Pâques Ve Dim.
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SERMON
POUR
LE  Ve  DIMANCHE  APRES  PÂQUES   (a)

 

Vado ad Patrem meum.

Je m'en vais à mon Père. Joan., XVI, 16.

 

Notre-Seigneur, mes chers Frères, dit cette parole en la personne de ses fidèles, aussi bien qu'en la sienne, et pour nous donner la confiance de la répéter avec lui. Il a dit en un autre endroit : « Je monte vers mon Père et vers votre Père, vers mon Dieu et vers votre Dieu (1). » Son Père est donc le nôtre aussi quoique titre différent, le sien par nature, le nôtre par grâce et par adoption (b) ; et nous pouvons dire avec lui : « Je m'en vais à mon Père. » Je peux (c) même ajouter, mes chers Frères, que cette belle parole nous convient (d) en un certain sens plus qu'à Jésus-Christ, puisque (e) vivant sur la terre, il était déjà avec son Père, selon sa divinité, et que même selon sa nature humaine son âme sainte en voyait la face. Il était toujours avec lui ; et dans un temps où (f) il semblait encore éloigné de retourner au lieu de sa gloire avec son Père, il ne laissait pas de dire : « Je ne suis pas seul; mais mon Père qui m'a envoyé et moi sommes toujours ensemble (2). »

C'est donc à nous qui sommes vraiment séparés de Dieu, c'est à nous, mes bien-aimés (g), à faire un continuel effort pour y

 

1 Joan., XX, 17. —  2 Ibid., VIII, 16.

 

(a) Prêché en 1692, dans la cathédrale de Meaux, à l'ouverture d'une mission donnée pendant le jubilé.                                                          

Le manuscrit original de ce sermon est perdu depuis longtemps; Déforis a suivi, dans sa publication, quelques copies et un ouvrage qui parut en 1748 sous ce titre : Lettres et opuscules de Bossuet, 2 vol. in-12. Nous avons collationné l’édition de Déforis avec celle de 1748; de là les variantes qu’on trouvera plus loin.

(b) Var. :  Et le nôtre par adoption. — (c) Je puis. — (d) Que ces paroles nous conviennent. — (e) Puisqu’en. — (f) Il était toujours avec lui dans un temps où… — (g) Mes bien aimés, mes chers Frères.

 

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tourner; c'est à nous à dire sans cesse : « Je m'en vais (a) à mon Père ; » et comme cette parole marquait la consommation du mystère de Jésus-Christ dans son retour à sa gloire, elle marque aussi la perfection de la vie du chrétien dans le désir qu'elle nous inspire de retourner à Dieu de tout notre cœur.

Pénétrons donc le sens de cette parole : concevons premièrement ce que c'est que d'aller à notre Père ; voyons en second lieu ce qui nous doit arriver, en attendant que nous y soyons (b) ; et comprenons en dernier lieu quel bien nous y aurons, quand nous y serons parvenus (c). Tout cela nous sera marqué dans notre évangile, et je ne ferai que suivre pas à pas ce que Jésus-Christ nous y propose.

« Je m'en vais à mon Père. » C'est l'état d'un chrétien d'aller toujours; mais d'où est-ce qu'il part, et où est-ce qu'il doit arriver? Saint Jean nous le fait entendre par cette parole : « Jésus sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père (1). » N'en disons pas davantage: nous devons faire ce passage avec Jésus-Christ. « Je ne suis pas du monde, dit-il, comme ils ne sont pas du monde (2). » Ainsi selon sa parole vous n'êtes pas du monde ; quittez-le donc, marchez sans relâche ; mais marchez vers votre Père. Voilà les deux raisons de votre passage : la misère du lieu d'où vous partez, et la beauté de celui où vous êtes appelés (d).

 

PREMIER POINT.

 

Saint Paul, pour nous exprimer le premier : « Le temps est court (3), » dit-il. Le temps est court; si vous ne quittez le monde, il vous quittera; il reste donc « que celui qui est marié soit comme ne l'étant pas, et ceux qui pleurent comme ne pleurant pas (e), et ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant pas, et ceux qui achètent comme n'achetant pas, et ceux qui usent de ce monde

 

1 Joan., XIII, 1. — 2 Ibid.. XVII, 10. — 3 I Cor., VII, 29.

 

(a) Var. : Je vas. — (b) Que nous y soyons parvenus. — (c) Quel bien nous aurons alors et quel bonheur infini nous y attend. — (d)... Comme ils ne sont pas du monde : quittons-le donc, marchons sans relâche; mais marchons vers notre Père. Voilà... ; et la beauté, la félicité et la gloire de celui où nous sommes appelés. — (e) Point.

 

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comme n'en usant pas, parce que la figure de ce monde passe (1). » Comme s'il disait : Pourquoi voulez-vous demeurer dans ce qui passe? Vous croyez que c'est un corps, une vérité; ce n'est qu'une ombre et une figure qui passe et qui s'évanouit (a) : ainsi en quelque état que vous soyez, ne vous arrêtez jamais. Les liaisons les plus fermes et les plus saintes (b), telle qu'est celle du mariage, trouvent leur dissolution dans la mort; vos regrets passeront comme vos joies; ce que vous croyez posséder à plus juste titre vous échappe, à quelque prix que vous l'ayez acheté; tout passe malgré qu'on en ait.

