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LETTRE CXCIV.
BOSSUET A M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE,
ce 19 septembre 1690.
Il est vrai, Monsieur, que
quelques-uns ont repris cette espèce de défense de lire l'Ancien Testament. La
vraie résolution de cette difficulté, c'est qu'il en faut accorder la lecture
avec discrétion et selon la capacité des sujets. C'est ainsi que j'ai expliqué
votre pensée à M. Nicole, qui reprenait cette défense. Il me parla aussi du
Chrétien intérieur, et m'assura qu'il avait été défendu à Rome (a), sans
pouvoir me dire de quelle nature était la défense, si c'était par l'Inquisition
ou par l'Index : je n'en ai rien appris depuis.
(a) Le Chrétien intérieur a pour auteur M. de
Bernières-Louvigny, trésorier de France, homme d'une éminente piété, mort à Caen
en 1639. Le P. Louis-François d’Argentan, capucin, fit imprimer cet ouvrage en
1660,par conséquent longtemps avant la naissance du quiétisme. Voyez
l'Avertissement mis à la tête de la nouvelle édition faite à Pamiers en 1781.
Une traduction italienne du Chrétien intérieur a été en effet condamnée à
Rome par un décret de l'Inquisition du 30 novembre 1689. (Les édit.)
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Il me semble que ce que vous
dites, que cette diversité de faits, d'événements et d'histoires, n'a point de
rapport à la simplicité dont les religieuses font profession, a un peu besoin
d'explication. Je pense que vous voulez dire qu'il faut savoir trop de choses
pour bien entendre une telle diversité, afin que notre esprit n'en soit pas
confondu.
La raison d'exclure les
prophètes est différente de toutes celles-là : c'est leur grande obscurité. Un
objectera qu'il y a de l'obscurité dans les Epitres de saint Paul et dans
beaucoup d'autres endroits du Nouveau Testament.
Après tout je conviens qu'il ne
faut pas permettre indifféremment l'Ancien Testament, mais en éprouvant les
esprits. J'en use ainsi; et j'ai dit à M. Nicole que l'expérience m'avait appris
que l'Ancien Testament permis sans discrétion, faisait plus de mal que de bien
aux religieuses. Je prie, Monsieur, Notre-Seigneur qu'il soit avec vous, et
qu'il vous conserve pour le bien de vos enfants et de l'Eglise.
LETTRE CXCV.
BOSSUET A M. SANTEUL, CHANOINE RÉGULIER DE SAINT-VICTOR.
1690
J'ai reçu. Monsieur, avec bien
de la joie et de la reconnaissance le beau présent que vous m'avez fait. Je me
suis hâté de lire l'épître dédicatoire, et j'y ai trouvé un éloge de M.
Pelletier qui m'a paru très-fin et très-délicatement traité. Je reverrai avec
plaisir dans ce raccourci et dans cet ouvrage abrégé, toute la beauté de
l'ancienne poésie des Virgiles, des Horaces, etc., dont j'ai quitté la lecture
il y a longtemps : et ce me sera une satisfaction de voir que vous fassiez
revivre ces anciens poètes, pour les obliger en quelque sorte de faire l'éloge
des héros de notre siècle, d'une manière moins éloignée de la vérité de notre
religion.
Il est vrai, Monsieur, que je
n'aime, pas les fables; et qu'étant nourri depuis beaucoup d'années de
l'Ecriture sainte qui est le trésor de la vérité, je trouve un grand creux dans
ces fictions de
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l'esprit humain et dans ces productions de sa vanité. Mais
lorsqu'on est convenu de s'en servir comme d'un langage figuré pour exprimer,
d'une manière en quelque façon plus vive, ce que l'on veut faire entendre,
surtout aux personnes accoutumées à ce langage, on se sent forcé de faire grâce
au poète chrétien qui n'en use ainsi que par une espèce de nécessité. Ne
craignez donc point, Monsieur, que je vous fasse un procès sur votre livre: je
n'ai au contraire que des actions de grâces à vous rendre ; et sachant que vous
avez dans le fond autant d'estime pour la vérité que de mépris pour les fables
eu elles-mêmes, j'ose dire que vous ne regardez, non plus que moi, toutes ces
expressions tirées de l'ancienne poésie que comme le coloris du tableau, et que
vous envisagez principalement le dessein et les pensées de l'ouvrage, qui en
sont comme la vérité et ce qu'il y a de plus solide. Je suis, Monsieur, etc.
LETTRE CXCVI.
BOSSUET A M. SANTEUL, CHANOINE RÉGULIER DE SAINT-VICTOR.
1690.
J'ai reçu les trois exemplaires
de vos merveilleux ïambes, deux avant-hier, dont il y en a un pour mon neveu, et
un aujourd'hui: je n'en saurais trop avoir. Au reste mes déplorables
sollicitations me privèrent hier du sermon et de la joie de vous voir. Je n'osai
entrer à Saint-Victor après avoir manqué ce beau discours; et j’en allai
apprendre les merveilles au Jardin royal, de la bouche des plus éloquents hommes
de notre siècle, qui les avaient ouïes.
Faut-il, illustre Santeul, vous
inviter à venir chez moi? Qui a plus de droit d'y entrer? qui peut y être mieux
reçu que vous? Ne parlons plus de l'amende honorable que pour exalter les vers
qui l'ont célébrée, et ceux dont elle a été suivie.
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LETTRE CXCVII.
A M. L'ABBÉ RENAUDOT.
A Meaux, ce 7 janvier 1691.
Vous me donnez, Monsieur, une
agréable nouvelle : nous verrons donc à cette fois, s'il plaît à Dieu, milord
chancelier d'Ecosse. Je l'ai salué de loin comme un excellent catholique ;
j'espère l'embrasser comme un confesseur. Les deux pièces que vous m'avez
envoyées m'ont fait plaisir à lire. Mille remerciements de votre amitié, à
laquelle personne ne sera jamais plus sensible que moi, ni plus rempli d'estime
pour vous.
LETTRE CXCVIII.
AU P. MAUDUIT, PRÊTRE DE L'ORATOIRE.
A Versailles, ce 7 mars 1691.
