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Etats Oraison T I - Additions
CONDAMNATION

 

 

 

NOUVELLE EXPLICATION
DE LA MÉTHODE QU'ON DOIT SUIVRE
POUR PARVENIR
A LA RÉUNION DES ÉGLISES

 

Au sujet des Réflexions également savantes et modérées, que M. l'évêque de Meaux a bien voulu faire sur cette Méthode.

 

Par MOLANUS, ABBÉ DE LAKKUM.

 

PROLOGUE.

 

J'ai lu et relu avec un singulier plaisir les Réflexions, que M. de Meaux, prélat aussi célèbre en Allemagne qu'il l’est en France, a daigné faire sur mes Pensées particulières au sujet de la méthode qu'on peut employer pour parvenir à la réunion. Je ne pouvais rien attendre que d'excellent de l'auteur de l’Exposition de la Doctrine catholique, dont l'ouvrage a eu l'approbation d'un grand nombre d'évêques, d'archevêques, de cardinaux, et enfin du défunt pape Innocent XI. J'ai été tellement satisfait des Réflexions de M. de Meaux . qu'après les avoir lues avec, toute l'attention possible, je n'ai point balancé à faire des vœux ardents pour la conservation de ce savant évêque; et j'ai prié le Seigneur de prolonger les jours d'un prélat si bien disposé, si éloigné de

 

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tout esprit de parti, et qui cherche de si bonne foi la vérité et la paix.

Il examine, dans les premières parties de son ouvrage, la méthode que je propose, qui lui paraît sujette à beaucoup de difficultés, et même impraticable en quelques points. Cela ne me surprend pas : je m'étonne, au contraire, que nous soyons si parfaitement d'accord, non sur tous les chefs, ce que je n'ai jamais dû espérer, mais pourtant sur le plus grand nombre.

Car quand je considère les différentes méthodes employées jusqu'à présent par ceux qui de part et d'autre ont voulu travailler à la réunion, je trouve que les mis pleins de zèle, mais sans science et sans expérience, ont ou exigé sans détour des rétractations de leurs adversaires, ou lâché de les amener doucement à ce point, en employant des discours pompeux, de belles paroles et des raisonnements ajustés avec art, au moyen desquels ils retendent d'une main ce qu'ils semblaient donner de l'autre : que d'autres supposant comme avoué ce que leurs adversaires contestaient, ont bâti sur ce fondement de vains projets de conciliation : que d'autres ont fait illusion aux simples, en débitant de ces maximes vagues qu'on peut appliquer à tout, et de ces grands lieux communs sur la paix, qui ne renferment que des mots, et rien de plus : que d'autres enfin ont cru qu'un ton impérieux en imposerait à leurs adversaires, qui n'oseraient refuser d'admettre des projets de conciliation qu'ils verraient défendre avec autant d'ardeur que s'il s'agissait de toute la religion. Ces différentes méthodes, loin de procurer la paix, n'étaient propres qu'à faire naître de nouvelles contestations, parce qu'en général on s'écartait du droit chemin, et que l'on s'engageait sans nécessité dans des circuits qui n'avoient point d'issue.

Il paraît, tout bien examine, que ce serait travailler en vain que de suivre ces mêmes routes. J'ai donc cru devoir m'en frayer une autre. Le sérénissime duc de Brunswick et de Lunebourg, Jean-Frédéric, catholique romain, à qui je souhaite toutes sortes de prospérités, est le premier qui m'ait fourni l'occasion d'entrer dans cette carrière : je m'y suis ensuite engagé par les ordres de mon sérénissime souverain Ernest-Auguste, de Brunswick-Lunebourg,

 

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électeur de Saxe ; et j'ai discuté les matières, en la présence de Dieu, pendant l'espace de sept mois avec un illustre prélat d'Allemagne (a).

L'épreuve que nous avons faite de l'inutilité des méthodes employées par les controversistes modernes, m'a prouvé que je devais en prendre une autre, qui pourra paraître nouvelle à cause du nouvel usage que j'en fais, mais qui pourtant a son fondement dans l'antiquité la plus respectable. J'ai donc songé sérieusement à suivre une route dans laquelle personne n'avait encore marché, et je me suis enfin convaincu, par l'examen du fond des choses, que si de part et d'autre on ne veut rien faire contre sa conscience, et que si les protestants veulent conserver dans leur entier des dogmes que la loi de Dieu leur défend d'abandonner, ils ne peuvent se réunir avec l'Eglise romaine qu'en suivant cette méthode ou quelque autre semblable. S'il arrivait contre nos espérances que l'Eglise romaine se rendit difficile à ses anciens enfants, qui ne lui demandent rien que de juste, nous n'aurions dès lors aucune espérance de parvenir à la paix, et il ne nous resterait plus qu'à laisser à Dieu le soin de la procurer, sans craindre d'être coupables du crime de schisme, puisqu'il nous surfirent, pour tranquilliser nos consciences et nous mettre à l'abri du schisme, d'avoir fait toutes les avances qu'il nous était permis de faire. Dans ce cas, le crime du schisme retomberait sur ceux qui, de leur plein gré et malgré nos sollicitations, auraient refusé de faire ce qui dépendait entièrement d'eux.

L'excellent ouvrage de M. l'évêque de Meaux, dans lequel j'ai trouvé beaucoup à m'instruire, m'a pleinement confirmé dans l'opinion où je suis, qu'il faut traiter l'affaire de la réunion suivant le plan que je propose ou un autre semblable. En faisant une déclaration précise sur ce sujet, je ne fais que manifester le témoignage intérieur de ma conscience.

Cependant je ne prétends pas qu'il ne soit utile et même nécessaire d'employer la méthode de l’Exposition, que L'illustre prélat propose, avec beaucoup de netteté dans la troisième partie de son ouvrage. Son livre de l’Exposition de la Doctrine catholique m'avait

 

(a) Christophe, évêque de Neustadt.

 

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fait connaître, il y a longtemps, l'avantage de cette méthode ; je suis même convaincu que si la méthode de l’Exposition satisfaisait à tout, et que s'il était possible de prouver, en l'employant, que l'Eglise romaine entend tous les articles de nos controverses, définis par le concile de Trente sous peine d'anathème, dans un sens qui lève de part et d'autre toutes les difficultés, ce serait faire injure à Dieu et à l'Eglise que de ne se pas empresser de prendre cette méthode, puisqu'elle serait de beaucoup préférable, je ne dis pas à la mienne, mais à toutes celles dont on s'est servi jusqu'à présent. En effet il n'y aurait plus de demandes à faire, d'assemblées à tenir, de négociations secrètes à traiter avec le Pape, avec l'Empereur et avec les plus puissants princes : il ne faudrait plus parler ni de suspendre le concile de Trente, ni d'assembler un nouveau concile. Tout cela deviendroit inutile, dès qu'on pourrait prouver clairement que nos docteurs ont mal pris le sens des décrets de Trente, et qu'ils ont faussement imputé aux catholiques des erreurs qui ne leur sont jamais venues dans l'esprit. Ce que je dis est si évident, que si je mettais ce raisonnement en forme de syllogisme, la majeure paraîtrait aussi incontestable que l'axiome le plus certain ; mais la mineure souffre beaucoup de difficulté. J'avoue néanmoins qu'on peut, par la méthode de l’Exposition, concilier beaucoup de questions agitées avec feu de part et d'autre depuis un siècle et demi ; et que même un grand nombre ont été conciliées par M. l'évêque de Meaux. , faut dans son livre de l’Exposition, etc. que dans l'excellent ouvrage que j'ai actuellement devant les yeux, comme je le ferai voir à la fin de cet écrit.

