Instr. Ursul. Meaux
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INSTRUCTION
FAITE
AUX  URSULINES  DE MEAUX (a).

 

Si tacueritis, salvi eritis.

 

« Si tu te tais, tu seras sauvé, » dit un grave auteur. Ces paroles seront le sujet de notre méditation.

 

L'avant-propos montrait évidemment les défauts de la langue, et comme elle est la source et le principe universel de tous les

 

(a) Le titre indique le lieu du discours, mais rien n'en marque la date. Manuscrit d'une religieuse.

 

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péchés et d'un grand nombre d'imperfections : ensuite il était prouvé comme le silence était le souverain remède, pour corriger tout d'un coup ce cours malheureux et les saillies de nos passions. Ainsi il est vrai de dire que le silence bien gardé est un moyen sûr pour faire son salut. Si tacueritis, salvi eritis: Gardez le silence, vous vous sauverez infailliblement sans beaucoup de peine.

Il y a trois sortes de silence : le silence de règle, le silence de prudence dans les conversations et le silence de patience dans les contradictions. Notre-Seigneur nous a donné de beaux exemples du silence dans tout le cours de sa passion et de sa vie : du silence de règle dans le berceau, dans son enfance, durant sa vie cachée; du silence de prudence dans sa vie conversante et publique ; enfin du silence de patience en sa passion, où ce divin Sauveur a tant souffert sans dire un seul mot pour sa défense et pour s'exempter de souffrir. Ces trois sortes de silence feront les trois points de notre méditation.

 

PREMIER  POINT.

 

Considérons, chères âmes, que Jésus-Christ a gardé le silence de règle admirablement dans son enfance. Il est de règle selon l'ordre de la nature; et Jésus-Christ s'assujettit à cette règle , lui qui est la Parole éternelle du Père, non-seulement comme les autres enfants, mais encore l'espace de trente ans entiers. Car l'Evangile dit qu'il n'a parlé qu'une fois, lorsqu'il fut au temple, où il instruisait les docteurs pour montrer que s'il ne disait mot, c'était pour apprendre aux hommes à garder le silence. Si donc, mes chères Filles, Jésus-Christ a été si exact dans ce silence, combien devez-vous à son imitation être fidèles dans l'observance de celui qui vous est prescrit par votre règle !

Nous voyons que les ordres religieux sont distingués les uns des autres : cet ordre-là par une grande pénitence et austérité de vie; celui-ci est destiné pour chanter incessamment les louanges de Dieu. Il y en a qui ne sont appliqués qu'à la contemplation; d'autres enfin sont tout dévoués au service du prochain et à la charité. Mais dans toutes ces différences singulières de chaque

 

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institut, nous remarquons que dans tous le silence y est prescrit et ordonné par la règle, et qu'il y a des temps et des heures de silence. Quelques-uns gardent un silence perpétuel et profond et ne parlent jamais ; d'autres sont obligés de le garder des temps considérables dans la journée, y ayant même des heures destinées pour cet effet et où il n'est pas permis de parler.

Remarquez, mes chères Filles, que tous les fondateurs de religions ont eu trois pensées et raisons, quand ils ont établi et prescrit le silence dans leur règle. La première, c'est qu'ils ont connu et vu par expérience que le silence retranchait beaucoup de péchés et de défauts. Et en effet, où le silence n'est pas observé comme il doit l'être, combien s'y glisse-t-il d'imperfections et de désordres ? C'est ce que nous verrons bientôt dans la suite de cet entretien. In multiloquio non deerit peccatum, dit le Saint-Esprit : « Le péché suit toujours la multitude des paroles (1). » Et saint Jacques a eu raison de dire que la langue est l'organe et le principe de tout péché (2).

La seconde raison qu'ont eue encore les fondateurs d'ordres en établissant l'esprit de retraite, c'est qu'ils ont prévu que la dévotion et l'esprit d'oraison ne pouvaient subsister sans le silence. Ceci est trop visible et trop vrai; nous le voyons tous les jours dans ces âmes épanchées et dissipées qui aiment à se répandre au dehors. Hé! dites-moi, chères âmes, sont-elles pour l'ordinaire bien spirituelles et filles d'oraison, si elles ne sont recueillies ? Quelques bons sentiments et mouvements intérieurs que Dieu leur donne dans la prière, ils seront sans fruit, tant qu'elles se dissiperont aussitôt cherchant à causer et à parler; il est certain que toute l'onction de la dévotion s'évanouira et se perdra insensiblement : car elle ne peut se conserver que dans une âme silencieuse et parfaitement récolligée, attentive sur soi-même. Ainsi il ne faut pas espérer ni attendre grande spiritualité ni piété d'une religieuse qui aime à discourir et à s'entretenir avec celle-ci et avec celle-là, qui ne peut demeurer une heure dans sa cellule en repos et en silence.

