Le nom de sainte Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal n'éveille pas
l'idée d'une femme auteur, d'une religieuse qui, à l'exemple de sainte Thérèse,
aurait composé des ouvrages destinés à la publicité. La Fondatrice de la
Visitation, en effet, n'a pas écrit une seule page en vue de l'impression.
Comment donc les opuscules qui composent le présent volume appartiennent-ils
très-légitimement à la Sainte, et par quelle voie nous sont-ils parvenus ?
Voilà ce qu'il nous faut expliquer brièvement ; après quoi, nous aurons à
signaler la valeur ascétique de ces opuscules, et à marquer le caractère de
chacun.
Sainte Chantal n'a point, à proprement parler, fait œuvre
d'écrivain ; mais elle a fait œuvre de fondatrice, œuvre encore de
directrice des âmes ; elle a excellé dans le gouvernement de son Ordre et
dans la conduite spirituelle des religieuses soumises à son autorité. Or, pour
l'administration générale, comme pour la direction particulière, son action
s'exerçait surtout par des exhortations, des conseils et des entretiens, en un
mot, par une parole vivante et animée. Mère de la Visitation, elle était
chargée d'élever sa famille encore au berceau, de présider au développement de
sa vie religieuse. Dans sa tendresse maternelle, elle n'ignorait pas [viii] qu'elle devait le pain de l'âme aux filles que le
Seigneur lui avait données, et elle leur distribuait, sous bien des formes, une
nourriture aussi douce que fortifiante. C'était pendant les récréations, ou
bien dans les réunions prescrites par la règle, que la sainte Fondatrice
servait à ses enfants ces repas spirituels.
Les récréations étaient mises à grand profit pour l'édification et
pâture du petit troupeau. Au jardin, pendant l'été, dans une salle, en hiver,
les religieuses entouraient leur Mère d'une vivante couronne ; et,
bientôt, la conversation était lancée par l'une ou par l'autre des Sœurs sur un
sujet de spiritualité, à la grande satisfaction de tout le cercle et de sainte
Jeanne-Françoise toute la première. La digne supérieure applaudissait à une
pareille initiative ; elle aimait à être provoquée par ses religieuses, à
être mise par elles sur le chapitre des observances régulières ou des vertus
propres à leur Institut. « Je ne suis pas grande prédicatrice, leur
disait-elle un jour, je ne sais presque parler qu’en répondant. »
La Sainte, qui était le pivot de la conversation, ne la laissait pas languir.
Assaillie d'observations et de demandes, elle faisait face à tout, elle avait
réponse à toutes les questions, éclaircissement pour tous les doutes. Sur tout
elle répondait avec son grand bon sens, avec cette science des choses
spirituelles qu'elle avait puisée auprès de saint François de Sales et au pied
du crucifix. Pendant ces causeries d'un intérêt si vif et si élevé, les heures
s'écoulaient trop rapidement au gré des Sœurs, qui toutes se retiraient
récréées pour l'esprit, pour le cœur et pour l'âme. C'était sur une moindre
échelle, mais avec non moins de charme et de [ix]
profit, une imitation des
Conférences si connues des anciens solitaires.
Aux jours où la communauté se réunissait au Chapitre, la Sainte, qui
présidait l'assemblée, prenait la parole, et, au milieu de ses filles
silencieuses et attentives, elle traitait un sujet spécial. C'était un point de
perfection religieuse qu'elle développait, une des vertus propres à son
Institut qu'elle présentait sous différents aspects ; c'était encore des
considérations sur un mystère, sur une fête de l'Église, ou bien encore des
avis relatifs à la correction de quelque défaut... De leur coté, les novices
avaient quelquefois le bonheur d'entendre la zélée Fondatrice. En s'adressant à
elles, sainte Chantal s'attachait surtout à les débarrasser de l'esprit du
siècle, pour leur inculquer l'esprit religieux ; elle arrosait de sa
parole ces jeunes plantes qui devaient embellir les jardins de l'Époux céleste.
Pendant ces réunions, véritables festins de l’âme, pas une miette qui
tombât par terre, pas une parole de l'incomparable Mère qui ne fût recueillie,
an moment même et sur place, dans le cœur de chacune des religieuses. Ce n'est
pas tout. Après les assemblées, comme après les récréations, plusieurs des
Sœurs prenaient la plume, et, sous l'impression toute fraîche de ce qu'elles
venaient d'entendre, elles fixaient sur le papier ce qui les avait le plus
frappées, ce qui répondait le mieux à l'état présent de leur âme. Or, comme les
impressions et les goûts ne pouvaient se ressembler en tout chez les
différentes religieuses qui prenaient des notes, tel passage, omis par les
unes, était recueilli par les autres. Il en résultait que ces différentes rédactions
se complétaient [x] les unes les autres, ce qui a permis de
reconstituer, à peu près dans leur intégrité, les Entretiens et les Allocutions
de sainte Chantal. Rappelons encore ceci : parmi les Sœurs qui rédigèrent
les notes en question, figurent les supérieures les plus illustres de l'Ordre,
et surtout la Mère de Chaugy. C'est dire assez avec quelle exactitude furent
recueillies les paroles de leur Bienheureuse Fondatrice. Au reste, nous avons
de cette fidélité une preuve matérielle : en conférant les anciennes
copies, nous trouvons les passages parallèles reproduits d'une manière à peu
près identique.
L'authenticité des Exhortations et des Entretiens, au sens que nous
venons de marquer, ne saurait être contestée. Ces ouvrages émanent donc de
sainte Chantal ; son nom, qu'elle n'y a pas mis elle-même, y a été apposé,
à bon droit, par les religieuses qui ont été les premières à jouir de leur
contenu. Pour le dire en passant, la provenance singulière de ces opuscules, la
voie par laquelle ils nous sont parvenus, leur donne un piquant intérêt.
Tombés de la bouche de la vénérée Fondatrice, ils ont été pieusement
recueillis par ses filles spirituelles. Après être demeurés de longues années
dans le demi-jour du cloître, où ils ont fait les délices de plusieurs générations
de religieuses, les voilà qui sont livrés au grand jour pour l'édification de
tous. Mais ce qui nous recommande par-dessus tout ces Œuvres diverses, c'est
la valeur qu'elles empruntent au mérite de celle qui les a, non pas écrites,
mais parlées pour la plupart.
Sainte Jeanne-Françoise de Chantal fut initiée à la perfection
religieuse par saint François de Sales. Dès qu'elle [xi] eut
rencontré sur sa route l'évêque de Genève, dès qu'elle se fut placée sous sa
conduite, sa vie entra dans une phase toute nouvelle. Associée par la
Providence avec cet illustre prélat pour l'établissement de la Visitation, elle
puisa dans son commerce les trésors d'une merveilleuse sagesse. Pendant
dix-neuf ans, elle reçut les leçons de ce maître si habile dans la science des
Saints ; pendant dix-neuf ans, elle vécut à son école, sous sa
discipline ; pendant dix-neuf ans elle fut dirigée par ce conducteur
angélique, formée par lui à la pratique des plus sublimes vertus. Cette femme,
que le ciel prédestinait à devenir la reine abeille de la ruche, qui devait
envoyer de ses religieuses dans les pays voisins de la Savoie, cette femme
d'élite, l'évêque de Genève l'entoura de soins nonpareils. Or, telles étaient
les dispositions de cette âme éminente, telle fut sa correspondance aux
enseignements de l'incomparable prélat ainsi qu'aux grâces de l'Esprit-Saint,
que la spiritualité n'eut bientôt plus de secrets pour elle, la perfection pas
de hauteur qu'elle ne connut parfaitement pour l'avoir fréquentée. Un fait,
pris entre plusieurs, nous servira à mesurer les progrès qu'elle fit durant ces
années si fécondes. Saint François de Sales composa pour les religieuses de la
Visitation, et spécialement pour la Mère de Chantal, le Traité de l'Amour de Dieu, ce chef-d'œuvre delà plus haute
mysticité : cela dit tout à quiconque a lu un pareil ouvrage.
Et comme religieuse, et comme supérieure de la Visitation, sainte
Jeanne-Françoise procède de saint François de Sales, elle appartient à sa
famille spirituelle, dont elle fait la gloire. Elle s'est nourrie des paroles
et des œuvres de celui qui lui [xii] fut un père tendre et un maître sans
pareil ; elle s'est imprégnée de son esprit et l'a communiqué à la
Visitation, où nous le voyons aujourd'hui vivace comme aux plus beaux jours. On
peut le dire en toute vérité, c'est François de Sales qui parle par la bouche
de la digne Fondatrice, qui écrit par sa plume, qui gouverne par son moyen.
C'est de lui qu'elle s'inspire, lui dont elle invoque l'autorité, dont elle se
propose, à elle-même et à ses Sœurs, les illustres exemples. Cette filiation,
le lecteur n'aura pas de peine à la constater, en parcourant ce volume.
Cependant, le Seigneur faisait passer la Mère de Chantal par la rude
école du calvaire ; le jardin de l'Époux semblait produire pour elle moins
de roses que de ronces et d'épines. Assauts de l'enfer, sécheresses
spirituelles, désolations de l'âme, éclipses intérieures plus ou moins
prolongées, les épreuves de tout genre ne lui furent pas épargnées. Au milieu
de ces vicissitudes, cette âme si forte apprenait à compatir aux misères de ses
filles spirituelles ; elle acquérait cette expérience personnelle que rien
ne saurait remplacer dans le gouvernement des autres et le maniement des
esprits. Ensuite, son maître par excellence n'était autre que l'Espnt-Saint.
Cet Esprit de lumière et d'amour, elle l'avait installé dans son cœur comme sur
une chaire ; et, lui remettant les rênes de sa volonté, l'oreille ouverte
à ses moindres inspirations, elle lui disait souvent : Parlez,
Seigneur, parce que votre servante écoute. Or, un jour, sous
l'inspiration de ce directeur intime, elle fit vœu de pratiquer, en toutes
choses, ce qui lui paraîtrait le plus parfait.
Après avoir été à si bonne école, après y avoir puisé la [xiii] science théorique et pratique des choses de Dieu, la digne Fondatrice
pouvait parler avec autorité, diriger ses Sœurs dans les voies de la perfection
religieuse, remplir vis-à-vis d'elles un rôle qui revêt la dignité d'un
ministère. Ainsi la grâce avait combiné son action intérieure avec l'influence
extérieure de saint François de Sales, pour réaliser en elle le type parfait
d'une supérieure, pour en faire une maîtresse aussi ferme que prudente, une
directrice dont les lumières égalaient les hautes vertus. D'elle on pouvait
dire aussi : « Elle a ouvert la bouche pour parler les paroles de
la sagesse. » La sagesse, cette qualité qui remplace toutes les
autres, la sagesse brille d'un vif éclat dans les Œuvres de la Sainte. Ce
caractère, qui en constitue le mérite et la valeur, a été bien saisi,
parfaitement exprimé par les théologiens que la Congrégation des Rites chargea
d'examiner les écrits de la Mère de Chantal. Ils affirmèrent d'abord que ces
écrits ne renferment aucune erreur contre la foi et les bonnes mœurs, aucune
doctrine nouvelle, aucune opinion contraire au sentiment commun et à la
tradition de l'Église ; ensuite, ils ajoutèrent à cette déclaration des
témoignages officiels que nous ne saurions mieux faire que de citer ici.
Le premier, le révérend père Alexandre Bussi, supérieur général des
Pères de l'Oratoire de Saint-Philippe de Néri, déclara qu'il lui semblait, en
lisant ces écrits, voir saint François de Sales ressuscité et l'entendre
parler, tant ils lui avaient paru remplis de douceurs et de suavités
spirituelles, ce qui lui fit dire hardiment (ce sont ses propres paroles)
« qu'ils sont comparables à ces plantes aromatiques dressées par les
maîtres parfumeurs dont il est parlé dans les [xiv]
Cantiques. J'y ai surtout reconnu (ajoute-t-il) des enseignements excellents de
prudence, de mortification, d'humilité, d'obéissance et d'observance régulière,
et, l'âme saisie d'admiration et de joie, je me suis félicité moi-même en
disant : J'ai trouvé la femme forte.
Je ne m'étonne donc pas si dans le saint Ordre qu'elle a fondé, sous la direction
de saint François de Sales, son maître, l'on voit fleurir merveilleusement
l'observance régulière et la vertu. »
De son côté, le révérend père Monsinat, procureur général et plus tard
Général de l'Ordre des Minimes, déclarait aussi qu'il avait reconnu et admiré,
dans ces écrits, les productions d'une âme divinement éclairée et conduite par
le Saint-Esprit. « Elle (sainte Chantal) satisfait si parfaitement
(dit-il) aux doutes que ses religieuses lui proposent, qu'elle semble n'avoir
rien omis de tout ce que la piété et la prudence chrétienne, ou la perfection
religieuse, pouvaient désirer, pour répandre dans leurs âmes
l'intelligence et. l'amour des Règles, Constitutions et Coutumes de son Ordre.
On y voit briller les traits les plus admirables de la prudence et de
l'humilité chrétienne, du zèle pour la maison du Seigneur et pour le salut des
âmes, du renoncement à soi-même, de la confiance en Dieu, de la pauvreté
évangélique, de la patience, de la force d'esprit et de toutes les autres
vertus ; de sorte que chacun trouve dans ses écrits, et des remèdes pour
les blessures de son âme, et des moyens pour s'affermir dans les voies de la
sainteté, accompagnés, les uns et les autres, de si doux attraits pour animer à
la piété, que plus on lit, plus on [xv]
découvre de trésors cachés, et plus on goûte de douceurs ineffables. »
Il ne se peut rien dire de plus élogieux. Ajoutons que ces témoignages
motivèrent l'approbation donnée par la Congrégation des Rites aux écrits de la
vénérable Fondatrice.
On a dû le remarquer, le P. Bussi signale l'influence profonde que
l'évêque de Genève exerça sur notre Sainte. Cette influence, que nous avons
marquée nous-même, il ne faudrait pas l'étendre au delà de ses limites réelles.
Associés pour l'établissement delà Visitation, saint François de Sales et
sainte Jeanne-Françoise furent rapprochés et unis par l'action delà grâce plus
que par la conformité de leur caractère. L'évêque de Genève, en effet, semblait
reproduire, dans une image vivante, la mansuétude et la bénignité du Sauveur,
tandis que la Mère de Chantal apparaissait comme la personnification de la femme
forte. Or, pour sa perfection propre comme pour l'intérêt des religieuses
qu'elle devait conduire, il était bon que celle-ci passât sous la discipline du
suave prélat. Dans ses rapports avec ce père si bon, si tendre, tout en
savourant le miel de sa doctrine, cette religieuse si ardente, si énergique, si
généreuse, tempéra les qualités de sa puissante nature ; elle assouplit la
fermeté de son caractère, elle apprit à connaître la mesure et le frein pour sa
propre conduite et pour celle des autres. En un mot, les ressorts de cette
grande âme, sans rien perdre de leur force, contractèrent, à l'onction de
l'huile, plus de souplesse et de flexibilité. Ici, comme toujours, la grâce
perfectionna la nature, sans l'absorber, sans la détruire.
Mais, où la personnalité de sainte Jeanne-Françoise de [xvi] Chantal se trouve à peu près
entière, c'est dans la forme de ses ouvrages ; elle s'accentue d'autant
plus vivement de ce côté, que, dans le laisser-aller des récréations, ou même
dans la gravité des allocutions réglementaires, elle n'avait pas à se
préoccuper de style. Sous ce rapport, elle ne procède nullement de saint
François de Sales ; sa manière de concevoir et de s'exprimer ne sent point
l'école salésienne. Les fleurs naissent sous la plume de l'évêque de
Genève ; ses écrits en sont émaillés. Ce prélat, d'une doctrine si riche
et si sûre, revêt la plus haute théologie de formes heureuses, qui la rendent
accessible à tous ; il exprime les pensées les plus profondes avec des
comparaisons frappantes de vérité, avec de gracieuses images qui éclairent
l'esprit en le charmant. Chez lui, tout sourit et tout brille ; tout est
large et abondant. Lorsqu'on passe de ses ouvrages à ceux de sainte Chantal, le
contraste est frappant. La religieuse s'exprime d'une manière sobre, coupée,
dépouillée d'ornements. À ce langage, nous reconnaissons un esprit grave,
pratique, avec une légère teinte d'austérité. Chez elle, l'imagination est
tenue à l'écart ; la parole est au ferme bon sens, à la grave expérience,
au zèle de la mère pour le progrès de ses filles spirituelles dans la vertu.
Les fruits abondent, mais les fleurs sont rares ; et encore celles qui
apparaissent de loin en loin, sont-elles cueillies dans les parterres de saint
François de Sales, ou dans le jardin de l'épouse du Cantique des Cantiques. Le
dépouillement intérieur de la grande religieuse se reproduit en quelque manière
dans son langage. Les beautés littéraires, les grâces de l'imagination ne
brillent pas ici d'un grand éclat ; à la place, vous [xvii] trouverez d'excellents avis, de
fortes peintures du cœur humain, les maximes mortifiantes et crucifiantes de
l'Évangile proposées avec une vigueur sans égale. Les opuscules de sainte Chantal
reflètent d'autant plus fidèlement son âme, que ces écrits sont le produit
spontané de ses idées et de ses sentiments. L'énergie de la pensée, le relief
et la pointe de l'expression, ces qualités que nous admirons en plus d'un
endroit, sont bien de la femme forte que nous connaissons. Et puis, combien de
pages où le zèle ardent et les chaleureuses exhortai ions décèlent la grande
sainte, l'éminente supérieure ? Certes, et cela soit dit à l'honneur de la
mère et de ses filles : sainte Jeanne-Françoise n'épargne pas ses
religieuses ; elle y va, à leur endroit, d'une maîtresse main. Ce n'est
pas elle qui voilera la croix, qui émoussera la pointe des épines ; ce
n'est pas elle qui adoucira les reproches au moyen de circonlocutions timides
ou de périphrases embarrassées. Qu'elle rencontre sur son chemin, dans une
maison de la Visitation, l'esprit du monde, et elle le flagellera
d'importance ; elle lui dira son fait en termes forts nets. Écoutons
plutôt : « Il n'y a rien, dit-elle, qui me soit plus
insupportable que de voir qu’une fille de la Visitation veuille être soigneuse
de son point d'honneur ; car n'est-ce pas une chose monstrueuse ?
Quoi ! mettrions-nous notre honneur dans des fadaises ? »
Un beau jour, dans l'octave de Pâques, s'adressant aux novices, elle
leur disait : « Mes Sœurs, je vous recommande soigneusement
deux choses : premièrement, il faut que vous travailliez
courageusement et fidèlement à votre perfection ; secondement, il faut
laisser faire les autres, vous laissant [xviii]
écorcher, dépouiller et plier comme on voudra... Il faut vous laisser
plier comme on plie un mouchoir. » Voilà des expressions qui se
peignent, ou mieux, qui s'enfoncent dans la mémoire de manière à n'en plus
sortir. Citons encore un passage : « O Dieu ! dit la
zélée supérieure, s'il faut demeurer encore çà-bas, que ce soit pour
y pratiquer de solides vertus. Nous marchons beaucoup trop en
enfant ; cela me fâche. Il faut que les filles de cet Institut
pratiquent les actes des vraies, héroïques et grandes vertus. Il faut rompre ou
faire... »
Cependant il s'en faut bien que la fermeté de la supérieure étouffe,
dans sainte Jeanne-Françoise, la tendresse de la mère. Dans l'occasion, elle
épanche des trésors de sollicitude sur les membres de sa famille religieuses.
Elle montre à ses filles spirituelles de quel amour suave et puissant elle les
aime dans le Seigneur, et par la compassion qu'elle ressent pour leurs peines,
et par les douces consolations qu'elle leur adresse, et par les mille moyens
dont elle s'avise pour les soulager dans l'âme et dans le corps.
Sur cet exposé et ces échantillons, on dira peut-être que l'ascétisme
de sainte Chantal ne saurait convenir à tous ; que, destiné au cloître, il
ne doit pas en sortir. Autant vaudrait dire qu'il faut renvoyer aux héros chrétiens
la lecture des Actes des Martyrs, réserver aux monastères l’Imitation
de Jésus-Christ, le Combat spirituel et même l’Évangile. Évidemment,
cette fin de non-recevoir est une inspiration de la pusillanimité humaine. Oui,
il y a toujours avantage à fréquenter meilleur que soi, à recevoir la leçon de
plus généreux et plus parfait que soi. Et puis, un abîme ne sépare pas les gens
du monde des habitants du cloître, car [xix]
enfin, les uns et les autres viennent se rencontrer sur le terrain des
commandements de Dieu et de l'Église, avec cette seule différence que les
religieux et les religieuses ajoutent aux devoirs communs à tous les chrétiens,
la pratique des conseils évangéliques. Au fait, tous, qui que nous soyons, ne
devons-nous pas nous unir à Dieu, le principe de notre être, par la foi,
l'espérance et l'amour ? Tous, ne devons-nous pas recourir à lui, par la
prière, comme à la source de tout bien ? Quel est l'homme qui soit exempt
de la milice chrétienne, qui n'ait pas à lutter contre lui-même, à vaincre ses
mauvais penchants ? Trouvez une position où l'amour du prochain, où la
douceur, la patience, l'obéissance, le travail, l'empire sur le corps et ses
mauvais instincts ; où le soin de son âme, de son salut, de sa perfection
relative, soient de nul emploi, ne trouvent aucune application ? Mais
c'est de quoi il est fort question dans ces opuscules... Cela étant, ce volume
ne regarde pas si spécialement les religieuses, qu'il ne puisse profiter
beaucoup à tout genre de lecteurs. On peut dire même qu'il n'est pas une page
d'où les personnes du monde ne puissent tirer un enseignement utile, une
salutaire influence.
Ces considérations n'ont pas été étrangères à la détermination prise
par la supérieure et les religieuses du premier monastère d'Annecy, de livrer
au public les Œuvres de leur sainte Mère. Four cette publication, elles se sont
autorisées aussi de ces paroles de saint François de Sales leur
Fondateur : « Je voudrais, dit-il dans un de ses Entretiens, que
tout le bien qui est en la Visitation fût reconnu et su d'un
chacun. » Nous n'hésitons pas à comprendre les ouvrages de sainte [xx] Chantal dans ce bien que
l'évêque de Genève désirait voir porté à la connaissance de tous.
L'abbé Migne, il est vrai, a donné une édition des Œuvres do l'illustre
Fondatrice. Mais il sera bien permis aux Filles, de cette grande Sainte, à ses
héritières directes, de se montrer difficiles à cet endroit, de ne pas se
contenter d'une édition incomplète et défectueuse à bien des égards. D'abord,
l'éditeur a eu le tort de rajeunir le style de la Sainte, de lui faire parler
le langage du dix-neuvième siècle. Ensuite, il s'est permis de mêler les
Exhortations avec les Entretiens, de morceler et de tronquer quelques-unes des
Allocutions. Ces procédés, réprouvés par les règles élémentaires de la
critique, ont introduit une confusion et un désordre auxquels les religieuses
de la Visitation avaient à cœur de remédier. Dans ce but, elles se sont
entourées des manuscrits que renferment leurs archives d'Annecy, et de ceux
qu'elles ont pu tirer d'ailleurs. Elles ont examiné les différentes copies,
elles les ont collationnées avec un soin scrupuleux ; en un mot,
elles n'ont rien négligé pour restituer à leur sainte Mère la langue qu'elle a
parlée, pour donner de ses Œuvres
diverses une édition sincère, aussi parfaite et aussi complète que
possible.
Grâce à leurs actives recherches, cette édition est enrichie de plus de
vingt Exhortations ou d'Instructions aux novices, et de cinquante Entretiens ou
de fragments d'Entretiens inédits.
Les Œuvres diverses comprennent d'abord : 1° le Petit Livret de la Sainte ; 2°
Questions de sainte Chantal à
saint François de Sales et Réponses de
ce dernier ; 3° les Papiers
intimes ; [xxi] ensuite, 4° les Exhortations ;
5° les Entretiens ; 6°
les Instructions aux
Novices ; 7° les Méditations ;
8° enfin la Déposition de la
Sainte pour la béatification et canonisation de saint François de Sales.
1° Le Petit Livret est un
recueil d'avis que sainte Chantal avait reçus de saint François de Sales,
verbalement ou par écrit. D'après les Mémoires de la Mère de Chaugy, ce résumé
fut commencé par la Sainte en 1605, aux fêtes de la Pentecôte, lors de son
premier voyage en Savoie. L'original de cet écrit n'existe plus, du moins il a
été impossible de le trouver. La reproduction insérée dans ce volume a été
faite sur une très-ancienne copie, conservée dans les archives du premier
monastère d'Annecy. L'abbé Migne a publié le Petit Livret sous le titre
de Maximes diverses. Probablement, par suite de feuillets détachés et
déplacés, les choses ont été mêlées de telle sorte, que des pages du
commencement ont été rejetées à la fin. L'ordre primitif a été rétabli.
À la suite du Petit Livret, sont placées les résolutions et
pensées, fruits de deux retraites faites par la Sainte. Ce fut dans l'une de
ces solitudes, celle de 1616, que Notre-Seigneur l'appela à la plus haute
perfection, par le détachement le plus complet.
2° Questions de sainte Chantal à
saint François de Sales et Réponses de ce dernier. La Sainte adressa ces
Questions par écrit à son céleste directeur, qui lui répondit par la
même voie. Ce dialogue sublime peut se rapporter à l'année 1616, année où,
comme nous venons de le dire, le Seigneur appela son épouse au dépouillement
parfait et au martyre d'amour. En reproduisant ces Questions et
ces [xxii] Réponses, on a
voulu faire assister le lecteur aux leçons données par le saint directeur à
cette âme d'élite.
3° Les Papiers Intimes renferment
une série de résolutions, d'élans vers Dieu, d'actes d'amour et d'abandon entre
les mains de l'Époux céleste. Ces pages, que l'on dirait tracées par un
séraphin, furent écrites par la Sainte à l'issue d'une de ses retraites,
probablement en 1616. Ces papiers, exclusivement à son usage, elle les
portait toujours sur elle ; elle voulut être enterrée avec ce témoignage
de son ardent amour pour Dieu. Inutile de dire quel intérêt s'attache à ces
feuillets que nous a rendus le tombeau de sainte Jeanne Françoise.
Ces trois opuscules jettent un grand jour dans cette âme
héroïque ; d'autre part, ils nous la montrent dans ses rapports avec saint
François de Sales, son habile maître. C'est donc à dessein qu'ils ont été
placés en tête de ce volume ; ils introduisent naturellement aux Œuvres de
cette Sainte glorieuse et bien-aimée.
Les Exhortations, les Entretiens et les Instructions aux Novices constituent la
partie la plus étendue des Œuvres de sainte Chantal ; ajoutons celle qui
lui appartient le plus en propre. Nous avons dit plus haut comment ces Exhortations
et ces Entretiens ont été recueillis ; comment il a été permis
de combler les lacunes que présentent les rédactions qui en furent
faites ; comment, au moyen de ces rédactions, diverses pour l'étendue,
mais à peu près identiques dans la reproduction des passages parallèles, on a
pu reconstituer les instructions données par la zélée Fondatrice aux premières
religieuses de la Visitation. Signalons, en passant, [xxiii] une pièce qui a été pour cela d'un grand
secours : nous voulons parler d'un manuscrit provenant de l'ancien
monastère de la Visitation de Verceil (Piémont). Ce manuscrit, beaucoup plus
correct et complet que tous ceux qui circulent aujourd'hui dans les monastères,
fut donné, paraît-il, aux Sœurs de cette ville par les fondatrices de la
Visitation de Turin, qui l'avaient apporté d'Annecy, en 1638.
4° Les Exhortations ont
été faites par la Sainte au Chapitre de la Communauté, ce qui leur donne un
caractère plus grave qu'aux Entretiens. Ces Exhortations ont été recueillies
surtout par la Mère de Chaugy, laquelle avait le talent de conserver le texte
de sa vénérée Fondatrice, sans y mêler son propre style.
5° Les Entretiens reproduisent
les conversations que la Mère de Chantal avait avec ses Sœurs, soit pendant les
récréations journalières, soit aux conférences mensuelles qui se tiennent dans
les maisons de la Visitation, à l'exemple des anciens solitaires. Ces
Entretiens sont, comme de raison, d'un langage simple et familier :
simplicité, familiarité charmantes qui respirent la candeur et l'innocence de
la colombe. De plus, ils ont l'avantage d'être éminemment pratiques, d'offrir
des détails aussi précieux qu'abondants sur les observances religieuses et les
secrets de la vie spirituelle.
6° Les Instructions aux Novices, le
titre le dit assez, étaient adressées à celles qui faisaient l'apprentissage de
la vie religieuse. La sainte Fondatrice fut chargée du noviciat pendant les dix
huit premiers mois de la Visitation. Mais, dans ces premiers commencements, on
ne songea pas à recueillir [xxiv]
ses paroles. Il y a donc bien peu de ses Instructions aux novices. Celles qui
restent proviennent des conférences qu'elle faisait plus tard, en présence de
la maîtresse des Novices, en vue surtout de former cette dernière à son emploi.
Le présent volume contient les six premiers opuscules ; les Méditations et la Déposition de la Sainte paraîtront dans
le volume suivant.
A. G.
PETIT LIVRET
DU
PETIT LIVRET
DE NOTRE BIENHEUREUSE
MÈRE JEANNE-FRANÇOISE
FRÉMYOT DE CHANTAL
OU
RECUEIL FAIT PAR ELLE
DES PRINCIPAUX AVIS
DE DIRECTION
QU'ELLE
AVAIT REÇUS DE NOTRE BIENHEUREUX PÈRE SAINT FRANÇOIS DE SALES
À l'honneur et
gloire de Dieu soient toutes nos œuvres !
Amen
1. Ce peu de temps que nous déterminons de donner à Dieu en l'oraison,
donnons-le-lui avec notre pensée libre et désoccupée de toutes autres choses,
avec résolution de ne le jamais reprendre, quels travaux qu'il nous en arrive,
et tenons un tel temps comme une chose qui n'est plus nôtre.
2. Ma chère âme, mais je te dis, ma chère âme, que tu aies une
continuelle mémoire de ces jours heureux de mardi, mercredi et samedi devant la
fête de Pentecôte, de mai (1605), jours auxquels ce bon Dieu t'a rendue toute
sienne ; grave en ta souvenance ses miséricordes et les promesses que tu
lui as faites et l'en bénis éternellement. Louanges vous soient, ô mon Dieu, à
jamais ! Non, non, mon Sauveur, jamais [2] éternellement je n'oublierai
vos volontés, car en icelles vous m'avez justifiée.
3. Quand on fait des religieuses professes, on leur met un crucifix
matériel entre leurs bras ; mais moi, ma fille, je vous donne le vrai
crucifix ; c'est votre Époux, portez-le entre les bras de votre âme ;
tenez-le bien serré et n'abandonnez point le pied de sa croix, lui donnant
votre cœur cent fois le jour. Je vous recommande de vous accuser en confession
clairement, franchement et simplement.
4. Quand il vous adviendra des pensées mauvaises et que vous vous en
apercevrez, faites un acte positif par une action contraire à la pensée, et ne
perdez plus de temps à vouloir rechercher ; mais passez outre.
5. Bon de représenter sa nécessité à Dieu et de l'invoquer au
commencement de toute action. Pensez que le doux Sauveur est assis dans votre
cœur comme sur son trône, et le regardez souvent, vous humiliant fort devant
lui. Je désire que vous soyez extrêmement humble, que votre cœur soit fort
droit, ouvert et sans réserve en mon endroit ; c'est ici le grand
commandement, car de là dépend tout le reste.
6. Gardez bien la clôture de votre monastère, ne laissez point sortir
vos desseins, cela n'est qu'une distraction de cœur. Observez bien votre
règle : l'humilité, le mépris du monde et de vous-même, la chasteté,
l'obéissance et la charité. Au demeurant, demeurez en paix avec votre Époux
bien serré entre vos bras.
7. Encore que je me sente misérable, je ne m'en trouble pas, et
quelquefois je suis joyeux, pensant que je suis une vraie besogne de la
miséricorde de Dieu.
8. Dieu veut que votre misère soit le trône de sa [3] miséricorde, et
vos impuissances le siège de sa toute-puissance. Il vous laisse là, sans doute
pour sa gloire et votre grand profit. Qu'il me tue, dit Job, j'espérerai
en lui. Demeurez humble, tranquille, douce et confiante parmi cette
obscurité et impuissance ; si vous ne vous impatientez point, si vous ne
vous empressez point, mais que, de bon cœur (je ne dis pas gaiement, mais je
dis franchement), vous embrassiez cette croix et demeuriez en ténèbres, vous
aimerez votre abjection ; car être obscure et impuissante n'est autre
qu'être abjecte. Aimez-vous comme cela, pour l'amour de celui qui vous veut
comme cela. Allez tout simplement à l'abri de vos résolutions, retranchez les
réflexions d'esprit que vous faites sur votre mal comme des cruelles
tentations. N'essayez point de guérir votre mal.
9. C'est aussi un entortillement d'esprit, ce tintamarre qui vous fait
peur. Mon Dieu ! ma fille, ne vous sauriez-vous prosterner devant Dieu
quand cela vous arrive et lui dire tout simplement : « Oui, Seigneur,
vous le voulez et je le veux aussi ; si vous ne le voulez pas, je ne le
veux pas ? » Et puis, passez à faire un peu d'exercices et d'actions
qui vous servent de divertissement, et ne vous embarrassez point pour les
chasser, moquez-vous de tout cela.
10. Parlons d'une règle générale que je vous veux donner ; c'est
qu'en tout ce que je vous dirai, ne pensez pas, ne regardez pas ceci,
cela ; tout cela s'entend grosso modo ; car je ne veux point
que vous contraigniez votre esprit à rien, sinon à bien servir Dieu et à le
bien aimer, à ne point abandonner nos résolutions, ains à les aimer. Pour moi,
j'aime tant les miennes que, quoi que je voie, ne me semble suffisant ;
cela ne me saurait ôter une once de la bonne estime que j'en ai, encore que
j'en considère tant d'autres plus excellentes et relevées.
11. Quand le patriarche Joseph renvoya ses frères d'Égypte [4] pour lui
amener son père Jacob, il leur bailla cet avis : Ne vous courroucez
point en chemin. Je vous en dis de même : cette misérable vie n'est
qu'un acheminement à la bienheureuse ; ne nous courrouçons point en
chemin ; allons avec nos compagnons doucement et paisiblement. Ne recevez
pas les prétextes que l'amour-propre suggère pour excuser le courroux ;
car saint Jacques dit tout clair que l’ire de l'homme n'opère point la
justice de Dieu ; combien moins celle de la femme ! Aussi,
Notre-Seigneur enferme toute la doctrine des mœurs exprimée en ces mots : Apprenez
de moi que je suis débonnaire et humble de cœur ; bref, le sucre ne
gâte nulle sauce. Il faut résister au mal, et réprimer les vices de ceux qui
nous sont en charge, puissamment, fermement, vaillamment, mais paisiblement et
doucement. Rien n'arrête tant l'éléphant que l'agneau, et rien ne rompt si
aisément la furie du canon que la laine. Jamais je ne me mis en colère, pour
justement que cela ait été, que je n'aie vu, par après, que j'eusse fait encore
plus justement de ne me point courroucer. On ne prise pas tant la répréhension,
quoiqu'elle soit accompagnée de raison, que celle qui n'a d'autre origine que
la raison, puisque l'âme raisonnable est naturellement sujette à la raison, et,
à la passion, elle n'y est sujette que par tyrannie. La raison donc accompagnée
de passion se rend odieuse, et sa juste domination se rend avilie par sa
tyrannie. Bref, souvent l'Épouse de Notre-Seigneur est appelée Sulamite, c'est-à-dire
paisible, et que, dessous sa langue, elle a le miel et le lait, et, en ses
lèvres, un rayon distillant ; aussi saint Paul nous apprend de surmonter
le mal et non de le combattre. Ceux qui se courroucent combattent le
mal ; mais ceux qui sont doux le vainquent. Surmontez, dit
l'Apôtre, le mal par le bien.
12. Ressouvenez-vous de faire état que tout le passé n'est rien, et que
tous les jours il nous faut dire avec David : Tout maintenant, je
commence à bien aimer mon Dieu. Faites [5] beaucoup pour Dieu, et ne faites
rien sans amour ; mangez et buvez pour cela.
13. Le désir de perfection doit être en vous comme l'oranger de la côte
maritime, qui est presque toute l'année chargé de fruits, de fleurs et de
feuilles, car votre désir doit toujours fructifier par les occasions qui se
présentent d'en effectuer chaque jour quelque partie, et, néanmoins, il ne doit
jamais cesser de souhaiter des nouveaux objets et sujets de passer plus avant,
et ces souhaits sont les fruits de l'arbre de notre désir ; les feuilles
sont les fréquentes reconnaissances de notre imbécillité, qui conservent les
bonnes œuvres et les bons désirs. C'est l'une des colonnes de votre tabernacle,
l'autre est l'amour de votre viduité ; amour saint et désirable pour
autant de raisons qu'il y a d'étoiles au ciel.
14. Jetez souvent votre cœur ès plaies de Notre-Seigneur, et non à
force de bras. Ayez une extrême confiance en sa miséricorde et bonté qui ne
vous abandonnera point, mais ne laissez pour cela de vous bien prendre à sa
sainte croix. Après l'amour de Notre-Seigneur, je vous recommande celui de son
Église. Louez Dieu cent fois le jour d'être fille de son Église. Jetez vos yeux
sur l'Époux et sur l'Épouse ; dites à l'Époux : « Hé ! que
vous êtes Époux d'une belle Épouse ! » Et à l'Épouse :
« Hé ! que vous êtes Épouse d'un divin Époux ! »
15. Notre-Seigneur désire que vous ne pensiez ni à votre avancement, ni
à votre amendement, point du tout ; mais à recevoir et employer les
occasions de le servir, par la pratique des vertus, dans chaque moment, sans
aucune réflexion sur le passé ni l'avenir. Chaque moment présent doit porter
son soin à l'unique occupation, dans les retours à Dieu, et un général
abandonnement qui détruise tout ce qui s'oppose à ses desseins. [6]
16. Les vertus des veuves sont : l'humilité, le mépris du monde et
de soi-même, la simplicité et amour de son abjection, le service des pauvres et
des malades ; son lieu, le pied de la croix ; sa gloire, d'être
méprisée ; sa couronne doit être sa misère. Je ne forclos pas l'élévation
de l’âme, l'oraison mentale, la conversation intérieure avec Dieu, l'élancement
perpétuel du cœur en Notre-Seigneur. Mais, savez-vous ce que je veux dire, ma
fille ? qu'il vous faut être comme cette femme forte, laquelle a mis sa
main aux choses fortes, et ses doigts ont manié le fuseau. Méditez, et élevez
votre esprit, et le portez en Dieu. Tirez Dieu en votre esprit : voilà les
choses fortes ; mais, avec tout cela, n'oubliez pas votre quenouille et
votre fuseau. Filez le fil des petites vertus propres aux veuves ;
abaissez-vous aux exercices de charité. Qui dit autrement se trompe et est
trompé.
17. Laissez-moi le soin de vos désirs ; je vous les garderai fort
soigneusement. N'en ayez nul souci : peut-être aussi ne vous les
rendrai-je jamais, et ne sera pas expédient que je vous les rende ; mais
assurez-vous que je ne les emploierai pas mal ; j'en dois rendre compte et
je m'en charge. Cheminez toujours devant Dieu et devant vous ; car Dieu
prend plaisir à vous voir faire vos petits pas, et, comme un bon père qui tient
son enfant par la main, il accommodera ses pas aux vôtres et se contentera de
n'aller pas plus vite que vous. De quoi vous souciez-vous d'aller d'un côté ou
d'autre, ou d'aller bellement ou vilement, pourvu que Dieu soit avec vous, et
vous avec lui ?
18. Ne disputez jamais, ni peu ni prou, contre les suggestions que
l'ennemi vous fera contre la foi, contre la chasteté viduale, contre
l'obéissance vouée, contre le dessein de tendre à la perfection. Non, pas un
seul mot de réplique, sinon celui de Notre-Seigneur : Arrière de moi,
satan ! tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu. [7]
19. Ne vous efforcez point de renvoyer vos tentations ;
méprisez-les, ne vous y amusez point ; représentez à votre imagination
Jésus crucifié entre vos bras et sur votre poitrine, et dites cent fois en
baisant son côté : « C'est ici mon espérance, c'est la vive source
de mon bonheur, c'est le cœur de mon âme, c'est l'âme de mon cœur ; jamais
rien ne me séparera de cet amour ; je le tiens et ne le laisserai point
aller qu'il ne m'ait mise en lieu d'assurance. » Dites-lui
souvent : « Que puis-je avoir sur la terre ou que prétends-je au
ciel, sinon vous, ô mon Jésus ? Vous êtes le Dieu de mon cœur et mon
héritage que je désire éternellement. » Voyez Notre-Seigneur qui crie
à Abraham et à vous aussi : Ne crains point, je suis ton protecteur. Saint
Pierre voyant l'orage très-impétueux eut peur, et tout aussitôt il commença à
enfoncer ; il cria à Notre-Seigneur : Sauvez-moi ! Et
Notre-Seigneur le prit par la main et le reprit : Pourquoi as-tu
douté ? Voyez ce saint Apôtre, il marche à pieds secs sur les
eaux ; les vents ni les vagues ne le sauraient faire enfoncer, mais la
peur des vagues et des vents le fait perdre si son maître ne l'échappe.
20. La peur est un plus grand mal que le mal même ; si elle vous
saisit, criez fort à Notre-Seigneur : Sauvez-moi ! et il vous
tendra la main ; serrez-la bien et allez joyeusement : il dormira
quelquefois ; mais, en temps et lieu, il se réveillera pour vous rendre le
calme. Bref, ne philosophez point sur votre mal ; ne répliquez
point ; allez franchement : que tout le monde renverse, que tout soit
en ténèbres, Dieu est avec nous si nos résolutions vivent.
21. Je suis consolé de vous voir pleine de désirs de
l'obéissance ; c'est un désir d'un prix incomparable qui vous appuiera sur
tous vos ennemis. Hélas ! ma très-aimée fille, ne regardez pas à qui, mais
pour qui vous obéissez ; votre vœu est adressé à Dieu, quoiqu'il regarde
un homme. Mon Dieu ! ne craignez [8]
point que la Providence de Dieu
vous manque ; s'il était besoin, elle enverrait plutôt un ange pour vous
conduire que de vous laisser sans guide, puisque, avec tant de résolutions et
de courage, vous voulez obéir. Hé ! donc, ma fille, reposez-vous en cette
Providence paternelle, résignez-vous du tout à icelle. Amen.
22. Non, ne vous étonnez point, moquez-vous des assauts de votre
ennemi, tenez la croix de Notre-Seigneur sur votre poitrine, répliquez
doucement et par actes positifs baisant vos résolutions. Ne vous efforcez point
de détruire la superbe, mais tâchez bien d'assurer l'humilité en l'exerçant
positivement, et ne vous étonnez point, tenez vos yeux au ciel. Oui, ma fille,
attachez-vous fort à la Providence divine ; qu'elle fasse ce qu'elle
voudra de tout ce qui est nôtre ; qu'elle nous conduise par où il lui
semblera mieux ; mais, j'espère, ains je m'assure que nous aboutirons à ce
signe et arriverons à ce port. Vive Dieu ! ma très-chère fille, et cette
espérance ! Hardiment, cheminons en cet amour essentiel, fort et
invariable de notre Dieu, et laissons courir çà et là les fantômes des tentations ;
qu'elles entrecoupent tant qu'elles voudront notre chemin. « Dà, disait
saint Antoine, je vous vois, mais je ne vous regarde pas. Non, ma fille,
regardons à Notre-Seigneur, qui nous attend au-dessus de toutes ces fanfares de
l'ennemi ; réclamons son secours, car c'est pour cela qu'il permet que ces
illusions nous fassent peur. Courage, ma fille ; n'avons-nous pas occasion
de croire que Notre-Seigneur nous aime ? Si avons, certes, et pourquoi
donc se mettre en peine des tentations ? Je vous recommande notre
simplicité, qui est si agréable à l'Époux, et notre pauvre humilité, qui a tant
de pouvoir vers lui. Ne sommes-nous pas trop heureux, de savoir qu'il faut
aimer Dieu, et que tout notre bien gît à le servir, toute notre gloire à
l'honorer ? Que sa bonté est grande sur nous ! [9]
23. Contre ces nouveaux assauts, tenez-vous close et couverte dans les
instructions que vous avez reçues jusqu'à présent, vous n'avez rien à
craindre ; prenez garde à ne point disputer ni marchander, ni ne vous
attristez point, ni ne vous inquiétez, et vous serez délivrée. Il vous doit
suffire que Dieu n'est point offensé en ces attaques.
24. Approfondissez de plus en plus votre considération sur les plaies
de Notre-Seigneur, où vous trouverez un abîme de raisons qui vous confirmeront
à notre généreuse entreprise, et vous feront sentir combien vil et vain est le
cœur qui fait ailleurs sa demeure, qui niche sur un autre arbre que celui de la
croix. Bienheureux si nous vivons et mourons en ce saint tabernacle ! Non,
non, rien du monde n'est digne de notre amour ; il le faut tout à ce
Sauveur qui nous a tout donné le sien. Pressez fort le cher crucifix sur votre
poitrine.
25. L'oraison de simple remise en Dieu est sainte et salutaire, il n'en
faut jamais douter ; elle a tant été examinée, et toujours on a trouvé que
Notre-Seigneur nous voulait enseigner cette manière de prier. Il n'y faut donc
plus autre chose que d'y continuer doucement.
26. Mon âme est au hasard en mes mains, je la porte, disait
David. Examinez souvent si vous avez votre âme en vos mains, si quelques
passions, troublements ou inquiétudes ne vous l'a point emportée, voire, si
vous l'avez à votre commandement, ou bien, si elle est engagée à quelque
affection ; et, si vous voyez qu'elle vous soit échappée, avant toutes
choses, cherchez et la reprenez ; mais souvenez-vous qu'il la faut
reprendre doucement et bellement, car, si vous la vouliez saisir à force de
bras, vous l'effaroucheriez. Dieu soit notre tout !
27. Considérez souvent si vous pouvez dire avec vérité : Mon
Bien-aimé est à moi et moi à lui ! Voyez s'il y a quelques [10] pièces de
votre âme, ou des facultés de votre corps, ou de ses sens qui ne soient pas à
Dieu, et, l'ayant trouvé, reprenez-le, où qu'il soit, et le rendez à
Dieu ; car vous êtes à lui, toute, toute, toute.
28. Ressouvenez-vous que votre esprit connaissant et agissant par
discours et raisons naturelles, il s'appelle entendement et intelligence, ou
esprit humain ; mais, connaissant et agissant par la clarté et la lumière
de la foi, il s'appelle esprit de la foi ou esprit chrétien. Or, ma fille, il
arrive quelquefois que notre esprit n'agit que parla clarté surnaturelle, et
que l'esprit humain ne peut acquiescer à cette action, et beaucoup moins l'âme
sensuelle, laquelle y contredit et s'oppose ; et lors il nous semble que
tout est perdu ; et, l'esprit pieux, abandonné de toutes les facultés
raisonnables et sensitives, demeure tout éperdu, ce semble, et tout
étonné ; mais, en vérité, il n'y a nul danger ; car l'esprit de la
foi demeurant vif, sauve, quant et quant, tout le reste ; et, quand tout
le reste conspirerait contre nous, nous ne saurions déchoir de la grâce de
Dieu. Il est vrai qu'Absalon inquiète et trouble tout le royaume d'Israël
contre son père, en sorte que le pauvre David, tout roi qu'il est, s'en va
pleurant pieds nus, la tète voilée, chacun l'ayant abandonné ; et
cependant il est roi, pourtant, et enfin il régnera et rangera tout le reste à
son obéissance. Quand donc il vous arrivera de voir votre âme sensuelle et
votre esprit humain se bander contre votre esprit chrétien, le troubler et
inquiéter, et faire soulever les facultés de votre cœur, courage, ma fille, un
peu de patience, notre David demeurera vainqueur. Que toute la barque de notre
navire tire où elle voudra l'aiguille marine, mais cela n'empêchera pourtant
qu'elle ne fasse son mouvement et qu'elle n'ait sa visée à la belle étoile.
Cette déréliction ressemble à celle que Notre-Seigneur ressentit à sa Passion,
et en icelle il semble que notre âme soit comme le prophète, quand l'ange le
portait en l'air par l'un [11] de ses cheveux. Nul remède à cela, ma fille,
sinon de s'humilier et attendre en espérance la grâce de Dieu, recommandant
doucement notre esprit entre ses mains paternelles.
29. Aux tentations de la foi, humiliez-vous profondément devant Dieu,
puis devant son Église, par une inclination cordiale, et faites un acte positif
de foi, protestant de vouloir à jamais croire tout ce que Dieu a révélé à son
Église ; et, sans plus disputer ni examiner aucune chose, divertissez
votre cœur à d'autres occupations, principalement extérieures ; et, bien
que la tentation vienne autour de vous, ne faites aucun semblant de la
voir ; mais, dissimulant cette attaque, appliquez-vous fidèlement et
ardemment aux autres exercices.
30. Aux tentations de vanité et gloire, il faut faire de même, c'est à
savoir faire un acte positif et contraire, et, au lieu de se glorifier,
s'humilier de sa propre vanité, comme disant : Seigneur, je suis vain et
mon esprit n'est que vanité. Ne vous rendez plus si pointilleuse et tendre aux
tentations, que pour cela vous soyez troublée ou inquiétée. Hélas ! ma
fille, il se faut presque résoudre à toujours sentir les tentations et n'y
point consentir. Quand vous les sentirez, penchez doucement votre cœur de l'autre
côté, et ne vous étonnez point, bien que vos sens et votre esprit humain
semblent tenir le parti de la tentation. Ne vous étonnez nullement, pourvu que
l'esprit de la foi et le mouvement intime de votre cœur se tournent toujours à
votre belle étoile.
31. Étonnez-vous encore moins des assoupissements et distractions qui
proviennent en icelui, car ce sont accidents naturels ; et, comme au grand
monde, le ciel n'est pas toujours serein et découvert, mais souvent l'air se
couvre par des nuages et des brouillards ; ainsi au petit monde, qui est
l'homme, l’esprit n'est pas toujours gai et clair, mais se couvre [12]
quelquefois d'assoupissement qui trouble sa clarté et empêche sa gaieté.
32. O mon âme ! c'est le grand mot de notre repos, de prévoir
souvent l'empirement de nos affaires et travaux et nous y disposer ; et,
quand les accidents nous arrivent, user de la domination que notre volonté
supérieure a sur l'inférieure, car on ne peut empêcher que cette partie
inférieure ne gronde ; mais il la faut laisser faire, et mettre la
supérieure en son être, acceptant de bon cœur ce que Dieu veut ou permet nous
arriver.
33. Mon âme est triste ; mais, ô Seigneur ! n'ayez point
égard aux inclinations ou rébellions de cette partie inférieure, ne laissez
pas, de grâce, d'exercer votre volonté sur moi, qui suis trop heureuse de quoi
vous me visitez et me voulez dépouiller de moi-même, pour me revêtir de
vous-même.
34. Je ne veux ni cette vertu ni l'autre, je ne veux que l'amour de mon
Dieu et le désir de son amour, l'accomplissement de sa volonté en moi.
Hélas ! je ne veux faire ni répliques ni réfléchissements. Dieu m'a donné
un grand amour aux maximes de l'Évangile, et crois que c'est ensuite de la
connaissance qu'il me donne de leurs beautés et excellences.
35. J'ai fort prié Dieu qu'il vous fit sentir comme il faut bien
résigner tout votre soin, toute votre agilité et souplesse d'esprit, toutes ces
petites pointes de votre entendement qui veulent tout ménager, voir et prévoir,
le tout entre les mains de sa bonté souveraine et paternelle. Ne permettez
point que votre cœur s'inquiète ; faites-le reposer doucement sur les bras
du Sauveur.
36. Seigneur, mâchez-moi, digérez-moi, anéantissez-moi en vous. Je ne
veux rien que Dieu, me reposant en lui, toute, [13] m'affermissant de plus en
plus à le servir par une totale dépendance de sa divine Providence, et toujours
plus fermement ancrée et assurée en la foi de sa véritable parole, et toute
délaissée à sa merci et à son soin. O bonté éternelle ! ô bonté
paternelle ! mon cœur se range à vous. Oui, mon Dieu, vous le savez, que
je ne vois rien en moi sur quoi je me veuille et puisse appuyer, et que les
espérances que vous me donnez de mon salut éternel sont fermement ancrées aux
mérites de votre sainte Passion, et sur votre incompréhensible bonté et
douceur. Amen.
37. Non, je vous prie, ma fille, ne violentez point votre tête,
demeurez tranquille en votre oraison, et, quand les distractions vous
arriveront, détournez-vous-en tout bellement, si vous pouvez ; sinon,
tenez la meilleure contenance que vous pourrez et laissant les mouches vous
importuner tant qu'elles voudront pendant que vous parlerez à votre Roi ;
il ne prend pas garde à cela. Vous pouvez les effaroucher avec un mouvement
simple et tranquille, mais non pas avec un effroi et impatience qui vous
fassent perdre contenance.
38. O Dieu ! si ma pauvreté et misère vous sont agréables,
accroissez-en le nombre et la durée. Il ne faut point craindre ; et ne me
dites pas qu'il vous semble que vous le dites avec lâcheté, sans force ni courage,
mais comme par violence. O Dieu ! mais donc la voilà la sainte violence
qui ravit les cieux ! Voyez-vous, ma fille, mon âme, c'est signe que tout
est pris, puisque l'ennemi a tout gagné en notre forteresse, hormis le donjon
imprenable, et qui ne se peut perdre que par soi-même. C'est enfin cette
volonté libre et toute nue devant Dieu qui réside en la supérieure et plus
spirituelle partie de l'âme, de ne penser qu'à son Dieu et à soi-même, et,
quand toutes les autres facultés sont perdues et assujetties à l'ennemi, elle
seule demeure maîtresse de soi-même pour ne consentir point. Or, [14]
voyez-vous une âme affligée : parce que l'ennemi, occupant toutes les
autres facultés, fait là-dedans un tintamarre et fracas extrême, à peine
peut-elle ouïr ce qui se dit et fait en la partie supérieure, laquelle a bien
la voix plus claire et plus vive que la partie inférieure ; mais celle-ci
l'a si âpre, si grosse et si forte qu'elle ôte l'éclat de l'autre. Enfin notez
ceci : tandis que la tentation nous déplaît, il n'y a rien à
craindre ; car pourquoi nous déplaît-elle, sinon parce que nous ne la
voulons pas ? Au demeurant, ces tentations importunes viennent de la
malice du diable ; mais la peine et souffrance viennent de la miséricorde
de Dieu, qui, contre la volonté de son ennemi, tire de la malice d'icelui la
sainte tribulation par laquelle il affine l'or qu'il veut mettre en ses
trésors. Je vous dis donc ainsi : Vos tentations sont du diable et de
l'enfer, mais vos peines et afflictions sont de Dieu et du paradis ; les
mères sont de Babylone, mais les enfants sont de Jérusalem. Méprisez les
tentations et embrassez les afflictions.
Je vous adore, mon Seigneur Jésus-Christ, et vous remercie de m'avoir
enseigné ceci ; faites-moi la grâce d'en tirer le profit que vous voulez.
O Mère des enfants de Dieu ! jamais je ne me séparerai de vous ; je
veux mourir en votre giron.
39. Pour toutes les choses qui vous arriveront, n'allez point chercher
les causes, il suffit que Dieu les sait ; mais simplement humiliez-vous
devant Dieu, supportant avec douceur la contradiction sans réflexion. Au temps
des sécheresses, humiliez-vous, et au temps des sentiments et vues de vos
misères, jetez-vous au plus intime des entrailles de la miséricorde de
Dieu ; mortifiez-vous en ces petites saillies contre les imperfections du
prochain, avec l'esprit de douceur.
40. Cet amour simple de confiance et cet endormissement amoureux de
votre esprit entre les bras de ce Sauveur [15] comprennent excellemment tout ce
que vous allez cherchant çà et là pour votre goût.
41. Demeurez en la tranquille résignation et remise de vous-même entre
les mains de Notre-Seigneur, sans jamais cesser de coopérer soigneusement à sa
sainte grâce par l'exercice des vertus et occasions qui se présentent. Demeurez
en cette simple et pure confiance filiale, sans vous remuer nullement aux pieds
de Notre-Seigneur pour faire des actions sensibles, ni de l'entendement, ni de
la volonté. Non, n'ayez donc point de soin de vous-même, non plus qu'un
voyageur qui s'embarque de bonne foi sur un navire, qui ne prend garde qu'à se
tenir et vivre dans icelui, laissant le soin de prendre les vents et tendre les
voiles et faire voguer, au pilote, sous la conduite duquel il s'est remis.
42. C'est une vraie insensibilité qui vous prive de la jouissance de
toutes les vertus que vous avez pourtant en fort bon état ; mais vous n'en
jouissez pas, ains êtes comme un enfant qui a un tuteur qui le prive du
maniement de tous ses biens, en sorte que, tout étant à lui vraiment, il ne
manie rien ; il semble qu'il ne possède ni n'a rien que sa vie, et, comme
dit saint Paul, maître de tout, il n'est en rien différent du
serviteur ; et en cela, ma fille, Dieu ne veut pas que le maniement de
votre foi, de votre espérance et votre charité soit à vous, ni que vous en jouissiez,
sinon justement pour vivre et pour vous servir aux occasions de la pure
nécessité. Hélas ! ma fille, que vous êtes heureuse d'être ainsi sevrée et
tenue de court par ce céleste tuteur, et, ce que nous devons faire, n'est que
ce que nous faisons, qui est d'adorer l'aimable Providence de Dieu, et puis
nous jeter entre ses bras et dans son giron.
43. C'est le haut point de la perfection de se contenter des actes
secs, nus et insensibles, exercés par la seule volonté supérieure, comme ce
serait le haut point de l'abstinence de se [16] contenter de manger sans aucun
goût, mais avec dégoût et contre-cœur. Il faut protester à Notre-Seigneur que
nous voulons vivre de sa mort, et manger comme si nous étions morts, sans goût,
sentiment ni connaissance. Enfin le Sauveur veut que nous le servions si
parfaitement, que rien ne nous reste pour nous abandonner entièrement à la
merci de sa Providence. Que nous sommes heureux d'être esclaves de ce grand
Dieu ! et il lui faut laisser plein pouvoir de nous mener là où il voudra,
et il faut dire avec Isaïe : Envoyez-moi où il vous plaira, Seigneur,
et je suis bien assurée que, quelque part que je sois, vous m'aiderez à
exécuter vos commandements.
44. La vraie et sainte science, c'est de laisser faire et défaire à
Dieu, en soi et en toutes choses, ce qu'il lui plaira, sans avoir d'autres
vouloirs ni élections, révérant d'un profond silence ce que l'entendement de la
faiblesse humaine ne peut comprendre, car ses desseins peuvent être cachés,
mais ils sont toujours justes. Le trésor des âmes nettes ne consiste pas à
avoir des biens et faveurs de Dieu, ains à le rendre content ; ne voulant
ni plus ni moins que ce qu'il donne.
45. Pensez que vous êtes un petit saint Jean qui doit dormir sur la
poitrine de Notre-Seigneur et reposer entre les bras de sa divine Providence.