J'ajoute que, pour satisfaire au désir de notre invincible et pieux Empereur, j'ai concilié avec l'aide de Dieu, en employant cette méthode, cinquante points des plus importants de nos controverses, dans un autre écrit, dont j'ai envoyé une partie à Vienne. Mais je ne crois pas que personne, sans en excepter le savant auteur de l’Exposition, etc., ose dire que tous les points contestés entre Rome et nous puissent sans exception être conciliés par cette méthode. Il ne s'agit donc pas, entre nous, de savoir si la méthode de l’Exposition est bonne et excellente (il y aurait de

 

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l'injustice à n'en pas convenir) ; mais il s'agit de décider si elle est toujours suffisante, et si l’on peut l'appliquera tous les points de nos controverses ; de sorte qu'il ne soit pas nécessaire que le Pape ait la condescendance d'en abandonner quelques-uns, que les protestants ne croient pas pouvoir rétracter en conscience, et d'en renvoyer quelques autres à la décision d'un concile légitime. Je dirai naturellement, dans la suite de ces observations, ce que je pense sur cet article, et je tacherai de résoudre en môme temps au moins une partie des difficultés que le savant prélat a formées contre ma méthode. Plaise à Dieu, le souverain maître de la paix, de me faire contribuer à la construction du sanctuaire de la concorde. Si je ne puis donner de l'or, de l'argent, de l'airain, de l'hyacinthe, de la pourpre, de l'écarlate, qu'au moins je fournisse des poils de chèvre, afin de faire voir de mon mieux, suivant mes faibles talents, combien je souhaite de venir au secours de l'Eglise, et par là de me justifier pleinement du crime de schisme, crime tout à fait opposé, selon la doctrine de saint Paul, à la charité chrétienne.

 

EXTRAIT DE CETTE NOUVELLE EXPLICATION.

 

Des conciles œcuméniques en général, et en particulier du concile de Trente.

 

Je dis en général au sujet des conciles généraux légitimement assemblés, soit qu'il y en ait seulement cinq ou un plus grand nombre, que Jésus-Christ assiste son Eglise dans tous les siècles, et qu'il ne permettra jamais que l'Eglise universelle définisse dans un tel concile rien qui soit contraire à la foi ; mais cela n'empêche pas que les erreurs et les abus ne prévalent quelquefois. Supposons le concile de Trente légitime, et qu'il a décidé en faveur du sentiment de Scot (a) sur le mérite des bonnes œuvres, sentiment qui suppose une promesse de la part de Dieu, cela n'empêche pas que la doctrine de Vasquez ne soit devenue la plus commune, comme Gilbert de Burgos (1) l'observe dans son Luthero-Calvinisme.

 

(a) Molanus répète ici une objection que M. de Meaux avait réfutée dans son Ecrit latin, n. 30. J'y renvoie le lecteur. (Edit. de Leroi.)

 

1 De l'ordre des ermites de saint Augustin, professeur dans l'université d'Exford.

 

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M. de Meaux croit que son sentiment et le mien, sur les formules d'invoquer les Saints 1, qu'on doit toujours entendre, de quelque façon qu'elles soient conçues, dans le sens d'une simple intercession, est conforme aux décisions de Trente ; et cependant combien y a-t-il d'abus notoires sur ce culte (a) ! Le prince Ernest de liesse, qui de luthérien s'est fait catholique romain, se plaignit hautement de ces abus à la face de toute l'Eglise, dans son Catholique véritable, sincère et discret; mais comme Rome n'avait aucun égard à ses plaintes, un autre écrivain allemand publia un livre sous ce titre : Avis salutaires de la sainte Vierge à ses dévots indiscrets. On attribue cet ouvrage à M. Adam Widelkels, jurisconsulte de Cologne. Il parut à Gand en 1073, par l'autorité d'un catholique romain, et muni des approbations de J. Gillemans, licencié en théologie, archiprêtre et censeur des livres ; de Geoffroy Molang ; de Werner Franken ; d'Henri Patrice, et de J. Folch, docteurs de Cologne. On y voit même celles de Pierre de Walembourg, évêque de Mysie, suffragant de Cologne, et de Paul Aussemius, archidiacre et grand vicaire de la même ville. M. l'évêque de Tournay (b) a depuis autorisé cet ouvrage, en le faisant imprimer dans la Flandre française.

Le VIIe concile, qu'on nomme communément le IIe de Nicée, contient d'excellentes choses ; c'est pour cela qu'on le cite dans l'occasion, quoiqu'on puisse d'ailleurs révoquer en doute son autorité, puisqu'une grande partie de l'Occident refusa de le reconnaître. J'avoue qu'on peut peut-être excuser ses décret sur les images ; mais je soutiens qu'on ne peut pas les approuver tous indistinctement. Aussi ce concile fut-il rejeté par celui de Francfort, composé d'environ trois cents évêques français, allemands et italiens. Je sais qu'Alain Copus, et après lui Grégoire de Valence (2), prétendent que « ce fut un certain faux concile des iconomaques, et non le ue de Nicée, autrement appelé le vue concile, que

 

1 N. XXXVIII. — 2 Greg. de Val, De idol., lib. II, c. VII.

 

(a) Lorsqu'une pratique est bonne et qu'on en abuse , il but demander qu'on corrige les abus. Au reste on abuse des meilleures choses , de l'Ecriture et des sacrements; mais les abus n'autorisent jamais à faire schisme, comme M. Bossuet l'a prouvé dans tous ses écrits de controverse, (Edit. de Leroi.)

(b) Choiseul du Plessis-Praslin.

 

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condamnèrent les Pères de Francfort ; » mais le sentiment commun est si certain et appuyé sur tant de témoignages anciens, que Bellarmin n'a pu s'empêcher de l'embrasser. Voici ses paroles : « Tous les auteurs conviennent que le concile de Francfort rejeta le VIIe concile, parce qu'il avait décidé qu'il fallait adorer les images. C'est ce que disent Hincmar, Aimoin, Rhéginon, Adon et d'autres. Il me paraît dur de dire avec Alain Copus, ou que ces auteurs mentent, ou que leurs livres ont été falsifiés (1).

Je ne puis cependant disconvenir que le concile de Francfort n'ait été trop loin. Il prit, dans le sens le plus rigoureux, la doctrine établie par les Grecs du IIe concile de Nicée sur l'adoration des images, qu'on pouvait interpréter favorablement, Le concile de Francfort devait recourir au texte grec du concile de Nicée, et ne s'en pas tenir à la version latine, dont l'inexactitude est palpable (a).

