NOTRE-DAME DU LAUS

 

 

 

NOTRE-DAME DU LAUS
ET LA
VÉNÉRABLE SOEUR BENOITE

 

 

D'APRÈS LES MANUSCRITS AUTHENTIQUES CONSERVÉS AU PIEUX SANCTUAIRE. Maria Sancta Lacensis.

 

1895

 

© Numérisation
Abbaye Saint Benoît de Port-Valais
2005

 

En l’honneur de mon père Jean qui en ce 7 juin aurait eu 74 ans. Le copiste.

 

Bibliothèque

 

 

 

 Ière Partie — IIème PartieIIIème Partie
IVème PartieVème Partie

 

Le Sanctuaire de Notre-Dame du Laus

 

 

Introduction

NOTRE-DAME DU LAUS  ET LA  VÉNÉRABLE SOEUR BENOITE

ÉPÎTRE DÉDICATOIRE

DÉCLARATION

INTRODUCTION

BIBLIOGRAPHIE DE NOTRE-DAME DU LAUS

III

DÉCRET

 

ÉPÎTRE DÉDICATOIRE

 

Divine Marie,

 

Jésus, votre très cher Fils, s'est incarné dans votre sein virginal pour réconcilier avec son Père les hommes nés dans le péché. Son sang a coulé sur le Calcaire, et il ruisselle encore tous les jours sur l'autel pour les sanctifier: il arrose, sans les purifier, ceux qui s'obstinent dans le mal. Vous êtes , ô divine Marie, la co-rédemptrice de notre Sauveur. Ce titre vous constitue l'Avocate générale de tous les hommes. C'est pourquoi vous êtes émue de compassion sur leur triste sort, quoiqu'ils ne soient malheureux que par leur faute. Vous avez pour eux un coeur de mère ; aussi, êtes-vous empressée à venir à leur secours. Vous descendu via ciel en terre, et, pour le bien de vos enfants, vous vous manifestes à ceux que vous trouves plus humbles et plus purs; et de ceux-ci vous faites les instruments de vos miséricordes.

Afin que les pécheurs trouvent un asile pris de votre

 

Cette Epître dédicatoire est tirée de celle que M. GAILLARD a place en tête de son Histoire.

 

XII

 

coeur, le Très-Haut, secondant votre bonté maternelle, vous donne le vallon du Laus. Vous y faites bâtir une église, dont l'enceinte sert de parvis à votre chapelle de Bon-Rencontre, que vous faisiez garder par deux anges. Vous vous servez pour cette oeuvre et pour l'établissement du pieux Pèlerinage d'une humble bergère que trous trouvez selon votre coeur.

De même que votre très cher Fils avait tiré ses Apôtres de la lie du peuple, et avait choisi des hommes ignorants pour confondre les sages du monde, des hommes faibles pour confondre les puissances du siècle, ainsi vous avez choisi cette pauvre fille, tirée de la poussière de la plus humble des conditions, dépourvue des biens de la terre, riche seulement en sainteté; pour fonder l'un des plus célèbres pèlerinages qui aient jamais existé.

Vous lui apparaissez souvent, vous la comblez des grâces les plus extraordinaires , pour la préparer à sa sainte mission. Ainsi, ce lieu obscur, vous le rendez célèbre par l'affluence des pèlerins, qui y courent de toutes parts et y reçoivent tous, ou presque tous, quelque faveur spirituelle ou corporelle, par les parfums célestes qu'y respirent Benoîte et quelques personnes privilégiés, par une onction de piété toute particulière, enfin par je ne sais quoi d'ineffable qui commence, poursuit et achève dans les âmes l'oeuvre de leur sanctification.

Mais, si votre humilité et votre condescendance, ô divine Marie, éclatent dans le choix que vous avez fait de cette simple bergère et de ce lieu désert pour y établir ce Pèlerinage, elle brille plus encore dans le choix qui a été fait de la plume qui doit en écrire

 

XIII

 

l'histoire. Si ce choix est peu favorable à votre cause, au moins il prouvera une fois de plus votre bonté maternelle, et il laissera les Merveilles du Laus briller de tout l'éclat qui leur est propre.

Agréez donc, ma Souveraine Princesse, qu'à l'exemple des fermiers villageois qui prennent des fruits appartenant à leurs maîtres pour leur en faire présent, je vous offre ce qui rient de vous-même et tous appartient: les miracles, les garces, les bénédictions que vous répandez au Laus, arec une constante et royale prodigalité.

Daignez continuer à ceux qui visiteront votre béni Sanctuaire les faveurs qu'ils attendent de cotre miséricordieuse bonté! Telle est la grâce que vous demande, avec une parfaite confiance et la plus profonde vénération, le moins méritant, mais le plus soumis et le plus respectueux de vos serviteurs.

 

DÉCLARATION

 

Pour nous conformer au décret du Pape Urbain Vlll, nous déclarons que, si quelquefois il nous arrive de donner le titre de Sainte à la Vénérable Soeur Benoîte, nous ne le faisons que d'après les usages reçus parmi les fidèles, qui donnent cette qualification aux personnes recommandables par leurs vertus ; que nous ne voulons en rien devancer les décisions de l'Eglise , que nous n'attribuons qu'une foi humaine aux faits merveilleux que nous publions; et qu'enfin nous soumettons purement et simplement notre écrit au jugement et à la correction de la Sainte Eglise Catholique, Apostolique et Romaine.

 

INTRODUCTION

 

L'histoire de Notre-Dame du Laus a été , écrite dès son origine par quatre auteurs contemporains et témoins oculaires de la majeure partie des événements qu'ils racontent.

Le premier qui entreprend de relater les faits merveilleux qui se passent à quelques centaines de pas du village de Saint-Etienne-d'Avançon, est un laïque, un magistrat. Avant entendu parler des faveurs singulières accordées à une jeune bergère de ce hameau, Messire François Grimaud, avocat au parlement de Grenoble et alors juge de la baronnie d'Avançon, crut qu'il était de son devoir de se rendre sur les lieux et d'étudier les tans par lui-même , pour découvrir la supercherie ou l'illusion s'il y en avait, ou pour rendre témoignage à la vérité si les faits surnaturels étaient vrais. Il fit une enquête longue, minutieuse, qui, à la fin se trouve être un récit pieux et plein de charmes.

M. Grimaud donne à son travail ce titre un peu long, mais très explicite :

 

XVI

 

Relation véritable de l'Apparition de la Sainte Vierge, tenant par la main Notre-Seigneur Jésus-Christ, à Benoîte Rencurel, bergère, dans la paroisse de Saint-Etienne-d'Avançon , au diocèse d'Ambrun, et des miracles que Dieu a opérés ensuite par l'intermédiaire de la Sainte Vierge, dans la chapelle qui est dans un hameau appelé Le Laus.

M. Grimaud ne relate pas moins de soixante-un miracles, opérés de 1664 à 1667. Plus de vingt miracles par an ! C'est une magnifique couronne pour le berceau du Pèlerinage. La Sainte Vierge, comme son très cher Fils, ne sait faire un pas sans le marquer par un prodige.

 

Le second historien des scènes religieuses dont le Laus était le théâtre, est le Frère François Aubin. C'était un pieux ermite qui avait planté sa tente près de la chapelle de Notre-Dame de l'Erable, située sur le petit plateau qui domine à la fois le Laus et Rambaud.

Le Frère Aubin a écrit :

1° Mémoire sur les persécutions et les tourments que les dénions font subir à Benoîte ;

2° Mémoire relatif à l'histoire de Notre-Dame du Laus et de Benoîte.

Après tout ce qu'il avait vu et pu recueillir lui-même, c'est de ces mémoires du pieux ermite que M. Gaillard s'aidera surtout pour composer sa grande Histoire du Laus.

Plus tard, peu de temps avant sa mort, le solitaire de l'Erable fit une copie de tous les ouvrages sortis de la plume de M. Gaillard.

 

XVII

 

Après ce saint solitaire, les merveilles de Notre-Dame du Laus ont été recueillies par Messire Jean Peythieu, prêtre, docteur en théologie. Ce prêtre pieux et désintéressé s'était attaché au Laus dès les premiers temps du pèlerinage. Il a recueilli les faits arrivés pendant son ministère, qui a duré vingt ans, de 1669 à 1689.

M. Peythieu nous a laissé :

1° Discours de ce qui s'est passé de plus extraordinaire à Notre-Dame du Lacs, à Monseigneur l'Illustrissime et Révérendissime Charles de Brulard, l’archevêque et Prince d'Ambrun , Abbé de Genlis. C'est en 1672 que M. Peythieu adressait au métropolitain cette lettre-discours.

2° Mémoires historiques sur l'établissement de la dévotion du Laus et sur la pieuse Bergère qui l'a fondée;

3° Journalier des Merveilles de Notre-Dame du Laus, commencé le 12 août 1684 ;

4° Cahier de notes et de faits détachés concernant le Laus.

