’Esprit saint le confère à
l’humanité du Christ, en la sanctifiant. C’est pour cela qu’à sa naissance il
reçut le nom de Christ, ainsi que l’ajoute l’Évangéliste : « Qui est
appelé le Christ. »
S. Aug. (De l’Acc. des Evang.) Cependant il n’est pas permis de conclure
qu’il n’y avait pas de mariage entre Marie et Joseph de ce que le Christ
n’était pas né de leur union, mais qu’il avait été enfanté par une vierge.
C’est un magnifique exemple donné aux fidèles engagés dans les liens du
mariage, et qui leur apprend que tout en gardant la continence d’un mutuel
accord, le mariage ne laisse pas d’exister, par la seule union des âmes, sans
l’union des corps, alors surtout qu’on voit naître ici un fils sans qu’il y ait
en d’union charnelle.
S. Aug. (Du Mariage et de la concupis., 1, 2.) Tous les biens du mariage se
trouvent réunis dans cette union de Joseph et de Marie : la fidélité, les
enfants, le pacte mutuel. Jésus-Christ est leur enfant béni. La fidélité du
mariage a été gardée, puisqu’il n’y a pas en d’adultère, il y a eu pacte sacré
puisqu’il n’y a pas eu de divorce.
S. Jér. Un lecteur attentif fera peut-être
cette question : Puisque Joseph n’est pas le père du Dieu sauveur, quel
rapport peut avoir avec Jésus cette généalogie qui descend jusqu’à
Joseph ? Nous répondrons d’abord que ce n’est pas l’usage des écrivains
sacrés de donner dans les généalogies la descendance des femmes ; en
second lieu que Joseph et Marie étaient de la même tribu et que Joseph était
obligé de la prendre pour épouse à cause de la parenté qui existait entre eux,
ce que prouve leur inscription simultanée à Bethléem comme étant de la même
famille.
S. Aug. (Du Mariage et de la concupisc.) Un autre motif pour lequel la
généalogie devait descendre jusqu’à Joseph, c’était de conserver dans cette
union la prééminence à son sexe, alors surtout que la vérité des faits n’avait
pas à en souffrir, puisque Joseph et Marie étaient tous deux de la race de
David. — S. Aug. (Contre Faust., lib. 23, chap. 9.) Nous
croyons donc que Marie était de la race de David, sur la foi des Écritures qui
nous apprennent ces deux choses que le Christ était de la race de David selon
la chair, et que Marie était sa mère non en vertu de son mariage, mais en
demeurant vierge.
Du Concile d’Ephèse. Il
faut se garder de l’erreur de Nestorius, dont voici le raisonnement :
Toutes les fois que l’Écriture parle ou de la naissance temporelle de
Jésus-Christ, ou de sa mort, elle ne lui donne jamais le nom de Dieu, mais
celui de Christ ou celui de Fils, ou celui de Seigneur, car ces trois noms
désignent les deux natures, tantôt la nature divine, tantôt la nature humaine,
tantôt l’une et l’autre réunies. En voici un exemple : « Jacob
engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, qu’on appelle
Christ. » Or le Verbe, qui est Dieu,
n’a pu avoir besoin de naître une seconde fois d’une femme. — S. Aug. (Contre Félicien, chap. 11, 12.) Le Fils de Dieu n’est autre que le
Fils de l’homme, mais c’est le même Christ qui est à la fois le Fils de l’homme
et le Fils de Dieu. De même que dans un seul et même homme l’esprit et le corps
sont deux choses différentes, ainsi dans le médiateur de Dieu et des hommes, le
Fils de Dieu et le Fils de l’homme sont deux choses distinctes, mais qui
concourent à former un seul et même Seigneur Christ ; car s’il y a ici
deux choses distinctes parce qu’il y a deux substances, il n’y a cependant
qu’une seule et même personne. Les hérétiques nous font cette objection :
Je ne sais pas comment vous enseignez que celui qui, selon vous, est coéternel
au Père, ait put naître clans le temps, car naître c’est comme le mouvement que
fait avant sa naissance un être qui n’existe pas, et dont le but est de se
procurer l’existence par le moyeu de cette naissance. Donc il faut conclure que
celui qui existait n’a pu naître, ou que s’il a pu prendre naissance, c’est
qu’il n’existait pas. Voici comment saint Augustin répond à cette
difficulté : Supposons, comme plusieurs auteurs le prétendent, qu’il y ait
dans le monde une âme universelle qui vivifie les germes de tous les êtres par
une opération ineffable, en restant toujours distincte de ce qu’elle anime et
vivifie. Lorsqu’elle pénétrera dans le sein de la mère pour y donner la forme à
la matière passive qu’elle y trouve, elle fera de cette matière, d’une nature
toute différente de la sienne, une seule personne avec elle. C’est ainsi que
l’opération de l’âme et la passibilité de la matière concourent à former un
seul homme de deux substances distinctes, l’âme étant tout à fait différente du
corps, et nous disons que l’âme prend naissance dans le sein de la mère, tout
en reconnaissant d’ailleurs que c’est en venant elle-même dans le sein maternel
qu’elle y donne bu vie au germe qui est conçu.
Nous disons
qu’elle est née du sein de la mère, parce qu’elle s’y est unie à un corps dans
lequel elle put naître, sans qu’on puisse en conclure qu’elle n’existait pas
avant sa naissance. C’est ainsi, ou plutôt c’est d’une manière bien plus
incompréhensible et plus élevée, que le Fils de Dieu a pris naissance dans le
sein de sa mère en s’y revêtant de la nature humaine tout entière, lui qui, par
su toute-puissance unique, donne l’être à tout ce qui est engendré dans
l’univers.
v. 17.
S. Chrys. (Sur
S. Matth.) L’Évangéliste,
voulant établir les diverses générations qui séparent Abraham du Christ, les
divise en trois séries de quatorze générations chacune, parce que la fin de
chaque série correspond à un changement dans l’état et le gouvernement des
Juifs. En effet, depuis Abraham jusqu’à David, ils furent gouvernés par des
juges ; depuis David jusqu’à la transmigration de Babylone, par des
rois ; depuis la transmigration de Babylone jusqu’au Christ, par des
pontifes. Ce que l’écrivain sacré veut démontrer, c’est que de même qu’après
les deux premières séries de quatorze générations, l’état des Juifs fut changé,
ainsi, après les quatorze générations que l’on compte depuis la transmigration
de Babylone jusqu’au Christ, le divin Sauveur devait nécessairement changer
l’état de l’humanité. C’est ce qui arriva, car, à dater de la venue du Christ,
toutes les nations lui obéirent comme à leur juge, leur roi et leur pontife.
Or, comme les juges, les rois et les pontifes figuraient la dignité du Christ,
le premier d’entre eux fut toujours un homme qui en était le symbole évident,
comme le premier des juges, Jésus, fils de Nave (Si 46, 1) ; le premier des rois, David ; le premier des
pontifes, Jésus, fils de Josedech, personnages que chacun sait avoir été la
figure du Christ. — S. Chrys. (Hom. 4 sur S. Matth.) Ou bien
peut-être l’Évangéliste a partagé toutes les générations en trois séries pour
nous montrer que le changement de gouvernement ne rendit pas les Juifs
meilleurs, mais qu’ils ont persévéré dans leurs crimes sous les juges, sous les
rois, sous les pontifes et les prêtres. Il fait aussi mention de la captivité
de Babylone, pour nous apprendre qu’elle n’a point servi à les ramener au bien.
Si leur séjour en Égypte est passé sous silence, c’est que la tyrannie des
Égyptiens n’avait pas inspiré aux Israélites le même effroi que la domination
des Partîtes et des Assyriens, que d’ailleurs elle était moins récente, et
qu’enfin elle n’avait pas été, comme la captivité de Babylone, le châtiment de
leurs péchés.
S. Amb. (sur S. Luc.) Nous ne devons pas omettre de faire remarquer que de
David à Jéchonias, saint Matthieu ne compte que quatre générations, alors qu’il
y eut certainement dix-sept rois de Juda. Pour faire disparaître cette
contradiction apparente il suffit de se rappeler que les successions peuvent
être plus nombreuses que les générations ; quelques-uns, en effet, peuvent
vivre longtemps et avoir très tard des enfants, ou même mourir sans en laisser.
La durée des règnes n’est donc pas toujours la durée des générations. — La Glose. Ou peut dire aussi que les
noms de trois d’entre les rois ont été omis pour les raisons indiquées plus
haut.
S. Amb. (sur S. Luc.) Remarquons encore que l’Évangéliste donne quatorze
générations à la troisième série, bien qu’on n’en compte que douze dans
l’énumération qu’il en fait, depuis Jéchonias jusqu’à Joseph. Mais en examinant
attentivement, vous trouverez aussi dans celle énumération l’équivalent de
quatorze générations. On en compte, en effet, douze jusqu’à Joseph, or le
Christ forme la treizième, et l’histoire (4 R, voyez ci-dessus) nous apprend qu’il y a eu deux Joachim,
c’est-à-dire deux Jéchonias, le père et le fils. L’Évangile n’a donc pas
supprimé l’un des deux, il les a exprimés tous les deux, et c’est en ajoutant
ce second Jéchonias qu’on trouve quatorze générations. S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien il est possible que le même Jéchonias soit
compté deux fois, une première fois avant la transmigration de Babylone, et une
seconde fois après, car ce Jéchonias quoique étant un seul et même homme, a
passé par deux conditions différentes : il a été roi avant la transmigration,
et roi par le choix du peuple de Dieu, et après la transmigration il a été
réduit à la condition privée. Voilà pourquoi il est placé parmi les rois avant
la captivité, et depuis, parmi les simples particuliers. S. Aug. (de l’Acc. des Evang. 2, 4.) Peut-être encore qu’un des aïeux du
Christ, Jéchonias a été compté deux fois, parce qu’il a été l’auteur d’un
certain écart vers les nations étrangères, lors de la transmigration de
Babylone. Or ce qui s’écarte de la ligne droite pour aller dans une direction
opposée fait comme un angle, et ce qui est formé par cet angle compte pour une
seconde ligne différente de la première. Et c’est là une figure du Christ, qui
devait aller de la circoncision à la gentilité et devenir ainsi la pierre
angulaire.
Remi. L’Évangéliste
compte quatorze générations, parce que le nombre dix signifie le Décalogue, et
le nombre quatre les quatre Evangélistes, et ainsi se trouve figuré le parfait
accord de la loi avec l’Evangile. Le nombre quatorze se trouve multiplié trois
fois, pour montrer que la loi, les prophètes et la grâce acquièrent leur
perfection dans la foi en la sainte Trinité.
La Glose. Ou bien la grâce du Saint-Esprit aux sept dons
est figurée dans ce nombre quatorze, qui est composé du nombre sept répété deux
fois. En doublant ce nombre, l’écrivain sacré a voulu signifier que la grâce
est nécessaire tout à la fois pour le salut de l’âme et pour salut du corps.
Cette généalogie est donc partagée en trois séries de quatorze générations
chacune ; la première série va d’Abraham jusqu’à David inclusivement. la
seconde de David exclusivement jusque y compris la transmigration de
Babylone ; la troisième depuis la captivité de Babylone jusqu’au Christ,
et si nous admettons que Jéchonias y est compté deux fois, la captivité y sera
comprise. Or la première série représente les hommes avant la loi, et nous y
trouvons de fidèles observateurs de la loi naturelle, c’est-à-dire Abraham,
Isaac et Jacob, tous jusqu’à Salomon. La seconde, figure les hommes qui ont
vécu sons la loi, car tous ceux qui s’y trouvent compris ont été soumis à la
loi. La troisième, représente les hommes de la grâce et se termine au Christ
qui a été l’auteur de la grâce. Nous y voyons la délivrance de la captivité de
Babylone comme figure de l’affranchissement de l’esclavage du démon, dont
Jésus-Christ nous a délivrés.
S. Aug. (de l’Acc. des Evang., 2, 4.) Après avoir divisé les générations en
trois séries de quatorze chacune, l’Évangéliste ne les additionne pas en
disant : toutes font un total de quarante-deux, car un des ancêtres de
Jésus-Christ, Jéchonias, y est compté deux fois. C’est pourquoi nous trouvons
non pas quarante-deux générations, total de trois fois quatorze, mais quarante
et une générations. Saint Matthieu, qui voulait nous présenter Jésus-Christ comme
roi, compte jusqu’à lui, sans le comprendre, quarante générations. Ce nombre
est le symbole du temps pendant lequel le Christ doit nous soumettre à une
discipline sévère, que figurait ce sceptre de fer dont le Roi-prophète
dit : « Vous les
gouvernerez avec une verge de fer. »
Or, une preuve facile à comprendre que ce nombre quarante signifie la vie
de la terre et du temps, c’est que les années s’écoulent par une succession de
quatre parties différentes et que le monde lui-même est comme limité par les quatre
parties connues sous le nom d’Orient, d’Occident, de Nord et de Midi. Le nombre
quarante est formé par le nombre dix répété quatre fois, et le nombre dix
lui-même est formé de nombres qui vont en augmentant de un à quatre.
La Glose. (ou S. Anselme.) Le nombre dix peut figurer le Décalogue, le nombre
quatre la vie présente qui se partage en quatre époques différentes ; ou
bien le nombre dix représente l’Ancien Testament et le nombre quatre le
Nouveau. — Remi. Si l’on demande
ce que signifie le nombre quarante-deux, (puisqu’il faut compter deux
Jéchonias), nous répondrons que ce nombre représente la sainte Église. Car ce
nombre quarante-deux est formé du nombre sept et du nombre six, puisque six
fois sept font quarante-deux. Or le nombre six est le symbole du travail et le
nombre sept la figure du repos.
v. 18.
S. Chrys. (sur
S. Matth.) L’Évangéliste
avait dit précédemment : « Jacob
engendra Joseph, » dont l’épouse Marie mit au monde Jésus. Mais dans la
crainte qu’on ne vînt à penser que la génération du Sauveur était semblable à
celle de ses aïeux, il change la forme qu’il a suivie jusqu’à présent pour
s’exprimer de la sorte : « Or la naissance de Jésus-Christ arriva
ainsi, » expressions qui reviennent à celles-ci : La génération des
aïeux du Christ a eu lieu comme je l’ai dit, mais celle du Christ lui-même a
été toute différente, et voici comment elle est arrivée : « Marie sa
mère étant fiancée, » etc. — S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth.) Il
annonce qu’il va décrire le mode de cette génération comme étant d’un ordre
nouveau, dans la crainte que le nom d’époux de Marie donné à Joseph ne vous
fasse croire que Jésus est né selon les lois ordinaires de la nature. — Remi. On peut encore rapporter ces
paroles à ce qui précède, en ce sens : « La génération du Christ a eu
lieu comme je l’ai dit, c’est-à-dire : Abraham engendra Isaac, etc. »
S. Jér. Mais pourquoi Jésus est-il conçu
d’une vierge fiancée, et non pas d’une vierge dans l’état ordinaire ?
C’était d’abord pour que l’origine de Marie fût prouvée par la génération de
Joseph ; en second lieu, pour ne pas l’exposer à être lapidée par les
Juifs comme adultère ; troisièmement, afin qu’elle eût un soutien et un
consolateur pendant la fuite en Égypte. Saint Ignace martyr donne une quatrième
raison : ce fut, dit-il, afin que la naissance du Christ demeurât voilée
pour le démon, qui le croyait ainsi né d’une femme mariée, et non pas d’une
vierge. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Elle était mariée et
habitait avec son mari, car de même que celui qui conçoit un enfant dans la
maison de son mari est supposée l’avoir eu de lui, ainsi celle qui conçoit hors
de la maison conjugale tombe sous le soupçon d’un commerce illégitime.
S. Jér. Un certain Helvidius, homme
inquiet et turbulent, ayant cherché matière à dispute, s’est mis à blasphémer
contre la mère de Dieu, et a formulé ainsi sa première objection :
« Vous le voyez, dit-il, elle était fiancée et non pas confiée comme un
dépôt, ainsi que vous le dites, et elle n’était fiancée que pour se marier quelque
temps après. »
Orig. Oui elle fut en
effet fiancée à Joseph, mais jamais elle ne lui fut unie par les liens de la
concupiscence charnelle. Sa mère fut une mère immaculée, une mère sans
souillure, une mère chaste. Nous disons sa mère, la mère de qui ? la mère
du Seigneur, du Fils unique de Dieu, du Roi, du Sauveur, du Rédempteur de tous
les hommes. — S. Cyril. (aux moines
d’Égypte.) Que peut-on voir dans la sainte Vierge de supérieur aux autres
femmes ? Si elle n’est pas la mère de Dieu, comme le soutient Nestorius,
mais seulement la mère du Christ ou du Seigneur, qu’y aurait-il d’absurde à
donner le nom de mère du Christ à toutes les mères de ceux qui ont reçu
l’onction sainte du baptême. Cependant la sainte Vierge seule entre toutes les
femmes est reconnue et proclamée à la fois vierge et mère du Christ, parce
qu’elle n’a pas enfanté un homme ordinaire, mais le Verbe engendré de Dieu le
Père, qui s’est incarné et s’est fait homme. Peut-être m’objectera-t-on :
Dites-moi, pensez-vous que la Vierge soit devenue la mère de la divinité :
Voici notre réponse : Le Verbe est né de la substance de Dieu, il a
toujours existé égal à son Père sans jamais avoir eu de commencement. Il s’est
fait chair dans ces derniers temps, c’est-à-dire qu’il s’est uni un corps vivifié
par une âme raisonnable, et c’est pour cela que nous disons qu’il est né aussi
de la femme selon la chair. Notre naissance présente quelqu’analogie avec ce
mystère. Nos mères fournissent à la nature, un peu de chair coagulée qui doit
recevoir la forme humaine, et c’est Dieu qui envoie une âme dans cette matière.
Cependant, bien que nos mères ne soient que les mères de nos corps, elles sont
regardées comme ayant enfanté l’homme tout entier, et non pas seulement la
chair. Quelque chose de semblable s’est passé dans la naissance de l’Emmanuel.
Le Verbe de Dieu est né de la substance du Père ; cependant comme il a
pris une chair humaine et se l’est rendue propre, il faut reconnaître qu’il est
véritablement né d’une femme selon la chair, et comme il est réellement Dieu,
comment hésiter à proclamer la sainte Vierge mère de Dieu ? — S. Léon pape. (Serm. sur la Nativ.) Que
les mots de conception, d’enfantement ne vous effrayent ni ne vous troublent,
car ici la virginité calme toutes les craintes de la pudeur. Et en quoi la
pudeur recevrait-elle quelqu’atteinte dans l’union de la divinité avec la
pureté qui lui est toujours si chère, dans cette union annoncée par un ange,
contractée sons les auspices de la foi et consommée dans la chasteté, dans cette
union qui a la vertu pour dot, la conscience pour arbitre, Dieu pour objet, et
où nous voyons une conception sans souillure, un enfantement immaculé, une mère
vierge ? — S. Cyril. (à Jean d’Antioche.) Si au contraire,
comme le prétend Valentin le corps sacré de Jésus avait été formé d’une matière
céleste, et non de la chair virginale de Marie, comment pourrait-elle être
considérée comme la mère de Dieu ? L’Évangéliste nous fait connaître le
nom de sa Mère lorsqu’il ajoute : « Marie. » — Bède. Le nom de Marie en hébreu
signifie étoile de la mer, et en syriaque maîtresse, parce qu’elle a enfanté et
la lumière du salut, et le Seigneur du monde.
Il nous apprend
ensuite quel était son époux en ajoutant le nom de Joseph. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Marie avait pour époux un ouvrier qui travaillait
le bois en figure de ce que Jésus-Christ devait opérer le salut du monde sur le
bois de la croix.
S. Chrys. (Hom. 4 sur S. Matth.) Ces
paroles : « Avant qu’ils fussent ensemble, » ne veulent pas dire : Avant que Marie fût conduite dans la
maison de son époux, car elle y était déjà, selon la coutume assez suivie des
anciens d’avoir les fiancées dans leurs maisons, ce qui se voit encore
aujourd’hui ; c’est ainsi que les gendres de Loth habitaient la même
maison que lui avant d’avoir épousé ses filles. — La Glose. Ces paroles : Avant qu’ils fussent ensemble,
doivent être entendues dans le sens de l’union charnelle. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cela s’est fait pour que le Christ ne dût pas sa
naissance aux inclinations de la chair et du sang, lui qui venait détruire
l’empire de la chair et du sang. — S. Aug.
(Du mariage et de la concupisc. liv.
1, chap. 12.) Il n’y eut point ici de relation conjugale, parce qu’elle ne
pouvait avoir lieu dans une chair de péché sans être accompagnée de la
concupiscence de la chair qui vient du péché. Celui qui devait être sans péché
voulut être conçu en dehors de la concupiscence, pour nous apprendre que toute
chair qui naît de l’union de l’homme et de la femme est une chair de péché,
puisque la seule chair exempte de cette origine est la seule qui n’eût pas été
une chair de péché. — S. Aug. (serm. sur la Nativ.) Le Christ a voulu naître d’une femme qui eût conservé sa
virginité, parce qu’il était contraire à toute idée de justice que la volupté
donnât le jour à la vertu, la luxure à la chasteté, la corruption à la
sainteté, et aussi parce que celui qui venait renverser l’antique empire de la
mort ne pouvait descendre du ciel que d’après les lois d’un ordre nouveau. La
Mère du Roi de la chasteté devait donc être la reine de la virginité. Le
Seigneur voulut encore se choisir une habitation virginale pour nous apprendre
à porter Dieu dans un cœur chaste. Celui donc qui écrivit sur les tables de fer
sans se servir d’un poinçon de fer, féconda lui-même le sein de Marie par
l’opération du Saint-Esprit, suivant ces paroles de l’écrivain sacré :
« Il se trouva qu’elle avait conçu. »
S. Jér. Ce secret ne fut pas découvert par
un autre que Joseph, qui en vertu des droits que lui conférait son titre
d’époux, connaissait tout ce qui avait rapport à sa future épouse. — S. Chrys. (sur S. Matth.) D’après un témoignage historique assez
vraisemblable, Joseph était absent lorsqu’eurent lieu les faits racontés par
saint Luc, car on ne peut guère croire que l’ange, s’il eût apparu à Marie en
présence de Joseph, lui eût tenu le langage qu’il lui adressa et que Marie lui
eût répondu tout ce que nous lisons dans l’Évangile. Si nous supposons que
l’ange ait pu parvenir jusqu’à Marie et lui parler, du moins n’est-il pas possible
d’admettre que, Joseph étant présent, Marie eût entrepris un voyage dans les
montagnes et qu’elle soit demeurée trois mois avec Élisabeth, car Joseph se
serait nécessairement informé des raisons d’une absence et d’un séjour si
prolongé. Ce fut lorsqu’elle revint de ce voyage qui dura plusieurs mois, qu’il
la trouva dans un état de grossesse évidente. — S. Chrys. (homél. 4 sur S. Matth.) Ces paroles : « elle fut trouvée, » sont justement choisies parce qu’elles
expriment ordinairement une chose à laquelle on était loin de s’attendre. Du
reste ne fatiguez pas l’Évangéliste de vos questions, en lui demandant comment
une vierge a pu devenir mère, il se débarrasse de toutes ces questions par
cette simple réponse : « Il se trouva qu’elle avait conçu du Saint-Esprit. » Comme s’il disait : c’est l’Esprit
saint qui a fait ce miracle, ni l’archange Gabriel ni saint Matthieu n’ont pu
en dire davantage.
La Glose. (ou S.
Anselme). L’Évangéliste
ajoute : « Par l’opération du Saint-Esprit, » afin que ces
paroles : « Il se trouva qu’elle avait conçu, » ne pussent
laisser aucun soupçon fâcheux dans l’esprit de ceux qui les entendaient. — S. Jér. (Explic. de la foi cath.) Nous ne partageons pas l’opinion impie de
quelques-uns qui prétendent que l’Esprit saint a remplacé ici ce qui, d’après
les lois ordinaires, aurait fécondé le sein de Marie, mais nous disons que tout
s’est fait par la puissance et la vertu du Créateur. — S. Amb. (de l’Esprit saint, liv. 2, chap. 5.) Celui qui tire son origine
d’un principe quelconque, vient ou de sa substance ou de sa puissance : de
sa substance comme le Fils qui est engendré du Père ; de sa puissance,
comme toutes les choses créées viennent de Dieu, et c’est de cette manière que
Marie a conçu du Saint-Esprit. — S. Aug.
(à Laurentius.) La manière
miraculeuse dont le Christ est né de l’Esprit saint, nous rappelle cette grâce
divine en vertu de laquelle la nature humaine dépourvue de tous mérites au
premier moment de son existence a été unie au Verbe d’une union si étroite
qu’elle ne fait plus qu’une même personne qui est le Fils de Dieu. Mais,
puisque l’œuvre de la conception et de l’enfantement de Marie, bien que n’ayant
pour objet que la personne du Fils, est l’œuvre de la Trinité tout entière (les
œuvres de la Trinité sont indivisibles) pourquoi l’Esprit saint est-il nommé
comme en étant le seul auteur ? Faut-il entendre que toute la Trinité est
censée agir alors que l’action n’est attribuée qu’à une seule des trois
personnes ? — S. Jér. (contre Helvidius.) Helvidius objecte que l’Évangéliste voulant parler de personnes qui ne
devraient pas s’unir ne se serait pas exprimé de la sorte : « Avant qu’ils fussent
ensemble, » de même qu’on ne pourrait dire : Avant de dîner dans le
port j’ai fait voile vers l’Afrique, si l’on ne devait pas dîner une fois qu’on
serait arrivé au port. Mais ne peut-on pas dire plutôt que bien que le mot avant indique souvent ce qui doit
suivre, cependant il n’exprime quelquefois que ce qui était d’abord l’objet de
la pensée, sans qu’il soit nécessaire que ce objet se réalise, alors surtout
qu’il se présente quelqu’obstacle qui en empêche l’exécution. — S. Jér. On
ne peut donc pas conclure qu’ils se soient unis plus tard, car l’Écriture
sainte se contente de dire ce qui n’est pas arrivé. — Remi. On peut dire encore que ce mot : « être
ensemble, » exprime non pas
l’union conjugale, mais l’époque de la célébration des noces, c’est-à-dire le
moment ou la fiancée devient épouse, et alors le sens serait :
« Avant qu’ils fussent ensemble ; » c’est-à-dire avant la
célébration solennelle du mariage.
S. Aug. (de l’acc. des Ev. 2, 5.) Ce que saint Mathieu a passé sous
silence, c’est-à-dire la manière dont s’est accompli ce mystère, saint Luc nous
le raconte après le récit de la conception de saint Jean-Baptiste : « Au sixième mois, dit-il, l’ange
fut envoyé, » et plus bas :
« l’Esprit saint surviendra en
vous. » C’est ce que saint Matthieu rappelle en ces termes :
« Il se trouva qu’elle avait conçu du Saint-Esprit. » Il n’y a ici
aucune contradiction entre ces deux Évangélistes, parce que saint Luc raconte
ce que saint Matthieu a passé sous silence, et il n’y en a pas davantage
lorsque saint Matthieu enchaîne dans son récit ce qui a été omis par saint Luc.
On lit en effet plus bas dans saint Mathieu : « Joseph, son mari,
étant juste, » etc. et tout ce qui suit jusqu’à l’endroit où nous voyons
les Mages retourner dans leur pays par un autre chemin. Or si quelqu’un voulait
composer d’après l’ordre chronologique un seul et unique récit de toutes les
circonstances de la naissance du Christ qui sont racontées par l’un et omises
par l’autre, il devrait commencer à ces mots : « Or voici quelle fut
la génération du Christ. Il y eut aux jours d’Hérode, » etc. jusqu’à ces autres : « Marie resta avec elle environ
trois mois ; et elle revint dans sa maison ; » et puis ajouter
ce que nous venons d’exposer : « Il se trouva qu’elle avait conçu du
Saint-Esprit. »
v. 19.
S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth.) L’Évangéliste
après avoir exposé comment Marie devint féconde par l’opération du
Saint-Esprit, et sans aucune relation avec son époux semble craindre qu’on ne
le soupçonne, lui disciple de Jésus-Christ, d’entourer la naissance de son
Maître de grandeurs imaginaires ; il nous présente donc Joseph son époux
mis à une si rude épreuve, et rendant ainsi témoignage à la vérité des
faits ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Or Joseph son mari étant juste. » — S. Aug. (serm. sur la Nativ.) Joseph voyant la
grossesse de Marie, est profondément troublé
de voir dans cet état celle qu’il avait reçue comme épouse au sortir du
temple et avec laquelle il n’avait eu aucune relation. Ces pensées l’agitent
tour à tour et se confondent dans son esprit ? Que ferai-je ? Dois-je
faire connaître son crime ou me taire ? Si je dévoile sa faute, je
proteste contre l’adultère, mais je m’expose au reproche de cruauté, car je
sais que d’après la loi de Moïse elle doit être lapidée. Si je garde le
silence, je me rends complice du mal, et je fais alliance avec les adultères.
Puisque donc c’est un mal de se taire et un plus grand mal encore de pactiser
avec l’adultère, je me séparerai d’elle.
S. Amb. (sur S. Luc, liv. 2, chap. 1.) Saint Matthieu nous a enseigné
admirablement ce que doit faire un homme juste qui a découvert la honte ou le
déshonneur de son épouse, s’il veut à la fois ne pas tremper ses mains dans son
sang, et ne pas se souiller au contact d’une adultère. Aussi a-t-il soin de
nous dire : « Comme il
était juste. » Joseph en effet conserve dans toutes les circonstances la
grâce et le caractère d’un juste, et son témoignage n’en est que plus
certain ; car la langue du juste tient le langage de la justice, etc. — S.
Jér. Mais comment Joseph qui
cache le crime de son épouse nous est-il présenté comme juste ? Car la loi
veut que l’on considère comme coupables non seulement ceux qui ont commis le
crime, mais ceux-là mêmes qui en ont eu connaissance. — S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth.) Le
mot juste, dans la pensée de l’Évangéliste, veut dire qui réunit toutes les
vertus Il y a une justice spéciale, opposée au vice de l’avarice. La justice
est aussi une vertu universelle, et c’est dans ce dernier sens que l’Écriture
emploie le plus souvent le mot de justice. Joseph étant donc juste,
c’est-à-dire plein de douceur et de bonté, voulut la renvoyer en secret, elle
qui d’après la loi devait être non seulement traduite ignominieusement, mais
condamnée au dernier supplice. Mais Joseph, dont la vie était supérieure à la
loi, sauva Marie de ce double danger. De même que le soleil éclaire la terre
avant même que ses rayons paraissent sur l’horizon, ainsi Jésus-Christ avant sa
naissance a fait briller une
multitude d’actes héroïques de vertu. — S. Aug.
(Serm. 6 sur les par. du Seig.) On
peut encore donner cette explication : Si vous êtes seul pour connaître
l’offense qu’un de vos frères a commise contre vous, et que vous cherchiez à
l’accuser publiquement, vous ne le corrigez pas, vous le trahissez. Aussi voyez
le juste Joseph : malgré l’énormité du crime dont il soupçonnait son
épouse, sa bonté lui inspire les ménagements les plus grands. Il était
tourmenté par un soupçon d’adultère qui approchait de la certitude, et
cependant comme lui seul avait cette connaissance, il ne voulut pas dénoncer
son épouse, mais la renvoyer en secret, car il désirait encore lui être utile,
et ne point attirer sur elle le châtiment dû à son péché. — S. Jér. Ou bien peut-être est-ce un
témoignage en faveur de Marie, que Joseph qui ne pouvait douter de sa vertu, et
qui admirait d’ailleurs ce qui était arrivé, voile sous le silence ce qui était
pour lui un mystère. — Remi. Il voyait donc en état de grossesse celle dont il
connaissait la chasteté, et comme il avait lu dans le prophète Isaïe (Is 11) : « Un rejeton sortira
de la tige de Jessé (d’où il savait que Marie tirait son origine) ; et
encore : « Voici qu’une
Vierge concevra, » il ne doutait pas que cette prophétie n’eût reçu en
elle son accomplissement.
Orig. Mais si Joseph
n’avait aucun soupçon sur son épouse, en quoi se montrait-il juste en renvoyant
celle dont la vertu n’avait souffert aucune atteinte ? Il voulait la
renvoyer, parce qu’il s’estimait indigne d’approcher de ce grand mystère qui
s’était opéré en elle. — La Glose.
Ou bien, en la renvoyant il se montrait juste, et en la renvoyant en
secret ; il faisait preuve de bonté, puisqu’il voulait la mettre à l’abri
de l’infamie, c’est ce que signifient ces paroles : « Comme il était juste, il voulut la renvoyer. » Il
pouvait la livrer à la sévérité de la loi, c’est-à-dire la diffamer ; il préféra la renvoyer en secret.
S. Amb. (sur S. Luc.) On ne peut renvoyer celle qu’on n’a pas reçue ;
par cela même qu’il veut la renvoyer, Joseph prouve qu’il l’avait prise chez
lui comme son épouse. — La Glose. Ou
bien comme il ne voulait pas l’introduire dans sa maison pour vivre
indissolublement avec elle, il voulut la renvoyer en secret et retarder
l’époque de son mariage. Car la bonté sans la justice, ou la justice sans la
bonté ne peuvent constituer la vertu véritable, et leur séparation mutuelle les
détruit. Ou bien encore, il était juste par la foi qui lui faisait croire que
le Christ naîtrait d’une vierge, et le portait à s’humilier devant une grâce
aussi extraordinaire.
v. 20.
Remi. Comme nous venons de le voir, Joseph pensait à renvoyer Marie en secret. Or
s’il avait exécuté ce dessein, la plupart auraient vu en Marie une femme perdue
plutôt qu’une vierge. Aussi le ciel se chargea-t-il de changer bien vite le
dessein de Joseph, ce que l’Évangéliste exprime en ces termes : « Comme il était dans cette
pensée. » — La Glose. On reconnaît ici l’âme d’un
sage qui ne veut rien entreprendre avec précipitation.
S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth.) La
douceur de Joseph n’est pas moins admirable ; il ne confie à personne le
soupçon qui l’agite, pas même à celle qui en était l’objet, il garde tout en
lui-même. — S. Aug. (serm. 14 sur la Nativ.) Pendant que Joseph est dans cette pensée, que Marie
la fille de David soit sans crainte, car de même que la voix du Prophète
apporta le pardon à David, l’ange du Sauveur vient délivrer Marie. L’ange
Gabriel le paranymphe de la Vierge, apparaît de nouveau comme le dit
l’Évangéliste : « Voici que
l’ange dur Seigneur apparut à Joseph. »
— La Glose. Ce mot il apparut exprime la puissance de celui
qui apparaît, et qui se rend visible quand il veut et de la manière qu’il veut.
— Rab. Ces mots : « En
songe » expriment comment l’ange
apparut à Joseph, c’est-à-dire de la même manière que Jacob vit des yeux de
l’esprit comme une image de l’échelle mystérieuse. — S. Chrys. (hom. 4
sur S. Matth.) Il n’apparaît pas ouvertement à Joseph comme aux bergers
à cause de sa grande foi. Les bergers avaient besoin d’une apparition manifeste
à cause de leur grossière ignorance ; Marie, à cause des grandes choses
dont l’ange devait l’instruire la première. Une apparition de ce genre ne fut
pas moins nécessaire à Zacharie avant la conception de son fils.
La Glose. L’ange en
apparaissant à Joseph le nomme par son nom, lui rappelle le souvenir de sa
famille, et bannit la crainte de son cœur par ces mots : « Joseph, fils de David. » En
l’appelant par son nom, il le traite commue une personne qui lui est connue, et
comme un ami. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En l’appelant : « Fils de David, » il voulut lui remettre en mémoire la
promesse faite à David que le Christ naîtrait de sa race. — S. Chrys. (hom. 4.) En lui disant : « Ne craignez pas, » il
nous fait voir qu’il craignait d’offenser Dieu en gardant chez lui celle qu’il
regardait comme adultère ; autrement il n’aurait pas pensé à la renvoyer.
— Sévérianus. Ce chaste époux
reçoit l’ordre de bannir la crainte de son cœur, car une âme bienveillante
trouve dans la compassion qu’elle éprouve un nouveau motif de crainte. L’ange
semble lui dire : Il n’y a point ici cause de mort, mais bien plutôt cause
de vie, car celle que la vie a rendue mère ne mérite point d’être mise à mort.
— S. Chrys. (sur S. Matth.) Ces paroles : « Ne craignez pas, on
apprennent encore à Joseph que l’ange connaissait les secrets de son cœur et le
préparent à croire tout ce qu’il allait dire des biens futurs dont le Christ
devait être l’auteur. — S. Amb. (sur S. Luc, liv. 2, chap. 1.) Ne soyez
pas étonné qu’il donne à Marie le nom d’épouse ; il ne veut pas exprimer
par là la perte de sa virginité, mais attester la vérité de leur union et la
célébration de leur mariage. — S. Jér. (contre Helvid.) De ce que l’ange lui
donne le nom d’épouse, il ne faut pas conclure qu’elle ne fut plus fiancée, car
c’est la coutume de l’Écriture de donner le nom d’époux ou d’épouses à ceux qui
ne sont que fiancés comme on peut le prouver par ce passage du Deutéronome (Dt 22) : « Celui qui, trouvant
dans un champ la fiancée d’un autre lui fera violence et dormira avec elle,
sera puni de mort, parce qu’il a déshonoré l’épouse de son prochain. » — S. Chrys.
(hom. 4 sur S. Matth.) L’ange
lui dit : « Ne craignez pas
de la recevoir, c’est-à-dire de la garder dans votre maison, car elle était
déjà renvoyée dans son esprit. — Rab.
Ou bien une craignez pas de la recevoir, c’est-à-dire de l’admettre comme
épouse a la participation de la communauté conjugale et du foyer domestique.
S. Chrys. (sur S. Matth.) L’ange apparut à Joseph et lui tint ce langage pour
trois raisons : la première, afin que cet homme juste ne fit point par
ignorance une action mauvaise dans une bonne intention ; la seconde, pour
l’honneur de la mère du Sauveur, car si elle avait été renvoyée, elle n’aurait
pas manqué d’être en butte aux soupçons les plus injurieux de la part des
infidèles ; la troisième raison, afin que Joseph comprenant combien était
sainte cette conception, eût encore plus de respect qu’auparavant pour sa
chaste épouse. L’ange cependant ne vint trouver Joseph qu’après que la Vierge
eut conçu, pour ne point l’exposer aux pensées et au châtiment de Zacharie, qui
se rendit coupable d’infidélité en refusant de croire à la maternité de son
épouse si avancée en âge, car il était plus incroyable encore qu’une vierge pût
concevoir, qu’une femme parvenue à l’extrême vieillesse. — S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth.) Ou bien encore, l’ange apparaît à Joseph lorsque le trouble s’est déjà
emparé de son esprit, pour faire éclater davantage la sagesse de cet homme
juste, et aussi pour que cette apparition devînt pour lui la preuve de ce qu’il
lui annonçait. En effet, lorsqu’il entendait l’ange lui parler de ce qui
faisait l’objet de ses pensées les plus intimes, n’avait-il pas une preuve
indubitable qu’il était l’envoyé de Dieu, à qui seul il appartient de connaître
les secrets des cœurs. La véracité de l’Évangéliste en devient elle-même
incontestable, car il nous présente Joseph éprouvant tout ce que tout homme aurait
éprouvé à sa place. La Vierge elle-même échappe à tout soupçon déshonorant,
puisque nous voyons son époux, malgré ce juste sentiment de jalousie, la
recevoir et la garder après qu’elle est devenue mère ; si elle ne fait pas
connaître à Joseph ce que l’ange lui avait annoncé, c’est qu’elle présumait
qu’elle n’en serait pas crue surtout après les soupçons qu’il nourrissait
contre elle. L’ange au contraire vint trouver Marie avant la conception, pour
ne point l’exposer aux inquiétudes qu’elle aurait éprouvées si elle n’avait été
instruite de ce mystère qu’après son accomplissement, car il fallait que cette
mère privilégiée qui avait reçu dans son sein le Créateur de toutes choses, fût
inaccessible au trouble et à l’agitation.
S. Chrys. (hom. 4.) L’ange ne se contente pas de justifier la Vierge
de tout commerce criminel, mais il apprend à Joseph que cette conception est
toute surnaturelle, et après avoir dissipé ses craintes, il lui inspire la joie
par ces paroles : « Ce qui
est né en elle, » etc. La Glose.
Naître en elle et naître d’elle sont deux choses différentes : naître
d’elle, c’est être mis au jour par elle ; naître en elle, c’est être conçu
dans son sein. On peut dire aussi que par suite de la prescience que Dieu, pour
qui l’avenir est comme le passé communiquait à l’ange, la naissance était comme
accomplie. — S. Aug. (quest. du Nouv. et de l’Anc. Test.) Mais
si le Christ est né de l’Esprit saint, pourquoi est-il écrit : « La sagesse s’est bâtie une
demeure ? » (Pv. 9.) On peut
faire à cette question une double réponse : premièrement la maison du
Christ est son Église, qu’il s’est bâtie par son sang ; en second lieu son
corps peut être regardé comme sa maison de même qu’il est appelé son temple. Or
l’œuvre de l’Esprit saint est celle du Fils de Dieu, par suite de l’unité de
volonté dans la nature divine ; que le Père agisse, que ce soit le Fils ou
l’Esprit saint, c’est toujours la Trinité qui agit, et quelle que soit l’œuvre
faite par l’une des trois personnes, c’est toujours l’œuvre d’un seul Dieu.
S. Aug. (Ench., chap. 39.) Mais pourrons-nous dire cependant que l’Esprit
saint est le Père du Christ en tant qu’homme, dans ce sens que l’Esprit saint
aurait engendré l’homme comme Dieu le Père a engendré le Verbe ? C’est une
telle absurdité, qu’il n’y a pas d’oreilles chrétiennes qui puissent la
supporter. Dans quel sens disons-nous donc que le Christ est né de l’Esprit
saint, si l’Esprit saint ne l’a point engendré ? Est-ce parce qu’il l’a
fait ? Car en tant qu’homme il a été fait, d’après cette parole de
l’Apôtre : « Qui a été fait de la race de David, selon la chair. Mais
de ce que Dieu a fait le monde, peut-on dire que le monde est fils de Dieu ou
qu’il est né de Dieu ? Non sans doute, tout ce qu’on peut dire, c’est
qu’il a été fait, créé ou formé par lui. Lors donc que nous confessons que le
Christ est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, pourquoi ne peut-on pas
dire qu’il est le Fils de l’Esprit saint, comme il est le Fils de Marie ?
C’est qu’il est impossible d’admettre que tout ce qui tire sa naissance d’une
chose doive par là même en être appelé le fils. Car sans m’arrêter à dire qu’un
fils naît autrement d’un homme, que ne naissent de lui les cheveux, les poux et
les vers (dont aucun sans doute
ne pourra être appelé son fils), certainement les hommes qui naissent de l’eau
et de l’Esprit saint ne peuvent être appelés les enfants de l’eau, mais les
enfants de Dieu leur père, et de l’Église leur mère. C’est ainsi que le Christ
est né de l’Esprit saint, et qu’il est appelé non pas le Fils de l’Esprit
saint, mais le Fils de Dieu.
v. 21.
S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth.) Ce que l’ange avait annoncé à Joseph était
au-dessus de toute pensée humaine et des lois de la mature ; il en
confirme donc la vérité, en ajoutant à la révélation du mystère accompli, la
prédiction des grandeurs futures : « Elle enfantera un fils. or
Joseph pouvait penser que, puisqu’il avait été étranger à cette conception, il
devait l’être désormais aux devoirs de la vie conjugale ; l’ange de
dissuade en lui apprenant que s’il n’a pas été nécessaire à la conception, Il
le devient pour les soins de la paternité. Car elle enfantera un fils, et alors
il sera indispensable à la mère et au fils : à la mère pour défendre son
honneur ; au fils, pour être son père nourricier et le faire circoncire.
C’est à cette cérémonie de la circoncision que l’ange fait allusion en
disant : « Vous l’appellerez Jésus ; » car c’est au moment
de la circoncision que le nom est donné aux enfants. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il ne lui dit pas : « Elle vous enfantera un fils, » comme il avait dit à
Zacharie : « Voici qu’Elisabeth votre femme vous enfantera un
fils. » La femme, en effet, qui conçoit de son mari lui enfante un fils,
car l’enfant vient plus de l’homme que de la femme ; mais celle qui
conçoit en dehors de l’homme, n’engendre pas l’enfant à son mari, mais à
elle-même. S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien l’ange s’exprime
d’une manière générale pour montrer que cet enfant naissait pour le monde
entier. — Rab. Il lui dit :
« Vous l’appellerez du nom, » et non pas : « Vous lui
imposerez le nom, » car ce nom lui a été donné de toute éternité.
S. Chrys. (sur S. Matth.) L’ange
dévoile tout ce qu’il y avait d’admirable dans cette naissance, puisque c’est
Dieu lui-même qui envoie le nom du ciel par le ministère d’un ange, et ce n’est
pas un nom quelconque, mais un nom qui est un trésor de biens infinis. Ce nom,
Il l’interprète en faisant naître les meilleures espérances et en rendant ainsi
plus facile la foi aux choses qu’il annonce, car nous avons une propension
naturelle à croire aux espérances qu’on nous donne.
S. Jér. En hébreu le mot Jésus veut dire
Sauveur, et c’est l’étymologie de ce nom que l’ange explique en disant :
« Il sauvera son peuple de ses péchés. » — Remi. C’est ainsi qu’il est à la fois le Sauveur de tout
l’univers et l’auteur de notre salut. Il sauve non pas les incrédules, mais son
peuple, c’est-à-dire ceux qui croient en lui, et il les délivre non pas tant
des ennemis visibles que des ennemis invisibles. Il les sauve du péché sans
recourir à la force des armes, mais en brisant les liens du péché qui nous
retiennent captifs.
Severianus. Qu’ils
viennent et qu’ils prêtent l’oreille ceux qui demandent quel est celui que
Marie a enfanté. C’est celui qui sauvera son peuple, et non le peuple d’un
autre. Et de quoi le sauve-t-il ? De ses péchés. Or, qu’il y ait un Dieu
qui remette les péchés, si vous ne voulez pas en croire les chrétiens,
croyez-en les infidèles ou les Juifs qui disaient : « Personne ne
peut remettre les péchés, si ce n’est Dieu. »
v. 22.
Remi. L’Évangéliste a
coutume d’appuyer ce qu’il avance sur des témoignages de l’Ancien Testament, et
il agit ainsi en faveur des Juifs qui avaient cru en Jésus-Christ et qui
pouvaient ainsi reconnaître que tout ce qui avait été prédit sous l’ancienne
loi était accompli sous la loi de grâce et de l’Évangile. Mais pourquoi cette
manière de s’exprimer : « Tout cela s’est fait, etc., puisqu’il n’a
été question que de la conception toute seule ? On peut répondre que
l’Évangéliste s’est exprimé de la sorte pour nous apprendre que ces événements
existaient dans la prescience de Dieu avant qu’ils fussent accomplis aux yeux
des hommes ; ou bien, comme l’Évangéliste racontait l’histoire des
événements passés, il a pu dire : « Tout cela s’est fait, » parce que ces événements étaient
accomplis alors qu’il écrivait son évangile. — Rab. Ou bien cette expression : « Tout cela a été
fait, » veut dire que la Vierge fut fiancée, qu’elle demeura vierge,
qu’elle fut trouvée grosse, que ce mystère fut révélé par un ange, afin que ce
qui avait été prédit fût accompli. En effet, la prophétie qui prédisait qu’une
vierge concevrait et enfanterait n’eût pas été accomplie si elle n’avait été
fiancée pour échapper au supplice de la lapidation si l’ange n’avait pas révélé
ce secret afin que Joseph pût la recevoir sans crainte et la préserver ainsi du
déshonneur d’être renvoyée et du châtiment qui l’attendait. Or, si elle avait
été mise à mort avant l’enfantement, que serait devenue cette prophétie :
« Elle enfantera un fils ? »
— La glose. Ou bien on peut
dire qu’ici la particule afin que n’est
pas causative, en ce sens que toutes ces choses auraient été accomplies parce
qu’elles avaient été prédites, mais qu’elle exprime la conséquence, comme dans
ce passage de la Genèse (Gn 40) : « Il fit attacher le grand
pannetier à un gibet, de sorte que l’interprétation du devin fût reconnue
vraie, c’est-à-dire que le supplice de cet homme suspendu à un gibet fit ressortir
la vérité de l’interprétation. C’est dans ce même seins que nous devons
entendre ce passage, c’est-à-dire que la prophétie a été accomplie par le fait
qui avait été prédit. — S. Chrys.
(hom. 5 sur S. Matth.) Ou bien encore l’ange, considérant l’abîme le la divine miséricorde, le
renversement des lois de la nature, celui qui était élevé au dessus de tous les
êtres créés descendu jusqu’à l’homme, la dernière des créatures intelligentes,
exprime toutes ces choses par ces seuls mots : « Tout cela a été
accompli, » comme s’il disait : Ne pensez pas que toutes ces choses
soient récentes dans le bon vouloir de Dieu, il y a longtemps qu’il les avait
décrétées, et l’ange rappelle plus à propos cette prophétie à Joseph qu’à
Marie, car il était versé dans la connaissance et la méditation des prophètes.
Il avait d’abord appelé la Vierge son épouse, maintenant il lui donne le nom de
Vierge avec le prophète, afin qu’ils apprissent de la bouche du prophète
lui-même que ce mystère était depuis longtemps dans les desseins de Dieu. Aussi
ce n’est pas Isaïe, mais Dieu lui-même qu’il appelle en témoignage de la vérité
de ce qu’il annonce, car il ne dit pas : « Pour accomplir ce qui a
été dit par Isaïe, » mais ce que le Seigneur a dit par Isaïe.
S. Jér. (Sur Isaïe, chap. 7.) Le prophète fait précéder sa prédiction de
cet exorde : « Dieu lui-même vous donnera un signe ; » il
s’agit donc de quelque chose de nouveau et de merveilleux. Mais s’il n’est
question que d’une jeune fille ou d’une jeune femme qui doit enfanter, et non
d’une vierge, où est le miracle ? puisque ce nom n’indique plus que l’âge
et non la virginité. Il est vrai qu’en hébreu c’est le mot Bethula qui signifie vierge, mot qui ne se trouve pas dans cette
prophétie ; il est remplacé par le mot halma,
que tous les interprètes, à l’exception des Septante, ont traduit par jeune fille. — Or, le mot halma en hébreu a un double sens, car il
signifie jeune fille, et qui est cachée. Ainsi il désigne non
seulement une jeune fille ou une vierge, mais une vierge cachée qui n’a jamais
paru aux regards des hommes, et sur laquelle ses parents veillent avec le plues
grand soin. La langue phénicienne, qui tire son origine de l’hébreu, donne
aussi au mot halma le sens de
vierge ; dans la nôtre, halma signifie
sainte. Les Hébreux se servent de mots que l’on retrouve dans presque toutes
les langues, et autant que je puis consulter mes souvenirs, je ne me rappelle
pas que le mot halma ait été employé
une seule fois pour exprimer une femme mariée ; il sert toujours à
désigner une vierge, et non pas une vierge quelconque, mais une vierge encore
jeune, car il en est d’un âge avancé. Or, celle-ci était encore dans l’âge de
l’adolescence, ou bien elle était vierge, tout en ayant dépassé cet âge où l’on
n’est pas en état d’être marié.
S. Jér. (Sur S. Matth.) Le prophète dit : « Elle recevra dans son
sein, » tandis que l’Évangéliste saint Matthieu porte : « Elle
aura dans son sein ; » mais
l’Évangéliste, qui racontait l’histoire de ce qui était passé et non de ce qui
devait arriver, a substitué au mot elle
recevra le verbe elle aura, car
celui qui a n’a plus besoin de recevoir.
« Voici
qu’une vierge aura dans son sein et enfantera un fils. » — S. Léon. (Let. à Flav.) Il a été conçu du Saint-Esprit dans le sein de la
vierge, sa mère, qui l’enfanta comme elle l’avait conçu sans que sa virginité
en eût souffert la plus légère atteinte. — S. Aug.
(Serm. sur la Nativ.) Celui
qui a pu en les touchant rétablir dans leur premier état les membres brisés et
séparés les uns des autres, combien plus aura-t-il dû respecter en naissant la
pureté qu’il a trouvée dans sa mère ? Aussi cette naissance a-t-elle
augmenté sa pureté au lieu de la diminuer, et sa virginité, loin d’en être
affaiblie, en reçut un nouvel éclat.
Theod. (Serm. au conc. d’Eph.) Photin ne voit
qu’un homme dans celui qui vient au monde, il prétend que ce n’est pas ici la
naissance d’un Dieu, il sépare l’homme de Dieu dans celui qui sort du sein de
sa mère ; qu’il nous dise donc comment la nature humaine, qui est née du
sein d’une vierge, n’a pas brisé le sceau de la virginité. Jamais la mère
d’aucun homme n’est restée vierge après son enfantement ; mais ici c’est
le Verbe Dieu qui a daigné naître dans une chair mortelle, et il a montré qu’il
était le Verbe tout-puissant en sauvegardant la virginité de sa mère. Notre
verbe, à nous, notre parole ne corrompt point notre âme qui l’enfante ;
ainsi le Verbe Dieu par cette naissance n’a point porté atteinte à la virginité
de celle qu’il avait choisie pour mère.
« Et on
l’appellera Emmanuel. » — S. Chrys.
(Hom. 5 sur S. Matth.) C’est la coutume de l’Écriture de
présenter les événements sous l’emblème des noms. Ces paroles : « Ils
l’appelleront du nom d’Emmanuel » signifient
donc : « Ils verront Dieu avec les hommes. » C’est pour cela que
l’ange ne dit pas : Vous l’appellerez, mais ils l’appelleront. — Rab. Ce sont d’abord les Anges dans
leurs chants, ensuite les Apôtres dans leurs prédications, puis les saints
martyrs, enfin tous ceux qui croient en lui. — S. Jér. (sur Isaïe, chap.
7.) Les Septante et trois autres interprètes
ont traduit : « Vous l’appellerez, » pour « ils l’appelleront, » qui n’est pas dans l’hébreu, car le mot vekarat, qu’ils ont tous traduit par vous l’appellerez, peut
signifier aussi : elle l’appellera, c’est-à-dire que la vierge qui
concevra et enfantera le Christ l’appellera elle-même Emmanuel ou Dieu avec nous.
Remi. A cette
question : Qui a donné d’interprétation de ce nom ? est-ce le
prophète, est-ce l’Évangéliste ou un traducteur quelconque ? je répondrai
d’abord que ce n’est pas le prophète ; ce n’est pas non plus
l’Évangéliste, car à quoi bon cette explication, puisqu’il écrivait en hébreu.
Peut-être pourrait-on dire que ce nom avait dans l’hébreu une signification
obscure, et qu’il avait besoin d’explication. Mais il est plus vraisemblable
que cette interprétation a été donnée par quelque traducteur qui aura voulu
ainsi faire disparaître ce que ce nom pouvait avoir d’obscur pour les Latins.
Or, ce nom exprime parfaitement les deux natures, la nature divine et la nature
humaine unies dans la même personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui
engendré avant tous les siècles d’une manière ineffable par Dieu son père, est
devenu à la fin des temps, en naissant d’une vierge, Emmanuel ou Dieu avec nous. Ce nom : Dieu avec nous peut s’entendre en ce sens qu’il est devenu comme un
des nôtres, c’est-à-dire passible, mortel, et semblable à nous en toutes choses
à l’exception du péché, ou bien encore qu’il a uni à sa nature divine, en unité
de personne, notre pauvre nature humaine. — S. Jér. (sur Isaïe, chap.
7.) Rappelons ici que les Juifs prétendent que cette prophétie a pour objet
Ezéchias, fils d’Achaz, sous le règne duquel fut prise la ville de Samarie, ce
font ils ne peuvent donner aucune preuve. En effet, Achaz, fils de Ioathan,
régna sur Jérusalem et sur Juda seize ans ; son fils Ezéchias lui succéda
à l’âge de vingt-trois ans et régna sur Juda et sur Jérusalem vingt-neuf ans.
Comment donc peut-on dire que la prophétie qui fut faite la première année du
règne d’Achaz eut pour objet la conception et la naissance d’Ezéchias, qui
avait neuf ans lorsque son père monta sur le trône ? Dira-t-on que la
sixième année du règne d’Ezéchias, époque où fut prise la ville de Samarie
signifie le temps de l’enfance, sinon de son âge, du moins de son règne ?
c’est là une supposition violente et forcée, même pour les moins intelligents.
Un des nôtres, qui aime à judaïser, prétend que le prophète Isaïe a eu deux
fils, Joseph et Emmanuel, et qu’Emmanuel était né de la prophétesse son épouse,
comme figure du Seigneur-Sauveur, mais cela n’est qu’une fable. — Pierre Alphonse. Je ne sache pas
qu’aucun homme de ce temps ait porté le nom d’Emmanuel. Les juifs me diront
peut-être : Comment admettre que cette prophétie ait eu pour objet le Christ
et sa mère, alors que d’Achaz à Marie il s’est écoulé plusieurs centaines
d’années ? Pierre Alphonse répond : Quoique le prophète s’adresse à
Achaz, la prophétie n’a pas seulement pour objet ce prince ou les choses de son
temps, car Isaïe ne lui dit pas : « Écoutez Achaz, » mais
« Écoutez maison d’Israël. » Voyez encore la suite : « Le
Seigneur vous donnera lui-même un signe. » Il ajoute ce mot
« lui-même » comme pour
dire : ce ne sera pas un autre, d’où il faut conclure que c’est le
Seigneur lui-même qui sera ce signe futur. Remarquez enfin qu’en s’exprimant au
pluriel, « il vous donnera, » et non « il te donnera, » le prophète fait entendre que cette
prophétie n’est pas pour Achaz ou du moins qu’elle n’est pas pour lui seul. —
S. Jér. (sur Isaïe, chap. 7.) Voici donc le sens de cette prophétie :
cet enfant, qui naîtra d’une vierge, maison de David, doit être appelé dès
maintenant Emmanuel, parce que, délivrés bientôt des deux rois ennemis qui vous
attaquent, vous éprouverez vous-même que Dieu est présent au milieu de vous.
Plus tard il sera appelé Jésus ou Sauveur, parce qu’il sauvera le genre humain
tout entier. Ne soyez donc pas surprise, ô maison de David, de cette nouveauté
si étrange d’une vierge enfantant un Dieu, revêtu d’une si grande puissance,
que tant d’années avant sa naissance, il peut vous délivrer si vous avez
recours à lui. — S. Aug. (contre Faust.) Qui serait donc assez
insensé pour oser dire avec les Manichéens que c’est le caractère d’une foi
faible de ne croire en Jésus-Christ que sur témoignages, alors que l’Apôtre
lui-même a dit : « Comment croiront-ils en celui dont ils n’ont point
entendu parler, et comment en entendront-ils parler si on ne leur
prêche ? » Or afin que la
prédication des Apôtres ne fût pas exposée au mépris comme un tissu de fables
sans réalité, les prophètes lui donnent l’appui de leurs prédictions. En effet,
supposez que la prédication des apôtres ne fût autorisée que par des miracles,
on n’aurait pas manqué de les attribuer à des opérations magiques, si cette interprétation
n’était renversée par le témoignage immuable des prophètes. Personne sans doute
n’osera dire qu’il soit au pouvoir d’un homme, longtemps avant sa naissance, de
se donner au moyen d’opérations magiques des prophètes qui l’annoncent. De même
encore supposons que nous disions à un païen : Croyez en Jésus-Christ
parce qu’il est Dieu, et qu’il nous répondît : Pourquoi donc
croirai-je ? et qu’alors nous établissions clairement l’autorité des
prophètes, s’il persistait encore dans son incrédulité, nous lui démontrerions
alors que les prophètes sont dignes de foi par le seul fait qu’ils ont prédit
longtemps d’avance des événements dont l’accomplissement s’opère sous nos yeux,
car il ne pourrait ignorer, je pense, quelles persécutions la religion chrétienne
a eu à souffrir de la part des rois de la terre. Or, qu’il considère maintenant
tous ces rois soumis à l’empire du Christ, toutes les nations qui le
reconnaissent pour maître, autant d’événements qui ont été tous prédits par les
prophètes. En prenant connaissance de ces prophéties et en les voyant
accomplies sur toute la face de la terre, il serait certainement déterminé à
embrasser la foi. — La Glose. L’Évangéliste
combat l’erreur des Manichéens en ajoutant : « Afin que fût accompli
ce que le Seigneur avait prédit par le prophète. » Or il y a une prophétie
qui a pour cause la prédestination de Dieu, qui doit de toutes manières
arriver, dont l’accomplissement est indépendant de notre volonté, comme celle
dont il est ici question, et que le prophète commence en disant :
« Voici » pour en démontrer la certitude. Il y a une autre sorte de
prophétie qui vient également de la prescience de Dieu, mais à laquelle se
trouve mêlé notre libre arbitre. D’après cette prophétie, nous obtenons la
récompense avec la coopération de la grâce, ou nous sommes soumis au châtiment
lorsqu’elle nous abandonne avec justice. Enfin il y a une troisième sorte de
prophétie, qui ne vient pas de la prescience de Dieu, mais qui est l’expression
d’une menace comme en font les hommes, et telle que celle-ci :
« Encore quarante jours et Ninive sera détruite. » Il faut
sous-entendre : A moins que Ninive ne se convertisse.
v. 24.
Remi. La vie nous est
revenue par la porte qui avait donné passage à la mort : la désobéissance
d’Adam nous avait tous perdus, l’obéissance de Joseph commence à nous ramener à
notre premier état. En effet, quelle magnifique leçon d’obéissance dans cette
conduite de Joseph : « Joseph donc s’étant levé, » etc. — La Glose. Il ne fit pas seulement ce
que l’ange lui avait ordonné, il le fit de la manière qu’il lui avait ordonnée.
Que celui donc qui reçoit un
avertissement du Ciel se lève de son sommeil sans aucun retard et qu’il exécute
ce qui lui est commandé.
« Et il
reçut son épouse, » etc. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Ce n’est pas dans sa
maison qu’il la reçut, car il ne l’en avait pas encore renvoyée, mais il la
reçut dans son cœur dont il l’avait momentanément bannie. — Remi. Ou bien il la reçut après la
célébration des noces, afin qu’elle portât le nom d’épouse, mais non pour avoir
comme époux aucune relation avec elle, car voyez la suite : « Et il
ne la connut pas, » etc. — S. Jér. (contre Helv.) Helvidius fait de vains
efforts pour prouver que le verbe connaître
exprime les relations conjugales plutôt qu’une connaissance ordinaire, mais
personne ne soutient le contraire, et il n’y a pas un auteur tant soit peu
habile qui s’arrête aux inepties qu’il combat. Il veut encore nous apprendre
que l’adverbe jusqu’à ce que signifie
un temps déterminé, après lequel ce qui n’existait pas auparavant commencerait
à avoir lieu, de manière que ces paroles : « Il ne la connut pas
jusqu’à ce qu’elle eût enfanté son fils » signifieraient clairement qu’il eut avec son épouse, après
l’enfantement, des rapports qu’il n’avait différés que jusqu’à la naissance de
son fils. Pour le prouver il accumule le plus qu’il peut de textes de
l’Écriture. Quant à nous, voici notre réponse : Ces paroles :
« il ne la connut pas jusqu’à ce que, » etc. peuvent s’entendre de
deux manières dans l’Écriture. D’abord il est certain que le verbe connaître qui, comme Helvidius l’avoue,
doit s’entendre de l’union conjugale, a quelquefois le sens de connaissance
proprement dite, comme dans ce passage : « L’enfant Jésus resta à
Jérusalem et ses parents ne le connurent pas ou l’ignorèrent. » De même
l’adverbe jusqu’à ce que exprime
souvent, comme il le reconnaît également, un temps déterminé, mais souvent
aussi un temps sans limite, comme dans ce passage d’Isaïe : « Je suis jusqu’à ce que vous parveniez à la
vieillesse. » Dira-t-on que Dieu ne sera plus lorsqu’ils auront
vieilli ? — Le Sauveur dit aussi dans l’Évangile : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la
consommation des siècles. » Est-ce qu’il cessera d’être avec ses
disciples après la fin du monde ? L’apôtre ne dit-il pas aussi :
« Il faut qu’il règne jusqu’à ce
qu’il mette ses ennemis sous ses pieds ? » Veut-il dire qu’après
que Jésus aura réduit le monde sous son empire, il cessera de régner ?
Qu’Helvidius comprenne donc que l’écrivain sacré n’a exprimé que ce qui aurait
pu être un sujet de doute s’il ne l’avait écrit, et que le reste est abandonné
à notre intelligence. D’après cette règle, l’Évangéliste ne nous indique que ce
qui aurait pu donner matière à scandale, c’est-à-dire que son mari ne l’avait
pas connue jusqu’à ce qu’elle eût enfanté, nous laissant à conclure qu’à plus
forte raison il ne l’avait pas connue après la naissance du Sauveur. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si l’on dit de quelqu’un : Tant qu’il a vécu
il n’a point tenu ce langage, cela veut-il signifier qu’il l’ait tenu après sa
mort ? cela n’est pas possible. Ainsi on aurait pu croire que Joseph avait
eu des rapports avec la Vierge avant l’enfantement parce qu’il ne connaissait
pas la dignité du mystère qui s’était accompli dans son sein ; mais après
qu’il eut appris qu’elle était devenue le sanctuaire du Fils unique de Dieu,
comment supposer qu’il ait eu la témérité de profaner un temple aussi
auguste ? Les disciples d’Eunomius s’imaginent que parce qu’ils osent le
dire, Joseph aurait osé le faire, comme un insensé croit que tout le monde a
perdu la raison. — S. Jér. (contre Helv.) En résumé, je
demanderai : Pourquoi Joseph s’est-il abstenu de tout rapport avec son
épouse jusqu’à l’enfantement ? C’est parce qu’il avait entendu l’ange lui
dire : « Ce qui est né en elle vient de l’Esprit saint, » etc. Celui donc qu’un songe mystérieux
avait déterminé à ne pas s’approcher de son épouse, comment, après avoir
entendu les bergers, vu les Mages, été témoin de tant de merveilles, aurait-il
osé s’approcher du temple de Dieu, du siège de l’Esprit saint, de la Mère de
son Seigneur ?
S. Chrys. (sur S. Matth.) On peut aussi donner ici au verbe connaître le sens ordinaire de simple
connaissance, car en réalité Joseph n’avait pas connu jusque là la dignité de
Marie. Ce n’est qu’après son divin enfantement qu’il la connut
parfaitement ; c’est alors qu’elle lui devint plus précieuse et plus chère
que le monde entier, parce qu’elle avait porté dans l’étroit espace de son sein
virginal celui que le monde entier ne peut contenir. — S. Hil. Ou bien encore on peut dire que
Joseph ne put connaître la très-sainte vierge Marie avant son enfantement à
cause de la gloire dont elle était revêtue ; car comment aurait-il pu
connaître celle qui portait dans son sein le Dieu de gloire ? La face de
Moïse, qui s’était entretenu avec Dieu, fut si resplendissante de gloire que
les Israélites ne pouvaient en soutenir la vue ; à plus forte raison
Joseph ne pouvait-il regarder et connaître Marie qui portait dans son sein le
Seigneur tout-puissant. Après son enfantement, Joseph la connut par la beauté
resplendissante de son visage, et non pas en usant de ses droits d’époux.
S. Jér. (sur S. Matth.) De ce que l’Évangéliste dit : « Son fils premier-né, » quelques esprits pervers en concluent
qu’elle a eu d’autres enfants, et ils prétendent qu’on ne donne le nom de
premier-né qu’à celui qui a des frères, assertion complètement fausse, car
l’Écriture appelle premier-né non pas l’aîné d’autres frères, mais celui qui
est né le premier. — S. Jér. (contre Helvid.) S’il n’y a de
premier-né que lorsqu’il y a d’autres enfants, il faut en conclure que les
prémices ou les premiers-nés n’étaient pas dus aux prêtres tant que ces
premiers-nés n’avaient pas d’autres frères. —
La Glose. Ou bien il est appelé le premier-né entre tous les élus de la
grâce, tandis qu’il est proprement le Fils unique de Dieu le Père et de Marie.
« Et il
l’appela du nom de Jésus. » Ce fut le huitième jour où l’enfant était
circoncis et recevait le nom qui lui était destiné. — Remi. Ce nom a été parfaitement connu des saints patriarches
et des prophètes de Dieu, mais il l’a été surtout de celui qui a dit :
« Mon âme a défailli dans l’attente de votre salut (Ps. 118), et encore : « Mon
cœur tressaillera dans votre salut (Ps. 12),
et de celui encore qui disait : « Je
tressaillerai dans Jésus qui est mon Dieu. on (Habac. 3.)
S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Après
ce miraculeux enfantement, où le sein d’une Vierge plein de la divinité mit au
monde, sans perdre le sceau de son inviolable pureté, un homme-Dieu dans le
réduit obscur d’une caverne, et sur le lit étroit d’une crèche, où l’infinie
majesté reposait ses membres raccourcis ; pendant qu’un Dieu était
suspendu au sein d’une mère mortelle et enveloppé de misérables langes, on vit
tout à coup un astre nouveau briller du haut du ciel, dissiper l’obscurité qui
couvrait l’univers et changer la nuit en un jour éclatant, afin que le jour ne
demeurât pas enseveli dans les ombres de la nuit. « Or Jésus étant
né, » etc., dit l’Évangéliste. — Remi.
Dans ces premiers mots du récit évangélique, nous voyons trois
choses : la personne : « Or Jésus étant né ; » le lieu : « A Bethléem de
Juda ; » le temps : « Aux jours du roi Hérode ; trois
circonstances qui confirment la vérité du fait que l’écrivain sacré va
raconter.
S. Jér. (sur S. Matth.) Je pense que l’Évangéliste avait d’abord écrit
comme nous le lisons dans l’hébreu, de
Juda, au lieu de Judée ; car
quelle autre ville du nom de Bethléem existe chez les autres peuples, pour
qu’il ait cru devoir ajouter comme signe distinctif « de la
Judée ? » On conçoit très bien au contraire qu’il dise :
« de Juda, » parce qu’il y avait dans la Judée une autre Bethléem
dont il est question au livre de Josué, fils de Navé (Js 19, 15). La
Glose. Il y a en effet deux villes du nom de Bethléem, l’une dans la
tribu de Zabulon, l’autre dans la tribu de Juda, et qui était autrefois appelée
Ephrata.
S. Aug. (de l’Acc. des Evang. liv. II, chap. 5.) Saint Matthieu et saint Luc sont d’accord pour ce qui concerne
la ville de Bethléem, mais saint Luc seul donne la raison et raconte les
circonstances du voyage de Joseph et de Marie dans cette ville, tandis que
saint Matthieu n’en dit mot. C’est le contraire pour les Mages qui vinrent
d’Orient ; saint Luc n’en dit rien, saint Matthieu seul en parle. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Examinons pour quel motif l’Évangéliste précise le
temps de la naissance du Sauveur en ces termes : « Aux jours du roi
Hérode. » Il veut ainsi prouver l’accomplissement de la prophétie de Daniel
qui annonçait que le Christ naîtrait après soixante-dix semaines d’années, car
depuis cette prophétie jusqu’aux jours d’Hérode, les soixante-dix semaines
d’années s’étaient écoulées. Disons encore : Tant que le peuple juif fut
gouverné par des rois de sa race quoique souvent bien coupables, Dieu envoyait
des prophètes pour remédier à ses maux. Mais lorsque la loi de Dieu vint à
tomber sous la puissance d’un roi infidèle et que la justice divine était comme
opprimée par la domination romaine, le Christ parut sur la terre, car à un mal
extrême et désespéré il fallait un médecin d’une science et d’une habileté
consommées. — Rab. Ou bien encore
l’Évangéliste fait mention de ce roi étranger pour montrer l’accomplissement de
cette prophétie (Gn 49) :
« Le sceptre ne sortira point de Juda, ni le prince de sa postérité,
jusqu’à ce que vienne celui qui doit être envoyé. »
S. Amb. (sur S. Luc.) On rapporte que des brigands iduméens étant entrés
dans la ville d’Ascalon, emmenèrent Antipater avec d’autres captifs. Antipater
fut donc élevé dans la religion des Iduméens. Plus tard il se lia d’amitié avec
Hircan, roi de la Judée, qui l’envoya en ambassade auprès de Pompée, et comme
il réussit dans cette mission, il reçut en récompense une partie de son
royaume. Après la mort d’Antipater un sénatus-consulte rendu sous le triumvir
Antoine déclara son fils Hérode roi des Juifs. Il est donc évident qu’Hérode ne
tenait par aucun lien à la nation juive et qu’il avait cherché à régner sur
elle par l’intrigue et par le mensonge.
S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) L’Évangéliste dit « du roi
Hérode » pour le distinguer par ce titre de cet Hérode qui fit mettre à
mort Jean-Baptiste. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Jésus étant donc né en
ce temps-là, voici que des Mages vinrent, c’est-à-dire aussitôt sa naissance,
pour reconnaître et proclamer un Dieu puissant sous les dehors d’un faible
enfant. — Remi. Les Mages sont
des hommes qui font profession de raisonner sur toutes choses, mais leur nom
dans l’acception vulgaire, est synonyme de celui de magiciens ; cependant
telle n’est pas leur réputation chez les Chaldéens, dont ils sont comme les
philosophes, et dont les rois et les princes se conduisent en tout d’après les
principes de cette science ; ce fut aussi ce qui leur fit connaître comme
le premier lever du Seigneur dans le monde.
S. Aug. (serm. 4 sur l’Epiph.) Or, que furent les Mages ? Les prémices des
nations ; les bergers étaient Juifs, les Mages de la gentilité, ceux-là
venaient de près, ceux-ci de loin ; mais les uns et les autres accoururent
à la pierre angulaire. — Idem. (serm. 2.) Jésus donc ne se manifesta ni
aux savants ni aux justes ; c’est l’ignorance qui l’emporte dans la
grossièreté des pasteurs et l’impiété dans les cérémonies sacrilèges des
Mages ; celui qui est la pierre angulaire s’unit les uns et les autres,
car il est venu choisir ce qui est folie pour confondre les sages, il est venu
appeler les pécheurs et non les justes (1 Co 1, 27 ; Mt 9, 13 ; Mc 2,
17 ; Lc 5, 52), afin que toute grandeur cessât de s’enorgueillir, toute
faiblesse de se décourager. — La Glose. Les
Mages étaient des rois, et s’ils n’offrent que trois sortes de présents, ce
n’est pas une preuve qu’ils ne fussent absolument que trois, mais pour représenter
par ce nombre toutes les nations qui descendent des trois enfants de Noé et qui
devaient un jour embrasser la foi. Ou bien si ces princes n’étaient que trois,
ils avaient avec eux une suite nombreuse. — Or, ce n’est pas un an après que le
Christ fut né qu’ils vinrent l’adorer, car alors il était en Égypte, et non
plus dans l’étable ; mais ce fut le treizième jour après sa naissance.
D’où venaient-ils ? L’Évangéliste nous l’apprend en ajoutant :
« De l’Orient. »
Remi. Il y a plusieurs
opinions sur les Mages. Les uns disent qu’ils étaient Chaldéens, parce que les
Chaldéens adoraient les étoiles, et ils prétendent que leur dieu supposé leur a
révélé la naissance du vrai Dieu ; les autres disent qu’ils étaient
Perses ; quelques-uns, qu’ils venaient des extrémités de la terre ;
d’autres enfin, qu’ils étaient les descendants de Balaam, et c’est le sentiment
le plus probable, car Balaam entre autres choses a prédit « qu’une étoile
sortirait de Jacob. » Ses descendants, qui possédaient cette prophétie,
ayant vu briller une nouvelle étoile, comprirent que le Roi qu’elle annonçait
était né, et vinrent l’adorer.
S. Jér. C’est ainsi que les successeurs de
Balaam apprirent par la prophétie l’apparition future de cette étoile. Mais on
peut se demander comment les Mages habitant la Chaldée, la Perse, ou les
extrémités de la terre, ils ont pu venir en si peu de temps à Jérusalem. — Remi. Quelques auteurs répondent que
l’enfant qui venait de naître a bien pu les amener en si peu de jours des
extrémités de la terre. — La Glose. On
peut dire encore qu’il n’est pas étonnant qu’ils aient pu arriver en treize
jours à Bethléem, montés sur des chevaux arabes et des dromadaires connus pour
la vitesse de leur marche. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Peut-être aussi
sont-ils partis sous la conduite de l’étoile qui les précédait deux ans avant
la naissance du Christ, sans que les provisions de bouche leur aient fait
défaut pendant leur voyage.
Remi. Ou bien si ces rois
étaient successeurs de Balaam, ils n’étaient pas éloignés de la terre promise,
et ils ont pu franchir en si peu de temps la distance qui les séparait de
Jérusalem. Mais alors pourquoi l’Évangéliste dit-il qu’ils sont venus de
l’Orient ? C’est que le pays qu’ils habitaient était en effet situé sur la
frontière orientale de la Judée. C’est du reste une magnifique pensée que celle
qui les fait venir de l’Orient, parce que tous ceux qui viennent au Seigneur,
ne peuvent venir que par son inspiration et sous sa conduite, lui qui est le
véritable Orient, selon cet oracle du prophète : « Voici un homme,
l’Orient est son nom. » — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Ou bien peut-être
viennent-ils réellement de l’Orient. La foi prend naissance dans les contrées
ou le jour se lève, parce qu’elle est la lumière des âmes. Ils partirent donc
de l’Orient, mais pour venir à Jérusalem. — Remi.
Cependant le Seigneur n’y était pas né, mais c’est que tout en
connaissant le temps, ils ignoraient le lieu de sa naissance. Comme Jérusalem
était la capitale du royaume, ils crurent qu’un tel enfant n’avait pu naître
que dans la ville royale. Peut-être aussi était-ce pour accomplir cette
prophétie : « C’est de Sion que sortira la loi, et la parole du
Seigneur de Jérusalem, » car c’est là que le Christ a été annoncé en
premier lieu. Enfin ce fut peut-être pour condamner par le pieux empressement
des Mages l’indifférence des Juifs. Ils vinrent donc à Jérusalem et firent
cette question : « Où est celui qui est né roi des
Juifs ? » — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Les Juifs avaient
vu grand nombre de leurs rois naître et mourir, les Mages sont-ils venus
chercher et adorer aucun d’entre eux ? Non, car le ciel ne leur avait
appris l’existence d’aucun de ces rois. Ce n’est donc pas à un roi des Juifs,
semblable à ceux que Jérusalem avait vus dans ses palais, que ces Mages,
habitant des contrées lointaines, et tout à fait étrangers au royaume des
Juifs, croient devoir rendre de si grands honneurs ; mais ils avaient
appris que le roi qui venait de naître était si grand qu’il méritait leurs
adorations, et qu’ils obtiendraient infailliblement par là le salut qui vient
de Dieu. En effet ce roi n’était pas d’un âge à voir ramper autour de lui la
foule des courtisans flatteurs, la pourpre ne brillait pas sur ses épaules, ni
le diadème sur sa tète, et ce n’était ni le brillant entourage de ses
serviteurs, ni l’appareil terrible de ses armes, ni le bruit de ses victoires
qui attiraient à lui des extrémités de la terre des hommes qui venaient déposer
à ses pieds leurs vœux et leurs ardentes prières. Un enfant nouvellement né
était couché dans une crèche, joignant à un corps frêle une pauvreté qui devait
le rendre méprisable ; mais sous ces dehors misérables se cachait quelque
chose de grand, et ce n’est pas de la terre qui le portait, mais du ciel qui se
chargeait de les instruire que ces hommes prémices des nations avaient appris
ce qu’il était : « Nous avons vu, disent-ils, son étoile dans
l’Orient. » Ils font connaître ce qu’ils ont vu, et en même temps ils interrogent,
ils croient et ils cherchent : figure de ceux qui marchent à la lumière de
la foi et qui désirent jouir de la claire vue.
S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) Les Priscillianistes qui prétendent que tous
les hommes naissent sous l’influence de différentes constellations, cherchent
un appui à leur erreur dans cette nouvelle étoile qui apparut à la naissance du
Sauveur, et qui aurait été l’étoile de sa destinée. — S. Aug. (contr. Faust.) Cette étoile, d’après Fauste, n’aurait paru que
pour confirmer sa naissance, d’où il conclut que l’Évangile devrait bien plutôt
s’appeler la Généside. — S. Grég. (hom. 10 sur S. Matth.) Mais à Dieu ne plaise que les fidèles
croient jamais à l’existence du destin. — S. Aug.
(Cité de Dieu, liv. 5, chap.
1.) On entend par destin, dans le langage ordinaire, l’influence de certaine
position des astres, telle que celle qui correspond à la conception ou à la
naissance des hommes. Il en est qui placent cette influence en dehors de la
volonté de Dieu, blasphème que doivent repousser avec horreur tous ceux qui
adorent un Dieu quel qu’il soit ; d’autres disent que cette grande
influence donnée aux astres vient de la souveraine puissance de Dieu, et ils ne
peuvent faire une plus grande injure à la majesté divine, lorsque dans sa cour
si brillante ils font décréter des crimes tels que si quelque ville sur la
terre osait en commander de semblables, elle serait condamnée à être détruite
par le genre humain tout entier. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Si un homme devient
homicide ou adultère par l’influence d’une étoile, les étoiles sont grandement
injustes, et plus grandement encore celui qui les a créées, car puisque Dieu
connaît l’avenir, Il a prévu le mal que devait commettre cette étoile ;
s’il n’a pas voulu le prévenir, il cesse d’être bon, et s’il l’a voulu sans le
pouvoir, sa puissance est nulle. D’ailleurs s’il dépend d’une étoile que nous
soyons bons ou mauvais, le bien que nous faisons ne mérite aucun éloge, ni le
mal aucun blâme, car nos actions ne sont plus volontaires. Pourquoi serais-je
puni d’un mal qui n’est pas le fruit de ma volonté, mais de la nécessité ?
D’ailleurs cette doctrine insensée détruirait les commandements de Dieu qui
nous défendent le mal, ou qui noua exhortent au bien. Comment en effet
commander à un homme de fuir le mal qu’il ne peut éviter, ou de faire le bien
qui lui est impossible ?
S. Grég. de Nysse.
Dès lors que l’on vit sous la loi de
la fatalité, il est inutile de prier, la providence de Dieu est bannie du monde
aussi bien que la piété, l’homme n’est plus qu’un instrument dépendant du cours
des astres, car dans leur pensée, les mouvements des corps célestes déterminent
non seulement les actions du corps, mais encore les pensées de l’âme. Ainsi
tous ceux en général qui soutiennent cette erreur, détruisent tout ce qui est en
nous, et la nature de tout être contingent. Et qu’est-ce autre chose que le
renversement de tout ce qui existe ? Ou sera désormais le libre
arbitre ? Il faut cependant que ce qui est en nous soit libre. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 5, chap. 6.) Il n’est pas absolument contraire
à la raison d’attribuer à l’influence les astres certaines modifications dans
les corps : ainsi voyons-nous que c’est au rapprochement ou à
l’éloignement du soleil qu’il faut attribuer les diverses saisons, et aux
phases de la lune qui croît et diminue, le développement ou la décroissance de
certaines choses créées comme les coquillages qui produisent les perles, ou les
admirables mouvements de l’Océan. Mais il ne faut pas soumettre aux différentes
positions des astres les volontés de notre âme. — Et au chapitre 1er :
Dira-t-on que les astres sont plutôt les signes que les mobiles déterminants de
nos destinées ? Mais alors comment n’a-t-on pu jamais expliquer pourquoi
la vie des jumeaux, leur manière d’agir, leurs succès, leurs professions, leurs
actes, les honneurs dont ils jouissent et tout ce qui compose la vie humaine,
et la mort elle-même, nous offrent la plupart du temps des différences si
tranchées que des étrangers omit souvent entre eux bien plus de ressemblance
que ces jumeaux, dont la naissance n’a été séparée que par un instant et dont
la conception a été simultanée ? — Au chapitre 2e : Ils
cherchent à établir leur opinion sur le court intervalle de temps qui sépare la
naissance de deux jumeaux ; mais qu’est-ce que cette légère différence
auprès de la différence profonde qui existe dans leurs volontés, dans leurs
actes, dans leurs mœurs et dans les événements de leur vie ? — Aux
chapitres 7 et 9 : Quelques-uns appellent du nom de destin non pas les
différentes positions des astres, mais la réunion et l’enchaînement des causes
secondes qu’ils font dépendre de la volonté et de la puissance de l’Être
souverain. Or, si vous soumettez au destin les choses humaines, tout en
appelant de ce nom la volonté et la puissance de Dieu, je vous dirai :
Conservez votre manière de penser, mais modifiez vos expressions, car, dans le
langage ordinaire on est convenu d’appeler destin, l’influence qui résulte de
la position des astres ; et nous ne donnons pas ce nom à la volonté de Dieu
à moins que nous ne fassions venir le mot destin ou fatalité, du mot parler (fatum, en latin vient de fando) ; car il est écrit :
« Dieu a parlé une fois, j’ai entendu ces deux choses. » Ce n’est
donc pas la peine de nous épuiser avec eux dans une vaine dispute de mots.
S. Aug. (contre Faust., liv. 2, chap. 5.) Si nous refusons de placer la
naissance d’aucun homme sons l’action fatale des étoiles, afin d’affranchir son
libre arbitre de toute chaîne que la nécessité voudrait lui imposer, à combien
plus forte raison refuserons-nous d’admettre que la naissance du Seigneur
éternel et du Créateur de toutes choses ait été soumise à l’influence des
astres. Ainsi, cette étoile que les Mages ont vue à la naissance du Christ ne
lui imposait pas une destinée tyrannique, mais obéissait à ses ordres en lui
rendant témoignage. Elle n’était donc pas un de ces astres qui depuis le
commencement du monde gardent fidèlement sous la loi du Créateur la route qu’il
leur a prescrite, mais c’était un nouvel astre créé pour cet enfantement
nouveau de la Vierge, et elle avait pour mission de guider les Mages qui
cherchaient le Christ, en marchant devant eux, jusqu’à ce qu’elle les eût
conduits en les précédant à l’endroit où le Seigneur, où le Verbe s’était fait
enfant muet et sans parole. Quels sont donc les astrologues qui font tellement
dépendre des astres la destinée des hommes qui naissent à la vie, qu’ils
assurent qu’à la naissance de l’un d’eux une des étoiles abandonne l’orbite
dans lequel s’accomplit sa révolution pour venir au-dessus du berceau de
l’enfant qui vient de naître, eux qui prétendent que c’est la destinée de cet
enfant qui se trouve liée nu cours des astres, et non pas le cours des astres
qui puisse être modifié par sa naissance ? Si donc cette étoile était une
de celles qui accomplissent leur révolution dans les cieux, comment
pouvait-elle connaître ce que le Christ devait faire, elle qui, à la naissance
du Christ, se trouvait détournée du mouvement qu’elle accomplissait ? Si,
au contraire, ce qui est plus probable, elle n’existait pas auparavant, et
qu’elle n’ait été créée que pour faire découvrir le Christ, le Christ n’est pas
né parce qu’elle existait, mais elle a reçu l’existence parce que le Christ
était né. Aussi, s’il était permis de s’exprimer de la sorte, nous dirions que
ce n’est pas l’étoile qui a été le destin pour le Christ, mais le Christ qui a
été le destin pour l’étoile, car c’est le Christ qui a été la cause de son
existence, ce n’est pas l’étoile qui a été la cause de la naissance du Christ.
S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) L’objet de l’astronomie n’est pas de
demander aux astres quels sont ceux qui naissent, mais de conjecturer la
destinée d’un homme par l’heure de sa naissance. Or les Mages ne connurent pas
l’heure de la naissance du Christ, pour deviner par le mouvement des étoiles
ses destinées futures ; tout au contraire nous les entendons dire :
« Nous avons vu son étoile. » — La
Glose. C’est-à-dire, son étoile à lui, celle qu’il a créée pour le faire
connaître. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Les anges annoncent
la naissance du Christ aux bergers, une étoile la fait connaître aux Mages, le
ciel parle en son langage aux uns comme aux autres, parce que la voix des
prophètes avait cessé de se faire entendre. Les anges habitent les cieux, les astres
leur servent d’ornement : ce sont donc les cieux qui racontent aux uns et
aux autres la gloire de Dieu.
S. Grég. (hom. 10 sur l’Evang.) La
raison ne peut qu’approuver le choix que Dieu a fait d’un être raisonnable,
c’est-à-dire d’un ange, pour annoncer Jésus-Christ aux Juifs comme à des hommes
qui faisaient usage de leur raison, tandis que les Gentils rebelles à sa
lumière sont amenés à la connaissance de Jésus-Christ, non par la parole
humaine, mais par un signe miraculeux. Les prophéties ont été données aux
premiers comme à des hommes qui avaient la foi, et les miracles opérés devant
les seconds à cause de leur incrédulité. Les apôtres prêchèrent Jésus-Christ
aux nations à la plénitude de l’âge parfait, tandis qu’une étoile le leur
annonce alors qu’il est petit entant et incapable de parler, parce que
l’analogie demandait que les prédicateurs fissent connaître par leurs discours
le Seigneur alors qu’il parlait lui-même, et que les éléments muets fussent
chargés de l’annoncer lorsqu’il ne faisait pas encore usage de la parole. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Le Christ était lui-même l’attente des nations
dont l’innombrable postérité fut autrefois promise à notre bienheureux père
Abraham, postérité qui devait se multiplier non par la propagation du sang,
mais par la fécondité de la foi. Dieu compare ses descendants à la multitude
des étoiles pour exciter dans l’âme du père de toutes les nations l’attente
d’une postérité toute céleste et qui n’a rien de la terre. C’est donc par
l’apparition d’une nouvelle étoile que les héritiers figurés par les étoiles
sont appelés à former cette postérité qui est l’objet des promesses, afin que
les astres du ciel qui avaient rendu témoignage à la promesse rendissent encore
hommage à la vérité de son accomplissement.
S. Chrys. (hom. 6 sur Matth.) Il est évident que cette étoile ne fut pas une
de celles dont le ciel est parsemé, car il n’en est aucune dont le mouvement se
dirige comme celle-ci du nord au midi, puisque telle est la position de la
Perse par rapport à la Palestine. On peut encore le conclure du temps où elle
apparut, car ce n’était pas seulement pendant la nuit, mais en plein jour
qu’elle était visible, et aucune étoile, ni la lune même, n’ont une telle
puissance. Une troisième preuve, c’est que tantôt elle brillait, tantôt elle
disparaissait ; lorsque les Mages entrent à Jérusalem, elle se
cache ; aussitôt qu’ils ont quitté le roi Hérode elle reparaît ; elle
n’avait même pas de marche qui lui fût propre, elle allait quand les Mages se
mettaient en marche, quand ils s’arrêtaient elle s’arrêtait, comme autrefois la
colonne de nuée dans le désert. D’ailleurs ce n’est pas en restant dans les
hauteurs des cieux, mais en descendant à la portée des yeux, qu’elle indiquait
aux Mages le lieu où la Vierge avait enfanté, ce qui n’est pas le fait d’une
étoile qui suit sa route ordinaire, mais d’une puissance intelligente ;
d’où l’on peut conclure que cette étoile était une vertu invisible voilée sous
l’apparence d’un astre visible. — Remi. Quelques
uns disent que cette étoile était l’Esprit saint qui voulut apparaître aux
mages sous la forme d’une étoile, comme il apparut plus tard sous la forme
d’une colombe sur Notre-Seigneur après son baptême. D’autres pensent que ce fut
un ange, c’est-à-dire que celui qui apparut aux bergers serait le même qui
aurait apparu aux mages. — La Glose. Le
texte ajoute : « Dans l’Orient. » L’étoile se leva-t-elle dans
l’Orient, ou les Mages de l’Orient où ils étaient la virent-ils se lever à
l’Occident ? C’est ce qu’on ne sait pas ; elle a pu très bien se
lever en Orient et les conduire à Jérusalem. — S. Aug. (serm. sur
l’Epiph.) Vous me demanderez : Qui donc leur avait appris que cette
étoile annonçait la naissance du Christ ? Sans doute les anges par voie de
révélation. Était-ce de bons ou de mauvais anges ? Les mauvais anges,
c’est-à-dire les démons, ont eux-mêmes confessé que le Christ était fils de
Dieu. Mais pourquoi ne seraient-ce pas les bons anges qui auraient été chargés
de cette mission, puisqu’en les portant à adorer le Christ c’était leur salut
qu’on avait en vue et non pas le règne de l’iniquité ? Les anges purent
donc leur dire : L’étoile que vous avez vue est celle du Christ ;
allez, adorez-le dans le lieu de sa naissance, et jugez de la nature et de la
grandeur de celui qui vient de naître. — S. Léon,
pape. (serm. 4. sur l’Epiph.) Indépendamment de l’éclat de l’étoile qui frappa
leurs yeux, un rayon plus brillant encore de la vérité éclaira et instruisit
leurs cœurs, et c’était là une figure de la lumière que la foi répand dans les
âmes.
S. Aug. (liv. des quest. du Nouv. et de l’Anc. Test., chap. 63.) Ou bien
encore ils comprirent que le roi des Juifs était né parce que l’étoile était un
indice ordinaire de la royauté temporelle. En effet, ces Mages n’étudiaient pas
le cours des astres dans des intentions coupables, mais pour satisfaire le
désir qu’ils avaient de connaître. Comme il y a tout lieu de le croire, ils
suivaient la tradition de Balaam, qui avait dit autrefois (Nb 24) : « Une étoile se lèvera de Jacob. » On
comprend donc qu’en voyant une étoile paraître dans le ciel en dehors du
système des constellations, ils jugèrent que c’était l’étoile prédite par
Balaam comme signe de la naissance du roi des Juifs.
S. Léon, pape (serm. 4 sur l’Epiph.) Ce que les Mages avaient cru et ce qu’ils
avaient compris pouvait leur suffire, et ils n’avaient pas besoin d’examiner
des yeux du corps ce qu’ils avaient vu des yeux de l’âme ; mais ce zèle,
cet empressement, cette persévérance qui les conduisirent jusqu’au berceau du
Sauveur étaient dans l’intérêt des hommes de notre temps, car de même que
l’apôtre saint Thomas, en touchant de sa main les cicatrices des plaies de
Notre-Seigneur après sa résurrection, nous a été grandement utile, de même il
nous est avantageux que les Mages aient constaté de leurs yeux l’enfance du
Sauveur. Ils disent donc : « Nous sommes venus l’adorer. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ignoraient-ils
donc qu’Hérode régnait dans Jérusalem ? Ne savaient-ils pas que tout homme
qui du vivant d’un roi prononce le nom d’un autre roi ou lui rend hommage, paie
cette témérité de sa vie ? Mais, l’œil fixé sur le roi de l’avenir, ils ne
craignent pas celui qui règne actuellement ; ils n’avaient pas encore vu
le Christ, et déjà ils étaient prêts à mourir pour lui. Heureux Mages, qui
avant de connaître le Christ l’ont confessé en présence du plus cruel des
tyrans !
S. Aug. Autant les Mages désirent trouver
un Rédempteur, autant Hérode craint de rencontrer un successeur, comme
l’indiquent les paroles suivantes : « Ce qu’ayant appris le roi
Hérode, il fut troublé. » — La
Glose. On lui donne le nom de roi afin que, rapproché du roi que
cherchent les Mages, il soit convaincu de n’être qu’un étranger. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il est troublé de ce qu’un roi des Juifs vient de
naître du sein du peuple juif lui-même, parce qu’il est Iduméen, et qu’il
craint que le sceptre revenant aux mains des Juifs, il ne soit chassé par eux,
et sa race à jamais exclue du trône. C’est ainsi que les grandes puissances
sont en proie à de plus vives terreurs. Les branches des arbres plantés sur les
hautes montagnes sont agitées par le moindre vent ; ainsi ceux qui sont
élevés en dignité sont troublés par le bruit de la plus légère nouvelle ;
ceux au contraire dont la condition est obscure, vivant comme dans une vallée
profonde, jouissent presque toujours d’une parfaite tranquillité.
S. Aug. (serm. 2 sur l’Epiph.) Quelle terreur inspirera un jour le tribunal du
juge, alors que le berceau du petit enfant fait trembler les rois superbes sur
leur trône ? Que les rois soient saisis de frayeur devant celui qui est
assis à la droite du Père, puisqu’un roi impie a tremblé devant lui alors qu’il
était encore suspendu au sein de sa mère. S. Léon, pape, (serm. 4
sur l’Epiph.) Cependant
tes craintes sont superflues, ô Hérode, ton palais ne peut contenir le Christ,
le maître du monde ne peut être resserré dans les limites étroites de ton
royaume ; celui à qui tu veux défendre de régner dans la Judée étend son
règne partout.
La Glose. Peut-être
n’est-ce pas seulement la perte de son trône qu’il craignait, mais encore la
colère des Romains qui avaient décidé qu’aucun roi, de même qu’aucun dieu ne
serait proclamé sans leur approbation.
S. Grég.
(hom. 10 sur les Ev.) A peine le roi du ciel est-il né que le roi de la
terre est en proie à l’agitation et au trouble : c’est qu’en effet les
hauteurs de la terre sont confondues, lorsque les grandeurs du ciel viennent à
se découvrir. — S. Léon pape, (serm. 6 sur l’Ep.) Hérode dans cette
circonstance joue le rôle du démon, et le démon après avoir été son instigateur
se montre depuis son infatigable imitateur, car la vocation des Gentils fait
son tourment, et son plus grand supplice est de voir tous les jours la
destruction de son empire. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Tous deux sont
troublés par des inquiétudes personnelles, tous deux craignent un successeur,
l’un de son royaume de la terre, l’autre du royaume des cieux. Or voici que le
peuple juif partage lui-même ce trouble, alors qu’il aurait dû se réjouir de
cette nouvelle ; mais ce peuple en est troublé, parce que l’arrivée du
Juste ne peut être un sujet de joie pour les impies ; ou bien ils étaient
troublés dans la crainte qu’Hérode irrité contre le roi des Juifs ne déchargeât
sa colère sur la nation dont il était sorti ; c’est pourquoi l’auteur
sacré ajoute : « Et toute la ville de Jérusalem avec lui. » — La Glose. La ville de Jérusalem voulait
flatter celui qu’elle craignait, car le peuple favorise toujours plus qu’il ne
le devrait ceux dont il supporte les violences. — Suite. « Et ayant assemblé tous les princes des
prêtres, » etc. Remarquez son empressement à chercher le Christ ; il
veut, s’il le trouve, exécuter les projets qu’il dévoilera plus tard, et s’il
ne le trouve pas, se ménager une excuse auprès des Romains. — Remi. On les appelait scribes, non
seulement parce qu’ils transcrivaient les livres de la loi, mais parce qu’ils
interprétaient les Écritures, car ils étaient docteurs de la loi.
Suite. « Il leur
demanda où le Christ devait naître. » Remarquez qu’il ne dit pas :
« Où le Christ est né, » mais « où le Christ devait
naître. » Il les questionne avec astuce pour s’assurer s’ils se
réjouissaient de la naissance de ce nouveau roi. Il lui donne le nom de Christ,
parce qu’il savait que le roi des Juifs recevrait l’onction royale. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Mais pourquoi cette question d’Hérode, s’il ne
croyait pas aux Écritures ? Ou s’il y croyait, comment pouvait-il se
flatter de pouvoir mettre à mort celui dont elles prédisaient la royauté ?
Mais il était poussé par le démon qui sait que les Écritures ne peuvent mentir.
Ainsi sont tous les pécheurs : ce qu’ils croient, il ne leur est pas donné
de le croire parfaitement ; ils croient, tant est grande la puissance de
la vérité, et ils ne croient point, aveuglés qu’ils sont par l’ennemi du salut.
Car si leur foi était parfaite, ils ne vivraient pas comme devant rester
éternellement en ce monde, mais comme devant en sortir après quelques instants
de séjour.
Suite. Ceux-ci
répondirent : « Dans Bethléem de Juda. » — S. Léon pape. (serm. 1 sur l’Epiph.) Les Mages guidés par un sentiment naturel
crurent qu’ils devaient chercher dans la capitale du royaume le roi dont la
naissance leur avait été révélée ; mais celui qui avait daigné prendre la
forme d’un esclave, et qui était venu pour être jugé, et non pas pour juger,
fit choix de Bethléem pour sa naissance et de Jérusalem pour sa passion. — Théodote. (serm. au conc.
d’Ephèse.) S’il avait choisi Rome, la ville par excellence, on aurait pu
croire que le changement qu’il a opéré dans le monde était dû à la puissance
des citoyens romains ; s’il eût eu un empereur romain pour père on eût
attribué ses succès à son pouvoir. Qu’a-t-il donc fait ? Il a choisi tout
ce qui a le caractère de la pauvreté et de la bassesse, pour qu’il soit bien
démontré que c’est la puissance divine qui a transformé le genre humain ;
voilà pourquoi il a fait choix d’une mère pauvre, et d’une patrie plus pauvre
encore, voilà pourquoi il naît dans l’indigence, et c’est ce que la crèche vint
enseigner. — S. Grég. (hom. 8 sur les Ev.) C’est par suite d’un dessein providentiel qu’il naît à
Bethléem, car Bethléem signifie maison du
pain, et il a dit de lui-même : « Je suis le pain vivant descendu
du ciel.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Il semble que les princes des prêtres auraient dû
cacher le mystère du roi prédestiné de Dieu, surtout en présence d’un roi
étranger ; et cependant, non contents de publier les œuvres de Dieu, on
les voit pour ainsi dire livrer ses mystères ; et non seulement ils les
dévoilent, mais ils apportent à l’appui le témoignage du prophète. Il est écrit
dans le prophète : « Et toi Bethléem, terre de Juda. » — La Glose. (Mi 5.) L’Évangéliste rapporte cette prophétie telle qu’ils l’ont
citée, en donnant plutôt le sens véritable que le texte même du prophète
Michée. — S. Jér. On peut
reprocher ici aux Juifs leur ignorance, car on lit dans le prophète
Michée : « Et toi Bethléem Ephrata, » et non pas comme ils
disent : « Et toi Bethléem, terre de Juda. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il y a
plus encore, c’est qu’en supprimant une partie de la prophétie ils sont devenus
la cause du massacre des enfants. En effet la prophétie porte : « De
toi sortira le roi qui gouvernera mon peuple d’Israël, et ses jours sont depuis
les jours de l’éternité. » Si donc ils l’avaient citée dans son entier,
Hérode réfléchissant que ce roi dont la naissance date des jours de l’éternité
ne pouvait être un roi de la terre, ne serait pas entré dans une si grande
fureur. — S. Jér. (sur S. Matth. et Michée dans la Glose.) Or
voici le sens de cette prophétie : « Et toi Bethléem, terre de Juda,
ou Ephrata » (elle est ainsi désignée parce qu’il y avait une autre
Bethléem dans la Galilée), « quoique tu sois un petit bourg entre les
villes de Juda, cependant c’est de toi que naîtra le Christ qui régnera sur
Israël, et qui sera de la race de David. Cependant je lui ai donné naissance
avant tous les siècles ; » c’est pour cela que le prophète
ajoute : « Sa génération est dès le commencement, dès l’éternité, car
au commencement le Verbe était en Dieu. » — La Glose. Quant à cette dernière partie, les Juifs la
supprimèrent comme nous l’avons dit, et ils changèrent le reste de la
prophétie, soit par ignorance comme nous l’avons supposé, soit afin de rendre
plus clair et plus évident le sens de cette prédiction pour Hérode, qui était
un étranger ; ainsi pour le mot « Ephrata, » qui était un mot
ancien et qu’Hérode pouvait ignorer, ils mettent : « Terre de
Juda, » au lieu de lire : « la plus petite entre toutes les
villes de Juda, » avec le prophète lui avait voulu faire ressortir le peu
d’importance de cette ville relativement à l’immense multitude du peuple de
Dieu, ils dirent : « Tu n’es pas la moindre entre les principales
villes de Juda, » afin de montrer la grandeur que faisait rejaillir sur
elle la dignité du roi qui devait naître dans son sein ; paroles qui
reviennent à celles-ci : Tu es grande entre toutes les cités qui ont donné
le jour à des princes. — Remi. Ou
bien on peut encore l’expliquer ainsi : « Quoique tu paraisses très
petite au milieu des villes qui commandent aux autres, cependant tu ne l’es pas
en réalité, car de toi sortira le chef qui conduira mon peuple d’Israël. »
Ce chef, c’est le Christ qui conduit et gouverne le peuple fidèle.
S. Chrys. (hom. 1 sur S. Matth.) Remarquez
avec quelle exactitude s’exprime le prophète ; il ne dit pas :
« Il sera dans Bethléem, » mais : « Il sortira de
Bethléem, » pour indiquer ainsi que cette ville ne serait témoin que de sa
naissance. » Comment peut-on rapporter cette prophétie à Zorobabel, comme
quelques-uns le prétendent ? Sa naissance ne date pas du commencement ni
ses jours de l’éternité ; Il n’est pas non plus sorti de Bethléem,
puisqu’il n’est pas né dans la Judée, mais à Babylone. Une raison non moins
forte c’est que la prophétie ajoute : « Tu n’es pas la plus petite,
parce que de toi sortira, » car aucun autre que le Christ n’a rendu
célèbre le bourg où il est né, et depuis sa naissance on vient des extrémités
de la terre visiter l’étable et la crèche où il est né. Si le prophète ne dit
pas : « De toi sortira le Fils de Dieu ; » mais :
« De toi sortira le chef qui conduira mon peuple d’Israël, » c’est
que dans les commencements il fallait condescendre à la faiblesse des Juifs, ne
pas les scandaliser, mais les attirer en leur faisant connaître ce qui avait
rapport au salut du genre humain. Il faut prendre dans un sens figuré les
paroles suivantes : « Qui conduira mon peuple d’Israël, »
c’est-à-dire ceux qui doivent croire d’entre les Juifs. Si tous ne se sont pas
rangés sous la conduite du Christ, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.
Le prophète n’a rien dit des Gentils et c’est encore pour ne pas scandaliser
les Juifs. Voyez cependant comme tout est ici admirablement disposé. Les Juifs
et les Mages s’instruisent mutuellement. Les Mages apprennent aux Juifs qu’une
étoile annonce le Christ dans l’Orient, et les Juifs enseignent aux Mages que
dans les temps anciens les prophètes l’ont prédit afin qu’affermis par ce
double témoignage ils recherchent avec une foi plus ardente celui que révélaient
à la fois l’éclat de l’étoile et l’autorité des prophéties. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) L’étoile
qui conduisit les Mages au lieu où se trouvait le Dieu fait enfant avec la
Vierge sa mère, aurait pu les conduire directement jusqu’à la ville même de
Bethléem ; cependant elle se cacha, et ne reparut que lorsque ayant
demandé aux Juifs dans quelle ville le Christ devait naître, ils en eurent
obtenu cette réponse : « Dans Bethléem de Juda. » Les Juifs dans
cette circonstance furent semblables aux ouvriers qui construisirent l’arche de
Noé, et qui ne laissèrent pas de périr dans les eaux du déluge, après avoir
fourni à d’autres le moyen de se sauver ; ou bien encore, semblables aux
pierres milliaires placées sur les routes, ils se contentèrent d’indiquer le
chemin, sans pouvoir marcher eux-mêmes. Ceux qui cherchaient n’eurent pas plus
tôt appris ce qu’ils demandaient qu’ils partirent aussitôt, tandis que les
docteurs les enseignèrent et restèrent immobiles. Les Juifs ne cessent de nous
offrir tous les jours le même spectacle. Lorsque nous apportons aux païens des
témoignages évidents de l’Écriture pour leur prouver que Jésus-Christ a été
prédit bien longtemps avant sa naissance, Il en est quelques-uns qui tiennent
ces témoignages pour suspects et
comme inventés peut-être par les chrétiens, et qui préfèrent s’en rapporter aux
exemplaires qui sont entre les mains des Juifs ; ces païens font comme les
Mages autrefois, ils laissent les Juifs lire et relire sans aucun fruit leurs
Écritures, et s’empressant de venir adorer avec foi Jésus-Christ.
S. Chrys. (sur
S. Matth.) Hérode se
trouvant en présence d’une réponse que rendait doublement probable et le
témoignage des prêtres et l’autorité des prophètes, ne se détermine pas à
rendre hommage au roi qui doit naître ; mais il se laisse aller au
coupable désir de s’en défaire par ruse. Il a vu qu’il ne pouvait ni ébranler
les Mages par ses caresses, ni les effrayer par ses menaces, ni les corrompre
par son or, et les amener ainsi à consentir au meurtre du roi qui leur est
annoncé ; il forme donc le dessein de les tromper. C’est ce qu’indique
l’Évangéliste par ces paroles : « Hérode ayant fait venir les Mages
en secret. » Il les appelle en secret, parce qu’il se défiait des Juifs et
qu’il craignait que le désir d’avoir un roi de leur nation ne fût pour eux un
motif de trahir ses desseins. « Il demanda donc aux Mages avec soin le
temps où l’étoile leur avait apparu. » — Remi.
Il les interroge avec soin, car c’était un homme astucieux, et il
craignait qu’ils ne revinssent pas le trouver pour le renseigner sur l’enfant
qu’il voulait mettre à mort.
S. Aug. (serm. 7 sur l’Epiph.) Cette étoile leur avait apparu presque
deux ans auparavant, et elle était pour eux depuis ce temps un objet
d’étonnement. Il faut donc admettre qu’ils n’apprirent ce que signifiait cette
étoile qu’ils voyaient depuis longtemps, qu’à la naissance de celui qu’elle
figurait ; et c’est après qu’il leur fut révélé que le Christ était né que
les Mages vinrent de l’Orient, et qu’ils adorèrent le treizième jour celui dont
ils avaient appris la naissance quelques jours auparavant. — S. Chrys. (hom. 7 sur S. Matth.) Ou
bien comme leur voyage devait être de longue durée, l’étoile leur apparaissait
depuis longtemps, afin qu’ils pussent se trouver au berceau du Christ aussitôt
qu’il serait né, et l’adorer enveloppé de langes qui le leur rendaient plus
admirable encore. — La Glose. Suivant
d’autres, cette étoile n’aurait apparu que le jour même de la naissance du
Christ, elle avait été créée pour cette mission, et aussitôt qu’elle l’eut
remplie elle disparut. — Saint Fulgence dit en effet (serm. sur l’Epiph.) : « L’enfant nouveau-né créa une
nouvelle étoile. »
Après avoir pris
des informations sur le temps et sur le lieu, il veut aussi connaître la
personne de l’enfant, et il ajoute : « Allez et informez-vous
exactement de l’enfant. » Il leur enjoint de faire ce qu’ils devaient
faire eux-mêmes sans avoir besoin de recommandation. — S. Chrys. (hom. 7.) Il ne dit pas : Informez-vous du roi, mais
informez-vous de l’enfant, car il ne peut souffrir qu’on lui donne ce nom,
symbole de son autorité. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Pour les amener à ses
desseins, il feint le désir d’aller lui rendre hommage, et sous ce manteau
d’hypocrisie il aiguise son glaive et veut dissimuler la perversité de son cœur
sous les dehors de la soumission et de l’humilité. Ainsi font tous les
méchants : c’est quand ils veulent porter en secret des coups plus
terribles qu’ils font semblant de s’abaisser et qu’ils prodiguent les marques
d’amitié ; c’est ce qui fait dire à Hérode : « Lorsque vous
l’aurez trouvé, faites-le moi savoir, » etc. — S. Grég. (hom. 10 sur les Ev.) Il feint de vouloir
l’adorer, pour pouvoir plus facilement le mettre à mort, s’il vient à le
trouver.
Suite : « Ayant
entendu les paroles du roi, ils partirent. » — Remi. Les Mages obéissent aux ordres d’Hérode pour chercher
le Seigneur, mais non pour revenir le trouver ; en cela ils étaient
l’image de ceux qui écoutent la parole de Dieu dans un bon esprit ; ils
pratiquent les enseignements que leur donnent des prédicateurs vicieux, mais
ils se gardent bien d’imiter leurs œuvres.
v. 9.
S. Chrys. (sur
S. Matth.) On doit
conclure de ces paroles que l’étoile, après avoir conduit les Mages jusqu’aux
portes de Jérusalem, se déroba à leurs regards et les abandonna pour les forcer
d’entrer dans cette ville et de demander aux habitants où était le Christ, en
même temps qu’ils le faisaient connaître eux-mêmes. Dieu en cela se proposait
premièrement de confondre les Juifs, en leur montrant des gentils qui, affermis
dans la foi par la simple apparition d’une étoile, cherchaient le Christ à
travers des contrées inconnues, tandis que les Juifs, nourris dès leur enfance
des prophéties qui avaient le Christ pour objet, ne voulaient pas le recevoir
alors qu’il était né dans leur propre pays. Dieu voulait encore que les prêtres
interrogés sur le lieu où devait naître le Christ répondissent pour leur
condamnation : « A Bethléem de Juda ; » parce qu’en donnant
à Hérode les explications qu’il demandait sur le Christ, ils ne le
connaissaient pas eux-mêmes. Après que les Mages eurent obtenu la réponse à la
demande qu’ils avaient faite, le texte ajoute : « Et voici que
l’étoile qui leur avait apparu dans l’Orient les précédait. » Témoins de
l’hommage rendu par l’étoile à cet enfant, ils purent comprendre quelle était
la dignité du nouveau roi. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Et pour que cet
hommage rendu au Christ fût plus éclatant, l’étoile ralentit sa marche jusqu’à
ce qu’elle eut amené les Mages aux pieds de l’enfant. Elle se mit à la
disposition des Mages, mais sans leur commander. Elle montra au Sauveur ses
adorateurs, éclaira la grotte d’une abondante lumière, inonda le toit de cette
étable de ses rayons éclatants et disparut ensuite. C’est ce que l’Évangéliste
indique lorsqu’il ajoute : « Jusqu’à ce qu’étant arrivée sur le lieu
où était l’enfant, elle s’y arrêta. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Qu’y a-t-il
d’étonnant que le soleil de justice, sur le point de se lever, ait voulu être
annoncé par une étoile miraculeuse ? Elle s’arrêta au-dessus de la tête de
l’enfant comme pour dire : « C’est lui. » Elle le désignait en
s’arrêtant au-dessus de lui, parce qu’elle ne pouvait le faire en parlant. — La Glose. On voit par là que cette
étoile se trouvait dans notre atmosphère, et qu’elle était fort proche de la
maison où était l’enfant, autrement les Mages n’auraient pu distinguer cette
maison. — S. Amb. (sur S. Luc.) Cette étoile c’est la
voie, et la voie c’est le Christ, car par le mystère de son incarnation il est
comme une étoile, étoile brillante, étoile du matin, qu’on ne peut voir dans
les lieux ou règne Hérode, mimais qui reparaît de nouveau là où habite le
Christ pour nous montrer le chemin. — Remi.
On peut dire encore que l’étoile figure la grâce de Dieu, comme Hérode
est le symbole du démon. Or celui qui se soumet au démon par le péché perd
aussitôt la grâce ; s’il se détache du démon par la pénitence, il recouvre
immédiatement la grâce, qui ne le quitte pas qu’elle ne l’ait conduit jusqu’à
la maison de l’enfant, qui est l’Église. —
La Glose. Ou bien encore l’étoile est la lumière de la foi qui conduit
les âmes à Jésus-Christ et que les Mages voient disparaître en s’arrêtant chez
les Juifs, car en demandant conseil aux méchants ils perdent la véritable
lumière.
La Glose. Après avoir
montré comment l’étoile s’était mise au service des Mages, l’Évangéliste nous
apprend quelle fut la joie de ces derniers : « Lorsqu’ils virent
l’étoile, ils furent transportés d’une joie extrême. » — Remi. Et remarquez qu’il ne se contente
pas de dire : « Ils furent dans la joie » mais : « Ils
furent transportés d’une joie extrême. » S. Chrys. (sur S. Matth.) Ils
furent transportés de joie, parce que leur espérance, loin d’être trompée, se
trouvait affermie, et qu’ils ne s’étaient pas exposés inutilement aux fatigues
d’un si long voyage : — La Glose. On
est transporté de joie quand on se réjouit pour Dieu, qui est la joie véritable.
L’Évangéliste ajoute : « d’une grande joie, » parce que l’objet
de cette joie était considérable. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Le ministère rempli
par cette étoile leur fit comprendre que la dignité du roi qui venait de naître
surpassait de beaucoup celle de tous les rois de la terre. L’auteur sacré
ajoute : « d’une joie extrême. » — Remi. Il veut nous apprendre par là qu’on se réjouit beaucoup
plus des choses qu’on retrouve que de celles qu’on n’a jamais perdues.
Suite. « Et entrant
dans la maison, ils trouvèrent l’enfant. » S. Léon. pape. (serm. 4 sur l’Epiph.) Ils le trouvèrent petit de forme, réduit à
avoir besoin du secours d’autrui, incapable de parler, ne différant en rien de
la généralité des autres enfants ; car de même que des témoignages incontestables
prouvaient qu’en lui se trouvait l’invisible majesté de Dieu, de même il devait
être démontré que cette nature éternelle du Fils de Dieu s’était unie à la
vérité de la nature humaine.
Suite. « Avec Marie,
sa mère. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Elle n’était pas
couronnée du diadème, elle ne reposait pas sur un lit doré, elle avait à peine
une simple tunique, non point pour orner son corps, mais pour le couvrir, le
vêtir, et telle que pouvait en porter en voyage la femme d’un charpentier. Si
donc ils étaient venus chercher un roi de la terre, la joie eût fait place chez
eux à un sentiment de confusion, de ce qu’un si grand voyage était pour eux
sans résultat. Mais comme le roi qu’ils cherchaient était le roi du ciel, bien
qu’ils ne découvraient en lui rien de royal, contents du témoignage que lui
rendait l’étoile, ils se réjouissaient à la vue de ce pauvre enfant dont
l’Esprit saint leur dévoilait au fond du cœur la redoutable majesté ;
c’est pour cela qu’ils se prosternèrent pour l’adorer, car si leurs yeux ne
voient en lui qu’un homme, ils reconnaissent un Dieu. — Rab. Par une disposition providentielle, Joseph se trouvait
alors absent, pour ne point donner aux Gentils l’occasion d’un soupçon
injurieux. — La Glose. Bien
qu’ils aient suivi les usages de leur nation dans les dons qu’ils offraient au
Sauveur, les Arabes trouvant en abondance dans leur pays l’or, l’encens et des
parfums de toute espèce, cependant dans leur intention ces présents avaient une
signification mystérieuse. Le texte sacré ajoute donc : « Ayant
ouvert leurs trésors, ils lui offrirent pour présents de l’or, de l’encens et
de la myrrhe. » — S. Grég. (hom. 10 sur les Evang.) L’or convient à la dignité royale, l’encens faisait
partie des sacrifices offerts à Dieu, et la myrrhe sert à embaumer les morts...
— S. Aug. (Serm. sur l’Epiph.) Ils lui offrent de l’or comme à un roi
puissant, l’encens comme à un Dieu, la myrrhe comme à celui qui devait mourir
pour le salut de tous. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Que les Mages ne
comprissent pas alors la grandeur du mystère qui les faisait agir ainsi, ou la
signification mystérieuse de chacun de leurs présents, peu importe, car la
grâce qui leur avait inspiré toute cette conduite avait tout disposé suivant
ses vues. — Remi. il ne faut pas
oublier que chacun des trois Mages ne présenta pas en particulier un seul de
ces trois présents, mais que chacun d’eux les offrit tous les trois, proclamant
ainsi tous les trois par la nature de leurs présents le roi, le lieu et
l’homme. — S. Chrys. (hom. 7 sur S. Matth.) Que Marcion et Paul de Samosate rougissent
donc, eux qui refusent de reconnaître ce qu’ont reconnu les Mages, qui ont
donné naissance à l’Église, et qui ont adoré Dieu dans une chair mortelle. Que
celui qu’ils adorent fût revêtu d’un corps mortel, les langes et la crèche le
disent assez ; mais qu’ils aient adoré en lui non pas un simple mortel,
mais un Dieu, nous en avons la preuve dans les présents qu’il était juste
d’offrir à la divinité. Que les Juifs soient aussi couverts de honte, eux qui
sont prévenus par les Mages, et qui ne se mettent pas en peine de venir du
moins à leur suite.
S. Grég. (hom. 10.) On peut encore donner une autre interprétation de
ces présents. L’or signifie la sagesse, au témoignage de Salomon :
« Un trésor désirable se trouve sur les lèvres du Sage » (Pv 21, 20), l’encens qu’on brûle devant
Dieu figure la vertu de la prière selon ces paroles : « Que ma prière
se lève comme l’encens en votre présence ; la myrrhe est le symbole de la
mortification de la chair. Nous offrons à ce roi nouveau-né l’or lorsque nous
resplendissons devant lui de l’éclat de la sagesse ; nous lui offrons
l’encens lorsque par la prière nous exhalons devant Dieu le parfum de nos
hommages ; nous lui offrons la myrrhe en mortifiant par l’abstinence les
vices de la chair. — La Glose. Ces
trois hommes qui offrent à Dieu leurs présents figurent les nations venues des
trois parties du monde. Ils ouvrent leurs trésors en manifestant la foi de
leurs cœurs par le témoignage qu’ils en donnent. Ils les ouvrent dans l’intérieur
de la maison pour nous apprendre à ne pas étaler par vanité aux yeux du public
le trésor d’une bonne conscience ; ils offrent trois présents,
c’est-à-dire leur foi en la sainte Trinité. On peut dire encore qu’ils ouvrent
les trésors des Écritures et qu’ils en tirent les trois sens historique, moral
et allégorique ; ou bien la logique, la physique et la morale en tant
qu’il les soumettent à la foi.
v. 12.
S. Aug. L’impie Hérode, que la crainte rendait
cruel, voulait donner un libre cours à sa fureur, mais comment pouvait-il se
rendre maître par la ruse de celui qui venait détruire toutes les ruses et les
perfidies ? C’est pour nous apprendre comment sa perfidie fut déjouée que
l’Évangéliste ajoute : « Et ayant reçu en songe un avertissement. »
— S. Jér. Ceux qui ont offert
leurs présents au Seigneur en reçoivent un avertissement ; ce n’est point
par un ange qu’il leur est donné, pour rendre plus éclatant le privilège que
Joseph devait à ses vertus. — La Glose. Cet
avertissement vient du Seigneur lui-même, car nul autre ne peut indiquer la
voie du retour que celui qui a dit : « Je suis la voie. »
Toutefois ce n’est pas l’enfant qui leur parle, pour ne pas révéler sa divinité
avant le temps, et pour confirmer au contraire la vérité de son humanité. L’Évangéliste
dit : « Et ayant reçu réponse, » car de même que Moïse criait vers Dieu tout en gardant le silence,
de même les Mages interrogeaient par leurs pieux désirs la volonté divine. Il
est dit encore : « Ils s’en
retournèrent en leur pays par un autre chemin, » parce qu’ils ne devaient plus se mêler à l’incrédulité des Juifs.
S. Chrys. (hom. 8 sur S. Matth.) Considérez
la foi des Mages : ils ne sont pas scandalisés de cet avertissement, et
ils ne disent pas : Si cet enfant est si puissant, pourquoi cette fuite,
pourquoi ce retour secret ? Un des caractères de la vraie foi, c’est de ne
pas rechercher les raisons des ordres qui nous sont donnés, mais d’y acquiescer
avec docilité. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si les Mages avaient
recherché le Christ comme un roi de ce monde, ils seraient demeurés près de lui
après l’avoir trouvé : tandis qu’après avoir adoré ce roi du ciel ils s’en
vont dans leur pays. Lorsqu’ils furent de retour, ils se montrèrent plus que
jamais adorateurs fidèles du vrai Dieu ; ils en instruisirent un grand
nombre par leurs prédications, et lorsque saint Thomas arriva plus tard dans
ces contrées, ils se joignirent à lui et après avoir reçu le baptême ils
devinrent ses coadjuteurs dans l’apostolat.
S. Grég. (hom. 10 sur les Ev.) Les
Mages en retournant dans leur pays par un autre chemin nous donnent une grande
leçon. Notre patrie, c’est le ciel, et après avoir connu le Sauveur Jésus, nous
ne pouvons y retourner par la voie que nous avons d’abord suivie. En effet nous
nous sommes éloignés de notre patrie par l’orgueil, par la désobéissance, par
l’attachement aux choses visibles, et en goûtant au fruit défendu ; nous
ne pouvons y revenir que par les larmes, par l’obéissance, par le mépris des
choses de la terre et la mortification des désirs de la chair. — S. Chrys. (sur S. Matth.) D’ailleurs Il n’était pas possible que ceux qui
avaient quitté Hérode pour venir trouver Jésus-Christ, retournassent vers ce
roi impie et cruel. Ceux en effet qui abandonnent Jésus-Christ et qui passent
au démon par le péché, reviennent à Jésus-Christ par la pénitence. Celui qui a
vécu jusqu’alors dans l’innocence, ignore le mal et se laisse facilement
tromper ; mais lorsqu’il a connu par expérience le mal dans lequel il est
tombé, et qu’il se rappelle le bien qu’il a perdu, il revient à Dieu, le
repentir dans le cœur. Or l’homme qui abandonne le démon pour venir à
Jésus-Christ revient difficilement au démon, parce que la joie qu’il goûte au
milieu des biens qu’il a retrouvés, et le souvenir des maux auxquels il a échappé,
lui rendent difficile le retour vers le mal.
v. 13-15.
Rab. Saint Matthieu passe
sous silence la cérémonie de la Purification dans laquelle on devait présenter
au temple l’enfant premier-né, et offrir un agneau, ou deux tourterelles, ou
deux petits de colombes. Malgré la crainte que leur inspirait Hérode, les
parents de Jésus n’osèrent transgresser la loi qui les obligeait à porter
l’enfant au temple. Mais lorsque le bruit de la naissance de l’enfant commença
à se répandre, un ange fut envoyé pour avertir Joseph de transporter l’enfant
en Égypte : « L’ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, mi
poursuit l’Évangéliste. Remi. —
L’ange est toujours envoyé à Joseph pendant son sommeil, et ce saint patriarche
est la figure de ceux qui, s’affranchissant des soins de la terre et des
préoccupations du monde méritent d’être favorisés de la vision des anges.
L’ange lui dit donc : « Levez-vous, prenez la mère et
l’enfant. » — S. Hil. Pour exprimer qu’elle était
fiancée à cet homme juste, l’Évangéliste l’appelle son épouse ; mais après
l’enfantement, il ne la présente plus que comme la mère de Jésus, et ce n’est
pas sans raison : le mariage avec le juste Joseph devait être regardé
comme le plus sûr garant de la virginité de Marie, et cette virginité était
comme consacrée dans la mère de Jésus par sa maternité divine.
S. Chrys. (sur S. Matth.) — L’ange ne dit pas : « Prenez la mère et
l’enfant, » mais « prenez l’enfant et la mère ; car l’enfant
n’est pas né pour la mère, mais la mère a été préparée pour l’enfant :
« Et fuyez en Égypte. » Mais comment le Fils de Dieu peut-il fuir
devant un homme ? Qui nous délivrera de nos ennemis, si lui-même en est
réduit à craindre les siens ? Il fallait d’abord qu’il se soumît en cela
aux conditions de la nature humaine qu’il avait prise, conditions qui exigent
tille la nature humaine et l’enfance abandonnée à elle-même fuient devant un
pouvoir qui les menace. En second lieu, c’est une leçon donnée aux chrétiens,
qui ne doivent point rougir de prendre la fuite lorsque la persécution la rend
nécessaire. Mais pourquoi fuir en Égypte ? Le Seigneur dont la colère ne
dure pas éternellement, s’est souvenu de tous les maux dont Il avait autrefois
accablé l’Égypte, et il lui envoie son Fils pour lui donner un signe éclatant
de réconciliation. Il veut ainsi guérir par cet unique et puissant remède les
dix plaies anciennes de l’Égypte. Il veut aussi que le peuple qui a été
autrefois le persécuteur de son peuple premier-né, devienne le gardien de son
Fils unique ; que ceux qui ont fait peser sur ce peuple leur domination
tyrannique soient les serviteurs les plus empressés de son Fils, et qu’au lieu
d’aller s’engloutir dans les flots de la mer Rouge ils soient appelés à se
plonger dans les eaux vivifiantes du baptême. — S. Aug. Prêtez l’oreille à ce grand mystère. Moïse avait
autrefois répandu une profonde nuit sur l’Égypte perfide ; le Christ en
arrivant dans cette contrée rend la lumière à ceux qui étaient assis dans les
ténèbres ; il fuit, mais c’est pour éclairer et non pas pour se dérober à
ses ennemis.
Suite. « Et
demeurez-y jusqu’à ce que je vous le dise ; car Hérode cherche l’enfant
pour le faire mourir. » Ce tyran infortuné craignait d’être précipité de
son trône par l’avènement du Sauveur ; il se trompait, le Christ n’était
pas venu pour s’emparer de la puissance et de la gloire des autres, mais pour
communiquer la sienne.
Suite. « Et il prit la mère et l’enfant
pendant la nuit, et il se retira en Égypte. » S. Hil. — Ajoutez, pleine d’idoles. C’est ainsi que persécuté
par les Juifs il les abandonne à leur ignorance et se présente au monde de la
Gentilité pour en être adoré. — S. Jér. Lorsque
Joseph prend la mère et l’enfant pour fuir en Égypte, c’est pendant la nuit et
dans les ténèbres ; lorsqu’il retourne dans la Judée, il n’est plus fait
mention ni de la nuit ni de l’obscurité. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Les angoisses
produites par la persécution sont comparées à la nuit, comme la consolation est
figurée par la lumière du jour. — Rab.
Peut-être aussi est-ce que les ennemis de la lumière restèrent plongés dans les
ténèbres par le départ de la lumière, et qu’ils furent de nouveau éclairés par
son retour. — S. Chrys. (hom. 8 sur S. Matth.) Voyez, à peine l’enfant est-il né, le
tyran entre en fureur, et la mère avec l’enfant sont obligés de fuir dans une
terre étrangère. Si donc après vous être dévoués a une œuvre spirituelle, la
tribulation vient fondre sur vous, ne vous troublez pas, mais profitez de cet
exemple pour supporter tout avec courage. — Bède
(hom. sur les SS. Innocents.) Le
Sauveur obligé de fuir en Égypte sur les bras de ses parents nous apprend que
souvent les bons sont chassés de leurs demeures, et quelquefois même jetés en
exil par la perversité des méchants. Jésus, qui devait donner aux siens ce
commandement : Quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une
autre, pratique le premier ce qu’il recommande aux autres, et il fuit devant un
homme, comme s’il était un homme mortel, lui qu’une étoile du haut du ciel a
présenté comme Dieu aux adorations des Mages. — Remi. Isaïe avait prédit cette fuite du Seigneur en Égypte en
ces termes (Is 19, 1) : Voici
que le Seigneur est porté sur un nuage léger, il entrera en Égypte et il
renversera les idoles de l’Égypte.
Saint Matthieu a
pour habitude d’appuyer toujours ce qu’il avance de quelque témoignage, parce
qu’il écrivait pour les Juifs ; c’est pour cela qu’il ajoute :
« Afin que cette parole que le Seigneur avait dite par le prophète fut
accomplie : « J’ai rappelé mon Fils de l’Égypte. » — S. Jér. (De la meilleure manière d’interprét.) On ne lit point cette
prophétie dans les Septante, mais le texte hébreu d’Osée porte
littéralement : « J’ai aimé Israël lorsqu’il n’était qu’un
enfant ; j’ai appelé mon Fils de l’Égypte, » ce que les Septante ont
traduit : « J’ai aimé Israël lorsqu’il n’était qu’un enfant, j’ai
appelé ses enfants de l’Égypte.
S. Jér. (sur Osée.) L’Évangéliste cite ce témoignage du prophète parce
qu’il se rapporte figurativement au Christ. Il faut remarquer en effet que ce
prophète comme tous les autres prédirent l’avènement du Christ et la vocation
des Gentils, en ne laissant jamais entièrement de côté le fond historique du
récit. — S. Chrys. (hom. 8 sur S. Matth.) C’est un
des caractères de la prophétie dont l’application est fréquente, que ce qu’elle
prédit des uns s’accomplit en d’autres ; nous en avons un exemple dans
cette prophétie qui avait pour objet Siméon et Lévi : « Je les
diviserai dans Jacob, et je les disperserai au milieu d’Israël, » et qui n’a pas été accomplie dans ces
deux enfants de Jacob, mais dans leurs descendants. C’est ce que nous voyons
encore ici ; car le Christ est le Fils de Dieu par nature et c’est en lui
que la prophétie a son véritable accomplissement. — S. Jér. Nous pouvons encore donner une autre explication en
faveur de ceux qui se rendent difficilement, en produisant ce témoignage tiré
du Livre des Nombres, où Balaam
dit : « Dieu l’a appelé de l’Égypte, sa gloire est comme celle du
rhinocéros. » — Remi. Joseph
représente ici les prédicateurs de l’Évangile ; Marie, la sainte Écriture ;
l’enfant, la connaissance du Sauveur ; la persécution d’Hérode, celle
qu’eut à souffrir la primitive Église ; la fuite de Joseph en Égypte, le
passage des apôtres chez les nations infidèles (l’Égypte signifie les
ténèbres) ; le temps qu’il resta en Égypte, celui qui sépare l’Ascension
de la venue de l’Antéchrist ; la mort d’Hérode, l’extinction de l’envie
qui existait dans le cœur des Juifs.
v. 16.
S. Chrys. (sur
S. Matth.) Pendant que
l’enfant Jésus soumettait les Mages à son empire non par sa puissance
corporelle, mais par la grâce de l’Esprit, Hérode entrait en fureur de n’avoir
pu persuader, lui assis sur le trône, ceux qu’avait su charmer Jésus, tout
enfant qu’il était et couché dans une pauvre crèche. Le mépris que les Mages
tirent de sa personne augmentèrent encore sa douleur, ce que l’Évangéliste
exprime ainsi : « Alors Hérode, voyant qu’il avait été trompé par les
Mages, entra dans une grande colère. »
La colère des rois, lorsqu’elle est allumée par la passion du pouvoir, est
comme un vaste incendie qu’on s’efforce vainement d’éteindre. Mais que
fit-il ? Il envoya mettre à mort tous les enfants. De même qu’un animal
féroce blessé déchire tout ce qui se présente comme étant la cause de sa
blessure, ainsi Hérode trompé par les Mages décharge sa colère sur tous les
enfants. Il se disait dans sa fureur : « Certainement les Mages ont
trouvé cet enfant dont ils annonçaient la royauté future, » car un roi que
tourmente l’ambition de régner soupçonne tout, parce qu’il craint tout. Il
envoya donc des émissaires pour mettre à mort tous les enfants, et pour
ensevelir un seul d’entre eux dans le trépas de tous les autres. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Et pendant qu’il persécute le Christ
contemporain de ce roi cruel, il lui forme une armée éclatante des blanches
insignes de la victoire. — S. Aug. Ce
roi impie en mettant sa puissance au service de ces bienheureux enfants leur
eût été moins utile que par les effets de sa haine, car plus la cruauté qui les
persécuta fut grande, plus aussi fut brillante la grâce qui les mit en
possession du bonheur. — Le même.
O bienheureux enfants ! Que celui-là doute de la couronne que vous a
méritée le martyre souffert pour Jésus-Christ, qui nie l’utilité du baptême de
Jésus-Christ pour les enfants. Est-ce qu’en effet celui qui a pu avoir des
anges pour prédicateurs de sa naissance, et des Mages pour adorateurs dans son
berceau, n’aurait pas pu garantir ces enfants de la mort qu’ils ont soufferte
pour lui, si cette mort devait être pour eux une perte sans retour, au lieu d’être
le commencement d’une vie bien plus heureuse ? Gardons-nous de penser que
le Christ qui venait sur la terre pour l’affranchissement et le salut de tous
les hommes, n’ait rien fait pour la récompense des enfants qui mouraient pour
lui, alors que lui-même, suspendu au bois de la croix, alla jusqu’à prier pour
ses bourreaux.
Rab. Non contents de
porter la désolation dans Bethléem, il étendit sa fureur à tous les pays
d’alentour, et sans aucune pitié pour cet âge innocent, il fit massacrer tous
les enfants, depuis celui qui ne comptait qu’une nuit jusqu’aux enfants âgés de
deux ans, comme l’indique le texte sacré : « Dans Bethléem et dans le
pays d’alentour, depuis l’âge de deux ans et au-dessous. » — S. Aug. (serm. 7 sur l’Epiph.) Ce n’était pas seulement quelques jours
auparavant que les Mages avaient vu cette étoile inconnue, mais depuis deux ans
révolus, comme ils le firent savoir à Hérode qui s’en informait, et tel est le
sens des paroles suivantes : « Selon le temps dont il s’était enquis exactement
auprès des Mages. — S. Aug. (serm. sur les démons). Peut-être
craignait-il que cet enfant, qui avait les étoiles à ses ordres, ne prît
l’extérieur d’un enfant un peu au-dessus ou au-dessous de son âge, pour cacher
l’époque de sa naissance. C’est pour cela qu’il fit mettre à mort tous ceux qui
avaient deux ans jusqu’aux enfants qui ne comptaient qu’un jour de vie. — S. Aug. (de l’acc. des Ev., 2, 2.) Peut-être encore qu’Hérode, agité par la
crainte de dangers plus imminents, fut distrait de la pensée de mettre à mort
immédiatement ces enfants par des préoccupations d’un autre genre. Peut-être
enfin put-il croire que les Mages trompés par l’apparition trompeuse d’une
fausse étoile, avaient eu honte de revenir vers lui sans avoir trouvé l’enfant
à la naissance duquel ils avaient cru ; il laissa donc tomber ses frayeurs
et abandonna le dessein qu’il avait de perdre cet enfant ; et ainsi les
parents de Jésus furent libres de le porter au temple le jour de la
Purification. Qui ne voit en effet que ce seul jour put bien passer inaperçu
aux yeux d’un roi absorbé par tant de soins divers ? Mais plus tard,
lorsque le bruit de tout ce qui avait été dit et fait dans le temple se fut
répandu, Hérode comprit qu’il avait été trompé par les Mages, et c’est alors
qu’eut lieu le massacre de tous ces enfants que l’Évangile raconte en cet
endroit.
Bède. La mort de cet
enfant fut une figure de la mort précieuse de tous les martyrs de Jésus-Christ.
Ces enfants mis à mort dans un âge si tendre nous apprennent que c’est par
l’humilité qu’on parvient à la gloire du martyre. Ce massacre, qui s’étend de
Bethléem à tous les pays environnants, figure la persécution qui de la Judée,
où l’Église prit naissance, devait se répandre par toute la terre. Ces martyrs
de deux ans représentent les martyrs dont la science et les œuvres sont
arrivées à la perfection ; ceux dont l’âge est au-dessous, les âmes qui
ont la simplicité en partage. En permettant que ces enfants soient mis à mort,
tandis que le Christ seul échappe au fer des bourreaux, Dieu nous apprend que
les impies peuvent détruire les corps des martyrs, mais qu’ils ne peuvent leur
enlever Jésus-Christ.
vv 17-18.
S. Chrys. (hom. 7 sur S. Matth.) Après nous avoir rempli d’horreur par le récit de ce cruel massacre,
l’Évangéliste, pour en diminuer la pénible impression, nous montre qu’il ne
s’est pas accompli à l’insu de Dieu ou en dépit de sa puissance, mais qu’il
l’avait prédit lui-même par son prophète, et c’est pourquoi il ajoute : « Alors fut accompli, » etc. —
S. Jér. (sur Jr 31, 15). Saint Matthieu ne rapporte ce témoignage de
Jérémie, ni d’après le texte hébreu, ni d’après les Septante ; ce qui
prouve que les Évangélistes et les Apôtres n’ont suivi aucune version dans
leurs citations, mais que comme Hébreux ils ont cité à leur manière et en
hébreu ce qu’ils lisaient dans la sainte Écriture.
S. Jér. (sur S. Matth.) Il ne faut pas prendre Rama pour le nom propre de
ce lieu qui est près de Gaban ; le mot Rama signifie ici élevé, et il veut dire : « La
voix s’est fait entendre sur les hauteurs, c’est-à-dire qu’elle a retenti au
loin, dans une grande étendue. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Ou bien peut-être,
comme c’était pour déplorer la mort des innocents que cette voix se faisait
entendre, elle retentissait sur les hauteurs, selon cette parole :
« La voix du pauvre pénètre les nues » (Si 35, 20). Le mot pleurs exprime les cris des enfants, le mot
hurlements les lamentations des mères. Mais pour les enfants la mort mettait
fin à leurs douleurs, tandis que la douleur des mères se ravivait sans cesse
dans le souvenir de leurs enfants. C’est pour cela qu’il est dit :
« Il y eut de grands gémissements ; c’est Rachel qui pleurait ses
enfants. »
S. Jér. De Rachel est né Benjamin, et
Bethléem n’est pas dans la tribu de Benjamin. On se demande donc pourquoi
Rachel pleure les enfants de Juda (c’est-à-dire ceux de Bethléem) comme ses
propres enfants. Nous répondrons en peu de mots que Rachel fut ensevelie près de
Bethléem dans Ephrata, et qu’elle reçut le nom de mère parce que son tombeau se
trouvait dans cette contrée. On peut dire aussi que les deux tribus de Juda et
de Benjamin étant limitrophes, et Hérode ayant ordonné de tuer les enfants, non
seulement dans Bethléem, mais dans tous les environs, on peut en conclure qu’un
grand nombre d’enfants de la tribu de Benjamin furent enveloppés dans le
massacre de ceux de Bethléem. — S. Aug. (Quest. sur le Nouv. et l’Anc. Test., cap.
62) Ou bien peut-être c’est parce que les enfants de Benjamin, qui
appartenaient à Rachel, ayant été autrefois mis à mort par les autres tribus et
détruits à jamais, cette malheureuse mère se lamente sur le sort de ses propres
enfants, en voyant les enfants de sa sœur massacrés pour une cause si glorieuse
que leur mort leur assurait l’héritage de la vie éternelle. En effet, quand le
bonheur d’autrui vient ajouter à notre infortune nous en pleurons plus
amèrement nos propres malheurs.
Remi. L’Évangéliste, pour
nous dépeindre d’une manière plus frappante l’étendue de cette douleur, va
jusqu’à dire que Rachel, toute morte qu’elle était, a pleuré ses enfants et n’a
pas voulu se consoler parce qu’ils ne sont plus. — S. Jér. Ces dernières paroles peuvent avoir deux sens : ou
parce que Rachel les croyait morts pour toujours, ou parce qu’elle ne voulait
pas être consolée de la perte de ceux qu’elle savait devoir retrouver la vie.
Tel serait donc le sens : « Elle ne voulut pas être consolée parce
qu’ils ne sont plus, » c’est-à-dire : « Elle ne voulut pas être
consolée de ce qu’ils n’étaient plus. »
S. Hil. (sur le chap. 1 de S. Matth.)
On ne pouvait dire de ces enfants qui paraissaient morts qu’ils avaient
cessé d’exister, car la gloire du martyre les avait élevés jusqu’à la vie plus
parfaite de l’éternité, mais la consolation devait tomber sur ce qui avait été
perdu et non sur ce qui avait été glorifié. Rachel était la figure de l’Église
dont la fécondité avait succédé à une longue stérilité. Ces gémissements
qu’elle fait entendre n’ont pas pour objet les enfants qui lui ont été ravis,
mais ceux qui les ont mis à mort et qu’elle eût voulu garder pour ses enfants.
— Rab. Ou bien Rachel signifie
l’Église qui pleure la mort des saints arrachés à cette vie de la terre, et qui
ne veut pas le la consolation de voir ceux qui ont triomphé du monde par leur
trépas revenir de nouveau avec elle pour soutenir les mêmes combats, mais qui
refuse toute consolation parce qu’ils ne doivent pas être rappelés à la vie. — La Glose. Ou bien elle ne veut pas être
consolée dans la vie présente parce que ses enfants ne sont plus, et elle
renvoie toute son espérance, toute sa consolation à la vie éternelle. — Rab. Rachel (dont le nom signifie brebis ou voyante) est une belle figure de l’Église, dont toute l’intention
se dirige vers la contemplation de Dieu, et qui est aussi cette centième brebis
que le bon pasteur rapporte sur ses épaules.
Eusèbe (Hist. Ecclés.,
liv. 1, chap. 8).
Lorsque, pour punir le sacrilège qu’Hérode avait commis sur la personne du
Sauveur, et le crime qu’il avait consommé sur les enfants de son âge, la
vengeance divine hâtait le moment de sa mort, son corps, au dire de Josèphe,
fut en proie à diverses maladies dans lesquelles les devins eux-mêmes virent,
non pas une maladie ordinaire, mais des signes visibles de la justice de Dieu.
Plein de fureur, ce malheureux prince fit jeter dans une prison les membres des
principales et plus nobles familles des Juifs, et ordonna qu’on les fit tous
mourir aussitôt qu’il aurait expiré, afin que toute la Judée fût forcée malgré
elle de pleurer sa mort. Un peu avant de rendre le dernier soupir, il fit
égorger son fils Antipater, comme il avait fait auparavant de ses deux autres
fils Alexandre et Aristobule. Telle fut donc la fin d’Hérode, qui paya par un
juste supplice la peine qu’il méritait pour le massacre des enfants de
Bethléem, et les embûches qu’il avait tendues à l’Enfant-Dieu. C’est cette mort
à laquelle l’Évangéliste fait allusion lorsqu’il dit : « Hérode étant
mort. » — S. Jér. Il en est beaucoup qui, par
ignorance de l’histoire, commettent l’erreur de confondre cet Hérode avec celui
qui s’est moqué du Sauveur dans sa passion. Le roi Hérode, qui renoua plus tard
amitié avec Pilate, était fils de ce premier Hérode et frère d’Archélaüs, que
Tibère-César exila dans la ville de Lyon après lui avoir donné son frère Hérode
pour successeur. Or, c’est après la mort de ce premier Hérode que « l’ange
du Seigneur apparut en songe à Joseph dans l’Égypte et lui dit :
Levez-vous, prenez l’enfant et la mère. » — S. Denys (Hier., chap. 4). Je vois que Jésus lui-même, placé par sa nature
au-dessus de toutes les essences célestes, étant descendu jusqu’à nous sans
rien changer à sa nature, accepte toutes les conditions inhérentes à la nature
humaine, qu’il avait lui-même déterminées. Il obéit donc et se soumet aux
ordres de Dieu son Père qui lui sont communiqués par les anges ; c’est par
les anges que Dieu le Père intime à Joseph l’ordre de partir pour l’Égypte et
plus tard celui de revenir de l’Égypte en Judée. S. Chrys. (sur S. Matth.) Vous voyez que Joseph avait été
choisi pour rendre à Marie les services que son état réclamait. Quel autre
aurait pu lui donner tous les soins dont elle eut besoin pendant son voyage en
Égypte et à son retour, s’il n’avait été son époux ? Au premier aspect,
c’est Marie qui nourrissait Jésus, et Joseph qui veillait sur lui ; mais
dans la réalité c’est ce divin enfant qui nourrissait sa mère et protégeait
Joseph lui-même.
Suite. « Retournez
dans la terre d’Israël. » Le Sauveur descendit dans l’Égypte comme un
médecin pour la visiter languissante au milieu de ses erreurs, mais non pas
pour y rester. La raison de son retour nous est indiquée dans les paroles
suivantes : « Car ceux qui cherchaient l’enfant pour lui ôter la vie
sont morts. » Nous devons conclure de là que non seulement Hérode, mais
encore les prêtres et les scribes avaient tramé en même temps la mort du
Seigneur. — Remi. Mais s’ils
étaient si nombreux, comment sont-ils tous morts dans un si court espace de
temps ? Parce qu’après la mort d’Hérode, tous les grands qui étaient
retenus dans les fers furent massacrés comme nous l’avons dit plus haut. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ils sont accusés d’avoir tramé la mort de l’enfant,
parce qu’ils approuvèrent le dessein qu’avait Hérode de le mettre à mort, comme
l’indiquent les paroles suivantes : « Hérode
fut troublé et toute la ville de Jérusalem avec lui. » — Remi. Ou bien l’Évangéliste fait usage
ici de cette figure où le pluriel est mis à la place du singulier. En
disant : « L’âme de l’entant, » il détruit l’erreur des hérétiques qui ont avancé que le Christ
n’avait pas d’âme, et que la divinité lui en tenait lieu.
Bède. (hom.) Hèrode succomba peu de temps après que les enfants furent massacrés pour le
Sauveur, et Joseph ramena Jésus avec sa mère dans la terre d’Israël ;
c’est là une figure que toutes les persécutions qui devaient être suscitées
contre l’Église cesseraient à la mort des persécuteurs, que la paix serait de
nouveau rendue à l’Église, et que les saints, qui avaient été obligés de fuir
et de se cacher, retourneraient dans leur patrie. Le retour de Jésus en Judée,
après la mort d’Hérode signifie aussi qu’à la voix d’Hénoch et d’Hélie les
Juifs laisseront s’éteindre les feux de leur haine envieuse, et se convertiront
à la foi et à la vérité.
La Glose. Joseph se montre docile à l’avertissement qui lui
est donné par un ange ; « Et
s’étant levé dit l’auteur sacré, il prit la mère et l’enfant, » etc.
L’ange n’avait pas déterminé dans quel endroit de la terre d’Israël il devait
se retirer ; l’incertitude de Joseph lui donnait ainsi l’occasion de
revenir, et de lui ôter par ses fréquentes visites tout doute sur ce qu’il
devait faire. Aussi lisons nous : « Ayant
appris qu’Archélaüs, » etc. — Josèphe. Hérode eut neuf femmes dont sept lui donnèrent une nombreuse
famille. Il eut son fils aîné Antipater de Doris, Alexandre et Aristobule de
Mariamne, Archélaüs de Marthace de Samarie, Hérode Antipas qui fut dans la
suite tétrarque de Galilée et Philippe, de Cléopâtre de Jérusalem. Or Hérode
ayant fait mettre à mort ses trois premiers enfants, et Archélaüs s’appuyant
sur le testament de son père pour s’emparer de son royaume, la cause fut portée
à Rome au tribunal de César-Auguste, qui, sur l’avis du sénat, partagea les
états d’Hérode de la manière suivante : Il donna à Archélaüs sous le titre
de tétrarque la moitié du royaume d’Hérode, c’est-à-dire l’Idumée et la Judée,
en lui promettant de rétablir en sa personne le titre de roi, s’il s’en rendait
digne. Il subdivisa l’autre partie en deux tétrarchies, donna la Galilée à
Hérode avec le titre de tétrarque, et à Philippe l’Iturée et la Traconite.
Archélaüs devint donc après la mort d’Hérode une espèce d’etnarque, sorte de
pouvoir que l’Évangéliste assimile au titre de roi.
S. Aug. (De l’acc. des Ev. liv. 2, chap. 10.) On nous demandera peut-être
ici comment les parents de Jésus, comme le raconte saint Luc, pouvaient pendant
toute son enfance venir tous les ans à Jérusalem, alors que la crainte
d’Archélaüs devait les en tenir éloignés. La réponse est facile. Ils pouvaient
très bien en effet venir secrètement à Jérusalem le jour de la fête, confondus
qu’ils étaient au milieu d’une si grande foule, pour en sortir bientôt, tandis
qu’ils auraient dû craindre d’y fixer leur séjour en d’autres temps. C’est
ainsi qu’ils accomplissaient leurs devoirs religieux en assistant à la fête, et
qu’ils ne s’exposaient pas à être remarqués en y restant plus longtemps. Il est
d’ailleurs évident que lorsque saint Luc nous dit qu’ils montaient tous les ans
à Jérusalem, Il faut l’entendre du temps où ils n’avaient plus rien à craindre
d’Archélaüs, qui, d’après Josèphe, ne régna que neuf ans.
« Et ayant
reçu un avertissement pendant son sommeil. » Quelqu’un sera peut-être
surpris d’entendre saint Matthieu nous dire que Joseph craignait de revenir
avec l’enfant dans la Judée, parce qu’Archélaüs avait succédé à Hérode son
père, tandis qu’il ne craint pas de se retirer dans la Galilée, dont un autre
fils d’Hérode était tétrarque, au témoignage de saint Luc. Mais l’époque dont
parle saint Luc n’était pas celle où l’on craignait pour l’enfant. Tout était
changé alors, et ce n’était plus Archélaüs qui régnait en Judée, mais
Ponce-Pilate qui la gouvernait. — La
Glose. On se demande encore pourquoi Joseph ne craignait pas de se
retirer dans la Galilée, sur laquelle s’étendait le pouvoir d’Archélaüs ? C’est qu’il était plus facile
d’échapper à toute recherche dans Nazareth que dans Jérusalem, capitale du
royaume ou Archélaüs résidait ordinairement. — S. Chrys. (hom. 9.) Et
d’ailleurs en quittant la bourgade où il avait pris naissance, il était plus
facile d’en cacher le secret, car toute la violence de l’ennemi se portait
contre Bethléem et ses alentours. Joseph vint donc à Nazareth pour échapper au
danger et revenir dans sa patrie. « Et il vint à Nazareth, dit
l’Évangéliste, et il y demeura. »
S. Aug. (de l’acc. des Evang.) On pourrait encore demander pourquoi saint
Matthieu nous dit que les parents de Jésus se retirèrent avec lui dans la
Galilée, parce qu’ils craignaient d’aller à Jérusalem à cause d’Archélaüs,
tandis qu’au témoignage de saint Luc (Lc 1, 26 ; 2, 24 ; Mt 2,
23 ; 21, 11) il est plus vraisemblable qu’ils se fixèrent dans la Galilée,
parce que la ville de Nazareth qu’ils habitaient en faisait partie. Nous
répondons que lorsque l’ange vint trouver Joseph en Égypte et lui dit pendant
son sommeil : « Retourne dans la terre d’Israël, » Joseph put
comprendre d’abord qu’il était mieux pour lui d’aller dans la Judée, à laquelle
paraissait convenir plus spécialement la dénomination de terre d’Israël. Mais
lorsqu’il eût appris qu’Archélaüs y régnait, il ne voulut pas s’exposer au
danger, puisque d’ailleurs le nom de terre d’Israël pouvait aussi convenir à la
Galilée, qui était également habitée par le peuple d’Israël. Voici une autre
solution : les parents de Jésus purent croire qu’ils ne devaient fixer
leur demeure avec lui qu’à Jérusalem, où se trouvait le temple du Seigneur et c’est là qu’ils auraient été, si la
crainte d’Archélaüs qui habitait cette ville ne les en eût détournés. Mais
l’ordre qu’ils avaient reçu du ciel ne leur faisait pas une loi de se fixer
dans la Judée ou à Jérusalem en passant par-dessus la crainte que leur
inspirait Archélaüs, mais seulement dans la terre d’Israël, ce qui pouvait
s’entendre de la Galilée, comme nous l’avons dit.
S. Hil. (sur le chap. 2 de S. Matth.) On peut donner une raison
mystique de cette conduite. Joseph représente ici les apôtres à qui Dieu a
confié Jésus-Christ pour le porter dans tout l’univers. Après la mort d’Hérode,
c’est-à-dire après que le peuple juif fut comme détruit en punition de la mort
du Sauveur, Dieu leur ordonna de prêcher aux Juifs, car ils étaient envoyées
premièrement aux brebis perdues de la maison d’Israël (Mt 28, 19). Mais voyant qu’ils
étaient toujours dominés par l’infidélité, qui était chez eux comme
héréditaire, les apôtres craignent et se retirent, et avertis par une vision
céleste qui leur révèle que les dons de l’Esprit saint sont transférés aux
Gentils, ils leurs portent alors Jésus-Christ. — Rab. Ou bien on peut voir ici une figure des derniers temps
de l’Église, où un grand nombre de Juifs se convertiront à la voix d’Hénoch et
d’Élie, tandis que les autres seconderont la haine de l’Antéchrist en
combattant contre la foi. La partie de la Judée sur laquelle régnait Archélaüs
représente les partisans de l’Antéchrist ; Nazareth, ville de Galilée où
Jésus-Christ est transporté, figure le reste de cette nation qui doit embrasser
la foi. En effet le nom de Galilée signifie transmigration,
et Nazareth, fleur des vertus, parce
que plus l’Église se détache de la terre pour s’élever avec ardeur vers le
ciel, plus aussi on voit se multiplier au milieu d’elle la fleur et la semence
des vertus.
La Glose. L’Évangéliste
confirme ce fait par le témoignage suivant du prophète : « Pour
accomplir ce qui a été prédit par les prophètes, il sera appelé
Nazaréen. » — S. Jér. Si
l’Évangéliste avait cité un passage précis de l’Écriture, il aurait dit :
« Ce qui a été prédit par le prophète, » et non « ce qui a été
prédit par les prophètes ; » or en prenant cette expression au
pluriel il nous montre qu’il rapporte non pas le texte, mais le sens de
l’Écriture. Le mot Nazaréen signifie saint
et toute l’Écriture proclame la sainteté du Seigneur. Nous pourrions dire
encore que cette citation se trouve littéralement dans ce texte hébreu
d’Isaïe : « Une tige sortira de la racine de Jessé et le Nazaréen
sortira de sa racine. » — S. Chrys.
(hom. 9 sur S. Matth.) Ou bien peut-être cette citation est tirée
d’une prophétie qui n’existe plus, et on ne doit point pousser trop loin les
investigations sur ce point, car un grand nombre des écrits des prophètes ont
été détruits. Ou bien encore l’Évangéliste aura lu ce témoignage dans des
prophètes qui ne sont pas au nombre des livres canoniques, comme Nathan et
Esdras. Ce qu’il y a de certain, c’est que cette circonstance avait été
prédite, comme on le voit dans ces paroles de Philippe à Nathanaël :
« Nous avons trouvé celui que Moïse et les prophètes ont annoncé, Jésus de
Nazareth. » Voilà pourquoi les chrétiens furent d’abord appelés Nazaréens,
nom qui fut ensuite changé à Antioche pour celui de chrétiens.
S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Saint Luc passe sous silence tout ce qui a
rapport aux Mages et les événements qui suivent. C’est ici le lieu de faire
cette observation qui devra nous servir pour toute la suite, que chacun des
Évangélistes coordonne son récit comme s’il n’omettait aucun fait. Tout en
passant sous silence ce qu’il veut taire, chacun d’eux établit entre les choses
qu’il a dites et celles qu’il vent dire une telle liaison que le récit parait
sans interruption. Mais lorsque l’un raconte ce que l’autre a cru devoir
omettre, en examinant attentivement la suite du récit, on voit où l’on peut
placer ce qui a été omis par l’un des écrivains sacrés.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Lorsque
le soleil est près de se lever, avant de paraître sur l’horizon, il envoie ses
rayons qui blanchissent l’Orient, et font de l’aurore qui le précède comme la
messagère du jour. De même aussi, lorsque le Seigneur a daigné prendre
naissance dans le monde, avant de paraître dans l’éclat de sa doctrine, il
éclaire Jean-Baptiste de ses rayons et de la splendeur de son esprit pour qu’il
marche devant lui et annonce son arrivée prochaine. Voilà pourquoi
l’Évangéliste, après le récit de la naissance du Christ et avant de raconter
l’exposé de ses divines, prédications, place en tête de son récit le baptême de
Jésus où Jean, son précurseur qui le baptisa, lui rendit un si glorieux
témoignage : « En ce temps-là, Jean-Baptiste vint prêcher au
désert. »
Remi. Ces paroles de
l’auteur sacré ne nous font pas connaître seulement le temps, le lieu où vécut
saint Jean, et ce qu’il était, mais encore son ministère et le zèle avec lequel
il le remplit. Il désigne l’époque d’une manière générale par ces mots :
« En ce temps-là. » — S. Aug. (de l’acc. des Evang., liv. 2,
ch. 6). Saint Luc détermine cette époque d’une manière plus précise par les
princes qui régnaient alors et en disant : « La quinzième
année, » etc. Mais l’expression
générale dont se sert saint Matthieu : « En ce temps-là, » doit s’entendre d’un espace de temps
plus étendu, car après avoir raconté le retour de l’Égypte, qui dut avoir lieu
dans l’enfance du Sauveur ou dans les premières années, pour laisser place au
fait que saint Luc raconte lorsqu’il eut atteint l’âge de douze ans, il ajoute
aussitôt : « Dans ce temps-là, » expression qui n’indique pas
seulement le jour de son enfance, mais tous ceux qui s’écoulèrent depuis sa
naissance jusqu’à la prédication de Jean-Baptiste.
Remi. L’Évangéliste fait
ensuite connaître la personne dont il s’agit : « Jean-Baptiste
vint, » c’est-à-dire qu’après être resté si longtemps caché dans la
retraite, il en sortit pour se manifester. — S. Chrys. Pourquoi fut-il nécessaire que Jean précédât Jésus, à
qui ses œuvres devaient rendre un témoignage suffisant (cf. Jn 10) ? C’était premièrement pour
nous apprendre la dignité du Christ, qui a ses prophètes comme son Père, selon
ces paroles de Zacharie : « Et toi, enfant, tu seras appelé le
prophète du Très-Haut. » En
second lieu, c’était pour ne laisser aucun prétexte à la fausse réserve des
Juifs, comme il le dit lui-même : « Jean est venu, ne mangeant ni ne
buvant, et ils disent : Il est possédé du démon. Le Fils de l’homme est
venu, mangeant et buvant, et ils disent : « C’est un homme de bonne
chère. » (Mt 11.) D’ailleurs, il
fallait que les premiers témoignages en faveur du Christ vinssent d’un autre
que de lui, autrement les Juifs lui auraient objecté ce qu’ils lui dirent un
jour qu’il avait parlé de lui-même (Jean 8) :
« Vous rendez témoignage
vous-même, votre témoignage n’est pas vrai. » — Remi. L’Évangéliste nous fait connaître l’objet de son
ministère par le nom de Baptiste qu’il lui donne. — La Glose. C’est par ce baptême qu’il prépare les voies au
Seigneur, car les hommes auraient rejeté le baptême du Christ s’ils n’avaient
été préparés par un autre baptême.