« Mais c'est autre chose, dit saint Augustin (2), de passer avec le monde, autre chose de passer du monde pour aller ailleurs. » Le premier, c'est le partage des pécheurs ; malheureux partage qui ne leur demeure même pas, puisque si le monde passe, ils passent aussi avec lui. Le second, c'est le partage des enfants de Dieu, qui de peur de passer toujours ainsi que le monde, sortent du monde en esprit et parlent (c) pour aller à Dieu. Domaines, possessions, palais magnifiques, beaux châteaux (d), pourquoi voulez-vous m'arrêter? Vous tomberez un jour; ou (e) si vous subsistez, bientôt je ne serai plus moi-même pour vous posséder. Adieu donc (f), je passe, je vous quitte, je m'en vais, je n'ai pas le loisir d'arrêter. Et vous, plaisirs, honneurs, dignités, pourquoi étalez-vous vos charmes trompeurs? Je m'en vais. En vain vous me demandez encore quelques moments, ce reste de jeunesse, ce reste de vigueur (g) : non, non, je suis pressé; je pars, je m'en vais ; vous ne m'êtes plus rien. — Mais où allez-vous ? — Je vous l'ai dit; je m'en vais à mon Père : c'est la seconde raison de hâter mon départ.

Le monde (h) est si peu de chose, que les philosophes l'ont quitté sans même savoir où aller; dégoûtés de sa vanité et de ses misères, ils l'ont quitté ; ils l'ont quitté, dis-je, sans même savoir en le quittant s'ils trouveraient une autre demeure (i) où ils pussent s'établir solidement. Mais, moi, je sais où je vais: je

 

1 I Cor., VII, 29-32. — 2 In Joan., tract. LV, n. 1.

 

(a) Var. : Qui passe, qui s'évanouit. — (b) Les plus saintes et les plus fermes. — (c) Et en partent. — (d) Beaux châteaux, meubles, richesses. — (e) Ou bien. — (f) Adieu. — (g) Ce reste de jeunesse et de vigueur. — (h) Le monde en lui-même est. — (i) Sans même savoir s'ils trouveraient, en le quittant, une autre demeure.

 

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vais à mon Père. Que craint un enfant, quand il va dans la maison paternelle? Ce malheureux prodigue qui s'était perdu en s'en éloignant, et qui s'était jeté en tant de péchés et en tant de misères (a), trouve une ressource en disant : « Je me lèverai et je retournerai chez mon père (1). » Prodigues cent fois plus perdus que le prodigue de l'Evangile, dites donc avec lui (b) : Je me lèverai, je retournerai; mais plutôt ne dites pas : Je retournerai; partez à l'instant. Jésus-Christ vous apprend à dire, non pas : J'irai à mon Père; mais : J'y vais, je pars à l'instant; ou si vous dites je retournerai, avec le prodigue, que cette résolution soit suivie d'un prompt effet, comme la sienne. Car il se leva aussitôt, et il vint à son père. Dites donc dans le même esprit : Je retournerai à mon Père; là les mercenaires, les âmes imparfaites, ceux qui commencent à servir Dieu et qui le font encore par quelque espèce d'intérêt, ne laissent pas de trouver dans sa maison un commencement d'abondance : combien donc en trouveront ceux qui sont parfaits, et qui le servent par un pur amour ! Allez donc, marchez ; quand le monde serait aussi beau qu'il s'en vante et qu'il le parait aux sens (c), il le faudrait quitter pour une plus grande beauté, pour celle de Dieu et de son royaume. Mais maintenant ce n'est rien, et vous hésitez, et vous dites toujours : J'irai, je me lèverai, je retournerai à mon Père, sans jamais dire efficacement (d) : Je vais.

Mais enfin supposez que vous partiez ; vous voilà dans la maison paternelle. Attiré par les sensibles douceurs d'une conversion naissante, vous y demeurez (e) : c'est le veau gras qu'on vous y a donné d'abord, c'est la musique qu'on fait retentir dans toute la maison à votre retour. Voulez-vous donc demeurer dans cet état agréable et y attacher votre cœur? Non, non, marchez encore (f), avancez, recevez ce que Dieu vous donne; mais élevez-vous plus haut, à la croix, à la souffrance, aux délaissements de Jésus-Christ, à la sécheresse qui lui a fait dire : « J'ai soif (2) » où néanmoins il ne reçoit encore que du vinaigre.

 

1 Luc, XV, 18. — 2 Joan., XIX, 28.

 

(a) Var. : Eu tant de péchés, en tant de désordres et de misères. — (b) Dites donc. — (c) A vos sens. — (d) Sans jamais dire. — (e) Vous y demeurez, vous êtes comblé de joie. — (f) Marchez.

