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MÉLANGES ET LETTRES DIVERSES
MÉLANGES
INSTRUCTION A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN
POUR SA PREMIÈRE COMMUNION (a).
La première communion est un
fondement de nouvelle vie pour le chrétien. Il faut après cela commencer à vivre
comme un homme qui a reçu Jésus-Christ, et qui a été admis au plus saint de tous
les mystères. Toute notre manière de vivre se doit sentir de cette grâce. C'est
alors qu'il faut écouter plus que jamais cette parole du Sage : «Laissez
l'enfance, et vivez et marchez par les voies de la prudence (1). » Que doit-on
espérer d'un homme à qui Jésus-Christ reçu ne fait rien, et qu'y aura-t-il après
cela qui soit capable, de le toucher? Le plus grand de tous les objets, le plus
grand de tous les sacrements, les plus grandes de toutes les grâces, c'est ce
que contient l'Eucharistie ! Si des remèdes si puissants ne changent pas le
malade en mieux, sa santé est désespérée. Il faut donc après la communion,
commencer à vivre de sorte qu'on s'aperçoive que Jésus Christ a fait quelque
chose en
1 Prov., IX, 6.
(a) Ce titre fait connaître suffisamment, et le but de
l’ouvrage, et l'époque de sa composition.
Disons donc une seule chose, c'est que l'Evêque de Meaux
publia dans les Prières ecclésiastiques, pour les fidèles de son diocèse,
l'instruction destinée d'abord au Dauphin ; mais il lit, dans la seconde
publication, de nombreux changements à son premier projet. On peut comparer le
texte qui va suivre dans ce volume avec celui que nous avons donné plus haut,
volume V, p. 330.
Le manuscrit de l'Instruction sur la première communion se
trouve à la Bibliothèque impériale, avec les manuscrits des compositions qu'on
lira ci-après, se rapportant à l’éducation du Dauphin.
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nous. Mais afin qu'un si grand mystère opère en nos cœurs
ce qu'il y doit opérer, on a besoin d'une grande préparation. Elle doit
commencer par l'instruction ; et il y a cinq choses principales à apprendre sur
cet adorable sacrement : 1° Ce que c'est, 2° pourquoi il a été institué, 3° ce
qu'il faut faire devant que de le recevoir, 4° ce qu'il faut faire en le
recevant, 5° ce qu'il faut faire après l'avoir reçu.
I. Qu'est-ce que le Saint-Sacrement?
Jésus-Christ nous l'apprend par ces
paroles :
« Ceci est mon corps livré pour
vous ; ceci est mon sang, du nouveau testament, répandu pour la rémission des
péchés (1). »
C'est donc ce même corps conçu
du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie, crucifié, ressuscité, élevé aux cieux,
placé à la droite du Père, avec lequel Jésus-Christ viendra juger les vivants et
les morts.
C'est ce même sang infiniment
précieux, qui a été répandu pour nous, et par lequel nos péchés ont été lavés.
Ce corps et ce sang, après la
résurrection, sont inséparables. Ainsi avec le corps on reçoit le sang ; avec,
le sang on reçoit le corps ; et on reçoit avec l'un et l'autre, et l'âme et la
divinité de Jésus-Christ, qui ne peuvent en être séparées ; c'est-à-dire qu'on
reçoit Jésus-Christ entier, Dieu et Homme tout ensemble.
Avec Jésus-Christ vont toutes
les grâces, toutes les lumières, toutes les consolations, enfin toutes les
richesses du ciel et de la terre, tout nous est donné avec Jésus-Christ, et qui
se donne soi-même ne peut plus rien refuser.
Voilà ce qu'il faut croire d'une
ferme foi, n'importe que notre sens ni notre raisonnement naturel ne comprennent
rien dans ce mystère. Le chrétien n'a rien à écouter que Jésus-Christ : «
Celui-ci est mon Fils bien-aimé, dans lequel je me suis plu, écoutez-le ! (2) »
il est la vérité même, il fait tout ce qu'il lui plait par sa parole. Il est
cette parole éternelle par qui tout a été tiré du néant. Exerçons ici notre foi
par le mépris du rapport que
1 Matth., XXVI, 26-28. — 2 Ibid., III, 17.
nous font nos sens. Il n'y a rien ici pour eux. C'est un
exercice pour la foi. N'écoutons que Jésus-Christ et jouissons du bien infini
qu'il nous prête.
II. Pourquoi est institué ce sacrement?
Jésus-Christ l'a expliqué par ces paroles : « Faites ceci
en mémoire de moi1 ; » et encore : « Comme mon Père vivant m'a envoyé et que je
vis pour mon Père, ainsi celui qui me mange vivra pour mois. »
Souvenons-nous, de cette nuit
triste, et bienheureuse tout ensemble, où Jésus-Christ fut livré pour être
crucifié le lendemain. Lui qui savait toutes choses, qui sentait approcher son
heure dernière, ayant toujours aimé tendrement les siens, il les aime jusqu'à la
mort, et assemblant en la personne de ses saints apôtres tous ceux pour qui il
allait mourir, il leur dit en leur laissant ce don précieux de son corps et de
son sang : Faites ceci en mémoire de moi. Célébrez ce saint mystère
jusqu'à ce que je vienne juger les vivants et les morts ; et souvenez-vous, en
le célébrant, de ce que j'ai fait pour votre salut. Souvenez-vous de mon amour;
souvenez-vous de mes bontés infinies ; rappelez en votre mémoire tout ce que
j'ai fait pour vous, et surtout n'oubliez jamais que je vais mourir pour votre
salut. C'est moi-même qui donne ma vie volontairement, personne ne me la
ravit (3) : mais je la donne de bon cœur, parce que vous avez besoin d'un
tel sacrifice.
Méditons donc à la sainte table
l'amour que le Fils de Dieu a pour nous. Cet amour lui a fait faire pour notre
bien des choses incompréhensibles. Pour s'approcher de nous et s'unir à nous, il
a pris une chair humaine. Cette chair qu'il a prise pour l'amour de nous, il l'a
donnée pour nous avec tout son sang. Non content de donner pour nous son corps
et son sang à la croix, il nous le donne encore dans l'Eucharistie, et tout cela
nous est un gage qu'il se donnera un jour à nous dans le ciel pour nous rendre
éternellement heureux.
Songeons à toutes ces choses, et
nous laissant attendrir à tant
1 I Cor., XI, 24. — 2 Joan., VI, 68. - 3 Ibid., X,
18.