Enfin la troisième raison qui a porté les fondateurs de recommander

 

1 Prov., X, 19. — 2 Jacob., III, 6.

 

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si étroitement le silence à leurs religieux, c'est parce que le silence unit les frères. Et en effet c'est un moyen très-propre pour maintenir la charité, la paix et l'union dans une maison religieuse, puisque le silence bannit tous ces discours et entretiens qui la divisent et la détruisent. Car pour l'ordinaire qu'est-ce qui fait la matière de ces conversations trop familières, sinon les défauts de ses Sœurs ? Ce qui apporte bien souvent du trouble et de la division dans une communauté, et tout cela faute de-silence. Quand on veut réformer un monastère qui n'est plus dans sa première ferveur, que fait-on ? L'on observe soigneusement si les règles y sont bien gardées, spécialement les plus essentielles. S'aperçoit-on que le silence manque et n'est plus observé, c'est par là que l'on commence : aussitôt on y rétablit le silence qui n'y était point gardé, parce que c'est le moyen qui retranche tout d'un coup les autres imperfections, abus ou désordres qui arrivent dans une maison religieuse, parce qu'elle s'est relâchée sur la règle du silence.

Ayez donc , chères âmes, de l'amour et de l'estime du silence de règle, si nécessaire pour entretenir et conserver toutes les vertus religieuses. Comme je vous ai déjà dit, dans toutes les maisons ou monastères l'on est toujours obligé à le garder aux temps et lieux ordonnés : c'est là ce qui maintient la régularité. Vous autres, mes chères Filles, quoique vous soyez consacrées au public par votre institut pour instruire la jeunesse, vous ne laissez pas d'avoir aussi ce silence de règle à observer dans de certains temps ; et j'ai remarqué, ce me semble, que par vos constitutions vous devez vous abstenir tout au moins de tous discours et paroles inutiles durant la journée. Et si vous ne parlez que pour le nécessaire, vous garderez un long silence, et vous ne vous épancherez pas inutilement parmi les créatures, en vous entretenant de tout ce qui se passe dans une maison. Tous ces désirs de communiquer avec cette amie seront mortifiés et réprimés ; on ne cherchera pas à s'aller décharger avec celle-ci de tout ce qui fait peine, pour en murmurer et s'en plaindre inconsidérément.

Si Notre-Seigneur faisait la visite dans ce monastère pour voir si le silence est bien gardé, et qu'il entrât dans les lieux ou il doit

 

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être gardé, hélas ! qu'est-ce qu'il y trouverait ? Là deux petites amies, et ici trois autres en peloton occupées à causer et à s'entretenir ensemble à la dérobée, tandis peut-être que l'on devrait être au chœur ou à une autre observance. Si donc Jésus-Christ se présentait à elles, et leur allait faire cette demande : « Quels sont ces discours que vous tenez ensemble ? » Qui sunt hi sermones quos confertis ad invicem (1)? quelle serait leur réponse? Pourraient-elles dire avec vérité : Nous parlons de Jésus de Nazareth; ou bien : Nous parlons des moyens pour arriver à la pratique de la vertu, pour nous encourager les unes les autres? Ah ! c'est souvent de rien moins. Car la plupart de tous vos discours avec cette amie, qui est la confidente de tous vos mécontentements, sont de lui dire tous vos sentiments imparfaits sur tout ce qui vous choque et vous contrarie; c'est de parler des défauts des autres, et des prétendus déplaisirs que vous dites avoir reçus de cette sœur que vous ne pouvez souffrir. C'est là où l'on murmure, où l'on se plaint à tort et à travers de la conduite des officières de la maison. On critique, on censure, on contrôle toutes choses : la supérieure même n'est pas exempte d'être sur le tapis; on blâme sa conduite et sa manière d'agir; enfin l'on mêle dans ces entretiens familiers celle-ci, celle-là, encore celui-là : bref c'est dans ces communications indiscrètes où se font une infinité de péchés de médisance, et très-souvent de jugements téméraires, plus griefs que l'on ne pense. Il faut ici faire réflexion, chacune selon son besoin, à ce que la conscience dictera, avant que de terminer ce premier point.

 

SECOND  POINT.

