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PREMIER  SERMON
POUR
LE JOUR DE PÂQUES,
SUR LA NÉCESSITÉ DE MOURIR AVEC JÉSUS-CHRIST, DE RESSUSCITER AVEC LUI ET D'ETRE COMME LUI IMMORTEL A LA GRACE (b).

 

Christus resurgens ex mortuis jam non moritur, mors illi ultra non domininabitur. Quôd enim mortuus est peccato, mortuus est semel ; quòd autem vivit, vivit Deo. Rom., VI, 9 et 10.

 

Quand je vois ces riches tombeaux sous lesquels les grands de la terre semblent vouloir cacher la honte de leur

 

(b) Premier point. — Pourquoi la conversion est-elle appelée mort? Pour trois raisons: 1° d'une propriété du péché; 2° de la qualité du remède; 3° regarde l'instruction du pécheur. Le péché vient par l'origine : donc doit être détruit par une espèce de mort Etat de l'homme aussitôt après le péché. La honte, jusqu'alors inconnue   fut la première de ses passions qui lui décela la conspiration de toutes les autres : Nihil primùm senserunt quàm erubescendum (Tertull., Epist. XXIX ad Concil. Carthag., n. 6).

 

Second point. — Péché ne peut être guéri que par la mort du Sauveur, et notre configuration avec sa mort. Image de mort en nous conformément à Jésus-Christ.

La conversion n'est pas un changement superficiel, c'est une mort.

Réjouissance charnelle des chrétiens à Pâques.

Eucharistie. Est notre vie.

 

Prêché à Metz, vers 1655.

Plusieurs indices révèlent cette date, la longueur de l'exorde, la forme didactique, les sentences, les textes accumulés ; puis ces sortes d'expressions : «Quasi, esquelles, cette bouche divine de laquelle inondoieut des fleuves de vie éternelle; ruminez ce petit mot d'Origène, estimant que l'utilité que tu recevras d'une médecine si salutaire (de la pénitence) t'en fera digérer l'amertume. » L'auteur rappelle aussi les souffrances et les malheurs de l'époque indiquée par notre date : Les chrétiens, dit-il, « sont patients dans les tribulations. Que ces paroles, mes frères, soient votre consolation pendant les calamités de ces temps. »

Le mot mystagogie, que l'on trouvera dans l'exorde, veut dire initiation aux mystères, ou doctrine mystérieuse, mystique, obscure.

(a) Var. : De leur pourriture. — (b) Ce ne sont après tout que les écueils où vont se briser toutes les grandeurs humaines; cette pompe ne produit antre chose, sinon que les vers en sont servis plus honorablement, et que les marques de notre corruption en sont plus illustres. — (c) Elle lui a ôté la vie.

 

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corruption (a), je ne puis assez m'étonner de l'extrême folie des hommes, qui érigent de si magnifiques trophées à un peu de cendre et à quelques vieux ossements. C'est en vain que l'on enrichit leurs cercueils de marbre et de bronze. C'est en vain que l'on déguise leur nom véritable par ces titres superbes de monuments et de mausolées. Que nous profite après tout cette vaine pompe, si ce n'est que le triomphe de la mort est plus glorieux, et les marques de notre néant (b) plus illustres? Il n'en est pas ainsi du sépulcre de mon Sauveur. La mort a eu assez de pouvoir sur son divin corps. Elle l'a étendu sur la terre sans mouvement et sans vie (c), elle n'a pas pu le corrompre; et nous lui pouvons adresser aujourd'hui cette parole que Job disait à la mer : « Tu iras jusque-là et ne passeras pas plus outre ; cette pierre donnera des bornes à ta furie ; » et à ce tombeau, comme à un rempart invincible, seront enfin rompus tes efforts : Illuc progredieris, et non procèdes ampliùs; Illuc confringes tumentes fluctus tuos (1).

C'est pourquoi Notre-Seigneur Jésus, après avoir subi volontairement une mort infâme, il veut après cela que « son sépulcre soit honorable, » comme dit le prophète Isaïe : Erit sepulcrum

 

1 Job, XXXVIII, 11.

 

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ejus gloriosum (1). Il est situé au milieu d'un jardin, taillé tout nouvellement dans le roc. Et de plus il veut qu'il soit vierge aussi bien que le ventre de sa mère, et que personne n'y ait été posé devant lui. Davantage (a), il faut à son corps cent livres de baume du plus précieux (b), et un linge très-fin et très-blanc pour l'envelopper. Et après que durant le cours de sa vie « il s'est rassasié (c) de douleurs et d'opprobres, » Saturabitur opprobriis, nous dit le prophète ', vous diriez qu'il soit devenu délicat dans sa sépulture. N'est-ce pas pour nous faire entendre qu'il se préparait un lit plutôt qu'un sépulcre? Il s'y est reposé doucement jusqu'à ce que l'heure de se lever fut venue; mais tout d'un coup il s'est éveillé, et se levant il vient éveiller la foi endormie de ses apôtres.

Aujourd'hui les trois pieuses Maries étant accourues dès le grand matin pour chercher leur bon Maître dans ce lit de mort : « Que cherchez-vous ici, leur ont dit les anges? Vous cherchez Jésus de Nazareth crucifié : il n'y est plus, il est levé, il est ressuscité ; voyez le lieu où il était mis (3). » O jour de triomphe pour notre Sauveur! ô jour de joie pour tous les fidèles ! Je vous adore de tout mon cœur, ô Jésus victorieux de la mort. Vraiment c'est aujourd'hui votre pâque, c'est-à-dire votre passage, où vous passez de la mort à la vie. Faites-nous la grâce, ô Seigneur Jésus, que nous fassions notre pâque avec vous (d), en passant à une sainte nouveauté de vie. Ce sera le sujet de cet entretien.

O Marie, nous ne craindrons pas de nous adresser à vous aujourd'hui : l'amertume de vos douleurs est changée en un sentiment de joie ineffable. Vous avez déjà appris la nouvelle que votre Fils bien-aimé a pris au tombeau une nouvelle naissance, et vous n'avez point porté d'envie à son saint sépulcre de ce qu'il lui a servi de seconde mère. Au contraire, vous n'avez pas eu moins de joie que vous en conçûtes lorsque l'ange vous vint annoncer qu'il naîtrait de vous, en vous adressant ces paroles par lesquelles nous vous saluons (e). Ave.

 

1 Isa., XI, 10. — 2 Thren., III, 30. — 3 Luc, XXIV, 5; Marc, XVI, 6.

 

(a) Var. : De plus. — (b) Des parfums les plus précieux. — (c) Soûlé. — (d)Nous venons faire notre pâque avec vous, en passant...

(e) Bossuet voulait d'abord prêcher le présent sermon le jour c!n Samedi saint. Dans ce premier dessein, il avait rédigé la première partie de l'exorde comme

 

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Je m'étonne quelquefois, chrétiens, que nous ayons si peu de soin de considérer et ce que nous sommes parla condition de notre naissance, et ce que nous devenons par la grâce du saint baptême. Une marque évidente que nous n'avons pas bien pénétré le mystère de notre régénération , c'est de voir les divers sentiments des auditeurs, quand on vient à discourir de cette matière. Les uns tout charnels et grossiers, sitôt qu'ils entendent parler de nouvelle vie, et de résurrection spirituelle, et de seconde naissance . demeurent presque interdits ; peu s'en faut qu'ils ne disent avec Nicodème : « Comment se peuvent faire ces choses? Quoi! un vieillard naitra-t-il encore une fois ? Faudra-t-il que nous rentrions dans le ventre de nos mères (1) ? » Tels étaient les doutes que se formait en son âme ce pauvre pharisien. Les autres plus délicats reconnaissent que ces vérités sont fort excellentes, mais il leur semble que cette morale est trop raffinée, qu'il faut renvoyer ces subtilités dans les cloîtres pour servir de matière aux méditations de ces (a) âmes qui se sont plus épurées dans la solitude. Pour nous, diront-ils, nous avons peine à goûter toute cette mystagogie. N'est-il pas vrai que c'est la secrète réflexion de quantité de personnes, lorsqu'on traite de ces mystères?