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de marques d'amour de notre Sauveur, ne soyons plus
qu'amour pour lui. C'est ce qu'il attend de nous, et c'est pour exciter cet
amour qu'il a institué ce saint mystère.
Il nous le dit lui-même par ces
paroles : « Comme mon Père vivant m'a envoyé et que je vis pour mon Père, ainsi
celui qui me mange vivra pour moi (1). » On voit par ces paroles que l'effet
véritable de la communion, c'est de nous faire vivre pour Jésus-Christ, comme il
a vécu pour son Père. Exemple admirable proposé aux chrétiens. Jésus-Christ ne
respirait que la gloire de soir Père ; il n'y a rien qu'il n'ait fait et qu'il
n'ait souffert pour la procurer ; sa nourriture était de faire en tout et
partout la volonté de son Père ; il a subi volontairement une mort infâme et
cruelle, parce que son Père le voulait ainsi. Le prince de ce monde,
dit-il, c'est-à-dire, le démon, ne trouvera rien en moi qui lui donne prise,
parce que je suis sans péché ; et toutefois je m'en vais m'abandonner à sa
puissance et souffrir, entre les mains de ceux qu'il possède, une mort infâme, «
afin que le monde voie que j'aime mon Père et que je fais ce qu'il commande (2).
»
L'amour qu'il a pour son Père
lui fait aimer ses commandements, quelque rigoureux qu'ils soient aux siens. Il
ne vit que pour son Père, puisqu'il est prêt à chaque moment de donner sa vie
pour lui plaire ; ainsi celui qui reçoit Jésus-Christ doit vivre uniquement pour
lui : c'est-à-dire qu'il doit être tout amour pour son Sauveur, ne respirer que
pour sa gloire, aimer ses commandements, sacrifier tous ses désirs pour lui
plaire ; il faut que Jésus-Christ soit sa joie et le possède tout entier au
corps et en lame. Car c'est ainsi que s'accomplit cette parole : « Qui me mange,
doit vivre pour moi (3).»
III. Que faut-il faire avant la communion?
Saint Paul nous le dit par ces
paroles ; après avoir rapporté comme Jésus-Christ nous donne son corps et son
sang, avec ordre de célébrer ce saint mystère en mémoire de sa mort, il ajoute
ce qui suit : « Quiconque mangera ce pain ou boira le calice du
1 Joan., VI. 58. — 2 Ibid.,
XIV, 30. — 3 Ibid., VI, 58.
5
Seigneur indignement, sera coupable du corps ou du sang du
Seigneur. Que l’homme donc s'éprouve lui-même et ne présume point manger de ce
pain, ni boire de cette coupe sans cette épreuve : car celui qui mange et boit
indignement, mange et boit son jugement, ne discernant point le corps du
Seigneur. C'est pour cela qu'il y en a plusieurs parmi vous qui tombent malades,
et que plusieurs meurent. Que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions
point jugés, » etc. « Quand nous sommes jugés, nous sommes repris par le
Seigneur, afin de n'être point condamnés avec le monde (1). »
Ces paroles de saint Paul sont
terribles, et doivent être écoutées avec tremblement de tous ceux qui approchent
de la sainte table.
Elles nous apprennent, 1° que
ceux qui communient indignement sont coupables du corps et du sang de
Jésus-Christ ; c'est-à-dire qu'ils sont coupables du crime de Judas qui l'a
livré, et du crime des Juifs qui l'ont mis à mort, et qui ont répandu son sang
innocent. Car communier indignement, c'est lui donner avec Judas un baiser de
traître ; c'est violer la sainteté de son corps et de son sang, les profaner,
les fouler aux pieds, les outrager d'une manière plus indigne que n'ont fait les
Juifs, qui ne le connaissaient pas dans leur fureur, au lieu que le chrétien
sacrilège l'outrage en le reconnaissant pour le Roi de gloire et en l'appelant
son Sauveur.
2° Ces paroles nous font voir
jusqu'où ira le mépris que ces chrétiens sacrilèges ont pour Jésus-Christ. En
ce qu'ils ne discernent point le corps du Seigneur (2), et le mangent comme
ils feraient un morceau de pain, sans songer auparavant à purifier leur
conscience : ce qui est le, mépris le plus outrageux qu'on puisse faire à un
Dieu qui se donne à nous.
3° Saint Paul conclut de là que
celui qui mange indignement le corps de Jésus-Christ mange et boit son jugement
: car comme celui qui pèche aux yeux du juge qui a en main la puissance publique
pour châtier les scélérats, s'attire une prompte et inévitable punition, ainsi
ce chrétien téméraire, qui communie sans avoir purifié sa conscience, mène son
juge en lui-même, où il
1 I Cor., XI, 27-32. — 2 Ibid., 29.
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semble ne l'introduire qu'afin qu'il voie de plus près ses
crimes, et qu'il soit comme forcé à en prendre une prompte et rigoureuse
vengeance.
4° Saint Paul nous enseigne que
Dieu châtie souvent dès cette vie les communions indignes, en frappant ceux qui
les font de maladies mortelles et de morts soudaines ; ce qui doit faire
appréhender que les communions sacrilèges, si fréquentes parmi les chrétiens,
n'attirent et sur les particuliers et sur la chrétienté des châtiments
effroyables.
5° Le même saint Paul nous
apprend que ces châtiments temporels qui nous sont envoyés pour nous avertir,
quelque terribles qu'ils soient, ne sont rien à comparaison de ceux qui sont
réservés en l'autre vie aux malheureux chrétiens que de tels avertissements
n'auront pas pu détourner de leurs communions sacrilèges.
6° Ce saint Apôtre conclut de
tout cela que l'homme doit s'éprouver lui-même avant que d'approcher de la
communion, et ne présumer pas de la recevoir sans avoir fait cette épreuve.
Elle consiste en deux choses :
premièrement à examiner sa conscience et à se juger indigne de la communion,
quand on se sent souillé d'un péché mortel ; secondement à éprouver ses forces
durant quelque temps, pour voir si on aura le courage de surmonter ses mauvaises
habitudes. Car on ne doit point, présumer de recevoir ce saint sacrement, qu'il
n'y ait une apparence bien fondée qu'on est en état d'en profiter.
Cette épreuve se doit faire par
l'avis d'un sage confesseur, qui sache nous donner si à propos ce remède
salutaire, que nous nous en portions mieux, et que notre vie devienne tons les
jours meilleure.
