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ORDONNANCE ET INSTRUCTION PASTORALE
DE Mgr L'ÉVÊQUE DE MEAUX
SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
Jacques-Bénigne, par la
permission divine, Evêque de Meaux : à tous curés, confesseurs, supérieurs de
communautés, et à tous prêtres de notre diocèse, SALUT ET BÉNÉDICTION EN
NOTRE-SEIGNEUR.
Touchés des périls de ceux qui,
« marchant, comme dit David, dans les grandes choses et dans des choses
merveilleuses au-dessus d'eux (1), » recherchent dans l'oraison des sublimités
que Dieu n'a point révélées, et que les Saints ne connaissent pas : bien
informes d'ailleurs que ces dangereuses manières de prier introduites par
quelques mystiques de nos jours, se répandaient insensiblement même dans notre
diocèse, pur un grand nombre de petits livres et écrits particuliers que la
divine Providence a fait tomber entre nos mains : nous nous sommes sentis
obligés à prévenir les suites d'un si grand mal. Nous y avons encore été excités
par la vigilance et attention extraordinaire qui a paru sur cette matière dans
la chaire de saint Pierre. On n'y eut pas plutôt aperçu le secret progrès de ces
nouveautés, que le pape Innocent XI d'heureuse mémoire donna tous ses soins pour
l'empêcher. Et d'abord il parut une lettre circulaire de l'éminentissime
cardinal Cibo, chef de la Congrégation du saint Office, maintenant très-digne
doyen du sacré Collège, pour avertir les évêques de prendre garde à une doctrine
pernicieuse sur l'oraison, qui se répandait en divers endroits d'Italie, et
qu'on réduisit alors à dix-neuf articles principaux contenus dans la même
lettre, en date de Rome, du la février 1087, en attendant un plus ample examen.
1 Psal. CXXX, 1.
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Pour s'opposer davantage à ce
mystère d'iniquité, on arrêta à Rome celui qu'on en croyait le principal
promoteur, pour lui faire son procès, et il fut condamné pour plusieurs crimes,
et pour avoir enseigné des propositions contraires à la foi et aux bonnes mœurs,
au nombre de plus de cent, mentionnées dans le procès et décret de condamnation.
On condamna aussi par un autre décret du 28 août 1687, soixante-huit
propositions extraites des précédentes, où tout le venin de cette secte cachée
était renfermé. Pour en rendre la condamnation plus solennelle, elle fut poussée
jusqu'à une bulle pontificale, où il fut expressément déclaré que ces
propositions étaient respectivement hérétiques, suspectes, erronées,
scandaleuses, blasphématoires, avec d'autres grièves qualifications portées dans
la même bulle.
Par la continuation de la même
sollicitude, on a flétri par divers décrets plusieurs livres de toutes langues,
où cette fausse oraison était enseignée. De grands évêques ont reçu l'impression
que le Saint-Siège a donnée à toute la chrétienté, et ont suivi l'exemple de la
mère et maîtresse des Eglises, parmi lesquels Monseigneur l'archevêque de Paris
notre métropolitain, continuant à signaler son pontificat par la censure et
condamnation de beaucoup d'erreurs, a fait paraître son zèle dans sa judicieuse
ordonnance du 16 octobre 1694, où plusieurs propositions de ces faux mystiques
sont proscrites sous de grièves qualifications, même comme condamnées par les
conciles de Vienne et de Trente, sans approbation des autres, avec expresse
condamnation de quelques livres où elles sont contenues, et défense de les
retenir.
Animés par de tels exemples, et
déterminés par diverses occasions que la Providence divine nous a fait naître, à
nous appliquer avec un soin particulier à cette matière ; après en avoir conféré
avec plusieurs docteurs en théologie, supérieurs de communautés, même avec de
très-grands prélats consommés en piété et en savoir, et autres graves
personnages exercés dans la conduite des âmes ; après aussi avoir lu et examiné
plusieurs livres et écrits particuliers où ces maximes dangereuses étaient
enseignées : le saint nom de Dieu invoqué, nous nous sommes sentis pressés par
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la charité, en condamnant, comme nous faisons par ces
présentes, cette doctrine réprouvée, de vous mettre en main des moyens pour en
connaître les défenseurs et pour les convaincre.
Pour les connaître, nous vous
avertissons en Notre-Seigneur d'observer ceux qui affectent dans leurs discours
des élévations extraordinaires, et de fausses sublimités dans leur oraison.
