TROISIÈME PARTIE

Accueil
PREMIÈRE PARTIE
DEUXIÈME PARTIE
TROISIÈME PARTIE
QUATRIÈME PARTIE
CINQUIÈME PARTIE

TROISIÈME PARTIE

 

Depuis les apparitions de Notre-Seigneur Jésus-Christ à soeur Benoîte

jusqu'au voyage à Marseille (1669-1692)

 

TROISIÈME PARTIE

CHAPITRE  Ier Apparitions de Notre-Seigneur Jésus-Christ Stigmates. — Douleurs du vendredi

CHAPITRE II Croix-d'Avançon. — Chapelle du Précieux-Sang

CHAPITRE III Interdit. — Voyage de Benoîte à Embrun. (1667)  Visite de Me de Genlis au Laus. (1672)

CHAPITRE IV Nouvelles faveurs. — Remèdes contre les tentations. Faits divers

 

CHAPITRE  Ier Apparitions de Notre-Seigneur Jésus-Christ Stigmates. — Douleurs du vendredi

 

 

Tandis que la Sainte Vierge inondait Benoîte de consolations et la comblait de ses maternelles faveurs, Notre-Seigneur ne pouvait rester indifférent à l'égard d'une âme dont il était si ardemment aimé. A son tour il se montra prodigue envers elle des grâces les plus insignes. Non seulement il l'embellit des vertus les plus parfaites, l'orna des dons du Saint-Esprit et lui communiqua le privilège de lire dans les consciences et dans l'avenir, mais il daigna apparaître à ses yeux sous une forme sensible. Au vallon des Fours, il sourit à la jeune fille, entre les bras de la belle Dame, sous l'extérieur gracieux d'un bel enfant. Nous n'avons pas oublié le « beau poupon » que la naïve Bergère eût volontiers

 

202

 

échangé contre la fille quelque peu contrefaite de sa maîtresse.

Cette vision se renouvela alors assez souvent. L'Enfant-Dieu apparaissait quelquefois reposant sur le sein de sa Mère, et d'autres fois ne lui demandant que le secours de sa main. Alors, de son pied divin, il traçait sur le sable ces vestiges que le bon juge de la vallée eut le bonheur de contempler à l'entrée de la grotte.

Au Laus, la pieuse Bergère eut la consolation de voir, dans la sainte hostie et sous ces mêmes dehors enfantins, le chaste époux de son âme, mais avec quelque chose de plus radieux encore, et son coeur en était tout embrasé. Cette faveur lui fut accordée plusieurs fois.

A Embrun, pendant l'enquête que nous raconterons tout à l'heure, la sainte fille fut consolée par une de ces visions. L'Enfant-Dieu lui apparut se promenant sur l'autel majeur de la vieille basilique.

Ces apparitions remplissaient l'âme de Benoîte d'une joie inexprimable et l'embrasaient, pour le Sauveur, d'un amour qui allait toujours croissant. Ce fut bientôt une vive, mais sainte passion.

Dévorée par les ardeurs de ce feu divin, la pieuse fille cherchait tous les moyens d'être agréable à son bien-aimé. Dans ce but, elle priait, jeûnait et se mortifiait de plus en plus. Elle en vint au point de ne se trouver heureuse que dans le parfait crucifiement de son être. « L'amour qu'elle a pour la souffrance, dit M. Gaillard, est si grand, qu'elle n'en est jamais rassasiée. Plus elle souffre, plus elle veut souffrir. Aussi elle demande souvent à Dieu de lui faire endurer quelques-uns des tourments de sa Passion. »

La généreuse amante de la Croix en médite fréquemment les douloureux mystères, et cette méditation exalte la sensibilité de son âme. Elle souffre de voir souffrir ainsi son Seigneur et son Dieu, et,

 

203

 

dans l'excès de sa compassion, elle voudrait être crucifiée avec lui. Son désir sera satisfait.

Certes, il semble que déjà notre Bergère comptait dans sa vie plus d'épines que de roses. Les afflictions, les épreuves, les contradictions, les souffrances de tout genre ne lui avaient pas manqué, et pourtant ce n'était point encore assez. Il fallait à cette élue de Dieu un caractère de plus de ressemblance avec son divin maître : il fallait un vrai crucifiement. Les stigmates le lui donneront.

Deux choses surtout prédisposent aux stigmates : un grand amour pour Notre-Seigneur et une grande compassion pour ses souffrances. L'âme qui aime et qui contemple avec attendrissement les douleurs de l'Homme-Dieu, entre avec celui-ci dans des rapports de plus en plus intimes. Elle finit par vouloir partager les souffrances de son bien-aimé, afin de se rendre encore plus semblable à lui. Ce désir est quelquefois exaucé par l'impression sacrée des plaies du Sauveur.

Notre Bergère était admirablement disposée pour recevoir cette faveur. Elle avait pour Notre-Seigneur un amour filial et plein de compassion. On se souvient qu'un jour elle tomba évanouie en contemplant un tableau qui représentait une descente de croix ; on se rappelle aussi qu'elle avait un attrait particulier pour prier au pied de la pauvre croix d'Avançon. Cette croix est ainsi appelée parce qu'elle se trouve sur le chemin qui va du Laus à Avançon. Elle y allait n'importe par quel temps et en quelle saison. Là, elle s'attendrissait au souvenir des souffrances de son divin Maître, et les larmes coulaient abondantes de ses yeux.

Le bon Sauveur voulut récompenser un amour si compatissant. Il se fit voir à son humble servante sur cette croix, crucifié, agonisant et couvert de sang, comme il était autrefois sur le gibet du Calvaire. Un Ange était au pied de l'arbre sacré, et il

 

204

 

dit à Benoîte : « Voilà, ma soeur, ce qu'a souffert votre père et le mien !... Ne voudriez-vous pas souffrir pour l'amour de lui ? »

Ce spectacle et ces paroles brisent l'âme sensible de Benoîte. « Ah ! mon Jésus, s'écrie-t-elle , si vous restez encore un instant en cet état, je meurs. » Elle est, en effet, hors d'elle-même; des larmes brûlantes et amères coulent de ses yeux; des gémissements profonds s'échappent de sa poitrine; la parole expire sur ses lèvres; le coeur lui manque, et elle s'évanouit. Revenue à elle-même, elle peut à peine se relever, tant elle est abattue. Son âme est navrée, et le souvenir du désolant spectacle qu'elle vient de contempler ne la quitte plus. Le divin crucifié, du reste, a soin de le raviver de temps en temps, car ces visions se renouvellent plusieurs fois. Quand elles doivent avoir lieu, la pieuse fille en est prévenue par des odeurs d'une suavité indicible qui remplissent sa petite chambre. Ces parfums sont de beaucoup supérieurs à ceux qui signalent la présence de la Mère de Dieu.

La voyant un jour tout abîmée dans la douleur que lui cause la vue de ses souffrances, Notre-Seigneur lui dit : « Ce que vous croyez me voir souffrir n'est pas ce que je souffre à présent, mais c'est pour vous montrer ce que j'ai souffert pour les pécheurs et l'amour que j'ai eu pour eux. » Ces paroles rassurent peu l'âme compatissante de la Bergère, car, à la suite de ces apparitions, elle passe de longs jours sans pouvoir se consoler. Une fois même son affliction dura six mois. Cela ne l'empêchait pas de trouver dans ces visions un charme indéfinissable. Aussi faisait-elle de plus en plus ses délices de se trouver au pied de la Croix miraculeuse; et lorsque son bon Jésus lui inspirait de s'y rendre, elle quittait tout pour obéir.

 

207

 

Un jour — c'était au mois de juillet (1) — elle moissonnait, en compagnie d'autres personnes , un champ de blé appartenant à la chapelle , lorsque tout-à-coup elle quitte la faucille et se dirige du côté où la porte l'attrait divin. Arrivée à la croix, elle y voit Notre-Seigneur attaché avec des clous, comme sur le Calvaire, les membres ruisselants de sang et avec une telle expression de douleur qu'elle fut sur le point d'en perdre les sens. Des Anges étaient au pied de la croix et adoraient dans un morne silence. « Ma fille, dit le Sauveur à Benoîte, je me fais voir en cet état, afin que vous participiez aux douleurs de ma Passion. » La parole divine se réalisa à la lettre. Depuis ce jour, Benoîte fut en effet crucifiée une fois par semaine, c'est-à-dire que depuis le jeudi soir à quatre heures jusqu'au samedi matin à neuf heures elle restait étendue sur son lit, les bras en croix, les pieds l'un sur l'autre, les doigts un peu pliés mais raides, immobile et moins flexible dans tout son corps qu'une barre de fer. Elle n'avait pendant tout ce temps aucun mouvement qui indiquât la vie; rien non plus ne dénotait la mort sur ce corps inerte, car ses traits portaient la double empreinte d'un indicible martyre et d'un indicible bonheur.

A l'attitude du crucifix venait se joindre, dans son corps, l'impression des plaies sacrées « qu'elle n'a pu cacher aux yeux des hommes et qui paraîtront sur son corps avant qu'elle meure, » dit M. Gaillard. Ces paroles nous autorisent à présumer que les stigmates n'étaient pas visibles aux mains, mais que le pieux archidiacre, ou l'un des directeurs de Benoîte ou quelqu'autre personne, put les voir tout

 

(1) Nous ne pouvons pas donner une date sûre de cette célèbre apparition. M. Peythieu la place en 1673, mais nous croyons que sa mémoire lui a fait défaut ; car il est dit que les douleurs du vendredi cessèrent pendant la construction du couvent ; or, un acte notarié détermine, pour cette construction, l'année 1672. Il faut donc croire que les stigmates commencèrent en 1671.

 

 

 

208

 

au moins aux pieds. II est probable que, à l'exemple d'autres stigmatisées, notre Bergère avait prié le Sauveur de lui laisser la douleur et de lui ôter le signe aux mains, comme à un endroit trop apparent. Du reste, la douleur même fut suspendue pendant les deux années consacrées à la construction du couvent.

Si nous en croyons l'acte de prix-fait passé devant Me Borel, notaire royal d'Embrun, ces travaux auraient commencé dans le courant de l'été de 1672. Or, à peu près à cette époque, la Sainte Vierge apparut à Benoîte et lui dit : « Vous n'aurez plus les souffrances du vendredi ; vous êtes nécessaire pour distribuer les vivres à cette foule d'ouvriers, hommes et jeunes gens, qui viendront des villages voisins pour enlever la terre et disposer la place pour le logement des prêtres. Ceux-ci ne pourront même pas vaquer à, la surveillance, à cause du ministère qu'ils auront à remplir au confessionnal. » Ce que la Mère de Dieu avait dit arriva. Benoîte n'eut plus les douleurs du vendredi, et ce répit dura autant que la construction du couvent, c'est-à-dire environ deux ans.