 

Enfin, le dernier, mais le plus célèbre de tous nos historiens, est Messire Pierre Gaillard, prêtre, docteur en théologie, Conseiller et Aumônier ordinaire du Roy, Archidiacre et Chanoine prébendé en l'église cathédrale de Notre-Dame de Gap. Favorisé de trois grâces singulières dont il croit être redevable à la protection de la Sainte Vierge, il s'attache au Laus, observe et note pendant quarante-trois ans. Son récit, vrai journal écrit au jour le jour, devient l'histoire

 

XVIII

 

la plus complète et la plus intéressante des faits merveilleux arrivés au saint vallon.

M. Gaillard intitule son oeuvre :

L'histoire de Notre-Dame de Bon-Rencontre , du Laus et de la Soeur Benoîte Rencurel, la Bergère.

L'ouvrage s'ouvre à la naissance de la Bergère en 1647, et se ferme en l'année 1711.

Pour composer cet écrit de longue haleine, qu'il appelle à juste titre sa Grande Histoire, l'auteur déclare qu'il s'est servi des travaux de ses trois devanciers, et en particulier des Mémoires du Frère Aubin.

La prière dédicatoire, l'épître liminaire et les autres opuscules qui servent d'introduction à son oeuvre capitale sont tous imprégnés d'un grand esprit de piété. C'est aussi ce même esprit qui pénètre l'âme à la lecture des quatre appendices où il traite à fond quatre sujets particuliers, dont voici les titres :

1° Des rudes tentations, cruels tourments et persécutions que les démons font souffrir à la Soeur Benoîte

2° Des souffrances et mortifications de Benoîte;

3° De la réception de Benoîte dans le Tiers-Ordre de Saint-Dominique ;

4° Des Eclipses du Laus.

C'est en 1697, à l'âge de 68 ans, que M. Gaillard commença à rédiger son histoire, obéissant à une prière qui était pour lui un ordre, et qu'il expose lui-même sous la double forme qui suit :

Le jour de Noël 1696, l'Ange dit à Benoîte : « Allez et dites à une telle personne (M. Gaillard, sans doute) d'écrire tout ce qui se passe au Laus. Je

 

XIX

 

vous ordonne de le lui dire, et de faire, vous, tout ce que cette personne vous prescrira. »

En 1697, la Mère de Dieu dit à Soeur Benoîte : « Je veux qu'on travaille sans délai à l'Histoire de Notre-Dame du Laus. Obtenez par vos prières qu'elle soit commencée sans retard et qu'elle soit » menée à bonne fin. »

En 1710 M. Gaillard tirait au net son travail, et en 1711 il y mettait la dernière main. Le fond si vrai , la forme si naïve de son histoire, nous font regretter qu'il n'ait pu la continuer tout au moins jusqu'à sa mort, arrivée en 1715.

Quant aux procédés d'écrivain de M. Gaillard et à la confiance qu'il mérite, écoutons-le parler lui-même:

« Je m'éclairais de la vérité, dit-il, auprès de soeur Benoîte, auprès de ceux qui ont vu naître la dévotion, auprès de ceux qui ont demeuré au Laus et qui y sont, et que je reconnais parler dans la pure vérité. Je n'interroge pas seulement une personne, mais plusieurs de celles qui ont été soigneuses de s'instruire et d'écrire ce qu'elles ont vu et su de véritable... J'écris ce que j'ai vu moi-même... Je prends tous les soins possibles pour découvrir la vérité... Je ne me fie pas même à la relation des particuliers, à des ouï-dire, aux gens de peu de probité...

« Je suis si exact pour cette histoire, que je ne me fie pas entièrement aux mémoires qui m'ont été donnés, et, dès que j'ai écrit un cahier, je le montre à Benoîte, avant de le mettre au propre; et Benoîte ajoute ou retranche selon la vérité... Par

 

XX

 

une grâce singulière que. Dieu fait à cette simple fille, elle a la mémoire si présente de toutes les choses qui ont rapport à la fondation du Pèlerinage, qu'elle se souvient de tout comme si l'événement dont on lui parle était arrivé le jour même. Et cependant quarante-six ans se sont écoulés entre l'année 1664 et la présente année 1710. où je mets au net cette histoire, après que Benoîte l'a corrigée... Il n'y a donc dans mes » écrits d'autres défauts que ceux de ma plume. »

Cette déclaration de M. Gaillard nous explique comment les archives du Laus possèdent, de sa volumineuse histoire, le brouillon et la copie corrigée sous la dictée de soeur Benoîte. Cette dernière porte un signe distinctif et précieux : ses quarante-neuf cahiers sont inventoriés et se reconnaissent à un numéro d'ordre et à un paraphe apposé là probablement par un notaire.

 

Les précieux écrits de ces quatre historiens dignes de tout respect nous ont été conservés jusqu'à ce jour et constituent le fond qu'on appelle « les Manuscrits du Laus ». Les archives du vénéré Sanctuaire en possèdent non seulement des copies authentiques, mais les autographes mêmes. Monuments irréfragables de l'origine céleste du Pèlerinage, vrais titres de noblesse du Sanctuaire, ces manuscrits sont, pour l'histoire des merveilles du Laus, les sources pures et abondantes où ont largement puisé tous ceux qui ont voulu en parler ou en écrire avec autorité.

Ce qui les rend plus précieux encore, c'est que la Providence divine a veillé sur eux avec une sollicitude toute particulière. « Pendant la révolution ils ont été sauvés par une sorte de miracle. L'église et ses dépendances ont été pillées; meubles, linges, livres, papiers, tout a été enlevé et perdu : les précieux manuscrits seuls ont été retrouvés ensuite, dans la maison déserte et dévastée, « comme si un ange les avait rapportés après les avoir cachés sous ses ailes pendant la tourmente. » Ils échappèrent à la destruction parce qu'ils avaient été enfermés dans une simple caisse et relégués , comme chose sans importance, dans les combles du couvent.

Depuis cette époque, comme avant, les gardiens successifs du Sanctuaire entourent ce trésor du plus religieux respect et de la plus active vigilance. Une ordonnance épiscopale les place sous la garde du P. Supérieur de l'établissement des Missionnaires de Notre-Dame du Laus, les environne de toutes les précautions conservatoires et frappe de censure quiconque les emporterait hors du couvent des Missionnaires.

Mais si ces précieux manuscrits ne doivent jamais franchir le seuil de la maison qui les abrite, ils ne sont pas un trésor enfoui. Ils ont pu, jusqu'ici, être visités et étudiés par quiconque en a eu le désir, et aujourd'hui encore pareille faculté est donnée à ceux qui sont bien aises d'approfondir les origines de notre Pèlerinage. C'est ce qu'ont fait non seulement tous les Missionnaires du Laus et tous ceux qui ont écrit des Notices ou des Histoires du béni Sanctuaire; mais un grand nombre de hauts dignitaires

 

XXII

 

ecclésiastiques, de simples prêtres et de religieux de différents ordres : Jésuites, Dominicains, Bénédictins, Augustins, Trappistes, Chartreux, etc., tant parcouru avec une pieuse avidité ces pages d'où s'exhale un arome si pur de simplicité, de droiture et de vraie piété; et tous ont emporté de leur lecture un profond sentiment de respect et d'admiration.

 

C'est à cette source, aussi abondante que sûre, des Manuscrits du Laus, que nous avons puisé à peu près tous les éléments de notre oeuvre ; nous n'avons guère eu qu'à choisir et mettre en ordre des matériaux de si grande valeur. Aussi ne parlerons-nous que pour les mentionner des nombreuses publications qui, depuis les premières années du XVIII° siècle, ont fait connaître au loin les merveilles que nous nous proposons de raconter.

 

BIBLIOGRAPHIE DE NOTRE-DAME DU LAUS

 

Tant que lu tradition put transmettre avec une exactitude  rigoureuse les faits merveilleux opérés au Laus, le besoin d'une histoire écrite ne se faisait pas sentir ; mais un moment arriva où la piété des fidèles voulut approfondir les origines du pèlerinage. on avait, il est. vrai, pour atteindre ce but, la grande histoire manuscrite de M. Gaillard, mais c'était lé pour le public une naine d'or inexploitée, un livre scellé. Il y avait aussi quelques courtes relations imprimées, des cantiques édités il Grenoble, avec l'autorisation de Mgr de Genlis, archevêque d'Embrun ; mais les peuples demandaient quelque chose de mieux : ils voulaient une histoire plus complète de l'établissement du Pèlerinage et de lai Bergère pieuse qui, pour celte oeuvre, avait eu l'honneur de servir d'instrument à la Sainte Vierge. Elle lui fut donnée en 1736, sous ce titre :

 

XXIII

 

Recueil historique des Merveilles que Dieu a opérées à Notre-Dame du Laus, prés Gap en Dauphiné, par l'intercession de la Sainte Vierge, et des principaux traits de la vie de Benoîte Rencurel, surnommée la Bergère du Laus. — Grenoble, André Faure, 1736.