Nous n'avons point d'autres intentions ou intérêts que la gloire de Dieu ;
car si nous en avions, nous les retrancherions tout aussitôt. Enfin comme un
autre saint Jean, demeurez toute remise et abandonnée entre les bras de
Notre-Seigneur, par la remise de tout votre être à son bon plaisir et sainte
Providence. O Dieu ! quel bonheur d'être ainsi entre les bras et mamelles
de celui duquel l'Épouse sacrée disait : « Vos tétins sont
incomparablement meilleurs que le vin. » Demeurez donc ainsi,
très-chère sœur, comme un petit saint Jean, et tandis que les autres mangent
diverses sortes de viandes en la [17] table du Sauveur, reposez et penchez par
une toute simple confiance votre tête, votre amour et votre esprit sur la
poitrine amoureuse du cher Sauveur ; car il est mieux de dormir sur sacré
oreiller, que de veiller en toute autre posture.
Hélas ! sentant mon âme atteinte
De mille poignantes douleurs,
Je poussais jusqu'au ciel ma plainte,
Et j'ouvrais la porte à mes pleurs.
Je dis au fort de ma tristesse :
Seigneur, descends à mon secours,
Car tu es ma seule allégresse,
Mon Dieu, ma force et mon secours.
Fais, ô mon Dieu, par ta clémence,
Que rien ne vive plus en moi,
Sinon toi, ma douce espérance,
Ton amour, ta crainte et ta loi !
Car si telle est ton ordonnance,
Que je souffre mille tourments,
Je ne veux point d'autre allégeance,
Pour adoucir mes sentiments.
Non, je n'en puis avoir envie,
Quand bien j'en aurais le pouvoir.
Je ne saurais aimer ma vie
Que pour accomplir ton vouloir.
Le vouloir divin que j'adore
D'un sentiment
tout amoureux,
Auquel je dédie
encore
Mon cœur, mon
esprit et mes vœux. [18]
Sainte Mère de Dieu, donnez la hardiesse
Aux accords de
mon luth, aux accents de ma voix,
De vous chanter
un air en divine liesse,
Et de vous
saluer pour la première fois.
Mon luth se reconnaît et confesse coupable,
Et, voulant vous payer ce qu'il sait vous devoir,
Vous en fait de bon cœur cette amende honorable ;
Vous plaise de bon cœur au ciel la recevoir !
Toute chose, à bon droit, Dieu même vous honore,
Vous reconnaît pour Mère, et met entre vos mains
Les trésors de sa grâce, et sa puissance encore,
Pour disposer de tout au salut des humains.
A côté de son trône, et Reine et Mère assise,
Vous recevez les vœux qui lui sont adressés ;
Vous en faites rapport, et par votre entremise,
Faites qu'il les accepte et renvoie exaucés.
(pendant la retraite de 1616.)
46. Notre-Seigneur vous aime, ma chère Mère, il vous veut toute
sienne ; n'ayez plus d'autres bras pour vous porter que les siens, ni
d'autre sein pour vous reposer que le sien et sa Providence ; n'étendez
votre vue ailleurs et n'arrêtez votre esprit qu'en lui. Tenez votre volonté si
simplement unie que rien ne soit entre deux ; oubliez tout le reste, ne
vous y amusant plus, et ne pensez à chose quelconque, puisque vous lui avez
tout [19] remis. Revêtez-vous de Notre-Seigneur crucifié ; aimez-le en ses
souffrances et faites des aspirations là-dessus. Ce qu'il faut que vous fassiez
ne le faites pas par votre inclination, mais parce que c'est la volonté de
Dieu.
47. Vivez toute à Dieu en la très-sainte nudité de toute chose, surtout
de vous-même. Jésus vous tienne saintement esclave de sa sainte croix, nue de tout
ce qui n'est pas lui-même ; que s'il vous donne des sentiments et
consolations de sa présence, c'est afin que sa présence ne tienne plus votre
cœur, mais lui et son bon plaisir.
48. Prosterné, ce me semble, en quelque petit recoin du mont de
Calvaire où Notre-Seigneur me voit, je vous écris ces lignes, ma très-chère
Mère, pour votre soulagement, comme un abrégé des résolutions plus convenables
à votre avancement devant Dieu.
49. Je répète ce que si souvent je vous ai dit, que, non-seulement en
l'oraison, mais en la conduite de votre vie, vous devez marcher en l'esprit
d'une très-parfaite et très-simple confiance en Dieu, entièrement remise et
abandonnée à son bon plaisir comme un enfant innocent qui se laisse aller a la
conduite et direction de sa mère. Secondement, et pour bien marcher ainsi à la
merci de l'amour et du soin de ce cher souverainement aimable Père, tenez
suavement et paisiblement votre âme ferme, sans permettre qu'elle se divertisse
à se retourner sur elle-même, ni à vouloir voir ce qu'elle fait, ou si elle est
satisfaite ; car, ma chère Mère, nos satisfactions ne sont point aimables
devant les yeux de Dieu, ains seulement elles agréent à notre propre amour. Le
Sauveur de notre âme inculque si souvent la simplicité des petits enfants, que nous
la devons aimer très-particulièrement. Or, ces petits enfants innocents aiment
leurs mères qui les portent avec une extrême [20] simplicité- ils ne regardent
nullement ce qu'elles font, ni ne font point de retour sur eux-mêmes ni sur
leurs satisfactions ; ils les prennent sans les regarder. Ils tètent avec
avidité, et ne regardent point si ce lait est meilleur une fois que
l'autre ; car, tandis qu'il y en a, ils le prennent tout de bon sans autre
curiosité : en cela donc nous devons ressembler aux petits enfants.
50. Comme encore en cette douce oisiveté, par laquelle ils ne se
soucient point d'aller, ains aiment mieux être portés, et quand ils commencent
à vouloir aller, ils commencent aussi à souvent tomber et trébucher ès choses
qu'ils rencontrent ; bienheureux sont ceux qui ne veulent pas toujours
faire, voir, considérer, discourir. Ma très-chère fille, il faut accoiser notre
activité d'esprit, puisque nous voyons manifestement que Dieu nous appelle à
cette unique très-simple attention de confiance. De cette activité d'esprit, et
du soin que notre amour nous suggère d'avoir de notre cœur et de ce qu'il fait,
provient l'inquiétude de notre cœur, lorsque nous apercevons soit de loin, soit
de près, quelques tentations ou de la foi ou de quelques autres vertus que nous
chérissons fort, ou même quand nous craignons de perdre la douceur et
consolation ; c'est pourquoi il faut simplifier notre esprit, et ayant
abandonné et quitté tout ce qui déplaît à Dieu, demeurer en paix dans notre
barque, c'est-à-dire faire en paix les exercices de notre vocation. Et ne nous
empressons point de notre avancement ; car, comme ceux qui sont à une
barque, où il y a bon vent, sans remuer tirent au port, aussi ceux qui sont à
une vocation bonne, sans s'embesogner de leur profit, profitent et s'avancent
perpétuellement. Que s'ils n'ont pas la satisfaction de voir leurs progrès, ils
ne doivent pas pour cela s'alangourir, car ils sont certains qu'ils ne laissent
pas de s'avancer. [21]
51. Je veux bien que vous continuiez l'exercice du dépouillement de
vous-même, vous laissant à Notre-Seigneur et à moi. Mais, ma très-chère Mère,
entrejetez quelques actes de votre part, par manière d'oraison jaculatoire, en
approbation des dépouillements, comme, par exemple : « Je le veux,
Seigneur, tirez hardiment tout ce qui revêt mon cœur. O Seigneur ! non, je
n'excepte rien, arrachez moi à moi-même ! O moi-même ! je te quitte
pour jamais, jusqu'à ce que mon Seigneur me commande de te reprendre ! »
Cela doit être fait doucement, mais fortement entrejeté. Encore ne faut-il pas,
ma très-chère Mère, s'il vous plaît, prendre aucune nourrice ; mais, comme
vous le voyez, il faut quitter celle que néanmoins vous avez, et demeurer comme
une pauvre chétive créature devant le trône de la miséricorde de Dieu, et
demeurer toute nue sans demander jamais ni affection ni action quelconque pour
la créature, et néanmoins demeurez indifférente pour toutes celles qu'il lui
plaira vous envoyer, sans vous amuser à considérer que ce sera moi qui vous
servirai de nourrice à votre gré, car autrement vous ne sortiriez donc pas de
vous-même, et auriez toujours votre compte, qui est néanmoins ce qu'il faut
fuir sur toutes choses. Ces renoncements sont admirables : sa propre
estime, ce que l'on était selon le monde, qui n'était en vérité rien, sinon en
comparaison des misérables ; sa propre volonté, sa complaisance en toutes
créatures et en l'amour naturel, et, en somme, en tout soi-même, qu'il faut
ensevelir dans un éternel abandonnement, pour ne le voir ni savoir comme nous
l'avons eu ou su, ains seulement comme Dieu l'ordonnera. Écrivez-moi comme vous
trouverez cette leçon bonne ; il faut répéter cet exercice tous les ans,
mais doucement et sans effort, [22]
le confirmant simplement. O Dieu ! que de consolations à mon âme de savoir
ma Mère toute nue devant Dieu, au nom de Jésus-Christ, et pour son pur
amour !
52. J'ai voué, par l'avis de mon Bienheureux Père, l'an 1611, que quand
je connaîtrais clairement et distinctement, sans doute, ce qui sera plus agréable
à mon Dieu et plus parfait, pourvu que j'aie le loisir de faire l'élection,
que, moyennant sa grâce, je le ferai sans restriction de chose quelconque. Je
viens de confirmer mon vœu ce jour de la conversion de saint Paul, 1627.
Veuille mon Sauveur que ce soit à sa gloire ! j'en supplie sa bonté, par
l'intercession de sa sainte Mère, de saint Jean l'Évangéliste et de mon
Bienheureux Père. Amen.
53. Dès le trépas de notre Bienheureux Père, je l'ai entendu en songe
trois fois ; en l'une, il me dit : 1° Dieu m'a envoyé à vous, pour
vous dire que son dessein sur vous est que vous soyez extrêmement humble. 2°
Dieu m'a commandé de vous rendre une parfaite colombe. 3° Ne vous
plaignez jamais d'aucun manquement que l'on vous puisse faire, ne vous
courroucez point pour ceux qui se feront au monastère ; mais dites
seulement : Quoi ! les servantes de Dieu doivent-elles faire telles
fautes ? Ne vous empressez point ; faites toutes choses avec l'esprit
de repos et de tranquillité.
54. Saint Jérôme dit que chacun offrait au temple selon ses
moyens : les uns de l'or, de l'argent, des pierres précieuses ; les
autres de la soie, du drap d'or, de la pourpre. Pour moi, il me suffira, si
j'offre au temple des poils de chèvre et des peaux de bête. Or, que les autres
présentent à Dieu leurs vertus et œuvres héroïques et excellentes, et leur
contemplation relevée ; moi, il me suffira d'offrir à Dieu ma bassesse,
mes misères, me tenant pour chétive, misérable, imparfaite et pécheresse, et me
présenter devant sa Majesté comme une pauvre nécessiteuse et [23] chétive
créature. Oh ! que nous serions heureuses si nous ne prenions pas garde à
ce que nous souffrons ou faisons, ains seulement que nous sommes en
l'accomplissement de la volonté de Dieu, et que ce fût là tout notre contentement
I
55. J'ai reconnu, par la grâce de Notre-Seigneur, que mes manquements
procèdent de n'être pas assez attentivement attentive à Dieu et sur moi-même,
ce qui m'empêche la pratique de la douce acceptation et acquiescement en tout
ce qui m'arrive, et encore plus celui de l'attention de faire tout pour Dieu,
et d'être fidèle à faire le bien que je connais, et que je suis obligée. J'ai
vu encore que je n'arrête pas mon esprit assez simplement à l'oraison, que j'y
veux toujours faire quelque chose, en quoi je fais très-mal, puisque Dieu ne
veut de moi que cet unique regard en toutes choses, par une très-simple remise
et confiance, sans faire des actes. J'ai vu aussi que je m'empresse trop à
faire ce qui me survient, j'en ressens un peu d'ardeur, portée du désir d'être
déchargée de cela. Je laisse trop entrer les affaires et les choses qui ne
servent de rien, en mon esprit, ce qui me cause de grandes distractions et
éloignements du souvenir de Dieu. Or, je désire, moyennant sa divine bonté,
sans laquelle je ne peux rien, de mettre ordre à mon amendement. Je me veux
opiniâtrer fermement à retrancher et séparer de mon esprit tout cela, et le
tenir, le plus que je pourrai, dans cet unique regard et très-simple unité, qui
me suffit pour tout faire, par ordre, y peu penser et ne m'empresser nullement
pour en être quitte : faire le bien et fuir le mal, et voir, trois fois le
jour, si je le fais. Ce que je ferai moyennant Dieu.
56. O Bonté souveraine de la souveraine Providence de mon Dieu !
je me délaisse à jamais entre vos bras, soit que vous me soyez douce ou
rigoureuse. Menez-moi meshuy, par là où il vous plaira, je ne regarderai point
le chemin par où vous me ferez [24] passer, mais, à vous, ô mon Dieu, qui me
conduisez. Mon âme ne trouve point de repos hors des bras et du sein de cette
céleste Providence, ma vraie mère, ma force et mon rempart ; c'est
pourquoi je me résous, moyennant votre aide divine, ô mon Sauveur, de suivre
vos désirs et vos ordonnances, sans jamais regarder ni éplucher les causes,
pourquoi vous faites plutôt ceci que cela ; ains, à yeux clos, je vous
suivrai selon vos volontés divines sans rechercher mon propre goût. C'est à
quoi je me détermine, de laisser tout faire à Dieu, ne me mêlant que de me
tenir en repos entre ses bras, sans désirer chose quelconque que selon qu'il
m'insistera à vouloir, à désirer, à souhaiter. Je vous offre cette résolution,
ô mon Dieu, vous suppliant de la bénir, entreprenant le tout, appuyée sur voire
bonté, libéralité et miséricorde, et en la totale confiance de vous, et
méfiance de moi, et de mon infinie misère et infirmité.
57. J'ai eu cette vue que Dieu veut que j'aille à lui de toutes choses,
très-simplement et droitement sans entremise de chose quelconque, et que je me
contente de ce très-simple regard en lui, sans aucun acte, mais par un absolu
et entier abandonne-ment de tout ce que je suis et de toutes choses à sa sainte
volonté, demeurant dans un repos d'amoureuse confiance en son soin paternel
pour tout ce qui me concerne, sans réserve, lui laissant vouloir pour moi, et
faire tout ce qu'il lui plaira et de toutes choses, sans que jamais je me
veuille arrêter volontairement à regarder ce qui se passe en moi, ni à chose
quelconque. Mais je me tiendrai en lui, le regardant et le laissant faire,
acquiesçant simplement à tout ce qu'il lui plaira, avec l'aide de sa grâce, en
laquelle je me résous d'éviter même l'ombre du mal ; de faire tous mes
exercices et toutes mes actions le mieux que je pourrai, et d'employer
fidèlement les occasions que sa Providence me donnera pour la pratique des
vertus, soit dans l'action ou dans la souffrance. Je tâcherai d'être modérée en
[25] tout et de parler tardivement. Mon Sauveur, guidez-moi et m'aidez.
58. Résolutions renouvelées au commencement de mon année
soixante-deuxième. 1° D'observer inviolablement la dernière pratique que
notre Bienheureux Père m'a donnée, de ne plus vivre selon la nature, mais
entièrement selon la lumière de la grâce, laquelle je me suis totalement
déterminée de suivre fidèlement sans réserve, moyennant sa sainte assistance.
2° De débarrasser mon esprit du souvenir de tout ce qui n'est point Dieu, sinon
autant que la nécessité de mes justes devoirs m'y obligera, mais surtout quand
j'irai faire mes exercices spirituels, faisant état, durant ce temps-là, qu'il n'y
a que Dieu et moi au monde. 3° Je parlerai peu, et tâcherai de dire beaucoup en
me taisant, par la modestie, patience et recueillement en Dieu, et cette
entreprise n'est faite que sur le seul fondement de l'humble et filiale
confiance que mon Dieu m'assistera pour accomplir cette sienne volonté en moi,
laquelle j'adore et chéris comme mon unique prétention et désir en toutes mes
actions. Amen, Amen.
à la fin d'une retraite annuelle.
59. Notre sanctification est en la volonté de Dieu, à laquelle dès
longtemps je me suis abandonnée sans aucune réserve selon l'attrait que sa
divine Providence m'en a toujours donné : en suite de quoi je lui laisse
et délaisse, derechef, le soin de vouloir pour moi, et en faire tout ce qu'il
lui plaira, et de toutes choses, me résolvant et déterminant, moyennant sa
divine grâce, d'embrasser et faire cette divine volonté en tout ce que je la [26] pourrai
connaître : 1° en toutes les choses où elle m'est signifiée ; 2° en
tous événements, quels qu'ils soient ; pour suivre fidèlement les volontés
et désirs du prochain, ce que j'embrasse et suivrai au péril de toutes mes
inclinations, en tout ce qui ne sera point péché. Comme je suis résolue de
tenir ma volonté si simplement unie, en toutes choses, à celle de mon Dieu, que
rien ne soit entre deux, et de ne désirer jamais d'autres bras pour me porter,
ni d'autre sein pour me reposer que le sien et sa Providence, je
l'entreprendrai en la seule confiance en la grâce divine, me voyant dépouillée
entre ses mains sans aucune réserve : désir de mort, ni de salut, ni de
prétentions de choses quelconques, laissant tout mon être, pour le temps et
l'éternité, aux soins et dispositions de son amour éternel, auquel je me confie
et repose, sans étendre ma vue ailleurs, espérant qu'il accomplira en moi ses
éternels desseins, et l'en supplie de tout mon cœur très-humblement, et d'ôter
de moi tout ce qui lui déplaît. O éternelle Providence, au soin de laquelle je
laisse tout mon être, pour en disposer pour le temps et l'éternité, selon son
très-bon plaisir, n'en voulant plus avoir souci, ains celui seul de me remettre
et reposer, eu esprit de très-simple confiance, lui rapportant tout, et
m'adressant à Dieu en tout, sans nulle réflexion sur le passé, sur le présent
ni sur l'avenir ; mais seulement me rendre fidèle es occasions que sa
divine Providence me présentera dans chaque moment. Bref, avec sa grâce, je me
suis résolue de m'anéantir et me perdre toute en lui, et d'y tenir ma vue
simplement arrêtée sans l'en divertir volontairement, l'y remettant simplement,
quand je m'apercevrai distraite : suivre la lumière du bien ; faire
tout en esprit de repos. Amen, Jésus, Amen.
60. Notre sanctification est en la volonté de Dieu, et notre perfection
gît à nous y conformer par une très-fidèle obéissance à ses commandements,
conseils, règles de notre vocation, au [27] juste désir du prochain et à la
lumière du bien que nous connaîtrons. Quant à la volonté du bon plaisir, il la
faut laisser vouloir pour nous, et en faire, et de toutes choses, ce que bon
lui semblera, ne regarder pas les choses qui arrivent, en elles ; mais,
cette volonté seule, aux événements grands et petits, fâcheux ou agréables,
l'aimant également en tout, et y acquiesçant très-simplement sans divertir ma
vue ailleurs.
61. O très-divine volonté, qui m'avez environnée de vos miséricordes,
je vous en rends infinies actions de grâces, et vous adore du profond de mon
âme, et de toutes mes forces et affections ; j'abandonne et remets tout
mon être, pour le temps et l'éternité, à votre merci, vous suppliant de toute
l'humilité de mon cœur d'accomplir en moi vos éternels desseins, sans me
permettre que j'y donne aucun empêchement. Vos yeux divins qui pénètrent les
intimes replis de mon cœur, voient que mon unique désir est en l'accomplissement
de vos très-saints contentements et bons plaisirs ; mais ils voient aussi
mon imbécillité et impuissance ; c'est pourquoi, prosternée aux pieds de
votre infinie miséricorde, je vous conjure, mon Sauveur, par l'équité et
douceur de cette même très-sainte volonté, et par l'assistance de votre
très-sainte Mère, m'octroyer la grâce de faire et souffrir tout ce qu'il lui
plaira, comme il lui plaira, afin que, consommée au feu de cette très-amoureuse
volonté, ce lui soit une victime et holocauste agréable, qui, sans fin, le loue
et bénisse avec tous les saints, par tous les siècles. Amen.
D'après les citations faites par la Mère de Chaugy, dans sa Vie de
notre sainte Mère Jeanne-Françoise de Chantal, (lesquelles citations sont, dit-elle,
extraites du Petit Livret), il
est évident que la copie manuscrite de nos archives n'est qu'une partie de ce
précieux Petit Livret, attendu
que plusieurs de ces citations ne se trouvent pas dans ladite copie.
Si la publication de ces précieux fragments pouvait nous faire
découvrir le Petit Livret en
son entier, nous bénirions à jamais la douce Providence de la communication qui
nous serait faite de ce cher trésor.
de quelques
paroles, instructions et avis de notre père saint françois de sales donnés à notre digne mère
jeanne-françoise frémyot de chantal.
J'ai été tout aise, ce matin, de trouver mon Dieu si grand, que je ne
pouvais pas même m'imaginer sa grandeur ; mais, puisque je ne le puis
magnifier ni agrandir, je veux bien, Dieu aidant, annoncer sa grandeur et son
immensité. Cependant, ma chère fille, cachons doucement notre petitesse en
cette grandeur, comme un petit poussin tout couvert des ailes de sa mère
demeure en assurance et tout chaudement. Reposons de même nos cœurs sous la
douce et amoureuse Providence de Notre-Seigneur, et abritons-nous sous sa
protection.
Ma chère fille, non certes, je ne doute ni peu ni point de votre
confiance ; aussi vous dis-je que je veux vous employer comme chose qui
m'est entièrement remise, pour être maniée, selon mon gré, au service de Dieu.
REGARD EN DIEU.
Ma résolution est d'être toute à Dieu. Or, celles qui se sont données
toutes à Dieu doivent dresser leurs affections, [30] pensées, paroles et
actions vers lui, et leur continuel exercice doit être de regarder la volonté
de Dieu, en toutes choses, et de la suivre.
POUR LES TENTATIONS.
Le remède à toute tentation, sécheresse, contradiction, bref, à toutes
choses généralement, sont les actes d'amour, lesquels se feront vivement et
promptement, retournant simplement son cœur à Notre-Seigneur, avec des paroles
pleines de confiance et d'amour, sans regarder ni disputer contre la tentation
ou la chose qui fâche ; mais comme feignant de ne la point voir, sans
néanmoins tant multiplier les paroles. Et comme la femme mariée n'a son
recours, en tous ses travaux, qu'à son mari, ainsi doit faire l'âme fidèle à
l'endroit de son cher Époux Jésus.
C'est un entortillement que ce tintamarre qui vous fait peur. Mon Dieu,
ma chère fille, ne sauriez-vous vous prosterner quand cela vous arrive et dire
tout simplement : Oui, Seigneur, si vous le voulez, je le veux, et, si
vous ne le voulez pas, je ne le veux pas ? et puis passer à faire un
peu d'exercice et d'action qui vous serve de divertissement ; ne vous
embarrassez point pour les chasser, mais moquez-vous de tout cela, au nom de
Jésus mon Seigneur.
L'exercice du matin et celui de la sainte messe, comme il est marqué au
directoire.
Pour le regard de la sainte messe, je n'ai point voulu le
particulariser sur tous les mystères, pour vous instruire, comme il s'y faut
comporter, par le menu, avec des oraisons et pensées, d'autant que cela charge
tant la mémoire que la volonté n'a pas les actions libres. Donc, pour le reste
du temps de la messe, auquel je n'ai pas dit ce qu'il fallait faire, ou bien il
faut continuer les affections que je vous ai marquées, chacune en son ordre,
comme, par exemple : celle de contrition jusqu'à [31] l'évangile, celle de
protestation de foi jusqu'à la préface, et ainsi des autres ; ou bien,
dire quelques oraisons vocales ; que si c'est le chapelet, vous ne
laisseriez pas, en le disant, de faire tout ce que j'ai marqué, l'un
n'empêchant guère l'autre. Si vous ne le pouvez dire tout en une fois, dites-le
en deux, et l'Office de Notre-Dame aussi, de quoi vous ne devez faire nul
scrupule ; ains il y a de la superstition à croire que, pour de légitimes
interruptions, il faille recommencer, notre Dieu ne regardant qu'à la dévotion
avec laquelle on prie, et non pas si c'est à deux ou à trois fois. Il est bon
d'avoir certaines paroles enflammées qui servent de refrain à notre âme,
comme : Vive Dieu ! vive Jésus ! Dieu de mon cœur ! béni
soit Dieu ! Dieu soit loué ! Dieu me donne la grâce de mieux
faire ! —D'autres fois, tout simplement : Jésus ! Maria !
Dieu me soit en aide ! Il faut mourir..., etc. Baisez votre croix en
l'honneur de celui qu'elle représente.
Jamais on ne parviendra à la hauteur de la perfection de l'amour de
Dieu, qu'on ne soit profondément abaissé par l'humilité. Notre-Seigneur fait
tant de cas de l'humilité, qu'il ne fait point de difficulté de permettre que
nous tombions dans le péché, afin de nous en faire tirer la sainte humilité.
Il faut souvent élever son esprit en Dieu en faisant les actions de
Dieu.
Il faut embrasser saintement les mortifications, et recevoir les
abjections en esprit de résignation, et, s'il se peut, d'indifférence, et aimer
cette volonté de Dieu en ces sujets d'eux-mêmes désagréables. Vous ne recevez
pas ces remèdes et ces mortifications par votre élection ni par
sensualité ? c'est donc par obéissance ; et y a-t-il rien de plus
agréable à Dieu ? O petites croix, que vous êtes aimables ! bien que
les sens et la nature ne vous aiment point, ains la seule raison supérieure.
Soyez une petite brebis que l'on tond, une colombe douce, maniable,
sans réplique ni retour. [32]
Il faut beaucoup ressentir les fautes que l'on aperçoit dans le
prochain ; mais il faut savoir en même temps que la charité s'exerce à les
supporter, et non pas à s'en étonner. Il faut le recommander à Notre-Seigneur,
et tâcher d'exercer la vertu contraire à la faute que l'on voit, avec une
grande perfection. Il faut, avec Notre-Seigneur, haïr et détester le péché et
être marri des imperfections et défauts ; mais il faut avoir compassion de
l'imparfait et du pécheur, et le supporter, à l'exemple de Notre-Seigneur, qui
le souffre bien. Il faut aussi nous traiter nous-même en cette sorte, et, ayant
séparé l'offense de Dieu, de laquelle il faut être bien marri, il faut aimer et
embrasser de bon cœur l'abjection qui nous en revient, et dire la parole de
saint Paul : Seigneur, que vous plaît-il que je fasse ? Saint
Bernard dit « que c'est le sentiment d'une âme fervente et qui ne veut
rien faire que ce que Dieu veut ; au contraire, une dévotion molle, il la
faut flatter et essayer ce qu'elle veut faire, avant de lui dire ce que l'on
veut qu'elle fasse. » Apprenons à dire avec l'Apôtre, dans la sincérité de
notre cœur : J'ai estimé toutes choses comme fange, afin de gagner mon
Jésus et ses bonnes grâces, et que notre vie, comme la sienne, soit cachée
en Dieu avec Jésus-Christ. Ce sont là les grandes et les profondes maximes de
sainteté, et l'exercice de résignation agréable à Dieu. À son honneur et à sa
gloire soient toutes mes œuvres ! Amen.
Pour acquérir la sainte promptitude de bien faire, il la faut demander
à Dieu, et ne laisser passer aucun jour sans en pratiquer quelque action
particulière à cette intention ; car l'exercice sert merveilleusement pour
se rendre un chemin aisé à toute sorte d'opération. Gardez-vous des empressements
et inquiétudes ; jetez doucement votre cœur dans les plaies de
Notre-Seigneur, et non pas à force de bras. Ayez une extrême confiance en sa
bonté et miséricorde, il ne vous abandonnera pas ; mais ne laissez pas de
vous bien prendre à sa sainte croix. [33]
Tenez votre cœur au large ; reposez-le souvent entre les bras de
la Providence divine ; tout ce qui vous arrive vient indubitablement de sa
volonté, hormis le péché. Mais cette même volonté de Dieu qui nous envoie les
maladies spirituelles ou corporelles veut que nous nous servions des remèdes
qu'elle donne, et que nous tenions notre volonté prête pour recevoir ou la
guérison, ou la continuation du mal, et que nous adorions la Providence divine,
et nous y remettant en toute occasion.
Videz votre cœur de toute image des choses corporelles. Pensez que le
doux Sauveur est assis dans votre cœur comme dans son trône, et l'y regardez
souvent, vous humiliant fort devant lui. Je désire que vous soyez extrêmement
humble ; faites-vous très-petite à vos yeux.
Représentez-vous Jésus-Christ crucifié entre vos bras, et dites cent
fois en baisant son côté : C'est ici mon espérance ; c’est la vive
source de mon bonheur ; c'est le cœur de mon âme ; c’est l'âme de mon
cœur ; jamais rien ne me déprendra de son amour : je le tiendrai, et
je ne laisserai point qu'il ne m'ait mise en un lieu d'assurance.
Considérez souvent si vous pouvez dire avec vérité : Mon
Bien-Aimé est à moi, et je suis toute à lui. Voyez s'il n'y a point quelque
partie de votre âme ou de votre corps qui n'y soit pas entièrement, et, l'ayant
découverte, reprenez-la et la rendez à Dieu ; car vous êtes à lui, toute,
toute. Si votre âme s'est échappée, souvenez-vous qu'il la faut reprendre, mais
tout doucement, car si vous vouliez la saisir à force de bras, vous
l'épouvanteriez.
Notre-Seigneur désire que vous ne pensiez ni à votre avancement, ni à
votre amendement, mais à recevoir et bien employer les occasions de le servir,
et pratiquer les vertus dans chaque moment, sans aucune réflexion, ni sur le
passé, ni sur l'avenir. [34]
Affectionnez-vous fort à la pratique des petites et menues
vertus ; je ne dis pas qu'il ne faille aspirer aux hautes et
élevées ; mais je dis qu'il faut s'exercer aux petites, sans lesquelles
les grandes sont souvent fausses et trompeuses.
Apprenons à souffrir volontairement et de bon cœur l'aigreur des
paroles, le mépris et le rebut de nos opinions et de nos pensées. Aimons à
tenir le dernier rang, et puis nous apprendrons à souffrir le martyre, à faire
l'anéantissement en Dieu et l'insensibilité à toutes choses.
Marchez toujours devant vous et devant Dieu, qui prend plaisir à vous
voir faire vos petits pas ; et, comme un bon père qui tient son enfant par
la main, il accommodera ses pas aux vôtres, il se contentera de n'aller pas
plus vite que vous. De quoi vous souciez-vous d'aller d'un côté ou de l'autre,
vite ou bellement, pourvu qu'il soit avec vous et vous avec lui ? Aux
tentations de la foi, humiliez-vous profondément. Aux tentations de vaine
gloire et vanité, il faut faire tout de même ; c'est à savoir un acte
positif et contraire, et, au lieu de se glorifier, s'humilier de sa propre
vanité, disant : Oui, Seigneur, je suis et mon esprit n'est que pure
vanité.
Ne regardez point, ma chère fille, si vous êtes cause de vos
aridités ; mais, soit que vous en soyez cause ou non, convertissez-les à
la gloire de Dieu, et les lui offrant, en sacrifice, comme souffrances et
pénitences de vos péchés. Dans les mécontentements qu'on a de soi, lorsqu'on
tombe en faute, au lieu de s'aigrir, il faut prendre patience et dire : Je
ne veux cette vertu ni une autre, je ne veux que l'amour de mon Dieu et
l'accomplissement de sa sainte volonté en moi. Il faut quitter toutes
réflexions, n'en jamais faire pour voir ce que l'âme fait ou ce qu'elle fera,
si on a du sentiment ou non ; mais, au lieu de cela, regarder le Sauveur
humblement et amoureusement, et surtout à l'oraison, avec une grande douceur
d'esprit et sans volonté d'y rien faire, mais seulement pour y recevoir ce que
[35] Notre-Seigneur vous y donnera. Contentez-vous d'être en sa présence,
quoique vous ne le voyiez ni le sentiez ; mais commencez par un acte de
foi, et regardez de temps en temps si vous ne le verrez point.
Je désire que vous soyez extrêmement humble. Conversez toujours
humblement ; ne tenez compte d'être méprisée et louée, mais désirez d'être
méprisée et rebutée ; et, jusqu'à ce que vous soyez parvenue à ce degré
d'abjection, ne pensez pas d'avoir profité. Tenez comme un profit pour votre
âme les injures et les outrages qui vous seront faits ;
réjouissez-vous-en, et ne vous attribuez point les louanges des bonnes
actions ; mais portez tout aux pieds de Jésus qui en est l'auteur,
autrement vous lui en déroberiez la gloire.
D'autant plus on perd de consolation pour Notre-Seigneur d'autant plus
on doit se réjouir, parce qu'il saura bien nous la rendre.
Il faut avoir de la douceur envers le prochain, et n'user jamais de
revanche envers ceux qui nous ont fait de mauvais offices ; et croyez que
si nous perdons quelque chose, le Seigneur nous récompensera d'ailleurs.
Pour toutes les choses qui vous arrivent, n'en cherchez point la cause,
il suffit que Dieu la sache ; mais simplement humiliez-vous, et supportez
la contradiction avec douceur et sans réflexion.
Au temps des sécheresses, humiliez-vous ; et, au sentiment de
votre misère, jetez-vous dans les entrailles de la miséricorde divine.
Rejetez toute sorte de gloire, et protestez que vous n'en voulez aucune
que celle de Notre-Seigneur.
Unissez-vous souvent à la volonté de Dieu, par des aspirations dévotes,
disant : Seigneur, je suis vôtre. — Je veux ce que vous voulez. — Faites
en moi votre volonté. — Unissez-vous à nous. [36]
La mesure de la Providence sur nous est (celle de) la confiance que
nous y avons. O Dieu ! reposons-nous entièrement sur cette Providence
sacrée, et demeurons entre ses bras comme un enfant sur le sein de sa mère.
L'esprit de douceur est le vrai esprit de Dieu.
O ma Mère ! que c'est un grand contentement à notre âme, vraiment
dédiée à Dieu, de marcher les yeux fermés selon que la divine Providence la
conduit ; car ses jugements sont impénétrables, mais toujours doux,
toujours suaves, toujours utiles à ceux qui se confient en lui. Que
voulons-nous, sinon ce que Dieu veut ? Laissons-le conduire notre âme qui
est sa barque, il la fera surgir à bon port.
Servez-vous des contradictions journalières pour vous mortifier, les
acceptant avec amour et douceur.
Quand on se sent saisi de douleur, il faut offrir à Dieu cette croix,
l'accepter de bon cœur et se soumettre de la porter toute la vie, puis demeurer
contente dans la souffrance. Et s'il était en votre pouvoir de vous faire
quitte de cette croix, il ne le faudrait pas faire.
Que toutes vos paroles et actions soient accompagnées d'une grande
simplicité et douceur.
Demeurez en la sainte solitude et nudité avec Jésus-Christ crucifié.
Cet exercice, d'abandonnement total de soi-même entre les mains de Dieu,
comprend excellemment toute la perfection des autres exercices. Notre grand
bonheur, en la perfection, serait de n'avoir nul désir d'être aimé des
créatures. Que vous doit-il importer d'être aimée ou non ? Si vous
rencontrez des occasions qui vous font paraître qu'on ne vous aime pas, il faut
passer outre sans vous amuser à les considérer.
C'est une partie de la charge de la supérieure, de voir, avec repos,
les fautes de sa maison, et de souffrir doucement les choses qui y arrivent.
[37]
Oh ! que nous serions heureux si nous ne prenions point garde à ce
que nous faisons et souffrons ; mais seulement que nous accomplissions la
volonté de Dieu, et que ce fût là tout notre contentement !
Consacrons nos travaux à Jésus ; attendons son retour avec
patience ; vivons à lui et non pour ses suavités. Nous n'avons rien que
nous voulions réserver ni excepter en nos affections, qui ne soit à Dieu. Que
nous doit-il importer, si nous sentons ou ne sentons pas l'amour de Dieu,
puisque nous ne sommes pas plus assuré de l'avoir en le sentant qu'en ne le
sentant pas, et que, la plus grande assurance consiste en ce pur et entier
abandonnement de nous-même entre les bras de la divine Providence, sans réserve
de consolation, afin que d'un cœur tout écorché, mort et maté, il reçoive
l'odeur agréable d'un saint holocauste, et afin que nos Sœurs, travaillées et
peinées, trouvent chez nous un cœur compatissant et un support suave et
amoureux.
Il faut demeurer entre les mains de Notre-Seigneur comme un instrument
inutile, tout abandonné à son saint vouloir, et se contenter de demeurer
doucement dans l'état où Dieu nous met : en la souffrance, souffrir ;
en la peine, patienter, et voilà la vertu dans laquelle il faut demeurer
tranquille.
En toutes les tentations, il faut plutôt parler à Notre-Seigneur de
tout autre chose, et même il est bon de s'en détourner, et regarder notre
Sauveur par un retour de cœur.
L'un des plus hauts points de l'humilité est de ne point s'excuser.
Quand on est parmi les afflictions intérieures, sans pouvoir trouver où mettre
son pied pour se reposer, alors il faut combattre de deux sortes d'armes :
l'une de patience, l'autre de résignation à la volonté de Notre-Seigneur.
Tenons-nous, je vous prie, au pied de la sainte croix, trop heureux si
quelques gouttes de ce baume, qui en distille de [38] toutes parts, tombent
dans notre cœur. Si nous avions l'odorat plus affiné, nous sentirions les afflictions
toutes parfumées, quoiqu'elles soient d'elles-mêmes d'odeur désagréable ;
mais sortant du sein de l'Époux, nous les trouverions toutes remplies de
suavités.
adressées par notre bienheureuse mère jeanne-françoise frémyot de chantal à notre bienheureux
père
saint
françois de sales et réponses faites par lui.
au nom de † jésus et marie.
Notre Sainte Mère
Jeanne-Françoise de Chantal (parlant ici à son âme). Premièrement,
tu dois demander à ton très-cher Seigneur s'il trouve à propos que tu renouvelles,
tous les ans, en reconfirmation, tes vœux, ton abandonnement général et remise
de toi-même entre les mains de Dieu ; qu'il spécifie
particulièrement ce qu'il jugera qui te touche le plus, pour enfin faire cet
abandonnement parfait et sans exception, en sorte que je puisse vraiment
dire : Je vis, non pas moi, mais Jésus-Christ vit en moi. Que, pour
parvenir là, ton bon Seigneur ne t'épargne point, et qu'il ne permette que tu
fasses aucune réserve, ni de peu ni de prou.
Qu'il te marque les exercices et pratiques journalières requises pour
cela, afin qu'en vérité et réellement l'abandonnement soit parfait.
Réponse de saint François de Sales. Je réponds, au nom de [40] Notre-Seigneur et
de Notre-Dame, qu'il sera bon, ma très-chère fille, que toutes les années vous
fassiez le renouvellement proposé, et que vous rafraîchissiez le parfait
abandonnement de vous-même entre les mains de Dieu.
Pour cela, je ne vous épargnerai point, et vous vous retrancherez les
paroles superflues, qui regardent l'amour, quoique juste, de toutes les
créatures, notamment des parents, maison, pays, et surtout du père ; et,
tant qu'il se pourra, les longues pensées de toutes ces choses-là, sinon ès
occasions esquelles le devoir oblige d'ordonner ou procurer les affaires requises,
afin de parfaitement pratiquer cette parole : « Ois, ma fille, et
entends, et penche ton oreille ; oublie ton peuple et la maison de ton
père. » Devant dîner, devant souper, examinez si, selon vos actions du
temps précédé, vous pouvez dire sincèrement : « Je vis, moi, mais
non pas moi, ains Jésus-Christ vit en moi. »
Question. Si l'âme étant ainsi remise ne se doit pas, tant qu'il sera possible,
oublier de toutes choses pour le continuel souvenir de Dieu, et, en lui seul se
reposer, par une vraie et entière confiance ?
Réponse. Oui, vous devez tout oublier ce qui n'est pas de Dieu et pour Dieu, et
demeurer totalement en paix sous la conduite de Dieu.
Question. Si l'âme ne doit pas, spécialement en l'oraison, s'essayer d'arrêter
toutes sortes de discours, industrie, réplique, curiosité et semblables ;
et, au lieu de regarder ce qu'elle a fait, regarder Dieu, et ainsi simplifier
son esprit et le vider de tout, et de tout soin de soi-même ?
Réponse. Il faut faire cet exercice hors de l'oraison comme en l'oraison. [41]
Question. (Si) demeurant en cette simple vue de Dieu et de son néant, tout
abandonnée à sa sainte volonté, dans les effets de laquelle il faut demeurer
contente et tranquille, sans se remuer nullement pour faire des actes de
l'entendement ni de la volonté. Je dis même qu'en la pratique des vertus et aux
fautes et chutes, il ne faut bouger de là, ce me semble ; car
Notre-Seigneur met en l'âme les sentiments qu'il faut, et l'éclairé là
parfaitement ; je dis pour tout, et mieux mille fois qu'elle ne pourrait
être par tous ses discours et imaginations. Vous me direz : Pourquoi
sortez-vous donc de là ? O Dieu ! c'est mon malheur et malgré
moi ; car l'expérience m'a appris que cela est fort nuisible ; mais
je ne suis pas maîtresse de mon esprit, lequel, sans mon congé, veut tout voir
et ménager.
C'est pourquoi je demande encore, à mon très-cher Seigneur, l'aide de
la sainte obédience pour arrêter ce misérable coureur, car, il m'est avis,
qu'il craindra le commandement absolu.
Réponse. Puisque Notre-Seigneur, dès il y a si longtemps, vous a tirée à cette
sorte d'oraison, vous ayant fait goûter les fruits tant désirables qui en
proviennent, et fait connaître les nuisances de la méthode contraire, demeurez
ferme, et, avec la plus grande douceur que vous pourrez, ramenez votre esprit à
cette unité et à cette simplicité de présence, et d'abandonnement en
Dieu ; et d'autant que votre esprit désire que j'emploie l'obéissance, je
lui dis ainsi : Mon cher esprit, pourquoi voulez-vous pratiquer la partie
de Marthe en l'oraison, puisque Dieu vous fait entendre qu'il veut que vous
exerciez celle de Marie ? Je vous commande donc que simplement vous
demeuriez ou en Dieu, ou près de Dieu, sans vous essayer d'y rien faire, et
sans vous enquérir de lui de chose quelconque, sinon à mesure qu'il vous
excitera. Ne retournez nullement sur vous-même, ains soyez là près de lui.
Question. Je retourne donc demander, à mon très-cher Père, [42] si l'âme, étant
ainsi remise, ne doit pas demeurer toute reposée en son Dieu, lui laissant le soin
de tout ce qui la regarde, tant intérieurement qu'extérieurement, et, demeurant
comme vous dites, dans sa Providence et sa volonté, sans soin, sans attention,
sans élection, sans désir quelconque, sinon que Notre-Seigneur fasse en elle,
d'elle, et par elle, sa très-sainte volonté, sans aucun empêchement ni
résistance de sa part ? O Dieu ! qui me donnera cette grâce que seule
je vous demande, sinon vous, bon Jésus, par les prières de votre bon
serviteur ?
Réponse. Dieu vous soit propice, ma très-chère fille ! L'enfant qui est
entre les bras de sa mère n'a besoin que de la laisser faire et de s'attacher à
son col.
Question. Si Notre-Seigneur n'a pas un soin tout particulier d'ordonner tout ce
qui est requis et nécessaire à cette âme ainsi remise ?
Réponse. Les personnes de cette condition lui sont chères comme la prunelle de
son œil.
Question. Si elle ne doit pas recevoir toutes choses de sa main, je dis tout,
jusqu'aux moindres petites, et lui demander aussi conseil de tout ?
Réponse. Pour cela, Dieu veut que nous soyons comme un petit enfant. Il faut
seulement prendre garde de ne pas faire des attentions superflues, s'enquérant
de la volonté de Dieu en toutes particularités des actions menues, ordinaires
et inconsidérées.
Question. Si ce ne sera pas un bon exercice de se rendre attentive, sans
attention pénible, de demeurer tranquillement dans la volonté de Dieu, en tant
de petites occasions qui nous contrarient et voudraient nous fâcher, (car pour
les grosses on [43] les voit de loin), comme d'être détournée de cette
consolation, qui semble être utile ou nécessaire, être empêchée de faire une
bonne action,, une mortification, ceci ou cela, quel qu'il soit, qui semble
être bon, et, au lieu, être divertie par des choses inutiles, et quelquefois
dangereuses et mauvaises.
Réponse. Ne consentant point aux choses mauvaises, l'indifférence, pour le
reste, doit être pratiquée en toutes rencontres, sous la conduite de la
Providence de Dieu.
Question. Se rendre fidèle et prompte à l'observance et obéissance des règles,
quand le signe se fait. Il y a tant d'occasions de petites
mortifications ; cela surprend : au milieu d'un compte, de quelque
action on a peine de se déprendre ; il ne me faut plus faire que trois
points pour achever l'ouvrage, une lettre à former, se chauffer un peu, que
sais-je, moi ?
Réponse. Oui, il est bon de ne s'attacher à rien tant qu'aux règles, de sorte
que, s'il n'y a quelque signalée occasion, allez où la règle vous tire, et la
rendez plus forte que tous ces menus attraits.
Question. Se laisser gouverner absolument pour tout ce qui est du corps, recevant
simplement tout ce qui nous est donné ou fait, bien, mal, incommodité ;
accepter ce qui sera de trop, selon notre jugement, sans en rien dire, ni
témoigner nulle sorte de désagrément ; prendre les soulagements du dormir,
reposer, chauffer, de l'exemption de quelque exercice pénible, ou de
mortification, dire à la bonne foi ce que l'on peut faire : que si l'on
insiste, céder sans rien dire. Ce point est grand et difficile pour moi.
Réponse. Il faut dire à la bonne foi ce que l'on sent, mais en telle sorte que
cela n'ôte pas le courage de répliquer à ceux qui [44] ont soin de nous ;
au reste, de se rendre si parfaitement maniable, c'est ce que je désire bien
fort de votre cœur.
Question. Se porter avec grande douceur à la volonté des Sœurs et de toute autre,
sitôt qu'on la connaîtra, encore que l'on pût facilement s'en détourner, et
examiner : ceci est un peu difficile, et pour ne rien laisser à
soi-même ; car, combien de fois voudrait-on un peu de solitude, de repos,
de temps pour soi ? Cependant, on voit une Sœur qui s'approche, qui
désirerait ce quart d'heure pour elle, une parole, une caresse, une visite, que
sais-je ?
Réponse. Il faut prendre le temps convenable pour soi, et, cela fait, regagner
l'occasion de servir les désirs des Sœurs
Question. Voilà ce qui m'est venu en vue, où il me semble que je pourrais
m'exercer et me mortifier. Mon très-cher Seigneur l'approuvera, s'il le trouve
à propos, et ordonnera ce qu'il lui plaira, et, mon Dieu m'aidant, je lui
obéirai.
Réponse. Faites-le et vous vivrez. Amen.
Question. Je demande, pour l'honneur de Dieu, de l'aide pour m'humilier. Je pense
à me rendre exacte à ne jamais rien dire, dont il me pût revenir quelque sorte
de gloire ou d'estime.
Réponse. Sans doute, qui parle peu de soi-même fait extrêmement bien ; car,
soit que nous en parlions en nous excusant, soit en nous accusant, soit en nous
louant, soit en nous méprisant, nous verrons que toujours notre parole sert
d'amorce à la vanité. Si donc quelque grande charité ne nous attire à parler de
nous et de nos appartenances, nous nous en devons taire.
Le livre de l’Amour de Dieu, ma très-chère fille, est fait [45]
particulièrement pour vous ; c'est pourquoi vous pouvez, ains devez avec
amour pratiquer les enseignements que vous y avez trouvés.
La grâce de Dieu soit avec notre esprit à jamais. Amen. Amen.
Question. Je ne veux oublier ceci, parce que souvent j'en ai été en peine. Tous
les prédicateurs et les bons livres enseignent qu'il faut considérer et méditer
les bénéfices de Notre-Seigneur, sa grandeur, notre rédemption, et,
spécialement, quand la sainte Église nous les représente.
Cependant, l'âme qui est en l'état ci-dessus, voulant s'essayer de le
faire, ne le peut en façon quelconque, dont souvent elle se peine
beaucoup ; mais il me semble néanmoins qu'elle le fait en une manière fort
excellente, qui est un simple ressouvenir ou représentation fort délicate du
mystère, avec des affections fort douces et savoureuses. Monseigneur l'entendra
mieux que je ne pourrais le dire : mais aussi quelquefois on se trouve
durant la mémoire de ces bénéfices, ou en quelque occasion où il serait requis
de discourir, comme quand on veut faire des confessions ou renouvellements,
qu'il faut avoir de la contrition ; et, cependant, l'âme demeure sans
lumières, sèche et sans sentiments ; ce qui donne grande peine.
Réponse. Que l'âme s'arrête aux mystères, en la façon d'oraison que Notre-Seigneur
lui a donnée ; car les prédicateurs et livres spirituels ne l'entendent
pas autrement. Et, quant à la contrition, elle est fort bonne, sèche et
aride ; car c'est une action de la partie supérieure, ains suprême de
l'âme. [46]
Non, mon Dieu, non que je n'aie plus de confiance en chose aucune qui
se puisse vouloir pour moi ; mais vous, mon Seigneur, veuillez de moi tout
ce qu'il vous plaira de vouloir, car c'est ce que je veux, puisque tout mon
bien est et consiste à vous contenter, et ne veuillez point me contenter,
accomplissant ce que mon désir vous demande : mais, par votre Providence,
pourvoyez aux moyens qui me sont nécessaires, afin que mon âme vous serve plus
à votre goût que non pas au mien ; ne me châtiez point, en me donnant ce
que je désire, si votre amour, lequel vive en moi, ne le désire ainsi. Qu'ores
ce moi meure, et qu'en moi vive un autre qui est plus que moi, afin que je le
puisse servir ; qu'il vive, lui ; qu'il règne en moi, et que je sois
son esclave et captive, et que mon âme ne serve point d'autre.
Savez-vous ce que c'est d'être vrais spirituels ? c'est se rendre
esclaves de Dieu, et, étant marqués de son fer et à sa mode, qui est la croix,
il nous pourra vendre pour esclaves de... le monde ainsi qu'il a..., puisque nous
lui avons donné notre liberté, et, en cela, ne nous fera point de tort,
beaucoup de grâce. Ainsi soit-il. Amen. Jésus.
Sainte Catherine ne voulait jamais d'elle ni mal ni bien, ni ne se
voulait nommer ni en mal ni en bien, afin de ne rien estimer sa partie propre
qui prend plaisir de s'ouïr nommer, et faisait soigneusement ce que
Notre-Seigneur lui enseigna… « ne dit jamais : Je veux, ou, Je
ne veux pas, mien, moi, mais toujours : nôtre ; ne t'estime
jamais, mais t'accuse toujours. » Elle disait qu'il était nécessaire
que nous nous délaissions nous-mêmes et remissions le soin de nous et de nos
affaires à celui qui nous peut défendre de tous, et il fera ce que de
nous-mêmes nous ne saurions faire. Pour ce, elle s'était entièrement abandonnée
[47] entre ses mains, où elle se voyait plus assurée, ayant posé et mis toute
confiance en lui, et lui avait donné le gouvernement de soi, se couvrant et
cachant sous le manteau de son soin et de sa Providence divine, que si elle se
fût vue en toutes les félicités qu'on pourrait désirer.
O bienheureuse l'âme, laquelle, par volonté, meurt à soi-même en
tout ! alors elle vit toute en son Dieu, ou même Dieu vit en elle. Nous ne
devons jamais vouloir autre chose, sinon ce qui nous advient de moment en
moment, recevant tout de la pure ordonnance et disposition divine, et, en tout,
par volonté, nous unir à Dieu, nous exerçant néanmoins toujours au bien ;
car, autrement ce serait tenter Dieu, ne faisant ce que nous pouvons de notre
part ; et, ce qui n'est pas en notre pouvoir, le recevoir de Dieu.
Un entendement humilié voit, sent et goûte, et arrive bientôt à la...
et dit à Notre-Seigneur : Vous êtes mon intelligence, je saurai ce qu'il
vous plaira que je sache ; je ne me donnerai plus de peine à chercher,
mais je demeurerai en paix avec votre intelligence.
Cette sainte âme disait qu'elle ne voulait avoir aucune
étincelle de désir pour aucune chose créée, mais qu'elle voulait tout laisser à
la disposition divine. Elle reconnaissait que tout désir de perfection manquait
à celui qui avait (quelques) désirs, parce que celui qui désire quelque chose,
il n'a pas Dieu qui est tout. Quand Dieu trouve une âme qui ne se puisse
mouvoir en soi-même, alors il y opère à sa mode. Cette sainte, pour ne point
donner de peine aux autres, était duite à souffrir toute chose, ce qu'elle
faisait sans murmure avec silence et extrême patience. Notre-Seigneur lui
dit : Qui se fie en moi, n’a besoin de se soucier de soi, et ne doit
douter de rien. Quand elle allait voir les malades, elle les consolait en
peu de paroles humbles et dévotes.
qui
se sont trouvés sur notre bienheureuse mère jeanne-françoise frémyot de chantal
et qu'elle ordonna être mis sur elle dans le cercueil.
Sur le sachet qui enveloppait les papiers était cousue une image de la
Sainte Vierge, au bas de laquelle était cette inscription :
« À la très-sainte et très-adorable Trinité, Père, Fils et
Saint-Esprit, un seul et vrai Dieu très-unique, soit louange, gloire et
bénédiction aux siècles des siècles, Amen, mon âme dit ces paroles de
cœur. »
Dans l'enveloppe se trouvait deux papiers : l'un, écrit par notre
Bienheureux Père ; l'autre, par notre très-digne Mère.
Voici le papier du Bienheureux écrit de sa bénite main.
« Je, François, évêque de Genève, accepte, de la part de Dieu, les
vœux de chasteté, obéissance et pauvreté, présentement renouvelés par
Jeanne-Françoise Frémyot, ma très-chère fille spirituelle, et après avoir
moi-même réitéré le vœu solennel de perpétuelle chasteté, par moi fait en la
réception des Ordres, lequel je confirme de tout mon cœur. Je proteste et [50]
promets de conduire, aider, servir et avancer ladite Jeanne-Françoise Frémyot,
ma fille, le plus soigneusement, fidèlement, et saintement que je saurais, en
l'amour de Dieu et perfection de son âme, laquelle désormais je reçois et tiens
comme mienne, pour en répondre devant Notre Sauveur, et ainsi je le voue au
Père, Fils et Saint-Esprit, un seul vrai Dieu, auquel soit honneur, gloire et
bénédictions ès siècles des siècles. Amen. »
« Fait en élevant le très-saint et adorable Sacrement de l'Autel,
en la sainte messe, à la vue de sa divine Majesté, de la Très-Sainte Vierge
Notre-Dame, de mon Ange et de celui de ladite Jeanne-Françoise Frémyot, ma
très-chère fille, et de toute la cour céleste, le 22e jour d'août,
octave de l'Assomption de la même très-glorieuse Vierge, à la protection de
laquelle je recommande de tout mon cœur ce mien vœu, afin qu'il soit à jamais
ferme, stable et inviolable.
Vive Jésus. Amen.
François, évêque de Genève.«
Au même papier est écrit en marge, de la main de notre très-digne
Mère :
« O très-adorable et souveraine Trinité ! qui de toute [51]
éternité, par votre incompréhensible miséricorde sur moi, m'avez destinée au
bonheur d'être conduite par votre très-humble et très-saint serviteur, le
bienheureux François de Sales, mon vrai Père très-cher ; faites, ô
très-douce bonté ! que ce vœu ne soit point terminé et fini par son départ
de cette vie mortelle, mais qu'il me continue son soin et sa direction
paternelle, jusqu'à ce qu'il m'ait conduite et introduite dans vos célestes
Tabernacles, après lesquels je soupire incessamment, par le mérite de la
Passion de mon Sauveur. Que, si cette prière n'est convenable et agréable à
votre divine Majesté, je veux ne l'avoir point faite, reconfirmant aujourd'hui,
en la présence du divin Sacrement de votre vrai Corps, les vœux que j'ai faits
à la très-sainte Trinité entre les mains de ce mien Père, et l'entier
dépouillement de moi-même, ainsi que je le fis sans aucune réserve le mercredi
devant la fête du Saint-Esprit 1616. N'exceptant ni réservant aucune chose,
rien, rien, rien du tout, ains de toutes mes forces, de toutes mes affections,
de toute mon âme et de tout mon cœur, je m'abandonne, je me consacre et
sacrifie, absolument, entièrement, et irrévocablement à votre très-sainte,
très-adorable et très-aimable volonté, afin que tout ainsi qu'il lui plaira
elle fasse de moi, pour moi, et en moi, son bon plaisir. »
« Voilà, mon doux Sauveur, ma dernière et finale résolution,
voulant demeurer à jamais entre vos bénites mains, nue de tout ce qui ne sera
point vous-même, me confiant, reposant et délaissant de tout mon cœur aux soins
de l'amour éternel que votre divine Providence a pour moi, me rendant pour cela
fidèle aux derniers documents qu'il vous plût me donner au temps susdit par
votre Bienheureux Serviteur. O mon grand Dieu ! vous voyez mon cœur, que
je n'ai d'autre désir que d'accomplir ces mêmes résolutions, mais vous savez
mon infirmité et impuissance ; mais de cela même je me repose en vous,
confessant que je ne peux rien, et ne veux avoir aucune [52] confiance en
moi-même, à laquelle je renonce pour jamais, me confiant pour toutes choses en
votre amour et aux mérites de votre très-sainte Passion ; et vous promets
encore, mon Dieu, moyennant votre divine grâce, de me rendre affectionnée et
fidèle, quoique sans souci, à l'observance de toutes les choses que mon saint
Père m'a enseignées, surtout à ma règle, vous laissant le soin entier de
moi-même et de toutes les affaires qu'il vous plaira me commettre. O mon doux
Sauveur ! n'ai-je point fait contre la révérence que je dois au caractère
de votre Saint d'avoir osé insérer ceci, dessus ? »
« Hélas ! s'il vous déplaît, je vous supplie de l'effacer, et
me pardonner, comme aussi toutes mes offenses et les manquements d'obéissance
et de respect que j'ai trop commis, quoique non volontairement, envers votre
Serviteur. O mon Dieu ! vous savez mes misères et mes défauts, je les
prends tous et les cache dans vos plaies très-honorées, vous suppliant de les
effacer et de me rendre éternellement toute vôtre, par une étroite et
indivisible union à votre sainte volonté. Ma très-douce Mère, mettez dans le
Cœur de votre Fils cette indigne fille et ses résolutions, afin qu'elles soient
éternelles, je vous en supplie par l'entremise de tous les Saints, mais en
particulier de votre fils adoptif saint Jean l'Évangéliste, et de votre fils de
cœur, mon glorieux Père, le Bienheureux François de Sales, que je prends
aujourd'hui pour mes deux spécials protecteurs. »
« Fait, le jour de la sainte Présentation de la sainte Mère de
Dieu, en présence de toute la cour céleste, et de mon très-saint Ange Gardien.
Ainsi soit-il. »
« Vive Jésus ! vive Marie ! le seul espoir de ma vie.