 

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— Hé bien, me voilà donc arrivé; j'ai passé par les épreuves et

Dieu m'a donné la persévérance, je n'ai donc (a) qu'à m'arrêter. — Non, marchez toujours. Etes-vous plus avancé qu'un saint Paul (b) qui avait bu tant de fois le calice de la passion de son Sauveur, écoutez (c) comme il parle, ou plutôt considérez comme il agit. Il dit aux Philippiens: « Mes Frères, je ne crois pas être arrivé (1). » Hé quoi ! grand Apôtre, n'êtes-vous pas du nombre des parfaits? Et pourquoi avez-vous dit dans cet endroit même : « Tout ce que nous sommes de parfaits, ayons ce sentiment (2)? » Il est parfait, et néanmoins il dit : Mes Frères (d), je ne suis pas encore où je veux aller, et il ne me reste qu'une chose à faire (3). » Entendez-vous : Il ne me reste qu'une chose à faire. Et quoi? — « C'est qu'oubliant ce que j'ai fait et tout l'espace qui est derrière moi (e) dans la carrière où je cours, je m'étende à ce qui est devant moi. » — Je m'étende? Que veut-il dire? — Je fais continuellement de nouveaux efforts; je me brise pour ainsi dire et je me disloque moi-même par l'effort continuel que je fais pour m'avancer; et cela incessamment, sans prendre haleine, sans poser le pied un moment pour m'arrêter dans l'endroit (f) de la carrière où je me trouve : « Je cours de toutes mes forces vers le terme qui m'est proposé ». » — Et encore, quel est ce terme, et verrons-nous une fin à votre course, ô saint Apôtre (g) ? Ecoulez ce qu'il répond : « Soyez mes imitateurs comme je le suis de Jésus-Christ (5). » Imitateur de Jésus-Christ! Je ne m'étonne donc plus si après tant d'efforts (h), tant de souffrances, tant de conversions, tant de prodiges de votre vie, vous dites toujours que vous n'êtes pas encore arrivé. Le terme où vous tendez, qui est d'imiter la perfection de Jésus-Christ, est toujours infiniment éloigné de vous; ainsi vous irez toujours, tant que vous serez en cette vie, puisque vous tendez à un but où vous ne serez jamais arrivé parfaitement.

Et vous, mes Frères, que ferez-vous, sinon ce qu'ajoute le même

 

1 Philip., III, 13. — 2 Ibid., 15. — 3 Ibid.,  13. — 4 Ibid., 14. — 5 I Cor., IV, 16.

 

(a) Var. :  : je n'ai. — (b) Que saint Paul. — (c) Ecoutez néanmoins. — (d) Et néanmoins : Non, dit-il, mes Frères. — (e) Que j'ai laissé derrière moi. — (f) Sans poser le pied un moment dans l'endroit. — (g) A votre course durant cette vie mortelle? — (h) Après de si grands efforts.

 

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Apôtre dans son Epître aux Philippiens (1) : « Soyez, mes Frères, mes imitateurs, et proposez-vous l'exemple de ceux qui se conduisent selon le modèle que vous avez vu en nous. » Il faut donc toujours avancer, toujours croître; en quelque degré de perfection qu'on soit, ne s'y reposer jamais, ne s'y arrêter jamais (a). Je m'en vais, je m'en vais plus haut, et toujours plus près de mon Père : Vado ad Patrem. Le chemin où l'on marche, la montagne où l'on veut pour ainsi dire grimper (b), est si roide, que si l'on n'avance toujours, on retombe; si l'on ne monte sans cesse et qu'on veuille prendre un moment pour se reposer, on est entraîné en bas par son propre poids. Il faut donc toujours passer outre, toujours s'élever, sans s'arrêter nulle part. C'est la pâque de la nouvelle alliance, qu'il faut célébrer en habit de voyageur, le bâton à la main, la robe ceinte, et manger vite l'agneau pascal : « Car c'est la pâque , c'est-à-dire le passage du Seigneur (2) ; » et comme Moïse l'explique après, « c'est la victime du passage du Seigneur (3), » qui nous apprend aussi à passer toujours outre, sans nous arrêter jamais. Car Jésus-Christ, qui est cette victime, s'en va toujours à son Père et nous y mène avec lui. Si nous ne faisons un continuel effort pour nous approcher de lui et nous y unir de plus en plus, nous n'accomplissons pas le précepte : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toutes vos pensées (c), de toutes vos forces  (4) »

— Mais quand on sera arrivé à ce parfait exercice de l'amour de Dieu, alors du moins il sera permis de s'arrêter et de prendre du repos ? — Quoi ! vous ne savez donc pas qu'en aimant, on acquiert de nouvelles forces pour aimer ? Le cœur s'anime, se dilate ; le Saint-Esprit, qui le possède, lui inspire et lui donne de nouvelles forces (e) pour aimer de plus en plus. Ainsi vous n'aimez point de toutes vos forces, si vous n'aimez encore de ces nouvelles forces que vous donne le parfait amour. Il faut donc croître en amour durant (f) tout le cours de cette vie. Celui qui donne des bornes à

 

1 Philip., III, 17. — 2 Exod., XII, 11. — 3 Ibid., 27. — 4 Deut., VI, 5.

 

(a) Var. : En quelque degré de perfection qu'on soit élevé, ne s'y reposer, ne s'y arrêter jamais. — (b) Où l'on veut grimper pour ainsi dire. — (c) Vous aimerez le Seigneur de tout votre cœur, de toute votre pensée et de... — (d) Pour aimer davantage. — (e) Lui inspire de nouvelles forces. — (f) Pendant.

