I Cène XLIV-XCIX
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LA CÈNE.

 

PREMIÈRE PARTIE.
CE QUI S'EST PASSÉ DANS LE CÉNACLE,
ET AVANT QUE JÉSUS-CHRIST SORTIT.
(SUITE)

 

 

 XLIV JOURNÉE.  Communion indigne. I Cor., XI, 27-30.

XLVe JOURNÉE.  Qui sont ceux qui communient indignement.

XLVIe JOURNÉE.  La communion est la préparation à la mort de Jésus-Christ. I Cor., XI, 26.

XLVIIe JOURNÉE.  La persévérance, effet de la communion. Joan., VI, 57.

XLVIIIe JOURNÉE.  S'éprouver soi-même. I Cor., XI, 28.

XLIXe JOURNÉE.  Sommaire de la doctrine de l'Eucharistie.

Le JOURNÉE.  L'Eucharistie est la force de l’âme et du corps.

LIe JOURNÉE.  L'Eucharistie est le viatique des mourants.

LIIe JOURNÉE.  L'Eucharistie jointe par Jésus-Christ au banquet ordinaire, figure de la joie du banquet éternel, lbid.

LIIIe JOURNÉE.  L'Eucharistie unie par Jésus-Christ au repas commun, est plus semblable à l'ancienne pâque. Ibid.

LIVe JOURNÉE.  L'Eucharistie jointe au repas commun apprend à sanctifier tout ce qui sert à nourrir le corps. lbid.

LVe JOURNÉE.  Pouvoir donné à l'Eglise de changer ce qui n'est pas de l'essence de l'institution divine. La communion sous une espèce suffisante et parfaite. lbid.

LVIe JOURNÉE.  Adoration, exposition, réserve de l'Eucharistie.

LVIIe JOURNÉE.  Le sacrifice.

LVIIIe JOURNÉE.  Simplicité et grandeur de ce sacrifice.

LIXe JOURNÉE.  L'Agneau devant le trône de Dieu. Apoc., V, 6.

LXe JOURNÉE.  Jésus notre victime donné à la croix, donné dans l'Eucharistie. Luc, XXII, 19, 20.

LXIe JOURNÉE.  L'Eucharistie est le sang du Nouveau Testament. Matth., XXVI, 28.

LXIIe   JOURNÉE.  C'est le Nouveau Testament par le sang de Notre-Seigneur.

LXIIIe JOURNÉE.  La Messe est la continuation de la Cène de Jésus-Christ, lbid.

LXIVe JOURNÉE.  La communion. II faut communier au moins en esprit. Ibid.

LXVe JOURNÉE.  L'action de grâces. Matth., XXVI, 30.

LXVIe JOURNÉE.  Trahison de Judas découverte. Joan., XIII, 26, 30.

LXVIIe JOURNÉE.  Autorité légitime établie, domination interdite dans l'Eglise. Luc, XXII, 24.

LXVIIIe JOURNÉE.  Royaume de Dieu, à qui destiné. Luc, XXII, 28-30.

LXIXe JOURNÉE.  Pouvoir de Satan.

LXXe JOURNÉE.  Primauté de saint Pierre, prédiction de sa chute par son orgueil. Luc., XXII, 31, 34.

LXXIe JOURNÉE.  Construction de l'Eglise. Prière de Notre-Seigneur pour saint Pierre : et en sa personne pour les élus. Luc, XXII, 32.

LXIIe JOURNÉE.  La foi de saint Pierre est la foi de l'Eglise de Rome, où est le centre de l'unité catholique. Luc, XXII, 32.

LXXIIIe JOURNÉE.  Soin de Jésus pour les apôtres. Il est mis au rang des scélérats. Luc, XXII, 35, 36; Marc, XV, 28.

LXXIV JOURNÉE.  Glorification de Jésus. Joan., XIII, 31, 32.

LXXVe JOURNÉE. Commandement de l'amour. Joan., XIII, 1, 33-35.

LXXVIe JOURNÉE.   Présomption et chute de saint Pierre. Joan., XIII, 33 et seq.

LXVIIe JOURNÉE.  Préparation à l'intelligence des plus hautes vérités par la soumission et par une sainte frayeur.

LXXVIIIe JOURNÉE.  Confiance en Jésus-Christ notre intercesseur. Ibid.

LXXIXe JOURNÉE.  Jésus-Christ est notre assurance et notre repos. Joan., XIV, 3-6.

LXXXe JOURNÉE.  Jésus-Christ est la voie, la vérité et la vie. Joan., XIV, 6.

LXXXIe JOURNÉE. Jésus-Christ est notre lumière. Ibid.

LXXXIIe JOURNÉE.  Nul ne vient à son Père que par Jésus-Christ. Ibid.

LXXXIIIe JOURNÉE.  Dieu seul nous suffit. Joan., XIV, 8.

LXXXIV JOURNÉE.  C'est dans le Père qu'on voit le Fils. Joan., XIV, 9.

LXXXVe JOURNÉE.  Le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père, Joan., XIV, 10.

LXXXVIe JOURNÉE.  Jésus le Verbe éternel nous fait voir le Père. Ibid.

LXXXVIIe JOURNÉE.  Jésus-Christ opérant ses miracles, nous fait voir le Père dans ses œuvres. Ibid.

LXXXVIIIe JOURNÉE.  Les miracles des apôtres plus grands que ceux de Jésus-Christ. De quelle manière. Joan., XIV, 12.

LXXXIXe JOURNÉE.  Ce qu'il faut demander et désirer : aimer et garder ses commandements, Joan., XIV, 15, 21.

XCe JOURNÉE.  Promesse de l'Esprit consolateur, ce que c'est que le monde. Joan., XIV, 15-17.

XCIe JOURNÉE.  La demeure de Jésus-Christ et sa manifestation dans les saintes âmes. Joan., XIV, 17.

XCIIe JOURNÉE.  La prédestination, le secret en est impénétrable. Joan., XIV, 22.

XCIIIe JOURNÉE.  Demeure fixe du Père et du Fils dans les âmes. Joan., XIV, 23.

XCIVe JOURNÉE.  Etat ferme de la vie chrétienne. Joan., XIV, 16-23.

XCVe JOURNÉE.  Le Maître intérieur. Joan., XIV, 23, 20.

XCVIe JOURNÉE.  Paix intérieure. Joan., XIV, 27.

XCVIIe JOURNÉE.  Paix imperturbable. Joan., XIV, 27.

XCVIIIe JOURNÉE.  Jésus-Christ rentre en sa gloire, retournant à son Père. Joan., XIV, 28.

XCIXe JOURNÉE.  Jésus-Christ prédit tout ce qui lui doit arriver, il va volontairement à la mort. Joan., XIV, 29.

 

XLIV JOURNÉE.
Communion indigne. I Cor., XI, 27-30.

 

Et ceux qui sans quitter l'Eglise, en conservant la vraie foi du corps et du sang de Jésus-Christ, les reçoivent indignement, sont-ils tirés par le Père céleste ? Les a-t-il donnés à Jésus-Christ, et viennent-ils à lui comme il faut ? Non sans doute, puisque bien éloignés de recevoir la vie, saint Paul dit « qu'ils boivent et mangent leur condamnation, parce qu'ils ne discernent pas le corps du Seigneur (2). »

Le saint Apôtre parle ici d'une manière terrible, puisqu'après avoir rappelé dans la mémoire des fidèles que Jésus-Christ avait dit que ce qu'il donnait à manger était son corps, le même qui devait être percé et rompu à la croix, et que la coupe qu'il leur donnait à boire était, par le sang versé qu'elle contenait, l'instrument de l'alliance et du testament que le Sauveur faisait à leur avantage, il en conclut « que ceux qui mangent ce pain : » remarquez « ce pain, » c'est-à-dire ce pain fait corps, ainsi qu'il vient

 

2 I Cor., XI, 29, 30.

 

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de le raconter ; « et boivent la coupe du Seigneur indignement, sont coupables de son corps et de son sang (1). » Et qu'est-ce qu'en être coupable, si ce n'est non-seulement les profaner, mais encore leur faire un outrage de même nature que celui qui leur avait été fait par les Juifs, lorsqu'ils déchirèrent l'un et répandirent l'autre ? Et c'est pourquoi « ils boivent et mangent leur condamnation, » parce que semblables à ces perfides, « ils n'avaient mis aucune différence entre le corps de Jésus-Christ » et celui des voleurs qu'ils avaient crucifiés avec lui. Et remarquez que l'outrage que les Juifs avaient fait à Jésus-Christ, regardait précisément son corps : car ce n'est qu'au corps qu'on peut nuire, en le livrant à la mort, conformément à cette parole : « Ne craignez pas ceux qui ne peuvent que tuer le corps, et ne peuvent pas étendre plus loin leur puissance (2). » Les Juifs donc outragèrent ce corps en lui-même et en sa propre substance, lorsqu'ils le mirent en croix ; ils outragèrent ce sang en lui-même et en sa propre substance , lorsqu'ils le firent couler sur la terre par un infâme supplice, comme si c'eût été le sang d'un coupable. Vous faites un semblable sacrilège, lorsque vous mangez et buvez indignement ce corps et ce sang : vous les profanez, vous les outragez en eux-mêmes ; et cet outrage que vous faites au corps du Sauveur est de ne le pas discerner, de n'en pas connaître la sainteté ni le prix. Or il ne dit pas qu'ils ne le reçoivent point faute de foi, comme le disent nos hérétiques ; mais qu'ils ne le discernent pas, en supposant qu'ils le reçoivent : comme on dirait d'une pierre précieuse que vous jetteriez dans la boue comme une autre pierre , après l'avoir reçue, non pas que vous ne l'avez point reçue, mais que vous n'en avez pas fait le discernement et l'estime qu'il fallait.

Ce n'est pas non plus ce que disent encore ces hérétiques : Vous êtes coupable de ce corps et de ce sang, comme on est coupable envers la personne du prince, lorsqu'on en déchire injurieusement le tableau. Car il n'est point ici parlé de tableau ni de figure : l'Apôtre fait aller de même rang : « Ceci est mon corps : Coupable du corps ; » et : « Ne pas discerner le corps. » Il ne faut point diminuer le crime de ceux contre qui l'Apôtre s'élève, ni

 

1 I Cor., XI, 27. — 2 Luc, XII, 4.

 

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affaiblir l'horreur qu'on en doit avoir. Il est vrai qu'en traitant indignement l'image du prince, on l'attaque , on le déshonore lui-même , mais par une injure bien inférieure à celle qu'on lui ferait en attentant sur sa personne sacrée. L'attentat des chrétiens qui mangent indignement le corps du Sauveur et boivent indignement son sang, est de ce dernier genre ; c'est un attentat fait immédiatement sur sa personne. En un mot, il y a deux choses à considérer dans le supplice de Jésus-Christ : le crime des Juifs et l'obéissance du Sauveur. Ceux qui reçoivent dignement son corps et son sang, participent au mérite de son obéissance : ceux qui les reçoivent indignement, participent au sacrilège de ses meurtriers, et attentent comme eux immédiatement sur sa personne adorable.

Seigneur, tirez-nous à vous : inspirez-nous un juste discernement du corps que nous recevons : ne le traitons pas comme une chose immonde, en le recevant dans un corps impur et souillé. « Les choses saintes sont pour les saints, » comme on criait autrefois au peuple fidèle, lorsqu'on allait distribuer le corps de Jésus-Christ. Ne le touchons pas avec des mains sacrilèges : ne le recevons pas avec une bouche impure : ne lui donnons pas un baiser de Judas, un baiser de traître : que ce soit un baiser d'épouse , un baiser rempli d'ardeur et qui soit le gage d'un chaste et perpétuel amour : « Qu'il me baise du baiser de sa bouche (1), » d'un baiser d'époux : que je lui donne aussi le baiser d'épouse, celui que lui donnent les vierges, les âmes chastes dont il est aimé. « Tirez-nous, » Seigneur, à ce chaste et doux baiser : « tirez-nous, et nous courrons après vos parfums. Ceux qui sont droits vous aiment (2) : » ce sont ceux-là qui vous donnent ce saint baiser, ce baiser de paix et d'un amour éternel. Car « personne ne vient à moi que mon Père ne le tires : » personne ne vient à moi, qu'il ne lui soit donné par mon Père : nul ne communie dignement que par cet attrait.

 

1 Cant., I, 1. — 2 Ibid., 3. — 3 Joan., VI, 44, 66.

 

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XLVe JOURNÉE.
Qui sont ceux qui communient indignement.

 

Lisez, I Cor., chap. X, depuis le verset 16 jusqu'au 22. C'est encore une terrible sentence contre ceux qui communient indignement : « Vous ne pouvez pas boire du calice du Seigneur et du calice des démons : vous ne pouvez pas participer à la table du Seigneur et à la table du démon (1). »

Boire la coupe des démons, ce n'est pas seulement boire dans la coupe dont on leur fait une effusion : c'est boire à longs traits les plaisirs du monde, par lesquels on se livre à eux. Participer à la table des démons, ce n'est pas seulement manger des viandes qui leur ont été immolées : c'est se livrer à l'avarice qui est une idolâtrie, à la gourmandise par laquelle on fait un dieu de son ventre, à tous les autres vices par lesquels on livre aux démons ce qui était dû à Dieu.

Mais un des péchés que l'Eucharistie souffre le moins, c'est celui de la dissension et de la haine contre son frère. Car le propre effet de l'Eucharistie, c'est de nous unir pour ne faire qu'un même corps, selon ce que dit saint Paul : « Quoique nous soyons plusieurs , nous ne sommes tous ensemble qu'un même pain et un même corps, nous tous qui participons à un même pain (2). » Quiconque donc prend ce pain de vie, qui prend ce corps qui nous est donné sous la forme et sous l'espèce du pain pour sustenter notre aine, qui étant distribué à plusieurs, demeure toujours le même et parfaitement le même ne souffrant aucune division en sa substance : doit être un avec tous les membres, comme il doit être un avec Jésus-Christ. Et c'est l'impression que porte en soi le pain sacré de l'Eucharistie. Celui-là donc qui la reçoit ayant la haine dans le cœur contre son frère, fait violence au corps du Sauveur, puisqu'il vient pour nous, faire un même corps, et que nous demeurons dans la division,

Mais qu'arrivera-t-il à ceux, qui demeurent ainsi divisés, pendant

 

1 I Cor., X, 20, 21. — 2 Ibid., 17.

 

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que le corps de Jésus-Christ les vient unir ? Ce divin corps ne peut demeurer sans efficace : ceux qui ne veulent pas se laisser unir, il les brise, il les met en pièces, il les divise contre eux-mêmes ; leur propre conscience les condamne ; il les arrache de son unité, il les sépare de son corps mystique. S'ils y demeurent à l'extérieur, ils en sont séparés selon l'esprit ; ce sont des membres pourris, « des arbres infructueux, doublement morts, déracinés, » comme disait l'apôtre saint Jude (1). Ils semblent être encore sur pied et se tenir sur leur racine ; mais ils ont la mort dans le sein et leur racine ne tire plus de nourriture.

« Allez » donc, et comme le Sauveur vous l'a ordonné lui-même, « allez vous réconcilier avec votre frère (2) : » non-seulement vous n'êtes pas digne de participer à l'autel, mais encore vous n'êtes pas digne d'y offrir votre présent : non-seulement vous n'êtes pas digne de participer à l'oblation de l'autel, mais vous n'êtes pas digne d'y assister. Le sang de Jésus-Christ, qu'on lève au ciel, crie vengeance contre vous, parce que c'est un sang qui « a pacifié et réconcilié toutes choses dans le ciel et dans la terre (3), » et non-seulement les hommes avec Dieu, mais encore les hommes entre eux. Et vous n'écoutez pas « la voix de ce sang qui parle mieux que celui d'Abel (4). » Car il parle pour la paix, et le sang d'Abel criait vengeance : mais vous le contraignez à crier vengeance, si vous rejetez la paix fraternelle pour laquelle il est répandu. Ce sang crie au meurtre, à la vengeance : vous êtes le meurtrier contre qui il crie : « car celui qui hait son frère est homicide (5). » Retirez-vous, malheureux, fuyez la voix de ce sang.

 

XLVIe JOURNÉE.
La communion est la préparation à la mort de Jésus-Christ. I Cor., XI, 26.

 

« Toutes les fois que vous mangerez ce pain (de vie), et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur, jusqu'à

 

1 Jud., ep. 12. — 2 Matth., X, 23, 24. — 3 Coloss., 13 20. — 4 Hebr., XII, 84.— 5 I Joan., III, 15.

 

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ce qu'il vienne (1). » Vous l'annoncerez comme une chose déjà accomplie pour le salut du genre humain : vous l'annoncerez comme une chose qui se doit continuer en quelque façon jusqu'à la fin des siècles : la mort de Jésus-Christ est toujours présente dans l'Eucharistie, par la séparation mystique de son corps et de son sang : l'impression de la mort de Jésus-Christ se doit faire sur tous les fidèles, qui à l'imitation du Fils de Dieu se doivent rendre eux-mêmes des victimes : toute la vertu de la croix est dans ce mystère : on y annonce par tous ces moyens la mort du Sauveur.

Quelle est la vertu de la croix? « Quand je serai élevé de terre, je tirerai tout à moi (2). » L'effet a suivi la parole : tout est venu à Jésus crucifié : telle est la vertu de sa croix. Cette vertu est toute vivante dans l'Eucharistie : ceux-là y croient, ceux-là en profitent et la reçoivent clignement, que le Père tire à son Fils. Jésus-Christ dit qu'ils vivent par lui, qu'ils vivent pour lui, comme lui-même il vit par son Père et pour son Père : ils n'ont d'autre vie que la sienne : sa chair est toute pleine de l'esprit qui nous communique cette vie : tout est esprit : tout est vie dans ce mystère : toute l'efficace de la croix pour nous tirer à Jésus, pour nous faire vivre en lui et de lui, y est renfermée. Quelle violence souffre le Sauveur, quand on ne répond pas à son amour : quand on ne se laisse pas posséder à lui : quand on résiste à la force avec laquelle il nous tire! Si on lui refuse son cœur, pendant que non-seulement il le demande, mais qu'il fait pour ainsi parler de si grands efforts pour se l'unir, c'est un époux méprisé qui entre en fureur contre son épouse insensible : il n'y a plus pour elle que la damnation et la mort. Hélas! hélas! tout est perdu : de toute la force dont il nous tirait, il nous repousse et nous détruit.

 

XLVIIe JOURNÉE.
La persévérance, effet de la communion. Joan., VI, 57.

 

« Qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui (3). » Le grand don après lequel soupirent les chrétiens

 

1 I Cor., XI, 26. — 2 Joan., XII, 32. — 3 Ibid., 57.

 

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est celui de la persévérance, qui nous assure la couronne, qui nous unit, qui nous incorpore à Jésus-Christ, pour nous faire éternellement un avec lui, sans jamais en pouvoir être séparés. Voilà le grand don de Dieu, celui qui est joint à sa prédestination éternelle, et Jésus-Christ nous apprend qu'il y a dans l'Eucharistie une grâce particulière pour nous l'obtenir. Si donc nous voulons persévérer dans la vertu, il faut communier, et communier souvent. Car c'est le plus puissant moyen qui nous soit donne pour obtenir la persévérance (1); c'est le pain des chrétiens, leur nourriture ordinaire et de tous les jours. O mon Dieu, que les chrétiens ont le cœur dur, puisqu'ils viennent si rarement à la sainte table! S'ils goûtaient Jésus-Christ crucifié, ils viendraient célébrer souvent le mystère de cette mort. On est touché le Vendredi saint, à cause qu'on y célèbre la mémoire de la mort du Sauveur. Venez, mes enfants; c'est tous les jours le Vendredi saint : tous les jours on érige le Calvaire sur le saint autel : venez, et souvenez-vous de cette mort qui est votre vie; venez recevoir un sacrement où l'on apprend à demeurer en Jésus-Christ, où l'on reçoit la force, le courage, la grâce d'y demeurer.

Mais aussi on doit trembler, quand on retombe dans ses fautes après la communion, puisque Jésus-Christ ne dit pas : « Celui qui mange ma chair est en moi (2) ; » mais « il y demeure » attaché ; ni : « Je suis en lui ; » mais : « J'y demeure, » et je ne le quitte jamais. Jésus est fidèle : il ne nous quitte jamais le premier : il vient bien à nous le premier, mais jamais il n'est le premier qui quitte : c'est nous qui le quittons, quand nous tombons dans le péché. Malheureux ! nous devons bien craindre de ne l'avoir pas reçu comme il faut : car nous serions demeurés en lui, et hélas ! nous l'avons quitté. Le recevoir comme il faut, c'est le recevoir en détestant ses péchés, en éloignant les occasions de le commettre, en cherchant dans l'Eucharistie le soutien de notre faiblesse et de notre instabilité.

 

1 Joan., VI, 27, 52. — 2 Ibid., 57.

 

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XLVIIIe JOURNÉE.
S'éprouver soi-même. I Cor., XI, 28.

 

«Que l'homme s'éprouve lui-même (1) : » qu'il éprouve premièrement s'il n'est point indigne de cette table sacrée; s'il ne vient point au banquet de l'Epoux sans la robe nuptiale : sans être en état de grâce. Car on lui dirait : « Ami » infidèle, ami téméraire, « comment avez-vous osé entrer ici sans avoir l'habit nuptial? » Et non-seulement il sera jugé indigne du banquet, mais encore « on le jettera pieds et mains liés dans le séjour des ténèbres, où il y aura pleur et grincement de dents (2). »

« Le maître entra dans la salle du festin pour y voir les conviés, et il y vit un homme qui n'avait point l'habit nuptial (3). » Représentez-vous Jésus qui vient lui-même examiner ceux qui sont à sa table. Pour éviter un si terrible examen, que chacun s'examine soi-même, que chacun s'éprouve soi-même.

Mais il y a encore d'autres épreuves plus délicates. Le pain de l'Eucharistie est appelé par les saints « le pain des forts; » et il y faut user, en le donnant, du même discernement dont use un sage médecin, en donnant le solide à son malade ; c'est-à-dire qu'il faut songer non-seulement au refus absolu qu'on en doit faire durant la fièvre, mais encore au ménagement avec lequel il le faut donner aux convalescents.

Outre l'épreuve qu'il faut faire de cette viande céleste pour n'y pas manger sa condamnation, il y a encore une épreuve, une préparation nécessaire pour la manger avec profit. Cette viande ne nous est pas seulement donnée pour entretenir la vie, mais encore pour nous rendre l'embonpoint : elle renouvelle : elle engraisse : elle veut détruire de plus en plus jusqu'aux moindres restes du mal. Cette viande ne se digère pas ; mais c'est elle pour ainsi parler qui nous digère et nous change en elle-même. Il faut considérer le progrès que nous faisons en la mangeant et la prendre avec réserve, jusqu'à tant que nous soyons rendus

 

1 I Cor., XI, 28. — 2 Matth., XXII, 12, 13. — 3 Ibid., 11.

 

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propres à recevoir tout son effet, sinon elle nous surcharge; et si nous n'avons pas la mort dans le sein , il s'amasse des humeurs qui doivent nous faire craindre une rechute.  Il faut donc craindre le fréquent usage de l'Eucharistie, si on n'en vient à cet embonpoint spirituel et à un état de force. Il est vrai que c'est en la recevant que nous devenons propres à la recevoir : c'est elle-même qui par sa vertu nous rend propres à elle-même et à ses effets ; mais il en faut savoir tempérer l'usage. La marque la plus assurée dans les bonnes âmes pour la recevoir souvent, c'est l'appétit spirituel qu'elles en ressentent; mais il faut savoir ménager cet appétit. Il y a des appétits de malade ; il y en a que la santé donne : l'appétit est donc équivoque, et il faut le savoir connaître : il faut savoir le réprimer, il faut savoir le réveiller : il faut quelquefois exciter l'ardeur par quelque délai, pour aussi augmenter le goût. Telle âme aura besoin qu'on le lui excite par quelque temps de lecture et par la seule méditation de la parole divine. Goûter la parole de Jésus-Christ, c'est la marque qu'on le goûte lui-même et la meilleure préparation à le goûter : « Qui est le sage, qui entendra et qui discernera ces choses (1) ? Qui est cet économe fidèle et prudent, qui saura donner le froment dont la distribution lui est confiée , en son temps et selon la mesure (2) ? » Remarquez qu'il y a le temps et la mesure à garder, et que ce dispensateur ne doit pas seulement être fidèle, mais encore prudent. Ainsi que l'homme s'éprouve lui-même : car le temps de l'un n'est pas toujours le temps de l'autre, et la mesure de l'un n'est pas toujours la mesure de l'autre. Il faut donc s'éprouver soi-même; et quand on dit s'éprouver soi-même, ce n'est pas à dire s'approcher ou s'éloigner par son propre jugement : car cette épreuve ne serait ordinairement que la nourriture de l'amour-propre. Une partie de cette épreuve est de bien connaître qu'on ne se peut pas juger soi-même, et qu'on doit savoir chercher ce dispensateur prudent, qui connaisse le temps et la mesure qui nous est propre. Car ce n'est pas sans raison que le Prince des pasteurs a donné à ses ministres le pouvoir de lier et de délier, de retenir et de remettre. Qu'on s'éprouve donc soi-même

 

1 Osée, XIV, 10. — 3 Luc., XII, 42.

 

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avec ce conseil, et selon l'ordre de l'obéissance. Tout ce qu'on fait dans cet esprit porte grâce : tel qui entend dire que la sécheresse est quelquefois une épreuve et un exercice, prendra sa langueur pour une grâce. Tel aussi s'imaginera être de ces tièdes que Jésus-Christ vomit de sa bouche, quand il ne sentira pas son goût et que ce goût se sera pour ainsi dire retiré bien avant dans son intérieur. « Qui est le sage, » encore un coup, « qui discernera ces choses ? »

Il faut aussi savoir connaître cette viande qui sait, comme la manne, prendre toute sorte de goûts. Tantôt on nous y doit faire goûter l'humilité, tantôt la mortification, tantôt l'amour fraternel et celui des ennemis, tantôt la joie qui nous transporte en esprit dans le ciel, tantôt la sainte tristesse qui nous dégoûte du monde et nous imprime des sentiments de pénitence. On nous doit faire prendre cette viande avec la disposition où le Saint-Esprit nous met, ou dans celle où l'on ressent qu'il nous veut mettre. Il faut, dis-je, vous la donner ou selon votre attrait présent, ou pour vous inspirer celui dont vous avez besoin. Faut-il exciter en vous, ou y entretenir l'esprit d'ardeur et de zèle ? Le charbon pris sur l'autel (1) n'est rien pour vous purifier, pour vous embraser, à comparaison de ce corps. Est-ce l'esprit de componction et de larmes qui vous est nécessaire, ce divin corps en tirera plus de vos yeux que la pécheresse n'en versa aux pieds du Sauveur. Seigneur , donnez à votre Eglise de ces prudents dispensateurs, qui sachent faire l'application de l'Eucharistie : Seigneur, donnez à vos fidèles cette humble docilité et la soumission aux conseils avec lesquels ils se doivent éprouver eux-mêmes.

 

XLIXe JOURNÉE.
Sommaire de la doctrine de l'Eucharistie.

 

Nous devons maintenant entendre ce que c'est que ce sacrement, en quoi il consiste, quel en est le fruit, ce qu'on doit appeler

 

1 Isa., VI, 6, 7.

 

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le sacrement et le signe, ce qu'on en doit appeler le fruit et la chose.

Ceux qui ne veulent pas croire que ce qui nous est présent est vraiment le corps et le, sang de Jésus-Christ, disent que le pain et le vin sont le sacrement et le signe, et que la chose c'est la réception de la chair et du sang de Jésus-Christ, puisque c'est là, disent-ils, ce qui est toujours accompagné de la vie, conformément à cette parole : « Qui mange ma chair et boit mon sang aura la vie éternelle; » et « qui me mange vit pour moi (1). » Aveugles, qui ne veulent pas entendre qu'il y en a qui prennent ce corps sans le discerner : qu'il y en a qui le reçoivent en le profanant et qui s'en rendent coupables : et que c'est ce qui doit être reçu avec épreuve pour ne le pas recevoir indignement. Mais parce que les hommes peuvent mal recevoir un si grand don, en est-il moins ce qu'il est ?

La parole de Dieu est par elle-même une lumière qui éclaire l'homme, qui le purifie, qui le nourrit, en laquelle il a le salut et la vie : cela empêche-t-il qu'il y en ait qu'elle étourdit, qu'elle aveugle ; qu'elle ne soit « odeur de vie » pour les uns, et « odeur de mort » pour les autres, et « une lettre qui tue (2) ? » Ce que les hommes la font devenir par leur mauvaise disposition n'empêche pas ce qu'elle est par elle-même, ni ne lui ôte la force qu'elle tire de la bouche de Dieu d'où elle sort. Ainsi le corps de Jésus, ainsi le sang de Jésus n'en sont pas moins en eux-mêmes esprit et vie, encore qu'ils ne le soient pas à ceux qui les reçoivent mal. « Ceux qui croiront et seront baptisés seront sauvés (3) : » qui en doute, s'ils croient comme il faut : s'ils persévèrent à croire : s'ils ne mettent point d'obstacle à la grâce du baptême : s'ils sont soigneux d'en conserver la vertu? Ainsi qui mange la chair, qui boit le sang, a la vie : oui, qui la mange et qui le boit dignement et comme il faut. La chair mangée dans l'Eucharistie est au chrétien un gage de l'amour de Jésus-Christ, un témoignage certain que c'est pour lui qu'il s'est incarné et pour lui qu'il s'est offert. Voilà le gage, voilà le signe, voilà le témoignage ; mais il faut entendre ce gage : il faut être touché de ce signe : il faut croire à ce témoignage :

 

1 Joan., VI, 55, 58. — 2 II Cor., II, 16; III, 6. — 3 Marc., XVI, 16.

 

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autrement, qu'aurez-vous pris? Un gage, un signe, un témoignage de l'amour immense de votre Sauveur, mais sans en être touché, sans y prendre part; et ce précieux gage de son amour sera en témoignage contre vous, et vous serez de ceux dont il est écrit : « Il est venu chez soi, et les siens ne l'ont pas reçu (1). » Qu'est-ce que venir chez soi, si ce n'est venir à ceux qui sont à lui? Il y vient donc, et il a été au milieu d'eux ; mais ils ne l'ont pas reçu, parce qu'ils ne l'ont pas connu, ils ne l'ont pas discerné, ils ne l'ont pas traité comme le méritait sa dignité et son amour.

Quel est donc le vrai effet et la chose, pour ainsi parler, de ce sacrement? Etre incorporé à Jésus-Christ, lui être parfaitement uni selon le corps et selon l'esprit, être avec lui une même chair et un même esprit : par la consommation de ce chaste mariage (2) : être de ses os et de sa chair comme une épouse fidèle (3) : mais être aussi de son esprit, en sorte qu'il jouisse tout ensemble de notre corps, de notre esprit, de notre amour, comme nous jouissons du sien : en un mot, être le corps de Jésus-Christ, lui être uni membre à membre, comme les membres sont unis entre eux, comme tous le sont au chef (4) : et cela pour toujours, sans jamais être en division, ni en froideur, ni avec lui, ni avec aucun de ses membres : parce qu'il veut non-seulement venir en nous, mais y demeurer. Il ne s'unit qu'à regret et à contre-cœur à ceux qu'il voit désunis dans la suite et jusqu'à la fin : il ne les répute pas siens, de cette manière secrète et permanente, dont il veut qu'on soit des siens; autrement son disciple bien-aimé dira : « Ils étaient au milieu de nous : ils en sont sortis, mais ils n'étaient point des nôtres : » et pourquoi ? Parce que, « s'ils avaient été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous 5. Qui me mange demeure en moi et moi en lui (6) : » et qui n'y demeure pas, ne me mange pas comme il faut.

En effet, qu'avons-nous dans l'Eucharistie, qu'y avons-nous en substance, si ce n'est celui qui fait la félicité des bienheureux? C'est la même chose, la même substance ; et il n'y a qu'à ôter le voile. Seigneur, ôtez ce voile , percez ce nuage : que me restera-t-il

 

1 Joan., I, 11. — 2 I Cor., VI, 16, 17. — 3 Ephes., V, 30. — 2 I Cor., XII, 27. — 5 I Joan., II, 19. — 6 Joan., VI, 57.

 

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entre les mains et devant les yeux, sinon cet objet qui fera ma béatitude? N'ai-je pas déjà cet objet dans votre corps? Dans le corps de Jésus-Christ n'ai-je pas son âme? N'ai-je pas toute sa personne, et dans sa personne celui qui y « habite corporellement, avec une entière plénitude (1), » c'est-à-dire le Verbe divin? et dans ce Verbe, n'ai-je pas son Père? Et n'a-t-il pas dit la vérité, quand il a dit : « Qui me voit, voit mon Père (2)? » J'ai donc tout. Que me reste-t-il à désirer, sinon de voir ce que je tiens, de percer le voile, de voir clairement et par une manifeste vision ce que je sais bien que j'ai, mais ce que je ne vois pas? Mais il n'y a qu'à demeurer en lui : car ainsi il demeurera en nous. Et il ne demande qu'à être vu, qu'à être parfaitement possédé, qu'à jouir parfaitement de nous, en nous donnant tous ses biens et lui-même pour en jouir ; enfin à être connu comme il connaît (3); c'est-à-dire à être connu clairement, vivement, éternellement, sans obscurité, au-dessus de toute vision. Voilà le fruit, la vérité, l'entière consommation du mystère de l'Eucharistie.

 

Le JOURNÉE.
L'Eucharistie est la force de l’âme et du corps.

 

Mais, dites-vous, qu'était-il besoin d'avoir Jésus-Christ dans son corps? Dites plutôt : Qu'était-il besoin d'avoir le corps de Jésus-Christ en vérité, en substance, d'avoir la chair de ce sacrifice ; d'avoir dans ce sang le signe certain de la consommation de la rémission des péchés ; d'être uni à Jésus-Christ tout entier, comme une chaste épouse à un époux chéri; et en cette qualité d'avoir puissance sur son corps pour jouir en même temps de son esprit? Et pour parler du corps en particulier, n'y a-t-il rien à faire dans notre corps ? N'est-ce pas la chair qui convoite contre l'esprit? Qui la peut mieux tempérer que le corps de Jésus-Christ appliqué sur elle? N'y a-t-il pas dans nos membres une loi qui combat la loi de l'esprit? Qui la peut mieux affaiblir, et mettre nos membres mortels

 

1 Coloss., II, 9. — 2 Joan., XIV, 9. — 3 I Cor., XIII, 12.

 

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sous le joug? Ne faut-il pas porter dans nos corps la mortification de Jésus? Mais qui peut mieux y en imprimer le caractère, et sanctifier les peines d'un corps affligé? Mais ne faut-il pas que ce corps mortel sorte un jour du tombeau et de la corruption? Et qui peut mieux nous en tirer que ce corps qui ne l'a jamais sentie? Pour devenir avec Jésus-Christ « un corps spirituel, » comme l'appelle saint Paul (1), qu'y avait-il de plus efficace que son union avec ce même corps et l'impression de ses divines qualités? Mon Sauveur, si vous touchez mon corps, il en sortira une vertu, et il faudra qu'il devienne semblable au vôtre. La vertu qui en sortira ne me donnera pas comme à cette femme une santé faible et fragile, mais la véritable santé qui est l'immortalité. — Mais les enfants qui n'ont pas communié ne ressusciteront donc pas? — Grossiers et charnels, qui n'entendez pas que ce corps est donné à toute l'Eglise, et que ce levain mystérieux est capable de vivifier toute la masse! Ces enfants dont vous parlez n'ont-ils pas reçu avec le baptême un droit sur ce corps? Il est à eux, encore qu'ils ne le reçoivent pas d'abord, selon la coutume présente ; mais ce qui est reçu par quelques-uns, est à tous un même gage d'immortalité. Consolez-vous en Notre-Seigneur, et jouissez d'une si douce espérance.

 

LIe JOURNÉE.
L'Eucharistie est le viatique des mourants.

 

Considérons ici le corps du Sauveur comme le doux viatique des mourants. Je me meurs, mes sens s'éteignent, ma vie s'évanouit : qu'ai-je à désirer en cet état, que quelque chose qui m'ôte la crainte de la mort et me tire de l'esclavage où cette appréhension m'a tenu durant tout le temps de ma vie? Mon Sauveur, on m'apporte votre corps, ce corps immortel, ce corps spiritualisé : je le reçois dans le mien : « Je ne mourrai pas : je vivrai (2) : Qui mange ma chair, dites-vous (3), aura la vie éternelle, et je le ressusciterai

 

1 1 Cor., XV, 44-46. — 2 Psal. CXVII, 17. — 3 Joan., VI, 55.

