CINQUIÈME PARTIE

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CINQUIÈME PARTIE

CINQUIÈME PARTIE

 

De la mort de soeur Benoîte à nos jours (1718-1878)

CINQUIÈME PARTIE

CHAPITRE Ier Forme définitive du pèlerinage

CHAPITRE II Les Gardistes et le Laus pendant la Révolution.

CHAPITRE IV Etablissement au Laus des Oblats de Marie

CHAPITRE V Établissement des Missionnaires de Notre-Dame du Laus

CHAPITRE VI Faits divers

CHAPITRE VII Couronnement de la Vierge au Laus (1)

CONCLUSION : Procès de Canonisation de Soeur Benoîte. Erection du Sanctuaire en Basilique mineure. Dernier vœu.

PIÈCES JUSTIFICATIVES

Procès verbal de la première visite canonique faite au Laus par M. Lambert, vicaire général du diocèse d'Embrun (page 99)

Marché passés pour la construction de la Chapelle (page 116)

Mandement de Mgr de Genlis, archevêque d’Ambrun, instituant au Laus un Séminaire archiépiscopal (page 398)

Acte notarié par lequel Mgr de Genlis confie le Laus aux Missionnaires de Sainte-Garde (page 400)

Adresse des citoyens de Saint-Étienne aux administrateurs da département pour conserver l'église du Laus et Avis du Directoire du district d'Embrun (page 440).

Bail de la maison du Laus aux RR. PP. Oblats. (page 446)

Ordonnance de Mgr Miollis confiant le Laus aux PP. Oblats (page 447)

Circulaire de Mgr Rossat relativo à la restauration de la Maison du Laus (page 458)

Procès-verbal de la visite du tombeau de soeur Benoîte par Mgr Depery (page 420)

Lettre pastorale de Mgr Depéry instituant la fête anniversaire du Couronnement de Notre-Dame du Laus (page 486)

Monographie de la Chapelle du Précieux–Sang consacrée par Mgr Bernadou le 16 septembre 1862 (page 214)

Bulle érigeant le Sanctuaire de Notre-Dame du Laus en Basilique mineure (page 491).

Décret approuvant le premier procès de Béatification de la Vénérable soeur Benoîte (page 492)

 

CHAPITRE Ier Forme définitive du pèlerinage

 

« Les destinées de Benoîte n'étaient point rompues par la mort : elle alla au Ciel continuer sa mission devenue glorieuse. Au Ciel, elle ne pleure plus, mais elle prie encore ; elle ne peut souffrir dans la béatitude, mais elle peut toujours aimer; le temps de ses martyres est fini, mais son sang prie et priera perpétuellement.

« La communion des saints unit intimement la bienheureuse Bergère au Laus, où elle a passé sa vie pleine de mérites , et où reposent ses os. Sa tombe marque sur la terre le lieu où doit descendre avec le plus d'abondance la vertu de ses suffrages (1).»

Quoique abîmés en Dieu, les saints ne se désintéressent pas de la terre : ils y vivent par le souvenir et par l'amour, et Dieu souvent leur permet d'y laisser

 

(1) Pron, Histoire des Merveilles de N.-D. du Laus.

 

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leur esprit, qui devient pour les survivants une consolation et un guide. Benoîte a laissé le sien au Laus. Après un siècle et demi, on sait qu'elle est encore là, qu'elle anime tout du souffle de sa vie et du parfum de ses vertus. Ses cendres attirent les pécheurs. Là, sur cette pierre froide, on sent le repentir naître dans l'âme et la confiance revenir au coeur. De douces larmes s'échappent des yeux, les lèvres murmurent des prières depuis longtemps oubliées, et bientôt un aveu, devant lequel on avait reculé jusque-là, soulage la conscience oppressée et rend à l'âme la paix et le bonheur.

Oui, Benoîte vit au Laus, et il semble qu'une partie de son bonheur doit être de revoir en esprit ce vallon si riche pour elle en souvenirs de tout genre, et cette chapelle où Marie la charmait, et ce désert où le démon la transportait, et ces lieux où elle a tant prié, et cette cellule témoin de ses souffrances, et ces sentiers, enfin, où elle a si souvent passé et où cheminent encore, en parlant d'elle, d'innombrables pèlerins.

« Benoîte n'est point morte pour le Laus; elle lui appartient dans sa vie glorifiée comme auparavant, plus peut-être; personne désormais ne pourra la lui enlever. Les destinées du Pèlerinage sont, sans doute, dans les vues de Dieu, attachées à son tombeau, et la mesure comblée de ses mérites ne se videra jamais. Seulement, Benoîte se cache maintenant derrière la Sainte Vierge, comme la Sainte Vierge s'était d'abord cachée derrière Benoîte.

« Ses os, qui, selon la promesse, font des miracles, les font silencieusement, afin que l'honneur en retourne tout à l'autel qu'on ne peut s'empêcher de voir devant soi, alors même qu'on ne voudrait se prosterner que sur la tombe. Aussi nous semble-t-il que cette tombe modeste est allée harmonieusement se placer là où on la voit pour y rester jusqu'au jour où il plairait à l'Eglise de la relever. Si la tombe

 

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est modeste, elle ne l'est pas plus, après tout, que l'autel dont elle forme le marchepied. Disons plutôt que la bonne Mère et la bienheureuse fille luttent encore d'humilité par amour pour cette vertu; et qu'elles se cachent également pour répandre avec plus de facilité leurs bénédictions sur nous. Quoi qu'il en soit, ce petit Sanctuaire, ni riche, ni pauvre, où Benoîte a sa tombe, où la Sainte Vierge est si souvent venue, où le Fils de Marie réside également, humble, doux, caché, ce Sanctuaire, disons-nous, ne laisse rien à désirer. Nulle part il ne fait meilleur prier. Hormis le Ciel, il n'est aucun lieu où l'on se trouve aussi bien.

« Cependant, après la mort de Benoîte, bien des prodiges ont cessé: on n'a plus entendu dire que la Sainte Vierge se soit montrée, qu'elle ait parlé; et personne n'a rencontré ces Anges charmants qui étaient si familiers avec la servante de Marie. Partant, il en était fait de ces avertissements émanés du Ciel et qui impressionnaient si vivement ceux à qui ils étaient adressés. Le Laus, privé de sa Bergère, n'avait plus d'oracle ; les consciences pouvaient donc s'y promener sans redouter le regard qui les pénétrait. Enfin, plusieurs merveilles s'étaient évanouies en même temps que Benoîte, qui était elle-même un miracle multiple et vivant. Après cela, qu'est-ce qui peut désormais attirer la foule au Laus? Il semble que les pèlerins doivent se refroidir et se lasser. Il n'en est rien pourtant. Les concours , loin de diminuer, sont plus nombreux qu'auparavant. Nous l'avons dit et nous le répétons, car c'est un grand fait: grand par le temps, il dure encore; grand par lui-même, il prouve, jusqu'à la démonstration, trois choses majeures : 1° que les merveilles du Laus sont vraies; le peuple qui continue de s'assembler sur le lieu où elles ont cessé de se faire voir, les a bien vues, les croit fermement et doit être cru à son tour; 2° que les mêmes grâces, peut-être

 

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de plus grandes, découlent toujours de ce Sanctuaire enchanté, guérisons miraculeuses, conversions éclatantes. Puisque les premières merveilles ont disparu, il faut bien que celles-ci restent pour expliquer l'empressement des peuples; 3° que la Sainte Vierge connaissait à fond nos misères et nos besoins, lorsqu'elle a fait du Laus le refuge des pécheurs, puisque des foules immenses répondent, perpétuellement à son appel (1). »

La Sainte Vierge avait fait assurer à Benoîte par l'un de ses Auges lu? le Pèlerinage serait plus florissant après sa mort que de son rivant: cette promesse ne pouvait rester inaccomplie. C'est pourquoi la Mère de Dieu avait attiré au Laus les pieux et zélés Missionnaires de Sainte-Garde. Avec de tels apôtres, l'élan des peuples reprit une nouvelle vigueur; les chemins du Laus se couvrirent de pèlerins comme aux meilleurs jours, et la dévotion refleurit de la façon la plus merveilleuse.

« A partir de ce jour, le ministère ecclésiastique avait au Laus sa forme définitive: quatre ou cinq Missionnaires étaient toujours prêts à recevoir les pèlerins dans la belle saison, et à se rendre, l'hiver, partout où ils seraient appelés , dans les pauvres paroisses surtout. Nous nommons cette forme définitive; elle était, sans doute, dans les desseins de Marie , puisqu'elle s'est maintenue jusqu'à nos jours, malgré les révolutions. Des noms ont pu changer, les fonctions et le but ont toujours été et sont encore les mêmes.

« Certes, ce n'est pas sans quelque admiration que nous voyons une institution si faible, si petite, se relever après la tempête qui a renversé pour jamais tant de grandes choses. Ne demandons pas le secret de cette vitalité extraordinaire à l'institution elle-même; les hommes n'y sont pour rien…;

 

(1) Histoire des Merveilles de N.-D. de Laus.

 

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Marie est là. Elle y est en souveraine, et personne n'ignore qu'elle seule a le droit de commander. Il est évident qu'après avoir rempli l'heureux vallon de prodiges pendant un demi-siècle pour y attirer les pécheurs, elle voulait que les pécheurs continuassent à y venir; et elle s'obligeait par là même à y rester, pour les attendre et les recevoir. Ce demi-siècle de prodiges n'a même été que le prélude des grandes choses qui devaient suivre; et les Merveilles du Laus ne semblent être que des voies destinées à faire connaître au loin le nom du Laus et les chemins qui y conduisent. Nous sommes si près encore de ces heureux temps, que nous ne pourrions rien répondre à celui qui demanderait si, avec les années, la douceur de Marie ne se serait point lassée, si elle n'aurait pas déserté le refuge ouvert un jour par elle aux pécheurs. Il vaudrait autant demander si les miséricordes de l'auguste Vierge sont taries ou si les hommes ont cessé d'offenser Dieu. Quoi ! tant de préparatifs, tant de zèle, tant d'amour, pour si peu! Si la main pleine de grâces s'ouvre encore, après huit ou dix siècles de persévérance , sur les chrétiens fervents que rassemblent l'une ou l'autre des antiques images miraculeuses de Notre-Dame, que de bénédictions sont promises à ces foules appelées par Marie sur la terre sacrée où elle est descendue en personne, dans nos temps modernes ! Quelle sève et quelle force doit posséder encore ce grand pèlerinage, établi sur tant de prodiges, fortifié par tant d'épreuves ? Loin de tomber, à la mort de la Bergère qui, certes, contribua à la fonder et à la soutenir, il commence, au contraire, depuis ce moment, à vivre de sa vie propre. à étendre toutes ses racines, tous ses rameaux, et à donner tous ses fruits : il prend un essor tel qu'il paraît défier les

siècles. Après Benoîte , la Sainte Vierge reste… ; nous le répétons: Marie est là… D'innombrables prodiges prouvent sa présence. Et les beaux jours

 

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du pèlerinage qui suivirent précisément la mort de la Bergère ne permettent pas de penser que, pour continuer sa douce mission , la Sainte Vierge ait besoin de l'aide d'un bras humain. Il s'établit désormais, entre elle et le peuple, en l'absence de l'intermédiaire accoutumée, des relations intimes et directes, auxquelles on s'habitue et qu'on aime. Plus les fidèles y mettent de l'abandon, plus Marie laisse pénétrer l'abîme de ses tendresses. Lin charme inouï, même au Laus, s'empare de toutes les âmes; les conversions subites, éclatantes, deviennent plus fréquentes que jamais. Toutes les anciennes passions soulevées contre l'oratoire du désert s'apaisent; le démon est enchaîné. Au milieu de ce calme, les hommes, venant interroger le coeur de l'aimable Souveraine, sont tellement ravis qu'ils ne savent plus, à l'exemple de Benoîte, l'invoquer que sous le nom de bonne Mère. Ainsi est devenue populaire, dans la vallée, ce titre imaginé d'abord par la naïve élève de la Sainte Vierge. Il y est aujourd'hui si bien enraciné dans les moeurs et le langage, que personne n'en soupçonne l'étrangeté pas plus que l'origine (1). »

L'oeuvre sainte, ainsi constituée, a poursuivi sans relâche, et avec de consolants succès, sa noble et sainte mission. Les pieux et zélés missionnaires de Sainte-Garde remplissaient sans bruit leur pénible mais fructueux ministère, car la Sainte Vierge bénissait leurs travaux, leurs fatigues et leurs veilles. Ils étaient là cinq apôtres recommandables par leur zèle et leur piété, vivant avec bonheur sous le joug d'une règle faite de sévérité et de douceur. Durs à eux-mêmes, ils étaient une source féconde de consolations pour les fidèles. Pas plus qu'aux premiers gardiens du Sanctuaire le travail ne leur manquait, et très souvent , lorsque les multitudes accouraient

 

(1) Histoire des Merveilles de N.-D. du Laus.

 

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au vallon béni, à l'occasion de quelque solennité ou de quelque malheur public, ils étaient obligés de faire venir de Sisteron plusieurs de leurs frères, pour les aider à la réconciliation des pécheurs. Parfois même ils durent utiliser, pour ce saint ministère, le concours bienveillant des Curés qui conduisaient au Laus leurs propres paroissiens. « Il n'était pas rare, dit le Recueil des Merveilles du Laus (1), de voir en un jour plus de douze cents personnes approcher de la sainte Table ; et dans les grandes fêtes de la très Sainte Vierge l'on ne pouvait, sans verser des larmes de joie, voir la petite campagne qui s'étale devant l'église toute couverte de pèlerins faisant entendre, de tous côtés, ces confiantes paroles : Sainte Mère de Dieu, priez pour nous. »

 

Cette affluence des peuples, qui s'est renouvelée ainsi plusieurs fois, chaque année, pendant une période de soixante-douze ans, n'a pu avoir lieu qu'à la condition d'être encouragée par une protection visible du Ciel. Cette assistance, certainement, n'a pas manqué. Nous savons par les traditions populaires les plus certaines que bien des faits miraculeux ne cessèrent de se produire autour du Sanctuaire béni et sur le tombeau de la sainte Bergère. Nous nous contenterons de rappeler ici l'un des plus caractéristiques.

Benoîte était morte depuis deux ans seulement, lorsqu'une sorte de défi fut porté à sa sainteté et à son crédit auprès de Dieu. Le défi, paraît-il, fut accepté, car le miracle se produisit de la façon la

plus éclatante.

Mademoiselle Lucrèce Souchon-Despréaux, fille de messire Claude Souchon-Despréaux, seigneur d'Avançon, Jarjayes et autres lieux, ancien président au bureau des finances de Provence, était religieuse,

 

(1) Ce recueil a été imprimé en 1736.

 

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du nom du Saint-Esprit. en même temps que sa soeur, du nom de Sainte-Barbe, au monastère de Sainte-Ursule, à Aix-en-Provence. Sa santé, plusieurs fois éprouvée par de cruelles maladies, se trouva complètement ruinée en mars 1720. Une fièvre continue, accompagnée d'accès violents et fréquemment renouvelés, affligea la jeune religieuse. Survinrent ensuite des vomissements continuels qui ébranlèrent tout l'organisme et produisirent d'abord des convulsions et ensuite une paralysie qui affecta la tête, la langue et tout le côté droit du corps, de sorte que la malade ne pouvait ni parler, ni se servir de son bras droit et de sa jambe droite. De plus, lorsque ces membres malades n'étaient pas solidement appuyés, ils étaient saisis de tremblements convulsifs qui produisaient en ceux qui les voyaient une sympathique compassion pour la pauvre infirme.

La peste sévissait alors à Marseille et menaçait la ville d'Aix. Le président Despréaux, afin de soustraire sa famille aux atteintes du terrible fléau, se décida à quitter la Provence pour venir habiter Gap ou l'une de ses terres. Il obtint, à cet effet, que ses filles fussent autorisées à l'accompagner dans les Alpes. Arrivés à Gap, ils reçurent ordre, de la part des édiles, de ne pas s'y arrêter et d'aller faire une quarantaine de vingt jours au château de Jarjayes. La pauvre infirme, qui avait déjà mis quatre jours pour venir d'Aix en chaise roulante , fut transportée à Jarjayes en chaise à porteurs. Placée sur le siège, elle ne put s'y tenir longtemps, et bientôt elle tomba au fond. Les porteurs, entendant le bruit de sa chute, crurent qu'elle était morte et ne se mirent pas en peine de la relever. Ils ne prirent même plus aucune précaution pour lui faire éviter les plus rudes secousses. Pressés d'arriver, ils franchissaient en sautant les fossés, les ruisseaux , les broussailles et tous les obstacles qui pouvaient les

 

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retarder. La pauvre malade, roulée comme un peloton, arriva au château plus morte que vive. Pendant quinze jours elle resta dans cet état; à la fin, elle fit comprendre par signes à sa soeur qu'on fit célébrer au Laus une neuvaine de messes à son intention. Le lendemain, soeur Sainte-Barbe, accompagnée de son frère, messire Pierre Souchon-Despréaux, conseiller au parlement de Provence, de sa belle-soeur et de quelques autres personnes , se rendit au Laus , demanda la neuvaine, se confessa, communia, et promit, si sa soeur guérissait, de réciter tous les jours les litanies de la Sainte Vierge et de faire toutes les années, à pareil jour (21 septembre), le pèlerinage du Laus. Puis « elle fut tout. de suite au tombeau de la soeur Benoîte, de laquelle Dieu s'est voulu servir pour establir la dévotion qui est en ce lieu, et la conjura, que si elle avait trouvé grâce auprès de Dieu, d'obtenir de luy la guérison de sa soeur, et qu'elle jugerait par le succès de sa prière de la gloire qu'elle avait dans le ciel; et elle récita encore la même prière devant son tableau. »

Avant de partir, elle prit de l'huile de la lampe, et elle s'en retourna pleine de confiance. Elle était si sûre d'obtenir la grâce qu'elle avait demandée, qu'elle s'attendait, en rentrant au château, à rencontrer la malade venant au-devant d'elle. Il n'en fut rien , mais cependant elle ne désespéra pas. Vers les neuf heures, elle oignit de l'huile du sanctuaire toutes les parties malades. La nuit fut néanmoins assez mauvaise; ruais au matin, en entrant dans la chambre de l'infirme, soeur Sainte-Barbe l'aperçut qui lui faisait un signe de soulagement. — « Avez-vous eu dans la nuit, demanda-t-elle, quelque souffrance extraordinaire dont vous vous trouviez soulagée? — Non, répondit la malade; mais je crois, ma soeur, que je parle. — Oui, vraiment, vous parlez, répliqua la religieuse toute surprise. » — Puis, sans dire

 

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autre chose , elle courut porter l'heureuse nouvelle à son père, à sa mère et aux autres parents, et revint aussitôt près de la malade pour s'assurer qu'elle n'était pas le jouet d'un rêve. Dans ce but, elle lui fit lever la tête, puis elle lui présenta un instrument de toilette avec prière de s'en servir de la main paralysée. La malade obéit et exécuta tous ces mouvements, quoique avec une certaine difficulté. Les deux soeurs alors se mirent à prier pendant quelques instants, et alors la malade se mit à parler avec autant de facilité que si elle n'avait jamais été paralysée. Une dernière épreuve restait à faire pour que le miracle fut, complet: il s'agissait de mettre en mouvement le bras et la jambe. « Le miracle doit être entier, dit soeur Sainte-Barbe à la malade; il vous faut sortir de votre lit toute seule, car je ne vous aiderai pas. » L'infirme obéit sans hésiter, descendit de sa couche et s'habilla avec autant d'assurance et de prestesse que si elle n'avait jamais été malade; puis elle se mit à genoux pour remercier Dieu de la grâce qu'il venait de lui faire. Toute la famille était là, ravie d'admiration et enivrée de bonheur.

Le président informa aussitôt le curé de la paroisse de l'évènement extraordinaire qui venait de se passer, en le priant de se rendre àla chapelle du château pour rendre grâces à Dieu. Le pasteur s'empressa de se rendre auprès de l'heureuse famille. Il félicita la miraculée, prit part à la joie de ses parents et présida aux prières de la reconnaissance. On chanta le Te Deum et plusieurs autres formules liturgiques. La soeur du Saint-Esprit assista à genoux, sans appui, à toutes ces prières qui durèrent plus de demi-heure. Trois jours après, elle allait au Laus porter sa reconnaissance à la bonne Mère et à soeur Benoîte.

Le procès-verbal de cette guérison miraculeuse a

 

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été dressé par l'ordre de Mgr de Malissoies, évêque de Gap, et l'original en est conservé aux archives de la préfecture de Gap.

En reconnaissance de la faveur qui lui avait été accordée, Mademoiselle Despréaux broda de ses mains un très beau devant d'autel, qu'on voit encore aujourd'hui appendu aux murs de l'église, au-dessus de la porte de la sacristie. Cette broderie de soie et d'or porte au milieu un Agnus Dei d'argent, avec cette légende : « Manus à Deiparâ paralysi liberata contexuit, obtulit; — La main guérie de paralysie par la Mère de Dieu a brodé et offert ce présent. »

Les événements de ce genre n'étaient point rares, et les pieux enfants de M. Bertet ont dû en recueillir les témoignages; malheureusement, rien ne nous en est parvenu. Les bandes révolutionnaires qui ont envahi le Laus en 1791, et qui en ont chassé les vénérables prêtres de Sainte-Garde, ont brûlé ou emporté tous les souvenirs de cette glorieuse époque.

C'est, dans nos annales , une lacune que nous déplorons amèrement, mais qu'il nous est impossible de combler; le récit de nombreux faits s'est transmis d'âge en âge, quoique sans document authentique, dans les traditions des vallées voisines : contentons-nous de dire, qu'avec ces souvenirs, la mémoire des zélés et pieux missionnaires de Sainte-Garde s'est conservée longtemps au Laus et dans toutes les paroisses où ils avaient donné des exercices spirituels, aussi bien qu'au Sanctuaire, où les traces de leur passage se conserveront à travers les âges par certaines pratiques qui sont restées traditionnelles.

C'est aussi à ces pieux Missionnaires que l'on doit le grand Chemin de croix qui, partant de l'église, passe devant la chambre de soeur Benoîte, descend à la Croix-d'Avançon (aujourd'hui chapelle du Précieux Sang), traverse le petit plateau qui domine le vallon, au midi, et revient par le quartier des Barons.

 

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Ce Via Crucis exige au moins une heure, quand on le fait en particulier, et une heure et demie si on le fait en procession, comme au Vendredi-Saint, où les chants graves et pieux du Stabat et du Vexilla Regis, par un chemin qui rappelle les aspérités de la Voie douloureuse. produisent dans l'âme des sentiments de componction et de repentir dont les plus indifférents ont peine à se défendre.

 

CHAPITRE II Les Gardistes et le Laus pendant la Révolution.

 

Il y avait soixante-douze ans que la sainte Bergère était morte; plus de trente prêtres de la Congrégation de Sainte-Garde s'étaient usés à la continuation de son oeuvre, près de son tombeau et du Sanctuaire qui l'abrite, lorsque la grande commotion qui avait ébranlé la Franco et menaçait de l'engloutir dans des abîmes de fange et de sang, se fit ressentir jusqu'au vallon solitaire. Il y avait là six prêtres, dont la foi éclairée et solide avait triomphé, en mille circonstances , de l'hérésie janséniste, alors même qu'elle se retranchait derrière les pasteurs des peuples; et ces hommes de foi étaient en même temps des modèles de vertu.

L'austère sévérité de leurs moeurs répandait au loin des parfums de sainteté qui attiraient les âmes au Laus, et les faisaient tomber dans les pièges de la miséricorde divine. C'en était assez pour que le démon se ressouvint de son antique haine contre Benoîte, et se promit de se venger de ceux qui la

 

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faisaient revivre. Dans ce but, il se mit en quête de suppôts qui voulussent bien exécuter ses noirs desseins : il n'eut pas de la peine à les trouver. Il y avait au district d'Embrun et dans les environs du Laus des esprits déjà infectés par les principes révolutionnaires, et qui n'attendaient que l'heure favorable pour agir. Il souffla donc aux uns des pensées d'impiété, et aux autres, de cupidité et d'avarice; il montra à ceux-ci les trésors du Sanctuaire et fit entendre à ceux-là qu'il t'allait, dans les Alpes comme ailleurs, montrer son patriotisme et son amour pour la liberté, l'égalité et la fraternité, en chassant les religieux, en traquant les prêtres, en renversant les autels et en pillant les églises.

Le signal vint du district d'Embrun; et au jour convenu, premier dimanche d'octobre (1791). des groupes partis des communes voisines, Avançon, Valserres, la Bâtie-Vieille et autres, se réunirent au quartier de l'Hôpital, sur l'Avance. C'était vers dix heures du matin. Constitués en une seule bande, ces braves firent la montée de la colline avec au moins autant d'ardeur que s'ils avaient été conduits à l'assaut d'une citadelle. Pour se donner du courage, ils débitaient à qui mieux mieux toutes sortes de sottises et d'impiétés, et, au moment où ils arrivaient devant l'église, on les entendit proférer celle-ci : « Nous avons des noyers plus gros que ces tilleuls; ils n'entendent pas la messe, et cependant ils sont grands et forts. » Ils entrèrent ensuite dans l'église, en chassèrent les prêtres avec toutes sortes de quolibets injurieux et de mauvais traitements. Ils eurent de pareilles brutalités pour les quelques personnes qui étaient restées là: on dit même qu'une d'elles fut violemment arrachée d'un confessionnal et jetée à la porte. Une bonne fille qui faisait mine de résister et qui, sans doute, reprochait à ces sauvages leurs impiétés, fut saisie par quatre d'entre eux, emportée hors de l'église et jetée dans le bassin

 

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d'une fontaine. Un homme de l'endroit, du nom de Combe, voyant cette indignité, ne put s'empêcher de la reprocher à ces forcenés, en leur disant: « Quel mal vous a fait cette fille pour la traiter ainsi ? » Cette hardiesse faillit lui coûter cher; les brigands se jetèrent sur lui pour le châtier de son audace, mais il put trouver son salut dans la fuite.

Ces vandales se mirent alors à piller l'église et le couvent; et l'on remarqua que, parmi les plus acharnés, se trouvaient des pauvres des environs que les bons Pères avaient nourris et entretenus : la

reconnaissance est souvent un poids bien lourd à porter.

Les envahisseurs semblaient cependant avoir un chef, le nommé V... Cet homme se montra, en effet, d'une rare intrépidité dans la maison de Dieu, courant dans tous les sens , décrochant les croix et les tableaux et montant sur les autels pour les dépouiller plus à son aise. Tous les vases sacrés, les ornements sacerdotaux furent enlevés, ainsi que les croix et les chandeliers des autels; les nombreux ex-voto, appendus aux murs , furent arrachés et brûlés sur la place de l'église : on ne laissa en place que les grands tableaux qui ornent les travées et la statue en marbre du Sanctuaire: on s'étonne que, n'ayant pu l'emporter, ces criminels ne l'aient pas brisée. Quant à la Vierge parée des processions, elle fut dépouillée de ses vêtements de soie et d'or; et un pieux chrétien de l'endroit, Sébastien Bertrand , l'enveloppa, par respect, de feuilles de papier. Plus tard, sur la prière des filles du Laus, le district renvoya deux des robes emportées (1).