J'ai reçu, mon révérend Père,
votre lettre du 3, et je suis très-aise que le Psautier qu'on vous a donné de ma
part vous ait agréé. Les deux psaumes que vous m'avez envoyés m'ont transporté
en esprit dans les temps où ils ont été composés; et si je n'ose encore
prononcer sur l'impression, c'est à cause que je n'ose aussi me fiera mon
jugement ni à mon goût sur la poésie, dans l'extrême délicatesse, pour ne pas
dire dans la mauvaise humeur de notre siècle.
Il me paraît par les remarques
que vous faites sur la Synapse d'Angleterre, que vous avez quelque pensée que je
m'en suis beaucoup servi : mais je ne veux pas vous laisser dans cette opinion.
J'en ai parcouru cinq ou six psaumes dans les endroits les plus obscurs, et j'y
ai trouvé ordinairement plus d'embarras et de confusion que de secours. Ile tous
les interprètes protestants, il n'y a presque que Grotius, s'il le faut mettre
de ce nombre, qui mérite d'être lu pour les choses, et Drusius pour les textes.
Au reste ce qu'on entasse et dans la Synopse et même dans les Critiques
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d'Angleterre, se trouve non-seulement plus autorisé, mais
plus pur et mieux expliqué dans les saints Pères : en sorte que je ne laisse à
ces critiques protestants qu'on nous vante tant, que quelques remarques sur la
grammaire. Parmi les catholiques, Muis (a) emporte le prix, à mon gré,
sans comparaison.
Et voilà, mon révérend Père, à
ne vous rien déguiser, tout le secours que j'ai eu ; et je ne voudrais pas que
vous crussiez que les protestants m'aient beaucoup servi, ou que j'improuve ce
que vous en dites sur saint Paul. Au contraire je suis tout à fait de votre avis
: et ce n'est pas seulement par piété, mais par connaissance que je donne la
palme aux nôtres. Quand je serai à loisir chez moi, et que j'aurai eu plus de
temps de considérer votre Analyse (b), je vous en dirai ma pensée. Je ne
puis à présent vous dire autre chose, sinon que ce que j'en ai pu lire m'a fort
plu. Je suis de tout mon cœur, mon révérend Père, etc.
LETTRE CXCIX.
BOSSUET A .M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE.
A Paris, ce 29 août 1691.
Voilà, Monsieur, les deux
lettres que j'avais oublié de vous porter. Si vous prenez la peine de m'adresser
la réponse, je serai plus fidèle à la rendre en main propre.
Je n'ai fait que passer à
Versailles, où j'ai trouvé le roi prêt à partir pour Marly. On m'assure de tous
côtes qu'il est tout à fait revenu pour la Trappe. Je ne manquerai pas
l'occasion d'en être, informé par moi-même. Il me paraît qu'il est nécessaire de
redoubler les prières à cause du mauvais état des affaires, et des autres
fâcheuses conjonctures qui peuvent mettre la religion en un extrême péril, si
Dieu n'y pourvoit par un coup de sa main.
On a très-bonne espérance de la
conclusion des affaires de Rome. Je m'en vais dans quatre jours attendre dans
mon diocèse
(a) Siméon de Muis, professeur de langue hébraïque au
collège royal , mort en 1644. Son Commentaire sur les Psaumes a été fort
estimé.
(b) Le P. Mauduit a publié des Analyses des Evangiles, des
Actes, des Epîtres de saint Paul et des Epîtres canoniques.
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l'effet de ces bonnes dispositions, pour en rendre grâces à
Dieu. Je ne puis vous témoigner combien je ressens de joie de vous avoir vu, ni
combien je suis touché de votre amitié.
LETTRE CC.
BOSSU ET A M. NICOLE.
A Meaux, ce 7 décembre 1691.
J'ai toujours. Monsieur,
beaucoup de joie quand je reçois des marques de votre amitié et de votre
approbation. L'une de ces choses me fait grand plaisir, et l'autre m'est fort
utile, parce qu'elle me fortifie, mais surtout à l'occasion du dernier ouvrage (a).
J'ai été très-aise de vous voir appuyer particulièrement sur une chose que je
n'ai voulu dire qu'en passant, pour les raisons que vous aurez aisément
pénétrées, et que néanmoins je désirais fort qu'on remarquât. C'est, Monsieur,
sur le triste état de la France, lorsqu'elle était obligée de nourrir et de
tolérer sous le nom de réforme tant de sociniens cachés, tant de gens sans
religion, et qui ne songeaient de l'aveu même d'un ministre qu'à renverser le
christianisme. Je ne veux point raisonner sur tout ce qui est passé en
politique, raffinée : j'adore avec vous les desseins de Dieu, qui a voulu
révéler par la dispersion de nos protestants ce mystère d'iniquité, et purger la
France de ces monstres. Une dangereuse et libertine critique se fomentait parmi
nous : quelques auteurs catholiques s'en laissaient infecter; et celui qui veut
s'imaginer qu'il est le premier critique de nos jours (b), travaillait
sourdement à cet ouvrage. Il a été depuis peu repoussé comme il méritait: mais
je ne sais si on ouvrira les yeux à ses artifices. Je sais en combien d'endroits
et par quels moyens il trouve de la protection; et sans parler des autres
raisons, il est vrai que bien des gens, qui ne voient pas les conséquences,
avalent sans y prendre garde le poison qui est caché dans les principes. Pour
moi, il ne m'a jamais trompé ; et je n'ai jamais ouvert aucun de ses livres
(a) Le sixième Avertissement aux Protestants, ou la
Défense de l'Histoire des Variations, ouvrages qui parurent cette année.
— (b) Richard Simon.
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où je n'aie bientôt ressenti un sourd dessein de saper les
fondements de la religion: je dis sourd par rapport à ceux qui ne sont
pas exercés en ces matières, mais néanmoins assez manifeste à ceux qui ont pris
soin de les pénétrer.
Je finis en vous assurant de
tout mon cœur de mes très-humbles services, et en priant Dieu qu'il vous
conserve pour soutenir la cause de sou Eglise, dont vos ouvrages me paraissent
un arsenal.
LETTRE CCI.