Mon Dieu, vôtre, vôtre, vôtre, pour jamais irrévocablement. »
« Sœur Jeanne-Françoise
FREMYOT,
de la visitation
sainte-marie. »
Dieu soit béni. [53]
L'autre papier est tout écrit de la main de notre Bienheureuse Mère.
Les signatures sont écrites avec son sang.
« Vive Jésus ! oui, mon Seigneur Jésus, vivez et régnez
éternellement dans nos cœurs. »
Après la protestation de foi du Concile de Trente :
« O mon Dieu ! voilà ma sainte foi pour laquelle je
m'estimerais heureuse de mourir ; je crois cette toute-puissance, sagesse
et bonté, je l'adore. Augmentez et suppléez ce qui me défaut, s'il vous
plaît ; et, prosternée en esprit, sur ma face, aux pieds de votre grandeur
et de votre infinie miséricorde, ô mon Dieu ! mon Créateur, mon Père
très-débonnaire, mon souverain Seigneur et Sauveur, et mon unique espérance, je
vous supplie, ô mon Père éternel, au nom de votre saint Fils Jésus, de prendre,
en vos bénites mains, ma volonté, et le franc arbitre que vous m'avez donné,
duquel je me dépouille, et le remets avec ma volonté, entièrement et sans
réserve à votre sainte disposition, à ce qu'il vous plaise, et vous en supplie
par le sang précieux de votre Fils Notre-Seigneur. O ma douce miséricorde,
qu'il ne soit jamais en mon pouvoir de penser, dire ou faire volontairement, ni
autrement, s'il vous plaît, mon Dieu, aucune chose contraire à cette foi
catholique, ni contre l'espérance et confiance entière que j'ai et veux avoir
en vous pour mon salut éternel, par les mérites de la Mort et Passion de mon
Seigneur Jésus-Christ, et cela invariablement, et pareillement contre l'amour
et l'obéissance que je vous dois, et désire rendre de tout mon cœur ;
exaucez ce mien désir et prière. »
« Mon doux Jésus, si, par faiblesse, ignorance, surprise ou
tentation, ou en quelque autre manière que ce soit, je venais, ce que Dieu ne
veuille permettre, à dire, faire ou penser à quelque chose contraire à cette
mienne protestation de foi et résolution, et à [54] la remise
de ma volonté et franc arbitre, j'y renonce dès maintenant, je le désavoue,
révoque et déteste de tout mon cœur, de toute mon âme et de toutes mes forces,
vous suppliant, ô mon Dieu ! ma vraie vie, d'accepter ce mien renoncement ;
et, au nom de votre très-saint Fils, mon Rédempteur, donnez-moi votre grâce
abondante pour faire et souffrir tout ce qu'il vous plaît que je fasse, que je
souffre, et que je le fasse et souffre selon votre très-saint bon plaisir,
croyant et m'y confiant assurément en la fidélité de votre bonté, que vous ne
permettrez pas que je sois ni tentée ni chargée par-dessus les forces que vous
me donnerez. »
« J'adore du profond de mon âme vos divins jugements, et votre
volonté toute sainte en tous les événements de votre bon plaisir, en tout ce
qu'il vous plaira permettre de m'arriver et à toutes créatures ; car, ô
mon Dieu ! vos jugements sont justes, très-saints et équitables, et votre
très-sainte volonté toujours adorable ; je le confesse de tout mon cœur et
m'y soumets avec tout l'amour et révérence qu'il m'est possible. Je crois aussi
de cœur, et je confesse que vous êtes mon Dieu, unique source de tout bien, de
nature et de grâce, et qu'à vous seul appartient la gloire et la louange de
toutes les actions que font vos créatures. Je renonce donc pour jamais à toute
vaine complaisance, satisfaction et vanité qui me pourrait arriver, ou que je
pourrais avoir de quelques bonnes actions que votre grâce peut opérer par moi,
chétive créature, impuissante à tout bien, référant tout honneur de toute chose
à votre seule bonté. Je proteste aussi, mon Dieu, que j'aime et veux aimer
toute créature pour l'amour de vous seul, et qu'en toutes mes actions, pensées
et paroles, lesquelles je vous offre en union de celles de votre très-saint
Fils, je ne veux autre objet ni prétention que le seul accomplissement de votre
très-sainte volonté, à laquelle je m'unis dès maintenant, et, à cet effet,
renonçant à toute propre recherche et à tout ce qui pourrait tant soit peu
ternir la pureté de mes [55] intentions en toute chose. Par votre sainte grâce,
sans laquelle je ne puis rien, accomplissez en moi cette mienne résolution, et
qu'il vous plaise, ô mon Dieu ! ma miséricorde, recevoir la très-humble
prière que je vous fais, de vouloir départir à toutes vos créatures les grâces
et bénédictions que votre Providence leur a destinées, mais surtout à votre
chaste et sainte épouse, l'Église Catholique, et à ses chers enfants. Augmentez
en eux la foi, l'espérance et la charité, et convertissez toutes choses à votre
plus grande gloire et à leur salut éternel. Mon Dieu, je désire et vous supplie
que toutes mes actions, pensées, paroles et mouvements, soient des continuels
actes d'adoration, d'amour, de confiance et reconnaissance de vos bénéfices.
Mais spécialement, je vous supplie, ô mon Sauveur ! pour tous les Ordres
religieux, à ce que tous vous servent en pureté d'Anges et fidèle observance de
leur règle. »
« Et, tout particulièrement, de toutes les affections de mon âme,
je vous conjure, mon Seigneur, par les intercessions de la Sainte Vierge, de
saint Joseph et de notre Bienheureux Père, que cette grâce règne dans notre
petite Congrégation de la Visitation ; que l'esprit d'humilité, de
simplicité et de charité soit incessamment vivant et régnant, en toutes les
filles en général, et en chacune en particulier. Je vous prie aussi pour les
enfants que vous m'avez donnés, qui sont en nombre de quatre ; je les
offre de tout mon cœur à votre divine Majesté. Pour mon frère et pour tous nos
parents, et ceux qui prient pour moi et se confient que je prie pour eux, et
pour lesquels je me suis engagée de prier. Je vous fais aussi très-humble
requête pour la conversion des hérétiques et schismatiques, pour la paix et
union entre les princes chrétiens, et pour leur avancement en votre amour, et
tout particulièrement pour notre Roi et pour Son Altesse Royale, et pour Madame
et leurs enfants, qu'il vous plaise d'accomplir en tous votre sainte volonté.
Je vous offre encore, ô mon divin Sauveur ! ma très-humble requête pour le
soulagement [56] de tous les fidèles trépassés, et spécialement pour l'âme de
mon père, de ma mère, de mon mari, de mes enfants, de nos Sœurs de religion, et
de tous nos parents et amis, que vous les soulagiez, s'il vous plaît, selon la
grandeur de vos miséricordes ; je vous supplie de les faire reposer et
jouir de votre béatitude, et, s'il vous plaît, leur appliquer les saintes
indulgences que je me propose de gagner journellement pour elles. Et, enfin,
mon Dieu, je vous fais très-humble requête pour toutes les choses pour
lesquelles il vous plaît que vos chrétiens, et spécialement moi, vous fassent
oraison, particulièrement pour la paix universelle en votre sainte Église, à ce
qu'en tout et par tout, et en toute créature, et de toute créature, votre saint
nom soit sanctifié, votre royaume nous advienne, et votre sainte volonté soit
faite en la terre comme au ciel. Amen. Ainsi soit-il. »
« Reste, maintenant, qu'avec une profonde humilité et révérence,
je rende infinies grâces et remerciement à votre souveraine Majesté, comme je
fais de tout mon cœur pour les bénéfices de notre création, rédemption,
conservation et vocation, et pour le prix et mérite infini de votre sang
précieux, et de toutes vos souffrances, ô mon unique Rédempteur ! et de l'amour
tendre qu'il vous a plu nous témoigner, vous donnant vous-même au divin
Sacrement que j'adore pour être la vraie vie et nourriture de nos âmes, ayant
dit : Qui vous mange, vivra éternellement. Comme aussi je vous
remercie de tous les autres mystères, grâces et prérogatives que vous avez
donnés et laissés à la très-sainte Église notre bonne Mère, et tout
particulièrement je rends infinies grâces et remerciements à votre éternelle
douceur et Providence sur moi, pour l'établissement de cette Congrégation, et
pour les miséricordes et bénéfices incomparables que votre bonté m'a conférés,
et particulièrement de m'avoir fait fille de votre sainte Église, de m'y avoir
conservée par votre soin et assistance paternelle ; pour m'avoir aussi
octroyé, avec tant de [57] miséricorde, ce que vous m'avez inspiré de vous
demander avec beaucoup de larmes, qui est la guide très-sainte de notre
Bienheureux Père, par laquelle votre Providence m'a conduite à cette sainte
vocation, m'a introduite à la grâce de la journalière réception de votre
très-divin Corps au saint Sacrement, et à la connaissance de la vraie vie
spirituelle et chrétienne. Vous m'avez aussi, ô mon Dieu ! fortement et
suavement attirée au parfait dépouillement et abandonnement de moi-même, dans
le saint et bon plaisir de votre éternelle Providence, pour m'y faire reposer,
et vous laisser tout le soin de moi, dont je vous rends grâce avec mes plus
tendres affections, vous suppliant de me continuer cette faveur si
précieuse ; et, en me pardonnant, ô mon Dieu ! ma seule force, les
infidélités que j'ai commises en cette pratique, octroyez-moi, s'il vous plaît,
la grâce d'y être, dorénavant, invariablement fidèle. Et, par les mérites
sacrés de votre Fils, je vous demande pardon, de toute l'humilité de mon cœur,
de toutes les offenses que j'ai commises contre votre divine Majesté, de mes
ingratitudes et infidélités à correspondre à votre sainte grâce, et
généralement de toutes les fautes dont votre œil divin, qui pénètre toutes
choses, me connaît coupable.
O mon Dieu ! ma miséricorde, couvrez des mérites de mon Sauveur,
et effacez par son sang précieux toutes mes iniquités, et recevez, s'il vous
plaît, la confirmation que je vous fais aujourd'hui, et l'intention que j'ai de
la réitérer journellement, de tout ce que je dis, dans cet écrit, à votre
bonté, à laquelle je reconfirme mes vœux de pauvreté, chasteté et obéissance,
et de faire toujours ce que je connaîtrai clairement vous être le plus
agréable, selon les conditions du vœu que j'en ai fait par l'avis de mon Bienheureux
Père. Je reconfirme et renouvelle de tout mon cœur l'entier dépouillement et
abandonnement que je fis entre vos bénites mains, mon Dieu, de tout ce que je
suis et de toutes choses, sans aucune réserve, pour ce que votre Majesté sait,
l'ayant infinies fois renouvelé, et particulièrement [58] ce Vendredi-Saint
dernier, délaissant et remettant, derechef dans le sein de votre divine
protection, et au plus secret de la fidélité de votre saint amour, le précieux
trésor de foi, espérance et de charité, que votre grâce m'a conféré, comme
aussi le soin de mon salut éternel, de ma vie, de ma mort, du repos et paix
intérieure de mon âme, mes consolations et satisfactions, vues et réflexions
sur ce qui se passe en moi, le désir d'être délivrée de ma peine intérieure,
et, bref, tout sans exception, désirant de me perdre et abîmer tout à fait dans
le sein de votre Providence paternelle, et de me délaisser tout à fait au soin
de votre amour divin, désirant, moyennant votre sainte grâce, de ne me plus
voir ni regarder ni chose aucune qui se passe en moi, ains seulement vous pour
m'y reposer et confier simplement, non pour le bonheur qu'il y a de se confier
en vous, mais parce que c'est votre sainte volonté que vous m'avez fait
connaître par vos divins attraits, et par les conseils de mon Bienheureux Père,
auquel, moyennant votre sainte grâce, je rendrai fidèle obéissance.
Je remets dès maintenant tout ce qui m'arrivera ci-après à votre
soin ; et dès maintenant comme alors, je vous mets les choses plus
scabreuses et épouvantables, je les recommande au plus secret de votre
Providence, ne les voulant nullement profonder, mais y faire doucement ce que
je pourrai, vous laissant le soin du surplus et de toute chose en général qui
me puisse toucher, soit au corps, à l'âme et à l'esprit, me réservant le seul
soin de retourner mon esprit de toutes choses à vous, de suivre le bien que je
connaîtrai et fuir le mal, tâchant de me tenir en Dieu, douce, patiente et
paisible parmi les troubles, faiblesses, ténèbres, impuissance, et toutes
sortes de peines, sécheresses, insensibilités, qu'il plaira à mon Dieu
permettre m'arriver, tâchant de tout mon pouvoir de ne les point regarder, ni
de m'en vouloir délivrer ni affliger, ni même faire semblant de les voir,
nonobstant que je les sente vivement ; [59] mais par-dessus toute vue et
sentiment, quel qu'il puisse être, je tiendrai simplement mon esprit en Dieu,
ou auprès de Dieu, en ce repos, abandonnement, et très-ferme confiance, sans le
vouloir sentir, ni en faire des actes. Que s'il plaît à Dieu me donner des
sentiments de sa présence, et de toute vertu, je demeurerai en lui seul, et en
son bon plaisir, moyennant sa très-sainte grâce ; et, fondée sur cette
résolution et reconfirmation, je ne ferai plus aucun effort pour faire des actes
de quoi que ce soit ; mais, simplement, en touchant cet écrit, mon
intention est, et je la mets devant vous, ô mon Dieu ! ma souveraine
miséricorde, en qui je mets mon espérance, mon intention, dis-je, est de
reconfirmer, approuver et ratifier tout ce que j'ai dit en cet écrit :
voilà mes désirs, mes résolutions et affections invariables. Mais, ô mon
Dieu ! souveraine Vérité qui pénétrez les plus intimes replis de mon cœur,
je confesse devant vous mon impuissance, ma misère, ma pauvreté, abjection, mon
vrai néant, et qu'il m'est impossible d'accomplir toutes ces miennes
résolutions et très-cordiales affections, sans l'assistance toute-puissante de
votre divine grâce ; car vous savez le fond de ma misère et de ma
faiblesse. C'est pourquoi établissant en vous, ô mon Dieu ! tout mon soin,
toute mon espérance, et ma force par-dessus tous mes sentiments, prosternée aux
pieds de votre miséricorde, ô mon Père très-saint ! je vous supplie
très-humblement, au nom de votre très-saint Fils, notre Rédempteur, d'avoir
pour agréable ces miennes affections, prières, résignations et résolutions, et
m'octroyer la grâce abondante qui m'est nécessaire pour les accomplir
parfaitement, entièrement et fidèlement, jusqu'au dernier soupir de ma
vie. »
« O doux Jésus, et Sauveur de mon âme ! qui êtes la vérité
infaillible, vous nous avez promis que ce que nous demanderions à votre Père
éternel, en votre nom, il nous le donnerait, faites-moi jouir de l'effet de vos
divines et infaillibles promesses ; vous savez que tout mon désir est
d'être tout a [60] vous, et que, par votre grâce, je n'ai rien
excepté en mes renoncements, que vous seul et le bien d'incomparable bonheur de
ne vous point offenser, d'être éternellement vôtre, et conjointe à votre douce
et très-équitable volonté pour disposer de moi au temps et à l'éternité, selon
votre saint bon plaisir. Que, s'il vous plaît, ô ma chère espérance ! que
je vous demande la délivrance de mon affliction intérieure, je le fais de tout
mon cœur ; oui, mon cher Rédempteur, s'il est possible, je vous prie,
rendez-moi les sentiments, lumières, connaissances et goûts de votre amour, de
la sainte foi et confiance dont votre grâce m'avait favorisée ; mais,
toutefois, non ma volonté, mais la vôtre toute sainte soit faite, espérant que
votre miséricorde n'abandonnera jamais ce qu'il lui a plu mettre en moi par sa
seule bonté, puisqu'elle m'a fait la grâce que j'ai tout abandonné pour son
saint amour, auquel je me suis toute consacrée et me sacrifie, derechef, de
tout mon cœur. Or, puisqu'il vous plaît, mon Dieu, que je n'aie plus de bras
pour me porter, ni plus de sein pour me reposer que le vôtre et votre
Providence, conduisez-moi, mon cher Maître, vous-même en cette sainte
voie ; veuillez pour moi tout ce qu'il vous plaira, et que je meure à
moi-même et à toutes choses, pour ne plus vivre qu'en vous seul, mon unique vie
et assuré refuge ; accomplissez en moi vos éternels desseins, sans que j'y
donne aucun empêchement. Je confesse, derechef, que je suis tout à fait
incapable de tout bien, et d'accomplir ce mien désir et résolution, sans l'aide
de votre grâce extraordinaire et puissante ; je vous la demande donc en
l'honneur de votre saint Jésus, et par la pureté de votre sainte Mère que je
choisis pour ma protectrice, invoquant l'assistance de ses prières, celle de
saint Joseph, de mes chers Patrons, saint Jean-Baptiste et Évangéliste, saint
Pierre et saint Paul, de saint Augustin, mon saint Ange, mon Bienheureux Père,
saint Claude, sainte Madeleine, et mes autres protecteurs, et tous les
bienheureux Saints et Saintes, désirant [61] que tous louent et remercient Dieu
pour moi. Mon Dieu, qu'ils nous soient tous favorables ; je vous en
supplie par vous-même, mon Seigneur Jésus-Christ, que j'adore vrai Dieu, unique
Trinité du Père, et du Saint-Esprit, un seul vrai Dieu unique. »
Amen. Amen.
« sœur
jeanne-françoise fremyot,
de la
visitation sainte-marie. »
dieu soit béni. vive †
jésus.
« Mon Dieu, je vous rends grâces infinies pour les dons de grâces
que vous avez faits à notre Bienheureux Père et à notre Congrégation :
louange éternelle soit à mon Dieu. »
trouvés dans le livre des constitutions de notre bienheureuse mère, écrits de sa main.
Un billet, écrit de la main de notre Bienheureux Père, contenait ces
mots :
« Dieu, à qui je suis, fasse de moi selon son bon plaisir ;
peu m'importe où j'achèverai ce chétif reste de mes jours mortels, pourvu que
ce soit dans sa grâce ; selon le sens, j'aimerais mieux le repos de deçà,
qui me serait infiniment paisible après l'issue de l'affaire qui se traite de delà ;
mais je renonce aux sens, au sang et à la chair, et veux servir, en esprit et
en vérité, à Dieu et à son Église, en toutes les occurrences. » [62]
Premier papier de notre bienheureuse mère.
Ce qui m'a été dit, par notre Bienheureux Père, pour mon exercice intérieur.
Il me dit ainsi, en ses derniers avis, après une retraite annuelle :
« Notre-Seigneur vous aime, ma chère Mère, il vous veut toute
sienne : n'ayez plus d'autres bras pour vous porter que les siens, ni
d'autre sein pour vous reposer que le sien et sa Providence. N'étendez votre
vue ailleurs et n'arrêtez votre esprit qu'en lui seul. Tenez votre volonté si
simplement unie à la sienne en tout ce qui lui plaira faire, de vous, en vous,
par vous, et pour vous, et en toutes choses qui seront hors de vous, que rien
ne soit entre deux. Ne pensez plus à chose quelconque de tout ce qui vous
regarde, tant pour la vie que pour la mort, car vous vous êtes toute abandonnée
et remise au soin de l'amour éternel que la divine Providence a pour
vous ; demeurez là en repos, en esprit de très-simple et amoureuse
confiance, et ceci se doit pratiquer non-seulement à l'oraison, où il faut
aller avec une grande douceur d'esprit, sans dessein d'y faire chose
quelconque, ains seulement pour être à la vue de Dieu, dans cette simple remise
et repos en lui, et comme il lui plaira, se contenter d'être à sa présence,
encore que vous ne le voyiez, ni sentiez, ni sauriez représenter, et ne vous
enquérez de lui, de chose quelconque, sinon à mesure qu'il vous excitera. Ne
retournez nullement sur vous-même, ains soyez là près de lui ;
non-seulement, dis-je, il faut pratiquer cette simplicité et abandonnement en
l'oraison, mais en la conduite de toute la vie, rejetant et délaissant toute
votre âme, vos actions, vos succès, vos affaires au bon plaisir de Dieu et à la
merci de son soin : il faut tenir l'âme ferme dans ce train. » [63]
Deuxième papier.
Abrégé des avis de notre Bienheureux Père et le fin dernier. Il me dit
ainsi :
« En ce jour de saint Claude, mémorable à notre Congrégation, je
ramasse ainsi tout ce que je vous ai dit pour l'abréger : soyez fidèlement
invariable, en cette résolution, de demeurer en une très-simple unité et unique
simplicité de la présence de Dieu, par un entier abandonnement de vous-même en
sa très-sainte volonté ; et toutes les fois que vous trouverez votre
esprit hors de là, ramenez-l'y doucement, sans faire pour cela des actes
sensibles de l'entendement ni de la volonté ; car cet amour simple de
confiance et cette remise et repos de votre esprit dans le sein paternel de
Notre-Seigneur et de sa Providence, comprend excellemment tout ce que l'on peut
désirer pour s'unir à Dieu ; demeurez donc ainsi sans vous en divertir
pour regarder ce que vous faites, ou ferez, ou ce qui vous adviendra en toute
occurrence et en tout événement. »
« Ne philosophez point sur vos contradictions et
afflictions ; mais recevez tout de la main de Dieu, sans exception,
demeurant douce, patiente, et acquiesçant en tout très-simplement à sa sainte
volonté ; que toutes vos paroles et actions soient accompagnées de douceur
et simplicité. Quand vous apercevrez que quelque soin ou désir naîtra en vous,
remettez-le en Dieu, ne voulant seulement que lui et l'accomplissement de sa
sainte volonté, lui laissant le soin de tout le reste. »
« Demeurez en la très-sainte solitude et nudité avec
Notre-Seigneur Jésus-Christ crucifié. »
« Faites bien ceci, ma très-chère Mère, ma fille ; mon âme,
mon esprit vous bénit de toute son affection, et Jésus soit celui qui fasse, de
vous, par vous, et pour lui, sa très-adorable volonté. Amen. Amen.
Troisième papier.
O Père éternel ! votre Providence gouverne toutes choses et rien
ne se fait que par votre volonté, hormis le péché. C'est entre les bras et dans
le sein de cette douce Mère, et par ses divins attraits, que, dès longues
années, j'ai consigné, abandonné et remis sans aucune réserve tout ce que je
suis et serai à jamais, pour le temps et pour l'éternité, lui ayant donné le
soin et lui laissant, derechef, pour tout ce qui regarde ma vie, ma mort, mon
honneur, et, bref, tout, pour en faire disposer et ordonner selon son bon
plaisir, et de toutes autres choses qui sont hors de moi, ne me réservant que
le seul soin de tenir mon esprit dans cette très-simple remise et unique regard
de Dieu, unité en Dieu, et de parfaite confiance et repos en sa bonté et
fidélité de son amour, sans mélange d'aucun acte ni recherche d'autre vue,
connaissance ni satisfaction, sinon quand il plaira à sa bonté de me le donner,
protestant à mon Dieu, que, moyennant sa grâce, sans laquelle je ne puis rien,
que jamais, volontairement, je n'arrêterai mon esprit hors de là, et le
ramènerai promptement et simplement, quand je m'apercevrai qu'il en sera
dehors, ainsi que mon Bienheureux Père m'a commandé d'y être fidèle. M'étant
ainsi remise en Dieu, à son entière disposition, je ne dois plus rien vouloir,
ni désirer, ni refuser, mais suivre simplement le vouloir de Dieu, recevant
indifféremment tout ce qui m'arrivera de sa douce Providence, y acquiesçant
très-simplement, remettant à son soin toutes les choses petites et grandes qui
m'arriveront et dont il me commettra la conduite, y faisant tranquillement ce
que je pourrai, mais surtout les lui recommandant souvent, et m'appuyant
surtout en son aide ; puis, j'acquiescerai à ce qu'il lui plaira qui en
succède ; et les affaires et autres événements plus difficiles et [65]
scabreux, je les remettrai au plus secret de sa divine Providence. Amen.
Je supporterai, avec compassion, le prochain, sans m'aigrir de ses
fautes ni péchés, considérant que si Dieu ne m'aidait je ferais pire ; je
lui ferai tout le bien que je pourrai et jamais aucun mal, moyennant la grâce
divine. Amen.
(Suivent deux autres billets que l'on supprime parce qu'ils se
retrouvent dans le Petit Livret sous les numéros 53 et
58.)
Sixième papier.
Dieu m'a fait voir, ce matin, en l'oraison, que je ne me dois plus du
tout voir ni regarder, mais lui seul, cheminant à yeux clos, appuyée sur mon
Bien-Aimé Jésus, sans vouloir voir ni savoir le chemin par où il me conduira,
ni non plus avoir aucun soin de chose quelconque, non pas même de lui rien
demander, mais demeurer simplement toute perdue et reposée en lui, en ce
très-pur regard, sans mélange d'autre chose. Dieu soit béni dans mon cœur.
VIVE † JÉSUS.
avis de notre saint fondateur à notre digne
mère, copiés par elle-même, dans le propre livre de ses constitutions,
précieusement gardé à notre monastère de rennes.
Je désire que vous soyez extrêmement humble et petite à vos yeux,
douce, condescendante et simple comme une colombe, que vous aimiez votre
abjection, et la pratiquiez fidèlement, [66] employant de bon cœur toutes les
occasions qui vous arriveront pour cela. Ne soyez pas prompte à parler, ains
répondez tardivement, humblement, doucement, et dites beaucoup en vous taisant
par la modestie et égalité.
Supportez et excusez fort le prochain et avec une grande douceur de
cœur.
Ne philosophez point sur les contradictions qui vous arriveront ;
ne les regardez point, mais, Dieu, recevant toutes choses sans exception de la
main de Dieu, acquiesçant à tout très-simplement.
Faites toutes choses pour Dieu, unissant ou continuant votre union par
de simples regards ou écoulements de votre cœur en lui.
Ne vous empressez de rien, faites toutes choses tranquillement, en
esprit de repos. Pour chose que ce soit, ne perdez votre paix intérieure, quand
bien tout bouleverserait ; car qu'est-ce que toutes les choses de cette
vie, en comparaison de la paix du cœur ?
Recommandez toutes choses, tout à Dieu, et vous tenez coye et en repos
dans le sein de sa paternelle Providence.
En toutes sortes d'événements, n'arrêtez votre vue ailleurs ;
soyez fidèlement invariable en cette résolution, de demeurer en une très-simple
unité et unique simplicité de la présence de Dieu, par un amour de parfaite
confiance, vous délaissant à la merci de l'amour et du soin éternel que la
divine Providence a pour vous. Quand vous trouverez votre esprit hors de là,
ramenez-l'y doucement, et très-simplement. Demeurez invariable en la
très-sainte nudité d'esprit, sans vous revêtir jamais d'aucuns soins, désirs,
affections ni prétentions quelconques, sous quelque prétexte que ce soit.
Notre-Seigneur vous aime, il vous veut toute sienne. N'ayez plus
d'autres bras pour vous porter que les siens, ni d'autre sein pour vous reposer
que le sien et sa Providence ; n'étendez [67] votre vue ailleurs et
n'arrêtez votre esprit qu'en lui seul. Tenez votre volonté si simplement unie à
la sienne que rien ne soit entre deux ; oubliez tout le reste, ne vous y
amusant plus ; car Dieu a convoité votre nudité et simplicité ;
demeurez là en repos, en esprit de très-simple confiance. Prenez bon courage et
vous tenez humble devant la divine Providence. Ne désirez rien que le pur amour
de Notre-Seigneur.
Ne refusez rien, pour pénible qu'il soit. Revêtez-vous de
Notre-Seigneur crucifié ; aimez-le en ses souffrances, et faites des
oraisons jaculatoires là-dessus. Amen. Amen.
Faites bien ceci, ma très-chère Mère, ma vraie fille ; mon âme et
mon esprit vous bénit de toute son affection, et Jésus soit celui qui fasse, en
nous, de nous, par nous, et pour lui sa très-adorable volonté. Amen.
J'ai, grâces à Dieu, les yeux fixés sur cette éternelle Providence, de
laquelle les décrets seront à jamais les lois de mon cœur.
François, évêque de Genève.
composée par notre
digne mère et
écrite de sa propre main dans le même livre.
O très-heureux saint François de Sales, vraiment très-saint serviteur
de Dieu, le cher et très-assuré guide de mon âme, le don précieux de mon
Dieu ; mon vrai Père, dis-je, mon très-doux maître, et maintenant mon
fidèle avocat : regardez nos nécessités, et le cœur que Dieu a joint au
vôtre, ne permettez pas qu'il en soit jamais désuni. Car, souvenez-vous que
vous m'avez promis que cette union serait éternelle ; faites donc, mon
Père très-vénérable, par vos saintes intercessions, que je sois si fidèle à
l'observance des choses que vous m'avez [68] enseignées, que je parvienne à
cette souveraine unité de laquelle vous jouissez si glorieusement, afin qu'avec
vous, je puisse, en la compagnie de la glorieuse Vierge et des saints, louer,
bénir, aimer éternellement le souverain Bien-Aimé de nos âmes. Ce que je vous
demande, non-seulement pour moi, mais pour tous les enfants de la sainte Église,
et, en particulier, pour celles de la chère Congrégation que vous avez
engendrée en Notre-Seigneur, et dont vous aviez mémoire en vos saintes prières
pendant votre pèlerinage.
Vous voyez, ô mon Père très-saint, les désirs de mon âme, je ne vous
les exprimerai pas. Vous savez en quelle vénération vous m'êtes ; vous
voyez mes larmes et mes sentiments, et la confiance parfaite que je veux avoir
en votre sainte protection, mon Père mon maître et mon saint ;
souvenez-vous que mon Dieu m'a donnée à vous, et vous à moi ; ayez donc un
soin continuel de moi, je vous en prie, afin que parfaitement j'accomplisse la
volonté de mon Dieu sans réserve, sans réserve. Ainsi soit-il.
Le matin. (Lever, cinq heures et demie.) Dès que je suis habillée, et que j'ai lu mon point d'oraison, je la
fais ; à la fin de laquelle je dis Prime (sept heures), puis me
retire pour faire nos petites affaires ; ensuite, quelques petites
pratiques de mortification, qui ne sont ni longues ni pénibles, car il ne se
faut pas accabler.
Après, je fais un peu de lecture ; j'en fais peu, car il me semble
que de beaucoup lire m'accable l'esprit ; après, je me repose un peu en
Dieu, et fais quelque peu d'ouvrage.
Quand on sonne l'Office (huit heures et demie), et que je n'y
vais pas, je le dis tout bas, puis je lis mon second point d'oraison ;
après, si j'ai du temps avant la sainte messe, je me tiens doucement auprès de
Notre-Seigneur. S'il fait beau temps, je vais un peu me promener ; ensuite
la messe (neuf heures), après laquelle je fais l'oraison, puis l'examen,
après lequel on va dîner (dix heures et demie).
L'après-diner. La récréation : si je puis ne point parler aux Sœurs, je la vais prendre au jardin, en un lieu où
je puisse être seule, pour me divertir spirituellement, chantant quelques
cantiques, et aspirant en Dieu comme le poisson dans la mer, l'éponge dans
l'eau, ou l'oiseau dans l'air ; ainsi l'esprit s'occupe en se récréant. Et
j'aime mieux la récréation depuis midi jusqu'à l'obéissance (c'est-à-dire de
midi à midi et demi), ou bien, après, je fais demi-heure de lecture.
Après, je m'occupe à notre ouvrage en faisant des retours d'esprit vers
Dieu, si je n'ai point d'occupation particulière ; si j'ai quelque
attrait, je tâche d'y demeurer simplement. Je prépare mon point d'oraison que
je fais à deux heures.
Quand on sonne Vêpres (trois heures), si je ne vais pas à
l'Office, je les dis ; puis je vais me promener comme à la récréation du
matin ; ensuite, je dis le chapelet, si je ne l'ai pas dit. Après, je lis
un peu et prépare mon point d'oraison et un chapitre de l’Amour de Dieu. (Six
heures, souper et temps libre.)
À huit heures et un quart, je vais au chœur pour faire une petite revue
de ce qui s'est passé durant le jour, tant des biens reçus, par les lumières et
bons mouvements, que des fautes, négligences et pertes de temps, dont je
demande pardon à Dieu et fais résolution d'être plus fidèle. (Huit heures et
trois quarts, Matines.)
Après chaque oraison, il est bon de se remémorer les bons mouvements
que Dieu a donnés.
Les premiers jours de retraite, je prends des saints protecteurs, sous
l'assistance desquels je fais ma solitude. On en prend selon les voies :
en l'illuminative, ceux qui sont allés suivant le Fils de Dieu ; en
l'unitive, ceux qui sont parvenus, dès cette vie, à des unions spéciales avec
Dieu.
Le dernier jour de la retraite, il faut revoir ce que Dieu a donné et
versé dans le cœur, par des lumières pour l'amendement ; et, ayant connu,
relié et serré plus fortement ce qu'on a donné à Dieu, il faut faire la
conclusion et prendre congé de Notre-Seigneur, ou plutôt l'emporter avec soi,
ne se contenter pas de sa bénédiction, mais de Lui, qui est le Dieu de
toutes bénédictions. Il viendra avec nous, si nous l'en pressons, comme les
disciples d'Emmaüs, dans le logis et négoce d'ici-bas, tandis qu'il nous
laissera dans cette vallée de larmes et de misères ; et, après, il faut
espérer qu'il nous mènera avec lui en sa gloire.
Le lendemain de la retraite, il faut lire le chapitre iii du Xe livre de l’Amour
de Dieu pour faire la conclusion.
dispositions pour faire une bonne retraite.
1. Il faut y entrer avec une résolution sincère de faire tout ce que
Dieu veut de nous : se mettre devant lui comme une table rase et le prier
d'y imprimer tout ce qu'il lui plaira.
2. Un grand courage, pour répondre à tous les desseins de Dieu sur
nous.
3. Une grande exactitude à suivre le règlement du jour, exercices,
lectures, oraisons, etc., et vivre plus régulièrement que dans tout autre
temps.
4. Une grande fidélité à faire les mortifications et les pénitences qui
nous sont ordonnées. [71]
5. Un grand courage à soutenir les sécheresses, les peines intérieures,
et une exacte fidélité à ne pas se relâcher en ce temps-là.
6. La force à souffrir la vue de notre intérieur, tout délabré et sens
dessus dessous.
7. Un silence exact à éloigner de notre esprit toutes les pensées, et
tous les objets qui pourraient nous distraire.
8. Enfin, s'abandonner à la grâce et ne rien refuser à Dieu, quoi que
ce puisse être, et quelque effort qu'il en puisse coûter. Amen.
EXHORTATIONS SUR LA RÈGLE DE
SAINT-AUGUSTIN
exhortations
(faites en chapitre) sur plusieurs
points de la règle de saint-augustin
SUR LE PREMIER CHAPITRE DE LA RÈGLE.
Avant toutes choses, mes très-chères Sœurs, que Dieu soit aimé, et puis
le prochain, car ces commandements nous ont été principalement donnés.
Vous voyez, mes Sœurs, qu'en cette règle saint Augustin nous propose
premièrement le grand commandement de Dieu, et nous dit qu'avant toutes
choses, Dieu soit aimé, puis le prochain. Il faut donc que ce commandement
soit le fondement et la base de notre perfection ; car en l'observance
d'icelui gît tout le comble de la perfection chrétienne et religieuse.
Il ne faudrait pas que nous pensassions que, pour avoir quitté le monde
et embrassé la suite des conseils évangéliques, nous ne dussions plus penser à
l'observance des commandements ; car, si bien nous sommes hors des
dangers, par la miséricorde de Dieu, de l'offenser, en quelque commandement,
néanmoins, c'est toujours la première et la plus grande obligation que
l'observance des commandements divins et ceux de la sainte Église. Et voici le
premier, qui nous est mis au beau commencement de notre règle, pour nous
montrer que c'est le chemin de toute la perfection, et que si nous observons
bien ce commandement, [74] tout le reste nous sera fort facile ; car, en
icelui, dit Notre-Seigneur, gît la loi, les prophètes et la perfection des
vrais chrétiens : aimer Dieu de tout son cœur, de toutes ses forces, de
tout son entendement, de toute sa pensée et de toute son âme, et puis son
prochain comme soi-même. Certes, mes chères Sœurs, il me semble, et Dieu
veuille que je me trompe, que nous ne pensons pas assez à la pesanteur de ce
commandement ; n'appliquons-nous jamais nos cœurs, nos pensées, nos forces
ni nos entendements, ni nos âmes qu'à aimer Dieu ? Certes, oui, et je vois
que quelquefois notre fragilité est si grande, que nous préférons nos petites
inclinations, nos petites volontés, de petites chimères, à la pureté de l'amour
de Dieu et de la raison.
En second lieu, ne faisons-nous jamais à notre prochain que ce que nous
désirerions qui nous fût fait ? Sommes-nous aussi bien aises de son bien
comme du nôtre ? Couvrons-nous bien ses fautes ? Sommes-nous bien
condescendantes à tout ce qu'il veut ? Ressentons-nous ses douleurs ?
Sommes-nous bien soigneuses de le consoler, servir et soulager ? Oh que
nenny ! nous voulons, pour l'ordinaire, être préférées à lui, et,
pourtant, mes chères Sœurs, voyez à quoi ce commandement nous oblige ?
c'est pourquoi, je vous prie, du fond de mon cœur, que vous y fassiez une
soigneuse et sérieuse attention. Vous savez que nos prochains plus proches, ce
sont nos chères Sœurs, avec lesquelles nous conversons ; c'est aussi à cette
cordiale union et amour réciproque les unes pour les autres, à quoi je vous
exhorte, afin que vous méritiez de recevoir les bénédictions que Dieu a
accoutumé de répandre sur les communautés unies unanimement en son amour.
(Faite vers 1630.)
SUR LE SECOND CHAPITRE DE LA RÈGLE.
Que vous observiez ce pourquoi vous êtes assemblées et congrégées, qui
est que vous habitiez unanimement en la maison et que vous n'ayez qu'une âme et
un cœur en Dieu.
Voici une règle grandement importante, que vous observiez ce
pourquoi vous êtes assemblées et congrégées. Pourquoi sommes-nous ici
toutes assemblées dans ces cloîtres, mes chères Sœurs, sinon pour nous unira
Dieu par l'entière, ponctuelle et exacte observance de nos règles,
constitutions et tout ce qui concerne notre petit Institut ?
Nous sommes encore assemblées afin de prier Dieu pour les
peuples ; et j'ai pensé que je devais dire à mes Sœurs la grande misère où
se trouve cette pauvre ville, ayant grandement peur que nous ne soyons pas
assez soigneuses de prier et invoquer Dieu pour cela, en quoi, certes, nous
serons fort responsables devant Dieu ; car, mes chères Sœurs, nous ne
souffrons rien ; nous avons tout ce qu'il nous faut ; rien ne nous
manque du nécessaire ; nous ne voyons pas la misère où le pauvre peuple
est réduit ; je vous le dis, afin que je ne sois pas responsable, devant
Dieu, de ne pas vous l'avoir fait savoir. Le pauvre peuple donc est réduit en
cette extrémité, que l'on craint que la populace ne se jette en désespoir si
Dieu ne l'assiste : les trois fléaux de la divine justice sont sur
lui ; la peste, la guerre et la famine le frappe. La maison de Monseigneur
de Genève est en un péril évident, et c'est une chose
étrange de ce que ce bon Seigneur fait pour son peuple : il le sert et
distribue son bien avec une joie et allégresse si grande, que j'en demeure tout
étonnée. [76] Or, mes chères Sœurs, c'est l'une des choses pour laquelle nous
sommes assemblées, que de prier pour le public, et je vous conjure de le faire
soigneusement, car la charité vous y oblige.
Suppliez Notre-Seigneur d'apaiser son ire de dessus son peuple, de
retirer sa fureur de dessus ses enfants ; criez-lui merci pour tous ;
invoquez sa miséricorde ; conjurez son Cœur amoureux de nous exaucer. Vous
savez que David ayant choisi le fléau de la peste, il vit, en moins de rien,
soixante-dix mille hommes mourir ; il eut recours à Dieu d'un esprit
humilié ; il fut exaucé et Dieu retira son ire. Nous faisons des
pénitences, jeûnes, disciplines, prières et oraisons, il est vrai, et je suis bien
aise de vous y voir affectionnées ; mais cela ne servira de guère, si nous
n'y appliquons nos cœurs et nos affections ; possible que si nous étions
soigneuses et ferventes à supplier la divine Majesté, qu'elle nous exaucerait.
Je désire que nous le fassions sérieusement, et, en particulier, pour
Monseigneur et toute sa maison ; car, si elle était infectée, les pauvres
en pâtiraient extrêmement.
SUR LE SIXIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE.
Quand vous priez Dieu par psalmes et cantiques, que ce que vous
prononcez de voix soit pareillement en votre cœur, etc.
Je ne pense pas que quand saint Augustin dit, en cette règle, que ce
que vous prononcez de voix soit pareillement en votre [77] cœur, il
n'entend pas que nous entendions le latin, car plusieurs ne le pourraient
pas ; il suffit que, quand nous allons au chœur, nous y allions avec ce
désir de louer Dieu, le bénir et lui rendre grâces ; car tous les psalmes,
hymnes et cantiques que nous disons, sont tous dressés, ou pour louer Dieu de
ses grandeurs, ou pour le bénir de sa douceur, ou pour lui rendre grâces de ses
bienfaits. Que les Sœurs qui entendent l'Office n'enfouissent pas ce talent,
car il faudra qu'elles en rendent compte, au jour du jugement, à Celui qui ne
nous donne rien pour néant ; que celles qui ne l'entendent pas s'occupent
fidèlement comme le Coutumier marque. Il n'y a rien sur cet article, sinon que
c'est la plus digne fonction de la religion que la célébration des Offices
divins, et c'était l'un des désirs de notre Bienheureux Père que nous fissions
les Offices sacrés avec grand respect, dévotion et attention.
Et, de vrai, il faut que je dise que l'autre jour j'eus de la douleur,
en entendant les Sœurs de notre chœur dire empressément le Gloria tibi,
Domine, à Matines ; on eût quasi jugé que c'était quelque couplet de
chanson. Eh mon Dieu ! mes Sœurs ! étiez-vous bien en la présence de
Dieu, et pesiez-vous bien ce que vous disiez ? Le verset n'est pas malaisé
à entendre : Gloria tibi, Domine, Gloire soit à vous, Seigneur, qui
êtes né de la Vierge, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, en l'éternité des
siècles ; cela devrait être dit avec un amour et une attention nonpareils.
Nous sommes là, à parler à cette éternelle bonté, à cette infinie douceur et
clémence, à ce Dieu tout-puissant qui nous a choisies pour chanter ses
louanges, et nous ne nous tenons pas en attention de le bien faire ;
certes, nous méritons pénitence. Au reste, je me plains grandement de nos Sœurs
les surveillantes, qui n'avertissent pas de tout plein de petites fautes qui se
commettent au chœur, tant aux cérémonies qu'aux autres choses. Mes chères
Sœurs, quand il s'agit du culte divin, il faut être rigoureusement
consciencieuses, pour bien [78] faire tout ce qui en dépend ; j'espère
que nous nous redresserons, autrement je vous assure que je donnerai des
pénitences.
SUR LE DIXIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE.
Que votre habit ne soit pas remarquable, et n’affectez pas de plaire
par les habits du corps, mais par les habitudes du cœur, etc.
Voyez-vous, mes Sœurs, cette règle défend les affectations, les petites
complaisances qui se pourraient prendre vainement aux habits extérieurs ;
mais elle ne défend point la propreté et bienséance religieuse que nous sommes
obligées de garder ; et l'on ne verra jamais une fille qui aime bien sa
vocation, mal propre ; car, elle honore son saint habit, elle le respecte
sans affectation. Pourtant, l'on voit quelquefois des âmes si pleines du désir
de contenter les créatures, que leur contenance extérieure en est désagréable,
qu'elles sont toujours en peine, et ont si peur de dire quelque chose qui soit
trouvé mal, qu'elles sont en perpétuelle alarme et examen ; ne faisons pas
ainsi, mes chères Sœurs, mais tâchons de plaire à Dieu par les saintes
habitudes du cœur, et, pour cela, ayons grand soin de nos âmes et peu de nos
corps.
Il me vient en pensée de vous dire ce que notre Bienheureux Père m'a
souvent dit : Mon âme est aux hasards si je ne la porte en mes
mains ; examinez souvent, me disait ce Bienheureux, si vous avez votre
âme en vos mains, si quelque passion, trouble ou inquiétude ne vous l'a point
emportée ; voyez [79] si vous l'avez à votre commandement, ou bien si elle
est engagée en quelque affection ; et, si vous voyez qu'elle vous ait
échappé, avant toutes choses, cherchez-la et la reprenez. Mais, souvenez-vous
qu'il la faut prendre doucement et bellement ; car, si vous la vouliez
prendre à force de bras, vous l'effaroucheriez. Voilà ce que ce Bienheureux
m'enseignait, et voilà ce que je vous conseille. Portez, tenez, et gardez
soigneusement votre âme entre vos mains, pour la pouvoir toujours veiller, et
avoir l'œil dessus ses mouvements. Regardez souvent si quelque inclination ne
la blesse point, si quelque aversion ne la ternit point, si quelque passion
déréglée ne l'ôte point de son assiette, si quelque affection impure ou
nuisible ne vous l'a point déjà ravie ; puis, tout doucement, réparez ce
désordre, la remettant en son lieu, qui est Dieu, son vrai centre ; voir
encore si elle est bien disposée à tout ce qu'il plaira à Dieu, bien soumise à
tout ce qu'il permet d'arriver ; si elle est bien contente et indifférente
du doux et de l'amer, et à ces divines volontés. Regardez encore si cette chère
âme est en état pour être rendue au Seigneur, qui vous l'a donnée, quand il vous
la demandera. Enfin, mes chères Sœurs, je vous supplie de faire comme ceux qui
tiennent en leurs mains des choses qu'ils ont peur de perdre ; ils les
tiennent soigneusement et les regardent souvent, ne les exposent point au
danger de les égarer ; ainsi regardez souvent votre âme, ne l'exposant
point à nuls dangers. Ainsi faisant, vous la porterez en vos mains, et la
posséderez ; c'est le grand bonheur de l'homme que de posséder une chose
si digne que son âme. [80]
(Faite en 1630)
SUR LE ONZIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE.
Si vous jetez les yeux sur quelqu'un, ne les arrêtez toutefois sur
aucun, etc.
Mes Sœurs, je crois que, grâce à Notre-Seigneur, nous sommes hors des
occasions de pouvoir tomber en ce défaut des regards impudiques ; mais
saint Augustin nous montre, en cette règle, combien nous devons appréhender la
toute présence de Dieu ; car, si bien nous nous pouvons cacher, pour
quelque temps, de ceux du monastère, couvrant nos fautes, pour n'être pas vues
en icelles, néanmoins nous ne pouvons échapper à l'œil divin de ce grand
Spectateur d'en haut, qui voit et pénètre jusqu'au plus caché des cœurs et au
plus intime de nos entrailles. Il considère toutes nos voies, il compte tous
nos pas, il marque et nombre toutes nos actions. Il me semble que c'est le
raccourci moyen de la perfection, que cette attention à la véritable présence
de ce grand Dieu ; c'est pourquoi je vous y exhorte de tout mon cœur,
regardant au Seigneur dans toutes nos voies, et il régira nos pas.
Je lisais aujourd'hui que le grand saint Paul dit : Je ne suis
pas parfait, mais Je me résous à parfaire ma perfection, et, pour cela,
d'oublier les choses passées et regarder celles qui sont devant moi, courant à
la lice, afin de m'être peine d'emporter le prix de ma perfection en la suprême
vocation de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Que devons-nous dire,
mes chères Sœurs, si le grand Apôtre dit qu'il n'est pas parfait, lui qui fut
sanctifié à l'instant de sa conversion, ravi jusqu'au troisième ciel, et choisi
de Dieu pour un vase élu qui porte son saint nom ? [81] S'il dit qu'il
veut m’être peine de parfaire sa perfection, devons-nous croire avoir
prou fait ? Ce saint Apôtre court de pays en pays ; il pâtit ;
il est battu, fouetté, enfin est submergé et emprisonné ; et, nous autres,
pour un peu de mortification, dirons que c'est assez ! O mes Sœurs !
je vous supplie, non ; mais oublions le passé, le monde et tous ses
fatras ; si nous avons été pécheresses, comme toutes ont offensé
Notre-Seigneur, oublions, après notre confession générale, les particularités,
et nous réservons seulement le continuel souvenir, en bloc, que nous avons
offensé Dieu ; demeurons contrites et humiliées, prenons tous nos péchés
et les présentons à Dieu, disant, comme David : Effacez mon iniquité,
Seigneur, détournez votre face de mes péchés ; ayez merci de moi, selon la
multitude de vos miséricordes ; ne me reprenez point en votre ire, ne me
châtiez point en votre fureur. Puis, regardons devant nous, levons nos yeux
au ciel et nos cœurs à Dieu ; travaillons pour parfaire nos œuvres, et
courons pour achever le chemin qui nous reste afin d'arriver à cette patrie
céleste ; ne laissons pas une de nos pensées en la terre, sinon autant que
la charité le requerra ; amassons-les et les jetons au ciel, travaillons
généreusement pour nous parfaire en cette surnaturelle vocation dont Dieu nous
a gratifiées.
SUR LE DOUZIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE.
Quand donc vous êtes ensemble en l'église et ailleurs, partout où les
hommes se trouvent, prenez soin, etc.
Je vous l'ai dit autrefois et je le redis encore, mes chères Sœurs,
qu'il n'y a rien à reprendre en vous, sur le vœu de [82] chasteté,
le saint Époux lui-même étant le gardien de vos cœurs ; mais, il y aurait
lieu de se plaindre, mes chères Sœurs, de vous voir négligentes en plusieurs
petites rencontres sur le vœu d'obéissance. Vous savez ce que dit le Coutumier,
et comme il nous recommande d'avoir à cœur la propreté et netteté du
monastère ; avec tout cela, je vous trouve peu attentives à retirer les
petites choses : ici, l'on voit traîner un panier ; là, une
quenouille ; là, un livre ou un ouvrage. Et d'où vient tout cela, mes
filles, sinon que nous n'aimons pas assez le bon ordre, et les petites
obéissances ?
Je sais bien que la volonté ne concourt pas à ces petits
manquements ; mais je ne laisse pas de comprendre que c'est un défaut de
zèle pour cette grande vertu d'obéissance. Sachez pourtant, mes chères Sœurs,
qu'elle est le lien et la perfection de la religion ; ôtez-la d'un
monastère, et il ressemblera d'abord à une maison séculière. Affectionnons donc
nos cœurs à la remettre de nouveau en pratique avec une plus grande attention.
Concevons de la douleur, la voyant si peu reluire parmi nous, sachant combien
notre Bienheureux Père la désirait, cette exactitude d'obéissance, jusque-là
qu'il dit une fois à notre sœur Claude Simplicienne, que s'il avait été
religieuse de la Visitation, il aurait fait une attention particulière aux plus
petites et légères obéissances : « Ma chère fille Simplicienne, lui
disait-il, j'espérerais de m'attirer des grandes grâces du Seigneur, si je
vivais ici dedans comme vous, en me rendant bien attentif aux moindres ordres
de notre Mère et aux plus petites observances de la règle. » Il est plus
que vrai, mes chères Sœurs, que si nous étions fidèles en peu, nous recevrions
beaucoup de Dieu, et nous l'engagerions à nous faire des faveurs très-grandes.
Rendons-nous donc très-exactes en ceci, je vous en prie.
Tous les mois nous renouvelons nos sacrés Vœux ; que ce soit pour
nous réunir à ce souverain bien, toujours plus [83] parfaitement, afin qu'à
l'heure de notre mort, nous lui puissions dire : J'ai fait tout ce qui
dépendait de moi, pour me conformer à votre sainte volonté et à mes
obligations.
(Faite le 19 janvier
1630)
SUR LE SEIZIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE.
Ayez toutes vos robes en un lieu, sous la garde et charge d'une Sœur ou
deux, ou d'autant de Sœurs, etc.
Ce n'est pas tout d'entendre lire nos règles, ni de les lire
nous-mêmes, bien que je vous assure que c'est la meilleure lecture que nous
saurions faire, si nous la faisions comme nous sommes obligées, avec attention,
pesant et ruminant toutes ces paroles qui sont d'une grande perfection. Voici
un article qui nous montre comme nous devons recevoir, sans choix, ce qui nous
est donné pour notre usage ; je dis pour notre usage, parce que la
charitable religion nous donne bien nos nécessités pour en user, mais non
jamais pour en jouir, en telle sorte que, simplement et justement, nous n'ayons
de toutes les choses terrestres et extérieures que le simple usage. C'est un
des grands vœux que nous ayons faits que celui de la pauvreté ; je crains
que nous ne pesions pas assez le dénuement à quoi il nous oblige d'aspirer,
pour aller à la perfection ; je sais bien que qui se voudrait
grossièrement contenter d'observer ce vœu pour être sauvé, il n'est requis que
de n'avoir rien de ce monde, pour petite qu'elle soit, en particulier.
Mais, en quoi pensez-vous, mes chères Sœurs, que consiste la très-pure
pauvreté et l'excellente observation de cette vertu ? [84] Elle consiste,
non-seulement à n'avoir rien de propre, et ne se point attacher à ce que l'on
nous donne pour notre usage ; mais elle nous fait réjouir de ce que les
choses nécessaires nous manquent, et que le moindre de la maison nous est
donné ; et, s'il était permis de faire choix, l'âme vraiment pauvre ne
prendrait, pour sa part, que ce que les autres auraient rebuté et les choses
plus viles. Et, non-seulement, cette parfaite pauvreté est dénuée des habits,
lits, chambres, vivres, et autres choses, mais, passant plus avant, elle va
jusqu'en l'intime du cœur et de l'esprit, dénuant l'âme des choses les plus
savoureuses et spirituelles, faisant pratiquer une excellente pauvreté
d'esprit, la dépouillant des désirs ardents et superflus de perfection, lui
cachant son avancement, et faisant souffrir avec soumission la nudité et
soustraction des biens intérieurs, lui faisant voir toutes les autres
s'avancer, et, elle, demeurer pauvre, nue et imparfaite ; alors il faut
faire valoir la sainte pauvreté de cœur, et, se réjouissant de voir le bien des
autres, se plaire qu'ils voient notre pauvreté, imperfection, misère et défaut.
La vertu de pauvreté requiert encore une entière démission de jugement,
de volonté, de corps, d'esprit entre les mains de nos supérieurs, en sorte que
nous soyons pauvres de tout cela, n'en voulant ni l'usage, ni la disposition.
Bref, l'âme pauvre doit aspirer à un tel dénuement de tout ce monde que sa vie
soit toute angélique.
La pauvreté parfaite nous appelle encore à ne pas disperser nos
affections parmi les créatures, ains à vouloir être pauvre de leur amour. Vous
savez combien c'est une chose dangereuse en une famille religieuse que ces
affections particulières, lesquelles détruisent entièrement la charité commune,
et sont fort contraires à la parfaite pauvreté d'esprit et nudité de cœur, qui
se dépouille de tout, n'excepte rien. Est-ce être conforme à nos vœux quand
nous nous attachons à un monastère, plus qu'à un autre [85] où l'obéissance
nous voudrait envoyer, ou bien s'attacher à une sœur, à une supérieure, chose
grandement préjudiciable à l'âme ; cela dissipe les pensées, embrouille
l'esprit, salit le cœur et, comme je dis, préjudicie à l'union commune, et
enfin, ces affections déréglées sont de petits entre-deux entre Dieu et l'âme.
L'épouse était bien assurée de la nudité de son cœur, quand elle disait
ardemment : Mon Ami est tout mien, et je suis toute sienne..
Or, nous le pouvons dire avec elle, mes chères Sœurs, lorsque notre
propre conscience nous dictera que, comme elle, nous n'avons aucune affection
que pour ce céleste Époux que nos âmes ont choisi ; car il est tout assuré
que tant que nous serons attachées à quelque chose, hors de lui, nous ne serons
pas pleinement et entièrement jointes à lui. L'âme qui veut jouir ou posséder
quelque chose hors son Dieu, n'en jouira ni ne possédera jamais entièrement et
parfaitement son Dieu ; car, qui cherche autre chose que Dieu, ne mérite
pas d'avoir Dieu. Je ne trouve point de plus grande folie que d'attacher son cœur
aux choses périssables et misérables de ce bas monde. Ce malheur provient parce
que nous n'élevons pas assez nos pensées vers l'éternité ; nous ne
regardons pas assez les vrais biens qui nous attendent. Ah ! mes Sœurs,
secouez de vos pieds la fange et la poussière de cette vie transitoire et
périssable, je veux dire que vous ôtiez de vos affections tout ce qui n'est pas
purement Dieu et pour Dieu, et selon son bon plaisir, et vous conjure, au nom
de Notre-Seigneur, de considérer attentivement l'étroite obligation que nous
avons de bien garder cette pauvreté, et jusques où elle s'étend. Bienheureuses
seront celles d'entre nous qui pourront dire avec vérité à l'heure de leur
mort : Voici, Seigneur, que, pour vous, tout le temps que j'ai vécu en
religion, j'ai été pauvre et nue des choses terrestres, et maintenant je m'en
vais légèrement, toute dénuée, entre vos bras, car rien d'ici-bas ne m'attache.
Comme au contraire, malheur [86] à celles
qui, à ce dernier passage, seront trouvées propriétaires. Dieu nous défende,
par sa miséricorde, de vouloir rien posséder, sinon Lui et sa grâce, son amour
et sa gloire éternelle.
(Faite en 1630)
SUR LE SEIZIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE (SUITE).
... Et s'il se peut faire, ne prenez point garde à ce que l'on vous
donnera à vêtir, selon les saisons, pour voir si l'on vous donnera, etc.
Les occasions de pratiquer les grandes vertus nous sont rares, et les
petites nous sont journalières et coutumières ; ce qui fait que la
véritable vertu se connaît mieux en ces petites choses qu'aux plus
grandes ; et, certes, mes chères Sœurs, celle d'entre nous qui répugnerait
à ce que l'on lui donne pour se vêtir, pour son vivre, pour son emploi,
montrerait bien son peu de vertu, et aurait grand sujet de se très-profondément
humilier. Celles qui ont des vertus solides, sont toujours promptes et prêtes à
recevoir toutes choses joyeusement, de la main de Dieu, et de
l'obéissance ; j'entends toutefois quant à la volonté supérieure, d'autant
que je ne tiens compte des inférieures répugnances de notre nature dépravée,
ains de ce que nous faisons ensuite. Notre Bienheureux Père dit si bien
cela : Nous souhaitons les grandes occasions, nous sommes si ferventes
en désirs et imagination, qu'il nous semble que nous ferions merveille quand
nous aurons des grandes occasions.
Croyez-moi, mes chères Sœurs, tandis que nous aurons de la [87] peine
et tant de répugnances aux petites obéissances, à ce que l'on nous donnera pour
notre vivre, vêtir et emploi, nous ne sommes pas encore mortes à nous-mêmes, ni
seulement bien mortifiées. Travaillons à cela, et ne nous mettons pas en peine
de chercher les occasions loin de nous, nous en trouverons prou selon notre
petite portée, en notre chemin. Nous avons bien de quoi nous tenir basses
d'être si faibles que nous choppons en ces petites occasions, et confesser
devant Notre-Seigneur, d'un cœur abaissé, que nos vertus ne sont pas des
solides, puisque nous sommes lâches à l'effet et à l'exécution de nos désirs.