 

Dans le second point de notre méditation nous allons voir le silence de prudence qu'il faut garder dans les conversations, pour apprendre à n'y point faire de fautes contraires à la charité. Et pour nous y bien comporter, envisageons, chères âmes, Jésus-Christ notre parfait modèle , qui a pratiqué merveilleusement ce silence de prudence, dont je vais vous parler, en vous en faisant voir un bel exemple dans sa sacrée personne, pendant sa vie conversante et dans les années de ses prédications.

 

1 Luc, XXIV, 17.

 

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Ce doux Sauveur était si débonnaire, qu'il est remarqué de lui qu'il n'a jamais rien dit qui fût capable de donner un juste sujet de plainte et de peine à personne. Cet Agneau plein de douceur a contraint les Juifs mêmes de dire de lui « que jamais homme n'avait si bien parlé : » Nunquàm sic locutus est homo, sicut hic homo (1). Et dans une autre occasion, où ils voulaient surprendre Jésus-Christ dans ses paroles, que firent-ils à cet effet ? Ils lui demandèrent s'il était permis de payer le tribut à César. Notre-Seigneur, qui est la Sagesse même, leur fit cette réponse prudente et judicieuse, qu'il était juste de « rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (2). »

Voilà, mes chères Filles, une belle idée et un modèle achevé, pour vous apprendre la pratique du silence de prudence dans vos conversations. Car remarquez avec moi que la perfection du silence ne consiste pas seulement à ne point parler, mais aussi à parler selon les règles de la charité chrétienne et religieuse. Comme par votre institut vous ne devez pas vivre à la façon des ermites et être toujours en solitude, il est nécessaire que vous conversiez les unes avec les autres les jours de récréations, où vous devez vous trouver toutes ensemble , pour obéir à la règle en esprit de charité et d'union. Mais, chères âmes, comme c'est ici l'endroit le plus glissant peut-être qui soit en la vie religieuse, et où il soit plus aisé d'y faire des fautes, soit par inconsidération ou imprudence, n'étant pas pour lors attentives sur vous-mêmes: il faut se munir de grandes précautions et beaucoup veiller sur ses paroles, pour ne point commettre de péchés même considérables , où insensiblement on se laisse aller dans la conversation faute de savoir se maintenir dans les règles de la prudence et de la charité. C'est pourquoi il faut s'observer et prendre des mesures pour n'y point faillir avec vos Sœurs, de manière que votre conscience n'y soit point intéressée, ni la paix altérée.

Car, mes Filles, bien que vous soyez toutes membres d'un même corps, cependant la différence des humeurs et tempéraments, qui se rencontre entre toutes, forme de certaines oppositions et contradictions qui vous obligent à une grande circonspection dans les

 

1 Joan., VII, 40. — 2 Matth., XX1I, 21.

 

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heures de vos récréations, où vous devez singulièrement faire pa-roître ce silence de prudence, en prenant garde surtout de ne rien dire qui puisse tant soit peu fâcher vos Sœurs et leur donner de la peine. Il faut aussi, par une sage discrétion, que vous sachiez prévoir et ne pas dire les choses que vous jugeriez ou croiriez devoir fâcher et mécontenter quelque Sœur : de plus cette même prudence doit vous empêcher de relever cent choses qui peuvent exciter parmi vous de petites disputes et divisions, d'où d'ordinaire elles naissent et se forment.

Ah ! mes chères Filles, ayez attention à vous conduire de la sorte, si vous voulez maintenir la paix et la charité dans vos conversations, qui autrement deviendraient plus nuisibles qu'utiles. Pour cet effet, il faut savoir supporter prudemment et vertueusement les fardeaux les unes des autres, comme vous y exhorte le grand saint Paul : Alter alterius onera portate (1). Que cette pratique si nécessaire vous ferait endurer de choses, si vous y aviez un peu d'application ! Chacune à son tour n'a-t-elle pas à supporter quelques défauts dans les autres ? Aujourd'hui vous endurez une parole un peu fâcheuse, qu'une Sœur vous aura dite par mauvaise humeur ; hé bien ! demain elle souffrira peut-être de vous des choses plus sensibles.