BOSSUET AU MARÉCHAL DE BELLEFONDS.
A Germigny, ce 10 août 1692.
Je me suis tu, et je n'ai pas
seulement ouvert la bouche, parce que c'est vous qui l'avez fait: c'est ce que
disait David (1). Jésus-Christ, qui vous présente à boire son calice, vous
apprend en même temps à dire : Votre volonté soit faite Je n'ajoute rien à cela,
Monsieur, si ce n'est que je m'en vais offrir à Dieu au saint autel vos regrets
et vos soumissions, et celles de votre famille, et le prier du meilleur de mon
cœur qu'il vous donne à tous les consolations que lui seul peut donner, et à
l'âme que vous chérissiez sa grande miséricorde?
LETTRE CCII.
BOSSUET A M. LE CURÉ DE DOUÉ.
A Germigny, ce 6 octobre 1092.
Il n’y a, Monsieur, aucune
difficulté de nommer les ecclésiastiques avant le seigneur : c'est la coutume et
la règle, quelque qualifié que soit un seigneur, et le roi souffre bien qu'on
nous nomme avant lui. Je suis à vous. Monsieur, de tout mon cœur.
1 Ps. XXXVIII, 10.— 2 Matth. XXVI, 42.
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LETTRE CCIII.
A MADEMOISELLE DU PRÉ (a).
A Versailles, ce 14 février 1693.
Je vous assure, Mademoiselle,
que M. Pelisson (b) est mort, comme il a vécu, en très-bon catholique. Loin
d'avoir le moindre doute de la foi catholique, je l'ai toujours regardé, depuis
le temps de sa conversion jusqu'à la fin de sa vie, comme un des meilleurs et
des plus zélés défenseurs de notre religion. Il n'avait l'esprit rempli d'autre
chose; et deux jours avant sa mort, nous parlions encore des ouvrages qu'il
continuait pour soutenir la transsubstantiation : de sorte qu'on peut dire sans
hésiter qu'il est mort en travaillant ardemment et infatigablement pour
l'Eglise. J'espère que ce travail ne se perdra pas, et qu'il s'en trouvera une
partie considérable parmi ses papiers.
Au reste il a voulu entendre la
messe pendant tous les jours de sa maladie, et je n'ai jamais pu obtenir de lui
qu'il s'en dispensât les jours de fête. Il me disait en riant qu'il n'était pas
naturel que ce fût moi qui l'empêchât d'entendre la messe. Il n'a jamais cru
être assez malade pour s'aliter, et il s'est habillé tous les jours jusqu'à la
veille de sa mort, et il recevait ses amis avec sa douceur et sa politesse
ordinaire. Son courage lui tenait lieu de forces, et jusqu'au dernier soupir il
voulait se persuader que son mal n'avait rien de dangereux. A la fin étant
averti par ses amis que ce mal pouvait le tromper, il différa sa confession au
lendemain pour s'y préparer davantage : et si la mort l'a surpris, il
(a) Cette lettre et la suivante, imprimées dans le temps
sur une feuille volante, n'ont pas été recueillies dans les anciennes éditions.
(b) Né à Béziers en 1624, d'abord avocat à Castres, puis
premier commis de Fouquet, Pelisson (ou Pellisson) fut enfermé pendant cinq ans
à la Bastille , où il fit trois mémoires en faveur de son maître disgracié.
Rendu à la liberté, il obtint comme dédommagement de sa captivité des places et
des pensions, et la droiture de son jugement lui fit abjurer les erreurs du
protestantisme. Il mourut en 1693. On lui doit les Mémoires pour Fouquet, qui
sont les chefs-d'œuvre du barreau français au XVIIe siècle; l'Histoire de
l'Académie française, qui le reçut dans son sein ; l'Histoire de Louis
XIV ; les Réflexions sur les différends de la religion, et le
Traité de l'Eucharistie.
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n’y a eu en cela rien de fort extraordinaire. C’était un
vrai chrétien, qui fréquentait les sacrements. Il les avait reçus à Noël, et à
ce qu’on dit encore depuis avec édification. Bien éloigné du sentiment de ceux
qui croient avoir satisfait à tous leurs devoirs pourvu qu'ils se confessent en
mourant, sans rien mettre de chrétien dans tout le reste de leur vie, il
pratiquait solidement la piété ; et la surprise, qui lui est arrivée ne
m'empêche pas d'espérer de le trouver dans la compagnie des Justes. C'est,
Mademoiselle, ce que j'avais dessein d'écrire à Mademoiselle de Scudery, avant
même de recevoir votre lettre : et je m'acquitte d'autant plus volontiers de ce
devoir, que vous me faites connaître que mon témoignage ne sera pas inutile pour
la consoler. Je profite de cette occasion pour vous assurer, Mademoiselle, de
mes très-humbles respects, et vous demander l'honneur de la continuation de
votre amitié.
LETTRE CCIV.
BOSSUET A MADEMOISELLE DE SCUDERY.
Ce que vous m'avez fait
l'honneur de m'écrire, Mademoiselle, sur le sujet de M. Pelisson, me donne
beaucoup de consolation; mais n'ajoute rien à l'opinion que j'avais de la
fermeté et de la sincérité de sa foi, dont ceux qui l'ont connu ne demanderont
jamais de preuves. J'ai parlé un million de, fois avec lui sur des matières de
religion, et ne lui ai jamais trouvé d'autres sentiments que ceux de l'Eglise
catholique. Il a travaillé jusqu'à la fin pour sa défense : trois jours avant sa
mort, nous parlions encore de l'ouvrage qu'il avait entre les mains contre
Aubertin, qu'il espérait pousser jusqu'à la démonstration, ne souhaitant la
prorogation de sa vie que pour donner encore à l'Eglise ce dernier témoignage de
sa foi. Je souhaite qu'on cherche au plus tôt un
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capable de donner un grand jour. Quoiqu'il n'ait pas plu à
Dieu de lui laisser le temps de faire sa confession et de recevoir les saints
sacrements, je ne doute pas qu'il n'ait accepté en sacrifiée agréable la
résolution où il était de la faire le lendemain. Le roi. à qui vous désirez
qu'on fasse connaître ses bonnes dispositions, les a deja sues, et j'ai en cela
prévenu vos souhaits. Ainsi, Mademoiselle, on n'a besoin que d'un peu de temps
pour faire revenir ceux qui ont été trompés par les faux bruits qu'on a répandus
dans le monde. Sa Majesté n'en a jamais rien cru; je puis, Mademoiselle, vous en
assurer : et tout ce qu'il y a de gens sages, qui ont connu pour peu que ce soit
M. Polisson, s'étonnent qu'on ait pu avoir un tel soupçon. C'est ce que j'aurais
eu l'honneur de vous dire, si je n'étais obligé d'aller dès aujourd'hui à
Versailles, et dans peu de jours, s'il plaît à Dieu, dans mon diocèse. Je
m'afflige cependant, et je me console avec vous de tout mon cœur, et suis avec
l'estime qui est due à votre vertu et à vos rares talents, etc.