Quand la dévastation de l'église fut terminée, les pillards se portèrent sur le couvent et l'envahirent. La bibliothèque, les manuscrits et les meubles de

 

(1) Cette statue avait été donnée, en même temps que plusieurs ornements et un tableau du Saint-Coeur de Marie, par un Capitaine de vaisseau américain. Les ornements et le tableau ont suivi les PP. Oblats à Marseille.

 

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quelque valeur furent emportés; le reste fut brisé ou brûlé. Les provisions servirent à repaître cette bande affamée, qui se retira ensuite gorgée de viandes et de vin. Avant de partir, l'un de ces héros aperçut dans son campanile la cloche de soeur Benoîte: il proposa soudain de la descendre; mais quelques hommes du Laus qui se trouvaient là, se réveillant alors de leur torpeur, encouragés sans doute par la pensée qu'ils n'avaient plus à faire qu'à des hommes avinés, firent ouvertement opposition au projet, en disant aux pillards que, s'ils essayaient d'escalader le clocher, « ils mettraient à descendre moins de temps que pour monter. » Cette énergie sauva la cloche. La bande se donna encore le plaisir de démolir quelques oratoires, puis se retira emportant son butin, qui était considérable. Des richesses de l'église et du couvent il ne resta à peu près rien, si ce n'est quelques meubles trop difficiles à emporter. Les portes de l'église furent ensuite fermées et scellées par ordre du district. — Ajoutons que l'on vit bientôt la main de Dieu frapper terriblement les meneurs de cette odieuse entreprise.

Instruit de ce qui se passait ailleurs et prévoyant une invasion, le P. Allègre avait enfermé toute l'argenterie et les objets les plus précieux dans une malle confiée à la garde de Jean Estachy, qui, après deux ou trois mois, redoutant une visite domiciliaire, dénonça son trésor. Un ordre émané du district fit transporter le tout à Embrun.

Quant aux saints prêtres qui avaient été maltraités et chassés, après avoir erré quelques temps dans les bois, ils se hasardèrent à demander l'hospitalité dans quelques maisons isolées. Accueillis par commisération, ils se cachèrent d'abord avec grand soin, pour ne pas compromettre leurs bienfaiteurs, et cherchèrent un adoucissement à leurs angoisses dans la récitation de leur bréviaire, seul trésor qu'il leur avait été permis d'emporter. Plusieurs profitèrent

 

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ensuite de la première circonstance favorable pour retourner dans leur famille. Le P. Allard, qui était de Remollon, et le P. Jouvent, de Valserres, purent même de temps en temps reparaître au Laus et y offrir clandestinement le saint Sacrifice de la Messe, dans une maison hospitalière, au milieu des ténèbres de la nuit.

Car, si la Révolution eut le pouvoir de piller les richesses de la Chapelle et de proscrire ses prêtres , il ne lui fut pas donné de dépouiller le Sanctuaire de la vénération et de la confiance des peuples. En ces jours mauvais , les chrétiens restés fidèles aux saintes pratiques de la foi venaient épancher leurs prières avec leurs douleurs aux pieds de celle qui est le Secours des chrétiens et la Consolatrice des affligés. Leur confiance était, sans doute, profondément attristée , mais nullement refroidie par le spectacle déchirant qu'ils avaient sous les yeux: ils ne sollicitaient qu'avec plus d'instances les grâces dont ils sentaient le besoin.

Il y eut même, en ce temps-là, une manifestation religieuse digne de la foi des temps anciens. Une sécheresse brûlante désolait la paroisse de Réallon, et tout espoir de récolte semblait perdu pour ses malheureux habitants. Selon leur antique usage, ils résolurent de venir processionnellement au Laus, demander, par l'intercession de la Sainte Vierge, la cessation du fléau. Dignes fils de ces rudes montagnards qui avaient disputé le passage de leur vallée à César, ils firent préalablement connaître leur dessein au comité révolutionnaire, bien plus pour intimer leur volonté que pour demander avis, et les chefs du district eurent garde de contrarier un voeu si énergiquement exprimé. Ces fiers chrétiens par-

tirent donc, bannières déployées, et se rendirent au Sanctuaire en chantant les louanges de la Mère de Dieu, étonnant, par le courage de leur foi, les populations qu'ils rencontraient sur leur route. Ils firent

 

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ainsi, en ce même jour, douze lieues de pays, et plusieurs les firent pieds nus, en particulier celui qui portait la croix. Inutile de dire que le Ciel eut pour agréable une foi si généreuse: il la récompensa par une pluie abondante qui tomba, dès le soir même, au moment où les pèlerins approchaient du bourg de Chorges; ce qui leur valut, de la part des habitants de cette localité, des louanges et des bénédictions, au lieu des quolibets et des insultes qu'ils pouvaient redouter.

« Quoique la France ne fût encore qu'au commencement de ses douleurs , c'étaient déjà un beau spectacle que celui de tout un peuple qui osait s'avancer ainsi dans une pompe religieuse, à la face de ses concitoyens égarés ou opprimés par l'impiété, et élever librement, vers la Mère des miséricordes, des voix suppliantes, comme pour demander grâce de tant de crimes qui déjà appelaient sur la terre la vengeance du Ciel. Si l'expiation était insuffisante, du moins était-ce là une heureuse diversion qui consolait un instant la piété, et un vrai triomphe pour la foi , qui seule avait pu remplir les voeux d'un peuple affligé (1). »

Au moment où les vénérables gardiens du Sanctuaire avaient été obligés de fuir, un prêtre avait cependant trouvé grâce devant la bande impie, c'était le P. Camarès, jésuite, admis dans la communauté à titre de pensionnaire : vieux et infirme, ce bon religieux parut sans doute peu dangereux pour la République; mais cette faveur ne fut pas de longue durée: le citoyen V..., maire de Saint-Etienne, redoutait de rencontrer sur ses pas l'ombre d'un prêtre. « Il n'y a plus au Laus, disait-il, qu'une mauvaise racine, il faut l'arracher à tout prix. » Le pauvre vieillard était transporté à Gap quelque temps après, et il y mourait l'année suivante.

 

(1) Notice historique sur N.-D. du Laus.

 

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Le P. Allard se hasarda à prendre la place du pieux jésuite. Tout en évitant de se montrer au grand jour et de faire de l'éclat, il offrait le divin sacrifice et réconciliait les pécheurs au tribunal de la pénitence. Depuis la Constitution civile, un grand nombre de fidèles n'osaient plus s'adresser à leurs pasteurs pour recevoir l'absolution de leurs péchés. Ils étaient donc heureux quand ils apprenaient qu'un prêtre non assermenté se trouvait caché dans les environs; et ils accouraient pendant la nuit auprès

du pasteur. fidèle, pour se faire remettre en grâce avec Dieu. Le P. Allard put pendant quelque temps rendre ce service spirituel à une foule de pénitents qui venaient à lui des paroisses voisines. Un jour il lui arriva de faire remettre à une jeune femme des environs une brochure qui condamnait le serment, et apprenait aux fidèles comment ils devaient se conduire à l'égard des prêtres assermentés. Ce livre tomba entre les mains de la municipalité d'Avançon, qui crut de son devoir de faire une information en règle sur les agissements du prêtre réfractaire et d'en référer au directoire du district. Nous ne voyons pas d'ailleurs que cette dénonciation ait eu pour le P. Allard des suites trop funestes; mais elle

provoqua peut-être la nomination à la cure de Saint-Etienne d'un prêtre « jureur, » qui ne tarda pas à se donner un auxiliaire de mêmes principes.

Mais on procéda bientôt à des mesures plus radicales. Dès que l'Assemblée nationale eut décrété la vente des biens ecclésiastiques , le district d'Embrun s'occupa d'aliéner ceux qui avaient appartenu « à la ci-devant Congrégation du Laus; » et il mit tout en vente, tout, même le presbytère, même l'église. La municipalité de St-Etienne, mieux inspirée que celle d'Avançon, tenta de soustraire quelque chose à cette confiscation : par une adresse aux Administrateurs du département, elle revendiqua l'église comme sa propriété et celle du hameau du Laus, et demanda

 

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la conservation de la cloche et la restitution du mobilier. Le directoire d'Embrun répondit, que vu la nécessité d'une église de secours à ce hameau, il serait remis à la municipalité « un calice et un ornement des plus simples » et que la cloche y serait conservée, « à charge par la commune de répondre desdits effets et de les représenter lorsqu'elle en sera requise ». « A l'égard de la propriété du sol de l'église, le directoire estima, que quand même la commune la justifierait par titres, elle l'avait perdue par la jouissance de la Congrégation depuis plus de 40 ans. » C'était de la justice sommaire.

Il fut donc procédé à la vente de l'église et du presbytère. Heureusement un reste de pudeur, sinon de foi, éloigna les acquéreurs pour ce lot sacrilège , et il fallut céder la maison de Dieu, le Sanctuaire de la Sainte Vierge et la demeure du prêtre pour la modique somme de trois cent trente-six francs. Disons encore, à la décharge de nos compatriotes, que l'acheteur ne se trouva point dans leurs rangs, mais qu'il était de la vallée d'Aoste, en Piémont. Des faits qui suivirent, peut-être pourrait-on conclure que l'acheteur n'avait que des vues honnêtes. Les autres immeubles, situés sur les communes de St-Etienne, de Valserres, de Remollon, furent vendus en vingt lots, du 30 avril au 20 août de l'année suivante; et le lot composé du couvent et de ses dépendances fut adjugé à M. Reymond, curé de La Bâtie-Neuve, qui se proposait de les remettre ensuite aux PP. Gardistes ou à leurs successeurs dans le Pèlerinage.

 

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CHAPITRE IV Etablissement au Laus des Oblats de Marie

 

Ces temps affreux connus dans l'histoire sous le nom de Terreur n'avaient pu interrompre complètement le courant pieux qui poussait les peuples au Sanctuaire du Laus, et cependant ils l'avaient diminué, car, si la Sainte Vierge était toujours son temple était fermé et le prêtre n'y apparaissait qu'en se cachant. Mais Dieu se souvint de son tamoul pour les Francs, et il fit miséricorde à cette nation purifiée par le sang de tant de martyrs. La tempête révolutionnaire avait cessé. le calme commençait à se rétablir, et les églises furent rouvertes et rendues au culte.

Le vénéré Sanctuaire vit, lui aussi, revenir ses beaux jours d'autrefois. Le mouvement des peuples vers ce lieu béni fut d'autant plus général qu'il avait été plus tyranniquement comprimé. On vit de toutes parts accourir des foules nombreuses, pleines d'espérance et tout heureuses de revoir les autels de la bonne Mère. Elles venaient saluer en elle l'Etoile protectrice qui avait sauvé la France d'un naufrage complet, et se consoler de tant de malheurs en se réconciliant elles-mêmes avec le Ciel. Outre le P. Jouvent, qui, au plus fort même de la tourmente, n'avait pas quitté les environs du Laus, administrant les sacrements aux fidèles, au péril de ses jours, et était rentré maintenant dans sa chère solitude, deux saints prêtres étaient là, avec une mission régulière, pour recevoir les pèlerins et leur

 

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prodiguer les faveurs de leur saint ministère. Dès 1802, le vénérable évêque de Digne, Mgr Miollis, dont la juridiction s'étendait sur les deux diocèses de Gap et d'Embrun , supprimés par l'Assemblée nationale, s'était hâté de confier le service du Sanctuaire à deux prêtres recommandables par leurs vertus, M. Jacques, de Valserres, et M. Izoard, du Monêtier-de-Briançon. Tout semblait aller pour le mieux dans l'intérêt du Pèlerinage, mais la Providence ne tarda pas à lui envoyer une nouvelle épreuve. Le P. Jacques succomba, l'année suivante (29 juin 1803), aux efforts de son zèle, aux fatigues de son ministère. Il avait trente ans à peine. Il voulut être enterré sur le seuil de la porte principale de l'église, « afin, disait-il dans sa profonde humilité, que tout le monde Mt obligé de le fouler aux pieds. » De son côté, le P. Izoard, depuis longtemps poussé par l'esprit de Dieu vers les missions lointaines, obtint de Pie VII la permission de partir pour les Indes orientales. Il quitta le Laus dans le courant de cette année même qui l'avait séparé de son compagnon. Le 28 mars suivant (1804), il s'embarquait à Lisbonne pour la Cochinchine, où il arriva heureusement et où il mourut le 16 juillet 1808.

Le P. Jouvent, resté seul et ne pouvant suffire à la multitude des pèlerins qui accouraient de plus en plus nombreux, s'adjoignit à titre d'auxiliaire le P. Michel-Ange, religieux franciscain. Il trouva également des coopérateurs zélés et bienveillants dans M. Pascalis, vicaire général d'Embrun, et le P. lmbard, supérieur général des Gardistes, qui passa quelques temps au Laus à titre de visiteur. Mais ce personnel n'offrait aucune garantie de stabilité et ne pouvait assurer la prospérité du Pèlerinage: c'est pourquoi Mgr Miollis n'épargnait rien pour faire ériger le Laus en succursale. Il y parvint enfin en 1803, et s'assura ainsi que désormais le Sanctuaire serait toujours gardé par un prêtre ayant le titre légal de

 

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curé, en attendant qu'il pût lui adjoindre un ou deux vicaires, ce qui, dans sa pensée, aurait constitué un personnel rigoureusement suffisant pour les temps ordinaires; aux jours de grands concours, on aurait fait appel aux prêtres de bonne volonté des paroisses voisines.

Et tandis que le saint Evêque se livrait à ces calculs qui pouvaient, dans un temps plus ou moins éloigné, l'établir le Pèlerinage sur des bases moins chancelantes, il travaillait avec un zèle non moins ardent à une oeuvre d'une importance capitale, le rachat de l'église. Cet édifice appartenait encore à celui qui l'avait acquis en 1792, et ce n'était que par tolérance qu'on y faisait les offices religieux: il importait de mettre le culte à l'abri du mauvais vouloir ou du caprice d'un propriétaire laïque et étranger. Les négociations ouvertes à cet effet aboutirent, en 1810, à un contrat de simple subrogation, en vertu duquel Mgr l'Evêque de Digne était substitué, pour la même somme de 336 fr., à la soumission faite en 1792 par le sieur Blanchard, receveur principal des douanes, résidant à Aoste, et rentrait en possession de l'église, du presbytère et de leurs dépendances. Il garda cette propriété jusqu'en 1823. A cette époque, le siège épiscopal de Gap était rétabli, et M. Arbaud, vicaire général de Digne, venait d'y monter, pour le plus grand bien du Diocèse (1). M Miollis crut, dès lors , qu'il ne devait pas conserver la propriété d'une église qui ne se trouvait plus sur le territoire soumis à sa juridiction, et il en fit la cession légale et authentique à la fabrique de Notre-Dame du Laus, avec la seule charge d'une messe annuelle à perpétuité.

D'autre part, quelques années après, en 1816, les circonstances permettaient de rentrer en possession de l'ancien Couvent et do ses attenances. M. Reymond,

 

(1) Le singe de Gap fut rétabli en 1817 mais il ne fut occulte qu'en 1823.

 

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curé de Tallard et héritier de l'ancien curé de La Bâtie-Neuve acquéreur de ces immeubles en 1792, fut amené à les mettre en vente. Une souscription du clergé du diocèse, souscription dont l'idée et le succès fut tout à l'honneur de M. Mondet, curé de Rabou, et de M. Peix, archiprêtre de la Cathédrale de Gap et pro-vicaire général de l'Evêque de Digne pour les Hautes-Alpes, fournit les fonds nécessaires à cette acquisition, l'intention des souscripteurs étant de réorganiser le Pèlerinage et de jeter les bases d'une maison de retraite pour le Clergé. M. Peix, leur mandataire, devenait propriétaire légal et s'engageait « à remettre ladite maison et le domaine à Mgr l'Evêque, chargé de l'administration ecclésiastique du département, qui est supplié par les soussignés contractant de faire de cet effet un établissement avantageux au Clergé des Hautes-Alpes, et utile à la Religion... » ; et par legs porté en son testament approuvé par décret royal du 19 juillet 1820, il investissait le Pèlerinage de tous ses droits de propriété sur le Couvent et ses dépendances.

Le Laus rentrait donc en possession de ce Sanctuaire qui fait sa gloire. D'un autre côté, le zèle du P. Jouvent et de ses auxiliaires conservait au Pèlerinage son ancien prestige, autant que cela était possible à un personnel si restreint et si peu fixe. Mais tout le monde sentait que ce n'était pas assez pour les multitudes qui accouraient au Laus. On se préoccupait donc de trouver des gardiens et plus nombreux et plus stables. La Providence y pourvut.

 

M. de Mazenod, plus tard évêque de Marseille, venait de fonder à Aix une congrégation de prêtres dont le but était semblable à celui que s'était proposé M. Bertet en jetant les bases de son ordre: se dévouer à l'oeuvre des missions, sous la protection spéciale de la très Sainte Vierge, c'était la fin poursuivie par les Oblats comme par les Gardistes.

Il n'y avait que trois ans (1815) que cette nouvelle

 

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Congrégation était établie, et déjà elle avait envoyé des Missionnaires dans plusieurs diocèses voisins. où Dieu avait béni leurs travaux. Leur réputation était arrivée jusque dans nos montagnes, et le pro-vicaire général de Gap, M. Peix, crut que c'était à eux qu'il fallait confier le Sanctuaire du Laus, si l'on voulait y faire revivre les splendeurs d'autrefois. Il fit part de ses pensées à l'Administration diocésaine. Celle-ci, se voyant dans l'impossibilité de fournir au Pèlerinage un nombre suffisant d'ouvriers, à cause de la pénurie de prêtres qui se faisait sentir, en ce moment surtout où les vides faits par la Révolution n'avaient pas encore été comblés , accueillit favorablement le projet de M. Peix. On s'aboucha avec M. de Mazenod , et l'on fut vite d'accord. Les Oblats s'estimaient heureux de planter leur tente près d'un Sanctuaire célèbre, dédié à Celle qu'ils faisaient profession de servir d'une manière toute spéciale.

La situation des Religieux au Laus était ainsi réglée: M. Peix, propriétaire légal, donnait à bail le couvent et ses dépendances, pour une période de vingt-neuf années à partir du 1er janvier 1819, à M. de Mazenod, qui s'engageait à entretenir ou faire entretenir dans le couvent le nombre d'ecclésiastiques nécessaires pour le service de Notre-Dame du Laus, ce nombre étant toujours au moins de deux.

D'autre part, avec l'Administration du Diocèse il avait été convenu: que la garde du Sanctuaire et le service de la succursale étaient confiés aux Missionnaires de Provence; que le Supérieur des Missionnaires pourrait, avec l'autorisation de I'Evêque, agréger à la Société des sujets du diocèse; que le Supérieur s'engageait à donner tous les ans dans le diocèse des missions en faveur des paroisses désignées par l'Evêque, soit par les missionnaires fournis par le Diocèse, soit par d'autres membres de la Société, si l'importance de l'ouvre le demandait.

Tout étant donc réglé pour que les Missionnaires

 

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de Provence (1) pussent, quand bon leur semblerait, prendre possession de l'église et du couvent, la cérémonie de l'installation devait avoir le 28 décembre, le jour même où l'on célèbrerait solennellement le premier centenaire de la mort de la sainte Bergère. Il y eut, à cette occasion, un grand concours de fidèles. M. Peix y amena même une nombreuse procession du chef-lieu départemental, exemple qui fut suivi par plusieurs de ses confrères voisins. Malheureusement, la grande cérémonie annoncée ne put avoir lieu : les Missionnaires firent défaut. On dit qu'ils furent retenus en Provence par leurs travaux apostoliques. Le glorieux centenaire n'en fut pas moins célébré, et M. Peix prononça, à cet effet, un discours très éloquent et très touchant sur les vertus de Sœur Benoîte.

Les Oblats ne tardèrent cependant pas de venir prendre possession de l'église et du couvent. Dès les premiers jours de janvier 1819, ils étaient à leur poste, sous la direction de M. Tempier, devenu plus tard vicaire général de Marseille.

L'Evêque de Digne s'empressa de conférer à deux d'entre eux les titres de desservant et de vicaire et de mettre à leur disposition l'église et le presbytère qu'il avait acquis de M. Blanchard, d'Aoste, et les zélés missionnaires commencèrent dès lors un ministère dont notre diocèse garde avec reconnaissance le précieux souvenir. M. de Mazenod lui-même n'hésita pas à quitter sa maison d'Aix, pour se mettre à leur tête, et travailler avec eux à satisfaire l'empressement des pèlerins qui venaient au Laus et la piété des paroisses qui demandaient à grands cris des missions pour réparer les ruines morales de la Révolution.

 

Dieu bénit le dévouement de ces pieux ouvriers, et

 

(1) Les Oblats étaient communément désignés sous le non; de Missionnaires de Provence, à cause du lieu de leur origine.

 

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la Sainte Vierge prouva que le Laus était toujours le lieu de ses miséricordes. Les pécheurs y retrouvaient la paix, et de temps en temps les corps affligés de cruelles maladies y recevaient une guérison aussi prompte que radicale. Plusieurs de ces faits miraculeux n'ont laissé d'autre souvenir que celui d'un ex-voto reconnaissant, mais quelques-uns d'entre eux ont été recueillis par des témoins sérieux. Nous en rappellerons plus loin un certain nombre pour rendre gloire à Dieu.

A défaut d'attestations écrites pour conserver le souvenir des grâces et des prodiges qui se multipliaient sans interruption au vénéré Sanctuaire, la piété et la reconnaissance des fidèles ont laissé de ces faveurs des témoignages toujours parlants. Ce sont les dons en vases sacrés et ornements précieux de toutes sortes qui, en ces derniers temps, ont été offerts à la Sainte Chapelle pour lui rendre son premier trésor et son antique splendeur; ce sont les ressources providentielles de tout genre qui lui sont venues de tout côtés pour fournir à la pompe des cérémonies, à l'embellissement du Sanctuaire et à la décoration des autels.

C'est ainsi qu'en 1823, Mlle Madeleine Feraud, de Sisteron, remplaça l'ancien autel en pierres grossières du pays par un autel en marbre; c'est ainsi qu'en 1827, Madame la Dauphine, duchesse d'Angoulême, fit présent d'un ostensoir en vermeil que l'on conserve comme un précieux souvenir de la pieuse princesse; c'est ainsi encore que, quelques années après, mine la comtesse de Chantoncesle, qui plus tard , méritera par sa générosité d'être marraine du bourdon, offrit une très belle chasuble en moire antique, galons argent, croix et voile richement brodés.

Ces libéralités, ces offrandes qui arrivent un peu de tous côtés encouragent à réaliser un projet qui était dans le voeu de tous les pèlerins. L'église, sans

 

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être d'une structure monumentale, demandait autre chose que le modeste campanile où s'agitait la petite cloche de soeur Benoîte. Il fallait là un clocher dont la forme, à la fois solide et élégante, servît de couronnement au pieux Sanctuaire, symbolisât la sublimité des sentiments religieux et portât au loin cette mystérieuse voix de la cloche qui interprète si bien toutes les émotions de l'âme.

Mais pour entreprendre une telle oeuvre et la mener à bonne fin dans un lieu tel que le Laus, il fallait la foi de Soeur Benoîte. Les gardiens du Sanctuaire eurent cette foi : ils mirent au défi la Providence, et la Providence ne leur manqua pas. Et comme si elle voulait, dès le début, donner un garant de sa protection, elle permit que la première pierre du clocher fût , comme celle de l'église, l'offrande d'une pauvre femme, de Briançon (1). La coïncidence fut remarquée et considérée comme une approbation d'en haut et un bon augure pour le succès. Dès ce jour l'oeuvre fut poussée aussi activement que possible, sans souci des fonds nécessaires: on savait qu'ils arriveraient en temps opportun. Un jour cependant on craignit que les offrandes des fidèles ne fussent plus suffisantes , et l'on résolut de s'adresser à l'Etat. Il ne manquait plus que quelques milliers de francs, et l'on pensait les obtenir facilement de ce côté, eu égard aux sacrifices que l'on s'était déjà imposés. C'était se défier de la Providence , et la Providence ne permit pas que ce moyen réussît. L'oeuvre tout entière devait appartenir à Dieu et aux pèlerins. Ce beau travail commencé dans l'été de 1834 fut terminé au printemps de 1837. En moins de trois ans, l'obole du pauvre avait constitué un fonds de vingt-quatre mille francs et élevé un monument qui n'a pas moins de trente-cinq mètres d'élévation.

 

(1) Madeleine Carlhian, veuve Martin, de Font-Christiane, paroisse de Briançon, donna la première obole pour le clocher, et cette obole était un louis d'or.

 

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Et ce qui montre d'une façon plus merveilleuse encore que la main de la très Sainte Vierge a dirigé cette oeuvre, c'est que, contrairement à ce qui arrive presque toujours dans des travaux aussi difficiles, aucun accident un peu grave ne vint contrister ni les ouvriers, ni ceux qui les employaient. On cite, au contraire, deux faits qui témoignent évidemment d'une protection toute divine.

Jacques Andriny, natif de Piémont, domicilié à Valserres, travaillait au clocher, en qualité de maçon. On en était à l'étage des cloches, par conséquent à une hauteur d'environ quinze mètres. Or, un jour il était occupé à monter des pierres de taille, lorsque les leviers du cabestan, lâchés tout à coup, on ne sait comment, le saisissent et le jettent hors du clocher. Le malheureux roule, bondit d'étage en étage, tombe sur le sol jonché de grosses pierres et rebondit à une distance de deux mètres. On crut que c'en était fait de lui. Aux cris poussés par les autres ouvriers, le P. Mille arrive et veut lui donner l'extrême-onction. « Je n'ai point de mal, répond Andriny; seulement, c'est l'air qui me manquait. » On le relève cependant, on le fait mettre au lit, et quatre jours après il reprenait son travail. Andriny, ouvrier chrétien, portait sur lui un crucifix et un scapulaire.

Quelques temps après, un jeune homme d'Embrun, nommé Martin, âgé de 21 ans, ouvrier manoeuvre de M. Bernard Besson, entrepreneur à Gap, passait sur une planche qui traversait une fenêtre à la naissance du cintre, à l'étage des cloches, lorsque, la planche se brisant sous ses pieds, il tombe sur le toit de l'église, casse quelques ardoises et se trouve assis sans égratignure extérieure et sans secousse intérieure. On l'oblige néanmoins à se reposer, et le lendemain il reprend son travail.

