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PRÉPARATION
A LA DERNIÈRE SEMAINE DU SAUVEUR.

 

PRÉPARATION  A LA DERNIÈRE SEMAINE DU SAUVEUR.

PREMIÈRE JOURNÉE.  Le mystère de la croix prédit par Jésus-Christ, et non compris par les apôtres : combien on craint de suivre Jésus à la croix. Matth., XX, 17 jusqu'au 29; Marc, x, 32 jusqu'au 46; Luc, XVIII, 31 jusqu'au 35.

IIe JOURNÉE.  Demande ambitieuse des enfant de Zébédée : calice et croix avant la gloire. Matth., XX; 20 et suiv.; Marc, X, 35 et suiv.

III   JOURNÉE.  Victoire et puissance de Jésus-Christ contre la mort dans la résurrection de Lazare. Joan., XI, 1 jusqu'au 46.

IVe JOURNÉE.  Même sujet. Les trois morts ressuscites par Notre-Seigneur, figures des trois états du pécheur. Joan., XI, 1 et suiv.; Matth., IX, 18, 25.; Marc, V, 35, 42 ; Luc, VII, 12, 15.

Ve JOURNÉE.  Amitié de Jésus modèle de la nôtre. Excellente manière de prier. Joan., XI, 1 et suiv.

VIe JOURNÉE.  Jésus-Christ mis en signe de contradiction : incrédulité des Juifs après la résurrection de Lazare. Joan., XI, 46 et suiv.

VIIe JOURNÉE.  Fausse et aveugle politique des Juifs dans la mort de Jésus-Christ, figure de la politique du siècle. Joan., XI, 48 et suiv.

VIIIe JOURNÉE.  Profusion des parfums sur la tête et les pieds de Jésus en différents temps. Joan., XII, 1, 12.

 

 

Les sermons de Notre-Seigneur dans sa dernière semaine sont des plus dignes d'être médités par la circonstance de sa mort prochaine. Pour les lire avec ordre et avec fruit, il est bon de les partager par journées, comme on a fait le sermon sur la montagne.

Avant que d'en venir à cette semaine si pleine d'instructions et de mystères, pour en prendre l'esprit il faut remonter un peu plus haut; et c'est à quoi nous donnerons huit jours.

 

PREMIÈRE JOURNÉE.
Le mystère de la croix prédit par Jésus-Christ, et non compris par les apôtres : combien on craint de suivre Jésus à la croix. Matth., XX, 17 jusqu'au 29; Marc, x, 32 jusqu'au 46; Luc, XVIII, 31 jusqu'au 35.

 

L'heure de Jésus approchant, il va volontairement à Jérusalem, où il savait qu'il devait mourir ; et il le déclare à ses apôtres.

Saint Paul disait aux disciples : « Et maintenant étant lié par le Saint-Esprit, » doucement contraint par son impulsion particulière, « je m'en vais à Jérusalem, ne sachant ce qui m'y doit arriver (1) : » mais Jésus va à Jérusalem, sachant très-bien ce qu'il y doit souffrir, et le dénonçant aux apôtres : « Voilà, dit-il, que nous allons à Jérusalem ; et le Fils de l'homme sera livré entre les mains des méchants (2). » « Je ne sais, disait saint Paul, ce qui me doit arriver à Jérusalem, si ce n'est que dans toutes les villes où

 

1 Act., XX, 22. — 2 Matth., XXII, 18.

 

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je passe, le Saint-Esprit me fait témoigner par les prophètes qui y sont, que des chaînes et des afflictions m'y sont préparées (1). » Mais au lieu qu'on ne montrait les choses qu'en confusion à saint Paul, Jésus explique tout distinctement à ses apôtres, comme la seule lecture le fera connaîre.

A ces mots, saint Luc observe que « les disciples n'entendirent rien de ce que Jésus leur disait, » quoique Jésus leur parlât sans aucune ambiguïté; que « cette parole leur était cachée, et qu'ils n'entendaient point ce qu'on leur disait (2). » Cet évangéliste fait voir par le soin qu'il prend de nous faire observer cette ignorance des apôtres, combien le mystère de la croix a peine à entrer dans les esprits.

Jésus s'étant expliqué ailleurs de ce mystère en termes moins clairs, le même saint Luc fait cette remarque : « Les apôtres n'entendirent point cette parole, et elle était comme voilée devant eux, en sorte qu'ils n'en sentaient point la force , et ils craignaient de l'interroger sur cette parole (3). » Ils n'entendaient pas, parce qu'ils ne voulaient pas entendre : ils virent bien qu'il faudrait suivre leur maître, et ils ne voulaient pas savoir les souffrances où il allait, dans la crainte d'avoir un sort semblable. C'est pourquoi Jésus leur disait : « Mettez bien ceci dans vos cœurs, que le Fils de l'homme sera livré entre les mains des hommes (4) : » ce qu'il avait soin de leur inculquer dans le temps que tout le monde était en admiration des prodiges qu'il faisait; c'est que, flattés par sa gloire, ils avaient le cœur bouché à ce qu'il leur enseignait sur l'opprobre qu'il avait à souffrir, sans vouloir en entendre parler. Mais c'était là néanmoins ce que Jésus voulait qu'ils sussent. Car il avait mis notre salut dans ses souffrances et dans l'obligation de le suivre, et de porter sa croix après lui : « Mettez bien cela dans vos cœurs, » leur disait-il.

Songez ici comme l'homme se trompe lui-même, comme il fait le sourd quand on lui veut dire ce qui choque ses passions et ses sens : comme, quelque clair qu'on lui parle, il détourne l'oreille; il ne fait pas semblant d'entendre, et craint d'approfondir la matière. Quitte ce commerce, renonce à ce plaisir, renonce à ta

 

1 Act., XX, 23. — 2 Luc., XVIII, 34. — 3 Luc., IX, 45. — 4 Ibid., 44.

 

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propre volonté : il n'entend pas ; il ne veut pas entendre, ni savoir, ni interroger celui qui lui parle. C'est pour la même raison que saint Marc raconte la même chose en ces termes : « Comme ils montaient à Jérusalem, Jésus marchait devant eux, et ils en étaient étonnés et ils craignaient en le suivant ; et appelant les douze, il leur dit : Nous allons à Jérusalem (1), » pour y souffrir tout ce qu'il leur marque.