Quelques critiques avaient cru pouvoir attribuer cet opuscule aux PP. Gardistes qui à cette époque desservaient le Sanctuaire du Laus, mais un Avis au lecteur qu'on lit dans un exemplaire de cette première édition, conservé à la Bibliothèque de Grenoble, semble dire assez ouvertement que l'auteur n'appartenait point à la pieuse congrégation de Sainte-Garde. voici, du reste, cet Avis au Lecteur :

« Une personne qui fréquente depuis de longues années le saint lieu de Notre-Dame du Laus, où elle a revu des grinces singulières, touchée de la lecture du Manuscrit qui contient l'histoire de cette dévotion, duquel elle avait pris une copie exacte, ainsi que des pièces qui y sont rapportées, ayant considéré qu'on négligeait depuis longtemps d'en faire part au public, elle a cru devoir le faire aujourd'hui, suivant le désir de plusieurs personnes de piété ; cet ouvrage n'est proprement qu'un recueil abrégé de ce qui s'est passé de plus singulier dans ce sain! lieu et les faits qui regardent la Soeur Benoîte, dont Dieu s'est servi pour cet établissement ( 1). »

L'auteur, du reste, est exact dans son récit, et si on peul lui faire un reproche, c'est celui de n'avoir pas donné à son histoire de plus grandes dimensions ; mais il ne voulait faire qu'un Abrégé, et il justifie son laconisme en disant : « On ne rapporte ici qu'une partie des événements, dans la persuasion où l'on est qu'une infinité de conversions miraculeuses qui ont été opérées et qui s'opèrent continuellement dans ce lieu, parlent plus en sa faveur que tout ce qu'on pourrait dire de plus convaincant. »

Ce Recueil a eu deux autres éditions : la première imprimée à Avignon, en 1817, et la seconde à Gap, après 1824.

2° La seconde histoire du célèbre Sanctuaire fut imprimée à Marseille, en 1829, sous ce titre : Notice historique de Notre-Dame du Laus. Cet opuscule porte le sceau des R.P. Oblats

 

(1) Les personnes qui posséderaient le Recueil historique de 1736, ne doivent pas s'étonner de ne pas trouver cet avis en tête de tous les exemplaires; il parait qu'il y a eu de cette édition plusieurs tirages, semblables quant au récit proprement dit, avais différents quant aux préliminaires. Ainsi nous possédons des exemplaires qui contiennent l'Avertissement et d'autres qui ne le contiennent pas.

 

XXIV

 

de Marie Immaculée, alors gardiens du Sanctuaire. Il fut rédigé par leurs soins.

3° En 1813, parut à Gap une Notice historique sur la fondation du Sanctuaire et l'établissement du Pèlerinage de Notre-Dame du Laus , suivie d'une Neuvaine à l'usage des Pèlerins. — Ce petit ouvrage, substantiel et plein de piété, est dû au zèle d'un prêtre du diocèse de Gap qui a voulu demeurer caché sous le voile de l'anonyme.

4° L'histoire du Sanctuaire de Notre-Dame du Laits et de la pieuse Bergère qui l'a fondé , approuvée par Monseigneur l'Evêque de Gap, par M. l'abbé Aug. MARTEL, chanoine et supérieur de la Maison du Laus. Gap, Delaplace. — Celle histoire, moins succincte que les précédentes, a eu quatre éditions entre les années 1850 et 1864.

5° En 1852, le P. MAUREL, jésuite, donna, à la prière de Mgr DUPÉRY, évéque de Gap, l'Histoire de Notre-Dame du Laus. Trois éditions ont répandu dans le monde religieux dix-huit mille exemplaires de cet intéressant opuscule.

6° En 1856, parut l'Histoire des Merveilles de Notre-Dame du Laus, tirée des archives de la vénérable Sanctuaire et continuée jusqu'a nos jours, par l'abbé F. PRON, publiée, sous la surveillance d'un Comité historique, par l'ordre et avec la haute approbation de M Jean-Irénée Depéry, évêque de Gap. — Gap, Delaplace.

C'est, sans contredit, ce qui a paru de plus complet, de mieux ordonné et de plus délicieusement écrit sur Notre-Dame du Laus. Trois éditions tirées à six mille exemplaires ont porté au loin le récit des Merveilles opérées au sacré vallon. La dernière est de 1875.

7° En 1869, parut Soeur Benoîte ou cinquante-quatre ans d'apparitions de la Sainte Vierge à la Bergère du Laus. Esquisse historique, par l'abbé H.-C. Adrien JUGE, missionnaire apostolique.

8° Et en 1892, Notre-Dame du Laus, avec gravures dans le texte, par un Missionnaire. — Gap, J.-C. Richaud.

Indépendamment de ces histoires générales du vénéré Sanctuaire, ces dernières années ont vu éclore plusieurs autres ouvrages écrits ex-professo sur Notre-Dame du Laus, mais à des points de vue divers. La nomenclature suivante, d'après l'ordre chronologique, nous en fait connaître la spécialité respective :

1° En 1854, Précis historique de la Maison de Soeur Benoîte, Bergère de Saint-Etienne-d'Avancon, par l'abbé DEPÉRY, aumônier de Mgr l'Evêque de Gap.

 

XXV

 

2° En 1855, Précis historique du Couronnement de Notre-Dame du Laus, diocèse de Gap, par M. l'abbé LÉPINE , chanoine, chancelier de l'Evêché de Gap,

3° En 1856, Couronnement de Notre-Dame du Laus, poème en trois chants, par l'abbé JUJAT, directeur des études an collège Saint-Joseph (Montrouge).

Les Fleurs du Laus, recueillies par Mgr DUPÉRY, Evêque de Gap. C'est un recueil de chants et de cantiques relatifs à Notre-Dame du Laus, c'est-à-dire à sa Bergère, à son vallon, à son Sanctuaire, à ses prières et à ses pèlerins,

5° En 1859, Guide du Pèlerin au vénérable Sanctuaire de Notre-Dame du Laus, par l'abbé BONNET, vicaire de la cathédrale, approuvé par Mgr l'Evêque. Une neuvaine de méditations en l'honneur de la Sainte Vierge termine ce traité pratique du pèlerinage de Notre-Dame du Laus.

Le Mois de Marie de Notre-Dame du Laus, ou histoire de l'établissement de la dévotion du Laus, et considérations sur les vertus de la Très Sainte Vierge Marie, par M. l'abbé FERAUD, curé des Sièyes. — Digne, Vial, 1878.

Mois de Marie du Laus, ou Méditations sur les merveilles du Sanctuaire, par M. l'abbé ALLEMAND, curé CIO Saint-Auban-d'Oze. — Nancy, imprimerie St-Epvre, 1886. 

Notre-Dame du Laus, poème en cinq chants, par l'abbé E. ALLEMAND. — Grenoble, E. Vallier, 1892.

 

Nos lecteurs peuvent voir que la mine que nous signalions au début de cette introduction a été déjà, à plusieurs reprises, fouillée par des hommes pleins de talent et de piété; et, dès lors. ils peuvent se demander comment nous osons encore écrire sur un sujet si souvent et si habilement traité. Sans doute, il y a peut-être un peu de témérité de notre part; mais la mine nous paraît inépuisable, et dans le champ de Booz Ruth trouve toujours à glaner quelques épis assez pleins. C'est l'espoir que nous nourrissons au fond de notre coeur.

 

XXVI

 

II

 

Pour compléter cette Introduction et présente notre couvre au Lecteur, nous avons cru ne pouvoir mieux faire que de reproduire ici l'Instruction pastorale de Mgr Guilbert, annonçant à son diocèse de Gap l'introduction du procès de canonisation et la déclaration de Vénérabilité de SOEUR BENOÎTE.

 

NOS TRÈS CHERS FRÈRES,

 

Au milieu de nos Alpes aux aspects si grandioses et si variés, qu'on ne se lasse pas d'admirer, parce qu'elles portent. comme l'Océan, une sorte d'empreinte de l'infini et que l'âme s'y sent plus près du Ciel, il est un vallon particulièrement béni, où l'on respire un parfum de piété incomparable et que l'on ne visite jamais sans en revenir meilleur. On sent qu'il s'est passé là des choses extraordinaires : chaque ravin , chaque rocher, chaque sentier rappelle quelque apparition céleste. La prière y vient naturellement et sans effort sur les lèvres du pèlerin , et l'espérance s'éveille et grandit dans son coeur.

Ce lieu béni, vous l'avez nommé, N. T. C. F., c'est le vallon, c'est le sanctuaire de Notre-Dame du Laus. Vous y êtes accourus souvent, dans vos tristesses et dans vos joies , et vous y avez rencontré de nombreux visiteurs , venus quelquefois de bien loin pour mêler leurs prières aux vôtres, dans

 

XXVII

 

une même et invincible confiance en Marie , la Bonne Mère qui ne manque jamais là d'exaucer ses enfants.