Remi. Nous voyons le zèle
de Jean-Baptiste dans ces paroles : « Il vint prêcher. » — Rab.
Car le Christ devait aussi prêcher ; lors donc que Jean-Baptiste
vit que le temps opportun était arrivé (à l’âge de trente ans environ), il
commença ses prédications pour préparer les voies au Seigneur.
Remi. L’Évangéliste
indique le lieu qu’habitait Jean-Baptiste, en ajoutant : « Dans le
désert de la Judée. » — Max. Dans le désert, où sa prédication
ne serait exposée ni aux murmures d’une foule insolente, ni aux railleries de
l’impiété, et où il n’aurait pour auditeurs que ceux qui rechercheraient la
parole de Dieu dans un véritable esprit de religion. — S. Jér. (sur Is 40). Ou bien il faut voir ici une figure de cette vérité
que le salut qui vient de Dieu et la gloire du Seigneur ne sont pas prêchés
dans Jérusalem, mais dans la solitude de l’Église et dans le désert de la
multitude des nations. — S. Hil. (can. 2 sur S. Matth.) Ou bien
encore il vint dans la Judée déserte parce que, bien qu’elle fût fréquentée par
les hommes, elle était privée des visites de Dieu, de manière que le lieu qu’il
avait choisi pour ses prédications attestait l’abandon de ceux à qui la parole
de Dieu s’adressait. — La
Glose. Ou bien enfin, dans le sens figuré, le désert représente la voie
qui est éloignée des attraits séducteurs du monde, et que doivent suivre ceux
qui veulent faire pénitence.
S. Aug. (Liv. de la Pénit.) Celui qui ne se repent pas de sa vie passée ne
peut pas en commencer une nouvelle. — S. Hil.
(c. 2 sur S. Mat.) C’est pour
cela que Jean-Baptiste, au moment où approche le royaume des cieux, prêche la
pénitence qui nous fait quitter les sentiers de l’erreur, revenir de nos
égarements, et nous inspire avec la honte de nos péchés la résolution de ne
plus les commettre ; c’est ce que signifient ces paroles :
« Faites pénitence. » — S. Chrys.
(sur S. Mat.) Par cet exorde seul il
s’annonce comme l’ambassadeur du roi plein de bouté, car il ne fait aucune
menace aux pécheurs, mais leur promet le pardon de leurs péchés. Les rois ont
coutume, à la naissance d’un fils, de proclamer une amnistie dans leur royaume,
mais ils la font précéder par d’impitoyables exacteurs. Dieu, au contraire,
voulant aussitôt la naissance de son fils accorder au genre humain le pardon de
ses péchés, envoie par avance comme exacteur Jean-Baptiste ; et
qu’exige-t-il ? Il dit : « Faites
pénitence. » O heureuse
exaction, qui, loin de nous appauvrir nous enrichit. En effet, lorsque nous
avons payé nos dettes à la justice divine, nous ne donnons rien à Dieu, mais
nous acquérons le riche bénéfice du salut éternel ; car la pénitence
purifie notre cœur, éclaire nos facultés et prépare notre âme à recevoir
Jésus-Christ.
C’est pour cela
qu’il ajoute : « Le royaume de Dieu approche. » — S. Jér. C’est Jean-Baptiste qui le premier
annonce le royaume de Dieu, parce que Dieu voulait honorer par ce privilège le
précurseur de son Fils. — S. Chrys.
(hom 10.) Il annonce donc ce que les
Juifs n’avaient jamais entendu, pas même de la bouche des prophètes, les cieux
et le royaume qu’ils renferment, sans rien dire de la terre. C’est ainsi que
par la nouveauté des choses qu’il prêche, il excite en eux le désir de chercher
celui qui fait l’objet de ses prédications. — Remi.
Le royaume des cieux se prend dans quatre sens différents : pour le
Christ dans ce passage de saint Luc : « Le
royaume de Dieu est au dedans de vous »
(Lc 17) ; pour la sainte Écriture dans cet autre ; « Le royaume de Dieu vous sera
enlevé et sera donné à une nation qui en portera les fruits » (Mt 21) ; pour la sainte Église
dans cet endroit : « Le royaume de Dieu est semblable à dix
vierges » (Mt 25) ; enfin,
pour le céleste séjour dans ces paroles de Jésus-Christ : « Il en
viendra beaucoup d’Orient et d’Occident et ils s’asseoiront dans le royaume des
cieux. » Or, cette expression peut avoir ici toutes ces différentes
significations. — La Glose
Jean-Baptiste dit : « Le royaume de Dieu est proche, car s’il ne
s’approchait pas, personne ne pourrait arriver jusqu’à lui. » Infirmes et aveugles qu’ils étaient,
les hommes avaient besoin que la voie qui est Jésus-Christ vint jusqu’à eux.
S. Aug. (de l’ac. des Ev., l. 2, ch. 12). Les autres Évangélistes n’ont
point rapporté ces dernières paroles de Jean-Baptiste. Quant à celles qui
suivent : « C’est de lui que le prophète Isaïe a parlé, lorsqu’il a
dit : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert ; préparez le
chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers, » leur rapport est ambigu
et on ne voit pas clairement si c’est l’Évangéliste qui fait lui-même cette
citation, ou s’il la donne comme faisant suite aux paroles de saint Jean, de
manière que tout ce passage : « Faites pénitence, le royaume des
cieux approche, car c’est lui, » etc., ferait partie du discours du saint
précurseur. Que saint Jean ne dise pas : « C’est moi, » mais
c’est lui, » cela ne doit pas
nous impressionner, car saint Matthieu ne dit-il pas de lui-même :
« Jésus trouva un homme dans son bureau ? » et non pas : « Jésus me trouva. » S’il en est ainsi, qu’y a-t-il
d’étonnant que saint Jean-Baptiste, interrogé sur ce qu’il pensait de lui-même,
ait répondu : « Je suis la voix de celui qui crie dans le
désert, » comme le rapporte
l’Évangéliste saint Jean ?
S. Grég. (hom. 7 sur S. Matth.) On sait que le Fils unique de Dieu est appelé le
Verbe du Père, d’après ce passage du même Évangéliste : « Au commencement était le
Verbe. » Or, nous voyons par
notre manière de parler que la voix résonne pour que la parole puisse être
entendue : Jean, précurseur du Sauveur, est donc appelé la voix, parce
qu’il est la voix mystérieuse que fait entendre aux hommes le Verbe du Père. —
S. Chrys. (sur S. Matth.) La voix par elle-même est un son confus et
indéterminé qui ne dévoile aucun secret du cœur ; elle indique seulement
que celui qui élève la voix veut exprimer une pensée. Mais c’est à la parole
seule qu’il appartient de révéler les mystères de l’âme. Il y a encore cette
différence que la voix est commune aux hommes et aux animaux, tandis que la
parole est le partage exclusif des hommes. Jean est donc appelé la voix et non
pas la parole, parce que Dieu ne l’a point choisi pour faire connaître
l’économie de ses conseils, mais uniquement pour annoncer qu’il méditait
quelque grand dessein en faveur des hommes ; ce n’est que par son Fils
qu’il a dévoilé par la suite dans toute leur clarté les mystérieux desseins de
sa volonté divine.
Rab. Cette
expression : « La voix de celui qui crie, » nous révèle toute la force de la prédication de saint Jean. Le cri
de la voix se produit dans trois circonstances : lorsqu’on s’adresse à une
personne éloignée, lorsque cette personne est sourde, lorsqu’on parle sous
l’impression d’un vif sentiment d’indignation, et ces trois circonstances se
réunissaient dans l’état du genre humain. — La
Glose. Jean est donc comme la voix de la parole qui crie, car c’est la
parole qui se fait entendre par le moyen de la voix, c’est-à-dire Jésus-Christ
par Jean-Baptiste. — Bède. C’est
ainsi qu’il a parlé par la voix de tous ceux qui, depuis le commencement, ont
communiqué aux hommes quelque vérité divine ; mais Jean-Baptiste seul est
appelé la voix, parce que seul il a révélé la présence du Verbe, que les autres
n’ont fait qu’annoncer de loin.
S. Grég. (Hom. 7 sur les Evang.) Jean crie dans le désert parce qu’il
annonce la consolation du Rédempteur à la Judée abandonnée et privée de tout
secours. — Remi. Historiquement
parlant, il parlait dans le désert, parce qu’il se tenait éloigné de la foule
des Juifs. Que criait cette voix ? Les paroles suivantes nous
l’apprennent : « Préparez la voie du Seigneur. » — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Lorsqu’un grand roi
est sur le point d’entreprendre un voyage ou une expédition, il envoie devant
lui des hommes qui préparent tout pour le recevoir, font disparaître tout ce
qui peut offenser ses yeux et
rétablir ce qui est en ruines ; ainsi le Seigneur se fait précéder par
saint Jean qui par la pénitence balaye du cœur des hommes les souillures du
péché, et reconstruit ce qui est en ruines à l’aide de l’observation des
préceptes divins. — S. Grég. (hom. 20 sur les Evang.) Tout
homme qui annonce la vraie foi et la nécessité des bonnes œuvres, prépare la
voie du Seigneur dans le cœur de ceux qui l’écoutent, il rend droits ses
sentiers lorsque, par de pieuses et saintes exhortations, il fait naître dans
l’âme de chastes pensées. — La Glose. (interlin). Ou bien la foi est la voie
par laquelle le Verbe descend dans le cœur, et les sentiers sont redressés
lorsque les mœurs sont réformées.
S. Chrys. (sur
S. Matth.) Après nous
avoir appris que Jean est la voix de celui qui crie dans le désert,
l’Évangéliste ajoute à dessein : « Or, Jean, » etc. Ces paroles nous font connaître
quelle était sa vie ; ainsi, pendant qu’il rendait témoignage au Christ,
sa vie lui rendait témoignage à lui-même, car personne ne peut être le digne
témoin d’un autre s’il n’est d’abord son propre témoin. — S. Hil. (can. 2 sur S. Matth.) Le lieu que Jean avait choisi était le plus convenable pour la
prédication : ainsi avait-il pris le vêtement le plus utile et choisi la
nourriture la plus appropriée à sa vocation. — S. Jér. Son vêtement était fait de poils de chameau et non de
laine ; le premier de ces vêtements est l’indice d’une vie austère et
pénitente ; le second, d’une délicatesse efféminée. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Les serviteurs de Dieu doivent se vêtir, non pour
plaire aux regards ou pour flatter leur chair, mais pour couvrir leur nudité.
Voyez en effet Jean-Baptiste : son vêtement n’était ni doux ni
délicat ; c’était une espèce de cilice lourd et rude, plus fait pour
mortifier la chair que pour la flatter, de sorte que le seul vêtement de son
corps annonçait la force de son âme. — Suite.
« Et une ceinture de cuir autour des reins, » etc. C’était la coutume chez les Juifs de porter des ceintures de
laine, et Jean-Baptiste, par un esprit de plus grande austérité, porte une
ceinture de peau.
S. Jér. Ce que l’Évangéliste ajoute :
« Sa nourriture était du miel sauvage et des sauterelles, » convient à l’homme de la solitude, qui
prend la nourriture non pour goûter les délices de la table, mais pour
satisfaire aux exigences du corps. — Rab.
Il se contente d’une nourriture légère, composée de petits insectes, et
de miel qu’il trouvait sur le tronc des arbres. Nous lisons dans les ouvrages
d’Arculphe, évêque des Gaules, que l’espèce de sauterelles qui se trouve dans le
désert de la Judée est des plus petites ; leur corps grêle et court a la
forme d’un doigt de la main ; on les prend facilement dans les prairies,
et lorsqu’elles sont cuites, elles servent d’aliments aux pauvres. Il raconte
également qu’on trouve dans le même désert des arbres dont la feuille ronde et
large a la couleur du lait et la saveur du miel ; elles se broient
facilement avec la main, et forment une autre espèce de nourriture qui est ici
désignée sous le nom de miel sauvage.
Remi. Ce genre de vêtements
et cette nourriture pauvre annoncent un homme qui pleure les péchés du genre
humain. — Rab. On peut voir aussi
dans ce vêtement et dans cette nourriture un indice des dispositions de son
âme. Il se revêt d’un habit rude et austère parce qu’il devait reprendre les
vices des pécheurs. — S. Jér. Cette
ceinture de cuir qui entoure ses reins est une preuve de sa mortification. — Rab. Il mangeait des sauterelles et du
miel sauvage, parce que sa prédication était agréable à la multitude, mais
qu’elle arriva bientôt à sa fin. Le miel en effet est la douceur même, et le
vol des sauterelles vif et léger, mais il est de courte durée.
Remi. Jean, qui veut dire
grâce de Dieu, représente le Christ
qui apporte la grâce au monde ; son vêtement est le symbole de l’Église
formée des Gentils. — S. Hil. (Can. 2 sur S. Matth.) Le
prédicateur du Christ se revêt des dépouilles des animaux immondes, auxquels
les Gentils sont trop semblables, et en devenant le vêtement du prophète ils
sont purifiés de tout ce que leur vie contenait d’impur ou d’inutile. La
ceinture dont ses reins sont entourés, est la préparation efficace à toute
sorte de bonnes œuvres, et la disposition où nous devons être de remplir toute
espèce de ministère auquel Jésus-Christ nous appelle. Il choisit pour nourriture
les sauterelles qui nous fuient et s’envolent successivement à chaque pas que
nous faisons. Ainsi notre volonté vagabonde se trahissant dans l’extérieur
léger de nos corps, nous emportait et nous rendait inabordables et
inaccessibles à toute parole, vides de bonnes œuvres, murmurateurs et
inconstants ; mais nous sommes devenus maintenant la nourriture des
saints, la société des prophètes, nous sommes du nombre des élus, et le doux
miel que nous devons leur offrir ne vient pas des ruches de la loi, c’est un
miel sauvage recueilli sur les arbres des forêts.
S. Chrys. (sur
S. Matth.) Après nous
avoir fait connaître la vie de Jean, l’Évangéliste ajoute comme
conséquence : « Alors Jérusalem venait à lui, » etc. Car la
renommée de sa vie dans le désert avait plus de retentissement que le son de sa
voix. — S. Chrys. (hom. 10 sur S. Matth.) C’était
un spectacle admirable de voir une force aussi grande dans un corps mortel.
C’est aussi ce qui attirait le plus les juifs, qui croyaient voir en lui le
grand prophète Élie. Ce qui augmentait leur étonnement, c’est que depuis
longtemps ils étaient privés de la grâce des prophéties, et que cette grâce
paraissait leur être rendue. Le genre de prédication tout différent y
contribuait encore, car ils n’entendaient rien de ce que les autres prophètes
avaient coutume de leur annoncer, les combats, les victoires des Assyriens et
des Perses. Jean-Baptiste ne leur parlait que des cieux, du royaume que Dieu y
a fondé, et du supplice de l’enfer.
L’Évangéliste
ajoute : « Alors toute la ville de Jérusalem allait vers lui, et ils
étaient baptisés par lui dans le Jourdain ». — La Glose. (interlin.) C’était
un baptême de préparation, qui n’effaçait pas les péchés. — Remi. Le baptême de Jean figurait la
conduite que tient l’Église à l’égard des catéchumènes ; on catéchise les
enfants pour les rendre dignes du sacrement de baptême ; ainsi Jean
donnait le baptême, afin que ceux qui le recevaient méritassent par une vie
vraiment pieuse le baptême de Jésus-Christ. Il baptisait dans le Jourdain pour
ouvrir la porte du royaume des cieux dans le même endroit qui avait ouvert aux
enfants d’Israël l’entrée de la terre promise.
Suite. « Confessant
leurs péchés. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Devant l’éminente sainteté de Jean-Baptiste, qui
pourra se croire juste ? De même qu’un vêtement d’une éclatante blancheur
perd tout son éclat et paraît même souillé si on le place près de la
neige ; ainsi en comparaison de saint Jean tout homme se trouvait impur et
se hâtait de confesser ses péchés. Or la confession des péchés est la marque
d’une conscience qui craint Dieu, car la crainte qui est parfaite triomphe de
toute honte. On se laisse arrêter par la honte de se confesser, quand on ne
croit pas au châtiment qui doit suivre le jugement dernier. Et comme la honte
et la confusion sont une peine assez forte, Dieu nous ordonne l’aveu de nos
fautes pour nous soumettre à cette peine de la honte, car elle fait aussi
partie du jugement.
Rab. C’est avec raison
que l’Évangéliste dit que ceux qui devaient être baptisés sortaient pour aller
trouver le prophète, car à moins de sortir de ses faiblesses, de renoncer aux
pompes du démon et aux attraits séducteurs du monde, on ne peut recevoir le
baptême avec fruit. Il était également convenable qu’ils fussent baptisés dans
le Jourdain, dont le nom signifie descente,
car ils descendaient des hauteurs orgueilleuses de leur vie pour se
soumettre aux humiliations d’une confession véritable. Dès lors l’exemple était
donné à ceux qui voulaient recevoir le baptême de confesser leurs péchés et de
s’engager à mener une vie plus pure.
S. Grég. (Pastoral., partie 3, dans le Prologue.) Le discours
de ceux qui enseignent doit varier suivant les auditeurs ; il faut qu’il
réponde aux dispositions de chacun d’eux, sans s’écarter cependant des règles
de l’édification commune. — La Glose. Il
était donc nécessaire que l’Évangéliste, après nous avoir rapporté les
enseignements que saint Jean donnait à la multitude, nous fît connaître les
instructions qu’il adressait à ceux qui paraissaient plus avancés, et c’est
pour cela qu’il ajoute : « Or voyant beaucoup de Pharisiens, » etc. Isid.
(Liv. des Etymol. ou des Origines, liv.
8, chap. 4.) Les Pharisiens et les Sadducéens sont divisés entre eux. Le nom de
Pharisiens, d’étymologie hébraïque, signifie divisé, parce que les Pharisiens mettent au-dessus de tout la
justice qui vient des traditions et des observances légales ; ils sont
donc regardés comme divisés du reste du peuple par cette manière d’entendre la
justice. Le nom de Sadducéen veut dire juste
et ils se donnent ainsi un nom qu’ils ne méritent pas, eux qui nient la
résurrection des morts et qui prétendent que l’âme meurt avec le corps. Ils
n’admettent que les cinq livres de la loi, et rejettent les oracles des
prophètes.
La Glose. Jean voyant
venir à son baptême ces hommes qui étaient les premiers d’entre les Juifs, leur
dit : « Race de vipères,
qui vous a montré à fuir la colère qui doit tomber sur vous ? » — Remi. C’est la coutume des écrivains
sacrés de donner aux hommes le nom de ceux dont ils imitent les œuvres, comme
on le voit en ce passage : « Ton père est Amorrhéen. » Ainsi les Pharisiens sont appelés race
de vipères, parce qu’ils imitent les mœurs des vipères. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Tel qu’un médecin habile qui voyant un malade,
connaît à la couleur seule de son visage la nature de sa maladie ; ainsi
Jean-Baptiste découvre aussitôt les pensées mauvaises des Pharisiens qui
s’approchent de lui ; ils disaient probablement en eux-mêmes :
Allons, confessons nos pêchés ; il ne nous impose aucune œuvre difficile,
faisons-nous baptiser, et nos péchés nous seront pardonnés. Insensé, lorsque
l’estomac a digéré une nourriture corrompue, peut-il se passer de médecine ?
Ainsi après la conversion, après le baptême, faut-il prendre les plus grands
soins pour l’entière guérison des blessures que le péché a faites à l’âme.
« Race de vipères, » leur
dit-il : en effet les morsures des vipères ont ce caractère particulier
que celui qui en est atteint court
aussitôt chercher de l’eau, et s’il n’en trouve pas, il meurt de sa blessure.
Or saint Jean les appelle race de vipères, parce qu’après s’être rendus
coupables de fautes mortelles, ils accouraient à son baptême pour échapper par
l’eau, comme des vipères, au danger de mort qu’ils portaient en eux. Il les
appelle encore race de vipères, parce que les vipères déchirent en naissant le
sein de leurs mères, et que les Juifs, en ne cessant de persécuter les
prophètes, ont aussi déchiré le sein de la Synagogue leur mère. Enfin les
vipères ont un extérieur brillant et nuancé de diverses couleurs, tandis qu’au
dedans elles sont remplies de venin ; et c’est ainsi qu’eux-mêmes
offraient comme peinte sur leur visage toute la beauté de la vertu.
Remi. Lorsque saint Jean
dit : « Qui vous a enseigné
à fuir la colère qui doit venir ? », il faut donc entendre si ce
n’est Dieu. — S. Chrys. (sur S. Matth.) « Qui vous a
enseigné ? » Est-ce le prophète Isaïe ? Non : s’il avait
été votre maître, vous ne placeriez pas votre espérance dans l’eau seule du
baptême, mais encore dans les bonnes œuvres, car c’est lui qui a dit :
« Lavez-vous, purifiez-vous, faites disparaître le mal de vos âmes,
apprenez à bien faire. » Est-ce David qui a dit aussi : « Lavez-moi, et je serai plus blanc
que la neige ? » Non, car il ajoute ensuite : « Le
sacrifice que Dieu demande, c’est un cœur contrit. » Si donc vous étiez les disciples de David, vous approcheriez du
baptême en gémissant. — Remi. Si
on lit au futur : « Qui vous apprendra, » le sens sera :
Quel sera le docteur, quel sera le prédicateur qui vous enseignera le moyen
d’échapper à la colère de la damnation éternelle ? — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 9, chap. 5.) Lorsque l’Écriture nous dit que
Dieu se met en colère, ce n’est point qu’il soit soumis à la faiblesse de nos
passions, et qu’elles excitent le trouble dans son âme, c’est uniquement à
cause d’une certaine ressemblance de ses actions avec les nôtres, et le mot
exprime simplement l’effet de la vengeance, et non pas le mouvement violent qui
l’accompagne ordinairement. — La Glose. Si
donc vous voulez éviter cette colère, faites de dignes fruits de pénitence. —
S. Grég. (hom. 20 sur les Evang.) Remarquons
que saint Jean n’exige pas seulement des fruits de pénitence, mais de dignes
fruits de pénitence. En effet celui qui n’a fait aucune chose défendue peut
légitimement jouir des choses permises, mais celui qui est tombé dans le péché
doit d’autant plus se retrancher ce qui est permis qu’il se souvient de s’être livré
plus entièrement aux choses défendues. C’est donc à la conscience de chacun
qu’il s’adresse pour qu’on cherche d’autant plus à s’enrichir de bonnes œuvres
par la pénitence qu’on a subi de plus grandes pertes par les fautes qu’on a
commises. Mais les Juifs, tout fiers de la noblesse de leur origine, ne
voulaient pas s’avouer pécheurs, parce qu’ils descendaient de la race
d’Abraham. — S. Chrys. (hom. 10 sur S. Matth.) Il ne
veut par leur défendre de se dire enfants d’Abraham, mais de mettre toute leur
confiance dans ce titre, sans s’appliquer aux vertus solides de l’âme. — S. Chrys. (sur S. Matth.) A quoi sert un sang illustre à celui dont les mœurs
sont dépravées, et en quoi peut nuire une naissance obscure à celui dont les
vertus sont le plus bel ornement ? Il vaut mieux pour un homme être la
gloire de ses parents qui seront fiers d’avoir un tel fils, que de tirer sa
propre gloire de ceux qui lui ont donné le jour. Ne vous glorifiez donc pas en
disant : Nous avons Abraham pour père, mais rougissez plutôt d’être ses
descendants, sans être les héritiers de ses vertus ; car celui qui ne
ressemble pas à son père passe pour être le fruit de l’adultère. Par ces
paroles : « Et ne dites pas, » il condamne donc la vaine gloire qu’on veut tirer de son origine.
Rab. Comme ce héraut de
la vérité venait appeler les hommes à la pénitence, il les exhorte à
l’humilité, sans laquelle il n’y a point de repentir possible, et il
ajoute : « Je vous le
déclare, Dieu pourrait de ces pierres susciter des enfants d’Abraham. » — Rab.
L’histoire rapporte que Jean prêchait dans cet endroit du Jourdain où douze
pierres tirées du lit de ce fleuve furent dressées par l’ordre du Seigneur (Jos
4, 2.8). Or on peut supposer que Jean-Baptiste indiqua ces pierres lorsqu’il
dit ces paroles : « Dieu
est assez puissant pour susciter de ces pierres mêmes des enfants
d’Abraham. » — S. Jér. Par
là il montre la puissance de Dieu, qui après avoir tiré le monde du néant
pouvait encore se créer un peuple en donnant la vie aux pierres les plus dures.
Car les premiers éléments de la foi consistent à croire que la puissance de
Dieu n’a point de bornes. Or que des pierres donnent naissance à des hommes,
c’est un prodige semblable à celui qui fit naître Isaac de Sara, naissance à
laquelle le prophète fait allusion en ces termes : « Rappelez dans
votre esprit la roche dont vous avez été tirés. » En rappelant cette
prophétie aux Juifs, saint Jean leur apprend qu’il peut encore maintenant
opérer un semblable prodige. — Rab. Ou
bien dans un autre sens on peut dire que ces pierres figurent les Gentils qui
adoraient des idoles de pierre. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Remarquez
encore que la pierre est dure à travailler ; mais lorsqu’on a su en tirer
parti, l’ouvrage qui en résulte est indestructible : ainsi les Gentils
n’ont embrassé la foi qu’avec difficulté, mais depuis ils n’ont cessé d’y
persévérer. — S. Jér. Lisez
Ezéchiel (Ez 11, 49) : « Je vous ôterai votre cœur de pierre, et je
vous donnerai un cœur de chair. » La
pierre signifie ce qui est dur, la chair ce qui est tendre. — Rab. Dieu a donc tiré de ces pierres
des enfants d’Abraham, car les Gentils en croyant en Jésus-Christ fils
d’Abraham, sont devenus eux-mêmes les enfants d’Abraham par cette union avec
son Fils.
Suite. « Déjà la
cognée est à la racine de l’arbre. »
— S. Chrys. (sur S. Matth.) La cognée est cette
colère si aiguisée de la fin des temps, qui doit opérer de si grands
retranchements dans le monde entier. Mais si elle est déjà placée à la racine
de l’arbre, pourquoi ne coupe-t-elle pas ? Parce que les arbres dont il
s’agit sont doués de raison et qu’il est à leur pouvoir de faire le bien ou de
ne pas le faire ; en voyant la cognée appliquée à leur racine, ils peuvent
craindre d’être coupés et se hâtent de porter des fruits. La menace de la colère
qui est la cognée placée à la racine, bien qu’elle ne fasse rien aux méchants,
sert donc au moins à séparer les bons des méchants. — S. Jér. Ou bien encore cette hache est la
prédication de l’Évangile, d’après le prophète Jérémie, qui compare la parole
du Seigneur à une hache qui coupe la pierre (Jr 23, 29). — S. Grég. (hom. 20). Ou bien la hache figure notre
Rédempteur, car de même qu’elle se compose d’un manche et d’un fer, ainsi le
Sauveur est un composé de la divinité et de l’humanité ; on peut le toucher
et le tenir par son humanité, mais sa divinité est comme le fer tranchant de la
hache. Cette hache est placée à la racine de l’arbre, car, bien qu’il attende
avec patience, on voit ce qu’elle doit faire, et que tout arbre qui ne porte
pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu. Eu effet, tout homme pervers qui
refuse de produire ici-bas les fruits des bonnes œuvres, trouve déjà préparé
pour lui le feu de l’enfer qui doit le consumer. Saint Jean nous dit que la
cognée est appliquée à la racine de l’arbre, et non pas aux branches. En effet,
lorsque les enfants des méchants disparaissent, ce sont les branches de l’arbre
stérile qui sont retranchées ; mais, lorsque toute la famille disparaît
avec le père, l’arbre infructueux est coupé à la racine de manière que cette
race dépravée ne puisse plus pousser le moindre rejeton. — S. Chrys. (hom. 2 sur S. Matth.) En disant tout arbre, Jean-Baptiste exclut
la supériorité qui vient de la noblesse, de l’origine, et il semble dire :
Quand vous seriez descendant d’Abraham, vous n’échapperez pas au châtiment, si
vous demeurez stérile. — Rab. On
distingue quatre espèces d’arbres : l’arbre complètement stérile et qui
est la figure des païens ; celui qui porte des feuilles, mais pas de
fruits, image de l’hypocrite ; celui qui a des feuilles, qui porte des
fruits, mais des fruits vénéneux, symbole de l’hérétique ; enfin, celui
qui est couvert de feuilles et produit de bons fruits, et qui représente les
vrais catholiques. — S. Grég. Donc
tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu, parce que
celui qui a négligé de produire le fruit des bonnes œuvres est réservé au feu
de l’enfer, qui doit le réduire en cendres.
La Glose. Après avoir développé dans les paroles précédentes
ce qu’il n’avait fait qu’indiquer en commençant, sur la nécessité de faire
pénitence, Jean-Baptiste devait expliquer avec la même clarté ce qu’il avait
dit du royaume de Dieu qui était proche, et c’est ce qu’il fait dans les
paroles qui suivent : « Je vous baptise dans l’eau pour la
pénitence, » etc. — S. Grég. (hom. 7 sur les Evang.) Jean baptise, non dans l’esprit, mais dans
l’eau, parce qu’il ne peut effacer les péchés : il lave les corps dans
l’eau, mais il ne peut purifier les âmes par le pardon. — S. Chrys. (hom. 10 sur S. Matth.) Puisque la victime n’avait pas encore été
offerte (cf. Hb 10, 12), que le péché
n’était pas expié, et que l’Esprit saint n’était pas encore descendu sur l’eau,
comment donc pouvait-on obtenir la rémission des péchés ? Nous répondons
que tout le malheur des Juifs venait de ce qu’ils ne sentaient pas qu’ils
étaient pécheurs, Jean était donc envoyé pour leur faire connaître leurs péchés
et leur rappeler la nécessité de faire pénitence.
S. Grég. (hom. 7.) Mais pourquoi celui qui ne peut remettre les
péchés donne-t-il le baptême ? C’est pour continuer à remplir son
ministère de précurseur ; sa naissance avait précédé celle du Sauveur, son
baptême devait précéder également le baptême du Seigneur. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien Jean fut envoyé pour baptiser afin de
découvrir à ceux qui venaient recevoir son baptême la présence de Fils de Dieu
dans une chair mortelle, comme il l’atteste lui-même : « Je suis venu
baptiser dans l’eau pour le manifester en Israël. ». (Jn 1) — S. Aug. (Traité sur saint Jean). Ou bien encore
il baptise, parce qu’il fallait que le Christ fût baptisé. Mais pourquoi le
Christ seul n’a-t-il pas été baptisé par Jean-Baptiste, si l’objet de la
mission de Jean-Baptiste était de baptiser le Christ ? Si le Seigneur seul
avait reçu le baptême de Jean, bien des personnes auraient cru que le baptême
de Jean était supérieur au baptême du Christ, puisque le Christ seul avait été
jugé digne de le recevoir. — Rab. Ou
bien enfin il baptise pour séparer par ce signe extérieur les pénitents de ceux
qui ne voulaient point se repentir, et pour les conduire ainsi jusqu’au baptême
du Seigneur.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Comme c’était pour préparer la venue du Christ
qu’il baptisait, il annonce à ceux qui vont recevoir son baptême que le Christ
doit bientôt paraître, et leur fait connaître en ces termes la supériorité de
sa puissance : « Celui qui
vient après moi est plus puissant que moi. » — Remi. Remarquons
que le Christ est venu après Jean de cinq manières : par sa naissance, par
sa prédication, par son baptême, par sa mort, par sa descente aux enfers ;
et c’est avec raison que Jean-Baptiste déclare que le Seigneur est plus
puissant que lui, parce que Jean-Baptiste n’était qu’un homme, et que le Christ
était Dieu et homme tout à la fois. — Rab.
Ces paroles de Jean reviennent à celles-ci : Je suis fort pour
inviter les hommes à la pénitence ; lui, au contraire, est fort pour
remettre les péchés ;je suis fort pour prêcher le royaume des cieux, lui
pour le donner ; je suis fort pour baptiser dans l’eau, lui pour baptiser
dans l’esprit. — S. Chrys. (Hom. 2 sur S. Matth.) Quand je vous dis qu’il est plus fort que
moi, n’allez pas penser que je veuille par là établir entre lui et moi la
moindre comparaison, car je ne suis pas digne de prendre place parmi ses
serviteurs et de lui rendre le plus petit et le dernier des offices. C’est pour
cela qu’il ajoute : « Je ne
suis pas digne de porter sa chaussure. » — S. Hil. Il laisse aux Apôtres la gloire de porter par toute la
terre la prédication de l’Évangile, parce qu’il était réservé à leurs pieds
sacrés l’aller annoncer aux hommes la paix de Dieu. — S. Chrys. (Sur S. Matth.) Ou bien encore les pieds du Christ peuvent figurer
les chrétiens, principalement les Apôtres et les autres prédicateurs de
l’Évangile, du nombre desquels était Jean-Baptiste. Les chaussures sont les
infirmités dont Dieu couvre les prédicateurs ; tous donc portent les
chaussures du Christ ; Jean lui-même les portait, mais il se déclarait
indigne de les porter, pour montrer la supériorité de la grâce de Jésus-Christ
sur ses propres mérites. — S. Jér. Nous
lisons dans un autre évangile (Jn 1) :
« Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de sa chaussure. » Nous voyons d’un côté l’humilité, de
l’autre le ministère du saint précurseur ; car le Christ est l’époux et
Jean se déclare indigne de dénouer les cordons de sa chaussure, afin que la
maison de l’époux ne soit pas appelée, comme on le voit dans la loi de Moïse (Dt 25) et par l’exemple de Ruth (Rt 4),
la maison de celui qui a perdu sa chaussure.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Comme personne ne peut donner un bien qui soit
au-dessus de lui, ni faire un autre plus qu’il n’est lui-même, Jean-Baptiste
ajoute : « C’est lui qui vous baptisera dans le feu et dans l’Esprit
saint. » Jean-Baptiste étant
corporel ne peut donner un baptême spirituel ; il baptise dans l’eau qui
est un corps. C’est le corps qui baptise avec un élément corporel ; le
Christ, au contraire, est esprit parce qu’il est Dieu ; l’Esprit saint est
lui-même esprit, l’âme est esprit aussi ; c’est donc l’esprit qui baptise
avec l’esprit. Or, le baptême de l’esprit est souverainement utile, car
l’esprit entrant dans l’âme l’embrasse, l’entoure comme d’un mur inexpugnable,
et ne permet pas que les convoitises charnelles prévalent contre elle. Il
n’empêche pas les désirs de la chair de naître dans l’âme, mais il garde l’âme
pour l’empêcher d’y consentir. Le Christ est juge aussi, il baptise donc dans
le feu, c’est-à-dire dans les tentations. Celui qui n’est qu’un homme ne peut
baptiser dans le feu, car celui-là seul a le pouvoir de tenter, qui est assez
puissant pour récompenser. Ce baptême
de la tribulation ou du feu consume la chair et détruit en elle les germes de
la concupiscence ; ce ne sont pas les peines spirituelles que la chair
redoute, mais les peines corporelles ; aussi, Dieu n’épargne pas à ses
serviteurs les tribulations de la chair, afin qu’étant dominée par la crainte
des peines qu’elle éprouve, elle cesse de désirer le mal. Vous voyez donc que
l’esprit repousse les concupiscences et ne permet pas qu’elles soient
victorieuses, tandis que le feu en consume jusqu’aux racines. S. Jér. Ou bien : « Dans
l’Esprit saint et le feu, » en ce sens que le feu c’est l’Esprit saint
lui-même, car lorsqu’il descendit il se reposa sur chacun des Apôtres sous la
forme de langues de feu... Et alors fut accomplie cette parole du
Seigneur : « Je suis venu apporter le feu sur la terre, » Ou bien peut-être, nous sommes baptisés
actuellement dans l’Esprit saint, et nous le serons plus tard dans le feu,
selon cette parole de l’Apôtre : « Le feu éprouvera l’ouvrage de
chacun. » — S. Chrys. (Hom. 11). Il ne dit pas : Il vous
donnera l’Esprit saint, mais : Il vous baptisera dans l’Esprit saint,
exprimant par cette figure l’abondance de la grâce. Il nous enseigne encore par
là qu’il n’a besoin que de notre seule volonté dans la foi et non pas de nos
sueurs et de nos travaux pour nous justifier, et qu’il nous est aussi facile
d’être renouvelés et rendus meilleurs qu’il l’est d’être baptisé. Cette
comparaison du feu nous montre l’énergie de la grâce, qui ne peut être
vaincue ; nous voyons aussi que le Christ doit rendre en un instant ses
serviteurs semblables aux grands prophètes des temps anciens et il a recours à
cette comparaison parce que plusieurs des visions prophétiques ont eu lieu sous
la figure du feu.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Il est donc évident que le baptême du Christ ne
détruit pas le baptême de Jean, mais qu’il le renferme ; celui qui est
baptisé au nom de Jésus-Christ reçoit les deux baptêmes de l’eau et de
l’esprit ; car le Christ, qui était esprit, a pris un corps afin de
pouvoir donner un baptême à la fois corporel et spirituel. Quant au baptême de
Jean, il ne renfermait pas celui du Christ, car ce qui est moindre ne peut contenir
ce qui est plus grand. Aussi l’apôtre ayant rencontré des habitants d’Ephèse
qui avaient reçu le baptême de Jean, il les baptisa de nouveau au nom du Christ
(Ac 19), parce qu’ils n’avaient pas
été baptisés dans l’esprit. Jésus-Christ lui-même baptisa de nouveau ceux qui
avaient reçu le baptême de Jean, comme ce dernier nous l’apprend :
« Pour moi, je vous baptise dans l’eau ; mais pour lui, il vous
baptisera dans le feu. » Cependant on ne peut dire que Jésus rebaptisait,
car il ne baptisait qu’une fois en réalité ; le baptême du Christ étant
supérieur à celui de Jean, ce n’était pas un baptême renouvelé, c’était un
nouveau baptême, parce que l’ancien trouvait sa fin en Jésus-Christ. — S. Hil.
(can. 2 sur S. Matth.) En disant : « Il vous baptisera dans l’Esprit saint et le feu, » Jean-Baptiste indique les cieux époques
différentes du salut et du jugement de tous les hommes, car ceux qui ont été
baptisés dans l’Esprit saint doivent un jour passer par le feu du
jugement ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Il a son van en la
main. » — Rab. Par le van, (ou la
pelle), on doit entendre le discernement qui suivra le jugement, et que le
Seigneur a dans sa main ou en son pouvoir, car le Père a donné tout jugement à
son Fils.
Suite. « Et il
nettoiera son aire. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) L’aire c’est l’Église ; le grenier, le royaume
du ciel ; le champ, le monde. Le Seigneur en envoyant comme des
moissonneurs ses apôtres et les autres prédicateurs, a retranché du monde
toutes les nations, et les a réunies dans l’aire de son Église. C’est là que
nous devons être battus, vannés, comme le blé. Or tous les hommes se plaisent
dans les jouissances charnelles comme le grain dans la paille ; mais le
chrétien fidèle, et dont le fond du cœur est bon, à la plus légère atteinte de
la tribulation laisse là les plaisirs des sens et court se jeter dans les bras
du Seigneur ; au contraire, celui dont la foi est médiocre le fait à peine
sous le poids de grandes tribulations. Pour l’infidèle qui est absolument dénué
de foi, quelque grandes que soient ses épreuves, il ne pense pas à recourir à
Dieu. Lorsque le grain a été battu, il est étendu sur l’aire, confondu avec la
paille, et on a besoin de le vanner pour l’en séparer. C’est ainsi que dans une
seule et même Église les fidèles sont confondus avec les infidèles. Or la
persécution s’élève comme un souffle violent, afin que le van du Christ, en les
agitant fortement, sépare entièrement ceux qui étaient déjà séparés par leurs
œuvres. Et remarquez qu’il ne dit pas simplement : « Il nettoiera son
aire, » mais « il la
nettoiera parfaitement ; » car il faut que l’Église soit éprouvée de
mille manières avant d’être entièrement purifiée. Les Juifs sont les premiers
qui l’ont pour ainsi dire vannée, puis sont venus les Gentils, et après eux les
hérétiques ; l’Antéchrist viendra en dernier lieu. Lorsque le souffle du
vent est faible, tout le grain n’est pas vanné ; il n’y a que les pailles
les plus légères qui soient secouées, les plus pesantes restent sur l’aire.
Ainsi qu’une légère tentation vienne à souffler, les plus mauvais seuls se
retirent ; mais qu’une violente tempête s’élève, on voit disparaître ceux
qui paraissaient les plus stables ; c’est pourquoi les grandes épreuves
sont nécessaires à l’Église pour la purifier entièrement. — Remi. Dieu purifie aussi son aire,
c’est-à-dire son Église, dès cette vie, soit lorsque le jugement des prêtres
retranche les méchants du sein de l’Église, soit lorsque la mort les enlève de
cette terre.
Rab. L’aire sera
entièrement nettoyée à la fin des temps, lorsque le Fils de l’homme enverra ses
anges, et qu’il fera disparaître tous les scandales de son royaume. — S. Grég.
(Moral. liv. 34, ch.
5.) Après avoir été battu pendant la
vie présente, où il gémit sous la paille, le grain en sera parfaitement séparé
par le van du dernier jugement, de manière que ni les pailles ne suivront le
blé dans le grenier, ni le blé lui-même ne tombera dans le feu qui doit
consumer les pailles ; c’est ce que nous apprennent les paroles
suivantes : « Il ramassera son blé dans le grenier et brûlera la
paille dans un feu lui ne s’éteindra jamais. » — S. Hil. Le
froment, c’est-à-dire les œuvres parfaites des fidèles sera recueilli dans les
greniers célestes et les pailles, c’est-à-dire les actions vaines et stériles des
hommes, seront brûlées par le feu du jugement. — Rab. Il y a cette différence entre la paille et l’ivraie, que
la paille sort de la semence du blé, et l’ivraie d’une semence étrangère. Les
pailles représentent donc ceux qui ont été imprégnés de la sève vivifiante des
sacrements, mais qui n’ont aucune consistance ; et l’ivraie ceux que leurs
œuvres et leurs croyances ont totalement séparés de la destinée des chrétiens.
— Remi. Ce feu qui ne s’éteint
pas, c’est la peine de la damnation éternelle elle est ainsi appelée, soit
parce qu’elle ne cesse de tourmenter sans les faire mourir ceux qu’elle dévore,
soit pour la distinguer du feu du purgatoire, dont la durée n’a qu’un temps et
qui doit s’éteindre un jour.
S. Aug.
(De l’acc. des Ev. liv, 2,
chap. 12.) Si l’on demande ici
quelles sont les vraies paroles de Jean-Baptiste, celles que lui prête saint
Matthieu, ou bien celles que lui fait dire saint Marc ou saint Luc, nous
répondrons que cette difficulté ne doit pas arrêter un instant celui qui fait
cette observation judicieuse que toutes ces maximes sont nécessaires pour faire
connaître la vérité, quelle que soit d’ailleurs leur expression. Nous devons
conclure de là qu’il ne faut pas regarder comme mensonger le récit tout
différent, sous le rapport de la forme et de l’expression, que plusieurs
personnes peuvent faire d’un même fait qu’elles ont vu ou entendu. Celui qui
prétend que l’Esprit saint aurait dû accorder par sa puissance aux apôtres le
privilège de ne varier en rien ni sur le choix des mots, ni sur leur nombre, ni
sur la place qu’ils occupent, ne comprend pas que plus l’autorité des
Évangélistes est grande et plus elle doit servir à fortifier la tranquillité de
tout homme qui dit vrai. Mais lorsqu’un Évangéliste dit : « Je ne
suis pas digne de porter sa chaussure, » et un autre : « Je ne
suis pas digne de délier sa chaussure, la différence ne porte pas seulement sur
l’expression, mais sur le fait lui-même. On peut donc rechercher avec raison
laquelle de ces deux expressions est sortie de la bouche de Jean-Baptiste. Car
la vraie est celle dont s’est servi le saint précurseur et celui qui lui en
prête une autre, sans être pour cela coupable de mensonge, sera nécessairement
accusé d’oubli en disant une chose pour une autre. Or on ne peut admettre dans
les Évangélistes aucune erreur, qu’elle ait pour cause le mensonge ou un simple
oubli. Si donc on doit regarder ces deux expressions comme réellement
différentes, il faut dire que Jean s’est servi de toutes les deux, ou dans des
temps différents, ou successivement dans la même circonstance. Mais si saint
Jean, en parlant de la chaussure de Jésus, n’a voulu exprimer autre chose que
l’élévation du Sauveur et sa propre bassesse, quelle que soit l’expression
qu’ait employée l’Évangéliste qui au moyen de cette comparaison des chaussures
diversement présentée en a fait ressortir la même leçon d’humilité, il a
exprimé la même pensée que le saint précurseur, et ne s’est pas écarté de son
intention. C’est donc une règle utile, et qu’on ne peut trop se rappeler, qu’il
n’y a point de mensonge dans un auteur qui rend la pensée de celui qui fait
l’objet de son récit, quand même il lui prêterait des expressions dont il ne
s’est pas servi, car il a évidemment la même intention que celui dont il
rapporte les paroles.
La Glose. Après avoir été annoncé au monde par la
prédication de son précurseur, Jésus qui depuis longtemps menait une vie cachée
voulut enfin, se manifester aux hommes, comme l’indique le texte sacré :
« Alors Jésus vînt de la Galilée au Jourdain trouver Jean pour être
baptisé. »
Remi. Dans ces paroles
l’Évangéliste vous décrit les personnes, les lieux, le temps, et la nature du
ministère. Le temps, par ce mot : « alors. » — RAB. C’est-à-dire
à l’âge de trente ans, pour nous apprendre que personne ne doit être élevé au
sacerdoce ou chargé de la prédication à moins qu’il ne soit d’un âge mûr. C’est
à trente ans que Joseph prit le gouvernement de l’Égypte ; c’est à ce même
âge que David commença à régner, et qu’Ezéchiel reçut l’esprit prophétique (cf.
Gn 41, 6 ; 2 R 5, 4 ; Ez 1, 1). — S. Chrys. (Hom. 10
sur S. Matth.) Comme la loi
devait être abrogée après ce baptême, Jésus qui pouvait expier les péchés de
tous les hommes reçoit le baptême à cet âge, afin qu’en le voyant ainsi fidèle
à l’observation de la loi, personne ne pût l’accuser de l’avoir abrogée parce
qu’il n’avait pu l’accomplir.
S. Chrys. (sur S. Math.) « Alors, » c’est-à-dire au moment même que Jean venait de prêcher la
pénitence, pour confirmer sa prédication, et recevoir le témoignage qu’il devait
lui rendre. De même que le soleil n’attend pas pour se lever que l’étoile du
matin ait disparu, mais qu’il se lève alors qu’elle est encore sur l’horizon,
et qu’il éclipse sa blanche clarté par l’éclat de ses rayons, ainsi le Christ
n’a pas attendu que Jean eût achevé sa carrière, mais il s’est manifesté au
monde pendant que son précurseur enseignait encore.
Remi. Les personnes sont
désignées par ces paroles : « Jésus vint à Jean, » c’est-à-dire
Dieu vint trouver l’homme, le Seigneur son serviteur, le roi son soldat, la
lumière celui qui n’était qu’une lampe. Les lieux témoins des événements par
ces autres paroles : « De
la Galilée au Jourdain. » Le nom
de Galilée signifie transmigration. Celui
donc qui veut être baptisé doit, pour ainsi parler, émigrer des vertus aux
vices, et s’humilier en s’approchant pour recevoir le baptême, car le mot
Jourdain veut dire descente. — S. Aug. L’Écriture rapporte plusieurs
prodiges dont ce fleuve avait été souvent le théâtre entre autres celui qu’elle
rappelle en ces termes : « Le
Jourdain est retourné en arrière. » Autrefois,
c’étaient les eaux qui retournèrent en arrière ; maintenant ce sont les
péchés ; et de même que le prophète Élie avait séparé les eaux du
Jourdain, ainsi, dans ce même fleuve le Christ a opéré la séparation des
péchés.
Remi. L’Évangéliste nous
fait connaître le ministère de Jean par ces paroles « Pour qu’il fût baptisé par lui. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ce n’était pas pour recevoir par la vertu de ce baptême la
rémission de ses péchés, mais afin de sanctifier à jamais les eaux pour ceux
qui devaient être baptisés dans la suite. — S. Aug. Si le Sauveur a voulu recevoir le baptême, ce n’est
point pour y venir puiser la pureté de l’âme, mais afin de purifier les eaux
pour notre propre sanctification. C’est depuis qu’il a été plongé dans l’eau
qu’il lui a communiqué la puissance de laver tous les péchés. Et ne soyez pas
surpris de voir l’eau, substance corporelle, parvenir jusqu’à l’âme pour la
purifier ; elle y parvient certainement et pénètre dans toutes les
profondeurs de la conscience. Elle est par elle-même subtile et déliée ;
mais, devenue plus subtile encore par la bénédiction du Christ, elle traverse
les sources cachées de la vie et pénètre par sa douce rosée jusqu’aux endroits
les plus secrets de l’âme. Car le cours des bénédictions du ciel est plus
pénétrant que le cours secret des eaux : aussi la bénédiction qui découle
du baptême du Sauveur est comme un fleuve spirituel qui comble toutes les
profondeurs des abîmes et remplit les veines de toutes les sources.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Jésus
vient recevoir ce baptême, parce que s’étant revêtu de notre nature, il veut en
accomplir toutes les conditions mystérieuses. Car, bien qu’il ne fût pas
pécheur, il avait cependant pris une nature de péché, et. quoique n’ayant pas
besoin pour lui de ce baptême, la nature humaine demandait qu’il le reçût pour
les autres. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Il voulut encore
être baptisé pour donner l’exemple de ce qu’il commandait aux autres, et parce
que, comme un bon maître, il cherchait moins à prêcher sa doctrine par ses
paroles qu’à la rendre vivante dans ses œuvres. — S. Aug. (Traité 5 sur saint Jean). Il s’abaissa donc
jusqu’à recevoir le baptême de Jean, pour apprendre aux serviteurs avec quel
empressement ils doivent courir au baptême du Seigneur, quand lui-même ne
dédaigne pas de recevoir celui du serviteur. — S. Jér. Un autre motif enfin de son baptême, c’était de donner
par cet acte un témoignage d’approbation au baptême de Jean.
S. Chrys. (hom. 12 sur S. Matth.) Comme
le baptême de Jean était un baptême de pénitence, et qu’il était établi pour la
déclaration des péchés, de peur qu’on vînt à supposer que le Christ
s’approchait du Jourdain pour cette raison, le précurseur s’écrie en le
voyant : « C’est moi qui dois être baptisé par vous, et vous venez à
moi. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Comme s’il disait :
Que je sois baptisé par vous, cela se conçoit parfaitement, c’est pour me rendre
juste et digne du ciel ; mais que moi je vous baptise, quelle peut en être
la raison ? Tout bien descend du ciel sur la terre, et ne monte pas de la
terre au ciel. — S. Hil. (chap. 2
sur S. Matth.) En un mot, Jean ne
peut consentir à le baptiser comme Dieu, et Jésus lui-même lui enseigne qu’il
le doit être comme homme : « Jésus lui répondant, lui dit :
Laissez-moi faire pour cette heure. » — S. Jér. Remarquez la justesse de cette parole :
« Laissez-moi faire pour cette heure. » Jésus voulait signifier par là qu’il devait être baptisé dans
l’eau par Jean et que lui-même devait baptiser Jean dans l’esprit. Ou bien dans
un autre sens : Laissez-moi faire pour cette heure, et puisque j’ai pris
la condition et la forme d’un esclave, il est juste que j’en subisse toutes les
humiliations ; sachez du reste qu’au jour du jugement vous recevrez mon
baptême. Ou bien enfin ces paroles signifient : Il est un autre baptême
dont je dois être baptisé (cf. Lc 12) ; vous me baptisez dans l’eau,
afin que je vous baptise un jour pour moi dans votre sang. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En dehors des livres apocryphes qui le disent
expressément, nous avons ici une preuve que plus tard Jésus baptisa
Jean-Baptiste. « Laissez-moi faire pour cette heure, » afin que j’accomplisse la justice du
baptême, non pas en paroles, mais par des œuvres ; que je le reçoive
d’abord avant de le prêcher. C’est le sens des paroles suivantes :
« c’est ainsi qu’il faut que nous accomplissions toute justice. »
Elles ne signifient pas : Alors que je serai baptisé j’accomplirai toute
justice, mais de même que j’ai accompli la justice du baptême par mes œuvres et
ensuite par mes prédications, ainsi je le ferai de toute autre justice, d’après
cette parole : « Jésus commença à faire, et ensuite il
enseigna. » Ou bien
encore : Il nous faut accomplir toute justice comme la justice du baptême,
c’est-à-dire en me soumettant aux conditions de la nature humaine, car c’est
ainsi qu’il satisfait à la condition imposée à tout homme de naître, de croître,
etc. — S. Hil. (can. 2 sur S. Matth.) Lui seul
pouvait accomplir toute justice, parce que c’est par lui seul que la loi
pouvait être accomplie. — S. Jér. Il
ne dit pas la justice de la loi ou de la nature, pour que nous comprenions que
ce mot les renferme toutes deux. — Remi.
Ou bien enfin : C’est ainsi qu’il faut accomplir toute justice,
c’est-à-dire donner l’exemple de l’accomplissement de toute justice dans le
baptême, sans lequel on ne peut entrer dans le royaume du ciel ; ou bien
donner aux superbes cet exemple d’humilité afin qu’ils ne dédaignent pas d’être
baptisés par mes membres les plus humbles, en me voyant baptisé par vous qui
êtes mon serviteur. — Remi. La
véritable humilité est celle qui a pour compagne l’obéissance. Aussi
« Jean ne lui résista plus, » c’est-à-dire
qu’il consentit enfin à le baptiser.
S. Aug. (serm.
sur l’Epiph.) Nous
l’avons déjà dit, au moment où le Sauveur est baptisé, toute l’eau qui doit
servir à notre baptême est purifiée, afin que la grâce de la régénération coule
désormais sur tous les peuples à venir dans la suite des siècles.
Il fallait aussi
que le baptême de Jésus-Christ représentât les effets que le baptême produit
dans les fidèles ; c’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : « Jésus, aussitôt qu’il fut
baptisé, sortit de l’eau. » — S.
Chrys. (sur S. Matth.) Ce qui se passe en Jésus-Christ représente le
mystère qui devait se produire dans ceux qui devaient être baptisés par la
suite, et c’est pour cela que l’Évangéliste ne dit pas simplement :
« Il monta, » mais « Il
monta aussitôt, » parce que tous ceux qui reçoivent le baptême de
Jésus-Christ avec les dispositions convenables, montent aussitôt hors de l’eau,
c’est-à-dire marchent de vertus en vertus et s’élèvent à une dignité toute
céleste. En effet, ils étaient entrés dans l’eau tout charnels et enfants
d’Adam prévaricateurs, et ils sortent aussitôt de l’eau tout spirituels, et
avec le titre d’enfants de Dieu. Si quelques-uns, par leur faute, ne profitent
pas de la grâce de leur baptême, qu’est-ce que cela fait au baptême ? — Remi. Le Seigneur, non content de
consacrer l’eau du baptême par le contact de son corps, nous apprend qu’après
le baptême le ciel nous est ouvert, et que l’Esprit saint nous est donné ;
c’est ce qu’indiquent les paroles suivantes : « Les cieux furent
ouverts. » — S. Jér. Ils ne furent pas ouverts
extérieurement, mais seulement aux yeux de l’âme, comme Ézéchiel nous dit au
commencement de son livre qu’ils lui furent ouverts. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Car si les cieux visibles s’étaient littéralement
entrouverts, l’Évangéliste n’aurait pas dit : « Lui furent ouverts, » mais simplement « furent
ouverts ; » car ce qui est ouvert extérieurement l’est pour tous. On
me demandera : Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que les cieux avaient
jamais été fermés aux yeux du Fils de Dieu, lui qui, quoique sur la terre, n’a
jamais cessé d’être dans les cieux ? Mais on doit savoir que c’est en
vertu de l’économie de son
incarnation que le Sauveur fut baptisé et que c’est par suite de la même économie
que les cieux lui furent ouverts, car, selon la nature divine, il n’a jamais
cessé d’être dans les cieux.
Remi. Mais, à ne le
considérer que comme homme, est-ce que les cieux lui furent ouverts alors pour
la première fois ? La foi de l’Église est qu’ils lui furent ouverts aussi
bien avant qu’après. Si donc il est dit ici qu’ils lui furent ouverts, c’est
parce que la porte du ciel s’ouvre pour tous ceux qui sont régénérés dans les
eaux du baptême. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Peut-être qu’auparavant certains
obstacles invisibles s’opposaient à ce que les âmes entrassent dans le ciel,
car je ne pense pas que depuis le péché d’Adam, qui en avait fermé les portes,
aucune âme y soit entrée avant Jésus-Christ. Ce n’est qu’après son baptême que
les portes en ont été ouvertes. Lorsque, par sa mort, Jésus-Christ eut triomphé
du démon, les portes n’étaient plus nécessaires, puisque le ciel ne devait plus
être jamais fermé (cf. Ap 21, 25).
Aussi, les anges ne disent pas : Ouvrez les portes, mais enlevez les portes. » Ou bien, les cieux sont ouverts à ceux
qui sont baptisés, en ce sens qu’ils voient les choses du ciel non pas des yeux
du corps, mais des yeux spirituels que la foi donne à l’âme qui croit. Ou bien
encore, les cieux sont les Écritures divines que tous lisent, mais que tous ne
comprennent pas, à moins qu’avec le baptême ils n’aient reçu le Saint-Esprit.
Voilà pourquoi les écrits des prophètes étaient d’abord pour les Apôtres un
livre scellé ; mais aussitôt qu’ils eurent reçu le Saint-Esprit, toutes
les Écritures leur furent dévoilées. De quelque manière qu’on l’entende, les
cieux lui furent ouverts c’est-à-dire qu’ils ont été ouverts pour tous les
hommes, à cause de lui ; de même qu’un empereur accordant une grâce qu’une
personne lui demande pour un autre lui dirait : « Ce n’est pas à lui
que j’accorde cette faveur, mais c’est à vous, ou si vous voulez, je la lui
accorde à cause de vous. » — La Glose. Ou bien le Christ fut entouré
d’un tel éclat dans son baptême, que l’empyrée parut être ouvert au-dessus de
lui. — S. Chrys. (homél. 12 sur S. Matth.) Quoique vous n’ayez pas été témoin de ce prodige, ne
laissez pas d’y ajouter foi, car lorsqu’il s’agit de fonder une œuvre
spirituelle, Dieu l’appuie toujours par des apparitions sensibles, en faveur de
ceux qui ne peuvent avoir aucune idée de la nature invisible, afin que si par
la suite, ces prodiges ne se renouvellent pas, les premiers qui ont en lieu les
déterminent à croire.
Remi. Or, de même que la
porte du royaume des cieux est ouverte à tous ceux qui sont régénérés par le
baptême ; ainsi tous dans le baptême reçoivent les dons de l’Esprit saint,
comme l’indiquent les paroles suivantes : « Et il vit l’Esprit de Dieu descendant en forme de colombe et
s’arrêtant au-dessus de lui. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Jésus-Christ après
qu’il est né pour les hommes veut encore renaître par les sacrements ; il
veut que, comme nous l’avons admiré prenant naissance dans le sein d’une mère
immaculée, nous l’admirions encore plongé dans les flots d’une onde pure. Sa mère
a engendré le Fils de Dieu, et elle est chaste ; l’eau a lavé le Christ et
elle est sanctifiée ; enfin l’Esprit saint qui l’avait assisté dans le
sein de sa mère, l’entoure d’une brillante lumière au milieu du Jourdain ;
celui qui a conserve alors la chasteté de Marie, sanctifie maintenant les eaux
du fleuve. C’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : « Et j’ai vu l’Esprit de Dieu qui descendait. »
S. Chrys. (sur S. Matth.) L’Esprit saint a voulu paraître sous la forme d’une
colombe, parce que de tous les animaux, la colombe est celui qui cultive le
plus le sentiment de l’amour. Or toutes les espèces le vertus que les
serviteurs de Dieu ont dans la vérité, les serviteurs du démon peuvent les avoir
en apparence ; il n’y a que la charité seule de l’Esprit saint que
l’esprit immonde mie puisse contrefaire. C’est peur cela que l’Esprit saint
s’est réservé cette vertu particulière de la charité, car il n’est point de
témoignage plus évident de sa présence dans une âme que la grâce de la charité.
— Rab. La colombe nous représente
aussi les sept vertus propres à ceux qui sont baptisés. La colombe habite sur
les bords d’une eau courante ; aussitôt qu’elle aperçoit l’épervier, elle
s’y plonge pour lui échapper ; elle choisit toujours le meilleur grain,
elle nourrit les petits des autres oiseaux, elle ne déchire pas avec son bec,
elle n’a pas de fiel, elle fait son nid dans le trou des rochers, et pour tout
chant elle n’a que son gémissement. C’est ainsi que les saints habitent au bord
des courants de la parole divine, pour échapper aux attaques du démon ;
ils choisissent pour nourrir leur âme les saines maximes, de préférence aux
maximes des hérétiques ; ils nourrissent du pain de l’exemple et de la
doctrine ceux qui se sont montrés les enfants du démon en l’imitant ; ils
ne corrompent pas les vérités saintes en les déchirant à l’exemple des
hérétiques, on ne voit point en eux de colère sans raison ; ils placent
leur nid, c’est-à-dire leur refuge et leur espérance, dans les plaies de Jésus,
qui est pour eux la pierre ferme, et toute leur joie est de gémir sur leurs
péchés, comme la joie des enfants du monde est de se livrer aux chants du
plaisir. — S. Chrys. (homél. 12.) Ce prodige nous rappelle
aussi un fait des premiers temps. Nous voyons, en effet, à l’époque du déluge,
apparaître la colombe portant un rameau d’olivier, et annonçant à tout
l’univers le retour du calme et de la paix, figure de ce qui devait arriver
dans la suite, car c’est encore la colombe qui nous apparaît pour nous montrer
notre libérateur, et pour apporter au genre humain, au lieu du rameau
d’olivier, le bienfait de l’adoption divine.
S. Aug. (serm. sur la Trinité). il est facile de comprendre pourquoi
l’Évangéliste dit que le Saint-Esprit a été envoyé, lorsqu’il descendit sur la
personne du Seigneur sous la forme visible d’une colombe. Dieu créa
sur-le-champ une forme extérieure sous laquelle l’Esprit saint pût paraître
visiblement. Or cette création rendue visible et offerte aux regards des hommes
a été appelée mission de l’Esprit saint ; elle n’avait pas pour fin de
découvrir son invisible nature, mais de frapper les cœurs des hommes par cette
apparition visible, et de les attirer vers les secrets de la nature éternelle.
Cependant l’Esprit saint ne s’est pas uni cette nature corporelle dont il a
revêtu la forme comme Jésus-Christ s’est uni en unité de personne la nature
humaine qu’il avait reçue de la Vierge Marie : car l’Esprit ne sanctifia
pas la colombe, et ne l’éleva pas jusqu’à lui être unie personnellement pour
l’éternité. Il s’ensuit que, bien que cette colombe ait reçu le nom d’Esprit
saint, pour rappeler que c’est sous cette forme que l’Esprit saint s’est
manifesté, nous ne pouvons cependant dire de l’Esprit saint qu’il est Dieu et colombe,
comme nous disons que le Fils de Dieu est tout à la fois Dieu et homme. Nous ne
pouvons même l’appeler ainsi dans le sens où Jean-Baptiste appelle le Fils
agneau de Dieu, nom que lui donne aussi saint Jean l’évangéliste dans
l’Apocalypse lorsqu’il vit cet
Agneau immolé (Jn 1, 26.36 ; Ap 5, 6), car cette vision prophétique
ne fut pas révélée aux yeux du corps sous une forme sensible, mais elle eut
lieu en esprit, et au moyen d’images toutes spirituelles des objets sensibles,
tandis que personne ne doute que cette colombe n’ait été visible aux yeux du
corps. Nous ne pouvons non plus appeler la colombe Esprit saint, dans le même
sens que le Fils est appelé la pierre, car il est écrit : « La pierre
c’était le Christ (1 Co 10,
4) ; » en effet, cette pierre existait déjà dans la nature, et c’est
pour exprimer une des propriétés du Christ que le nom de pierre a été donné au
Christ dont elle était la figure ; la colombe au contraire a reçu
soudainement l’existence au moment de son apparition. Je comparerais plus
volontiers cette apparition de la colombe à celle du feu qui apparut dans le
buisson aux yeux de Moïse (Ex 3) ;
à cette flamme lumineuse qui précédait le peuple dans le désert (Ex 14), aux éclairs qui fendirent la
minée et au tonnerre qui se fit entendre lorsque la loi fut donnée sur la
montagne (Ex 19), car tous ces
phénomènes extérieurs n’eurent qu’une existence passagère pour figurer les
choses que Dieu voulait annoncer. C’est donc à cause de ces formes extérieures
qu’on dit de l’Esprit saint qu’il a été envoyé ; ces mêmes apparences
corporelles n’existèrent qu’un instant pour révéler ce qu’elles devaient
apprendre, et rentrèrent immédiatement après dans le néant.
S. Jér. La colombe s’arrêta sur la tête de
Jésus, pour que personne ne pût s’imaginer que la voix du Père s’adressait à
Jean et non pas au Seigneur. Aussi est-il dit : « Elle s’arrêta sur
lui. »
S. Aug. (serm,
sur l’Epiph.) Ce n’est
plus comme autrefois par Moïse, ou par les prophètes, par des figures ou par
des images que Dieu le Père nous annonce l’avènement futur de son Fils dans la
chair, il nous le montre à découvert au milieu de nous en nous disant : « Celui-ci est mon Fils. » — S. Hil.
Ou bien ce qui avait lieu dans la personne du Christ, nous apprenait
qu’après le bain de la régénération, l’Esprit saint descend sur nous des portes
ouvertes du ciel, nous sommes inondés de l’onction de la gloire céleste, et
nous devenons enfants de Dieu par l’adoption de sa voix paternelle.
S. Jér. Le mystère de la Trinité nous est
révélé dans le baptême de Jésus-Christ, le Fils qui est baptisé, l’Esprit saint
qui descend sous la forme d’une colombe, le Père dont la voix rend témoignage à
son Fils. — S. Aug. (serm. sur l’Epiph.) Qu’y a-t-il d’étonnant que le mystère de la
Trinité ait été révélé au baptême de Jésus-Christ, puisque l’invocation de ce
mystère rend parfait notre baptême, car le Seigneur à voulu d’abord accomplir
dans sa personne ce qu’il devait exiger du genre humain tout entier.
S. Aug. (de la foi de Pierre, 9.) Quoique le Père, le Fils et l’Esprit
saint n’aient qu’une seule et même nature, cependant vous devez croire très
fermement qu’ils forment trois personnes distinctes, que le Père est le seul
qui fait entendre ces paroles : « Celui-ci
est mon Fils bien-aimé ; » le Fils, le seul sur lequel a retenti la
voix du Père ; et l’Esprit saint, le seul qui soit descendu sur le Christ
après son baptême sous la forme d’une colombe. — S. Aug. (liv. 4 de la
Trinité, chap. 21.) Ces œuvres appartiennent à la Trinité tout
entière ; dans leur nature le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont
qu’un, sans aucune séparation de temps ou de lieu. Ils sont séparés au
contraire dans nos paroles, qui ne peuvent prononcer à la fois le Père, le Fils
et l’Esprit Saint. Il en est ainsi dans l’Écriture, où ces noms divers occupent
des places différentes ; car on comprend très bien par comparaison que la
Trinité qui est indivisible en elle-même ne puisse être révélée qu’à l’aide
d’objets extérieurs et d’expressions distinctes, Que la voix soit seulement la
voix du Père, nous en avons la preuve dans ces paroles : « Celui-ci
est mon Fils. » — S. Hil. (Liv, de la Trinité.) Ce n’est pas
seulement par le nom qu’il lui donne que le Père atteste qu’il est son Fils,
mais par la propriété qu’il lui attribue. En effet, nous sommes un nombre
considérable d’enfants de Dieu ; mais ce Fils est bien différent de nous,
car il est son propre Fils, son Fils véritable d’origine et non d’adoption,
dans la réalité et non pas seulement par le nom qu’il porte, par naissance et
non par création.
S. Aug. (Traité 14 sur S. Jean.) Le Père aime son Fils, non pas comme un
maître aime son serviteur, mais comme un père aime son enfant ; comme un
père aime son fils unique et non pas comme on aime un fils d’adoption, et c’est
pour cela qu’il ajoute : « En qui j’ai mis mes complaisances. »
Remi. Si l’on rapporte
ces paroles à l’humanité du Christ, et qu’on lise : « En qui j’ai mis
mes complaisances, » le sens
sera : en qui je me suis complu, parce que je l’ai trouvé seul juste et
sans péché. Si au contraire on lit : « dans
lequel il m’a plu » ; il faut sous-entendre : de placer ma
volonté, de faire par lui ce que je devais faire, c’est-à-dire de racheter le
genre humain. — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv, 2, chap.
14.) Deux autres évangélistes, saint Marc et saint Luc, rapportent ces paroles
d’une manière semblable ; mais leur récit varie sur celles qui se firent
entendre du haut du ciel, bien que le sens soit le même. Ainsi, au lieu qu’on
lit dans saint Matthieu : « Celui-ci
est mon Fils bien-aimé ; » saint
Marc et saint Luc ont écrit : « Vous êtes mon Fils bien-aimé. » Mais ces deux versions reviennent au
même. La voix du Ciel a nécessairement employé l’une de ces deux
locutions ; mais l’Évangéliste a voulu faire comprendre que ce qui avait
été dit revenait à cette manière de s’expliquer : « Celui-ci est mon
Fils bien-aimé, » pour bien faire connaître à ceux qui étaient présents
qu’il était vraiment le Fils de Dieu. C’est pour cela qu’il a rendu cette
locution : « Vous êtes mon
Fils bien-aimé, » par cette
autre : « Celui-ci est mon
Fils bien-aimé. » Car cette voix
n’avait pas polir but d’apprendre au Christ ce qu’il savait, mais d’instruire
ceux qui étaient présents. Quant aux autres variantes que présentent les
Évangélistes, l’un : « Dans lequel j’ai mis mes
complaisances ; » l’autre :
« J’ai mis en vous mes
complaisances ; » un
autre : « C’est en vous qu’il m’a plu » (Lc 3, 23 ; Mt 3,
17 ; Mc 1, 12) ; si vous me demandez quelle est celle que la voix
céleste a fait entendre, je répondrai que vous pouvez choisir celle que vous
voudrez, pourvu que vous compreniez que le sens reste le même dans toutes ces
locutions différentes. Ces paroles : « J’ai mis en vous mes
complaisances, » nous montrent
le Père plaçant toutes ses complaisances dans son Fils ; ces autres :
« Il m’a plu en vous, » nous
apprennent que le Père a été agréable aux hommes dans son Fils. Il est donc
facile de comprendre que ces différentes manières de s’exprimer des
Évangélistes reviennent à dire : J’ai placé en vous mon bon plaisir,
c’est-à-dire : j’ai résolu d’accomplir par vous ce qui m’est agréable.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Après avoir été baptisé dans l’eau par
Jean-Baptiste, le Sauveur est conduit par l’Esprit dans le désert, pour y être
baptisé dans le feu de la tentation (cf. Is 4, 4). Alors, dit l’Évangéliste, « Jésus fut conduit par l’Esprit
dans le désert. » Alors, c’est-à-dire aussitôt que le Père eut fait
entendre cette voix du haut du ciel : « Celui-ci
est mon Fils bien-aimé. » — S. Chrys.
(hom. 13 sur S. Matth.) Qui que vous soyez, qui après le baptême
vous trouvez en butte à de plus fortes tentations, ne vous en troublez point.
Ce n’est pas pour rester oisif, mais pour combattre que Dieu nous a revêtus
d’une armure divine. Il ne défend pas à la tentation d’approcher de vous, pour
vous apprendre premièrement que vous êtes devenu beaucoup plus fort ;
secondement pour que la grandeur des grâces que vous avez reçues ne soit pas
pour vous un principe d’orgueil ; troisièmement pour faire connaître par
expérience au démon que vous avez rompu entièrement avec lui ;
quatrièmement pour augmenter la force dont vous êtes revêtu ;
cinquièmement pour vous donner une juste idée du trésor qui vous est confié
(cf. 2 Co 4, 7), car le démon ne viendrait pas pour vous tenter, s’il ne vous
voyait élevé à une plus grande dignité. — S. Hil.
(Can. 3 sur S. Matth.) C’est contre ceux qui ont été sanctifiés que le
démon dirige ses plus violents efforts, car la victoire qu’il désire le plus ardemment
est celle qu’il peut remporter sur les Saints.
S. Grég.
(hom. 13 sur les Evang.) Il en
est qui n’osent décider quel fut l’esprit qui conduisit Jésus dans le désert, à
cause de cette circonstance que l’Évangéliste rapporte plus loin : « Le démon le transporta dans la
cité sainte. » Mais il est hors de doute, et c’est le seul sens
convenable, que Jésus fut conduit par l’Esprit saint, c’est-à-dire que son
propre esprit le conduisit dans le désert, où le malin esprit devait venir pour
le tenter. — S. Aug. (de la Trinité, chap. 13) — Pourquoi
s’est-il rendu accessible à la tentation ? pour nous aider comme médiateur
à triompher des tentations, non seulement par la puissance de son secours, mais
encore par l’efficacité de son exemple. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Il ne fut pas conduit
dans le désert comme un inférieur qui obéit au commandement de son supérieur.
En effet, on n’est pas seulement conduit lorsqu’on marche sous les ordres d’un
autre, mais lorsqu’on se détermine par quelque sage raison qu’il apporte ;
c’est ainsi que nous lisons qu’André trouva Simon son frère, et qu’il le
conduisit à Jésus. — S. Jér, (sur S. Matth.) Il n’est conduit ni par
force, ni par violence, mais par le désir qu’il a de combattre. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le démon vient trouver les hommes pour les
tenter ; mais comme il ne pouvait marcher le premier contre le Christ,
c’est le Christ qui s’avance contre lui, c’est pour cela qu’il est dit : « Afin qu’il fût tenté par le
diable. » — S. Grég. (hom. 16 sur les Evang.) La tentation nous attaque en trois manières, par la
suggestion, par la délectation, par le consentement. Lorsque nous sommes
tentés, nous tombons presque toujours dans le consentement ou dans la
délectation, parce que nous tirons notre origine du péché de la chair, et que
nous portons en nous-même la cause des combats que nous avons à soutenir ;
tandis que le Dieu incarné dans le sein d’une vierge, étant venu dans le monde
sans péché, ne portait en lui aucun principe de lutte intérieure. Il a donc pu
être tenté par la suggestion ; mais la délectation du péché n’a eu aucune
prise sur son âme, et tous les efforts du démon dans cette tentation se
bornèrent à l’extérieur, sans aller plus avant.
S. Chrys. (hom. 13.) Le démon redouble surtout ses tentations à l’égard
de ceux qu’il voit seuls ; c’est ainsi qu’au commencement il a tenté la
femme qu’il trouvait éloignée de son mari ; et la présence de Jésus-Christ
qu’il voit seul dans le désert, devient également pour lui une occasion de le
tenter. — La Glose. Ce désert
s’étend entre Jérusalem et Jéricho ; il était habité par des voleurs, et
on l’appelait Dammaïm, c’est-à-dire désert du sang, à cause des meurtres qu’y
commettaient ces brigands. Aussi lisons-nous que cet homme qui descendait de
Jérusalem à Jéricho tomba entre les mains des voleurs. Cet homme représentait
Adam qui fut vaincu par les démons. Il convenait donc que le démon fût vaincu à
son tour par le Christ dans ce même endroit où existait une figure de son
triomphe sur l’humanité.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Jésus-Christ n’est pas le seul qui soit conduit
dans le désert par l’Esprit ; il en est ainsi de tous les enfants de Dieu
que l’Esprit saint dirige. Ils ne peuvent supporter de rester inactifs, car
l’Esprit saint les presse d’entreprendre quelque œuvre importante, et pour le
démon, une de ces œuvres, c’est de se retirer dans le désert, car on n’y voit
aucune de ces injustices qui font sa joie. Tout vrai bien d’ailleurs se trouve
en dehors de la chair et du monde, parce qu’il n’est pas conforme à la volonté
de la chair et du monde. C’est donc dans ce désert que se retirent tous les
enfants de Dieu pour être éprouvés par la tentation. Si, par exemple, vous avez
résolu de ne pas vous marier, c’est l’Esprit saint qui vous a conduit dans le
désert, c’est-à-dire, au delà des limites de la chair et du sang, pour y être
tenté par la concupiscence de la chair. Car comment celui qui se trouve
continuellement avec sa femme pourrait-il ressentir les atteintes de la
concupiscence ? Sachons donc que les enfants de Dieu ne sont tentés par le
démon que lorsqu’ils se retirent dans le désert. Au contraire, les enfants du
diable, placés au milieu du monde et sous l’empire de la chair, sont tous les
jours brisés et se soumettent à l’esclavage. Ainsi un homme vertueux est marié,
il ne se livre pas à la fornication, mais sa femme lui suffit ; un homme
vicieux au contraire n’en est pas content, et se rend coupable d’infidélité
envers son épouse ; et il en est ainsi de tous les autres devoirs. Les
fils du démon ne vont donc pas au-devant de lui pour être tentés, car qu’est-il
nécessaire de combattre pour celui qui ne désire pas la victoire ? Au
contraire, les plus illustres des enfants de Dieu franchissent les limites de
la chair pour marcher contre le démon, parce qu’ils aspirent à la gloire du
triomphe. C’est pour cela que le Christ vint dans ce désert à la rencontre du
démon afin d’y être tenté par lui.
S. Chrys. (hom. 12.) Notre-Seigneur commence par jeûner, sans avoir
besoin du jeûne, mais pour nous apprendre quelle est son excellence, quel
bouclier il nous offre contre les traits du démon, et aussi qu’après le
baptême, nous devons nous appliquer non pas aux plaisirs, mais à la
mortification des sens. — S. Chrys.
(Sur S. Matth.) Il jeûna quarante jours et quarante nuits pour fixer
lui-même la durée du jeûne quadragésimal : « Après qu’il eut jeûné quarante jours et quarante
nuits, » dit l’Évangéliste. — S.
Chrys. (hom. 13.) Il ne prolongea pas son jeûne au delà du jeûne de Moïse et d’Élie (cf. Ex 24, 18 ; 34,
28 ; Dt 9, 9.18 ; 3 R 19, 8), pour ne pas faire douter de la vérité
de son incarnation.
S. Grég. (hom. 16.) L’auteur de toutes choses ne prit absolument
aucune nourriture pendant quarante jours et quarante nuits ; nous donc
aussi, autant que nos forces nous le permettent, mortifions notre chair par
l’abstinence pendant le temps du Carême. Le nombre quarante est ici consacré,
parce qu’il est formé par le nombre dix répété quatre fois, et que la
perfection du Décalogue trouve son accomplissement dans les quatre livres du saint
Évangile. Ou bien, c’est parce que notre corps est composé de quatre éléments,
et que la concupiscence, dont il est la source, nous met en opposition avec les
dix commandements de Dieu.
Or, puisque les
désirs de la chair nous portent à transgresser les commandements du Décalogue,
il est bien juste de mortifier cette chair pendant quarante jours. On peut dire
encore que, comme autrefois le Seigneur exigeait la dixième partie des biens de
la terre, nous nous efforçons de lui offrir la dixième partie des jours de
l’année. En effet, du premier dimanche de Carême à la fête de Pâques, on compte
six semaines, c’est-à-dire quarante-deux jours, et trente-six seulement, si
l’on supprime les six dimanches qui sont exempts de la loi du jeûne. Or l’année
étant composée de trois cent soixante-cinq jours, en consacrant trente-six de
ces jours à la pénitence, nous offrons à Dieu la dixième partie des jours de
l’année. — S. Aug. (liv. des
LXXXIII, quaest. 8.) Ou bien, dans un autre sens, toute la sagesse consiste à
connaître le Créateur et la créature. Le Créateur c’est la Trinité, le Père, le
Fils et le Saint-Esprit ; la créature est en partie invisible, comme
l’âme, dans laquelle le nombre trois est consacré par le triple commandement
qui nous est fait d’aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout
notre esprit ; elle est en partie visible comme le corps, auquel convient
le nombre quatre, à cause des quatre prophéties qu’il renferme, le chaud et le
froid, l’humide et le sec. Le nombre dix, qui rappelle le Décalogue et résume
toute la morale, étant multiplié par le nombre quatre qui est le nombre spécial
et distinct du corps, parce que le corps est chargé de la direction des choses
extérieures, forme le nombre quarante. Or les parties égales de ce nombre font
cinquante. En effet, les nombres un, deux, quatre, cinq, huit, dix et vingt,
qui sont les parties du nombre quarante, additionnés ensemble, donnent
cinquante. Ainsi donc le temps des gémissements et de la douleur est figuré par
le nombre quarante, et le temps de la félicité et de la joie par le nombre
cinquante, qui s’écoule entre la fête de Pâques et celle de la Pentecôte. — S. Aug. (serm. pour le Carême.) De ce que le Christ a voulu jeûner
immédiatement après son baptême, il ne faut pas en conclure qu’il nous ait
imposé par là l’obligation rigoureuse de jeûner aussitôt que nous avons reçu le
baptême. C’est lorsque le démon nous livre de plus violentes attaques, qu’il
faut recourir au jeûne, afin que le corps s’exerce aux combats de la
mortification et que l’âme puisse remporter la victoire par ses humiliations.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Le Seigneur connaissait le dessein que le démon
avait de le tenter ; en effet le démon avait appris la naissance du Christ
par l’apparition des anges, par le rapport des bergers, par les recherches des
Mages et par la déclaration de Jean-Baptiste. Le Seigneur s’avança donc contre
lui, non comme Dieu, mais comme homme, ou plutôt comme Dieu et homme, car il
n’est pas dans la nature de l’homme de ne point éprouver la faim pendant
quarante jours, comme il n’est pas dans la nature de Dieu d’être jamais soumis
à la nécessité de la faim. Il eut faim, pour ne pas rendre la divinité trop
évidente, car le démon aurait ainsi perdu tout espoir de le tenter, et lui-même
l’occasion d’en triompher ; c’est pour cela qu’il est dit : « Après cela il eut faim. » —
S. Hil. Ce ne fut pas pendant les
quarante jours qu’il eut faim, mais seulement lorsqu’ils furent écoulés. Lors
donc que le Seigneur éprouva le besoin de la faim, ce ne fut pas l’effet naturel
du jeûne, mais parce qu’il abandonna en ce moment la nature humaine à sa
faiblesse, car c’est par la faiblesse de la chair et non par la force divine
que l’enfer devait être vaincu. Ainsi nous est figurée la faim mystérieuse
qu’il devait avoir du salut des hommes, lorsque, les quarante jours qu’il passa
sur la terre après sa résurrection étant
écoulés, il porta dans les cieux à son Père ce présent si désiré de l’humanité
qu’il s’était unie.
S. Chrys. (sur
S. Matth.) Le diable qui
avait désespéré de triompher du Sauveur en le voyant jeûner pendant quarante
jours, reprit quelque espoir en le voyant éprouver le besoin de la faim ;
aussi le texte sacré ajoute : « Et le tentateur s’approchant. » Si donc après avoir jeûné, le démon
vous tente, ne dites pas : J’ai perdu le fruit de mon jeûne, car si le
jeûne ne vous a pas servi a éviter la tentation, il vous donnera les forces
nécessaires pour en triompher. — S. Grég.
(hom. 16.) En étudiant ici
l’ordre et la suite de la tentation du Sauveur, nous verrons quelle puissance
nous y est acquise à nous-mêmes contre nos propres tentations. L’antique ennemi
du genre humain tenta le premier homme par la sensualité en lui persuadant de
manger du fruit défendu, par la vaine gloire en lui faisant cette promesse :
« Vous serez comme des dieux ; » par l’avarice en lui disant : « Vous saurez le bien et
le mal ; car l’avarice n’a pas seulement l’argent pour objet, mais encore
la grandeur, l’élévation, lorsqu’on les désire et qu’on les recherche avec
excès. Le démon fut vaincu cette fois par le second Adam, et par les mêmes
moyens qui l’avaient rendu victorieux du premier. Il tenta le Sauveur par la
sensualité en lui disant : « Dites que ces pierres se changent en
pains ; » par la vaine gloire lorsqu’il lui dit : « Si vous
êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas. » Il le tenta par l’attrait de l’avarice et le désir des honneurs,
lorsqu’il lui dit en lui montrant tous les royaumes de la terre :
« Je vous donnerai toutes ces choses. »
S. Amb. (sur S. Luc.) Le démon commence par ce qui l’avait autrefois rendu
victorieux du premier homme, c’est-à-dire par la sensualité : « Si
vous êtes le Fils de Dieu, » lui
dit-il, « commandez à ces pierres de se changer en pains ? » Que
signifie cet exorde : que le démon savait que le Fils de Dieu devait venir
sur la terre, mais qu’il ne croyait pas qu’il dût venir dans l’infirmité de la
chair. Il le sonde et le tente tout à la fois, il fait profession de croire en
Dieu et en même temps il se joue de l’homme. — S. Hil. (can. 3
sur S. Matth.) Il choisit pour le tenter une œuvre qui pût lui
faire reconnaître Dieu dans la puissance qui changerait les pierres en pains,
et lui permît en même temps de se moquer de la patience de l’homme maintenant
soumise à la faim, par le plaisir qu’il trouverait dans la nourriture. — S. Jér. Mais, ô Satan, tu es pris entre
ces deux termes opposés : s’il ne lui faut que commander pour changer ces
pierres en pain, c’est bien inutilement que tu veux tenter Celui qui est revêtu
d’une si grande puissance ; et si cela lui est impossible, pourquoi
soupçonner qu’il peut être le Fils de Dieu ? — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le
démon aveuglait auparavant tous les hommes, Jésus-Christ l’aveugle
invisiblement à son tour. Il remarque que le Sauveur a faim après quarante
jours, et il semble ne pas comprendre pourquoi il n’avait pas eu faim pendant
ces quarante jours. Il doute qu’il puisse être le Fils de Dieu, et il ne voit
pas qu’un puissant athlète peut descendre jusqu’à faire des choses ordinaires,
tandis que celui qui est faible ne peut jamais s’élever jusqu’aux actions qui
exigent de la force. Ce jeûne si prolongé sans que le Sauveur eût faim, devait
être pour le démon une preuve plus évidente de sa Divinité que la faim qu’il
éprouve ensuite ne devait lui faire conclure qu’il n’était qu’un homme. Mais
vous me direz peut-être : Élie et Moïse ont bien jeûné pendant quarante
jours, et cependant ils n’étaient que des hommes. Oui, sans doute, ils
jeûnaient, mais ils souffraient du jeûne, tandis que Jésus-Christ n’éprouva
aucun sentiment de la faim pendant ces quarante jours, mais seulement après.
Avoir faim et supporter la faim, l’homme le peut par la patience ; mais il
n’appartient qu’à la nature divine de ne pas éprouver le sentiment de la faim.
S. Jér. Le dessein du Christ était de
vaincre par l’humilité. — S. Remi. (Serm. 1 pour le Carême.) Aussi ce n’est point par la puissance divine, mais
par les témoignages de la loi, que Jésus triomphe de son adversaire. Notre
humanité s’en trouve plus honorée, et le démon plus sévèrement puni, car cet
ennemi du genre humain se trouve vaincu non seulement par la force de Dieu,
mais par la faiblesse de l’homme. Aussi entendez la réponse du Sauveur : « Il est écrit : l’homme ne
vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de
Dieu. » — S. Grég. (hom. 16.) Le Seigneur tenté par le démon ne lui oppose que les
préceptes de la sainte Écriture ; il aurait pu refouler le tentateur
jusque dans les abîmes, il aime mieux ne pas faire éclater sa puissance. Il
voulait nous enseigner par son exemple, lorsque nous sommes en butte aux
persécutions des méchants, à ouvrir notre âme au désir de les instruire, plutôt
qu’au désir de la vengeance.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Il ne dit pas : « Je ne vis pas seulement
de pain, » pour ne point paraître
parler de lui-même, mais « l’homme ne vit pas seulement de pain, » afin de donner lieu au démon de se
dire : « S’il est le Fils de Dieu, il cache sa divinité et ne veut
pas laisser éclater sa puissance ; s’il est homme, il dissimule habilement
son impuissance. » — Rab. Ces paroles sont tirées du
Deutéronome (Dt 8, 3). Ainsi celui qui ne se nourrit pas de la parole de Dieu
ne vit pas en réalité, car l’âme ne peut pas plus vivre sans la parole de Dieu,
que le corps sans le pain matériel. Or on dit qu’une parole sort de la bouche
de Dieu, lorsqu’il nous fait connaître sa volonté par le témoignage des
Écritures.
S. Chrys. (sur
S. Matth.) D’après la
réponse que venait de faire Jésus-Christ, le démon n’avait pu savoir au juste
si le Christ était vraiment Dieu ou homme ; il le met donc en face d’une
autre tentation en se disant à lui-même : Celui-ci dont la faim n’a pu
triompher, s’il n’est pas le Fils de Dieu, est au moins un saint. Les saints en
effet peuvent se rendre supérieurs à la faim ; mais après avoir triomphé
des nécessités du corps, ils succombent à la tentation de la vaine gloire.
C’est pourquoi le démon voulut soumettre le Sauveur à cette tentation : « Alors,
dit l’Évangéliste, le démon le transporta dans la ville sainte. » — S. Jér. Ce transport de Jésus par le démon
n’est pas le résultat de la faiblesse du Seigneur, mais de l’orgueil de son
ennemi, qui prenait une action toute volontaire du Sauveur pour un effet de la
nécessité. — Rab. Jérusalem était
appelée la cité sainte, à cause du temple, du Saint des saints, et parce qu’on
y adorait un seul Dieu selon la loi de Moïse. — Remi. On voit par là que les fidèles peuvent être tentés
jusque dans les lieux consacrés à Dieu.
S. Grég. (hom. 16.) Lorsque nous entendons dire que le Fils de Dieu a
été transporté par le démon dans la cité sainte, nos oreilles frémissent
d’effroi. Cependant le démon est le chef de tous les méchants ; et qu’y
a-t-il d’étonnant que le Sauveur ait permis au démon de le transporter sur une
montagne, lui qui a bien permis aux membres du démon de le crucifier ? — La Glose. Le démon conduit toujours sur
les lieux élevés, il nous fait monter sur les sommets de l’orgueil, afin de
nous précipiter de ces hauteurs. Voilà pourquoi il est dit : « Et il
le plaça sur le haut du temple. » — Remi.
Le pinacle était le lieu où s’asseyaient les docteurs. Or le temple
n’avait pas de toit élevé en pente comme nos maisons, mais il était plat et
surmonté d’une terrasse, comme le sont en général les habitations de la
Palestine. Le temple avait trois étages, et à chaque étage un pinacle ; il
y en avait même un sur le pavé. Que ce soit sur le pinacle du pavé ou sur celui
d’un des étages que le démon ait placé Jésus, peu importe : ce qu’il y a
de certain c’est qu’il l’a placé sur une élévation d’où l’on pouvait se
précipiter. — La Glose. Remarquons
que toutes ces circonstances ont dû se passer d’une manière visible, car il y a
ici échange de paroles ; il est donc vraisemblable que le démon s’était
rendu sensible sous une forme humaine. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Vous
demanderez peut-être comment le démon a pu placer corporellement le Sauveur sur
le haut du temple, aux yeux de tous. On peut répondre que le démon le
transportait d’une manière visible, et que lui-même, à l’insu du démon, se
rendait invisible à tous les regards.
La Glose. — Il le plaça
sur le pinacle pour le tenter de vaine gloire, parce qu’il avait fait tomber
dans ce piège de la vaine gloire beaucoup de ceux qui étaient assis dans la
chaire des docteurs. Il crut pouvoir séduire de la même manière Jésus dès qu’il
serait placé dans la chaire de l’enseignement ; il lui dit donc :
« Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas. » S. Jér.
En effet, dans toutes les tentations, le démon n’a qu’un but :
c’est de découvrir s’il est le Fils de Dieu. Il dit : « Jetez-vous en
bas, » parce que la voix du
démon, qui désire toujours la chute des hommes, peut bien les persuader, mais
ne peut jamais les précipiter elle-même. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Mais comment
par cette proposition pouvait-il connaître s’il était le Fils de Dieu ou
non : car voler par les airs n’est point proprement une œuvre divine,
attendu que cette œuvre n’est utile à personne. Que quelqu’un, sur les instances
qu’on lui fait, prenne son essor dans les airs, c’est uniquement par
ostentation qu’il agit, et c’est une œuvre qui vient plutôt du démon que de
Dieu. Si donc il suffit à l’homme sage être ce qu’il est, sans qu’il lui soit
nécessaire de paraître ce qu’il n’est pas, combien moins sera-t-il nécessaire
au Fils de Dieu de se découvrir, lui dont personne ne pourra jamais connaître
la grandeur réelle ?
S. Amb. (sur S. Luc.) Comme
Satan se transfigure en ange de lumière, et qu’il se sert des saintes Écritures
elles-mêmes pour tendre des pièges aux fidèles (cf. 2 Co 11, 14), il a recours ici aux témoignages des Livres saints et
il dit : « Il est écrit qu’il a ordonné à ses anges d’avoir soin de
vous. » — S. Jér. Nous
lisons ce passage dans le psaume quatre-vingt dixième, mais il n’y est pas
question du Christ, c’est une prophétie qui a rapport à l’homme juste :
l’interprétation du démon est donc vicieuse. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En
réalité, le Fils de Dieu n’est pas porté par les mains des anges, mais c’est bien
plutôt lui qui porte les anges, ou s’il permet que les anges le portent dans
leurs mains, ce n’est point par faiblesse, pour ne point heurter son pied
contre la pierre ; c’est pour recevoir l’honneur qui lui est dû comme le
maître des anges. O Satan, tu as lu que le Fils de Dieu est porté dans les
mains des anges, et tu n’as pas lu ce qui suit, qu’il foule aux pieds l’aspic
et le basilic. Mais il cite par orgueil cette première partie du texte et il se
tait sur la seconde par un sentiment de fourberie. — S. Chrys. (hom. 13 sur S.
Matth.) Remarquez encore
comme Notre Seigneur cite toujours convenablement l’Écriture sainte, tandis que
le démon en fait le plus mauvais usage, car ces paroles : « Il a
ordonné à ses anges, » etc. ne
conseillent à personne de se jeter et de se précipiter en bas. — La Glose. Voici comme il faut expliquer
ce passage. L’Écriture dit de tout homme juste que Dieu a commandé à ses anges,
c’est-à-dire aux esprits qui lui servent de ministres, de le prendre dans leurs
mains, en d’autres termes de l’entourer de leur protection, et de le garder
pour qu’il ne heurte pas le pied, c’est-à-dire la bonne disposition de son âme,
contre la pierre, figure ici de l’ancienne loi écrite sur des tables de pierre.
On peut voir aussi dans cette pierre toute occasion de péché ou de ruine.
Rab. Remarquons que notre
Sauveur, qui avait permis au démon de le porter sur le pinacle du temple,
refusa d’obéir au commandement qu’il lui faisait d’en descendre. Il nous
apprenait ainsi par son exemple à obéir à celui qui nous commande de monter la
voie étroite de la vérité, mais à ne point écouter celui qui voudrait nous
faire descendre des hauteurs de la vérité et des vertus pour nous précipiter
dans l’abîme de l’erreur et des vices. — S. Jér.
Il brise sur le vrai bouclier des Écritures ces flèches trompeuses que
le démon a voulu, mais en vain, tirer des Écritures elles-mêmes. « Jésus
lui dit : Il est écrit de nouveau : Vous ne tenterez pas le Seigneur
votre Dieu. » — S. Hil. En
réprimant ainsi tous les efforts du démon, il atteste qu’il est le Dieu
souverain maître de toutes choses. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Il ne dit pas :
« Vous ne me tenterez pas, moi qui suis votre Dieu, mais « vous ne
tenterez pas le Seigneur votre Dieu, »
ce que pouvait dire tout homme tenté du démon, car qui tente l’homme de
Dieu tente Dieu lui-même. — Rab.
Ou bien encore, tout en le regardant comme un homme, il lui conseillait
d’essayer par quelque prodige sa puissance auprès de Dieu. — S. Aug. (contre Faust., liv. XXII, chap. 36.) La saine doctrine veut qu’un
homme qui a d’autres moyens d’action ne tente pas le Seigneur son Dieu. — S. Jér. Il est à remarquer que le Sauveur
ne tire les témoignages dont il a besoin que du Deutéronome, pour faire
ressortir la signification mystérieuse de cette loi promulguée une seconde fois
par Moïse.
S. Chrys. (sur
S. Matth.) Le démon, que
la seconde réponse du Sauveur avait laissé dans l’incertitude, en vient à la
troisième tentation. Le Christ avait brisé les filets de la sensualité, il
avait passé par-dessus les pièges de la vaine gloire ; il lui tend ceux de
l’avarice. « Le diable, dit
l’auteur sacré, le prit de nouveau, et le transporta sur une montagne très
élevée. Le démon, qui avait parcouru toute la terre, connaissait quelle était
de toutes les montagnes la plus élevée, et d’où, par conséquent, on pouvait
découvrir une plus grande étendue de terre : c’est pour cela que
l’Évangéliste ajoute : « Et il lui montra tous les royaumes de la
terre et toute leur gloire. » Il
les lui montra non pas en ce sens qu’il distinguât parfaitement les limites de
ces royaumes, leurs villes, leurs habitants, l’or et l’argent qu’ils
possédaient, mais simplement les parties de la terre où étaient situés ces
royaumes, ces villes, comme si du sommet d’une haute montagne, je vous disais
en vous indiquant du doigt un point de l’horizon : C’est là que se trouve
Rome, ou Alexandrie, vous ne verriez pas les villes elles-mêmes, mais
simplement la direction dans laquelle elles sont situées. C’est ainsi que le
démon pouvait en montrant du doigt les différentes parties de la terre, exposer
au Christ l’état et la gloire de chacun des royaumes qui s’y trouvaient
situés ; car on montre réellement ce que l’on cherche à faire comprendre.
— Orig. (hom. 30 sur S. Luc.) Ou
bien dans un autre sens, il n’est pas probable que le démon lui ait montré les
royaumes du monde, celui des Perses, par exemple, puis celui des Indiens, puis
celui des Mèdes ; mais il lui montra son royaume à lui, c’est-à-dire
comment il dominait sur le monde, comment les uns étaient gouvernés par
l’avarice, les autres par la fornication, etc. — Remi. La gloire de ces royaumes, c’est leur or, leur argent,
leurs pierres précieuses, leurs biens temporels. — Rab. Le démon montra toutes ces choses au Christ, non pas
qu’il ait pu étendre sa vue au-delà des limites ordinaires, ou de découvrir des
choses inconnues ; mais en déroulant sous ses yeux, comme un digne objet
de ses désirs, cette vanité des pompes du monde qu’il aimait lui-même, il
voulait aussi lui en inspirer l’amour. — La
Glose. Jésus ne voit pas ainsi que nous toutes ces choses avec l’œil de
la concupiscence, mais comme les médecins voient les maladies sans en être
atteints eux-mêmes.
Suite. « Et il lui
dit : Je vous donnerai toutes ces choses. » Dans son arrogance et
dans son orgueil, il se vante de faire ce qui dépasse son pouvoir, car il ne
peut disposer de tous les royaumes, puisque nous savons qu’un grand nombre de
Saints ont reçu la royauté des mains de Dieu lui-même. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Tout ce qui dans le monde est le fruit de
l’iniquité, comme les richesses acquises par le vol ou par le parjure, c’est le
démon qui le donne : il ne peut donc pas donner les richesses a tous ceux
qu’il veut, mais seulement à ceux qui veulent les recevoir de sa main. — Remi. Quelle étrange folie dans le
démon : il promet les royaumes de la terre à celui qui donne à ses fidèles
le royaume du ciel, et la gloire du monde à celui qui est le souverain
dispensateur de la gloire éternelle !
S. Amb. (sur S. Luc.) L’ambition porte avec elle un danger personnel :
pour commander aux autres l’ambitieux se rend d’abord esclave, il se courbe
sous l’autorité d’un autre pour obtenir l’honneur qu’il désire, et pour
satisfaire l’ambition qu’il a de monter au premier rang, il descend aux
dernières bassesses : aussi voyez comme le démon ajoute : « Si en vous prosternant vous
m’adorez. » — La Glose. Voilà
bien l’antique orgueil du démon : de même qu’au commencement il voulut se
rendre semblable à Dieu, ainsi voulait-il maintenant usurper les honneurs
divins. « Si en vous prosternant vous m’adorez. » Donc celui qui veut
adorer le démon tombe auparavant de tout son poids sur la terre.
Suite. « Alors Jésus
lui dit : Retire toi, Satan. » —
S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est
ainsi qu’il met fin à la tentation, et défend au démon d’aller plus avant. — S.
Jér. On ne peut admettre, avec
plusieurs interprètes que Satan et Pierre aient été frappés de la même sentence
de condamnation. Jésus dit à Pierre : « Va derrière moi Satan, »
c’est-à-dire suis moi, toi qui te montres opposé à ma volonté ; tandis
qu’il dit à Satan : « Retire-toi, Satan, » sans qu’il
ajoute : « derrière moi, » pour laisser sous-entendre : « Va dans le feu éternel, qui t’a
été préparé à toi et à tes anges. — Remi.
Ou bien, en admettant la variante de certains exemplaires : « Retire-toi derrière, »
c’est-à-dire souviens-toi, rappelle-toi dans quel état de gloire tu as été créé
et dans quel abîme de misère tu es tombé. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Remarquez
que lorsque Notre-Seigneur eut à supporter cette tentation injurieuse pour
lui : « Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas, » il ne
s’en émeut pas, il ne fait pas de reproche au démon. Mais maintenant que ce
malheureux esprit s’arroge l’honneur qui n’est dû qu’à Dieu, le Sauveur est
indigné, et il le repousse par ces paroles : « Retire-toi,
Satan. » Ainsi nous apprend-il à supporter avec courage les injures qui
nous sont personnelles, mais à ne pas entendre sans indignation les outrages
qui s’adressent à Dieu même ; car si c’est un acte louable de souffrir
patiemment les injures qui nous concernent, c’est une impiété de voir d’un œil
indifférent celles qui osent s’attaquer à Dieu.
S. Jér. Le Démon a dit au Sauveur : « Si en vous prosternant, vous
m’adorez, » et il apprend au
contraire que c’est à lui à l’adorer comme son Seigneur et son Dieu. — S. Aug. (contre les discours des Ariens, chap. XXIX.) « Il est écrit : Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, et
vous ne servirez que lui seul. » Notre
unique Seigneur et Dieu c’est la sainte Trinité, à laquelle nous devons à juste
titre l’hommage et comme la servitude de notre religion. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. X, chap. 2.) Par cette servitude il faut
entendre le culte qui est du à Dieu, car c’est par ce mot de servitude que les
traducteurs ont rendu le mot latria latrie,
toutes les fois qu’il se rencontre dans les saintes Écritures, tandis que ces
rapports de subordination qui sont dus aux hommes et que saint Paul recommande
lorsqu’il dit aux esclaves d’être soumis à leurs maîtres, s’expriment en grec
par le mot dulie (δυλια).
S. Chrys. (sur S. Matth.) Comme on doit raisonnablement le penser, le démon
se retira non par obéissance au commandement du Christ, mais parce que la
divinité du Sauveur et l’Esprit saint qui étaient en lui le repoussèrent au
loin. « Alors le démon le laissa. » Dieu le permit ainsi pour notre consolation, car le démon ne tente
les fidèles serviteurs de Dieu, qu’autant que le Christ le lui permet, et non
pas autant qu’il le veut. S’il lui accorde de nous tenter légèrement, il se
bâte de le repousser pour ménager notre faible nature.
S. Aug. (Cité de Dieu, liv. IX, chap. 20.) Après la tentation, les saints
anges que les esprits immondes redoutent viennent offrir leurs services au
Seigneur, et par là les démons connaissaient plus clairement quelle était sa
grandeur. « Et les anges s’approchèrent de Jésus, dit l’Évangéliste, et
ils le servaient. » — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Il ne
dit pas : « Les anges descendirent, » car ils étaient toujours sur la terre pour le servir, ils
s’étaient retirés un instant, sur l’ordre du Seigneur, pour laisser agir le
démon contre Jésus-Christ ; car il n’aurait pas osé s’approcher de lui,
s’il l’avait vu entouré de ses anges. Dans quelles actions les anges lui
prêtaient leur ministère ? Nous ne pouvons le savoir. Était-ce pour la
guérison des malades, ou pour la conversion des pécheurs, ou pour mettre les
démons en fuite, toutes choses qu’il fait par ses anges, bien qu’il paraisse les
faire immédiatement lui-même ? Ce qui est hors de doute, c’est qu’en le
servant ils ne venaient pas au secours de sa faiblesse, mais qu’ils honoraient
sa puissance, car il n’est pas dit qu’ils l’aidaient, mais qu’ils le servaient.
— S. Grég. (hom. 15.) Nous avons ici une preuve des deux natures réunies en
une seule personne : l’homme qui est tenté par le démon, et tout à la fois
le Dieu qui est servi par les anges. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Exposons rapidement
le sens caché des tentations. Le jeûne c’est l’abstention du mal, la faim en
est le désir, le pain en est l’usage. Celui qui approprie le péché à son usage,
change la pierre en pain. Qu’il réponde donc à cet esprit séducteur que l’homme
ne vit pas seulement de pain mais encore de l’observance des commandements de
Dieu. Quand un chrétien vient à s’enorgueillir de sa prétendue sainteté, il est
transporté sur le haut du temple, et lorsqu’il se persuade avoir atteint le
sommet de la perfection, il est placé sur le pinacle du temple : cette
tentation succède à la première, car la victoire que l’on remporte sur une
tentation fait qu’on s’en glorifie et devient une cause de vaine ostentation.
Remarquez aussi que Jésus-Christ embrasse de lui-même le jeûne, tandis que
c’est le démon qui le place au-dessus du temple. A son exemple, observez
volontairement les règles de l’abstinence chrétienne, mais ne vous laissez pas
aller à la pensée que vous êtes parvenu au faite de la sainteté. Fuyez
l’élévation du cœur et vous échapperez à votre ruine. Quant au transport sur la
montagne, il figure les efforts que nous faisons pour nous élever jusqu’aux
richesses, jusqu’à la gloire de ce monde, efforts qui ont pour cause l’orgueil
du cœur. Lorsque vous voulez devenir riche et monter ainsi sur la montagne,
vous pensez aussitôt aux moyens d’acquérir les richesses et les honneurs, et
c’est afin que le prince de ce monde vous montre la gloire de son royaume. En
troisième lieu, il vous fait connaître le chemin que vous devez prendre pour y
arriver : c’est de le servir sans tenir aucun compte de vos devoirs envers
Dieu. — S. Hil. (can. 3 sur S. Matth.) Dès que
nous sommes vainqueurs du démon et que nous lui avons écrasé la tête sous nos
pieds, nous voyons par cet exemple que les services des anges et les secours
des vertus célestes ne nous feront pas défaut.
S. Aug. Saint Luc ne raconte pas ces
tentations dans le même ordre ; on ne sait donc pas quelle fut la
première. Le démon commença-t-il par montrer au Sauveur tous les royaumes du
monde, et l’a-t-il transporté ensuite sur le pinacle du temple, ou bien est-ce
le contraire qui est arrivé ? peu importe, dès lors qu’il est certain que
ces tentations ont en lieu toutes les trois. — La Glose. Le récit de saint Luc paraît cependant plus
historique, et on peut dire alors que saint Matthieu a suivi l’ordre dans
lequel ces tentations ont en lieu pour Adam.
Rab. Saint Matthieu,
après avoir raconté le jeûne de quarante jours, les tentations du Christ, le
ministère que les anges remplissaient près de lui, ajoute aussitôt :
« Jésus ayant appris que Jean avait été arrêté. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) sans aucun doute par la permission de Dieu, car
personne ne peut rien entreprendre contre l’homme juste, que Dieu lui-même ne
le lui ait abandonné. Il est dit qu’il se retira dans la Galilée, c’est-à-dire
qu’il partit de la Judée, voulant réserver sa passion pour un temps plus
opportun, et nous apprendre en même temps par son exemple qu’il nous était
permis de fuir devant le danger. — S. Chrys.
(Hom. 14 sur S. Matth.) Car on
n’est pas coupable pour ne pas se jeter de soi-même dans le danger, mais pour
manquer de courage lorsqu’on y est tombé. Il se retire de la Judée pour calmer
l’envie des Juifs, accomplir une prophétie, et rechercher les moyens de prendre
dans ses filets les futurs docteurs du monde qui habitaient la Galilée. Voyez
encore, il doit aller chez les Gentils, mais il y est forcé par les Juifs, car
c’est en jetant dans les fers son précurseur qu’ils forcent Jésus de passer
dans la Galilée des nations. — La Glose.
D’après le récit de saint Luc, il vint à Nazareth où il avait été élevé,
et là il entra dans la Synagogue où il lut et dit plusieurs choses qui
portèrent les Juifs à vouloir le précipiter du haut de la montagne. C’est alors
qu’il vint demeurer à Capharnaüm comme l’indique le récit de saint
Matthieu : « Après avoir quitté la ville de Nazareth, il vint habiter
Capharnaüm. » — S. Jér. Nazareth est un bourg de la
Galilée près de la montagne du Thabor ; Capharnaüm est une ville située
dans la Galilée des Gentils, auprès du lac de Génésareth, et c’est pour cela
qu’elle est appelée ville maritime. — La
Glose. Il ajoute : Sur les frontières de Zabulon et de Nephtali,
parce que c’est là qu’avait eu lieu la première captivité des Hébreux sous les
Assyriens. La première prédication de l’Évangile se fait donc dans les régions
qui les premières avaient oublié la loi, pour se répandre de là comme d’un lieu
également à portée des deux peuples, sur les Gentils et sur les Juifs. — Remi. Il abandonne une ville, Nazareth,
pour aller éclairer un plus grand nombre d’âmes par ses prédications et par ses
miracles, et il apprend ainsi par son exemple aux ministres de l’Évangile à
prêcher la parole divine dans les temps et dans les lieux où elle doit être
utile à un plus grand nombre.
Suite. « Afin que cette
parole du prophète fût accomplie : La terre de Zabulon et la terre de
Nephtali, etc. » Dans le prophète Isaïe on lit : « Au
commencement Dieu a soulagé la
terre de Zabulon et la terre de Nephtali, et à la fin, sa main s’est appesantie
sur la Galilée des nations qui est le long de la mer, au delà du Jourdain. — S.
Jér. Ce pays, selon le prophète,
fut dans les premiers temps déchargé du poids de ses péchés ; car c’est au
milieu de ces deux tribus que le Sauveur prêcha d’abord son Évangile ;
mais leur foi fut comme appesantie parce qu’un grand nombre de Juifs
persistèrent dans leur incrédulité. Cette mer dont parle ici l’Évangéliste,
n’est autre que le lac de Génézareth, qui est formé par les eaux du Jourdain.
Sur ses bords sont situées Capharnaüm, Tibériade, Bethsaïde et Corozaim, villes
dans lesquelles surtout Jésus-Christ annonça l’Évangile. D’après les Hébreux
convertis au christianisme, ces deux tribus de Zabulon et de Nephtali furent
emmenées captives par les Assyriens, et le pays qu’elles habitaient, la
Galilée, rendue déserte, fut soulagée du poids de leurs péchés, selon
l’expression du prophète. Plus tard, les autres tribus qui habitaient au delà
du Jourdain et dans la Samarie eurent le même sort, et c’est pour cela,
remarquent ces mêmes auteurs, que l’Écriture dit ici que le peuple de cette
contrée a été le premier réduit en captivité, et que le premier aussi il vit la
lumière que Jésus-Christ répandait par ses prédications. Oui bien, selon les
Nazaréens, la venue du Christ délivra d’abord la terre de Zabulon et de
Nephtali des erreurs des Pharisiens, et plus tard, grâce au zèle apostolique de
saint Paul, la prédication fut surchargée, c’est-à-dire multipliée sur les
frontières des nations. La Glose. Dans
cette phrase de l’Évangile, tous ces divers nominatifs se rapportent à un seul
et même verbe, de manière à présenter ce sens : « La terre de Zabulon
et la terre de Nephtali, qui est le chemin de la mer et qui est au delà du
Jourdain (c’est-à-dire le peuple de la Galilée des nations, qui marchait dans
les ténèbres), a vu une grande lumière, » etc.
S. Jér. (sur Isaïe). Remarquez qu’il y a deux Galilées, la Galilée des Juifs, et celle des
Gentils. La Galilée fut divisée sous le règne de Salomon, qui donna vingt
villes de cette province à Hiram, roi de Tyr, et cette partie fut appelée
Galilée des nations, l’autre Galilée des Juifs. On peut lire aussi :
« Au delà du Jourdain, de la Galilée des nations, » de sorte que le
peuple qui était assis ou qui marchait dans les ténèbres vit une lumière qui
n’était pas faible comme celle des prophètes, mais la grande lumière de celui
qui a dit de lui-même dans l’Évangile : « Je suis la lumière du
monde. »
Suite. « La lumière
s’est levée sur ceux qui étaient assis dans la région de l’ombre de la
mort. » Il y a cette différence, je crois, entre la mort et l’ombre de la
mort, que la mort est le partage de ceux qui sont descendus aux enfers avec
leurs œuvres, tandis que l’ombre de la mort est l’état de ceux qui sont aussi
dans le péché, mais qui n’ont pas encore quitté cette vie et qui peuvent, s’ils
le veulent, faire pénitence. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) On peut dire aussi
que les Gentils étaient assis dans l’ombre de la mort, parce qu’ils adoraient
les idoles et les démons, tandis que les Juifs qui faisaient les œuvres de la
loi n’étaient que dans les ténèbres, parce que la justice de Dieu ne leur était
pas encore clairement révélée. S. Chrys.
(hom. 10 Sur S. Matth.) Il faut bien comprendre qu’il n’est pas ici question
de lumière ou de ténèbres sensibles ; c’est pour cela que l’Évangéliste
appelle cette lumière une grande lumière, et ailleurs la vraie lumière (cf. Jn
5, 9), de même que pour désigner les ténèbres, il emploie cette expression
d’ombre de la mort. Voulant ensuite nous montrer que ce n’est pas en cherchant
eux-mêmes Dieu qu’ils l’ont trouvé, mais que Dieu s’est manifesté à leurs
regards, il dit que la lumière s’est levée et a brillé sur eux. En effet, ils
n’ont pas couru les premiers au devant de la lumière, car avant la venue de
Jésus-Christ les hommes étaient plongés
dans des maux extrêmes, ils ne marchaient pas dans les ténèbres, mais ils y
étaient assis, signe évident qu’ils n’espéraient pas de délivrance. Ils ne
savaient plus de quel côté marcher ; enveloppés tout entiers par les
ténèbres, ils ne pouvaient plus même se tenir debout, et se voyaient forcés de
s’asseoir. Les ténèbres désignent ici l’erreur et l’impiété.
Remi. — Dans le sens
allégorique, Jean et les autres prophètes sont la voix qui précède le Verbe.
Lorsque le prophète eut cessé de parler, et qu’il fût jeté dans les fers, le
Verbe parait pour accomplir ce qu’avait annoncé la voix, c’est-à-dire le
prophète. Et il se retira dans la Galilée, c’est-à-dire de la figure pour aller
vers la vérité, ou bien dans la Galilée, c’est-à-dire dans l’Église, car c’est
en elle seule que l’on peut passer du vice à la vertu. Nazareth veut dire fleur, Capharnaüm, la ville très-belle. Il quitte la fleur des figures qui annonçait
les fruits de l’Évangile, et il vient dans l’Église embellie des vertus du
Christ. Elle est appelée maritime parce qu’elle est placée sur les flots, et
qu’elle est tous les jours battue par les tempêtes des persécutions. Elle est
située sur les confins de Nephtali et de Zabulon, c’est-à-dire qu’elle est
commune aux Juifs et aux Gentils. Zabulon signifie maison de la force, parce
que les apôtres, qui ont été choisis parmi les Juifs, ont été remplis de
force ; Nephtali veut dire dilatation,
parce que l’Église, composée de Gentils, s’est étendue par toute la terre.
— S. Aug. (de l’Acc. des Evang. liv. II, chap. 17.) Saint Jean l’Évangéliste,
avant le voyage de Jésus en Galilée place la vocation de Pierre, d’André, de
Nathan et le miracle de Cana en Galilée, toutes choses dont ne parlent par les
autres Évangélistes, qui mêlent à leur narration le retour de Jésus en Galilée,
Il faut en conclure qu’il s’est écoulé quelques jours pendant lesquels
arrivèrent les faits que saint Jean intercale dans son récit.
Remi. — Mais il faut
examiner avec soin comment saint Jean a pu dire que le Sauveur avait été dans
la Galilée avant que saint Jean-Baptiste eût été mis en prison ; car c’est
après le changement de l’eau en vin, après le séjour de Jésus à Capharnaüm,
après son retour à Jérusalem, que, d’après le récit de saint Jean, il revint
dans la Judée, et qu’il y baptisait. Or, à cette époque Jean-Baptiste n’était
pas encore incarcéré. Ici au contraire, comme dans saint Marc, nous lisons que
Jésus se retira en Galilée après que Jean-Baptiste fut arrêté. Il n’y a
toutefois aucune contradiction. Car saint Jean l’Évangéliste raconte le premier
voyage du Sauveur dans la Galilée, voyage qui eut lieu avant l’incarcération de
Jean-Baptiste. Ailleurs il fait mention en ces termes d’un second voyage dans
la même contrée : « Jésus quitta la Judée, et revint de nouveau dans
la Galilée, » et c’est de ce
second voyage seulement qui eut lieu après que Jean-Baptiste eût été jeté en
prison, que les autres Évangélistes font mention. — Eusèbe. (Hist. ecclés.,
liv. III, chap. 18.) En effet, nous savons par la tradition que saint Jean
l’Évangéliste prêcha de vive voix l’Évangile presque jusqu’à la fin de sa vie
sans avoir absolument rien écrit. Lorsqu’il eut pris connaissance des trois
premières Évangiles, il en approuva l’exactitude et la vérité, mais il y
remarqua quelques lacunes, surtout dans la première année de la prédication du
Sauveur. Il est certain, en effet, que les trois premiers Évangélistes
rapportent exclusivement les événements qui ont en lieu l’année où
Jean-Baptiste fut jeté en prison ou mis à mort. Car saint Matthieu et saint
Marc, après la tentation du Christ, ajoutent aussitôt : « Jésus
apprenant que Jean avait été mis en prison, etc. » Saint Luc avant de
raconter aucune action de la vie du Christ, dit tout d’abord qu’Hérode fit
jeter Jean-Baptiste en prison. Saint Jean fut donc prié d’écrire les faits de
la vie du Sauveur qui avaient précédé l’emprisonnement de Jean-Baptiste, et
c’est pour cela que nous lisons dans son Évangile : « Tel fut le
premier miracle de Jésus. »
S. Chrys. (sur
S. Matth.) Celui-là seul a le droit de prêcher la justice chrétienne
qui peut résister à ses appétits sensuels, mépriser les biens de ce monde,
étouffer tout désir de vaine gloire. Aussi l’Évangéliste écrit-il avec
raison : « Depuis ce temps, »
c’est-à-dire après qu’il eût triomphé de la tentation de la faim dans le
désert, méprisé les séductions de la cupidité sur la montagne, repoussé la
vaine gloire sur le pinacle du temple. Ou bien, « depuis ce temps
là, » c’est-à-dire depuis que Jean-Baptiste fut mis en prison, Jésus commença
le cours de ses prédications ; car s’il l’eût commencé alors que Jean
continuait encore ses prédications, il eût amoindri la réputation de son
précurseur et détruit l’utilité de la doctrine de Jean par la comparaison qu’on
en aurait fait avec la sienne. C’est ainsi que le soleil éclipse la beauté de
l’étoile du matin, lorsqu’il la rencontre sur l’horizon. S. Chrys. (Hom. 14 sur S. Matth.) Jésus n’a point prêché avant que
Jean-Baptiste fût mis en prison, pour ne pas diviser la multitude. C’est pour
une raison semblable que Jean ne fit pas de miracle (cf. Jn 10, 41), pour
laisser au Sauveur le moyen d’attirer tous les hommes à lui. — Rab. Il nous apprend par là à ne jamais
mépriser la parole d’un inférieur, ce qui a fait dire à l’apôtre :
« Si une révélation est faite à un autre de ceux qui sont assis parmi
vous, que celui qui parlait auparavant se taise. »
S. Chrys. (sur S. Matth.) Jésus fait paraître sa sagesse dans la manière dont
il commence le cours de ses prédications ; il ne détruit point la doctrine
prêchée par Jean-Baptiste, mais il l’appuie et montre la vérité de son
témoignage. — S. Jér. C’est en
cela qu’il prouve qu’il est le Fils de ce même Dieu dont Jean avait été le
prophète, et c’est pour cela qu’il dit : « Faites pénitence. » — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Ce n’est point
tout d’abord la justice qui fait le sujet de ses prédications, tous la
connaissent ; mais c’est la pénitence dont tous avaient besoin. Quel est
donc celui qui a osé dire : « Je veux être bon, et je ne le
puis ? » Est-ce que la pénitence ne redresse pas la volonté ? Si
la crainte des maux dont on vous menace ne peut vous amener à la pénitence,
laissez-vous conduire, du moins, par l’attrait des biens qui vous sont promis,
écoutez en effet ce qui suit : « Le royaume des cieux, est
proche, » c’est-à-dire le
bonheur du royaume des cieux comme s’il disait : Préparez-vous par la
pénitence, car le temps de la récompense éternelle est proche. » — Remi.
Remarquez qu’il ne dit pas le royaume des Chananéens ou des Jébuséens,
mais le royaume des cieux : la loi promettait des biens purement
temporels, le Seigneur promet un royaume éternel.
S. Chrys. (homel. 14. sur S. Matth.) Considérez aussi, que dans cette
première prédication, il ne dit rien ouvertement de lui-même, ce qui était
convenable pour le moment, car le peuple n’avait pas encore de sa personne
l’opinion qu’il devait en avoir. Ce premier discours ne renferme non plus aucun
reproche, aucune menace, comme ceux de saint Jean lorsqu’il leur parlait de
cognée, d’arbre coupé et de choses semblables ; Jésus ne propose en
commençant que des vérités douces, il annonce, il promet son royaume.
S. Jér. Dans le sens mystique, le Christ
ne commence ses prédications qu’après l’emprisonnement de saint Jean, parce que
l’Évangile doit commencer à paraître, alors que la loi a cessé d’exister.
S. Chrys. (sur
S. Matth.) Avant de rien
faire, avant de rien dire, Jésus-Christ appelle ses Apôtres, car il veut
qu’aucune de ses paroles, qu’aucune de ses actions ne soit cachée pour
eux ; et qu’ils puissent dire plus tard avec confiance : « Nous ne pouvons point taire ce
que nous avons vu et entendu. » C’est
ce que veut exprimer l’Évangéliste : « Jésus, marchant sur les bords
de la mer de Galilée. » — Remi.
La mer de Galilée n’est autre que le lac de Génésareth, la mer de
Tibériade est le lac des Salines. — La
Glose. C’est avec raison que Jésus va sur les bords de la mer, puisqu’il
veut y prendre des pécheurs dans ses filets. Le texte ajoute : « Il
vit deux frères ; Simon, appelé Pierre, et André son frère. — Remi. Il les vit plutôt des yeux de
l’esprit que des yeux du corps, et c’est leurs cœurs qui étaient l’objet de ses
regards. — S. Chrys. (homél. 19 sur S. Matth.) Il les
surprend alors qu’il vient les appeler, au milieu de leurs occupations, parce qu’il
veut nous apprendre, que pour le suivre, il faut quitter toute autre affaire.
C’est pour cela qu’il est dit : « Qu’ils
jetaient alors leurs filets dans la mer. » C’était en effet, une des occupations de leur état, comme
l’Évangéliste le remarque : « Car
ils étaient pécheurs. »
S. Aug. (serm. pour les calendes de janv.) (cf. 1 Co 1). Il ne choisit ni des rois, ni des sénateurs, ni des
philosophes, ni des orateurs, mais des plébéiens, des pauvres, des pêcheurs
sans instruction. — S. Aug. (Traité VII sur S. Jean.) S’il avait choisi des savants, peut-être auraient-ils
dit qu’ils étaient choisis en considération de leur science. Mais
Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a voulu briser l’orgueil des superbes, n’a
point cherché à prendre des pêcheurs par des orateurs, mais c’est par des
pêcheurs qu’il a gagné des empereurs. Cyprien est un grand orateur, mais nous
voyons avant lui Pierre qui n’était que pêcheur. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Leur
profession était aussi un symbole de leur dignité future, car de même que le
pêcheur lorsqu’il jette ses filets dans l’eau, ignore quels poissons il va
prendre, ainsi le prédicateur lorsqu’il jette sur le peuple qui l’écoute le
filet de la parole divine, ignore quels sont ceux qui vont venir à Dieu, c’est
Dieu lui-même qui excite ceux qui doivent embrasser sa doctrine.
Remi. Le Seigneur parle
de ces pêcheurs par la bouche du prophète Jérémie (Jr 16), en ces termes :
« Je vous enverrai mes pêcheurs, et ils vous prendront dans leurs
filets. » C’est pour cela que
l’Évangéliste ajoute ici ces paroles de Notre-Seigneur : « Venez à ma
suite. » — La Glose. Venez,
non pas tant en me suivant extérieurement, qu’en m’aimant, et en m’imitant, et
je vous ferai pêcheurs d’hommes. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) C’est-à-dire
docteurs ; et c’est avec le filet de la parole de Dieu que vous devez
prendre et retirer les hommes de ce monde si fécond en tempêtes et en
naufrages, où les hommes ne marchent pas, mais sont entraînés avec violence,
parce que le démon se sert de l’attrait du plaisir pour les précipiter dans cet
abîme de maux, ou les hommes se dévorent les uns les autres, comme on voit dans
la. mer les plus petits poissons dévorés par les grands ; prenez-les donc
afin de les faire vivre sur la terre, lorsqu’ils seront devenus les membres du corps
de Jésus-Christ.
S. Grég. (homél. sur les Evang.) Ni Pierre ni André, n’avaient vu
Jésus-Christ opérer des miracles ; ils ne l’avaient pas entendu parler des
récompenses éternelles, et cependant, sur le seul commandement qu’il leur fait,
ils abandonnent tout ce qu’ils paraissent posséder : « Aussitôt, ils
quittèrent leurs filets, et le suivirent. » Ce qu’il faut apprécier ici, c’est plutôt la disposition de leur
âme que l’importance de ce qu’ils abandonnent. C’est beaucoup laisser que de ne
se réserver rien, c est beaucoup abandonner que de renoncer non seulement à ce
qu’on possède, mais à tout ce qu’on pourrait désirer encore. Pour suivre
Jésus-Christ, ils abandonnent donc réellement tout ce qu’ils auraient pu
désirer, en ne s’attachant pas à lui. Le Seigneur se contente de nos biens
extérieurs, quelque peu considérables qu’ils soient ; il regarde moins à
la grandeur des biens qu’on lui offre qu’à la générosité du sentiment qui les
lui sacrifie. Le royaume de Dieu est d’un prix inestimable, il vaut tout ce que
vous avez.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Ces disciples ont suivi Jésus-Christ, non pour
l’honneur attaché au titre de docteur, mais pour les fruits qu’ils espéraient
produire, car ils savaient combien est précieuse l’âme de l’homme, combien Dieu
désire son salut, et quelle en est la récompense. — S. Chrys. (homél. 14 sur S. Matth.) Ils ajoutèrent donc foi à de si
magnifiques promesses, et ils crurent qu’ils prendraient les autres dans les
mêmes fileta de cette parole qui les avaient pris eux-mêmes. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Pleins de ces désirs, ils abandonnèrent tout pour
suivre Jésus-Christ et nous apprirent par ce sacrifice qu’on ne peut à la fois
posséder les choses de la terre, et parvenir à la possession parfaite des biens
célestes. — La glose. Ces
disciples nous offrent donc le premier exemple du renoncement aux biens de la
terre pour l’amour de Jésus-Christ. Le fait suivant nous donnera l’exemple du
sacrifice fait à Dieu des affections de la chair. Nous lisons en effet :
« Et de là s’avançant, il vit deux autres frères. » Remarquez qu’il les appelle deux par
deux, comme plus tard nous lisons qu’il les envoie prêcher deux à deux. — S. Grég. (homél. 17 sur les Evang.)
Il nous enseigne par là d’une manière implicite que celui qui n’a pas la charité
fraternelle ne doit pas se charger du ministère de la prédication, car il y a
deux préceptes de la charité, et il faut au moins deux personnes pour qu’elle
puisse s’exercer. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est avec raison que
Jésus a fait reposer les fondements de son Église sur la charité fraternelle,
afin que la sève sortant avec abondance de cette racine pût se répandre dans
toutes les branches. Et ce n’est pas seulement ici la charité produite par la
grâce, mais l’affection naturelle pour que la charité reçoive ce double et
ferme appui de la nature et de la grâce ; voilà pourquoi l’Évangéliste dit
qu’ils étaient frères. C’est ainsi que Dieu avait agi dans l’Ancien Testament
en posant les bases de l’ancienne loi sur les deux frères Moise et Aaron. Or,
comme la grâce est plus abondante dans le Nouveau Testament que dans l’Ancien,
Dieu fait reposer les fondements de la société chrétienne sur deux sentiments
de cette nature, tandis que le premier peuple ne reposait que sur un seul.
« Il vit Jacques, » fils de Zébédée, dit l’Évangéliste, et Jean son
frère, raccommodant leurs filets, » c’était un signe de très-grande
pauvreté, car s’ils étaient obligés de raccommoder leurs vieux filets, c’est
qu’ils ne pouvaient en acheter de neufs. Nous avons encore ici une preuve de
leur amour filial ; dans leur pauvreté, ils n’abandonnent pas leur père,
mais ils l’emmènent avec eux dans leur barque, non pour les aider dans leur
travail, mais pour consoler eux-mêmes sa vieillesse par leur présence. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Tout annonce ici une vertu éminente, supporter
facilement la pauvreté, vivre d’un travail honnête, être unis intimement par
l’amour de la vertu, avoir leur père avec eux, et subvenir à ses besoins. — S. Chrys. (homél. 14 Sur S.
Matth.) Devons-nous
estimer que les premiers furent plus actifs que les derniers dans le ministère
de la prédication, parce que les uns jettent leurs filets à la mer, tandis que
les autres les raccommodent ? nous n’oserions le dire, Jésus-Christ seul
connaît la différence qui peut exister entre eux.
Peut-être les uns
nous sont-ils représentés jetant leurs filets à cause de Pierre qui prêche
l’Évangile, mais sans le laisser par écrit, tandis que nous voyons les autres
réparer leurs filets en figure de Jean qui a composé son Évangile.
Suite. « Et il les
appela. » Ils étaient concitoyens d’une même ville, l’amitié les unissait,
ils avaient la même profession, ils s’aimaient comme des frères, et Jésus ne
voulut pas que, réunis en tant de points, ils fussent séparés dans leur vocation.
— S. Chrys. (homél. 14 sur S. Matth.) En les appelant, il ne leur promit rien
comme aux premiers, car l’obéissance leur avait ouvert la voie. Ils avaient
d’ailleurs entendu parler souvent de lui, à cause des liens du sang et de
l’amitié qui les unissaient entre eux.
Suite. « Aussitôt,
ayant laissé là leurs filets, ils le suivirent. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Celui qui veut suivre Jésus-Christ doit renoncer à trois
choses : aux œuvres de la chair qui sont figurées par les filets des
pêcheurs ; aux biens de ce monde dont la barque est le symbole ; aux
affections de la famille signifiées par le père des deux apôtres. Ils laissent
donc une barque, pour devenir les pilotes du vaisseau de l’Église ; ils
laissent leurs filets, car ils ne veulent plus apporter de poissons dans les
villes de la terre, mais conduire les hommes dans la cité des cieux ; ils
laissent un père, pour devenir eux-mêmes les pères spirituels du monde entier.
— S. Hil. (Cant. 3 sur S. Matth.) En
renonçant à leur profession et au foyer paternel, ils nous apprennent que pour
suivre Jésus-Christ, il faut être libre des sollicitudes de cette vie, aussi
bien que des habitudes de la vie de famille.
Remi. Dans le sens
mystique, la mer figure le monde à cause de l’amertume de ses eaux et de
l’agitation de ses flots ; le mot Galilée signifie mouvement rapide ou
roue, et il exprime le cours rapide des choses humaines. Jésus a marché sur les
bords de la mer, lorsqu’il est venu à nous par son incarnation, car ce n’est
pas la chair du péché, mais la ressemblance
(cf. Rm 8, 3) de cette chair qu’il a prise dans
le sein de la Vierge. Les deux frères désignent les deux peuples qui tous les
deux ont Dieu pour créateur et pour père ; et ce Dieu les vit, lorsqu’il
tourna vers eux les regards de sa miséricorde. En effet, Pierre, qui signifie celui qui connaît et qui est appelé
Simon, c’est-à-dire celui qui obéit, est
la figure du peuple juif qui puisa dans la loi la connaissance de Dieu, et
obéit à ses préceptes. André veut dire fort
ou d’un aspect agréable, et il
représente la gentilité qui persévère courageusement dans la foi aussitôt
qu’elle a reçu la connaissance de Dieu. Dieu appela ces peuples lorsqu’il
envoya ses prédicateurs dans le monde, en leur disant : « Venez à ma
suite, » c’est-à-dire laissez celui qui vous trompe, pour suivre celui qui
vous a créé. Dans l’un comme dans l’autre peuple, Dieu choisit des pêcheurs
d’hommes, c’est-à-dire des prédicateurs qui, laissant leur barque, figure des
désirs de la chair, et leurs filets, c’est-à-dire les convoitises du siècle,
ont suivi aussitôt le Sauveur. Jacques représente aussi le peuple juif qui a
supplanté le démon et ruiné son empire par la connaissance du vrai Dieu. Jean
est la figure du peuple païen qui doit uniquement son salut à la grâce.
Zébédée, que ses enfants abandonnent, et dont le nom signifie celui qui fuit, celui qui tombe, représente
le monde qui passe, et le démon précipité du haut des cieux. Pierre et André,
qui jettent leurs filets dans la mer, figurent aussi ceux qui dès leurs
premières années jettent loin de la barque de leur corps les filets de la
concupiscence charnelle pour suivre le Seigneur. Jacques et Jean qui
raccommodent leurs filets représentent ceux qui avant d’être punis des fautes
qu’ils ont commises, viennent à Jésus-Christ pour recouvrer ce qu’ils avaient
perdu. — Rab. Les deux barques
figurent les deux Églises, l’Église de la circoncision, et l’Église de la
gentilité. Tout fidèle aussi peut devenir Simon par son obéissance à
Dieu ; Pierre, par la connaissance et l’aveu de son péché ; André,
par son courage dans les épreuves ; Jacques, par son zèle à détruire et
supplanter le mal. — La Glose. Jean vient ensuite pour que tout
soit attribué à la grâce. Il n’est question ici que de la vocation de quatre
apôtres comme figure des prédicateurs qui seront appelés des quatre parties du
monde. — S. Hil. On peut y voir
aussi une figure des quatre Évangélistes.
Remi. Ou bien encore dans
ces quatre apôtres nous pouvons voir une figure des quatre vertus principales,
dans Pierre la prudence, à cause de la connaissance qu’il a de Dieu, dans André
la justice, à cause de l’énergie de ses actes, dans Jacques la force, parce
qu’il supplante le diable, et dans son frère Jean la tempérance, comme effet de
la grâce divine.
S. Aug.
(De l’accord des Evang., liv.
II, chap. 17.) On peut-être surpris de ce que saint Jean rapporte que c’est sur
les bords du Jourdain, et non dans la Galilée qu’André a suivi le Sauveur avec
un autre dont il tait le nom, et que ce n’est que par la suite que ce dernier
reçut de lui le nom de Pierre. Les trois autres Évangélistes s’accordent assez
sur la vocation des apôtres qui eut lieu au moment où ils pêchaient, du moins
saint Matthieu et saint Marc, car saint Luc ne nomme pas André, laissant
toutefois supposer qu’il était dans la même barque. Il y a encore ici une
différence ; d’après le récit de saint Luc, le Seigneur n’adresse qu’à
Pierre ces paroles : « Dès ce moment vous serez pêcheur
d’hommes, » tandis que d’après saint Matthieu et saint Marc, Jésus les
aurait dites à tous les deux. Mais elles ont pu très bien être dites d’abord à
Pierre seulement, comme le rapporte saint Luc, et plus tard à tous les deux,
ainsi que le racontent les cieux autres Évangélistes. Ce que nous avons dit du
récit de saint Jean, demande toute notre attention, car il y a dans ce récit de
grandes différences pour le temps, pour les lieux, et pour la vocation
elle-même des Apôtres. Il faut donc entendre que Pierre et André ne attachèrent
pas au Seigneur pour ne plus s’en séparer, du jour où ils le virent sur les
bords du Jourdain ; ils connurent simplement alors qui il était, et ils
retournèrent à leurs occupations pleins d’admiration pour sa personne.
Peut-être aussi saint Matthieu récapitule en cet endroit ce qu’il avait omis,
car sans marquer aucune distinction de temps, il dit : « Or Jésus
marchant sur le bord de la mer. » On peut demander encore pourquoi les
apôtres sont appelés deux par deux, d’après le récit de saint Matthieu et de
saint Marc, tandis que saint Luc rapporte que Jacques et Jean ont été appelés
comme les compagnons de Pierre et pour venir à son aide (cf. Lc 5, 6), et qu’ils ont suivi
Jésus-Christ après avoir ramené leurs barques à bord. Il faut donc admettre que
le fait raconté par saint Luc s’est passé en premier lieu, et qu’alors les
Apôtres ont repris leurs occupations ordinaires, la pêche des poissons. Jésus
en effet n’avait pas encore dit à Pierre cette parole : « Qu’il ne
prendrait plus jamais de poissons, »
puisqu’il en prit encore après la résurrection, mais seulement qu’il
prendrait des hommes. Ce que racontent saint Matthieu et saint Marc n’eut lieu
que plus tard, et les Apôtres en ramenant alors leurs barques à bord pour le
suivre, n’avaient pas la pensée de reprendre leurs occupations, mais celle
d’obéir au Seigneur qui leur commandait de le suivre.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Avant d’aller combattre l’ennemi, un roi songe tout
d’abord à réunir son armée, et c’est avec elle qu’il entre en campagne. C’est
ainsi que notre Seigneur avant d’entreprendre la guerre contre le démon
rassemble tout d’abord ses apôtres, et commence ensuite à prêcher
l’Évangile : c’est ce qu’indique le texte sacré : « Et Jésus allait par toute la Galilée. » — Remi.
Les docteurs trouvent ici le modèle qu’ils doivent imiter, il est dit de
Jésus qu’il parcourait toute la Galilée, pour leur apprendre à fuir l’oisiveté.
— S. Chrys. (sur S. Matth.) Ces peuples étaient trop faibles pour venir trouver
le médecin, ce médecin dévoué allait donc de toutes parts chercher ces malades
atteints d’infirmités mortelles. Le Seigneur parcourait toutes les contrées,
mais les pasteurs qui ne sont préposés qu’à la garde d’un seul pays, doivent au
moins parcourir en détail toutes les infirmités du peuple qui leur est confié,
afin de pouvoir appliquer à chacune d’elles le remède qui lui convient, et que
l’Église tient en réserve.
Remi. Ces paroles :
« Par toute la Galilée, »
apprennent aux pasteurs à ne jamais faire acception de personnes ; les
paroles suivantes : « En
enseignant » à ne point parcourir la terre sans produire de fruits, et
ces autres : « Dans les
synagogues » de préférer l’utilité du plus grand nombre à l’intérêt de
quelques-uns seulement. — S. Chrys.
(Hom. 14 sur S. Matth.) Jésus entre dans les synagogues des Juifs,
et il y répand les paroles de la doctrine céleste. Il veut que les paroles du
Maître parviennent aux oreilles d’un plus grand nombre, afin que leurs cœurs
soient excités à embrasser raisonnablement la foi, ou que par un aveuglement
inexcusable ils rejettent à leur grand préjudice une doctrine aussi salutaire.
Car l’Évangile est une vive lumière, qu’on ne peut sans crime cacher sous le
boisseau, ce que Jésus a expressément défendu. Par là aussi il faisait voir
qu’il ne venait pas se mettre en opposition avec Dieu, qu’il n’était pas un
apôtre d’erreurs, mais qu’il était en parfaite harmonie avec son Père.
Remi. Les paroles
suivantes : « Prêchant
l’Évangile du royaume, » nous enseignent qu’il ne faut prêcher ni
erreurs ni fables mensongères. Les deux termes : « Enseignant et prêchant, » ne sont
pas synonymes ; enseigner a pour objet les choses présentes ;
prêcher, les choses futures ; Notre-Seigneur enseignait les commandements
qu’il fallait observer actuellement, et il prêchait les promesses futures. — S.
Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien, il enseignait les vertus naturelles que la
raison nous fait connaître, la chasteté, l’humilité et autres vertus
semblables, qui sont des biens réels au jugement de tous. S’il faut en faire la
matière de l’enseignement, ce n’est point tant pour les faire connaître, que
pour en réveiller le désir dans les cœurs ; car sous l’action prédominante
des plaisirs de la chair, la science de la justice naturelle tombe en oubli et
s’endort en quelque sorte au rond des cœurs. Or, lorsque celui qui enseigne,
condamne ces inclinations charnelles, sa parole ne donne pas de nouvelles
connaissances, elle rappelle celles qu’on avait oubliées. Il prêchait
l’Évangile en annonçant des biens dont les anciens n’avaient jamais entendu
parler clairement, tels que le bonheur du ciel, la résurrection des morts et
l’autres vérités semblables. Ou bien il enseignait en montrant que les
prophéties s’accomplissaient en lui, et il prêchait l’Évangile en faisant
connaître les biens futurs dont il devait nous mettre en possession.
Remi. Les paroles qui
suivent : « Guérissant toutes
les langueurs et toutes les infirmités parmi le peuple, » apprennent aux prédicateurs que leur
enseignement doit s’appuyer sur leurs vertus ; la langueur exprime ici les
maladies de l’âme, l’infirmité celles du corps. — S. Chrys. (sur
S. Matth.) Ou bien la
langueur figure certaines passions de l’âme, comme l’avarice, l’impureté, et
autres de ce genre ; l’infirmité serait la figure de l’infidélité, qui est
le mal de ceux qui sont infirmes dans la foi. Ou bien les langueurs sont les
maladies plus graves du corps, et les infirmités les plus légères. Or Jésus
guérissait les maladies du corps par sa puissance divine, et celles de l’âme
par ses pieux entretiens. Il enseigne d’abord, et puis il guérit, et cela pour
deux raisons : d’abord pour commencer par le plus nécessaire, car les
pieux entretiens édifient l’âme, ce que ne font pas les miracles ; en
second lieu parce que la doctrine s’appuie sur les miracles et non pas les
miracles sur la doctrine.
S. Chrys. (hom. 14 sur S. Matth.) Il est à remarquer que toutes
les fois que Dieu promulgue une loi, il opère des miracles, et les donne comme
gages de sa puissance à ceux qui doivent recevoir sa loi. Avant de créer
l’homme il avait tiré le monde du néant, et ce n’est qu’après ce miracle de sa
puissance qu’il lui intime ses ordres dans le paradis. Avant de donner sa loi à
Noé, il le rend témoin de grands prodiges ; avant de promulguer la loi ancienne,
il opère également des miracles aux yeux des Juifs. C’est ainsi qu’au moment de
promulguer cette loi nouvelle et sublime, il en confirme la vérité par
l’autorité des miracles. Comme le royaume qu’il prêchait était invisible, il le
rend manifeste par des prodiges extérieurs et sensibles.
La Glose. Les
prédicateurs doivent avoir un bon témoignage du dehors, autrement le mépris de
leur personne rejaillit sur leur enseignement, voilà pourquoi l’Évangéliste
ajoute : « Et sa réputation se
répandit par toute la Syrie. » Rab. La Syrie s’étend de l’Euphrate à
la Grande Mer, et de la Cappadoce à l’Égypte, et elle comprend la province de
Palestine habitée par les Juifs.
S. Chrys. (hom. 14 sur S. Matth.) Remarquez la réserve de l’Évangéliste, qui
sans parler de chaque guérison en particulier se contente de les renfermer
toutes, quelque nombreuses qu’elles soient, dans ces expressions si
courtes : « Et ils lui
présentèrent tous ceux qui étaient malades. » — Remi. Nous devons
entendre par là toutes les infirmités si variées, mais les plus légères.
Lorsqu’il ajoute : « Et tous ceux qui étaient malades et affligés de
diverses sortes de maux, » il
veut parler de ceux que l’Évangéliste spécifie plus bas : « Les
possédés, les lunatiques, etc. » — La
Glose, La langueur est une maladie chronique, et la douleur est une
maladie aigue, comme une douleur de côté ou autre de cette nature ; ceux
qu’il appelle possédés sont ceux qui étaient tourmentés par le démon. — Remi. Les lunatiques sont ainsi
appelés, parce qu’ils sont plus souffrants à l’époque de la croissance et de la
décroissance de la lune. — S. Jér. Les
démons avaient observé cette influence de la lune, et en prenaient occasion de
blasphémer l’ouvrage de Dieu et de faire remonter jusqu’à lui ce blasphème. —
S. Aug. (Cité de Dieu, chap. 6.) Les démons sont attirés par des attraits
conformes à leur nature, à faire leur habitation dans la créature qui n’est pas
leur œuvre, mais œuvre de Dieu. Ils ne sont pas attirés comme les animaux par
des appétits sensuels, mais comme les esprits par des signes ou chacun d’eux
trouve son plaisir. — Rab. Les
paralytiques sont ceux dont la force corporelle est comme dissoute, car le mot
grec se traduit en latin par dissolutio, dissolution.
Suite. « Et il les guérit. » — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Dans d’autres
endroits nous lisons : « Il en guérit beaucoup : » ici l’Évangéliste dit simplement :
« Et il les guérit, » pour
marquer qu’il les guérit tous sans exception, comme ferait un nouveau médecin,
qui, à son arrivée dans une ville prendrait soin de tous ceux qu’on lui
présenterait pour établir sa réputation. — S. Chrys. (hom. 14 sur S. Matth.) Il n’exige d’aucun d’eux la foi, parce
qu’il n’avait pas encore donné de preuves de sa puissance. D’ailleurs en venant
de si loin, et en apportant leurs malades, ils avaient témoigné une foi assez
grande.
Suite. « Et une
grande multitude de peuple le suivait. » — Rab. On peut la
diviser en quatre classes ; les disciples qui le suivent attirés par ses
divines leçons, d’autres par les guérisons qu’il opère, ceux-ci par sa
réputation et par un motif de curiosité pour voir si ce que l’on disait de lui
était vrai, ceux-là par l’envie, et par le désir de le prendre en faute sur
quelque point et de l’accuser. Au sens mystique, la Syrie veut dire superbe ; la Galilée inconstante ou la roue, c’est-à-dire le démon et le monde dominé par l’orgueil, et
toujours porté à rouler dans les choses basses. La prédication y fait connaître
le nom du Christ. Les possédés du démon ce sont les idolâtres ; les lunatiques,
ceux qui sont inconstants, les paralytiques, les paresseux et les dissolus. — La
Glose La multitude qui suit
le Seigneur appartient à l’Église, qui dans un sens spirituel est tout à la
fois la Galilée qui passe du vice à la vertu, la Décapole, à cause des dix
commandements qu’elle doit observer ; Jérusalem et la Judée, parce qu’elle
reçoit la double lumière de la vision de paix et de la confession de la foi.
Elle est située au delà du Jourdain parce qu’après avoir traversé les eaux du
baptême, elle entre dans la terre promise. — Ou bien cette multitude qui suit
le Seigneur vient de la Galilée, c’est-à-dire de l’inconstance du monde, de la
Décapole, région qui comprenait dix villes, et qui figure les transgresseurs du
Décalogue ; de Jérusalem, parce qu’ils étaient retenus par les douceurs
d’une paix innocente, de la Judée, c’est-à-dire d’une doctrine
diabolique ; et d’au delà du Jourdain parce qu’ils vivaient auparavant au
sein de l’idolâtrie, et que ce n’est qu’en traversant les eaux du baptême qu’ils
sont arrivés jusqu’à Jésus-Christ.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Tout artisan, quelle que soit sa profession, voit avec joie
ce qui lui donne l’occasion d’exercer son art. Ainsi le charpentier, à la vue
d’un arbre de bonne qualité, désire 1e couper pour l’employer à ses travaux ; de même le prêtre, en voyant une
assemblée nombreuse, se réjouit dans son âme, et il est heureux de pouvoir lui
enseigner des vérités utiles. C’est ainsi que le spectacle de cette grande
multitude de peuple donna lieu au Seigneur de lui adresser ses divins
enseignements : « Jésus voyant cette foule, monta sur la
montagne. » — S. Aug. (de l’acc. des Ev., 1, 19.) On peut dire
aussi qu’il voulut éviter cette grande multitude et qu’il se retira sur cette
montagne pour s’entretenir avec ses seuls disciples. — S. Chrys. (hom. 5 sur S. Matth.) Il s’asseoit non au milieu des villes et des
places publiques, mais sur une montagne et dans la solitude, et il nous apprend
ainsi à ne rien faire par ostentation et à fuir les réunions tumultueuses,
surtout lorsque nous devons traiter de choses d’une haute importance. — Remi. Nous voyons dans l’Évangile que
Notre-Seigneur avait trois lieux particuliers de retraite, la barque, la montagne
et le désert, et qu’il se retirait dans l’une ou l’autre de ces retraites,
lorsqu’il était accablé par la foule.
S. Jér. Quelques-uns de nos frères croient
dans leur simplicité que Notre-Seigneur a tenu ce discours sur la montagne des
Oliviers, ce qui ne peut être, car ce
qui précède et ce qui suit nous montre clairement que cette montagne est située
dans la Galilée, et nous pensons que c’est le mont Thabor, ou quelque autre
montagne élevée.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Il monte sur cette montagne, d’abord pour accomplir
cette prophétie d’Isaïe : « Montez
sur le sommet de la montagne ; » ensuite pour nous apprendre
qu’il faut habiter le sommet des vertus spirituelles pour être digne
d’enseigner ou d’écouter les oracles de la justice de Dieu, car si l’on reste
habituellement dans la vallée, on ne peut parler du haut de la montagne ;
si vous restez sur la terre, parlez des choses de la terre ; si vous
voulez parler du ciel, élevez-vous jusqu’au ciel. Ou bien il monte sur la
montagne pour nous avertir que tout homme qui veut pénétrer les mystères de la
vérité, doit monter sur cette montagne de l’Église dont le prophète a
dit : « La montagne de Dieu est
une montagne fertile » (Ps 67, 16). S. Hil. (can. 4 sur S.
Matth.) Ou bien encore, il monte
sur la montagne, parce que c’est des hauteurs de la majesté qu’il occupe avec
son Père qu’il nous impose les célestes enseignements de la vie chrétienne.
S. Aug. (serm. 7 sur la mont. liv. 1, chap. 1.) Ou bien enfin il monte
sur la montagne, pour nous faire comprendre que les commandements que Dieu
avait donnés par les prophètes au peuple juif, peuple qu’il fallait retenir par
la crainte, étaient moins parfaits que les lois qu’il allait donner par son
Fils à un peuple qu’il voulait affranchir par l’amour.
« Et lorsqu’il fut assis, ses disciples
s’approchèrent de lui. » S. Jér. Il parle assis et non debout,
parce qu’ils étaient incapables de le comprendre clans l’éclat de sa majesté. —
S. Aug. (serm. sur la mont.) (ou bien, il parle étant assis, parce que sa
dignité de docteur et de maître l’exigeait. Ses disciples s’approchèrent de
lui ; c’est ainsi que ceux dont le cœur était plus près de
l’accomplissement de ses préceptes, se trouvaient aussi plus rapprochés
corporellement de sa personne. — Rab.
Dans le sens mystique, le Seigneur assis est la figure de son incarnation, car
s’il ne s’était pas incarné, le genre humain n’aurait pu approcher de lui. — S.
Aug. (de l’acc. des Evang., 1, 19.) Il paraît surprenant que saint
Matthieu prête ce discours au Sauveur assis sur la montagne, tandis que saint
Luc (Lc 7, 17) le lui fait tenir lorsqu’il était debout dans la plaine. Cette
diversité dans leur récit est une preuve qu’il s’agit de deux discours
différents ; car qui s’oppose à ce que Notre-Seigneur ait répété ici ce
qu’il avait dit précédemment et qu’il fasse de nouveau des actions qu’il avait
déjà faites auparavant ? On peut dire encore que le Sauveur était sur le
point le plus élevé de la montagne avec ses seuls disciples, quand il choisit
parmi eux ses douze apôtres. Il descendit ensuite avec eux non de la montagne,
mais de cette hauteur dans une espèce de plaine, c’est-à-dire sur un plateau
situé sur le flanc de la montagne, et qui pouvait contenir un grand nombre de
personnes ; il attendit dans ce lieu que la multitude se fût rassemblée
autour de lui ; puis s’étant assis, ses disciples se rapprochèrent et, là
devant eux et en présence du peuple il aurait fait ce discours que saint
Matthieu et saint Luc racontent d’une manière différente, mais dont la
substance est absolument la même.
S. Grég. (Moral., 4, 5.) Avant
que le Sauveur formule sur la montagne ces sublimes et admirables préceptes,
l’Évangéliste les fait précéder de ces paroles : « Ouvrant sa bouche,
il les enseignait. » Lui qui
avait autrefois ouvert la bouche des prophètes. — Remi. Toutes les fois qu’il est dit que le Seigneur ouvrit la
bouche, il faut nous rendre attentifs, car ce préambule annonce de grandes
choses. S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien peut-être
ces mots : « ouvrant la bouche, » nous avertissent que le
discours qui va suivre sera plus long que d’habitude. — S. Chrys. (hom. 15) Ou enfin ces paroles nous apprennent que le Seigneur
enseignait tantôt en ouvrant la bouche, tantôt en faisant entendre la voix non
moins instructive de ses œuvres.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Si on veut étudier ce discours dans un esprit
de religion et de prudence, on y trouvera la règle parfaite de la vie
chrétienne pour la direction des mœurs. Aussi Notre-Seigneur le conclut en
disant : « Tout homme qui écoute les paroles que je viens de dire et
les met en pratique sera comparé à un homme sage. »
S. Aug. (Cité de Dieu, 19, 1.) La philosophie ne peut avoir d’autre raison
d’être que la fin du bien lui-même. Or la fin du bien, c’est de nous rendre
heureux, et c’est pour cela que Jésus-Christ commence son discours par la
promesse de la béatitude : « Bienheureux
les pauvres d’esprit. » — S. Aug.
(serm. sur la mont., 1, 2.) La
présomption d’esprit est un signe d’orgueil et d’arrogance. Or, on dit souvent
des orgueilleux qu’ils ont un esprit étendu ; c’est avec raison, Car esprit est synonyme de vent, et qui ne sait qu’on dit aussi des
orgueilleux qu’ils sont enflés, comme s’ils étaient gonflés par le vent. C’est
pour cela qu’il faut entendre ici par pauvres d’esprit, les humbles qui
craignent Dieu et qui n’ont pas cet esprit qui enfle. — S. Chrys. (homél. 15.) Ou bien le mot esprit signifie ici orgueil et volonté.
Que des hommes soient humiliés malgré eux et par la force des circonstances, il
n’y a ni mérite ni gloire ; aussi Notre-Seigneur ne proclame bienheureux
que ceux qui s’humilient par le choix de leur volonté. Il veut ici couper et
arracher jusqu’aux dernières racines de l’orgueil, comme étant lui-même la
racine et la source de tous les maux. Il lui oppose l’humilité comme un fondement
inébranlable sur lequel on lient bâtir avec solidité, tandis que si elle vient
à crouler, tous les biens que vous aurez amassés tombent avec elle. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur
dit ouvertement : « Bienheureux les pauvres d’esprit, et il désigne
par là les âmes humbles qui demandent toujours à Dieu l’aumône de sa grâce.
Aussi on lit dans le grec : « Bienheureux les mendiants ou les
nécessiteux. » Il en est plusieurs, en effet, qui sont naturellement humbles,
mais qui ne le sont point par un principe de foi, parce qu’ils n’implorent pas
le secours de Dieu. Le Sauveur ne veut parler ici que de ceux qui sont humbles
en vertu de la foi. — S. Chrys. (homél. 15.) Peut-être ici par les
pauvres d’esprit, Notre-Seigneur entend-il ceux qui sont saisis de crainte et
qui tremblent en présence des commandements de Dieu, comme Dieu le recommande
par le prophète Isaïe. Mais qu’ont-ils de plus que ceux qui sont simplement
humbles ? Ils possèdent la vertu d’humilité à un plus haut degré. — S. Aug. Que les orgueilleux désirent les
royaumes de la terre, le royaume des cieux est pour les humbles. — S. Chrys. (Sur S. Matth.) De même, en effet, que tous les vices conduisent à
l’enfer, mais principalement l’orgueil, aussi toutes les vertus nous conduisent
aux cieux, mais surtout l’humilité, car c’est une des récompenses propres à
l’humilité que celui qui s’humilie soit élevé. — S. Jér. Ou bien encore les pauvres d’esprit sont ceux qui par
l’inspiration de l’Esprit saint embrassent la pauvreté volontaire. — S. Amb. (des Offices, liv. 1, chap. 16.) Au jugement de Dieu, le bonheur
commence là où au jugement des hommes on ne trouve que misère et affliction. — La Glose. C’est avec justice que les
richesses du ciel sont ici promises à ceux qui sont pauvres dans la vie
présente.
S. Amb. (sur
S. Luc, liv. 9, Tit. des béatit.) Lorsque je serai
parvenu à me contenter de la médiocrité, à être exempt de toutes sortes de
maux, j’aurai encore à établir la règle dans mes mœurs. Que me servirait-il de
renoncer aux biens de la terre, si je ne pratique pas la douceur ? Aussi
le Sauveur ajoute-t-il : « Bienheureux
ceux qui sont doux. » — S. Aug. (Serm. sur la mont., liv 1, chap. 3.) Les hommes doux sont ceux qui
cèdent devant les injustes dont ils sont victimes, qui ne font pas de
résistance au mal, mais triomphent du mal par le bien. — S. Amb. (sur S. Luc, liv. 4.)
Modérez donc les mouvements de votre âme, pour ne pas vous mettre en colère, ou
du moins pour ne pas vous livrer à une colère coupable. Il est beau de
soumettre à la raison les saillies du cœur, et il ne faut pas moins de vertu
pour contenir la colère qui est souvent l’indice d’une âme énergique, que pour
ne pas la ressentir du tout, ce qui ordinairement est le propre d’un caractère
sans vigueur.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Que ceux qui ne connaissent pas la douceur, se
querellent et soient en contestation pour les choses de la terre et du temps,
mais « bienheureux ceux qui sont
doux, parce qu’ils posséderont la
terre, » d’où on ne pourra les
arracher, cette terre dont il est dît au psaume 141 : « Mon partage est dans la terre des vivants, c’est-à-dire dans
un héritage permanent, éternel, où l’âme se repose par une sainte affection,
comme dans le lieu qui lui est propre, de même que le corps se repose dans la
terre, et où elle s’y nourrit de son aliment comme le corps se nourrit de la
terre ; cet héritage est le repos et la vie des saints. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien cette terre, suivant l’opinion de
quelques-uns est la terre des morts tant qu’elle reste dans l’état actuel,
parce qu’elle est assujettie à la vanité, mais lorsqu’elle sera délivrée de la
corruption, elle deviendra la terre des vivants et les mortels la recevront
comme un héritage libre des atteintes de la mort. J’ai lu une autre
explication, d’après laquelle le ciel que doivent habiter les saints est appelé
terre des vivants, en ce sens que c’est le ciel par rapport à la région
inférieure, et la terre comparativement au ciel supérieur. D’autres prétendent
que cette terre c’est notre corps ; tant qu’il est soumis à la mort, c’est
la terre des morts, mais il sera la terre des vivants, lorsqu’il deviendra
semblable au corps glorieux de Jésus-Christ.
S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth.) Ou bien Notre-Seigneur promet à ceux qui sont doux l’héritage de la terre,
c’est-à-dire l’héritage de ce corps qu’il a choisi lui-même pour y
habiter ; et puisque c’est à cause de la douceur de notre âme que le
Christ habite en nous, il nous revêtira aussi de cet éclat dont son corps glorieux
sera environné (Ph 3, 21).