Mais, direz-vous, j'ai à converser avec cette Sœur qui est d'une humeur si rustique et si insupportable, qu'il me faut toute ma patience pour ne la choquer ni rebuter quand elle est dans sa mauvaise humeur. Il est vrai, il se rencontre des personnes si inciviles et malhonnêtes dans leurs conversations, qu'elles sont presque intraitables. Ces humeurs farouches y sont fort à charge, et donnent souvent sujet d'exercer la patience des autres toute leur vie. Car comme naturellement elles sont de cette humeur, jointe à l'éducation qu'elles ont eue qui a fort contribué à leurs mauvaises dispositions d'esprit, il n'en faut pas attendre autre chose de plus. Pour l'ordinaire elles sont ombrageuses, soupçonneuses et très-aisées à se fâcher et à parler selon leur boutade. Quoi qu'il en soit, la charité vous oblige de les supporter, et de ne les pas fâcher mal à propos. Je sais que cela est un peu difficile

 

1 Galat., VI, 2.

 

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et qu'il n'y a rien de si contraire à un naturel plus sociable et poli, qui sait vivre honnêtement dans la conversation, que ces personnes grossières et fâcheuses, qui ne peuvent dire une parole de douceur et d'honnêteté. Mais ne savez-vous pas que c'est là où la vertu se fortifie et où elle a matière de s'exercer avec beaucoup de mérite; et que c'est en supportant patiemment les humeurs contraires à la vôtre, que vous faites voir que vos vertus et votre conduite ne sont point illusion?

Mais, dites-vous encore : Cette Sœur est si ombrageuse et pointilleuse que la moindre chose la met en mauvaise humeur, s'imaginant toujours que je lui en veux : je dis, par exemple , une parole innocemment et bonnement, sans avoir intention de lui faire de la peine; cependant elle s'en choque et s'aigrit. Or je veux que vous n'ayez point eu intention de l'attaquer; toutefois vous qui avez un naturel plus favorable et raisonnable, vous devez en conscience ménager ces esprits faibles qui par leur incapacité de faire autrement s'échappent souvent malgré eux. Ainsi par esprit de charité et de douceur ayez égard à leurs faiblesses : ne leur donnez pas sujet d'offenser Dieu en les contrariant; ayez même de la condescendance pour elles : abstenez-vous de dire de certaines choses, quoique indifférentes et innocentes, que ces esprits mal faits prendraient de travers : ayez-en de la compassion; car elles-mêmes ont de la peine et de la confusion de se voir ainsi à charge aux autres : ce qui les humilie et mortifie étrangement devant Dieu dans la connaissance qu'il leur donne de leur fragilité; elles en ont de l'amertume de cœur, à moins qu'elles ne soient tout à fait aveugles sur ce défaut.

Et vous, esprits revêches, humeurs grossières et fâcheuses, apprenez à vous vaincre et à être maîtresses de ces mouvements impétueux, que produit en vous ce mauvais naturel que vous devez sans cesse combattre et détruire, pour vivre de la vie de la grâce en mourant à la nature. Et ne pensez pas dire, pour vous mettre à couvert, comme ces âmes lâches et imparfaites : Je ne saurais faire autrement, c'est mon humeur. Car vous n'en serez pas quittes pour cela devant Dieu, puisque vous êtes obligées, selon les préceptes de Jésus-Christ dans l'Evangile, de vous mortifier

 

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et de travailler à renoncer à vous-mêmes tous les jours. Et Dieu n'a-t-il pas dit à Caïn, au commencement du monde, de mortifier son humeur farouche, ses appétits déréglés, et de surmonter ses passions indomptées (1) ?

Voyez donc, mes chères Filles, la nécessité qu'il y a de veiller sur sa langue, quand on est obligé de converser; et vous plus particulièrement, qui par votre institut êtes souvent engagées à communiquer et parler avec les séculiers, dans les occasions que vous procure l'instruction de la jeunesse qui vous est confiée, comme d'aller sou vent au parloir visiter les parents des pensionnaires. Car la bienséance et l'honnêteté, quelquefois même la nécessité vous oblige d'avoir des entretiens avec ces personnes, et outre cela votre règle vous le permet, comme aussi avec vos parents et d'autres de vos amies et connaissances. Mais c'est ici, chères âmes religieuses, qu'il faut surtout vous bien conduire et parler avec discrétion. Si jamais vous avez besoin du silence de prudence, c'est dans ces temps où il y a beaucoup à perdre ou à gagner. Je vous en avertis, prenez-y garde et comportez-vous-y d'une manière si édifiante, que les gens du monde n'aient pas moins d'estime de vous. Pour cet effet, il faut qu'une religieuse au parloir, en présence des séculiers, soit d'un maintien grave et modeste. Elle doit veiller extrêmement sur ses paroles, ne pas trop s'épancher, ni se. dissiper. Car les gens du monde observent, plus que l'on ne pense, toutes les actions et la conduite des religieuses au parloir; et selon la sagesse et discrétion qu'ils remarquent dans les unes, ils prennent de fort mauvaises impressions de celles qu'ils voient trop libres, plus inconsidérées et mondaines dans leurs paroles; qui ne se sentent nullement de leur état, ne mêlant presque jamais dans leurs discours rien de spirituel et de Dieu, comme devrait faire une bonne religieuse.