Premièrement, lorsque sous
prétexte d'honorer l'essence divine, ils excluent de la haute contemplation
l'humanité sainte de Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme si elle en était un
empêchement, encore qu'elle soit la voie donnée de Dieu même pour nous élever à
lui : et non-seulement ils éloignent cette sainte humanité; mais encore les
attributs divins, même ceux qui sont les fondements les plus essentiels et les
plus communs de notre foi, tels que sont la toute-puissance, la miséricorde et
la justice de Dieu. Ils éloignent par même raison les trois Personnes divines .
encore que nous leur soyons expressément et distinctement consacrés par notre
baptême, dont on ne peut supprimer le souvenir explicite sans renoncer au nom de
chrétien : de sorte qu'ils mettent la perfection de l'oraison chrétienne à
s'élever au-dessus des idées qui appartiennent proprement au christianisme;
c'est-à-dire de celles de la Trinité et de l'Incarnation du Fils de Dieu.
Nous ne répétons qu'avec horreur
cette parole d'un faux mystique de nos jours, qui ose dire que Jésus-Christ
selon son humanité étant la voie, on n'a plus besoin d'y retourner lorsqu'on est
arrive, et que la boue doit tomber quand les yeux de l'aveugle sont ouverts. Le
prétexte dont on se sert pour éloigner l'humanité sainte de Jésus-Christ avec
les attributs essentiels et personnels , c'est que tout cela est compris dans la
foi ou vue confuse, générale et indistincte de Dieu, sans songer que
Jésus-Christ, qui a dit : Vous croyez en Dieu, ajoute tout de suite et en
même temps : Croyez aussi en moi (1), pour nous apprendre que la foi au
Médiateur doit être aussi explicite et aussi distincte que celle qu'on a en Dieu
considéré en lui-même; ce qu'il confirme par cette parole : « La vie éternelle
est de vous connaître, vous qui êtes le vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez
envoyé (2) ; » et celle-ci de saint
1 Joan., XIV, 1. — 2 Joan , XVII, 3.
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Paul : «Je ne connais qu'une seule chose, qui est
Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié (1). »
Un second effet de l'élévation
affectée de ces nouveaux mystiques, est de marquer envers Dieu comme une fausse
générosité et une espèce de désintéressement qui fait qu'on ne veut plus lui
demander rien pour soi-même, pas même la rémission de ses péchés, l'avènement de
son règne, et la grâce de persévérer dans le bien, d'opérer son salut, non plus
que lui rendre grâces de tous ses bienfaits : comme si ce n'était pas honorer
Dieu d'une manière très-pure et très-éminente, que de reconnaître l'excellence
de sa nature bienfaisante, ou que le salut du chrétien ne fût pas le grand
ouvrage de Dieu, et la parfaite manifestation et consommation de sa gloire, que
ses enfants ne peuvent assez désirer ni demander.
C'est encore un semblable effet de ces élévations outrées,
de reconnaître dans cette vie une pureté et perfection, un rassasiement, un
repos qui suspend toute opération, et une sorte de béatitude qui rend inutiles
les désirs et les demandes, malgré l'état de faiblesse, et au milieu des péchés
et des tentations qui font gémir tous les saints, tant qu'ils demeurent chargés
de ce corps de mort.
Pour troisième moyen de
connaître ces faux docteurs, nous vous donnons le nouveau langage qui fait
consister la perfection à supprimer tous les actes, notamment ceux que le
chrétien excite en lui-même avec le secours de la grâce prévenante : pour ne
laisser aux prétendus parfaits qu'un seul acte produit une fois au commencement,
qui dure ensuite sans interruption et sans besoin de le renouveler jusqu'à la
fin de la vie par un consentement qu'on nomme passif, au préjudice du libre
arbitre et des actes qu'il doit produire par l'exprès commandement de Dieu. Pour
les ex cime et tout ramener à ce prétendu acte unique, on emploie encore le
terme de simplicité ; comme si Dieu, qui nous a commandé d'être ses simples
enfants, n'avait pas en même temps commandé plusieurs actes très-distincts.