Je viens à ce que dit M. l'évêque de Meaux, que « les protestants exigent une condition bien dure, en demandant qu'on ne fasse point usage des décrets du concile de Trente, et des autres conciles qui auraient condamné leurs dogmes (1). » La condition est dure, je l'avoue; mais il serait encore plus dur de vouloir nous obliger à des choses qui seroient contre notre conscience, et que nous ne pourrions faire sans risquer notre saint éternel, et nous rendre dignes de la damnation. Je le répète, s'il est possible de taire voir par la méthode de l’Exposition, comme M. de Meaux et moi l’avons déjà fait sur un grand nombre d'articles, que les protestants peuvent, sans donner atteinte au concile de Trente, demeurer dans leurs sentiments, et croire, par exemple, que la communion sous les deux espèces est de précepte, que les ordinations qu'ils ont faites jusqu'à présent sont valides, et ainsi des

 

1 Bellarm., l. II. De imag., c. XIV. — 2 N. XLIV.

 

(a) Ce que dit Molanus, que le concile de Francfort n'avait pas pris les décrois du VIIIe concile dans leur véritable sens, résout absolument sa difficulté; et je m'étonne qu'un homme si habile ait pu insister sur une objection qui se détruit d'elle-même. Un concile n'est censé oecuménique que quand les églises catholiques ont concouru à le rendre tel par une approbation authentique de ses décrets, soit pendant ou après sa tenue. Ainsi le premier concile de Constantinople, composé des seuls Grecs, devint œcuménique par l'approbation postérieure des églises d'Occident. (Edit.de Leroi).

 

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autres points, dont le concile de Trente exige la croyance sons peine d'anathème, et qui ne sont point approuvés par les protes-tans; dès lors il ne faut plus parler de suspendre le concile, puisque ses anathèmes ne portent pas contre nous ; mais s'il est impossible de concilier ces articles et d'autres semblables par la méthode de l’Exposition, il faut ou nous accorder la suspension du concile, ou renoncer à toute négociation de paix. Car il est visible que ces deux propositions sont contradictoires : les protestants se réuniront avec l'Eglise romaine, sans rien faire contre leiu conscience ; et cependant, pour parvenir à cette réunion, ils seront obligés d'approuver le concile de Trente, qui décide, par exemple, que Jésus-Christ n'a pas fait mi précepte de la communion sous les deux espèces, quoiqu'ils soient intimement convaincus que cette communion est de précepte, et qu'ils ne peuvent nier une vérité si manifeste et si solidement établie, sans s'exposer à la damnation éternelle (a).

Il ne s'ensuit pas de là que je veuille diminuer en rien l'autorité des conciles vraiment œcuméniques. Si je demande qu'on suspende et qu'on mette à l'écart celui de Trente, c'est que, bien loin de le croire œcuménique, nous ne le tenons pas même pour légitime. Ainsi lorsque les protestants font profession de croire fermement que Jésus-Christ a commandé la communion sous les deux espèces, ils fondent leur croyance sur les raisons qu'on a dites ; et ce qui contribue beaucoup à les confirmer dans leur sentiment, c'est qu'ils voient qu'aucun concile légitime n'a décidé le contraire, et qu'ils tiennent pour certain qu'aucun concile, qui aura ce caractère, ne le décidera. En effet si l'Eglise avait décide dans un concile indubitablement œcuménique, tels que le sont, de l'aveu de tous les partis, le premier de Nicée, les trois de Constantinople, celui de Chalcédoine et celui d'Ephèse, le contraire de ce que prétendent les protestons, il n'est pas douteux que cette décision ne dût l'emporter. Mais les défenseurs de la Confession d'Augsbourg,

 

(a) Molanus incidente et insiste sur un point particulier de peu d'importance au fond, de l'aveu même de Luther, et sur lequel il serait facile de se concilier, si les luthériens voulaient l'examiner sans prévention. Voyez l'Ecrit latin de M. Bossuet, n. LXXXI; son Traité de la Communion sous tes deux espèces, et sa Défense de ce Traité.

 

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dont la doctrine est invariable, sont aussi convaincus que jamais un concile vraiment œcuménique ne décidera qu'il est indifférant de recevoir une ou deux espèces, qu'ils le sont que jamais un tel concile ne décidera que Jésus-Christ dans la Cène est seulement présent en figure. Il résulte de là qu'on peut être fermement persuadé de la vérité d'une doctrine, et cependant se soumettre à l'autorité des conciles légitimes. Car celui qui croit fermement que son sentiment est vrai, et qui d'ailleurs est bien convaincu qu'en vertu des promesses de Jésus-Christ un concile légitime ne peut errer sur les points de foi, celui-là ne peut pas ne pas tenir pour certain qu'un tel concile décidera toujours en faveur de ce qu'il croit (a).

On accorde à M. l'évêque de Meaux sa demande (1), mais on ne peut lui accorder l'application qu'il en fait; car les protestants n'exigent pas qu'on annule les décrets d'aucun concile, reconnu pour incontestablement légitime et œcuménique. Une grande; partie de l'Occident a rejeté le second de Nicée, et l'Orient ne reconnaît pas ceux de Latran, de Lyon, de Constance, de Bâle et autres tenus par les Latins. On dispute même en Occident sur plusieurs de ces conciles. Les François comptent, parmi les conciles généraux, ceux de Constance et de Bâle, que la cour de Rome n'approuve pas. Quant à celui de Trente, tout l'Orient, auquel une grande partie de l'Occident s'est jointe, s'y est opposé pendant sa tenue et depuis, en fondant cette opposition sur des raisons très-solides (b).

Il me serait aisé de répondre aux difficultés qu'on fait sur ce

 

1 N. 48.

 

(a) Bossuet a dit, dans son Traité de la Communion et dans sa Défense, pourquoi l'Eglise ancienne n'a rien décidé dans ses conciles touchant la communion sous une ou sous deux espèces; c'est qu'il n'y avait point de contestation sur ce sujet, et que d'ailleurs le point était décidé par la pratique constante depuis l'origine dû christianisme. (Edit. de Leroi.)

(b) Le concile de Constance est reconnu pour œcuménique à Rome même , comme M. Bossuet l'a prouvé dans sa Défense des quatre articles, liv. V, et dans sa Dissertation intitulée : Gallia orthodoxa. Le même M. Bossuet prouve, ibid., liv. VI, que les premières sessions du concile de Bâle sont universellement reçues dans l'Eglise catholique. Quant au concile de Trente, les Grecs schismatiques le rejettent pour les mêmes raisons que les protestants. Les raisons des protestants étant renversées par Bossuet, celles des Grecs ne subsistent plus. (Edit. de Leroi ).