Nous voulons aujourd'hui vous entretenir de ce pieux sanctuaire du Laus, de sa merveilleuse origine; nous allons vous parler de l'humble Bergère qui fut l'instrument providentiel dans la fondation du célèbre pèlerinage, et que le Souverain Pontife vient récemment de déclarer Vénérable.

Sans doute, « la terre et tout ce qu'elle renferme est au Seigneur, » comme dit le prophète , et partout Dieu verse ses grâces et ses bienfaits à ceux qui l'invoquent en esprit et en vérité : il y a cependant des lieux qu'ira particulièrement sanctifiés, où il se plaît à répandre ses faveurs plus abondantes, par l'entremise de la Vierge, Mère de son Fils. C'est constaté par les témoignages certains de l'histoire, et l'Eglise elle-même reconnaît ces sanctuaires privilégiés et y autorise les pèlerinages pieux.

Tel est le sanctuaire de Notre-Dame du Laus, et nous ne craignons pas d'affirmer qu'il n'en existe aucun dont l'origine soit entourée de faits surnaturels et miraculeux plus authentiques.

 

1. — Vous le savez, N. T. C. F., c'est vers le milieu du XVII° siècle que la Très Sainte Vierge voulut avoir un temple sur cette montagne solitaire et complètement ignorée. A qui s'adressera-t-elle? Il y a peu de riches et de puissants dans ce pauvre villa e des Alpes. Mais quand Dieu veut faire de grandes choses, il ne s'adresse pas d'ordinaire à la richesse et à la puissance : « Il a choisi les moins sages,

 

XXVIII

 

selon le inonde, pour confondre les sages; il a choisi les faibles, selon le monde, pour confondre les forts; il a choisi les plus vils et les plus méprisables, selon le monde, et ce qui n'était pas, pour détruire ce qui est. » Lorsque son Fils entreprit d'édifier son Eglise immortelle, il prit les pécheurs du lac de Génésareth; de même, la Vierge Marie choisira, pour accomplir son oeuvre, la plus humble et la plus pauvre fille de l'humble et pauvre hameau.

Benoîte Rencurel, appelée Soeur Benoîte, parce qu'elle appartenait au Tiers-Ordre de Saint-Dominique — aujourd'hui la Vénérable Soeur Benoîte — était née à Saint-Etienne-d'Avançon, en septembre 1647, de parents vertueux, mais dénués de tout biens de la fortune.

On cite, dès ses premières années, des faits extraordinaires qui faisaient déjà présager sur elle les desseins de Dieu. Privée de son père à l'âge de sept ans, il lui fallut, pour vivre, se mettre au service de plusieurs propriétaires du pays, qui lui confièrent la garde de leurs troupeaux. Dans cette condition infime, la pieuse Bergère donnait à tous l'exemple d'une patience, d'une résignation, d'une charité parfaites, et de toutes les vertus.

Au mois de mai 1664, Benoîte, qui avait alors 17 ans, conduisait son troupeau sur la montagne de Saint-Maurice, lorsque le saint lui apparut sous la formé d'un vieillard vénérable et lui annonça qu'elle verrait bientôt, dans le vallon voisin, la Mère de Dieu. Le lendemain, en effet, à l'endroit indiqué, la Vierge Marie se manifesta visiblement à l'humble

 

XXIX

 

Bergère, et ce fut le commencement d'une série d'apparitions qui se sont continuées, presque sans interruption, pendant plus de cinquante ans.

Elles furent très fréquentes, quotidiennes dans la vallée de Saint-Etienne, depuis le mois de mai jusqu'à la fin d'août de cette même année. C'est là que Benoîte interrogea celle qu'elle appelait la « belle Dame, » et qu'elle en reçut cette réponse : « Je suis Marie, mère de Jésus, mon très cher Fils, qui veut que je sois honorée dans cette paroisse, mais non en ce lieu-ci. »

De l'autre côté de la Vance, sur la colline qui porte le nom du Laus, se trouvait un petit oratoire couvert de chaume, dédié à Notre-Dame de Bon-Rencontre : c'était le lieu choisi par la Reine du Ciel, et notre Bergère y était attendue.

Plusieurs semaines s'étaient écoulées depuis la dernière apparition, et Benoîte, triste, parcourait avec anxiété les sentiers de la forêt de pins, lorsqu'elle découvre la pauvre chapelle en ruine et ouverte à tous les vents. Soudain elle se sent attirée par l'odeur de célestes parfums , et arrivée au seuil du petit oratoire, elle voit la divine Mère debout sur l'autel poudreux et entourée d'une éblouissante lumière.

L'humble enfant tombe à genoux pour rendre ses hommages à la Mère de Dieu, et dans sa naïve simplicité elle veut détacher son tablier blanc pour le mettre sous les pieds de Marie; car elle est frappée de l'état déplorable de la chétive masure et s'en plaint amèrement. Mais la Vierge Marie, qui la regarde avec un doux sourire, lui répond : « Non,

 

XXX

 

Mon enfant..., ne vous mettez pas en peine; dans peu de temps il ne manquera rien ici, ni linge, ni nappes, ni cierges, ni ornements. Je veux y faire bâtir une grande église, avec une maison pour quelques prêtres résidants. J'ai destiné ce lieu pour la conversion des pécheurs. Vous y verrez vous-même cette grande église bâtie en l'honneur » de Jésus et de Marie, où beaucoup de pécheurs et. de pécheresses se convertiront, et elle sera de la longueur et de la largeur que je veux. C'est là que vous me verrez souvent. — Mais, dit Benoîte, il n'y a point d'argent là pour bâtir, et il faudra de- meures dans cette chapelle comme elle, est. — Ne vous étonnez pas, ajouta la Sainte Vierge: quand il faudra bâtir, on trouvera tout ce qui sera nécessaire; les deniers des pauvres le fourniront et il ne manquera rien. »

C'est à partir de cette révélation célèbre que commença le pèlerinage du Laus. Dès les premiers jours, on y vint en foule de tous les environs, et cet empressement fut récompensé par des grâces et des faveurs de toutes sortes.

Là des guérisons miraculeuses sans nombre se sont accomplies par l'intercession de la Très Sainte Vierge. Des aveugles y recouvraient la vue; des sourds, l'ouïe ; des paralytiques, des mourants, apportés là péniblement, s'en retournaient guéris, proclamant partout la puissance de Notre-Dame du Laus.

Mais ce qui n'est pas moins merveilleux, ce sont les innombrables conversions opérées sur cette sainte montagne depuis deux siècles. Que d'âmes

 

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meurtries , blessées à mort, ont retrouvé là l'énergie, le courage du repentir, et s'en sont retournées. avec cette paix et cette joie de la conscience qui surpasse tout sentiment et vaut mieux que tous les trésors de ce monde. Là chaque jour continue de s'accomplir la parole prophétique de Marie : « J'ai destiné ce lieu pour la conversion des pécheurs. » Oui, une force mystérieuse et invincible y touche les coeurs, les presse de demander pardon à Dieu et leur donne l'assurance de l'obtenir. Il suffit d'être témoin seulement une fois d'un de ces grands concours pour être frappé des sentiments religieux qui animent tous ces pèlerins venus de différents pays.

L'église de Notre-Dame du Laus, dont la première pierre avait été posée en 1666, fut achevée en quatre ans, conformément au plan et aux dimensions que la Sainte Vierge avait donnés à Soeur Benoîte. On a pris soin d'y enfermer le petit oratoire de Bon-Rencontre, qui en forme toujours le charmant et pieux sanctuaire. a Tout cet édifice, dit un des premiers historiens du Laus, fut commencé presque avec rien; les mains des pauvres en ont assemblé les matériaux; les aumônes en ont creusé les fondements; la Providence en a élevé les murs, et la confiance en Dieu l'a achevé. »

Si tous les sentiers de la montagne et de la vallée du Laus, si la pauvre demeure de la Bergère furent souvent le théâtre de ces célestes apparitions, ce fut surtout dans le béni sanctuaire qu'elles se multiplièrent à l'infini, selon la promesse qui lui avait été faite : « C'est là que vous me verrez souvent. » En effet, pendant sa longue vie, Benoîte ne cessa

 

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d'être en rapport continuel avec la Bonne Mère , dont elle recevait les communications les plus mystérieuses. Et ce n'était pas seulement la Très Sainte Vierge, mais saint Joseph et plusieurs autres saints, mais les bons Anges venaient pour l'avertir, la consoler et l'encourager; mais le Sauveur lui-même lui apparaissait.

Beaucoup de ces faits prodigieux ont été soigneusement recueillis et consignés dans les Mémoires du Laus, du vivant même de la Vénérable Benoîte, et tout y est marqué au coin de la vérité. Pas un mot déplacé, pas une parole qui choque dans ces colloques merveilleux; rien qui ne soit parfaitement mesuré toujours, et qui ne convienne à la dignité de la Mère d'un Dieu et à la simplicité naïve d'une humble fille de nos montagnes. C'est comme la rencontre du ciel et de la terre : on le sent, et l'on croit entendre s'entretenir et se répondre le monde invisible et le monde visible.