Car sans doute c'est profaner le
corps et le sang de Jésus-Christ que de les recevoir sans qu'il y paroisse à
notre vie. Ce n'est point discerner le corps de Notre-Seigneur d'avec une
nourriture ordinaire, que de demeurer toujours aussi grand pécheur après l'avoir
reçu qu'auparavant ; il n'y a rien qui endurcisse davantage les pécheurs et qui
les mène plus certainement à l'impénitence que de recevoir les sacrements sans
en profiter, parce que s'accoutumant à les recevoir sans effet, ils n'en sont
plus touchés
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et ne se laissent aucun moyen de se relever. Dieu retire
ses grâces de ceux qui en abusent; et plus elles sont abondantes dans
l'Eucharistie, plus on se rend odieux à la justice divine quand on le laisse
écouler sans fruit.
Que le pécheur s'éprouve donc
soi-même, et qu'il juge sérieusement devant Dieu avec un sage confesseur s'il
est en état de profiter de la communion. Car s'il n'en profite pas, il se met
dans un danger évident d'être pis qu'auparavant, selon cette parole de
Jésus-Christ : « Le dernier état de cet homme est pire que le premier (1). »
Mais malheur à celui qui n'étant
pas jugé digne de communier, n'est point percé de douleur et ne regarde pas
cette privation comme une image terrible du dernier jugement, où Jésus-Christ
séparera pour jamais de sa compagnie ceux qui auront mérité la condamnation.
Ce jugement n'est pas assez
redouté, parce que les hommes le regardent comme une chose éloignée; mais
Jésus-Christ nous le rend présent dans l'Eucharistie. Il y sépare les agneaux
d'avec les boucs, il appelle les justes et éloigne de lui les pécheurs, et leur
dénonce par là qu'ils n'auront jamais de part avec lui s'ils ne font bientôt
pénitence.
Il y en a qui se font un sujet
d'orgueil de ne pas communier et qui s'imaginent être plus vertueux que les
autres, quand ils se retirent de la sainte table sans se disposer à en approcher
au plus tôt. C'est une illusion pernicieuse, cette privation est un sujet
d'humiliation profonde. Jésus-Christ est notre pain, que nous devrions manger
tous les jours comme faisaient les premiers chrétiens, et nous devons nous
confondre quand nous sommes jugés indignes de le recevoir. Donc au lieu de nous
reposer dans cette privation, il faut entièrement tourner notre cœur à déplorer
notre malheureux état, et travailler avec ardeur à recouvrer bientôt
Jésus-Christ dont nos crimes nous ont séparés.
Quelques jours auparavant que de
communier, il y faut préparer son cœur par des actes fréquents de foi,
d'espérance et de charité, et travailler peu à peu à nous les rendre si
familiers,
1 Matth., XII, 45.
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qu'ils sortent comme naturellement de notre cœur sans qu'il
ait besoin d'y être excité par aucun effet.
Chacun en faisant ces actes,
doit s'éprouver soi-même sur ces trois vertus. Le chrétien doit examiner
sérieusement si en disant les paroles par lesquelles les actes sont exprimés, il
en a le sentiment en lui-même; c'est-à-dire qu'il doit sonder son cœur pour
considérer s'il croit véritablement les saintes vérités de Dieu, s'il met toute
sa confiance en ses promesses, s'il l'aime de tout son cœur et s'il désire sa
gloire.
Après avoir fait cette épreuve et avoir reçu l'absolution
avec un cœur vraiment repentant, on peut s'approcher de la communion, quelque
indigne qu'on se sente encore de la recevoir. Car les pécheurs humbles et
repentants sont ceux que Jésus-Christ est venu chercher.
Il faut donc aller à lui avec
confiance comme à l’unique soutien de notre faiblesse; et puisqu'il nous a déjà
donné le repentir de nos fautes, chercher encore en lui-même la force nécessaire
pour persévérer.
IV. Que faut-il faire dans la communion ?
« Seigneur, je ne suis pas digne
que vous entriez dans ma maison ; mais dites seulement une parole et mon âme
sera guérie (1). Venez, Seigneur Jésus, venez!. »
Dans cette sainte action il faut mêler ensemble ces deux
sentiments : une profonde humilité par laquelle nous nous sentons indignes de
recevoir Jésus-Christ, avec une ardeur extrême de s'unir à lui pour ne s'en
séparer jamais.
C'est ici le mystère de l'union
de l'Epoux céleste avec l'Eglise son Epouse; c'est ici qu'il s'unit à elle corps
à corps, cœur à cœur, esprit à esprit, pour ne faire avec elle qu'une même
chose, où il se donne à posséder tout entier aux âmes chastes qui sont ses
Epouses, où il veut aussi les posséder sans réserve.
Quel amour, quel ardent désir ne
doit-on point ressentir à l'approche d'une telle grâce ! Mais que cet amour doit
être humble
1 Matth., VIII, 8. — 2 Apoc., XXII, 20.
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et respectueux ! que l’âme doit être pénétrée de sa
bassesse, de son néant, de la grandeur de l'Epoux céleste qui se donne à elle,
de ses bontés infinies, de ses miséricordes innombrables !
On ne peut trop répéter ces deux
paroles : « Seigneur, je ne suis pas digne. Venez, Seigneur Jésus, venez. Je ne
suis pas digne; car je ne suis qu'un pécheur et un néant : mais, venez, Seigneur
Jésus, venez : car vous êtes venu chercher les pécheurs, vous êtes le seul
soutien de ma faiblesse, vous êtes le seul remède à mes maux extrêmes. Vous êtes
le pain et la nourriture qui répare mes forces abattues ; vous êtes ma vie et
mon espérance; vous êtes enfin tout mon bien et en ce monde et en l'autre. »
Il faut s'éveiller dans un grand
respect et avec un grand sentiment de l'action qu'on a à faire, se tenir
toujours recueilli au-dedans; et sans s'arrêter à des paroles certaines, laisser
aller son cœur à ces deux mouvements d'humilité et d'amour.