 

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sujet, si je voulais entrer dans cette discussion ; mais cela devient inutile, dès que les protestants refusent tout accommodement, qui se ferait aux dépens de leur conscience et en mettant leur salut en danger. L'accord serait beaucoup plus facile, si l'on pouvait fane voir, par la méthode de l’Exposition, que les anathèmes de Trente ne tombent point sur les protestants; mais c'est en vain qu'on donnera un sens favorable à la plupart des articles, s'il en reste un seul que le concile ordonne de croire sous peine d'anathème, et que nous ne croyions pas pouvoir admettre en conscience, soit que nous ayons raison, ou que notre conscience soit invinciblement erronée ; tel qu'est par exemple, l'article de la communion sous les deux espèces, que nous croyons être de précepte. Le bon sens dicte que dans ce cas, tout projet de conciliation s'en ira en fumée, si l'on ne met à l'écart le concile de Trente. En effet si l'autorité du concile de Trente ne peut être suspendue à l'égard des protestants, il faut donc qu'ils croient, conformément à ses décrets, que Jésus-Christ n'a point ordonné la communion sous les deux espèces, et que ceux qui pensent autrement sont frappés d'anathème, quoiqu'ils soient intimement convaincus que Jésus-Christ a ordonné de communier ainsi, et qu'il vaut mieux pour eux mourir dans un schisme, dont ils ne sont pas coupables, que de renoncer à cette vérité connue et à l'amitié de Dieu, qui dépend de leur persévérance à la défendre, suivant cette parole du Seigneur : Vous serez mes amis, si vous faites ce que je vous commande (1).

Si l'on veut donc traiter efficacement avec nous, il ne faut pas même songer à exiger de telles choses ; et je suis d'autant plus surpris que M. l'évêque de Meaux, si équitable dans tout le reste, fasse tant de difficulté d'accorder aux Allemands la coupe et la suspension du concile de Trente, que ces deux articles nous ont été offerts dès le commencement par les évêques d'Allemagne, avec lesquels j'ai traité. Ces évêques, en prévenant nos demandes, et en nous accordant d'eux-mêmes par provision ces articles autant qu'il dépendait d'eux, ne doutaient pas le moins du inonde que nous ne dussions les obtenir (a).

 

1 Joan., XV, 14.

(a) Ou l'abbé Molanus n'a pas pris le vrai sens des avances faites par des prélats allemands, ou il n'a pas bien entendu ce que M. de Meaux propose dam son Ecrit latin. Ce prélat met expressément l'usage du calice au nombre des choses que les protestants peuvent obtenir de l'Eglise romaine; et il consent que, dans la discussion des dogmes, le concile de Trente ne soit point cité en preuve, mais seulement comme le témoignage des sentiments de l'Eglise romaine; ce qui est mettre clairement le concile à l'écart et le suspendre par rapport aux protestants. Car il consent qu'on ait pour eux la même condescendance que l'on eut pour Jean d'Antioche et pour les évêques de son parti, qui s'étaient séparés du concile d'Ephèse ; pour Théodelinde, reine des Lombards, qui ne voulait pas reconnaître le Ve concile ; pour les calixtins, qui refusaient de se soumettre aux décisions du concile de Constance, etc. Voyez l'Ecrit latin, n. L. et suiv. Il est vrai que M. de Meaux ne prétendait point déroger à l'autorité du concile de Trente, quoiqu'il consentit de ne le pas faire valoir contre les protestants dans l'examen des dogmes qu'ils contestaient, comme saint Augustin ne prétendait pas déroger à l'autorité du concile de Nicée , lorsqu'il s'engageait à ne pas employer ce concile contre Maximin. Voyez ce que dit sur cela M. Bossuet, dans sa Défense de la Tradition et des SS. Pères, liv. II, chap. XIX, et dans la note mise à cet endroit, et encore dans la Dissertation intitulée : De Professoribus, etc., part. I, chap. V. M. Molanus ne pouvait lien exiger de plus du savant prélat, sans l'obliger à renoncer aux principes universellement reçus dans la communion romaine. Il est encore vrai que M. de Meaux, en mettant l'usage du calice au nombre des choses indifférentes, que l'Eglise romaine pouvait accorder aux protestants, voulait que ceux-ci reconnussent que la communion sous les deux espèces n'était pas de précepte , et qu'une seule espèce suffisait pour faire une communion entière ; et certainement il ne pouvait aller plus loin sans renverser les principes de sa propre Eglise. Il n'est pas vraisemblable que les prélats allemands aient prétendu en accorder davantage; et ces mots : In largiendo calicis usu et seponendo Tridentino, dont se sert l'abbé de Lokkum, n'expriment au fond que ce que M. Bossuet offroit aux luthériens sur ces deux articles. Le témoignage M. de Leibniz, qui ne peut être suspect, ne permet pas de soupçonner l'évêque de Neustadt d'avoir été plus loin que M. de Meaux sur l'article de la suspension du concile de Trente. Voici les paroles de M. de Leibniz dans une lettre à madame de Brinon, qu'on trouvera dans la IIe partie de ce recueil : « Il faut rendre cette justice à M. de Neustadt, qu'il souhaiterait fort de pouvoir disposer les protestants.... a tenir le concile de Trente pour ce qu'il le croit être; c'est-à-dire pour universel, et qu'il y eût moyen de leur faire voir qu'ils ont lieu de se contenter des expositions, etc. » Je conclus de la que l'évêque de Neustadt n'avait pas d'autres principes que M. de Meaux, et travaillait sur le même plan à l'ouvrage de la réunion. (Edit. de Leroi. )

 

 

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M. de Meaux convient (1) que les anathématismes dressés par saint Cyrille et approuvés par le concile d'Ephèse, furent suspendus de manière que même après la réunion Jean d'Antioche et les évêques de son parti ne les admirent pas. A. combien plus forte raison peut-on accorder la suspension des anathématismes de Trente, puisque des provinces entières et des royaumes de l'Eglise romaine ne les ont pas encore reçus nettement, en les faisant publier par l'autorité des cours séculières, et que d'ailleurs ils sont quelquefois lancés au sujet de certaines questions, ou purement

 

1 Num. 51.

 

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scolastiques, ou tout à fait inutiles, lesquelles ne règlent point, et même ne sont pas de nature à pouvoir régler la conduite des chrétiens ; telle qu'est, par exemple, la question de la validité du baptême de saint Jean. Pour faire voir l'inutilité de cette question , il suffit d'observer que n'y ayant plus personne au monde qui ait reçu le baptême de saint Jean, personne par conséquent ne peut être inquiet de la validité de son baptême (a).

Le troisième exemple que M. de Meaux tire de l'antiquité, dont il a une si parfaite connaissance, est très-important. Le voici. Saint Grégoire le Grand suspendit, à l'égard des Lombards, le cinquième concile qu'ils refusaient de recevoir. Il est vrai que ce concile n'avait rien défini de nouveau ; mais ce, n'est pas ce dont il s'agit ici : il s'agit seulement d'examiner comment il faut s'y prendre , afin que ceux qui fondés sur de bonnes raisons, ne veulent point reconnaître un certain concile, par exemple celui de Trente, pour œcuménique, ne soient pas regardés comme opiniâtres et hérétiques. Or l'exemple proposé prouve qu'on ne peut regarder comme hérétiques ceux qui refusent de recevoir un certain concile à cause de ses nouvelles décisions, soit sur la foi ou sur les personnes. J'avoue toutefois qu'il est plus facile de suspendre un concile dont les décrets ne roulent que sur les personnes.