Les pieux missionnnaires eurent la pensée de compléter leur oeuvre , en dotant le majestueux

 

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beffroi d'une cloche digne de lui et de Celle dont elle devait chanter les louanges. Ils n'hésitèrent pas à faire un second appel à la générosité des fidèles , et ce second appel fut entendu comme le premier. Deux ans ne s'étaient pas écoulés qu'un magnifique bourdon de près de deux mille kilogrammes se balançait dans les airs et envoyait aux échos du vallon une voix retentissante, grave et pieuse. Cette cloche est arrivée au Laus en passant par l'Ermitage et en suivant les rampes, tout au haut desquelles a été élevé plus tard l'oratoire de l'Ange. Pour quiconque connaît ce sentier abrupt, étroit, pierreux, coupé de ravins, suspendu sur des abîmes , ce voyage exécuté sans accident est un vrai prodige. Evidemment, la Sainte Vierge veillait encore là. Aussi le jour où l'airain sacré reçut les bénédictions de l'église fut un vrai jour de fête pour le Laus et pour les environs. Un grand nombre de prêtres et des multitudes de fidèles vinrent assister à cette solennité et contempler de près ce magnifique bourdon, qui désormais, suspendu entre le ciel et la terre, serait la voix de Dieu appelant les pécheurs au Sanctuaire de la Miséricorde. 

 

        Tout en s'occupant de ces oeuvres matérielles, les pieux Oblats ne négligeaient pas le côté spirituel du pèlerinage. Pendant la belle saison, ils se mettaient avec un religieux dévoûment à la disposition des pèlerins, les accueillant avec bonté et leur facilitant les moyens de réconforter et leur âme et leur corps. Puis, quand venait l'hiver, ils s'en allaient dans les paroisses rurales du diocèse ou des diocèses voisins donner les exercices, toujours si utiles, des retraites et des missions. Une telle oeuvre devait, ce semble, les fixer pour toujours dans ce lieu privilégié.

Et cependant il entrait dans les desseins de la Providence que ces bons religieux fussent remplacés au Laus par une société de missionnaires créée tout spécialement pour la garde du béni Sanctuaire.

 

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CHAPITRE V Établissement des Missionnaires de Notre-Dame du Laus

 

 

Le clergé du diocèse de Gap, qui s'était imposé de lourds sacrifices pour l'établissement du Laus, n'avait consenti qu'à regret à en confier la direction à des prêtres étrangers, quelque incontestable que fût leur mérite. Il voyait avec peine ce joyau du diocèse entre les mains d'une Congrégation qui, sans nul doute, le conservait précieusement, mais qui avait le tort de ne tenir au pays ni par son origine, ni par ses fondateurs, ni par ses membres. Il se demandait s'il ne trouverait pas dans son sein quelques prêtres assez intelligents et assez zélés pour jeter les bases d'une Société capable de prendre en main les intérêts du Pèlerinage.

Ces sentiments couraient d'un presbytère à l'autre et se manifestaient tantôt dans des conversations intimes, tantôt dans .des assemblées publiques. Ils finirent par arriver sous forme de voeux plus ou moins explicites jusqu'au pied du trône épiscopal; enfin, ils se déclarèrent avec une imposante solennité le 28 août 1839.

Réunis à l'occasion de la retraite pastorale, au nombre de cent dix-huit, les prêtres du diocèse présentèrent à Mgr de La Croix la requête suivante :

 

MONSEIGNEUR,

 

Le Clergé de votre diocèse, réuni en retraite pastorale, profite de cette opportune circonstance pour adresser à Votre Grandeur une humble requête au sujet de l'Etablissement du Laus.

 

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Cet Etablissement, Monseigneur, se présente sous un double aspect. Il semble que la Providence l'ait placé au centre même de nos religieuses et pauvres contrées pour être tout à la fois comme un asile ouvert à ceux de nos prêtres que l'âge ou les infirmités auraient rendus incapables d'exercer le saint ministère ou qui voudraient se retirer dans celte pieuse solitude pour y finir saintement leurs jours, et comme une source d'intarissables bénédictions pour les peuples. Or, il nous semble, Monseigneur, quoique nous ne voulions en rien contrarier vos vues, qu'un Etablissement de ce genre doit être essentiellement diocésain et placé sous la direction et la dépendance immédiate de l'Ordinaire, à l'imitation de ce qui se fait dans tous les autres diocèses ; et alors seulement seront remplies les intentions des donateurs, si expressément manifestées par écrit et de vive voix.

En conséquence, .Monseigneur, votre Clergé, qui, pour son bonheur, vous sera toujours soumis, et qu'en toutes circonstances vous trouverez prêt à s'associer aux œuvres que votre pastorale sollicitude vous inspire pour le bien de ces contrées, supplie Votre Grandeur de hàter, autant qu'il dépendra d'Elle, le moment où le diocèse de Gap rentrera en pleine et entière possession de l'Etablissement du Laus.

C'est le voeu unanime et spontané de tous vos prêtres, c'est même l'urgent besoin de plusieurs.

A Dieu ne plaise, Monseigneur, que nous soyons ingrats envers MM. les Missionnaires de Provence. Leur zèle, leurs vertus méritent les plus grands éloges, et, pleins de reconnaissance pour tout le bien qu'ils ont fait dans le diocèse, nous nous sentons pressés d'en déposer ici l'éclatant témoignage. Trop justes pour ne pas apprécier toute l'équité du voeu que nous formons et que nous mettons à vos pieds, Monseigneur, ils le formeraient eux-mêmes s'ils étaient dans les mêmes conditions que nous.

Nous avons l'honneur d'être, et…

 

Cette requête, aussi calme que raisonnable, fut prise en considération par l'Administration diocésaine. Pour y faire droit, elle se hâta d'entamer des négociations à l'amiable avec le Supérieur des Oblats, devenu évêque de Marseille.

Evidemment, les Missionnaires de Provence devaient se résigner difficilement à quitter un Sanctuaire qu'ils avaient desservi pendant plus de vingt ans, auquel ils s'étaient attachés par toutes les améliorations matérielles qu'ils y avaient faites, et

 

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surtout par ce lien mystérieux qui enchaîne tous ceux qui ont quelque temps vécu à son ombre, et que l'on a appelé les charmes du Laus. Puis un courant sympathique s'était établi entre ces vénérables

religieux et les peuples qu'ils ou qu'ils avaient évangélisés dans leurs paroisses, et ce n'était pas sans secousse qu'on pouvait arrêter le cours de ces sentiments, aussi profonds que légitimes.

Enfin, il y avait là l'un des plus illustres Sanctuaires dédiés à Celle qu'ils avaient choisie pour leur Souveraine et leur Mère; ils étaient donc, en quelque sorte, chez eux, et ils ne pouvaient se faire à l'idée d'être exclus de la maison maternelle. Sans doute, le droit de l'Evêque de Gap était incontestable, mais, eux aussi, n'avaient-ils pas quelque droit à n'être point exilés d'un lieu auquel ils s'étaient attachés de toutes les fibres de leur âme et par les liens les plus forts et les plus sacrés?

En dehors de ces raisons toutes morales, les vénérés Missionnaires de Provence faisaient valoir, comme motif juridique, le bail que leur avait passé M. Peix, bail qui, dans la pensée des contractants, devait être d'une durée indéfinie, et qui n'avait été fixée à vingt-neuf ans que pour la forme. Toutes ces raisons furent exposées de vive voix, par lettre, et, à la fin, dans un mémoire écrit avec une certaine émotion par le R. P. Mille, supérieur des Missionnaires

L'administration diocésaine examina sérieusement tous les arguments que faisait valoir la partie adverse. Elle aurait pu n'accorder qu'une attention secondaire aux raisons morales, parce que, en définitive, elle se résolvaient en une question de sentiment, que le temps arrangerait de lui-même; et, néanmoins, elle ne passa par dessus ces considérations que parce qu'elle était en présence d'un grand intérêt diocésain qui devait tout dominer.

 

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Quant à la question juridique, il ne lui était pas difficile de la trancher, mais elle ne voulut pas le faire de sa propre autorité. L'Evêque, appelé à Paris pour les affaires de son diocèse, en profita pour demander une consultation à trois célèbres avocats du barreau parisien, MM. Duvergier, Ariste Boué et Mandaroux Vertamy. Mais, dans ce même temps, Mgr de la Croix était transféré sur le siège métropolitain d'Auch, et le prélat dut partir avec le regret de n'avoir pu terminer une affaire de si haute importance. Quelque chose, néanmoins, avait été fait : le digne évêque avait préparé le personnel qui devait prendre la place des Missionnaires de Provence. Quelques prêtres de son diocèse avaient été envoyés par lui au Noviciat des Chartreux de Lyon, pour s'y former à l'excellent esprit de cette illustre congrégation, dont le but était identique à celui des anciens Gardistes. Ces futurs Missionnaires de Notre-Dame du Laus étaient de retour à Gap et attendaient l'heureux moment où ils pourraient s'installer près du vénéré Sanctuaire. Ce jour paraissait différé par le départ de Mgr de la Croix, mais la Providence plaça sur le siège de saint Arnoux un prélat qui avait apprécié à Lyon les services rendus par les Chartreux, et qui, dès lors, reprit, avec un zèle digne de tout éloge, les négociations entamées par son prédécesseur, afin de doter son diocèse d'un corps de Missionnaires formé sur le modèle de celui qu'il avait vu à l'oeuvre (1).

Cependant, sur tous les points les jurisconsultes s'étaient prononcés en faveur de l'Evêque et du Clergé de Gap. Appuyé sur ces décisions, Mgr Rossat n'eut pas de peine à faire valoir ses droits auprès de son vénérable collègue de Marseille. L'accord se fit sur tout, sauf sur une question de détail qui ne fut terminée que quelques mois après. C'est ce qui

 

(1) Mgr Rossat était curé de la Métropole de Lyon, avant d'être évêque de Gap.

 

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explique comment les Missionnaires de Provence ne quittèrent le Laus qu'en avril 1842, quoique, dès le mois de septembre précédent, ils fussent remplacés dans le service du Sanctuaire par les nouveaux Missionnaires, connus depuis sous le nom de Missionnaires de Notre-Dame du Laus. Ce sont des prêtres appartenant tous au clergé séculier du diocèse et formant une Communauté soumise en tout à l'autorité de l'évêque diocésain. Depuis plus d'un demi-siècle que cette Société existe, son zèle et ses oeuvres ne le cèdent en rien à ce que nous avons admiré dans les plus beaux jours de notre histoire. Le Pèlerinage a pris même, dans ces derniers temps, une extension qu'il n'avait jamais eue : le travail devient incessant, et maintes fois déjà les ouvriers ont manqué h la moisson. D'un autre côté, le rayon des missions s'est élargi : il faut y renfermer les diocèses de Gap, de Digne, de Fréjus, de Marseille, de Nîmes, de Montpellier, d'Avignon, de Valence, de Grenoble, et surtout de Lyon.

 

Après avoir jeté les bases de cette Congrégation, Mgr Rossat se préoccupa de la restauration , de l'agrandissement et de l'ameublement de la maison qui devait les recevoir, en même temps que les vétérans du sacerdoce. En décembre 1842, il adressa à son Clergé une circulaire dans laquelle, après avoir rappelé la double destination de la Maison du Laus, il constate que cet établissement est essentiellement diocésain, que par conséquent il doit être administré par l'Evêque. Sa Grandeur fait ensuite appel à la générosité de ses prêtres pour subvenir aux dépenses que nécessitent la restauration des bâtiments et leur ameublement.

Cet appel fut entendu. Le 25 janvier suivant (1843), le prélat ajoutait à son Mandement pour le Carême les paroles suivantes : « Nous n'avons qu'à nous louer l'empressement de notre Clergé à répondre

 

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à l'appel que nous lui avons adressé. Les résultats connus jusqu'à ce jour attestent ses sympathies pour l'oeuvre diocésaine du Laus et justifient pleinement les bonnes espérances que nous avions conçues de son zèle. »

Ainsi l'oeuvre fondée par Benoîte, la Bergère, au lieu de s'amoindrir par la suite des temps, recevait, d'âge en âge, de plus grands développements, réalisant ainsi cette parole prophétique : « La dévotion du Laus fleurira toujours de plus en plus. »

La Providence, en effet, en transférant M Rossat sur le siège de Verdun en 1844, réservait au diocèse de Gap un pontife qui non seulement donnerait aux intérêts du Pèlerinage une part de ses sollicitudes épiscopales, mais qui ferait du Laus l'objet tout spécial de ses affections. Aucun évêque ne prit jamais tant à coeur les splendeurs du Sanctuaire ; aucun n'eut une plus tendre dévotion à la bonne Mère, aucun ne professa une plus parfaite vénération pour la sainte Bergère que Mgr Depéry.

A peine arrivé dans son diocèse, il voulut aller prier au vénéré Sanctuaire de Marie et sur le tombeau de sa sainte fondatrice; puis, quelques mois après, il adressait à ses diocésains ces paroles qui révélaient les sentiments de son coeur pour ce lieu béni : « Réjouissez-vous, Nos Très Chers Frères, vous habitez un diocèse où Marie a, pour ainsi dire, élu domicile, où, en Souveraine bienfaisante et riche, elle tient sa cour et distribue ses faveurs. Qui d'entre vous ne le sait pas? Qui d'entre vous n'a trouvé dans ce Sanctuaire vénéré, au pied de sa miraculeuse statue, ce que vainement il avait demandé au monde, la paix, les consolations, la santé de l'âme et du corps? O solitude du Laus, Sanctuaire béni de notre Reine bien aimée, quel bonheur pour nous de reposer à ton ombre ! de venir, fatigué de nos courses et de nos travaux, y puiser des forces et du courage ! Quel bonheur pour nous d'y

 

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voir l'affluence de tout un pays fidèle, la dévotion des peuples, les prodiges de la confiance et de l'amour! Oh ! comme avec joie nous reprendrons souvent le chemin de ta montagne ! comme avec plaisir nous nous mêlerons encore, humble pèlerin, à la foule religieuse qui se presse dans ton enceinte trop étroite! Pour nous, malgré. ta pauvreté, toujours tu seras un palais d'ivoire, une maison d'or, la porte du ciel: Turris eburnea, domus aurea, janua caeli! Toujours tu auras nos sympathies et notre amour. Jamais nous n'échangerions tes simples parures pour les splendides ornements des plus riches cathédrales. Et ce qui nous console des peines irréparables de notre lourde charge, c'est l'espoir que nous avons de venir attendre, au sein de ta terre hospitalière, le jour solennel où ces peines seront couronnées dans l'éternité. »

Ces paroles brûlantes n'étaient point une vaine déclamation dans la bouche du vénérable prélat, mais la sincère expression des sentiments de son coeur. Son attachement pour le vénéré Sanctuaire ne s'est jamais démenti. Il se trouvait heureux, en effet, lorsqu'il pouvait, le bâton de pèlerin à la main, venir se reposer à l'ombre du Sanctuaire, pendant quelques jours ou au moins quelques heures, des fatigues de ses tournées pastorales, de ses labeurs de cabinet, ou se distraire d'un souci plus cruel ou de quelques-uns de ces ennuis que la Providence ménage même aux âmes les plus fortement trempées. Et ce voeu d'être enterré au Laus a été rempli. Les restes précieux du vénérable pontife reposent à quelques pas du tombeau de la sainte Bergère. Voici, du reste, à ce sujet , quelques lignes que nous empruntons volontiers à M. l'abbé Pron, qui a vécu

dans l'intimité du prélat.

« Le Laus est tout pour Mgr Depéry : il y va pour se reposer, pour y prier, pour y travailler, pour se guérir s’il souffre, pour y recevoir force et lumière

 

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dans ses découragements et ses doutes. Epris, dès l'origine, d'une belle amitié pour la sainte Bergère, il cause familièrement avec elle, lui confie avec naïveté ses peines et ses projets. Monseigneur a sa chambre au Laus, pour s'y croire chez lui. C'est là qu'est sa belle crosse; c'est là aussi qu'est la croix pastorale renfermant le petit crucifix de Benoîte. Monseigneur a même au Laus sa pierre sépulcrale; il désire s'y faire enterrer, rame y tomber malade pour y mourir. En descendant la montagne, on rencontre sur le bord du sentier, un gros bloc erratique qu'il destine à recouvrir sa tombe : « Voilà ma pierre, » nous a-t-il dit, en frappant la masse de son bâton de pèlerin, la première fois que nous eûmes l'honneur de l'accompagner à sa chère solitude. »

 

CHAPITRE VI Faits divers

 

Tandis que s'opéraient toutes ces améliorations matérielles, la Sainte Vierge continuait son oeuvre : elle ramenait les âmes égarées et, de temps en temps, condescendait à guérir les corps. Voici quelques-uns de ces faits merveilleux :

Le premier, par ordre de date, est de 1809. Il a été opéré en faveur de François Darve, de la paroisse de Vaulnaveys, du diocèse de Grenoble. En voici la relation, dictée par le miraculé lui-même dans l'enquête préparatoire au procès de canonisation de soeur Benoîte :

« A l'âge de vingt ans , par suite de grandes douleurs, je fus pris d'une maladie qui me conduisit

 

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aux portes du tombeau et fut regardée comme mortelle. Le médecin lui-même, M. Carron, de Vizille, avait dit à mes parents : Donnez-lui ce qu'il voudra, c'est un homme perdu. Je reçus le Saint-Viatique et l'Extrême-Onction. Aussitôt après vint chez moi une pieuse dame, appelée Claire Colomb, qui avait une grande dévotion à soeur Benoîte, à laquelle elle attribuait un grand crédit. Elle engagea ma femme à me conduire au Laus aussitôt que cela serait possible, pour demander ma guérison à la Sainte Vierge par l'intercession de soeur Benoîte, ajoutant que si je venais à mourir en route, on m'enterrerait là où je succomberais , puisque ni plus ni moins j'étais perdu. De mon lit j'avais écouté la conversation, et je me recommandai à soeur Benoîte : « Sainte Benoîte, dis-je, si vous m'obtenez ma guérison, je publierai vos louanges partout et le reste de ma vie. » Dès ce moment, je me sentis un peu mieux, et lorsque les forces me furent un peu revenues, je partis accompagné et soutenu par ladite Claire Colomb. Après beaucoup de fatigues, j'arrivai au Laus. Bien que je fusse exténué, je fis ma dévotion le jour de la Pentecôte 1809. J'assistai à toutes les messes, mais j'étais comme mort, n'ayant aucune

connaissance de ce qui se passait autour de moi. Toutes les messes basses étaient finies et on sortait de la grand'messe que j'étais encore dans le même état. Je m'adressai alors à soeur Benoîte avec de plus vives instances. « Sainte Benoîte, lui dis-je, priez pour moi la Très Sainte Vierge et le bon Dieu, afin que j'obtienne ma guérison. Je vous promets d'être un modèle et de publier partout votre puissance et votre bonté. » A l'instant même je ressentis un calme et un bien-être indéfinissables. Ma grande faiblesse cessa, je recouvrai mes forces et je n'ai plus rien souffert depuis. Je m'en retournai chez moi en chantant les louanges de Dieu, et je me mis à travailler comme si je n'avais

 

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jamais été malade. Tous le monde criait au miracle. Depuis lors, je n'ai jamais rien entrepris sans consulter soeur Benoîte et sans me mettre sous sa protection. »

Le même témoin raconte le fait suivant, qu'il a vu de ses propres yeux: « Louis Armand, de Veulnaveys, avait à quinze ans la jambe gauche repliée en arrière et soutenue par un bandage. Un jour que je visitais ma famille, j'arrivais à la maison au moment où l'on se disposait à lui appliquer un remède : « Jetez, dis-je aux parents, tous ces remèdes à la rue, et priez soeur Benoîte d'obtenir sa guérison par l'intercession de la Sainte Vierge. » On porta l'enfant au Laus; il y fut guéri, et au retour il fit un tiers du chemin à pied (1). »

En 1815, une dame de Marseille, dont le visage était dévoré par un chancre affreux, vint implorer la protection de la Mère de Dieu en son sanctuaire du Laus. Elle commença dans ce but une neuvaine de prières; à la fin de ces exercices, le mal, qui avait jusque-là résisté à tous les remèdes, disparut entièrement pour ne plus revenir.

L'année suivante, Catherine Lagier, de St-Julienen-Champsaur, par suite d'une blessure qu'elle s'était faite à la main, ne pouvait ouvrir que le pouce et l'index ; les autres doigts étaient fermés et tellement serrés que les ongles entraient dans les chairs; vainement on eût essayé de les ouvrir, ils se seraient plutôt brisés. A bout de remèdes, Catherine vint faire neuvaine au Laus. Le dernier joui., elle fit dire trois messes à son intention; pendant la dernière, ses doigts s'ouvrirent et reprirent bientôt toute leur flexibilité.

Un fait plus surprenant encore se passa l'année d'après (1817). Un pauvre malheureux du canton de Veynes ne marchait depuis longtemps qu'à l'aide de

 

(1) Du Laus à Vaulnaveys, il y a environ 100 kilomètres.

 

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béquilles. Las de souffrir, il se fit transporter au Laus pour y demander sa guérison au Salut des infirmes. Sa confiance ne fut pas trompée: au bout de cinq jours il était guéri. Il laisse ses potences au Laus et s'en retourne à pied. Un chanoine de Digne a certifié le fait pour en avoir été témoin oculaire.

En 1824, une femme de Grenoble, travaillée d'un dégoût insurmontable, se desséchait à vue d'oeil. Désespérant de retrouver la santé par les secours de la science, elle vint prier au Sanctuaire du Laus. Sa neuvaine n'était pas terminée que la santé était revenue.

Séraphine Volle, de la paroisse de La Plaine-en-Champsaur, fut atteinte, en 1826, d'une gastrite qui en moins d'un an la mit dans l'impossibilité de supporter aucune nourriture. Plusieurs médecins donnèrent leurs soins à l'intéressante malade, qui n'avait que quinze ans, mais ce fut en vain. Ils finirent par dire aux parents que l'enfant ne guérirait pas. « Je la conduisis au Laus, dit Marie Rigaud, épouse de Louis Domare, en l'exhortant de toutes mes forces à avoir une grande confiance en la Sainte Vierge et en la soeur Benoîte. Or, un jour que nous étions, selon notre coutume, à prier à la porte de la chambre de soeur Benoîte, la malade me dit : « Je sens le besoin de manger, allez préparer quelque chose. » J'obéis ; elle mangea une écuelle de soupe, et la digéra sans peine. Dès ce moment, elle ne ressentit plus rien de son mal. »

M. Hippolyte Bertrand, maire de la commune de Saint-Etienne-d'Avançon, raconte le fait suivant : « Je sais , pour l'avoir vu de mes propres yeux, qu'en 1827, une dame vint au Laus avec l'un de ses fils, âgé de 25 ans. Ce jeune homme avait un bras tellement estropié qu'il ne pouvait ni l'étendre ni le plier. Le signe de la croix lui était impossible. Or, après avoir prié devant l'autel de la Sainte Vierge, il alla se placer sur le tombeau de soeur Benoîte, pour

 

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obtenir sa guérison. La mère et le fils partirent ensuite de l'église en faisant le chemin de la croix. Ils n'avaient pas fait deux kilomètres que le jeune homme se prit à faire le signe de la croix : il le fit sans difficulté; il était guéri. L'année suivante, ils revinrent pour rendre grâces à Dieu du bienfait reçu. En arrivant à la maison où déjà ils avaient logé l'année précédente, ils racontèrent cette guérison miraculeuse. »

Appollonie Amayon, de Saint-Julien-en-Champsaur, n'avait que treize ans (1828) lorsque vint à mourir l'abbé Robin, ancien curé de la Fare. La vue de ce corps inanimé causa à la jeune fille une telle frayeur qu'elle en contracta une maladie nerveuse très grave. La pauvre enfant ne pouvait se servir utilement ni de ses bras, ni de ses jambes. Si elle essayait de porter de la nourriture à la bouche. la main manquait la tète et attrapait l'épaule; si elle voulait marcher, elle faisait un pas en avant et un autre en arrière. On ne pouvait la laisser un instant toute seule, car si elle était venue à tomber, elle n'aurait pas pu se relever. M. Nicolas, médecin de Saint-Bonnet, encore vivant au moment de l'enquête, lui donna d'abord ses soins; puis, voyant tous ses efforts inutiles, il dit à la mère de l'enfant: « Soignez-la du mieux que vous pouvez, quant à moi je ne me charge pas de la guérir. » Désolée par cette déclaration, la pauvre femme prit conseil auprès de quelques personnes pieuses et se décida à transporter sa fille au Laus. La jeune malade, placée et soutenue sur un cheval, arriva, non sans peine, au vénéré Sanctuaire. Les personnes qui l'accompagnaient récitaient des prières en l'honneur de soeur Benoîte et l'exhortaient à mettre toute sa confiance en la sainte Bergère. On la conduisit d'abord à l'église, puis l'un des jours suivants on la transporta à la porte de la chambre de soeur Benoîte, où les prières redoublèrent. La jeune fille priait aussi, lorsque

 

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tout à coup elle se sentit comme débarrassée d'un poids accablant. Un frisson de bien-être parcourut tous ses membres. Elle était guérie. Par reconnaissance, elle acheva sa neuvaine, et, le jour de son départ, elle fit trois heures de chemin à pied.

Clément Blanchard, aussi de Saint-Julien-en-Champsaur, âgé de quarante-huit ans, raconte ainsi une faveur personnelle qu'il croit devoir à l'intervention de soeur Benoîte : « Il y a environ vingt-cinq ans, je fus pris d'une fièvre maligne qui sévissait dans la paroisse et faisait chaque jour de nombreuses victimes. Depuis un mois je gardais le lit , et ma faiblesse était telle que je croyais ma fin prochaine. Je me rappelai alors que mon frère et ma mère, tous deux de la Petite-Eglise, me disaient souvent qu'au temps passé la foi était plus vive, que les miracles n'y étaient point rares et que soeur Benoîte elle-même en faisait au Laus. Je me recommandai à la sainte Bergère , et je promis que, si elle m'obtenait ma guérison, je donnerais toutes les années , le reste de ma vie, un franc en son honneur à la chapelle du Laus. J'avais à peine fait ce voeu que je me trouvai mieux; quelques jours après, j'étais parfaitement guéri, et en moins de deux semaines j'avais repris mon travail. Peu de temps après, je rentrai dans le sein de l'Eglise catholique (1838).