Qu'est-ce à dire ceci, chrétiens? En quelle école ont-ils été élevés? Ignorent-ils qu'il n'y a quasi point de maximes que les saints docteurs de l'Eglise aient plus souvent inculquées; et que

 

1 Joan., III, 4.

 

il suit : «Vous diriez qu'il (Jésus) est devenu délicat dans sa sépulture. N'est-ce pas pour nous faire entendre qu'il se préparait un lit plutôt qu'un sépulcre? Il faut qu'il y dorme et qu'il repose encore quelque temps, jusqu'à ce que l'heure de se lever soit venue. Nous aurons jusqu'à la nuit quelque reste de tristesse, ad vesperum demorabitur fletus ; mais demain dès le matin sa résurrection nous comblera d'une sainte réjouissance, ad malutinum lœtitia (Psal. XXXIX, 6). Que ferons-nous donc ainsi partagés entre la tristesse et la joie? Si nous ne parlons que de sa résurrection, notre douleur sans doute s'en trouvera offensée ; que si nous nom contentons de nous entretenir de sa mort, notre espérance ne sera pas satisfaite. Joignons-les toutes deux, chrétiens; et voyons les obligations que l'une et l'autre nous impose.

O Marie, nous ne craindrons pas de nous adresser à vous aujourd'hui : nous savons que l'amertume de vos douleurs est bien adoucie. Bientôt vous apprendrez que votre Fils aura pris une nouvelle naissance; et vous ne porterez point d’envie a son saint sépulcre , de ce qu’il aura été comme sa seconde mère ; au contraire, vous n'en recevrez pas moins de joie que lorsque l’ange, » etc.

 

(a) Var. : Aux méditations de ces personnes dont les âmes se sont...

 

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qui ôterait des écrits de l'Apôtre les endroits où il explique cette doctrine, non-seulement il énerverait ses raisonnements invincibles, mais encore qu'il effacerait la plus grande partie de ses divines Epîtres? D'où vient donc, je vous prie, que nous avons si peu de goût pour ces vérités? d'où vient cela, sinon du dérèglement de nos mœurs? Sans doute nous ne permettons pas à l'Esprit de Dieu d'habiter ni assez longtemps, ni assez profondément dans nos âmes, pour nous faire sentir ses divines opérations. Car le Sauveur ayant dit à ses apôtres qu'il leur enverrait cet Esprit consolateur que le monde ne connaissait pas : « Pour vous, ajoute-t-il, mes disciples, vous le connaîtrez, parce qu'il sera en vous et habitera dans vos cœurs : » Vos autem cognoscetis eum, quia apud vos manebit et in vobis erit (1). Par où nous voyons que si nous le laissions habiter quelque temps dans nos âmes, il ferait sentir sa présence par les bonnes œuvres, esquelles sa main puissante porte-roit nos affections. Et comme il n'y a point de christianisme en nos mœurs, comme nous menons une vie toute séculière et toute païenne, de là vient que nous ne remarquons aucun effet de notre seconde naissance.

Ainsi, chrétiens, pour vous instruire de ces vérités, le plus court serait de vous renvoyer à l'école du Saint-Esprit et à une pratique soigneuse des préceptes évangéliques. Mais puisque la saine doctrine est un excellent préparatif à la bonne vie, et que les solennités pascales que nous avons aujourd'hui commencées, nous invitent à nous entretenir de ces choses, écoutez non point mes pensées, mais trois admirables raisonnements du grand apôtre saint Paul, dont il pose les principes dans le texte que j'ai allégué et en tire les conséquences dans les paroles suivantes : « Jésus est mort, dit-il, et c'est au péché qu'il est mort : » Peccato mortuus est (1). Si donc nous voulons participer à sa mort, il faut que nous mourions au péché. C'est notre première partie. Jésus étant mort a repris une nouvelle vie ; et cette vie n'est plus selon la chair, mais entièrement selon Dieu, « parce qu'il ne vit que pour Dieu : » Quòd autem vivit, vivit Deo (3). Il faut donc que nous passions à une nouvelle vie, qui doit être toute céleste. Voilà la seconde. Jésus

 

1 Joan., XIV, 17. — 2 Rom., VI, 10. — 3 Ibid.

 

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étant une fois ressuscité « ne meurt plus, la mort ne lui domine plus : » Jam non moritur, mors illi ultra non dominabitur (1). Si donc nous voulons ressusciter avec lui, il faut que nous vivions éternellement à la grâce et que la mort du péché ne domine plus en nos âmes. C'est par où finira ce discours. Le Sauveur est mort, mourons avec lui ; il est ressuscité, ressuscitons avec lui ; il est immortel, soyons immortels avec lui. Tâchons de rendre ces vérités sensibles par une simple et naïve exposition de quelques maximes de l'Evangile, et faisons voir en peu de mots avant toutes choses quelle nécessité il y a de mourir avec le Sauveur.

 

PREMIER POINT.

 

D'où vient que l'apôtre saint Paul ne parle que de mort et de sépulture, quand il veut dépeindre la conversion du pécheur ; et pourquoi a-t-il toujours à la bouche qu'il faut mourir au péché avec Jésus-Christ et crucifier le vieil homme, et tant d'autres semblables discours qui d'abord paraissent étranges ? Car s'il ne veut dire autre chose sinon que nous devons changer (a) nos méchantes inclinations, pour quelle raison se sert-il si souvent d'une façon de parler qui semble si fort éloignée? Et ce changement d'affections étant si commun dans la vie humaine, comment ne l'exprime-t-il pas en termes plus familiers? C'est ce qui me fait croire que ces sortes d'expressions ont quelque sens plus caché; et sans doute il ne les a pour ainsi dire affectées qu'afin de nous inviter à en pénétrer le secret. Or pour avoir une pleine intelligence de l'intention de l'Apôtre, je me sens obligé à vous représenter deux considérations importantes : par la première je vous ferai voir avec l'assistance divine, pour quelle raison la conversion du pécheur s'appelle une mort, et elle sera tirée d'une propriété du péché; par la seconde je tâcherai de montrer que nous sommes obligés de mourir au péché avec le Sauveur, et celle-ci sera prise de la qualité du remède. De ces deux considérations il en naîtra une troisième pour l'instruction des pécheurs (b).

 

1 Rom., VI, 9.

 

(a) Var.: Que nous sommes obligés de changer...— (b) Et sans doute il ne les a pour ainsi dire affectées qu'afin de nous inviter à en pénétrer le secret. J'en trouve trois raisons principales. Je tire la première d'une propriété que le péché a dans tous les hommes ; la seconde, de la qualité du remède par lequel nous en sommes guéris; la troisième regarde une instruction du pécheur qui doit être changé. Par ces trois raisons, je prétends vous taire voir avec l'assistance divine, et que c'est à bon droit que la conversion des pécheurs s'appelle une. mort, et que la mort du Fils de Dieu nous oblige de mourir au péché, et à quelle sainteté cette obligation nous engage. Je les tirerai des vérités les plus communes et les plus connues du christianisme : je voua prie de vous y rendre attentifs

 

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Tout péché doit avoir son principe dans la volonté. Mais dans l'homme il a une propriété bien étrange, c'est qu'il est tout ensemble volontaire et naturel. Les pélagiens ne comprenant point cette vérité, ne pouvaient souffrir que l'on leur parlât de ce péché d'origine avec lequel nous naissons, et disaient que cela allait à l'outrage de la nature, qui est l'œuvre des mains de Dieu. Ils n'entendaient pas que la source du genre humain étant corrompue, ce qui avait été volontaire seulement dans le premier père, avait passé en nature à tous ses enfants. Qu'est-il nécessaire de vous raconter plus au long l'histoire de nos malheurs? Vous savez assez que le premier homme, séduit par les infidèles conseils de ce serpent frauduleux , voulut faire une funeste épreuve de sa liberté ; et « qu'usant inconsidérément de ses biens, » ce sont les propres mots du saint pontife Innocent (1), il ne sut pas reconnaître la main qui les lui donnait : de sorte que son esprit s'étant élevé contre Dieu, il perdit l'empire naturel qu'il avait sur ses appétits. La honte qui jusqu'à ce temps-là lui avait été inconnue, fut la première de ses passions qui lui décela la conspiration de toutes les autres. Il s'était enflé d'une vaine espérance de savoir le bien et le mal; et il arriva par un juste jugement de Dieu que « la première chose dont il s'aperçut, c'est qu'il fallait rougir : » Nihil primùm senserunt quàm erubescendum, dit Tertullien (2). Cela est bien étrange. Il remarqua incontinent sa nudité, ainsi que nous apprend l'Ecriture (3). C'est qu'il commença à sentir une révolte à laquelle il ne s'attendait pas ; et la chair s'étant soulevée inopinément contre la raison, il était tout confus de ce qu'il ne pouvait la réduire.

Mais je ne m'aperçois pas que je m'arrête peut-être trop à des choses qui sont très-connues : il suffit présentement que vous

 

1 Epist. XXIX ad Concil. Carthag., n. 6; Epist. Rom. Pontif., édit. D. Constant. — 2 De Veland. virgin., n. 11. — 3 Genes., III, 7.