 

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son amour ne sait ce que c'est que d'aimer. Celui qui ne tend pas toujours à un plus haut degré de perfection et d'amour (a), ne connaît pas la perfection ni les obligations du christianisme. « Soyez parfaits, dit le Sauveur, comme votre Père céleste est parfait (1). » Pour avancer vers ce but où l'on n'est jamais tout à fait en cette vie, il faut croître en perfection , toujours (b) aimer de plus en plus. Je ne sais si dans le ciel même l'amour n'ira pas (c) toujours croissant, puisque l'objet qu'on aimera étant infini et infiniment parfait, il fournira éternellement à l'amour (d) de nouvelles flammes. Si néanmoins il faut dire qu'il y a des bornes, c'est Dieu seul qui les donne ; et comme durant cette vie on peut toujours avancer, toujours (e) croître, il le faut donc toujours faire, toujours dire : « Je vais à mon Père; » c'est-à-dire je marche non-seulement pour y aller lorsque j'en suis éloigné ; mais lors même que je m'en approche et que je m'y unis, je tâche de m'en approcher et de m'y unir davantage, jusqu'à ce que je parvienne à cette parfaite unité où je ne serai avec lui qu'un même esprit, « où je lui serai tout à fait semblable en le voyant tel qu'il est (2) ; » où enfin et pour tout dire en un mot, « où lui-même sera tout en tous (3), » et rassasiera tous nos désirs. Mais en attendant ce bonheur (f), qu'avons-nous à faire? C'est ce que je vous dois expliquer dans la seconde partie de ce discours, ou plutôt ce que Jésus-Christ vous explique (g) lui-même dans notre évangile.

 

SECOND   POINT.

 

Ce que vous avez à faire (h), dit-il, en attendant le jour de votre délivrance, c'est que « vous pleurerez et vous gémirez ; le monde se réjouira, mais vous serez (i) dans la tristesse : » Vos autem contristabimini (2). Pour entendre cette tristesse , il faut écouter le saint Apôtre, qui nous dit qu'il y a de deux sortes de tristesse : « Il y a la tristesse du siècle, la tristesse selon le monde ; et il y a la

 

1 Matth., V, 48. — 2 I Joan., III, 2. — 3 I Cor., XV, 28. — 4 Joan., XVI, 20.

 

(a) Var. : Plus haut degré de perfection. — (b) Et toujours. — (c) Point. —(d) Il fournira à l'amour éternellement. — (e) Et toujours. — (f) Mais en attendant. — (g) Vous expliquera. — (h) Ce que vous devez faire. — (i) Mais vous, vous serez.

 

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tristesse (a) selon Dieu (1). » Ne croyez pas, mes Frères, sous prétexte que Jésus-Christ a prononcé que le monde serait dans la joie ; ne croyez pas, dis-je, que ses joies (b) seront sans amertume , ou qu'elles ne seront pas suivies de douleur. Qui ne voit par expérience que ceux qui aiment le monde ont presque toujours à pleurer quelque chose : la perte ou de leurs biens, ou de leurs plaisirs, ou de leur fortune, ou de leurs espérances, en un mot de ce qu'ils aiment (c) ? Si donc Jésus-Christ a dit que le monde se réjouira, c'est qu'il cherchera toujours à se réjouir ; c'est là son génie, c'est là son caractère (d). Mais quoiqu'il cherche toujours la joie, il ne lui arrive jamais de la trouver à son gré (e), c'est-à-dire pure et durable. Salomon a dit il y a longtemps que ces deux qualités manquent aux joies de la terre : « Le ris sera (f) mêlé de douleur (2); » les joies du monde ne sont donc jamais pures. « Les pleurs suivent de près la joie ; » elle ne sera donc jamais durable ; et quelque heureux qu'on soit dans le monde, il y a plus d'afflictions que de plaisirs : c'est donc là cette tristesse du siècle dont saint Paul vous a parlé (g).

