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SERMON POUR
LE Ve DIMANCHE
APRÈS LA PENTECÔTE (a).
Si offers munus tuum ad altare et ibi recordatus fueris
quia frater tuus habet aliquid adversùm te, relinque ibi munus tuum ante altare
et vade priuns reconciliari fratri tuo, et tunc veniens offeres munus tuum.
Matth., V, 23, 24.
Certes la doctrine du Sauveur Jésus est accompagnée d'une
merveilleuse douceur, et toutes ses paroles sont pleines d'un sentiment
d'humanité extraordinaire. Mais le tendre amour qu'il a
(a) Prêché eu 1661, aux grandes Carmélites du
faubourg Saint-Jacques.
Le lecteur reconnaitra sans peine, dans ce sermon, les
doubles caractères qui distinguent la première et la deuxième époque de
l'orateur, et révèlent par cela même une date qui doit réunir comme transition
ces deux périodes.
On verra que le deuxième point n'est qu'ébauché.
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pour notre nature, ne paraît en aucun lieu plus évidemment
que dans les différents préceptes qu'il nous donne dans son Evangile, pour
entretenir inviolablement parmi nous le lien de la charité fraternelle. Il
voyait avec combien de fureur les hommes s'arment contre leurs semblables ; que
des haines furieuses et des aversions implacables divisent les peuples et les
nations; que parce que nous sommes séparés par quelques fleuves ou par quelques
montagnes, nous semblons avoir oublié que nous avons une même nature : ce qui
excite parmi nous des guerres et des dissensions immortelles, avec une horrible
désolation et une effusion cruelle
du sang humain.
Pour calmer ces mouvements
farouches et inhumains, Jésus nous ramène à notre origine ; il tâche de
réveiller en nos âmes ce sentiment de tendre compassion que la nature nous donne
pour tous nos semblables quand nous les voyons affligés. Par où il nous fait
voir qu'un homme ne peut être étranger à un homme ; et que si nous n'avions
perverti les inclinations naturelles, il nous serait aisé de sentir que nous
nous touchons de bien près. Il nous enseigne « que devant Dieu il n'y a ni
Barbare, ni Grec, ni Romain, ni Scythe (1) » et fortifiant les sentiments de la
nature par des considérations plus puissantes, il nous apprend que nous avons
tous une même cité dans le ciel et une même société dans la terre ; et que nous
sommes tous ensemble une jnême nation et un même peuple, qui devons vivre dans
les mêmes mœurs selon l'Evangile, et sous un même monarque qui est Dieu, et sous
un même législateur qui est Jésus-Christ.
Mais d'autant que la discorde et
la haine n'anime pas seulement les peuples contre les peuples, mais qu'elle
divise encore les concitoyens, qu'elle désole même les familles, en sorte qu'il
passe pour miracle parmi les hommes quand on voit deux personnes vraiment amies,
et que nous nous sommes non-seulement ennemis, mais loups et tigres les uns aux
autres, combien emploie-t-il de raisons pour nous apaiser et pour nous unir?
Avec quelle force ne nous presse-t-il pas à vivre en amis et en frères ? Et
sachant combien est puissant parmi nous le motif de la religion , il la fait
1 Coloss., III, 11.
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intervenir à la réconciliation du genre humain ; il nous
lie entre nous par le même nœud par lequel nous tenons à Dieu ; et il pose pour
maxime fondamentale, que la religion ne consiste pas seulement à honorer Dieu ,
mais encore à aimer les hommes. Est-il rien de plus pressant pour nous enflammer
à une affection mutuelle , et ne devons-nous pas louer Dieu de nous avoir élevés
dans une école si douce et sous une institution si humaine ?
Mais il passe bien plus avant.
Les injures que l'on nous fait, chères Sœurs, nous fâchent excessivement; la
douleur allume la colère. La colère pousse à la vengeance ; le désir de
vengeance nourrit des inimitiés irréconciliables. De là les querelles et les
procès, de là les médisances et les calomnies , de là les guerres et les
combats, de là presque tous les malheurs qui agitent la vie humaine. Pour couper
la racine de tant de maux : Je veux, dit notre aimable Sauveur, je veux que vous
chérissiez cordialement vos semblables; j'entends que votre amitié soit si
ferme, qu'elle ne puisse être ébranlée par aucune injure. Si quelque téméraire
veut rompre la sainte alliance que je viens établir parmi vous, que le nœud en
soit toujours ferme de votre part. Il faut que l'amour de la concorde soit gravé
si profondément dans vos cœurs que vous tâchiez de retenir même ceux qui se
voudront séparer. Fléchissez vos ennemis par douceur plutôt que de les repousser
avec violence ; modérez leurs transports injustes plutôt que de vous en rendre
les imitateurs et les compagnons.