Cette règle-ci est bien considérable, et dit une parole bien vraie : Apprenez
de l'immortification que vous témoignez pour les choses extérieures, combien
vous êtes mal en point es saintes habitudes du cœur. Il est certain, mes
Sœurs, que celles qui ont de la vraie vertu au cœur ne se soucient point des choses
extérieures du corps, ni à quoi on les emploie. Saint Augustin met cela comme
pour une touche et épreuve de vertu.
SUR LE SEIZIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE (SUITE).
... Que tous vos ouvrages se fassent en commun, avec plus de soin et
d'allégresse ordinaire, que si vous les faisiez pour vous-mêmes, en
particulier, car la charité de laquelle il est écrit, quelle ne cherche point
les choses qui sont à elle, etc.
Cet article seul, bien observé, suffirait pour nous rendre parfaites,
mes chères Sœurs, et à nous établir dans l'entière pratique de toute la règle.
Tout ne consiste pas, comme je [88] vous le dis souvent, à avoir des belles
règles, et à les porter dans sa poche ; mais il faut les pratiquer, les
lire et considérer mûrement.
Si nous faisons nos ouvrages en la manière qu'il est dit, et avec
l'esprit que cette sainte règle nous ordonne, mes chères Sœurs, nous les ferons
bien et avec une douce joie, d'une humeur toujours égale, sans nous mettre en
peine à quel autre ouvrage nous serons employées, puisque, comme je vous disais
samedi passé, il n'y a pas de marque plus évidente qu'une fille travaille à la
vraie vertu, que de la voir en une pleine indifférence pour toutes les choses
extérieures : nous ne devons pas même penser ce que l'on fera des
ouvrages, ni ce qu'ils deviendront.
Ne préférez point, dit
la règle, les commodités propres aux communes, ains les communes aux
propres ; ô Dieu, que la pratique de ce point est excellente ! et
que cette règle est propre à faire reluire en nous la sainte charité qui est la
reine de toutes les vertus. Cette seule règle bien observée est suffisante pour
nous faire parvenir à la plus haute perfection ; c'est celle qui nous unit
parfaitement avec le cher prochain, et qui nous porte en même temps à l'union
avec Dieu, la plus intime que l'on puisse avoir en cette vie. Ainsi, je vous
supplie, mes Sœurs, de lire souvent un article si précieux de notre règle, d'en
parler dans les récréations, de m'en faire des demandes, et je vous en dirai
toujours des nouvelles merveilles, ce me semble : j'en ai bien parlé dans
les Réponses, mais je ne vous en ai point enseigné cinquante pratiques, mais,
que dis-je cinquante ! plus de mille et millions se peuvent faire sur ce
point, de préférer les commodités communes aux propres.
Quelles bénédictions, mes chères Sœurs, de voir reluire cette sainte
vertu dans une communauté ! que c'est une chose agréable à voir que les
frères qui habitent unanimement [89] ensemble : Dieu est
toujours au milieu d'eux. Mes filles, je ne peux pas m'étendre davantage sur ce
sujet : je finis par les paroles que me dit un jour mon Bienheureux
Père : « que pour être vraies servantes de Dieu, il faut être
toujours douces et charitables envers notre prochain. »
(Faite le 2 mars 1630)
SUR LE DIX-SEPTIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE.
... Le soin de celles qui sont malades, ou de celles qui après la
maladie ont besoin d'être ravigotées, ou de celles qui sont, etc.
Mes chères Sœurs, nous sommes toutes sujettes aux maladies à cause de
l'infirmité de cette chair corruptible : or, pour cela, cette règle nous
donne des grands enseignements. Le soin de celles qui sont malades, dit-elle, doit
être enjoint à quelqu'une, pour nous montrer, mes chères Sœurs, que quand
nous aurons du mal, ce n'est pas à nous d'avoir soin de notre santé, de nos
soulagements, ni de chose quelconque, sinon de nous soumettre à Dieu
amoureusement, et recevoir humblement tout ce qui nous sera donné comme notre
Bienheureux Père l'enseigne au Directoire ; ce n'est donc pas à nous de
savoir si ceci ou cela nous serait bon, c'est à celle, à qui la sainte
obéissance nous a commise, qui doit avoir l'œil sur nos nécessités. Vous, mes
chères filles, qui êtes sujettes à être malades, vous êtes bienheureuses
d'avoir cette occasion de souffrance, et ne devez avoir aucun souci que
d'acquiescer au bon plaisir de Dieu, vous tenir proche de sa Majesté, et lui
offrir vos douleurs, demeurant paisibles, humbles, suaves et indifférentes. Les
infirmières, et celles à qui l'obéissance donne soin de servir [90] quelques
Sœurs, sont obligées, par cette règle, de considérer ce qu'elles jugent être
nécessaires à chacune ; puis, l'ayant demandé, le distribuer sans choix,
ni sans inclinations, sans regarder ni avoir égard que de la nécessité, charité
cordiale, et, comme dit cette règle : Celles qui ont l'honneur de servir
les Sœurs le doivent faire gaiement, amoureusement, soigneusement, sans ennuis,
sans plaintes, sans murmures. Que s'il arrivait que quelqu'une de celles que
vous servez exige de vous plus que la raison, et que vous ne lui pouvez donner,
souffrez, ne dites mot, avertissez-en seulement la supérieure, charitablement,
ou devant elle, ou en particulier ; surtout ne vous lassez point de les
servir ou secourir ; car vous savez que la charité est bénigne, patiente,
supportant tout.
O Dieu ! quand nous sommes malades, non plus qu'aux autres temps,
il ne faut rien demander, ni rien refuser, s'il se peut, mais
exposer sa nécessité simplement, disant, « Ma Sœur, j'ai froid à la tête
ou à l'estomac, j'ai soif, et ainsi des autres, » puis, demeurer
indifférente ; que celle qui a soin de nous ordonne ce qu'elle voudra,
nous n'y devons plus penser ; ainsi fit notre bon Sauveur sur le lit de
ses douleurs en la sainte croix ; il ne demanda pas à boire, ains dit
seulement j'ai soif, et demeura indifférent de ce que l'on lui
donnerait, et suça de ses divines lèvres le fiel qu'on lui présenta. De plus,
il faut recevoir ce qu'on nous donne comme des pauvres reçoivent
l'aumône : nous avons fait vœu de pauvreté ; le pauvre, quand il
demande l'aumône, ne dit pas : Donnez-moi ceci ou cela, ains il dit que,
pour l'amour de Notre-Seigneur, on lui fasse l'aumône. Hélas ! mes chères
Sœurs, par notre vœu nous sommes plus pauvres que les pauvres eux-mêmes, et
tout ce que la religion nous donne, c'est par charité et pour l'amour de
Dieu ; tâchons de le recevoir de la sorte ; si nous le faisons, Dieu
nous bénira, et il n'y aura jamais parmi nous de plainte, de murmure et de
chagrin, ains des actions de grâce et de reconnaissance. [91]
sur les coulpes des novices.
Je vous prie, mes Sœurs, que vous fassiez le moins de fautes que vous
pourrez, et que vous ayez une si grande affection de plaire à Dieu que vous
craigniez de lui déplaire, que vous l'aimiez si fort que ce motif vous fasse
éviter tout ce qui le peut fâcher. Lorsque l'on aime quelque personne l'on
tâche de lui plaire le plus que l'on peut ; ainsi, mes chères filles,
soyez si amoureuses de Dieu et de lui complaire en toutes choses, que vous ne
lui déplaisiez jamais volontairement ; allez en paix et retenez en vos
cœurs ces paroles pour en faire votre profit.
SUR LE DIX-SEPTIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE (SUITE).
S'il y a quelque douleur cachée au corps de la servante de Dieu, qu'on
la croie simplement sans doute.
Grâces à Dieu, mes chères Sœurs, le charitable support des infirmes
règne parmi nous. Mais, savez-vous sur quoi je veux vous parler à ce
propos ? C'est sur une certaine bizarrerie d'amour-propre qui se glisse en
quelques-unes, qui est que lorsqu'elles ont quelque mal, elles ne le veulent
pas dire à leur supérieure, mais que les autres le disent ; cela ne peut
procéder d'autre source que d'orgueil ; l'on veut faire semblant d'être
bien généreuse et de ne point dire son mal, mais il le faut faire connaître. Se
tenir tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre, se frotter le front, faire
l'essoufflée, cela n'est-il pas bien joli à des servantes de Dieu ? Enfin,
on veut que la supérieure devine notre mal, et qu'elle nous dise
gracieusement : Ma fille, vous [92]
trouvez-vous mal ? allez-vous-en
vous coucher ou prendre quelque chose. Je vous déclare, mes Sœurs, que quand je
m'apercevrai de cette tricherie, que je vous tromperai bien ; car je vous
laisserai souffrir avec votre amour-propre, et ne ferai pas semblant de vous
voir. Quand vous viendrez dans la simplicité de votre règle me dire : Ma
Mère, j'ai tel mal, alors, de tout mon cœur, je vous permettrai ce que je
croirai devant Dieu vous être propre ; autrement, je vous dirai :
Vous n'êtes pas simple, vous en pâtirez ; car, mes Sœurs, il faut aller
dans le grand chemin de la règle ; toutes ces façons sont trop molles pour
une fille de la Visitation, qui doit être généreuse, courageuse et forte. Nous
faisons cela sous le prétexte d'observer le document de notre Bienheureux Père,
de ne rien demander. Pardonnez-moi, mes chères Sœurs, nous n'en sommes
pas encore là ; car, quand nous y serons, nous souffrirons entre Dieu et
nous, sans en rendre du témoignage, ni sans vouloir que les autres nous
plaignent et disent notre mal.
Je ne m'étonne pas de quoi nous ne sommes pas encore à cette haute
perfection, mais je m'étonne comme quoi nous faisons ces enfances ; de
vrai, cela me déplaît bien fort, et je vous prie de vous en corriger. Il semble
que nous voulions faire comme un prédicateur à un de ses auditeurs qu'il
reprenait d'un vice : Je ne te nommerai pas, mais je te jetterai mon
bréviaire. Je ne dirai pas que j'ai mal à la tête, mais je la tiendrai tant et
ferai tant de grimaces, que celles qui seront auprès de moi s'en apercevront et
le diront pour moi ; cela est si fade que j'ai honte que des filles de la
Visitation le fassent. Mes chères Sœurs, si vous avez mal, venez le dire
simplement, l'on vous soulagera charitablement, sans faire tous ces détours qui
sont tant éloignés de l'esprit de simplicité.
De plus, celles qui sont à l'infirmerie ne s'assujettissent pas, ains
sortent de l'infirmerie, et se vont promener sans congé de l'infirmière, qui ne
sait par après où elles sont. Voyez-vous, mes [93] chères Sœurs, nous ne savons
pas bien notre leçon : nous ne sommes à l'infirmerie que pour obéir ;
celles qui ne le font pas, certes, elles montrent bien qu'elles n'ont point de
vraie vertu. Quand nous sommes à l'infirmerie, nous y sommes comme les novices
au noviciat, et les infirmes ne doivent point sortir sans la licence de leur
infirmière, non plus que les novices du noviciat, sans la licence de leur
directrice. Or sus, que l'on fasse profit de ceci, je le dis pour toutes, parce
que toutes sont sujettes à être malades ; et plût à Dieu que toutes sussent
bien le mérite qu'il y a dans la souffrance et l'humble soumission, car nous ne
serions pas si tièdes à employer les occasions, lesquelles nous agrandissent
devant Dieu. Bienheureuse est l'âme qui ne cherche que Dieu, sans aucune propre
satisfaction, soit en la santé, soit en la maladie ; car elle a toujours
la paix du cœur.
(Faite le 9 mars 1630)
SUR LE DIX-NEUVIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE.
... Celui qui hait son frère est homicide, ains au sexe des mâles
que Dieu créa le premier, le sexe des femmes a aussi reçu ce commandement.
Nous ne haïssons pas nos Sœurs, par la grâce de Dieu, d'une grande
haine, nous ne leur souhaitons pas de grands maux ; mais cela n'est pas
assez, de ne se vouloir pas de mal, il se faut aimer cordialement ; il ne se
faut pas contenter de ne leur vouloir point de mal, ains il les faut respecter
et leur souhaiter toutes sortes de biens et prospérités, désirer leur
perfection et progrès en l'amour de Dieu, comme le nôtre ; ce n'est pas
assez [94] de ne leur donner point de trouble et d'ennui, mais il faut procurer
la paix de leur cœur, leur consolation et joie ; bref, ce n'est pas assez
de ne leur point faire de mal, il leur faut faire tout le bien que l'on peut.
Certes, ceux qui lisent l'Écriture sacrée, voient qu'elle est toute pleine de
témoignages de l'ardent désir que Dieu a que nous aimions le prochain.
Notre principal prochain, à nous qui sommes heureusement hors du monde
et de ses embarras, enfermées dans un cloître, ce sont nos Sœurs ; nous ne
conversons presque jamais qu'avec elles, et celles qui n'ont pas charge du
temporel voient rarement les personnes de dehors nos grilles ; certes, je
sais bien que tout le monde est notre prochain, et que tous les chrétiens sont
nos frères et nos sœurs ; mais étant hors de leur conversation, nous ne
pouvons que prier pour eux, ce que nous faisons, grâces à Dieu. Donc, notre
cher prochain, ce sont nos Sœurs, lesquelles Notre-Seigneur nous a dit que nous
aimassions comme il nous a aimés ; et, une autre fois, il dit à ses disciples :
Aimez-vous les uns les autres, afin qu’en cela l’on connaisse que vous êtes
mes disciples ; et quand ce divin Maître fut interrogé, quel était le
plus grand commandement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, dit-il, de
tout ton cœur, et l'autre, semblable à celui-ci : Tu aimeras ton
prochain comme toi-même ; voici, dit-il après la Cène, que je vous
donne un nouveau commandement : Aimez-vous les uns les autres. Certes,
mes chères Sœurs, nous ne saurions jamais atteindre à la perfection de la
sainte dilection, et union avec Dieu, que nous n'ayons cet amour du prochain.
Je lisais hier que saint Jean dit : Celui qui dit qu'il aime Dieu et
n'aime pas son prochain, il est menteur ; car, comment aimerait-il Dieu
qu'il ne voit pas, s'il hait son prochain qu'il voit ? Ainsi, mes
Sœurs, si nous n'avons pas l'amour cordial et la sainte dilection envers nos
Sœurs qui nous représentent l'image de Dieu, nous devons croire que nous
n'avons pas le vrai amour de Dieu. [95]
Comme j'ai dit, nous ne voulons pas, il est vrai, aucun mal à nos
Sœurs, mais ce n'est pas assez : il faut les aimer cordialement, parce
qu'elles sont le temple de Dieu ; également, parce qu'elles toutes sont
Épouses de Dieu et nos Sœurs ; et persévéramment, parce qu'il ne faut
jamais cesser d'aimer Dieu, ni par conséquent nos prochains. Regardons si nous
n'avons point de petites aigreurs de cœur contre elles, point de jalousie,
point d'ambition, point d'aversion ou inclination particulière. Nous ne
voudrions pas dire du mal de nos Sœurs, mais regardons si, par le mouvement de
notre aversion, nous ne disons point quelquefois des choses qui rabattent la
bonne estime de celles à qui nous n'inclinons pas. Regardons bien, devant Dieu,
si nous désirons le bien de toutes nos Sœurs également, autant à l'une qu'à l'autre ;
car, ce n'est pas opérer selon la charité parfaite, que d'être bien douces en
la conversation avec celles à qui nous avons de l'inclination et de la
sympathie, ni de parler bien d'elles, ni rien dire d'elles à leur désavantage,
ni rien faire qui les contrarie ; mais la charité et la vraie vertu
requièrent qu'indifféremment nous conversions avec nos Sœurs, suavement,
cordialement, avec une humble franchise, une douce confiance, une sainte joie
et allégresse, parlant bien de toutes, ne censurant ni ne contrariant point ce
qu'elles disent ou font ; en cela gît la vertu, et non point en nos
inclinations. Que si même il s'en trouve qui nous fussent à dégoût, qui nous
contrariassent, ô mes chères Sœurs, souvenez-vous qu'il est écrit : Faites
du bien à ceux qui vous font du mal ; bénissez ceux qui vous maudissent,
aimez ceux qui vous persécutent et haïssent. Je vous supplie, que nous
mettions toutes les mains dans nos cœurs, pour chercher si tout va à l'endroit
de nos prochains, comme sont nos affections pour lui ; si nous y trouvons
quelque ressentiment, aversion ou souvenir de quelque tort reçu, prenons
soudain la serpe de la sainte crainte de Dieu, et retranchons ce mauvais surjon
de notre nature corrompue qui ne [96] veut rien souffrir ; puis, édifions en
sa place l'amour de ce grand commandement du prochain et de l'observance de ce
sacré précepte : Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai
aimés ; que si, au contraire, nous trouvons dans nos cœurs des
inclinations et affections particulières, chassons-les promptement, car ce sont
des renardeaux qui gâtent et veulent démolir la vigne de la charité et union
religieuses, étant grandement pernicieux dans un couvent, à cause des
conséquences qu'il tire après soi ; et, de plus, c'est une marque qu'il
n'y a pas de la vraie vertu qui nous fait aimer également, et non pas amuser
nos esprits à cette niaiserie d'inclination.
Pour conclusion, mes chères Sœurs, aimons-nous en Notre-Seigneur,
également, cordialement et constamment, nous gardant des amitiés particulières,
et aussi des aversions et amertumes de cœur ; mais tenons le plus que nous
pourrons nos cœurs dans une sainte égalité envers nos Sœurs.
Il me vient encore en pensée de vous dire que nous nous gardions de
plus en plus d'offenser le prochain par nos paroles, nous souvenant que c'est
l'arbre de vie, auquel il est défendu de toucher pour médire ou en juger sous
peine de mort. J'ai été longue, mais je vous dis ces choses au nom de
Notre-Seigneur et de sa part, ce qui me fait vous prier d'en faire profit ;
car c'est une chose extrêmement délicate et nécessaire que la dilection du
prochain et l'égale union avec toutes nos Sœurs, et à quoi il est fort
dangereux de faillir ; peut-être que si l'on avait la vue bien claire de
ce côté-là, l'on ne serait pas si en peine de quoi se confesser, un péché
véniel y est bientôt fait. Aimons nos Sœurs parce qu'elles sont les œuvres des
mains de Dieu, ses épouses et son temple. Honorons Dieu en elles, et les
honorons en Dieu. Aimons Dieu en elles, et ne les aimons qu'en Dieu et pour
Dieu. [97]
(Faite le 23 mars 1630)
SUR LE VINGTIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE.
... Celle qui ne veut pardonner à sa Sœur ne doit point espérer de
recevoir le fruit de l'oraison ; mais celle, laquelle ne veut jamais
demander pardon, ou qui ne le demande, etc.
C'est une pratique qui doit être en grand usage parmi nous, que, dès
que nous connaîtrerons avoir tant soit peu fâché une de nos Sœurs, nous lui en
devons demander pardon, soit que nous ayons dit quelques paroles mortifiantes,
ou sèches, ou contrariantes, ou pour ravaler, ou pour désapprouver, ou même
fait quelque action qui ait pu fâcher, et, cela, le faire rondement,
franchement et de bon cœur. Celle qui ne veut pas pardonner à sa Sœur,
dît notre sainte règle, ne doit point espérer de recevoir le fruit de
l’oraison. Certes, c'est un grand malheur, et bien à craindre pour une âme
religieuse qui est close dans un cloître, de se rendre incapable de recevoir le
fruit de l'oraison, pour une tricherie et des chimères qui ne valent pas le
parler ; mais, savez-vous ce que c'est que le fruit de l'oraison ? Ce
sont les solides vertus, l'intime et savoureuse union de l'âme avec Dieu, la
supplantation des ennemis de l'âme, l'assujettissement de la nature, et le
renoncement de tout ce monde et mille autres que je ne pourrais dire en peu de
temps : eh bien ! une Sœur nous a fâchée ; il faut lui pardonner
de bon cœur, et non-seulement cela, mais, par un acte d'humilité intérieure,
reconnaître devant Dieu, et faire confesser à notre propre cœur, que c'est sans
sujet que nous nous sommes ombragées, et que c'est l'orgueil et propre estime
qui est en nous qui nous fait prendre en mauvaise part ce que l'on nous dit, et
ainsi toujours pardonner, [98] parce que Notre-Seigneur n'a point dit : Pardonnez
sept fois, mais septante fois sept fois ; cela veut dire autant de
fois qu'il nous offensera ; et, ce bon Dieu même, soudain que le pécheur
retourne à lui, il le reçoit en son amitié. Or, parce que nous sommes faibles
et chétives créatures, il faut, après que l'on nous a fâchées, et même après
avoir pardonné, regarder au fin fond du cœur s'il ne reste point de petite
froideur ou amertume contre la Sœur, et si nous en trouvons un seul brin,
l'arracher de nous et le jeter arrière, pour nous rendre capable de recevoir le
fruit de l'oraison, qui est, comme j'ai déjà dit : les vertus et encore
les visites de Dieu envers les âmes qui sont si heureuses de ne vouloir que
Lui ; c'est l'un des grands et des principaux points et fruits de la
religion, et le principal de la vie monastique, que l'union, tant avec Dieu
qu'avec le prochain ; la belle et agréable chose ! Oh ! que
c'est une chose excellemment bonne, que de voir les Sœurs d'un même Institut
habiter en union et conformité ! cela attire toutes sortes de bénédictions
sur elles. Des cœurs unis en charité sont des vases propres à recevoir les
grâces célestes, et les cœurs désunis périssent.
Je vous supplie, mes chères Sœurs, demeurez liées et unies ensemble par
le lien de paix et de charité, vous prévenant, comme dit la constitution, en
honneur et respect ; que si, par fragilité humaine, vous fâchiez
quelqu'une de vos Sœurs, soyez soudain à ses pieds pour lui en requérir pardon.
Si vous faites cela avec humilité, je vous puis assurer que vous attirerez
beaucoup de bénédictions sur vous et toucherez le cœur de celles à qui vous
demanderez pardon, lesquelles vous en aimeront mieux que si vous n'aviez point
failli ; et, certes, il ne nous doit point fâcher, dit le grand saint
Augustin, de produire les remèdes par la même bouche qui a fait les
blessures. Nous devons nous estimer heureuses de pouvoir, par un acte
d'humilité, réparer ces fautes envers nos Sœurs, et c'est la juste raison que
si nous [99] avons jeté, à la volée, quelques propos qui aient blessé le cœur
de notre Sœur, la même langue qui a fait cette plaie y applique l'onguent pour
la guérir. Vraiment, celles qui sont soigneuses de cette pratique font un acte
d'humilité fort agréable à la divine Majesté, qui, étant le Dieu d'amour,
d'union et de paix, veut que la dilection suave, la paix tranquille, et la
sainte union cordiale et charitable règnent entre ses enfants.
Mais nous ne devons pas attendre que l'on nous vienne rechercher pour
nous demander pardon, ains nous devons aller à celle qui nous a fâchée ;
je sais bien que ceci est quelque chose au-dessus du commun ; aussi
devons-nous tendre à l'excellente vertu. Il faut donc, soudain qu'une Sœur nous
a dit une parole sèche, prendre le temps convenable pour nous jeter à ses
pieds, la priant de nous pardonner notre peu de cordialité, ou de
condescendance, ou l'imprudence que nous pouvons avoir commise à son endroit,
qui lui ont donné sujet de mécontentement ; cette humble accusation de
nous-même est agréable et suave aux yeux de la divine Bonté. Cela nous y doit
rendre fort attentives, tant pour demander pardon bien humblement, que pour
pardonner franchement ; ce que faisant avec fidélité, nous mériterons de
recevoir les fruits de l'oraison, de la sainte union et charité fraternelle et
cordiale, et nous pourrons dire, dans une humble et fidèle confiance : Pardonnez-nous,
Seigneur, comme nous pardonnons à nos prochains. [100]
(Faite en 1630)
SUR LE VINGT-DEUXIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE.
Or, entre vous ne doit être aucune dilection charnelle, ains spirituelle.
En ce petit chapitre de notre sainte règle, mes très-chères Sœurs, nous
y trouvons une grande perfection enclose, et le grand saint Augustin, en peu de
mots, nous dit excellemment comme il faut aimer nos Sœurs : Or, entre
nous ne doit être aucune dilection charnelle, ains spirituelle. Cela veut
dire : ne vous aimez point d'une amitié naturelle, sensuelle, qui soit
fondée sur des qualités frivoles, comme de parenté, alliance, connaissances,
correspondance, ressemblance, sympathie d'esprit, symbolissement d'humeurs et
mille autres niaiseries que les esprits humains se forgent ; comme encore
des beautés naturelles, des grâces civiles ; toutes telles folies doivent
être bannies de nos esprits, et aimer nos Sœurs, non d'un amour humain, non
d'un amour intéressé, mais, comme dit notre sainte règle, d’une dilection
spirituelle, d'une certaine affection intérieure et cordiale qui s'attache
aux vertus et non point aux autres choses ; aussi, serait-ce chose
déplorable que des personnes qui ont fait profession, et se sont obligées de
vivre de la vie de l'esprit et selon les règles de la perfection, qu'elles
s'amusent à aimer selon la chair et selon leurs inclinations sensuelles, vaines
et naturelles. Nous ne devons aimer personne, pour proche qu'elle nous soit,
qu'en Dieu, pour Dieu et selon Dieu ; aimer nos Sœurs en Dieu, c'est
l'unique moyen d'empêcher les impuretés qui se glissent quelquefois aux amitiés
les plus spirituelles, et c'est un amour beaucoup plus parfait de [101]
regarder Dieu au prochain, et l'aimer dans le prochain ; car, par cette
voie, Dieu sera aimé lui seul souverainement, et encore le prochain autant que
l'amour de Dieu le requerra, et cela d'un amour tout pur auquel il n'y a rien à
craindre. Aimer notre prochain en Dieu, voilà qui est excellent ; mais
encore quelquefois il est dangereux de faillir, parce que l'on prend le change,
en sortant de cette divine Source, imperceptiblement par les astuces de
l'amour-propre ; mais en aimant Dieu en notre prochain, l'on ne peut
jamais errer. Et notre sainte règle, en quelque endroit, nous apprend cette
leçon d'aimer, quand elle dit : Honorez Dieu, duquel vous avez été
rendue le temple, les unes en la personne des autres, réciproquement ; c'est
à quoi je vous exhorte, mes très-chères Sœurs ; honorons, adorons et
aimons Dieu en la personne de toutes nos Sœurs ; car il habite en elles
par grâce, et souvent en réalité par la très-sainte communion : aimons
toutes nos Sœurs en Dieu, et aimons Dieu en toutes nos Sœurs ; ne
cherchons que son bon plaisir et sa gloire en nos amitiés, et non notre
satisfaction ; ainsi faisant, sa bonté nous accordera l'amour pur et
solide du prochain et fera croître en nous le sien de jour en jour, à mesure
que nos cœurs se dégageront des amitiés et affections charnelles et terrestres,
desquelles sa bonté nous préserve toujours, s'il lui plaît. [102]
(Faite en 1630)
SUR LE VINGT-TROISIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE.
Que l'on obéisse à la Supérieure en gardant l'honneur qui lui est dû,
de peur qu'en icelle Dieu ne soit offensé, etc.
Voyez-vous, mes Sœurs, je ne dis pas la règle de suite, mais selon que
Dieu me fait connaître vos besoins. J'ai donc pensé de vous mettre devant les
yeux cet article : « Que l'on obéisse à la Supérieure en
gardant l'honneur qui lui est dû, de peur qu'en icelle Dieu ne soit
offensé. » Vous savez, mes Sœurs, tous les beaux Entretiens que nous a
faits notre Bienheureux Père de l’obéissance, que ce serait chose
superflue que je vous en parle maintenant ; seulement, je vous prie,
rendons-nous exactes et promptes aux obéissances, voir aux plus petites, car
sachez, mes chères filles, que d'être obéissantes c'est être religieuses, et
être religieuses, c'est être obéissantes. Le Fils de l'homme a été obéissant
tout le temps de sa vie, et encore davantage en sa mort, qui ne fut pas une
mort commune, mais la mort pénible, rude et honteuse de la croix. Croyez-moi,
mes Sœurs, j'ai accoutumé de vous dire, et c'est après notre Bienheureux Père,
que le remède à tous maux, c'est la considération des travaux de notre cher Sauveur.
Qui est celle d'entre nous qui, considérant ce Dieu incompréhensible, ce grand
Dieu, ce Seigneur d'une si haute Majesté, descendu du sein de son Père, pour
venir se rendre obéissant tout le cours de sa vie mortelle, jusques à mourir
sur une croix par obéissance ! qui sera celle, dis-je, qui refusera
d'obéir aux créatures, voyant le Créateur qui s'y est soumis pour être notre
exemplaire ? À son imitation, mes chères Sœurs, obéissons, non-seulement
de corps, [103] mais de cœur à nos supérieures, et, quand nous avons des
répugnances, répondons-leur comme notre divin Maître à saint Pierre : Pourquoi
ne veux-tu pas que je boive le calice que mon Père me donne ? Et
d'autant que nos répugnances ne sont que nos inférieures, que la raison, comme
dame et maîtresse, les domine et assujettit, joignons toujours nos cœurs, nos
volontés et nos jugements à l'obéissance, la faisant purement pour Dieu et pour
plaire à lui seul, lequel voyant le fond de nos cœurs, qui pour lui se
soumettent, nous en récompensera en son éternité où lui-même sera notre
récompense.
(Faite en 1630)
SUR LE VINGT-QUATRIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE.
Or, afin que toutes ces choses soient gardées, et que si quelque chose
n'est pas observée elle ne soit pas pourtant négligée, etc.
En ce chapitre, le grand saint Augustin n'exclut rien : il veut
que tout ce qui est de notre Institut soit observé par toutes les Sœurs, sans
exemption, si que chacune de nous devrait avoir sa règle devant ses yeux, et en
savoir toutes les paroles sur le bout du doigt, par manière de dire, puisque
chacune doit observer tout ce qui est contenu en icelle, ce qui n'est pas
petite chose, car elle nous achemine au plus haut de la perfection chrétienne
et religieuse.
Notre règle et notre manière de vie ne consistent pas en beaucoup de
choses extérieures ; mais elles consistent en un ardent [104] amour de
Dieu et zèle de sa gloire, en une parfaite résignation et abnégation de
nous-même, en une véritable humilité et simplicité de cœur : voilà ce que
le monde ne connaît pas et de quoi l'œil humain ne tient pas grand compte, et
c'est ce que nous devons observer, puisque nous sommes ici assemblées pour
vivre selon ces saintes règles qui nous marquent ce chemin, chemin
véritablement dur à la chair, amer à l'esprit ; mais suave au cœur, doux à
l'âme, qui s'unit, par cette voie de la mort de soi-même, à son Dieu.
Or, parce que le grand Père saint Augustin savait bien que, tandis que
nous sommes çà-bas, nous sommes sujettes à chopper, voire, à tomber
quelquefois, il a ajouté en ce chapitre : Si quelque chose n’est pas
observée, qu'elle ne soit pas pourtant négligée. Ains que l’on ait soin de
réparer au plus tôt le défaut. Ce n'est rien, mes très-chères Sœurs, de
manquer un peu de condescendance, de promptitude à l'obéissance, pourvu que
cela ne soit pas volontaire, ains par surprise et rarement, et que ce défaut
soit soudain réparé ; c'est donc contre la règle de croupir en ses
fautes ; car, comme vous voyez, elle requiert une prompte correction. Il
faut réparer au plus tôt ce défaut, c'est-à-dire, soudain que vous vous
connaîtrez fautives en quelque point de votre règle, regardez soudain devant
Dieu d'où procède ce mal, et, l'ayant découvert, appliquez-y d'abord le
remède ; par exemple : une Sœur connaît qu'en peu de temps elle a fait
trois ou quatre manquements de promptitude à l'obéissance, ou de cette humble
et douce condescendance qui nous est tant recommandée, elle doit regarder si
c'est par inclination d'achever un bout de filet, ou par quelque négligence ou
paresse d'esprit ; si elle manque à la condescendance, regarde si c'est
par contrariété, par sécheresse de cœur ou telle autre ; et, ayant
découvert la source de son mal, qu'elle y applique soudain le remède qui y est
contraire, mortifiant généreusement ses petites inclinations ou humeurs pour
s'assujettir à la sainte règle ; ainsi faisant, [105] bien que nous ne
puissions pas absolument éviter de chopper, nous éviterons pourtant la
négligence, réparant ainsi nos défauts, lesquels n'étant pas faits par une
volonté malicieuse, ne sont pas beaucoup désagréables aux yeux de la divine
Majesté.
C'est principalement à la supérieure de prendre garde que les
manquements contre la règle ne règnent pas ; il est vrai, mais c'est aussi
à la fidélité que chacune aura à se relever promptement ; c'est encore aux
surveillantes à avoir l'œil attentif, afin que rien de l'observance extérieure
ne se néglige. En somme, mes chères Sœurs, c'est à chacune de veiller
continuellement sur son cœur, pour voir si elle observe toutes les paroles de
cette sainte règle qu'elle doit porter écrite, car c'est pour nous le chemin de
la vraie vie, et la porte par laquelle nous entrerons aux cieux. Lisons-les
attentivement : méditons-les sérieusement et dévotement, pratiquons-les
fidèlement, afin que nous puissions dire au Père éternel à l'heure de notre
mort, à l'imitation de notre cher Époux : Mon Dieu ! recevez mon
esprit entre vos mains où je le remets ; car j'ai passé mon pèlerinage
selon votre volonté, et j'ai entièrement accompli ce que vous m'aviez mis en main,
qui n'est autre que mes règles, qui sont selon votre Cœur et volonté. J'ai
toujours marché par ce chemin que votre bonté m'a montré et où votre paternelle
douceur m'a mise. Voici donc, Seigneur, que j'ai observé mes règles et ai
accompli l'œuvre de ma perfection en la manière de vie que vous m'avez
découverte ; j'ai observé en icelle vos commandements, vos préceptes et
vos conseils ; c'est pourquoi maintenant je remets mon âme entre vos
mains, espérant que vous la colloquerez en votre royaume, selon votre promesse
et la grandeur de votre miséricorde. [106]
(Faite en mai 1630)
SUR LE VINGT-SIXIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE.
Plaise à Dieu que vous observiez toutes ces choses ici avec dilection
comme amoureuses de la beauté spirituelle, etc.
Mes chères filles, imaginez-vous de voir le grand saint Augustin au
milieu de vous qui vous dit comme à ces bonnes âmes à qui il écrivait et
donnait sa règle : Plaise à Dieu que vous observiez toutes ces choses
ici avec dilection, etc. Pouvait-il faire un souhait plus digne, plus juste
et plus à propos à la fin de sa règle ? Plaise à Dieu que vous
observiez toutes ces choses avec dilection, c'est-à-dire avec amour ;
car, quand vous feriez tout ce qu'une créature peut faire, si vous le faites
sans amour, vos œuvres ne sont rien qu'un semblant et une feinte ; mais,
comme disait ce grand Saint en une autre occurrence, aime et fais tout ce
que tu voudras, quoi que ce soit, pourvu que tu aimes, c'est assez. Observez
donc toutes ces choses ; il dit, toutes, car l'amour est soigneux de
ne rien omettre, avec dilection, comme amoureuses de la beauté spirituelle
et comme odoriférantes des bonnes odeurs de Jésus-Christ, c'est-à-dire de
ses vertus ; pesez cette parole, mes chères filles : comme
amoureuses de la beauté spirituelle. Ah Dieu ! si nos esprits, au lieu
de s'amuser à tant d'inutilités, s'occupaient aux choses divines, que nous
découvririons des beautés dans l'intime de nos âmes, et que la vie spirituelle
nous semblerait souverainement agréable et délicieuse ! nous trouverions
odoriférantes les vertus, les paroles et les actions de notre bon Maître et
Sauveur.
Par la bonne conversation : Il faut, pour être telle, qu'elle soit suave, dévote, supportante et
naïve avec le prochain. Oh ! [107] que c'est une excellente chose que
cette bonne conversation avec Dieu, nous tenant proche de lui, amoureusement et
finalement, non comme esclaves sous la Loi, mais comme libres et
affranchies, et constituées sous la grâce de Dieu ! Voilà ce qui
chasse ces craintes mercenaires, ces considérations serviles, certaines
craintes noires et basses qui attaquent quelquefois les âmes ; nous sommes
tirées de la servitude du monde pour courir après le Sauveur, pour converser
avec lui, pour jouir de ses chères amours.
Ah ! mes chères Sœurs, que j'ai le cœur touché quand je vois que
des enfances nous distraient de ce bonheur, lequel, pour vous l'acquérir en sa
perfection, je donnerais franchement, ce me semble, ma vie. Souvenez-vous de
cette parole que sainte Thérèse disait à ses filles : « Il n'y a rien
de si malheureux qu'une religieuse qui n'est pas toute à Dieu, qui veut un peu
Dieu, un peu elle-même, un peu le monde, un peu l'esprit du monde, et un peu de
liberté. »
Non, mes Sœurs, vous n'aurez jamais de paix en cet entre-deux ; si
vous ne cherchez uniquement Dieu, vous n'aurez qu'inquiétude. Défaisons nos
esprits de tout, mes Sœurs, pour ne vouloir que cette part unique et
nécessaire ; je veux dire, pour ne vouloir que Dieu et son amour, en
l'accomplissement de ses saintes volontés qu'il nous signifie en ces bénites
règles, dont toutes les paroles devraient être écrites en nos cœurs et
exprimées par nos actions : lisons-les attentivement et amoureusement,
pratiquons-les fidèlement et filialement, et Dieu nous bénira. [108]
(Faite en juin 1630)
SUR LE VINGT-SIXIÈME CHAPITRE DE LA RÈGLE.
Plaise à Dieu que vous observiez toutes ces choses ici avec dilection,
comme amoureuses de la beauté spirituelle, etc.
Voici le dernier chapitre de nos règles, où notre grand Père saint
Augustin, cette admirable et belle lumière de l'Église, va découvrant d'une
suave façon, comme nous devons observer toutes ces choses de notre règle. En
premier lieu, il fait un souhait ou un élan d'esprit pour nous, plaise à
Dieu que vous observiez toutes ces choses ici avec dilection. Toutes les
choses de notre règle doivent véritablement être observées avec un soin et une
allégresse dignes, si cela se pouvait, de celui pour l'amour duquel nous les
observons. Tout doit être observé, mais observé avec dilection, par un
épanouissement de cœur de l'amour divin : que par amour, nous gardions le
silence ; que par amour, nous recevions les humiliations et obéissances
difficiles ; que par amour, nous nous levions, couchions, priions et
disions l'Office à la même heure ; que ce même amour nous fasse souffrir
toutes sortes d'incommodités et faire gaiement toutes les choses plus abjectes
et pénibles à la nature. Que l'amour nous rende si soigneuses à l'observance,
que nous n'en omettions pas un seul point à notre escient : bref, il faut
que cet amour céleste soit notre motif, notre but et notre prétention. Il faut
observer tout, mais avec dilection, comme amoureuses de la beauté
spirituelle. Or, vous savez que la nature de notre volonté est telle, que,
dès qu'elle a découvert quelque objet beau et aimable, elle vient d'abord à en
désirer la possession et la jouissance. Toute beauté, toute bonté et perfection
dérivent de [109] Dieu, qui est souverainement beau, bon et parfait, et cette
bonté, qui est en lui, fait qu'il communique aux âmes qui le servent, quelques
petites parcelles de ces vertus ; par exemple. une âme est charitable et
bénigne ; elle tient cela de Dieu, et ainsi des autres vertus, lesquelles
étant dans une âme, la rendent merveilleusement belle, et font cette beauté
spirituelle de laquelle nous devons être amoureuses pour observer nos règles,
qui sont le chemin par lequel nous arriverons à la jouissance de cette douce
beauté spirituelle, qui est plus à désirer que toutes les délices d'un Louvre.
Nous devons quelquefois considérer la beauté d'une âme vertueuse et
spirituelle, afin que notre volonté l'ayant découverte, l'aime et soit
encouragée par icelle.
Cheminons droitement et fervemment, mes chères Sœurs, en cette sainte
loi de notre vocation, comme amoureuses de la beauté spirituelle et comme
odoriférantes des bonnes odeurs de Jésus-Christ, non comme des esclaves et
forcées sous une dure loi, mais comme des bien-aimées filles et épouses de
Dieu, libres et affranchies des lois de la chair et du monde, constituées
sous la grâce de Dieu, notre unique Époux, après lequel nous devons courir
et le suivre pas à pas, attirées par ses odeurs, qui sont toutes les actions
qu'il a pratiquées durant sa vie. Ces principales odeurs sont : pauvreté,
mépris et douleurs. Pauvreté, parce que, supposant que les oiseaux aient des
nids ; les renards, des tanières ; les cerfs, des forêts ; et
toutes sortes d'animaux, quelques retraites, néanmoins, le Fils de l'homme n'a
pas où reposer son chef : sa sainte Mère est pauvre ; le glorieux saint
Joseph n'est qu'un pauvre charpentier. Enfin, le Seigneur et Créateur de toutes
choses n'a rien eu çà-bas pour reposer son sacré et adorable chef.
Mépris, parce qu'il dit lui-même qu'il est l'opprobre, l'abjection et
la risée du peuple, tenu pour un ver et non pour un homme, appelé
endiablé, samaritain, séducteur et perturbateur [110] du repos
public, lui, qui n'est qu'un avec le Père et le Saint-Esprit.
Douleurs, parce que depuis la nativité de ce béni enfant, il n'a eu que
douleurs : il est né en pleurant, tout tremblottant de froid ; il
endure en Égypte ; il souffre la persécution des Juifs, et, bref, il
souffre l'effroyable supplice de la croix, et jamais douleurs ne furent
comparables à ses douleurs. Voilà, à mon avis, les odeurs dont parle notre sainte
règle, après lesquelles nous devons courir, toutes amoureuses de ces célestes
parfums. Or, je sais bien que Dieu répand quelquefois dans les âmes qui lui
sont fidèles des consolations, suavités et douceurs incomparablement meilleures
que le vin le plus délicieux des fols plaisirs de ce siècle mondain, mais ces
parfums sont donnés pour récompense de l'assiduité fidèle et constante à suivre
les premiers, qui sont les vrais parfums de Jésus-Christ, lequel, si nous le
suivons parfaitement, il nous donnera les autres en abondance, même dès cette
vie, pour nous faire savourer et goûter les délices qu'il nous a préparées à la
vie béatifique et bienheureuse.
De plus : mes chères Sœurs, pour bien observer la règle qui nous
ordonne d'être simples, naïves, douces et dévotes, faisons que nos
conversations soient immaculées et angéliques, pleines de saints colloques, et
de fervents et charitables propos. Ne marchons point par crainte, comme des
esclaves sous la loi qu'ils n'aiment pas, mais joyeusement comme des âmes
libres d'elles-mêmes et affranchies de l'esclavage où sont les mondains, et
constituées sous la loi de la grâce et d'amour. Jouissons des privilèges des
filles de Dieu, qui sont la sainte joie et liberté d'esprit ; non de la
liberté fausse, que notre chair corrompue appète, mais de la sainte liberté
d'esprit qui nous met hors des prisons de ce monde, et nous tire de l'esclavage
de ses iniques lois, nous délivre de ses basses affections, et met nos soins,
nos soucis, nos pensées, nos désirs, notre amour dans [111] le ciel, où doit
être notre conversation, jusqu'à ce que notre âme, éprise de la captivité de
cette mortalité, s'en aille en pleine et parfaite liberté, entre les bras de
son Époux, pour jouir à jamais de la grandeur de son immensité, et louer éternellement
l'infinité de ses grandes miséricordes.
(Faite en juin 1630)
CONCLUSION DE L'EXPLICATI0N DE LA RÈGLE.
Voici que j'ai achevé de vous lire les règles ; Dieu veuille qu'à
l'heure de notre mort nous puissions dire que nous achevons notre vie, ayant
achevé l'accomplissement de notre perfection, selon cette sainte règle :
or, nous l'accomplirons parfaitement lorsque nous serons délivrées de tout
autre soin que de plaire à Dieu, étant aussi délivrées de ce misérable amour,
mauvais et déréglé de nos corps, de nos esprits ; lors encore que nous
aurons secoué et jeté loin de nous cet amour et soin superflu de notre santé,
de nos commodités, de notre réputation, de nos consolations et satisfactions,
bref, de tous ces amours impurs et imparfaits qui ne sont pas celui de Dieu ou
tendant à Lui. Je vous supplie, mes très-chères Sœurs, armons-nous de
générosité, pour marcher fervemment dans ce fidèle chemin de notre sainte
règle ; il aboutit au ciel. Courage donc, Dieu est pour nous ; qui
nous contredira ? Dieu est des nôtres, il tiendra notre parti ; ne
craignons rien ; entreprenons, à bon escient, la pratique de cette sainte
règle. Hélas ! nous sommes obligées de l'observer sous peine de damnation
éternelle, parce que nous avons fait vœu de vivre selon icelle ; [112] nous
l'avons vouée de franche volonté, sans que personne nous y ait contraint. La
Religion ne pensait point à nous : nous la sommes venue chercher ;
nous avons d'une franche volonté renoncé et quitté le monde, et tous ses fols
et vains amusements, pour nous dédiera Dieu par l'observation de cette sainte
règle. Gardons-la donc exactement ; aimons-la précieusement et
puissamment, et l'honorons et estimons chèrement, comme l'échelle et le chemin
par lequel nous arriverons au ciel ; ne plaignons pas nos peines :
notre récompense sera grande ; regardons le ciel et méprisons la
terre ; regardons les délices souveraines qui sont là-haut qui nous
attendent ; regardons Dieu, et nous oublions nous-mêmes et toutes choses
pour lui plaire ; mortifions-nous puissamment et constamment pour acquérir
le ciel ; car il n'y a que les violents qui le ravissent. À celui qui
vaincra, dit l'Écriture, je lui édifierai une colonne au Temple de mon
Dieu, et il demeurera à jamais en ce lieu.
Croyez-moi, mes chères Sœurs, le ciel vaut bien la peine que nous
prenions à mortifier nos inclinations ; et puis, il faut nécessairement
les mortifier pour y aller, car nous n'entrerons point au Royaume, ni aux noces
de l'Agneau, avec elles, couvertes de leurs vieux haillons ; il faut la
robe nuptiale des saintes vertus. Veillons donc sur nous-mêmes, mes chères
Sœurs, prenons l'épée en main, et jetons l'œil sur notre âme, pour découvrir ou
retrancher ce qui, directement ou indirectement, serait en nous contre Dieu et
notre sainte règle ; c'est à quoi, ce me semble, que je vous exhorte
souvent, et je vous en prie, derechef, pour l'amour de Dieu et pour l'amour de
votre propre conscience. Considérez souvent la chétiveté de tout ce qui se
trouve en ce val misérable et le méprisez fortement ; considérez la bonté
et beauté de Dieu, et des choses éternelles, et les aimez ardemment ;
considérez-vous vous-mêmes pour vous vaincre courageusement ; soyez
veillantes et vaillantes pour batailler contre les ennemis de votre perfection,
[113] encouragez-vous, regardant la beauté du ciel. Les pèlerins sont consolés
voyant la terre où ils vont.
Nous ne devons pas travailler seulement pour avoir le ciel, quoique la
pièce le vaille bien, mais travailler pour avoir le Dieu du ciel ; car si
Dieu n'y était point, certes, le ciel avec toutes les excellences de ses
beautés, richesses et douceurs serait ennuyeux, au lieu d'être à délices.
Regardez donc le ciel ; c'est-à-dire, regardez là-haut où Dieu habite, et
vous animez à travailler pour lui, afin que vous y habitiez aussi, jouissant
éternellement de lui ; sa bonté nous en fasse la grâce par sa douce
miséricorde.
EXHORTATIONS SUR LES CONSTITUTIONS
exhortations (faites en chapitre) sur plusieurs points des
constitutions de la visitation.
(Faite en juillet 1630)
SUR LA PRÉFACE DE NOS CONSTITUTIONS.
En ouvrant la Règle, voici la pensée qui m'est venue sur la préface de
nos Constitutions : tout ainsi que les faibles jouiront du fruit de la
santé des robustes, les robustes jouiront réciproquement du mérite de la
patience des imbéciles (infirmes).
Je vous dis souvent, mes chères Sœurs, que dans nos règles et
constitutions sont encloses toutes les sciences que nous devrions
désirer ; et plût à Dieu que nous fussions soigneuses de les lire
fréquemment et attentivement, car nous recevrions les lumières requises pour
les parfaitement observer. Voilà ce que l'on lit tous les mois ; mais qui
est-ce qui le rumine comme il faut ? En ce petit document ici est enclos
une très-grande perfection, et montre grandement l'excellence de l'union
religieuse ; les faibles jouiront du fruit de la santé des
robustes ; le fruit de la santé, doit être le travail ; ainsi les
fortes balayent, font le pain, blanchissent le linge, apprêtent à manger, bref,
rendent tous les autres services nécessaires, faisant par ce moyen jouir leurs
Sœurs du fruit de leur santé ; mais, afin que les fortes jouissent [116]
aussi du mérite de la patience des infirmes, les infirmes doivent se
rendre humbles, douces, patientes et reconnaissantes de la charité qu'on exerce
en leur endroit ; et, je vous prie, mes Sœurs, qui êtes maladives, que
vous examiniez quelquefois si vous rendez vos Sœurs participantes de quelque
bien ou mérite, par le moyen de votre patience et résignation à la divine volonté,
car vous jouissez toujours du travail de vos Sœurs ; mais si vous n'êtes
pas vertueuses en vos maladies, si vous êtes impatientes et peu soumises, de
quoi jouiront vos Sœurs qui vous servent ? Ceci mérite considération.
Et vous, mes Sœurs, que Dieu a gratifiées de la force et santé pour
avoir l'honneur de servir nos Sœurs, considérez si vous le faites de bon cœur
pour Dieu, et pour Dieu seulement, et non pour aucun respect humain ;
voyez si vous êtes promptes, douces et charitables à les secourir ; si
vous trouvez qu'oui, bénissez Dieu, et le faites toujours de plus en
plus ; si vous trouvez que non, redressez-vous et vous humiliez
beaucoup devant Dieu ; et, tant les unes que les autres, considérez
attentivement cette petite parole de notre saint Fondateur et vous y trouverez
instruction.
O Dieu ! mes chères Sœurs, quel bien de servir les malades !
Le bon Job, tant chéri de Dieu, s'en vantait : Je suis, disait-il, le
pied du boiteux, l’œil de l’aveugle, le support du pauvre. Nous autres, ne
pouvons aller chercher les pauvres aux carrefours et aux hôpitaux pour exercer
la charité en leur endroit ; mais Dieu aura plus agréable le service que,
par obéissance et charité, nous rendrons à nos Sœurs, que si c'était aux
mendiants ; aussi sommes-nous toutes pauvres, et devons-nous recevoir,
comme par charitable aumône, le bien que l'on nous fait, et ne servons jamais
nos Sœurs comme simples créatures, mais comme Notre-Seigneur en leurs
personnes, car il a dit, ce divin Maître : Tout ce que vous ferez aux
moindres des miens, je le réputerai comme si vous l'aviez fait à ma propre
personne ; cette parole nous [117] devrait faire fondre, pour bien et
amoureusement servir notre prochain.
Faites-donc, mes chères Sœurs, qui travaillez, que votre travail soit
fait en paix et charité, pour Dieu, humble, fervent et fidèle, et ce bon Dieu
sera lui-même votre récompense. Que celles qui ne sont point distraites par le
travail extérieur s'occupent plus soigneusement à l'intérieur, se tenant bien
proches de Dieu, et disposées à souffrir ce qu'il lui plaira, et à faire ce que
la sainte obéissance voudra ; ainsi faisant, Notre-Seigneur versera ses
bénédictions et sur celles qui travaillent, et sur celles qui ne travaillent
pas, pourvu que toutes travaillent à se mortifier, à l'aimer, à le louer et
remercier de ses bienfaits
(Faite en août 1630)
SUR LA PRÉFACE DE NOS CONSTITUTIONS (SUITE).
La Supérieure prendra soigneusement garde à ce qu'on n'introduise, ni
directement ni indirectement, aucunes austérités corporelles, outre celles qui
y sont maintenant, qui puissent être d'obligation ou de coutume générale, etc.
Mes très-chères filles, voici un grand point qui mérite d'être bien
pesé et considéré ; vous voyez que notre Institut ne demande pas de nous
les austérités du corps ; au contraire, nous irions contre la fin pour
laquelle il a été institué si nous y en introduisions ; qu'il ne se parle
donc plus de cela, je vous en conjure, mes chères Sœurs, et que l'on quitte
absolument cette entreprise de faire des disciplines plusieurs ensemble, cela
ne fait que nourrir l'orgueil et la bonne opinion de soi-même, car [118] nous
penserons aussitôt que nous sommes quelque chose de plus que les autres, que
nous faisons plus de choses qu'elles ; et, si celles qui viennent après
nous ne font pas ce que nous faisons, on dira aussitôt qu'elles ne sont pas
aussi ferventes que nous. Vous faites cette discipline, ou autres austérités,
la veille d'une grande fête, avec une partie des Sœurs avec lesquelles vous
vous assemblez cette année ; l'année qui vient, vous la ferez encore en la
même grande fête, et de même tous les ans à même jour ; n'est-ce pas là,
par après, une coutume générale ? Pour Dieu, mes Sœurs, adonnons-nous bien
à l'austérité de l'esprit et du cœur, qui nous est ordonnée, et laissons celle
du corps, au moins pour les faire ensemble.
Si quelqu'une est inspirée de Dieu et attirée à faire plus que les
autres et qu'il est marqué, qu'elle découvre son désir à la supérieure et lui
demande congé de porter la ceinture, jeûner, faire la discipline ou autres
choses qu'elle désirera, qu'on lui permettra selon qu'on jugera, non-seulement
un jour, mais quarante, et même quarante ans s'il est besoin, et qu'alors elle
la fasse à la bonne heure, mais seule et en son particulier.
Je trouve, mes Sœurs, que si vous employez bien les occasions qui se
présentent en votre chemin, de vous mortifier et pratiquer la vertu, vous ferez
bien autant et davantage pour votre perfection, et vous accomplirez bien mieux
les intentions de notre saint Fondateur. Croyez, mes Sœurs, que si vous recevez
bien humblement et simplement tout ce qui vous est présenté, soit pour le
vivre, vêtir et autres choses, et les mortifications, humiliations et
contradictions que l'on vous fera, cela vaudra bien les austérités que vous
faites ou que vous désirez faire, et bien davantage ; car, que vous coûte
cela, quand vous les avez choisies ? Vous n'y avez pas grande difficulté,
vous y prenez plutôt du plaisir et en tirez de la complaisance. Notre
Bienheureux Père ne dit-il pas tout clair « que notre choix gâte toutes
nos œuvres » ? [119]
Croyez-moi, mes Sœurs, faites bien fortement et bien serrée, sans vous
épargner, la discipline du vendredi, de l’Ave maris Stella, et ne
craignez rien, vous ne vous tuerez pas ; et contentez-vous de cela, sinon
aux nécessités particulières, comme j'ai dit, et lorsque, en de grandes
occasions de calamités et tribulations publiques, l'on nous marquera de la
faire ou autres austérités. Et, au lieu de tenir les genoux nus contre terre,
comme il y en a qui font cette mortification, tenez-vous bien dévotement à
genoux, sans remuer, tant que vous pourrez, avec une grande modestie, tout le
temps de vos exercices spirituels, et cette pratique sera bien aussi bonne,
voire, meilleure.
Soyez bien fidèle aussi, comme j'ai dit, aux rencontres des pratiques
des vertus : avez-vous, par exemple, quelque chose en votre robe, ou en
quelque autre chose de vos habits, ou en votre lit qui vous déplaise ou vous
incommode, qui n'est pas si bien ajusté, ou qui n'est pas comme vous le voudriez,
acceptez cela de bon cœur, baisez-le, si vous le pouvez, et soyez très-contente
de l'avoir. Le potage que l'on vous donne à table n'est pas assez gras ou il
l'est trop, il n'est pas salé ou il n'y a que de l'eau ; il n'y a pas
assez d'huile à votre salade, le vinaigre n'est pas assez fort, soyez bien aise
d'avoir ces occasions de pratiquer la mortification de votre goût,
embrassez-les amoureusement et gaiement. Ce morceau que vous aimez, de votre
portion, ne se trouve-t-il pas tourné de votre côté, ne le mangez pas le
premier. Vous donne-t-on quelque chose que vous n'aimez pas, vous manque-t-il
quelque chose de quoi vous pouvez vous passer et que l'on a oublié de vous
donner, aimez toutes ces rencontres, et vous accommodez à la céleste
Providence, qui le permet pour vous en faire tirer profit, et vous faire
avancer à la perfection du divin amour, si vous le savez prendre comme il faut.
Vous trouvez-vous à la récréation ou ailleurs assise en une place qui vous
incommode, n'y êtes-vous pas bien à votre aise, demeurez-y doucement, sans dire
un mot de plainte ni faire [120] connaître que vous êtes mal : croyez-moi,
tout cela vous coûtera plus qu'un bon Miserere de discipline.
Assurez-vous, mes chères Sœurs, que, quand on mortifie bien l'esprit,
le corps s'en ressent, et qu'il est ainsi prou maté et mortifié. Et puis,
voyez-vous, mes chères Sœurs, ces âmes si ardentes à la mortification du corps
et à faire plus que les autres, touchez-les un peu avec le bout du doigt, pour
les contrarier ou humilier ; touchez-les un peu en leurs répugnances ou en
leur réputation, elles feront bien voir alors combien leur amour-propre leur
est en singulière recommandation et estime, combien elles sont vives, sensibles
et immortifiées.
Faisons donc, mes chères Sœurs, grand état, et ne prisons rien tant, je
vous en conjure, que cette mortification intérieure de l'esprit, comme étant la
plus importante pour nous faire parvenir à la perfection de notre vocation,
pour nous faire agréera Dieu, et nous faire enfin accomplir ses divines
volontés, ce qu'il requiert de nous, qui est tout ce que nous devons désirer,
et à quoi nous devons nous appliquer.
(Faite en août 1630)
SUR LA TROISIÈME CONSTITUTION.
de
l'obéissance.
L'obéissant, dit
l'Écriture, racontera ses victoires.
Il faut, certes, que je vous dise la vérité, mes chères Sœurs ; je
suis bien aise de vous parler de l'obéissance, parce que, comme vous savez,
c'est par elle que nous sommes religieuses, [121] et les anciens Pères ont
déterminé que c'est la mère des vertus, qui a, pour sa fille aînée, la sainte
humilité ; jamais une âme n'est obéissante qu'elle ne soit humble et
soumise ; l'obéissant parlera et dira ses victoires. Nous sommes ici
assemblées, mes chères Sœurs, hors du tracas du monde, pour nous vaincre nous-même,
afin d'aller un jour compter les victoires que nous aurons gagnées, et les dire
toutes à Notre-Seigneur, afin que, comme vaillantes et victorieuses, il nous
loge en son repos. O Dieu ! nul ne parlera de ses victoires, que
l'obéissant !
Je ne sache pas que l'Écriture fasse mention d'aucun autre, au moins en
termes si exprès, tellement que quiconque veut être si heureux que de faire un
jour rapport de ses victoires, il faut nécessairement qu'il prenne le chemin de
l'obéissance ; car, au seul obéissant, comme je crois, ce privilège est
donné.