Il faut tâcher de les exciter avec une nouvelle ardeur
durant la Messe où nous avons dessein de communier. Prions-y plus que jamais
pour toute l'Eglise et pour la paix de la chrétienté ; pour les justes, pour les
pécheurs, pour les pasteurs de l'Eglise et pour les princes, afin que Dieu soit
servi partout, et le monde bien gouverné en toutes manières; pour les
hérétiques, pour les infidèles, pour ses amis, pour ses ennemis, pour ceux qui
doivent communier ce jour-là; enfin pour tous les vivants et pour les morts, et
offrons à Dieu notre communion pour toutes ces choses. Car c'est ici le mystère
de charité, où il faut autant qu'il se peut exercer la charité envers tous les
hommes, et faire naître en son cœur le désir de leur faire tout le bien
possible.
Il faut recommander avec plus de soin ceux qu'on a une
obligation particulière de recommander à Dieu. Ce saint mystère est établi pour
nous perfectionner dans tous nos devoirs, pour nous faire exercer toutes les
vertus, et pour donner de la force à toutes nos prières et à tous nos vœux.
Offrons-nous donc à Dieu par
Jésus-Christ en sacrifice, et offrons-lui avec nous tous ceux avec qui nous
souhaitons de régner éternellement avec lui.
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Quand le prêtre communie,
excitons-nous plus que jamais : abandonnons notre cœur aux sentiments qu'une
humilité sincère et un amour plein de confiance nous inspirera; et disons
toujours non tant par paroles que par un intime sentiment du cœur : « O
Seigneur, je ne suis pas digne. Venez, Seigneur Jésus, venez ! »
Après la communion du prêtre il
faut approcher de l'autel. Songeons, en prenant la nappe, quel honneur nous
allons recevoir d'être appelés à la table du Roi des rois, où lui-même devient
notre nourriture : « Qui suis-je, Seigneur? qui êtes-vous? Quoi ! Seigneur, vous
venez à moi ! Venez, Seigneur Jésus, venez. »
Il faut dire son Confiteor avec
un regret extrême de ses péchés. Frappons notre poitrine en disant Meâ culpâ,
plus encore par une vive componction que par l'action extérieure de la main.
Quand le prêtre dit
Misereatur, Indulgentiam, prions Dieu qu'il nous pardonne nos péchés, et
qu'il nous fasse la grâce de les corriger : « O Seigneur! Serais-je assez
malheureux et assez ingrat pour vous offenser dorénavant : plutôt la mort, mon
Dieu, plutôt la mort ! »
Le prêtre dit ensuite, et nous
avec lui : Domine, non sum dignus. On le répète trois fois, et on ne le
peut dire trop souvent, ni trop admirer la bonté d'un Dieu qui ne dédaigne pas
de venir à nous. Là, on adore Jésus-Christ avec un abaissement profond d'esprit
et de corps; on frappe sa poitrine, mais on doit encore plus frapper son cœur en
l'excitant à componction.
Après, le prêtre s'approche pour
nous apporter Jésus-Christ ; puis faisant le signe de la croix et nous
souhaitant la vie éternelle, il nous donne ce divin corps qui contient en soi
toutes les grâces.
Heureux celui qui ouvrant la
bouche, ouvre encore plus son cœur pour le recevoir : « O Jésus, vous êtes à
moi, vous vous donnez tout entier : ô Jésus, je me donne à vous, et je veux être
à vous sans réserve. »
Ayant reçu Jésus-Christ, on se
retire modestement les mains jointes, plein d'une joie intérieure, comme un
homme qui a trouvé un trésor et qui possède ce qu'il aime.
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Il faut demeurer quelque temps tranquille, jouissant
intérieurement de la présence de Jésus-Christ, et écoutant ce qu'il nous dira au
fond du cœur. Car il a des paroles de consolation et de paix, dont nul ne peut
entendre la douceur que celui qui les a ouïes.
« Parlez, Seigneur Jésus,
parlez, votre serviteur vous écoute (1). » « J'ai trouvé celui que mon âme
aimait, je ne le quitterai jamais (2). »
« Mon âme loue le Seigneur, et
mon esprit se réjouit en Dieu mon Sauveur (3). »
« Louez le Seigneur, parce qu'il
est bon, parce que ses miséricordes sont éternelles (4). »
« Tirez-moi après vous, ô mon
bien-aimé ! que je coure après l'odeur de vos parfums, et que je ne sente plus
que vos douceurs (5). »
Avec de tels ou de semblables
sentiments, il faut goûter intérieurement Jésus-Christ, et le prier de se faire
tellement goûter, que nous perdions le goût de toute autre chose.
On peut faire après cela les
actions de grâces qui sont marquées dans le livre de prières : mais il n'y en a
point de meilleures que celles qui sortent naturellement d'un cœur rempli des
bontés de Dieu, et touché de ses infinies miséricordes.
Le jour qu'on communie on entend
deux Messes, et la seconde se doit passer principalement en actions de grâces.
L'âme qui sent son bonheur ne peut quitter cette pensée, et s'épanche toute
entière en actes d'amour et en cantiques de réjouissance.
Elle fait aussi ses demandes,
mais des demandes animées d'un amour céleste; elle demande pour toute grâce
qu'il lui soit donné d'aimer Dieu ; elle souhaite et demande le même bonheur à
tous ceux qu'elle aime : et plus elle aime quelqu'un, plus elle prie qu'il soit
rempli de l'amour divin.
« Qu'on vous aime, ô mon Dieu !
qu'on vous aime ; que je vous aime de tout mon cœur, que tous ceux qui me sont
chers vous aiment; que tout le monde vous aime; puissions-nous tous
1 I Reg., III, 10. — 2 Cant., III, 4. — 3 Luc, I. 47. — 4
Psal. CXXXV, 1. — Cant., I, 3.
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vous aimer, vous louer et vous bénir, maintenant et à
jamais ! »
Après la seconde Messe et après
ces actes d'amour, on se retire plein de Jésus-Christ, et du désir de lui
plaire.
V. Que faut-il faire après la communion?
Jésus-Christ nous l'apprend par
ces paroles : « Qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi, et moi en
lui (1). »
La grâce de la communion n'est
pas une grâce passagère; c'est une grâce de persévérance et de force, qui doit
nous unir avec Jésus-Christ d'une manière stable et permanente. « Qui me mange
demeure en moi et moi en lui. »
Il faut demeurer en lui par l'obéissance à ses préceptes,
afin qu'il demeure en nous par le continuel épanchement de ses grâces.
La force de cette viande céleste
doit tellement prendre le dessus en nous, qu'elle nous conforme tout à fait à
elle, en sorte que Jésus-Christ paraisse dans toute notre conduite, c'est-à-dire
que nous vivions selon ses préceptes et ses exemples.