Le sujet de leur étonnement était qu'ils savaient que les pharisiens et les docteurs de la loi le cherchaient pour le faire mourir ; et ils ne pouvaient comprendre qu'il allât se mettre en leurs mains ; et ils le suivaient en tremblant. On craint de suivre Jésus à la croix.

Mais pour nous encourager il va devant; et saint Luc remarque qu'il « affermit son visage pour aller à Jérusalem (2), » voyant son heure venue. La nature craignait, comme il parut dans son agonie au jardin. Car il a voulu porter nos faiblesses jusqu'à ce point, afin de nous apprendre à les vaincre. Suivons-le donc, et à son exemple affermissons notre visage, lorsqu'il faut aller à la pénitence, à la mortification et à la croix.

Ce fut en cette occasion que ses disciples lui dirent : « Maître, il n'y a qu'un peu de temps que les Juifs vous cherchaient pour vous lapider; vous allez vous mettre encore entre leurs mains (3) ! » Ils voulaient le détourner de ce voyage; et il n'y eut que Thomas qui entendit le mystère, lorsqu'il dit courageusement : « Allons, allons aussi, et mourons avec lui (4). » Belle parole, si elle eût été suivie de l'effet ! Mais Thomas s'enfuit comme les autres, et fut le dernier à croire sa résurrection. Voilà l'homme : celui qui parle le plus hardiment, le plus souvent est le plus faible lorsque Dieu l'abandonne à lui-même. Entends, chrétien, combien il est difficile d'aller à la croix avec Jésus, et combien on a besoin de sa grâce.

 

1 Marc, X, 32, 33. — 2 Luc, IX, 51 — 3 Joan., XI, 8. — 4 Ibid., 16.

 

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IIe JOURNÉE.
Demande ambitieuse des enfant de Zébédée : calice et croix avant la gloire. Matth., XX; 20 et suiv.; Marc, X, 35 et suiv.

 

La même lecture, et appuyez en particulier sur la demande de la mère des enfants de Zébédée. Saint Marc dit distinctement que ce ne fut pas seulement leur mère, mais les deux frères eux-mêmes , c'est-à-dire saint Jacques et saint Jean qui firent cette demande. Ce qui nous montre que leur mère agissait à l'instigation de ses enfants : et peut-être même que dans la suite ils se joignirent eux-mêmes ouvertement à la demande; c'est pourquoi aussi le Sauveur leur adresse sa réponse : « Vous ne savez ce que vous demandez ; pouvez-vous boire mon calice (1) ? »

Il n'y a rien qui fasse sentir combien on a de peine à entendre la parole de la croix. Jésus venait d'en parler aussi clairement qu'on a vu; et loin de l'entendre, saint Jacques et saint Jean, qui étaient des premiers entre les apôtres, lui viennent parler de sa gloire et de la distinction où ils y voulaient paraître.

Pesez ces paroles de Jésus : « Vous ne savez ce que vous demandez : » vous parlez de gloire : et vous ne songez pas ce qu'il faut souffrir pour y parvenir. Là il leur explique ces souffrances par deux similitudes : par celle d'un calice amer qu'il faut avaler, et par celle d'un baptême sanglant où il faut être plongé. Avaler toute sorte d'amertume ; être dans les souffrances jusqu'à y avoir tout le corps plongé, comme on l'a dans le baptême : la gloire est à ce prix.

Les apôtres ambitieux s'offrirent à tout ; mais Jésus, qui voyait bien qu'ils ne s'offraient à souffrir que par ambition, ne voulut pas les satisfaire. Il accepta leur parole pour la croix ; mais pour la gloire, il les renvoya aux décrets éternels de son Père et à ses secrets conseils.

Il aurait bien pu leur dire ce qu'il dit dans la suite à tous les

 

1 Matth., XX, 22; Marc, X, 38.

 

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apôtres: «Je dispose de mon royaume en votre faveur, comme mon Père en a disposé en la mienne (1). » Mais des gens qui ne voulaient souffrir que par ambition, n'étaient pas dignes encore d'entendre cette promesse ; et pour les attacher à la croix dont ils n'entendaient pas encore la vertu, il remet à son Père ce qui regarde la gloire, et ne se réserve en ce lieu qu'à prédire et à distribuer les afflictions.

Tout cela se faisait par cette profonde économie si souvent pratiquée dans l'Evangile et dans toute l'Ecriture ; où, pour certaines raisons et convenances, des choses diverses sont attribuées au Père et au Fils : mais il faut toujours se souvenir dans le fond de cette parole, que le Sauveur adresse à son Père : « Tout ce qui est à vous est à moi, et tout ce qui est à moi est à vous (2). »

« Tous les apôtres furent indignés (3) » de la demande des deux frères. Aveugles, qui ne songeaient pas qu'ils étaient tous dans les sentiments qu'ils reprenaient dans les autres, puisqu'un peu auparavant et un peu après, Jésus-Christ les surprit pensant en eux-mêmes et se disputant « qui d'entre eux serait le premier (1) » C'est ainsi qu'on ne peut souffrir dans les autres le vice qu'on a en soi-même : éclairé pour reprendre ; aveugle à se corriger et à se connaître.

Remarquez le changement admirable que les instructions du Sauveur, et l'effusion du Saint-Esprit fit dans les apôtres. Ces gens qui ne cessaient de disputer entre eux de la primauté, la cèdent sans peine à saint Pierre. Ils lui cèdent la parole partout : il préside à tous leurs conciles et à toutes leurs assemblées. Saint Jean, un des deux enfants de Zébédée, qui venait de demander la première place avec son frère saint Jacques, attend saint Pierre au tombeau du Sauveur, afin qu'il y entre le premier; et l'empressement de voir les marques de la résurrection de son maître, ne l'empêcha pas de rendre l'honneur qu'il de voit au prince des apôtres.

Appuyez encore sur ces paroles de saint Matthieu, XX, 25; Marc, x, 42, où il rabat toute ambition par son exemple. Ne sois

 

1 Luc., XXII, 29. — 2 Joan., XVII, 10. — 3 Matth., XX, 24. — 4 Luc, IX, 46, 47; XXII, 24, 25.

 

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point ambitieux, ô chrétien, et ne désire point le commandement, ni aucun avantage parmi les hommes, puisque tu es le disciple de celui qui étant le Seigneur de tous, s'en est rendu le serviteur, et a mis sa gloire à racheter des élus par la perte de sa vie. Racheté par l'humilité et la croix de ton Sauveur, ne songe point à t'élever ni à enfler toi-même ton cœur.