Je ne sais si ce que M. de Meaux dit des Grecs (1) est bien prouvé, qu'un peu avant la tenue du second concile de Lyon, ils s'étaient rendus sur tous les articles contestés entre eux et les Latins; mais je n'ai point de peine à supposer le fait, parce que je n'entre pas volontiers dans la dispute sur l'autorité du concile de Trente, étant aussi convaincu que je le serois d'une démonstration d'Euclide, que nous travaillons en vain, si l'on ne convient pas de la suspension des décrets de ce concile. Je suppose donc le fait tel qu'on le dit, et je n'en suis que plus surpris de voir qu'on n'ait rien exigé de semblable des mêmes Grecs, quand on les admit à Ferrare et à Florence comme membres d'un même concile avec

 

1 Num. 44.

(a) Voyez la lettre de M. de Meaux sur l'autorité uu concile de Trente, seconde partie de ce recueil, lettre XL, où il résout cette difficulté proposée par Leibniz dans sa réponse à M. Pilot. (Note de Leroi. )

 

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les Latins. Cette dernière circonstance est très-importante pour notre question , et mérite d'autant plus d'être bien pesée, qu'il paraît que les Latins, qui se proposaient de tenir un nouveau concile , consentirent à suspendre celui de Lyon par rapport aux Grecs ; ce qui prouve qu'il n'est pas contre les maximes des catholiques de suspendre un concile en tout ou en partie. Cela soit dit en passant (a).

« L'affaire de la réunion, direz-vous, est donc sans ressource? » M. de Meaux se propose cette difficulté (1), à laquelle il fait une réponse bonne, modérée et digne d'un prélat chrétien. Elle consiste à dire qu'il faut en venir à la méthode de l’Exposition, et examiner si l'on ne peut pas concilier les points qui nous divisent, par des éclaircissements et par des déclarations. Il trouve que l'affaire est déjà si fort avancée, qu'il s'engage à dresser une déclaration de doctrine sur un très-grand nombre des principaux points, composée de mes propres paroles. « Qu'on prenne, ajoute-t-il, le concile de Trente d'une part, et de l'autre la Confession d’Augsbourg et les autres livres symboliques des luthériens, qui sont les garants de la doctrine des deux partis, etc. » Cela est très-bon pour acheminer la paix ; mais je ne crois pas que l'illustre prélat, lui-même, prétende que cette méthode satisfasse à tout, qu'on puisse l'appliquer à tous les articles de nos controverses; de sorte qu'il ne soit point nécessaire de rien accorder aux protestants, et qu'il ne faille pas, que ni les protestants ni les catholiques révoquent aucun point de leur doctrine.

La troisième partie de l'ouvrage de M. de Meaux (2) est employée à faire un essai de la méthode de l’Exposition. Ce prélat, en interprétant favorablement le concile de Trente et nos livres symboliques, a trouvé ce que le savant Bacon de Verulam, chancelier d'Angleterre, disoit dans son livre de Augmentis Scientiarum, qu'on navait point encore trouvé de son temps. On ne peut trop remercier cet illustre évêque de sa charité, qui le porte à rendre

 

1 Num. 62, 63. — 2 Num. 64 et seq.

 

(a) Toutes ces difficultés s'évanouissent, parce qu'elles ne sont bâties sur rien, dès qu'on fait attention que M. de Meaux consentait à ne pas faire plus d'usage des décrets de Trente contre les protestants, que saint Augustin n'en faisait de ceux de Nicée contre les ariens. (Edit. de Leroi.)

 

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dans cette occasion un service signalé à l'Eglise de Jésus-Christ, déchirée par le schisme. Je pourrais finir ici mes observations, s'il ne se trouvait quelques endroits de mon écrit, dans lesquels, faute apparemment de mètre bien exprimé, M. de Meaux ne paraît pas avoir saisi ma pensée. Cela étant fait en peu de mots, il ne me reste plus qu'à parler du concile de Trente, et à considérer le fruit qu'on peut tirer de nos travaux, puisque par la méthode de l’Exposition il se trouve que beaucoup d'articles, qui jusqu'à présent ont fait l'objet des disputes de part et d'autre, sont heureusement conciliés, ou le peuvent être aisément, au moins entre M. de Meaux et moi.

Ce que l'illustre prélat dit sur le concile de Trente (1), est moins contre moi que contre M. de Leibniz. Comme je ne doute point que M. de Leibniz n'y réponde, je me contente de faire quelques observations historiques, dans la seule vue de prouver que les protestants ne sont point injustes, lorsqu'ils demandent la suspension du concile de Trente.

Je me borne donc à ce seul argument, pour répondre à ce que le prélat dit contre M. de Leibniz, à la fin de son écrit. Les protestants modérés n'exigent rien d'injuste et de déraisonnable, en demandant qu'on mette à l'écart un concile qui n'a pas été reçu, même quant à la doctrine, par l'autorité publique dans toutes les églises soumises au Pontife romain, et dans lequel les protestants n'ont pas été pleinement et suffisamment entendus : or ces deux choses sont vraies du concile de Trente : donc, etc.

La majeure de ce syllogisme est évidente. Car pour ne rien dire du premier grief, le second suffit pour autoriser, non-seulement à suspendre les anathématismes d'un concile, mais même à le rejeter tout à fait, puisqu'une sentence prononcée contre im accuse, qui demande d'être entendu et qu'on refuse d'entendre pleinement et suffisamment, est manifestement nulle. Je parle dans ma majeure de l'autorité publique, parce que autre chose est qu'un concile et ses décrets soient reçus par les évêques et par le reste du clergé, autre chose qu'ils le soient par l'autorité publique ; je veux dire dans les royaumes par des décrets émanés du prince,

 

1 Num. 101 et seq.

 

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et dans les archevêchés et évêchés par les synodes provinciaux ou au moins diocésains.

La preuve de la première partie de la mineure se tire de ce que le concile de Trente n'est pas encore universellement reçu en Allemagne, au moins dans la province de Mayence, dont les suffragants sont les évêques de Strasbourg, de Wirtzbourg, de Wormes, de Spire, d'Augsbourg, d'Eichstet, de Constance, de Hildesheim, de Paderborn, de Coire, etc. C'est un fait que j'apprends de M. de Leibniz, qui le tient du prince Jean-Philippe, électeur et archevêque de Mayence, dont il a été conseiller dans sa jeunesse. On croit même que c'est pour cela que le nonce du Pape, en Allemagne, ne fait jamais sa résidence dans l'électorat de Mayence, qui est sans difficulté le premier de l'Empire, mais dans celui de Cologne. Les archevêques électeurs de Cologne ont presque toujours été tirés, dès avant le concile de Trente et depuis jusqu'à présent, de la famille électorale de Bavière : or, comme le concile a été reçu solennellement en Bavière, j'en conclus, ou j'en conjecture au moins, qu'il a été publié à Cologne par l'autorité publique. Observez encore que quand les archevêques de Mayence veulent tenir des conciles provinciaux, ce que la Cour de Rome n'accorde jamais qu'avec peine, ils prennent pour prétexte de travailler dans ce concile à faire recevoir celui de Trente dans toute la province par l'autorité publique. C'est ce que j'ai cru devoir faire remarquer en passant (a).