Sans doute, ceux qui nient Dieu et le monde des esprits, ceux qui n'admettent que la matière organisée et ne croient point à l'âme immortelle, doivent rejeter ces faits comme illusoires , comme impossibles.

Mais nous qui croyons à l'existence d'un Dieu personnel, infiniment parfait et créateur de toutes choses, nous qui croyons à ce monde invisible peuplé d'êtres intelligents, d'une nature supérieure, auxquels nous devons nous-mêmes être associés après notre épreuve terrestre, pourrions-nous rejeter comme impossible toute communication entre ces deux mondes? Quoi! Dieu ne saurait, s'il le

 

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veut, les approcher? Il ne peut permettre à ses anges, à ses élus maintenant dans la gloire, à Marie en particulier, de se manifester à l'homme vivant sur la terre, pour le consoler, pour lui apporter ses ordres ou ses bienfaits? Mais ce serait se mettre en contradiction flagrante avec le sentiment universel du genre humain, qui a cru toujours à ce commerce entre la terre et le ciel. Mais ce serait s'inscrire en faux contre toute l'histoire, qui mentionne une foule de faits surnaturels d'une telle authenticité que, pour les nier, il faut en venir au scepticisme historique le plus absolu. Car c'est l'histoire aussi bien que la saine philosophie qui renverse toutes les dénégations gratuites du rationalisme et de l'incrédulité.

Il est vrai, les apparitions surnaturelles du Laus paraissent ne reposer que sur un seul témoignage. Plusieurs fois cependant la réalité a pu en être constatée par divers témoins dignes de foi. Ainsi la dure maîtresse de la jeune Bergère, qui voulait la surprendre et s'était cachée sous le rocher, au vallon des Fours, entendit elle-même avec effroi la voix de la Sainte Vierge, et cette méchante femme se convertit à la révélation miraculeuse de sa vie coupable. Souvent aussi le lieu des apparitions et les vêtements de Benoîte furent embaumés de parfums extraordinaires et manifestement divins que les spectateurs respiraient eux-mêmes. Ces senteurs suaves, appelées les bonnes odeurs du Laus, se sont si fréquemment produites dans le célèbre vallon et surtout dans le pieux sanctuaire, elles ont été attestées par tant de personnes graves, qu'elles sont regardées comme des faits les plus notoires.

 

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Du reste, le seul témoignage de la Bergère est lui-même entouré de circonstances si extraordinaires, qu'il n'est pas possible d'en décliner la force invincible.

Remarquons d'abord qu'il ne s'agit pas ici d'une ou de quelques rares apparitions isolées, où il est facile de supposer la fraude ou l'illusion ; il s'agit d'une suite de manifestations surnaturelles qui se sont continuées, presque sans interruption, toute une longue vie durant. Benoîte avait dix-sept ans quand elles ont commencé, et elles n'ont cessé de se renouveler jusqu'à sa mort, c'est-à-dire pendant cinquante-trois ans !

Et dans ce long intervalle de temps, jamais l'humble Bergère n'a quitté le Laus; jamais elle n'a été séquestrée : elle est demeurée là toujours ! Des milliers de pèlerins l'ont vue, interrogée, entendue, et ont pu juger de son tempérament, de son caractère, de son état intellectuel et moral.

Il était aisé, certes, de prendre la nature sur le fait, en cette pauvre fille des Alpes qui n'avait reçu aucune éducation, aucune instruction, qui ne sut même jamais ni lire ni écrire. Elle raconte ingénument ce qu'elle a vu, ce qui lui a été dit dans ces étranges communications avec le monde invisible; mais ses récits, ses affirmations sont confirmées par d'éclatants prodiges, par des miracles sans nombre, qui sont opérés à ciel ouvert, devant des multitudes, et qu'il était facile, conséquemment, de contrôler et de constater. Si donc ces faits miraculeux sont certains, les révélations de Benoîte et sa mission céleste le sont également, et toutes les merveilles du Laus deviennent incontestables.

 

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Or, nous avons pour ces faits: — outre une tradition vivante, — le témoignage de quatre historiens contemporains — et l'autorité d'une triple enquête ecclésiastique.

Premièrement, la tradition que nous invoquons ici n'est point une tradition légendaire qu'on puisse supposer grossie et embellie par le temps. Soeur Benoîte est morte au Laus en 1718. Le pèlerinage voyait affluer déjà de toute part des multitudes et jouissait de toute sa célébrité, justifiée par toutes les merveilles qui s'y opéraient et dont la mémoire, toujours vivante au coeur des populations des Alpes, a traversé, pour nous arriver, un très petit nombre de générations. Il faut bien en convenir, cette unanime vénération pour Notre-Dame du Laus, toujours la même depuis un siècle et demi, sans que les plus mauvais jours de nos révolutions aient seulement pu l'altérer, nous fournit, en faveur des faits eux-mêmes, une preuve de tradition nomme il est rare d'en rencontrer.

Deuxièmement, quatre contemporains de Soeur Benoîte ont écrit sur le Laus. Le premier, M. Grimaud, avocat de Gap et juge de paix de la baronnie d'Avançon, ayant eu bruit des choses extraordinaires qui se passaient dans une localité de sa juridiction, crut qu'il était de son devoir de s'en occuper. Il s'y rendit donc plusieurs fois, interrogea avec soin la jeune Bergère et tâcha de découvrir la ruse ou l'illusion. Mais, bientôt convaincu de la vérité, il écrivit lui-même ce qu'il entendait et voyait, et « la froide enquête qu'il préparait se changea en une relation pieuse et charmante » des merveilles qui

 

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s'accomplirent les deux premières années, pendant lesquelles il constate plus de soixante guérisons miraculeuses!

Le second écrivain est M. Pierre Gaillard, originaire de Grenoble, docteur en théologie, aumônier du roi, archidiacre et chanoine de Gap et auteur de plusieurs ouvrages. Ce saint prêtre, d'un désintéressement absolu, s'était dévoué à Notre-Dame du Laus à laquelle il était redevable, disait-il, de trois grâces signalées. Frappé, là, de tant de prodiges dont il était le témoin, il voulut en transmettre le souvenir édifiant à la postérité. « Il se mit donc à observer, et il nota pendant quarante-trois ans. Son intention était de laisser une histoire, et il en donna le nom à son travail; mais par le fait ce n'est qu'un journal, seule forme possible de l'histoire lorsque les événements se continuent... Quant à l'exactitude du narrateur, elle ne peut être plus grande ; on sent à chaque page le scrupule du prêtre qui traite des choses saintes. Il n'écrit même rien sans le soumettre à l'examen de la Bergère, « qui ajoute ou diminue ce qu'elle sçait selon la vérité. »

Un autre saint prêtre, l'abbé Peythieu, consacra le temps que lui laissait son laborieux ministère à consigner, également dans un journal, quelques-uns des prodiges au milieu desquels il a vécu pendant vingt ans.

Le quatrième écrivain , « frère Aubin , ermite de Notre-Dame de l'Erable, habitait, comme les aigles, le sommet de la montagne qui domine le Laus. Il avait embrassé la vie contemplative à la voix de la Bergère, au village de laquelle il était né et dont on

 

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croit qu'il était parent. Chaque jour il descendait de sa montagne pour se réchauffer aux rayons de tant de grâces et se rendre utile à chacun selon son pouvoir. Il a aussi laissé un journal et, de plus, une copie de l'histoire de Pierre Gaillard. »

Ces divers écrits , qui composent ce que nous appelons les Mémoires du Laus, mentionnent d'innombrables prodiges de toutes sortes. Or, est-il possible de suspecter la bonne foi et la sincérité des auteurs ? Est-il possible d'ailleurs de supposer qu'ils aient été les dupes de l'illusion ou du mensonge sur des faits si faciles, pour la plupart, à vérifier?

Troisièmement, l'administration du diocèse d'Embrun dut s'occuper et s'occupa en effet sérieusement du nouveau pèlerinage; et, en vérité, nous sommes loin de nous plaindre de l'excès de rigueur que lui reprochent, dans cette affaire, plusieurs historiens du Laus. Toutes les fois qu'il est question de pareils faits, la critique doit être sévère, parce qu'elle ne doit jamais oublier que des miracles acceptés à la légère, par une crédulité imprudente, nuisent toujours beaucoup à la vérité et ne la servent jamais.

Eh bien ! à trois reprises différentes, les prodiges du Laus et soeur Benoîte elle-même furent l'objet d'un sérieux examen de la part de l'autorité diocésaine d'Embrun.

Vers la mi-septembre 1665 — le pèlerinage avait à peine un an d'existence — M. Antoine Lambert, official et vicaire général, administrateur du diocèse en l'absence de l'Archevêque, partit pour le Laus, accompagné du P. André Gérard , recteur du collège

 

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des jésuites d'Embrun et qui fut plus tard grand pénitencier à Rome, de Jean Bonafous, secrétaire de l'archevêché, et de plusieurs autres ecclésiastiques distingués. Tous, ils l'avouaient eux-mêmes, étaient fort prévenus contre la nouvelle dévotion, qu'ils voulaient proscrire, et, conséquemment, contre la Bergère. L'enquête fut longue et très rigoureuse, et il est aisé de concevoir combien de questions captieuses et difficiles furent adressées à cette pauvre fille, pour la surprendre et la mettre en contradiction avec elle-même.