 

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ferai au dernier jour. » Il restera dans ce corps mort un germe de vie que la pourriture ne pourra point altérer : il y restera une impression de vie que rien ne peut effacer. Tous les jours de ma vie je veux communier dans cette espérance : je veux me regarder comme mourant, et je le suis ; je veux vous recevoir en viatique : je ne craindrai point la mort : vous m'affranchissez de la servitude que cette crainte m'imposait : pourquoi craindre le mal, si j'en ai toujours l'antidote? Sans vous la mort est un joug insupportable : avec vous elle est un remède et un passage à la vie. Que je suis heureux ! On m'apporte votre précieux corps : vous venez chez moi, hôte céleste : c'est à ce coup que je puis dire : « Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison (1). » Vous y venez néanmoins : vous y entrez : vous y êtes, et ce n'est pas encore assez pour votre amour : la maison où vous voulez entrer, c'est mon corps.

C'est ici le temps de se souvenir de votre mort : de cette mort par laquelle la mort a été vaincue : de cette mort qui nous fait dire avec confiance : « O mort, où est ton aiguillon ! O mort, où est ta victoire (2)?» de cette mort par laquelle est accomplie cette parole : « Je romprai votre pacte avec la mort, et votre alliance avec le tombeau ne subsistera plus (3). » Et encore : « La mort sera précipitée à jamais dans l'abîme (4). Faites ceci en mémoire de moi : » souvenez-vous de ma mort : « annoncez-la (5). »

O  Seigneur, on m'a annoncé la mienne ; mais qu'on m'annonce la vôtre, et je ne craindrai plus rien. Oui, maintenant je pourrai chanter avec le Psalmiste : « Si je marche au milieu de l'ombre de la mort, je ne craindrai rien, parce que vous êtes avec moi (6). » Ah! doux souvenir que celui de votre mort, qui a effacé mes péchés, qui m'a assuré votre royaume ! Mon Sauveur, je m'unis à votre agonie ; je dis avec vous mon In manus : « Mon Dieu, je remets mon esprit entre vos mains (7) : Seigneur Jésus, recevez mon esprit (8). » Quoi! vous le venez quérir vous-même pour le présenter à votre Père! C'en est fait : « tout est consommé (9) : » je veux mourir

 

1 Matth., VIII, 8. — 2 I Cor., XV, 55. — 3 Isa., XXVIII,  18. — 4 Isa., XV, 8. —  5 I Cor., XI, 24-26. — 6 Psal. XXII, 4. — 7 Luc, XXIII, 46; Psal. XXX, 6. — 8 Act., VII, 58. — 9 Joan., XIX, 30.

 

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comme vous en disant cette parole : « Tout est consommé : » je n'ai plus rien sur la terre et votre royaume va être mon partage. « Tout est consommé : » je vois votre royaume céleste, ce sanctuaire éternel, s'ouvrir pour me recevoir par grâce, par miséricorde, en votre nom, ô Jésus. A ce coup sera accomplie cette parole : « Qui me mange demeure en moi et moi en lui (1). » Je ne vous quitterai plus : maudite soit ma malheureuse et criminelle inconstance, qui m'a fait quitter tant de fois un si bon Maître. Et maintenant, mon Sauveur, je serai toujours avec vous : vous m'allez marquer de votre sceau : ah ! Seigneur, gardez-moi jusqu'au dernier soupir, et que je le rende entre vos bras !

Et ce corps que deviendra-t-il ? Le voilà uni au vôtre : par votre corps ressuscité, je ressusciterai tout nouveau : je ne laisserai à la terre que la mortalité : je vis dans cette espérance : mais j'y meurs; je meurs tous les jours, puisque je ne cesse d'avancer au dernier moment: mes jours se dissipent comme une fumée, s'en vont comme une eau rapide, dont on ne peut arrêter le cours : dans un moment on passera où j'étais, et l'on ne m'y trouvera plus : Voilà sa chambre, voilà son lit, dira-t-on ; et de tout cela il n'en reste plus que mon tombeau, où l'on dira que je suis et je n'y serai pas : il n'y aura qu'un reste de moi-même, et ce reste tel quel se diminuera à chaque moment et se perdra à la fin.

Que cela est triste ! Oui, si je n'avais pas votre corps pour me redonner la vie : cette espérance me soutient : je veux toujours me regarder en état de mort, me confesser comme un mourant, communier comme un mourant, me disposer à chaque fois comme si j'allais mourir. Je meurs : fermez-moi les yeux : que je ne voie plus les vanités : enveloppez-moi de ce drap : je n'ai plus besoin d'autre chose : rendez-moi ma pauvreté naturelle : mettez-moi en terre : c'est là d'où je viens selon le corps ; c'est là où il faut que je retourne : c'est là ma mère qui m'a engendré pour mourir : elle m'enfantera un jour pour ne mourir plus. Ne parlons donc point de mort : ce n'est plus qu'un nom : il n'y a de mort que le péché.

 

1 Joan., VI, 57.

 

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LIIe JOURNÉE.
L'Eucharistie jointe par Jésus-Christ au banquet ordinaire, figure de la joie du banquet éternel, lbid.

 

Une des observations les plus nécessaires dans l'institution de l'Eucharistie, c'est que Jésus-Christ l'a faite dans un banquet ordinaire, en conversant à l'ordinaire avec ses disciples, sans marquer de distinction entre ce qui regardait le repas commun et ce qui regardait ce divin repas où il se devait donner lui-même : « Pendant qu'ils soupaient, dit saint Matthieu, il prit du pain, le rompit et leur dit: Prenez et mangez, ceci est mon corps (1). » Il continue : il achève le souper; et après le souper, disent saint Luc et saint Paul, « il prit le calice et il dit : Ce calice et le breuvage que je vous présente, est le Nouveau Testament par mon sang (2). » Puis il continue son discours et il dit selon saint Luc : « La main de celui qui me trahit est avec moi à la table (3); » et selon saint Matthieu : « Je ne boirai plus de ce fruit de vigne, jusqu'à ce que je le boive nouveau dans le royaume de mon Père (4). » Toutes paroles qui n'appartiennent point à l'institution, et dont aussi saint Paul ne rapporte rien, encore qu'il se fût proposé de raconter toute l'institution de ce mystère, comme la suite de son discours le fait paraître. On ne dira pas qu'il n'y ait rien de singulier et d'extraordinaire dans le banquet eucharistique : toutes les paroles de l'institution marquent le contraire. Mais cet extraordinaire et ce divin qui paraît dans cet endroit du banquet, est joint et continué avec tout le reste ; et il semble que le repas eucharistique ne fasse qu'une partie du repas commun que Jésus fit avec les siens.

Ce qui se présente d'abord pour entendre ce mystère, c'est que manger et boire ensemble est parmi les hommes une marque de société : on entretient l'amitié par cette douce communication :

 

1 Matth., XXVI, 20. — 2 Luc, XXII, 20; I Cor., XI, 25. — 3 Luc., XXII, 21. — 4 Matth., XXVI, 29.

 

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on partage ses biens, ses plaisirs, sa vie même avec ses amis : il semble qu'on leur déclare qu'on ne peut vivre sans eux, et que la vie n'est pas une vie sans cette société : « Mangez, buvez, mes amis: enivrez-vous ; » c'est-à-dire réjouissez-vous, « mes très-chers (1), » disait l'Epoux à ses amis. Et la Sagesse, pour nous inviter à sa compagnie, n'a rien à nous proposer de plus attirant qu'un repas qu'elle nous prépare : «Venez, mes amis, mangez mon pain, buvez le vin que je vous présente (2). »

C'était aussi pour cette raison que Dieu ordonnait à son peuple de venir au lieu que le Seigneur avait choisi pour y faire bonne chère devant le Seigneur avec tout ce qu'on avait de plus cher, avec son fils, avec sa fille, avec tout son domestique, avec son serviteur et sa servante, avec ceux qu'on honorait le plus, avec le Lévite qui demeurait dans son pays (3), sans oublier l'étranger, non plus que la veuve et l'orphelin, et à plus forte raison sans oublier ses voisins, ses proches, afin qu'ils fussent rassasiés des biens que le Seigneur nous avait donnés et partageassent notre

joie (4).

Ces festins et cette joie ont été la cause que la béatitude céleste nous est représentée comme un banquet : « Il  en viendra d'Orient et d'Occident, dit le Sauveur; et ils se mettront à table avec Abraham, avec Isaac et avec Jacob (5). » Et lui-même, à la fin des siècles, « il fera mettre à table ses bons serviteurs ; et passant de table en table, il les servira (6). » Et le jour même de la cène, pour appliquer cette idée au festin qu'il venait de faire avec ses disciples , il leur dit : « Je vous prépare le royaume que mon Père m'a préparé, afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume (7). »

Il voulait donc que la cène fût un véritable festin pour lier la société entre ses disciples, et leur figurer la joie de ce festin éternel, où « ils seront » rassasiés et « enivrés de l'abondance de sa maison et abreuvés du torrent de sa volupté (8). » C'est pourquoi il célébra ce divin banquet sur le soir, à la fin du jour, en figure

 

1 Cantic., V, 1. — 2 Prov., IX, 5. — 3 Deuter., XII, 5, 7, 12, 18. — 4 Deuter., XXVI, 11-13. — 5 Matth., VIII, 11. — 6 Luc., XII, 37. — 7 Luc., XXII, 29, 30. — Psal. XXXV, 9.

 

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de ce souper éternel qu'il nous fera à la fin des siècles, lorsque toutes choses seront consommées.

C'est encore ce qu'il voulait dire, lorsqu'en prenant selon la coutume la coupe de vin dont tout le monde buvait dans les festins en signe de société, il la présenta à ses disciples, en leur disant : « Partagez-la entre vous : pour moi, je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu'à ce que le royaume de Dieu vienne (1). » Saint Luc marque expressément cette action et cette parole avant l'institution de l'Eucharistie : et Jésus-Christ répéta la même parole, après avoir consacré le saint calice, en disant : « En vérité je vous le dis, je ne boirai plus de ce fruit de vigne ( dont j'ai bu avec vous dans tout ce repas et dont je me suis servi pour en faire mon sang ) jusqu'au jour où je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père (2). »

Attendons-nous donc à ce repas éternel, où le pain des anges nous sera donné à découvert, où nous serons enivrés et transportés de la volupté du Seigneur et des ravissantes délices de son amour. Le festin de Notre-Seigneur en était l'image ; et pour imiter son exemple, c'était aussi dans des festins que les premiers chrétiens célébraient l'Eucharistie, comme saint Paul le fait bien voir dans la première Epître aux Corinthiens (3). Le festin de l'Eucharistie conserva toujours cette forme primitive, jusqu'à ce que les abus la firent changer; mais elle n'en a pas moins pour cela la force d'un banquet d'union et de société entre les frères et d'espérance pour le repas éternel de Dieu.

Fréquentons donc ce sacré repas de l'Eucharistie, et vivons en union avec nos frères : fréquentons-le et nourrissons-nous de l'espérance de la joie céleste : mangeons ce pain qui soutient l'homme : buvons ce vin qui lui doit réjouir le cœur : et disons avec un saint transport : « Ah! que mon calice enivrant est exquis (4) ! »

Jésus-Christ s'est servi de pain et de vin pour nous donner son corps et son sang, afin de donner à l'Eucharistie le caractère de force et de soutien et le caractère de joie et de transport; et afin aussi de nous apprendre par la figure de ces choses qui font notre

 

1 Luc., XXII, 17, 18. — 2 Matth., XXVI, 29. — 3 I Cor., XI, 20-34. — 4 Psal. XXII, 5.

 

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aliment ordinaire, que nous devions tous les jours non-seulement soutenir, mais encore échauffer notre cœur : non-seulement nous fortifier, mais encore nous enivrer avec lui et boire à longs traits dès cette vie l'amour qui nous rendra heureux dans l'éternité.

 

LIIIe JOURNÉE.
L'Eucharistie unie par Jésus-Christ au repas commun, est plus semblable à l'ancienne pâque. Ibid.

 

On peut encore remarquer un autre dessein qui a porté Notre-Seigneur à unir ensemble le festin de l'Eucharistie au repas ordinaire, qui était de la rendre plus semblable à l'ancienne pâque, qui faisait aussi partie du repas commun.  Il y avait cette différence, que l'ancienne pâque ne se faisait qu'une fois l'année, mais maintenant, chaque jour on célèbre la nouvelle pâque : tous les jours des chrétiens sont une fête : leur vie est une éternelle solennité : ils doivent aussi toujours être en joie, comme saint Paul le leur dit sans cesse, et c'est par là qu'ils sont initiés à la joie et à la gloire éternelle.

L'année signifiait aux Juifs l'éternité tout entière et l'universalité des siècles. Mais maintenant chaque jour nous la signifie : nous sommes plus proches qu'eux de l'éternité, et l'idée nous en doit être plus présente.

La pâque se célébrait une seule fois : l'entrée du souverain pontife dans le sanctuaire une seule fois : tout cela pour figurer qu'en effet il n'y a qu'une seule pâque, qui est celle de Jésus-Christ. Car s'il y a aussi une pâque et un passage pour nous, c'est en lui ; et il faut qu'il passe dans sa gloire tout complet, c'est à-dire le corps et les membres. Il n'y a non plus qu'une seule entrée du même Jésus, souverain pontife, dans le ciel (1), lorsqu'il y entre pour nous et pour lui, et qu'il nous y va préparer la place.  Il ne passe donc qu'une fois, il n'entre qu'une fois dans le sanctuaire à ne regarder que sa personne; mais dans ses membres il passe tous les jours

 

1 Hebr., VI, 19-20; IX, 7, 11, 24.

 

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au ciel : tous les jours il entre dans le sanctuaire; et l'Eucharistie célébrée tous les jours, tous les jours nous représente ce mystère. Passons donc tous les jours à Dieu : passons en Jésus-Christ de plus en plus : que sa vie paraisse toujours de plus en plus dans la nôtre par l'imitation des vertus qu'il a pratiquées : entrons tous les jours dans son sanctuaire : entrons-y par la foi : courons-y par de saints désirs : c'est célébrer tous les jours le banquet de Jésus-Christ, comme le doit un chrétien.

 

LIVe JOURNÉE.
L'Eucharistie jointe au repas commun apprend à sanctifier tout ce qui sert à nourrir le corps. lbid.

 

Je dirai tout, Seigneur : je me dirai à moi-même, et je dirai à tous ceux à qui je destine cet écrit, et je le destine à tous ceux que vous avez mis spécialement à ma garde, selon que je les croirai disposés à en profiter, et à tous ceux à qui nous permettrez qu'il tombe entre les mains : je leur dirai, mon Sauveur, tout ce que vous me mettrez dans l'esprit sur vos saints mystères dans votre sainte parole. Je vois encore une autre raison qui vous a porte à unir l'Eucharistie au repas commun : vous vouliez sanctifier toute notre vie dans l'action qui l'entretient et la fait durer : vous vouliez que la nourriture corporelle fut accompagnée «le la spirituelle, afin que nous apprissions à faire tout en esprit, même les choses qui devaient servir à sustenter notre corps. Nous ne devons nourrir ce corps que pour être un digne instrument à l'esprit : nous devions prendre le manger et le boire dans cet esprit. L'Eucharistie prise durant le repas, devait être un tempérament salutaire au plaisir des sens, de peur que mais ne nous y laissassions emporter et qu'il ne prit le dessus. Mais encore que l'Eglise, à qui Jésus-Christ a laissé la dispensation de ses mystères, dans la suite ait séparé, et très-sagement, ce que Jésus-Christ semblait avoir uni, et qu'elle célèbre l'Eucharistie hors du repas ordinaire, le dessein de Jésus-Christ n'est pas anéanti : l'instruction qu'il nous a donnée subsiste toujours : quand nous faisons nos repas, nous

 

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devons toujours nous souvenir que selon l'institution primitive de l'Eucharistie, elle devait les accompagner : que Jésus-Christ l'a fait ainsi : que l'Eglise l'observait ainsi sous les apôtres : qu'alors donc on voulait apprendre aux chrétiens que toutes leurs actions, et même les plus communes, devaient être faites saintement. Cette instruction subsiste toujours : en mangeant et en buvant, songeons à ce boire et à ce manger spirituel de la table de Notre-Seigneur, ayons l'esprit appliqué aux choses célestes : n'en quittons point la pensée durant nos repas. Si nous ne pouvons pas les accompagner de saintes lectures, comme on le fait dans les maisons spécialement consacrées à Dieu, accompagnons-les de saints discours, du moins de saintes pensées : ne nous livrons pas aux sens, ni à ce corps misérable qu'il serait honteux d'engraisser et de nourrir, si on ne le nourrissait comme le ministre et le serviteur de l'esprit. Car autrement nous nourrir, ce n'est que travailler pour la mort, lui engraisser sa proie, et aux vers leur pâture. Nourrissons-nous avec règle; et comme disait un ancien : Mangeons autant qu'il est nécessaire pour nous sustenter : buvons autant qu'il convient à des personnes pudiques, qui ne veulent pas irriter les désirs sensuels : apprenons enfin, quoi que nous fassions, « soit que nous buvions, soit que nous mangions, soit que nous fassions quelque autre chose » par rapport au corps, a faisons-le pour la gloire de Dieu et au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, rendant grâces par lui à Dieu le Père (1).

« Le royaume de Dieu n'est pas boire ni manger ; mais justice et paix, et joie dans le Saint-Esprit (4). »

 

LVe JOURNÉE.
Pouvoir donné à l'Eglise de changer ce qui n'est pas de l'essence de l'institution divine. La communion sous une espèce suffisante et parfaite. lbid.

 

Que Jésus-Christ a donné un grand pouvoir à son Eglise dans la dispensation de ses mystères ! Il a institué l'Eucharistie dans

 

1 I Cor., X, 31; Coloss., III, 17. — 2 Rom., XIV, 17.

 

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un festin, dans un souper, sur le soir : et cela faisait à son mystère et à notre instruction. Et néanmoins il a permis à son Eglise de séparer ce qu'il avait mis ensemble, encore que ses apôtres aussi eussent suivi religieusement cette institution. Et non-seulement l'Eglise a cessé de faire ce que Jésus-Christ avait fait et les apôtres suivi ; mais encore elle a pris la liberté d'interdire sévèrement cette pratique. C'est étant à table et au milieu d'un repas, et y mangeant d'autres viandes, que Jésus-Christ a commandé à ses apôtres de recevoir l'Eucharistie ; et l'Eglise a bien osé le défendre, et faire une loi inviolable de communier à jeun. L'Eucharistie qui par son institution était un souper, n'en est plus un : on la prend le matin : on la prend avant toute autre viande : on la prend séparément du repas vulgaire, et il n'est plus permis de la prendre comme Jésus-Christ l'a donnée, comme les apôtres l'ont reçue.

On veut dire que c'est que tout cela n'appartenait pas à l'essence de l'institution du Sauveur. Mais le Sauveur a-t-il voulu laisser aux hommes à distinguer par leur propre sens ce qui était de la substance de son institution d'avec ce qui n'en était pas? N'a-t-il pas voulu au contraire leur faire voir qu'il leur laissait son Eglise, pour être une fidèle interprète de ses volontés et une sûre dispensatrice de ses sacrements ?

Quand donc on veut s'imaginer qu'en ne recevant qu'une espèce, on ne reçoit qu'une cène et une communion imparfaite, c'est qu'on n'entend pas que c'est l'Eglise qui sait le secret de Jésus-Christ, qui sait ce qui appartient essentiellement à son institution , ce qui doit être donné à chacun, ce qui doit être dispensé diversement selon les temps et les conjonctures différentes.

Vous vous étonnez qu'on sépare ce que Jésus-Christ a mis ensemble et qu'on donne le corps à manger, sans donner en même temps le sang à boire. Etonnez-vous donc aussi de ce que la cène sacrée est séparée du souper commun : mais plutôt ne vous étonnez jamais de ce que l'Eglise fait. Instruite par le Saint-Esprit et par la tradition de tous les siècles, elle sait ce que Jésus-Christ a voulu faire; et que ce qu'il a séparé pour une représentation mystique ne laisse pas d'être uni, non-seulement en vertu, mais encore

 

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en substance. Il est vrai, il a fallu pour la parfaite représentation de sa mort, que son corps parût séparé d'avec son sang et qu'on les prît chacun à part ; mais elle sait en même temps que la vertu du corps livré n'est pas autre que la vertu du sang répandu : et que non-seulement la vertu, mais encore la substance même de l'un et de l'autre après sa résurrection, sont inséparables.

Elle laisse donc ce corps et ce sang dans cette séparation mystique. Mais au fond elle sait bien, quelque partie que l'on prenne, qu'on reçoit la vertu du tout. Il ne faut que voir comment Jésus-Christ a célébré la cène. Car les évangélistes ont marqué distinctement qu'il en a donné les deux parties avec quelque distance l'une de l'autre, puisqu'il a donné le corps pendant le souper selon saint Matthieu (1) et le calice du sang après le souper selon saint Luc et saint Paul (2). Et non content d'avoir comme séparé ces deux actions par ce caractère, il a voulu montrer que chaque partie de son action était complète en elle-même, puisqu'il dit après chacune, comme saint Paul le marque expressément : « Faites ceci en mémoire de moi (3). » Ainsi, quelque partie que je prenne, je célèbre la mémoire de la mort de Jésus-Christ; je m'en applique la vertu tout entière : je m'incorpore à Jésus-Christ. Car ne lui suis-je pas incorporé en prenant son corps? N'est-ce pas parla que je suis fait os de ses os et chair de sa chair, et une même chair avec lui (4), ainsi que nous avons vu? Que me faut-il davantage pour accomplir l'œuvre de mon salut, surtout en mangeant ce corps comme le pain descendu du ciel, c'est-à-dire comme le corps d'un Dieu, comme un corps uni à la vie même et rempli pour moi de l'esprit qui me vivifie ? N'ai-je pas en même temps reçu et son corps et son esprit? Ce qui reste me peut bien donner une plus entière expression de la mort de Jésus-Christ, mais j'en ai toute la vertu dans le corps seul. Et je ne m'étonne pas si saint Paul a dit que « quiconque mange ce pain ou boit cette coupe indignement, est coupable du corps et du sang (5) : » oui, dit-il, et il le dit très-distinctement : Quiconque reçoit indignement l'un ou l'autre, est coupable de tous les deux; et par la même raison, qui

 

1 Matth., XXVI, 26; Marc, XIV, 22.— 2 Luc, XXII, 20; I Cor., XI, 25.— 3 I  Cor., XI, 24, 25. — 4 Ephes., V, 30. — 5 I Cor., XI, 27.

 

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participe dignement à l'un des deux, honore tous les deux ensemble et en reçoit le fruit et la sainteté, parce qu'il n'y a dans l'un et dans l'autre qu'une seule et même vertu, une seule et indivisible sainteté. Ainsi qui reçoit l'un, ou qui reçoit l'autre, ou qui reçoit tous les deux, reçoit toujours également son salut. La substance n'en est pas plus dans tous les deux que dans l'un des deux : car où est toute la substance de Jésus-Christ, là est aussi pour ainsi parler toute la substance du salut et de la vie. Car, comme dit l'Eglise elle-même dans le saint concile de Trente (1), « le même qui a dit : Si vous ne mangez ma chair et ne buvez mon sang, vous n'aurez pas la vie en vous, » a dit aussi : « Quiconque mange de ce pain aura la vie éternelle; » et le même qui a dit : « Qui mange ma chair et boit mon sang, aura la vie éternelle, » a dit aussi : « Le pain que je donnerai est ma chair pour la vie du monde; » et le même qui a dit : « Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui, » a dit aussi : « Qui mange ce pain vivra éternellement; » et : « Qui me mange vivra pour moi (2). »

Sur ce fondement inébranlable l'Eglise a administré la communion en plusieurs manières différentes : elle l'a donnée dans l'Eglise : elle l'a portée aux absents : les malades l'ont eue sous l'une des espèces : les petits enfants l'ont eue sous l'autre : les fidèles l'ont emportée dans leur maison, encore que Jésus-Christ n'eût rien fait, ni rien dit de semblable, et l'ont emportée sous la seule espèce du pain. Les Grecs ont mêlé les deux espèces, et les ont données au peuple toutes deux ensemble : tout est bon , pourvu qu'on ait Jésus-Christ des mains de l'Eglise. Car c'est là l'effet véritable que doivent opérer dans chaque fidèle ces différentes manières de communier : elles doivent, dis-je, nous apprendre que la plus parfaite et la plus nécessaire disposition qu'il faut apporter à l'Eucharistie, c'est d'en approcher avec un sincère et parfait attachement à l'Eglise. Elle est le corps de Jésus-Christ : il faut être incorporé à l'Eglise pour l'être au Sauveur.

O  Jésus, je le crois ainsi : malheur à ceux qui chicanent contre votre Eglise! C'est chicaner et disputer contre vous-même. Si

 

1 Sess. XXI, cap. I. — 2 Joan., VI, 52, 54, 55, 57-59.

 

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l'on écoute ces chicanes, on doutera de son baptême. Vous avez dit : « Baptisez, plongez dans l'eau, » en signe qu'on est enseveli avec moi ; mais votre Eglise se contente de jeter quelques gouttes d'eau sur la tête. Vous avez dit : « Enseignez et baptisez; et ceux qui croiront et seront baptisés, seront sauvés (1). » La foi et l'instruction sont marquées dans ces paroles comme la préparation au baptême : et au contraire on nous baptise avant que nous soyons capables d'être instruits et de croire, et l’instruction n'est plus ce qui nous prépare au baptême, mais c'est le baptême qui nous rend dociles pour recevoir l'instruction : on nous reçoit sur la foi d'autrui : d'autres disent en notre nom : « Je crois, je renonce ; » et votre Eglise accepte la réponse, sans qu'il en soit rien écrit dans votre parole. Quelle sûreté pour nous, si nous n'entendons que la foi constante de l'Eglise, que l'interprétation de l'Eglise, que la pratique inviolable de l'Eglise est aussi bien votre parole que votre parole même rédigée dans vos Ecritures? Oui, ce que vous avez écrit dans les cœurs et que l'Eglise a toujours prêché, est la vérité; je vis en cette foi, et je m'unis d'esprit et de cœur à votre Eglise et à sa doctrine, protestant sincèrement devant vous que je suis content de vos sacrements, suivant qu'elle me les administre, elle que vous en avez établie la dispensatrice.

 

LVIe JOURNÉE.
Adoration, exposition, réserve de l'Eucharistie.

 

Mon Sauveur, puisque les chicanes des rebelles de votre Eglise me conduisent à une grande intelligence de votre vérité, je veux encore considérer celles qu'ils lui font sur l'adoration, sur la réserve, sur l'exposition de votre adorable sacrement.

On ne voit point, disent-ils, dans les paroles de l'Evangile, que les apôtres aient adoré le corps et le sang de Jésus-Christ en les recevant. Et voit-on qu'ils aient adoré Jésus-Christ, qui bien constamment était assis avec eux en sa forme visible et naturelle?

 

1 Marc, XVI, 10.

 

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O  mon Dieu, ces disputeurs ne verront-ils jamais que, quoi qu'ils répondent, ils se font à eux-mêmes leur procès? Les apôtres ado-raient-ils Jésus-Christ en sa propre et naturelle figure? Mais ils le croient sans qu'il soit écrit en ce lieu-là. Ne l'adoraient-ils pas? Et que veulent-ils donc conclure de ce qu'il n'est pas écrit qu'ils l'aient adoré dans l'Eucharistie ?

Mais que ces hommes, qui se croient subtils et appellent les autres grossiers, sont grossiers eux-mêmes, puisqu'ils n'entendent seulement pas quelle est la véritable adoration ! Car à nous tenir mot à mot à ce qui est écrit dans l'histoire de la Cène, et sans chercher à suppléer un endroit de l'Evangile par les autres, croire en Jésus-Christ lorsqu'il dit : « Prenez, mangez , ceci est mon corps (1) : » le croire, dis-je, sans hésiter et sans disputer, lorsqu'il dit une chose si étonnante ; faire ce qu'il dit et manger ce pain apparent avec une foi certaine que c'est son vrai corps : en faire autant du sacré calice : faire un acte de foi si pur et si haut, n'est-ce pas adorer Jésus-Christ? Mais discerner avec saint Paul ce corps du Sauveur : le discerner tellement qu'on entende que c'est le corps, non-seulement d'un homme , mais d'un Dieu et le vrai pain descendu du ciel ; y mettre son espérance, y chercher sa vie, y attacher tout son amour, n'est-ce pas encore l'adorer parfaitement? Et qu'ajoute à cette foi la génuflexion, l'inclination du corps, son prosternement, en un mot l'adoration extérieure, sinon un témoignage sensible de ce qu'on a dans le cœur?

« Croyez-vous au Fils de Dieu? » dit le Sauveur à L'aveugle-né qu'il avait guéri : — « Qui est-il, répondit-il, afin que j'y croie? — C'est celui qui vous parle, » répondit Jésus; et l'aveugle repartit : « J'y crois, Seigneur; et se prosternant, il l'adora (2). » Que fit-il en se prosternant devant lui, sinon de répéter d'une autre manière et par un autre langage ce « Je crois, » qu'il venait de prononcer avec la bouche? Et ceux qui disent : « Je crois, » sans se prosterner devant lui, l'adorent-ils? Ou ceux dont on n'a point écrit qu'ils l'aient fait, l'adorent-ils moins que les autres? Et cette femme qui le toucha pour être guérie (3), ne l'avait-elle pas déjà adoré dans son cœur, avant que de se jeter à ses pieds? Et quand

 

1 Matth.. XXVI, 20. — 2 Joan., IX, 35-37. — 3 Luc., VIII, 43, 44, 47.

 

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les apôtres disent au Sauveur : « Seigneur , augmentez-nous la foi (1), » ne connaissent-ils pas tout ce qu'il est, et ne l'adorent-ils pas intérieurement comme un Dieu, encore qu'alors ils ne fussent pas à genoux devant lui ?

Qui ne voit donc que croire à Jésus, qui dit : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang, » et les recevoir dans cette foi, et discerner que ce corps est le corps d'un Dieu par lequel la vie nous est donnée, quand on n'y verrait que cela, et qu'on ne trouverait pas dans le reste de l'Ecriture ce qui est dû à Jésus-Christ, c'est un acte d'adoration de la nature la plus haute , et que tous les prosternements qu'on fera à Jésus-Christ n'en seront que l'expression et le témoignage? C'est donc avec raison qu'on joint dans l'Eucharistie l'adoration intérieure et l'extérieure, c'est-à-dire le sentiment et le signe, la foi et le témoignage. C'est avec raison, comme le rapportent les Saints, qu'on manifestait au dehors par la posture du corps l'abaissement de l'esprit, et que « nul ne prend cette chair, qu'il ne l'ait premièrement adorée : » ce sont les mots de saint Augustin (2) et le témoignage constant de la pratique de l'Eglise. Mais pourquoi chercher ces témoignages, quand manger, quand boire ce corps et ce sang, comme le corps et le sang de Dieu, et y attacher son espérance, c'est une si haute adoration , qu'on voit bien qu'elle doit attirer toutes les autres?

Vous me dites : Pourquoi exposer? Où cela est-il écrit? l'ancienne Eglise l'a-t-elle observé? Grossier et charnel! lequel est le plus ou d'exposer dans l'Eglise le corps du Sauveur, ou le porter avec soi et le garder dans sa maison? Et ce dernier est-il plus écrit que l'autre? Qui ne voit donc que la substance étant écrite et bien entendue par l'Eglise, tout le reste qui en est la suite a été diversement pratiqué, selon la sage dispensation de la même Eglise, pour l'édification du peuple saint?

Allons de ce pas : ne tardons pas davantage : allons adorer Jésus qui repose sur l'autel. Ah! c'est là qu'on me le garde : c'est de là qu'on me l'apportera un jour en viatique , pour me faire heureusement passer de cette vie à l'autre : pain des voyageurs, qui serez un jour le pain des compréhenseurs, le pain de ceux

 

1 Luc, XVII, 5. — 2 Enar. in Psal. XCVIII, n. 9.

 

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qui vivront dans la céleste patrie, je vous adore : je crois en vous : je vous désire : je vous dévore en esprit : vous êtes ma nourriture : vous êtes ma vie.

 

LVIIe JOURNÉE.
Le sacrifice.

 

A Dieu ne plaise que nous oubliions la sainte action du sacrifice et le mystère delà consécration. Je vois un autel : on va offrir un sacrifice : le sacrifice des chrétiens : le sacrifice et l'oblation pure, dont il est écrit « qu'elle devait être offerte depuis le soleil levant jusqu'au couchant (1).» Ce n'est plus ce sacrifice qui ne devait être offert que dans le temple de Jérusalem, et en un lieu particulier choisi de Dieu : c'est un sacrifice qui doit être offert parmi les gentils et dans toutes les nations de la terre. Où est donc l'appareil du sacrifice? où est le feu? où est le couteau? où sont les victimes? Cent taureaux, cent génisses ne suffiraient pas pour exprimer la grandeur de notre Dieu. On offrait aux faux dieux même des hécatombes, c'est-à-dire des bœufs par centaines : je ne vois rien de tout cela. Quelle simplicité du sacrifice chrétien! Je ne vois qu'un pain sur l'autel, quelques pains au plus, un peu devin dans le calice : il n'en faut pas davantage pour faire le sacrifice le plus saint, le plus auguste, le plus riche qui se puisse jamais comprendre. Mais n'y aura-t-il point de chair, n'y aura-t-il point de sang dans ce sacrifice ? Il y aura de la chair, mais non pas la chair des animaux égorgés : il y aura du sang, mais le sang de Jésus-Christ, et cette chair et ce sang seront mystiquement séparés. Et d'où viendra cette chair? d'où viendra ce sang? Il se fera de ce pain et de ce vin : une parole toute-puissante viendra, qui de ce pain fera la chair du Sauveur, et de ce vin fera son sang : tout ce qui sera proféré par cette parole, sera dans le moment ainsi qu'il aura été prononcé : car c'est la même parole qui a fait le ciel et la terre, et qui fait tout ce qu'elle veut dans le ciel et dans la terre :

 

1 Malach., I, 11.

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cette parole prononcée originairement par le Fils de Dieu, a fait de ce pain son corps et de ce vin son sang. Mais il a dit à ses apôtres : « Faites ceci ; » et ses apôtres nous ont enseigné qu'on le ferait «jusqu'à ce qu'il vînt : » donec veniat (1), jusqu'au dernier jugement. Ainsi la même parole répétée par les ministres de Jésus-Christ, aura éternellement le même effet. Le pain et le vin se changent : le corps et le sang de Jésus-Christ en prennent la place. O Dieu, ils sont sur l'autel ce même corps, ce même sang : ce corps donné pour nous, ce sang répandu pour nous. Quelle étonnante merveille ! C'est une merveille pour nous, mais ce n'est rien d'étonnant pour le Fils de Dieu, accoutumé à faire tout par sa parole : « Tu es guérie (2), » on est guéri : « Tu es vivant (3), » on vit et la vie qui s'en allait est rappelée. Il dit : « Ceci est mon corps : » ce n'est plus du pain, c'est ce qu'il a dit; il a dit : « Ceci est mon sang : » ce n'est plus du vin dans le calice, c'est ce que le Seigneur a proféré ; c'est là son corps, c'est le sang. Ils sont séparés : oui, séparés : le corps d'un côté, le sang de l'autre : la parole a été l'épée, le couteau tranchant qui a fait cette séparation mystique. En vertu de la parole, il n'y aurait là que le corps, et rien là que le sang : si l'un se trouve avec l'autre, c'est à cause qu'ils sont inséparables depuis que Jésus est ressuscité : car depuis ce temps, il ne meurt plus. Mais pour imprimer sur ce Jésus qui ne meurt plus, le caractère de la mort qu'il a véritablement soufferte, la parole vient, qui met le corps d'un côté, le sang de l'autre, et chacun sous des signes différents. Le voilà donc revêtu du caractère de sa mort, ce Jésus autrefois notre victime par l'effusion de son sang, et encore aujourd'hui notre victime d'une manière nouvelle par la séparation mystique de ce sang d'avec ce corps ! Mais comment ce corps, comment ce sang? Cela se peut-il, et un corps humain peut-il être sous cette mince étendue ? Qui en doute, si la parole le veut? La parole est toute-puissante : la parole est l'épée tranchante qui va aux dernières divisions ; qui saura bien, si elle le veut, ôter à ce corps ses propriétés les plus intimes, pour ne nous en laisser que la nue et pure substance. Car c'est cela qu'il me faut : c'est à cette pure substance que le Verbe divin

 

1 I Cor., XI, 24-26. — 2 Marc, V, 34. — 3 Joan., XI, 43, 44.

 

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est uni : car son union est substantielle : son union se fait dans la substance : celle qu'il veut avoir avec moi, se fera aussi par la substance de son corps et de son sang : il l'a dit, et cela est fait dans le moment.