S. Chrys. (hom. 15.) Ou bien encore, le Christ mêle ici les promesses
temporelles aux promesses spirituelles. Celui qui fait profession de douceur
passe aux yeux du monde pour perdre tout ce qu’il possède. Jésus-Christ lui
promet donc ici le contraire en l’assurant que celui qui est doux possède en
sûreté ce qui lui appartient, tandis que celui qui est arrogant perd bien
souvent et son âme et l’héritage de ses pères. Or, le Sauveur emprunte ici pour
les mêler à son discours ces paroles du Roi prophète : « Ceux qui sont doux auront la terre en
héritage. »
La Glose. Les hommes doux
qui ont su se posséder eux-mêmes, posséderont plus tard l’héritage du Père
céleste. Or, c’est une plus grande récompense de posséder cette terre que d’avoir
simplement le royaume des cieux, car que de choses nous perdons dès que nous
les avons.
S. Amb. (sur
S. Luc.) Lorsque vous
aurez acquis la pauvreté d’esprit et la douceur, souvenez-vous que vous êtes
pécheurs, et pleurez vos péchés ; c’est la troisième des béatitudes :
« Bienheureux ceux qui pleurent. »
Il est juste, en effet, que la troisième bénédiction soit pour celui qui pleure
ses péchés, puisque c’est la Trinité qui les pardonne. — S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth.) Ceux
dont il est ici question ne sont pas ceux qui pleurent les pertes, les injures
ou les dommages qu’ils ont soufferts, mais ceux qui pleurent leurs péchés
passés. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ceux qui pleurent leurs
propres péchés sont heureux, mais d’un bonheur limité ; beaucoup plus
heureux sont ceux qui pleurent les péchés des autres, et tels devraient être
tous ceux qui sont les maîtres et les docteurs de leurs frères. — S. Jér. Les morts qu’il faut ici pleurer
ne sont pas ceux qui ont payé le tribut à la commune loi de la nature, mais
ceux qui sont comme ensevelis dans leurs péchés et dans leurs vices. C’est
ainsi que Samuel pleura Saül (1 R 16) et saint Paul ceux qui n’avaient pas fait
pénitence de leurs impuretés (cf. Ep 2, 15 ; Rm 6, 2 ; 1 P 2, 24).
S. Chrys. (sur S. Matth.) La consolation de ceux qui pleurent, c’est que
leurs larmes cessent de couler, et voilà pourquoi ceux qui pleurent leurs
péchés seront consolés par le pardon que Dieu leur accordera. — S. Chrys. (homél. 15.) Bien que ce pardon dût leur suffire, Dieu ne borne pas
sa récompense à la rémission des péchés, mais il répand sur eux l’abondance de
ses consolations, ici-bas et dans la vie future, car les récompenses divines
surpassent toujours beaucoup les travaux qui les ont méritées.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Quant à ceux qui pleurent les péchés des autres,
ils seront aussi consolés ; car lorsqu’ils verront dans l’autre vie se
dérouler devant eux les desseins de la Providence divine, et qu’ils
comprendront que ceux qui ont péri n’appartenaient pas à Dieu, dont la main ne
se laisse jamais ravir ce qu’elle tient, ils cesseront de les pleurer, et
trouveront leur joie dans leur propre bonheur. — S. Aug. (serm. sur la
mont.) Le deuil c’est la tristesse que nous fait éprouver la perte de ceux
qui nous sont chers ; or ceux qui se convertissent à Dieu perdent ce qui
leur était cher dans le monde, leurs joies changent alors de nature et
d’objet ; mais tant que l’amour des choses éternelles ne vit pas dans leur
cœur, il est comme blessé par je ne sais quelle tristesse. Ils seront donc
consolés par l’Esprit saint qui s’appelle pour cela Paraclet, c’est-à-dire
consolateur, et qui au moment où ils perdent une joie passagère, les enrichit
d’une joie éternelle, qu’expriment ces paroles : « Ils seront consolés. »
La Glose. Par ce deuil on
peut encore entendre deux sortes de tristesse, ayant pour cause, l’une les
misères de ce monde, l’autre le désir du ciel : c’est en figure de cette
vérité que la fille de Caleb demanda des champs qui fussent arrosés en haut et
en bas (Jos 15, 19 ; Jg 1, 15). Cette tristesse n’est propre qu’à celui
qui a l’esprit de pauvreté et de douceur, et qui n’aimant pas le monde,
reconnaît sa misère, et par cette connaissance s’élève jusqu’au désir du ciel.
C’est avec raison que la consolation est promise à ceux qui pleurent, et il est
juste que la joie de l’autre vie compense la tristesse et les larmes de la vie
présente. Or la récompense de celui qui pleure est plus grande que celle qui
est donnée aux pauvres d’esprit et à ceux qui sont doux, car il vaut mieux se
réjouir dans le royaume que de l’avoir et de le posséder simplement. Que de
choses en effet nous avons et que nous possédons au milieu de la douleur !
S. Chrys. (hom. 15.) Remarquez que c’est avec dessein que dans l’énoncé
de cette béatitude, Notre Seigneur ne dit pas : « ceux qui sont dans
la tristesse, » mais plus
énergiquement « ceux qui pleurent, ceux qui sont dans les larmes, »
et en cela il nous donne une leçon de haute sagesse, car si ceux qui pleurent
la mort de leurs enfants ou des autres personnes qui leur sont chères, cessent
pendant ce temps de désirer les richesses ou les honneurs, et sont insensibles
aux outrages ou aux atteintes des passions, à combien plus forte raison doit-on
voir ces heureux effets dans ceux qui pleurent leurs péchés.
S. Amb. (sur
S. Luc, liv. 4.) Après que j’ai pleuré mes péchés,
je commence à ressentir la faim et la soif de la justice, car ce n’est point au
milieu d’une maladie grave qu’on éprouve cette faim. Notre-Seigneur ajoute
donc : « Bienheureux ceux qui
ont faim et soif de la justice. »
— S. Jér. Il ne nous suffit
pas de vouloir la justice, mais il nous faut souffrir la faim de la justice,
expression figurée qui doit nous faire comprendre que nous ne serons jamais
assez justes, et que nous devons désirer toujours plus ardemment les œuvres de
la justice. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Tout bien que les hommes
ne font point par l’amour du bien lui-même n’a point de valeur aux yeux de
Dieu. Or on a faim de la justice lorsqu’on désire vivre selon les règles de la
justice divine ; on a soif de la justice lorsqu’on désire acquérir la
science de Dieu.
S. Chrys. (hom. 15.) La justice dont il est ici question est, ou la
justice universelle, ou la justice particulière opposée à l’avarice. Le Sauveur
va parler de la miséricorde, il nous enseigne par avance comment nous devons
l’exercer ; ce ne doit pas être avec les produits de l’avarice ou du vol.
C’est pour cela qu’il donne à la justice les caractères de l’avarice, la faim
et la soif.
S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth.) A ceux qui ont faim et soif de la justice, il promet le bonheur, et nous
apprend ainsi que la pieuse avidité des Saints pour la doctrine divine sera
complètement rassasiée dans les cieux ; c’est le sens de ces
paroles : « Parce qu’ils seront rassasiés. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ils seront rassasiés de l’abondance des libéralités
de Dieu, car les récompenses qu’il accorde aux Saints dépassent de beaucoup
leurs désirs. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien peut-être
ils seront rassasiés dans la vie présente de cette nourriture dont le Seigneur
a dit : « Ma nourriture est de
faire la volonté de mon Père, »
(qui est la justice), et de cette eau dont il est dit qu’elle deviendra
en celui qui l’aura bue une source d’eau qui rejaillit jusque dans la vie
éternelle.
S. Chrys. (hom. 15.) Peut-être même s’agit-il ici de récompense
terrestre. Comme on pense communément que c’est l’avarice qui satisfait
abondamment nos désirs, Notre-Seigneur attribue au contraire cet effet à la
justice, car celui qui la désire possède tous les biens sans crainte de les
perdre.
La Glose. La justice et
la miséricorde doivent être tellement unies ensemble, qu’elles se tempèrent
mutuellement l’une par l’autre. La justice sans la miséricorde n’est que
cruauté, et la miséricorde sans justice n’est que faiblesse. C’est pour cela
que le Sauveur fait venir la miséricorde après la justice en disant :
« Bienheureux les miséricordieux. » — Remi. Le mot
miséricordieux veut dire qui a pour ainsi parler le cœur des malheureux, parce
que l’homme miséricordieux regarde comme sienne la misère d’autrui, et s’en
afflige comme si elle lui était personnelle. — S. Jér. Par miséricorde, il faut entendre ici celle qui non
seulement se répand en aumônes, mais qui s’étend aux fautes de nos frères, et
nous fait porter mutuellement les fardeaux les uns des autres. — S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 2.) Il proclame heureux ceux qui
viennent au secours de l’infortune, et qui reçoivent en récompense la
délivrance de leurs propres maux, comme il le déclare lui-même :
« Parce qu’ils obtiendront eux-mêmes miséricorde. » — S.
Hil. (can. 4.) Dieu se plaît tellement à voir en nous ce sentiment de
bienveillance pour tous nos frères, qu’il ne promet sa miséricorde qu’à ceux-là
seuls qui sont miséricordieux.
S. Chrys. (hom. 15.) La récompense paraît ici être simplement égale au
mérite, mais elle lui est bien supérieure, car il n’y a point de comparaison
entre la miséricorde des hommes et la miséricorde de Dieu. — La Glose. C’est donc avec raison que Dieu
fait miséricorde aux miséricordieux, et bien au-dessus de leurs mérites. Aussi
de même que celui dont les désirs sont comblés et au delà, reçoit beaucoup plus
que celui qui est simplement rassasié, ainsi la gloire des miséricordieux
l’emporte sur la gloire des béatitudes précédentes.
S. Amb. (sur
S. Luc.) Celui qui fait
miséricorde perd ses droits à la miséricorde divine, s’il n’a point agi avec un
cœur pur, car s’il a cherché la vaine gloire dans les œuvres de miséricorde, il
ne lui en revient aucun fruit ; aussi Notre-Seigneur ajoute : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur. » — La
Glose. La pureté du cœur est placée convenablement en sixième lieu, car
c’est le sixième jour que l’homme a été créé à l’image de Dieu, image qui avait
été obscurcie en lui par le péché, et qui a été réparée par la grâce dans ceux
qui ont le cœur pur. Cette béatitude vient parfaitement après les cinq
premières, car sans les vertus qui précèdent, Dieu ne peut créer dans l’homme
un cœur pur. — S. Chrys. (hom. 45.) Les cœurs purs dont parle ici
le Sauveur sont ceux qui ont toutes les vertus et n’ont à se reprocher aucun
mal, ou bien ceux dont la tempérance réprime les désirs sensuels, vertu
absolument nécessaire pour voir Dieu, selon ces paroles de saint Paul (He 12) : « Efforcez-vous d’avoir la paix avec tout le
monde, et de vivre dans la sainteté, sans laquelle personne ne peut voir Dieu. » Il en est beaucoup, en effet, qui sont
miséricordieux, mais qui se livrent à l’impureté, et le Sauveur, pour leur
montrer que la miséricorde ne suffit pas, exige de plus cette pureté du cœur.
S. Jér. Dieu qui est pur, ne peut-être vu
que par un cœur pur, car le temple de Dieu doit être sans souillure, c’est pour
cela qu’il ajoute : Parce qu’ils
verront Dieu. » — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Celui qui veut et
accomplit toute justice, voit Dieu des yeux de son âme, car la justice est
l’image de Dieu, Dieu étant la justice par essence. Rappelons-nous donc que
celui qui se sépare du mal et fait le bien, en vertu même de cet effort, voit
Dieu plus ou moins, toujours ou par intervalles, autant qu’il est possible à la
nature humaine. Mais dans l’autre vie, ceux qui ont le cœur pur verront Dieu
face à face, et non pas comme ici-bas dans un miroir et sous des images
obscures (cf. 1 Co 13, 12). — S. Aug. (serm. sur la mont.) Il faut être
insensé pour chercher à voir des yeux du corps Dieu qu’on ne peut voir que des
yeux du cœur, ainsi qu’il est écrit ailleurs : « Cherchez-le dans la simplicité du cœur, » car le cœur
simple, c’est le cœur pur. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. dern. chap. 29.) Il
est évident que si les yeux spiritualisés de notre corps n’ont pas plus de
vertu que ceux que nous avons maintenant, ils ne pourront nous servir à voir
Dieu.
S. Aug. (Liv. 1 de la Trinité, chap.
8 et 13.) Cette vue de Dieu est la récompense de la foi, et c’est par la foi
que Dieu nous y prépare en purifiant nos cœurs ainsi qu’il est écrit :
« Purifiant leurs cœurs par la foi. » La preuve de cette vérité se trouve
surtout dans cette maxime : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur,
parce qu’ils verront Dieu. »
S. Aug. (sur la Genèse expliq. littéral., liv. 12, chap. 25.) Aucun de ceux
qui aspirent à voir Dieu ne doit vivre ici-bas de la vie périssable des
sens ; s’il ne meurt radicalement à cette vie, soit en quittant
tout-à-fait son corps, soit en devenant tellement étranger aux mouvements de la
chair qu’il ne sache plus ainsi que l’apôtre, s’il est encore ou non avec son
corps, il ne pourra jamais s’élever jusqu’à cette vision.
La Glose. La récompense
est ici plus magnifique que dans les béatitudes précédentes ; c’est celle
de l’homme qui non seulement est nourri dans la maison du roi, mais encore peut
jouir de sa présence.
S. Amb. (sur
S. Luc, liv. 4). Lorsque vous aurez purifié votre
intérieur de toutes les souillures du péché, commencez par établir la paix en
vous, de sorte qu’il ne s’élève dans votre cœur ni dissensions ni
troubles ; vous pourrez ainsi porter la paix plus facilement aux autres.
C’est ce que signifient ces paroles : « Bienheureux les pacifiques. » — S. Aug. (Cité de Dieu, liv.
19, chap. 13.) La paix est la tranquillité de l’ordre ; l’ordre est cette
disposition qui donne aux choses ou semblables ou opposées la place qui leur
convient. Il n’est personne qui ne désire le bonheur, personne aussi qui ne
désire la paix ; et ceux mêmes qui veulent la guerre n’ont d’autre but que
d’arriver par les armes à une paix glorieuse. — S. Jér. Les pacifiques que le Sauveur proclame heureux sont ceux
qui font régner la paix dans leur cœur, avant de la rétablir entre leurs frères
divisés ; car que vous sert de pacifier les autres si vous souffrez que
les vices se livrent mille combats dans votre âme ?
S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 2 ou 3.) Ceux qui sont
pacifiques sont ceux qui règlent tous les mouvements de leur âme, les
soumettent à la raison, tiennent sous le joug toutes les passions indomptées de
la chair, et deviennent ainsi le royaume de Dieu. Dans ce royaume l’ordre y est
tellement établi, que ce qu’il y a en nous de plus noble et de plus excellent
commande à cette autre partie de nous-même qui résiste, et qui nous est commune
avec les bêtes ; tandis que la partie supérieure, c’est-à-dire l’âme et la
raison, est elle-même soumise à un être plus élevé, qui est la vérité et le
Fils de Dieu. Nous ne pouvons commander à ce qui est au-dessous de nous, à
moins d’être soumis à ce qui est au-dessus. Telle est la paix promise sur cette
terre aux hommes de bonne volonté (Lc 2, 14). — S. Aug. (liv. 1, chap.
19.) Personne cependant ne peut arriver en cette vie à détruire complètement
dans ses membres cette loi qui combat contre la loi de l’esprit ; mais en
domptant ici-bas les passions de la chair, les pacifiques se préparent à
recevoir un jour la plénitude de la paix. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est
se montrer pacifique envers les autres, non seulement de réconcilier les
ennemis entre eux, mais encore d’oublier les injures par amour de la
paix ; car la paix qui donne le bonheur n’est pas celle qui n’existe que
sur les lèvres, mais celle qui repose dans le cœur, et ceux qui l’aiment sont
vraiment les enfants de la paix.
S. Hil. (Can. 12.) Le bonheur des pacifiques, c’est la récompense de
l’adoption que le Sauveur exprime par ces paroles : « Parce qu’ils
seront appelés enfants de Dieu. » Dieu est le Père unique de tous les
hommes, et nous ne serons dignes de faire partie de sa famille qu’en vivant
ensemble dans la paix d’une charité toute fraternelle. — S. Chrys. (hom. 15 sur Matth.) Ou bien les pacifiques étant ceux qui ont
horreur de la dispute, n’ont de haine contre personne, et de plus cherchent à
réunir ceux qui sont divisés, c’est à juste titre qu’ils sont appelés fils de
Dieu, car la mission propre du Fils unique de Dieu a été de réunir ce qui était
dispersé et de pacifier les éléments les plus contraires. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien comme la perfection est dans la paix,
là où rien ne résiste, les pacifiques sont appelés enfants de Dieu parce que
rien ne résiste à Dieu ; d’ailleurs les enfants doivent ressembler à leur
père. — La Glose. Les pacifiques
sont donc revêtus d’une dignité qui surpasse toutes les autres, de même que le
fils du roi est au-dessus de tous les autres dans la maison de son père. Cette
béatitude est placée la septième, parce que c’est au jour du sabbat et du vrai
repos que nous sera donnée la paix véritable lorsque les dix âges du monde
seront écoulés.
S. Chrys. (hom.
15.) Notre-Seigneur voulant détruire cette pensée que c’est toujours un
bien de rechercher pour soi la paix, ajoute : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice,
c’est-à-dire pour la vertu, pour la défense des autres, pour la piété ;
car le Sauveur emploie ordinairement le mot justice pour exprimer toute vertu
de l’âme. — S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 2 ou
8). La paix une fois établie et affermie au-dedans de nous, quelles que soient
les persécutions que soulève au dehors celui que nous avons chassé de notre âme
(cf. Jn 12, 13), il ne fait qu’augmenter la gloire qui est selon Dieu. — S. Jér. Le Sauveur ajoute cette expression
significative : « Pour la justice, » car il en est beaucoup qui souffrent pour leurs péchés ; et
qui sont loin d’être justes. Remarquez en même temps que cette huitième
béatitude qui est comme l’octave de la vraie circoncision, a pour objet le
martyre. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il ne dit pas :
« Bienheureux celui qui souffre persécution de la part des Gentils, » car vous pourriez penser que ce bonheur
n’est promis qu’à celui qui est persécuté par les païens, parce qu’il refuse
d’adorer leurs idoles. Celui donc qui souffre persécution de la part des
hérétiques, pour défendre contre eux la vérité, a droit à ce bonheur parce
qu’il souffre pour la justice. Et si un des puissants du monde qui sont
chrétiens en apparence, vous persécute, parce que peut-être vous l’auriez
repris de ses vices, estimez-vous heureux avec Jean-Baptiste. Car s’il est vrai
que les prophètes mis à mort par leurs concitoyens ont été de vrais martyrs, on
ne peut douter que celui qui souffre pour la cause de Dieu, bien que la
persécution lui vienne des siens, ne reçoive aussi la récompense du martyre. Et
c’est pourquoi l’Écriture n’a pas désigné la personne des persécuteurs, mais la
cause seule de la persécution, afin que vous ne considériez pas quels sont ceux
qui vous persécutent, mais la cause pour laquelle vous souffrez persécution.
S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth.) Le Seigneur réserve donc pour la dernière béatitude, ceux dont le cœur est
préparé à tout souffrir pour Jésus-Christ (qui est la justice). A eux aussi il
promet le royaume des cieux, parce que le mépris du siècle les a rendus pauvres
d’esprit. C’est pour cela qu’il ajoute : « Le royaume des cieux leur
appartient. » — S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 3, chap. 2 ou 9.) Ou bien la huitième
béatitude revient à la première comme à sa source, parce qu’elle la montre
élevée à sa plus haute perfection. Aussi voyez, dans la première comme dans la
huitième, se trouve nommé expressément le royaume des cieux. En effet les sept
béatitudes sont les différents degrés de cette perfection ; la huitième
lui donne le dernier trait et la montre dans tout son éclat, et la récompense
de la première béatitude s’y trouve rappelée pour que ces deux degrés extrêmes
communiquent leur perfection aux degrés intermédiaires. — S. Amb. (sur S. Luc.) Ou bien autrement, le royaume du ciel promis en
premier lieu sera pour les saints l’affranchissement des liens du corps (cf. Ph
1, 25), le second qui suivra la résurrection, les réunira pour toujours à
Jésus-Christ. C’est après la résurrection en effet, que vous commencerez à
posséder la terre qui est à vous sans plus craindre la mort, et que vous
trouverez la consolation dans cette possession paisible. Le plaisir suit la
consolation, et il est suivi à son tour par la divine miséricorde, or Dieu ne
peut faire miséricorde à quelqu’un sans l’appeler, et le fruit de cette
vocation, c’est de voir Dieu qui nous appelle. Celui qui a vu Dieu a droit à
son tour aux honneurs de la filiation divine, et c’est alors enfin que comme
fils de Dieu il trouve sa joie dans les richesses du royaume des cieux. D’un
côté donc le bonheur commence, de l’autre il est dans sa plénitude. — S. Chrys. (hom. 15.) Ne soyez pas surpris, si a chaque béatitude, il n’est
pas fait mention du royaume des cieux, car ces expressions : « Ils
seront consolés, ils obtiendront miséricorde, » et autres semblables, sont
autant d’insinuations mystérieuses du royaume des cieux. En s’exprimant ainsi
le Sauveur veut que l’objet de votre espérance n’ait rien de sensible, car on
n’est pas heureux quand on n’a pour récompense que des choses qui passent avec
cette vie.
S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap.
3.) Il faut étudier avec soin le nombre de ces béatitudes. Nous voyons en effet
les sept opérations de l’Esprit saint décrites par Isaïe (Is 11), correspondre
aux sept degrés des béatitudes, mais avec cette différence, que le prophète
suit une marche opposée dans l’énumération, parce qu’il nous montre le Fils de
Dieu descendant jusque dans l’abîme de notre misère, et qu’ici nous voyons
l’homme montant de cet abîme jusqu’à la ressemblance de Dieu. Le premier des
dons de l’Esprit saint est la crainte qui est le propre des âmes humbles dont
il est dit : « Bienheureux
les pauvres d’esprit, » c’est-à-dire ceux qui ne se nourrissent pas de
hautes pensées, mais qui se tiennent dans la crainte (cf. Rm 11, 20 ; 12,
16). Le second est la piété qui convient à ceux qui sont doux, car celui qui
cherche avec piété fait profession de respect, il ne s’érige pas en censeur, il
ne résiste pas, ce qui constitue la vertu de douceur. Le troisième est la
science, qui se rapporte à ceux qui pleurent, car ils savent dans quelle dure
captivité les retiennent ces maux, qu’ils avaient demandés comme des biens. Le
quatrième est la force, qui convient à ceux qui ont faim et soif, parce qu’en
cherchant leur joie dans les véritables biens, ils font tous leurs efforts pour
se détacher des choses de la terre. Le cinquième est le conseil, qui se
rapporte aux miséricordieux, car l’unique remède pour échapper à tant de maux,
c’est de pardonner et d’être charitable. Le sixième est l’intelligence qu’ont
en partage ceux qui ont le cœur pur, et dont l’œil purifié pénètre ce qu’ils ne
pouvaient voir auparavant. La septième est la sagesse, qui est le propre des
pacifiques dans l’âme desquels n’existe aucun mouvement de révolte, mais ou
tout est soumis à l’esprit. Il n’y a qu’une seule récompense, c’est le royaume
des cieux qui reçoit diverses dénominations. Il est expressément nommé et avec
raison dans la première béatitude qui est le commencement de la divine sagesse,
comme s’il était dit : « Le commencement de la sagesse est la crainte
du Seigneur. » A ceux qui sont
doux est promis l’héritage, comme a des enfants dont la piété filiale cherche
le testament de leur père ; à ceux qui pleurent la consolation, parce
qu’ils savent ce qu’ils ont perdu, et dans quels maux ils sont plongés ; à
ceux qui ont faim l’abondance, comme aliment réparateur, après les fatigues
endurées pour le salut ; à ceux qui sont miséricordieux, la miséricorde parce
qu’ils se sont ménagé sagement le bénéfice de l’indulgence dont ils ont fait
preuve à l’égard des autres ; à ceux qui sont purs la faculté de voir
Dieu, car, eux seuls ont un œil capable de voir et de comprendre les choses
éternelles ; à ceux qui sont pacifiques, la ressemblance avec Dieu. Or
toutes ces promesses peuvent s’accomplir en cette vie comme nous croyons
qu’elles se sont réalisées dans les apôtres ; car aucune parole ne saurait
exprimer l’objet des promesses éternelles.
Rab. Les maximes précédentes
avaient une application générale, Jésus-Christ s’adresse ici personnellement à
ceux qui l’écoutent, et il leur prédit les persécutions qu’ils auraient à
supporter pour son nom. « Vous serez heureux » leur dit-il,
« lorsque les hommes vous maudiront et vous persécuteront et diront toute
espèce de mal contre vous. » — S. Aug.
(serm. sur la mont., liv. 1,
chap. 3 ou 9.) On peut demander quelle différence existe entre maudire et dire
toute espèce de mal, parce que maudire c’est justement dire du mal ; nous
répondrons qu’il y a une différence entre maudire et outrager quelqu’un en
face, et déchirer sa réputation en son absence. Quant au mot persécuter, il
signifie user de violence contre quelqu’un, ou lui tendre des embûches.
S. Chrys. (sur S. Matth.) S’il est vrai que celui qui donne à son frère un
verre d’eau ne perd pas sa récompense, par la même raison celui qui aura
supporté la plus légère parole outrageante, ne peut manquer d’être récompensé.
Mais pour que les imputations injurieuses lui donnent droit à ce bonheur, il
faut deux choses, qu’elles soient fausses, et qu’il les souffre pour la cause
de Dieu ; si l’une des deux conditions manque, il ne peut espérer la
récompense de cette béatitude, aussi le Sauveur ajoute-t-il :
« Mentant à cause de moi. » —
S. Aug. (serm. sur la mont.) Je présume que ces mots ont été ajoutés pour
ceux qui veulent se glorifier des persécutions qu’ils souffrent et du
déshonneur qui s’attache justement à leur réputation, et qui prétendent faire
partie des disciples de Jésus-Christ, parce qu’ils sont en butte à mille
discours injurieux. Mais c’est a tort, car ces discours ne sont que
l’expression de la vérité quand ils ont pour objet leurs erreurs, et si parfois
on les accuse à faux, ce n’est nullement pour Jésus-Christ qu’ils le souffrent.
S. Grég. (sur Ezéchiel.) Qui pourra donc nous nuire, si les hommes nous
discréditent, et que nous n’ayons pour nous défendre que le témoignage de notre
conscience ? Cependant si nous ne devons pas, de dessein prémédité,
exciter contre nous la langue de ceux qui veulent entamer notre réputation,
pour ne pas les pousser eux-mêmes à leur perte ; une fois que leur
méchanceté les arme contre nous, il faut le supporter patiemment pour augmenter
notre mérite, et c’est ce que le Sauveur nous recommande en ajoutant :
« Réjouissez-vous et tressaillez de joie, parce que votre récompense est
abondante dans les cieux. » — La Glose. Que votre âme se réjouisse,
que votre corps lui-même tressaille d’allégresse. parce que votre récompense
non seulement est grande comme celle des autres, mais parce qu’elle est
abondante dans les cieux.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Je ne pense pas que les cieux désignent ici
les parties supérieures de ce monde visible, car ce n’est pas dans les choses
extérieures que nous devons placer notre récompense ; par les cieux il
faut donc entendre ici le firmament spirituel qu’habite l’éternelle justice. On
peut déjà pressentir cette récompense quand on place sa joie dans les biens
spirituels, mais cette jouissance ne sera parfaite, que lorsque ce corps mortel
aura revêtu l’immortalité. (1 Co 15, 54) — S. Jér. Si nous
voulons que notre récompense se prépare dans les cieux, nous devons donc nous
réjouir et tressaillir d’allégresse, ce que ne pourra jamais faire celui qui
est esclave de la vaine gloire. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) En effet, autant on met sa joie dans les louanges des
hommes, autant on s’attriste de leurs mépris ; mais celui qui ne désire
que la gloire des cieux, ne craint nullement les opprobres de la terre. — S. Grég. (sur Ezéchiel.) Nous devons cependant mettre un frein quelquefois
aux langues des calomniateurs, de peur qu’en répandant leur venin contre nous,
ils ne viennent à corrompre les âmes innocentes que nous aurions pu porter au
bien par nos discours.
La Glose. Ce n’est pas
seulement par la perspective de la récompense, mais par la puissance de
l’exemple qu’il les invite à la patience. « C’est
ainsi ajoute-t-il qu’ils ont persécuté les prophètes qui étaient avant
vous. » — Remi. C’est une
grande consolation en effet pour celui qui se trouve dans la tribulation, de se
rappeler les souffrances de ceux qu’on lui domine comme un exemple de patience,
c’est comme si le Sauveur disait : « Souvenez-vous que vous êtes les
apôtres de celui dont ils furent les prophètes. » — S. Chrys. (hom. 15.) Il déclare aussi par ces paroles qu’il est égal en
honneur à son Père, car il semble dire : « De même qu’ils ont
souffert pour mon Père, ainsi vous souffrirez pour moi. » En leur
disant : « Les prophètes qui furent avant vous, » il leur apprend qu’ils sont devenus
prophètes eux-mêmes. — S. Aug. (serm. sur la mont.) La persécution est
prise ici dans un sens général, et signifie tous les discours outrageants, et
toutes les atteintes à la réputation.
S. Chrys. (hom.
15.) Après avoir donné à
ses disciples d’aussi sublimes préceptes ; le Sauveur prévient cette
difficulté : comment pourrons-nous les observer, en les attirant par ses
louanges et en leur disant : « Vous êtes le sel de la terre. »
Par là il leur apprend que c’est une nécessité pour eux de garder ces
préceptes, car ce n’est pas, leur dit-il, pour vous, ce n’est pas pour une
seule nation, c’est pour le monde entier que je vous envoie. Si donc en le
touchant au vif, vous en recevez des injures, réjouissez-vous, car c’est une
des propriétés du sel de piquer tout ce qui est d’une nature tendre et
molle ; la malédiction des hommes ne peut vous nuire en rien, elle atteste
au contraire la vertu qui est en vous.
S. Hil. (can. 4.) Il nous faut ici chercher le sens propre des mots,
et nous le trouverons dans la mission des apôtres, et dans la nature du sel. Le
sel qui est d’un usage universel chez tous les peuples, communique
l’incorruptibilité à tous les corps sur lesquels on le répand, et il est très
propre à faire ressortir dans toutes choses leur saveur cachée. Or les apôtres
sont les prédicateurs des choses célestes, et ils répandent sur toutes choses
le sel de l’éternité. C’est à juste titre qu’ils sont appelés le sel de la
terre, parce que la vertu de leur doctrine, comme un sel divin conserve les
corps pour l’éternité.
Remi. Le contact de
l’eau, la chaleur du soleil, le souffle du vent, donnent au sel une autre
nature ; ainsi les hommes apostoliques ont reçu une naissance toute
spirituelle et ont été changés en d’autres hommes par l’eau du baptême, par le
souffle de l’Esprit saint et par le feu de la charité. On peut dire encore que
la sagesse céleste prêchée par les Apôtres, absorbe les humeurs des œuvres
charnelles, fait disparaître l’odeur infecte et la corruption d’une mauvaise
vie et le ver des pensées impures dont le prophète a dit : « Leur ver
ne meurt pas. » (Is 66, 24) — Remi. Les Apôtres sont le sel de la
terre, c’est-à-dire des hommes terrestres qui sont appelés terre, parce que toute
leur affection est pour la terre. — S. Jér.
Ou bien encore les Apôtres sont appelés le sel de la terre, parce que
c’est par eux que le genre humain est conservé. — S. Chrys. (sur S. Matth., homél. 10 de l’ouv. incompl.) Dès
qu’un docteur est orné de toutes les vertus dont nous avons parlé, il est comme
un sel excellent, et son exemple comme sa parole sont pour tout le peuple un
céleste assaisonnement.
Remi. Sous l’ancienne
loi, on ne pouvait offrir aucun sacrifice sans l’avoir assaisonné de sel, ce
qui signifiait que personne ne peut offrit un sacrifice agréable à Dieu sans
avoir en lui la saveur de la sagesse divine. — S. Hil. Cependant comme l’homme est sujet au changement, après
avoir appelé les Apôtres le sel de la terre, il leur apprend qu’ils doivent
conserver la vertu de la puissance qui leur a été confiée, en ajoutant :
« Si le sel perd sa force, avec quoi pourra-t-on le saler ? » — S. Jér.
C’est-à-dire si un docteur tombe dans l’erreur, par quel autre docteur
pourra-t-il être repris ? — S. Aug.
(serm. sur la mont) Et si
vous, qui devez être comme l’assaisonnement des peuples, vous perdez le royaume
des cieux par la crainte des persécutions temporelles, quels seront les hommes
qui pourront vous guérir de vos erreurs ? Une autre version porte : « Si le sel est devenu insipide et
comme insensé », et elle signifie qu’il faut regarder comme des insensés,
ceux qui par la recherche trop vive des biens temporels, ou par la crainte d’en
être dépouillés, perdent les biens éternels que les hommes ne peuvent ni donner
ni enlever.
S. Hil. (can. 4.) Or si les docteurs devenus insensés cessent
d’avoir la vertu du sel, et si ne possédant plus le sens du goût qu’ils avaient
reçu, ils ne peuvent rendre la vie à ce qui est corrompu, ils deviennent
inutiles comme l’ajoute le Sauveur : « Il ne vaut plus rien qu’à être
jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes. » — S. Jér. Cet
exemple est emprunté à l’agriculture. Le sel ne sert absolument qu’à dessécher
les viandes et à assaisonner les aliments. Aussi nous voyons dans l’Écriture le
sel semé par la colère des vainqueurs sur des villes détruites, afin qu’aucune
semence ne pût y fructifier. — La Glose.
Lorsque ceux qui sont placés à la tête des autres viennent à faillir, ils
ne sont bons qu’à être jetés dehors et privés du pouvoir d’enseigner. — S. Hil. (can. 4.) Il ne suffit pas même qu’ils soient chassés de l’office
de l’Église, il faut qu’ils soient foulés aux pieds des passants. — S. Aug.
(serm. sur la mont.) Ce n’est pas celui qui souffre persécution qui est
foulé aux pieds par les hommes, mais celui à qui la crainte de la persécution
fait perdre le sens. On ne peut être foulé aux pieds que lorsqu’on est placé
au-dessous. Or on n’est jamais au-dessous de personne, bien que le corps soit
en butte sur la terre à de mauvais traitements, lorsque par le cœur on habite
dans le ciel.
S. Chrys. (Sur
S. Matth.) De même que
les prédicateurs sont par l’exemple de leurs vertus le sel qui assaisonne les
peuples, de même ils sont par leur doctrine la lumière qui éclaire les
ignorants. Or une vie sainte est la condition première, essentielle avant de
bien enseigner. C’est pour cela qu’il appelle ses Apôtres le sel de la terre
avant de leur dire : « Vous êtes la lumière du monde. » C’est peut-être aussi parce que le sel
ne fait que conserver les choses dans l’état où elles sont, et les préserve
ainsi de toute altération, tandis que la lumière les rend meilleures en
répandant sur elles la clarté. Les Apôtres sont donc appelés le sel de la terre
à cause du peuple juif et de l’Église chrétienne qui ont la connaissance de
Dieu, tandis qu’ils sont appelés la lumière du monde à cause des Gentils qu’ils
amènent à la lumière de la science. — S. Aug.
(serm. sur la mont.) Par le
monde, il faut entendre ici non pas le ciel et la terre, mais les hommes qui
habitent le monde, ou ceux qui aiment le monde, et vers lesquels les Apôtres
ont été envoyés pour les éclairer. — S. Hil.
(can. 4.) La nature de la
lumière c’est d’émettre sa clarté partout où elle est portée, et de forcer les
ténèbres à disparaître de nos demeures sous l’influence d’un jour bienfaisant.
Or le monde placé en dehors de la connaissance de Dieu était enveloppé dans les
ténèbres de l’ignorance, et c’est par les Apôtres qu’il a été inondé de la
clarté de la science, que la connaissance de Dieu lui est devenue plus
certaine, et ils ont répandu à flots la lumière partout où ils ont porté leurs
corps faibles et mortels.
Remi. Semblable au soleil
qui lance ses rayons de toutes parts, le Seigneur, vrai soleil de justice, a
dirigé ses Apôtres contre les ténèbres qui couvraient le genre humain tout
entier.
S. Chrys. (homél. 15.) Comprenez la grandeur des promesses qu’il leur fait,
ils étaient inconnus dans leur propre pays, leur renommée s’étendra jusqu’aux
extrémités de la terre, et les persécutions qu’il leur avait prédites, loin de
les tenir cachés n’ont fait que les rendre plus illustres.
S. Jér. Les Apôtres auraient pu se dérober
par la crainte aux persécutions qui les menaçaient, Jésus-Christ veut qu’ils se
produisent en toute liberté, et il leur apprend avec quelle assurance ils
doivent prêcher l’Évangile : « Une ville placée sur une montagne ne
peut être cachée. » — S. Chrys. (hom. 15.) Il leur enseigne encore à veiller avec soin sur leur
propre conduite, parce qu’ils sont exposés à la vue du monde entier, comme une
ville bâtie sur une montagne, ou comme une lumière placée sur le chandelier. —
S. Chrys. (sur S. Matth.) Cette cité, c’est l’Église des saints dont il est
écrit : « Cité de Dieu, des
merveilles ont été dites de toi. » Les
citoyens de cette ville sont tous les fidèles dont l’Apôtre a dit :
« Vous êtes les concitoyens des saints. » Cette cité a été bâtie sur
la montagne qui est le Christ et dont le prophète Daniel avait dit (Dn 2,
34) : « Une pierre détachée de la montagne sans la main d’aucun homme
est devenue une grande montagne. » — S. Aug.
Ou bien elle est située sur une montagne, parce qu’elle est assise sur
une justice éminente, figurée par la montagne du haut de laquelle le Seigneur
fait entendre sa parole. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Une ville placée sur
le sommet d’une montagne ne peut se dérober aux regards, quand elle le
voudrait, car la montagne qui la porte, la dévoile à tous les yeux. Ainsi les
Apôtres et les prêtres qui sont fondés sur Jésus-Christ, ne peuvent rester
cachés, quand bien même ils le voudraient, parce que Jésus-Christ les découvre
à tous les regards. — S. Hil. (can. 4.) Cette cité peut encore
signifier la chair dont le Sauveur s’est revêtu, car en s’unissant ainsi à
notre nature, il renferme en lui la totalité du genre humain et nous-mêmes par
la participation de sa chair nous devenons les habitants de cette ville. Or
Jésus-Christ ne peut demeurer caché, placé qu’il est sur les hauteurs incommensurables
de la divinité, et offert à l’admiration du genre humain par les œuvres
merveilleuses qu’il opère.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Le Sauveur explique par une autre comparaison
pourquoi ses disciples ne doivent point rester cachés dans l’obscurité, mais se
produire au grand jour : « On
n’allume pas une lampe pour la placer sous le boisseau, mais on la met sur le
chandelier. — S. Chrys. (homél. 15.) On peut dire encore que par
la comparaison de la ville bâtie sur la montagne, le Sauveur montre quelle sera
sa vertu, et que par celle de la lampe allumée, il forme ses disciples à la
liberté de l’apostolat : « C’est moi qui ai allumé le
flambeau, » semble-t-il leur dire : « c’est à vous de veiller à
ce qu’il ne cesse jamais de briller, non seulement pour vous, et pour ceux que
vous devrez éclairer, mais encore pour la gloire de Dieu. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cette
lampe c’est la parole de Dieu dont il est dit : « Votre parole est
une lampe pour mes pieds. » Ceux
qui allument cette lampe, sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
S. Aug. (serm. sur la mont., chap. 5 ou 12.) Mais que veulent dire ces
paroles : « On ne la place
pas sous le boisseau ? » Signifient-elles
seulement qu’il ne faut point cacher cette lampe, comme s’il disait, ou
n’allume pas une hampe pour la cacher ? Ou bien le mot boisseau a-t-il une
signification particulière ? Placer la lampe sous le boisseau ne serait-ce
pas préférer les avantages temporels à la
prédication de la vérité ? On place donc la hampe sous le boisseau, toutes
les fois qu’on obscurcit et qu’on couvre la lumière d’une saine doctrine sous
les nuages des biens temporels. Le boisseau est une figure très juste de ces
biens du corps, soit à cause de la récompense qui sera donnée avec mesure,
puisque chacun recevra ce qu’il aura mérité pendant qu’il était revêtu de son
corps (2 Co 5, 10), soit parce que ces biens qui ont le corps pour objet et
pour instrument, ont aussi le temps pour mesure de leur existence passagère
figurée par le boisseau, tandis que les choses spirituelles et éternelles ne
sont pas renfermées dans ces étroites limites. Or on place la lumière sur le
chandelier, quand on assujettit son corps au ministère de la parole, de manière
que la prédication de la vérité occupe le premier rang, et les soins du corps
la dernière place. Car cet assujettissement du corps donne à la doctrine un
nouvel éclat qui la fait pénétrer dans l’âme des disciples, à l’aide du
concours que les bonnes œuvres du corps viennent donner à la voix. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Disons encore que le boisseau représente les hommes
du monde, car de même que le boisseau est vide par le haut, et plein par le
bas, ainsi les hommes du monde sont insensés à l’égard des biens spirituels, et
n’ont de sagesse que pour les choses de la terre. Ainsi le boisseau tient la
parole de Dieu cachée lorsque pour quelque motif tout humain, ils n’osent
prêcher ouvertement ni la parole de Dieu ni la vérité de la foi. Le chandelier,
c’est l’Église qui porte la parole, et c’est aussi chacun de ses ministres.
S. Hil. (Can. 4.) Ou bien c’est la synagogue que le Seigneur compare
au boisseau, parce que, gardant sans les distribuer les fruits qu’elle a reçus,
elle ne contenait d’ailleurs qu’une certaine mesure de perfection. — S. Amb. (sur S. Luc, liv. 4.)
Que personne donc ne renferme sa foi dans les bornes étroites de la loi
mosaïque, mais qu’il en fasse part à l’Église où brille la grâce de l’Esprit
qui possède les sept dons. — Bède. Ou
bien c’est le Christ lui-même qui allume le flambeau lorsqu’il a rempli de la
flamme de sa divinité la lampe de terre de notre nature, lampe qu’il ne veut
cacher à aucun de ceux qui croient en lui, ni placer sous le boisseau
(c’est-à-dire sous la mesure de la loi), ni resserrer dans les limites d’un seul
peuple. Le chandelier sur lequel il a placé la lumière c’est l’Église, parce
qu’il a marqué sur nos fronts la foi en son Incarnation. — S. Hil.
(Can. 4.) Ou bien cette lampe du
Christ placée sur le chandelier, c’est cette lampe suspendue par sa Passion au
bois de la croix et qui doit répandre son éternelle clarté sur tous ceux qui
font partie de l’Église ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Afin
qu’elle brille aux yeux de tous ceux qui sont dans la maison. » — S. Aug.
(serm. sur la mont.) Rien ne
s’oppose à ce que, par cette maison, on entende l’Église ; ou bien encore
cette maison c’est le monde lui-même, comme sembleraient l’indiquer ces
paroles : « Vous êtes la
lumière du monde. » — S. Hil. (Can. 4.) Le Sauveur avertit ses apôtres qu’ils doivent briller d’une
lumière si vive qu’en admirant leurs bonnes œuvres les hommes en rendent gloire
à Dieu : « Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils
voient vos bonnes œuvres. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) C’est-à-dire,
répandez la lumière de votre enseignement de manière que non seulement on
entende vos paroles, mais encore qu’on voie vos œuvres, et qu’ainsi vous
assaisonniez, par le sel de vos exemples, ceux que vous aurez éclairés de la
lumière de votre parole. Dieu se trouve glorifié par ces docteurs qui joignent
la pratique à l’enseignement, car on reconnaît la sagesse du Maître aux mœurs
de ceux qui composent sa famille, et c’est pour cela que Jésus-Christ
ajoute : « Afin qu’ils glorifient votre Père qui est dans les
cieux. » — S. Aug. S’il
avait dit seulement : « Afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, »
il aurait paru leur assigner pour fin les louanges des hommes que recherchent
les hypocrites ; mais il ajoute : « Afin qu’ils glorifient votre
Père qui est dans les cieux ; » il ne veut donc pas qu’en étant
agréable aux hommes, on place dans leur estime la fin de ses bonnes œuvres,
mais qu’on les rapporte à la gloire de Dieu, en un mot qu’on ne cherche à
plaire aux hommes qu’afin que Dieu en soit glorifié. — S. Hil. (Can. 4.) Ce n’est pas qu’il nous faille rechercher la gloire qui
vient des hommes (car toutes nos actions doivent être faites pour la gloire de
Dieu), mais tout en nous cachant ce qui nous est personnel dans nos bonnes
œuvres, nous ne devons pas laisser de briller pour l’édification de ceux au
milieu desquels nous vivons.
La Glose. Après avoir exhorté ses disciples à se
préparer à tout souffrir pour la justice, et à ne pas tenir cachée la doctrine
salutaire qu’ils allaient entendre, mais à la recevoir dans l’intention de la
communiquer aux autres, il leur fait connaître ce qu’ils devront enseigner. Il
suppose qu’ils lui font cette question : Quelle est donc cette doctrine
qui ne doit pas rester cachée et pour laquelle vous nous ordonnez de tout nous
offrir ? Et il leur répond : « Ne pensez pas que je sois venu
détruire la loi ou les prophètes. » — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Il s’exprime ainsi pour deux raisons : premièrement,
pour engager ses disciples à imiter son exemple, en s’efforçant d’accomplir
toute la loi, ainsi qu’il le faisait lui-même ; secondement, les Juifs
devaient l’accuser plus tard de violer la loi (Mt 12 ; Mc 2 ; Lc
6 ; 13 ; Jn 5 ; 7 ; 9, etc.) ; il fait donc raison de
cette calomnie avant même qu’elle se produise.
Remi. Mais il ne veut pas
qu’on s’imagine qu’il n’est venu que pour annoncer la loi, comme les
prophètes ; il nie donc d’abord qu’il soit venu pour détruire la loi, et
il affirme ensuite qu’il est venu pour l’accomplir : « Je ne suis pas
venu détruire la loi, mais l’accomplir. » — S. Aug. (Serm. sur la mont.) Cette maxime présente deux sens, car accomplir une loi
c’est ou bien ajouter ce qui lui manque, ou faire ce qu’elle prescrit. — S. Chrys. Jésus-Christ a donc accompli les
prophéties en réalisant tout ce qu’elles avaient prédit de lui, et il a
également accompli la loi en n’omettant aucune des prescriptions légales et en
justifiant les hommes par la foi, ce que la lettre de la loi ne pouvait faire.
— S. Aug. (contre Fauste, liv. 19, chap. 7.) Enfin, comme il était difficile,
même à ceux qui vivent sous l’empire de la grâce, dans cette vie mortelle
d’accomplir ce commandement de la loi : « Vous n’aurez pas de désirs
coupables (Ex 20, 17 ; Dt 5, 21 ; Rm 7, 8 ; 13, 9), » le
Sauveur, devenu notre Pontife par le sacrifice de sa chair, nous obtient
miséricorde, et il accomplit encore ici la loi, car notre faiblesse et notre
impuissance se trouvent guéries par la vertu de ce divin chef dont nous sommes
devenus les membres. Je pense que ces paroles : « Je ne suis pas venu
détruire la loi, mais l’accomplir, »
peuvent s’entendre aussi de ces additions qui expliquent le sens des
anciens préceptes ou la manière de les mettre en pratique. C’est ainsi que le
Seigneur nous a fait connaître qu’un simple mouvement de haine qui nous porte à
nuire à notre frère doit être rangé parmi
les péchés d’homicide. Il nous dit encore plus loin qu’il aime mieux que nous
restions dans la vérité suis recourir au serment que de nous exposer à tomber
dans le parjure en jurant même selon la vérité. Pourquoi donc, ô Manichéens,
rejetez-vous la loi et les prophètes, alors que le Christ affirme qu’il est
venu non pour les détruire, mais pour les accomplir ? L’hérétique Fauste
répond : Mais qui atteste que Jésus a tenu ce langage ? Matthieu. Et
comment donc Matthieu peut-il raconter ce que Jésus a dit sur la montagne, lui
qui n’a suivi le Sauveur que lorsqu’il en fut descendu, tandis que Jean, qui
était sur la montagne, n’en dit pas un mot ? Saint Augustin répond :
S’il n’y a pour dire la vérité sur le Christ que celui qui l’a vu ou entendu,
personne aujourd’hui n’est en état de le faire. Pourquoi donc saint Matthieu
n’aurait-il pu apprendre de la bouche de saint Jean la vérité sur le Christ,
alors que nous, qui sommes nés si longtemps après, nous pouvons enseigner sur
Jésus-Christ la vérité que nous puisons dans les écrits de saint Jean ?
C’est ce qui fait que non seulement l’évangile de saint Matthieu, mais encore
celui de saint Luc et de saint Marc jouissent d’une égale autorité. D’ailleurs,
est-ce que le Seigneur n’a pu raconter à saint Matthieu les faits qui avaient
précédé sa vocation ? Avouez donc franchement que vous ne croyez pas à
l’Évangile, car en ne croyant dans l’Évangile qu’à ce qui vous convient, c’est
plutôt à vous-mêmes qu’à l’Évangile que vous croyez.
Fauste dit
encore : Nous pouvons prouver qu’un autre que saint Matthieu (et je ne
sais qui) a écrit cette maxime sous le nom de cet apôtre : « Lorsque Jésus passait, il vit un
homme assis au comptoir, Matthieu était son nom. » Et quel est donc
l’écrivain qui, pour parler de lui-même, s’exprime de la sorte : « Il
vit un homme, » et non pas : « Il me vit ? » — Saint
Augustin répond, saint Matthieu parle de lui commue d’une personne étrangère,
de même que saint Jean l’a fait dans ce passage : « Pierre, se
retournant, vit cet autre disciple que Jésus aimait, » ce qui prouve que
telle était la manière de s’exprimer des évangélistes dans leurs narrations.
Il y a plus,
réplique Fauste, cette défense que Jésus-Christ nous fait de croire qu’il soit
venu détruire la loi est bien plutôt de nature à nous faire soupçonner qu’il la
détruisait réellement, car, puisqu’il ne violait aucun article de la loi,
pourquoi les Juifs l’en auraient-ils soupçonné ? C’est là, répond saint
Augustin, une bien faible difficulté, car nous ne nions pas qu’aux yeux des
Juifs inintelligents, le Christ n’ait passé pour un destructeur de la loi et
des prophètes.
Fauste
ajoute : D’ailleurs, ni la loi ni les prophètes n’ont besoin de cet
accomplissement, puisqu’il est écrit : « Vous observerez les
commandements que je vous donne, sans y rien ajouter, ni sans rien ôter. » Fauste, répond saint Augustin, ne
comprend pas ce que c’est que l’accomplissement de la loi, lorsqu’il l’entend
de l’addition de nouveaux préceptes. La plénitude de la loi c’est la charité
(Rm 13, 18) que le Seigneur a répandue sur les fidèles en leur envoyant
l’Esprit saint. La loi est donc accomplie lorsqu’on obéit à ses préceptes ou
lorsque les événements réalisent les prédictions qu’elle a faites.
Fauste
continue : Reconnaître que Jésus est l’auteur du Nouveau Testament,
qu’est-ce autre chose que déclarer qu’il a détruit l’Ancien ? Non, répond
saint Augustin, car l’Ancien Testament renferme les figures de l’avenir, qui
devaient disparaître devant les réalités apportées par Jésus-Christ, et dans ce
fait même les prophètes trouvaient leur accomplissement, puisqu’ils annonçaient
que Dieu devait donner aux hommes un nouveau Testament.
Fauste
poursuit : Si le Christ a prononcé ces paroles, c’est évidemment dans un
autre sens ou (ce qu’on ne peut admettre) c’est un mensonge, ou il n’a rien dit
de semblable. Or, personne n’osera dire que le Christ a menti ; ces
paroles ont donc une autre signification, ou elles n’ont jamais été dites.
Quant à moi, la foi des Manichéens me met en garde contre l’admission de ce
chapitre, car elle m’a tout d’abord appris qu’il ne faut pas regarder comme
venant du Sauveur tout ce que les Évangélistes lui attribuent, et qu’il y a
beaucoup d’ivraie que le glaneur qui rôde pendant la nuit a répandue dans
presque toutes les Écritures pour corrompre le bon grain. Saint Augustin
répond : Le Manichéen t’a enseigné une opinion impie et perverse en vertu
de laquelle tu acceptes dans l’Évangile tout ce qui favorise ton hérésie, et tu
rejettes tout ce qui la condamne.
Pour nous,
l’Apôtre nous a enseigné cette divine méthode de regarder comme anathème
quiconque annoncerait un Évangile différent de celui que nous avons reçu. Et
quant à l’ivraie, le Seigneur lui-même nous a expliqué ce que c’était. Ce ne
sont point les erreurs qui seraient mêlées à la vérité des Écritures, comme il
vous plaît de le dire, mais ce sont les hommes enfants du démon.
Fauste
ajoute : Lorsqu’un Juif viendra vous demander pourquoi vous n’observez pas
ce que prescrivent la loi et les prophètes, puisque le Christ n’est pas venu
les détruire, mus les accomplir, vous serez forcé ou de devenir l’esclave d’une
vaine superstition, ou de reconnaître que ce chapitre n’est pas authentique, ou
de nier que vous soyiez le disciple du Christ. — Les catholiques, répond saint
Augustin, ne sont nullement embarrassés par ce chapitre, comme s’il leur
reprochait de ne pas garder la loi et les prophètes, car ils ont dans le cœur
l’amour de Dieu et l’amour du prochain, deux préceptes qui résument la loi et
les prophètes, et ils savent que tout ce qui, dans l’Ancien Testament, a été
prophétisé allégoriquement par les événements, par la célébration des fêtes
légales, par les expressions figurées se trouve accompli en Jésus-Christ et en
son Église. Donc nous ne devenons pas tributaires d’une vaine superstition, nous
ne nions pas la véracité de ce chapitre, et nous ne renonçons pas à être les
disciples du Christ. Celui donc qui vient dire : Si le Christ n’avait pas
détruit la loi et les prophètes, les anciens rites se seraient perpétués dans
les cérémonies chrétiennes, peut ajouter : Si le Christ n’avait pas
détruit la loi et les prophètes, sa naissance, sa passion, sa résurrection
seraient encore l’objet des promesses. Au contraire, une preuve qu’il n’a pas
détruit, mais accompli la loi et les prophètes, c’est justement qu’il ne nous
est plus prédit comme devant naître, souffrir et ressusciter, ce que
proclamaient toutes les figures de l’ancienne loi ; mais qu’on nous
annonce sa naissance, sa mort, sa résurrection comme autant de faits accomplis
que nous rappellent à l’envi toutes les solennités chrétiennes. Combien donc
est grossière l’erreur de ceux
qui pensent que le changement des signes et des rites a dû changer la nature
des choses signifiées dont le rite prophétique promettait l’existence, et dont
le rite évangélique démontre l’accomplissement.
Fauste ajoute
encore : Si le Christ est l’auteur de ces paroles, examinons pourquoi il
les a dites. Est-ce pour adoucir la fureur des Juifs qui en le voyant fouler
aux pieds ce qu’ils regardaient comme saint ne croyaient pas devoir l’entendre
davantage ? Ou bien est-ce pour nous engager à nous soumettre au joug de
la loi, nous qui devions croire parmi les Gentils ? Si ce n’est pas l’une
de ces raisons, ce doit être l’autre, et en cela le Christ ne nous a pas induit
en erreur. Il y a en effet trois sortes de loi, la première est celle des
Hébreux, que saint Paul appelle loi de péché et de mort ; la seconde, la
loi des Gentils, qu’il appelle naturelle, en disant : « Les nations font naturellement ce que la loi leur commande ; »
la troisième, la loi de vérité appelée par saint Paul : « La loi de
l’esprit de vie. » Il en est de même des prophètes : il y a les
prophètes des Juifs, qui sont connus ; les prophètes des Gentils, dont
saint Paul écrivait : « Un de leurs compatriotes et leur prophète a
dit. » Enfin les prophètes de la vérité, dont le Christ a dit :
« Je vous envoie des sages et des prophètes. » Or, s’il avait parlé
des observances judaïques dans le dessein de nous les faire accomplir, nul
doute qu’il ne fût ici question de la loi des prophètes des Juifs. Mais il ne
rappelle ici que des préceptes plus anciens : « Vous lie tuerez pas,
vous ne commettrez pas d’adultère, » qui furent autrefois promulgués par
Enoch, par Seth et par d’autres justes ; il est donc évident qu’il veut
parler ici de la loi et des prophètes de la vérité. Paraît-il au contraire
vouloir parler des préceptes judaïques ; c’est pour les déraciner
complètement, comme celui-ci : « Œil pour œil, dent pour dent. »
— Saint Augustin répond : On voit clairement quelle est cette loi, quels
sont ces prophètes que Jésus-Christ n’est pas venu détruire, mais
accomplir : c’est la loi qui a été donnée par Moïse. C’est une erreur de
dire, comme Fauste, que le Seigneur est venu accomplir certains préceptes, ceux
qui avaient été transmis par les anciens justes avant la loi, comme
celui-ci : « Vous ne tuerez pas ; » tandis qu’il en a détruit certains autres qui étaient propres à la
loi mosaïque (comme celui-là : « œil pour œil, dent pour
dent »), car nous tenons pour vrai que ces derniers préceptes ont été
parfaitement conformes au temps où ils furent établis, et que le Christ ne les
a pas détruits, mais accomplis, comme nous le prouverons pour chacun d’eux.
C’est ce que ne comprenaient pas non plus ces hérétiques appelés Nazaréens,
qui, persévérant dans cette croyance perverse, voulaient forcer les Gentils
convertis à judaïser.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Comme
tous les événements qui devaient se passer depuis le commencement jusqu’à la
fin du monde, étaient allégoriquement prophétisés dans la loi, Notre-Seigneur
pour éloigner cette pensée que Dieu aurait pu ignorer par avance quelques-uns
de ces événements, ajoute : « Il ne peut se faire que le ciel et la
terre passent avant que tout ce qui a été prédit dans la loi ne soit accompli
et réalisé ; c’est le sens de ces paroles : « Je vous le dis en
vérité ; le ciel et la terre ne passeront point que tout ce qui est dans
la loi, jusqu’à un seul iota et à un seul point, ne soit accompli
parfaitement. »
Remi. Le mot amen est un mot hébreu qui signifie en
latin, vraiment, exactement, ou ainsi
soit-il. Le Seigneur emploie cette expression pour deux raisons, ou à cause de
la dureté de cœur de ceux qui étaient lents à croire, ou pour avertir ceux qui
croyaient de prêter une attention plus profonde à ce qui allait suivre. — S. Hil. (Can. 4.) En s’exprimant de la sorte : « Jusqu’à ce que
le ciel et la terre pussent, » il
déclare que le ciel et la terre, qui sont les principaux éléments de la création,
seront dissous comme nous le croyons nous-mêmes. — Remi. Ils demeureront quant à leur substance, mais ils
passeront en ce sens qu’ils seront renouvelés. — S. Aug. (serm. sur la
mont.) Par ces paroles : « Un
seul iota ou un seul point de la loi
ne passera » le Sauveur exprime
avec énergie la perfection qui est renfermée dans chacune des lettres de la
sainte Écriture. Parmi ces lettres la plus petite est l’iota, qui s’écrit d’un seul trait. Le point est un petit signe
qui surmonte l’iota à son sommet. En
s’exprimant ainsi, le Seigneur nous apprend que dans la loi les petites choses
doivent être accomplies avec soin. — Rab.
C’est avec un dessein marqué qu’il emploie l’iota grec, et non l’iota des
Hébreux, car l’iota exprime le nombre
dix et par là même le nombre des préceptes du Décalogue dont l’Évangile est le
point extrême et le plus haut degré de perfection.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Si un
homme ami de la vérité ne peut s’empêcher de rougir lorsqu’on surprend un
mensonge sur ses lèvres, et si l’homme sage ne promet jamais rien qu’il ne
l’exécute, comment les paroles divines pourront-elles demeurer sans
effet ? Et c’est pour cela qu’il conclut en disant : « Quiconque
violera un de ces commandements les plus petits de tous et enseignera aux
hommes à les violer, sera regardé comme le dernier dans le royaume de
Dieu. » Le Seigneur nous fait entendre clairement, ce me semble, quels
sont ces commandements les moindre de tous, en disant : « Celui qui
violera l’un de ces moindres commandements, » c’est-à-dire, ceux dont je
vais parler. — S. Chrys. (hom. 16.) Ce n’est point des lois
anciennes qu’il veut parler ici, mais des préceptes qu’il devait lui-même
imposer ; il les appelle les plus petits quoique de la plus grande
importance, par ce même sentiment d’humilité avec lequel il s’est si souvent
exprimé sur son propre compte. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Ou bien
autrement, les commandements de Moïse, « Vous ne tuerez pas, vous ne
commettrez pas d’adultère, » sont d’un accomplissement facile, car
l’énormité du crime effraie et arrête la volonté ; aussi la récompense
qu’ils promettent est minime, bien que le crime qu’ils défendent soit grand.
Les commandements du Christ au contraire : « Vous ne vous mettrez pas
en colère, vous ne convoiterez pas, » sont difficiles à observer, et par
la même raison, la récompense qui les sanctionne est grande, bien que ce qu’ils
défendent soit léger. Il s’agit donc ici de ces préceptes du Christ :
« Vous ne vous mettrez pas en colère, vous ne convoiterez pas. » Ceux qui commettent ces fautes légères
seront les derniers dans le royaume de Dieu ; c’est-à-dire celui qui se
sera mis en colère sans commettre un grand péché, n’aura pas à craindre la
peine de la damnation éternelle, mais il ne partagera pas la gloire de ceux qui
auront observé ces commandements de moindre importance. — S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 1, chap. 15, 16 ou 8.) Ou bien, au
contraire, ces moindres commandements sont ceux de la loi ancienne, et ce sont
les préceptes que le Christ va promulguer qui sont de la plus haute importance.
Ces préceptes moindres que les autres sont indiqués ici par l’iota et par le point, celui-là donc qui les viole et qui enseigne aux autres à les
violer de même sera appelé le dernier dans le royaume de Dieu. Et peut-être
même n’entrera-t-il pas dans ce royaume des cieux, ou Dieu n’admet que ceux qui
sont vraiment grands.
La Glose. Violer la loi,
c’est ne pas faire ce qu’ordonne la loi bien comprise, ou ne pas comprendre la
fausse interprétation qu’on lui donne, ou détruire dans quelqu’une de ses
parties l’ensemble des commandements ajoutés par le Christ.
S. Chrys. (hom. 16.) Ou
bien dans ces paroles : « Il sera appelé le dernier dans le royaume
des cieux, il ne faut voir autre chose que le supplice de la damnation
éternelle. En effet, dans le langage ordinaire du Sauveur, le royaume des cieux
ne signifie pas seulement la jouissance du bonheur éternel, mais le temps de la
résurrection, et l’avènement terrible du Christ. — S. Grég. (hom. 12 sur les Evang.) Ou bien par le Royaume
des cieux il faut entendre l’Église où tout docteur qui viole un commandement
de la loi est regardé comme le dernier, car celui dont la conduite est
méprisable, comment peut-il empêcher que son enseignement ne soit
méprisé ? — S. Hil. (can. 4.) Ou bien, par ces moindres
choses, le Seigneur fait allusion à sa passion et à sa croix ; celui qui
par une fausse honte ne les confessera pas hautement, sera le plus petit,
c’est-à-dire le dernier, et presque rien. Le Sauveur promet au contraire la
gloire magnifique des cieux à celui qui ne rougira pas de les confesser ;
c’est pour cela qu’il ajoute : « Mais celui qui fera et enseignera
sera appelé grand dans le royaume des cieux. » — S. Jér. Le
Seigneur flétrit ici la conduite des Pharisiens qui, n’ayant que du mépris pour
les commandements de Dieu, leur substituaient leurs propres traditions, et il
leur apprend que l’enseignement qu’ils donnent au peuple perd tout son prix,
s’ils détruisent le plus petit commandement de la loi. Voici encore une autre
explication : c’est que la science
du maître, ne fût-il esclave que d’une faute légère, le fait descendre de la
place élevée qu’il occupait ; c’est qu’il ne sert de rien d’enseigner la
justice si on la détruit en même temps par la moindre faute ; c’est qu’on
n’est souverainement heureux qu’en traduisant dans sa conduite les
enseignements que l’on donne aux autres. — S. Aug.
On bien encore, celui qui violera les plus petits des commandements de
la loi, et qui enseignera à les violer, sera appelé le dernier ; celui au
contraire qui accomplira ces moindres commandements, et qui enseignera à les
accomplir, ne devra pas être regardé comme grand, mais il sera toutefois
au-dessus de celui qui les viole. Celui-là seul sera vraiment grand qui
pratiquera et enseignera ce que le Christ enseigne.
S. Hil. (can. 4.) Dans ce
magnifique début le Sauveur s’élève bien au-dessus de la loi ancienne ; il
déclare aux apôtres que l’entrée du ciel leur est fermée, si leur justice n’est
supérieure à celle des Pharisiens ; c’est le sens de ces paroles :
« Je vous le dis en vérité, à moins
que votre justice ne soit plus abondante, etc. — S. Chrys. (hom. 16.)
La justice dont il parle ici est la réunion de toutes les vertus, pour la
pratique desquelles il faut ajouter le secours de la grâce : car le Sauveur
veut que ses disciples, tout grossiers qu’ils sont encore, se montrent plus
vertueux que les docteurs de la loi ancienne. Il ne dit pas que les Scribes et
les Pharisiens sont des hommes d’iniquité, puisqu’il parle de leur justice.
Remarquez aussi qu’il confirme la vérité de l’Ancien Testament, par la
comparaison qu’il en fait avec le Nouveau ; ils ne différent que du plus
du moins, et sont du même genre. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Les justices des Scribes et des Pharisiens sont les
commandements donnés par Moïse, et les commandements de Jésus-Christ sont le
parfait accomplissement des premiers. Voici donc le sens des paroles du
Sauveur : « Celui qui indépendamment des commandements de la loi
n’accomplira pas ceux que je donne moi-même, quelque peu importants qu’ils lui
paraissent, celui-là n’entrera pas dans le royaume des cieux ; » car les commandements de Moïse
délivrent bien de la peine portée contre les transgresseurs de la loi, mais ils
ne peuvent introduire dans le royaume des cieux, tandis que mes commandements
délivrent du châtiment et tout à la fois donnent entrée dans le royaume des
cieux. Mais puisqu’il est certain que violer ces moindres commandements et ne
pas les observer est une seule et même chose, pourquoi est-il dit plus haut que
celui qui les viole sera appelé le dernier dans le royaume de Dieu, tandis que
nous voyons ici que celui qui ne les garde pas n’entrera point dans le royaume
des cieux ? Je réponds à cela qu’être le dernier dans le royaume, ou n’y
pas entrer reviennent au même, et qu’être simplement du royaume, ce n’est pas
régner avec le Christ, mais faire seulement partie de son peuple. Il veut donc
dire que celui qui viole ces commandements sera du nombre des chrétiens, mais
relégué au dernier rang ; celui au contraire qui entre dans le royaume
devient participant de la royauté du Christ : par conséquent, celui qui
n’y entre pas n’a point de part à cette gloire, mais il est cependant de son
royaume, en ce sens qu’il est du nombre de ceux sur lesquels règne le Christ,
le roi des cieux.
S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 20, chap. 9.) On peut encore donner cette
explication : « Si votre justice n’est plus abondante que celle des
Scribes et des Pharisiens qui n’observent pas ce qu’ils enseignent, et dont il
est dit ailleurs : « Ils disent et ne font pas ; »
c’est-à-dire si votre justice n’atteint ce degré de perfection non-seulement de
ne pas violer, mais de pratiquer ce que vous enseignez, vous n’entrerez pas
dans le royaume des cieux. Il faut donc entendre dans un sens différent le
royaume des cieux, là où nous rencontrons ces deux sortes de personnes, celui
qui transgresse ce qu’il enseigne, et celui qui le pratique, l’un appelé le
plus petit, et l’autre grand ; ce royaume c’est l’Église actuelle. Au
contraire le royaume des cieux dans lequel n’entre que celui qui observe les
commandements c’est l’Église telle qu’elle existera dans le siècle à venir. —
S. Aug. (cont. Faust. liv. 9 et 10.)
Je ne sais si on pourrait trouver nommé une seule fois dans l’Ancien
Testament ce royaume de Dieu dont il est si souvent question dans les discours
du Seigneur. C’est une des révélations propres au Nouveau Testament, et cette
révélation était réservée aux lèvres de ce roi dont l’Ancien Testament figurait
l’empire sur ses serviteurs. Cette fin à laquelle doivent se rapporter les
commandements demeurait voilée sous l’ancienne loi, bien que les Saints qui la
voyaient révélée dans l’avenir, en faisaient dès lors la règle de toute leur
vie. — La Glose. Ou bien encore
ces paroles : « Si votre
justice n’est plus abondante, » ne
se rapportent pas à ce que prescrivait l’ancienne loi, mais à la manière dont
les Scribes et les Pharisiens l’interprétaient. — S. Aug. (cont. Faust. liv.
19, chap. 28.) Presque tous les préceptes que le Sauveur fait précéder de ces
mots : « Mais moi, je vous dis, »
se trouvent dans les livres de l’Ancien Testament ; mais comme les
Pharisiens ne comprenaient sous la défense de l’homicide que le seul fait de la
mort donnée au prochain, le Seigneur leur découvre que tout mouvement de haine
qui tend à nuire à notre frère fait partie du péché d’homicide. C’est pourquoi
il ajoute : « Vous avez appris
qu’il a été dit aux anciens : Vous ne tuerez pas. » S. Chrys. (sur S. Matth.) Le Christ voulant montrer qu’il est le même Dieu
qui avait promulgué les préceptes de la loi ancienne, et qui donne ceux de la
loi de grâce, pose en tête de ses préceptes ceux qui dans l’ancienne loi se
trouvaient avant tous les autres, c’est-à-dire les préceptes prohibitifs qui
ont pour objet le prochain.
S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 20.) De ce qu’il est écrit : Vous ne
tuerez pas, nous ne concluons pas que c’est un crime d’arracher un arbrisseau,
erreur grossière des Manichéens ; nous n’appliquons pas non plus ce
précepte aux animaux sans raison ; car en vertu de l’ordre plein de
sagesse établi par le Créateur, leur vie comme leur mort sont soumises à nos
besoins. C’est donc de l’homme qu’il faut entendre ces paroles : « Vous ne tuerez pas ; » vous
ne tuerez pas un autre, vous ne vous tuerez pas vous-même ; car celui qui
se donne la mort, que fait-il d’autre chose que de donner la mort à un
homme ? N’allons pas voir non plus une violation de ce précepte dans la
conduite de ceux qui ont fait la guerre par l’ordre de Dieu, ou qui
dépositaires du pouvoir public ont usé de leur autorité pour prononcer contre
des scélérats la juste sentence qui les condamnait à mort. Abraham lui-même qui
voulut mettre à mort son fils pour obéir à Dieu, non-seulement n’est pas accusé
de cruauté ; mais l’Écriture fait le plus grand éloge de sa foi et de sa
religion. Il ne faut donc pas comprendre dans ce précepte ceux que Dieu
commande de mettre à mort, ou par une loi générale, ou dans un cas particulier,
par un ordre exprès et transitoire. On ne peut non plus considérer comme
homicide celui qui prête son concours à l’exécution d’un ordre légitime, pas
plus que celui qui donne son appui au magistrat qui porte le glaive ; et
on ne peut excuser autrement Samson de s’être enseveli avec ses ennemis sous
les ruines de la maison où il se trouvait, qu’en disant qu’il obéit en cela à
l’inspiration secrète de l’Esprit qui avait opéré par lui tant de prodiges.
S. Chrys. (hom. 19.) Par
cette formule : « Il a été dit aux anciens, » le
Sauveur nous apprend qu’il y avait bien longtemps que ce commandement avait été
donné aux Juifs. Il s’exprime ainsi pour entraîner vers des préceptes plus
élevés, les esprits lents qui l’écoutaient, comme un maître qui voulant
stimuler un enfant paresseux par le désir d’une instruction supérieure lui
dirait : Vous avez perdu beaucoup de temps à épeler. Or le Seigneur
ajoute : « Mais moi je vous
dis que quiconque se mettra en colère contre son frère, méritera d’être
condamné par le jugement. » Remarquez dans ces paroles la puissance du
législateur ; aucun des anciens n’avait parlé de la sorte, mais ils
s’exprimaient ainsi : « Le
Seigneur a dit. » Ils parlaient comme des serviteurs qui portent les
ordres de leur maître ; Jésus-Christ parle comme le fils qui commande au
nom de son père et en son propre nom. Ils annonçaient les ordres de Dieu à ceux
qui étaient comme eux les serviteurs de Dieu ; Jésus-Christ imposait ses
lois à ses propres serviteurs. — S. Aug.
(Cité de Dieu, liv. 9, chap. 10.) Il y a parmi les philosophes deux
opinions sur les passions de l’âme. Les Stoïciens ne veulent pas qu’un sage
puisse y être accessible ; les Péripatéciens admettent que le sage peut les éprouver, mais modérées
toutefois et soumises à la raison, comme lorsque le sentiment de la compassion
est tellement tempéré qu’il sauvegarde les droits de la justice. (Et au commencement du chap. 5.) D’après
les principes de la doctrine chrétienne, il est moins question de savoir si une
âme pieuse peut se livrer au sentiment de la colère ou de la tristesse, que de
connaître la source de ces impressions. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Celui qui se met en
colère sans raison est coupable ; si sa colère est motivée, il cesse de
l’être, car sans cette irritation légitime, la doctrine ne fait aucun
progrès ; la justice n’a point de stabilité ; les crimes ne sont
point réprimés. Celui donc qui ne se met pas en colère lorsqu’il le doit,
commet une faute, car la patience qui est déraisonnable devient la source de
tous les vices, nourrit la négligence, et porte directement au mal,
non-seulement les mauvais, mais les bons eux-mêmes.
S. Jér. Dans quelques exemplaires, on lit
ces mots : sans cause, mais dans
les plus exacts, la pensée est claire, et la colère est tout à fait défendue,
car s’il nous est ordonné de prier pour nos persécuteurs, quelle occasion nous
reste-t-il de nous mettre en colère ? Il faut donc supprimer cette
addition : « Sans cause, » car « la colère de l’homme n’opère pas la justice de Dieu. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cependant
la colère qui a une cause légitime n’est pas colère, mais jugement, car la
colère proprement dite est une émotion produite par la passion. Or, lorsque la
colère a une cause raisonnable, elle n’est plus le fruit de la passion, et
alors ce n’est plus de la colère, mais du jugement. — S. Aug. (liv. 1 des Rétract., chap. 19.) Nous disons encore qu’il faut considérer
attentivement ce que c’est que la colère contre son frère, car ce n’est pas se
mettre en colère contre son frère que de s’irriter du mal qu’il a commis.
Celui-là donc se met en colère sans raison, qui s’emporte contre son frère et
non contre le péché dont il s’est rendu coupable. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv.
14, chap. 5.) Aucun homme raisonnable ne blâmera qu’on se mette en colère
contre son frère pour le ramener au bien. Ces mouvements qui sont produits par
l’amour de la vertu et par la sainte charité ne doivent pas être considérés
comme des vices, puisqu’ils sont conformes à la droite raison. — S. Chrys. (sur S. Matth.) D’ailleurs
je pense que Notre-Seigneur Jésus-Christ ne parle pas ici de l’irritation qui
vient du sang, mais de la colère qui a sa source dans l’âme, car on ne peut
commander au sang de ne pas se troubler. Lorsque donc un homme irrité ne cède
pas aux inspirations de la colère, ce n’est pas l’âme, c’est l’homme extérieur
et sensible qui est irrité. — S. Aug. Dans cette première partie, il n’est
question que d’une seule chose, de la colère ; dans la seconde, le Sauveur
condamne à la fois la colère et les paroles qui en sont l’expression :
« Celui, » continue-t-il,
« qui dira à son frère : Raca,
méritera d’être condamné par le conseil. » Il en est qui veulent tirer du grec l’étymologie de ce mot raca, et comme racos (ρακος) en grec signifie haillons,
ils en concluent que ce mot veut dire : couvert de haillons. Mais il est
plus probable que ce mot n’a aucune signification déterminée, et qu’il exprime
simplement le mouvement d’une âme pleine d’indignation. Les grammairiens
appellent ces sortes de mots interjections, comme lorsqu’un homme dans la
douleur s’écrie : hélas ! — S. Chrys.
(homél. 16.) Ou bien raca est un terme de mépris et de
dédain ; cette locution correspond à celle dont nous nous servons en
parlant à nos serviteurs ou à des personnes plus jeunes que nous :
« Va-t’en toi, va le lui dire, toi. » C’est ainsi que le Seigneur veut déraciner jusqu’aux moindres
effets de la colère, et qu’il nous ordonne d’avoir les uns pour les autres les
plus grands égards. — S. Jér. Ou
bien raca est un mot hébreu qui
signifie sans valeur, esprit vide et
qui équivaut à cette expression injurieuse : sans cervelle que nous n’oserions employer. C’est avec intention
qu’il ajoute : « Celui qui
dira à son frère. » Car nul ne peut être notre frère sans avoir le
même père que nous. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est une indignité de
dire à un homme qu’il n’a rien en lui, alors que son âme est le temple de
l’Esprit saint. — S. Aug. La troisième partie de ce
précepte comprend trois choses, la colère, les paroles qui la manifestent,
l’outrage qu’elles expriment : « Celui
qui dira à son frère vous êtes un fou, sera passible du feu de l’enfer. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) Il y a donc divers degrés dans ces péchés que
la colère nous fait commettre : le premier est de se mettre en colère,
tout en comprimant le mouvement de la colère dans son cœur ; si
l’agitation intérieure se trahit par une parole qui ne signifie rien, mais dont
l’éclat seul atteste l’irritation de l’âme, il y a un degré de plus que dans la
colère dont le mouvement est réprimé par le silence. Mais on est bien plus
coupable encore si l’on s’emporte à des paroles évidemment outrageantes. — S. Chrys. (sur S. Matth.) De même qu’on ne peut appeler esprit vide celui qui possède l’Esprit saint, on ne peut appeler insensé celui qui connaît Jésus-Christ.
Mais si le mot raca a le même sens
que vide, c’est donc une même chose
de dire, insensé et raca. Oui, mais ces deux mots diffèrent
dans l’intention de celui qui les profère : le mot raca chez les Juifs était une expression en usage qu’ils
employaient non pas sous l’impression de la colère ou de la haine, mais par un
vain mouvement de présomption plutôt que par un sentiment de colère. Mais si la
colère n’y a aucune part, pourquoi est-ce un péché ? Parce que c’est une
expression qui favorise la dispute plutôt que l’édification, car si nous ne
devons pas prononcer même une bonne parole, à moins qu’elle ne soit utile,
combien plus devons-nous nous interdire ce qui est tout à fait mal en
soi ?
S. Aug. (serm. sur la mont.) Voici donc trois degrés de culpabilité qui
nous rendent passibles du jugement, du conseil, du feu de l’enfer, et par
lesquels le Sauveur nous fait monter de ce qui est léger à ce qui est plus
grave. Dans le jugement, en effet, on peut encore se défendre ; mais au
conseil, il appartient de prononcer la sentence définitive, après que les juges
ont conféré entre eux sur le châtiment qu’ils doivent infliger au
coupable ; dans la géhenne du feu, la condamnation est certaine aussi bien
que le châtiment de celui qui est condamné. On voit donc la différence qui
existe entre la justice des pharisiens et celle de Jésus-Christ : d’un
côté l’homicide seul rend passible du jugement, de l’autre il suffit d’un
simple mouvement de colère qui est le plus faible des trois degrés dont nous
avons parlé. — Rab. Par le mot de
géhenne, le Sauveur veut exprimer ici
les tourments de l’enfer. On croit que ce nom vient d’une vallée consacrée aux
idoles, près de Jérusalem, qui était remplie de cadavres, et que Josias livra à
la profanation, comme nous le lisons au livre des Rois (4 R 23, 10). — S. Chrys. (hom. 10.) C’est pour la première fois que le Sauveur prononce le
mot d’enfer, et il ne le fait qu’après avoir parlé de son royaume, pour nous
apprendre que l’un est un don de son amour, tandis que l’autre n’est que la
punition de notre négligence et de notre lâcheté. Il en est beaucoup qui
regardent comme trop sévère cette peine infligée pour une seule parole ;
aussi quelques-uns voudraient-ils ne voir ici qu’une hyperbole. Mais je crains
qu’en nous abusant ici-bas sur le sens des paroles, nous ne nous réservions en
réalité le dernier supplice dans l’autre vie. Ne regardez donc pas ce châtiment
comme excessif, car les paroles sont pour la plupart des hommes le principe de
leurs crimes et de leurs châtiments. Que de fois, en effet, des paroles légères
ont conduit à l’homicide ou à la destruction de villes entières ! Et
d’ailleurs estimez-vous donc une faute légère que de traiter son frère de fou,
et de le dépouiller ainsi de la prudence, de l’intelligence, qui nous font ce que
nous sommes, et nous distinguent des animaux sans raison. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien il sera passible du conseil, c’est-à-dire
qu’il fera partie de ce conseil qui s’est déclaré contre le Christ,
interprétation qui est celle des Apôtres dans leurs canons. S. Hil.
(Can. 4.) Ou bien celui qui traite d’esprit vide son
frère qui est rempli de l’Esprit saint, méritera d’être traduit devant le
conseil des saints, qui, devenus ses juges, lui feront expier par une sentence
sévère l’outrage qu’il a fait à l’Esprit saint. — S. Aug. (serm. sur la
mont.) On me demandera peut-être quel supplice plus grave est réservé à
l’homicide, si le simple outrage est puni par le feu de l’enfer ; je
répondrai qu’il faut admettre divers degrés dans les supplices de l’enfer. — S.
Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien le jugement et le conseil sont des peines
de la vie présente, et l’enfer le châtiment de la vie future. Jésus donne le
jugement pour châtiment à la colère, pour montrer que s’il n’est pas possible à
l’homme d’être tout à fait sans passions, il est en son pouvoir de leur mettre
un frein ; et la raison pour laquelle il n’assigne pas à la colère de
châtiment déterminé, c’est qu’il ne veut point paraître l’interdire
entièrement. Il met ici le conseil par allusion au grand conseil des Juifs,
pour ne point passer toujours pour un novateur.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Dans ces trois sentences, il faut faire
attention aux mots qui sont sous-entendus. La première est complète et ne
laisse rien à désirer : « Celui qui se met en colère » (sans
cause selon quelques-uns) ; dans la seconde : « Celui qui dit à
son frère : raca. » il faut sous-entendre sans cause ; et dans
la troisième : « Celui qui dira : Vous êtes un insensé, »
il faut sous-entendre : « à son frère et sans cause ? »
C’est ainsi qu’on justifie l’Apôtre d’avoir appelé insensés (Ga 3, 3) les
Galates qu’il nomme ses frères, parce qu’il ne l’a pas fait sans raison.
S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 10
ou 20.) S’il n’est pas permis de se mettre en colère contre son frère, ni de
lui dire raca ou vous êtes un fou, à
plus forte raison est-il défendu de conserver quelque chose contre lui dans son
cœur, et de laisser changer en haine le premier mouvement d’indignation. Aussi
le Sauveur ajoute : « Si vous présentez votre offrande à l’autel, et
que vous vous souveniez que votre frère a quelque chose contre vous. » —
S. Jér. Il ne dit pas :
« Si vous avez quelque chose contre votre frère, » mais « si
votre frère a quelque chose contre vous, » pour vous montrer combien est
sévère et pressante la nécessité de la réconciliation. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Notre frère a quelque chose contre nous,
lorsque nous l’avons offensé ; nous avons quelque chose contre lui,
lorsque nous sommes nous-mêmes les offensés. Dans ce dernier cas, nous n’avons
pas à provoquer une réconciliation, vous n’irez pas en effet demander pardon à
celui qui vous a outragé, il suffit que vous lui pardonniez, comme vous désirez
que Dieu vous pardonne les fautes que vous avez commises. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si c’est lui qui vous a offensé, et que vous
fassiez les premières avances, votre récompense sera grande. — S. Chrys. (hom. 16) Si toutefois la charité fraternelle est un motif
insuffisant de réconciliation pour quelques-uns, qu’ils songent au moins à ne
pas laisser leur oeuvre imparfaite surtout dans le lieu saint :
« Laissez-là votre offrande devant l’autel, ajoute-t-il, et allez vous
réconcilier avec votre fière. » — S. Grég.
(sur Ezéchiel.) Dieu ne veut
donc pas recevoir le sacrifice des chrétiens divisés entre eux. Jugez de là
quel grand mal est la discorde, puisqu’elle force Dieu de rejeter le moyen
qu’il nous a donné pour effacer nos péchés.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Voyez la grandeur de la miséricorde de Dieu, il
préfère notre propre utilité aux honneurs qui lui sont dus ; l’union des
fidèles lui est plus chère que leurs offrandes ; tant qu’ils sont divisés
entre eux, ni leurs sacrifices ne sont acceptés, ni leurs prières exaucées. On
ne peut être l’ami intime de deux personnes ennemies entre elles, et Dieu
lui-même ne veut pas être l’ami des fidèles, tant qu’ils demeurent ennemis les
uns des autres. Nous ne pouvons donc rester fidèles à Dieu, en aimant ses
ennemis, en détestant ses amis. Or la réconciliation doit être de même nature
que l’offense qui a précédé. S’est-elle bornée à une simple pensée,
réconciliez-vous intérieurement ; avez-vous offensé votre frère par des
paroles injurieuses, réconciliez-vous par des paroles charitables ;
avez-vous été jusqu’à des actes outrageants, opposez-leur pour vous réconcilier
des actes contraires, car la pénitence et la réparation doivent avoir le même
caractère que le péché qui a été commis. — S.
Hil. (can. 4.) La paix étant assurée avec le prochain, le Sauveur nous
ordonne de reprendre l’oeuvre de la paix avec Dieu ; il veut que nous nous
élevions de l’amour de nos frères jusqu’à l’amour de Dieu, et c’est pour cela
qu’il ajoute : « Alors vous viendrez offrir votre don. »
S. Aug. (serm. sur la mont.) Si cette recommandation doit être prise au
littéral, on est fondé à croire qu’elle n’est possible qu’autant que notre
frère est présent, car ce n’est pas une chose qu’on puisse traîner en longueur,
puisqu’on vous commande de laisser votre offrande devant l’autel. Or, si cette
pensée vous vient lorsque votre frère est absent, et ce qui peut arriver, au
delà des mers, il serait absurde de croire qu’il faille laisser le sacrifice
devant l’autel pour le continuer après avoir parcouru les terres et les mers.
Nous sommes donc obligés de recourir au sens spirituel et caché de ces paroles
pour échapper à une pareille absurdité. Ainsi nous pouvons entendre
spirituellement l’autel de la foi, car quelque offrande que nous puissions
faire à Dieu, science, prière ou toute autre chose, elle ne peut lui être
agréable sans avoir la foi pour appui. Si donc vous vous êtes rendus coupables
de quelque offense envers votre frère, il vous faut aller au-devant de la
réconciliation, non par les pas du corps, mais par l’élan du cœur. C’est là que
vous devez vous prosterner aux pieds de votre frère dans un profond sentiment
d’humilité, en présence de celui à qui vous devez offrir votre sacrifice. C’est
ainsi qu’agissant en toute sincérité, vous pourrez apaiser votre frère et lui
demander votre pardon, comme s’il était présent. Vous reviendrez ensuite,
c’est-à-dire vous ramènerez votre intention sur l’oeuvre que vous aviez
commencée, et vous offrirez votre sacrifice.
S. Hil. (can. 4.) Le
Seigneur ne veut pas qu’il y ait un seul instant de notre vie où ne nous professions
un vif amour pour la paix. Il nous commande donc de nous réconcilier au plus
tôt avec notre ennemi, tandis que nous sommes dans le chemin de la vie, afin de
ne pas arriver au moment de la mort sans avoir fait la paix :
« Accordez-vous promptement avec votre adversaire, nous dit-il, pendant
que vous êtes en chemin avec lui, de peur que votre adversaire ne vous livre au
juge. — S. Jér. Dans le grec, au
lieu du mot consentiens (qui est
d’accord), qui se trouve dans les exemplaires latins, ou lit :
ευνοων, bienveillant.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Examinons quel est cet adversaire que Dieu
nous ordonne de traiter en ami : c’est ou le démon, ou l’homme, ou la
chair, ou Dieu, ou son commandement. Quant au démon, je ne vois pas comment
nous serions obligés de lui témoigner de la bienveillance ou du bon
accord ; car la bienveillance suppose l’amitié, et personne n’oserait dire
que nous devions rechercher celle du démon. Nous serait-il plus avantageux de
faire la paix avec celui à qui nous avons renoncé et déclaré par là même une
guerre éternelle ? Enfin, aucun accord n’est possible avec celui qui ne
nous a plongés dans tous nos malheurs que par l’union qui existait entre nous
et lui. — S. Jér. Il en est
cependant qui prétendent que le Sauveur nous ordonne de nous montrer
bienveillant pour le démon, en ne l’exposant point aux nouveaux supplices que
Dieu lui inflige pour nous, disent-ils, toutes les fois que nous consentons à
ses funestes inspirations. Quelques autres avancent avec plus de réserve que
chacun de nous, en renonçant au démon dans le baptême, contracte un engagement
avec lui. Si nous sommes fidèles à
cet engagement, nous sommes, avec notre adversaire, dans les termes voulus de
la bienveillance et du bon accord, et nous n’avons pas à craindre d’être jetés
dans la prison.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Je ne vois pas non plus comment admettre que
nous serons livrés à notre juge par un homme, alors que ce juge est le Christ
devant le tribunal duquel nous devons tous comparaître. Comment cet homme
pourrait-il vous remettre entre les mains de votre juge, lui qui doit
comparaître lui-même devant son tribunal ? En supposant même qu’un homme
devienne l’adversaire de son frère en lui donnant la mort, il ne lui est plus
possible de faire la paix avec lui dans le chemin, c’est-à-dire pendant cette
vie, et cependant le repentir pourra guérir son âme. Je comprends beaucoup
moins encore qu’on nous ordonne de nous mettre d’accord avec la chair, car ce
sont surtout les pécheurs qui vivent en parfait accord avec elle. Ceux, au
contraire, qui la réduisent en servitude, ne s’accordent pas avec la chair,
mais la forcent de s’accorder avec eux. — S. Jér.
Comment d’ailleurs la chair serait-elle condamnée à la prison pour avoir
été en désaccord avec l’âme, puisque l’âme et la chair seront punies du même
supplice, et que la chair ne fait qu’obéir aux ordres de l’âme.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Peut-être est-ce avec Dieu qu’il nous est
ordonné de nous mettre d’accord, car le péché nous sépare de lui, et il devient
notre adversaire en nous résistant, selon cette parole : Dieu résiste aux
superbes (1 P 5 ; Jc 4, 6 ; Pv 3, 34). Tout homme donc qui, pendant
cette vie, ne se sera pas réconcilié avec Dieu par la mort de son Fils, sera
livré par lui au juge, c’est-à-dire au Fils à qui le Père a donné tout
jugement. Mais comment peut-on dire avec quelque raison que l’homme se trouve
dans le chemin avec Dieu, si ce n’est parce que Dieu est partout ?
Éprouvons-nous quelque difficulté à dire que les impies sont avec Dieu, qui est
partout, comme à dire que les aveugles sont avec la lumière qui les
environne ? Il ne nous reste plus qu’à voir dans cet adversaire le
commandement de Dieu, qui se montre contraire à ceux qui veulent pécher. Ce
commandement nous a été donné pour nous diriger dans le chemin de la vie ;
il ne faut point tarder à nous accorder avec lui, en le lisant, en l’écoutant
avec attention, en lui donnant sur nous une souveraine autorité. Si nous
comprenons en partie ce précepte, nous ne devons pas le haïr, parce qu’il est
contraire à nos péchés, mais nous devons l’en aimer davantage, parce qu’il nous
fait rentrer dans le devoir et prier Dieu de nous révéler ce qui lui reste
d’obscur pour nous.
S. Jér.
Cependant les antécédents démontrent avec évidence, ce nous semble, que
le Seigneur veut nous parler ici de l’union produite par la charité
fraternelle, puisqu’il est dit plus haut : « Allez vous réconcilier
avec votre frère. » — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Le Seigneur nous
presse de nous hâter pendant cette vie de rechercher l’amitié de nos ennemis,
car il sait quel danger nous courons, si l’un d’eux vient à mourir avant que
nous ayons fait la paix avec lui. Si la mort vous surprend et que vous
paraissiez devant votre juge dans cet état d’inimitié, votre ennemi vous
livrera au Christ et vous convaincra de crime devant son tribunal. Vous eût-il
demandé d’abord comme une grâce de vous réconcilier, il ne laissera pas de vous
livrer entre les mains du juge, car celui qui prie son ennemi de lui accorder
la paix augmente sa culpabilité aux yeux de Dieu. — S. Hil. Ou bien votre adversaire vous livrera au juge, parce que
cette haine secrète que vous faites peser continuellement sur lui, sera votre
accusateur devant Dieu. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ce juge, à mon
avis, c’est le Christ, car le Père a donné tout jugement au Fils. (Jn 5, 23.) Le ministre, c’est l’ange de la justice de Dieu ;
« Et les anges, dit l’Évangéliste, le servaient. » (Mt 4.) Nous croyons en effet qu’au jour
du jugement les anges formeront son cortège. Voilà pourquoi il ajoute :
« Et que le juge ne vous livre au ministre. »
S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore ce ministre, c’est l’ange redoutable
du châtiment, et c’est lui qui vous enverra dans le cachot de l’enfer signifié
par ces paroles : « Et vous serez jeté en prison. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) La prison, ce sont les peines des ténèbres,
et, dans la crainte que vous ne méprisiez ce supplice, il ajoute : Je vous
le dis en vérité, vous ne sortirez point de là que vous n’ayez payé jusqu’à la
dernière obole. » — S. Jér. L’obole
est une pièce de monnaie qui vaut environ deux liards, la plus petite espèce de
monnaie, et ces paroles du Sauveur veulent dire : « Vous n’en
sortirez pas que vous n’ayez expié vos fautes les plus légères. » — S. Aug. Ou bien Notre-Seigneur emploie ces
expressions pour nous marquer que rien ne reste impuni ; c’est ainsi que
nous disons d’une chose exigée jusqu’à la rigueur, qu’on a été jusqu’à la lie.
Ou bien cette dernière obole signifie peut-être les péchés de la terre, car la
terre est la quatrième et la dernière partie des éléments de ce monde. Ces
paroles : « Que vous n’ayez payé » signifient la peine
éternelle, et l’expression jusqu’à ce que
doit être prise dans le même sens que dans cette autre phrase :
« Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous
servir de marchepied ; » car il est évident que son règne ne cessera
pas lorsque ses ennemis lui seront soumis. « Vous n’en sortirez pas que
vous n’ayez payé jusqu’à la dernière obole, » ce qui n’arrivera jamais,
car on y paiera tout, jusqu’à la dernière obole, tant que dureront les peines
éternelles dues aux péchés qui ont été commis sur la terre.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, si vous faites votre paix en ce
monde, vous pourrez recevoir le pardon des plus grands crimes, mais si vous
êtes une fois condamné et jeté en prison, vous serez puni, non-seulement pour
vos fautes les plus graves, mais pour une seule parole oiseuse qui peut être
signifiée par cette obole dont il est ici parlé. — S. Hil. La charité couvre la multitude des péchés ; nous
paierons donc jusqu’à la dernière obole si, à l’aide de cette divine charité,
nous n’acquittons pas les dettes de nos péchés.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, par cette prison, on peut entendre
les angoisses de ce monde auxquelles Dieu condamne ceux qui se livrent
habituellement au péché. — S. Chrys.
(hom. 16.) On peut dire enfin qu’il
est ici question des juges de la terre, du chemin qui conduit à leur tribunal
et des prisons d’ici-bas, car Notre-Seigneur veut produire la persuasion dans
ceux qui l’écoutent, non-seulement par les choses de l’éternité, mais aussi par
celles du temps, qui sont devant nos yeux et de nature à nous impressionner
davantage. C’est dans ce sens que saint Paul disait « Si vous avez mal
fait, craignez le pouvoir, car ce n’est pas sans raison qu’il est armé du
glaive. »
S. Chrys. (hom. 17 sur S. Matth.) Le Sauveur procède par ordre et après avoir développé le premier
précepte : « Vous ne tuerez pas ; » il passe au
second : « Vous savez qu’il a été dit aux anciens : « Vous
ne commettrez pas d’adultère. »
S. Aug. (Des dix cordes, chap. 3, 9, 10.) C’est-à-dire vous ne vous
approcherez pas d’une autre que de votre épouse. Vous exigez de votre épouse
qu’elle observe fidèlement cette loi et vous ne l’observeriez pas à son égard,
vous qui devez lui être supérieur en vertus ? Il est honteux pour un homme
de dire : Cela m’est impossible. Comment, ce que la femme peut faire,
l’homme ne le pourrait pas ? Et ne dites pas : Je n’ai pas d’épouse,
je vais trouver une courtisane, et je ne viole pas le précepte qui défend
l’adultère ; car vous savez ce que vous valez, vous savez ce que vous
mangez et ce que vous buvez, ou plutôt vous savez quel est celui qui devient
votre nourriture et votre breuvage. Abstenez-vous donc de toute fornication.
Par la fornication et par les débordements du libertinage, vous dégradez
l’image de Dieu que vous portez en vous-même. Aussi le Seigneur qui sait ce qui
vous est utile, vous commande de ne point laisser écrouler sous les coups
dissolvants des voluptés criminelles son temple qu’il a commencé d’élever dans
votre âme.
S. Aug. (contre Fauste, 19, 23.) Mais comme les Pharisiens pensaient que la
seule union charnelle avec la femme d’autrui était défendue sous le nom d’adultère,
le Seigneur leur apprend que le désir seul de cette union était un véritable
adultère : « Mais moi je vous dis que quiconque aura regardé une
femme pour la convoiter a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. Quant
à ce commandement de la loi : « Vous ne désirerez pas la femme de
votre prochain, » (Ex 20, 17 ; Dt 5, 21) les Juifs l’entendaient de
l’enlèvement de la femme d’autrui, et non de l’union charnelle.
S. Jér. Il y a cette différence entre la
véritable passion et le premier mouvement qui la précède, que la passion est
regardée comme un vice réel, tandis que ce premier mouvement, sans être
entièrement innocent, n’a cependant pas un caractère aussi criminel. Celui donc
qui, à la vue d’une femme, sent un mauvais désir effleurer son âme, éprouve les
premières atteintes de la passion ; s’il donne son consentement, la
passion naissante se change en passion consommée, et ce n’est pas la volonté de
pécher qui manque à cet homme, c’est l’occasion. Ainsi, quiconque voit une
femme pour la convoiter, c’est-à-dire la regarde dans l’intention de faire
naître ce désir criminel et de chercher à l’accomplir a commis en toute vérité
l’adultère dans son cœur. — S. Aug. (serm. sur la mont., 12 ou 13) Trois
choses concourent à la consommation du péché, la suggestion, la délectation, le
consentement. La suggestion vient de la mémoire ou des sens. Si l’on trouve du
plaisir dans l’idée de la jouissance, il faut réprimer cette délectation
criminelle ; si l’on y consent, le péché est complet. Cependant, avant le
consentement, la délectation est nulle ou légère, c’est un péché d’y consentir
lorsqu’elle est illicite ; si elle va jusqu’à la consommation de l’acte,
il semble que la passion soit rassasiée et comme éteinte. Mais que la
suggestion revienne de nouveau, la délectation renaît plus vive, bien qu’elle
soit moindre que celle qui se change en habitude, et qu’il est très difficile
de vaincre.
S. Grég. (Moral., liv. 21.) Celui dont les yeux s’égarent sans précaution sur les objets extérieurs,
tombe presque toujours dans la délectation du péché, et comme enchaîné par ses
désirs, il finit par vouloir ce qu’il ne voulait pas. C’est de tout son poids,
et il est bien lourd, que la chair nous entraîne vers les choses basses, et une
fois que notre cœur est lié à cette image de la beauté que les yeux lui ont
transmise, les plus grands efforts suffisent à peine pour l’en arracher. Il
nous faut donc veiller sur nous, et songer que nous ne devons pas regarder ce
qu’il nous est défendu de désirer. Voulons-nous conserver à notre cœur la
pureté de ses pensées, détournons les yeux de toute image voluptueuse et
sensuelle, sans quoi ils nous entraîneront infailliblement au crime.
S. Chrys. (hom. 17.) Si
vous voulez fixer continuellement vos regards sur de beaux visages vous serez
pris infailliblement, quand même vous échapperiez au mal deux ou trois fois,
car vous n’êtes pas supérieur à la nature humaine. Mais celui qui en regardant
une femme, allume dans son cœur une flamme coupable, conserve dans son âme même
en l’absence de cette femme, l’image d’actions que la pudeur réprouve, et il
finit presque toujours par s’y livrer. Si une femme de son côté, se pare dans
l’intention d’attirer sur elle les regards des hommes, elle se rend digne des
châtiments éternels, alors même qu’elle n’eût blessé personne de ses funestes
coups. En effet elle a composé du poison, quoiqu’elle n’ait trouvé personne
pour le boire. Ce que Jésus-Christ dit aux hommes, il le dit également aux
femmes, car en parlant au chef, il s’adresse à tout le corps.
La glose. Il ne suffit
pas seulement d’éviter le péché, il faut encore en faire disparaître
l’occasion ; aussi, après nous avoir enseigné à fuir non-seulement
l’adultère consommé, mais encore l’adultère intérieur, le Seigneur nous
enseigne à retrancher les occasions de péché, en ajoutant : « Si
votre oeil droit vous scandalise. »
S. Chrys. (sur S. Matth.) Si d’après le roi-prophète, il n’y a aucune partie
de notre chair qui soit saine, nous devons retrancher tous les membres de notre
corps pour égaler leur châtiment à leur malice. Mais voyons si nous devons
entendre ce passage de l’oeil ou de la main du corps. Lorsqu’un homme se
convertit à Dieu, il est entièrement mort au péché ; de même l’oeil lorsqu’il
renonce aux mauvais regards est affranchi du péché. Mais ce n’est pas la seule
difficulté, car que fait l’oeil gauche pendant que l’oeil droit vous
scandalise ? Tient-il une conduite différente pour être conservé comme
innocent. — S. Jér. Cet oeil
droit, cette main droite, signifient donc l’affection que nous avons pour des
frères, pour une épouse, pour des parents, pour des proches ; si elle
devient pour nous un obstacle à la contemplation de la vraie lumière, nous
devons retrancher ces parties si chères de nous-mêmes. — S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 43.) De même que l’oeil est la figure de la
contemplation, la main est la figure de l’action. L’oeil est encore pour nous
l’image d’un de nos amis les plus chers ; aussi ceux qui veulent exprimer
vivement leur affection disent-ils : Je l’aime comme l’un de mes yeux. Cet
ami dont l’oeil est la figure, est un ami de bon conseil, de même que l’oeil
sert à nous indiquer le chemin. C’est l’oeil droit probablement, pour faire
ressortir la force de l’amitié, car on craint bien davantage de perdre l’oeil
droit. Peut-être aussi par l’oeil droit, faut-il entendre l’ami qui nous
conseille dans l’ordre des choses divines, et par l’oeil gauche celui qui donne
des conseils sur les choses de la terre. Le sens serait donc : Quel que
soit celui que vous aimez à l’égal de votre oeil droit, s’il vous scandalise,
c’est-à-dire s’il est pour vous un empêchement au véritable bonheur,
arrachez-le et jetez-le loin de vous. Or il n’était pas nécessaire de parler de
l’oeil gauche qui scandalise, après avoir dit qu’il ne faut pas épargner l’oeil
droit. La main droite représente l’ami qui nous aide dans les oeuvres
spirituelles, la main gauche celui qui nous prête son concours dans les choses
de la vie présente.
S. Chrys. (sur S. Matth.) On peut dire aussi que Notre-Seigneur Jésus-Christ
veut que nous prenions garde non-seulement de nous exposer au danger personnel
de pécher, mais encore de laisser commettre des actions coupables par ceux dont
la conduite nous est confiée. Vous avez par exemple un ami qui voit et connaît
parfaitement vos affaires, comme votre oeil, ou qui les traite comme votre
propre main ; vous apprenez qu’il s’est rendu coupable d’une action
honteuse, chassez-le loin de vous, parce qu’il vous scandalise, car nous aurons
à rendre compte non-seulement de nos propres fautes, mais encore des fautes du
prochain que nous aurions pu empêcher. — S. Hil (Can. 4.) C’est donc ici un degré d’innocence plus parfait ;
nous devons non-seulement nous abstenir de tout péché personnel, mais encore
nous garantir de ceux qui peuvent se commettre autour de nous.
S. Jér. Ou bien encore, comme le Sauveur
parle plus haut du désir coupable que peut exciter la vue d’une femme, il prend
ici l’oeil pour la pensée et le sentiment qui s’égarent sur divers
objets ; la main droite et les autres parties du corps expriment les
premiers mouvements de la volonté et de la passion. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cet oeil du corps est le miroir de l’oeil
intérieur ; le corps a aussi un sens qui lui est propre, c’est l’oeil
gauche, et son appétit est figuré par la main gauche. Les facultés de l’âme
sont désignées par la droite, parce que l’âme a été créée avec le libre arbitre
et sous la loi de justice, pour juger et se conduire avec droiture. Le corps
qui n’a pas la liberté en partage, et qui est sous la loi du péché, nous est
représenté par la main gauche. Or on ne nous commande pas de retrancher les
sensations ou les appétits de la chair, car nous pouvons réprimer ses désirs et
ne pas les satisfaire, tandis que nous ne pouvons empêcher la chair de
manifester ces désirs. Lorsque de propos délibéré nous pensons, nous voulons le
mal, c’est notre sens droit, c’est notre volonté droite qui nous scandalise, et
il nous est commandé de les retrancher, ce que nous pouvons faire à l’aide du
libre arbitre. Ou bien encore dans un autre sens nous devons nous abstenir de toute bonne action qui devient
un scandale pour nous ou pour les autres. Ainsi je fais visite à une femme pour
un motif de religion, mon intention est bonne, c’est l’oeil droit. Mais si mes
visites trop assidues me font tomber dans le piége du désir, ou deviennent un
scandale pour ceux qui en sont témoins, c’est l’oeil droit qui scandalise,
c’est le bien qui scandalise, car l’oeil droit c’est le bon regard, c’est la
bonne intention, comme la main droite est la bonne volonté. — La Glose. On peut dire encore que
l’oeil droit c’est la vie contemplative qui peut devenir un objet de scandale
soit en nous jetant dans la paresse ou dans l’orgueil, soit parce que notre faiblesse nous empêche de nous élever jusqu’à
la pure vérité. La main droite figure les bonnes oeuvres ou la vie active qui
peut nous scandaliser en nous faisant tomber dans le piége que nous tendent la
fréquentation du monde et l’ennui des occupations. Que celui donc qui ne peut
goûter le bienfait de la vie contemplative ne se laisse pas gagner par la
langueur au milieu de la vie active, dans la crainte qu’en se livrant aux
occupations extérieures, il laisse se dessécher la douceur intérieure de son
âme.
Remi. Mais pourquoi
faut-il arracher l’oeil droit ; pourquoi faut-il couper la main
droite ? Le Sauveur nous en donne la raison. « Car il vaut mieux pour
vous qu’un de vos membres périsse. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Nous sommes les membres les uns des
autres, il vaut donc mieux pour nous que nous soyons sauvés sans telle bonne
intention, ou sans telle bonne oeuvre que de nous perdre avec toutes ces bonnes
oeuvres pour avoir voulu les accomplir toutes sans exception.
La Glose. Le Sauveur venait d’enseigner que l’on ne
devait pas désirer la femme de son prochain ; il défend ici de renvoyer sa
propre épouse : « Il a été dit : Quiconque renvoie son épouse
doit lui délivrer un acte de répudiation, » etc. — S. Jér. Plus tard le Sauveur expliquera
plus à fond ce passage, en faisant voir que si Moïse a commandé aux maris à
cause de la dureté de leur cœur de donner un acte de répudiation, ce n’est pas
pour légitimer le divorce, mais pour prévenir l’homicide. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Lorsque Moïse délivra les Israélites de l’Egypte,
ils étaient enfants d’Israël par leur naissance, mais Égyptiens par leurs
moeurs. Or par suite de ces moeurs idolâtres il arrivait souvent qu’un homme
concevait de la haine pour sa femme, et comme il ne lui était pas permis de la
renvoyer, il était porté ou à la mettre à mort, ou à la fatiguer de mauvais
traitements. Il fit donc une obligation au mari de donner un certificat de
répudiation, non comme d’une chose bonne en soi, mais comme d’un remède à un
mal plus grand. — S. Hil. (Can. 4.) Mais le Seigneur voulant
assurer à tous les bienfaits de l’équité, veut qu’elle règne surtout dans
l’union conjugale pour la paix des époux ; il ajoute donc : « Et
moi, je vous dis que quiconque aura renvoyé son épouse, » etc. etc. — S. Aug. (cont. Faust., 19, 26.) Le commandement que fait ici le Seigneur de
ne pas renvoyer son épouse, n’est pas contraire aux prescriptions de la loi,
comme le prétendent les Manichéens, car la loi ne disait pas : Que celui
qui le voudra renvoie son épouse (le contraire alors serait de ne pas la
renvoyer). Loin de vouloir le renvoi de la femme par le mari, la loi apportait
tous les retards possibles à cette mesure afin que les esprits trop prompts à
vouloir le divorce fussent arrêtés par la nécessité de l’acte de répudiation,
difficulté d’autant plus grande que chez les Juifs, il n’était permis de faire
les actes en langue hébraïque, qu’aux seuls Scribes qui faisaient profession
d’une sagesse plus parfaite (cf. Esd 7, 6.21). C’est donc aux Scribes que la loi renvoyait celui qui voulait se
séparer de sa femme, en leur ordonnant de donner l’écrit de répudiation, dans
l’espérance que leur entremise pacifique ramènerait la concorde entre les deux
époux, et que l’acte de répudiation serait inutile, à moins que leurs mauvaises
dispositions ne rendissent impossible tout moyen de réconciliation.
Notre-Seigneur n’accomplit donc pas ici, en y ajoutant, la loi donnée aux
premiers hommes ; il ne détruit pas davantage la loi donnée par Moïse, en
lui opposant une loi contraire, comme le disent les Manichéens ; mais il
confirme toutes les prescriptions de la loi hébraïque, et tout ce qu’il paraît
y ajouter personnellement ne tend qu’à en expliquer les obscurités, ou bien à
garantir plus sûrement l’observation de ses prescriptions.
S. Aug. (serm. sur la mont., 25.) En cherchant à entraver le renvoi de la
femme, Notre-Seigneur a fait comprendre autant qu’il a pu aux hommes les plus
durs, qu’il réprouvait le divorce. Pour confirmer ce principe que le renvoi
lui-même ne doit pas avoir lieu facilement, il ne lui reconnaît qu’un seul
motif, la seule cause de fornication : « Si ce n’est pour cause de
fornication. » Quant aux autres peines du mariage, quelque multipliées
qu’elles soient, il veut qu’on les supporte avec courage dans l’intérêt de la
foi conjugale. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si nous sommes obligés de supporter les défauts de ceux qui
nous sont étrangers, d’après ces paroles de saint Paul : « Portez les
fardeaux les uns des autres, » à combien plus forte raison les défauts de
nos épouses ? Or un chrétien doit non-seulement éviter ce qui peut
souiller son âme, mais encore ce qui serait pour les autres une occasion de se
souiller eux-mêmes, car alors le crime d’autrui viendrait s’ajouter à son
propre péché, parce qu’il en a été la cause directe. Celui donc qui en
renvoyant son épouse devient une cause d’adultère, en exposant sa femme et
celui qui la prend à commettre un double adultère, sera condamné lui-même pour
ces mêmes fautes : et c’est pour cela qu’il est dit : « Celui qui
renvoie son épouse la fait devenir adultère. » — S. Aug (serm.
sur la mont.) Plus loin Notre-Seigneur déclare également adultère l’homme
qui prend la femme renvoyée par son mari, eût-elle un écrit de
répudiation ; « celui : ajoute-t-il, qui prend la femme qui aura
été renvoyée, devient adultère. » — S. Chrys.
(hom. 47 sur S. Matth.) Ne dites donc pas que son mari l’a renvoyée, car même après ce renvoi, elle
ne cesse pas d’être son épouse.
S. Aug
(serm. sur la mont.) L’Apôtre a
déterminé les limites de ce précepte en déclarant qu’il a force de loi pendant
toute la vie du mari (1 Co 7, 39) ; mais après sa mort, la femme recouvre
le droit de se marier. S’il n’est pas permis à une femme de s’unir à un autre
du vivant du mari qu’elle a quitté, combien plus lui est-il défendu
d’entretenir avec n’importe qui un commerce criminel ? Ce n’est pas
d’ailleurs enfreindre le précepte qui défend de renvoyer son épouse que de la
garder chez soi en n’ayant avec elle que des relations toutes
spirituelles ; car les mariages où la continence est gardée d’un mutuel
accord sont les plus heureux. (chap. 16 ou
26.) Ici se présente une question : le Seigneur permet au mari de renvoyer
son épouse pour cause de fornication ; que faut-il entendre par là ?
Est-ce simplement la fornication dont on se rend coupable en se livrant à un
commerce infâme ? Ou bien est-ce cette fornication plus générale que les
Écritures appliquent à toute corruption criminelle de l’âme, comme l’avarice,
l’idolâtrie, et toute transgression de la loi produite par la concupiscence
qu’elle condamne ? Or si l’apôtre permet de renvoyer l’épouse infidèle,
quoiqu’il soit mieux de ne pas le faire (1 Co
7), et que d’un autre côté le Seigneur n’admette d’autre cause de renvoi
que la fornication, l’infidélité est donc une véritable fornication. Mais
puisque l’infidélité est une fornication, l’idolâtrie une infidélité, et
l’avarice une idolâtrie, nul doute que l’avarice elle-même ne soit une
véritable fornication. Et si l’avarice est une fornication, qui pourra ôter à
une concupiscence coupable, quelle qu’elle soit, le caractère de
fornication ? — S. Aug. (Retract. 1, 19). Je ne veux pas
cependant que, dans une matière aussi difficile, le lecteur croie que l’examen
que nous venons de faire de cette question doive lui suffire. En effet, tout
péché n’est pas une fornication spirituelle, et Dieu ne perd pas tout homme qui
l’offense, lui qui exauce tous les jours cette prière de ses Saints :
« Pardonnez-nous nos offenses, » tandis qu’il perd celui qui se rend
coupable de fornication à son égard (Ps 62, 27). Or est-il permis de renvoyer
son épouse pour une fornication de ce genre ? C’est une question fort
obscure : Quant à la fornication qui déshonore le corps il ne peut y avoir
de difficulté. — S. Aug. (Liv. des 83 Quest., Quest. dern.) Si l’on soutient que le Seigneur n’admet
d’autre cause de répudiation que la fornication qui consiste dans l’union
coupable des corps, on peut dire que cette défense s’applique aux deux époux,
de sorte qu’il n’est permis à aucun des deux de se séparer de l’autre, si ce
n’est pour cause d’adultère.
S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 16.) La permission que donne ici le
Seigneur de renvoyer une épouse coupable d’adultère s’étend encore au renvoi
qu’un mari fait de son épouse, au moment où il va être forcé de commettre un
adultère : car alors il la renvoie pour cause de double fornication ;
pour cause de fornication du côté de son épouse, parce qu’elle s’y est
livrée ; pour cause de fornication de son côté, afin de s’en préserver
lui-même. — S. Aug. (De la foi et des oeuvres, chap. 16.) Un
mari peut renvoyer aussi légitimement une femme qui lui dirait : Je ne
serai votre épouse qu’à la condition que vous m’enrichirez par le vol, ou qui
exigerait des jouissances qui feraient le crime et le déshonneur de son mari.
L’homme à qui sa femme tiendra un pareil langage n’hésitera pas, s’il est
vraiment chrétien, à retrancher ce membre qui le scandalise. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Mais c’est une souveraine injustice pour un
mari que de renvoyer sa femme pour cause de fornication s’il peut-être
convaincu d’être lui-même un fornicateur ; car alors il est sous le coup
de ces paroles : « En condamnant les autres, vous vous condamnez
vous-même. » Quant à ces autres paroles du Sauveur : « Et celui
qui épouse celle que son mari aura quittée commet un adultère, » on peut
demander si cette femme est coupable d’adultère au même degré que celui qui
l’épouse ; car l’Apôtre lui ordonne de rester sans se marier, ou de se
réconcilier avec son mari ; si elle en reste séparée, elle doit demeurer
libre de nouveaux liens. Or, il importe beaucoup de savoir si elle a quitté
d’elle-même son mari, ou si elle en a été renvoyée. Si c’est elle-même qui
s’est séparée de son mari et qu’elle en ait épousé un autre, elle paraît
n’avoir agi que par le désir de contracter un second mariage, désir qui est un
véritable adultère. Au contraire, a-t-elle été renvoyée par son mari, l’homme
et la femme s’unissant d’un commun consentement, on ne voit pas même dans ce
cas pourquoi l’un serait adultère, à l’exclusion de l’autre. Ajoutez que s’il y
a péché d’adultère pour celui qui s’unit à la femme renvoyée par son mari,
c’est elle-même qui le rend adultère, ce qui est formellement défendu par le
Seigneur.
La Glose. Le Seigneur
avait défendu précédemment toute injustice contre le prochain, la colère aussi
bien que l’homicide, le désir en même temps que l’adultère, et le renvoi de
l’épouse avec un acte de répudiation. Il défend maintenant toute injustice
contre Dieu, en interdisant non-seulement le parjure comme un mal, mais encore
le serment comme pouvant être occasion de péché : « Vous avez appris
qu’il a été dit aux anciens : « Vous ne ferez pas de parjure. »
On lit en effet dans le Lévitique (Lv 19, 12) : « Vous ne commettrez
pas de parjure en mon nom, afin que les hommes ne fussent pas exposés à
regarder les créatures comme des dieux. Dieu avait ordonné de faire tous les
serments en son nom, et défendu de jurer par les créatures. C’est le sens de
ces paroles : « Vous vous acquitterez envers le Seigneur des serments
que vous avez faits ; » c’est-à-dire, s’il vous arrive de faire un
serment, vous le ferez au nom du Créateur, et non pas au nom des créatures.
C’est ce qui est écrit au Deutéronome (Dt 6, 13) : « Vous craindrez
le Seigneur votre Dieu, et vous ne jurerez qu’en son nom. »
S. Jér. La loi leur fit cette concession
comme à un peuple encore dans l’enfance ; elle leur permit de jurer au nom
de Dieu, par la même raison qu’ils devaient lui offrir des victimes pour éviter
de les immoler aux idoles. Elle ne regardait pas ces serments comme une chose
bonne par elle-même, mais elle aimait mieux qu’on les fit au nom de Dieu qu’au
nom des idoles. — S. Chrys, (sur S. Matth.) L’habitude de faire des
serments fait infailliblement tomber dans le parjure, de même que l’habitude de
trop parler expose nécessairement à dire des choses déplacées.
S. Aug. (contre Fauste, 19, 22.) Comme le parjure est un péché grave, et
qu’on y est beaucoup moins exposé en ne jurant pas du tout, qu’en ayant
l’habitude d’affirmer la vérité sous serment, le Seigneur a mieux aimé que nous
restions dans la vérité sans recourir au serment, que de nous exposer au
parjure en jurant même selon la vérité. Aussi ajoute-t-il : « Pour
moi je vous dis : Ne jurez pas du tout. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) En cela il confirme la justice des Pharisiens
qui condamnaient le parjure, car on ne se parjure pas quand on ne fait aucun
serment. Mais comme jurer c’est prendre Dieu à témoin, il nous faut expliquer
comment l’Apôtre n’a point enfreint ce précepte, lui que nous voyons souvent
recourir à cette espèce de serment, par exemple : « Je prends Dieu à
témoin que je ne vous mens point en tout ce que je vous écris ; » et
encore : « Dieu m’en est témoin, lui que je sers en esprit. »
Dira-t-on que le serment qui est défendu consiste à jurer directement par un
être quelconque et que l’Apôtre ne jure ici en aucune façon, puisqu’il ne dit
point : « Par Dieu, » mais simplement : « Dieu m’est
témoin ? » Ce serait là une explication ridicule. D’ailleurs, on doit
se rappeler que saint Paul a fait des serments même de cette sorte lorsqu’il a
dit : « Je meurs tous les jours par votre gloire, mes frères. » (1 Co 15.) Et on ne peut interpréter ces
paroles en ce sens : Votre gloire me fait tous les jours mourir, car les
textes grecs prouvent à
l’évidence que c’est là une véritable formule de serment. S. Aug. (contre le Mens.) Il y a dans les paroles de l’Écriture bien des
choses que nous ne pouvons comprendre ; la vie des saints nous apprend
alors comment nous devons entendre ces passages dont on pourrait facilement
détourner le sens, si leurs exemples ne nous en donnaient la véritable
signification. Ainsi l’Apôtre, en employant le serment dans ses Epîtres, nous apprend
comment nous devons expliquer ces paroles : « Pour moi, je vous dis
de ne pas jurer du tout, » dans la crainte qu’en employant le serment on
n’y recoure avec trop de facilité, que cette facilité n’entraîne l’habitude, et
que l’habitude ne fasse tomber dans le parjure. Aussi ne fait-il usage du
serment qu’en écrivant, alors qu’une réflexion plus attentive met en garde
contre la précipitation de la langue. Et cependant le Seigneur nous dit de ne
point jurer du tout, et il n’a pas fait d’exception en faveur de ceux qui
écrivent. Mais comme on ne peut sans crime accuser saint Paul de la violation
d’un précepte divin, surtout dans des lettres écrites pour l’édification des
peuples, il faut entendre cette expression « pas du tout » dans ce
sens : « Autant qu’il vous sera possible. » Vous ne devez ni
affecter ni désirer avec un certain plaisir de recourir au serment, comme s’il
s’agissait d’une bonne action. — S. Aug.
(contre Fauste, 19, 23.)
L’Apôtre fait usage du serment dans des épîtres où l’attention est plus
scrupuleuse ; il ne faut donc pas croire que l’on pèche en jurant pour la
vérité, mais comprendre qu’en nous abstenant du serment nous préservons plus
sûrement notre fragilité du parjure.
S. Jér. Remarquez enfin que le Sauveur n’a
pas défendu de faire des serments au nom de Dieu, mais de jurer par le ciel,
par la terre, par Jérusalem et par votre tête. On sait que les Juifs ont
toujours eu cette détestable habitude de jurer par les éléments. Or, celui qui
jure aime celui au nom duquel il fait serment, et les Juifs qui juraient par
les anges, par la ville de Jérusalem, par le temple et par les éléments,
rendaient à ces créatures l’honneur qui n’est dû qu’à Dieu, alors que dans la
loi il est ordonné de ne jurer que par le nom du Seigneur notre Dieu. — S. Aug. (serm. sur la mont., 31, 31 ou 17.) Notre-Seigneur ajoute peut-être
ces mots : « Ni par le ciel, » etc., parce que les Juifs ne
regardaient pas comme obligatoires les serments qu’ils faisaient par les choses
inanimées ; il leur dit donc : lorsque vous jurez par le ciel et par
la terre, n’allez pas croire que vous n’êtes pas redevables à Dieu de vos
serments, car vous avez évidemment juré par celui qui a le ciel pour trône et
la terre pour marchepied. Ces expressions ne signifient pas évidemment que Dieu
repose ses membres dans le ciel et sur la terre, comme lorsque nous nous
asseyons nous-mêmes ; le trône de Dieu signifie le jugement de Dieu. Le
ciel est sans contredit la plus grande partie de l’univers créé ; on dit
donc que Dieu est assis dans les cieux comme s’il y manifestait sa présence par
une plus grande magnificence, et qu’il foule la terre aux pieds parce qu’il l’a
placée au dernier rang, comme la partie la moins brillante de la création. Dans
le sens spirituel, le ciel signifie les âmes saintes, et la terre les pécheurs,
parce que l’homme spirituel juge toutes choses (1 Co 2, 15) et que Dieu a dit
au pécheur : « Tu es terre et tu retourneras en terre. »
D’ailleurs, celui qui veut demeurer dans la loi est nécessairement soumis à la
loi, et c’est avec raison qu’il est appelé : « L’escabeau de ses
pieds. » Notre-Seigneur ajoute : « Ni par Jérusalem, parce
qu’elle est la ville du grand Roi, » expression plus convenable que s’il
avait dit : « La ville qui est à moi, » bien qu’il le dise en
termes équivalents. Or, comme il est en même temps le Seigneur, c’est donc à
lui qu’on est redevable des serments que l’on fait par Jérusalem. Il ajoute
enfin : « Vous ne jurerez pas non plus par votre tête. » Que
peut-on imaginer qui nous appartienne davantage que notre tête ? Mais
comment serait-elle à nous, puisque nous n’avons pas le pouvoir d’en rendre un
seul cheveu blanc ou noir ? C’est la raison que donne le Sauveur :
« Parce que vous n’en pouvez faire un seul cheveu blanc ou noir. » Celui
donc qui veut jurer par sa tête est redevable à Dieu de son serment et ainsi
des autres serments de même nature.
S. Chrys. (hom. 17.) Remarquez
que si le Sauveur relève ainsi les éléments du monde créé, ce n’est pas en
vertu de leur excellence naturelle, mais à cause des liens qui les rattachent à
Dieu, pour ne point donner lieu à l’idolâtrie. — Rab. Après avoir prohibé le serment, il nous enseigne comment
nous devons nous exprimer : « Que votre discours soit : Cela
est, cela est, cela n’est pas, cela n’est pas ; » c’est-à-dire, il
suffit de dire d’une chose qui est, cela est ; et cela n’est pas, d’une
chose qui n’est pas. Peut-être l’affirmation et la négation sont-elles répétées
ici deux fois pour nous apprendre à prouver par nos oeuvres la vérité de ce que
notre bouche affirme, et à ne point confirmer par nos actes ce que nos paroles
auraient nié. — S. Hil. (Can. 4.) Ou bien encore, il n’est nul
besoin de serment pour ceux qui vivent dans la simplicité de la foi, car avec
eux, ce qui est est toujours vrai et ce qui ne l’est pas ne l’est pas, et ainsi
tout en eux, parole et action est dans la vérité.
S. Jér. La vérité évangélique n’admet donc
pas de serment, puisque toute parole d’un chrétien équivaut à un serment. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Aussi celui qui comprend que la vérité seule
ne suffit pas pour légitimer l’usage du serment, s’il n’est d’ailleurs
nécessaire, doit s’imposer un frein pour n’y recourir que dans le cas de
nécessité, lorsqu’il voit par exemple des hommes peu disposés à croire des
choses qui leur sont utiles, si on ne les affirme sous le serment. Ce qui est
bien, ce qui est désirable est exprimé par ces mots :
« Contentez-vous de dire : Cela est, cela est, ou cela n’est pas,
cela n’est pas, ce qui est de plus vient du mal ; » c’est-à-dire que
la nécessité où vous êtes de jurer vient de la faiblesse de ceux que vous
voulez persuader, faiblesse qui est un mal. Aussi le Sauveur ne dit pas :
« Ce qui est au delà est mal, » car vous ne faites point mal en
faisant usage du serment pour persuader à un autre ce qu’il lui importe de
savoir, mais « cela vient du mal, » c’est-à-dire de la mauvaise
disposition de cet homme dont la faiblesse vous force de recourir au
serment. » — S. Chrys. (hom. 12). Ou bien cela vient du mal,
c’est-à-dire de l’infirmité de ceux à qui la loi permet de jurer. En
s’exprimant de la sorte, Notre-Seigneur ne dit pas que la loi ancienne est
l’oeuvre du démon, mais il nous fait passer de l’état ancien si imparfait à une
nouveauté bien plus parfaite.
La Glose. Après avoir interdit toute injustice
contre le prochain, toute irrévérence envers Dieu, le Seigneur nous enseigne
comment un chrétien doit se conduire à l’égard de ceux qui lui font quelque
injure « Vous avez appris ce qui a été dit : « oeil pour oeil,
dent pour dent (Ex 21, 24 ; Lv 24, 20 ; Dt 19, 21). » — S. Aug. (contre Fauste, 19, 25). Ce commandement a été donné pour éteindre
le feu de ces haines violentes qui éclataient entre des ennemis acharnés les
uns contre les autres, et pour mettre un frein à des colères sans mesure. Car
quel est celui qui se contente d’une vengeance égale seulement à l’injure qu’il
a reçue ? Ne voyons-nous pas au contraire des hommes légèrement offensés
tramer le meurtre, avoir soif du sang et trouver à peine de quoi l’assouvir
dans les maux dont ils accablent leurs ennemis ? C’est à cette vengeance
aussi excessive qu’elle est injuste que la loi a posé de justes bornes en
créant la peine du talion, qui mesure
rigoureusement le châtiment à l’offense. Le but de cette loi n’est pas de
dominer une nouvelle force à la fureur, mais de la contenir et de la
réprimer ; ce n’est pas de rallumer une flamme assoupie, mais de
circonscrire celle qui brûlait déjà. En effet, la vengeance, réglée ici par la
justice, ne dépasse pas les droits que l’injure donne à celui qui en est
offensé. Il peut céder ce qui lui est dû, et c’est bonté de sa part ; mais
il peut le demander sans injustice. Or, comme il y a péché à poursuivre une
vengeance sans mesure tandis qu’il n’y en a aucun à ne vouloir qu’une vengeance
modérée ; il est évident que celui qui refuse toute vengeance est le moins
exposé à pécher, et c’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : « Et moi,
je vous dis de ne pas résister au mal. » Je pourrais traduire ainsi ces
paroles « Il a été dit aux anciens : Vous ne vous vengerez pas
injustement ; pour moi, je vous dis : Ne vous vengez pas (ce qui est
vraiment accomplir la loi), » si ces paroles paraissaient être dans la
pensée du Christ un complément de la loi. Mais il est plus naturel de penser
qu’il n’a eu d’autre but que celui même que se proposait la loi de Moïse,
c’est-à-dire qu’il recommande de ne se venger en aucune manière, afin d’être
plus assuré d’observer ce précepte et de ne pas dépasser les bornes d’une
légitime vengeance. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Sans ce nouveau commandement,
celui de la loi de Moïse ne peut se soutenir, car si nous usons de cette
concession de la loi pour rendre à tous le mal pour le mal, nous deviendrons
tous mauvais, parce que ceux qui nous persécutent sont malheureusement très
nombreux ; tandis que si, d’après le précepte du Christ, on ne résiste pas
au mal, les bons restent bons, quand bien même ils ne pourraient adoucir les
méchants. — S. Jér. Le Seigneur,
en nous ôtant le droit de nous venger, tranche donc jusqu’à la racine du
péché ; dans la loi, la faute est corrigée ; ici, les commencements
mêmes du péché sont détruits.
La Glose. On peut dire
aussi que par ces paroles le Seigneur ajoute quelque chose à la justice de
l’ancienne loi. — S. Aug. (serm. sur la mont.) La justice des
Pharisiens qui s’appliquait à ne point dépasser la mesure de la vengeance, est
une justice imparfaite, et c’est le commencement de la réconciliation et de la
paix ; mais la justice parfaite est de s’interdire toute vengeance. Aussi
entre cet excès que la loi condamne, de rendre plus de mal qu’on n’en a reçu,
et la perfection dont le Sauveur fait un précepte à ses disciples, et qui
consiste à ne pas rendre le moindre mal à ceux qui nous en ont fait, nous
trouvons ce moyen terme qui ne rend que le mal qu’on a reçu. Et c’est par ce
moyen terme que le monde a passé de la plus grande division à l’accord le plus
parfait. En effet, si vous prenez l’initiative de l’offense, vous commettez une
souveraine injustice ; si, sans avoir commencé, vous tirez de votre ennemi
une vengeance supérieure à l’offense, vous n’atteignez pas tout à fait le même
degré d’iniquité. Si vous ne rendez que le mal que vous avez reçu, vous vous
montrez tant soit peu généreux ; car celui qui a commencé le premier
mérite un châtiment supérieur à l’offense dont il s’est rendu coupable. Mais le
Sauveur qui est venu accomplir la loi a porté à sa perfection cette justice
ébauchée, exempte de sévérité, et où l’on sent déjà la miséricorde. Quant aux
deux degrés intermédiaires, il nous les laisse à comprendre. Car il en est qui
tirent une vengeance légère pour une grave offense, et c’est par ce degré qu’on
arrive à ne pas se venger du tout. Mais c’est trop peu encore pour le Seigneur,
il veut que vous soyez disposé à en supporter davantage. Aussi nous
recommande-t-il non-seulement de ne pas rendre le mal pour le mal, mais de ne
pas résister au mal, etc., c’est-à-dire non-seulement de ne pas rendre le mal
qui nous aurait été fait, mais encore de ne pas empêcher celui qu’on voudrait
nous faire. C’est ce que signifient ces paroles : « Si quelqu’un vous
frappe sur la joue droite, présentez-lui aussi la gauche. » C’est donc un
acte de miséricorde et de condescendance que le Sauveur demande, et c’est ce
que comprennent parfaitement ceux qui acceptent d’être comme les serviteurs de
personnes qui leur sont chères, par exemple, des enfants, ou de ceux qui sont
atteints de frénésie. Que n’ont-ils pas à en souffrir, et si leur bien le
demande, ils sont disposés à en supporter encore davantage. Le Seigneur
souverain médecin des âmes enseigne donc ici à ses disciples à supporter les
infirmités de ceux dont ils veulent sauver les âmes, car toute méchanceté vient
de la faiblesse de l’esprit, et personne n’est plus inoffensif que celui qui
pratique la vertu dans sa perfection. — S. Aug.
(Du mensonge.) La conduite que
les Saints ont tenue sous la loi nouvelle sert à nous faire comprendre les
exemples de l’Écriture qui nous sont présentés sous forme de préceptes, comme
lorsque nous lisons dans l’Évangile : « Vous avez reçu un soufflet,
présentez l’autre joue. » (Lc 6).
Nous ne pouvons certainement trouver de plus parfait exemple de patience que
l’exemple du Seigneur lui-même : Or lorsqu’il eut reçu un soufflet dans sa
passion, il ne dit pas : « Voici l’autre joue, » mais :
« Si j’ai mal parlé, faites voir le mal que j’ai dit : et si j’ai
bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? » Cet exemple nous prouve que
c’est intérieurement qu’il faut être disposé à présenter l’autre joue. — S. Aug. (serm. sur la mont.) En effet, Notre-Seigneur était disposé
non-seulement à recevoir un soufflet sur l’autre joue pour le salut des hommes,
mais à voir son corps tout entier attaché à la croix. Mais que signifie cette
joue droite ? C’est au visage que l’on reconnaît un homme ; être frappé au visage c’est donc d’après
l’Apôtre devenir l’objet du dédain et du mépris. Mais on ne peut distinguer le
visage en visage droit et en visage gauche, et cependant on peut avoir une
double dignité, l’une selon Dieu, l’autre selon le monde, de là cette
distinction de joue droite et de joue gauche, distinction qui apprend à tout
disciple de Jésus-Christ qui voit mépriser en lui son caractère de chrétien à
se montrer disposé à souffrir les mépris qui tomberaient sur les honneurs
temporels dont il peut être revêtu. Toutes les offenses auxquelles nous sommes
exposés peuvent se diviser en deux classes, les offenses qu’on ne peut réparer,
les offenses qui peuvent l’être. Or c’est justement dans les offenses où la
réparation n’est pas possible, qu’on cherche ordinairement la consolation de la
vengeance. On vous a frappé, à quoi vous sert de rendre le coup que vous avez
reçu ? Avez-vous guéri par là la blessure qu’on a pu faire à votre
corps ? Non sans doute, il n’y a qu’une âme où la colère déborde qui
puisse désirer de pareils adoucissements. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En
rendant à votre ennemi le coup que vous avez reçu, l’avez-vous apaisé et amené
à ne plus vous frapper ? Bien au contraire, vous l’avez excité à vous
porter de nouveaux coups, car la colère loin de calmer la colère ne sert qu’à
l’irriter davantage. — S. Aug. (serm. sur la mont., 10, 19, 20, ou 37,
38.) Aussi le Seigneur veut-il que nous supportions cette faiblesse de la
colère du prochain dans un vrai sentiment de compassion, plutôt que de chercher
dans son châtiment un adoucissement à la nôtre. Et cependant il ne défend pas
ici la vengeance qui a pour but la correction du prochain, car elle fait partie
de la miséricorde et se concilie très bien avec la disposition de souffrir
encore davantage de celui qu’on veut corriger. Celui qui est revêtu du pouvoir
légitime doit nécessairement tirer vengeance des crimes commis ; mais il
doit le faire avec le cœur d’un père qui ne peut haïr son enfant. De saints
personnages ont puni de mort certains crimes pour inspirer aux vivants une
crainte salutaire, et alors ce n’était pas la mort qui était préjudiciable à
ceux qui étaient punis, mais bien leur péché, qui aurait pu s’aggraver s’ils
avaient continué de vivre. C’est ainsi qu’Élie en frappa plusieurs de mort (cf.
3 R 18, 40 ; 4 R 1, 10 ; Lc 9, 54), et les disciples de Jésus-Christ ayant voulu s’autoriser de cet
exemple, le Seigneur les reprit, en blâmant non pas l’action du prophète, mais
l’ignorance qui les poussait à se venger, et en leur faisant remarquer que ce
n’était pas l’amour de la correction fraternelle, mais la haine qui excitait en
eux le désir de la vengeance. Mais après même qu’il leur eut enseigné la loi de
charité et qu’il eut répandu l’Esprit saint dans leurs âmes, on vit encore de
semblables vengeances ; c’est ainsi que la parole de Pierre fit tomber
morts à ses pieds Ananie et sa femme, et que l’apôtre saint Paul livra un homme
à Satan pour mortifier sa chair. C’est pourquoi je ne puis comprendre le
déchaînement aveugle de quelques-uns contre les châtiments corporels que nous
voyons dans l’Ancien Testament, dans l’ignorance où ils sont de l’esprit et
l’intention qui les a fait infliger.
S. Aug. Quel est l’homme de bon sens qui
oserait dire aux rois : « Qu’un de vos sujets choisisse d’être
religieux ou impie, cela ne vous regarde pas ? On ne peut leur dire
davantage : Que dans votre royaume on soit débauché ou de moeurs pures,
vous n’avez pas à vous en occuper. » Sans doute il vaut mieux amener les
hommes à la pratique de la religion par l’instruction que par des peines coercitives,
mais cependant nous pourrions prouver par l’expérience que pour plusieurs il a
été fort utile d’être forcés par la peine ou par la crainte à se faire
instruire ou à pratiquer ce qu’on leur avait déjà enseigné. Ceux qui se
laissent conduire par l’amour sont évidemment les meilleurs, mais c’est le plus
grand nombre qu’on ne ramène que par la crainte. C’est la conduite que
Jésus-Christ tient à l’égard de saint Paul : il le dompte d’abord par la
force avant de le soumettre par ses divines leçons. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Un chrétien veut-il observer la juste mesure
de vengeance qui lui est ici permise, lorsqu’il a reçu quelque outrage de ce
genre, que la haine n’entre pas dans son cœur, qu’il soit disposé à souffrir
encore davantage, et qu’en même temps il ne néglige pas de se servir de
l’influence du conseil ou de l’autorité pour faire rentrer son frère dans le
devoir.
S. Jér. Dans le sens mystique, lorsqu’on
nous frappe sur la joue droite, nous devons présenter non pas la joue gauche,
mais l’autre joue (cf. Pv 4, 27 ; Qo 10, 2 ; Mt 6, 3), car le juste
n’a pas de gauche. Par exemple, si un hérétique nous frappe dans la discussion,
et qu’il veuille porter atteinte au sens droit d’une vérité dogmatique, nous
devons lui opposer un autre témoignage semblable tiré de l’Écriture.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Il est un autre genre d’injures qui peuvent se
réparer complètement : elles sont de deux espèces, l’une s’attaque à
l’argent, l’autre consiste dans les actions outrageantes. C’est de la première
des deux dont Notre-Seigneur ajoute : « Si quelqu’un veut plaider
contre vous pour vous prendre votre robe, abandonnez lui encore votre
manteau. » Or de même que le soufflet reçu sur la joue exprime tous les
outrages qui ne peuvent être réparés que par le châtiment, ainsi ce que le
Seigneur dit ici du vêtement comprend toutes les injures qui peuvent être
réparées sans recourir à la vengeance ; et ce précepte doit s’entendre de
la disposition du cœur, et non de ce qu’il faut faire en réalité. Ce qui nous
est commandé à l’égard de la tunique ou du manteau, nous devons le faire pour
tous les biens temporels dont nous avons le domaine, de quelque manière que ce
soit. Car si ce précepte porte sur le nécessaire, à plus forte raison
devons-nous abandonner le superflu ? C’est ce que Notre-Seigneur nous
enseigne en disant : « Si quelqu’un veut plaider contre vous. »
Ces paroles comprennent tout ce qu’on peut nous disputer devant les tribunaux.
Mais doit-on y comprendre les esclaves ? C’est une grande question, car un
chrétien ne peut assimiler la propriété d’un esclave à la propriété d’un
cheval, quoiqu’il puisse se faire que le cheval soit d’un prix plus élevé qu’un
esclave. Or si votre esclave trouve en vous un maître plus sage que celui qui
désire vous l’enlever, je ne sais qui oserait vous conseiller de ne pas y
attacher plus d’importance qu’à votre vêtement.
S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est une chose indigne qu’un chrétien se présente
devant le tribunal d’un juge infidèle. Mais quand même le juge serait chrétien,
si vous le mettez dans la nécessité de vous juger, lui qui devait respecter en
vous la dignité de la foi, vous perdez à ses yeux pour une affaire temporelle
cette dignité dont le Christ vous avait revêtu. D’ailleurs tout procès est une
source d’irritation et de pensées coupables, car si vous voyez qu’on veut
l’emporter contre vous par l’intrigue ou par l’argent, vous vous empressez de
recourir aux mêmes moyens dans l’intérêt de votre cause, et certes ce n’est pas
ce que vous vouliez dès le début. — S. Aug.
(Enchirid. chap. 78). C’est
pourquoi le Seigneur défend ici aux chrétiens tout débat devant les tribunaux
pour des affaires temporelles. Si donc l’Apôtre en défendant sous les peines
les plus sévères tout appel au tribunal des infidèles permet cependant que les
causes entre fidèles soient jugées entre eux, il est évident que c’est une
concession qu’il fait à leur faiblesse.
S. Grég. (Moral., 31, 10.) Parmi ceux qui nous ravissent nos biens temporels
nous devons supporter les uns, mais nous devons nous opposer aux autres, tout
en conservant la charité à leur égard. En cela nous ne nous opposons pas
seulement à ce qu’ils nous enlèvent ce qui est à nous, mais nous les empêchons
de se perdre eux-mêmes en ravissant ce qui ne leur appartient pas ; car
nous devons beaucoup plus craindre pour les ravisseurs eux-mêmes, que désirer
avidement des biens privés de raison. Or lorsque nous sacrifions la paix avec
le prochain à un bien temporel, il est évident que nous aimons ce bien plus que
le prochain.
S. Aug. (serm. sur la mont.) La troisième espèce d’injures qui consiste
dans des actions dommageables est un mélange des deux premières et peut se
réparer par le châtiment ou sans le châtiment. Car celui qui contraint
méchamment un homme, et le force malgré lui à l’aider, peut porter la peine de
sa méchanceté et rendre ce que l’on a fait pour lui. A l’égard de ces injures
le Seigneur veut qu’un cœur chrétien se montre rempli de patience et disposé à
en souffrir encore davantage, c’est pourquoi il ajoute : « Si
quelqu’un veut vous contraindre à faire mille pas avec lui, faites-en deux
mille autres encore, » paroles qui exigent beaucoup moins que nous
marchions en réalité, que d’être disposés à le faire. — S. Chrys. (hom. 16.) Le mot
αγγαρευσει, angariaverit, veut dire entraîner
injustement, et tourmenter sans raison. — S. Aug.
(serm. sur la mont.) Nous
pensons que par ces paroles : « Allez avec lui l’espace de deux
autres milles : » Notre-Seigneur a voulu compléter le nombre trois,
nombre qui exprime la perfection, pour rappeler à celui qui agit ainsi qu’il
fait acte de justice parfaite. C’est pour cela qu’il appuie ce précepte sur
trois exemples et que dans le troisième le nombre deux est ajouté à l’unité
pour compléter le nombre trois. Ou bien, peut-être, faut-il entendre ici que
dans ce précepte, le Seigneur monte par degré de ce qui est plus facile à ce
qui est plus parfait. Il vous commande en premier lieu de présenter l’autre
joue à celui qui vous frappe sur la droite, c’est-à-dire d’être disposé à
supporter un affront moindre que celui que vous avez reçu. A celui qui veut
vous prendre votre tunique, il vous commande d’abandonner votre manteau ou
votre vêtement, suivant un autre texte ; c’est vous demander de supporter
une injure égale, ou de bien peu supérieure à celle qui vous a été faite. Enfin
il vous ordonne d’ajouter aux mille premiers pas, l’espace de deux autres
mille, c’est-à-dire de faire le double de ce que vous avez fait. Mais comme ce
serait peu de ne pas rendre le mal pour le mal, si l’on ne fait positivement le
bien, il ajoute : « Donnez à celui qui vous demande. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Nos richesses ne sont pas à nous, mais à Dieu, et
il a voulu que nous en soyons les dispensateurs, et non pas les maîtres. — S. Jér. Si nous restreignons au devoir de
l’aumône ces paroles du Sauveur, on ne peut l’appliquer à un trop grand nombre
de pauvres, car si les riches donnaient constamment, ils ne pourraient donner
toujours. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Le Seigneur nous
dit donc : « Donnez à tout homme qui vous demande, » mais non
pas à celui qui vous demande toute sorte de choses. Quoi ! vous donneriez
de l’argent à celui qui veut s’en servir pour opprimer un innocent ou pour
corrompre la vertu d’une femme ! Il ne faut donc donner que ce qui ne peut
être nuisible ni pour vous, ni pour un autre, autant que vous pouvez en juger
sur la foi de celui qui demande. Et lorsque vous croirez devoir lui refuser ce
qu’il demande, expliquez-lui les justes motifs de votre refus. De cette manière
il ne s’en ira point sans avoir rien reçu, et en lui faisant comprendre
l’injustice de sa demande vous lui aurez donné quelque chose de bien préférable
à ce qu’il demandait. — S. Aug. (Lettre 48 à Vincent.) Il est plus utile de retirer le pain à celui qui a faim,
et qui assuré de sa nourriture négligerait de pratiquer la justice, que de
faire de ce morceau de pain dont il a besoin, un moyen de séduction pour le
forcer de consentir au mal. — S. Jér. On
peut encore entendre ces paroles du trésor de la doctrine, qui ne s’épuise
jamais, mais qui se remplit abondamment à proportion de ce qu’on donne.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Les paroles qui suivent : « Et ne
vous détournez point de celui qui veut emprunter de vous » se rapportent aux
dispositions de l’âme, car « Dieu aime celui qui donne gaîment. »
Tout homme qui reçoit, emprunte, dût-il ne rien rendre, parce que Dieu rend à
ceux qui exercent la charité plus qu’ils n’ont donné. Si cependant on ne veut
entendre par emprunteur que celui qui reçoit avec l’intention de rendre, il
faut dire alors que le Seigneur comprend dans ses paroles ces deux manières de
donner, ou le don gratuit, ou le prêt soumis à l’obligation de rendre. Le
Seigneur nous exhorte avec raison à ce genre de bienfait, en nous disant :
« Ne rejetez point, » c’est-à-dire ne détournez pas votre volonté
dans la pensée que Dieu ne vous serait plus redevable, parce que votre débiteur
se serait acquitté à votre égard, car ce que l’on fait pour obéir à un précepte
divin ne saurait demeurer sans fruit. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Le Christ nous
fait donc un devoir de prêter, mais sans condition d’usure, car celui qui prête
à cette condition ne donne pas ce qui est à lui ; il prend ce qui ne lui
appartient pas ; il brise un des lieus de l’emprunteur, pour le charger
d’un plus grand nombre de chaînes ; il donne, ce n’est point par un
principe de justice divine, c’est dans une pensée toute d’intérêt personnel.
L’argent qu’on prête à usure est semblable à la morsure d’un aspic, de même que
le venin de l’aspic répand secrètement la corruption dans tous les membres,
ainsi l’usure fait de tous les biens autant de dettes.
S. Aug. (lettre à Marcellin). On nous objecte que cette doctrine de
Jésus-Christ n’est pas compatible avec les moeurs publiques, car qui peut,
dira-t-on, se laisser ravir quelque chose par l’ennemi ? qui serait
disposé à ne pas exercer contre ceux qui dévastent les provinces romaines les
représailles qu’autorise le droit de la guerre ? Nous répondons que ces préceptes
de patience doivent toujours se retrouver dans les dispositions de notre cœur,
et que cette bonté qui défend de rendre le mal pour le mal doit toujours faire
le fond de notre âme. On doit d’ailleurs agir envers ceux qui se refusent aux
avances de la charité avec une sévérité pleine de douceur, et qui soit pour eux
un châtiment salutaire. Si la société se conduisait d’après les préceptes du
christianisme, les guerres elles-mêmes auraient leurs inspirations
bienveillantes. On n’y chercherait que l’utilité des vaincus en rétablissant
l’union entre l’impiété et la justice, car on gagne à être vaincu quand on perd
la liberté de faire le mal. Il n’y a rien, en effet, de plus malheureux que la
félicité des pécheurs, car elle alimente l’impunité qui est un châtiment, et
fortifie au-dedans de nous cet ennemi intérieur qu’on appelle la volonté du
mal.
La Glose. Le Seigneur nous a enseigné, dans ce qui précède, à ne pas résister à celui
qui nous fait tort, mais à nous montrer disposé à en supporter davantage. Il va
plus loin, et veut nous apprendre que nous devons aimer même ceux qui nous font
du mal et leur prouver notre charité par des effets. Les commandements
précédents étaient le complément de la justice légale, ce dernier précepte est
l’accomplissement de la charité qui, selon l’Apôtre, est la plénitude de la
loi. Voilà la raison de ces paroles du Sauveur : « Vous savez qu’il a
été dit : Vous aimerez votre prochain. » — S. Aug. (Doctr. chrét., chap.
30). Le précepte d’aimer le prochain n’admet aucune exception ; c’est ce
que nous apprend le Seigneur lui-même dans la parabole de cet homme laissé à
demi-mort, Il nous dit que le prochain fut celui qui exerça la miséricorde à
son égard, pour nous faire comprendre que notre prochain c’est tout homme à qui
nous devons en témoigner dans le besoin. Et qui ne voit que nous ne devons en
excepter personne, devant ces paroles : « Faites du bien à ceux qui
vous haïssent ? »
S. Aug. (serm. sur la mont.) Il y avait un certain degré dans la justice
pharisaïque, qui relevait de l’ancienne loi ; la preuve c’est qu’il en est
qui détestent même ceux qui les aiment. C’est donc s’élever d’un degré que
d’aimer son prochain, tout en haïssant son ennemi, suivant Ces paroles :
« Et vous haïrez votre ennemi, » paroles qu’il ne faut pas regarder
comme un commandement pour le juste, mais comme une condescendance pour le
faible. — S. Aug. (contre Fauste, liv. 19, chap. 24). Je demanderai aux
Manichéens pourquoi ils s’obstinent à regarder comme particulier à la loi de
Moise ce qui a été dit aux anciens : « Vous haïrez votre
ennemi. » Et saint Paul lui-même n’a-t-il pas dit qu’il en est qui sont un
objet de haine pour Dieu (Rm 1, 30) ? Il faut donc chercher à comprendre
comment nous pouvons haïr nos ennemis à l’exemple de Dieu pour qui certains hommes
sont haïssables, et comment nous devons aimer nos ennemis à l’exemple de ce
même Dieu qui fait lever son soleil sur les bons et sur les mauvais. La règle
que nous devons suivre, c’est de haïr dans un ennemi ce qu’il y a de mal en
lui, c’est-à-dire l’iniquité, et d’aimer dans notre ami ce qu’il y a de bon,
c’est-à-dire la créature douée de raison. C’est pour avoir entendu sans la
comprendre cette parole qui avait été dite aux anciens : « Vous
haïrez votre ennemi, » que les hommes étaient portés à se haïr
mutuellement les uns les autres, alors qu’ils n’auraient dû haïr que le vice.
C’est donc cette erreur que le Seigneur veut corriger lorsqu’il dit :
« Pour moi, je vous dis : Aimez vos ennemis. » Il avait dit
précédemment : « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais
l’accomplir ; » en nous ordonnant ici d’aimer nos ennemis, il nous
force de comprendre comment nous pouvons, dans un seul et même homme, haïr le
mal qu’il commet et aimer la nature dont il est revêtu.
La Glose. Remarquons
toutefois que dans nul endroit de la loi on ne trouve ces paroles :
« Vous haïrez votre ennemi. » Elles sont donc citées comme faisant
partie de la tradition des Scribes qui ont cru pouvoir les ajouter, parce que
le Seigneur avait commandé aux enfants d’israel de poursuivre leurs ennemis (Lv 26), et de détruire Amalec de
dessous le ciel (Ex 17). — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Ces
paroles : « Vous ne convoiterez pas » n’étaient pas adressées à
la chair, mais à l’âme ; il en est de même de ce passage. La chair en
effet ne peut aimer son ennemi, l’âme le peut, parce que la chair place le
principe de l’amour ou de la haine dans les sens ; l’âme, au contraire,
dans l’intelligence. Si donc nous avons reçu quelque injure, et que nous en
ressentions de la haine, sans vouloir cependant en suivre les inspirations,
c’est notre chair qui hait notre ennemi, tandis que notre âme ne laisse pas de
l’aimer.
S. Grég.
(Moral., 22, 6). Voulons-nous une marque certaine que nous aimons
réellement notre ennemi, ne nous attristons pas de sa prospérité, ne nous
réjouissons pas de ses malheurs ; ce n’est pas aimer quelqu’un que de ne
pas le vouloir dans un état plus prospère, et on fait certainement des voeux
contre sa fortune quand on applaudit à sa ruine. Toutefois, il arrive souvent
que sans nous faire perdre la charité, la chute d’un ennemi nous cause de la
joie, et que sa gloire nous contriste sans que nous lui portions envie, c’est
lorsque nous croyons que sa chute sera la cause de l’élévation de plus dignes
que lui et que sa prospérité nous fait craindre l’injuste oppression d’un grand
nombre. Mais il faut ici une attention extrême pour ne point satisfaire, notre
haine sous le fallacieux prétexte de l’utilité du prochain. Nous devons
également savoir faire la distinction de ce qu’exige de nous la ruine du
pécheur et la justice de celui qui le frappe. Lorsque Dieu frappe un homme
couvert de crimes, nous devons applaudir à la justice du juge, mais compatir en
même temps au malheur de celui qui périt. — La
Glose. Les ennemis de l’Église lui font la guerre de trois
manières : par la haine, par leurs discours, par les supplices. L’Église,
au contraire, leur oppose premièrement l’amour : Aimez vos
ennemis ; » secondement, les bienfaits : « Faites du bien à
ceux qui vous haïssent ; » troisièmement, la prière : « Priez
pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient. »
S. Jér. Il en est plusieurs qui mesurent
les préceptes de Dieu à leur faiblesse et non pas à la force qui fait les
saints et qui regardent ces préceptes comme impossibles. Ils disent qu’il
suffit, pour pratiquer la vertu, de ne pas avoir de haine pour ses ennemis,
mais que de les aimer c’est commander plus que ne peut la nature humaine.
Qu’ils sachent donc que Notre-Seigneur ne commande pas des choses impossibles,
mais parfaites. Et n’est-ce pas ce que fit David à l’égard de Saul et
d’Absalon ? Le saint martyre Etienne n’a-t-il pas prié pour ceux qui le
lapidaient ? Saint Paul n’a-t-il pas voulu être anathème à la place de ses
persécuteurs ? N’est-ce pas ce que Jésus enseigne et ce qu’il fit lui-même
lorsqu’il dit : « Mon Père, pardonnez-leur ? » — S. Aug. (Enchirid., chap. 73). Mais ce sont là les vertus des enfants de
Dieu qui ont atteint la perfection ; c’est vers ce but que tout fidèle
doit tendre ; c’est à cette générosité de sentiments qu’il doit élever son
âme en priant Dieu, en luttant contre lui-même. Cependant une perfection aussi
sublime n’est point le partage d’un aussi grand nombre de personnes que celui
dont Dieu, nous le croyons, exauce cette prière : « Remettez-nous nos
dettes comme nous les remettons à ceux qui nous doivent. »
S. Aug. (serm. sur la mont.) Une difficulté se présente, c’est qu’un très
grand nombre de passages de l’Écriture paraissent contredire ce précepte de
prier pour nos ennemis. En effet, on trouve dans les prophéties une multitude
d’imprécations contre les ennemis, comme celle-ci : « Que ses enfants
deviennent orphelins. » (Ps 118,
9). La raison en est que les prophètes prédisent ordinairement l’avenir sous
forme d’imprécations. Mais ces paroles de saint Jean offrent encore plus de
difficulté : « Il y a un péché qui va à la mort, et ce n’est pas pour
ce péché là que je dis qu’il faut prier. » (1 Jn 5, 16.) Par ce qui précède : « Si quelqu’un sait que
son frère a péché, etc., » le même apôtre nous enseigne clairement qu’il
en est pour lesquels nous ne devons pas prier. Le Seigneur, au contraire, nous
ordonne de prier pour nos persécuteurs. Cette difficulté ne peut se résoudre
qu’en reconnaissant que nos frères peuvent se rendre coupables de péchés plus
graves que le crime de la persécution. Ainsi saint Etienne prie pour ceux qui
le lapidaient, parce qu’ils ne croyaient pas encore en Jésus-Christ (Ac 7), tandis que saint Paul ne prie
pas pour Alexandre parce qu’il était du nombre des fidèles et qu’il avait péché
en attaquant par un sentiment d’envie l’union fraternelle (1 Tm 15). Toutefois ce n’est pas prier
contre quelqu’un que de ne pas prier pour lui. Mais que dirons-nous de ceux
contre lesquels nous savons que des saints ont prié non pas pour leur
conversion, c’eût été bien plutôt prier pour eux, mais pour qu’ils fussent
livrés à l’éternelle damnation ? Je ne parle pas de la prière que le
prophète adressait à Dieu contre celui qui a trahi le Seigneur, c’était une
prédiction de l’avenir et non un souhait de condamnation, mais de la prière que
nous lisons dans l’Apocalypse (Ap 6) et où les saints martyrs prient Dieu de
venger leur sang répandu. — Or, cette prière n’a rien qui doive nous
étonner ; car qui oserait affirmer qu’elle est dirigée contre les
persécuteurs eux-mêmes et non contre le règne du péché ? Quelle est en
effet la vengeance pure des martyrs, vengeance pleine de justice et de
miséricorde, c’est de voir détruire l’empire du péché sous lequel ils ont tant
souffert ; et ce qui renverse cet empire, c’est tout à la fois la
conversion des uns et la damnation des autres qui persévèrent dans le péché.
Est-ce que saint Paul, à votre avis, n’a pas suffisamment vengé dans sa
personne le martyr saint Etienne, lorsqu’il dit : « Je châtie mon corps
et je le réduis en servitude. » — S. Aug.
(Quest. sur l’Anc. et le Nouv.
Test., chap. 68). Ou bien les âmes de ces victimes crient et demandent
vengeance comme le sang d’Abel du sein de la terre, non pas d’une voix
matérielle et sensible, mais par la force même des choses. C’est dans ce sens
qu’on dit d’une oeuvre, qu’elle loue celui qui l’a faite par cela même qu’elle
le réjouit de son seul aspect. Pourquoi d’ailleurs les saints seraient-ils
impatients de presser l’exécution d’une vengeance qu’ils savent devoir arriver
au temps marqué ?
S. Chrys. (hom. 18.) Voyez
par combien de degrés le Sauveur nous fait monter et comme il nous établit sur
le sommet le plus élevé de la vertu. Le premier degré c’est de ne pas prendre
l’initiative de l’injure, le second de ne pas la venger par une injure égale,
le troisième de ne pas faire endurer à notre ennemi ce qu’il nous a fait
souffrir ; le quatrième de s’exposer soi-même à la souffrance ; le
cinquième de donner plus ou de se montrer disposé à faire de plus grands sacrifices
que ne le veut notre ennemi ; le sixième de ne pas avoir de haine pour
celui qui se conduit de la sorte ; le septième de l’aimer ; le
huitième de lui faire du bien ; le neuvième de prier pour lui, et comme
c’est là un grand commandement il lui donne pour sanction cette magnifique
récompense de devenir semblable à Dieu : « Afin que vous soyez,
dit-il, les enfants de votre Père céleste qui est dans les cieux. » — S. Jér. Si celui qui garde les
commandements de Dieu devient le fils de Dieu, il ne l’est donc point par
nature, mais il le devient par l’effet de sa libre volonté.