En 1843 se passait un autre prodige. Voici comment le raconte Mélanie Estachy, témoin oculaire :

« Catherine Grirnaud, dite Faure, ma tante, habitait Gap, il y a environ vingt-cinq ans. Un jour, par complaisance, elle alla au couvent du Saint-Coeur pour en rapporter les effets d'une personne qui en sortait. Le malheur voulut qu'elle tombât du haut d'une échelle et qu'elle se fracturât une jambe. Au lieu d'appeler un médecin à l'instant même, elle se fit transporter dans sa chambre, où elle demeura longtemps sans pouvoir en sortir, et lorsqu'elle

 

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essaya de le faire, elle ne le put qu'au moyen d'une béquille et d'un bâton. Dans l'intervalle et quinze jours après sa chiite, elle fit venir le docteur Michel, médecin distingué et chrétien fervent, qui pour lors résidait à Gap. Celui-ci vint, mais pour lui dire: « Vous m'avez appelé trop tard; aujourd'hui l'art est impuissant à vous guérir ; du reste, vous êtes avancée en âge et vous n'aurez plus bien longtemps à souffrir. » Ma tante se résigna à son malheureux sort. Deux ans après, une personne de Gap, qui avait grande confiance en la piété de ma tante, vint la prier d'aller avec elle au Laus, pour y faire une neuvaine en faveur de sa fille qui était bien malade. Ma tante lui ayant fait observer qu'il lui était impossible de marcher à cause de son infirmité, la personne insiste en disant: « Nous vous porterons sur une ânesse. » Ce qui fut fait. J'étais alors au Laus, où je devais passer l'été. Naturellement ma tante vint loger près de moi, dans la maison Aubin. « — Je viens, me dit-elle. passer neuf jours ici pour prier en faveur de cette petite, mais le dixième n jour je l'emploierai à prier pour ma propre guérison. — Un jour pour votre guérison, c'est bien trop, lui dis-je en riant. — Si la Sainte Vierge et soeur Benoîte le veulent, répliqua-t-elle, c'est assez: une minute leur suffit. » Or le vendredi suivant, qui était précisément le dixième jour, ma tante descendait de l'église, vers dix heures du matin. En passant devant la chambre de soeur Benoîte, elle se dit : « Récite un Pater et un Ave en l'honneur de sœur  Benoîte. » Ce qu'elle fit. Dans l'intervalle, j'étais toute inquiète de ce que ma tante tardait à venir prendre le petit repas que je lui avais préparé

et je me disposais à aller la chercher, lorsque je la vis arriver toute joyeuse en criant : « Je suis guérie! Je suis guérie! » Le père Aubin, qui était là, lui dit: « Eh bien ! si vous êtes guérie, marchez donc devant nous sans béquille et sans bâton. » Aussitôt

 

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elle jette sa béquille et son bâton dans un coin de l'appartement et se met à marcher. avec aisance et aussi droite que moi. Le lendemain samedi, elle voulut partir. Je lui fis observer qu'il n'était pas prudent de s'en aller sans béquille et sans bâton. « Soeur Benoîte, me répondit-elle avec énergie, m'a parfaitement guérie, et je n'ai nul besoin ni de béquille, ni de bâton ; je veux faire voir ma guérison à tous les gens de Gap. » Ma tante vécut encore six ans environ, et elle ne se ressentit jamais plus de sa chûte. »

A peu près à la même époque, un prodige d'un autre genre s'opérait sur le tombeau de soeur Benoîte, en laveur d'une jeune fille de Vizille (Isère), du nom d'Henriette. Cette pauvre enfant était affligée d'une maladie des plus étranges. On l'aurait dite possédée du démon. Sa bouche ne savait s'ouvrir sans proférer d'horribles blasphèmes ou sans faire entendre d'affreux hurlements. Par moments, elle s'arrachait les cheveux; d'autres fois, elle se roulait sous la table ou broyait sous sa dent les ustensiles dans lesquels on lui donnait à manger. Elle rongeait les os comme un chien ou dévorait des immondices comme un vil animal. Si on la laissait un moment libre, elle s'enfuyait à travers champs sans chaussures, les cheveux en désordre et à moitié vêtue. Quatre hommes l'attachaient chaque jour avec des cordes sur un bayait. et le portaient ainsi sur le tombeau de soeur Benoîte, où, avec sa mère, ils faisaient les prières les plus ferventes. Au bout de quelques jours, elle fut plus calme, et la quinzaine n'était pas terminée qu'on la vit parcourir une à une toutes les maisons du Laus, pour demander pardon de toutes les abominations qu'elle avait dites.. Elle était parfaitement guérie. On la revit les années suivantes, calme, modeste et pieuse. Elle disait à ceux qui avaient pu la voir dans son malheureux état: « Je suis Henriette l'extravagante. »

 

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Encore un fait en faveur de l'heureuse paroisse de Saint-Julien. Marie Domare, âgée d'une dizaine d'années, était affligée depuis un an d'une ophtalmie si intense qu'elle ne pouvait supporter le moindre rayon de lumière. De plus, elle souffrait dans tout son corps des douleurs si vives qu'on ne pouvait la toucher sans la faire crier. Les remèdes les plus énergiques étaient restés sans effet. Sa mère alors la conduisit au Lais. « — Nous étions là depuis quelques jours, dit la femme Domare, lorsque la pensée me vint d'aller prier à la porte de la chambre de soeur Benoîte. Nous y descendîmes toutes les deux, et, pendant que nous récitions le chapelet, ma fille me dit: « Maman, je suis guérie: je vous » vois et je ne sens plus aucune douleur. » La guérison était complète et elle ne s'est jamais démentie.

Joseph-Jean-Baptiste Marie, âgé de 12 ans, de la paroisse de Mane (Basses-Alpes) , s'était fait au pied une meurtrissure, transformée ensuite en une plaie profonde qui résista pendant neuf mois aux traitements les plus actifs ordonnés par un habile chirurgien de Forcalquier. L'enfant maigrissait à vue d'oeil et ne pouvait plus se tenir debout qu'avec le secours d'une béquille et d'une personne. Un second médecin fut consulté, qui ne laissa pas plus d'espoir que le premier sur l'issue de la maladie. Cependant, comme dernier essai , on conseilla les eaux thermales de Digne. Mais la famille, plus confiante en Dieu qu'aux ressources de l'art, tut d'avis de conduire le jeune malade au Laus. « Oui, oui, s'écria l'enfant, la Bonne Mère me guérira. »

Tout fut bientôt prêt pour le départ, et, quelques jours après, le malade, accompagné de son père, de sa mère et d'un jeune frère, arrivait au Sanctuaire et y commençait une neuvaine. Tous les remèdes furent laissés de côté. On se contenta de couvrir la plaie avec une bande de sparadrap et de l'oindre chaque jour, sans enlever le bandage, avec de l'huile

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de la lampe. Ce baume fut efficace : les douleurs disparurent, l'enfant put non seulement se tenir debout, sans appui, mais il jeta son bâton et se promena longuement avec son frère, sans éprouver la moindre fatigue. Le sparadrap s'était détaché et la plaie complètement cicatrisée. De retour à Mane, le jeune homme fut visité par tous ses parents, qui purent, à leur aise, constater que la guérison était parfaite. L'année suivante (1842) , Jean-Baptiste , accompagné de sa mère et de sa soeur, vint remercier sa bienfaitrice et appendre son ex-roto aux murs du Sanctuaire.

Antoine Pauchon, de Claret (Basses-Alpes), avait été frappé, à l'âge de 49 ans, d'une attaque d'apoplexie qui lui avait paralysé les deux yeux et tout le côté gauche. Pendant quatre jours, les médecins de la Saulce, de Sisteron et de la Motte-du-Caire lui avaient inutilement prodigué tous les secours de leur art. Mais la Providence avait elle-même préparé le remède. L'une des filles du malade avait fait, quelques jours avant l'accident, un pèlerinage au Laus et en avait rapporté de l'huile de la lampe du Sanctuaire. « Qu'on me frotte, dit le malade, les yeux, le bras et la jambe avec de l'huile de Notre-Dame du Laus, et je serai guéri. » On obéit, et pendant que les onctions se font aux yeux le malade s'écrie: s Je vois la bonne Mère. » C'était un tableau de la Sainte Vierge que la pieuse famille avait placé au pied du lit de l'infirme. Au même moment le bras et la jambe paralysés recouvrent leur première souplesse et le malade peut se lever. Il était guéri. Pauchon fut reconnaissant envers sa bienfaitrice: il fut désormais un modèle de piété et de vertus chrétiennes (septembre 1845).

Joseph-Camille Pascal, âgé de 18 ans, de la commune des Eygalades (Drôme), avait la main gauche entièrement paralysée et tellement insensible que ni l'eau bouillante ni les piqûres profondes ne

 

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produisaient aucune douleur. Après avoir inutilement essayé des remèdes prescrits par la science, il se décida à venir demander sa guérison à la bonne Mère. Il fut exaucé, et voici comment il raconte lui même le fait : s Arrivé au Laus le samedi au soir (6 septembre 1851), je me confessai, sans parler à mon confesseur du motif de mon pèlerinage; je me réconciliai le lendemain et je fis dire une messe à mes intentions. Je communiai à la messe suivante. Au moment de saisir la nappe, comme je tenais mon livre de la main droite, je le passai à la gauche par une volonté instinctive et je le soutins comme si ma main n'avait jamais été malade. Je crus alors que j'étais guéri; et, en effet, depuis lors je me sers indistinctement de mes deux mains. »

Cette guérison a été attestée véritable par le père et la mère du jeune homme et par plusieurs témoins.

Le 10 juin 1852, Séraphin Degmonaz, de St-Martinla-Porte (Savoie), fut guéri de l'épilepsie. Voici, de ce fait, son propre témoignage et celui de M. Perret, curé de sa paroisse :

« Je soussigné, Séraphin Degmonaz, de St-Martin-la-Porte, du diocèse de St-Jean-de-Maurienne, en Savoie, déclare avoir été guéri de l'épilepsie par l'intercession de Notre-Dame du Laus, le jour de la Fête-Dieu de l'an passé. J'ai à peine vingt-trois ans. Depuis six ans j'étais atteint de cette maladie dont les accès se faisaient sentir toujours aux nouvelles lunes et quelquefois tous les quinze jours. J'ai passé dix jours au Laus, demandant ma guérison à la Sainte Vierge. Je n'ai plus rien ressenti depuis, si ce n'est en m'en allant, une faiblesse d'une minute tout au plus, tandis que, auparavant, les attaques duraient un bon quart d'heure. Je suis revenu cette année faire une neuvaine d'actions de grâces, et j'ai dicté ce récit en présence de mon père.

 

» Notre-Dame du Laus, le 23 mars 1853.

 

» Signé:

» DEGMONAZ, Séraphin; DEGMONAZ, Philippe. »

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M. le curé de Saint-Martin-la-Porte, consulté sur l'exactitude de cette déposition, répondit, le 25 avril suivant :

« Monsieur le Supérieur, en réponse à votre bien honorée lettre que j'ai reçue le 8 du courant, je puis vous certifier en toute sûreté de conscience que le sieur Degmonaz, Séraphin, ne vous a pas menti.

» Il n'y a point de doute sur l'existence de la maladie avant son premier pèlerinage à Notre-Dame du Laus. Depuis dix ans que je suis dans cette paroisse, j'ai entendu dire bien souvent que ce jeune homme tombait fréquemment d'épilepsie. Au moment du tirage au sort, il a été réformé à cause de cette maladie, et cela sur le témoignage des autres conscrits. Depuis son retour du Laus il n'a plus repris son mal... » J. PERRET. »

 

Joseph Tourniaire, de Curel (Basses-Alpes), guéri au Laus d'une paralysie, a raconté lui-même le fait, dans le patois de son pays, en présence de M. Augier, curé de la paroisse. Pour la commodité du plus grand nombre de nos lecteurs, nous donnons ici la traduction de ce récit.

« Il y avait plus de six mois, bon monsieur le curé, que la paralysie me tenait dans les souffrances, le corps courbé vers la terre et dans l'impossibilité de marcher autrement qu'avec le secours d'un bâton. Après avoir fait bien des remèdes qui ne me servirent de rien, j'eus l'heureuse pensée d'aller me faire guérir à Notre-Dame du Laus. (Ici le brave homme est ému: il ne s'exprime qu'avec peine et les larmes aux yeux). Je partis, comme vous le savez, pour le salit pèlerinage, au milieu des railleries de ceux qui malheureusement n'ont point de foi. — Pourra-t-il, disaient les uns, s'amener si loin? Il veut y aller, disaient les autres, mais il va chercher sa mort, — Pauvres aveugles, pensais-je en moi-même! S'ils connaissaient le pouvoir que la bonne Mère a dans le ciel, ils ne parleraient pas de cette façon. Enfin il

 

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n'y avait que les bonnes âmes de ce pays qui m'encourageassent à accomplir mon voeu. Je partis donc et au bout de deux jours j'étais au beau Sanctuaire du Laus. Ah! qui pourrait dire la joie et les consolations qui inondèrent mon âme? Il n'y a que le bon Dieu et la bonne Mère qui sachent ce qui se passa en moi-même. Ayant adoré Notre-Seigneur et renouvelé ma consécration à sa sainte Mère , je me trouvai si bien que je me redressai comme un l sans plus ressentir aucune douleur et content comme je le suis aujourd'hui.

 

A la suite de ce récit, M. le curé de Curel ajoute : « Ce qui rend le miracle encore plus authentique, c'est la bonne conduite du sieur Tourniaire, car depuis sa guérison il est pour toute la paroisse un vrai modèle et un sujet d'édification. Avant cette époque remarquable, il était sans doute bon chrétien, puisqu'il faisait ses pâques; mais depuis sa guérison miraculeuse, il n'a plus cessé de fréquenter les sacrements. Il suit un règlement de vie, fait tous les jours sa visite au Saint-Sacrement et communie tous les dimanches. On ne voit dans tous les détails de sa vie que des vertus et peu ou point de défauts. Je suis heureux de lui rendre publiquement cet hommage. »

 

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CHAPITRE VII Couronnement de la Vierge au Laus (1)

 

Si les tendresses et les miséricordes de la Sainte Vierge sont innombrables, grande aussi est la re-connaissance des peuples. La louange à son égard ne tarit plus chez les nations chrétiennes; elle se manifeste par la parole et par les actes, par les fêtes et par les monuments, par les associations et par les pèlerinages. En particulier, que de bénédictions lui sont adressées depuis plus de deux siècles dans ce vallon où elle s'est montrée si bonne! Y a-t-il dans les Alpes un village, un Hameau, une chaumière d'où les yeux ne se tournent avec amour vers son Sanctuaire ? Ces concours, ces chants , ces prières, ces larmes, cette confiance, en un mot, dont nous avons rappelé le souvenir, qu'est-ce autre chose qu'une louange immense incessante à la Reine du Laus? Cependant cette louange n'était pas complète, tant qu'il y manquait la voix de Rome, une parole de Pie IX, un hommage rendu par le Chef de l'Eglise. Depuis le 23 mai 1855, nous n'avons plus rien à désirer.

Lorsque Mgr Depéry, dans son pèlerinage ad limina Apos9lorunt, au printemps de 1854, présenta au Souverain Pontife le compte rendu de son administration épiscopale, Pie IX lut avec une attention et une émotion visibles dans ce compte rendu tout ce

 

(1) Nous suivons, pour le récit de cet événement, le compte rendu officiel rédigé par M. Lépine, chancelier de l'Evêché. Nous abrogeons souvent, mais nous restons fidèle narrateur.

 

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qui concernait le pèlerinage et le Sanctuaire de Notre-Dame du Laus, puis s'adressant au Prélat: « Et moi, dit-il, que pourrais-je faire pour ce sanctuaire béni? » — En couronner la Vierge, répondit l'évêque. — Le Pape sourit à cette proposition et ordonna qu'il lui fût présenté une histoire complète de cette fondation, afin de donner à son bref apostolique des bases incontestables. Le Prélat offrit à sa Sainteté un mémoire détaillé sur l'origine et les progrès toujours croissants de cette dévotion. Après l'avoir lu attentivement, le Saint-Père daigna, par une lettre apostolique du 6 avril 1854, agréer la supplique de l'évêque de Gap et déléguer Sa Grandeur pour couronner, en son nom et de son autorité, la statue de Sainte Vierge vénérée au Laus.

Voici un extrait du bref du Saint Pontife :

 

 

Par votre lettre du 7 février dernier, nous avons appris avec grande joie qu'un temple vénéré, dédié à la Mère de Dieu, fut fondé autrefois par le peuple fidèle dans le village du Laus, au sommet des Alpes, en votre diocèse, que ce Sanctuaire célèbre par les miracles qui s'y opèrent, est honoré par la dévotion et le concours considérable de pieux pèlerin, et par le nombre des communions qui s'élèvent chaque année à plus de 40,000. C'est pourquoi, pour augmenter la piété envers la Mère de Dieu, Reine du Ciel, vous nous avez demandé avec ardeur que la statue de la bienheureuse Vierge qui est dans ce temple célèbre, et vers laquelle les fidèles accourent avec tant de dévotion, comme vers le refuge le plus certain et le plus assuré, fût couronnée en notre nom. Assurément rien ne peut nous causer plus de joie, rien ne peut nous élite plus agréable, rien ne peut être plus conforme à nos désirs que de travailler avec un soin tout particulier à favoriser, à exciter, à étendre en tous lieux et en tout temps la piété et le culte envers la Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, notre Mère à tous la plus tendre, la patronne la plus puissante, l'espérance la plus ferme, par laquelle le ciel est rempli , l'enfer dépeuple, par laquelle les ruines de la céleste Jérusalem sont relevées, qui rend la vie aux malheureux qui l'ont perdue et qui l'attendent, et par l'efficacité des prières de laquelle les coupables obtiennent leur pardon, les infirmes leur guérison, les faibles le courage et, la force, les affligés la consolation. (S. Bernard. Serm. 4, sur l'Assompt.)

 

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Pour ces raisons, vénérable Frère, nous nous faisons une véritable joie d'exaucer très volontiers vos pieux désirs. En conséquence. par ces présentes lettres. nous vous accordons la faculté de décorer D'une couronne, en notre nom et de notre autorité, la statue de la bienheureuse Vierge vénérée dans le Sanctuaire du Laus en votre diocèse, tout en observant dans celte solennelle cérémonie ce qui a coutume d'être observé…

 

 

Sa Sainteté accorde ensuite de précieuses indulgences, puis elle termine en disant :

 

Vous voyez par la, vénérable Frère, avec quel vif empressement et quelle spontanéité nous avons obtempéré à vos désirs et avec quelle satisfaction du coeur nous saisissons cette occasion pour vous donner un nouveau témoignage de la bienveillance particulière que nous vous avons vouée dans le Seigneur      

 

 

En vertu de ce bref apostolique, le couronnement de Notre-Dame du Laus devait avoir lieu le 8 septembre suivant.; mais le choléra qui avait envahi les Alpes et sévissait dans les départements voisins, força Mgr de Gap à renvoyer cette imposante cérémonie à une autre époque. Le 23 mai 1855 fut choisi, comme le jour le plus convenable pour la réunion au Laus de plusieurs évêques convoqués à la solennité. A cette occasion, le Prélat publia un mandement que nous reproduisons en partie, ainsi que le dispositif qui l'accompagne.

 

Nos Très Chers Frères,

 

Entre toutes !es faveurs insignes dont il a plu à la paternelle munificence du vicaire de Jésus-Christ de nous combler, pendant notre dernier séjour à Rome, il n'en est pas, sans doute, de plus précieuse à notre coeur, que le bref apostolique qui décerne une couronne d'or à Notre-Dame du Laus. Ce public témoignage de la haute vénération du Saint-Père pour la Vierge de nos montagnes, n'a pu vous laisser indifférents vous-mêmes, nos très chers Frères, et dans vos cours comme dans le nôtre ont éclaté les sentiments de la joie la plus vive et de la reconnaissance la plus profonde envers le glorieux pontife, qui associe ainsi avec tant

 

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d'éclat ses hommages aux hommages séculaires dont nous entourons l'image vénérée de Notre-Dame        

Nous allons donc , avec l'allégresse d'un coeur entièrement dévoué à cette Bonne Mère, remplir au milieu de vous la mission d'honneur qui nous est confiée, nous allons, en déposant sur la tète de Marie la couronne d'or, envoyée de Ponte, la reconnaître solennellement polir la Reine bien-aimée de ce diocèse.

Oh ! oui, qu'elle soit désormais notre Reine et que nous soyons son peuple; son peuple fidèle à respecter ses volontés souveraines, fidèle à imiter ses vertus ! Qu'elle soit notre Reine et que de son trône sublime , elle abaisse sur cette terre des Alpes des regards de miséricordieuse complaisance et de bienveillant amour! Qu'elle soit notre Reine el que sous son sceptre si doux, toutes les tètes s'inclinent( Qu'elle soit notre Reine continuant à nous bénir, à nous protéger, à nous secourir, dans tous nos besoins ! Qu'elle soit notre Reine et que jamais la révolte ne vienne secouer ce joug si suave et ce fardeau léger? Oh ! non, Marie, itou, puissante Souveraine des Anges et des hommes, douce Reine de nos coeurs, votre royauté ne sera jamais méconnue, jamais contestée dans nos religieuses montagnes! A nos yeux vous porterez éternellement la triple couronne de la pureté immaculée qui fait germer les vierges, de la miséricorde, qui intercède et à qui rien n'est refusé, de la vérité à qui il appartient de dompter toutes les erreurs: Tu sola cunctas haereses interemisti . Vous régnerez, vous dominerez, vous bénirez à jamais , vous serez toujours, après le Sauveur, notre vie, notre douceur, notre espérance : Vita, dulcedo et spes nostra.

En couronnant la Mère, nos très chers Frères, nous couronnons aussi le Fils, car à cet Enfant divin appartient la royauté de la toute-puissance ; c'est lui, le dominateur des temps qui doit porter au front le signe du roi des rois et le symbole des triomphateurs; c'est. lui, le vainqueur de la mort qui doit régner dans les siècles des siècles; et, devant cette royauté éternelle, à jamais fléchira tout genou au ciel, sur la terre et dans les enfers.

Mais ne sera-ce pas aussi votre couronnement, ô vous, pauvre fille îles champs, humble Benoîte, dont la vie angélique s'écoula tout entière sous l'horizon restreint de cette étroite vallée, dans un commerce mystérieux avec la Reine du ciel ; à vous dont les vertus cachées embaumèrent cette solitude, et dont toutes les forces s'usèrent à procurer à la Mure de Dieu les hommages d'un sanctuaire nouveau ? Dans l'attente de l'auguste solennité votre coeur tressaille déjà d'allégresse, et, au jour désigne, sans doute vous serez-là, auprès de votre céleste Maîtresse, peur poser avec nous la couronne d'or sur sa tête, dont la majesté et l'éclat vous ravirent si souvent à la terre.

Et vous, nos chers Coopérateurs, qui aimez tant Marie dans

 

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son Sanctuaire du Laus, vous serez aussi à nos côtés dans cette solennelle circonstance, et vos rangs pressés et nombreux, diront à la Reine du Clergé l'ardent dévouement de vos coeurs.

Pour vous, nos très chers Frires, qui, dans un transport universel , avez salué le triomphe de votre Dame et Mère, vous accourrez de tous les points de notre diocèse, lui offrir la couronne et jouir de sa gloire… Nous vous annonçons donc une grande joie,... oui, une joie pour tous, prêtres et fidèles, car la couronne que nous allons ensemble déposer sur ce front de Reine, symbole de son auguste empire, projettera sur la tête de ses enfants son reflet glorieux. Dans ce nouvel honneur sera un titre nouveau à la protection, aux faveurs, à l'amour de la Vierge du Laus. De son Sanctuaire, s'épancheront avec plus d'abondance les eaux divines et vivifiantes dont elle est le canal fortuné, et ce désert sera changé en un lieu de délices, cette solitude en un nouvel Eden (Isaï 51) ....

 

A CES CAUSES:

 

Nous avons statué et statuons ce qui suit:

 

Article Ier. — La solennité du Couronnement est fixée au mercredi 23 mai prochain.

Art. 2. — Cette cérémonie sera faite conformément au programme envoyé de Rome.

Art. 3. — Nous invitons tous les prêtres de notre diocèse, dont la présence ne serait pas absolument nécessaire dans les paroisses, à assister au Couronnement.

Art. 4. — Nous invitons aussi les fidèles à venir en grand nombre et processionnellement, autant que faire se pourra, à cette fête de triomphe de Celle qui désormais va régner d'une manière particulière sur notre pays, pour le protéger.

Art. 5. — Les paroisses qui le pourront aisément sont priées d'envoyer leurs bannières pour la décoration du Sanctuaire.

Art. 6. — Pendant les trois jours qui précéderont le couronnement, les cloches de toutes les paroisses et celle des Communautés religieuses de notre diocèse, sonneront comme aux fêtes, le soir à l'Angélus, pour annoncer la solennité.

Article 7. — Un Triduum d'actions de grâces sera célébré au Sanctuaire.

 

Donné à Gap, le 15 avril 1855.

 

IRÉNÉE, Evêque de Gap.

 

Monseigneur avait invité à honorer de leur présence l'auguste couronnement Son Eminence le cardinal Donnet , archevêque de Bordeaux

 

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Mgr Darcimoles, archevêque d'Aix, Arles et Embrun, Mgr Franzoni, archevêque de Turin, Mgr Débellay, archevêque d'Avignon, M Meirieu, évêque de Digne, et M Ginoulhiac, évêque de Grenoble. Tous ces prélats se rendirent à son invitation, et tous furent reçus à Gap, en grande pompe la veille de la cérémonie.

Le lendemain, les prélats firent de bonne heure et à pied le trajet de Gap au Laus. Les premiers magistrats du pays en firent autant. Ce ne fut pas le moins touchant des spectacles de ce jour, qui en eut de si beaux, de voir ces hommes chargés de présider aux choses du ciel et aux choses de la terre, se mêler avec les humbles et les simples, prendre rang parmi les plus pauvres et ne se distinguer que par un zèle plus grand, avant de monter aux places d'honneur que leur dignité et leur caractère leur assignaient dans cette fête. Toutes les conditions étaient là mêlées; on voyait la soie à côté de la serge, l'épaulette à côté de la soutane, l'habit brodé du fonctionnaire à côté de l'hermine du prélat.

Dès que du Laus on aperçut les pontifes, les cloches donnèrent le signal, et le clergé, présidé par le R. Supérieur des Missionnaires, vint processionnellement les recevoir au pied de la montagne et leur faire cortège jusqu'au Sanctuaire.

La foule rassemblée au saint vallon était immense. Des officiers supérieurs , habitués à évaluer les masses, ont déclaré ne pas exagérer en portant à quarante mille environ le nombre des pèlerins de ce jour. La terre disparaissait sous ces flots houleux de population, et ceux qui ne pouvaient trouver une place sur le sol allaient demander aux arbres un ,abri et un espace qui leur permît de suivre la brillante fête. Ces jeunes gens assis sur les branches élancées des noyers, montrant leur tête brune à travers le feuillage, ne laissaient pas d'ajouter au pittoresque du tableau.

 

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Pour procurer au plus grand nombre le bonheur de voir l'auguste Couronnement, les PP. Missionnaires ont choisi un immense amphithéâtre. Au bas, s'élève une large estrade ornée de guirlandes, de fleurs, de bannières et d'oriflammes au chiffre et aux couleurs de Marie. Cette estrade supporte un autel à grandes dimensions surmonté lui-même par la statue qui va recevoir le royal diadème. Tout autour du baldaquin qui couronne gracieusement l'autel, on lit en lettres d'or cette touchante invitation à la Vierge : Veni, coronaberis. En face les gradins naturels de ce gigantesque amphithéâtre, qui n'a pour voûte que le ciel, sont couverts de la multitude accourue là des quatre vents du ciel.

Le préfet du département, le député au Corps législatif, les Magistrats, toutes les Administrations, sont à la tête de ce peuple immense, en costume officiel.

Il est dix heures. Les pontifes, précédés de six cents prêtres, s'avancent lentement à travers les rangs pressés de la foule et au chant des litanies. Devant eux, marchent, portant les couronnes, un camérier secret de Sa Sainteté Pie IX, le doyen du chapitre de Gap, les chanoines de cette cathédrale et les délégués des chapitres de la province, officiellement invités.

Les prélats ont monté les degrés couverts de fleurs; ils ont pris place. Alors les chants cessent, la musique se tait, un silence solennel s'établit.