Mais jamais ses juges ne purent la trouver en défaut, et ils furent forcés d'admirer sa sagesse autant que sa simplicité. Cependant ils ne se sentirent pas encore convaincus et résolurent de prendre du temps pour réfléchir avant de rien juger. Ils auraient voulu, disaient-ils, un miracle! Le miracle ne se fit pas beaucoup attendre.

Au moment où ils se disposaient à repartir pour Embrun, une pluie torrentielle, et évidemment aussi providentielle, les força de rester, et deux fois le même incident se renouvela le lendemain. Le jour suivant, l'Official disait la messe quand tout à coup un cri se fait entendre : « Miracle, Messieurs, miracle! Catherine est guérie! »

Catherine Vial, de Saint-Julien-en-Beauchêne, était depuis six ans privée de l'usage de ses jambes par une infirmité que les médecins regardaient comme incurable. Celui de Serres et M. Corréard, chirurgien de Veynes, tous deux calvinistes, avaient déclaré qu'ils se feraient catholiques s'ils la voyaient marcher sur ses pieds à son retour du Laus. Depuis

 

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huit jours la malade se faisait transporter dans la modeste chapelle, et son état avait plusieurs fois excité la pitié du vicaire général et de sa suite. Aussi fut-il ému jusqu'aux larmes au bruit de cette guérison , et il eut peine à terminer le saint sacrifice.

Catherine était là présente: la dernière nuit, à la tin de sa neuvaine , elle s'était sentie subitement guérie et était venue d'elle-même remercier Dieu et la très sainte Vierge de sa prodigieuse guérison.

M. Lambert dut constater juridiquement l'authenticité du miracle. Lui-même en dressa, de sa main, le procès-verbal, qu'il signa avec tous les ecclésiastiques qui l'accompagnaient, avec Catherine Vial et ses parents, quelques curés du voisinage et plusieurs autres témoins. Cet acte porte la date du 18 septembre 1665, et est conservé dans les archives du Laus.

On conçoit que, témoin de ces merveilles, l'Official d'Embrun soit devenu favorable au nouveau pèlerinage et à la pieuse Bergère. Il n'avait cessé de répéter dans son émotion : « Digitus Dei est hic, le doigt de Dieu est ici! » et le P. Gérard disait à son tour: « Il y a quelque chose d'extraordinaire dans cette chapelle ! »

Ce fut à quelques années de là que l'archevêque Georges d'Aubusson, alors ambassadeur à Madrid, ayant été atteint d'une grave maladie, en attribua la guérison à Notre-Dame du Laus; et l'illustre prélat, pour témoigner sa reconnaissance, fit construire à ses frais le grand portail de l'Eglise, où sont encore gravées ses armes.

Néanmoins, tous les adversaires n'étaient pas

 

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pour cela réconciliés. Ils étaient nombreux, surtout dans le clergé d'Embrun , qui ne voyait pas sans peine déchoir le célèbre et royal pèlerinage de sa métropole au profit d'un pauvre village ignoré.

M. Javelli, qui avait succédé en 1669 à M. Lambert, leur disait en vain, pour les calmer: « Si l'affaire du Laus est de Dieu, nous ne saurions l'empêcher de réussir; si elle vient des hommes, elle tombera d'elle-même. » Le digne vicaire général se vit forcé d'ordonner une nouvelle enquête, et, afin d'éviter l'éclat, il manda la célèbre Bergère.

Benoîte, accompagnée de sa mère, se rendit donc à Embrun, où elle fut retenue quinze jours. Pendant tout ce temps ce furent de nouveaux interrogatoires multipliés. L'Official se faisait aider par plusieurs Pères Jésuites du Collège. Toutes les réponses de la pauvre fille étaient écrites chaque fois, afin qu'on pût les comparer et s'assurer si elles s'accordaient. D'une séance à l'autre, Benoîte était tenue au secret et surveillée avec un soin extrême. Tant de rigueur toutefois ne servit qu'à faire éclater davantage la sincérité de son récit et de ses affirmations; mais l'admiration de ses juges fut au comble quand ils eurent constaté que , pendant ces quinze jours , l'humble paysanne n'avait pris aucune nourriture, sans que sa santé en parût altérée. Ce fut un nouveau prodige ajouté à tant d'autres; et Benoîte heureuse reprit à pied le chemin de sa chère montagne.

Nous pouvons citer comme troisième enquête la visite de l'archevêque Charles de Genlis, qui succéda en 1672 à Georges d'Aubusson sur le siège d'Embrun.

 

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Dès avant son élévation à l'épiscopat, il avait entendu beaucoup parler du pèlerinage et de ses prodiges, mais il était loin d'y avoir confiance. Cependant, trois jours seulement après son arrivée à Embrun, il partit pour le Laus. Il y fut reçu, en l'absence de M. Gaillard, par MM. Peythieu et Hermitte, à qui il montra une grande bienveillance, mais sans leur dissimuler ses défiances, car il leur déclara « qu'il ne croyait rien de la dévotion du Laus. » Les deux prêtres se contentèrent de répondre avec respect que, lorsqu'il aurait tout vu et entendu, il porterait peut-être un autre jugement, et ils le conduisirent à l'Eglise.

Le digne prélat, entré avec sa suite, n'eut pas plus tôt prié quelques instants qu'il se sentit étrangement ému, et dit en se relevant: « Dieu réside véritablement en ce lieu ! » Cet irrésistible impression s'accrut encore par un accident terrible qui aurait dû causer la mort d'un de ses domestiques qui l'accompagnait. Il ne put s'empêcher d'y reconnaître une protection visible de la Vierge du Laus.

Mgr de Genlis interrogea Benoîte dans les plus minutieux détails, pendant près de quatre heures, et lui-même écrivit de sa main toutes les réponses, dont il fut si frappé qu'il déclara n'avoir jamais rencontré plus de simplicité ni plus de vertu solide. Aussi conçut-il dès lors pour elle une profonde vénération, qu'il ne manquait jamais de manifester quand on lui parlait du Laus et de la Bergère.

Il vint plusieurs fois dans cette solitude qui lui était devenue chère, et, témoin de tant de conversions éclatantes qui s'y opéraient chaque jour, il ne douta plus que Marie n'eût choisi ce pauvre vallon

 

XLII

 

 

pour en faire le trône de sa miséricorde et y répandre ses faveurs et ses bénédictions les plus abondantes. Il voulut même établir là un séminaire, et il s'exprime ainsi dans l'ordonnance d'institution: « Nous n'avons point trouvé de lieu plus propre que la chapelle de Notre-Dame de Bon-Rencontre, qui est au lieu du Laus, dans lequel il y a une grande dévotion, où Dieu a opéré et opère souvent des miracles par l'intercession de la Sainte Vierge. »

Les successeurs de Mgr de Genlis à Embrun, jusqu'à la Révolution française, se montrèrent tous zélés protecteurs du Laus. Il en fut de même des évêques qui occupèrent alors le siége de Gap, dont le pèlerinage était si rapproché. Ainsi , NN. SS. Pierre Marion, Charles Hervé, Berger de Malissoles, de Caritat de Condorcet furent particulièrement dévoués à soeur Benoîte et à son oeuvre. Et depuis la suppression de l'illustre siége d'Embrun et la réunion des deux anciens diocèses, quel n'a pas été l'amour, le dévouement et la sollicitude de nos vénérés prédécesseurs pour le célèbre sanctuaire! L'un d'eux a voulu y avoir son tombeau: c'est là, vous le savez, que repose la cendre de Mgr Dépéry, non loin de l'humble Bergère, dans ce lieu béni qu'il avait tant affectionné. Vous n'avez pas non plus oublié l'immense concours du 23 mai 1855, où le digne prélat, entouré de six autres vénérables archevêques et évêques , en présence de quarante mille pèlerins, couronna, au nom du Pape, la Vierge du Laus. Chaque année, dans tout le diocèse , nous célébrons avec bonheur l'anniversaire du solennel couronnement.

Tels sont les titres historiques des Merveilles du

 

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Laus: — trois enquêtes ecclésiastiques faites dans des conditions de sévérité tout exceptionnelle; — le grave témoignage de quatre historiens contemporains des faits qu'ils ont vus eux-mêmes et qu'ils racontent; et enfin — une tradition toujours vivante, d'une source relativement récente, et qui n'a pas eu le temps de s'altérer.

Eh bien! nous le demandons à tout homme de sens, est-il possible de contester la valeur de ces titres ? Est-il beaucoup d'histoires qui en offrent d'aussi authentiques ?