Le cardinal Pallavicin, qui fait une liste exacte de tous les princes qui ont reçu solennellement le concile de Trente (1) et qui l'ont fait publier dans leurs Etats, n'a osé nommer que Philippe II, roi d'Espagne, les Vénitiens, les pays héréditaires de la maison d'Autriche et la Pologne. Il promet, il est vrai, de parler au long de la réception du concile en Allemagne ; mais en effet, ou il n'en dit rien, sinon qu'il est reçu dans les pays héréditaires de l'Empereur; ou s'il entend par les autres provinces catholiques, l'archevêché de Mayence, il avance un fait contraire à la vérité.

 

1 Hist. Conc. Trid., lib. XXIV, cap. XI, XII; Ibid., cap. XII, n. 4; Ibid., n. 11.

 

(a) L'auteur ne prouve rien, puisqu'il ne prouve pas, comme il l'avait promis, que le concile de Trente n'est pas reçu quant à la doctrine. (Edit. de Leroi.)

 

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C'est pour cela qu'en Allemagne on n'a point d'égard à la décision mise prudemment à l'écart, dans le concile de Florence, et faite à Trente avec hardiesse, sans avoir entendu les Grecs, par laquelle il est défendu de se remarier du vivant d'une femme dont on s'est séparé pour cause d'adultère. On se remarie, dis-je, en Allemagne malgré ce décret ; et l'Eglise romaine tolère ceux qui le font, et même les admet à la confession et à la communion. M. Ballincourt, gentilhomme d'Alsace et lieutenant-colonel dans l'armée de notre électeur, est bon catholique romain ; cependant ayant obtenu en Alsace une sentence qui le séparait de corps et de biens de sa femme convaincue d'adultère, il se remaria à Hanovre, il y a six ou sept ans ; et depuis, cette seconde femme étant morte, il en épousa une troisième du vivant de la première. Je lui demandai comment on pouvait. l'admettre dans son Eglise à la participation des sacrements malgré l'infraction d'une loi si authentique, et il me répondit, que son confesseur, approbateur des anathématismes de Trente, blâmait sa conduite ; mais pourtant qu'il la tolérait, parce que le concile n'était pas universellement reçu en Allemagne (a).

 

(a) Leibniz , dans sa Dissertation contre le discours de M. Pirot, n. 17, propose la même difficulté qui, comme on va voir, porte à faux. Elle suppose que le concile a condamné sous peine d'anathème le sentiment des Grecs sur le divorce pour cause d'adultère, ce qui n'est pas, l'anathème ne tombant, ni sur les Grecs, ni sur ceux qui penseraient comme eux, mais uniquement sur les luthériens, et sur ceux qui, à leur exemple, « auraient la témérité d'accuser l'Eglise d'erreur, lorsqu'elle enseigne, conformément à la doctrine de l'Evangile et des apôtres, que le mariage ne peut être dissous par l'adultère de l'un des deux époux.» (Conc. Trid., sess. XXIV, can. 7). Les termes du canon sont exprès, et l'intention du concile est certaine. On peut voir dans Pallavicin et dans Fra-Paolo (Pallav., l. XXII, cap. LV, n. 17; Fra-Paol., lib. VIII), les raisons qui déterminèrent les Pères de Trente à dresser le canon dans la forme où il est, Iras-différente de celle, dans laquelle il avait d'abord été proposé; et le P. le Courrayer lui-même ne peut s'empêcher de reconnaître que « le concile ne fait que justifier la pratique romaine, sans condamner celle qui lui est opposée. » (Note 66 sur le liv. VIII de Fra-Paolo, tom. II, p. 685.)

On n'a donc pas décidé hardiment à Trente ce qu'on avait eu la prudence de laisser indécis à Florence, comme M. Molanus le reproche. On a tenu dans les deux conciles une conduite uniforme. A Florence, les Latins reprochèrent aux Grecs que leur pratique était contraire à cette parole de Jésus-Christ : « Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni » (Matth., XIX, 6); ce qui n'empêcha pas Eugène IV de dire, « que par la grâce de Dieu les deux Eglises étaient unies dans une même foi : Dei beneficia sumus in fide conjuncti (Tom. XV, Conc. Labb., col. 526). A Trente , le concile déclare ce que l'Eglise enseignent conformément à la doctrine de l'Evangile et des apôtres, et ne frappe d'anathème que ceux qui taxent d'erreur le sentiment de l'Eglise : ce que les Grecs n'avoient jamais fait, et ce qui était le crime des luthériens.

« La décision du concile, dit le savant abbé  Renaudot (Perpét. de la Foi, tom. V, p. 150, dans un ouvrage généralement approuvé, est très-prudente, puisqu'elle justifie la doctrine ancienne de l'Eglise , que les luthériens attaquaient témérairement sans donner aucune atteinte directe ni indirecte à la pratique des Grecs connue l'Eglise grecque, même depuis le schisme, n'a pas condamné dans les Latins l'opinion qu'ils avoient que le lien du mariage n'était pas rompu pour cause d'adultère. »

Aussi M. Bossuet ne touche-t-il pas à celte question dans sa réponse à M. Molanus; quoiqu'il y propose une déclaration de foi, que les luthériens doivent donner à l'Eglise pour rentrer dans sa communion, et que dans cette déclaration il y ait un article sur le mariage. Si quelques théologiens particuliers, si M. Pirot, comme l'assure M. de Leibniz, a dit qu'après ta définition du concile de Trente et auprès de ceux qui le tiennent pour œcuménique, on ne saurait douter sans hérésie de l'indissolubilité du lien du mariage nonobstant l'adultère, il faut entendre ce terme d'hérésie d'une hérésie matérielle, qui consiste à soutenir de bonne foi un sentiment contraire à l'Ecriture et à la tradition , et non d'une hérésie formelle, dont on n'est coupable que lorsqu'on défend une doctrine condamnée par l'autorité et la concorde très-parfaite de l'Eglise universelle; autrement la censure serait excessive. En effet on voit, même depuis le concile de. Trente, des conciles particuliers user de la même tolérance envers les Grecs. Dans deux synodes de l'archevêché de Montréal en Sicile, l'un tenu en 1638 sous le cardinal de Torrès, et l'autre en 1653, sous le cardinal Montalto (Syn. Montereg. I, an. 1638, p. 81, 2, ann. 1653, p. 45, apud Renaud., ubi sup., p. 152 , entre plusieurs reproches qu'on y fait aux Grecs, on n'en voit point sur le divorce; et si dans le second ou veut réprimer les abus auxquels la trop grande facilité des divorces donnait lieu, on n'y dit rien de la cause d'adultère. Les Pères se contentent de dire qu'ils ne doivent point approuver qu'on rompe si facilement les mariages des Grecs et que, pour obvier à cet abus, ils déclarent nulles les séparations quant au lien, faites sans jugement juridique et par une autorité privée. Tum facile dirimi inter conjuges Grœcos matrimonia approbare nullo modo debemus ; ideòque hucusque foetus separationes quoad vinculum extra-judicialiter et auctoritate proprià, nullas fuisse atque irritas declaramus.