L'Evêque de Gap procède à la remise solennelle des couronnes aux Missionnaires du Laus, dépôt précieux qu'ils jurent de garder et de défendre au péril même de leur vie. Le chancelier épiscopal est là et rédige le procès-verbal authentique. L'acte est lu et signé. Puis le délégué explique à la foule attentive le motif de l'auguste cérémonie qui va se faire au nom du saint et immortel Pie IX.

En terminant cette allocution, le prélat entonne le

 

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Sub tuum praesidium, que la foule continue avec un pieux enthousiasme. En ce moment le ciel, qui jusque-là avait été menaçant, s'éclaircit tout à coup, le soleil resplendit de tout son éclat et fait étinceler les couronnes d'or déposées sur l'autel. On eut dit que l'hymne sainte, en montant vers le trône de Marie, avait, d'un souffle puissant, écarté les nuages, afin que d'en haut la Mère pût sourire à ses enfants.

En même temps, le Cardinal-Archevêque quitte son trône, s'avance vers l'autel et commence le Saint-Sacrifice.

Après l'Evangile, Son Eminence fait entendre à son tour la parole sainte à cette multitude avide et recueillie.

Après avoir rappelé comment le Souverain Pontife avait décerné une couronne d'or à Notre-Dame du Laus , après avoir redit en quelques mots les titres que la Vierge du Laus avait à cet honneur singulier, Son Eminence ajoute: « C'est donc avec bonheur que nous sommes accouru de l'une des extrémités de la France, pour déposer sur la tête de Marie, de concert avec votre digne Evêque, son illustre métropolitain, et ce choeur de vénérables pontifes, au milieu desquels nous apparaît un confesseur de la foi, la couronne d'or envoyée par l'immortel Pie IX à la Vierge des Alpes...

« Ce n'est pas au milieu des populations religieuses pressées autour de nous qu'il sera nécessaire de justifier ce culte d'amour, de respect et d'honneur que nous rendons à Marie. Il suffira de rappeler ici que ce culte a grandi avec l'Eglise et comme l'Eglise, qu'il prend toutes les formes, se personnifie selon tous nos besoins. Est-il, en effet, un des chemins de la vie sur lequel la Reine des Cieux ne vienne se placer? Pour le voyageur égaré, c'est Notre-Dame de Bon-Rencontre; pour l'affligé, Notre-Dame de l'Espérance ; pour celui qu'on délaisse, Notre-Dame de Bon-Secours; pour l'être souffrant,

 

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Notre-Dame des Douleurs; pour le matelot, c'est Notre-Dame de la Délivrance; pour le solitaire, Notre-Dame des Bois, Notre-Dame des Rochers ; pour le guerrier, Notre-Dame des Victoires; pour le pécheur, Notre-Dame de la Miséricorde, Notre-Dame de Grâce, Notre-Dame du Refuge, Notre-Dame de Bon Retour ; pour l'heureux du siècle, s'il en existe ici-bas, Notre-Dame de Liesse; sur les monts glacés, c'est Notre-Dame des Neiges; comme au fond des vallées, sur le bord des ruisseaux et des fleuves, c'est Notre-Dame du Lac. Chaque souffrance, chaque besoin qui naît à l'homme, enfante une dévotion à Marie. Sur le sommet des Alpes ou des Pyrénées, au faîte des basiliques de Lorette, de Saragosse et de Milan, sur les clochers de Fourvières et de Verdelais, sur les abîmes de Rocamadour, sur la roche escarpée de Marseille, à l'entrée d'un palais, sur la porte d'une chaumière ou dans l'atelier d'un travailleur, partout elle fait pénétrer dans les âmes un rayon d'espérance, une pensée d'amour, un sentiment de confiance qui fortifie et qui console. »

Son Eminence dit ensuite que le culte de Marie est un des caractères les plus saillants du catholicisme. Puis Elle établit avec une logique rigoureuse que le culte de respect et d'amour rendu à Marie ne reste point stérile, mais se change en un culte d'imitation, et engendre par conséquent les plus admirables vertus; Elle montre ce culte progressant à travers les siècles et marquant de son sceau gracieux l'architecture, la peinture, la sculpture, tous les beaux-arts, sans en excepter la poésie et l'éloquence. Et rien de plus légitime que ce culte, car non seul rnent il tourne à la gloire de Dieu, qui a fait en Marie de si grandes choses, mais il repose sur les privilèges les plus glorieux accordés à cette humble fille de Juda. Le plus beau de ces privilèges, élevé depuis peu au rang des dogmes catholiques,

 

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a suscité des acclamations qui, de Rome où elles ont rempli la coupole de Saint-Pierre, sont allées, se répétant, de sanctuaires en sanctuaires, jusqu'aux extrémités du monde. « Et, bien que ce culte soit universel, ne semble-t-il pas que le chef auguste de la catholicité ait eu à coeur de récompenser, plus spécialement, la nation dont les transports , les élans, ont été plus énergiques, plus universels? De là, ces couronnes déposées simultanément sur la tête des statues de Notre-Dame du Laus, de Mauriac et de Chartres, et bientôt sur la tête de Notre-Dame de Verdelais. Ce nouvel honneur accordé à votre protectrice, est, N. T. C. F., un grand sujet de joie pour vous tous. Cette couronne, en brillant sur le front de la Mère, projettera sur la tête de ses enfants un reflet glorieux.

» Célébrons cette fête avec un saint enthousiasme! Que Marie soit toujours notre Reine bien-aimée ! Que du haut de son trône de gloire, elle abaisse sur cette terre des Alpes et sur tous les diocèses des Pontifes accourus pour prendre part à son triomphe, des regards de miséricordieuse bonté et de bienveillant amour ! Que de ce Sanctuaire, enfin, où nous la proclamons, avec l'Eglise, notre douceur, notre espérance, Vita, dulcedo et spes nostra, s'épanchent avec abondance les eaux vivifiantes dont elle est le canal fortuné! Mais pourrions-nous en cette solitude, changée par elle en un nouvel Eden, ne point lui parler de ceux de nos frères qui, à la voix de l'obéissance et de l'honneur, sont allés planter le drapeau de la France sur les plages lointaines de l'Orient. Si les manifestations de la foi la plus vive, de la piété la plus agissante, donnent tant de prix, pour la vie éternelle, aux fatigues et aux périls qu'ils essuient dans ce brillant épisode de leur vie militaire, j'en ferai remonter l'honneur jusqu'au trône de la Mère de Dieu. C'est que, sous les murs de Sébastopol comme dans le Sanctuaire de

 

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Notre-Dame du Laus, a été solennellement inaugurée son image bénie, placée sur le vaisseau amiral comme un monument de confiance en la protection de la Reine des cieux. Puisse la tombe de ceux de nos braves destinés à mourir loin du pays qui fut leur berceau, devenir sous le patronage de Marie, le portique glorieux de la bienheureuse immortalité! »

 » Ces chaudes paroles résonnent profondément dans tous les coeurs, lorsque le pontife entonne le Credo, et trente mille voix lui répondent, trente mille voix chantent, en un seul coeur, la profession de foi catholique. Le sacrifice s'achève. Les prélats, revêtus de leurs chapes les plus riches, la mitre en tête, la crosse à la main, précédés des couronnes, montent par un large escalier vers la statue de Marie. Le délégué prononce les belles oraisons du pontifical, et, Cardinal, Archevêques, Evêques, tous réunis autour de l'image vénérée, placent ensemble les diadèmes sur la tête du Fils et sur la tête de la Mère. En ce moment, le choeur entonne l'antienne Regina caeli laetare : Reine du ciel réjouissez-vous; et le clergé et le peuple reprennent: Reine du ciel réjouissez-vous; et les cloches, éveillant les échos des montagnes, envoient dans les airs leurs joyeuses volées, et la musique sonne ses !Mus brillantes fanfares. C'est le moment solennel. Un mouvement électrique a parcouru la nombreuse assistance; pontifes, prêtres, magistrats, hommes et femmes. enfants et vieillards, tous comprennent que quelque chose de grand vient de s'accomplir dans ce vallon solitaire. Les yeux se mouillent de larmes et les coeurs débordent de sentiments inexprimables.

Ce fut au milieu de cette émotion générale que Monseigneur de Gap, dans une consécration solennelle, plaça son diocèse aux pieds de la Reine des cieux et appela sa puissante protection sur l'Eglise et sur la France.

 

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Un spectacle aussi pieux que solennel termine cette première partie de la journée; c'est la bénédiction donnée au peuple par tous les prélats réunis.

Après quelques moments de repos, la foule se reforme autour du trône de la Vierge couronnée, et l'office du soir commence. Il est présidé par Mgr l'Archevêque de Turin, qui, de la place qu'il occupait, pouvait, à l'horizon lointain, voir blanchir les sommets élevés des montagnes de son bien-aimé diocèse et de son infortunée patrie.

Les Vêpres terminées, un orateur célèbre, M. l'abbé Reynaud, vicaire général d'Aix, vient à son tour renouveler les émotions et ajouter encore aux beaux enseignements du matin, et l'auditoire était encore sous la douce émotion de cette éloquence, quand la bénédiction du Très Saint-Sacrement vient faire courber tous les fronts en élevant tous les coeurs.

Mais la journée n'était pas finie; restait la fêle du soir, ou plutôt la fête de nuit, car au Laus les nuits ont aussi leurs splendeurs, leurs pieuses émotions.

Les ombres étaient descendues; quelques pèlerins avaient quitté le saint vallon, mais le plus grand nombre était là , les uns se pressant au Sanctuaire, les autres formés en groupes aux alentours et chantant les louanges de Celle qu'ils étaient venus honorer et bénir.

Mais la nuit devient noire; alors des pièces d'artifices du plus bel effet embrasent et transforment le vallon, de brillantes fusées montent dans les airs et retombent en une pluie de feu sur ces humbles villageois émerveillés de ce spectacle; peu à peu les montagnes s'éclairent et brillent de feux allumés sur leurs sommets par les habitants des paroisses voisines; puis tout à coup et comme par enchantement la flèche du clocher s'illumine et s'embrase à son tour; les longues façades du couvent, de l'hospice Sainte-Marie, la pauvre chambre de la soeur

 

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Benoîte elle-même éclatent de lumières. Des flammes bleus, vertes, rouges, projettent et marient sur cette scène les teintes les plus vives et les mieux fondues.

Un nouveau jour s'est fait au sein de la nuit, et à sa clarté une longue procession s'organise. Elle va, précédée des élèves du Grand-Séminaire, portant des torches, le long des chemins couverts de la vallée. Hommes, femmes, enfants, vieillards, tous se pressent, tous les suivent sans rang assigné, et cependant sans tumulte et sans désordre. Elle descend, elle monte, elle redescend et elle remonte encore, enfin elle arrive devant le Sanctuaire; les portes s'ouvrent toutes larges et la foule s'arrête dans l'admiration. L'église entière, du pavé à la voûte, resplendissait; des chiffres enflammés, des devises éclatantes, des guirlandes et des gerbes de feu et dans le fond, au milieu d'une auréole éblouissante , la Vierge avec sa couronne d'or. C'était à faire rêver du Ciel.

Les chants continuèrent jusqu'à l'aurore. Cette nuit fut toute sans sommeil pour le corps, mais l'âme, mais le coeur, comme ils subissaient la suave influence de ce calme repos en Dieu! Ainsi se termina ce jour du 23 mai qui restera l'un des jours mémorables de l'histoire du Laus.

La fête du Couronnement avait été si belle que la pensée se présenta naturellement d'en perpétuer le souvenir. En effet, M Depéry, par la lettre pastorale du 20 avril 1856, pouvait annoncer que ce souvenir resterait à jamais consacré pour les pieuses populations des Alpes, puisque le Souverain Pontife Pie IX « qui s'était montré si plein d'une tendre dévotion pour notre Vierge du Laus » avait accordé au diocèse de Gap une fête et un office commémoratifs de la grande fête du 23 mai et une indulgence plénière pour le même jour.

Sa Grandeur annonçait en même temps que la

 

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souscription annoncée pour offrir au Laus une croix processionnelle commémorative avait eu un tel succès qu'elle permettait d'offrir en plus une lampe digne de renfermer l'huile qui fait des miracles, et Elle invitait les fidèles à renouveler les concours et les pompes du couronnement.

L'appel du Prélat fut entendu , et la fête du 23 mai 1856 fut digne de l'événement qu'elle rappelait. Le lendemain l'Annonciateur, de Gap, donnait de cette solennité un compte rendu détaillé dont nous extrayons les lignes suivantes:

« Encore une de ces douces fêtes que nos religieuses populations aiment tant à célébrer en l'honneur de Notre-Dame. Hier, 23 mai, ramenait le premier anniversaire du glorieux Couronnement de la Vierge du Laus. Dès la veille, de nombreux pèlerins étaient arrivés, et le matin du jour fixé pour la cérémonie, malgré une pluie d'orage qui avait détrempé les chemins, de chaque sentier de la montagne se pressaient, vers le Sanctuaire, des flots de peuple, de ce bon peuple des Alpes, à la foi antique, au coeur simple, à l'extérieur grave et recueilli, tel aujourd'hui qu'il était aux siècles passés, avec sa vie au hameau, ses moeurs patriarcales, ses pratiques religieuses bien gardées. »

N'oublions pas un fait que les pèlerins remarquèrent et dont ils furent singulièrement édifiés.

Une foule de jeunes soldats revenus de Crimée et en garnison ou de passage à Gap , étaient accourus à la fête. Plusieurs d'entre eux, portant sur leur figure les marques de leurs souffrances et sur leur poitrine le signe de leur valeur, avaient fait les deux lieues qui séparent la ville du désert, à l'aide de béquilles ou au bras de leurs camarades. Pauvres jeunes hommes, que la foi soutenait par ces rudes chemins des Alpes et que leur amour pour Marie amenait ainsi faibles et malades à son Sanctuaire! Ah ! c'est qu'ils se souvenaient que sur les champs

 

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de bataille, dans les ambulances, dans tous leurs dangers, sa médaille bénite, son rosaire, son nom avaient été leur refuge, leur secours et leur plus ferme appui! Qu'il était beau de les voir à genoux devant la statue de la Vierge, priant avec ferveur, chantant avec enthousiasme les saints cantiques et quittant, non sans regret et les derniers, l'heureux vallon du Laus ! C'est pourtant là, se disait-on, dans cette humble chapelle et dans ces exercices d'une dévotion d'enfant que se font les premiers soldats du monde!

Daigne la Reine de ces lieux se souvenir de tous ces hommages qui montent si ardents vers elle, pour ensuite les faire redescendre sur la France et sur nous en grâces miséricordieuses et en saintes bénédictions !...

 

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CONCLUSION : Procès de Canonisation de Soeur Benoîte. Erection du Sanctuaire en Basilique mineure. Dernier vœu.

 

Le couronnement donna comme un nouveau relief au pieux pèlerinage et attira de nombreuses foules et des concours plus considérables au vénéré sanctuaire. Le Laus a connu aussi cet élan qui, de nos jours, a mis en mouvement les diocèses de France vers les lieux de dévotion les plus renommés. C'est ainsi qu'on y a vu des pèlerins isolés ou des groupes des diocèses les plus voisins et les plus éloignés. Il en est venu de la Suisse, de la Belgique, de l'Angleterre et même du Canada et des autres parties de l'Amérique. Des pèlerinages ont été organisés des  diocèses d'Aix. de Marseille. de Digne, de Valence, de Grenoble, de Lyon et des diocèses de la Savoie. La Bretagne elle-même s'est mise en marche et deux fois déjà on a vu des concours partis du diocèse de Rennes pour venir saluer la Reine des Alpes. Notre-Dame du Laus a été douce et bonne pour eux, car on a recueilli de la bouche de plusieurs prêtres bretons cette parole émue: « Nulle part nous n'avons éprouvé les impressions et les consolations que nous avons trouvées ici; nous reviendrons. » L'Italie n'a pas voulu rester en arrière, Turin et Saluces y sont venus en pèlerinage (1).

 

(1) Les pèlerinages de  plus en plus nombreux qui se rendent à Notre-Dame du Laus faisaient regretter de ne pouvoir loger plus convenablement les pieux pèlerins. Dès sa nomination comme supérieur, le Rév. Père Albert, dont tout le monde connaît l’activité et loue la bienveillance, se préoccupa de cette situation. Grâce à ses soins , le couvent peut recevoir actuellement un plus grand nombre d'hommes, et deviendra pour eux ce que la maison de Sainte-Marie est déjà pour les personnes du sexe.

 

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Les faveurs spirituelles et corporelles se sont multipliées à l'égal de l'empressement des peuples. Plus tard on en publiera le récit; ces grâces sont encore trop récentes pour les faire connaître. Qu'il suffise de dire que le bras de la bonne Mère du Laus ne s'est pas raccourci, que sa puissance et sa bonté ne se lassent point de répondre aux voeux qui lui sont adressés avec une sainte confiance. Chaque jour est témoin de nouveaux prodiges et chaque jour porte vers le ciel les actions de grâces de ceux qui ont été exaucés.

L'humble Bergère, et c'était justice, devait avoir sa part de la gloire et de l'honneur qui brillait au front de la Mère, depuis que Pie IX l'avait couronnée. Marie ne voulut pas que sa servante fût oubliée. Aussi mit-elle au coeur du successeur de Mgr Depéry le désir d'exalter à son tour l'instrument dont s'était servi la Sainte Vierge pour opérer de si grandes merveilles. Dès son arrivée dans le diocèse, Mgr Bernadou, ainsi qu'il a été dit, travailla à la Canonisation de soeur Benoîte. Le premier procès de l'ordinaire fut envoyé à la Sacrée Congrégation des Rites qui, le 2 septembre 1871, décida qu'il y avait lieu de signer la commission de la Cause. Le 7 du même mois et de la même année, N. T. S. Père le Pape Pie IX ratifia et confirma la décision de la Sacrée Congrégation et signa de sa propre main l'introduction de la Cause de la Vénérable serrante de Dieu, Benoîte Rencurel. A partir de ce jour, Benoîte put être appelée Vénérable et c'est sous ce titre qu'elle sera invoquée, en attendant que l'Eglise la place sur les autels. A cette occasion, l'illustre prélat se fit un bonheur d'accéder au désir de son vénéré successeur, Mg, Guilbert, et de venir présider les fêtes qui

 

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se célébrèrent le mois de mai suivant, en 1872. Tous deux furent à l'honneur et l'on peut ajouter à la peine, puisque M Guilbert fut chargé d'établir le procès concernant les Ecrits.

Les temps si troublés et les inquiétudes patriotiques absorbaient trop les esprits, à cette époque, pour continuer une oeuvre aussi considérable. L'épiscopat se devait à la défense des intérêts sociaux et religieux si gravement menacés, et ce fut sous l'empire de telles préoccupations que Mgr Guilbert laissa pour un temps la Cause de notre Vénérable. Ses quatre successeurs immédiats ne firent que passer sur le siège de Gap et n'eurent point le loisir de s'en occuper. Dès que Mgr Berthet, l'évêque actuel, fut installé, il prit il tâche de réparer le temps perdu et, dès les premiers mois de l'année 1890, pourvu des lettres apostoliques qui le déléguaient à cet effet, il instruisit le premier procès De famà Sanctitatis et de Virtutibus et Miraculis in genere. Achevé en l'espace d'une année, terme assigné par les lettres rémissoriales, ce procès fut porté à Rome par l'Evêque lui-même et déposé, les premiers jours de novembre 1891, à la Sacrée Congrégation des Rites.

Dans l'audience que daigna lui accorder le Souverain Pontife, le prélat voulut intéresser N. T. S. Père le Pape Léon XIII à la gloire de son pèlerinage diocésain. Il rappela à Sa Sainteté la haute faveur que lui avait accordée Pie IX, en couronnant solennellement la Vierge du Laus, et pria Léon XIII do donner un témoignage de sa particulière bienveillance, en élevant au titre de Basilique mineure le sanctuaire qui avait été le témoin de tant de merveilles et qui gardait, avec de si précieux souvenirs, les restes de l'humble Bergère dont il poursuivait la Canonisation. Malgré la modestie du monument et grâce à ce que la Sainte Vierge elle-même en avait indiqué les proportions, Léon XIII accueillit avec une bonté inexprimable le voeu de l'Evêque de Gap. Par la Bulle

 

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Quod in more, donnée à Rome, sous l'anneau du pécheur, en date du 18 mars 1892, le Sanctuaire de Notre-Dame du Laus fut érigé en Basilique mineure, avec tous les privilèges attachés à ce glorieux titre. Les fêtes du 8 septembre de la même année fournirent l'occasion de publier cette haute faveur, au milieu d'un concours plus nombreux qu'avait attiré au Laus l'annonce de cette solennité.

Pendant ce temps, la Cause de la Vénérable Benoîte suivait son cours. Le 14 août 1894, la Sacrée Congrégation des Rites prononçait la validité du procès apostolique De famà Sanctitatis vitae, Virtutum et Miraculorum in genere de la Vénérable servante de Dieu, à l'effet d'en poursuivre la Canonisation, et, le 27 du même mois, le Souverain Pontife Léon XIII, glorieusement régnant, approuvait la décision de la Sacrée Congrégation, dont on trouvera le décret aux pièces justificatives.

Puissent nos prières les plus ferventes hâter le jour où un nouveau décret, en plaçant Benoîte sur les autels, nous permettra de lui décerner un culte public et de lui témoigner toute notre filiale confiance. C'est sur ce voeu de notre piété et de notre coeur que nous fermons ces pages , car alors se lèvera une nouvelle lumière et une gloire plus rayonnante sur notre cher pèlerinage.

 

FIN

 

PIÈCES JUSTIFICATIVES

 

Procès verbal de la première visite canonique faite au Laus par M. Lambert, vicaire général du diocèse d'Embrun (page 99)

 

Antoine Lambert, prêtre, docteur ès-droits, chantre et chanoine en l'église métropolitaine de Notre-Dame d'Embrun, Grand Vicaire de Monseigneur l'lilustrissime et Révérendissime père en Dieu, Georges d'Aubussson, archevêque et prince d'Embrun, conseiller du Roi en tous ses conseils, commandeur de ses ordres et son Ambassadeur extraordinaire auprès de Sa Majesté catholique, et Official général au diocèse du dit Embrun, à tous ceux qui ces présentes verront, Salut.

Savoir faisons qu'a l'occasion d'une dévotion extraordinaire depuis quelques mois dans la paroisse de St-Etienne-d'Avançou et dans une chapelle construite au hameau du Laus depuis une vingtaine d'années ou environ, auquel lieu il y a concours de peuple extraordinaire, qu'a certains jours il s'y est rencontré jusqu'au nombre de quinze ou seize processions, même des lieux assez éloignés, et ayant eu des avis particuliers des personnes de condition et dignes de foi ; ce qui nous aurait mus de nous porter sur les lieux avec le révérend père André Gérard, recteur du collège de la compagnie de Jésus, dudit Embrun, qui a bien voulu agréer cette peine ; étant encore venu avec nous Messire Jean Bonaffous, aussi prêtre, chanoine honoraire dans ladite Eglise métropolitaine et curé des paroisses unies de Saint-Marcellin et Saint-Donat, secrétaire archiépiscopal, pour voir et connaître si tout se trouvait dans le bon ordre qui concerne le service de Dieu et même des choses temporelles: bienfaits et offrandes faites soit pour des messes votives, entretien de la

 

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chapelle, et pour la fabrique d'icelle, et luminaire suivant les intentions des bienfaiteurs. Et y étant arrivés avec les susnommés, nous nous sommes portés dans la chapelle de Notre-Dame de Bon-Rencontre, et s'y étant rencontré Messire Jean Fraisse, aussi prêtre, prieur-curé de ladite paroisse de Saint-Etienne, à qui nous nous sommes fait remettre la clef du tabernacle où repose le très saint et très adorable sacrement de l'autel depuis la permission que nous en avons accordée, et après avoir fait ouverture dudit tabernacle nous y avons trouvé un petit ciboire d'étain dans lequel s'est trouvé un petit nombre d'hosties, sur un corporal. Après quoi, nous avons examiné l'autel construit de plâtre avec un devant d'autel de resta ouvré ; au-dessus, il y en a déjà un de cadis rouge avec de petits passements, et sur le plain de l'autel deux nappes doubles, deux coussins à fond d'argent velouté; et, un peu plus haut que du tabernacle, il y a un tableau de la Sainte Vierge avec la représentation de l'Enfant-Jésus et de Saint Joseph, à côté duquel il y a deux autres tableaux de la Sainte Vierge en diverses représentations.

Et sur l'ordonnance faite audit sieur Fraisse, prieur, de nous reproduire le livre dans lequel est le dénombrement des choses données à la chapelle, en quoi qu'elles consistent, soit du luminaire, offrandes pour les messes et tous autres de quelque nature et condition qu'elles soient ; ensuite de quoi lui avons fait prêter le serment, en tel cas requis et accoutumé, de ne nous rien receler concernant ledit interrogat, même à peine d'excommunication, le cas déclarant être réservé à,… (1).

Ledit sieur Fraisse, après avoir prêté ledit serment, nous a déclaré moyennant icelui qu'il n'est saisi présentement de tous les mémoires ou contrôles qu'il peut avoir tenus, nous requérant pour ce regard lui accorder un très petit délai pour les pouvoir trouver, offrant de nous les représenter ou à tels autres qu'il nous plaira; nous ayant représenté un petit livre intitulé : Livre des messes depuis les fêtes de la Pentecôte, présente année, mil six-cent soixante-cinq, contenant soixante-un feuillets écrits où il y a pour… messes qui font en tout la somme de cinq cent trente livres, douze sols, six deniers, tant de celles qui ont été dites que de celles qui sont à dire: celles qui sont dites et croisées étant au

nombre de… et celles qui sont à dire au nombre de… 

Et ayant égard au requis du sieur Fraisse, nous avons ordonné que, dans le jour, il remettra au sieur Gaillard, chanoine de Gap,

 

(1) Cette lacune est remplie par l'avant-dernier alinéa du procès-verbal où il est dit que l'excommunication dont il s'agit est réservée au vicaire général.

 

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et au sieur Grimaud, juge de la vallée d'Avançon, les états et contrôles concernant les sujets et causes dont est question en notre précédente ordonnance, pour être par eux vérifiés et arrêtés, auxquels dits sieurs ledit sieur Fraisse remettra la somme qu'il a rière soi pour les messes qui n'ont pas été dites, sur le récépissé qui leur en sera passé par ledit sieur Grimaud.

Et de l'autre côté du livre il y a deux feuillets de commence - ment, d'autres contenant les meubles et ornements qui ont étè donnés à la chapelle.

Et attendu qu'il y a grande quantité de messes à satisfaire et pour lesquelles on fait des offrandes, et pour faciliter les intentions de ceux qui donnent soient promptement exécutées, tous prêtres connus ou approuvés seront admis à la célébration de la sainte Messe dans ladite chapelle, à chacun desquels sera distribué cinq sols pour chaque messe, déclarant franchement qu'ils n'ont autre rétribution ou autre messe à dire ledit jour : toutes lesquelles messes seront dans le livre de contrôle.