Quelle gloire, mes chères Sœurs, qu'à nous autres, pauvres petites
créatures, soit concédée la faveur qu'un jour nous allions, en présence de
toute la cour céleste, devant le trône souverain de notre unique et aimable
Époux, lui faire un narré des victoires, pour petites qu'elles soient, gagnées
pour son amour ! O mon Dieu ! faudrait-il que l'ombre d'un sot
contentement que nous aurions, en faisant notre propre volonté, nous prive de
la gloire immortelle que nous recevrions, si, en une humble et amoureuse
obéissance, nous suivions la volonté de celui qui, pour notre bien, et pour la
dilection que son Cœur amoureux portait à nos âmes, s'est soumis, et rendu
obéissant jusqu'à la mort douloureuse de la croix !
Mais il faut que vous sachiez qu'il y a pour nous quatre sortes
d'obéissance : la première, qui est générale à tous, c'est l'obéissance
aux divins commandements, et nous devons incessamment travailler pour observer
parfaitement le premier, dans lequel tous les autres sont compris : Aimer
Dieu de tout notre cœur, de toutes nos forces et de tout notre pouvoir, et
notre [122] prochain comme nous-même, voire, plus que nous-même, le préférant volontiers à nous, et nous
incommodant pour l'accommoder.
La deuxième, c'est l'obéissance aux volontés de Dieu en tout et
partout, où que nous l'apercevions. Je chéris incomparablement cette sorte
d'obéissance, et quoique, mes chères Sœurs, je ne la pratique pas comme je
devrais, et selon les désirs et l'amour que Dieu m'en donne, je voudrais
pourtant inculquer bien avant au fond de vos cœurs cette affection d'obéir
indifféremment et vous soumettre amoureusement à tous les événements,
dispositions et permissions de cette sainte Providence ; car, c'est une
vérité assurée que rien ne se fait au ciel, en la terre et aux enfers, bref,
partout, en haut et en bas, que par l'ordre, disposition ou permission de cette
sage et adorable Providence ; car, aussi, l'infaillible vérité a dit
qu'une feuille d'arbre seulement ne tombe point sans la volonté et Providence
du Père céleste.
La troisième est l'obéissance à nos Règles, Constitutions et Coutumier.
Or, mes chères Sœurs, cette obéissance requiert que nous sachions bien tout ce
qui est de l'Institut, que nous [123] le comprenions bien, pour l'observer au
pied de la lettre et tout entièrement, selon son temps et saison. C'est une
ordonnance de la constitution d'être douces, humbles, cordiales et franches les
unes envers les autres, tout comme c'en est une de se lever à cinq heures et
dîner à dix heures. Ces deux, nous les pratiquons exactement ; mais
sommes-nous aussi exactes à nous rendre franches, cordiales, modestes, dénuées,
et mortifiées, comme nous le sommes à nous lever et aller au chœur ? Il
faut quelquefois regarder en soi-même et dire : Ma règle m'ordonne cela,
et cela, le fais-je bien ? suis-je bien aussi volontairement soumise à ce
qu'elle m'ordonne qui n'est pas selon mon inclination, comme à ce que j'agrée
et qui est selon mon goût ?
La quatrième, c'est l'obéissance aux ordonnances de nos supérieurs,
tant particulières que générales, tant petites que grandes ; oui, même ces
petites obéissances qui se donnent pour le bon ordre du couvent. De cette
obéissance, ici, nous eu avons extrêmement besoin, parce que les occasions de
la pratiquer nous sont presque continuelles, et je ne pense point, mes chères
Sœurs, que, quoique les choses commandées soient petites, vos mérites, si vous
les observez, en soient petits ; oh ! non, car Dieu même éprouvera et
connaîtra par là votre fidélité. Il n'y a point de meilleure marque en un
esprit, pour connaître que Dieu y est, que quand on le voit rangé dans une
humble, exacte et fidèle observance ; ne pensez pas, dis-je, ne rien
gagner, et perdre votre temps d'assujettir votre esprit à ces petites observances,
puisque notre Bienheureux Père a dit : « que s'il était céans, il se
rendrait si exact, que rien plus, à toutes les petites ordonnances de la
supérieure ; qu'il croirait par ce moyen-là gagner le Cœur amoureux de
notre bénin Sauveur. »
Vous savez toutes que les cheveux et l'œil de l'Épouse ravissent
également le Cœur de son Bien-Aimé ; soyons obéissantes [124] et suivons
toutes le patron que nous avons vu sur le mont de calvaire, c'est notre Époux
qui est mort pour nous en obéissant, après avoir obéi toute sa vie à Notre-Dame
et à saint Joseph. O mes chères Sœurs ! l'obéissance, c'est la couronne du
religieux, c'est son rempart et son soutien, sa paix, son repos et son
assurance ; le seul obéissant vit dans la sainte liberté des enfants de
Dieu : il aime que l'on commande les choses âpres et difficiles et les
fait exactement ; il reçoit de bon cœur les choses moindres et les fait
fidèlement ; il se réjouit des menues, pénibles et abjectes obéissances,
et les exécute soigneusement sans jamais jeter la charge sur les autres.
« L'obéissant, dit notre Bienheureux Père, rendra compte de
quelques paroles, mais de ses actions faites par obéissance, point. » O
mes chères Sœurs ! plaise à la divine Bonté nous rendre si heureusement
obéissantes, qu'au jour, où le Seigneur viendra pour nous faire rendre compte
de notre âme et de nos déportements, nous lui puissions dire : Mon
Seigneur, vous savez toutes choses ; vous savez que tout le cours de ma
vie s'est passé en obéissance, et que je n'ai jamais rien fait de ma tête, mais
tout selon l'ordonnance de mes supérieurs. Quiconque pourra dire cela avec
vérité, entendra indubitablement cette agréable réponse : Viens, âme
victorieuse, entre dans la joie de ton Seigneur ; car c'est à Moi que tu
as obéi, d'autant que qui obéit à son supérieur, quoique mauvais, il m’obéit,
et qui l'écoute, m'écoute.
Cette Congrégation, mes chères filles, qui n'est pas fondée sur les
austérités, est fondée sur le solide fondement de l'entière résignation,
mortification et anéantissement de toute propre volonté, et en la parfaite
obéissance, qui est nourrice, conservatrice et mère des vraies vertus
intérieures ; c'est pourquoi, nous étant si propre et tant nécessaire,
nous devons mettre tout notre soin pour l'acquérir. Et je vous avertis, mes Sœurs,
que je suis résolue de ne point laisser passer de fautes volontaires, [125] ou
d'une grande négligence, contre l'obéissance, sans pénitence ; et, pour
ce, nous vous prions que toutes s'avertissent charitablement et humblement
quand on verra des manquements contre icelle. Et, je vous conjure, mes chères
Sœurs, si vous avez quelque amour et charité pour Dieu, comme je sais que vous
avez, grâce à sa bonté, que vous le lui témoigniez en vous rendant parfaitement
obéissantes à toutes ses volontés, soit en sa volonté signifiée, ou en celle de
son bon plaisir.
Et si vous avez quelque désir d'union avec l'esprit de votre saint
Fondateur, que vous lui donniez cette gloire accidentelle d'obéir à tous ses
Écrits, et suivre ses volontés qu'il vous a laissées aux Constitutions,
Coutumier, Entretiens et en ses autres Écrits. Et Vous supplie aussi, que, si
vous avez quelque charitable et cordiale affection pour moi, comme je crois que
vos bontés ont, quoique de ma part j'en sois indigne ; néanmoins, puisque
Dieu m'a donné charge de vous, que vous me donniez cette chère consolation de
vous voir acheminer de plus en plus en votre perfection, par la voie de
l'obéissance à toutes les choses de l'Institut, car je n'en puis recevoir
aucune que par cette voie-là, de voir que ce cher petit troupeau, que Dieu m'a
commis, s'avance en l'amour divin, et contente son Dieu auquel il s'est
sacrifié, et accroît la gloire accidentelle de son Bienheureux Père, sous les
lois duquel il est dédié pour servir Dieu, répandant par ce moyen une suave
odeur de vertu devant tous. Allez en paix, mes chères Sœurs, et tâchez de faire
ce que Dieu a voulu que je vous dise pour votre bien et ma consolation. [126]
(Faite en 1630)
SUR LA TROISIÈME CONSTITUTION.
de
l'obéissance (suite).
Afin que cette Congrégation puisse surmonter ses ennemis spirituels, et
compter un jour à Notre-Seigneur plusieurs saintes victoires, elle doit être
établie en une parfaite obéissance.
Vous voyez, mes chères Sœurs, que le grand moyen de surmonter les
ennemis spirituels, c'est l'obéissance ; il est vrai qu'elle produit
l'humilité et est conservée par l'humilité ; ces deux vertus étant si
proches parentes et si bien unies, elles surmontent tous leurs ennemis avec la
grâce de Dieu. Nous avons toutes fait vœu d'obéir selon les règles et
constitutions ; nous le confirmons tous les ans, tous les mois, et
plusieurs d'entre nous le reconfirment à toutes les communions, et d'autres
tous les jours, chacune selon sa dévotion. Regardons donc sérieusement si nous
rendons à Notre-Seigneur ce que nous lui avons voué. Je vous dis souvent qu'il
faut marcher bien droit devant Dieu, parce qu'il est un Dieu jaloux de son
honneur et veut qu'on lui rende les vœux que l'on lui a faits.
Il faut obéir en tout avec ces six conditions, ce n'est pas petite
chose : humblement, franchement, simplement, promptement, fidèlement et
cordialement, comme nous obéirions à nos propres mères.
O que bienheureuses seront les Mères supérieures qui auront des
inférieures faites de la sorte, à qui elles puissent commander en tout temps et
tout ce qu'elles voudront, sans qu'il soit [127] nécessaire de prendre garde si
ceci ou cela les troublera. Beaucoup plus heureuses sont les inférieures,
tellement remises entre les bras de l'obéissance, qu'elles ne se mettent en
peine ni souci de rien, que de plaire à Dieu par le moyen de
l'obéissance ; elles ne périront jamais, car l'obéissance est un guide
fidèle. Je vous prie, mes chères Sœurs, faites vos examens sur ces six
conditions, et vous redressez, si vous vous trouvez fautives en quelqu'une
d'icelles. Hâtez-vous de vous avancer en votre chemin : avancez, et
hâtez-vous de travailler à votre perfection ; car vous ne savez l'heure
que l'on criera : Voici l'Époux qui vient, voici le Maître auquel
il faudra rendre compte comme vous avez observé vos vœux. Tâchez, mes chères
Sœurs, de vous avancer en cette sainte voie par la fidèle observance des
devoirs de notre vocation : cheminons droitement devant Dieu ; soyons
humbles, soumises, obéissantes à ses volontés, et il nous bénira.
(Faite en 1630)
SUR LA QUATRIÈME CONSTITUTION.
de
la chasteté.
Les Sœurs ne doivent vivre, respirer, ni aspirer que pour l’Époux
céleste, en toute honnêteté, pureté, netteté et sainteté d’esprit, de paroles,
de maintien et d'actions, par une conversation immaculée et angélique.
Voilà, mes Sœurs, le vœu que nous avons fait ; certes, il est plus
que raisonnable que nous tenions nos promesses, puisque nous les avons faites
de notre plein gré et franche volonté... [128]
Nous autres, par une grâce spéciale de Dieu sur nous, nous sommes
délivrées des noces séculières, et pourtant nous ne sommes point sans
époux ; ains, nous en avons un auquel il faut garder fidélité, et du cœur
et du corps. Nous sommes hors des occasions de faire des grands manquements à
notre vœu de chasteté, mais ce n'est pas tout, mes chères Sœurs : il faut
se garder de souiller pour peu que ce soit notre cœur, qui est le lit nuptial
de notre cher Époux. Et, cet adorable Époux, il est toujours au milieu de notre
cœur ; il ne tient qu'à nous de jouir perpétuellement de ses chastes
embrassements, de son agréable présence et de son familier entretien. Nous
n'avons qu'à traiter avec lui des affaires de notre âme, sans qu'il soit besoin
de l'aller chercher en Bethléem, en Égypte, en Nazareth, au Thabor, au
Calvaire, ni même là-haut dans les cieux, bien que cela soit très-bon ;
mais, simplement, nous devons entrer dans notre propre cœur, nous ramasser en
nous-mêmes ; nous l'y trouverons qui nous attend, afin de s'entretenir avec
nous, nous caresser et nous enseigner ses volontés et désirs. Vous voyez, mes
chères Sœurs, si nous avons petite obligation de tenir nos cœurs purs et nets,
et toutes nos puissances, sens et facultés bien rangés, puisque toujours le
Dieu de toute pureté repose avec nous et au milieu de nous.
Il est vrai, mes chères Sœurs, ce vœu est d'une grande perfection, et
plusieurs ont de grands combats pour l'observer en sa perfection. Certes, si
nous avons promis de grandes choses à Dieu, considérons qu'il nous en a promis de
plus grandes ; et ce qui nous attend là-haut est bien autre chose que ce
que nous donnons çà-bas ; car, mes chères Sœurs, si nous tâchons que nos
cœurs et nos esprits soient un lit bien blanc, par l'exemption des péchés, et
ornés de simplicité, candeur, humilité et amour pour loger notre Époux céleste
çà-bas, j'espère que sa douce bonté nous donnera part au lit nuptial de sa
divine éternité. Son infinie miséricorde nous en fasse la grâce. [129]
(Faite en 1630)
SUR LA CINQUIÈME CONSTITUTION.
de
la pauvreté.
Afin que toutes affections à la jouissance et usage des choses
temporelles soient retranchées, et que les Sœurs vivent en une parfaite
abnégation des choses dont elles useront, etc.
Mes chères filles, voici le troisième vœu que nous avons fait, qui est
de la sainte pauvreté. Vous savez assez toutes, ce me semble, en quoi elle
consiste, car je vous en ai déjà parlé autrefois ; c'est pourquoi je ne
vous dirai maintenant que deux mois, qui sont que je vous prie de considérer
vos cœurs, s'ils n'ont point quelque affection aux choses permises, pour
l'usage, ou s'ils n'en désirent point de celles qu'on n'a point ; si
quelques-unes d'entre vous se trouvent atteintes de ce mal, qu'elles
s'humilient devant Dieu, et se relèvent soudain.
Voici le temps qui s'approche pour retrancher, je veux dire nos
solitudes ; que chacune pèse bien l'obligation de ce vœu et de cette
vertu, et fasse de bonnes et fortes résolutions, de retrancher, moyennant la
divine grâce, tout ce qu'elle verra contraire à la perfection, et tâcher de
vous réduire dans cette absolue abnégation de toutes les choses de la
terre ; car il est certain que, tandis que quelques affections terrestres
tiendront nos cœurs engagés, ils ne pourront pas jouir à souhait des
contentements célestes. Tâchez donc de les purifier et les rendre conformes à
nos règles qui sont admirables, et nous donnent si à propos nos nécessités, que
c'est une merveille, et sans que nous nous mettions en souci. Enfin, nous
jouissons de [130] tout bien spirituel et temporel, jusque-là
que nous avons plusieurs récréations et soulagements selon l'humanité. Presque
tout le monde meurt de faim, et nous avons abondamment, quoique non
superfluement, tout ce qui nous est nécessaire. Nous allons au réfectoire
paisiblement, recevoir en silence, et de la main de Dieu, ce que nous avons à
prendre ; nous mangeons ce que l'obéissance nous donne, sans avoir un mari
en colère, jeter un plat d'un côté et d'autres, sans avoir les bizarreries et
mauvaises humeurs d'une belle-mère ou des sœurs, et mille autres choses que
vous pouvez mieux penser que moi vous le dire. Nous avons la lecture sainte
pendant le repas, pour réfectionner notre âme du pain de vie, qui est la parole
de Dieu ; après cela nous avons nos récréations et avec plus de tranquillité
que princesse ni prince de la chrétienneté. Nous avons le silence pour être
auprès de Dieu, sans qu'aucune créature nous en détourne. Puis la religion nous
donne tant de temps pour l'oraison et Office, pour l'examen, la lecture sainte
en notre particulier. En après, nous n'avons pas la peine de nous aller crotter
pour recevoir le Saint-Sacrement, ni d'attendre deux heures au pied d'un
confessionnal, comme l'on voit quelquefois ces dames qui s'en retournent de
pitié, après avoir prou attendu, sans s'être confessées. Mais nous en avons un
très-bon et vertueux (confesseur) qui s'accommode à nos heures, et ne manque
jamais de venir deux fois la semaine, prenant une peine pour bien servir le
monastère qu'il ne se peut dire plus, et, cela, avec grande charité.
Voyez-vous, mes chères Sœurs, tous ces bénéfices doivent être pesés au
poids du sanctuaire et devrions continuellement nous tenir anéanties devant
Dieu, et lui dire d'un cœur amoureux : Que vous avons-nous fait, Seigneur,
notre bon Dieu, de plus que tant d'autres qui valent cent fois plus que nous,
lesquelles toutefois vous avez laissées à la merci des misères, malheurs et
calamités du siècle ; et nous, par votre grande [131]miséricorde, vous
nous avez mises en votre sainte maison, hors des occasions de commettre de
grandes offenses contre Votre divine Majesté, avec tant de moyens pour nous
unir et joindre à vous.
Pourquoi pensez-vous, mes chères Sœurs, que Dieu nous ait tirées du
monde pour nous mettre en religion ? C'est afin que nous le servions en
sainteté et justice tous les jours de notre vie ; afin que nous le priions
pour son peuple, pour nos bons frères chrétiens, pour ce cher prochain qui
souffre tant, que c'est une chose intolérable d'ouïr raconter ses calamités.
L'un nous vient dire que tous ses proches sont morts de peste, et que les
coureurs l'ont ruiné. L'autre dit : Nous ne savons l'heure que nos biens
seront tous engagés, et à la merci de nos ennemis. L'autre dit : Je ne
sais quand on lui ôtera la vie, d'autant que les soldats ont tué son voisin.
Dès filles sont violées et pleurent leur désastre, les femmes sont déshonorées
et leurs maris tués. Les veuves et orphelins sont opprimés. L'on voit des plus
riches avoir faim, et l'artisan qui était bien à son aise meurt de famine. De
tous ces désastres, nous sommes exemptes par la douce et miséricordieuse bonté
de Notre-Seigneur sur nous. Certes, si nous ne sommes reconnaissantes de ces
bienfaits, nous serons très-rigoureusement et très-justement punies au jour du
jugement.
Il nous exempte, ce grand Dieu, de grands travaux que les mondains
souffrent, pour nous montrer combien c'est un Maître loyal envers ceux qui ont
tout quitté pour le suivre ; mais il veut aussi que nous souffrions, et
prenions d'un cœur amoureusement soumis, en contre-échange, les petites
contrariétés, mortifications, humiliations et corrections, comme si nous
disions : Seigneur, vous m'exemptez de ces grands maux que souffrent les
mondains ; mais, mon Dieu, pour suppléer à cela, je recevrai avec tant
d'amour toutes les occasions de me mortifier, de m'anéantir, et de mourir à
moi-même, que je n'en laisserai pas passer une. [132]
O mes chères Sœurs, disons toutes d'un véritable sentiment de
cœur : Qu'est-ce que nous rendrons au Seigneur notre Dieu, pour les
grands biens qu'il nous a faits ? Qu'est-ce que l'on peut donner à
cette souveraine Grandeur, qui tient toutes choses, et à qui toutes choses
appartiennent ? Mes chères Sœurs, pour tous les biens que sa libéralité
nous fait, rendons-lui nos vœux ; il ne veut que cela de nous. Rendons-lui
une fidèle, amoureuse et constante observance de ce que nous lui avons promis,
et sa bonté se contentera. Portons grande compassion à notre prochain, prions
pour lui incessamment. Pesons mille fois le jour, s'il se peut, les bienfaits
que nous recevons de la main de Dieu mais, cela, au pied du sanctuaire, comme
je l'ai déjà dit. Employons quelquefois le temps de notre recueillement à
comparer les maux que nous souffririons maintenant au monde, chacune selon son
état et le rang qu'elle y a tenu, et les biens que nous recevons en la
religion, pour n'en être pas ingrates ni méconnaissantes. Mais je vous exhorte
à faire cette comparaison sérieusement devant Dieu, et vous assure que ce sera
une bonne et très-utile pensée et occupation pour vos esprits.
Je vous assure, mes chères Sœurs, que celle qui serait ingrate
recevrait un grand châtiment de Dieu ; au moins se mettrait-elle en état
d'en recevoir un, en ce monde ou en l'autre. Ce nous est une faveur
incomparable d'être en la maison de Notre-Seigneur et en sa vigne. Mais aussi,
savez-vous, il faut veiller en la maison et faire valoir le talent, afin de
n'être pas surprise quand le Maître viendra et être réputée pour méchante
servante de Sa Majesté. Il faut travailler en sa vigne pour lui agréer et
recevoir salaire, autrement on est réputé pour inutile. Je vous dis tout ceci
avec un sentiment qui me console tout le cœur, faites-en profit, mes chères
Sœurs, car c'est ce que Notre-Seigneur m'a donné pour vous dire. [133]
SUR LA VINGT-DEUXIÈME CONSTITUTION.
de
l'humilité.
Les Sœurs auront une attention particulière à la pratique de cette
vertu, faisant toutes choses en esprit de profonde, sincère et franche
humilité.
Voyant le grand besoin et l'extrême nécessité que nous avons de la
sainte vertu d'humilité, je me suis résolue de vous lire au chapitre, tout le
long de cette année, quelques livres qui en traitent ; car, voyez, mes
chères Sœurs, je pense que Notre-Seigneur ne m'a point donné pour néant
l'inspiration de vous animer à cette bénite vertu d'humilité. C'est pourquoi je
désire, moyennant l'aide de Dieu, vous dire tout ce qui me sera possible, pour
vous aider à vous fonder et établir solidement en cette vertu, laquelle étant
si nécessaire, que sans icelle nous n'aurons jamais entrée au ciel. C'est
pourquoi il est dit que ceux qui s'humilient seront exaltés.
Il n'y aura que les vrais humbles qui seront relevés, dit la sacrée
Vierge, et les esprits hautains, fiers, présomptueux, seront ravalés,
rabaissés, en l'abîme profond. Humilions-nous donc, mes chères Sœurs, et ne
servons point Dieu avec négligence, ains tâchons d'employer vigoureusement
toutes nos forces pour acquérir la véritable humilité de cœur et de
soumission ; et, examinons-nous incessamment devant Dieu si nous pouvons
dire, avec vérité, que nous sommes soumises à tout ce que l'on veut de nous,
recevant tout comme venant de la main du Dieu Très-Haut qui voit le fond de nos
cœurs ; car, faire bonne mine à l'extérieur, et ne pas se soumettre à
l'intérieur, [134] ce n'est pas avoir l'humilité ; quoiqu'il semble aux
créatures qui ne voient que l'extérieur, que ces âmes soient humbles, il n'en
est rien, et Dieu, qui voit tout, ne fait point d'état de cela ; il faut
soumettre l'entendement et la volonté pour être humble.
Ah ! mes chères filles, humilions-nous fort devant ce grand Dieu,
parce qu'il ne regarde que les humbles, et ne fait état que des humbles. Sur
qui reposerai-je mon esprit, dit-il par son prophète, que sur l’humble
et contrit de cœur, qui craint mes paroles ? La prière de l'humble sera
exaucée. Ce sont les paroles de la Sainte-Écriture qui nous doivent exciter
puissamment à nous rendre petites et à aimer notre petitesse.
Humilions-nous encore, parce que tout ce qui est créé n'est rien devant
Dieu, comme dit un prophète. Si tous les empires, si tous les rois, bref, tout
ce grand monde n'est rien devant cette souveraine Majesté, que sommes-nous
étant comparées aux grands ? Nous ne sommes que de purs néants, mais nous
nous sommes rendues moins que le rien par les péchés que nous avons
commis ; car, dites-moi, mes chères Sœurs, s'il y avait quelque petit
gueux qui n'eût rien pour vivre que le pain qu'on lui donnerait, ni rien pour
se vêtir, et qu'il fût si outrecuidé que de s'élever contre vous, que
diriez-vous ? Or, il en est ainsi de nous : nous sommes de pauvres
misérables, et esclaves, que le Fils de Dieu a rachetés, afin que nous
l'aimions ; nous n'avons que ce que sa divine libéralité nous départ, et,
néanmoins, nous sommes si audacieux que de nous élever contre lui, pour l'offenser,
chose pour laquelle nous méritons qu'il nous ravale selon que notre témérité le
mérite.
Vous savez que les Anges furent abaissés par leur orgueil. Rien ne
déplaît tant à Dieu, dit la Sainte-Écriture, qu'un pauvre orgueilleux, et
vous savez que rien n'attire tant l'ire de Dieu que l'orgueil. Ne soyons donc
pas de ceux-là ; mais reconnaissons notre rien, humilions-nous, et faisons
que l'humilité répare nos maux. Si nous sommes pauvres en vertu, au moins [135]
ayons l'humilité, et je vous assure que si, par chose impossible, nous avions
toutes les vertus sans humilité, nous ne serions point agréables à Dieu.
Afin donc de vous exciter davantage à acquérir cette vertu, nous vous
lirons, cette année, quelques livres qui en traitent, et que vous entendiez parler
Notre-Seigneur et ses Saints, croyant que leurs paroles auront plus d'efficace
et de pouvoir, comme de raison, sur vous, pour vous faire travailler à cette
digne et sainte besogne, à bon escient, que non pas toutes les paroles que vous
pourrait dire une aussi grande, et aussi misérable pécheresse comme je suis. Je
ne veux rien enseigner que cette vertu pour arriver à la sainteté :
humilité, humilité, mes Sœurs, c'est le chemin de la vie.
SUR LA VINGT-CINQUIÈME CONSTITUTION.
de
la correction.
Mes Sœurs, l'on m'a avertie que quelqu'une d'entre vous avait mal pris,
ou mal entendu ce que j'avais dit des avertissements, et quelques-unes disent
par derrière : Notre Mère a dit qu'il ne fallait point avertir. Certes,
mes chères Sœurs, si je l'ai dit, j'ai fort mal fait, et suis extrêmement
blâmable, car j'exténuerais la règle qui dit : Toutes les Sœurs feront
les avertissements, et, comme nous nous avertissons toutes, si, dès qu'une
Sœur aurait averti une autre, elle ne l'osait plus avertir, dans peu de temps
il n'y aurait plus d'avertissements, et je vous dis et vous déclare que, si je
l'ai dit, j'ai mal parlé, et m'en dédis en plein chapitre ; mais, si j'ai
dit, comme je suis assurée [136] d'avoir fait, que je trouve bon que l'on
n'avertisse pas sur-le-champ, ou le même jour, celle qui nous aura avertie, ni
même pendant que l'on sent le cœur piqué de quelque ressentiment, sans l'avoir
dit à la supérieure pour prendre conseil d'elle, certainement, mes Sœurs, je
n'ai pas mal dit, ce me semble, et j'eusse bien désiré que ces bonnes Sœurs se
fussent enquises de mon intention devant que blâmer ce que j'avais dit, et
elles eussent vu qu'elle n'était pas telle qu'elles l'ont pensé.
Non certes, je ne suis pas fâchée de ce qu'elles ont cru que j'avais
fait une imperfection, mais bien je l'ai été de ce qu'elles en ont parlé par
derrière, plutôt que de s'adresser à moi pour me dire simplement mon
défaut ; sur quoi, je vous prie, mes Sœurs, que lorsqu'on dira quelque
chose en communauté d'y prêter attention, afin que l'on ne fasse pas accroire
aux supérieures qu'elles ont dit des choses à quoi seulement elles n'ont jamais
pensé.
Je conclus donc qu'il ne faut pas avertir sur-le-champ celle qui nous a
avertie, il est mieux d'attendre au lendemain : que si l'on sent de
l'amertume de cœur contre elle, il faut aller dire à la supérieure : Ma
Mère, ma Sœur telle a fait telle faute, mais j'ai un sentiment contre elle,
c'est pourquoi je ne l'ose pas avertir, que plaît-il à Votre Charité que je
fasse ? et puis, faire humblement, simplement et charitablement ce que la
supérieure dira ; voilà pour les avertissements.
Mais, il faut que je dise un mot pour ce qui est de ces petits mots
secrets que l'on dit, quand les Sœurs demandent leurs imperfections ; car,
d'autant que personne n'entend cela que celle à qui nous les disons, certes, il
est grandement dangereux que nous suivions nos petites inclinations ; et,
non-seulement cela, mais que nous y fassions de bons et gros péchés : nous
aurons une petite mouche contre une Sœur ou bien nous ne l'agréerons pas, et
elle nous viendra prier au réfectoire de lui dire ses fautes ; nous ne lui
dirons pas celles qui lui peuvent faire plus [137] de profit, mais celles qui
la peuvent plus humilier et confondre. Je vous laisse à penser s'il n'y a pas
là matière de confession. Oui, je vous assure, mes Sœurs, et bien bonne. Voici
donc comme il faut faire quand une Sœur nous vient prier de lui dire ses
fautes : il nous faut humilier devant Dieu, et penser que c'est à nous à
qui chacune devrait dire les fautes, et que cette Sœur est bien meilleure que
nous, et puis, dire cordialement, humblement, courtement, et charitablement,
quelques défauts extérieurs ; et celles qui les demandent le doivent faire
avec beaucoup d'humilité, et penser qu'à cause que l'on ne connaît pas son
orgueil, on ne lui dit pas les plus grosses. Voilà, mes chères Sœurs, ce que
j'avais à vous dire ; je vous prie, pratiquez-le ès occasions.
SUR LA FIDÈLE OBSERVATION DES CONSTITUTIONS
Mes chères filles, dès que je fus de retour ici, je m'aperçus que nous
nous étions relâchées au silence, au parler, que nous étions toutes dissipées
et hors de chez nous ; cela me fit mal au cœur tout à fait. Enfin, quand
nous ne nous tiendrons pas ramassées en nous-même, autour de Dieu, nous ne
ferons rien qui vaille ; au contraire, nous nous relâcherons en toutes
choses ; car c'est par cette porte de la présence de Dieu que nous devons
attendre tout notre avancement en la perfection, de sorte que si cette fidélité
au recueillement nous manque, tout le reste nous défaudra, et nous ne serons
jamais filles d'une solide vertu. Or sus, prenons courage, mes chères Sœurs, et
nous redressons ; ne nous laissons point tant aller aux choses [138]
extérieures, et ne les faisons point d'un esprit empressé et diverti de Dieu,
mais avec un cœur tranquille, rassis, attentif à le regarder.
(Les novices étant dehors, elle ajouta :) Mes chères Sœurs, je vous supplie, pour
l'amour de Notre-Seigneur, et par le zèle que vous devez avoir pour votre
perfection, de rentrer à bon escient en vous-même, de vous bien regarder et
connaître vos imperfections pour vous renouveler ; certes, il est bon de
monter son cœur, non-seulement tous les ans, mais encore tous les mois, pour
voir comme tout y va ; procédons avec plus de candeur avec nos
supérieures, quelles qu'elles soient, nous ne découvrons pas bien là ce que
nous sommes.
Mettons-y dûment la main à la conscience, et vous verrez que je dis
vrai. Nous ne disons pas beaucoup de choses que nous devrions pourtant
dire ; mais, ce qui nous empêche, c'est que nous ne voulons pas les
reconnaître comme elles sont ; nous étouffons presque la lumière que Dieu
nous en donne, pour suivre nos inclinations, et pour nous tenir toujours
attachées à l'estime de nous-même et à notre réputation. C'est pourtant un
article de nos constitutions qui est très-important.
O Dieu ! quand nous faisons nos lectures, nous devrions nous
arrêter sur chaque article, pourvoir comme nous observons ce point-là ; il
y en a surtout deux ou trois qui sont admirables ! Mon Dieu, laquelle
est-ce qui est toute formée sur la constitution de la modestie ; qui est
toute tranquille, simple, qui a ses yeux doux et sereins, et pour l'ordinaire
baissés ; qui a ce respect cordial envers ses Sœurs, gracieuse, humble et
affable, et cette continuelle présence de Dieu ? Pour ce dernier point
nous en sommes fort éloignées, c'est pourquoi le reste nous manque ; car
nous sommes pour l'ordinaire chez les autres, et si peu chez nous, que c'est
pitié ! Certes, nous ne sommes pas assez ponctuelles et délicates en
l'observance.
Vous autres professes, vous ne savez pas le dommage que [139] vous
apportez, non-seulement à vous-mêmes, mais encore aux autres ; il y a une
quinzaine de novices céans, qui ont les yeux sur vous ; quel exemple leur
donnez-vous ? car elles seront telles que vous ! Je ne vois pas aussi
en elles une exactitude assez grande ; ma Sœur la directrice, il faut
veiller sur elles, non pas pour les trop presser, ni pour les hontoyer et
tourmenter, mais pour les encourager et rendre amoureuses de l'observance, les
aidant à cela par vos paroles, enseignements et exemples, tellement, qu'il ne
faut pas que vous fassiez les fautes que vous ne voudriez pas que vos novices
commissent.
Pour Dieu, mes filles, prenons à cœur notre perfection, et nous
établissons en des résolutions invariables et efficaces de travailler à bon
escient. Regardons toutes en particulier les inclinations qui nous nuisent le
plus, pour leur faire une cruelle guerre, afin de faire notre amendement, et ne
craignons point que nous n'en venions à bout avec la grâce de Dieu, qui ne nous
manquera jamais ; tâchons seulement d'être fidèles à cette grâce et de lui
correspondre...
EXHORTATIONS SUR DIVERS
SUJETS
(faites en chapitre)
SUR LA CONSTANCE QU'IL FAUT AVOIR AU SERVICE DE DIEU AU
MILIEU DES VICISSITUDES DE LA VIE.
Si Dieu a caché le prix inestimable de la gloire éternelle dans la
victoire de soi-même, pourquoi ne l'entreprendrions-nous pas ? L'apôtre
saint Paul dit : « Que le monde n'a pas connu Dieu dans la
sapience de Dieu ; à nous autres il nous est donné de connaître Dieu dans
la folie de sa croix. » Le vrai bonheur du chrétien est de connaître
Dieu en la personne de son Fils, et l'imiter aux vertus qu'il a pratiquées en
sa vie, en sa sainte Passion, en son humilité, pauvreté, abjection, mépris,
vileté, douleur et souffrance : la nature n'agrée pas ceci, mais nous ne
sommes pas nées pour vivre selon son instinct. L'esprit de la chair nous fera
inquiéter, lorsque quelque chose nous manquera, et celui de Dieu nous portera à
nous soumettre à sa volonté dans nos incommodités et les souffrir avec
patience ; les humbles sont toujours doux et gracieux ; ils sont si
petits et bas en eux-mêmes qu'ils ne disent jamais une parole de travers.
C'est un grand trésor que la sainte crainte de Dieu. Qui a établi en
son cœur de ne jamais offenser Dieu, ni de commettre volontairement aucune
imperfection, ne pense guère à l'enfer ; il ne craint pas de déplaire à
Dieu, mais il pense à lui plaire.
Il y a des cœurs d'eau, en qui il ne demeure aucune [142]
impression ; entendant parler des jugements de Dieu, ils sont saisis de
crainte pour les peines de l'autre vie ; mais ils ne sont pas sitôt hors
de là, qu'ils n'y pensent plus. Les autres, oyant louer quelques vertus, ont
des désirs de les pratiquer ; et, néanmoins, ces bons sentiments ne leur
demeurent point dans le cœur ; car, quand l'occasion se présente de les
mettre en effet, ils ne se souviennent plus de leurs bons désirs, non qu'il
faille toujours penser à ce que l'on entend dire, tant aux prédications
qu'autrement ; mais il y faut penser, en sorte qu'on le pratique lorsqu'il
en est temps, et non pas comme ces cœurs d'eau qui ne gardent rien de ce qu'on
leur dit.
Que cette vie est bigarrée ! quand on pense faire une chose, il en
faut faire une autre. Le grand bonheur est en cela de faire tout pour Dieu, et
d'accomplir sa sainte volonté, humiliant notre entendement, afin qu'il nous
illumine ; lui soumettant nos volontés, afin qu'il les gouverne. Il
importe peu que nous soyons en la cave ou sur le toit, pourvu que partout nous
fassions la volonté de Dieu.
Marcher en la présence de Dieu, c'est marcher dans le sentier de son
bon plaisir, et non par les voies de la chair, de l'esprit humain, de
l'amour-propre, de l'estime de soi-même, de son jugement et volonté.
SUR LA VIGILANCE ET LA GUERRE A FAIRE AUX ENNEMIS DE L'ÂME.
Mes chères Sœurs, je n'ai que deux mots à vous dire : c'est pour
vous faire ressouvenir qu'il faut se faire violence, ruiner et prendre garde à
notre amour-propre et à ses vanités, à nos corps et à nos sensualités, à nos
jugements et à leur témérité, [143] à nos propres volontés et à leurs fausses
libertés : voilà les quatre principaux ennemis que nous avons ; et,
comme notre amour-propre, nos corps et nos autres ennemis ne cessent d'être
après nous pour nous faire chopper, aussi ne devons-nous jamais cesser d'être
après eux pour les combattre et renverser : combattre fortement l'esprit
de la chair et l'esprit du monde, car ce sont ces deux qui nous font plus de
mal. Celles qui ne se rendront pas veillantes pour les découvrir et les
repousser, certes, insensiblement ils les entraîneront après eux en un lieu où
il ne fera pas bon pour elles ; mais celles qui seront soigneuses et
veillantes à se garder de leurs embûches, ce seront celles-là qui seront des
filles sages et qui seront reconnues pour telles. C'est à quoi je vous exhorte,
mes chères Sœurs ; car il me semble que nous en avons besoin ; et,
moi aussi, je m'y exhorte moi-même de tout mon cœur.
SUR LES MAUX QUE CAUSENT À L'ÂME LES FINESSES DE L'AMOUR-PROPRE ET DE LA PRUDENCE HUMAINE
Pensant ce matin, mes chères Sœurs, à ce que je devais vous dire au
chapitre, il m'est venu cette vue de vous avertir cordialement de prendre garde
à l'amour-propre et à ses finesses, afin de remédier au mal que pourraient
faire à nos âmes ces deux racines qui sont des vraies sources de tous maux et
imperfections ; et, je vous dis souvent, ce me semble, que l'amour-propre
fait tout perdre en la vie spirituelle, à cause de la production de ses propres
recherches qui nous empêchent de chercher purement Dieu et son bon plaisir. La
prudence de [144] l'esprit humain fait aussi beaucoup de
mal ; et, tandis que nous nourrirons cette fausse prudence, cet esprit
humain agira en nous, il nous rendra incapable de cette union intime et
amoureuse que nous devons avoir avec Notre-Seigneur. Il faudra de la peine pour
renverser ces deux ennemis, car ils sont adroits et font leurs coups si
subtilement, que, bien souvent, on ne les aperçoit que quand ils ont joué leurs
personnages.
Mes chères Sœurs, nous ne sommes pas venues céans pour vivre selon le
naturel ; l'on nous apprend,.dès le commencement, qu'il le faut
ruiner ; il le faut donc faire généreusement, et, au lieu de suivre
l'amour-propre, et l'esprit humain, vivre, par une sainte force d'esprit, selon
les lumières de la grâce et de la raison. Ces deux lumières, bien suivies,
suffisent pour conduire l'âme à la très-haute perfection de l'amour divin.
Je vous conjure donc, mes chères filles, que toutes considèrent devant
Dieu si l'amour-propre et la prudence humaine demeurent chez elles ;
celles qui voudront chercher et qui trouveront en avoir beaucoup, qu'elles
prennent beaucoup de courage pour s'en affranchir, sachant bien que rien n'est
si contraire à cette pureté d'intention et simplicité, que Dieu requiert des
âmes qui font état de la perfection ; que celles qui ne s'en trouveront
pas tant s'humilient fort et rendent grâces à Notre-Seigneur, suppliant sa bonté
d'arracher d'elles le mal, que, par leur peu de lumières intérieures, elles ne
voient peut-être pas, et qu'il les préserve d'en avoir davantage. Et, tant les
unes que les autres, je vous supplie, chèrement et cordialement, de faire
profit de ce que j'ai dit ; car je crois que Dieu ne m'a pas donné cette
lumière pour néant et sans vouloir que nous en fissions profit ;
faisons-en toutes, je vous prie, mes chères Sœurs…
À ce chapitre, cette Bienheureuse Mère dit que la conscience la
pressait de donner des pénitences à celles qui feraient des [145] fautes à l'Office, et, qu’à la
troisième fois, elle ferait perdre la communion, qu'elle ne savait point de
plus grosse pénitence pour des âmes qui aiment Dieu.
SUR LES MOTIFS QUI DOIVENT ANIMER NOS VERTUS POUR LES
RENDRE FERMES ET RELIGIEUSES.
Mes très-chères Sœurs, je n'ai qu'un mot à vous dire, car vous savez
beaucoup. Je vous dirai donc seulement que vous tâchiez de bien établir en vous
les vertus solides, fermes et invariables ; car, pourquoi pensez-vous
qu'on vous dise tant de belles choses, qu'on fasse tant de belles lectures, des
entretiens, etc. ? Pensez-vous que ce soit pour contenter votre
entendement et vous satisfaire, ou pour vous faire produire des bonnes
affections seulement ?
Oh ! non, ce n'est point l'intention des livres, ou des
prédicateurs, ou de ceux qui vous les enseignent ; ce n'est pas pour autre
fin que pour vous former et vous établir en des vertus solides et constantes,
qui ne s'ébranlent et ne s'émeuvent de rien de tout ce qui puisse arriver. Et
il faut que cette vertu solide soit fondée sur Dieu seul, qui vous fasse être
soumises et obéissantes, humbles, cordiales et franches envers nos Sœurs, et
non point pour autre regard et motif, sinon pour plaire à Dieu et obéir à nos
règles qui nous le commandent, et qui nous fasse être bien fidèles en toutes
choses à l'observance, jusqu'à la moindre petite coutume. Et généralement,
toutes les autres vertus et bonnes œuvres que vous ferez, les faire seulement
avec la pure volonté de plaire à Dieu, et le désir de lui obéir [146] en toutes choses et d'observer vos règles.
Votre vertu étant fondée et établie sur ce fondement, demeurera toujours ferme,
constante et invariable, quoi qu'il puisse arriver ici ou là, d'être en cette
charge ou en cette autre, avec ces Sœurs ou avec celles-là ; car, si vous
n'avez que ce but et cette intention de faire et accomplir la volonté de Dieu,
vous serez indifférentes de toutes choses, d'être en cette maison ou en une
autre, d'être proches ou éloignées d'ici.
Nous devons être prêtes d'accomplir l'obéissance, toutes et quantes
fois qu'il lui plaira de nous envoyer en quelque lieu que ce soit, sans aucun
choix ou excuse, et sous quelque prétexte que ce soit ; car celles qui
disent qu'elles ne seraient pas bien contentes d'aller en une petite ville,
sous de bons prétextes en apparence, comme seraient qu'elles n'auraient pas
tant de bons secours spirituels, qu'elles seraient plus exposées aux dangers
dans les temps de guerre, et autres semblables ; si elles s'examinent
bien, et qu'elles se reconnaissent pour telles qu'elles sont, elles trouveront
que tout cela n'est autre qu'un vrai orgueil, et orgueil qui est couvert de ces
bons prétextes, lesquels les aveuglent, en sorte qu'elles ne le reconnaissent
pas elles-mêmes ; car, mon Dieu, qui sommes-nous ? quel grand
avantage et honneur a reçu la religion de nous ?
Ah ! je vous prie de vous humilier, mes chères filles, et vous
soumettre à toutes sortes d'obéissances, et à tout ce que l'on voudra de vous,
sans aucune excuse ni réplique ; car ce nous sera trop de grâce de pouvoir
servir Dieu et notre Institut, en quelque façon et tel lieu que ce soit ;
et puis, mon Dieu ! en quoi voulons-nous imiter Notre-Seigneur et notre
Bienheureux Père, sinon par le chemin de l'humilité et pauvreté, puisqu'ils
nous ont laissé de si précieux exemples, afin que nous conformions notre vie
sur leur modèle ? Et, je vous prie, mes chères Sœurs, de bien remarquer
ceci, et de ne penser qu'à bien vous mortifier et tenir proches de Dieu et prêtes
d'obéir en tout. [147]
Les officières sont obligées de servir et assister de bon cœur les
Sœurs ; autrement, ce serait se faire propriétaires de ce que l'on a en
charge.
SUR L'EXCELLENCE ET LA BEAUTÉ DE LA VIE RELIGIEUSE.
Nous sommes appelées à une sublime perfection : elle est tout
angélique, quant à la pureté de vie, tant à l'esprit qu'au corps ; et qui
regarde de près sa règle trouve bien de la besogne à faire. Notre règle, pour
nous mener à cette perfection, ne nous conduit pas par une multitude
d'austérités tant estimées du vulgaire, ains elle nous conduit à une parfaite
perfection d'esprit tout intime, et en cela consiste son excellence ; car
cette perfection cachée aux yeux du monde nous lire à l'union avec Dieu, au
détachement parfait de toutes choses créées, et à une grande pureté de vie et
sainteté de mœurs.
Or, puisqu'il plaît à la divine bonté que nous soyons ici assemblées
toutes en son nom, mes très-chères filles, cachées aux yeux du monde et en ce
sacré désert, hors de cette Égypte, faisons un paradis en terre, nous le
pouvons avec la grâce de Dieu. Quelle consolation de pouvoir convertir nos
cloîtres, nos cellules, bref, tout ce couvent en un petit paradis de délices au
Fils de Dieu, et de suavité aux Anges qui ne dédaignent point d'y venir.
Vous me direz peut-être : Voilà un bien fort précieux, comment
viendrons-nous à bout d'une si sainte entreprise ? Je vous
répondrai : En observant exactement vos règles, en faisant toutes vos
actions dans une profonde, sincère et franche humilité, en [148] vivant en
parfaite abnégation de votre propre volonté, observant une pauvreté dépouillée
de toutes choses, ne vivant, respirant et aspirant que pour votre Époux
céleste ; par une conversation immaculée et angélique, conversant
aux cieux en esprit, mourant à toutes choses et à vous-mêmes pour vivre en
Dieu, aimant cordialement et également toutes nos Sœurs, vivant unanimement
avec elles, servant au Seigneur d'un esprit joyeux, humble et amoureux, faisant
de bon cœur toutes les fonctions de notre vocation : voilà le chemin, mes
chères Sœurs ; la grâce ne nous manquera pas, si nous sommes fidèles à
seconder ses attraits ; ainsi Dieu bénira et nous et notre travail.
SUR L'OBLIGATION QU'ONT LES SŒURS D’ANNECY DE CONSERVER
L'ESPRIT DE L'INSTITUT.
Mes très-chères Sœurs, je vous apporte un article nouveau, c'est que le
révérend Père Feuillant dit, dans la Vie de notre Bienheureux Père,
que cette maison [d'Annecy] étant la première, la source et comme le germe de
toutes celles de l'Institut, ayant eu l'honneur et la grâce d'avoir été
instruite et repue en si grande abondance de tant de soins et d'enseignements
de la bouche de notre saint Fondateur, ayant reçu de ses bénites mains la loi
de Dieu, qui est nos Constitutions, par lesquelles nous est déclarée sa volonté
et ce qu'il demande de nous ; et, l'ayant reçue, cette bénite Loi, comme
les enfants d'Israël dans le désert, de la main de ce nouveau Moïse, ayant en
outre reçu [149] par préciput le bonheur inestimable d'avoir et garder son saint
corps, il se voit donc clairement les étroites obligations qu'a celle maison
d'Annecy d'être florissante en toutes sortes de perfection et sainteté,
par-dessus toutes les autres, et que l'exacte et ponctuelle observance y soit
inviolablement et parfaitement gardée, puisque ce Bienheureux disait que tous
les autres monastères, qui sont et seront à jamais, devaient avoir recours à
celui-ci, pour prendre conseil et se conformer sur ce modèle. Oui, mes chères
Sœurs, je sais assurément que c'était son sentiment et intention, et que toutes
nos maisons y fussent unies et le respectassent d'un amour et honneur tout
particulier, et que, tant qu'il se pourrait, l'on y prît des filles pour les
fondations, surtout des supérieures.
O Dieu ! vous voyez à quelle sublime et éminente perfection nous
sommes appelées, puisque nous devons être le modèle, miroir et patron de nos
maisons qui sont établies, et d'autres qui sont dans le projet de la divine
Providence. Il faut que toutes les vertus qui y sont et qui y seront à jamais pratiquées,
soient de douceur, support, humilité, mortification, simplicité et autres qui
se doivent trouver parmi nous : or, si nous n'avons rien de tout cela,
quels exemples leur laisserons-nous ? Certes, les desseins de Dieu sont si
grands sur nous, que peut-être requiert-il une perfection des plus grandes qui
se puisse voir ici-bas.
Considérons, je vous prie, mes chères Sœurs, que si nous n'avons pas du
soin de nous former sur nos statuts, et que, par notre négligence, lâcheté et
infidélité, nous soyons causes du relâchement des autres et de toutes celles
qui nous succéderont, nous serons responsables devant Dieu de tous leurs
manquements, défauts et peu de perfection ; et si, au contraire, nous leur
laissions l'odeur de nos vertus, notamment d'une exacte observance, d'humilité,
de douceur, de débonnaireté, de simplicité et de candeur, dans lesquelles est
enclos le vrai esprit de [150] nos règles, nous accroîtrions la gloire de Dieu,
et notre couronne serait bien plus grande ; car nous participerions à toutes
leurs bonnes œuvres et au bien qu'elles feraient. Certes, toutes les fois que
nous faisons quelque acte, soit de condescendance, support, affabilité,
respect, obéissance et autres vertus, et que nous observons ce qui dépend de
notre Institut, nous accroissons la gloire accidentelle de notre Bienheureux
Père. Presque toutes nous autres, qui sommes ici présentes, avons eu le bien et
la grâce de recevoir le voile de la religion de la main de ce Bienheureux, de
le voir, de lui parler, de voir ses exemples, et recevoir tant de saints
documents, qu'il les a comme jetés sur nous à pleines poignées, lesquels nous
doivent être véritablement autant de charbons ardents pour embraser nos cœurs
et nos âmes en ce divin et pur amour, et en charité les unes envers les autres.
Mon Dieu ! quel compte étroit aurons-nous à rendre si nous n'en faisons
pas notre profit !
Nous ne nous adonnons pas assez aux vraies et solides vertus
intérieures ; nous nous adonnons trop aux extérieures ; ce n'est pas
que je veuille dire qu'il ne faille les pratiquer et en faire état ; mais
les intérieures nous doivent être plus précieuses et nous devons principalement
notre soin et fidélité à l'acquisition d'icelles, parce qu'elles sont plus
conformes à notre vocation, et que l'intérieur produit l'extérieur. Croyez-moi,
si nous étions bien douces en notre cœur, nous le serions aussi envers nos
Sœurs. Si notre esprit était fort humble et rabaissé, toutes nos actions, nos
paroles et notre extérieur le seraient aussi ; de même si nous étions bien
attentives à Dieu, et que nos passions fussent bien mortifiées et accoisées,
sans doute tout notre extérieur serait bien ajusté et composé, de sorte qu'on
verrait reluire en nous une grande modestie et sérénité de visage ; car
nous serions toujours égales, et également disposées à suivre le bien, et à
supporter tout ce qui nous arriverait, et ainsi des autres vertus. [151]
O mes filles ! nous nous amusons trop à des bagatelles,
niaiseries, et à des..., je ne sais pas quoi, qui se rencontrent en notre
chemin : nous nous regardons trop ; nous avons trop de soin de
nous-mêmes ; nous ne relevons pas nos courages et nos esprits ; nous
ne pensons pas assez à l'éternité ; nous n'aimons pas assez
Notre-Seigneur. Enfin cette vie est courte et l'éternité est longue ; notre
mal est que nous ne faisons pas assez de considérations ; croyez-moi,
qu'il est bon d'en faire pour nous animer.
Il faut que je dise encore ceci qui me vient en l'esprit, c'est que je
pense que c'est un reproche que Notre-Seigneur fera à plusieurs personnes au
jour du jugement, leur disant : « Paresseux, paresseuses, qui avez
tenu les mains dans votre sein, vous ne vous êtes point voulu servir de la
considération. » Servons-nous-en donc, afin que ce bon Maître ne nous
fasse pas ce reproche, et que nous puissions être excitées, par ce moyen, à
faire notre devoir ; et ayons une humilité qui nous fasse soumettre
amoureusement aux lois de Dieu, de nos supérieurs et de nos statuts, qui nous
fasse tenir rabaissées et petites devant les yeux de sa divine Majesté et de
toutes les créatures, nous tenant pour les moindres et aux pieds de
toutes ; une humilité qui nous fasse aimer d'être tenues pour viles,
abjectes et imparfaites, et que l'on nous traite et tienne comme cela ;
une douceur qui nous fasse aimer, respecter, supporter, soulager et servir nos
Sœurs, qui nous rende gracieuses, cordiales et unies avec elles ; une
simplicité qui nous fasse couper court aux inventions de notre amour-propre,
qui nous fasse chercher Dieu purement et sa plus grande gloire en toutes
choses ; et une pauvreté qui nous fasse être bien aise lorsque quelque
chose nous manque, et de souffrir pour Dieu les incommodités qui se
présenteront, comme le chaud, le froid, et autres choses semblables. Or sus,
mes chères filles, engravez bien tout ceci en vos esprits, je vous supplie,
pour le mettre en exécution, afin que, [152] par ce moyen, vous puissiez
accroître le royaume de Dieu en vos âmes, et la gloire accidentelle de notre
saint Père, comme j'ai déjà dit. Véritablement, nous lui devons bien tout cela
et davantage, et, certes, nous lui devons un honneur très-grand : honorons
donc sa mémoire en nous rendant vraies filles d'un tel Père.
(Faite en juillet 1631)
SUR LA MANIÈRE DE SUIVRE LE SAUVEUR.
Nous sommes ici assemblées, mes chères Sœurs, pour courir après le
Sauveur. Quand nous venons du monde,.nous ne savons pas encore marcher ni
former nos pas à la vie spirituelle, c'est pourquoi on nous donne des exercices
propres à nous montrer à mettre un pied devant l'autre, par manière de dire, et
il est fort nécessaire qu'au commencement les filles s'attachent à l'écorce et
à la lettre morte, pour se dérompre, se dégourdir, se mouvoir et s'échauffer.
Mais, après cela, il faut marcher après le Sauveur, pas à pas, par la fidèle
pratique des vertus auxquelles notre vocation nous oblige. Et, croyez-moi, si
nous sommes fidèles à marcher vigoureusement, en tout temps, après le Sauveur,
et par tous les chemins qu'il voudra, sans nous soucier d'autre chose que de
cheminer, bientôt il nous fera la grâce de nous fortifier et de nous faire
courir. Si nous nous trouvons engourdies en marchant, ne nous décourageons
point, mais disons avec un courage résolu : Seigneur, tirez-moi et je
courrai ; car, s'il vous plaît que je coure, il faut aussi que vous me
tiriez. Ne doutons point que le Sauveur, [153] voyant notre courage à marcher
par tous les chemins qu'il voudra, ne nous fasse jouir de l'amoureuse
jouissance de sa bonté, et ne nous fasse courir après ses parfums qui rendront
notre course facile, délectable, désirable et suave.
Si une fois nous pouvions offrir à Dieu la myrrhe d'une entière
mortification et anéantissement de nous-même, sa bonté nous donnerait des
douceurs et des parfums si délectables, que notre âme, attirée par ces divines
suavités, courrait après lui sans peine, ou du moins, si elle en avait, ce
serait une peine douce et désirable ; car, après la peine, ces âmes
fidèles se reposeront suavement sur la poitrine du Sauveur. Mais, hélas !
mes chères Sœurs, il ne faut pas présumer d'arriver là, que nous n'ayons passé
par les deux autres chemins ; car nous serions trompées, et, croyant tenir
le Sauveur, nous tiendrions notre amour-propre.
C'est une pensée qui me vient fort souvent, que, faute de
considération, nous perdons beaucoup. Dieu veut que nous employions notre
entendement et notre volonté à l'amour. Pour nous qui sommes appelées hors du
monde et de ses tintamarres, nous ne pensons pas assez, si je ne me trompe, à
l'obligation que nous avons de tendre à la perfection de notre vocation, qui,
en substance, n'est autre que l'anéantissement total de la nature et l'union de
notre âme avec son Dieu. Travaillons-y, et regardons souvent ce que nous sommes
venues faire en la religion. C'est sans doute afin que le Sauveur n'ait pas, à
l'heure de la mort, sujet de nous faire ce reproche, et à moi plus
particulièrement qu'à aucune autre : « Paresseuse que tu es, je
t'avais mise en ma maison pour travailler à ma besogne ; je t'avais logée
en ma vigne, afin que tu t'exerçasses au travail, et tu as croisé les
bras ; servante inique, quel salaire te donnerai-je ? Tu as enfoui le
talent que je t'avais donné et mis en main ; quel service m'as-tu fait par
lequel tu puisses exiger de moi le salaire ? » [154]
Hélas ! mes chères Sœurs, Dieu a en lui-même tout bien, et nous ne
lui pouvons rien donner qui ne soit sien ; il veut pourtant que nous lui
donnions notre service, notre fidélité et amour. Or, le service qu'il requiert
de nous n'est pas que nous fassions des choses extraordinaires, mais les œuvres
de notre observance, avec plus de pureté et de perfection que de coutume, et
c'est ainsi que nous croîtrons de jour en jour au service de l'Époux céleste.
C'est à quoi je vous exhorte, mes chères filles, car je sais que nous
ne serons agréables à Dieu que par la voie d'une amoureuse et fidèle
observance.
(Faite le 3 juin 1634)
SUR LA NOMINATION DES SŒURS, POUR LA FONDATION DU DEUXIÈME
MONASTÈRE D'ANNECY,
Mes chères Sœurs, ce n'est pas ici un chapitre, c'est seulement pour
vous nommer les Sœurs que nous et nos Sœurs conseillères avons choisies, avec
le consentement du Père spirituel, pour l'établissement, en cette ville, d'une
seconde maison de notre Institut, laquelle se va commencer pour la gloire de
Dieu et le bien des pauvres familles, après avoir surmonté autant de
difficultés, pour faire réussir cette bonne œuvre, que l'on n'en a jamais eu
pour aucune fondation, que je sache. Et, certes, mes chères Sœurs, c'est un bon
signe que tout réussira avec consolation : le diable, prévoyant le bien
qui se fera en cet établissement, l'a malicieusement contrarié ; mais,
Dieu, contre tous ces efforts, l'a fait heureusement acheminer. J'espère qu'il
[155] bénira cette œuvre, puisque notre intention n'est que pour sa gloire et
le salut des âmes, et que ces deux monastères seront si unis, qu'ils ne feront qu'un,
tant pour le spirituel que pour le temporel, et que nous désirerons autant
la perfection, la consolation et la prospérité de la maison où nous ne serons
pas, que de celle où nous serons, aimant autant nos Sœurs, avec lesquelles nous
allons, que celles que nous quittons, puisque nous ne nous quittons pas, à
cause de cette grande et cordiale union qui doit être parmi nous, et laquelle
je désire voir fleurir en telle sorte entre ces deux maisons, que chacun voie
que ce n'est qu'une même chose. Mes chères Sœurs, je suis bien si chétive, que,
si cela n'était pas, je ne voudrais jamais m'en être mêlée (de cette
fondation), ni qu'elle se fût faite, ni qu'elle se fit jamais, tant ce désir
m'est intime, que nous estimions autant le bien de nos Sœurs que le nôtre
propre, que nous aimions et procurions autant l'honneur, l'estime et la
perfection d'une maison, que de l'autre, que nous nous chargions pour le
soulagement de nos Sœurs, et que, réciproquement, nos Sœurs se chargent pour
nous décharger.