LETTRE CCV.
SUR LA MORT DE M. PELISSON (a).
ce 6 mars 1693.
Quoique la lettre que j'ai eu
l'honneur de vous écrire, Monsieur, sur la mort de M. Pelisson, ait suffi pour
vous persuader qu'il est mort fort bon catholique, j'ai cru que je vous ferais
plaisir de vous envoyer copie de celles que M. l'Evêque de Meaux a écrites sur
le même sujet à deux personnes de mérite. Un si sur témoignage achèvera de
détromper ceux de votre connaissance qui auraient pu se laisser surprendre aux
faux bruits que quelques protestants ont fait courir contre la sincérité, et la
piété de ce zélé défenseur de la foi. Tout ce que je vous ai fait savoir sur sou
sujet m'a été confirmé de nouveau, excepté ce que je vous ai dit du temps de sa
conversion, qui n'arriva qu'en 1670. Depuis cet
(a) Cette lettre n'est pas de Bossuet. Elle fut imprimée
avec les lettres de ce prélat sur la mort de Pelisson. Nous avons cru devoir la
conserver pour honorer la mémoire d'un homme également cher à la religion et aux
lettres, indignement calomnié par les ennemis de l'Eglise catholique. (Edit.
de Vers.)
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heureux changement, on n'a jamais remarque en lui le
moindre doute sur les vérités catholiques ; et on y a au contraire reconnu de
jour en jour un nouvel amour pour l’Eglise, et un zèle plus ardent pour la
défense de ses vérités. La seule erreur que l'on ait remarquée en lui, disait
agréablement un illustre abbé, est celle d'être mort plus tôt qu'il ne pensait.
C'est pourquoi jamais entreprise no fut plus extravagante, que celle de vouloir
faire passer sa conversion pour un changement politique, sa conduite depuis ce
temps-là pour une comédie honteuse, et sa mort pour une preuve de son
hypocrisie. Je ne sais si on a jamais vu dans aucun huguenot converti, plus de
caractères d'une vraie et sincère conversion à la foi catholique, qu'on en a
toujours reconnu dans M. Pelisson. La tentation la plus ordinaire aux gens mal
convertis, est contre le sacrement adorable de l'Eucharistie. Ce mystère est
l'écueil contre lequel ils se brisent, et où leur conversion échoue. Au
contraire il n'y a guère de marque plus visible, ni de preuve plus certaine de
la sincérité de la conversion d'un protestant, que les témoignages constants
qu'il rend de la fermeté de sa foi sur le saint sacrifice de l'autel, d'un
respect extraordinaire et d'un amour tendre pour ce sacrement. Et c'est
justement ce qui a éclaté dans la personne de M. Pelisson d'une manière toute
singulière, et qui fait voir que ce même mystère, dont quelques protestants
publient si faussement qu'il n'a point voulu entendre parler à la mort, et
qu'ils prennent pour fondement de leurs calomnies, a été les saintes délices de
cet excellent cal Indique, et l'objet de sa plus tendre piété,
Ce qui m'en est revenu sans que
j'en aie fait aucune recherche, m'a beaucoup consolé ; et comme je suis persuadé
qui fera le même effet dans votre cœur, je vous le rapporterai, Monsieur,
bonnement et avec simplicité. Si les protestants qui le pourront voir s'en
moquent, je suis assuré que les catholiques a qui vous en ferez part en seront
fort édifiés, et qu'ils béniront Dieu en voyant dans une personne dont on leur a
voulu rendre la conversion suspecte, une foi si parfaite et si bien soutenue par
tous les endroits de sa vie.
Il ne se convertit qu'après
s'être instruit à fond de la vérité de
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ce mystère par l'élude de la tradition, et après avoir
achevé de s'en convaincre par la lecture du livre de la Perpétuité de la Foi
de l'Eglise catholique sur l'Eucharistie.
Il célébra depuis tous les ans
l'anniversaire de sa conversion, en assistant au saint sacrifice de la messe, et
en communiant à la victime qui y est offerte.
Il a fréquenté ce sacrement dans
le reste de sa vie avec une piété exemplaire, et dont les religieux de
Saint-Germain des Prés ont toujours été fort édifiés.
Il s’y préparait par le
sacrement de la pénitence, et les révérends Pères dom Thomas Blampin, dom Michel
Germain et dom Jacques du Frische, religieux de cette abbaye, qui ont été ses
confesseurs, ont été témoins de sa foi et de son respect envers ce mystère.
Les prières courtes et pleines
d'onction qu'il fit imprimer, pour aider les autres à assister avec plus de
religion à la célébration de la sainte messe, sont une preuve de son zèle pour
la sainteté de ce sacrifice.
Il ne se contenta pas d'y
travailler lui-même; il y engagea ceux qu'il connaissait le plus propres à y
contribuer : et ce fut lui qui inspira à feu M. le Tourneux le dessein de
l’Année chrétienne, cet ouvrage si édifiant et si utile, qui contient la
traduction du Missel, et l'explication des épîtres et des évangiles qui se
lisent à la messe dans le cours de l'année.
Dans toutes les occasions qui se
sont présentées, il a pris la plume pour défendre la présence réelle du corps et
du sang de Jésus-Christ au Saint-Sacrement et la vérité du sacrifice de
l'Eucharistie: ses livres en font foi.