Défendons audit sieur Prieur-Curé de désister de faire le service dans sa paroisse les jours de dimanche et autres paroissiaux sous prétexte de célébrer dans la chapelle; pourra néanmoins célébrer dans ladite chapelle les jours ordinaires, sous les droits accoutumés.

Et d'autant que le concours et affluence de peuple est souvent si grand qu'il n'y a que très peu de gens qui puissent entrer dans ladite chapelle, icelle sera agrandie selon le plan qui en sera fait par personnes intelligentes que nous enverrons au plus tôt aux fabriciens et directeurs, que nous députerons pour mieux connaître si on satisfait aux messes que les particuliers veulent faire dire. Il y aura là un livre dans lequel on inscrira le nom de ceux qui auront donné, et qui sera tenu par Messire Antoine Ariey, prêtre. Et l'argent qui sera donné pour cet effet sera mis dans une boîte faite exprès et fermant à clef, qui sera remise au pouvoir du sieur Grimaud, juge de la vallée d'Avançon, et il son absence au sieur Grégoire Nas, le fils, avocat: laquelle boite sera ouverte à la fin de chaque semaine, et la somme sera arrêtée au bas dudit livre, et l'argent remis au pouvoir de qui dessus et sous son récépissé.

Et pour savoir ce qui proviendra des dons, oblations pour la fabrique ou dotation de la chapelle, l'on dressera deux troncs, l'un desquels sera au-dedans de ladite chapelle et l'autre dehors, fermant aussi à cieux clefs le chacun, qui seront tenues l'une par ledit sieur Prieur-Curé et l'autre par l'un des sieurs Directeurs ;

 

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et les deniers qui s'y trouveront seront comptés à la fin de chaque semaine et contrôlés par ledit contrôleur qui retirera un récépissé de ce qui s'y trouvera dudit commis; ce qui se trouvera dans la quête, tant du luminaire que de l'offertoire, sera jeté dans ledit tronc.

Sera aussi tenu registre des messes votives journellement dans ladite chapelle ou autels hors d'icelle, qui seront dites par tous les prêtres célébrant audit lieu auxquels les droits seront payés et qui le doivent être.

Il faudra s'informer autant qu'on pourra de ceux qui auront reçu quelques grâces et faveurs de la miséricorde de Dieu, par l'intercession de Notre-Dame de Bon-Rencontre du Laus, avec les circonstances des personnes, des temps et des lieux.

Pour faciliter l'agrandissement de ladite chapelle et pour l'entretien d'icelle, les flambeaux et cierges non nécessaires pour l'usage de ladite chapelle seront vendus au meilleur ménage qui se pourra, et les prix d'y provenant seront employés à ladite fabrique.

Il est du tout nécessaire qu'il y aiT à l'autel deux chandeliers de laiton, deux missels modernes et un calice d'argent du prix que nous et les sieurs Fabriciens jugerons à propos.

On ne se peut passer de faire construire trois confessionnaux portatifs attendu qu'il n'y en a aucun.

Nous étant aperçu que les corporaux et purificatoires sont si sales et malpropres que ce serait une chose du tout indigne si nous n'y pourvoyions : pour cet effet, nous avons ordonné aux deux prêtres qui seront établis de les faire tenir nets ; et que les-dits purificatoires seront changés tous les jours et les corporaux toutes les semaines ; les chargeant, quand il en manquera, d'en donner avis aux Fabriciens, pour y pourvoir.

Les sieurs Directeurs auront soin de faire fournir du vin et des hosties tant grandes que petites ce qu'il en sera nécessaire pour les messes. Quant aux hosties, il y sera pourvu incessamment, attendu que celles dont on s'est servi jusqu'à présent étaient d'une petitesse extraordinaire.

Il n'est pas moins nécessaire qu'il y ait des prêtres assidus pour le service du public et de ladite chapelle, et même pour tenir le contrôle et faire la recette des offrandes, oblations et de l'argent qu'on donne pour les messes. Avons à ces fins nommé et commis le sieur Ariey pour les contrôles et le sieur Lombard pour retirer les offrandes, oblations et messes, et remettre dans ]es troncs ou boites destinées pour l'argent être remis ; il en rendra

 

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compte toutes les semaines aux sieurs Grimaud ou Nas qui retireront ledit argent et feront reçu au pied du contrôle : auxquels dits sieurs Ariey et Lombard est accordé douze livres par mois à chacun d'eux sans qu'ils puissent prétendre aucune part et portion pour les offrandes des messes, oblations et autres choses; et seront néanmoins tenus journellement de célébrer, sauf en cas de maladie ou autre grand empêchement ; lesquels ont juré de bien et fidèlement verser dans leur dite commission ; leur enjoignant en outre d'ouvrir et fermer ladite chapelle et d'en garder les clefs comme aussi celle du tabernacle.

Inhibitions et défenses sont faites à tous prêtres qui se chargent de célébrer des messes d'exiger des dits Directeurs, aucune chose pour leur messe de laquelle ils auraient été satisfaits d'ailleurs, à peine d'excommunication. Et sous pareille peine, aucun prêtre ne se chargera de célébrer dans ladite chapelle aucune messe ou neuvaine pour lesquelles il recevrait l'argent dans le dit lieu du Laus sans les faire contrôler.

Les sieurs Curés ou prêtres approuvés qui accompagnent les processions pourront, sans aucun scrupule, entendre les confessions de leurs paroissiens ; pourront pareillement, les sieurs Curés qui se trouveront sur le lieu, entendre les confessions indifféremment, donnant pouvoir aux confesseurs d'absoudre, dans ce dit lieu, des cas réservés, et ce pendant une année : n'entendons néanmoins que l'excommunication ci-dessus à Nous réservée y soit comprise.

Défendons pareillement à tous autres prêtres par Nous non approuvés de s'ingérer d'entendre les confessions dans ce lieu de Saint-Etienne et étendue de la paroisse, non plus qu'au reste du diocèse. Fait au dit lieu du Laus, ce seizième septembre mil six cent soixante-cinq.

 

Marché passés pour la construction de la Chapelle (page 116)

 

Ce quatrième jour du mois de juillet mil six cent soixante-six, après-midi, établis par-devant moi notaire et témoins, Messire Antoine Lambert, prêtre et docteur ès-droit, chantre et chanoine en la métropole d'Ambrun, grand vicaire et official général au diocèse dudit Ambrun, assisté de Messire Jean Fraisse, prieur de Saint-Etienne, de Messire Pierre Gaillard, chanoine prébendé de

 

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l'église cathédrale N.-D. de Gap, et de Messieurs Mgr François Grimaud et Grégoire Nas, le fils , avocat en la cour, et ledit sieur Grimaud, juge de la vallée d'Avançon, lesquels de leur bon gré, en qualité de Directeurs de la chapelle de Notre-Dame du Laus, ont baillé, comme par le présent ils baillent à prix fait : à maître Jean-Antoine Gavi, maître-maçon de la val d'Aoste, ici présent, acceptant et stipulant, de construire à neuf l'église que lesdits sieurs Directeurs désirent faire faire au lieu du Laus, à la forme et conditions que ci-après, savoir : que ladite église sera de douze cannes de longueur dans couvre, et de cinq cannes de largeur dans oeuvre aussi, et de cinq cannes de hauteur hors du plancher de l'église ; les murailles seront de sept pans d'épaisseur aux fondements, réduits à cinq pans à la naissance de la voûte. La voûte sera faite à trois croisillons sur quatre piliers de chaque côté, lesquels piliers seront tells en pierre de taille, savoir de cornuel blanc ou rouge, comme il se trouvera, jusqu'à la naissance de la voûte et le reste de louve (tuf), taillée et coupée comme la susdite pierre de taille ; faire une arcade de deux cannes de largeur de chaque côté de l'église, lesquelles deux arcades seront faites de touve dans toute l'épaisseur de la muraille, ou bien comme il sera jugé à propos par les fabriciens de ladite chapelle (1). Fera ledit maître, une petite porte du côté du couchant au lieu qui lui sera indiqué par lesdits fabriciens ou directeurs, laquelle porte sera toute de pierre de taille dure, faite de dessus la voûte, et sera de cinq pans de large et neuf de hauteur, ladite pierre de taille sera de même cornuel. Fera trois fenêtres de chaque côté, de deux pans de largeur et huit pans de hauteur, et le dessous d'icelles sera fait en voûte : une fenêtre en rond au-dessus de la grande porte de cinq pans en oeuvre , toutes lesquelles fenêtres seront faites de touve coupée jusqu'au milieu de la muraille, et le dedans de blanchissage. La voûte sera de maçonnerie à la réserve des cordons et arceaux qui sépareront les croisillons qui seront faits de touve coupée. Toute ladite voûte et le dedans de l'église sera blanchie de lait de chaux ou plâtre, de celui qui sera trouvé à propos; et parce qu'il faudra baisser la chapelle qui est à présent construite ci proportion de ladite église pour la mettre de niveau, il sera obligé d'enter les murailles de ladite chapelle. Enduira,

 

(1) Ces deux arcades attendaient les deux chapelles latérales qui ne furent construites qu'après 1676. C'est ce que semble dire cette phrase que nous ex-trayons d'un prix-fait, passé à cette époque pour le dallage de l'église : « Le dit prix-faiteur fera le charroi des pierres nécessaires  … au degré qui traversera l'église au-dessous dudit autel et des chapelles qui doivent être faites à côté.

 

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ledit Gavi, toutes les murailles de l'église au-dehors, fera les deux coins (les deux angles) des murailles de devant de l'église (la façade) de pierre de taille cornuelle. Les deux murailles qui uniront la chapelle fi la dite seront faites comme il sera trouvé à propos par lesdits sieurs fabriciens. Auquel travail ledit Gavi promet et s'oblige de travailler dès demain en huit jours, dans lequel temps les dits sieurs directeurs feront creuser les fondements à leurs frais et dépens selon la largeur et profondeur nécessaires ; et seront lesdits fondements tracés par ledit Gavi ; et seront lesdits directeurs obligés de fournir tous les matériaux nécessaires qu'ils feront porter sur le lieu, sauf l'eau que ledit Gavi s'oblige à fournir à ses frais et dépens. Et quant à la pierre de taille, ledit Gavi sera tenu de l'aller chercher et ébaucher sur la place où elle se trouvera : et le charroi sera fait aux frais des-dits sieurs directeurs. Ledit prix-fait pour et moyennant le prix de deux mille quatre cents livres tournois, que les dits sieurs directeurs s'obligent lui payer de mois en mois, à proportion du travail qu'il aura fait, sans qu'il puisse rien prétendre par avance, tout lequel travail sera bien et dûment fait par ledit Gavi, ainsi qu'il s'oblige dès le jour et fête prochaine venant de Tous les Saints en un an. Ainsi que dessus, chacune des parties promet observer tout la concernant à peine respectivement de tous les dépens, dommages et intérêts. A ces fias, ils en passent les obligations et soumissions, à savoir : lesdits sieurs directeurs, tous les biens et revenus de la dite chapelle, et le dit Gavi tous et un chacun de ses biens présents et à venir, dénie sa personne, à toutes cours royales, delphinales et autres où besoin serait d'avoir recours. Ainsi l'ont promis et juré, renoncé à tous droits à ce contraires. Requis j'ai fait acte et récité au Laus, hameau de Saint-Etienne, dans la maison de Pierre Meissonnier, en e présence et de sieur Louis Sarret et Charles Blanc, de Valserres, témoins requis et signés avec les parties, Lambert, vicaire général, Gaillard, sieur Fraisse, prieur, Grimaud, directeur, Nas Antoine, Gavi, Sarret, présent, Meissonnier, présent, Charles Blanc et moi P. Blanc, notaire, ce visé à l'original. Extrait collationné aux dits sieurs directement requis. — Blanc, notaire.

En 1668, Gavi céda sa place à MM. Joseph Billios et Michel Fassy (1) par acte notarié du 15 novembre.

Par cet acte de substitution, les nouveaux entrepreneurs s'engagent

 

(1) Billios était de la Suisse, et Fassy, du Grésivaudan.

 

 

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faire la voûte de la nef à croisillons, à enter les murs de la petite chapelle et son autel, à blanchir la voûte de la nef et celle du sanctuaire et faire les degrés qui traversent l'église devant le maître-autel ; le tout moyennant la somme de deux cents livres.

Cet acte porte aussi que le différend survenu entre Gavi et les Directeurs au sujet des piliers du dehors demeure éteint et assoupi. Ces contreforts n'ayant pas été portés dans le devis primitif, Gavi les commença et les abandonna ensuite. Les Directeurs y renoncèrent et déchargèrent les derniers entrepreneurs.

 

Mandement de Mgr de Genlis, archevêque d’Ambrun, instituant au Laus un Séminaire archiépiscopal (page 398)

 

Charles Brulart de Genlis, par la patience divine Archevêque et Prince d'Ambrun, Conseiller de Roy en fous ses conseils, à tous ceux que ces présentes verront, salut.

La Providence divine nous ayant appelé en 1668 au gouvernement de ce diocèse désolé par la fureur de l'hérésie, nous fûmes persuadé qu'il était de notre devoir de chercher quelque puissant moyen pour réparer les dommages qu'elle y avait causés pendant plus d'un siècle. Après avoir sérieusement, réfléchi devant Dieu et pris conseil de personnes éclairées, Nous filmes persuadé qu'il n'y avait pas de moyens plus convenable que celui de l'érection des séminaires, tant recommandée par le Concile de Trente, autorisée par nos Souverains et honorée de leur protection... Dans cette persuasion Nous rimes le 28 avril 1671, à Paris, avant d'être jamais venu à Ambrun, l'érection d'un séminaire archiépiscopal à la chapelle de Notre-Dame de Bon-Rencontre qui est au Laus, quelques ecclésiastiques du diocèse de Gap Nous ayant fort exagéré les avantages qu'ils se promettaient d'un pareil établissement en ce lieu... Arrivé â Ambrun en novembre de la même année, Nous assemblâmes d'abord dans notre palais uni, vingtaine de clercs qui, dans la suite, furent augmentés jusqu'!i quarante, pour les disposer aux ordres sacrés... Ce séminaire a subsisté avec une singulière bénédiction jusqu'à la guerre entre la France et le Piémont. Dans de si nicheuses conjonctures Nous fûmes contraint de le renvoyer. L'armée ennemie agent, ruiné ce diocèse, Nous avons été dans l'impuissance absolue de le rétablir... A la paix générale, Nous reprîmes notre oeuvre. Nous envoyâmes donc au Laus consumé parle feu dans l'incursion des troupes ennemies, nos Vicaires

 

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Généraux avec des ingénieurs et entrepreneurs habiles, pour visiter exactement le lieu et Nous faire un rapport exact de ses commodités et incommodités pour l'établissement projeté depuis tant d'années. A leur retour, ils Nous assurèrent que les premiers auteurs du projet n'avaient point examiné avec soin toutes les circonstances de la situation et qu'il fallait pour mille raisons très convaincantes changer absolument de vue. Ayant donc fait faire une visite exacte des sites qui pourraient convenir à cet établissement, Nous nous étions fixé au bourg de Guilleslre, le centre du diocèse et l'une des principales terres de notre Manse Archiépiscopales... Nous y avions donc fait l'érection de nos deux Séminaires sous cette clause qu'ils seraient régis et gouvernés par des prêtres séculiers   Mais depuis l'obtention des lettres royales, Nous avons fait de nouvelles réflexions sur notre établissement du 2 février 1701, et après beaucoup de voeux et de sacrifices offerts par des personnes d'un mérite distingué, Dieu nous avait inspiré la résolution, premièrement, de confier le gouvernement spirituel et temporel de nos Séminaires à Messieurs de Saint-Sulpice dont nous connaissions la capacité et l'exactitude pour l'éducation des jeunes clercs ; secondement, d'unir auxdits grand et petit Séminaire, la chapelle de Notre-Dame de Bon-Rencontre, sise au Laus, avec les fonds et revenus qui en dépendent, pour être régie spirituellement et temporellement par lesdits sieurs de Saint-Sulpice, en la personne des prêtres qui seraient par eux choisis pour la direction des deux Séminaires, le tout à condition que ladite chapelle de Notre-Dame du Laus serait commodément pourvue de toutes les choses nécessaires soit pour l'entretien d'un nombre suffisant d'ecclésiastiques, soit pour toutes les autres nécessités, avant que lesdits Séminaires pussent profiter d'aucun revenu de ladite Chapelle.

Mais le concordat passé avec Nous le 1er septembre 1703 au nom de Messieurs de Saint-Sulpice sous cette clause expresse qu'il serait par eux ratifié dams deux mois, et l'acte d'érection par nous dressé en conséquence, le 30 du même mois, étant demeurés sans effet par la renonciation absolue qu'ils ont faite pour des raisons que nous ne pouvons bien pénétrer, nous avons d'abord jeté les yeux sur la célèbre compagnie de Jésus et passé avec le R. P. Provincial et le Recteur du collège de notre ville, le 28 mai dernier, le concordat qui contient les clauses sous lesquelles nous lui avons confié la direction de nos séminaires.

A ces causes, révoquant nos précédentes lettres d'érection, nous avons par les présentes institué et instituons notre Séminaire

 

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Archiépiscopal qui sera composé d'un grand et d'un petit séminaire pour être tous deux réglés par les Pères de la Compagnie de Jésus, sous notre pleine et entière juridiction ordinaire... Nous avons de plus et unissons à notre dit Séminaire la Chapelle de Notre-Dame de Bon-Rencontre du Laus pour êire semblablement régie et administrée temporellement et spirituellement par lesdits Pères, à condition qu'elle sera commodément pourvue de toutes les choses nécessaires, soit pour l'entretien d'un nombre suffisant d'ecclésiastiques, soit pour toutes les autres nécessités avant que lesdits Séminaires puissent profiter d'aucun de ses revenus...

Donné à Ambrun le 31 juillet, fête de saint Ignace, l'an de grâce 1704.

 

+ CHARLES, archevêque d’Ambrun.

Par Monseigneur, THYERRY, secr. archiépiscopal.

 

Acte notarié par lequel Mgr de Genlis confie le Laus aux Missionnaires de Sainte-Garde (page 400)

 

L'an mil sept cent douze et le deuxième jour de septembre, après midy, par devant moy, Jean Blanc, notaire royal de cette ville d'Ambrun et présents les témoins sous-nommés, s'est constitué en personne Monseigneur l'Illustrissime et Révérendissime Charles Brulart de Genlis, Archevêque et Prince dudit Ambrun, lequel ayant considéré qu'il a étably un séminaire dans ladite ville, et qu'il en a confié la direction aux Rit Pères de la Cornpagnie de Jésus, sous les conditions portées dans le concordat passé avec eux le cinq du mois de may mil sept cent quatre, el. que, outre les avantages qu'il a faits ri son séminaire par ledit concordat, il y aurait la chapelle de Notre-Dame de Bon-Rencontre , située au Laus, pour être régie et administrée tant dans le spirituel que dans le temporel par la même Compagnie de Jésus, ri condition pourtant qu'elle serait desservie par des prêtres séculiers, et que ledit séminaire ne pourrait rien prétendre sur les revenus de ladite chapelle, qu'après qu'elle et les catholiques auraient été convenablement entretenus de toutes les choses nécessaires…        

Monseigneur l'Archevêque qui prévoit les difficultés qu'il y aurait dans l'exécution de cette union de la chapelle du Laus au dit séminaire, soit à cause que les RR. Pères de la Compagnie de Jésus ne se chargent jamais des lieux de dévotion, attendu que

 

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par leur institut ils ne peuvent recevoir aucuns honoraires des messes qui sont en grand nombre dans ladite chapelle du Laus et qui en font le principal revenu , soit rl cause des prêtres séculiers, qui par les gros appointements qu'il faut leur fournir et qu'on n'y attirerait pas autrement (1) absorbant entièrement tous les revenus de ladite chapelle, outre la difficulté qu'on a d'en trouver qui agent les qualités requises pour y faire les fonctions de leur ministère.

A ces causes, Monseigneur l'Archevêque, du consentement du R. Pére Jean Jouve, de la Compagnie de Jésus, supérieur dudit séminaire, et en vertu du pouvoir à lui donné par lettres missives du R. Père provincial de la même Compagnie, a jeté ies yeux sur Messieurs les prêtres missionnaires de la Croix , de Sisteron , et de Notre-Dame de Saints-Garde, de Carpentras, unis et agrégés ensemble, à l'effet de quoy M. Joseph-François de Salvador, docteur agrégé de l'université d'Avignon et supérieur de la mission de Sainte-Garde, MM. Laurent-Dominique Bertet et Pompée Bigot, prêtres de la même mission, se sont, rendus en cette ville, et, après avoir très humblement remercié Monseigneur l'Archevèque des bontés qu'il a pour eux, et accepté avec toute la reconnaissance possible ses offres, iceux ici présents agissant tant en leur nom qu'au nom des autres missionnaires de Sisteron et de Sainte-Garde, avec lesquels ils ont conféré audit sujet, ont passé l'acte et convention suivants, savoir.:

Que Monseigneur l'Archevêque, du consentement que dessus, a donné , remis et cédé, donne, remet et cède le service perpétuel de ladite chapelle du Laus aux sieurs missionnaires de la Croix et de Sainte-Garde, pour être par eux et leurs successeurs, avec tels autres prêtres qu'il leur plaira choisir, de l'agrément et approbation de Monseigneur l'Archevêque et de ses successeurs, de service à perpétuité et pour fournir ri leur entretien et subsistance, Monseigneur l'Archevêque leur cède pareillement et assigne les églises, maisons, champs, prés, vignes , fonds de pension, droits et revenus en dépendant, en quoy que le tout consiste et puisse consister, le tout du consentement des RR. Pères de la Compagnie de Jésus, au moyen du R. Père Jouve, cy présent, lequel, au nom de l'autorité que dessus, se décharge et départ en faveur desdits missionnaires tant de l'administration du temporel et

 

(1) Ces derniers mots, que nous aurions voulu ne pas reproduire, nous donnent la mesure du zèle désintéressé des jansénistes qui desservaient alors le Laus. Mgr de Genlis commençait à les apprécier selon leur mérite. — Note de la Rédaction.

 

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spirituel de ladite chapelle que du revenant bon qu'il pourrait y avoir présentement et à l'avenir sur les fruits et revenus de ladite chapelle ; lequel revenant lion , après l'entretien et le service de ladite chapelle, devait tourner au profit dudit séminaire; et ce, moyennant la rente et pension annuelle et perpétuelle de mille livres au capital de vingt mille livres, placé par Monseigneur l'Archevêque sur le clergé de ce diocèse , par contrat du mois d'octobre de l'année dernière, reçu par M' Saint, notaire, lequel contrat et la pension d'iceluy, Monseigneur l'Archevêque a remis et cédé et transporté, cède, remet et transporte au profit du Séminaire, pour être employé au soulagement des pauvres séminaristes, dont le choix et l'application dudit secours seront faits par Monseigneur et ses successeurs, du consentement du supérieur du séminaire, et préférablement eu faveur des pauvres séminaristes des terres archiépiscopales; de laquelle pension de mille livres et arrérages d'icelle si aucuns y en a, le séminaire commencera de jouir dés le jour du décès de Monseigneur l'Archevêque ou plutôt si bon semble it Monseigneur. Et, en cas que le clergé vint à se libérer du capital de la pension , icelui sera placé et logé sûrement ailleurs par le Supérieur du Séminaire, du consentement et agrément du seigneur Archevêque. Et si, par quelque cas imprévu, l'on ôtait aux missionnaires le service de la chapelle du Laus et revenus d'icelle, Monseigneur l'Archevêque veut. et entend audit cas que la pension de mille livres et capital d'icelle, remise et donnée pour indemnité audit séminaire, appartienne aux missionnaires de plein droit , à condition néanmoins qu'ils feront des missions dans son diocèse à concurrence de ladite pension, à moins qu'ils n'en fussent empêchés par les successeurs archevêques, auquel cas ils pourront faire les missions dans tels autres diocèses que bon leur semblera, pendant que ledit refus subsisterait (1). Et moyennant ce que dessus, les sieurs de Salvador, Rigord et Bertet, tant en leur nom qu'en celui des autres missionnaires existants et leurs successeurs, promettent et s'engagent de fournir incessamment un supérieur avec les autres prêtres de ladite missinn de la Croix et de Sainte-Garde qui pourront être nécessaires pour desservir ladite chapelle du Laus, et d'y entretenir ai perpétuité les quatre prêtres portés par ladite institution du séminaire, qui seront inamovibles. et un plus grand nombre quand il sera

 

(1) Par un autre acte du 22 octobre 1712, reçu par Me Blanc, notaire, Mgr l'Archevêque , interprétant la clause par laquelle il donne la pension de 1,000 livres aux missionnaires, déclare qu'en cas d'expulsion des Gardistes, la chapelle et tous ses biens reviendront au Séminaire.

 

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nécessaire, et que les rentes et revenus dudit Laus le pourront supporter. Et dans le cas où la dévotion et les revenus de ladite chapelle viendraient à diminuer, on réduirait le nombre des prêtres, laquelle réduction pourtant ne pourrait être faite qu'au cas où il ne resterait. A chacun d'iceux trois cents livres de rentes annuelles, franches de charges, et trois cents livres pour l'entretien des frères ou domestiques qui serviraient ladite chapelle et les missionnaires. Pourra le supérieur de Sainte-Garde et de Sisteron rappeler le supérieur du Laus et autres missionnaires, en remplaçant en munie temps relui ou ceux qui seraient rappelés, le tout du consentement de Monseigneur l'Archevêque et ses successeurs. Et à l'égard des prêtres étrangers employés au service de la chapelle, ils pourront être renvoyés par le supérieur.

Seront les missionnaires, sains et malades, entretenus sur les revenus de ladite chapelle, sans qu'on puisse les expulser, si ce n'est à cause de crime, auquel cas on pourra leur ordonner de se retirer sans formalités de justice et selon la manière pratiquée parmi ces Messieurs.

Et les missionnaires de Sainte-Garde et de la Croix ne relèveront et ne dépendront que des seigneurs Archevêques et de Messieurs leurs grands vicaires, auxquels ils rendront compte tant du spirituel que du temporel, quand par eux ils en seront requis. El quand les. revenus de ladite chapelle excéderont ce qui est nécessaire pour l'entretien des missionnaires et pour la bâtisse et ameublement nécessaires d'icelle, iceux seront obligés d'employer le surplus et excédant. desdits revenus â faire des missions dans le diocèse, dans les lieux où les prélats jugeront le plus nécessaire, sans qu'ils puissent prétendre, sous quelque prétexte que ce soit, de transporter ou appliquer au profit d'autres lieux et diocèses les revenus de la chapelle du Laus: à l'effet de quoy il sera dressé un inventaire à double expédition de tous les meubles, immeubles et autres effets de la chapelle, qui sera signé par Monseigneur l'Archevêque el les sieurs missionnaires, dont l'une sera déposée aux archives archiépiscopales et l'autre au Laus.

Ne pourront les missionnaires enseigner ni élever la jeunesse et clercs du diocèse, au Laus ni ailleurs, dans ledit diocèse, afin que cela ne porte aucun préjudice au collège et au séminaire établis en cette ville.