Si nous voyons que, d'aventure, une de ces maisons soit plus chérie et
recherchée, ne nous en mettons point en peine, n'en soyons point marries, mais
consolées, sachant que le bien de nos maisons et de nos Sœurs est le nôtre.
Je désire encore fort que ce second monastère se tienne toujours dans
la dépendance et entière soumission de ce premier, le tenant pour sa mère et
toutes les Sœurs d'icelui, comme font généralement, justement et louablement
toutes les autres maisons de l'Institut, voire, beaucoup plus, puisque c'est
cette seule maison qui a reçu l'inspiration de faire cet établissement, et qui
lui fournit cordialement toutes les choses nécessaires pour un commencement.
Quant au temporel, l'union doit être telle que ce qui est à l'une des
maisons soit à l'autre, bien que chaque supérieure [156] doive
conduire et avoir soin du sien ; mais que quand l'autre en aura besoin,
qu'elles se fassent service cordialement et promptement, s'entr'aidant de tout
ce qui se pourra dans une sainte franchise.
Je supplie Notre-Seigneur de répandre son esprit sur cette nouvelle
maison et sur celle de Rumilly, où ma Sœur Jeanne-Françoise de Vallon va être
supérieure, et généralement sur toutes celles de l'Institut, afin que nous
vivions en union, pureté, intégrité à l'observance.
Consolez-vous, mes chères Sœurs, en ce que notre Bienheureux Père dit,
qu'à cause de l'union qui est entre nous, celles qui demeurent s'en vont, et
celles qui s'en vont demeurent, non en leurs personnes, mais en celles de
leurs Sœurs.
Vous autres, mes chères filles, qui allez donner un commencement à
cette nouvelle maison, devez bénir Dieu et le remercier de l'honneur et de la
grâce qu'il vous fait, vous donnant un emploi totalement à sa gloire :
vous allez commencer une retraite de bénédictions en laquelle multitude d'âmes
se retireront pour aimer et servir Dieu et y faire leur salut. Et vous, ma Sœur
Madeleine-Élisabeth de Lucinge, vous vous devez fort humilier devant cette
souveraine bonté qui daigne jeter les yeux sur vous, et vous a destinée de
toute éternité pour conduire une troupe d'âmes consacrées à son service et à
son pur amour ; rendez-lui mille actions de grâces de ce qu'il vous
emploie à chose si grande que de coopérer avec lui au salut des âmes ; armez-vous
de courage, d'humilité, de confiance, et toutes, tant les unes que les autres,
je vous souhaite un vrai amour et fidélité à notre Institut ; et croyez,
mes chères Sœurs, que si nous sommes un peu séparées de corps, nous ne le
sommes point d'esprit, et possible notre union sera plus sensible et suave que
quand nous nous voyions de cette présence corporelle, parce que, souvent, on
n'estime un bien que quand on l'a perdu. Il nous fâche à toutes de vous
quitter ; mais, non, [157] montrons que nous méprisons les choses de la
terre et que notre espérance est au Ciel où nous nous verrons, comme j'espère,
éternellement.
SUR LE CHANGEMENT DES OFFICIÈRES. – DERNIERS ADIEUX DE LA
SAINTE À UNE COMMUNAUTÉ.
Notre digne Mère proposa l'élection de l'assistante, des conseillères,
et, sur ce sujet, elle dit :
Il ne faut pas toujours laisser les mêmes officières aux charges, pour
deux raisons : l'une, de peur qu'elles ne s'y attachent trop. Nous
regardons comme un devoir d'ôter les Sœurs de quelque emploi que ce soit, quand
on les y voit attachées, parce que cela est contre l'esprit de notre vocation
qui enseigne de ne s'attacher qu'à Dieu. L'autre raison est parce que,
l'Institut se devant beaucoup étendre pour la gloire de Dieu, il faut former
plusieurs filles et les rendre capables de toutes les charges.
Je vous prie, mes très-chères Sœurs, soyez humbles, basses et petites à
vos yeux, et soyez bien aises que l'on vous tienne pour telles et que l'on vous
traite pour cela. Les autres Ordres de religion ont tous une grande estime de
leur Institut, chacun pense être le plus grand, et tout cela à très-bonne
intention, parce que tous aussi sont très-grands. Mais, nous autres, nous nous
devons estimer les moindres et les plus petites, comme étant les dernières
venues en l'Église de Dieu. Oui, mes Sœurs, nous sommes les plus petites, et
nous nous devons tenir pour [158] telles, non que pour cela nous devions
mésestimer notre manière de vivre, car nous la devons aimer et chérir comme une
grâce très-particulière que Dieu, par sa bonté, nous a faite de nous y appeler,
nous donnant cet Institut conforme à notre portée et petitesse, mais il ne faut
pas pour cela nous surestimer, car notre excellence est de n'en avoir point.
L'obéissance est la fille aînée de l'humilité, et, partant, je vous y
exhorte. Obéissez en toutes choses, mes chères filles : à Dieu, en vos
supérieurs ; à Dieu, par l'obéissance et observance de vos règles ; à
Dieu, par le tranquille acquiescement aux événements que la Providence ordonne ;
et, je vous prie mes très-chères filles, de retenir ces dernières paroles comme
les enfants du monde retiennent celles qu'ils entendent dire à leur père et
mère quand ils meurent. Je ne meurs pas, mais plût à Dieu qu'il me fît la grâce
de bien mourir à mes imperfections !
Quand vous perdrez l'amour du mépris et de la mortification, vous
perdrez votre esprit et rendrez inutiles les desseins que Dieu a eus de toute
éternité sur vous, qui sont de faire des filles et des religieuses très-basses,
très-petites et très-abjectes à leurs yeux et aux yeux de tout le monde.
N'anéantissons donc point, je vous prie, l'inspiration que Dieu a donnée à
notre très-cher Instituteur, mais répondons aux grâces que sa Bonté veut nous
faire par lui. Ne soyons jamais si aises que quand on nous méprisera, que l'on
dira mal de nous, qu'on n'en fera nul état. Ce n'est pas qu'il faille
rechercher les occasions de mépris, mais les accepter de bon cœur quand nous
les rencontrons et en être bien aises.
Je vous l'ai dit plusieurs fois, et vous le répète encore :
l'esprit de notre vocation est un esprit de profonde humilité, douceur,
soumission, condescendance et souplesse d'esprit envers le prochain ;
humilité qui produit la générosité, nous confiant en Dieu et nous défiant de
nous-mêmes. Nous sommes obligées, [159] mes très-chères Sœurs, mais d'une
obligation toute particulière, de nous former là-dessus, parce que ces vertus
reluisent en notre cher Instituteur, de qui Dieu se servit pour nous le faire
savoir. Et puis, elles sont les chères vertus, et très-aimées de notre Sauveur.
Soyons donc très-souples, très-humbles, très-maniables, très-dépouillées, et
très-abandonnées au bon plaisir de Dieu et de sa Providence, autrement nous
résisterions aux desseins éternels que sa bonté a sur nous. Ne le faisons pas, mes
très-chères Sœurs, je vous en conjure.
Sa Bonté se veut servir de nous en plusieurs endroits, inspirant
quantité de personnes à nous demander. Ne désistons point de notre côté ;
au contraire, disons plusieurs fois le jour : Je suis prête,
Seigneur ; que vous plaît-il que je fasse ?
Mon départ ne doit point presser vos cœurs de douleur, mais dites à
Dieu : Vous nous l'aviez donnée, nous vous la rendons maintenant. Elle est
vôtre, Seigneur ; servez-vous-en ici et là, partout où il vous
plaira ; et si votre volonté était de vous en servir au bout du monde, et
qu'il y eût plus de votre bon plaisir que nous nous y portassions nous-mêmes,
nous le ferions de tout notre cœur. Oui, mes Sœurs, il faut être prêtes à cela,
et dire : O mon Dieu ! nous vous la rendons donc ; mais quand il
vous plaira de nous la redonner, votre Nom en soit béni.
Bref, supportez-vous les unes les autres, soyez plus jalouses de votre
esprit et de votre perfection qu'un mari ne serait d'une belle femme qu'il
aimerait chèrement. Soyez courageuses, et, quand le monde vous méprisera, ne
vous contentez pas de recevoir ce mépris comme un gage très-aimable de la bonté
de Dieu sur vous, mais recevez-le comme une chose très-propre et convenable à
votre petitesse. Aimez-le chèrement, et pour votre particulier et pour le
général de l'Institut.
Lorsque vous sentez des répugnances et contradictions en votre chemin,
ne vous en étonnez point ; car la vertu se pratique parmi la contradiction
et répugnance d'un naturel arrogant et [160] orgueilleux ; oui, les vertus
d'humilité, soumission et souplesse d'esprit qui se pratiquent nonobstant ce
naturel sont très-solides et très-fortes. Une seule action, pratiquée comme
cela, vaut dix fois le ciel ; que dis-je, le ciel, elle vaut plus, car
elle vaut le Dieu du ciel. Courage donc, mes chères Sœurs, au service de Dieu.
À Dieu, mes chères Sœurs ; je vous conjure de demeurer petites,
basses, humbles, aimant le mépris, la mortification, l'abaissement de
vous-même, et tout ce qui vous pourrait rendre petites aux yeux du monde. Eh
quoi ! Dieu, qui est si grand, s'est fait si petit pour notre amour, qu'il
a toujours caché l'éclat de sa grandeur pour paraître abject ; et nous,
qui sommes ses servantes, nous ne voudrions pas nous rendre petites à son
imitation ? Nous avons tant dit autrefois que le dessein de Dieu sur nous
est que nous soyons très-petites en son Église, en sorte qu'il soit glorifié en
notre humilité et bassesse, car c'est ce qu'il veut de nous !
Mon cher Sauveur, je vous recommande ces âmes que vous m'avez commises,
et demande très-humblement pardon à votre Majesté des fautes que j'ai faites à
leur service, par mon mauvais exemple ; et, je vous supplie aussi, mes
chères Sœurs, de me pardonner et prier sa bonté de m'amender. Seigneur, elles
sont vôtres ! bénissez-les, mon Dieu, de votre bénédiction éternelle. Je
les remets entre vos mains, conduisez-les selon l'ordre de votre divine
Providence. Rendez-les obéissantes à votre bon plaisir, à leurs règles,
constitutions et ordonnances des supérieurs, très-amoureuses du mépris. Faites,
mon cher Sauveur, qu'en tout ce qu'elles feront elles cherchent de s'anéantir
elles-mêmes, pour vous glorifier.
Oui, mes très-chères filles, croyez-moi, Dieu veut tirer sa gloire de
votre petitesse. Votre éclat doit être de n'avoir point d'éclat ; votre
grandeur d'être très-petites à vos yeux et de procurer de l'être aussi en
l'estime du monde. [161]
Sainte et sacrée Vierge, Mère de mon Dieu, ces filles sont vôtres,
prenez-les donc en votre protection, présentez-les à votre cher Fils, protégez
leurs cœurs, afin de les lui rendre agréables. À Dieu, mes chères filles ;
je vous laisse sans vous laisser. Je vous donne de très-bon cœur ma
bénédiction, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Soulagez vos cœurs,
je vous en prie, et demeurez fermes entre les bras de Dieu et conformes à son
bon plaisir.
EXHORTATIONS POUR QUELQUES FÊTES ET PRINCIPAUX TEMPS DE L'ANNÉE
(faites en chapitre)
(Faite le 1er décembre 1629)
POUR LE PREMIER SAMEDI DE L'AVENT.
sur l'imitation de la sainte vierge.
Puisqu'il a plu à Notre-Seigneur de nous amener jusqu'à ce saint temps
de l'Avent, je vous prie, que nous ne le laissions pas passer sans en bien
tirer du profit, spécialement à bien faire tous nos saints exercices, et nous
avancer au saint recueillement. Pour cela, regardons en ce saint temps, quelle
était l'occupation, quelles les actions, les pensées, les désirs et affections
de Notre Dame et très-glorieuse Maîtresse, tâchant de l'imiter, selon notre
petit pouvoir ; car, mes chères Sœurs, nous avons si souvent le bonheur de
recevoir le Saint-Sacrement, auquel est contenu le même Fils de Dieu que la
sacrée Vierge conçut, que si nous étions fidèles à correspondre à cette grâce,
nous pourrions faire beaucoup d'avancement. Et, je vous prie, qu'à l'imitation
de notre glorieuse Maîtresse, qui s'occupait continuellement à regarder le
Verbe divin dans ses pures et chastes entrailles, et tenait son cœur en
continuel [164] colloque avec lui, nous regardions Notre-Seigneur dans nos
cœurs j'entends dans la suprême partie de notre âme et de notre esprit, et là
enfermons-nous seules avec lui ; entretenons-le, tenons-nous à ses pieds,
non-seulement après la communion, ains journellement. Chacune de vous n'ignore
pas, comme je le crois, que Notre-Seigneur ne soit en l'intime de son
cœur ; que donc elle ne le laisse jamais, ains qu'elle se tienne toujours
proche de son souverain Bien.
Je désire, en second lieu, que nous nous occupions fort, cet Avent, à
bien remercier Notre-Seigneur de son admirable Incarnation et venue au monde.
Ah, mes chères Sœurs ! n'en soyons pas ingrates ; voilà ce Seigneur
qui vient étendre sur nous la grandeur de ses miséricordes. Avant la venue de
ce cher Sauveur, la vie était une mort, et la mort une éternelle damnation. Il
nous a ressuscitées si saintement par sa naissance, rachetées par sa mort, et
nous glorifiera par sa grâce et bonté, si nous correspondons à ses desseins
éternels. Rendons, mille fois le jour, grâce à Notre-Seigneur de ses bienfaits,
nous ne saurions que lui rendre pour ces faveurs reçues ; rendons-lui nos
vœux et notre amour ; adorons-le ; remercions-le de toute notre âme,
et sa bonté se contentera.
POUR LE DEUXIÈME SAMEDI DE L'AVENT.
sur la pureté du cœur et la fête de l'immaculée
conception.
Mes chères Filles, j'ai pensé qu'il serait à propos que je vous dise un
mot aujourd'hui pour vous convier et exhorter à la pureté de cœur. Pour cela,
je vous prie, mes chères Sœurs, de [165] mettre tout de bon la main à l'œuvre,
pour rendre pures vos affections et intentions, et non-seulement vous purifier
des grands péchés, car, grâce à Dieu, je crois que nous n'en faisons pas ;
mais cela n'est pas assez pour des âmes qui sont obligées, par leurs vœux et
vocation, de tendre à la pureté de la perfection ; il faut purifier
jusqu'à la moindre chose. Tâchons donc, mes Sœurs, de faire nos actions avec la
pureté d'intention qu'avait Notre-Seigneur quand il est venu s'incarner et
rendre passible et mortel : or, il n'a point eu d'autre motif que la
gloire de son Père Éternel et le salut des hommes ; voilà les seuls que
nous devrions avoir en retranchant fidèlement tout propre intérêt, toutes
recherches vaines, tout désir de plaire aux créatures, tous les tours et
retours que nous fait faire notre amour-propre sur nous-même ; enfin, être
sans désirs ni prétentions que de la gloire de Dieu et le salut de nos
prochains.
Ceci, de prime abord, semblera facile et très-raisonnable, nous étant
avis que nous le pratiquerons incontinent, d'autant qu'il n'y a rien de plus
juste que cela, tendre tous les jours à la gloire de Dieu et au salut des âmes.
Certes, mes chères Sœurs, il est vrai qu'il n'y a rien de plus juste ;
mais regardons de près ; tenons-nous proche de Dieu, et sa bonté ne
manquera pas de nous faire connaître combien nous sommes défaillantes en ce
point, et combien notre amour-propre nous déçoit. Regardons ce que notre bon
Sauveur fait pour nous, et si nous aurions bien le courage d'entreprendre, pour
sa seule gloire et le salut de nos prochains, quelque chose mille fois moindre.
Hélas ! nos cœurs nous répondront incontinent que nous sommes trop
chétives et misérables, et trop soigneuses de chercher nos propres intérêts.
Voilà ce bon Dieu qui descend çà-bas, en ce lieu de misères, charge sur lui
toutes nos iniquités et nos pauvretés, prend la forme, et, est en effet, un
petit Enfant, quoique Tout-Puissant, rebuté dans une étable, souffrant le froid
et les autres incommodités, se cachant, s'enfuyant, se tenant resserré [166]
pour fuir la tyrannie d'Hérode ; puis, après tout ceci, se tenir l'espace
d'environ trente ans parmi les hommes, comme le fils d'un charpentier, et enfin
souffrir mille injures, affronts, blasphèmes et tourments ; puis,
finalement, après avoir travaillé sans cesse au salut des humains, mourir
honteusement de la rude et douloureuse mort de la croix.
Or, dites-moi, qui voudrait entreprendre cela, dans cette pureté de
cœur et d'intention incomparable qu'avait ce divin Seigneur en tout ce qu'il
fit pour notre salut ; souffrir toutes sortes de maux, étant innocent, pour
la seule gloire de son Dieu et le salut du prochain ? Bienheureuse est
l'âme qui est en cette disposition ; mais ce n'est pas en ces grandes
souffrances que le Sauveur veut que nous l'imitions, puisqu'il ne nous donne
pas ces grandes occasions-là. Il veut donc que nous recevions toutes choses
comme de sa très-sainte main, en vivres, en vêtir, contradictions, afflictions
et autres choses que sa bonté permettra nous arriver, et que nous les
supportions amoureusement entre lui et nous, purement pour lui, ôtant de nos
cœurs tout ce que nous verrons qui contrarierait cette pureté de la seule
gloire de Dieu et du salut des hommes.
Si nous nous tenons proche de Dieu, il nous éclairera, et nous fera
voir jusqu'à la moindre impureté qui pourrait être en nos esprits ; car sa
bonté se plaît merveilleusement dans les âmes pures et nettes. C'est pourquoi,
je vous prie, mes chères Sœurs, autant qu'il m'est possible, que nous nous
purifiions en considération de la pureté adorable de la venue de Notre-Seigneur
et Maître, et encore en cette considération de la fête que nous célébrerons
demain, de l'Immaculée Conception de Notre-Dame et glorieuse Maîtresse et
Protectrice, la priant, puisque la moindre impureté, tache de péché ou
d'imperfection, ni de corps, ni d'esprit, ni de cœur, ne s'est jamais trouvée
en elle, qui a toujours été la sainte colombe toute pure et toute blanche, qu'elle nous obtienne la fidélité à purifier nos cœurs, où sans
[167] doute nous trouverons mille petites choses à purifier, et que nous les
puissions rendre une demeure agréable à son Fils bien-aimé, par leur candeur et
véritable pureté. Tâchons, mes chères Sœurs, chacune en notre particulier, de
nous rendre attentives à cette pratique, et ne laissons pas passer l'Avent sans
en tirer du fruit pour nos âmes, puisque c'est un temps saint, où même les gens
du monde s'étudient à la dévotion plus qu'à l'ordinaire.
POUR LE TROISIÈME SAMEDI DE L'AVENT.
sur les anéantissements du verbe éternel en sa
venue ici-bas.
Vous ayant, samedi dernier, parlé de la pureté de cœur, à l'imitation
de Notre-Seigneur, et de notre glorieuse Dame et Maîtresse, la Vierge sacrée,
je vous dirai aujourd'hui un mot de l'anéantissement, parce qu'il me semble
nous être fort nécessaire. Premièrement, le Fils de Dieu, pour nous montrer
exemple, est venu s'anéantir d'un anéantissement le plus admirable qui se
puisse, non-seulement faire, mais encore penser ; car vous voyez ce Dieu
de toute majesté, comme oubliant et anéantissant cette grandeur tant suprême et
toute adorable, s'est venu rendre un pauvre petit Enfant dans les flancs d'une
de ses créatures.
Or, mes chères Sœurs, j'aurais grand désir que nous imprimassions en
nos cœurs cette affection de nous anéantir, en tout ce en quoi Notre-Seigneur
s'est anéanti : je dis imprimer en nos cœurs, parce qu'une chose
imprimée ne s'efface jamais. Il faut donc imprimer et graver en nos cœurs ce
désir de nous [168] anéantir en tout ; mais principalement en l'honneur,
en l'estime, au désir d'être aimées, préférées, être tenues pour capables de
quelque chose, ou désir d'être employées, d'être tenues pour vertueuses, que
sais-je, moi ? en mille propres recherches, lesquelles il faut toutes
anéantir à l'imitation de l'anéantissement du Fils de Dieu ; car comme
est-ce que ce débonnaire Seigneur ne s'est pas anéanti en l'honneur ?
Hélas ! mes chères Sœurs, il s'est réduit en telle extrémité en ce point,
que le voilà souffrant comme une autre créature mortelle ; le voilà tenu
pour un enfant comme les autres ; le voilà tant rebuté, qu'il n'est reçu
de personne, et il n'y a point de maison pour celui qui est le Seigneur de tout
le-monde, tellement il a anéanti cette sienne grandeur sous le voile de la
nature, lui qui est tout redoutable, tout riche, tout comblé de délices. Le
voilà anéanti dans les entrailles d'une Vierge ; et, après sa Nativité,
dans une abjection la plus grande qui se puisse dire, et cette Sagesse
éternelle se cache sous le masque d'une frêle enfance. De tout-puissant, il
paraît comme tout impuissant ; de tout grand, tout petit ; de tout
redoutable, tout doux et bénin, qui se laisse gouverner comme un petit
agnelet ; de tout riche, des richesses éternelles du Père des lumières,
dont il est le Fils naturel et éternel, le voilà tout pauvre entre des mortels,
dans une obscure étable, et n'a que très-petitement ses nécessités, selon que
sa très-sainte Mère et saint Joseph les lui donnent et fournissent. Il se
voulut encore anéantir en la liberté, se mettant comme en prison au sein
virginal ; car, ayant l'usage très-parfait de la raison, il pouvait parler
et marcher, mais non ; il veut encore faire cet anéantissement, avoir deux
yeux et ne regarder point, une langue et ne parler point qu'en son temps comme
les autres, et veut anéantir jusqu'à cette petite consolation, qu'il eût pu
recevoir, d'être élevé en sa patrie et parmi les parents de sa sainte
Mère ; mais il s'en va pauvre, mendiant, et fuyant dans un pays étranger,
souffrant mille travaux. [169]
Ah ! mes chères Sœurs, je vous conjure, qu'à cet exemple
d'anéantissement, nous prenions force et courage, pour ne laisser en nous nulle
chose que nous n'anéantissions. Plût à ce Seigneur, qui s'est tant anéanti pour
nous, que nous nous fussions tant anéanties pour lui, que nous ne vêquissions
plus en nous-mêmes, mais en lui et en son bon plaisir ; car, mes chères
Sœurs, il faut que nous nous anéantissions toutes ; je ne dis pas
seulement au désir de l'honneur, de l'estime, d'être aimées et caressées ;
mais, qui plus est, anéantir les désirs superflus de notre perfection, qui nous
feraient plus penser aux moyens de l'acquérir, que nous tenir proche de Dieu.
Il nous faut anéantir en l'honneur, à l'exemple de ce Seigneur ; que rien
ne paraisse en nous, que l'abjection, la pauvreté, les fautes, les lourdises,
nous tenir basses et très-basses à nos yeux, fort petites en notre propre
estime.
Il fallait que notre bon Dieu retînt, par un miracle continuel, ce qui
était de beau et de bon en lui, qui est la beauté même et l'essence de toute
beauté et bonté, afin de faire voir qu'il a pris les intérêts de notre misère
humaine ; mais, quant à nous, nous n'avons qu'à manifester simplement et
véritablement notre chétiveté et misère, sans la couvrir en aucune façon ;
et il ne faut que cela pour nous tenir basses et abjectes à nos propres yeux et
à ceux des autres. Je ne veux pas toutefois dire qu'il faille délaisser de
faire des bonnes œuvres, à quoi notre règle et vocation nous obligent, crainte
d'être estimées et honorées. Oh non ! mes chères Sœurs, ce n'est pas cet
anéantissement-là que Dieu requiert de nous ; mais c'est l'anéantissement
de toutes nos inclinations, pour les ajuster à l'exacte observance de nos
règles ; car notre nature est ordinairement si dépravée, qu'il est besoin
de la beaucoup anéantir, pour l'ajuster à la règle et à la raison. Et si bien
je dis qu'il nous faut anéantir, il ne nous faut pas pourtant anéantir pour
nous réduire à rien, mais il nous faut suivre l'exemple de notre bon Seigneur
et Maître ; nous [170] anéantir en toutes les choses de la nature, pour la
gloire de Dieu et le salut des âmes.
O, mes très-chères Sœurs ! nous adorons le Fils de Dieu dans le
sein de son Père Éternel, triomphant et glorieux ; et ce même Fils, en ce
mystère, nous l'adorons anéanti, couvert et caché sous notre nature qu'il a
unie à la sienne, ayant, par manière de dire, quitté, en quelque façon, la
troupe bienheureuse des Anges, pour vivre dans une étable, parmi les bêtes,
naître dans la pauvreté, dans le mépris et dans la douleur ; il sort, en
quelque manière, de ses joies éternelles pour se venir rendre un enfant
pleurant et tremblotant. Je vous prie, que ces jours qui nous restent devant le
saint jour de Noël, que nous nous employions à considérer fidèlement
l'anéantissement de ce grand Dieu, pour l'imiter selon notre faible
portée ; mais, spécialement, anéantissons ces désirs d'être aimées,
estimées et préférées ; enfin anéantissons tout ce que la divine bonté
nous fera voir n'être pas conforme à lui et à son bon plaisir. Tenez-vous
proches de lui, et préparez des cœurs purs et nets pour l'y loger en son
arrivée au monde ; car, si vous lui ouvrez, il entrera et demeurera avec
vous ; j'en supplie sa bonté.
(Faite en 1631)
POUR LE TROISIÈME SAMEDI DE L'AVENT.
sur l'humilité de saint jean-baptiste.
Je pense, mes Sœurs, que l'Église nous représente l'Évangile auquel on
voit l'humilité de saint Jean (pour nous exciter à l'imitation de ses
vertus) ; au moins, il y a plus de quinze jours [171] que j'ai désiré que
Monseigneur nous en parlât. Cet Evangile nous fait voir le glorieux saint Jean,
qui répond à tout par négative : Es-tu Prophète ? Non. — Es-tu Élie ? Non. — Es-tu Christ ? Non. Enfin, il ne répond que par
négative ; si qu'il contraint ceux qui l'interrogeaient de lui dire :
Qu'es-tu donc ? Et il leur répondit cette sainte parole de
vérité : Je ne suis rien.
O mes Sœurs, que bienheureuse est l'âme qui nie tout ce qui peut
l'élever, et qui, à toute rencontre, dit de bouche et de cœur, avec croyance et
sentiment : Je ne suis rien, car c'est la parole de vérité.
Toutes les créatures, dit
le prophète, sont devant Dieu comme si elles n'étaient point ; cela
veut dire : tous les cieux, tous les royaumes, toutes les nations, bref,
toute la terre, et tous ceux qui l'habitent ne sont rien devant la
souveraine grandeur de Dieu. Or, dites-moi, mes chères Sœurs, si tout le monde
et toutes les nations ne sont rien devant Dieu, que sommes-nous, sinon
seulement que le rien même ? C'est une parole qui m'a donné souvent
à penser : toutes les créatures ne sont rien devant Dieu ; il
faut donc tirer cette conséquence : si tous les peuples qui habitent la
terre ne sont rien, moi qui ne vaux pas le moindre, que puis-je être ?
Cette pensée est salutaire, parce qu'elle porte puissamment l'âme à la
connaissance de sa bassesse. Connaître cette bassesse, disait notre
Bienheureux Père, c'est n'être pas bête ; et, partant, je vous
exhorte, mes Sœurs, s'il y en a quelqu'une qui présume quelque chose de soi,
qu'elle recourt à la connaissance de sa bassesse ; mais qu'elle ne
s'arrête pas là, ains qu'elle aime cette petitesse, vileté et abjection, et
désire que toutes la traitent comme abjecte et chétive ; ainsi elle
acquerra la sainte humilité. Sachez, mes Sœurs, que l'humilité est le siège de
la grâce : Sur qui reposera mon esprit, dit la Vérité éternelle, sinon
sur l'humble qui craint mes paroles ? Autant que nous nous abaisserons
par vraie humilité de cœur, autant le Tout-Puissant s'abaissera en nous [172]
pour combler nos cœurs de l'abondance de son Saint-Esprit, lequel nous
préparera pour recevoir le Seigneur en sa sainte naissance, et cette
préparation ne sera autre qu'un accroissement d'humilité ; car ce divin
Sauveur et Maître ne se complaît que dans les âmes profondément anéanties,
humbles et petites à leurs propres yeux. Jetons les yeux sur Notre-Seigneur,
requérons son secours, afin que nous soyons enseignées, dans ce que nous avons
à faire, pour le recevoir à son arrivée au monde. Il ne nous enseignera rien
autre chose que ceci : qu'il faut tenir nos cœurs hauts, élevés en la
grandeur et miséricorde de Dieu, et profondément anéantis en notre vileté,
bassesse et abjection : et, voyez-vous, mes Sœurs, les trésors des
richesses de Dieu se déploient dans les âmes pauvres, cela veut dire humbles,
basses et petites. Soyons donc bien pauvres, bien petites et bien simples ;
car Notre-Seigneur prendra soin de nous évangéliser : cela veut dire de
nous enseigner ses divines volontés.
Et s adressant à une Prétendante qui demandait d'entrer à son
essai : Hé bien !
ma très-chère fille, vous avez bien regardé ; avez-vous bien considéré si
votre cœur pourra bien s'accommoder à toutes les observances ? Car,
voyez-vous, ma fille, ce que vous entreprenez n'est pas petite besogne ;
il est requis d'avoir un grand courage : vous prétendez, en entreprenant
cette vocation, une guerre continuelle, et un renversement entier de tout
vous-même : voire, ma fille, vous entreprenez de mourir à la nature, pour
vivre à la grâce de Dieu. Dites-nous ici qu'est-ce qui vous invite à
entreprendre une chose si grande ?
Bénissons Dieu, ma fille, voilà un bon motif ; et puisque vous
prenez Notre-Seigneur avec vous, j'espère que si vous ne le quittez point,
aussi ne vous abandonnera-t-il pas. Mettez profondément cette maxime en votre
cœur : Sans Dieu je ne puis rien, avec Dieu je puis tout. Or,
tenez-vous profondément humble devant Dieu, en reconnaissance de l'honneur
qu'il vous [173] fait de vous choisir pour son épouse, et pour vous loger en sa
sainte maison. Il vous a tirée de parmi les maux, les misères, les niaiseries
et vanités du monde, parmi lesquelles, hélas ! ma fille, peut-être vous
fussiez-vous perdue ; et regardez que si vous correspondez à la grâce
divine, Dieu vous prépare une robe de gloire et d'immortalité, de laquelle sa
bonté vous vêtira, si pour son amour vous dévêtez bien votre cœur de toutes les
choses du monde et de vous-même ; enfin, il vous fera régner avec ses
fidèles épouses dans sa glorieuse éternité, où il changera nos chétifs corps
passibles et mortels en des corps glorieux.
Or sus, ma chère fille, allez vous offrir à Dieu, tandis que nous poursuivrons
le chapitre. Remettez-vous bien toute entre ses mains, et celles de
l'obéissance, pour n'être désormais plus à vous, mais à son bon plaisir, par le
renversement et changement total de toutes vos inclinations, habitudes,
passions, paroles, pensées et gestes, pour vous réduire en l'état bienheureux
des âmes qui s'étant délaissées elles-mêmes, ne cherchent plus que Dieu, par la
voie d'une exacte et sainte observance.
(Faite le 15 décembre 1629)
AVANT LA PETITE RETRAITE DE NOËL
sur les présents qu'il. faut faire à notre
-seigneur.
Je crois que voici le dernier chapitre que nous tiendrons, avant la
Nativité du Sauveur, ce qui me fait vous prier, mes chères Sœurs, de vous y
bien préparer. Pour le mieux faire, j'ai pensé de vous avertir de regarder un
peu vos résolutions, et les bonnes affections que Dieu vous a données en vos
[174] solitudes, car il me semble que cette ferveur commence un petit peu à
s'amortir.
Je vous prie, mes chères Sœurs, faites soigneusement ce que je vous
veux dire : regardons devant Dieu nos affections et toute notre âme, pour
voir en quelle disposition tout cela est, pour les purger des défauts que nous
y remarquerons, afin de pouvoir présenter à Notre-Seigneur quelque chose à son
arrivée au monde. Mais, hélas ! c'est un Seigneur si grand, si riche, si
puissant, qu'il n'a que faire de nos biens, comme dit David. Quels
présents lui pourrons-nous donc faire, si tout ce monde est sien ? Il lui
faut offrir des âmes pures, et des cœurs nets et blancs, et vides de toutes choses
terrestres ; mais, voyez-vous, il faut que nos âmes soient nettes pour
être offertes à cet Enfant divin, qui naît à ce jourd'hui, Auteur de toute
pureté et sainteté. Voilà le plus agréable présent que nous lui pourrions
faire, un cœur net, contrit et humilié ; il ne veut de nous que le cœur. Ah !
mon fils, donne-moi ton cœur. N'est-il pas plus que raisonnable que nous
lui donnions ce qu'il demande, puisqu'il nous vient donner la vie, et charger
sur lui les peines de nos péchés ; et, par un effet non pareil de sa
grande miséricorde, bonté et libéralité, nous vient ouvrir le paradis, et nous
donner sa grâce et amitié ? Donc, en contre-échange, s'il faut ainsi
parler, ouvrons-lui nos cœurs, et les lui donnons entièrement pour sa demeure.
Je vous supplie, que ces trois jours de solitude, notre principal soin,
soit de purifier nos âmes, pour les rendre capables de recevoir les fruits de
cette sacrée Nativité. Prenons courage nouveau, pour cheminer parfaitement, en
l'observance de nos règles, et chacune à la vertu dont elle connaît avoir le
plus besoin, combattant les défauts particuliers, dont nous avons eu lumière en
nos solitudes, prenant de nouveaux cœurs et non des lumières et résolutions
nouvelles ; mais, par une vive et générale volonté, observons fidèlement
celles que nous avons faites [175] en nos retraites ; c'est bien assez
pour nous ; la multiplicité gâte souvent.
Préparons donc ainsi nos cœurs par pureté, amour et fermeté à nos bons
propos, les vidant de tout autre désir que d'y recevoir ce divin Enfant, lequel
les trouvant ainsi bien disposés, il y naîtra assurément, et habiterons avec
lui éternellement.
POUR LE DERNIER SAMEDI DE 1629
sur la brièveté de la vie.
Le jour d'aujourd'hui parle pour moi ; voilà que nous sommes à la
fin de cette année qui s'en va engloutir dans le néant, où tant d'autres se
sont abîmées.
Le temps passe ; les années finissent, et nous passons et
finissons avec elles ; mais il faut faire de fortes et absolues
résolutions, que, si Notre-Seigneur nous donne l'année qui vient, nous
l'emploierons mieux que ces autres passées. Cheminons d'un pas nouveau à son
service divin et à notre perfection ; prenons donc de grands courages pour
travailler tout de bon à la ruine de nous-mêmes, afin que cette année prochaine
ne s'aille derechef abîmer dans son gouffre, et que, cependant, nous ne
demeurions toujours dans nos imperfections, misères et iniquités ; je dis,
iniquités, parce que tout ce qui est contre Dieu, pour petit qu'il soit,
est inique. S'il est vrai, mes chères Sœurs, qu'il faille que le
juste se justifie, et le saint se sanctifie, combien plus faut-il
que l'homme inique retourne à l'équité et droiture, l'injuste à la
justice ; que le pécheur délaisse son mauvais [176] chemin et entre en la
voie de sanctification ; que l'âme tiède et nonchalante prenne de la
ferveur, pour changer en l'amour de Dieu la froideur de ses tépidités.
De vrai, mes chères Sœurs, j'ai grand désir que vous pensiez tout de
bon à ceci ; car ce n'est rien de commencer des années, si nous ne commençons
de mettre la main à la besogne ; autrement nous serons tout étonnées, que
nous verrons le temps couler, et nous avec lui, sans aucun profit pour notre
âme. Je désire bien que cela ne soit pas, mais que vous considériez comme le
temps s'en va. La figure de ce monde passe ; rien n'y est permanent
et durable que la parole de Dieu ; le ciel et la terre, et tout ce qui. se
trouve en iceux, passe et s'évanouit de nos yeux. Que faire donc, parmi ces
vicissitudes ? Ce que dit le bon David : Fais bien et espère en
Dieu. Faisons le mieux notre devoir qu'il nous sera possible ;
employons le temps que Dieu nous donne, avec grand soin, puis, espérons en sa
souveraine miséricorde ; mais souvenons-nous de faire bien, car notre fin
s'approche : nous vieillissons et approchons journellement de notre mort,
à mesure que nos jours, les mois, les ans s'écoulent, et que tout prend fin.
Mais savez-vous, mes chères Sœurs, nos fautes, nos infidélités ne
s'anéantissent pas comme les jours et les ans, ains elles nous seront toutes
représentées à l'heure de notre mort, et nous y devrions penser souvent ;
car, je vous assure, que c'est une sainte et salutaire cogitation que celle de
notre fin, qui nous fait opérer plusieurs bonnes œuvres et fuir beaucoup de
mal. Le sage la conseille en plusieurs endroits : Pense à ta fin
dernière, et tu n'offenseras point. Souviens-toi de ton heure dernière et de
ton dernier passage. Il semble que les âmes, esquelles Dieu s'est fait
connaître, qu'il a retirées à soi du tracas du monde, ne devraient point
laisser finir les années, les mois et les jours mêmes, sans une profonde
considération, voyant comme tout est muable, passager et périssable, excepté
Notre-Seigneur, leur souverain Époux, auquel elles devraient [177] s'attacher
uniquement. Rien de tout ce que nous aurons, ferons, dirons, en ce monde, ne
nous demeurera, que deux choses : savoir, le bien et le mal. Je voudrais,
mes Sœurs, que vous profondassiez ces pensées, et que vous en parfumassiez vos
cœurs ; ce ne serait pas, à mon avis, sans utilité.
Or sus, commençons donc l'année au nom de Notre-Seigneur, mais avec des
efficaces résolutions de commencer à le servir fidèlement, selon notre petit
pouvoir ; car il ne veut que ce que nous pouvons, mais cela il le
veut : soyons soigneuses de le lui donner, faisant bien, puis espérant et
nous confiant en son infinie miséricorde.
(Faite en 1629)
POUR LE DERNIER JOUR DE L'ANNÉE
sur les dispositions requises pour bien faire
les dépouillements marqués par la règle.
Je me suis souvenue que notre Bienheureux Père m'a souvent dit, que,
lorsqu'il oyait chanter ce verset : Nu je suis sorti du sein de ma
mère, et nu j'y retournerai, il recevait une consolation nonpareille.
Pourquoi pensez-vous, mes chères filles, que notre saint Fondateur eût une si
grande joie lorsqu'il oyait dire ces paroles ? Sinon parce que c'était une
âme qui aspirait et qui est parvenue au comble de la perfection, et qui savait
bien, que, tandis que nos affections seront attachées à quelque chose de ce bas
et misérable monde, nous ne serons jamais parfaites. Et moi, qui suis la plus
imparfaite et la plus mauvaise qui se puisse trouver, toute pauvre de vertu que
je suis, je ne [178] laisse pas de m'étonner infiniment que quelque chose, hors
de Dieu, puisse engager nos cœurs.
À la vérité, cela m'étonne merveilleusement de voir qu'une âme qui fait
état d'aspirer au ciel, s'attache à des choses d'ici-bas, où rien n'est capable
de contenter le cœur. C'est avoir l'esprit un peu hébété, si je l'ose dire
ainsi, de s'attacher à ces bagatelles, puisque nous savons que les attaches,
pour petites qu'elles soient, retardent notre perfection. Il faut, pour être
parfaites filles de la Visitation, être dépouillées des propres recherches,
indifférentes et abandonnées entre les mains de Dieu et de l'obéissance, car il
est certain, mes chères Sœurs, que, tant que nous serons attachées à quelque
chose, pour petite qu'elle soit, nous ne serons jamais bien unies avec Dieu,
ni, par conséquent, parfaites.
Vous savez que notre Bienheureux Père dit « que seulement
l'attache à une pensée inutile empêche la perfection ; » cette
attache étant un obstacle et entre deux, entre Dieu et nous, entre Dieu et
notre perfection. Voyez donc quelle affection nous devrions avoir pour nous
dépouiller et dénuer, disant de bon cœur : Nue je suis sortie du sein
de ma mère, la terre, et toute nue je désire d'y retourner, puisque les
attaches m'empêchent d'être bien unie à mon Dieu, et d'arriver à la pure
perfection à laquelle ma vocation m'appelle.
Que pensez-vous de votre sainte vocation, mes Sœurs ? Je vous dis
qu'elle vous appelle à une aussi grande pureté de vie que celle des Anges,
s'ils avaient des corps ; car, en tant que religieuses, nous devons viser
à la perfection et pureté angélique ; et, certes, je vois que nous ne
pensons pas assez à cette pureté de vie à quoi nous sommes appelées. Regardons
la constitution de la pauvreté, à quel dénûment ne nous invite-t-elle
pas ? celle de l'obéissance, à quel renoncement de toute propre
volonté ? et celle de la chasteté, à quelle pureté de cœur, de corps et
d'esprit nous oblige-t-elle ? Examinons-nous, si nous [179] les avons bien
observées cette année, et nous trouverons qu'il nous reste bien du chemin à
faire. Il faut prendre bon courage pour le faire l'année où nous entrons demain.
Travaillons tout le long d'icelle, et tout le long de notre vie, à nous
dépouiller et anéantir, tant au corps comme en l'esprit, étant les choses
auxquelles cet Institut vise plus : à laisser tout, pour n'avoir que Dieu
seul.
Je ne sais s'il serait bien possible qu'une âme qui goûte Dieu, et qui
a du zèle pour sa perfection, s'attachât à ces choses extérieures, dont nous
nous dépouillons aujourd'hui : des charges et offices, des chambres et
cellules, des chapelets, images, médailles, des livres et telles autres
choses ; cela serait indigne d'une âme religieuse et qui sait que la
parfaite perfection gît en la nudité et soumission de cœur à Dieu et à ses
supérieurs. Ne permettons pas, mes chères Sœurs, que nos pauvres cœurs soient
empêchés d'être unis à leur souverain Bien par ces chétives attaches d'être
employées ou non, ceci ou cela : Rien que Dieu, sa volonté et
l'obéissance, devons-nous dire.
Si, en faisant nos professions solennelles, nous nous sommes toutes
remises à Dieu et à la direction de la Congrégation, voudriez-vous bien
maintenant vous reprendre ? Vous avez dit : Je choisis Jésus, mon
Seigneur et mon Dieu, pour l’unique objet de ma dilection. N'est-ce pas
démentir votre parole, si vous vous attachez à quelque chose ? Avoir
choisi Jésus pour l'unique objet de votre dilection, c'est avoir promis
que vos cœurs n'auront d'autres affections qu'à lui plaire, qu'à l'aimer et le
servir, et que tous vos désirs seront pour Jésus, toutes vos sollicitudes pour
Jésus, toutes vos pensées pour Jésus, bref, toute votre âme et vos facultés
pour Jésus seul, lequel vous avez de votre pure, libre et franche volonté
choisi pour l’unique Époux de vos
cœurs, et seul objet de votre amour.
Il faut donc, mes chères Sœurs, en vertu de ce sacré choix et
très-sainte élection, que vos cœurs demeurent ainsi tout nus, [180] et
abandonnés entre les mains de Dieu, lui laissant faire de vous tout ce qu'il
lui plaira, vous dépouillant de tout propre intérêt, satisfactions,
consolations et recherches, en faisant une sainte remise et abnégation de tout
cela au pied de la croix du Sauveur.
Après avoir dit : J'ai choisi la Congrégation pour ma
direction, serons-nous bien si chétives que de vouloir avoir quelque
volonté pour nous gouverner nous-mêmes ? Ne serait-ce pas aller évidemment
contre notre profession, de vouloir plutôt ceci que cela, cette charge que
l'autre ? Il faut que vous sachiez que, par ces paroles : J’ai
choisi la Congrégation pour ma perpétuelle direction, nous nous sommes
obligées de vivre toute notre vie, en continuelle soumission et remise de toute
volonté propre, entre les mains des supérieures qui gouvernent la Congrégation.
Je dis telles qu'elles soient, à notre gré ou non, pour faire désormais, non
notre volonté, mais la leur ; non plus ce que nous désirerons, mais ce
qu'elles nous ordonneront.
Par le premier choix, nous nous sommes attachées à Jésus, et obligées
de n'engager jamais notre amour qu'à lui ; par le second, nous nous sommes
de même obligées tellement à nous laisser conduire à nos supérieures, à être si
fidèles à leur direction, que nous puissions dire : « Je n'ai plus de
liberté, ni d'esprit, ni de corps ; j'ai tout remis à la Congrégation qui
me dirige ; je ne me suis rien réservée que le désir de me laisser tourner
et virer comme l'on voudra. » Lorsque nos cœurs répugnent à quelque
obéissance, je voudrais que nous leur dissions : « Pourquoi y
répugnez-vous ? Je dois obéir, et non plus choisir ce que je dois
faire. »
Je crains, mes chères Sœurs, que, faute de considération attentive sur
nos obligations, nous n'y ayons fait plusieurs manquements par le passé,
desquels, Seigneur ! nous vous demandons très-humblement pardon et nous
vous crions merci ! [181] (miséricorde) mes Sœurs et moi, du profond de
nos cœurs, de tous les manquements que nous avons fait cette année, contre
l'observance de notre Institut, et de la négligence avec laquelle nous avons
marché en votre divin service, des fautes que nous avons faites contre la
très-sainte humilité, simplicité, candeur, cordialité et charité, desquelles
fautes et de toutes nos autres offenses, nous demandons pardon en esprit
d'humilité, priant votre infinie Bonté de jeter sur nous l'œil de sa
miséricorde, nous faisant sentir la grandeur de vos misérations, par les
mérites du sang précieux que vous avez répandu pour nous, par les intercessions
de votre sainte Mère et de votre loyal serviteur notre Bienheureux Père.
Et à vous, mes chères Sœurs, je vous demande très-humblement pardon, de
tout mon cœur, des continuelles mauvaises édifications que je vous ai données, par
mes déportements, et du peu de soin avec lequel je vous sers, vous priant me
pardonner et prier Notre-Seigneur qu'il me fasse la grâce de me changer.
Voici une action qui a été établie en notre Ordre, par une spéciale
providence de Dieu, et laquelle se fait tous les ans (de changer de rangs,
de cellules, de croix, chapelets, images, etc., etc.) ; mais vous
savez que ce n'est pas tout que ce dépouillement extérieur ; il en faut
faire d'autres intérieurs bien plus excellents ; car, non-seulement, l'âme
qui tend à la perfection, ne doit être attachée à rien d'extérieur et temporel,
ains il faut qu'elle se dépouille de toutes les lumières, connaissances,
sciences, intelligences et satisfactions intérieures, quand il plaira à Dieu.
Oui, même qu'elle dépose en ses bénites mains le désir des vertus, de la
perfection, voire, de son salut éternel, ne voulant de tout cela que ce que
Dieu lui voudra donner, et, non plus : c'est ainsi qu'était notre saint
Fondateur.
L'âme, Épouse de Dieu, se doit tellement dépouiller de tout [182] ce
qui est ici-bas, et de tout ce qui la concerne, qu'elle ne doit plus regarder
ce qu'elle fait, ce qu'elle veut et ne veut pas. Oh ! quelle misère
humaine ! on attache l'âme, qui est si précieuse, à des plaisirs, à des
contentements, à des satisfactions terrestres ; tout cela n'est que vraie
fumée. Cette belle âme, qui a cette si noble capacité de tendre à Dieu, de se
joindre à son souverain centre, nous l'arrêtons vainement aux choses frivoles
de ce bas monde, où tout périt ; nous lui faisons grand tort. Tout ce que
nous pourrions penser de lui donner, en ce monde, pour beau, plaisant et
agréable qu'il fût, n'est rien ; car il est écrit : Toutes les
nations du monde ne sont rien devant Dieu.
O mes chères Sœurs ! concevons bien ceci : tout ce qui n'est
pas Dieu ne nous doit rien être ; cela passe comme l'ombre et s'écoule
comme l'eau ; que nous servira donc tout cela ? que de regrets à
notre mort ! Hélas ! nous ne savons l'heure que nous ouïrons la
trompette qui nous annoncera qu'il faut rendre notre âme à Celui qui nous l'a
donnée en garde. Ah ! que plusieurs des mortels seront étonnés à cette
heure-là, voyant comme ils ont mal gouverné cette âme qui était créée à l'image
de Dieu ! Ah ! que nous serons honteuses, mes chères Sœurs, si nous
avons barbouillé et sali l'image de ce grand Dieu, si nous l'avons salie dans
la bourbeuse fange de cette terre !
Veillez et priez, car
nous ne savons l'heure, ni le temps auquel le Seigneur et Maître viendra, et
qu'il lui faudra rendre compte. Prenons garde à nous, mes chères Sœurs, afin
que quand ce Maître souverain viendra, il ne nous trouve pas dormantes au foyer
des désirs mondains et terrestres, les pieds pleins de la poussière des choses
de ce monde, lesquelles ne sont qu'impuretés et vanités, comme dit le
Sage : J'ai considéré tout ce qui est sous le soleil, tout ce que
contient ce monde visible, et je vois que tout cela n'est que vanité. Je
vous prie, mes Sœurs, que vous fassiez cette considération sérieusement ;
et [183] voyez combien c'est une chose indigne d'une servante et épouse de
Jésus, d'avoir attache à ceci ou à cela, désirer une charge et en avoir une
autre à contre-cœur. Que s'il y en a quelqu'une qui ait de ces affections,
qu'en ce moment où je parle, elle s'en défasse, et les remette aux pieds de
Notre-Seigneur, duquel la bonté est si grande qu'il ne faut qu'un moment pour
nous convertir à lui, et il nous reçoit à bras ouverts. Que, donc, chacune
reçoive humblement, comme de la main de Notre-Seigneur, ce qu'il lui écherra,
et que toutes se résolvent, par une entière soumission à sa volonté, à faire
cordialement et de bon cœur ce que l'obéissance lui ordonnera ; car,
sachez, mes chères Sœurs, que ce n'est rien de plier le col sous l'obéissance,
si on ne plie de bon cœur le jugement et tout l'intérieur. Bienheureuses les
filles de la Visitation qui seront tellement démises d'elles-mêmes que leurs
supérieures les trouvent toujours prêtes à faire ce qu'elles voudront !
(Faite en janvier 1033)
SUR LE BON USAGE DU TEMPS.
Mes très-chères Sœurs, il serait bien à désirer que nous ne fussions
pas telles à la fin de cette année que nous sommes maintenant ; mais que
nous l'employassions mieux que celle qui est passée, en laquelle nous avons eu
pourtant des bonnes pensées et des bons désirs ; néanmoins, si nous
mettons la main à la conscience, et que nous regardions devant Dieu, sans nous
flatter, nous verrons clairement que nous n'en avons pas tiré grand fruit, et
que nous avons fort peu avancé au prix de ce [184]
que nous eussions fait, si nous
eussions fait valoir les grâces et les moyens que Dieu nous a présentés, et que
nous eussions fait tout le bon usage que sa douce bonté requérait de nous,
selon ses desseins éternels.
II y a bien de la différence entre se regarder devant Dieu, et se regarder
devant soi-même : si nous nous regardons devant Dieu, nous nous verrons
telles que nous sommes ; mais si nous nous regardons devant nous-mêmes,
nous nous verrons telles que notre amour-propre nous suggérera. Il nous fait
bien du mal, cet amour de nous-même ; assurez-vous, mes Sœurs, que si nous
ne le mortifions et ne ruinons ses propres recherches, ses propres intérêts,
cette vanité et bonne opinion de nous-mêmes, nous n'avancerons point en notre
voie ; nous demeurerons toujours des naines en la vertu ; nous
ne rendrons point à Dieu ce que nous lui devons et à notre vocation. Il n'y en
a pas une ici qui soit enfant ; plût à Dieu que nous le fussions bien en
innocence et humilité. Nous avons donc assez de jugement et d'esprit pour
savoir et considérer ce que notre Institut demande de nous, les grandes
obligations que nous avons, par notre vocation, de tendre à une grande et
épurée perfection : c'est à quoi je vous exhorte, mes chères Sœurs, autant
qu'il m'est possible, et m'y exhorte aussi moi-même la première, comme en ayant
le plus de besoin.
Si nous nous déterminons, à bon escient, de faire ce que nous devons,
nous glorifierons Dieu, nous consolerons nos supérieures, et notre âme sera en
paix ; nous vivrons contentes et en repos en cette vie, laquelle se passe
et s'en va. Nous courons à notre fin comme les eaux courent et se vont rendre à
la mer, qui est leur fin et le lieu de leur centre, où elles s'arrêtent. Que
pouvez-vous vivre ? vingt ans, trente ans, cinquante ans. Hélas !
peut-être n'avons-nous qu'un jour, voire, qu'une heure et un moment : cela
est dans les décrets éternels de Dieu, qui a compté tous nos jours, qui sait ce
qu'il nous veut [1858] donner, et combien il nous en faut pour faire notre
salut et tendre à la perfection à laquelle il nous appelle. Faisons en sorte
que nous lui rendions bon compte du temps qu'il nous donnera, s'il nous donne
cette année entière, ou qu'il ne nous en donne qu'un mois, une semaine, un jour
ou un instant ; enfin, employons bien ce qu'il nous donnera, pour lui en
rendre bon compte, et ne nous faisons pas ce tort de le laisser écouler sans
profiter.
Nous n'avons pas besoin de faire rien de nouveau, ni d'être en peine
pour connaître la volonté de Dieu ; car elle nous est signifiée et marquée
dans nos règles. Marchons donc, mes Sœurs, par ce chemin-là, en général ;
et, pour notre particulier, suivons la direction de notre supérieure, et je
vous assure que nous arriverons à bon port, et que Dieu nous consolera et
bénira.
POUR LE PREMIER SAMEDI DE CARÊME.
sur la vigilance et la prière. – admirable
définition de l'esprit de la visitation, par notre bienheureux père saint
françois de sales.
Mes chères Sœurs, je n'ai à vous dire autre chose que deux mots, qui
sont de Jésus-Christ même : « Veillez et priez, afin que vous
n'entriez point en tentation. » Veillons donc, mes chères Sœurs,
puisque nous savons que, bienheureux est le serviteur qui sera trouvé veillant
par le Père de famille ; veillons sur nous-mêmes, sur nos actions, paroles
et pensées ; sur notre esprit, afin qu'il ne s'occupe que de Dieu, en Dieu
et [186] pour Dieu ; veillons sur notre âme, pour la conserver pure et
fidèle, et pour tenir ses passions soumises et bien rangées ; enfin,
veillons sur tout ce qui est en nous, afin que rien n'y soit hors de règle, que
nos pensées soient de Dieu et nos paroles d'édification au prochain ; car,
il arrive souvent, que, par nos discours, on connaît que nous avons cessé de
veiller sur nous-mêmes, et que nous ne craignons pas assez d'offenser Dieu ;
enfin, veillons aussi sur nos sens, pour les mortifier, et afin qu'ils
n'introduisent la mort dans notre âme ; et, après que nous aurons bien
veillé, prions, afin que Dieu vivifie notre foi, et pour faire voir que nous
attendons tout notre secours de sa bonté, que nous avons mis en lui toute notre
espérance, et que nous n'attendons aucun bien que de lui seul. Il faut, mes
filles, nous affectionner surtout au saint recueillement et à la prière.
Je me souviens, à ce propos, que le cardinal de Marquemont, ayant
demandé un jour à notre glorieux Père quelle intention il avait, en fondant une
nouvelle religion de filles, puisque déjà on en comptait un si grand nombre,
notre aimable Saint lui répondit promptement : « C'est pour donner
à Dieu des filles d'oraison, et des âmes si intérieures, quelles soient
trouvées dignes de servir sa Majesté infinie et de l'adorer, en esprit
et en vérité, laissant les grands Ordres, déjà établis dans l'Église,
honorer Notre-Seigneur par d'excellents exercices et des vertus
éclatantes. Je veux que mes filles n'aient autre prétention que de le glorifier
par leur abaissement ; que ce petit Institut de la Visitation soit
comme un pauvre colombier d'innocentes colombes, dont le soin et l'emploi est
de méditer la loi du Seigneur, sans se faire voir ni entendre dans le
monde, qu'elles demeurent cachées dans le trou de la pierre, et dans le secret des mazures, pour y donner à leur Bien-Aimé vivant
et mourant des preuves de la douleur et de l'amour de leurs cœurs
par leur bas et humble gémissement. » [187] Voyez-vous, mes Sœurs,
comme nous devons être filles d'oraison, si nous voulons suivre les intentions
de notre saint Père. C'est principalement dans ce temps de Carême, que nous
devons nous appliquer à cet exercice, et où tout doit respirer le recueillement
et la mortification, même dans nos récréations. Je vous prie donc, mes Sœurs
très-chères, de nous avancer dans les vraies vertus, suivant Notre-Seigneur
dans le désert, et priant comme il nous l'enseigne, afin que nous n'entrions
point en tentation.
POUR LE DEUXIÈME SAMEDI DE CARÊME.
sur
l'excellence de la perfection de l'institut, qui est des plus pures que l'on puisse
trouver en l'église de dieu.
Je ne puis rien présenter à vos yeux, en ce saint temps de Carême, mes
chères Sœurs, rien, dis-je, qui soit plus pressant que l'obligation que nous
avons de tendre à la perfection, car ce n'est pas jeu d'enfant. Nous nous
sommes toutes, de franche volonté, obligées d'y tendre, par des vœux grandement
solennels ; et ce n'est pas à une petite perfection, ains à la perfection
de notre vocation, et chacun tient que la perfection de la Visitation est des
plus grandes, pures, solides et vraies qui soient au monde. Ce qui est
très-certain, car si notre Bienheureux Père, qui avait connaissance de tous les
états de perfection, en eût trouvé une plus pure et plus relevée, il nous
l'aurait donnée. Or, nous nous devons fort humilier, et remercier
Notre-Seigneur de nous avoir mis dans une voie si sainte, où nous [188] pouvons
marcher assurément. Mais, mes chères Sœurs, pensez et repensez à ce que notre
Bienheureux Père a dit, que pour avoir l'esprit de la règle, il faut la
pratiquer. Je vous en dis de même, que pour avoir la perfection de notre
vocation, il faut pratiquer les enseignements qui nous y sont donnés.
Sur cela, je vous prie donc, mes chères Sœurs, que ce saint temps du
Carême ne se passe pas sans que vous voyiez vos Règles, Constitutions et
Coutumier ; nous ne les lisons point assez. Ce n'est pas que je veuille
que vous lisiez le Cérémonial et le Directoire ; mais je vous conseille,
de tout mon cœur, de voir les saints documents qu'ils nous donnent, comme aussi
les Écrits de notre Bienheureux Père. Vous y verrez des miroirs de la
perfection à laquelle cette vocation nous oblige, où elle nous appelle.
Ah ! mes chères Sœurs, nous sommes si bien instruites ! Allons donc
fervemment en notre voie, et suivons l'esprit qui nous conduit, car il est
assuré.