Mais qu'en a dit le (h) bienheureux Apôtre? « La tristesse du siècle produit la mort (3), » parce qu'elle vient de l'attachement aux biens périssables. A cette tristesse du siècle saint Paul oppose la tristesse qui est selon Dieu et qui est le vrai caractère de ses en-fans. La tristesse qui nous peut venir du côté du monde par la perte des biens de la terre, ou (i) par l'infirmité de la nature, par les maladies, par les douleurs, nous est commune avec les impies; ainsi (j) ce n'est pas là cette tristesse que le Sauveur donne en partage à ses fidèles en leur disant : « Vous pleurerez. » C'est, mes Frères, cette douleur selon Dieu dont il veut parler; et quel en est le sujet, sinon qu'ordinairement le monde persécuteur fait souffrir les gens de bien et les tient dans l'oppression? Ajoutons que Dieu, comme un bon père, châtie les justes comme ses enfants,

 

1 II Cor., VII, 10. — 2 Prov., XIV, 13. — 3 II Cor., VII, 10.

 

(a) Var. : Et la tristesse. — (b) Ne croyez pas, dis-je, qu'il ait voulu dire que ses joies seront... — (c) Ont presque toujours à pleurer la perte de leurs biens, de leurs plaisirs, de leur fortune, de leurs espérances, et en un mot de ce qu'ils aiment. — (d) C'est là son génie et son caractère. — (e) Assez à son gré. — (f) Le ris ici-bas sera. — (g) Nous parle — (h) Ce. — (i) Ou bien.— (j) Et ainsi.

 

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et leur fait trouver leurs maux en ce monde, afin de leur réserver leurs biens dans la vie future. Vous voyez bien (a) déjà quelque chose de cette tristesse qui est selon Dieu. Soumettez-vous-y, mes chers Frères , soumettez-vous à l'ordre qu'il a établi dans sa famille ; et si lorsqu'il a résolu de punir le monde, il commence le jugement par sa maison par les justes qui sont ses enfants, tendez le dos et baissez la tête humblement sous cette main (b) paternelle, et laissez-lui exercer une rigueur si remplie de miséricorde.

Mais voici encore une autre espèce (c) de cette tristesse selon Dieu. Assis sur les bords des fleuves de Babylone (d) et au milieu des biens qui passent, les fidèles sentent leur bannissement et pleurent (e) en se souvenant de Sion leur chère patrie. Ah! mes chers enfants, si quelque goutte de cette tristesse (f) entre dans vos cœurs, et que pleins de dédain et de dégoût pour ce qui passe , vous vous sentiez affligés de ne pas jouir encore du bien éternel, de votre patrie céleste après laquelle vous soupirez (g) ; c'est là la tristesse selon Dieu que je vous souhaite.

Mais ce n'est pas encore celle que j'ai dessein de vous prêcher aujourd'hui avec saint Paul, « Cette tristesse qui est selon Dieu produit, dit ce saint Apôtre, une pénitence stable (1). » C'est donc là principalement cette douleur que je vous souhaite, le regret de vos péchés, la tristesse et l'amertume de la pénitence. Si je puis vous inspirer cette douleur, alors, alors, mes chers enfants (h), je vous dirai avec l'Apôtre : « Ah! mes bien-aimés, je me réjouis non pas de ce que vous êtes contristés, mais de ce que vous l'êtes selon Dieu par la pénitence (2). » Et encore : « Qui est celui qui me peut donner de la consolation et de la joie, sinon celui qui s'afflige à mon sujet (3), » à qui ma prédication (i) et mes avertissements ont inspiré cette tristesse (j) qui est selon Dieu et le regret de leurs fautes ?

C'est, mes Frères , pour vous inspirer cette tristesse salutaire. que j'ai appelé des prédicateurs qui vous prêcheront la pénitence

 

1 II Cor., VII, 10. — 2 Ibid., 9. — 3 Ibid., II, 2.

 

(a) Var. : Vous voyez donc. — (b) Tendez le dos humblement à cette m (c) Cause. — (d) Assis sur les fleuves de Babylone. — (e) Et ils pleurent —  (f) De cette salutaire tristesse. — (g) Du bien qui est éternel, après lequel vous soupirez. — (h) Alors, mes chère Frères. — (i) Mes prédications. — (j) Salutaire.

 

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dans le sac et sous (a) la croix. Vous commencerez dès ce soir (b) à les entendre, et je fais l'ouverture de cette mission, dont j'espère tant de fruits. Laissez-vous donc affliger selon Dieu , et plongez-vous dans la tristesse de la pénitence. Je suis touché, il y a longtemps, delà tristesse (c) que vous donnent tant de misères, tant de charges que vous avez beaucoup de peine (d) à supporter, et que sans doute vous ne pouvez supporter longtemps, malgré votre bonne volonté. Je vous plains, je sens vos maux (e) avec vous, et quelle serait ma joie, si je pou vois vous soulager de ce fardeau ! Mais il faut que je vous parle comme un père : quand vous exagéreriez vos maux qui sont grands, vous n'allez pas à la source. Toutes les fois que Dieu frappe et qu'on ressent des misères (f) ou publiques ou particulières, qu'on est frappé dans ses biens, dans sa personne, dans sa famille, il ne faut pas s'arrêter à plaindre ses maux et à pousser des gémissements qui ne les guérissent pas ; il faut porter sa pensée à nos péchés qui nous les attirent.