— Mais je ne vois rien de nouveau sur cet autel! — Je le crois bien : la parole sait ôter au sens tout ce qu'elle veut, lorsqu'elle veut exercer la foi : Jésus-Christ, quand il a voulu, s'est rendu invisible aux hommes : il a passé au milieu d'eux sans qu'ils le vissent : deux disciples, à qui il parlait, ne le connurent qu'au moment qu'il le voulut : Marie le prit pour le jardinier, jusqu'à ce qu'il l'eût réveillée et lui eût ouvert les yeux par sa parole : il entre, il sort, et on ne le voit ni entrer ni sortir : il paraît, il disparaît comme il lui plaît. Qui doute donc qu'il ne puisse nous rendre invisible ce qui par soi-même ne le serait pas? La parole, ce glaive tranchant, est venue et a séparé de ce corps  et de ce sang, non-seulement tout ce qui pourrait les rendre visibles, mais encore tout ce par où ils pourraient frapper nos autres sens.

—  Mais je vois tout ce que je voyais auparavant; et si j'en crois mes sens, il n'y a que pain et que vin sur cette table mystique. Le pain y est-il ? le vin y est-il ? — Non : tout est consumé : un feu invisible est descendu du ciel : la parole est descendue : a tout pénétré au dedans de ce pain et de ce vin : elle n'a laissé de substance sur la table sacrée que celle qu'elle a nommée : ce n'est plus que chair et sang. Et comment? La parole est toute-puissante : tout lui a cédé, et rien n'est demeuré ici que ce qu'elle a énoncé : ce feu a tout changé en lui-même, la parole a tout changé en ce qu'elle a dit.

— Mais je vois le même extérieur ? — Oui, parce que la parole n'a rien laissé que ce qui lui était nécessaire pour nous indiquer où il fallait aller prendre ce corps et ce sang, et tout ensemble pour les couvrir à nos yeux. Les anges ont apparu en forme humaine : le Saint-Esprit même s'est manifesté sous la forme d'une colombe : la parole veut que le corps de Jésus-Christ nous apparaisse sous les espèces du pain, parce qu'il fallait un signe pour nous annoncer où il fallait l'aller prendre : ce qu'elle veut s'accomplit : elle a consumé toute la substance : ce que vous voyez est

 

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comme la rendre que ce feu divin a laissée; mais plutôt ce n'est pas la cendre, puisque la cendre est une substance, et ce qui reste de cet holocauste n'est que l'enveloppe sacrée du corps et du sang : c'est enfin ce que la parole a voulu laisser pour nous marquer la présence occulte, quoique véritable, de ce corps et de ce sang de Jésus-Christ, qu'elle voulait bien mettre là en vérité et en substance, mais qu'elle ne voulait montrer qu'à notre foi. N'en disons pas davantage ; car tout le reste est incompréhensible, et n'est vu que de celui qui l'a fait.

Voilà le signe que Jésus-Christ nous a laissé, signe auquel nous reconnaissons qu'il est véritablement présent. Car la parole nous le dit; et il ne faut pas être en peine de la manière dont elle exécute ce qu'elle prononce : il ne faut songer qu'à ce qu'elle signifie. Car elle a en elle-même une vertu pour faire tout ce que veut celui qui l'envoie : « Il a, dit-il, envoyé sa parole, et elle les a guéris, et elle les a arrachés des mains de la mort (1). Sa parole ne revient point inutile : elle fait tout ce qu'il a ordonné (2). » Entendez donc encore un coup cette parole : « Ceci est mon corps. » S'il avait voulu laisser un simple signe, il aurait dit : Ceci est un signe ; s'il avait voulu que le corps fût avec le pain, il aurait dit : Mon corps est ici.  Il ne dit pas : Il est ici, mais : « Ceci l'est ; » par là il nous définit ce que c'était, et ce que c'est. Quand on vous demandera : Qu'est-ce que ceci ? Il n'y a qu'un mot à répondre : C'est son corps : la parole a fait cette merveille.

Elle n'en demeure pas là : sortie de la bouche du prêtre comme de celle du Fils de Dieu, elle a fait sur le saint autel ce changement prodigieux : elle tourne ensuite sa vertu sur nous tous, qui assistons au sacrifice. Elle éteint en nous tous nos sens : nous ne voyons plus : nous ne goûtons plus par rapport à ce mystère : ce qui nous paraît pain, n'est plus pain; ce qui nous paraît vin, n'est plus vin : c'est le corps, c'est le sang de Jésus-Christ. Nous n'en croyons plus le jugement de nos sens ; nous en croyons la parole : elle a tout changé ; et nous-mêmes nous ne sommes plus ce que nous étions, des hommes assujettis à leurs sens, mais des hommes assujettis à la parole. En cet état nous approchons du saint autel :

 

1 Psal. CVI, 20. — 2 Isa., LV, 11.

 

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Venez, le désiré de mon cœur : Sitivit in te anima mea : « Mon âme a soif de vous ; en combien de manières ma chair vous désire-t-elle (1) ? » Oui, ma chair prend part au désir de l'aine : car c'est en elle que s'acomplit ce qui cause à l’âme ces transports. « Mon cœur et ma chair se réjouiront dans le Dieu vivant (2) : tous mes os crieront : Seigneur, qui est semblable à vous (3)? » Qui vous est semblable en puissance ? Mais qui vous est semblable en bonté et en amour ?

 

LVIIIe JOURNÉE.
Simplicité et grandeur de ce sacrifice.

 

Que le sacrifice des chrétiens est grand ! qu'il est auguste! mais qu'il est simple ! qu'il est humble ! Un peu de pain, un peu de vin et quatre paroles le composent ! Je reconnais le caractère du Seigneur Jésus : Qui voyez-vous? un homme : Qu'y croyez-vous? un Dieu. Saint Paul dit : «Qui mangera de ce pain (4)?»—Il ne parle que de pain , direz-vous. — Il parle de ce qui paraît, et il se plaît à marquer ce qu'il y a d'humble, de commun, de familier dans ce sacrifice. Mais pénétrez la simplicité de cette parole ; voyez ce qui suit, ce qui précède : vous entendrez alors quelle force, quelle grandeur il y a dans cette parole : « Qui mange ce pain. » Car ce pain, c'est-à-dire ce pain fait corps : ce pain en apparence, mais corps en effet; ce pain par qui un autre pain et le vrai pain de vie éternelle nous est donné. Voilà ce que veut dire ce pain. Il faut entendre de même «le calice du Seigneur. » Les calices qui ont servi à l'Eucharistie ont été des matières les plus précieuses, et cela dès l'origine du christianisme : et même durant le temps des persécutions et de la pauvreté de l'Eglise. Je ne m'en étonne pas : Jésus-Christ nous a fait entendre de quoi son corps était digne, quand il a permis et approuvé qu'on employât tant de parfums exquis, non-seulement à l'honorer pendant sa vie, mais encore à l'oindre après sa mort.

 

1 Psal. LXII, 2. — 2 Psal. LXXXIII, 3. — 3 Psal. XXXIV, 10. — 4 I Cor., XI, 28.

 

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Mais quoiqu'il approuve ces choses et que son Eglise les imite, elle n'est point, attachée à cet appareil extérieur. La persécution lui peut ôter l'or et l'argent dans lesquels elle sert le Fils de Dieu : peut-elle lui faire perdre la richesse de son sacrifice? Non : un peu de pain, un peu de vin lui peuvent fournir de quoi offrir à Dieu le plus auguste sacrifice, et de quoi donner à tous les fidèles le plus magnifique repas. Voilà les vraies richesses de l'Eglise : les autres non-seulement lui peuvent être ôtées, mais elle-même elle s'en est souvent défaite. Elle a loué ses évêques, qui, pour assister les pauvres, se réduisaient à porter le corps de Jésus-Christ dans un panier et son sang dans un simple verre ; ceux qui employaient les vaisseaux sacrés à racheter les captifs, à acheter de la place pour enterrer ses morts.  Il faut donc avoir du zèle pour honorer les mystères, et ni l'or ni les pierreries ne doivent point être épargnés pour exciter la révérence des peuples ; mais cependant n'oublions jamais que ce qu'il y a de vraiment riche dans ce sacrifice, c'est ce qui est le plus caché, le plus humble. — Mais que fait là Jésus-Christ? Je ne vois pas qu'il y fasse rien qui soit digne de lui. — C'est cela même qui est grand : car c'est par là qu'il faut voir que toute sa grandeur est en lui-même : c'est en cela qu'il fait voir que toute sa grandeur, aussi bien que toute notre félicité, est dans sa mort. Plus il est anéanti, plus il est mort, plus il nous transporte sa vie. Digne mémorial d'un Dieu qui s'est anéanti lui-même.

 

LIXe JOURNÉE.
L'Agneau devant le trône de Dieu. Apoc., V, 6.

 

Les cieux s'ouvrent : je perce au dedans du voile : j'entre dans le sanctuaire éternel, et j'y vois avec saint Jean devant le trône « l'Agneau comme tué, et autour les vingt-quatre vieillards vénérables (1). » C'est ce que je vois dans le ciel, c'est ce que je vois dans la terre. Là Jésus comme mort, comme tué, avec les cicatrices de

 

1 Apoc., V, 6.

 

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ses plaies, au milieu de ses saints; ici le même Jésus encore comme tué, et revêtu des signes sacrés de la mort violente qu'il a soufferte , environné de part et d'autre de l'assemblée de ses prêtres. Que nous dit saint Paul de ce Jésus considéré dans le ciel? « Qu'il paraît pour nous devant la face de Dieu : qu'il est dans le ciel toujours vivant, afin d'intercéder pour nous (1) : » qu'il intercède pour nous par sa présence. Et que dirons-nous à son exemple de ce Jésus posé sur le saint autel, sinon que sa seule présence et la représentation de sa mort, est une intercession perpétuelle pour le genre humain ?

Accompagnons donc cette action de saintes prières : chargeons de nos vœux Jésus-Christ présent. Nous ne prions que par Jésus-Christ : le voilà présent : prions donc par lui plus que jamais. Agneau sans tache, Agneau qui ôtez les péchés du monde, détournez les yeux de votre Père de dessus mes péchés. Je comparais devant son trône : et j'en vois sortir « des éclairs et des tonnerres, et des voix (2) » terribles et fulminantes contre moi, contre mes crimes. Où me cacherai-je? je suis perdu, je suis foudroyé. Mais je vous vois entre deux, Agneau sans tache : Vous arrêtez ces foudres, et le feu de la justice divine s'amortit devant vous. Je respire, j'espère, je vis. Mais cet Agneau doux et paisible me dit de devant ce trône : « Allez, et ne péchez plus (3): » il ne pardonne qu'à cette condition.

 

LXe JOURNÉE.
Jésus notre victime donné à la croix, donné dans l'Eucharistie. Luc, XXII, 19, 20.

 

Que je trouve de douceur à méditer votre parole! que j'en trouve dans cette parole par laquelle vous établissez et continuez ce banquet, qui est en même temps un sacrifice! Je ne me lasse point de la méditer : je la considère de tous côtés : je la rumine pour ainsi parler, et je la passe et repasse sans cesse dans ma

 

1 Hebr., IX, 24; VII, 25. — 2 Apoc., IV, 5. — 3 Joan., VIII, 11.

 

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bouche pour la goûter, pour en tirer tout le suc : « Ceci est mon corps donné pour vous; » en temps présent : « qui se donne : Ceci est mon sang répandu pour vous (1) ; » dans le même temps : « qui se répand. » Saint Matthieu parle ainsi, saint Marc, saint Luc, saint Paul : quatre témoins parfaitement uniformes de votre parole : tous quatre parlent en présent: cela est clair dans l'original, et l'interprète latin qui a traduit au futur : « sera livré, sera répandu » par rapport à la croix où ce corps allait effectivement être livré, et où ce sang allait être répandu, a conservé dans saint Luc le temps présent : Hoc corpus, quod pro vobis datur, afin que nous entendissions, non-seulement que Jésus-Christ en disant : « Ceci est mon corps, » l'entendait de ce même corps qui allait être livré pour nous, mais encore qu'il entendait que ce même corps, qui allait être livré et donné pour nous, l'était déjà par avance dans la consécration mystique, et le serait à chaque fois qu'on célébrerait ce sacrifice. Croyons donc, non-seulement que le corps de Jésus-Christ devait être donné pour nous à la croix et l'a été en effet, mais encore qu'à chaque fois qu'on prononce cette parole il est par cette parole actuellement donné pour nous : Hoc corpus, quod pro vobis datur.

Il veut donc dire que ce corps, non-seulement nous est donné dans l'Eucharistie : « Prenez, mangez; ceci est mon corps (2): » mais encore qu'il y est donné pour nous, offert pour nous, aussi bien qu'il l'a été à la croix : ce qui marque qu'il est encore ici notre victime, qu'il y est encore offert, quoique d'une autre manière. Ainsi ce terme : « Donné pour vous, » se dit de Jésus-Christ sur la croix, et se dit de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, et convient à ce double état de Notre-Seigneur du corps présent dans l'un et dans l'autre. C'est pourquoi le Sauveur, non-seulement parle en temps présent pour nous montrer qu'il est ici comme en la croix, se donnant actuellement pour nous, mais encore il choisit un terme qui convient à son sacré corps dans ces deux états. S'il avait dit : Ceci est mon corps qui est crucifié, percé de plaies, mis à mort pour vous, on ne pourrait pas dire que cela lui convient dans l'Eucharistie : car il n'y meurt plus; et il faudrait expliquer

 

1 Luc, XXII, 19, 20. — 2 Matth., XXVI, 26.

 

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nécessairement et uniquement : Ceci est ce même corps, qui sera mis en croix pour vous, et y rendra le dernier soupir pour votre salut. Mais il a dit : « Ceci est mon corps donné : » cela convient à ses deux états; ce corps est donné à la croix, ce corps est encore donné dans l'Eucharistie, et dans l'un et dans l'autre état donné pour nous. Dès là qu'il est dans l'Eucharistie pour nous y être donné, il est donné pour nous: avant que de nous le donner à manger, la parole de Jésus-Christ le rend présent, et cette présence est encore pour nous. Jésus-Christ est présent pour nous devant son Père ; il se présente pour nous, il s'offre pour nous; et sa présence seule est pour nous une intercession toute-puissante.

Voilà donc ce qu'opère dans l'Eucharistie ce précieux terme : « Ceci est mon corps donné. »

Mais peut-être que les autres termes rapportés par les écrivains sacrés, n'ont pas été prononcés avec le même choix, et ne conviennent pas également aux deux états de la présence de Jésus-Christ. Voyons, lisons, méditons : « Ceci est mon sang répandu : » il est répandu sur la croix; mais n'est-il pas encore répandu dans le calice? N'y a-t-il pas dans ce calice de quoi faire à Dieu pour notre salut la plus salutaire effusion qui fut jamais? Ce sang est là pour être répandu sur les fidèles : il est là en état d'être répandu et sous la forme d'une liqueur, dont le propre est de se répandre. Ce sang qui a été répandu à la croix et qui a coulé de toutes les veines rompues du Sauveur, coule encore dans ce calice de toutes ses plaies, et principalement de celle du sacré côté. C'est pour cela que nous mêlons ce calice d'un peu d'eau en mémoire de l'eau qui coula du côté ouvert avec le sang. Seigneur Jésus Vous êtes la parole, et vos paroles sont prononcées avec un choix digne de vous. En disant : « Ceci est mon sang répandu pour vous, » en temps présent, vous me marquez que non-seulement il est répandu pour moi sur la croix, mais encore qu'il se répand pour moi et pour la rémission de mes péchés dans ce calice, pour m'en assurer, pour me l'appliquer, pour continuer éternellement l'intercession toute-puissante que vous faites pour moi par ce sang.

Continuons à ruminer ces saintes paroles : « Ceci est mon corps

 

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donné pour vous, » avons-nous lu dans saint Luc. Mais le mot que saint Paul a mis en la place est celui-ci : « Ceci est mon corps rompu pour vous (1) ; » mais que veut dire ce terme, selon l'usage de la langue sainte ? Isaïe nous l'a expliqué par ces paroles : « Romps ton pain à celui qui a faim (2) : » donne-lui ce pain : fais-lui-en part. Saint Paul explique donc bien : « Ceci est mon corps donné pour vous, » par : « Ceci est mon corps rompu pour vous. » Ce corps est mis en état de nous être donné, de nous être distribué, de nous être rompu dans l'Eucharistie; et dès qu'il est mis dans cet état, il est déjà rompu et donné pour nous dans la destination et par la parole de Jésus-Christ. Mais ce même terme a aussi son rapport au corps en croix, au corps froissé de coups et percé de plaies, suspendu à une croix dans un état si violent, où son sang ruisselle de tous côtés de ses veines cruellement rompues. Le mot de rompre convient donc encore aux deux états, et à celui de Jésus-Christ à la croix, et à celui de Jésus-Christ dans l'Eucharistie : le corps est donné dans l'un et l'autre état : il est rompu dans l'un et dans l'autre. Il en est de même du sang. Le corps est partout donné pour nous, il est partout notre victime : le sang est partout versé pour nous : il a coulé pour nous sur la croix : il coule encore pour nous dans la coupe sacrée.

Mon Sauveur, quel sacrifice ! Mon Sauveur, encore un coup, que de douceur à méditer votre parole ! J'y trouve toujours de nouveaux goûts comme dans la manne : votre corps et votre sang sont mon oblation, mon sacrifice, ma victime, et sur la croix et sur la sainte table, et comme la croix cette table est un autel. Ah! vraiment ce que dit saint Paul est bien véritable ! « Nous avons un autel dont ceux qui demeurent attachés au tabernacle » ancien et à l'autel de la loi, « n'ont pas pouvoir de manger (3). » Pour y participer, il faut entrer en esprit dans « le tabernacle, qui n'est pas fait de main d'homme (4). »

 

1 I Cor., XI, 24, Graec. — 2 Isa., LVIII, 7. — 3 Hebr., XIII, 10. — 4 Hebr., IX, 11.

 

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LXIe JOURNÉE.
L'Eucharistie est le sang du Nouveau Testament. Matth., XXVI, 28.

 

Je reviens aux paroles de l'institution avec un nouveau goût, et j'y trouve ce mot qui me touche : « Ceci est mon sang du Nouveau Testament (1). » Je trouve dans ce mot de Testament je ne sais quoi qui me frappe, qui m'attendrit. C'est ici un testament : c'est l'assurance de mon héritage ; mais il faut qu'il en coûte la mort à celui qui le fait. J'ouvre encore la divine Epître aux Hébreux, et j'y trouve ces paroles : « Partout où il y a un testament, il faut que la mort du testateur s'y rencontre : car le testament est confirmé dans la mort; et il n'a pas sa valeur, tant que le testateur est en vie. C'est pourquoi l'ancien Testament même n'a pas été consacré sans sang : car après que Moïse eut lu le commandement de la loi à tout le peuple, il prit du sang de la victime, et le jeta sur le livre même et sur tout le peuple, en disant : C'est ici le sang du Testament que le Seigneur a fait pour vous (2). » Je vois donc l'héritage céleste donné par testament aux enfants de Dieu. Jésus-Christ est le testateur : il faut qu'il meure : le testament n'est valable et ne reçoit sa dernière force que par la mort du testateur; jusque-là il est sans effet, on le peut même changer : ce qui le rend sacré et inviolable, ce qui lui donne son plein et entier effet et saisit l'héritier de tout le bien qui lui a été laissé par le testateur, c'est sa mort. Et tout cela s'accomplit parfaitement en Jésus-Christ, qui meurt pour nous assurer notre héritage. C'est pourquoi l'ancien Testament, qui devait être la ligure du Nouveau, n'a pas été consacré sans sang : tout le peuple et le livre même de la loi, où la promesse de l'héritage était renfermée, est sanctifié par l'aspersion de ce sang : tout est ensanglanté, et le caractère de mort paraît partout ; et Moïse en jetant ce sang sur le livre de l'alliance, lui donne le caractère de testament, en disant, selon que l'interprète saint Paul : « C'est ici le sang du Testament, que fait le Seigneur à votre avantage (3). » Ce que Jésus accomplit en

 

1 Matth., XXVI, 28. — 2 Hebr., IX, 16, 17, etc. — 3 Ibid., 20.

 

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disant aussi : « Ceci est le sang, » non de l'ancien « Testament, » mais du « Nouveau. »

Ce qui paraît donc en ces paroles et par le rapport qu'elles ont avec les anciennes figures, c'est que le sang de Jésus-Christ versé à la croix, et ver.^é d'une manière très-réelle et très-véritable, quoique différente de celle-là, « est le sang du Nouveau Testament, » c'est-à-dire le sang versé pour lui donner toute sa force. Il y a des testaments dont la loi est qu'ils soient écrits de la main du testateur; mais la loi du Testament de Jésus-Christ, c'est qu'il devait être confirmé et comme tout écrit de son sang : l'instrument de ce testament et l'acte où il est écrit, c'est l'Eucharistie. Les promesses de Jésus-Christ et du nouvel héritage, nous sont faites par la mort de Jésus-Christ, qui nous tire par là de l'enfer et nous assure le ciel ; et l'acte où cette promesse est rédigée, l'instrument où la volonté et la disposition de notre Père est écrite ; cet acte, cet instrument est tout écrit de son sang : son testament, en un mot, c'est l'Eucharistie.

Qui donc ne serait ému en entendant tous les jours ces paroles du Sauveur : « Ceci est mon sang du Nouveau Testament; » ou comme le tourne saint Luc : « Ce calice est le Nouveau Testament par mon sang (1) » qu'il contient parce que telle est la nature de ce Testament, qu'il doit être écrit tout entier du sang même du testateur. Venez lire, chrétiens, venez lire ce testament admirable : venez en entendre la publication solennelle dans la célébration des saints mystères : venez jouir des bontés de votre Sauveur, de votre Père, de ce divin testateur qui vous achète par son sang votre héritage, et qui écrit encore de ce même sang le Testament par lequel il vous le laisse: venez lire ce Testament: venez posséder : venez jouir : l'héritage céleste est à vous.

 

LXIIe   JOURNÉE.
C'est le Nouveau Testament par le sang de Notre-Seigneur.

 

« Ce calice est le Nouveau Testament par mon sang : » c'est

 

1 Luc, XXII, 20.

 

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ainsi que saint Luc et saint Paul (1) tournent ce que rapportent saint Matthieu et saint Marc : « Ceci est le sang du Nouveau Testament. »

Il n'y a pas lieu de douter que les paroles prononcées par Jésus-Christ en donnant son corps, ne soient celles-ci : « Ceci est mon corps, » puisque tous ceux qui ont écrit cette institution, saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et saint Paul, le rapportent dans ces mêmes termes.

Il n'y a non plus lieu de douter que Jésus-Christ n'ait consacré son sang avec la même façon de parler dont il a consacré «son corps; c'est-à-dire comme le racontent, saint Matthieu et saint Marc : « Ceci est mon sang du Nouveau Testament ». » Mais comme il y avait quelque chose de particulier à considérer dans ce sang du Nouveau Testament, et qu'il y fallait entendre que ce sang versé pour nous sur la croix, et encore versé pour nous et transformé en une liqueur dans l'Eucharistie, y était la confirmation et le témoignage certain de la dernière disposition de notre Père, saint Luc et saint Paul l'expliquent ainsi: « Cette coupe est le Nouveau Testament en mon sang. » Comme si on disait : De même que ce papier où est écrite de la main de votre père sa dernière volonté, est son testament, ainsi cette coupe sacrée est le Testament de Jésus-Christ par son sang qu'elle renferme et dont la dernière disposition devait être écrite.

Il n'y a donc rien de plus simple que les paroles dont Jésus-Christ a usé : « Ceci est mon corps : Ceci est mon sang du Nouveau Testament : » il n'y a là aucune figure, et tout y est véritable au pied de la lettre. Dans ces paroles de saint Luc et de saint Paul, ou plutôt dans ces paroles de Jésus-Christ, ainsi que ces deux écrivains sacrés les ont tournées : « Cette coupe est le Nouveau Testament par mon sang, » il y a une façon de parler un peu plus tournée, aisée toutefois et du discours familier, semblable à celle qui appelle du nom de testament l'instrument où est déclarée la dernière volonté du testateur. Mais en même temps la vérité du sang est marquée avec une force particulière. Car il y est expressément marqué, que si la coupe qu'on nous présente

 

1 Luc., XXII, 20; I Cor., XI, 25. — 2 Matth., XXVI, 28; Marc., XIV, 24.

 

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est le Testament de Jésus-Christ, si elle est l'instrument sacré où sa dernière disposition est marquée, c'est par le sang de Jésus-Christ qu'elle contient, à cause que ce Testament, comme on vient de voir, était de nature à être écrit, non pas de la propre main, mais du propre sang du testateur. Et les paroles de saint Luc marquent ce sens évidemment : car à les traduire mot à mot, selon qu'elles se trouvent dans l'original, il faut rapporter ces mots : « Répandu pour vous, » non pas au sang, mais à la coupe; et on les doit traduire ainsi : « Cette coupe versée pour vous est le Nouveau Testament par mon sang : » ce n'est pas seulement le sang qui est versé pour vous : c'est la coupe, au même sens qu'on dit tous les jours, quand une liqueur est répandue, que le vase où elle était est répandu. Entendons donc aussi que cette coupe est ici répandue pour nous; c'est-à-dire que le sang qu'elle contient n'est pas seulement répandu pour nous à la croix ; mais qu'en tant qu'il coule encore dans cette coupe et qu'il en découle sur nous, c'est encore une effusion qui se fait pour notre salut et une oblation véritable.

Rendons grâces à Jésus-Christ, qui nous a expliqué en tant de sortes et d'une manière si expresse le sacrifice qu'il continue à offrir pour nous dans l'Eucharistie. Voyons-y encore couler pour nous le sang de la rédemption en vérité comme sur la croix, quoique sous une forme étrangère. Il est puissant pour opérer tout ce qu'il a dit : son sang est ici ; cette coupe en est pleine; il s'y répand tous les jours pour nous; c'est de ce sang qu'est écrit le Testament de notre Père. Et quel est ce Testament, sinon celui dont il est écrit : « C'est ici le Testament que je ferai avec eux : je mettrai ma loi dans leurs cœurs, et je l'écrirai dans leur esprit, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés (1). »

Et pourquoi nous léguer par testament la rémission des péchés, si ce n'est pour lever l'obstacle qui nous empêche d'entrer dans le ciel. qui est notre véritable héritage ? Et pourquoi faire cela par un testament, si ce n'est pour nous faire souvenir que pour être en droit de nous léguer cet héritage céleste, il en devait coûter la vie à celui qui nous le léguait par testament? Et pourquoi nous

 

1 Jerem., XXXI, 31, 33, 34; Hebr., VIII, 8 et seq.; X, 16, 17.

 

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donner le sang du Nouveau Testament; ou comme le tournent saint Luc et saint Paul, pourquoi nous donner ce testament scellé, confirmé, écrit avec le sang du testateur, sinon pour appuyer notre foi et enflammer notre amour? Qui ne serait attendri, en voyant un testament écrit de cette sorte? Que l'héritage est grand, qui nous est légué par un testament si auguste, si précieux ! Qui aurait le cœur si endurci, qui voyant ruisseler encore de cette coupe sacrée le sang de ce Testament, par lequel nos péchés sont lavés, ne les aurait en horreur, et n'en déracinerait jusqu'aux moindres restes à la vue et par la vertu de ce sang ?

 

LXIIIe JOURNÉE.
La Messe est la continuation de la Cène de Jésus-Christ, lbid.

 

Reconnaissons donc, chrétiens, que toutes grâces abondent dans ce sacrifice. Jésus est mort une fois, et n'a pu être offert qu'une fois en cette sorte : autrement il faudrait conclure que la vertu de cette mort serait imparfaite. Mais ce qu'il a fait une fois de cette manière, qui était de s'offrir ainsi tout ensanglanté et tout couvert de plaies, et de rendre son âme avec tout son sang, il le continue tous les jours d'une manière nouvelle dans le ciel, où nous avons vu par saint Paul qu'il ne cesse de se présenter pour nous , et dans son Eglise où tous les jours il se rend présent sous ces caractères de mort.

Peuple racheté, assemblez-vous pour célébrer les miséricordes de votre Père céleste par Jésus-Christ immolé pour vous. Où est le corps de Jésus, là est le lieu de votre assemblée : « Où est ce corps, là les aigles doivent accourir (1). » Et qu'y ferons-nous? qu'a fait Jésus? « Il a pris du pain : il a béni : il a rendu grâces dessus : » il a fait de saintes prières : « il a pris une coupe (2) : » il a fait de même dessus. Le prêtre fait comme lui; on mange, on boit ce corps et ce sang; on dit l'hymne et on se retire. Soyons attentifs : suivons le prêtre qui agit en notre nom, qui parle pour

 

1 Matth., XXIV, 28. — 2 Matth., XXVI, 20, 27, 30; Marc., XIV, 22, 23, 26.

 

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nous : souvenons-nous de la coutume ancienne, d'offrir chacun son pain et son vin, et de fournir la matière de ce sacrifice céleste: la cérémonie a changé : l'esprit en demeure : nous offrons tous avec le prêtre : nous consentons à tout ce qu'il fait, à tout ce qu'il dit. Et que dit-il? « Priez, mes frères, que mon sacrifice et le vôtre soit agréable au Seigneur notre Dieu. » Et que répondez-vous? « Que le Seigneur le reçoive de vos mains. » Quoi ! notre sacrifice et le vôtre. Et que dit encore le prêtre? « Souvenez-vous de vos serviteurs, pour qui nous vous offrons. » Est-ce tout? Il ajoute : « Ou qui vous offrent ce sacrifice. » Offrons donc aussi avec lui : offrons Jésus-Christ; offrons-nous nous-mêmes avec toute son Eglise catholique, répandue par toute la terre.

Le prêtre bénit, il rend grâces sur ce pain et sur ce vin, qui va être changé au corps et au sang; il prie pour toute l'Eglise : bénissez, rendez grâces, priez. On vient à cette spéciale bénédiction, par laquelle on consacre ce corps et ce sang : écoutez, croyez, consentez. Offrez avec le prêtre, dites Amen sur son invocation, sur sa prière. Le voilà donc : il est présent : la parole a eu son effet, voilà Jésus aussi présent qu'il a été sur la croix, où il a paru pour nous par l'oblation de lui-même (1) : aussi présent qu'il est dans le ciel, où il paraît encore pour nous devant la face de Dieu (2). Cette consécration, cette sainte cérémonie, ce culte plein de sang et néanmoins non sanglant, où la mort est partout, et où néanmoins l'hostie est vivante, est le vrai culte des chrétiens ; sensible et spirituel, simple et auguste, humble et magnifique en même temps.

Quoi ! durant un si grand mystère, pas un soupir sur vos péchés, pas un sentiment de componction! Vous assistez de corps seulement ! Et quoi ! Jésus n'est-il ici que selon le corps ? son esprit n'est-il pas aussi avec nous? Et que veut donc dire le prêtre, lorsqu'il nous salue, en disant : Dominus vobiscum : « Le Seigneur est avec vous? — Et avec votre esprit, » répondez-vous. C'est donc à l'esprit du prêtre , à l'esprit du sacrifice , que vous voulez vous unir; et votre corps est là comme mort, sans esprit, sans foi ! Quoi donc ! vous ne sentez rien ! Vous ne songez pas que ces

 

1 Hebr., IX, 26. — 2 Ibid., 24.

 

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espèces sacrées sont l'enveloppe où est renfermé le corps de votre Sauveur, et comme le drap mortuaire dont il est couvert ! Vous assistez au tombeau où est votre Père qui est mort percé de plaies pour vous sauver; et vous êtes insensible ! Vous vous réveillez à ces paroles ; mais songez-vous bien que ce Jésus ici présent ne veut pas vous voir le moindre ressentiment contre votre frère; ou pour parler comme lui, avec le moindre ressentiment de votre frère contre vous (1)! Vos autres dérèglements ne lui causent pas moins d'horreur. Allez, « hypocrites, qui ne m'honorez que des lèvres et dont le cœur est loin de moi (2), » retirez-vous. Non, revenez : ranimez-vous : rentrez en vous-mêmes : donnez du moins un soupir au déplorable état de votre âme. Dites : « Je confesserai à Dieu mon péché : et vous me l'avez remis (3) : » oui, vous le pourrez confesser avec tant de componction et de si bon cœur, qu'il vous sera pardonné à l'instant.

 

LXIVe JOURNÉE.
La communion. II faut communier au moins en esprit. Ibid.

 

On vient à la communion : heure terrible, heure désirable ! Le prêtre a communié : préparez-vous : votre tour viendra dans un moment. Communiez d'abord en esprit : croyez : adorez : désirez. C'est ma viande, c'est ma vie; je la désire, je la veux. Vous n'êtes pas préparé à communier : pleurez, gémissez. Hélas ! où est le temps où nul n'assistait que les communiants, où l'on chassait, où l'on reprenait, du moins où l'on blâmait ceux qui assistaient au banquet sacré sans manger? En effet y assister sans manger, n'est-ce pas déshonorer le festin et en mépriser les viandes? Quel mépris, quelle maladie, quel dégoût? Mais ce n'est plus la coutume. Ecoutez ce que dit l'Eglise dans le concile de Trente : « Le saint concile désirerait que tous ceux qui assistent au sacrifice y participassent (4). » Pourquoi le saint concile le désire-t-il, si ce n'est que Jésus-Christ le désire ? Car il ne se change en viande que

 

1 Matth., V, 23. — 2 Matth., XV, 7, 8. — 3 Psal. XXXI, 5. — 4 Sess. XXII, cap. VI.

 

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pour être mangé. L'Eglise désire donc que vous communiiez , vous tous qui assistez au sacrifice. Le concile toutefois ne dit pas qu'il désire; il dit qu'il désirerait : Optaret scinda synodus. Pourquoi? l'Eglise n'ose former un désir absolu d'un si grand bien : elle désirerait que tout le monde le fit, que tout le monde en fût digne. O prêtre, désirez aussi que tout le monde communie avec vous. Et vous tous qui assistez, répondez à ce désir de l'Eglise et de son ministre. Si vous ne communiez pas , encore un coup pleurez du moins, gémissez; reconnaissez en tremblant que le chrétien devrait vivre de manière, qu'il put communier tous les jours. Promettez à Dieu de vous préparer à communier au plus tôt : vous aurez communié du moins en esprit. Le prêtre communie : le prêtre achève, affligé de communier seul : ce n'est pas sa faute : il ne faut pas laisser de dresser la table, encore que tous n'en approchent pas. Telle est la libéralité, telle est la bonté du grand Père de famille. Enfin donc le sacrifice est consommé : retirez-vous avec douleur, de n'y avoir pas eu toute la part qui vous était destinée.

 

LXVe JOURNÉE.
L'action de grâces. Matth., XXVI, 30.

 

« Et après avoir dit l'hymne, ils s'en allèrent à la montagne des Oliviers (1). » Ils y allèrent à la vérité ; mais avant que Jésus-Christ partît, il se passa plusieurs choses que nous verrons dans la suite. Arrêtons-nous un moment sur cet hymne , sur ce cantique d'action de grâces et d'allégresse, par lequel Jésus et ses apôtres finirent le saint mystère. Que pouvaient chanter ceux qui étaient rassasiés de Jésus-Christ et enivrés du vin de son calice, sinon celui dont ils étaient pleins? « L'Agneau qui a été immolé, est vraiment digne de recevoir la force, la divinité, la sagesse, la puissance, l'honneur, la gloire, la bénédiction. Et j'entendis toute créature qui est au ciel, sur la terre, sous la terre , sur la mer et dans la mer, et tout ce qui est dans ces lieux qui criaient en

 

1 Matth., XXVI, 30.

 

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disant : A celui qui est assis sur le trône et à l'Agneau, bénédiction, honneur, gloire, et puissance aux siècles des siècles (1) ! »

Le monde chante les joies du monde ; et nous que chanterons-nous, après avoir reçu le don céleste, que les joies éternelles ?