Aimons Notre-Seigneur et le servons avec crainte, mais d'une crainte
amoureuse, chaste et filiale, qui craint de ne pas assez plaire à son Époux,
d'offenser son Père, de déplaire à ce divin Amant ; et, croyez-moi, mes
Sœurs, quoiqu'on vous dise qu'il faut aller par des voies relevées, tandis que
nous sommes en cette vie, il faut craindre Dieu. Bienheureux qui craint Dieu
et assure sa vocation par de bonnes œuvres, et qui opère son
salut en crainte et tremblement. Voilà ce que la sainte Écriture nous
dit ; et l'on ne peut conserver un vrai et efficace désir de servir Dieu,
si l'on n'a pas une sainte crainte de lui déplaire, de l'offenser, et de lui
donner sujet de retirer de nous sa grâce et ses inspirations. [189]
(Faite en 1630)
POUR LE SAMEDI AVANT LE DIMANCHE DE LA PASSION.
sur la mort et les souffrances du sauveur.
Mes chères Sœurs, je n'ai que deux mots à vous dire. La sainte Église,
comme une soigneuse et charitable mère, nous propose, le dimanche de la
Passion, pour nous prévenir et nous remémorer spécialement les travaux du
Sauveur, afin que nous préparions nos cœurs pour célébrer dévotement cette
très-grande et sainte semaine, en laquelle l'œuvre de notre Rédemption a été si
copieusement parachevée. Cette Rédemption commença dès l'instant de l'adorable
conception du Verbe Éternel, aux très-pures entrailles de la Vierge, sa sainte
Mère, et elle se paracheva en la Passion du Sauveur, comme il dit à son
Père : Mon Père, tout est consommé ! toute l'œuvre que vous
m'aviez commise est achevée.
Ah ! que bienheureuses serions-nous, mes chères Sœurs, si, à
l'heure de notre mort, nous pouvions dire à Notre-Seigneur, avec vérité :
Mon Seigneur et mon Dieu, l'œuvre de ma perfection que vous m'avez commise est
achevée : j'ai tout accompli mes vœux et obligations. Donc, mes chères
Sœurs, ce dimanche nous fait ressouvenir de nous préparer, par une sainte
ressouvenance des travaux du Sauveur, à la célébration de la sainte semaine,
considérant ce que Dieu a fait pour nous, et nous encourager à l'imiter. Que, s'il
a fallu, comme dit l'Écriture, que le Fils de l'homme soit entré dans sa
gloire et en son royaume, par multitude de travaux et tribulations, nous
sommes déçues, si nous pensons y entrer par quelque autre chemin. Mon
Dieu ! mes chères Sœurs, s'il est dit qu'il a fallu que le Fils de [190]
l'Homme soit entré dans son héritage,
dans un royaume déjà sien, par la douleur et tribulation, pensons-nous,
chétives et misérables créatures, d'y entrer par les plaisirs, et en contentant
notre sensualité ! Oh ! Dieu nous garde de cette témérité !
aimons, aimons nos petites souffrances, et préparons-nous, par la considération
de celles de Notre-Seigneur, à de plus grandes, quand il lui plaira nous les
envoyer. Cependant faisons profit de ce saint temps ; tenons-nous au pied
de la croix du Sauveur, écoutons ses paroles, et les gardons dans notre
cœur ; demandons-lui une goutte de son sang pour embaumer nos cœurs, ou
plutôt remercions-le de ce qu'il nous le donne, pour purifier nos âmes, et
qu'il les rachète par sa propre vie ; et tâchons de bien mourir à
nous-mêmes, à nos inclinations, et en tout ce qui est de la nature corrompue,
et Dieu nous fera vivre d'une vie nouvelle, en sa grâce et en son amour, en ce
monde, et puis à jamais dans sa gloire, se donnant lui-même pour récompense de
nos petits travaux.
POUR LA FÊTE DE LA PENTECÔTE.
sur les dispositions qu'il faut avoir pour
attirer en soi l'esprit-saint.
Mes très-chères filles, j'ai pensé vous dire dans quelles dispositions
il faut être pour recevoir le Saint-Esprit. Je vous assure qu'il n'en faut
point d'autres que se tenir bien proche de ce divin Esprit, et se vider de
soi-même. Je réfléchissais, ces jours passés, d'où venait que nous n'avancions
pas [191] assez, et il me vint en pensée que ce qui nous empêche le plus, ce
sont les réflexions inutiles de notre esprit, auxquelles nous nous arrêtons trop.
Comme, pour l'ordinaire, ce sont des pensées indifférentes, nous ne prenons pas
assez soin de nous en détourner fidèlement. Oh ! si c'étaient des pensées
mauvaises, ou des tentations, nous les combattrions ; car cela est si
manifestement mauvais, que nous ne saurions y adhérer. Mais nous ne nous vidons
pas assez de nous-mêmes ; nous sommes trop attachées à notre amour-propre,
à nos propres intérêts, à notre propre volonté, à nos inclinations et à nos
commodités. O Dieu ! laissons un peu ce nous-même, et jetons-nous à corps
perdu à la merci de la divine Providence.
Serait-il possible que nous ne voulussions pas pratiquer les saintes
maximes de notre Bienheureux Père ? Elles tendent toutes à la simplicité
d'esprit et à la totale dépendance de Dieu. Ne savons-nous pas combien il avait
d'aversion aux réflexions inutiles, et combien grand était le soin avec lequel
il voulait que l'on travaillât à s'en affranchir ? Qu'est-ce qui a plus
éclaté en lui que la simplicité et la dépendance de Dieu, qu'il possédait si éminemment,
et d'où procédaient toutes les autres vertus, comme de leur source ?
Quelle simplicité et candeur d'esprit n'avait-il pas ! il se tenait par là
presque continuellement occupé en Dieu. Oh ! qu'il était entièrement vide
de lui-même ! c'est pourquoi il a été pleinement rempli de l'Esprit divin.
Quel abandon et quelle entière dépendance de la volonté divine et du bon
plaisir éternel ! Avec quelle souplesse, humilité et douceur s'est-il
toujours laissé conduire et manier, au gré de ce grand Dieu, sans aucune
résistance ! Il a fidèlement pratiqué ce qu'il nous a tant recommandé, de
ne rien refuser et de ne rien demander, mais de se reposer sur le
soin paternel de l'aimable Sauveur de nos âmes.
Je vous conjure donc, mes chères filles, autant qu'il m'est possible,
pour l'honneur et la grâce que nous avons d'être filles [192] de ce saint
Père, et par le respect que nous lui devons, d'entreprendre, à bon escient,
l'œuvre de votre perfection, par les moyens qu'il nous a laissés, en sorte que
nous n'ayons désormais qu'un seul soin, qui est de produire deux actes :
l'un de fidélité à notre vocation, et à bien employer les occasions que Dieu
nous présente, quelques petites et légères qu'elles nous semblent être ;
et l'autre, d'être fidèles à l'oraison et à la mortification. Examinons-nous
bien, mes Sœurs, et nous trouverons que notre défaut et notre retard ne
viennent que de ce que nous ne nous mortifions pas assez, et que nous ne
faisons pas bien l'oraison.
Un autre acte est de nous tenir en tranquillité auprès de
Notre-Seigneur, ne nous arrêtant en aucune façon aux pensées et réflexions
inutiles ; mais nous occupant amoureusement et familièrement, avec
simplicité et humilité, en la sainte présence de Notre-Seigneur, notre doux et
aimable Époux, nous abandonnant sans réserve à lui, afin qu'il fasse de nous
tout ce qu'il lui plaira.
Nous sommes de bonnes filles, à la vérité ; mais, certes, il faut
bien passer plus avant, car je ne vois pas assez reluire, parmi nous, la
fidélité dans les occasions de pratiquer la vertu, ni dans le recueillement.
Nous nous laissons trop dissiper ; nous craignons trop la
mortification ; nous n'avons pas assez de courage à nous vaincre, et à
faire une continuelle guerre à nos humeurs et à nos penchants ; nous
n'aimons pas assez la souffrance. C'est pourquoi, commençons dès
maintenant ; faisons bien tout ce que je viens de dire, et je puis vous
assurer que le reste suivra, que nous nous disposerons à bien recevoir le
Saint-Esprit, que nous lui préparerons une agréable demeure dans nos âmes, et
que nous recevrons, toutes en général et chacune en particulier, quelques
grâces extraordinaires du Saint-Esprit. Et j'en serais très-aise, s'il plaisait
ainsi à Dieu, afin que par ce moyen nous puissions être fortifiées pour faire
[193] progrès en notre voie, et pour faire violence à nos mauvaises
inclinations.
Faisons-le donc, mes très-chères filles ; tenons-nous bien serrées
et attentives auprès de Dieu, non pour demeurer toujours à genoux dans le
chœur, mais employant bien le temps que nous y serons, soit pour faire
l'oraison ou pour dire l'Office, et nous détournant promptement des
distractions et inutilités qui nous y pourront arriver.
De même, toute la journée et à toute heure, même à tout moment, si nous
pouvions, élançons notre cœur en Dieu ; tenons-nous en la disposition de
nous laisser conduire à sa divine bonté, et d'acquiescer promptement aux effets
de son bon plaisir en tout ce qu'il permettra nous arriver. Voilà donc le seul
et vrai moyen de nous disposer à recevoir les grâces que Dieu nous a préparées.
Pratiquons le bien durant cette octave, rappelons-nous encore, pour nous y
exciter fortement, que c'est l'intention de nos constitutions, puisqu'elles
nous ordonnent trois jours de retraite avant la Pentecôte. Donc, durant
l'octave de cette grande fête, tenons-nous fort recueillies, en actions de
grâces de ce singulier bénéfice que Dieu a accordé au monde, en envoyant son
Saint-Esprit. Enfin, mes chères filles, durant tout le cours de notre vie, ne
nous éloignons jamais en rien, autant qu'il nous sera possible, de ce saint
exercice. [194]
(Faite en 1632, après sa réélection)
grand désir de la sainte de recevoir
l'esprit-saint, sa résolution à conduire les âmes sans écouter les plaintes de
la nature.
Mes très-chères Sœurs, nous voici à la veille de cette grande fête, en
laquelle Dieu fit ses dons à son Église, et surtout le don de son Saint-Esprit
vivifiant ; car, bien que le Sauveur ayant employé trois ans pour
enseigner et instruire ses Apôtres en sa sacrée humanité, néanmoins, ils
étaient si faibles et si grossiers, que Notre-Seigneur leur voulut envoyer son
Saint-Esprit, qui est l'amour de lui et de son Père éternel. Ce Saint-Esprit
est amour, procède d'amour, et communique amour, force, sagesse et tous les
autres dons que vous savez. Or, mes chères Sœurs, j'ai grand désir qu'en cette
fête amoureuse ce feu vienne dans nos cœurs, pour réveiller notre tépidité et
embraser notre froideur.
Mais, savez-vous ce qu'il faut faire pour recevoir le
Saint-Esprit ? Il faut être assise : cela veut dire avoir l'esprit et
l'affection en solitude, s'élevant, comme dit un Prophète, au-dessus de
soi-même. Il faut demander ce Saint-Esprit, le désirer par affection, et
l'attirer par bonnes actions ; et, si nous sommes si heureuses de le recevoir
en l'esprit d'humilité, il apportera en nos cœurs et en nos âmes la lumière
pour notre amendement, et la grâce et l'amour pour notre avancement, en cette
voie d'amour, ce que je désire bien fort, mes chères Sœurs.
Et, puisque Dieu m'a encore commis le soin particulier de vos âmes, je
me résous, moyennant sa divine assistance, de ne rien laisser en arrière pour
votre avancement en la voie de [195] Dieu. Oui, je crois que c'est Dieu qui m'a
donné cette charge, car je l'ai grandement prié afin de ne pas l'avoir. Sa
bonté sait, que de me voir chargée, ce n'est pas mon inclination, et que je n'y
vois que sa seule et pure volonté, que j'adore de toute la soumission de mon
cœur. Et puisque donc sa bonté me commande de travailler encore ces trois ans,
dans cette vigne, j'y mettrai ma dernière main. Oui, mes très-chères Sœurs, je
ne vous le cèle point, je vous le dis ouvertement, ce sera mon dernier
triennal, pendant lequel, Dieu aidant, je me consumerai à votre service. Je
vous consacre mon âme à cet effet, et emploirai les forces de mon corps, et le
peu d'esprit que Dieu m'a donné à votre service, et ceci à toutes
également ; car, grâce à sa Bonté, je n'ai inclination ni aversion
particulière pour aucune de mes Sœurs. J'aime celles qui sont bonnes, parce que
Dieu habite en elles ; j'aime celles qui ne sont pas si bonnes, parce
qu'en elles Dieu veut que je pratique la sainte vertu de charité. Celles qui
font le mieux me donnent le plus de consolation ; celles qui ne font pas
si bien m'affligent le cœur ; mais, toutes pourtant, mon âme et mon esprit
les aiment, et me consumerai à les aider, servir et secourir ; car, enfin,
mes chères Sœurs, ces trois ans du dernier triennal de ma vie, mon âme vous est
entièrement dédiée et consacrée. Je vous servirai toutes en tout, et cela de
toute l'étendue de mes forces, que je suis résolue d'employer pour vous
jusqu'au dernier soupir.
Je ne prétendais pas de tant vivre, ni que mon pèlerinage me fût tant
prolongé ça-bas ; personne ne le croyait aussi ; mais puisqu'il plaît
à Notre-Seigneur qu'en la fin de ma vie je fasse encore ce triennal, je mettrai
ma dernière main en cette vigne, et consumerai toute ma force et ma substance
pour la faire fructifier. Je ne sais pas, mes chères Sœurs, si Dieu me laissera
vous servir ces trois ans durant, car la vie, en cet âge vieux, est fort
incertaine ; mais, soit que Dieu me [196] tire au commencement, au milieu
ou à la fin de ma carrière cela m'est tout indifférent ; soit fait ce que
Notre-Seigneur trouvera bon.
Toutefois, sa bonté me donne quelque espérance qu'après ces trois ans
il me donnera quelques mois ou quelques ans de repos, selon qu'il lui plaira,
pour penser un peu à moi ; car, hélas ! mes chères Sœurs, il y a
vingt-deux ans que je pense aux autres, et n'ai presque pas le loisir de penser
à moi. Dieu disposera de mes ans, de mes mois, de ma vie, de ma mort, selon sa
sainte volonté : je ne m'en mets point en peine ; mais je vous le
dis, mes chères Sœurs, ne soyez pas étonnées si vous me voyez plus veillante
sur vous que jamais ; car j'ai ce sentiment au cœur, qu'il faut que le
dernier triennal que je ferai porte coup, et que, sur la fin de ma chétive vie,
vous me donniez le contentement de vous voir coopérer aux desseins de Dieu sur
vous, et à mon petit service, qui vous sera tout dédié.
Mes Sœurs, croyez-moi, cette vie est trompeuse et incertaine, ne nous y
attachons pas ; mais, comme dit saint Paul : Que notre
conversation soit au ciel : cherchons les choses d'en haut, méprisons
celles d'en bas : dépouillons-nous de nous-même, en sorte que nous
puissions dire cette heureuse parole de ce grand Apôtre : Je vis, non
pas moi, mais Jésus-Christ vit en moi. Voilà, mes très-chères Sœurs, ce que
je désire, que nous mourions en nous, afin qu'en nous vive Celui par lequel
nous ne pouvons vivre. Je n'ai que cela à vous dire, Dieu me l'a donné, car je
ne l'avais pas prémédité.
(Un peu avant le chapitre, cette unique Mère dit à une Sœur : Voyez-vous,
tous mes sens, tout moi-même, tout mon intérieur répugne à cette charge, et je
l'accepte seulement pour le bon plaisir de Dieu, car, hélas ! je suis sur
la fin de ma vie, et j'ai besoin dépenser à moi.) [197]
(Faite en 1631)
LA VEILLE DE LA TRÈS-SAINTE TRINITÉ.
sur l'obligation de ruiner la nature pour faire
régner la grâce.
La dévotion des filles de la Congrégation doit être forte, pour
entreprendre la ruine de leurs inclinations, affections et propensions. Voici
qui se rencontre fort à propos, pour ces bonnes filles qui sont ici pour
demander leur essai. Mes filles, il faut bien comprendre ceci ; l'on vient
à la religion pour vaincre ses inclinations, habitudes et propensions, afin
d'ajuster tout cela aux Règles du couvent.
Mes Sœurs, je vous dis souvent que le ciel souffre violence et que
les vainqueurs et forts le ravissent. Qui veut aller à la perfection, doit
renoncer à soi-même et porter sa croix. Ce sont, tout cela, des paroles
prononcées par la Vérité éternelle. J'ai ce sentiment au cœur ; il faut se
faire violence, autrement point de vertu. Notre Bienheureux Père disait que la
mesure de la Providence de Dieu était la mesure de notre confiance ; et
moi je vous dis que la mesure de notre perfection est celle de notre
mortification. Nous avons autant d'amour de Dieu que nous nous mortifions et
que nous anéantissons notre nature, soigneusement, pour l'amour de sa bonté,
qui nous donne beaucoup, ses bénédictions étant immenses ; mais, par notre
lâcheté, nous lui donnons peu. C'est une grande parole, elle est pourtant
véritable : Nous ne serons jamais agréables à Dieu qu'en détruisant
notre nature, et nous ne jouirons jamais de la paix intérieure, que par la
mortification intérieure et l'entier renoncement à toutes nos inclinations.
Jamais, vous le dis-je encore une fois, nous ne savourerons la douceur de la
familiarité de l'âme avec son Dieu, que lorsque nous serons déterminées à
suivre, et que nous suivrons au péril de toutes nos inclinations, affections,
habitudes et propensions, tout ce qui nous est marqué, qui n'est autre que
l'amortissement de la nature, le mépris du monde et la vraie fidélité à Dieu.
Si nous faisons ceci, ce ne sera pas sans peine ; mais, là où il y a de
l'amour, il n'y a point de travail ; et, d'ailleurs, un moment de la
jouissance intérieure de Dieu vaut plus que tous les plaisirs que la propre
volonté nous ferait jamais goûter, ensuite de nos inclinations. Regardons la
bienheureuse éternité qui nous attend. Ah ! mes Sœurs, elle mérite bien
que nous nous violentions pour l'acquérir ; et puis, c'est la volonté de
Dieu, et cela devrait suffire pour nous faire entreprendre courageusement la
destruction de la nature.
Il y a vingt et un ans que notre Congrégation commença ; nous
allons demain commencer une nouvelle année (de l'Institut). Je vous supplie que
nous commencions aussi une nouvelle vie en la ferveur, en la mortification et
l'anéantissement de nous-mêmes, afin qu'à mesure que nous vieillissons nous
profitions. Toutes, tant que nous sommes, nous avons besoin de nous combattre,
de nous faire force et de nous surmonter. Je dis toutes, les vieilles et les
jeunes, les anciennes et les nouvelles, sous la protection de la très-auguste
Trinité, dont nous célébrons la fête. Il faut nous renouveler toutes, en
l'exacte observance, et, pour cela, il faut se vaincre. Partant, mes Sœurs, je
vous annonce la guerre contre vous-mêmes, contre la nature ; soyons
courageuses et vaillantes en ce combat, appuyées sur la grâce de Dieu, qui ne
nous manquera pas, pour cet effet ; car il la donne à ceux qui la lui
demandent humblement. Nous n'avons besoin qu'à nous déterminer à tout tuer, et
nous confier en sa divine Bonté. Je n'ai pas autre chose à vous dire, mes
chères Sœurs. [199]
POUR LA FÊTE DE SAINT JEAN-BAPTISTE.
sur les vertus qu'il pratiqua au désert.
Ayant une fois demandé à notre Bienheureux Père quelques sujets de
considérations sur la fête de saint Jean-Baptiste, il me dit que rien n'était
plus doux à son esprit que de penser que ce grand Saint avait connu
Notre-Seigneur dès le sein de sa Mère, et que, tressaillant de joie à son
arrivée, il avait procuré à sainte Élisabeth, sa mère, le bonheur de
participera cette connaissance et à cette joie, sentant les doux mouvements que
la présence du Sauveur causait en ce cher fils de ses entrailles ; et, ce
qui est plus admirable, continue notre Bienheureux Père, c'est qu'après une telle
faveur, saint Jean se soit volontairement privé de celle devoir et d'entendre
son cher Maître, puisque, selon le témoignage de l'Écriture, il ne lui parla
jamais, et que, sachant même qu'il prêchait, et se communiquait à tout le monde
dans la Judée, il passa vingt-cinq ans dans le désert, assez près de lui, sans
lui rendre réellement aucune visite, quoique pourtant son insigne mortification
lui méritât la grâce d'en jouir spirituellement. Peut-on trouver une plus
parfaite abnégation, que d'être si proche de son souverain et unique amour, et,
pour l'amour de ce même amour, s'abstenir de le voir et de l'entendre.
Il faut faire de même, me dit notre Bienheureux, auprès du Très-Saint
Sacrement, où nous savons que Jésus-Christ réside ; ne pouvant le voir et goûter,
même en esprit, il faut l'adorer par la foi et le glorifier dans notre
délaissement. Il ajouta qu'il n'aurait su dire si cet admirable Précurseur
était un homme céleste, ou un ange terrestre, que sa casaque d'armes marquait
son humilité qui le couvrait tout. Sa ceinture de poils de [200] chameau autour
des reins signifiait son austère pénitence, qu'il ne mangeait que des
sauterelles, pour faire voir que, quoiqu'il fût sur la terre, il ne laissait
pas de s'élever incessamment vers le ciel ; le miel sauvage dont il
assaisonnait sa nourriture marquait la suavité de son amour, qui adoucissait
foutes les rigueurs, mais que cet amour était sauvage, ne l'ayant appris
d'autres maîtres que des plantes et des chênes. Mais nous, poursuivit ce saint
Père, pouvons apprendre ce même amour de la considération des vérités célestes,
de l'exemple de nos Sœurs et de toutes les créatures ? Écoutez comme elles
crient à l'oreille de notre cœur : Amour, amour « O saint
amour ! ajoutait-il, venez donc posséder nos cœurs. »
Mes filles, si j'osais mêler quelques-unes de mes pensées avec celles
de notre grand Saint, je dirais que saint Jean ne parla jamais d'une manière
plus admirable que lorsqu'il fut interrogé qui il était, car il répondit
toujours par une humble négative ; et, quand il fut obligé de répondre
positivement, il dit qu'il n'était qu'une voix, comme voulant dire qu'il
n'était rien, paroles, en vérité, bien dignes d'un prophète, et du plus
grand d'entre les hommes, puisque David nous assure que toute la terre n'est
rien devant le Seigneur. Mes chères filles, ses paroles me pénètrent, je
vous en assure, je ne suis rien devant mon Dieu, et avec combien de justice
dois-je rendre ce témoignage de moi-même, entendant que tous les peuples de
l'univers ne sont rien devant ses yeux. Cette pensée est fort salutaire, mes
chères Sœurs, car elle porte l'âme à la connaissance de sa bassesse et de son
abjection, où pourtant elle ne doit pas s'arrêter ; mais passer au plus
tôt à l'amour de cette même abjection, qui lui fera désirer d'être tenue et
traitée à proportion de ce rien qu'elle a reconnu en elle. L'humilité est le
siège de la grâce. Vous savez qu'il est dit : sur qui reposera l’esprit
du Seigneur, sinon sur celui qui est humble et doux de cœur. Ce fut pour
cela que le grand Précurseur, étant venu [201] préparer les voies de notre bon
Maître, nous a donné ce rare exemple d'humilité, disant qu'il n'était qu'une
voix et un rien, niant même d'être ce qu'il était. Mes filles, si nous nous
abaissions avec une profonde humilité de cœur, le Tout-Puissant s'abaissera
jusqu'à nous et nous remplira de son esprit et de sa grâce, c'est ce qu'il fait
en nous donnant son fils Jésus-Christ pour vrai Maître de l'humilité, et qui ne
se plaît que dans les âmes humbles, petites, et anéanties ; si nous
l'écoutons bien, nous entendrons les leçons divines qu'il nous fera ;
mais, si nous ne l'écoutons point, il ne daignera plus se communiquer à nous,
et malheur s'il cesse de nous apprendre ! Élevons nos cœurs vers la
miséricorde infinie de ce divin Agneau que saint Jean est venu
manifester ; que notre élévation, pourtant, soit toujours accompagnée d'un
abaissement profond, à la vue de notre indignité et faiblesse ; oui, je
vous le dis, mes Sœurs, les trésors immenses des richesses de Dieu ne se
donnent, et ne se dispensent qu'aux âmes pauvres, c'est-à-dire humbles et
basses, qui sont dénuées de leur propre estime ; soyons donc telles, mes
chères Sœurs, et Dieu nous enseignera lui-même sa volonté et le chemin du ciel.
(Faite le 28 juin 1625)
POUR LA FÊTE DE LA VISITATION.
sur
l'obéissance et la modestie de la sainte vierge.
Mes très-chères filles, je n'ai guère à vous dire, car le temps est
court ; je vous prierai seulement de vous préparer, autant qu'il se
pourra, à recevoir les visites de la Sainte Vierge, notre [202] bonne
Maîtresse, le jour de notre grande fête de la Visitation, et de nous occuper,
entre ci et là, à considérer son voyage, auquel je vois reluire principalement
deux vertus : la prompte obéissance et la modestie, lesquelles je vous
conjure de pratiquer à son imitation, jusqu'au jour de la fête et toute
l'octave, que vous y apportiez une attention particulière en sa faveur.
Hélas ! nous lui devons beaucoup, à cette sainte Dame !
Considérons-la donc, en ce voyage, et voyons que cette rare, divine et
surnaturelle modestie, qu'elle avait, provenait de ce que sa vie intérieure
était fichée en son Fils, quoiqu'elle ne le vît pas ; mais elle le sentait
et portait en ses saintes entrailles. Oh ! c'est ici, mes filles, où je
vous désire grandement affectionnées et fidèles à cette continuelle présence de
Dieu, qui nous est étroitement commandée en nos constitutions, qui disent que
la supérieure nous en ressouviendra et prendra garde que l'on pratique cet
exercice ; car, enfin, c'est l'unique moyen pour acquérir cette modestie,
d'autant que de l'intérieur procède infailliblement l'extérieur. Si votre
esprit se tient bien proche de Dieu, que tous vos sens et passions intérieures
soient bien rangées, que votre cœur soit en bonne posture, assurément votre
extérieur et tous vos déportements seront bien composés et ajustés, et vous
donnerez bonne odeur à votre prochain ; car, cette vertu est de si grande
édification et bon exemple qu'il ne se peut dire. Elle est aussi extrêmement
nécessaire aux âmes religieuses dont elle doit être tout l'ornement. Or sus,
mes chères filles, n'agréez-vous pas toutes d'entreprendre ce défi ? Je
puis vous assurer que, si nous le faisons, notre chère et sacrée Maîtresse nous
comblera de grandes bénédictions et visites, car je sais que son crédit est
grand. [203
POUR LA FÊTE DE LA NATIVITÉ DE NOTRE-DAME.
sur les vertus qui ont brillé en sa naissance.
Mes très-chères filles, je n'ai qu'un mot à vous dire, car la fête de
demain nous prêche assez, et nous fournit de grandes considérations pour
renouveler nos bons propos et résolutions. Certes, puisque nous avons reçu le
bonheur et la grâce inestimable d'être appelées plus spécialement sous la
protection de la très-Sainte Vierge plus qu'aucune autre Religion, qui soit en
l'Église de Dieu, aussi avons-nous véritablement plus d'obligation qu'aucune
autre de lui être dévotes et de l'imiter en ses vertus ; car notre
Institut est totalement dédié au culte de Dieu et à l'honneur et service de
Notre-Dame ; c'est pourquoi nous disons continuellement son Office et n'en
chantons point d'autre.
Or cette Vierge sacrée a eu toutes les vertus éminemment et plus
parfaitement que nulle autre créature ; mais celles qui ont davantage
éclaté et relui en elle, c'est, à mon avis, sa grande pureté, innocence,
simplicité et modestie, car elle parlait peu. Je désirerais donc extrêmement,
mes chères filles, que vous l'imitiez, surtout en ces vertus ici, et que,
durant cette octave, vous y fissiez une attention plus particulière, tenant vos
âmes, vos cœurs et vos esprits en grande pureté et fuite de toute pensée
inutile, allant à Dieu en toutes choses, avec une grande simplicité, sans vous
fourvoyer ni à droite ni à gauche, vous rendant cordiales et respectueuses les
unes aux autres, et enfin produisant fréquemment des actes de révérence,
d'amour et de confiance filiale envers cette grande Reine et Impératrice du
ciel et de la terre, qui nous vient naître. Ne la regardons pas, je vous prie,
comme un autre enfant ; mais comme une créature [204] choisie, de
toute éternité, de la divine Majesté, pour être la Mère du Fils Éternel de
Dieu, pour être comblée et remplie de tant de grâces, qu'après Dieu il n'y a
rien de si grand que cette sainte Dame. Oh ! que nous tirerions de grands
profits, si nous faisions souvent ces considérations sur ces excellentes
perfections, pour nous en réjouir et louer Dieu, et nous exciter à courir après
les odeurs et parfums de ses vertus et exemples.
Je me souviens que notre Bienheureux Père me dit une fois une chose qui
est dans notre Petit Livret ; c'est qu'à la naissance de Notre-Seigneur,
lorsque les rois vinrent pour adorer ce divin Enfant nouveau-né, cette
glorieuse Mère ne se mit point en peine de leur faire de grandes harangues, ni
de prendre une autre posture, d'autant que celle qu'elle avait prise pour la
révérence de la personne de son Fils était d'une si grande gravité et respect
que rien plus ; et remarquez aussi qu'à l'endroit des pasteurs et bergers
elle était fort simple, candide et cordiale, les caressant et regardant
amoureusement. Nous devons tirer deux grands fruits de ceci : le premier,
que nous devons continuellement avoir une si grande modestie extérieure, qui
provienne d'une composition intérieure de toutes nos passions, qui soient bien
mortifiées, et de tous nos sens qui soient bien recueillis près de Dieu, pour
le seul respect de sa sainte présence, et de ses yeux, qui sont toujours fichés
sur nous, et de telle sorte que quand on nous enverrait au parloir pour parler
à des princes et princesses, nous n'eussions point de besoin de penser à ce que
nous leur dirions, ni à composer une autre harangue, ains que nous leur disions
simplement et rondement ce que Notre-Seigneur nous dirait, nous rendant
humblement et fidèlement attentives à lui ; et l'autre, que nous devons
être fort simples, cordiales et naïves envers nos Sœurs, les respectant et
aimant chèrement et précieusement, soit qu'elles nous soient supérieures,
égales ou inférieures, les préférant toutes à nous, et ne nous préférant à
aucune. Il me dit encore une fois ce [205] Bienheureux, sur le sujet de cette
fête, que Notre-Dame ne naîtra jamais que dans les cœurs approfondis en
humilité, et élargis en simplicité et cordialité.
Or sus, mes chères Sœurs, prenons bon courage, jetons-nous autour du
berceau de cette Reine des Anges et Avocate des pécheurs, notre chère et
très-honorée Maîtresse ! Recourons à sa poitrine maternelle, qui est
toujours ouverte et embrasée de charité ; demandons-lui ces saintes et
désirables vertus, et lui protestons qu'avec son assistance nous travaillerons,
tant qu'il nous sera possible, pour les acquérir, afin d'être ses filles,
non-seulement de nom, mais aussi d'effet. Dieu, par sa douce bonté, nous en
fasse la grâce !
POUR LE TEMPS DES RETRAITES.
sur le bénéfice de la vocation.
Mes Sœurs, j'ai cru qu'il serait bon, tandis que vous êtes en ce temps
de récollection, que je vous suppliasse de considérer le bonheur de la vie
religieuse, et la grandeur du bienfait de cette vocation sainte, en laquelle Dieu,
par sa grâce, nous a mises, et nous a tirées des vanités du monde, pour nous
loger en sa maison. Oui vraiment, mes Sœurs, nous pouvons bien dire de la
religion, que c'est la maison de Dieu et la porte du Ciel, et que Dieu y
est ; car, en vérité, celles qui l'y cherchent, en simplicité de cœur, ne
manqueront de l'y trouver, et je les en puis assurer de sa part. Pensez et
repensez, je vous prie, combien c'est de bonheur d'avoir été tirées, sans
l'avoir mérité, du [206] service du monde, pour entrer en celui de
Dieu, tirées hors des occasions de commettre des grands péchés et d'en voir
commettre de grands, pour être mises en une maison sainte, où nous pouvons ne
faire que des actions de vertus, si nous voulons, et où nous ne voyons faire
autre chose. Nous avons été tirées de mille et mille soins et sollicitudes du
monde, pour n'avoir que le seul soin de plaire à Dieu, par la voie de nos
règles et de nos observances. Le monde ne nous inquiète point ; car nous
sommes ici séquestrées de lui, et enfermées dans nos cloîtres bien-aimés, comme
des âmes d'élite de Dieu, pour chanter continuellement le cantique de son amour
et de son bon plaisir. Et pour le corps et pour l'esprit, nous jouissons de
mille privilèges, dont les plus grandes dames du monde sont privées ; car
quand nous n'aurions que cette paix, suavité et tranquillité, sans autre soin
que de plaire à Dieu, nous sommes trop heureuses. Voyez-vous, mes chères Sœurs,
le bénéfice de la vocation religieuse doit être pesé, comme disait notre
Bienheureux Père, au poids du sanctuaire, et gardons-nous, je vous prie, de
n'être ingrates ; offrons continuellement action de grâces à Dieu, pour ce
bienfait. Le bon David ne demandait à Dieu qu'une seule chose, qui était, qu'il
habitât en la maison du Seigneur tout le temps de sa vie. Hélas ! Dieu
nous a, plusieurs d'entre nous, menées dans sa maison, sans que nous le lui
ayons demandé, ains nous lui avons quelquefois apporté de la résistance à ses
douces inspirations, et pourtant sa bonté n'a pas laissé de nous tenir par la
main, voire, nous porter entre ses bras, pour nous mettre en une vocation toute
sainte, et où nous trouvons tant d'occasions de nous sauver et perfectionner,
et point de nous perdre, que par notre seule malice. Je vous supplie, mes
Sœurs, que toutes fassent une revue particulière sur ce bénéfice, et tâchent de
tout leur cœur d'en rendre grâce à Dieu, se résolvant, moyennant son aide
divine, d'embrasser tout ce qu'elles verront lui être plus agréable, qui n'est
autre [207] chose que l'exacte observance ; et cela, certes, mes Sœurs, il
le faut, sous peine d'ingratitude ; ça, c'est ce que Notre-Seigneur veut
que nous lui rendions, pour les biens qu'il nous a faits ; lâchons, je
vous prie, de le faire fidèlement, courageusement et constamment ; si nous
le faisons, j'espère que cette suprême bonté nous bénira.
POUR LE TEMPS DES RETRAITES.
sur les qualités que doit avoir notre dilection
pour être selon dieu.
Mes chères Sœurs, avant que ces jours de retraite finissent, j'ai pensé
que je vous devais exhorter, à ce que ma constitution me marque, que je dois
procurer que la mutuelle charité et sainte amitié fleurissent en la maison, c'est
pourquoi, je vous supplie, mes chères Sœurs, que toutes, en vos retraites que
vous faites pour votre amendement, vous jetiez un regard, pour voir si vous
faites bien fleurir la permanente charité et sainte dilection, et que, outre
les résolutions particulières de chacune selon sa nécessité, que celle-ci de
faire fleurir entre vous la sainte dilection, se fasse générale. Je ne vous dis
pas cela, mes chères Sœurs, parce que j'ai remarqué grands défauts de ce
côté-là, ni que je sente que ma conscience m'oblige à vous en parler ;
mais c'est une chose que la constitution recommande en plusieurs endroits et
oblige la supérieure tout spécialement à avoir l'œil sur ses filles, afin que
la mutuelle dilection et sainte amitié fleurissent en la Congrégation. [208]
Mes chères Sœurs, ne nous y trompons pas ; certes, il faut que
notre dilection, pour être bénie de Dieu, soit commune et égale, car le Sauveur
n'a pas commandé qu'on aimât plus les uns que les autres, mais il a dit : Aimez
le prochain comme vous-même.
Nous pensons quelquefois que nos affections soient bien pures, mais
devant Dieu c'en est tout autrement ; la dilection plus pure ne regarde
que Dieu, ne tend qu'à Dieu, et ne prétend que Dieu. J'aime mes Sœurs, parce
que je vois Dieu en elles, et que Dieu le veut : je les chéris et les
respecte parce qu'elles me représentent la personne de Dieu ; je les aime
sans prétention quelconque, sinon d'obéir à Dieu, et suivre ses divines
volontés, cela est avoir une dilection pure, parce qu'elle n'a que Dieu pour
motif et pour fin : mais, si j'aime mes Sœurs avec l'espérance qu'elles
m'aimeront réciproquement et me feront des services, tout cela est imparfait et
indigne de notre vocation, si nous avions tel motif en notre amour.
Mais ce serait chose odieuse d'aimer nos Sœurs pour leurs qualités
naturelles, pour leur bel esprit, ou pour être d'humeur correspondante l'une à
l'autre, et semblables chimères, qui seules causent les particularités et
tirent aux partialités. Le plus grand mal qui puisse être dans une communauté,
c'est quand les esprits se liguent et se mettent à tirer quartier à part,
rompant la liaison commune pour en faire une singulière qui les ôte de
l'observance, renverse l'obéissance, engendre mille petites envies, et enfin
fait perdre le vrai esprit de la religion.
Mes Sœurs, votre dilection est fausse si elle n'est égale, générale et
entière avec toutes vos Sœurs, en sorte que vous soyez autant suave avec l'une
qu'avec l'autre ; autant prompte à secourir celle-ci que celle-là ;
autant aise de vous trouvera la récréation vers l'une que vers l'autre. Votre
motif en l'amour que vous portez à vos Sœurs doit être fondé sur le sein de
Dieu ; s'il est hors de là, il ne vaut rien. Prenez-y garde, mes Sœurs,
[209] je vous en prie, de ne chopper de ce côté-là. Pour moi, je vous assure
que j'aimerai plutôt voir quelque autre notable défaut dans une maison
religieuse, que ce seul de la partialité aux affections, à cause des
conséquences qu'il tire après soi, et des vains amusements qu'il donne aux
esprits qui en sont atteints, leur empêchant, par mille pensées sur ce sujet,
la conversation que l'âme doit toujours avoir avec Dieu ; au contraire,
quand l'affection est commune, elle n'apporte que tout bien, toute paix et
toute tranquillité, et chasse en telle sorte les embarrassements d'esprit,
qu'autant plus cette union avec nos Sœurs sera pure, générale et entière,
d'autant plus sera grande notre union avec Dieu !
POUR LE TEMPS DES RETRAITES.
sur l'importance de renouveler nos saints vœux
en esprit de foi et de générosité.
Voilà, mes Sœurs, nos solitudes presque finies ; mais pourtant
tout n'est pas fait, car le plus fort est encore à faire, qui est de mettre en
pratique les bons mouvements, lumières et résolutions que nous y avons
faits ; car, grâce à Dieu, il n'y en a point d'entre nous à qui sa bonté
n'en ait donné suffisamment pour s'avancer en son saint amour. Je vous exhorte
donc, qu'en ces trois jours de solitude que vous ferez encore, vous considériez
l'importance qu'il y a de tenir parole à Notre-Seigneur, et que là-dessus vous
vous encouragiez en la pratique de ces saintes résolutions, peser après
mûrement et sérieusement l'action que [210] nous allons faire le jour de la
Présentation, selon notre coutume, qui est le renouvellement de nos vœux. Vous
savez, mes Sœurs, qu'avec les gens du monde les paroles données sont de grand
poids ; mais les promesses reconfirmées souvent, certes, c'est à grand
déshonneur si on ne les observe pas. Nous avons donné parole à Notre-Seigneur,
en faisant profession, de garder toute notre vie, pauvreté, obéissance et
chasteté ; nous les confirmons souvent : reste à les bien observer.
Nous allons encore les reconfirmer bientôt ; de vrai, mes Sœurs, ce n'est
pas un jeu d'enfant, il y va du salut éternel, pensons-y bien, je vous prie.
Il faut dorénavant une plus étroite et exacte observance, puisque la
confirmation est une reliaison à Notre-Seigneur et à notre vocation ; nous
allons reconfirmer d'observer notre règle, et pour le moins nos trois vœux. Or,
sachez, mes Filles, que l'obéissance consiste à obéir en toute chose qui n'est
point péché ; mais obéir promptement, avec soumission de jugement et de
volonté. La pauvreté, à se contenter de ce que la religion nous donne pour
notre usage, ne rien désirer de plus, n'avoir affection à aucune chose, et être
bien aise et recevoir de bon cœur les choses moindres, plus chétives et
incommodes de toute la maison quand Dieu permettra qu'elles nous arrivent. La
chasteté, à retirer toutes nos affections, pensées et désirs des choses créées,
pour les occuper totalement en Dieu, ne voulant avoir d'amour que pour Lui ni
d'amour que de Lui. Multitude de choses se pourrait dire sur ce sujet, mais
retenez bien ce que j'ai dit et le mettez en pratique, et ce sera bien prou.
Offrez vos vœux à Dieu en toute humilité, priez sa sainte Mère de les offrir
avec les siens, et de vous impétrer la grâce et la fidélité nécessaires pour
les bien observer. [211]
(Faite en 1629)
AVANT LA PETITE RETRAITE DE LA PRÉSENTATION.
Je ne veux guère dire, ains seulement vous avertir, mes chères Sœurs,
que dans trois jours nous ferons la plus digne et plus sainte action que nous
ne saurions jamais faire, ou, pour mieux dire, nous la reconfirmerons ;
et, en nos renouvellements de vœux, nous ferons un nouveau sacrifice de tout
nous-même à Dieu : notre mémoire, entendement et volonté, notre cœur,
enfin tout notre être sera l'holocauste que nous offrirons à Notre-Seigneur.
Je vous conjure donc, mes chères Sœurs, d'employer fidèlement ces trois
jours, que nous demeurerons retirées, à nous préparer pour faire dignement
cette sainte action, de reconfirmer nos vœux, lesquels nous obligent et nous
appellent à une perfection la plus sublime que l'on saurait penser ; car
en la présence et en la vue du Très-Haut, nous avons voué la perpétuelle
chasteté, obéissance et pauvreté. Cette oblation est perpétuelle, mes Sœurs,
car sans terme ni fin nous nous sommes absolument données à Dieu. Nous allons
reconfirmer ce don en la présence réelle de cette infinie Majesté, qui sera là,
tout près, en son Saint Sacrement. Incontinent que nous aurons fait notre
reconfirmation, rentrez donc en vous-même, considérez la dignité de cette
action, l'excellence des vœux, à qui c'est, devant qui vous les avez
reconfirmés.
Regardez encore la récompense qui suit l'observance de ces vœux ;
c'est la gloire éternelle du paradis, la compagnie de tous les Bienheureux, et,
qui plus est, la perpétuelle jouissance de Dieu, auquel volontairement nous
nous sommes liées par ces [212] vœux. Et d'autre part, regardez le mal qui
arrive à celles qui négligeront de rendre à Dieu ce qu'elles lui ont voué.
Celles-ci ne peuvent rien attendre que le châtiment éternel, car il est
dit : Rendez vos vœux au Seigneur, parce qu'il est terrible et
redoutable.
Voilà quatre points bien considérables : la dignité des vœux, à
qui on les faits, la récompense ou la peine qui les suit. Pesez-les attentivement,
mes chères Sœurs, car notre obligation n'est pas petite, elle est plus grande
que celle de prêtrise : les Prêtres n'ont qu'un vœu, nous en avons
trois ; ils ont cette dignité pardessus nous de manier le Corps précieux
du Sauveur ; mais nous sommes appelées à plus grande perfection qu'eux.
La divine Providence nous donne des jours de retraite, pour nous
préparer, par un soigneux examen de tous nos devoirs, et voyant comme nous
n'avons pas bien employé les moyens qui nous sont donnés pour tendre à l'excellente
perfection de notre vocation, que nous nous humilions devant Dieu, confessant
de cœur que nous n'avons pas rendu avec assez de soin et de perfection, les
vœux que nous lui avons faits. Je vous conjure, derechef, mes chères Sœurs, que
nous n'allions pas faire cette action à la volée. Comprenons bien sa
dignité ; faisons-la de cœur plus que de bouche, afin de ne pas mentir à
Dieu, en la présence de son Saint-Sacrement ; mais allons renouveler nos
vœux avec une véritable et cordiale affection de nous relier à Dieu, à notre
vocation et à nos règles. Si vous faites ainsi, je vous puis assurer que
Notre-Seigneur recevra votre oblation et sacrifice d'un œil propice, comme ceux
du juste Abel, et nous comblera de beaucoup de faveurs, de sa grâce, de la suavité
de l'union de nos âmes avec lui, et de gloire après notre mort. Amen. [213]
APRÈS LE RENOUVELLEMENT DE NOS SAINTS VOEUX.
Je ne puis pas lire, mais je vous dirai quatre mots seulement, mes
chères Sœurs, sur nos vœux, qui sont que, puisque la divine Bonté nous a encore
donné cette année pour les reconfirmer, nous en reconfirmions aussi la
pratique. Cheminons toujours avant dans la voie de salut et de perfection,
demeurant en paix, charité et unité d'esprit en l'observance exacte de toutes
les choses de notre Institut, afin que si Dieu nous donne encore l'année qui
vient, que nous trouvions en nos solitudes moins de fautes et plus d'avancement
en la vertu.
Et puisqu'il faut toujours ou avancer ou reculer, lâchons de reculer le
moins que nous pourrons ; et, s'il nous arrive de le faire, ne nous
décourageons point ; mais humilions-nous devant Dieu, requérant son aide,
et nous remettant à marcher. Surtout, je vous prie, mes Sœurs, que l'exactitude
soit entière et toujours plus ponctuellement observée parmi nous, car c'est ce
que Dieu requiert de nous. C'est pourquoi il nous a ici assemblées ;
tâchons donc de le faire fidèlement et sa bonté nous bénira. Je ne peux vous
dire davantage pour cette heure. Amen.
ENTRETIENS
faits à la récréation et aux assemblées de
la communauté
SUR LA RÉFORME DE L'ÂME.
Comment il faut faire pour réformer l'âme, dites-vous, ma très-chère
fille ? Il faut se bien connaître soi-même, son néant, sa bassesse, sa
vileté et son rien ; si notre entendement est rempli de cette vérité, nous
verrons clairement qu'il y a beaucoup de défauts, d'imperfections, et beaucoup
de choses à réformer en nous, que véritablement nous sommes remplies de misères
et pauvretés ; car, si nous avons quelque chose qui soit à nous, c'est la
misère et les manquements que nous commettons. Or donc, si cela est, comme il
est très-certain, avons-nous de quoi nous glorifier et estimer ? Non,
véritablement !... Ma fille, qu'étiez-vous, il y a trente ans ? vous
n'étiez rien ! Dieu vous a donné l'être ; mais, néanmoins, vous
n'êtes et ne vous devez pourtant estimer rien, parce que, si Dieu se
retirait de vous, vous retourneriez dans le rien…
Dans l'exercice des vertus chrétiennes, nous sommes comme un oiseau qui
n'a point d'ailes pour voler, et qui n'a point de pieds pour marcher. Nous ne
pouvons pas seulement prononcer le nom de Jésus sans une assistance
particulière de Notre-Seigneur ; c'est l'Apôtre qui le dit… David
s'estimait un chien [216] mort et une puce, lui qui était l'oint du Seigneur et
selon le Cœur de Dieu ; hélas ! que devons-nous dire ? nous
estimer, nous autres ! À plus forte raison, devons-nous penser que nous ne
sommes qu'un chien mort, qu'une puce, voire, moins que cela. Or, tenons-nous
donc fermes en cette connaissance de ce que nous sommes ; et, passons
encore plus avant, en aimant et nous réjouissant de ce que l'on nous tient et
traite comme cela C'est ici l'importance de le faire, où il y va du bon. C'est
la souveraine pratique que celle d'aimer notre abjection, de bien aimer qu'on
ne tienne point compte de nous, que l'on nous laisse là, comme une personne
inutile qui n'est propre à rien, et qui n'est digne d'aucune considération.
Mais, voici encore d'autres pratiques dont nous devons tâcher de
profiter ; c'est que, lorsqu'il se présentera quelque occasion de faire
quelque bien surnaturel et pratiquer quelque vertu, il faut reconnaître notre
impuissance et que nous ne pouvons rien de nous-mêmes, de sorte qu'il ne faut
rien attendre de nous, mais, oui bien, de Dieu et de sa grâce, laquelle il nous
donnera infailliblement, tellement, qu'il faut dire hardiment avec saint
Paul : Je puis tout en celui qui me conforte. Et si nous faisons
quelque chose de bien, il faut soigneusement tout rapporter à Dieu, car la
gloire lui en appartient ; et, quand nous serons tombées en faute, et que
nous aurons bronché en notre chemin, il ne faut en aucune façon nous en
étonner, mais nous en humilier tout doucement devant Dieu, lui disant :
Hé ! Seigneur ! voilà ce que je sais faire ! voilà ma pauvreté et
misère ! voilà ce que je suis : un néant ! une faible et infirme
créature ! je ne dois pas attendre aucune chose de moi, qu'infirmités,
imperfections et défauts… Enfin, l'humilité est la réparatrice de tous nos
maux : il faut donc bien prendre garde qu'elle ne nous manque
jamais ; car, si nous ne l'avons pas, nos affaires iront bien mal, et
notre perfection demeurera en arrière.
Pendant que notre Bienheureux Père vivait, il y avait une [217] Sœur,
laquelle s'affligeait grandement quand elle avait commis quelque
manquement ; il lui semblait qu'elle ne pourrait jamais s'amender ni
s'empêcher de faillir, de sorte que, quand elle lui parlait, elle pleurait fort
sur ce sujet. Un jour, en me parlant d'elle, il me dit : « J'ai
considéré les larmes de cette bonne Sœur ; j'ai vu clairement qu'elles
procédaient d'amour-propre, et que toutes nos enfances et niaiseries et tous
les étonnements que nous avons de nous voir tomber en des imperfections, ne
viennent que de ce que nous oublions la maxime des saints : Qu'il nous
faut tous les jours commencer… »
À la vérité, mes chères filles, c'est faute de nous bien connaître que
nous nous étonnons de nous voir défaillantes, car nous présumons tant de nous,
que nous en attendons quelque chose de bon ; nous nous trompons, et Notre-Seigneur
même permet que nous tombions quelquefois bien lourdement, afin que nous nous
connaissions nous-même. Non, ma chère fille, cette connaissance de nous-même ne
consiste point au sentiment, ni à en faire de grandes considérations, mais à le
croire comme étant une vérité de foi ; je veux dire que nous devons
croire, en la pointe de notre esprit, avec une grande certitude de foi, que
nous ne sommes rien, que nous ne pouvons rien, que nous sommes faibles,
infirmes, fragiles et imparfaites, remplissant notre entendement de cette
croyance, et affectionnant notre volonté à aimer notre pauvreté et misère. Or
sus, voilà comme il faut, à mon avis, commencer la réformation de l'âme, par la
connaissance de soi-même et par la confiance en Dieu : la connaissance de
nous-même nous fera voir beaucoup de choses, en nous, à corriger et réformer,
et que, néanmoins, nous n'en pourrons venir à bout de nous-même ; la
confiance en Dieu nous fera espérer que nous pouvons tout en Dieu, et que, avec
sa grâce, toutes choses nous seront possibles et faciles.
Le second moyen de réformation est de s'exercer en l'oraison et en la
mortification, car ce sont les deux ailes pour voler à [218] Dieu : l'une
soutient l'autre ; j'en reviens toujours là, l'oraison et la
mortification. Il faut donc que la directrice rende les novices fort
affectionnées à ces deux exercices, qu'elle les rende amoureuses du
recueillement, et que même elle leur lise quelquefois les chapitres du Chemin
de la perfection de sainte Thérèse. J'approuve fort qu'on fasse lire ce
livre aux novices, car il est bien utile, et les peut bien aider et exciter à
l'amour de ces deux vertus, de mortification et oraison. Il n'y a que cela à
faire : se bien mortifier et se bien tenir proche de Dieu.
Il y a des âmes que Dieu élève en l'oraison avant qu'elles aient pris
un bon fondement en la mortification ; c'est peut-être parce qu'il les
reconnaît si faibles, que, s'il ne leur donnait ces suavités, elles ne feraient
rien qui vaille, et n'auraient pas le courage de persévérer et s'exercer en la
vertu. Quand l'oraison est fondée sur la mortification, c'est une base bien
assurée ; et, certes, il lui faut toujours donner ce fondement, soit
devant, soit après d'y être élevé ; néanmoins, la voie ordinaire, c'est
après que l'on s'est bien, à bon escient, exercé et adonné à la mortification,
que Notre-Seigneur nous donne ces grâces d'oraison.
Il ne faudrait pas nous mettre en peine et penser qu'il y a de notre
faute, et que notre oraison est inutile et désagréable à Dieu, parce que nous y
avons de la difficulté. Non, ma chère fille, pourvu que vous ayez été fidèle.
Je vous vais donner un exemple qui vous le fera bien entendre ; c'est du
bon Abraham : je l'aime grandement, ce grand patriarche, et par
inclination. Donc, Abraham présentait souvent au Seigneur des sacrifices et
holocaustes : un jour, comme il en offrait un, des oiseaux de proie
s'abattirent sur les chairs des victimes ; voyant cela, il prit une
baguette et les chassa le mieux qu'il put, sans se lasser ; cela dura tout
au long du sacrifice. Si, à la fin, Abraham se fût plaint à Dieu en lui
disant : « O Seigneur ! quel pauvre sacrifice vous ai-je
offert, lequel a été au milieu des distractions [219] causées par les
oiseaux de proie, » assurément, le Seigneur lui aurait répondu que son
oblation n'avait pas cessé de lui être agréable, parce que tout cela était
arrivé contre son gré, et qu'il avait fait tout ce qui était en son pouvoir
pour les chasser ; ce qui était vrai. Ainsi, mes chères filles, quand nous
sommes en l'oraison, encore que nous y ayons quantité de distractions, qui sont
comme des mouches importunes ; si, néanmoins, elles nous déplaisent, et
que nous fassions ce qui est en notre pouvoir pour nous en distraire
fidèlement, notre oraison ne laisse pas d'être bonne et agréable à Dieu, nous
n'en devons point douter.
C'est une chose certaine, lorsque nous sommes dans le sentiment de
notre misère à l'oraison, qu'il n'est pas besoin de faire des discours à
Notre-Seigneur pour la lui représenter ; il est mieux de nous arrêter dans
notre sentiment qui parle assez à Dieu pour nous ; il est toujours mieux,
assurément, de nous arrêter paisiblement dans les sentiments et affections que
Notre-Seigneur nous donne, que d'agir de nous-mêmes. Enfin, mes chères filles,
approchez-vous de Dieu avec le plus de simplicité qui vous sera possible, et
soyez certaines que l'oraison la plus simple est la meilleure. Oui, mes chères
filles, lorsque Dieu nous donne de grandes affections et désir de nous exercer
dans l'humilité, il est bon de le faire et de jeter un regard sur les occasions
que nous aurons de la pratiquer ce jour présent, parce que les vraies servantes
de Dieu ne doivent point avoir de lendemain, ni s'étendre plus avant que sur
les occasions présentes ; elles doivent avoir un grand soin et une
fidélité toute particulière de s'exercer, ce jour-là, à la vertu sur laquelle
Notre-Seigneur nous a donné des affections particulières en l'oraison, d'autant
qu'il requiert cela de nous, et nous le donne pour cette seule fin, de nous y
voir fidèlement exercer.
Vous demandez maintenant, qu'est-ce que le dénûment intérieur ? Ma
chère fille, on n'en saurait bonnement parler, au [220] moins on ne l'entend
guère, si Dieu n'illumine l'âme ; car il faut qu'il mette une certaine
petite chandelle au fond du cœur, pour lui faire voir ce de quoi il faut
qu'elle se dépouille. Or, il y a mille et mille choses dont on se doit
dénuer : de son propre intérêt, satisfaction, des consolations et
sentiments de Dieu, de sa propre estime et de son choix ; certes, celles
qui sont conduites dans ces voies, vont perpétuellement retranchant leur choix
en toutes choses généralement, et Notre-Seigneur les tient en ce continuel
exercice ; et lui-même les va dénuant, et prend plaisir de les voir dans
cette nudité et impuissance, trop délicates pour en pouvoir discourir.
SUR LES CAUSES QUI METTENT OBSTACLE À LA PERFECTION.
Mes chères Sœurs, je pensais vous pouvoir servir encore aujourd'hui,
mais la divine Providence en a bien disposé autrement, car Sa Majesté veut que
je parte. Je n'ai rien à ajouter, mes chères filles, à ce que je vous ai dit
l'autre jour, en l'entretien du dimanche, que ces deux mots : Nous
n'avons besoin que de bien faire. Je vous conjure donc, autant qu'il m'est
possible, de bien employer les bons mouvements, inspirations et lumières que
Dieu vous donne, et de les réduire en bons effets ; car j'ai appris, par
l'expérience des choses de la religion, qu'il y a quatre causes ou racines d'où
procède tout notre mal, et qu'à ces quatre causes sont opposés quatre chefs
principaux qui sont comme la source de notre bonheur.
La première est que nous ne connaissons pas assez la grandeur et
l'excellence de l'état religieux, ni l'essence des vraies [221] et solides
vertus qui s'y pratiquent, la véritable humilité, la patience et autres ;
cela est une ignorance d'où proviennent les autres maux ; car, voyez-vous,
pour opposer maintenant le bien contraire, une âme qui s'étudie, tant par la
lecture, par la méditation, les conférences, qu'autrement, à connaître la
grandeur de l'état religieux, avance et profite par-dessus les autres, et cela,
parce qu'elle détruit l'ignorance, grande source du mal, et acquiert la
connaissance, qui est l'acheminement aux biens que lui offre l'état religieux.
La seconde cause de notre mal est que nous n'avons pas assez d'estime
et ne prisons pas, comme il faut, les choses de la religion, lesquelles sont
toutes saintes, et ont été établies par l'esprit de Dieu, avec tant de sagesse,
qu'elles sont toutes grandement estimables, et, s'il faut user de ce mot, quasi
toutes adorables.
Estimez et prisez donc grandement tout ce qui se pratique en la
religion, comme s'accuser au chapitre, recevoir une humiliation au réfectoire,
pratiquer un acte de cordialité et douceur. Ces moyens sont très-précieux pour
nous enrichir ; nous ne devrions jamais laisser échapper telles occasions
sans avoir un certain marrissement de cœur, qui procède de l'estime que nous
faisons de ces pratiques. Car, voyez-vous, dans le monde, une personne avare
qui estime l'or et les richesses, ne perd point d'occasion d'en amasser ;
et, pourquoi cela ? parce qu'elle les estime et qu'elle veut être riche.
Elle ne trouverait pas un double qu'elle ne le ramassât ; elle a beau
trouver de la paille, elle n'en recueille point, parce que c'est une chose
commune qu'on n'estime pas. Nous devons faire ainsi, mes très-chères Sœurs,
priser et estimer toutes les choses de la religion plus que les mondains ne
prisent l'or, et avoir une sainte ambition, ou plutôt une sainte superbe, de
nous enrichir de ces biens ; pour cela, il ne faut point perdre
d'occasions d'en amasser.