Quiconque mange Jésus-Christ en doit tellement être
possédé, que toutes ses actions, toutes ses paroles et enfin toute sa vie s'en
ressente.
Qui a goûté cette viande doit
être tellement rempli de ce divin goût, qu'il soit sans cesse attiré à la table
de Notre-Seigneur, et qu'il se dise souvent à lui-même : « Mon âme goûte et
ressent combien le Seigneur, est doux; heureux l'homme qui espère en lui ! »
Le propre effet de la communion,
c'est de nous faire aimer Jésus-Christ tout entier, c'est-à-dire sa personne
adorable, sa parole, son Evangile, sa doctrine céleste, ses vérités saintes, ses
exemples, son obéissance et sa charité infinie. Il faut prendre dans la
communion le goût de toutes ces choses. Il faut que Jésus-Christ nous plaise,
que nous l'imprimions en nous-mêmes, que nous en soyons une vive image, et que
nous fassions notre plaisir du soin de lui plaire.
1 Joan., VI, 54.
13
Ainsi nous accomplissons cette parole qu'il a prononcée : «
Comme je vis pour mon Père, ainsi celui qui me mange vivra pour moi (1), »
c'est-à-dire accomplira mes volontés comme j'ai accompli celles de mon Père. Il
faut donc que celui qui a communié prenne bien garde de ne plus tomber dans les
péchés qui le séparent d'avec Jésus-Christ, et l'excluent de sa communion. C'est
une terrible profanation de l'Eucharistie de retomber dans le crime après
l'avoir reçue, et de se laisser emporter à nos passions après avoir goûté ce don
céleste.
Que Jésus-Christ vive donc
éternellement dans nos cœurs, que le péché y meure, que les mauvais désirs s'y
éteignent peu à peu ; que Jésus-Christ prenne le dessus, qu'il demeure en nous
et nous en lui, et que rien ne soit capable de nous séparer de son amour.
Amen. Amen.
PREUVES DE L'EXISTENCE DE DIEU PAR LES CRÉATURES.
A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN (a).
Posteà quàm mihi regum maximus,
te, Ludovice Delphine, non tam exornandum litteris quàm sapientiœ praeceptis
paulatim informandum excolendumque tradidit, sœpè multùmque his de rébus,
quantum tua ferebat aetas, collocuti sumus; eùque te interrogando perduximus, ut
multa intelligeres quai necessaria scitu, neque dictu injucunda forent. Nunc ea
omnia juvat uno sermone complecti, ut simul in conspectn sint quœ, prout se res
ipsa praebuit, diversissimis temporibus causisque diximus.
Cùm itaque percontarer ante
undecim ferè annos ubi degeres, quid ageres, quà in parte uni versi delitesceres
; te verò bis temporibus necdùm exstitisse fatebaris. Cùm deindè quœrerem quis
te ex bis veluti tenebris in lucem eduxerit, quis corporis partes tam apte
collocarit, quis huic deniquè moli mentem infuderit, respon-
1 Joan., VI, 58.
(a) Le manuscrit, qui se trouve à la Bibliothèque
impériale, dit dans une note: « Ces preuves furent proposées à Monseigneur le
Dauphin en 1680, peu avant son mariage. »
14
debas : Deum. —Praeclarè, inquiebam ; neque enim homo
humanae virtutis opus, neque quisquam hominum est qui bas infinitas partes,
quibus nobis vita sensusque constat, animo comprehendere, nedùm effingere et
coaptare queat. Mentem verò ipsam, quœ contempletur Deum eique adhœrescat, quis
prœter Deum condere humanoque corpori contemperare potuisset ? Audi Machabœorum
matrem, sanctissimam fœminam, septem illos suos fortissimos liberos his verbis
alloquentem : « Nescio qualiter, inquit, in utero meo apparuistis ; neque enim
ego spiritum et animam donavi vobis, et vitam; et singulorum membra non ego ipsa
compegi. » Quare jubet ut coelum aspiciant, unde homines originem ducimus, atque
ad auctorem Deum ortùs nostri docet primordia referenda.
At non est alius humani generis,
quam qui totius naturae, parens. Cùm enim mundi partes tam apte cohaereant,
eadem profecto mens et singulas effecit et disposuit universas. An verò
existimas, sicut à Rege Versalianum palatium, sic orbem à Deo fuisse conditum ?
Non ita est. Nùm enim lapides Rex ipse fecit? Imo in terrae visceribus ipsius
artificis naturae confecti manu indè in humanos usus proferuntur. Neque verò Rex
creavit, aut homines quibus utitur ad œdificium construendum, aut ferramenta
aliaque id genus quibus ligna et lapides caduntur, expoliuntur, et in ordinem
collocantur. At ille mundi opifex Deus, materiam suam non aliundè desumpsit,
verùm ipsam quoque jussit existere ; ipsam ornavit ut voluit ; deniquè rerum
ordinem nullis instrumentis aut machina mentis adscitis nutu suo verboque
constituit, idem operis incœptor et effector.
EXHORTATION A L'AMOUR DE LA VERTU,
ADRESSÉE A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN (a).
Ne croyez pas, Monseigneur, qu'on vous reprenne si
sévèrement pendant vos études, pour avoir simplement violé les règles
(a) Bossuet composa cette exhortation en français, et la
fit traduire en latin par le Dauphin. Nous avons revu les deux textes sur le
manuscrit, conservé à la Bibliothèque impériale.
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de la grammaire en composant. Il est sans doute honteux à
un prince, où tout doit être réglé, de tomber en de telles fautes; mais nous
regardons plus haut quand nous en sommes si fâchés. Car nous ne blâmons pas tant
la faute elle-même, que le défaut, d'attention qui en est la cause. Ce défaut
d'attention vous fait maintenant confondre l'ordre des paroles ; mais si nous
laissons vieillir et fortifier cette mauvaise habitude, quand vous viendrez à
manier non plus les paroles, mais les choses mêmes, vous en troublerez tout
l'ordre. Vous parlez maintenant contre les lois de la grammaire; alors vous
mépriserez les préceptes de la raison. Maintenant vous placez mal les paroles,
alors vous placerez mal les choses ; vous récompenserez au lieu de punir, vous
punirez quand il faudra récompenser : enfin vous ferez tout sans ordre, si vous
ne vous accoutumez dès votre enfance à tenir votre esprit attentif, à régler ses
mouvements vagues et incertains, et à penser sérieusement en vous-même à ce que
vous avez à faire.