S. Aug. (serm. sur la mont., 6, 23 ou 46.) Ces paroles doivent s’entendre
dans le même sens que ces autres de saint Jean : « Il leur a donné le
pouvoir de devenir enfants de Dieu. » Il n’y a qu’un seul Fils de Dieu par
nature ; quant à nous, nous recevons le pouvoir de devenir les enfants de
Dieu, lorsque nous accomplissons ses commandements. Aussi ne dit-il pas
« Faites cela, parce que vous êtes les enfants, » mais
« faites-le pour devenir les enfants de Dieu, » En nous appelant à
cette sublime dignité, il nous appelle à lui devenir semblables, c’est pour
cela qu’il ajoute « Qui fait lever son soleil sur les bons et sur les
méchants, et qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. » Par le soleil, on peut entendre non pas
celui qui brille à nos yeux, mais celui dont le prophète a dit : (Ml 4) « Le soleil de justice se
lèvera sur vous qui craignez le nom du Seigneur ; » et par la pluie,
la rosée que répand dans les âmes la doctrine de la vérité ; parce qu’en
effet le Christ s’est manifesté et a été évangélisé aux bons et aux mauvais. —
S. Hil.
On peut dire aussi que c’est dans le baptême et dans le sacrement qui
confère l’esprit, qu’il fait luire ce soleil, et qu’il donne cette pluie. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien encore on peut entendre ces paroles et
de ce soleil visible, et de la pluie qui fait croître les fruits ; en
effet les méchants dans le livre de la Sagesse
font entendre cette plainte : « Le soleil ne s’est pas levé pour
nous, » et il est dit de la pluie spirituelle : « Je commanderai
à mes nuées de ne pas répandre leur rosée sur elle. » Qu’on admette l’un
ou l’autre sens, c’est toujours un effet de la grande bonté de Dieu qu’on nous
ordonne d’imiter. Or il ne dit pas simplement : « Il fait lever le
soleil » mais, « son soleil, » nous apprenant ainsi avec quelle
largesse nous devons donner d’après ce précepte ce que nous n’avons pas créé,
mais ce que nous recevons de sa munificence. — S. Aug. (Lettres 48 à Vincent.) Mais tout en louant sa
libéralité, pensons aux châtiments dont il frappe ceux qu’il aime, et concluons
qu’on n’est pas ami parce qu’on épargne la correction ; et qu’on n’est pas
ennemi parce qu’on châtie, car il vaut mieux aimer avec sévérité que de tromper
avec douceur (Pv 27, 26).
S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est avec dessein que Notre-Seigneur dit :
« Sur les justes, » et non
pas « sur les justes comme sur les injustes, » car ce n’est pas à cause des hommes, mais à cause des Saints que
Dieu distribue tous ses biens, de même que c’est à cause des pécheurs qu’il
inflige ses châtiments sur la terre. Mais dans la distribution des biens, il ne
fait pas distinction des pécheurs d’avec les justes, pour ne pas les jeter dans
le désespoir ; de même que dans les bâtiments qu’il envoie, il ne sépare
pas les justes des pécheurs. Cette conduite est d’autant plus équitable que les
biens ne sont pas d’une grande utilité aux méchants, qui par leur mauvaise vie,
les font tourner à leur perte ; et que les maux loin de causer aucun
dommage aux bons servent bien plutôt à leur progrès dans la vertu. — S. Aug. (Cité de Dieu, 1, 8.) En effet, l’homme de bien ne se laisse ni
enfler par la prospérité, ni abattre par le malheur, tandis que l’adversité
devient un châtiment pour le méchant, parce qu’il se laisse corrompre par la
bonne fortune. Ou bien encore, Dieu a voulu que les biens et les maux de cette
vie fussent communs aux uns et aux autres pour nous ôter le désir trop vif de
ces biens que nous voyons les méchants partager avec nous, et la crainte qui
nous fait fuir honteusement des maux que les justes eux-mêmes ne peuvent
éviter.
La Glose. Aimer celui qui
nous aime, c’est un sentiment que la nature inspire ; aimer notre ennemi
c’est un acte de pure charité, et c’est ce que le Sauveur exprime par les
paroles suivantes : « Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment,
quelle récompense aurez-vous ? » (c’est-à-dire au ciel) ; comme
s’il disait : Vous n’en aurez aucune, car c’est de vous qu’il est dit :
« Vous avez reçu votre récompense. » Cependant il faut accomplir ce
premier devoir et ne pas omettre le second. — Rab.
Si donc les pécheurs sous la seule inspiration de la nature cherchent à
se montrer bienfaisants pour ceux qui les aiment, à combien plus forte raison
devez-vous embrasser dans le sein d’un amour plus étendu, ceux mêmes qui ne
vous aiment pas. C’est pour cela qu’il vous dit : « Les Publicains ne
le font-ils pas ? » c’est-à-dire ceux qui perçoivent les deniers
publics ou qui poursuivent les honneurs et les richesses de la terre dans le
commerce et dans les affaires du siècle. — La
Glose. Si vous priez pour ceux-là seulement qui vous sont unis par les
liens du sang ou de l’amitié, en quoi votre charité est-elle supérieure à celle
des infidèles ? Il ajoute : « Si vous ne saluez que vos
frères ; » (le salut est une espèce de prière), que faites-vous en
cela de plus ? Les païens ne le font-ils pas aussi ? — Rab. Les païens sont les Gentils (le
mot grec εθνος correspond au mot latin gens,) ainsi appelés parce qu ils ont
été comme engendrés sous la loi du péché.
Remi. Comme la perfection
de la charité fraternelle ne peut aller plus loin que l’amour des ennemis, le
Seigneur après en avoir imposé le précepte ajoute : « Soyez donc
parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Il est parfait comme tout
puissant, l’homme devient parfait par le secours du Tout-Puissant. L’expression
comme signifie quelquefois dans
l’Écriture l’égalité et la vérité, par exemple dans ce passage : « Je
serai avec vous, comme j’ai été avec Moïse. » Quelquefois, cette particule
n’exprime qu’une simple ressemblance comme dans cet endroit. — S. Chrys. (sur S. Matth.) De même que les enfants des hommes portent toujours
dans leur corps quelque trait de ressemblance avec leur père ; de même
aussi on reconnaît à leur sainteté les enfants spirituels de Dieu.
La Glose. Le Sauveur après avoir accompli la loi
quant aux préceptes, commence à l’accomplir en ce qui concerne les promesses,
car il veut que nous observions les commandements de Dieu en vue des
récompenses célestes, et non pour les récompenses temporelles que promettait la
loi. Or ces récompenses temporelles se rapportent surtout à ces deux
points ; la gloire humaine et l’abondance des biens de la terre ; la
loi promettait l’une et l’autre ; la gloire en ces termes : « Le
Seigneur ton Dieu t’élèvera au-dessus de toutes les nations qui habitent la
terre ; » et un peu plus
loin la richesse : « Le Seigneur te donnera en abondance toute sorte
de biens ; » et c’est pour cette raison que Notre-Seigneur
Jésus-Christ exclut l’une et l’autre de l’intention des fidèles.
S. Chrys. (hom. 19.) Admettons
en principe que le désir de la gloire aime à habiter avec la vertu. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Dans une action qui a de l’éclat, la vaine gloire
trouve plus facilement à se glisser, aussi Notre-Seigneur nous prémunit tout
d’abord contre ce danger : il a compris qu’il est mille fois plus
pernicieux pour les hommes que tous les vices de la chair : car tandis que
toutes les tentations mauvaises assaillent les serviteurs du démon, celle de la
vaine gloire attaque de préférence les serviteurs de Dieu. — S. Aug. Or il n’y a que ceux qui ont lutté
contre l’amour de la vaine gloire, qui puissent comprendre quelle puissance
elle exerce contre nous ; car s’il vous est facile de ne pas désirer la
louange qu’on vous refuse, il vous est fort difficile de ne pas vous complaire
dans celle qui vous est offerte.
S. Chrys. (hom. 19.) Considérez
avec attention ses commencements comme si vous aviez à vous prémunir contre une
bête féroce difficile à connaître et prête à dépouiller celui qui n’est pas sur
ses gardes. Elle se glisse imperceptiblement ; et nous enlève par le moyen
des sens tout ce que nous possédons à l’intérieur. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Aussi
Notre-Seigneur nous ordonne d’éviter avec soin ce danger en nous disant :
« Prenez garde de faire vos bonnes oeuvres devant les hommes. » C’est
notre cœur qui doit être l’objet de cette vigilance, car le serpent qu’on nous
commande de surveiller est invisible, il pénètre secrètement dans notre âme
pour nous séduire. Mais si le cœur dans lequel se glisse cet ennemi est pur, le
juste reconnaît bientôt qu’il est sollicité par un esprit étranger. Si au
contraire le cœur est rempli d’iniquités, il ne se rend pas facilement compte
des suggestions du démon. Voilà pourquoi Notre-Seigneur a commencé par
dire : « Ne vous mettez pas en colère, ne convoitez pas, » car
un homme esclave de ses passions n’est pas capable de veiller sur les mouvements
de son cœur. Mais comment est-il possible que nous ne fassions pas l’aumône
devant les hommes, et dans cette hypothèse même, comment pourrons-nous y rester
insensibles ? Car si un pauvre se présente à nous devant une autre
personne, comment lui donner l’aumône en secret, et si vous le tirez à l’écart,
c’est un moyen de trahir votre aumône ? Remarquez, que Notre-Seigneur ne
dit pas seulement : « Ne faites pas devant les hommes, » mais
qu’il ajoute « pour en être considérés. » Celui donc qui n’agit point
dans le dessein d’être vu des hommes, bien qu’il agisse en leur présence, n’est
pas censé faire des bonnes oeuvres devant les hommes ; car celui qui agit
pour Dieu, ne voit dans son cœur que Dieu pour lequel seul il agit ; de
même que l’ouvrier a toujours devant les yeux celui qui lui a commandé son
travail.
S. Grég. (Moral., liv. 8, chap. 30.) Si nous ne cherchons que la gloire de celui qui nous donne la grâce de bien
faire, nos oeuvres, même celles que nous faisons en public demeurent secrètes
sous la protection de ses regards, mais si dans ces oeuvres nous nous proposons
notre propre gloire, elles sont bannies de la présence de Dieu, quand même
elles seraient ignorées du grand nombre. C’est l’effet d’une haute perfection
de chercher dans les oeuvres faites en public la gloire de l’auteur de tout
bien, et de ne pas se complaire intérieurement dans la gloire individuelle qui
peut nous en revenir. Mais comme les âmes encore faibles ne sont pas capables
de ce parfait mépris qui nous fait triompher de la vaine gloire, ils doivent
s’appliquer à dérober aux regards des hommes le bien qu’ils font.
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 2 ou 3.) En disant : « Pour être
vus par eux, » sans rien ajouter, Notre-Seigneur nous défend évidemment de
placer dans l’opinion des hommes la fin de nos bonnes oeuvres. Car l’apôtre qui
d’un côté fait entendre ces paroles : « Si je plaisais encore aux
hommes, je ne serais plus le serviteur de Jésus-Christ, » dit
ailleurs : « Je m’efforce de plaire à tous en toutes choses. »
Or s’il agissait ainsi, ce n’était pas pour plaire aux hommes, mais à Dieu, et
pour convertir à son amour les cœurs des hommes par là même qu’il leur était
agréable ; de même qu’un homme pourrait dire avec raison : je cherche
un navire, toutefois ce n’est pas le navire que j’ai en vue, mais la patrie. —
S. Aug (serm. 2 sur les paroles du
Seigneur.) Notre-Seigneur ajoute : « Pour être vus par
eux ; » il en est en effet qui ne font pas leurs oeuvres devant les
hommes dans l’intention que les hommes les voient, mais afin qu’ils voient
leurs bonnes oeuvres et glorifient le Père céleste qui est dans les cieux, car
ils ne s’attribuent pas à eux-mêmes le mérite de leur propre justice, mais en
renvoient toute la gloire à Dieu seul dans la foi duquel ils vivent (Ga 2,
29 ; 3, 1). — S. Aug. (serm. sur la mont.) Par ces
paroles : « Autrement vous n’en recevrez pas la récompense de votre
Père, qui est dans les cieux, » le Sauveur veut nous apprendre surtout à
ne point rechercher la gloire humaine comme récompense de nos bonnes oeuvres.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Que pourrez-vous recevoir de Dieu, vous qui n’avez
rien donné à Dieu ? Ce que l’on fait pour Dieu, c’est à Dieu qu’on
l’offre, et Dieu le reçoit ; ce que l’on fait pour les hommes s’évanouit
dans les airs. Or quelle folie de donner un bien aussi précieux pour de vaines
paroles, et de faire mépris des récompenses divines ? Considérez celui de
qui vous attendez la louange, il croit que vous agissez pour Dieu, autrement il
aurait pour vous un profond mépris. Or celui qui recherche les regards des
hommes avec une volonté pleine et entière, agit évidemment pour les hommes. Si
au contraire une pensée de vanité s’élève dans votre cœur et y fait naître le
désir le paraître aux yeux des hommes, mais que la partie intelligente de votre
âme s’oppose à ce désir, on ne peut dire que vous agissez pour les
hommes ; car cette pensée est une pensée de la chair, mais c’est le
jugement de votre âme qui a déterminé votre choix.
S. Aug. (serm. sur la mont. 2, 5). Le Seigneur, en disant à ses disciples :
« Prenez garde que votre justice, » etc., n’a parlé de cette vertu
que d’une manière générale ; il va maintenant en parcourir les divers
degrés. — S. Chrys. Il oppose
trois vertus d’une force toute divine (l’aumône, le jeûne, la prière), aux trois
vices contre lesquels il a soutenu lui-même les assauts de la tentation. Le
Sauveur a combattu pour nous, en effet, contre la sensualité dans le désert,
contre l’avarice sur la montagne, contre la vaine gloire sur le haut du temple.
L’aumône qui aime à répandre ses biens (cf. Ps 111, 8) est opposée à l’avarice
qui amasse, le jeûne à la sensualité, dont il est le contraire, la prière à la
vaine gloire, parce que la vaine gloire est le seul vice qui tire son origine
du bien, tandis que tous les autres maux sont le produit d’un principe
mauvais ; aussi, loin de la détruire, la vertu lui sert d’aliment. Il n’y
a donc d’autre remède contre la vaine gloire que la prière seule.
S. Ambr. Toute la morale chrétienne se
réduit à la miséricorde et à la piété, et c’est pour cela que le Sauveur place
l’aumône en premier lieu : « Lorsque vous faites l’aumône, ne faites
point sonner la trompette devant vous. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) La
trompette c’est toute parole dite, toute oeuvre faite avec un extérieur
d’ostentation visible ; par exemple, voici un homme qui, avec intention,
fait l’aumône devant témoins ou par l’entremise d’un autre, ou à une personne
honorable qui pourra s’acquitter envers lui ; dans d’autres circonstances,
il n’en fait pas, ou bien s’il fait l’aumône en secret, il la fait pour
s’attirer des louanges, c’est toujours la trompette. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 1). Ces paroles : « Ne faites pas
sonner la trompette devant vous, » se rapportent à ce qu’il a dit plus
haut : « Prenez garde de ne pas faire vos bonnes oeuvres devant les
hommes. »
S. Jér. Celui qui sonne de la trompette en
faisant l’aumône est un hypocrite, et c’est pour cela qu’il ajoute :
« Comme font les hypocrites. » — La
Glose. Peut-être agissaient-ils ainsi pour rassembler le peuple et pour
attirer tout le monde à ce spectacle. — Isid.
Le nom d’hypocrite vient des acteurs qui, dans les spectacles, ont l’habitude
de dissimuler leurs traits naturels en appliquant sur leur visage diverses
couleurs pour prendre le teint de la personne qu’ils veulent représenter,
tantôt un homme, tantôt une femme, le tout pour faire illusion aux spectateurs
dans les jeux publics. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Les hypocrites,
c’est-à-dire les comédiens, jouent le rôle des personnages qu’ils veulent
imiter sans qu’ils le soient en effet (celui qui joue le rôle d’Agamemnon n’est
pas Agamemnon, mais s’efforce de le paraître). Ainsi, parmi les chrétiens,
celui qui dans toute sa vie veut paraître ce qu’il n’est pas est un hypocrite,
car il se couvre de l’extérieur du juste sans l’être en réalité, lui qui ne
veut que la louange des hommes pour tout fruit de ses bonnes oeuvres. — La Glose. C’est pour cela que le
Sauveur désigne les lieux fréquentés par le public : « Dans les
synagogues et dans les carrefours, et qu’il ajoute : « Pour être
honoré des hommes, » marquant ainsi le but qu’on se propose.
S. Grég. (Moral., 21, 8.) Il en est cependant qui ont l’extérieur de la
sainteté, mais qui ne peuvent en atteindre toute la perfection ; on ne
doit pas les ranger parmi les hypocrites, car on ne peut assimiler celui qui
pèche par faiblesse à celui qui pèche par hypocrisie.
S. Aug.
(serm. sur la mont.) Or, ceux
qui se rendent coupables d’hypocrisie n’ont à attendre de Dieu, qui examine le
fond du cœur, d’autre récompense que le châtiment de leur fourberie ;
c’est pour cela qu’il ajoute : « Je vous le dis en vérité, ils ont
reçu leur récompense. » — S. Jér. Ce
n’est pas la récompense de Dieu, mais leur récompense ; ils ont fait leurs
bonnes oeuvres pour les hommes, ils ont obtenu les louanges des hommes. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ces paroles se rapportent à celles qu’il a
dites plus haut : « Autrement vous n’aurez pas la récompense de votre
Père. » Il ajoute : « Pour vous, lorsque vous faites l’aumône,
que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite, » et vous
ordonne ainsi de faire l’aumône, non pas comme ils la font mais comme il veut
qu’elle soit faite. — S. Chrys. (hom. 49.) Ces paroles sont dites par
hyperbole et reviennent à celles-ci : S’il est possible, appliquez-vous
avec le plus grand soin à vous ignorer vous-mêmes, et à vous cacher l’oeuvre de
vos propres mains. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Voici l’interprétation
que les Apôtres donnent de ces paroles dans le livre des Canons : La
droite est le peuple chrétien qui est à la droite du Christ ; la gauche,
le peuple qui est à gauche ; Notre-Seigneur veut donc que le chrétien qui
est la droite ne se laisse pas voir lorsqu’il fait l’aumône par l’infidèle qui
est à la gauche.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Selon cette interprétation, il semble qu’il
n’y aurait aucun mal à vouloir plaire aux fidèles, et cependant il nous est
défendu de nous proposer comme fin de nos bonnes oeuvres la louange des hommes
quels qu’ils soient. Cependant si vous cherchez à leur plaire dans vos actions
pour les porter à vous imiter, ce n’est pas seulement en présence des fidèles,
mais aussi des infidèles que vous devez accomplir vos bonnes oeuvres. Si avec
d’autres auteurs vous entendez par la gauche votre ennemi, et que le sens de ces
paroles soit que votre ennemi doit ignorer que vous faites l’aumône, comment
expliquer que le Seigneur, dans sa miséricorde, ait guéri les malades, entouré
des Juifs ses plus cruels ennemis ? Comment, d’ailleurs, accorder ce
commandement avec celui qui nous est imposé de faire l’aumône, même à notre
ennemi ? « Si votre ennemi a faim, donnez-lui à manger » (Rm 12,
20 ; Pv 21, 21). Quant à la troisième opinion, qui prétend que la gauche
signifie l’épouse, elle est ridicule. Comme dans le mariage, disent-ils, les
femmes laissent difficilement échapper l’argent de leurs mains, les maris, pour
éviter les querelles domestiques, doivent leur cacher ce qu’ils donnent aux
pauvres. Mais ce précepte n’est pas donné pour les hommes seuls ; il
concerne aussi les femmes. Ainsi, la femme étant obligée de cacher ses aumônes
à sa main gauche, dira-t-on que l’homme est la gauche de sa femme ? Si on
admet qu’il y a obligation pour eux de se gagner réciproquement à la vertu par
le spectacle de leurs bonnes oeuvres, ils ne doivent point se les cacher l’un à
l’autre, encore moins commettre un vol pour être agréables à Dieu. Accordons
même que la faiblesse de l’un force l’autre de lui dérober la connaissance
d’une oeuvre dont il ne pourrait supporter la vue, il n’y a rien en cela
d’illicite, mais on ne peut en conclure que la gauche signifie la femme, alors
que tout l’ensemble du chapitre s’oppose à cette interprétation. Que vous
est-il donc défendu ? De faire ce que le Sauveur condamne dans les
hypocrites qui recherchent les louanges des hommes. La gauche nous paraît donc
signifier le désir des louanges, et la droite l’intention d’accomplir les
commandements de Dieu. Lorsque le désir de la gloire humaine se glisse dans
votre âme au moment où vous faites l’aumône, votre gauche devine les secrets de
votre droite. Laissez donc votre gauche dans l’ignorance, c’est-à-dire que le
désir des louanges des hommes ne trouve point de place dans votre âme. Mais
Notre-Seigneur nous défend bien plus sévèrement de laisser la gauche agir seule
en nous, que de lui permettre de se mêler aux oeuvres de la droite. Quant au
but qu’il s’est proposé dans ce précepte, il nous le fait connaître en
ajoutant : « Afin que votre aumône soit dans le secret. »
C’est-à-dire dans une bonne conscience qui ne s’ouvre pas aux regards des
hommes, ni à leurs discours si souvent mensongers. Votre conscience seule vous
suffit pour mériter votre récompense, si vous l’attendez de celui qui seul
pénètre dans la conscience, et c’est ce qu’enseignent les paroles suivantes :
« Votre Père qui voit dans le secret vous le rendra lui-même. » Un
grand nombre d’exemplaires latins portent : « Vous le rendra en
public. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il est impossible que
Dieu laisse dans l’obscurité une seule bonne oeuvre : dans la vie présente
il se contente de la produire au grand jour, et il la glorifiera dans l’autre
vie, parce qu’il est la gloire de Dieu. Par la même raison, le démon met le mal
en évidence parce que le mal fait éclater la puissance de sa méchanceté. Mais à
proprement parler, Dieu ne dévoile les bonnes oeuvres que dans cette vie, où
les biens ne sont pas communs aux bons et aux méchants ; tous ceux que
Dieu y comble de biens peuvent les considérer comme la récompense méritée de
leur justice ; sur la terre, au contraire, on ne peut distinguer
clairement cette récompense, parce que les richesses y sont le partage des
méchants comme des bons. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Dans les
exemplaires grecs, qui sont antérieurs aux latins, on ne trouve pas le mot palam, en public.
S. Chrys. (hom. 19.) Si
vous voulez des spectateurs de vos actions, voici non-seulement les anges et
les archanges, mais encore le Dieu souverain maître de toutes choses.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Salomon (Si 9, 23) nous fait cette
recommandation : « Avant la prière, préparez votre âme. » C’est
ce que fait celui qui donne l’aumône avant de prier. Les bonnes oeuvres, en
effet, réveillent la foi du cœur et donnent à l’âme la force de s’adresser à
Dieu par la prière. L’aumône est donc une préparation à la prière et c’est pour
cela qu’après avoir expliqué les conditions de l’aumône le Sauveur nous donne
ses instructions sur la prière.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Or, il nous enseigne ici non pas l’obligation
de la prière, mais la manière dont nous devons prier, de même que plus haut il
n’a point parlé de la nécessité de l’aumône, mais de l’intention avec laquelle
on doit la faire. — S. Chrys. (sur S. Matth.) La prière est comme un tribut spirituel que l’homme tire du
plus intime de son âme pour l’offrir à Dieu. Plus donc la prière est honorable
et glorieuse, plus il faut prendre garde à ce qu’une intention tout humaine ne
vienne l’avilir. Aussi, écoutez le Sauveur : « Lorsque vous prierez,
vous ne serez pas comme des hypocrites. » — S. Chrys. (hom. 49.) Il
appelle hypocrites ceux qui font semblant de prier et regardent de tous côtés
si les hommes les considèrent, et c’est pour cela qu’il ajoute « Qui
aiment à prier dans les synagogues. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Je
ne pense pas que le Seigneur veuille parler ici du lieu où l’on prie, mais de
l’intention qui anime la prière, car c’est une action louable que de prier dans
les assemblées des fidèles, selon cette parole du roi-prophète :
« Bénissez Dieu dans les assemblées. » Celui-là donc qui prie pour
être vu des hommes, ce n’est pas vers Dieu, mais vers les hommes qu’il tourne
ses regards et, par son intention, il prie dans la synagogue. Le texte
ajoute : « Et dans les coins des rues, » afin de paraître prier
en secret, poursuivant ainsi aux yeux des hommes le double mérite de la prière
et de la prière faite en secret. — La
Glose. Ou bien ces coins de rues sont les endroits où une voie en coupe
une autre et forme un carrefour.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Il nous défend donc de prier dans l’assemblée de
nos frères dans l’intention d’en être remarqués ; aussi ajoute-t-il :
« Pour être vus des hommes. » Que celui qui se livre à la prière
évite donc avec soin tout ce qui est extraordinaire et qui peut attirer les
regards des hommes, comme d’élever la voix, de se frapper la poitrine ou de
tenir les mains étendues. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ce qui est un mal,
ce n’est pas d’être vu des hommes, mais d’agir pour en être remarqué. — S. Chrys. (hom. 19). Il est toujours bon de se dérober au danger de la vaine
gloire, mais surtout dans la prière, car si même sans ce défaut nos pensées
nous égarent çà et là pendant la prière, comment comprenons-nous ce qui nous
est dit si nous venons prier avec une âme travaillée de cette nouvelle
infirmité ? — S. Aug. (serm. sur la mont.) Nous devons éviter
également de faire voir aux hommes que nous ne voulons pour récompense de nos
actions que leur être agréables, car écoutons ce qui suit : « Je vous
le dis en vérité, ils ont reçu leur récompense. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Chacun ne moissonnera que ce qu’il aura semé ;
celui donc qui aura prié pour plaire aux hommes plutôt qu’à Dieu recevra les
louanges des hommes et n’aura aucun droit aux louanges de Dieu. Notre-Seigneur
dit : « Ils ont reçu, » car Dieu voulait leur accorder la récompense
dont il est l’auteur, ils ont mieux aimé rechercher celle que donnent les
hommes. Mais comment doit-on prier ? Notre-Seigneur nous l’enseigne par ce
qui suit : « Pour vous, lorsque vous voudrez prier, entrez dans votre
chambre et, après en avoir fermé la porte, priez votre Père dans le secret. — S. Jér. Ces paroles, dans leur sens
naturel, apprennent à celui qui les entend à fuir la vaine gloire dans la
prière. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il faut qu’il n’y ait
absolument là que celui qui prie et celui à qui s’adresse la prière. Un témoin,
loin de vous être alors utile, ne fait que vous être à charge.
S. Cypr. (De l’Oraison Dominicale.) D’ailleurs il est plus convenable pour
notre foi de prier dans les lieux retirés, nous comprenons mieux alors que Dieu
est présent partout et qu’il pénètre les endroits les plus secrets de la
plénitude de sa majesté. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Nous pouvons aussi
par cette porte de la maison entendre notre bouche, en ce sens que nous n’avons
pas besoin d’élever bien haut la voix, mais que nous devons prier dans le
silence du cœur pour trois raisons : la première c’est que Dieu qui écoute
la voix du cœur ne doit pas être importuné par des cris, mais apaisé par le
spectacle d’une conscience droite ; la seconde, c’est que personne,
excepté Dieu et vous ne doit connaître l’objet de vos prières secrètes ;
la troisième, c’est que votre prière bruyante est un véritable empêchement pour
celui qui prie à côté de vous. — Confér. Nous devons prier dans le plus grand
silence, afin que nos ennemis qui nous entourent, surtout pendant la prière, ne
puissent connaître dans quelle intention nous prions. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Par nos chambres on peut encore entendre nos
cœurs, dont le Psalmiste a dit (Ps 4) :
« Ce que vous dites dans vos cœurs, repassez-le avec amertume dans le lieu
de votre repos. » La porte ce sont les sens de la chair ; au dehors
sont toutes les choses temporelles qui pénètrent par les sens dans nos pensées,
et la multitude des vains fantômes qui viennent nous étourdir pendant la
prière. — S. Cypr. (de
l’Or.
S. Chrys. hom. 12.) Remarquez
qu’il ne dit pas : « C’est lui qui vous donnera gratuitement, »
mais « c’est lui qui vous le rendra, » car Dieu se constitue lui-même
votre débiteur.
S. Aug (serm.
sur la mont.) Le propre des hypocrites est de se donner en spectacle dans
leurs prières et de n’y chercher d’autres fruits que la louange des
hommes ; ainsi le propre des païens (c’est-à-dire des Gentils) est de
penser que c’est à force de paroles qu’ils seront exaucés dans leurs prières.
C’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : « Or en priant, ne parlez pas
beaucoup. » — Confér. des Pères.
Nos prières doivent être fréquentes mais courtes, de peur que notre ennemi ne
prenne occasion d’une prière trop prolongée pour jeter ses pernicieuses
insinuations dans notre âme.
S. Aug. (Ep. 121 à Proba., chap.
10.) Cependant ce n’est pas faire de longs discours en priant, comme plusieurs
le pensent, que de prier longtemps. Les longs discours n’ont rien de commun
avec la durée du sentiment intérieur. En effet, n’est-il pas dit du Seigneur
lui-même, qu’il passa la nuit à prier (Lc
6), et ailleurs qu’il redoubla sa prière pour nous donner l’exemple ? (Lc 22) On dit que nos frères d’Égypte
se livrent à de fréquentes mais très courtes prières qu’ils lancent pour ainsi
dire vers le ciel à la dérobée afin que la ferveur d’intention si nécessaire à
celui qui prie ne soit pas soumise à une espèce de violence pendant une prière
trop prolongée. Par là ils nous apprennent que de même qu’il ne faut pas
fatiguer cette intention, si elle ne peut durer plus longtemps, on ne doit pas
non plus l’interrompre si elle veut encore continuer. Ne multiplions pas les
paroles dans la prière, mais multiplions-y les supplications, si la ferveur de l’intention
se soutient. Parler beaucoup dans la prière c’est noyer une demande nécessaire
dans un flot de paroles superflues ; tandis que prier beaucoup c’est
importuner pour ainsi dire celui que nous prions par les cris continuels de
notre cœur : car presque toujours cette affaire se traite bien mieux par
des gémissements que par des discours, et plus efficacement avec des larmes
qu’avec des paroles.
S. Chrys. (hom. 49.) Notre-Seigneur
condamne ici toutes les paroles inutiles et vaines dans la prière, comme
lorsque nous demandons à Dieu non pas ce qui est digne de lui et de nous, mais
la puissance, la gloire, la victoire sur nos ennemis, de grandes richesses. Il
nous défend donc ici les longues prières, je ne dis pas longues par leur durée,
mais par la multitude des paroles dont elles sont composées. Cependant la
persévérance dans la prière est nécessaire : « Persévérez dans la
prière » nous dit l’apôtre (Rm 12 ; Col 4, 2 ; Ep 6, 18). Ce
n’est pas qu’il nous ordonne de faire des prières composées de dix mille
phrases ; il veut simplement que nous les prolongions par les instances de
notre cœur ; c’est ce que Notre-Seigneur nous insinue indirectement par
ces paroles : « N’affectez pas de parler beaucoup. »
La Glose. Notre-Seigneur condamne la multitude des paroles
qui provient de l’incrédulité, ce qu’il exprime en disant : « Ainsi
que font les païens. » Cette abondance de paroles était nécessaire aux
païens pour instruire les démons de l’objet de leurs demandes,
« car, » dit Jésus-Christ, « ils sont persuadés que c’est à
force de paroles qu’ils seront exaucés. — S. Aug.
(serm. sur la mont.) Et en
effet toute abondance superflue de paroles vient des païens, qui beaucoup plus
occupés du soin d’exercer leur langue que de changer leur cœur, transportent ce
flux habituel de paroles jusque dans les prières qu’ils adressent à Dieu. — S. Grég. (Moral., liv. 33,
chap. 21.) La prière véritable consiste dans les gémissements amers de la
componction et non dans des paroles arrangées avec art ; aussi
Notre-Seigneur conclut-il, « Ne vous rendez donc pas semblables à
eux. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) Si cette abondance
de paroles a pour objet de dissiper l’ignorance de celui à qui on s’adresse,
qu’en est-il besoin vis-à-vis de celui qui connaît toutes choses ? C’est
pourquoi il ajoute : « Votre Père céleste sait avant que vous le lui
demandiez, ce qui vous est nécessaire. »
S. Jér. Quelques philosophes ont pris
occasion de là pour formuler comme un dogme cette impiété : Si Dieu
connaît par avance et l’objet de nos prières, et les besoins que nous voulons
lui exposer, il est inutile de les lui dire. Nous leur répondons que nous
faisons à Dieu non pas un récit mais une prière, et qu’il y a une grande
différence entre raconter à quelqu’un ce qu’il ignore, et lui demander ce qu’il
sait déjà.
S. Chrys. (homél. 19.) Vous ne priez donc pas pour instruire Dieu, mais pour
le fléchir, pour vous unir intimement à lui par la continuité de la prière,
pour vous humilier, pour réveiller en vous le souvenir de vos péchés. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ce n’est pas par nos paroles que nous devons
chercher à obtenir de Dieu ce que nous désirons, mais par les dispositions
habituelles de notre âme, par la droiture de notre intention, la pureté de
notre amour, la simplicité de notre cœur. — S. Aug. (Lettre 121 à Proba.)
Cependant de temps à autre nous adressons à Dieu des prières vocales, afin
que ces signes extérieurs nous réveillent, nous fassent connaître quels sont
nos progrès dans le saint désir de la prière, et nous excitent plus vivement à
l’augmenter en nous. Car ce désir qui s’attiédit au contact de mille soins
divers, finirait par se refroidir et s’éteindre tout à fait, si nous ne
ravivions fréquemment sa flamme. Les paroles nous sont donc nécessaires non pas
pour apprendre à Dieu ce qu’il ne sait pas, ou pour le fléchir, mais pour nous
donner de salutaires avertissements, et nous faire examiner l’objet de nos
prières.
S. Aug. (serm. sur la mont.) On pourrait demander encore en quoi la prière
elle-même (qu’elle consiste en paroles ou en sentiments intérieurs) est
nécessaire si Dieu sait par avance ce dont nous avons besoin, s’il n’était
évident que la seule volonté de la prière est pour l’âme une source de paix et
de pureté, et la rend plus propre à recevoir les dons spirituels que Dieu répand
en nous. Dieu n’exauce pas nos prières par le désir qu’il a d’être prié, car il
est toujours prêt à donner sa lumière, mais nous ne sommes pas toujours
disposés à la recevoir, inclinés que nous sommes vers d’autres biens. Dans la
prière notre cœur se tourne donc vers Dieu, et en excluant le désir des biens
temporels l’oeil intérieur de notre âme se purifie, et ainsi rendu à sa pureté
il devient capable de supporter la lumière dans toute sa clarté, et de demeurer
dans cette sublime contemplation avec ce sentiment de joie qui est la
perfection du bonheur.
La Glose. Parmi les enseignements salutaires et les conseils divins que
Notre-Seigneur donne à ceux qui croient en lui, il leur propose une formule de
prière, et cette formule renferme peu de paroles ; il veut que cette
brièveté même qu’il nous commande nous inspire la confiance d’être promptement
exaucés. Cette prière commence ainsi : « Notre Père qui êtes dans les
cieux. » — S. Cypr. (de
l’Or.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Dans toute prière il faut avant tout se
concilier la bienveillance de celui qu’on prie, et lui exposer ensuite l’objet
de notre demande. C’est par la louange qu’on se concilie cette bienveillance,
et on la place ordinairement au commencement de la prière. La loi contenait bien
des préceptes sur la manière dont Dieu devait être loué, mais on n’en trouve
aucun qui enjoigne au peuple d’Israël d’appeler Dieu notre Père (cf. Is 1,
2 ; 63, 16 ; 64, 8 ; Ps 81, 6 ; Ml 1, 6 ; Sg 14,
3 ; Si 23, 1.4). Car Dieu ne leur était présenté que comme un maître qui
commande à ses serviteurs, et non comme un père plein de tendresse pour ses
enfants. Le peuple chrétien au contraire, d’après le témoignage de l’Apôtre a
reçu l’esprit d’adoption dans lequel nous crions : « Mon Père, mon
Père, » non point sans doute par l’effet de nos mérites, mais par la grâce
qui nous fait dire dans la prière : « Mon Père. » Ce nom excite
à la fois la charité dans nos cœurs (car qu’y a-t-il de plus cher à des enfants
que leur père), un sentiment d’affectueuse supplication, qui nous fait dire à
Dieu : « Notre Père, » et l’espérance presque certaine d’obtenir
ce que nous demandons. Car que peut-il refuser à ses enfants qui le prient,
après le bienfait inestimable de cette filiation divine ? Enfin avec
quelle sollicitude celui qui dit : « Notre Père » doit veiller à
ne pas se rendre indigne d’une si auguste filiation ? Ceux qui ont les
richesses en partage, ou qui se glorifient d’une illustre origine doivent
apprendre, du moment qu’ils sont devenus chrétiens, à ne point se conduire avec
hauteur à l’égard de ceux qui sont pauvres ou de condition obscure, puisque
tous ensemble ils disent à Dieu : « Notre Père, » parole qui ne
peut avoir dans leur bouche ni l’accent de la piété, ni celui de la vérité,
s’ils ne les reconnaissent pour leurs frères. — S. Chrys. (hom. 28.)
Quel mal peut résulter pour nous de notre parenté d’ici-bas alors que par une
alliance bien plus sublime nous ne formons tous qu’une même famille ? Par
ce nom seul de Père, nous proclamons le pardon de nos péchés, notre adoption,
notre droit à l’héritage, la fraternité qui nous unit au Fils unique, et
l’effusion de l’Esprit saint dans nos âmes, car personne ne peut appeler Dieu
son Père, s’il n’est en possession de tous ces biens. Notre âme donc se trouve
au commencement de la prière élevée tout à la fois et par la dignité de celui
qu’elle invoque, et par la grandeur des bienfaits dont elle est comblée. — S. Cypr.
(de l’Or.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur
ajoute : « Qui êtes dans les cieux, » pour nous apprendre ainsi
que nous avons un Père céleste et nous faire rougir lorsque nous nous abaissons
au niveau des choses de la terre. — Confér.
des Pères. C’est aussi pour nous inspirer un vif désir de parvenir à
cette région où nous reconnaissons qu’habite notre Père. — S. Chrys. (hom. 26.) En disant : « Qui êtes dans les cieux, »
il n’y renferme pas l’immensité divine, mais il détache simplement de la terre
celui qui prie pour le transporter dans les régions plus élevées. — S. Aug. (serm. sur la mont. 2, 9). Ou bien ces paroles : « Dans
les cieux, » veulent dire : Dans les saints et dans les justes, car
Dieu ne peut être renfermé dans l’espace. On entend ordinairement par les cieux
les parties de cet univers dont la nature est plus parfaite, et si l’on admet
qu’elles sont le séjour de Dieu, il faudra dire que les oiseaux sont de meilleure
condition que nous, puisqu’ils vivent dans des lieux plus rapprochés de Dieu.
Or, il n’est pas écrit : « Le Seigneur est proche des hommes qui
habitent les lieux élevés ou les montagnes, » mais : « Il est
proche de ceux qui ont le cœur contrit » (Ps 33, 19). Mais de même que le
pécheur est appelé terre et que Dieu lui a dit : « Tu es terre et tu
retourneras en terre, » ainsi par une raison contraire le nom de ciel
convient parfaitement aux justes. C’est donc avec raison que nous disons :
« Qui êtes dans les cieux, » c’est-à-dire qui êtes dans les justes,
car la distance spirituelle qui sépare les justes des pécheurs est aussi grande
que la distance qui, dans le monde visible, sépare le ciel de la terre. C’est
pour cela que lorsque nous prions nous nous tournons vers l’orient d’où nous
voyons le ciel se lever. Ce n’est pas que Dieu y soit d’une manière
particulière, à l’exclusion des autres parties du monde, mais c’est pour
rappeler à notre âme qu’elle doit se tourner vers la nature plus parfaite de Dieu,
en même temps que notre corps qui est terrestre se tourne vers un corps céleste
qui est aussi plus parfait. Il est convenable aussi que tous, les petits comme
les grands, se servent de leurs sens pour concevoir des sentiments dignes de
Dieu, et pour ceux qui ne peuvent se faire une idée d’un être incorporel, il
vaut mieux encore croire que Dieu est dans le ciel que sur la terre.
Que votre nom soit sanctifié.
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 12). Le Sauveur nous a fait connaître celui
à qui doit s’adresser notre prière et le lieu qu’il habite, voyons maintenant
quel doit être l’objet de nos prières. La première de toutes les demandes est
celle-ci : « Que votre nom soit sanctifié. » Cette demande ne
suppose pas que le nom de Dieu ne soit pas saint par lui-même, mais elle
exprime le désir que la sainteté de ce nom soit reconnue par tous les hommes
c’est-à-dire que les hommes aient une connaissance si parfaite de Dieu qu’ils
n’estiment rien de plus saint que lui. — S. Chrys.
(Hom. 20.) Ou bien il veut que dans
la prière nous demandions que Dieu soit glorifié par notre vie, comme si nous
disions à Dieu : « Accordez-nous de vivre de manière que notre vie
soit pour toutes les créatures un sujet de vous louer et de vous
glorifier, » car l’expression : « Qu’il soit sanctifié »
est la même que celle-ci : Qu’il soit glorifié. Or, pour être digne de
Dieu, la prière ne doit rien demander avant la gloire du Père, et doit
subordonner tout à ses louanges. — S. Cyp.
(de l’Orais.
S. Cyp. (De l’Orais.
Que votre règne arrive
La Glose. Après
l’adoption des enfants, il est juste que nous demandions l’avènement du royaume
qui est promis aux enfants. C’est l’objet de la demande suivante :
« Que votre règne arrive. » — S. Aug.
(serm. sur la mont.) Ces paroles ne
veulent pas dire que Dieu ne règne pas actuellement sur la terre et qu’il n’y
ait pas toujours régné. Cette expression : « Qu’il arrive »
signifie donc : « Qu’il soit manifesté aux hommes. » Or,
personne qui puisse ignorer le royaume de Dieu, lorsque son Fils unique viendra
non plus d’une manière spirituelle, mais visiblement pour juger les vivants et
les morts ; c’est alors, comme le Seigneur l’enseigne, qu’aura lieu le
jugement dernier, lorsque l’Évangile aura été prêché à toutes les nations.
Cette demande se rattache à la sanctification du nom de Dieu. — S. Jér. Ou bien nous demandons d’une
manière générale que le démon cesse de régner sur toute la surface de la terre,
ou que Dieu règne dans chacun de nous et détruise le règne du péché dans notre
corps mortel (hom. 6). — S. Cyp. (de 1’Orais.
S. Cyp. (de l’Orais.
Que votre volonté soit faite sur la terre
comme au ciel.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Dans ce royaume de la vraie félicité, la vie
heureuse aura toute sa perfection dans les saints, comme elle l’a maintenant
dans les anges : aussi, après cette demande : « Que votre règne
arrive, » vient celle-ci : « Que votre volonté soit faite sur la
terre comme au ciel, » c’est-à-dire : « De même que les anges
accomplissent cette volonté en jouissant de vous sans qu’aucun nuage d’erreur
obscurcisse leur intelligence, sans qu’aucune misère fasse obstacle à leur
bonheur, qu’elle s’accomplisse également dans les saints qui sont sur la terre
et qui ont été, quant à leur corps, formés de la terre. On peut encore entendre
ces paroles : « Que votre volonté soit faite » dans ce
sens : Soyez obéi sur la terre comme dans le ciel, par les hommes comme
par les anges, non pas que les anges agissent eux-mêmes sur la volonté de Dieu,
mais parce qu’ils font ce qu’il veut et qu’ils agissent d’une manière conforme
à sa volonté.
S. Chrys. (hom. 20). Voyez
cet enchaînement admirable : Notre-Seigneur nous a enseigné à diriger nos
désirs vers le ciel par ces paroles : « Que votre règne
arrive ; » en ajoutant : « Que votre volonté soit faite sur
la terre comme au ciel, » il veut, avant de parvenir au ciel, que nous
fassions de la terre un ciel anticipé en accomplissant ces paroles :
« Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » — S. Jér. Qu’ils rougissent ici de leur
opinion, ceux qui prétendent que le péché fait tous les jours des ruines dans
le ciel. — S. Aug. (serm. sur la mont.)
Ou bien : « Sur la terre comme au ciel, » c’est-à-dire dans
les pécheurs comme dans les justes, ce qui revient à dire : « De même
que les justes font votre volonté, que les pécheurs l’accomplissent également
en se convertissant à vous, » ou bien « De manière qu’on rende à
chacun ce qui lui est dû, ce qui aura lieu au dernier jugement. » Ou bien
encore nous pouvons entendre par le ciel et la terre l’esprit et la chair, et
alors dans ces paroles de l’Apôtre : « Je suis soumis à la loi de
Dieu selon l’esprit » (Rm 7),
nous verrons la volonté de Dieu accomplie en esprit. Dans ce sens, le
merveilleux changement qui est promis aux justes nous est signifié par ces
paroles : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au
ciel ; » c’est-à-dire que le corps soit soumis à l’esprit comme
l’esprit est soumis à Dieu. Ou bien enfin « sur la terre comme dans le
ciel, » c’est-à-dire dans l’Église comme en Jésus-Christ, dans l’épouse
qu’il s’est unie comme dans l’époux qui a fidèlement exécuté la volonté de son
Père. En effet, le ciel et la terre sont une figure très juste de l’homme et de
la femme, car la terre ne produit des fruits qu’autant qu’elle est fécondée par
le ciel.
S. Cyp. (de l’Orais.
S. Aug. (Du don de la Persévér., chap. 3). Nous avons ici contre les
Pélagiens une preuve évidente que le commencement de la foi est un don de Dieu,
puisque la sainte Église prie pour les infidèles, afin que Dieu leur donne le
commencement de la foi. Puisque la volonté de Dieu est déjà faite dans les
saints, en priant qu’elle se fasse de nouveau, que demandent-ils si ce n’est de
persévérer dans la voie où ils sont entrés ?
S. Chrys. (sur S. Matth.) On doit joindre ces paroles : « Sur la
terre comme au ciel » aux demandes précédentes : « Que votre nom
soit sanctifié sur la terre comme dans le ciel ; que votre règne arrive
sur la terre comme dans le ciel ; que votre volonté soit faite dans la
terre comme dans le ciel. » Et voyez quelle sagesse dans les paroles du
Sauveur ; il ne nous fait pas dire : « Père, sanctifiez en nous
votre nom, que votre règne arrive pour nous, faites en nous votre
volonté, » ou bien : « Sanctifions votre nom ; recevons
votre royaume ; faisons votre volonté, » dans la crainte que
l’accomplissement de ces commandements parût être l’oeuvre exclusive ou de Dieu
ou de l’homme. Il s’exprime donc en général et sans déterminer personne, car de
même que l’homme ne peut faire le bien sans le secours de Dieu, de même Dieu ne
peut opérer le bien dans l’homme, si l’homme ne lui prête le concours de sa
volonté.
Donnez-nous aujourd’hui notre pain au-dessus de
toute substance
S. Aug. (Enchirid. chap. 15.) Les trois choses contenues dans les demandes précédentes se commencent
ici-bas et elles se développent en nous a proportion de notre progrès dans la
vie spirituelle. Elles ne seront parfaites que lorsque nous les posséderons
sans crainte de les perdre, comme nous l’espérons dans l’autre vie. Les quatre
demandes suivantes ont pour objet les choses du temps qui nous sont nécessaires
pour obtenir les biens éternels. Le pain qui fait l’objet de la première de ces
demandes est une nécessité de la vie : « Donnez-nous aujourd’hui
notre pain qui est au-dessus de toute substance. — S. Jér. L’expression que nous traduisons par au-dessus de toute substance est le mot
grec επιουσιον, de tous les jours, que les Septante
expriment fréquemment par
περιουσιον, qui signifie
également au-dessus de toute substance. Si
nous examinons le texte hébreu, nous trouvons qu’au mot grec
περιουσιον correspond
toujours le mot hébreu sogolla, que
Symmache traduit par le mot
εξαιρετον, c’est-à-dire, principal ou remarquable, et auquel il donne dans un autre endroit le sens de particulier. Quand donc nous demandons à
Dieu ce pain qui nous est propre ou ce pain d’une nature supérieure, nous avons
en vue le pain dont le Seigneur a dit dans l’Évangile : Je suis le pain
vivant descendu du ciel. » — S. Chrys.
En effet, le Christ est le pain de vie ; ce pain n’appartient pas à tous,
mais il est véritablement notre pain. Nous demandons que ce pain nous soit
donné tous les jours, c’est-à-dire que nous tous, qui sommes en Jésus-Christ et
qui recevons tous les jours la sainte Eucharistie, nous ne soyons pas éloignés
de ce pain céleste par quelque faute grave et séparés ainsi du corps de
Jésus-Christ. Nous prions donc Dieu, nous qui avons le bonheur de demeurer en
Jésus-Christ, de n’être pas séparés de son corps et de sa grâce sanctifiante. —
S. Aug. (Du don de la Persévér., chap. 4). C’est donc la persévérance que
les saints demandent en priant Dieu de les conserver dans cette sainteté qui ne
souffre aucun crime. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien ce pain au-dessus de toute substance est le pain
quotidien. — Confér. des Pères. Cette expression
« aujourd’hui » nous apprend que ce pain doit être mangé tous les
jours et que nous devons faire cette prière en tout temps, car il n’est aucun
jour dans la vie où nous ne devions fortifier par cet aliment le cœur de
l’homme intérieur.
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 7). Ceux qui, dans les églises d’Orient, ne
participent pas tous les jours à la cène du Seigneur soulèvent ici une
difficulté et ils appuient leur sentiment sur l’autorité ecclésiastique. Cette
conduite, disent-ils, ne donne aucun scandale, et ceux qui gouvernent les
églises ne s’opposent pas à cette manière d’agir. Mais, sans entreprendre
aucune discussion sur cette matière, on verra, pour peu qu’on y réfléchisse,
que nous avons reçu du Seigneur lui-même la règle de la prière et qu’il ne nous
est pas permis de la transgresser. Qui donc oserait dire que nous ne devons
réciter qu’une fois l’Oraison dominicale ou, si nous pouvons la réciter une
deuxième et une troisième fois, qu’elle nous est défendue après que nous avons
communié au corps du Seigneur ? Car il semble alors que nous ne pourrions
plus dire : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain, » puisque nous
l’aurions déjà reçu. Ou bien il faudrait admettre qu’on pourrait nous forcer de
célébrer le sacrifice dans la seconde partie du jour. — Confér. des Pères, 9. Aujourd’hui peut aussi s’entendre de la vie présente,
c’est-à-dire : « Donnez-nous ce pain tant que nous sommes dans cette
vie. »
S. Jér. Nous pouvons encore entendre dans
un autre sens ce pain supersubstantiel, c’est-à-dire
du pain qui est au-dessus de toutes les substances, qui est supérieur à toutes
les créatures, en un mot du corps du Seigneur. — S. Aug. (serm. sur la
mont.) Ou bien, ce pain quotidien est un pain spirituel, c’est-à-dire les préceptes
divins, que nous devons tous les jours méditer et accomplir. — S. Grég. (Moral., 24, 5). Nous disons : « Notre pain, » et
cependant nous prions qu’il nous soit donné, parce qu’il est le pain de Dieu
qui nous l’accorde, et qu’il devient notre pain lorsque nous le recevons. — S. Jér. D’autres expliquant simplement ce
texte dans le sens des paroles de saint Paul (1 Tm 6) : « Ayant de quoi nous nourrir et de quoi nous
couvrir, nous devons être contents, » disent que les saints ne doivent
s’occuper de la nourriture que pour le jour présent. C’est pour cela que plus
loin Notre-Seigneur nous donne ce précepte : « Ne vous inquiétez pas
pour le lendemain. »
S. Aug. (Lettre 121 à Proba, chap.
11.) Nous demandons ici toutes les choses qui nous sont nécessaires dans celle
qui passe avant toutes les autres, et nous les renfermons toutes sous le nom de
pain. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Nous ne faisons pas à Dieu cette prière :
« Donnez-nous aujourd’hui notre pain, » seulement pour recevoir notre
nourriture, ce qui est commun aux justes et aux pécheurs, mais pour la recevoir
de la main de Dieu, ce qui est le partage exclusif des Saints : car Dieu
donne le pain à celui qui se prépare à le recevoir par la justice, et le démon
à celui qui ne s’y dispose que par le péché. Ou bien nous demandons que ce pain
que Dieu nous donne soit sanctifié lorsque nous le recevons, et c’est pourquoi
il est appelé notre, en ce
sens : Ce pain que nous nous sommes procuré, donnez-le nous pour qu’il
reçoive de vous sa sanctification, de même que le prêtre recevant le pain des
mains d’un laïque, le sanctifie, et le lui rend ensuite. Ce pain appartient
sans doute à celui qui l’offre, mais la sanctification qu’il reçoit vient du
prêtre. Notre-Seigneur l’appelle « nôtre » pour deux raisons :
d’abord le dessein de Dieu dans les biens qu’il nous donne, est de les répandre
sur les autres par notre entremise, et il veut que nous en donnions une part
aux indigents. Celui donc qui refuse de les assister du fruit de son travail ne
mange pas seulement son pain, mais le pain des autres. Une seconde raison,
c’est qu’il n’y a que celui qui a gagné ce pain par des moyens justes qui mange
véritablement son pain ; celui qui ne le doit qu’a des voies coupables,
mange le pain des autres. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 12.) Peut-être
sera-t-on surpris de nous voir demander à Dieu les choses nécessaires au
soutien de cette vie, comme la nourriture et le vêtement, alors que le Seigneur
nous dit : « Ne vous inquiétez pas comment vous trouverez votre
nourriture ou vos vêtements. » Car on ne peut être sans quelque inquiétude
à l’égard d’une chose qu’on désire et qu’on demande. Celui qui ne désire que
les choses nécessaires à la vie reste dans les limites de la modération et
n’est aucunement répréhensible. Nous ne demandons point ce nécessaire pour
lui-même, mais pour satisfaire aux besoins de notre corps, aux convenances de
notre état, et afin de nous conformer honnêtement aux usages des personnes au
milieu desquelles nous vivons. Nous devons prier pour la conservation de ce
nécessaire lorsque nous l’avons, et pour l’obtenir si nous ne l’avons pas.
S. Chrys. (hom. 20.) Remarquons
qu’après avoir dit : « Que votre volonté soit faite sur la terre
comme au ciel, » Notre-Seigneur s’adressant à des hommes revêtus d’une
chair mortelle et qui ne peuvent avoir la même impassibilité que les anges,
veut bien condescendre à notre faiblesse qui a besoin de nourriture, Il nous
commande donc de demander non pas les richesses, non pas les molles
délicatesses de la vie, mais seulement le pain, et le pain quotidien, et non
content de cela, il ajoute : « Donnez-nous aujourd’hui, » car il ne veut pas que nous soyons
accablés sous le poids des préoccupations du lendemain. — S. Chrys. (sur S. Matth.) A la première vue d’après ces paroles, ceux qui
font cette prière ne devraient avoir aucune réserve pour le lendemain et les
jours suivants. S’il fallait l’entendre ainsi, cette prière conviendrait à un
bien petit nombre, aux apôtres par exemple, qui voyageaient continuellement
pour prêcher l’Évangile, et peut-être ne conviendrait-elle à personne. Or nous
devons interpréter la doctrine de Jésus-Christ de manière à ce que la pratique
en soit accessible à tous.
S. Cypr. (de l’Or.
S. Jér. Dans l’Évangile selon les Hébreux, à la place du mot super-substantiel, on trouve
l’expression mohar, qui signifie
lendemain et donne ce sens à cette demande : « Donnez-nous
aujourd’hui notre pain de demain, » c’est-à-dire pour l’avenir.
S. Cypr. Après avoir demandé le secours de
la nourriture le chrétien demande le pardon de ses péchés, afin que nourri de
la main de Dieu, il puisse vivre tout en Dieu et pourvoir ainsi aux besoins
non-seulement de la vie présente, mais encore de la vie éternelle, dont
l’entrée lui est ouverte par la rémission des péchés que le Seigneur désigne
sous le nom de dettes. « Remettez-nous nos dettes, » comme dans cet
autre endroit : « Je vous ai remis toute votre dette, parce que vous
m’en avez prié, » La doctrine
qui nous rappelle que nous sommes pécheurs, en nous obligeant de prier tous les
jours pour nos péchés est aussi salutaire qu’elle est nécessaire. Nous aurions
pu nous complaire dans notre innocence prétendue, et rendre notre chute plus
lourde par une fausse idée d’élévation ; le commandement qui nous est fait
de prier chaque jour pour nos péchés, prévient ce danger en nous rappelant que
nous tombons tous les jours dans de nouveaux péchés.
S. Aug. (du don de la persév. chap. 5.) Ces paroles sont comme un trait
mortel qui frappe les Pélagiens, ces hérétiques qui osent dire que l’homme ne
commet aucun péché dans cette vie, et que c’est en lui que se réalise, dans le
siècle présent, l’Église sans tache et sans ride. » (Ep 5, 27) — S. Chrys. (hom. 20.) Cette prière est la prière des fidèles ;
c’est ce que nous enseignent les lois de l’Église, et l’exorde même de cette
prière qui nous apprend à appeler Dieu notre Père. Or en nous faisant un
précepte de demander la rémission de nos péchés, Notre-Seigneur prouve aussi
contre les Novatiens que les péchés peuvent être remis après le baptême.
S. Cypr. (de l’Or.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Quelle peut donc être l’espérance du chrétien qui
prie en conservant des sentiments de haine contre celui qui l’a peut-être
offensé ? En priant Dieu, il fait un mensonge (car il dit : Je
remets, et il ne le fait pas) ; et Dieu à qui il demande le pardon ne le
lui accorde pas. Mais il en est plusieurs qui ne voulant point pardonner à
leurs ennemis évitent de faire à Dieu cette prière. Ce sont des insensés, car
premièrement celui qui ne prie pas selon la règle donnée par Jésus-Christ n’est
pas son disciple ; en second lieu, le Père n’exauce pas volontiers une
prière que le Fils n’a pas dictée ; car le Père reconnaît la pensée et
l’expression de son Fils et il rejette les inventions de l’esprit humain et ne
reçoit que des suppliques inspirées par la sagesse de Jésus-Christ.
S. Aug. (Enchirid. chap. 73.) Cependant cette vertu si élevée d’aimer ses ennemis et de leur remettre les
dettes qu’ils ont contractées envers nous, n’est pas le partage de tous ceux en
si grand nombre que nous croyons être exaucés, lorsqu’ils font à Dieu cette
prière : « Remettez-nous
nos dettes, comme nous les remettons à tous ceux qui nous doivent. » Il
faut donc admettre que cet engagement pris devant Dieu est fidèlement exécuté
lorsqu’un chrétien n’étant pas encore assez parfait pour aimer son ennemi, lui
pardonne cependant de tout cœur lorsque celui-ci vient l’en prier, parce qu’il
veut que Dieu lui accorde à lui-même le pardon qu’il sollicite. Or celui qui
demande pardon à un homme qu’il a offensé (si le repentir de sa faute le porte
à cette démarche), ne doit plus être regardé comme ennemi, et il ne doit plus
être difficile de l’aimer comme lorsqu’il donnait un libre cours à son
inimitié.
— Et ne nous laissez pas succomber à la
tentation.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur vient de donner aux hommes de
sublimes préceptes, il leur a commandé d’appeler Dieu leur Père, de demander
l’avènement de son règne ; aussi croit-il devoir ajouter une leçon
d’humilité, en disant : « Et ne nous laissez pas succomber à la
tentation. » — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 14.) Quelques
exemplaires portent : « Et ne nous faites pas entrer dans la
tentation, » ce qui me paraît présenter le même sens, ces deux variantes
étant la traduction littérale du grec. Plusieurs traduisent de cette
manière : « Ne souffrez pas que nous entrions en tentation, » et
expliquent ainsi dans quel sens nous disons : « Ne nous induisez
pas, » car ce n’est pas Dieu qui par lui-même fait entrer en tentation, mais
il permet qu’on y entre, en abandonnant l’homme à ses propres forces. — S. Cypr. (de l’Or.
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 14.) Être induit en tentation, et être
tenté sont deux choses différentes : Aucun homme s’il n’a été tenté ne
peut passer pour éprouvé à ses propres yeux on aux yeux des autres (cf. Ps 25).
Dieu au contraire connaît à fond tous les hommes avant toute espèce de
tentation. Nous ne prions donc pas Dieu de nous faire échapper à la tentation,
mais de ne pas nous induire en tentation, de même qu’un homme qui devrait être
éprouvé par le feu, demanderait non de ne point en être atteint, mais de n’en
être pas consumé. En effet nous sommes induits en tentation lorsque la
tentation est si forte, que nous ne pouvons y résister. — S. Aug. (Lettre 121 à Proba., chap.
72.) Lors donc que nous disons : « Ne nous induisez pas en tentation, » nous devons demander à Dieu de ne pas
permettre que délaissés de sa grâce, nous succombions à la tentation, séduits
par l’illusion ou vaincus par la souffrance. — S. Cypr. (de l’Or.
S. Aug. (du don de la persév., chap. 5, 6, 7.) Lorsque les Saints font
cette prière : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation, »
que demandent-ils si ce n’est la persévérance dans la sainteté ? En effet
il n’est aucun saint qui ayant reçu ce don de Dieu (la demande qu’il en fait à
Dieu est une preuve que ce don vient de lui), ne persévère jusqu’a la fin dans
la sainteté, car on ne cesse de persévérer dans la pratique de la vie
chrétienne, qu’après avoir été induit d’abord en tentation. C’est pour prévenir
ce malheur que nous demandons de ne pas entrer en tentation, et si nous
l’évitons, c’est Dieu qui l’a permis, car tout ce qui se fait, c’est Dieu qui
le fait, ou qui le permet. Dieu est donc assez puissant pour détourner la
volonté du mal vers le bien, relever celui qui est tombé, et le conduire dans
la voie qui lui est agréable, car ce n’est pas en vain que nous lui
disons : « Ne nous laissez pas entrer en tentation. » Si on
n’est pas exposé aux effets de la tentation par une volonté abandonnée au mal,
on n’en sera jamais victime, « car chacun est tenté par sa propre
concupiscence. » (Jc 1, 14.) Dieu
nous fait donc un devoir de lui demander la grâce de ne point succomber à la
tentation, bien qu’il pût nous l’accorder sans nos prières, parce qu’il a voulu
nous faire reconnaître ainsi l’auteur des bienfaits dont nous sommes comblés.
Que l’Église donc médite attentivement ses prières de tous les jours, elle
demande la foi pour les infidèles, c’est donc Dieu qui les convertit à la
foi ; elle prie pour la persévérance des fidèles, c’est donc de Dieu que
vient la persévérance finale.
Mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit-il.
S. Aug. (serm. sur la mont. 2, 11 ou 16.) Nous sommes obligés de prier
non-seulement pour éloigner de nous le mal dont nous avons été jusqu’ici
préservés, mais encore pour être délivrés du mal dans lequel nous sommes
tombés. Aussi Notre-Seigneur ajoute : « Mais délivrez-nous du
mal. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Peut-être que dans ce nom de mal il veut désigner
le démon, tant à cause de sa malice extrême, malice qui vient de sa volonté et
non de sa nature, que parce qu’il nous a déclaré une guerre implacable, c’est
pour cela qu’il nous fait dire : « Délivrez-nous du mal. »
S. Cypr. (de l’Or.
S. Cypr. (de l’Or.
S. Aug. Quelles que soient les autres
formules dont nous faisons usage avant ou après notre prière, comme expression
ou comme aliment de notre piété, nous ne pouvons rien dire que ce que contient
l’Oraison Dominicale, si notre prière est conforme à la règle que nous avons
reçue. En disant à Dieu : « Faites éclater votre gloire parmi les
nations, comme vous l’avez fait éclater parmi nous, » (Qo 36) que disons-nous autre chose
que : « Votre nom soit sanctifié ? » Cette prière : « Dirigez mes pas selon votre
parole, » (Ps 118) ne
ressemble-elles pas à celle-ci : « Que votre volonté soit
faite ? » Celui qui dit à Dieu : « Montrez-nous votre face et nous serons sauvés, » (Ps 79) fait à Dieu cette demande :
« Que votre règne arrive. » Vous dites à Dieu : « Ne me
donnez ni la pauvreté ni la richesse, » (Pv 30) c’est lui dire équivalemment : « Donnez-nous
aujourd’hui notre pain de chaque jour. » Cette prière : « Souvenez-vous Seigneur de David et de
toute sa douceur, (Ps 121) et cette
autre : « Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en ont fait, » (Ps 7) ne rentrent-elles pas dans
celle-ci : « Remettez-nous
nos dettes, comme nous les remettons à ceux qui nous doivent ? » Dire
à Dieu : « Éloignez de mon cœur les désirs de l’impureté, » (Qo 23) n’est-ce pas lui dire :
« Ne nous induisez pas en tentation ? » Enfin ces paroles :
« Délivrez-moi de mes ennemis, » (Ps
58) ne reviennent-elles pas à celles-ci : « Délivrez-nous du
mal ? » Et si vous examinez en détail toutes les prières dictées par
l’Esprit saint, vous n’y trouverez rien qui ne soit contenu dans l’Oraison
dominicale. Toute prière en effet qui ne se rapporte pas à cette prière
évangélique, est une prière inspirée par la chair, et que j’ose appeler
coupable, puisque le Seigneur a enseigné à ceux qui sont régénérés à ne prier
qu’en esprit. Celui-là donc qui dans la prière dit à Dieu :
« Seigneur, multipliez mes richesses, augmentez mes honneurs, et qui le
dit dans un sentiment de pure convoitise, sans se proposer le bien spirituel
que les hommes pourraient en retirer, ne trouvera certainement rien dans
l’Oraison dominicale qui puisse appuyer sa demande. Qu’il rougisse donc au
moins de demander ce qu’il ne rougit pas de désirer ; ou si la passion
l’emporte sur la honte qu’il éprouve, la meilleure prière qu’il puisse faire
c’est d’être affranchi de ce mal de la cupidité par celui à qui nous
disons : « Délivrez-nous du mal. »
S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 18.) Le nombre de demandes dont se compose
l’Oraison dominale paraît aussi se rapporter aux sept béatitudes. En effet si
c’est la crainte de Dieu, qui rend heureux les pauvres d’esprit, parce que le
royaume des cieux leur appartient, demandons que le nom de Dieu soit sanctifié
parmi les hommes, à l’aide de cette crainte chaste qui demeure dans les siècles
des siècles. Si c’est la piété qui fait le bonheur de ceux qui sont doux,
demandons que son règne nous arrive pour nous communiquer cette douceur qui ne
connaît point la résistance. Si c’est la science qui donne à ceux qui pleurent
le secret du bonheur, prions que sa volonté se fasse sur la terre comme au
ciel, car lorsque le corps qui est figuré par la terre sera soumis à l’esprit
qui représente le ciel, nous ne serons plus dans les larmes. Si c’est la force
qui rend heureux ceux qui ont faim, demandons que Dieu nous donne aujourd’hui
notre pain de chaque jour, afin que nous puissions parvenir là où nous serons
pleinement rassasiés. Si c’est le conseil qui fait le bonheur de ceux qui sont
miséricordieux parce que Dieu leur fera miséricorde, remettons leurs dettes à
ceux qui nous doivent, afin que Dieu nous remette ce que nous lui devons. Si
c’est l’intelligence qui rend heureux ceux qui ont le cœur pur, demandons à
Dieu de ne pas entrer en tentation, pour ne pas tomber dans la duplicité du
cœur, en poursuivant les biens terrestres et périssables, qui sont pour nous la
source de toutes les tentations. Si c’est enfin la sagesse qui rend heureux les
pacifiques parce qu’ils seront appelés les enfants de Dieu, prions pour qu’il
nous délivre du mal, car cette délivrance nous établira dans la sainte liberté
des enfants de Dieu.
S. Chrys. (hom. 20.) Notre-Seigneur
avait pu nous attrister par ces paroles : « Délivrez-nous du
mal » qui nous rappelaient le souvenir de notre ennemi, il relève donc
notre courage par Ces autres paroles que l’on trouve dans quelques exemplaires
grecs : « Parce qu’à vous seul appartiennent l’empire, la puissance
et la gloire. » En effet si
l’empire lui appartient, nous n’avons rien à craindre d’aucune créature puisque
celui qui combat contre nous est son sujet. Et comme sa puissance et sa gloire
sont infinies, non-seulement il peut nous arracher au mal, mais encore nous
combler de gloire. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cette conclusion peut
aussi se rapporter à ce qui précède. Ces paroles : « A vous
appartient l’empire, » se rapportent à celles-ci : « Que votre
règne arrive, » et préviennent cette objection : Dieu ne règne donc
pas sur la terre. Celles qui suivent : « Et la puissance, » se
rattachent à cette demande : « Que votre volonté soit faite sur la
terre comme au ciel, » et
répondent à ceux qui prétendraient que Dieu ne fait pas ce qu’il veut. Enfin
cette dernière parole : « Et la gloire, » se rapporte aux
demandes suivantes qui sont une manifestation de la gloire de Dieu.
Rab. Le mot « Ainsi
soit-il » qui termine cette prière nous apprend que Dieu accordera
infailliblement tout ce que lui demanderont dans la forme prescrite ceux qui
rempliront l’engagement et la condition qu’il exige ; et c’est pour cela
qu’il ajoute : « Si vous remettez aux hommes leurs péchés contre
vous » etc. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Remarquons ici que
de toutes les maximes qui composent la prière que le Seigneur nous a dictée, il
a cru devoir insister principalement sur celle qui a pour objet la rémission
des péchés. C’est par là qu’il veut nous former à la miséricorde comme à
l’unique moyen d’échapper à nos misères. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Il ne nous fait pas
dire : « Que Dieu nous
remette le premier nos dettes et nous les remettrons ensuite à nos
débiteurs, » car le Seigneur
sait que les hommes sont sujets au mensonge, et qu’après avoir obtenu la
rémission de leurs péchés, ils ne pardonneraient pas à ceux qui les ont
offensés ; il exige donc que nous accordions d’abord ce pardon, avant de
le solliciter par nous-mêmes.
S. Aug. (Enchirid. chap. 74.) Celui qui ne pardonne pas du fond du cœur à son frère qui l’en supplie et
qui se repent de sa faute, ne doit espérer en aucune manière le pardon de ses
propres péchés. « Si vous ne pardonnez point aux hommes » dit le
Sauveur, « votre Père céleste ne vous pardonnera point non plus vos
péchés. » — S. Cypr. (de
l’Or.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Puisqu’un esprit humble et un cœur contrit
donnent à la prière une véritable puissance (cf. Dn 3, 39), et que ces deux dispositions ne peuvent se concilier
avec une vie de délices ; il est évident que la prière séparée du jeûne,
est sans force et sans vertu. Aussi tous ceux qui ont voulu obtenir de Dieu
quelque grâce pressante ont toujours joint le jeûne à la prière, parce que le
jeûne est le soutien de la prière. Voilà pourquoi Notre-Seigneur fait suivre la
doctrine sur la prière, de ses enseignements sur le jeûne : « Lorsque
vous jeûnez, dit-il, ne vous rendez pas tristes comme les hypocrites. » Le
Seigneur savait que la vaine gloire prend naissance au sein môme de toute
vertu, il nous commande donc de couper l’épine de la vaine gloire qui pousse
dans une bonne terre, pour qu’elle n’étouffe pas le fruit du jeûne. Il est
impossible qu’on ne s’aperçoive pas que vous jeûniez, mais il vaut mieux que le
jeûne vous fasse remarquer plutôt que de faire remarquer vous-même votre jeûne.
Il est bien difficile que celui qui jeûne soit gai, aussi Notre-Seigneur ne
dit-il pas : « Ne soyez pas tristes, » mais « ne vous rendez pas tristes. » Ceux qui par
exemple cherchent à tromper les regards par une pâleur factice, ceux-ci ne sont
pas tristes mais cherchent à le devenir ; celui au contraire qui est
triste par un effet naturel du jeûne, ne cherche pas à se rendre triste, mais
il l’est en réalité, c’est pour cela que le Sauveur ajoute : « Ils
affectent de paraître avec un visage défiguré. »
S. Jér. Le mot exterminer qui est employé fréquemment dans les saintes Écritures
par suite de l’ignorance des interprètes, a un sens plus étendu que celui qu’on
lui donne ordinairement. On dit des exilés qu’ils sont exterminés, c’est-à-dire
envoyés au delà des frontières : nous devons nous, donner à ce mot le sens
de détruire ; or l’hypocrite détruit, exténue son visage pour paraître
triste, et tandis que son cœur est plein de joie, il porte sur sa figure
l’apparence du deuil. — S. Grég. (Moral., liv. 8, chap. 26.) Vous voyez
leur visage couvert de pâleur, leur corps tremblant de faiblesse, leur poitrine
oppressée par leurs soupirs entrecoupés, et quel est le but de ces laborieux
efforts ? l’opinion des hommes.
S. Léon. (serm. 4 sur l’Epiph.) Les jeûnes qui ne viennent point d’un
principe de mortification, mais qui sont le produit de la fourberie, ne sont
pas des jeûnes purs aux yeux de Dieu. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Or si celui qui jeûne et affecte la tristesse n’est qu’un
hypocrite, quel n’est pas le crime de celui qui sans jeûner, a recours à
certains moyens pour imprimer sur son visage, comme signe de jeûne une pâleur
vénale ?
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 19.) Une remarque importante à faire sur
cette matière, c’est qu’on peut mettre de la vanité non-seulement dans l’éclat
et le luxe de tout ce qui tient au corps, mais jusque dans l’extérieur négligé
qui exprime le deuil et la tristesse, vanité alors d’autant plus dangereuse,
qu’elle cherche à tromper sous les apparences de la religion. Celui qui cherche
à briller par une propreté affectée et par une recherche excessive dans ses
vêtements ou dans les autres ornements du corps, est convaincu par ce seul fait
d’être partisan des pompes du monde, et il ne trompe personne par l’apparence
d’une sainteté hypocrite. Quant à celui qui, faisant profession d’une vie
chrétienne, cherche à fixer sur lui les yeux du public par le spectacle d’une
maigreur et d’une malpropreté extraordinaires, s’il le fait avec intention et
sans y être réduit par la nécessité, l’ensemble de sa vie prouvera s’il agit
ainsi par le mépris d’un luxe superflu, ou par un motif quelconque
d’ostentation.
Remi. Les paroles
suivantes nous font connaître le fruit du jeûne des hypocrites : Pour
faire voir aux hommes qu’ils jeûnent. « Je vous le dis en
vérité : ils ont reçu leur récompense, » c’est-à-dire celle qu’ils ont désirée.
La Glose. Le Seigneur vient de nous apprendre ce qu’il
fallait éviter, il nous enseigne maintenant ce qu’il faut faire :
« Pour vous, lorsque vous jeûnez, parfumez votre tête, etc. »
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 20.) J’entends souvent demander quel est le
sens de ces paroles. Bien que nous ayons l’habitude de nous laver tous les jours
le visage, il serait hors de raison de nous commander de parfumer aussi notre
tête lorsque nous jeûnons, ce qui, de l’aveu de tous, est souverainement
indigne d’un chrétien. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Pourquoi d’ailleurs
après nous avoir défendu d’affecter un extérieur triste pour ne pas découvrir
aux hommes que nous jeûnons, le Seigneur nous ordonne-t-il de nous laver la
figure et de nous parfumer la tête ? Car si ceux qui jeûnent observent ces
pratiques, elles deviendront des indices de leur jeûne. — S. Jér. Notre-Seigneur parle donc ici en
se conformant aux usages de la Palestine où on a l’habitude de se parfumer la
tête aux jours de fête, et ce qu’il nous ordonne, c’est tout simplement de nous
montrer nous-mêmes pleins de joie et avec un certain air de fête aux jours de
jeûne. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ces paroles, comme les
précédentes doivent être entendues dans un sens tant soit peu hyperbolique.
Notre-Seigneur veut donc nous dire : vous devez fuir avec tant de soin
toute ostentation lorsque vous jeûnez, que s’il était possible et permis (ce
qui ne l’est pas), vous devriez au contraire affecter les dehors du plaisir et
de la bonne chère. « Et pourquoi ? » Pour que les hommes ne
voient pas que vous jeûnez.
Chrys. (homél. 20). Pour l’aumône, il ne s’est
pas exprimé de la sorte ; il nous a dit qu’il ne fallait pas la faire
devant les hommes, en ajoutant : « Pour en être remarqué. » Il
n’ajoute rien de semblable pour le jeûne et pour la prière, parce qu’il est
impossible que l’aumône demeure entièrement secrète, tandis que le jeûne et la
prière peuvent très bien rester inconnus. Or, ce n’est pas un médiocre avantage
que de mépriser la gloire humaine, car alors on est affranchi de l’esclavage
accablant des hommes et c’est dans un sens véritable qu’on pratique la vertu,
en l’aimant non pas pour les autres, mais pour elle-même. Nous regardons comme
un outrage d’être aimés par rapport à d’autres et non pour nous-mêmes ;
d’après cette règle, nous ne devons point pratiquer la vertu pour les autres, nous
ne devons pas obéir à Dieu à cause des hommes, mais pour Dieu seul ; c’est
pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Mais à votre Père qui est
dans le secret. » — La Glose.
C’est-à-dire à votre Père céleste qui est invisible ou qui habite dans votre
cœur par la foi. Or c’est jeûner pour Dieu que de se mortifier par amour pour
lui, et on donne ainsi à un autre ce qu’on se retranche à soi même.
« Et votre
Père qui voit dans le secret, » etc. — Remi.
Il vous suffit que celui qui voit ce qui se passe dans la conscience vous en
récompense lui-même. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Dans le sens spirituel,
la face de l’âme c’est la conscience ; car, de même qu’un beau visage
plaît aux regards des hommes, ainsi une conscience pure est un spectacle
agréable aux yeux de Dieu. Les hypocrites, qui jeûnent pour plaire aux hommes,
exténuent ces deux faces, voulant tromper à la fois Dieu et les hommes. En
effet, la conscience de celui qui pèche est toujours couverte de blessures. Si
donc vous avez fait disparaître le mal de votre âme, vous avez purifié votre
conscience et votre jeûne est louable. — S. Léon.
(serm. 6 sur le jeûne). Il faut
accomplir la loi du jeûne non-seulement par le retranchement des aliments, mais
en s’abstenant du vice. Car, quel est le but de cette mortification ?
c’est d’éteindre en nous le foyer des désirs charnels ; le genre de
tempérance auquel nous devons nous livrer de préférence, c’est d’être sobres de
toute volonté coupable, c’est de pratiquer le jeûne à l’égard de toute action
criminelle. Cette manière d’accomplir la loi du jeûne convient également à ceux
qui sont malades, car un corps languissant peut renfermer une âme saine et
robuste.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Dans le sens spirituel, le Christ est votre
tête ; donnez à boire à celui qui a soif, à manger à celui qui a faim et
vous aurez ainsi répandu sur votre tête le parfum de la miséricorde,
c’est-à-dire sur Jésus-Christ qui vous dit dans l’Évangile (Mt 25) :
« Ce que vous avez fait aux plus petits d’entre les miens, c’est à
moi-même que vous l’avez fait. » —
S. Grég. (hom. 16 sur les Evang.) Dieu
approuve le jeûne, qui lève en sa présence des mains riches d’aumônes. Ce que
vous vous retranchez, donnez-le à un autre, afin que le corps de votre frère
qui est dans l’indigence soit soulagé par cette nourriture dont vous imposez la
privation à votre propre corps. — S. Aug.
(serm. sur la mont.) Par la
tête, nous pouvons encore entendre la raison, parce qu’elle est la reine de
notre âme et qu’elle dirige toutes les autres facultés de l’âme et les autres
membres du corps. Or, parfumer sa tête est un signe de joie. Réjouissez-vous
donc intérieurement de votre jeûne, vous qui, en jeûnant, avez rompu avec les
désirs du monde pour vous soumettre à Jésus-Christ. — La Glose. Voici une preuve que dans l’Évangile il ne faut pas
tout prendre à la lettre, car il serait ridicule de se parfumer la tête
lorsqu’on jeûne. Mais nous devons parfumer notre âme de l’esprit d’amour du
Sauveur aux souffrances duquel la mortification nous fait participer. — S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est dans un sens très juste qu’on nous commande
de laver notre visage et de parfumer seulement notre tête sans la laver, car
tant que nous habitons ce corps mortel, notre conscience est souillée par le
péché, tandis que notre chef qui est le Christ n’a pu se rendre coupable
d’aucun péché.
S. Chrys. (hom. 21). Après avoir guéri la maladie de la
vaine gloire, Notre-Seigneur amène on ne peut plus naturellement son discours
sur le mépris des richesses, car rien ne les fait autant désirer que l’amour de
la gloire. Pourquoi, en effet, les hommes recherchent-ils avec ardeur cette
foule de serviteurs et ces chevaux couverts d’or et ces tables toutes
d’argent ? Ce n’est ni pour leur nécessité, ni pour leur plaisir, mais
uniquement pour les étaler aux yeux de la multitude. C’est contre cette passion
des richesses que Notre-Seigneur s’élève en disant : « Ne vous faites
pas de trésors sur la terre. » — S. Aug.
(serm. sur la mont., 2, 2). Si
quelqu’un se propose pour motif de sa conduite un intérêt temporel, son cœur ne
peut demeurer pur en se traînant ainsi sur la terre. Car on dégrade sa nature
quand on l’unit à une nature inférieure, bien que cette nature ne soit pas
souillée dans son espèce. Est-ce que par exemple l’argent, quoique pur
lui-même, ne ternit pas l’or auquel on le mêle ? Ainsi, notre âme est
souillée par le désir des choses terrestres, bien que la terre soit pure en
elle-même et dans son genre.
S. Chrys. (sur S. Matth.) ou peut encore donner cette explication ;
Notre-Seigneur, dans ce qui précède, n’a donné aucun précepte positif de
l’aumône, de la prière, du jeûne ; il s’est contenté de combattre la
fausse apparence de ces vertus. Il déduit maintenant les conséquences de sa
doctrine qui correspondent à ces trois points : la première regarde
l’aumône : « N’amassez pas de trésors sur la terre, où la rouille et
les vers, » etc. ; voici donc la suite de son discours :
« Lorsque vous faites l’aumône, ne faites pas sonner de la trompette
devant vous, » etc. ;
ensuite : « N’amassez pas de trésors sur la terre, » etc.
Ainsi, il donne
d’abord le conseil de faire l’aumône ; secondement, il démontre son
utilité, et en troisième lieu il combat la crainte de la misère qui pourrait
entraver la volonté prête à secourir le pauvre.
S. Chrys. (hom. 21). Après
ces paroles : « Ne vous amassez pas de trésors sur la terre, » il ajoute : « Où la rouille
et les vers les consument, » nous
apprenant ainsi combien sont nuisibles les trésors de la terre, et de quelle
utilité, au contraire, sont les trésors du ciel ; et il apporte à l’appui
de son raisonnement le lieu où sont ces trésors et ce qu’ils renferment de
nuisible, comme s’il disait : Que craignez-vous que votre argent ne
s’épuise, si vous le donnez en aumône ? Faites donc l’aumône, et Dieu
ajoutera à ce que vous avez déjà, car ce sont les trésors du ciel qui vous
seront donnés. Si vous refusez de donner, vous perdez tout ; il ne dit
pas : vous les laissez à d’autres, car cela même est une satisfaction pour
les hommes. — Rab. Notre-Seigneur
indique ici trois diverses manières dont les richesses peuvent se perdre en
rapport avec leur nature, l’or et l’argent par la rouille, les vêtements par
les vers. Quant aux richesses qui ne craignent ni la rouille ni les vers, comme
les pierres précieuses, il indique une cause générale de danger et de
perte : ce sont les voleurs qui peuvent nous ravir toute sorte de
richesses.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Une autre version porte : Les vers et le
manger les consument, car tous les biens de ce monde périssent de ces trois
manières : ou bien ils vieillissent d’eux-mêmes et sont rongés par les
vers, comme les vêtements ; ou bien ils sont dévorés par leurs maîtres,
amis du plaisir ; ou bien ils deviennent la proie des étrangers qui s’en
emparent à l’aide de la ruse, de la violence, de la calomnie ou de tout autre
moyen injuste. Or, tous ceux qui les enlèvent ainsi sont appelés voleurs, parce
que c’est l’iniquité qui les pousse à s’approprier les biens des autres. Mais,
me direz-vous, est-ce que tous ceux qui sont en possession de ces biens les
perdent ? Je réponds : Si ce n’est tous, un grand nombre du moins.
Quant aux richesses que vous gardez par un motif coupable, si vous ne les
perdez pas matériellement, vous les perdez au moins spirituellement,
puisqu’elles vous deviennent complètement inutiles pour le salut.
Rab. Dans le sens
allégorique, la rouille signifie l’orgueil qui ternit l’éclat des vertus ;
les vers, c’est ce qui met pour ainsi dire en pièces les bonnes résolutions et
détruit ainsi l’étroite liaison qui forme l’unité chrétienne. Les voleurs, ce
sont les hérétiques et les démons, toujours prêts à nous dépouiller des biens
spirituels. — S. Hil. La gloire
céleste au contraire est éternelle ; ni le voleur ne peut s’en emparer par
adresse, ni les vers, ni la rouille de l’envie ne peuvent la consumer. C’est
pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Faites-vous
des trésors dans le ciel, où ni la rouille, ni les vers ne les consument, et où
il n’y a point de voleurs qui les déterrent et les dérobent. »
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 13 ou 21). Il ne faut pas entendre ici le
ciel dans un sens matériel, car tout ce qui est corporel doit être considéré
comme de même nature que la terre. Or, tout l’univers est digne de mépris aux
yeux de celui qui amasse des trésors pour le ciel dont il est dit (Ps 113) : « Le ciel des cieux
appartient au Seigneur, » c’est-à-dire pour le firmament des esprits. Le
ciel et la terre passeront (Mt 24,
35 ; Mc 13, 31 ; Lc 21, 33) ; or, ce n’est pas dans
ce qui passe que nous devons placer notre trésor, c’est-à-dire notre cœur, mais
dans ce qui demeure éternellement.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Que vaut-il donc mieux pour nous, ou de placer
notre trésor sur la terre, où il est fort douteux que nous puissions le
conserver, ou de le placer dans le ciel, où la conservation nous en est
assurée ? Quelle est donc cette folie de laisser ce trésor dans un lieu
que vous devez quitter et de ne pas l’envoyer par avance dans la patrie vers
laquelle vous vous dirigez. Placez donc vos richesses là où vous avez votre
patrie.
S. Chrys. (hom. 21). Cependant,
comme il y a des trésors de ce monde qui sont inaccessibles à la rouille, aux
vers et aux voleurs, le Sauveur propose cette autre considération :
« Où est votre trésor, là est votre cœur, » paroles qui reviennent à dire : Supposez que vous n’ayez à
craindre aucune des pertes signalées plus haut, vous éprouverez un immense
dommage en restant attachés à ces choses si basses, en vous rendant leurs
esclaves, en perdant tout droit aux biens du ciel en devenant incapable d’aucun
noble sentiment, d’aucune pensée élevée. — S. Jér.
Tels sont les sentiments que nous devons avoir à l’égard non-seulement
de l’argent, mais encore de tous les biens qui peuvent venir en notre
possession. En effet, le dieu de l’intempérant, c’est son ventre ; le
trésor de l’impudique, c’est la débauche ; celui du voluptueux, les
plaisirs criminels. Chacun devient l’esclave de la passion qui le domine ;
il a donc son cœur là où est son trésor.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Dans un
autre sens, Notre Seigneur fait voir ici l’utilité de l’aumône. Celui qui place
ses richesses sur la terre n’a plus rien à espérer dans le ciel. Pourquoi jeter
ses regards vers le ciel où il ne place aucune réserve ? Il commet donc un
double péché, d’abord parce qu’il amasse des richesses pernicieuses, et ensuite
parce que son cœur est attaché à la terre. Par une raison contraire, celui qui
place son trésor dans le ciel fait une action doublement méritoire.
S. Chrys. (hom. 21). Le Sauveur vient de parler de
l’intelligence réduite en captivité et soumise à l’esclavage ; mais cette
doctrine n’était pas facile à comprendre pour un grand nombre ; il prend
donc les choses extérieures comme terme de comparaison : « La lampe
de votre corps c’est votre oeil, » etc.,
c’est-à-dire : Si vous ne comprenez ce que c’est que de perdre son
intelligence, apprenez le par cette comparaison. Ce que votre oeil est à votre
corps, votre intelligence l’est à votre âme. Or, de même que la privation de la
vue enlève aux autres membres une grande partie de leur action, parce qu’ils
ont perdu la lumière qui les éclairait, ainsi la corruption de votre
intelligence plonge votre vie tout entière dans un abîme de maux. — S. Jér. Toute cette comparaison a pour
objet de rendre le sens plus clair ; de même en effet que le corps tout
entier sera dans les ténèbres, si l’oeil a cessé de voir droit, ainsi que l’âme
vienne à perdre sa principale lumière, tous les sens (ou si l’on veut la partie
sensible de l’âme) demeureront dans l’obscurité. Ce qui fait ajouter à
Notre-Seigneur : « Si la lumière qui est en vous n’est que ténèbres,
combien seront grandes les ténèbres elles-mêmes ? C’est-à-dire si
l’intelligence et le sentiment, qui sont la lumière de votre âme, sont
obscurcis par le vice, combien ce qui est obscur sera lui-même enveloppé de
ténèbres ?
S. Chrys. (sur S. Matth.) Il est
évident que le Sauveur ne veut point parler ici de l’oeil matériel ni de ce
corps qui se voit au dehors, autrement il se serait exprimé de la sorte : « Si votre oeil est sain ou
malade, » tandis qu’il dit au contraire : « Si votre oeil est
simple ou mauvais. » Qu’on ait
un oeil bienveillant, mais malade, le corps en verra-t-il plus clair ?
Qu’on ait, au contraire, un oeil mauvais, mais sain, le corps en sera-t-il pour
cela dans les ténèbres ? — S. Jér.
Ceux dont les yeux sont malades voient des lumières multiples ; l’oeil
simple et pur, au contraire, voit tous les objets dans leur pureté et leur
simplicité. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien il s’agit ici
exclusivement de l’oeil intérieur. Cette lampe, c’est l’intelligence à l’aide
de laquelle notre âme voit Dieu. Donc celui dont le cœur est en Dieu a un oeil
lumineux, c’est-à-dire que son âme est pure, et n’est point ternie par les
désirs de la terre. Les ténèbres qui sont en nous, ce sont les sens de la chair
qui se portent toujours vers les oeuvres de ténèbres. Celui dont l’oeil est
pur, c’est-à-dire dont l’âme est toute spirituelle, conserve son corps
lumineux, c’est-à-dire sans péché, car bien que la chair désire le mal, il
réprime ces désirs par la force que lui donne la crainte de Dieu. Celui, au
contraire, qui a l’oeil mauvais, c’est-à-dire dont l’âme est obscurcie par la
malice ou troublée par la concupiscence, a nécessairement son corps dans les
ténèbres. Il ne sait pas résister à la chair lorsqu’elle convoite le mal, car
il ne nourrit pas dans son cœur cette espérance des cieux qui nous revêt d’une
force invincible pour résister à nos passions.
S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth.) Ou bien le Sauveur a emprunté à la lumière que l’oeil répand sur le
corps l’expression de la lumière de l’âme. Si cette lumière spirituelle reste
pure et brillante, elle communiquera à notre corps la clarté de la lumière
éternelle, et au jour de la résurrection, elle répandra sur la corruption du
tombeau la splendeur de son origine. Si au contraire elle se laisse obscurcir
par les péchés et qu’elle devienne mauvaise par la dépravation de la volonté,
notre corps lui-même subira la peine de ses vices.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien encore, cet oeil c’est notre
intention. Si elle est pure et droite, toutes les oeuvres qu’elle dirige seront
bonnes. En effet l’Apôtre appelle certaines oeuvres nos membres dans ce
passage : « Mortifiez les membres de l’homme terrestre qui est en
vous, la fornication, l’impureté, » etc. (Col 3, 5) Ce qu’il faut
considérer dans la vie d’un homme, ce ne sont donc pas ses actions, mais ses
intentions ; car c’est l’intention qui est la lumière de notre âme,
puisque nous pouvons savoir clairement si nous agissons avec une bonne
intention, et que « tout ce qui est évident est lumière. » (Ep 5) Quant aux actions qui sont une
conséquence de nos rapports avec les autres hommes, leur résultat est pour nous
incertain, et c’est pour cela que Notre-Seigneur les appelle ténèbres. Par
exemple, lorsque je donne de l’argent à un pauvre, puis-je savoir l’usage qu’il
en va faire ? Si donc votre intention qui vous est connue, vient à être
ternie par des désirs terrestres, à plus forte raison cette action dont vous
ignorez le résultat. Je veux que ce que vous avez fait avec une mauvaise
intention soit utile à un autre, vous serez jugé sur le motif qui vous a fait
agir et non sur le résultat de votre action. Si au contraire nos actions sont
faites dans une intention simple, c’est-à-dire par un motif de charité, alors
elles sont pures et agréables à Dieu. — S. Aug.
(cont. le Mens., chap. 7.) Il
y a des actions qui sont évidemment péchés, on ne doit jamais les faire quelque
bonne intention qu’on s’y propose ; il en est qui ne sont point par
elles-mêmes péchés, qui sont indifférentes et deviennent bonnes ou mauvaises,
selon le motif bon ou mauvais qui les détermine ; ainsi nourrir les
pauvres, c’est une bonne action si on la fait par un principe de miséricorde,
c’est une mauvaise action si on la fait pour satisfaire sa vanité. Quand des
actions sont évidemment péchés en elles-mêmes, comme le vol, les crimes contre
la pudeur et autres de ce genre, qui oserait dire qu’on peut les faire pour un
bon motif, sans qu’il y ait aucune faute ? Qui oserait dire :
« Volons les riches, pour avoir de quoi donner aux pauvres. »
S. Grég. (Moral., 28.) Ou bien encore : « Si la lumière qui est en
vous n’est que ténèbres, etc., » c’est-à-dire,
si une intention droite et bonne au commencement de notre action vient à
l’obscurcir en devenant elle-même mauvaise, combien seront ténébreuses les
actions dont nous ne pouvons nous dissimuler le mal lorsque nous les
faisons ? — Remi. Ou bien
c’est la foi qui est ici comparée à une lampe ; car c’est elle qui éclaire
les pas de l’homme intérieur (c’est-à-dire ses actions), pour les préserver de
tout danger selon cette parole du Psalmiste (Ps
118) : « Votre parole, Seigneur, est la lumière de mon
âme. » Si donc notre foi est pure et simple, tout notre corps sera
lumineux ; si elle est obscure, il sera tout entier dans les ténèbres. Ou
bien enfin, par la lumière il faut entendre celui qui est chargé de diriger les
fidèles, et c’est avec raison qu’il est appelé l’oeil du corps, car il est
chargé de veiller à ce que le peuple qui lui est soumis et qui est ici figuré
par le corps ne manque d’aucune des choses qui peuvent être utiles à son salut.
Si donc celui qui gouverne l’Église vient à s’égarer, combien plus le peuple
qui est sous sa conduite sera exposé à une perte certaine.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Le Seigneur venait de dire que celui dont
l’âme est soumise à l’esprit peut facilement conserver tout son corps dans la
pureté, tandis que cela est impossible à celui qui n’obéit pas à l’esprit, Il
en donne maintenant la raison : « Personne ne peut servir deux
maîtres. » — La Glose.
Voici une autre manière de rattacher cette pensée à ce qui précède :
« Notre-Seigneur a déclaré plus haut qu’une intention terrestre rendait
mauvais ce qui était bon. On pouvait en conclure qu’il était permis de faire le
bien, en vue des biens de la terre aussi bien qu’en vue des biens du
ciel. » Le Sauveur détruit cette erreur en ajoutant : « Personne
ne peut servir deux maîtres à la fois. » — S. Chrys. (hom. 22.)
On peut encore donner cette explication : Dans ce qui précède, le Sauveur
a combattu la tyrannie de l’avarice par des raisons fortes et nombreuses, il
lui en oppose ici de plus pressantes encore. En effet, les richesses nous sont
visibles non-seulement en armant contre nous les voleurs et en répandant les
ténèbres sur notre intelligence, mais encore en nous arrachant au service de
Dieu, ce que Notre-Seigneur prouve par cette maxime si connue :
« Personne ne peut servir deux maîtres à la fois. » Il dit deux
maîtres qui donnent des ordres contraires, car la bonne intelligence ne fait
qu’un seul homme de plusieurs. Aussi Notre-Seigneur ajoute-t-il :
« Ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il se soumettra à l’un et
méprisera l’autre. » Il met les deux maîtres en présence pour nous
apprendre que l’on peut facilement quitter le mauvais pour le bon. Vous dites
par exemple : « Je suis l’esclave des richesses par l’affection que
j’ai pour elles, » Le Sauveur vous montre qu’il vous est possible de changer
de maître, en vous dérobant à cette servitude, et en n’ayant pour elle que du
mépris.
La Glose. Ou bien encore Notre-Seigneur
paraît ici faire allusion a deux espèces de servitude, l’une qui est noble et
naît de l’amour, l’autre qui est servile et qui vient de la crainte. Si donc un
chrétien sert par un principe d’amour l’un de ces deux maîtres opposés, il faut
nécessairement qu’il ait de la haine pour l’autre ; s’il agit au contraire
par un motif de crainte, il ne peut supporter l’un sans mépriser l’autre. Que
ce soit un objet terrestre, que ce soit Dieu, si l’un ou l’autre domine dans le
cœur de l’homme, il se trouve entraîné dans une direction contraire à l’un des
deux, car Dieu attire son serviteur vers les régions élevées, les choses de la
terre l’entraînent vers la terre ; et voilà pourquoi il conclut en
disant : « Vous ne pouvez
pas à la fois servir Dieu et l’argent. » — S. Jér. Mammon est un mot syriaque qui signifie
richesse. Que l’avare qui porte le nom de chrétien apprenne ici qu’il ne peut à
la fois servir Jésus-Christ et les richesses. Et remarquez que le Sauveur ne
dit pas : « Celui qui a des richesses, » mais « celui qui
est le serviteur et l’esclave des richesses, » car celui qui en est
l’esclave les garde comme fait un esclave ; celui au contraire qui est
affranchi de leur servitude, les distribue comme en étant le maître. — La Glose.
Par Mammon on peut entendre aussi le
démon qui a l’empire sur les richesses, non pas qu’il puisse les distribuer à son
gré, sans que Dieu le lui permette, mais parce qu’il les fait servir à tromper
les hommes. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 14 ou 22.) Celui
qui est l’esclave de Mammon ou des
richesses devient aussi l’esclave de celui qui par sa perversité a été préposé
au gouvernement des choses de la terre, et appelé par le Seigneur le prince de
ce monde. Ou bien encore par ces paroles : « Vous ne pouvez servir
Dieu et l’argent, » le Seigneur nous montre quels sont les deux seigneurs,
Dieu et le démon. Or il faut nécessairement que l’homme haïsse l’un et qu’il
aime l’autre, qu’il se soumette à l’un et méprise l’autre. En effet celui qui
est l’esclave de l’argent souffre une dure servitude, car enchaîné par sa
cupidité, il subit l’esclavage du démon, mais il ne l’aime pas ; de même
que celui que sa passion unit à la servante d’un autre, est soumis à une
cruelle servitude, sans qu’il ait aucune affection pour celui dont il aime la
servante. Remarquez que le Sauveur dit : « Et il méprisera l’autre,
et non pas il le haïra. » Car il n’est peut-être pas un homme qui puisse
haïr Dieu dans sa conscience. Mais on peut le mépriser, c’est-à-dire ne pas le
craindre lorsque sa bonté nous inspire une confiance présomptueuse.
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 22.) Notre-Seigneur nous a enseigné
plus haut que celui qui veut aimer Dieu et fuir ce qui l’offense, ne doit pas
se flatter de pouvoir servir deux maîtres à la fois, dans la crainte que le
cœur ne vienne à se partager par la recherche non du superflu, mais du
nécessaire, et que pour se le procurer, l’intention ne soit détournée de sa
véritable fin, il ajoute : « C’est pourquoi je vous le dis, ne soyez
pas inquiets pour votre vie, de ce que vous mangerez, » etc. — S. Chrys. (homél. 22.) En parlant ainsi le Sauveur ne suppose pas que l’âme
ait besoin de nourriture (car elle est incorporelle), mais il se sert ici d’un
langage reçu ; d’ailleurs l’âme ne peut rester dans le corps qu’à la
condition pour celui-ci de prendre de la nourriture. — S. Aug. Ou bien l’âme est mise ici pour la
vie animale. — S. Jér. Dans
quelques exemplaires on lit cette addition : « Ni de ce que vous
boirez. » Nous ne sommes donc pas délivrés entièrement de tout soin en ce
qui concerne les biens que la nature accorde également à tous les êtres, et qui
sont communs aux animaux sauvages et domestiques aussi bien qu’aux hommes. Mais
Dieu nous défend d’avoir de l’inquiétude à l’égard de notre nourriture. C’est à
la sueur de notre front que nous préparons notre pain ; il faut pour cela
du travail, mais point de sollicitude. Ce qui est dit ici doit s’entendre de la
nourriture et du vêtement de notre corps. Quant aux vêtements et à la
nourriture de l’âme, ils doivent être l’objet constant de notre sollicitude.
S. Aug. (des hérés., chap. 57.) On appelle Euchites (ευχιται) certains hérétiques qui prétendent qu’il
n’est pas permis à un moine de travailler pour le soutien de sa vie, et qu’ils
n’embrassent eux-mêmes l’état monastique que pour s’affranchir de tout travail.
— S. Aug. (Du travail des moines, chap. 1.)
Ils disent donc : ce n’est pas des oeuvres corporelles auxquelles se
livrent les laboureurs et les artisans dont l’apôtre a voulu parler lorsqu’il a
dit : « Celui qui ne veut pas travailler ne doit pas manger, »
(2 Th 2), car il ne pouvait se mettre
en contradiction avec ces paroles de l’Évangile : « C’est pourquoi je
vous dis ne soyez pas inquiets, » etc.
Le travail dont veut parler ici l’Apôtre, ce sont donc les oeuvres spirituelles
dont il a dit ailleurs : « J’ai planté, Apollon a arrosé. » Ces hérétiques prétendent ainsi obéir à
la fois à la recommandation de l’Évangile et à celle de l’Apôtre en soutenant
que l’Évangile nous a commandé de ne point nous inquiéter des besoins matériels
de cette vie, et que c’est de la nourriture et des oeuvres spirituelles que
l’Apôtre a dit : « Que celui qui ne veut pas travailler ne mange
point. » Il faut donc leur démontrer tout d’abord que ce sont des oeuvres
corporelles que l’Apôtre recommande aux serviteurs de Dieu. Il venait de leur
dire précédemment : « Vous savez vous-mêmes ce qu’il faut faire pour
nous imiter, puisque nous n’avons point causé de troubles parmi vous, nous
n’avons mangé gratuitement le pain de personne, mais nous avons travaillé nuit
et jour pour n’être à charge à aucun de vous, non pas que nous n’en eussions le
droit, mais nous avons voulu vous donner en nous un modèle à imiter. »
C’est pour cela que lorsque nous étions auprès de vous, nous vous déclarions
que celui qui ne veut pas travailler ne doit pas manger. Que peut-on répondre à
des paroles si claires, lorsque nous voyons l’Apôtre consacrer cette doctrine
par son exemple, c’est-à-dire par le travail de ses mains. Ne le voyons-nous
pas en effet travailler des mains dans ce passage des Actes des Apôtres (Ac 18), où il est dit : « Il resta
auprès d’Aquila et de son épouse Priscilla et travailla chez eux, car leur
métier était de faire des tentes ? » Et cependant le Seigneur avait établi que ce grand Apôtre, comme
prédicateur de l’Évangile, comme soldat du Christ, comme planteur de la vigne
et pasteur du troupeau, devait vivre de l’Évangile. Toutefois, il n’exigea pas
le salaire auquel il avait droit, pour donner dans sa personne un exemple sans
réplique à ceux qui étaient portés à exiger ce qui ne leur était pas dû.
Qu’ils prêtent
donc l’oreille ceux qui n’ont pas le pouvoir dont l’Apôtre était revêtu, et qui
ne pouvant présenter aucune oeuvre spirituelle, voudraient manger un pain
qu’ils n’ont gagné par aucun travail corporel. Ils ont ce droit, s’ils sont
prédicateurs de l’Évangile, ou ministres de l’autel, ou dispensateurs des
sacrements. Si du moins ils possédaient dans le monde des biens qui pouvaient
les faire vivre facilement sans travail, et qu’au moment de leur conversion,
ils les aient distribués aux pauvres, il faut croire à leur faiblesse, y condescendre,
et la supporter, sans faire attention à l’endroit qui a profité de leurs dons,
puisque les chrétiens ne forment entre eux qu’une seule société. Mais quant à
ceux qui viennent des champs, ou de l’atelier, ou d’une profession vulgaire
pour se consacrer à Dieu dans l’état religieux, ils n’ont aucune excuse pour se
dispenser du travail des mains. Est-il convenable que les artisans restent
oisifs là où les sénateurs se livrent au travail ? Convient-il que des
campagnards soient délicats là où les possesseurs de grands domaines ne
viennent qu’après avoir quitté toutes les jouissances de la terre ? Ainsi
lorsque Notre-Seigneur a dit : « Ne soyez pas inquiets, » son
dessein n’est pas qu’on ne puisse chercher à se procurer les biens indispensables
à une vie honnête, mais il défend d’avoir l’oeil fixé constamment sur ces
biens, et que les prédicateurs de l’Évangile n’en fassent le but de leurs
travaux évangéliques, car c’est cette intention qu’il avait appelée plus haut
l’oeil du corps.
S. Chrys. (hom. 22.) On
peut encore établir autrement la liaison des paroles du Sauveur. Comme il
venait d’enseigner le mépris des richesses, on pouvait donc dire :
« Comment pourrons-nous vivre si nous abandonnons tout ce que nous
possédons ? » Il répond en
ajoutant : « C’est pourquoi je vous dis : Ne vous laissez pas
préoccuper, » etc. — La Glose. Par
les soins temporels qui vous détourneraient des biens de l’éternité.
S. Jér. Il nous est défendu d’avoir de
l’inquiétude à l’égard de notre nourriture, car c’est à la sueur de notre front
que nous devons assurer notre subsistance. Il faut donc du travail, mais point
de sollicitude. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ce ne sont pas les
préoccupations de l’esprit, mais le travail de nos bras qui doit nous procurer
notre pain ; Dieu le donne libéralement au travail comme récompense, mais
il le retire à la négligence pour la punir. Le Seigneur affermit notre
espérance à cet égard, premièrement, par ce raisonnement du plus au moins, en
disant : « Est-ce que la vie n’est pas plus que la nourriture et le
corps plus que le vêtement ? » — S.
Jér. Celui qui vous a donné les choses les plus élevées vous
refuserait-il celles qui sont de moindre importance ? — S. Chrys. (sur S. Matth.) S’il n’avait pas voulu conserver les êtres qui
existent, il ne les aurait pas créés. Or, en leur donnant l’existence, il a
établi qu’elles se conserveraient au moyen de la nourriture ; il doit donc
leur procurer cette nourriture, tant qu’il veut que se prolonge l’existence
qu’il leur a donnée. — S. Hil. Ou
bien encore, comme les pensées des infidèles sont perverties à l’égard des
choses de l’autre vie et qu’ils demandent avec mauvaise foi quelle sera la
forme de nos corps à la résurrection, quelle sera leur nourriture pendant
l’éternité, le Seigneur met à néant ces questions aussi sottes qu’inutiles par
cette réponse : « Est-ce que l’âme n’est pas plus que la
nourriture ? » Il ne veut
pas que l’espérance que nous avons de la résurrection s’arrête à ces misérables
inquiétudes sur le manger, le boire et le vêtement ; il ne veut pas qu’on
lui fasse outrage en le croyant incapable de nous accorder ces choses si
minimes, alors qu’il nous rendra et notre corps et notre âme.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur vient d’affermir notre
espérance par une raison du plus au moins, il la confirme maintenant par un
argument du moins au plus : « Considérez les oiseaux du ciel, ils ne
sèment ni ne moissonnent. » — S. Aug.
(Du travail des moines, chap. 23.) Il
en est qui prétendent n’être pas obligés au travail, parce que, disent-ils, les
oiseaux du ciel ne sèment ni ne moissonnent. Pourquoi donc ne pas faire
attention à ce qui suit : « Et ils n’amassent rien dans les
greniers ? » Pourquoi veulent-ils avoir les mains oisives et leurs
greniers pleins ? Pourquoi moudre leur blé et cuire leur pain ? Car
les oiseaux du ciel ne le font pas. S’ils trouvent des personnes qu’ils
détermineront à leur apporter chaque jour leur nourriture toute préparée,
encore faudra-t-il qu’ils se procurent eux-mêmes de l’eau en allant la puiser à
une fontaine, à une citerne ou à un puits. S’ils ne sont même pas obligés à
remplir d’eau leurs vases, ils ont vraiment un degré de perfection de plus que
les fidèles de Jérusalem qui, ayant reçu le blé qui leur était envoyé de la
Grèce, ont pris soin d’en faire du pain ou au moins d’en faire préparer, ce que
ne font pas les oiseaux. On ne peut pas assujettir à ne rien réserver pour le
lendemain ceux qui se séparent pour longtemps du commerce des hommes sans
aucune relation avec eux, et qui s’enferment pour vivre appliqués tout entiers
à la prière. On peut dire même que plus leur perfection est grande, plus leur
conduite diffère de celle des oiseaux. Si donc Notre-Seigneur prend les oiseaux
pour terme de comparaison, c’est pour ne laisser à personne la pensée que Dieu
puisse refuser le nécessaire à ses serviteurs, puisque sa providence s’étend
jusque sur les oiseaux. Car il ne faut pas croire que ce n’est pas Dieu
lui-même qui nourrit ceux qui travaillent de leurs propres mains. Ainsi, parce
que Dieu dit : « Invoquez-moi au jour de la tribulation et je vous en
délivrerai, » on ne doit pas en conclure que l’Apôtre ne devait pas
recourir à la fuite, mais qu’il devait attendre qu’il fût saisi et que Dieu
vînt le délivrer, comme il avait délivré les trois jeunes hommes de la
fournaise. Les saints pourraient répondre à ceux qui leur feraient cette
difficulté, qu’ils ne doivent pas tenter Dieu, mais que c’est à lui, s’il le
veut, de les délivrer, comme il a délivré Daniel des lions et saint Pierre de
ses liens, alors qu’ils étaient eux-mêmes dans l’impossibilité de le faire. Que
si Dieu, au contraire, leur donne les moyens de fuir et qu’ils échappent ainsi
au danger, c’est encore à lui seul qu’ils attribuent leur délivrance. Par la
même raison, si des serviteurs de Dieu sont capables de gagner leur vie de leur
travail personnel et que l’Évangile en main on vienne leur objecter l’exemple
les oiseaux du ciel qui ne sèment ni ne moissonnent, ils répondront
facilement : « Si nous étions réduits à l’impuissance de travailler
par suite de quelque maladie ou de quelque occupation, Dieu sans doute nous
nourrirait comme les oiseaux du ciel qui ne travaillent pas. Mais puisque nous
pouvons travailler, nous ne devons pas tenter Dieu, car cette puissance même
que nous avons vient de sa bonté ; tant que nous vivons, notre vie vient
de la même source que cette puissance, et nous sommes nourris par celui qui
nourrit les oiseaux du ciel, comme Notre-Seigneur le dit : « Et votre
Père céleste les nourrit ; n’êtes-vous pas beaucoup plus
qu’eux ? » etc. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 22.)
C’est-à-dire, vous êtes d’un prix plus élevé, parce que l’homme, animal
raisonnable, occupe dans la nature un rang supérieur aux animaux sans raison,
comme les oiseaux.
S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 11, chap. 16.) Cependant un cheval coûte
ordinairement plus cher qu’un esclave, et une pierre précieuse plus cher qu’une
servante ; mais ce n’est pas une appréciation raisonnable, c’est la
nécessité ou le plaisir qui leur donne cette valeur. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Tous les
animaux ont été faits pour l’homme ; mais l’homme a été fait pour Dieu et
Dieu prend d’autant plus soin de l’homme qu’il occupe un rang plus élevé dans
la création. Si donc les oiseaux trouvent leur nourriture sans travailler,
pourquoi l’homme ne la trouverait-il pas, lui à qui Dieu a donné la science du
travail et l’espérance du succès ?
S. Jér. Il en est qui, en voulant dépasser
les limites respectées par nos pères et s’élever vers les hauteurs, tombent
dans les abîmes. Ils prétendent que les oiseaux du ciel sont les anges et les
autres puissances célestes qui exécutent les ordres de Dieu et qui sont nourris
par la Providence divine sans aucun souci de leur part. S’il en est ainsi,
comment expliquer les paroles suivantes qui s’appliquent nécessairement aux
hommes : « Est-ce que vous n’êtes pas plus qu’eux ? » Il
faut donc entendre ce passage tout simplement en ce sens que si, sans peine et
sans préoccupation de leur part, la Providence de Dieu nourrit les oiseaux qui
sont aujourd’hui et demain ne seront plus, elle fera bien plus pour les hommes
à qui l’éternité est promise.
S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth.) On peut dire aussi que dans cette
comparaison des oiseaux le Sauveur nous instruit par l’exemple des esprits
impurs qui, sans aucun travail pour chercher ou amasser leur nourriture,
reçoivent cependant leur subsistance par un effet des conseils éternels de
Dieu, et c’est pour confirmer ce rapport aux esprits impurs qu’il ajoute :
« N’êtes vous pas plus qu’eux ? » montrant ainsi par une comparaison frappante la différence qui
existe entre la malice et la sainteté.
La Glose. Ce n’est pas seulement par
l’exemple des oiseaux, c’est encore par notre propre expérience que le Sauveur nous
enseigne que pour exister et pour vivre, nos soins personnels ne suffisent pas,
mais qu’il faut encore l’action de la divine Providence. « Qui donc
d’entre vous peut ajouter par son intelligence une coudée à sa
taille ? » — S. Chrys.
(sur S. Matth.) C’est Dieu qui chaque
jour donne l’accroissement à votre corps sans que vous puissiez vous en rendre
compte. Si donc la Providence de Dieu travaille tous les jours en vous à
l’accroissement de votre corps, comment restera-t-elle inactive devant de
véritables nécessités ? Mais comment vous-mêmes, si tous les efforts de
votre pensée ne peuvent ajouter la plus petite partie à votre corps,
pourrez-vous le sauver tout entier ? — S. Aug. (serm. sur la
mont., 2, 23.) Ou bien ces paroles se rapportent à ce qui suit de cette
manière : « Une preuve que ce n’est pas votre sollicitude qui a fait
parvenir votre corps à sa taille actuelle, c’est que, même quand vous le
voudriez, vous ne pourriez lui ajouter une coudée ; laissez donc le soin de couvrir votre corps à celui qui a
su lui donner une taille aussi élevée. » — S. Hil. De même
qu’il s’est servi de l’exemple des esprits pour appuyer notre foi en la
Providence à l’égard des nécessités de la vie, ainsi c’est en invoquant
l’opinion commune qu’il nous fait connaître l’état qui nous attend après la
résurrection. Puisque Dieu doit un jour ressusciter tous les corps qui ont en
vie et en ramener la diversité à l’unité d’un homme parfait, et que seul il
peut ajouter à la taille de chacun, une, deux ou trois coudées, n’est-ce pas
lui faire outrage que d’être inquiet à l’égard du vêtement, c’est-à-dire de
l’extérieur de notre corps, alors qu’il doit ajouter à la taille de tous les
corps humains ce qui sera nécessaire pour établir l’égalité entre tous les
hommes.
S. Aug. (Cité de Dieu, chap. 15.) Si le Christ est ressuscité avec cette
taille qu’il avait au moment de sa mort, on ne peut dire qu’au jour de la
résurrection générale il paraîtra avec une taille gigantesque, différente de
celle qui était connue des Apôtres. Si, au contraire, nous prétendons que tous
les corps d’une taille plus grande ou plus petite seront élevés ou raccourcis à
sa taille, un grand nombre de corps perdront de leur volume, contrairement à la
promesse qu’il nous a faite que pas un cheveu de notre tête ne périrait. Disons
donc que chacun ressuscitera avec la taille qu’il avait dans sa jeunesse, s’il
est mort dans un âge avancé, et avec celle qu’il aurait eue s’il est mort
auparavant. L’Apôtre n’a pas dit : « Dans la mesure de la
taille, » mais : « Dans la mesure de l’âge parfait du Christ (Ep 4, 13 ), » parce que, en effet, les corps
ressusciteront dans cet âge de jeunesse et de force auquel nous savons que le
Christ est parvenu.
S. Chrys. (hom. 23.) Après nous avoir enseigné à bannir
toute sollicitude pour la nourriture, Notre-Seigneur passe à une autre
nécessité moins importante, le vêtement ; car le vêtement n’est pas d’une
aussi pressante nécessité que la nourriture. « Et pourquoi vous
inquiétez-vous pour le vêtement ? » il ne se sert plus ici de la
comparaison tirée des oiseaux, bien que quelques-uns, comme le paon et le
cygne, eussent pu lui servir d’exemple, mais il choisit les lis en
disant : « Considérez les lis des champs. » Il veut faire
ressortir l’inépuisable richesse de la Providence divine à l’aide de ces deux
choses : la magnificence et
l’éclat des lis, et la faiblesse de ces êtres que Dieu revêt d’une si éclatante
splendeur.
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 14 ou 23). Il ne faut point interpréter
trop subtilement ces divins enseignements dans un sens allégorique et
rechercher ce que signifient ici les oiseaux du ciel ou les lis des champs. Le
Sauveur n’a recours aux comparaisons qu’il emprunte à la nature extérieure que
pour nous aider à comprendre des choses d’un ordre plus élevé. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Au temps marqué par la Providence, les lis
déploient leurs feuilles, se revêtent de blancheur, se remplissent de parfums,
et ce que la terre n’avait pu donner à la racine, Dieu le lui communique par
une opération invisible. Tous reçoivent avec une égale abondance, pour qu’on
n’y voie pas un effet du hasard, mais le résultat d’une disposition de la
Providence de Dieu. Par ces paroles : « Ils ne labourent pas, » Notre-Seigneur encourage les
hommes ; par ces autres : « Ni ils ne filent point, » il
ranime la confiance des femmes (cf. Pv 30). »
S. Chrys. (hom. 23.) Cette
doctrine du Sauveur ne tend pas à interdire le travail, mais la sollicitude,
comme lorsqu’il a dit plus haut : « Les oiseaux ne sèment
point. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Et pour faire ressortir
davantage cette Providence qui surpasse toutes les inventions de l’industrie
humaine, il ajoute : « Je vous déclare que Salomon, » etc. — S. Jér. En effet, quelle soierie, quelle
pourpre royale, quel riche tissu peut soutenir la comparaison avec les
fleurs ? Quel rouge plus vif que celui de la rose et quelle blancheur plus
éclatante que celle du lis ? Aucune pourpre ne peut l’emporter sur la
violette, c’est une vérité qui n’a pas besoin de démonstration, il suffit d’avoir
des yeux pour s’en convaincre. — S. Chrys.
(hom. 23.) Il y a entre la richesse
des vêtements et celle des fleurs, la différence qui sépare le mensonge de la
réalité. Si donc la magnificence de Salomon, le plus splendide des rois, a été
surpassée par celle des fleurs, comment la richesse de vos vêtements
pourra-t-elle effacer leur éclat ? Et cet éclat des fleurs a triomphé de
la magnificence de Salomon, non pas une ou deux fois, mais pendant toute la
durée de son règne ; c’est ce qu’indiquent ces mots : « Dans toute
sa gloire, » car pas même un
seul jour il ne put atteindre la riche parure des fleurs. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien Notre-Seigneur parle ainsi parce que
Salomon, sans travailler pour se procurer des vêtements, donnait cependant des
ordres en conséquence. Or, le commandement est presque toujours accompagné de
colère dans celui qui le fait, et de froissement clans celui qui
l’exécute ; les fleurs, au contraire, reçoivent leur riche parure sans
même qu’elles y pensent. — S. Hil.
(Can. 5 sur S. Matth.) Ou bien, par les lis, on peut entendre les
célestes clartés des anges, que Dieu lui-même revêt d’une gloire éblouissante.
Ils ne travaillent ni ne filent, car la grâce qui a, dès leur origine, assuré
le bonheur des anges, se répand sur tous les moments de leur existence, et
comme après la résurrection les hommes seront semblables aux anges,
Notre-Seigneur, en faisant briller à nos yeux l’éclat des vertus célestes, a
voulu nous faire espérer ce vêtement de gloire éternelle.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Si Dieu
revêt avec tant de magnificence les fleurs qui ne naissent que pour satisfaire
un instant les yeux et périr presque aussitôt après, pourra-t-il oublier les
hommes, qu’il a créés non pour apparaître un instant, mais pour exister
éternellement. C’est cette vérité dont il veut nous convaincre en
ajoutant : « Si donc Dieu prend soin de vêtir ainsi l’herbe des
champs qui est aujourd’hui et qui demain sera jetée au four, combien
prendra-t-il plus soin de vous, hommes de peu de foi ? » — S. Jér.
Le mot demain, dans
l’Écriture, signifie le temps qui suit : « Ma justice m’exaucera
demain (Gn 30), » dit Jacob. — La Glose. D’autres exemplaires
portent : « Dans le feu, ou
dans un de ces tas d’herbes enflammées qui ressemblent à un four. — S. Chrys. (homél. 23.) » Le Sauveur ne leur donne déjà plus le nom de
lis, c’est l’herbe des champs, pour montrer leur chétive nature. Il la fait
encore ressortir davantage, en ajoutant, non pas : « Qui ne seront
plus demain, » mais ce qui exprime bien plus leur peu de valeur.
« Qui seront jetés au four. » Ces paroles : « A combien
plus forte raison » nous donnent à entendre ce qui fait l’honneur du genre
humain, comme si le Sauveur disait : « Vous à qui Dieu a donné une
âme, dont il a formé le corps, à qui il a envoyé ses prophètes et livré son
Fils unique. » Il dit : « De peu de foi, » car la foi qui
ne s’étend pas même à des choses aussi minimes est une foi bien faible. — S. Hil. (Can. 5 sur S.
Matth.) Ou bien encore,
sous cette figure de l’herbe des champs, on peut voir les Gentils. Si donc
l’existence éternelle ne leur est accordée que pour devenir les victimes du feu
du jugement, que les saints sont coupables de douter de l’éternité glorieuse,
alors que Dieu donne aux méchants, pour leur punition, une existence
éternelle ?
Remi. Dans le sens
spirituel, on peut entendre ici par les oiseaux du ciel les saints qui sont
régénérés dans les eaux sacrées du baptême, et que la piété porte à mépriser
les choses de la terre et à soupirer après celle du ciel. Notre-Seigneur dit
que les Apôtres sont plus que les oiseaux du ciel, parce qu’ils sont les chefs
de tous les saints. Les lis figurent encore les saints qui, par la foi seule et
sans le travail des cérémonies légales, ont su plaire à Dieu, et on peut leur
appliquer ces paroles : « Mon bien-aimé qui se nourrit parmi les
lis. » Les lis sont encore la
figure de l’Église à cause de la blancheur éblouissante de la foi et du parfum
de la bonne vie, et c’est d’elle qu’il est dit : « Elle est comme le
lis parmi les épines. » L’herbe des champs figure les infidèles dont il
est écrit : « L’herbe s’est desséchée et la fleur est
tombée ; » et le four, la damnation éternelle en ce sens :
« Si Dieu n’a pas refusé aux infidèles les biens du temps, à combien plus
forte raison nous accordera-t-il ceux de l’éternité ? »
La Glose. Après avoir successivement exclu toute sollicitude
à l’égard de la nourriture et du vêtement par des raisons empruntées aux
créatures inférieures, Notre-Seigneur combat ici cette double
sollicitude : « Ne vous inquiétez donc point en disant : Que
mangerons-nous ou que boirons-nous, ou de quoi nous vêtirons-nous ? » — Remi.
Le Seigneur renouvelle cette recommandation pour nous faire comprendre
sa nécessité et la graver plus profondément dans nos cœurs. — Rab. Remarquez qu’il ne dit pas :
« Ne soyez ni inquiet ni soucieux de la nourriture, de la boisson, du
vêtement, » mais : « De ce que vous mangerez, de ce que vous
boirez, de quoi vous pourrez vous vêtir, » il me paraît condamner ici ceux qui, n’ayant que du mépris pour la
manière ordinaire de se nourrir ou de se vêtir de ceux au milieu desquels ils
vivent, affectent de rechercher des aliments ou des vêtements plus délicats ou
plus austères.
La Glose. Il est encore une autre
sollicitude superflue et qui tient à un principe vicieux du cœur humain. Vous
voyez des hommes, désespérant pour ainsi dire de la bonté de Dieu, réserver au
delà du nécessaire les richesses et les fruits de la terre et sacrifier les
intérêts de leur âme à la préoccupation exclusive de ces biens temporels. C’est
ce que Notre-Seigneur défend, lorsqu’il ajoute : « Car les païens
recherchent toutes ces choses. » —
S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, dans leur opinion, les choses humaines
dépendent de la fortune et non de la Providence ; elles ne sont point
gouvernées par les justes décrets de Dieu, mais par le hasard et à l’aventure.
Leurs craintes et leurs défiances sont donc fondées, puisqu’ils ne croient à
aucune direction supérieure. Mais pour celui qui croit à n’en pouvoir douter
que c’est la main de Dieu qui gouverne son existence, il lui abandonne le soin
de sa nourriture, c’est pourquoi le Sauveur ajoute : « Car votre Père
sait que vous avez besoin de toutes ces choses. » — S. Chrys. (hom. 23.) Il ne dit pas : « Dieu sait, » mais : « Votre Père
sait, » pour accroître ainsi leur confiance, car si c’est un Père,
pourra-t-il négliger le soin de ses enfants, alors que les hommes eux-mêmes ne
se rendent pas coupables de cet oubli. Il ajoute : « Que vous manquez
de toutes ces choses, » car il s’agit du nécessaire. Quel est le père, en
effet, qui refuserait le nécessaire à ses enfants ? S’il s’agissait, au
contraire, du superflu, la même confiance serait déplacée. — S. Aug. (De la Trinité, chap. 13.) Ce n’est pas depuis une époque
déterminée que Dieu connaît ces choses ; de toute éternité, il a prévu
dans sa prescience toutes les choses futures, le temps aussi bien que la
matière de nos prières. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 12, chap. 15.) Quant à ceux qui soutiennent que
la science de Dieu ne peut embrasser toutes ces choses, parce qu’elles sont
infinies, il leur reste à dire que Dieu ne connaît point tous les nombres, qui
sont très certainement infinis. L’infinité des nombres ne peut être
incompréhensible pour celui dont l’intelligence n’est point soumise aux lois
des nombres. Si donc tout ce que la science peut embrasser est comme limité par
l’intelligence qui comprend, on peut dire que toute infinité trouve des limites
ineffables dans la science de Dieu pour laquelle rien n’est incompréhensible. —
S. Grég. Nyss. (De l’homme.) C’est par ces signes
éclatants que se fait connaître la Providence divine. Comment expliquer, en
effet, sans une Providence spéciale, la durée de tous les êtres (de ceux en particulier
qui sont soumis aux lois de la génération et de la corruption), la place qu’ils
occupent, le rang qui leur est assigné dans la création d’après un plan
constamment suivi ? Mais il en est qui prétendent que Dieu ne s’occupe que
de l’existence des créatures en général, que sa providence se borne à maintenir
cet ordre général, mais que les choses particulières sont abandonnées au
hasard. Or, on ne peut donner que trois raisons de cette conduite de la
Providence abandonnant au hasard les choses particulières : ou bien Dieu
ignore qu’il est bon d’étendre sur elles sa providence, ou bien il ne le veut
pas, ou c’est chez lui impuissance. Quant à l’ignorance, elle répugne
souverainement à cette divine et bienheureuse nature Et comment voudrait-on que
Dieu ignorât ce qui ne peut échapper à l’homme sage : que la ruine des
choses particulière entraîne la ruine des choses générales ? Or, comment
empêcher cette destruction des êtres individuels sans une puissance toute
providentielle ? Dira-t-on que Dieu ne le veut pas ? Ce ne pourrait
être que par négligence ou parce qu’il regarde comme indigne de lui cette
Providence de détail. La négligence ne peut venir que de deux causes : ou
de l’attrait d’un plaisir qui nous captive, ou d’une crainte qui nous détourne
d’agir. Or, il n’est pas permis de supposer en Dieu l’une de ces deux causes.
S’ils disent qu’il est inconvenant pour Dieu et indigne de cette béatitude
infinie de descendre aux petites choses, pourquoi n’est-il pas inconvenant
qu’un ouvrier qui s’occupe de l’ensemble de son ouvrage s’applique en même
temps aux plus petits détails, parce qu’ils contribuent à la perfection du
tout ? Et n’est-ce pas une souveraine inconvenance que de prétendre que le
Dieu créateur du monde est inférieur à un simple artisan ? Si Dieu ne le
peut pas, il y a chez lui faiblesse, impuissance de faire le bien. Que si cette
Providence qui s’étend aux plus petits détails de la création est
incompréhensible pour nous, est-ce une raison pour nier son existence ?
Pourquoi donc aussi ne pas nier qu’il y ait des hommes sur la terre, parce que
nous ignorons le nombre de ceux qui existent.
S. Chrys. Que celui donc qui croit qu’une
Providence divine gouverne son existence, lui abandonne le soin de sa
nourriture, qu’il tourne toutes ses pensées sur ce qui est bien, sur ce qui est
mal ; sans cette pensée sérieuse, il ne pourra ni fuir le mal, ni faire le
bien. Aussi Notre-Seigneur ajoute-t-il : « Cherchez d’abord le
royaume de Dieu et sa justice. » Le
royaume de Dieu c’est la récompense des bonnes oeuvres ; sa justice, c’est
la voie de la piété qui conduit à ce royaume. Si la gloire des saints devient
l’objet de vos méditations, la crainte du supplice vous éloignera
nécessairement du mal ou le désir de la gloire vous fera prendre la voie du bien.
Et si vous réfléchissez sur la justice de Dieu, c’est-à-dire sur ce qui est
l’objet de sa haine ou de son amour, la justice elle-même, qui suit ceux qui
l’aiment, vous fera connaître ses voies. Nous n’aurons pas à rendre compte de
ce que nous sommes pauvres ou riches, mais de nos bonnes ou de nos mauvaises
actions qui dépendent de notre libre arbitre. — La Glose. Ou
bien cette expression : « La justice » signifie que c’est par la grâce de Dieu et non par vos efforts que
vous êtes justes.
S. Chrys. (sur S. Matth.) La terre,
à cause des péchés des hommes, a été frappée de malédiction et de stérilité par
cette sentence : « La terre sera maudite dans ton travail. » Dieu la bénit, au contraire, lorsque
nous faisons le bien. Cherchez donc la justice et le pain ne vous manquera
pas ; les paroles suivantes vous en assurent : « Et toutes ces
choses vous seront données comme par surcroît. » — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 24.) C’est-à-dire les biens
temporels : le Sauveur nous enseigne assez clairement que ce ne sont pas
là les véritables biens en vue desquels nous devons pratiquer la vertu, mais
que cependant ils nous sont nécessaires. Le royaume de Dieu et sa justice,
voilà notre bien véritable dans lequel nous devons placer notre fin. Mais parce
que nous avons à combattre en cette vie pour conquérir ce royaume, et que nous
ne pouvons la conserver sans le soutien de ces biens temporels, le Seigneur
nous dit : « Ils vous seront donnés comme par surcroît. » Ces paroles : « Cherchez
d’abord » ne veulent pas dire qu’il faut chercher en second lieu les
choses de la terre dans l’ordre du temps, mais selon l’estime que nous devons
en faire ; cherchons le royaume de Dieu comme notre bien et les choses de
la terre comme une nécessité de la vie. Ainsi, par exemple, nous ne devons pas
annoncer l’Évangile pour nous procurer de quoi manger, ce serait faire moins de
cas de l’Évangile que de la nourriture ; mais nous devons manger afin de
pouvoir annoncer l’Évangile. Or, si nous cherchons d’abord le royaume de Dieu
et sa justice, c’est-à-dire si nous les préférons à tout et que nous leur
rapportions tous les autres biens, n’ayons aucune crainte que le nécessaire
nous manque, car il est dit : « Et toutes ces choses vous seront
données par surcroît, » c’est-à-dire
sans aucune difficulté pour vous et sans crainte qu’en cherchant ces biens vous
ne soyez détournés des premiers ou obligés de vous proposer deux fins à la
fois. — S. Chrys. (hom. 23.) Il ne dit pas :
« Elles vous seront données, » mais :
« Elles vous seront ajoutées, »
pour nous apprendre que les choses présentes ne sont rien en comparaison de
la magnificence des biens à venir.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Lorsque nous lisons que l’Apôtre eut à
souffrir de la faim et de la soif, n’allons pas croire que Dieu ait failli à
ses promesses ; ces biens sont des secours, le divin Médecin sait quand il
faut nous les donner ou nous les refuser, selon ce qui nous est le plus utile.
S’ils viennent à nous manquer, ce que Dieu permet souvent pour notre épreuve,
cela ne doit ébranler en aucune manière le plan de vie que nous avons adopté,
mais nous confirmer, au contraire, dans le choix réfléchi que nous en avons
fait.
La Glose. Le Sauveur
vient de défendre la sollicitude pour le présent, il nous défend maintenant
pour l’avenir, les vaines inquiétudes qui viennent du vice de notre cœur.
« Ne soyez pas inquiets pour le lendemain, nous dit-il. » — S. Jér.
Demain, dans la sainte
Écriture, signifie l’avenir, comme dans ces paroles de Jacob :
« Demain mon équité me rendra témoignage, » et la pythonisse, parlant a Saül dans la personne de Samuel
qu’elle avait évoqué, lui dit : « Demain tu seras avec moi. » En nous défendant la préoccupation de
l’avenir, Dieu nous permet de nous occuper du présent. Cette pensée nous
suffit, laissons à Dieu le soin d’un avenir plein d’incertitude ; c’est ce
que signifient ces paroles : « Le jour de demain sera inquiet pour
lui-même, » c’est-à-dire
apportera avec lui sa part de sollicitude. « A chaque jour suffit son
mal, » Le mot mal n’exprime pas ici une idée contraire à celle de vertu,
mais la peine, l’affliction, les infortunes de la vie présente. — S. Chrys. (hom. 23). Rien ne cause, en effet, autant de douleur à l’âme que
les inquiétudes et les soucis. « Le lendemain sera inquiet pour
lui-même. » Notre-Seigneur veut
se rendre plus intelligible, il personnifie donc le temps et adopte un langage
reçu pour se faire comprendre d’un peuple sans instruction. Pour les
impressionner davantage, ce sont les jours eux-mêmes qu’il met en place des
soins superflus. Est-ce que chaque jour n’a pas son fardeau suffisant,
c’est-à-dire les préoccupations qui lui sont propres ? Pourquoi donc le
surcharger des sollicitudes du lendemain ?
S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien l’expression aujourd’hui signifie le nécessaire de la vie présente, et le mot demain, le superflu. « N’ayez donc
aucune sollicitude pour le lendemain, »
c’est-à-dire ne cherchez pas à vous procurer au delà de ce qui est
nécessaire à votre nourriture de chaque jour ; ce qui est superflu,
c’est-à-dire le lendemain, aura souci de lui-même. C’est là le sens de ces
paroles : « Le lendemain aura soin de lui-même, » paroles qui veulent dire :
« Lorsque vous aurez amassé le superflu, il prendra soin de
lui-même, » c’est-à-dire : « Sans que vous en jouissiez, il
trouvera des maîtres qui en prendront soin. Pourquoi donc vous tourmenter de ce
qui duit devenir la propriété des autres ? A chaque jour suffit son
mal ; vous avez assez de vos travaux, de vos préoccupations pour le
nécessaire, ne vous inquiétez pas du superflu. »
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 25.) Ou bien encore le mot demain ne s’emploie que dans le temps,
là où le passé fait place à l’avenir. Quand donc nous faisons le bien, pensons
non pas au temps, mais à l’éternité. « Le lendemain aura soin de
lui-même, » en d’autres
termes : Lorsqu’il le faudra, que la nécessité s’en fera sentir, prenez la
nourriture et autres choses semblables. « A chaque jour suffit son
mal, » c’est-à-dire il suffit
que vous preniez ce que demande le besoin. Il appelle ce besoin malice, parce
qu’il est pour nous une peine, et qu’il fait partie de la mortalité que nous
avons méritée par le péché. N’allez pas rendre plus accablante cette peine des
nécessités de la vie ; vous la subissez, mais n’en faîtes pas le motif
pour lequel vous servez Dieu. Il faut nous garder ici, lorsque nous voyons un
serviteur de Dieu qui cherche à se procurer le nécessaire pour lui, ou pour
ceux dont le soin lui est confié, de l’accuser de désobéissance au commandement
du Seigneur. Est-ce que le Sauveur lui-même, qui était servi par les anges, ne
s’est pas soumis, pour notre exemple, à la nécessité d’avoir une bourse ?
Et ne lisons-nous pas dans les Actes des
Apôtres que pour échapper au danger d’une famine imminente, on fit les
provisions nécessaires pour l’avenir ? Ce que le Seigneur condamne, ce
n’est donc pas qu’on cherche à se donner le nécessaire par les voies
ordinaires, mais qu’on ne s’attache à Dieu que pour se le procurer.
S. Hil. Tout cet enseignement peut aussi
se réduire à cette doctrine céleste : Dieu nous défend de nous inquiéter
de l’avenir. Et en effet la malice de notre vie, les péchés qui marquent chacun
de nos jours n’offrent-ils pas à notre méditation et à tous nos efforts une
ample matière d’expiation ? Délivrés alors de tout souci, l’avenir est inquiet
pour lui-même, alors que la providence de Dieu nous prépare le fruit des
clartés éternelles.
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 28.) On ne peut savoir quelle intention
nous porte à rechercher les biens temporels pour l’avenir, et nous pouvons les
acquérir avec une intention simple ou avec duplicité de cœur. Notre-Seigneur
ajoute donc très à propos : « Ne jugez pas. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien si l’on veut une autre liaison avec ce qui
précède, jusqu’ici, Notre-Seigneur a déduit les conséquences du précepte de
l’aumône, il va maintenant exposer les conséquences du précepte de la prière.
Les enseignements qui suivent font en un certain sens partie de la prière, de
manière que ces paroles : « Ne jugez pas et vous ne serez pas
jugés, » feraient suite à
celles-ci : « Remettez-nous nos dettes. » — S. Jér. S’il nous est défendu de juger,
comment saint Paul a-t-il pu légitimement juger l’incestueux de Corinthe, et
saint Pierre convaincre de mensonge Ananie et Saphire ? (Ac 4.)
— S. Chrys. (sur S. Matth.) Il en est qui entendent ce passage dans ce sens que
Notre-Seigneur ne nous défend pas ici de reprendre nos frères par un principe
de charité, mais qu’il interdit seulement aux chrétiens de se mépriser les uns
les autres par une vaine affectation de justice, de les prendre en haine et de
les condamner sur de simples soupçons, en couvrant des apparences de la piété
les inspirations d’une haine personnelle. — S. Chrys. (hom. 24.)
Aussi ne dit-il pas : « N’arrêtez pas celui qui pèche, » mais : « Ne jugez pas, » c’est-à-dire ne soyez pas un juge
sévère : reprenez, à la bonne heure, non pas comme un ennemi qui veut se
venger, mais comme un médecin qui cherche à guérir.
S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est
afin de prévenir cette amertume dans la réprimande que les chrétiens se font
entre eux, que Notre-Seigneur a dit : « Ne jugez point. » Mais
quoi ! est-ce que par cela seul qu’ils se seront abstenus de cette réprimande
amère ils obtiendront la rémission de leurs péchés en vertu de ces
paroles : « Vous ne serez pas jugés ? » Est-ce qu’on est
digne d’obtenir le pardon du mal qu’on a commis, par cela seul qu’on n’y a pas
ajouté un autre mal ? Non sans doute, et notre dessein en parlant de la
sorte est de faire comprendre que ces paroles du Sauveur ne nous défendent pas
de juger ceux qui pêchent contre Dieu, mais ceux qui nous offensent
personnellement. Car celui qui ne juge pas son prochain par suite d’une offense
qu’il en a reçue, ne sera pas jugé lui-même ; Dieu lui pardonnera comme il
a pardonné. — S. Chrys. (hom. 24.) Ou bien encore, cette défense
de juger ne s’étend pas à tous les péchés quels qu’ils soient, mais elle
s’adresse à ces hommes qui remplis de vices sans nombre, reprennent sévèrement
les autres pour les moindres fautes. C’est ainsi que saint Paul lui-même ne
défend pas de juger ceux qui sont en faute, mais il reprend les disciples qui
veulent juger leurs maîtres, et nous apprend par là à ne pas juger ceux qui
sont au-dessus de nous.
S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth.) Ou bien encore Dieu nous défend de nous
ériger en juges de ses desseins providentiels, car de même que tout jugement
parmi les hommes porte sur des points douteux, ainsi tout jugement contre Dieu
a pour objet des matières pleines d’obscurité. Il veut donc éloigner de nous
cette disposition et nous laisser sous la garde d’une foi inébranlable, car si
dans d’autres matières le jugement téméraire est chose coupable, quand il
attaque les choses de Dieu, c’est un commencement de crime. — S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 2, chap. 23.) Ou bien enfin je pense que
le Seigneur, par ces paroles, ne nous ordonne autre chose que d’interpréter en
bonne part les actions dont le motif nous est inconnu. Il est des actions dont
l’intention ne peut être bonne, comme les outrages à la pudeur, les blasphèmes
et autres crimes semblables, Dieu nous permet de les juger. Il est au contraire
des actions intermédiaires ou indifférentes que l’on peut faire avec une intention
bonne ou mauvaise ; c’est une témérité de les juger, surtout pour les
condamner. Il est deux circonstances où nous devons éviter le jugement
téméraire : lorsque l’intention qui a dirigé telle action nous est
inconnue, et quand nous ignorons ce que deviendra par la suite une personne qui
nous paraît être actuellement bonne ou mauvaise. Ne blâmons donc pas des
actions dont nous ne connaissons pas l’intention, et quant à celles qui sont
manifestement mauvaises, ne les reprenons pas de manière à rendre impossible la
guérison. On peut être étonné de ce que dit Notre-Seigneur : « Vous
serez jugés selon que vous aurez jugé les autres. » Est-ce que si nous
jugeons témérairement, Dieu nous jugera de la même manière ? Et si nous
nous sommes servis d’une mesure injuste, Dieu nous appliquera-t-il une mesure
semblable ? car ces expressions mesure et jugement ont ici, je pense, le
même sens. Ces paroles signifient donc que la témérité dont vous aurez rendu
les autres victimes, sera elle-même votre châtiment ; car souvent
l’injustice ne nuit en rien à celui qui en est l’objet, mais elle nuit toujours
à celui qui en est l’auteur. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 21, chap. 2.)
Comment peut-il être vrai, disent quelques-uns, que nous serons mesurés selon
la mesure avec laquelle nous aurons mesuré les autres, si un péché dont la
durée a été limitée est puni d’un supplice éternel ? Ils ne font point
attention qu’il ne s’agit pas ici d’une mesure semblable quant à la réciprocité
de la peine, en ce sens que celui qui a fait le mal souffre un mal semblable,
quoique cependant on pourrait appliquer ces paroles au sujet traité alors par
le Sauveur, c’est-à-dire aux jugements et aux condamnations. Donc celui qui
juge et condamne injustement reçoit dans la même mesure lorsqu’il est jugé et
condamné selon toute justice, quoiqu’il ne reçoive pas ce qu’il a donné ;
car il s’est servi du jugement pour commettre une injustice, Dieu se sert du
jugement pour lui infliger le châtiment qu’il a justement mérité.
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 30.) Notre-Seigneur vient de nous prémunir
contre le jugement téméraire et injuste, jugement téméraire dont se rendent
coupables ceux qui se prononcent légèrement et avec sévérité dans les choses
incertaines, qui aiment mieux blâmer et condamner que de corriger et de ramener
au bien, ce qui est toujours un effet de l’orgueil et de l’envie. Il poursuit
sa pensée et ajoute : « Pourquoi voyez-vous une paille dans l’oeil de
votre frère, tandis que vous ne voyez pas une poutre dans le vôtre ? » — S. Jér.
Le Sauveur parle ici de ceux qui, esclaves qu’ils sont du péché mortel,
ne pardonnent pas à leurs frères des fautes bien plus légères. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 31.) Ainsi encore votre frère pèche par
colère et vous le reprenez par haine ; or entre la colère et la haine il y
a la différence qui existe entre une paille et une poutre, car la haine c’est
la colère invétérée. Il peut se faire qu’en vous mettant en colère contre un
homme, votre intention soit de le ramener au bien, ce qui vous sera toujours
impossible si vous avez pour lui de la haine.
S. Chrys. (hom. 24.) Il en
est plusieurs qui en voyant un moine porter de riches vêtements ou user d’une
nourriture abondante, le blâment avec amertume, tandis qu’eux-mêmes se livrent
tous les jours à la rapine ou aux excès de la table. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore Notre-Seigneur s’adresse ici aux
docteurs, car la gravité ou la légèreté d’une faute se mesure sur la personne
qui la commet, et le péché d’un simple fidèle n’est qu’une paille légère auprès
du péché d’un prêtre, péché qui est ici comparé à une poutre.
S. Hil. (can. 5 sur S. Matth.) Ou bien le péché contre le Saint-Esprit consiste à
nier la puissance de la vertu divine, et à refuser de reconnaître une substance
éternelle en Jésus-Christ, par qui l’homme doit s’élever de nouveau jusqu’à
Dieu, parce qu’étant Dieu lui-même il s’est abaissé jusqu’à se faire homme.
D’après Notre-Seigneur, il y a donc autant de différence entre le péché contre
le Saint-Esprit et les autres crimes, qu’entre une poutre et un fêtu de paille,
et les infidèles se rendent coupables de ce péché lorsqu’ils reprochent aux
autres leurs fautes extérieures, sans voir eux-mêmes le crime qui pèse sur eux,
c’est-à-dire leur incrédulité aux promesses de Dieu, parce qu’ils ont l’oeil de
l’âme aveugle comme si une poutre était tombée sur leurs yeux. « Ou
comment pouvez-vous dire à votre frère : Laissez-moi tirer la paille de
votre oeil, pendant que vous avez une poutre dans le vôtre ? » — S. Chrys.
(sur S. Matth.) C’est-à-dire de quel
front osez-vous reprendre votre frère, vous qui êtes coupable de la même faute
et peut-être plus coupable que lui ?
S. Aug. Lors donc que nous serons obligés
de faire une réprimande, faisons-nous d’abord cette question : N’ai-je
jamais commis cette faute ? et pensons alors qu’étant aussi des hommes
fragiles, nous aurions pu la commettre. Si nous en avons été coupables, et que
nous ayons cessé de l’être, rappelons-nous notre commune fragilité, afin que
notre réprimande soit inspirée non par la haine, mais par la miséricorde. Mais
si nous découvrons en nous ce même péché, abstenons-nous de tout reproche,
confondons nos gémissements et excitons-nous mutuellement à de courageux
efforts pour en sortir. Ce n’est du reste que rarement et lorsqu’il y a
nécessité pressante qu’il faut employer les réprimandes sévères, et jamais dans
des vues personnelles, mais dans l’intérêt de la gloire de Dieu.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien
dans un autre sens : « Comment dites-vous à votre frère, »
c’est-à-dire dans quelle intention ? Est-ce par charité, pour assurer son
salut ? Non, car alors vous chercheriez tout d’abord à vous sauver
vous-même. Ce que vous vous proposez, ce n’est donc pas de guérir les autres,
mais de vous servir de la saine doctrine comme d’un manteau pour couvrir vos
actions coupables ; vous recherchez auprès des hommes une vaine réputation
de science, et non pas la récompense que Dieu accorde à celui qui édifie. Aussi
écoutez ce que vous dit le Sauveur : « Hypocrite, enlevez plutôt la poutre
de votre oeil. » — S. Aug. (serm. sur la mont.) Il n’appartient qu’à la vertu de reprendre le
vice, et lorsque les méchants essaient de le faire, ils usurpent un rôle qui
leur est étranger. C’est ce que font les comédiens qui cachent sous un déguisement
emprunté ce qu’ils sont, et s’en servent en même temps pour paraître ce qu’ils
ne sont pas.
S. Chrys. (hom. 24 sur S. Matth.) Il
est à remarquer que toutes les fois que Notre-Seigneur veut signaler un péché
d’une certaine gravité, il débute par un terme de reproche. « Mauvais
serviteur, dit-il ailleurs, je vous ai remis toute votre dette, » et ici : « Hypocrite jetez
d’abord, » etc. On connaît mieux
ce qui est en soi, que ce qui se passe chez les autres ; on voit plus
facilement ce qui est grand que ce qui est petit ; et on a pour soi plus
d’affection que pour son prochain. C’est pour cela que Notre-Seigneur défend à
celui qui s’est rendu esclave de fautes nombreuses, de juger avec amertume les
péchés des autres, alors surtout qu’ils sont légers. Ce n’est pas qu’il nous
interdise la correction ou la réprimande ; mais il ne veut pas qu’en
fermant les yeux sur nos propres fautes, nous poursuivions avec sévérité les
fautes des autres. Commencez par examiner avec soin votre propre conduite,
avant de discuter la conduite du prochain. « Et alors, ajoute
Notre-Seigneur, vous songerez à ôter le fêtu de l’oeil de votre frère. »
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 30.) Une fois que nous aurons ôté de notre
oeil la poutre de la jalousie, de la malice, de la fausseté, nous songerons à
enlever la paille de l’oeil de notre frère.
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 31.) La simplicité que le Seigneur nous
recommande par ce qui précède, pouvait induire quelques esprits en erreur, et leur
donner à croire qu’on pèche en dissimulant quelquefois la vérité, comme en
disant un mensonge ; il ajoute pour rectifier cette erreur :
« Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez point vos
perles devant les pourceaux. »
S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, le Sauveur nous avait ordonné plus
haut d’aimer nos ennemis et de faire du bien à ceux mêmes qui nous ont offensé.
Or les prêtres pouvaient peut-être conclure de là qu’il fallait aussi les
admettre à la participation des choses divines ; il combat cette pensée en
disant : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, » comme s’il disait : Je vous ai
commandé d’aimer vos ennemis, de les assister de vos biens temporels, mais non
pas de leur distribuer indistinctement mes trésors spirituels ; car s’ils
ont avec vous une commune nature, ils n’ont pas une même foi ; et si Dieu
répand également les biens de la terre sur les méchants comme sur les bons, il
n’en est pas de même des grâces spirituelles.
S. Aug. (serm. sur la mont.) Examinons ce que sont ici les choses saintes,
les chiens, les pierres précieuses, les pourceaux. Ce qui est saint, c’est ce
qu’on ne peut profaner sans crime, et ce crime, la volonté s’en rend coupable,
alors même que la chose sainte reste inviolable. Les pierres précieuses sont
les choses spirituelles du plus grand prix. Cependant une seule et même chose
peut réunir à la fois ces deux qualités, d’être sainte et pierre
précieuse ; sainte, parce qu’on doit prendre garde de la profaner ;
pierre précieuse, parce qu’on doit se garder d’en mépriser la valeur.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, les choses saintes, c’est le
baptême, la grâce du corps de Jésus-Christ, et les autres trésors spirituels de
même nature. Les perles sont les mystères de la vérité, car de même que les
perles sont renfermées dans des coquilles, et cachées au fond de la mer, ainsi
les mystères de la vérité sont cachés sous l’enveloppe des paroles et renfermés
dans les profondeurs du sens de la sainte Écriture. — S. Chrys. (hom. 24.) Pour ceux qui sont doués d’intelligence et d’une âme
vertueuse, la connaissance qu’ils ont des mystères leur inspire pour eux une
plus grande vénération. Ceux au contraire qui n’ont ni sentiment ni raison, ont
plus de respect pour ce qu’ils ignorent.
S. Aug. (serm. sur la mont.) D’après une interprétation assez juste, les
chiens sont ceux qui attaquent la vérité, et les pourceaux ceux qui la
méprisent. Comme les chiens s’élancent pour déchirer leur proie, et qu’ils
mettent en pièces ce qu’ils déchirent, Jésus-Christ nous dit : « Ne
donnez pas les choses saintes aux chiens, » car autant qu’il dépend d’eux, ils mettraient en pièces la vérité,
si elle n’était inaccessible à leurs efforts. Quant aux pourceaux, quoiqu’ils
n’aient pas l’habitude de déchirer avec les dents ce qu’ils rencontrent, ils le
souillent en le foulant çà et là dans la fange, et c’est pour cela que
Notre-Seigneur ajoute : « Ne jetez pas vos perles devant les
pourceaux. — Rab. Ou bien, les
chiens sont ceux qui sont retournés à leur vomissement, et les pourceaux ceux
qui n’étant pas encore convertis se vautrent dans la fange du vice. — S. Chrys. (sur S. Matth.) On peut encore dire que le chien et le porc sont
des animaux immondes, mais avec cette différence que le chien l’est sous tous
rapports, parce qu’il ne rumine pas et n’a pas la corne divisée en deux, tandis
que le porc n’est immonde que sous un rapport, parce qu’il porte la corne
fendue par le milieu, mais ne rumine pas. Aussi je pense que les chiens
figurent ici les Gentils qui sont tout à fait immondes, et dans leur vie, et
dans leur foi ; et les pourceaux, les hérétiques, parce qu’ils invoquent
extérieurement le nom du Seigneur. Or on ne doit pas donner les choses saintes
aux chiens, parce que le baptême et les autres sacrements ne doivent être
administrés qu’à ceux qui font profession de la foi chrétienne. De même les
mystères de la vérité figurés par les perles ne doivent être exposés qu’a ceux
qui les désirent, et qui vivent d’une manière conforme à la raison. Si vous les
jetez aux pourceaux, c’est-à-dire à ceux qui sont comme abrutis dans la fange
des plaisirs sensuels, ils n’en comprendront pas le prix, mais les confondront
avec les fables profanes, et les fouleront aux pieds par l’indignité d’une vie
toute charnelle. — S. Aug. (serm. sur la mont.) On foule aux pieds ce qu’on méprise, et c’est
pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « De peur qu’ils ne les foulent
aux pieds. » — La Glose. Il
dit : « De peur, » car ils peuvent se repentir de leur vie
impure. — S. Aug. (serm. sur la mont.) « Et que
s’étant retournés, ils ne vous déchirent. » Remarquez qu’il ne dit
pas : « Ils ne déchirent les perles, car pour elles, elles sont
foulées aux pieds ; » et
lorsqu’ils se sont retournés pour entendre encore quelque vérité, ils déchirent
celui dont ils ont foulé les perles aux pieds ; car comment trouver grâce
devant un homme qui méprise ce qui a coûté tant de travaux et de peines ?
Il est donc impossible que ceux qui enseignent de telles gens ne soient pas
comme déchirés par l’indignation et la douleur.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien les pourceaux non-seulement foulent les
perles aux pieds, par leur conduite toute charnelle, mais encore à peine
convertis de quelques jours, ils déchirent ceux qui les leur ont offertes.
Presque toujours on les voit se scandaliser et calomnier ceux qui les
enseignent comme s’ils annonçaient de nouveaux dogmes. Les chiens aussi foulent
les choses saintes aux pieds en déchirant le prédicateur de la vérité par leurs
sentiments, leur manière d’agir et leurs disputes. — S. Chrys. (hom. 24.)
Remarquez la justesse de cette expression : « S’étant
retournés, » car ils affectent un certain air de douceur pour se faire
instruire, et déchirent ensuite ceux qui les ont enseignés. — S. Chrys. (sur S. Matth.) La défense qui nous est faite de jeter les perles
aux pourceaux est pleine de sagesse, car s’il est défendu de les jeter aux
pourceaux qui sont moins immondes, à plus forte raison ne doit-on pas les jeter
aux chiens qui le sont bien davantage. Quant à la distribution des choses saintes,
nous ne pouvons suivre la même règle de conduite, car souvent nous répandons
nos bénédictions même sur des chrétiens qui vivent à la manière des bêtes (cf.
Za 11, 4), non parce qu’ils les méritent, mais de peur qu’en les leur refusant
nous ne les scandalisions et ne soyons la cause de leur perte.
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 32.) Il faut donc se garder de rien
expliquer à celui qui n’est pas en état de comprendre ; car il vaut mieux
le laisser chercher ce qui est caché pour lui, que de l’exposer à profaner par
la haine comme le chien, ou par le mépris comme le pourceau, ce qui lui aura
été découvert. De ce que l’on peut s’abstenir de dévoiler une vérité, il ne
faut pas conclure qu’il soit permis de dire un mensonge, car le Seigneur, qui
n’a jamais menti, a cependant cru devoir cacher quelques vérités comme le
prouvent ces paroles : « J’ai beaucoup d’autres choses à vous dire,
mais vous ne pouvez les porter maintenant. » Si quelqu’un se trouve dans l’impossibilité de comprendre les
vérités saintes à cause des souillures de son âme, nous devons l’en purifier
par la parole ou par les oeuvres, autant qu’il est possible. De ce que le
Seigneur ait souvent enseigné des vérités qu’un grand nombre de ceux qui
l’écoutaient n’ont pas voulu recevoir, par mépris ou par opposition, il ne faut
pas en conclure qu’il donnait les choses saintes aux chiens, ou qu’il jetait
les perles devant les pourceaux. Il parlait pour ceux qui pouvaient le
comprendre, et qui entendaient ses divines leçons, et qu’il n’était pas juste d’abandonner
à cause de l’indignité des autres. Ceux qui venaient pour le tenter séchaient
de douleur, et trouvaient la mort dans la sagesse de ses réponses, mais il y en
avait un grand nombre d’autres capables de les comprendre, et qui profitaient
de cette occasion pour entendre des leçons utiles. Celui qui est en état de
répondre, doit le faire lorsqu’il s’agit de choses nécessaires au salut, dans
l’intérêt de ceux qui seraient tentés de désespoir parce qu’ils s’imaginent que
la difficulté qu’ils proposent est insoluble. Au contraire, dans les choses
vaines et dangereuses, on doit ne rien dire, mais se contenter d’expliquer
pourquoi on ne peut répondre à de semblables questions.
S. Jér. Notre-Seigneur nous avait défendu plus haut de
demander les biens temporels ; il nous apprend ici quel doit être l’objet
de nos prières en nous disant : « Demandez et vous recevrez. » —
S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien dans un autre sens la défense
qu’il nous fait de donner les choses saintes aux chiens, et de jeter les perles
devant les pourceaux, aurait pu faire dire à quelqu’un de ceux qui
l’entendaient, dans la conviction de son ignorance : « Pourquoi me
défendez vous de donner aux chiens ce que je ne possède pas
encore ? » C’est pour prévenir cette question qu’il ajoute :
« Demandez et vous recevrez. »
S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore Notre-Seigneur vient de donner à ses
disciples quelques préceptes qui ont rapport à la prière, tels que
celui-ci : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés, » il
ajoute donc très à propos : « Demandez et il vous sera
donné ; » comme s’il
disait : « Si vous montrez cette clémence à l’égard de vos ennemis,
partout où une porte sera fermée, frappez et on vous ouvrira. » Demandez
par les prières que vous ferez jour et nuit, cherchez par vos efforts et par
votre travail. Ce travail sans la grâce de Dieu ne vous donnera pas la science
des Écritures, et cette grâce vous ne l’aurez pas non plus sans l’application à
l’étude, car le don de Dieu ne s’accorde pas à ceux qui ne font rien pour
l’obtenir. Frappez donc par la prière, par les jeûnes, et par les aumônes. Car
de même que celui qui frappe à une porte, non-seulement élève la voix pour se
faire entendre, mais encore frappe de la main, ainsi celui qui fait des bonnes
oeuvres, frappe par ces bonnes oeuvres elles-mêmes. Mais vous me direz
peut-être : Ce que je demande, c’est de savoir ce que je dois faire, et la
grâce de le faire ; comment donc puis-je le faire avant d’avoir reçu cette
grâce ? faîtes d’abord ce que vous pouvez, afin de pouvoir plus
encore ; pratiquez ce que vous savez, pour savoir encore davantage. Ou
bien encore, il avait commandé plus haut à tous les chrétiens et surtout aux
docteurs, d’aimer leurs ennemis ; il leur avait ensuite défendu de donner
aux chiens les choses saintes sous prétexte de charité, il leur donne
maintenant ce sage conseil : Priez Dieu pour vos ennemis et vous
obtiendrez ce que vous demandez ; cherchez ceux qui sont morts dans leurs
péchés, et vous les trouverez ; frappez à la porte de ceux qui sont dans
l’erreur, et le Seigneur vous l’ouvrira. Ou bien enfin comme les préceptes
qu’il a donnés plus haut dépassent les forces humaines, il élève ses disciples
jusqu’à Dieu dont la grâce ne connaît rien d’impossible, en leur disant :
« Demandez et vous recevrez », de manière que ce qui surpasse
les forces de l’homme soit rendu possible par la grâce de Dieu. Dieu a placé la
force des autres animaux ou dans l’agilité de leur course, ou dans la rapidité
de leur vol, dans leurs serres, dans leurs dents, ou dans leurs cornes ;
mais il a voulu être lui-même la seule force de l’homme (cf. Ps 17, 1 ;
30, 4 ; 42, 2 ; 45, 1 ; 117, 14 ; 129, 1), afin que pressé
par le sentiment de sa faiblesse, il ne pût un seul instant se passer de Dieu.