Les instructions qu'il a données
de vive voix sur ce mystère à un grand nombre de protestants qui pensaient à se
convertir, et à d'autres qui l'avoient déjà fait, ne sont guère moins connues
que ses ouvrages publics.
Il a été si appliqué les vingt
dernières années de sa vie à la conversion des huguenots, qui communément ont
plus d'opposition à la vérité de l'Eucharistie qu'à pas un autre article
contesté, que ceux mêmes qui veulent faire croire au monde que M. Pelisson est
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mort protestant, ne peuvent s'empêcher d'avouer et de
publier en même temps que l'Eglise perd en lui un puissant instrument poulies
conversions. Ils pouvaient ajouter que le zèle qu'il avait pour le salut de ses
frères, le portait à les assister avec une libéralité qui allait au-delà de ses
forces, quoiqu'il ait laissé suffisamment de quoi payer les dettes que sa
charité pour eux lui a fait contracter.
Son amour pour l'Eucharistie
l'attirait puissamment aux pieds des autels. Il avait une dévotion particulière
à y venir répandre son cœur dans la prière; et on l'a vu très-souvent en faire
de très-longues et très-édifiantes devant le Saint-Sacrement.
On l'y a surpris plusieurs fois
tout prosterné : et le révérend Père dom Simon Rougis remarqua un jour d'une
tribune où il était, que M. Pelisson s'étant reconnu seul dans l'église, s'y
tint fort longtemps prosterné devant le Saint-Sacrement, et qu'il fut obligé de
l'y laisser quand il se retira de la tribune.
On a aussi remarqué que
lorsqu'il allait par la ville et qu'il était avec des personnes familières, il
descendait souvent de carrosse, pour aller adorer le Saint-Sacrement dans les
églises par-devant lesquelles il passait.
Je sais même que sa piété envers
le saint sacrifice de la messe lui inspira d'en fonder une, il y a quelques
années: et ce qui est bien contraire à l'hypocrisie, il l'a fondée sous le nom
d'un de ses amis, afin de cacher cette bonne œuvre aux yeux des hommes, comme il
l'a fait en plusieurs autres occasions, et que le sacrifice en fût plus parfait
devant Dieu. Rien n'est plus certain; car je le sais d'original.
On assure encore que, quand il
se croyait offensé par quelqu'un, il avait coutume de faire dire une messe pour
lui.
Il a désiré avec empressement
d'entendre, la messe tous les jours de sa maladie, et on n'a pu l'empêcher de
suivre ce désir les jours de l'été.
Il s'est disposé à recevoir le
saint Viatique, aussitôt que ses amis l'ont assuré qu'il était en danger.
Enfin il est mort la plume à la
main pour la défense de la transsubstantiation.
Je doute, Monsieur, que tout
cela soit trouvé par des gens raisonnables,
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fort propre à prouver au public que M. Pelisson est mort
huguenot : mais je suis assuré que tous huguenots qui ont de l'honneur et de la
bonne foi, auront honte qu'il y ait eu parmi eux des personnes assez aveugles ou
d'assez mauvaise conscience pour répandre dans le monde une fable aussi ridicule
que celle-là. et propre à décrier la conduite du parti protestant.
Je ne vous en dirai pas
davantage, Monsieur : si vous voulez connaître les excellentes qualités de M.
Pelisson, et voir en sa personne le portrait d'un des plus honnêtes hommes qu'on
ait vus dans ce siècle, vous n'avez qu'à lire l'éloge qu'en a fait une illustre
amie, et qui se trouve dans le Mercure galant du mois de février dernier. Je
suis, Monsieur, avec respect (a), etc.
LETTRE CCVI.
BOSSUET A M. NICOL E.
A Meaux, ce 17 août 1693.
Je m'en tiendrai. Monsieur, à
votre décision : j'avoue que j'ai été fort partagé entre, les notes courtes ou
longues. Pour les courtes, j'avais les raisons que vous avez si bien exposées
dans votre lettre : pour les longues, j'avais le grand nombre qui est composé
ordinairement de gens médiocres et impatiens, qui sont offensés pour peu qu'on
les oblige à s'appliquer, et qui ne veulent plus lire quand on leur explique
tout, à cause de la longueur qui les accable. Comme donc j'ai été persuadé qu'on
n'en dit jamais assez pour ceux qui ne sont point attentifs, et que j'en ai dit
assez
(a) A la place de cette longue lettre publiée par les
éditeurs de Versailles, on pouvait produire vingt témoignages plus authentiques,
plus convaincants. Ainsi Fénelon dit, dans son discours de réception à
l'Académie française, à la place de Pelisson : «Nous l'avons vu, malgré sa
défaillance, se traîner aux pieds des autels jusqu'à la veille de sa mort, pour
célébrer, disait-il, sa fête et l'anniversaire de sa conversion. Hélas ! nous
l'avons vu, séduit par son zèle et par son courage, nous promettre d'une voie
mourante qu'il achèverait son grand ouvrage de l'Eucharistie. Oui, je l'ai vu
les larmes aux yeux, je l'ai entendu; il m'a dit tout ce qu'un catholique nourri
depuis tant d'années des paroles de la foi peut dire pour se préparer à recevoir
les sacrements avec ferveur. La mort, il est vrai, le surprit venant sous
l'apparence du sommeil : mais elle le trouva dans la préparation des vrais
fidèles. » (Œuvres de Fénelon, tom. XXI , p. 130 , 131 ; édit. Vers.)
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pour ceux qui le sont, j'irai mon train, et je continuerai
à me proposer pour modèle Jansénius d'Ipres sur les Evangiles, dont la juste et
suffisante brièveté m'a toujours plu.
Je vous prie de me décider
encore une autre chose. Plusieurs croient qu'à cause des mauvais critiques qui
réduisent à rien les prophéties, c'est-à-dire le fondement principal de la
religion, il sera utile de traduire le Supplément sur les Psaumes. Si
vous le trouvez à propos je le ferai ou le ferai faire, et en ce cas j'étendrai
les notes encore un peu davantage en faveur du commun des lecteurs. Je vous fais
mille remerciements très-sincères.