Vers la fin de la seconde année (probablement 1674), au mois de novembre, Benoîte retourne à la Croîx-d'Avançon, poussée par l'Esprit de Dieu et attirée par les parfums célestes. Notre-Seigneur lui apparut de nouveau dans un état plus lamentable encore que les premières fois. Le sang ruisselait sur tous ses membres divins. Le coeur de la pieuse vierge en fut pénétré d'une telle compassion que pendant six mois elle en fut inconsolable. Elle reprit dès ce moment les douleurs du vendredi, qui furent même plus intenses qu'avant leur interruption. Elles furent souvent plus longues, car, d'après M. Gaillard, elles commençaient le jeudi à midi et ne finissaient que le samedi à la même heure.

Ce crucifiement hebdomadaire dura environ quinze

 

209

 

ans. Les Anges l'admirèrent encore plus que tes hommes, car ceux-ci parfois le méconnurent et le confondirent avec une maladie ordinaire. C'est ce qui arriva à Mer de Genlis, archevêque d'Embrun, qui crut à une épilepsie et parla de vouloir la guérir.

De retour de l'un des fréquents voyages qu'il faisait à Paris, ce prélat s'arrêta au Laus, avant de se rendre dans sa ville métropolitaine (1). Sa Grandeur arriva un jeudi au matin. La coïncidence était heureuse, car c'était le jour de la semaine où devaient commencer les douleurs du crucifiement. L'Archevêque était accompagné d'un célèbre médecin d'Embrun, le docteur Giraud.

MM. Peythieu et Hermitte informèrent le prélat des diverses circonstances du merveilleux phénomène; ils lui en dirent les débuts, la marche et les suites. L'Archevêque voulut voir par lui-même. Certes, mettant à part une curiosité bien légitime, il ne faisait, en cela, que ce que lui imposait son devoir. Il se présenta donc, dès le soir même, dans la petite chambre de la Bergère. Le docteur Giraud, MM. Peythieu et Hermitte et la mère de Benoîte étaient présents. Sa Grandeur fut témoin des débuts du crucifiement. Elle revint le lendemain et le samedi encore pour suivre toutes les phases du phénomène, ,conférant chaque fois avec l'homme de l'art sur la nature de ce mal étrange et sur les moyens de le guérir. L'épilepsie parut à leurs yeux comme la maladie qui a le plus de ressemblance avec le mal de Benoîte. Le docteur énumérait alors les divers procédés scientifiques par lesquels on pourrait

 

(1) Nos manuscrits ne fixent pas d'une manière certaine la date de cette visite. Nous croyons qu'elle eut lieu en 1684. Voici nos raisons : les douleurs du vendredi, d'après nos historiens, ont duré une quinzaine d'années et ont dû cesser lors d'une visite de Mgr de Genlis au Laus. Or, la dernière visite dont il soit fait mention a eu lieu en 1684. C'est donc au moins à cette époque qu'il faut placer la cessation des douleurs miraculeuses, car, de 1669, où ont eu lieu les premières apparitions de Notre-Seigneur, à 1684, il y a juste quinze ans. Du reste, c'est à peu près à cette époque qu'ont débuté les persécutions du démon, lesquelles ont remplacé les douleurs du vendredi.

 

210

 

essayer de traiter la malade. On oubliait en ce moment que Benoîte guérissait elle-même les épileptiques en leur imposant son pauvre chapeau de paille. Aussi grande fut la surprise du prélat lorsque le samedi, peu de temps après la dernière visite, Benoîte se présenta à lui, le teint frais , l'air joyeux et sans aucune trace de souffrance. La Bergère venait offrir ses hommages à Sa Grandeur.

Quelque étonné qu'il fût, l'Archevêque ne revint pas de sa résolution d'attaquer le mal avec les ressources de l'art médical. « Ma fille, dit-il à la Bergère, mon intention est de vous guérir. Le médecin qui est là prescrira les remèdes. — Je n'en ai pas besoin, répond Benoîte. — Je veux vous guérir, reprend le prélat; j'emploierai à cela deux cents écus. — Donnez-les aux pauvres, Monseigneur, reprend à son tour la Bergère; ils seront, mieux employés. Quant aux remèdes, je les recevrai si absolument vous y tenez, mais je les mettrai sous mon chevet; je n'en ai nullement besoin, Dieu merci. » Puis elle pria M. Peythieu d'assurer Sa Grandeur que sa bonne Mère lui avait annoncé la cessation des douleurs du vendredi pour le jour où Monseigneur concevrait à leur égard ou de la peine ou du doute.

            Le crucifiement de Benoîte cessa en effet, comme. le lui avait prédit la Sainte Vierge. La pieuse fille n'en fut point trop peinée; nous dirions même qu'elle s'en réjouit; non pas qu'elle répugnât à la douleur, mais parce que son humilité souffrait d'être , à cause de ce martyre extérieur, l'objet de la vénération ou de la curiosité de tous ceux qui en étaient les témoins. Elle avait demandé à sa bonne Mère des souffrances plus cruelles encore, s'il était possible, mais moins apparentes. Elle allait être exaucée : la visite et les dispositions de l'Archevêque lui en étaient un garant. En effet, le samedi suivant, la Mère de Dieu lui apparut et lui dit : « Vous n'aurez

 

211

 

plus les douleurs du vendredi, mais vous en aurez bien d'autres. » Dès ce jour commencèrent les sourdes, mais affreuses tortures que l'enfer lui fit subir pendant trente ans.

 

CHAPITRE II Croix-d'Avançon. — Chapelle du Précieux-Sang

 

La Croix-d'Avançon, sanctifiée par ces visions mystérieuses , resta pour Benoîte un objet de vénération. Prier à ses pieds était pour la pieuse fille un bonheur qu'elle ne croyait pas acheter trop cher au prix des plus durs sacrifices. Elle y allait le jour, la nuit, pieds nus, même en hiver, au milieu des neiges et des glaces. « Aussi plus de vingt fois, dit M. Gaillard, les pieds lui ont gelé. » Mais tout cela ne faisait qu'enflammer de plus en plus son coeur pour celui dont elle avait contemplé là, si souvent, la douloureuse Passion.

Cette prédilection de Benoîte pour la Croix-d'Avançon ne tarda pas à se communiquer aux pèlerins. Après avoir prié à la sainte chapelle, devant cet autel où la Mère de Dieu était apparue à la Bergère, ils ne manquaient pas d'aller se prosterner au pied de la croix où la pieuse fille avait vu le Sauveur agonisant. Plusieurs même détachaient de l'arbre sacré une ou plusieurs parcelles qu'ils emportaient comme de précieuses reliques. Plus d'une fois leur piété fut récompensée, car ces fragments opérèrent des prodiges, celui-ci entre autres. Des négociants de Briançon, faisant le commerce

212



 

 

en Espagne, s'étaient pourvus, en passant au de quelques parcelles de la croix miraculeuse. Après un séjour de quelques années au lieu de leur négoce, il voulurent revenir chez eux. A cet effet, ils s'embarquèrent sur le même vaisseau, emportant le fruit de leur travail. Quand ils furent en pleine mer, le commandant du navire, qui était un franc voleur, leur ordonna de mettre ensemble tout ce qu'ils avaient d'or et d'argent, afin qu'il le pût surveiller plus facilement. Par crainte ou par simplicité, ils obéirent; ruais le commandant ne fut pas plutôt maître du trésor qu'il fit dépouiller de leurs habits les trop confiants passagers et les jeta à la mer. Les malheureux se recommandèrent à Dieu au nom de la sainte relique qu'ils avaient apportée avec eux, et, après de longs efforts, ils purent aborder à la nage à une île voisine. La Providence, qui venait de les sauver d'un naufrage imminent, leur fit trouver là des pêcheurs marseillais. Ceux-ci se chargèrent d'informer, à leur retour dans la cité, M. Jouvène, directeur du magasin à l'enseigne de l'Ange, de ce qui était arrivé aux marchands briançonnais, et de le prier de leur envoyer des habits avec une barque pour les ramener à Marseille. Avant de rentrer dans leurs familles, ils voulurent passer au Laus pour y remercier Dieu et la bonne Mère de leur avoir sauvé la vie. Ils racontèrent leur aventure à Benoîte, qui bénit le Seigneur de cette nouvelle grâce attachée à la Croix-d'Avançon.

Le bruit de ce prodige ne fit qu'accroître la vénération des pèlerins pour la croix miraculeuse. Les pieux larcins commis au préjudice de son intégrité matérielle se multiplièrent de telle sorte, qu'à la fin, profondément entaillée à sa partie inférieure, elle menaçait de tomber. Il fallut l'enlever du lieu où elle était plantée et la transporter ailleurs. C'était le moyen de la mettre à l'abri de nouvelles dégradations, et de la conserver aux respects des temps

 

 

 

213

 

à venir. Pendant de longues années, les pèlerins purent la vénérer sur la place de l'église, en face du grand portail; puis, en 1818, elle fut placée dans une modeste chasse en bois , garnie de simples vitres, et gardée dans l'intérieur du couvent. Ce n'était pas ce que demandait la piété des fidèles; car quelques privilégiés pouvaient seuls aller la vénérer en ce lieu. Il fallut donc songer à la replacer dans un lieu public. Cette fois on choisit la chapelle absidiale. La croix fut appendue à l'un de ses murs dans son reliquaire de bois. C'était plus convenable, ruais ce n'était pas assez pour un objet qui rappelait de si pieux et de si touchants souvenirs. Les gardiens du Sanctuaire et les nombreux pèlerins qui visitaient les lieux oit Notre-Seigneur avait apparu à la Bergère, formaient le voeu de voir élever en cet endroit un monument qui pût recevoir la croix miraculeuse, et perpétuer le souvenir des faits surnaturels dont elle avait été l'instrument. Après une longue attente, ce désir fut enfin satisfait, et il le fut au delà de toutes les espérances.

En 1859, la Providence amenait au Laus deux frères, originaires de Tours, habitant pour lors à Paris, bien connus du monde savant (1), botanistes distingués (2), et par-dessus tout très pieux et unis par une admirable affection autant que parles liens du sang.

Arrivés dans les Alpes en simples touristes, ils se rendirent au Laus, pour visiter ce pèlerinage dont ils entendaient parler pour la première fois, se proposant en même temps de recueillir quelques plantes, si l'occasion se présentait. Leur itinéraire ne leur permit pas de séjourner longtemps au saint vallon. Ils durent repartir le jour même de leur arrivée ; mais le charme du lieu avait saisi leur

 

(1) L'un est membre de l'Académie des sciences, et tous les deux appartiennent à l'Institut.

(2) Ils ont fait en collaboration, sur les champignons, 2 vol. in folio, écrits en très beau latin. Cet ouvrage fait autorité parmi les savants.

 

214

 

coeur, et ils s'en allèrent, non pas peut-être avec la résolution arrêtée de revenir, mais avec le désir d'être ramenés en ce,saint lieu par une occasion favorable. La Providence ne tarda pas de la faire naître.