Et en effet, mes Sœurs, si
l'orgueil et l'indocilité de notre nature pouvait permettre que de si saintes
maximes eussent quelque vogue parmi les hommes, qui ne voit que cette modération
dompterait les humeurs les plus altières ? Les courages les plus fiers seraient
contraints de rendre les armes, et les âmes les plus outrées perdraient toute
leur amertume. Le nom d'inimitié ne serait presque pas connu sur la terre. Si
quelqu'un persécutait ses semblables, tout le monde le regarderait comme une
bête farouche (a), et il n'y aurait plus que les furieux et les insensés
qui pussent se faire des ennemis. O sainte doctrine de l'Evangile, qui ferait
(a) Var. ; Tout le monde s'élèverait contre
lui comme contre une bête farouche.
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régner parmi nous une paix si tranquille et si assurée , si
peu que nous la voulussions écouter! Qui ne désirerait qu'elle fût reçue par
toute la terre avec les applaudissements qu'elle mérite?
La philosophie avait bien tâché
de jeter quelques fondements de cette doctrine. Elle avait bien montré qu'il
était quelquefois honorable de pardonner à ses ennemis ; elle a mis la clémence
parmi les vertus ; mais ce n'était pas une vertu populaire, elle n'appartenait
qu'aux victorieux. On leur avait bien persuadé qu'ils devaient faire gloire
d'oublier les injures de leurs ennemis désarmés ; mais le monde ne sa voit pas
encore qu'il était beau de leur pardonner avant même que de les avoir abattus.
Notre Maître miséricordieux s'était réservé de nous enseigner une doctrine si
humaine et si salutaire. C'était à lui de nous faire paraître ce grand triomphe
de la charité, et de faire que ni les injures ni les opprobres ne pussent jamais
altérer la candeur ni la cordialité de la société fraternelle. C'est ce qu'il
nous fait remarquer dans notre évangile avec des paroles si douces, qu'elles
peuvent charmer les âmes les plus féroces : « Quitte l'autel, dit-il, pour te
réconciliera ton frère. »
Et quel est ce précepte, ô
Sauveur Jésus? Et comment nous ordonnez-vous de laisser le service de Dieu ,
pour nous acquitter de devoirs humains? Est-il donc bienséant de quitter le
Créateur pour la créature ? Cela semble bien étrange , mes Sœurs. Cependant
c'est ce qu'ordonne le Fils de Dieu. Il ordonne que nous quittions même le
service divin, pour nous réconcilier à nos frères ; il veut que nos ennemis nous
soient en quelque sorte plus chers que ses propres autels, et que nous allions à
eux avant que de nous présenter à son Père, comme si c'était une affaire plus
importante. N'est-ce pas pour nous enseigner, chères Sœurs, que devant lui il
n'est rien de plus précieux que la charité et la paix, qu'il aime si fort les
hommes qu'il ne peut souffrir qu'ils soient en querelle, que Dieu considère la
charité fraternelle comme une partie de son culte, et que nous ne saurions lui
apporter de présent qui soit plus agréable à ses yeux qu'un cœur paisible et
sans fiel et une âme saintement réconciliée? (a) C'est ce que je
traiterai
(a) Note marg. : O
ineffabilem erga homines amorem Dei! honorem suum despicit dùm in proximo
charitatem requirit. Interrumpatur, inquit, cultus meus, ut
charitas tua integretur : sacrificium mihi est, fratrum reconciliatio.
(S .Chrysost., in Matth., homil. XVI.) Dimitte
nobis debita nostra. Sec Pater libenter exaudit orationem quam Filius non
dictavit. Cognoscit enim Pater Filii mi sensu» et verba; nec tuscipit quœ
usurpatio humana excogitavit, sed quae sapientia Christi exposuit. (Oper.
imperfect. in Matth., hom. XIV, int. Oper. S. Chrysost., tom. VI.)