Le monde chante ses passions, ses folles et criminelles amours : et nous que chanterons-nous, sinon celui que nous aimons? Le monde fait retentir de tous côtés ses joies dissolues : et qu'entendra-t-on de notre bouche, après avoir bu ce « vin qui germe les vierges (2), » sinon des cantiques de sobriété et de continence? Remplis de la mort de Jésus-Christ, qui vient de nous être remise devant les yeux, et de la chair de son sacrifice, que chanterons-nous, sinon : « Le monde est crucifié pour moi et moi pour le monde (3) ? »

Ne vous en allez pas sans dire cet hymne, sans réciter le cantique de la rédemption du genre humain. Quoi ! Moïse et l'ancien peuple chantèrent avec tant de joie le cantique de leur délivrance, après être sortis de l'Egypte et avoir passé la mer Rouge ! Chantez aussi, peuple délivré ; chantez le cantique de Moïse et le cantique de l'Agneau, en disant : « Que vos œuvres sont grandes et admirables, ô Seigneur, Dieu tout-puissant! Que vos voies sont justes et véritables, ô Roi des siècles ! Seigneur, qui ne vous craindrait, et qui ne glorifierait votre nom? Toutes les nations viendront et adoreront devant votre face, parce que vos jugements sont manifestes (4). Vous avez détruit par votre mort celui qui avait l'empire de la mort, c'est-à-dire le diable (5). Le prince de ce monde est chassé (6) : et attachant à votre croix la cédule de notre condamnation , vous avez désarmé les principautés et les puissances : vous les avez menées en triomphe hautement et à la face de tout l'univers, après les avoir vaincues par votre croix (7). » Et maintenant, en mémoire d'une si belle victoire nous offrons par vous et en vous, à votre Père céleste, ce sacrifice de louanges et d'action de grâces, qui au fond n'est autre chose que vous-même, parce que nous n'avons que vous à offrir pour toutes les grâces que nous avons reçues par votre moyen.

 

1 Apoc., V, 12, 13. — 2 Zachar., IX, 17. — 3 Galat., VI, 11. —  4 Apoc., XV, 3, 4. — 5 Hebr., II, 14. — 6 Joan., XII, 31. — 7 Coloss., II, 14, 15.

 

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LXVIe JOURNÉE.
Trahison de Judas découverte. Joan., XIII, 26, 30.

 

Après la cène achevée, après que Jésus eut donné à Judas le morceau trempé, qui fut un signe à saint Pierre et à saint Jean pour connaître ce traître , le malheureux « se retira incontinent, et il était nuit (1). »

Pour l'ordre de l'histoire, on peut observer ce qui a déjà été remarqué dans l'évangile de saint Luc, qu'après la Cène Jésus parla encore à ses disciples, de celui qui le devait trahir : ce qui redoubla leur inquiétude sur l'auteur de la trahison. Ce fut alors que saint Pierre fit signe à saint Jean, et que Jésus leur donna à eux seuls la marque du morceau trempé.

Il ne le fit pas connaître à tous les disciples, comme saint Jean le dit expressément (2). Cela aurait causé parmi eux un trop grand tumulte, et ils se seraient peut-être portés à quelque violence, à laquelle aussi par sa bonté il ne voulait pas exposer le traître, ni le divulguer plus qu'il ne fallait. Mais comme il voulait qu'ils sussent qu'il connaissait parfaitement toutes choses et que cela leur était utile, il en choisit parmi ses disciples deux dont il connaissait mieux la discrétion, pour être quand il le faudrait, témoins aux autres qu'il ne sa voit pas les événements par de vagues connaissances ou des pressentiments confus, mais avec une lumière claire et distincte.

Il parla donc à saint Jean assez bas pour n'être entendu que de lui seul, ou tout au plus de saint Pierre, qui y était attentif. Les autres ne connurent rien à ce signal ; et Judas après avoir pris ce morceau, se retira incontinent, selon saint Jean.

Cette sortie précipitée du traître eût étonné les autres apôtres, s'ils n'eussent ouï Jésus-Christ qui lui avait dit : « Fais vite ce que tu as à faire (3) ; » ce qu'ils avaient entendu de quelque ordre qu'il lui donnait pour la fête ou pour les pauvres. Ils connaissaient

 

1 Joan., XIII, 30.— 2 Ibid., 28. — 3 Ibid., 27.

 

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la tendresse de leur Maître pour ces derniers. Il donnait souvent de pareils ordres pour eux, et on jugeait bien qu'il ne les oublierait pas au milieu de ses extrêmes périls. Aimons donc les pauvres et prenons-en tant de soin, qu'on ait sujet de penser que nous songeons toujours à eux.

Quelques-uns ont cru que ce morceau, après lequel Satan entra en Judas, fut celui du pain sacré de l'Eucharistie. Mais visiblement ce fut un morceau que Jésus-Christ trempa dans quelque plat; ce qui ne convient point à ce pain divin.

Il faut donc entendre que ce morceau fut à saint Jean le signe qu'il demandait, et à Judas la dernière marque de familiarité et de communication qu'il aurait avec lui : après quoi ce cœur ingrat, que rien ne put fléchir, fut livré à Satan.

Quanta ce que dit saint Jean, que « Judas sortit incontinent après, » on peut entendre cet incontinent en deux manières. L'une, que ce morceau trempé fut donné au traître pendant le souper; auquel cas l'incontinent ne voudrait pas dire le moment immédiatement suivant, puisqu'il y eut entre deux la consécration du sang qui se fit après le souper, et à laquelle Judas assista selon saint Luc, comme il a été dit souvent. L'incontinent en ce cas voudrait dire peu de temps après, et signifierait seulement qu'il n'y eut point d'autre action entre la sortie de table qui devait arriver un moment après, et la retraite de Judas. L'autre manière d'expliquer ce morceau trempé, c'est qu'il fut donné à Judas après la consécration de la coupe sacrée. Car encore que le souper fût achevé, on voit par saint Luc qu'on demeura encore quelque temps à table, puisque Jésus-Christ y parla encore du traître. Ce put donc être alors qu'il donna ce morceau à Judas comme extraordinaire ment et après le souper, peut-être même pour le mieux marquer aux deux disciples à qui il voulut bien le faire connaître. Au reste il n'est pas besoin d'être curieux sur ces circonstances; et lorsqu'on voit quelque obscurité dans les évangiles sur de telles choses, on doit croire qu'elles ne sont pas fort importantes, ou du moins qu'elles ne le sont pas pour tout le monde. Quoi qu'il en soit, après la cène, Judas sortit; et ce n'est pas sans raison que saint Jean remarque « qu'il était nuit, » afin de nous

 

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faire entendre que tout ceci et ce qui suit arriva peu d'heures avant que le Sauveur fût livré. Car il fut livré la même nuit. Cette circonstance du temps auquel Jésus parle, sert à nous rendre attentifs à ses dernières paroles, qui contiennent son dernier adieu et ses dernières instructions : celles par conséquent qu'il veut laisser le plus profondément gravées dans le cœur de ses disciples. En voici une très-importante que nous tirerons de saint Luc.

 

LXVIIe JOURNÉE.
Autorité légitime établie, domination interdite dans l'Eglise. Luc, XXII, 24.

 

« Il s'éleva aussi une dispute entre eux, lequel d'eux tous paraissait être le plus grand (1). » Celte dispute, assez fréquente parmi les apôtres, est renouvelée au temps de la Cène. Saint Luc la place incontinent après qu'il en a fait le récit et celui de l'étonnement où se trouvèrent les apôtres, lorsqu'ils se demandaient les uns aux autres lequel d'entre eux trahirait leur Maître (2). Rien ne peut éteindre l'ambition dans les hommes. L'exemple de la douceur et de l'humilité de Jésus-Christ le devait faire mourir. Et cependant ses disciples, gens grossiers qu'il avait tirés de la pêche et de la nacelle, s'y laissent emporter. C'est ce qu'on voit souvent dans l'histoire de l'évangile ; et Jésus les avait réprimés par les paroles les plus fortes, surtout lorsque les deux fils de Zébédée lui demandèrent les premières places de son royaume (3). Cependant la même dispute renaît, et dans le plus grand contre-temps qui fût jamais. Ils venaient de voir le lavement des pieds ; et Jésus qui leur ordonnait de suivre cet exemple , pour les y exciter davantage, les avait fait souvenir que lui, qui le leur donnait, était leur Seigneur et leur Maître. Combien plus se devaient-ils abaisser, eux qui n'étaient que les serviteurs.

Ils l'allaient perdre : déjà il ne leur parlait que de sa mort prochaine , de la trahison qui se tramait contre lui et de toutes les

 

1 Luc, XXII, 24. — 2 Ibid., XXII, 23. — 3 Matth., XX, 25; Marc., X, 42.

 

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suites funestes de ce complot. Quoiqu'ils ne dussent être occupés que d'un si triste et si étrange événement, leur ambition les emporte : et encore assis à la table où Jésus leur avait donné la communion, mystère d'abaissement où le caractère de l'humilité de Jésus jusqu'à la mort de la croix était imprimé, l'action de grâces étant à peine achevée, ils se disputent entre eux la première place. Connaissons le génie de l'ambition, qui ne nous quitte jamais au milieu des événements les plus tristes, et parmi les pensées et les exemples qui nous devraient le plus porter à des sentiments contraires.

Jésus-Christ leur dit sur ce sujet ce qu'il leur avait déjà dit dans les occasions que nous venons de marquer; et il le répète dans un temps dont toutes les circonstances le devaient encore plus imprimer dans les esprits, puisque c'était celui de sa mort prochaine et de son dernier adieu.

Mais il faut encore regarder plus loin. Il venait établir un nouvel empire, qui aurait son gouvernement et pour ainsi parler ses magistrats, et il se sert de cette occasion pour montrer quel devait être le génie de ce nouveau gouvernement.

Ce qu'il a dessein d'établir, c'est la différence des empires et des gouvernements du monde d'avec celui qu'il venait former. Dans ceux-là est le faste; tout s'y fait avec hauteur et avec empire, souvent même avec arrogance, avec violence : mais « parmi vous le premier et le plus grand doit devenir le plus petit, et celui qui gouverne doit être le serviteur de tous, de même que le Fils de l'homme n'est pas venu se faire servir, mais servir lui-même et donner sa vie pour la rédemption de plusieurs. Car vous voyez que je suis parmi vous comme celui qui sert (1), » puisque même pendant que vous étiez assis à table, j'en suis sorti pour vous servir et pour vous laver les pieds.

Il ne dit donc pas qu'il n'y a point de conducteur, ni qu'il n'y a point de premier parmi eux; mais il dit à ces conducteurs et à celui même qu'il avait déjà désigné tant de fois pour être le premier, que leur administration est une servitude, qu'ils doivent à son exemple être la victime de ceux qu'ils ont à conduire,

 

1 Matth., XX, 26-28; Luc, XXII, 26, 27.

 

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et qu'ils doivent paraître les derniers de tous par leur humilité.

C'est ce qu'ont pratiqué les apôtres : Paul se rend « serviteur de tous, et se fait tout à tous, afin de les sauver tous (1) : » Pierre, qui était le premier : « Je parle à vous qui êtes prêtre, moi qui suis prêtre comme vous, et qui suis de plus témoin des souffrances de Jésus-Christ et devant participer à sa gloire : paissez le troupeau de Dieu qui vous est commis, veillant sur sa conduite, non par nécessité et par contrainte ni par intérêt, mais avec une affection sincère et volontaire, non en dominant sur l'héritage du Seigneur, mais en vous rendant le modèle de tout le troupeau ; et lorsque le Prince des pasteurs paraîtra, vous recevrez une couronne de gloire qui ne se flétrira jamais (2). »

Voyez comme il se souvient des paroles de Jésus-Christ. Le Maître dit : « Les rois des nations les dominent ; mais il n'en est pas ainsi parmi vous (3) ; » et le disciple : « Ne dominant point sur l'héritage du Seigneur. » Il faut donc ôter du milieu de nous l'esprit de domination, l'esprit de fierté et de hauteur, l'esprit d'orgueil, l'esprit d'intérêt; mais songer à gagner les cœurs par humilité , par amour et en donnant hon exemple.

Le Maître dit : « Ceux qui exercent la domination et la puissance sur eux, sont appelés bienfaiteurs (4) : » c'était un titre qu'on avait donné à de grands rois, qu'on appelait Evergètes, bienfaiteurs, et on le donnait ordinairement aux grandes puissances de la terre. Elles aimaient à être honorées de titres qui marquaient bonté, libéralité, magnificence. Les plus grands titres des grands rois sont ceux qui sont tirés de la douceur : témoin ce titre de très-clément, qu'on donnait aux empereurs; et celui de sérénissime, dont on honore encore les rois et les princes. Mais vous, dit le Sauveur, ne soyez point bienfaiteurs en cette sorte, pour vous faire honneur de ce titre, mais en vous rendant en effet serviteurs de ceux que vous aurez à conduire.

Le Maître dit : « J'ai été parmi vous comme serviteur, et je suis venu pour donner ma vie en rédemption pour plusieurs (5). » Et saint Paul a dit aussi, comme on a vu, non-seulement : « Je me

 

1 I Cor., IX, 19, 22. — 2 I Petr., X, 1-4. — 3 Luc. XXII, 25, 26. — 4 Ibid., 25. —  5 Matth., XX, 28.

 

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suis rendu serviteur de tous; » mais encore : « S'il faut que je sois immolé, et tout mon sang répandu en effusion sur le sacrifice de votre foi, je m'en réjouis (1); » et encore : « Je vais être immolé, et l'effusion commence déjà (2). »

Ce n'est pas qu'il ne doive y avoir dans les pasteurs de l'Eglise une autorité; et s'ils ne devaient pas agir d'une certaine façon avec empire, saint Paul n'aurait pas écrit à Tite : « Parlez avec tout empire : que personne ne vous méprise (3); » et il n'aurait pas menacé lui-même « de venir avec la verge et de châtier toute désobéissance (4). » Mais c'est, dit saint Augustin, que ce n'est pas nous, mais Dieu et sa vérité que nous voulons faire craindre dans notre parole.

Voilà donc comme, à cette fois et après l'exemple de la mort de Jésus-Christ, ses apôtres sont changés. Ils ne songent plus à exercer un empire hautain : ils gagnent tout par l'humilité et par la douceur : ils n'envient plus à Pierre la prééminence : il prend partout la parole, et personne ne la lui conteste (5). « Voyez, dit saint Chrysostome, comme il se met partout à la tête, et comme il agit dans cette sainte société comme en étant le chef (6). » Personne ne s'y oppose plus; et ce désir de préséance, dont ils ont été autrefois si animés, a entièrement cessé. Pierre qui agit partout comme le premier, se laisse reprendre par Paul (7); sur quoi les Pries remarquent : il ne dit pas : Je suis le premier, et je dois être révéré et obéi par ceux qui sont après moi; mais il se laisse contredire jusqu'à lui résister en face, et il loue les lettres de saint Paul (8), où il est expressément porté : « qu'il ne marchait pas droit selon la vérité de l'Evangile (9), » jusqu'à les mettre au rang des Ecritures inspirées de Dieu.

Changeons donc aussi avec les apôtres. Si la mort de Jésus-Christ a  éteint en eux ces sentiments d'une ambition toujours renaissante, faisons-les aussi mourir en nous ; et puisque les chefs du troupeau sont si humbles, songeons à l'humilité qui convient aux simples brebis.

 

1 Philipp., II, 17. — 2 II Timoth., IV, 6. — 3 Tit., II, 15. — 4 I Cor., IV, 21. — 5 Act., I, 13, 15. ; II, 14 ; III, 12 ; IV, 8 ; V, 29; X, 5 ; XI, 4, 17 ; XV, 7, etc. — 6 In Act. Apost., hom 3 et alibi . — 7 Galat., II, 11, 14. — 8 II Petr., III, 5, 16. — 9 Galat., II, 14.

 

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LXVIIIe JOURNÉE.
Royaume de Dieu, à qui destiné. Luc, XXII, 28-30.

 

« Vous êtes ceux qui êtes demeurés avec moi dans mes tentations (1), » dans mes peines. Comme s'il disait : Le désir de la gloire vous tourmente ; voici en quoi vous devez mettre votre gloire : c'est de ne m'avoir point abandonné au milieu de mes périls et de mes peines. « Et moi aussi, je vous prépare le royaume, comme mon Père me l'a préparé (2), » le même qu'il m'a préparé, un royaume éternel et inébranlable. N'y a-t-il pas là de quoi contenter votre ambition, au lieu de vous amuser à vous disputer l'un à l'autre sur des préférences temporelles? « Quand vous serez dans ce royaume, je vous y ferai asseoir à ma table, vous y mangerez et vous y boirez avec moi (3) : » vous y mangerez tous sans distinction les mêmes viandes : vous serez tous également rassasiés des délices et de l'abondance de ma maison : nul ne portera envie aux autres, parce que tous ensemble vous serez heureux. On se dispute les avantages de la terre, parce que qui les possède les partage, et ne peut les laisser aux autres en leur entier; mais à ma table et dans mon royaume la plénitude du bien y est si grande, que tout e monde le peut posséder sans diminution.

Vous demandez des trônes et des premières places, voici le trône que je vous prépare : « Vous serez assis sur douze trônes, et vous jugerez avec moi les douze tribus d'Israël (4). » Vous les jugerez et avec moi : vous serez tous mes assesseurs; et vous songez aux petits honneurs et aux petits avantages que vous pouvez espérer sur la terre! Levez les yeux aux grandeurs, à la puissance, aux trônes que je vous prépare dans ces dernières assises où tout l'univers sera jugé par une dernière et irrévocable sentence.

Quoi! l'ambition ne mourra pas à ces paroles! Il ne reste plus qu'à songer à qui cette gloire est promise : c'est à ceux qui persévèrent avec Jésus-Christ dans ses tentations, qui le suivent à la

 

1 Luc., XXII, 28. — 2 Ibid., 29. — 3 Ibid., 30. — 4 Ibid., 30.

 

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croix , qui portent sa croix avec lui tous les jours, qui ont tout quitté pour lui : « Vous, dit-il, qui avez tout quitté pour me suivre, vous serez assis sur douze sièges, jugeant les douze tribus d'Israël (1). »

 

LXIXe JOURNÉE.
Pouvoir de Satan.

 

« Et le Seigneur dit : Simon, Simon ; » je t'appelle par deux fois, sois attentif : « Satan a demandé à vous cribler tous vous autres, comme on crible le froment (2). » Quelle puissance de Satan? Cribler les hommes, les apôtres mêmes, les agiter, les jeter en l'air, les précipiter en bas, en faire en un mot tout ce qu'il veut. Qui a donné ce droit à Satan, sinon le péché? C'est par le péché qu'il a vaincu l'homme, qui ensuite de la victoire lui a été livré comme son esclave. C'est pourquoi il en use avec un pouvoir tyrannique. Néanmoins il ne fait rien de lui-même : il demande : c'est une puissance maligne, malfaisante , tyrannique , mais soumise à la puissance et à la justice suprême de Dieu.

Il a demandé Job (3), il est appelé « l'accusateur de nos frères (4). » Et Dieu lui livre qui il lui plaît, selon les règles de sa justice, selon lesquelles il a droit de lui demander ceux en qui il trouve du sien, c'est-à-dire ceux où il trouve le péché. C'est pourquoi Jésus-Christ dira bientôt : « Le prince de ce monde avance, il n'a rien du tout en moi (5) : » mais pour le reste des hommes, il n'a que trop en eux : il n'avait que trop sur les apôtres, qui étaient encore possédés delà vaine gloire, l'un des plus mauvais caractères de Satan, qui est devenu Satan par ambition et par orgueil. Et c'est pourquoi Jésus-Christ prend occasion de leur parler de la demande de Satan, à l'occasion de la vaine gloire qui venait de paraître en eux et de leur dispute ambitieuse : vous vous tourmentez qui aura la première place : vous avez bien d'autres affaires qui devraient

 

1 Matth., XIX, 27-29. — 2 Luc., XXII, 31. — 3 Job, I, 11, 12;  II, 3, 5-7. — 4 Apoc., XII, 10. — 5 Joan., XIV, 30.

 

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vous occuper : Satan entre au milieu de vous par vos disputes : vous lui avez donné lieu et lui avez fait une ouverture bien grande pour vous dissiper, pour vous cribler. Tout ce qui est possédé de la vaine gloire, est léger et propre au crible de Satan. Au lieu donc de vous disputer sur des préséances ridicules et de devenir par là la risée et la proie de l'enfer, unissez-vous contre une puissance si redoutable.

 

LXXe JOURNÉE.
Primauté de saint Pierre, prédiction de sa chute par son orgueil. Luc., XXII, 31, 34.

 

« Satan a demandé de vous cribler tous : mais, Pierre, j'ai prié pour toi (1). » Jésus-Christ nous apprend que nous n'avons de secours contre Satan que dans l'intercession et la médiation de Jésus-Christ même.

Admirons la profondeur de sa sagesse. Parce qu'en réprimant l'ambition de ses apôtres, il avait parlé d'une manière qui eût pu donner lieu à ceux qui n'auraient pas bien pesé ses paroles, de croire qu'il n'avait laissé aucune primauté dans son Eglise et qu'il avait même affaibli celle qu'il avait donnée à saint Pierre, il parle ici d'une manière qui fait bien voir le contraire. « Satan, dit-il, a demandé de vous cribler tous : mais, Pierre, j'ai prié pour toi : » pour toi en particulier : pour toi avec distinction. Non qu'il ait négligé les autres; mais, comme l'expliquent les saints Pères, parce qu'en affermissant le chef, il voulait empêcher par là que les membres ne vacillassent. C'est pourquoi il dit : « J'ai prié pour toi ; » et non pas : J'ai prié pour vous. Et que l'effet de cette prière qu'il faisait pour Pierre regardât les autres apôtres, la suite du discours le fait paraître manifestement, puisqu'il ajoute aussitôt après : « Et toi, quand tu seras converti, confirme tes frères (2). »

Quand il dit : « J'ai prié pour toi, que ta foi ne défaille point, » il ne parle pas de cette foi morte qui peut rester dans les pécheurs,

 

1 Luc., XXII, 31, 32. — Ibid., 32.

 

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parce que celle-là n'empêche pas qu'on ne soit criblé par Satan : c'est cette foi qui opère par la charité, laquelle, dit-il, j'ai demandé qu'elle ne défaillit point en toi. Jésus-Christ le demandant ainsi, lui qui dit : « Je sais, mon Père, que vous m'écoutez toujours (1), » qui peut douter que saint Pierre n'ait reçu par cette prière une foi constante, invincible, inébranlable et si abondante d'ailleurs, qu'elle fût capable d'affermir, non-seulement le commun des fidèles, mais encore ses frères les apôtres et les pasteurs du troupeau, en empêchant Satan de les cribler?

Et cette parole revient manifestement à celle où il avait dit : « Tu es Pierre , » je t'ai changé ton nom de Simon en celui de Pierre, en signe de la fermeté que je te veux communiquer, non-seulement pour toi, mais encore pour toute mon Eglise : car «je la veux bâtir sur cette pierre : » je veux mettre en toi, d'une manière éminente et particulière , la prédication de la foi, qui en sera le fondement, « et les portes d'enfer ne prévaudront point contre elle (2), » c'est-à-dire qu'elle sera affermie contre tous les efforts de Satan, jusqu'à être inébranlable. Et cela, qu'est-ce autre chose que ce que Jésus-Christ répète ici : « Satan a demandé de vous cribler : mais, Pierre, j'ai prié pour toi, ta foi ne défaudra pas; et toi, confirme tes frères? »

Il est donc de nouveau chargé de toute l'Eglise : il est chargé de tous ses frères, puisque Jésus-Christ lui ordonne de les affermir dans cette foi qu'il venait de rendre invincible par sa prière.

Voilà quelque chose de grand pour saint Pierre. Mais il ne faut pas oublier que, de peur qu'il ne s'enorgueillît d'une si haute promesse, elle est suivie incontinent de la prédiction de sa chute. Car voici ce qui suit : « Et Pierre lui dit : Seigneur, je suis prêt d'aller avec vous , et dans la prison et à la mort même ; et Jésus lui répondit : Je te le dis, Pierre, » je te le déclare, « que le coq ne chantera point aujourd'hui, que tu n'aies nié trois fois que tu me connaisses (3). »

Quand Dieu fait ou promet de grandes grâces, il faut s'humilier et reconnaître de qui elles viennent. Au lieu de considérer sa faiblesse, Pierre s'emporta jusqu'à dire avec fierté et arrogance :

 

1 Joan., XI, 42. — 2 Matth., XVI, 18. — 3 Luc, XXII, 33, 34.

 

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« Seigneur, je suis prêt à vous suivre partout, et jusqu'à la mort. » Mais Jésus-Christ, qui l'avait élevé si haut, sait bien rabattre son orgueil : « Simon, dit-il, j'ai prié pour toi, ta foi ne défaudra point : confirme tes frères. » Et un moment après : « Je te le déclare à toi, » à qui je viens de dire de si grandes choses ; mais à toi, qui présumes de toi-même au lieu de t'humilier de mes dons, «je te déclare, » dis-je, que tu tomberas « cette nuit, » dans un moment, et par « trois fois, » dans une honteuse et manifeste infidélité, afin que tu sentes que si tu portais « un grand trésor, » tu le portais « dans un fragile vaisseau de terre, » et que ce qui se fait en toi de grand se fait, non point par toi-même, « mais par la sublimité de la vertu de Dieu (1). »

Et si nous pénétrons toute la suite des paroles de Jésus Christ, nous verrons que la chute de saint Pierre arrive par une permission spéciale en punition de son orgueil, et pour lui apprendre l'humilité. Car celui qui dit : « J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point, » pouvait prier, non-seulement afin qu'elle ne défaillît pas finalement ni pour longtemps, comme il est arrivé à Pierre qui se réveilla à l'instant et au premier regard de Jésus-Christ; mais encore afin qu'elle ne souffrît pas, pour ainsi parler, cette courte éclipse. Mais il ne le voulut pas et il aima mieux permettre que Pierre fût humilié par sa chute.

Et c'est pourquoi les saints, en considérant toute la suite de l'Evangile, n'hésitent pas à confesser que saint Pierre fut délaissé et que la grâce se retira de lui : non point d'elle-même ( car c'est ce qui ne peut jamais arriver) ; mais comme nous le verrons encore plus clairement dans la suite, parce qu'il avait présumé et qu'il est utile aux présomptueux comme lui de tomber dans un péché manifeste pour apprendre à se défier de leurs forces. Ce qui est encore plus utile à ceux qui, comme saint Pierre, devaient être élevés dans les grandes places de l'Eglise, et mis bien haut sur le chandelier. Car comme leur élévation les porte naturellement à s'enfler et à exercer leur puissance avec hauteur, Jésus-Christ leur apprend par l'exemple de saint Pierre, comme saint Pierre lui-même l'avait appris par son expérience, à craindre d'autant

 

1 II Cor., IV, 7.

 

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plus de tomber que leur péril est plus grand et leur chute plus éclatante et plus scandaleuse.

Au reste, en élevant saint Pierre si haut, Notre-Seigneur, si on peut parler ainsi, avait pris ses précautions pour prévenir tous les sentiments de présomption qui pouvaient entrer dans son cœur. Car en même temps qu'il lui disait : « Ta foi ne défaudra point, et confirme tes frères, » il ajoutait : « Lorsque tu seras converti, » lui insinuant sa chute et lui faisant voir qu'il devait attribuer le bien qu'il ferait à la bonté de son Maître, qui avait daigné demander pour lui de si grandes choses. Mais saint Pierre ne veut point entendre tout cela; au contraire, piqué, ce semble, de ce mot de conversion dont Jésus-Christ s'était servi, loin de songer qu'il pouvait tomber d'autant plus dangereusement qu'il était élevé plus haut, il ne songe qu'à vanter son courage, et il oublie la grâce qui seule le pouvait soutenir.

Les excès où il a poussé sa présomption se déclareront davantage dans la suite, et ils obligèrent son Maître à retirer sa main pour un moment. Mais sa chute n'empêcha pas l'effet des promesses et des desseins de Jésus-Christ. Car encore qu'il ait renié, et par trois fois, et la dernière fois avec blasphème et exécration, en sorte que dans ce genre de crime il ne pouvait pas tomber plus bas : Jésus, qui fond les cœurs par ses regards, lui en réserve un des plus efficaces et des plus tendres; et cet homme si entêté de lui-même et de son courage, se retire fondant en larmes ; et celui qui était tombé parce que son Maître avait détourné sa face pour un moment, apprend qu'il n'est converti que parce qu'il a daigné jeter sur lui un regard.

C'est donc alors qu'il commença à recevoir cette force qui lui avait été promise. Il fit une grande chute, mais il fut incontinent relevé : sa foi ne se perdit que pour un moment, mais elle ne défaillit pas pour longtemps : au contraire elle revint plus ferme et plus vigoureuse qu'elle n'avait été devant sa chute : Jésus-Christ accomplit en lui ce qu'il lui avait promis, et il se servit de lui pour confirmer ses frères. C'est pourquoi il fut le premier des apôtres à qui il apparut après sa résurrection : « Il apparut, dit saint Paul (1),

 

1 I Cor., XV, 5.

 

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à Céphas et puis aux onze ; » et on disait parmi les disciples : « Il est vraiment ressuscité, et il a apparu à Simon (1). » Il avait apparu à ces femmes pieuses; mais on ne parlait parmi les frères que du témoignage de Simon, qui les devait confirmer. C'est lui aussi à qui saint Jean avait réservé l'honneur d'entrer le premier dans le tombeau où il n'était arrivé que le second (2), afin qu'il fût le premier témoin des marques de la résurrection. Dès lors il est marqué que saint Jean vit ces marques et qu'il crut. Mais on ne célèbre avec distinction parmi les disciples que la foi de Pierre, et non pas celle de Jean (3).

Lorsqu'ils allèrent à la pèche où Jésus devait apparaître pour montrer les effets de la pèche spirituelle, pour laquelle il les avait choisis, ce fut Pierre qui dit le premier : « Je m'en vais pécher ; » et les autres le suivirent, en disant : « Nous y allons aussi. » Le bien-aimé disciple qui connut Jésus le premier, l'indiqua à Pierre seul et il lui dit : « C'est le Seigneur. » Ce fut Pierre et non pas Jean, qui se jeta dans la mer : ce fut Pierre et non pas Jean ni les autres, qui amenèrent au Sauveur les cent cinquante-trois poissons mystérieux qui ne rompaient point le filet, et qui figuraient les vrais fidèles qui devaient demeurer pris heureusement dans les rets de la prédication évangélique. Pierre toujours à la tête de cette pèche mystérieuse, à qui Jésus avait dit spécialement durant sa vie mortelle : « Mène la nacelle en pleine eau, » et « je te ferai pécheur d'hommes (4); » qui à la parole de Jésus avait en effet amené tant de poissons, que deux barques en furent pleines, jusque presque à couler à fond : lui-même conduit cette pêche, encore plus belle et plus mystérieuse, que les apôtres firent sous les yeux de Jésus-Christ ressuscité : et tout cela en figure de la prédication apostolique , qui commencée par saint Pierre le jour de la Pentecôte et les jours suivants, amena tant de milliers d'ames à Jésus-Christ et forma à Jérusalem le corps de l'Eglise qui devait ensuite se multiplier avec une telle fécondité par toute la terre. Voilà ce que figurait cette pêche des apôtres, saint Pierre étant à la tête et les confirmant par son exemple. C'est pourquoi Jésus-Christ

 

1 Luc, XXIV, 31. — 2 Joan., XX, 4, 8. — 3 Joan., XXI, 3, 7, 11. — 4 Luc, V, 4, 11.

 

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lui dit encore, et non pas à Jean, ni aux autres, dans le temps doucette pèche : « Pais mes brebis, pais mes agneaux (1) : » pais les mères comme les petits; ce qui revient au commandement de les affermir dans la foi, puisque cela même, c'est gouverner le troupeau. C'est, dis-je , le gouverner que d'y affermir cet esprit de foi et le paître par la parole.

Aussi est-ce lui qui en attendant la descente du Saint-Esprit fut le conducteur des apôtres dans cette mémorable action où ils firent le supplément du collège apostolique, et mirent à la place de Judas « un témoin de la vie et de la résurrection de Jésus-Christ (2) » qui recevant avec eux tous le Saint-Esprit qu'ils attendaient, reçut en même temps la grâce de porter ce témoignage dans tout l'univers (3). C'est donc par Pierre principalement « qu'il est rangé parmi les apôtres (4). » Pierre est partout à la tête de la prédication, et mène pour ainsi dire ses frères les apôtres au combat. C'est lui qui en entreprit la défense devant tout le peuple, lorsqu'on les accusa d'être ivres de vin pendant qu'ils ne l'étaient que de l'esprit de Dieu (5). Pierre fait le premier miracle qui parut en confirmation de la résurrection de Jésus-Christ (6). Ce fut lui qui fit un exemple d'Ananias et de Saphira (7) : ce premier coup de foudre , qui inspira aux fidèles une salutaire terreur et qui affermit l'autorité du gouvernement apostolique, partit de sa bouche. Ce fut lui qui frappa d'anathème Simon le magicien et en sa personne tous les hérétiques, dont cet impie était comme le chef (8). Ce fut lui qui visita le premier les Eglises persécutées comme leur père commun , afin que non-seulement la prédication , mais encore la visite des églises, qui est le nerf du gouvernement ecclésiastique, fût commencée et comme consacrée en sa personne. Quoiqu'apôtre spécial des Juifs, qui étaient dans ces commencements la principale portion et comme le premier lot de l'héritage de Jésus-Christ, ce fut lui qui consacra les prémices des Gentils en la personne de Corneille le centenier (9) : les disciples qui appréhendaient qu'il n'eût excédé en annonçant l'Evangile aux Gentils, apprirent de

 

1 Joan., XXI, 15-17. — 2 Act. I, 15, 22.— 3 Ibid., 26.— 4 Act., II, 14.— 5  Ibid., 15. — 6 Act., III, 6. — 7 Act., V, 3, 5, 8, 10. — 8 Act., VIII, 9, 18, 20; IX, 32. — 9 Act., X, 9, 35.

 

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lui que le Saint-Esprit leur était commun avec eux, et furent affermis dans les véritables sentiments par sa parole (1).

Paul destiné par Jésus-Christ à être le prédicateur particulier des Gentils, avant que d'être employé à ce ministère et que d'exercer pleinement son apostolat, « va voir Pierre pour le contempler, » dit l'original (2), comme le chef du troupeau, comme la merveille de l'Eglise , ainsi que l'expliquent les Saints. Saint Jacques y était, mais ce n'est point saint Jacques que saint Paul allait voir : il alla, dit-il, voir Pierre ; il demeura quinze jours avec lui, et il autorise sa prédication par ce témoignage. Ce qui nous fait voir que lorsque quatorze ans après, suivant une révélation du Saint-Esprit, il vint à Jérusalem conférer avec les apôtres, de l'évangile qu'il prêchait aux Gentils (3), c'était encore principalement saint Pierre qu'il venait chercher.

Quand il fallut autoriser dans le concile de Jérusalem la liberté des Gentils par un décret qui mérita d'être prononcé au nom du Saint-Esprit, saint Pierre y paraît le premier comme partout ailleurs : ce fut lui qui résolut la question pour laquelle on était assemblé, et saint Jacques déclare qu'il se rangeait à son avis. Il est à la tête de tout, et tout est confirmé par son sentiment (4). Ainsi la chute de saint Pierre, loin d'avoir anéanti la promesse de Jésus-Christ, en l'ait éclater davantage la vérité.

Pierre instruit d'où venait sa force, agit avec d'autant plus de confiance, que sa confiance n'avait plus rien d'humain : la modestie et l'humilité le suivent partout : autant que son autorité est éminente dans l'Eglise, autant est-on édifié par la douceur de son gouvernement. Nous avons vu les belles paroles avec lesquelles il bannit de l'Eglise l'esprit de domination, et apprend à tous les pasteurs que la force du gouvernement ecclésiastique est à faire le premier ce qu'on enseigne aux autres : forma facti gregis ex animo, en un mot « à se rendre le modèle du troupeau de tout son cœur (5). » Pour apprendre par son exemple à tous les fidèles à profiter des corrections où consiste la force de l'Eglise, tout chef de l'Eglise qu'il était, il reçoit la correction de saint Paul avec une

 

1 Act., XI, 1-4, 15, 17. — 2 Galat., I, 18, 19. — 3 Galat., II, 1, 6, 9. — 4 Act., XV, 7, 13, 14, 19, 20. — 3 I Petr., V, 3.

 

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déférence qui ne. sera jamais assez louée (1). Car encore qu'il ne fût pas seul à tenir envers les Gentils la conduite que saint Paul blâmait, et que saint Jacques en fût le principal auteur, il reconnut que saint Paul avait raison de se prendre à lui de cette faute comme à celui qui, étant à la tête, l'autorisait davantage par son exemple. Il se laisse donc reprendre en face, devant tout le monde, et loin de s'offenser de ce qu'on avait consacré la mémoire d'une si vive répréhension dans une Epître que toutes les Eglises lisaient comme divine, on a vu qu'il la met lui-même comme les autres Epîtres de saint Paul, au rang des Ecritures canoniques (2). Une seule chute éteignit pour jamais en lui la présomption : il montra que la primauté consiste principalement à savoir céder à la vérité plus que les autres. On ne put plus résister à la conduite que tenait saint Paul, après que le prince des apôtres eut cédé : et la véritable manière de traiter avec les Gentils demeura autant affermie par l'humilité de saint Pierre, que par la vigueur de saint Paul.