— La Glose. Nous demandons par la
foi, nous cherchons par l’espérance, nous frappons par la charité. Vous devez
d’abord demander pour avoir, puis chercher pour trouver, puis mettre en
pratique ce que vous avez trouvé, afin de pouvoir entrer. — Remi. Ou bien nous demandons en priant,
nous cherchons en vivant chrétiennement, nous frappons en persévérant dans le
bien.
S. Aug. (serm sur la mont. 2, 33.) La demande a pour objet d’obtenir la
santé de l’âme qui nous donne la force d’accomplir les commandements : la
recherche se propose de trouver la vérité, et une fois qu’on a ainsi trouvé la
véritable vie, on parviendra certainement à la possession du véritable bien qui
nous sera ouvert aussitôt que nous frapperons. — S. Aug. (Retractat., liv.
1, chap. 16.) Je me suis appliqué à montrer en quoi diffèrent ces trois degrés
de la prière. Mais il est bien plus naturel de n’y voir que la prière elle-même
avec ses vives instances, car Notre-Seigneur conclut en disant : « Il
donnera les biens à ceux qui les demanderont, » et non pas « à ceux
qui chercheront et qui frapperont. » — S. Chrys. (hom. 24 sur S. Matth.) En ajoutant : « Cherchez et
frappez, » le Sauveur nous fait un devoir de prier avec beaucoup de force
et de ferveur, car celui qui cherche rejette toute autre pensée, et il est
occupé exclusivement de ce qu’il cherche ; de même celui qui frappe est
animé des plus vifs désirs.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Les
pécheurs qui entendaient ces paroles : « Demandez et vous
recevrez » pouvaient dire : Elles ne s’adressent qu’à ceux qui
méritent d’être exaucés ; pour nous, nous en sommes indignes.
Notre-Seigneur renouvelle donc sa promesse pour rappeler aux pécheurs comme aux
justes la grandeur de la miséricorde de Dieu : « Quiconque demande
reçoit, » c’est-à-dire : juste
ou pécheur, qu’il n’hésite pas à demander, afin qu’il soit bien prouvé que Dieu
ne rejette personne, si ce n’est celui qui a douté que Dieu pût exaucer sa
prière. On ne peut croire, en effet, que Dieu nous commande de faire du bien à
nos ennemis et qu’il n’accomplisse pas lui-même ce devoir de charité, lui qui
est la bonté par essence. — S. Aug. (Traité 44 sur S. Jean.) il est donc certain que Dieu exauce les pécheurs,
car, s’il ne les exauçait pas, c’est en vain que le publicain aurait dit (Lc 11) : « Seigneur,
soyez-moi propice, à moi qui suis un pécheur. » Or cependant c’est par cette confession qu’il mérita d’être
justifié.
S. Aug (Liv.
des Sent. Prosp.) Dieu peut exaucer, dans sa miséricorde, celui qui le prie
pour les nécessités de cette vie, comme il peut aussi refuser de l’exaucer par
le même principe de miséricorde. Le médecin sait mieux que le malade ce qui
convient à son état. Si ce qu’il demande est l’objet d’un commandement ou d’une
promesse, il obtiendra certainement ce qu’il demande, et la charité recevra ce
que la vérité tient en réserve. — S. Aug.
(Lettre 250 à Paulin et à Therasia). C’est un effet
de la bonté de Dieu de nous refuser souvent ce que nous voulons, pour nous
accorder ce que nous devrions préférer.
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 33.) La persévérance nous est nécessaire,
si nous voulons obtenir ce que nous demandons. — S. Aug. (serm. 5 sur les
paroles du Seign.) Lorsque Dieu diffère de nous exaucer, ce n’est pas qu’il
nous refuse ses dons, il veut simplement en relever le prix ; les choses
que nous avons longtemps désirées ont pour nous bien plus de douceur lorsque
nous les obtenons ; si elles nous sont données aussitôt, elles perdent
pour nous de leur prix. Demandez donc, cherchez, faites des instances ; en
demandant et en cherchant, le désir que vous avez de recevoir s’accroît. Dieu
tient en réserve ce qu’il ne veut pas accorder immédiatement, pour vous
apprendre à désirer grandement d’aussi grandes faveurs ; c’est pour cela
qu’il faut toujours prier et ne jamais cesser.
S. Aug. Notre-Seigneur, par ces
paroles : « Quel est l’homme parmi vous, » suit la même marche que précédemment, lorsqu’il a parlé des
oiseaux du ciel et des lis des champs, voulant ainsi élever notre espérance de
ces moindres choses à des objets plus importants. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Et de peur que le pécheur, en
mesurant la distance qui sépare l’homme de Dieu et en pesant l’énormité de ses
péchés, n’en vînt à perdre tout espoir d’être exaucé et à renoncer à la prière,
il apporte cette comparaison d’un père et de ses enfants, afin que la
considération de la bonté paternelle fasse renaître en nous l’espérance que nos
péchés y détruisent. — S. Chrys. (hom. 24.) Deux conditions sont exigées
de celui qui prie : demander avec instance, demander des choses
convenables, c’est-à-dire les biens spirituels, et c’est pour avoir suivi cette
règle que Salomon obtint promptement ce qu’il avait demandé (3 R 3, 5.9.10).
S. Chrys. (sur S. Matth.) Sous cette figure du pain et du poisson, le Sauveur
nous apprend quelles sont les choses que nous devons demander. Le pain, c’est
le Verbe qui nous donne la connaissance du Père ; la pierre, c’est tout
mensonge qui devient pour l’âme une pierre de scandale. — Remi. Nous pouvons voir aussi dans le
poisson toute parole qui a rapport au Christ, et dans le serpent le démon
lui-même. Ou bien par le pain on peut entendre la doctrine spirituelle, et par
la pierre, l’ignorance ; par le poisson, l’eau du saint baptême ; par
le serpent, la fourberie du démon ou l’infidélité. — Rab. Ou bien par le pain, qui est la nourriture commune à
tous les hommes, on peut entendre la chante, sans laquelle les autres vertus
n’ont aucun prix. Le poisson signifie la foi qui, née de l’eau du baptême, se
trouve ballottée par les flots de ce monde au milieu desquels elle ne laisse
pas de vivre. Saint Luc ajoute une troisième figure, qui est l’oeuf, espérance
de l’animal qui doit en sortir, et qui est ici le symbole de l’espérance
chrétienne. A la charité il oppose la pierre, c’est-à-dire la dureté de la
haine ; à la foi, le serpent, ou le venin de la perfidie ; à
l’espérance, le scorpion, c’est-à-dire le désespoir qui blesse par derrière,
comme le scorpion.
Remi. Voici donc le sens
de ce passage : Si nous demandons à Dieu le Père le pain, c’est-à-dire la
doctrine ou la charité, nous n’avons pas à craindre qu’il permette jamais que
notre cœur se resserre ou par la froideur qu’engendrent les haines, ou par la
dureté de l’âme ; et si nous lui demandons la foi, il ne nous laissera pas
périr victimes du poison de l’incrédulité ; c’est pour cela qu’il
ajoute : « Si vous, qui êtes
mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants. » — S. Chrys. (hom. 24.) En s’exprimant ainsi, Notre-Seigneur ne déverse pas le
blâme sur la nature humaine, il ne déclare pas que tout le genre humain soit
mauvais, mais il veut nous montrer combien sa bonté diffère de la nôtre ;
il appelle mauvaise la tendresse des pères pour leurs enfants en comparaison de
celle de Dieu, tant est grand l’excès de son amour pour les hommes. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, tous les hommes paraissent mauvais si on
les compare à Dieu, qui est le seul bon par essence, de même qu’à côté du
soleil toute lumière n’est qu’obscurité. — S. Jér.
Ou bien dans la personne des Apôtres il condamne tout le genre humain
dont le cœur est porté au mal dès son enfance, comme nous le lisons dans la
Genèse (Gn 8). Il n’est point
étonnant, du reste, qu’il appelle mauvais les hommes qui vivent dans le temps,
puisque l’Apôtre nous déclare que les jours qui le composent sont mauvais.
Aug. (serm. sur la mont., 2, 33.) Ou bien il appelle mauvais les pécheurs et
ceux qui aiment la vie de ce monde. Or, les biens qu’ils donnent, d’après leur
manière de voir, peuvent être appelés bons parce qu’ils les tiennent pour
tels ; et encore, considérés seulement dans leur nature, ces biens
temporels ont une bonté réelle, puisqu’ils sont les soutiens de cette vie
misérable. — S. Aug. (serm. 2 sur les paroles du Seign.) Le
bien qui seul peut vous rendre bon, c’est Dieu. L’or et l’argent sont bons, non
pas qu’ils puissent vous rendre bons, mais parce qu’ils vous donnent le moyen
de faire le bien. Puisque donc nous sommes mauvais et que notre Père est bon,
ne demeurons pas toujours dans notre malice. — S. Aug. (serm. sur la
mont.) Si donc nous qui sommes mauvais nous ne laissons pas de donner ce
qu’on nous demande, à combien plus forte raison devons-nous espérer que Dieu
nous donnera les biens que nous lui demanderons.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Cependant, comme il ne nous accorde pas
indifféremment tout ce que nous lui demandons, mais seulement ce qui est bon,
Notre-Seigneur prend soin d’ajouter : « A combien plus forte raison
donnera-t-il les biens. » Nous
ne recevons de Dieu que des biens, quelle que soit l’idée que nous nous en
faisons, car tout contribue au bien de ceux qui sont aimés de Dieu (Rm 8, 28).
Remi. Nous lisons dans
saint Matthieu : « Il donnera les biens, » et dans saint Luc : « Il donnera le bon
esprit ; » mais il n’y a pas ici de contradiction, car tous les biens
que l’homme reçoit de Dieu lui sont donnés par la grâce de l’Esprit saint.
S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 2, chap. 34.) Une conduite sage et
réglée donne à l’homme une certaine fermeté et la force de marcher dans la voie
de la sagesse, et le font parvenir jusqu’à la pureté, jusqu’à la simplicité du
cœur. Notre-Seigneur conclut tous les développements qu’il vient de donner sur
cette matière par ces paroles : « Tout ce que vous voulez que les
hommes fassent pour vous, faites-le vous-même pour eux, » car il n’est
personne qui voudrait qu’on agît à son égard avec duplicité et dissimulation.
S. Chrys. (sur S. Matth.) On peut encore établir de cette manière la liaison
avec ce qui précède. Notre-Seigneur, voulant rendre notre prière plus sainte et
plus pure, nous a commandé plus haut de ne pas juger ceux qui nous ont
offensés. Or, comme il s’était écarté de ce sujet pour traiter d’autres
matières, il y revient et complète l’explication de ce précepte en ajoutant :
« Tout ce que vous voudrez, » etc.,
c’est-à-dire non-seulement vous ne devrez pas juger, mais tout ce que vous
voudrez que les hommes fassent pour vous, vous devez le faire pour eux ;
c’est alors que vos prières pourront être exaucées. — La Glose. Ou
bien encore c’est l’Esprit saint qui distribue toutes les grâces spirituelles
qui nous font accomplir les oeuvres de la charité. C’est pour cela que
Notre-Seigneur ajoute : « Faites aux hommes tout ce que vous vous
voulez qu’ils vous fassent. »
S. Chrys. (hom. 24.) Ou
bien, enfin, le Seigneur veut établir que les hommes doivent chercher près de
Dieu le secours dont ils ont besoin, et faire en même temps tout ce qui dépend
d’eux pour assurer le succès de leurs prières. C’est ainsi qu’après avoir
dit : « Demandez et vous recevrez, » il enseigne clairement que
les hommes doivent s’appliquer aux oeuvres de la charité : « Tout ce
que vous voulez, » etc.
S. Aug. (serm. 5 sur les paroles du Seign.) Dieu nous
avait promis de nous accorder les biens que nous lui demanderions ; or, si
nous voulons qu’il nous reconnaisse pour ses mendiants, ne rejetons pas les
nôtres. En effet, si on en excepte les richesses matérielles, il n’y a aucune
différence entre ceux qui demandent et ceux à qui ils adressent leur prière. De
quel front osez-vous donc approcher de Dieu pour le prier, vous qui ne voulez
point écouter votre frère ? Aussi est-il écrit dans le livre des
Proverbes : « Celui qui ferme son oreille au cri du pauvre demandera
lui-même, et il ne sera pas exaucé (Pv 21). » Mais que devons-nous
accorder à la prière de nos frères si nous voulons que Dieu exauce la
nôtre ? Pour répondre à cette question, demandons-nous ce que nous voulons
que les autres fassent pour nous-mêmes. « Faites aux hommes tout ce que
vous voulez qu’on vous fasse. »
S. Chrys. (hom. 24.) Notre-Seigneur
ne dît pas seulement : « Toutes les choses, » mais il ajoute le mot
« donc, » comme s’il
disait : « Si vous voulez que je vous exauce, joignez cette recommandation
à toutes celles qui précèdent. Et remarquez qu’il ne dit pas : « Tout
ce que vous voulez que Dieu fasse pour vous, faites-le aussi pour votre
prochain, car vous pourriez dire : Cela m’est impossible, » mais : « Tout ce que vous
voudriez que vous fît votre frère, faites-le vous-même pour lui. »
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 34.) On lit dans quelques exemplaires
latins : « Faites-leur du bien. » Le mot bien a été ajouté pour
plus de clarté. On pouvait en effet se demander si un homme qui désirerait
qu’on agît à son égard d’une manière coupable, pourrait, en s’appuyant sur
cette maxime, commettre le premier l’injustice dont il désire être lui-même
l’objet. Il serait absurde de penser que cet homme accomplit ce précepte. Sans
l’addition de ce mot « bien, » le sens de cette maxime est complet.
Car ces paroles : « Tout ce que vous voulez, » ne doivent pas être prises ici dans un
sens trop général, mais dans le sens propre du mot. Or, la volonté n’existe que
dans les bons ; dans les mauvais, la volonté n’est à proprement parler que
la cupidité. Sans doute les Écritures ne s’expriment pas toujours de la sorte,
mais il faut les entendre ainsi alors qu’elles emploient une expression
tellement propre qu’elles ne permettent pas de lui en substituer une autre.
S. Cypr. (de l’Orais.
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 35.) Le Seigneur nous a recommandé plus
haut la simplicité et la pureté du cœur qui font trouver Dieu. Mais c’est le
partage d’un petit nombre. Aussi va-t-il nous parler de la recherche de la
sagesse ; et tout ce qui précède avait pour but de rendre l’oeil de l’âme
assez pur pour rechercher et contempler cette divine sagesse, et découvrir la
voie resserrée et la porte étroite dont il est dit : « Entrez par la
porte étroite. »
La Glose. Ou bien,
quoiqu’il soit difficile de faire aux autres ce que nous voudrions qu’on nous
fît à nous-mêmes, cependant c’est une condition indispensable si nous voulons
entrer par la porte étroite.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, cette troisième conséquence se
rapporte au précepte du jeûne, et telle est la suite des idées :
« Pour vous, lorsque vous jeûnez, parfumez votre tête », et puis
ensuite : « Entrez par la porte étroite. » Il est en effet trois
inclinations qui tiennent plus particulièrement à notre nature, et qui sont étroitement
unies à notre corps. La première est celle du boire et du manger, la seconde
l’affection de l’homme pour la femme, la troisième l’amour du sommeil, et ces
trois inclinations sont plus difficiles à retrancher de notre nature que toutes
les autres passions. Aussi la mortification d’aucune passion ne sanctifie
autant le corps de l’homme comme d’être chaste, de jeûner, et de persévérer
dans les veilles. Notre-Seigneur a donc en vue ces trois actes de vertu et en
particulier le jeûne si rigoureux, lorsqu’il dit : « Entrez par la
porte étroite.
La porte de la
perdition c’est le démon, et c’est par cette porte qu’on entre dans l’enfer.
Jésus-Christ, au contraire, est la porte de vie, porte qui nous ouvre l’entrée
du royaume des cieux. Ce qui fait donner au démon le nom de porte large, ce n’est
ni l’étendue, ni la grandeur de son pouvoir, mais le débordement de son orgueil
effréné qui ne connaît point de bornes. Et si le Christ nous est présenté comme
la porte étroite, ce n’est pas que son pouvoir soit faible et resserré, mais
parce que son humilité lui a inspiré de se raccourcir et de se renfermer dans
les étroites limites du sein d’une vierge, lui que le monde entier ne peut
contenir. La voie de la perdition, c’est l’iniquité quelle qu’elle soit. Cette
voie est appelée large parce qu’elle n’est pas contenue dans les sages limites
de la règle et de la discipline, et que ceux qui prennent cette voie font
profession de poursuivre tout ce qui a pour eux de l’attrait. Au contraire,
tout acte de vertu est la voie qui conduit à la vie, et on l’appelle étroite
pour des raisons opposées à celles que nous venons de dire. Or remarquez qu’il
faut nécessairement marcher par cette voie pour arriver à la porte, car on ne
peut arriver à une véritable connaissance du Christ qu’en suivant la voie de la
justice ; de même qu’on ne tombe dans les mains du démon qu’en marchant
dans la voie des pécheurs. — S. Grég.
(hom. 17 sur Ezéch.) Quoique la charité mette le cœur au large, elle ne
détache les hommes de la terre qu’en les faisant passer par des sentiers
étroits et escarpés. N’est-ce pas être à l’étroit en effet que de tout
mépriser, de n’aimer qu’une seule chose, de ne pas désirer la prospérité, de ne
pas craindre l’adversité ? — S. Chrys.
(homél. 24 sur S. Matth.) Mais comment le Sauveur qui bientôt nous dira :
« Mon joug est doux, et mon fardeau léger, » peut-il appeler étroite
et resserrée la voie qui conduit au ciel ? Pour comprendre cette douceur
et cette suavité, il faut remarquer que Notre-Seigneur parle ici d’une voie et
d’une porte, que ce qu’il appelle large et spacieux est aussi une voie et une
porte. Ni l’une ni l’autre ne doivent toujours durer, et elles ne sont que
passagères. Or la pensée qu’on ne fait que passer par les travaux et les peines
pour arriver au bonheur, c’est-à-dire à la vie éternelle, ne suffit-elle pas
pour adoucir toutes les souffrances de la vie ? Car si l’espérance seule
d’une récompense périssable rend les tempêtes légères au matelot, et les
blessures douces au combattant, à plus forte raison la vue du ciel qui nous est
ouvert, et ses récompenses immortelles doivent-ils nous faire oublier les
dangers qui nous menacent. D’ailleurs Notre-Seigneur n’appelle cette voie
étroite que pour la rendre plus douce ; par là, en effet, il nous avertit
d’être sur nos gardes, et il dirige nos désirs vers le but qu’il nous propose.
N’est-il pas vrai que celui qui combat dans l’arène puise un nouveau courage
quand il voit son souverain admirer ses généreux efforts ? Ne nous
laissons donc pas abattre sous le poids des afflictions qui viendront fondre sur
nous : la voie est étroite, mais non pas la cité. Ne cherchons pas le
repos ici-bas, et ne redoutons pas de tribulations dans l’autre vie. En
ajoutant : « Car il y en a peu qui la trouvent, » Notre-Seigneur
fait allusion à la lâcheté d’un trop grand nombre, et il nous avertit de fixer
nos regards non pas sur la prospérité de la multitude, mais sur les travaux du
petit nombre.
S. Jér. Notre-Seigneur tient un langage
distinct en parlant de ces deux voies. Il dit qu’il en est beaucoup qui
marchent par la voie large, et qu’il en est peu qui trouvent la voie étroite.
En effet, nous ne cherchons pas la voie large, et nous n’avons aucune peine à
la trouver ; elle se présente d’elle-même, et c’est le chemin de ceux qui
s’égarent. Tous au contraire ne trouvent pas la voie qui est étroite, et ne la
suivent pas aussitôt qu’ils l’ont trouvée, cor il en est beaucoup qui après
avoir trouvé la voie de la vérité, se laissent séduire par les voluptés de la
terre, et reviennent sur leurs pas alors qu’ils étaient au milieu de leur
course.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur avait ordonné précédemment
à ses disciples de ne point faire parade devant les hommes de leurs jeûnes, de
leurs prières, de leurs aumônes, comme font les hypocrites. Or, pour leur
apprendre que toutes ces bonnes oeuvres peuvent être faites dans un esprit
d’hypocrisie, il leur dit : « Gardez-vous des faux prophètes. »
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 36.) Ou bien après avoir dit qu’il en est
peu qui trouvent la petite porte et la voie étroite, Notre-Seigneur voulant
nous prémunir contre les hérétiques qui font souvent de leur petit nombre un
titre de recommandation, ajoute aussitôt : « Gardez-vous des faux
prophètes. »
S. Chrys. (hom. 24.) Ou
bien encore : Notre-Seigneur avait dit que la porte est étroite, et qu’il
en est beaucoup qui pervertissent la voie qui doit y conduire, il ajoute
donc : « Gardez-vous des faux prophètes. » Il les appelle faux prophètes pour exciter la
sollicitude de ses disciples à cet égard, en leur rappelant ce qui est arrivé à
leurs pères, qui ont eu à subir cette même épreuve. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Nous lisons dans un des chapitres suivants, il est
vrai, que la loi et les prophètes ont prophétisé jusqu’à Jean-Baptiste, parce
qu’après lui, il ne devait plus y avoir de prophétie relative au Christ. Il y a
eu depuis ce temps, et il y a encore des prophètes, mais leurs prophéties n’ont
point le Christ pour objet et ils interprètent simplement les prédictions
anciennes relatives à Jésus-Christ ; ce sont les docteurs des Églises. Car
personne ne peut interpréter le sens des prophéties, s’il ne participe lui-même
à l’esprit prophétique. Le Seigneur, prévoyant donc qu’il viendrait de faux
docteurs, qui enseigneraient diverses hérésies, nous prémunit contre eux en
nous disant : « Gardez-vous des faux prophètes. » Ces faux
prophètes ne devaient pas être des païens faciles à reconnaître, mais des
séducteurs cachés sous le nom de chrétiens ; aussi ne dit-il pas :
« Regardez, » mais :
« Prenez garde. » En effet,
quand une chose est évidente, on la regarde, c’est-à-dire qu’on la voit
naturellement, si au contraire elle offre quelque incertitude, on y prend
garde, c’est-à-dire qu’on l’examine avec précaution. Il nous dit encore :
« Prenez garde, » parce que la plus sûre garantie du salut, est de
connaître ceux que l’on doit fuir. Si Notre-Seigneur nous prémunit de la sorte,
ce n’est pas que le démon puisse introduire les hérésies malgré la volonté de
Dieu, il ne le peut que parce que Dieu le lui permet. Dieu veut que ses
serviteurs soient soumis à l’épreuve, il leur envoie donc la tentation ;
mais il ne veut pas que leur ignorance soit cause de leur perte, et c’est pour
cela qu’il les avertit à l’avance. Et afin que les docteurs hérétiques ne
puissent se défendre en disant : Ce n’est pas nous que le Seigneur appelle
faux prophètes, mais les docteurs des Juifs et des Gentils, il ajoute
expressément : « Qui viennent à vous couverts de peaux de brebis. »
Les brebis sont les chrétiens, et les peaux de brebis sont les dehors de
christianisme et les apparences d’une fausse religion. Or rien n’est plus
contraire au bien que l’hypocrisie, car on ne peut connaître, et par conséquent
on ne peut éviter le mal qui se cache sous l’apparence du bien. Et de peur que
ces mêmes docteurs hérétiques ne prétendent qu’il est ici question des vrais
docteurs, mais qui sont dans l’état de péché, il ajoute : « Au dedans
ce sont des loups ravissants. » Or
les docteurs catholiques qui deviennent esclaves de la chair lorsqu’ils
succombent aux passions de la chair, ne sont pas appelés pour cela des loups
ravissants, parce qu’ils ne cherchent pas à perdre les chrétiens. Il est donc
évident qu’il veut parler ici des docteurs hérétiques qui prennent avec
intention l’extérieur des chrétiens, pour déchirer plus facilement les fidèles
sous les coups d’une séduction criminelle. C’est d’eux que l’Apôtre a
dit : « Je sais qu’après mon départ il entrera parmi vous des loups
ravissants qui n’épargneront pas le troupeau. »
S. Chrys. (hom. 22 sur S. Matth.) Cependant
il paraît assez vraisemblable que par ces faux prophètes Notre-Seigneur veut
désigner non pas les hérétiques, mais ceux qui mènent une vie corrompue sous
les dehors de la vertu ; c’est pour cela qu’il dit : « Vous les
connaîtrez à leurs fruits. » Or
on rencontre souvent des moeurs vertueuses chez certains hérétiques, mais
jamais dans ceux dont je viens de parler. — S. Aug. (serm. sur la
mont., 2, 36.) C’est donc une question des plus importantes que de bien
connaître quels sont les fruits sur lesquels le Sauveur veut attirer notre
attention. Plusieurs en effet prennent pour des fruits ce qui n’est que le
vêtement des brebis, et c’est ainsi qu’ils se laissent tromper par les loups.
Je veux parler ici des jeûnes, ou des aumônes, ou des prières qu’ils étalent
devant les hommes sans autre but que de plaire à ceux qui sont frappés de la
difficulté de ces oeuvres. Ce ne sont pas là les fruits qui peuvent nous aider
à les reconnaître, car si ces actions sont faites dans la vérité avec une
intention droite, elles sont, il est vrai, les vêtements propres aux
brebis ; mais elles ne font que couvrir les coups lorsqu’elles partent
d’un cœur où l’erreur règne en maître. Ce n’est pas toutefois une raison pour
les brebis d’avoir horreur de ces vêtements, parce qu’ils servent quelquefois à
couvrir les loups. A quels fruits donc reconnaîtrons-nous un mauvais
arbre ? L’Apôtre nous l’apprend. « Les oeuvres de la chair sont
évidentes, nous dit-il ; ce sont la fornication, l’impureté, » etc. (Ga 5) Le même Apôtre nous apprend à
connaître les fruits du bon arbre par ce qui suit : « Les fruits de
l’esprit sont la charité, la joie, la paix, » etc.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Les fruits que produit l’homme juste c’est aussi la
confession de la foi, car celui qui en suivant l’inspiration de Dieu, fait en
toute humilité une véritable confession de foi, celui-là est une brebis, tandis
que celui qui fait entendre contre la vérité et contre Dieu les hurlements du
blasphème, est un loup. — S. Jér. Ce
que Notre-Seigneur dit ici des faux prophètes qui sont tout autres dans leur
conduite qu’ils ne le paraissent dans leur extérieur et leurs discours, doit
s’appliquer d’une manière toute spéciale aux hérétiques qui se couvrent de la
continence et du jeûne comme du vêtement de la piété, et qui portant au-dedans
un esprit empoisonné par le vice séduisent les cœurs simples de leurs frères. —
S. Aug. (serm. sur la mont. 2, 12.) Mais on peut savoir, en examinant leurs
oeuvres, si tout cet extérieur a pour principe un désir de vaine gloire.
Lorsqu’en effet, à la suite de certaines épreuves, ils se voient enlever ou
refuser ce qu’ils ont obtenu ou ce qu’ils ont voulu obtenir à l’aide de ce
voile trompeur, on découvre alors nécessairement si c’était un loup caché sous
la peau de la brebis, ou une brebis revêtue de sa propre peau. — S. Grég. (Moral., 31, 9.) L’hypocrite est comme dominé par la paix dont
jouit l’Église ; voilà pourquoi il veut paraître à nos yeux couvert du
voile de la religion (cf. Jb 39). Mais qu’une persécution éclate, aussitôt les
instincts féroces du loup le dépouillent de la peau de la brebis, et en
persécutant le bien il montre de quelle fureur il est animé contre lui.
S. Chrys. (hom. 24 sur S. Matth.) Il
est facile de surprendre les hypocrites, car la voie qu’ils sont forcés de
suivre est bien pénible. Or l’hypocrite ne choisira certainement pas de
lui-même le travail et la peine. D’ailleurs, pour répondre à la prétendue
impossibilité de les reconnaître, Notre-Seigneur vous apporte un exemple pris
dans la nature en vous disant : « Peut-on cueillir des raisins sur
des épines, ou des figues sur des ronces ? » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le raisin est une figure
mystérieuse du Christ, car de même que la grappe par l’intermédiaire du bois de
la vigne tient suspendus des grains nombreux, ainsi le Christ, par le bois de
la croix retient dans une étroite union la multitude des fidèles. La figue,
c’est l’Église qui retient aussi la multitude de ses enfants dans les doux
embrassements de sa charité, comme la figue tient cachées une quantité
considérable de graines sous une seule enveloppe. Or la figue est le signe tout
à la fois de la charité par sa douceur, et de l’unité par l’union de ses
graines. Le raisin est tout ensemble le symbole de la patience parce qu’il est
foulé dans le pressoir ; de la joie, parce qu’il réjouit le cœur de
l’homme ; de la sincérité, parce qu’il n’est pas mélangé d’eau et de la
suavité par le plaisir qu’il donne. Au contraire les épines et les ronces
présentent des pointes de toutes parts ; et c’est ainsi que les serviteurs
du démon sont pleins d’iniquités, de quelque côté qu’on les considère. Ces
ronces et ces épines ne peuvent produire aucun des fruits que demande l’Église.
Notre-Seigneur ne se borne pas à cette comparaison particulière du figuier et
de la vigne pour rendre sensible cette vérité, il la généralise par ces
paroles : « C’est ainsi que tout arbre qui est bon porte de bons
fruits, et tout arbre mauvais en porte de mauvais. »
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 36.) Il faut se garder ici de l’erreur des
Manichéens qui prétendent que dans ces deux arbres il faut voir deux natures,
l’une qui vient de Dieu, l’autre qui lui est étrangère. Nous soutenons, nous,
que ces deux arbres ne peuvent servir d’appui à leur opinion, car il ne s’agit
évidemment que des hommes, comme le prouvent les antécédents et les
conséquents. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 12, chap. 4 et 5.)
Les hommes ont souvent de l’aversion pour les natures mêmes des choses, parce
qu’ils les considèrent non pas en elles-mêmes, mais d’après l’utilité qu’ils
peuvent en retirer. Or, toute nature
ne rend gloire à son créateur qu’autant qu’on la considère en elle-même, et non
pas dans l’utilité ou le désavantage qui peuvent en résulter pour nous. Les
natures créées par le seul fait de leur existence ont leur manière d’être, leur
beauté, un certain accord entre les différentes parties qui les composent, et
par conséquent elles sont bonnes.
S. Chrys. (hom. 24.) On
pouvait objecter qu’un mauvais arbre porte sans doute de mauvais fruits, mais
qu’il peut aussi en porter de bons et qu’il est ainsi difficile de le bien
connaître à cause de cette double apparence ; le Seigneur prévient cette
difficulté en ajoutant : « Un bon arbre ne peut produire de mauvais
fruits, et un mauvais arbre n’en peut produire de bons. » — S. Aug.
(serm. sur la mont.) De ces
dernières paroles, les Manichéens concluent qu’une âme qui est mauvaise ne peut
devenir meilleure, ni celle qui est bonne devenir mauvaise, comme si
Notre-Seigneur avait dit : « Un arbre bon ne peut devenir mauvais, ni
un arbre mauvais devenir bon ; » mais, au contraire, il s’est exprimé
de la sorte « Un arbre bon ne peut pas produire de mauvais fruits, ni un
mauvais arbre en produire de bons. » Or, l’arbre c’est l’âme, c’est-à-dire
l’homme lui-même ; les fruits sont ses oeuvres. L’homme qui est mauvais ne
peut donc faire de bonnes actions, ni celui qui est bon en faire de mauvaises.
Si donc celui qui est mauvais veut faire de bonnes actions, qu’il commence par
devenir bon lui-même. Tant qu’un homme est mauvais, il ne peut porter de bons
fruits. Il peut se faire que ce qui a été de la neige ne soit plus de la neige,
mais il est impossible que la neige soit chaude ; ainsi peut-il arriver
que celui qui a été mauvais cesse de l’être, mais jamais en demeurant mauvais
il ne peut faire le bien, et si parfois il paraît faire quelque chose d’utile,
ce n’est pas à lui qu’il faut l’attribuer, mais à la divine Providence.
Rab.
Cet arbre, bon ou mauvais, c’est l’homme suivant que sa volonté est bonne ou
mauvaise ; les fruits, ce sont ses oeuvres, qui ne peuvent être bonnes si
la volonté est mauvaise, de même qu’elles ne peuvent être mauvaises si la
volonté est bonne.
S. Aug. (cont. Julien, liv. 1, chap. 3.) S’il est certain que la volonté
vicieuse produit les actions mauvaises, comme un mauvais arbre produit de
mauvais fruits, d’où vient à votre avis la mauvaise volonté elle-même, si ce
n’est de l’ange considéré dans l’ange, et de l’homme considéré dans
l’homme ? Or, qu’étaient ces deux volontés, avant qu’elles n’eussent
produit le mal ? Un ouvrage digne de Dieu, deux natures bonnes et
louables. C’est donc du bien que naît le mal, et on ne peut lui donner un autre
principe d’existence que le bien. Je veux parler ici de la volonté mauvaise,
car elle n’a été précédée ni d’aucun mal ni d’aucunes mauvaises actions, qui ne
sortent que d’une volonté vicieuse comme d’un mauvais arbre. On ne peut dire
cependant que la volonté mauvaise vient du bien en tant que bien, car c’est
Dieu qui est essentiellement bon qui est l’auteur du bien ; mais elle est
sortie d’un bien qui a été tiré du néant et non de Dieu.
S. Jér. Demandons aux hérétiques qui
soutiennent l’existence de deux natures opposées l’une à l’autre, et qui
prétendent qu’un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits, comment Moïse,
qui était un bon arbre, a pu pécher aux eaux de la contradiction, et comment
Pierre a pu nier le Sauveur dans sa Passion en disant : « Je ne
connais pas cet homme, » ou bien encore comment le beau-père de Moïse, qui
était un mauvais arbre et qui ne croyait pas dans le Dieu d’Israël, a pu
cependant donner un bon conseil ?
S. Chrys. (hom. 28.) Le
Seigneur n’a point ordonné de châtiment contre les faux prophètes ; il les
pénètre d’un effroi salutaire en les menaçant du supplice que Dieu leur
réserve : « Tout arbre qui n’est pas bon, dit-il, sera coupé et jeté
au feu. » Ce sont les Juifs qu’il paraît avoir en vue dans ces
paroles ; c’est pourquoi il se sert des paroles de Jean-Baptiste et leur
annonce dans les mêmes termes (cf. Mt 3, 10 ; Lc 9, 9) le châtiment qui
les attend. Le saint précurseur, en effet, emploie les mêmes figures de hache,
d’arbre et de feu qui ne s’éteint pas. Pour celui qui examine sérieusement les
choses, ce sont deux peines différentes, d’être coupé et d’être brûlé. Celui
qui est jeté au feu est retranché tout à fait du royaume, peine qui est la plus
terrible. Il en est qui ne craignent que l’enfer ; pour moi, je déclare
que la perte de cette gloire éternelle est mille fois plus amère que la peine de
l’enfer. En effet, quelles souffrances, petites ou grandes, n’accepterait pas
un père pour jouir de la vue d’un fils bien-aimé ? Tels doivent être nos
sentiments à l’égard de cette gloire, car il n’est point de fils dont la vue
soit si douce pour son père que doit l’être pour nous le repos au sein des
honneurs et la dissolution du corps pour être éternellement avec Jésus-Christ
(cf. Ph 1, 23). C’est un supplice intolérable que le supplice de l’enfer ;
mais que l’on ajoute dix mille enfers à la suite les uns des autres, jamais ce
supplice ne sera comparable à la peine d’être à jamais exclu de la gloire des
bienheureux et d’être éternellement haï de Jésus-Christ.
La Glose. La comparaison qu’il vient de
développer amène cette conclusion, dont l’évidence ressortait déjà de tout ce
qui précède : « Vous les
connaîtrez donc à leurs fruits. »
S. Jér. Notre-Seigneur nous a commandé d’éviter ceux qui,
sous les dehors de la vertu, professent des doctrines perverses ; ici, au
contraire, il nous apprend à ne pas nous confier à ceux dont la doctrine est
irréprochable, mais qui la détruisent par des oeuvres mauvaises. Les serviteurs
de Dieu doivent nécessairement réunir ces deux choses : soutenir leurs
oeuvres par leurs discours, appuyer leurs discours par leurs oeuvres. C’est
pour cela qu’il ajoute : « Ce
n’est pas celui qui me dit : Seigneur, » etc. — S. Chrys. (hom. 25.) Le Sauveur paraît ici faire allusion aux Juifs, pour qui
les croyances étaient tout, et que saint Paul réprimande en ces termes :
« Si vous, qui vous appelez Juifs,
et qui vous reposez sur la loi, » etc.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, après nous avoir appris à
reconnaître, d’après leurs fruits, les vrais et les faux prophètes, il nous
enseigne ici plus clairement quels sont ces fruits qui peuvent nous servir à
discerner les bons et les mauvais docteurs. — S. Aug. (serm. sur la
mont., 2, 39.) Il faut prendre garde, en effet, qu’à la faveur du nom du
Christ les hérétiques, ceux qui comprennent aussi mal la vérité, ou les
partisans de ce monde, ne cherchent à nous tromper. C’est pour cela qu’il
ajoute : « Tous ceux qui me disent : Seigneur,
Seigneur, » etc. Mais ici se présente une difficulté ; comment
concilier avec cette maxime ces paroles de l’Apôtre : « Personne ne peut dire : Seigneur Jésus,
si ce n’est dans l’Esprit saint ; » car nous ne pouvons admettre
que ceux qui n’entrent pas dans le royaume des cieux aient en eux ce divin
Esprit. L’Apôtre saint Paul a employé ici le mot dire dans un sens propre pour exprimer la volonté, l’intelligence
de celui qui prononce ces paroles ; parce qu’en effet celui-là seul parle
dans le sens vrai du mot dont la parole exprime la pensée et l’intention. Le
Seigneur, au contraire, a pris le mot dire dans son sens général. Celui, en
effet, qui ne veut ni ne comprend ce qu’il dit paraît aussi parler dans un
certain sens. — S. Jér. C’est
l’ordinaire des Écritures de prendre les paroles pour les actions, et c’est
dans ce sens que l’Apôtre dit : « Ils
font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs oeuvres. »
S. Amb. (cf. 1 Cor 12) On peut dire aussi
que toute vérité, quelle que soit la bouche qui la profère, vient de l’Esprit
saint. — S. Aug. (serm. sur la mont.) N’allons pas croire
que pour produire les fruits dont le Sauveur a parlé plus haut, il suffise de
dire à Dieu : « Seigneur,
Seigneur, » et d’avoir par là même l’apparence d’un bon arbre. Ces
fruits consistent à faire la volonté de Dieu, comme l’indiquent les paroles
suivantes : « Mais celui qui
fait la volonté de mon Père, » etc. S. Hil. (can. 6 sur S. Matth.) C’est l’obéissance à la volonté de Dieu et
non l’emploi répété de son nom qui nous fait trouver le chemin qui conduit au
ciel. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Or, quelle est cette
volonté de Dieu ? Le Seigneur nous l’enseigne lui-même lorsqu’il nous
dit : « La volonté de mon Père
qui m’a envoyé est que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie
éternelle. » Le mot croire comprend ici la profession extérieure et
les oeuvres de la foi. Celui donc dont la foi ou dont la vie n’est pas conforme
à la parole du Christ, n’entrera pas dans le royaume de Dieu. — S. Chrys. (hom. 25 sur S. Matth.) Il
ne dit pas : « Celui qui fait ma volonté, » mais : « Celui qui fait la volonté de mon Père, »
car c’était ce qu’il convenait d’abord de proposer à leur faiblesse ; mais
par l’une de ces vérités il insinue l’autre indirectement, la volonté du Fils
n’étant pas autre que celle du Père.
S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 40.) On peut rattacher à cette question
l’avertissement suivant : Nous ne devons pas nous laisser tromper, d’abord
par ceux qui, se couvrant du nom du Christ, invoquent ce nom sans en pratiquer
les oeuvres ; mais nous devons encore nous défier de certains prodiges, de
certains miracles tels que le Seigneur en opère en faveur des infidèles, tout
en nous avertissant de ne pas nous laisser surprendre et de ne pas croire que
ces miracles soient l’indice certain d’une sagesse intérieure et
invisible : c’est pourquoi il ajoute : « Plusieurs me diront en
ce jour-là, » etc. — S. Chrys.
(hom. 10.) Voyez comme le Sauveur se
produit insensiblement en termes encore voilés. Il a complété son enseignement
comme maître ; il s’annonce maintenant comme juge. Il a déclaré plus haut
que le châtiment était réservé à ceux qui pèchent ; il fuit connaître
maintenant celui qui doit infliger ce châtiment par ces paroles : « Plusieurs me diront en ce jour-là. »
S. Chrys. (sur S. Matth.) C’est-à-dire alors qu’il viendra dans la majesté de
son Père (cf. Lc 9, 26), alors que personne n’osera défendre le mensonge ou
contredire la vérité à l’aide de discussions bruyantes ; alors que les
oeuvres de tous les hommes parleront et que leurs bouches seront muettes ;
alors que personne n’osera intervenir pour un autre, et que tous trembleront
pour leur propre compte. Car dans ce jugement, les témoins ne seront pas les
hommes enclins à la flatterie, mais les anges amis de la vérité, et le juge
sera le Seigneur, la justice même. Le Sauveur a parfaitement exprimé les
angoisses et l’effroi qu’éprouveront alors les hommes, en leur faisant répéter
deux fois : « Seigneur,
Seigneur, » car celui qui est en proie à une forte crainte ne se
contente pas de dire une seule fois : « Seigneur. » — S. Hil. Ils prétendent que leur droit à la
gloire leur vient de l’efficacité de leur parole, de leur esprit prophétique,
du pouvoir qu’ils avaient de chasser les démons, et d’opérer d’autres prodiges
semblables, et c’est pour cela qu’ils s’adjugent le royaume des Cieux par ces
paroles : « Est-ce que nous n’avons pas prophétisé en votre
nom ? »
S. Chrys. (sur S. Matth.) Il en est qui croient que ce langage était un
mensonge dans leur bouche, et que c’est la raison pour laquelle ils ont été
rejetés. Mais on ne peut supposer qu’ils aient porté l’audace jusqu’à mentir
devant leur juge ; d’ailleurs la question comme la réponse prouvent qu’ils
ont réellement opéré ces prodiges. Tandis qu’ils avaient été sur la terre
l’objet de l’admiration par les miracles qu’ils opéraient aux yeux de tous, ils
se voient punis dans l’autre vie, et dans leur étonnement ils disent :
« Seigneur, n’avons-nous pas fait
beaucoup de miracles en votre nom, etc ? (cf. 1 Cor 12, 10) »
Quelques auteurs prétendent que ce n’est pas dans le temps qu’ils opéraient des
prodiges, mais par la suite, qu’ils se rendaient coupables d’iniquité. Mais
alors que devient cette vérité que le Seigneur veut établir que sans la vertu,
ni la foi, ni les miracles n’ont de valeur à ses yeux ? C’est ce que saint
Paul enseigne par ces paroles : « Quand
j’aurais toute la foi possible, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai
pas la charité, je ne suis rien. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Remarquez
qu’ils ne disent pas : « dans l’esprit, » mais « au nom, » car s’ils prophétisent
au nom du Christ, c’est dans l’esprit du démon, comme font les devins. Or le
signe auquel on peut les reconnaître, c’est que les oracles du démon sont
souvent faux, ce qu’on ne peut jamais dire de ceux de l’Esprit saint. Dieu a
permis au démon de dire quelquefois la vérité, de manière qu’il pût donner par
ce rare mélange quelque valeur à ses mensonges. Ils chassent aussi les démons
au nom de Jésus-Christ, tout en ayant l’esprit même de son ennemi ; ou
plutôt ils les chassent en apparence et non en réalité, les démons étant en
parfaite intelligence entre eux ; ils opèrent aussi des prodiges,
c’est-à-dire des miracles, sans utilité, sans nécessité, et qui ne sont pas
moins nuisibles que frivoles. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Lisez pour vous en
convaincre les prodiges que les Mages d’Égypte ont opérés dans un esprit
d’opposition à Moïse (Ex 7, 11.22 ; 8, 7).
S. Jér. Ou bien encore : Prophétiser,
faire des miracles, chasser les démons, n’est pas toujours l’effet des mérites
de celui qui opère ces prodiges ; c’est à l’invocation du nom de
Jésus-Christ qu’il faut les attribuer, et Dieu les permet ou pour la
condamnation de ceux qui invoquent ce nom, ou pour l’utilité de ceux qui en
sont témoins, car tout en méprisant ceux qui font ces miracles, ils honorent
Dieu par l’invocation duquel s’opèrent d’aussi grands prodiges. Saül (1 R 10), Balaam (Nb 23), Caïphe (Jn 11),
n’ont-ils pas prophétisé ? Dans les Actes
des Apôtres ne voyons-nous pas les enfants de Sceva chasser les démons (Ac 19), et Judas lui-même n’a-t-il pas
fait plusieurs miracles avec les autres apôtres, quand son âme était déjà
ouverte à la trahison ? — S. Chrys.
(hom. 25 sur S. Matth.) Tous n’avaient pas toutes les qualités au même degré de perfection :
les uns menaient il est vrai une vie pure, mais sans avoir une foi aussi
grande ; pour les autres c’était le contraire. Dieu convertissait donc les
premiers par les seconds et les amenait à faire profession d’une foi plus
vive ; et par le don ineffable des prodiges qu’il accordait aux autres, il
les appelait à devenir plus vertueux, et il leur communiquait ce pouvoir avec
une grande libéralité, comme eux-mêmes le proclament : « Nous avons fait beaucoup de miracles. »
Mais parce qu’ils n’ont eu que de l’ingratitude pour celui qui les avait ainsi
comblés d’honneur, le Seigneur leur fait cette déclaration : « Alors je leur dirai hautement : Je ne
vous ai jamais connus. » — S. Jér.
C’est avec intention qu’il se sert de cette expression : « Je leur dirai hautement, » car il
a gardé le silence pendant bien longtemps. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Une
aussi grande sévérité devait être précédée par une grande patience, pour rendre
ainsi plus juste le jugement de Dieu, et plus mérité le châtiment des pécheurs.
Or il faut se rappeler que Dieu ne connaît pas les pécheurs en ce sens qu’ils
ne sont pas dignes d’être connus de lui ; on ne peut pas dire qu’il ne les
connaît pas du tout, mais il ne les connaît pas pour siens. Dieu par sa nature
connaît tous les hommes, mais il paraît ne pas connaître ceux qu’il n’aime pas,
de même qu’on peut dire de ceux qui ne lui rendent pas le culte qui lui est dû,
qu’ils ne le connaissent pas. — S. Chrys.
(homél. 25.) Il leur dit :
« Je ne vous ai jamais
connus : » non seulement au jour du jugement, mais alors même qu’ils
faisaient des miracles, car il en est beaucoup qui sont pour Dieu un objet de
haine dès ici-bas, et dont il se détourne avant de les punir. — S. Jér. Remarquez que ces paroles « Je ne vous ai jamais connus » sont
une réfutation de ceux qui prétendent que tous les hommes ont toujours vécu
comme il convient à des créatures raisonnables. — S. Grég. (cf. Jb 30)
Cette sentence doit nous apprendre que c’est l’humble charité et non l’éclat
des miracles qui a droit à notre vénération. Aussi la sainte Église n’a-t-elle
que du mépris pour les miracles des hérétiques, parce qu’elle sait qu’ils ne
sont pas une marque de sainteté ; en effet la preuve de la sainteté n’est
pas de faire des miracles, c’est d’aimer le prochain comme soi-même, d’avoir
sur Dieu des idées vraies et des autres une opinion plus favorable que de
soi-même. — S. Aug. (contre l’ennemi de la loi et des proph., liv.
2, chap. 4.) A Dieu ne plaise que nous admettions avec les Manichéens, que le
Seigneur ait voulu parler des saints prophètes ; il n’est ici question que
de ceux qui plus tard, après la prédication de l’Évangile, se sont imaginé
qu’ils parlaient en son nom, alors qu’ils ne savaient ce qu’ils disaient. — S. Hil. (can. 6 sur S. Matth.)
Les hypocrites se
glorifient de la sorte comme s’ils étaient les auteurs des choses merveilleuses
qu’ils disent ou qu’ils opèrent, et qu’on ne dût pas les attribuer tout
entières à la puissance divine qu’ils invoquent. La lecture du saint Évangile
mettra cette doctrine dans tout son jour, alors qu’on y verra le nom de
Jésus-Christ tourmenter les démons. C’est donc à nous de mériter cette
bienheureuse éternité, et nous devons coopérer à notre salut, en voulant le
bien, en évitant le mal, et en faisant plutôt ce que demande la volonté de
Dieu, que ce que réclame notre gloire personnelle. Il les repousse donc, il les
rejette à cause de leurs oeuvres d’iniquité. « Retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité. » — S. Jér. Comme il ne veut pas détruire le
mérite du repentir il ne dit pas : Vous qui avez commis l’iniquité, mais
vous qui la commettez, qui jusqu’à ce jour, jusqu’à l’heure même du jugement,
conservez encore l’affection, le désir du péché, alors même que vous n’en avez
plus le pouvoir.
S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, la mort sépare l’âme du corps, mais elle
ne change pas les dispositions de l’âme.
S. Chrys. (hom. 25.) Il devait s’en trouver qui tout en
admirant la doctrine du Sauveur refuseraient de se déclarer ses disciples par
les oeuvres ; il leur inspire donc par avance une salutaire frayeur par
ces paroles : « Tout homme
donc qui entend mes paroles, et les pratique, sera comparé à l’homme sage. »
— S. Chrys. (sur S. Matth.) Il ne dit pas : Je tiendrai pour un homme sage
celui qui entend ces paroles et les pratique, mais il sera comparé à un homme
sage. Donc celui qui est comparé, c’est l’homme. A qui est-il comparé ? Au
Christ. Le Christ est donc cet homme sage qui a bâti sa maison, son Église, sur
la pierre, c’est-à-dire sur la force de la foi. L’insensé, c’est le démon, qui
a bâti sa maison, l’assemblée des impies, sur le sable, c’est-à-dire sur la
terre sans consistance de l’infidélité, ou sur les hommes charnels, qu’il a
comparés au sable à cause de leur stérilité, de leur défaut d’union entre eux,
de la diversité des opinions qui les divisent, comme aussi de leur multitude
innombrable. La pluie, c’est la doctrine dont l’esprit de l’homme est comme
arrosé ; les nuages sont les sources qui répandent la pluie. Ces nuages
sont souvent poussés par l’Esprit saint comme les apôtres et les
prophètes ; d’autres suivent l’impulsion du démon, ce sont les hérétiques.
Les vents favorables sont les esprits qui inspirent les différentes vertus, ou
bien les anges qui agissent d’une manière invisible sur les sens de l’homme
pour les amener à faire le bien. Les vents mauvais sont les esprits impurs, les
fleuves salutaires sont les évangélistes et les docteurs, et les fleuves dont
les eaux sont désastreuses, ceux qui sont remplis de l’esprit immonde, dont
toute la science consiste dans des discours sans fin, comme les philosophes et
les maîtres de la science profane, du sein desquels coulent des fleuves d’une
eau morte. Or l’Église que le Christ a fondée n’est ni corrompue par la pluie
d’une doctrine de mensonge, ni ébranlée par le souffle du démon, ni agitée par
la violence des fleuves impétueux. On ne peut pas opposer à cette doctrine que
plusieurs de ceux qui sont dans l’Église s’en séparent et tombent : car
tous ceux qui portent le nom de chrétiens n’appartiennent pas à Jésus-Christ,
mais le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent (cf. 2 Tm 2, 19). Quant à
la maison bâtie par le démon, la pluie de la vraie doctrine est tombée sur
elle ; les vents, c’est-à-dire les anges ou les grâces spirituelles ;
les fleuves, c’est-à-dire les quatre évangélistes et les autres sages sont
venus fondre sur elle, et cette maison, c’est-à-dire la gentilité, est tombée
pour faire place à Jésus-Christ qui s’est élevé sur ses ruines ; et sa
ruine a été grande, toutes les erreurs ayant été dissipées, le mensonge confondu,
et les idoles détruites sur toute la face de la terre. Celui donc qui écoute
les paroles de Jésus-Christ et les met en pratique est semblable au Christ, car
il bâtit sur la pierre, c’est-à-dire sur le Christ, qui est le principe de tout
bien ; de manière que tout homme qui construit sur le bien de quelque
nature qu’il soit, construit sur Jésus-Christ. Or de même que l’Église bâtie
par Jésus-Christ ne peut être renversée, de même le chrétien dont nous parlons
qui a construit sur Jésus-Christ ne peut être renversé par aucune adversité
d’après ces paroles : « Qui nous séparera de la charité de
Jésus-Christ. » Au contraire, celui qui entend les paroles du Sauveur et
ne les met pas en pratique, est semblable au démon. Les paroles qu’on écoute sans
les mettre en pratique sont bientôt séparées et dispersées, et c’est pour cela
qu’on les compare au sable. Le sable, c’est toute espèce de malice, ou encore
tous les biens de la terre ; or de même que la maison du démon est bientôt
renversée, ainsi tombent et sont détruits ceux qui ont assis les fondements de
leur édifice sur le sable. La ruine est grande si elle atteint les fondements
de la foi ; elle est moins grande si on s’est rendu coupable de
fornication et d’homicide, car on peut alors se relever par la pénitence, à
l’exemple de David.
Rab. Ou bien cette grande
ruine c’est celle à laquelle Notre-Seigneur condamne ceux qui auront écouté ses
enseignements sans les pratiquer, lorsqu’il leur dira : « Allez au feu éternel. » (Mt 25) — S. Jér. Ou
bien encore, tout enseignement des hérétiques qui ne s’élève que pour tomber,
est bâti sur le sable, qui est mouvant et n’est point capable de cohésion. — S.
Hil. (can. 6 sur S. Matth.)
Ou bien les pluies sont
une figure des séductions flatteuses des voluptés qui se glissent
insensiblement par toutes les fentes ouvertes, et commencent par rendre la foi
moins ferme ; puis vient le choc impétueux des fleuves ou des torrents,
c’est-à-dire des passions plus criminelles ; puis enfin les vents se déchaînent
dans toute leur violence, c’est-à-dire que le souffle de la puissance du démon
entre tout entier dans l’âme. — S. Aug. (serm. sur la mont.) Ou bien encore la
pluie, lorsqu’elle est prise au figuré, en mauvaise part, représente la
superstition couverte de ténèbres ; les bruits confus du monde sont
comparés aux vents ; et les fleuves aux passions charnelles qui s’écoulent
aussi sur la terre ; et celui qui se laisse entraîner par la prospérité,
se laisse aussi briser par le malheur. Au contraire rien de tout cela n’est à
craindre pour celui dont la maison est bâtie sur la pierre, c’est-à-dire qui,
non content d’écouter les préceptes du Seigneur, se fait un devoir de les
accomplir. Dans toutes ces circonstances on s’expose à de grands dangers
lorsqu’on écoute la parole de Dieu sans la pratiquer, car on ne peut affermir
dans son âme les vérités que Dieu nous fait connaître, ou les préceptes qu’il
nous donne que par la pratique. Or remarquez qu’en disant : « Celui qui entend ces paroles que je viens
de dire, » Jésus-Christ nous fait suffisamment entendre que ce
discours comprend tous les préceptes destinés à former à la vie chrétienne, à
toute perfection, de manière que ceux qui voudront en faire la règle de leur
vie sont comparés avec raison à celui qui bâtit sur la pierre.
La Glose. Jésus-Christ ayant complété son enseignement,
l’Évangéliste nous montre l’effet de sa doctrine sur la foule par ces
paroles : « Et il arriva lorsqu’il eut achevé, » etc. — Rab. Cette dernière expression nous
représente la perfection des paroles du Sauveur, et l’excellence de ses
préceptes. Cette remarque faite par l’Évangéliste que les peuples étaient dans
l’admiration se rapporte ou aux infidèles qui étaient dans l’étonnement, parce
qu’ils ne croyaient pas aux paroles du Sauveur, ou tous ceux en général qui
admiraient en lui la supériorité d’une sagesse aussi sublime. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Si les raisons que l’on présente à l’esprit de
l’homme sont de nature à le satisfaire, elles obtiennent ses louanges ; si
elles triomphent de lui, elles excitent son admiration, car tout ce que nous ne
pouvons louer comme il le mérite, nous l’admirons. Leur admiration cependant
était bien plutôt un témoignage de la gloire de Jésus-Christ que de leur foi,
car s’ils avaient cru en Jésus-Christ, ils ne l’auraient pas tant admiré. En
effet qu’est-ce qui excite d’ordinaire cette admiration mêlée
d’étonnement ? Ce qui surpasse la puissance de celui qui agit ou qui
parle : aussi ne sommes-nous pas étonnés des paroles ou des oeuvres de
Dieu, car elles sont toutes inférieures à sa puissance. C’était la foule qui
était dans l’admiration, c’est-à-dire le vulgaire, et non les princes du
peuple, qui n’écoutaient pas avec le désir d’apprendre. Le peuple simple au
contraire écoutait avec simplicité, et son silence eût été troublé par les
contradictions des princes du peuple, s’ils avaient été présents ; car
plus il y a de science, plus la malice est grande, celui qui s’empresse trop
d’être le premier ne pouvant se contenter d’être au second rang.
S. Aug. (De l’acc. des Ev., liv. 2, chap. 19.) De ce qui est dit ici on
peut conclure que l’Évangéliste veut parler de la foule des disciples, dans le
grand nombre desquels il en avait choisi douze à qui il donna le nom d’Apôtres,
circonstance qu’omet saint Matthieu (cf. Lc 6, 12), car Notre-Seigneur
Jésus-Christ paraît n’avoir adressé qu’à ses disciples qui étaient sur la
montagne ce discours que saint Matthieu insère ici et sur lequel saint Luc
garde le silence. Et lorsque ensuite il fut descendu, il en tint un autre
semblable sur lequel saint Matthieu se tait et que rapporte saint Luc. On peut
dire aussi comme plus haut que Notre-Seigneur n’a prononcé devant les Apôtres
et le reste de la foule qu’un seul et même discours que saint Matthieu et saint
Luc rapportent de la même manière, quant aux vérités qu’il renferme quoique
sous une forme différente. Ainsi s’explique naturellement l’admiration de la
foule.
S. Chrys. (hom. 26.) L’Évangéliste
indique la cause de cette admiration : « Car il les
enseignait, » etc. Si lorsque cette puissance se manifestait par des
oeuvres, les scribes repoussaient le Christ loin d’eux, combien plus
auraient-ils été scandalisés, alors que cette puissance ne se déclarait que par
de simples paroles. Mais la foule n’éprouva pas cette impression ; car,
lorsqu’une âme veut le bien, elle se laisse facilement persuader aux
enseignements de la vérité. Notre-Seigneur manifestait cette puissance
d’enseignement en captivant un grand nombre de ceux qui l’écoutaient, et en
excitant leur admiration. Aussi le charme de ses paroles était si grand qu’ils
ne voulaient pas le quitter, alors même qu’il avait cessé de parler, et c’est
pourquoi ils le suivirent lorsqu’il descendit de la montagne. Ce qui les
étonnait davantage dans cette puissance, c’est que Notre-Seigneur ne rapportait
pas à un autre l’objet de son enseignement, comme Moïse et les prophètes, mais
qu’il déclarait en toute circonstance qu’il était le souverain Maître ; en
effet, il ne porte aucune loi sans cette formule : « Pour moi, je
vous dis, » etc. — S. Jér. C’est
comme étant le Dieu et le Maître de Moïse lui-même que, dans la plénitude de sa
liberté, il ajoutait à la loi ce qui devait lui donner plus de clarté, ou même
qu’il la changeait dans ses prédications au peuple, ainsi que nous l’avons vu
plus haut : « Il a été dit aux anciens : Pour moi, je vous
dis. » Les scribes, au contraire, ne faisaient qu’enseigner ce que
contenaient les écrits de Moïse et des prophètes.
S. Grég.
(cf. Jb 33) (Moral., liv. 23, chap. 7.) Ou bien Jésus-Christ a eu ce privilège
spécial de parler avec un pouvoir légitime, parce qu’il n’y a jamais en chez
lui ni faute ni faiblesse. Pour nous, qui sommes faibles, consultons notre
faiblesse pour apprendre d’elle ce que nous devons enseigner à nos frères
faibles comme nous. — S. Hil. (can. 6 sur S. Matth.) Ou
bien ils mesuraient l’effet de son pouvoir sur la vertu de ses paroles. — S. Aug.
(serm. sur la mont.) C’est ce
qui est ainsi figuré dans ces paroles des Psaumes : « J’agirai à son
égard avec confiance ; les paroles du Seigneur sont des paroles chastes,
de l’argent éprouvé par le feu, passé par le creuset, purifié sept fois. »
C’est ce nombre
sept qui m’a donné la pensée de rapporter tous ces préceptes aux sept maximes
qui forment l’exorde de ce discours, c’est-à-dire aux béatitudes. En effet, qu’un homme se mette en
colère contre son frère, qu’il lui dise raca
ou qu’il le traite de fou, c’est l’effet d’un grand orgueil contre lequel
il n’y a qu’un remède, implorer de Dieu le pardon avec un esprit suppliant qui
n’ait aucune enflure, aucun sentiment d’ostentation. « Bienheureux donc
les pauvres d’esprit, parce que le royaume de Dieu leur appartient. » On
se montre d’accord avec son adversaire, c’est-à-dire qu’on rend à la parole de
Dieu le respect qui lui est dû en s’approchant pour ouvrir le testament du Père
céleste non pas avec amertume et le désir de la chicane, mais avec la douceur
qu’inspire la piété : « Bienheureux donc ceux qui sont doux parce
qu’ils posséderont la terre. » Que celui qui sent l’attrait des voluptés
sensuelles se révolter contre la droite volonté s’écrie :
« Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de la mort de ce
corps ? » (Rm 7, 24) et que
par ses larmes il implore le secours de Dieu son consolateur.
« Bienheureux donc ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés. »
Que peut-on imaginer de plus dur que de triompher d’une habitude vicieuse en
retranchant en soi les membres qui sont un obstacle à ce royaume des cieux, et
cela sans être brisé par la douleur ; de supporter dans l’union conjugale
toutes les choses qui n’ont pas le caractère de la fornication quoiqu’elles
soient souverainement pénibles, de dire toujours la vérité, et de ne point
l’appuyer sur des serments faits à tout propos, mais sur l’intégrité des
moeurs ? Mais qui osera se dévouer à de si grands travaux, sans être
enflammé de l’amour de la justice, et comme dévoré par la faim et par une soif
ardente ? Bienheureux sont ceux qui ont faim et soif, parce qu’ils seront
rassasiés. » Qui sera toujours prêt à supporter les outrages de ceux qui
sont faibles, à donner à celui qui lui demande, à aimer ses ennemis, à faire du
bien à ceux qui le haïssent, à prier pour ceux qui le persécutent, si ce n’est
celui qui sera parfaitement miséricordieux ? « Bienheureux donc les
miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde. » Pour avoir l’oeil
du cœur pur, il ne faut point se proposer pour fin de ses bonnes oeuvres le
désir soit de plaire aux hommes, soit de pourvoir aux nécessités de la vie, ni
condamner témérairement les intentions du prochain, et dans tout ce qu’on fait
pour lui, il faut agir comme on voudrait qu’il agit à notre égard.
« Bienheureux donc ceux qui ont le cœur pur, » etc. Il faut encore
qu’à l’aide d’un cœur pur nous trouvions la voie étroite de la sagesse, que les
séductions des esprits pervers veulent nous dérober. Si on parvient à les
éviter, on est sûr d’arriver à la paix que donne la sagesse. « Bienheureux
donc les pacifiques. » Mais soit qu’on admette cette liaison d’idées, soit
qu’on en préfère un autre, c’est une obligation pour nous de mettre en pratique
les préceptes que nous avons reçus du Seigneur, si nous voulons bâtir sur la
pierre.
S. Jér. Après la prédication et l’exposé
de la doctrine, l’occasion se présente de faire des miracles pour confirmer par
leur vertu et par leur éclat les enseignements du Sauveur. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur enseignait comme ayant
autorité ; mais pour ôter toute apparence d’ostentation à cette manière
d’enseigner, il la continue dans ses oeuvres miraculeuses, où il fait éclater
le pouvoir qu’il avait de guérir ; c’est pourquoi l’Évangéliste dit :
« Jésus étant descendu de la montagne, une grande foule de peuple le
suivait. » — Orig. Tandis
que le Seigneur enseignait sur la montagne il n’avait avec lui que ses
disciples auxquels il avait été donné de connaître les secrets de la céleste
doctrine ; maintenant qu’il descend de la montagne, il est suivi par la
foule qui n’avait pu monter avec lui, car celui qui est accablé du fardeau de
ses péchés ne peut point gravir les sublimes hauteurs des mystères. Mais
lorsque le Seigneur descend et s’abaisse jusqu’à l’infirmité, jusqu’à
l’impuissance des autres hommes, et qu’il a pitié de leurs imperfections et de
leurs faiblesses, une grande foule de peuple le suit, les uns par un sentiment
de charité, la plupart attirés par sa doctrine, quelques-uns parce qu’il les
guérissait et prenait soin d’eux.
Haym. Ou bien encore, par
cette montagne sur laquelle le Seigneur s’assied, il faut entendre le ciel dont
il est écrit : « Le ciel est mon trône. » Lorsque le Seigneur
est assis sur la montagne, ses disciples seuls s’approchent de lui, car avant
qu’il se fût revêtu de notre nature fragile, Dieu n’était connu que dans la
Judée. Mais lorsqu’il descendit des hauteurs de sa divinité pour prendre les
faiblesses de notre humanité, les nations le suivirent en foule. Il apprend
ainsi aux docteurs à suivre dans leurs prédications un genre tempéré, et à
toujours annoncer la parole de Dieu de la manière qu’ils jugeront plus propre à
la faire comprendre. Les docteurs montent sur la montagne lorsqu’ils enseignent
aux plus parfaits les préceptes les plus sublimes, et ils en descendent
lorsqu’ils développent à ceux qui sont plus faibles, les devoirs plus faciles
de la vie chrétienne.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Parmi ceux qui ne purent gravir la montagne, se
trouvait le lépreux qui ne pouvait monter, accablé sous le poids de ses péchés,
car le péché de nos âmes est une véritable lèpre. Notre-Seigneur descend donc
des hauteurs du ciel comme d’une montagne élevée pour guérir la lèpre de nos
péchés, et le lépreux se présente à lui
comme s’il attendait qu’il fût descendu ; c’est pourquoi il est dit :
« Et voici qu’un lépreux venant à lui. » — Orig. (homél. 51.)
Jésus guérit lorsqu’il est descendu, et il n’opère aucun prodige sur la
montagne, car toute chose a son temps sous le ciel ; il y a le temps de la
doctrine, et le temps de la guérison des malades. Sur la montagne il a
enseigné, il a pris soin des âmes, il a guéri les cœurs ; après ces
oeuvres spirituelles, comme il est descendu des hauteurs des cieux pour sauver
des hommes revêtus d’une chair mortelle, voici qu’un lépreux vient à lui et
l’adore. Avant de rien demander, il l’adore, et professe ainsi les sentiments
de religion qui l’animent. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Il ne demandait point
sa guérison au Seigneur comme à un homme habile dans l’art de guérir, mais il
l’adorait comme Dieu. Ce qui rend la prière parfaite c’est la foi et la
confession que nous en faisons ; aussi le lépreux satisfait au précepte de
la foi en adorant, et il accomplit l’obligation de la confession par le langage
qu’il tient. « Il l’adorait en lui disant : » — Orig. (homél. 5.) Seigneur, c’est par vous que toutes choses ont été faites ;
si vous voulez, vous pouvez me guérir ; vouloir et faire sont pour vous
une même chose, et toutes les oeuvres obéissent à votre volonté. Vous avez
autrefois guéri de la lèpre Naaman le Syrien par le prophète Élisée, et si vous
le voulez maintenant, vous pouvez aussi me guérir. — S. Chrys. (hom. 26 sur S. Matth.) Il ne dit pas : « Si vous le
demandez à Dieu, » ou bien « si vous recourez à la prière, »
mais : « si vous le voulez, vous pouvez me guérir, » il ne dit
pas non plus : « Seigneur, guérissez-moi, » mais il s’abandonne
entièrement à lui, le proclame maître absolu, et confesse que sa puissance
s’étend à toutes choses. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Au médecin spirituel,
il offre une récompense spirituelle ; on reconnaît les services des
médecins avec de l’argent ; c’est par la prière qu’on s’acquitte à l’égard
de ce divin médecin des âmes, car nous ne pouvons rien offrir à Dieu qui soit
plus digne de lui qu’une prière dictée par la foi. Lorsque le lépreux dit à
Jésus : « Si vous voulez, » ce n’est pas qu’il doute que la
volonté du Sauveur ne soit disposée à toute sorte de bonnes oeuvres ; mais
comme la santé du corps n’est pas utile à tous, il ne savait pas si la guérison
lui serait avantageuse. Il lui dit donc : « Si vous le voulez, »
c’est-à-dire je crois que vous ne pouvez vouloir que ce qui est bon, mais
j’ignore si ce que je demande l’est également.
S. Chrys. (hom. 26.) Il
pouvait guérir ce lépreux par le seul acte de sa volonté, ou par une seule
parole ; cependant il veut y employer les mains et le toucher. « Et
ayant étendu la main, il le toucha. » C’est ainsi qu’il fait voir qu’il
n’est pas soumis à la loi, et que rien n’est impur pour celui qui est pur
lui-même. Élisée au contraire, pour se conformer aux prescriptions de la loi,
ne sortit pas de sa demeure pour toucher Naaman, il se contenta de l’envoyer se
laver dans le Jourdain. Le Seigneur prouve que ce n’est pas comme serviteur,
mais comme maître qu’il touche et guérit ; car sa main ne fut point
souillée par l’attouchement de la lèpre, mais le corps souillé de lèpre fut
purifié par le contact de cette main si pure. En effet le Sauveur n’est pas
venu seulement pour guérir les corps, mais aussi pour conduire les âmes vers la
véritable sagesse. De même donc qu’il ne défendait plus de manger sans s’être
lavé les mains, de même il nous apprend ici que nous ne devons redouter que la
lèpre de l’âme, c’est-à-dire le pêché, et que la lèpre du corps n’est en aucune
façon un obstacle pour la vertu.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur
paraît violer la lettre de la loi, mais il en respecte l’intention. La loi en
effet défendait de toucher la lèpre, parce qu’il était impossible que celui qui
la touchait ne fût pas atteint de la contagion. Le but de cette défense n’était
donc point de mettre obstacle à la guérison du lépreux, mais de garantir de
cette maladie contagieuse ceux qui seraient tentés de le toucher. Or le Sauveur
en touchant la lèpre n’en fut pas atteint, au contraire il la guérit par ce
contact, et par là même il nous
apprend qu’il n’y a que la lèpre de l’âme qui soit à craindre. — S. Jean Damas. Il n’était pas seulement Dieu, il était homme aussi, et c’est
pourquoi il opérait les miracles par l’intermédiaire du toucher et de la
parole, car son corps lui servait comme d’instrument pour l’accomplissement de
ces actions toutes divines. — S. Chrys.
(hom. 24.) Personne encore ne
l’accuse de toucher un lépreux, car l’envie ne s’était pas encore emparée de
ceux qui venaient l’entendre. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) S’il l’avait guéri
sans parler, qui aurait pu savoir à quelle puissance était due cette
guérison ? Notre-Seigneur avait la volonté de guérir, c’était pour le
lépreux ; il prononce une parole de guérison, c’est pour ceux qui sont
présents : « Je le veux, soyez guéri. » — S. Jér. La plupart des interprètes latins
unissent ensemble, mais à tort, ces deux mots en leur donnant ce sens :
« Je veux guérir ; » il faut les séparer de cette manière :
Notre-Seigneur dit d’abord : « Je le veux, » puis il ajoute cette
parole de commandement : « Soyez guéri. » En effet le lépreux
avait dit : « Si vous le voulez ; » Notre-Seigneur lui
répond : « Je le veux ; » il avait dit : « Vous
pouvez me guérir ; » le Sauveur répond : « Soyez guéri. »
S. Chrys. (hom. 26.) Nous
ne voyons pas que dans les actions les plus éclatantes, le Seigneur ait jamais
prononcé ce mot : « Je le veux ; » il l’emploie dans cette
circonstance pour affermir l’opinion que le peuple et le lépreux avaient de sa
puissance. — S. Chrys. (homél. 26.) La nature obéit à ce
commandement avec une respectueuse promptitude, comme l’indiquent les paroles
suivantes : « Et aussitôt sa lèpre fut guérie ; » mais ce
mot « aussitôt » ne saurait exprimer la rapidité de cette guérison. —
Orig. (homél. 5.) Le lépreux n’a point hésité à croire, sa guérison ne se
fait pas attendre ; il n’a point différé de professer sa foi, il est
immédiatement purifié. — S. Aug. (de l’arc. des Evang., liv, 2, chap.
19.) Saint Luc rapporte aussi la guérison de ce lépreux, mais dans un autre
endroit. Il suit en cela la méthode des Évangélistes qui placent plus loin dans
leur récit ce qu’ils ont omis précédemment, ou qui racontent par anticipation
ce qui n’est arrivé que plus tard, suivant en cela l’inspiration divine qui
leur faisait écrire de souvenir ce qu’ils avaient appris auparavant.
S. Chrys. (hom. 26.) Après
avoir opéré cette guérison, Jésus défend au lépreux d’en parler à personne. Et
Jésus lui dit : « Gardez-vous de parler de ceci à personne. »
Quelques-uns prétendent qu’il lui fit cette défense afin que la malignité ne
pût s’emparer contre lui de cette guérison, ce qui n’a pas de sens. En effet en
guérissant ce lépreux, a-t-il laissé le moindre doute sur sa guérison ? Si
donc il lui défend d’en parler, c’est pour nous apprendre à éviter
l’ostentation et la vaine gloire. Lors donc qu’il commande à un autre malade
qu’il avait guéri de publier sa guérison, c’est pour nous enseigner que nous
devons avoir une âme reconnaissante, car ce n’est pas sa propre gloire, mais
celle de Dieu, qu’il lui ordonne de publier. Par l’un de ces deux infirmes, le
lépreux, il nous apprend donc à fuir la vaine gloire ; par l’autre, à
éviter l’ingratitude et à tout rapporter à la gloire de Dieu. — S. Jér. Et en effet, quelle nécessité de
publier de vive voix ce que la guérison de son corps faisait assez connaître ?
— S. Hil. (can. 7 sur S. Matth.) Ou bien le silence lui est commandé parce que cette guérison ne lui est
accordée qu’après qu’il l’a demandée.
« Mais
allez, montrez-vous au prêtre. » — S. Jér.
Il l’envoie se présenter aux prêtres, premièrement pour lui faire
pratiquer l’humilité par cet acte de déférence à leur égard ; secondement
pour sauver les prêtres eux-mêmes, s’ils voulaient croire au Sauveur du monde,
et les rendre inexcusables s’ils ne voulaient pas croire ; et en même
temps pour prévenir le reproche qu’ils lui firent si souvent de violer la loi.
— S. Chrys. (homél. 26.) Il ne la violait pas toujours, de même qu’il ne
l’observait pas en toute circonstance ; mais tantôt il en négligeait les
prescriptions pour ouvrir la voie à la sagesse de l’avenir, tantôt il les
observait pour réprimer les discours insolents des Juifs, et condescendre à
leur faiblesse. C’est pour la même raison que nous voyons les apôtres garder
quelquefois, et quelquefois laisser de côté les observances de la loi. — Orig. (homél. 5.) Ou bien il envoie ce lépreux se présenter aux prêtres
pour qu’ils reconnaissent que ce n’est point par la vertu ordinaire de la loi,
mais par l’efficacité de la grâce, qu’il a obtenu sa guérison.
S. Jér. La loi ordonnait à ceux qui
avaient été guéris de la lèpre d’offrir des présents aux prêtres. C’est pour
cela que Notre-Seigneur ajoute : « Et offrez le don prescrit par
Moïse afin qu’il leur serve de témoignage. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il
ne faut pas entendre ces paroles en ce sens que Moïse ait prescrit cette
offrande pour servir de témoignage aux prêtres. Notre-Seigneur dit :
« Allez et offrez ce don pour qu’il leur serve de témoignage. — S. Chrys.
(hom. 26.) Le Sauveur prévoyait
qu’ils ne tireraient aucun profit de ce miracle, aussi ne dit-il pas :
« Pour les rendre meilleurs, » mais « pour être un
témoignage » (c’est-à-dire un chef d’accusation et de preuve) que j’ai
fait tout ce que je devais faire. Il a bien prévu en effet qu’ils ne
réformeraient pas leur vie, il n’a pas laissé de faire ce qu’il jugeait
nécessaire. Mais pour eux ils ont persévéré dans la malice qui leur était
propre. Il ne dit pas non plus : « Le don que je prescris, »
mais, « le don que prescrit Moïse ; » il les renvoie ainsi de
temps en temps à la loi pour fermer la bouche des méchants. Il ne veut pas
qu’on puisse dire qu’il a ravi aux prêtres la gloire qui leur
appartenait ; il accomplit l’oeuvre de la guérison, mais il leur laisse le
soin d’en constater la preuve. — Orig.
(homél, 5.) Ou bien, offrez votre
présent, afin que tous ceux qui vous verront accomplir cette prescription
croient au miracle de votre guérison.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien encore, il lui ordonne de faire l’offrande
prescrite, afin que si plus tard les prêtres avaient l’intention de le chasser,
il pût leur dire : « Vous avez accepté mon offrande, comme venant
d’un homme parfaitement guéri ; pourquoi donc me chassez-vous aujourd’hui
comme lépreux ? » — S. Hil. (can. 7 sur S. Matth.) — Ou bien encore,
on peut admettre ce sens : « Que Moïse a ordonné comme témoignage
pour eux, » car ce que Moïse a ordonné dans la loi, n’est pas un effet
mais un témoignage.
Bède. (Dimanche 3 après l’Epiph.) Peut-être sera-t-on surpris de ce que
Notre-Seigneur paraît ici approuver le sacrifice prescrit par Moïse et que
l’Église n’admet pas ; qu’on se rappelle donc que le Sauveur n’avait pas
encore offert par sa passion son corps en holocauste. Or il entrait dans les
desseins de Dieu que les sacrifices figuratifs fussent offerts jusqu’au temps
où la divinité de celui qu’ils figuraient eût été annoncée par la prédication
des Apôtres, et reconnue par la foi de tous les peuples. Or cet homme qui était
non-seulement lépreux, mais d’après saint Luc tout couvert de lèpre (Lc 5), est la figure du genre
humain ; car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu (Rm 3), c’est-à-dire qu’ils ont besoin
que le Sauveur étende sur eux la main (par l’incarnation du Verbe de Dieu uni à
la nature humaine) pour les guérir des vanités de leurs anciennes erreurs.
C’est ainsi qu’après avoir été longtemps un objet d’abomination et d’horreur et
rejetés hors du camp du peuple de Dieu, il leur est enfin permis d’entrer dans
le temple, et de venir offrir leur corps comme une hostie vivante à celui dont
le roi-prophète a dit : « Tu es prêtre pour l’éternité. » (Ps 109).
Remi. Le lépreux, au sens
moral, signifie le pécheur ; car le péché rend l’âme impure et la couvre
de mille plaies. Le pécheur se prosterne aux pieds de Jésus-Christ, lorsqu’il
est confus des péchés qu’il a commis ; cependant il doit les confesser, et
demander le remède de la pénitence, à l’exemple du lépreux qui découvre ses
plaies et en la guérison. Le Seigneur étend la main lorsqu’il accorde le
secours de sa divine miséricorde, qui est immédiatement suivi de la rémission
des péchés. Le pécheur toutefois ne doit être réconcilié à l’Église que par le
jugement du prêtre.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur, après avoir enseigné ses
disciples sur la montagne, et guéri ce lépreux lorsqu’il fut descendu dans la
plaine, vient à Capharnaüm pour y accomplir un mystère, celui de la guérison
des Gentils, qui vient après celle des Juifs. — Haym. Capharnaüm, dont le nom signifie la terre de
l’abondance ou le champ de la consolation, figure l’Église formée par la
réunion des Gentils. C’est elle qui est remplie de cette abondance spirituelle
dont il est dit (Ps 62) :
« Que mon âme soit remplie et comme
rassasiée et comme engraissée ; » elle qui au milieu des
tribulations de cette vie reçoit les consolations célestes dont parle le même
roi-prophète : « Vos
consolations ont réjoui mon âme. » (Ps
93.) C’est pour cela que l’Évangéliste nous dit : « Lorsqu’il fut entré à Capharnaüm, le
centurion s’approcha de lui. »
S. Aug. (serm. 6 sur les paroles du Seign.) Ce centurion était Gentil d’origine, car
déjà la Judée était occupée par les armées romaines. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Il fut le premier fruit de la foi chez les Gentils,
et en comparaison de sa foi, celle des Juifs ne fut qu’incrédulité. Il n’avait
pas entendu les enseignements du Sauveur, il n’avait pas été témoin de la
guérison du lépreux, mais à peine l’eut-il apprise que sa foi alla bien au delà
de ce qu’on lui racontait. Il était en cela la figure de ces nations qui
devaient croire dans la suite sans avoir lu ni la loi ni les prophéties qui
annonçaient le Christ, et sans l’avoir vu lui-même opérer des prodiges. Il
s’approche donc de lui et lui fait cette prière : « Seigneur, mon serviteur est couché et
malade de paralysie dans ma maison, et il souffre extrêmement. » Voyez
la bonté du centurion qui se hâte plein de sollicitude pour la santé de son
serviteur. Ce n’est pas un intérêt d’argent, c’est sa vie même que la mort de
son serviteur semble devoir compromettre. Il ne fait aucune différence entre le
maître et le serviteur ; car quoiqu’ils n’aient ni la même dignité, ni le
même rang dans le monde, ils ont une même nature. Mais voyez aussi la foi de ce
centurion, qui ne dit pas : « Venez et sauvez-le, » car tout en
étant pour lors dans cet endroit, le Seigneur était présent en tout lieu ;
admirez en même temps sa sagesse, car il ne lui dit pas : « Sauvez-le
sans quitter d’ici. » Il savait en effet que sa puissance peut tout, que
sa sagesse comprend tout, et que sa miséricorde est toujours prête à nous
exaucer. Il se contente donc de lui exposer l’infirmité de son serviteur en lui
disant : « Et il souffre
extrêmement, » et il laisse le choix du remède à sa puissance
miséricordieuse. On voit par là qu’il aimait son serviteur, car on s’imagine
toujours que celui qu’on aime, quelque légère que soit son indisposition, est
plus mal qu’il ne l’est en réalité. — Rab.
Il accumule avec douleur tous ces mots : gisant, paralytique,
souffrant, pour exprimer les angoisses de son âme et émouvoir le Seigneur. C’est
ainsi que tous les maîtres doivent compatir aux souffrances de leurs serviteurs
et en prendre soin.
S. Chrys. (hom. 27.) Il en est qui prétendent qu’en parlant de
la sorte le centurion donne la raison pour laquelle il n’a point amené son
serviteur, car il n’était pas possible de transporter un homme brisé par ses
souffrances et presque au dernier soupir. Pour moi je vois dans ces paroles
l’indice d’une grande foi : le centurion savait qu’une parole seule
suffirait pour guérir ce paralytique, et il regardait comme inutile de l’amener
à Jésus. — S. Hil. (can. 7 sur S. Matth.) Au sens spirituel on doit regarder les Gentils comme des malades en ce
monde, anéantis sous le poids des maladies suites de leurs péchés, à qui leurs
membres languissants et sans vigueur ne permettent ni de se soutenir ni de
marcher. Le mystère de leur guérison s’accomplit dans le serviteur du
centurion, qui, comme nous l’avons dit suffisamment, est le chef des nations
qui devaient embrasser la foi. Quel est ce chef ? Le cantique de Moïse
dans le Deutéronome nous l’apprend
par ces paroles : « Il a marqué
les bornes des nations d’après le nombre des anges de Dieu. (Dt 32, 8) — Remi. Ou bien le centurion figure les premiers qui crurent parmi
les nations et qui pratiquèrent les vertus chrétiennes dans la perfection. Car
on appelle centurion celui qui commande à cent hommes, et le nombre cent est un
nombre parfait. C’est donc avec raison que le centurion prie pour son
serviteur, de même que les prémices des nations prièrent le Seigneur pour le
salut de toute la Gentilité.
S. Jér. Notre-Seigneur voyant la foi,
l’humilité et la prudence du centurion, promit aussitôt d’aller lui-même guérir
son serviteur. Et Jésus lui dit : « J’irai et je le guérirai. » — S. Chrys. (hom. 27.) Jésus
fait ici ce qu’il n’a jamais fait jusqu’à présent. Partout ailleurs nous le
voyons suivre la volonté de ceux qui s’adressent à lui ; ici il la
prévient ; il promet au centurion non-seulement de guérir, mais d’aller visiter
lui-même son serviteur, voulant ainsi nous faire connaître la foi du centurion.
S. Chrys. (sur S. Matth.) En effet, si le Sauveur ne lui avait pas dit :
« J’irai et je le guérirai, »
jamais le centurion n’eût répondu : « Je ne suis pas digne. » C’est aussi parce qu’il le prie pour
son serviteur, que Notre-Seigneur promet d’aller le visiter, et il nous apprend
ainsi à ne pas cultiver l’amitié des grands en méprisant les petits, mais à
honorer également les pauvres et les riches. Nous trouvons admirable la foi du
centurion qui crut que son serviteur paralytique pouvait être guéri par le
Sauveur ; son humilité n’est pas moins éclatante lorsqu’il se reconnaît
indigne que le Seigneur entre dans sa maison. Et le centurion lui
répondit : « Seigneur, je ne suis
pas digne que vous entriez sous mon toit. » — Rab. (cf. Lc 7) La conscience qu’il avait de sa vie païenne
lui fit craindre que cette condescendance du Seigneur ne fût pour lui plutôt un
fardeau qu’un secours ; car s’il croyait en lui, il n’avait cependant pas
encore été renouvelé par les sacrements. — S. Aug.
(serm. 6 sur les paroles du
Seign.) En proclamant son indignité, il s’est rendu digne de voir entrer
non pas dans sa maison, mais dans son cœur, le Christ Verbe de Dieu. Il n’eût
point tenu un tel langage, s’il n’avait déjà porté dans son cœur celui qu’il
craignait de voir entrer dans sa maison, et son bonheur eût été beaucoup moins
grand si Jésus fût entré dans sa maison sans entrer dans son âme.
Sever. Dans le sens
mystique, ce toit, cette demeure, c’est le corps qui sert d’enveloppe à l’âme
et qui par un dessein du ciel couvre à tous les regards la liberté de l’âme. Or
Dieu ne dédaigne pas de faire sa demeure dans notre chair mortelle, ni d’entrer
sous le toit de notre corps. — Orig.
(homél. 5.) Et maintenant encore
lorsque de saints et vertueux prêtres entrent dans votre maison, le Seigneur y
entre avec eux, et c’est lui-même que vous devez considérer dans leur personne.
Et encore lorsque vous mangez le corps du Seigneur et que vous buvez son sang,
c’est également le Seigneur qui entre sous votre toit ; humiliez-vous donc
en sa présence, et dites : « Seigneur,
je ne suis pas digne, » etc. Car lorsqu’il entre dans une âme qui est
indigne de le recevoir, il n’y entre que pour sa condamnation. — S. Jér. Le centurion nous fait voir la
sagesse qui l’anime en pénétrant au delà de l’enveloppe du corps pour voir la
divinité qu’elle recouvrait ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Mais dites seulement une parole, et mon
serviteur sera guéri. » — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Il savait qu’autour
de lui se tenaient invisiblement rangés les anges pour le servir, pour
accomplir chacun de ses ordres, et qu’à leur défaut, les maladies disparaissent
devant ses paroles pleines de vie. — S. Hil.
(can. 7 sur S.
Matth.) Le centurion dit qu’une seule parole peut guérir
son serviteur, parce que le salut des nations dépend tout entier de la foi, et
que la vie de tous les hommes est dans l’accomplissement des préceptes du
Seigneur ; aussi ajoute-t-il : « Car quoique je ne sois moi-même qu’un homme soumis au pouvoir, ayant
des soldats sous moi, je dis à l’un :
allez, et il va ; et à l’autre : venez, et il vient ; et à
mon serviteur : faites cela, et il le fait, » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Le centurion, sous l’inspiration de l’Esprit saint,
retrace ici le mystère des relations du Père et du Fils, comme s’il
disait : « Quoique je sois placé sous la puissance d’un autre, j’ai
cependant le pouvoir de commander à ceux qui sont sous moi : et vous
aussi, quoique soumis à votre Père en tant qu’homme, vous avez cependant le
pouvoir de commander aux anges. » Sabellius, qui ne veut pas faire de
distinction entre le Père et le Fils, voudrait nous donner cette
explication : « Si moi, qui suis placé sous la puissance d’un autre,
je puis cependant commander ; à plus forte raison, vous qui n’êtes sous la
puissance de personne. » Mais le texte lui-même est contraire à cette
interprétation : car le centurion ne dit pas : « Si moi qui suis
un homme soumis à l’autorité, » mais : « car moi qui suis un homme soumis à la puissance d’un autre, »
paroles qui prouvent qu’il a voulu faire un raisonnement non pas de disparité,
mais bien de similitude entre Jésus-Christ et lui. — S. Aug. (serm. sur les
paroles du Seig.) Si moi qui suis soumis à l’autorité d’un autre, j’ai le
pouvoir de commander, que ne pouvez-vous pas, vous de qui relèvent toutes les
puissances ? — La Glose. Vous
pouvez, par le ministère des anges et sans vous rendre présent, dire à la
maladie de se retirer et elle se retirera ; à la santé de venir, et elle
viendra.
Haym. On peut voir dans
les serviteurs du centurion les vertus naturelles qui brillaient dans un grand
nombre de Gentils, ou bien les pensées bonnes et les pensées mauvaises. Aux
unes nous devons dire : retirez-vous, et elles se retireront ; aux
autres : venez, et elles viendront ; nous devons également commander
à notre serviteur, c’est-à-dire à notre corps, de se soumettre à la volonté de
Dieu.
S. Aug. (de l’accord des Evang. ; liv. 2, chap. 20.) Le récit de saint
Matthieu paraît ici en opposition avec celui de saint Luc (Lc 7), où nous lisons : « Le centurion, ayant entendu parler de Jésus, lui envoya quelques-uns
des anciens d’entre les Juifs, le priant de venir et de guérir son serviteur ; »
et plus loin : « comme il était peu éloigné de la maison, le
centurion lui envoya ses amis pour lui dire : « Seigneur, ne vous donnez pas cette peine, car je ne suis pas digne que
vous entriez dans ma maison. » — S. Chrys.
(hom. 27.) Quelques interprètes
pensent que ce n’est pas le même personnage dont il est question dans ces deux
récits, et cette opinion ne manque pas de probabilité. En effet, les Juifs
parlant de l’un, disent à Jésus : Il a construit notre Synagogue, et il
aime notre nation, » tandis que le Sauveur lui-même a fait de l’autre cet
éloge : « Je n’ai pas trouvé
autant de foi dans Israël, » paroles qui feraient supposer qu’il était
Juif. Pour moi, je pense que c’est le même dont parlent les deux Évangélistes.
(cf. Jn 4, 43-54) Lorsque saint Luc raconte qu’il envoya prier Jésus de venir,
il a voulu faire ressortir les bonnes dispositions des Juifs pour cet
officier : car il est probable que le centurion voulant lui-même faire
cette démarche en fut empêché par les Juifs qui s’empressèrent de lui
dire : Nous irons nous-mêmes, et nous vous l’amènerons. Mais lorsqu’il fut
débarrassé de leurs instances il envoya dire au Sauveur : « Ne pensez
pas que c’est par indifférence que je ne suis pas venu en personne, c’est que
je me jugeais indigne de vous recevoir dans ma maison. » Que saint Matthieu
lui fasse tenir ce langage à lui-même sans l’intermédiaire de ses amis, il n’y
a pas de contradiction, les deux Évangélistes expriment le vif désir de cet
homme, et l’idée juste qu’il se faisait du Christ. On peut encore admettre
qu’après avoir envoyé ses amis, il vint en personne exprimer les mêmes
sentiments. Si saint Luc omet un détail, et saint Matthieu un autre, ils ne
sont pas pour cela en contradiction, mais ils complètent réciproquement leurs
récits. — S. Aug. (de l’acc. des Evange., liv. 2, chap.
20.) Saint Matthieu ne nous a pas raconté la démarche que le centurion avait
faite près de Jésus par l’intermédiaire d’autres personnes, parce que son
dessein était de faire ressortir sa foi (qui donne accès auprès de Dieu) et
dont le Sauveur a fait ce magnifique éloge : « Je n’ai pas trouvé même dans Israël une si grande foi. » Saint
Luc au contraire raconte le fait dans tous ses détails pour nous faire
comprendre de quelle manière cet homme vint trouver Jésus selon le récit de saint
Matthieu, qui n’a pu nous tromper. — S. Chrys.
(hom. 27.) Il n’y a point non plus de
contradiction à dire d’un côté que cet homme a élevé une synagogue et de
l’autre qu’il n’était pas israélite, car il peut très bien se faire que sans
être Juif il eût construit une synagogue et qu’il aimât la nation juive.
S. Chrys. (hom. 27.) Le lépreux avait confessé la
puissance de Jésus-Christ en lui disant : « Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir, » et
Notre-Seigneur avait confirmé ces paroles en lui répondant : « Je le veux, soyez guéri ; » de
même ici, non-seulement il ne blâme pas, mais il relève avec éloge le
témoignage que le centurion vient de rendre à sa puissance. Il fait même
quelque chose de plus, car l’Évangéliste, voulant faire ressortir l’étendue de
cet éloge, ajoute : « Jésus,
entendant ces paroles, » etc. — Orig.
Considérez la grandeur, l’excellence de ce que le Fils unique de Dieu, Dieu
lui-même, daigne admirer. L’or, les richesses, les royaumes, les empires sont
devant lui comme une ombre ou comme une fleur qui tombe. Aucune de ces choses
n’a droit à l’admiration de Dieu par sa grandeur ou par son prix ; la foi
seule a ce privilège, il l’admire, il lui rend hommage, il proclame qu’elle lui
est agréable.
S. Aug (sur
la Genése contre les Manich., liv. 1, chap. 8.) Mais qui avait produit en
lui cette foi, si ce n’est Dieu même qui l’admirait ? Et si un autre que
lui en était l’auteur, pourquoi donc admirer ce qu’il avait dû prévoir ?
Si donc le Seigneur donne ces marques d’admiration, c’est pour nous apprendre à
ressentir nous-mêmes ces sentiments d’admiration dont nous avons encore besoin.
Pour Jésus-Christ, au contraire, ces mouvements n’étaient pas le signe d’une
âme agitée, mais ils tenaient à la forme même de son enseignement. — S. Chrys. (hom. 27.) Voilà pourquoi l’Évangéliste nous dit qu’il fut dans
l’admiration en présence de tout le peuple, afin de lui donner l’exemple :
« Et il dit à ceux qui le suivaient ; Je vous le dis en
vérité, » etc. — S. Aug. (contre Fauste, liv. 22, chap. 74.) Il
fit l’éloge de sa foi, mais il ne lui commanda pas d’abandonner la carrière des
armes. — S. Jér. Notre-Seigneur
ne parle ici que de ceux qui vivaient alors, et non pas de tous les patriarches
et de tous les prophètes des temps anciens. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En
effet, André crut en Jésus-Christ, mais à la parole de Jean qui lui
disait : « Voici l’Agneau de
Dieu. » Pierre crut également, mais sur le témoignage d’André ;
Philippe crut aussi, mais après avoir lu les Écritures, et Nathanaël n’offrit à
Jésus l’hommage de sa foi qu’après avoir reçu de lui une preuve de sa divinité.
— Orig. (hom. 25.) Jaïre, un des princes d’Israël, venant prier Jésus
pour sa fille, ne lui dit pas : « Dites seulement une parole, » mais : « Venez au plus vite. » Nicodème,
écoutant les divines leçons du Sauveur sur le mystère de la foi, s’écria :
« Comment cela peut-il se faire ? »
Marthe et Marie disent à Jésus : « Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne fut pas mort, »
et elles semblent douter que la puissance divine pût s’étendre à tous les
lieux.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Si nous voulons reconnaître dans le centurion une
foi plus grande que dans les Apôtres, il nous faut entendre le témoignage de
Jésus-Christ en ce sens que le bien dans un homme doit se mesurer à sa position
personnelle ; c’est ainsi que nous admirons une parole sage dans la bouche
d’un homme sans instruction, tandis qu’elle n’aura rien d’étonnant dans celle
d’un philosophe. C’est dans ce sens que Jésus a dit du centurion : « Je n’ai trouvé nulle part autant de foi
dans Israël. » — S. Chrys.
En effet, la foi n’avait ni la même facilité, ni le même mérite pour un juif et
pour un païen.
S. Jér. Ou bien peut-être dans la personne
du centurion, le Sauveur exalte la foi des Gentils au-dessus de celle d’Israël,
comme paraissent l’indiquer ces paroles : « Je vous le dis en vérité, plusieurs viendront de l’Orient. » —
S. Aug (serm. sur les par. du Seig.) Il ne dit pas tous, mais un grand
nombre, et de l’Orient comme de l’Occident, c’est-à-dire de l’univers entier,
qui est désigné par ces deux parties du monde. — Haym. Ou bien ceux qui viennent de l’Orient sont ceux qui
abandonnent le monde immédiatement après avoir été éclairés des lumières de la
foi ; ceux qui viennent de l’Occident sont ceux qui ont souffert
persécution pour la foi jusqu’à la mort. Ou bien encore, celui-ci vient de
l’Orient parce qu’il a commencé à servir Dieu dès son enfance ; celui-là
vient de l’Occident lorsqu’il se convertit à Dieu dans son extrême vieillesse. —
Orig. (hom. 5.) Mais comment Notre-Seigneur dit-il ailleurs qu’il y en a
peu d’élus ? C’est qu’en effet dans chaque génération il y a un petit
nombre d’élus, mais au jour où Dieu visitera le monde, lorsque les élus de
toutes les générations seront réunis, le nombre en sera considérable. Et ils
s’asseoiront, non pas en étendant leurs membres, mais en reposant leur âme
fatiguée, non pas à des tables chargées des boissons de la terre, mais à la
table des festins éternels ; ils prendront place avec Abraham, Isaac et
Jacob dans le royaume des cieux, où se trouvent la lumière, l’allégresse, la
gloire et la longévité de la vie éternelle. — S. Jér. Comme le Dieu d’Abraham, créateur du ciel, est le Père
du Christ, Abraham se trouve dans le royaume des cieux, et avec lui viendront
s’asseoir les nations qui ont cru en Jésus-Christ Fils du Créateur.
S. Aug. (serm. 6 sur les par. du Seig.) En même temps que
nous voyons les chrétiens appelés au festin du ciel, dont la justice est le
pain, la sagesse le breuvage, nous voyons la réprobation des Juifs annoncée
dans ces paroles : « Les enfants du royaume, au contraire, seront
jetés dans les ténèbres extérieures ; » c’est-à-dire les Juifs qui
ont reçu la loi, qui célèbrent dans leurs cérémonies figuratives les mystères
futurs, et qui ne les ont point reconnus lorsqu’ils s’accomplissaient. — S. Jér. Ou bien il appelle les Juifs les
enfants du royaume, parce que Dieu avait autrefois régné sur eux.
S. Chrys. (hom. 27.) Ou
bien ces fils du royaume sont ceux pour qui le royaume était préparé, ce qui
devait produire sur eux une plus vive impression. — S. Aug. (cont. Faust, liv.
15, chap. 24.) Si donc Moïse n’a fait connaître au peuple d’Israël d’autre Dieu
que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et que le Christ ne leur en prêche
pas d’autre, on ne peut l’accuser d’avoir détourné ce peuple du culte de son
Dieu. Donc, lorsqu’il les menace d’être précipités dans les ténèbres
extérieures, c’est qu’il les voyait s’éloigner eux-mêmes de leur Dieu, dans le
royaume duquel il nous montre toutes les nations appelées à prendre place avec
Abraham, Isaac et Jacob, en récompense de la foi qu’ils ont toujours gardée au
Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Et dans ce témoignage que leur rend le
Sauveur, nous ne voyons pas qu’ils aient attendu à la mort pour se convertir à
Dieu, ou qu’ils n’aient été justifiés qu’après sa passion.
S. Jér. Il appelle ces ténèbres
extérieures, parce que celui qui est chassé dehors par le Sauveur est abandonné
par la lumière. — Haym. Que
souffre-t-on dans ces ténèbres ? Notre-Seigneur nous l’apprend dans les
paroles suivantes : « Il y aura là des pleurs et des grincements de
dents. » Il décrit les tourments des damnés à l’aide d’une métaphore
empruntée aux souffrances du corps. En effet, les yeux atteints par la fumée
versent des larmes ; de même un froid très vif donne lieu à un grincement
de dents ; preuve que les réprouvés dans l’enfer auront à supporter à la
fois et une chaleur intolérable, et un froid des plus aigus, selon cette parole
de Job : « Ils passeront des eaux de la neige à une excessive
chaleur. » — S. Jér. Si les
pleurs ne peuvent sortir que des yeux, si le grincement de dents prouve
l’existence des os, il y aura donc résurrection véritable des corps et des
mêmes membres qui auront été soumis à la mort. — Rab. Ou bien ce grincement de dents exprime un sentiment
d’indignation, et ce mouvement (le repentir tardif et de colère après coup
qu’éprouveront les réprouvés à la vue de leur opiniâtre persistance dans le
mal. — Remi. Ou bien ces ténèbres
extérieures figurent les nations étrangères, car au point de vue historique
Notre-Seigneur prédit ici la ruine des Juifs, qui en punition de leur
infidélité, devaient être emmenés captifs, et dispersés dans les différentes
contrées de la terre. Or, comme les pleurs naissent ordinairement sous
l’impression d’une ardente chaleur, et le grincement des dents sous l’action
d’un froid aigu, les pleurs désignent ceux qui habiteront les contrées
brûlantes de l’Inde et de l’Éthiopie, et le grincement de dents ceux qui seront
exilés dans des pays plus froids comme l’Hircanie et la Scythie.
Chrys. (hom. 27.) Les paroles du Sauveur ne
sont pas un vain éloge de la foi dont il vient de faire voir la
nécessité ; aussi sont-elles suivies d’un miracle que l’Évangéliste raconte
ainsi : « Et Jésus dit au centurion : Allez, et qu’il vous soit
fait comme vous avez cru. » — Rab. C’est-à-dire,
cette grâce vous est accordée dans la mesure de votre foi. » Le mérite du
maître peut seconder le mérite du serviteur non seulement sous le rapport de la
foi, mais encore dans l’observance de la loi. Voilà pourquoi l’Évangéliste
ajoute : « Et le serviteur fut guéri dès ce moment. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Admirez cette promptitude, car ce n’est pas
seulement la guérison, mais la guérison imprévue, instantanée, qui fait éclater
la puissance du Christ. — S. Aug.
(serm. sur les par. du Seigneur.) Le
Seigneur n’est pas entré dans la maison du centurion, il en était absent
corporellement, et la présence seule de sa majesté a guéri le serviteur ; ainsi
n’a-t-il paru sous une forme extérieure qu’au milieu du peuple juif ; il
n’a point renouvelé pour les autres nations les merveilles de sa naissance
virginale, de sa passion, de ses souffrances, de ses miracles, et cependant ce
que le roi-prophète avait prédit s’est trouvé accompli : « Le peuple
qui ne me connaissait pas m’a servi, il m’a obéi aussitôt qu’il a entendu ma
voix. » Le peuple juif l’a connu et l’a crucifié, l’univers n’a fait que
l’entendre et a cru en lui.
Rab. Après avoir montré
dans ce lépreux la guérison du genre humain tout entier, et dans le serviteur
du centenier celle des Gentils, par une suite naturelle, saint Matthieu nous
montre dans la belle-mère de Pierre la guérison de la synagogue. Le Sauveur a
commencé par la guérison du serviteur, parce que la conversion des Gentils a
été à la fois un plus grand miracle et une grâce plus signalée, ou parce que ce
n’est qu’à la fin des siècles après que la plénitude des nations sera entrée
dans l’Église, que la synagogue se convertira tout entière (cf. Rm 11, 24-26).
Or, la maison de Pierre était dans Bethsaïde.
S. Chrys. (hom. 28.) Mais
pourquoi Jésus entra-t-il dans la maison de Pierre ? Je pense que c’était
pour prendre quelque nourriture, comme paraissent l’indiquer les paroles
suivantes : « Elle se leva et elle les servait. » Jésus
s’arrêtait ainsi chez ses disciples pour leur faire honneur et rendre plus vif
le désir qu’ils avaient de le suivre. Considérez ici le respect de Pierre pour
Jésus-Christ, quoique sa belle-mère fût malade de la fièvre, il n’entraîna pas
Jésus dans sa maison, mais il attendit qu’il eût terminé ses divines leçons et
qu’il eût guéri les autres malades, car il avait appris dès le commencement à
faire céder ses intérêts à ceux des autres. Aussi n’est-ce pas lui qui amène le
Christ, mais le Christ qui vient de lui-même après ces paroles du
centurion : « Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma
maison, » montrant ainsi toute sa bonté pour son disciple. Il ne dédaigne
pas d’entrer sous le pauvre toit d’un pêcheur, pour nous apprendre à fouler aux
pieds en toute circonstance l’orgueil et la vanité. Remarquez aussi que tantôt
il guérit par sa seule parole, tantôt il étend simultanément la main ;
c’est ce qu’il fait ici : « Et il lui toucha la main. » Il ne
voulut pas toujours faire des miracles extraordinaires, et il était nécessaire
de voiler quelquefois sa divinité. En touchant le corps de cette femme,
non-seulement il fit cesser la fièvre, mais encore il lui rendit tout à fait la
santé. Cette maladie n’étant point naturellement incurable, il manifestait sa
puissance par la manière dont il la guérissait, en faisant ce que la science de
la médecine ne pouvait faire, c’est-à-dire en rendant aussitôt à cette femme
une santé parfaite ; c’est ce que l’Évangéliste veut nous exprimer en
disant : « Elle se leva et elle les servait. » — S. Jér. Nous éprouvons ordinairement après
la fièvre un surcroît de lassitude, et dans les commencements de la
convalescence nous ressentons encore les douleurs de la maladie. Mais la santé
que rend le Seigneur revient tout entière en un moment. L’auteur sacré nous
fait remarquer qu’elle se leva et qu’elle le servait : c’est une preuve
tout à la fois de la puissance de Jésus-Christ et des dispositions de cette
femme à son égard.
Bède.
Dans le sens mystique, la maison de Pierre figure la loi ou la
circoncision ; sa belle-mère est la figure de la synagogue, qui est en
quelque sorte la mère de l’Église confiée à Pierre. C’est elle qui est malade
de la fièvre, de cette fièvre de jalousie dont elle brûlait en persécutant
l’Église. Le Seigneur lui touche la main, en changeant ses oeuvres charnelles
et en leur donnant une direction toute spirituelle. — Remi. Ou bien encore, par la belle-mère de Pierre, on peut
entendre la loi, qui, selon l’Apôtre (Rm
8), était affaiblie par la chair, c’est-à-dire par le sens charnel qu’on lui
donnait. Mais lorsque le Seigneur se fut rendu visible au milieu de la
synagogue par le mystère de son incarnation, et qu’il eut fait voir dans ses
oeuvres l’accomplissement de la loi, en même temps qu’il en donnait
l’intelligence spirituelle, elle reçut bientôt tant de force de cette union
avec la grâce de l’Évangile, qu’après avoir été un instrument de mort et de
châtiment, elle devint comme le ministre de la vie et de la grâce (2 Cor 3, 9).
Rab. Ou bien encore, toute âme
qui est en lutte avec les passions de la chair, est comme travaillée par la
fièvre ; mais à peine a-t-elle été touchée par la main de la miséricorde
divine, elle recouvre la santé, elle réprime les désirs licencieux de la chair,
et fait servir à la justice les membres qu’elle avait consacrés à l’impureté. —
S. Hil. Ou bien enfin on peut
voir dans la belle-mère de Pierre le vice pernicieux de l’infidélité, auquel se
trouve toujours jointe la liberté de la volonté, et qui nous attache à lui
comme par les liens les plus étroits. Mais aussitôt que le Seigneur entre dans
la maison de Pierre c’est-à-dire dans notre corps, il guérit cette infidélité
toute brûlante des ardeurs du péché, et débarrassée de l’accablante domination
des vices, elle consacre la santé qu’elle recouvre au service du Seigneur.
S. Aug. (de l’accord des Evang. liv. 2, chap. 21.) A quel temps cette
guérison a-t-elle eu lieu ? avant ou après quel événement ? Saint
Matthieu ne le dit pas, car rien n’oblige à la placer après le récit qui la
précède immédiatement. Toutefois saint Matthieu paraît raconter ici ce qu’il
avait omis précédemment. En effet, saint Marc raconte cette guérison avant
celle du lépreux, qu’il paraît placer après le sermon sur la montagne (dont
cependant il ne parle pas). Saint Luc de son côté place la guérison de la
belle-mère de Pierre après le même événement que saint Marc, et avant un
discours fort long qui paraît être le même que saint Matthieu fait tenir à
Jésus sur la montagne. Mais qu’importe la place qu’occupent les faits, ou
l’ordre dans lequel ils sont présentés ? Qu’importe qu’un évangéliste
raconte un fait qu’il avait omis précédemment, ou qu’il en fasse une narration
anticipée, pourvu que ce fait ainsi placé ne contredise en rien d’autres faits
racontés par lui ou par un autre ? Il n’est personne qui puisse raconter
dans l’ordre où elles se sont passées, les choses qui lui sont le plus connues.
Il est donc probable que chaque Évangéliste a cru devoir raconter les événements
suivant l’ordre dans lequel Dieu les présentait à son souvenir. Aussi, lorsque
la suite chronologique des faits ne nous paraît pas clairement marquée, nous ne
devons pas nous préoccuper de l’ordre que chaque Évangéliste a cru devoir
adopter dans son récit.
S. Chrys. (hom. 24.) La multitude de ceux qui croyaient en
Jésus-Christ s’était augmentée, et malgré le temps qui les pressait, ils ne
voulaient pas se séparer du Sauveur ; aussi, le soir étant venu, ils lui
amènent plusieurs possédés du démon. « Sur le soir, dit l’Évangéliste, on
lui présenta un grand nombre de possédés. » — S. Aug. (de l’accord des
Evang, liv, 2, chap. 21.) Ces expressions : « Le soir étant
venu, » indiquent assez qu’il s’agit ici du même jour, bien qu’il ne soit
pas nécessaire de les entendre toujours du soir de la même journée.
Remi. Or Jésus-Christ,
Fils de Dieu, auteur du salut des hommes, source et origine de toute
miséricorde, appliquait à tous un remède divin. « Et il chassait les
esprits par sa parole, et il guérit tous ceux qui étaient malades. » Il
mettait en fuite les démons et les maladies d’un seul mot, pour montrer par ces
prodiges de sa puissance qu’il était venu pour le salut du genre humain tout
entier.
S. Chrys. (hom. 28.) Considérez
quelle multitude de guérisons particulières les Évangélistes passent sous
silence ; ils ne font pas mention de chaque personne guérie, mais d’un
seul mot ils nous mettent sous les yeux cet océan inexprimable de miracles. Et
afin que la grandeur de ces prodiges ne devienne un motif de ne point admettre
qu’une si grande multitude et tant de maladies aient été guéries en un instant,
l’Évangéliste vous présente le Prophète appuyant de son témoignage ces faits
miraculeux. Et ainsi fut accompli ce que le prophète Isaïe avait prédit :
« Il a pris lui-même nos infirmités. »
(cf. Is 53, 4 ; 1 P 2,
24) — Rab. Ce n’est pas sans doute pour les garder, mais pour
nous en délivrer, et il s’est chargé de nos maladies afin de porter lui-même en
notre place ce qui était un fardeau écrasant pour notre faiblesse. — Remi. Il s’est revêtu de l’infirmité de
notre nature pour nous rendre forts et robustes, de faibles que nous étions. —
S. Hil. (can. 7 sur S. Matth.) Par les souffrances qu’il a endurées dans son
corps (selon les oracles des prophètes), il a fait disparaître complètement les
infirmités de la faiblesse humaine. — S. Chrys.
(hom. 28.) C’est surtout des péchés
que le Prophète semble avoir voulu parler. Comment donc l’Évangéliste peut-il
entendre ces paroles des maladies ? C’est qu’il a voulu les appliquer à un
fait historique, ou bien nous faire comprendre que la plupart des maladies ont
pour cause les péchés de notre âme, et que la mort elle-même n’a point d’autre
origine.
S. Jér. — Remarquons que toutes ces guérisons
s’opèrent non pas le matin, non pas au milieu du jour, mais vers le soir,
lorsque le soleil est sur son coucher, et que le grain tombe dans la terre pour
y mourir et produire des fruits en abondance. Rab.
En effet, le coucher du soleil figure la passion et la mort de celui qui a
dit : « Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du
monde ; » de celui qui dans le temps de sa vie mortelle n’a enseigné
qu’un très petit nombre de Juifs, mais qui après avoir détruit l’empire de la
mort a promis les dons de la foi à toutes les nations répandues sur la face de
la terre.
S. Chrys. (hom. 28.) Comme Jésus-Christ ne guérissait pas
seulement les corps, mais qu’il rendait encore les âmes meilleures en leur
enseignant la vraie sagesse, il a voulu montrer dans sa personne non-seulement
la puissance qui guérit les maladies, mais encore l’humilité qui fuit toute
ostentation ; c’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : « Or,
Jésus se voyant environné d’une grande foule de peuple, ordonna à ses disciples
de passer à l’autre bord. Il agissait de la sorte pour nous enseigner la
modestie dans nos actions, calmer l’envie des Juifs, et nous apprendre à ne
rien faire par amour de la vaine gloire. — Remi.
Ou bien il agissait ici comme homme, pour se débarrasser des
importunités de la foule. Ce peuple lui était fortement attaché, plein
d’admiration pour sa personne, et ne pouvait se lasser de le voir. Qui aurait
pu, en effet se séparer d’un homme qui opérait de tels prodiges ? Qui
n’aurait voulu contempler l’auguste simplicité de son visage et la bouche d’où
sortaient de tels oracles ? Si Moïse avait le visage resplendissant de
gloire (Ex 34), et saint Etienne la
figure d’un ange (Ac 7), comment le
souverain Maître de toutes choses n’aurait-il point paru avec la majesté qui
convenait à son auguste personne, et n’est-ce pas ce que le Roi-Prophète
prédisait en ces termes : « Vous surpassez en beauté tous les enfants
des hommes. »
S. Hil. (Can. 7 sur S. Matth.) Le nom de disciples ne s’applique pas
seulement aux douze apôtres, car nous voyons qu’outre les apôtres, Jésus eut
plusieurs disciples.
S. Aug. (de l’accord des Evang. liv. 2, chap. 22.) Il est évident que le
jour où Jésus ordonna à ses disciples de passer à l’autre bord ne fut pas le
lendemain du jour où il avait guéri la belle-mère de Pierre, car ce jour là il
se retira dans le désert, comme le racontent saint Marc et saint Luc. — S. Chrys. (hom. 28.) Remarquez qu’il ne renvoie pas directement la foule,
pour ne pas la blesser ; mais il ordonne à ses disciples d’aller au delà,
en laissant au peuple l’espérance de pouvoir l’y suivre.
Remi. Mais que s’est-il
passé entre l’ordre donné ici par le Sauveur et son exécution ?
L’Évangéliste a pris soin de nous l’apprendre. Et voici qu’un scribe lui
dit : « Maître, je vous
suivrai partout où vous irez. » — S. Jér.
Si ce scribe, qui ne connaissait que la lettre qui tue (cf. Rm 7), avait
dit : « Seigneur, je vous suivrai partout ou vous irez, » il
n’eût pas été repoussé par le Sauveur ; mais comme il ne le considérait
que comme un maître ordinaire, qu’il n’était lui-même qu’un homme attaché à la
lettre extérieure, et n’avait pas les oreilles intérieures de l’âme, il n’a
rien en lui où Jésus puisse reposer sa tête. Nous voyons aussi que ce scribe a
été rejeté, parce qu’à la vue des prodiges étonnants opérés par le Sauveur, il
ne voulait le suivre que pour recueillir du profit de ces oeuvres. Il désirait
ce que Simon le magicien voulait plus tard acheter de saint Pierre. (Ac 8.)
S. Chrys. (hom. 28.) Voyez
aussi quel est son orgueil : il arrive, et à son langage, on voit qu’il
dédaigne d’être confondu avec la foule, et qu’il veut montrer qu’il lui est
supérieur. S. Hil. (can. 7 sur S. Matth.) Ou bien encore, ce scribe, qui est un des
docteurs de la loi, demande à Jésus s’il doit le suivre, comme si la loi ne
disait pas clairement que c’est le Christ, et qu’il a tout intérêt de marcher à
sa suite. Il trahit donc l’incrédulité de son âme par cette question de
défiance, car on ne doit pas interroger, mais suivre les inspirations et les
enseignements de la foi.
S. Chrys. (hom. 28.) Le
Sauveur répond ici non pas à la question contenue dans ses paroles, mais à la
pensée renfermée dans son âme. Et Jésus lui dit : « Les renards ont
leurs tanières et les oiseaux du ciel leurs nids, mais le Fils de l’homme n’a
pas où reposer sa tête. » C’est-à-dire pourquoi voulez-vous me suivre dans
l’espérance des richesses et des avantages du siècle, moi dont la pauvreté est
si grande que je ne possède pas même un petit réduit, et que je couche sous un
toit qui ne m’appartient pas. — S. Chrys.
(hom. 28.) Notre-Seigneur ne lui
tient pas ce langage pour le repousser, mais pour lui reprocher sa mauvaise
intention, et il lui accorderait ce qu’il demande, s’il consentait à pratiquer
la pauvreté en marchant à sa suite. Mais voyez, sa malice est si grande que
cette leçon ne peut le convertir et qu’il ne s’écrie pas : « Je suis
prêt à vous suivre. »
S. Aug. (serm. sur les par. du Seigneur.) Ou bien encore, le Fils de
l’homme n’a pas où reposer sa tête dans votre foi ; les renards ont leurs
tanières dans votre âme pleine de ruses ; les oiseaux du ciel ont aussi
leurs nids dans votre cœur dominé par l’orgueil ; avec cet esprit de ruse
et d’orgueil vous ne pouvez me suivre ; celui qui est trompeur peut-il
suivre celui qui marche simplement ? — S. Grég. (Moral. 19,
1.) Ou bien, les renards sont des animaux rusés qui se cachent dans des trous
ou dans des cavernes. Lorsqu’ils en sortent, ce n’est point dans les droits
chemins, mais dans les sentiers détournés qu’on les voit courir ; quant
aux oiseaux, leur vol est très élevé au-dessus de terre. Il faut donc entendre
par les renards les démons de la ruse et de la fourberie, et par les oiseaux
les démons de l’orgueil. Voici donc le sens des paroles de Jésus : Les démons
de la ruse et de la vaine gloire trouvent place dans votre cœur, mais mon
humilité ne peut se reposer dans une âme livrée à l’orgueil. — S. Aug. (quest. sur l’Evang.) Il est à croire que, séduit par l’éclat des
miracles du Sauveur, il voulut s’attacher à lui par un motif de vaine gloire,
figurée ici par les oiseaux, et qu’il a joué le personnage d’un disciple
obéissant, hypocrisie qui est représentée par les renards. — Rab. Les hérétiques qui mettent toute
leur confiance dans leurs subtilités sont ici figurés par les renards, et les
esprits malins par les oiseaux du ciel. Les uns et les autres avaient leurs
tanières et leurs nids, c’est-à-dire leur demeure dans le cœur du peuple juif.
Un autre de ses
disciples lui dit : « Seigneur, permettez-moi d’aller d’abord
ensevelir mon père. » — S. Jér. Quelle
différence entre le scribe et ce disciple ! Celui-ci l’appelle simplement
maître, celui-là le reconnaît pour son Seigneur. L’un, obéissant à un sentiment
de piété filiale, désire aller ensevelir son père ; l’autre promet de
suivre Jésus partout, mais ce n’est pas la personne du Maître qu’il recherche,
c’est le gain qu’il espère en retirer. — S. Hil.
(Can. 7 sur S.
Matth.) Ce disciple ne
demande pas non plus s’il doit suivre Jésus ; il croit que c’est pour lui une
obligation, et il demande simplement qu’il lui Soit permis d’aller ensevelir
son père.
S. Aug. (serm. 7 sur les par. du Seig.) Lorsque le
Seigneur prépare les hommes au ministère évangélique, il rejette toutes les
excuses que suggèrent les sentiments de la nature et les sollicitudes de cette
vie ; c’est ce que prouvent les paroles suivantes : « Or Jésus
lui dit : Suivez-moi, et laissez les morts ensevelir leurs morts. » S. Chrys.
(hom. 28.) Gardons-nous de croire que le Sauveur nous
commande de refuser à nos parents l’honneur qui leur est dû ; il nous
apprend à ne rien voir de plus nécessaire que l’affaire de nos intérêts
éternels, à nous y appliquer avec toute l’ardeur possible, sans le plus léger
retard, quelque inévitables, quelque irrésistibles que soient les attachements
qui nous retiennent. Car quoi de plus nécessaire, et aussi quoi de plus facile
que d’ensevelir son père ? L’accomplissement de ce devoir ne demandait pas
grand temps. Par là encore le Seigneur a voulu nous arracher à une multitude de
maux, à la douleur, à l’affliction, et à tout ce qui accompagne de semblables
accidents. Après les funérailles, en effet, seraient venus les débats sur le
testament, le partage de la succession, et ces agitations successives auraient
pu l’éloigner considérablement de la vérité. Si votre cœur se soulève encore,
rappelez-vous que souvent on laisse ignorer à des malades la mort de leur père,
ou de leur fils, ou de leur mère, et qu’on ne leur permet pas de les
accompagner jusqu’au lieu de leur sépulture. Loin que ce soit là de la cruauté,
c’est la conduite contraire qui mériterait ce reproche. Ce serait un bien plus
grand mal de détourner un homme des enseignements spirituels, alors surtout que
d’autres pourraient le remplacer pour rendre ces derniers devoirs ; c’est
justement ce qui avait lieu ici ; c’est ce qui fait dire au Sauveur :
« Laissez les morts ensevelir leurs morts. » — S. Aug. (serm. 7 sur les par. du Seig.) C’est-à-dire : votre père est
mort, il y a d’autres morts qui pourront ensevelir leurs morts, car ils sont
dans l’infidélité. — Chrys. (hom. 28.) Ces paroles indiquent que
celui qui était mort n’était pas un de ses disciples, mais qu’il était du
nombre des infidèles. Vous admirez ce jeune homme qui, en présence d’un devoir
aussi pressant, vient demander à Jésus ce qu’il faut faire, et ne veut point
agir de lui-même ; mais qu’il est bien plus admirable d’avoir obéi à la
défense qui lui était faite, non point par un sentiment d’ingratitude ou de
négligence, mais pour ne pas interrompre une affaire plus importante ! —
S. Hil. D’ailleurs, comme nous
avons appris à dire au commencement de l’Oraison dominicale : « Notre
Père qui êtes dans les cieux, » et que ce disciple représente tout le
peuple croyant, le Seigneur lui rappelle ici qu’il n’y a pour lui qu’un Père
qui est dans les cieux (Mt 23, 9), et
que les droits que donne ce nom de père ne sont pas laissés au père infidèle à
l’égard de son fils devenu fidèle. Il nous apprend encore à ne pas mêler à la
mémoire des saints le souvenir de ceux qui sont morts dans l’infidélité, et à
regarder comme morts ceux qui vivent en dehors de la vie de Dieu. Que les morts
donc ensevelissent leurs morts ; car pour ceux qui sont vivants, ils
doivent s’attacher au Dieu vivant par la foi qu’ils ont en lui.
S. Jér. Si donc c’est aux morts à
ensevelir les morts, nous devons prendre soin des vivants, et non point des
morts, de peur que cette préoccupation pour les morts ne nous fasse ranger
nous-mêmes parmi les morts. — S. Grég.
(Moral., liv. 4, chap. 25.) On peut dire encore que les morts ensevelissent
leurs morts lorsque les pécheurs se montrent favorables aux pécheurs, car en
prodiguant les louanges à celui qui pêche, ils enterrent pour ainsi dire ce
mort sous le poids de leurs éloges. — Rab.
Cette maxime du Sauveur nous apprend aussi qu’il faut quelquefois
sacrifier un bien moins important à un bien qui l’est davantage. S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 23.) S. Matthieu raconte ce
fait comme étant arrivé après que Jésus eut ordonné à ses disciples de passer
sur l’autre bord, tandis que saint Luc le place au moment où ils étaient en
chemin ; il n’y a ici aucune contradiction, puisqu’ils étaient en chemin
pour arriver au bord de la mer.
Orig. Notre-Seigneur
Jésus-Christ ayant fait éclater sur la terre de grands et d’étonnants prodiges,
passe sur la mer pour y opérer des miracles plus extraordinaires encore, et se
faire ainsi reconnaître partout comme le Seigneur de la terre et de la mer. « Et
après qu’il fut monté dans une barque, » dit l’Évangéliste, il fut suivi
de ses disciples qui n’étaient plus des disciples faibles, mais fermes et
stables dans la foi. En le suivant, ils étaient moins attachés à ses pas qu’à
la sainteté de sa vie qui les attirait à lui. — S. Chrys. (hom. 29.)
Il prend ses disciples avec lui et les fait monter dans la même barque pour
leur apprendre à ne pas s’effrayer au milieu des dangers, et leur enseigner à
conserver toujours l’humilité au milieu des honneurs, car il permet qu’ils
soient le jouet des flots, afin de prévenir la haute idée qu’ils auraient pu
avoir d’eux-mêmes en voyant que Jésus les avait se tenus de préférence aux
autres. Lorsqu’il opérait des prodiges éclatants, il permettait à la foule d’en
être témoin ; mais lorsqu’il s’agit de se mesurer avec les tentations,
avec les craintes, il ne prend avec lui que les athlètes qu’il devait former à
combattre contre l’univers entier. — Orig.
Après qu’il fut entré dans la barque, il commanda à la mer de s’agiter.
« Et voici, dit le texte sacré, qu’une grande tempête s’éleva sur la
mer. » Cette tempête ne s’éleva pas d’elle-même, mais elle obéit à la
puissance de celui qui commande et qui fait sortir les vents de ses trésors. (Ps 134).
La tempête fut grande pour que le miracle le fut également ; plus les
flots venaient fondre sur la barque, plus aussi l’effroi bouleversait les
disciples, et leur faisait désirer d’être délivrés par la puissance du Sauveur.
S. Chrys. (hom. 29.) Ils
avaient été témoins des bienfaits que Jésus répandait si libéralement sur les
autres ; mais comme nous ne jugeons pas de la même manière de ce qui se
fait dans l’intérêt des autres, et de ce que l’on fait pour nous,
Notre-Seigneur voulut les faire jouir de ses bienfaits par une expérience personnelle ;
il permit donc cette tempête, pour que leur délivrance leur fît comprendre plus
clairement ce qu’il faisait en leur faveur. Or cette tempête était la figure
des tentations qu’ils devaient éprouver dans l’avenir, et dont saint Paul a
dit : « Je ne veux pas vous laisser ignorer, mes frères, que nous
avons été surchargés au-dessus de nos forces. » L’Évangéliste nous dit que
Jésus dormait, parce qu’il voulait laisser à la crainte le temps de s’emparer
de leur âme. Car si la tempête était survenue pendant qu’il était éveillé, ou
ils n’auraient eu aucune crainte, ou ils n’auraient pas imploré son secours, ou
ils n’auraient pas cru qu’il pût opérer un semblable miracle.
Orig. Chose étonnante et
merveilleuse ! L’Évangéliste nous montre livré au sommeil celui qui ne
dort, qui ne sommeille jamais (Ps 120, 4). Son corps dormait, mais la divinité
veillait, et il prouvait par là qu’il portait un corps véritable comme le
nôtre, et qu’il s’en était revêtu avec toutes ses faiblesses. Il dormait donc
extérieurement pour apprendre à ses apôtres à veiller, et nous apprendre à tous
à éviter le sommeil de l’âme. La crainte qui les bouleversait était si grande,
qu’ils avaient presque perdu la tête, qu’ils se précipitaient près de lui et
qu’au lieu de lui parler avec modération et avec douceur, ils le réveillent
brusquement. Et ses disciples s’approchèrent, et ils l’éveillèrent en
disant : « Seigneur, sauvez-nous, nous périssons. »
S. Jér. Nous voyons une figure de cet
événement dans le prophète Jonas, qui, pendant que tous tremblent à la vue du
danger, seul est tranquille, et dort si profondément qu’il faut le réveiller. —
Orig. Et vous les vrais disciples
de Jésus-Christ, vous avez le Seigneur au milieu de vous, et vous craignez le
danger ? La vie est avec vous, et la crainte de la mort vous
préoccupe ? Peut-être vont-ils répondre : Nous sommes encore faibles,
pusillanimes ; c’est pour cela que la crainte s’empare de nous. Aussi
Jésus leur dit : « Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de
foi ? » C’est-à-dire : vous avez été témoins de ma puissance sur
la terre, pourquoi doutez-vous que cette puissance s’étende aussi à la
mer ? Et quand la mort elle-même viendrait fondre sur vous, ne
devriez-vous pas la supporter avec courage ? Celui qui croit faiblement
sera repris, celui qui ne croit pas du tout sera condamné. — S. Chrys. (hom. 20.) Dira-t-on que réveiller Jésus ne fut pas chez eux un
signe de peu de foi ? Au moins est-ce une preuve qu’ils n’avaient pas de
lui une opinion convenable, car ils pensaient qu’il pourrait apaiser la mer
étant éveillé, mais que cela lui serait impossible pendant son sommeil. Aussi
est-ce pour cela qu’il n’opère pas ce miracle en présence de la foule, pour
n’avoir pas à leur reprocher devant elle leur peu de foi ; il les prend
seuls avec lui pour leur faire ce reproche et il apaise ensuite les flots
soulevés. « Et se levant en même temps, il commanda aux vents et à la mer,
et il se fit un grand calme.
S. Jér. Cet acte de puissance doit nous
faire conclure que toutes les créatures ont le sentiment de leur Créateur, car
ceux qui reçoivent un commandement doivent avoir sentiment de celui qui leur
commande ; nous ne partageons pas cependant l’erreur des hérétiques qui
considèrent tous les êtres comme animés, mais nous disons que la majesté du
Créateur rend pour ainsi dire sensibles pour lui les créatures qui demeurent
insensibles pour nous. — Orig. Il
commanda donc aux vents et à la mer, et à cette grande agitation succéda un
grand calme. Il est digne de celui qui est grand de faire de grandes choses, et
c’est pour cela qu’après avoir troublé magnifiquement les profondeurs de la
mer, il commande qu’un grand calme se fasse, afin que la joie de ses disciples
égale la crainte qui les a troublés.
S. Chrys. (hom. 29.) Ces
paroles nous font voir encore que la tempête a été calmée tout d’un coup et
tout entière, sans qu’il restât la moindre trace d’agitation ; chose tout
à fait extraordinaire, car lorsque le soulèvement des flots s’apaise selon les
lois ordinaires de la nature, ils restent encore longtemps agités, taudis
qu’ici toute agitation cesse dans un instant. Ainsi Jésus-Christ accomplit en
sa personne ce que le Roi-Prophète avait dit de Dieu le Père : « Il a
parlé et la tempête s’est apaisée, » car d’une seule parole et par son
seul commandement il a calmé la mer et mis un frein à la fureur des flots. Ceux
qui étaient avec lui, à son aspect, à son sommeil, à l’usage qu’il faisait
d’une barque, le regardaient seulement comme un homme ; aussi ce miracle
les jette dans l’étonnement. Or les hommes furent dans l’admiration, et ils
disaient : « Quel est celui-ci ? » etc. — La Glose. Saint Chrysostome traduit ainsi : « Quel est cet
homme ? » En effet, à ne considérer que son sommeil et son extérieur,
c’était un homme ; mais la mer et le calme qu’il y ramena montraient qu’il
était Dieu. Orig. Mais quels sont
ces hommes qui furent dans l’admiration ? Ne croyez pas que cette
expression désigne les Apôtres, car il n’est jamais parlé d’eux qu’en termes
honorables, et ils sont toujours appelés ou apôtres ou disciples. Ceux qui
étaient dans l’admiration furent donc ceux qui étaient avec le Sauveur dans la
barque, et à qui cette barque appartenait. — S.
Jér. Si quelqu’un cependant, par esprit de contradiction, prétend que ce
sont les disciples de Jésus qui furent dans l’admiration, nous répondrons que
c’est à juste titre que l’Évangéliste leur donne le nom d’hommes, car ils ne
connaissaient pas encore la puissance du Sauveur.
Orig. En disant :
« Quel est donc celui-ci ? » ils ne font pas une question, mais
ils affirment que c’est à cet homme que les vents et la mer obéissent.
« Quel est donc celui-ci ? » C’est-à-dire quelle est sa
puissance, quelle est sa force, quelle est sa grandeur ? Il commande à
toute créature, et elle ne transgresse pas ses ordres ; les hommes seuls
lui résistent, et seront pour cela condamnés au jugement.
Dans le sens
mystique, nous naviguons tous avec le Seigneur dans la barque de l’Église sur
la mer orageuse du monde ; le Seigneur cependant dort d’un sommeil de
miséricorde, et attend ainsi notre patience dans les maux et le repentir des
pécheurs. S. Hil. (Can. 7 sur S. Matth.) Ou bien il dort, parce que notre propre sommeil l’assoupit au milieu de
nous. C’est ce que Dieu permet pour nous faire espérer le secours du ciel au
milieu de l’effroi que nous cause le danger, et plût à Dieu qu’une espérance
même tardive nous donne l’assurance d’échapper au péril, grâce à la puissance
du Christ qui veille au milieu de nous ! — Orig. Approchons-nous donc de lui avec empressement, en lui
disant avec le Prophète : « Levez-vous ;
pourquoi dormez-vous, Seigneur ? » (Ps 43). Et il commandera lui-même aux vents, c’est-à-dire aux
démons qui soulèvent les flots, aux princes de ce monde qui suscitent les persécutions
contre les saints, et le Christ fera régner un grand calme autour du corps et
de l’esprit, en rendant la paix à l’Église et la tranquillité au monde.
Rab. Ou bien encore la
mer, ce sont les flots agités du monde, la barque dans laquelle monte
Jésus-Christ ; c’est l’arbre de la croix à l’aide duquel les fidèles
traversent cette mer du monde et parviennent à la céleste patrie comme à un
port assuré. Jésus-Christ monte dans cette barque avec ses disciples, et c’est pour cela qu’il dit plus
bas : « Que celui qui veut venir après moi, se renonce lui-même,
qu’il porte sa croix et qu’il me suive. » Lorsque le Christ fut attaché à
la croix, il se fit une grande agitation, parce que l’âme de ses disciples fut
troublée par le spectacle de la passion. La barque fut couverte par les flots,
car la violence de la persécution se déchaîna autour de la croix sur laquelle
Jésus-Christ succomba. C’est pour cela qu’il est dit : « Et lui
cependant dormait. » Son sommeil était la mort. Les disciples éveillent
leur Maître, alors que, bouleversés par sa mort, ils font les voeux les plus
ardents pour sa résurrection, et lui disent : « Sauvez-nous en
ressuscitant, car nous périssons dans le trouble où nous a jetés votre mort.
Lorsqu’il ressuscite, il leur reproche la dureté de leur cœur, comme nous le
voyons ailleurs. Le Seigneur a commandé aux vents, lorsqu’il a écrasé l’orgueil
du démon ; il a commandé à la mer, en dissipant la fureur insensée des
Juifs ; et il s’est fait un grand calme, car la frayeur des disciples s’apaisa
lorsqu’ils furent témoins de la résurrection de leur Maître. — La Glose. Ou bien encore, la barque c’est
l’Église de la terre, dans laquelle le Christ traverse avec les siens la mer de
ce monde et apaise les flots des persécutions, digne objet de notre admiration
et de notre reconnaissance.
S. Chrys. (hom. 29.) Les hommes ne voyaient dans
Jésus-Christ que la nature humaine ; les démons vinrent proclamer sa
divinité, afin que ceux qui n’avaient point écouté la voix de la mer en fureur
et soudain redevenue calme, entendissent la voix des démons ; c’est
l’objet des versets suivants : « Jésus étant passé à l’autre bord,
dans le pays des Géraséniens, » etc. — Rab.
Gérasa est une ville de l’Arabie, située au delà du Jourdain auprès du
mont Galaad ; elle était habitée par la tribu de Manassès et n’était pas
éloignée du lac de Tibériade, dans lequel les pourceaux furent précipités.
S. Aug. (de l’accord des Evang., liv, 2, chap. 24.) Saint Matthieu parle
ici de deux possédés, saint Marc et saint Luc ne parlent que d’un seul ;
cette différence s’explique en disant qu’il y en avait un des deux plus connu
et plus renommé, qui affligeait davantage cette contrée et dont les habitants
désiraient plus ardemment la guérison, guérison qui eut aussi plus de retentissement.
— S. Chrys. (hom. 29.) Ou bien saint Luc et saint Marc ont choisi le plus
furieux pour sujet de leur récit, et ils nous retracent plus en détail ses
souffrances. Saint Luc, en effet, dit qu’après avoir brisé ses liens, il était
emporté dans le désert, et saint Marc qu’il se meurtrissait lui-même avec des
cailloux. Cependant ils ne disent pas qu’il était seul, pour ne pas se mettre
en contradiction avec saint Matthieu. Nous voyons ensuite qu’ils sortaient des
tombeaux, ce qu’ils faisaient pour accréditer cette erreur pernicieuse que les
âmes de ceux qui sont morts deviennent des démons. C’est par suite de cette
erreur qu’un grand nombre d’aruspices égorgent des enfants pour associer leur
âme à leurs criminelles opérations. C’est pour cela qu’on entend les possédés
s’écrier : « Je suis l’âme d’un tel ! » Ce n’est pas l’âme
de celui qui est mort qui s’exprime de la sorte, mais le démon qui emprunte sa
voix pour tromper ceux qui l’entendent ; car si l’âme d’un mort pouvait
entrer dans un corps étranger, à plus forte raison pourrait-elle rentrer dans
celui qu’elle animait précédemment. Mais il est contraire à la raison de croire
qu’une âme qui souffre des peines injustes prête son concours à celui qui les
lui fait souffrir, ou qu’un homme puisse changer un être incorporel en une
autre substance, c’est-à-dire une âme en la substance du démon ; car même
pour les corps cela est impossible à l’homme, et il ne pourrait par exemple
changer le corps d’un homme en celui d’un âne. D’ailleurs serait-il raisonnable
de penser qu’une âme séparée de son corps soit comme errante sur la
terre ? Les âmes des justes sont dans la maison de Dieu (Sg 3) ; de
même aussi les âmes innocentes des enfants. Quant aux âmes des pécheurs, il est
certain, d’après l’histoire de Lazare et du mauvais riche, qu’elles sont
aussitôt enlevées de ce monde. (Lc 16.)
Or comme personne n’osait amener ces possédés à Jésus-Christ, il va lui-même
les trouver. L’Évangéliste nous donne une idée de leur fureur en
ajoutant : « Ils étaient si furieux que personne n’osait
passer, » etc. Mais ces furieux qui empêchaient les autres de passer
trouvèrent à leur tour quelqu’un qui leur défendit d’aller plus loin ; ils
se sentaient flagellés d’une manière invisible, et la présence seule du Christ
leur causait des tourments intolérables, comme nous le voyons par ce qui
suit : « Et ils se mirent à pousser des cris, en disant, « etc.
S. Jér. Mais ce n’est pas là cette
confession volontaire que Dieu se plaît à récompenser aussitôt, c’est la force
de la nécessité qui malgré eux leur extorque cet aveu. Ainsi lorsque des
esclaves ont pris la fuite, et que bien longtemps après ils se trouvent en
présence de leur maître, ils ne demandent qu’une chose, c’est d’échapper au
châtiment qu’ils méritent ; ainsi les démons se trouvant tout à coup
devant le Seigneur qu’ils voient descendre sur la terre, croyaient qu’il était
venu pour les juger. Quelques auteurs trouvent absurde de dire que les démons
connaissaient le Fils de Dieu, tandis que le prince des démons ne le connaissait
pas, parce que leur malice est moins grande et qu’ils ne sont que ses
satellites. Est-ce que, en effet, toute la science des disciples ne doit pas
être rapportée au Maître ?
S. Aug. (Cité de Dieu, chap. 21.) Dieu ne se fit connaître à eux qu’autant
qu’il le voulut, et il ne le voulut qu’autant qu’il le fallait. Il ne se
manifesta donc pas à leurs regards comme la vie éternelle et comme cette
lumière qui éclaire les âmes pieuses, mais seulement par quelques effets
temporels de sa puissance et par quelques-uns de ces signes secrets de sa
puissance, qui sont sensibles pour les esprits angéliques, même pour ceux qui
sont mauvais, plutôt que pour la faiblesse de notre nature. — S. Jér. Cependant il faut admettre que les
démons et le diable lui-même ont soupçonné qu’il était le Fils de Dieu, plus
qu’ils ne l’ont connu véritablement. — S. Aug.
(quest. sur l’Anc. et le Nouir.
Test.) Ce cri que poussent les démons : « Qu’y a-t-il de commun
entre vous et nous, Jésus, Fils de Dieu, » est plutôt l’expression d’un
soupçon, que d’une connaissance certaine, car s’ils l’avaient connu, jamais ils
n’auraient permis que le Dieu de gloire fût crucifié. Remi. Toutes les fois qu’ils étaient tourmentés par les
effets de sa puissance, ils croyaient que c’était le Fils de Dieu ; mais lorsqu’ils
le voyaient soumis à la faim, à la soif et à d’autres nécessités semblables, le
doute rentrait dans leur esprit, et ils le regardaient comme un simple mortel.
Remarquons aussi que les Juifs incrédules, qui osaient dire que c’était par
Belzébul que le Sauveur chassait les démons, et les Ariens, qui prétendaient
que c’était une simple créature, sont condamnés tout à la fois et par le
jugement de Dieu et par la confession des démons qui proclament que
Jésus-Christ est le Fils de Dieu. C’est avec raison qu’ils disent :
« Qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? » etc. C’est-à-dire
il n’y a rien de commun entre notre malice et votre grâce, car, d’après
l’Apôtre (2 Co 6), il n’y a point
d’union possible entre la lumière et les ténèbres. — S. Chrys. (hom. 20.)
Ce qui prouve que cet aveu n’était pas dicté par la flatterie, c’est qu’une
douloureuse expérience les force de s’écrier : « Vous êtes venu nous
tourmenter avant le temps. — S. Aug. (Cité de Dieu, chap. 23.) Peut-être
regardaient-ils comme soudain ce qu’ils pensaient ne devoir leur arriver que
beaucoup plus tard ; peut-être considéraient-ils comme leur perte ce qui
allait arriver, d’être dévoilés et couverts de mépris, et cela avant le jour où
ils entendraient l’arrêt de leur damnation éternelle. — S. Jér. La présence du Sauveur est
elle-même un tourment pour les démons. — S. Chrys.
(hom. 29.) Ils ne pouvaient pas dire
qu’ils n’avaient commis aucune faute, car Jésus-Christ les avait surpris en
flagrant délit, en se faisant un jeu de tourmenter une créature de Dieu. Aussi
craignaient-ils qu’en raison de cette multitude de crimes dont ils étaient
coupables, il n’attendît pas, pour les punir, la sentence suprême du dernier
jugement.
S. Aug. (de l’accord des Evang, liv. 2, chap. 24.) Que les paroles des
démons aient été rapportées différemment par les Évangélistes, il n’y a point à
s’en inquiéter, car on peut ramener toutes ces variantes à une seule pensée, ou
bien supposer même que toutes ces paroles ont été dites. On ne doit pas non
plus s’étonner que dans saint Matthieu les démons parlent au pluriel, tandis
que les autres Évangélistes les font parler au singulier, car ces derniers
rapportent que le démon interrogé quel était son nom, répondit qu’il s’appelait
légion, parce qu’en effet ils étaient plusieurs démons.
« Or il y
avait non loin d’eux un nombreux troupeau de pourceaux qui paissaient. » —
S. Grég. (Moral. liv, 2, chap. 6.) Le
démon sait fort bien qu’il ne peut rien faire par sa propre puissance, puisque
ce n’est point de lui même qu’il tient son existence comme esprit. — Remi. Ils ne demandèrent pas à entrer
dans d’autres hommes, parce que celui qui les tourmentait paraissait revêtu de
la nature humaine. Ils ne demandèrent pas non plus à entrer dans un troupeau de
moutons, car ces animaux étaient purs d’après la loi et pouvaient être offerts
dans le temple de Dieu. Parmi les animaux immondes, ils choisirent de
préférence les pourceaux, parce qu’il n’y a point d’animal plus immonde. Le mot
de pourceau en latin est même synonyme de couvert d’ordures, car cet animal se
plaît au milieu des immondices. Comme eux aussi les démons se plaisent dans les
souillures du péché. Ils ne demandèrent pas à être envoyés dans les régions de
l’air, à cause de l’extrême désir qu’ils ont de nuire aux hommes.
Et il leur
dit : « Allez. » — S. Chrys.
(hom. 29.) Ce n’est point à leur persuasion que Notre-Seigneur agit de la
sorte, mais pour plusieurs raisons dignes de sa sagesse : d’abord il
voulait montrer combien sont malfaisants et pernicieux les démons qui
cherchaient à perdre ces hommes ; en second lieu il voulait nous apprendre
que sans sa permission ils n’osent rien entreprendre, même contre des
pourceaux ; troisièmement il faisait voir par là qu’ils auraient fait
endurer à ces hommes un traitement plus cruel qu’aux pourceaux, si la divine
providence n’était venue à leur secours dans leur malheur, car les démons ont
bien plus de haine contre les hommes que contre les animaux. Nous avons encore
ici une preuve évidente que chacun de nous est l’objet des soins de la divine
Providence ; elle ne suit pas à l’égard de tous les mêmes voies, elle
n’emploie pas les mêmes moyens, et c’est en cela qu’éclate surtout sa sagesse,
car la Providence se révèle en procurant à chacun de nous ce qui lui est le
plus utile. En outre, nous voyons aussi que non-seulement elle a soin de tous
en général, mais de chacun de nous en particulier, et nous en serons convaincus
en considérant ce qui serait arrivé à ces possédés qui depuis longtemps
auraient été étouffés si la divine Providence n’avait veillé sur eux. Jésus
leur permit encore d’envahir ce troupeau de pourceaux, pour rendre sa puissance
plus sensible aux habitants de cette contrée. En effet, dans les endroits où il
n’était pas encore connu, il faisait des miracles plus éclatants pour attirer
les hommes à la connaissance de sa divinité. — S. Jér. Ce n’est donc pas pour accéder à leur demande, qu’il
leur dit : « Allez, » mais afin que la mort de ces pourceaux
devint une occasion de salut pour les hommes. L’Évangéliste ajoute :
« Et étant sortis (c’est-à-dire des possédés), ils entrèrent dans ces
pourceaux, et aussitôt tout le troupeau courut avec impétuosité se précipiter
dans la mer, et ils moururent dans les eaux. » Que le manichéen rougisse
ici de son opinion ! Si les âmes des hommes et celles des bêtes ont une
même substance et une même origine, comment deux mille porcs ont-ils été
sacrifiés pour sauver un ou peut-être deux hommes ?
S. Chrys. (hom. 29.) Les
démons firent périr ces pourceaux, parce qu’ils n’ont point d’autre occupation
que de jeter les hommes dans la tristesse et de se réjouir de leurs pertes. La
grandeur du dommage augmentait la renommée de ce prodige. Bien des personnes
allaient le rendre public, ceux qui avaient été guéris, ceux à qui les
pourceaux appartenaient, et leurs gardiens ; c’est ce que nous lisons dans
la suite du récit : « Ceux qui les gardaient s’enfuirent, et étant
venus à la ville, ils racontèrent tout ceci, et ce qui était arrivé aux
possédés des mauvais esprits, et aussitôt toute la ville sortit au devant de
Jésus. » Mais alors qu’ils auraient dû l’adorer et admirer sa puissance,
ils le renvoient loin d’eux. « Et l’ayant vu, ils le priaient de se
retirer des confins de leur pays. » Remarquez la douceur de Jésus-Christ
après le miracle de sa puissance. Ces hommes qu’il vient de combler de ses
bienfaits le chassent loin d’eux ; il ne résiste pas et il abandonne ceux
qui se jugent indignes de ses divines leçons, leur laissant pour docteurs ceux
qu’il vient de délivrer de la possession des démons, et les gardiens des
pourceaux. — S. Jér. Ou bien on
peut dire que ce n’est point par un sentiment d’orgueil, mais d’humilité,
qu’ils prient Jésus de s’éloigner de leur contrée. Ils se jugent indignes de la
présence de Dieu, à l’exemple de Pierre, qui disait : « Seigneur,
retirez-vous de moi, car je suis un homme pécheur. »
Rab. Le mot Gerasa signifie celui qui repousse son habitant, ou bien l’étranger qui approche,
c’est-à-dire la gentilité qui repousse loin d’elle le démon, et qui d’abord
éloignée du Christ s’approche de lui lorsqu’après sa résurrection il la visite
par ses Apôtres. — S. Amb. (Liv.
6 sur saint Luc, chap. 18.) Ces deux
possédés du démon sont aussi la figure des païens, car Noé ayant eu trois enfants,
Sem, Cham et Japhet, et la famille de Sem ayant seule formé le peuple de Dieu,
ses deux frères sont comme la souche de la multitude des nations païennes. — S.
Hil. (can. 8 sur S. Matthieu.) Voilà
pourquoi les démons retenaient ces deux possédés hors de la ville, hors de la
synagogue, de la loi et des prophètes ; en effet, les origines de ces deux
nations étaient comme situées au milieu des demeures des défunts et des
cadavres des morts, rendant le chemin de la vie présente dangereux à tous ceux
qui le traversent. — Rab. Ce
n’est pas sans raison que l’Évangéliste nous fait remarquer que ces deux
possédés habitaient dans les tombeaux. Que sont en effet, les corps de ceux qui
sont infidèles à leur Dieu, si ce n’est des tombeaux où est renfermée non pas
la parole de Dieu, mais l’âme que les péchés ont mise à mort ? L’auteur
sacré ajoute que personne ne pouvait passer par le chemin, parce qu’avant
l’avènement du Sauveur la gentilité était en marche et dans le chemin. Ou bien
encore, ces deux hommes représentent les Juifs et les païens qui n’habitaient
plus dans leur maison, c’est-à-dire qui ne trouvaient plus de repos dans leur
conscience, mais qui demeuraient dans des tombeaux, c’est-à-dire dans des
oeuvres mortes, et personne ne pouvait plus passer par le chemin de la foi, que
les attaques des Juifs rendaient impraticable.
S. Hil. (can. 8.) Ceux
qui viennent au devant de Jésus figurent le concours de ceux qui se portent
volontairement au devant du salut. Quant aux démons, voyant qu’ils ne peuvent
plus demeurer au milieu des Gentils, ils demandent avec instance qu’on leur
laisse habiter le cœur des hérétiques, et à peine s’en sont-ils emparés, que
par 1’instinct qui leur est naturel, ils les précipitent dans la mer,
c’est-à-dire dans les passions du monde, pour les y faire périr avec les restes
de l’incrédulité. — Bède. Ou
bien, les pourceaux sont ceux qui mettent leur jouissance dans la fange du
vice, car le démon n’a de pouvoir sur personne à moins qu’il ne vive de la vie
des pourceaux ou s’il a quelque pouvoir, ce n’est point celui de perdre, mais
d’éprouver. Ces pourceaux qui ont été précipités dans le lac sont une figure de
ceux qui après que les Gentils ont été délivrés de la tyrannie des démons, ont
refusé de croire en Jésus-Christ et pratiquent dans des lieux retirés leurs
rites sacrilèges, aveuglés qu’ils sont et comme submergés dans les abîmes de
leur curiosité. Ces gardiens des pourceaux qui s’enfuient tout en annonçant ce
prodige figurent ces princes des impies qui, tout en ne voulant point se soumettre
à la loi chrétienne, ne cessent cependant de célébrer avec admiration la
puissance de Jésus-Christ. Ceux qui frappés d’une grande crainte, prient le
Sauveur de s’éloigner, représentent la multitude retenue par la fausse douceur
de ses anciennes habitudes, qui ne veut point rendre honneur à la loi
chrétienne, en disant qu’il lui est impossible de l’accomplir.
S. Chrys. (hom. 30, sur S. Matth.) Notre-Seigneur
Jésus-Christ a montré précédemment sa puissance par sa doctrine, lorsqu’il
enseignait comme ayant autorité ; dans la guérison du lépreux qu’il guérit
par ces seules paroles : « Je le veux, soyez guéri ; » dans
la personne du centurion qui lui dit : « Seigneur, dites seulement
une parole et mon serviteur sera guéri ; » sur la mer, dont il a
enchaîné d’un seul mot la fureur, et sur les démons qui ont confessé sa
divinité. Ici par une nouvelle et plus grande manifestation de sa puissance, il
force ses ennemis de reconnaître qu’il est l’égal de son Père en dignité. C’est
ce que nous lisons dans le passage suivant : « Et Jésus, étant monté
dans une barque, traversa la mer, et vint en sa ville. » C’est dans une
barque qu’il traverse le lac, bien qu’il pût le traverser à pied ; mais il
ne voulait pas faire continuellement des miracles pour ne pas détruire la
divine économie de son incarnation. — Jean,
évêque. Le Créateur de toutes choses, le Maître de l’univers ayant résolu de se
resserrer pour nous dans les limites étroites de la chair, voulut avoir une
patrie sur la terre, être citoyen d’une ville juive ; lui de qui vient
toute paternité, toute parenté, voulut avoir ici-bas des parents, afin
d’attirer à lui par l’amour ceux que la crainte en avait éloignés.
S. Chrys. (hom. 30.) L’Évangéliste
appelle Capharnaüm la ville du Sauveur ; car il y avait la ville où il
était né, qui était Bethléem ; celle où s’étaient écoulées ses premières
années, Nazareth, et la ville dont il fit ensuite son séjour ordinaire,
c’est-à-dire Capharnaüm. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap.
25.) Il serait plus difficile de concilier saint Matthieu avec saint Marc, si
saint Matthieu donnait le nom de Nazareth à la ville que saint Marc appelle
Capharnaüm, et que saint Matthieu appelle simplement la cité du Seigneur. On
conçoit très bien, au contraire, que de même que l’empire romain, composé de
contrées si diverses est quelquefois désigné par le nom de cité romaine ;
ainsi la Galilée a pu être appelée la cité du Christ, parce que Nazareth en
faisait partie. Par la même raison, Notre-Seigneur Jésus-Christ étant venu dans
la Galilée, l’Évangéliste a fort bien pu dire qu’il était venu dans sa ville,
quelle que fût la cité de la Galilée où il se trouvât, d’autant plus que Capharnaüm
était de beaucoup la ville la plus célèbre de cette région et en était
considérée comme la métropole. — S. Jér.
Ou bien il ne faut entendre par la ville du Christ que la ville de
Nazareth, d’où lui est venu le nom de Nazaréen. — S. Aug. (de l’accord des
Evang., liv. 2, chap. 25.) D’après cette explication, il faut admettre que
saint Matthieu a omis tout ce que Jésus a fait lorsqu’il fut venu dans sa
ville, jusqu’à son arrivée à Capharnaüm, et qu’il a placé ici la guérison du
paralytique. C’est ce que font souvent les Évangélistes : ils omettent les
faits intermédiaires et ils donnent comme faisant suite à ce qui précède le
fait qu’ils racontent immédiatement, sans marquer la transition. C’est ainsi
que l’Évangéliste nous dit ici : « Et on lui présentait un
paralytique couché sur un lit. »
S. Chrys. (hom. 30.) Ce
paralytique n’est pas celui dont parle saint Jean (Jn 5) ; car celui-là était étendu dans la piscine, celui-ci
se trouvait à Capharnaüm. Le premier n’avait personne pour le servir ; le
second recevait les soins de plusieurs personnes qui l’apportèrent aux pieds de
Jésus. — S. Jér. On le lui
présenta sur un lit, car il était impossible à cet homme de marcher. — S. Chrys. (hom. 30.) Jésus n’exige pas toujours la foi des malades qui
demandent leur guérison, par exemple, lorsqu’ils ont perdu la raison, ou que
leur âme est absorbée par l’excès de la douleur ; c’est pour cela que
1’Évangéliste ajoute : « Or, Jésus voyant leur foi, » etc. — S. Jér. Non pas la foi du paralytique
qu’on lui présentait, mais la foi de ceux qui le lui présentaient. — S. Chrys. (hom. 30.) Pour récompenser cette foi si grande, il fait éclater
lui-même sa puissance, et par la plénitude de son pouvoir il remet les péchés
au paralytique en lui disant : « Ayez confiance, mon fils, vos péchés
vous sont remis. » — S. Jean, évêque.
Quel prix n’a pas auprès de Dieu la foi personnelle, puisqu’une foi étrangère
en a eu un si grand à ses yeux qu’il accorde à cet homme la guérison de son âme
et de son corps ? Le paralytique entend le pardon qui lui est accordé, et
il se tait, aucune parole de reconnaissance ; la guérison de son corps le
préoccupait beaucoup plus que celle de son âme. C’est donc avec raison que
Jésus-Christ considéra la foi de ceux qui le portaient plutôt que l’insensibilité
du paralytique lui-même. — S. Chrys.
(hom. 30.) On peut dire aussi que la
foi de cet homme était grande, car s’il n’avait pas eu la foi, il n’aurait
jamais permis qu’on le descendit par le toit, comme le rapporte un autre
Évangéliste. (Mc 2 ; Lc 5.)
S. Jér. Admirable humilité ! Jésus
appelle son fils un homme délaissé, infirme, anéanti dans tous ses membres, et
que les prêtres dédaignent de toucher. Il peut encore l’appeler justement son
fils, parce qu’il lui a remis ses péchés. Nous pouvons apprendre par là que
presque toutes les maladies sont la suite des péchés ; et si Jésus
commence par remettre les péchés à cet homme, c’est afin que la santé lui soit
plus facilement rendue lorsqu’il aura fait disparaître les causes de la
maladie.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Les scribes, en cherchant à diffamer le Sauveur, ne
firent, contre leur volonté, que mettre dans un plus grand jour le miracle
qu’il avait opéré, car Jésus se servit de leur jalousie pour le rendre plus
éclatant ; c’est là, en effet, un des traits de cette inépuisable sagesse,
de faire servir la malice de ses ennemis à la manifestation de ses prodiges.
C’est ce que l’Évangéliste rapporte en ces termes : « Et voilà que
quelques scribes dirent en eux-mêmes : Cet homme blasphème. » — S. Jér. Nous lisons dans le Prophète (Is 43, 25) : « C’est moi qui
efface toutes vos iniquités. » D’après ces paroles, les scribes, qui ne
voyaient dans Jésus qu’un homme, et qui ne comprenaient pas la portée des
oracles divins, l’accusent de blasphème. Mais le Seigneur, en dévoilant leurs
pensées, leur prouve qu’il est le Dieu qui seul peut connaître le secret des
cœurs, et son silence semble leur dire : En vertu de la même puissance qui
me fait pénétrer vos pensées, je puis remettre aux hommes leurs péchés ;
comprenez par vous-mêmes ce que je puis faire pour ce paralytique. C’est ce que
signifient ces paroles : « Et Jésus ayant vu leurs pensées, leur
dit : Pourquoi pensez-vous du mal dans vos cœurs ? » — S. Chrys. (hom. 30.) Jésus ne détruisit pas le soupçon qu’ils avaient, que
c’était comme Dieu qu’il disait : « Vos péchés vous sont
remis. » S’il n’était pas l’égal de Dieu son Père, il devait dire :
Je suis loin d’avoir la puissance de remettre les péchés. Loin de là, il
établit le contraire et par ses paroles, et par le prodige qu’il opère. Il
ajoute donc : « Qu’est-il plus facile de dire : Vos péchés vous
sont remis, ou de dire : Levez-vous et marchez ? » Plus l’âme
est supérieure au corps, plus aussi la guérison de l’âme par la rémission des
péchés, l’emporte sur la guérison du corps. Mais ce dernier prodige étant
visible, tandis que le premier ne l’est pas, Jésus l’opère quoiqu’il soit
moindre, pour rendre certain le premier qui est moins évident.
S. Jér. Celui-là seul qui remettait les
péchés savait s’ils étaient remis au paralytique. Mais quant à l’effet de ces
paroles : « Levez-vous et marchez, » chacun pouvait en juger,
celui qui se levait comme ceux qui le voyaient. Quoiqu’il appartienne à la même
puissance de guérir les infirmités du corps et de l’âme ; il y a cependant
une grande différence entre dire et faire. Le Sauveur fait donc un miracle
extérieur comme preuve de celui qu’il opère à l’intérieur. « Or,
ajoute-t-il, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur la terre ce pouvoir
de remettre les péchés. » — S. Chrys.