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aujourd'hui avec l'assistance divine, et j'en tirerai deux
raisons du texte de mon évangile. Notre-Seigneur nous ordonne de nous
réconcilier avant que d'offrir notre présent à l'autel. C'est de ce présent et
de cet autel que je formerai mon raisonnement ; et je tâcherai de vous faire
voir que ni le présent qu'offrent les chrétiens, ni l'autel duquel ils
s'approchent, ne souffrent que des esprits vraiment réconciliés. Ce seront les
deux points de cette exhortation.
PREMIER POINT.
Quand je parle des présents que
les fidèles doivent offrir à Dieu, ne croyez pas, mes Sœurs, que je parle des
animaux égorgés qu'on lui présentait autrefois devant ses autels. Pendant que
les enfants d'Aaron exerçaient le sacerdoce qu'ils avaient reçu par succession
de leur père, les Juifs apportaient à Dieu des offrandes terrestres et
corporelles. On chargeait ses autels d'agneaux et de bœufs, d'encens et de
parfums, et de plusieurs autres choses semblables. Mais comme nous offrons dans
un temple plus excellent sur un autel plus divin, et que nous avons un Pontife
duquel le sacerdoce légal n'était qu'une figure imparfaite, aussi faisons-nous à
Dieu de plus saintes oblations. Nous venons avec des vœux pieux, et des prières
respectueuses, et de sincères actions de grâces, louant et célébrant la
munificence divine par Notre-Seigneur Jésus-Christ notre sacrificateur et notre
victime. Ce sont les oblations que nous apportons tous dans la nouvelle
alliance. Nous honorons Dieu par ce sacrifice , et c'est de cet encens que nous
parfumons ses autels. Et afin que nous pussions faire de telles offrandes, Jésus
notre grand sacrificateur nous a rendus participants de son sacerdoce : « il
nous a faits rois et sacrificateurs à notre Dieu, » dit l'apôtre saint Jean dans
l'Apocalypse (1). Mais puisque ce sacerdoce est spirituel, il ne faut pas
s'étonner si notre
1 Apoc., V, 10.
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oblation est spirituelle. C'est pourquoi l'apôtre saint
Pierre dit « que nous offrons des victimes spirituelles, acceptables par
Notre-Seigneur Jésus-Christ (1).» C'est là ce sacrifice de cœur contrit,
sacrifice de louange et de joie, sacrifice d'oraison et d'actions de grâces,
dont il est parlé tant de fois dans les Ecritures. C'est le présent que nous
devons à notre grand Dieu ; et je dis qu'il ne lui peut plaire, s'il ne lui est
offert par la charité fraternelle. Sans elle, il ne reçoit rien, et par elle il
reçoit toutes choses. La charité est comme la main qui lui présente nos oraisons
; et comme il n'y a que cette main qui lui plaise, tout ce qui vient d'autre
part ne lui agrée pas.
Et pour le prouver par des
raisons invincibles, je considère trois choses dans nos oraisons, qui toutes
trois ne peuvent être sans la charité pour nos frères : le principe de nos
prières, ceux pour qui nous prions, celui à qui nos prières s'adressent. Quant
au principe de nos oraisons, vous savez bien, mes Sœurs, qu'elles ne viennent
pas de nous-mêmes. Les prières des chrétiens ont une source bien plus divine. «
Que pouvons nous de nous-mêmes, sinon le mensonge et le péché? » dit le saint
concile d'Orange (2). Le plus dangereux effet de nos maladies, c'est que nous ne
savons pas même demander comme il faut l'assistance du Médecin : « Nous ne
savons, dit l'apôtre saint Paul (3), comment il nous faut demander. »
Eh ! misérables que nous sommes,
qui nous tirera de cet abime de maux, puisque nous ne savons pas implorer le
secours du Libérateur? Ah! dit l'Apôtre (4), « l'Esprit aide nos infirmités. »
Et comment? « C'est qu'il prie pour nous, dit saint Paul, avec des gémissements
incroyables. » Eh quoi ! mes Sœurs, cet Esprit qui est appelé notre Paraclet,
c'est-à-dire Consolateur, a-t-il lui-même besoin de consolateur? Que s'il n'a
pas besoin de consolateur, comment est-ce que l'Apôtre nous le représente priant
et gémissant avec des gémissements incroyables? C'est que c'est lui qui fait en
nous nos prières, c'est lui qui enflamme nos espérances, c'est lui qui nous
inspire les chastes désirs, c'est lui qui forme en nos
1 I Petr., II, 5. — 2 Conc.
Arausic, II, can. XXII, Labb., tom. IV, col. 1670 — 3
Rom., VIII,26. — 4 Ibid.