Ce qui fait que les grands
princes comme vous, s'ils n'y prennent beaucoup garde, tombent facilement dans
la paresse et dans une espèce de langueur ; c'est l'abondance où ils naissent.
Le besoin éveille les autres hommes, et le soin de leur fortune les sollicite
sans cesse au travail. Pour vous à qui les biens nécessaires, non-seulement pour
la vie, mais pour le plaisir et pour la grandeur, se présentent dans une
abondance qui ne vous laisse pas même à désirer ce qu'il y a de plus superflu,
vous n'avez rien en toutes ces choses à gagner par le travail, rien à acquérir
par le soin et par l'industrie. Mais, Monseigneur, il ne faut pas croire que la
sagesse vous vienne avec la même facilité, et sans que vous y donniez un grand
soin. Il n'est pas en notre pouvoir de vous mettre dans l'esprit ce qui sert à
cultiver la raison et la vertu, pendant que vous penserez à toute autre chose.
C'est pourquoi il faut que vous vous excitiez vous-même, que vous appliquiez
votre esprit, enfin que vous travailliez avec grand effort à faire que la raison
soit toujours en vous la plus forte. Ce doit être là toute votre occupation,
vous n'avez que cela à faire et à penser. Car
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comme vous êtes né pour gouverner les hommes par la raison,
et que pour cela il est nécessaire que vous en ayez plus que les autres, les
choses sont aussi disposées de sorte que vous pouvez vous mettre en repos de
tous les autres travaux, afin de vous attacher uniquement à former votre esprit
et votre raison.
Pensez-vous que tant de peuples
et tant d'armées, qu'une nation si grande et si belliqueuse et dont les esprits
sont si inquiets, si industrieux et si fiers, puissent être gouvernés par un
seul homme, s'il ne s'applique de toutes ses forces à un ouvrage si difficile et
si important? Quand vous n'auriez à conduire qu'un seul cheval un peu fougueux,
vous n'en viendriez pas à bout si vous lâchiez tout à fait la main et si vous
laissiez aller votre esprit ailleurs : combien moins gouvernerez-vous cette
immense multitude agitée de tant de passions et de mouvements divers. Il viendra
des guerres ; il s'élèvera des séditions ; un peuple emporté fera sentir sa
fureur, de tous côtés il paraîtra tous les jours de nouveaux troubles et de
nouveaux dangers ; l'un vous attaquera par quelque entreprise cachée, et l'autre
par des flatteries et par des fourbes ; ce brouillon remuera des provinces
éloignées ; un autre vous venant troubler jusque dans votre Cour, c'est-à-dire
dans la source même des affaires, la divisera par des cabales; il excitera
l'ambition de l'un et l'audace insensée de l'autre ; il se servira du chagrin de
ce mécontent pour le soulever contre vous ; à peine trouverez-vous quelqu'un qui
vous soit fidèle, tant les choses seront mêlées par les brouilleries, par les
trahisons et par les artifices de vos ennemis. Au milieu de tant de troubles,
vous croirez pouvoir demeurer paisible et tranquille dans votre cabinet,
espérant, comme disait ce poète comique, que les dieux feront vos affaires
pendant que vous dormirez. Vous êtes bien loin de la vérité si vous avez cette
pensée. Salluste fait dire à Caton cette parole bien véritable: C'est en
veillant, dit-il, c'est en agissant, c'est en avisant sérieusement aux affaires
qu'on les fait heureusement réussir. Quand on s'abandonne à l'oisiveté et à la
paresse, on implore en vain le secours des dieux; on les trouve irrités et
implacables. Il est ainsi, Monseigneur; ce n'est pas en vain que Dieu a mis dans
notre esprit une vivacité toujours agissante et
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une force infatigable par laquelle nous rappelons le passé,
nous comprenons le présent et nous prévenons l'avenir. Ceux qui négligent en
eux-mêmes ce présent du Ciel, auront Dieu et les hommes pour ennemis. Car il ne
faut pas s'attendre ou que les hommes respectent celui qui méprise ce qui le
fait homme, ou que Dieu protège celui qui n'aura fait aucun état de ses dons les
plus excellons.
Eveillez-vous donc, Monseigneur,
et jetez les yeux sur ce grand roi qui vous a donné la naissance. Ce prince
également propre à la paix et à la guerre conduit lui-même toutes choses; il
répond aux ministres des princes étrangers, il instruit ses ambassadeurs et leur
apprend le secret de ce qu'ils ont à traiter, il règle son Etat par des lois
très-sages ; il gouverne toutes ses armées dont il commande les unes en personne
et envoie les autres où il a résolu de les faire agir ; et quoiqu'il ait
l'esprit occupé des affaires générales, il n'en pense pas moins à tout le
détail. Ce grand roi ne souhaite rien avec tant d'ardeur, que de vous faire
entrer dans les conseils et de vous apprendre de bonne heure l'art de régner.
Faites-vous seulement un esprit capable de si grandes choses : ne songez point
combien est grand l'empire que vous ont laissé vos ancêtres; mais par quelle
vigilance vous devez le défendre et le conserver, et enfin ne commencez pas par
l'inapplication et par la paresse une vie qui doit être si occupée et si
agissante. De si malheureux commencements éteindraient en vous la lumière de la
raison et feraient qu'étant né avec de l'esprit, ou vous perdriez tout à fait ce
don de Dieu, ou vous vous le rendriez inutile. Car à quoi vous serviraient des
armes bien faites si vous ne les avez jamais à la main; et à quoi vous sert
aussi d'avoir de l'esprit si vous ne prenez soin de vous en servir, et que vous
ne fassiez un bon usage de sa vivacité en l'appliquant? Sans doute vous verrez
périr tous ces biens que la nature vous adonnés: et comme si vous cessiez de
danser ou d'écrire, vous en perdriez l'habitude et l'oublieriez tout à fait, de
même si vous n'appliquez et n'exercez votre esprit il deviendra engourdi et
tombera dans une honteuse léthargie ; en sorte que quand vous voudrez ou exciter
sa langueur ou le relever de son abattement, tous vos soins seront inutiles.