Cet acte, que ces nouveaux
docteurs appellent l'acte universel,
1 I Cor., II, 2.
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qui selon eux comprenant excellemment et éminemment tous
les autres, exemple de les produire , est un prodige nouveau parmi les chrétiens
: on n'en trouve aucun vestige, aucun trait dans les Livres sacrés ni dans la
doctrine des Saints : David ne le connaît pas, puisqu'il s'excite lui-même à
former tant d'actes divers et réitérés en disant : « Mon âme, bénis le Seigneur
: Seigneur, je vous aimerai : Mon âme, pourquoi es-tu triste? Espère au Seigneur
: Elève-toi, ma langue : élève-toi, ma lyre (1), » et le reste.
Jésus-Christ ignorait aussi la
perfection imaginaire de cet acte unique et universel, lorsqu'il oblige les plus
parfaits à tant de demandes, notamment dans l'Oraison Dominicale. Aussi est-il
vrai que les nouveaux mystiques par une idée de perfection inconnue jusques ici
aux chrétiens, renvoient les Psaumes de David, et même la sainte prière qui nous
a été enseignée par Notre-Seigneur, aux degrés inférieurs de l'oraison, et les
excluent des états les plus éminents.
Nous voyons aussi que David,
comme les autres prophètes, bien éloigné de supprimer dans la prière les efforts
du libre arbitre pour demeurer en pure attente de ce que Dieu voudra opérer en
nous, prévient la face du Seigneur par la publication de ses louanges,
secrètement prévenu du doux instinct de sa grâce, et il fait ce qu'il peut de
son côté avec ce secours ; ce qui lui fait dire ailleurs : « Votre serviteur a
trouvé son cœur pour vous faire cette prière (2) ; » et encore : « Seigneur, je
rechercherai votre visage (3); » et enfin : « Ne cessez jamais de chercher la
face de Dieu, et de vous tourner vers lui (4). »
Pour exclure tant d'actes
commandés de Dieu, on se sert encore du mot de silence et anéantissement, dont
on abuse pour induire la suppression de toute action et opération qu'on peut
exciter avec la prévention de la grâce, ou qu'on peut même apercevoir dans son
intérieur : ce qui ne tend à rien moins qu'à les étouffer tout à fait, et ôter
en même temps toute attention aux dons de Dieu, sous prétexte de ne s'attacher
qu'à lui seul, contre cette parole expresse de saint Paul : « Nous avons reçu un
esprit
1 Psal. CII, XVII, XLII, LVI, etc. — 2 II Reg.,
VII, 27. — 3 Psal. XVII, 8. — 4 Psal.CIV, 4.
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qui vient de Dieu, pour connaître les choses que Dieu nous
a données (1). » Nous ne voulons point parler ici des autres pernicieuses
significations que quelques-uns donnent au mot de néant et d’anéantissement.
Vous aurez pour quatrième marque
de cette doctrine outrée, les manières de parler dont on y use sur la
mortification et sur l'application aux exercices particuliers des autres vertus,
en les faisant regarder comme des pratiques vulgaires et au-dessous des parfaits
; et la mortification en particulier comme chose qui met les sens en vigueur,
loin de les amortir : contre les exemples des saints qui ont pratiqué les
austérités comme un des moyens les plus efficaces pour abattre et humilier
l'esprit et le corps, et contre la parole expresse de saint Paul, qui châtie
son corps et réduit en servitude son corps (2), le frappe, le flétrit, le
tient sous le joug. Le même Apôtre ne s'explique pas moins clairement sur
l'exercice distinct et particulier des vertus ; et saint Pierre n'est pas moins
exprès sur cette matière, lorsqu'il nous apprend l'enchaînement des vertus par
ces paroles : « Donnez tous vos soins pour joindre à votre foi la vertu : à la
vertu la science : à la science la tempérance : à la tempérance la patience : à
la patience la piété : à la piété l'amour de vos frères : à l'amour de vos
frères la charité (3). »
Enfin un cinquième effet de la
doctrine que nous voulons vous faire connaître, est de ne louer communément que
les oraisons extraordinaires : y attacher la perfection et la pureté : y attirer
tout le monde avec peu de discernement, jusqu'aux en fans du plus bas âge :
comme si on s'en pouvait ouvrir l'entrée par de certaines méthodes qu'on propose
comme faciles à tous les fidèles : ce qui fait aussi qu'on s'y ingère avec une
témérité dont l'effet inévitable, principalement dans les communautés, est sous
prétexte de s'abandonner à l'esprit de Dieu, de ne faire que ce qu'on veut, avec
mépris de la discipline et des confesseurs et supérieurs ordinaires, quelque
éclairés qu'ils soient d'ailleurs, pour chercher selon ses préventions et
présomptions des guides qu'on croit plus experts.