Considérons combien nos passions et surtout l'ambition nous aveuglent ; et crions à l'exemple de ces deux aveugles et de Bartimée fils de Timée : « O Seigneur, rendez-nous la vue (1) ; » faites-nous connaître nos défauts.

Que nul reproche des hommes ne nous empêche de crier à Jésus pour en implorer le secours de sa grâce : quittons nos habits : courons à lui : ouvrons les yeux : glorifions Dieu : cessons de nous méconnaître et de nous glorifier nous-mêmes.

 

III   JOURNÉE.
Victoire et puissance de Jésus-Christ contre la mort dans la résurrection de Lazare. Joan., XI, 1 jusqu'au 46.

 

Jésus approche de Jérusalem : il est déjà à Béthanie, bourgade qui en était à peine à six-vingts pas, à la racine de la montagne des Oliviers. Sa mort approche en même temps ; et ce qu'il va faire à cette approche , et pour nous y préparer, est admirable.       

La première chose c'est la résurrection de Lazare. Il allait mourir, et il semblait que l'empire de la mort allait s'affermir plus que jamais, après qu'il y aurait été assujetti lui-même. Mais il fait ce grand miracle de la résurrection de Lazare, afin de nous faire voir qu'il est le maître de la mort.

Elle paraît ici dans tout ce qu'elle a de plus affreux : Lazare est mort, enseveli, enterré, déjà pourri et puant. On craint de lever la pierre de son tombeau, de peur d'infecter le lieu et la personne de Jésus par cette insupportable odeur. Voilà un spectacle horrible : Jésus en frémit : Jésus en pleure : dans la mort de Lazare,

 

1 Matth., XX, 30; Marc., X, 46, 51 ; Luc., XVIII, 42.

 

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son ami, il déplore le commun supplice de tous les hommes : il regarde la nature humaine comme créée dans l'immortalité et comme condamnée à mort pour son péché : il est l'ami de tout le genre humain : il vient le rétablir : il commence par en pleurer le désastre : par en frémir : par se troubler lui-même à la vue de son supplice. Ce qui lui paraît si horrible dans la mort, c'est principalement qu'elle est causée par le péché; et c'est plutôt le péché que la mort qui lui cause ce frémissement, ce trouble, ces pleurs. Il est saisi d'un nouveau frémissement à mesure qu'il approche du tombeau. Envoyant cette affreuse caverne, où le mort était gisant, on dirait qu'il n'y a point de remède à un si grand mal : « Celui, dit-on, qui a éclairé l'aveugle-né, ne pouvait-il pas empêcher que son ami ne mourût ' ? » On ne dit pis : Ne le pourrait-il pas ressusciter? C'est à quoi on ne songeait seulement pas : on croit que son pouvoir n'allait pas plus loin que de l'empêcher de mourir : mais le tirer de la mort, quoiqu'il en eût déjà donné des exemples, on ne voulait ni s'en souvenir, ni le croire. On croit qu'il n'a que des larmes et cette frémissante horreur à donner à un tel mal. Voilà tout le genre humain dans la mort; il n'y a qu'à pleurer son sort ; mais il n'y voit aucune ressource. C'est le commencement de l'histoire et comme la première partie de ce tableau : tout y est rempli d'horreur.

Mais voici la seconde, où tout est plein au contraire de consolation. Il n'y paraît que puissance contre la mort, et que victoire remportée sur elle.

Jésus dit : « Cette maladie n'est pas pour la mort, mais pour la gloire de Dieu (2). » Lazare en mourut pourtant : mais le Sauveur voulait dire que la mort serait vaincue et le Fils de Dieu glorifié par  cette victoire.

Il poursuit : « Lazare dort, mais je le vais réveiller (3) : » appelant la mort un sommeil plutôt qu'une mort, et montrant qu'il lui est aussi facile de ressusciter un mort que de réveiller un endormi.

A mesure qu'il avance, il paraît de plus en plus le vainqueur de la mort. « Si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort ;

 

1 Joan., XI, 37. — 2 Ibid., 4. —  3 Ibid., 11, 22.

 

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mais je sais que Dieu vous accordera tout ce que vous lui demanderez. » Vous avez tout pouvoir, non-seulement pour prévenir la mort, mais encore pour lui enlever la proie qu'elle a déjà entre ses mains.

« Votre frère ressuscitera (1). Je le sais, dit Marthe, au dernier jour. » Elle ne doute pas que Jésus ne puisse le ressusciter avant ce temps : mais elle ne se juge pas digne de cette grâce.

Goûtons ces paroles du Sauveur, après lesquelles la mort n'a plus rien d'affreux : « Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, quand il serait mort, il vivra : celui qui vit et qui croit en moi, ne mourra point éternellement (2). » Il ne mourra point pour jamais : la mort ne sera pour lui qu'un passage : il n'y demeurera pas : et il viendra à un état où il ne mourra jamais.

La foi de Marthe est grande. Les Juifs disaient de Jésus : « Ne pouvait-il pas faire que Lazare ne mourût pas? » Celle-ci dit, non-seulement qu'il le pouvait faire, mais qu'il l'aurait fait, et qu'il pouvait encore le ressusciter s'il voulait. Elle voit en esprit la résurrection générale, et confesse Jésus-Christ comme celui qui, étant au ciel et dans le sein de son Père, est venu au monde. Jésus, Fils du Dieu vivant, est vivant de la même vie que son Père: « Comme le Père, dit-il, a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils d'avoir la vie en soi (3). » Il a donc raison de nous dire « qu'il est « la résurrection et la vie (4) ; » et encore : « Je suis la vie; » et encore : « Comme le Père ressuscite et vivifie, ainsi le Fils vivifie qui il lui plaît (5). » Il est une source de vie, il est la vie même comme le Père. La vie est venue à nous, quand il s'est fait homme : « Nous vous annonçons la vie éternelle qui était dans le Père, et qui nous est apparue (6) » pour se répandre sur nous, disait saint Jean.

Les larmes mêmes de Jésus nous remplissent d'espérance. Si le médecin tout-puissant est touché de nos maux, s'il les pleure, s'il en frémit, il les guérira.

« Otez la pierre (7) : » ouvrez le tombeau : enlevez la porte de cette éternelle prison : c'est sans doute pour en délivrer ceux qui y sont détenus.