Il y a des fautes dans le
Salomon, qui me font de la peine, entre autres une transposition qui gâte le
sens, Proverb. XX, I, où sicera qui est à la fin, doit être mis
avant id est, vinum. Je vous prie de corriger cet endroit. Encore une
fois, Monsieur, je vous rends grâces, et suis tout à vous. Je prie de tout mon
cœur Notre-Seigneur qu'il vous conserve.
LETTRE CCVII.
BOSSUET A MILORD PERTH.
A Meaux, ce 3 septembre 1693.
J'ai appris avec une extrême
joie que vous aviez la liberté de sortir de la Grande-Bretagne, et qu'on pouvait
espérer de recevoir de vos lettres : j'en ai une grande impatience. Je ne doute
pas que pendant votre prison, Dieu, qui n'abandonne jamais ceux qui souffrent
pour sa cause, ne vous ait fait de grandes grâces ; et cerne sera une
particulière consolation d'en apprendre quelque chose de vous-même. Donnez-moi
donc cette joie ; et croyez, Milord, que vous m'avez toujours été présent.
J'attends qu'on sache où vous êtes pour vous écrire plus amplement. Soyez
cependant
(a) Jusqu’ici nous avons vu un bien plus grand nombre de
lettres de Milord que de Bossuet, parce que, comme nous l’avons remarqué, la
plupart de celles du dernier ont péri dans les révolutions arrivées en
Angleterre. Désormais on n’en trouvera plus qu’une de Milord Perth, parce que
apparemment Bossuet ou ceux qui ont recueilli ses papiers, n'ont pas eu autant
de soin de nous conserver les lettres que ce seigneur lui a écrites depuis sa
sortie d'Angleterre. (Les éditeurs)
470
persuadé du respect, de la cordialité et de la tendresse
avec laquelle je suis, etc.
LETTRE CCVIII.
BOSSUET A N*** (a).
A Meaux, ce 22 octobre 1693.
Il est malaisé de vous définir
le livre de M. Simon : vous en connaissez le génie. On apprend dans cet ouvrage
à estimer Crotius et les unitaires plus que les Pères, et il n'a cherché dans
ceux-ci que des fautes et des ignorances. Il donne pourtant contre eux plus de
décisions que de bons raisonnements. C'est le plus mince théologien qui soit au
monde, qui cependant a entrepris de détruire le plus célèbre et le plus grand
qui soit dans l'Eglise (b) , Il ne fait que donner des vues pour trouver qu'il
n'y a rien de certain, et mener tout autant qu'il peut à l'indifférence.
L'érudition y est médiocre, et la malignité dans le suprême degré.
LETTRE CCIX.
M. DE LA BROUE, ÉVÊQUE DE MIREPOIX A BOSSUET (c).
A Narbonne, ce 19 novembre 1693.
Je me suis enfin acquitté de vos
deux commissions, Monseigneur: j'ai fait votre présent des Notas sur Salomon à
M. de Rasville et je lui ai parlé de ce que vous souhaitez avoir de M. de
Graverol. Il a déjà écrit pour cela, et prétend qu'il peut vous donner encore de
nouveaux éclaircissements (d) par des registres d'interrogatoires qui ont été
faits à Carcassonne, et qui sont à présent à Montpellier. Il croit que, pour y
chercher plus utilement, il serait bon
(a) Nous ignorons à qui cette lettre était adressée : le
nom de la personne n'est point marqué sur la minute que Bossuet avait conservée.
(Les prem. édit.)
(b) Saint Augustin.
(c) Comme nous avons une suite de lettres de Bossuet et de
M. de la Broue. nous donnons ici la première, qui est de ce dernier évêque,
quoique la lettre de Bossuet nous manque; parce que nous plaçons ordinairement
parmi les lettres de ce prélat, toutes celles des personnes à qui il peut avoir
écrit, lorsque nous avons un nombre de lettres de Bossuet à ces mêmes personnes.
(Les prem. édit.)
(d) Sur les albigeois.
471
que vous prissiez la peine de dresser un petit mémoire des
erreurs qui peuvent servir à prouver que les Albigeois étaient manichéens. Je me
suis offert à faire ce mémoire en attendant : mais comme les registres ne sont
point ici. et qu'avant qu'on soit à Montpellier on peut avoir reçu votre
réponse, il sera beaucoup mieux qu'on en ait reçu un de votre façon.
Je vous supplie de me donner des
nouvelles de votre ouvrage. Je suis très-mecontent de M. Dupiu sur les extraits
de saint Jean Chrysostome et de Cassien. Je suis fort trompé s'il ne croit pas
qu'on peut être semi-pélagien sans cesser d'être catholique : je souhaite qu'il
vapule dans votre ouvrage comme il le mérite. Je ne sais si je n'irai point
bientôt voir ce que vous avez déjà fait : j'attends de savoir si M. le marquis
de Mirepoix viendra ou ne viendra point dans la province cet hiver, et j'espère
de le savoir incessamment. Si M. l'archevêque de Toulouse avait eu la boule de
se souvenir de moi, j'aurais été député à l'assemblée des bois ; et cela me
convenait à cause de mon procès.
Au reste avez-vous donné un
exemplaire des Notes sur Salomon à M. l'évêque de Saint-Pons? Il me
semble qu'il vous donnait ses ouvrages, et qu'il vous consultait même avant de
les donner au public, je mets l'abbé de Catellan sous votre protection : je ne
sais comment il réussit au pays où il est. Je vous supplie de lui donner tous
les avis dont il aura besoin ; il sera soigneux de vous les demander. Je suis
toujours très-respectueusement, etc.
LETTRE CCX.
BOSSUET AU CARDINAL DE JANSON. Réponse à une consultation de Jacques II, roi
d'Angleterre (a).
Du 22 mai 1693.
MONSEIGNEUR,
Il a plu au roi d'Angleterre de me faire communiquer
certains éclaircissements qu'on demandait à Sa Majesté touchant la religion,
(a) Dépouillé de sa couronne par la révolution de 1688,
Jacques II, roi d’Angleterre, avait conservé de nombreux partisans dans les
trois Royaumes-Unis ;
472
en faveur de ses sujets protestons, lorsqu'ils se
rangeraient à leur devoir; et il me fit témoigner en même temps qu'il voulait
savoir de moi si je croyais qu'ils pussent blesser sa conscience. Je crus qu'il
les pouvait accorder sans aucune difficulté, et je lui déclarai mon sentiment,
tant de vive voix que par écrit.