Il est donc manifeste, que le concile de Trente n'a point proposé l'indissolubilité du mariage pour cause d'adultère, comme un article de foi. Par conséquent on l'accuse injustement d'avoir profité de l'absence des Grecs pour précipiter une décision qu'on n'avait pas voulu faire à Florence; et c'est sans fondement qu'on prétend que ses décrets sur le dogme ne sont pas reçus par toute l'Eglise, parce qu'il se trouve encore des Etats catholiques où le divorce pour cause d'adultère est toléré. (Edit de Leroi).

 

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J'ai toujours été persuade que le concile de Trente n'a jamais été reçu en France par un édit du roi, vérifié en parlement. « Il se trouve des personnes, dit M. de Meaux (1), qui croient que le concile de Trente n'est pas reçu en France, ce qui n'est vrai qu'en ce qui regarde la discipline et non la règle ferme et inviolable de la foi. » Pallavicin ne fait point cette distinction, lorsqu'il dit indéfiniment que le concile n'est pas reçu en France. Mais supposons

 

1 Num. 101.

 

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que si l'on n'a point pensé à cette distinction en France, on s'en soit servi ailleurs, il s'ensuit qu'on peut au moins suspendre les décrets de discipline de ce concile, sans déroger en général à l'autorité des conciles, delà étant, pourquoi ne sera-t-il pas permis aux protestants de demander qu'on suspende les anathématismes prononcés à Trente, au sujet des dogmes sur lesquels ils n'ont pas été entendus (a) ?

Rien ne m'oblige à disputer avec un prélat aussi illustre qu'est M. de Meaux sur cette question de fait, savoir, si l'autorité publique est intervenue en France pour y faire recevoir le concile de Trente. Mais puisque jusqu'à présent il n'a paru aucun édit du roi qui prouve une acceptation authentique, et que le cardinal Pallavicin est un de ceux qui nient que le concile ait été reçu en France, M. de Meaux voudra bien me permettre de proposer comme un doute, dont je demande l'éclaircissement, ce passage tiré d'une réponse faite, sous le nom supposé de Pierre d'Ambrun, à l’Histoire critique du Vieux Testament du Père Simon. Je cite l'édition française de Roterdam, de l'an 1689, p. 9. « Quelque grande que soit son érudition (l'auteur parle du P. Simon), je crois qu'il aurait de la peine de faire voir que les décisions du concile de Trente soient généralement reçues dans toutes les églises, puisqu'on n'y sait pas même s'il y a eu un concile de Trente. Ce concile même, qu'on nous veut faire croire être la pure créance de l'Eglise, n'est point reçu en France; et ainsi on n'a aucune raison de nous le proposer comme une règle, à laquelle nous devons nous soumettre aveuglément. Je sais qu'on répond ordinairement à cela qu'il est reçu pour ce qui regarde les points de la foi, bien qu'il ne soit pas reçu dans les matières de discipline ; mais cette distinction , dont tout le monde se sert, est sans aucun fondement, parce qu'il n'a pas été reçu plutôt pour la foi que pour la discipline. Si cela est, qu'on nous produise la publication de ce concile, ou un acte qui nous montre qu'il a été véritablement reçu et publié.

 

(a) C'est, dit M. Bossuet, Réflex., chap. VII, n. 1, « qu'il n'en est point de la foi comme des mœurs. Il peut y avoir des lois qu'il soit impossible d'ajuster avec les mœurs et les usages de quelques nations ; mais pour la foi, comme elle est de tous les âges, elle est aussi de tous les lieux. » Cette réponse est tranchante, et les objections les plus spécieuses ne peuvent en affaiblir la force. (Edit. de Leroi.)

 

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Car selon les règles du droit, un concile ne peut faire loi, s'il n a été publié. Il n'y a pas encore beaucoup d'années que dans une assemblée du clergé de France, on délibéra pour présenter une requête ail roi, afin que ce concile fût reçu, quant à ce qui regarde la foi seulement; mais quelques délibérations que les prélats aient faites là-dessus, la Cour n'a jamais voulu écouter leur requête. Il n'y a eu que la Ligue qui le publia dans Paris et dans quelques autres églises de France, sous l'autorité du due de Mayenne. Je demande donc au Père Simon où il prendra sa traditions S'il dit : Dans l'Eglise, ce mot est trop général; s'il ajoute que l'Eglise a décidé dans les conciles ce qu'on devait croire, je le prie de me marquer dans quels conciles. Nous venons de voir que le concile de Trente n'oblige en conscience, de tous les Français que les seuls ligueurs qui l'ont reçu (a). »

La preuve de la seconde partie de la mineure de mon raisonnement est fondée sur ces paroles du célèbre historien de Thou, sur l'année 1551. « Les envoyés, dit-il (b), du duc de Wittenberg, Thierri Penninger et Jean Hetclin arrivèrent à Trente sur la fin du mois de septembre. Ils avoient ordre de leur prince de présenter publiquement une profession de foi qu'ils apportaient par écrit, et de dire que lorsqu'on aurait donné aux théologiens de leur pays un sauf-conduit, semblable à celui qu'avait accordé le concile de Bâle, ils ne manqueraient pas de venir. Après cela, étant allés trouver le comte de Montfort, ambassadeur de

 

(a) Ce raisonnement irait à prouver que le premier concile de Nicée n'est pas reçu; car combien de chrétiens ne savent pas même s'il y a eu un concile de Nicée! Pour ce qui est de cette acceptation authentique qu'exige le théologien protestant, elle est nécessaire pour les lois de discipline, et non pour celles de la foi, qui ne sont pas uniquement fondées sur la décision d'un tel concile général, puisque le concile ne peut rien décider sur le dogme que ce que la tradition a appris d'âge en âge depuis les apôtres. Vouloir assujettir la foi à l'ordre judiciaire et à des formalités, c'est l'avilir. On sait indépendamment de toute publication faite dans la forme judiciaire, qu'un concile est reçu par rapport aux dogmes, lorsque toutes les églises catholiques s'accordent à le citer dans les occasions comme ayant une autorité que personne ne conteste, ni ne peut contester. Or c'est ainsi qu'on cite le concile de Trente dans toutes les églises catholiques. Sa publication pair des édits et déclarations des rois n'ajouterait donc qu'une formalité d'autant moins nécessaire, que les décrets de foi ne dépendent point des ordonnances des princes séculiers.

(b) Thuan l. VIII, fol. 380. Edit. Francf. Nous copions la version de cette histoire publiée en 1734.