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cœurs ces pieux et salutaires gémissements qui attirent sur
nous la miséricorde divine. Nous retirons ce bonheur de notre propre misère ,
que ne pouvant prier par nous-mêmes , le Saint-Esprit daigne prier en nous, et
forme, lui-même nos oraisons en nos âmes. De là vient que le grave Tertullien
parlant des prières des chrétiens : « Nous offrons à Dieu, dit-il, une oraison
qui vient d'une conscience innocente, et d'une chair pudique, et du
Saint-Esprit, » de corde puro, de carne pudicâ, de anima innocenti, de
Spiritu sancto profectam (1). Ce serait peu que la conscience pure et que la
chair pudique, s'il n'y ajoutait pour comble de perfection, qu'elle vient de
l'Esprit de Dieu.
En effet nos oraisons, ce sont
des parfums ; et les parfums ne peuvent monter au ciel, si une chaleur
pénétrante ne les tourne en vapeur subtile et ne les porte elle-même par sa
vigueur. Ainsi nos oraisons seraient trop pesantes et trop terrestres, venant de
personnes si sensuelles, si ce feu divin, je veux dire le Saint-Esprit , ne les
purifiait et ne les élevait. Le Saint-Esprit est le sceau de Dieu, qui étant
appliqué à nos oraisons, les rend agréables à sa majesté. Car c'est une chose
assurée que nous ne pouvons prier, sinon par Notre-Seigneur Jésus-Christ; il n'y
a point d'autre nom. D'ailleurs il n'est pas moins vrai que « nous ne pouvons
pas même nommer le Seigneur Jésus, sinon dans le Saint-Esprit (2); » et si nous
ne pouvons nommer Jésus, à plus forte raison prier au nom de Jésus. Donc nos
prières sont nulles, si elles ne naissent du Saint-Esprit.
Examinons maintenant quel est
cet Esprit. C'est lui qui est appelé « le Dieu charité (3) ; » c'est lui qui lie
le Père et le Fils. C'est lui qui, se répandant sur les hommes, les lie et les
attache à Dieu par un nœud sacré. C'est lui qui nous lie les uns avec les
autres. C'est lui qui par une opération vivifiante nous fait frères et membres
du même corps : Osculum Patris et Filii (4). Que si c'est cet Esprit qui
opère en nos âmes la charité , celui-là ne prie pas par le Saint-Esprit, qui a
rompu l'union fraternelle, et qui ne prie pas en paix et en charité. Et toi, qui
empoisonnes ton cœur par des
1 Apolol., n. 30. — 2 I Cor.,
XII, 3.— 3 I Joan., IV, 8, 10. — 4 S. Bernard., de divers., serm.
LXXXIX, n. 1; in Cantic., serm. VIII.
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inimitiés irréconciliables, n'as-tu rien à demander à Dieu?
Et si tu le veux demander, ne faut-il pas que tu le demandes par l'Esprit du
christianisme? Et ne sais-tu pas que l'Esprit du christianisme est le
Saint-Esprit? D'ailleurs ignores-tu que le Saint-Esprit n'agit et n'opère que
par charité? Que si tu méprises la charité , tu ne veux donc pas prier par le
Saint-Esprit? Et si tu ne veux pas prier par le Saint-Esprit, au nom de qui
prieras-tu? Par quelle autorité te présenteras-tu à la Majesté divine? Sera-ce
par tes propres mérites? Mais tes propres mérites, c'est la damnation et
l'enfer. Choisiras-tu quelqu'autre patron qui par son propre crédit, te rende
l'accès favorable au Père? Ne sais-tu pas que « tu ne peux aborder au trône de
la miséricorde, sinon par Notre-Seigneur Jésus-Christ (1), et que tu ne peux pas
même nommer le Seigneur Jésus , sinon dans le Saint-Esprit (2) ? » Quiconque
pense invoquer Dieu en un autre nom qu'en celui de Notre Seigneur Jésus-Christ,
sa prière lui tourne à damnation.
Prions donc en charité, chères
Sœurs, puisque nous prions par le Saint-Esprit. Prions avec nos frères, prions
pour nos frères ; et quoiqu'ils veuillent rompre avec nous, gardons-leur
toujours un cœur fraternel par la grâce du Saint-Esprit. Songeons que Notre
Seigneur Jésus ne nous a pas, si je l'ose dire, enseigné à prier en particulier;
il nous a appris à prier en corps. « Notre Père, qui êtes aux cieux (3), »
disons-nous. Cette prière se fait au nom de plusieurs. Nous devons croire, quand
nous prions de la sorte, que toute la société de nos frères prie avec nous.