Le même roi m'ordonne
présentement, Monseigneur, de dire à Votre Eminence les raisons dont j'ai appuyé
mon avis, afin qu'elle puisse en rendre compte à Sa Sainteté, à qui je soumets
de tout mon cœur toutes mes pensées et toutes mes vues. J'obéis, et Votre
Eminence verra en peu de mots dans l'écrit inclus, les raisons qui me
déterminent à approuver la Déclaration de ce prince.
Le roi, notre maître, a su la
consultation et la réponse, et il a approuvé mes sentiments, qui se sont trouvés
conformes à celui
mais les protestants lui demandaient, en échange de son
rétablissement sur le trône, des garanties en faveur de leur religion. On
proposa de part et d'autre, une déclaration qui fut publiée le 17 avril 1093,
dans les termes suivants:« Nous déclarons sur notre parole royale, que nous
protégerons et défendrons l'église anglicane bile qu'elle est établie par les
lois, et que nous assurerons à ses membres toutes les églises, universités et
écoles qu'ils possèdent aujourd'hui, ainsi que leurs dignités, droits et
privilèges. Nous déclarons aussi que nous recommanderons sérieusement au
Parlement l'établissement d'une liberté de conscience impartiale, et telle
qu'elle conviendra au bonheur de la nation. Nous déclarons de plus que nous ne
violerons pas le Test, que nous ne dispenserons pas de son observation, et que
nous laisserons au Parlement le soin d'expliquer et de limiter notre pouvoir de
dispenser en d'autres matières. »
Cette déclaration fut soumise avec un autre projet, au
jugement des évêques français. Bossuet donna, sous la date du 12 février 1693,
la décision que voici : « Les deux formules et promesses dans le fond sont de
même force. Le roi de la Grande-Bretagne peut également accepter et signer sans
blesser sa conscience, et donner la préférence à celle que Sa Majesté croira la
plus avantageuse pour le bien de son service. » Quelques docteurs de Sorbonne,
qu'à la vérité l'on ne nomme pas, se prononcèrent dans le même sens.
Trois mois plus tard, la question fut soumise directement à
Bossuet de cette manière : « 1° Si le roi d'Angleterre peut, sans blesser sa
conscience, promettre à ses sujets protestants, pour les faire rentrer dans son
obéissance, de protéger et de défendre l'église anglicane, comme elle est
maintenant établie par les lois, et assurer aux membres de celle église toutes
leurs églises, universités, collèges et écoles, avec leurs immunités et
privilèges; 2° Si le même roi peut promettre aussi de ne point violer le serment
du Test, et de n'en point dispenser. » Bossuet envoya sa réponse à Rome, avec
une lettre au cardinal de Janson ambassadeur de France auprès du saint Siège.
Ces deux pièces et celles qu'on a déjà lues dans ces
quelques lignes, ont été publiées en 1818, par le journal anglais The
catholic Gentlemans magazine, ». I, n° 10.
473
des principaux docteurs de la Sorbonne, sans que nous ayons
communiqué ensemble.
Il s'agit à présent,
Monseigneur, de faire entendre nos raisons à un Pape dont la prudence et la
piété éclatent par toute l'Eglise; et j'ose espérer de la bonté dont vous m'avez
toujours honoré, que vous voudrez bien vous servir de cette occasion, pour
assurer ce saint Pontife de mes profondes soumissions, et de l'inviolable
respect que je ressens, comme je le dois, non-seulement pour sa place si auguste
et si sainte, mais encore pour sa personne, dont les vertus remplissent le monde
d'édification et de joie.
Conservez-moi, Monseigneur,
l'honneur de votre amitié, et croyez que je suis toujours avec le très-humble
respect que vous connaissez, Monseigneur, votre, etc.
+ J. BÉNIGNE, Ev. de Meaux.
Preuves du sentiment de M. l'Evêque de Meaux sur la Déclaration du roi
d'Angleterre.
La Déclaration qu'on demande au
roi d'Angleterre en faveur de ses sujets protestants, consiste principalement en
deux points : le premier est que Sa Majesté promette de protéger et défendre
l'église anglicane, comme elle est présentement établie par les lois, et qu'elle
assure aux membres d'icelle toutes leurs églises, universités, collèges et
écoles, avec leurs immunités et privilèges. Le second, que Sadite Majesté
promette aussi qu'elle ne violera point le serment du Test, ni n'en dispensera
point.
J'ai répondu et je réponds, que
Sa Majesté peut accorder sans difficulté ces deux articles; et pour entendre la
raison de cette réponse, il ne faut que fixer le sens des deux articles.
Le premier a deux parties :
l'une de protéger et de défendre l’église anglicane, comme elle est présentement
établie par les ce qui n'emporte autre chose que de laisser ces lois dans leur
vigueur, et comme roi les exécuter selon leur forme et teneur.
La conscience du roi n'est point
blessée par cette partie de la
474
Déclaration, puisque la protection et la défense qu'il
promet à l'église anglicane protestante, ne regarde que l'extérieur, et n'oblige
Sa Majesté à autre chose qu'à laisser cette prétendue église dans l'état
extérieur où il la trouve, sans l'y troubler, ni permettre qu'on la trouble.
Pour décider cette question par
principes , il faut faire grand-différence entre la protection qu'on donnerait à
une fausse église par adhérence aux mauvais sentiments qu'elle professe, et à
celle qu'on lui donne pour conserver à l'extérieur la tranquillité. La première
protection est mauvaise, parce qu'elle a pour principe l'adhérence à la fausseté
; mais la seconde est très-bonne, parce qu'elle a pour principe l'amour de la
paix, et pour objet une chose bonne et nécessaire, qui est le repos public.