Tous lesquels missionnaires et prêtres employés pour le service de la chapelle et pour les missions seront ai lai forme du droit approuvés par l'Ordinaire, promettant les sieurs de Salvador, supérieur de Sainte-Gaude, et sieurs Bertet et Rigord de faire

 

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ratifier dans deux mois le présent acte par les missionnaires de Sainte Garde et de la Croix, et ]e R. P. Jouve, supérieur du séminaire archiépiscopal, par le R. P. Provincial et même par le Général, si besoin est, dans six mois. Et pour l'observation de tout ce que dessus, les parties, en ce qui les touche et concerne, ont passé chacune les obligations, renonciations et autres clauses requises et nécessaires.

Fait et publié audit Ambrun, dans le palais archiépiscopal, en présence des témoins soussignés           

 

Adresse des citoyens de Saint-Étienne aux administrateurs da département pour conserver l'église du Laus et Avis du Directoire du district d'Embrun (page 440).

 

Adresse qu'ont l'honneur de présenter aux citoyens les Administrateurs du département des Hautes-Alpes les citoyens habitants de la commune de Saint-Etienne, district d'Embrun.

La maison du Laus existait dans le territoire de la commune de Saint-Etienne ; elle était dans un de ses hameaux dont le nom passa à cette maison. Avant que celte maison existât, il y avait, dans ce hameau une chapelle pour la commodité des habitants. Celle chapelle forme, en très grande partie, celle de la maison du Laus : on se contenta d'y faire quelques agrandissements (1). Cette première chapelle étant une propriété des habitants de Saint-Etienne, et surtout de ceux du hameau du Laus, il est de toute justice, Citoyens, qu'elle leur soit rendue, avec d'autant plus de raison qu'ils ne l'ont jamais aliénée, et qu'ils n'ont jamais consenti à ce que les MM. de Sainte-Garde en eussent l'usage autrement, que parce qu'ils remplissaient l'objet que les habitants qui l'avaient fait, bâtir avaient, voulu en faire. Ils espèrent, Citoyens, que vous accueillerez leur demande, que vous ne souffrirez point qu'il soit fait, à celte chapelle aucune dégradation, ni intérieure, ni extérieure, et que vous ordonnerez qu'il y soit laissé les ornements et, vases sacrés pour le service divin , ainsi que le linge nécessaire

 

(1) Il ne faut pas prendre à la lettre cette assertion; les pétitionnaires cherchent à amoindrir l'oeuvre de soeur Benoîte, afin d'assurer leurs droits sur la chapelle et de la préserver, par ce moyen, de l'aliénation dont elle était menacée. La ruse, malheureusement, n'eut pas tout, son effet. — Note du Rédacteur.

 

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aux mêmes fins. Comme aussi ils vous prient d'y laisser subsister la cloche telle qu'elle est, étant de très peu de valeur.

En leur rendant justice, vous obligerez infiniment vos concitoyens.

 

(Suivent trente-six signatures.)

 

Les Administrateurs renvoyèrent la pétition au directoire, qui donna l'avis suivant :

Le directoire du district d'Embrun est, instruit que l'éloignement du hameau du Laus de l'église paroissiale, et plus encore la difficulté du passage d'une rivière dont le pont est souvent emporté, exigent l'établissement d'une église de secours à ce hameau du Laus : difficulté qui aurait, sans doute, déterminé les commissaires de proposer cette succursale, s'ils avaient prévu la suppression de la Congrégation établie du Laus. Ce qui doit faire une exception à la règle des lois qui ne permettent pas de disposer en faveur de qui que ce soit des meubles ni autres effets des églises supprimées. En conséquence, il est d'avis qu'il peut être ordonné qu'il' sera remis à la municipalité un calice et un ornement des plus simples pour un célébrant, en attendant que la succursale soit définitivement décidée et accordée; et que la cloche doit aussi y être conservée, à la charge par la commune de Saint-Etienne de répondre desdits effets et de les représenter lorsqu'elle en sera requise.

A l'égard de la propriété du sol de l'église, le directoire estime que, quand même la commune la justifierait par titres, elle l'a perdue par la jouissance de la Congrégation depuis plus de quarante ans.

Fait en direction, le 2 novembre 1792, l'an Ier de la République.

 

Signé: HONORÉ, président; THOLOZAN, premier

syndic, et JOUVENNE, secrétaire.

 

Bail de la maison du Laus aux RR. PP. Oblats. (page 446)

 

Nous soussignés Pierre-Charles Peix, chanoine honoraire de l'église de Digne, curé de Gap, y demeurant, et Charles-Joseph-Eugène de Mazenod, prêtre, demeurant à Aix, département des Bouches-du-Rhône, animés du désir d'utiliser autant que possible,

 

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pour le bien de la religion, la maison située près de l'église de Notre-Dame du Laus et les biens en dépendant qui appartiennent au premier susnommé, avons convenu ce qui suit:

1° M. Peix donne à bail à M. de Mazenod ]a susdite maison avec toutes ses dépendances: écurie, grenier à foin, basse-cour, jardin, verger clos de mur, champ contigu; une vigne d'environ douze fosserées; un pré sur le terroir d'Avançon ; deux bois, la Grande-Pinée et Coste-Belle, et généralement tout ce qu'il a acquis de M. Reymond, curé de Tallard. M. Peix se réserve un appartement au second étage pour son usage;

2° Ce bail est l'ait pour le terme de vingt-neuf années, qui commenceront le 1er janvier 1819… Le preneur jouira pendant toute

la durée du bail de tous les produits des biens, qu'il fera exploiter en bon père de famille, et qu'il pourra sous-affermer;

3° A ]a fin du bail, la maison et les biens seront remis au même étal qu'ils se trouvent actuellement…;

4° Le bail est consenti et accepté ai la charge par M. de. Mazenod d'entretenir ou de faire entretenir dans la maison de la ferme, et pendant toute la durée du bail, le nombre d'ecclésiastiques nécessaires pour le service de Notre-Dame du Laus, sous l'agrément et l'approbation de MP' l'Evêque du diocèse dont dépend cette église; ce nombre sera toujours au moins de deux…

A Digne, le 21 septembre 1818.

 

Signé: PEIX. — DE MAZENOD.

 

Ordonnance de Mgr Miollis confiant le Laus aux PP. Oblats (page 447)

 

Carolus - Franciscus-Melchior -Benevenutus MIOLLIS, miseratione divina et Sancte Sedis apostolicae gratia, Episcopus Diniensis.

Gregi Nobis commisso spiritualia pascua providere cupientes, inique opportune salutis auxilia exhibere, jamdudum meditabamur aliquot ex nostris cooperatoribus zelo et astu fidei mugis conspicuis specialiler Missionibus peragendis; sed, praeter varia quae conatibus nostris obstabant impedimenta, augustiabamur de loco in quo reciperentur ils intervallis quibus tom praecellenti labori incumbere non possent.

Nos a tali liberavit sollicitudine dilectus filius Petrus-Carolus

 

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Peix, Canonicus ad honores in nostris Ecclesià Diniensi, Parochus Vapincensis, nec non et Noster Pro-Vicarius generalis, qui proprio nomine suscripsit emptioni adificii olim habitati per sacerdotes Congregationis dictce Sainte-Garde in territorio parochiæ succursalis loci vu]go dicti Notre-Dame du Laus, nec non et possessionum vicinarum.

Natta Nobis fuit mora in inquirendis Operariis quos, sic divine favente Providentià in unum cogere et sustentare licebat... Multa audieramus de eximio sacerdote Eugenio de Ma cnod qui in direcesi Aquensi plures sibi adunaverat, operi Missionum summà animarum utilitate incumbentes, ipsi aliquot ex nostris adjunximus, illumque decrivimus preficiendum et per praesentes praeficimus dictae succursali Notre-Dame du Laus, et Missionibus à suissociis in nostrà diocesi peragendis.

Nullum aggredientur nisi de Nostro vel Vicariorum nostrorum Generalium consensu, à Nobis opportunes facultates et idonea consilia accepturi.

Idem statuimus de exercitiis religiosis quae in variis ecclesiis, excepta proprià succursali Notre-Dame du Laus, ultra octo dies protenderentur.

Meminerit dilectus filius noster Eugenius de Mazenod, ipsiusque in directione Societatis nuncupatae Missionis Provinciae successores, Nos per instrumentum quo sponte et gratuito ecclesiae praefatae concessimus tum aedem sacram, tum domum usque nunc a Rectore inhabitatam, decrevisse ut singulis annis, die decimà tertio aprilis, quandiu in vivis erimus, et post obitum, die ejus anniversarià, missa solemnis vel saltem privata pro Nobis celebraretur… Ex quo autem, tum invitando alios, tum expensis nostris, in quantum permisit augustia ternporum, adjuvimus dilectum filium Peix, parochum Vapencensem, ut onera ultro imposita adimplere posset, jus nostrum ad praefatas preces roboratum evasit.

Praecipimus proesens decretum exarari in libro in quo nolabuntur ea quorum memoria servanda est, et saltem semel in anno legi.

Datura Diniae die sextà januarii sub signo sigilloque nostris et Secretarii nostri subscriptione, anno Domini 1819.

 

 

+ Car. F. M. B. Miollis, episcopus Diniensis.

De mandato, ROMAN, presb. sec

 

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Circulaire de Mgr Rossat relativo à la restauration de la Maison du Laus (page 458)

 

NOS CHERS COOPÉRATEURS,

 

Fidèle aux engagements que nous avons pris à ta dernière retraite ecclésiastique, Nous venons aujourd'hui vous entretenir de l'établissement du Laus et réclamer en sa faveur les généreux efforts de votre charité.

Quelle est la destination de cet Etablissement ? Comment doit-il être dirigé ? Quelles sont ses nécessités actuelles? Par quels moyens faut-il y pourvoir ? Tels sont les objets sur lesquels notre coeur sera heureux de vous communiquer ses vues et ses pensées…

 

1. — La destination de cet Etablissement rte parait pas douteuse. Enveloppé dans la confiscation des biens du Clergé, pendant les jours mauvais qui ont marqué la fin du siècle dernier, cet ancien Couvent des Pères de Sainte-Garde, auxquels avait été confié le service du Sanctuaire si vénéré de Notre-Dame du Laus, fut racheté en 1818, au moyen de souscriptions ecclésiastiques, dans le but, clairement déterminé par les fondateurs, d'en faire un asile de retraite pour les vétérans du sacerdoce.

Cette destination , toutefois, n'était pas la seule qu'on s'était proposée : on y joignit évidemment la pensée de la destination primitive de l'Etablissement, c'est-à-dire la pensée d'attacher à cette maison une Congrégation de prêtres pour favoriser, comme à l'origine de la dévotion , le concours des pèlerins et pour procurer en particulier aux ecclésiastiques la facilité d'y passer quelques jours dans la retraite.

A l'appui de ces affirmations, Sa Grandeur cite quelques passages des diverses pièces que nous avons reproduites plus haut, puis elle continue « D'après les documents que nous venons de rapporter, nous concluons que l'Etablissement du Laus ne répondra à tous les voeux, comme à tous les besoins , et n'atteindra sa complète destination qu'en réunissant le triple avantage d'une maison de retraite pour les pasteurs âgés et infirmes, d'une habitation pour la Communauté des prêtres chargés de desservir le Sanctuaire, et d'une hospitalité convenable pour les pèlerins ecclésiastiques. »

 

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II. — La seconde question , qui n'est qu'une conséquence de la première, devient bien facile à résoudre.

L’Etablissement du Laus est , dans toute la rigueur du terme, la propriété du Clergé, puisqu'il se l'est acquise par des souscriptions volontaires. avec une destination manifestée par lui et qui touche à son propre intérêt. Dès lors, c'est un établissement essentiellement diocésain, d'oie il résulte que l'administration en appartient de droit à l'Evêque ; que les ecclésiastiques appelés à le diriger sont au choix et à la nomination de l'Evêque, et révocables à sa volonté ; que ces prêtres ne sont administrateurs que sous l'autorité de l'Evêque, auquel ils doivent rendre compte de leur gestion.

C'est aussi avec ces conditions, vous le savez, Nos Chers Collaborateurs, qu'a été placée par Nous à cet établissement une Communauté de prêtres choisis parmi les missionnaires diocésains, boulines de dévouement, toujours si empressés, quand ils entendent votre appel et qu'ils sont disponibles, à devenir les auxiliaires de votre zèle. Ces dignes ecclésiastiques, en effet, savent fort bien qu'ils peuvent être déplacés é une simple injonction de l'autorité épiscopale; que l'établissement confié à leurs soins est la propriété du Clergé, qu'ils n'y sont placés que comme des gérants qui n'ont pas même la faculté d'y rien recevoir pour eux. Car Nous devons cuire ici qu'ils se sont engagés d'eux-mêmes à renoncer en faveur de l'église ou de l'établissement, selon la nature de l'objet, à tout don qui leur serrait offert, fusse même avec une déclaration positive qu'il leur est personnellement destiné. En sorte qu'a leur départ, s'il devait avoir lieu, rien ne serait enlevé de tout ce qui serait une fois entré dans la composition du mobilier de l'établissement ou du Sanctuaire. Oh! combien, depuis l'arrivée de nos Missionnaires au Laus, l'exercice de notre vigilance sur l'établissement est devenu facile ! Avec leur docilité et leur esprit si parfait, l'administration de la Maison n'éprouve aucun obstacle. Sa marche est régulière et rien ne nous échappe…

Nous ajouterons encore que, dans le plan d'organisation que nous avons arrêté, une seule et mène administration présidera et au service du Pèlerinage et au service intérieur de l'Etablissement. Des raisons d'ordre, d'économie, d'une harmonie si désirable en tout et entre tous, nécessitent cette mesure.

III. — Quelles sont les nécessités de l'Etablissement? Elles apparaissent de toutes parts et sont des plus urgentes, sous le double rapport des bâtiments et du mobilier.

 

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D'abord pour le mobilier, il est presque nul, soit à cause de son insuffisance, soit à cause de l'état de détérioration dans lequel se trouvent les quelques objets épars dont il se compose.

Quant aux bâtiments, il y a partout une telle dégradation qu'une restauration générale est indispensable           Puis ils ne sont pas assez spacieux pour répondre complètement à sa destination. Car, nous l'avons vu de nos propres v eux, à certains concours, l'espace manque pour recevoir les prêtres et les fidèles. Comment donc serait-il possible, sans rien ajouter aux bâtiments, d'y trouver un asile convenable pour les vieux ans du sacerdoce? On ne peut sans injustice abandonner la retraite des prêtres ; mais également personne ne pensera qu'il faille sacrifier le saint pèlerinage, source de tant de grinces et de bénédictions, aux exigences de la maison de retraite.... Tout doit donc être mis en oeuvre pour que les deux objets aillent de pair et puissent, se prêter un mutuel appui.

C'est mû par de telles considérations que nous n'avons pas hésité à nous prononcer pour l'agrandissement de la Maison du Laus. Il aurait lieu, les murs ayant été reconnus assez forts, par l'exhaussement d'un étage. Un plan avec devis vient d'être dressé à cette fin. Il donne pour résultat à l'étage neuf vingt-deux chambres de grandeur convenable. Une telle augmentation de logement suffirait à tous les besoins. La dépense prévue, y compris les réparations, figure au devis pour une somme d'environ cinq mille cinq cents francs. L'imprévu peut élever ce chiffre jusqu'à six mille, mais ne le dépassera pas. Mais par quelles ressources faut-il pourvoir à ces dépenses ? C'est noire dernière question.

IV. — La réponse est facile. Le Clergé est propriétaire de la Maison du Laus; il doit en avoir tous les avantages : c'est donc à lui seul de pourvoir aux frais que nécessitent son entretien, son amélioration ou son agrandissement. Qui, d'ailleurs, en dehors de nos rangs, serait intéressé à s'occuper de cette maison ?.... Les souscriptions du Clergé sont donc d'unique ressource à laquelle il faille s'arrêter. Nous adoptons cette mesure, de laquelle nous attendons les plus heureux résultats. C'est dans ce but que nous venons, avec une entière confiance, faire appel à votre piété. ainsi qu'à vos si nobles et si généreux sentiments. Notre voix ne peut faire à moins d'être entendue, lorsqu'elle s'élève en faveur d'une oeuvre si grande, si utile à la religion, et si essentiellement vôtre. Ah! nous l'espérons bien, chacun de vous s'empressera, sous l'oeil de Dieu et de Marie, d'apporter son offrande. Tout, néanmoins, sera parfaitement libre et volontaire      

 

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En conséquence, nous arrêtons les dispositions suivantes :

1° Une souscription est ouverte dès ce jour, en notre secrétariat, à laquelle sont invités à prendre part tous les membres du Clergé, pour faire face aux dépenses projetées;

2° Chaque souscripteur nous fera connaître, dans le courant de janvier prochain, le montant de sa souscription;

3° Les dons en nature pour le mobilier seront reçus à notre secrétariat, ou à l'établissement du Laus ;

4° Un catalogue de tous les bienfaiteurs qui auront souscrit au moins 40 francs sera dressé et placé dans l'une des principales salles de l'Etablissement;

5° Sont fondées à perpétuité et à la charge de l'Etablissement douze messes par an pour tous les fondateurs et bienfaiteurs du Couvent et du Sanctuaire;

6° Nous plaçant, comme de juste, à la tête de la souscription, nous nous engageons pour la somme de 500 francs et pour un lot d'objets mobiliers.

Nos Vicaires Généraux s'engagent chacun pour 100 francs et un lot de mobilier.

Nous vous adressons en terminant ce souhait de l'Apôtre : « Que le Dieu de paix soit avec vous… Que sa grâce et sa charité vous animent… afin de demeurer fermes et inébranlables dans le bien et d'avancer chaque jour dans l'oeuvre du Seigneur, sachant bien qu'à ses yeux il n'est pas de travail sans récompense. »

 

+ Louis, évêque de Gap,

Par mandement : l'abbé JAMES, chan., secr. général.

 

Procès-verbal de la visite du tombeau de soeur Benoîte par Mgr Depery (page 420)

 

Jean-Irénée Depéry, par la miséricorde divine et la grâce du Saint-Siège apostolique, Evêque de Gap, Prélat assistant au trône pontifical, etc.

A tous ceux qui ces présentes verront,

Salut et bénédiction en N. S. J.-C.

L'an mil huit cent cinquante-quatre et le 16 du mois d'août, le R. P. Zéphirin Blanchard, curé du Laus et supérieur des Missionnaires, nous écrivait pour nous faire connaître que les ouvriers maçons, en posant un carrelage en marbre dans le sanctuaire

 

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de l'église du Laus, avaient mis à découvert le tombeau de soeur Benoîte, que du côté de ce tombeau qui regarde le midi, il y avait une ouverture de soixante-dix centimètres de longueur, sur soixante centimètres de largeur environ, et que de cette ouverture on voyait dans l'intérieur du tombeau une assez grande quantité de gravois et de pierre, qu'il convenait d'enlever avant de le refermer.

Après la lecture de cette lettre et sans perdre un moment, nous nous rendîmes au Laus, accompagné de M. Irénée Depéry, notre aumônier. A dix heures du soir, en présence du P, Zéphirin Blanchard et des PP. Véran Blanc, Jean Blanc, Jean-Baptiste Eymar, missionnaires du Laus, nous nous sommes rendu auprès du tombeau de soeur Benoîte. A l'aide de plusieurs lumières, avons vu, dans l'intérieur, une masse de décombres tombés de la veille et des parois dudit tombeau, sans qu'on puisse préciser l'époque de cette chute. Le tassement de ces décombres et la moisissure qu'on remarque dessus, sont une preuve que ce désordre remonte à plusieurs années. Nous avons jugé que la décence demandait que ce monument vénérable fut nettoyé et remis dans l'état de propreté qui lui convient.

Ce parti pris, Nous avons donné ordre au P. Zéphirin de descendre dans le caveau et d'enlever avec précaution les gravois et les pierres. Ces matériaux ont été tirés dehors, à l'aide de paniers, par les autres Pères Missionnaires. Ce travail terminé, le P. Zéphirin nous a dit qu'il voyait une bière dont les planches étaient fortement endommagées par la chute des pierres et par le temps. Nous sommes alors descendu nous-même dans le caveau, et nous avons reconnu d'abord l'état de la bière. La partie inférieure, enfoncée de cinq à six centimètres dans la terre, est assez bien conservée; la partie supérieure l'est beaucoup moins. Elle a un mètre soixante-et-dix centimètres de longueur, soixante-et-dix centimètres de largeur à la tête et un peu moins aux pieds. Nous avons remarqué alors au fond de cette bière un squelette d'une assez grande dimension, dont tous les ossements sont dans leur position naturelle. Quelques-uns sont noircis et détériorés par le temps et par l'humidité. La tête a souffert considérablement de la chute d'une pierre : elle est brisée en plusieurs endroits. Les mâchoires ayant encore plusieurs dents, et tous les gros os sont en bon état; la robe et le cordon, en étoffe de laine brune, offrent encore de la résistance.

En présence de ces vénérables restes, nous nous sommes recueilli et ensuite nous avons délibéré sur ce qu'il y avait à faire

 

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pour les conserver à la postérité. Vu l'état du caveau, dont le sol est humide, couvert de salpêtre, ainsi que la voûte, il Nous a paru nécessaire de tirer ces précieux ossements de terre et de les réunir dans une chasse qui, placée au-dessus du sol, offrirait plus de garantie contre l'action de ces éléments de destruction.

Nous avons donc recueilli, avec un profond respect et de grandes précautions, ces restes vénérables, ainsi que les lambeaux de vêtements, dans une caisse en bois, que nous avons fermée solidement et laissée au fond du caveau.

Après cette opération, terminée à une heure du matin, Nous avons expédié un exprès à Gap, pour faire confectionner une châsse en plomb. Cette chasse est arrivée le même jour, 17 août. Le soir, à dix heures, en présence des noèmes témoins, Nous sommes descendu de nouveau dans le caveau et nous avons placé respectueusement les ossements de soeur Benoîte et les restes de sa robe, dans cette chiasse en plomb, qui a cinquante centimètres de long, trente de large et vingt-cinq de profondeur. Nous l'avons fait sceller solidement et l'avons fait placer sur quatre briques, au milieu du caveau, directement au-dessous de la pierre tumulaire.

Dès le lendemain , toujours en notre présence, Nous avons fait murer solidement par un maçon l'ouverture du tombeau, afin qu'il demeure inviolable, et que des accidents regrettables, comme ceux que nous venons de mentionner, ne se reproduisent plus.

Il a été décidé, en outre, que la croix de soeur Benoîte, qui est évidemment celle qu'elle portail de son vivant, et dont il est l'ait mention dans les Manuscrits du Laus, serait enchâssée à nos frais dans une croix en vermeil, pour servir de croix pastorale aux évêques qui viendront officier pontificalement dans le Sanctuaire du Laus.

Fait au Laus, en présence des témoins ci-dessus nommés et soussignés, le 18 août 1854.

 

+ Irénée, Évêque de Gap.

 

 

Lettre pastorale de Mgr Depéry instituant la fête anniversaire du Couronnement de Notre-Dame du Laus (page 486)

 

Jean-Irénée Depéry, par la miséricorde de Dieu et la grâce du Saint-Siège apostolique, Evêque de Gap, Comte romain, Prélat assistant au trône pontifical, Chevalier de la Légion d'honneur et Commandeur de l'Ordre des Saint-Maurice et Lazare,

 

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Au clergé et aux fidèles de notre diocèse,

Salut et bénédiction en N. S. J.-C.,

 

Tous les événements, N. T. C. F., qui intéressent à un haut degré, la religion ou la politique ont leurs anniversaires glorieux ou modestes, et leur mémoire vit ainsi et se perpétue à travers les âges, sauvée de l'oubli par une éternelle reconnaissance. Quelquefois c'est tout un peuple qui solennise, dans la joie, d'impérissables souvenirs : la victoire accordée à ses armes, l'indépendance conquise par sa valeur, la paix rendue à ses foyers, la naissance d'un prince, le couronnement d'un monarque, etc. C'est une église, un diocèse, une paroisse qui, à certaines époques périodiques voient se lever les jours anniversaires de grâces spéciales obtenues, de miracles opérés. D'autrefois, ce n'est qu'une simple famille l'étant, seule, quelque date de bonheur domestique, humble comme elle, mais qui lui rappelle des félicités d'autant plus chères qu'elles lui sont plus intimes.

Or, N. T. C. F., une date toute récente, mais à tout jamais immortelle, est venue s'ajouter pour ce diocèse, aux dates des solennités antiques. Le 23 mai a pris place, pour fous les habitants des Alpes, dans ces chers souvenirs qu'on aime à garder intacts, sans leur permettre de vieillir jamais, souvenirs bénis qu'on solennise si bien avec la pompe pieuse et la sainte allégresse du coeur!

C'est donc une bonne nouvelle que nous vous apportons, N. T. C. F., en vous annonçant par cette lettre pastorale, pour le 23 mai prochain, une tête commémorative du Couronnement de Notre-Dame et bonne Mère du Laus.

Nous avons cherché à rendre cette fête d'autant plus brillante que les souvenirs qu'elle consacre sont plus mémorables. Pour cela nous nous sommes adressé à l'illustre Pontife qui s'était montré si libéral et si plein d'une tendre dévotion pour notre Vierge du Laus, et, toujours parfait dans sa bonté, Notre Saint-Père le Pape Pie IX a comblé la mesure de ses bienveillances en nous accordant : 1° Un office commémoratif de la grande fêle du 23 mai dernier ; 2° Une indulgence plénière le même jour anniversaire du Couronnement.

Nous avons cru ensuite, N. T. C. F., devoir faire un appel à notre clergé et ouvrir une souscription pour offrir, en son nom, à Notre-Dame du Laus, une croix commémorative de son Couronnement. Cet appel a été entendu et la souscription couverte, non seulement par les prêtres de notre diocèse, mais encore par des prêtres de plusieurs diocèses étrangers et par un grand nombre de simples fidèles qui ont voulu donner à Marie dans l'un de ses

 

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plus vénérés sanctuaires, cette marque de leur généreuse dévotion. Qu'ils en soient ici bénis et remerciés

Le chiffre étant monté plus haut que nous ne l'avions porté dans nos calculs les plus élevés, la Commission nommée à cet effet, a dû aviser à l'emploi d'une somme de 2.000 francs excédant les dépenses prévues pour la confection de la croix processionnelle.

Parmi les divers objets pieux offerts à son choix, la Commission s'est arrêtée à l'achat d'une lampe digne, par la richesse de la matière et l'élégance de sa forme, de renfermer cette huile merveilleuse à laquelle la Sainte Vierge a promis la vertu des miracles ; et puis, en outre, la Commission a pensé qu'une lampe, symbole de la vigilance et de la prière, veillerait et prierait pour les donateurs, aux pieds de Notre-Dame, et que sa flamme toujours vive, serait la douce et mystérieuse image de cette autre flamme de l'amour, qui, elle aussi, brûle si ardente et si pure, sans s'éteindre jamais dans le coeur des enfants de la Bonne Mère.