Il est très vrai, l'histoire du Laus est un enchaînement de prodiges étonnants, renouvelés presque chaque jour. Nous en avons à peine indiqué quelques-uns: nous ne pouvons évidemment entrer ici dans aucun détail. Mais qu'on parcoure les Manuscrits du Laus, qui sont loin cependant de tout contenir; qu'on lise seulement les histoires abrégées qui en ont été faites et publiées, et l'on est tenté de se demander: pourquoi sur cette pauvre montagne une telle profusion de miracles ? dans quel but providentiel ?...

Nous répondrons : Venez voir la montagne et son vénéré sanctuaire! Depuis deux siècles, depuis 1665, cent mille pèlerins, en moyenne, sont venus là chaque année et continuent de venir adorer et prier; il demandent, pour leurs corps et plus souvent pour leurs âmes blessés, la guérison ! Et leur confiance n'est pas trompée; et ils s'en retournent bénissant Dieu et la Vierge Marie, et remportent dans leur coeur la paix, la joie, toutes les consolations de l'espérance, une force, une énergie qu'ils ne

 

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connaissaient pas, pour soutenir plus dignement les épreuves et les luttes de la vie! N'est-ce rien que cela ?

Ah! si vous comprenez qu'il y a pour l'homme autre chose que les intérêts terrestres, qu'il est fait pour une destinée éternelle, que la vraie fortune, que l'intérêt capital pour lui est la sainteté de son âme..., vous comprendrez pourquoi Dieu a semé de miracles une montagne solitaire et déserte, pour en faire un sanctuaire de sanctification et de vie surnaturelle! Oui, vous ne trouverez pas qu'il y ait eu au Laus trop de guérisons, trop d'apparitions extraordinaires , trop de parfums célestes répandus sur tous Ies sentiers de la sainte montagne,... qu'il y ait eu trop de prodiges !

Or ces prodiges sont authentiques, peuvent subir victorieusement la critique historique la plus rigoureuse; ils sont appuyés sur des témoignages irréfragables, ils sont certains : cela nous suffit!

 

II. — Mais, de tous ces miracles et prodiges du Laus, il en est un palpable, qui a duré cinquante-trois ans ! C'est la Vénérable Saur Benoîte elle-même qui a été le plus grand et le plus authentique de ces miracles.

Depuis les premières visions de la vallée de Saint-Etienne, nous l'avons vue mêlée, identifiée à toutes les merveilles du célèbre pèlerinage, et il serait impossible de l'en séparer. Elle a été l'unique instrument que Dieu et la Vierge ont choisi et dont ils se sont servi pour accomplir l'oeuvre providentielle. Car, si tant de guérisons de toutes sortes, tant de faits prodigieux, surhumains, sont dus à la puissance

 

XLV

 

de Marie, n'est-il pas évident que Marie, dans ces divines opérations, s'associe presque toujours la pauvre gardeuse de brebis?

Elle l'a faite sa confidente de chaque jour, lui révélant tous ses projets de bonté et de miséricorde, la chargeant de ses ordres et de ses volontés. Elle se plaisait à s'entretenir avec elle, comme une mère avec son enfant ! Et n'est-ce pas dans ces communications ineffables que l'humble fille des montagnes, sans culture intellectuelle, sans aucune instruction, puisa cette prudence supérieure, cette sagesse parfaite qui étonna si souvent les plus habiles, lorsqu'ils lui parlaient et l'interrogeaient?

C'est dans ces rapports journaliers avec Marie, avec les Anges et le monde invisible, que Benoîte, sans rien perdre de sa simplicité native, recevait ces révélations prophétiques qui excitèrent tant de fois l'admiration de ses contemporains. Quand on la consultait sur quelque affaire importante, elle ne voulait pas répondre avant d'avoir elle-même consulté la divine Marie. Lorsqu'un jour on lui parlait d'un malade bien connu à qui un habile médecin promettait la guérison: « Comment, reprend-elle, » peut-il se faire qu'il guérisse de sa maladie, puisque ma bonne Mère m'a dit qu'il en mourrait? » Et dans cette occasion comme dans mille autres l'événement donna raison à Benoîte et à la Bonne Mère.

D'autres fois ce sont les Anges qui l'instruisent. Lorsque les armées du duc de Savoie envahissaient le Dauphiné, elle est avertie par son bon Ange, qui la presse de mettre en sûreté le mobilier de l'Eglise

 

XLVI

 

et de se retirer à Marseille avec les prêtres qui desservent le pèlerinage. Le même Ange, à Marseille, l'informera des dégâts de son cher sanctuaire et lui dira quand il sera temps de revenir.

Avec le don de révélation, Benoîte avait reçu encore celui de lire au fond des cours. Tout le monde le savait, et les Mémoires du Laus mentionnent une foule de faits de ce genre, qu'on ne saurait révoquer en doute tant ils étaient notoires.

Elle dévoilait à chacun ses pensées les plus secrètes, les projets qui n'étaient connus que de celui qui les avait formés, comme il arriva au vicaire général de Marseille, M. de Coulongue, qui fut plus tard évêque d'Apt. La même chose se renouvela fréquemment, pendant le mois qu'elle passa dans la grande cité, soit à l'égard des religieuses, dans les nombreuses communautés où elle était reçue, soit à l'égard des personnes du monde qui venaient la visiter. Aussi y laissa-t-elle une réputation de sainteté que les Marseillais n'ont pas plus oublié que le nom de la Bergère.

Elle distinguait, à la première vue de quelqu'un, s'il était juste ou coupable. Que de fois elle a découvert aux pécheurs étonnés les turpitudes de leur vie pour les ramener au bien! Elle leur détaillait leurs. péchés et les encourageait à en faire le sincère aveu au prêtre pour en obtenir le pardon. Souvent même elle éloignait de la table sainte des âmes mal préparées, et les exhortait à purifier leur conscience avant d'approcher de la divine communion.

Cependant, malgré toutes ces faveurs, ou plutôt à cause de ces faveurs célestes, auxquelles il fallait

 

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bien un contre-poids, Dieu ménagea à la Vénérable Bergère du Laus de rudes épreuves. Nous avons pu voir à quelles contradictions elle fut en butte, aussi bien que son cher sanctuaire. Elle supporta tout avec une patience sans égale: elle savait que l'oeuvre de Dieu ne s'opère jamais sans être contrariée par la malice des hommes et par les ruses de Satan.

Le Seigneur le veut ainsi, pour purifier les instruments dont il se sert et parfaire la sanctification de ses élus. Il permit donc non seulement aux hommes, niais aux démons, d'éprouver, de tourmenter son élue des Alpes, comme il l'avait permis pour Job et pour beaucoup d'autres saints personnages. Pendant de longues années Benoîte subit ces humiliantes et cruelles obsessions, où sa vie fut même souvent en danger si son bon ange n'était venu à propos pour la défendre et la délivrer. Ce genre d'épreuve est très authentiquement consigné dans son histoire.

La vie de la Bergère du Laus a été une vie de souffrances et de mortifications de tout genre. Plusieurs fois , dans ses surnaturelles visions, il lui fut donné de contempler le crucifiement sanglant de Jésus-Christ, et ce spectacle terrible laissa dans son âme d'ineffaçables impressions et produisit dans sa chair les stigmates hebdomadaires, dont les douleurs se renouvelèrent pendant quinze années jusqu'à ce que, son humilité étant inquiète de ces souffrances apparentes, elle pria Dieu de les remplacer par d'autres qu'elle pût tenir cachées au regard des hommes.

A tant de douleurs soeur Benoîte ajoutait encore toutes les privations et mortifications que lui inspirait son esprit de patience.

 

XLVIII

 

On peut visiter et voir l'humble et petit réduit, la chambre de Benoîte, comme on l'appelle, à quelques pas de l'église. C'est là qu'elle se livrait continuellement à des jeûnes rigoureux, n'usant que de chétifs aliments et souvent que d'un peu de pain grossier et de l'eau du torrent. C'est là, sur la terre dure, qu'elle prenait ordinairement quelques instants de sommeil et passait le reste de la nuit en prière. C'est là qu'elle châtiait rudement son corps et le réduisait en servitude avec les cilices, les verges et tous les instruments de pénitence qui rappellent la vie des anciens anachorètes de la Thébaïde.

Que dirons-nous de ses autres vertus, dont le souvenir se garde précieusement, dans nos montagnes, depuis un siècle et demi ?

L'humilité de Benoîte, avec sa simplicité naïve, lui laissait à peine soupçonner les grandes choses que Dieu opérait en elle et par elle. Son angélique pureté brilla dès sa plus tendre enfance et réjouissait son vertueux père; et, pendant toute sa longue vie, jamais sa vertu virginale n'a subi la moindre ombre; comme celle du Sauveur, elle fut toujours à l'abri du plus léger soupçon.

Quelle foi ferme et solide soutenait l'humble et pure Bergère et l'encourageait en toutes choses! Quelle confiance en Dieu, au milieu des épreuves et des contradictions qu'il lui fallut traverser !