 

LXXIe JOURNÉE.
Construction de l'Eglise. Prière de Notre-Seigneur pour saint Pierre : et en sa personne pour les élus. Luc, XXII, 32.

 

Il faut encore s'élever plus haut, et pour affermir notre foi, contempler dans les paroles de Jésus-Christ toute la constitution de son Eglise.

La prière qu'il fait pour saint Pierre n'est pas particulière à cet apôtre : il est la figure de tous les élus, pour qui Jésus-Christ prie spécialement ; et quoiqu'il ne leur déclare pas à tous, comme il fait à saint Pierre, qu'il prie que leur foi ne défaille pas, il a pourtant fait pour eux tous cette prière d'une certaine façon. Et deux choses sont véritables : l'une que Jésus-Christ leur a obtenu cette grâce singulière, que leur foi ne défaillit pas à jamais et finalement, ce qui emporte la grâce de la persévérance finale; l'autre, que nul ne reçoit cette grâce pour qui Jésus-Christ ne

 

1 Galat., II, 11-14. — 2 II Petr., III, 15, 16.

 

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l'ait demandée et ne la demande continuellement à son Père par celte perpétuelle intercession qu'il fait pour nous. Reconnaissons donc l'effet de cette intercession toute-puissante dans tout le bien qui est en nous, en quelque degré qu'il nous soit donné ; et reconnaissons-le principalement, lorsque remplissant nos cœurs d'une douce confiance en sa miséricorde, il nous fait marcher d'un pas ferme dans ses voies, sans nous détourner à droite ni à gauche.

Gardons-nous pourtant bien de croire que ce soit lui qui fasse tout sans notre coopération ; mais qu'à l'exemple de saint Pierre, la confiance que nous aurons en cette puissante intercession de Jésus-Christ nous rende plus vigilants, plus attentifs à notre salut et plus fervents à la prière. Regardons saint Pierre qui monte au temple avec saint Jean à l'heure de la prière de none (1) : ce qui marque non-seulement une prière réglée, mais encore une prière multipliée dans un même jour. Il ne dit pas : Je n'ai plus besoin de prier, puisque Jésus-Christ m'a dit lui-même qu'il avait prié pour moi ; au contraire Dieu lui fait sentir qu'il faut se joindre en esprit à cette puissante intercession de notre grand avocat, de notre puissant médiateur, et demander persévéramment en son nom tout ce qui nous est nécessaire pour notre salut.

Et saint Pierre n'était pas seulement soigneux d'aller faire sa prière dans le temple aux heures marquées pour l'oraison, mais encore dans la maison il avait ses heures réglées pour la prière : il monta à l'heure « de sexte,» c'est-à-dire vers le midi, « au plus haut de la maison, » au lieu le plus retiré « pour prier (2). »

Prions donc à son exemple, en union avec Jésus-Christ. Prions avec une ferme foi et une pleine croyance que si nous persévérons dans la prière, non-seulement rien ne nous manquera pour notre salut, mais encore nous recevrons une abondance de grâce par la continuelle influence de l'esprit de Jésus-Christ dans nos cœurs. Car il veut notre salut et « ne veut la mort de personne, mais plutôt que nous vivions tous et que nous soyons sauvés (3). » Vivons dans cette espérance et dans cette foi, tout ce que nous sommes de chrétiens que le baptême a fait ses membres.

 

1 Act., III, 1. — 2 Act., X, 9. — 3 Ezech., XVIII, 32; I Timoth., II, 4 ; II Petr., III, 9.

 

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LXIIe JOURNÉE.
La foi de saint Pierre est la foi de l'Eglise de Rome, où est le centre de l'unité catholique. Luc, XXII, 32.

 

Suivons le mystère. Cette parole : « Affermis tes frères, » n'est pas un commandement qu'il fasse en particulier à saint Pierre : c'est un office qu'il érige et qu'il institue dans son Eglise à perpétuité. La forme que Jésus-Christ a donnée aux disciples qu'il rassemblait autour de lui, est le modèle de l'Eglise chrétienne jusqu'à la fin des siècles. Dès le moment que Simon fut mis à la tête du collège apostolique, qu'il fut appelé Pierre et que Jésus-Christ le fit le fondement de son Eglise par la foi qu'il y devait annoncer au nom de tous : dès ce moment se fit l'établissement, ou si l'on veut la désignation d'une primauté dans l'Eglise en la personne de saint Pierre. En disant à ses apôtres : « Je suis avec vous jusqu'à la fin des siècles (1), » il montra que la forme qu'il avait établie parmi eux passerait à la postérité : une éternelle succession fut destinée à saint Pierre, comme il en fut aussi destiné une de semblable durée aux autres apôtres.  Il y devait toujours avoir un Pierre dans l'Eglise pour confirmer ses frères dans la foi ; c'était le moyen le plus propre pour établir l'unité de sentiments, que le Sauveur désirait plus que toutes choses ; et cette autorité était d'autant plus nécessaire aux successeurs des apôtres, que leur foi était moins affermie que celle de leurs auteurs.

En même temps que Jésus-Christ institua cet office dans son Eglise, il lui fallut choisir un siège fixe pour son exercice. Quel siège lui choisîtes-vous, ô Seigneur, et qui pourrait assez admirer votre profonde sagesse ? Ce ne pouvait être Jérusalem, parce que le temps était venu où faute d'avoir connu le temps de sa visite, elle allait être livrée aux Gentils. L'heure des Gentils était venue : c était le temps où ils se devaient ressouvenir du Seigneur leur Dieu, et entrer en foule dans son temple, c'est-à-dire dans son Eglise. Que fîtes-vous donc, ô Seigneur, et quel lieu choisîtes-

 

1 Matth., XXVIII, 20.

 

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vous pour y établir la chaire de saint Pierre ? Rome la maîtresse du monde, la reine des nations et en même temps la mère de l'idolâtrie, la persécutrice des saints : c'est elle que vous choisîtes pour y placer ce siège d'unité, d'où la foi devait être prêchée comme d'un lieu plus éminent à toute la terre.

Que vos conseils, ô Seigneur, sont admirables, et que vos voies sont profondes ! Votre Eglise devait être principalement établie parmi les Gentils : et vous choisîtes aussi la ville de Rome, le chef de la gentilité, pour y établir le siège principal de la religion chrétienne. Il y a encore ici un autre secret que vos saints nous ont manifesté : dans le dessein que vous aviez de former votre Eglise en la tirant des Gentils, vous aviez préparé de loin l'empire romain pour la recevoir : un si vaste empire qui unissait tant de nations, était destiné à faciliter la prédication de votre Evangile et lui donner un cours plus libre.

Il vous appartient, ô Seigneur, de préparer de loin les choses, et de disposer pour les accomplir des moyens aussi doux qu'il y a de force dans la conduite qui vous fait venir à vos fins. A la vérité, l'Evangile devait encore aller plus loin que les conquêtes romaines, et il devait être porté aux nations les plus barbares. Mais enfin l'empire romain devait être son siège principal. O merveille! Les Scipions, les Luculles, les Pompées, les Césars, en étendant l'empire de Rome par leurs conquêtes, préparaient la place au règne de Jésus-Christ; et selon cet admirable conseil Rome devait être le chef de l'empire spirituel de Jésus-Christ, comme elle l'était de l'empire temporel des Césars.

Rome fut sous ses Césars plus victorieuse et plus conquérante que jamais : elle contraignit les plus grands empires à porter le joug : en même temps elle ouvrit une large entrée à l'Evangile : ce qui était reçu à Rome et dans l'empire romain prenait de là son cours pour passer encore plus loin : Rome ruina l'ancien sanctuaire de Jérusalem, et ne laissa d'espérance à ceux qui voulaient adorer Dieu en esprit, que le nouveau sanctuaire que le Seigneur établissait parmi les Gentils, c'est-à-dire l'Eglise chrétienne et catholique, et peu à peu Rome devenait le chef de ce nouvel empire.

 

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Pour préparer les voies à ce grand ouvrage, ô Seigneur, vous fîtes dès lors éclater la foi romaine ; et votre apôtre saint Paul écrivit à cette Eglise que sa foi était devenue célèbre par tout l'univers (1).

Comme c'était dans cette Eglise que devait principalement éclater la vocation des Gentils, vous inspirâtes à ce même apôtre de lui développer le mystère de cette vocation : et l'Eglise romaine reçut dès lors dans la divine Epitre aux Romains le précieux dépôt de la révélation d'un si grand mystère, où était compris le secret de la prédestination et de la grâce.

Lorsqu'il fallut consommer l'ouvrage et mettre Rome à la tête de toutes les églises chrétiennes, Seigneur, vous y envoyâtes le grand pêcheur d'hommes, je veux dire l'apôtre saint Pierre, afin de consacrer cette Eglise par son sang et d'y établir le principal siège des chrétiens, où la foi devait être confirmée.

Ce fut alors qu'il eut besoin de savoir marcher sur les eaux, de savoir fouler aux pieds les flots soulevés, comme vous le lui aviez appris, et de ne pas craindre lorsqu'il enfoncerait. Car il eut à surmonter toutes les tempêtes que les fausses religions, la fausse sagesse, la violence, et la politique du monde excitèrent contre l'Eglise. Saint Paul était le maître des Gentils : mais ce n'était pas à lui qu'était donnée cette chaire principale : c'était à saint Pierre ; et pour accomplir le dessein de Dieu sur Rome, il fallait que saint Pierre y fixât son siège. Paul y vint dans le même temps : la direction particulière qu'il avait reçue pour les Gentils y expira avec lui. Ces deux apôtres scellèrent dans Rome de leur sang le témoignage de Jésus-Christ. En allant au dernier supplice, ils annoncèrent aux Juifs leur dernière désolation comme un événement qu'on allait voir au premier jour, et confirmèrent par là la vocation des Gentils. Les évêques qui leur succédèrent dans l'Eglise romaine, qu'ils venaient d'illustrer à jamais par leur martyre et sanctifier par leur tombeau, recueillirent leur succession : mais la chaire qu'ils remplirent s'appela la chaire de saint Pierre, et non pas la chaire de saint Paul ; et ils furent nommés successeurs de saint Pierre, et non pas de saint Paul.

 

1 Rom., I, 8.

 

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Dès là, Seigneur, vous avez tellement disposé les choses que les successeurs de saint Pierre, à qui on donna par excellence le nom de Papes, c'est-à-dire celui de Pères, ont confirmé leurs frères dans la foi; et la chaire de saint Pierre a été la chaire d'unité, dans laquelle tous les évêques et tous les fidèles, tous les pasteurs et tous les troupeaux se sont unis.

Que vous rendrons-nous, ô Seigneur, pour toutes les grâces que vous avez faites à votre Eglise par ce siège ? C'est là que la vraie foi a toujours été confirmée. N'entrons point dans les disputes qui causent des dissensions, et non pas l'édification de vos en ans. Suivons les grands événements et les grands traits de l'histoire de l'Eglise : nous verrons l'autorité de ce grand siège être partout à la tête de la condamnation et de l'extirpation des hérésies : la foi romaine a toujours été la foi de l'Eglise : la foi de saint Pierre, c'est-à-dire celle qu'il a prêchée et qu'il a laissée en dépôt dans sa chaire et dans son Eglise, qui s'y est toujours inviolablement conservée, a toujours été le fondement de l'Eglise catholique et jamais elle ne s'est démentie.

Qu'importe qu'il y ait peut-être dans toute cette belle suite deux ou trois endroits fâcheux? La foi de saint Pierre n'a pas défailli, encore qu'elle ait souffert quelque éclipse dans le reniement qui lui a été particulier, et dans l'incrédulité qui lui a été commune avec ses frères les apôtres.  Il en est ainsi de saint Pierre considère dans ses successeurs : tous ses successeurs sont un seul Pierre. Quelque défaillance qu'on croie remarquer dans quelques-uns, sans entrer dans ce détail plus curieux que nécessaire, il suffit que la vérité de l'Evangile soit demeurée dans le total, et qu'aucun dogme erroné n'ait pris racine, ni fait corps dans la succession et la chaire de saint Pierre : si bien que la foi romaine, c'e t-à-dire la foi que Pierre a prêchée et établie à Rome et qu'il y a scellée de son sang, n'a jamais péri et ne périra jamais.

Voilà, Seigneur, le grand secret de celte promesse : «Simon, j'ai prié pour toi que ta foi ne défaille pas; et toi confirme tes frères (1). » Nous tenons cette explication de vos saints, et toute la suite des événements la justifie. O Seigneur, qui ne vous louerait,

 

1 Luc, XXII, 32.

 

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et qui ne serait ravi en admiration de voir tout l'état de votre Eglise. depuis sa première origine jusqu'à la consommation des siècles, si clairement renfermé (a), prédit et promis dans deux lignes de votre Evangile ! Que reste-t-il, ô Seigneur, sinon que nous vous priions de remplir la chaire de saint Pierre de dignes sujets, de leur ouvrir les yeux pour entendre le grand mystère de Dieu sur le siège qu'ils occupent? Faites, Seigneur, qu'à travers la pompe et le faste qui les environnent, ils considèrent le fond qui les soutient : qu'ils songent toujours que leur vraie gloire est de succéder à un pécheur : que la nacelle où ils sont portés et dont ils tiennent le gouvernail, serait couverte de flots et abîmée par la tempête sans les promesses faites à Pierre : et que devant confirmer leurs frères dans la foi, ils les doivent aussi affermir dans la règle de la discipline.

 

LXXIIIe JOURNÉE.
Soin de Jésus pour les apôtres. Il est mis au rang des scélérats. Luc, XXII, 35, 36; Marc, XV, 28.

 

Et il leur dit : « Quand je vous ai envoyés sans sac, sans bourse, sans chaussure, vous a-t-il manqué quelque chose? — Rien, Seigneur. — Mais maintenant, que celui qui a un sac ou une bourse les prenne, et que celui qui n'en a point vende sa robe pour acheter une épée (1). »

Rien ne vous a manqué. Tel a été le soin du Sauveur : il n'a pas voulu que ses disciples aient manqué de rien. Mais quoi! n'ont-ils pas été dans le besoin? Qu'était-ce donc que d'être réduits à rompre des épis dans leurs mains pour se nourrir? N'était-ce pas là une assez pressante nécessité ? Jésus-Christ ne dit pas qu'ils n'aient jamais souffert, jamais été dans le besoin; mais il dit que jamais ils n'ont manqué absolument et qu'ils ont été bientôt secourus : non que Jésus-Christ ait fait des miracles pour

 

1 Luc., XXII, 35, 36.

(a) Var. : Expliqué.

 

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cela; car nous ne lisons pas qu'il ait multiplié les pains plus de deux fois en faveur de tout un grand peuple, et la conduite de sa famille allait par des voies plus naturelles. Apprenons donc à nous fier à cette conduite douce et imperceptible de Jésus-Christ, par laquelle au milieu des besoins et des souffrances il conserve pourtant aux siens les provisions nécessaires.

La suite du discours fait voir l'attention qu'avait le Sauveur à accomplir les prophéties. C'en était une bien particulière, que le Christ dût être mis au rang des scélérats (1), et elle devait être parfaitement accomplie, lorsqu'il fut crucifié entre deux voleurs. Mais c'était un préparatoire, qu'il parût comme un voleur se défendre contre les ministres de la justice : — « Vous êtes venus à moi, dit-il, comme à un voleur, me prendre avec force (2). »—On le représentait donc comme un homme dont la violence était à craindre, et qu'il fallait attaquer avec armes. Il était du dessein de Dieu et de l'ordre des prophéties, qu'il parût environné de gens de main et qui usassent de l'épée pour le sauver. On sait pourtant ce qu'il fit pour réparer cette violence des siens, et il suffit aujourd'hui de considérer comme il fallait qu'il y eût quelque sorte de fondement à la calomnie qu'on devait faire contre lui.

Ne nous étonnons donc pas, lorsque par la secrète disposition de la divine Providence il se trouve dans notre vie quelque chose qui affaiblisse notre gloire et qui donne lieu à la médisance. Dieu saura en tirer sa gloire, pourvu que nous soyons sans faute, et que nous subissions avec soumission ce qu'il ordonne. « Il faut, dit-il, que tout s'accomplisse; et ce qui est écrit de moi, tire à sa fin (3). » Ainsi les choses allaient s'accomplissant peu à peu et l'une après l'autre. On lui dit qu'il y avait deux épées dans la compagnie : il le savait bien ; mais il voulait qu'il fût marqué qu'il n'y arrivait rien par hasard dans sa passion. Il répondit : « C'est assez (4); » et après avoir tout accompli et donné tous ses ordres, avant que d'aller selon sa coutume dans le jardin des Olives, il commença son dernier adieu et ses dernières instructions que nous allons voir dans saint Jean.

 

1 Marc, XV, 28. — 2 Matth., XXVI, 55. — 3 Luc, XXII, 37, 38. — 4 Ibid., 39.

 

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LXXIV JOURNÉE.
Glorification de Jésus. Joan., XIII, 31, 32.

 

« Maintenant, » remarquez la circonstance : maintenant que la fin approche; que le perfide disciple qui a machiné ma mort est parti pour exécuter ce complot, qu'il le conclut et que je vais être livré à mes ennemis pour souffrir de leur violence les dernières extrémités : « Maintenant le Fils de l'homme va être glorifié (1) : » mais ce n'est pas là, poursuit-il, à quoi je m'arrête : la gloire de Dieu fait tout mon objet; « et Dieu va être glorifié en lui » par son obéissance, par son sacrifice le plus parfait qui fut jamais et d'un mérite infini. Sa justice, sa vérité, sa miséricorde va éclater dans la rémission des péchés, dans la peine que j'en porterai, dans l'expiation que j'en ferai par mon sang. Ma doctrine va être confirmée par ma mort : je tirerai tout à moi, et je retournerai à la gloire que j'ai eue dès l'éternité auprès de mon Père.

« Si Dieu est glorifié en lui, il le glorifiera en lui-même, et il ne tardera pas à le glorifier (2). » Car ceux en qui Dieu est glorifié par leur obéissance et leurs humiliations, il ne manque pas de les glorifier et de les glorifier en lui-même : et il ne tardera pas à les glorifier : à plus forte raison glorifiera-t-il son Fils bien-aimé, qui ne respire que la gloire de son Père, et par là a mérité que son Père songeât à la sienne et sans tarder.

Que de gloire ! mais considérons d'où elle vient et dans quelles circonstances Jésus-Christ en parle. C'est au moment que Judas part pour aller consommer son crime, et livrer son Maître au dernier supplice : c'est donc du plus grand de tous les crimes que doit naître cette gloire de Dieu la plus grande qui fut jamais : c'est des plus grandes extrémités où Jésus pût être poussé que sortira sa plus grande gloire. Chrétien, ne perds pas courage, lorsque le crime et les injustices abondent : Dieu ne permettrait jamais le mal, s'il n'était puissant pour en tirer le bien, et un

 

1 Joan., XII, 31. — 2 Ibid., 13.

 

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plus grand bien : et lorsque l'iniquité abonde le plus, c'est alors qu'il trouve moyen d'accroître sa gloire. Ne perds pas courage non plus, quand tu es livré à tes ennemis et aux plus terribles angoisses : c'est encore de cette source que doit naître ta grande gloire et la grande gloire de Dieu, à laquelle tu dois être plus sensible qu'à la tienne.

Chrétiens, membres de Jésus, apprenez d'où vient la gloire à votre Chef : c'est ainsi qu'elle doit aussi se répandre sur les membres. « Quand je suis faible, dit saint Paul, c'est alors que je suis puissant (1) : » quand je suis méprisé, c'est alors que je dois être glorifié en Dieu : non point dans les hommes ni dans le monde qui n'est rien, mais en Dieu où est la gloire, parce qu'en lui est la vérité.

 

 LXXVe JOURNÉE.
Commandement de l'amour. Joan., XIII, 1, 33-35.

 

Lisez avec attention les versets 13, 14, 15, et entrez dans les sentiments de la tendresse du Sauveur.

« Mes petits enfants (2) : » souvenez-vous de cette parole du Sauveur. « Ayant toujours aimé les siens, il les aima jusqu'à la fin (3). » Et maintenant il va ramasser toute sa tendresse, pour leur donner le précepte de la charité fraternelle. Car pour établir cette loi d'amour, il voulait faire ressentir à ses disciples des entrailles toutes pénétrées de tendresse. « Mes petits enfants: » il ne les avait jamais appelés de cette sorte : jamais il ne les avait nommés ses enfants : et pour dire quelque chose de plus tendre : « Mes pet ils enfants, » dit-il, comme s'il eût dit : Voici le temps que je vais vous enfanter : j'ai été toute ma vie dans les douleurs de l'enfantement; mais voici les derniers efforts et les derniers cris par lesquels vous allez naître : « Mes petits enfants. » Ecoutez donc cette parole paternelle : « Je serai encore avec vous un peu de temps : » profitez donc de ce temps pour entendre mes dernières volontés. « Vous

 

1 II Cor., XII, 10. — 2 Joan., XIII, 33 et seq. — 3 Ibid. 1.

 

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me chercherez : » viendra le temps que vous rachèteriez de beaucoup la consolation d'entendre ma parole; et comme j'ai dit aux Juifs : « Vous ne pouvez pas venir où je vais, je vous le dis aussi présentement : » profitez donc encore un coup du temps que j'ai à être avec vous : car « je m'en vais en un lieu où vous ne pouvez pas venir, » ainsi que j'ai dit aux Juifs. Avec ce préparatif et cette démonstration d'une tendresse particulière, où en veut-il enfin venir? Ecoutons, profitons, croyons.

«Je vous donne un commandement nouveau, de vous aimer les uns les autres; comme je vous ai aimés, vous devez aussi vous entre-aimer les uns les autres (1). » Pourquoi est-ce un commandement nouveau? Parce que l'esprit de la loi nouvelle, c'est d'agir avec amour, et non pas avec crainte : parce qu'encore que le précepte de la charité fraternelle soit dans l'Ancien Testament, il n'a-voit jamais été si bien expliqué que dans le Nouveau; et sur cela vous pouvez voir le chapitre X de saint Luc, où Jésus-Christ explique et décide que tous les hommes sont notre prochain, et qu'il n'y a plus d'étranger pour nous : depuis le verset 29 jusqu'au 37. En troisième lieu ce commandement est nouveau, parce que Jésus-Christ y ajoute cette circonstance importante, de nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés : il nous a prévenus par son amour, lorsque nous ne songions pas à lui : il est venu à nous le premier : il ne se rebute point par nos infidélités, par nos ingratitudes : il nous aime pour nous rendre saints, pour nous rendre heureux, sans intérêt, car il n'a pas besoin de nous ni de nos services, avec un amour qui coule de source et ne s'est jamais rebuté. « Allez donc, et laites de même (2). »

Pourquoi vois-je parmi vous des haines bizarres, des oppositions d'humeur à humeur et de personne à personne, des inimitiés, des jalousies, de l'aigreur, de l'emportement, des répugnances cachées? Est-ce en celte sorte que Jésus-Christ nous a aimés? Mais pourquoi vois-je d'un autre côté des flatteries, des complaisances ou excessives ou fausses? Est-ce ainsi que Jésus-Christ nous a aimés? Et pourquoi vois-je parmi vous des liaisons particulières, des partis et des cabales les uns contre les autres?

 

1 Joan., XIII, 34. — 2 Luc., X, 37.

 

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Est-ce ainsi que Jésus-Christ nous a aimés? Mais pourquoi avancer ou reculer les personnes selon l'inclination que vous avez pour elles? Est-ce ainsi que Jésus-Christ nous a aimés? Il a témoigné plus d'inclination, si l'on ose parler de cette sorte, pour saint Jean : « c'était le disciple que Jésus aimait; » mais cette inclination, qu'était-ce autre chose, selon la tradition des saints docteurs, qu'un amour particulier pour la chasteté virginale qu'il avait trouvée et qu'il conserva en saint Jean? Et pour venir aux autres qualités de ce bien-aimé disciple, l'amour qu'il avait pour lui, qu'était-ce autre chose que l'amour de la bonté, de la douceur, de la simplicité, de la candeur, de la cordialité, de la tendresse, de la contemplation, par lesquelles il avait une convenance particulière avec son Maître? Aimez donc en cette sorte. Et cet amour particulier dont il honora saint Jean , lui fit—il avoir de l'indulgence pour lui, quand il avait tort? Et l'empêcha-t-il de lui dire aussi bien qu'à son frère saint Jacques : « Vous ne savez ce que vous demandez (1); » et dans une autre occasion : « Vous ne savez de quel esprit vous êtes (2)? » Faites donc de même. Mais sa tendresse lui fit-elle préférer saint Jean aux autres? N'est-ce pas Pierre qu'il mit à la tête du collège apostolique et de toute l'Eglise ? A la fin il confia à saint Jean sa sainte Mère : qui convenait davantage avec elle, comme avec lui, par toutes les qualités que nous avons vues, et en particulier par la virginité? Il s'agissait de sa famille, de son domestique ; et il préfère saint Jean , qui outre les autres choses que nous avons vues, était encore son proche parent. Aimez donc de même : ayez les égards que le sang demande, mais réglez le fond de vos affections par la vertu. Et jusqu'où est-ce que Jésus a porté son amour? Jusqu'à donner sa vie pour ceux qu'il aimait. Ne doutez pas qu'il n'y ait des occasions où vous en devez faire autant pour votre frère : « Aimez comme j'ai aimé : » voilà mon nouveau précepte : le modèle de votre amour, c'est le mien. Ecoutez, « mes petits enfants : » faites comme moi.

Mais voici le dernier mot qui presse plus que tous les autres : « En cela tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous

 

1 Matth., XX, 22. — 2 Luc., IX, 55.

 

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aimez mutuellement (1). » Voilà le caractère de chrétien et de disciple de Jésus-Christ. Qui renonce à la charité renonce à la foi, abjure le christianisme, sort de l'école de Jésus-Christ, c'est-à-dire de son Eglise. Tremblez donc, cœurs endurcis; tremblez, insensibles; tremblez, vous tous dont les aversions sont implacables, les inimitiés irréconciliables : vous n'êtes plus disciples de Jésus-Christ, vous n'êtes plus chrétiens; vous renoncez à votre baptême.

Voyez l'Eglise naissante : « Un cœur et une âme : tout commun : et ils étaient tous unanimement assemblés dans la galerie de Salomon (2) : » sans dissension : sans envie : sans intérêt : rendant le bien pour le mal : « Et tout le peuple les admirait (3). » Et on disait : Voilà les disciples de Jésus : c'était là leur caractère particulier : l'envie, l'intérêt, la haine régnent dans tout le reste des hommes : l'innocent troupeau de Jésus ne connaissait point ces maux. Mon Sauveur, où sont vos disciples maintenant? ouest la charité? où est l'amour fraternel? Qu'il est rare! Aussi avez-vous dit que « le temps viendrait, que les scandales, que l'iniquité abonderait, que la charité serait refroidie dans la multitude (4); » et que, « quand vous viendriez sur la terre, à peine y trouveriez-vous de la foi (5), » de cette foi animée de la charité.

Pleurons, mes frères, pleurons la charité refroidie : refroidie dans la multitude, dans la plupart de ceux qui se disent chrétiens, mais refroidie en nous-mêmes. Réchauffons-la : venons à Jésus : écoutons avec tendresse son dernier discours, avec tendresse ce qu'il dit si tendrement : la charité fraternelle nous devient recommandable par ces raisons, par la tendresse avec laquelle Jésus-Christ nous la recommande, par le temps qu'il choisit pour nous la recommander, par le modèle qu'il nous donne de la charité fraternelle en sa personne , par le caractère de chrétien qu'il attache à cette divine vertu. Soyons disciples de Jésus-Christ, soyons chrétiens, c'est-à-dire aimons nos frères : et comment? « Comme Jésus-Christ nous a aimés. » A ces mots il se tut; et nous laissa à goûter ce nouveau commandement de la loi de grâce.

 

1 Joan., XIII, 35. — 2 Act., IV, 32; V. 12.— 3 Act. II, 12; V, 13. — 4 Matth., XXIV, 12. — 5 Luc., XVIII, 8.

 

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LXXVIe JOURNÉE. 
Présomption et chute de saint Pierre. Joan., XIII, 33 et seq.

 

Comme Jésus-Christ se fut tu, saint Pierre frappé de cette parole : « Vous me chercherez ; et ainsi que j'ai dit aux Juifs, vous ne pouvez pas venir où je vas (1) : » car elle paraissait rude et il semblait les avoir rangés avec, les Juifs, qui ne croyaient point à sa parole; frappé donc de ce discours , il dit au Sauveur : « Seigneur, où allez-vous? » Et Jésus lui dit : « Vous ne pouvez maintenant me suivre où je vas, mais vous me suivrez après (2). «Jésus console ses apôtres en la personne de Pierre, et leur donne espérance de le suivre un jour où il allait. Mais il leur déclare en même temps qu'ils ne le pouvaient pas encore. Et Pierre, dont le zèle n'était pas content de cette explication, lui répondit tout ému: « Pourquoi ne puis-je pas vous suivre maintenant? » Il entendit bien que son Maître allait à la mort, et il ajouta : « Je donnerai ma vie pour vous. Vous donnerez votre vie pour moi? Le coq ne chantera point que vous ne m'ayez renié trois fois (3). »

La faute , la grande faute, la cause de son reniement, de son crime, et déjà peut-être un terrible commencement de ce crime, c'est que Jésus-Christ lui disant : « Vous ne pouvez pas, » au lieu de reconnaître son impuissance et de lui dire : Il est vrai, Seigneur; je ne le puis : je devrais bien le sentir et me connaître mieux moi-même; mais je veux du moins vous en croire, m'humilier devant vous et confesser, non pas ma faiblesse, mais mon impuissance. Mais vous qui êtes tout-puissant, aidez-moi : donnez-moi la force. Au lieu donc de répondre ainsi et de dire comme il avait dit autrefois avec les autres apôtres : « Seigneur, augmentez-moi la foi (4) » rendez-la forte, rendez-la ardente, rendez-la toute-puissante; ou avec cet autre : « Je crois, aidez mon incrédulité (5); » en un mot au lieu de s'humilier et de prier, il s'élève contre Jésus-Christ; et avec une témérité pitoyable., mais punissable,

 

1 Joan., XIII, 33. — 2 Ibid., 36. — 3 Ibid., 37, 38. — 4 Luc., XVII, 5.— 5 Marc., IX, 23.

 

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il dit qu'il peut à celui qui sait tout et qui lui dit qu'il ne peut pas.

Quand Jésus demande à Pierre par trois fois : « M'aimez-vous, m'aimez-vous, m'aimez-vous plus que ceux-ci? » il sut bien lui dire : « Seigneur, vous savez tout ; vous savez que je vous aime (1) ; » il devait donc dire ici : Seigneur, vous savez tout : vous savez ce que je puis mieux que moi-même : aidez-moi donc, afin que je puisse ce que je vous promets de faire.

Faute d'avoir fait cette réponse, il tombe d'une manière déplorable; mais plutôt il est déjà tombé bien bas, faute de la faire : car il est tombé dans la présomption ; faute qui mérite qu'on soit livré à tous les crimes, et qui en effet livra saint Pierre au reniement par trois fois.

O  mon Dieu, qui ne tremblerait, qui ne se défierait de soi-même, qui ne reconnaîtrait humblement son impuissance? Avouons-la : n'attendons pas que Notre-Seigneur nous dise : « Tu ne peux pas : » prévenons sa face par la confession (2) de notre impuissance, de peur qu'il ne nous la fasse connaître par notre chute.

Mais encore, qu'est-ce qui trompe saint Pierre? Qu'est-ce qui le trompe , sinon cette aveugle estime qu'on a de soi-même, qui nous fait croire que nous pouvons ce que nous ne pouvons pas?

Mais enfin qu'est-ce qui fait croire à saint Pierre qu'il pouvait ce qu'il ne pouvait pas, si ce n'est qu'il le voulait, et qu'il croyait avoir son pouvoir dans sa volonté?

En effet, en cette occasion qu'était-ce que pouvoir, sinon vouloir? Il ne s'agissait pas de suivre Jésus-Christ par les pas du corps : il s'agissait de le suivre par une ferme résolution de mourir pour lui : et cette ferme résolution , qu'est-ce autre chose qu'un vouloir? Ainsi saint Pierre qui le voulait et le voulait sincèrement, car il n'avait pas dessein de tromper son Maître; et le voulait ardemment à ce qu'il lui semblait, et en vérité, car il était en effet tout plein de ferveur et il aimait Jésus-Christ jusqu'à vouloir mourir avec lui s'il était besoin, croyait (a) qu'il le pouvait, parce qu'il le voulait de cette sorte.

 

1 Joan., XXI, 15-17.— 2 Psal.  XCIV, 2.

(a) Var. : Et il croyait.

 

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Il ne savait pas ce que c'était que la volonté de l'homme. Car en effet, quand il s'agit de prendre la résolution de marcher après Jésus-Christ, de l'imiter , de le suivre, pouvoir c'est vouloir; mais c'est vouloir fortement, c'est vouloir invinciblement, c'est avoir une volonté à l'épreuve de tous les périls et capable d'affronter la mort.

La volonté de saint Pierre n'en était pas encore à ce degré : et c'est pourquoi Jésus-Christ lui dit qu'il ne pouvait, parce qu'il ne voulait pas encore assez : et lui, au lieu de sentir qu'une volonté faible ne peut rien et qu'elle cesse pour ainsi parler d'être volonté dans une tentation qui la passe, disait hardiment qu'il pouvait tout ce qu'il sentait qu'il voulait, et qu'il voulait avec force jusqu'à un certain point, mais non pas jusqu'au point qu'il fallait pour accomplir sa promesse. C'est pourquoi Jésus lui disait, non pas simplement : « Vous ne pouvez pas, » mais, « vous ne pouvez pas me suivre maintenant ; » et il ajoutait : « Vous me suivrez un jour (1) : » qui était lui dire, comme dit saint Augustin (2) : Vous ne le pouvez pas encore, parce que votre volonté est faible ; mais vous le pourrez, quand vous aurez reçu une volonté assez forte.

Saint Pierre était juste; car Jésus-Christ lui avait dit comme aux autres : « Et vous, vous êtes purs, mais non pas tous (3), » en n'exceptant que Judas. Mais sa justice tenait encore beaucoup de cette justice de la loi, qui croit qu'il n'y a rien qu'à vouloir et qu'à faire, sans songer par qui on veut et par qui on fait. Saint Pierre voulait ; mais il ne voulait pas assez fortement ; et il devait avoir entendu que ce commencement de bonne volonté ne lui venait pas de lui-même, mais de Dieu. S'il l'eût entendu, s'il l'eût cru aussi vivement qu'il fallait, il aurait commencé par confesser que le peu qu'il pouvait venait de la grâce : et que par conséquent pour pouvoir beaucoup , il fallait encore que la grâce donnât ce pouvoir, c'est-à-dire qu'elle fortifiât sa volonté faible et qu'elle lui en inspirât une si forte, que toute crainte cédât à sa puissance. Alors donc il aurait dit, non pas : Je puis ; non pas : Je voudrai ; non pas : J'irai; mais : Seigneur, aidez ma faiblesse; faites-moi vouloir de cette manière, à qui rien n'est impossible. Je veux déjà en quelque façon, et c'est un effet de votre grâce : à vous la gloire

 

1 Joan., XIII, 36. — 2 Tract. in Joan. LXVI, n. 1. — 3 Joan., XIII, 10.

 

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de ce faible et tel quel commencement de bonne volonté ; mais achevez votre ouvrage : mettez-y la dernière main : vous qui avez commencé, achevez. Car vous seul pouvez achever en nous ce que vous seul vous y pouvez commencer de bien. « Celui qui a commencé en vous la bonne œuvre, y mettra la perfection (1). »

Saint Pierre ne connaissait pas encore parfaitement cette justice qui est la justice chrétienne, qui veut faire (car on n'est pas juste parce qu'on écoute, mais parce qu'on fait), mais qui songe par qui on fait et qui a continuellement recours à la grâce. Cet apôtre « était zélé » à la vérité « mais non pas encore selon la science, » parce que voulant établir sa propre justice et « ne connaissant pas encore que la véritable justice est celle qui vient de la grâce, » il ne « s'était pas assujetti à la justice de Dieu (2). » Voilà ce que dit un autre apôtre, et c'est ainsi qu'il explique la justice chrétienne. Saint Pierre ne l'avait pas encore assez entendu. Ainsi étant juste, mais non encore parfaitement de la justice qui est en Jésus-Christ, c'est-à-dire de cette justice qui rapporte entièrement à Dieu tout ce qu'elle a de bien ; zélé à la vérité, mais non pas encore comme il fallait : que lui sert ce faible commencement de vertu et de justice, sinon à présumer, à l'engager, à l'égarer, à le mener au lieu où il devait renier, au lieu où sa justice et sa fidélité fit un si horrible naufrage?