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Cependant il s'élèvera en vous
des passions déréglées ; les plaisirs et la colère qui sont les plus dangereux
conseillers des princes, vous porteront à toute sorte de crimes, et la lumière
de l'esprit étant une fois éteinte, il ne vous restera aucun secours contre ces
corrupteurs de la vie humaine. Vous comprendrez aisément vous-même combien ce
malheureux état est contraire à celui de la royauté. Ce n'est pas sans raison
qu'un homme emporté par ses passions est appelé par les Latins un homme sans
pouvoir. Il ne faut point se persuader qu'un homme ait quelque pouvoir, s'il
n'en a point sur lui-même. Quelque autorité qu'il art sur les autres, il est
d'autant plus captif que ce que les hommes ont de plus libre, c'est-à-dire leur
esprit et leur raison, en lui est tout à fait sous le joug. Ainsi celui qui veut
être et paraitre puissant, doit commencer par lui-même à exercer son pouvoir.
Il faut qu'il sache commander à
sa colère, modérer ses plaisirs de quelques douceurs qu'ils le flattent, et se
rendre maître de son esprit ; ce qu'on ne peut acquérir si on ne s'accoutume de
bonne heure à agir sérieusement et à régler sa vie selon la raison.
Souvenez-vous, Monseigneur, je
vous en conjure, du traitement que fit Denis le Tyran au fils de Dion, pendant
qu'il l'eut en sa puissance. La haine qu'il avait pour le père, lui fit
entreprendre contre le fils tout ce qu'il y avait de plus rude et de plus cruel.
Que si vous voulez savoir ce qu'il fit, votre Cornélius Nepos vous le dit dans
son Histoire. Il inventa un nouveau genre de vengeance; il ne tira point l'épée
contre cet enfant innocent; il ne le mit point en prison, il ne lui fit point
souffrir la faim ou la soif; mais, ce qui est le plus déplorable il corrompit en
lui toutes les bonnes qualités de l'âme. Pour exécuter ce dessein, il lui permit
toutes choses, et dans un âge inconsidéré il l'abandonna à ses fantaisies et à
ses humeurs. Emporté par ses plaisirs, il se jeta dans les actions les plus
honteuses ; personne ne gouvernait sa jeunesse imprudente, personne ne
s'opposait aux vices qui le séduisaient, on contentait tous ses désirs, et on
louait toutes ses fautes. Ainsi son esprit corrompu par une malheureuse
flatterie, se jeta dans toute sorte de désordres. Mais considérez, Monseigneur,
combien plus facilement les hommes tombent dans la
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débauche qu'ils ne sont rappelés à l'amour de la vertu.
Après que ce jeune homme eut été rendu à son père, il lui donna des gouverneurs
pour le détourner de son ancienne manière de vivre ; mais tous ses soins furent
inutiles. Car il aima mieux perdre la vie que de renoncer à ses plaisirs
accoutumés et se précipita du haut de la maison. Par où vous pouvez entendre
deux choses : la première, que nos véritables amis sont ceux qui résistent à nos
passions, et que ceux au contraire qui les favorisent sont nos ennemis les plus
cruels ; la seconde, qui est la plus importante, que si on prend garde de bonne
heure aux enfants, l'autorité paternelle et la bonne éducation peut beaucoup;
mais si on laisse, au contraire prévenir l'esprit par de mauvaises maximes, la
tyrannie de l'habitude devient invincible, et il n'y a plus de remède ni d'art
qui puisse guérir cette maladie invétérée. Il faut aller au-devant d'un si grand
mal, de peur qu'il ne devienne incurable. Travaillez-y, Monseigneur, et afin que
la raison soit toujours en vous la plus puissante, ne laissez point dissiper
votre esprit dans des imaginations vagues et inutiles; mais nourrissez-le de
bonnes pensées, accoutumez-le à les suivie, à s'y attacher, à se les rendre
familières, et à en tirer du profit.
AD VIRTUTIS STUDIUM EXHORTATIO,
SERENISSIMO DELPHINO.
Noli putare, Princeps, te
liberalibus studiis operantem adeò graviter increpari eo tantùm nomine, quòd
praiter grammaticae leges, verba sententiasque colloces. Id quidem turpe
Principi, in quo composita omnia essedécet. Verùm altiùs inspicimus, cùm his
erratis offendimur. Neque enim tam nobis erratum ipsum, quàm errati causa,
incogitantia, displicet. Ea namque efficit ut verba confundas; quai si
consuetudo invalescere atque invelerascere sinitur, cùm res ipsas, non jam
verba, tractabis, perturbabis rerum ordinem. Nunc contra grammaticae leges
loqueris;
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tùm rationis praescripta non audies. Nunc verba, tùm res
ipsas alieno pones loco ; mercedem pro supplicio, pro prœmio supplicium
usurpabis. Deniquè perturbatè omnia faciès, nisi à puero assuescas attendere
animum, motus ejus vagos atque incompositos cohibere, rerumque agendarum sedulò
tecum ipse inire rationem.
Ac vobis quidem Principibus,
nisi diligentissimè caveatis, ipsa rerum copra inertiam ingenerat animique
mollitiem. Caûeros sanè mortales egestas acuit; curae ipsae sollicitant, et
instigant, neque animum sinunt conquiescere. Vobis, cùm omnia sive quae ad vitam
necessaria, sive quae ad voluptatem suavia, sive quap, ad splendorem illustria
sunt, ultrò se offerant; neque tantùm suppetant, sed supersint; nihil omninô est
in ejusmodi rébus, quod labore quaeratis, quod studio atque industrià comparetis.
Atqui, Princeps, non ita tibi sapientiae fructus sine tuo maximo labore
provenient. Neque haec, quae ad virtutem rationemque excolendam pertinent,
incogitanti possumus infundere : quo magis necesse est ipse te excites ; ipse
animum adhibeas, summoque studio contendas, ut in te ratio valeat vigeatque. Hic
tibi labor unus, hoc unum agendum cogitandumque est. Cùm enim ipsâ ratione
homines tibi regendi sint, adeôque necesse sit iis ut ratione prœstes, ideô
provisum est ut tibi reliquorum ferè laborum omnium quaedam cessatio esset, quo
uni animo rationique informandae incumberes.
An verò existimas tôt populos,
tôt exercitus, tantam deniquè gentem, tamque bellicosam, tam mobiles animos, tam
industrios, tam féroces, unius imperio contineri posse, nisi is tanto operi,
totis ingenii viribus, adlaboret? Ne equum quidem unum, paulo ferociorem, manu
molli et languidà, solutoque aninio regere et coercere queas : quantô minus
immensam illam mullitudinein diversissimis motibus et cupiditatibus sestuantem?