1 I Cor., II, 12. — 2 Ibid.,
IX, 27. — 3 II Petr., I, 5, 6, 7.
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Nous omettons d'autres marques
dont l'explication demanderait un plus long discours. Celles-ci suffisent, et
vous y trouverez comme cinq caractères sensibles qui vous aideront à connaître
ceux dont nous voulons que vous observiez, la conduite et évitiez les
raffinements. Mais pour vous faciliter le moyen de les convaincre, il faut vous
avertir avant toutes choses de prendre garde de n'entamer pas la véritable
spiritualité en attaquant la fausse qui fait semblant de l'imiter : à quoi nous
ne voyons rien de plus utile que de vous mettre devant les yeux quelques vérités
fondamentales de la religion, ordonnées à cette fin dans les articles suivants,
que nous avons digérés avec une longue et mûre délibération, et avec tous les
sages avis que nous vous avons déjà marqués : en apposant à chacun pour votre
soulagement et plus grande facilité les qualifications convenables.
ARTICLES
SUR LES ÉTATS D'ORAISON.
I.
Tout chrétien en tout état,
quoique non à tout moment, est obligé de conserver l'exercice de la foi, de
l'espérance et de la charité, et d'en produire des actes comme de trois vertus
distinguées.
II.
Tout chrétien est obligé d'avoir
la foi explicite en Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre,
rémunérateur de ceux qui le cherchent, et en ses autres attributs également
révélés ; et a faire des actes de cette foi en tout état, quoique non à tout
moment.
III.
Tout chrétien est pareillement
obligé à la foi explicite en Dieu, Père, Fils, et Saint-Esprit, et à faire des
actes de cette foi en tout état, quoique non à tout moment.
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IV.
Tout chrétien est de même obligé
à la foi explicite en Jésus-Christ Dieu et Homme, comme Médiateur, sans lequel
on ne peut approcher de Dieu, et à faire des actes de cette foi en tout état,
quoique non à tout moment.
V.
Tout chrétien en tout état,
quoique non à tout moment, est obligé de vouloir, désirer et demander
explicitement son salut éternel, comme chose que Dieu veut, et qu'il veut que
nous voulions pour sa gloire.
VI.
Dieu veut que tout chrétien en
tout état, quoique non à tout moment, lui demande expressément la rémission de
ses péchés, la grâce de n'en plus commettre, la persévérance dans le bien,
l'augmentation des vertus, et toute autre chose requise pour le salut éternel.
VII.
En tout état le chrétien a la
concupiscence à combattre, quoique non toujours également ; ce qui l'oblige en
tout état, quoique non à tout moment, à demander force contre les tentations.
VIII.
Toutes ces propositions sont de
la foi catholique, expressément contenues dans le Symbole des apôtres et dans
l'Oraison Dominicale, qui est la prière commune et journalière de tous les
enfants de Dieu : ou même expressément définies par l'Eglise, comme celle de la
demande de la rémission des péchés et du don de persévérance et celle du combat
de la convoitise, dans les conciles de Cartilage, d'Orange et de Trente : ainsi
les propositions contraires sont formellement hérétiques.
IX.
Il n'est pas permis à un
chrétien d'être indifférent pour son salut, ni pour les choses qui y ont rapport
: la sainte indifférence
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chrétienne regarde les événements de cette vie (à la
réserve du péché), et la dispensation des consolations ou sécheresses
spirituelles.
X.
Les actes mentionnés ci-dessus
ne dérogent point à la plus grande perfection du christianisme, et ne cessent
pas d'être parfaits pour être aperçus, pourvu qu'on en rende grâces à Dieu, et
qu'on les rapporte à sa gloire.
XI.
Il n'est pas permis au chrétien
d'attendre que Dieu lui inspire ces actes par voie et inspiration particulière;
et il n'a besoin pour s'y exciter que de la foi qui lui fait connaître la
volonté de Dieu signifiée et déclarée par ses commandements, et des exemples des
Saints, en supposant toujours le secours de la grâce excitante et prévenante.
Les trois dernières propositions sont des suites manifestes des précédentes, et
les contraires sont téméraires et erronées.