 

1 Joan., XI, 23. — 2 Ibid., 25, 26. — 3 Joan., X, 26. — 4 Joan., XI, 25. —  5 Joan., V, 21. — 6 1 Joan., I, 2. — 7 Joan., XI, 39,

 

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« Père, je sais que vous m'écoutez toujours (1). » Nous sommes donc délivrés, puisqu'un tel intercesseur parle pour nous.

« Lazare, sortez, paraissez. » Les prophètes avaient ressuscité quelques morts ; mais on n'avait point encore traité la mort d'une manière si impérieuse. C'est que « le temps de voit venir, et déjà il était venu, disait le Sauveur, que ceux qui sont dans le tombeau entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'entendront recevront la vie (2). » Ce qui se fait maintenant pour le seul Lazare, se fera un jour pour tous les hommes.

« Lazare sortit à l'instant, » quoique « lié de bandelettes, » à peu près comme un enfant dans le berceau, « le visage enveloppé d'un linge (3) : » un homme vivant ne pourrait se remuer en cet état : cependant un mort se lève, et paraît : tant il y a d'efficace dans la parole du Sauveur.

Il importe de bien méditer toutes ces choses, afin de nous affermir contre Ja crainte de la mort, qui est si extrême dans les hommes, qu'elle est capable de leur faire perdre l'esprit, quand on leur annonce qu'il faut mourir, comme l'expérience le fait voir. On a grand besoin de se munir contre cette crainte : ce qui se fait principalement, en méditant les promesses de l'Evangile contre la mort, et s'attachant par une vive foi à la vie que nous attendons. On a besoin d'une grande grâce contre une si vive terreur. On ne la sent pas, tant qu'on a de la santé et de l'espérance : mais quand il n'y en a plus, le coup est terrible. Il est faible pourtant, si nous croyons bien que Jésus a vaincu la mort.

Il l'a encore vaincue dans une jeune fille de douze ans, qui ne faisait que d'expirer et qui était encore dans son lit (4). Il l'a encore vaincue dans un jeune homme qu'on portait en terre (5). Enfin il l'a vaincue dans le tombeau et au milieu de la pourriture en la personne du Lazare (6). Il restait qu'il empêchât même la corruption. Il avait vaincu la mort en des personnes qui étaient mortes naturellement : il fallait encore la vaincre lorsqu'elle serait venue par violence. Ceux à qui il avait rendu la vie, demeuraient mortels ; il restait qu'avec la mort, il vainquit même la mortalité. C'était

 

1 Ibid., 42. — 2 Joan., V, 25. — 3 Joan., XI, 44. — 4 Matth., IX, 18, 25; Marc, V, 35, 40, 42. — 5 Luc, VII, 12, 14, 15. — 5 Joan., XI, 41-44.

 

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en sa personne qu'il devait faire voir une victoire si complète. Après qu'on l'eut fait mourir, il ressuscite pour ne mourir plus, sans même avoir jamais vu la corruption, comme avait chanté le Psalmiste : « Vous ne permettrez pas que votre Saint voie la corruption (1); » Ce qui s'est fait dans le chef s'accomplira dans les membres. L'immortalité nous est assurée en Jésus-Christ à meilleur titre qu'elle ne nous avait d'abord été donnée en Adam. Notre première immortalité était de pouvoir ne mourir pas : notre dernière immortalité sera de ne pouvoir plus mourir.

 

IVe JOURNÉE.
Même sujet. Les trois morts ressuscites par Notre-Seigneur, figures des trois états du pécheur. Joan., XI, 1 et suiv.; Matth., IX, 18, 25.; Marc, V, 35, 42 ; Luc, VII, 12, 15.

 

La vraie mort de l'homme c'est le péché, parce que c'est la mort de l’âme. Dans les trois morts que le Sauveur a ressuscites, les saints ont considéré le péché vaincu en trois états : dans son commencement en la personne de cette jeune fille : dans son progrès en la personne de celui qu'on portait en terre : dans sa consommation et dans l'état d'endurcissement et d'habitude invétérée en la personne de Lazare. La corruption dans un mort de quatre jours, fait voir un homme qui croupit et pourrit, pour ainsi parler, dans son péché. La mauvaise odeur, c'est le scandale et la diffamation qui suit cet état. La caverne où le mort est enterré, fait voir l'abîme où le pécheur s'est enfoncé. La pierre sur le tombeau, c'est la dureté dans le cœur. Les bandes dont le mort est lié, sont les liens du péché qu'il ne peut rompre. Il ne paraît plus de ressource : les gens de bien même n'espèrent plus rien : « Maître, disait Marthe, il sent mauvais et il y a quatre jours qu'il est mort (2). »

C'est ce qui cause dans Jésus ce frémissement réitéré par deux fois avec ces larmes amères; ce qui signifie l'effort et comme le

 

1 Psal. XV, 10, 11; Act., II, 27. — 3 Joan., XI, 39.

 

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travail de l'Eglise pour enfanter de nouveau ce mort tout pourri. Le grand cri de Jésus montre encore la même chose : ressusciter un tel mort, c'est quelque chose de plus miraculeux que la résurrection de Lazare.

Ame malheureuse, ne fais point pleurer Jésus, ne le fais point tant crier, ni tant frémir ; empêche-toi de tomber dans ce péché d'habitude. Mais si tu y es, ne perds pas toute espérance : il te reste une ressource infaillible dans les cris et dans les larmes de Jésus.

« Déliez-le (1), » dit le Sauveur : ôtez-lui ces bandelettes dont il est serré. C'est le ministère des apôtres : mais il faut auparavant que Jésus ait parlé ; que le mort ait ouï sa voix ; qu'il se soit déjà réveillé de son profond assoupissement, et qu'il commence à vivre en recevant l'inspiration qui l'appelle à la pénitence. Les apôtres peuvent alors user du pouvoir qui leur est donné de délier : mais si le pécheur n'a déjà reçu aucun principe de vie, en un mot s'il n'est déjà sérieusement converti, c'est en vain qu'on le délierait : il est tout mort au dedans et les sacrements ne peuvent rien pour lui. Convertissez-vous donc, ô pécheurs, et vivez.

 

Ve JOURNÉE.
Amitié de Jésus modèle de la nôtre. Excellente manière de prier. Joan., XI, 1 et suiv.

 

Voilà les grands mystères de cet Evangile. Mais à ne rien regarder que l'histoire, elle est ravissante.

« Lazare notre ami (2), » dit Jésus. Quel bonheur à des mortels de pouvoir avoir Jésus pour ami ! « Notre ami : » Lazare aimait et lui et sa compagnie : ses disciples avaient part à son amitié.