L'année suivante, les deux pieux botanistes revinrent dans nos montagnes pour y visiter l'Embrunais et le Briançonnais. Arrivés à Savines , l'un d'eux se sentit pris au genou d'une douleur si violente, qu'il lui fut impossible d'aller plus loin. La pensée du Laue revint alors à la mémoire de nos deux voyageurs, et ils se décidèrent à venir s'y reposer u pendant quelques jours ». Cette fois le charme les enlaça si bien et si fort, que les quelques jours constituèrent un mois. Ce temps, trop vite écoulé, fut partagé par nos pieux savants entre les exercices de piété et les courses scientifiques; et lorsqu'il fallut partir, ils sentirent qu'un lien mystérieux avait enchaîné leur âme. Ils dissimulèrent néanmoins leurs impressions, mais le charme ne devait plus les quitter.

De retour à Paris, leur premier soin fut d'adresser aux gardiens du Sanctuaire les remerciements les plus chaleureux pour l'hospitalité bienveillante qui leur avait été accordée. Ils rappelaient en même temps lés heureuses impressions qu'ils avaient ressenties près de la sainte chapelle, à la chambre de soeur Benoîte et à la Croix-d'Avançon. A propos de cette dernière station, ils signalaient une lacune dans l'absence de tout signe extérieur qui rappelât les apparitions du Sauveur à la Bergère, et ils demandaient la permission de la combler. Certes, rien ne pouvait être plus conforme aux voeux de la communauté qui, depuis longtemps, gémissait de ne pouvoir elle-même élever là un monument commémoratif. L'autorisation sollicitée fut donc octroyée, non seulement avec empressement, mais avec l'ex-pression de la plus vive gratitude.

Un plan gracieux fut proposé et adopté. L'exécution

 

217

 

s'en fit dans les années 1861 et 1862. Le nom de Chapelle du Précieux-Sang fut donné à cet édifice qui rappelle les douloureux mystères qui s'y sont renouvelés et la générosité autant que la piété des deux fondateurs.

Au centre de l'édicule, sur un socle octogonal de marbre noir, haut de quinze centimètres, et dont les côtés mesurent chacun un mètre dix centimètres, s'élève un autel circulaire de un mètre dix centimètres de diamètre , d'une seule pierre , épaisse d'environ vingt-trois centimètres, et qui est porté sur un cippe octogonal de soixante-douze centimètres de hauteur, également d'un seul bloc. La petite cavité qui a reçu les reliques lors de la consécration de l'autel, est creusée dans l'épaisseur du bord de la table, du côté du levant. C'est aussi de ce côté que se place le célébrant, qui se trouve ainsi officier à la manière du Pape à l'autel de la Confession de saint Pierre.

Au-dessus de l'autel est suspendue à la voûte une châsse en cuivre doré, ornée de pierres de couleur et fermée de glaces, qui renferme la Croix dite d'Avançon, mutilée par la piété des pèlerins, celle-là même qui était jadis plantée sur un cippe naturel de plâtre au lieu qu'occupe l'autel, et sur laquelle la soeur Benoîte, par une insigne faveur du ciel, a pu contempler plusieurs fois le Sauveur agonisant.

L'inscription dédicative qu'on lit près de la parte, à droite en entrant, nous apprend que ce sont deux frères, de Tours, très amateurs de plantes , rien de plus. Mais le nom de MM. Tulasne est assez connu du monde savant pour qu'il n'y ait aucun inconvénient à l'écrire ici, afin qu'il soit aussi connu du monde pieux, et offert à perpétuité à l'admiration et à la reconnaissance des pèlerins du Laus. Leur goût pour les plantes nous a valu la magnifique décoration des vitraux, tirée des plantes sauvages les plus gracieuses de leur herbier. Ils l'ont choisie

 

218

 

par harmonie avec la chapelle qui s'élève toute solitaire dans un site pittoresque et désert. La même main qui a cueilli ces plantes dans les bois les a aussi fort bien dessinées. C'est elle également qui a composé et gravé les scènes du chemin de croix, et disposé le plan et tous les détails de cet heureux ensemble, déboursant largement quand il le faut, jusqu'à acheter le champ voisin pour l'agrément des pèlerins.

Tels sont les ouvriers et l'ouvrage. S'il y avait un reproche à faire aux généreux fondateurs, ce serait d'avoir trop fait. La Chapelle du Précieux-Sang est plus belle, en effet, que l'église du Laus, dont elle n'est en réalité qu'une dépendance. Mais d'une pareille faute il est facile d'obtenir le pardon de Dieu et des hommes.

Un tel édifice méritait une consécration solennelle; elle eut lieu le 16 septembre 1862, par Mgr Bernadou évêque de Gap, en présence d'un grand nombre de prêtres des diocèses de Gap et de Digne, des deux pieux fondateurs, et au milieu d'un concours imposant de fidèles. Procès-verbal en fut dressé et déposé dans les archives du Sanctuaire.

 

CHAPITRE III Interdit. — Voyage de Benoîte à Embrun. (1667)  Visite de Me de Genlis au Laus. (1672)

 

 

§ Ier. — INTERDIT ET VOYAGE DE BENOITE A EMBRUN

 

Vaincu d'un côté, le démon ne lâche point prise de l'autre. Il n'a pas pu souiller le Sanctuaire, il essaie de le faire fermer. Au temps où nous en sommes

 

219

 

arrivés de notre histoire, M. Lambert venait de mourir. Il devait être remplacé par M. Javelli, mais ce dernier n'entra pas immédiatement en fonctions; il y eut un intérim, ou, comme disent nos manuscrits, un interrègne, et les interrègnes sont souvent funestes. Le démon profita de celui-ci pour faire rédiger par on ne sait qui, peut-être par quelque secrétaire de l'Archevêché, un interdit contre l'église du Laus. L'acte fut placardé furtivement à la porte principale du saint temple. Il portait interdiction, sous peine d'excommunication , de dire la messe dans la chapelle et d'y faire aucune fonction sacrée. La stupéfaction fut grande et générale au Laus; cependant nul n'osait braver des menaces que l'on croyait officielles.

Trois prêtres venus de localités lointaines, et qui avaient déjà erré trois jours dans les bois, furent grandement mortifiés en apprenant qu'ils ne pouvaient pas dire la messe à la sainte chapelle. C'était là cependant le but de leur dévotion et de leur voyage. Frustrés dans leur piété, ils allèrent célébrer les saints mystères dans une paroisse voisine et reprirent le chemin de leur pays, murmurant, sans doute, et faisant peut-être des jugements défavorables au pèlerinage. D'autres pèlerins éprouvèrent les mêmes déceptions et subirent les mêmes impressions. Pendant plusieurs jours les choses se passèrent ainsi , mais, à la fin , la Mère de Dieu apparaît à Benoîte, et lui ordonne d'ôter ce papier et de dire aux prêtres qu'ils peuvent célébrer la messe dans la chapelle. Benoîte arrache l'affiche, et l'auguste sacrifice recommence au saint lieu. Certes, la rébellion était flagrante. Si l'acte était émané de l'autorité, il ne tenait qu'à celle-ci de faire un procès à la Bergère et de fermer à tout jamais la chapelle. Il n'en fut rien. Nul ne protesta ni contre l'audace de Benoîte, ni contre celle des prêtres. Si M. Javelli avait approuvé l'interdit, il aurait mieux veillé à son

 

220

 

exécution, et n'aurait pas permis que son pouvoir fût ainsi méprisé dès le début; il faut donc rapporter cette nouvelle hostilité à quelque officieux mal avisé, ou à quelque subalterne janséniste. Si absolument on veut que le nouveau grand vicaire soit pour quelque chose dans cette affaire, il faut croire, comme le dit M. Gaillard, que la pièce lui fut, en quelque sorte, extorquée, et « qu'il l'avait lâchée trop promptement et sans connaissance de cause. Mais, comme c'était un grand homme de bien , il voulut, avant de se plaindre de ce qu'on avait arraché son affiche, savoir s'il se passait en ce lieu autant d'abus qu'on le disait. Pour s'en éclairer, il ne voulut pas descendre au Laus, parce que cela aurait fait trop de bruit. Il était prudent et sage, et il envoie quérir Benoîte et la fait venir à Ambrun. »

Benoîte partit à pied, accompagnée de sa mère. Elle avait alors vingt-deux ans. u Pour l'observer exactement, dit M. Gaillard, le grand vicaire lui baille sa servante pour sa garde. Celle-ci ne la quitte ni jour ni nuit, de peur qu'on ne la suborne. Pour bien connaître la vérité de la chose, M. Javelli la tenait fort resserrée et comme prisonnière, ne lui laissant aucune liberté et ne lui permettant jamais de sortir de chez lui. Il la fait mettre à sa table et coucher avec sa servante.

« Tous les jours, après le dîner, on la mène à l'Archevêché. Là, il l'interroge avec les PP. jésuites et autres prêtres, pour s'éclairer de la vérité de tout ce qui s'est passé au Laus depuis 1664, de tout ce qu'elle a vu ou su et de tout ce qu'elle voit encore. Les interrogatoires qu'on lui fait subir ne sont pas suivis : on lui demande tantôt une chose, tantôt l'autre, à dessein de la faire couper.

« Ce qui les convainct de la vérité des apparitions , c'est que Benoîte est toujours plus ferme et plus constante dans ses affirmations. Elle répond toujours avec un grand bon sens et sans se contredire

 

221

 

jamais. Quand on revenait sur des questions déjà posées, elle disait simplement qu'elle avait déjà répondu à ces demandes. Si on l'interrogeait sur des choses étrangères au Laus et aux apparitions, elle répondait de telle manière qu'on était charmé de l'entendre raisonner si bien pour une fille simple et ignorante. Elle avait réponse si prompte à tout qu'on ne savait plus que lui demander.

«Ce qui fait connaître au sieur Javelli et aux autres examinateurs que la dévotion du Laus avait quelque chose d'extraordinaire, et ce qui rend leur conviction invincible à cet égard, c'est que Dieu ne veut pas que cette sainte fille ne mange ni ne boive durant les quatorze jours qu'elle est restée à Ambrun. Quand même elle aurait voulu manger en secret, elle ne l'aurait pas pu , car sa garde la suivait comme son ombre.