Sans doute, N. T, C. F., qu'un monument commémoratif tel que nous l'entendions et que plusieurs d'entre vous le désiraient, construit sur lieu meule où la Vierge du Laus a reçu sa royale couronne, eùt aidé à perpétuer le souvenir du grand acte dont nous allons célébrer te premier anniversaire, mais à des difficultés matérielles insurmontables, s'est joint dans noire esprit, pour modifier sur cela notre intention, la pensée que la Sainte Chapelle, avec sa statue ornée de sa couronne d'or, rappellerait mieux le 23 niai 1855, que ne sauraient le faire de froides colonnes de marbre. Toutefois, nous avons élevé, dans de modestes proportions, un oratoire sur ce lieu sanctifié, suffisant pour indiquer aux étrangers le théâtre de ce grand événement.

Vous viendrez donc nombreux, N. T. C. F., à cette fétu anniversaire du Couronnement, vous y viendrez le coeur plein de cet amour filial que vous devez à votre bonne Mère, et, dignes de vos pieux ancêtres qui méritèrent l'insigne honneur de la recevoir et de la retenir au Laus; vous saurez par votre foi, par votre empressement, comme par vos oeuvres, lui rendre vos hommages, dans cette auguste demeure, que, depuis deux siècles, elle se plaît à remplir de ses miséricordieuses faveurs.

 

 

Monographie de la Chapelle du Précieux–Sang consacrée par Mgr Bernadou le 16 septembre 1862 (page 214)

 

La chapelle du Précieux-Sang est un édicule en style roman, de forme octogonale. voûté et surmonté d'un campanile. Sa porte

 

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s'ouvre à l'occident et est ornée de pentures à ancre fleurdelisées. L'imposte cintrée est fermée par une grille en fer forgé, qui présente en son milieu les initiales couronnées de la Sainte Vierge, patronne du Laus, Maria Lacensis.

Les côtés de l'édicule mesurent dans oeuvre deux mètres dix centimètres, et les côtés opposés sont distants de cinq mètres. Du pavé au sommet de la voûte il y a huit mètres.

Chacun des angles extérieurs de l'édifice est masqué par un contrefort à double ressaut, et qui se termine un peu au-dessous du toit par un sommet arrondi et crénelé. Un bandeau continu partage inégalement la hauteur du bâtiment.

Les huit faces sont percées chacune de deux ouvertures ; la face antérieure de la porte d'entrée et d'un oculus au-dessus; les sept autres, d'une fenêtre et d'un oculus. Les fenêtres sont à plein cintre et foules égales entre elles; elles mesurent un mètre dix centimètres en largeur et un mètre quatre-vingt-quinze en hauteur. Les oculus sont exactement circulaires et ont en diamètre un mètre vingt centimètres.

Les dimensions de la porte excèdent, celles des fenêtres de dix centimètres en largeur et un mètre cinq centimètres en hauteur. Une corniche très simple couronne l'édifice.

Le toit à huit pans est fait de tuiles creuses posées sur une chape de ciment.

Le campanille est formé de huit colonnes posées sur la pierre forée et saillante, qui constitue la clef de la voûte ; elles portent un toit conique en pierre qui abrite la cloche et que surmonte une croix nimbée à branches égales et fleuronnées.

Les dimensions des diverses parties du campanile sont les suivantes :

 

Diamètre de la base            1m 30

Hauteur des colonnes          2m

Diamètre de la base du cône terminal      1m 62

Hauteur dudit cône   1m 60

Hauteur de la croix   0,90 m

Sa largeur                             0,55 m

 

Le sommet de la croix se trouve ainsi élevé de treize mètres au-dessus du lavé de la chapelle.

A l'intérieur, la voûte est à huit segments et autant d'angles occupés par des nervures saillantes à cinq faces planes, et dont chacune retombe sur une console sculptée, à la hauteur du bandeau extérieur.

Les embrasures des fenêtres descendent jusqu'au sol; celle de

 

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la fenêtre du fond, qui regarde le levant, est occupée par un siège de pierre de quarante-un centimètres de hauteur et de un mètre et demi de longueur.

Au centre de l'édicule, sur un socle octogonal de marbre noir, haut de quinze centimètres, et dont les côtés mesurent chacun un mètre dix centimètres, s'élève un autel circulaire de un mètre dix centimètres de diamètre, d'une seule pierre, épaisse d'environ vingt-trois centimètres, et qui est porté sur un cippe octogonal de soixante-douze centimètres de hauteur, également d'un seul bloc. La petite cavité qui a reçu les reliques lors de la consécration de l'autel, est creusée dans l'épaisseur du bord de la table, du côté du levant. C'est aussi de ce cèle que se place le célébrant qui se trouve ainsi officier à la manière du Pape, à l'autel de la Confession de saint Pierre.

Le bénitier, qui rappelle la forme des retombées des nervures de la voûte, et ln petite crédence placée dans un angle voisin, ont été faits des débris d'un bloc erratique de marbre porte-or, mis à découvert par les travaux de terrassement exécutés pour le tracé de la route carrossable de Notre-Dame du Laus, à Gap.

Les matériaux employés pour les autres parties vues de l'édifice,

sont :

 

1° Du marbre gris de la montagne de Seuze, près Gap (travaillé à la boucharde), pour le dallage intérieur et extérieur, la première assise des contreforts, les marches prie-Dieu placées en dehors au-devant des fenêtres, les appuis de celles-ci, les pieds droits et le cintre de la porte.

2° Une pierre calcaire lacuneuse et très dure (soi-disant tuf du Isatis), tirée des torrents qui encadrent le bassin, pour la seconde assise des contreforts.

3° Du tuf de Remollon, rempli d'empreintes et de débris végétaux fossiles, pour les contreforts, le bandeau, la corniche, les fenêtres et les oculus.

4° Des briques pour le contre-coeur des fenêtres, les parois extérieures des murs et la paroi intérieure de la voûte.

5° Du marbre noir de Poligny, en Champsaur, pour la marche de l'autel.

6° Du marbre gris de Montmaur, près la Roche-lès-Veynes, pour l'autel et le siège qui lui fait face au levant.

7° De la pierre blanche de l'Echaillon, près Grenoble, pour les nervures de la voûte et leurs consoles. la clef même et tout le

campanile.

Les oculus et les fenêtres sont fermés par des vitraux. Chaque

 

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vitrail est entouré d'une guirlande de fleurs en grisaille, sur fond bleu ou rouge, et dont le dessin est de l'un des fondateurs de la chapelle.

Quatre des oculus ont le centre occupé par une croix grecque d'or, avec extrémités et nimbe ornés de perles, sur fond bleu niellé de fleurs de lys ; les quatre autres offrent autant de médaillons différents, dont le fond rouge est niellé d'arabesques. Le dessin de ces médaillons est dit à M. Louis Grimaud, artiste peintre de Paris, natif de Lamballe (Côtes-du-Nord), et élève du célèbre Veii, de Francfort.

L'oculus placé au-dessus de la porte représente saint Louis, roi et saint Charles Borromée (patrons des fondateurs), offrant à N. S. Jésus-Christ, assis, la petite chapelle du Préieux-Sang qu'il bénit.

Sous le médaillon se voit un écusson qui porte une croix rouge sur fond d'or, avec une plume et un crayon d'argent en sautoir, et trois champignons bruns (un agaric et deux géastres) par dessus. La guirlande, sur fond bleu, est faite de vignes, d'épis de blé, de coquelicots et de bleuets; en dehors, sur fonds d'or, on lit cette légende : « Implebo domum istam gloria, et in loco isto dabo percent. » Et plus bas : « Praetende misericordiam tuam scientibus te, » et : « Benedictus Deus qui elegit nos in Christo. »

Dans l'oculus crucifère qui suit, à gauche de la porte en entrant, la guirlande sur verre rouge est composée de branches fleuries de cerisiers et de groseilliers. Les légendes sont, en haut: « Tuam Crucem adoramus, Domine, tuam gloriosam recolimus Passionem, miserere nostri qui passes es pro nobis » ; en bas : « Tuo lotos sanguine, peccando ne novant sinus parare nos tibi crucem. »

Le médaillon du troisième oculus représente l'apparition de la Vierge-Mère à la saur Benoîte, paissant son troupeau. L'écusson couronné d'étoiles d'or porte un M aussi d'or, sur un fond de gueule, avec des monts et vallées d'argent et le mot Lacensis écrit en travers. Des lis, mauves, campanules, chèvre-feuilles, gesses, renoncules, ancolies, stellaires, violettes et anémones composent la guirlande. Pour légende on lit : « Salve, Regina, mater misericordiae, vita, dulcedo et spes nostra, salve, ad te clamamus, exules  filii Evae », et en bas : « Tota pulchra es, pura, immaculata. »

Au quatrième oculus, autour d'une couronne faite de pervenches et de renoncules fleuries et entrelacées, on a écrit en haut: Nos sempiternis Crux tua, ô Christe, flammis eruit; hic ure,

 

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vindex hic seca, parcas in aeternum modo ; » et en bas : « Nos tua virtute fortes, da sequi, Jesu, quod exemplo doces. »

L'oculus du fond, opposé à celui des patrons, représente une pieta, le Christ descendu de la croix et reposant sur les genoux de sa Mère, la Vierge des douleurs. Autour sont entrelacées des ronces chargées de fleurs et de fruits. On lit, en dehors, ces paroles de Jérémie: « O vos omises qui transitis per viam, attendite et ridete si est dolce sicut dolor meus, O vous tous qui passez, regardez et voyez s'il est une douleur semblable à la mienne. » «(Thr. I. 12). Et au-dessous, cette strophe du Stabat: « Eia, mater, fons amoris, me sentire vim doloris, foc ut tecum lugeam : » L'écusson figure une tour d'argent, terris eburnea, surmontée d'une étoile d'or, stella matutina, le tout sur fond de gueule.

Suit un oculus crucifère entouré de géraniums et. de potentilles avec ces légendes : Ecce lignum crucis in quo salas mundi pependit, venite adoremus. » Puis : « Demine, non secundum peccata nostra facies nobis, neque secendunn iniquitates nostras retribuas nobis. »

Le sixième oculus représente le fait qui s'est passe plusieurs fois au lieu même qu'occupe la chapelle du Précieux-Sang, et qui a donné tant de prix à la croix de bois suspendue au-dessus du son autel: N. S. J.-C. crucifié et environné d'anges, apparaît à la soeur Benoîte. Des passiflores et des roseaux de la Passion entrelacés composent la guirlande. L'écusson couronné d'épines, porte sur fond rouge les clous de la Passion et le monogramme du Sauveur J. H. S. en lettres d'or majuscules. On lit autour de la rose : « Sustinui qui sincal toccata contristaretur et non fuit, qui consolaretur, et non inveni » ; et au bas : « Deus charitas est. »

Enfin, le quatrième oculus crucifère est ceint de véroniques et de fraisiers fleuris, et présente à lire ces deux strophes du Vexilla regis : « Super omnia ligna cedrorum tu sofa excelsior in qua, Christus triumphavit et mors mortem superarit in aeternum »; et au. bas : « O crux, ave, spes unica, auge piis justitiam reisque dona ceniam. »

Les vitraux des fenêtres sont faits de verres blancs et colorés, disposés en mosaïque conforme au style du petit monument. Quant aux guirlandes de fleurs qui les ornent, elles sont alternativement sur verre bleu et rouge.

La guirlande de la première fenêtre ô gauche en entrant est faite de feuilles d'Adianthum, de tiges fructifères de mousses diverses (Fontinalis, Polytrichum, Bryum, etc.), et de Junger-manues fertiles et gemmifères; un marchantia, fleuri et gemmifère, occupe le bas de la fenêtre.

 

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La bordure de la deuxième fenêtre, qui est faite de verre rouge, est ornée dans le cintre de sarments fleuris et fructifères de clématite commune, et par ailleurs de tiges volubiles de liserons des haies qui s'enroulent autour des éhaumes d'un Triticum.

Dans la troisième fenêtre, on a dessiné des rameaux fleuris en fructifère de châtaignier, de chêne et de sorbier, ainsi que des tiges fertiles de Benoîte (Geum urbanum) et de bourse à pasteur (Capsella balisa pastoris.)

La fendre du fond est chicorée de branches d'aubépine en fleurs, et dans le bas de hampes et feuilles d'Iris germanica.

L'obier et le cytise des Alpes ornent la bordure bleue de la cinquième fenêtre.

La sixième, montre a gauche la bryone (Bryonia dioeca), et à droite le Tanins commuais, plantes élégantes dont les tiges chargées de fleurs et de fruits mûrs, se suspendent à des branches de Xylostrum, et d'érable printer dans la partie cintrée de la fenêtre.

La septième et dernière fenêtre, à droite de la porte en entrant, n'est ornée comme la première qui lui est opposée, que de plantes cryptogames. Au sommet s'étale le lichen pulmanaire, flanqué des deux côté de frondes de fougères (Pteris et Polypodium) ; du bas s'élèvent à gauche des Cenomyce pyxidata et rangiferina, et à droite des Cladonia perfilata du Brésil, les unes et les autres entremêlées de mousses indigènes; enfin, le Peltigera caruna remplit le panneau inférieur et médian de la bordure.

La chapelle du Précieux-Sang a été, en outre, décorée intérieurement de peintures murales à la colle, d'après les croquis de M. Charles Lameire (de Paris) et de l'un des fondateurs.

La voûte est rouge et semée de rosaces blanches: les murs sont teintés en jaune d'ocre, et des assises y sont dessinées entre le bandeau et le soubassement. Les ares-formeret et des clavaux, tant autour des oculus que du cintre des fenêtres, sont également figurés. Un bandeau bleu relie les consoles des arêtes de la voûte, et on y lit en lettres blanches, à gauche le premier, et à droite le onzième verset du Stabat ; en avant et au-dessus de la porte, et au fond, au-dessus du siège fixe, le bandeau est orné de croix grecques et de monogrammes de la Sainte Vierge, protectrice du Laus.

Les croix de consécration occupent, deux à deux, six des angles de l'octogone à la hauteur du cintre des fenêtres ; elles sont rouges sur fond blanc, à branches égales, entourées d'un cercle de perles, et accompagnées alternativement d'épis de blé et de raisins. Les noms latins des douze apôtres sont écrits en lettres blanches

 

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sous le disque de ces croix. On a suivi l'ordre accoutumé qui met d'un côté Pierre, André, Jean, Jacques le Mineur, Barthélemi et Simon, et de l'autre Paul, Jacques le Majeur, Thomas, Philippe, Mathieu et Thadée.

Le nombre de croix de consécration étant limite à douze, on a mis à la place, dans les angles voisins de la porte, les tables de la loi mosaïque surmontées de l'étoile nimbée figurative du Messie, lumière promise à l'homme déchu. Les noms des quatre grands prophètes Isaïe, Daniel , Jérémie et Ezéchiel qui ont été les plus insignes hérauts du Verbe incarné, sont écrits en hébreu et en latin au-dessous du cartouche.

A droite et à gauche de la porte, au-dessus de la grecque qui règne autour de l'édicule et couronne son soubassement, on a fixé à la muraille une table de marbre blanc, gravée d'une inscription commémorative.

Sur celle de gauche, en entrant, on lit :

 

ANNO VIRGINEI PARTUS

MDCCCLXII ,

XVI KALEDAS OCTOBRIS

DIE III POST FESTUM EXALTAT. S. S. CRUCIS D. N. JESU CHRISTI

PII PP. IX SUMMI PONTIFICIS ANNO SVII,

NE IN VALLE LACENSI

MEMORIA UNQUAM EXCIDERET

PRODIGII

OLIM PROPTER BENEDICTAM RENCUREL

PERPETRATI,

CUI DEVOTISSIMAE VIRGINI

JESUM CHRISTUM IN CRUCE PATIENTEM

HOC IPSO IN LOCO CONTEMPLARI

DIVINA GRATIA NON SEMEL CONCESSUM EST,

SIMULQUE UT LIGNUM HIS PRODIGIIS INSIGNITUM

IN TEMPLO SPECIALI INTACTUM DEINCEPS SERVARETUR

DEBITAQUE COLORETUR HONORE,

AEDICULAM HANC,

FAVENTE JOANNE IRENAEO DEPERY,

VAPIN. EPISC.

FELICIS RECORDATIONIS,

ANNO SUPERIORI JAM INCOHATUM,

CURANTEQUE ZEPHIRINO BLANCHARD,

PRESBYTERORUM LACENSIUM PRIORE,

PREFECTUM

D. O. M.

PRETIOSISSIMO SANGUIN[ DNI NOSTRI J.-CHRISTI,

ET COMPATIENTIS CORDI

B. VIRGINIS MARIAE, DEI GENITRICIS,

BENEDICTUM DICAVIT,

ALTAREQUE SOLEMNI RITU CONSECRAVIT

VICT. FEUX BERNADOU

VAPIN. EPIS.

 

La seconde plaque de marbre porte l'inscription suivante :

 

AEDICULAE RATIONEM

AYMAR VERDIER ARCHIT. PARISIENSIS,

AI ARTINOPOLI TURONUM NATUS,

INSTITUIT.

FRATRES DUO ETIAM TURONES,

REI HERBARLE STUDIOSI,

UT PECCATA A MISERICORDI DEO

SIBI SUISQUE DIMITTERENTUR,

ET IN GRATIARUM ACTIONEM PRO INNUMERIS

IN SE SUOSQUE PROXIMOS

COLLATIS BENEFICIIS,

IMPENSAS LAETI PRO VIDEBUNT ;

PRAETEREAQUE TERRAE VEGETABILE DECUS

AD MAJOREM DEI CREATORIS

EJUSQUE CHRISTI REDEMPTORIS

GLORIAM ,

ET IN BEATISSIMAE VIRGINIS MARIAE,

DEIPARAE, IMMACULATAE,

HONOREM USURPANTES,

SPECULARIA,

APUD EUG. OUDINOT PARISIIS FACTA,

FLORIBUS

SUAPTE MANU EXORNARUNT.

O MARIA,

REFUGIUM PECCATORUM

VIRGO LACENSIS

ORA PRO NOBIS.

 

Des herses ou bras de lumière, sur consoles à deux branches, chacune à cinq cierges sont placées aux angles de l'Oratoire, de

 

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façon qu'un cierge plus élevé brûle devant chaque nom d'Apôtre, et qu'au contraire il n'y ait qu'un seul grand cierge pour deux prophètes (1).

Au-dessus de l'autel est suspendue à la voûte une châsse en cuivre doré, orné de perles de couleur et fermée de glaces, qui renferme la croix dite d'Avançon, mutilée par la piété des pèlerins, celle-là même qui était jadis plantée sur un cippe naturel de plâtre au lieu qu'occupe l'autel, et sur laquelle la soeur Benoîte, par une insigne faveur du ciel, a pu contempler plusieurs fois le Sauveur agonisant.

Cette châsse a deux mètres de haut et mesure un mètre et demi dans sa branche transversale. Elle a été construite par M. Poussielgue, orfèvre à Paris, sur les desseins de l'un des fondateurs. Les feuilles d'érable et les autres ornements qui la décorent ont été repoussés au marteau par un habile ouvrier languedocien. C'est le 25 août 1864 que l'assemblage de ces diverses pièces a été terminé et qu'elle a été alise en place. Dans cette même châsse se trouve, en même temps que la croix d'Avançon, un petit reliquaire d'argent contenant quelques parcelles de la vraie croix de Notre-Seigneur et une petite boîte de fer qui renferme l'authentique de cette précieuse relique.

Deux grands chandeliers en bois de chêne tourné et une croix processionnelle aussi de chêne, avec Christ en bronze argenté, et dont la tige plonge dans un socle pareil à celui des chandeliers, sont placés derrière l'autel, c'est-à-dire devant la porte, et font ainsi face au prêtre officiant.

Deux petits meubles en noyer emplissent les embrasures des fenêtres placées au fond, à droite et à gauche du siège du célébrant.

Extérieurement, au-dessus de la porte, est une dalle de marbre blanc de quatre-vingt-dix centimètres de longueur, mi sont gravés en lettres dorées ces mots: Altare privilegiatum, lesquels rappellent le privilège accordé, en effet, à la chapelle du Précieux-Saug, par Monseigneur l'Evêque de Gap, le 12 juillet 1864, en vertu d'un bref à lui délivré par Sa Sainteté le Pape Pie IX, le 8 avril 1862.

Sur la même plaque de marbre ont été tracées, à gauche, les armes de N. S. P. le Pape Pie IX, glorieusement régnant, et à droite, celles de Mgr Bernadou, alors évêque de Gap.

 

(1) Ces herses en fer forgé ont été faites à Paris chez Everaert, sur les dessins de l'un des fondateurs, aussi bien que la grille de l'imposte et les pentures de la porte.

 

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Chacune des autres faces de l'édifice porte deux tables de pierre (de Tonnerre) de forme ovale et gravées chacune d'une scène de la Passion de Notre-Seigneur. Ces tables numérotées en chiffres romains de I a XIV, et présentant une petite croix de bois incrustée dans leur sommet, composent un chemin de croix qui a été érigé solennellement par Monseigneur l'Evêque de Gap, le mercredi 7 septembre 1861, veille du deuxième anniversaire centenaire de la fondation du pèlerinage du Laus.

Ces travaux ont été gravés à Chaville (Seine-et-Oise) par l'un des fondateurs, d'après les dessins (pour les sujets) de son ami, Louis Grimaud. La croix et le chiffre de la station y sont accompagnés de quelques ornements. Ce sont, pour le premier et le second, des roseaux de la Passion (typha) et des feuilles de houx; pour le troisième, des rameaux fleuris d'agnus castes et des fleurs de giroflée; pour le quatrième, des lis et des feuilles d'aubépine; pour les cinquième et sixième, des perles d'un rosaire et des feuilles de benoîte (geum urbanum) ; pour les septième et huitième, des rameaux fructifères d'épine-vinette (berberis culgaris) et une tige également fertile d'arisarum ; pour les neuvième et dixième, des ronces épineuses et de petites branches fertiles de genièvre ; pour les onzième et douzième, des sarments de vigne et des feuilles trifoliées ; et, enfin, pour les treizième et quatorzième, les instruments de la Passion disposés en faisceau et une couronne d'épines.

La cloche placée dans le campanille a été fondue à Lyon, chez Burdin, et bénite au Laus le 1er mai 1864. Elle a reçu les noms de Marie-Benoîte qui sont écrits en relief sur sa panse, où on lit, en effet : Maria Benedicta vocor.

 

Bulle érigeant le Sanctuaire de Notre-Dame du Laus en Basilique mineure (page 491).

 

LEO PP. XIII

AD PERPETUAM REI MEMORIAM

 

Quod in more positum est institutoque Romanorum Pontificum, ut aides sacrse vetustate temporis insignes, monumentorum dignitate nobiles, incolarum et advenarum frequentia celebratae peculiaris alicujus tituli ornamento augerentur; id Nos libentius prrestarevolumus eo proposito, ut Dei gloria provehatur in majus,

 

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et cultus Virgini Beatissimae cumulatior accedat. Accepimus itaque propenso animo in pago, qui vulgo — Laus — nuncupatur infra Dioecesis Vapincensis fines Ecclesiam in honorem Deiparae Virginis Mariae inde ab anno MDCLXVI extructam, diviti artis structura illustrem a fidelibus pientissime coli, qui ad eum solent magno conventu confluere piae peregrinationis causa, opem Beatissime Virginis imploraturi, cujus praestantiam ampliorem facit aedicula multiplici artis genere variata et musivis operibus decorata quae fere sub medium situ, domum Beatae Virginis Lauretanae consimili forma et imitatione expressam refert. Nos igitur votis obsecundantes Venerabilis Fratris Prosperi-Amabilis Berthet Episcopi Vapincensis Ecclesiam ipsam in tota Gallia Narbonensi celebrem et illustrem splendidiore honoris titulo cohonestandam censuimus. Quare Dunes et singulis quibus hae Literae Nostrae favent, peculiari beneficentia prosequi volentes, et a quibusvis excommunicationis interdicti aliisque ecclesiasticis censuris, sententiis ac poenis quovis modo, vel quavis de causa latis, si quas forte incurrerint, hujus tantum rei gratis absolventes et absolutos fore censentes, Auctoritate Nostra Apostolica Praesentium vi memoratam Ecclesiam Basilicae minoris titulo in perpetuum augemus, inique omnia et singula conferimus jura, privilegia, honores, praerogativas, indulta quae minoribus almae hujus Urbis Basilicis de jure competunt. Decernimus autem praesentes Literas firmas, validas et efficaces existere et fore suosque plenarios et intros effectus sortiri atque obtinere, illisque ad quos spectat, ac in futurum spectabit, in omnibus et per omnia plenissime suffragari, sicque in praemissis judicari ac definiri debere, atque irritum et inane si secus super bis a quoquam quavis auctoritate scienter vel ignoranter contigerit attentant. Non obstantibus Constitutionibus et Ordinationibus Apostolicis ceterisque contrariis quibuscumque . Datum Romae apud Sanctum Petrum sub Annulo Piscatoris die XVIII Martii MDCCXCII. Pontifientus Nostri Anno Decimoquinto.

 

S. Card. VANNUTELLI.

 

(Loco sigilli.) Visum et recognitum, Vapinc. die 6 aprilis 1892.

+ PROSPER-AMABILIS, Episc. Vapinc.

 

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Décret approuvant le premier procès de Béatification de la Vénérable soeur Benoîte (page 492)

 

VAPINCEN.

BEATIFICATIONIS ET CANONIZATIONIS VEN. SERVAE DEI

BENEDICTAE RENCUREL E TERTIO ORDINE SANCTI DOMINICI

 

Quum ad instantiam Rmi Patris Vincentii Ligiez, Sacerdotis Professi et Postulatoris Generalis Causarum Beatificationis et Canonizationis Servorum Dei Ordinis Praedicatorum , Sanctissimus Dominus Noster Leo Papa XIII iam benigne indulsisset ut de fama sanctitatis vitae, virtutum et miraculorum in genere praefatae Servae Dei Benedictae Rencurel e Tertio Ordine S. Dominici agi valeret in Sacra Rituum Congregatione Ordinaria absque interventu et voto Consultorum, a me infrascripto Cardinali Sacrae eidem Congregationi Praefecto et Causae Ponente in Ordinariis ejusdem Sacrae Congregationis Comitiis, subsignata die ad Vaticanum coadunatis, sequens Dubium propositum fuit, nimirum : An constet de caliditate et relevantia Processus Auctoritate Apostolica in Curia Vapincensi constructi super lama sanctitatis ritae, virtutum et miraculorum in genere praefatae Ven. Serviae Dei, in casa et ad effectum de quo agitur? Emi porro et Rmi Patres Sacris tuendis Ritibus praepositi, re mature perpensa, et audito voce et scripto R. P. D. Augustino Caprara Sanctae Fidei Promotore, rescribere censuerunt: Affirmative seu Constare. Die 14 Augusti 1894.

Facta postmodum de bis per me ipsum subscriptum Cardinalem Sanctissimo Domino Nostro Leoni Papae XIII relatione, eadem Sanctitas Sua sententiam Sacri Consilii ratam hahuit et confirvit. Die 27 iisdem mense et anno.

 

+ CAIETANUS Card. ALOISI-MASELLA,

S. R. C. Praef.

L. + S. Aloisius TRIPEPI, Secretarius.