Ceux qui traitent avec le roi
d'Angleterre dans cette occasion, ne lui demandent pas l'approbation de l'église
anglicane, parce qu'au contraire ils le supposent catholique, et traitent avec
lui comme l'étant. Ils ne lui demandent donc qu'une protection légale,
c'est-à-dire une protection à l'extérieur, telle qu'elle convient à un roi qui
ne peut rien sur les consciences ; et tout le, monde demeure d'accord que cette
sorte de protection est légitime et licite.
Les rois de France ont bien
donné par l’édit de Nantes une espèce de protection aux protestants réformés, en
les assurant contre les insultes de ceux qui les voudraient troubler dans leurs
exercices, et en leur accordant des espèces de privilèges, où ils ordonnaient à
leurs officiers de les maintenir. On n'a pas cru que leur conscience fût
intéressée dans ces concessions, tant qu'elles ont été jugées nécessaires pour
le repos public, parce qui; c'était ce repos, et non pis la religion prétendue
réformée, qui en était le motif. On peut dire à proportion la même chose du roi
d'Angleterre ; et s'il accorde de plus grands avantages à ses sujets
protestants, c'est qui; l'état où ils sont dans le royaume et le motif du repos
public l'exigent ainsi. Aussi ceux qui trouvent à redire à cet endroit de
l'article ne mettent-ils la difficulté qu'en ce qu'il renferme une tacite
promesse d'exécuter les lois pénales qui sont décernées par le Parlement contre
les catholiques, parce que,
475
disent-ils, les protestants mettent dans ces lois pénales
une partie de la protection qu'ils demandent pour l'église anglicane
protestante.
Mais les paroles dont se sert le
roi n'emportent rien de semblable ; et il importe de bien comprendre comme parle
la Déclaration. « Nous protégerons, dit-elle, et défendrons l'église anglicane,
comme elle est présentement établie par les lois. » Il ne s'agit que des
principes constitutifs de cette prétendue église en elle-même, et non pas des
lois pénales par Lesquelles elle prétendrait pouvoir repousser les religions qui
lui sont opposées.
Les principes constitutifs de la
religion anglicane selon les lois du pays, sont premièrement les prétendus
articles de foi réglés sous la reine Elisabeth; secondement, la liturgie
approuvée par les Parlements; troisièmement, les homélies en instructions, que
les mêmes Parlements ont autorisées.
On ne demande point au roi qu'il
se rende le protecteur de ces trois choses, mais seulement qu'à l'extérieur il
leur laisse un libre cours pour le repos de ses sujets : ce qui suffit d'un côté
pour maintenir ce qui constitue à l'extérieur l'église anglicane protestante, et
d'autre part ne blesse point la conscience durai. Voilà donc à quoi il s'oblige
par cette première partie de l'article, où il promet d'assurer à l'église
protestante et à ses membres, leurs églises, etc. La seconde a encore moins de
difficulté, et même elle tempère la première, en réduisant manifestement la
protection et la défense de l'église anglicane protestante aux choses
extérieures dont elle est en possession, et dans lesquelles le roi promet
seulement de ne point souffrir qu'on la trouble.
Le Roi est bien loin d'approuver
par là l'usurpation des églises et des bénéfices; mais il promet seulement de ne
point permettre que ceux qui les ont usurpés soient troublés par des voies de
fait, parce que cela ne se pourrait faire sans ruiner la tranquillité de ses
Etats.
A l'égard du Test, qui
fait le second article de la Déclaration du roi, il n'oblige Sa Majesté à autre
chose, sinon à exclure des charges publiques ceux qui refuseraient de faire un
certain
476
serment : en quoi il n'y a point de difficulté, puisqu'on
peut vivre humainement et chrétiennement sans avoir des charges.
Que s'il paraît rude aux
catholiques d'en être exclus, ils doivent considérer l'état où ils sont, et la
petite portion qu'ils composent du royaume d'Angleterre; ce qui les oblige à ne
pas exiger de leur roi des conditions impossibles, et au contraire à sacrifier
tous les avantages dont ils se pourraient flatter à l'avancement, au bien réel
et solide d'avoir un roi de leur religion, et d'affermir sur le trône sa
famille, quoique catholique; ce qui peut faire raisonnablement espérer, sinon
d'abord, du moins dans la suite, l'entier rétablissement de l'Eglise et de la
foi. Que si on s'attache au contraire à vouloir faire la loi aux protestants,
qui sont les maîtres, on perdra avec l'occasion de rétablir le roi,
non-seulement tous les avantages qui sont attachés au rétablissement, mais
encore tous les autres, quels qu'ils soient, et on s'exposera à toutes sortes de
maux ; étant bien certain que si les rebelles viennent à bout selon leurs désirs
d'exclure tout à la fois le roi, ils ne garderont aucune mesure envers les
catholiques, et ne songeront qu'à assouvir la haine qu'ils leur portent.
Par ces raisons je conclus, non-seulement que le roi a pu
en conscience faire la Déclaration dont il s'agit, mais encore qu'il y était
obligé, parce qu'il doit faire tout ce qu'il est possible pour l'avantage de
l'Eglise et de ses sujets catholiques, auxquels rien ne peut être meilleur, dans
la conjoncture présente, que son rétablissement. On doit même regarder déjà
comme un grand avantage la déclaration que fait Sa Majesté, de recommander
fortement à son Parlement une impartiale liberté de conscience ; ce qui montre
le zèle de ce prince pour le repos de ses sujets catholiques, et tout ensemble
une favorable disposition pour eux dans ses sujets protestants qui acceptent sa
Déclaration. Je dirai donc volontiers aux catholiques, s'il y en a qui
n'approuvent pas la Déclaration dont il s'agit : Noli esse justus multùm, neque
plus sapias quàm necesse est, ne obstupescas (1).
Je ne doute pas que notre saint
Père le Pape n'appuie le roi d'Angleterre dans l'exécution d'une Déclaration qui
était si
1 Eccle., VII, 17.
477
nécessaire, et ne pense bien des intentions d'un prince qui
a sacrifié trois royaumes, toute sa famille et sa propre vie à la religion
catholique. Je me soumets de tout mon cœur à la suprême décision de Sa Sainteté.
Fait à Meaux, ce 22 mai 1693.
+ J. BÉNIGNE,
Ev. de Meaux.
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