« Les sept premiers jours , le grand vicaire la faisait mettre toujours à sa table, en face de lui, pour l'observer plus attentivement. Ce n'était point par obstination qu'elle refusait de prendre de la nourriture, car, quand on voulait la faire manger ou boire, le coeur lui manquait. Pendant les sept premiers jours, elle ne prit qu'une cuillerée d'eau claire; durant les sept autres, elle ne prit rien du tout. Ce que voyant, le sieur Javelli jugea qu'il était inutile de la faire mettre à table. Néanmoins, elle se portait toujours bien et ne ressentait aucune incommodité. Elle n'avait ni faim ni soif, vivant de la grâce de Dieu et par miracle. On prit tous les soins imaginables pour l'observer et s'assurer que ni sa mère ni quelqu'un autre ne lui donnait quelque chose en secret; mais, ni Benoîte ni sa mère ne pensaient à cela; car, quand bien même elle aurait pu tromper sa garde, elle n'aurait pas pu manger. Ce qui montre évidemment qu'il y a là du surnaturel, car naturellement l'homme ne peut rester quatorze jours sans prendre aucune nourriture. »

 

222

 

Cet état béatifique dégager du corps de l'humble fille ces parfums qui avaient si souvent embaumé les sentiers du Laus. « Quel ne fut pas l'ébahissement de ses juges lorsqu'ils purent se convaincre par eux-mêmes de la réalité d'un tel prodige !... Ah! loin de sévir contre elle, ils étaient bien plus disposés à se jeter à ses pieds.

« Plus rien ne la retenant à Embrun , et languissant loin de sa chère solitude, Benoîte demanda la permission de s'en retourner. M. Javelli ne pouvait se séparer si vite de celle que le Ciel lui avait envoyée. Quel bonheur de garder cet ange encore quelques jours dans sa maison ! Lui commander en maître ne se pouvait plus, il traita comme avec l'envoyé d'une cour. La Fête-Dieu était proche. « Attendez encore un peu , lui dit-il, passez cette solennité avec nous ; vous jouirez d'un beau spectacle. » Benoîte ne savait déplaire ; elle attendit simplement. Mais l'homme de Dieu prophétisait sans le savoir. Le spectacle fut beaucoup plus beau qu'il ne pouvait l'imaginer.

« Les trésors accumulés depuis des siècles dans une primatiale telle que la cathédrale d'Embrun : calices, monstrances, chasses, reliquaires, encensoirs en argent et en vermeil, enrichis de perles, de pierreries et d'émaux; ces chapes, ces chasubles lourdes des passementeries et des broderies rehaussées d'or qui les recouvrent, ces devants d'autel en étoffes précieuses, à sujets historiés, peints à l'aiguille, ces tentures de haute lisse, bigarrées de cavalcades , de paysages et d'oiseaux : toutes ces richesses travaillées dans l'art magistral à jamais perdu du moyen âge; présents de vingt rois, meubles sacrés et sans prix, dont il ne reste aujourd'hui que des débris et des catalogues, tout cela étalé, un jour de grande fête, au milieu d'un office solennel, avait certes de quoi enchanter une jeune villageoise qui crut, un jour, décemment parer un autel de son tablier de bergère « blanc de lessive ». Mais rien ne

 

223

 

saurait rendre le trouble de Benoîte, quand l'orgue, magnifique présent de Louis XI, fit rouler ses frémissantes harmonies sous le berceau des voûtes romanes. Elle ne savait ce que ce pouvait être. Mais, ravissement plus grandi sa bonne Mère lui apparut dans l'église pendant que l'orgue jouait encore. Parée d'un costume de reine, elle était plus éblouissante que jamais, et elle plongea Benoîte dans une extase complète, à la vue de tous les fidèles.

« De l'entretien solennel que Marie eut dans ce moment avec sa bien-aimée Bergère. deux choses seulement étaient accessibles à la terre, et peignent de plus en plus l'ineffable condescendance de la Mère de Dieu: elle lui dit qu'elle venait là en Reine, parce que l'église était royale et qu'un roi l'avait fait construire. La tradition en fait honneur à Charlemagne. Puis elle lui parla de l'orgue, et lui dit « que c'est un instrument de musique pour honorer son très cher Fils, surtout en ce jour qui est sa plus grande fête, celle qui rappelle son amour infini (1). »

Benoîte sortit de son extase toute transfigurée. Son hôte s'en aperçut au moment où elle revenait de l'église et lui en demanda la raison. La Bergère dit simplement à M. Javelli ce qui s'était passé. Le grave prêtre, entendant raconter ce commerce d'un autre monde, l'écouta dans un profond silence. Depuis lors, il répondait à ceux qui lui parlaient de la grande affaire : « Ce n'est pas Benoîte qui fait perdre la dévotion de notre église, ce sont nos péchés et le peu de zèle que nous avons de la maintenir: elle est allée à l'extrémité du diocèse; bien loin de chercher à l'en tirer, en agissant contre cette bonne et sainte fille, dont je connais la vertu, nous devons prendre garde qu'elle n'en sorte, en concourant avec elle pour la conserver, de peur que nous la perdions tout à fait. »

 

(1) M. Pron.

 

224

 

Enfin, Benoîte demande congé au grand vicaire, prend avec sa mère le chemin du Laus, à pied et sans aucune nourriture. Depuis sa vision, elle est plus que jamais embrasée de l'amour de Dieu, et tout le long de la route elle ne cesse de prier.

A Savines, le curé la fait aller chez lui pour s'y reposer et y coucher. Il ne peut la faire manger ni boire. Le prieur du Sauze, qui se trouvait là, et qui avait été; son confesseur, dit : Je la ferai manger. Il la presse inutilement. Elle essaye comme elle avait fait chez M. Javelli : mais elle sent son coeur défaillir devant les aliments. Voyant cela , on la laisse en repos. Repartie le lendemain, à jeun encore, elle fit une halte à Chorges. Là, voyant un de ces gâteaux qui se fabriquent spécialement dans ce bourg, elle en prit un morceau. Sa mère en fut tout heureuse et en rendit grâces à Dieu. En arrivant au Laus, sa première démarche fut d'aller se reposer de tant d'émotions dans la petite chapelle. Là, Marie lui apparut de nouveau. Son extase dura une heure et fut telle que toutes les personnes présentes la crurent morte. Revenue à elle-même, on la presse enfin de prendre quelque nourriture, mais elle répond qu'elle n'en a nul besoin, et qu'elle se trouve bien. La sainte fille ne vivait plus de la vie des sens; elle réalisait le mot de saint Paul : « Conversatio nostra in coelis est : Notre vie est déjà dans les cieux. »

 

§ II. - VISITE DE MGR DE GENLIS-AU LAUS.

 

La suite logique des faits nous amène à raconter ici la troisième intervention de l'autorité ecclésiastique, destinée, comme les précédentes, dans l'esprit de ceux qui les provoquaient, à supprimer le pèlerinage, et qui n'aboutit qu'à en sanctionner les merveilles.

 

225

 

Mgr Georges d'Aubuson avait été transféré sur le siège de Metz : il fut remplacé sur le siège d'Embrun par Mgr Charles Brulard de Genlis nommé en 1668.

« Ce digne prélat, dit M. Peythieu, avait beaucoup oui parler, étant encore à Paris, des apparitions cla la Sainte Vierge à la Bergère du Laus, et nonobstant, il avait peine à y croire. Aussi, trois jours après son entrée dans le diocèse, il vint visiter la chapelle, afin de s'assurer de la vérité. Il était accompagné d'un gentilhomme et de plusieurs domestiques. Nous lui allâmes au-devant, M. Hermitte et moi, jusqu'à la Croit-d'Avançon. Après que nous l'eûmes salué et qu'il nous eut fait mille honnêtetés, dont nous étions indignes, il nous dit librement qu'il ne croyait rien de la dévotion du Laus. Il lui fut répondu qu'il fallait voir et entendre avant de condamner. Nous l'accompagnâmes à la sainte chapelle, où il fit son adoration au Saint-Sacrement. Déjà le charme du lieu l'avait saisi, car pendant trois quarts d'heure il resta à genoux, et lorsqu'il se leva, il dit qu'il n'était jamais entré dans une chapelle si dévote. Comme il se disposait à partir, l'un de ses domestiques, ne prenant pas garde que le sol de la chapelle était encore élevé de dix marches d'escalier au-dessus de celui de l'église, recule pour faire place à Sa Grandeur et tombe à la renverse, tète nue, sur un bloc de marbre où il devait se tuer. Monseigneur pâlit. Mail le domestique remonte l'échelle, offre le manteau à son maître et prend un flambeau pour l'accompagner dans la visite de l'église. «Palpe donc si tu n'as point de mal à la tête, » dit Monseigneur. « En vérité, répond le domestique, je ne sais ni comme je suis tombé, ni comme je me suis relevé, mais grâce à Notre-Dame du Laus je n'ai point pris de mal. » Sa Grandeur leva les yeux au ciel. à différentes reprises, sans mot dire, et resta convaincu qu'un miracle venait de s'opérer.

« L'illustre Prélat, rempli de l'esprit de Dieu, ne

 

225

 

voulut pas attendre au lendemain de voir Benoîte et de l'examiner. 11 la fit venir, malgré l'heure avancée, la fit mettre à genoux, et, en notre présence, il l'interrogea pendant trois heures et demie, écrivant de sa propre main les demandes et les réponses, qu'il garde encore dans les archives. Il ne put la prendre en défaut sur aucun point. Elle répondit, au contraire, avec une sagesse et une modestie qui firent l'admiration du Prélat. Il faut dire que sept jours auparavant la Sainte Vierge l'avait prévenue de ce qui devait arriver, et l'avait assurée que le Saint-Esprit lui dicterait ses réponses. Sur la tin, Monseigneur lui dit, pour éprouver sa vertu : « Benoîte, je veux vous marier; je me charge de votre dot. » A ces paroles, la pieuse fille pâlit et sa constance l'abandonne. Sa Grandeur est obligée; pour qu'elle ne tombe pas pâmée à ses pieds, de reprendre : « Non, non, ma fille, je ne veux point vous marier; je veux que vous restiez vierge toute votre vie. » Là-dessus, il la renvoya ; et dès qu'elle fut sortie, il nous dit que de sa vie il n'avait vu une semblable vertu, qu'il avait été examinateur, avec plusieurs docteurs en Sorbonne, d'un religieux favorisé de fréquentes extases et qu'il n'avait point trouvé en lui toute l'humilité de cette fille. »

On voit quel changement s'était opéré dans les idées de Mg' de Genlis , et combien ce changement fut rapide : une veillée avait suffi pour chasser les doutes et le remplir d'admiration et de foi. Il fut si charmé du Laus, qu'il emporta le projet de s'y faire préparer une chambre pour venir s'y recueillir dans l'intervalle de ses travaux, et d'y faire construire un séminaire, comme au lieu le plus propre à favoriser les études et la vertu du jeune clergé.

D'après ces bonnes dispositions , il semble que le prélat aurait dû couvrir de sa protection le vénéré Sanctuaire, et cependant il eut, plus tard, la malheureuse idée d'en confier la garde à des prêtres

 

227

 

imbus des opinions jansénistes. Ceux-ci, pendant de longues années, trompèrent sa religion et refroidirent considérablement son zèle pour la sainte chapelle. Heureusement qu'à la fin, instruit par une voix sûre du triste rôle qu'on lui faisait jouer, il répara le mal, au moins en partie, en renvoyant les indignes et en les remplaçant par les pieux enfants de M. Bertet, fondateur de la Congrégation de Sainte-Garde, comme nous le verrons dans la suite.