Ne vous y trompez pas : car bien que les gens du monde vous fassent paraître de la complaisance et témoignent agréer vos pensées, ou entrer dans tous vos sentiments, vous ne savez pas de quelle manière ils prennent en eux-mêmes les choses qu'ils semblent approuver quand ils sont auprès de vos grilles. Car après,

 

1 Genes., IV, 6, 7.

 

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qu'arrive-t-il de ces beaux entretiens quand ils sont en compagnie, et lorsqu'ils se mettent à parler des religieuses, que disent-ils? Ah ! dit celle-là, ces jours passés j'ai entretenu une religieuse, je n'ai été qu'un quart d'heure avec elle, vous ne la connaissez pas; pour moi je sais bien de quelle humeur elle est, je sais ses sentiments sur telles choses. Vous seriez surprises et même étonnées de savoir que ce sont souvent vos parents et vos plus proches qui parlent de vous de la sorte. Si je vous avertis de ceci, ce n'est pas que j'aie connaissance particulière de cette maison là-dessus; je veux croire que ce défaut n'est pas ici : ce que je dis à présent, je le dis ailleurs, parce que ce point est de conséquence. Car il faut peu de chose pour mettre une communauté dans une très-mauvaise réputation dans l'esprit des personnes séculières, parce qu'ils s'imaginent que toutes les religieuses doivent être des saintes. Et là-dessus je me souviens moi-même que je me suis trouvé dans des maisons honorables à Paris, où j'ai ouï parler de certaines religieuses d'une manière plaisante et fort à la cavalière. Mes chères Filles, qu'est-ce qui produit un si méchant effet, si ce n'est l'imprudence et l'inconsidération des particulières qui ont parlé au parloir mal à propos, qui n'ont pu s'empêcher de faire paraître des saillies d'une passion immortifiée, qui donnaient à connaître leurs dispositions, tant sur ce qui les concernait que sur les affaires particulières qui se passent dans une maison?

Pour éviter tous ces dangereux inconvénients, vous voyez, chères âmes, que le plus sur est de tenir très-cachées et sous un secret inviolable les affaires d'une communauté, sans en donner aucune connaissance aux personnes du dehors. Et pour vous justifier ici, ne me dites pas pour excuse : C'était à ma Sœur que j'ai dit telles choses, c'est à ma Mère, c'est à un prêtre ou directeur. Ne croyez pas avoir mieux fait, ni en être déchargées : car, sous prétexte de direction, très-souvent il arrive qu'insensiblement l'on mêle dans ces communications toutes les affaires les plus secrètes d'une maison, dont on devrait se taire absolument, puisqu'étant répandues au dehors, l'expérience nous montre que l'on n'en voit que de très-mauvais effets par la méchante réputation où ces connaissances mettent la communauté.

 

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Vous devez encore prendre garde à un point qui n'est pas moins important que celui-ci, qui est d'être fort réservées dans vos paroles devant vos pensionnaires, tant celles qui leur rendent quelques services que celles qui sont destinées à leur instruction. Car ce sont de jeunes plantes extrêmement susceptibles des impressions qu'on leur donne ; et quoiqu'elles soient encore jeunes, elles savent bien remarquer ce que l'on dit et fait en leur présence. D'où vient que dans la suite ces impressions premières, que vous leur avez données, leur demeurent, et qu'après elles se souviennent de ces idées qu'elles avaient déjà, lesquelles s'accroissent avec l'âge ; ce qui leur fait dire, parlant des maîtresses qu'elles ont eues : Pour moi, disent-elles, j'ai eu dans un tel couvent une maîtresse qui n'était guère spirituelle ni dévote ; car il était rare qu'elle nous parlât de Dieu : elle avait de certaines maximes mondaines ; et au lieu de nous porter à la modestie, elle nous enseignait des secrets de vanité. On en entend d'autres, qui voyant les procédés de celle-ci si contraires à la charité, disent que cette maîtresse-là avait assurément de l'antipathie et de l'aversion pour elle.