« Jésus aimait Marthe, et Marie sa sœur, et Lazare (3) » qui était malade. Voilà les amis de Jésus ; leur maison était toujours ouverte à lui et aux siens ; ce sont ses hôtes et ses amis.

Puisque Jésus n'a pas dédaigné d'avoir des amis sur la terre,

 

1 Joan., XI, 44. — 2 Ibid., 11. — 3 Ibid., 5.

 

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suivons ce modèle dans nos amitiés : aimons ceux qui sont charitables et qui exercent volontiers l'hospitalité : car en la personne de leurs hôtes, c'est Jésus-Christ qu'ils reçoivent. Aimons une Marthe si zélée pour servir Jésus, qu'elle passe jusqu'à un empressement excessif, et jusqu'à une inquiétude dont elle est reprise. Si nos amis ont des défauts, que ce soit des défauts fondés sur le bien. Mais aimons surtout une Marie qui est toujours aux pieds de Jésus, toujours attentive à sa parole, et à « la bonne part qui ne pouvait lui être ôtée (1). » Voilà ceux que Jésus-Christ honorait d'une amitié particulière.

« Celui que vous aimez est malade (2) : » c'est ce que mandent à Jésus les sœurs de Lazare. Excellente manière de prier : sans rien demander, on expose à celui qui aime le besoin de son ami. Prions ainsi : soyons persuadés que Jésus nous aime : présentons-nous à lui comme des malades, sans rien dire, sans rien demander. Prions ainsi pour nous-mêmes, prions ainsi pour les autres : c'est une manière de prier des plus excellentes.

Souvent on dit à Jésus dans son Evangile : Venez, Seigneur, et guérissez : imposez vos mains : touchez le malade : ici on dit simplement : « Celui que vous aimez est malade. » Jésus entend la voix du besoin, d'autant plus que cette manière de le prier a quelque chose, non-seulement de plus respectueux et de plus soumis, mais encore de plus tendre. Qu'elle est aimable cette prière ! Pratiquons-la principalement pour les maladies de l’âme.

Marthe et Marie conservent toujours leur caractère : Marthe est toujours la plus empressée : elle parle plus, elle agit plus : Marie arrive : d'abord « elle tombe aux pieds de Jésus (3) : » elle ne dit qu'un mot : et c'est assez.

« Le Maître vous demande (4), » lui disait Marthe. Jésus était content de la foi de Marthe : mais pour achever d'être touché, il voulait voir les pleurs, la tendresse intime et la douceur de Marie toujours attachée du fond de son cœur à sa parole.

« Jésus pleura. (5)» Où sont ces faux sages qui veulent qu'on soit insensible? Ce n'est pas là la sagesse de Jésus.

« Voyez comment il l'aimait (6). » Soyez loué, ô Seigneur Jésus !

 

1 Luc., X, 39,40,42.— 2 Joan., XI, 3.— 3 Ibid., 32.— 4 Ib., 28.— 5 Ib., 35— 6 Ib., 30.

 

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d'avoir bien voulu qu'on put remarquer la tendresse que vous avez pour vos amis : qu'il nous soit permis de l'imiter et d'aimer à votre exemple : les cœurs durs et insensibles ne sont pas ceux qui vous plaisent : mais réglez nos amitiés et soyez-en le modèle : ne flattons point nos amis : corrigeons-en, comme vous, les empressements inconsidérés : aimons dans nos amis le bon et le solide comme vous.

O Seigneur, que je sois du nombre de ceux à qui vous dites : « Vous êtes mes amis (1) ; » et encore : « Je vous dirai à vous qui êtes mes amis (2) : » O bon et parfait ami, qui, pour exercer envers eux l'amour que vous avez dit vous-même être le plus grand de tous, avez donné votre vie pour eux : je ne veux d'ami que vous ou qu'en vous. O bon ami, ressuscitez-moi : je suis plus mort que Lazare.

« Marthe appelle Marie en secret. Le Maître, dit-elle, vous demande (3). » Il y a un certain secret entre Jésus-Christ et les âmes intérieures qui sont figurées par Marie ; il faut entrer dans ce secret et ne le pas troubler en y mêlant le monde. Entends, chrétien, ce doux secret : ce secret entre le Verbe et l’âme détachée des sens, qui l'écoute au dedans et qui ne connaît que sa voix.

« A l'instant Marie se lève et vient à Jésus (4) : » quand il appelle, on ne peut y apporter trop de promptitude. Les Juifs la voyant partir si vite, disaient : « Elle va pleurer au tombeau » : on connoissait son bon naturel et son cœur tendre : mais Jésus avait réglé ses tendresses, dont le principal objet était sa parole.

« Déliez-le, et laissez-le aller (5). » On n'a point dit ni où il alla, ni ce qu'il fit, ni ce qu'il dit, ni ce qu'on lui dit, ni où il avait été, ni comment il se trouvait : toutes questions superflues : Dieu qui, dès le moment de sa mort, savait ce qu'il en voulait faire, avait tout réglé : il savait par où nous devaient venir les vérités de l'autre vie : Jésus notre docteur savait tout et avait tout vu dans la source. La simplicité du narré nous apprend ce qu'on doit considérer dans les grandes choses, et comme il y faut mépriser les minuties.

 

1 Joan., XV, 14, 15. — 2 Luc, XII, 4. — 3 Joan., XI, 28. — 4 Ibid., 29, 31. — 5 Ibid., 44.

 

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VIe JOURNÉE.
Jésus-Christ mis en signe de contradiction : incrédulité des Juifs après la résurrection de Lazare. Joan., XI, 46 et suiv.

 

Ce qui fut dit du Sauveur à sa bienheureuse Mère par le saint vieillard Siméon est bien vrai : « Celui-ci est posé en ruine et en résurrection à plusieurs en Israël et en signe de contradiction, afin que les pensées de leurs cœurs soient découvertes (1). » On n'avait point encore vu la profonde malice du cœur de l'homme, ni jusqu'à quel point il est capable de résister à Dieu.

Après un si grand miracle, il semble qu'il ne faut pas s'étonner que plusieurs crussent. La résurrection de Lazare était arrivée en présence de tout le monde, à la porte de Jérusalem , avec le concours qu'attire un deuil dans les maisons considérables : « Plusieurs crurent, » dit l'évangéliste. C'était là l'effet naturel d'un si grand miracle (2). Mais d'autres qui sa voient la haine des pontifes et des pharisiens contre Jésus et qui y entraient, leur allèrent dire ce qu'ils avaient vu. Sur cela on assembla le conseil, et la résolution en fut étrange.