XII.
Par les actes d'obligation
ci-dessus marqués, on ne doit pas entendre toujours des actes méthodiques et
arrangés; encore moins des actes réduits en formules et sous certaines paroles,
ou des actes inquiets et empressés : mais des actes sincèrement formés dans le
cœur, avec toute la sainte douceur et tranquillité qu'inspire l'esprit de Dieu.
XIII.
Dans la vie et dans l'oraison la
plus parfaite, tous ces actes sont unis dans la seule charité, en tant qu'elle
anime toutes les vertus et en commande l'exercice, selon ce que dit saint Paul :
« La charité souffre tout, elle croit tout, elle espère tout, elle soutient
tout. » On en peut dire autant des autres actes du chrétien, dont elle règle et
prescrit les exercices distincts, quoiqu'ils ne soient pus toujours sensiblement
et distinctement aperçus.
XIV.
Le désir qu'on voit dans les
Saints, comme dans saint Paul et dans les autres, de leur salut éternel et
parfaite rédemption, n'est pas seulement un désir ou appétit indélibéré, mais,
comme l'appelle le même saint Paul, mie bonne volonté que nous devons former et
opérer librement en nous avec le secours de la grâce , comme parfaitement
conforme à la volonté de Dieu. Cette proposition est clairement révélée, et la
contraire est hérétique.
XV.
C'est pareillement une volonté
conforme à celle de Dieu et absolument nécessaire en tout état, quoique non à
tout moment, de vouloir ne pécher pas ; el non-seulement de condamner le péché,
mais encore de regretter de l'avoir commis, et de vouloir qu'il soit détruit en
nous par le pardon.
XVI.
Les réflexions sur soi-même, sur
ses actes et sur les dons qu'on a reçus, qu'on voit partout pratiquées par les
prophètes et par les apôtres pour rendre grâces à Dieu de ses bienfaits, et pour
autres fins semblables, sont proposées pour exemples à tous les fidèles, même
aux plus parfaits; et la doctrine qui les en éloigne est erronée et approche de
l'hérésie.
XVII.
Il n'y a de réflexions mauvaises
et dangereuses, que celles où l'on fait des retours sur ses actions et sur les
dons qu'on a reçus, pour repaître son amour-propre, se chercher un appui humain.
ou s'occuper trop de soi-même.
XVIII.
Les mortifications conviennent à
tout état du christianisme, et y sont souvent nécessaires : et en éloigner les
fidèles sous prétexte de perfection, c'est condamner ouvertement saint Paul, et
présupposer une doctrine erronée et hérétique.
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XIX.
L'oraison perpétuelle ne
consiste pas dans un acte perpétuel et unique qu'on suppose sans interruption,
et qui aussi ne doive jamais se réitérer; mais dans une disposition et
préparation habituelle et perpétuelle à ne rien faire qui déplaise à Dieu, et à
Eure tout pour lui plaire : la proposition contraire, qui exclurait en quelque
état que ce fût, même parfait, toute pluralité et succession d'actes, serait
erronée et opposée à la tradition de tous les Saints.
XX.
Il n'y a point de traditions
apostoliques que celles qui sont reconnues par toute l'Eglise, et dont
l'autorité est décidée par le concile de Trente : la proposition contraire est
erronée, et les prétendues traditions apostoliques secrètes seroient un piège
poulies fidèles, et un moyen d'introduire toutes sortes de mauvaises doctrines.
XXI.
L'oraison de simple présence de
Dieu, ou de remise et de quiétude, et les autres oraisons extraordinaires, même
passives, approuvées par saint François de Sales et les autres spirituels reçus
dans toute l'Eglise, ne peuvent être rejetées ni tenues pour suspectes sans une
insigne témérité; et elles n'empêchent pas qu'on ne demeure toujours disposé à
produire en temps convenable tous les actes ci-dessus marqués : les réduire en
actes implicites ou éminents en faveur des plus parfaits, sous prétexte que
l'amour de Dieu les renferme tous d'une certaine manière, c'est en éluder
l'obligation, et en détruire la distinction qui est révélée de Dieu.
XXII.
Sans ces oraisons
extraordinaires on peut devenir un très-grand saint, et atteindre à la
perfection du christianisme.
XXIII.
Réduire l'état intérieur et la
purification de l’âme à ces oraisons extraordinaires, c'est une erreur
manifeste.