C'est de quoi se glorifiaient les premiers fidèles. « Nous venons, disait
Tertullien , à Dieu comme en troupe : » Quasi manu factâ ambimus : «
cette force, cette violence que nous lui faisons, lui est agréable : » Hœc
vis Deo grata est (4). Voyez , mes Sœurs , que les prières des frères,
c'est-à-dire les prières de la charité et de l'unité , forcent Dieu à nous
accorder nos demandes. Ecoutez ce qui est dit dans les Actes : « Tous
ensemble, unanimement, ils levèrent la voix à Dieu (5) » Et quel fut l'événement
de cette prière? « Le lieu où ils étaient assemblés trembla, et ils furent
remplis du Saint-Esprit (6). »
1 Hebr., IV, 16.— 2 I Cor.,
XII, 3.— 3 Matth., VI, 9.— 4 Apolog., n.
39. — 5 Act., IV, 24.— 6 Ibid., 31.
393
Voilà Dieu forcé par la prière des frères. Parce qu'ils
prient ensemble , il est comme contraint de donner un signe visible que cette
prière lui plaît : Hœc vis Deo grata est. Nous nous plaignons quelquefois
que nos prières ne sont pas exaucées, voulons-nous forcer Dieu, chrétiens ?
unissons-nous, et prions ensemble.
Mais quand je parle de prier
ensemble , songeons que ce qui nous assemble , ce n'est pas ce que nous sommes
enclos dans les murailles du même temple, ni ce que nous avons tous les yeux
arrêtés sur le même autel. Non , non , nous avons des liens plus étroits : ce
qui nous associe, c'est la charité. Chrétiens, si vous avez quelque haine,
considérez celui que vous haïssez. Voulez-vous prier avec lui ? Si vous ne le
voulez pas, vous ne voulez pas prier en fidèles. Car prier en fidèle, c'est
prier par le Saint-Esprit. Et comme c'est le même Esprit qui est en nous tous,
comme c'est lui qui nous associe, il faut que nous priions en société. Que si
vous voulez bien prier avec lui, comment est-ce que vous le haïssez?
N'avons-nous pas prouvé clairement que c'est la charité qui nous met ensemble ?
Sans elle il n'y a point de concorde, sans elle il n'y a point d'unité. Vous ne
pouvez donc prier avec vos frères que par charité. Et si vous les haïssez,
comment priez-vous en charité avec eux?
Vous me direz peut-être que
votre haine est restreinte à un seul, et que vous aimez cordialement tous les
autres. Mais considérez que la charité n'a point de réserve : comme elle vient
du Saint-Esprit qui se plait à se répandre sur tous les fidèles, aussi la
charité , comme étant une onction divine , s'étend abondamment et se communique
avec une grande profusion. Quand il n'y aurait qu'un chaînon brisé, la charité
est entièrement désunie, et la communication est interrompue. Vivons donc en
charité avec tous, afin de prier en charité avec tous ; croyons que c'est cette
charité qui force Dieu d'accorder les grâces ; et que si elle ne nous introduit
près de lui, il est inaccessible et inexorable.
Mais ce n'est pas assez de prier
avec tous nos frères , il faut encore prier Dieu pour tous nos frères. La forme
nous en est donnée par l'Oraison Dominicale, en laquelle nous ne demandons rien
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pour nous seuls ; mais nous prions généralement pour les
nécessités de tous les fidèles. En vain prierions-nous avec eux, si nous ne
priions ainsi pour eux. Car de même que nous ne pouvons exclure personne de
notre charité , aussi ne nous est-il pas permis de les exclure de nos prières.
C'est pourquoi l'apôtre saint Paul, dans la 1ère à Timothée :
Pro regibus, pro principibus, pour toutes les conditions et tous les
états ; hoc enim est gratum (1). Que si Dieu a une si grande bonté que
d'admettre généralement tous les hommes à la participation de ses grâces, s'il
embrasse si volontiers tous ceux qui se présentent à lui, quelle témérité nous
serait-ce de rejeter de la communion de nos prières ceux que Dieu reçoit à la
possession de ses biens ?