Et la charité de Benoîte! Elle fut comme le foyer de sa vie intime, le ressort des généreux élans de son coeur vers Dieu , qui était tout pour elle et dont elle ne cherchait qu'à procurer la gloire.

C'est dans cette charité, dans cet amour pour Dieu, qu'elle puisait son amour ardent pour les

 

XLIX

 

hommes , pour les pécheurs surtout, dont le malheur la touchait si douloureusement. Aussi, avec quel zèle elle travaillait à leur conversion! Elle les avertissait, les encourageait ; elle ne cessait de prier pour eux, et c'était surtout pour eux qu'elle se dévouait et qu'elle s'imposait ses sanglantes mortifications!

 

Il était impossible que la mémoire d'une pareille sainteté, toujours vivante dans nos Alpes, n'y fût pas entourée d'une profonde et universelle vénération. En effet, le sanctuaire de Notre-Dame du Laus et la pieuse Bergère sont tout un, toute une même chose dans la pensée des nombreux pèlerins qui accourent à la célèbre montagne; et quelle confiance dans leur coeur, quand ils approchent de l'humble tombeau de Benoîte, là, à quatre pas de l'autel où la divine Vierge lui apparut si souvent! Que s'il est nécessaire que l'Eglise se prononce pour qu'ils puissent rendre un culte public à la pauvre Bergère, peuvent-ils s'empêcher de lui adresser tout bas une prière, pour lui demander de les présenter elle-même à Marie, la Bonne Mère, comme elle le faisait autrefois à leurs pieux ancêtres ?

Aussi ce fut bien à la grande et unanime satisfaction de tout le pays que notre vénéré prédécesseur, Mgr Bernadou, entreprit les premières démarches, à Rome, il y a sept ans, pour provoquer le procès de canonisation de la Bergère du Laus. Nous savons toute la peine que s'y est donnée le digne prélat, le zèle éclairé qu'il y a mis, et nous ne pouvons trop lui en exprimer notre gratitude.

 

L

 

Cette grave affaire a été soumise, comme il arrive toujours en pareil cas, à un long et très sérieux examen de la part des Congrégations romaines. Et avec quelle joie nous avons appris que le 7 septembre dernier, l'auguste Pie IX a déclaré sortir Benoîte Vénérable et a signé l'introduction de la Cause ; c'est-à-dire que, frappé de tant de vertus héroïques, le Souverain Pontife a ordonné la poursuite de l'enquête pour la canonisation.

Nous devons, N. T. C. F., remercier Dieu de ce premier succès si cher à nos coeurs, et lui demander la conclusion finale que nous désirons tous et que nous attendons avec un plein espoir.

Dans ce but, nous nous proposons de célébrer cette année, avec une solennité particulière, l'anniversaire du couronnement de Notre-Dame du Laus. Il n'est pas besoin de vous exhorter à vous y rendre, ce jour-là, en plus grand nombre possible : Nous savons quelle est votre dévotion pour le pieux sanctuaire.

Venez-y souvent, N. T. C. F., venez-y dans vos détresses et dans vos prospérités. Il y a là, toujours, la vertu céleste qui guérit les corps et surtout les âmes infirmes.

Venez avec cette foi qui sait igue rien n'est impossible à Dieu et à sa divine Mère. Rappelez-vous tant de guérisons merveilleuses opérées devant cet autel de Marie et tout près du tombeau vénéré de Benoîte. Priez Marie avec votre confiance filiale et sans bornes; vous pouvez aussi invoquer, en particulier, la Bergère. Sans doute, jamais encore et nulle part il ne lui a été rendu de culte solennel et public, et

 

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jusqu'à ce que la sainte Eglise se soit prononcée par son Chef suprême tout culte public nous est expressément défendu. Mais il n'a jamais été défendu d'aller, avec respect et confiance, au tombeau des morts vénérables, et il nous est toujours permis,, en notre particulier et dans nos oraisons privées, de nous adresser et de nous recommander aux âmes qui se sont illustrées par leurs vertus et que nous croyons être maintenant en possession de la gloire. Oui, vous pouvez venir, apporter là vos blessures et vos infirmités, et, avec plus d'espérance, implorer de Dieu vos guérisons !

Allons-y surtout, N. T. C. F., dans l'intérêt de nos âmes. Nous en sommes certains, nous y trouverons la force qui soutient, la force qui relève !

Venez au Laus, en ces jours de fêtes et de grands concours, et spécialement en ces jours de retraites qui sont données, plusieurs fois l'an, par nos chers Missionnaires, gardiens du Sanctuaire, dont le zèle vous est si bien connu. Dans ces religieux exercices, loin du bruit du monde et de vos affaires terrestres, vous vous occuperez salutairement de votre affaire capitale; trop souvent oubliée et négligée peut-être !

Ames saintes et parfaites, là votre vertu s'affermira encore et se perfectionnera.

Ames tièdes et défaillantes, vous y retrouverez la chaleur de la vie et la force et le courage, pour accomplir plus généreusement tous les devoirs qui vous sont imposés.

Et vous, plus tristes et plus malheureuses, âmes qui gémissez, comme Augustin, depuis longtemps peut-être, sous le poids de honteuses chaînes que

 

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vous ne pouvez rompre , venez chercher la délivrance ! Nous pouvons avec assurance vous la promettre.

C'est un fait d'expérience deux fois séculaire, il y a dans l'atmosphère de la sainte montagne, il y a dans l'air du sanctuaire une force, une vertu invisible qui pénètre les âmes, qui les soulève vers Dieu, qui, en un mot, les convertit : « J'ai destiné ce lieu pour la conversion des pécheurs, » disait la Sainte Vierge à Benoîte, et cette parole prophétique doit s'accomplir toujours.

Oui, nous ne craignons point d'en appeler à votre témoignage sincère, visiteurs si nombreux de Notre-Dame du Laus, vous vous êtes plu tant de fois à le redire : jamais vous n'êtes venus là, et vous n'y viendrez jamais, sans vous en retourner meilleurs, plus forts et consolés!

 

A CES CAUSES,

 

Nous avons arrêté ce qui suit :

 

ART. 1er. — Est et demeure publié dans notre Diocèse le Décret d'introduction de la Cause de la Vénérable servante de Dieu, BENOITE RENCUREL, en date du 7 septembre 1871.

Donné à Gap, le 25 janvier 1872.

 

+ AIMÉ-VICTOR-FRANÇOIS,

 

Évêque de Gap.

 

 

DÉCRET

 

 

Le 18 décembre 1869 et le 16 avril 1870, Notre Très Saint Père le Pape PIE IX daignait permettre que, dans les sessions ordinaires de la Sacrée Congrégation des Rites, le doute touchant la signature de la Commission de l'introduction de la Cause de la Servante de Dieu , Soeur BENOÎTE RENCUREL , du Tiers-Ordre de Saint-Dominique, fût discuté, sans l'intervention et l'avis des Consulteurs, et quoiqu'il ne se soit pas écoulé dix ans depuis le jour de la présentation du Procès ordinaire et de son dépôt dans les Actes de la Sacrée Congrégation. et bien que les écrits de la Servante de Dieu n'aient été encore ni recherchés ni examinés. Par conséquent, sur les instances du Très Révér. Père Frère Alexandre-Vincent Jandel, Ministre général de l'ordre des Prêcheurs et Postulateur de cette Cause, eu égard aussi aux lettres postulatoires de plusieurs hommes, illustres surtout par leurs dignités ecclésiastiques, en l'absence de Mgr l'Eminentissime et Révérendissime cardinal Lucien Bonaparte, Rapporteur de la môme Cause, Mgr l'Eminentissime et Révérendissime cardinal Hannibal Capalti a proposé aux Pères de la Sacrée Congrégation des Rites, réunis aujourd'hui en séance ordinaire au Vatican, la discussion du doute suivant, savoir: Y a-t-il lieu de

 

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signer la Commission de l'Introduction de la Cause dans le cas et pour l'effet dont s'agit.

Et, toutes choses sérieusement examinées et mûrement pesées , après avoir entendu le Révérend Père Dom. Pierre Minetti, Promoteur de la sainte Foi, dans ses observations données de vive voix et par écrit . la Sacrée Congrégation a décidé qu'il fallait répondre affirmativement, c'est-à-dire, qu'il y a lieu de signer la Commission, si tel est le bon plaisir du Très Saint Père. Rome, le 2 septembre 1871.

Ensuite, sur le rapport fidèle et exact de tout ce qui précède fait à N. T. S. Père le Pape PIE IX par le Secrétaire soussigné , Sa Sainteté a ratifié et confirmé la décision de la Sacrée Congrégation, et a signé de sa propre main la Commission de l'Introduction de la Cause de la Vénérable servante de Dieu, BENOITE RENCUREL, le 7 du même mois et de la même année.

 

C., Evêq. d'Ostie et de Vellétri, Card. PATRIZI,

Préfet de la S. C. des Rites;

D. BARTOLINI, Secrétaire de la S. C. des Rites.