Ah! mes chers Filles, bannissez par votre prudence et votre bonne conduite tous ces défauts qui ont de si mauvaises suites. Le silence bien gardé en est le remède et le plus court chemin pour retrancher toutes ces pensées et discours mal digérés, qui ne laissent après tout dans la conscience que du scrupule et bien du trouble. Car enfin, tôt ou tard l'on s'aperçoit qu'on a mal parlé, et que l'on ne devait pas dire bien des choses qui auraient dû être ensevelies dans le silence. Ayez pour cet effet la règle du silence en estime; gardez-la exactement, et vous serez à couvert de mille embarras où jette nécessairement le trop grand parler. Mes chères Filles, avec un peu d'application et avec une bonne volonté vous en viendrez à bout. Ayez attention sur votre langue pour ne laisser échapper aucune parole dont vous puissiez vous repentir après l'avoir dite. Retirez-vous dans votre cellule, c'est là le lieu sûr : ne vous produisez au dehors qu'avec peine et par nécessité ; que la prudence et la discrétion règlent toutes vos paroles pour n'en dire aucune qui ne soit bonne , utile ou nécessaire. Si vous

 

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gardez toutes ces mesures, assurez-vous que la paix et l'union sera parfaite dans cette maison, et qu'elle conservera la bonne réputation où elle est aujourd'hui.

Mes chères Filles, ce n'est pas assez de savoir garder le silence de prudence ; il faut de plus apprendre à se taire dans les croix , les persécutions et autres peines et afflictions qui arrivent dans la vie : c'est ce qui s'appelle le silence de patience, lequel vous conduira à un degré de perfection convenable à votre état, qui vous doit rendre en tout conformes à Jésus-Christ votre époux ; c'est ce que nous allons considérer dans le dernier point de notre méditation.

 

TROISIÈME POINT.

 

Considérons que le silence de patience dans les afflictions, les souffrances et les contradictions, est une des choses les plus difficiles à pratiquer de la morale chrétienne. Peu de gens aiment à souffrir, et à souffrir en silence sous les yeux de Dieu ; et s'il est rare d'en trouver qui aiment à souffrir, il l'est encore plus d'en voir qui souffrent sans chercher à se répandre au dehors. Cependant c'est le silence qui sanctifie nos croix et nos afflictions, et qui en augmente de beaucoup le mérite. Avez-vous de la peine à pâtir dans vos croix et vos traverses, envisagez Jésus-Christ. Parmi une infinité de persécutions et de douleurs qu'il endure en présence de ses juges iniques, devant qui il est accusé et calomnié si faussement, Jésus garde un profond silence et ne répond rien : Jesus autem tacebat (1). C'est ce qui me touche le plus dans la passion du Sauveur, que ce profond silence qu'il garde avec une patience invincible, et qui donnait de l’étonnement au président : Ita ut miraretur prœses (2). Il souffre, il endure mille injures, mille outrages et indignités de la part de toute sorte de personnes : il est accusé faussement par les Juifs et les pharisiens, ses cruels ennemis. On dit que c'est un blasphémateur, un séditieux, qu'il est un perturbateur de la loi et du repos public, qu'il empêche que l'on ne paie le tribut à César ; enfin que c'est un semeur de nouvelles doctrines, qui abuse le peuple. Jésus entend retentir à ses sacrées

 

1 Matth., XXVI, 63. — 2 Ibid., XXVII, 14.

 

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oreilles ces cris et ces calomnies, sans dire un seul mot pour se justifier et se défendre contre ces chiens enragés, qui déchirent si outrageusement sa réputation. Et pendant cette nuit obscure et ténébreuse, durant laquelle ce cher Sauveur a souffert une infinité d'outrages, d'affronts et de cruautés, que disait ce doux Agneau? Hélas ! jamais la moindre parole d'impatience. Enfin dans cette sanglante et douloureuse flagellation, où il est tout écorché et déchiré à coups de fouets et de nerfs de bœuf, qui font couler de toutes parts le sang de ses veines sacrées, ah ! quelle patience et quel silence fait paraître ce doux Jésus! Il souffre tout cela sans rien dire ; il n'ouvre pas seulement la bouche pour se plaindre de la cruauté de ses fiers bourreaux, qui ne sont pas encore contents de l'avoir traité si inhumainement: ils prennent une piquante couronne d'épines, et lui percent jusqu'au cerveau. Jésus endure ce tourment comme les autres dans un silence inviolable. Il est conduit chez Hérode, qui désirait avec empressement de le voir et s'en réjouissait : mais Notre-Seigneur persévère constamment à garder son profond silence. Nonobstant qu'il sût bien qu'Hérode le pouvait délivrer d'entre les mains de ses ennemis, il ne dit mot cependant en sa présence, et ne proféra aucune parole; chose étonnante! et c'est avec sujet qu'un saint Père l'a appelé la victime du silence, puisque ce divin Jésus l'a consacré par sa patience durant sa passion.