 

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remarquiez que nous naissons tous, pour notre malheur, de ces passions honteuses, qui étant suscitées par le péché, s'élèvent dans la chair à la confusion de l'esprit. Cela n'est que trop véritable. Et voici le raisonnement que saint Augustin en tire aprèsje Sauveur : « Qui naît de la chair est chair, » dit Notre-Seigneur en saint Jean (1) : Quod natum est ex carne caro est. Que veut dire cela? La chair en cet endroit, selon la phrase de l'Ecriture, signifie ces inclinations corrompues qui s'opposent à la loi de Dieu. C'est donc comme si notre Maître avait dit plus expressément : O vous, hommes misérables qui naissez de cette révolte, vous naissez par conséquent rebelles contre Dieu et ses ennemis : Quod natum est ex carne caro est ; vous recevez en même temps et par les mêmes canaux, et la vie du corps et la mort de l’âme ; qui vous engendre, vous tue; et la masse dont vous êtes formés étant infectée dans sa source, le péché s'attache et s'incorpore à votre nature. De là cette profonde ignorance, de là ces chutes continuelles, de là ces cupidités effrénées qui font tout le trouble et toutes les tempêtes de la vie humaine : Quod natum est ex carne caro est; et voyez, s'il vous plaît, où va cette conséquence.

Les philosophes enseignent que la naissance et la mort conviennent aux mêmes sujets. Tout ce qui meurt prend naissance, tout ce qui prend naissance peut mourir. C'est la mort qui nous ôte ce que la naissance nous donne. Vous êtes homme par votre naissance; vous ne cessez d'être homme que par la mort. L'union de l’âme et du corps se fait par la naissance, aussi est-ce la mort qui en fait la dissolution. Or jusqu'à ce que la nature soit guérie, être homme et être pécheur, c'est la même chose. L’âme ne tient pas plus au corps que le péché et ses mauvaises inclinations s’attachent pour ainsi dire à la substance de l’âme. Que si le péché a sa naissance, il aura par conséquent sa vie et sa mort : il a sa naissance par la nature corrompue, sa vie par nos appétits déréglés. Ce n'est donc pas sans raison que nous appelons une mort la guérison qui s'en fait par la grâce médicinale qui délivre notre nature; par où vous voyez que ce n'est pas sans raison que la conversion du pécheur s'appelle une mort. C'est pourquoi je ne

 

1 Joan., III, 6 ; S. August., Serm. CLXXIV, n. 9; Serm. CCXCIV, n. 16.

 

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m'étonne plus, grand Apôtre, si vous la nommez ordinairement de la sorte ; vous nous voulez faire entendre combien nos blessures sont profondes, combien le péché et l'inclination au mal nous est devenue naturelle, et que naissant avec nous, il ne faut rien moins qu'une mort pour l'arracher de nos âmes.

Voilà déjà, ce me semble, quelque éclaircissement de la pensée de saint Paul, tiré à la vérité, non des maximes orgueilleuses de la sagesse du siècle, mais des principes soumis et respectueux de l'humilité chrétienne. Nous n'avons point de honte d'avouer les infirmités de notre nature. Que ceux-là en rougissent qui ne connaissent pas le Libérateur. Pour nous au contraire, nous osons nous glorifier de nos maladies, parce que nous savons et la miséricorde du Médecin et la vertu du remède. Ce remède, comme vous le savez, c'est la mort de Notre-Seigneur; et puisque nous voilà tombés sur la considération du remède, il est temps désormais que nous entendions raisonner l'apôtre saint Paul. Le Fils de Dieu, dit-il, « est mort au péché, » mortuus est peccato ; « ainsi estimez, conclut-il, que vous êtes morts au péché, » ita et vos existimate mortuos quidem esse peccato (1). Que veut-il dire que Notre-Seigneur est mort au péché, lui qui dès le premier moment de sa conception a toujours vécu à la grâce ? Pour pénétrer sa pensée, il est nécessaire de reprendre la chose de plus haut et de vous mettre devant les yeux quelques points remarquables de la doctrine de saint Paul, dans lesquels j'entre par cet exemple.

Si jamais vous vous êtes rencontrés dans une place publique où l'on aurait exécuté quelque criminel, n'est-il pas vrai que par la qualité de la peine vous avez souvent jugé de l'horreur du crime, et qu'il vous a semblé voir quelque idée de leurs forfaits dans les marques de leurs supplices et dans leurs faces défigurées ? Vous êtes surpris peut-être que je vous propose un si funèbre spectacle. C'est pour vous faire avouer qu'il y a dans la peine quelque représentation de la coulpe. Oserons-nous bien maintenant, mon Sauveur, vous appliquer cet exemple? Jl le faut bien certes, puisque vous avez paru sur la terre comme un criminel. Vous avez désiré vous rendre semblable aux pécheurs.

 

1 Rom., VI, 10, 11.

 

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N'ayant point de péché, vous avez voulu néanmoins en subir toutes les peines pendant votre vie. Votre sainte chair a été travaillée des mêmes incommodités que le péché seul avait attirées sur la nôtre. C'est pourquoi saint Paul ose dire que vous vous êtes fait « semblable à la chair du péché : » Factus in similitudinem carnis peccati (1). Quelle bonté, chrétiens! Ce n'a pas été assez au Fils du Père éternel de revêtir sa divinité d'une chair humaine: cette chair plus pure que les rayons du soleil, qui méritait d'être ornée d'immortalité et de gloire, il la couvre encore, pour l'amour de nous, de l'image de notre péché ! n'est-ce pas de quoi nous confondre ? Que sera-ce donc si nous venons à considérer que c'est par ce moyen que nos péchés sont guéris? C'est ici, c'est ici le trait le plus merveilleux de la miséricorde divine (a).

Où était l'image du péché? En sa chair bénie. Où était le péché même? En vous et en moi, chrétiens. La chair du Sauveur, cette image innocente du crime, a été livrée entre les mains des bourreaux pour en faire à leur fantaisie; ils l'ont frappée, les coups ont porté sur le péché ; ils l'ont crucifiée, le péché a été crucifié ; ils lui ont arraché la vie, le péché a perdu la sienne. Et voilà justement ce que l'Apôtre veut dire. Le Sauveur selon sa doctrine est mort au péché, parce qu'abandonnant à la mort sa chair innocente qui en était l'image, il a anéanti le péché. Mais pourrons-nous conclure de là « qu'il faut que nous mourions avec lui, » ita et vos existimate mortuos quidem esse peccato ? Certainement, chrétiens, la conséquence en est bien aisée; il ne faut que lever les yeux et regarder notre Maître pendu à la croix. O Dieu, comment a-t-on traité sa chair innocente ? Quelque part où je porte ma vue, je n'y saurais remarquer aucune partie entière. Quoi ! parce qu'elle portait l'image du péché, il a bien voulu qu'elle fût ainsi déchirée ; et nous épargnerons le péché même qui vit en nos

 

1 Rom., VIII,3.

 

(a) Passage barré : On rapporte que parfois les magiciens, possédés en leur âme d'un désir furieux de vengeance, font des images de cire de leurs ennemis, sur lesquelles ils murmurent quelques paroles d'enchantement ; et après, ajoute-t-on, frappant ces statues, la blessure, par un fatal contre-coup, en retombe sur l'original. Est-ce fable ou vérité? Je vous le laisse à juger. Seulement sais-je bien qu'il s'est passé quelque chose de semblable en la personne de mon Maître. Où était l'image du péché... ?

 

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âmes, nous ne mortifierons point nos concupiscences (a), au contraire nous nous y laisserons aveuglément emporter ! Gardons-nous-en bien, chrétiens (b) ; il nous faut faire aujourd'hui un aimable échange avec le Sauveur. Innocent qu'il était, il s'est couvert de l'image de nos crimes, subissant la loi de la mort; criminels que nous sommes, imprimons en nous-mêmes la figure de sa sainte mort, afin de participer à son innocence. Car lorsque nous portons la figure de cette mort, par une opération merveilleuse de l'Esprit de Dieu, la vertu nous en est appliquée. C'est pour cela que l'Apôtre nous exhorte à porter l'image de Jésus crucifié sur nos corps mortels, à avoir sa mort en nos membres, à nous conformer à sa mort (1).