Voyez (g) ce prodigue dont nous vous parlions tout à l'heure, réduit à paître un troupeau immonde et gagnant à peine du pain dans un service si bas et si indigne; il ne se contente pas de dire: « Les moindres domestiques de mon père sont abondamment nourris, et moi qui suis son fils je meurs ici de faim (1) ; » car cette plainte stérile n'aurait fait qu'aigrir ses maux, au lieu de les soulager. Il va à la source ; il sent que la source de ses maux , c'est d'avoir quitté son père et sa maison où tout abonde; c'est de s'être contenté des biens qui se dissipent si vite et qu'il lui avait arrachés, parce que ce père si sage et si bon avait peine (h) à les lui donner. Il dit donc dans ce sentiment : « J'irai, je me lèverai (2), je retournerai (i) vers mon père; » et non content de le dire d'une manière faible et imparfaite, il se lève, il vient à son père, et éprouve (j) les douceurs de ses tendres embrassements. S'il s'était contenté de dire : Ah! que je suis malheureux! et que se prenant

 

1 Luc., XV, 17. — 2 Ibid., 18.

 

(a) Var. : Sur. — (b) Dès ce jour. — (c) De celle. — (d) Tant de peine. — (e) Je les ressens. — (f) Des calamités. — (g) Voyons. — (h) Ce père si sage et si bon, qui en connaissait la malignité, avait peine. — (i) Et je retournerai. (j) Et il éprouve.

 

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de ses maux, non point à soi-même , mais à Dieu , il eût blasphémé contre le Ciel, qu'aurait-il fait autre chose que d'aggraver son fardeau? Mais parce qu'il a dit dans sa misère : « Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre vous, et je ne suis pas digne d'être appelé votre fils, » il a tout ensemble et effacé son péché et fini les maux qui en faisaient le châtiment.

Mes bien-aimés, faites-en de même. Vous voyez tant d'ennemis conjurés contre vous de tous côtés (a) ; ne dites pas comme faisaient autrefois les Juifs : C'est l'Egypte, ce sont les Chaldéens, c'est l'épée du roi de Babylone qui nous poursuit ; dites : « Ce sont nos péchés qui ont mis la séparation entre Dieu et nous (1) ; » encore un coup, ce sont nos péchés qui soulèvent contre nous tant d'ennemis. Nos péchés accablent l'Etat, comme disait saint Grégoire : « Le royaume n'en peut plus sous ce faix : » Peccatorum nostrorum oneribus premimur, quœ reipublicœ vires gravant (2). Venez donc gémir (b) devant Dieu à la voix de ces saints missionnaires, qui viennent me seconder et me prêter leurs secours pour vous préparer à la grâce du jubilé.

Vous me direz: Mais la grâce du jubilé (c) est donnée pour nous soulager et pour relâcher les peines que nous méritons par nos crimes (d), par conséquent pour nous donner de la joie, et non pas pour nous plonger dans la tristesse à laquelle vous nous exhortez. Vous n'entendez pas, mes bien-aimés, le mystère de l'indulgence et du jubilé, et la nature de cette grâce. Il y a une peine et une douleur que l'indulgence relâche; il y en a une autre qu'elle augmente. La peine qu'elle relâche, c'est cette affreuse austérité de la pénitence, dont nous devrions porter toutes les rigueurs , après avoir tant de fois péché contre Dieu et outragé son Saint-Esprit. Mais il y aune peine que l'indulgence doit augmenter, et c'est la peine que nous cause le regret d'avoir offensé Dieu. Et pourquoi l'indulgence vient-elle augmenter cette peine d'un cœur affligé de ses péchés, et percé de la douleur (e) d'en

 

1 Isa., LIX, 2. — 2 Ad Mauric. Aug., lib. V, ep. XX.

 

(a) Var. : Vous voyez tant d'ennemis conjurés de tous côtés contre vous. _ (b) Dites : Ce sont nos péchés qui s'élèvent contre nous, comme disait saint Grégoire. Venez donc gémir... — (c) Mais le jubilé. — (d) Que nous méritions. —(e) Et percé de douleurs.

 

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avoir commis un si grand nombre, si ce n'est, comme dit le Sauveur, « que celui à qui on remet davantage aime aussi (a) davantage (1); » et qu'en aimant davantage son bienfaiteur, il doit aussi s'affliger davantage de l'avoir offensé par tant de crimes? C'est donc ainsi que l'indulgence augmente la peine; cette peine d'avoir commis un péché mortel, cent péchés mortels, un nombre infini de péchés mortels. C'est pour ceux en qui cette peine intérieure de la pénitence s'augmente (b), c'est pour ceux-là, mes bien-aimés, que l'indulgence est accordée. « Ceux qui font la pénitence indifféremment, comme parle le saint concile de Nicée (2), il n'y a point d'indulgence pour eux. » L'esprit de l'Eglise est d'accorder l'indulgence à ceux qui sont pénétrés et comme accablés par la douleur (c) de leurs crimes.