 

CHAPITRE IV Nouvelles faveurs. — Remèdes contre les tentations. Faits divers

 

§ Ier. — NOUVELLES FAVEURS

 

La Sainte Vierge ne perd pas de vue sa fille. Pour la soutenir dans ses épreuves, elle se montre à son égard prodigue de caresses et pleine de sollicitude, elle entre avec elle dans une étroite intimité. Non seulement elle lui fait part de ses projets, comme nous l'avons vu à propos de l'établissement du pèlerinage, mais elle lui communique ses pensées, ses sentiments et ses appréciations; elle lui dévoile-la cause d'une foule de misères privées ou publiques; elle lui annonce des choses heureuses et aussi des malheurs ; elle la tient au courant de ce qui se trame contre sa personne ou contre le pèlerinage; enfin, comme une vraie mère : elle se préoccupe et de l'âme et du corps de son enfant.

Un soir, vers six heures, Benoîte rangeait dans l'église le linge de la chapelle, tout-à-coup elle sent une odeur très suave; se tournant alors vers la

 

228

 

chapelle, elle voit la Mère de Dieu sur l'autel, entre deux Anges. Aussitôt elle s'empresse et se prosterne aux pieds de sa divine Maitresse. « Courage, ma fille, lui dit celle-ci, vous avez bien langui de inc voir. J'ai voulu savoir si vous aviez confiance en mon cher Fils et en moi        Lorsque les pécheurs ne profitent pas des avis que vous leur donnez de nia part, ne vous troublez pas, ne vous en inquiétez pas jusqu'à vous rendre malade. Faites tout ce que vous pouvez pour les gagner par amitié, mais laissez-les ensuite. Mon cher Fils veut bien les sauver tous, mais tous ne veulent pas profiter de ses grinces. Ceux qui négligent vos avis auront un grand compte à rendre à Dieu.

« Ces quatre personnes que vous avez averties ont continué de donner le mauvais exemple à leurs enfants et leur ont appris à faire le mal, dont maintenant ils ne se corrigeront pas.

« Avertissez les confesseurs d'être bien prudents au confessionnal. Il y en a un qui, par sa faute, a été cause que des péchés ont été cachés.

« Il viendra au Laus des voleurs. Les uns se cacheront dans le vallon, les autres contreferont la voix des gens du lieu, afin de se faire ouvrir. Ayez soin qu'on ferme bien lès portes et qu'on n'ouvre qu'à ceux que l'on connaît bien.

« Vous avez encore quelque argent de la laine qui avait été mise en dépôt cirez vous : cherchez-le à tel endroit, et faites en prier pour la personne à qui il appartient et qui est en purgatoire. »

Un village peu éloigné du Laus était de la part de la Mère de Dieu l'objet d'une protection toute spéciale. Il en recevait des faveurs signalées à en rendre jalouses les populations voisines. Mais un beau jour la bienveillance cesse, les bienfaits sont remplacés par des calamités. Le motif de ce revirement nul ne le connaît. Tous les esprits sont aux conjectures. La Sainte Vierge le révèle à sa fille: « C'est,

 

229

 

dit-elle, parce que ce village souffre dans son sein deux femmes de mauvaise vie.

Parlant avec son enfant bien-aimée des destinées du pèlerinage, la divine Marie lui prédit des tribulations, des persécutions. « Les ennemis du Laus, ont envie de vous enlever et de vous mettre dans un cloître, mais ils ne savent comment s'y prendre et ils ont peur de faire de l'éclat. Néanmoins, fermez bien votre porte et ne sortez pas la nuit.... Les huguenots aussi vous en veulent: ils ont un désir inconcevable de vous empoisonner; mais ne vous affligez pas, les merveilles qui se font dans la chapelle ne viennent pas du démon... Le pèlerinage sera plus florissant après votre mort qu'il ne l'aura été durant votre vie, car vos ossements feront des miracles. Les infirmes y viendront de toutes parts et de bien loin , et ils y guériront. »

En attendant, il importe que l'humble fille devienne de plus en plus parfaite. Si elle s'oublie un moment et commet quelque faute légère, la Sainte Vierge fait violence à son coeur et la punit pour la corriger.

Le 26 mars (1670), la Mère de Dieu dit à Benoîte : « Parce que vous n'avez pas souffert avec patience les imperfections de vos soeurs, vous ne me verrez pas de deux mois et demi; et en pénitence de votre faute, vous visiterez, le jeudi-saint, les églises »ia repose le Saint-Sacrement. »

Allant balayer la chapelle, un Ange lui apparaît et lui dit : « Vous souhaitez bien de voir votre bonne Mère ; mais ce ne sera pas de sitôt, parce que vous n'avez pas fait la correction à des hommes qui ont juré trois fois le nom de Dieu dans votre chambre. » La pauvre enfant gémit et pleure pendant plusieurs jours. Il semblait qu'elle dût expirer de douleur de se voir privée de cette consolation le jour de la Chandeleur. Voulant la consoler, M. Peythieu lui dit: « Vous devez vous estimer déjà bien heureuse de voir

 

230

 

votre bon Ange. — Ah ! dit-elle, quelle différence de l'Ange et de ma bonne Mère. Le bonheur de la voir une seule fois est plus grand que celui de voir tous les Anges du paradis! C'est la différence qu'il y a entre la Reine et les sujets. Jugez donc si je n'ai pas raison de me lamenter. Il faut l'éprouver pour le pouvoir comprendre. »

La pieuse fille s'attache aux beaux chapelets : l'Ange lui en prend trois. Au bout de six mois, il lui en rend deux et garde l'autre en disant : « Vous n'aurez jamais le troisième, parce que vous ,avez été infidèle à la grâce. »

Si on demande comment il se fait que la sainte Bergère ait pu désobéir quelquefois à une mère aussi bonne que la Sainte Vierge, voici l'étrange excuse que donnait la coupable :

« Lorsque la Mère de Dieu me commande quelque chose, elle le fait avec un air si doux, que je ne crois pas qu'elle le veuille absolument; quand j'ai failli, cette bonne Mère me reprend sans se fâcher : c'est ce qui fait qu'avec la honte que j'ai d'avertir les personnes , j'attends bien souvent un second commandement, et puis j'obéis. » Que faut-il admirer le plus ici du sans-gène naïf et familier de Benoîte ou de l'ineffable douceur de la Mère de Dieu?

Ce commerce si intime et si extraordinaire entre la Reine du Ciel et la Bergère du Laus excitait de plus en plus l'admiration publique et augmentait chaque jour le nombre des pèlerins. A la fête de la Nativité (8 septembre 1671), le concours fut tel que M. Gaillard porte à six mille le chiffre des personnes qui ce jour-là visitèrent la sainte chapelle.

Les paroisses entières y venaient en procession, même de localités très éloignées. C'est ainsi qu'un jour on y vit arriver celle d'Orcières (1); et, spectacle vraiment touchant qui arracha des larmes à plusieurs,

 

(1) Cette paroisse est éloignée du Laus d'environ 40 kilomètres.

 

231

 

les jeunes filles marchaient pieds nus, les cheveux abattus comme des Madeleines, la tête couronnée d'épines si aiguës et si serrées que le sang jaillissait de toutes parts; leurs yeux étaient remplis de larmes et leurs voix soupiraient des chants de pénitence. Cet exemple d'une ferveur digne des plus beaux siècles de foi ne resta pas isolé: au rapport M. Gaillard, il fut suivi plusieurs fois.

 

§ II. — REMÈDES CONTRE CERTAINES TENTATIONS

 

En s'efforçant de ramener les pécheurs à la pratique de la vertu, la Bergère du Laus leur fournit en même temps des remèdes contre leurs passions et des préservatifs contre la rechute. Elle indique à chacun ce que réclament ses besoins. La prière, la mortification, les sacrements, la fuite des occasions sont, en général, les pratiques préventives qu'elle conseille ; et toujours ceux qui y sont fidèles finissent par triompher de leurs mauvais penchants et reviennent tôt ou tard au Sanctuaire pour y rendre grâces à Dieu, à la bonne Mère et aussi à la sainte Bergère.

Il est néanmoins des cas où la passion résiste à tous ces remèdes et menace de se faire l'éternel bourreau du pauvre pécheur. La chair est parfois cet ennemi acharné, et c'est souvent dans ses membres que s'élèvent ces révoltes plus obstinées et aussi plus humiliantes. Benoîte, qui s'est trouvée un jour en présence de ces rebellions, prend alors on pitié le sort du malheureux obligé de lutter ainsi sans relâche contre son corps. Après avoir prié, gémi, pleuré, jeûné, elle finit souvent par obtenir de sa bonne Mère que la grâce du triomphe soit attachée à quelque objet de piété. La Mère de Dieu condescend à récompenser de cette façon la constance du pénitent et les larmes suppliantes de la

 

232

 

Bergère : elle accorde le précieux talisman, qui est quelquefois une médaille, d'autres fois un chapelet, tantôt une relique de la Vraie Croix et tantôt un autre objet pieux.

Rappelons ici un fait que nous n'avons fait qu'énoncer ailleurs. C'était en 1668. Une des amies de Benoîte se plaignait devant elle de terribles assauts que lui livrait le démon de la chair. Elle avait beau prier et se mortifier, rien n'y faisait. Les sacrements fortifiaient sa volonté, mais ne la débarrassaient pas de ses tentations. La Bergère encourage son amie et lui promet le secours de ses prières. Elle prie, en effet, comme elle savait le faire , en joignant à ses oraisons ses larmes et son sang. « A la fin, la Mère de Dieu lui apparaît et lui baille du propre bois de la Sainte Croix on son très cher Fils a été attaché, en lui disant de donner cette relique à son amie, qui trouvera dans ce bois sacré la fin de ses combats. » La jeune fille ne fut pas plutôt en possession de la sainte relique que le calme se fit dans ses sens et la paix dans son âme.

L'année suivante, une femme qui se trouvait dans le même cas ne savait plus que devenir. quoiqu'elle fit, humainement parlant., tout ce qu'elle pouvait pour se débarrasser des humiliantes convoitises de ses sens. De guerre lasse, elle vient au Laus et supplie Benoîte de prier Marie d'avoir pitié d'elle. La Bergère, toujours compatissante , s'adresse à sa bonne Mère. Celle-ci lui apparaît dans la chapelle, bénit des chapelets qui se trouvaient là, et lui dit d'en donner un à la bonne femme, lui affirmant que si elle en use avec foi, elle sera délivrée de ses tentations. La chose, en effet, se passa ainsi, Dieu voulant récompenser les persévérants efforts que cette femme chrétienne avait faits pour se conserver chaste.