Il n'est point de pareille
insolence, que lorsqu'un serviteur se mêle de restreindre à sa fantaisie les
libéralités de son maître. Et comment est-ce que vous observez ce que vous
demandez à Dieu tous les jours, « que sa sainte volonté soit faite (2)? » Car
puisque sa volonté est de bien faire généralement à tous les hommes , si vous
priez qu'elle soit accomplie , vous demandez par conséquent que tous les hommes
soient participants de ses dons. Il est donc nécessaire que nous priions Dieu
pour toute la société des hommes, et particulièrement pour tous ceux qui sont
déjà assemblés dans l'Eglise, parmi lesquels le Fils de Dieu veut que vous
compreniez tous vos ennemis, et tous ceux qui vous persécutent : Orate pro
persequentibus vos (3). Que si vous priez pour eux, ils ne peuvent plus être
vos ennemis ; et s'ils sont vos ennemis , vous ne pouvez prier pour eux comme il
faut. Ceux-là ne peuvent pas être vos ennemis, auxquels vous désirez du bien de
tout votre cœur ; et ceux pour qui vous priez, vous leur désirez du bien de tout
votre cœur.
Certainement puisque vous priez
Dieu qui est si bon et si bienfaisant , ce n'est que pour en obtenir quelque
bien ; et comme la prière n'est pas prière si elle ne se fait de toutes les
forces de l’âme, vous demandez à Dieu avec ardeur qu'il fasse du bien à ceux
pour lesquels vous lui présentez vos prières. Encore si cette demande se de voit
faire devant les hommes, vous pourriez
I I Timoth., II, 2, 3. — 2
Matth., VI, 10. — 3 Ibid., V, 44.
395
dissimuler vos pensées, et sous de belles demandes cacher
de mauvaises intentions; mais parlant à celui qui lit dans vos plus secrètes
pensées , qui découvre le fond de votre âme plus clairement que vous-même , vous
ne pouvez démentir vos inclinations; de sorte qu'il est autant impossible que
vous priiez pour ceux que vous haïssez , qu'il est impossible que vous aimiez et
que vous désiriez sincèrement du bien à ceux que vous haïssez. Car que peut-on
désirer plus sincèrement que ce qu'on désire en la présence de Dieu? Et comment
peut-on leur souhaiter plus de bien que de le demander instamment à celui qui
seul est capable de leur donner? Partant si vous haïssez quelqu'un, absolument
il ne se peut faire que vous priiez pour lui la Majesté souveraine. Et offrant à
Dieu une oraison si évidemment contraire à ses ordonnances et à l'Esprit qui
prie en nous et par nous, vous espérez éviter la condamnation de votre témérité?
O Dieu éternel, quelle indignité
! On prie pour les Juifs, et pour les idolâtres, et pour les pécheurs les plus
endurcis, et pour les ennemis les plus déclarés de Dieu; et vous ne voulez pas
prier pour vos ennemis ! Certes, c'est une extrême folie, pendant que l'on croit
obtenir de Dieu le pardon de crimes énormes, qu'un misérable homme fasse le
difficile et l'inexorable. Quelque estime que vous ayez de vous-même, et en
quelque rang que vous vous mettiez, l'offense qui se fait contre un homme, s'il
n'y avait que son intérêt, ne peut être que très-légère. Cet homme, que vous
excluez de vos prières, l'Eglise prie pour lui; et refusant ainsi de communiquer
aux prières de toute l'Eglise, n'est-ce pas vous excommunier vous-même? Regardez
à quel excès vous emporte votre haine inconsidérée. Vous me direz que vous n'y
preniez pas garde ; maintenant donc que vous le voyez très-évidemment, c'est à
vous de vous corriger.
Ne me dites pas que vous priez
pour tout le monde. Car puisqu'il est certain qu'il n'y a que la seule charité
qui prie, il ne se peut faire que vous priiez pour ceux que vous haïssez. Votre
intention dément vos paroles ; et quand la bouche les nomme, le cœur les exclut
: ou bien si vous priez pour eux, dites-moi, quel bien leur souhaitez-vous ?