362
XXIV.
C'en est une également
dangereuse d'exclure de l'état de contemplation les attributs, les trois
Personnes divines et les mystères du Fils de Dieu incarné, surtout celui de la
croix et celui de la résurrection ; et toutes les choses qui ne sont vues que
par la foi sont l'objet du chrétien contemplatif.
XXV.
Il n'est pas permis à un
chrétien, sous prétexte d'oraison passive ou autre extraordinaire, d'attendre
dans la conduite de la vie, tant au spirituel qu'au temporel, que Dieu le
détermine à chaque action par voie et inspiration particulière : et le contraire
induit à tenter Dieu, à illusion et à nonchalance.
XXVI.
Hors le cas et les moments
d'inspiration prophétique ou extraordinaire, la véritable soumission que toute
âme chrétienne même parfaite doit à Dieu, est de se servir des lumières
naturelles et surnaturelles qu'elle en reçoit et des règles de la prudence
chrétienne, en présupposant toujours que Dieu dirige tout par sa providence, et
qu'il est auteur de tout bon conseil.
XXVII.
On ne doit point attacher le don
de prophétie, et encore moins l'état apostolique, à un certain état de
perfection et d'oraison; et les y attacher, c'est induire à illusion, témérité
et erreur.
XXVIII.
Les voies extraordinaires, avec
les marques qu'en ont données les spirituels approuvés, selon eux-mêmes sont
très-rares, et sont sujettes à l'examen des évêques, supérieurs ecclésiastiques
et docteurs, qui doivent en juger, non tant selon les expériences que selon les
règles immuables de l'Ecriture et de la tradition ; enseigner et pratiquer le
contraire, est secouer le joug de l'obéissance qu'on doit à l'Eglise.
363
XXIX.
S'il y a ou s'il y a eu en
quelque endroit de la terre un très-petit nombre d'âmes d'élite, que Dieu par
des préventions extraordinaires et particulières qui lui sont connues, meuve à
chaque instant de telle manière à tous actes essentiels au christianisme et aux
autres bonnes œuvres, qu'il ne soit pas nécessaire de leur rien prescrire pour
s'y exciter, nous le laissons au jugement de Dieu ; et sans avouer de pareils
états, nous disons seulement dans la pratique, qu'il n'y a rien de si dangereux
ni de si sujet à illusion que de conduire les âmes comme si elles y étaient
arrivées, et qu'en tout cas ce n'est point dans ces préventions que consiste la
perfection du christianisme.
XXX.
Dans tous les articles susdits,
en ce qui regarde la concupiscence, les imperfections et principalement le
péché, pour l'honneur de Notre-Seigneur, nous n'entendons pas comprendre la
très-sainte Vierge sa Mère.
XXXI.
Pour les âmes que Dieu tient
dans les épreuves, Job qui en est le modèle leur apprend à profiter du rayon qui
revient par intervalles, pour produire les actes les plus excellents de foi,
d'espérance et d'amour. Les spirituels leur enseignent à les trouver dans la
cime et la plus haute partie de l'esprit. Il ne faut donc pas leur permettre
d'acquiescer à leur désespoir et damnation apparente, mais avec saint François
de Sales les assurer que Dieu ne les abandonnera pas.
XXXII.
Il faut bien en tout état,
principalement en ceux-ci, adorer la justice vengeresse de Dieu, mais non
souhaiter jamais qu'elle s exerce sur nous en toute rigueur, puisque même l'un
des effets de cette rigueur est de nous priver de l'amour. L'abandon du chrétien
est de rejeter en Dieu toute son inquiétude, mettre en
364
sa bonté l'espérance de son salut, et comme l'enseigne
saint Augustin après saint Cyprien, lui donner tout : Ut totum detur Deo.
XXXIII.
On peut aussi inspirer aux âmes
peinées et vraiment humbles une soumission et consentement à la volonté de Dieu,
quand même par une très-fausse supposition, au lieu des biens éternels qu'il a
promis aux âmes justes, il les tiendrait par son bon plaisir dans des tourments
éternels, sans néanmoins qu'elles soient privées de sa grâce et de son amour (a)
: qui est un acte d'abandon parfait et d'un amour pur pratiqué par des saints,
et qui le peut être utilement avec une grâce très-particulière de Dieu par les
âmes vraiment parfaites : sans déroger à l'obligation des autres actes ci-dessus
marqués, qui sont essentiels au christianisme.