Les pieux objets opéraient même chez ceux qui les portaient d'une manière inconsciente ou par pure

 

233

 

condescendance. Une femme qui a conservé son coeur à Dieu et à son époux, se plaint à notre Bergère de ce que son mari oublie les serments qu'il a faits à son égard au pied des autels, et la prie de demander à Dieu la conversion de l'infidèle. Benoîte sollicite la grâce du retour, puis donne à la pauvre délaissée une médaille , avec ordre de la suspendre au cou de son mari pendant son sommeil. Ce qui fut dit fut fait, et dès ce jour le coeur de l'époux revint tout entier à celle qui seule pouvait le posséder légitimement.

Un autre fut aussi heureux : Benoîte avait un rosaire qui lui était d'autant plus cher que, l'ayant un jour perdu , elle l'avait retrouvé dans le feu aussi intact que le jour où il était sorti des mains de l'ouvrier ; elle le donne à quelqu'un qui luttait avec peine contre une passion violente. Dès ce moment, les victoires furent incessantes et complètes. La Bergère en fut remerciée par le vainqueur. De plus, l'Ange la loua de ce qu'elle avait fait, et l'assura que cette personne serait toujours préservée par cc rosaire, parce qu'elle le conservait avec soin et eu usait avec foi (1672).

Deux ans après (1674), Benoîte était venue à bout, à force de prières et de menaces, de séparer deux grands coupables. C'était une première victoire, mais ce n'était pas assez : il fallait expier le mal qui avait été fait et prévenir la rechute. La Bergère consulte le Ciel dans la prière sur ce qu'il y avait à faire, et quelques jours après elle apporte à chacun des deux pénitents , de la part de son bon Ange, un vêtement en cotte de mailles, avec injonction de le porter trois jours par semaine, le mercredi, le vendredi et le samedi. Cet habit de fer fut pour les deux pécheurs un vrai bouclier: ils persévérèrent dans le bien et vécurent désormais dans la chasteté de leur état.

Un autre jour, l'Ange apporte à Benoîte quatre

 

234

 

reliquaires, avec ordre de les donner à tout autant de personnes que le démon poursuivait par les plus affreuses tentations. La Bergère exécute la volonté céleste et rend ainsi le calme à ces coeurs tourmentés. Elle procure le même bonheur à une femme des environs du Laus, en lui donnant un chapelet de six dizaines.

Ces objets de piété produisaient encore d'autres effets heureux. Avec une statuette de l'Enfant-Jésus ou une médaille, Benoîte calmait les accès d'une personne atteinte d'une folie parfois furieuse et parfois simplement extravagante. Tout ce qu'elle touchait semblait recevoir de ce contact une force merveilleuse. Ainsi , lorsqu'une épileptique vient la prier de lui donner quelque objet de vêtement lui ayant servi, elle refuse d'abord par humilité, puis elle cède aux instances de la malade et lui donne son chapeau de paille. La pauvre femme le met sur sa tête, et son mal disparaît à tout jamais.

Disons en terminant, et entre parenthèses, que la Sainte Vierge a loué plusieurs fois Benoîte et les autres personnes qui distribuaient des médailles aux pèlerins, les assurant qu'elles faisaient en cela une oeuvre agréable à Dieu et utile à leur salut. L'usage pieux que les fidèles font des divers objets de piété trouve là une imposante consécration.

 

 

§ III. — FAITS DIVERS

 

Nous réunissons sous ce titre un certain nombre de faits qu'il nous est impossible de rattacher à un sujet déterminé et qui cependant méritent d'être connus.

Une femme était accouchée d'un enfant mort-né et l'avait fait enterrer après le délai légal. Le lendemain, c'est-à-dire vingt-quatre heures après l'inhumation, son coeur de mère lui met en tête de demander

 

235

 

un miracle à la bonne Mère du Laus. La Sainte Vierge est toute-puissante, se dit-elle, elle pourra donc obtenir pour mon enfant la grâce de revivre un moment pour recevoir le bienfait du baptême. Là-dessus elle fait part de son idée à une de ses voisines et la prie de déterrer secrètement l'enfant et de le porter au Laus : elle est convaincue que sa prière sera exaucée. La voisine, édifiée de la confiance de cette mère désolée, se décide à lui prêter son concours. Elle va donc, à la faveur des ténèbres de la nuit, retirer du tombeau les restes glacés de l'enfant et les porte au Laus, où elle arrive de grand matin. Le petit cadavre est déposé sur les marches de l'autel pendant que s'offre le saint sacrifice de la messe. A un moment donné, l'enfant ouvre la bouche et donne des signes de vie incontestables. L'un des prêtres du Laus le baptise à l'instant même et délivre un certificat à celle qui l'avait apporté. Inutile de dire que la joie fut grande dans la famille de l'enfant à qui la Reine des Anges venait d'ouvrir le ciel. L'heureuse mère surtout était folle de bonheur; et pour témoigner sa reconnaissance d'une faveur si singulière, elle promit de faire toutes les années un pèlerinage au Laus. Elle fut fidèle à son voeu (1672).

Un fait de ce genre, mais plus surprenant, se passait en 1680. Pierre Benoît et Marguerite Rome, de Saint-Honoré, mandement de la Mure (Isère), portent au Laus, le 2 décembre, un enfant mort-né de Jean Sauvin et de Dominique Benoît, de la même paroisse. Ils déposent le jeune cadavre au bas des marches de l'autel et se mettent tout auprès pour solliciter en sa faveur un instant de vie et la grâce du baptême. Quelques moments après, l'enfant, qui avait les mains jointes, élève la droite par trois fois et l'éloigne de la gauche, conservant ensuite cette attitude. A deux reprises aussi il ouvre et ferme la bouche. L'enfant est baptisé sur-le-champ. Le frère Aubin, M. Disdier, curé d'Avançon, et plusieurs

 

236

 

autres personnes ont certifié la réalité au fait, en ayant été les témoins oculaires. La Mure étant éloignée du Laus de deux bonnes journées de marche, cet enfant devait être né depuis trois jours au moins.

Voici qui est plus merveilleux encore.

Marguerite Faure, femme de Simon , s'étant accouchée le 25 de septembre 1682 d'une fille mort-née, prie Antoinette Bertigot, dudit lieu, de la porter au Laus (1). Celle-ci en parle d'abord à M. Meyer, son curé, qui s'y oppose, puis à M. Pélissier, l'archiprêtre, qui refuse aussi et menace de la faire punir si elle exécute son projet. Nonobstant ces oppositions et ces menaces, sa foi est si grande qu'elle part secrètement emportant le petit cadavre. Elle arrive au Laus le premier dimanche d'octobre, fête du Saint-Rosaire, après la grand'messe. Elle expose la petite fille près de l'autel. Peu de temps après, l'enfant retire doucement la main gauche qui était croisée sur 1a droite, et la porte au menton; elle sort et retire la langue; son visage devient vermeil. Ce que voyant, M. Peythieu la baptise avec les conditions ordinaires et donne un certificat à la fille Antoinette, qui est toute pâmée de joie de la miséricorde de Dieu envers cette pauvre enfant. La plupart de ceux qui étaient dans la chapelle joignirent leur signature à celle de M. Peythieu. Il y avait neuf jours que l'enfant était née, car le premier dimanche d'octobre se trouvait, cette année-là, le quatrième jour du mois.

« Ce qui montre de plus en plus, continue M. Gaillard, qu'il suffit d'avoir la foi pour obtenir tout ce qu'on demande à notre souveraine Princesse. »

Une jeune femme était tombée en démence depuis trois mois, et se livrait à des actes si extravagants que sa famille en était vivement affligée. Sa mère la

 

(1) L'historien n'a pas donné le nom du lieu habité par la famille Faure, mais ces mots dudit lieu prouvent que c'est un oubli de sa part. Il a cru évidemment avoir cité le pays. Ce qui le confirme, c'est qu'il désigne par leurs coins le curé et l'archiprêtre.

 

237

 

conduit au Laus. Après l'avoir introduite à la chapelle et y avoir prié un instant pour demander sa guérison, elle l'emmène à la petite chambre de soeur Benoîte. Celle-ci est émue de compassion à la vue du triste état où se trouve la pauvre malheureuse ; car ses traits sont bouleversés, ses cheveu. épars et ses vêtements en désordre; elle l'accueille amicalement, lui fait de bonnes caresses, la peigne et la rajuste de son mieux; puis elle la renvoie, promettant de prier Dieu pour elle. Deux jours après, la malade était radicalement guérie (1673).

Au mois de juin (1674), Jeanne Gueydan, du diocèse de Grenoble, tombe d'un cerisier, se brise les membres et reste trois ans au lit avec des douleurs cruelles. A bout de remèdes, on la voue au Laus et on l'y transporte. Le troisième jour de sa neuvaine, ses mains, ses jambes et tous ses membres sont si bien raffermis que tout le monde en est dans l'admiration. Dès ce jour, non seulement elle marche sans soutien, d'un pas ferme et assuré, mais elle peut reprendre son travail de bûcheronne, qui était son gagne-pain.

Si Dieu est bon aux infirmes, il est pour Benoîte plein d'amabilités : on dirait qu'il s'étudie à lui être agréable. Qu'on en juge par le trait suivant.

Une personne reconnaissante avait fait un présent à la Bergère; celle-ci avait accepté , sur la recommandation de sa bonne Mère ; mais , à son tour, elle voulait offrir à sa bienfaitrice quelque chose de convenable. et, hélas ! elle n'avait rien que quelques sous. Avec cela cependant elle peut acheter trois croix en cuivre; mais du cuivre, c'était peu en rapport avec la qualité de la personne à qui le présent devait être fait ; n'importe, Benoîte prie humblement sa bienfaitrice d'agréer son modeste cadeau; mais, ô prodige! les trois croix sont converties à l'instant même en argent très fin. L'Ange vint ensuite dire à Benoîte que Dieu avait opéré cette transmutation pour lui faire plaisir » (1674).

 

238

 

Voici une faveur d'un autre genre. Benoîte seule moissonne en huit jours un champ appartenant à la chapelle. Plusieurs personnes n'auraient pu faire ce travail dans le même espace de temps. Dieu lui donna-t-il pour la circonstance une habileté et des forces surhumaines, ou lui envoya-t-il des coopérateurs invisibles ? L'histoire se tait et laisse libre carrière aux conjectures.

L'esprit de Dieu souffle où il veut, et notre chronique nous rnet sous les yeux un fait qui aurait pu exciter la jalousie de Benoîte, si les saints pouvaient être accessibles à cette basse passion.

La mère Madeleine, fondatrice de l'ordre de la Miséricorde, écrit de temps en temps à Benoîte et lui dit : « Tel jour de tel mois , j'aurai le bonheur de voir le Fils de Dieu, et vous, celui de voir sa Mère. » La prédiction se réalisait à point nommé. « Je ne sais, ajoute M. Gaillard, ce que sont devenues ces lettres; si on les retrouve, on les reproduira. »

Cette même religieuse annonce à la Bergère de grandes croix. Nous savons qu'elles ne lui ont pas manqué. Elle lui envoie aussi de petites statuettes de la Vierge, en terre cuite, pour lui faire plaisir: Benoîte les reçoit avec actions de grâces; mais, pour être agréable à son tour, elles les donne à d'autres personnes (1674).