Mais quelle main assez industrieuse pourra tracer en nous cette aimable ressemblance? Ce sera l'amour, chrétiens, ce sera l'amour. Cet amour saintement curieux ira aujourd'hui avec Madeleine adorer le Sauveur dans sa sépulture ; il contemplera ce corps innocent gisant (c) sur une pierre, plus froid et plus immobile que la pierre; et là se remplissant d'une idée si sainte, il en formera les traits dans nos ames et dans nos corps. Ces yeux si doux, dont un seul regard a fait fondre saint Pierre en larmes, ne rendent plus de lumières : l'amour portera la main sur les nôtres, il les tiendra clos pour toute cette pompe du siècle, ils n'auront plus de lumière pour les vanités. Cette bouche divine, de laquelle inondaient des fleuves de vie éternelle, je vois que la mort l'a fermée : l'amour fermera la nôtre à jamais aux blasphèmes et aux médisances, il rendra nos cœurs de glace pour les vains plaisirs qui ne méritent pas ce nom; nos mains seront immobiles poulies rapines ; il nous sollicitera de nous jeter à corps perdu sur cet aimable mort et de nous envelopper avec lui dans son drap mortuaire. Aussi bien l'Apôtre nous apprend que « nous sommes ensevelis avec lui par le saint baptême : » Consepulti Christo in baptismo (2).

 

1 II Cor., IV, 10; Coloss., III, 5; Rom., VI, 5. — 2 Coloss., II, 12.

 

(a) Var. : Nos méchantes inclinations. — (b) Non, non, chrétiens. — (c) Lorsque nous parlons la figure de cette mort, la vertu nous en est appliquée. Allons donc aujourd'hui avec Madeleine adorer notre aimable Sauveur dans sa sépulture ; contemplons ce corps innocent gisant...

 

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La belle cérémonie qui se faisait anciennement dans l'Eglise au baptême des chrétiens ! c'était en ce jour qu'on les baptisait dans l'antiquité, et vous voyez que nous en retenons quelque chose dans la bénédiction des fonts baptismaux. On avait accoutumé de les plonger tout entiers et de les ensevelir sous les eaux ; et comme les fidèles les voyaient se noyer pour ainsi dire dans les ondes de ce bain salutaire, ils se les représentaient en un moment tout changés par la vertu du Saint-Esprit dont ces eaux étaient animées ; comme si sortant de ce monde à même temps qu'ils disparaissaient de leur vue, ils fussent allés mourir et s'ensevelir avec le Sauveur. Celte cérémonie ne s'observe plus, il est vrai; mais la vertu du sacrement est toujours la même, et partant vous devez vous considérer comme étant ensevelis avec Jésus-Christ.

Encore un petit mot de réflexion sur une ancienne cérémonie. Les chrétiens autrefois avoient accoutumé de prier debout et les mains modestement élevées en forme de croix, et vous voyez que le prêtre prie encore en cette action dans le sacrifice. Quelle raison de cela? Il me semble qu'ils n'osoient se présenter à la Majesté divine qu'au nom de Jésus crucifié. C'est pourquoi ils en pre-noient la figure et paraissaient devant Dieu comme morts avec Jésus-Christ. Ce qui a donné occasion au grave Tertullien d'adresser aux tyrans ces paroles si généreuses : Paratus est ad omne supplicium ipse habitus orantis christiani (1) : « La seule posture du chrétien priant affronte tous vos supplices ; » tant ils étaient persuadés, dans cette première vigueur des mœurs chrétiennes, qu'étant morts avec le Sauveur, ni supplices ni voluptés ne leur étaient rien. Et c'est (a) pour le même sujet qu'ils prenaient plaisir en toute rencontre d'imprimer le signe de la croix sur toutes les parties de leurs corps, comme s'ils eussent voulu marquer tous leurs sens de la marque du crucifié, c'est-à-dire de la marque et du caractère de mort. Pour la cérémonie, nous l'avons tous les jours en usage ; mais nous ne considérons guère le prodigieux

 

1 Apolog., n. 30.

(a) Var. : Et c'est ce détachement si entier que l'Apôtre entreprend de nous persuader aujourd'hui.

 

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détachement qu'elle demande de nous ; et c'est à quoi néanmoins l'apôtre saint Paul nous presse (a). Car le péché se contractant par la naissance, il ne se détache que par une espèce de mort ; il faut qu'il meure, car il faut qu'il s'applique et la ressemblance et la vertu de la mort de notre Sauveur, qui est l'unique guérison de ses maladies. Voilà déjà deux raisons : la première est tirée d'une propriété du péché; la seconde, de la qualité du remède. Oublierons-nous cette instruction particulière que nous avons promise? Elle me semble trop nécessaire, et ce n'est point tant une nouvelle raison qu'une conséquence que nous tirerons des deux autres.

Ecoutez, écoutez, pécheurs, la grave et sérieuse leçon de cet admirable docteur. Puisqu'il ne nous parle que de mort et de sépulture, ne vous imaginez pas qu'il ne demande de nous qu'un changement médiocre. Où sont ici ceux qui mettent tout le christianisme en quelque réformation extérieure et superficielle, et dans quelques petites pratiques? En vain vous a-t-on montré combien le péché tenait à notre nature, si vous croyez après cela qu'il ne faut qu'un léger effort pour l'en détacher. L'Apôtre vous a enseigné que vous devez traiter le péché comme Jésus-Christ en a traité la ressemblance en sa sainte chair. Voyez s'il l'a épargnée. Quel endroit de son corps n'a pas éprouvé la douleur de quelque supplice exquis? Et vous ne comprenez pas encore quelle obligation vous avez de rechercher dans le plus secret de vos cœurs tout ce qu'il y peut avoir de mauvais désirs, et d'en arracher jusqu'à la plus profonde racine ! Oui, je vous le dis, chrétiens, après le Sauveur : quand cet objet qui vous sépare de Dieu vous serait plus doux que vos yeux, plus nécessaire que votre main droite, plus aimable que votre vie, coupez, tranchez, abscide eum (1). Ce n'est pas sans raison que l'Apôtre ne nous prêche que mort. Il veut nous faire entendre qu'il faut porter le couteau jusqu'aux inclinations les plus naturelles, et même jusqu'à la source de la vie, s'il en est besoin.

 

1 Matth., V, 30.

 

(a) Var. : C'est-à-dire de la marque et du caractère de mort. Tant y a qu'ils n'avoient rien de plus présent dans l'esprit que cette pensée : il faut que tout chrétien meure avec Jésus-Christ; il faut qu'il meure, car le péché se contractant par la naissance...

 

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Saint Jean Chrysostome fait, à mon avis, une belle réflexion sur ces beaux mots de saint Paul : Mihi mundus crucifixus est, et ego mundo (1) : « Le monde m'est crucifié, et moi au monde. » Entendez toujours par le monde les plaisirs du siècle. « Ce ne lui était pas assez d'avoir dit que le monde était mort pour lui, remarque ce saint évêque (2); il faut qu'il ajoute que lui-même est mort au monde. Certes, poursuit le merveilleux interprète, l'Apôtre considérait que non - seulement les vivants ont quelques sentiments les uns pour les autres, mais qu'il leur reste encore quelque affection pour les morts, qu'ils en conservent le souvenir et rendent du moins à leurs corps les honneurs de la sépulture. Tellement que le saint Apôtre, pour nous faire entendre jusqu'à quel point le fidèle doit être dégagé des plaisirs du siècle : Ce n'est pas assez, dit-il, que le commerce soit rompu entre le monde et le chrétien, comme il l'est entre les vivants et les morts, parce qu'il y reste encore quelque petite alliance; mais tel qu'est un mort à l'égard d'un mort, tels doivent être l'un à l'autre le siècle et le chrétien. » Comprenez l'idée de ce grand homme ; et voyez comme il se met en peine de nous faire voir que pour les délices du monde, le fidèle y doit être froid, immobile, insensible (a) ; si je savais quelque terme plus significatif, je m'en servirais.

C'est pourquoi armez-vous, fidèles, du glaive de la justice; domptez le péché en vos corps par un exercice constant de la pénitence. Ne m'alléguez point ces vaines et froides excuses, que vous en avez assez fait et que vous avez déchargé le fardeau de vos consciences entre les mains de vos confesseurs. Ruminez en vos esprits ce petit mot d'Origène : Ne putes quòd innovatio semel facta sufficiat : ista ipsa novitas innovanda est (3) : « 11 faut renouveler la nouveauté même ; » c'est-à-dire que quelque participation que vous ayez de la sainteté et de la justice, fussiez-vous aussi justes comme vous présumez de l'être, il y a toujours mille choses à renouveler par une pratique exacte de la pénitence : à plus forte

 

1 Galat., VI, 14. — 2 Lib. II De Compunct., n. 2. — 3 Lib. V in Epist. ad Rom., n. 8.

 

(a) Var. : «Tels doivent être l'un à l'autre le siècle et le chrétien. Telle est, dit saint Jean Chrysostome, la philosophie de saint Paul, par laquelle il nous faut entendre que pour les délices du monde, le fidèle... »

 

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raison êtes-vous obligés de vous y adonner, n'ayant point expié vos fautes et sentant en vos âmes vos blessures toutes fraîches et vos mauvaises habitudes encore toutes vivantes. Et Dieu veuille que vous ne le connaissiez pas sitôt par expérience!