Mais je veux encore remonter plus haut, et vous remettre devant les yeux l'exemple de saint Paul. C'est la pénitence imposée et l'indulgence accordée à ce Corinthien incestueux , qui a donné lieu à l'excellente doctrine que je vous ai rapportée de ce grand Apôtre sur la tristesse de la pénitence. Saint Paul avait prononcé contre ce pécheur scandaleux une dure et juste sentence, «jusqu'à le livrer à Satan pour l'affliger selon la chair et le sauver selon l'esprit (3). » L'église de Corinthe, vivement touchée du reproche que saint Paul lui avait fait de souffrir un si grand scandale au milieu d'elle, avait mis ce pécheur en pénitence ; et depuis, touchée de ses larmes, elle en avait adouci la rigueur (d), suppliant le saint Apôtre d'agréer ce charitable adoucissement. Et sur cela voici l'indulgence qu'accorda saint Paul; voici le premier exemple de cette indulgence apostolique, qui a été de tous temps si prisée et si estimée dans l'Eglise. Eh bien, dit-il, c'est assez que le (e) pécheur scandaleux ait reçu la correction, ait subi la peine que vous lui avez imposée dans votre assemblée par la multitude, » dit-il, par l'Eglise, par les pasteurs, avec le consentement de tout le peuple. Car c'est sans doute ce que veulent dire ces mots : Sufficit objurgatio hœc, quœ fit à pluribus (4). Ainsi loin de trouver

 

1 Luc, VII, 47. — 2 Can. 12, Concil. Labb., tom. II, col. 42. — 3 I Cor., V, 5. — 4 II Cor., II, 6.

 

(a) Var. : Doit aussi aimer. — (b) Celle peine intérieure s'augmente. — (c) Par le regret. — (d) Les saintes rigueurs. — (e) Ce.

 

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mauvais ce que votre charité a fait pour lui et l'adoucissement de sa peine, je vous exhorte au contraire à (a) le traiter avec indulgence , à le consoler par ce moyen dans L'extrême confusion et affliction que lui cause son crime ; « de peur, dit ce saint Apôtre (b), qu'il ne soit accablé par un excès de tristesse : » Ne forte abundantiori tristitiâ absorbeatur (1).

Vous voyez maintenant, mes bien-aimés, ce qui le rendit digne de l'indulgence de l'Eglise et de saint Paul; c'est que s'étant livré sans bornes à cette tristesse salutaire de la pénitence, il s'y plongea jusqu'à faire craindre qu'il n'en fût accablé, que sa douleur ne l'absorbât : Ne absorbeatur, ne l'abîmât, en sorte qu'il ne la pût pas supporter. Livrez-vous donc à son exemple à la douleur de la pénitence, afin de vous rendre dignes de l'indulgence, des consolations, de la charité de l'Eglise (c).

Mais, nies Frères, n'oubliez pas un caractère de cette tristesse selon Dieu (d), marqué par saint Paul dans le passage que nous traitons. La tristesse qui est selon Dieu produit, dit-il, « une pénitence. » Mes Frères, quelle pénitence (e) ? « Une pénitence stable ; » Pœnitentiam stabilem (2), non pas de ces douleurs passagères que la première attaque des sens et de la tentation emporte aussitôt et sans résistance. Cette tristesse produit la mort, aussi bien que celle du siècle, parce qu'elle n'a servi au pécheur que pour lui faire faire une confession qui n'ayant point eu de bons effets, n'en peut avoir eu que de très-mauvais en donnant lieu à une rechute plus dangereuse que le premier mal. La pénitence que je vous demande est une pénitence durable, affermie sur de solides maximes et sur une épreuve convenable. Et en quoi consiste sa stabilité? Cette tristesse, dit l'Apôtre, quand elle est parfaite, doit produire (f) « une pénitence stable pour le salut: » elle a donc la stabilité qui lui convient, lorsqu'elle vous mène jusqu'au salut, jusqu'à la parfaite union avec Dieu et au dernier accomplissement de cette parole : « Je m'en vais à mon Père (g). »

 

1 II Cor., II, 7. — 2 Ibid., VII, 10.

 

(a) Var. : De. — (h) Cet Apôtre.— (c) De l'indulgence et des consolations de l'Eglise. — (d) Qui est selon Dieu.— (e) Quelle pénitence, mes Frères ? — (f) Et en quoi consista la stabilité de cette tristesse? L'Apôtre dit, quand elle est parfaite, quelle doit produire. — (g) Je vais à mon Père.

 

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Alors (a) il vous arrivera ce que Jésus-Christ a promis dans notre évangile; ce qui de voit faire le dernier point dans ce discours, et que je tranche en un mot.

« Alors, dit-il, votre tristesse sera changée en joie, et en une joie que personne ne vous ôtera jamais : » Gaudium vestrum nemo tollet à vobis (1). Voilà, mes Frères, la joie que je vous souhaite ; non pas ces joies que le monde donne et que le monde ôte : il les donne, non par raison, mais par humeur, par bizarrerie, par caprice; et il les ôte sans savoir pourquoi, avec aussi peu de raison qu'il en a eu à les donner. Loin de nous ces joies trompeuses; loin de nous l'aveuglement qu'elles produisent dans les cœurs, et le criminel attachement avec lequel on s'y abandonne ! Je vous souhaite cette joie qui ne change pas, parce que celui qui la donne est immuable.