Le fait suivant, prouvant combien la Sainte Vierge a à coeur le culte de son chaste époux , pourra contribuer à augmenter la confiance envers saint Joseph.

Le 19 mars 1696, Benoîte était à Saint-Etienne pour complaire à sa mère, et se disposait à y fêter de son mieux le glorieux saint Joseph; mais l'auguste Mère de Dieu lui fait dire par un Ange de venir entendre la messe au Laus, parce que c'est la fête de son très cher Epoux. Benoîte obéit , trouve beaucoup de monde à la chapelle et donne à plusieurs des avertissements utiles à leur salut.

Quelques jours après, la mère de notre Bergère

 

239

 

éprouve une perte sensible, et en est fort attristée; elle pleure et gémit en secret. Benoîte en est avertie par le Ciel et accourt en toute hâte apporter à la pauvre veuve des encouragements et des consolations.

Les prêtres du Laus allaient assez souvent prier à l'oratoire de Saint-Etienne, bâti sur le lieu même des premières apparitions. Ils y étaient attirés, non seulement par le souvenir des faveurs qui y avaient -été accordées à Benoîte, mais par les consolations dont la Sainte Vierge les y comblait eux-mêmes. Or, en 1667, ils voulurent y faire neuvaine; et un soir qu'ils revenaient assez tardivement, ils virent un homme qui se dirigeait de leur côté. Afin de n'être pas reconnus, ils se cachèrent. L'homme crut à des malfaiteurs, et il en fut tellement effrayé qu'il en devint malade: pendant quinze jours il dut s'abstenir de tout travail. La bonne Mère dit à Benoîte que les prêtres étaient obligés de le nourrir durant tout le temps de son repos forcé. Ils acceptèrent sans mot dire une décision venue de si haut et s'y soumirent de bonne grâce.

Nous avons vu déjà que la Sainte Vierge a quelquefois recours, contre les maladies corporelles, à des remèdes naturels, préférablement à un acte subit et radical de sa puissance. Ainsi, en plusieurs occasions, elle donna à Benoîte des plantes dont elle indique les propriétés et l'usage. La Bergère, selon les circonstances, usait de ces simples ou les conseillait aux malades. Le prieur d'une paroisse aux environs du Laus souffrait depuis une semaine, sans secours et sans témoin, d'une perte de sang qui l'aurait infailliblement et dans peu conduit au tombeau. La bonne Vierge envoie la Bergère à ce pauvre prêtre, avec ordre de le consoler, de le rassurer sur les suites de son mal , et surtout dé lui préparer un breuvage avec des plantes qu'elle a désignées. La potion fit merveille, le malade reprit rapidement ses forces, et vécut encore longtemps.

 

240

 

L'Ange, à son tour, fournissait à Benoîte divers moyens de soulager les infirmités humaines. De ce nombre était un remède aussi efficace que simple: c'était un vin bénit. L'esprit céleste bénissait lui-même la boisson, et Benoîte la mettait en réserve pour s'en servir en temps opportun. Ce vin , dit M. Gaillard, ressemblait à de l'hypocras. Plus de vingt fois l'Ange en apporta à la Bergère, qui le distribuait à ses malades. Elle en donna un jour au seigneur dii lieu, qui se trouvait dans un péril imminent de mort. L'effet fut merveilleux, et la guérison aussi prompte que radicale.

La femme d'un conseiller de Grenoble était aveugle et, de plus, remplie d'infirmités. Son mari et ses beaux parents la vouent au Laus et l'y font transporter. Ils font une neuvaine de prières afin d'obtenir pour la malade la vue et la santé. A la supplication ils joignent la pénitence : chaque jour ils font préparer et servir à table tout ce qu'ils trouvent de plus exquis, puis ils appellent à prendre ces mets tous les pauvres qu'ils peuvent rencontrer. Quant à eux, ils se contentent d'un morceau de pain et d'un peu d'eau. Ces privations furent agréables à Dieu: vers la fin de la neuvaine, la Sainte Vierge apparut à Benoîte et lui dit que la malade guérirait en récompense de l'ardeur de sa foi, de la ferveur de ses prières, ainsi que de la mortification et de la charité de ses parents. L'événement vint quelques jours après justifier la prophétie.

A cette époque, les Anges, pressentant les épreuves auxquelles la Bergère sera exposée de la part des démons, s'empressent de plus en plus auprès d'elle pour la réjouir et la consoler. Un jour, pendant la grand'messe, la pieuse fille en vit un qui voltigeait près de l'autel et souriait tantôt à la Bergère, tantôt à ceux qui servaient le prêtre, comme aussi à ceux qui assistaient pieusement au saint sacrifice. Cette vision mit au coeur de Benoîte une grande joie,

 

241

 

qui se trahit sur son visage et que plusieurs personnes ne purent s'empêcher de remarquer.

Une fille passait pour sainte dans le monde. Avec les grâces extérieures, elle possédait de réelles qualités. Elle le savait, car ses oreilles avaient entendu plus d'un éloge à son adresse et le démon aussi le lui avait dit. Son amour-propre en fut flatté, et elle parut se complaire dans sa valeur personnelle. Il semblait qu'elle se délectât en tout ce qu'elle faisait de bien, et elle n'était pas fâchée que ce bien fût connu. Elle était particulièrement heureuse quand ses oeuvres de piété avaient des témoins. Elle n'en négligeait aucune, et elle vécut dans la plus scrupuleuse pratique des devoirs du chrétien. A sa mort, on l'aurait canonisée et volontiers invoquée, mais l'Ange apprit à Benoîte qu'elle était en purgatoire pour quarante ans, en punition de ses péchés d'amour-propre.

Un peintre sicilien, travaillant aux environs du Laus, tombe dangereusement malade. Dans son affliction il se tourne vers Notre-Dame du Laus, et promet, s'il guérit , de faire un tableau représentant l'apparition de la Sainte Vierge à soeur Benoîte. Sa prière est exaucée : il guérit. Son premier travail fut l'exécution de son voeu. Le Sanctuaire conserve encore le tableau, où la Bergère est représentée à genoux devant sa bonne Mère.

Cette toile, peinte du vivant de soeur Benoîte, est loin d'être une oeuvre d'art, loin de donner l'idéal de la beauté religieuse de la sainte fille ; mais telle qu'elle est, elle est précieuse en ce qu'elle donne l'ensemble des traits de la Bergère et le costume de tertiaire qu'elle portait habituellement. C'est sur ce type qu'ont été faites toutes les gravures et les médailles destinées à perpétuer le souvenir des apparitions de la Sainte Vierge à la Vénérable Benoîte.

Au pied de l'Ex-voto on lit cette inscription :

Gratium accepit, gratiam egit D. J. Dego Duvial, sicilianus, oriundus ex orbe I … iensi 1688.

 

242

 

On faisait courir le bruit qu'un crucifix laissait couler du sang. La Mère de Dieu dit à Benoîte que cela n'était pas vrai. Il n'en fut plus question. Les oeuvres de l'homme et celles même du démon tombent vite dans l'oubli ou le ridicule; celles de Dieu seules restent. Le christ de Saint-Saturnin d'Apt n'a pas eu, de nos jours, une fortune plus heureuse que celui dont nous parlons, mais la croix de bois sur laquelle le Sauveur s'est montré crucifié à la sainte Bergère demeure et demeurera un objet -de vénération. Si un vandalisme impie venait à le brûler, le souvenir le plus pieux n'en vivrait pas moins dans les âmes.

Nous reproduisons le fait suivant, parce que M. Gaillard lui rend un témoignage tout particulier.

Louise Bonnardel, de Lettret (1), perd la vue à l'âge de 12 ans, pendant qu'elle habitait chez une tante qu'elle avait à Aix-en-Provence. L'ail gauche était complètement fondu et l'autre n'était pas loin de l'être. En présence de ce malheur, la jeune fille demande à sa tante de la ramener chez ses parents à Lettret. « Il y a, dit-elle, à deux heures de là , une dévotion en l'honneur de Notre-Dame, il s'y opère beaucoup de miracles, et j'espère, avec le secours de Dieu et de sa sainte Mère, y guérir comme tant d'autres. » Ses désirs sont exaucés: quelques jours après elle était chez ses parents, et le 16 juin 1684, elle faisait son pèlerinage au Laus. Au moment où elle met le pied dans l'église, elle s'écrie que déjà elle commence à y voir un peu. Son père, ivre de joie et plein de confiance, prie l'un des prêtres d'offrir le Saint Sacrifice pour obtenir de la bonne Mère qu'elle achève son oeuvre. Son espoir n'est pas trompé: à la fin de la messe, la jeune fille a recouvré complètement la vue. « Elle s'en retourne, dit M. Gaillard, avec des yeux aussi beaux qu'avant son malheur. »

Dominique Charles , d'Orcières, avait une fille âgée

 

(1) Lettret est un petit village à 12 kilomètres du Laus.

 

243

 

de quatre ans à qui on ne pouvait tenir des habits: elle les défaisait filet par filet. Lasse de ce travail , elle s'attaquait aux murs avec les ongles et en enlevait le mortier, puis elle se cachait. Sa mère vint au Laus, y voua sa fille et y fit offrir le divin sacrifice. A son retour, elle trouva son enfant non seulement 'guérie, mais si posée, si retenue que cette heureuse mère disait à qui voulait l'entendre que jamais elle n'avait vu enfant si sage (1684).

Le 19 juillet de cette même année, M. Peythieu trouva Benoîte tout en pleurs. « Qu'avez-vous, ma soeur, dit-il? Pourquoi pleurez-vous? — Ah! dit- elle, je languis de voir ma bonne Mère. Je préfèrerais bien souffrir les douleurs du vendredi que d'être privée du bonheur de sa vue (1). »

Le 12 août suivant, deux Anges la consolaient de cette privation en lui disant : « Au temps de vos grandes souffrances, vous aurez besoin de cette consolation, mais maintenant cette privation vous sert de souffrance. »

Le 22 avril 1685, un incendie éclate à Ventavon. La flamme s'étend avec une si grande rapidité et une si affreuse violence, qu'un enfant de cinq ans ne put être retiré à temps. Une pauvre femme, du nom de Louise Bernard, voyant sa maison déjà environnée par le feu qui avait atteint le toit et le « sommier » tombe à genoux, demande à la Sainte Vierge de préserver sa maison, promettant, si elle est exaucée, d'aller à pied au Laus, d'y faire dire une messe, de s'y confesser et d'y communier. A peine a-t-elle formulé ce voeu que la flamme s'arrête comme par enchantement. Trois jours après, l'heureuse protégée rendait son voeu.