Vraiment le Sage a raison de dire : « Bienheureux l'homme qui est toujours en crainte (3), » qui se craint toujours lui-même ! Si saint Pierre eût eu cette crainte, il n'aurait pas présumé de ses forces : il n'aurait pas suivi Jésus-Christ dans la maison de Caïphe : car personne ne le lui avait ordonné , et rien ne lui demandait cette action téméraire, si ce n'était sa présomption. Il aurait craint, il aurait prié : sa foi se serait fortifiée, et il se serait rendu capable de résister à la crainte de la mort. Mais il va, croyant tout pouvoir ; il s'expose volontairement à un péril trop grand pour sa faiblesse : son zèle le trompe : son amour le trompe. Quoi ! un faux zèle, un faux amour? Non, il n'était pas tout à fait faux; car il était vraiment juste, ainsi que nous l'avons vu : il aimait donc véritablement : il aimait même beaucoup; mais

 

1 Philipp., I, 6. — 2 Rom., X, 2, 3. — 3 Prov., XXVIII, 14.

 

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non pas encore assez pour ce qu'il voulait entreprendre : il n'avait donc qu'à se tenir dans ses bornes, et demander humblement et persévéramment la perfection de cet amour. Mais au lieu de remercier, au lieu de prier, il présume : il n'entend pas encore la vérité de cette parole que son Maître lui dira bientôt : « Sans moi vous ne pouvez rien ». » Son propre zèle, sa propre vertu tourne m poison à sa présomption et lui sert de nourriture ; et il lui est si important de se bien connaître et d'entendre qu'il ne peut rien de lui-même, que Jésus-Christ permet qu'il l'apprenne par sa chute.

Hélas ! hélas! pauvre cœur humain, qui ne te connais pas toi-même, à qui ta propre vertu, je dis même la véritable, devient un piège, l'appât et la pâture de l'orgueil! Viens l'instruire par l'exemple d'un si grand apôtre : il présume : il s'engage : il renie : une servante fait trembler cet intrépide, qui se vantait de ne rien craindre. Ce n'est pas assez pour rompre l'enchantement de son amour-propre, de renier une fois : il faut qu'il renie jusqu'à trois, et encore avec jurement, avec blasphème, avec exécration.  Il le faut : qu'est-ce à dire, il le faut? Est-ce qu'il est poussé au crime? A Dieu ne plaise ! il a présumé de lui-même : il est livré à lui-même. Pour lui ouvrir les yeux et lui faire sentir sou mal, qu'il ne veut pas voir, il faut qu'il tombe, et son erreur est si grande qu'il n'en peut revenir que par là.

Jésus le regarde : il se réveille : il se retire : il commence à sentir qu'il ne fallait point aller au lieu d'où il ne peut se retirer hop tôt. Hélas! s'il y demeurait, il renierait peut-être encore. Mais quoi! Ne pleure-t-il pas sincèrement son péché? Sans doute; mais la partie la plus essentielle de la pénitence, c'est de sortir du péril, c'est de le fuir : autrement on tombe encore; et faute d'avoir profité de sa chute, on tombe sans ressource : on n'en relève jamais.

Et voyez la faiblesse du cœur humain! Pierre pleure; mais voici pour lui une autre épreuve : le scandale de la croix. On lui vient dire comme aux autres que Jésus-Christ était ressuscité; et comme eux il est incrédule, quoique ceux qui lui venaient annoncer la résurrection de Jésus-Christ ne fissent que lui raconter

 

1 Joan., XV, 5.

 

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l'accomplissement de ce qu'il avait dit lui-même a ses disciples, et à Pierre même. Autre chute déplorable : autre preuve de l'infirmité humaine. Jésus-Christ nous instruit par ses exemples, et ne craint point d'étaler au monde toute la faiblesse de ses disciples et du chef de son Eglise, afin de nous apprendre à trembler, à être humbles. Et après sa résurrection, il parle encore à saint Pierre et lui demande : « Pierre, m'aimes-tu (1)? » Comme s'il eût dit : « Prends bien garde : » sonde bien ton cœur : tu as cru pouvoir ce que tu ne pouvais pas : pense donc bien si tu m'aimes : et à la troisième fois il le met encore à une plus grande épreuve : « M'aimes-tu plus que ceux-ci : » plus que tous les autres apôtres? Et Pierre lui répondit, comme on vient de voir : « Seigneur, vous savez tout : vous savez que je vous aime (2): » et il disait vrai. Car Jésus récompensa son amour, et lui confia ses brebis et ses agneaux, et les grands et les petits de son troupeau ; et le crut si élevé au-dessus de tous ses apôtres, qu'il le mit à leur tête et à la tête de tout le troupeau, de toute l'Eglise.  Il semble donc que son amour était alors à la perfection. Peut-être donc qu'il pouvait alors suivre Jésus-Christ jusqu'à la mort? Non : connais ici, chrétien, par combien de degrés d'amour il faut parvenir à ce grand et partait amour: à cet amour dont Jésus-Christ nous dira bientôt « qu'il n'y en a point de plus grand, et qui nous l'ait donner notre vie pour nos amis (3). » Saint Pierre avec cet amour, qui lui a mérité sur ses frères les apôtres une si éminente prérogative, n'en est pas encore à ce point. Et qui oserait le dire, si Jésus-Christ ne l'avait dit le premier? « Je vous enverrai,  dit-il, le Saint-Esprit (4) : mais vous : » vous : à qui parle-t-il? A ses apôtres sans doute, parmi lesquels était saint Pierre : « vous donc demeurez dans la ville : » renfermez-vous dans le cénacle pour prier : et ne sortez pas, « jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la vertu d'en haut (5). » De quoi donc avaient-ils besoin? De vertu, de force, de puissance, pour être capables de prêcher sans crainte l'Evangile et de goûter la joie de souffrir pour Jésus-Christ. Voilà de quoi ils avaient besoin : tous, et saint Pierre comme les autres,

 

1 Joan., XXI, 15. — 2 Ibid., 17. — 3 Joan., XV, 13. — 4 Joan., XVI, 7. — 5 Luc., XXIV, 49.

 

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avaient besoin, par-dessus la foi et par-dessus l'amour qu'ils avaient déjà, de recevoir une vertu, une puissance d'en haut. Elle vint cette vertu, et le Saint-Esprit descendit : les voilà forts : Pierre ne craint plus : Pierre est pierre, c'est-à-dire un rocher contre qui se brisent tous les flots : et comment? Par la nouvelle vertu qui lui est venue d'en haut. Marche, Pierre : dis hardiment que tu suivras Jésus-Christ jusqu'à la mort. Tu le peux : et voici le temps que le Sauveur avait marqué : « Tu ne peux me suivre à présent, mais après tu le pourras (1). » Voilà ce temps arrivé : parlez, Pierre : allez à la tête du troupeau attaquer le monde, subjuguer le monde : vous avez expérimenté votre impuissance : vous avez connu la grâce : vous l'avez reçue : vous n'avez plus rien à craindre : vous pouvez tout.

Recueillons-nous un moment sous les yeux de Dieu : rentrons en nous-mêmes par une profonde connaissance de notre impuissance : confessons que nous ne pouvons rien sans Jésus-Christ. Ne nous fions point à notre ardeur, à notre zèle, à ces agréables transports de piété qui nous paraissent sincères, qui le sont peut-être, mais non encore assez forts : ne nous exposons pas volontairement aux tentations, aux périls, à ce commerce, aux dangereuses compagnies du monde : ne disons plus : Je ferai, je puis, car c'est là ce qui a trompé saint Pierre; disons : Seigneur, aidez-moi : soutenez mon impuissance : donnez-moi la force : et s'il faut dire : Je puis, que ce soit comme saint Paul : « Je puis tout en celui qui me fortifie (2). »

 

LXVIIe JOURNÉE.
Préparation à l'intelligence des plus hautes vérités par la soumission et par une sainte frayeur.

 

Lisez le chapitre XIV ; vous y trouverez des profondeurs à faire trembler. Seigneur, j'en suis effrayé : ceux qui ne les sentent pas, n'entendent pas. Profitez de ce que vous entendez : adorez ce que

 

1 Joan., XIII, 36. — 2 Philipp., IV, 13.

 

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vous n'entendez pas, c'est une grande leçon. Voulez-vous être aidé par quelque pieuse explication des paroles de Jésus-Christ, aidez-vous vous-même : cherchez vous-même, demandez au grand Père de famille qu'il vous donne votre pain ; prenez toujours ce qu'il vous donnera par lui-même, et soyez disposé à recevoir ce qu'il vous donnera par ses ministres. Accoutumez-vous à cet exercice : c'est ainsi qu'on vient à entendre : les difficultés s'aplanissent peu à peu : quand elles demeureraient, que vous importe ? Ce n'est pas la curiosité que vous voulez satisfaire : vous voulez bien ignorer ce que Jésus-Christ ne vous veut pas découvrir. Tout ce que vous trouverez clair, c'est ce qu'il vous dit, c'est par là qu'il vous parle : et lorsque vous n'entendez pas , il vous parle d'une autre manière ; il vous dit : Crois : adore : humilie-toi : désire : cherche : heureux, soit que tu trouves, soit que Dieu réserve cette grâce à un autre temps, puisqu'on attendant tu te soumets ; qui est plus que d'avoir trouvé et d'entendre, puisque c'est le principe pour entendre, et que c'est déjà entendre ce qu'il y a de meilleur.

 

LXXVIIIe JOURNÉE.
Confiance en Jésus-Christ notre intercesseur. Ibid.

 

« Que votre cœur ne se trouble pas, » qu'il ne craigne rien : « il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père : je m'en vais vous préparer la place (1). »

Les temps de trouble arrivaient : c'était l'heure de la puissance des ténèbres : les apôtres étaient déjà comme au milieu de ces troubles : Jésus-Christ leur avait déclaré qu'il allait être trahi, et par l'un d'eux : il avait désigné le traître à quelques-uns, et ils l'avaient vu partir de la table et de la maison : il venait de leur dire le dernier adieu : « Mes petits enfants, je m'en vais et je ne serai plus avec vous (2) : » il leur faisait voir la violence de ses ennemis prête à éclater : sa sainte cène ne leur avait remis devant

 

1 Joan., XIV, 1, 2.— 2 Joan., XIII, 33.

 

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les yeux que du sang répandu et un corps livré : et la tentation était tout ensemble et si terrible et si proche , que Pierre , le plus fervent, le plus hardi, le plus favorisé d'eux tous, y devait succomber jusqu'à renoncer à son Maître, et cela dans la nuit même où ils allaient entrer. En cet état, il n'y avait rien de plus nécessaire que de les précautionner contre tant de troubles : c'est aussi à quoi se termine tout ce discours, jusqu'à la fin de ce chapitre; et après avoir dit dès le commencement : « Ne vous troublez pas, » ne craignez rien, il finit encore par les mêmes mots : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix : que votre cœur ne se trouble pas, ne craigne, pas (1) : » après quoi il termine ce discours, et se lève pour aller à la mort.

Il faut donc entendre et peser toutes ses paroles. Par rapport à celle-ci : « Ne vous troublez pas, » nous verrons qu'au lieu de trouble, tout inspire la confiance aux apôtres. Ce qui leur causait le plus de trouble, c'est qu'en leur disant : «Je m'en vais, » il semblait ne leur laisser aucune espérance de le suivre : il les avait mis au rang des Juifs, qui semblaient exclus de cette grâce : «Je m'en vais ; et comme j'ai dit aux Juifs, vous ne sauriez venir où je vais (2). »

Il est vrai qu'il avait dit à saint Pierre : « Vous ne pouvez pas encore me suivre, mais vous me suivrez après (3) : » par où il leur donnait quelque espérance, puisque saint Pierre devait le suivre un jour où il allait, les autres semblaient aussi y être appelés. Mais pour ne leur laisser aucun doute : « Il y a , dit-il, plusieurs demeures dans la maison de mon Père (3) : » il n'y en a pas seulement pour moi et pour Pierre ; il y en a pour plusieurs : il y en a pour vous : « Je m'en vais, mais c'est pour vous préparer la place : ne vous troublez donc pas : » ne craignez rien : « vous croyez en Dieu ; » c'est dans son royaume que votre demeure vous est préparée : « Croyez aussi en moi ; » car c'est moi qui vous y vais préparer la place. « Ne vous troublez donc pas, » ne craignez rien : « Croyez en moi » comme « vous croyez en Dieu, » et tout est en sûreté pour vous.

« Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père; s'il

 

1 Joan. XIV, 27, 28. — 5 Joan., XIII, 33. — 3 Ibid., 36. — 4 Joan., XIV, 1, 2.

 

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n'en était pas ainsi, je vous le dirais : » avec tant de bonté, avec tant d'amour, vous cacherais-je votre sort? Admirez et ressentez la tendresse de ces paroles : « S'il n'en était pas ainsi, je vous le dirais. » Ce n'est pas aux seuls apôtres qu'elles sont dites, c'est encore à nous. Répétons-les encore un coup, et laissons-nous-en pénétrer : « S'il n'en était pas ainsi, je vous le dirais : » je ne vous veux rien cacher, et avant que de partir je veux vous apprendre tous les secrets qui vous regardent. « Ayant aimé les siens, il les a aimés jusqu'à la fin (1), » et en s'en allant il leur veut ôter tout sujet de crainte.

« Si je m'en vais, » c'est que « je vais vous préparer la place (2). Jésus, notre avant-coureur , est entré pour nous ; et c'est pour cela qu'il est appelé notre pontife selon l'ordre de Melchisédech (3). Nous avons un grand Pontife qui a pénétré les cieux (4) : » Il est entré dans ce sanctuaire éternel dont l'entrée était interdite aux hommes à cause de leurs péchés : il a percé « au dedans du voile (5) : » et notre foi, notre espérance y entre après lui ; car il nous est allé préparer la place, et c'est pour cela qu'il y entre.

Remettons-nous devant les yeux la structure de l'ancien temple, où était le lieu très-saint, le Saint des saints, la partie du sanctuaire la plus intime, celle où était l'arche où Dieu même avait établi sa résidence ; lieu inaccessible à tout autre qu'au souverain Pontife , qui encore n'y pouvait entrer qu'une fois l'an. Il était couvert d'un grand voile parsemé de chérubins , pour nous faire souvenir de ce chérubin qui, avec une épée flamboyante qu'il remuait d'une manière menaçante, gardait la porte du paradis (6) pour empêcher nos premiers pères d'y rentrer, après qu'ils en eurent été chassés. Ce voile sacré et ces chérubins répandus dessus semblaient encore nous dire à l'entrée du sanctuaire : N'entrez pas : rien d'impur ne doit entrer en ce lieu : c'est la figure du ciel, où personne ne doit entrer jusqu'à ce que le souverain Pontife en ait ouvert l'entrée.

C'est là ce voile qui nous cachait la gloire de Dieu : c'est là ce voile qui nous rendait le sanctuaire inaccessible : c'est le voile

 

1 Joan., XIII, 1. — 2 Joan., XIV, 3. — 3 Hebr., VI. 20. — 4 Hebr., IV, 14 — 5 Hebr., VI, 19. — 6 Genes., III, 24.

 

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qui nous marquait que nous étions interdits, impurs, incapables d'entrer jamais dans le Saint des saints : c'est ce voile qui fut déchiré du haut en bas par le milieu et mis en deux parts, lorsque Jésus-Christ expira (1). La terre trembla en même temps; les tombeaux s'ouvrirent, et les morts ressuscitèrent, en témoignage que par la mort et par le sang de Jésus, le sanctuaire était ouvert, les morts recevaient la vie, l'interdit était levé, tout était changé pour les hommes.

Le pontife s'ouvrait l'entrée dans le sanctuaire par le sang des animaux ; mais Jésus-Christ y devait entrer par son propre sang, par l'oblation de lui-même (2) Le pontife, avant que d'entrer dans le sanctuaire, offrait pour ses péchés et pour ceux du peuple ; mais le vrai souverain Pontife n'avait pas besoin d'offrir pour lui (3), et en qualité de Fils unique il entrait dans le ciel par son propre droit naturel. Et c'est pourquoi n'offrant que pour nos péchés, c'est à nous qu'il ouvre l'entrée : « Je m'en vais vous préparer la place (4). »

Son sacerdoce s'exerce principalement dans le ciel : car « s'il n'eût été sacrificateur que pour la terre, il ne l'aurait point été du touts, » puisqu'il y avait pour la terre un autre sacerdoce et d'autres victimes. Mais celui-ci, dont le sang est non-seulement innocent et pur , mais encore infiniment précieux, commence à la vérité l'exercice de son sacerdoce sur la terre, où il fallait qu'il mourût pour les pécheurs; « mais il le consomme dans le ciel, où il paraît pour nous devant la face de Dieu (6), » où « assis à la droite de la majesté de Dieu, il opère » continuellement «la rémission des péchés (7), en intercédant pour nous (8) » et nous ouvrant la porte du ciel par « le sang du Nouveau Testament répandu pour la rémission de nos péchés (9). »

Ne soyons donc point troublés, ne craignons rien. Que peut faire le monde contre nous, que de nous chasser de notre pays, de notre maison, de toute la terre et de la vie ? Mais quand nous perdrons tout cela, il y a plusieurs demeures dans le ciel : nous y avons notre place et une retraite assurée, où le monde et la

 

1 Matth., XXVII, 51, 52; Luc., XXIII, 48. — 2 Hebr., IX, 7, 12, 25. — 3 Levit., XVI, 6, 11 ; Hebr., VII, 27. — 4 Joan., XIV, 2. — 5 Hebr., VIII, 4. — 6 Hebr., IX, 24. — 7 Hebr., I, 3. — 8 Hebr., VII, 25. — 9 Matth., XXVI,  28.

 

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puissance des ténèbres ne peut plus rien. Croyons donc en Dieu, qui nous y reçoit; mais croyons aussi en Jésus-Christ, qui nous y va préparer la place : adorons le sang de l'alliance par lequel il y est entré : adorons ses plaies, par lesquelles il intercède pour nous et nous ouvre l'entrée du ciel. « Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi (1) : » car je suis Dieu, mais un Dieu-homme, un Dieu qui a été votre victime, un Dieu qui ai offert pour vous ce que j'ai pris de vous-mêmes : « Croyez en Dieu, croyez en moi : » après cela « ne vous troublez pas, ne craignez rien (2). » Si vous aviez quelque chose à craindre et capable de vous troubler, ce seraient vos péchés qui crient contre vous et ne vous permettent pas le repos de la conscience ; mais ils sont purgés : Jésus-Christ a levé l'interdit, et il vous tend les bras du haut du ciel pour vous y recevoir. Quittez donc comme lui la chair et le sang : sacrifiez vos passions et vos désirs sensuels : c'est le sang qu'il vous faut répandre pour vous conformer à Jésus-Christ : ne craignez rien, ne vous troublez pas : encore un coup « nous avons un souverain Pontife qui a pénétré les cieux : présentons-nous donc avec une entière confiance devant le trône de la grâce, pour en être secourus dans nos besoins : devenons inébranlables dans la confession (3) » de son saint nom. Mais ne soyons pas de ceux « qui le confessent de bouche, et le renoncent par leurs œuvres (4) : si nous le renonçons, il nous renoncera : et si nous lui sommes infidèles, » la faute en sera en nous : car pour lui « il est ferme dans ses paroles, et il ne se peut renoncer lui-même (5). » Ne craignez donc rien, ne vous laissez troubler de rien : croyez en Dieu, croyez en Jésus-Christ, « par qui vous avez accès auprès de Dieu (6) »

 

LXXIXe JOURNÉE.
Jésus-Christ est notre assurance et notre repos. Joan., XIV, 3-6.

 

« Après que je m'en serai allé et que je vous aurai préparé la

 

1 Joan., XIV, 1. — 2 Ibid., 28. — 3 Hebr., IV, 14, 16. — 4 Tit., I, 16. — 5  Timoth., II, 12, 13. — 6 Ephes., II, 18.

 

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place, je reviendrai pour vous prendre et vous emmener avec moi, afin que vous soyez où je suis (1). »

Voici le dernier degré d'assurance et du repos que Jésus-Christ pouvait donner à ses fidèles. Quand il reviendra au dernier jour, que « tous les hommes sécheront de frayeur dans l'attente de ce qui devra arriver à tout l'univers : Alors, dit-il, levez la tête, parce que votre rédemption approche (2). » Je ne viens point vous juger : je viens vous quérir et vous emmener avec moi. Le jugement n'est que pour le monde et pour ceux qui aiment le monde : « Celui qui croit en moi » de cette foi vive et véritable « qui fructifie en bonnes œuvres, n'est pas jugé; il ne vient point en jugement, parce qu'il est déjà passé de la mort à la vie (3). »

Sans attendre ce dernier jour, Jésus-Christ nous visite tous les jours, lorsqu'il nous appelle à son repos éternel : il nous visite par les maladies : il est ce grand Père de famille qui frappe à la porte : alors il vient nous quérir, afin que là où il est, nous y soyons avec lui.

C'est là donc la grande parole : c'est la parole de consolation et de tendresse, où Jésus-Christ nous fait voir qu'il ne veut pas être sans nous, qu'il ne veut pas que nous soyons longtemps sans lui. C'est donc alors que bien loin d'être effrayés, nous devons nous mettre en état de lever la tête, parce que le moment arrive où nous allons être où est Jésus-Christ, dans son royaume, dans son trône. C'est là ce qui fait dire à saint Paul que ce corps mortel lui est à charge, qu'il désire d'en être dégagé pour « être avec Jésus-Christ (4), » qu'il désire d'être défait « de cette demeure terrestre, » et de quitter ce séjour où il est «éloigné du Seigneur (5), » pour aller habiter où il est.

Si nous aimons Jésus-Christ, rien ne nous doit être plus cher que cette parole : « Je m'en vais et je reviendrai vous quérir, afin que vous soyez où je suis. » Etre loin de Jésus-Christ, c'est être dans la peine, dans la mort, dans la tentation, dans le péché : être avec Jésus-Christ, c'est être dans la gloire, dans la paix, dans la justice parfaite. Voilà ce qu'il nous promet : voilà où il

 

1 Joan., XIV, 3. — 2 Luc., XXI, 26, 28. — 3 Joan., III, 18; V, 24; Coloss., I, 10. — 4 Philipp., I, 22, 23. — 5 II Cor., V, 1, 4, 6, 8.

 

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appelle les apôtres, en leur disant le dernier adieu. Cet adieu n'est donc que pour un peu de temps : Jésus-Christ leur promet de revenir pour les emmener avec lui ; c'est la dernière marque de son amour, et le plus puissant motif pour les rassurer.

Et afin de leur ôter toute incertitude, il ajoute : « Vous savez où je vais et vous en savez la voie (1) : » c'est en quoi est la différence entre eux et les Juifs. Car les Juifs ne savaient ni où il allait, ni par où il y fallait aller : leur infidélité, leur aveuglement les empêchaient de le suivre; mais il dit au contraire à ses apôtres : « Vous savez où je vais, et vous savez le chemin par où il y faut aller. » Et ce chemin c'est moi-même : « Je suis la voie, la vérité et la vie (2). » Pourquoi donc seriez-vous troublés de mon départ, puisque je vous montre la voie pour venir où je suis?

Seigneur, lui avait dit saint Thomas, « nous ne savons où vous allez et comment en pouvons-nous savoir la voie (3)? — Je suis la voie, la vérité et la vie : » je suis celui où il faut aller : car c'est avec moi qu'il faut être : je suis la voie où il faut aller : parole haute et impénétrable au sens humain. Quelle est la fin de tous les désirs, si ce n'est la «vérité et la vie? » C'est, dit-il, ce que je suis : et quand on en a trouvé le chemin, que reste-t-il à chercher? «Je suis » encore « ce chemin : je suis la voie. » Comment peut-on être à la fois, et le terme où l'on va et le chemin pour y aller? Mon Sauveur unit l'un et l'autre ; et dans ce peu de paroles : « Je suis la voie, la vérité et la vie , » il renferme toute sa doctrine et tout le mystère de la piété. O Seigneur, faites-moi la grâce de goûter cette parole, de vous y trouver, de vous y goûter tout entier.

 

LXXXe JOURNÉE.
Jésus-Christ est la voie, la vérité et la vie. Joan., XIV, 6.

 

« Je suis la vérité et la vie : » Je suis « le Verbe qui était au commencement, » la parole du Père éternel, sa conception, sa sagesse, « la véritable lumière qui éclaire tous les hommes qui

 

1 Joan., XIV, 4. — 2 Ibid., 6. — 3 Ibid., 5.

 

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viennent au monde (1) : » la vérité même ; par conséquent le soutien, la nourriture et la vie de tout ce qui entend, celui en qui est la vie et la même vie qui est dans le Père. Il faut entrer par la foi dans toutes ces choses : car si elles n'étaient pas nécessaires pour notre salut, Jésus-Christ ne nous les aurait pas révélées.

« Je suis donc, dit-il, la vérité et la vie, » parce que je suis Dieu; mais en même temps je suis homme. Je suis venu enseigner le genre humain, et lui apporter des paroles de vie éternelle : avec la doctrine, je lui ai donné l'exemple de bien vivre. Mais comme tout cela n'était qu'au dehors, il fallait encore apporter la grâce aux hommes, et je me suis fait leur victime pour leur mériter cette grâce. « Je suis donc la voie : » on ne peut approcher de Dieu, ni de la vie éternelle que par moi. Il y faut venir par ma doctrine : il y faut venir par mes exemples : il y faut venir par mes mérites et par la grâce que j'apporte au monde. « La loi a été donnée par Moïse : la grâce et la vérité a été donnée par Jésus-Christ. Et nous avons vu sa gloire comme celle du Fils unique, plein de grâce et de vérité (2). » Entrons par cette voie, et nous trouverons la vérité et la vie.

C'est ce que l'Eglise nous enseigne tous les jours par la formule perpétuelle dont elle finit ses oraisons. Qu'on adore Dieu ; qu'on le loue, qu'on lui sacrifie, qu'on se consacre soi-même à lui, qu'on le prie, qu'on lui demande; tout se fait par Jésus-Christ. Voilà la voie; mais en même temps on ajoute qu'étant Dieu, il vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit : il vit de la même vie, il règne avec la même souveraineté. Voici donc tout le mystère de Jésus-Christ : « Nous savons que le Fils de Dieu est venu, et nous a donné l'intelligence pour nous faire connaître le vrai Dieu et être dans son vrai Fils : c'est lui-même qui est le vrai Dieu et la vie éternelles. » C'est lui qui est venu pour nous faire connaître le vrai Dieu : c'est par lui que nous y allons : il est lui-même le vrai Dieu, la vérité même et la vie éternelle : « Il est la voie, la vérité et la vie. »

 

1 Joan., 1, 9. — 2 Ibid., 14, 17. — 3 I Joan., V, 20.

 

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LXXXIe JOURNÉE.
Jésus-Christ est notre lumière. Ibid.

 

Nous nous étonnions tout à l'heure comment on pouvait être tout ensemble le moyen et la fin, « la vérité et la vie, » qui sont le terme et en même temps la voie pour y aller. Mais Jésus-Christ nous explique ce mystère. Qui nous peut mener à la vérité, si ce n'est la vérité elle-même ? Cette vérité est souveraine : nul ne la force : nul ne l'attire, et il faut qu'elle se donne elle-même. Mais cela même c'est la vie : car on vit quand on possède la vérité, c'est-à-dire quand on la connaît, quand on l'aime, quand on l'embrasse. A Dieu ne plaise que nous nous imaginions des bras pour la tenir et pour la serrer : on en jouit comme on jouit de la lumière en la voyant; mais elle gagne tous ceux qui la voient telle qu'elle est : car elle nous découvre tout ce qui est beau, et elle est elle-même le plus beau de tous les objets qu'elle nous découvre.

Mais que peut-on entendre entre nos yeux et la lumière pour nous la découvrir? Rien du tout : il n'y a qu'à ouvrir les yeux, et la lumière s'introduit par elle-même. Il n'y a point d'autre voie pour aller à elle : la vérité est plus lumière que la lumière : rien ne peut nous amener à la vérité qu'elle-même. Il faut qu'elle vienne, qu'elle s'approche, qu'elle s'abaisse, qu'elle se tempère. Et qu'est-ce que Jésus-Christ, si ce n'est la vérité qui s'avance vers nous, qui se cache sous une forme accommodée à notre foi-blesse, pour se montrer autant que nos yeux infirmes le peuvent porter? Ainsi pour être la voie, il faut qu'il soit encore la vérité. Que craignons-nous davantage que d'être trompés? Ceux qui veulent tromper les autres et sont de ce côté-là ennemis de la vérité, ne veulent pas qu'on les trompe, et la vérité ne laisse pas d'être leur plus cher objet. Venez donc, ô vérité : en vous-même vous êtes ma vie : et en vous approchant de moi, vous êtes ma voie. Qu'ai-je donc à craindre, et de quoi puis-je être troublé? Ai-je à craindre de ne pas trouver la voie pour aller à la vente ?

 

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La voie même, dit saint Augustin, se présente à nous d'elle-même : la voie elle-même vient à nous. Viens donc vivre de la vérité, âme raisonnable et intelligente. Quelle lumière dans la doctrine de Jésus ! Cette lumière est d'autant plus belle, qu'elle luit au milieu des ténèbres. Mais prenons garde d'être de ceux dont il est écrit : « La lumière est venue au monde, et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises (1). » Que me servira une lumière, qui ne fera que découvrir ma laideur et ma honte? Lumière, relirez-vous; je ne vous puis souffrir : sainte doctrine de l'Evangile, éternelle vérité, miroir trop fidèle, vous me faites trembler. Changeons-nous donc : nous ne pouvons pas changer la vérité; et qui serait le malheureux qui voudrait que la vérité ne fût pas ? Nous ne subsistons nous-mêmes que par un trait de la vérité qui est en nous.

Aimons donc la vérité : aimons Jésus qui est la vérité même : changeons-nous nous-mêmes, pour lui être semblables. Mettons-nous en état de n'être point obligés à haïr la vérité. Celui qu'elle condamne la hait et la fuit. Qu'il n'y ait rien de faux dans celui qui est le disciple de la vérité. Vivons de la vérité : nourrissons-nous-en. C'est pour cela que l'Eucharistie nous est donnée; c'est dans le corps de Jésus et dans son humanité sainte, le pur froment des élus, la pure substance de la vérité, le pain de vie; c'est donc en même temps la voie, la vérité et la vie. Si Jésus-Christ est notre voie, ne marchons point dans la voie du siècle : entrons dans la voie étroite où il a marché. Surtout soyons doux et humbles : le faux de l'homme, c'est la fierté et l'orgueil, parce qu'en vérité il n'est rien et que Dieu est seul. Bien connaître qu'il est seul : c'est la pure et seule vérité.

 

LXXXIIe JOURNÉE.
Nul ne vient à son Père que par Jésus-Christ. Ibid.

 

« Nul ne vient à mon Père que par moi (2). » Il entre avec ses apôtres dans un secret plus profond ; et pour les rendre tout a tait

 

1 Joan., III, 19. — 2 Joan., XIV, 6.

 

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imperturbables, il leur apprend tout le bien qu'ils trouveront en lui. Ce bien sera qu'en le trouvant, par lui ils posséderont son Père même, qui devait être tout l'objet de leurs désirs, comme c'était le terme de tous les siens.

« Nul ne vient à mon Père que par moi. » Si le Sauveur est « la voie, la vérité et la vie, » il ne faut point qu'il nous mène à autre qu'à lui-même, pour être heureux. Comment est-ce donc qu'il est la voie pour nous mener à son Père ? Que voulons-nous davantage que la vérité et la vie, que nous trouverons en lui ? Il nous explique lui-même ce profond secret, en disant : « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père : et vous le connaîtrez bientôt, et vous l'avez déjà vu (1). » Ne croyez pas qu'en vous élevant à la connaissance de mon Père, je vous mène à quelque chose qui soit hors de moi : c'est en moi qu'on connaît le Père, et vous l'avez déjà vu. Quel est ce nouveau mystère ? Comment est-ce qu'on connaît le Père en connaissant Jésus-Christ? Quand les apôtres ont-ils vu le Père? où l'ont-ils vu? C'est ce qu'il dira dans la suite ; mais auparavant il nous faut entendre ce que lui dit saint Philippe : « Seigneur, montrez-nous votre Père, et il nous suffit (2). »

A ces mots et pour ainsi dire au seul son de cette parole, l’âme chrétienne ressent quelque chose de grand, mais quelque chose de tendre, mais quelque chose d'intime. « Seigneur, montrez-nous votre Père, et il nous suffit. » Montrez-le-nous : c'est par vous que nous le voulons voir : « il nous suffit ; » vous nous ordonnez de n'avoir ni crainte ni trouble : pour cela il ne nous faut qu'une seule chose : a votre Père nous suffit. » Comprenons bien cette pleine satisfaction de notre esprit en voyant Dieu : ce sera le remède à tous les troubles. Car nous avons trouvé un bien que rien ne nous peut ôter; et ce bien nous suffisant seul, rien ne pourra troubler notre repos.

 

1 Joan., XIV, 7.— 2 Ibid., 8.

 

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LXXXIIIe JOURNÉE.
Dieu seul nous suffit. Joan., XIV, 8.

 

« Montrez-nous votre Père, et il nous suffit (1). » Dieu seul nous suffit : et il ne faut que le voir pour le posséder, parce qu'en le voyant, on voit « tout le bien (2), » comme il l'explique lui-même à Moïse : on voit donc tout ce qui peut attirer l'amour : on l'aime sans bornes : et tout cela c'est le posséder. Disons donc de tout notre cœur avec saint Philippe : « Seigneur, montrez-nous votre Père, et il nous suffit : » lui seul peut remplir tout notre vide, remplir tous nos besoins, contenter éternellement tous nos désirs, nous rendre heureux.

Vidons donc notre cœur de toute autre chose : car si le Père seul nous suffit, nous n'avons pas besoin des biens que nos sens goûtent par eux-mêmes, encore moins des richesses qui sont hors de nous, encore moins des honneurs qui ne consistent qu'en opinion. Nous n'avons pas même besoin de cette vie mortelle : encore moins avons-nous besoin de tout ce qui est nécessaire pour la conserver : nous n'avons besoin que de Dieu : il nous suffit : en le possédant nous sommes contents.

Que cette parole de saint Philippe est courageuse ! Pour la dire en vérité, il faut aussi pouvoir dire avec les apôtres : « Seigneur, nous avons tout quitté pour vous suivre (3). » Il faut du moins tout quitter par affection, par désir, par résolution ; je dis par une invincible résolution de ne s'attacher à rien, de ne chercher de soutien en rien qu'en Dieu seul. Alors on peut dire avec saint Philippe : « Montrez-nous le Père, et il nous suffit : » tout est content. Heureux ceux qui poussent à bout ce désir, qui le poussent jusqu'au dernier, actuel et parfait renoncement ! Mais qu'ils ne se laissent donc rien; qu'ils ne disent pas : Ce peu à quoi je m'attache encore, n'est rien. Ne connaissez-vous pas le génie et la nature du cœur humain? Pour peu qu'on lui laisse, il s'y ramasse tout

 

1 Joan., XIV, 8. — 2 Exod., XXXIII, 19. — 3 Matth., XIX, 27.

 

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entier, et y réunit tout son désir. Arrachez tout, rompez tout, ne tenez à rien. Heureux, encore un coup, ceux à qui il est donné de pousser à bout ce désir, de le pousser jusqu'à l'effet ! Mais il y a obligation pour tous les chrétiens de le pousser à bout du moins dans le cœur, en vérité, sous les yeux de Dieu; d'avoir du bien comme n'en ayant pas, d'être marié comme ne l'étant pas, d'user de ce monde comme n'en usant pas, mais comme n'en étant pas, mais comme n'y étant pas. C'est à ce vrai bien qu'il nous faut tendre ; et nous ne sommes pas chrétiens, si nous ne disons sincèrement avec saint Philippe : « Montrez-nous le Père, et il nous suffit. »

C'est donc le fond de la foi qui dit cette parole ; c'est en quelque façon le fond même de la nature : car il y a un fond dans la nature qui sent qu'elle a besoin de posséder Dieu ; et que lui seul étant capable de la rassasier, elle ne peut que s'inquiéter et se tourmenter elle-même loin de lui. Quand donc au milieu des autres biens nous sentons ce vide inévitable, et que quelque chose nous dit que nous sommes malheureux, c'est le fond de la nature qui crie en quelque façon : « Montrez-nous le Père, et il nous suffit. » Mais que sert au malade de désirer la santé, pendant que tous les remèdes lui manquent, et que souvent même il a la mort dans le sein, sans le sentir? Tel est l'état de toute la nature humaine. L'homme abandonné à lui-même ne sait que faire ni que devenir. Ses plaisirs l'emportent; et ces mêmes plaisirs le tuent; il se iue par autant de coups que l'attrait des sens lui fait commettre de péchés ; et il ne tue pas seulement son âme par son intempérance, il donne la mort au corps qu'il veut flatter : tant il est aveugle, tant il sait peu ce qu'il lui faut. L'homme depuis le péché est né pour être malheureux. Il est malheureux par toutes les infirmités du corps, où il met son bonheur. Combien plus est-il malheureux par un si grand amas d'erreurs, de dérèglements, d'inclinations vicieuses, qui sont les maladies et la mort de l'âme! Quelle malheureuse séduction règne en nous! Nous ne savons pas même désirer, ni demander ce qu'il nous faut. Saint Philippe nous apprend tout, en disant : « Seigneur, montrez-nous voire Père, et il nous suffit. » Car il se réduit à la chose que Jésus-Christ nous

 

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a enseigné être la seule nécessaire. Seigneur, vous êtes la voie : je viens à vous pour me retrouver moi-même, et dire enfin avec votre Apôtre : « Montrez-nous le Père, et il nous suffit. »

 

LXXXIV JOURNÉE.
C'est dans le Père qu'on voit le Fils. Joan., XIV, 9.