Mais il me semble que j'entends ici des murmures. — Quoi! encore la pénitence ! Eh ! on ne nous a prêché autre chose durant ce Carême; nous parlera-t-on toujours de pénitence?— Oui certes, n'en doutez pas, tout autant qu'on vous prêchera l'Evangile et la mort de notre Sauveur. Tu t'abuses, chrétien, tu t'abuses, si tu penses donner d'autres bornes à ta pénitence que celles qui doivent finir le cours de ta vie. Sais-tu l'intention de l'Eglise dans l'établissement du Carême? Elle voit que tu donnes toute l'année à des divertissements mondains; cela fâche cette bonne Mère. Que fait-elle? Tout ce qu'elle peut pour dérober six semaines à tes dérèglements. Elle te veut donner quelque goût de la pénitence, estimant que l'utilité que tu recevras d'une médecine si salutaire, t'en fera digérer l'amertume et continuer l'usage : elle t'en présente donc un petit essai pendant le Carême; si tu le prends, ce n'est qu'avec répugnance (a) ; tu ne fais que te plaindre et que murmurer durant tout ce temps.

Hélas! je n'oserais dire quelle est la véritable cause de notre joie dans le temps de Pâques. Sainte piété du christianisme, en quel endroit du monde t'es-tu maintenant retirée? On a vu le temps que Jésus en ressuscitant trouvait ses fidèles ravis d'une allégresse toute spirituelle, parce qu'elle n'avait point d'autre sujet que la gloire de son triomphe. C'était pour cela que les déserts les plus reculés et les solitudes les plus affreuses prenaient une face riante. A présent les fidèles se réjouissent, il n'est que trop vrai; mais ce n'est pas vous, mon Sauveur, qui faites leur joie. On se réjouit de ce qu'on pourra faire bonne chère en toute licence; plus déjeunes, plus d'austérités. Si peu de soin que nous avons peut-être apporté durant ce Carême à réprimer le désordre de nos appétits, nous nous en relâcherons tout à fait. Le saint jour de Pâques, destiné pour nous faire commencer une nouvelle vie avec le Sauveur, va ramener sur la terre les folles délices du

 

(a) Var. : Tu ne le prends qu'à ton corps défendant.

 

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siècle, si toutefois nous leur avons donné quoique trêve, et ensevelira dans l'oubli la mortification et la pénitence, tant la discipline est énervée parmi nous.

Ici vous m'arrêterez peut-être encore une fois pour me dire : Mais ne faut-il pas se réjouir dans le temps de Pâques? n'est-ce pas un temps de réjouissance? — Certes, je l'avoue, chrétiens; mais ignorez-vous quelle doit être la joie chrétienne, et combien elle est différente de celle du siècle? Le siècle et ses sectateurs sont tellement insensés, qu'ils se réjouissent dans les biens présens; et je soutiens que toute la joie du chrétien n'est qu'en espérance. Pour quelle raison? C'est que le chrétien dépend tellement du Sauveur, que ses souffrances et ses contentements n'ont point d'autres modèles que lui. Pourquoi faut-il que le chrétien souffre? Parce que le Sauveur est mort. Pourquoi faut-il qu'il ait de la joie? Parce que le même Sauveur est ressuscité. Or sa mort doit opérer en nous dans la vie présente, et sa résurrection seulement dans la vie future. Grand Apôtre, c'est votre doctrine; et partant notre tristesse doit être présente; notre joie ne consiste que dans des désirs et dans une généreuse espérance. Et c'est pour cette raison que (a) le saint Apôtre dit ces deux beaux mots, décrivant la vie des chrétiens : Spe gaudentes; et incontinent après : In tribulatione patientes (1). Savez-vous quelles gens ce sont que les chrétiens? Ce sont des personnes qui se réjouissent en espérance; el en attendant que sont-ils? Ils sont patients dans les tribulations. Que ces paroles, mes frères, soient notre consolation pendant les calamités de ces temps, qu'elles soient aussi la règle de notre joie durant ces saints jours! Ne nous imaginons pas que l'Eglise nous ait établi des fêtes pour nous donner le loisir de nous chercher des divertissements profanes, comme la plupart du monde semble en être persuadé. Nos véritables plaisirs ne sont pas de ce monde; nous en pouvons prendre quelque avant-goût par une fidèle attente, mais la jouissance en est réservée pour la vie future (b). Et pour ce siècle pervers dont Dieu abandonne l'usage à ses ennemis,

 

1 Rom., XII, 12.

 

(a) Var. : C'est pourquoi. — (b) Considérons que nos véritables plaisirs sont réservés pour la vie future ; seulement il nous est permis d'en prendre quelque avant-goût par une attente fidèle.

 

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songeons que la pénitence est notre exercice, la mort du Sauveur notre exemple, sa croix notre partage, son sépulcre notre demeure. Ah! ce sépulcre, c'est une mère; mon Maître y est entré mort, il l'a enfanté à une vie toute divine. Il faut qu'après y avoir trouvé la mort du péché, j'y cherche la vie de la grâce. C'est notre seconde partie.

 

SECOND POINT.

 

Saint Augustin distingue deux sortes de vie en l’âme : l'une « qu'elle communique au corps, et l'autre dont elle vit elle-même : » Aliud est enim in anima unde corpus vivificatur, aliud unde ipsa virificat (1). Comme « elle est la vie du corps, ce saint évèque prétend que Dieu est sa vie : » Vita corporis anima est, vita animœ Deus est (2). Expliquons, s'il vous plait, sa pensée et suivons son raisonnement. Afin que l’âme donne la vie au corps, elle doit avoir par nécessité trois conditions. Il faut qu'elle soit plus noble, car il est plus noble de donner que de recevoir. Il faut qu'elle soit unie, car il est manifeste que notre vie ne peut être hors de nous. Il faut qu'elle lui communique des opérations que le corps ne puisse exercer sans elle, car il est certain que la vie consiste principalement dans l'action. Que si nous trouvons que Dieu a excellemment ces trois qualités à l'égard de l’âme, sans doute il sera sa vie à aussi bon titre qu'elle-même est la vie du corps. Voyons en peu de mots ce qui en est.

Et premièrement, que Dieu soit sans comparaison au-dessus de l’âme, cela ne doit pas seulement entrer en contestation. Dieu ne serait pas notre souverain bien, s'il n'était plus noble que nous et si nous n'étions beaucoup mieux en lui qu'en nous-mêmes. Pour l'union, il n'y a non plus de sujet d'en douter à des chrétiens, après que le Sauveur a dit tant de fois « que le Saint-Esprit habiterait dans nos âmes (3), » et l'Apôtre, que « la charité a été répandue en nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (4). » Et en vérité, Dieu étant tout notre bonheur, il faut par nécessité qu'il se puisse unir à nos âmes, parce qu'il n'est pas concevable que notre

 

1 Tract, XIX in Joan., n. 12. — 2 Serm. CLXI, n. 6. — 3 Joan., XIV, 17. — 4 Rom., v, 5.

 

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bonheur et notre félicité ne soit point en nous. Reste donc à voir si notre âme, par cette union, est élevée à quelque action de vie dont sa nature soit incapable. Ne nous éloignons pas de saint Augustin. « Certes, dit ce grand homme, Dieu est une vie immuable; il est toujours ce qu'il est, toujours en soi, toujours à soi : » Ipse est semper in se, est ita ut est, non aliter anteà, aliter posteà (1). Il ne se peut faire que l’âme ne devienne meilleure, plus noble, plus excellente, s'unissant à cet Etre souverain, très-excellent et très-bon. Etant meilleure, elle agira mieux, et vous le voyez dans les justes. « Car leur âme, dit saint Augustin, s'élevant à un Etre qui est au-dessus d'elle et duquel elle est, reçoit la justice, la piété, la sagesse : » Cùm se erigit ad aliquid quod supra ipsam est et à quo ipsa est, percipit sapientiam, justitiam, pietatems. Elle croit en Dieu, elle espère en Dieu, elle aime Dieu. Parlons mieux. Comme saint Paul dit que « l'Esprit de Dieu crie et gémit et demande en nous, » Spiritus postulat pro nobis (3) : aussi faut-il dire que le même Esprit croit, espère et aime en nos aines, parce que c'est lui qui forme en nous cette foi, cette espérance et ce saint amour. Par conséquent aimer Dieu, croire en Dieu, espérer en Dieu, ce sont des opérations toutes divines, que l’âme n'aurait jamais sans l'opération, sans l'union, sans la communication de l'Esprit de Dieu. Ce sont aussi des actions de vie et d'une vie éternelle. Il est donc vrai que Dieu est notre vie.