« Cet homme fait beaucoup de miracles (3). » Ils ne nient point le fait, il est trop constant. « Que ferons-nous? » La réponse paraît aisée : Croyez en lui. Mais leur avarice, leur faux zèle, leur hypocrisie, leur ambition, leur domination tyrannique sur les consciences, que Jésus découvrait, encore qu'ils la cachassent sous le masque du zèle de la religion, les aveuglait. En cet état, « ils ne peuvent croire (4) » comme nous verrons bientôt ; et ils aiment mieux résister à Dieu que de renoncer à leur empire.

Ailleurs ils disent encore : « Que ferons-nous à ces hommes ? car le miracle qu'ils viennent de faire est public : tout Jérusalem en est témoin et nous ne saurions le nier (5) » La réponse naturelle était : Il y faut croire : mais si nous y croyons, nous ne

 

1 Luc., II, 34, 35. — 2 Joan., XI, 45. — 3 Ibid., 47. — 4 Joan., XII, 37-39. — 5 Act., IV, 16,

 

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serons plus rien, et c'est à quoi ils ne pouvaient se résoudre.

Les incrédules s'écrient : Comment tout le monde n'a-t-il pas cru, s'il y a eu tant et de si grands miracles? Ils n'entendent pas le profond attachement du cœur humain à ses sens et aux affaires qui les flattent : d'où suit une indifférence prodigieuse pour le salut : ce qui fait qu'on ne daigne s'appliquer à ce qui se passe qui y a rapport, ni s'en enquérir, et que ceux qui l'ont vu s'étourdissent eux-mêmes pour n'y pas croire; de peur d'être forcés en y croyant de renoncer à tout ce qu'ils aiment, et d'embrasser une vie qui leur paraît si insupportable et si triste.

Il faut donc entendre qu'outre les miracles du dehors il en fallait un au dedans, pour y changer la mauvaise disposition des cœurs, et c'est là l'effet de la grâce. De là vient que si peu de gens ont cru, encore qu'on ait vu tant de prodiges, et qu'ils eussent été écrits dès le commencement avec des circonstances si particulières, qu'il n'y avait rien de plus aisé que d'en découvrir la vérité; comme il n'y eût rien eu de plus impudent, ni de plus capable de détromper les plus crédules que de leur avancer tant de faits positifs , dont le contraire eût été si constant. Il n'y a eu que ceux qui ont assez aimé leur salut et la vérité, pour prendre soin ou de s'enquérir des choses qui se passaient en Judée à la vue de tout le monde, ou d'y faire, s'ils les voyaient, les réflexions nécessaires, afin de les voir d'un autre œil que le vulgaire attaché aux sens et aux préventions.

Ce qu'il y a ici de plus étonnant, c'est que ceux qui ne voient pas la volonté de Dieu dans les miracles qui la déclaraient si évidemment , sont les plus savans du peuple, les pontifes, les pharisiens et les docteurs de la loi ; parce que des hypocrites comme eux, qui n'employaient le nom de Dieu qu'à tromper le monde des avares, des orgueilleux, qui faisaient servir la religion à leurs intérêts, devaient être naturellement les plus opposés à la vérité et les plus incapables de ses secrets. C'est donc ainsi que les pensées de plusieurs furent découvertes, parce qu'on devait voir jusqu'à quel point l'intérêt devait animer les hommes les plus sages en apparence, comme les plus considérables du peuple, contre Dieu et la vérité.

 

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Loin de profiter du miracle de la résurrection de Lazare, « ils résolurent, non-seulement de tuer Jésus, » qui était l'auteur du miracle, « mais encore Lazare (1) » même, en qui il s'était accompli. Trop de monde le venait voir, et c'était un témoin trop vivant contre eux. Ils voulurent donc le tuer, croyant obscurcir par là le miracle de sa résurrection, en montrant du moins que le Sauveur n'avait pas pu le faire vivre longtemps. Ils songèrent donc à le tuer, comme si par cette sorte de mort ils pouvaient lier les mains à Dieu. Et il fallait encore que la gloire de Jésus-Christ révélât au monde ce prodige de malignité et de folie.

Il ne faut donc plus s'étonner de l'aveuglement des Juifs. Celui des impies et des hérétiques est à peu près de même genre : les secrètes dispositions de tous ces gens-là devaient être découvertes. C'est que l'effort qu'il faut faire contre ses sens et contre soi-même , pour se donner tout entier à la vérité et à Dieu, est si grand, que plutôt que de le faire, ils aiment mieux étouffer la grâce et l'inspiration qui les y porte et s'aveugler eux-mêmes.

Nous sommes aussi de ceux pour qui Jésus-Christ est un signe de contradiction; et une de ces pensées du cœur humain, que Jésus-Christ venu au monde devait découvrir, c'est la prodigieuse insensibilité de ceux qui élevés dans la foi, et au milieu des lumières, préfèrent encore leurs sens et les plaisirs qui les enchantent, à la vérité qui luit dans leur cœur; et ne craignent pas de vivre comme les impies et les infidèles.

 

VIIe JOURNÉE.
Fausse et aveugle politique des Juifs dans la mort de Jésus-Christ, figure de la politique du siècle. Joan., XI, 48 et suiv.

 

« Les Romains viendront et ils détruiront notre ville, notre temple et toute notre nation (2) » C'est le prétexte dont ils couvraient leur intérêt caché et leur ambition. Le bien public impose aux hommes; et peut-être que les pontifes et les pharisiens en

 

1 Joan., XI, 50, 53; XII, 10, 11. — 2 Ibid., 48.

 

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étaient véritablement touchés ; car la politique mal entendue est le moyen le plus sûr pour jeter les hommes dans l'aveuglement, et les faire résister à Dieu.

On voit ici tous les caractères de la fausse politique et une imitation de la bonne, mais à contre-sens.

La véritable politique est prévoyante , et par là se montre sage. Ceux-ci font aussi les sages et les prévoyants : « Les Romains viendront : » ils viendront, il est vrai, non pas comme vous pensez , parce qu'on aura reconnu le Sauveur ; mais au contraire parce qu'on aura manqué de le reconnaître. « La nation périra : » vous l'avez bien prévu ; elle périra en effet, mais ce sera par les moyens dont vous prétendiez vous servir pour la sauver : tant est aveugle votre politique et votre prévoyance.