Mes chères Filles, que voilà un exemple digne de vos imitations et tout ensemble de vos admirations! Voilà comme vous devriez en user lorsque vous êtes accusées, persécutées à tort : comme aussi dans le temps de l'affliction, il faut savoir souffrir en silence, avec patience, sans murmurer ni vous plaindre. Dans quelque état où Dieu permette que vous soyez, apprenez à y demeurer sans rechercher de vaines consolations parmi les créatures, dans tout ce qui vous fait peine : mais prenez plutôt le parti du silence, et vous renfermez en vous-mêmes, afin que Notre-Seigneur vous donne intérieurement des forces pour souffrir avec vertu et mérite. C'est dans ces occasions-là où il faut dire avec David : Renuit consolari anima mea; memor fui Dei, et delectatus sum : « Mon âme a refusé toute consolation ;

 

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je me suis souvenu de Dieu, et j'ai trouvé ma joie (1). »

C'est ici où une âme est éprouvée et perfectionnée merveilleusement, quand par une générosité vraiment chrétienne, elle sait s'élever au-dessus de tout ce qui lui arrive de fâcheux ou de contraire, et qu'elle peut comme Jésus-Christ son Epoux garder un profond silence, lors même qu'elle a plus sujet de parler, soit pour sa justification dans des accusations injustes, soit pour sa consolation dans une affliction sensible, et au milieu des plus grandes tempêtes ou bourrasques. Il faut qu'une âme vraiment généreuse prenne pour toute défense le silence, qui sera son repos et sa paix parmi les agitations. Jésus-Christ y fait goûter des douceurs intérieures au fond du cœur à une âme un peu courageuse, qui pour son amour rejette et abandonne toutes celles qu'elle pourrait trouver dans les créatures. Cela est inexplicable; il n'y a que ceux qui l'expérimentent qui en puissent parler dignement. Mais avant de passer plus loin, remarquez, chères âmes, qu'il y a trois règles ou trois maximes importantes à pratiquer pour ne point faire de fautes dans ce silence de patience, si nécessaire dans les occasions imprévues où l'on est persécuté, accusé ; c'est de ne jamais parler que pour la charité, que pour la vérité ou la nécessité, et jamais pour soi ni pour son propre intérêt.

Eh bien, âmes religieuses, sont-ce là les motifs qui vous font parler? Qu'est-ce qui vous fait ouvrir la bouche? Est-ce la nécessité ou bien la vérité? Examinez là-dessus votre cœur ; et sondez-le jusqu'au plus profond, dans la rencontre des contradictions et autres circonstances, pour reconnaitre que le plus souvent c'est la passion ou l'intérêt qui vous fait parler.

Oh mais ! direz-vous, je suis accusée d'une chose tout à fait désavantageuse; quel moyen de ne se pas justifier dans cette conjoncture, où l'on m'attribue tout ce qu'il y a de mal, et l'on dit que j'en suis la cause, tandis que j'avais bien d'autres intentions que celles que l'on s'imagine? Arrêtez, que la passion n'ait pas le dessus sur la raison; réprimez tous les raisonnements naturels pour écouter ceux de la grâce ; ne dites pas que vous ne pouvez vous empêcher de parler pour faire connaître votre innocence,

 

1 Psal. LXXVI, 3, 4.

 

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et qu'il est bien difficile alors de se taire, puisque l'exemple de Jésus-Christ vous doit rendre la chose aisée et facile. Vous n'avez pas de plus grandes persécutions et contradictions à soutenir que les siennes; tous les saints en ont bien supporté d'autres, plus fâcheuses que les vôtres. Si vous faisiez réflexion que Jésus-Christ par ces persécutions vous fait part d'un éclat de sa croix, vous auriez de la joie de les endurer avec patience dans un profond silence, pour y adorer ses desseins sur votre personne, qu'il veut élever par ce chemin rude et semé d'épines à une grande perfection, si vous n'apportez point de résistance à ses volontés suprêmes.