(hom. 30.) Il ne dit pas tout d’abord
au paralytique : « Je vous remets vos péchés ; » mais
« Vos péchés vous sont remis. » Or, comme les scribes se récriaient,
il leur révèle qu’il a une puissance plus élevée, et leur déclare « que le
Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés ; » et comme
preuve qu’il est égal à son Père, il ne dit pas que le Fils de l’homme a besoin
d’un secours étranger pour remettre les péchés, mais qu’il a lui-même ce
pouvoir.
La Glose. Ces paroles :
« Afin que vous sachiez » peuvent avoir été dites par Jésus-Christ,
ou n’être qu’une réflexion de l’Évangéliste, comme s’il disait :
« Ils doutaient qu’il pût remettre les péchés ; mais afin que vous
sachiez bien que le Fils de l’homme a ce pouvoir, il dit au paralytique, »
etc. Si au contraire on suppose ces paroles dans la bouche du Sauveur, voici le
sens qu’on peut leur donner : « Vous doutez que je puisse remettre
les péchés, mais afin que vous sachiez que le Fils de l’homme, » etc. La
construction grammaticale de la phrase n’est point parfaite ; mais
l’Évangéliste remplace ce qui devait suivre immédiatement et qu’il sous-entend
par l’acte même que Jésus accomplit. Il dit au paralytique :
« Levez-vous et emportez votre lit. » — Jean, évêque. Afin que ce qui a été la preuve de sa maladie
devienne un témoignage de sa guérison. « Et allez dans votre
maison. » Vous, guéri par la foi au Christ, ne restez pas davantage au
milieu de la perfidie des Juifs. — S. Chrys.
(hom. 30.) Jésus lui donne cet ordre afin
que l’on ne prenne pas pour une simple apparence la guérison qu’il vient
d’opérer, et c’est pour en démontrer la vérité que l’Évangéliste dit :
« Il se leva et il alla dans sa maison. » Et cependant ceux qui en
furent témoins se traînent encore dans des idées tout humaines. « Et le
peuple voyant cela, » etc. Si leurs pensées avaient été justes et droites,
est-ce qu’ils n’auraient pas dû reconnaître que Jésus était le Fils de
Dieu ? Toutefois c’était déjà quelque chose que de le regarder comme
supérieur à tous les hommes, et comme l’envoyé de Dieu.
S. Hil. Il y a une signification
mystérieuse dans la conduite de Jésus revenant dans sa ville, après avoir été
rejeté par la Judée. La cité de Dieu, c’est le peuple fidèle ;
Jésus-Christ y est entré porté par une barque, c’est-à-dire par son Église. — Jean, évêque. Il n’a pas besoin de
cette barque, mais la barque a besoin de Jésus-Christ, car jamais, sans la
direction qui vient du Ciel, le vaisseau de l’Église ne pourrait traverser la
mer du monde et arriver au port de l’éternité. — S. Hil. La personne du paralytique est la figure de
l’universalité des nations dont on demande la guérison ; ce paralytique
est présenté au médecin par le ministère des anges, parce qu’il est l’oeuvre de
Dieu ; il lui remet les péchés dont la loi ne pouvait le délivrer, parce
que la foi seule justifie le pécheur. Il est une preuve des merveilleux effets
de la résurrection, car en emportant son lit il nous apprend que notre corps
sera un jour affranchi de toute infirmité. — S. Jér. Dans le sens tropologique, on peut voir ici l’image
d’une âme qui vit sans force au milieu de son corps, après avoir perdu toutes
ses vertus, et que l’on présente au Seigneur, le docteur consommé, pour être
guérie. Tout homme atteint de cette maladie doit intéresser à son état ceux qui
peuvent demander à Dieu sa guérison, et à l’aide de la doctrine céleste rendre
la force à ses pas chancelants. Souffrons donc que les conseillers de notre âme
l’élèvent vers les choses supérieures, malgré la langueur où la retient la
faiblesse de son corps mortel. — Jean,
évêque. Le Seigneur sur cette terre ne s’inquiète pas du désir des insensés,
mais il a égard à la foi d’autrui ; c’est ainsi que le médecin ne s’arrête
point à la volonté des malades, lorsqu’ils demandent des choses qui leur sont
contraires.
Rab. Se lever, c’est
arracher son âme aux désirs de la chair ; enlever son lit, c’est élever
son corps des désirs de la terre jusqu’aux aspirations de l’esprit ; aller
dans sa maison, c’est retourner au paradis, ou a la garde intérieure de
soi-même, pour ne plus retomber dans le péché. — S. Grég. (Moral. 23,
15.) Ou bien par le lit on peut entendre les voluptés sensuelles ; on
ordonne à celui qui a recouvré la santé de porter ce lit où il était couché
pendant sa maladie ; car tout homme qui trouve encore son plaisir dans le
vice, est comme étendu sans force au milieu des voluptés de la chair. Mais
lorsqu’il est guéri, il porte ce lit, parce qu’il supporte les assauts de cette
même chair, au lieu de se reposer comme auparavant dans ses désirs coupables. —
S. Hil. (can. 8 sur S. Matth.) La foule, à la vue de ce miracle, fut saisie de
crainte ; en effet, c’est un grand sujet d’effroi de tomber entre les
mains de la mort avant que Jésus-Christ nous ait pardonné nos péchés, car sans
ce pardon il n’y a point de retour possible dans notre éternelle demeure.
Lorsque cette crainte vient à cesser, on rend gloire à Dieu de ce que par le
moyen de son Verbe il a donné aux hommes le pouvoir de remettre les péchés, de
ressusciter les corps et de rouvrir les portes du ciel.
S. Chrys. (hom. 31.) Après avoir opéré ce miracle, Jésus
ne crut pas devoir demeurer dans ce même endroit, pour ne pas donner un nouvel
aliment à la jalousie des pharisiens. Imitons nous-mêmes cet exemple, et n’opposons
pas de résistance obstinée à ceux qui nous dressent des embûches. C’est pour
cela que l’écrivain sacré ajoute : « Et Jésus partant de là (du lieu où il avait fait le miracle) vit un homme assis au bureau des impôts et
qu’on appelait Matthieu. » — S.
Jér. Les autres Évangélistes n’ont pas voulu, par honneur et par respect
pour lui, l’appeler du nom connu de Matthieu ; ils l’ont appelé Lévi, car
il portait ces deux noms. Mais quant à lui il met en pratique cette maxime de
Salomon : « Le juste est son propre
accusateur » (Pv 18, 17), et
se fait connaître sous le nom de Matthieu comme publicain ; il apprend
ainsi à ceux qui liront son Évangile, que nul ne doit désespérer de son salut,
s’il veut rentrer dans les sentiers de la vertu, puisque lui-même a été changé
en un instant de publicain en apôtre. La
Glose. Il était assis au bureau des impôts, c’est-à-dire dans une de ces
maisons où l’on percevait les impôts ; car le nom qui lui est donné (teloniarius), receveur des impôts,
vient du mot grec τελος, qui signifie impôt.
S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) Ce
qui fait éclater encore davantage la puissance de celui qui l’appelle, c’est
qu’il n’attend pas que Matthieu abandonne cette profession pleine de dangers,
il l’arrache aux maux qui l’environnaient, comme Paul encore dans la fougue de
ses égarements. (Ac 9.) Et il lui dit
« Suivez-moi. » Vous avez
vu la puissance de Dieu qui l’appelle, admirez aussi l’obéissance de celui qui
est appelé. Il n’oppose aucune résistance ; il ne demande pas d’aller chez
lui pour faire part de son dessein à sa famille. Remι.
Il compte même pour rien le danger qu’il courait de la part de ses chefs, en
quittant son emploi sans avoir réglé ses comptes. « Et se levant, il le suivit. » Il a sacrifié les gains d’une
profession tout humaine ; par une juste compensation, il est devenu le
dispensateur des talents du Seigneur.
S. Jér. Porphyre et l’empereur Julien
accusent ici, ou l’Évangéliste d’avoir menti avec peu d’habileté, ou les
disciples d’avoir suivi tout aussitôt le Sauveur sans aucune réflexion, comme
s’ils s’étaient rangés contre toute raison sous la conduite du premier venu qui
les appelait à le suivre. Mais au contraire, n’est-il pas certain que les
Apôtres avant de croire avaient été les témoins des plus grands miracles et des
plus grands prodiges ? Est-ce que d’ailleurs l’éclat et la majesté de la
divinité qui, toute cachée qu’elle était, resplendissait sur la figure du
Sauveur, ne suffisaient pas pour attirer à lui au premier abord ceux qui le
voyaient ? Car si la pierre d’aimant a, dit-on, la force d’attirer à elle
le fer, quelle puissance bien plus grande n’avait pas le Seigneur de toutes les
créatures pour attirer à lui tous ceux qu’il voulait.
S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) Mais
pourquoi Jésus-Christ ne l’a-t-il pas appelé en même temps que Pierre, Jean et
les autres apôtres ? C’est qu’alors ses dispositions étaient encore
imparfaites, et celui qui voit le fond des cœurs voulut attendre que ses
nombreux miracles et l’éclat de sa réputation lui eussent rendu l’obéissance
plus facile. — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap.
26.) Ou bien il paraît plus probable que saint Matthieu, on parlant ici de sa
vocation, rappelle un fait qu’il avait omis précédemment ; car on doit
admettre qu’elle précéda le sermon sur la montagne, puisque saint Luc (Lc 6) y fait mention des douze élus
auxquels il donne le nom d’apôtres. La
Glose. Saint Matthieu place sa vocation parmi les miracles ; ce fut
en effet un grand miracle qu’un publicain devenu apôtre. — S. Chrys. (hom. 31.) Mais pourquoi donc, à l’exception de Pierre, d’André, de
Jacques, de Jean et de Matthieu, ne savons-nous pas comment et à quelle époque
eut lieu la vocation des autres apôtres ? C’est que ceux que nous venons
de nommer appartenaient surtout à des professions basses et obscures ; car
il n’y avait rien de moins honorable alors que la profession d’un receveur
d’impôts ou le métier de pêcheur.
La Glose. Matthieu
voulant témoigner à Jésus-Christ sa digne reconnaissance pour le céleste
bienfait de sa vocation, lui prépare un grand repas dans sa maison ; et il
offre ainsi les biens de la terre à celui dont il attendait les biens de
l’éternité. « Et il arriva, nous
dit-il, que comme Jésus était à table dans la maison. » — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Matthieu
n’explique pas ici chez qui Jésus était à table ; on pourrait donc
supposer que ce fait ne suit pas immédiatement celui qui précède, mais qu’il
s’est passé antérieurement, et que saint Matthieu ne le raconte ici que suivant
l’ordre de ses souvenirs, si d’ailleurs saint Marc et saint Luc ne nous
apprenaient que c’est dans la maison de Lévi ou de Matthieu que Jésus s’est mis
à table. — S. Chrys. (hom. 31.) Matthieu, honoré de ce que
Jésus-Christ daignait entrer dans sa maison, invita avec lui tous les
publicains qui étaient de la même profession. « Et voici, nous dit-il, que beaucoup de publicains, » etc. — La Glose. On appelle publicains ceux
dont la vie se passe au milieu des embarras des affaires publiques, que l’on ne
peut jamais ou presque jamais manier sans péché. Et ce fut là un magnifique
présage, de voir celui qui devait être l’apôtre et le docteur des nations, dès
le premier moment de sa conversion, attirer après lui dans les voies du salut
la foule des pécheurs et former déjà par son exemple à la perfection ceux qu’il
devait y conduire par sa parole. — S. Jér.
Tertullien prétend que ces publicains étaient des païens, et il appuie
son sentiment sur cette parole de l’Écriture : « Il n’y aura point d’impôt en Israël, » comme si saint Matthieu
lui-même n’eût pas été juif. Ajoutons que le Seigneur ne mangeait pas avec les
païens ; car il évitait avec le plus grand soin de paraître détruire la
loi, lui qui avait dit à ses disciples : « N’allez pas dans la voie
des nations. » Or ces publicains, voyant un des leurs se convertir du
péché à la justice, et obtenir ainsi la grâce du repentir, ne désespèrent plus
eux-mêmes de leur salut. S.
Chrys. (hom. 31.) Ils
s’approchèrent donc de notre Rédempteur, et ils furent admis non-seulement à
lui parler, mais encore à manger avec lui. — Ce n’était pas seulement en
discutant avec ses ennemis, en guérissant leurs malades, ou en les reprenant de
leur malice, mais en mangeant avec eux qu’il ramenait bien souvent ceux qui
étaient mal disposés à son égard. Il nous apprenait ainsi que chacun des
instants comme chacune des actions de notre vie peut être pour nous l’occasion
d’immenses avantages. Or, les pharisiens à cette vue furent indignés, et c’est
d’eux que l’Évangéliste ajoute : « Ce que voyant les pharisiens, ils dirent à ses disciples :
Pourquoi votre Maître mange-t-il avec des publicains ? » etc. Il
est à remarquer que lorsqu’ils croient surprendre les disciples en faute, ils
s’adressent à Jésus-Christ. « Voyez,
lui disent-ils, vos disciples font ce qu’il n’est pas permis de faire le jour
du sabbat. » Ici c’est auprès des disciples qu’ils accusent le Maître.
Toute cette conduite témoignait de leur malice et du désir qu’ils avaient de
séparer du Maître le cœur de ses disciples. — Rab.
Ils étaient sous le coup d’une double erreur : premièrement ils se
croyaient justes, eux que leur orgueil plein de faste tenait si loin de la
justice ; en second lieu, ils regardaient comme coupables ceux qui
renonçaient à leur vie criminelle et se rapprochaient de la vertu.
S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Luc paraît
raconter le même fait en termes tant soit peu différents. D’après son récit,
les pharisiens disent aux disciples : « Pourquoi mangez-vous avec les publicains et avec les pécheurs ? »
faisant ainsi tomber à la fois ce reproche sur Jésus-Christ et sur ses
disciples. Mais en adressant ce reproche aux disciples, ne l’adressent-ils pas
au Maître lui-même, dont les Apôtres faisaient profession de suivre les
exemples ? La pensée est donc la même, et elle est d’autant plus certaine
qu’elle est exprimée en termes différents, avec le même fond de vérité. — S. Jér. Ceux qui viennent à Jésus ne
persévèrent pas dans leurs habitudes criminelles, comme le disent en murmurant
les scribes et les pharisiens ; mais ils sont conduits par le repentir
comme le Seigneur le fait connaître par ces paroles : « Mais Jésus les ayant entendus leur
dit : Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin, »
etc. — Rabanus. Jésus se déclare
médecin, lui qui par un traitement vraiment admirable a voulu être blessé pour
nos péchés, afin de guérir les blessures de nos iniquités. Il appelle bien
portants ceux qui, voulant établir leur propre justice, ne sont pas soumis à la
véritable justice de Dieu. (Rm 10.)
Il donne le nom de malades à ceux qui, vaincus par le sentiment de leur propre
fragilité, et qui persuadés d’ailleurs que la loi est impuissante pour les
justifier, se soumettent à la grâce de Dieu par le repentir.
S. Chrys. (hom. 31.) Après
avoir raisonné avec eux en suivant les principes ordinaires de la raison, il
leur cite l’Écriture, et leur dit : « Allez et apprenez ce que veut dire cette parole : Je veux la
miséricorde et non pas le sacrifice (Os 6, 6). » — S. Jér. Il emprunte ce témoignage aux
prophètes, pour condamner la sévérité des scribes et des pharisiens qui, se
regardant comme justes, évitaient tout contact avec les pécheurs et les
publicains. — S. Chrys. (hom. 31.) C’est comme s’il leur
disait : Pourquoi me faites-vous un crime de convertir les pécheurs ?
Mais alors accusez Dieu le Père lui-même. Car je désire la conversion des
pécheurs comme il la désire. C’est ainsi qu’il leur démontre que non-seulement
la loi ne défend pas ce qu’ils lui reprochaient, mais qu’elle place même sa
manière d’agir au-dessus du sacrifice. Car il ne dit pas : Je veux la
miséricorde et le sacrifice ; mais il fait un précepte de la miséricorde,
en excluant le sacrifice.
La Glose. Ce n’est pas
cependant que Dieu rejette le sacrifice séparé de la miséricorde ; mais il
condamne ici la conduite des pharisiens qui offraient de fréquents sacrifices
dans le temple pour paraître justes aux yeux du peuple, sans pratiquer les
oeuvres de miséricorde, qui sont la preuve de la véritable justice. — Rab. Il leur enseigne donc à mériter
par des oeuvres de miséricorde les récompenses de la miséricorde divine, et à
ne pas se flatter que leurs sacrifices seront agréables à Dieu, s’ils y
joignent le mépris des besoins du pauvre. C’est pourquoi il ajoute :
« Allez, » c’est-à-dire
quittez ces sentiments de blâme aussi téméraire qu’insensé, et qui font
ressortir davantage la miséricorde. Il termine en se proposant lui-même comme
exemple de la miséricorde qu’ils doivent pratiquer. « Car je ne suis pas venu, dit-il, pour appeler les justes, mais les
pêcheurs. » — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap.
27.) Saint Luc ajoute : « A la
pénitence, » ce qui explique clairement la pensée du Sauveur, afin que
personne ne croie qu’il aime les pécheurs en tant que pécheurs. D’ailleurs
cette comparaison avec les malades nous fait bien connaître les desseins de
Dieu ; il recherche les pécheurs comme un médecin recherche les malades,
pour les délivrer de leurs iniquités, qui sont une véritable maladie, ce qui ne
peut se faire que par la pénitence.
S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) Est-ce que le Christ n’était pas venu pour tous les hommes ? Comment
donc peut-il dire qu’il n’est pas venu pour les justes ? Il était donc des
hommes pour qui sa venue n’était pas nécessaire ? Non, mais c’est que
personne n’est juste par la loi ; Jésus montre donc le néant de cette
prétention à la justice, car les sacrifices de l’ancienne loi étant impuissants
pour la justification, tous ceux qui vivaient sous la loi avaient besoin de la
miséricorde. — S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) C’est
ce qui nous ferait croire à une ironie de la part de Jésus-Christ comme dans
ces autres paroles de Dieu : « Voici
qu’Adam est devenu comme un de nous, » car S. Paul nous déclare
positivement que personne n’est juste sur la terre : « Tous ont péché, dit-il, et ont besoin de la
gloire de Dieu. » (Rm 3) Par
là même aussi, il calme les inquiétudes de ceux qui étaient appelés, en leur
disant : « Je suis si loin d’avoir en horreur les pécheurs, que ce
n’est que pour eux que je suis venu. » — Rab.
Ou bien c’est parce que ceux qui étaient justes (comme Nathanaël et
Jean-Baptiste) n’avaient pas besoin qu’on les appelât à la pénitence. Ou bien
encore, je ne suis pas venu appeler les faux justes qui, comme les pharisiens,
se glorifient de leur justice, mais ceux qui se reconnaissent pécheurs. La
vocation de saint Matthieu et celle des publicains représente la vocation des
Gentils qui soupiraient avec ardeur après les richesses de la terre, et qui
maintenant réparent leurs forces dans la compagnie du Seigneur. L’orgueil des
pharisiens est la figure de la jalousie des Juifs à la vue de la conversion des
Gentils. Ou bien Matthieu signifie l’homme qui poursuit avidement les biens de
la terre, et que Jésus regarde, lorsqu’il jette sur lui les yeux de la
miséricorde. Le nom de Matthieu signifie donné ;
celui de Lévi, choisi, car le
pénitent est choisi du milieu de la masse de ceux qui se perdent et il est
donné à l’Église par la grâce de Dieu. Et
Jésus lui dit : « Suivez-moi. » Jésus donne cet ordre au
pêcheur, ou par la prédication, ou par la voix des Écritures, ou par une
inspiration intérieure.
La Glose. A peine
Notre-Seigneur s’est justifié de fréquenter les pécheurs et de participer à
leurs repas qu’on l’attaque sur l’action de manger elle-même. « Alors, dit l’Évangéliste, les disciples de
Jean vinrent le trouver, et lui dirent : Pourquoi les Pharisiens et nous,
jeûnons-nous ? » etc. S. Jér.
Question pleine d’orgueil, et coupable vanité du jeûne ! Les
disciples de Jean étaient inexcusables de s’être joints aux pharisiens que leur
Maître avait si hautement condamnés, ils le savaient bien, et qui calomniaient
celui qu’il avait annoncé. — S. Chrys. (hom.
31.) Cette question revient à dire : « Soit, vous agissez de la
sorte comme médecin ; mais pourquoi vos disciples, laissant là le jeûne,
vont-ils s’asseoir à de pareilles tables ? » Pour rendre l’accusation
plus forte par la comparaison, ils se mettent en regard, eux d’abord, et puis
les pharisiens. Car ces derniers jeûnaient pour obéir à la loi, comme ce
pharisien qui disait : « Je
jeûne deux fois dans la semaine, » et les disciples de Jean, d’après
la recommandation de leur Maître. — Rab.
Car Jean ne but ni vin, ni rien de ce qui peut enivrer, et le mérite de son
abstinence est d’autant plus grand, qu’il n’avait aucune puissance sur la
nature. Mais quant au Seigneur qui peut remettre les péchés, pourquoi
s’abstiendrait-il de manger avec les pécheurs, puisqu’il peut les rendre plus
justes que ceux qui font profession d’abstinence. Jésus-Christ jeûne pour vous
apprendre à ne pas éluder le précepte du jeûne, et il mange avec les pécheurs,
pour vous faire comprendre sa puissance et l’efficacité de sa grâce.
S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Matthieu attribue
cette question aux disciples de Jean ; le récit de saint Marc, au
contraire (Mc 2), semblerait indiquer
qu’elle fut faite par d’autres, c’est-à-dire par les convives, objectant
l’exemple des disciples de Jean et des pharisiens ; ce que saint Luc (Lc 5) raconte en termes plus exprès. Si
donc saint Matthieu s’exprime ainsi : « Alors les disciples de Jean s’approchèrent, » etc., c’est que
ces disciples étaient présents, et que tous à l’envi faisaient autant qu’ils le
pouvaient, cette objection. — S. Chrys.
(hom. 31.) Ou bien, si saint Luc
place cette question dans la bouche des pharisiens, tandis que saint Matthieu
l’attribue aux disciples de Jean-Baptiste, c’est que les pharisiens les avaient
poussés à faire cette question, comme ils firent encore plus tard à l’égard des
hérodiens. Il est à remarquer que lorsqu’il s’agit de prendre la défense des
étrangers, des publicains par exemple, Notre-Seigneur, pour consoler leur âme
ulcérée par le chagrin, repousse avec force les accusations dont ils sont
l’objet, tandis qu’il répond avec une extrême douceur lorsque le blâme tombe
sur ses disciples. Et Jésus leur dit : « Les amis de l’Époux peuvent-ils être dans le deuil pendant que l’Époux
est avec eux ? » Il vient de se présenter comme médecin, ici il
se donne le nom d’époux, rappelant ainsi ces paroles de Jean-Baptiste (Jn 3) : « L’époux est celui qui a l’épouse. »
— S. Jér. L’époux, c’est
Jésus-Christ ; l’épouse, c’est l’Église. De cette union spirituelle sont
nés les Apôtres, qui ne peuvent pas être dans le deuil tant qu’ils voient
l’Époux dans la chambre nuptiale, et qu’ils savent qu’il est avec l’Épouse.
Mais lorsque les jours des noces seront passés pour faire place au temps de la
passion et de la résurrection, alors les fils de l’Époux jeûneront, comme il
est dit : « Viendront des
jours, » etc.
S. Chrys. (hom. 31.) Voici
le sens des paroles du Sauveur : « Le temps présent est le temps de
la joie et de l’allégresse ; il ne faut pas y mêler de cause de tristesse.
Car le jeûne est une chose triste, non pas précisément en elle-même, mais pour
ceux dont les dispositions sont imparfaites, c’est-à-dire pour ceux qui n’ont
pas encore atteint la force de la perfection spirituelle ; car il est
plein de douceur pour ceux qui veulent se livrer à la contemplation de la
sagesse et travailler à leur perfection. Notre-Seigneur se conforme donc à
leurs idées, et il montre par là que la conduite de ses disciples était l’effet
non point de la sensualité, mais d’une économie pleine de sagesse.
S. Jér. Quelques-uns se fondent sur ces
paroles pour conclure que l’on doit consacrer au jeûne les quarante jours qui
suivent la passion, quoique les jours de la Pentecôte et la descente de
l’Esprit saint qui suivent immédiatement, nous apportent de nouveaux sujets de
joie. Montan, Prisca et Maximilla prennent occasion des mêmes paroles pour
faire le carême après la Pentecôte, en alléguant que les fils de l’Époux
doivent jeûner lorsque l’Époux a disparu. Mais la coutume de l’Église est de se
disposer à la passion et à la résurrection du Seigneur par l’humiliation de la
chair, et de nous préparer par le jeûne du corps à l’abondance spirituelle que
les mystères tiennent pour nous en réserve.
S. Chrys. (hom. 31). Le
Sauveur appuie de nouveau sa doctrine sur des exemples empruntés à la vie
ordinaire : « Personne,
dit-il, ne met une pièce de drap neuf à un vieux vêtement, » etc.,
paroles dont voici le sens : Mes disciples ne sont pas encore assez forts,
ils ont encore besoin de condescendance, l’Esprit saint ne les a pas encore
renouvelés ; dans cette disposition, il ne faut point leur imposer le
lourd fardeau des préceptes. En parlant de la sorte, il trace à ses apôtres la
règle qu’ils devront suivre, de traiter avec douceur les disciples qui leur
viendront de toutes les parties de la terre. — Remi. Par ce vieux vêtement il veut désigner ses disciples,
car ils n’étaient pas encore entièrement renouvelés ; ce morceau d’étoffe
forte, c’est-à-dire neuve, signifie la grâce de la nouvelle loi, c’est-à-dire
la doctrine de l’Évangile, dont le jeûne est une petite partie. Il ne convenait
donc pas qu’il leur imposât la loi dure et pénible du jeûne, qui aurait pu les
briser par sa rigueur et leur faire perdre la foi. C’est pour cela qu’il
ajoute : « Car le neuf emporte
une partie du vieux. »
La Glose. C’est comme s’il disait :
Une pièce d’étoffe, c’est-à-dire neuve, ne doit pas être cousue à un vieil
habit, car souvent elle emporte tout ce qu’elle recouvre, c’est-à-dire le
vêtement presque tout entier, et la déchirure est plus grande. C’est ainsi
qu’en imposant un lourd fardeau à un homme encore novice, on détruit souvent le
bien qui existait auparavant dans son âme.
Remi. A ces deux
comparaisons, celle des noces et celle d’une pièce d’étoffe neuve et d’un
vêtement usé, il en ajoute une troisième, celle des outres et du vin :
« Et l’on ne met point, dit-il, du
vin nouveau dans de vieilles outres, » etc. Ces vieilles outres ce
sont ses disciples, qui n’étaient pas encore parfaitement renouvelés ; et
le vin nouveau signifie la plénitude de l’Esprit saint et les mystères du ciel,
dont les disciples n’étaient pas encore capables de pénétrer la profondeur.
Mais après la résurrection, ils devinrent des outres neuves ; ils reçurent
le vin nouveau lorsque l’Esprit saint vint remplir leur cœur ; ce qui fait
dire à quelques-uns : « Ils
sont tous pleins de vin nouveau. » — S. Chrys. (hom. 31.)
Le Sauveur nous donne ainsi la raison de tant de paroles simples et familières
qu’il disait à ses apôtres, pour s’accommoder à leur faiblesse.
S. Jér. Nous pouvons encore entendre par
ce vêtement usé et par ces vieilles outres, les scribes et les pharisiens. Ce
morceau de drap neuf et le vin nouveau sont les préceptes de l’Évangile qu’on
ne peut imposer aux Juifs, dans la crainte d’une déchirure plus grande. Les
Galates voulaient faire quelque chose de semblable, en mêlant les prescriptions
de la loi avec celles de l’Évangile, et en mettant du vin nouveau dans de
vieilles outres ; mais l’Apôtre les en reprit en ces termes : « O Galates insensés, qui vous, a fasciné
l’esprit pour vous rendre ainsi rebelles à la vérité ? » Il
fallait donc verser d’abord la doctrine de l’Évangile dans le cœur des Apôtres,
avant d’en faire part aux scribes et aux pharisiens qui, étant corrompus par
les traditions de leurs ancêtres, ne pouvaient conserver la pureté sans mélange
des préceptes du Christ. Il y a, en effet, une grande différence entre la
pureté d’une âme virginale qu’aucune faute antérieure n’a soufflée, et celle
d’une âme qui a traîné dans la fange de toutes les passions. — La Glose. Par là le Sauveur nous
apprend que les Apôtres ne devaient pas être retenus captifs des anciennes
observances, eux qui devaient être comme inondés des flots d’une grâce toute
nouvelle.
S. Aug. (serm. du Carême). Ou bien encore, tout chrétien qui jeûne
convenablement humilie son âme dans les gémissements de la prière et la
mortification du corps, ou la détache des séductions de la chair sous le charme
d’une sagesse toute spirituelle. Or, le Seigneur embrasse dans sa réponse ces
deux espèces de jeûne. Il dit du premier qui tend à humilier notre âme :
« Les fils de l’Époux ne peuvent pas être dans le deuil ; » et
de celui qui offre à l’âme un aliment tout spirituel : « Personne ne
met un morceau de drap neuf, » etc. Mais lorsque l’Époux nous est enlevé,
c’est alors qu’il faut pleurer, et notre douleur sera véritable si nous brûlons
du désir de le voir. Heureux ceux qui ont pu jouir de sa présence avant sa
passion, l’interroger suivant leurs désirs, et l’écouter avec le respect qu’ils
devaient à ses divines paroles. Nos pères ont désiré le voir avant sa venue, et
ils ne l’ont point vu. Dieu leur avait donné une autre mission : ils
devaient annoncer son avènement, mais ils ne devaient pas entendre sa parole,
lorsqu’il serait descendu sur la terre. C’est en nous que se sont accomplies
ces paroles du Sauveur : « Il viendra un temps où vous désirerez voir
un de ces jours, et vous ne le pourrez pas. » Qui donc ne consentira à
être dans le deuil ici-bas ? Qui ne dira : « Mes larmes sont devenues mon pain le jour et
la nuit, pendant qu’on me dit tous les jours : Où est ton Dieu ? »
C’est donc avec raison que l’Apôtre désirait d’être dégagé des liens du corps
pour être avec Jésus-Christ.
S. Aug. (de l’accord des Evan g., liv. 2, chap. 12.) Saint Matthieu emploie
le mot tristesse là où saint Marc et
saint Luc se sont servis de l’expression jeûner,
parce que le jeûne dont parle ici le Seigneur renferme l’humiliation d’une
âme affligée, tandis que les dernières comparaisons ont pour objet l’autre
espèce de jeûne qui consiste dans la joie de l’âme que les douceurs
spirituelles tiennent comme suspendue et détachée des aliments terrestres.
Notre-Seigneur nous apprend ainsi que ceux qui sont trop occupés de leur corps
et qui n’ont point dépouillé le vieil homme et ses inclinations, ne sont pas
capables de cette espèce de jeûne.
S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, la réponse que Notre-Seigneur fait ici, en déclarant
que ses disciples ne doivent point jeûner tant qu’ils jouissent de la présence
de l’Époux, nous apprend la joie dont sa présence est pour nous le principe, et
nous rappelle le sacrement où il nous donne une nourriture sainte, nourriture
qui ne fera défaut à personne pourvu que Jésus-Christ soit présent,
c’est-à-dire qu’on le possède au dedans de soi-même. Mais lorsque l’Époux leur
sera enlevé, alors ils jeûneront, car aucun de ceux qui ne croiront pas à la
résurrection du Christ, ne mangera le pain de vie, puisque le sacrement où nous
recevons le pain du ciel nous est donné comme gage de notre foi en la
résurrection. — S. Jér. Ou bien
encore, c’est lorsque nos péchés ont forcé l’Époux de s’éloigner, qu’il faut
recourir au jeûne et nous abandonner à la tristesse. — S. Hil. (Can. 9 sur S. Matth.)
Ces exemples nous sont
aussi proposés pour nous apprendre que les âmes, aussi bien que les corps
affaiblis par d’anciens péchés, sont incapables de recevoir les sacrements de
la grâce nouvelle.
Rab. Quoique ces diverses
comparaisons n’aient qu’un même objet, elles diffèrent cependant l’une de
l’autre. Le vêtement qui couvre notre corps représente les bonnes oeuvres que
nous faisons extérieurement ; et le vin qui nous fortifie intérieurement
signifie la ferveur de la foi et de la charité qui renouvelle l’intérieur de
notre âme.
S. Chrys. (hom. 32.) Aux enseignements Jésus-Christ fait
succéder les oeuvres, ce qui devait surtout fermer la bouche aux
pharisiens ; car celui qui venait demander un miracle était un chef de la
synagogue, et sa douleur était grande ; cette jeune personne était sa
fille unique, et dans la première fleur de l’âge, puisqu’elle n’avait que douze
ans. « Comme il leur parlait de la sorte, un chef s’approcha. » S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 28.) Saint Marc et saint Luc
racontent le même fait, mais en suivant un ordre différent, et ils le placent
après que Jésus eut traversé le lac, en quittant le pays des Gérazéniens, où il
avait chassé les démons dans un troupeau de pourceaux. Selon le récit de saint
Marc, ce fait ce serait passé après que Jésus eut de nouveau traversé le
lac ; mais combien de temps après ? c’est ce qu’on ne peut savoir.
Cependant s’il n’y avait eu aucun intervalle, il n’y aurait pas moyen de placer
ce que raconte saint Matthieu du repas qui eut lieu dans sa maison, et c’est
immédiatement après que le chef de la synagogue est venu trouver Jésus. Car si
ce prince s’est présenté lorsque Jésus proposait la comparaison du drap neuf et
du vin nouveau, on ne doit pouvoir placer aucune action, aucune parole
intermédiaire. Or, dans la narration de saint Marc, on voit où l’on pourrait
intercaler d’autres faits. Saint Luc lui-même n’est pas contraire à saint
Matthieu, car la manière dont il commence son récit : « Et voici
qu’un homme qui s’appelait Jaïre, » n’indique
pas que ce soit immédiatement après ce qui précède, mais après ce que saint
Matthieu raconte en ces termes du repas qu’il prenait avec les
publicains : « Pendant qu’il parlait de la sorte, un prince (c’est-à-dire
Jaïre, chef de la synagogue) s’approcha, et il l’adorait en lui disant :
Seigneur, ma fille vient de mourir. »
Pour faire disparaître toute contradiction, il faut remarquer que les deux
autres Évangélistes ne disent pas qu’elle est morte, mais sur le point de
mourir, tellement qu’ils ajoutent que des envoyés vinrent apprendre au père que
sa fille était morte, et qu’il n’eût point à tourmenter davantage le Seigneur.
Il faut donc admettre que pour abréger, saint Matthieu s’est attaché surtout à
rapporter la prière qui fut adressée au Sauveur de faire ce qu’il fit en effet,
c’est-à-dire de ressusciter celle qui venait de mourir. Il ne s’est donc pas
arrêté à de que le père dit à Jésus de sa fille, mais, ce qui est bien
plus important, aux sentiments et aux désirs qui l’agitaient. En effet, cet
homme avait tellement désespéré de l’état de sa fille, que ce qu’il désirait,
c’est qu’elle fût rendue à la vie, tant il croyait peu qu’il dût retrouver
vivante celle qu’il avait laissée si près de la mort. Les deux autres
évangélistes ont donc rapporté les paroles de Jaïre ; saint Matthieu nous
fait connaître surtout ses désirs, ses pensées. Évidemment si l’un de ces deux
Évangélistes avait prêté au père ces paroles, que Jésus n’eût pas à se mettre
en peine, parce que sa fille était morte, le langage que lui fait tenir saint
Matthieu serait contradictoire. Mais rien ne dit que cet homme ait partagé les
sentiments de ses serviteurs. Nous trouvons ici un des principes d’explication
les plus importants : c’est que dans les paroles d’un homme nous ne devons
chercher que ce qu’il a l’intention de dire, que la volonté dont ses paroles
sont l’expression, et que ce n’est point mentir que de raconter en d’autres
termes ce qu’il a voulu dire sans rapporter les expressions dont il s’est
servi. — S. Chrys. (hom. 32.) Ou bien encore, ce que ce
chef de la synagogue dit de la mort de sa fille n’est qu’une manière d’exagérer
son malheur. C’est l’ordinaire de tous ceux qui demandent une grâce d’amplifier
les maux qu’ils souffrent, et d’ajouter à la vérité pour fléchir plus
efficacement ceux dont ils implorent le secours. C’est pourquoi il dit à
Jésus : « Mais venez lui imposer les mains, et elle vivra. »
Voyez quelles idées grossières il avait encore sur le Sauveur. Il lui demande
deux choses : et de venir en personne, et d’imposer les mains ; c’est
ce que demandait ainsi Naaman au prophète Elisée. C’est qu’en effet ceux qui se
trouvent dans ces dispositions imparfaites ont besoin de signes sensibles et
frappants.
Remi. Admirons ici tout à
la fois l’humilité et la douceur du Seigneur. A peine le centurion l’en a-t-il
prié, qu’il consent à le suivre : « Alors Jésus, se levant, le
suivit. » Le Sauveur instruit tout à la fois les supérieurs et ceux qui
sont placés sous leur direction ; à ceux-ci il donne un exemple
d’obéissance ; à ceux-là, il fait voir quelle doit être leur assiduité,
leur sollicitude dans l’enseignement, et le zèle avec lequel ils doivent se
transporter là où ils apprennent qu’un homme a perdu la vie de l’âme.
Suite. « Et ses
disciples marchèrent avec lui. » S. Chrys. (hom. 32.) Suivant saint Marc et saint Luc, Jésus prit avec
lui trois de ses disciples, Pierre, Jacques et Jean ; il ne choisit point
Matthieu afin d’exciter en lui un désir plus vif, et aussi parce que ses dispositions
étaient encore imparfaites. Il honore les premiers pour engager les autres à se
rendre semblables à eux. C’était assez pour Matthieu d’être témoin de la
guérison de cette femme qui souffrait d’une perte de sang : « Et
voici, nous dit-il, qu’une femme qui souffrait d’une perte de sang depuis douze
ans, s’approcha par derrière, et toucha la frange de son vêtement. »
S. Jér. Ce n’est ni dans la maison où
était le Sauveur ni dans la ville que cette femme vient le trouver (car la loi
lui défendait d’habiter dans les villes) (Lv 19, 25), mais elle se présente à
Jésus au milieu du chemin, et c’est ainsi qu’en allant pour guérir une femme il
rend la santé à une autre. — S. Chrys.
(hom. 32,) Cette femme ne vient pas
faire à Jésus-Christ un aveu public de son infirmité, elle en avait honte dans
la persuasion qu’elle était impure ; car la loi considérait cette maladie
comme une très-grande impureté ; c’est pourquoi elle se cache et veut se
dérober à tous les regards. — Remi.
Cette humilité est digne de tout éloge ; elle ne se présente pas devant le
Sauveur, elle s’approche par derrière, et se juge indigne de toucher ses pieds.
Ce n’est pas même son vêtement qu’elle touche, mais la frange seulement ;
car le Seigneur portait une frange à son vêtement pour obéir à une prescription
de la loi. (Nb 15, 38) Les pharisiens
aussi portaient des franges qu’ils étalaient avec orgueil, et auxquelles ils
ajoutaient des espèces d’épines. Mais les franges des vêtements du Sauveur
n’avaient rien qui pût blesser, et ne pouvaient que guérir. Aussi cette femme
disait en elle-même : « Si je touche seulement la frange de sa robe,
je serai guérie. » Sa foi est vraiment admirable : elle a perdu tout
espoir de la part des médecins qui lui ont dévoré tout son avoir, mais elle
comprend qu’elle a trouvé un médecin descendu du ciel, c’est en lui qu’elle
place toute son espérance, et c’est pour cela qu’elle mérita sa guérison.
« Et Jésus se retournant alors, et la voyant, lui dit : Ma fille,
ayez confiance : votre foi vous a guérie. » — Rab. Pourquoi donc lui recommander la confiance ? Si
elle n’avait pas eu la foi, elle ne lui aurait pas demandé sa guérison. Ce
qu’il exige d’elle, c’est la force et la persévérance de la foi, afin qu’elle
parvienne à une guérison certaine et véritable. — S. Chrys. (hom. 32.)
Ou bien, il veut rassurer cette femme trop craintive, en lui disant :
« Ayez confiance. » Il l’appelle sa fille, car la foi l’avait rendue
véritablement sa fille. — S. Jér.
Il ne lui dit pas : Votre foi vous guérira, mais « votre foi vous a
guérie ; » car vous êtes déjà guérie par cela seul que vous avez cru.
— S. Chrys. (hom. 32.) Cependant cette femme n’avait pas encore une
connaissance parfaite du Sauveur, puisqu’elle croyait pouvoir se dérober à ses
regards. Mais il ne permit pas qu’elle demeurât cachée, non point pour la
gloire qui pourrait lui en revenir, mais dans l’intérêt de tous ceux qui
étaient présents. Premièrement, il bannit la crainte du cœur de cette femme qui
aurait pu se reprocher d’avoir dérobé la grâce de sa guérison ;
secondement, il rectifie la pensée qu’elle avait eue de pouvoir se
cacher ; troisièmement, il révèle à tous sa foi pour les porter à
l’imiter. Enfin, en montrant qu’il savait tout, il nous donne une preuve non
moins grande de sa divinité qu’en arrêtant cette perte de sang. « Et cette
femme, continue l’Évangéliste, fut guérie à l’heure même. » — La Glose. Ce fut au moment même où elle
toucha le bord de sa robe, et non pas au moment qu’il se retourna vers elle,
car alors elle était déjà guérie, comme les autres Évangélistes le remarquent
expressément, et comme on peut le conclure des paroles mêmes du Seigneur. — S. Hil. Combien la puissance du Seigneur
se montra ici admirable ! Cette puissance qui résidait dans son corps
communiquait à des choses périssables la vertu de guérir, et l’opération divine
s’étendait jusqu’aux franges de ses vêtements. C’est qu’en effet Dieu ne
pouvait être ni circonscrit ni renfermé dans les limites étroites d’un corps,
car en s’unissant à un corps mortel il n’y a point renfermé la nature de sa
puissance, mais cette même puissance a élevé la fragilité de notre chair pour
accomplir l’oeuvre de notre rédemption.
Dans le sens
mystique, ce chef représente la loi qui vient demander à Jésus-Christ de rendre
la vie au cadavre de ce peuple qu’elle lui avait préparé, et qu’elle avait
nourri elle-même de l’espérance de son avènement. — Rab. Ou bien, ce prince de la synagogue représente Moïse, et
il s’appelle Jaïre, c’est-à-dire qui illumine
ou qui est illuminé ; car il
a reçu les paroles de vie pour nous les transmettre, et éclairer ainsi les
autres comme il est éclairé lui-même par l’Esprit saint. La fille du chef de la
synagogue (c’est-à-dire la fille de la synagogue elle-même, âgée de douze ans,
âge de la puberté) est abattue sous le poids des erreurs qui la minent, alors
qu’elle devait enfanter à Dieu une famille toute spirituelle. Pendant que le
Verbe de Dieu s’empresse d’aller trouver cette fille du chef de la synagogue
pour sauver les enfants d’Israël, la sainte Église composée des Gentils, et
dont les forces se perdaient au milieu des crimes qui se commettaient dans son
sein, s’empare par sa foi de la guérison qui était destinée à d’autres. — Rab. Remarquez encore que la fille du
chef de la synagogue est âgée de douze ans, et que cette femme souffre depuis
douze ans de cette perte de sang, en sorte que l’une avait commencé à souffrir
au moment où l’autre venait de naître : or, ce fut à peu près à la même
époque que les patriarches donnèrent le jour à la synagogue, et que la multitude
des nations étrangères se plongea dans les souillures de l’idolâtrie. Car la
perte de sang dont il est ici question peut s’entendre de deux manières ou de
la fange de l’idolâtrie, ou des plaisirs de la chair et du sang. Ainsi pendant
que la synagogue avait encore toute sa force, l’Église était
languissante ; mais le péché de la synagogue est devenu le salut des
Gentils. Or, l’Église s’approche du Seigneur, et le touche, lorsqu’elle vient à
lui par la foi.
La Glose. Elle crut, elle
dit, elle toucha ; car c’est par ces trois choses la foi, la parole et les
oeuvres, que l’on obtient le salut. — Rab.
Elle s’approcha par derrière, obéissant par avance à cette parole :
« Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il me suive. » Ou bien
c’est parce que n’ayant point vu le Seigneur revêtu d’une chair mortelle, elle
est parvenue à le connaître après l’accomplissement des mystères de son
incarnation : c’est pour cela qu’elle touche la frange de son
vêtement ; figure en cela du peuple des Gentils qui, sans avoir vu le Fils
de Dieu incarné, a reçu la parole qui lui annonçait son incarnation. En effet,
on peut dire que le mystère de l’incarnation de Jésus-Christ est comme le
vêtement dont la divinité était enveloppée, et la doctrine de l’incarnation
comme la frange de ce vêtement. Les Gentils ne touchent pas le vêtement, mais
seulement la frange, car ils n’ont point vu le Seigneur incarné, mais ils ont
reçu par les Apôtres la doctrine de l’incarnation. Heureux celui qui touche par
la foi, ne fût-ce même que les extrémités du Verbe ! Ce n’est pas au
milieu de la ville que cette femme est guérie, mais dans le chemin où marche le
Sauveur ; c’est pour cela que les Apôtres ont dit plus tard :
« Parce que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, voilà
que nous allons vers les Gentils. » Or, ce fut dès l’avènement du Sauveur
que la Gentilité reçut les prémices du salut.
La Glose. Après la
guérison de l’hémorroïsse, vient la résurrection de la jeune fille que
l’écrivain sacré raconte en ces termes : « Et lorsque Jésus fut
arrivé dans la maison du chef de la synagogue. » — S. Chrys. (hom. 32.) Il est à remarquer que Notre-Seigneur semble user ici de
lenteur, et qu’il s’entretient avec la femme qu’il vient de guérir pour laisser
à la jeune fille le temps de mourir, et rendre ainsi plus éclatant le fait de
sa résurrection. Il suivit la même conduite à l’égard de Lazare, qui demeura
dans le tombeau jusqu’au troisième jour. « Et lorsqu’il eut vu les joueurs
de flûte et une foule qui faisait grand bruit. » Nous avons là une preuve
évidente que la jeune fille était morte. — S. Amb.
(sur S. Luc, 6.) En effet,
c’était un usage chez les anciens de faire venir des joueurs de flûte pour
exciter la douleur et faire couler les larmes aux funérailles des morts. — S. Chrys. (hom. 32.) Mais Jésus-Christ chassa tous ces joueurs de flûte, et
fit entrer les parents de la jeune fille afin que l’on ne pût attribuer à un
autre sa résurrection. Avant même de la ressusciter, il relève leur courage par
ces paroles : « Retirez-vous, car la jeune fille n’est pas morte,
mais elle dort. » — Rab.
C’est-à-dire elle est morte à vos yeux, mais pour Dieu qui peut la ressusciter,
elle n’est qu’endormie dans son corps comme dans son âme. — S. Chrys. Par ces paroles, le Sauveur
apaise l’agitation intérieure de ceux qui étaient présents, et il leur montre
avec quelle facilité il peut ressusciter les morts. Il tint le même langage à
Lazare (Jn 11) : « Notre
ami Lazare dort, » et il nous apprend ainsi à ne pas redouter la mort.
Comme il devait mourir lui-même, il voulut, en rendant la vie à quelques morts,
ranimer la confiance de ses disciples, et leur apprendre à supporter la mort
avec courage. Car dès qu’il s’approche, la mort n’est plus qu’un sommeil. Or,
en entendant ces paroles, ils se moquaient de lui, mais il ne leur en fait
aucun reproche : car il voulait que cette dérision, les flûtes et toutes
les autres circonstances fussent autant de preuves de la mort de cette jeune
fille. Comme il arrive bien souvent que les hommes refusent de croire aux
miracles lorsqu’ils sont opérés, il veut les convaincre auparavant par leurs
propres aveux ; c’est ce qu’il fit encore à la mort de Lazare, lorsqu’il
demanda : « Où l’avez-vous mis ? » Afin que ceux qui lui
répondirent : « Venez et voyez » fussent forcés de croire que
Lazare était véritablement mort, et qu’il l’a ressuscité.
S. Jér. Mais ceux qui couvraient ainsi
d’indignes outrages le Sauveur qui allait ressusciter cette jeune fille,
n’étaient pas dignes d’assister au fait mystérieux de sa résurrection ;
c’est pourquoi l’Évangéliste ajoute : « Et après qu’on eut fait
sortir tout le monde, il entra, lui prit la main, et la jeune fille se
leva. » — S. Chrys. (hom. 32.) Il n’introduit pas dans son
corps une âme nouvelle, mais il y fait rentrer celle qui en était sortie, et
rappelle la jeune fille comme d’un sommeil, pour préparer ainsi les esprits à
croire en la résurrection. Non-seulement il ressuscite cette jeune fille, mais
il lui fait encore donner à manger, pour que tous soient bien convaincus que
cette résurrection n’est pas une chose imaginaire, mais bien une réalité.
— » Et le bruit s’en répandit dans tout le pays. — La Glose. Cette circonstance fait
ressortir la grandeur et la nouveauté de ce miracle, en même temps qu’elle
devient une preuve évidente et irréfragable de sa vérité.
S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, Notre-Seigneur entre dans la maison du chef de la
synagogue, c’est-à-dire dans la synagogue elle-même, au moment ou les cantiques
de la loi font entendre en son honneur des chants funèbres. — S. Jér. Jusqu’à ce jour la jeune fille
repose morte dans la maison de son père, et ceux qui paraissent être les
maîtres sont les joueurs de flûte qui font entendre des airs lugubres. La foule
des Juifs n’est pas le peuple des croyants, c’est une foule tumultueuse. Mais
lorsque la plénitude des nations sera entrée, alors tout Israël sera sauvé. (Rm 11.) — S. Hil. Afin qu’il fût bien démontré que le nombre des croyants
était limité, la foule tout entière fut mise dehors. Le Sauveur aurait bien
désiré qu’elle fût sauvée, mais en se moquant de ses paroles et de ses actions,
elle se rendit indigne d’être témoin de la résurrection de cette jeune fille. —
S. Jér. « Jésus lui prit la
main, et la jeune fille se leva, » car la synagogue ne peut avoir part à
la résurrection avant que les mains des Juifs n’aient été purifiées du sang
dont elles sont souillées. — S. Hil. Le
bruit de cette résurrection se répand dans toute cette contrée ; en effet,
après que Jésus a sauvé ceux qu’il avait élus, ils vont publier les bienfaits
du Christ et ses oeuvres.
Rab. Dans le sens moral,
la jeune fille morte dans la maison, c’est l’âme qui est morte dans ses
pensées. Le Sauveur dit qu’elle n’est qu’endormie, parce que ceux qui pèchent
dans la vie présente peuvent encore ressusciter par la pénitence. Les joueurs
de flûte, ce sont les flatteurs qui applaudissent à celle qui est morte. — S. Grég. (Moral. 17, 25.) La foule est mise dehors avant que la jeune fille
soit ressuscitée, car tant que la multitude des intérêts temporels n’est pas
chassée des plus secrètes parties du cœur, l’âme qui est morte au dedans ne
peut ressusciter. — Rab. Notre-Seigneur
ressuscite cette jeune fille dans la maison en présence d’un petit nombre de
témoins, le jeune homme en dehors de la porte de la ville, et Lazare devant un
grand nombre de spectateurs, parce qu’une faute publique exige un remède
public ; tandis qu’une faute légère peut être effacée par une pénitence
secrète et plus douce.
S. Jér. Ces premiers miracles qui ont pour objet la fille
du prince de la synagogue et la femme malade sont suivis, par une admirable
conséquence, de la guérison de deux aveugles. Il fallait, en effet, que la
privation de la vue démontrât ce que la mort et la maladie venaient elles-mêmes
de proclamer ; c’est pour cela qu’il est dit : « Comme Jésus sortait de ce lieu (c’est-à-dire
s’éloignait de la maison de Jaïre), deux
aveugles le suivirent en criant et en disant : Fils de David, ayez pitié
de nous. » — S. Chrys. (hom. 33.) C’est là un grand sujet
d’accusation contre les Juifs : des hommes privés de la vue reçoivent la
foi par l’ouïe seule, tandis que les Juifs, dont les yeux constataient la
vérité de ces miracles, refusent d’y croire. Voyez encore le désir de ces
aveugles ; ils ne se contentent pas d’approcher de Jésus, mais ils le font
avec de grands cris, et en ne lui demandant qu’une seule chose, c’est qu’il ait
pitié d’eux. Ils l’appellent Fils de David, parce que ce nom leur paraissait un
titre d’honneur. — Remi. C’est
avec raison d’ailleurs qu’ils lui donnent ce nom, car la Vierge Marie
descendait de la race de David. — S.
Jér. Que Marcion, que les Manichéens et les autres hérétiques se rendent
attentifs à ces paroles, eux qui déchirent l’Ancien Testament, et qu’ils
apprennent que le Sauveur est proclamé Fils de David. Or, s’il n’est pas né
dans une chair mortelle, comment peut-il être appelé Fils de David ?
S. Chrys. (hom. 33.) Il est
à remarquer que dans une foule de circonstances ce n’est qu’après qu’on l’en a
prié que le Seigneur guérit les malades, car il ne veut pas laisser croire
qu’il a couru après les miracles pour s’attirer de l’honneur et de la gloire. —
S. Jér. Et cependant, ce n’est
pas dans le chemin et en passant, comme ils le pensaient, qu’il guérit ces
aveugles qui le prient, mais lorsqu’il est arrivé dans la maison ; ils
s’avancent pour entrer, et tout d’abord il examine leur foi, afin de les
préparer à recevoir la lumière de la vraie foi. « Lorsqu’il fut entré dans la maison, ces aveugles s’approchèrent de lui,
et Jésus leur dit : « Croyez-vous
que je puisse faire ce que vous me demandez ? » — S. Chrys. Il nous apprend une fois de plus
à fuir la gloire que donne la multitude, car comme la maison n’était pas
éloignée, il y conduit les aveugles pour les y guérir en secret. — Remi. Lui qui pouvait rendre la vue aux
aveugles, ne pouvait ignorer s’ils avaient la foi ; il les interroge
toutefois, afin qu’en confessant de bouche la foi qu’ils portaient dans leur
cœur, ils pussent obtenir une récompense plus grande, selon ces paroles de
l’Apôtre : « Il faut confesser
de bouche pour obtenir le salut. » — S. Chrys. (hom. 33.)
Et ce n’est pas la seule raison ; Jésus voulait encore montrer qu’ils
étaient dignes d’être guéris, et prévenir cette difficulté : que si le
salut était l’oeuvre exclusive de la miséricorde, tous devaient y avoir part.
Il exige encore d’eux la foi, afin de les élever plus haut ; ils l’ont
appelé Fils de David, il leur apprend qu’ils doivent avoir de lui de plus
hautes idées. Aussi ne leur dit-il pas : « Croyez-vous que je puisse
prier mon Père ? » mais : « Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez ? »
Ils lui répondent : « Oui, Seigneur. » Ils ne l’appellent plus
Fils de David, ils s’élèvent plus haut et confessent sa souveraineté. Il leur
imposa alors les mains, comme dit le texte sacré, et il toucha leurs yeux en
leur disant : « Qu’il vous
soit fait selon votre foi. » Il leur parle de la sorte pour affermir
leur foi et constater en même temps que ce qu’ils venaient de dire ne leur
avait pas été dicté par la flatterie. L’Évangéliste rapporte ensuite leur
guérison : « Et aussitôt leurs
yeux furent ouverts. » Jésus leur défend d’en parler à qui que ce
soit ; et ce n’est pas une simple défense, c’est un ordre exprès
accompagné de menaces sévères. « Et
Jésus leur défendit fortement d’en parler, en leur disant : « Prenez
bien garde que qui que ce soit ne le sache ! » Mais eux, s’en étant
allés, répandirent sa réputation dans tout le pays. » — S. Jér. C’est par amour pour l’humilité et
pour fuir l’éclat de la vaine gloire que Jésus leur fait cette défense ;
mais la reconnaissance qu’ils éprouvent d’un si grand bienfait, ne leur permet
pas de garder le silence. — S. Chrys.
Ce que Notre-Seigneur dit à un autre dans une circonstance différente :
« Va et annonce la gloire de Dieu »
(Lc 8), n’est pas contraire à ce qui
est ici raconté. Jésus veut nous apprendre à fermer la bouche à ceux qui
cherchent à nous louer, en rapportant à nous seuls les louanges qu’ils nous
donnent. Mais si ces louanges doivent se rapporter à Dieu, bien loin de les
défendre, nous devons les exciter et les prescrire. — S. Hil. Ou bien encore le Sauveur commande
à ces aveugles de se taire, parce que c’était aux Apôtres qu’était réservé
l’office de la prédication.
S. Grég. (Moral., 19, 14.) Examinons ici pourquoi le Tout-Puissant, pour qui vouloir et pouvoir sont
une même chose a voulu que ses miracles demeurassent cachés, et que cependant
ils fussent dévoilés comme malgré lui par ceux qui venaient de recouvrer
l’usage de la vue. Il veut apprendre à ses disciples qui devaient marcher à sa
suite, qu’ils devaient désirer que leurs vertus demeurassent cachées aussi aux
yeux des hommes, et cependant les laisser publier malgré eux dans l’intérêt de
ceux qui pourraient en profiter. Ils doivent donc rechercher le secret par
inclination, et laisser dévoiler leurs oeuvres par nécessité. Qu’ils aiment à
se cacher pour garder plus sûrement leur âme de tout danger, et qu’ils
consentent à se voir divulgués dans l’intérêt des autres.
Remi. Dans le sens
allégorique, ces deux aveugles sont la figure des deux peuples, du peuple juif,
et des Gentils, ou bien des deux fractions du peuple juif qui se séparèrent
sous Roboam (cf. 3 R 12).
Notre-Seigneur Jésus-Christ choisit dans l’un et l’autre peuple qui croyait en
lui, ceux qu’il devait éclairer dans la maison, qui est son Église, car en
dehors de l’unité de l’Église, personne ne peut être sauvé. Or, ceux d’entre
les Juifs qui crurent en Jésus publièrent son avènement dans tout l’univers. Rab. La maison du chef de la synagogue,
c’est la synagogue elle-même qui est soumise à Moïse ; la maison de Jésus,
c’est la céleste Jérusalem. Pendant que le Seigneur traverse ce monde pour
retourner dans sa maison, les deux aveugles se mettent à le suivre ; en effet,
après la prédication de l’Évangile par les Apôtres, un grand nombre d’entre les
Juifs et d’entre les Gentils se sont rangés sous sa conduite. Mais après son
ascension dans les cieux, il est entré dans sa maison (c’est-à-dire dans son
Église), et là, il leur a rendu l’usage de la lumière.
Remi. Par un enchaînement
admirable, le Sauveur, après avoir rendu la vue aux aveugles, délie la langue
d’un muet, et guérit un homme possédé du démon, et il se déclare ainsi le Dieu
de toute puissance, et l’auteur des guérisons divines, selon cet oracle d’Isaïe
(Is 35) : « Alors les yeux des aveugles et les oreilles des sourds
seront ouverte, et la langue des muets sera déliée. » Après leur départ,
dit l’Évangéliste, « on lui présenta un homme muet. » — S. Jér. Le mot grec χωφος (cophos),
dans le langage
ordinaire, signifie plutôt sourd que muet, mais c’est l’usage des écrivains
sacrés de le prendre indifféremment dans les deux sens. — S. Chrys. (hom. 33.) Cette infirmité n’était pas naturelle, elle venait de la
malignité du démon. C’est pourquoi cet homme eut besoin d’un secours étranger
pour arriver jusqu’à Jésus-Christ, et il ne put ni le prier par lui-même,
n’ayant pas l’usage de la parole, ni le faire prier par d’autres, le démon
tenant liée son âme aussi bien que sa langue. Aussi le Sauveur n’exige pas de
lui la foi, mais il le guérit aussitôt, comme le rapporte l’écrivain
sacré : « Et le démon ayant été chassé, le muet parla. » — S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.)
L’ordre naturel des
choses est parfaitement observé, le démon est d’abord chassé, et le corps
reprend immédiatement toutes ses fonctions.
« Et la
multitude en fut dans l’admiration, et ils disaient : On n’a jamais rien
vu de semblable en Israel ». — S. Chrys.
(hom. 33.) Ce n’est pas seulement parce
qu’ils admiraient en lui le pouvoir de guérir qu’ils le plaçaient au-dessus de
tous les autres, mais parce qu’il guérissait avec une facilité et une
promptitude merveilleuse une infinité de maladies la plupart incurables. Ce qui
contristait surtout les pharisiens, c’est que la multitude le proclamait
supérieur non-seulement à ceux qui existaient alors, mais encore à tous ceux
qui avaient jamais paru en Israel. C’est ce qui les excite en sens contraire à
calomnier Jésus-Christ, comme le dit l’Évangéliste : « Les
pharisiens, au contraire, disaient : C’est par le prince des démons qu’il
chasse les démons. » — Remi.
Les scribes et les pharisiens niaient les miracles du Sauveur autant qu’il leur
était possible de le faire, et ils interprétaient en mauvaise part ceux qu’ils
étaient obligés d’admettre. Ils accomplissaient ainsi cette parole du
Roi-Prophète : « La multitude de vos prodiges convaincra vos ennemis
de mensonge. » — S. Chrys. (hom. 33.) Quoi de plus insensé que
cette explication ? Peut-on imaginer qu’un démon chasse un autre
démon ? Le démon applaudit à ses succès, mais il ne détruit pas ses
oeuvres. Jésus-Christ, au contraire, ne chassait pas seulement les démons, mais
il guérissait les lépreux, il ressuscitait les morts, il remettait les péchés,
il prêchait le royaume de Dieu, et il amenait les hommes à son Père, ce que ne
pouvait ni ne voulait faire le démon.
Rab. De même que dans le
sens mystique les deux aveugles figuraient les deux peuples juif et gentil,
ainsi cet homme muet et possédé est la figure du genre humain tout entier. — S.
Hil. (can. 9 sur S. Matth.) Ou bien
cet homme à la fois muet, sourd et possédé du démon représente le peuple des
Gentils, indigne d’obtenir le salut, plongé qu’il est dans un abîme de maux, et
comme enlacé dans tous les vices de la chair. — Remi. Le peuple des Gentils était muet, parce qu’il ne
pouvait ouvrir la bouche pour confesser la vraie foi et publier les louanges de
son Créateur, ou bien parce que, livré au culte des idoles muettes, il leur était
devenu semblable. Il était possédé, parce que la mort de l’infidélité l’avait
soumis à l’empire du démon. S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) La connaissance de Dieu ayant dissipé
toutes les folles superstitions, l’homme recouvre tout à la fois l’usage de la
vue, de l’ouïe, et de la parole du salut. — S. Jér. De même que les aveugles reçoivent la lumière, ainsi la
langue des muets se délie pour confesser celui qu’ils avaient auparavant nié.
Cette foule qui est dans l’admiration, c’est la multitude des nations qui
confessent la divinité du Seigneur. Les pharisiens qui le calomnient sont une
figure de l’infidélité des Juifs qui persévère jusqu’à ce jour. — S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.)
L’admiration de la foule
est accompagnée de cet aveu : « Jamais on n’a rien vu de semblable en
Israël, » parce qu’en effet la puissance divine du Verbe sauve aujourd’hui
tous ceux qui n’avaient pu recevoir aucun secours de la loi. — Remi. Dans ceux qui présentent le muet
au Seigneur pour être guéri, on peut voir la figure des Apôtres et des
prédicateurs qui ont offert aux yeux de la divine miséricorde le peuple des
Gentils pour qu’elle lui accordât le salut. — S. Aug. (de l’accord des
Evang., 2, 29.) Saint Matthieu est le seul qui raconte ce double miracle
des deux aveugles et du muet. Les deux aveugles dont parlent les autres
Évangélistes (Mc 10, 46 ; Lc 18, 35) ne sont pas les mêmes ;
cependant le fait est semblable, et si saint Matthieu ne racontait pas ce
miracle avec toutes ses circonstances, on pourrait croire que son récit est le
même que celui de saint Marc et de saint Luc. Nous ne devons jamais perdre de
vue qu’il se rencontre dans les Évangiles des faits qui présentent les mêmes
caractères. On a une preuve certaine que ces faits sont différents lorsqu’ils
sont rapportés par le même Évangéliste. Lorsque donc nous rencontrons des faits
de même nature dans chacun des Évangélistes, et qu’il s’y trouve des
particularités impossibles à concilier, nous devons en conclure que ce n’est
pas le même fait, mais un fait semblable dans sa nature ou dans ses
circonstances.
S. Chrys. (hom. 33.) Le Seigneur voulut répondre par ses
oeuvres à cette accusation des pharisiens : « C’est par le prince des démons qu’il chasse les démons. » Car
lorsque le démon reçoit un outrage, il se venge non pas en faisant du bien,
mais en cherchant à nuire à celui qui le déshonore. Le Seigneur tient une
conduite contraire : après les injures et les outrages non-seulement il ne
punit pas, il ne fait même pas de reproches ; bien plus il répand des bienfaits.
C’est ce que l’Évangéliste ajoute : « Et Jésus parcourait toutes les villes et les bourgades. »
C’est ainsi qu’il nous apprend à répondre à ceux qui nous accusent non par des
accusations semblables, mais par des bienfaits. Celui qui, victime d’une accusation,
cesse de faire le bien, montre qu’il n’agissait que pour s’attirer les louanges
des hommes. Si au contraire Dieu est le principe du bien que vous faites à vos
frères, quoiqu’ils entreprennent contre vous, leur conduite n’interrompra pas
le cours de vos bienfaits, et votre récompense n’en sera que plus grande.
S. Jér. Vous voyez qu’il prêche également
l’Évangile dans les villages comme dans les villes et dans les bourgs,
c’est-à-dire aux petits comme aux grands ; il ne considère pas la
puissance qui vient de la noblesse, il ne voit que le salut de ceux qui croient
en lui. L’Évangéliste ajoute : « Il
enseignait dans leurs synagogues, accomplissant ainsi l’oeuvre que son Père
lui avait confiée et satisfaisant la faim qu’il éprouvait de sauver les infidèles
par sa parole. » Il enseignait dans les synagogues l’Évangile du royaume,
comme le dit expressément le texte sacré : « Et il prêchait l’Évangile du royaume. » — Remi. Par cet évangile du royaume, il
faut entendre l’Évangile de Dieu, car si on n’annonce que des biens temporels,
ce n’est point là l’Évangile ; c’est pour cela que ce nom n’est pas donné
à la loi, parce qu’elle ne promettait à ceux qui l’observaient que des biens
temporels, et non ceux de l’éternité.
S. Jér. Après avoir prêché l’Évangile et
enseigné sa doctrine, il guérissait toutes les langueurs et toutes les
infirmités, persuadant ainsi par ses oeuvres ceux que ses discours n’avaient pu
persuader ; c’est ce qu’ajoute l’écrivain sacré : « Guérissant toute langueur et toute
infirmité. » Ces paroles lui sont appliquées littéralement, car rien
ne lui est impossible. — La Glose. La
langueur, ce sont les longues souffrances ; l’infirmité, les maladies les
plus légères. — Remi. Remarquez
qu’il guérissait intérieurement l’âme de ceux dont il guérissait extérieurement
le corps, ce que les autres hommes ne peuvent faire par eux-mêmes, mais
seulement par la grâce de Dieu.
S. Chrys. (hom. 33.) La
bonté de Jésus-Christ ne s’arrête pas là, il fait preuve à leur égard d’une
autre sollicitude, et il ouvre sur eux les entrailles de sa miséricorde.
« Et, voyant ces troupes, dit
l’Évangéliste, il en eut compassion. »
— Remi. Notre-Seigneur nous
révèle ici les sentiments d’un bon pasteur si éloignés de ceux du mercenaire.
Mais pourquoi cette compassion ? La suite nous l’apprend. — Rab. Ou bien ils étaient tourmentés par
diverses erreurs ; ils étaient couchés, c’est-à-dire comme engourdis sans
pouvoir se lever, et tout en ayant des pasteurs, ils étaient comme n’en ayant
pas. — S. Chrys. (hom. 33.) Le crime des princes des
Juifs, c’est qu’étant les pasteurs du troupeau, ils se conduisaient à son égard
comme des loups ; car non-seulement ils ne travaillaient pas à la réforme
du peuple, mais encore ils nuisaient à son avancement. Le peuple dans
l’admiration s’écriait : « Jamais
on n’a rien vu de semblable dans Israël, » et à ce témoignage ils
opposaient cette calomnie : « C’est
par le prince des démons qu’il chasse les démons. »
Remi. Mais du moment que
le Fils de Dieu eut regardé du ciel sur la terre pour entendre les gémissements
de ceux qui étaient enchaînés (Ps 101),
la moisson déjà grande devint plus considérable encore ; car jamais la
multitude du genre humain ne fût parvenue à la foi, si l’auteur du salut des
hommes n’eût jeté du ciel un regard de miséricorde sur la terre, et c’est pour
cela que l’Évangéliste ajoute : « Alors il dit à ses disciples : « La moisson est grande, il
est vrai, mais les moissonneurs sont peu nombreux. — La Glose. La moisson, ce sont les
hommes qui peuvent être moissonnés par les prédicateurs, séparés de la masse de
perdition et conservés dans les greniers comme les grains détachés de la
paille. — S. Jér. La grande
moisson signifie la multitude des peuples, et le petit nombre d’ouvriers, la
rareté de ceux qui doivent enseigner. — Remi.
Le nombre des Apôtres était bien petit en effet, en comparaison de ces
vastes moissons. Or, le Sauveur exhorte ses prédicateurs, c’est-à-dire les Apôtres
et leurs successeurs, à demander tous les jours que leur nombre s’augmente.
« Priez donc le Maître de la
moisson, qu’il envoie des ouvriers dans sa maison. — S. Chrys. (hom. 33.) Il déclare ainsi indirectement qu’il est ce Maître dont
il parle, car c’est lui-même qui est le Maître de la moisson. En effet, s’il a
envoyé les Apôtres moissonner ce qu’ils n’avaient pas semé, il est évident
qu’il n’a pu les envoyer recueillir la moisson d’autrui, mais ce que lui-même
avait semé par les prophètes (Jn 4, 38). Mais comme ce sont les Apôtres qui
sont les moissonneurs, il leur dit : « Priez donc le Maître de la moisson qu’il envoie des ouvriers en sa
moisson. » Cependant il ne leur adjoignit personne. Ils restèrent
douze, et il ne les multiplia qu’en ajoutant non pas à leur nombre, mais à leur
puissance. Remi. Ou bien leur
nombre a augmenté quand il en a désigné soixante-douze autres, et quand les
prédicateurs sont devenus nombreux, l’Esprit Saint descendant sur les croyants.
S. Chrys. (hom. 33.) Le
Sauveur nous apprend quel don précieux c’est que de pouvoir annoncer
convenablement la parole de Dieu, en nous recommandant de prier à cet effet.
Ces paroles nous rappellent les comparaisons du précurseur, l’aire, le van, la
paille et le blé (Mt 3). — S. Hil.
Dans le sens mystique, au moment où le salut est donné aux nations, toutes les
villes, toutes les bourgades sont éclairées par l’avènement et la vertu du
Christ. Le Seigneur a pitié de son peuple tourmenté par la violence tyrannique
de l’esprit impur, et fatigué du lourd fardeau de la loi, car il n’avait pas
encore de pasteur qui pût lui assurer la garde de l’Esprit saint. Or, le fruit
de ce don céleste était on ne peut plus abondant, et sa source féconde ne
pouvait être épuisée par la multitude de ceux qui venaient y participer ;
car quel que soit leur nombre, sa plénitude se répand toujours de la même
manière. Et comme il faut un grand nombre de ministres pour distribuer cette
grâce, Notre-Seigneur ordonne de prier le Maître de la moisson d’envoyer un
grand nombre de moissonneurs pour recevoir ce don de l’Esprit saint. En effet,
c’est par le moyen de la prière que Dieu répand sur nous cette grâce.
La Glose. Depuis la
guérison de la belle-mère de Pierre jusqu’à cet endroit, les miracles opérés
par Jésus-Christ sont racontés sans interruption, et ils ont tous eu lieu avant
le sermon sur la montagne, ainsi que le prouve jusqu’à l’évidence la vocation
de saint Matthieu qui s’y trouve comprise, car saint Matthieu a été un des
douze que Jésus a élus sur la montagne pour l’apostolat. Ici l’Évangéliste
reprend son récit en suivant l’ordre dans lequel les faits se sont passés,
après la guérison du serviteur du centurion. « Et Jésus ayant appelé les douze disciples. » — Remi. L’Évangéliste venait de raconter
que Notre-Seigneur avait engagé ses disciples à prier le Maître de la moisson
d’envoyer les ouvriers dans sa moisson, et il accomplit lui-même ce qu’il les a
engagés à demander. Le nombre douze en effet, est un nombre parfait ;
puisqu’il vient du nombre six qui est parfait lui-même, parce qu’il se compose
de ses fractions qui sont un, deux trois. Or, ce nombre six étant doublé, forme
le nombre douze. La Glose. Cette
multiplication par deux peut signifier ou les deux préceptes de la charité ou
les deux Testaments. — Raban. Le
nombre douze, composé du nombre trois multiplié par quatre, signifie que les
Apôtres prêcheront la foi en la sainte Trinité dans les quatre parties du
monde. Ce nombre se trouve aussi figuré par avance de plusieurs manières dans l’Ancien
Testament ; dans les douze enfants de Jacob (Gn 35) ; dans les douze
chefs des enfants d’Israël (Nb 1) ;
dans les douze sources d’eau vive d’Hélim (Ex
15) ; dans les douze pierres précieuses qui brillaient sur le rational
d’Aaron (Ex 39) ; dans les douze
pains de proposition (Lv 24) ;
dans les douze hommes envoyés par Moïse pour examiner la terre promise (Nb 13) ; dans les douze pierres
qui servirent à élever un autel (3 R 18) ;
dans les douze autres pierres qui furent retirées du Jourdain (Jos 4) ; dans les douze boeufs qui
supportaient la mer d’airain (3 R 7) ;
et pour le Nouveau Testament, dans les douze étoiles qui forment la couronne de
l’épouse (Ap 12) ; dans les
douze pierres fondamentales ; dans les douze portes de la Jérusalem
céleste qui fut révélée à saint Jean (Ap
21).
S. Chrys. (hom. 33.) Ce
n’est pas seulement en leur représentant leur ministère comme une moisson prête
à recueillir que le Sauveur inspire à ses Apôtres une vive confiance, mais
encore en leur donnant d’exercer ce ministère avec puissance. « Et il leur donna puissance sur les esprits
impurs, pour les chasser et pour guérir toutes les langueurs et toutes les
infirmités. » — Remi.
Nous avons ici une preuve évidente que l’accablement de cette multitude ne
venait pas d’une seule cause, mais que leurs infirmités étaient nombreuses et
variées, et c’est en donnant à ses disciples le pouvoir de les traiter et de
les guérir que Jésus prend pitié d’elles. — S. Jér. Car le Seigneur est plein de bonté et de clémence ;
c’est un Maître qui n’est pas jaloux de la puissance de ses serviteurs et de
ses disciples ; aussi leur donne-t-il libéralement le même pouvoir qu’il
avait exercé de guérir toutes les langueurs et toutes les infirmités. Mais il y
a une grande différence entre posséder et accorder aux autres ce qu’on possède
soi-même, entre donner et recevoir. Tout ce que fait Jésus-Christ, c’est avec
un pouvoir souverain, tandis que les Apôtres, dans toutes leurs oeuvres, sont
forcés de confesser leur propre faiblesse et la puissance du Seigneur, comme
lorsqu’ils disent : « Au nom de
Jésus, levez-vous et marchez (Ac 3, 6 ; 20, 34.) L’Évangéliste nous
donne ici le nombre des Apôtres pour en exclure comme faux apôtres ceux qui n’y
sont pas compris ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Or, voici les noms des douze Apôtres :
le premier, Simon qui s’appelle Pierre, et André son frère. » Il
n’appartenait qu’à celui qui pénètre le secret des cœurs d’assigner à chacun
des Apôtres la place qu’il méritait. Le premier nommé, c’est Simon, et Jésus
lui donne le surnom de Pierre pour le distinguer d’un autre Simon, le
Chananéen, du bourg de Cana, ou Jésus changea l’eau en vin. — Rab. Le nom grec Πετρος, en latin Petrus, correspond au nom syriaque Cephas, dans chacune de ces trois langues, ce nom est dérivé du mot
pierre. Or, il est hors de doute que
cette pierre est celle dont saint Paul a dit : « La pierre était le Christ. »
Remi. — Quelques-uns ont
voulu trouver dans ce nom, qui en grec comme en latin veut dire pierre, la signification d’un mot hébreu
qui selon eux signifie dissolvant, ou
déchaussant, ou connaissant. Mais cette interprétation a contre elles deux raisons,
qui la rendent impossible, la première, c’est que dans la langue hébraïque la
lettre P n’existe pas, et qu’elle est remplacée par la lettre F : ainsi on
dit Philate ou Filate pour Pilate ; la seconde, c’est l’interprétation de
l’Évangéliste qui raconte que le Seigneur dit à Pierre : Tu t’appelleras
Cephas, et ajoute de lui-même : « c’est-à-dire Pierre. » (Jn 1) Or Simon signifie obéissant, car il obéit à la voix
d’André, et vint avec lui trouver le Christ. (Jn 1) Peut-être aussi est-ce parce qu’il se montra plein
d’obéissance pour la volonté divine, et que sur une seule parole du Sauveur il
se mit à sa suite. (Mt 4) Ce nom, selon
quelques autres interprètes, peut encore signifier celui qui dépose son chagrin, et qui entend une chose triste. En
effet, à la résurrection du Sauveur, Pierre bannit la tristesse que lui avaient
causé la passion du Sauveur et son propre reniement, et il entendit avec
tristesse le Sauveur lui dire : « Un autre te ceindra, et te conduira
là où tu ne veux pas. »
« Et André son frère. » C’est un
grand honneur pour André que cette dénomination. Pierre est désigné par sa
vertu, et André par la noblesse qui lui vient d’être le frère de Pierre. Saint
Marc, au contraire, ne nomme André qu’après Pierre et Jean, les deux sommités
du collège des Apôtres ; et en cela différant de saint Matthieu, il les
classe suivant leur dignité. — Remi. André
signifie viril, car de même que le
mot virilis, en latin, vient du mot vir, ainsi en grec le nom d’André vient
d’ανηρ. C’est à juste titre qu’on lui donne le
nom de viril, parce qu’il a tout quitté pour suivre le Christ, et qu’il a
persévéré avec courage dans la voie de ses commandements.
S. Jér. L’Évangéliste
nous présente les Apôtres associés deux par deux. Il joint ensemble Pierre et
André, beaucoup moins unis par les liens du sang que par ceux de
l’esprit ; Jacques et Jean qui abandonnèrent leur père selon la nature
pour suivre leur véritable Père qui est au ciel. « Jacques, est-il dit, fils de Zébédée, et Jean son frère. »
Jacques est ainsi désigné à cause d’un autre Jacques qui est fils d’Alphée. —
S. Chrys. (homél. 33.) Vous voyez que ce n’est point par rang de dignité qu’il
les place, car Jean ne l’emporte pas seulement sur les autres, mais sur son
frère. — Remi. Jacques veut dire supplantateur, ou celui qui
supplante ; en effet non-seulement il supplanta les vices de la chair,
mais encore il méprisa cette même chair jusqu’à la livrer au glaive d’Hérode
(Ac 12). Jean signifie la grâce de Dieu, parce qu’il mérita d’être aimé de Dieu
plus que tous les autres, et c’est ce privilège d’amour particulier qui lui
valut de reposer pendant la Cène sur la poitrine du Sauveur (Jn 13). Viennent ensuite Philippe et Barthélemy : Philippe
signifie l’ouverture de la lampe ou des lampes, parce qu’il s’empressa de
répandre sur son frère, par le ministère de la parole, cette lumière dont le
Sauveur l’avait éclairé lui-même. Barthélemi est un nom plutôt syriaque
qu’hébreu ; il veut dire le fils de
celui qui suspend le cours des eaux, c’est-à-dire le fils de Jésus-Christ,
qui élève le cœur de ses prédicateurs au-dessus des choses de la terre et les
suspend pour ainsi dire aux choses célestes, afin que plus ils pénètrent les
secrets du ciel, plus aussi la rosée de leur prédication sainte puisse enivrer
et pénétrer les cœurs de ceux qui les entendent.
« Thomas et Matthieu le publicain. »
— S. Jér. Les autres Évangélistes
en réunissant les deux noms mettent d’abord celui de Matthieu, ensuite celui de
Thomas, et ils suppriment cette épithète de publicain pour éviter l’apparence
même de l’outrage à l’égard de saint Matthieu en rappelant son ancienne
profession. Mais lui-même se place après saint Thomas, et se dit hautement
publicain, pour montrer que la grâce a surabondé là où le péché avait abondé. (Rm 5). Remi. Le nom de Thomas signifie abîme ou gémeau ; en
grec il revient à celui de Didyme. Thomas
mérite à la fois le nom d’abîme et de
Didyme, car plus ses doutes se
prolongèrent, plus aussi furent profondes et sa foi dans les effets de la
passion du Seigneur et la connaissance qu’il eut de sa divinité, ce qu’il
prouva en s’écriant : « Mon
Seigneur et mon Dieu ! » Matthieu signifie donné, car c’est par la grâce de Dieu que de publicain il devint
évangéliste. « Et Jacques fils
d’Alphée, et Thadée. » — Raban.
Jacques, fils d’Alphée, est celui qui dans l’Évangile et dans l’Épître aux
Galates est appelé le frère du Seigneur (Mt 13, 55 ; Mc 5, 3 ; Gal 1,
19), parce que Marie épouse d’Alphée était la soeur de Marie, mère du Seigneur.
Saint Jean l’appelle Marie, épouse de Cléophas, ou peut-être parce qu’Alphée
portait aussi le nom de Cléophas, ou bien parce qu’après la naissance de
Jacques, Marie ayant perdu Alphée, épousa Cléophas en secondes noces. — Remi. Ce n’est pas sans raison qu’il
est appelé fils d’Alphée, c’est-à-dire de celui
qui est juste ou savant, car non-seulement il triompha des vices de la
chair, mais encore il méprisa tous les soins qu’elle réclame ; et il eut
pour témoins de sa vertu les apôtres qui l’ordonnèrent évêque de l’Église de
Jérusalem. L’histoire ecclésiastique raconte de lui, entre autres choses que
jamais il ne mangea de viande, et qu’il ne but jamais ni vin ni bière. Il ne
faisait point usage de bains, ne portait pas d’habits de lin ; nuit et
jour il priait, les genoux en terre. Ses vertus étaient si éclatantes que tous
unanimement l’appelaient le Juste. Thaddée est celui que saint Luc appelle
Judas de Jacques, c’est-à-dire frère de Jacques. Dans son Épître que l’Église
reçoit comme canonique, il s’appelle lui-même frère de Jacques. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 1. 2, ch. 30.) Quelques manuscrits lui
donnent le mon de Lebbée ; mais qui empêche que le même homme porte
simultanément deux ou trois noms différents ? — Remi. Judas signifie celui
qui a confessé, parce qu’il a confessé la divinité du Fils de Dieu. — Rab. Thaddée ou Lebbée signifie sensé,
ou celui qui s’applique à la culture du cœur.
« Simon le Chananéen et Judas Iscariote, qui
le trahit. » — S. Jér. Simon
le Chananéen est celui qui est appelé Zélotés
par un autre Évangéliste, parce que Chana signifie zèle. Judas Iscariote est ainsi nommé ou du bourg où il a pris
naissance, ou de la tribu d’Issachar, et il semble que ce soit par une espèce
de prophétie qu’il soit né pour sa condamnation ; car Issachar signifie récompense, et ce nom semble indiquer le
prix de sa trahison. — Remi. Le
nom d’Iscariote signifie souvenir du
Seigneur, parce qu’il se mit à la suite du Sauveur ; ou bien mémorial de la mort, signification qui
se rapporte au dessein prémédité de la mort du Seigneur ; ou bien suffocation, parce qu’il s’étrangla de
ses propres mains. Il est à remarquer que ce nom de Judas fut porté par deux
des disciples de Jésus, qui sont la figure de tous les chrétiens : Judas
frère de Jacques représente tous ceux qui persévèrent dans la foi ; Judas
Iscariote, ceux qui abandonnent la foi pour retourner en arrière.
La Glose. Les Apôtres
sont nommés deux par deux, comme témoignage d’approbation de la société
conjugale prise dans le sens figuré. — S. Aug.
(Cité de Dieu, 18.) Jésus les choisit
donc pour disciples et donna le nom d’apôtres à ces hommes de naissance
obscure, sans distinction, sans instruction, afin que lui seul fût reconnu pour
l’unique auteur de ce qui paraîtrait de grand dans leur personne comme dans
leurs actions. Parmi ces douze apôtres il s’en trouva un mauvais ; mais
Jésus fit servir sa méchanceté même au bien, en accomplissant par elle le
mystère de sa passion, et enseignant à son Église à supporter comme lui les
méchants dans son sein. — Rab. Le
choix de Judas pour apôtre n’est point le résultat d’une imprudence ; le
Seigneur nous apprend par là combien grande est la vérité qui ne peut être
affaiblie par la trahison même d’un de ses ministres. Il a voulu encore être
trahi par un de ses disciples, pour vous apprendre lorsque vous serez trahi
vous-même par un de vos amis, à supporter avec patience les suites de votre
erreur et la perte de vos bienfaits.
La Glose. Comme toute
manifestation de l’Esprit, d’après l’Apôtre, est donnée pour l’utilité de
l’Église, après avoir donné ce pouvoir aux Apôtres, le Sauveur les envoie pour
qu’ils puissent l’exercer dans l’intérêt des hommes ; c’est ce que nous
indique l’Évangéliste par ces mots : « Jésus envoya ces douze. »
— S. Chrys. (hom. 33.) Voyez comme Jésus choisit bien le moment pour leur
donner cette mission, il les envoie après qu’ils l’ont vu ressusciter un mort,
commander à la mer et faire d’autres prodiges semblables, et après qu’il leur a
donné par ses paroles et par ses oeuvres des preuves suffisantes de sa
divinité.
La Glose. En les
envoyant, il leur enseigne où ils devaient aller, ce qu’ils doivent dire, et ce
qu’ils doivent faire. Et d’abord où doivent-ils aller ? Il leur donne les
instructions suivantes : « Vous
n’irez point vers les Gentils, et vous n’entrerez pas dans les villes des
Samaritains ; mais allez plutôt aux brebis perdues de la maison d’Israël. »
— S. Jér. Ce commandement n’est
pas contraire à celui qu’il leur donna plus tard : « Allez, enseignez toutes les nations, »
car le premier a été donné avant, et le second après la résurrection du
Sauveur. Il fallait en effet que l’Évangile fût d’abord annoncé aux Juifs, pour
leur ôter cette excuse qu’ils avaient rejeté le Seigneur, parce qu’il avait
envoyé ses Apôtres aux Samaritains et aux Gentils. — S. Chrys. (hom. 33.)
Une autre raison pour laquelle il les envoie d’abord vers les Juifs, c’est pour
les préparer dans la Judée comme dans une arène aux combats qu’ils devaient
livrer à l’univers entier, et il les excite à prendre leur vol (cf Dt 32) comme
de petits oiseaux encore faibles. — S. Grég.
(hom. 4 sur les Evang.) Ou bien il
voulut d’abord être annoncé aux Juifs seuls, et puis ensuite aux Gentils, de
manière que la prédication du Rédempteur repoussée par les siens, s’adressât
ensuite aux Gentils comme à des étrangers. Il y en avait cependant parmi les
Juifs qui devaient être appelés, comme il y en avait parmi les Gentils qui ne
devaient avoir part ni à cette vocation, ni au bienfait de la régénération,
sans toutefois mériter un jugement sévère pour le mépris qu’ils avaient fait de
la prédication évangélique. — S. Hil. (can. 10 sur S.
Matth.) La loi devait avoir le privilège des prémices de l’Évangile,
et l’incrédulité d’Israël devait être d’autant moins excusable, que les
avertissements lui avaient été prodigués avec un plus grand zèle. — S. Chrys. (hom. 33.) Le Sauveur ne veut pas leur donner à penser qu’il
nourrissait contre eux de la haine, parce qu’ils l’accablaient d’outrages et
l’appelaient possédé du démon ; il s’applique donc à les rendre meilleurs,
et il détourne ses disciples de toute autre occupation pour les leur envoyer
comme des médecins et comme des docteurs. Il ne se contente pas de leur
défendre de prêcher à d’autres qu’aux Juifs, il ne leur accorde même pas de
prendre la route qui les aurait conduits chez les Gentils : « N’allez pas dans la voie qui mène aux
nations. » Et parce que les Samaritains étaient les ennemis des Juifs,
bien qu’ils fussent plus faciles à convertir à la foi, il ne permet pas à ses
disciples de leur annoncer l’Évangile avant de l’avoir prêché aux Juifs.
« Vous n’entrerez pas dans les
villes des Samaritains. » — La
Glose. Les Samaritains étaient des Gentils que le roi d’Assyrie laissa
dans la terre d’Israël après en avoir emmené les habitants en captivité. Sous
la pression des dangers auxquels ils furent exposés, ils se convertirent au
judaïsme (4 R 13), se soumirent à la circoncision, admirent les cinq livres de
Moïse, mais rejetèrent tout le reste avec horreur, ce qui empêcha les Juifs de
se mêler jamais aux Samaritains. — S. Chrys.
(hom. 33.) Jésus détourne donc ses
disciples d’aller vers les Samaritains, et il les envoie aux enfants d’Israël,
qu’il appelle des brebis qui périssent, et non pas des brebis qui s’éloignent
d’elles-mêmes ; cherchant ainsi par tous les moyens à leur ménager le
pardon et à gagner leur cœur. — S. Hil. (can. 40 sur S. Matth.) Le Sauveur les appelle des brebis ; mais ils
ne s’en déchaînèrent pas moins contre lui avec la méchanceté des vipères et la
férocité des loups. — S. Jér.
Dans le sens tropologique il nous est ordonné à nous qui portons le nom du
Christ, de ne pas suivre la voie des Gentils et des hérétiques, et de ne point
imiter la vie de ceux dont la religion nous sépare.
La Glose. Après leur
avoir appris où ils doivent aller, il leur enseigne quel doit être le sujet de
leurs prédications. « Allez et
prêchez, en disant que le royaume des cieux approche. » — Rab. Notre-Seigneur dit que le royaume
des cieux approche, non pas sans doute par aucun mouvement extérieur des
éléments, mais par la foi qui nous est donnée au Créateur invisible. C’est à
juste titre que les saints sont appelés les cieux parce qu’ils possèdent Dieu
par la foi et qu’ils l’aiment par la charité. — S. Chrys. (homél. 33.)
Vous voyez la sublimité de ce mystère et la dignité des Apôtres ; ce ne
sont pas des choses extérieures et sensibles qu’ils doivent annoncer comme
Moïse et les prophètes, mais des vérités nouvelles et tout à fait inattendues.
Moïse et les prophètes avaient annoncé des biens terrestres ; les Apôtres
annoncent le royaume des cieux, et tous les biens qu’ils renferment.
S. Grég. (hom. 4 sur les Evang.) Au ministère sacré de la prédication, le
Sauveur ajoute le pouvoir de faire des miracles, afin que la manifestation de
cette puissance ouvrît les cœurs à la foi, et qu’une prédication toute nouvelle
fût accompagnée d’oeuvres d’un ordre tout nouveau. C’est pour cela qu’il leur
dit : « Rendez la santé aux
malades, ressuscitez les morts, guérissez les lépreux, chassez les démons. »
— S. Jér. Dans la crainte que
personne ne voulût croire à ces hommes simples et grossiers, sans science, sans
lettres, sans éloquence, qui venaient promettre le royaume des cieux, il leur
donne le pouvoir d’opérer ces miracles, pour que la grandeur des prodiges fût
une preuve de la grandeur des promesses. — S. Hil.
(can. 10 sur S. Matth.) Le Seigneur communique toute sa puissance, toute
sa vertu aux Apôtres, afin que ceux qui avaient été crées à l’image d’Adam et à
la ressemblance de Dieu, reçoivent maintenant une ressemblance parfaite avec le
Christ, et qu’ils puissent guérir par cette participation à la puissance divine
tous les maux dont l’instinct infernal du démon avait frappé le corps d’Adam. —
S. Grég. (hom. 29 sur l’Evang.) Ces
miracles étaient nécessaires alors que l’Église était à son berceau, car pour
que la foi pût s’accroître, il fallait la nourrir avec des prodiges. — S. Chrys. Plus tard, ces miracles cessèrent
lorsque la foi fut répandue en tous lieux, ou s’il y en eut encore, ce fut en
très petit nombre. Car Dieu opère ordinairement ces prodiges lorsque le mal est
arrivé à son comble, et c’est alors qu’il fait éclater sa puissance. — S. Grég. (hom. 29 sur l’Evang.) Cependant
la sainte Église renouvelle tous les jours pour les âmes ces miracles
extérieurs et sensibles des Apôtres, miracles d’autant plus grands qu’ils ont
pour objet de rendre la vie non pas au corps, mais à l’âme. — Remi. Ces infirmes sont les âmes sans
énergie, qui n’ont pas la force de mener une vie chrétienne ; les lépreux
ceux qui sont couverts des souillures des oeuvres et des plaisirs de la
chair ; les morts, ceux qui font des oeuvres de mort, les possédés, ceux
que le démon a soumis à son empire. — S. Jér.
Et parce que les dons spirituels s’avilissent toujours lorsqu’ils
deviennent le prix d’une récompense temporelle, Notre-Seigneur condamne cette
avarice en ces termes : « Vous avez reçu gratuitement, donnez
gratuitement ; moi qui suis votre maître et votre Seigneur, je vous ai
donné cette grâce sans vous la faire payer ; vous devez la donner de même.
— La Glose. Son but ici est de
détourner Judas qui portait la bourse de se servir de cette puissance pour
amasser de l’argent, et de condamner en même temps la pernicieuse hérésie des
Simoniaques. — S. Grég. (homél. 29.) Car il prévoyait qu’il y en
aurait pour qui les dons de l’Esprit saint seraient un objet de trafic, et qui
mettraient le don des miracles au service de leur avarice. — S. Chrys. (hom. 33). Voyez comme le Seigneur, en même temps qu’il sauvegarde
la dignité des miracles, prend soin de régler la conduite de la vie en faisant
voir que sans une vie réglée les miracles ne sont rien. En effet, il étouffe
dans leur cœur tout sentiment d’orgueil par ces paroles : « Vous avez
reçu gratuitement ; » et par ces autres : « Donnez
gratuitement, » il leur commande de se garder purs de toute affection aux
richesses. Ou bien en leur disant : « Vous avez reçu
gratuitement, » il veut leur apprendre qu’ils ne sont pas les auteurs des
bienfaits qu’ils répandent ; comme s’il leur disait : « Vous ne
donnez rien de ce qui vous appartient, » vous ne l’avez reçu ni comme
récompense, ni comme prix de votre travail, c’est une grâce que je vous ai
accordée, donnez-la donc comme vous l’avez reçue, car jamais vous ne pourrez en
trouver un prix qui réponde à sa valeur.
S. Chrys. (hom. 33.) Après avoir défendu à ses Apôtres le
trafic des choses spirituelles, le Seigneur veut arracher de leur cœur la
racine de tous les maux. « Ne possédez, dit-il, ni or, ni argent. » —
S. Jér. Si la fin qu’ils se
proposent, en prêchant l’Évangile, n’est point de recevoir une récompense
pécuniaire, pourquoi auraient-ils d’ailleurs de l’or, de l’argent ou d’autre
monnaie, puisque alors ce n’est plus le salut des hommes, mais l’amour de
l’argent qui semblerait être le mobile de leurs prédications ? — S. Chrys. (hom. 33.) En leur donnant ce précepte, il élève d’abord ses
disciples au-dessus de tout soupçon ; en second lieu, il les affranchit de
toute sollicitude pour qu’ils puissent se donner tout entiers à la parole de
Dieu, et il leur enseigne enfin jusqu’où va sa puissance, car il leur dira plus
tard : « Lorsque je vous ai envoyés sans sac et sans bourse, vous
a-t-il manqué quelque chose ? » (Lc
22.) — S. Jér. Ce n’est pas
assez d’avoir coupé jusque dans sa racine l’amour des richesses représentées
par l’or, l’argent et la monnaie courante, il semble vouloir retrancher
jusqu’au soin des choses nécessaires à la vie. C’est qu’il veut que les
Apôtres, prédicateurs de la vraie religion, qui devaient enseigner que le
gouvernement de la providence divine s’étend à tout, se montrent eux-mêmes sans
préoccupation pour le lendemain : et c’est pour cela qu’il ajoute :
« Ni monnaie dans vos bourses. » — La
Glose. Il y a deux sortes de choses nécessaires : l’une qui sert à
acheter le nécessaire, c’est l’argent dans la bourse ; l’autre le
nécessaire lui-même, qui est ici représenté par le sac. — S. Jér. Par ces paroles :
« Ni sac dans la route, » le Sauveur condamne certains philosophes
qu’on appelait Bactropérates, qui méprisant le monde, et comptant tout pour
rien, portaient avec eux toutes leurs provisions. « Ni deux tuniques. »
Ces deux tuniques dont parle le Seigneur signifient, à mon avis, deux vêtements
différents. Il ne défend donc pas à ceux qui sont exposés au froid glacial de
la Scythie où qui vivent sous d’autres climats rigoureux, de porter deux
tuniques ; mais par la tunique il entend le vêtement, et dès lors que nous
en avons un, il nous défend d’en avoir un autre en réserve, par un sentiment de
crainte pour l’avenir. « Ni chaussures. » Platon lui-même a défendu
de couvrir les deux extrémités du corps pour ne pas rendre trop délicats la
tête et les pieds, car lorsque ces deux parties ont de la vigueur et de la
fermeté, les autres parties du corps en deviennent elles-mêmes plus robustes.
« Ni bâton. » Pourquoi chercher l’appui d’un bâton, nous qui avons
pour soutien le Seigneur lui-même ? — Remi.
Le Seigneur nous montre encore par ces paroles, qu’il rappelle les saints
prédicateurs de la loi nouvelle à la dignité du premier homme, car tant qu’il
posséda les trésors du ciel il ne désira point les trésors de la terre, et il
n’y pensa que lorsqu’il eut perdu les richesses du ciel par son péché.
S. Chrys. (hom. 33.) Heureux
échange ! au lieu de l’or, de l’argent et d’autres choses de même nature,
ils ont reçu le pouvoir de guérir les malades, de ressusciter les morts, et de
faire d’autres semblables miracles. Aussi le Sauveur ne leur a pas tout d’abord
fait cette défense : « Ne possédez ni or ni argent, » mais il a
commencé par leur dire : « Guérissez les lépreux, chassez les
démons. » On voit ici que d’hommes qu’ils étaient, le Sauveur en fait pour
ainsi dire des anges, qu’il affranchit de tout soin de la vie présente pour ne
leur laisser qu’une seule préoccupation, celle de la doctrine. Et encore
veut-il les délivrer de cette sollicitude, lors qu’il leur dit : « Ne
vous mettez pas en peine de ce que vous direz » (Lc 12, 11). C’est ainsi
qu’il leur rend léger et facile ce que l’on regarde comme une tâche lourde et
pénible. Car quoi de plus doux que d’être affranchi de tout soin, de toute
inquiétude, surtout lorsque avec cela on n’éprouve aucun dommage, parce que
Dieu est présent et que son action remplace la nôtre ? — S. Jér. Comme il venait d’envoyer prêcher
ses Apôtres dépouillés de tout, et sans leur rien laisser, et que la condition
de ces maîtres de l’univers paraissait bien dure, il adoucit la sévérité de ces
commandements en ajoutant : « Car l’ouvrier est digne de son
salaire, » ce qui revient à dire : « Recevez tout ce qui vous
est nécessaire pour le vêtement et pour la nourriture. » C’est ce que
recommande aussi l’apôtre S. Paul : « Dès lors que nous avons la
nourriture et le vêtement, soyons-en contents (1 Tm 6) ; et ailleurs : « Que celui que l’on instruit
des choses de la foi fasse part de tous ses biens à celui qui l’instruit »
(Ga 6) ; c’est-à-dire que les
disciples qui moissonnent les biens spirituels de ceux qui les enseignent, les
fassent participer à leurs biens temporels, non pour satisfaire à leur avarice,
mais pour subvenir à leurs besoins.
S. Chrys. (hom. 33.) Il
était nécessaire que les Apôtres fussent nourris par leurs disciples, car ils
auraient pu s’élever au-dessus de ceux qu’ils enseignaient, parce qu’ils leur
donnaient tout sans en rien recevoir ; et les disciples, à leur tour,
auraient pu se croire méprisés, et s’éloigner de leurs maîtres. Il ne veut pas
non plus que les Apôtres rougissent de leur mission et viennent dire :
« Il veut donc que nous vivions comme des mendiants ? » Il leur
montre que cette nourriture leur est due, en leur donnant le nom d’ouvriers, et
en appelant salaire ce qu’ils reçoivent. Les Apôtres ne devaient pas regarder
comme un léger bienfait l’Évangile qu’ils annonçaient, parce que ce ministère
est tout entier dans la parole ; et c’est pour cela qu’il ajoute :
« L’ouvrier mérite de recevoir sa nourriture. » Ce n’est pas qu’il
veuille cependant leur donner une idée exagérée de leurs travaux et de la
récompense qu’ils méritent ; mais son dessein est de tracer aux Apôtres
une règle de conduite, et d’apprendre à ceux qui fournissent à leurs besoins
qu’ils ne font en cela que s’acquitter de ce qu’ils doivent. — S. Aug. L’Évangile n’est pas une chose
vénale et on ne doit point l’annoncer pour obtenir des biens temporels. Ceux
qui trafiquent ainsi de l’Évangile vendent à vil prix une chose bien précieuse.
Les prédicateurs peuvent donc recevoir des peuples qu’ils évangélisent la
nourriture nécessaire à leur vie, et attendre de Dieu seul la récompense de
leur ministère. Ce n’est pas un salaire que les fidèles donnent à ceux que la
charité porte à leur annoncer l’Évangile, c’est un subside qui leur permet de
continuer leurs travaux. S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap.
30.) Après avoir dit à ses Apôtres : « Ne possédez point d’or, »
le Sauveur ajoute immédiatement : « L’ouvrier mérite qu’on le
nourrisse ; » paroles qui font connaître la raison pour laquelle il
ne veut pas qu’ils aient ou qu’ils portent avec eux de l’or ou de l’argent. Ce
n’est pas que l’un et l’autre ne soient nécessaires à l’entretien de la
vie ; mais il veut, en les envoyant prêcher l’Évangile, que l’on comprenne
bien que ce salaire leur est dû par les fidèles qu’ils allaient évangéliser,
comme la solde est due à ceux qui combattent. Nous voyons encore ici que
l’intention du Seigneur n’est pas de défendre à celui qui annonce l’Évangile
d’avoir d’autres moyens de subsistance que les offrandes des fidèles, car alors
saint Paul aurait été contre cette défense, lui qui vivait du travail de ses
mains (Ac 20, 34 ; 1 Th 2, 9). Mais il leur donne simplement le pouvoir de
recevoir ces offrandes comme une chose qui leur est due. Ne pas faire ce que le
Seigneur commande, c’est une désobéissance formelle ; mais il est permis
de ne pas user d’un pouvoir qu’il donne, et d’y renoncer comme à un droit qui
nous est acquis. Le Sauveur veut donc établir que ceux qui annoncent l’Évangile
ont le droit de vivre de l’Évangile, et il recommande à ses Apôtres d’être sans
inquiétude lorsqu’ils ne posséderont ni ne porteront aucune des choses
nécessaires à la vie, quelle que soit leur importance ; c’est pourquoi il
ajoute : « ni bâton, » pour apprendre aux fidèles qu’ils doivent
tout aux ministres de l’Évangile, pourvu qu’ils ne demandent rien de superflu.
D’après l’évangéliste saint Marc, Notre-Seigneur leur défend de rien emporter
avec eux pour le chemin, si ce n’est un bâton, et le bâton est l’emblème de ce
pouvoir qu’il leur donne. Lorsque d’après saint Matthieu il défend de porter
même des chaussures, il veut qu’ils soient libres de toute inquiétude, car on
ne songe à s’en pourvoir que dans la crainte qu’on vienne à en manquer. Il faut
entendre dans le même sens ce qu’il dit des deux tuniques ; il leur défend
d’en porter d’autre que celle dont ils sont revêtus, pour se prémunir contre
les nécessités du voyage, puisqu’ils ont le droit d’en recevoir au besoin. Dans
saint Marc, Notre-Seigneur leur permet d’avoir pour chaussures des sandales, et
cette chaussure a nécessairement une signification mystique ; comme elle
laisse le pied découvert par dessus, tandis qu’elle le garantit par dessous,
elle signifie que l’Évangile ne doit pas être tenu dans le secret, et qu’il ne
doit pas s’appuyer sur des intérêts temporels. Il leur défend expressément dans
le même endroit non-seulement de porter deux tuniques, mais même de s’en
revêtir ; c’est pour les avertir de fuir toute duplicité, et d’être toujours
simples dans leur conduite. Il est donc incontestable que le Seigneur a dit
tout ce que les Évangélistes ont rapporté, tant au sens littéral, qu’au sens
figuré ; mais qu’ils ont rapporté les uns une partie de son discours, les
autres une autre. Maintenant que celui qui prétendrait que le Sauveur n’a pu,
dans le même passage, parler tantôt au sens figuré, tantôt au sens propre,
jette les yeux sur d’autres parties de l’Évangile, et il se convaincra que
cette opinion est aussi téméraire qu’elle est peu éclairée. Car lorsque le
Seigneur recommande de laisser ignorer à la main gauche ce que fait la main
droite, il sera forcé de prendre dans un sens figuré les aumônes et tout ce qui
fait la matière de ce commandement.
S. Jér. Nous avons donné le sens
historique, voyons maintenant le sens anagogique. Il est défendu aux docteurs
de l’Évangile d’avoir ni or, ni argent, ni monnaie dans leur bourse. Nous
voyons que l’or est souvent pris pour l’intelligence, l’argent pour la parole,
la monnaie pour la voix. Or, nous ne pouvons recevoir ces trois choses de
personne, si ce n’est de Dieu qui nous les donne, ni emprunter rien aux
enseignements des hérétiques, des philosophes ou d’autres doctrines également
perverses. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) La ceinture est une des choses nécessaires à celui
qui remplit quelque office, et elle rend son action plus libre ; nous
défendre d’avoir de l’argent dans nos ceintures, c’est nous défendre toute
vénalité dans l’exercice de notre ministère. Nous ne devons point porter de sac
pour le chemin, c’est-à-dire qu’il nous faut laisser toute préoccupation des
soins matériels ; car tout trésor sur la terre ne peut que nous être
funeste, parce que notre cœur sera nécessairement là où notre trésor est
enfoui. Il ajoute : « Ni deux tuniques. » Il nous suffit, en
effet, de nous être revêtus une fois de Jésus-Christ, et après avoir reçu
l’intelligence de la vérité, nous devons rejeter les vêtements que nous
présentent l’hérésie ou la loi ancienne. « Ni chaussures, »
c’est-à-dire que, marchant sur une terre sainte et débarrassée d’épines et de
ronces, ainsi qu’il fut dit à Moïse (Ex 3),
nous ne devons couvrir nos pieds d’autre chaussure que de celle que nous avons
reçue de Jésus-Christ. — S. Jér.
Ou bien le Seigneur nous enseigne à ne pas enchaîner nos pieds dans les liens
de la mort, mais à les dépouiller de tout pour entrer dans la terre sainte, à
laisser même ce bâton qui pourrait se changer en serpent ; à ne nous
appuyer sur aucun secours humain, car un bâton ou une baguette ne sont jamais
que des roseaux qui, pour peu qu’on les presse, se brisent et déchirent la main
de ceux qui s’y appuient. — S. Hil. (can. 10.) Nous n’avons besoin, du
reste, d’aucun secours étranger, nous qui avons en main le rejeton qui est
sorti de la tige de Jessé (Is 11, 1).
S. Chrys. (hom. 33.) Le Seigneur venait de dire :
« L’ouvrier est digne de son salaire ; mais son intention n’est point
d’ouvrir indifféremment par ces paroles toutes les portes à ses
disciples : aussi leur recommande-t-il d’user de la plus grande prudence
dans le choix de ceux dont ils recevront l’hospitalité : « Dans
quelque ville, leur dit-il, ou dans quelque bourg que vous entriez, demandez
qui est digne de vous recevoir. » —
S. Jér. Les Apôtres, en entrant
dans une ville nouvelle pour eux, ne pouvaient connaître celui qui se trouvait
dans ces conditions. Leur choix devait donc se guider sur l’opinion générale et
sur le jugement des voisins, afin que la dignité de l’Apôtre ne fût pas
compromise par la mauvaise réputation de celui qui le recevrait. — S. Chrys. (hom. 33.) Pourquoi donc alors le Sauveur s’est-il assis lui-même à
la table d’un publicain (Lc 1,
27.28.29) ? C’est que ce publicain s’en était rendu digne par sa
conversion. Or, cette manière d’agir ne devait pas seulement tourner à la
gloire des Apôtres, mais encore leur procurer les choses nécessaires à la
vie ; car si leur hôte était vraiment digne de leur choix, il devait
fournir amplement à tous leurs besoins, alors surtout qu’on ne lui demanderait
que le nécessaire. Remarquez comment en même temps qu’il les dépouille de tout,
il leur donne tout en abondance, en leur permettant de demeurer dans la maison
de ceux qu’ils évangélisaient. Car ils étaient ainsi délivrés de toute
sollicitude ; et comme ils ne portaient rien avec eux, qu’ils ne
demandaient que le nécessaire, et n’entraient pas indistinctement chez tout le
monde, ils persuadaient plus facilement aux autres qu’ils n’étaient venus que
pour les sauver. Le Seigneur voulait que ses Apôtres brillassent plus encore
par leur vertu que par leurs miracles, et une marque des moins équivoques de la
vertu, c’est de renoncer aux choses superflues. — S. Jér. Celui que les Apôtres choisissent pour lui demander
l’hospitalité ne fait pas une grâce à celui qui demeure chez lui, mais au contraire
il en reçoit une faveur ; et Jésus exige qu’il soit digne, pour lui faire
comprendre qu’il reçoit plutôt qu’il ne donne. — S. Chrys. (hom. 33.)
Remarquez que Notre-Seigneur ne leur accorde pas encore toute faveur, ainsi il
ne leur donne pas de savoir qui est digne, et il leur commande de s’en
informer. A cet ordre, il ajoute celui de ne pas aller de maison en
maison : « Demeurez-y, dit-il, jusqu’à ce que vous vous en
alliez ; » et cela pour ne pas contrister celui qui les a reçus, et
ne pas encourir le reproche de légèreté ou de sensualité. — S. Amb. Ce n’est donc pas sans motif qu’il
ordonne aux Apôtres de choisir la maison où ils devront demeurer, c’est afin de
ne pas avoir ensuite de raison d’en changer ; mais les mêmes précautions
ne sont pas recommandées à celui qui les reçoit, car en voulant y mettre trop
de discernement, son hospitalité pourrait perdre de son prix.
« En entrant
dans la maison, saluez-la en disant : Que la paix soit dans cette
maison. » — La Glose.
C’est-à-dire, demandez la paix pour celui qui vous reçoit, afin d’assoupir en
lui toute résistance contre la vérité. — S. Jér.
Ces paroles renferment implicitement le salut ordinaire des langues
hébraïque et syriaque, car le mot à la fois hébraïque et syriaque salemalach ou salamalach répond au καιρε des Grecs et à l’ave des Latins, et veut dire : « La paix soit
avec vous. » Or voici le sens de cette recommandation : en entrant
dans une maison, demandez la paix pour celui qui l’habite, et autant que vous
le pourrez, apaisez les discordes qui la troublent. Si on s’obstine à vouloir
la dissension, vous recevrez votre récompense pour la paix que vous aurez
offerte, et ceux qui l’ont rejetée auront la guerre en partage, comme l’indique
le texte sacré : « Si cette maison en est digne, votre paix viendra
sur elle ; si elle n’en est pas digne, votre paix reviendra sur
vous. » — Remi. Ou bien il y
aura dans cette maison un prédestiné à la vie, et il mettra en pratique la
parole divine qu’il a entendue, ou s’il n’y a personne qui veuille l’entendre, le
prédicateur ne demeurera pas sans fruit pour cela, car la paix lui revient,
lorsqu’il reçoit du Seigneur la récompense de son travail et de son zèle. — S. Chrys. (hom. 33.) Le Seigneur recommande aux Apôtres de ne pas attendre
que les autres les saluent, parce qu’ils sont eux-mêmes leurs docteurs, mais de
les saluer les premiers et de les prévenir par ce témoignage d’honneur. En
ajoutant : « Mais si cette maison n’est pas digne, » il leur
fait voir qu’il s’agit non pas d’une simple salutation, mais d’une véritable
bénédiction. — Remi. Le Seigneur
veut donc que ses disciples offrent la paix en entrant dans une maison, afin
que ce salut de paix les aide à reconnaître la maison ou l’hôte qui sont dignes
de les recevoir. Il semble leur dire ouvertement : Offrez la paix à
tous ; s’ils la reçoivent, ils prouveront qu’ils en sont dignes, s’ils la
rejettent, ils s’en déclareront indignes. Quoique l’opinion générale ait dû les
guider dans le choix de celui qui était digne de les recevoir, ils doivent
cependant lui adresser ce salut, car il faut bien plutôt qu’on appelle les
prédicateurs à cause de leur dignité, que de les voir s’introduire d’eux-mêmes
sans être appelés. Or ce salut de paix renfermé dans ce peu de mots peut servir
à reconnaître parfaitement si une maison ou celui qui l’habite sont dignes de
leur donner l’hospitalité.
S. Hil. Les Apôtres saluent donc la maison
avec un vif désir de paix, mais leurs paroles expriment plutôt la paix qu’ils
ne la donnent. Quant à la paix proprement dite, qui sort des entrailles de la
miséricorde, elle ne peut descendre sur cette maison qu’autant qu’elle la
mérite ; si elle n’en est pas trouvée digne, le mystère de cette paix
toute divine doit rester renfermé dans la conscience des Apôtres. Et ceux qui
ont rejeté les préceptes du royaume des cieux n’ont plus à attendre que la
malédiction éternelle que leur prédisent les apôtres en les quittant, et en
secouant la poussière de leurs pieds. « Lorsque quelqu’un ne voudra point
vous recevoir, ni écouter vos paroles, en sortant de cette maison ou de cette
ville secouez la poussière de vos pieds. » Car lorsqu’on habite un
endroit, il semble qu’on est en rapport, en communion avec lui. Mais en
secouant la terre de ses pieds, on se sépare complètement du péché de cette
maison, qui ne retire aucun avantage pour sa guérison des traces qu’y ont
imprimées les pieds des Apôtres. — S. Jér.
Ils secouent la poussière de leurs pieds, en témoignage de leurs
travaux, et pour attester qu’ils sont entrés dans cette ville, et que la
prédication évangélique est parvenue jusqu’à ses habitants. Ou bien cette
poussière secouée, signifie qu’ils ne doivent rien recevoir, pas même le
nécessaire, de ceux qui rejettent l’Évangile. — Rab. Ou bien les pieds des Apôtres figurent l’oeuvre même, la
marche et le progrès de la prédication apostolique. Cette poussière dont ils
sont couverts est la figure de la légèreté des pensées de la terre. Les
docteurs les plus éminents ne peuvent entièrement s’en garantir, lorsqu’ils se
livrent avec sollicitude aux oeuvres de zèle que réclame l’utilité de ceux
qu’ils enseignent ; et en traversant les routes du monde, la poussière de
la terre s’attache nécessairement à leurs pieds. Pour ceux donc qui méprisent
leur doctrine, les travaux, les dangers, les ennuis, les inquiétudes des docteurs
de l’Évangile deviennent un sujet de condamnation. Ceux au contraire qui
reçoivent leur parole savent trouver une leçon d’humilité dans les soucis et
les peines que supportent pour eux ceux qui les évangélisent. Et pour faire
voir que ce n’est pas une faute légère de ne pas recevoir les Apôtres, le
Sauveur ajoute : « Je vous le dis en vérité, au jour du jugement,
Sodome et Gomorrhe seront traitées moins rigoureusement que cette ville. »
— S. Jér. Car la prédication ne
s’est pas fait entendre à Sodome et à Gomorrhe, tandis que cette ville l’a
entendue et n’a pas voulu la recevoir. — Remi.
Ou bien c’est parce que les habitants de Sodome et de Gomorrhe, au
milieu des désordres où ils vivaient, exerçaient volontiers l’hospitalité, bien
que ceux qu’ils ont reçus ne fussent pas des apôtres. — S. Jér.
Si la ville de Sodome est traitée moins rigoureusement que cette cité
qui n’a pas reçu l’Évangile, il y a donc divers degrés dans les supplices des
pécheurs. — Remi. Notre-Seigneur
choisit ici pour exemple les villes de Sodome et de Gomorrhe, pour montrer que
Dieu a surtout en horreur les péchés contre nature, péchés qui ont attiré sur
le monde les eaux dans lesquelles il a été enseveli, qui ont amené la
destruction de quatre villes entières, et qui tous les jours sont cause des
maux incalculables qui viennent frapper les hommes.
S. Hil. Dans le sens mystique, le Seigneur
nous enseigne à ne pas fréquenter les maisons, et à ne pas cultiver l’amitié
des personnes qui se déclarent ennemis de Jésus-Christ ou qui ne le connaissent
pas. Dans chaque ville, il nous faut donc demander qui est digne de nous
recevoir, c’est-à-dire demander si l’Église est quelque part, et si
Jésus-Christ a lui-même une habitation ; et une fois entrés, n’allons pas
ailleurs, car cette maison et celui qui l’habite sont dignes que nous nous y
arrêtions. Il devait s’en rencontrer beaucoup parmi les Juifs, dont
l’attachement pour la loi serait si grand que tout en croyant en Jésus-Christ
dont ils avaient vu et admiré les prodiges, ils ne pourraient cependant sortir
des oeuvres de la loi. D’autres, curieux d’examiner la liberté dont
Jésus-Christ est l’auteur, devaient user de feinte, en quittant la loi pour
l’Évangile. Plusieurs autres enfin devaient être entraînés dans l’hérésie par
la dépravation de leur intelligence, et comme tous prétendent, mais bien à
tort, qu’ils sont en possession de la vérité catholique, il ne faut entrer
qu’avec précaution dans cette maison qui se dit l’Église catholique.
S. Chrys. (hom. 34.) Après avoir banni toute sollicitude
du cœur de ses disciples et les avoir armés de la puissance de faire des
miracles éclatants, il leur prédit les dangers qu’ils devaient courir. Il le
fait, premièrement pour les convaincre de sa divine prescience ; secondement,
pour éloigner de leur esprit le soupçon que ces épreuves leur arrivent à cause
de la faiblesse de leur Maître ; troisièmement, pour prévenir l’étonnement
mêlé de frayeur que ces maux leur causeraient, s’ils venaient fondre sur eux à
l’improviste et contre toute espérance ; quatrièmement, afin qu’étant
ainsi prévenus, le spectacle de la croix ne les jetât pas dans le trouble.
Comme il veut ensuite leur apprendre les lois nouvelles de ce combat, il les
envoie dépouillés de tout et il veut qu’ils soient nourris par ceux qui les
recevront. Il ne s’arrête pas là, mais il leur donne une nouvelle idée de sa
puissance, en ajoutant : « Voici que je vous envoie comme des brebis
au milieu des loups. » Remarquez que ce n’est pas seulement vers les loups
qu’il les envoie, mais au milieu des loups, afin que sa puissance se manifeste
avec plus d’éclat, lorsqu’on verra les brebis triompher des loups, tout en
vivant au milieu d’eux, et qu’au lieu de périr sous leurs morsures répétées,
elles parviendront à les changer et à les convertir. Or c’est une oeuvre bien
plus grande et plus admirable de changer leurs âmes que de les mettre à mort.
En s’exprimant de la sorte, il leur apprend à montrer la douceur des brebis au
milieu des loups. — S. Grég. (homél. 17 sur l’Evang.) Celui qui se
charge du ministère de la prédication, ne doit causer aucun mal, mais supporter
celui qu’on veut lui faire. C’est par cette douceur qu’il adoucira la fureur de
ceux qui se déchaînent contre lui, et que ressentant lui-même le contrecoup des
afflictions des autres, il pourra guérir les blessures des pécheurs. Si
quelquefois le zèle de la justice lui commande de sévir contre ceux qui lui
sont soumis, il faut que l’amour et non pas la dureté soit le principe de sa
colère, et que tout en maintenant au dehors les droits de la discipline
outragée, il aime d’un amour paternel ceux qu’il est obligé de châtier
extérieurement. Il en est beaucoup, au contraire, qui à peine revêtus de
l’autorité du commandement, se montrent ardents à tourmenter leurs inférieurs,
veulent imprimer la terreur du pouvoir, et paraître dominateurs ; ils
oublient tout à fait qu’ils sont pères, et cette place qui leur fait un
devoir de l’humilité, devient pour eux un sujet d’orgueil et de domination.
Parfois peut-être ils vous flattent au dehors, mais ils exercent intérieurement
leur fureur contre vous, et c’est d’eux qu’il a été dit : « Ils
viennent à vous avec des vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups
ravissants. » Remarquons ici que nous sommes envoyés comme des brebis au
milieu des loups, parce que Dieu veut que nous conservions la pureté de
l’innocence, sans jamais nous rendre coupables des morsures de la méchanceté. —
S. Jér. Il donne le nom de loups aux Scribes et aux Pharisiens qui
étaient comme les clercs de la religion juive. — S. Hil. Ces loups figurent aussi ceux qui dans leur fureur
insensée devaient se déchaîner contre les Apôtres.
S. Chrys. (hom. 34.) Ils
avaient une consolation dans leurs maux, c’était la puissance de Celui qui les
envoyait : aussi le Sauveur cherche-t-il à les bien convaincre avant tout
de cette puissance, lorsqu’il leur dit : « Voici que je vous
envoie, » c’est-à-dire : Ne soyez pas effrayés d’être envoyés au
milieu des loups, car j’ai assez de puissance pour vous préserver entièrement
du mal qu’ils pourraient vous faire, non-seulement en vous arrachant à leur
dent meurtrière, mais en vous rendant terribles aux lions eux-mêmes. Cependant
il faut que vous passiez par ces épreuves, pour faire briller dans tout son
éclat votre gloire et ma puissance. Toutefois, pour que les Apôtres puissent
contribuer eux-mêmes à cette gloire et qu’on ne croie pas qu’ils ont été
couronnés sans mérite, il ajoute : Soyez donc prudents comme des serpents
et simples comme des colombes. » —
S. Hil. La prudence leur fera
éviter les embûches, la simplicité les garantira du mal. Notre-Seigneur leur
donne pour exemple la finesse du serpent, parce qu’il cache sa tête dans les
replis de son corps afin de mettre à couvert le siége de sa vie. Ainsi
devons-nous sauver au péril de tout notre corps notre tête, qui est
Jésus-Christ, c’est-à-dire nous appliquer à conserver notre foi dans toute sa
pureté (Ep 3, 17 ; 4, 15), dans toute son intégrité. — Rab. Le serpent a coutume aussi de se
frayer un passage dans des ouvertures étroites, pour y laisser en passant son
ancienne peau. C’est ainsi que le prédicateur, en traversant la voie étroite,
doit se dépouiller entièrement du vieil homme. — Remi. Le Sauveur donne ici une belle leçon aux prédicateurs,
en leur recommandant d’avoir la prudence du serpent ; car c’est par le
serpent que le premier homme fut trompé, et il semble leur dire : Le
serpent a été prudent et rusé pour tromper ; soyez prudents vous mêmes
pour sauver ; il a fait l’éloge de l’arbre de la science ; exaltez
vous-mêmes la puissance de la croix. — S. Hil.
Le démon s’est d’abord attaqué à l’âme du sexe le plus faible, et l’a
séduite par l’espérance, en lui promettant la participation à
l’immortalité ; ainsi devons-nous choisir nous-mêmes l’occasion favorable
(eu égard à la nature et aux dispositions d’un chacun) pour parler avec
prudence, révéler l’espérance des biens éternels et prédire en toute vérité, en
nous fondant sur la promesse de Dieu lui-même, ce que le démon n’a promis que
par un mensonge, c’est-à-dire que ceux qui croient deviendront semblables aux
anges. (Mt 22.)
S. Chrys. (hom. 24.) De
même que nous devons avoir la prudence du serpent pour éviter d’être blessés
dans ce que nous avons de plus cher, ainsi devons-nous avoir la simplicité de
la colombe pour ne pas opposer la vengeance à l’injustice qui nous est faite,
et ne pas dresser aux autres de pernicieuses embûches. — Remi. Le Sauveur réunit ces deux
vertus, car la simplicité sans la prudence peut être facilement trompée, et la
prudence a ses dangers lorsqu’elle n’est pas tempérée par la simplicité.
S. Jér. La simplicité des colombes nous
est révélée dans la forme sous laquelle l’Esprit saint a voulu paraître, et
c’est en faisant allusion à cette vertu que l’Apôtre a dit : « Soyez
petits en malice. » — S. Chrys.
(hom. 34.) Quoi de plus dur en
apparence que de semblables commandements ? Non-seulement il faut souffrir
le mal, il n’est pas même permis de s’en troubler, ce qui est le propre de la
colombe ; car la colère n’apaise pas la colère, mais la douceur seule peut
l’éteindre.
Rab. Ces loups dont il
vient de parler, ce sont les hommes, comme le prouvent les paroles
suivantes : « Gardez-vous des hommes. » La Glose. Il est donc nécessaire que vous soyez comme des
serpents, c’est-à-dire pleins de finesse, car tout d’abord, suivant leur
coutume, ils vous traduiront devant leurs tribunaux, et vous défendront de
prêcher en mon nom ; et si vous n’obéissez, ils vous feront fouetter de
verges et vous conduiront enfin devant les gouverneurs et devant les rois. — S.
Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ce
sont eux qui s’efforcent d’arracher un aveu à votre silence ou votre
consentement à leurs projets.
S. Chrys. (hom. 34.) Il est
vraiment surprenant qu’en parlant de la sorte le Sauveur n’ait pas vu
s’éloigner aussitôt de lui ces hommes qui n’avaient jamais quitté les bords du
lac dans lequel ils jetaient leurs filets. C’est là une preuve non-seulement de
leur vertu, mais de la sagesse du docteur qui les enseignait ; car à
chacun des maux qu’il leur prédisait il prenait soin de joindre un
adoucissement. C’est pour cela qu’il ajoute : « A cause de
moi. » C’est en effet une bien
grande consolation de souffrir pour Jésus-Christ. Les Apôtres n’étaient pas
persécutés comme des méchants et des scélérats ; Notre-Seigneur en donne la
raison : « Pour leur servir de témoignage. » — S. Grég. (hom. 31.) C’est-à-dire à ceux qui leur ont donné la mort en les
persécutant ou qui n’ont pas changé eux-mêmes de vie ; car la mort des
saints est un puissant secours pour les bons comme elle est un témoignage
contre les méchants qui périssent sans excuse là où les élus trouvent de
salutaires exemples qui les conduisent à la vie.
S. Chrys. (hom. 34.) Ce qui
les consolait dans ces paroles, ce n’est pas le désir de voir la ruine de leurs
ennemis, mais la vive confiance qu’ils avaient que le Sauveur était toujours
avec eux et prévoyait tout ce qui devait leur arriver. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ce témoignage non-seulement enlève aux
persécuteurs toute excuse, mais encore ouvre aux nations le chemin de la foi en
Jésus-Christ, qui leur fut prêchée jusqu’au milieu des tourments par la voix
ferme et constante des confesseurs ; et c’est pour cela qu’il
ajoute : « Et aux nations. »
S. Chrys. (hom. 34.) Aux consolations qui précèdent, le
Sauveur en ajoute une non moins grande. Les Apôtres auraient pu lui dire :
Comment pourrons-nous persuader les esprits au milieu de tant de
persécutions ? Jésus leur commande de ne point se préoccuper de ce qu’ils
auront à répondre. « Lorsqu’on vous livrera, leur dit-il, ne vous mettez
point en peine comment vous leur parlerez ; ni de ce que vous leur
direz. » Il distingue ici deux
choses : la réponse et la forme qu’on peut lui donner ; l’une qui a
pour principe la sagesse, et l’autre qui est du ressort de la parole. Or, comme
c’était de lui que venaient et les paroles qu’ils devaient dire, et la sagesse
qui les inspirait, les prédicateurs de l’Évangile n’avaient nullement à se
préoccuper soit du fond soit de la forme de leur discours. — S. Jér. Lorsque nous sommes traduits
devant les juges de la terre pour la cause de Jésus-Christ, nous n’avons qu’une
chose à faire : offrir pour lui notre volonté. Pour le reste,
Jésus-Christ, qui lui-même habite en nous, parlera pour lui-même, et le
Saint-Esprit nous prêtera son secours divin pour répondre. — S. Hil. Car si notre foi se donne tout
entière à l’accomplissement des divins préceptes, Dieu de son côté lui donnera
la science nécessaire pour répondre ; elle en a pour garant l’exemple
d’Abraham à qui Dieu, après lui avoir demandé le sacrifice de son fils Isaac,
fit trouver le bélier nécessaire au sacrifice. (Gn 22.) Aussi prend-il soin d’ajouter : « Car ce n’est
pas vous qui parlez. » — Remi. Voici
le sens de ces paroles : C’est vous qui marchez au combat, mais c’est moi
qui en soutiens tout l’effort ; c’est vous qui prononcez les paroles, mais
c’est moi-même qui parle par votre bouche. C’est ce qui faisait dire à saint
Paul : « Est-ce que vous voulez faire l’expérience de Jésus-Christ
qui parle par ma bouche ? » —
S. Chrys. (hom. 34.) C’est ainsi qu’il revêt les Apôtres de la dignité des
prophètes qui ont parlé sous l’inspiration de l’Esprit saint. Or, ce qu’il leur
dit ici : « Ne soyez pas en peine de ce que vous direz, » n’est
pas contraire à ce qui est dit ailleurs : « Soyez toujours prêts à
répondre pour votre défense à tous ceux qui vous demanderont raison de
l’espérance qui est en vous. » Lorsque la discussion s’engage entre nous
et nos amis, nous devons nous préoccuper de ce que nous répondrons ; mais
devant le tribunal effrayant des persécuteurs, au milieu d’un peuple en furie,
alors que nous ne voyons de tous côtés que des sujets d’effroi, Jésus-Christ
vient à notre secours et nous donne la force de parler avec une sainte
hardiesse et d’être inaccessible à la crainte.
La Glose. Notre-Seigneur
a fait précéder la consolation, il prédit maintenant de plus grands
dangers : « Le frère livrera son frère à la mort, et le père son
fils, et les fils s’élèveront contre leurs parents. » — S. Grég. (hom. 35 sur les Evang.) Les
peines que nous causent ceux dont l’affection et la fidélité nous paraissaient
acquises, nous sont beaucoup plus sensibles que les épreuves qui nous viennent
de personnes qui nous sont étrangères ; car alors, outre la douleur du
corps, nous sommes déchirés par le regret de l’affection que nous avons perdue.
— S. Jér. C’est ce qui arrive
souvent dans les persécutions, et il n’y a point à compter sur l’affection de
ceux qui n’ont point la même foi.
S. Chrys. (hom. 34.) Voici
une épreuve plus terrible encore : « Et vous serez haïs de tous les
hommes. » Et en effet on les poursuivait, et on voulait les chasser comme
les ennemis communs du genre humain. Aussi leur présente-t-il de nouveau cette
double consolation : « A cause de mon nom, » et cette autre : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin
sera sauvé. » Il en est beaucoup, en effet, qui, pleins d’ardeur dans les
commencements, perdent insensiblement toute leur force ; c’est pourquoi le
Sauveur demande la persévérance jusqu’à la fin. Car de quelle utilité peuvent
être les semences qui donnent d’abord des fleurs, et qu’on voit ensuite se
dessécher sur leur tige ? Aussi exige-t-il de ses disciples une
persévérance constante. — S. Jér. Le
caractère propre de la vertu, ce n’est pas de commencer, c’est d’achever. — Remi. Et ce n’est pas à ceux qui
commencent, mais à ceux qui persévèrent, que la récompense est donnée.
S. Chrys. (hom. 34.) Notre-Seigneur
prévient ici cette difficulté : Le Christ est l’auteur de tout ce que nous
admirons dans les Apôtres ; il n’est donc pas surprenant qu’ils soient
devenus ce qu’on les a vus, puisqu’ils n’avaient rien à supporter de
pénible ; c’est pourquoi il ajoute que la persévérance leur est
nécessaire. Car lors même qu’il les aurait arrachés aux premiers dangers, ils
étaient réservés à d’autres plus grands encore, auxquels de nouveaux devaient
succéder, puisqu’ils ne devaient pas vivre un instant sans avoir à redouter les
piéges qu’on leur dressait, vérité qu’il leur révèle d’une manière indirecte,
en leur disant : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera
sauvé. » — Remi. C’est-à-dire celui qui
n’abandonnera pas les préceptes de la foi, qui ne faiblira pas dans les persécutions,
celui-là sera sauvé, et les persécutions de la terre lui mériteront les
récompenses du royaume des cieux. Remarquez que le mot fin ne signifie pas toujours la destruction d’une chose, mais
quelquefois sa perfection, comme dans ce passage : « Le Christ est la
fin. » (Rm 10.) On peut donc
adopter ce sens : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin, »
c’est-à-dire dans le Christ. — S. Aug.
(Cité de Dieu, liv. 21, chap. 25.) En
effet, persévérer dans le Christ, c’est persévérer dans la foi que nous avons
en lui et qui agit par la charité.
S. Chrys. (hom. 35.) Après avoir prédit à ses Apôtres les
épreuves terribles qui devaient leur arriver après son crucifiement, sa
résurrection et son ascension, il ramène leur pensée sur des considérations
moins sévères ; il ne leur fait pas un devoir d’affronter audacieusement
la persécution, mais leur ordonne même de la fuir. « Lorsqu’ils vous
persécuteront, fuyez. » Le Sauveur use à leur égard de cette
condescendance, parce qu’ils étaient nouvellement convertis. — S. Jér. Il faut rapporter ces paroles au
temps où il envoyait les Apôtres prêcher l’Évangile en leur disant :
« N’allez pas dans la voie des Gentils ; » c’est-à-dire qu’ils
ne doivent pas craindre la persécution, mais l’éviter, c’est ce que nous voyons
faire aux fidèles de la primitive Église ; la persécution s’étant élevée à
Jérusalem, ils se dispersèrent dans toute la Judée (Ac 8), et c’est ainsi que la persécution devint elle-même le
principe de la propagation de l’Évangile.
S. Aug (contre
Faust, liv. 22, chap. 39.) Si le Sauveur leur ordonne de fuir, et si
lui-même le premier leur en a donné l’exemple, ce n’est point par impuissance
de défendre ses disciples, mais c’est pour enseigner à la faiblesse de l’homme
à ne pas tenter Dieu, quand il est en son pouvoir de fuir le danger qu’il doit
éviter. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 1, chap. 23.) Il
aurait pu leur conseiller de mettre fin à leurs jours pour ne pas tomber entre
les mains des persécuteurs. Or, puisqu’il n’a donné ni l’ordre ni le conseil de
sortir ainsi de cette vie à ceux qu’il a promis de recevoir dans les demeures
éternelles qu’il est allé leur préparer ; quels que soient les exemples
que puissent nous opposer les nations qui ne connaissent pas Dieu, il est
évident que se donner la mort est un crime pour ceux qui croient en un seul et
vrai Dieu.
S. Chrys. (hom. 35.) Les
Apôtres pouvaient lui objecter : Mais que ferons-nous si après avoir fui
la persécution qui nous menace, on nous chasse encore de la contrée que nous
aurons choisie ? Le Seigneur bannit cette crainte de leur cœur en
ajoutant : « Je vous dis en vérité, vous n’aurez pas achevé toutes
les demeures d’Israël jusqu’à ce que vienne le Fils de l’homme, »
c’est-à-dire en parcourant la Palestine, vous ne devancerez pas le temps où je dois
venir vous chercher et vous prendre avec moi. — Rab. Ou bien il leur prédit qu’ils ne convertiront pas à la
foi par leurs prédications toutes les villes d’Israël avant la résurrection du
Sauveur, et aussi avant qu’ils aient reçu le pouvoir de prêcher l’Évangile par
toute la terre. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ou bien encore il leur conseille de fuir d’une
ville dans une autre, parce que la prédication de l’Évangile, repoussée par la
Judée, s’est fait entendre dans la Grèce. Elle s’est ensuite répandue dans
toutes les villes de cette contrée par les persécutions multipliées des
Apôtres, et de là elle s’est fixée, pour y demeurer, dans l’universalité des
nations. Mais le Seigneur, voulant montrer que si les nations seraient amenées
à la foi par la prédication des Apôtres, les restes d’Israël ne devraient leur
conversion qu’à son avènement, il ajoute : « Vous n’achèverez pas
toutes les villes, » c’est-à-dire qu’après la plénitude des nations, ce
qui restera d’Israël pour consommer le nombre des saints sera réuni à l’Église
par l’éclat du dernier avènement de Jésus-Christ.
S. Aug. (Lettre 180 à Honorat.) Que
les serviteurs de Jésus-Christ ne craignent donc pas de faire ce qu’il a
commandé ou permis, et ce qu’il a fait lui-même en fuyant en Egypte ; ils
doivent donc fuir aussi de ville en ville lorsqu’ils seront l’objet particulier
d’une persécution ; ceux au contraire qui ne sont pas personnellement
recherchés, ne doivent pas abandonner leur Église, mais rester pour soutenir ceux
de leurs frères qui n’attendent que d’eux leur subsistance. Mais lorsque le
danger devient général et qu’il menace également les évêques, les clercs et les
fidèles, que ceux qui doivent aux autres le secours de leur ministère
n’abandonnent pas les fidèles qui ont droit de le réclamer, ou qu’ils fuient
tous ensemble dans des lieux sûrs. Que ceux qui sont obligés de rester ne
soient point abandonnés par ceux qui doivent subvenir à leurs besoins
spirituels, mais qu’ils vivent ensemble, ou qu’ensemble ils partagent les
épreuves auxquelles le père de famille veut les soumettre. — Remi. Il ne faut pas oublier d’ailleurs
que si le précepte de la persévérance dans les persécutions regarde
spécialement les Apôtres et les hommes courageux qui leur ont succédé, la permission
de fuir est donnée à ceux qui sont faibles dans la foi. Le bon Maître a voulu
ainsi condescendre à leur faiblesse, dans la crainte qu’en se présentant
d’eux-mêmes au martyre, ils ne fussent exposés à renoncer à la foi au milieu
des tourments ; car il vaut mieux fuir qu’apostasier. Et bien qu’en fuyant
ils ne fissent pas preuve d’une foi constante et parfaite ; cependant ils
avaient un grand mérite, car ils étaient prêts, en prenant la fuite, à tout
quitter pour Jésus-Christ. Or, si le Sauveur ne leur avait pas accordé la
permission de fuir la persécution, il y aurait eu des hommes qui les auraient
déclarés indignes de la gloire du royaume des cieux.
S. Jér. En prenant ces paroles dans le
sens spirituel, nous pouvons dire : Lorsqu’ils nous persécuteront dans une
ville, c’est-à-dire dans un livre, ou dans un texte de la sainte Écriture,
fuyons vers d’autres villes, c’est-à-dire vers d’autres livres ; et
quelque ami de la dispute que soit notre persécuteur, le secours du Seigneur
nous arrivera avant qu’il ait remporté la victoire.
S. Chrys. (hom. 35.) Aux persécutions dont il vient de
parler devait se joindre la diffamation et la calomnie, qui seraient pour les
Apôtres le supplice le plus pénible en les atteignant jusque dans leur
réputation ; il leur apporte donc pour consolation son propre exemple, et
leur rappelle tout ce qu’on a osé dire de lui, consolation qui, pour eux, était
sans égale. — S. Hil. En effet,
le Seigneur, la lumière éternelle, le chef des croyants, le père de l’immortalité,
révèle par avance à ses disciples les consolations qui adouciront un jour leurs
épreuves, afin de nous faire embrasser avec ardeur comme un titre de gloire
cette carrière qui nous rend les égaux du Seigneur par les souffrances. C’est
pour cela qu’il ajoute : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître,
ni le serviteur, » etc. — S. Chrys.
(hom. 35.) Il faut entendre ces
paroles dans ce sens : tant qu’il reste disciple et serviteur. Alors,
dis-je, il n’est pas au-dessus de son maître et de son seigneur, quant à
l’honneur auquel il peut aspirer. Et ne m’objectez pas ici de rares exceptions,
ces paroles doivent s’entendre de ce qui arrive le plus ordinairement. — Remi. Le maître et le seigneur c’est
lui-même ; par le serviteur et le disciple, il veut désigner ses Apôtres.
— La Glose. Telle est la leçon
qu’il veut faire à ses disciples : « Ne vous irritez pas de souffrir
ce que je souffre, car je suis votre Maître, et je vous enseigne ce qui doit
vous être utile.
Remi. Comme cette maxime
ne paraissait pas se rapporter parfaitement à ce qui précède, il leur fait
connaître le but qu’il s’y est proposé en ajoutant : « S’ils ont
appelé Béelzébub le père de famille, à combien plus forte raison traiteront-ils
ses domestiques de la même manière. »
S. Chrys. (hom. 35.) Il ne
dit pas ses serviteurs, mais ses domestiques, les gens de sa maison, pour
exprimer dans quelle intimité il est avec eux, comme il le dit ailleurs :
« Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, mais mes amis. » — Remi. Il semble leur dire par ces paroles :
« Ne cherchez donc ni les honneurs de la terre, ni la gloire qui vient des
hommes, vous qui me voyez racheter le monde en supportant tous les outrages et
tous les opprobres. — S. Chrys. (hom. 35.) Il ne se contente pas de
dire : S’ils ont outragé le Maître, mais il spécifie l’outrage :
« s’ils l’ont appelé Béelzébub. » — S.
Jér. Béelzébub était l’idole d’Accaron, qui est appelée dans le livre
des Rois l’idole de la mouche. Béel
est la même chose que Bel ou Baal, et Zébub signifie mouche. Les Juifs
donnaient au prince des démons le nom de l’idole la plus impure, qu’on appelait
mouche, à cause de ce qu’elle a d’immonde, car la mouche en tombant dans un
parfum en détruit la bonne odeur.
Remi. A cette première
consolation, le Sauveur en ajoute une autre qui n’est pas moins grande :
« Ne les craignez donc pas, » c’est-à-dire les persécuteurs. Et
pourquoi ne doivent-ils pas les craindre ? « Parce qu’il n’y a rien
de caché qui ne doive être découvert. »
— S. Jér. Comment donc alors
les vices d’un si grand nombre demeurent-ils cachés pendant cette vie ?
Notre-Seigneur veut parler ici du temps à venir. Lorsque le Seigneur jugera ce
qui est caché dans le cœur des hommes (1 Co 4, 5), il portera la lumière dans les retraites les plus
ténébreuses, et découvrira les plus secrètes pensées des cœurs. Tel est donc le
sens de ces paroles : « Ne craignez ni la cruauté des persécuteurs,
ni la rage des blasphémateurs, car viendra le jour du jugement qui mettra en
évidence votre vertu et leur malice. — S. Hil.
(can. 10 sur S. Matth.) Il leur recommande donc de ne craindre ni les
menaces, ni les outrages, ni la puissance des persécuteurs, parce que le jour
du jugement dévoilera le néant et la faiblesse de leurs entreprises. — S. Chrys. (hom. 35.) Ou bien encore, au premier abord, les paroles du Sauveur
présentent un sens général ; toutefois, on ne doit les entendre que de ce
qui précède, dans ce sens : « S’il vous est pénible d’être en butte
aux outrages, pensez que vous ne tarderez pas à être délivrés de cette épreuve.
Ils vous prodigueront les noms injurieux de devins, de magiciens et de
séducteurs ; mais attendez un peu, et tous vous proclameront à l’envi les
sauveurs de l’univers, alors que par vos oeuvres vous en paraîtrez les
bienfaiteurs, et les hommes cesseront de s’arrêter à leurs discours pour ne
plus s’occuper que de la vérité des faits.
Remi. Il en est qui
prétendent que Notre-Seigneur promet ici à ses disciples de révéler par eux
tous les mystères cachés qui demeuraient voilés sous la lettre de la loi ;
ce qui faisait dire à l’Apôtre : « Lorsqu’ils seront convertis à
Jésus-Christ, le voile sera levé. » Tel serait donc le sens de ces
paroles : « Pourquoi craindriez-vous vos persécuteurs, vous dont la
dignité est si grande, puisque Dieu vous a choisis pour dévoiler les mystères
de la loi et des prophètes. S. Chrys. (hom. 35.) Après les avoir délivrés de toute crainte, et les
avoir rendus supérieurs aux opprobres, le moment est venu de leur parler de la
liberté de la prédication ; c’est ce qu’il fait, en leur disant « Ce
que je vous dis dans les ténèbres, » etc. S. Hil. Nous ne lisons nulle part que le Seigneur eût pour
habitude de discourir pendant la nuit, et d’enseigner sa doctrine dans les
ténèbres ; si donc il s’exprime ainsi, c’est que tous ses discours sont
ténèbres pour les hommes charnels, et que sa parole est comme la nuit pour les
infidèles. Il faut donc prêcher ses divins enseignements avec toute la liberté
de la foi et de la prédication. — Remi. Voici
donc le sens de ces paroles : « Ce que je vous dis dans les
ténèbres, » c’est-à-dire au
milieu des Juifs incrédules, « dites-le à la lumière, » c’est-à-dire
devant les fidèles ; et « ce que vous entendez à l’oreille, »
c’est-à-dire ce que je vous dis en secret, « prêchez-le sur les
toits, » c’est-à-dire en public et devant tout le monde. L’expression parler à l’oreille, dans le langage
ordinaire, veut dire parler en secret.
Rab. Ces paroles :
« Prêchez sur les toits, » sont une allusion à ce qui se fait dans la
Palestine, où les toits servent d’habitation, parce qu’ils ne sont point
terminés en pointe comme les nôtres, mais présentent une surface plane. Prêcher
sur les toits, c’est donc prêcher publiquement, devant un grand nombre
d’auditeurs. — La Glose. Ou bien
encore : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, » c’est-à-dire
pendant que vous êtes encore sujets à une crainte toute humaine ;
« dites-le en plein jour, » c’est-à-dire avec la confiance que donne
la vérité lorsque l’Esprit vous aura inondé de sa lumière ; « et ce
que l’on vous dit à l’oreille, » c’est-à-dire ce que vous percevez par
l’ouïe seule, « prêchez-le par les oeuvres, tandis que vous habitez sur
les toits, » c’est-à-dire dans vos corps qui sont la demeure de vos âmes.
— S. Jér. Ou bien encore :
« Ce que je vous dis dans les ténèbres, prêchez-le en plein jour, »
c’est-à-dire, ce que je vous dis dans le mystère, prêchez-le à découvert ;
« et ce que vous entendez à l’oreille, prêchez-le sur les toits, »
c’est-à-dire ce que je vous ai enseigné dans un endroit resserré de la Judée,
annoncez-le sans crainte à toutes les villes du monde entier.
S. Chrys. (hom. 35.) Le
Sauveur nous montre ici que c’est lui qui opère toutes ces oeuvres par ses
Apôtres, et de beaucoup plus grandes qu’il n’en a faites lui-même, comme il le
dit ailleurs : « Celui qui croit en moi fera les oeuvres que je fais,
et il en fera même de plus grandes, » ce qui revient à dire : J’ai
commencé par agir moi-même, mais c’est par vous que je veux accomplir ce qu’il
y a de plus grand, paroles qui ne renferment pas seulement un commandement,
mais une prédiction de l’avenir, et apprennent aux Apôtres qu’ils triompheront
de tous les obstacles.
S. Hil. Il faut donc répandre
continuellement la connaissance de Dieu, et révéler par la lumière de la
prédication le profond secret de la doctrine évangélique, sans craindre
nullement ceux qui n’ont de puissance que sur nos corps, et n’en ont aucune sur
nos âmes ; c’est pour cela que le Sauveur ajoute : « Ne craignez
pas ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l’âme. — S. Chrys. (hom. 35.) Voyez comme il les rend supérieurs à tout, en leur
persuadant de mépriser non-seulement toute sollicitude, les calomnies, les
périls, mais encore ce qu’il y a de plus terrible, la mort elle-même, et de
tout sacrifier à la crainte de Dieu. « Craignez plutôt, ajoute-t-il, celui
qui peut envoyer votre corps et votre âme dans l’enfer. »
S. Jér. Le nom de géhenne ne se trouve pas dans les livres de l’ancienne loi, et
c’est le Sauveur qui l’a employé le premier ; examinons à quelle occasion.
Nous lisons en plusieurs endroits de l’Écriture (2 Par 24 ; 3 R 16) qu’il
y avait une idole de Baal près de Jérusalem, au pied du mont Moria, là où coule
la fontaine de Siloë. Cette vallée, qui forme une petite plaine, était arrosée
de plusieurs ruisseaux, ombragée et pleine de charmes ; elle renfermait un
bois consacré à cette idole. Le peuple d’Israël en était venu à cet excès de
folie d’abandonner les parvis du temple pour venir immoler des victimes dans
cette vallée, oublier au milieu de ses délices la sévérité de la vraie
religion, et brûler ses enfants offerts comme victimes au démon. Ce lieu
s’appelait Géhennon ou la vallée des fils d’Ennon (4 R 23, 10 ; 2 Par 16,
3 ; Jos 15, 8 ; Jr 7, 31 ; 19, 2.6). Ce nom se trouve souvent
répété dans les livres des Rois, dans
les Paralipomènes et dans Jérémie.
Dieu y menace son peuple de remplir de cadavres ce lieu, qu’on n’appellera plus
Tophet et Baal, mais Polyandrium, c’est-à-dire
le tombeau des morts. Notre-Seigneur se sert donc de ce nom pour exprimer les
supplices et les châtiments éternels qui attendent les pécheurs. — S. Aug. (Cité de Dieu, 13, 2.) Ces supplices ne commenceront pour le corps
et pour l’âme à la fois, que lorsque l’âme sera réunie au corps d’une union qui
ne pourra plus être brisée. Et cependant cet état est justement appelé la mort
de l’âme, parce qu’alors elle ne vivra plus de la vie de Dieu, et la mort du
corps, parce que sous le coup de cette éternelle damnation, bien que l’homme
conserve le sentiment, ce sentiment n’étant plus pour son cœur la source
d’aucune douceur, d’aucun repos, mais un principe de douleur et de peine, cet
état mérite d’être appelé bien plutôt un état de mort qu’un état de vie. — S. Chrys. (hom. 35.) Remarquez encore qu’il ne leur promet pas de les
affranchir de la mort, mais qu’il leur conseille de la mépriser, ce qui est
bien plus grand que d’en être délivré, et que dans ce même discours il imprime
dans leur âme la croyance de l’immortalité.
S. Chrys. (hom. 35.) Après avoir banni de leur âme la
crainte de la mort, le Sauveur ne veut pas que ses Apôtres pussent se croire
abandonnés s’ils venaient à succomber ; il ramène de nouveau son discours
sur la providence de Dieu, et leur dit : « Est-ce que deux passereaux
ne se vendent pas une obole ? Et cependant pas un ne tombe à terre sans la
permission de votre Père. »
S. Jér. Voici le sens de ces
paroles : « Si de petits animaux ne périssent pas sans la permission
de Dieu, si sa providence s’étend à toutes les créatures, et si celles d’entre
elles qui sont sujettes à la mort ne peuvent périr sans la volonté de Dieu,
vous dont la destinée est éternelle, devriez-vous craindre que la providence
vous abandonne dans le cours de cette vie ?
S. Hil. Dans le sens mystique, ce qui est vendu,
c’est le corps et l’âme, et celui auquel on le vend, c’est le péché. Ceux qui
vendent deux passereaux pour une obole sont ceux qui étaient nés pour prendre
leur essor et s’élever jusqu’au ciel sur les ailes de la grâce, et qui se
vendent pour un misérable péché. Séduits par les voluptés de cette vie, et
acquis par avance aux vanités du siècle, ils se prostituent tout entiers et se
vendent à ce vil prix. Or, la volonté de Dieu c’est que l’une de ces deux
substances s’élève par son essor au-dessus de l’autre ; mais une loi qui a
également Dieu pour auteur veut que l’autre soit plus portée à tomber qu’à
s’élever. De même que s’ils avaient pris leur vol ensemble, ils n’auraient fait
qu’un, et que le corps serait ainsi devenu spirituel ; de même lorsqu’ils
sont tous deux vendus au péché, l’âme devient terrestre et matérielle au milieu
des souillures du vice, et les deux substances n’en font plus qu’une seule que
les inclinations de la chair font tomber violemment à terre.
S. Jér. Ces paroles : « Tous les
cheveux de votre tête sont comptés, » montrent l’immense providence de
Dieu à l’égard des hommes, et sont une preuve de cet amour ineffable de notre
Dieu pour lequel il n’y a rien de caché. — S. Hil.
L’action de compter indique le soin que l’on prend d’une chose. — S. Chrys. (hom. 35.) Si Notre-Seigneur s’exprime de la sorte, ce n’est pas
que Dieu compte littéralement nos cheveux, mais il veut nous apprendre la
connaissance parfaite que Dieu a de nos besoins, et l’étendue de sa providence
pour y subvenir.
S. Hil. Ceux qui nient la résurrection de
la chair se moquent de l’interprétation de l’Église, comme si nous disions que
les cheveux qui ont été comptés, et qui sont tombés sous les ciseaux, doivent
ressusciter. Mais le Sauveur ne dit pas : « Tous vos cheveux seront
conservés, mais « seront comptés. » Cette manière de parier prouve
que Dieu connaît le nombre de nos cheveux, mais non pas qu’il les conservera
tous. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. dern. chap. 19.) On
pourrait aussi faire cette question : Tous les cheveux qui ont été coupés,
reviendront-ils, et s’ils doivent repousser, qui n’aurait horreur de cette
difformité ? Mais dès lors que l’on comprend et que l’on admet en principe
que le corps ne perdra rien de ce qui peut lui donner de la grâce et de la beauté,
on doit comprendre également que ce qui serait de nature à produire une hideuse
difformité viendra se joindre à la masse du corps et non pas aux membres dont
la forme en serait défigurée. Ainsi, qu’un vase de terre soit réduit en
poussière et qu’il soit ensuite rendu à sa première forme avec la même matière,
il ne serait pas nécessaire que la partie d’argile qui formait l’anse fût
rendue à l’anse elle-même, ou que ce qui en formait le fond revînt au même
endroit, il faudrait seulement que le tout revînt dans le tout, c’est-à-dire la
totalité de la matière dans la totalité du vase, et qu’ainsi aucune partie ne
fût perdue. Si donc les cheveux coupés tant de fois devaient rendre la tête
difforme, ils ne lui seront pas rendus ; car grâce à la mutabilité naturelle
de la matière, ils prendront la forme de la chair pour occuper n’importe quel
endroit du corps, suivant que l’exigera l’harmonie des parties qui le
composent. On pourrait d’ailleurs entendre cette parole : « Pas un
cheveu de votre tête ne périra, » non de la longueur, mais du nombre des
cheveux ; comme paraissent l’indiquer ces paroles : « Les
cheveux de votre tête sont comptés. » — S. Hil. (can. 10 sur S.
Matth.) En effet, il ne
serait pas digne de Dieu de compter ce qui doit périr. Aussi, afin que nous
sachions bien que rien de ce qui compose notre être ne doit périr, il nous
assure que nos cheveux eux-mêmes ont été comptés. Nous n’avons donc à craindre
aucun danger pour nos corps, et Notre Sauveur nous confirme dans cette
assurance par les paroles qui suivent : « Ne craignez pas, vous valez
plus que beaucoup de passereaux. » — S. Jér.
Ces paroles rendent plus clair le sens de ce qui précède, c’est-à-dire
qu’ils ne doivent pas craindre ceux qui ne peuvent que tuer le corps ; car
si les plus petits animaux ne peuvent périr sans que Dieu le sache, combien
moins l’homme que Dieu a revêtu de la sublime dignité d’apôtre ? — S. Hil. Ou bien, en leur disant qu’ils
valent mieux qu’un grand nombre de passereaux, Notre-Seigneur montre qu’il
préfère les fidèles qu’il a élus à la multitude des infidèles, parce que
ceux-ci tombent sur la terre, tandis que ceux-là prennent leur vol vers les
cieux.
Remi. Dans le sens
mystique, Jésus-Christ est la tête, les Apôtres sont les cheveux ; et
c’est avec raison qu’il assure que ces cheveux ont été comptés, parce que les
noms des saints sont écrits dans le ciel (Jr
17, 13).
S. Chrys. (hom. 35.) Notre-Seigneur, en bannissant la
crainte qui troublait l’âme de ses disciples, leur donne une nouvelle force par
les paroles qui suivent. Non-seulement il les délivre de toute crainte. mais il
leur propose de plus grandes récompenses, et leur inspire ainsi le courage de
prêcher hautement et librement la vérité : « Quiconque me confessera
devant les hommes, je le confesserai moi-même devant mon Père qui est dans les
cieux. » — S. Hil. (can. 40 sur S. Matth.) C’est la conclusion de ce qui précède, car une
fois qu’on a puisé la force dans d’aussi sublimes enseignements, on doit confesser
librement et avec constance le vrai Dieu. — Remi.
C’est cette confession dont l’Apôtre a dit (Rm 10) : « Il faut croire de cœur pour obtenir la
justice, et confesser de bouche pour obtenir le salut. » Ainsi, ne pensez
pas pouvoir être sauvé sans la confession des lèvres, car Notre-Seigneur ne dit
pas seulement : « Celui qui m’aura confessé, » mais il
ajoute : « Devant les hommes, » et encore : « Celui
qui m’aura renoncé devant les hommes, je le renoncerai moi-même devant mon Père
qui est dans les cieux. » — S. Hil. Il nous apprend par là qu’il nous
rendra devant son Père le même témoignage que nous lui aurons rendu devant les
hommes. — S. Chrys. (hom. 35.) Remarquons ici que le
châtiment comme la récompense sont supérieurs, l’un au mal, l’autre au bien. En
effet, le Sauveur semble dire : Vous n’avez rien épargné les premiers,
soit pour me confesser, soit pour me renoncer. Je n’épargnerai rien moi-même,
et je serai magnifique dans la peine comme dans la récompense ; car c’est
moi-même qui vous reconnaîtrai ou qui vous renoncerai. Si donc vous avez fait
quelque bien sans en recevoir la récompense, ne vous en troublez pas, une
récompense surabondante vous attend dans l’avenir. Si, au contraire, vous vous
êtes rendu coupable sans en avoir été puni, ne vous laissez pas aller à un
mépris insolent, car le châtiment vous est également réservé, à moins que vous
ne changiez et que vous ne deveniez meilleurs.
Rab. Nous ferons observer
que les païens eux-mêmes ne peuvent nier l’existence d’un Dieu, mais qu’ils peuvent
fort bien ne pas reconnaître l’existence d’un Dieu Père et Fils. Or, le Fils
reconnaîtra quelqu’un devant son Père, soit en lui donnant accès auprès de lui,
et en lui disant : « Venez, les bénis de mon Père. » — Remi. Et il renoncera celui qui l’aura
renoncé, en lui refusant tout accès auprès de Dieu le Père, et en le rejetant
de la présence de sa divinité et de celle de son Père. — S. Chrys. (hom. 35.) Il exige non-seulement la foi intérieure de l’âme, mais
encore la confession extérieure des lèvres, afin de nous inspirer une liberté
plus grande pour la prédication et un amour plus fort pour lui, en nous rendant
supérieurs à tout. Or, ce n’est pas seulement à ses Apôtres, mais à tous qu’il
adresse cette recommandation, car il veut inspirer ce courage non-seulement à
ses Apôtres, mais encore à leurs disciples. Celui qui sera fidèle à ce
commandement non-seulement enseignera publiquement avec une sainte hardiesse,
mais il portera facilement la persuasion dans les cœurs, car l’observation de
ce précepte en a converti un grand nombre à la doctrine des Apôtres. — Rab. Ou bien on confesse Jésus par la
foi, qui opère par l’amour, en accomplissant fidèlement ses
commandements ; et on le renonce lorsqu’on ne craint pas de transgresser
ses préceptes.