Mais, mes Frères, mes chers enfants (b), n'oubliez jamais qu'il y faut venir par la tristesse, par la tristesse qui est selon Dieu, par la tristesse de la pénitence. C'est ce que Jésus-Christ nous explique à la fin de notre évangile, par une comparaison admirable et bien naturelle : « Une femme, dit-il, a de la douleur pendant (c) qu'elle enfante, parce que son heure est venue; mais lorsqu'elle a enfanté un fils, elle ne se souvient plus de ses maux dans la joie qu'elle a d'avoir mis un homme au monde (2). » Voilà le modèle de cette douleur de la pénitence que je vous ai aujourd'hui prêchée après saint Paul. Vous devez enfanter un homme; et cet homme que vous devez enfanter et lui donner une vie nouvelle (d), c'est vous-même. Votre heure est venue, vous touchez le terme (e) : la guerre avec tous ses maux, le commencement d'une campagne, qui apparemment doit être décisive; la mission, le jubilé, nos pressantes exhortations, avertissent (f) qu'il est temps que vous acheviez cet enfantement, que vous semblez commencer depuis tant d'années d'une manière si languissante et si faible. Quand on entend les cris d'une femme en travail , qui sont médiocres et languissons, on dit : Elle n'accouche

 

1 Joan., XVI, 22. — 2 Ibid., 21.

 

(a) Var. : Et alors. — (b) Mes Frères. — (c) Quand et à qui vous devez donner. — (d) Surnaturelle et nouvelle. — (e) Vous êtes à terme. — (f) Tout vous avertit.

 

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pas encore ; mais quand un cri qui perce les oreilles les déchire pour ainsi dire et pénètre jusqu'au cœur, alors on se réjouit et on dit : Elle est délivrée et on apprend un peu après l'heureuse nouvelle qu'elle a mis un homme au monde, et on la voit consolée de son travail, qui auparavant lui était insupportable. Ainsi, mes bien-aimés, si la douleur que vous cause vos péchés n'est vive, pénétrante; si elle ne déchire pour ainsi dire et ne brise vos cœurs, vous n'enfanterez jamais votre salut; hélas ! vous serez de ceux dont il est écrit : « L'enfant se présente, et la mère (a) n'a pas la force de le mettre au monde : » Vires non habet parturiens (1). Vous n'avez que des désirs informes et imparfaits, des résolutions vagues et chancelantes (b); c'est-à-dire, non pas des résolutions, mais des mouvements languissants qui n'aboutissent à rien : vous périrez avec le fruit que vous devez mettre au jour, c'est-à-dire votre conversion et votre salut. Mais si vous criez de toutes vos forces, si vos gémissements percent le ciel, si vos efforts sont pressants et persévérants, et que vous soyez de ces violents qui veulent emporter le ciel de force, que votre sort sera heureux et quelle sera votre joie ! Car si cette mère se tient heureuse pour avoir mis au monde un enfant qui est, à la vérité, un autre elle-même, mais enfin un autre, quelle doit être votre consolation, quel doit être votre transport, lorsque vous aurez enfanté non pas un autre, mais vous-même ? Afin de commencer une vie nouvelle, abandonnez-vous donc aux justes regrets d'avoir offensé Dieu; et si vous voulez achever cet enfantement salutaire que je vous prêche en son nom, ne vous arrêtez pas à la crainte de ses jugements.

La crainte de ses jugements est un tonnerre qui étonne, qui ébranle le désert, qui brise les cèdres, qui abat l'orgueil, qui par de vives secousses commence à déraciner les mauvaises habitudes. Mais pour rendre la (c) terre féconde, il faut que ce tonnerre rompe la nuée et fasse couler la pluie qui rend la terre féconde : Dominus diluvium inhabitare facit (2). Cette pluie dont l’âme est arrosée et pénétrée, qu'est-ce antre chose, mes Frères,

 

1 IV Reg., XIX, 3. — 2 Psal. XXVIII, 10.

 

(a) Var. : Et sa mère.— (b) Que des désira imparfaits, des résolutions chancelantes. — (c) Cette.

 

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que le saint amour? La terreur ne frappe qu'au dehors; il n'y a que l'amour qui change le cœur. La crainte agit avec violence, et peut bien nous retenir pour un peu de temps; la seule dilection nous fait agir naturellement, par inclination (a), et produit de résolutions aussi permanentes que douces. Et c'est encore ce qu'il nous faut faire, en disant : « Je vais à mon Père. » Ah! ce n'est point à un juge implacable et rigoureux qu'il nous faut aller, comme de vils esclaves, comme des criminels condamnés (b) ; c'est à un Père miséricordieux et plein de tendresse. Aimez donc, si vous voulez vivre; aimez, si vous voulez changer votre cœur (c) et y faire un changement durable. Ne vous lassez point de regretter d'avoir tant offensé un si bon Père; et après avoir goûté par ces saints regrets l'amertume de la pénitence, peu à peu vous remplirez votre cœur de cette joie qui (d) ne vous sera jamais ôtée; par la bénédiction éternelle du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

 

 

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