La politique est habile et capable : ceux-ci font les capables : voyez avec quel air de capacité Caïphe disait : « Vous n'y entendez rien : » il n'y entendait rien lui-même : « Il faut qu'un homme meure pour le peuple (1) : » il disait vrai ; mais c'était d'une autre façon qu'il ne l'entendait.

La politique sacrifie le bien particulier au bien public, et cela est juste jusqu'à un certain point : « Il faut qu'un homme meure pour le peuple : » il entendait qu'on pouvait condamner un innocent au dernier supplice sous prétexte du bien public : ce qui n'est jamais permis. Car au contraire le sang innocent crie vengeance contre ceux qui le répandent.

La grande habileté des politiques, c'est de donner de beaux prétextes à leurs mauvais desseins. Il n'y a point de prétexte plus spécieux que le bien public, que les pontifes et leurs adhérents font semblant de se proposer. Mais Dieu les confondit; et leur politique ruina le temple, la ville, la nation qu'ils faisaient semblant de vouloir sauver. Et Jésus-Christ leur dit à eux-mêmes : « Vos maisons seront abandonnées, vous et vos enfants porteront votre iniquité (2) ; » et tout périra par les Romains que vous faites semblant de vouloir ménager.

Sans être dans les affaires publiques, chacun peut ici considérer ce que c'est que la fausse prudence ou la prudence de la chair : ses

 

1 Joan., XI, 49, 50. — 2 Matth., XXIII, 38; Luc., XIX, 43, 44; III, 20, 23, 24.

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artifices pour cacher aux autres et souvent à elle-même ses mauvais desseins : les vains prétextes dont elle se sert pour cela : sa présomption à faire l'habile, pendant qu'en effet elle est dans la souveraine ignorance : ses fausses maximes pour décider de ce qu'on appelle cas de conscience, et l'abus qu'elle fait des bonnes : l'abus qu'elle fait aussi de son autorité, lorsqu'elle en a; et même quelquefois de la grâce de son ministère, comme fit Caïphe « de la prophétie (1) » en quelque sorte annexée au pontificat, comme saint Jean le remarque. Tout cela peut découvrir à chacun les fautes qu'il fait dans la conduite de sa famille, de sa communauté, de soi-même en particulier : comme on s'entête du bien des communautés à qui souvent on sacrifie des particuliers innocents : encore « croit-on rendre service à Dieu (2) » comme Jésus-Christ le dit distinctement des pontifes et des autres ennemis de la vérité.

Pour venir à quelque chose de plus tendre, unissez-vous en esprit à « tous ces enfants de Dieu dispersés par tout l'univers, » que la mort du Sauveur devait « recueillir (3). »

Le V/. 53 nous fait voir le résultat du conseil, et la mort du Fils de Dieu résolue : ce qui l'obligea à se cacher jusqu'au temps qu'il avait résolu.

Cependant la pâque approchait, vers le temps de laquelle il devait mourir : tout se préparait à cette pâque, et en même temps à la mort du Sauveur : puisque déjà l'ordre était donné à tous ceux qui sauraient où il était, de le déclarer afin qu'on le prît.

Demeurez en attente de ce qui doit arriver à Jésus : et en voyant comment on venait plusieurs jours devant la pâque pour s'y disposer, considérez la disposition que vous devez apportera la pâque véritable, qui est la communion.

 

1 Joan., XI, 51. — 2 Joan., XVI, 2. — 3 Joan., XI, 52 et seq.

 

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VIIIe JOURNÉE.
Profusion des parfums sur la tête et les pieds de Jésus en différents temps. Joan., XII, 1, 12.

 

Comme le temps approchait, Jésus sort de sa retraite autour d'Ephrem (1), et revient à Béthanie , c'est-à-dire , comme on a vu, aux portes de Jérusalem, six jours devant Pâques.

Ce qui s'y passa d'abord de plus remarquable, fut un festin où Lazare était à table avec lui dans sa maison : Marthe gardait son caractère et servait : Marie aussi, pour garder le sien, se mit selon sa coutume « aux pieds de Jésus, qu'elle oignit d'un parfum exquis et les essuya de ses cheveux (2). » Il est arrivé trois fois au Sauveur d'être oint par de pieuses femmes : ce qui paraît outre ce chapitre, par le vue de saint Luc, verset 36, et par les XXIVe et XIVe de saint Matthieu et de saint Marc, versets 6 et 3.

En saint Luc la femme n'est pas nommée, et il paraît seulement que c'était une pécheresse pénitente. Ses larmes dont elle arrosait les pieds de Jésus, sont le caractère de sa pénitence ; et Jésus-Christ lui ayant donné expressément la rémission de ses péchés, confirme ce caractère. C'en est aussi une belle confirmation, d'avoir expliqué comme il a fait, la nature et les devoirs de l'amour pénitent, et de montrer jusqu'où le porte la reconnaissance.

Ce caractère d'amour pénitent ne se trouve pas dans ce chapitre de saint Jean, où il est dit seulement que Marie répandit son parfum sur les pieds et les essuya de ses cheveux : mais sans y parler de larmes ni des doux et pieux baisers de la pénitente. En saint Matthieu et en saint Marc, le parfum est répandu sur la tête, pendant que Jésus était à table : ce qui était très-facile en ces temps où les conviés étaient à table couchés. Il est dit dans ces deux derniers endroits, que « la maison fut toute remplie de la bonne odeur du parfum (3) » Les lieux comme les temps de ces onctions sont marqués : la pécheresse pénitente fit son onction longtemps avant la dernière pâque, dans la maison de Simon le

 

1 Joan., XI, 54. — 2 Joan., XII, 3. — 3 Ibid., 3.

 

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pharisien (1) : la seconde onction qui est clairement attribuée à Marie, sœur de Lazare et de Marthe, se fit à Béthanie, six jours devant Pâques, dans la maison de Lazare et de ses sœurs (2). Et la troisième encore à Béthanie, mais chez Simon le lépreux, et seulement deux jours avant Pâques ou un peu après, comme le marquent saint Matthieu et saint Marc (3). Dans la première et dans la troisième onction, la femme n'est pas nommée : dans la seconde il est porté expressément dans saint Jean que celle qui la fit fut Marie, sœur de Lazare. Et soit que les trois différentes onctions aient été faites par différentes personnes, selon l'opinion de quelques-uns , ou par la même, selon quelques autres, en divers temps et avec différentes circonstances, il faut profiter de chaque caractère qui nous y paraît.