S. Jér. Notre-Seigneur avait dit plus haut :
« Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein
jour ; » il apprend ici à ses Apôtres quels seront les effets de leur
prédication : « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix. — La Glose. Ou bien ces paroles sont la
suite de ce qui précède, c’est-à-dire qu’ils doivent être inaccessibles aux
affections charnelles comme à la crainte de la mort. — S. Chrys. (hom. 36.) Comment donc leur a-t-il ordonné de souhaiter la paix
dans chaque maison où ils entreraient ? Comment les anges eux-mêmes
ont-ils pu chanter cet hymne : « Gloire à Dieu dans les hauteurs des
cieux, et paix aux hommes sur là terre ? » C’est que la paix consiste
surtout à retrancher ce qui est malade, à séparer ce qui est une source de division ;
c’est alors seulement qu’il sera possible d’unir le ciel avec la terre. Le
médecin ne coupe-t-il pas ainsi le membre qui est incurable pour sauver le
reste du corps ? C’est ce qui est arrivé à la tour de Babel, où une
heureuse division vint mettre fin à une paix qui était mauvaise. (Gn 11.) C’est ainsi que saint Paul
divisa ceux qui s’étaient déclarés contre lui. (Ac 23.) L’accord et la paix ne sont pas toujours une bonne chose,
car on les voit régner même parmi les voleurs. Or cette guerre, ce n’est pas
Jésus-Christ qui la rend nécessaire, mais bien la volonté de ses ennemis. — S. Jér. En effet, à peine la foi en
Jésus-Christ fut-elle annoncée, que tout l’univers s’est trouvé divisé. Dans
chaque maison on trouva des croyants et des infidèles, et cette division fut la
cause d’une guerre heureuse qui fit cesser une paix pernicieuse dans ses
résultats.
S. Chrys. (hom. 35.) En
parlant de la sorte il veut consoler ses disciples, et il semble leur
dire : « Ne vous troublez pas comme si ces événements devaient vous
surprendre et tromper votre attente, car je suis venu pour apporter la
guerre. » Et ce n’est pas seulement « la guerre, » mais ce qui
est plus effrayant, « le glaive. » Il a voulu par la dureté même de
son langage exciter leur attention, les empêcher de faiblir au milieu du
danger, et prévenir ce qu’on aurait pu croire et dire que sous des expressions
pleines de douceur, il avait caché les plus grandes difficultés ; car il
vaut mieux éprouver la douceur dans les choses que dans les paroles. Il ne
s’arrête pas à cette déclaration, il explique la nature de cette guerre et fait
voir qu’elle est plus terrible même que la guerre civile : « Je suis
venu séparer l’homme d’avec son père, la fille d’avec sa mère, et la
belle-fille d’avec sa belle-mère. » Ainsi ce n’est pas seulement entre les
amis que cet état de guerre existera, c’est entre ceux qui sont unis par les
affections les plus vives et par les liens les plus étroits. Une des preuves
les plus évidentes de la puissance du Christ, c’est que les Apôtres écoutèrent
ces dures leçons et qu’ils les firent à leur tour recevoir et mettre en
pratique.
S. Chrys. (hom. 35.) Ce
n’est pas Jésus-Christ lui-même qui opérait cette séparation, mais la malice
des hommes. Cependant il s’en déclare l’auteur, d’après la manière de
s’exprimer de l’Écriture, par exemple dans ce passage : « Dieu leur a
donné des yeux pour ne point voir. » (Is
6 ; Rm 11.) Nous avons ici une preuve du rapport intime qui existe
entre l’Ancien et le Nouveau-Testament. C’est ainsi que nous voyons les Juifs
se déclarer contre leurs frères et les mettre à mort lorsqu’ils eurent fabriqué
le veau d’or (Ex 32,) et lorsqu’ils
eurent immolé des victimes à Beelphegor. (Nb
25.) Or pour montrer que
c’est toujours le même Dieu qui sous la loi nouvelle comme sous la loi ancienne
a pour agréables ces mêmes sentiments, Notre-Seigneur cite un passage de la
prophétie de Michée : « L’homme aura pour ennemis ceux de sa propre
maison. (Mi 7.) La société juive
présentait un spectacle semblable, il y avait de vrais et de faux prophètes, et
le peuple était divisé, et les familles étaient partagées ; les uns
croyaient aux premiers, les autres suivaient les seconds. — S. Jér. Ce passage se trouve presque mot
pour mot dans le prophète Michée. Il faut observer du reste que toutes les fois
que le Sauveur emprunte un témoignage à l’Ancien Testament, il importe peu s’il
donne seulement le sens de ce passage, ou s’il rapporte textuellement les
paroles.
S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, le glaive, qui est
l’arme la plus aiguisée, est l’emblème de la souveraineté et du pouvoir
judiciaire, de la sévérité et du droit de punir les coupables. Rappelons-nous
donc que ce glaive figure la parole de Dieu ; il a été apporté sur la
terre, c’est-à-dire que la prédication l’a fait pénétrer dans le cœur des
hommes. Ce glaive a donc divisé entre eux les cinq habitants d’une même maison,
trois contre deux et deux contre trois. Ces trois habitants nous les trouvons
dans l’homme : c’est son corps, son âme et sa volonté. Car de même que
l’âme a été unie et donnée au corps, ainsi le pouvoir d’user de l’un et de
l’autre à son gré à été donné à l’homme, et c’est pour cela que Dieu a imposé
des lois à la volonté, comme nous le voyons dans ceux qui sont sortis les premiers
de sa main. Mais par suite du péché et de la désobéissance de notre premier
père, le péché devint pour les générations suivantes le père de notre corps,
l’infidélité la mère de notre âme, et la volonté adhère à l’un et à
l’autre ; c’est ainsi que l’on trouve cinq habitants dans la même maison.
Mais lorsque nous sommes renouvelés dans les eaux du baptême, la puissance de
la parole nous sépare des péchés de notre origine, et ces retranchements
qu’opère le glaive de Dieu rompent tous les liens d’affection qui nous
attachaient à notre père et à notre mère. C’est ainsi qu’on voit éclater dans
une même maison de sérieuses divisions ; l’homme régénéré trouve des
ennemis dans ce qu’il y a de plus intime en lui, car il met toute sa joie dans
la sainte nouveauté de son esprit, tandis que les restes de son ancienne
origine veulent conserver ce qui faisait l’objet de leur bonheur. — S. Aug. (Quest. évang. sur S. Matth., quest. 3.) Ou bien dans un autre
sens : « Je suis venu séparer l’homme d’avec son père parce qu’il
renonce au démon dont il était le fils, et « la fille d’avec sa
mère, » c’est-à-dire le peuple de Dieu d’avec la cité du monde, qui n’est
autre que la société corrompue du genre humain, représentée dans l’Écriture
tantôt par Babylone, tantôt par Sodome, tantôt par l’Égypte et sous plusieurs
autres dénominations. (Ap 11,
8 ; 14, 8) « La belle-fille d’avec sa belle-mère, » c’est
l’Église opposée à la synagogue qui a enfanté selon la chair le Christ, époux
de l’Église. Tous sont divisés par le glaive de l’Esprit, qui est le Verbe de
Dieu, « et les ennemis de l’homme sont ceux de sa maison avec lesquels il
était lié par une intimité des plus étroites. — Rab. On est incapable de respecter aucun droit lorsqu’on est
divisé sur le point de la foi. — La
Glose. On peut encore interpréter ces paroles dans ce sens : Je ne
suis pas venu parmi les hommes pour donner une nouvelle force aux affections de
la chair, mais pour séparer par un glaive tout spirituel ceux qu’elles
retiennent étroitement unis ; c’est pour cela qu’il ajoute :
« Et l’homme aura pour ennemi ceux de sa propre maison. » — S. Grég. (Moral. 3, 5.) Lorsque l’ennemi du salut, plein de ruse et de
finesse, se voit chassé des cœurs vertueux, il s’adresse à ceux pour lesquels
ils ont une vive affection, et leur met sur les lèvres un langage d’autant plus
insinuant qu’ils sont aimés plus tendrement, et c’est ainsi qu’en même temps
que la force de l’amitié pénètre au plus intime du cœur, le glaive de la
persuasion franchit les retranchements de la droiture intérieure.
S. Jér. Après avoir dit : « Je ne suis pas venu
apporter la paix, mais le glaive, et séparer l’homme d’avec son père, d’avec sa
mère, d’avec sa belle-mère, » Notre-Seigneur, ne voulant pas que les
sentiments naturels l’emportent jamais sur la religion, ajoute :
« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de
moi. » Nous lisons dans le Cantique des Cantiques : « Il a réglé
en moi la charité. » (Ct 2.)
Dans toute affection nous devons conserver cet ordre. Aimez après Dieu votre
père et votre mère, aimez après lui vos enfants. Mais si la nécessité vous
force de mettre en présence l’amour de vos parents et de vos enfants, et que
vous ne puissiez satisfaire en même temps à l’un et à l’autre, rappelez-vous
qu’alors la haine pour les siens devient un véritable amour de Dieu. Il ne
défend donc pas d’aimer son père ou sa mère, mais il ajoute d’une manière
expressive : « plus que moi. » — S. Hil. (can. 10 sur S.
Matth.) Ceux en effet qui
donneront la préférence à ces affections sur l’amour de Dieu se rendront
indignes de l’héritage des biens futurs.
S. Chrys. (hom. 36.) Ne
soyez pas étonné si d’ailleurs, saint Paul fait un commandement exprès d’obéir
en tout à ses parents : il ne veut parler que de l’obéissance dans les
choses qui ne sont pas contraires à la religion ; et c’est en effet un
devoir sacré que de rendre alors à nos parents toute sorte d’honneur ;
mais s’ils exigent au delà de ce qui leur est dû, il faut s’y refuser. Cette
doctrine est conforme à l’Ancien Testament, où Dieu ordonne non-seulement de
haïr, mais même de lapider ceux qui adoraient les idoles. (Lv 20.) Nous lisons encore dans le Deutéronome : « Celui
qui dira à son père et à sa mère : Je ne vous connais pas, et à ses
frères : Je vous ignore, ceux-là auront gardé votre parole. » — La Glose. On voit souvent les parents
aimer leurs enfants plus qu’ils n’en sont aimés ; aussi Notre-Seigneur
va-t-il par degrés, et après avoir enseigné que son amour doit passer avant
l’amour des parents, il enseigne naturellement qu’il doit aussi l’emporter sur
l’amour des enfants, en ajoutant : « Et celui qui aime son fils ou sa
fille plus que moi n’est pas digne de moi. » — Rab. Ce qui signifie qu’on est indigne de toute union avec
Dieu quand on préfère les affections de la chair et du sang à l’amour spirituel
qu’on doit avoir pour Dieu.
S. Chrys. (hom. 36.) Ces
paroles pouvaient blesser ceux dont l’amour se trouve ainsi sacrifié à l’amour
de Dieu ; Notre-Seigneur, pour leur faire supporter patiemment ce
sacrifice, tient un langage plus élevé. En effet, rien n’est plus intime à
l’homme que son âme, et cependant si vous ne haïssez votre âme, les plus grands
maux vous attendent. Et il ne vous ordonne pas seulement de haïr votre âme,
mais encore de la livrer à la mort et aux supplices les plus sanglants. Ainsi
nous enseigne-t-il qu’il ne suffit pas d’être prêt à subir une mort quelconque,
mais qu’il faut être disposé à souffrir la mort la plus violente, la plus
ignominieuse, c’est-à-dire la mort de la croix, et c’est pour cela qu’il
ajoute : « Et celui qui ne prend pas sa croix. » Il ne leur a
pas encore parlé de sa passion, mais de temps en temps il les prépare à
recevoir ce qu’il doit plus tard leur en dire. — S. Hil. (can. 10 sur S.
Matth.) Ou bien encore,
ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur corps avec ses vices et
ses convoitises (Ga 5), et on est
indigne de Jésus-Christ quand on ne marche pas à sa suite en prenant sa croix
(par laquelle nous souffrons avec lui, nous mourons avec lui, nous sommes
ensevelis avec lui, nous ressuscitons avec lui), pour vivre par ce mystère de
la foi dans une sainte nouveauté d’esprit. — S. Grég. (hom. 35.) Le
mot croix vient d’un mot latin
(cruciatus) qui signifie tourment ; or nous portons la croix du Seigneur
de deux manières, ou bien en mortifiant notre corps par la privation, ou par un
sentiment de compassion qui nous fait regarder comme nôtres les misères du
prochain. Mais il en est quelques-uns qui font profession de mortifier leur
chair, non pour plaire à Dieu, mais par un sentiment de vaine gloire ; et
d’autres qui témoignent à leur prochain une compassion qui n’a rien de
spirituel, mais qui est toute charnelle, et qui, loin de les porter à la vertu,
favorise par ce sentiment de fausse pitié leur penchant au vice. Ils semblent
porter leurs croix, mais ils ne suivent pas le Seigneur, et c’est pour cela
qu’il ajoute : « Et qui me suit. »
S. Chrys. (hom. 36.) Les
commandements qu’il fait ici pouvaient paraître accablants ; il en fait
donc ressortir les avantages immenses : « Celui qui conserve sa vie
le perdra ; et celui qui aura perdu sa vie pour l’amour de moi, la
retrouvera. » Comme s’il disait : « Non-seulement ces sacrifices
que je vous impose ne vous causeront aucun tort, mais vous en recueillerez les
fruits les plus précieux, tandis qu’une conduite opposée vous serait infiniment
nuisible. Ici comme partout, le Sauveur prend ses inductions dans ce que les
hommes désirent le plus. Pourquoi refusez-vous de faire peu de cas de votre
vie ? semble-t-il leur dire. Parce que vous l’aimez. Mais c’est justement
pour cela que vous devez la sacrifier, si vous voulez lui procurer les plus
grands avantages. — S. Remi. L’âme
ne signifie pas ici la substance même de l’âme, mais la vie présente, et tel
est le sens de ces paroles : « Celui qui cherche son âme en cette
vie, c’est-à-dire celui qui désire cette vie avec ses attachements et ses
plaisirs, et qui cherche à la trouver toujours, parce qu’il veut la conserver
toujours, la perdra, c’est-à-dire qu’il prépare son âme à la damnation
éternelle. — Rab. Ou bien encore,
celui qui cherche à sauver son âme pour l’éternité, n’hésitera pas à la perdre,
c’est-à-dire à s’exposer à la mort. Ce qui suit est également favorable à l’un
et à l’autre sens. « Et celui qui aura perdu sa vie pour moi la
trouvera. » — Remi. C’est-à-dire,
celui qui au temps de la persécution s’exposera, pour confesser mon nom, à
perdre cette vie mortelle, ses affections et ses plaisirs, trouvera le salut
éternel de son âme.
S. Hil. C’est ainsi qu’on perd sa vie en
voulant la sauver, et qu’on la sauve en consentant à la perdre, car le
sacrifice d’une vie qui passe si rapidement nous met en possession d’une vie
qui ne finira jamais.
S. Jér. Notre-Seigneur, en envoyant ses disciples prêcher
1’Évangile, leur apprend à ne craindre aucun danger, et à sacrifier toutes
leurs affections aux devoirs de sa religion. Déjà, il s’en est déclaré, il ne
veut pas d’or, il ne veut pas d’argent dans leurs bourses : c’est une condition
bien dure que celle des Évangélistes. Mais comment pourvoir aux dépenses
nécessaires, à la nourriture, aux choses nécessaires à la vie ?
Notre-Seigneur adoucit donc la sévérité de ses préceptes par l’espérance des
promesses. « Celui qui vous reçoit, leur dit-il, me reçoit. » Ainsi
chaque fidèle doit être persuadé qu’il a reçu Jésus-Christ en recevant ses
Apôtres. — S. Chrys. (hom. 36.) Ce qui précède suffisait pour
produire cette persuasion dans ceux qui devaient recevoir les Apôtres. Car en
voyant ces hommes héroïques qui méprisaient tout ce qui les concernait pour
sauver leurs frères, qui ne les aurait accueillis avec le plus vif
empressement ? Plus haut, Notre-Seigneur a menacé de punir ceux qui ne les
recevraient point ; ici il promet de récompenser ceux qui les recevront.
Et d’abord il leur promet cet honneur insigne de recevoir dans la personne des
Apôtres Jésus-Christ et même son Père. « Et celui qui me reçoit, reçoit
celui qui m’a envoyé. » Que peut-on comparer à cet honneur de recevoir
Dieu le Père et le Fils ? — S. Hil.
(can. 10 sur S. Matth.) Ces paroles nous apprennent en même temps
son office de médiateur, car après que nous l’avons reçu, lui qui est sorti de
Dieu, il nous fait entrer en communication avec Dieu lui-même, et d’après cet
ordre que suit la grâce, recevoir les Apôtres, c’est recevoir Dieu, parce que
le Christ est en eux, et que Dieu est dans le Christ.
S. Chrys. (hom. 36.) A
cette récompense qu’il promet il en ajoute une autre : « Celui qui
reçoit un prophète au nom du prophète, recevra la récompense du prophète, et
celui qui reçoit le juste, » etc. Il ne dit pas simplement : Celui
qui reçoit un prophète, ou celui qui reçoit un juste, mais : Celui qui
reçoit un prophète, un juste, au nom du prophète, au nom du juste, c’est-à-dire
parce qu’il est prophète, parce qu’il est juste, et non pas à cause de la
dignité dont il peut-être revêtu en ce monde, ou en vue de quelque autre
avantage temporel. Ou bien dans un autre sens, comme il avait recommandé aux
disciples de recevoir les maîtres qui les enseignent, les fidèles pouvaient lui
faire secrètement cette réponse : Nous devons donc recevoir tes faux
prophètes et Judas le traître ? Le Seigneur prend donc soin de leur
rappeler qu’ils ne doivent pas considérer les personnes, mais les noms qu’elles
portent, et qu’on ne perdra pas sa récompense parce que celui qu’on aurait reçu
en serait indigne. — S. Chrys. (hom. 30.) Notre-Seigneur dit :
« Il recevra la récompense du prophète et la récompense du juste, »
c’est-à-dire la récompense qui convient à celui qui reçoit le prophète ou le
juste, ou celle que le prophète et le juste devront recevoir eux-mêmes. — S. Grég. (homél. 20 sur les Evang.) Il
ne dit pas : C’est des mains du juste ou du prophète qu’ils recevront la
récompense, mais : « la récompense du prophète et du
juste ; » peut-être celui qu’ils reçoivent est-il juste, et plus il
est dépouillé de tout en ce monde, plus grande aussi sera sa fermeté à défendre
les intérêts de la justice. Or celui qui possède les biens de la terre et qui
pourvoit aux besoins du prophète et du juste, participera au mérite de son
indépendance, et partagera la récompense de justice de celui qu’il a secouru et
nourri sur la terre. Cet apôtre est plein de l’esprit de prophétie, mais son
corps a besoin d’aliments, et si ses forces ne sont pas réparées, il est
certain que la voix lui fera défaut. Or celui qui pourvoit à la nourriture du
prophète, lui donne la force de parler : il recevra donc avec le prophète
la récompense du prophète, parce qu’il a subvenu à ses besoins dans l’intention
de plaire à Dieu.
S. Jér. Dans le sens mystique, celui qui
reçoit le prophète comme prophète, et qui comprend ce qu’il lui enseigne des
choses futures, partagera sa récompense. Les Juifs donc, qui ne comprenaient
les prophètes que dans un sens charnel, ne recevront pas la récompense des
prophètes. — Remi. Dans ce
prophète et dans ce juste, quelques-uns veulent voir Notre-Seigneur
Jésus-Christ, de qui Moïse a dit : « Dieu vous suscitera un
prophète, » etc. (Dt 18), et qui
est juste aussi d’une manière incomparable. Celui donc qui recevra le prophète
et le juste au nom du prophète et du juste, recevra la récompense des mains de
celui pour l’amour duquel il a fait cette action.
S. Jér. Mais on pouvait lui alléguer cette
excuse : Ma pauvreté me défend de donner l’hospitalité ; il la
détruit en nous proposant la chose la moins coûteuse qui soit au monde,
c’est-à-dire de donner de tout cœur un verre d’eau froide. « Et celui qui
donnera à l’un de ces plus petits, un verre d’eau froide, etc. » Il dit un
verre d’eau froide, et non d’eau chaude, de peur que s’il s’agissait d’eau
chaude, on ne prétextât encore sa pauvreté et l’impossibilité de se procurer du
bois pour la faire chauffer. Remi.
Il ajoute : « Au plus petit, » c’est-à-dire non pas seulement
aux justes ou aux prophètes, mais à l’un des plus petits et des plus
misérables. — La Glose. Remarquez
ici comme Dieu regarde beaucoup plus à la disposition du cœur qu’à la valeur de
la chose que l’on donne. Ou bien les plus petits sont ceux qui ne possèdent
rien absolument en cette vie, et qui jugeront un jour le monde avec
Jésus-Christ. — S. Hil. (can. 40 sur S. Matth.) Ou bien il prévoyait qu’il y en aurait plusieurs
dont toute la gloire consisterait dans le nom d’apôtre qu’ils déshonoreraient
par tout le reste de leur vie ; il ne veut donc pas priver de récompense
l’honneur qui leur est rendu au nom de la religion, car bien qu’ils soient les
plus petits de tous, c’est-à-dire les derniers des pécheurs, les services qu’on
leur rend, même les plus légers, et qui sont exprimés par ce verre d’eau
froide, ne seront pas perdus, car ce n’est pas aux péchés de l’homme, mais à
son titre d’apôtre qu’est rendu cet honneur.
Rab. Le Sauveur avait
donné à ses disciples qu’il envoyait prêcher l’Évangile les instructions
nécessaires ; il accomplit maintenant lui-même ce qu’il leur avait
enseigné en allant porter aux Juifs les prémices de sa prédication.
« Après que Jésus eut achevé de donner ces instructions à ses douze
disciples, il partit de là, » etc.
S. Chrys. (hom. 37.) L’Évangéliste
dit qu’il partit de là, c’est-à-dire qu’ayant donné à ses Apôtres leur mission,
il s’éloigna afin de leur laisser toute latitude pour le lieu et pour le temps
où ils accompliraient ce qu’il venait de leur recommander. Car s’il avait
continué à être présent au milieu d’eux et à guérir les malades, personne
n’aurait eu recours à ses disciples. — Remi.
C’est par suite d’un dessein plein de sagesse que le Sauveur passe de
ces enseignements particuliers qui concernaient les apôtres, à des instructions
qui s’adressent à tous et qu’il fait au milieu des cités, car il était descendu
des cieux sur la terre pour éclairer tous les hommes, et il donne en cela aux
prédicateurs remplis de l’esprit de Dieu l’exemple de s’appliquer à être utile
à tous sans distinction.
La Glose. L’Évangéliste
vient d’exposer comment Notre-Seigneur, par ses miracles et par sa doctrine,
avait instruit ses disciples aussi bien que le peuple ; il nous apprend
maintenant comment ces enseignements parvinrent jusqu’aux disciples de Jean,
qui paraissaient avoir quelque jalousie contre le Christ. « Or Jean ayant
appris dans la prison, » etc.
S. Grég. (homél. 6 sur les Evang.) Il nous faut rechercher pourquoi
Jean-Baptiste, prophète et plus que prophète, qui avait fait connaître le
Sauveur, lorsqu’il vint se faire baptiser, en lui rendant ce témoignage :
« Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du
monde, » envoie de la prison où il est enfermé ses disciples pour
demander : « Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en
attendre un autre ? » Il semble ignorer celui qu’il a lui-même
manifesté au peuple, et ne pas connaître le Sauveur qu’il a proclamé si
hautement dans ses prédictions, lors de son baptême, et quand il le voyait
venir à lui.
S. Ambr. (liv. 5, sur S. Luc.) Il
en est qui expliquent cette difficulté en disant que Jean était un grand
prophète qui connut le Christ, et annonça la rémission future des péchés ;
mais qu’en prédisant sa venue comme un saint prophète, il n’avait pas cru qu’il
devait être soumis à la mort. Ce n’est donc pas sa foi qui doute, mais sa
piété ; et saint Pierre lui-même partagea ce doute lorsqu’il dit au
Sauveur : « Épargnez-vous, Seigneur, cela ne vous arrivera
pas. » (Mt 16, 11)
— S. Chrys. (hom. 37.) Mais
cette explication n’est pas fondée, car Jean ne pouvait pas ignorer même cette
circonstance, puisque c’est la première chose à laquelle il a rendu témoignage
par ces paroles : « Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte les péchés du
monde. » En lui donnant le nom d’Agneau, il dévoile le mystère de la
croix, puisque ce n’est que par la croix qu’il a effacé les péchés du monde.
Comment d’ailleurs serait-il plus qu’un prophète s’il ignorait ce que les
prophètes eux-mêmes ont connu et annoncé ? En effet Isaïe n’a-t-il pas dit
(Is 53) : « Il a été conduit à la mort comme une brebis ? »
S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) On peut donner à cette question une
solution différente en réfléchissant sur le temps où ce fait s’est passé. Sur
les bords du Jourdain, Jean-Baptiste a déclaré que Jésus était le rédempteur du
monde ; mais dans sa prison il envoie demander s’il doit venir. Ce n’est
pas qu’il doute que Jésus soit le Rédempteur promis, mais il demande si celui
qui est venu sur la terre en se faisant annoncer par lui, suivra le même ordre
pour descendre dans les enfers. — S. Jér.
C’est pour cela qu’il ne dit pas : « Est-ce vous qui êtes
venu ? » mais : « Est-ce vous qui viendrez ? » Et
tel est le sens de ces paroles : Faites-moi savoir, à moi qui dois
descendre aux enfers, si je dois aussi vous y annoncer, ou si vous devez
confier ce ministère à un autre. — S. Chrys.
(hom. 37.) Mais comment cette opinion
même peut-elle être soutenue ? Car pourquoi Jean n’a-t-il pas dit :
« Est-ce vous qui devez venir dans les enfers ? » mais dit-il
simplement : « Qui devez venir ? » D’ailleurs n’est-il pas
ridicule qu’il ait demandé s’il devait en allant dans les enfers l’annoncer
dans ce lieu ? La vie présente seule est le temps de la grâce, et après la
mort il ne reste que le jugement et la peine ; quel besoin donc d’envoyer
un précurseur en ce lieu ? Mais encore, si les infidèles pouvaient être
sauvés par la foi après leur mort, aucun d’eux ne périrait ; car tous
alors se repentiront et adoreront le Fils de Dieu, puisqu’alors tout genou
fléchira devant lui, dans le ciel, sur la terre et dans les enfers.
La Glose. Remarquons que
saint Jérôme et saint Grégoire n’ont pas dit que Jean-Baptiste devait annoncer
la venue du Christ dans les enfers pour convertir à la foi un certain nombre de
ceux qui ne croient pas en lui, mais pour consoler par l’espérance de son
avènement prochain les justes qui s’y trouvaient en attendant la venue du
Christ.
S. Hil. (can. 11 sur S. Matth.) Il est cependant certain que l’erreur ne
s’est point mêlée à cette connaissance parfaite qu’avait saint Jean, lui qui
avait annoncé comme précurseur la venue du Messie, qui comme prophète le
reconnut au milieu de la foule, et comme confesseur, rendit hommage au Sauveur
qui venait à lui. On ne peut admettre que la grâce de l’Esprit saint lui ait
fait défaut dans la prison, alors que plus tard l’apôtre devait répandre la
lumière de sa puissance sur ceux qui partageaient ses fers.
S. Jér. Ce n’est point par ignorance qu’il
interroge, mais de la même manière que le Sauveur demandait en quel endroit le
corps de Lazare avait été déposé, afin de préparer ainsi à la foi ceux qui lui
indiquaient le lieu de sa sépulture, et de les rendre témoins de la
résurrection d’un mort. C’est ainsi que Jean-Baptiste, sur le point d’être mis
à mort par Hérode, envoie ses disciples à Jésus-Christ, pour qu’ils aient
occasion de voir ses miracles et ses prodiges, et qu’ils puissent croire en
lui, et s’instruire eux-mêmes en l’interrogeant au nom de leur maître. Que les
disciples de Jean aient nourri quelque sentiment d’envie contre le Christ, la
question qu’ils lui ont faite précédemment le démontre suffisamment.
« Pourquoi les Pharisiens et nous jeûnons-nous souvent, tandis que vos
disciples ne jeûnent pas ? » (Mt 9.) — S. Chrys. (hom. 37.) Tant que Jean-Baptiste était avec eux, il
leur parlait sans cesse du Christ, c’est-à-dire qu’il leur recommandait de
croire en lui ; mais sentant sa mort prochaine, il redouble de zèle, car
il craint de laisser dans ses disciples un levain de dangereuse erreur, et il
redoute qu’ils ne demeurent éloignés de Jésus-Christ, à l’école duquel il a
voulu les renvoyer tous dès le commencement. S’il leur avait dit : Allez à
lui, parce qu’il est bien au-dessus de moi, il ne les aurait pas
persuadés ; ils auraient cru qu’il parlait ainsi par un profond sentiment
d’humilité, et ils lui seraient restés plus attachés qu’auparavant. Que fait-il
donc ? Il attend que ses disciples viennent lui rapporter eux-mêmes que le
Christ fait des miracles ; et parmi eux tous il n’en envoie que deux qu’il
regardait peut-être comme plus faciles à être convaincus. Il les envoie afin
que sa demande ne prête à aucun soupçon et qu’ils apprennent par les faits eux-mêmes
la distance qui les sépare de Jésus-Christ.
S. Hil. (can. 11 sur S. Matth.) Jean-Baptiste n’agit donc pas ici pour
éclairer son ignorance, mais pour dissiper celle de ses disciples ; il les
envoie considérer les oeuvres de Jésus afin de leur apprendre qu’il n’en a
point annoncé un autre que lui, que ses prodiges donnent une nouvelle autorité
à ses paroles, et qu’ils n’attendent pas un autre Christ que celui qui avait
pour lui le témoignage des oeuvres. — S. Chrys.
(hom. 37.) Notre-Seigneur
Jésus-Christ, qui connaissait la pensée de Jean, ne dit pas « C’est
moi ; » car cette réponse aurait indisposé ceux qui
l’entendaient ; ils auraient pu penser, quand ils ne l’auraient pas dit,
ce que les Juifs lui objectèrent plus tard : « Vous vous rendez donc
témoignage à vous-même ? » Il veut donc les instruire à l’école de
ses miracles, pour donner ainsi à sa doctrine une autorité plus éclatante et
plus irrécusable ; car le témoignage des oeuvres est plus digne de foi que
le témoignage des paroles. Il guérit donc sous leurs yeux des aveugles, des
boiteux, et beaucoup d’autres malades, non pour l’enseignement de
Jean-Baptiste, qui n’en avait pas besoin, mais pour l’instruction de ses
disciples qui étaient dans le doute. « Et Jésus leur répondit :
Allez, rapportez à Jean ce que vous avez entendu, et ce que vous avez vu. Les
aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds
entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés. » — S. Jér. Ce dernier trait n’est pas
inférieur à ceux qui précèdent ; les pauvres évangélisés sont ou les
pauvres d’esprit, ou ceux qui sont pauvres des biens de la terre ; ainsi
la prédication ne met aucune différence entre la noblesse et l’obscurité de la
condition, entre les riches et les pauvres ; et c’est là une preuve de la
rigoureuse justice du maître, et de la vérité de ce divin précepteur :
tous ceux qui peuvent être sauvés sont égaux à ses yeux.
S. Chrys. (hom. 37.) Ce
qu’il ajoute : « Et heureux est celui qui ne prendra pas de moi un
sujet de scandale, » tombe sur les envoyés qui étaient scandalisés à son
sujet ; Notre-Seigneur ne dévoile pas leurs doutes intérieurs, il les
abandonne au jugement de leur conscience, et leur adresse ce reproche indirect.
— S. Hil. (can. 2 sur S. Matth.) En
disant : Bienheureux celui qui ne prendra point de lui un sujet de
scandale, il montre l’écueil contre lequel Jean a voulu les prémunir, car il
n’a envoyé ses disciples vers le Christ que dans la crainte qu’ils ne fussent
scandalisés à son sujet. — S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) Jésus-Christ a
été pour les infidèles un grand sujet de scandale lorsqu’après tant de
miracles, ils le virent expirer sur la croix ; c’est ce que saint Paul
exprime lorsqu’il dit : « Nous prêchons Jésus-Christ crucifié, qui
est un scandale pour les Juifs. » (1 Co
1) Que signifient donc ces paroles : Heureux est celui qui n’aura pas été
scandalisé à mon sujet, si elles ne sont une déclaration manifeste de
l’ignominie et des humiliations de sa mort ? N’est-ce pas comme s’il
disait clairement à Jean-Baptiste : Je fais des choses admirables, mais je
ne rougis pas d’en souffrir d’ignominieuses, et puisque ma mort doit suivre la
vôtre, il faut que les hommes se gardent de la mépriser, après avoir admiré les
prodiges que j’ai opérés ?
S. Hil. Le sens mystique nous offre encore
une intelligence plus large de ce fait de la vie de Jean-Baptiste. C’est que
comme prophète, et par la nature même de sa mission prophétique, il annonce que
la loi est pour ainsi dire ensevelie dans sa personne. La loi, en effet, avait
annoncé Jésus-Christ, prêché la rémission des péchés, promis le royaume des
cieux, et Jean avait accompli toute cette oeuvre de la loi. Au moment donc où
cesse la loi qui, retenue captive par les péchés du peuple, était comme chargée
de chaînes, renfermée dans un cachot, et ne pouvait par conséquent reconnaître
le Christ, elle envoie considérer le spectacle que présente l’Évangile, afin
que l’incrédulité soit forcée de reconnaître la vérité de la doctrine dans la
vérité des faits. — S. Amb. On
peut voir aussi dans ces deux disciples les cieux peuples, les Juifs fidèles et
les Gentils.
S. Chrys. (hom. 37.) C’en était assez pour les disciples
de Jean, et ils se retirèrent convaincus par les miracles opérés sous leurs
yeux que Jésus était le Christ ; mais il fallait guérir les esprits de la
multitude qui ne connaissait pas l’intention de Jean-Baptiste, et pour qui la
question de ses disciples avait soulevé plus d’une difficulté. Car elle pouvait
dire : Celui qui a rendu un si glorieux témoignage au Christ a-t-il donc
changé de sentiment et doute-t-il aujourd’hui qu’il soit le Messie ?
Est-ce par un esprit d’opposition à Jésus qu’il lui fait adresser cette
question ? La prison aurait-elle affaibli sa grande âme ? Est-ce que
les premiers témoignages n’étaient que de vaines paroles ? — S. Hil. (can. 11 sur S. Matth.) Afin
donc qu’on ne pût appliquer à Jean-Baptiste ce qu’il venait de dire, comme si
le saint précurseur eût été scandalisé au sujet de Jésus-Christ, l’Évangéliste
ajoute : « Lorsqu’ils s’en furent allés, Jésus commença à parler de
Jean aux peuples. » — S. Chrys.
(hom. 37.) Il attend que les
disciples de Jean soient partis, pour qu’on ne l’accuse pas de flatterie à son
égard ; il redresse les idées de la multitude sans dévoiler leurs soupçons,
et en leur donnant simplement la solution de leurs difficultés, et il fait
naître des doutes dans leur âme en leur montrant qu’il connaît les secrets de
leur cœur. Cependant il ne leur dit pas comme aux Juifs : « Pourquoi
pensez-vous le mal dans vos cœurs ? » Car s’ils pensaient le mal,
c’était par ignorance, et non par méchanceté. Aussi ne les reprend-il pas avec
sévérité, il se contente de justifier Jean, en leur montrant qu’il n’a point
perdu ses droits à la haute opinion qu’ils avaient de lui. C’est ce qu’il fait,
et par le témoignage qu’il lui rend et par celui de la multitude elle-même,
dont il invoque non-seulement le témoignage verbal, mais le témoignage de la
conduite ; c’est pour cela qu’il leur dit : « Qu’avez-vous été
voir dans le désert ? » c’est-à-dire : « Pourquoi avez vous
abandonné vos cités et vous êtes-vous réunis dans le désert ? » Car
une multitude si nombreuse ne se serait pas rendue dans le désert avec un si
grand empressement, si elle n’avait cru y rencontrer un personnage important,
extraordinaire et plus ferme qu’un rocher. — La
Glose. Ce n’est pas qu’ils fussent venus alors dans le désert pour y
voir Jean-Baptiste, puisqu’il était en prison ; mais le Sauveur leur
rappelle ce qu’ils avaient fait autrefois, lorsqu’ils allaient fréquemment dans
le désert pour y voir Jean-Baptiste qui s’y trouvait encore.
S. Chrys. (hom. 38.) Et
voyez comment, sans s’arrêter à justifier Jean-Baptiste de tout autre défaut,
il éloigne de lui le reproche de légèreté que le peuple pouvait lui faire
intérieurement en leur disant : « Est-ce un roseau agité par le
vent ? » — S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) Ce n’est point
ici une affirmation, mais une interrogation ; le roseau, aussitôt qu’il
est effleuré par le moindre vent, plie de l’autre côté, image de l’âme
charnelle qui plie tour à tour sous le vent de la faveur ou de la contradiction
des langues. Jean n’était donc pas un roseau agité par le vent, car aucune
vicissitude des choses humaines ne pouvait faire fléchir la droiture de sa
conduite. Voici donc le sens de ces paroles du Seigneur : — S. Jér. Avez-vous été dans le désert pour
voir un homme semblable à un roseau tour à tour agité par tous les vents, et
dont l’esprit léger douterait maintenant de celui auquel il a rendu un éclatant
témoignage ? Est-ce que peut-être l’aiguillon de l’envie l’exciterait
contre moi, est-ce qu’il poursuivrait la vaine gloire dans ses
prédications ? Chercherait-il à en tirer profit ? Pourquoi
désirerait-il les richesses ? pour s’asseoir à des tables splendidement
servies ? Mais il se nourrit de sauterelles et de miel sauvage ;
Est-ce pour se vêtir avec mollesse ? son vêtement est fait avec des poils
de chameau ; et c’est pour cela que le Sauveur ajoute : « Mais
qu’êtes-vous allés voir ? un homme vêtu mollement ? » — S. Chrys. Ou bien dans un autre sens, en
allant dans le désert, vous avez prouvé par votre empressement que Jean n’était
pas semblable à un roseau mobile. Et on ne peut dire que Jean, ferme et
inébranlable de sa nature, est devenu inconstant en s’abandonnant à une vie de
plaisirs ; car de même qu’un homme est naturellement colère, et qu’un
autre le devient par suite de longues souffrances, ainsi il en est qui sont
inconstants par nature, et d’autres qui le deviennent en se livrant à leurs
passions. Or, Jean-Baptiste n’était pas inconstant par nature, et c’est pour
cela que le Sauveur leur fait cette question : « Êtes-vous allés voir
un roseau agité par le vent ? Ce n’est pas non plus en devenant l’esclave
de la volupté qu’il a perdu cette élévation de caractère : le désert qu’il
habitait, la prison où il est renfermé prouvent le contraire. S’il avait voulu
se vêtir avec mollesse, il n’eût pas choisi pour habitation le désert, mais les
palais des rois, car : « Ceux qui sont vêtus mollement, sont dans la
maison des rois. » — S. Jér. Apprenons
ici que la vie austère et la sévérité de la prédication doivent fuir les cours
des rois et éviter les palais des hommes livrés à la mollesse.
S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) Que personne ne s’imagine que la recherche
des vêtements riches et précieux puisse être exempte de pêché ; car s’il
en était ainsi, Notre-Seigneur n’aurait point loué Jean-Baptiste de porter un
vêtement grossier, et saint Pierre n’aurait pas combattu dans les femmes
l’amour des vêtements somptueux par ces paroles : « Ne recherchez pas
les habits précieux. » — S. Aug. (Doct. chrét., liv. 3, chap. 12.)
Cependant, ce n’est pas dans l’usage qu’on fait de toutes ces choses, mais dans
l’excès et l’attachement immodéré de celui qui en use que se trouve le péché.
Par conséquent, si l’on se conduit à cet égard avec plus de parcimonie que ne
le comportent les usages des personnes au milieu desquelles on vit, c’est
retenue excessive ou crainte superstitieuse ; mais si l’on dépasse en cela
les limites posées par la coutume des personnes vertueuses, c’est mauvais
signe, c’est dérèglement.
S. Chrys. (hom. 38.) Après
avoir donné comme preuve de la vertu du saint précurseur, le lieu qu’il
habitait, ses vêtements, et le concours du peuple, il le leur présente comme un
prophète : « Qu’êtes-vous allés voir ? un prophète ? Oui,
je vous le dis, et plus qu’un prophète. — S. Grég.
(hom. 6 sur les Evang.) Le ministère
du prophète c’est de prédire les choses à venir, et non de les montrer ;
donc Jean-Baptiste est plus qu’un prophète, car il annonçait comme présent,
celui qu’il avait prédit en sa qualité de précurseur. — S. Jér. C’est par là qu’il était plus
grand que les autres prophètes, et aussi parce qu’aux privilèges de la dignité
de prophète il joignit la gloire de baptiser son Seigneur. — S. Chrys. (hom. 38.) Jésus fait voir ensuite en quoi il est supérieur aux
autres, en ajoutant : « C’est de lui qu’il est écrit : Voici que
j’envoie mon ange devant votre face. » — S. Jér. Pour relever le mérite de Jean-Baptiste, il emprunte le
témoignage de Malachie qui l’avait annoncé comme un ange. Or, le nom d’ange est
donné ici à Jean-Baptiste, non pas qu’il ait eu avec eux une même nature, mais
parce qu’il a rempli le même ministère, c’est-à-dire celui de messager, en
annonçant le Sauveur qui devait venir. — S. Grég.
En grec, le mot ange correspond au
mot latin messager : c’est donc
avec raison que celui qui venait apporter à la terre un message des cieux
reçoit le nom d’ange et qu’il porte ce titre glorieux que justifient ses
oeuvres. — S. Chrys. (hom. 38.) Il montre donc en quoi
Jean-Baptiste est plus grand que les prophètes, c’est parce qu’il a eu
l’honneur d’être près du Christ. Ces paroles : « Devant votre
face, » signifient auprès de vous. Car de même que ceux qui marchent
auprès du char du roi sont les seigneurs les plus distingués de sa cour, ainsi
Jean reçut un nouvel éclat de la présence du Christ. — La Glose. Ajoutons enfin que les autres prophètes ont eu pour
mission d’annoncer l’avènement du Christ, et Jean-Baptiste de lui préparer les
voies, et c’est pour cela qu’il est écrit : « Il vous préparera la
voie où vous devez marcher, » c’est-à-dire qu’il vous rendra les cœurs
accessibles en leur prêchant la pénitence et en leur donnant le baptême.
S. Hil. (can. 11 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, le désert est le
lieu qui est privé de la présence de l’Esprit saint, et que Dieu n’habite en
aucune façon. Le roseau c’est l’homme tout resplendissant de la gloire du
monde, c’est-à-dire par la futilité de sa vie, mais qui ne porte en lui-même aucun
fruit de vérité ; ses dehors sont agréables, mais il est nul à
l’intérieur ; le moindre vent, c’est-à-dire le moindre souffle des esprits
immondes l’agite, il n’a aucune consistance, aucune fermeté, aucune force
intérieure. Le vêtement représente le corps dont l’âme est revêtue, que le luxe
et la volupté amollissent ; les rois sont l’image des anges
prévaricateurs, car ils sont les puissants du Siècle et les maîtres du monde.
Ceux donc qui sont vêtus avec mollesse habitent dans la maison des rois, c’est-à-dire
que ceux dont le corps est amolli et a perdu sa force au sein des voluptés
deviennent l’habitation des démons. — S. Grég.
(hom. 6 sur les Evang.) On peut dire
encore que Jean ne fut pas vêtu avec mollesse, parce qu’il n’a point encouragé
par un langage flatteur les vices des pécheurs, mais qu’il les a pressés de ses
réprimandes énergiques et de ses reproches les plus sévères, jusqu’à les
appeler : « Race de vipères. » (Mt 3)
S. Chrys. (hom. 38.) Notre-Seigneur
ne se contente pas de faire l’éloge de Jean-Baptiste, en rappelant le
témoignage que lui rend le prophète, il fait connaître la haute opinion qu’il a
personnellement de lui en disant : « Je vous le dis en vérité, il n’y
en a point eu de plus grand, » etc. — Rab.
Pourquoi semble-t-il dire, faire un éloge détaillé de
Jean-Baptiste : « Je vous le dis en vérité, entre ceux qui sont nés
des femmes, » etc. Il dit : Entre les enfants des femmes, et non des
vierges. Le mot femmes exprime dans
le sens propre celles qui n’ont plus leur virginité. Si Marie est quelquefois
appelée femme dans l’Évangile, il faut se rappeler que cette expression n’est
employée que pour désigner son sexe, comme dans ce passage : « Femme,
voici votre fils. » — S. Jér. Notre-Seigneur
élève donc Jean-Baptiste au-dessus des hommes qui sont nés des femmes et de
leur union avec l’homme ; mais non pas au-dessus de celui qui est né de la
Vierge et de l’Esprit saint. D’ailleurs, en disant : « Nul d’entre
les enfants des femmes n’a été plus grand que Jean-Baptiste, » il ne le place
pas précisément au-dessus des patriarches, des prophètes, et des autres hommes,
mais il les met simplement sur le même rang ; car de ce que les autres ne
sont pas plus grands que lui, il ne s’ensuit pas qu’il soit plus grand qu’eux.
— S. Chrys. (sur S. Matth.) Mais comme la justice est si élevée, qu’il n’y a
que Dieu seul qui puisse en atteindre la perfection, je pense que les saints,
aux yeux si pénétrants du souverain juge, sont dans un degré plus ou moins
élevé les uns que les autres, et nous devons en conclure que celui au-dessus
duquel il n’y en a point de plus grand est lui-même plus grand que tous les
autres.
S. Chrys. (hom. 38.) Mais
de peur que cette surabondance de louanges n’entraînât quelque inconvénient
pour les Juifs, qui avaient de Jean-Baptiste une plus haute estime que de
Jésus-Christ, le Sauveur prévient toute impression fâcheuse en ajoutant :
« Mais celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux est plus
grand que lui. » — S. Aug. (cont. l’advers. de la loi et des prophètes,
liv. 4, chap. 5.) Les hérétiques, en raisonnant sur ce texte, veulent en
conclure que Jean-Baptiste n’appartient pas au royaume des cieux, et encore
moins les prophètes de ce peuple, auxquels Jean-Baptiste est supérieur. Or, ces
paroles de Notre-Seigneur peuvent s’entendre de deux manières : ou bien ce
royaume des cieux, c’est celui dont nous ne sommes pas encore en possession, et
dont Notre-Seigneur doit dire à la fin du monde : « Venez, les bénis
de mon Père, possédez le royaume, » etc., et comme les anges sont les
habitants de ce royaume, le moindre d’entre eux est plus grand que le juste,
qui, sur cette terre, porte un corps sujet à la corruption. Ou bien, si par le
royaume des cieux il a voulu signifier 1’Église, dont tous les justes qui ont
existé depuis la naissance du genre humain sont les enfants, c’est de lui-même
qu’il a voulu parler, car il était au-dessous de Jean par son âge, et il lui
était supérieur par son éternité divine et par sa puissance souveraine. Dans le
premier sens, il faut donc diviser ainsi la phrase : « Celui qui est
le plus petit dans le royaume des cieux, » et ensuite : « Est plus grand que
lui ; » et dans le second sens : « Celui qui est le plus
petit, » et puis : « Est plus grand que lui dans le royaume des
cieux. » — S. Chrys. (hom. 38.) « Dans le royaume des
cieux, » c’est-à-dire dans toutes les choses spirituelles et célestes. Il
en est qui pensent que Jésus-Christ a voulu parler ici de ses Apôtres. — S. Jér. Pour nous, nous entendons tout
simplement ces paroles, en ce sens, que tout homme juste qui est déjà réuni au
Seigneur, est plus grand que celui qui se trouve encore au milieu des
combats ; car il y a une grande différence entre celui qui a déjà reçu la
couronne de la victoire, et celui qui soutient encore sur le champ de bataille
tous les efforts de ses ennemis.
La Glose. Les paroles qui
précèdent : « Celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux
est plus grand que Jean-Baptiste, » pouvaient faire penser que
Jean-Baptiste était étranger au royaume des cieux. Notre-Seigneur éloigne donc
cette idée en ajoutant : « Depuis les jours, » etc. — S. Grég. (hom. 20 sur S. Matth.) Le
royaume des cieux signifie le trône qui nous est préparé dans le ciel, et
lorsque des pécheurs souillés de quelques crimes reviennent à Dieu par la
pénitence et réforment leur conduite, ils entrent comme pécheurs dans un lieu
qui leur est étranger, et ils ravissent avec violence le royaume des cieux.
S. Jér. Si Jean-Baptiste a le premier
prêché la pénitence au peuple en ces termes : « Faites pénitence, car
le royaume des cieux approche, » il est juste que depuis ce temps le
royaume des cieux souffre violence, et que les violents seuls le ravissent. Il
faut en effet que nous nous fassions une grande violence, nous dont la
naissance est toute terrestre, pour chercher à mériter la gloire des cieux et
conquérir par notre vertu ce que nous ne pouvons tenir de notre nature. — S. Hil. (can. 11.) Ou bien dans un autre sens, Notre-Seigneur avait ordonné
à ses Apôtres d’aller vers les brebis perdues d’Israël (Mt 11), mais leur prédication tournait au profit des publicains et
des pécheurs. C’est ainsi que le royaume des cieux souffre violence, et que les
violents le ravissent, parce que la gloire qui était due aux patriarches
d’Israël, que les prophètes avaient annoncée, et que Jésus-Christ est venu
offrir, a été enlevée et ravie par la foi des nations. — S. Chrys. (hom. 38.) Ou bien encore, ceux qui s’empressent de se convertir
sont ceux qui ravissent le royaume de Dieu par la foi en Jésus-Christ ;
voilà pourquoi il dit : « Depuis les jours de Jean-Baptiste jusqu’à
présent. » C’est ainsi qu’il les excite et les presse de croire en lui ;
en même temps il confirme lui-même tout ce que Jean-Baptiste avait dit
précédemment. Car si toutes choses ont été accomplies jusqu’à Jean-Baptiste, il
est donc celui qui doit venir, et c’est pour cela qu’il ajoute :
« Tous les prophètes ont prophétisé jusqu’à Jean. » — S. Jér.
Ce n’est pas qu’il veuille dire qu’après Jean il n’y a plus eu de prophète, car
nous lisons dans les Actes des Apôtres (Ac
11 ; Ac 21), qu’Agabus et les quatre vierges, filles de Philippe,
prophétisèrent ; mais ces paroles signifient que toutes les prophéties de
la loi et des prophètes ont eu Jésus-Christ pour objet. Ces paroles donc :
« Ils ont prophétisé jusqu’à Jean, » indiquent le temps où devait
venir le Christ, et où Jean-Baptiste a signalé la présence de Celui dont ils
avaient prédit la venue.
S. Chrys. (hom. 38.) Il
donne ensuite une autre explication de son avènement : « Et si vous
voulez le comprendre, lui-même est cet Élie qui doit venir. » Dieu dit en effet par la bouche du
prophète Malachie (Ml 4) : Je
vous enverrai Élie de Thesba, et il dit de Jean-Baptiste :
« J’enverrai mon ange devant vous. » — S. Jér. Jean est
donc appelé Élie, non pas dans le sens de quelques philosophes insensés, et de
certains hérétiques qui enseignent le retour des âmes dans de nouveaux corps,
mais parce qu’au témoignage de l’Évangile lui-même, il est venu dans la vertu
et dans l’esprit d’Élie, et qu’il a reçu la même grâce ou la même mesure de
l’Esprit saint. Ajoutez que l’austérité de la vie et la sévérité des principes
sont les mêmes dans Élie et dans Jean-Baptiste : ils habitaient tous les
deux le désert, tous les deux ils portaient une ceinture de poils de
chameau ; le premier fut obligé de fuir, parce qu’il avait reproché à
Achab et à Jésabel leur impiété, le second eut la tête tranchée parce qu’il
avait condamné l’union criminelle d’Hérode et d’Hérodiade. — S. Chrys. (hom. 38.) Le Sauveur dit avec raison : « Et si vous
voulez le comprendre, » leur montrant ainsi qu’ils sont libres et qu’il
exige une adhésion volontaire : or Jean est Élie, et à son tour Élie est
Jean, parce que tous deux sont précurseurs. — S. Jér. Ces paroles : « Lui-même est Élie, » sont
mystérieuses et ont besoin d’une intelligence particulière, comme le prouve ce
qu’il ajoute : « Que celui qui a des oreilles pour entendre,
entende. » — Remi. C’est-à-dire : Que celui qui
a les oreilles du cœur pour entendre ou pour comprendre, qu’il entende, qu’il
comprenne, parce qu’en effet il a dit non pas que Jean-Baptiste ait été Élie en
personne, mais seulement par l’esprit.
S. Hil. (can. 11.) Tout
ce discours est à la honte de l’incrédulité ; c’est l’expression d’un
profond sentiment de mécontentement de ce que ce peuple arrogant avait résisté
aux divers genres d’instructions qui lui avaient été faites. — S. Chrys. (hom. 38.) Le Sauveur procède avec raison par interrogation, pour
montrer que rien n’a été oublié de ce qui devait contribuer à leur salut :
« A qui comparerai-je cette génération ? » — La Glose. Comme s’il disait : Jean
était un grand prophète, mais vous n’avez voulu croire ni à sa parole ni à la
mienne ; à qui donc vous comparerai-je ? Dans ce mot de génération il
comprend les Juifs, Jean-Baptiste lui-même.
Remi. Il se fait aussitôt
cette réponse : « Elle est semblable à des enfants assis sur la place
publique qui crient à leurs compagnons : Nous avons chanté pour vous, et
vous n’avez pas dansé ; nous avons chanté des airs lugubres, et vous
n’avez point témoigné de tristesse. — S. Hil.
(Can. 11.) Par ces enfants,
Notre-Seigneur entend les prophètes qui ont prêché comme des enfants dans la
simplicité de leur âme, et qui, au milieu des synagogues comme au milieu d’une
place publique, ont reproché aux Juifs de n’avoir pas conformé leurs oeuvres
extérieures aux chants qu’ils leur adressaient, et de n’avoir pas obéi à leurs
paroles ; car le mouvement de la danse doit se conformer à la mesure du
chant. Or, les prophètes ont appelé le peuple à louer Dieu dans leurs chants,
comme nous le voyons dans les cantiques de Moïse, d’Isaïe et de David (Ex 15 ; Dt 32 ; Is 12 ; 26 ; 2 R 26 ; Ps 17, etc.),
etc. — S. Jér. Voici donc ce
qu’ils reprochent aux Juifs : « Nous avons chanté pour vous, et vous
n’avez pas dansé, » c’est-à-dire nous vous avons excités par nos chants à
la pratique des bonnes oeuvres, et vous n’en avez rien fait ; nous avons
pleuré pour vous appeler à la pénitence, et vous n’avez pas été plus dociles,
vous avez méprisé toute espèce de prédication, et celle qui vous exhortait à la
vertu, et celle qui vous appelait à faire pénitence de vos péchés. — Remi. Comment
peut-il dire : « A leurs compagnons ? » Est-ce que les
Juifs infidèles étaient les égaux et les compagnons des saints prophètes ?
Non, mais il parle ainsi parce qu’ils étaient tous sortis d’une souche commune.
— S. Jér. Les enfants sont encore
ceux dont Isaïe a dit : « Me voici, moi et mes enfants, ceux que le
Seigneur m’a donnés ; » ces enfants s’arrêtent sur la place publique
où l’on fait trafic de tout, et ils disent : « Nous avons chanté pour
vous, et vous n’avez pas dansé. » — S. Chrys.
(hom. 38.) Je vous ai donné l’exemple
d’une vie plus douce que sévère, et vous n’avez pas été persuadés ; Jean
s’est soumis à une vie austère, et vous n’y avez pas fait plus
d’attention ; il ne dit pas : Jean a suivi cette ligne de conduite,
et moi cette autre ; mais il ne sépare pas leur cause, parce que leur
intention était la même, et il ajoute : « Jean est venu, ne mangeant,
ni ne buvant, et vous avez dit : Il est possédé. Le Fils de l’homme est
venu, mangeant et buvant, » etc. — S. Aug.
(cont. Faust. liv. 16, chap.
31.) Je voudrais bien que les Manichéens me disent ce que mangeait et ce que
buvait Jésus-Christ, lui qui se disait mangeant et buvant, en comparaison de
Jean-Baptiste qui ne mangeait ni ne buvait. Car il n’est pas dit que Jean ne
buvait pas du tout, mais qu’il ne buvait ni vin ni rien de ce qui pouvait
enivrer, il ne buvait donc que de l’eau ; on ne peut pas dire non plus
qu’il ne mangeait rien absolument, mais il ne mangeait que du miel sauvage et
des sauterelles. Pourquoi donc Notre-Seigneur dit-il qu’il ne mangeait ni ne
buvait, si ce n’est parce qu’il n’usait pas des aliments ordinaires des
Juifs ? Et si le Seigneur n’en avait pas lui-même fait usage, il n’aurait
pu dire par comparaison avec Jean-Baptiste qu’il mangeait et buvait. Or,
n’est-il pas étonnant qu’on dise de celui qui mangeait des sauterelles et du
miel, qu’il ne mangeait pas, et qu’on présente comme mangeant celui qui se
contentait de pain et de légumes ?
S. Chrys. (hom. 38.) « Le
Fils de l’homme est venu, » etc., c’est-à-dire nous avons suivi, Jean et
moi, des routes différentes, mais qui aboutissaient au même but, comme deux
chasseurs qui poursuivent un animal par deux chemins différents pour le faire
arriver sur l’un des deux. Les hommes sont généralement portés à admirer le
jeûne et l’austérité de la vie ; c’est pour cela que Dieu voulut que dès
son enfance Jean pratiquât ce genre de vie, pour donner ainsi par la suite plus
d’autorité à ses paroles. Notre-Seigneur marcha lui-même dans cette voie
lorsqu’il jeûna pendant quarante jours ; mais cependant il prit d’autres
moyens pour persuader aux Juifs de croire en lui ; car il était bien-plus
important que Jean-Baptiste lui rendît témoignage en marchant dans cette voie,
qu’il ne l’était pour lui-même de suivre ce genre de vie. En effet, Jean ne fit
éclater en lui que l’austérité de sa vie et l’amour de la justice, tandis que
Jésus-Christ avait encore le témoignage des miracles. Il laissa donc
Jean-Baptiste briller par le jeûne, et il suivit une voie différente en ne refusant
pas de s’asseoir à la table des publicains pour manger et boire avec eux. — S. Jér. Si le jeûne vous est agréable,
pourquoi Jean-Baptiste ne vous plaît-il pas ? Si la vie ordinaire a pour
vous plus d’attrait, pourquoi le Fils de l’homme ne peut-il vous plaire ?
Pourquoi avez-vous traité l’un de possédé, et l’autre d’ivrogne et
d’intempérant ?
S. Chrys. Quelle sera donc désormais leur
excuse ? c’est pour cela qu’il ajoute : « La sagesse a été
justifiée par ses enfants, » c’est-à-dire : si vous n’êtes pas
persuadés, vous n’avez pas, du moins, de raison de m’accuser. C’est ce que le
Prophète-Roi dit de Dieu le Père : « Afin que vous soyez justifié
dans vos paroles. » (Ps 50.)
Quoique vous n’ayez tiré aucun profit de l’économie de la divine providence à
votre égard, de son côté elle a fait tout ce qu’elle devait, de manière à ne
laisser pas même l’ombre d’un doute à l’impudence et à l’ingratitude. — S. Jér. La sagesse a été justifiée par ses
enfants, c’est-à-dire la doctrine et la conduite de Dieu. Ou bien la conduite
du Christ qui est la vertu et la sagesse de Dieu a été justifiée par les
Apôtres qui sont ses enfants. — S. Hil. Or,
il est lui-même la sagesse, non par les effets merveilleux qu’elle a produits
en lui, mais par nature. Il en est plusieurs qui cherchent à éluder la force de
ces paroles de l’Apôtre qui proclament le Christ la puissance et la sagesse de
Dieu (1 Co 1), en disant que la vertu
de cette sagesse et de cette puissance divine s’est montrée dans l’oeuvre de
son incarnation et de sa naissance d’une Vierge ; mais pour détruire par
avance cette interprétation, il a déclaré qu’il était lui-même la sagesse,
montrant ainsi que ce n’étaient pas seulement les oeuvres de la sagesse, mais
la sagesse elle-même qui résidait en lui ; car l’oeuvre de la vertu n’est
pas la vertu elle-même, et l’effet demeure distinct de celui qui le produit. —
S. Aug. (Quest. Evang., liv. 2, chap. 11.) « La sagesse a été
justifiée par ses enfants, » en ce sens que les saints Apôtres comprirent
que le royaume des cieux n’était point dans le boire et dans le manger, mais
dans la patience à supporter les épreuves ; aussi l’abondance ne leur
inspirait aucun orgueil, et la pauvreté ne pouvait les abattre. C’est ce qui
faisait dire à saint Paul : « Je sais être dans l’abondance, et je
sais supporter la pauvreté. » — S. Hil.
On lit dans quelques exemplaires : « La sagesse a été
justifiée par ses oeuvres. » La sagesse, en effet, ne cherche pas le
témoignage des paroles, mais celui des oeuvres. S. Chrys.
(hom. 38.) Si cette comparaison empruntée aux enfants vous
paraît vulgaire, n’en soyez pas surpris, car Jésus s’adressait à des auditeurs
grossiers ; c’est ainsi qu’Ézéchiel se sert de plusieurs comparaisons en
rapport avec l’intelligence des Juifs, mais qui ne convenaient nullement à la
grandeur de Dieu, si toutefois l’on peut dire qu’une chose qui est utile aux
hommes n’est pas digne de Dieu.
S. Hil. (can. 11.) Dans
le sens mystique, la prédication elle-même de Jean-Baptiste fut impuissante
pour convertir les Juifs, parce que la loi leur avait paru pénible, difficile
et gênante à cause de ses prescriptions sur les aliments et sur les boissons.
Elle renfermait pour ainsi dire en elle-même le péché auquel il donne le nom de
démon, parce que la difficulté que présentait son observation en rendait
presque inévitable la transgression. A son tour, la prédication de l’Évangile
de Jésus-Christ ne leur fut pas agréable, malgré la liberté qu’elle leur
rendait, en allégeant tout ce que la loi avait de difficile et d’accablant. Les
publicains et les pécheurs embrassèrent la foi, mais pour les Juifs, après tant
et de si grands avertissements, ils ne furent pas justifiés par la grâce, et
ils furent abandonnés par la loi. C’est alors que la sagesse fut justifiée par
ses enfants, c’est-à-dire par ceux qui ravissent le royaume des cieux par la
justification qui vient de la foi, et en proclamant la justice des opérations
de la sagesse de Dieu qui prive de ses grâces les esprits rebelles pour en
faire part aux cœurs fidèles.
La Glose. Jusqu’ici les
reproches du Sauveur s’étaient adressés indistinctement à tous les Juifs,
maintenant il les fait tomber en particulier sur quelques villes qu’il avait
évangélisées d’une manière plus spéciale, et qui, cependant, n’avaient pas
voulu se convertir. « Alors, dit l’Évangéliste, il commença à faire des
reproches aux villes, » etc. —
S. Jér. Ce chapitre s’ouvre par
les reproches qu’il fait aux villes de Bethsaïde et de Capharnaüm, de ce
qu’après tant de prodiges et de miracles opérés au milieu d’elles, elles n’ont
pas fait pénitence. « Malheur à vous, Corozaïm ! malheur à vous,
Bethsaïde ! » — S. Chrys.
(hom. 38.) C’est pour vous apprendre
que les habitants de ces villes n’étaient pas mauvais par leur nature qu’il
nomme la ville de Bethsaïde, qui avait donné le jour à plusieurs d’entre les
Apôtres. En effet, Philippe, et les deux principaux couples du collège
apostolique, Pierre et André, Jacques et Jean, étaient de Bethsaïde. — S. Jér. Cette expression,
« malheur, » nous montre que le Sauveur déplore le triste sort de ces
villes, de ce qu’après tant de miracles et de prodiges opérés sous leurs yeux,
elles n’ont pas fait pénitence. — Rab.
Corozaïm qui veut dire mon mystère, et
Bethsaïde, la maison des fruits ou la maison des chasseurs, sont des villes
de Galilée assises sur les bords de la mer de Galilée. Le Seigneur déplore le
triste sort de ces villes, à qui le mystère de Dieu a été révélé, qui auraient
dû produire des fruits de vertu, et dans lesquelles il avait envoyé des
chasseurs spirituels. — S. Jér. Le
Sauveur leur préfère Tyr et Sidon, villes adonnées à l’idolâtrie et à tous les
vices. « Car, ajoute-t-il, si les merveilles qui ont été opérées au milieu
de vous avaient été faites au milieu de Tyr et de Sidon, il y a longtemps
qu’eues auraient fait pénitence dans la cendre et le cilice. » — S. Grég. (Moral., 35, 2.) Le cilice signifie la componction et l’austérité
de la pénitence ; la cendre, la poussière des morts. Tous deux sont mis en
usage dans la pénitence, afin que les pointes du cilice nous rappellent ce que
nous avons fait en péchant, et que la cendre nous fasse réfléchir sur ce que
nous sommes devenus par le jugement de Dieu. — Rab. Tyr et Sidon sont des villes de Phénicie. Tyr veut dire angoisse, et Sidon, chasse ; elles représentent les nations que le démon a prises
comme un chasseur dans les détroits resserrés du péché, mais que le Sauveur
Jésus a délivrées par son Évangile.
S. Jér. Où donc voyons-nous que le Sauveur
ait fait des miracles dans Corozaïm et dans Bethsaïde ? Nous lisons dans
un des chapitres précédents : « Il parcourait toutes les villes et
les villages, guérissant toutes les maladies, » etc. Il est donc à croire
que Corozaïm et Bethsaïde étaient du nombre de ces villes et bourgades dans
lesquelles le Sauveur avait opéré des miracles. — S. Aug. (de la persév., chap.
9.) Il n’est donc pas vrai de dire que l’Évangile n’ait pas été prêché dans les
temps et dans les lieux où le Seigneur prévoyait l’inutilité de ses
prédications pour tous ceux qui l’entendraient, aussi bien que pour un grand
nombre de ceux qui n’ont pas voulu croire en lui, même après qu’ils l’eurent vu
ressusciter des morts ; car voici le Seigneur qui nous assure que les
habitants de Tyr et de Sidon eussent fait une pénitence pleine d’humilité,
s’ils avaient été témoins des miracles de la puissance divine. Or, si les morts
sont jugés sur ce qu’ils auraient fait s’ils avaient vécu, comme les habitants
de ces villes se seraient convertis à la foi si l’Évangile leur eût été annoncé
et confirmé par tant de miracles éclatants, il faudrait en conclure qu’ils
seront exempts de tout châtiment ; et cependant ils seront punis au jour
du jugement, d’après les paroles qui suivent : « Néanmoins je vous le
dis, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous. » La
peine des derniers sera donc plus légère, et le châtiment des autres plus
rigoureux. — S. Jér. Et la
raison, c’est que Tyr et Sidon ont foulé aux pieds la loi naturelle seule,
tandis que ces villes, à la transgression de la loi écrite, ont joint le mépris
des miracles qui ont été faits au milieu d’elles. — Rab. Nous sommes aujourd’hui témoins de l’accomplissement des
paroles du Sauveur : Corozaïm et Bethsaïde ne voulurent pas croire en lui
lorsqu’il les honorait de sa présence, tandis que Tyr et Sidon crurent plus tard
à la prédication des Apôtres. — Remi. Capharnaüm
était la métropole de la Galilée, et la ville la plus célèbre de cette
province ; c’est pour cela que le Seigneur en fait une mention
spéciale : « Et toi Capharnaüm, t’élèveras-tu jusqu’au ciel ? tu
seras abaissée jusqu’aux enfers. » —
S. Jér. On peut entendre ces
paroles de deux manières : ou bien tu descendras jusqu’aux enfers, parce
que tu as résisté avec orgueil à mes prédications ; ou bien, parce que
élevée jusqu’au ciel par le séjour
que j’ai daigné faire au milieu de toi, aussi bien que par les prodiges et par
les merveilles que j’ai opérés dans ton sein, tu seras condamnée à de plus
grands supplices pour avoir abusé de grâces si privilégiées, en refusant de
croire en moi. — Remi. Ce ne sont
pas seulement les péchés de Tyr et de Sidon, mais les crimes de Sodome et de
Gomorrhe qui sont légers en comparaison. Car, ajoute-t-il, si les merveilles
qui ont été opérées au milieu de toi eussent été faites dans Sodome, peut-être
cette ville existerait encore. — S. Chrys.
(hom. 39.) C’est ce qui rend leur
accusation plus rigoureuse, car la plus forte preuve de méchanceté, c’est
d’être plus mauvais non-seulement que les méchants qui existent, mais que ceux
qui ont jamais existé.
S. Jér. Dans la ville de Capharnaüm, qui
veut dire très belle maison de plaisance,
se trouve condamnée Jérusalem, à qui Ézéchiel a dit : Sodome a été
trouvée juste auprès de toi. — Remi. Le
Seigneur qui connaît toutes choses, s’est servi ici du mot dubitatif peut-être, pour montrer que les hommes
ont reçu de lui le don du libre arbitre. Il ajoute : « C’est pourquoi
je vous déclare qu’au jour du jugement le pays de Sodome sera traité moins
rigoureusement que vous. » Il faut se rappeler que sous le nom d’une ville
ou d’une contrée, les reproches du Seigneur s’adressent non pas aux édifices ou
aux murailles des maisons, mais aux hommes qui les habitent, d’après la figure
appelée métonymie, qui exprime le contenu pour le contenant. Les paroles
suivantes : « La peine sera plus légère au jour du jugement, » démontrent jusqu’à l’évidence qu’il y a
dans l’enfer divers degrés de peines, de même qu’il y a divers degrés de gloire
dans le royaume des cieux. — S. Jér. Un
lecteur attentif me dira peut-être : Si les villes de Tyr, de Sidon et de
Sodome auraient pu faire pénitence en entendant les prédications du Seigneur et
devant l’éclat de ses miracles, elles ne sont pas coupables de n’avoir pas cru,
mais la faute doit être imputée au silence de celui qui n’a pas voulu leur
prêcher dans le temps où elles étaient disposées à faire pénitence. La réponse
à cette difficulté est facile et claire : c’est que nous ignorons les
jugements de Dieu, et les mystérieuses dispositions de sa providence.
Notre-Seigneur s’était proposé de ne point sortir des frontières de la Judée,
ne voulant pas fournir aux pharisiens et aux prêtres un motif ou un prétexte
pour le persécuter. C’est pour cela qu’il fait cette recommandation aux
Apôtres : « Vous n’irez pas dans le chemin des nations. » Or,
Corozaïm et Bethsaïde sont condamnées, parce qu’elles ont refusé de croire à la
parole du Seigneur lui-même présent au milieu d’elles ; Tyr et Sidon sont
justifiées pour avoir cru à la parole de ses Apôtres. Pourquoi faire ici une
question de temps alors que vous voyez que ceux qui croient sont sauvés ?
— Remi. Voici une autre solution
de cette difficulté : dans Corozaïm, il y en avait probablement plusieurs
qui devaient croire, de même que dans Tyr et dans Sidon il en était plusieurs
qui devaient rester dans l’incrédulité, et qui, par conséquent, n’étaient pas
dignes de 1’Évangile. Notre-Seigneur a donc évangélisé les habitants de
Corozaïm et de Bethsaïde, afin que ceux qui devaient croire pussent embrasser
la foi ; et il ne voulut point porter la prédication de l’Évangile aux
habitants de Tyr et de Sidon, dans la crainte que ceux qui refuseraient de
croire, devenus plus coupables par le mépris de l’Évangile, ne fussent aussi
plus rigoureusement punis.
S. Aug. (de la persévér., chap. 10.) Un controversiste catholique qui n’est
pas à dédaigner explique ce passage de l’Évangile en disant que le Seigneur
avait prévu que les Tyriens et les Sidoniens devaient plus tard abandonner la
foi qu’ils auraient embrassée sur l’autorité des miracles opérés sous leurs
yeux ; et c’est par miséricorde qu’il n’a point voulu faire de miracles au
milieu d’eux, parce que en abandonnant la foi qu’ils avaient professée, ils se
seraient rendus dignes de châtiments plus rigoureux que s’ils ne l’avaient
jamais reçue. (Evang., chap. 12.) On
peut dire encore que le Seigneur prévoit avec certitude les grâces auxquelles
il a daigné attacher notre délivrance : c’est la prédestination des
saints, c’est-à-dire la prescience et la préparation des grâces qui doivent
infailliblement sauver ceux qui doivent l’être ; les autres, par un juste
jugement de Dieu, sont laissés dans la masse de perdition, comme les habitants
de Tyr et de Sidon qui auraient pu croire également s’ils avaient été témoins
des nombreux miracles de Jésus-Christ ; mais comme le don de la foi ne
leur a pas été accordé, les moyens de croire leur ont été refusés. On peut
conclure de là qu’il y a des hommes qui ont naturellement dans leur esprit un
don particulier d’intelligence qui les porterait vers la foi, s’ils voyaient
des miracles ou s’ils entendaient des paroles conformes aux dispositions de
leur âme ; et cependant si, par un profond jugement de Dieu, ils ne sont
pas séparés de la masse de perdition par la grâce de la prédestination, ils
n’entendront jamais ces paroles divines, ils ne verront jamais ces faits
miraculeux qui deviendraient pour eux, s’ils en étaient témoins, des moyens
assurés de parvenir à la foi. C’est dans cette masse de perdition que furent
laissés les Juifs eux-mêmes qui ne purent croire aux miracles si éclatants qui
furent opérés sous leurs yeux, et l’Évangile ne nous a pas caché la raison pour
laquelle ils n’ont pu croire : « Bien que le Sauveur eût opéré sous
leurs yeux d’aussi grands miracles, ils ne pouvaient pas croire, selon ce
qu’Isaïe a dit : « Il a aveuglé leurs yeux (Is 6, 9 ; Ac 28,
18), et il a endurci leurs cœurs. »
(Jn 12.) Les yeux des Tyriens et des Sidoniens n’étaient donc pas aveuglés
de manière à ne pouvoir croire, s’ils avaient vu de semblables miracles ;
mais comme ils n’étaient pas prédestinés, il ne leur servit de rien d’avoir pu
croire, de même que ce n’eût pas été pour eux un obstacle de ne pouvoir croire
si Dieu les eût prédestinés à recevoir la lumière de la loi malgré leur
aveuglement, et s’il avait voulu leur ôter leur cœur le pierre, cause de leur
endurcissement.
S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 32.) Saint Luc rapporte ces
mêmes paroles, en les donnant comme la suite d’un discours du Seigneur. Cet
Évangéliste paraît avoir suivi dans sa narration l’ordre dans lequel ces
paroles ont été dites, tandis que saint Matthieu ne suit d’autre ordre que
celui de ses souvenirs. Ou bien, la manière dont saint Matthieu
s’exprime : « Alors il commença à faire des reproches, » etc.,
devrait être entendue en ce sens que le mot « alors » indiquerait le
moment précis du temps où ces paroles ont été prononcées, et non l’espace de
temps plus long dans lequel on pourrait placer un grand nombre d’autres
actions, ou d’autres discours du Sauveur. En admettant cette opinion, il faut
admettre que ces paroles ont été dites deux fois ; car, puisque dans un
seul et même Évangile on trouve répétées comme dites dans deux circonstances
différentes les mêmes paroles du Seigneur, par exemple, la recommandation qu’il
fait de ne pas porter de sac en voyage (Lc
9 et 10), qu’y a-t-il d’étonnant que des paroles dites deux fois par le
Sauveur soient rapportées par deux Évangélistes dans l’ordre où elles ont été
prononcées ? Et la raison pour laquelle cet ordre est différent, c’est
justement parce que chacun d’eux rattache ces paroles au temps où elles ont été
dites.
La Glose. Le Seigneur savait qu’un grand nombre
douteraient de la vérité qu’il venait de leur révéler, c’est-à-dire que les
Juifs ont rejeté le Christ, tandis que les Gentils l’ont retenu avec
empressement ; il répond donc à ces doutes intérieurs : « Et
Jésus, répondant, dit ces paroles : Je vous rends gloire, mon Père, »
etc. C’est-à-dire vous qui faites les cieux, et qui laissez dans l’attachement
aux choses de la terre ceux que vous voulez. Ou bien dans le sens
littéral : — S. Aug. (serm. 9 sur les paroles du Seig.) Puisque
Jésus-Christ dit : « Je vous confesse, » lui si éloigné de tout
péché, la confession n’est donc pas toujours l’aveu des péchés, mais
quelquefois aussi l’expression de la louange. Nous confessons donc soit en
louant Dieu, soit en nous accusant nous-mêmes ; et ces mots : Je vous
confesse, signifient non pas : je m’accuse, mais : je vous loue, je
vous rends gloire.
S. Jér. Que ceux qui osent calomnier le
Sauveur en niant sa naissance éternelle et en soutenant qu’il a été créé dans
le temps, entendent et méditent ces paroles. Ils appuient leur opinion sur ce
qu’il appelle ici son Père le Seigneur du ciel et de la terre. Mais s’il n’est
qu’une simple créature, et qu’une créature puisse donner le nom de Père à son
Créateur, il a fait une chose déraisonnable en ne l’appelant pas son Maître ou
son Père comme il l’appelle le Maître et le Père du ciel et de la terre. Or il
rend grâces à Dieu de ce qu’il révèle le mystère de son avènement aux Apôtres,
mystère qu’il a laissé ignorer aux scribes et aux pharisiens qui étaient sages
et prudents à leurs propres yeux. C’est le sens de ces paroles : « De
ce que vous avez caché aux sages, » etc. — S. Aug. (serm. 9 sur les paroles du Seig.) Sous le nom de
ces sages et de ces prudents on peut entendre les orgueilleux, comme
Notre-Seigneur l’explique lui-même, en ajoutant : « Et que vous les
avez révélés aux petits. » En
effet, que veut dire « aux petits, » si ce n’est aux humbles ? —
S. Grég. (Moral. 27, 7.) Il n’ajoute pas : vous les avez révélés aux
insensés, mais aux petits, pour nous montrer qu’il ne condamne pas la
pénétration, mais seulement l’enflure de l’esprit. S. Chrys.
(hom. 39.) Ou bien encore, en nommant ici des sages, il n’a
point voulu parler de la véritable sagesse, mais de celle que les scribes et
les pharisiens ne tenaient que de leur éloquence ; c’est pour cela qu’il
ne dit pas : « Vous les avez révélés aux insensés, » mais :
« aux petits, » c’est-à-dire
aux gens sans instruction et sans éducation. C’est ainsi qu’il nous apprend à
fuir en tout l’orgueil, et à rechercher la pratique de l’humilité. — S. Hil. (can. 11.) Les secrets et la vertu des paroles célestes demeurent
cachés pour les sages, c’est-à-dire pour ceux qui sont pleins d’une folle
présomption, et dont la sagesse n’est pas le fruit de la prudence ; et ces
mêmes secrets sont révélés aux petits, c’est-à-dire à ceux qui sont petits en
malice, et non en intelligence. — S. Chrys.
(hom. 39.) Que ces mystères aient été
révélés aux uns, c’est un légitime sujet de joie, mais qu’ils restent cachés
pour les autres, c’est un trop juste sujet de larmes. Aussi la joie du Sauveur
vient-elle exclusivement de ce que les petits ont connu ce que les sages ont
ignoré.
S. Hil. (can. 11.) Il
confirme l’équité de cette conduite par le jugement de la volonté de son
Père ; suivant ce jugement, ceux qui refusent d’être petits devant Dieu
deviennent insensés dans leur propre sagesse ; c’est pour cela qu’il
ajoute : « Oui, je vous bénis, ô mon Père, parce qu’il vous a plu
ainsi. » — S. Grég. (Moral., liv. 25, chap. 13.) Ces paroles renferment pour nous une leçon
d’humilité, et nous apprennent à ne pas discuter témérairement les jugements de
Dieu sur la vocation des uns, et sur la réprobation des autres, en nous
montrant qu’il ne peut y avoir d’injustice dans ce qui a plu à celui qui est
souverainement juste. — S. Jér. Notre-Seigneur
tient encore ce langage affectueux à son Père, pour l’engager à consommer
l’oeuvre qu’il a commencée dans ses Apôtres. — S. Chrys. (hom. 39.)
Ces paroles de Jésus-Christ à ses Apôtres leur inspirèrent une plus grande
vigilance ; le pouvoir qu’ils avaient reçu de chasser les démons était de
nature à leur donner une haute idée d’eux-mêmes, il réprime donc cette idée en
leur apprenant que les faveurs qui leur ont été accordées ne sont pas le fruit
de leurs efforts, mais l’effet d’une révélation divine. Aussi les scribes et
les pharisiens, infatués de leur sagesse et de leur prudence, sont-ils tombés
victimes de leur orgueil. Si donc ils ont mérité pour cela que les mystères de
Dieu demeurent cachés pour eux, craignez vous aussi, et appliquez-vous à rester
petits, car c’est ce qui vous a donné droit à la révélation de ces mystères.
Ces paroles : « Vous avez caché ces choses aux sages, » doivent être entendues dans le sens de
ces autres de saint Paul : « Dieu les a livrés au sens
réprouvé. » L’intention de
l’Apôtre n’est pas d’attribuer à Dieu immédiatement cet effet, mais à ceux qui
en ont posé la cause. C’est dans le même sens qu’il faut entendre ces paroles
du Sauveur « Vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents. »
Et pourquoi ces vérités sont-elles demeurées cachées pour eux ? Écoutez
saint Paul qui vous répond : « Parce que, s’efforçant d’établir leur
propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. »
S. Chrys. (hom. 39.) Ce que le Sauveur vient de
dire : « Je vous rends gloire, mon Père, de ce que vous avez caché
ces choses aux sages, » pouvait
laisser penser qu’il rendait grâces à son Père, comme s’il était lui-même privé
de cette puissance ; il ajoute donc pour prévenir cette idée :
« Mon Père m’a mis toutes choses entre les mains. » Que ces
paroles : « Toutes choses m’ont été données par mon Père, » ne
vous fassent soupçonner rien de naturel et d’humain ; Notre-Seigneur ne
s’en est servi que pour détruire la pensée qu’il existe deux dieux non
engendrés ; car c’est en même temps qu’il a été engendré qu’il est devenu
le Maître de toutes choses. — S. Jér. Si
nous entendions ces paroles d’après nos faibles idées, il faudrait admettre que
celui qui donne cesse d’avoir au moment où celui qui reçoit commence à
posséder. Ou bien par les choses qui lui sont remises entre les mains, il faut
entendre non pas le ciel, la terre, les éléments, et toutes les autres choses
qu’il a faites et créées, mais ceux qui, par le Fils ont accès auprès du Père.
— S. Hil. (can. 11.) Ou bien encore, il s’exprime de la sorte, pour prévenir
toute pensée qu’il soit en rien inférieur à son Père. — S. Aug. (cont. Maximin.) S’il était en quelque chose moins puissant que son
Père, il n’aurait pas à lui tout ce qu’à son Père ; mais le Père, en
engendrant son Fils, lui a donné la puissance, comme aussi par le même acte il
a donné tout ce qui fait partie de sa substance à celui qu’il a engendré de sa
propre substance.
S. Hil. (can. 11.) Ensuite,
dans cette mutuelle connaissance du Père et du Fils, il nous donne à comprendre
qu’il n’y a pas autre chose dans le Fils que dans le Père qui soit resté
inconnu. « Et personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père, comme nul
ne connaît le Père si ce n’est le Fils. » — S. Chrys. (hom. 39.)
En disant que seul il connaît le Père, il nous démontre indirectement qu’il lui
est consubstantiel, comme s’il disait : « Qu’y a-t-il d’étonnant que
je sois le Maître de toutes choses, alors que j’ai en moi quelque chose de plus
grand encore, c’est-à-dire que je connais mon Père, et que j’ai avec lui une
seule et même substance ? — S. Hil.
Il nous enseigne que l’identité de nature, dans l’un et dans l’autre, est
renfermée dans cette mutuelle connaissance de l’un et de l’autre, de manière
que celui qui connaît le Fils connaîtra le Père dans le Fils ; car toutes
choses lui ont été données par le Père. — S. Chrys.
(sur S. Matth.) Ces paroles :
« Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, » signifient non pas que tous ignorent le
Père absolument, mais que personne ne le connaît de la même manière qu’il le
connaît lui-même, ce que l’on doit dire du Fils également ; car il n’est
pas question ici d’un Dieu inconnu, comme le prétend Marcion.
S. Aug. (de la Trinité, liv. 1, chap. 8.) Enfin, comme la nature divine est
inséparable, il suffit quelquefois de nommer le Père seul, ou le Fils seul,
sans qu’on sépare pour cela l’Esprit de l’un et de l’autre, Esprit qu’on
appelle proprement Esprit de vérité (Jn 14,
17 ; 15, 26 ; 16, 13). — S. Jér.
Que l’hérétique Eunomius rougisse donc de son orgueilleuse prétention,
qu’il a lui-même du Père et du Fils une connaissance aussi étendue que le Père
et le Fils l’ont eux-mêmes l’un de l’autre ; qu’il cherche à soutenir et à
consoler sa folle prétention, en s’appuyant sur les paroles suivantes :
« Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler, » toujours est-il
vrai qu’autre chose est de connaître par égalité de nature, autre chose de ne
connaître que par la grâce d’une révélation. — S. Aug. (de la Trinité, liv.
7, chap. 3.) Or, le Père se révèle par son Fils, c’est-à-dire par son
Verbe ; car si ce verbe que nous proférons, tout passager et transitoire
qu’il est, se révèle lui-même et révèle notre propre pensée, à combien plus
forte raison le Verbe de Dieu par qui toutes choses ont été faites ! Il
fait donc connaître le Père tel qu’il est, parce qu’il est lui-même ce qu’est
le Père. — S. Aug. (Quest. évang., liv. 2, chap. 1) En
prononçant ces paroles : « Personne ne connaît le Fils, si ce n’est
le Père, » il n’a pas dit : Et celui à qui le Père aura voulu le
révéler ; mais après avoir dit : « Personne ne connaît le Père,
si ce n’est le Fils, » il ajoute : « Et celui à qui le Fils aura
voulu le révéler ; » paroles qu’il ne faut pas entendre dans le sens
que le Fils ne puisse être connu autrement que par le Père. Quant au Père, il
peut être connu non-seulement par le Fils, mais encore par ceux à qui le Fils
l’aura révélé. S’il a choisi de préférence cette manière de s’exprimer, c’est
pour nous faire comprendre que le Père et le Fils nous sont connus par la
révélation du Fils, parce qu’il est lui-même la lumière de notre intelligence.
Les paroles suivantes : Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler,
doivent s’entendre non-seulement du Père, mais encore du Fils ; car elles
se rapportent à tout ce qui précède. C’est par son Verbe, en effet, que le Père
se fait connaître ; mais le Verbe ne révèle pas seulement ce qu’il est
chargé de faire connaître, il se révèle encore lui-même. — S. Chrys. (hom. 39.) Si donc il fait connaître le Père, il se fait connaître
en même temps lui-même, mais il passe sous silence comme assez claire cette
dernière vérité, et il s’attache à la première sur laquelle il pouvait y avoir
des doutes. Il nous enseigne en même temps qu’il est tellement d’accord avec
son Père, qu’il n’est pas possible d’arriver au Père si ce n’est par le
Fils ; car ce qui scandalisait surtout les Juifs, c’est qu’il leur
paraissait en opposition avec Dieu, et il s’applique de toute manière à
détruire cette erreur.
S. Chrys. (hom. 39.) Le discours qui précède, et qui est
plein de l’ineffable puissance du Sauveur, avait excité dans le cœur de ses
disciples un vif désir de s’unir à lui ; il les appelle maintenant
lui-même en leur disant : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués
et qui êtes chargés. » — S. Aug.
(serm. 10 sur les paroles du Seig.) Pourquoi tous, tant que nous sommes, nous
fatiguons-nous ? C’est parce que nous sommes des hommes mortels, portant
des vases de boue (2 Co 4, 7), cause
pour nous de mille anxiétés. Mais si ces vases de chair nous tiennent à
l’étroit, dilatons du moins en nous les espaces de la charité. Car pourquoi
vous dit-il : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués, » si
ce n’est pour que vous cessiez de l’être. — S. Hil. (can. 11.) Il
appelle aussi à lui ceux qui souffraient des difficultés de la loi, et qui
étaient accablés sous les lourds fardeaux du péché. — S. Jér. Que le péché soit un fardeau
accablant, le prophète Zacharie l’atteste lorsqu’il nous représente l’iniquité
assise sur une masse de plomb (Za 5) ; et le Psalmiste le confirme par son
exemple (Ps 27), quand il dit :
« Mes iniquités se sont appesanties sur moi. »
S. Grég. (Moral. 30, 12.)
C’est un joug bien rude, c’est un bien dur esclavage que de se soumettre
volontairement aux choses du temps, de rechercher avec empressement les biens
de la terre, de s’efforcer de retenir ce qui nous échappe, de vouloir se fixer
sur un terrain sans consistance, de désirer les choses passagères, et de ne pas
vouloir passer avec elles. Car, tandis qu’elles fuient toutes contre notre
volonté, nous sommes profondément affectés et accablés de leur perte, après
avoir été tourmentés du désir de les posséder.
S. Chrys. (hom. 39.) Il ne
dit pas : Que celui-ci ou celui-là vienne à moi, mais : Venez, vous
tous qui vivez dans l’anxiété, dans la tristesse, dans le péché ; venez,
non pour recevoir le châtiment de vos péchés, mais pour en être délivrés ;
venez, non pas que j’ai besoin de la gloire que vous pouvez me procurer, mais
parce que je veux votre salut ; c’est pour cela qu’il ajoute :
« Et je vous rétablirai. » Il ne dit pas simplement : Je vous
sauverai, mais ce qui est beaucoup plus je vous rétablirai, c’est-à-dire je
vous ferai jouir d’un repos complet. — Rab.
Non-seulement je vous déchargerai, mais je vous rassasierai de mes consolations
intérieures. — Remi. « Venez, »
nous dit-il, non en dirigeant vos pas vers moi, mais toute votre vie, par le
mouvement de la foi et non par celui du corps ; car l’accès que Dieu nous
donne près de lui est tout spirituel. Il ajoute : « Prenez mon joug
sur vous. » — Rab. Le joug du Christ, c’est son
Évangile qui unit et associe les Juifs et les Gentils. Il nous ordonne de
prendre ce joug sur nous, c’est-à-dire de le traiter avec honneur, de peur
qu’en le mettant au-dessous de nous, c’est-à-dire en n’ayant que du mépris pour
lui, nous ne venions à le fouler sous les pieds fangeux des vices ; c’est pour
cela qu’il ajoute : « Apprenez de moi. » S. Aug.
(serm. 10 sur les
paroles da Seig.) Apprenez de moi, non pas à créer l’univers, à faire des
miracles dans ce monde, mais apprenez que je suis doux et humble de cœur.
Voulez-vous devenir grand ? commencez par les plus petites choses. Vous
proposez-vous de construire un édifice d’une hauteur prodigieuse ?
occupez-vous tout d’abord d’asseoir les fondements à une grande
profondeur ; plus l’édifice doit être élevé, plus les fondements que l’on
creuse doivent être profonds. Or, jusqu’où doit s’élever le sommet de l’édifice
que nous voulons construire ? Jusque sous les regards de Dieu.
Rab. Il nous faut donc
apprendre de notre Sauveur à avoir des moeurs douces et des sentiments humbles,
à ne blesser personne, à ne mépriser personne et à posséder dans le fond de
notre cœur les vertus dont nous pratiquons les oeuvres au dehors. — S. Chrys. (hom. 39.) C’est pour cela que Notre-Seigneur a commencé
l’exposition de ses lois divines par l’humilité, et qu’il lui promet une magnifique
récompense en ajoutant :
« Et vous trouverez le repos de vos âmes. » C’est là, en effet, la
plus grande récompense ; car c’est ainsi que non-seulement vous deviendrez
utiles aux autres, mais que vous vous procurerez à vous-mêmes le repos
intérieur. Il vous donne dès maintenant cette récompense, en attendant le repos
éternel qu’il vous réserve dans l’avenir. — S. Chrys. (hom. 39.)
Pour bannir tout sentiment de crainte que pourrait inspirer l’idée seule de
joug et de fardeau, il s’empresse d’ajouter : « Mon joug est doux, et
mon fardeau léger. » — S. Hil. (can. 11.) Il nous propose l’image
souriante d’un joug suave et d’un fardeau léger, pour donner à ceux qui
croiront en lui comme un pressentiment du bonheur que lui seul a vu dans le
sein de son Père. — S. Grég. (Moral. 4.) Quel fardeau si lourd impose-t-il donc à nos âmes en nous
commandant de fuir tout désir qui porte le trouble dans notre cœur, et en nous
avertissant d’éviter les sentiers si difficiles de ce monde ? — S. Hil. Qu’y a-t-il, au contraire, de plus
doux que ce joug, de plus léger que ce fardeau : s’abstenir de tout crime,
vouloir le bien, repousser le mal, aimer tous les hommes, n’avoir de haine pour
personne, chercher à mériter les biens éternels, ne pas se laisser séduire par
les choses présentes, et ne jamais faire à un autre ce qu’on ne voudrait pas
souffrir soi-même ?
Rab. Mais comment le joug
du Christ peut-il être plein de douceur, alors que lui-même nous dit plus haut (Mt 7) : « La voie qui conduit
à la vie est étroite ? » C’est
que ce sentier étroit dans le commencement, s’élargit avec le temps par les
ineffables délices de la charité. — S. Aug.
(serm. sur les paroles du Seig.) Disons encore que ceux qui ont pris sur eux
avec courage le joug du Seigneur, ont à courir des dangers si considérables,
qu’on peut dire avec vérité qu’ils ne passent jamais du travail au repos, mais
toujours du repos au travail, ainsi que l’Apôtre le dit de lui-même. (2 Co 6.) Cependant l’Esprit saint était
avec lui pour renouveler de jour en jour l’homme intérieur, au milieu des
ruines toujours croissantes de l’homme extérieur, et grâce au repos spirituel
qu’il fait goûter à l’âme, à l’abondance des délices toutes divines qu’il
répand dans les cœurs, à l’espérance du bonheur éternel qu’il nous donne, il adoucissait
pour lui toutes les rigueurs, et allégeait tous les fardeaux accablants de la
vie présente. Les hommes consentent à être déchirés ou brûlés pour racheter, au
prix de douleurs aiguës, non-seulement les douleurs éternelles, mais les
souffrances prolongées de cette vie. Quelles tempêtes, quelles tourmentes n’ont
pas affrontées les marchands pour acquérir des richesses grosses elles-mêmes
d’orages ? D’ailleurs ceux qui ne les aiment pas ont à supporter les mêmes
peines, et ceux qui les aiment, tout en les supportant, ne s’en trouvent pas
accablés. Il en est ainsi de toutes les autres épreuves ; car l’amour rend
facile et réduit presque à rien ce qu’il y a de plus terrible et de plus
affreux. Combien plus sera-t-il donc vrai de dire que la charité rend facile le
chemin qui conduit au vrai bonheur, lorsque la cupidité rend facile autant
qu’elle le peut celui qui n’aboutit qu’à la misère ? — S. Jér. Comment peut-on dire que
l’Évangile est un joug plus léger que la loi, alors qu’il punit la colère et la
simple convoitise, tandis que la loi n’atteint que l’homicide et
l’adultère ? C’est que la loi renferme un grand nombre de préceptes dont
l’Apôtre déclare ouvertement l’accomplissement impossible. La loi exige les
oeuvres ; l’Evangile demande surtout la volonté, et, n’eût-elle pas son
effet, elle ne perd pas sa récompense. L’Evangile nous commande ce qui nous est
possible, c’est-à-dire de ne pas nourrir de mauvais désirs, ce qui dépend de
notre volonté ; la loi, qui n’atteint pas la volonté, punit seulement le fait
pour vous détourner de l’adultère. Supposez qu’une vierge soit outragée dans
une persécution, l’Évangile la recevra comme vierge, parce que sa volonté n’a
pas consenti au péché, tandis que la loi la rejettera comme ayant perdu son
honneur.
La Glose. Après avoir
raconté les prédications et les miracles qui eurent lieu l’année qui précéda le
supplice de Jean-Baptiste, 1’Évangéliste passe aux événements de l’année qui
suivit la mort du saint précurseur, alors que Jésus-Christ commence à être en
butte à toutes sortes de contradictions, et il ouvre son récit par ces
paroles : « Dans ce temps-là, » etc.
S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 34.) Ce qui suit est raconté
par saint Marc (Mc 2) et par saint Luc (Lc 6) sans l’ombre même de
contradiction ; mais ils ne disent pas : « En ce temps
là ; » d’où l’on peut conclure que saint Matthieu suit dans sa
narration l’ordre des faits, et les autres l’ordre de leurs souvenirs, à moins
qu’on ne donne un sens plus large à ces paroles : « En ce temps
là, » c’est-à-dire dans le temps où toutes ces choses et une foule
d’autres faits avaient lieu. Toutes ces choses se seraient donc passées après
la mort de Jean ; car on croit qu’il fut décapité peu de temps après qu’il
eut envoyé ses disciples consulter Jésus-Christ. Cette locution :
« Dans ce temps-là, » exprimerait alors un temps indéterminé.
S. Chrys. (hom. 40.) Mais
pourquoi le Sauveur, dont la prescience s’étendait à tout, conduisait-il ses
Apôtres le long des blés un jour de sabbat si son intention n’était pas que le
sabbat fût violé ? Il le voulait en effet, mais non pas absolument,
c’est-à-dire sans raison, et il choisissait une occasion légitime de mettre fin
à la loi, sans paraître la violer. Aussi pour adoucir les esprits des Juifs
prévenus contre lui, il met en avant la nécessité : « Ses disciples
ayant faim. » Ce n’est pas, sans
doute, qu’il puisse y avoir jamais d’excuse, pour ce qui est évidemment
péché ; ainsi ni l’homicide ne peut s’excuser par l’excès de la colère, ni
l’adultère par la violence de ses désirs ou par toute autre cause ; ici
néanmoins, en alléguant la nécessité de la faim, il délivre ses disciples de
toute culpabilité.
S. Jér. Nous lisons dans un autre
Évangéliste, que les disciples, importunés par la foule, n’avaient même pas le
temps de manger : ils avaient donc naturellement faim. Ils apaisent cette
faim en broyant entre leurs mains des épis de blé, preuve de l’austérité de
leur vie ; ils n’ont pas besoin d’aliments recherchés, la plus simple
nourriture leur suffit. — S. Chrys.
(Hom. 40.) Admirez ces disciples, qui
dans une aussi dure nécessité, n’ont aucun souci de leur corps, oublient la
nourriture qu’il réclame, et qui, bien que pressés par la faim, ne se séparent
pas de Jésus-Christ ; car ils n’auraient pas eu recours à ce moyen s’ils
n’y avaient été poussés par une faim violente. Que trouvèrent donc à reprendre
les pharisiens dans cette action ? L’Évangéliste nous l’apprend : « Ce
que les pharisiens voyant, ils lui dirent Voilà que vos disciples font ce qu’il
n’est pas permis de faire le jour du sabbat. » — S. Aug. (du trav. des moines, chap. 23.) L’accusation des Juifs contre les
disciples du Seigneur porte plutôt sur la violation du sabbat que sur le vol
qu’ils auraient commis ; car la loi défendait aux enfants d’Israël, de ne
saisir comme voleur dans leurs champs, que celui qui voulait emporter quelque
chose avec lui, et ils devaient laisser aller en liberté, et sans lui infliger
aucune peine, celui qui n’y avait pris que ce qu’il voulait manger (cf. Dt 23).
S. Jér. Remarquez que les premiers Apôtres
du Sauveur, en détruisant l’observation littérale du sabbat, condamnent les
Ébionites, qui reçoivent tous les Apôtres à l’exception de saint Paul, qu’ils
rejettent comme transgresseur de la loi. Or, quelle excuse le Sauveur
donne-t-il de leur conduite : « N’avez-vous pas lu ce que fit David
lorsqu’il avait faim ? » Pour détruire l’accusation calomnieuse des
pharisiens, il leur rappelle ce fait de l’histoire ancienne, alors que David,
fuyant la colère de Saül, vint à Nobé, où il fut reçu par le grand-prêtre
Achimélech, et lui demanda de lui donner à manger. (1 R 21.) Achimélech, n’ayant pas de pain ordinaire, lui donna les
pains sanctifiés, qu’il n’était permis de manger qu’aux prêtres seuls et aux
lévites (Lv 24) ; il jugea qu’il
valait mieux arracher des hommes au danger de la faim que d’offrir un sacrifice
à Dieu, car sauver les hommes, c’est une hostie qui lui est on ne peut plus agréable.
C’est cette raison que le Seigneur leur oppose par ce raisonnement : si
vous regardez David comme un saint, si vous n’osez incriminer la conduite du
grand-prêtre Achimélech, alors que tous deux ont transgressé la loi pour une
raison plausible, tirée de la faim qu’il éprouvait, pourquoi ne pas accepter en
faveur de mes disciples le motif d’excuse que vous approuvez dans les
autres ? Il y avait d’ailleurs une grande différence entre ces deux
faits : les uns ne faisaient que broyer quelques épis entre leurs mains le
jour du sabbat, tandis que les autres avaient mangé des pains destinés aux
seuls lévites dans un jour où les fêtes des Néoménies (cf. Nomb., 28,
11.15 ; 10, 10) venaient s’ajouter à la solennité du sabbat. C’était, en
effet, à l’occasion de ces fêtes que David, qui devait s’asseoir à la table du
roi, s’était enfui de la cour.
S. Chrys. (hom. 40.) Notre-Seigneur
cite l’exemple de David pour excuser ses disciples, car l’autorité du
Roi-Prophète était grande parmi les Juifs. Et ils ne pouvaient lui objecter que
David était prophète, car ce titre ne lui donnait aucun droit de manger des
pains réservés aux prêtres seuls. Or, plus l’exemple qu’il choisit est grand,
plus le motif d’excuse qu’il invoque en faveur de ses disciples est
péremptoire. D’ailleurs si David était prophète, les gens de sa suite ne
l’étaient pas. — S. Jér. Remarquez
cependant que ni David ni les gens de sa suite ne mangèrent des pains de
proposition qu’après avoir affirmé qu’ils étaient purs de tout contact avec les
femmes. — S. Chrys. (hom. 41.) Mais on me dira : Que
fait cet exemple à la question qui nous occupe ? car David n’a pas
transgressé le sabbat. Notre-Seigneur nous montre ici son admirable sagesse, en
choisissant l’exemple d’une transgression plus grande que la violation du
sabbat, car on est beaucoup moins coupable de transgresser le sabbat, ce qui
est bien souvent arrivé, que de toucher à cette table sainte, ce qui n’était
permis à personne. Il donne ensuite une solution différente et plus directe en
ajoutant : « Est-ce que vous n’avez pas lu dans la loi que les
prêtres violent le sabbat dans le temple, et ne sont pas néanmoins
coupables ? » — S. Jér. Comme
s’il disait : Vous accusez mes disciples de ce qu’étant pressés par la
faim ils ont broyé quelques épis le jour du sabbat, lorsque vous-mêmes vous
violez le sabbat dans le temple en immolant des victimes, en égorgeant des
taureaux, en brûlant des holocaustes sur des bûchers enflammés ; et
d’après le texte d’un autre Évangéliste (Jn
7), vous donnez la circoncision à vos enfants le jour du sabbat, violant
ainsi la loi du sabbat pour en observer une autre. Les lois de Dieu ne se
détruisent pas réciproquement, et c’est avec une sagesse vraiment admirable que
pour justifier ses Apôtres de les avoir transgressées, il montre qu’ils n’ont
fait que suivre les exemples d’Achimélech et de David. Il fait voir en même
temps que les auteurs de cette calomnie sont eux-mêmes coupables d’une
transgression du sabbat bien plus réelle, sans avoir pour eux l’excuse de la
nécessité.
S. Chrys. (hom. 40.) Et ne
me dites pas que ce n’est pas se justifier que de s’appuyer sur l’exemple d’un
autre qui est également coupable ; car lorsque l’auteur d’un fait n’est
pas accusé, ce fait peut être invoqué comme moyen de justification. Mais
Notre-Seigneur ne se contente pas de cette raison, et il en apporte une bien
plus forte en ajoutant que ceux qu’il a choisis pour exemples ne sont point
coupables. Et voyez que de circonstances réunies : le lieu, c’est dans le
temple ; le temps, c’est le jour du sabbat ; le fait lui-même, ce
n’est pas une simple infraction, c’est une violation de la loi, et cependant
non-seulement ils ne sont soumis à aucune peine, mais ils sont exempts de toute
faute ; ce qu’il exprime en ces termes : « Et ils ne sont pas
coupables. » Or, ce second exemple n’est cependant point semblable au
premier. Le premier n’a eu lieu qu’une fois, il a été donné par David qui
n’était pas prêtre, et qui avait pour lui l’excuse de la nécessité ; le
second, au contraire, se reproduit tous les jours du sabbat dans la personne
des prêtres, et il est selon la loi, et ainsi ce n’est plus seulement par
indulgence, mais en suivant la rigueur de la loi, que la conduite de ses
disciples est justifiée. Mais est-ce que les disciples sont prêtres ? Ils
sont plus que prêtres, car ils avaient avec eux le Seigneur du temple, qui
n’est plus une figure, mais bien la vérité ; c’est pour cela qu’il
ajoute : « Je vous dis qu’il y a ici quelqu’un plus grand que le
temple. » — S. Jér. Le mot hic doit être pris ici non pas comme
pronom, mais comme adverbe de lieu, c’est-à-dire que le lieu où se trouvait le
maître du temple était plus grand que le temple lui-même.
S. Aug. (Quesi. évang., liv. 2, chap. 40.) Il faut remarquer que
Notre-Seigneur emprunte le premier exemple à la puissance royale dans la
personne de David, et le second au ministère sacerdotal dans la personne des
prêtres qui violent le sabbat pour le service du temple. L’accusation tirée des
épis froissés le jour du sabbat ne pouvait donc en aucune manière peser sur
lui, qui était vrai roi et le prêtre véritable. — S. Chrys. (hom. 40.)
Ce qu’il venait de dire pouvait paraître dur à ceux qui l’entendaient ; il
les ramène de nouveau à la pensée de la miséricorde, et en parle avec une
certaine force de langage en leur disant : « Si vous saviez bien ce
que signifie cette parole : Je veux la miséricorde et non le sacrifice,
vous n’auriez jamais condamné des innocents. » — S. Jér. Nous avons déjà expliqué plus haut
(Mt 9, 13) ce que signifient ces paroles : « J’aime mieux la
miséricorde que le sacrifice. » Quant
à celles qui suivent : « Jamais vous n’auriez condamné des
innocents, » elles doivent s’entendre des Apôtres dans ce sens :
« si vous approuvez la commisération d’Achimélech qui donne du pain à
David pressé par la faim, pourquoi condamnez-vous mes disciples ? » —
S. Chrys. (hom. 40.) Voyez comment il revient de nouveau sur la nécessité de
la miséricorde, et comment il prouve que les disciples sont au-dessus du
pardon, en déclarant qu’ils sont innocents,
comme il l’avait dit plus haut des prêtres. Il donne ensuite une nouvelle
raison de leur innocence, en ajoutant : « Le Fils de l’homme est
maître même du sabbat. » — Remi. Or, le Fils de l’homme, c’est
lui-même, et voici le sens de ces paroles : Celui que vous regardez comme
un simple mortel est Dieu, le Seigneur de toutes les créatures, et le maître du
sabbat ; il peut donc changer la loi à son gré, puisque c’est lui qui l’a
faite. — S. Aug. (cont.
Faust, 16, 28.) Il ne défend pas à ses disciples de broyer des épis le
jour du sabbat, pour condamner les Juifs d’alors et les Manichéens qui devaient
venir plus tard, et qui n’osent arracher l’herbe, de peur de commettre un
homicide.
S. Hil. (can. 12 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, remarquons tout
d’abord que ce discours commence par ces paroles : « Dans ce
temps-là, » c’est-à-dire dans le temps où il rendit grâces à Dieu son Père
du salut auquel il appelait les Gentils. Ce champ que traversent les disciples,
c’est le monde ; le sabbat, c’est le repos ; la moisson, le progrès
de ceux qui doivent embrasser la foi et s’avancer vers la maturité. Donc cette
entrée dans le champ le jour du sabbat, c’est l’avènement du Seigneur dans le
monde, lorsque la loi était comme frappée d’inactivité ; cette faim, c’est
le désir qu’il avait du salut des hommes. — Rab.
Ils cueillent des épis, lorsqu’ils attachent les hommes aux désirs de la
terre ; ils broient ces épis lorsqu’ils dépouillent les âmes de la
concupiscence de la chair ; ils mangent les grains, lorsqu’ils incorporent
à l’Église les âmes qu’ils viennent de purifier. — S. Aug. (Quest. évang., 2,
2.) Personne ne peut faire partie du corps de Jésus-Christ, s’il ne s’est
dépouillé de ses vêtements charnels, selon cette recommandation de
l’Apôtre : « Dépouillez-vous du vieil homme. » (Col
3.) — La Glose. Les Apôtres font cette action le jour du sabbat,
c’est-à-dire dans l’espérance du repos éternel auquel ils invitent tous les
hommes. — Rab. On peut dire aussi
que ceux qui trouvent leurs délices dans la méditation des Écritures, marchent
le long des blés avec le Seigneur ; ils ont faim, parce qu’ils ont le
désir d’y trouver le pain de vie, c’est-à-dire l’amour de Dieu ; ils
arrachent les épis et ils les broient lorsqu’ils discutent les témoignages de
l’Écriture pour y trouver ce qui est caché sous la lettre, et ils font cela le
jour du sabbat, alors qu’ils sont plus libres des pensées tumultueuses du
monde.
S. Hil. Les pharisiens, qui croyaient
avoir entre leurs mains la clef des cieux, reprochent aux disciples d’avoir
fait ce que la loi leur défendait. Le Seigneur leur répond en leur donnant un
avertissement qui contient une espèce de prophétie ; et pour montrer que
ce genre d’actions renfermait une souveraine efficacité, il ajoute : « Si
vous saviez ce que signifient ces paroles : Je préfère la miséricorde au
sacrifice. » En effet, l’oeuvre de notre salut ne dépend pas du sacrifice,
mais de la miséricorde ; et, la loi cessant d’exister, nous sommes sauvés
par la bonté de Dieu. Or, s’ils avaient compris la grandeur de ce don, jamais
ils n’auraient condamné des innocents, c’est-à-dire les Apôtres, qu’ils
accusaient par jalousie d’avoir transgressé la loi. Car les anciens sacrifices
étant abrogés, la loi nouvelle, loi de miséricorde, venait au secours de tous
les hommes par le moyen des Apôtres.
S. Jér. Comme Notre-Seigneur avait victorieusement
justifié ses disciples du reproche qu’on leur faisait d’avoir violé le jour du
sabbat, les pharisiens s’attachent à le calomnier lui-même. « Étant parti
de là, dit l’écrivain sacré, il vint dans leur synagogue. » — S. Hil. (can. 12.) Ce qui précède s’était passé au milieu des champs, et ce
n’est qu’après qu’il entre dans la synagogue. — S. Aug. (de l’accord des
Evang., 2, 35.) On pourrait croire que le fait des épis et la guérison
que saint Matthieu raconte à la suite ont eu lieu le même jour, puisque dans ce
dernier cas il fait encore mention du jour du sabbat, si d’ailleurs saint Luc
ne nous apprenait qu’il opéra cette guérison un autre jour de sabbat. Cette
manière de s’exprimer de saint Matthieu : « Et partant de là, il vint
dans leur synagogue, » signifie
donc seulement qu’il ne vint dans la synagogue qu’après avoir quitté le champ,
sans indiquer si c’est immédiatement ou plusieurs jours après ; et cela
suffit pour donner raison au récit de saint Luc, qui rattache cette guérison à
un autre jour de sabbat.
S. Hil. (can. 12.) A
peine est-il entré dans la synagogue, qu’ils lui présentent un homme dont la
main est desséchée, et lui demandent s’il est permis de guérir le jour du
sabbat, pour trouver dans sa réponse une occasion de le condamner. « Et il
se trouva là un homme qui avait une main desséchée, et ils
l’interrogeaient, » etc.
S. Chrys. (hom. 41.) Ils
interrogent non pour s’instruire, mais pour trouver occasion de l’accuser,
comme l’Évangéliste le dit clairement : « Afin de pouvoir
l’accuser. » Le fait seul suffisait à leurs mauvais desseins, mais ils
veulent le prendre dans ses paroles pour se ménager contre lui un plus grand nombre
de sujets d’accusation. — S. Jér. Ils
lui demandent s’il est permis de guérir le jour du sabbat, afin de l’accuser de
cruauté, d’impuissance s’il s’en abstient, et de transgression de la loi s’il
guérit cet homme.
S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 35.) On peut être surpris de ce que
saint Matthieu dit que ce sont les pharisiens eux-mêmes qui demandent au
Seigneur s’il est permis de guérir le jour du sabbat, tandis que saint Marc et
saint Luc racontent que c’est le Seigneur lui-même qui leur fait cette question :
« Est-il permis de faire du bien le jour du sabbat ou de faire du
mal ? » Il faut donc
comprendre qu’ils l’interrogèrent les premiers, en lui demandant :
« Est-il permis de guérir le jour du sabbat ? » Le Seigneur,
voyant dans leur pensée qu’ils cherchaient une occasion de l’accuser, place au
milieu d’eux celui qu’il devait guérir, et leur adresse la question rapportée
par saint Marc et saint Luc (Mc 3,
4 ; Lc 6, 9) ; et comme ils
gardent le silence, il leur propose la comparaison de la brebis, et il conclut
en leur disant : « Il est donc permis de faire du bien les jours du
sabbat. » Il leur répond donc en ces termes : « Quel est celui
qui, parmi vous, ayant une brebis, »
etc. — S. Jér. La réponse
qu’il fait à cette question est une condamnation de leur avarice. Comment, leur
dit-il, vous vous hâtez, le jour du sabbat, de retirer une brebis ou un autre
animal de la fosse où ils sont tombés, et cela non point par compassion pour
cet animal, mais par un sentiment de vil intérêt, et moi je ne devrais pas
délivrer un homme qui vaut mille fois plus qu’une brebis ! — Rab. Cet exemple est parfaitement
choisi pour répondre à leur question et pour leur prouver qu’ils violent
continuellement le sabbat par esprit de cupidité, eux qui lui reprochent de le
violer pour une oeuvre de charité, et qui, par une fausse interprétation de la
loi, prétendent que les bonnes oeuvres sont interdites le jour du sabbat,
tandis qu’on ne doit s’abstenir que des mauvaises ; c’est pour cela qu’il
est dit : « Vous ne ferez pas ces jours-là d’oeuvres serviles, »
c’est-à-dire de péchés. C’est ainsi que dans le repos éternel il y aura
cessation du mal et non pas du bien. — S. Aug.
(de l’accord des Evang., 2, 35.) La
conclusion de cette comparaison, c’est qu’il est permis de faire de bonnes
oeuvres le jour du sabbat. « Donc, leur dit-il, il est permis de faire du
bien les jours du sabbat. »
S. Chrys. (hom. 41.) Remarquez
que d’excuses différentes il apporte pour justifier la violation du
sabbat ; mais comme la maladie de cet homme était incurable, il en vient à
sa guérison. Alors il dit à cet homme : « Étendez votre main. » — S. Jér.
Dans l’Évangile dont se servent les Nazaréens et les Ébionites, et que
plusieurs regardent comme l’Évangile authentique de saint Matthieu, il est dit
que cet homme, dont la main était desséchée, était maçon, et qu’il pria Jésus
en ces termes : « J’étais maçon, demandant ma nourriture au travail
de mes mains ; je vous en prie, ô Jésus, rendez-moi la santé, afin que je
ne sois pas réduit à mendier honteusement mon pain. » — Rab. Jésus choisit
le jour du sabbat de préférence pour enseigner et pour guérir, non-seulement en
vue du sabbat spirituel, mais aussi à cause du grand concours de peuple qui
était plus favorable au salut de tous, unique objet de ses désirs.
S. Hil. Dans le sens mystique, après le
retour des champs où les Apôtres avaient cueilli les fruits de la moisson,
Jésus vient dans la synagogue pour y préparer l’oeuvre d’une nouvelle
moisson ; car plusieurs de ceux qui furent guéris se joignirent plus tard
aux Apôtres. — S. Jér. Jusqu’à
l’avènement du Dieu Sauveur, la main dans la synagogue des Juifs demeura
desséchée et incapable des oeuvres de Dieu ; mais lorsqu’il fut venu sur
la terre, les Apôtres rendirent l’usage de cette main droite à ceux qui
embrassèrent la foi, et elle recouvra la même force d’action qu’auparavant. —
S. Hil. Toute guérison se fait
par la parole, et la main redevient semblable à l’autre, c’est-à-dire qu’elle
devient propre au ministère du salut comme celle des Apôtres. Aussi le Sauveur
apprend-il aux pharisiens à ne pas voir avec peine l’oeuvre du salut des hommes
confiée aux Apôtres, puisqu’eux-mêmes, s’ils veulent croire, deviendront dignes
du même ministère. — Rab. Ou bien
cet homme, dont la main est desséchée, c’est le genre humain qui est devenu
complètement stérile en bonnes oeuvres pour avoir étendu vers le fruit défendu
cette main qu’a guérie une autre main innocente étendue sur la croix. C’est
dans la synagogue que se trouve cette main desséchée, parce que la science,
lorsqu’elle est départie avec abondance, expose à des fautes plus graves et
sans excuse. Jésus commande d’étendre cette main desséchée qu’il veut
guérir ; car l’infirmité d’une âme ne peut être guérie par un remède plus
efficace que par d’abondantes aumônes. Cet homme avait la main droite
desséchée, parce qu’elle était comme engourdie pour les oeuvres de
charité ; sa main gauche était saine, parce qu’elle servait ses intérêts.
A l’arrivée du Seigneur, la main droite devient saine comme la gauche, parce
qu’elle distribue par un sentiment de charité ce qu’elle avait amassé par
esprit d’avarice.
S. Hil. (can. 12.) L’envie
soulève contre Jésus l’esprit des pharisiens, parce qu’ils ne voyaient en lui
que l’homme, et qu’ils ne voulaient pas y découvrir Dieu dans les oeuvres qu’il
opérait. L’Évangéliste ajoute donc : « Mais les pharisiens, étant
sortis, » etc. — Rab. Ils
sortent, parce que leur âme s’est détournée de Dieu ; ils tinrent conseil
pour prendre les moyens de perdre la vie et non de la trouver pour eux-mêmes. —
S. Hil. (can. 42.) Jésus, connaissant leurs desseins, se retire pour
s’éloigner de ce conseil d’iniquité. « Or, Jésus, le sachant, » etc.
— S. Jér. Il se retire, parce
qu’il connaît les piéges qu’ils veulent lui tendre, et qu’il veut leur ôter
l’occasion d’exercer contre lui leurs projets impies. — Remi. Ou bien il se retire comme homme pour se dérober à
leurs embûches, ou bien encore parce que ce n’était ni le temps ni le lieu où
il devait souffrir ; car il ne convenait pas qu’un prophète fût mis à mort
hors de Jérusalem, comme il le dit lui-même. (Lc 13.) Il s’éloigne encore de ceux qui le haïssent et le
persécutent, pour aller où il trouvera un grand nombre de cœurs qui l’aiment et
qui lui sont dévoués. C’est ce que l’Évangéliste nous indique en disant :
« Et beaucoup de personnes le suivirent. » Ainsi, tandis que les
pharisiens réunissent tous leurs efforts pour le perdre, une multitude sans
instruction le suit, en professant pour lui un attachement unanime. Aussi ne
tarde-t-il pas à récompenser leurs désirs ; il est dit, en effet :
« Et il les guérit tous. » — S. Hil.
Il commande à ceux qu’il guérit de garder le silence sur leur guérison.
« Et il leur commanda de ne point le faire connaître. » La santé qu’il avait rendue à chacun
d’eux était un témoignage en sa faveur ; mais en commandant le silence, ou
en faisant une obligation du secret, il évite toute occasion de vaine
gloire ; et cependant il se fait connaître par cela seul qu’il commande le
secret, puisqu’on ne garde le silence qu’à l’égard d’une chose dont on ne doit
point parler. — Hil. Il nous
apprend aussi, lorsque nous avons fait quelque action importante, à ne point
rechercher les louanges des hommes.
Remi. Un autre motif pour
lequel il leur commande de ne point le découvrir, c’est afin de ne point rendre
ses persécuteurs plus coupables. — S. Chrys.
(hom. 41.) De peur que ces actes de
folie, incroyables dans les pharisiens, ne vous jettent dans le trouble, Jésus
apporte le témoignage du Prophète. Car l’exactitude des prophètes est si grande
en ce qui concerne le Christ, qu’ils ont rapporté les moindres détails de sa
vie, ses voyages, ses marches, et jusqu’aux intentions qui le faisaient agir,
pour vous montrer que toutes ces choses leur étaient dictées par l’Esprit
saint. Il est impossible, en effet, de connaître les pensées d’un homme, à plus
forte raison les intentions du Christ, à moins que l’Esprit saint ne les
révèle. L’Évangéliste ajoute donc : « Afin que cette parole du
prophète Isaïe fût accomplie : « Voici mon serviteur, » etc. — Remi. Notre-Seigneur est appelé le serviteur du Dieu
tout-puissant, non pas comme Dieu, mais suivant l’économie de son
incarnation ; car par la coopération du Saint-Esprit il a pris dans le
sein de la Vierge une chair exempte de la tache du péché. Quelques exemplaires
portent : « L’élu que j’ai choisi ; » car il a été choisi,
c’est-à-dire prédestiné par Dieu le Père, pour être non pas son fils adoptif,
mais son propre fils. — Rab. Il
dit : « Je l’ai choisi » pour une oeuvre que nul autre n’a
faite, pour racheter le genre humain, et rétablir la paix entre le monde et
Dieu.
Suite. « Mon bien-aimé, en qui j’ai mis
mon affection, » car lui seul
est cet Agneau sans tache dont le Père a dit : « Voici mon Fils
bien-aimé en qui mon âme a mis ses complaisances. » — Remi. Ces paroles : « Mon âme, » ne doivent pas être entendues en ce
sens que Dieu le Père ait une âme comme la nôtre ; c’est par métaphore que
le prophète lui attribue une âme pour exprimer son affection. Et en cela rien
d’étonnant, puisque nous lui attribuons de la même manière les différents
membres de notre corps. — S. Chrys.
(hom. 41.) Le Prophète a commencé par
l’énumération de ces deux caractères, pour vous indiquer que tout ce qui suit
s’est fait selon le bon plaisir du Père ; car celui qui est aimé agit
conformément à la volonté de celui qui l’aime. De même celui qui est élu ne
détruit pas la loi par opposition à celui qui l’a choisi, il ne se présente pas
comme l’ennemi du législateur, mais comme en parfaite harmonie avec lui. Or,
c’est parce qu’il est mon bien-aimé que « je ferai reposer mon esprit sur
lui. » — Remi. Dieu le Père
fit reposer son esprit sur lui, lorsque par l’opération du Saint-Esprit il prit
un corps dans le sein de la Vierge Marie, et lorsqu’étant fait homme, il fut
inondé de la plénitude de l’Esprit saint.
S. Jér. L’Esprit saint repose non pas sur
le Verbe de Dieu, sur ce Fils unique qui sort du sein du Père (Jn 1, 18 ; 8, 4), mais sur celui
dont il a été dit : « Voici mon serviteur. » Que doit-il opérer
par son ministère ? Écoutez la suite : « Il annoncera la justice
aux nations. » — S. Aug. (Cité de Dieu, 21, 30.) C’est qu’en effet, il est venu annoncer le
jugement à venir à ceux qui l’ignoraient. — S. Chrys. (hom. 41.)
Il fait ensuite connaître son humilité, en ajoutant : « Il ne
disputera point, » car il s’est offert selon le bon plaisir de son Père,
et il s’est livré de lui-même entre les mains de ses persécuteurs. « Il ne
criera point, » car il s’est tu
comme un agneau devant celui qui le tond. « Personne n’entendra sa voix
sur les places publiques. » — S. Jér.
La voie qui conduit à la perdition est large et spacieuse, et il en est
beaucoup qui la prennent ; or il en est beaucoup qui n’entendent pas la
voix du Sauveur, parce qu’ils sont non dans la voie étroite, mais dans la voie
large (Mt 7, 13). — Remi. Le mot grec πλατεια, correspondant au mot latin platea, place publique, veut dire étendue ; personne donc n’a entendu
sa voix dans les lieux spacieux, parce qu’il a promis à ceux qui l’aiment, non
pas les jouissances de la vie, mais de rigoureuses privations.
S. Chrys. (hom. 41.) Le
Sauveur voulait, par cette douceur, guérir l’esprit des Juifs ; mais bien
qu’ils aient rejeté les avances de sa bonté, il ne voulut pas leur résister en
les détruisant. Aussi le Prophète nous fait-il connaître à la fois sa puissance
et leur faiblesse dans les paroles suivantes : « Il ne brisera pas le
roseau cassé, et il n’éteindra pas la mèche qui fume encore. » — S. Hil.
Celui qui ne tend pas la main au pécheur, et qui ne porte point le fardeau dont
son frère est chargé, achève de briser le roseau cassé ; et celui qui
méprise la plus petite étincelle de foi dans le dernier des croyants, éteint la
mèche qui fume encore. S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 30.) Il ne voulut
donc ni briser ni éteindre les Juifs ses persécuteurs, comparés ici au roseau
brisé, parce qu’ils n’avaient plus leur intégrité, et à la mèche qui fume,
parce qu’ils avaient perdu la lumière ; cependant il leur pardonne, car il
n’était pas encore venu pour les juger, mais pour être jugé par eux. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 3.) A l’occasion de cette mèche qui fume,
remarquez qu’en perdant sa lumière, elle exhale une mauvaise odeur.
S. Chrys. (hom. 41.) Ou
bien par ces paroles : « Il n’achèvera pas de briser le roseau
cassé », il leur fait voir qu’il lui était facile de les briser tous,
comme on brise un roseau, et non pas un roseau quelconque, mais un roseau déjà
cassé. Ce qui suit : « Il n’éteindra pas la mèche qui fume
encore, » nous montre leur
fureur allumée contre lui, et la toute-puissance de Jésus-Christ pour éteindre
cette fureur avec la plus grande facilité, et c’est en cela qu’il fait paraître
l’excès de sa douceur. — S. Hil. (can. 12.) Ou bien par ce roseau qu’il
n’achève pas de briser, il nous apprend que les nations fragiles et déjà
brisées, n’ont pas été broyées entièrement, mais qu’elles ont été réservées
pour le salut ; et en ajoutant : « Il n’éteindra pas la mèche
qui fume encore, » il nous
montre que la dernière étincelle de feu n’est pas éteinte dans cette mèche qui
fume encore, c’est-à-dire que l’esprit de la grâce ancienne n’a pas entièrement
disparu du milieu des restes d’Israël, parce qu’elles ont conservé, avec la
faculté de faire pénitence, le pouvoir de recouvrer la lumière dans tout son
éclat. — Rab. Ou bien, au
contraire, ce roseau brisé, ce sont les Juifs agités par le vent, et dispersés
bien loin les uns des autres. Cependant le Seigneur ne les condamne pas
immédiatement, mais il les supporte avec patience. Cette mèche qui fume encore
serait alors le peuple, formé des nations, qui, après avoir éteint dans son
cœur la chaleur de la loi naturelle, était enveloppé de toutes parts d’erreurs.
ténébreuses, semblables à une épaisse fumée qui blesse les yeux. Or, non seulement
le Seigneur n’éteignit pas cette mèche fumante, et ne la réduisit pas en
cendres, mais au contraire il fit jaillir de cette étincelle la flamme la plus
vive et le feu le plus ardent.
S. Chrys. (hom. 41.) On
pourra peut-être objecter : Quoi donc, en sera-t-il toujours ainsi ?
supportera-t-il jusqu’à la fin ceux qui se laissent emporter à cet excès de
malignité et de folie ? Non ; mais lorsque sa mission sera terminée,
il passera à un autre ordre de choses, et c’est ce qu’il nous déclare par ces
mots : « Jusqu’à ce qu’il fasse triompher la justice de sa
cause. » Comme s’il disait : Lorsqu’il aura accompli l’objet de sa
mission, ce sera le tour de la vengeance absolue ; car alors ses ennemis
seront sévèrement châtiés, lorsqu’il aura rendu son triomphe si éclatant qu’il
n’y aura plus de place pour leurs insolentes contradictions. — S. Hil. (can. 12.) Ou bien jusqu’à ce qu’il fasse triompher le jugement en
dépouillant la mort de toute sa puissance et en faisant revenir avec lui la
justice dans son retour triomphant. — Rab.
Ou bien encore jusqu’à ce que le jugement dont il était l’objet aboutisse à une
victoire éclatante, car après avoir triomphé de la mort par sa résurrection,
après avoir chassé le prince de ce monde, il est rentré triomphant dans le
royaume des cieux et s’est assis à la droite de son Père, jusqu’à ce qu’il ait
réduit tous ses ennemis sous ses pieds (1 Co 1, 15.) — S. Chrys. (hom. 41.) Mais sa puissance ne se
bornera pas à punir ceux qui auront refusé de croire en lui, il entraînera
encore après lui tout l’univers : « Et les nations espéreront en son
nom. » — S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 30.) Nous voyons déjà
l’accomplissement de cette dernière partie de la prophétie, et cet
accomplissement qui est incontestable nous garantit l’accomplissement du
jugement dernier, que quelques-uns ont la témérité de nier, jugement qui aura
lieu sur la terre parce que le Christ descendra lui-même du haut des cieux. En
effet, qui aurait jamais cru que les nations espéreraient dans le nom du
Christ, alors qu’il était au pouvoir de ses ennemis, chargé de chaînes, frappé
de verges, bafoué et attaché sur une croix, et quand ses disciples eux-mêmes
avaient perdu le peu d’espérance qu’ils avaient placée en lui. Ce qu’alors un
voleur seul avait à peine espéré sur la croix, est devenu l’objet de
l’espérance de toutes les nations répandues sur la face de la terre, et tous
les hommes recourent au signe de cette croix sur laquelle il est mort pour se
garantir eux-même de la mort éternelle. Que personne donc ne doute que Jésus-Christ
n’accomplisse un jour ce dernier jugement tel qu’il a été prédit.
Remi. Remarquons que ce
témoignage du prophète ne vient pas confirmer seulement la vérité de ce
passage, mais la vérité d’une multitude d’autres. Ainsi ces paroles :
« Voici mon serviteur, » se rapportent à cet endroit où le Père
dit : « Celui-ci est mon Fils, » (Mt 3) ; et ces autres : « Je placerai mon esprit en
lui, » au miracle de l’Esprit saint descendant sur le Seigneur au moment
de son baptême. (Lc 3.) Ce qu’il
ajoute : « Il annoncera la justice aux nations, » se rapporte à ce que saint Matthieu dit
ailleurs : « Lorsque le
Fils de l’homme s’assiéra sur le trône de sa gloire. » (Mt 25) Ces autres paroles :
« Il ne disputera ni ne criera » se sont vérifiées lorsque le
Seigneur ne répondit presque rien au prince des prêtres et à Pilate (Mt 26, 27), et qu’il garda un silence
absolu devant Hérode (Lc 23). Ce qui
suit : « Il n’achèvera pas de briser le roseau cassé » se rapporte à ce trait de la vie du
Sauveur où il se dérobe à la fureur de ses ennemis pour leur éviter un plus
grand crime (Jn 7 et 8) ; enfin
ces paroles : « Les nations
espéreront en son nom » peuvent se rapporter à ce passage de saint
Matthieu : « Allez, enseignez toutes les nations. » (Mt 28.)
La Glose. — Le Seigneur
venait de réfuter les calomnies des pharisiens qui lui reprochaient de faire
des miracles le jour du sabbat ; mais comme, par une méchanceté plus noire
encore, ils dénaturaient les miracles eux-mêmes qu’il opérait par une vertu
toute divine en les attribuant à l’esprit impur, 1’Évangéliste raconte le
prodige qui fut pour eux l’occasion de ce blasphème : « Alors on lui
présenta un possédé. »
Remi. Ce mot alors se rapporte au moment où il
sortait de la synagogue après avoir guéri cet homme dont la main était
desséchée. Ou bien cette expression alors signifie un espace de temps plus
étendu et voudrait dire alors qu’il prononçait tous les discours, ou qu’il
faisait les oeuvres qui sont ici racontés. — S. Chrys. (hom. 41.) Quelle
malice surprenante dans le démon ! il avait fermé les deux passages par
lesquels la foi aurait pu entrer dans cet homme, c’est-à-dire la vue et
l’ouïe ; mais le Seigneur va ouvrir l’un et l’autre : « Et il le
guérit, » ajoute l'Evangéliste. — S. Jér.
Nous voyons ici trois prodiges opérés dans un seul homme : l’aveugle
voit, le muet parle, le possédé est délivré du démon, et ce miracle extérieur
et sensible se renouvelle tous les jours dans la conversion de ceux qui
embrassent la foi ; après que le démon est chassé de leur âme ils voient
la lumière de la foi, et leur bouche, jusqu'alors muette, s’ouvre pour
proclamer les louanges de Dieu. — S. Hil.
(can. 12 sur S. Matth.) Ce n'est pas sans un dessein particulier
de Dieu qu’après avoir parlé d'une multitude de personnes guéries en commun,
l’Évangéliste nous raconte la guérison particulière d'un homme qui était tout à
la fois possédé, aveugle et muet. Il convenait en effet qu'après la guérison
dans la synagogue de l’homme dont la main était desséchée, celui dont il est
ici question devînt la figure de la guérison spirituelle des nations, et
qu'après avoir été possédé du démon, aveugle et muet, il devint l'habitation de
Dieu, vît et reconnut le vrai Dieu dans la personne du Christ et rendît gloire
à Dieu pour les œuvres qu’il opérait. — S. Aug.
(Quest. Evang., 2, 4.) Celui qui ne croit point et qui
est l’esclave du démon est tout à la fois possédé, aveugle et muet; il ne
comprend pas, il ne confesse pas la foi ou il ne rend pas gloire à Dieu. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 2, 37.)
Ce n’est pas dans le même ordre que saint Luc raconte ce fait (Lc 11) ; il parle d’un muet
seulement, sans ajouter qu'il fût aveugle; mais de ce qu'il omet une
circonstance de ce genre, on ne peut conclure qu’il veut raconter une guérison
différente, car la suite de son récit revient à celui de saint Matthieu.
S. Hil. (can. 12.) A la
vue de ce miracle, la foule est dans l'étonnement, mais l’envie des pharisiens
ne fait que s’accroître : « Et tout le peuple étonné disait : N’est-ce
point là le fils de David ? » — La
Glose. Ils l'appellent le Fils de David à cause de sa bonté et de ses
bienfaits. — Rab. Tandis que le
peuple moins instruit ne cessait d'admirer les prodiges du Sauveur, ceux-ci
s’appliquaient toujours à les nier, ou, lorsqu'ils ne le pouvaient, à les
révoquer du moins en doute, à les dénaturer par des interprétations
malveillantes, comme s'ils étaient l'œuvre non pas de la divinité, mais de
l’esprit immonde, de Beelzébub qui passait pour le dieu d’Accaron. C’est ce
qu’ils firent dans cette circonstance. « Les pharisiens entendant cela dirent :
Cet homme ne chasse les démons que par Beelzébub, prince des démons. »
Remi. Beelzébub n’est
autre chose que Beel ou Baal, ou Beelphégor. Beel fut le père de Ninus, roi des
Assyriens; il fut appelé Baal parce qu’on l’adorait sur les hauteurs, et
Beelphégor à cause de la montagne de Phéga, où son idole était placée. Zébul
fut un serviteur d’Abimélech, fils de Gédéon. C’est cet Abimélech qui, après le
meurtre de ses soixante-dix frères, éleva un temple à Baal et y établit prêtre
Zébub pour chasser les mouches qui s’y rassemblaient en grand nombre à cause de
la grande quantité de sang des victimes immolées (cf. Jg 9, 28); car Zébub signifie mouche et Beelzébub veut dire l’homme
des mouches. Ils l’appelaient prince des démons à cause des impuretés qui
déshonoraient son culte. Ne trouvant donc rien de plus infâme à objecter contre
le Sauveur, ils disaient que c’était par Beelzébub qu’il chassait les démons.
Il faut remarquer que ce nom doit être écrit avec un b à la fin et non avec un t ou
avec un d, comme on le voit dans
quelques exemplaires fautifs.
S. Jér. Les pharisiens attribuaient au prince des
démons les oeuvres de Dieu ; Notre-Seigneur répond non à ce qu’ils
disaient mais à ce qu’ils pensaient au-dedans d’eux-mêmes (cf. Ps 7, 9 ;
Jr 17, 10), pour les forcer de croire à la puissance de Celui qui voyait le
fond des cœurs. « Or Jésus connaissant leurs pensées, » etc. — S. Chrys. (hom. 42 sur S.
Matth.) Ils avaient déjà
accusé plus haut le Seigneur de chasser les démons par Beelzébub, sans qu’il
les en eût repris ; il voulait laisser à la multitude de ses miracles de
leur faire connaître sa puissance, et à sa doctrine de révéler sa
grandeur ; mais comme ils persévéraient dans cette interprétation
calomnieuse, il leur en fait des reproches sévères, bien que cette accusation
n’eût pas le moindre fondement, car l’envie n’examine pas la nature de ses
accusations, pourvu qu’elle accuse. Cependant Jésus ne leur répond point avec
mépris, mais ses paroles sont pleines de douceur et de dignité pour nous
apprendre à être doux envers nos ennemis, à ne point nous troubler alors même
qu’ils nous accuseraient de choses que nous ne reconnaissons pas en nous et qui
n’ont aucun fondement. Cette conduite fait même ressortir l’odieux de leurs
calomnies, car un possédé du démon n’aurait pu faire ni paraître une aussi
grande douceur, ni connaître les pensées des cœurs. C’est du reste parce que
leurs accusations étaient dépourvues de toute raison, qu’ils redoutaient la multitude,
et qu’ils n’osaient rendre publique cette accusation contre le Christ ;
ils se contentaient de l’agiter au fond de leur cœur. C’est pour cela que
l’Évangéliste dit : « Or, Jésus connaissant leurs pensées. » Le
Sauveur, dans sa réponse, ne relève point cette volonté qu’ils avaient de
l’accuser ; il ne divulgue pas leur méchanceté, il se contente de leur
répondre, car son désir était d’être utile aux pécheurs et non pas de dévoiler
leurs crimes. Il ne se justifie point non plus à l’aide de témoignages de
1’Écriture, car ils n’y auraient fait aucune attention et les auraient
expliqués dans un autre sens, mais il tire sa réponse des choses qui arrivent
ordinairement. Les guerres qui viennent de l’extérieur sont bien moins funestes
que les guerres civiles : c’est ce qui se vérifie également pour tous les
corps comme pour tous les êtres. Mais le Seigneur emprunte ses exemples aux
choses qui sont plus connues : « Tout royaume divisé contre lui-même
sera ruiné, » etc. Rien n’est
plus puissant sur la terre qu’un royaume, cependant la division est pour lui un
principe certain de ruine ; que dire après cela d’une ville, d’une maison,
divisées contré elles-mêmes. Grand ou petit, tout ce qui combat contre soi-même
se détruit nécessairement. — S. Hil.
(can. 12.) Le sort d’une maison ou
d’une cité est ici le même que celui d’un royaume ; c’est pour cela qu’il
ajoute : « Toute ville ou toute maison divisée contre elle-même ne
pourra subsister. » — S. Jér. De même que la concorde fait
croître les plus petites choses, ainsi la division fait tomber les plus
grandes.
S. Hil. (can. 12) La parole de Dieu est riche et féconde, et soit qu’on
l’entende dans le sens le plus simple, soit qu’on pénètre dans ses profondeurs,
elle est indispensable à tout progrès de l’âme. Laissons donc de côté
l’interprétation commune assez claire d’elle-même, et arrêtons-nous au sens
intime de ces paroles. Le Seigneur, ayant à repousser l’accusation de faire des
miracles par Béelzébub, fait retomber cette accusation sur ses auteurs. En
effet, la loi vient de Dieu et la promesse du royaume d’Israël découle de la
loi : si le royaume de la loi est divisé contre lui-même, il faut
nécessairement qu’il se détruise, et c’est ainsi que le royaume d’Israël a
perdu la loi, alors que le peuple de la loi attaquait dans le Christ
l’accomplissement de la loi. C’est la ville de Jérusalem qui est ici désignée,
elle qui, après avoir dirigé contre le Christ tous les flots de la fureur
populaire et mis en fuite les Apôtres avec la multitude des croyants, ne
tiendra pas contre cette division, et le Sauveur prédit ici la ruine de cette
ville, qui suivit de près cette division. Il ajoute ensuite : Et si Satan
chasse Satan, comment son royaume subsistera-t-il ? — S. Jér. C’est-à-dire : Si Satan
combat contre lui-même et si le démon se déclare l’ennemi du démon, la fin du
monde devrait être proche, car il n’y aurait plus de place pour ces puissances
ennemies dont les divisions assurent la paix aux hommes. — La Glose. Le Seigneur les renferme donc
dans un dilemme dont ils ne peuvent sortir : ou bien le Christ chasse le
démon par la puissance de Dieu, ou bien par la vertu du prince des démons. Si
c’est par la puissance de Dieu, vos calomnies tombent à faux ; si c’est
par le prince des démons, le royaume des démons est donc divisé contre
lui-même, et il ne peut subsister. C’est pour cela que les pharisiens se
retirent de son royaume, et le Sauveur insinue que c’est de leur propre choix,
parce qu’ils ont refusé de croire en lui. — S. Chrys. (hom. 42.) Ou bien si ce royaume est divisé,
il s’est affaibli par cette division et il est perdu ; et, s’il est perdu,
comment peut-il en renverser un autre ? — S. Hil. (can. 12.) Ou
bien encore si le démon est forcément l’auteur de cette division intestine, et
qu’il porte le trouble parmi les démons eux-mêmes, il faut en conclure que
celui qui est parvenu à les diviser a plus de puissance que ceux qu’il a
divisés ; donc le royaume du démon, devenu le théâtre d’une telle
division, est détruit. — S. Jér. Si
vous pensez, scribes et pharisiens, que les démons se retirent pour obéir à
leurs chefs, pour tromper par cette démarche simulée les hommes ignorants, que
pouvez-vous dire de ces guérisons miraculeuses dont le Sauveur est
l’auteur ? A moins que vous ne reconnaissiez aussi dans le démon la
puissance de guérir les infirmités du corps et le pouvoir d’opérer des prodiges
spirituels.
S. Chrys. (hom. 42.) A cette première réponse,
Notre-Seigneur en ajoute une seconde beaucoup plus évidente encore :
« Et si c’est par Béelzébub que je chasse les démons, par qui vos enfants
les chasseront-ils ? » Par
les enfants des Juifs, il entend les exorcistes établis par la loi ou les
Apôtres sortis de la nation juive. S’il veut parler des exorcistes qui
chassaient les démons en invoquant le nom de Dieu, il force les pharisiens par
cette question adroite de reconnaître en eux l’oeuvre de l’Esprit saint ?
Si le pouvoir de chasser les démons, leur dit-il, est dans vos enfants l’oeuvre
de Dieu, et non pas des démons, pourquoi cette puissance aurait-elle en moi un
autre principe ? Ils seront donc eux-mêmes vos juges, non par la puissance
qu’ils exerceront sur vous, mais par l’opposition de leur conduite avec la
vôtre, puisque c’est à Dieu qu’ils font remonter le pouvoir de chasser les dénions,
tandis que vous l’attribuez au prince des démons. Si au contraire ces paroles
doivent s’entendre des Apôtres, ce qui est plus probable, ils seront leurs
juges, parce qu’ils siégeront sur douze siéges pour juger les douze tribus
d’israël. (Mt 19.) — S. Hil. (can.
12.) Or, c’est à juste
titre que les Apôtres seront établis leurs juges, eux qui ont été revêtus du
pouvoir de chasser les démons, pouvoir que les pharisiens ont refusé de
reconnaître dans le Christ lui-même. — Rab.
Ou bien encore, c’est parce que les Apôtres avaient la conscience que le Christ
ne les avait initiés à aucune science funeste.
S. Chrys. (hom. 42.) Le
Sauveur ne dit pas ici : Mes disciples, ni mes Apôtres, mais « vos
enfants, » afin de leur donner toute facilité de reprendre leur dignité,
ou, s’ils persévéraient dans leur ingratitude, d’ôter toute excuse à leur
impudence. Or, les Apôtres chassaient les démons en vertu du pouvoir que le
Sauveur lui-même leur avait donné ; cependant les pharisiens ne songeaient
pas à les accuser, car ce n’était pas le fait lui-même qu’ils attaquaient, mais
la personne du Christ. Il prend les Apôtres pour exemple, afin de leur prouver
que c’était sous l’inspiration de l’envie qu’ils parlaient ainsi de lui. Il les
conduit ensuite de nouveau à la connaissance de lui-même, en leur démontrant
qu’ils sont les ennemis déclarés de leur propre bonheur, et qu’ils s’opposent à
leur salut, tandis qu’ils devraient se réjouir de ce qu’il était venu pour leur
communiquer des biens ineffables. Or, poursuit-il, si c’est par l’Esprit de
Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc parvenu jusqu’à
vous. » Il leur montre par là que chasser les démons n’est pas l’effet
d’une grâce ordinaire ; mais un acte de puissance extraordinaire, et c’est pour établir cette vérité qu’il
tire cette conclusion : « Donc le royaume de Dieu est parvenu jusqu’à
vous. » Comme s’il disait : S’il en est ainsi, vous ne pouvez douter
de la venue du Fils de Dieu sur la terre. Mais il laisse cette conséquence dans
l’obscurité, pour ne pas leur être insupportable. Au contraire, comme il veut
les attirer à lui, il ne se contente pas de dire : Le royaume de Dieu est
arrivé, mais « il est arrivé jusqu’à vous. » Il semble leur
dire : Les biens vous arrivent et se répandent sur vous ; pourquoi
donc vous déclarer contre ce qui doit être votre salut ? Ces oeuvres si
grandes de la puissance divine ont été prédites par tous les prophètes comme le
signe de la présence du Fils de Dieu sur la terre. — S. Jér. Il se désigne lui-même comme ce royaume de Dieu, dont il
est dit ailleurs : « Le royaume de Dieu est au milieu de vous. » (Lc 17 ;) Et encore : « Il y en a un au milieu de vous
que vous ne connaissez pas. » (Jn 1.)
Ou bien encore, c’est ce royaume que Jean-Baptiste et le Seigneur lui-même ont
annoncé en ces termes : « Faites pénitence, car le royaume des cieux
est proche. » (Mt 3.) Il est un
troisième royaume de la sainte Écriture qui est enlevé aux Juifs pour être
donné à une nation qui lui fera porter des fruits. (Mt 21.) — S. Hil. (can. 12.) Si donc les disciples agissent par la vertu
du Christ, et que le Christ agisse lui-même par la vertu de l’Esprit saint, le
royaume de Dieu arrive, puisqu’il a été communiqué aux Apôtres par le ministère
du médiateur lui-même. — La Glose. On
peut dire aussi que l’affaiblissement du pouvoir du démon est une augmentation
du royaume de Dieu. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 5.) On peut donc
donner aussi cette explication : Si je chasse les démons par Béelzébub,
même dans votre pensée, le royaume de Dieu est parvenu jusqu’à vous ; car
ce royaume du démon qui, de votre aveu, est divisé contre lui-même, ne peut
subsister. Ce royaume de Dieu dont il parle, c’est celui où les impies
subissent leur condamnation, et où ils sont séparés des fidèles qui font
maintenant pénitence de leurs péchés.
S. Chrys. (hom. 42.) A cette seconde réponse,
Notre-Seigneur en ajoute encore une troisième : « Comment quelqu’un
peut-il entrer dans la maison du fort ? » etc. Que Satan ne puisse
chasser Satan, c’est chose évidente d’après ce qui précède, et il est également
hors de doute que personne ne peut le chasser sans l’avoir tout d’abord vaincu.
Notre-Seigneur reproduit donc, mais avec une nouvelle force, la raison qu’il a
donnée précédemment : Je suis si loin de demander au démon son appui, que
je suis en guerre avec lui et que je le tiens captif, et la preuve, c’est que
j’enlève tout ce qu’il possède. C’est ainsi qu’il établit le contraire de ce
que ses ennemis cherchaient à lui reprocher. Que voulaient-ils en effet ?
Persuader que ce n’était point par sa propre puissance qu’il chassait les
démons. Or, il leur démontre qu’il a fait captifs, non-seulement les démons,
mais leur chef lui-même. Ce qu’il a fait le prouve suffisamment. Car comment,
sans l’avoir réduit le premier, aurait-il pu se rendre maître des démons qui
sont sous ses ordres ? Ces paroles contiennent, à mon avis, une
prophétie ; car non-seulement il chasse actuellement les démons, mais il
fera disparaître l’erreur de toute la face de la terre, et détruira tous les
artifices du démon. Il ne dit pas : Il enlèvera, mais : « Il
arrachera, » pour montrer la puissance avec laquelle il agit. — S. Jér. La maison du démon, c’est le monde
qui est soumis à l’empire du malin esprit, non par la volonté de son Créateur,
mais par la grandeur de sa faute. Le fort a été chargé de chaînes, relégué dans
l’enfer et brisé sous les pieds du Seigneur. Toutefois nous ne devons pas être
sans crainte ; car notre adversaire est proclamé « le fort » par
la bouche même de son vainqueur. — S. Chrys.
(hom. 42.) Il l’appelle le fort, pour
exprimer son antique tyrannie, due tout entière à notre lâcheté. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 5.) Satan tenait les hommes captifs, et ils ne
pouvaient s’arracher de ses mains par leurs propres forces, si la grâce de Dieu
n’était venu les délivrer. Ce qu’il appelle ses armes, ce sont les infidèles.
Il a lié le fort en lui enlevant le pouvoir qu’il avait de s’opposer à la
volonté des fidèles qui veulent suivre le Christ, et conquérir le royaume de
Dieu. — Rab. Il a pillé sa
maison, parce qu’il a délivré des pièges du démon, pour les réunir à son
Église, ceux qu’il avait prévus devoir être à lui, ou bien lorsqu’il a donné le
monde entier à convertir à ses Apôtres et à leurs successeurs. Par cette
comparaison si claire, il leur montre donc qu’il n’est point associé aux
opérations mensongères du démon, comme ils l’en accusaient faussement, mais que
c’est par la puissance divine qu’il a délivré les hommes de la tyrannie des
démons.
S. Chrys. (hom. 42.) A cette troisième raison en succède
une quatrième : « Celui qui
n’est pas avec moi est contre moi. » — S. Hil. (can. 12.) Jésus fait connaître combien
il s’en faut qu’il ait emprunté la moindre puissance au démon, et il nous
laisse entrevoir combien il est dangereux de se faire une mauvaise idée de lui,
puisque ne pas être avec lui c’est être contre lui. — S. Jér. Il ne faut pas croire cependant
que ces paroles se rapportent aux hérétiques et aux schismatiques, quoiqu’on
puisse les leur appliquer par extension ; car le contexte et la suite du
récit nous forcent de les entendre du démon, en ce sens qu’on ne peut comparer
les oeuvres du Seigneur aux oeuvres de Béelzébub. Le désir du démon, c’est de
tenir les âmes captives ; le désir du Seigneur, c’est de les
délivrer ; l’un prêche le culte des idoles, l’autre la connaissance du
vrai Dieu ; le démon entraîne au mal, le Sauveur rappelle à la pratique
des vertus. Or, quel accord est possible entre ceux dont les oeuvres sont si
contraires ?
S. Chrys. (hom. 42.) Comment
donc celui qui n’amasse pas avec moi et qui n’est pas avec moi, peut-il être
d’accord avec moi pour chasser les démons ? il désire bien plutôt
disperser et détruire ce qui m’appartient. Mais dites moi, si vous aviez un
combat à livrer, celui qui ne voudrait pas venir à votre secours ne serait
point par là même contre vous. Car le Seigneur lui-même a dit dans un autre
endroit : « Celui qui n’est pas contre vous est pour vous. » Il
n’y a point ici de contradiction entre ces deux passages : d’un côté le
Seigneur veut parler du démon qui est en guerre ouverte avec lui ; de
l’autre, d’un homme qui était en partie avec les disciples, et dont ils
disaient : « Nous avons vu un homme chasser les démons en votre
nom. » Ce sont les Juifs qu’il paraît surtout avoir ici en vue, et qu’il
range dans le parti du démon ; ils étaient en effet contre lui, et ils
dispersaient ce qu’il cherchait à réunir. On peut admettre aussi qu’il veut
parler de lui-même, car il était l’ennemi déclaré du démon, et s’efforçait de
détruire ses oeuvres.
S. Chrys. (hom. 42.) Le Seigneur a répondu aux pharisiens
en justifiant sa conduite ; il leur inspire maintenant une salutaire
frayeur. Car une partie importante de la correction, c’est non-seulement de
justifier sa manière d’agir, mais aussi d’y ajouter les menaces. — S. Hil. (can. 12.) Il prononce un jugement sévère contre l’opinion injuste
des pharisiens et contre la perversité de ceux qui la partagent, en promettant
le pardon de tous les péchés, mais en le refusant au blasphème contre l’Esprit.
« C’est pourquoi je vous déclare que tout péché et tout blasphème sera
remis. » — Remi. Remarquons, toutefois, que le
pardon n’est pas accordé indistinctement à tout le monde, mais à ceux qui
auront fait une pénitence proportionnée à leurs péchés. Ces paroles sont la
condamnation de l’erreur de Novatien, qui prétendait que les fidèles ne
pouvaient se relever de leurs chutes par la pénitence, ni mériter le pardon de
leurs péchés, surtout ceux qui avaient renoncé la foi dans les persécutions.
« Mais le
blasphème contre le Saint-Esprit ne leur sera point remis. » — S. Aug.
(serm. sur les paroles du Seig.) Quelle
différence entre cette locution : « Le blasphème contre l’Esprit ne
sera pas pardonné, » et cette
autre que nous lisons dans saint Luc : « Si quelqu’un blasphème
contre l’Esprit saint, il ne lui sera pas remis » (Lc 11), si ce n’est que
la pensée est rendue plus clairement d’une façon que de l’autre, et que le
second Évangéliste explique le premier sans le contredire ? En effet, cette
expression : le blasphème de l’Esprit, a quelque obscurité, parce qu’on ne
dit pas de quel esprit il s’agit, et c’est pour la faire disparaître que
Notre-Seigneur ajoute : « Et quiconque aura dit une parole contre le
Fils de l’homme. » Après avoir parlé en général de toute espèce de
blasphème, il veut spécifier en particulier le blasphème contre le Fils de
l’homme, blasphème qui nous est représenté comme un péché très grave dans
l’Évangile de saint Jean, où nous lisons : « Il convaincra le monde
de péché, de justice et de jugement ; de péché, parce qu’ils n’ont pas cru
en moi. » (Jn 16.) — Le Sauveur
ajoute : « Mais celui qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit, il
ne lui sera point pardonné. » Ces
paroles ne signifient donc pas que dans la Trinité l’Esprit saint est supérieur
au Fils, erreur que n’a jamais soutenue personne, pas même les hérétiques.
S. Hil. (can. 12.) Qu’y
a-t-il de plus impardonnable que de nier la nature divine dans le Christ, que
de le dépouiller de la substance de l’Esprit du Père qui demeure en lui, alors
qu’il opère toutes ses oeuvres par l’Esprit de Dieu, et que Dieu est en lui
pour se réconcilier le monde ? — S. Jér.
Ou bien ce passage doit être entendu ainsi : Si quelqu’un dit une
parole contre le Fils de l’homme, scandalisé qu’il est par la chair dont je
suis revêtu, et ne voyant en moi qu’un homme, cette opinion, bien qu’elle soit
un blasphème et une erreur coupable, sera cependant digne de pardon, à cause de
la faiblesse de la nature humaine qui paraît en moi ; mais celui qui, en
présence d’oeuvres incontestablement divines dont il ne peut nier la puissance,
osera cependant me calomnier sous l’inspiration de l’envie, et dire que le
Christ, le Verbe de Dieu, et les oeuvres de l’Esprit saint doivent être
attribuées à Béelzébub, ne peut espérer de pardon ni dans ce monde ni dans
l’autre. — S. Aug. (serm. 2 sur les paroles du Seig.) Si tel était le sens de ces paroles, il
ne serait question d’aucun autre blasphème, et le seul qui serait irrémissible
serait le blasphème contre le Fils de l’homme, c’est-à-dire celui qui ne veut
voir en lui qu’un homme. Mais comme il a commencé par dire : « Tout
péché et tout blasphème sera remis aux hommes, » il est hors de doute que
le blasphème contre le Père lui-même est compris dans cette proposition
générale ; et le seul blasphème qu’il déclare irrémissible est celui qui
attaque l’Esprit saint. Est-ce que le Père lui-même a pris la forme d’un
esclave, de manière que sous ce rapport l’Esprit saint lui soit
supérieur ? Et quel est celui qu’on ne pourrait convaincre d’avoir parlé
contre l’Esprit saint avant qu’il devint chrétien et catholique ? Est-ce
que d’abord les païens, lorsqu’ils osent attribuer les miracles de Jésus-Christ
à des opérations magiques, ne sont pas semblables à ceux qui lui reprochaient
de chasser les démons au nom du prince des démons ? Et les Juifs
eux-mêmes, et tous les hérétiques qui confessent l’Esprit saint, mais qui nient
sa présence perpétuelle dans le corps du Christ, qui est l’Église catholique,
ressemblent aux pharisiens qui niaient que l’Esprit saint fût en Jésus-Christ.
D’ailleurs, il y a eu des hérétiques, comme les Ariens, les Eunomiens et les
Macédoniens, qui ont osé soutenir que l’Esprit saint n’était qu’une créature,
ou qui ont nié son existence, jusqu’à prétendre que le Père seul était Dieu, et
qu’on lui donnait tantôt le nom de Fils, tantôt le nom de l’Esprit saint ;
ce sont les Sabelliens. Les Photiniens soutiennent aussi que le Père seul est
Dieu, que le Fils n’est qu’un homme, et ils nient complètement l’existence de
la troisième personne, de l’Esprit saint. Il est donc évident que les païens,
les hérétiques et les Juifs blasphèment contre l’Esprit saint. Faut-il donc les
abandonner ou les considérer comme n’ayant plus d’espérance ? Si le
blasphème qu’ils ont proféré contre l’Esprit saint, ne doit pas leur être
remis, c’est donc inutilement qu’on leur promet qu’ils recevront la rémission
de leurs péchés dans le baptême, ou par leur entrée dans l’Église ? Car
Notre-Seigneur ne dit pas : Ce péché ne lui sera remis que dans le
baptême, mais : « Il ne lui sera remis ni dans ce monde ni dans
l’autre, » et ainsi il n’y
aurait pour être exempts de ce crime énorme que ceux qui sont catholiques dès
leur enfance. — Et au chap. 15 : Il en est quelques-uns qui prétendent que
le blasphème contre l’Esprit saint est le péché exclusif de ceux qui, après
avoir été purifiés dans l’Église par l’eau régénératrice, et après avoir reçu
l’Esprit saint, répondent par l’ingratitude, à ce bienfait inestimable du
Sauveur, et se plongent de nouveau dans l’abîme du péché mortel, tels que les
adultères, les homicides, ou les apostats du nom chrétien ou de l’Église
catholique. Mais je ne sais quelle preuve on peut apporter à l’appui d’un
pareil sentiment, alors que l’Église ne ferme à aucun crime les portes de la
pénitence, et que l’Apôtre nous avertit de reprendre les hérétiques eux-mêmes
(2 Tm 2), dans l’espérance que Dieu
les amènera par la pénitence à la connaissance de la vérité. Enfin le Seigneur
n’a pas dit : « Le fidèle catholique qui aura proféré une parole
contre l’Esprit saint, mais : « Celui qui aura dit, »
c’est-à-dire : Quiconque aura dit, il ne lui sera pardonné ni dans ce
siècle ni dans l’autre.
S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 43.) Nous lisons dans l’apôtre saint Jean
(1 Jn 5) : « Il est un
péché qui conduit à la mort ; je ne dis pas que quelqu’un doive prier pour
ce péché. » Or, je dis que ce
péché du frère qui engendre la mort, est le péché de celui qui, après avoir
connu Dieu par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, attaque la sainte
fraternité, ou qui, poussé par une ardente jalousie, se déclare contre la grâce
elle-même à laquelle il doit sa réconciliation avec Dieu. L’énormité de ce
crime est telle, qu’elle ne laisse plus de place à l’humilité de la prière,
alors même que les remords de la conscience forcent le pécheur de reconnaître
et d’avouer son crime. Il faut croire que cette disposition de l’âme, à cause
de la grandeur du péché, produit déjà quelque chose de l’impénitence finale et
de la damnation, et c’est peut-être là ce qu’on peut appeler pécher contre
l’Esprit saint, c’est-à-dire par malice et par envie, attaquer la charité
fraternelle après avoir reçu la grâce de l’Esprit saint. C’est ce péché qui,
selon la déclaration du Seigneur, ne sera remis ni dans ce monde ni dans
l’autre. Cette explication nous amène à examiner si les Juifs commirent ce
péché contre l’Esprit saint lorsqu’ils accusèrent Notre-Seigneur de chasser les
démons au nom de Béelzébub, prince des démons, c’est-à-dire si nous devons
regarder cette accusation comme dirigée personnellement contre le Seigneur,
parce qu’il dit de lui-même dans un autre endroit : « S’ils ont
appelé le père de famille Béelzébub, à combien plus forte raison ses
serviteurs. » Ou bien, comme ils ne parlaient de la sorte que par un excès
de jalousie, et qu’ils n’avaient que de l’ingratitude pour de si grands
bienfaits, ne peut-on pas croire que par l’excès même de leur jalousie ils ont
péché contre l’Esprit saint, quoiqu’ils ne fussent pas encore chrétiens ?