O joie! ô félicité! qui ne s'estimerait heureux de vivre d'une belle vie? Qui ne la préférerait à toutes sortes de biens? Qui n'exposerait plutôt mille et mille fois cette vie mortelle, que de perdre une vie si divine? Cependant notre premier père l'avait perdue pour lui et pour ses enfants. Sans le Fils de Dieu nous en étions privés à jamais. « Mais je suis venu, dit-il, afin qu'ils vivent, et qu'ils vivent plus abondamment : » Ego veni, ut vitam habeant, et abundantiùs habeant (4). En effet j'ai remarqué avec beaucoup de plaisir que dans tous les discours du Sauveur qui nous sont rapportés dans son Evangile, il ne parle que de vie, il ne promet que vie. D'où vient que saint Pierre, lorsqu'il lui demande s'il le veut

 

1 Tract, XIX in Joan., n. 11. — 2 Ibid., n. 12. — 3 Rom., VIII,26. — 4 Joan., X, 10.

 

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quitter : « Maître, où irions-nous, lui dit-il, vous avez des paroles de vie éternelle (1)? » Et le Fils de Dieu lui-même : « Les paroles que je vous dis sont esprit et vie (2). » C'est qu'il savait bien que les hommes n'ayant rien de plus cher que vivre, il n'y a point de charme plus puissant pour eux que cette espérance de vie. Ce qui a donné occasion à Clément Alexandrin de dire dans cette belle hymne qu'il adresse à Jésus le roi des enfants, c'est-à-dire des nouveaux baptisés, que « ce divin Pêcheur, ainsi appelle-t-il le Sauveur, retirait les poissons de la mer orageuse du siècle et les attirait dans ses filets par l'appât d'une douce vie, » Dulci vità inescam (3).

Et c'est ici, chrétiens, où il est à propos d'élever un peu nos esprits, pour voir dans la personne du Sauveur Jésus l'origine de notre vie. La vie de Dieu n'est que raison et intelligence. Et le Fils de Dieu procédant de cette vie et de cette intelligence, il est lui-même vie et intelligence. Pour cela, il dit en saint Jean « que comme le Père a la vie en soi, aussi a-t-il donné à son Fils d'avoir la vie en soi (4). » C'est pourquoi les anciens l'ont appelé la vie, la raison, la lumière et l'intelligence du Père (5), et cela est très-bien fondé dans les Ecritures. Etant donc la vie par essence, c'est à lui à promettre, c'est à lui à donner la vie. L'humanité sainte qu'il a daigné prendre dans la plénitude des temps, touchant de si près à la vie, en prend tellement la vertu, « qu'il en jaillit une source inépuisable d'eau vive : quiconque en boira aura la vie éternelle (6). » Il serait impossible de vous dire les belles choses que les saints Pères ont dites sur cette matière, surtout le grand saint Cyrille d'Alexandrie (7). Souvenez-vous seulement de ce que l'on vous donne à ces redoutables autels. Voici le temps auquel tous les fidèles y doivent participer. Est-ce du pain commun que l'on vous présente? N'est-ce pas le pain de vie, ou plutôt n'est-ce pas un pain vivant que vous mangez pour avoir la vie? Car ce pain sacré, c'est la sainte chair de Jésus, cette chair vivante, cette chair conjointe à la vie, cette chair toute remplie et toute pénétrée d'un esprit vivifiant. Que si ce pain commun qui n'a

 

1 Jean., VI, 69. — 2 Ibid., 64. — 3 Tom. I, p. 312 edit. Oxoniens., 1715.— 4 Joan., V, 26 — Tertull., Advers. Prax., n. 5, 6; S. Athanas., Orat. contr. Gent., n. 46. — 6 Joan., IV, 14.— 7 S. Cyrill., In Joan., lib. IV, cap. II.

 

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pas de vie conserve celle de nos corps, de quelle vie admirable ne vivrons-nous pas, nous qui mangeons un pain vivant, mais qui mangeons la vie même à la table du Dieu vivant? Qui a jamais ouï parler d'un tel prodige, que l'on put manger la vie? Il n'appartient qu'à Jésus de nous donner une telle viande. Il est la vie par nature; qui le mange mange la vie. O délicieux banquet des enfants de Dieu! ô table délicate! ô manger savoureux! jugez de l'excellence de la vie par la douceur de la nourriture. Mais plutôt, afin que vous en connaissiez mieux le prix, il faut que je vous la décrive dans toute son étendue.

Elle a ses progrès, elle a ses âges divers. Dieu, qui anime les justes par sa présence, ne les renouvelle pas tout en un instant. Sans doute, si nous considérons tous les changements admirables que Dieu opère en eux durant tout le cours de cette vie bienheureuse, il ne se pourra faire que nous ne l'aimions; et si nous l'aimons, nous serons poussés du désir de la conserver immortelle. Imitons en nous l'immortalité du Sauveur. C'est à quoi j'aurai, s'il vous en souvient, à vous exhorter lorsque je serai venu à ma troisième partie. Et puisqu'elle a tant de connexion avec celle que nous traitons et qu'elle n'en est, comme vous voyez, qu'une conséquence, je joindrai l'une et l'autre dans une même suite de discours. Disons en peu de mots autant qu'il sera nécessaire pour se faire entendre.

Cet aigle de l’Apocalypse, qui crié par trois fois d'une voix foudroyante au milieu des airs : « Malheur sur les habitants de la terre : » Vœ, vœ, vœ habitantibus in terra (1) ! semble nous parler de la triple calamité dans laquelle notre nature est tombée. L'homme, dans la sainteté d'origine, étant entièrement animé de l'Esprit de Dieu, en recevoit ces trois dons, l'innocence, la paix. l'immortalité. Le diable par le péché lui a ravi l'innocence; la convoitise s'étant soulevée, a troublé sa paix; l'immortalité a cédé à la nécessité de la mort. Voilà l'ouvrage de Satan oppose à l'ouvrage de Dieu. Or le Fils de Dieu est venu « pour dissoudre l'œuvre du diable (2) » et réformer l'homme selon la première institution de son Créateur : ce sont les propres mots de saint Paul.

 

1 Apoc., VIII,13. — 2 Hebr., II, 14.

 

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Pour cela, il a répandu son Esprit dans l’âme des justes, afin de les faire vivre, et « cet Esprit ne cesse de les renouveler tous les jours. » Cela est encore de l'Apôtre : Renovatur de die in diem (1). Mais Dieu ne veut pas qu'ils soient changés tout à coup. Il y a trois dons à leur rendre; il y aura aussi trois différents âges par lesquels, de degré en degré, ils deviendront « hommes faits, » in virum perfectum (2). Grand Apôtre, ce sont vos paroles, et vous serez aujourd'hui notre conducteur. Et Dieu l'a ordonné de la sorte, afin de faire voir à ses bien-aimés les opérations de sa grâce les unes après les autres; de sorte que dans ce monde il répare leur innocence, dans le ciel il leur donne la paix, à la résurrection générale il les orne d'immortalité. Par ces trois âges « les justes arrivent à la plénitude de Jésus-Christ, » ainsi que parle saint Paul, in mensuram œtatis plenitudinis Christi (3). La vie présente est comme l'enfance. Celle dont les saints jouissent au ciel, ressemble à la fleur de l'âge. Après, suivra la maturité dans la résurrection générale. Au reste cette vie n'a point de vieillesse, parce qu'étant toute divine, elle n'est point sujette au déclin. De là vient qu'elle n'a que trois âges, au lieu que celle que nous passons sur la terre souffre la vicissitude de quatre différentes saisons.

Je dis que les saints en ce monde sont comme dans leur enfance, et en voici la raison. Tout ce qui se rencontre dans la suite de la vie se commence dans les enfants. Or nous avons dit que toute l'opération du Saint-Esprit, par laquelle il anime les justes, consiste à surmonter en eux ces trois furieux ennemis que le diable nous a suscités, le péché, la concupiscence et la mort. Comment est-ce que Dieu les traite pendant cette vie? Avant toutes choses il ruine entièrement le péché. La concupiscence y remue encore, mais elle y est combattue, et de plus elle y est surmontée. Pour la mort, elle y exerce son empire sans résistance; mais aussi l'immortalité est promise. Considérez ce progrès : le péché ruiné fait leur sanctification; la concupiscence combattue, c'est leur exercice ; l'immortalité promise est le fondement de leur espérance. Et ne remarquez-vous pas en ces trois choses les vrais caractères d'enfants? Comme à des enfants, l'innocence leur est

 

1 II Cor., IV, 16. — 2 Ephes., IV, 13. — 3 Ibid.

 

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rendue. Si le Saint-Esprit combat en eux la concupiscence , c'est pour les fortifier doucement par cet exercice et pour former peu à peu leurs linéaments selon l'image de Notre-Seigneur. Enfin y a-t-il rien de plus convenable que de les entretenir, comme des enfants bien nés, d'une sainte et fidèle espérance? Sainte enfance des chrétiens, que tu es aimable! Tu as, je l'avoue, tes gémissements et tes pleurs ; mais qui considérera à quelle hauteur doivent aller ces commencements et quelles magnifiques promesses y sont annexées, il s'estimera bienheureux de mener une telle vie.