 

Comme il ne nous paraît point dans tout l'Evangile de demande plus haute que celle de saint Philippe, il n'y a aussi rien de plus haut que la réponse de Notre-Seigneur. Nous avons vu que saint Philippe avait hien connu deux choses: l'une, que pour être heureux, c'était assez de voir le Père; l'autre, que c'était au Fils à nous le montrer. Le Fils lui va donc apprendre ce que c'est que voir le Père, et que c'est dans le Fils même qu'on le voit.

Remarquez avant toutes choses cette espèce d'étonnement avec lequel le Sauveur parle : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas? Philippe, qui me voit voit mon Père (1). » Je ne parle pas de celui qui me voit seulement des yeux du corps : celui-là en me voyant ne me voit point. Car si celui qui regarde l'homme par ces yeux mortels n'en voit que le dehors et pour ainsi parler que l'écorce, combien est-on éloigné de voir le Fils de Dieu, quand on n'apporte que les yeux du corps à cette vue ! Les apôtres avaient passé beaucoup au delà, puisqu'ils a voient cru et confessé par la bouche de saint Pierre qu'il était « le Christ, le Fils du Dieu vivant (2); » et le même apôtre lui avait encore dit au nom de tous : « Nous avons cru, et nous avons connu que vous êtes le Christ, le Fils de Dieu (3). »

Ils l'avaient donc connu, et ils avaient en même temps connu son Père; puisqu'ils avaient très-distinctement et très-véritablement connu de qui il était fils.

Cependant ils n'étaient pas encore contents et ils avaient raison, parce que comme ils n'avaient pas encore connu parfaitement Jésus-Christ, ils n'avaient pas encore parfaitement connu son

 

1 Joan., XIV, 9. — 2 Matth., XVI, 16. — 3 Joan., VI, 70.

 

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Père. Et c'est pourquoi il leur avait dit : « Si vous m'aviez connu (1), » leur faisant entendre qu'ils ne l'avaient pas encore parfaitement connu, et que c'était la raison pourquoi ils ne connaissaient pas encore parfaitement son Père : et c'est pour expliquer à fond cette vérité qu'il dit maintenant : « Qui me voit, voit mon Père. »

Il y a une certaine manière de me voir qui ne laisse plus rien à désirer, parce que celui qui me voit de cette sorte, c'est-à-dire celui qui me voit à découvert et tel que je suis, il voit mon Père : je suis moi-même par mon fonds et par ma naissance la manifestation de mon Père, parce que je suis son image vivante, l'éclat de sa gloire, l'empreinte, l'expression de sa substance. Prenez donc garde, Philippe; ne souhaitez pas de voir mon Père, comme si mon Père était quelque chose hors de moi : c'est en moi qu'il le faut voir : c'est en lui aussi qu'on me voit : « Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et mon Père dans moi (2)? » Quand donc on le voit, on me voit dans mon principe : et quand on me voit, on le voit dans son image, dans son expression, dans son éclat, dans le rejaillissement de sa gloire, et la vue du Père et du Fils est inséparable. Prenez donc garde, Philippe, que vous n'ayez pas encore entendu ce que c'est que de voir mon Père : vous l'entendrez parfaitement, lorsque vous entendrez que qui me voit le voit aussi, et que qui le voit me voit en même temps; et à mesure qu'on croit en la connaissance de l'un, on croit aussi en celle de l'autre.

Il venait de dire : « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père ; et vous le connaîtrez bientôt, et vous l'avez vu (3). » Car il faut toujours revenir à celte parole comme au principe d'où naît tout ce qui suit. « Vous le connaîtrez : » vous ne le connaissez donc pas encore parfaitement : « Vous l'avez vu » néanmoins : mais vous l'avez vu imparfaitement. Viendra le temps que vous le verrez à découvert, et ce sera dans ce même temps que je me manifesterai moi-même à vous. « Celui qui m'aime, dit-il, il sera aimé de mon Père, et je l'aimerai, et je me manifesterai moi-même à lui (4) : » je me découvrirai tout entier; et en me montrant à lui à découvert, en même temps je lui montrerai mon Père.

 

1 Joan., XVI, 7, 9.— 2 Ibid., 11. — 3 Ibid., 7. — 4 Ibid., 21.

 

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Quand sera-ce, ô Seigneur, que vous m'admettrez à ce secret, à cette vue intime et parfaite de votre Père et de vous? Quand vous verrai-je, ô Père et Fils, ô Fils et Père? Quand verrai-je votre parfaite unité et la manière admirable dont vous demeurez l'un dans l'autre : lui en vous, et vous en lui? Quand vous verrai-je, ô Dieu qui sortez de Dieu, et qui demeurez en Dieu? O Dieu Fils de Dieu, ce n'est pas assez de vous prier de me montrer votre Père, si je n'entends en même temps que montrer le Fils, c'est montrer le Père ; que montrer le Père, c'est montrer le Fils ; qu'on les doit aimer du même amour, et les voir d'une même vue. O Père, je serai heureux, quand je verrai votre face ! Mais votre face, votre manifestation, c'est votre Fils : « C'est le miroir sans tache de votre » incompréhensible « majesté, » de votre beauté immortelle, « l'image de votre bonté parfaite, la douce vapeur, l'émanation de votre clarté et l'éclat de votre éternelle lumière (1) : » en un mot votre pensée, votre conception, la parole substantielle et intérieure par laquelle vous exprimez tout ce que vous êtes parfaitement et exactement un autre vous-même, qui sort sans diminution, sans interruption, sans retranchement du fond de votre substance. Je me perds : je crois : j'adore : j'espère voir : je le désire : c'est là ma vie.

 

LXXXVe JOURNÉE.
Le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père, Joan., XIV, 10.

 

Entrons encore une fois avec humilité et tremblement dans la profondeur des paroles de Jésus-Christ. Il nous déclare tout ce qu'il est par ces paroles, puisque le même qu'on voit des yeux du corps et qui par là paraît homme, est le même en qui on croit et qu'on voit des yeux de l'esprit, qui par là est le Fils de Dieu, et Dieu lui-même , le même Dieu que son Père, parce que « le Seigneur notre Dieu est un (2), » parfaitement un, l'unité même, mais non pas un autre Dieu que son Père, à Dieu ne plaise ! Son Père

 

1 Sapient., VII, 25, 26. — 2 Deuter., VI, 4.

 

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et lui sont inséparables : l'un est dans l'autre des deux côtés : le Père à sa manière dans le Fils, le Fils d'une autre manière dans le Père ; qui voit le Père, voit le Fils ; qui voit le Fils, voit le Père ; on ne les sépare point dans la vue, on ne les doit non plus séparer dans la foi, conformément à ce qu'il a dit : « Vous croyez en Dieu : croyez aussi en moi (1). »

« Je m'en vais, et vous ne me verrez plus (2). » C'est ce qu'il nous dira bientôt. Vous ne me verrez plus des yeux du corps : mais ne le verrons-nous plus des yeux de l'esprit? A Dieu ne plaise ! Où serait notre foi et notre espérance? Mais s'en va-t-il tellement qu'il ne demeure plus du tout avec nous? A Dieu ne plaise , encore un coup ! Car où serait la vérité de cette parole que nous entendrons bientôt : « Nous viendrons en lui, et nous y ferons notre demeure (3) ? » Il s'en va donc, et il demeure : comme quand il est descendu du sein de son Père, il y est demeuré ; ainsi quand il y retourne, il ne demeure pas moins avec nous. De cette sorte l'homme qui disparaît est le même que le Dieu qui demeure : celui qu'on voit est le même que celui qu'on ne voit pas ; et lui-même est le même avec son Père, afin que nous entendions que tout est à nous. Dans celui que nous voyons et qui s'est donné à nous en se faisant homme, nous pouvons posséder celui qui est éternellement avec le Père, qui est dans le Père, en qui le Père est, que nous verrons, que nous aimerons, que nous posséderons dans son Fils. C'est la parfaite explication de cette parole : « Je suis la voie » comme homme ; comme Fils de Dieu « je suis, » ainsi que mon Père, « la vérité et la vie : » la même vérité, la même vie. Voilà le mystère, voilà l'espérance, voilà la foi des chrétiens : tenir le Fils qui s'est fait visible, pour s'élever par lui, et trouver en lui l'invisible vérité de Dieu. Ah! que Dieu est proche de nous! Que Dieu est en nous par Jésus-Christ! Vraiment il est notre Emmanuel, « Dieu avec nous ! » Allons à sa table : mangeons : rassasions-nous : là est notre nourriture : là est notre vie.

 

1 Joan., XIV, 1. — 2 Joan., XVI, 16. — 3 Joan., XIV, 23.

 

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LXXXVIe JOURNÉE.
Jésus le Verbe éternel nous fait voir le Père. Ibid.

 

Quoique nous soyons bien éloignés de cette bienheureuse vision où nous verrons clairement le Père dans le Fils, comme le Fils dans le Père, le Fils de Dieu va nous apprendre que le Père commence déjà à se manifester en lui par deux moyens admirables : par sa parole, par les œuvres de sa puissance qui sont ses miracles.

« Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père , et que mon Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même (1), » Si je ne suis pas de moi-même , je ne parle pas de moi-même; si je suis la parole, je suis la parole de quelqu'un ; celui qui me prononce, me donne mon être : et toutes mes paroles sont de lui, puisque la parole substantielle d'où naissent toutes les paroles que je profère, est de lui-même.

Les paroles de Jésus-Christ ressentent quelque chose de divin par leur simplicité, par leur profondeur et par une certaine autorité douce avec laquelle elles sortent : « Jamais homme n'a parlé comme cet homme (2), » parce que jamais homme n'a été Dieu comme lui, ni n'a eu sur tous les esprits cetle autorité naturelle qui appartient à la vérité, qui fait que sans s'efforcer, sans se guinder pour ainsi dire, elle y influe si doucement et si intimement qu'on lui cède sans violence.

Mais la merveille de cette parole, c'est que cet homme qui parle en Dieu parle en même temps comme prenant tout d'un autre : « Ce que je dis, je le dis comme mon Père me l'a dit (3), » et comme il me le dit toujours, parce qu'il me parle toujours, comme toujours je suis sa parole.

« Ma doctrine n'est pas ma doctrine, mais celle de mon Père qui m'a envoyé. » Et quelle preuve nous en donne-t-il? « Celui qui parle de lui-même cherche sa propre gloire; mais celui qui

 

1 Joan., XIV, 10. — 2 Joan., VII, 40. — 3 Joan., XII, 50.

 

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cherche la gloire de celui qui l'a envoyé, est véritable et il n'y a point d'injustice en lui (1). »

Mon Sauveur, ne parlez-vous point trop comme une créature ? Qu'est-ce qu'une créature, sinon quelque chose qui n'a rien de soi (a), qui est toujours à l'emprunt? La différence est immense entre ce qui est produit de toute éternité et ce qui est produit dans le temps : ce qui est produit de toute éternité est toujours ; ce qui est produit dans le temps n'est pas toujours et peut n'être point du tout. Il est donc tiré du néant : il est néant lui-même. Par conséquent quelle différence entre sortir de Dieu comme son ouvrage, et sortir de Dieu comme son Fils? L'un est créé, l'autre engendré; l'un tiré du néant et néant lui-même, l'autre tiré de la substance de Dieu et par conséquent l'être même. Parmi les hommes mêmes, quelle différence entre le fils et l'ouvrage? Tous deux néanmoins viennent d'un autre. Mais le Fils est de même nature que son Père et en cela n'est rien moins que lui ; mais l'ouvrage n'a rien de son ouvrier, et lui est absolument étranger.

Mon Dieu, oserai-je suivre je ne sais quelle lumière sombre qui me paraît? Dieu est Père, Dieu est ouvrier : l'homme est père, l'homme est ouvrier : mais avec une immense différence. L'homme est ouvrier : mais il trouve sa matière toute faite par un autre dont il l'emprunte. Dieu n'a besoin d'aucune matière, et il tire tout du néant.

L'homme est père : est-il un vrai père, et que donne-t-il à son fils? Son fils, il est vrai, est de même nature que lui, mais est-ce lui qui lui donne cette nature? Non sans doute. Comment donc vient-il de lui? Combien imparfaitement! La véritable paternité est en Dieu, qui engendrant son Fils de tout son fonds, lui donne toute sa substance , tout son être, par conséquent toute son éternité; et le fait être non-seulement son égal, mais encore « un avec lui (2). »

Ne dites pas qu'il emprunte : car son Père toujours fécond, en lui communiquant tout ce qu'il est, ne se dessaisit de rien. Autre chose est prêter ou donner par sa volonté ce qu'on peut ne donner

 

1 Joan., VII, 16, 18. — 2 Joan., X, 30.

(a) Var. : Qui n'est pas de soi.

 

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pas : autre chose est être fécond. Il faut entendre dans le Père l'abondance, la plénitude, la fécondité, une pleine effusion de soi-même, mais en soi-même pour engendrer un autre soi-même, qui reçoit tout en naissant, et qui naît par conséquent à celui de qui il reçoit tout : aussi grand, aussi éternel, aussi parfait que lui. Un Dieu ne vient pas d'un autre qui le tire du néant; mais un Dieu vient d'un autre qui le tire pour ainsi parler de sa propre essence, qui le produisant en soi-même, se dégraderait soi-même, s'il le produisait imparfait. C'est donc un Dieu qui vient d'un Dieu : Fils parfait d'un Père parfait : parfaitement un avec lui, parce qu'il reçoit sa nature dont l'unité fait l'essence. « Ecoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est un (1) : » le Père est un, le Fils est un : le Père est Dieu, le Fils est Dieu, et tous deux ne peuvent être qu'un seul Dieu : autrement, le Fils n'est pas Fils et il n'a point la nature de son Père, s'il n'en a point la parfaite et souveraine unité.

Pourquoi se jeter dans ces abîmes? Pourquoi Jésus-Christ nous les a-t-il découverts? Pourquoi y revient-il si souvent? Et pouvons-nous ne nous arrêter pas à ces vérités, sans oublier la sublimité de la doctrine chrétienne ? Mais il faut s'y arrêter en tremblant : il faut s'y arrêter par la foi : il faut en écoutant Jésus-Christ et ses paroles toutes divines, croire que c'est d'un Dieu qu'elles viennent; et croire aussi en même temps que ce Dieu d'où elles viennent, vient lui-même de Dieu et qu'il est Fils; et à chaque parole que nous entendons, il faut remonter jusqu'à la source, contempler le Père dans le Fils et le Fils dans le Père.

Voici donc l'acte de foi que je m'en vais faire : le Fils n'est pas de lui-même, autrement il ne serait pas Fils : il ne parle donc pas de lui-même : « Il dit ce que son Père lui dit (2) : » son Père lui dit tout en l'engendrant : et il le lui dit, non par une autre parole, mais par la propre parole qu'il engendre : il rapporte tout à son Père, parce qu'il s'y rapporte lui-même : il rapporte sa gloire à celui de qui il tient tout son être, mais cette gloire leur est commune : quelque chose manquerait au Père, si son Fils était moins parfait que lui. C'est ce que je crois : car Jésus-Christ me le dit :

 

1 Deuter., VI, 4. — 8 Joan., XII, 49, 50; XIV, 10.

 

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c'est ce que je verrai un jour, parce que le même Jésus me l'a promis.

Parlez donc, parlez, ô Jésus : parlez, vous qui êtes la parole même. Je vous vois dans vos paroles, parce qu'elles me font voir et sentir en quelque façon que vous êtes un Dieu : mais j'y vois aussi votre Père, parce qu'elles me font connaître que vous êtes un Dieu sorti d'un Dieu, « le Verbe et le Fils de Dieu (1). »

 

LXXXVIIe JOURNÉE.
Jésus-Christ opérant ses miracles, nous fait voir le Père dans ses œuvres. Ibid.

 

« Le Père qui demeure en moi fait les œuvres (2)» miraculeuses. C'est la seconde chose par où Jésus-Christ veut qu'on voie son Père en lui. On le voit dans ses paroles : il le faut encore voir dans ses œuvres.

Mon Père agit, et moi j'agis aussi : « Mon Père ne cesse d'agir, et je ne cesse d'agir (3). » Si le monde a été, c'est que mon Père l'a fait, et moi aussi : si le monde continue d'être, c'est que mon Père le conserve, et moi aussi : il a fait, et il fait tout par son Fils : « Le Fils ne fait rien de soi, et il ne fait que ce qu'il voit faire à son Père (4).» Est-ce un apprenti toujours attaché aux mains et au travail de son maître, toujours apprenti, jamais maître? Les apprentis mêmes ne sont pas ainsi parmi les hommes. Qu'imaginez-vous ici, homme grossier? Quoi! le Père qui fait quelque chose et le Fils qui l'imite et fait aussi quelque chose, quelle folie! Le Père a-t-il fait un autre monde que le Fils? Y a-t-il un monde que le Père ait fait, et un autre monde que le Fils ait fait à l'imitation de son Père? A Dieu ne plaise ! le Père fait tout ce qu'il fait par son Fils, et le Fils ne fait rien que ce qu'il voit faire, comme il ne dit rien que ce qu'il entend dire. Mais comment lui parle-t-on? En l'engendrant : car au Père éternel, parler c'est engendrer : prononcer son Verbe, sa parole, c'est lui

 

1 Joan., I, 1, 14. — 2 Joan., XIV, 10. — 3 Joan., V, 17. — 4 Ibid., 19.

 

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donner l'être. De même lui montrer tout ce qu'il fait, lui découvrir le fond de son être et de sa puissance, en un mot lui ouvrir son sein, c'est l'engendrer : c'est le faire sortir de ce sein fécond, et en même temps l'y retenir, dans ce sein où il voit tout, tout le secret de son Père et d'où il vient l'apprendre aux hommes , autant qu'ils peuvent le porter et qu'il leur convient.

Il ne dit donc rien que ce qu'il entend, il ne fait lien que ce qu'il voit faire : mais entendre son Père et voir ce qu'il fait et ce qu'il est, c'est naître dé lui. Il a cela par sa naissance : il lui est aussi naturel d'agir qu'à son Père; et c'est pourquoi il ajoute : « Ce que le Père fait, le Fils le fait semblablement (1). » Ecoutez : il ne le fait pas seulement, mais « il le fait semblablement, » aussi parfaitement et avec pareille dignité. Le Père le fait infatigablement, et le Fils de même : le Père tire du néant, et le Fils de même : le Père agit sans cesse, et le Fils aussi, a Le Père ressuscite qui il lui plaît, et le Fils ressuscite aussi qui il lui plaît (2) » avec une pareille autorité, parce que son autorité, comme sa nature, est celle de son Père. « Comme le Père a la vie en soi, ainsi il a donné au Fils d'avoir la vie en soi (3). » On la lui donne; et néanmoins il l'a en soi, parce qu'on lui donne tout sans réserve. Ainsi la vie est en lui comme elle est dans son Père, et il est comme lui la vie par nature.

« Ainsi le Père qui demeure en moi, fait les œuvres miraculeuses que vous voyez. » Tout est parfait dans les œuvres de Jésus-Christ, tout y ressent une autorité et une origine céleste. C'est pourquoi saint Jean disait : « Nous avons vu sa gloire comme la gloire du Fils unique, plein de grâce et de vérité (4). » Comment donc ne voyez-vous pas, dit-il à Philippe, « que mon Père est en moi et moi en lui (5)? » Voyez-le dans les vérités que je vous annonce , dans les paroles de vie éternelle que je vous apporte : voyez-le dans les œuvres que je fais pour montrer que c'est mon Père qui m'a envoyé. « Mon Père m'écoute toujours (6) : » il veut tout ce que je veux : je veux tout ce qui lui plaît : tout ce qui est à lui est à moi : tout ce qui est à moi est à lui : comment donc

 

1 Joan., V, 19. — 2 Ibid., 21. — 3 Ibid., 26. — 4 Joan., I, 14. — 5 Joan., XIV, 10. — 6 Joan., XI, 41.

 

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« ne croyez-vous pas que je suis en mon Père et mon Père en moi? Croyez-le du moins à cause des œuvres que je fais (1). Croyez-le du moins, » comme s'il disait : Il y a une autre manière de voir que mon Père est en moi et moi en lui, qui est de voir la substance de l'un et de l'autre : c'est ce qui fera votre parfaite félicité. Mais en attendant, voyez-le du moins par les œuvres : je fais ce que veut mon Père , ce qu'il me montre : c'est lui qui fait tout en moi. Ne fait-il pas tout aussi dans les autres qu'il appelle à travailler à son ouvrage ? Oui sans doute ; mais il ne le fait pas comme étant en eux, c'est-à-dire comme y étant pleinement, comme y étant réciproquement et dans une parfaite égalité, parce que nul autre que le Fils ne peut dire : « Qui me voit, voit mon Père, parce que mon Père est en moi et moi en lui. »

O  rapport! ô égalité! ô unité! je vous crois : je vous adore : je vous rends grâces, mon Sauveur, de ce que vous nous élevez si haut par la foi : ce m'est un gage que vous voulez m'élever encore plus haut par la claire vue. Qu'ai-je donc à craindre? Qu'ai-je à me troubler? Pour n'être jamais troublé, je ne désirerais avec saint Philippe que de voir votre Père. Vous me montrez où je le puis voir : vous me le montrez dans quelque chose qui m'est bien proche, puisque c'est un homme : et qui est bien proche de vous, puisque c'est un autre vous-même. Je vois : je verrai : qui peut m'ôter mon bonheur?

 

LXXXVIIIe JOURNÉE.
Les miracles des apôtres plus grands que ceux de Jésus-Christ. De quelle manière. Joan., XIV, 12.

 

« En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi, non-seulement fera les œuvres que je fais, mais il en fera encore de plus grandes; parce que je m'en vais à mon Père (2). » Vous croyez tout perdre par ma retraite : vous y gagnez ; et la puissance qui vous sera donnée d'en haut, viendra à un tel point,

 

1 Joan., XIV, 11, 12. —2 Ibid., 12.

 

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que non-seulement vous ferez les choses que je fais, mais encore vous en ferez de plus grandes. Ne vous troublez donc pas; ne craignez rien : au contraire remplissez-vous de foi et de confiance ; de cette sorte ce qui se fera par vous après ma retraite, est au-dessus de tout ce qui a été fait.

C'est la merveille de Dieu dans les disciples de Jésus-Christ. Ils ont fait tout ce qu'il a fait : car ils ont guéri comme lui tous les malades qu'on leur présentait, et comme lui ils ont été jusqu'à ressusciter des morts.

Ils ont fait des choses qu'il n'a pas faites : à la parole de Pierre « Ananias et Saphira sont tombés morts (1), » et à celle de Paul a le magicien Elymas a été frappé d'aveuglement (2). » Ils ont livré à Satan et à des maux imprévus ceux qu'il fallait abattre manifestement pour inspirer de la crainte aux autres. Voilà des miracles que Jésus n'a pas faits ; mais c'est aussi qu'il ne devait pas les faire, à cause qu'ils répugnaient au caractère de douceur, au personnage de Sauveur qu'il venait faire. Ce n'est que sur un figuier qu'il a déployé la puissance de perdre et de détruire ; ce n'est que des pourceaux qu'il a livrés aux démons. Pour les hommes, il doit être un jour leur juge; mais dans son premier avènement, il ne devait faire sentir que sa qualité de Sauveur.

Nous pouvons dire néanmoins encore que dans ces miracles qui viennent d'une puissance bienfaisante, les apôtres ont fait plus que Jésus. En touchant les habits qu'il portait actuellement, il sortait de lui une vertu salutaire (3); mais on n'a point vu qu'on guérît par « l'application des linges qui l'avaient touché une fois, » comme il est arrivé à saint Paul (4); et même « par son ombre, » comme il est arrivé à saint Pierre (5).

Mais le grand endroit où il paraît dans les apôtres un miracle plus grand que ceux de Jésus, c'est la conversion du monde. A la première prédication de saint Pierre, trois mille hommes se convertissent (6), à la seconde cinq mille (7). Après la mort de Jésus ses disciples ne se trouvent qu'environ six vingts dans le cénacle (8) : il y avait par-ci par-là quelques disciples cachés ; mais saint

 

1 Act., V, 1, 2 et seq.— 2 Act., XIII, 8, 10, 11. — 3 Luc, VIII, 44, 46. — 4  Act., XIX, 11, 12. — 5 Act., X, 15, 16. — 6 Act., II, 41. — 7 Act., IV, 4. — 8 Act., I, 15.

 

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Jacques dit à saint Paul : « Voyez, mon frère, combien de milliers ont cru (1) ! » Et que sera-ce donc si nous considérons la gentilité convertie, et l'Evangile reçu dans le monde, jusqu'aux peuples les plus barbares ? Voilà les miracles de la prédication apostolique, plus grands que ceux de la prédication de Jésus-Christ même.

Ajoutons à ces miracles les secrets révélés par les apôtres, que Jésus n'avait pas révélés par lui-même; en sorte que nous pouvons dire en quelque façon, non-seulement qu'ils ont fait de plus grandes choses que lui, mais encore qu'ils en ont dit de plus hautes.

Jésus avait bien parlé de la réprobation des Juifs et de la conversion des Gentils; mais que la réprobation des Juifs dût sitôt paraître et donner lieu (a) à la prochaine conversion des Gentils ; qu'Israël dût revenir, mais à la fin seulement et « quand les nations seraient pleinement entrées (2)» dans l'Eglise, et qu'il plût à Dieu de tout renfermer dans l'infidélité, afin de montrer que personne n'était sauvé que par miséricorde, c'est un secret dont Jésus-Christ avait réservé la révélation à saint Paul, qui étant choisi pour être le docteur des Gentils, devait aussi annoncer aux hommes plus profondément le mystère incompréhensible de leur vocation.

C'est ce « mystère » profond et ce secret inconnu au monde dans les siècles et dans les races passées, que Dieu lui a révélé pour les Gentils, par lequel aussi Dieu a fait connaître « la grande science qu'il lui avait donnée du mystère de Jésus-Christ. » C'est ce «secret qui a été révélé aux apôtres et aux prophètes » de la nouvelle alliance « par le Saint-Esprit, » et particulièrement à lui Paul prisonnier de Jésus-Christ pour les Gentils, et qui a été révélé par eux et « par l'Eglise » non-seulement aux hommes, mais encore « aux anges et aux puissances célestes, afin de leur faire admirer les divers conseils de la féconde sagesse de Dieu (3). » C'est de quoi il se glorifie dans le troisième chapitre aux Ephésiens, parce qu'en effet il lui a été donné, non-seulement d'expliquer clairement et amplement ce que Jésus-Christ avait comme enveloppé dans des paraboles, mais encore de proposer ce nouveau secret du retour

 

1 Act., XXI, 20. — 2 Rom., XI, 25, 26, 29 et seq. — 3 Ephes., III, 1, 3-6, 8-11.

(a) Var. : Dût sitôt paraître et dût donner lieu.

 

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des Juifs, après seulement que les Gentils auraient rempli l'Eglise.

O  Dieu, soyez loué pour les grâces que vous faites aux hommes, et pour les lumières admirables que vous avez données à votre Eglise. Qui n'admirerait l'honneur que Jésus-Christ veut faire à ses disciples, de surmonter en quelque façon ses propres ouvrages?

Il montre pourtant après que ce que feront ses disciples de plus grand que lui, c'est lui encore qui le fait : « Si vous demandez quelque chose en mon nom, je le ferai (1). » Et ce que je ferai par vous sera plus grand en quelque façon, que ce que je ferai par moi-même : pourquoi? Ecoutons-en la raison : «Parce que je m'en vais à mon Père. » Si je fais de si grandes choses en descendant de mon Père, combien en ferai-je de plus grandes, quand je remonterai au lieu de sa gloire?

Mon Sauveur, je le reconnais : vous êtes la sagesse éternelle, et vous faites tout à propos et dans son temps. Les hommes ne pou-voient pas porter d'abord tout le poids de votre secret : vous dispensez tout par ordre : vous réservez vos plus grands ouvrages pour le temps où retourné à votre Père , les jours d'humiliation étant écoulés, vous agirez avec plus d'empire. Vous montrerez votre puissance, en faisant de si grands prodiges par vos disciples. C'est vous qui animez tout : vous paraissez au haut des cieux à votre premier martyr (2), et vous montrez en lui le secours que vous donnez à tous les autres : vous révélez votre vérité aux Gentils par un saint Paul ; mais ce Paul, par qui vous opérez la conversion de tant de peuples, vous le convertissez lui-même, en lui parlant du haut des cieux (3) et lui apprenant que c'est en vain qu'il vous résiste.

Vous faites tout ce qu'il vous plaît par vous-même et par vos disciples : vous faites tout convenablement, selon que les hommes le peuvent porter et selon les divers états où vous devez être.

« Ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, je le ferai (4) : » il ne dit pas, Mon Père le fera; mais « Je le ferai. » C'est toujours ce qu'il dit : « Mon Père agit et j'agis aussi (5) : » ce qu'il

 

1 Joan., XIV, 13. — 2 Act., VII, 55. — 3 Act. IX, 3-7. — 4 Joan., XIV, 13. — 5 Joan., X, 17.

 

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fait, c'est moi qui le fais. « Car il fait tout par son Verbe , et rien de ce qui se fait ne se fait sans lui (1). »

« Tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai : » tout ce que vous me demanderez , je le ferai : c'est lui par qui on demande : c'est lui qui fait ce qu'on demande : c'est en son nom qu'on demande : on lui demande à lui-même, et on obtient tout, non-seulement par lui, mais de lui. Et, dit-il, « je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils (2). » Il affermit notre foi en nous faisant voir qu'il nous fait du bien par l'intérêt de sa gloire. Son intérêt, c'est le nôtre ; sa gloire, c'est notre bonheur. Qu'y a-t-il donc à craindre pour nous? Considérez, chrétiens, quel Médiateur vous avez, combien bon, combien puissant. Tout est possible par son entremise : il ne s'agit que de savoir ce qu'il faut demander et désirer : c'est ce qu'il va vous apprendre.

 

LXXXIXe JOURNÉE.
Ce qu'il faut demander et désirer : aimer et garder ses commandements, Joan., XIV, 15, 21.

 

« Si vous m'aimez, gardez mes commandements. » Et il conclut: « Celui qui a reçu mes commandements et qui les garde, est celui qui m'aime. Et celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et je l'aimerai, et me manifesterai à lui (3). » Tout cela conclut de plus en plus à ne se laisser troubler de rien, dans les moyens qu'il nous donne de nous assurer l'amour de son Père et le sien. Comme s'il disait : Ne vous mettez en peine de rien , que de garder mes commandements : si vous les gardez, tout est sur, parce que mon Père et moi vous aimerons d'un amour si cordial, que nous nous manifesterons à vous sans rien vous cacher.

Les apôtres désiraient de voir son Père; et après leur avoir appris où il le faut voir, c'est-à-dire en lui, il vient à la pratique, et leur apprend le moyen de parvenir à cette vision bienheureuse où l'on voit le Fils dans le Père, et le Père dans le Fils, qui est de garder ses commandements.

 

1 Joan., I, 3. — 2 Joan., XIX, 13. — 3 Ibid., 15, 21.

 

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« Je me manifesterai moi-même à lui. » N'espérez pas pouvoir me voir, ni voir mon Père, de vous-même. Nul ne me peut voir, que je ne me découvre moi-même à lui, et je ne me découvre qu'à ceux qui gardent mes commandements. Je me découvre à ceux-là de cette manière admirable, qui fait qu'on voit mon Père en moi, et qu'on me voit dans mon Père. Ne vous contentez pas de vous attacher aux sublimes vérités : ne vous repaissez pas de la plus haute contemplation, encore moins des spéculations inutiles : venez aux moyens et aux vérités de pratique : appliquez-vous à l'observance des commandements : ne croyez pas qu'il suffise de parler hautement de moi, car toute votre hauteur n'est que bassesse à mes yeux; ni d'admirer ma grandeur, car je n'ai pas besoin de vos louanges ; ni d'avoir quelque tendresse vague et infructueuse pour ma personne, car tout cela n'est qu'un feu volage qui se dissipe de lui-même et se perd bientôt en l'air. Si vous m'aimez véritablement, sachez que l'amour n'est pas dans la spéculation, ni dans le discours. « Tous ceux qui me disent, Seigneur, Seigneur, » qui le disent deux fois et semblent le dire avec force, « n'entreront par pour cela dans le royaume des cieux : mais celui qui fait la volonté de mon Père, entrera dans le royaume des cieux (1) : » car c'est comme j'ai fait moi-même, et j'ai été « obéissant jusqu'à la mort de la croix (2). » Comment serait-il utile aux hommes de faire sur moi de beaux discours, puisque ceux qui auront prophétisé et fait des miracles en mon nom, sans venir à la pratique des vertus et à observer mes préceptes, recevront à la fin cette terrible sentence : « Je ne vous connais pas : allez ; retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité (3). » Combien donc la vie chrétienne est-elle sérieuse ! Combien est-elle ennemie des vains discours ! Elle est toute dans l'obéissance, dans l'humilité, dans la mortification, dans la croix : toute à crucifier ses mauvais désirs, et à abattre la chair qui convoite contre l'esprit.

Prenez garde à l'amusement ; j'oserai le dire, à la séduction des entretiens de piété, qui n'aboutissent à rien : tournez tout à la pratique.

Ne vous attachez néanmoins pas à une pratique sèche et sans

 

1 Matth., VII, 21, 22. — 2 Philip., II, 8. — 3 Matth., VII, 23.

 

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amour. « Si vous m'aimez, gardez mes commandements (1) : » commencez à aimer la personne : l'amour de la personne vous fera aimer la doctrine : et l'amour de la doctrine vous mènera doucement et fortement tout ensemble à la pratique. Ne négligez pas de connaître Jésus-Christ et de méditer ses mystères : c'est ce qui vous inspirera son amour ; le désir de lui plaire suivra de là, et ce désir fructifiera en bonnes œuvres. La pratique des bonnes œuvres, sans l'amour de Dieu et de Jésus-Christ, n'est qu'une morale purement humaine et philosophique; toutes les vertus chrétiennes sont animées de l'amour de Jésus-Christ. Ainsi on fait tout en foi, on fait tout en espérance, on fait tout en charité : on aime Dieu, on en est aimé : Jésus-Christ nous aime, et il se manifeste lui-même à nous : et en lui il nous manifeste son Père : nous voyons : nous vivons : nous sommes heureux, non point en nous, mais en Dieu.

 

XCe JOURNÉE.
Promesse de l'Esprit consolateur, ce que c'est que le monde. Joan., XIV, 15-17.

 

« Si vous m'aimez, gardez mes commandements; et je prierai mon Père, et il vous donnera un autre consolateur pour demeurer éternellement en vous : l'Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas (2). » Il n'oublie rien pour les consoler et les raffermir : et après leur avoir parlé de son amour et de celui de son Père, afin que rien ne leur manque de ce qui est divin, ou plutôt afin que rien ne leur manque de ce qui est Dieu, il leur promet le Saint-Esprit.

L'aimable titre que celui de Consolateur, que Jésus-Christ donne au Saint-Esprit ! Ce sera donc cet Esprit qui vous consolera de mon absence : ce sera cet Esprit qui vous inspirera le vrai amour, qui vous fera garder mes commandements. Cet Esprit viendra à la prière de Jésus-Christ : le Père le donnera, et nous virons aussi que Jésus-Christ le donnera lui-même. C'est cet Esprit

 

1 Joan., XIV, 13. — 2 Ibid., 15-17.

 

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qui est venu enflammer l'Eglise à l'amour de Jésus-Christ et à la pratique de ses préceptes.

« Un autre consolateur : » Jésus-Christ est un grand consolateur, puisqu'il dit : « Venez à moi, vous tous qui êtes peines (1). » Le Saint-Esprit insinue cette douce consolation dans le cœur : il y répand la douceur céleste qui fait ressentir, qui fait aimer les consolations de Jésus-Christ.