 

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l'Empereur, et lui ayant communiqué leurs ordres, le comte fut d'avis qu'avant toutes choses ils vissent le légat du Pape ; mais comme ils craignirent que leur conférence avec lui ne leur fût préjudiciable, parce qu'il eut semblé par là qu'ils reconnaissaient le Pape pour leur principal juge, ils différèrent jusqu'à ce qu'ils sussent l'intention de leur maître, à qui ils écrivirent.

» Cependant la dépêche du duc de Wittenberg arriva, mais trop tard pour que ces ambassadeurs pussent présenter, selon ses ordres, sa Confession de foi dans l'assemblée que l'on tint le 25 novembre. Comme le comte de Montfort était absent, ils s'adressèrent au cardinal de Trente, et le conjurèrent, par ce qu'il devait à leur patrie commune et par les liaisons d'amitié qu'il avait avec leur prince, de leur faire accorder une audience publique. Le cardinal en parla au légat, et lui montra l'ordre qu'avoient reçu les ambassadeurs, afin qu'il ajoutât plus de foi à sa demande; mais le légat tint ferme, et leur fit répondre par le cardinal qu'il était indigné de voir que ceux qui dévoient recevoir avec soumission la règle de leur créance et s'y conformer, osassent présenter aucun écrit, comme s'ils voulaient donner des lois à ceux qui avoient droit de leur en imposer. Il les renvoya ainsi au cardinal de Tolède, qui les amusa avec adresse pour prolonger le temps. Guillaume de Poitiers, troisième ambassadeur impérial, en usa de même avec ceux de Strasbourg; les uns ni les autres ne purent rien obtenir cette année. Le Pape créa dans le même temps treize cardinaux tous Italiens, pour être les soutiens de sa puissance, parce qu'il appréhendait que les évêques et les théologiens d'Allemagne et d'Espagne ne blessassent son autorité, quand on souscrirait l'article de la réformation des moeurs. » Ainsi parle l'historien de Thou (a).

Les autres protestants d'Allemagne jugèrent par là ce qu'ils

«Voient à espérer d'un concile dont les Pères qui le composaient

 

(a) Ce fait, en le supposant tel qu'il est rapporté par de Thou, ne prouverait rien autre chose, sinon que le légat eut peut-être tort dans une occasion particulière , ce qui ne peut retomber sur tout le concile. D'ailleurs qui ne sait les chicanes et les longueurs employées par les protestants pour lasser la patience du concile ? Après avoir promis cent et cent fois de se présenter au concile et y avoir toujours manqué, ils ont mauvaise grâce de dire qu'on n'a pas voulu les entendre ( Edit. de Leroi. )

 

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n’avaient aucun pouvoir, puisque tout se faisait à Rome et rien à Trente, et que les décrets qu'on y publiait étaient moins ceux du concile que de Pie IV, comme le dirent les ambassadeurs du roi très-chrétien Charles IX, qui déclarèrent au mois de septembre 1563, dans une protestation solennelle, que le roi très-chrétien n'approuverait pas et que l'Eglise gallicane ne recevrait pas comme décrets d'un concile œcuménique, ce qu'on publiait à Trente au gré du Pape et par sa seule volonté. En conséquence la plupart des électeurs, princes et Etats protestants de l'Empire, refusèrent de venir à un tel concile, et se concertèrent pour publier un écrit (1) qui contenait les raisons pour lesquelles ils rejetaient le concile de Trente. Il serait inutile de faire des extraits de cet écrit, qui est entre les mains de tout le monde.

Je pourrais ajouter ici le jugement qu'ont porté du concile de Trente des catholiques très-savants, tels qu'Edmond Richer. Claude d'Espence, André Duditius, évêque de Cinq-Eglises, Innocent Gentillet, Fra-Paolo, dont l'histoire a été traduite depuis peu en français par Josserat (a), qui prend sa défense contre Pallavicin, et enfin César Aquilius dans son livre des trois Historiens du concile de Trente, que Josserat cite souvent; mais je n'aime point à me servir de ces sortes d'arguments, qu'on appelle ad hominem.

 

CONCLUSION.

 

Rendons grâces à Dieu. J'ai commencé cet écrit pendant le Carême, dans mon abbaye de Lokkum, et je l'ai achevé dans la Semaine sainte, la veille de Pâques de l'an 1093, jour auquel, suivant le bréviaire de Citeaux, on dit cette oraison à Vêpres :

« Seigneur, répandez sur nous votre Esprit de charité, afin qu'après nous avoir rassasiés des sacrements de la Pàque, vous nous fassiez la grâce d'établir entre nous la concorde. C'est ce que nous vous demandons par votre Fils Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui étant Dieu, vit et règne avec vous dans l'unité du même Saint-Esprit, pendant tous les siècles des siècles. Amen. »

 

1 Mém. présenté à l'Empereur à la diète de Francfort.

 

(a) De la Mothe Josserat est le même qu'Amelot de la Houssaye.

 

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J'ai depuis revu cet écrit à Hanovre, et j'y ai fait quelques additions et corrections au mois de juin : je l'ai mis au net au mois de juillet, et je l'ai enfin entièrement achevé le premier août M. DC. XCIII.

 

Bénissons Dieu, ALLELUIA.

Rendons grâces à Dieu, ALLELUIA (a).

 

(a) Molanus accompagna cet écrit de trois Dissertations latines, qui faisaient partie du grand ouvrage qu'il avait envoyé à Vienne, dans lequel il prétendait avoir concilié cinquante articles de nos controverses. Nous ne croyons pas devoir grossir ce Recueil de ces trois Dissertations, qui sont fort longues, et d'un latin dur et obscur, et qui d'ailleurs n'ont été envoyées à M. de Meaux que comme un échantillon d'un plus grand ouvrage. Si les protestants d'Allemagne jugent à propos de publier l'ouvrage entier, nous le lirons volontiers, et nous applaudirons aux efforts faits par le savant auteur pour parvenir à la réunion. En attendant, nous nous contenterons de donner les titres des trois Dissertations trouvées dans les papiers de M. de Meaux, et d'y ajouter en peu de mots le sentiment du théologien luthérien sur les questions qu'il traite dans ces Dissertations.

 

PRIMA CONTROVERSIA

De sacrificio Missae.

 

 

Non est realis, sed duntaxat verbalis.

 

SECUNDA CONTROVERSIA.

De ratione formali justificationis, sive in quo consistat justificatio hominis peccatoris coràm Deo.

 

Postquàm una pars alteram intellexit, non ampliùs realis , sed adeò verbalis est, ut mirum videatur qui fieri potuerit, ut super tali quœstione praeter omnem necessitatem inter partes tanto temporis intervallo fuerit pugnatum.

 

TERTIA CONTROVERSIA.

De absoluta certitudine conversionis, pœnitentiœ, absolutionis, fidei, justificationis, sanctificationis, deniquè salutis aeternae.

 

Partim nulla nobis et cum romanà Ecclesià controversia , partim non realis, sed duntaxat verbalis. ( Edit. de Leroi. )

 

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