Que le silence est donc avantageux à une âme dans la souffrance et dans tous les états pénibles où elle se trouve, puisque par ce silence il n'y a point de passions si fortes, qui ne soient retenues dans les bornes de la raison ! En voulez-vous voir des preuves par quelques exemples? Etes-vous tentées d'ambition, que vous dit la passion dans cette rencontre, où elle est émue par quelque accident ? C'est de vous élever au-dessus des autres par des paroles suffisantes et pleines d'un orgueil secret. Eh bien, gardez le silence et vous taisez ; insensiblement ces saillies de la nature corrompue s'évanouiront. De même, que vous dit la passion dans les émotions d'une humeur colère et impatiente ? Dans ces mouvements violents, où en êtes-vous si vous ne les réprimez? Bientôt vous vous laisserez aller à des paroles d'emportement, sans craindre de choquer et de piquer les unes et les autres. Mais si vous savez vous taire, vous apaiserez infailliblement ces saillies impétueuses qui s'élèvent en vous-mêmes; et pour lors vous pourrez dire comme le Prophète, au milieu de vos troubles : Turbatus sum, et non sum locutus : « J'ai été troublée au dedans de moi, mais ma langue n'a formé aucune parole (1). »

Sentez-vous en vous-mêmes quelques mouvements d'aversion et d'antipathie, ou de ressentiment contre quelques-unes de vos Sœurs? Que vous dit cette passion à la vue de celle-là que vous ne pouvez souffrir? Aussitôt elle vous inspire de la mépriser ou rebuter par des paroles de froideur et de vengeance. Mais le moyen

 

1 Psal.   LXXVI, 5.

 

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le plus court pour combattre et vaincre cette passion qui vous anime et vous tourmente, vous portant à commettre une infinité de péchés, c'est de vous taire à l'heure même que vous avez plus d'envie de parler, et de prendre le parti du silence. Il faudrait même, dans ces occasions-là, mordre sa langue plutôt que de choquer et fâcher ses Sœurs.

Enfin êtes-vous tentées de curiosité et avez-vous envie de vous épancher vainement, en allant trouver justement celle-là qui est un vrai bureau d'adresses, et cette autre-ci qui sait toutes les nouvelles, et qui a incessamment les oreilles ouvertes pour entendre tout ce qui se passe de nouveau dans la maison, laquelle est toujours en haleine pour tout savoir : n'y allez pas, gardez le silence, mortifiez ces désirs de curiosité. Croyez-moi, mes chères Filles, vous aurez plus de consolation de tout ignorer, et de ne point apprendre les choses qui ne vous concernent point : votre conscience en sera plus pure, votre esprit plus dégagé et plus libre pour vous entretenir avec Dieu dans l'oraison. Faites plus d'état d'une heure de récollection, où vous avez été seules avec Dieu, que de plusieurs autres où vous vous êtes contentées parmi les entretiens des créatures; car pour l'ordinaire la vertu en est bien affaiblie. Soyez persuadées, chères âmes, qu'en gardant fidèlement le silence, vous serez victorieuses de toutes vos passions, et qu'en peu de temps vous arriverez à la perfection. Souvenez-vous des avantages du silence de prudence; n'oubliez pas ceux du silence de patience, dont je vous parlais tout à l'heure : gravez-les dans votre esprit, afin que lorsque la tentation ou l'affliction arrivera, vous soyez toujours disposées à la bien recevoir, dans les dispositions saintes que je vous ai marquées. Dans vos souffrances et contradictions, n'envisagez jamais les causes secondes; et ne vous amusez point inutilement à vouloir découvrir la source de vos peines par des recherches d'amour-propre, pour savoir qui sont ceux qui vous les font naître; car proprement cela s'appelle courir après la pierre qui vous frappe. Il faut bien plutôt vous élever en haut vers le ciel, pour voir la main qui la jette, qui n'est autre que Dieu même, qui est celui qui a permis que telles choses vous arrivassent pour votre salut, si vous en savez bien profiter. Dans

 

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tous les événements les plus fâcheux, une âme vraiment chrétienne et religieuse doit dire à Dieu dans le plus intime d'elle-même : Paratum cor meum, Deus, parutum cor meum : « Mon cœur est préparé à faire votre volonté, soit dans l'adversité ou la prospérité (1). » Ah! mes chères Filles, plût à Dieu que vous et moi nous fussions dans ces dispositions ! C'est à quoi il nous faut résoudre dans cette méditation ; c'est le fruit que nous devons en remporter, et c'est la grâce qu'il faut instamment demander à Jésus-Christ ; je vous y exhorte, et me recommande à vos prières.

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