Car, par exemple, dans l'âge qui suit après, que je compare avec raison à une fleurissante jeunesse, à cause de sa vigoureuse et forte constitution, quelle paix et quelle tranquillité y vois-je régner ! Ici-bas, chrétiens, de quelle multitude de vains désirs l’âme des plus saints n'y est-elle point agitée? Dieu y habite, je l'avoue; mais il n'y habite pas seul : il y a pour compagnons mille objets mortels que la convoitise ne cesse de leur présenter, parce que ne pouvant séparer les justes de Dieu auquel ils s'attachent , elle tâche du moins de les en distraire et de les troubler. C'est pourquoi ils gémissent sans cesse et s'écrient avec l'Apôtre : « Misérable homme que je suis, qui me délivrera de ce corps (1)? » Au lieu qu'à la vie paisible dont les saints jouissent au ciel, saint Augustin lui donne cette belle devise : Cupiditate extinctà, charitate complétà (2) : « La convoitise éteinte, la charité consommée. » Ces deux petits mots ont à mon avis un grand sens. Il me semble qu'il nous veut dire que l’âme ayant déposé le fardeau du corps, sent une merveilleuse conspiration de tous ses mouvements à la même fin ; il n'y a plus que Dieu en elle, parce qu'elle est tout en Dieu et possédée uniquement de cet esprit de vie dont elle expérimente la présence ; elle s'y laisse si doucement attirer, elle y jouit d'une paix si profonde, qu'à peine est-elle capable de comprendre elle-même son propre bonheur, tant s'en faut que des mortels comme nous s'en puissent former quelque idée.

Ne semble-t-il pas, chrétiens, que ce serait un crime de souhaiter quelque chose de plus? Et néanmoins vous savez qu'il y a un troisième âge où notre vie sera parfaite, parce que notre

 

1 Rom., VII, 24. — 2 S. August., Epist. CLXXXVII, n. 17.

 

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félicité sera achevée? Dans les deux premiers, Jésus-Christ éteint en ses saints le péché et la convoitise. Enfin dans ce dernier âge et du monde et du genre humain, après avoir abattu nos autres ennemis sous ses pieds, la mort domptée couronnera ses victoires. Comment cela se fera-t-il? Si vous me le demandez en chrétiens, c'est-à-dire non point pour contenter une vaine curiosité, mais pour fortifier la fidélité de vos espérances, je vous l'exposerai par quelques maximes que je prends de saint Augustin. Elles sont merveilleuses; car il les a tirées de saint Paul. Tout le changement qui arrive dans les saints se fait par l'opération de l'Esprit de Dieu. Or saint Augustin nous a enseigné que cet Esprit a sa demeure dans l'âme, à cause qu'il est sa vie. Si donc il n'habite point dans le corps, comment est-ce qu'il le renouvelle? Ce grand homme nous en va éclaircir par un beau principe. « Celui-là, dit-il, possède le tout, qui tient la partie dominante : » Totum possidet qui principale tenet : « En toi, poursuit-il, la partie qui est la plus noble, c'est-à-dire l’âme, c'est celle-là qui domine : » In te illud principatur quod melius est. Et incontinent il conclut : Tenens Deus quod melius est, id est animam tuam, profectò per meliorem possidet et inferiorem, quod est corpus tuum (1).« Dieu tenant ce qu'il y a de meilleur, c'est-à-dire ton âme, par le moyen du meilleur il entre en possession du moindre, c'est-à-dire du corps. »

Qu'inférerons-nous de cette doctrine de saint Augustin? La conséquence en est évidente : Dieu habitant en nos âmes a pris possession de nos corps. Par conséquent, ô mort, tu ne les lui sau-rois enlever ; tu t'imagines qu'ils sont ta proie, ce n'est qu'un dépôt que l'on consigne entre tes mains. Tôt ou tard Dieu rentrera dans son bien : « Il n'y a rien, dit le Fils de Dieu, qui soit si grand que mon Père ; ce qu'il tient en ses mains personne ne le lui peut ravir, ni lui faire lâcher sa prise : » Pater meus major omnibus est, et nemo potest rapere de manu Patris mei (2). Partant, ô abîmes, et vous flammes dévorantes, et toi terre, mère commune et sépulcre de tous les humains, vous rendrez ces corps que vous avez engloutis; et plutôt le monde sera bouleversé qu'un seul de nos

 

1 S. August., Serm. CLXI, n. 6. — 2 Joan., X, 29.

 

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cheveux périsse, parce que l'Esprit qui anime le Fils de Dieu, c'est le même qui nous anime. Il exercera donc en nous les mêmes opérations et nous rendra conformes à lui. Car remarquez cette théologie. Comme le Fils de Dieu nous assure « qu'il ne fait rien que ce qu'il voit faire à son Père (1), » ainsi « le Saint-Esprit qui reçoit du Fils, » De meo accipiet (2), le regarde comme l'exemplaire de tous ses ouvrages. Toutes les personnes dans lesquelles il habite, il faut nécessairement qu'il les forme à sa ressemblance. C'est ce que dit l'Apôtre en ces mots : « Si vous avez en vous l'Esprit de celui qui a vivifié Jésus-Christ, il vivifiera vos corps mortels (3). » Et de même que le germe que la nature a mis dans le grain de blé, se conservant parmi tant de changements et altérations différentes , produit en son temps un épi semblable à celui dont il est tiré, ainsi l'esprit de vie, qui de la plénitude de Jésus-Christ est tombé sur nous, nous renouvellera peu à peu selon les diverses saisons ordonnées par la Providence, et enfin nous rendra au corps et en la vie semblables à Notre-Seigneur, sans que la corruption ni la mort puissent empêcher sa vertu.

Et c'est pourquoi saint Paul, considérant aujourd'hui notre Maître ressuscité, nous presse si fort de ressusciter avec lui. Jusqu'ici, dit-il, la vie de mon Maître était cachée sous ce corps mortel. Nous ne connaissions pas encore ni la beauté de cette vie ni la grandeur de nos espérances; à présent je le vois tout changé ; il n'y a plus d'infirmité en sa chair, il n'y a rien qui sente le péché ni sa ressemblance, Peccato mortuus est (4). La divinité qui anime son esprit s'est répandue sur son corps. Je n'y vois paraître que Dieu, parce que je n'y vois plus que gloire et que majesté. Il ne vit qu'en Dieu, il ne vit que de Dieu, il ne vit que pour Dieu, Quod autem vivit, vivit Deo (5) . Courage, dit-il, nies frères ; ce que la foi nous fait croire en la personne du Vus de Dieu, elle nous le doit faire espérer pour nous-mêmes. Jésus est ressuscité corn me les prémices et les premiers fruits de notre nature. « Dieu nous ;i fait voir dans le grain principal, qui est Jésus-Christ, comment il traiterait tous les autres : » Datum est experimentum in principali

 

1 Joan., x, 19. — 2 Joan., XVI, 15. — 3 Rom., VIII, 11. — 4 Rom., VI, 10. — 5 Ibid.

 

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grano, dit saint Augustin (1). Jugez de la moisson par ces premiers fruits : Primitiœ Christus (2).