Leur souhaitez-vous le souverain bien,
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qui est Dieu? Certainement si vous ne le faites, votre
haine est bien furieuse, puisque non content de leur refuser le pardon, vous ne
voulez pas même que Dieu leur pardonne. Que si vous demandez pour eux cette
grande et éternelle félicité, ne voyez-vous pas que c'est être trop aveugle que
de leur envier des biens passagers, en leur désirant les biens solides et
permanents? Car en les troublant dans les biens temporels, vous vous privez
vous-même des biens éternels ; et ainsi vous êtes contraint malgré la fureur de
votre colère de leur souhaiter plus de bien que vous ne vous en souhaitez à
vous-même. Et après cela vous n'avouerez pas que votre haine est aveugle? Que si
vous ne lui enviez les biens temporels que parce qu'il vous les ôte en les
possédant, ô Dieu éternel ! que ne songez-vous plutôt que ces biens sont bien
méprisables, puisqu'ils sont bornés si étroitement, que la jouissance de l'un
sert d'obstacle à l'autre ? Et que n'aspirez-vous aux vrais biens dont la
richesse et l'abondance est si grande, qu'il y en a pour contenter tout le monde
? Vous en pouvez jouir sans en exclure vos compétiteurs. Encore qu'ils soient
possédés par les autres, vous ne laisserez pas de les posséder tout entiers.
Certes si nous désirions ces
biens comme il faut, il n'y aurait point d'inimitiés dans le monde. Ce qui fait
les inimitiés , c'est le partage des biens que nous poursuivons ; il semble que
nos rivaux nous ôtent ce qu'ils prennent pour eux. Or les biens éternels se
communiquent sans se partager ; ils ne font ni querelles , ni jalousies ; ils ne
souffrent ni ennemis , ni envieux , à cause qu'ils sont capables de satisfaire
tous ceux qui ont le courage de les espérer. C'est là, c'est là, mes Sœurs,
c'est le vrai remède contre les inimitiés et la haine. Quel mal me peut-on faire
, si je n'aime que les biens divins? Je n'appréhende pas qu'on me les ravisse.
Vous m'ôterez mes biens temporels; mais je les dédaigne et je les méprise ; j'ai
porté mes espérances plus haut. Je sais qu'ils n'ont que le nom de bien , que
les mortels abusés leur donnent mal à propos; et moi, je veux aspirer à des
biens solides. Puisque vous ne sauriez m'ôter que des choses dont je ne fais
point d'état, vous ne sauriez me faire d'injure, parce que vous ne sauriez me
procurer aucun mal. Il est vrai que vous me montrez
397
une mauvaise volonté, mais une mauvaise volonté inutile. Et
pensez-vous que cela m'offense? Non, non ; appuyé sur mon Dieu, je suis
infiniment au-dessus de votre colère et de votre envie. Et si peu que j'aie de
connaissance , il m'est aisé de juger qu'une mauvaise volonté sans effet est
plus digne de compassion que de haine.
Vous voyez, mes Sœurs, que les
aversions que nous concevons , ne viennent que de l'estime trop grande que nous
faisons des biens corruptibles ; et que toutes nos dissensions seraient à jamais
terminées, si nous les méprisions comme ils le méritent. Mais je m'éloigne de
mon sujet un peu trop longtemps : retournons à notre présent, et montrons que
celui à qui nous l'offrons, ne le peut recevoir que des âmes réconciliées. Je
tranche en peu de mots ce raisonnement. Vous prendrez le loisir d'y faire une
réflexion sérieuse. Permettez-moi encore, mes Sœurs, que je parle en votre
présence à cet ennemi irréconciliable qui vient présenter à Dieu des prières qui
viennent d'une âme envenimée par un cruel désir de vengeance.
As-tu vécu si innocemment, que
tu n'aies jamais eu besoin de demander à Dieu la rémission de tes crimes? Es-tu
si assuré de toi-même, que tu puisses dire que tu n'auras plus besoin désormais
d'une pareille miséricorde ? Si tu reconnais que tu as reçu de Dieu des grâces
si signalées, de ta part ton ingratitude est extrême d'en refuser une si petite,
qu'il a bien la bonté de te demander pour ton frère qui t'a offensé. Si tu
espères encore de grandes faveurs de lui, c'est une étrange folie de lui dénier
ce qu'il te propose en faveur de tes semblables. Furieux, qui ne veux pas
pardonner, ne vois-tu pas que toi-même tu vas prononcer ta sentence? Si tu
penses qu'il est juste de pardonner, tu te condamnes toi-même, en disant ce que
tu ne fais pas. S'il n'est pas raisonnable qu'on t'oblige de pardonner à ton
frère, combien moins est-il raisonnable que Dieu pardonne à son ennemi ? Ainsi
quoi que tu puisses dire, tes paroles retomberont sur toi et tu seras accablé
par tes propres raisons. Exagère tant que tu voudras la malice et l'ingratitude
de tes ennemis ; ô Dieu ! où te sauveras-tu, si Dieu juge de tes actions avec la
même rigueur? Ah !