Il faut aussi remarquer que ces profusions de parfums scandalisèrent deux fois les hypocrites, et même les disciples qui n'en savaient pas le mystère; et que Jésus aussi prit deux fois la défense de ces pieuses profusions.

Parfumer Jésus, c'est lui donner des louanges. Parfumer la tête de Jésus, c'est louer et adorer sa divinité : car « la tête de Jésus-Christ, comme parle saint Paul, c'est Dieu (4) » Parfumer ses pieds, c'est adorer son humanité et ses faiblesses. Essuyer les pieds de Jésus avec ses cheveux, c'est mettre à ses pieds sacrés son ornement et sa tète même, avec toutes les vanités et la parure du siècle. Tout est sacrifié à Jésus : on ne veut plaire qu'à lui : des cheveux qui ont touché les pieds de Jésus, pourront-ils jamais servir à la vanité ? C'est ainsi que Jésus veut être aimé : il est digne d'un tel amour et de tels hommages.

On ne répand pas seulement ces riches parfums sur Jésus : « on rompt la boîte d'albâtre » où ils étaient renfermés, afin qu'il ait tout : Fracto alabastro (5), dit saint Marc. Sa tête et ses pieds ruisselèrent donc de ces admirables parfums, et toute la maison en fut embaumée. L'exemple de la piété de ces saintes femmes a rempli toute l'Eglise de sa bonne odeur.

Quand la pécheresse approcha des pieds de Jésus, on disait :

 

1 Luc, VII, 36-40. — 2 Joan., XII, 4. — 3 Matth., XXVI, 8; Marc., XIV, 8. — 4 I Cor., XI, 3. — 5 Marc, XIV, 3.

 

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« S'il était prophète, il » ne se laisserait pas « toucher par cette » pécheresse (1). Ici on ne lui reproche rien contre celles qui le touchent, soit qu'elles n'eussent jamais été pécheresses, soit qu'il y eût déjà si longtemps, que la mémoire en fût effacée par leur pénitence : on leur fit ici un autre reproche, et c'est celui de leur profusion : « On pouvait vendre ces parfums trois cents deniers et plus : » tant ils étaient précieux : tant l'effusion en fut abondante : « et les donner aux pauvres (2). » L'amour des pauvres fut le prétexte dont on se servit, pour condamner la piété de ces femmes qu'on appelait indiscrète ; et pour couvrir l'envie qu'on avait contre Jésus, et des honneurs qu'on lui faisait : et Judas se signala parmi ces faux charitables et ces faux dévots. Les plus méchants sont les plus sévères censeurs de la conduite des autres ; soit par le dérèglement de leur esprit, soit par leur hypocrisie ou par un faux zèle. Judas avait encore une autre raison, c'est qu'il gardait et volait ce qu'on donnait au Sauveur ; et il croyait qu'on ôtait à son avarice ce qu'on ne mettait pas entre ses mains. Que l'avarice parle haut, quand elle peut se couvrir du prétexte de la charité !

Ses insolents discours n'attaquaient pas seulement les femmes dont il accusait la profusion, mais encore Jésus-Christ qui la souffrait ; mais il prit en main leur défense, en disant qu'elles « l'avaient fait pour l'ensevelir (3), » se considérant comme mort à cause que l'heure approchait et qu'il s'était mis dans l'esprit et dans l'état de victime.

Il voulait en même temps nous faire considérer de quel honneur était digne ce corps virginal, formé par le Saint-Esprit et où la divinité habitait par lequel la mort devait être vaincue et le règne du péché aboli : quels parfums assez exquis pouvaient en marquer assez la pureté !

Il voulait aussi que les parfums qui servaient à la mollesse et au luxe, servissent à cette fois à la piété, et que la vanité fût sacrifiée à la vérité.

« Vous aurez toujours des pauvres avec vous; et quand vous voudrez, vous leur pouvez faire du bien (4). »

 

1 Luc, VII, 39. — 5 Joan., XII, 5; Marc., XIV, 5. — 3 Marc., XIV, 8; Joan., XII, 7. — 4 Marc, XIV, 7.

 

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Les onctions étaient salutaires au corps : on s'en servait non-seulement par délicatesse, mais encore par précaution et par remède. On faisait nager les corps morts dans le baume et dans les parfums pour les conserver et en prévenir la corruption même après la mort : et c'était tout le bien dont le corps était capable alors. On pouvait toujours faire ces sortes de biens aux pauvres, disait le Sauveur: « mais pour lui, on n'aurait pas toujours son corps présent» pour lui faire ce bien : il fallait donc le lui faire pendant qu'on l'avait, et quand on ne l'aurait plus, se consoler en le faisant aux pauvres, dont il imputait le soulagement et le bien comme fait à sa personne. Combien donc les pauvres nous doivent-ils être chers, puisqu'ils nous tiennent la place de Jésus-Christ! Baisons leurs pieds : prenons part à leurs humiliations et à leurs faiblesses : versons des larmes sur leurs pieds : pleurons leur misère : compatissons à leurs souffrances : répandons des parfums sur leurs pieds, des consolations sur leurs peines et sur leurs infirmités, un baume adoucissant sur leurs douleurs : essuyons-les de nos cheveux : donnons-leur notre superflu et privons-nous des vains ornements pour les soulager.

En même temps parfumons Jésus : laissons exhaler de nos cœurs de tendres désirs, un amour chaste, une douce espérance, de continuelles louanges : et si nous voulons l'aimer et le louer dignement, louons-le par toute notre vie, gardons sa parole.

Disons-lui dans l'épanchement de nos cœurs ce que lui disait saint Paul (1), « qu'il nous est justice, sainteté, sagesse, rédemption et toutes choses : » comme il est dit aux Corinthiens. Disons-lui tout ce que lui dit le même saint Paul aux Colossiens (2). Chantons-lui tous les doux cantiques que lui chante dans l'Apocalypse tout le peuple racheté : « L'Agneau qui a été immolé pour nous est digne de recevoir la vertu, la divinité, les richesses, la sagesse, la force, la gloire, la bénédiction (3). » C'est ce que lui doit chanter toute créature : c'est là le parfum que nous répandons sur lui dans l'épanchement de nos cœurs.

 

1 I Cor., I, 30. — 2 Coloss., I, 12, 13 et seq. — 3 Apoc., V, 12, 13; VII, 10-12.

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