XXXIV.
Au surplus il est certain que
les commençants et les parfaits doivent être conduits chacun selon sa voie par
des règles différentes, et que les derniers entendent plus hautement et plus à
fond les vérités chrétiennes.
Si vous pesez avec attention chacun des articles
précédents, vous trouverez que, selon les règles de la plus commune théologie,
il n'est pas permis de s'en éloigner, et qu'on ne le peut sans scandaliser toute
l'Eglise.
Nous croyons aussi que ceux d'entre vous qui méditeront et
étudieront ces articles, avec la grâce de Dieu y trouveront un corps de doctrine
qui ne laissera aucun lieu à celle des nouveaux mystiques, sans donner atteinte
à celle des docteurs approuvés dont ils tâchent de se couvrir : et de peur qu'on
ne les confonde, nous vous nommons expressément parmi les livres suspects et
condamnés ceux-ci comme plus connus. La Guide spirituelle, de
(a) « L'acte marqué dans l'article 33, loin d'être
d'obligation, doit être fait avec beaucoup de précaution. Je ne le trouve nulle
part dans saint Augustin, ni rien d'approchant : cependant c'est lui, après les
apôtres, qui est le docteur de la charité comme de la grâce. » (Bossuet,
Lettre 224 à Mme d'Albert de Luynes, Meaux, 17 mai 1695.) Voir
ci-après, Instruction sur les états d'oraison , liv. X, n. 19.
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Michel de Molinos : La pratique facile pour élever l'âme
à la contemplation, par François Malaval : Le moyen court et facile de
faire oraison : La règle des associés à l'enfant Jésus : Le Cantique des
Cantiques de Salomon, interprété selon les sens mystiques et la vraie
représentation des états intérieurs : avec un livre latin intitulé,
Orationis mentalis analysis, etc., per Patrem Dom Franciscum la Combe,
Tononensem : lesquels livres déjà notés par diverses censures, nous
condamnons d'abondant comme contenant une mauvaise doctrine, et toutes ou les
principales propositions ci-dessus par nous condamnées dans les articles
susdits, sans approbation des autres livres. Nous défendons très-expressément la
lecture de ces livres à tous ceux qui sont commis à notre conduite, sous toutes
les peines de droit ; et ordonnons sous les mêmes peines qu'ils seront remis
entre nos mains, ou de nos vicaires généraux, ou des curés pour nous les
remettre, aussi bien que les écrits particuliers qui se répandent secrètement en
faveur de ces nouveautés.
Pour déraciner tout le doute qui
pourrait rester sur cette matière, avec la grâce de Dieu nous prendrons soin de
vous procurer le plus tôt qu'il sera possible une instruction plus ample, où
paraîtra l'application avec les preuves des susdits articles, encore qu'ils se
soutiennent assez par eux-mêmes ; et ensemble les principes solides de l'oraison
chrétienne selon l'Ecriture sainte et la tradition des Pères : enfin en suivant
les règles et les pratiques des saints docteurs, nous tâcherons de donner des
bornes à la théologie peu correcte, et aux expressions et exagérations
irrégulières de certains mystiques inconsidérés ou même présomptueux, lesquelles
nous pouvons ranger avec les profanes nouveautés de langage que saint
Paul défend (1).
Nous avons évité exprès de vous
parler dans cette Instruction de certaines propositions dont les oreilles
chrétiennes sont trop offensées : Nous nous réservons à les noter si l'extrême
nécessité le demande, ensemble à vous instruire sur toutes les autres
propositions qui seront jugées nécessaires pour l'entière extinction de ces
erreurs.
1 I Tim., VI, 20.
366
Mandons et ordonnons à tous curés, vicaires et
prédicateurs, de publier dans leurs prônes et prédications notre présente
Ordonnance et Instruction, aussitôt quelle leur sera adressée : Nous ordonnons
pareillement qu'elle sera envoyée à toutes les communautés, afin que tout le
monde veille contre ceux qui sous prétexte de piété et de perfection
introduiraient insensiblement un nouvel Evangile.
Donné à Meaux, en notre palais
épiscopal, le samedi seizième jour d'avril mil six cent quatre-vingt-quinze.
Signé + J. BÉNIGNE, Evêque de Meaux.
Et plus bas :
Par le commandement de mondit Seigneur,
Royer.
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