J'entends quelquefois les chrétiens soupirer après les délices de l'heureux état d'innocence. — O si nous étions comme dans le paradis terrestre ! — Justement certes, car la vie en était bien douce. Et l'Apôtre vous dit que vous n'êtes pas chrétiens, si vous n'aspirez à quelque chose de plus. Posséder cette félicité, c'est être tout au plus comme Adam; et il vous enseigne que vous devez tous être comme Jésus-Christ (3). On ne vous promet rien moins que d'être placés avec lui dans le même trône : Quivicerit, dabo ei, ut sedeat in throno meo, dit le Sauveur dans l’ Apocalypse (4) : « Celui qui sera vainqueur, je le placerai dans mon trône (a). »

Attendez-vous après cela, chrétiens, que je vous apporte des raisons pour vous faire voir que cette vie doit être immortelle ? N'est-ce pas assez de vous en avoir montré la beauté et les espérances , pour y porter vos désirs ? Certes quand je vois des chrétiens qui viennent dans le temps de Pâques puiser cette vie dans les sources des sacrements et retournent après à leurs premières ordures, je ne saurais assez déplorer leur calamité. Ils mangent la vie, et retournent à la mort. Il se lavent dans les eaux de la pénitence, et puis après au bourbier. Ils reçoivent l'esprit de Dieu,

 

1 Serm. CCCLXI,  n. 10. — 2 I Cor., XV, 23. — 3 Coloss., III, 4. — 4 Apoc., III, 21.

 

(a) Var. : J'entends quelquefois les chrétiens soupirer après les délices du paisible état d'innocence. Justement, certes, car la vie eu était bien heureuse. Sachez néanmoins que vous n'êtes pas chrétiens, si vous n'aspirez à une condition plu-haute. Posséder cette félicité, c'est être tout au plus comme Adam, et l'Apôtre nous dit que nous devons tous être comme Jésus-Christ. Il est monté au ciel ; et en sa personne ont été consacrées les prémices de notre nature, c'est-à-dire comme les premiers fruits du père de famille, primitiae Christus, quand le laboureur achèvera sa récolte et recueillera tout son grain, c'est-à-dire tous les fidèles. Cependant considérez comme il a traité le grain principal qui est Jésus-Christ, c'est ainsi qu’il l’appelle lui-même; et jugez du reste de la moisson par les premiers fruits: Datum est experimentum in principali grano, dit saint Augustin (Serm. CCCXLIX, n. 10). C'est pourquoi saint Paul considérant aujourd'hui notre Maître vainqueur de la mort, ne peut plus retenir sa joie : Je le vois, je le vois, dit il, dans un bien autre appareil qu'il n était sur la terre. Il n'y a plus rien qui sente le péché ni sa ressemblance, peccato mortuus est ; il a dépouillé ce. te mortalité qui cachait sa gloire. La divinité dont son esprit était animé paraît de tous côtés sur son corps. Il ne vit plus que de Dieu et pour Dieu : Quòd autem vivit, vivit Deo; je ne vois plus que Dieu eu lui, parce que je n'y vois plus que gloire et que majesté. Je sais que si je commence à vivre avec lui sur la terre, son esprit qui me fera vivre me renouvellera sur son image.

 

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et vivent comme des brutes. Fous ! insensés ! Et ne comprenez-vous pas la perte que vous allez faire? Que de belles espérances vous allez tout à  coup ruiner! Conservez chèrement cette vie-peut-être que si vous la perdez cette fois, elle ne vous sera jamais rendue. Dans la première intention de Dieu, elle ne se devait donner ni se perdre qu'une seule fois. Considérez cette doctrine. Adam l'avait perdue : c'en était fait pour jamais; si le Fils de Dieu ne fût intervenu, il n'y avait plus de ressource. Enfin il nous la rend par le saint baptême. Et si même nous venons à violer l'innocence baptismale, il se laisse aller à la considération de son Fils à nous rendre encore la grâce par la pénitence. Mais il ne se relâche pas tout à fait de son premier dessein. Plus nous la perdons de fois, et plus il se rend difficile. Dans le baptême il nous la donne aisément; à peine y pensons-nous. Venons-nous à la perdre, il faut avoir recours aux larmes et aux travaux de la pénitence. Que s'il est vrai qu'il se rende toujours plus difficile, ô Dieu ! où en sommes-nous, chrétiens, nous qui l'avons tant de fois reçue et tant de fois méprisée? Combien s'en faut-il que notre santé ne soit entièrement désespérée ? Tertullien dit que ceux qui craignent d'offenser Dieu après avoir reçu la rémission de leur faute, « appréhendent d'être à charge à la miséricorde divine : » Nolunt iterum divinœ misericordiœ oneri esse (1). Donc ceux qui ne le craignent pas, sont à charge à la miséricorde divine (a). Tu crois

 

1 Tertull., De Pœnit., n. 7.

 

(a) Passage barré: Comment cela se fait-il? Un exemple familier. Un pauvre homme pressé de misère vous demande votre assistance. Vous le soulagez selon votre pouvoir; mais vous ne le tirez pas de nécessité. Il revient à vous avec crainte; à peine ose-t-il vous parler : il ne vous demande rien ; sa nécessité sa misère, et plus que tout cela sa retenue vous demande. Il ne vous importune pas il ne vous est pas à charge. Tout votre regret, c'est de ne pouvoir pas le soulager davantage. Voilà le sentiment d'un bon cœur. Mais un autre vient à vous qui vous presse, qui vous importune ; vous vous excusez honnêtement. Il ne vous prie pas comme d'une grâce; mais il semble exiger comme si c'était une dette. Sans doute il vous est à charge; vous cherchez tous les moyens de vous en défaire. Il en est de même à l'égard de Dieu. In chrétien a succombé à quelque tentation. La fragilité de la chair la emporté , incontinent il revient. — Qu'ai-je l'ait? Où me suis-je engagé ? — La larme à l'œil, le regret dans le cœur, la confusion sur la face, il vient crier miséricorde; il en devient plus soigneux. Ah ! je l'ose dire, il n'est point à charge à la miséricorde divine. Mais toi, pécheur endurci, qui ne rougis pas d'apporter toujours les mêmes ordures aux eaux de la pénitence, il y a tant d'années que tu charges des mêmes récits les oreilles d'un confesseur ! Si tu avais bien conçu que la grâce ne t'est point due, tu appréhenderais plus de la perdre, tu craindrais qu'à la fin Dieu ne retirât sa main. Mais que tu y reviennes si souvent sans crainte, sans tremblement, il tant bien que tu t'imagines qu'elle te soit  due. Tu trois que Dieu sera toujours bien aise .... — (a) Var. : Dans lesquelles vous avez tant de fois éprouvé votre infirmité.

 

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que Dieu sera toujours bien aise de te recevoir? Sache que tu es à charge à sa miséricorde, qu'il ne te fait pour ainsi dire du bien qu'à regret; et que si tu continues, il se défera de toi et ne te permettra pas de te jouer ainsi de ses dons.

C'est une parole effroyable des Pères du concile d'Elvire : « Ceux, disent-ils, qui après la pénitence retourneront à leur faute, qu'on ne leur rende pas la communion même à l'extrémité de la vie, de peur qu'ils ne semblent se jouer de nos saints mystères, » ne lusisse de dominicâ communione videantur (1). Cette raison est bien effroyable , et encore plus si nous venons à considérer que cette communion dont ils parlent était une chose, en ce temps, dont on ne pouvait abuser que deux fois. On la donnait par le baptême ; la perdait-on par quelque crime, encore une seconde ressource dans la pénitence; après, plus. En violer la sainteté par deux fois, ils appelaient cela s'en jouer.

O Dieu, si nous avions à rendre raison de nos actions dans ce saint concile, quelles exclamations feraient-ils? Comment éviterions-nous leurs censures? Ces évêques nous prendraient-ils pour des chrétiens, nous dont les pénitences sont aussi fréquentes que les rechutes, qui faisons de la communion, je n'oserais presque le dire, comme un jeu d'enfant : cent fois la quitter, cent fois la reprendre. C'est pourquoi éveillons-nous, chrétiens, et tâchons du moins que nous soyons cette fois immortels à la grâce avec le Sauveur. Ne soyons pas comme ceux qui pensent avoir tout fait quand ils se sont confessés : le principal reste à faire, qui est de changer ses mœurs et de déraciner ses mauvaises habitudes. Si vous avez été justifiés , vous n'avez plus à craindre la damnation éternelle; mais pour cela ne vous imaginez pas être en sûreté, ne accepta securitas indiligentiam pariat. Craignez le péché, craignez vos mauvaises inclinations, craignez ces fâcheuses rencontres dans lesquelles votre innocence a tant de fois fait naufrage (a). Que cette crainte vous oblige à une salutaire précaution.

 

1 Can. III, Labb., tom. I, col 971.

 

 

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Car la pénitence a deux qualités également nécessaires. Elle est le remède pour le passé, elle est une précaution pour l'avenir. La disposition pour la recevoir comme remède du passé, c'est la douleur des péchés que nous avons commis. La disposition pour la recevoir comme précaution de l'avenir, c'est une crainte filiale de ceux que nous pouvons commettre et des occasions qui nous y entraînent. Dieu nous puisse donner cette crainte qui est la garde de l'innocence.

Ah ! chrétiens, craignons de perdre Jésus, qui nous a gagnés par son sang. Partout où je le vois, il nous tend les bras. Jésus crucifié nous tend les bras : Viens-t'en, dit-il, ici mourir avec moi. Il y fait bon pour toi, puisque j'y suis. Jésus ressuscité nous tend les bras et nous dit : Viens vivre avec moi, tu seras tel que tu me vois. Je suis glorieux, je suis immortel ; sois immortel à la grâce, et tu le seras à la gloire.

 

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