Bella ingruent; seditiones exsurgent; plebs efferata passim saeviet; novi
quotidiè motus existent; nova urgebunt pericula. Ille te insidiis, hic
blanditiis ac fraudibus petet; alius, rerum novarum cupidus, provincias
remotissimas concitabit; alius ipsam adortus Aulam, hoc est ipsum rerum caput,
eam factionibus distrahet; hujus
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ambitionem, hujus effrœnem ac prœcipitem audaciam, hujus
animum aegrum et saucium commovebit. Vix quemquam invenias satis tibi fidum;
adeô turbis, proditionibus, pessimisque artibus omnia miscebuntur. Tu mihi
interea domi tôt inter tempestates securus ac placidus desidebis, sperabisque,
ut comicus tuus ait, dormienti tibi omnia confecturos Deos. Nae tu, si id putas,
falsus animi es. Praeclarè Cato apud Sallustium : « Vigilando, agendo, benè
consulendo, prospère omnia cedunt : ubi socordiae tete atque ignaviae
tradideris, necquicquam deos implores : irati infestique sunt. » Sic profectô
res habet. Non frustra nobis Deus indidit vividam illam aciem, atque indefessam
animi vim, quâ et praeterita recordamur, et praesentia complectimur, et futura
prospicimus. Id cœleste munus quicumque in se neglexerit, Deum homhiesque
necesse est adversissimos habeat. Neque enim aut homines verebuntur eum, qui id,
quo homo est, aspernetur ; aut adjuvabit Deus, qui jam amplissima dona
contempserit.
Quin tu igitur expergisceris,
Princeps, atque intueris summum virum parentem tuum, Regum maximum? Hic pace
belloque juxtà bonus, rébus omnibus prae est, consilia omnia moderatur; ad
exterorum Principum mandata respondet; suis ipse legatis quid fieri velit,
ostendit, ac rerum tractandarum arcana docet ; optimis legibus constituit
rempublicam; alios aliù dirigit, alios ipse ductat exercitus, ac sunimam rerum
mente complexus, singulis quoque curis adjicit animum. Atque ille quidem avet
tecum communicare consilia, ac teneram aetatem regnandi artibus informare. Finge
modo animum tantis rébus parem. Neque quantum imperium à majoribus acceperis,
sed quanta vigilantià retinere illud, ac tueri valeas, fac cogites; neque
occupatissimam ac negotiosissimam vitam tuam ab incogitantiâ atque desidià
inchoatam velis. His quippe initiis omnem animi lucem extinxeris, ac praeclaro
licèt natus ingenio, tantum Dei munus aut ipse ultro amiseris, aut rébus
gerendis prorsùs inutile effèceris. Quo enim tibi arma, quamvis affabrè facta,
nisi ad manum habeas? aut quo tibi animus atque ingenium, nisi eo diligenter
utaris, ejusque aciem intendas? Scilicet ea tibi bona omnia peribunt : utque, si
à saltando aut scribendo désistas, ipsa desuetudo in imperitiam
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desinat; ità plané nisi animum exerceas et adtendas, is
turpi veterno tcrpidus corrumpetur, neque cùm maxime velis languentem excitare,
aut erigere jacentem, ullà industriâ poteris.
Intereà foedae cupiditates
exsurgent : libido, iracundia, perniciosissimi Principum consultores, te ad
pessimum quodque facinus stimulabunt : atque obrutà semel ingenii luce, ad eas
pestes comprimendas nihil tibi auxilii reliqueris. Quod quàm
alienum ab imperio sit, tute ipse per te facile intelligas. Qui enim suis
cupiditatibus rapitur, is meritô vocatur impotens. Neque valere quidquam
ille putandus est, qui cùm cœteris imperet, ipse sur potens non est. Cujus sanè
eô est gravior ac tristior servitus, quod eà parte serviat, quam omninô sui
juris Deus esse voluit : ea est animus, ac mens. Igitur qui potens esse et
haberi vult, is à se imperandi ducat initium : modum imponat irai ; voluptates
quam vis blandientes coerceat, et castiget: animum deniquè suum habeat in
potestate. Quod nemo sibi comparaverit, nisi seriò agere, atque ad rationis
normam vitam exigere jam indè à puero instituent.
Veniat in mentem, obsecro,
Dionis filius, qui cùm in Dionysii Tyranni potestate esset, is parentis odio,
acerbissima qnaeque in adolescentis perniciem cogitavit. Quid porrò fecerit, tui
Cornelii Nepotis prodit historia. Novum excogitavit ultionis geuus :
neque enim aut ferrnm strinxit in puerum, aut in vincula conjecit, aut insontem
vexavit famé, verùm, quod luctuosius, animi bona corrupit. Id autem quà ratione
perfecit? nempè induisit omnia, atque inconsultam adolescentiam suis permisit
consiliis vivere. ltaque adolescens, duce voluptate, in omne probruni prosiliit.
Nemo regebat aetatem improvidam; nemo vitiis blandientibus repugnabat. Quidquid
illi collibuerat, indulgebant; quidquid erraverat, collaudabant. Sic animus fœdà
adulatione corruptus, in omne flagitium praeceps ruit. At intuere, Princeps,
quantô faciliùs homines in libidinem proniant, quàm ad virtutis studium
revoccntur. Postquàm adolescens restitutus est patri, is custodes adhibuit qui
eum à pristino victu deducerent. Sed id frustra fuit ; nam carere luce, quàm
consuetis voluptatibus maluit, seque ex superiori parte dejecit aedium. Ex quo,
duo quœdam intelligis.
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Primùm, amicos eos esse qui nostris cupiditatibus
obsistant, vel inimicissimos qui faveant. Tùm illud imprimis : si pueris mature
cura adhibeatur, patriam auctoritatem et rectam institutionem valere : ubi
pravis institutis praeoccupatur animus, tùm consuetudinis invictam esse vim,
atque inveteratum morbum frustra remediis aut arte tentari. Huic igitur malo, ne
fiât insanabile, quàm primùm occurrendum. In id incumbe, Princeps ; atque ut in
te ratio maxime invalescat, ne tu animum hùc illùc divagari, aut rébus inanibus
pasci sinas ; sed eum alas optimis sanctissimisque cogitationibus, has sectetur,
his adhœrescat, bis penitùs imbuatur, ex bis fructus capere uberrimos assuescat.
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