Mgr d'Hervé, évêque nommé de Gap, donna, dès le début de son épiscopat, les preuves d'un vrai zèle. Il crut qu'un puissant moyen de ranimer la foi dans

 

(1) Ce fait suppose qu'en 1684 Benoîte n'avait plus les douleurs du vendredi; il confirme donc notre note de la paye 207.

 

244

 

sa ville épiscopale était de procurer à ses ouailles le bienfait d'une mission. Les saints exercices eurent lieu dans l'hiver de 1685 et produisirent de très grands fruits de salut. Le régiment de Turenne se trouvait en ce moment en garnison à Gap : Sa Grandeur voulut que ces braves soldats eussent leurs exercices particuliers. Elle leur fit donner une retraite qui réussit au mieux. Pour en consolider et perpétuer les heureux résultats, le pieux évêque proposa un pèlerinage au Laus. L'idée fut trouvée excellente et accueillie avec enthousiasme. Au jour dit, le régiment se mit en marche et arriva au Laus dans l'ordre le plus parfait.

« Il faut avouer, dit M. Peythieu qui raconte le fait, que je ne vis jamais rien de si édifiant. Nous albite mes à leur rencontre avec une procession de six cents personnes qui étaient venues en dévotion. Ces braves soldats furent si touchés dans ce saint lieu qu'ils firent résolution d'y venir les uns après les autres pour y faire leur confession générale : ce qu'ils ont fidèlement exécuté. Ils venait de six h six, de sept à sept; et ils ont si bien profité des grâces de Notre-Dame du Laus qu'ils ont quitté et jurements et blasphèmes et autres vices d'habitude. La plupart sont même devenus des hommes d'oraison. La veille de leur départ de Gap pour Agen, ils députèrent une douzaine d'entr'eux pour venir remercier la Sainte Vierge des faveurs qu'elle leur avait accordées en ce saint lieu. Plus tard, ils écrivirent d'Agen, pour nous demander de prier particulièrement pour leur persévérance. »

Quelqu'un avait été scandalisé par un mauvais exemple qui lui était venu de la part de plusieurs personnes. Par suite, il ne croyait plus aux mystères de la religion ni à l'efficacité dés sacrements. Il avait même perdu confiance aux prêtres. La Mère de Dieu dit à Benoîte d'avertir les personnes qui avaient donné le scandale que toutes les fautes

 

245

 

commises par ce malheureux retomberaient sur leur tête: qu'elles eussent, en conséquence, à faire force aumônes et force prières pour la conversion de ce pécheur; qu'à cette condition Dieu ferait miséricorde à l'un et aux autres.

Benoîte sut quelques temps après par son Ange qu'en effet le pécheur était revenu à Dieu; elle en informa les auteurs du scandale, qui s'en réjouirent beaucoup et prièrent pour sa persévérance. L'Ange ajouta que le mauvais exemple donné avait privé ceux qui s'en étaient rendus coupables de grâces nombreuses que Dieu leur avait préparées.

Un homme trop prompt et trop facile à écouter des rapports calomnieux sur la fidélité de sa femme, ,entra un jour contre elle dans un accès de colère jalouse, l'introduisit dans une métairie et lui coupa les seins. Il fit ensuite courir le bruit qu'elle s'était volontairement donnée la mort. A quelque temps de là, la Sainte Vierge dit à Benoîte que cette malheureuse épouse était au ciel, parce qu'elle avait souffert un véritable martyre. La Bergère fut assez heureuse pour faire entrer le repentir dans l'âme du mari et pour le ramener à Dieu. Miséricorde du Seigneur, que vos abîmes sont profonds!

La bonté divine est sans bornes aussi: elle va jusqu'à faire un miracle pour épargner à la Bergère un petit désagrément.

Un jour, la sainte fille, munie d'une cruche d'huile, dont elle se servait, sans doute, pour alimenter la lampe du Sanctuaire, la laissa tomber, par mégarde, sur une personne vêtue de neuf. On crut que c'en était fait des beaux habits, mais en y regardant de près on s'aperçut que l'huile disparaissait sans laisser la plus petite tache. Benoîte, un moment toute confuse de sa maladresse , bénit Dieu de ce qu'il savait ainsi tirer le bien du mal.

Benoîte, ayant été prier à l'église de Valserres, en rapporta une tête de mort qu'elle ramassa, sans

 

246

 

doute, dans le cimetière. Son Ange lui apprit que c'était le chef d'un bienheureux qui, de son vivant, faisait d'abondantes aumônes. La pieuse fille fut toute heureuse de posséder cette relique.

Demoiselle Anne Sauvaire, supérieure des filles du Tiers-Ordre de Saint-Dominique, femme du sieur Jean-François Thibaud, de Buis-les-Baronies, avait un neveu qui était devenu paralytique alors qu'il n'avait pas encore trois ans. Elle avait appelé auprès du jeune malade les plus habiles médecins et chirurgiens du Buis, de Carpentras et d'Avignon: aucun d'eux n'avait su ni le guérir ni même le soulager. En désespoir de cause, elle appelle une célébrité de l'époque, le chirurgien Patingon. Celui-ci observe attentivement l'enfant et déclare qu'il ne guérira jamais, qu'il restera cul-de-jatte ou tout au plus qu'il marchera à grand peine avec des béquilles. En disant ces paroles, il palpait le jeune malade et lui faisait souffrir d'atroces douleurs. « Eh bien ! s'écrie le patient, puisque vous ne pouvez pas me guérir, laissez-moi : la Sainte Vierge me guérira. »

Touchée de la foi de son neveu, Mme Thibaud se concerte avec le père de l'enfant et le voue à Notre-Dame du Laus. Quelques jours après, elle arrivait au Sanctuaire pour y remplir son voeu. Elle redouble ses prières pour son cher malade. Le 30 mai, elle fait célébrer une messe à cette intention, et, lorsqu'elle a fini toutes ses dévotions, elle se dispose à partir, mais auparavant elle veut voir la Berbère et lui recommander son jeune infirme. « Allez, Madame, lui dit Benoîte, vivez contente: votre neveu est guéri. A votre retour, vous le trouverez marchant sans difficulté. » L'heureuse pèlerine retourne en toute hâte au Buis, et trouve toute sa famille dans la joie. La parole de Benoîte était vraie : le jeune enfant était guéri; et c'était précisément le 30 mai, au moment où s'offrait pour lui le saint sacrifice, que, se sentant dispos, il s'était levé sans secours et s'était

 

247

 

mis à marcher en présence de sa famille émue et ravie (1669).

L'année suivante, deux prêtres conduisaient au Laus une de leurs parentes infirme et estropiée. Arrivés près de la chapelle, ils se faisaient part de leurs impressions, de leurs espérances et de leurs craintes. « Si elle ne guérit pas, se disaient-ils, ils ne nous sera guère possible de croire à cette dévotion. » « Que vous y croyiez ou que vous n'y croyiez pas, » leur dit Benoîte, qui les avait entendus sans qu'ils y prissent garde, « elle ne guérira point; car, étant ainsi contrefaite, elle se sauvera, tandis qu'elle se damnerait si elle ne l'était pas. C'est la volonté de Dieu qu'il en soit ainsi. » Les deux prêtres, écrasés par cette déclaration, se turent et adorèrent les secrets desseins du Ciel.

Un malheureux jeune homme, de bonne heure asservi ou joug de ses passions, n'avait pas toujours les moyens de les satisfaire. Il lui fallait de l'argent et beaucoup d'argent pour payer ses débauches, et il ne savait où le prendre. Il lui vint donc à la pensée de faire un pacte avec le démon : il abandonnait son âme à Satan, pourvu que celui-ci lui fournit tout l'argent nécessaire à ses plaisirs. L'horrible marché fut conclu, et dès ce jour le jeune libertin put puiser à son aise dans les coffres de son père, sans que celui-ci y prit garde. La mère, cependant, était désolée de l'inconduite de son enfant. Elle avait en pure perte essayé de tous les moyens pour le ramener au devoir: en désespoir de cause, elle eut l'idée de le conduire au Laus. Elle prie donc son fils de l'accompagner dans son pèlerinage. Le jeune homme n'ose refuser et se rend aux désirs de . sa mère. Arrivé au Laus, il devient l'objet du zèle de Benoîte, qui n'eut pas de la peine à deviner à qui elle avait à faire. Elle s'y prend si bien qu'à force de prières, d'avertissements et de menaces , elle

 

248

 

l'amène à faire une bonne confession et à rompre son infernal marché.

Quelques temps après, l'auguste Vierge dit à Benoîte d'engager la mère de ce jeune homme à lui faire continuer ses études, parce qu'il devait un jour être prêtre. L'heureuse femme ne se le fit pas dire deux fois : le jeune converti travailla avec tant d'ardeur que bientôt il prit l'habit ecclésiastique. Au bout de quelques années, il revenait au Laus revêtu du sacerdoce, pour remercier Dieu, la Sainte Vierge et Benoîte de la grâce insigne qu'il y avait reçue.

Un autre jeune homme, de Marseille, avait passé un pareil contrat avec le démon. Sa grand'mère le conduisit au Laus dans l'espoir que le Refuge des pécheurs lui obtiendrait la grâce de rompre ses chaînes. Benoîte l'accueillit avec un bienveillant intérêt et lui parla avec tant d'onction qu'il se laissa conduire à un confesseur. Au sortir du tribunal sacré, il était complètement changé. Ses liens étaient brisés et son âme était pure. Il retourna à Marseille et mourut chrétiennement peu de temps après (1705).

A côté de ces faits un peu plus circonstanciés, c'est une nomenclature sans fin de guérisons miraculeuses opérées en plein soleil et d'avertissements secrets donnés aux pécheurs par la Bergère et presque toujours suivis d'une réelle conversion. Quand nous parlons de nomenclature sans fin, nous n'exagérons rien, car de 1673 à 1680, relatées aux manuscrits, nous ne trouvons pas moins de cent vingt-huit guérisons corporelles obtenues au Laus ou par l'invocation de Notre-Dame du Laus. Quant aux guérisons spirituelles, elles sont innombrables. C'est par centaines qu'il faut compter celles de caractère spécial ou manifestées publiquement chaque année. Nous avons lu le chiffre de trois cent quatre-vingt-deux-pour la seule année 1691 : et encore nos historiens nous répètent à chaque instant qu'ils n'ont

 

249

 

pu noter qu'une partie des choses admirables qui se sont passées au Laus. Si la faiblesse humaine est grande, la miséricorde de Dieu est plus grande encore , et la Sainte Vierge est véritablement la bonne Mère. Quand on a lu le récit de ces prodigieuses tendresses, il n'est plus possible de ne pas l'aimer. On se repose sur son coeur des luttes de la vie, et On attend de sa maternelle et puissante protection le triomphe final.