« Un autre consolateur : » il avait parlé de son Père, il avait parlé de lui-même : il fallait encore parler de cet autre consolateur, et nous manifester tout ce qui est Dieu, la Trinité tout entière.

« Pour demeurer en vous éternellement : » cet Esprit consolateur ne quitte jamais que ceux qui le chassent, et de lui-même il demeure éternellement.

« L'Esprit de vérité : » quelle est la consolation de l'homme parmi les travaux et les erreurs, si ce n'est la vérité? L'Esprit de vérité est donc notre véritable consolateur, en mettant la vérité à la place de la séduction du monde et de l'illusion de nos sens.

« Que le monde ne peut recevoir : » le monde est tout faux. Qu'est-ce que le monde, sinon « la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et l'orgueil de la vie (2)? » La concupiscence de la chair nous livre à des plaisirs qui nous aveuglent : la concupiscence des yeux, l'esprit de curiosité nous mène à des connaissances, à des épreuves inutiles; on cherche toujours, et on ne trouve jamais, ou bien on trouve le mal : l'orgueil de la vie, qui dans les hommes du monde en fait tout le soutien, nous impose par de pompeuses vanités. Le faux est partout dans le monde, et l'Esprit de vérité n'y peut entrer. On est pris par la vanité : on ne peut ouvrir les yeux à la vérité.

« Que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas, » parce qu'il ne veut ni le voir, ni le connaître : il est livré, il est séduit. « Le monde est tout dans la malignité (3), » est tout plongé dans le mal : le monde pense mal de tout : il ne veut pas croire qu'il y ait de véritables vertus, parce qu'il n'en

 

1 Matth., XI, 28. — 2 I Joan., II, 16. — 3 Ibid., V, 19.

 

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veut point avoir, ni qu'il y ait d'autre motif des choses humaines que le plaisir et l'intérêt, ni qu'il y ait de bien solide que dans les choses corporelles. « Jouissons, dit-il, des biens qui sont (1) ; » tout le reste n'est qu'idée, imagination, pâture des esprits creux : ce qui est, c'est ce qu'on sent, c'est ce qu'on touche : tout le reste échappe. Et au contraire ce qu'on sent, ce qu'on touche, c'est ce qui échappe continuellement des mains qui le serrent. Plus on serre les choses glissantes, plus elles échappent : la nature du monde est de glisser, de passer vite, d'aller en fumée, en néant. Mais le monde veut s'imaginer que c'est cela qui est. Comment donc pourra-t-il connaître l'Esprit de vérité, et comment pourra-t-il le recevoir ?

« Le monde ne peut pas le recevoir. » Il y a l'esprit de vérité et l'esprit d'erreur. Qui est possédé de l'un, ne peut pas recevoir l'autre. « L'homme sensuel ne peut entendre ce qui est de l'esprit de Dieu : ce lui est folie et il ne peut pas l'entendre, parce qu'il le faut examiner par l'esprit (2); » et son esprit est tout plongé dans les sens; il fait quelque effort, et il ne peut pas, et il retombe toujours dans son sens charnel.

 

XCIe JOURNÉE.
La demeure de Jésus-Christ et sa manifestation dans les saintes âmes. Joan., XIV, 17.

 

« Mais vous, vous le connaîtrez, parce qu'il demeurera en vous et qu'il sera en vous. » Y être véritablement, c'est y demeurer : il ne veut pas être dans nous en passant : où il ne demeure pas, si on peut parler de la sorte, il ne croit pas y avoir été : « c'est un esprit ferme, esprit stable, constant, assuré (3), » parce qu'il est véritable ; et ce qui est véritablement, c'est ce qui demeure ; ce qui passe tient plus du néant que de l'être.

Mais, Seigneur, vous avez dit : « L'Esprit souffle où il veut; et personne ne sait d'où il vient, ni où il va; ainsi en est-il de celui

 

1 Sapient., II, 6. —  2 I Cor., II, 14. — 3 Sapient., VII, 23

 

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qui est né de l'esprit (1). » Comment donc dites-vous aujourd'hui : « Vous le connaitrez, parce qu'il demeurera en vous et qu'il y sera ? »

Dans les premières touches de l'esprit, on ne sait d'où il vient ni où il va : il vous inspire de nouveaux désirs inconnus aux sens: vous ne savez où il vous mène : il vous dégoûte de tout et ne se fait pas toujours sentir d'abord : on sent seulement qu'on n'est pas bien et on désire d'être mieux. Quand il demeure, il se fait connaître ; mais après il vous rejette dans de nouvelles profondeurs , et vous commencez à ne plus connaître ce qu'il vous demande : et la vie intérieure et spirituelle se passe ainsi entre la connaissance et l'ignorance, jusqu'à ce que vienne le jour où ce bienheureux esprit se manifeste.

« Je ne vous laisserai pas orphelins : je viendrai à vous (2). » Il venait de les appeler ses « petits enfants (3) ; » il continue à parler en père : « Je viendrai à vous; » je vous verrai après ma résurrection. Mais ce n'est pas là toute ma promesse : car je disparaîtrai trop tôt, pour vous satisfaire par cette comte vision : je viendrai en vous par mon Esprit consolateur. Les orphelins seront consolés, parce que l'esprit de leur père sera en eux, et qu'il leur apprendra à prononcer comme il faut le nom de père : « Dieu enverra dans leurs cœurs l'esprit de son Fils qui les fera crier : Mon Père, mon Père (4); » qui leur apprendra à parler, à agir en enfants et non en esclaves, en esprit de confiance, de tendresse, d'amour et de liberté.

« Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus; mais vous, vous me verrez, parce que je vivrai et vous vivrez (5); » vous vivrez de cette vie dont il est écrit : « Le juste vit de la foi (6). » Vous vivrez de cette foi agissante et féconde en bonnes œuvres, « qui opère par l'amour (7). » Pour voir Jésus vivant, il faut vivre, et vivre de la vraie vie. Le monde, qui est mort, ne verra point Jésus qui est vivant. « En ce jour vous verrez que je suis en mon Père, et vous en moi, et moi en vous (8). » En ce jour, lorsque le Saint-Esprit vous sera donné, et encore plus en ce jour où vous

 

1 Joan., III, 8. — 2 Joan., XIV,  18. — 3 Joan., XIII, 33. — 4 Galat., IV, 6. — 5 Joan., XIV, 19. — 6 Rom., I, 17. — 7 Galat., V, 6. — 8 Joan., XIV, 20.

 

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verrez à découvert la Vérité même, vous verrez mon union intime, substantielle et naturelle avec mon Père, et celle que j'ai contractée avec vous par miséricorde et par grâce. Si vous m'aimez, je vous aimerai, et «je me manifesterai à vous » par amour. Douce manifestation que l'amour inspire, que l'amour attire! « Je me manifesterai, » non point pour satisfaire des yeux curieux, mais pour contenter un cœur ardent.

 

XCIIe JOURNÉE.
La prédestination, le secret en est impénétrable. Joan., XIV, 22.

 

« Jude lui dit: Seigneur, d'où vient que vous vous découvrez à nous, et non pas au monde (1)? » Cette question devait naître naturellement du discours qui a précédé ; puisqu'on y a vu que le Sauveur avait déclaré qu'il se manifesterait par son Saint-Esprit à ses amis, et non pas au monde. C'est donc ici le grand secret de la prédestination divine : saint Jude va d'abord au grand mystère : «D'où vient?» Qu'avons-nous fait, qu'avons-nous mérité plus que les autres? N'étions-nous pas pécheurs comme eux, charnels comme eux ? Eussions-nous cru, si vous ne nous aviez donné la foi ? Vous eussions-nous choisi, si vous ne nous aviez choisis le premier ? « Vous ne m'avez point choisi, dira-t-il bientôt, mais c'est moi qui vous ai choisis (2). En cela paraît son amour, que ce n'est pas nous qui l'avons aimé, mais c'est lui qui nous a aimés le premier (3). »

Pourquoi, Seigneur, pourquoi, dit saint Jude? Lui seul pou-voit résoudre cette question; mais il s'en est réservé le secret. Et c'est pourquoi il n'y répond pas; et sans faire même semblant de l'entendre, il répète encore une fois : « Si quelqu'un m'aime, il gardera mon commandement; et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure en lui (4). » Comme s'il eût dit : O Jude, ne demandez pas ce qu'il ne vous est pas donné de savoir : ne cherchez point la cause de la préférence :

 

1 Joan., XIV, 20. — 2 Joan., XV, 16. — 3 I Joan., IV, 10.— 4 Joan., XIV, 23.

 

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adorez mes conseils : tout ce qui vous regarde sur ce sujet, c'est qu'il faut garder les commandements : tout le reste est le secret de mon Père : c'est le secret incompréhensible du gouvernement que le souverain se réserve.

Il y a des questions que Jésus résout ; il y en a qu'il montre expressément qu'il ne veut pas résoudre, et où il reprend ceux qui les font; il y en a, comme celle-ci, où il réprime la curiosité par son silence; il arrête l'esprit tout court; et pour le désoccuper des recherches dangereuses, il le tourne à des réflexions nécessaires (a). Passons : évitons cet écueil où l'orgueil humain ferait naufrage. « O profondeur des trésors de la science et de la sagesse de Dieu ! Que ses jugements sont impénétrables et ses voies incompréhensibles ! Qui lui a donné quelque chose le premier, pour en prétendre récompense? Parce que tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui : à lui soit gloire dans tous les siècles! Amen (1). » Il n'y a qu'à adorer ses conseils secrets et lui donner gloire de ses jugements, sans en connaître la cause. C'est avec ces mots de l'Apôtre, expliquer le silence de Jésus-Christ. Taisez-vous, raison humaine! O Seigneur, que j'ai de joie de la faire taire devant vous ! C'est assez de savoir dire comme David avec joie et reconnaissance : « qu'il n'a pas ainsi traité toutes les autres nations ; et il ne leur a pas manifesté ses jugements (2); » et encore avec saint Paul : Jésus-Christ « a laissé chaque nation aller dans ses voies (3) ; » sans lui demander pourquoi il l'a fait. « Qui en veut savoir davantage, dit saint Augustin, qu'il cherche de plus grands docteurs; mais qu'il prenne garde de trouver des présomptueux (4). »

 

1 Rom., XI, 33, 36.— 2 Psal. CXLVII, 10. — 3 Act., XIV, 15. — 4 Lib. De Spirit. et litt., cap. XXXIV, n. 60.

(a) Le passage suivant, que les précédentes éditions donnent connue authentique, ne se trouve ni dans le manuscrit ni dans les anciennes copies : Saint Jude entendit bien qu'il no fallait pas pousser plus loin la question. Apprenons de ce saint apôtre à demeurer en repos, non sur l'évidence d'une réponse précise, mais sur l'impénétrable hauteur d'une vérité cachée.

 

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XCIIIe JOURNÉE.
Demeure fixe du Père et du Fils dans les âmes. Joan., XIV, 23.

 

Ce qui est certain, ce qu'il faut savoir, ce qu'on ne saurait assez imprimer dans son esprit, c'est que la cause prochaine de la préférence est que Jésus-Christ et son Père se manifestent à celui qui garde les commandements : « Nous viendrons à lui, et nous y établirons notre demeure (1). »

Il va toujours les affermissant de plus en plus, en les assurant de l'amour de son Père, du sien, de la présence et de l'assistance de son Saint-Esprit ; et afin de ne rien omettre, il leur dit encore : « Nous viendrons en vous, mon Père et moi ; » nous ne nous contenterons pas de vous assister au dehors : « nous viendrons à vous : nous y établirons notre demeure : » nous vous serons intimement unis : et cela, non point en passant, mais par un établissement permanent.

« Nous viendrons : » quel autre qu'un Dieu peut parler ainsi ? Un simple homme, une simple créature, quelque parfaite qu'on la fasse, oserait-elle dire : « Nous viendrons, » et s'associer avec le Père éternel, pour demeurer dans le fond des âmes comme dans son sanctuaire ?

« Nous viendrons à eux, et nous y établirons notre demeure : » et cela qu'est-ce autre chose, sinon ce qui est écrit : « Vous êtes le temple du Dieu vivant : comme Dieu, je ferai ma demeure en eux, et je me promènerai au milieu d'eux, et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Sortez du milieu du monde, et séparez-vous, et ne touchez point aux choses impures; et je vous recevrai , dit le Seigneur; et vous serez mes fils et mes filles, dit le Seigneur tout-puissant (2). »

Qui nous dira quelle est cette secrète partie de notre âme dont le Père et le Fils font leur temple et leur sanctuaire? Qui nous dira combien intimement ils y habitent, comme ils la dilatent

 

1 Joan., XIV, 23. — 2 II Cor., VI, 16-18.

 

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comme pour s'y promener et de ce fond intime de l’âme se répandre partout, occuper toutes les puissances, animer toutes les actions ? Qui nous apprendra ce secret, pour nous y retirer sans cesse et y trouver le Père et le Fils ?

Ce n'est pas là cette présence dont saint Paul dit : « Il n'est pas loin de nous : car nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes en lui et par lui (1). » Car cette présence nous est commune avec tous les hommes, et même en un certain sens avec tout ce qui vit et qui respire; mais l'union que Jésus-Christ nous promet ici, est une union qu'il ne promet qu'à ses amis. Qu'elle est profonde ! qu'elle est intime ! qu'elle est éloignée de la région des sens !

Quand Dieu nous a faits à son image, il a créé en nous pour ainsi parler ce secret endroit où il se plaît d'habiter. Car il entre intimement dans la créature faite à son image : il s'unit à elle par l'endroit qu'il a fait à son image, où il a mis sa ressemblance. L'homme ne lui est pas étranger, puisqu'il l'a fait, comme lui, intelligent, raisonnable, capable de le désirer, de jouir de lui; et lui aussi il jouit de l'homme : il entre dans son fond, d'où il possède le reste : il en fait son sanctuaire. O homme, ne comprendras-tu jamais ce que ton Dieu t'a fait? Nettoie à Dieu son temple : car il y veut habiter : crois seulement, mais d'une foi vive : tu n'auras besoin pour prier d'autre temple que de toi-même. Que Dieu t'écoute de près ! Il est en toi : il y demeure : il y règne : son Fils y est avec lui : quand il t'a fait à son image, il a parlé avec son Fils de l'ouvrage qu'il allait faire; et il a dit : « Faisons l'homme à notre image et ressemblance (2) ! » Et maintenant il vient en toi avec lui : il l'envoie continuellement de son sein dans le tien : il y envoie aussi son Saint-Esprit, sanctificateur invisible de ce temple. Il faut être juste pour cela : car il ne peut pas habiter dans une âme souillée. O homme, comment peux-tu souffrir le péché! Temple de Dieu, comment peux-tu mettre une idole dans ce sanctuaire !

Non : je me veux retirer en Dieu. Et que faut-il faire pour cela, sinon se recueillir en soi-même ? Mais l'y sentons-nous, l'y trouvons-nous? Dieu n'est-il pas en nous d'une manière vive et qui se

 

1 Act., XVII, 27, 28. — 2 Genes., I, 26.

 

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fasse sentir ? Jésus-Christ a dit du Saint-Esprit : « Vous le connaîtrez, parce qu'il sera en vous et qu'il y demeurera (1). » Nous devons donc aussi connaître et sentir en nous le Père et le Fils, puisqu'ils y sont et qu'ils y demeurent. Oui sans doute, il est ainsi : Dieu se fait sentir en quelque sorte lorsqu'il arrive en nous : c'est ce que saint Paul vient de nous rapporter : « Et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple (2). » Quand je ne sais quoi nous dit dans le cœur que nous ne voulons que Dieu et que tout le reste nous est en horreur, alors Dieu se fait sentir. Mais nous ne croyons pas qu'il se fasse toujours sentir bien clairement, ni que dans le cours de cette vie il se fasse sentir avec certitude. Il nous est plus intime que nous ne le sommes à nous-mêmes : ainsi il se cache en nous autant qu'il lui plaît : il s'y découvre à nous-mêmes autant qu'il lui plaît ; et il ne s'y découvrira pleinement que lorsqu'il assouvira tous nos désirs, que « sa gloire nous apparaîtra et que Dieu sera tout en tous (3), » comme dit saint Paul.

Ouvrons-lui cependant l'entrée : Jésus-Christ nous en donne le moyen : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole : celui qui ne m'aime pas, ne garde pas ma parole (4) : n'aimez point en discours, ni en paroles; aimez par les œuvres et en vérité (5). » Il sonde les cœurs, et il voit que celui qui parle et qui croit aimer sans agir, n'aime pas. Mais aussi celui qui garde extérieurement sa parole et qui n'agit point par amour, ne garde pas véritablement cette parole : il faut joindre l'exécution de sa parole avec son amour, parce que sa principale parole et l'abrégé de sa doctrine , c'est qu'il faut aimer.

 

XCIVe JOURNÉE.
Etat ferme de la vie chrétienne. Joan., XIV, 16-23.

 

Arrêtons-nous sur ces paroles : « Mon Père vous donnera le Consolateur, afin qu'il soit en vous éternellement. Vous le

 

1 Joan., XIV, 17. — 2 II Cor., VI, 16. — 3 I Cor., XV, 28. — 4 Joan., XIV, 23, 24. — 5 I Joan., III, 18.

 

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connaîtrez, parce qu'il demeurera en vous. Nous viendrons à lui, et nous y établirons notre demeure (1). » Entendons que la vie chrétienne n'est pas un mouvement perpétuel du bien au mal et du mal au bien. C'est quelque chose de stable et de permanent : celui qui n'a rien de ferme et dont la vie est un continuel retour du péché à la pénitence et de la pénitence au péché, a juste sujet de craindre que le bien n'ait jamais été solidement en lui.

Je ne veux pas dire qu'on ne puisse jamais perdre la grâce : car pourquoi la pénitence aurait-elle été établie après le baptême ? Je ne veux pas dire que la chute après la pénitence soit sans remède : car Jésus-Christ n'a point donné de bornes à la puissance des clefs : « Tout ce que vous remettrez sera remis, tout ce que vous délierez sera délié (2) : » vous pourrez remettre et délier jusqu'à l'abus de la pénitence. Je ne veux pas dire non plus que le passage de la grâce au péché et du péché à la grâce, ne puisse pas quelquefois être fréquent. Saint Pierre était juste, quand Jésus lui dit comme aux autres : « Vous êtes purs (3), » et il n'excepta que Judas. Il tomba bientôt après, quand il renia son maître ; il se convertit bientôt après, lorsque Jésus le regarda et qu'il pleura si amèrement. Qui osera dire qu'un regret si amer et si sincère, le fruit d'un regard spécial de Jésus, ne lui rendit pas la justice? Mais qui osera dire aussi qu'il ne l'avait pas perdue de nouveau , lorsque « Jésus lui reproche comme aux autres son incrédulité et la dureté de son cœur, pour n'avoir pas voulu croire ceux qui leur annonçaient qu'il était ressuscité (4) ? » Dieu permet ces chutes fréquentes, lorsqu'il fait sentir à une âme sa propre faiblesse. Mais où en veut-il venir par ces terribles leçons, sinon à affermir l’âme dans l'humilité, dans la défiance de soi-même, dans la confiance en Dieu, et par là dans la vertu ? Il en faut donc venir à un état de fermeté et de consistance. Chrétien , tu as assez appris tes faiblesses par tes chutes : il n'est pas question de l'expérimenter toujours : il est temps de profiter de tes expériences : Pierre n'a été vacillant un peu de temps, que pour être conduit par là à une longue et perpétuelle persévérance.

 

1 Joan., XIV, 16, 17, 23. — 2 Matth., XVI, 19. — 3 Joan., XIII, 10. — 4 Marc, XVI, 14.

 

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XCVe JOURNÉE.
Le Maître intérieur. Joan., XIV, 23, 20.

 

« Je vous ai dit ces choses pendant que j'étais parmi vous; mais le Saint-Esprit consolateur, que mon Père vous enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous inspirera, vous suggérera , » mot à mot selon l'original, « vous fera ressouvenir de toutes les choses que je vous aurai dites (1). » Quoi donc ! avions-nous besoin de deux maîtres, et Jésus-Christ ne nous suffisait-il pas pour nous enseigner ? Soyons ici attentifs à cette école intérieure, qui se tient dans le fond du cœur. Outre les enseignements du dehors, il fallait un maître intérieur, qui fit deux choses : l'une, de nous faire entendre au dedans ce qu'on nous avait enseigné au dehors ; l'autre, de nous en faire souvenir et d'empêcher qu'il ne nous échappât jamais.

Remarquons bien néanmoins que Jésus-Christ et le Saint-Esprit ne nous enseignent pas des choses différentes. Ecoutez-bien, fanatique , qui attribuez à la doctrine du Saint-Esprit des choses que Jésus-Christ n'a pas dites : il enseigne les mêmes choses, mais l'un enseigne au dehors, et l'autre au dedans : et lorsqu'on dit que le Saint-Esprit enseigne au dedans, il faut entendre que Jésus-Christ même enseigne aussi au dedans, parce que c'est lui qui envoie le Saint-Esprit, qui est plein de lui, comme il l'expliquera bientôt.

Et pourquoi cette doctrine intérieure est-elle attribuée au Saint-Esprit, si ce n'est pour la même raison que l'infusion de la charité lui est attribuée ? « La charité, dit-il, est répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (2). » Qu'est-ce donc qu'enseigner au Saint-Esprit, si ce n'est faire aimer la vérité que Jésus-Christ nous a annoncée, jusqu'à pouvoir dire : « Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ ? Sera-ce l'affliction, ou la persécution, ou la faim ? Nous sommes victorieux dans toutes ces

 

1 Joan., XIV, 25, 20. — 2 Rom., V, 5.

 

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tentations à cause de celui qui nous a aimés et qui nous a donné son amour (1). » Et qu'est-ce que nous faire ressouvenir de ce que Jésus-Christ nous aura dit, sinon le tenir toujours présent à notre esprit par l'attachement que nous y aurons au fond du cœur? C'est-à-dire que le Saint-Esprit nous inspire non tant la science que l'amour, et que c'est par lui véritablement que nous sommes enseignés de Dieu, comme Jésus-Christ nous l'a dit (2).

Soyons donc recueillis et intérieurs, puisque c'est au dedans que nous parle notre Docteur. Homme, où courez-vous d'affaire en affaire, de distraction en distraction, de visite en visite, de trouble en trouble ? Vous vous fuyez vous-même , puisque vous fuyez votre intérieur, et vous fuyez en même temps le Saint-Esprit qui vous y veut parler.

 

XCVIe JOURNÉE.
Paix intérieure. Joan., XIV, 27.

 

« Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix ; cette paix » intérieure, « que le monde ne vous peut donner (3), » puisqu'au contraire c'est lui qui la trouble. Et qu'est-ce que cette paix ? « Nous viendrons à lui, et nous y ferons notre demeure (4). » Dieu en nous et dans notre fond, c'est notre paix. Car il est écrit de la cité sainte, qui est la figure de l’âme fidèle : « Dieu ne sera point ébranlé au milieu d'elle (5) : que la tempête vienne, » c'est-à-dire les passions, les afflictions, la perte des biens temporels : « Dieu au milieu de l’âme ne sera point ébranlé, » ni par conséquent le fond où il est. Car le Psalmiste poursuit : « Dieu l'aidera dès le matin : » Dieu la préviendra de ses grâces ; et c'est là sa paix, pourvu qu'elle soit soigneuse de se recueillir en elle-même : car c'est là qu'elle trouve Dieu , qui est sa force. Si elle se dissipe , si elle court, Dieu sera ébranlé au milieu d'elle, non en lui-même, mais au milieu d'elle. Commencez-vous à écouter le monde et la

 

1 Rom., VIII, 35, 37. — 2 Joan., VI, 45. — 3 Joan., XIV, 27. — 4 Ibid., 23. — 5 Psal. XLV, 6.

 

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tentation, Dieu s'ébranle au milieu de vous : il est prêt à vous quitter. Consommez-vous le péché, il vous quitte. Demeurez donc uni à vous-même et à Dieu qui est en vous : il ne s'ébranlera pas au milieu de vous : par là vous serez en paix ; car il est écrit : « Le lieu où il demeure sera en paix (1). Il n'y a point de paix pour les méchants, dit le Seigneur (2). » Encore un coup : « Il n'y a point de paix pour les méchants : ils sont comme une mer agitée, qui n'a jamais de repos : » qui regorge en mauvais désirs ; « et ses flots, et son écume jetée au bord sera foulée aux pieds et ne fera que de la boue (3). »

 

XCVIIe JOURNÉE.
Paix imperturbable. Joan., XIV, 27.

 

« Je vous laisse ma paix : je vous donne ma paix : je ne vous donne pas une paix comme celle que le monde donne : ne soyez point troublés, ne craignez rien : » c'est ce que le monde ne peut vous donner. Ce qu'il redouble le nom de la paix, marque l'affection et la tendresse avec laquelle il fait un si beau présent : vous diriez qu'à coups redoublés il veuille faire pénétrer la paix au fond du cœur : il la leur donne pour eux , il la leur donne pour nous. Il leur donne cette paix qui reposera sur les enfants de la paix, qui seront dans la maison où ils entreront ; et qui reviendra à eux, si personne ne la veut recevoir (4). Recevons donc la paix des apôtres, celle des ministres de Jésus-Christ ; lorsqu'ils entrent dans nos maisons, soyons pour eux des enfants de paix ; ne soyons ni contredisants, ni murmurateurs. Recevons cette paix, non celle du monde, mais celle que Jésus-Christ sait faire trouver au milieu des humiliations et des travaux.

« Ne craignez rien, ne vous troublez pas : » c'est, comme nous avons dit, la conclusion de tout ce discours et le terme où il aboutit. Considérons toutes les raisons par lesquelles le Fils de Dieu bannit le trouble que devait causer sa mort. Premièrement,

 

1 Psal.  LXXV, 3. — 2 Isa., XLVIII, 22. — 3 Isa., LVII, 20-21. — 4 Luc. X, 6.

 

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s'il s'en va, c'est pour nous préparer la place dans la maison de son Père. Ses disciples le peuvent suivre; et en leur disant où il va, il leur montre aussi le chemin pour y parvenir : il leur apprend où ils pourront voir le Père, dont la vision leur suffit, dans la possession duquel ils n'ont plus rien ni à désirer ni à craindre. Secondement, quoiqu'il les quitte, il n'en sera pas moins leur protecteur et ils peuvent tout obtenir en son nom. Loin que son absence leur nuise, il fera pour eux et par eux de plus grandes choses qu'il n'avait jamais faites. Troisièmement, en les quittant il leur promet un consolateur invisible, qui adoucira leurs peines et leur gravera dans le cœur toute sa doctrine. Touchés de l'amour qu'ils auront pour sa personne, ils garderont sa parole. Enfin il ne les quittera pas en les quittant : il viendra à eux, et il y viendra avec son Père, et ils établiront leur demeure dans leurs âmes; ce qui les fera jouir dans le fond du cœur, au milieu des persécutions et des tentations, d'un imperturbable repos et de cette « paix qui surpasse tout sentiment, toute pensée, toute intelligence (1). » Après cela on peut conclure : « Ne vous troublez pas, ne craignez rien : » voici néanmoins encore une raison plus touchante pour ses vrais disciples.

 

XCVIIIe JOURNÉE.
Jésus-Christ rentre en sa gloire, retournant à son Père. Joan., XIV, 28.

 

« Vous avez ouï que je vous ai dit : Je m'en vais, et je reviens (2) : » je meurs, et je ressuscite, et je reviens de nouveau à vous : je m'en vais encore, je monte au ciel, et j'en reviendrai à la fin pour demander compte de mes grâces. « Si vous m'aimiez , vous seriez bien aise que je m'en allasse : » je vous ai dit les raisons de vous consoler de mon absence, par les biens qui vous en reviennent. En voici une, par rapport à moi, qui vous doit toucher davantage : « Si vous m'aimez , vous devez vous réjouir que je retourne à mon Père, parce que mon Père est plus grand que

 

1 Philipp., IV, 7. — 2 Joan., XIV, 28.

 

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moi, » et que c'est avec lui que je trouverai ma véritable grandeur.

C'est son Père qui en est la source, parce qu'il tient tout de lui : il est toujours dans son sein et ne le quitte jamais. Toutefois en se faisant homme, il est sorti en un certain sens du lieu de sa gloire ; et il s'est fait moindre que son Père, lui qui est naturellement son égal. Comme homme il va retourner à ce lieu de gloire ; et en retournant à celui qui est plus grand que lui, à cet égard il devient aussi plus grand lui-même « parce qu'il entre dans sa gloire (1) » ensuite de ses souffrances : et « qu'assis à la droite de la majesté » de Dieu, « toute-puissance lui est donnée dans le ciel et dans la terre (2). » C'est ce qu'il nous dira bientôt : « Mon Père, glorifiez-moi de la gloire que j'ai eue auprès de vous, avant que le monde fût (3). » Répandez cette gloire sur l'humanité que j'ai prise. Telle est la gloire que je vais recevoir en retournant à mon Père : « Si vous m'aimiez, vous en auriez de la joie. » Réjouissez-vous donc, vous qui m'aimez ; réjouissez-vous de la gloire où je vais entrer.

C'est ce que font tous les bienheureux esprits, en disant : « L'Agneau qui a été immolé est digne de recevoir puissance, divinité , richesses, sagesse, force , honneur, gloire , bénédiction , action de grâces : » il est digne de les recevoir avec son Père : « A celui qui est assis sur le trône et à l'Agneau bénédiction, et honneur, et gloire, et puissance aux siècles des siècles (4) ! » Vous le voyez, ils n'ont point de termes pour expliquer un si grand transport; c'est qu'ils aiment Jésus, et se réjouissent de la gloire qu'il a reçue avec son Père.

C'est pour nous exciter à cette joie qu'il nous dit : « Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père (5). » O Seigneur, je m'en réjouis : je ne me réjouis pas tant de mes avantages que je me réjouis de votre gloire. Allez à votre Père, selon ce qu'il est plus grand que vous, afin de jouir des avantages de votre naturelle grandeur. Gloire, louange, bénédiction, puissance , honneur soit donné à l'Agneau qui a été immolé pour nous ! Soyez loué , soyez adoré, soyez servi de toute créature !

 

1 Luc, XXIV, 26. — 2 Matth., XXVIII, 18. — 3 Joan., XVII, 5 — 4 Apoc., V, 12, 13. — 5 Joan., XIV, 28.

 

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Je fais ma gloire de votre gloire, ma grandeur de votre grandeur , ma félicité de votre félicité. Voilà ce qu'il nous faut dire dans toute l'étendue de notre cœur, en honneur de cette parole du Sauveur : « Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père, parce que mon Père est plus grand que moi. »

Mon Sauveur, que vous êtes grand, puisque vous avez besoin d'avertir les hommes que votre Père est plus grand que vous î Si un autre que vous disait : Dieu est plus grand que moi, on lui répondrait : Qui en doute? quelle comparaison y a-t-il à faire entre Dieu et vous? C'est trop présumer de vous, que de croire qu'on vous puisse mettre en comparaison avec Dieu. Mais comme il y a en Jésus-Christ une grandeur pareille à celle de Dieu, en sorte qu'il ne craint point de ce côté-là de traiter d'égal avec Dieu ; et que dans tout le discours que nous avons ouï il montre cette égalité, il a été nécessaire de nous faire souvenir aussi de l'endroit par où le Père est plus grand que lui, de peur qu'on n'oubliât qu'étant Dieu, il s'était humilié et anéanti jusqu'à prendre, non-seulement la forme d'esclave, mais encore la figure du pécheur.

Que vous êtes grand, mon Sauveur! Que j'ai de joie de votre grandeur ! Que j'ai de joie de la gloire que vous avez naturellement dans le sein de votre Père ! Que j'en ai de celle où vous êtes exalté par votre humiliation jusqu'à la mort, et à la mort de la croix !

Seigneur, vous m'avez appris comment il vous faut aimer; oserai-je vous dire avec saint Pierre : « Seigneur, vous savez que je vous aime (1). » Excitez-vous, chrétien, à cet amour; dites mille et mille fois à Jésus : Je vous aime; mais souvenez-vous qu'il vous a dit : « Si vous m'aimez, gardez mes commandements (2). »

 

1 Joan., XXI, 15. — 2 Joan. XIV, 15.

 

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XCIXe JOURNÉE.
Jésus-Christ prédit tout ce qui lui doit arriver, il va volontairement à la mort. Joan., XIV, 29.

 

« Je vous ai dit ces choses avant qu'elles arrivassent, afin que vous crussiez lorsqu'elles seraient arrivées (1). » Que vous crussiez : quoi? Deux choses, la première, que je vois tout, que je sais tout, qu'on ne peut me cacher ce qu'on trame contre moi dans les ténèbres : je vois le traître disciple qui me vend, qui va me livrer, qui se met à la tête de mes ennemis pour me prendre : je sais tout ce qu'ils feront et qu'ils me conduiront à la mort : je vous le dis avant qu'il arrive, afin que vous croyiez en moi : au même sens qu'il venait de dire : « Un de vous qui mange avec moi me trahira, et je vous le dis avant qu'il arrive, afin que lorsqu'il arrivera vous croyiez que c'est moi qui suis (2) » le Christ ; et qu'il avait dit peu de jours auparavant : « Notre ami Lazare est mort et je m'en réjouis pour l'amour de vous, afin que vous croyiez, parce que je n'y étais pas (3). » La seconde chose, afin que vous croyiez que le monde ne peut rien sur moi; et que personne n'aurait puissance de me livrer, si je ne me livrois moi-même le premier pour obéir à mon Père.

C'est ce qu'il confirme par les paroles suivantes : « Je n'ai plus guère de temps pour vous parler : le prince de ce monde arrive, et il n'a rien en moi (4) : » il anime les Juifs, et je les vois avancer par son instinct : il n'a aucun droit sur moi, parce que je suis mus péché; ainsi il n'a pas de droit de m'assujettir à sa puissance, ni de me donner la mort : « Mais afin que le monde sache que j'aime mon Père et que je fais ce qu'il me commande : Levez-vous, sortons d'ici (5). » C'est ainsi que finit son discours.

« Afin que le monde sache : » car je lui dois cet exemple, que j'aime mon Père, et que je fais tout ainsi qu'il me l'ordonne :

 

1 Joan., XIV, 29. — 2 Joan., XIII, 18, 19. — 3 Joan., XI, 11, 14, 15. — 4 Joan., XIV, 30 . — 5 Ibid., 31.

 

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c'est l'exemple que je veux donner, non-seulement d'obéir, mais d'obéir par amour. Je viens de vous dire : « Si vous m'aimez, gardez mes commandements : celui qui m'aime garde ma parole : » il faut premièrement aimer, et ensuite obéir, mais par amour. C'est ce que je commande, c'est ce que je fais : j'aime mon Père et j'obéis. Je m'avance volontairement pour exécuter ses ordres : Judas sait le lieu où j'ai accoutumé d'aller prier, et il se sert de cette connaissance pour me surprendre ; mais il ne me surprend pas. Je vois ses complots; et quelque loin qu'il soit, toutes ses paroles viennent à mes oreilles (1). Combien ai-je rompu de complots semblables? Combien ai-je échappé de fois aux Juifs, qui voulaient me prendre ? Je pourrais encore rompre ce coup, en n'allant point au jardin où l'on vient me prendre ; mais il est temps : mon heure est venue, et mon Père iae fait voir que c'est à cette fois qu'il faut que je meure : c'est l'heure de mes ennemis et de la puissance des ténèbres : « Levez-vous, sortons d'ici : » allons au-devant de ceux qui me cherchent.

Il répète les mêmes paroles en descendant de la montagne des Olives et en sortant de son agonie : « Levez-vous, allons : celui qui me trahit approche (2). » Il ne recule pas : il marche à la mort avec une volonté déterminée. Il y mène ses disciples : « Levez-vous, partons : » car encore que leur heure ne soit pas venue, il veut pourtant qu'ils le suivent, et il les mène au combat pour les aguerrir. Ils fuiront à cette fois ; mais peu à peu ils s'accoutumeront à combattre : « Allons donc, suivez-moi, dit-il, levez-vous.» C'est à nous qu'il parle aussi. Revêtons-nous à son exemple de résolution et de courage : ne nous troublons pas, ne craignons rien : à quelque hasard qu'il nous faille aller pour son service, faudrait-il aller à une mort assurée, levons-nous, partons ; et quand il sera à la porte, lorsqu'il frappera le dernier coup et qu'on nous annoncera la mort prochaine, disons avec un air libre et d'une voix ferme : « Levons-nous, sortons d'ici. »

Cela dit, Jésus se leva : il partit du cénacle et de la maison « pour aller selon sa coutume au jardin et à la montagne des Oliviers, et ses disciples le suivirent (3). »

 

1 Joan., XVIII, 2-4. — 2 Matth., XXVI, 46. — 3 Luc, XXII, 39.

 

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