Cette explication ne ressort pas des paroles du Seigneur, mais on peut dire
cependant qu’il les avertit de recevoir la grâce qui leur est offerte, et après
l’avoir reçue, de ne plus retomber dans le péché qu’ils avaient déjà commis.
Ils avaient proféré contre le Fils de l’homme une parole pleine de
méchanceté ; elle aurait pu leur être pardonnée s’ils avaient voulu se
convertir et croire en lui ; mais si après avoir reçu l’Esprit saint ils
avaient continué à porter envie à leurs frères, et à se déclarer contre la
grâce qu’ils avaient reçue, ce péché ne leur sera pardonné ni dans ce monde ni
dans l’autre. Et en effet, si le Sauveur les avait considérés comme déjà
condamnés, sans nulle espérance de retour, il n’aurait pas continué de leur
donner des conseils en ajoutant immédiatement : « Ou faites un arbre bon, » etc. — S. Aug. (Rétract., 1, 19.) Je n’ai pas appuyé
cette interprétation, parce que j’ai dit que tel était mon sentiment, en
ajoutant, toutefois, pourvu que l’on arrive à la fin de cette vie dans cette
disposition d’esprit si criminelle. Il ne faut, en effet, désespérer pendant
cette vie d’aucun pécheur, quelque dépravé qu’il soit, et ce ne sera jamais
témérité de prier pour celui dont il est permis encore d’espérer le salut.
S. Aug. (serm. 2 sur les paroles du Seig., chap. 1 et 5.)
Ce passage renferme un grand mystère, et il faut demander à Dieu la lumière
nécessaire pour bien l’exposer. Je vous le déclare, mes très chers frères,
peut-être dans toutes les saintes Écritures ne trouve-t-on pas une question
plus importante et plus difficile. Remarquez d’abord que Notre-Seigneur n’a pas
dit : Aucun blasphème contre l’Esprit saint ne sera remis, ni : Celui
qui aura dit une parole quelconque contre l’Esprit saint, mais :
« Celui qui aura dit la parole. » — Et au chap. 6 : Il n’est
donc point nécessaire de regarder comme irrémissible tout blasphème, toute
parole contre l’Esprit saint, il faut seulement reconnaître qu’il y a une
parole qui dite contre l’Esprit saint, ne peut obtenir de pardon. Les saintes
Écritures ont, en effet, l’habitude de s’exprimer de manière que lorsqu’une
chose n’a été dite ni du tout ni de la partie, il n’est pas nécessaire qu’elle
puisse s’appliquer à la totalité pour nous défendre de l’entendre de la partie.
Ainsi le Seigneur dit aux Juifs (Jn 15) :
« Si je n’étais pas venu, et si je ne leur avais point parlé, ils ne
seraient pas coupables ; » Notre-Seigneur n’a pas voulu nous dire que
les Juifs eussent été absolument sans péché, mais qu’il y avait un péché que
les Juifs n’auraient pas eu si le Christ n’était pas venu. — Et au chap.
18 : L’ordre que nous nous sommes prescrit nous fait un devoir d’expliquer
quelle est donc cette espèce de blasphème contre l’Esprit saint. Le caractère
particulier sous lequel nous est représenté le Père, c’est l’autorité ;
pour le Fils, c’est la naissance ; pour le Saint-Esprit, c’est l’union du
Père et du Fils. Or le lien qui unit le Père et le Fils est aussi dans leurs
desseins, celui qui doit nous unir tous ensemble entre nous et avec eux :
« Car sa charité a été répandue en nos cœurs par l’Esprit saint qui nous a
été donné. » Nos péchés nous ayant privés de la possession des biens
véritables, la charité couvre la multitude des péchés. (1 P 1.) Que ce soit, en effet, dans l’Esprit saint que Jésus-Christ
nous remette les péchés, nous pouvons le conclure de ce qu’après avoir dit à
ses Apôtres : « Recevez l’Esprit saint, » il ajoute aussitôt : « Les péchés seront remis à ceux à
qui vous les remettrez. » La première grâce que reçoivent ceux qui
croient, c’est donc la rémission des péchés dans l’Esprit saint ; c’est
contre ce don gratuit que s’élève le cœur impénitent. Donc l’impénitence est ce
blasphème contre l’Esprit saint qui ne sera remis ni dans ce monde ni dans
l’autre. Car celui qui, « par sa dureté et par l’impénitence de son cœur,
amasse un trésor de colère pour le jour de la colère, » (Rm 2,) celui-là, soit dans sa pensée,
soit verbalement, prononce une parole criminelle contre l’Esprit saint par
lequel les péchés sont remis. Or, cette impénitence ne peut espérer aucun
pardon, ni dans ce monde ni dans l’autre, parce que la pénitence obtient dans
ce monde le pardon qui nous ouvre les portes de l’autre vie. — Et au chap.
13 : Or, cette impénitence ne peut être définitivement jugée pendant cette
vie, car on ne doit désespérer de personne tant que la patience de Dieu peut
l’amener à se repentir. (Rm 2.) Car
enfin qu’arrivera-t-il si ceux que vous voyez livrés à toute sorte d’erreurs,
et que vous condamnez comme ayant perdu tout espoir, font pénitence avant le
moment de leur mort ? Quoique ce blasphème se compose de plusieurs paroles
et qu’il puisse être très étendu, l’Écriture, suivant sa coutume, en parle
comme si ce n’était qu’une seule parole. Ainsi, bien que Dieu ait adressé
plusieurs paroles aux prophètes, on lit cependant : « Parole qui fut
adressée à tel ou à tel prophète. » — Et au chap. 15 : Si l’on nous
fait ici cette question : Est-ce l’Esprit saint qui seul remet les péchés,
ou est-ce le Père et le Fils ? nous répondrons que c’est également le Père
et le Fils, car le Fils dit du Père : « Votre Père vous remettra vos
péchés » (Mt 6,) et il dit de
lui-même : « Le Fils a sur la terre le pouvoir de remettre les
péchés. » Pourquoi donc cette
impénitence qui demeure sans pardon n’a-t-elle pour cause que le blasphème
contre l’Esprit saint, comme si celui qui se trouve lié par ce péché
d’impénitence résistait au don de l’Esprit saint, don qui nous confère la
rémission des péchés ? — Et au chap. 17 : C’est que les péchés qui ne
peuvent être remis en dehors de l’Église ne doivent être remis que par la vertu
de cet Esprit qui est le principe de l’unité de l’Église, etc. Donc la
rémission des péchés, qui est l’oeuvre de la Trinité tout entière, est
attribuée spécialement à l’Esprit saint ; car il est cet Esprit d’adoption
des enfants dans lequel nous crions : Mon Père, mon Père (Rm 8), afin que nous puissions lui
dire : « Pardonnez-nous nos offenses. » Et comme le dit saint
Jean, c’est en cela que nous connaissons que le Christ demeure en nous, parce
qu’il nous a rendus participants de son Esprit (1 Jn 4, 13.) C’est ce
même Esprit qui est l’auteur de cette société qui ne fait de nous qu’un seul
corps, le corps du Fils unique de Dieu. — Et au chap. 20. : Car l’Esprit
saint est lui-même en quelque sorte la société du Père et du Fils, etc. Et au
chap. 22 : Celui donc qui se rendra coupable d’impénitence contre l’Esprit
saint, qui réunit toute l’Église dans les liens d’une même communion et d’une
seule unité, il ne lui sera jamais pardonné.
S. Chrys. (hom. 43.) On
peut encore dire, suivant la première interprétation, que les Juifs ne
connaissaient pas la personne du Christ, mais ils avaient de l’Esprit saint une
connaissance suffisante, car c’est lui qui avait inspiré les prophètes. Voici
donc le sens des paroles du Sauveur : J’admets que la chair dont je suis
revêtu soit pour vous une cause de scandale ; mais quant à l’Esprit saint,
pouvez-vous dire : Nous ne le connaissons pas ? Et vous en subirez le
châtiment dans cette vie et dans l’autre ; car chasser les démons et guérir
les maladies est une oeuvre de l’Esprit saint ; ce n’est donc pas à moi
seul que vous faites outrage, mais à l’Esprit saint : c’est pourquoi votre
condamnation est inévitable dans ce monde et dans l’autre. Il en est qui ne
sont punis que dans cette vie, comme ceux qui ont participé indignement aux
saints mystères chez les Corinthiens (1 Co
11, 29.30) ; il en est qui ne reçoivent leur châtiment que dans
l’autre monde, comme le mauvais riche dans l’enfer. Il en est enfin qui sont
punis dans ce monde et dans l’autre, comme les Juifs qui furent cruellement
châtiés lors de la prise de Jérusalem, et qui auront encore à endurer d’affreux
supplices dans l’enfer.
Rab. L’autorité divine de
ces paroles condamne l’erreur d’Origène, qui assure qu’après bien des siècles,
tous les pécheurs obtiendront leur pardon ; et Notre-Seigneur l’a détruite
par ces seuls mots : « Il ne lui sera pardonné ni dans cette vie ni
dans l’autre. » — S. Grég. (Dialog. 4, 34.) Ce passage nous donne à entendre que certaines fautes
sont pardonnées en ce monde, tandis que d’autres ne sont remises que dans
l’autre ; car ce qui n’est nié que pour une seule chose est affirmé pour
quelques autres. Et cependant on ne peut espérer ce pardon que pour les fautes
les plus légères, comme des paroles oiseuses, des rires immodérés, ou les
fautes que l’on commet dans la gestion de ses affaires, fautes que peuvent à
peine éviter, ceux même qui savent comment on doit se garder de tout
péché ; ou bien enfin l’ignorance en matière légère. Il est encore
d’autres fautes dont nous demeurons chargés après la mort, si elles ne nous ont
pas été remises pendant cette vie, etc. Mais il ne faut pas oublier que
personne n’obtiendra le pardon de ses fautes légères après la mort, à moins
d’avoir mérité dans cette vie par ses bonnes oeuvres que ce pardon lui soit
accordé.
S. Chrys. (hom. 43.) Notre-Seigneur ne se contente pas de
cette première réfutation, il veut les confondre par de nouvelles raisons. Ce
n’est pas sans doute pour se justifier à leurs yeux, il l’avait fait
suffisamment, mais pour changer les dispositions de leur cœur. Il leur dit
donc : « Ou dites qu’un arbre est bon, » etc., paroles qui
veulent dire : Personne d’entre vous n’a osé dire qu’il était mal de
délivrer les hommes du démon. Toutefois, comme ils n’attaquaient pas les
oeuvres elles-mêmes, mais qu’ils prétendaient que le démon en était l’auteur,
il leur démontre que cette accusation est contraire à toutes les règles du
raisonnement ainsi qu’à toutes les idées reçues, et que de pareilles inventions
sont le comble de l’impudence. — S. Jér.
Il les tient resserrés dans un raisonnement que les Grecs appellent αφυχτον et que nous pouvons appeler raisonnement
qu’on ne peut éluder. Il les renferme comme dans un cercle d’où ils ne peuvent
sortir et les presse par les deux faces de cet argument : Si le démon est
mauvais, leur dit-il, il ne peut faire des actions qui soient bonnes ; et
si les actions dont vous avez été témoins sont bonnes, le démon ne peut en être
l’auteur, car il n’est pas possible que le bien puisse naître du mal ou le mal
venir du bien. — S. Chrys. (hom. 43.) En effet, on juge l’arbre à
son fruit, et non pas le fruit par l’arbre, comme le dit Notre-Seigneur
lui-même : « Car c’est par le fruit que l’on connaît l’arbre. » — Bien que ce soit l’arbre qui produise
le fruit, c’est cependant le fruit qui détermine l’espèce de l’arbre. Mais pour
vous, vous faites le contraire. Vous ne trouvez rien à reprendre dans les
oeuvres, et vous condamnez l’arbre en m’appelant possédé du démon.
S. Hil. (can. 12.) Il
réfute donc les calomnies des Juifs qui, tout en comprenant que les oeuvres du
Christ exigeaient une puissance divine, ne voulurent pas cependant reconnaître
sa divinité ; mais en même temps il condamne tous ceux dont la foi
pervertie devait dans la suite embrasser avec ardeur les différentes hérésies
qui ont nié sa divinité et son unité de nature avec le Père, malheureux qui ne
pouvaient, comme les Gentils, s’excuser sur leur ignorance, et qui cependant
n’avaient pas la connaissance de la vérité. Cet arbre, c’est le Sauveur
lui-même revêtu de la nature humaine, parce qu’en effet la fécondité intérieure
de sa puissance se répand au dehors en fruits abondants et variés. Il faut donc
faire un bon arbre avec de bons fruits, ou un arbre mauvais avec de mauvais
fruits, non pas qu’un bon arbre puisse être mauvais ou qu’un mauvais arbre
puisse être bon, mais par cette comparaison le Sauveur veut nous faire
comprendre qu’il faut abandonner le Christ comme étant inutile, ou s’attacher à
lui comme étant la source féconde de tout bon fruit. Vouloir prendre un moyen
terme, attribuer quelques privilèges au Christ et nier ses qualités
essentielles, le vénérer comme Dieu, et le dépouiller de son union
substantielle avec Dieu, c’est un blasphème contre l’Esprit saint. Saisi
d’admiration à la vue de la grandeur de ses oeuvres, vous n’osez pas lui
refuser le nom de Dieu, et par je ne sais quelle mauvaise disposition de votre
esprit vous lui contestez la noblesse de son origine en niant son unité de
nature avec le Père. — S. Aug. (serm. 12 sur les paroles du Seigneur.) Ou bien encore le Seigneur nous
rappelle ici l’obligation d’être de bons arbres si nous voulons produire de
bons fruits, car ces paroles : « Faites un bon arbre et que ses
fruits soient bons » renferment un précepte salutaire auquel nous devons
obéir, tandis que les paroles suivantes : « Faites un arbre mauvais
et que ses fruits soient mauvais » ne nous imposent pas l’obligation
d’agir de la sorte, mais nous avertissent d’éviter une pareille conduite.
Notre-Seigneur avait ici en vue des hommes qui, tout mauvais qu’ils étaient,
prétendaient pouvoir dire de bonnes choses ou faire de bonnes actions ; il
leur déclare que cela est impossible, car il faut changer l’homme si l’on veut
changer ses oeuvres ; si l’homme persiste dans ce qui le rend mauvais, il
ne peut faire de bonnes oeuvres ; s’il persévère dans ce qui le rend bon,
il ne peut en faire de mauvaises. Or, le Christ a trouvé tous les arbres
mauvais, mais il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu à tous ceux qui
croyaient en lui.
S. Chrys. (hom. 43.) Comme
il défendait ici non pas ses intérêts, mais les oeuvres de l’Esprit saint, il
leur adresse ces reproches justement mérités : « Race de vipères,
comment pouvez-vous dire de bonnes choses, vous qui êtes mauvais ? » En leur parlant de la sorte, il accuse
leur conduite et tout à la fois il la fait servir de preuve de ce qu’il vient
de dire. Vous qui êtes de mauvais arbres, semble-t-il leur dire, vous ne pouvez
pas porter de bons fruits : je ne suis donc pas étonné que vous parliez de
la sorte, car vos pères étaient vicieux, votre éducation a été mauvaise, et
vous avez une âme portée au mal. Remarquez qu’il ne dit pas :
« Comment pouvez-vous dire de bonnes choses alors que vous êtes une race
de vipères ? » car voici la construction naturelle de la
phrase : « Comment pouvez-vous dire de bonnes choses, étant mauvais
comme vous l’êtes ? » Il les appelle race de vipères parce qu’ils se
glorifiaient de leurs ancêtres et,
pour anéantir leur orgueil, il les sépare de la race d’Abraham et leur déclare
que leurs aïeux leur ressemblaient. — Rab.
Ou bien en les appelant race de vipères il veut dire qu’ils sont les
enfants et les imitateurs du démon, eux qui interprètent ses actions en
mauvaise part, ce qui est le propre du démon.
« La bouche
parle de l’abondance du cœur. » Un homme parle de l’abondance du cœur
quand il connaît l’intention qui le fait parler, vérité que le Sauveur
développe plus clairement en ajoutant : « L’homme qui est bon tire de
bonnes choses de son bon trésor, et celui qui est mauvais tire de mauvaises
choses d’un trésor mauvais. » Le
trésor du cœur c’est l’intention que l’âme se propose et d’après laquelle le
juge intérieur détermine le mérite de l’action ; c’est elle qui fait que
des actions éclatantes ne reçoivent quelquefois qu’une légère récompense, et
que, par suite de la négligence d’un cœur que la tiédeur domine, des actes de
vertus héroïques sont faiblement récompensés par le Seigneur. — S. Chrys. (hom. 43.) Il donne encore ici une preuve de sa divinité qui
pénètre le fond des cœurs, et il nous apprend que non-seulement les paroles
coupables, mais les mauvaise pensées, recevront leur châtiment. Du reste, c’est
une conséquence naturelle que l’excès de la malice du cœur se répande au dehors
par les paroles qui sortent de la bouche. Aussi, lorsque vous entendez un homme
proférer de mauvais discours, tenez pour certain que la malice de son âme est
bien plus grande que ne l’indiquent ses paroles, car elles ne sont que
l’exubérance de la corruption de son cœur ; c’est en cela que ce reproche
est plus sévère et plus sensible pour les Juifs, car si leurs paroles sont si
mauvaises, jugez combien la source d’où elles découlent doit être corrompue.
Voici en effet ce qui arrive ordinairement : c’est que la langue, retenue
par la honte, ne répand pas immédiatement tout son venin, tandis que le cœur,
qui n’a aucun homme pour témoin de ses actes, se livre sans crainte à tout le
mal qui se présente à la volonté, car Dieu est son moindre souci, et lorsque le
mal déborde à l’intérieur, il se répand à l’extérieur par les paroles, ce qui
fait dire au Seigneur : « C’est de l’abondance du cœur que la bouche
parle ; » et encore : « L’homme tire ses paroles du trésor
de son cœur. »
S. Jér. En disant : « L’homme
qui est bon tire de bonnes choses d’un bon trésor, » le Sauveur fait voir
aux Juifs coupables de blasphème à l’égard de Dieu dans quel trésor ils ont
puisé ces blasphèmes ; ou bien cette pensée se rapporte à ce qui précède
et leur montre que de même qu’un homme qui est bon ne peut dire de mauvaises
choses, de même celui qui est mauvais ne peut en dire de bonnes ; ainsi le
Christ ne peut faire de mauvaises oeuvres et le démon ne peut en faire de
bonnes.
S. Chrys. (hom. 43.) A la suite de ces reproches, le
Seigneur cherche à inspirer aux Juifs une grande crainte en leur apprenant que
ceux qui se seront rendus coupables de crimes semblables seront punis du
dernier supplice : « Or, je vous déclare que les hommes rendront compte
au jour du jugement de toute parole inutile qu’ils auront dite. » — S. Jér. Voici le sens de ces
paroles : Si une parole oiseuse qui n’édifie en rien ceux qui l’entendent
n’est point sans danger pour celui qui la dit, et si au jour du jugement chacun
doit rendre compte de ses discours, à combien plus forte raison vous qui
calomniez les oeuvres de l’Esprit saint, et qui dites que je chasse les démons
par Beelzéhub, rendrez-vous compte de semblables calomnies. — S. Chrys. (hom. 43.) Il ne dit pas : « La parole inutile que vous
aurez dite », car son dessein est d’enseigner tout le genre humain et de
rendre son discours moins dur pour les Juifs. Or, la parole oiseuse est celle
qui contient un mensonge ou une calomnie ; quelques-uns l’étendent à la
parole vaine, à celle par exemple qui excite un rire immodéré ou qui est
contraire à la décence et à la pudeur. — S. Grég.
(hom. 9, sur les Evang.) Ou bien la
parole oiseuse est celle qui n’est motivée ni par une véritable utilité, ni par
une juste nécessité.
S. Jér. C’est une parole qui est sans
utilité pour celui qui parle comme pour celui qui écoute ; par exemple,
lorsqu’au lieu d’entretiens sérieux nous nous entretenons de choses frivoles ou
que nous racontons les récits fabuleux de l’antiquité. Quant à celui qui se
livre aux bouffonneries, rit à gorge déployée et blesse la pudeur dans ses
discours, il n’est pas seulement coupable d’une parole oiseuse, mais de
discours criminels. — Remi. A
cette vérité se rattache la maxime suivante : « C’est d’après vos
paroles que vous serez condamnés ; c’est d’après vos paroles que vous
serez justifiés. » Nul doute
qu’on ne soit condamné pour les mauvaises paroles qu’on aura dites ; mais
quant aux bonnes paroles, elles ne pourront justifier que celui qui les aura
dites avec une conviction intime et une intention vertueuse. — S. Chrys. (hom. 43.) Remarquez que ce jugement n’a rien de trop sévère :
vous serez jugés non point sur ce qu’on aura dit de vous, mais sur ce que vous
aurez dit vous-même ; ce ne sont donc pas ceux qui sont accusés qui
doivent craindre, mais ceux qui accusent les autres, car personne ne sera forcé
de s’accuser du mal qu’il aura entendu et dont il aura été l’objet, il ne sera
responsable que du mal qu’il aura dit lui-même.
S. Chrys. (hom. 44.) Le Seigneur avait bien des fois réduit les
pharisiens au silence et mis un frein à leur impudence ; ils se rejettent
donc de nouveau sur ses oeuvres, ce que l’Évangéliste étonné nous raconte en
ces termes : « Alors quelques-uns des scribes lui dirent, » etc.
Alors, c’est-à-dire quand ils auraient dû se rendre, pleins d’admiration et
d’étonnement ; mais ils persévèrent dans leur malice et ils lui disent
pour le surprendre : « Nous voudrions que vous nous fassiez voir un
prodige. »
S. Jér. Ils demandent des prodiges, comme
si les faits qu’ils ont vus jusqu’ici n’étaient pas des prodiges. Saint Luc
explique plus clairement quelle espèce de miracle ils lui demandent : Nous
voudrions que vous nous fassiez voir un prodige dans le ciel (Lc 11). Peut-être voulaient-ils que
comme Elie il fît descendre le feu du ciel, ou qu’à l’exemple de Samuel (4 R 1), il fît en plein été et
contrairement à ce qui arrive dans ces contrées, il fit gronder le tonnerre,
briller les éclairs et tomber la pluie (1 R
7 et 12). Mais n’auraient-ils pas trouvé le moyen de calomnier ces prodiges
en disant qu’ils étaient le résultat de causes secrètes et variées qui agissent
sur l’atmosphère ? Car, puisque vous calomniez ce que vous voyez de vos
yeux, ce que vous touchez de la main, ce dont vous ressentez l’utilité, que ne
diriez-vous pas d’un miracle qui viendrait du ciel ? Vous répondriez sans
doute que les magiciens en Egypte ont fait eux-mêmes beaucoup de prodiges dans
les airs.
S. Chrys. (hom. 43.) Leurs
paroles sont pleines à la fois d’adulation et d’ironie. Ils avaient commencé
par outrager le Sauveur en le traitant de possédé du démon ; ils cherchent
à le flatter maintenant en l’appelant Maître. Aussi leur répond-il avec
sévérité : « Cette génération méchante, » etc. Lorsqu’ils le
chargeaient d’injures, il leur répondait avec douceur ; mais lorsqu’ils
veulent le prendre par la flatterie il leur fait les plus vifs reproches ;
il prouve ainsi qu’il était supérieur à toute faiblesse, incapable de s’irriter
des outrages ou de faiblir devant la flatterie. Or, voici le sens de ces
paroles : « Qu’y a-t-il d’étonnant que vous agissiez ainsi contre moi
qui suis pour vous un inconnu, quand vous vous êtes conduit de la même manière
à l’égard de mon Père dont vous aviez éprouvé tant de fois la puissance et que
vous avez abandonné pour courir aux autels du démon ? » Il les
appelle « génération méchante » parce qu’ils n’ont jamais eu que de
l’ingratitude pour leurs bienfaiteurs. Les bienfaits ne font que les rendre
plus mauvais, ce qui est le comble de la perversité. — S. Jér. Le mot
« adultère » qu’il ajoute est parfaitement choisi, parce que cette
génération avait abandonné son mari et que, suivant Ezéchiel, elle s’était
livrée à plusieurs amants (Ez 16,
15.24.25.33). — S. Chrys. (hom. 43.) Il se déclame ainsi l’égal de
Dieu son Père, puisque c’est pour n’avoir pas voulu croire en lui que cette
génération est devenue adultère.
Rab. Il va maintenant
leur répondre non pas en leur faisant voir un prodige dans le ciel, mais en le
tirant des profondeurs de la terre. Il a donné ce signe dans le ciel, mais à
ses disciples, en leur dévoilant la gloire de l’éternelle félicité, d’abord en
figure sur la montagne (Mt 18), et
puis en réalité lorsqu’il s’éleva dans les cieux. (Mc 16.) Il ajoute : « On
ne lui donnera pas d’autre signe. » — S. Chrys.
(hom. 43.) Il parle ainsi, parce
que ce n’était pas pour les amener à lui qu’il faisait des miracles, car il
savait qu’ils étaient plus durs que la pierre, mais c’était pour en convertir
d’autres. Ou bien c’est parce qu’ils ne devaient pas être témoins d’un signe
tel qu’ils le demandaient. En effet, il leur donna plus tard un signe, alors
qu’ils apprirent à connaître sa puissance par leur propre châtiment, et c’est
ce qu’il leur fait entendre à mots couverts en leur disant : « On ne
lui donnera pas de signe, » paroles dont voici le sens : J’ai répandu
sur vous mes bienfaits à profusion, aucun d’eux ne vous a portés à rendre
hommage à ma puissance ; vous la connaîtrez donc par le châtiment qui vous
attend, lorsque vous verrez la destruction de votre cité. Il entremêle ici une
prédiction de sa résurrection, qu’ils devaient aussi connaître un jour par leur
supplice, « si ce n’est le signe du prophète Jonas. » La croix n’aurait jamais été l’objet de
la foi si elle n’avait eu pour elle le témoignage des miracles, et si elle
n’avait pas été crue, la résurrection ne l’aurait pas été davantage ;
c’est pour cela qu’il l’appelle un signe, et que pour en faire reconnaître la
vérité il en rappelle une figure prophétique : « Car, de même que Jonas
fut dans le ventre de la baleine, » etc. — Rab. Il fait voir aux Juifs qu’ils sont aussi coupables que
les Ninivites, et que leur ruine est imminente s’ils ne font pénitence ;
mais de même que Jonas, en annonçant le châtiment, indique les moyens de l’éviter,
ainsi les Juifs ne doivent pas désespérer de leur pardon, si du moins, après la
résurrection de Jésus-Christ, ils font pénitence. Jonas, dont le nom signifie colombe et celui qui gémit, figure celui sur lequel l’Esprit saint descendit
en forme de colombe (Lc 3), et qui
s’est chargé de nos souffrances. (Is 53.)
La baleine qui engloutit Jonas au milieu de la mer (Jon 2) signifie la mort que Notre-Seigneur Jésus-Christ a endurée
sur la croix. Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine,
le Christ demeura le même temps dans le tombeau. Jonas fut jeté sur le rivage,
le Christ a ressuscité dans sa gloire.
S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 24.) Quelques auteurs qui paraissent
ignorer la manière de s’exprimer de l’Écriture, ont voulu compter pour une nuit
les trois heures qui s’écoulèrent de la sixième à la neuvième et pendant
lesquelles le soleil fut obscurci, et pour un jour les trois autres heures,
depuis la neuvième jusqu’au coucher du soleil, pendant lesquelles il éclaira de
nouveau la terre. Vint ensuite la nuit du sabbat, et en la comptant avec le
jour qui suivit on a deux nuits et deux jours. Après le jour du sabbat vient la
nuit du premier jour de la semaine (c’est-à-dire la nuit qui précède le
dimanche) dans laquelle le Seigneur est ressuscité. Nous avons donc deux nuits
et deux jours et de plus une nuit, alors même qu’on devrait la comprendre tout
entière, et que nous ne prouverions pas que le point du jour était la partie
extrême de cette nuit. C’est ainsi que sans compter ces six heures (dont trois
heures de nuit et trois heures de jour), nous avons réellement trois jours et
trois nuits, et il ne nous reste plus qu’à démontrer que cette explication est
conforme à l’usage de l’Écriture, qui prend souvent la partie pour le tout. —
S. Jér. Ce n’est pas que
Jésus-Christ ait été les trois jours entiers et les trois nuits dans les
enfers, mais on entend que ces trois jours et ces trois nuits sont formés d’une
partie du jour de la Pâque, d’une partie du dimanche et du jour du sabbat tout
entier. — S. Aug. (De la Trinité, 4, 9.) L’Écriture
elle-même nous témoigne que ces trois jours ne furent pas complets ; mais
la seconde partie du premier jour et la première partie du troisième jour sont
comptées pour des jours entiers ; quant au jour intermédiaire,
c’est-à-dire le deuxième jour, il est complet et a ses vingt-quatre heures,
douze de nuit et douze de jour. La nuit qui précéda la première aurore où la
résurrection du Seigneur eût lieu appartient au troisième jour. Car de même que
les premiers jours de l’homme sur la terre se comptent du jour à la nuit comme
symbole de sa chute future, de même les jours se comptent ici de la nuit au
jour comme figure de la réparation de l’homme. — S. Chrys. (hom. 44.)
Il ne leur dit pas clairement qu’il ressusciterait, car ils se seraient moqués
de lui ; mais il le leur donne à entendre pour qu’ils pussent croire par
la suite ce qu’il avait prédit par avance. Il ne dit pas simplement :
« Dans la terre, » mais « dans les entrailles de la terre »
pour exprimer une véritable sépulture, et afin que personne ne pût soupçonner
que sa mort n’était qu’apparente. Il dit clairement qu’il y restera trois
jours, afin que l’on ne pût douter de la réalité de sa mort. D’ailleurs la
figure de la résurrection est une preuve de sa réalité, car Jonas ne fut pas
seulement en apparence, mais bien réellement dans le ventre de la baleine. Or
la vérité n’aurait-elle existé qu’en apparence, tandis que la figure a existé
en réalité ? Les disciples de Marcion sont donc de véritables enfants du
démon, en affirmant avec leur maître que la passion du Christ n’a été
qu’imaginaire ; ajoutons que le signe du prophète Jonas, qui devait être
donné à cette génération est une preuve que le Sauveur devait souffrir la mort
pour les Juifs, quoiqu’ils n’en dussent tirer aucun profit (cf. Jon 1, 5).
S. Chrys. (hom. 44.) On aurait pu croire que les Juifs auraient
un jour le même sort que les Ninivites, et qu’ils se convertiraient après la
résurrection du Sauveur, comme les Ninivites s’étaient convertis à la voix de
Jonas et avaient ainsi sauvé leur ville de la destruction qui la menaçait.
Notre-Seigneur déclare ici qu’un sort tout différent leur est réservé ; et
loin que le bienfait de sa mort leur soit utile, elle ne fera qu’aggraver leur
supplice, comme il le prouvera plus bas par l’exemple du démon. Il montre
d’abord ici l’équité de leur condamnation : « Les habitants de Ninive
se lèveront, dit-il, au jour du jugement contre cette génération. » — Remi. Le Seigneur, en s’exprimant de la
sorte, établit clairement qu’il n’y aura qu’une seule résurrection pour les
bons et pour les méchants, contre quelques hérétiques qui ont prétendu qu’il y
aurait une résurrection pour les bons et une pour les méchants. Il détruit en
même temps cette opinion fabuleuse des Juifs qui disent que la résurrection
aura lieu mille ans avant le jugement, et il déclare ouvertement, au contraire,
que le jugement suivra immédiatement la résurrection : « Et ils
condamneront cette génération. » — S. Jér.
Ce ne sera pas en prononçant contre elle le jugement souverain, mais par
la simple opposition de leur conduite ; c’est pour cela qu’il
ajoute : « Parce qu’ils ont fait pénitence à la voix de Jonas, et
voilà plus que Jonas ici. » Le
mot hic doit être pris comme adverbe
de lieu, et non pas comme pronom. Jonas (selon la version des Septante) ne
prêcha que pendant trois jours ;
j’ai prêché pendant un temps beaucoup plus long ; il s’adressait aux
Assyriens, nation infidèle ; je m’adresse aux Juifs, peuple de Dieu ;
il ne fit que prêcher sans opérer de miracles, et moi, après tant et de si
grands prodiges, je suis accusé calomnieusement de connivence avec Béelzébub.
S. Chrys. (hom. 44.) Le
Seigneur, non content de cet exemple, en ajoute un autre : « La reine
du Midi, » etc. Cet exemple est plus frappant encore que le premier. Jonas
alla trouver les Ninivites ; la reine du Midi n’attendit pas que Salomon
se rendit près d’elle, mais elle alla le trouver elle-même, et c’était une
femme, une barbare, habitant des contrées éloignées ; elle n’était pas
dominée par la crainte de la mort, mais par le seul désir d’entendre les
paroles de la sagesse. Cette femme s’est donc rendue ici, moi j’y suis
venu ; elle est arrivée des extrémités de la terre, et moi je parcours les
villes et les campagnes ; elle discuta sur les arbres et sur les plantes,
et moi j’enseigne d’ineffables mystères. — S. Jér.
Cette reine du Midi condamnera le peuple juif, de la même manière que
les Ninivites condamneront les Israélites incrédules. Cette reine est la reine
de Saba dont il est question au livre 3 des Rois
et au 2 des Paralipomènes. Elle
abandonna son peuple et son royaume et à travers mille difficultés elle vint
dans la Judée pour entendre la sagesse de Salomon, et lui offrit une multitude
de présents (3 R 10 et 11 ; Paralip., 9). Les Ninivites et la reine
de Saba sont la figure des nations qui ont embrassé la foi et qui ont été
préférées au peuple d’Israël. — Rab. Les
Ninivites représentent ceux qui renoncent au péché ; la reine de Saba,
ceux qui ne connaissent pas le péché ; car la pénitence efface le péché,
mais la sagesse apprend à l’éviter.
Remi. Le nom de reine
convient admirablement à l’Église, parce qu’elle sait diriger sa
conduite ; c’est d’elle que le Psalmiste a dit : « La reine
s’est tenue debout à votre droite. » (Ps
44.) C’est la reine du Midi, parce qu’elle est pleine du feu de l’Esprit
saint. Le vent brûlant du Midi est une figure de l’Esprit saint. Salomon, dont
le nom signifie le pacifique, représente
celui dont il est dit « C’est lui qui est notre paix. » (Ep
2.)
S. Chrys. (hom. 44.) Le Seigneur avait dit aux Juifs :
« Les habitants de Ninive s’élèveront au jour du jugement et condamneront
cette génération. » Mais dans la
crainte que le temps si éloigné de cette condamnation ne la leur fit mépriser
et n’encourageât leur négligence, il leur apprend qu’ils auront à souffrir des
châtiments très sévères non-seulement dans l’autre vie, mais dans celle-ci, et
il leur fait connaître sous le voile d’une parabole le supplice qui leur est
réservé : « Lorsque l’esprit impur, » etc. — S. Jér. Il en est quelques-uns qui prétendent que ce passage
s’applique aux hérétiques. L’esprit immonde qui habitait d’abord en eux,
lorsqu’ils étaient encore infidèles, disent-ils, a été chassé par la confession
de la vraie foi ; mais lorsqu’ils ont embrassé le parti de l’hérésie, et
qu’ils ont orné de fausses vertus la maison intérieure de leur âme, le diable
revient les trouver après avoir pris avec lui sept autres esprits, il fixe en
eux son séjour, et rend leur dernier état pire que le premier. Le sort des
hérétiques est, en effet, plus déplorable que celui des infidèles ; car
dans les infidèles vous pouvez rencontrer l’espérance de la vraie foi, mais
dans les hérétiques vous ne trouverez que les luttes et les déchirements de la
discorde. Cette explication a pour elle quelque probabilité et quelque
apparence de science, cependant je ne sais si elle est fondée sur la vérité. En
effet, la conclusion de cette parabole : « C’est ce qui arrivera à
cette génération criminelle, » nous
force de l’appliquer, non aux hérétiques, ou à n’importe quels autres hommes,
mais au peuple juif, si nous voulons que l’ensemble de ce passage ne reste pas
vague, indéterminé, susceptible de sens divers, et ne perde de sa clarté par
des interprétations sans fondement, mais qu’il forme un tout parfaitement en
rapport avec les antécédents et les conséquences. L’esprit impur est donc sorti
des Juifs lorsque la loi leur fût donnée et lorsqu’ils l’eurent chassé, il a
erré dans les solitudes des nations, comme l’indiquent les paroles
suivantes : « Il va par des lieux arides. » — Remi. Les lieux
arides, ce sont les cœurs des Gentils que n’ont jamais arrosés les eaux
salutaires, c’est-à-dire les saintes Écritures. — Rab. Ou bien, ces lieux arides, ce sont les cœurs des fidèles
qui, après avoir été purifiés de la mollesse des pensées dissolues, sont
explorés par l’ennemi perfide de notre salut qui cherche à y fixer son
séjour ; mais il s’éloigne des âmes chastes, et ne peut trouver que dans
le cœur des méchants un repos qui lui soit agréable. C’est pour cela que le
Seigneur ajoute : « Et il ne le trouve pas. »
Remi. Le démon pensait
avoir trouvé dans le cœur des Gentils un repos éternel, mais Notre-Seigneur
ajoute : « Et il ne le trouve pas, » parce que les Gentils ont embrassé la foi, lorsque le Fils de Dieu
se fut rendu visible par le mystère de l’incarnation. — S. Jér. Après la conversion des Gentils,
le démon, ne trouvant plus en eux de repos, dit : « Je reviendrai dans
la maison d’où j’étais sorti, chez les Juifs que j’avais quittés en premier
lieu, et, en y revenant, il trouve cette maison vide, nettoyée et parée. » En effet, ce temple des Juifs était
vide, et le Christ n’y demeurait plus, lui qui avait dit : « Levez-vous,
sortons d’ici. » (Jn 14.) Les
Juifs n’étant plus sous la garde de Dieu et de ses anges, et n’ayant pour
ornement que les observances superflues de la loi, et les traditions des
pharisiens, le démon revient dans sa première demeure, il en prend possession
avec sept autres esprits, et le dernier état de ce peuple devient pire que le
premier. En effet, les Juifs qui blasphèment contre Jésus-Christ dans les
synagogues sont les esclaves d’un bien plus grand nombre de démons que ne
l’étaient leurs ancêtres dans l’Egypte avant d’avoir reçu la loi ; car on
n’était pas aussi coupable de ne pas croire en celui qui devait venir, que de
ne pas le recevoir lorsqu’il était venu. Ce nombre de sept autres esprits que
le démon prend avec lui est mis ici ou à cause des jours de la semaine, ou à
cause du nombre des dons de l’Esprit saint. Ainsi de même que dans Isaïe sept
esprits de vertus différentes viennent se reposer sur la fleur de la tige de
Jessé, de même, à l’opposé, nous voyons un nombre égal de vices consacré dans
la personne du démon. C’est donc avec dessein que Jésus dit du démon qu’il
prend sept esprits avec lui, ou à cause de la violation du sabbat, ou à cause
des péchés mortels qui sont contraires aux sept dons du Saint-Esprit.
S. Chrys. (hom. 44.) Ou bien
le Sauveur veut faire comprendre aux Juifs la grandeur du châtiment qui les
attend. Voyez, leur dit-il, ceux qui, étant possédés du démon, sont délivrés de
cette tyrannie ; s’ils tombent ensuite dans le relâchement, ils s’attirent
de plus terribles épreuves ; ainsi en sera-t-il de vous-mêmes. Vous étiez
autrefois les esclaves du démon, lorsque vous adoriez les idoles, et que vous
immoliez vos enfants aux démons ; cependant je ne vous ai pas abandonnés,
j’ai chassé le démon par les prophètes, et je suis venu moi-même en personne
pour vous délivrer d’une manière plus complète. Mais loin de répondre à de si
grands bienfaits, vous n’en êtes devenus que plus mauvais (car c’est un plus
grand crime de mettre à mort le Christ qu’un prophète), c’est pourquoi de plus
terribles châtiments vous sont réservés. Et en effet, ce qu’ils eurent à
souffrir sous Vespasien et Titus fut mille fois plus affreux que ce qu’ils
avaient enduré en Égypte, à Babylone, et sous Antiochus (1 M 1, et 2 M 5, 6, 7). Il
va plus loin encore, et leur fait voir le triste état de leur âme dépouillée de
toutes vertus, et devenue pour le démon une proie bien plus facile
qu’auparavant. Or, ce n’est pas seulement dans les Juifs, mais dans nous-mêmes
que cette parabole trouve son application. Si après avoir reçu la lumière de la
foi et la rémission de nos premières fautes, nous y retombons de nouveau, la
peine des fautes suivantes sera beaucoup plus sévère ; c’est pour cela que
Notre-Seigneur dit au paralytique : « Vous voilà guéri, ne péchez
plus, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pis. » — Rab. Lorsqu’un homme se convertit à la
foi, le démon, chassé de son âme par le baptême, parcourt les lieux arides,
c’est-à-dire les cœurs des fidèles. — S. Grég.
(Moral. 33, 3.) Les lieux arides et sans
eau sont les cœurs des justes ; la règle forte et sévère qu’ils s’imposent
dessèche dans leur âme les eaux des concupiscences charnelles. Les lieux
humides, au contraire, sont les âmes des hommes attachés à la terre ; la
concupiscence de la chair, en les pénétrant de ses eaux corrompues, les rend
molles et sans cohésion, et le démon y imprime d’autant plus profondément les
traces de son iniquité, qu’il marche dans ces âmes comme sur une terre
détrempée et sans consistance.
Rab. Or, en rentrant dans
sa maison d’où il était sorti, il la trouve vide de bonnes actions par suite de
sa négligence, purifiée de toutes souillures, c’est-à-dire de ses anciens
vices, par le baptême ; ornée de fausses vertus par l’hypocrisie. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 8.) Le Seigneur nous apprend encore par ces
paroles qu’il en est dont la foi sera si faible, qu’ils retourneront au monde,
incapables qu’ils seront des travaux de la mortification. En nous faisant
remarquer que le démon prend avec lui sept autres esprits, il veut nous faire
comprendre que celui qui tombe des hauteurs de la justice devient en même temps
hypocrite. En effet, lorsque la concupiscence de la chair, chassée par les
oeuvres ordinaires de la pénitence, ne trouve pas un lieu d’agréable repos,
elle revient avec plus d’empressement, et s’empare de nouveau du cœur de
l’homme, pour peu qu’il se soit laissé aller à la négligence. Alors la parole
de Dieu ne peut plus avoir d’accès par la saine doctrine pour habiter cette
maison une fois nettoyée de ses souillures ; et comme cette concupiscence
de la chair ne prend pas seulement avec elle les sept vices qui sont opposés
aux sept dons de l’Esprit saint, mais qu’elle affectera par hypocrisie d’avoir
ces mêmes vertus, on peut dire qu’elle revient avec sept démons plus méchants,
c’est-à-dire avec les sept démons de l’hypocrisie, de manière que l’état de cet
homme devienne pire que le premier. — S. Grég.
(Moral. 7, 7.) Il arrive souvent
aussi que, lorsque l’âme vient à s’enorgueillir de ses premiers pas dans la
perfection, et veut en être louée comme de véritables vertus, elle donne entrée
à son ennemi furieux contre elle, et qui s’acharne avec d’autant plus de
violence à sa ruine, qu’il a éprouvé de douleur d’en avoir été chassé, ne
fût-ce que pour quelque temps.
S. Hil. (can. 12 sur S. Matth.) Comme il avait dit tout ce qui précède au
nom de la puissance et de la majesté de son Père, 1’Évangéliste nous apprend ce
qu’il répondit lorsqu’on vint lui annoncer que ses frères et sa mère
l’attendaient au dehors. « Pendant qu’il parlait encore au peuple, »
etc. — S. Aug. (de l’accord des évang., 2, 40.) Nous
devons penser que Notre-Seigneur fit cette réponse dans des circonstances qui
la motivaient ; car avant de la rapporter l’Evangéliste fait cette
remarque « : Lorsqu’il parlait encore au peuple. » Que veut dire ce
mot « encore » si ce n’est au moment même où il tenait ce
discours ? Saint Marc (Mc 3)
place également ce fait après avoir rapporté ce qui concerne le blasphème sur
le Saint-Esprit, et il ajoute : « Et ses frères et sa mère étant
venus. » Saint Luc n’a pas gardé ici l’ordre historique ; mais il a
raconté ce fait par anticipation, d’après l’ordre de ses souvenirs. — S. Jér. (contre Helvid.) Helvidius veut appuyer une de ses erreurs sur ce
que nous voyons dans l’Évangile des frères de Notre-Seigneur. Pourquoi,
demande-t-il, les aurait-on appelés les frères du Seigneur s’ils n’avaient pas
été réellement ses frères ? Or, il faut savoir que dans l’Écriture le nom
de frères est entendu de quatre manières différentes. Il y a les frères de
nature, les frères de nation, les frères de parenté, et les frères
d’affection : les frères de nature, comme Esaü et Jacob, les frères de
nation, tous les Juifs, par exemple, qui se donnent entre eux le nom de frères,
comme nous le voyons dans le Deutéronome : « Vous ne pourrez placer à
votre tête un étranger qui ne soit point votre frère (Dt 17) ; les frères de parenté, c’est-à-dire ceux qui sont
d’une même famille ; c’est dans ce sens qu’Abraham dit à Loth dans la
Genèse (Gn 13) : « Qu’il
n’y ait point de débat entre vous et moi, car nous sommes frères. » Enfin
il y a les frères d’affection, qui le sont d’une manière ou particulière, ou
générale : particulière, comme le sont tous les chrétiens d’après ces
paroles du Sauveur : « Allez, dites à mes frères » (Jn 20) ; générale, comme tous les
hommes nés d’un même père sont unis entre eux par les liens d’une même
fraternité, et c’est dans ce sens qu’il est dit dans Isaïe : « Dites
à ceux qui vous haïssent : Vous êtes nos frères (Is 66, 5). » Or, je vous le demande, dans quel sens l’Évangile
prend-il les frères du Seigneur ? Est-ce selon la nature ? Mais
l’Écriture ne les appelle ni les enfants de Marie ni ceux de Joseph. Est-ce
comme ayant une même nationalité ? Mais il serait absurde de donner ce nom
à un petit nombre de Juifs, alors que tous les Juifs qui étaient présents y
avaient droit. Est-ce d’après l’affection qu’inspire la nature ou la
grâce ? Mais à ce titre, qui méritait mieux ce nom de frères que les
Apôtres, qui recevaient les instructions les plus secrètes du Seigneur ?
Ou bien si tous les hommes sont ses frères par cela qu’ils sont hommes, c’était
une absurdité de donner ici ce nom comme propre et personnel en disant :
« Voici que vos frères vous cherchent. » Il ne reste donc plus de
possible que la dernière interprétation, qui explique ce nom de frères dans le
sens de la parenté et non point dans le sens de l’affection, de la nationalité
ou de la nature. — S. Jér. (sur S. Matth.) Il en est qui ont
supposé que ces frères du Seigneur étaient des enfants que Joseph avait eus
d’une première épouse ; ils suivent en cela les extravagances des
Évangiles apocryphes et imaginent l’existence de je ne sais quelle femme qu’ils
appellent Escha. Pour nous, nous voyons dans ces frères du Seigneur, non pas
les enfants de Joseph, mais les cousins du Seigneur, enfants de la soeur de
Marie, tante du Seigneur, qui est appelée mère de Jacques le Mineur, de Joseph
et de Jude, auxquels l’Évangile, dans un autre endroit, donne le nom de frères
du Seigneur. Or, toute l’Écriture atteste qu’on étend ce nom de frères
jusqu’aux cousins.
S. Chrys. (homélie 45.) Or, voyez quel est l’orgueil des frères du
Seigneur ! Leur devoir était d’entrer et de se mêler à la foule pour
écouter ses enseignements, ou, si telle n’était pas leur intention, d’attendre
qu’il eût terminé son instruction pour venir le trouver. Mais non, ils
l’appellent au dehors, et ils l’appellent en présence de tous, faisant ainsi
preuve d’une excessive vanité, et voulant montrer qu’ils commandaient au Christ
avec autorité. C’est ce que l’Évangéliste semble vouloir nous indiquer
indirectement par ces mots : « Lorsqu’il parlait encore, » comme s’il voulait dire : Est-ce
qu’ils n’auraient pu choisir un autre moment ? Mais que voulaient-ils lui
dire ? Si c’était une question de doctrine qu’ils voulaient lui proposer,
ils devaient le faire devant le peuple pour que tous pussent en profiter ;
et s’ils n’avaient à l’entretenir que de leurs affaires particulières, ils
devaient attendre : il est donc évident qu’ils agissaient ainsi par un
motif de vaine gloire.
S. Aug. (De la nat. et de la grâce, 36.) Mais quoi que l’on puisse dire des
frères du Seigneur, lorsqu’on parle de péché, pour l’honneur du Christ, je ne
veux pas qu’il soit question en aucune manière de la Vierge Marie, car nous
savons qu’elle a reçu une grâce plus abondante pour triompher en tout du péché,
parce qu’elle devait concevoir et enfanter celui qui, bien certainement, ne fut
jamais souillé d’aucun péché.
« Et
quelqu’un lui dit : Voici que votre mère et vos frères sont dehors et
veulent vous parler. » — S. Jér. Celui
qui vient lui annoncer cette nouvelle ne me paraît pas l’avoir fait avec
simplicité et naturellement, mais pour lui tendre un piége et voir s’il
sacrifierait aux affections de la nature une oeuvre toute spirituelle. Le
Sauveur refuse donc de sortir, non qu’il méconnaisse sa mère et ses frères,
mais parce qu’il veut répondre à ceux qui cherchent à le prendre en défaut. —
S. Chrys. (hom. 45.) Il ne dit pas : Allez, et dites-lui qu’elle n’est
pas ma mère, il adresse la parole à celui qui vient de lui porter cette
nouvelle : « Mais s’adressant à celui qui lui parlait, il lui
dit : Quelle est ma mère, quels sont mes frères ? » — S. Hil. (can. 12.) N’allons pas croire qu’il ait éprouvé un sentiment de
dédain pour sa mère, lui qui du haut de la croix lui témoigna tant d’affection
et une si tendre sollicitude. (Jn 19.) — S. Chrys.
(hom. 45.) S’il avait
voulu renier sa mère, il l’aurait fait lorsque les Juifs lui faisaient un reproche
de la condition de sa mère. — S. Jér. Il
n’a donc pas renié sa mère, comme le prétendent Marcion et les Manichéens, pour
nous faire croire que sa naissance n’était qu’imaginaire, mais il a voulu
montrer qu’il préférait les Apôtres à ses parents, pour nous apprendre à
préférer nous-mêmes les affections de l’esprit aux affections de la chair. — S.
Amb. (sur S. Luc., liv. 6.) Il ne condamne pas les devoirs de piété
filiale qu’un fils doit à sa mère, mais il veut nous apprendre qu’il se doit
bien plus aux devoirs mystérieux qui l’attachent à son père, et à l’amour qu’il
a pour lui, qu’à son affection pour sa mère ; aussi l’Évangéliste
ajoute : « Et, étendant la main vers ses disciples, il dit :
Voici ma mère, et voici mes frères. »
— S. Grég. (homélie 31 sur les Evang.) Notre-Seigneur a daigné appeler les fidèles ses
frères lorsqu’il a dit : « Allez, annoncez à mes frères. » (Mt 28.) On peut donc se demander
comment celui qui est devenu le frère du Seigneur en embrassant la foi, peut
devenir aussi sa mère. C’est que celui qui est devenu le frère et la soeur de
Jésus-Christ par la foi, mérite de devenir sa mère par la prédication, car il
enfante le Seigneur en le produisant dans le cœur de ses auditeurs, et il
devient sa mère s’il fait naître par ses paroles l’amour du Sauveur dans l’âme
du prochain.
S. Chrys. (hom. 45.) Aux
leçons qui précèdent, il en ajoute encore une autre, c’est que la confiance que
peut nous inspirer notre parenté ne doit pas nous faire négliger la pratique de
la vertu, car s’il ne servait de rien à la mère de Jésus d’être sa mère, sans
l’éminente vertu qui la distinguait, qui peut se flatter d’être sauvé grâce à
sa parenté ? Il n’y a qu’une seule noblesse, c’est de faire la volonté de
Dieu, comme il nous l’apprend dans les paroles suivantes :
« Quiconque fera la volonté de mon Père qui est au ciel, celui-là est mon
frère, ma mère et ma soeur. » Bien
des mères ont proclamé le bonheur de la sainte Vierge et de son chaste
sein ; elles ont désiré pour elles une maternité semblable. Qui les
empêche d’obtenir ce bonheur ? Le Sauveur vous a ouvert une large voie, et
il est permis non-seulement aux femmes, mais encore aux hommes de devenir mère
de Dieu (cf. Ga 4, 19).
S. Jér. Nous pouvons encore donner une
autre explication. Le seigneur parle à la foule et enseigne les nations dans
l’intérieur de la maison ; sa mère et ses frères, c’est-à-dire la
synagogue et le peuple juif, se tiennent dehors. — S. Hil. (can. 12.) Ils
avaient cependant comme les autres la faculté d’arriver jusqu’à lui ; mais
comme il est venu parmi les siens, et que les siens ne l’ont pas reçu (Jn 12), ils refusent d’entrer et
d’approcher de lui.
S. Grég.
(hom. 31.) Pourquoi la
mère du Sauveur reste-t-elle dehors, comme s’il ne la connaissait pas ?
Parce que la synagogue n’est plus reconnue par celui qui l’a établie, car en
s’attachant exclusivement à l’observation de la loi, elle a perdu
l’intelligence spirituelle et s’est condamnée elle-même à être au dehors la gardienne
de la lettre. — S. Jér. Après
qu’ils auront demandé, prié et envoyé un messager, il leur sera répondu qu’ils
sont libres d’entrer et de croire eux-mêmes, s’ils le veulent.
S. Chrys. (hom. 45.) Après
avoir donné cette leçon à celui qui lui avait annoncé la présence de sa mère et
de ses frères, Jésus se rend cependant à leurs désirs et il sort de la maison.
C’est ainsi qu’après avoir guéri d’abord dans ses frères le mal de la vaine
gloire, il rend ensuite à sa mère l’honneur qui lui était dû. « Ce jour-là
même, Jésus étant sorti, » etc.
— S. Aug. (De l’acc. des Evang., 11, 41.) Cette expression : « Ce
jour-là » indique suffisamment que ce fait eut lieu immédiatement après ce
qui précède ou peu de temps après, à moins que l’on ne donne ici au mot jour le
sens qu’il a quelquefois dans l’Écriture, c’est-à-dire qu’on le prenne pour un
temps indéfini (Jn 14 ; 16,
23.25).
Rab. Non-seulement les
paroles et les actions du Seigneur, mais encore ses courses et les lieux
témoins de ses prédications et de ses miracles sont pleins d’enseignements
mystérieux. Après le discours qu’il avait prononcé dans cette maison où
d’horribles blasphémateurs l’avaient appelé possédé du démon, il sort pour
enseigner sur le bord de la mer ; il montre ainsi qu’il abandonne la Judée
pour la punir de sa perfidie et qu’il va porter le salut aux nations. En effet,
les cœurs des infidèles, longtemps dominés par l’orgueil et l’incrédulité, sont
comparés aux flots amers et soulevés de l’Océan. Quant à la maison du Seigneur,
qui ne sait que c’était la Judée qui l’était devenue pour la foi ?
S. Jér. Remarquons encore que le peuple ne
pouvait entrer dans la maison de Jésus, ni s’y joindre aux Apôtres pour y
entendre ses mystérieuses leçons. C’est pour cela que le Seigneur, plein de
miséricorde, sort de la maison et s’assied sur le rivage de la mer de ce siècle
pour réunir autour de lui la foule, pour lui adresser sur le rivage les
enseignements qu’elle n’était pas digne d’entendre dans l’intérieur de la
maison. « Et il s’assembla autour de lui une grande foule de
peuple. » — S. Chrys. (hom. 45.) Ce n’est pas sans raison que
l’Évangéliste rapporte cette circonstance ; il veut nous faire remarquer
l’intention expresse du Sauveur, qui voulait réunir une grande multitude et
l’avoir tout entière devant les yeux, sans laisser une seule personne derrière
lui. — S. Hil. (can. 13.) La suite du récit nous
explique pourquoi Notre-Seigneur s’assied dans la barque, tandis que le peuple
reste sur le rivage. Il allait parler en paraboles, et, en agissant de la
sorte, il nous apprend d’une manière figurée que ceux qui sont hors de l’Église
ne peuvent avoir aucune intelligence de la parole divine. Cette barque
représente l’Église, la parole de la vie qu’elle renferme dans son sein est
prêchée à ceux qui sont au dehors ; mais, semblables au sable stérile, ils
ne peuvent la comprendre. — S. Jér. Jésus
est au milieu des flots, la mer vient battre tout autour de lui ;
tranquille dans sa majesté, il fait approcher la barque du rivage, afin que le
peuple, libre de toute crainte et affranchi des épreuves qui eussent été
au-dessus de ses forces, se tienne ferme sur le rivage pour entendre de là ses
paroles. — Rab. Ou bien il monte
dans cette barque et s’y assied au milieu de la mer pour figurer que le Christ
devait monter par la foi dans les âmes des Gentils et rassembler son Église au
milieu de la mer, c’est-à-dire au milieu des peuples qui devaient le
contredire. Cette foule qui se tient sur le rivage et qui n’est ni sur la mer
ni dans la barque, nous représente ceux qui reçoivent la parole de Dieu et qui
sont séparés par la foi des flots de la mer, c’est-à-dire des réprouvés, sans
être encore pénétrés des mystères du royaume des cieux.
« Et il leur
dit beaucoup de choses en paraboles. »
— S. Chrys. (hom. 45.) Il n’avait pas suivi cette
méthode dans son discours sur la montagne, qui n’était point ainsi composé de
paraboles, car il ne s’adressait alors qu’à la multitude seule et à des esprits
simples et sans déguisement, tandis qu’il comptait ici parmi ses auditeurs des
scribes et des pharisiens. Mais ce n’est pas le seul motif pour lequel il parle
en paraboles, il veut encore donner plus de clarté à ses enseignements, les
graver plus profondément dans la mémoire en les plaçant pour ainsi dire sous
les regards. — S. Jér. Remarquez
que tous ses enseignements ne sont pas en paraboles, mais une grande partie
seulement, car s’il n’avait parlé qu’en paraboles, le peuple n’en eût retiré
aucun fruit ; mais en mêlant des choses claires à des choses moins
évidentes, l’intelligence des unes excite à pénétrer l’obscurité des autres. La
foule, d’ailleurs, n’est pas animée des mêmes sentiments, mais elle est
composée de volonté diverses : il lui adresse donc un grand nombre de
paraboles pour satisfaire par la diversité de l’enseignement à la diversité des
désirs et des besoins.
S. Chrys. (hom. 45.) Il
commence par la parabole qui devait rendre ses auditeurs plus attentifs ;
car, comme il devait leur parler en figures, il éveille tout d’abord leur
attention par ces paroles : « Celui qui sème sortit pour
semer. » — S. Jér. Or, ce semeur qui répand sa
semence, c’est le Fils de Dieu qui est venu semer parmi les peuples la parole
de son Père. — S. Chrys. (hom. 45.) Mais d’où a pu sortir celui
qui est présent en tous lieux, et comment est-il sorti ? Il n’est pas
sorti comme on sort d’un endroit que l’on quitte, mais il s’est rapproché de
nous par son incarnation et par la nature humaine dont il s’était revêtu. Nous
ne pouvions arriver jusqu’à lui, nos péchés étaient pour nous un obstacle
insurmontable ; il est venu jusqu’à nous. — Rab. Ou bien il est sorti lorsque dans la personne de ses
Apôtres, il a abandonné la Judée pour aller évangéliser les Gentils. — S. Jér. Ou bien encore il était au dedans,
lorsque, dans l’intérieur de la maison il dévoilait à ses disciples les
mystères du royaume des cieux. Il sort donc de cette maison pour répandre la
semence au milieu de la foule. — S. Chrys.
(hom. 45.) Lorsque vous entendez
Notre-Seigneur vous dire : « Celui qui sème sortit pour semer, »
ne regardez pas ces deux expressions comme identiques. Le semeur sort bien
souvent, et pour d’autres motifs ; par exemple, pour labourer la terre,
pour couper les mauvaises herbes, pour arracher les épines ou pour d’autres
travaux semblables. Mais ici il sort pour semer. Et que deviendra cette
semence ? Trois parties sont perdues, une seule est conservée, non pas
d’une manière égale, mais avec quelque différence : « Et pendant
qu’il sème, une partie de la semence tomba sur le chemin. » — S. Jér. Valentin se sert de cette parabole
pour établir son hérésie et appuyer son système des trois natures : la
nature spirituelle, la nature naturelle ou animale, et la nature terrestre. Or
nous voyons ici quatre espèces différentes de terre : l’une qui est le
long du chemin, l’autre qui est un terrain pierreux, la troisième couverte
d’épines, et la quatrième qui est une bonne terre. — S. Chrys. (hom. 45.)
Mais quelle apparence de raison dans la conduite de celui qui sèmerait au
milieu des épines, sur les pierres ou le long du chemin ? Si l’on prend la
semence et la terre dans leur sens matériel et ordinaire, ce serait folie
d’agir de la sorte, car il n’est au pouvoir ni de la pierre de devenir terre,
ni du chemin de ne pas être un chemin, ni des épines de ne pas être des épines.
Mais lorsqu’on entend la terre et la semence de la terre des âmes et de la
semence de la parole de Dieu, cette conduite est on ne peut plus louable, car
dans ce sens il est possible à la pierre de devenir une terre fertile, au
chemin de ne plus être foulé aux pieds, et aux épines d’être arrachées. Quant
au surplus de la semence qui est perdu, la faute n’en est pas à celui qui sème,
mais à la terre qui reçoit la semence, c’est-à-dire à l’âme, car le semeur ne
fait aucune distinction entre le pauvre et le riche, entre le sage et
l’ignorant ; il s’adresse à tous, faisant de son côté tout ce qui dépend
de lui, tout en prévoyant ce qui doit arriver et motiver ce reproche :
« Qu’ai-je dû faire que je n’aie pas fait ? » Or, s’il ne dit
pas clairement qu’une partie de la semence est tombée sur les âmes négligentes
qui l’ont laissé enlever, une autre sur les riches qui l’ont étouffée, une
autre sur les âmes molles qui l’ont perdue, c’est qu’il ne veut pas blesser
trop vivement les Juifs et les jeter dans le découragement. Cette parabole
apprend encore à ses disciples à ne point négliger le ministère de la
prédication, bien qu’un grand nombre de leurs auditeurs ne laissent pas de se
perdre, puisque ce triste résultat n’a pas empêché le Seigneur qui prévoyait toutes
choses, de répandre la semence de sa parole dans les cœurs.
S. Jér. Remarquez encore que c’est ici la
première parabole que Notre-Seigneur fait suivre de son explication, et toutes
les fois qu’il explique lui-même ses paroles, gardez-vous de les entendre
autrement ou de leur donner un sens plus ou moins étendu que l’explication
donnée par le Seigneur lui-même. — Rab. Disons
quelques mots de ce que le Sauveur nous laisse libres d’interpréter. Le chemin
c’est l’âme pleine de zèle foulée et desséchée sous les pas des mauvaises
pensées ; la pierre, c’est la dureté d’une âme audacieuse ; la terre,
c’est la douceur d’une âme obéissante ; le soleil, c’est l’ardeur de la
persécution qui sévit. La profondeur de la terre, c’est la droiture de l’âme
formée par les célestes enseignements. Nous avons déjà fait observer que les
choses n’ont pas toujours un seul et même sens dans l’interprétation
allégorique. — S. Jér. Toutes les
fois que Notre-Seigneur nous donne cet avertissement : « Que celui
qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende, » nous sommes prévenus de
donner toute notre attention pour comprendre ses divines paroles. — Remi. Les oreilles pour entendre, ce
sont les oreilles de l’âme qui doivent servir à l’intelligence et à
l’accomplissement des commandements de Dieu.
La Glose. Les disciples,
remarquant qu’il y avait de l’obscurité dans le discours que le Seigneur
adressait au peuple, voulurent lui conseiller de ne plus parler en
paraboles : « Et ses disciples, s’approchant de lui, lui
dirent, » etc. — S. Chrys. (hom. 46.) La conduite des Apôtres est vraiment digne
d’admiration ; malgré le désir qu’ils ont de s’instruire, ils choisissent
le moment pour interroger, et ils ne le font pas publiquement, ce que saint
Matthieu nous indique par ces paroles : « Alors ses disciples
s’approchant, » etc. Saint Marc
est encore plus explicite, et dit clairement qu’ils vinrent le trouver en
particulier. — S. Jér. On peut se
demander comment ils purent s’approcher du Seigneur, puisqu’il se trouvait
alors dans la barque. Il faut l’entendre dans ce sens qu’ils étaient montés
avec lui dans cette barque, et que c’est là qu’ils lui demandèrent
l’explication de la parabole. — Remi. L’Évangéliste
dit qu’ils s’approchèrent pour marquer qu’ils l’interrogèrent ; ou bien ils
ont pu s’approcher réellement de lui, bien qu’il n’y eût qu’une légère distance
qui les en séparât.
S. Chrys. (hom. 46.) Remarquez
aussi avec quelle vive affection ils se préoccupent du soin et des intérêts du
prochain, avant de penser à ce qui les concerne, car ils ne lui disent
pas : « Pourquoi nous parlez-vous en paraboles, » mais :
« Pourquoi leur parlez-vous en paraboles ? » « C’est, leur
répond-il, que pour vous autres, il vous a été donné de connaître les mystères
du royaume des cieux. » — Remi. Pour
vous, dis-je, qui me suivez, et qui croyez en moi. Les mystères du royaume des
cieux, c’est la doctrine évangélique ; mais pour eux, c’est-à-dire pour
ceux qui sont au dehors et ne veulent pas croire en lui (les scribes, les
pharisiens et tous les autres qui persévèrent dans leur infidélité), il ne leur
a pas été donné de les comprendre. Joignons-nous donc aux disciples pour
approcher du Seigneur avec un cœur pur, afin qu’il daigne nous expliquer la
doctrine de I’Évangile, selon cette parole du Deutéronome (Dt 33) : « Ceux qui se tiennent à ses pieds recevront sa
doctrine. » — S. Chrys. (hom. 46.) En parlant de la sorte,
Notre-Seigneur n’établit pas le système de la nécessité ou de la
fatalité ; il veut simplement montrer que ceux qui n’ont pas reçu cette
faveur sont eux-mêmes la cause de tous leurs maux, et que la connaissance des
mystères divins est un don de Dieu et une grâce qui descend du ciel. Cependant
le libre arbitre n’est pas pour cela détruit, ces paroles et celles qui suivent
le prouvent évidemment. En effet, pour ne pas jeter dans le désespoir ceux qui
n’ont pas reçu cette grâce, ou dans la négligence ceux à qui elle a été donnée,
il nous dit clairement que la raison première de ces dons vient de nous :
« Celui qui a déjà, on lui donnera encore, » etc., paroles dont voici le sens : Celui qui est plein
d’ardeur et de zèle recevra en abondance tous les dons de Dieu, mais s’il en
est dépourvu et qu’il ne prête en aucune manière son concours, il ne recevra
pas les dons de Dieu, et il perdra même ce qu’il a ; non pas que Dieu le
lui enlève, mais parce qu’il se rend indigne de conserver ce qu’il possède. Si
donc nous voyons un de nos frères entendre la parole de Dieu avec négligence,
et que nos efforts soient impuissants pour réveiller son attention, gardons le
silence ; car en insistant davantage, nous ne ferions qu’accroître sa
négligence. Mais pour celui qui a le désir de s’instruire, nous l’attirons
facilement, et nous ne craignons pas de prolonger nos discours. Notre-Seigneur
a bien raison de dire : « Ce qu’il paraît avoir ; » car il ne possède pas même ce qu’il a.
Remi. Celui qui a le
désir de la lecture recevra le don de l’intelligence, et celui qui n’a pas ce
désir, se verra enlever jusqu’aux dons qu’il tenait de la nature. Ou bien,
celui qui a la charité recevra toutes les autres vertus ; mais celui qui
n’a pas la charité en sera dépouillé, parce qu’il n’y a pas de bien possible
sans la charité. — S. Jér. Ou
bien encore, les Apôtres qui ont cru en Jésus-Christ, n’eussent-ils qu’une
vertu médiocre, en recevront l’accroissement ; mais les Juifs, qui n’ont
pas voulu croire en lui, bien qu’il fût le Fils de Dieu, se verront enlever
même les biens naturels qu’ils paraissent avoir ; car ils ne peuvent rien
comprendre avec sagesse, parce qu’ils n’ont pas en eux le principe de la
sagesse. — S. Hil. (can. 13.) Ajoutons que les Juifs,
n’ayant pas la foi, ont perdu la loi qu’ils avaient reçue ; car la foi
chrétienne renferme tout don parfait ; dès qu’on l’a reçue, elle
s’enrichit de nouveaux fruits ; mais si on la rejette, elle enlève
jusqu’aux dons qu’on avait reçus précédemment.
S. Chrys. (hom. 46.) Notre-Seigneur
veut rendre encore plus claire cette vérité, et il ajoute : « Je leur
parle en paraboles, parce qu’en voyant ils ne voient point. » Si cet aveuglement
venait de la nature, le Sauveur aurait dû leur ouvrir les yeux ; mais
comme il était volontaire, il ne dit pas simplement : Ils ne voient pas,
mais « en voyant, ils ne voient pas. » Ils l’ont vu, en effet,
chasser les démons, et ils ont dit : « C’est par Béelzébub qu’il
chasse les démons. » (Mt 12.)
Ils entendaient dire qu’il attirait tout le monde à Dieu, et ils
disaient : « Cet homme ne vient pas de Dieu. » (Jn 9.) Mais comme ils affirmaient le
contraire de ce qu’ils voyaient et de ce qu’ils entendaient, ils perdent la
faculté de voir et d’entendre. En effet, cette faculté, ne leur a servi de rien
qu’à rendre leur condamnation plus terrible. Aussi dans le commencement il ne
leur parlait pas en paraboles, mais en termes clairs et sans énigme, et il ne
se sert de paraboles que parce qu’ils dénaturent tout ce qu’ils voient et tout
ce qu’ils entendent. — Remi. Et
remarquez que non-seulement ses paroles, mais encore ses actions elles-mêmes,
étaient autant de paraboles, c’est-à-dire des symboles des choses spirituelles,
ce que prouvent évidemment les paroles suivantes : « Parce qu’en
voyant ils ne voient point ; » car on ne peut voir les paroles, mais
seulement les entendre. — S. Jér.
Notre-Seigneur parle ainsi de ceux qui sont sur le rivage, et qui, autant par
suite de la distance qui les sépare de Jésus, que du bruit des flots,
n’entendaient pas clairement ce qu’il disait.
S. Chrys. (hom. 46.) Afin
qu’ils ne pussent dire : C’est notre ennemi qui nous accuse, il leur cite
le Prophète qui rend pleinement témoignage à ce qu’il vient de dire :
« Et la prophétie d’Isaïe s’accomplit en eux : vous entendrez de vos
oreilles, et vous ne comprendrez pas, et en voyant, vous ne verrez pas », c’est-à-dire vous entendrez de vos
oreilles des paroles, mais vous n’en comprendrez pas le sens ; vous verrez
de vos yeux mon humanité, et vous ne verrez pas, c’est-à-dire vous ne
comprendrez pas ma divinité. — S. Chrys.
(hom. 46.) Il leur parle de la sorte,
parce qu’ils se sont privés eux-mêmes de la faculté de voir et d’entendre en
fermant leurs oreilles et leurs yeux, et en laissant leur cœur
s’appesantir ; car leur crime n’était pas seulement de ne pas entendre,
mais d’être contrariés d’entendre ; c’est pour cela qu’il ajoute :
« Leur cœur s’est appesanti. » — Rab.
Le cœur des Juifs s’est appesanti sous le poids de leur malice, et c’est
la multitude de leurs péchés qui leur a fait entendre avec peine les paroles du
Seigneur qu’ils recevaient avec une superbe ingratitude. — S. Jér. De peur que nous ne pensions que
cet appesantissement du cœur et cette surdité de l’ouïe étaient un vice de la
nature et non de la volonté, il prouve que c’était la suite du mauvais usage de
leur liberté en ajoutant : « Et ils ont fermé les yeux. »
S. Chrys. (hom. 46.) Jusqu’ici
il a fait voir l’étendue de leur malice et leur éloignement affecté à l’égard
de Dieu ; mais comme son désir est de les attirer à lui, il ajoute :
« Et que s’étant convertis, je ne les guérisse, » paroles qui prouvent que s’ils voulaient se convertir, il les
guérirait. Ainsi lorsqu’on dit d’une personne quelconque : S’il m’en avait
prié, je lui aurais immédiatement pardonné, on déclare à quelles conditions le
pardon est offert ; de même en disant : « De peur que s’étant
convertis je ne les guérisse, » Notre-Seigneur
montre et qu’il leur est possible de se convertir, et qu’en faisant pénitence
ils seront sauvés.
S. Aug. (Quest. évang.). Ou bien encore, ils ont fermé les yeux afin de ne
pas voir de leurs yeux, c’est-à-dire qu’eux-mêmes ont été cause que Dieu leur a
fermé les yeux, comme le dit un autre Évangéliste (Jn 12) : « Il a aveuglé leurs yeux. » Est-ce de
telle sorte qu’ils ne voient jamais, ou bien est-ce afin qu’ils ne voient point
en regrettant et en déplorant leur aveuglement, de manière qu’étant
profondément humiliés de cet état, ils soient amenés à confesser leurs péchés
et à chercher Dieu avec amour ? C’est ainsi que saint Marc l’entend :
« De peur qu’ils ne viennent à se convertir, et que leurs péchés ne leur
soient pardonnés. » (Mc. 4.) Nous voyons donc clairement que par
leurs péchés ils se sont rendus indignes de comprendre, et que cependant, par
un effet de la miséricorde de Dieu, ils ont pu connaître leurs péchés, et en
obtenir le pardon par leur conversion. Mais la manière dont saint Jean rapporte
ce passage : « Ils ne pouvaient croire, parce que, Isaïe a dit
encore : Il a aveuglé leurs yeux, et il a endurci leur cœur, de peur
qu’ils ne voient de leurs yeux, et ne comprennent du cœur, et qu’ils se
convertissent, et que je les guérisse, » paraît contredire cette
explication, et nous force d’entendre ces paroles : « De peur qu’ils
ne voient de leurs yeux, » non pas d’un aveuglement qui leur permettra de
voir un jour, mais dans ce sens que cet aveuglement sera perpétuel. En effet,
saint Jean dit clairement : « Afin qu’ils ne voient pas de leurs
yeux, » et en ajoutant : « C’est pour cela qu’ils ne pouvaient
pas croire, » il montre assez
que cet aveuglement n’a pas eu lieu, afin que, vivement touchés de cet état et
regrettant de ne pas comprendre, ils se convertissent en faisant pénitence (car
c’est ce qu’ils ne pourraient faire sans croire tout d’abord, puisque la foi
est ce principe de leur conversion, comme la conversion est le principe de leur
guérison, et leur guérison la condition nécessaire pour comprendre) ; mais
cet Évangéliste nous déclare, au contraire, qu’ils ont été aveuglés, de manière
que la foi leur fût impossible, puisqu’il dit ouvertement : « C’est
pour cela qu’ils ne pouvaient croire. » Or, s’il en est ainsi, qui ne
prendrait la défense des Juifs et ne proclamerait qu’ils ne sont nullement
coupables de n’avoir pas cru ? Car s’ils n’ont pas cru, c’est que Dieu a
aveuglé leurs yeux. Mais comme nous ne devons point supposer l’ombre de faute
en Dieu, il nous faut reconnaître que certains autres péchés ont été causes de
cet aveuglement qui leur a rendu la foi impossible. Car voici comme s’exprime
saint Jean : « Ils ne pouvaient croire, parce qu’Isaïe a dit
encore : Il a aveuglé leurs yeux. » C’est donc en vain que nous nous efforçons de comprendre qu’ils
ont été aveuglés à cette fin qu’ils pussent se convertir, puisqu’au contraire
ils ne pouvaient pas se convertir parce qu’ils ne croyaient pas, et qu’ils ne
pouvaient croire parce qu’ils étaient aveugles. Toutefois on peut dire, avec
quelque apparence de raison, qu’un certain nombre de Juifs auraient pu être
guéris, mais que cependant l’excès de leur orgueil était monté à un tel point,
qu’il leur était avantageux de ne pas croire tout d’abord. Ils ont donc été
aveuglés pour ne pas comprendre les paraboles du Seigneur ; ne les
comprenant pas, ils ne crurent pas en lui, et ne croyant pas en lui, ils le
crucifièrent avec les autres Juifs qui étaient perdus sans espoir. Mais après
la résurrection ils se convertirent, alors que profondément humiliés du crime
du déicide qu’ils avaient commis, ils aimèrent avec plus d’ardeur celui qu’ils
reconnaissaient avec joie leur avoir pardonné un si grand crime ; car il
fallait que la grandeur de leur orgueil fût abattue par cet excès d’humiliation.
Cette explication pourrait paraître singulière si les faits ne lui donnaient
raison, comme nous le lisons expressément au livre des Actes (2, 37). La
manière dont saint Jean s’exprime : « C’est pour cela qu’ils ne
pouvaient croire, parce qu’il a aveuglé leurs yeux, afin qu’ils ne voient
point, » ne lui est pas
contraire ; nous disons, en effet, qu’ils ont été aveuglés, afin qu’ils
pussent se convertir, c’est-à-dire que les paroles du Seigneur leur furent
d’abord cachées sous le voile des paraboles, afin qu’après sa résurrection, ils
fussent ramenés à lui par une pénitence salutaire. Aveuglés d’abord par
l’obscurité de ce langage, ils ne comprirent pas les paroles du Seigneur ;
ne les comprenant pas, ils ne crurent pas en lui, et ne croyant pas en lui, ils
le crucifièrent. Mais après sa résurrection, saisis d’épouvante à la vue des
miracles qui se faisaient en son nom, ils furent touchés jusqu’au fond du cœur
de l’énormité d’un si grand crime, et donnèrent les preuves du plus humble
repentir, et lorsqu’ils eurent reçu le pardon de leurs péchés, leur obéissance
fut d’autant plus grande que leur amour était plus ardent ; mais cet
aveuglement ne fût pas ainsi pour tous le principe de leur conversion. — Remi. Cette phrase peut être entendue
en ce sens qu’à chaque membre on sous-entende la particule négative ; afin
qu’ils ne voient pas de leurs yeux, qu’ils n’entendent pas de leurs oreilles,
qu’ils ne comprennent pas de leur cœur, et qu’ils ne se convertissent, et que
je ne les guérisse.
La Glose. Les yeux de
ceux qui voient et ne veulent pas croire sont donc bien malheureux. Mais pour
vous, vos yeux sont heureux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce
qu’elles entendent. » — S. Jér.
Si nous n’avions pas lu plus haut que, pour exciter l’attention de ceux qui
l’écoutaient, le Sauveur avait dit : « Que celui-là entende qui a des
oreilles pour entendre, » nous aurions pu croire que ce sont les yeux et
les oreilles du corps qu’il proclame bienheureux. Mais pour moi, ces yeux sont
heureux qui peuvent connaître les mystères de Jésus-Christ, et heureuses ces
oreilles dont Isaïe a dit : « Le Seigneur m’a donné une oreille pour
l’écouter. » La Glose. En effet, l’âme est
véritablement un oeil, parce qu’elle s’applique par son énergie naturelle à
l’intelligence des choses ; l’âme est aussi l’oreille parce qu’elle peut
recevoir les enseignements des autres. — S. Hil.
(can. 43.) Ou bien il veut
parler ici du bonheur des Apôtres, à qui il fut donné de voir de leurs yeux et
d’entendre de leurs oreilles le salut de Dieu, que les prophètes et les justes
avaient désiré voir et entendre, et qui ne devait être révélé que dans la
plénitude des temps, comme Notre-Seigneur le dit en termes exprès :
« Car je vous dis en vérité, que beaucoup de prophètes et de justes ont
désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous
entendez, et ne l’ont point entendu.
S. Jér. Ce que le Sauveur dit ici paraît
contraire à ce qu’il dit ailleurs : « Abraham a désiré voir mon jour,
et il l’a vu, et il en a été réjoui. »
— Rab. Isaïe lui-même, Michée
et d’autres prophètes ont vu la gloire du Seigneur, et c’est pour cela qu’ils
ont été appelés voyants. — S. Jér. Aussi
ne dit-il pas : Tous les prophètes et tous les justes, mais plusieurs, car
dans ce nombre, les uns ont pu voir, et les autres être privés de cette faveur.
Toutefois cette interprétation n’est pas sans danger, car elle paraît établir
entre les saints différents degrés de mérite (quant à la foi qu’ils avaient en
Jésus-Christ). Abraham vit sous des emblèmes, sous des nuages obscurs ;
mais vous avez sous vos yeux et vous possédez votre Seigneur, vous l’interrogez
comme vous voulez, et vous vivez avec lui. — S. Chrys. (hom. 46.)
Ce que les Apôtres voient et entendent, c’est sa présence, ses miracles, sa
voix, sa doctrine, et en cela il proclame leur sort préférable non-seulement à
celui des méchants, mais encore à celui des bons qui les ont précédés, et il
les déclare plus heureux que les anciens justes, parce qu’ils voient
non-seulement ce que les Juifs ne voient point, mais encore ce que les
prophètes et les justes ont désiré voir et n’ont pas vu. En effet, les anciens
justes n’ont vu le Christ que par la foi, tandis que les Apôtres le voient de
leurs yeux et sans obscurité. Admirez le parfait accord de l’Ancien Testament avec
le Nouveau. Si les prophètes avaient été les serviteurs d’un dieu étranger ou
opposé au vrai Dieu, jamais ils n’auraient désiré voir le Christ.
La Glose. Notre-Seigneur
avait déclaré plus haut qu’il n’a pas été donné aux Juifs, mais seulement aux
Apôtres, de connaître le royaume de Dieu. Comme conséquence de ces paroles, il
leur dit : « Pour vous, écoutez donc la parabole de celui qui
sème, » vous à qui sont
communiqués les mystères du ciel.
S. Aug. (sur la Genèse, 8, 4.) Ce que l’Évangéliste raconte, c’est-à-dire
que le Seigneur a parlé de la sorte, a véritablement eu lieu ; mais le
récit du Seigneur n’a été qu’une parabole, et dans ce genre de récit on n’exige
pas que toutes les circonstances qui le composent aient leur application littérale.
— La Glose. Notre-Seigneur
explique ensuite cette parabole : « Celui qui écoute la parole du
royaume et ne la comprend pas, » phrase qu’il faut entendre ainsi :
« Tout homme qui entend la parole, » c’est-à-dire ma prédication,
laquelle donne les moyens de mériter le royaume des cieux, et qui ne comprend
pas. Or, d’où vient ce défaut d’intelligence ? Le voici :
« L’esprit malin, c’est-à-dire le démon, vient, et il enlève ce qui avait
été semé dans son cœur. Or, tout homme à qui ce malheur arrive, c’est celui qui
a été semé le long du chemin. Remarquez aussi que le mot semer s’entend de
différentes manières : on dit d’une semence qu’elle a été semée, et aussi
d’un champ qu’il a été semé, et nous voyons ici cette double signification.
Dans cette phrase : « Il enlève ce qui a été semé, » c’est de la semence qu’il est
question ; dans cette autre : « Celui qui a été semé le long du
chemin, » ce n’est pas de la semence, mais du lieu où elle été répandue,
c’est-à-dire de l’homme, qui est le champ ensemencé par la parole de Dieu.
Remi. Dans ces paroles,
Notre-Seigneur nous explique ce que c’est que la semence, c’est-à-dire la
parole du royaume ou de la doctrine évangélique. Il en est qui reçoivent la
parole de Dieu sans aucune affection ; aussi les démons enlèvent aussitôt
la semence de la parole divine répandue dans leur cœur, comme une semence
tombée sur un chemin battu. « Celui qui est semé sur la pierre écoute la
parole, mais il n’a pas de racines. » En effet, la semence ou la parole de
Dieu qui tombe sur la pierre, c’est-à-dire sur un cœur dur et indompté, ne peut
fructifier ; sa dureté est trop grande, son désir du ciel trop faible, et
cette excessive dureté ne lui permet pas d’avoir de racines. — S. Jér. Faites attention à cette
parole : « Il est aussitôt scandalisé. » Il y a donc une
différence entre celui que l’excès des tribulations et de la douleur force
pour ainsi dire de renier Jésus-Christ, et celui que le premier vent de la
persécution scandalise et fait tomber. — « Celui qui est semé au milieu
des épines, » etc. Ce qui a été dit autrefois à Adam dans un sens
littéral : « Tu mangeras ton pain au milieu des ronces et des épines
(Gn 2) » s’entend ici dans le
sens allégorique de tout homme qui se livre aux voluptés du siècle et aux soins
de ce monde et qui par là mange le pain céleste et l’aliment de la vérité au
milieu des épines. — Rab. C’est
avec raison que Notre-Seigneur appelle ces plaisirs des épines, parce qu’ils
déchirent l’âme avec les pointes aiguës de leurs pensées, étouffent dans leur
germe les fruits spirituels des vertus et ne leur permettent pas de se
développer. — S. Jér. Cette
expression : « La séduction des richesses étouffe la parole » est aussi élégante que vraie, car les
richesses sont séduisantes, et elles ne tiennent pas ce qu’elles ont promis.
Rien de plus fragile que leur possession ; elles portent tantôt d’un côté,
tantôt de l’autre leur faveur inconstante, ou bien elles abandonnent celui qui
les possédait, ou bien elles viennent enrichir ceux qui en étaient
dépourvus : aussi le Seigneur affirme-t-il qu’il est difficile aux riches
d’entrer dans le royaume des cieux (Mc 10,
23 ; Lc 15, 34), parce que les
richesses étouffent la parole de Dieu et amollissent la vigueur des vertus. — Remi. Ces trois natures de terre
différentes représentent tous ceux qui peuvent entendre la parole de Dieu, mais
qui ne peuvent lui faire produire des fruits de salut, à l’exception des
Gentils, qui n’ont pas même mérité de l’entendre. « Enfin celui qui reçoit
la semence dans la bonne terre. » La bonne terre, c’est la conscience pure
des élus, l’âme des saints qui reçoit la parole de Dieu avec joie, avec désir,
avec amour, qui la conserve courageusement dans la prospérité comme dans
l’adversité, et lui fait produire des fruits. « Et il porte du fruit, et rend
cent, ou soixante, ou trente pour un. »
S. Jér. Remarquez que comme il y a trois
sortes de mauvaises terres, le chemin, la pierre et le champ couvert d’épines,
il y a de même trois espèces différentes de bonnes terres : celle qui rend
cent pour un, celle qui rend soixante, celle qui rend trente. Et ce qui fait
cette différence, ce n’est pas la nature de la terre, qui est la même d’un côté
comme de l’autre, mais la volonté. Or, dans les incrédules comme dans ceux qui
croient, c’est le cœur qui reçoit la semence ; c’est pour cela que
Notre-Seigneur a dit de la première espèce de terre : « L’esprit
malin vient et enlève ce qui a été semé dans son cœur, » et des deux autres : « C’est
celui qui reçoit la parole. » Lorsqu’il
en vient à la bonne terre, il dit également : « C’est celui qui
reçoit la parole. » Nous devons donc d’abord entendre, puis comprendre,
et, après avoir compris, produire les fruits des enseignements que nous avons
reçus, et rendre ou cent, ou soixante, on trente pour un. — S. Aug. (Cité de Dieu, 2, chap. dern.) Il en est qui entendent ce passage dans ce
sens que les saints, suivant la diversité de leurs mérites, pourront délivrer,
les uns trente âmes, les autres soixante, d’autres enfin cent, au jour du
jugement, et non dans les temps qui suivront. Or, un sage, voyant que les
hommes abusaient pour faire le mal de cette opinion et se promettaient
l’impunité au jour du jugement, parce que tous pourraient être sauvés par cette
voie, leur répondit qu’il était bien plus prudent de vivre de manière à se
trouver parmi ceux dont l’intercession devait délivrer les autres. En effet,
ils pourraient être si peu nombreux que, lorsque chacun d’eux aurait délivré le
nombre qui lui est assigné, il en restât un plus grand nombre qui ne pourraient
être sauvés par leur intercession, et parmi ces derniers se trouveraient tous
ceux qui, par une témérité sans fondement, avaient mis toute leur confiance
dans les mérites des autres.
Remi. Celui qui prêche la
foi en la sainte Trinité rend trente pour un ; soixante pour un, celui qui
recommande la perfection dans les bonnes oeuvres, car c’est en six jours que
l’oeuvre de la création fut achevée (Gn 2) ;
et cent pour un, celui qui promet la vie éternelle, car le nombre cent passe de
la gauche à la droite. Or, par la gauche, il faut entendre la vie présente, et
par la droite la vie future. Dans un autre sens, la parole de Dieu rend trente
pour un lorsqu’elle fait germer les bonnes pensées ; soixante, lorsqu’elle
produit les bonnes paroles ; cent, lorsqu’elle fait arriver jusqu’aux
fruits des bonnes oeuvres.
S. Aug. (Quest. évang., 1, 10.) Ou bien le nombre cent, c’est le fruit que
produisent les martyrs ou par la sainteté de leur vie ou par le mépris qu’ils
font de la mort ; le nombre soixante, c’est le fruit que rendent les
vierges qui, goûtant les douceurs du repos intérieur, n’ont plus à soutenir les
combats de la chair ; en effet, on donne la retraite après l’âge de
soixante ans aux soldats ou aux fonctionnaires publics ; le nombre trente
est celui des époux, car c’est l’âge de ceux qui sont appelés à combattre, et
ils ont en effet les plus rudes assauts à soutenir pour ne pas être vaincus par
leurs passions. Ou bien il faut lutter contre l’amour des biens temporels pour
lui disputer la victoire ; ou bien il faut le tenir dompté et soumis pour
réprimer avec facilité ses moindres mouvements, lorsqu’il veut se
soulever ; ou enfin, il faut l’éteindre entièrement de manière à ce qu’il
ne puisse plus exciter la moindre émotion dans notre âme. Voilà pourquoi nous
voyons les uns affronter la mort avec courage pour la défense de la vérité, les
autres sans s’émouvoir, d’autres enfin avec joie. Ces trois degrés de vertu
correspondent aux fruits que peuvent donner les trois espèces de terre :
l’une trente, l’autre soixante, l’autre cent pour un, et il faut au moment de
la mort faire partie d’une de ces trois espèces de terre si l’on veut sortir de
cette vie dans les conditions qui assurent la récompense.
S. Jér. — Ou bien encore la terre qui rend
cent pour un, signifie les vierges ; celle qui rend soixante, les
veuves ; celle qui rend trente ceux qui mènent une vie chaste dans l’état
du mariage. Ou bien enfin le nombre trente est une figure du mariage, parce que
ce nombre, qui s’exprime par le rapprochement des doigts qui s’unissent par un
doux embrassement, représente l’union de l’homme et de la femme. Le nombre
soixante représente les veuves qui vivent dans les larmes et dans la
tribulation (aussi le nombre soixante s’exprime en abaissant le doigt
inférieur), car leur récompense est d’autant plus grande qu’il leur est plus
difficile de résister aux séductions de la volupté dont elles ont déjà fait
l’épreuve. Enfin, le nombre cent, pour lequel la main droite remplace la main
gauche et qui s’exprime par le cercle que forment les mêmes doigts de cette
main, représente la couronne de la virginité.
S. Chrys. (hom. 47 sur S. Matth.) Dans la parabole précédente, le Seigneur s’est proposé ceux qui ne
reçoivent pas la parole de Dieu ; ici il veut parler de ceux qui reçoivent
une parole de corruption, car c’est un des artifices du démon de mêler toujours
l’erreur à la vérité : « Il leur proposa une autre parabole, »
etc. — S. Jér. Notre-Seigneur
agit comme un homme riche qui sert à ses convives une table couverte de mets
variés, où chacun peut choisir dans cette variété ce qui convient à son
estomac. L’Évangéliste ne dit pas « l’autre parabole, » mais
« une autre parabole, » car s’il avait dit « l’autre, »
nous n’aurions pu en espérer une troisième, tandis qu’en disant « une
autre, » il nous fait entendre que d’autres paraboles doivent la suivre.
Il nous explique ensuite le sujet de cette parabole en disant : « Le royaume des cieux est semblable à un
homme qui sème de bon grain, » etc.
— Remi. Le royaume des cieux,
c’est le Fils même de Dieu, et le royaume est semblable à un homme qui a semé
de bon grain dans son champ. — S. Chrys.
(hom. 47.) Il nous apprend ensuite de
quelle manière le démon tend ses embûches : « Pendant que les hommes
dormaient, son ennemi vint et sema de l’ivraie au milieu du blé, et il s’en
alla. » Notre-Seigneur nous enseigne par là que l’erreur ne vient qu’après
la vérité, ce que l’expérience ne prouve que trop. En effet, ce n’est qu’après
les prophètes que sont venus les faux prophètes ; après les Apôtres, les faux
apôtres ; après le Christ, l’Antéchrist. Si le démon ne voit rien qu’il
puisse imiter, s’il ne voit personne qu’il puisse faire tomber dans le piége,
il s’abstient de tenter ; mais comme il voit ici que l’un rend cent pour
un, l’autre soixante, l’autre trente, et qu’il n’a pu enlever ou étouffer ce
qui a pris racine, il a recours à d’autres artifices, il mêle les erreurs à la
vérité ; il leur en donne autant qu’il peut la couleur et la ressemblance
pour tromper plus facilement ceux sur qui la séduction exerce depuis longtemps
son empire. C’est pour cela que Notre-Seigneur ne dit pas qu’il y sème une
autre semence, mais de l’ivraie, parce qu’elle a quelque ressemblance pour la
forme avec le grain de froment. Le démon fait éclater encore sa malignité en ne
répandant l’ivraie que lorsque les semailles étaient terminées, afin de nuire
davantage aux travaux du laboureur.
S. Aug. (Quest. évang.) Il
ajoute : « Lorsque les hommes dormaient. » C’est en effet lorsque les premiers pasteurs de l’Église se
laissèrent aller à la négligence, ou bien lorsque les Apôtres se sont endormis
du sommeil de la mort, que le démon est venu et qu’il a semé par-dessus la
bonne semence ceux que le Seigneur appelle les mauvais enfants. On peut
demander avec raison s’il a voulu désigner par là les hérétiques, ou bien les
catholiques dont la vie n’est pas conforme à leur foi. Il nous dit qu’ils ont
été semés au milieu du froment, il semble donc qu’il a voulu désigner ceux qui
appartiennent à une même communion. Cependant, comme lui-même nous déclare que
ce champ est non-seulement l’Église, mais le monde entier, on peut très-bien
voir dans cette ivraie les hérétiques qui dans ce monde se trouvent mêlés aux
justes. Ceux qui conservent la vraie foi tout en la déshonorant par leur vie
sont plutôt semblables à la paille qu’à l’ivraie, parce que la paille a la même
origine et la même racine que le froment. Quant aux schismatiques, ils
ressemblent bien plus aux pailles brisées ou coupées que l’on sépare de la
moisson. Il ne faut pas en conclure cependant que tout hérétique et tout
schismatique soient extérieurement séparés de l’Église ; l’Église en
renferme un grand nombre dans son sein qui n’attirent pas l’attention de la
multitude en défendant leurs erreurs d’une manière éclatante. S’ils le faisaient,
l’Église les retrancherait de la communion. — Et plus bas : Lors donc que
le démon en répandant ses détestables erreurs et ses fausses doctrines eut semé
de l’ivraie au milieu du blé, c’est-à-dire eut jeté les hérésies sur la vérité
en se couvrant du nom du Christ, il se cacha avec plus de soin et se rendit
invisible ; c’est ce que Notre-Seigneur veut exprimer par ce mot :
« Et il s’en alla. » Il faut cependant admettre, comme il l’explique
lui-même, que sous le nom d’ivraie il a voulu comprendre non pas seulement
quelques scandales, mais tous les scandales et tous ceux qui opèrent
l’iniquité.
S. Chrys. (hom. 47.) Notre-Seigneur,
dans ce qui suit, nous trace avec soin le portrait des hérétiques :
« Lorsque l’herbe eut poussé et qu’elle fut montée en épis, alors l’ivraie
parut elle-même. » Les hérétiques dissimulent d’abord leur présence, mais
lorsque leur confiance s’est accrue, qu’ils sont parvenus à se faire écouter,
et qu’ils ont fait quelques prosélytes, ils répandent leur venin. — S. Aug. (Quest. évang.) (cf. 1 Co 2, 15). Ou bien dans un autre
sens, lorsque l’homme spirituel commence à juger toutes choses, alors les
erreurs se dessinent à ses yeux, il voit clairement que ce qu’il a entendu, ce
qui a fait l’objet de ses lectures s’éloignait de la règle de la vérité ;
mais tant qu’il n’a pas atteint la perfection spirituelle, la vue de tant
d’erreurs, de tant d’hérétiques qui se sont couverts du nom du Christ, peut
faire impression sur lui, comme nous le voyons dans la suite de la parabole :
« Alors les serviteurs du père de famille vinrent le trouver, et lui
dirent : Seigneur, n’avez-vous pas semé de bon grain dans votre
champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? » Ces serviteurs
sont-ils les moissonneurs dont il sera bientôt question ? Notre-Seigneur
lui-même, dans l’explication de la parabole, nous dit que les moissonneurs sont
les anges, et comme on ne peut dire que les anges ignoraient quel était celui
qui avait semé l’ivraie au milieu du blé, il faut entendre par ces serviteurs
les fidèles eux-mêmes ; et il n’y a rien d’étonnant s’il les désigne en
même temps comme étant la bonne semence, car une même chose peut être
représentée sous différentes figures, suivant le rapport sous lequel on la
considère ; c’est ainsi que le Sauveur a dit de lui-même qu’il était la
porte, et aussi qu’il était le pasteur.
Remi. Ils s’approchent de
Dieu, non par le mouvement du corps, mais par le cœur et par le désir de l’âme,
et Notre-Seigneur leur apprend que cela est arrivé par la malice du
démon : « C’est l’homme ennemi qui a fait cela. » — S. Jér. Le démon est appelé l’homme
ennemi, parce qu’il a cessé d’être Dieu ; et c’est de lui qu’il est écrit
au psaume neuvième : « Levez-vous, Seigneur, que l’homme ne
s’affermisse pas dans sa puissance. »
Aussi celui qui est placé à la tête de l’Église ne doit pas se laisser
aller au sommeil, de peur que l’homme ennemi ne profite de sa négligence pour
semer par dessus le bon grain l’ivraie, c’est-à-dire les erreurs des
hérétiques. — S. Chrys. (hom. 47.) Notre-Seigneur l’appelle
l’homme ennemi, à cause du mal qu’il fait aux hommes. C’est sur nous que
tombent les effets de sa haine, quoique la cause du mal qu’il nous fait soit
non pas son inimitié contre nous, mais son opposition contre Dieu. — S. Aug. (Quest. évang.) Lorsque le serviteur de Dieu aura compris que le
démon n’avait recours à cette manoeuvre frauduleuse que parce qu’il sentait
qu’il ne pouvait rien contre la puissance d’un nom si grand, et qu’il était
obligé de couvrir ses fourberies du prestige de ce nom, il peut sentir en lui
le désir de faire disparaître de tels hommes du commerce des choses humaines,
s’il en avait le temps ; mais il consulte la justice de Dieu, pour savoir
s’il doit le faire. « Les serviteurs lui dirent Voulez-vous que nous
allions l’arracher ? » — S. Chrys.
(hom. 47.) Nous pouvons admirer ici
le zèle et la charité de ces serviteurs : ils ont hâte d’aller arracher
l’ivraie, preuve de leur sollicitude pour la semence ; ils n’ont en vue
qu’une chose, ce n’est pas de faire punir qui que ce soit, mais que les
semences ne soient pas perdues. Quelle fut la réponse du Seigneur ?
« Et il leur répondit : Non. »
— S. Jér. Dieu veut laisser le
temps au repentir, et il nous enseigne à ne pas nous hâter de retrancher un de
nos frères de la communion des fidèles, car il peut arriver que celui-là même,
dont l’esprit est perverti par une erreur dangereuse, se convertisse et
devienne un zèle défenseur de la vérité ; c’est pour cela qu’il
ajoute : « De crainte qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en
même temps le froment. » S. Aug. (Quest. évang.) Cette réponse est des
plus propres à les calmer et à leur inspirer une grande patience. Le père de
famille répond de la sorte, parce que les bons qui sont encore faibles ont
besoin dans certaines circonstances d’être mêlés aux méchants, soit afin que ce
mélange serve d’épreuve à leur vertu, ou afin que ce rapprochement soit pour
les méchants une exhortation puissante à devenir meilleurs. Ou bien peut-être
le blé est déraciné lorsqu’on arrache l’ivraie, parce qu’il en est beaucoup qui
ne sont d’abord que de l’ivraie et qui deviennent ensuite froment. Or, si on ne
les supportait avec patience lorsqu’ils sont mauvais, on ne verrait jamais en
eux ce changement admirable ; si donc on les arrache, on déracine en même
temps le froment, puisqu’ils devaient devenir froment si on les eût épargnés.
Dieu veut donc qu’on ne les arrache pas de cette vie, car en s’efforçant de
faire périr les méchants on s’exposerait à faire périr les bons, puisqu’ils
deviendront peut-être bons ; ou à nuire aux bons eux-mêmes puisque les
méchants sont pour eux une occasion involontaire de vertu. Ce retranchement se
fera donc bien plus à propos lorsqu’à la fin ils n’auront plus le temps de
changer de vie, et que le spectacle de leurs erreurs ne pourra plus être pour
les bons une occasion de progrès dans la vérité ; c’est pour cela qu’il
ajoute : « Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, »
c’est-à-dire jusqu’au jugement.
S. Jér. Cette recommandation paraît en
opposition avec ce précepte : « Faites disparaître le mal du milieu
de vous. » (1 Co 5.) Car s’il nous est défendu
d’arracher, et si nous devons attendre avec patience la moisson, comment
pouvons-nous en retrancher quelques-uns du milieu de nous ? Le froment et
l’ivraie (en latin lolium) se
ressemblent beaucoup tant qu’ils sont en herbe et que leur tige n’est pas
encore couronnée d’épis, et il est très difficile, pour ne pas dire impossible,
de les distinguer. Le Seigneur nous recommande donc de ne pas nous hâter de
prononcer la sentence sur ce qui est douteux, et de laisser le jugement à Dieu,
qui, au jour du jugement, rejettera de l’assemblée des saints, non pas sur de
simples conjectures, mais pour des crimes évidents. — S. Aug. (contre la lettre de Parmen., 3, 2.) Lorsqu’un chrétien, dans le
sein de l’Église, est reconnu coupable d’un crime qui mérite anathème, et qu’on
n’a pas à craindre le schisme, qu’il soit soumis à l’anathème, avec un
sentiment de charité qui se propose, non pas de le déraciner, mais de le
corriger. S’il ne reconnaît pas sa faute, s’il n’en fait pas pénitence, il sera
mis hors de l’Église, et séparé par sa propre volonté de la communion des
fidèles. C’est pour cela que le Seigneur, après avoir dit : « Laissez
croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, » en donne cette raison :
« De crainte qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le
froment. » Il est donc évident
que, lorsqu’on n’a pas à craindre cet inconvénient, et qu’on est tout à fait
certain que le bon grain ne court aucun danger, c’est-à-dire lorsque le crime
est connu de tous, et qu’il inspire une telle horreur qu’il ne trouve point de
défenseur, ou au moins de défenseur qui puisse devenir l’auteur d’un schisme,
on ne doit pas laisser dormir la sévérité de la discipline. La répression du
crime sera d’autant plus efficace, que les lois de la charité auront été plus
respectées ; mais si le mal a gagné la multitude, la seule chose utile à
faire, c’est de s’affliger et de gémir. Il faut donc reprendre avec miséricorde
ce qu’on peut corriger ; et ce qui est incorrigible, il faut le supporter
avec patience, pleurer et gémir par un sentiment de charité jusqu’à ce que Dieu
lui-même se charge de reprendre et de corriger, et attendre jusqu’à la moisson
pour arracher l’ivraie et pour jeter la paille au vent. Mais lorsqu’on peut
élever la voix au milieu du peuple, il faut atteindre la multitude des
coupables par des reproches généraux, surtout si un fléau envoyé du Ciel nous
offre l’occasion favorable de leur rappeler qu’ils ont reçu le châtiment qu’ils
méritaient. Alors le malheur qui les frappe leur fait écouter avec humilité la
parole qui leur démontre la nécessité de changer de vie, et cette parole
inspire à leurs cœurs affligés les gémissements d’une confession pleine de repentir
plutôt que les murmures de la résistance. Mais alors même qu’aucune calamité ne
serait venu frapper les coupables, on peut, toutes les fois que l’occasion s’en
présente, reprendre les vices de la multitude en s’adressant à elle
directement ; car de même que les hommes s’irritent de ce qui leur est
reproché en particulier, les reproches qui sont adressés à la multitude dont
ils font partie excitent en eux des gémissements salutaires.
S. Chrys. (hom. 47.) Le
Seigneur fait cette recommandation pour défendre les meurtres ; car mettre
à mort les hérétiques, ce serait donner naissance à une guerre implacable dans
l’univers. Et c’est pour cela qu’il a dit : « De peur que vous
n’arrachiez le blé, » c’est-à-dire si vous recourez aux armes, si vous
mettez à mort les hérétiques, vos coups atteindront nécessairement un grand
nombre de saints. Ce qu’il défend, ce n’est donc point de jeter en prison les
hérétiques, et de s’opposer à la licence de leurs prédications, à la réunion de
leurs synodes, et de rendre inutiles leurs efforts, mais de les mettre à mort.
— S. Aug. (Lettre 18 à Vinc.) C’était
d’abord mon sentiment qu’il ne fallait forcer personne d’embrasser l’unité du
Christ, mais agir simplement par la parole, combattre par la discussion,
vaincre par la raison, afin d’éviter d’avoir pour catholiques hypocrites ceux
que nous avions pour hérétiques déterminés. Cependant mon opinion était
combattue, si non par des raisons, du moins par des exemples contraires. En
effet, la frayeur qu’inspirent ces lois promulguées par des rois qui servent le
Seigneur avec crainte, produit les plus heureux effets (cf. Ps 2, 10.11). Ainsi
les uns disent : C’était depuis longtemps notre volonté, mais grâces
soient rendues à Dieu qui nous a fourni l’occasion favorable, et ôté tout
prétexte de différer ; d’autres : Nous savions que c’était la vérité,
mais nous étions retenus par je ne sais quelles habitudes ; grâces à Dieu
qui a brisé nos liens ; d’autres : Nous ne savions pas que telle
était la vérité et nous n’avions aucun désir de l’apprendre, mais la crainte
nous a forcés d’y être attentifs et de prendre les moyens de la
connaître ; grâces au Seigneur qui a secoué notre négligence avec
l’aiguillon de la terreur ; d’autres encore : Nous craignions
d’entrer dans l’Église, retenus par de faux bruits dont nous n’aurions pas
reconnu la fausseté si nous n’y étions pas entrés, et nous n’y serions pas
entrés si une contrainte salutaire ne nous eût forcés ; grâces à Dieu qui
par cette sévérité a fait cesser nos hésitations et nous a fait connaître par
expérience la futilité et la fausseté des bruits que des voix trompeuses
répandaient sur son Église ; d’autres enfin : Nous pensions qu’il
importait peu de croire en Jésus-Christ dans une religion ou dans une
autre ; mais grâces au Seigneur qui a mis un terme à notre séparation et
nous a enseigné que le seul culte agréable à Dieu est celui qui lui est rendu
dans l’unité. Que les rois de la terre se montrent donc les serviteurs du
Christ en publiant des lois en faveur de la religion du Christ. — S. Aug. (Lettre 50 au comte Bonif.) Quel
est celui d’entre vous qui voudrait, je ne dis pas qu’un hérétique périsse,
mais qu’il éprouvât même la moindre perte ? Cependant la maison de David
ne put recouvrer la paix qu’après que son fils Absalon eut été enseveli dans la
guerre impie qu’il faisait contre son père (2 R 18) ; quoique David eût recommandé avec le plus grand soin
aux chefs de son armée de prendre tous les moyens pour conserver la vie à son
fils et que son cœur de père n’attendît que son repentir pour lui pardonner.
Mais lorsqu’il fut tombé victime de sa rébellion, que resta-t-il à son père que
de pleurer sa mort et de se consoler par la pensée que son royaume avait
recouvré la paix ? C’est ainsi que notre mère, la sainte Église
catholique, lorsqu’elle rassemble dans son sein un grand nombre de ses enfants
au prix de la perte de quelques-uns, adoucit et calme la douleur de son cœur
maternel par le spectacle de tant de peuples affranchis et délivrés de
l’erreur. Que veut donc dire ce qu’ils ne cessent de crier : N’est-on pas
libre de croire ou de ne pas croire ? A qui donc le Christ a-t-il fait
violence ? Quel est celui qu’il a contraint d’embrasser la vérité ?
Nous leur répondons par l’exemple de l’apôtre saint Paul, qui les force de reconnaître
que Jésus-Christ a usé de violence à son égard avant de l’enseigner, qu’il l’a
frappé avant de le consoler. Et il est remarquable que celui que Dieu a forcé
par un châtiment extérieur de se soumettre à l’Évangile a travaillé à la
propagation de l’Évangile plus que ceux dont la vocation n’avait été déterminée
que par une seule parole. Pourquoi donc l’Église ne forcerait-elle pas ses
enfants égarés de revenir dans son sein, alors que ces mêmes enfants en ont
forcé tant d’autres à périr ?
« Et au
temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Ramassez d’abord l’ivraie
et liez-la en bottes pour la brûler. »
— Remi. La moisson c’est le
temps où l’on recueille, c’est-à-dire le jour du jugement où les bons seront
séparés d’avec les mauvais. — S. Chrys.
(hom. 47.) Mais pourquoi
dit-il : « Arrachez d’abord l’ivraie ? » C’est pour ôter
aux bons toute crainte que le blé ne partage le sort de l’ivraie. — S. Jér. Or, en commandant d’arracher
l’ivraie pour la jeter au feu, et d’amasser le blé dans les greniers, il
déclare ouvertement que les hérétiques et les hypocrites sont destinés à brûler
dans les feux de l’enfer, et que les saints qu’il appelle le blé ou le bon
grain seront recueillis dans les greniers, c’est-à-dire dans les demeures
éternelles. — S. Aug. (Quest. évang.) On peut demander
pourquoi il ne commande pas de faire une seule botte ou un seul tas de toute
l’ivraie ; c’est peut-être à cause des différentes sortes d’hérétiques qui
non-seulement sont séparés du bon grain, mais qui sont encore séparés entre
eux. Il a donc voulu exprimer par ces bottes d’ivraie les conventicules de
chaque hérésie, dont tous les membres sont unis entre eux par des liens
communs. Or, ils sont liés ensemble et destinés au feu du moment qu’ils se
séparent de la communion catholique et qu’ils commencent à former des Églises
particulières. Mais ils ne seront jetés au feu qu’à la fin des temps, bien que
depuis, longtemps ils soient réunis en bottes. Cependant s’il en était ainsi,
il n’y en aurait pas un si grand nombre qui regretteraient leurs erreurs et les
abjureraient pour rentrer dans l’Église catholique. Ce n’est donc qu’à la fin
que les bottes seront liées, afin que leur opiniâtreté ne soit point punie sans
discernement, mais que chacun d’eux soit puni d’une manière proportionnée à sa
perversité.
Rab. Remarquez qu’en
disant : « Il a semé du bon grain, » il nous fait connaître la
bonne volonté dont les élus sont l’objet et qui est en eux ; en
ajoutant : « L’ennemi vient, » etc., il nous avertit d’avoir à nous
tenir sur nos gardes ; lorsque l’ivraie ayant crû, il dit :
« C’est l’homme ennemi qui a fait cela, » il nous recommande la patience ; et en ajoutant plus
bas : « De peur qu’en arrachant l’ivraie, » il nous donne
l’exemple du discernement dont nous devons faire usage. Les paroles
suivantes : « Laissez-les croître l’un et l’autre jusqu’à la
moisson, » nous font un devoir
de la longanimité, et il nous recommande la justice par celles qui
terminent : « Liez-la en bottes pour la brûler. »
S. Chrys. (hom. 47.) Notre-Seigneur venait de dire que
trois parties de la semence étaient perdues et qu’une seule produisait du fruit
et que dans cette dernière la perte est encore considérable à cause de l’ivraie
qu’on a semée par dessus. Ses disciples pouvaient lui dire : Mais quels
seront donc les fidèles, et quel sera leur nombre ? Il va au-devant de
cette crainte en leur proposant la parabole du grain de sénevé : « Il leur dit encore cette autre
parabole : Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé, » etc. — S. Jér. Le royaume des cieux, c’est la prédication de 1’Évangile
et la connaissance des Écritures, qui conduisent à la vie et dont
Notre-Seigneur dit aux Juifs : « Le
royaume de Dieu vous sera enlevé. »
Or, ce royaume du ciel est semblable à un grain de sénevé. — S. Aug. (Quest. Evang., liv. 1, quest. 2.) Le grain de sénevé figure la ferveur de la
foi, à cause de la vertu qu’on lui attribue d’expulser le poison, c’est-à-dire
tous les dogmes pervers des hérétiques.
« Qu’un homme prend et sème dans son champ. »
— S. Jér. Cet homme qui sème dans
son champ, c’est, d’après le sentiment le plus commun, le Sauveur qui sème la
vérité dans l’âme des fidèles. Selon quelques autres, c’est l’homme lui-même
qui sème dans son champ, c’est-à-dire dans son cœur. Or, quel est celui qui sème
en nous si ce n’est notre intelligence et notre sentiment ? Ils reçoivent
le grain de la prédication, et le nourrissant avec le suc de la foi, ils lui
donnent la force de se développer dans le champ de notre cœur.
« Ce grain est la plus petite de toutes les
semences. » La prédication
de l’Évangile est la plus humble de toutes les doctrines, car au premier coup
d’oeil elle n’obtient pas la croyance due à la vérité, en prêchant un
homme-Dieu, un Dieu mort, et le scandale de la croix. Rapprochez-la des doctrines
et des écrits des philosophes, de l’éclat de leur éloquence, de leurs discours
étudiés, et vous reconnaîtrez combien la semence de 1’Évangile est inférieure
aux autres semences.
S. Chrys. (hom. 47.) Ou
bien la semence de l’Évangile est la plus petite, parce que les disciples
étaient les plus faibles des hommes ; mais comme ils avaient en eux une
grande vertu, leur prédication s’est répandue par toute la terre, comme
l’indique la suite de la parabole : « Mais lorsqu’il a crû, il est le plus grand de tous les légumes, »
c’est-à-dire de tous les dogmes. — S. Aug.
(Quest. évang.) Les dogmes des sectes
sont leurs propres sentiments, c’est-à-dire les opinions dont elles sont
convenues. — S. Jér. La doctrine
des philosophes, lorsqu’elle se développe, ne présente rien de piquant et n’a
aucune apparence de vie, et sa nature molle et languissante ne produit que des
plantes et des herbes que l’on voit bientôt se dessécher et périr. Au
contraire, la prédication évangélique, qui paraissait peu de chose dans ses
commencements lorsqu’elle fut semée, soit dans l’âme des fidèles, soit dans
tout l’univers, n’a point produit de simples plantes, mais s’est élevée jusqu’à
la hauteur d’un arbre, et sur les branches sont venus habiter les oiseaux du
ciel, c’est-à-dire les âmes des fidèles ou les vertus qui sont consacrées au
service de Dieu. « Et il devient un
arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent se reposer sur ses branches. » Je suis porté à croire que ces branches
de l’arbre évangélique, qui sont sorties du grain de sénevé, figurent la
variété des dogmes, sur lesquels chacun des oiseaux dont nous avons parlé vient
se reposer. Prenons donc aussi nous-mêmes les ailes de la colombe (cf. Ps 54, 7) et élevons-nous bien haut,
afin de pouvoir habiter sur les branches de cet arbre, nous construire un nid
au milieu des vérités divines, et nous hâter de fuir la terre et de gagner le
ciel.
S. Hil. (can. 43.) Ou
bien encore le Seigneur se compare lui-même à ce grain de sénevé qui est d’un
goût très piquant, la plus petite de toutes les semences, et dont la force
augmente lorsqu’il est broyé.
S. Grég. (Moral., 19, 1.) Il est en effet ce grain de sénevé qui, après avoir été semé dans le jardin
de sa sépulture, s’est élevé comme un grand arbre ; c’était un grain
lorsqu’il mourut, ce fut un arbre lorsqu’il ressuscita ; c’était un grain
par l’humilité de la chair, il devint un arbre par la puissance de sa majesté.
— S. Hil. (can. 43.) Lorsque ce grain eut été semé dans la terre,
c’est-à-dire lorsque le Sauveur fut tombé au pouvoir de la multitude, qu’il eut
été livré par elle à la mort et que son corps eut été enseveli dans le tombeau
comme un grain qu’on sème dans un champ, il devint plus grand que tous les
légumes et surpassa de beaucoup la gloire des prophètes. La prédication des
prophètes fut donnée comme une herbe salutaire au peuple d’Israël encore faible
et infirme, mais aujourd’hui les oiseaux du ciel se reposent sur les branches
de l’arbre. Ces branches de l’arbre, ce sont les Apôtres qui par la puissance
du Christ se sont étendus sur toute la surface du monde pour lui donner un doux
ombrage. C’est sur ces branches que toutes les nations de la terre viendront
dans l’espérance d’y trouver la vie et un lieu de repos comme sur les branches
d’un arbre, contre la violence des vents, c’est-à-dire contre les orages que
soulève le souffle du démon. — S. Grég.
(Moral., 19, 1.) Sur ces branches se
reposent les oiseaux du ciel ; en effet, les saintes âmes qui s’élèvent
au-dessus des pensées de la terre sur les ailes des vertus, se reposent des
fatigues de la vie dans leurs saintes conversations et dans les consolations
dont elles sont la source.
S. Chrys. (hom. 47.) C’est pour établir la même vérité que
Notre-Seigneur propose la parabole du levain : « Il leur dit encore
cette autre parabole : Le royaume des cieux est semblable au
levain, » etc.,
c’est-à-dire : de même que le levain change et modifie une grande quantité
de farine, en lui communiquant sa saveur ; ainsi vous changerez le monde
entier. Et remarquez ici la sagesse du Sauveur ; il emprunte ses
comparaisons à des faits naturels et il montre ainsi que de même qu’il est
impossible que ces faits ne se produisent pas suivant leur nature, ainsi en
est-il du royaume des cieux. Or, il ne dit pas simplement : Le levain qu’elle
place, mais « qu’elle cache, qu’elle mêle, » paroles dont voici le sens : C’est ainsi que vous-mêmes vous
triompherez de vos persécuteurs après vous être mêlés et confondus avec eux.
Car de même que le levain, bien qu’il soit comme perdu dans la masse, n’est
point détruit, mais communique insensiblement sa force à toute la pâte, ainsi
en sera-t-il de votre prédication. Ne craignez donc pas les persécutions que je
vous ai prédites, car elles ne serviront qu’à vous rendre plus éclatants et à
vous faire triompher de tous vos ennemis. Notre-Seigneur prend ici les trois
mesures de farine pour une grande quantité, et il donne au nombre trois la
signification d’un nombre considérable et indéterminé. — S. Jér. La mesure dont il est ici question
est une mesure en usage dans la Palestine et qui représente un boisseau et
demi. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 12.) Ou bien le
levain c’est la charité, parce qu’elle excite et qu’elle échauffe : la
femme représente la sagesse. Ces trois mesures de farine sont ces trois choses
qui se trouvent dans l’homme et qui sont exprimées par ces paroles :
« De tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit. » (Mt 22.) Ou bien elles représentent les
trois récoltes qui donnent : l’une cent, l’autre soixante et l’autre
trente ; ou bien les trois espèces d’hommes dont il est parlé dans
Ezéchiel : Noé, Daniel et Job (Ez 14, 14.16).
Rab. Il dit :
« Jusqu’à ce que toute la pâte soit levée, » parce que la charité
cachée dans notre âme doit s’y développer jusqu’à ce qu’elle ait communiqué sa
perfection à l’âme tout entière, ce qui se commence dans cette vie et s’achève
dans l’autre. — S. Jér. Ou bien
encore cette femme qui prend du levain et le met dans trois mesures de farine,
c’est la prédication des Apôtres, ou l’Église formée de différentes nations.
Elle prend le levain, c’est-à-dire l’intelligence des Écritures, et elle le
cache dans trois mesures de farine : l’esprit, l’âme et le corps, afin de
les ramener à l’unité, et qu’il n’y ait entre eux aucun désaccord. Ou bien encore,
nous lisons dans Platon qu’il y a trois parties dans l’âme : la partie
raisonnable, la partie irascible et la partie concupiscible ; si donc nous
avons reçu le levain évangélique des saintes Écritures, nous devons posséder la
prudence dans la partie raisonnable, la haine contre le mal dans la partie
irascible, le désir des vertus dans la partie concupiscible, et tout cela doit
être le fruit de la doctrine évangélique que notre mère la sainte Église nous a
communiquée. Je crois devoir rapporter également l’interprétation de quelques
auteurs, d’après laquelle cette femme est aussi l’Église, qui a mêlé la foi à
trois mesures de farine, c’est-à-dire à la croyance dans le Père, dans le Fils
et dans le Saint-Esprit, et lorsque ce précieux levain de la foi a fait fermenter
toute la masse, elle nous conduit à la connaissance non pas de trois Dieux,
mais d’un seul et même Dieu. C’est une pieuse interprétation ; mais ni les
paraboles, ni l’explication douteuse d’un discours énigmatique ne peuvent
servir d’appui et de preuve aux dogmes de la foi.
S. Hil. (can. 13.) Ou
bien encore le Seigneur se compare lui-même au levain ; le levain est fait
avec de la farine et il rend à la masse d’où il est sorti la vertu qu’il en a
reçue. Or, c’est ce levain qu’une femme, la synagogue, a pris et a caché par la
condamnation à mort qu’elle a prononcée contre le Seigneur. Ce levain, mélangé
avec trois mesures de farine, c’est-à-dire mêlé dans des proportions égales à
la loi, aux prophètes, à l’Évangile, ne fait qu’une seule chose de ces trois
éléments, parce que la propagation de l’Évangile vient accomplir les
prescriptions de la loi et les prédictions des prophètes. Je me rappelle
cependant en avoir entendu plusieurs qui interprétaient ces trois mesures de
farine de la vocation des nations sorties de Sem, de Cham et de Japhet. Mais je
ne sais si cette interprétation est fondée en raison, car quoique toutes les
nations aient été appelées à l’Évangile, on ne peut dire que Jésus-Christ y ait
été caché ; puisqu’au contraire il s’y est manifesté avec éclat ; et
d’ailleurs ce céleste levain n’a point communiqué sa vertu à toute la masse des
infidèles.
S. Chrys. (hom. 48.) Après avoir rapporté ces paraboles,
l’Évangéliste, voulant prouver que Notre-Seigneur n’introduisait pas en cela de
nouveautés, cite le prophète qui avait prédit ce mode d’enseignement. « Or
Jésus dit toutes ces choses, » etc. Saint Marc dit qu’il parlait en
paraboles pour se mettre à la portée de leur intelligence (Mc 4). Ne soyez donc
pas surpris si, en parlant du royaume des cieux, il emprunte les comparaisons
de la semence et du levain ; il s’adressait à des hommes ignorants et qui
avaient besoin de cette méthode simple pour être amenés à la vérité. — Remi. Le mot parabole, en grec comme en
latin, signifie comparaison qui sert à démontrer la vérité, car elle nous
découvre dans les différentes parties de la comparaison des expressions
figurées et des images de la vérité.
S. Jér. Ce n’est pas aux disciples, mais
au peuple qu’il parlait en paraboles, et encore aujourd’hui c’est le langage
que le peuple entend volontiers ; aussi l’Évangéliste ajoute-t-il : « Et il ne leur parlait point sans
paraboles. » — S. Chrys. (hom. 48.) Cependant il a parlé souvent
au peuple sans paraboles, mais dans cette circonstance il ne leur parla qu’en
paraboles. — S. Aug. (Quest. év.) Ou bien l’Évangéliste
s’exprime ainsi, non que le Seigneur n’ait jamais parlé dans le sens littéral,
mais parce qu’il n’a presque jamais fait de discours où il n’ait enseigné
quelque vérité sous le voile de la parabole, bien qu’il y ait parlé en même
temps dans le sens littéral ; c’est-à-dire que souvent son discours est
tout entier composé de paraboles, tandis qu’on n’en trouve aucun qui soit tout
entier dans le sens littéral. Par discours entiers et complets, j’entends ceux
que le Seigneur faisait suivant que l’occasion se présentait, jusqu’à ce que la
matière qu’il traitait, étant terminée, il passait à un autre sujet. On ne peut
nier du reste que souvent un évangéliste présente en un seul discours ce qu’un autre
évangéliste rapporte comme ayant été dit en plusieurs circonstances
différentes, parce qu’il s’attache dans sa narration, non pas à l’ordre
historique des faits, mais à l’ordre dans lequel ils se présentent à son
souvenir.
Or, l’auteur
sacré nous apprend pourquoi il parlait en paraboles : « C’est afin
que cette parole du Prophète fût accomplie. » — S. Jér. Ce témoignage est emprunté au Ps 77. Dans quelques manuscrits, au lieu de la traduction de la
Vulgate que nous avons rapportée : « Afin que cette parole du
prophète fut accomplie, » on
lit : « Cette parole du prophète Isaïe. » — Remi. Porphyre prend occasion de là
pour faire cette objection aux chrétiens : Votre Évangéliste a poussé la
sottise jusqu’à attribuer à Isaïe ce qui se trouve dans les psaumes et à citer
ce témoignage comme venant du prophète Isaïe. — S. Jér. Comme cette citation ne se trouvait nullement dans
Isaïe, j’avais d’abord pensé que des hommes instruits avaient fait disparaître
le nom du prophète. Mais je crois maintenant que le texte portait
primitivement : « Ce qui a été écrit par le prophète Asaph. » En
effet, le Ps 72, auquel est emprunté
ce témoignage, a pour titre : « Au prophète Asaph. » Les premiers copistes n’auront pas
compris ce nom d’Asaph et, croyant que c’était une faute d’écriture, ils auront
remplacé ce nom par le nom plus connu d’Isaïe ; car il faut se rappeler
que non-seulement David, mais tous les autres dont les noms se trouvent en tête
des psaumes, des hymnes et des divins cantiques, tels qu’Asaph, Idithun, Eman,
Ezarite et d’autres dont l’Écriture fait mention, méritent le nom de prophète.
Quant à ce qui est dit de la personne du Christ : « J’ouvrirai ma
bouche en paraboles, » etc., si nous considérons attentivement ces
paroles, nous y verrons la description de la sortie d’Israël de la terre
d’Égypte, et le récit de tous les miracles qui sont contenus dans
l’Exode ; d’où nous devons conclure que tout ce qui se trouve écrit dans
ce livre doit être pris dans un sens allégorique et nous révèle des mystères
cachés. Ce sont ces vérités mystérieuses que le Seigneur promet de dévoiler,
lorsqu’il dit : « J’ouvrirai ma bouche en paraboles. » — La
Glose. Ces paroles veulent dire : J’ai parlé autrefois par les
prophètes ; je parlerai maintenant moi-même en paraboles, et je ferai
sortir du trésor de mes secrets des mystères qui s’y trouvaient cachés depuis
la création du monde.
S. Chrys. (hom. 48.) Le Seigneur avait parlé au peuple en
paraboles pour lui donner l’occasion de l’interroger ; mais quoiqu’il leur
eût dit beaucoup de choses en paraboles, personne cependant ne lui adressait la
parole. Il renvoya donc la multitude, comme le remarque l’Évangéliste :
« Alors, ayant renvoyé le peuple, il revint dans la maison. » Aucun des scribes ne l’y suit, ce qui
prouve clairement qu’ils ne le suivaient auparavant que pour le surprendre dans
ses discours. — S. Jér. Or, Jésus
renvoie le peuple et rentre dans la maison pour donner à ses disciples la
facilité de s’approcher de lui, et de lui faire en secret des questions sur ce
que le peuple ne méritait ni n’était capable d’entendre.
Rab. Dans le sens
mystique, c’est après avoir congédié la foule tumultueuse des Juifs qu’il entre
dans l’Église formée des nations, et c’est là qu’il expose aux fidèles les
mystères du royaume des cieux : « Et alors ses disciples
s’approchèrent, » etc. — S. Chrys. (hom. 48.) Autrefois, pleins du désir d’apprendre, ils craignaient
de l’interroger ; maintenant, ils le font librement et avec confiance,
parce qu’il leur a dit : « Il vous a été donné de connaître les
mystères du royaume des cieux. » C’est
pour cela qu’ils l’interrogent en particulier, c’est-à-dire en secret et non
point par un sentiment de jalousie contre la multitude qui n’avait pas reçu la
même faveur. Ils laissent de côté la parabole du levain et celle du sénevé
comme plus claire, et ils l’interrogent sur la parabole de l’ivraie, parce
qu’elle a de l’analogie avec la parabole de la semence et qu’elle contient
quelques particularités de plus. Le Seigneur leur explique donc cette
parabole : « Et leur répondant, il leur dit : Celui qui sème le
bon grain, c’est le Fils de l’homme. » — Remi.
Notre-Seigneur s’est appelé le Fils de l’homme pour nous laisser un exemple
d’humilité, ou bien parce qu’il devait se rencontrer des hérétiques qui
nieraient son humanité. Ou bien encore, c’est afin que par la foi à son
humanité, nous puissions nous élever jusqu’à la connaissance de sa divinité.
« Le champ,
c’est le monde, » etc. — S. Chrys. (hom.
48.) Comme c’est lui-même qui sème son champ, il faut en conclure que le
monde actuel lui appartient. « La bonne semence, ce sont les enfants du
royaume. » — Remi. C’est-à-dire les saints et les
élus qui sont mis au nombre des enfants de Dieu. — S. Aug. (Contre Fauste, 18,
7.) L’ivraie, d’après l’explication du Sauveur, ce ne sont pas quelques erreurs
mêlées à la vérité des saintes Écritures (suivant l’interprétation des
Manichéens), mais ce sont tous les enfants de l’esprit mauvais, c’est-à-dire
les imitateurs des mensonges du démon. « L’ivraie, dit Notre-Seigneur, ce
sont les enfants d’iniquité, » dénomination qui comprend tous les impies
et tous les méchants. — S. Aug. (Quest. évang., liv. 6, quest. 2.)
Toutes les mauvaises herbes qui se trouvent dans les moissons reçoivent le nom
d’ivraie. L’ennemi qui la sème, c’est le démon. — S. Chrys. (hom. 48.)
C’est en effet une des ruses du démon de mêler toujours l’erreur à la vérité.
« La moisson, c’est la fin du monde. » Notre-Seigneur dit dans un
autre endroit, mais en parlant des Samaritains : « Levez vos yeux et
regardez les campagnes comme elles blanchissent déjà pour la moisson. » (Jn 4.)
Et ailleurs : « La moisson est grande, mais il y a peu
d’ouvriers, » paroles qui signifient que le temps de la moisson est
arrivé. Pourquoi donc déclare-t-il qu’elle n’aura lieu que plus tard ?
C’est qu’il l’entend ici dans un autre sens. Aussi, tandis que dans les paroles
qui précèdent il dit que l’un sème et que l’autre moissonne, il déclare ici que
c’est le même qui sème et qui moissonne ; car lorsqu’il dit que celui qui
sème n’est pas celui qui moissonne, ce n’est pas entre lui et les prophètes,
mais entre les prophètes et les Apôtres qu’il veut établir une distinction,
puisque c’est le Christ qui a semé lui-même par les prophètes dans la Judée et
dans la Samarie. C’est donc sous deux sens différents qu’il prend dans ces deux
circonstances les mots de semence et de moisson. Lorsqu’il parle d’obéissance
et de soumission à la foi, il se sert du nom de moisson, parce qu’elle est le
principe et la cause de toute perfection ; mais lorsqu’il est question du
fruit qu’on doit retirer de la parole de Dieu, comme dans cet endroit, il
appelle la moisson la consommation de toutes choses. — Remi. La moisson désigne le jour du jugement où les bons
seront séparés des méchants par le ministère des Anges, ainsi qu’il le dira
plus bas : « Le Fils de l’homme viendra juger le monde avec ses
anges ; » et c’est pour cela qu’il dit : « Les moissonneurs
sont les anges. »
« De même
que les moissonneurs ramassent l’ivraie, ainsi les anges feront disparaître de
son royaume tous les scandales. » —
S. Aug. (Cité de Dieu, 9.) Est-ce donc de ce royaume où il n’y a plus de
scandales ? Non, c’est de ce royaume qui est sur la terre, c’est-à-dire de
l’Église, qu’ils les feront disparaître. — S. Aug.
(Quest. évang., 1, 10.)
L’ivraie qu’on met d’abord de côté signifie que c’est après que les
persécutions auront exercé leur empire que les bons seront séparés des
méchants ; ce sont les bons anges qui feront cette séparation, car ils
peuvent s’acquitter de cette oeuvre de justice avec une intention droite et
pure, tandis que les méchants sont incapables d’accomplir le ministère de la
miséricorde. — S. Chrys. (hom. 48.) Ou bien on peut entendre par
ce royaume l’Église du ciel, et Notre-Seigneur nous révèle ici la double peine
des réprouvés, la privation de la gloire, par ces paroles : « Et ils
enlèveront tous les scandales de son royaume, » pour les en bannir à tout
jamais, et le supplice du feu par ces autres : « Et ils les
précipiteront dans la fournaise du feu. » — S. Jér. Tous les scandales sont figurés ici par l’ivraie ;
mais en disant : « Ils enlèveront de son royaume tous les scandales,
et tous ceux qui font l’iniquité, » Notre-Seigneur
veut distinguer entre les hérétiques et les schismatiques. Ceux qui sont une
cause de scandale sont les hérétiques, ceux qui commettent l’iniquité
représentent les schismatiques. — La
Glose. Ou bien dans un autre sens, il faut entendre par les scandales
tous ceux qui sont pour le prochain une occasion de chute ou de ruine, et par
ceux qui commettent l’iniquité, les pécheurs quels qu’ils soient. — Rab. Remarquez que Notre-Seigneur
dit : « Ceux qui font, » et
non pas ceux qui ont fait l’iniquité ; car ce ne sont pas ceux qui font
pénitence, mais ceux qui persévèrent dans leurs péchés qui seront livrés aux
supplices éternels.
S. Chrys. (hom. 48.) Considérez
ici l’amour ineffable de Dieu pour les hommes, il est toujours prêt à répandre
sur nous ses bienfaits et il ne punit qu’à la dernière extrémité. Lorsqu’il
s’agit de semer, c’est lui-même qui sème, et lorsqu’il faut qu’il punisse, il
se décharge de ce soin sur les anges.
« C’est là
qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents. » — Remi. Ces paroles sont une preuve de la
résurrection véritable des corps et nous y voyons annoncés la double peine de
l’enfer, une excessive chaleur et un froid des plus rigoureux. Or, de même que
l’ivraie représente tous les scandales, ainsi tous ceux dont Notre-Seigneur dit
ici : « Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume
de leur Père, » seront mis au
nombre des enfants du royaume. Dans ce monde, la lumière que répandent les
saints brille aux yeux des hommes ; après la consommation des siècles, les
justes brilleront eux-mêmes comme le soleil dans le royaume de leur Père. — S. Chrys. (hom. 48.) Notre-Seigneur ne veut pas dire que leur éclat sera tout
juste égal à l’éclat du soleil, mais il se sert de cette comparaison parce que
parmi les astres qui nous éclairent, il n’en est point qui brille d’un plus vif
éclat que le soleil. — Remi. Ces
paroles : « Alors ils brilleront, » signifient que les saints
brillent sur cette terre par leurs exemples, mais qu’ils brilleront alors comme
le soleil pour la plus grande gloire de Dieu.
« Que
celui-là entende qui a des oreilles pour entendre. » — Raban.
C’est-à-dire que celui qui a de l’intelligence comprenne, parce que toutes ces
paroles doivent être entendues dans un sens mystérieux.
S. Chrys. (hom. 48.) Les paraboles précédentes du levain
et du grain de sénevé avaient pour objet de faire ressortir la puissance de la
prédication évangélique qui a triomphé du monde entier ; Notre-Seigneur
veut faire connaître maintenant tout le prix et la magnificence de cette
sublime doctrine, et il se sert pour cela de la parabole du trésor et de la
pierre précieuse : « Le
royaume des cieux est semblable à un trésor caché dans un champ. » La
prédication de l’Évangile est cachée dans le monde, et si vous ne vendez pas
tout ce que vous possédez, vous ne pourrez l’acheter. Il faut de plus faire ce
sacrifice avec joie. « Lorsqu’un homme le trouve, il le cache. » — S.
Hil. Ce trésor se trouve sans
qu’il en coûte rien, car la prédication de l’Évangile est sans condition ;
mais il faut nécessairement acheter le droit d’user de ce trésor et d’en
devenir le possesseur ainsi que du champ qui le renferme, car on ne peut
posséder les richesses du ciel sans être disposé à leur sacrifier les biens de
la terre. — S. Jér. Il cache ce
trésor, ce n’est point par un sentiment d’envie, mais il le cache dans son cœur
par le désir de conserver et par la crainte de perdre ce trésor qu’il a su
préférer aux richesses qu’il possédait.
S. Grég. (hom. 12 sur les Evang.) Ou bien ce trésor caché dans un champ,
c’est le désir du ciel : le champ dans lequel il est caché, c’est la
perfection et la sainteté de la vie qui conduit au ciel. Lorsqu’un homme a
trouvé ce trésor, il le cache pour le conserver, car le goût et le désir ardent
des biens célestes ne suffisent pas pour défendre ce trésor contre les esprits
mauvais, si celui qui le possède ne s’efforce pas de le dérober aux attaques
des louanges des hommes. En effet, la vie présente est semblable à une route
que nous parcourons pour arriver à la patrie ; mais cette route se trouve
assiégée par les esprits mauvais comme par autant de voleurs de grand chemin.
Ceux donc qui portent ce trésor à découvert semblent vouloir devenir la proie
des voleurs. Je ne veux pas dire que notre prochain ne doive pas être témoin de
nos bonnes oeuvres, mais simplement qu’il ne faut pas dans nos actions nous
proposer les louanges des hommes. Or, le royaume des cieux est comparé aux
choses de la terre, pour que notre esprit puisse s’élever de ce qu’il connaît à
ce qu’il ne connaît pas encore, et que de l’amour qu’il donne aux choses dont
il a la connaissance, il apprenne à aimer ce qu’il ne connaît pas. « Et
dans la joie qu’il en ressent, » etc. On achète le champ avec le prix de
tous les biens qu’on a vendus, lorsqu’on renonce aux voluptés charnelles et
qu’on foule aux pieds tous les désirs terrestres par une obéissance entière aux
lois qui conduisent au ciel.
S. Jér. Ou bien encore ce trésor dans
lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science (cf. Col 2, 3), c’est ou le Verbe Dieu qui
est comme caché dans la nature humaine de Jésus-Christ, ou bien les saintes
Écritures dans lesquelles est renfermée la connaissance du Sauveur. — S. Aug. (Quest. Evang., liv. 1, chap. 13.) Ce trésor caché dans le champ,
ce sont les deux Testaments qui se trouvent dans l’Église ; lorsqu’un
homme parvient à les atteindre par une partie seulement de son intelligence, il
comprend que ce champ renferme de grandes richesses, il s’en va, il vend tout
ce qu’il possède et il l’achète, c’est-à-dire que par le mépris des choses
temporelles il achète le repos, afin de s’enrichir ainsi du trésor de la
connaissance de Dieu.
S. Chrys. (hom. 48.) La prédication de l’Évangile n’est pas seulement
une source de richesses multipliées, comme l’est un trésor, mais elle est
précieuse encore comme une perle, et c’est pour cela qu’après la parabole du
trésor, Notre-Seigneur propose la parabole de la pierre précieuse. « Le
royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de bonnes
perles. » Pour la prédication de l’Évangile, deux choses sont
nécessaires : la séparation des affaires de la terre, et la vigilance,
deux conditions qui se trouvent exprimées dans cette comparaison du commerce.
Or, la vérité est une et ne peut être divisée en plusieurs parties ; c’est
pour cela qu’il n’est question que d’une seule pierre précieuse, et de même que
celui possède une perle d’un grand prix connaît bien sa richesse, tandis que
tous les autres l’ignorent, car cette perle est si petite qu’elle tient tout
entière dans sa main ; de même dans la prédication de l’Évangile, ceux qui
ont le bonheur de la recevoir savent quelles richesses spirituelles ils ont
acquises, richesses complètement ignorées de ceux qui ne connaissent pas la
valeur de ce trésor.
S. Jér. Dans les bonnes perles, on peut
voir figurés la loi et les prophètes. Comprenez donc, Marcion, et vous autres
Manichéens que la loi et ces prophètes sont de bonnes perles. La perle qui est
d’un très grand prix, c’est la science du Sauveur, le mystère de sa passion et de
sa résurrection. Lorsque l’homme qui est dans le commerce a trouvé cette perle,
à l’exemple de l’Apôtre saint Paul il méprise comme de la boue, pour gagner
Jésus-Christ (Ph 3), tous les
mystères de la loi et des prophètes, et ces observances anciennes au milieu
desquelles il avait vécu d’une manière irréprochable. Ce n’est pas que la
découverte de cette perle précieuse détruise le prix et la valeur de celles
qu’il possédait auparavant ; mais auprès d’elles toutes les autres sont
d’un prix inférieur.
S. Grég. (hom. 12 sur les Evang.)
Ou bien encore cette pierre précieuse c’est la douceur de la vie céleste, celui
qui l’a trouvée vend pour l’acheter tout ce qu’il possède. Celui qui a pu
goûter parfaitement, autant qu’on le peut, la suavité de cette vie céleste
abandonne bien volontiers pour elle tout ce qu’il avait aimé sur la terre. Il
trouve désormais sans beauté tous les objets créés qui l’avaient séduit par
leur apparence, parce que l’éclat seul de cette perle précieuse brille
maintenant aux yeux de son âme.
S. Aug. (Quest. évang. sur S. Matth., chap. 13.) Ou bien enfin cet homme
qui cherche de belles perles et qui en trouve une de grand prix, est celui qui
recherche la compagnie des hommes vertueux pour mener avec eux une vie sainte,
et trouve le seul homme qui soit sans péché, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ou
bien celui qui, cherchant à connaître les préceptes dont l’observation le fera
vivre saintement au milieu des hommes, trouve le précepte de la charité
fraternelle qui renferme tous les autres au témoignage de l’Apôtre. Ou bien
celui qui cherche de bonnes pensées et trouve cette parole qui renferme toutes
choses. « Au commencement était le Verbe, » (Jn 1), Verbe qui brille de tout l’éclat de la vérité, qui est
ferme de toute la force de l’éternité, et qui, semblable de toutes parts à
lui-même, resplendit de la beauté même de la divinité ; Verbe dans lequel
il faut reconnaître un Dieu sous l’enveloppe de chair dont il est revêtu.
Quelle que soit parmi ces trois choses ou parmi d’autres celle qui est signifiée
par cette perle précieuse, c’est nous qui en sommes le prix, et nous ne sommes
libres de l’acquérir qu’en méprisant pour obtenir cette heureuse délivrance
tout ce que nous possédons sur la terre. Car, après avoir tout vendu, nous
n’avons pas de biens d’un plus grand prix que nous-mêmes (puisque nous n’étions
pas à nous lorsque ces biens nous enlaçaient comme autant de chaînes), et c’est
nous-mêmes qu’il faut donner pour acquérir cette perle précieuse, non pas que
nous soyons d’une valeur égale, mais parce que nous ne pouvons donner
davantage.
S. Chrys. (hom. 48.) Notre-Seigneur, craignant que nous ne
mettions toute notre confiance dans la prédication seule, et que nous ne
croyions que la foi seule suffit pour le salut, après avoir relevé le prix de
la prédication évangélique dans les paraboles qui précèdent, en ajoute une
autre qui est effrayante : « Le royaume des cieux est encore
semblable à un filet. » — S. Jér. Après que cette prophétie de
Jérémie fut accomplie : « Je vous enverrai un grand nombre de
pécheurs » (Jr 16) ; après que Pierre, André, Jacques et Jean eurent
entendu ces paroles : « Suivez-moi et je ferai de vous des pêcheurs
d’hommes, » (Mt 4) ils se firent
à l’aide de l’Ancien et du Nouveau Testament un filet entrelacé des vérités de
l’Évangile ; ils le jetèrent dans la mer de ce monde, et il est resté
tendu jusqu’à présent au milieu des flots pour prendre dans ces gouffres amers
et trompeurs tout ce qui se présente, c’est-à-dire les hommes bons et
mauvais : « Et qui prend toute sorte de poissons. »
S. Grég. (hom. 10 sur les Evang.) Ou
bien la sainte Église est comparée à un filet parce qu’elle est confiée à des
pêcheurs, et c’est par elle que chacun de nous est tiré des flots de ce monde
sur le rivage du royaume des cieux et arraché aux abîmes de la mort éternelle.
Ce filet recueille des poissons de toute espèce, car l’Église appelle à la
rémission des péchés les sages et les ignorants, les hommes libres et les
esclaves, les riches et les pauvres, les forts et les faibles. Ce filet,
c’est-à-dire la sainte Église, sera tout à fait rempli lorsqu’à la fin des
temps la destinée du genre humain sera consommée. C’est pour cela qu’il est
dit : « Lorsqu’il fut plein, » etc. — De même que la mer figure le monde, ainsi le rivage de la
mer représente la fin du monde. C’est alors que les bons poissons seront
recueillis dans des vaisseaux et les mauvais jetés au loin, c’est-à-dire que
les élus seront reçus dans les tabernacles éternels, tandis que les méchants,
privés de la lumière qui éclaire le royaume intérieur, seront traînés dans les
ténèbres extérieures. Pendant cette vie, les filets de la foi contiennent
indifféremment les bons et les mauvais, comme des poissons mêlés
ensemble ; mais le rivage fera reconnaître ceux que contenait le filet de
l’Église. — S. Jér. En effet,
lorsque ce filet sera tiré sur le rivage, alors on verra comment doit s’opérer
la séparation des bons avec les mauvais.
S. Chrys. (hom. 48.) Quelle différence y a-t-il entre cette parabole et
celle de l’ivraie ? De part et d’autre, les uns sont sauvés et les autres
périssent ; mais dans la parabole de l’ivraie, c’est la perversité des
dogmes hérétiques qui est la cause de leur perte ; dans la parabole de la
semence, c’est le défaut d’attention à la parole de Dieu, et dans celle-ci
c’est la vie criminelle des hommes qui sera pour eux un obstacle à leur salut,
bien qu’ils aient été pris dans le filet, c’est-à-dire bien qu’ils aient reçu
la connaissance de Dieu. Et ne soyez pas tenté de regarder comme un supplice peu
rigoureux pour les mauvais d’être jetés dehors, car écoutez Notre-Seigneur qui
vous fait connaître dans l’explication de cette parabole combien ce supplice
sera terrible : « Il en sera de même à la fin des temps. Les Anges
viendront et sépareront les mauvais, » etc. Il dit ailleurs que c’est
lui-même qui les séparera comme un pasteur sépare les brebis d’avec les boucs.
Ici ce sont les Anges qui font cette séparation, comme dans la parabole de
l’ivraie.
S. Grég. (hom. 10.) Il
faut bien plutôt trembler en entendant ces paroles, que chercher à les
expliquer, car les tourments des pécheurs y sont prédits ouvertement et
personne ne peut s’excuser ici sur son ignorance en prétextant l’obscurité du
dogme des supplices éternels. — Rab. Lorsque
la fin du monde sera venue, on connaîtra les véritables signes qui doivent
servir à séparer les poissons entre eux, et là comme dans un port, à 1’abri de
toute agitation, les bons seront placés dans les vaisseaux des célestes
demeures, et les mauvais jetés dans les flammes de l’enfer qui doivent les
brûler et les tourmenter pendant l’éternité.
S. Chrys. (Hom. 48.) Après que le peuple s’est retiré, le
Seigneur continue de parler à ses disciples en paraboles, parce que cette
méthode d’enseignement a ouvert leur intelligence et leur a fait comprendre les
paroles du Sauveur. Il leur demande donc : « Avez-vous compris toutes
ces choses ? Ils lui répondent : Oui. » — S. Jér. Il s’adresse particulièrement aux
Apôtres, car il ne veut pas seulement qu’ils entendent comme le peuple, mais
comme des hommes qui doivent un jour enseigner les autres.
S. Chrys. Il les félicite de nouveau de ce
qu’ils ont compris par les paroles suivantes : « C’est pourquoi tout
docteur tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes. »
S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 4.) Il ne dit pas des choses anciennes et des
choses nouvelles, ce qu’il n’eût pas manqué de faire, s’il n’avait préféré
suivre l’ordre que prescrivait le mérite de ces choses plutôt que l’ordre des
temps. Les Manichéens qui prétendent n’être en possession que des promesses
nouvelles de Dieu, restent ensevelis dans la vétusté de la chair et
introduisent en même temps la nouveauté de l’erreur. — S. Aug. (Quest. évang.) Notre-Seigneur a-t-il voulu expliquer ici quel est
ce trésor caché dans le champ et que l’on peut entendre des saintes Écritures
composées de l’Ancien et du Nouveau Testament ; ou bien son dessein est-il
de nous apprendre qu’on doit regarder comme un homme docte dans l’Église celui
qui comprend les anciennes Écritures, même sous la forme de paraboles, en
puisant dans les nouvelles les principes d’une bonne interprétation (puisque le
Sauveur lui-même a parlé en paraboles dans le Nouveau Testament) ? Car
s’il est celui en qui toutes les Écritures reçoivent leur accomplissement et
leur manifestation, et que cependant il parle encore en paraboles jusqu’à ce
que sa passion ait déchiré le voile et qu’il n’y ait rien de caché qui ne soit
révélé, nous devons en conclure que ce qui avait été prédit de lui si longtemps
avant sa venue sur la terre était plus que tout le reste caché sous le voile
des paraboles. Et en voulant entendre ces prédictions à la lettre, les juifs
ont refusé de devenir instruits de ce qui concerne le royaume des cieux.
S. Grég. (hom. 13.) Si par ces choses nouvelles et anciennes nous
entendons les deux Testaments, nous serons forcés de ne point regarder Abraham
comme docte et instruit, lui qui connaissait sans doute les faits de l’Ancien
et du Nouveau Testament, mais qui n’en a point parlé. Nous ne pourrons pas non
plus comparer Moïse à ce docte père de famille, car s’il a enseigné les
préceptes de l’Ancien Testament, il n’a point promulgué les vérités de la loi
nouvelle. Nous devons donc entendre que Notre-Seigneur ne parlait que de ceux qui
existaient autrefois, mais de ceux qui pouvaient faire partie de l’Église. Ce
sont ces derniers qui tirent de leur trésor des choses nouvelles et des choses
anciennes lorsque par leur vie comme par leurs paroles, ils annoncent les
vérités renfermées dans les deux Testaments. — S. Hil. (can. 14.)
Jésus parle ici à ses disciples et il les appelle scribes ou docteurs à cause
de leur science, parce qu’ils ont compris ce qu’il leur a enseigné de nouveau
et d’ancien, c’est-à-dire son Évangile, et ce qu’il leur a expliqué de la loi.
La loi et l’Évangile ont tous les deux pour auteur le même père de famille et
sortent tous les deux du même trésor. Sous ce nom de père de famille, il
établit aussi une comparaison entre ses disciples et lui-même, parce qu’ils ont
puisé la doctrine des vérités anciennes et des vérités nouvelles dans le trésor
de l’Esprit saint.
S. Jér. Ou bien il donne aux Apôtres le
nom de scribes doctes et instruits, parce qu’ils étaient comme les secrétaires
du Sauveur, et qu’ils écrivaient ses paroles et ses préceptes sur les tables de
chair du cœur humain. (2 Co 3.)
Riches des mystères du royaume des cieux et des richesses du père de famille,
ils tiraient du trésor de leur doctrine des choses nouvelles et des choses
anciennes, c’est-à-dire qu’ils appuyaient toutes les vérités de l’Évangile sur
des témoignages de la loi et des prophètes. C’est pour cela que l’épouse dit
dans le Cantique des cantiques (Ct 7) : « Mon bien-aimé, je vous ai
réservé les choses nouvelles avec les choses anciennes. » — S. Grég. (hom. 12.) Ou bien encore, la chose ancienne, c’est que le genre
humain, par suite de ses crimes, devait périr victime d’un supplice éternel, et
la chose nouvelle, c’est qu’il se convertisse et qu’il vive d’une vie
immortelle dans le royaume des cieux. Il nous a donné d’abord comme figure du
royaume le trésor trouvé et la pierre précieuse ; il nous a fait connaître
ensuite les peines de l’enfer où les méchants brûleront éternellement, et il
conclut par ces paroles : « C’est pourquoi tout scribe instruit tire
de son trésor des choses nouvelles et anciennes, paroles dont voici le
sens : Celui-là doit être regardé dans l’Église comme un prédicateur
instruit qui sait dire des choses nouvelles sur les douceurs ineffables du
royaume des cieux, et des choses anciennes sur la rigueur effrayante des
supplices éternels, afin que les châtiments épouvantent ceux qui demeurent
insensibles à l’attrait des récompenses.
S. Jér. Après ces paraboles que
Notre-Seigneur avait proposées au peuple et que les apôtres seuls avaient
comprises, il vint dans sa patrie pour y enseigner plus ouvertement. C’est ce
que l’Évangéliste rapporte en ces termes : « Lorsque Jésus eut achevé
ces paraboles, » etc. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 45.) Saint
Matthieu passe de ces discours en paraboles à un autre sujet sans indiquer
qu’il suit un ordre rigoureux d’autant plus que saint Marc (Mc 4) et saint Luc
(Lc 8), en cela différents de saint Matthieu, paraissent avoir disposé leur
narration d’une manière plus conforme à l’ordre chronologique des faits, en
plaçant après ces paraboles les deux miracles du sommeil de Jésus dans la
barque pendant la tempête et des démons chassés, miracles que saint Matthieu a
entremêlés précédemment dans son récit.
S. Chrys. (hom. 49.) L’Évangéliste appelle ici Nazareth sa
patrie ; il n’y fit pas beaucoup de miracles, ainsi qu’il le dit plus bas,
mais il les multiplia dans Capharnaüm, où il développa en même temps sa
doctrine qui ne devait pas moins les frapper d’admiration que ses miracles. — Remi. Il enseignait dans les synagogues
où les Juifs se rassemblaient en foule, parce qu’il était descendu du ciel sur
la terre pour le salut d’un grand nombre. — « De sorte qu’étant saisis
d’étonnement, ils disaient : D’où lui est venue cette sagesse et cette puissance ? » La sagesse se rapporte à sa doctrine,
la puissance aux miracles qu’il opérait.
S. Jér. Aveuglement inconcevable des
Nazaréens, ils s’étonnent que la sagesse possède la sagesse, et que la
puissance fasse éclater la puissance (cf. 1
Co 1, 24). La cause de leur erreur est évidente ; ils ne voient dans
Jésus que le fils d’un charpentier. — S. Chrys.
(hom. 49.) Leur aveuglement et leur
folie s’étendent à tout, ils cherchent à le rabaisser par celui qu’ils
regardent comme son père ; cependant l’histoire des temps anciens leur
offrait un grand nombre d’exemples d’enfants illustres nés de parents sans
distinction : David était fils de Jessé, simple laboureur ; Amos
était fils de bergers et berger lui-même. C’était au contraire une raison de
lui témoigner plus d’honneur, puisque, malgré sa naissance si humble, il
prêchait une doctrine si relevée, car il était évident quelle n’était pas le
résultat d’une éducation tout humaine, mais un effet de la grâce divine. — S. Aug. (Serm. pour la Nativ. de Notre-Seign.). Le Père du Christ est en
effet ce divin charpentier qui a fait l’univers avec tout ce qu’il renferme,
qui a donné le plan de l’arche de Noé et fait connaître à Moïse l’ordonnance du
tabernacle, établi l’arche d’alliance ; divin charpentier, dis-je qui
aplanit les intelligences raboteuses et retranche toutes les pensées
orgueilleuses. — S. Hil. (can. 14.) Il était aussi le Fils de cet
ouvrier qui dompte le fer par le feu, qui dissout toute la puissance du monde
dans les ardeurs de son jugement, qui plie la matière aux usages de l’homme et
qui donne à nos corps leur forme pour que les membres puissent remplir leurs
divers offices et concourir aux oeuvres de la vie éternelle.
S. Jér. Après s’être trompés sur le père
de Jésus, il n’est point surprenant qu’ils se trompent également sur ses
frères : « Est-ce que sa mère ne s’appelle pas Marie et ses frères
Jacques et Joseph ? » — S. Jér.
(contre Helvid.) Ceux qu’ils
appellent les frères du Seigneur sont les enfants de sa tante, Marie de
Cléophas, femme d’Alphée et mère de Jacques et de Joseph : Cette Marie
était aussi la mère de Jacques le Mineur. — S. Aug. (Quest. évang., quest.
17 sur S. Matth.) Il n’est pas
étonnant qu’on ait appelé frères du Seigneur tous ses parents du côté maternel,
puisque les Juifs, qui pensaient que Joseph était son père, appellent également
ses frères tous ceux qui étaient parents de Joseph. — S. Hil. Le Seigneur se voit donc méprisé à
cause de ses parents, et quoique la sagesse de son enseignement et l’éclat de
ses miracles dussent exciter leur admiration, ils ne peuvent croire que c’est
Dieu qui agit ici dans l’homme, parce qu’ils cherchent à l’outrager en lui
rappelant le métier de son père. Au milieu donc de tant de merveilles qu’il
opérait sous leurs yeux, son humanité seule fait impression sur eux, et ils
disent : « D’où lui viennent toutes ces choses ? »
« Et il leur
était un sujet de scandale. » — S. Jér.
Cette erreur des Juifs est la cause de notre salut et en même temps la
condamnation des hérétiques ; ils s’obstinaient tellement à ne voir qu’un
homme en Jésus-Christ, qu’ils le regardaient comme le fils d’un charpentier. —
S. Chrys. (hom. 49.) Mais admirez ici la douceur de Jésus-Christ : il ne
leur dit aucune injure, mais leur répond avec la plus grande modération :
« Et Jésus leur dit : Un prophète n’est sans honneur que dans son
pays et dans sa maison. » — Remi. Il
se donne le nom de prophète et c’est le nom que Moïse lui avait donné,
lorsqu’il disait : « Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos
frères. » (Dt 18) Remarquons ici
que ce n’est pas seulement Jésus-Christ, le chef de tous les prophètes, mais
encore Jérémie et Daniel, et les autres prophètes qui ont reçu plus d’honneur
et de gloire parmi les étrangers qu’au milieu de leurs concitoyens. — S. Jér. En effet, il est presque dans la
nature que les habitants d’un même pays se jalousent mutuellement ; ils ne
considèrent pas les oeuvres actuelles de l’homme fait, ils ne se rappellent que
les faiblesses de son enfance, comme s’ils n’avaient point eux-mêmes passé par
les mêmes degrés pour arriver à la maturité de l’âge.
S. Hil. (can. 14.) Il déclare qu’un prophète est sans honneur dans sa
patrie, parce qu’il ne devait recevoir que des mépris dans la Judée jusqu’au
jour où il devait être condamné à la mort de la croix, et que ce n’est qu’au
milieu des fidèles qu’il a été reconnu comme la vertu de Dieu. Il ne voulut
point faire de miracles par suite de leur incrédulité, comme le remarque
l’Évangéliste : « Et il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause
de leur incrédulité. » — S. Jér.
Ce n’est pas que leur incrédulité rendît ces miracles impossibles, mais
il ne voulait pas que ces nombreux miracles fussent une cause de condamnation
pour ses concitoyens. — S. Chrys.
(hom. 49.) Mais puisqu’ils ne
pouvaient s’empêcher d’admirer les prodiges qu’il opérait, pourquoi ne pas les
multiplier parmi eux ? C’est que le Sauveur n’agissait point par
ostentation et ne recherchait que l’utilité des autres ; or, il ne voyait
pas ici cette utilité, il néglige donc ce qui lui est personnel pour ne pas
augmenter leur culpabilité et leur châtiment. Mais pourquoi donc en fit-il
quelques-uns ? Afin de leur ôter tout prétexte de dire : « Si
vous aviez fait des miracles, nous aurions cru. » — S. Jér. On peut encore entendre ces
paroles dans un autre sens, c’est-à-dire que Jésus a été méprisé dans sa maison
et dans sa patrie (par le peuple juif), et qu’il n’y a fait que peu de
miracles, afin qu’ils ne fussent pas entièrement inexcusables. Tous les jours,
au contraire, il opère par ses Apôtres de plus grands prodiges au milieu des
nations, moins pour la guérison des corps que pour le salut des âmes.
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