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plutôt, mon cher Frère, plutôt que d'entrer dans un examen
si sévère, relâche-toi, afin que Dieu se relâche. « Jugement sans miséricorde,
si tu refuses de faire miséricorde (1) : » Grâce et miséricorde sans aucune
aigreur, si tu pardonnes sans aucune aigreur. Pardonnez, et je pardonnerai (2).
Qui de nous ne voudrait acheter la rémission de crimes si énormes, tels que sont
les nôtres, par l'oubli de quelques injures légères, qui ne nous paraissent
grandes qu'à cause de notre ignorance et de l'aveugle témérité de nos passions
inconsidérées ?
Cependant admirons, mes Sœurs,
la bonté ineffable de Dieu, qui aime si fort la miséricorde, que non content de
pardonner avec tant de libéralité tant de crimes qui se font contre lui, il veut
encore obliger tous les hommes à pardonner, et se sert pour cela de l'artifice
le plus aimable dont jamais on se puisse aviser. Quelquefois quand nous voulons
obtenir une grâce considérable de nos amis , nous attendons qu'eux-mêmes ils
viennent à nous pour nous demander quelque chose. C'est ainsi que fait ce bon
Père, qui désire sur toutes choses de voir la paix parmi ses en-fans. Ah!
dit-il, on l'a offensé; je veux qu'il pardonne. Je sais que cela lui sera bien
rude; mais il a besoin de moi tous les jours. Bientôt, bientôt il faudra qu'il
vienne lui-même pour me demander pardon de ses fautes. C'est là , dit-il, que je
l'attendrai. Pardonne, lui dirai-je, si tu veux que je te pardonne. Je veux bien
me relâcher, si tu te relâches. O miséricorde de notre Dieu, qui devient le
négociateur de notre mutuelle réconciliation ! Combien sont à plaindre ceux qui
refusent des conditions si justes !
O Dieu, je frémis , chères Sœurs, quand je considère ces
faux chrétiens qui ne veulent pas pardonner. Tous les jours ils se condamnent
eux-mêmes , quand ils disent l'Oraison Dominicale : Pardonnez, disent-ils, comme
nous pardonnons (3). Misérable ! tu ne pardonnes pas ; n'est-ce pas comme si tu
disais : Seigneur, ne me pardonnez pas, comme je ne veux pas pardonner? Ainsi
cette sainte oraison, en laquelle consiste toute la bénédiction des fidèles, se
tourne en malédiction et en anathème. Et quels chrétiens sont-ce que ceux-ci qui
ne peuvent pas dire l'Oraison Dominicale?
1 Jacob., II, 13. — 2 Matth.,
VI,14. — 3 Ibid., 12.
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Concluons que la prière n'est pas agréable, si elle ne
vient d'une âme réconciliée.
SECOND POINT.
Notre autel est un autel de
paix. Le sacrifice que nous célébrons, c'est la passion de Jésus. Il est mort
pour la réconciliation des ennemis : Non se vindicari, sed illis postulabat
ignosci (1). Ce sang a été répandu pour pacifier le ciel et la terre ;
non-seulement les hommes à Dieu, mais les hommes entre eux, et avec toutes les
créatures. Le péché des hommes avait mis en guerre les créatures contre eux, et
eux-mêmes contre eux-mêmes : c'est pour leur donner la paix que Jésus a versé
son sang. Catilina donne du sang à ses convives (2) : que si ce sang a lié entre
eux une société de meurtres, de perfidies, le sang innocent du pacifique Jésus
ne pourra-t-il pas lier parmi nous une sainte; et véritable concorde? Unus
panis, unum corpus (3). Quel regret a un père, quand il voit ses enfants à
sa table, mangeant un commun pain, et se regardant les uns les autres avec des
yeux de colère ? Les hommes te reçoivent à la sainte table ; Jésus le grand
Pontife t'excommunie : Retire-toi, dit-il ; n'approche pas de mon autel que tu
ne sois réconcilié à ton frère.
1 S. Léo, De Passion. Dom., serm. XI, cap. III. — 2
Sallust., Bell. Catilin., n. 22. — 3 I Cor., X, 17.
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