La troisième cause de notre mal, est que nous n'avons pas de vrais
désirs de la perfection que requiert l'état religieux. Nous avons bien quelques
petits désirs, mais ce sont des désirs lâches, froids, sans vigueur et qui sont
de peu de fruits. À cette cause, sont opposés les désirs vrais et ardents qui
sont efficaces. Je suis assurée qu'il n'y a aucune d'entre nous qui, si elle
avait un vrai désir de surmonter quelques-unes de ses passions ou mauvaises
habitudes, pour invétérées qu'elles fussent, n'en rapportât quelque victoire
dans quelques semaines, ou, pour le moins, dans quelques mois. Vous savez la
réponse que fit saint Thomas à sa sœur, quand elle lui demanda quelque moyen
pour être bientôt parfaite. Il lui dit : En le voulant. Il ne faut
que cela ; ayez un vrai désir, et je vous assure que vous arriverez
bientôt à la perfection. Je vois tous les jours, dans le monde, des personnes
qui désirent faire fortune et être en crédit ; que ne font-elles pas pour
cela, et avec quel soin travaillent-elles ! et pourquoi ? pour des
biens périssables, pour avoir un peu de terre qui leur est commune avec les
autres hommes. Et nous autres, mes très-chères Sœurs, avec quelle ardeur devons-nous
désirer faire fortune pour le ciel, et comment devons-nous travailler pour
acquérir les biens perdurables qui nous sont communs avec Dieu et les
Anges ?
Je passe à la quatrième et dernière cause d'où procède notre mal, qui
est un défaut de courage pour l'entreprise du bien et de la vertu, car
plusieurs désirent la perfection et en parlent fort bien ; mais, à la
moindre difficulté qu'ils rencontrent en l'exécution de leurs désirs, ils
perdent courage. Il y en a aussi d'autres qui reconnaissent le bonheur de la
vocation religieuse, qui l'estiment et ont de grands désirs de la vertu ;
mais un dernier point leur manque : ils n'ont pas le courage fort pour
résister aux tentations et supporter les contradictions qui se [223]
rencontrent en l'exercice des vertus ; cette dernière cause est bien
contraire à la grandeur de courage et à la générosité. Il est, certes, besoin
d'en avoir pour surmonter les difficultés que l'on éprouve souvent dans la
pratique du bien, à cause de la misère de notre nature ; car, par exemple,
s'il vous semble que vous n'avez pas bien ce qu'il vous faut, toutes les
commodités du corps, et qu'il se plaigne et murmure, il faut surmonter tout
cela généreusement et dire : Eh bien ! s'il me manque quelque chose,
je serai bien aise d'avoir cette occasion de souffrir quelque petite chosette
ou incommodité. Vous vient-il aussi quelque petite ambition ou envie d'être
aimée, d'être préférée et telles autres choses semblables ? il faut
surmonter cela. Une âme généreuse ne s'amuse point à ces fantaisies et désirs ;
elle a des prétentions bien plus relevées, car elle aspire à la véritable
perfection religieuse, laquelle ne consiste pas à bien faire une cérémonie,
chanter au chœur ; non, ce n'est point cela qui fait le religieux et la
religieuse, mais à bien pratiquer les vraies et solides vertus que requiert
l'état où l'on est.
O mes très-chères Sœurs ! connaissez et reconnaissez l'excellence
et dignité du bonheur de la religion ; estimez-le et prisez-le au-dessus
de tout ce dont le monde fait état. Ayez de vrais désirs de la
perfection ; et, enfin, ayez un grand courage pour effectuer ces bons
désirs, et pour vaincre et surmonter les difficultés qui se rencontrent en
l'exercice de la vertu. Nous ne savons pas en quoi consiste l'essence de la
vraie vertu et oraison ; ce n'est autre chose que d'être toujours prêtes à
recevoir toutes sortes d'obéissances, et tenir notre âme unie à la volonté de
Dieu autant qu'il nous est possible. L'âme qui peut dire, en vérité, qu'elle
est toujours disposée à tout ce qu'on lui voudra commander, est toujours en
oraison. [224]
(Fait le 14 septembre 1624)
SUR LES QUALITÉS QUE DOIT AVOIR LE VRAI ZÈLE, ET SUR LES
FONDEMENTS DE LA SOLIDE VERTU.
Je suis bien aise que vous me fassiez cette demande, mes chères
Sœurs : Comment les Sœurs professes doivent être zélées à prendre l'esprit
de leur vocation, et à servir de bon exemple ? J'y réponds, en vous
assurant que c'est une question bien importante, et que les Sœurs doivent
très-assurément nourrir dans leurs cœurs, une grande jalousie et un zèle ardent
de se bien édifier les unes les autres, et tous ceux avec qui elles conversent,
et qu'elles aient un grand soin de prendre l'esprit de leur Institut, pour
procurer que celles qui nous suivent le prennent aussi ; mais ce zèle ne
doit pas être pointilleux, picoteux, impatient, il ne faut même pas que celles
qui sont en charge pressent trop les esprits. Le zèle de notre Bienheureux Père
n'était point tel : c'était un zèle qui le faisait prier, donner bon
exemple, exciter, encourager, et supporter les âmes ; il ne les pressait
point, mais les attendait longuement avec une patience et débonnaireté
admirables, les aidait de tout son pouvoir, sans plaindre sa peine, ni sans
épargner sa charité, puis laissait le reste à la Providence de Dieu. Il ne faut
point aller chercher d'autre doctrine que celle de ce Bienheureux Père de nos
âmes pour bien exercer notre zèle. Voici donc ce qu'il faut faire :
recourir à l'oraison, aider, supporter, et donner bon exemple à nos
Sœurs ; celles qui sont en charge, par leurs avis et enseignements, et les
autres en se parlant et encourageant ensemble.
Mon Dieu ! mes Sœurs, à quoi devons-nous prendre plaisir, sinon à
parler de Dieu, de l'éternité, du bonheur de notre [225] vocation, de l'amour
et fidélité que nous devons avoir à bien prendre l'esprit de notre saint
Institut, et pour le conserver soigneusement ; nos discours ne doivent
être d'autre chose, lorsque nous avons congé de nous entretenir en particulier,
surtout soyons d'une grande observance. Tâchons de servir de bon exemple, parce
qu'on ne saurait dire le bien qu'apporte dans une maison religieuse une fille
de bonne édification ; mais que tout ce que nous faisons pour la donner se
fasse avec le seul désir de nous rendre toujours plus agréables à Dieu, et par
ce seul motif de son pur amour, et que ce soit cet amour seul qui anime notre
zèle.
Or sus, mes chères filles, il faut que je vous donne trois fondements
pour établir notre zèle et notre vertu, afin qu'elle soit solide : le
premier est d'être entièrement dépendantes du soin paternel de notre bon Dieu
et de nos supérieurs, sans avoir aucun soin de nous-mêmes ; non, ne pensez
point à ce que vous ferez et à ce qui vous arrivera ; abandonnez toute
votre âme, votre esprit, et même votre corps, dans le sein de la divine
Providence ; et à celui de l'obéissance, et même le soin de votre
perfection ; car Notre-Seigneur en aura assez, ayant plus d'amour et de
soin pour nous que la mère la plus passionnée n'a de nourrir et élever son
enfant. Oui, certainement, mes chères Sœurs, Dieu pense plus, par le menu, à
nos nécessités, pour petites et minces qu'elles soient, en a plus de soin
qu'une tendre mère et nourrice ne fait de son petit qu'elle aime tendrement.
Sachez pourtant que la mesure de la Providence de Dieu sur nous est celle de la
confiance que nous avons en lui, et que son soin est d'autant plus achevé, que
notre abandonnement entre ses mains sacrées est plus parfait et plus entier. Je
ne veux pas que vous vous lassiez de travailler fidèlement à votre perfection ;
mais je vous dis seulement que les voies et les moyens d'y parvenir vous
doivent être indifférents ; laissez-vous donc tourner, manier et façonner
tout au gré du bon [226] plaisir éternel, par la voie de l'obéissance, sans
permettre à votre esprit de discerner ce qui lui est propre ou non, comme de
penser : pourrai-je bien faire cette charge ? ou bien : je
ferais mieux l'autre ; je serais bien mieux avec cette Sœur, qui a plus de
rapport à mon humeur, qu'avec celle-là. Laissez tous ces discernements pour
vous laisser incessamment à la conduite de Notre-Seigneur.
Le deuxième point, c'est qu'il ne faut chercher que Dieu, ne vouloir
que Dieu, ne prétendre que Dieu. Ah ! si vous ne cherchez que Dieu, vous
le trouverez partout ; par exemple : une fille va faire l'oraison,
l'obéissance l'en retire tout incontinent pour l'employer ailleurs ;
infailliblement, elle trouvera autant Dieu dans cette occupation qu'en
l'oraison. Je vous avoue que ce sera, possible, avec moins de satisfaction et
de doux repos ; mais sachez que Dieu se trouve mieux aussi où il y a plus
de l'abnégation, que de plaisir pour nous. Si vous ne cherchez encore que Dieu,
mes Sœurs, vous serez indifférentes pour vos emplois, pour vos charges, pour
votre séjour et pour tout ce qui vous concerne, d'autant que vous trouverez
partout ce bon et grand Dieu de votre cœur, parce qu'il ne se trouve jamais
mieux qu'en l'obéissance. C'est en cette divine indifférence qu'on trouve
enclos le document de notre Bienheureux Père : Ne demandez rien et ne
refusez rien ; c'est le dernier qu'il nous a donné, parce qu'il
contient tous les autres ensemble, puisque nous trouvons dans sa pratique,
celle de l'humilité, douceur, simplicité et mortification, parfaitement
comprises ; mais, plus que toutes vertus, ce document contient encore la
parfaite dépendance du bon plaisir de Dieu, et l'entière perfection comprise
dans nos saintes règles et constitutions. Le Bienheureux nous désirait fidèles
à cette pratique ; c'est aussi mon unique désir sur vous, mes chères filles ;
et, comme je sais qu'il n'y a rien de plus parfait que cette pratique même, je
l'honore et la prise infiniment, me souvenant du zèle avec lequel ce
[227]Bienheureux Père nous la recommandait spécialement, trois ans avant sa
mort, qu'il avait si fréquemment ces paroles à la bouche : Ne demandez
rien et ne refusez rien, mes filles. O Dieu ! que celles qui
pratiquent bien cet admirable document possèdent une grande tranquillité, parce
qu'il conduit promptement et fidèlement à la plus haute et sublime perfection.
Vous me dites qu'il ne faut donc pas demander ses nécessités ?
Pardonnez-moi, mes Sœurs, il faut demander simplement et confidemment ce que
vous avez besoin : la constitution l'ordonne ; mais il faut prendre
garde de ne demander que le nécessaire, et non ce qui plaît, que nous
n'eussions pas même pu avoir dans le monde, et ne vouloir pas, si à point
nommé, tout ce qui est de nos inclinations, ne voulant rien souffrir. Non, mes
filles, il faut être plus mortifiées, une âme religieuse devant aimer souverainement
les souffrances et la pratique de son vœu de pauvreté ; par exemple :
nous commencerons à avoir un peu froid ; nous voulons aussitôt des habits
et couvertures. Le chaud vient : nous voulons soudain tout poser plus tôt
que les autres : cela marque une grande tendreté et trop d'attention sur
nous-mêmes, qui me fait quelquefois un peu mal au cœur, ne voyant pas mes
filles aussi parfaites que je les voudrais. Je vous dirai encore, que ce
document de notre Bienheureux Père tendait surtout à ce dénûment du trop grand
soin de nos corps, sachant que les femmes et les filles sont pour l'ordinaire
fort tendres, trouvant que tout leur fait mal, que tout les incommode, que tout
nuit à leur santé, que ceci leur est propre et que cela ne le leur est
pas ; je suis mieux ici que là ; cet air m'est bon, l'autre me nuit,
et mille autres petites faiblesses qu'une âme saintement généreuse et bien
attentive à Dieu n'a pas. Mais, savez-vous à quoi tendait souverainement ce
dernier avis de notre saint Père : Me demandez rien et ne refusez
rien. ? C'était pour délivrer et affranchir nos esprits de tant de
pensées, de tant de réflexions et desseins que les âmes qui ne sont [228] pas
dénuées d'elles-mêmes ont encore, ce qui leur cause des grands troubles et
inquiétudes. Si l'on emploie telles personnes à des charges ou à des
fondations, elles se tourmenteront dans le tracas et dans les petites
contrariétés et difficultés, dans les privations de leurs petites commodités
qui les étonneront : « O mon Dieu ! diront-elles, je suis si distraite,
si inquiète, je ne saurais me tenir à la présence de Dieu ! Quand j'étais
à Annecy, dans notre petite cellule, j'étais si contente, si recueillie ;
notre Mère m'était si douce, si gracieuse ! mes Sœurs m'étaient toutes si
cordiales, bonnes et condescendantes ! je m'accommodais si bien à leurs
humeurs, elles m'aimaient si tendrement !... » — Tout cela n'est pas
vertu, et ce n'est pas être vertueuses de n'être cordiales et douces que
lorsque rien ne vous contrarie, et que vous êtes dans votre cellule sans être
exercées et hors des occasions de rien souffrir, que vous êtes avec une
supérieure et des Sœurs qui approuvent tout ce que vous faites ; l'égalité
et sainte joie n'est pas merveilleuse en ces rencontres. Je crains bien, au
contraire, que nos passions ne s'engraissent parmi ce repos et cette quiétude,
et que vous ne soyez pleines de vous-mêmes, immortifiées, attachées à vos
propres intérêts et satisfactions ; et, si vous vous regardez bien, vous
trouverez que votre vertu prétendue n'est pas en vous, mais en votre
supérieure, en votre Sœur, en votre cellule et aux lieux où vous êtes. Si nous
ne cherchons que Dieu, nous le trouverons ici, nous le trouverons là ; et,
parce qu'il est partout, en tous lieux et en toutes personnes, et si nous ne voulons
que lui, nous serons contentes de tout et partout.
Le troisième moyen de bien établir notre vertu, c'est de recevoir
toutes choses comme venant de la main de Dieu, qui nous envoie le tout pour
notre bien et pour nous faire mériter. Une Sœur vous dira une parole
piquante ; une autre vous répondra mal gracieusement ; regardez en
cela la bonté de Notre-Seigneur, parce que, bien qu'il ne soit pas auteur du
mal ni [229] de l'imperfection de la Sœur, il a néanmoins permis que cette
parole vous fût dite, afin que vous en fissiez votre profit, en pratiquant la
patience, la mortification, le doux support, et que votre Sœur, de son côté,
s'humiliât et aimât son abjection. Nous voyons qu'on fait passer l'eau des plus
belles sources par des canaux de fer, de plomb et de bois ; cette même
eau, passant par ces canaux, vient toujours de sa source pour s'introduire aux
lieux où on la désire ; de même toutes nos adversités et contradictions
viennent de l'agréable et première source de la Divinité, bien qu'elles passent
par les créatures, qu'elles nous viennent d'elles comme par des canaux ;
il ne faut jamais regarder les moyens par lesquels ces eaux amères nous
viennent ; mais adorer la source d'où elles dérivent, jetant toujours les
yeux en Dieu dans nos peines et nos adversités, pour les recevoir de sa main
adorable. Nous devons être extrêmement aises d'avoir des occasions de souffrir
et de pratiquer la vertu, qui ne s'acquiert jamais mieux que lorsqu'elle est
combattue de son contraire, bien que Dieu nous la puisse donner dans un
instant ; mais il ne fait pas souvent de ces miracles, et veut, pour
l'ordinaire, que nous passions par la voie obscure, nous tenant dans les lieux
bas, jusqu'à ce que sa main nous élève dans son cabinet pour nous communiquer
ses secrets.
Nous nous trouvons, possible, bien éloignées des sentiments de cette
demoiselle dont par le Philothée, et qui alla trouver saint Athanase
pour le prier de lui donner une maîtresse rude et difficile à servir, afin
qu'elle pût avoir sujet, en la servant, d'endurer et de s'exercer à la vertu,
et, voyant qu'elle en avait rencontré une bonne, douce et vertueuse, qui ne la
faisait point souffrir, parce que le Saint n'avait pas bien compris son
intention, elle le retrouva de nouveau et le pria de si bonne grâce, que son dessein
fut accompli, parce que ce grand Saint lui donna une maîtresse chagrine,
coléreuse et opiniâtre, laquelle l'exerça merveilleusement et la satisfît fort
pleinement, lui [230] donna matière de profiter comme elle désirait pour
parvenir à la perfection. O mes chères Sœurs ! nous ne ferions pas de
même, car nous voulons que les Sœurs avec lesquelles nous demeurons soient si
douces, si cordiales à notre endroit, qu'elles ne nous disent pas la moindre
parole qui nous puisse toucher ou mortifier ; toutes les officières
voudraient des aides maniables et condescendantes. À la vérité, il faut bien
que celles-ci obéissent simplement, parce que la supérieure les leur a
assujetties, comme ayant l'autorité sur toutes, comme chef de la
Congrégation ; mais il ne faut pas que les officières aient de pouvoir sur
les mêmes aides de leurs charges, ains elles les doivent prier cordialement et
gracieusement, parce qu'elles n'ont sur elles qu'une autorité empruntée.
La Sœur assistante de la communauté ne doit pas aussi traiter avec un
pouvoir absolu comme ferait la supérieure, car elle n'a que celui que la Mère
lui commet, étant celle qui a été élue par-dessus toutes les autres ; ains
les Sœurs lui doivent pourtant rendre (en l'absence de la supérieure) les mêmes
honneurs et obéissances qu'à la supérieure même, puisqu'elle lui a remis son
pouvoir et son autorité.
Il ne faut donc pas que les officières usent de maîtrise sur leurs
aides, mais qu'elles leur disent humblement et doucement ce qu'il faut qu'elles
fassent, leur parlant avec un cordial respect : « Ma Sœur, vous
plaît-il de faire un peu telle chose », ou bien : « Faites un
peu cela, s'il vous plaît ? » — Les aides peuvent donner leur avis
simplement, disant : « Il me semble que ceci serait bien
ainsi », ou bien : « Nous faisions telles choses comme
cela », — et semblables petites paroles selon les occasions, puis, faire
comme l'officière voudra, sans contrôler ni témoigner des sentiments et
aversions, si on ne fait pas état de ce qu'elles ont dit. Celles qui ont les charges
ne doivent pas aussi tant faire les entendues, qu'elles ne demandent
cordialement l'avis et sentiment de leurs aides. [231]
Enfin, mes chères filles, soyez douces, gracieuses, cordiales et unies
ensemble, n'ayant qu'un cœur et qu'une âme ; supportez-vous,
entr'aimez-vous les unes les autres, et, en cela, l'on connaîtra que vous êtes
vraies servantes de Dieu et vraies filles de notre Bienheureux Père, duquel,
par tous les actes que nous ferons des vertus et des saints documents qu'il
nous a donnés à pratiquer, nous accroîtrons et augmenterons la gloire
accidentelle. Rendons-nous-y fidèles, afin de ne lui dérober ce que nous lui
devons, je vous en prie, mes chères filles.
SUR LA DÉFIANCE DE SOI-MÊME ET LA CONFIANCE EN DIEU.
Vous me demandez comme il faut faire pour bien commencer la vie
spirituelle ?... Ma chère fille, il n'y a autre chose à faire qu'à se
méfier de soi-même, se mépriser soi-même ; il se faut bien connaître, car
enfin c'est l'unique moyen pour bien commencer et prendre un bon fondement en
la vie spirituelle ; de sorte qu'il faut bien inculquer ce point aux
novices, et à toutes celles qui veulent faire profession de la vertu. C'est le
premier degré que cette connaissance de soi-même ; aussi la première chose
qui m'est tombée, ce matin en l'esprit, en me réveillant, c'est ce que dit le Combat
spirituel, « que ceux qui veulent tendre à la perfection doivent jeter
le fondement d'une grande défiance d'eux-mêmes et entière confiance en
Dieu. » Il me semble que les personnes spirituelles ne se fondent pas
assez là-dessus ; c'est pourquoi l'on voit fort peu de solide vertu. L'on
spécule tant, l'on fait tant d'état, et l'on se porte tant à ces hautes
oraisons, aux ravissements et choses délicates et extraordinaires ;
néanmoins, [232] la vraie sainteté et solide vertu consiste en cette défiance
et mépris de soi-même et confiance en Dieu.
Mon Dieu ! que je désirerais qu'on inculquât ceci aux novices et
qu'on les fondât bien en cette perfection, leur faisant connaître leur
bassesse, leur néant, leur vileté, et qu'elles ne peuvent rien d'elles-mêmes,
et que tout ce qui est de bon en elles vient de Dieu ! Elles doivent donc
tout rapporter à Lui et n'attendre rien d'elles-mêmes, mais de Lui, de sa grâce
et assistance.
Il est presque impossible, pour nous autres, que nous ne soyons pas
humbles, tandis que nous conserverons cet esprit, d'ouvrir la porte de nos
maisons, pour y recevoir toutes sortes de personnes que le monde méprise et
rebute, comme les boiteuses, aveugles, contrefaites et autres, car cela nous
tiendra en humilité devant les créatures ; et devant Dieu nous
pratiquerons une charité extrême et la plus grande que l'on saurait pratiquer,
car non-seulement ces filles et ces femmes sont rebutées du monde, mais encore
des personnes les plus saintes, car il n'y a point de religion, pour sainte
qu'elle soit, où on les veuille recevoir. Voilà donc comme la divine Providence
trouve cet expédient pour nous maintenir en l'esprit de notre Institut, qui est
un esprit de bassesse, humilité, mépris, abjection et douce charité, recevant à
bras ouverts tout ce que le monde rejette, pourvu que ces âmes aient le cœur
bien sain et disposé à vivre en humilité, soumission et obéissance.
Or, mes chères filles, l'humilité n'est autre chose que le mépris et
démission de soi-même et de sa volonté, et d'aimer son néant, misère et
abjection, de souffrir et de vouloir doucement, gaiement et amoureusement qu'on
nous tienne et traite pour ce que nous sommes. Certes, c'est aller bien avant
que d'en venir là, car cette connaissance de nous-mêmes n'est que le premier
degré de l'humilité : l'humilité produit aussi la générosité et confiance
en Dieu. [233]
Mais, vous dites, comment une âme bien imparfaite et pleine de misères
peut avoir cette générosité et confiance ? Ma chère fille, notre
Bienheureux Père avait accoutumé de dire que « plus il se sentait faible,
plus il avait de force et de confiance, d'autant qu'il n'attendait rien de
lui-même et qu'il jetait toute sa confiance en Dieu. » Il était si aise
quand on tombait en des fautes de fragilité, parce qu'il disait que cela était
bon pour humilier l'âme, et pour lui faire voir qu'elle ne doit nullement se
confier en elle-même, mais en la grâce et assistance de Notre-Seigneur.
Enfin, ces âmes doivent avoir un grand courage pour mettre fidèlement
la main à l'œuvre de leur perfection, sans s'étonner ni se mettre aucunement en
peine de se voir sujettes à tant de fautes et imperfections.
SUR LA NÉCESSITÉ DE SE FAIRE VIOLENCE ET DE VIVRE
CONFORMÉMENT AUX LUMIÈRES DE LA FOI.
S'il était en mon pouvoir d'avoir des sentiments, je sais bien que je
brûlerais toute de l'amour de Dieu et de l'amour du prochain ; or,
Notre-Seigneur ne les a pas mis en notre pouvoir. Les sentiments ne sont pas
nécessaires à la perfection et à notre salut ; sa divine Majesté les donne
à qui il lui plaît. C'est le Maître qui fait ce qu'il veut.
Il n'y a que deux choses (à faire) : éviter le mal et faire le
bien, et cela selon la raison qui nous doit conduire ; Dieu nous en donne
(pour vivre) selon icelle, et non selon nos inclinations, car ce serait vivre
en bête, les bêtes suivent leur instinct : [234] quand elles ont faim,
elles mangent ; quand elles n'ont pas faim, elles ne mangent pas ;
quand elles ont envie de crier, elles crient ; quand elles n'en ont pas
envie, elles ne crient pas. On ne les saurait faire manger ou crier
lorsqu'elles ne le veulent pas faire.
Avant que j'eusse lu la Sainte-Écriture, je pensais qu'on pouvait aller
au Ciel plus aisément, qu'il ne fallait pas tant de choses ni se tant mortifier ;
mais depuis que j'ai vu ce que Notre-Seigneur dit et ses Apôtres, je vois bien
qu'il ne faut pas vivre selon ses passions et inclinations ; qu'il faut
pâtir et endurer beaucoup, et qu'il n'y a point d'autres voies pour faire son
salut que celles des croix et des souffrances ; qu'il faut enfin vouloir
le bien et le faire, car le Ciel n'est rempli que de (bonnes) œuvres. Tout gît
donc en cela.
Voyez-vous ce Père de famille qui avait deux enfants ; il les
appelle l'un après l'autre, et dit au premier : « Mon fils, va
travailler en ma vigne ; » il répondit gaiement qu'il en était
content et qu'il s'y en allait ; néanmoins il n'en fit rien. Le Père
appelle l'autre et lui fit le même commandement, d'aller travailler en sa vigne ;
mais il répondit : Comment irai-je ? je suis déjà las, et témoigna de
la résistance et répugnance ; néanmoins il s'y en alla et travailla
fidèlement. Or, qui a accompli la volonté du Père ? C'est ce dernier qui
se met en effet (à l'œuvre), nonobstant la difficulté qu'il y avait.
Ainsi, vous voyez qu'il importe peu que nous ayons des résistances à
faire le bien et à suivre la volonté de Dieu, pourvu qu'on se surmonte et qu'on
ne laisse pas de l'accomplir. [235]
SUR LES PASSIONS, ET LA FAÇON DE LES COMBATTRE.
Non, mes filles, il est impossible de faire entièrement mourir toutes
nos passions ; nous les pouvons bien amortir, mais nous les sentirons
toujours. Il est vrai qu'elles peuvent être si endormies, que pour un peu de
temps elles ne nous travailleront pas, et qu'à force de les mortifier elles
cesseront de nous faire la guerre ; mais parce qu'elles ne sont pas
mortes, lorsque nous y penserons le moins, elles se réveilleront si bien,
qu'elles nous feront tomber en des grosses fautes. Vous direz alors : D'où
vient ceci ? je ne croyais plus avoir des passions, ou, pour le moins, je
pensais de m'en être rendue la maîtresse... Je vous répondrai : Parce que
vos passions n'étaient pas mortes, elles se font sentir, et vous font connaître
qu'elles n'étaient qu'un peu endormies, puisqu'un petit bruit les a réveillées.
Il y a bien des personnes qui, par une longue habitude à la mortification, les
ont endormies d'un sommeil si profond, qu'elles ne se réveillent pas ni si
aisément ni si fréquemment. Ces sortes d'âmes ont acquis une certaine
domination sur ces petites rebelles, que, dès qu'elles commencent à se
révolter, elles ont le pouvoir de les retenir ; et, bien que ces passions
fassent quelques échappées, elles sont soudainement en leur devoir et à
l'obéissance de la raison.
Mais celles qui ne sont que légèrement ensommeillées et qui ne sont pas
encore bien sujettes, elles se réveillent souvent et donnent bien de la besogne
et de la peine ; elles requièrent de l'âme une grande attention sur
elle-même, et beaucoup de fidélité à la mortification pour les mieux ranger et
dompter.
Mes chères Sœurs, il y a des âmes qui ont leurs passions [236]
accoisées parce que rien ne les contrarie ; (ce n'est pas à dire qu'elles
soient vertueuses pour cela,) car enfin la vertu solide ne s'acquiert qu'au
milieu des contradictions. Une personne ne se peut pas dire patiente
lorsqu'elle ne souffre rien. Il ne faut que mettre ces âmes-là dans les
occasions pour les connaître ; elles verront elles-mêmes, par leurs faux
pas, que leur vertu n'était qu'une vertu apparente et qui ne subsistait que
dans. leur imagination. Elles ressemblent à ces rivières qui coulent si
doucement lorsque le temps est calme et que rien ne s'oppose à leur
course ; mais, à la moindre bouffée de vent qui survient, les ondes s'élèvent
et font grand bruit ; leur calme ne procédait pas d'elles-mêmes, mais du
vent qui ne battait pas sur elles. Je conseille à ces sortes de personnes de se
bien humilier, parce que je les-assure que leur vertu n'est qu'un fantôme ou un
simulacre qui n'est rien moins que vertu. Notre-Seigneur permet que leurs
passions s'élèvent et qu'elles donnent du nez en terre, pour les tenir plus
humbles et petites à leurs yeux, leur faisant connaître leur impuissance et ce
qu'elles sont sans son secours. Pour nous tenir donc dans cette connaissance si
utile à nos âmes, il permet que nous fassions des plus grands manquements
lorsque nous avons formé les meilleures résolutions et que nous nous persuadons
de vouloir faire des merveilles. O Dieu ! mes Sœurs, que la créature est
peu de chose d'elle-même ! Elle ne doit rien attendre que de la grâce de
son Dieu, car, je l'assure, elle n'est rien du tout ! Que serait-ce si
nous ne faisions point de ces fautes qui nous fout aimer notre abjection ?
nous croirions être saintes. O mes filles ! bienheureuses seront celles
qui font de ces grosses imperfections qui leur donnent bien de la confusion aux
yeux des créatures, car je les assure que si elles savent bien en faire profit,
et tel que Dieu désire, elles se rendront fort agréables à ses yeux divins.
Vous demandez si le démon nous peut donner des passions ? Non, ma Sœur,
nos passions sont en nous-mêmes ; qui les a [237] plus, qui les a moins
fortes : le diable les peut émouvoir, selon le pouvoir que Dieu lui donne,
parce qu'il ne peut rien sans cette divine permission ; mais il ne peut
pas en donner, car les passions nous sont naturelles et nous les avons dans
nous.
Ce qu'il faut faire, dites-vous encore, lorsque tout à coup on sent
toutes ses passions émues ? Il ne faut pas se violenter à faire quantité
d'actes pour les vaincre et les ramener au devoir, parce qu'elles nous
pourraient surmonter ; mais, dans la partie suprême de notre âme, il nous
faut joindre seulement au bon plaisir de Dieu, nous humilier ; et, au
partir de là, nous tenir en paix et le plus tranquillement que nous pourrons
auprès de Dieu. Enfin, il nous faut faire comme nos grangers ont fait
aujourd'hui sur leur bateau qui conduisait notre blé sur le lac. Ils se sont
trouvés subitement en un très-grand péril ; dans un instant ils ont vu
s'élever une violente tempête qui allait sans doute les submerger avec le
bateau et tout ce qui était dessus. Hélas ! qu'ont-ils fait ? Ils ne
se sont pas opiniâtrés de vouloir prendre le droit fil de l'eau en traversant
ces grosses ondes ; non, ils se seraient perdus faisant de la sorte ;
mais ils ont très-sagement conduit leur barque, tout doucement, au rivage, et
ont suivi les petites ondes ; par ce moyen ils sont arrivés, en évitant
l'orage et non en le combattant.
Mes Sœurs, voilà un petit modèle de ce que nous devons faire, lorsque,
voguant en grande paix dans notre petite navigation, nous sentons, sans y
penser, toutes nos passions s'élever et causer en nous un grand orage, comme si
elles nous devaient abîmer ou nous entraîner après elles ; il ne faut pas
vouloir calmer nous-mêmes cette tempête, mais nous approcher doucement du
rivage, tenant notre volonté ferme en Dieu, côtoyer les petites ondes, pour
arriver, par l'humble connaissance de nous-même, à Dieu, qui est notre port assuré.
Cheminons bellement, sans effort, et sans rien accorder à nos passions de ce
qu'elles désirent, et faisant ainsi, nous arriverons un peu [238] plus tard à ce divin port ; mais avec plus de gloire que si nous
avions joui d'un calme parfait et que nous eussions vogué sans peine.
Mes chères filles, êtes-vous satisfaites sur vos demandes ? Je le
souhaite bien fort, et que nous fassions toujours notre profit de tout. Dieu
nous en fasse la grâce.
SUR LA MORTIFICATION DES INCLINATIONS NATURELLES.
(Un jour, notre digne Mère revenant de la seconde table, s'agenouilla
devant le Saint-Sacrement, où elle prit une splendeur de visage, une sérénité
et une fermeté tout extraordinaire, et nous dit, dès quelle fut assise, à la
récréation :)
O Dieu ! que faisons-nous en cette vie, mes chères Sœurs ? Je
vous puis assurer, que je n'eus jamais une si claire vue de la bonté et de la
beauté de la mort, comme je l'ai maintenant. Hélas ! que faisons-nous
ça-bas en cette misérable vallée de pleurs, éloignées de Dieu, où il ne se
trouve point de solide vertu ! où il n'y a guère de véritable humilité ni
de vraie simplicité ! où l'on trouve si peu d'âmes totalement abandonnées
entre les bras de Dieu !
Quelle est celle d'entre nous qui voudrait toujours être ravalée,
humiliée et avilie ? O Dieu ! s'il faut demeurer ça-bas, au moins
faut-il que ce soit pour y pratiquer les solides vertus. Pour cela, mes chères
Sœurs, je me résous de ne point flatter vos inclinations, mais de les rompre,
et de n'en pas contenter une de toutes celles que je connaîtrai. Eh Dieu !
nous marchons trop en enfants, cela me fâche. Il faut céans, je veux dire que
[239] les filles de cet Institut pratiquent les actes des vraies, grandes et
héroïques vertus. Je vous puis bien assurer que si le premier pas de cet
Institut était à faire, l'on y marcherait d'un autre biais que l'on n'a pas
fait jusqu'à présent, au moins si j'avais le sentiment que j'ai maintenant. Je
suis absolument déterminée de vous bien mortifier, et de contrarier vivement
toutes vos inclinations. Oui, je le proteste, mes Sœurs, à la vue et la face de
notre Dieu, que je vous mortifierai, humilierai, et agirai avec plus de force
d'esprit que je n'ai jamais fait, et je me repens bien de ne l'avoir pas fait
plus tôt. Mais, désormais, je ne veux plus de niaiseries ; il faudra
rompre ou faire, et jamais fille n'aura ma voix, que je n'y voie bien tout ce
qu'il faut et tout ce que je désire, et toutes tant que vous êtes,
préparez-vous à être conduites par un nouvel esprit, car je suis chargée de nourrir
les filles de notre Bienheureux Père, et je ne puis pas le faire sans les
mortifier et humilier. J'ai changé les officières et les livres ; mais si
j'entends sur cela le moindre signe de répugnance et d'inclination, je vous
humilierai puissamment. Au reste, mes Sœurs, je ne vous mortifierai point selon
mes inclinations ou aversions, car il n'y a pas une de nos Sœurs pour qui j'aie
inclination, attache ou aversion particulière de la grosseur d'un ciron. Ce
n'est pas que je ne sois bien imparfaite ; mais je garde mes inclinations
pour moi, et quant à mes Sœurs, je les conduis comme je crois le devoir faire,
selon Dieu et ma conscience, et je mortifierai chacune d'elles autant que je
verrai le devoir faire et qu'il sera nécessaire, avec plus de force d'esprit
que je n'ai jamais fait.
Ma Sœur la directrice, mortifiez bien ce peu de novices que vous
avez ; s'il s'en trouve qui soient si vives qu'elles ne puissent souffrir
qu'on les mortifie, en sorte qu'à cause de cela elles font toujours plus de
fautes, je ne suis point d'avis qu'on les en tienne quittes ; mais
savez-vous le remède ? il faut doubler, et puis tripler, et retripler.
[240] Vous n'avez que ma Sœur N. de (novice) blanche, elle est prou
immortifiée, mais mortifiez-la bien. Et si vous ne voulez pas tomber, notre
novice, tenez-vous ferme... Vous répondrez que cela vous donnera bien du
travail ; tant mieux, pourvu que vous ayez un grand courage pour avaler
les médecines spirituelles qu'on vous donnera, et pour laisser mettre les
cataplasmes sur vos plaies sans dire, holà !
Certes, qui voudra vivre selon ses inclinations ne vienne plus céans,
et comme dit notre bienheureux Père : « Qui voudra se servir de sa
propre volonté, il la lui faudra aller donner, hors de la porte, car dedans il
ne s'en parlera plus, Dieu aidant. » C'était le sentiment qu'avait ce
Bienheureux sur la fin de sa vie. Il me dit à Paris : « Je suis
très-résolu de ne point trahir les âmes ni de les flatter. N... N... s'adresse
à moi, je lui dirai franchement ses vérités. Qui voudra suivre ses inclinations
ne vienne point à moi ; qui voudra vivre selon Dieu, qu'il y vienne, je le
servirai de tout mon cœur... »
Il dit ces mêmes paroles à une personne qui ne s'amendait pas ;
elle n'eut pas le courage ni la force pour le supporter, si qu'elle rompit, et
il la laissa rompre.
Si je ne conduis pas bien mes Sœurs, ce sera par faute d'intelligence
et non par malice de volonté, car, grâces à Dieu, sa bonté m'a donné une
volonté droite ; mais pour les péchés d'ignorance, sans malice, j'ai
appris de mon Bienheureux Père que ces péchés-là sont fort peu de chose devant
Dieu. Par sa grâce, je n'ai rien qui me tienne attachée, j'aime bien toutes mes
Sœurs, et il n'y en a aucune à qui je me sente attachée le moins du
monde ; et, bien que j'aie toujours cette inclination de retourner en ce
monastère (d'Annecy) dès que j'ai achevé ce que j'ai à faire dans les
autres ; je ne suis que la volonté de notre Bienheureux Père, car je lui
demandai, s'il venait à mourir, ce qu'il lui plaisait que je fisse, il me
dit : « Vous demeurerez en la barque en laquelle je vous ai
mise. » [241]
Pour conclusion, mes chères Sœurs, je vous annonce que je vous
mortifierai sans inclination ni aversion. Je vous ai promis que je contrarierai
fortement et fermement vos inclinations, et vous proteste que je tiendrai ferme
en ce dessein ; et celle qui ne voudra pas que ses inclinations soient
rompues, qu'elle soit soigneuse que je ne les voie pas ; car, tout autant
que j'en verrai, autant j'en ruinerai, Dieu aidant.
SUR L'AMOUR-PROPRE ET LES DOMMAGES QU'IL FAIT EN L'ÂME.
Il y a des âmes qui sont si pleines d'elles-mêmes, qu'on le voit en
tout ce qu'elles font, soit en leur ouvrage, en leurs paroles et façon de
faire ; mais il y en a encore de plus fines : elles
dissimulent ; et, cependant, quand je leur parle, je vois danser leur
amour-propre par là-dedans. Ah ! il faut avoir un grand soin de se vider
de soi-même par une entière abnégation et mortification.
On demande si une âme ne peut pas être bien remplie de soi-même sans le
connaître ? Oui, cela se peut bien ; mais, certes, ces âmes-là ne
lisent pas les Entretiens de notre Bienheureux Père et ne pénètrent pas assez
avant en cette vraie science, laquelle ne nous enseigne rien tant que
l'anéantissement de soi-même ; car, si on les lisait bien et qu'on les mît
en pratique, nous serions de plus braves filles que nous ne sommes pas. Certes,
je voudrais que nous fussions toutes parfaites de la perfection que ce
Bienheureux nous a enseignée. Nous sommes de bonnes filles, il est vrai ;
nous allons bien à l'Office, nous gardons le silence, cela est bon ; nous
ne faisons pas de répliques à l'obéissance, cela est bon aussi ; mais ces
âmes qui font si [242] bien les choses extérieures, ont-elles quelque exercice
intérieur ? Non... Ah ! donnez-leur-en un peu, et, par là, vous
connaîtrez ce qu'elles sont. Piquez-les, et vous verrez si elles sont vives et
sensibles, et comme elles ménageront leurs sentiments ! Je sais bien que
pour avoir des sentiments et des passions vives et promptement émues, quand on
nous reprend, cela ne veut rien dire, et n'empêche point la perfection, pourvu
qu'on ne les suive pas. Mon Dieu ! cette doctrine nous a tant été
enseignée ! Que celles donc qui n'ont point les passions fortes ni de
ressentiments de répugnance ne s'estiment pas les plus parfaites ; ains,
au contraire, celles qui les ont plus fortes, ont bien plus de moyens de
s'établir et acquérir les vraies et solides vertus, si elles sont fidèles à
Dieu. Mais quand on se surmonte, dites-vous, ou qu'on fait quelque bonne
pratique, il vient une certaine complaisance et satisfaction qui gâte tout, et
nous fait tout perdre, si nous n'y prenons garde. — Vous dites vrai, ma
très-chère fille ; et quel malheur, quand, après avoir fait quelques bons
sacrifices, nous venons à nous en complaire en nous-mêmes, tout n'est-il pas
perdu ? Or, si on ne peut, ou rarement, faire le bien qu'il ne nous en
demeure quelque satisfaction, cela n'est pas mal ; mais de s'y entretenir
et de s'y complaire, c'est ce qui gâte tout. — Et que faut-il faire à
cela ? Il faut anéantir ces pensées de complaisances et vaine
satisfaction, s'humilier et chercher son abjection, donner la gloire à Dieu de
tout, et reconnaître que de nous-mêmes nous ne pouvons rien. En un mot, il faut
être fidèlement fidèle et humblement humble ; cela veut dire,
qu'il faut en toutes choses ne chercher que la gloire de Dieu, et ne rien faire
que pour lui plaire ; rien pour nous ni pour les créatures, mais tout pour
Dieu ; s'humilier et du bien et des fautes, mais d'une humilité véritable,
fidèle et sincère. Je ne vois point que nous fassions profit de nos
fautes ; nous ne nous en humilions pas assez, nous n'en aimons pas assez
notre abjection. [243]
Il y a des âmes, en religion depuis longtemps, lesquelles n'ont jamais
point de paix, parce qu'elles ne travaillent pas à une abnégation absolue de
leurs propres sentiments : on leur aura dit et redit plusieurs fois ce
qu'elles doivent faire sur ces troubles ; et, au lieu de se tenir fermes
et de se reposer en cela, et porter doucement et patiemment leur croix (car cet
état en est une), elles veulent qu'on leur dise toujours des choses nouvelles,
et ont en cela leur volonté et inclination ; de là vient qu'elles ne sont
point tranquilles, ce qu'elles seraient si elles se résolvaient à supporter
patiemment cette petite croix.
Il faut aussi animer nos actions extérieures d'une attention attentive
qui nous donne le courage de souffrir nos peines, et de travailler pour
acquérir la perfection, non point parce que c'est une chose bonne ou pour le
bien qui nous en revient, mais parce que cela plaît à Dieu ainsi. Il faut venir
céans, non pour être ferventes, mais pour travailler à une profonde humilité,
soumission, mortification et abnégation ; non point seulement pour fuir
les occasions de faire le mal et avoir plus de moyens de faire le bien, mais
pour plaire à Dieu et faire toutes choses pour son amour. On pense que quand on
a passé son année de noviciat et qu'on est coiffée de noir, que tout est fait.
Oh ! certes, vous vous trompez,
car il faut toujours commencer ; faire aujourd'hui toutes nos actions avec
autant de ferveur, comme si c'était le premier jour. Il faut souvent considérer
nos règles, et faire comparaison de ce que nous sommes avec ce que nous devons
être. Je voudrais bien que nous pensassions souvent à l'excellence de notre
vocation, et que nous tâchassions de nous rendre telles qu'elle requiert de
nous. Elle demande que nous soyons humbles, douces, obéissantes et
simples ; il ne faut point vivre selon nos inclinations et aversions :
voilà ce qu'il faudrait faire et ne point s'arrêter à l'écorce.
Je voudrais avoir des charbons de feu pour les jeter dans vos [244]
cœurs afin de les enflammer ; mais je ne suis pas digne de rendre ce
service à Notre-Seigneur ni à la maison.
Il faut agrandir notre courage pour parvenir à la perfection. Nous n'y
saurions jamais parvenir sans la mortification de nos passions. Qu'une chacune
regarde ce qui est en elle, et qu'elle entreprenne, à bon escient, son
amendement.
Nous devons nous porter un très-grand respect les unes aux
autres ; nos Règles nous y obligent ; et, certes, où il n'y a point
de respect il n'y a point d'amour.
Il faut bien prendre garde à ce vice de négligence, c'est un grand mal
pour les religieuses. Si vous êtes lâches, et que vous ne preniez soin de
purger votre cœur de cette imperfection, et que vous ne combattiez
généreusement cette mauvaise inclination, vous ne serez religieuse que d'habit.
Il y a peu de personnes qui servent Dieu purement. On est tellement
plein de soi-même que c'est pitié. On fait ses œuvres par respect humain, ou
par quelque impure intention. Je ne dis pas de ces impuretés grossières, je
n'entends pas de cela ; mais des intentions éloignées de celles que nous
devons avoir, de servir Dieu purement pour lui plaire, faisant tout pour lui
avec une affection vive et simple.
Ma fille, servir Dieu nûment et simplement, ce n'est point couvrir ni
doubler nos actions, car ce qui est simple n'est pas double ; ce qui est
nu n'est pas couvert. Regardez ma main ; elle ne saurait être plus nue ni
plus simple qu'elle n'est, et il faut que nous soyons ainsi, servant Dieu sans
avoir autre intention que celle de lui plaire. Servir Dieu purement, ce n'est
point chercher, par amour-propre, les consolations, mais le servir aussi fidèlement
parmi les sécheresses et aridités, comme parmi les sentiments et douceurs.
On connaît que l'on désire les consolations par amour-propre, lorsqu'on
s'inquiète de n'en point avoir et qu'on est plus lâche au service de Dieu. Non,
il ne faut pas les désirer... Mais [245] sont-elles quelquefois utiles ?
Oui, principalement pour celles qui commencent. Aussi voit-on que
Notre-Seigneur a coutume d'en donner en ce temps-là. Mais, nous autres
anciennes, il nous faut manger des croûtes.
Il n'y a point de doute, ma fille, qu'une âme qui serait tout le jour
attaquée de pensées inutiles et qui aurait la fidélité de ramener son esprit à
Dieu, soudain qu'elle s'en apercevrait, fera autant pour lui, voire plus, que
celle qui aurait beaucoup de facilité de retourner à Dieu et se détourner et
retirer des inutilités ; en cela consiste la vraie vertu. Que celles qui
sont en cet état-là pratiquent courageusement et fidèlement ce retour en Dieu
et qu'elles y persévèrent, car je les assure que c'est le vrai moyen d'acquérir
la perfection en peu de temps.
SUR LA GÉNÉROSITÉ À SE RELEVER DE SES FAUTES.
L'humilité et la fidélité à se relever de nos chutes, fait voir si les
goûts que l'on prend aux choses spirituelles viennent de Dieu. Une âme qui a un
naturel rude, revêche et rébarbatif, fera un grand avancement, si elle est
fidèle, et acquerra de grandes vertus ; si elle fait plusieurs fautes,
cela n'empêchera point sa perfection, pourvu qu'elle soit fidèle à se relever
et humilier. Si, ayant le désir de s'humilier de ses fautes, il lui semble
qu'elle ne le peut faire, ains que ses fautes l'aigrissent, il faut qu'elle
mette du sucre dans son cœur pour l'adoucir, disant : Or sus, mon cœur,
qu'est-ce donc ? nous sommes tombés, et ne nous inquiétons point. Eh
bien, j'ai fait une faute, on l'a vue, on t'en méprisera ; mais regarde en
ce mépris la volonté de Dieu, tu seras plus avisée une autre fois... Si
Dieu donne à [246] telles âmes du plaisir de penser aux choses
intérieures, elles ne laisseront pas de s'amender, sans qu'elles fassent
beaucoup de réflexions sur cela ; notre Bienheureux Père ne voulait pas
qu'on réfléchît tant sur soi. Mais si on voit telles âmes pleines
d'elles-mêmes, vives et immortifiées, et qu'elles ne s'amendent point des
choses dont on les reprend, ne se mettant en souci de ce qu'on leur dit ;
le plaisir qu'elles disent avoir en la pensée des choses bonnes et saintes
n'est qu'orgueil, que vaine satisfaction et propre recherche. Il est bien aisé
de connaître quand c'est Dieu qui donne de telles pensées, car l'on voit la vie
conforme à cela. Il y en a qui parlent fort bien des choses spirituelles ;
mais il faut bien prendre garde si leurs œuvres sont conformes à leurs paroles,
et si elles font aussi bien qu'elles disent, car autrement c'est de l'orgueil.
Il peut bien être que Dieu nous laisse souvent en nos faiblesses, et
que, pour cela, il nous semble toujours que l'on ne se peut humilier ;
mais il faut que je découvre cette subtilité de l'amour-propre, qui est fort
aise de dire et de croire que Dieu lui donne des exercices. « Je suis,
dit-on, bien sujette à telle faute, mais c'est un exercice que Dieu me
donne. » — D'autres, qui en rendent compte, disent : « Je suis
fort travaillée de telles peines, mais je les souffre, comme un exercice que
Dieu m'envoie. » — À telles personnes, je réponds doucement :
« Dieu n'y a point pensé. » — Elles demeurent honteuses et ne savent
que répliquer. Nous nous donnons, pour l'ordinaire, les exercices que nous
avons. Je vois peu de tentations du diable parmi nous, et, néanmoins, on lui
met tout dessus ; mais il y a beaucoup d'amour-propre et de propre
recherche. Les tentations du diable sont bien fâcheuses ; mais celles de
notre amour-propre sont plus dommageables et dangereuses, à cause de leur
subtilité.
Oui-dà, on peut bien faire une génuflexion en entrant dans sa cellule,
pourvu qu'on ne s'y attache pas ; mais j'aimerais [247] que l'on en fit
une bonne d'anéantissement de nos affections, sentiments et inclinations.
Il faut avoir une grande dévotion aux saints Anges ; il les faut
saluer quand on s'entretient ; et, quand l'on est en communauté, il est
bon de saluer les Anges de nos Sœurs, et les imiter en leur pureté, simplicité
et promptitude à l'obéissance, en leur fidélité à servir Dieu et le prochain.
SUR LA VRAIE VIE SURNATURELLE ET LE DOUX SUPPORT DU
PROCHAIN.
Vous demandez ce que c'est, vivre selon l'esprit et non selon la
chair ? Mes chères filles, c'est vivre selon les vérités et clartés de la
foi, selon les volontés de Dieu, selon sa loi, selon que Dieu nous enseigne.
C'est vivre enfin selon nos règles et constitutions, selon la raison et non
selon nos inclinations, humeurs, aversions et passions. Le grand Apôtre
dit : Dépouillez-vous du vieil homme, pour vous revêtir du nouveau qui
est Jésus-Christ.
Cela veut dire qu'il faut se revêtir de l'imitation de
Notre-Seigneur, de sa patience, de sa douceur, de son humilité et chanté et
autres vertus desquelles il nous a donné l'exemple. Oh ! que nous serions
heureuses si nous pouvions dire avec ce grand Apôtre : Je ne vis plus,
moi, ains Jésus vit en moi. — Ma vie est cachée en Dieu, et lorsque
Jésus-Christ qui est ma vie apparaîtra, alors j'apparaîtrai avec lui en gloire.
Oh ! les admirables paroles ! C'est aussi le Saint qui nous a
donné le premier des nouvelles de l'éternité, ayant été ravi jusqu'au troisième
ciel ; après quoi il nous dit que l'œil de l'homme n'a rien [248] vu,
l'oreille entendu, ni le cœur de l'homme compris ce que Dieu a préparé à ceux
qui l'aiment.
Faisons donc en sorte, mes chères Sœurs, que nous tendions à cette
perfection de mourir à nous-mêmes. Notre Bienheureux Père disait : Je
ne sais point d'autre moyen pour bien faire sinon de bien faire ; je veux dire
pratiquer la vertu. Il n'y a, certes, point d'autre secret pour être
parfait que celui-là. Voulez-vous avoir l'humilité ? pratiquez-la ;
voulez-vous être patiente ? pratiquez la douceur et la patience ;
voulez-vous mourir à vous-même ? mortifiez puissamment vos passions et
propre volonté, et ainsi des autres. On travaille bien, dites-vous, mais on ne
parvient pas à la perfection. Jusqu'à quand pensez-vous qu'il faille
travailler ? certes, jusqu'à la dernière période de notre vie. Oh !
que cette peine est bien employée ! C'est pourquoi nous aurions tort de la
plaindre et épargner.
Il fut dit à Moïse : Fais selon le patron que je t'ai
donné ; or, ce patron, c'est Notre-Seigneur, qui nous a été donné du
Père Éternel pour modèle. Voyons ce divin Sauveur, comme il a demeuré trente
ans caché, inconnu, et couvert sous la cendre de l'abjection, étant réputé vil
et abject, fils du charpentier, lui qui était fils du Père Éternel, qui avait
autant de science et de sapience au moment de sa conception qu'il en avait au
ciel et qu'il en a maintenant. Néanmoins, il n'a pas voulu, pendant ce
temps-là, faire aucun miracle pour se manifester, sinon trois ans devant sa
mort, pendant lesquels aussi il a voulu souffrir tant de persécutions et
d'injures, qu'il endurait doucement et humblement comme un doux agneau, enfin
comme il se laissa maltraiter en sa Passion ; combien d'ignominies, de
travaux, de douleurs il voulut endurer ; être crucifié, puis mourir sur
une croix, s'étant fait obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix. O
mes Sœurs ! si nous considérions bien ceci, nous recevrions, bien
autrement que nous ne faisons, les contradictions, mortifications et
humiliations qui nous arrivent ; nous nous [249]tiendrions bien plus
cachées, couvertes et rabaissées ; nous serions bien plus amoureuses de ce
Sauveur, plus zélées à chercher sa pure gloire, et plus ardentes à la pratique
de toutes les vertus.
O Dieu ! que cette parole que Notre-Seigneur dit, qu'il vomira les
tièdes, est épouvantable, car il ajoute : J'aimerais mieux que tu
fusses ou tout froid ou tout chaud ; mais, par ce que tu es tiède, je te
vomirai. Les tièdes, ce sont ceux qui sont lâches et paresseux, qui ne
veulent pas s'avancer à la vertu, se contentant d'être ce qu'ils sont. Les
froids sont ceux qui sont en péché mortel, lesquels sont plus facilement
touchés, car il ne faut quelquefois qu'entendre une prédication, lire quelque
bon livre, voir quelque bon exemple, pour les faire relever de leur
bourbier ; de sorte que cette tiédeur est plus à craindre, en nous autres,
que non pas aux personnes du monde. Nous avons de bons désirs, dites-vous. Oui,
mais à quoi vous sert cela, si vous n'en venez aux effets ? Ne savez-vous
pas que saint Bernard dit : L'enfer est rempli de bonne volonté. Plusieurs
disent : « Je veux », et ne font rien ; d'autres paraissent
mettre la main à l'œuvre pour exécuter leur bonne volonté, et puis en demeurent
là.
Certes, il faut que les Sœurs de celle maison soient grandement
généreuses, qu'elles ne soient attachées à rien qu'à Dieu ; car elles
doivent être disposées à aller en divers lieux, partout où l'obéissance les enverra.
Enfin, il faut que cette maison d'Annecy reluise et excelle en humilité,
douceur, simplicité, pauvreté, obéissance et dépendance de Dieu ; il faut
que celles qui l'habitent aient un cœur large envers Dieu, afin de recevoir
tout ce qu'il lui plaira de leur envoyer, soit affliction ou consolation, santé
ou maladie, vie ou mort ; enfin se laisser mettre en telle sauce qu'il
voudra, sans nulle résistance, sans faire aucun choix de vouloir plutôt ceci
que cela, cette croix que celle-là. Non, non, il ne faut pas de ces cœurs
rétrécis, [250] mais un cœur large envers le prochain, cela veut dire en
dilection, en amour et support, étant toujours disposé à le servir, assister,
consoler, supporter et soulager en tout ce qu'on pourra, mais gaiement et
cordialement. Un cœur large est un cœur disposé à toutes sortes d'obéissances,
un cœur étendu, qui aime souverainement la volonté de Dieu. Enfin, ceux qui ont
plus d'union avec cette divine volonté sont les plus parfaits. Nous autres,
nous ne sommes pas en peine de la connaître, car elle nous est clairement
signifiée en nos règles et par nos supérieurs ; mais le mal est que nous
ne la voulons pas reconnaître, quand elle n'est pas revêtue de la livrée que
nous voudrions.
En quoi consiste le doux support que nous devons avoir,
dites-vous ? Ma chère fille, il consiste à supporter suavement le
prochain, en tout ce qu'il pourrait dire ou faire qui ne serait pas bien et qui
vous désagréerait et serait à contre-cœur, sans nous étonner de ses manquements
et imperfections, ne les regardant ni épluchant aucunement, et ne concevant
pour cela aucune mésestime, sécheresse de cœur et dégoût contre lui ; mais
ayant une compassion tendre et amoureuse qui nous fasse fondre pour lui. Notre
Bienheureux Père dit que la charité ne cherche point le mal, et, quand elle
le rencontre, elle s'en détourne. Nous ne pouvons pas nous empêcher de le
voir, et ne faut pas penser que ce qui est mal ne le soit pas ; mais,
lorsque nous le voyons et rencontrons, allons à Dieu et rentrons en nous-mêmes,
et nous trouverons beaucoup de défauts et de choses à corriger et censurer, de
quoi il nous faut profondément humilier. Il vous vient, dites-vous, des pensées
de mésestime des Sœurs, quand vous leur voyez commettre quelque défaut ?
Oh ! qu'il se faut bien garder de s'y arrêter volontairement, pour peu que
ce soit, car ce serait, certes, bien mal et l'on ferait une lourde faute.
Non, ma fille, cet amour cordial que nous devons porter à nos Sœurs ne
consiste point au sentiment ; c'est un amour du [251] cœur, non du cœur de
la chair, mais du cœur de la volonté. Laissons tourner et virer les sens et
tout ce qui est de la nature ; que nous aimions ou que nous n'aimions pas,
que nous ayons de l'aversion ou de l'inclination, cela n'importe ; pourvu
que, selon la partie supérieure, nous demeurions fermes, invariables en cette
dilection, étant aussi disposées à leur en donner des preuves au plus fort de
nos dégoûts et aversions que parmi nos suavités et amour sensible ; car,
si nous ne marchons de la sorte, nous ne ferons jamais rien qui vaille. Il faut
aussi donner des preuves de notre amour du prochain, en priant soigneusement
pour lui ; et, certes, je voudrais que nous eussions un très-grand zèle,
pour demander à Notre-Seigneur les mêmes grâces, pour toutes les créatures, que
nous demandons pour nous.
Ne voyez-vous pas que c'est l'intention de ce bon Dieu que nous
fassions ainsi, d'autant qu'en l'Oraison dominicale il nous a enseigné de dire
toujours : Notre Père, qui êtes aux cieux, votre nom soit sanctifié,
votre royaume nous advienne... et ainsi du reste. Il y a des âmes qui ne
prient point pour les autres et qui ne pensent qu'à elles. Oh certes ! si
nous avions la charité au fond de notre cœur, nous serions sans doute excitées
à prier pour le prochain et la conversion des âmes, pour lesquelles nous devons
avoir une jalousie nonpareille et aussi pour ceux qui se recommandent à notre
Bienheureux Père, et qui ont confiance en nos prières, afin que la gloire de
Dieu soit augmentée, et la gloire accidentelle de ce sien Serviteur, étant
notre Instituteur, nous avons bien de l'intérêt à procurer sa glorification.
Prions donc franchement et fervemment pour tout le monde, afin qu'il plaise à
Notre-Seigneur de répandre ses grâces et miséricordes sur toutes les créatures,
afin qu'elles s'acheminent toutes à la fin pour laquelle il les a créées. [252]
SUR LA CHARITÉ ET LA PURETÉ D'INTENTION.
Je trouve votre raison bonne, ma chère fille, que si l'on n'est pas
bien charitable et sur ses gardes, il est fort aisé d'offenser le prochain par
la langue ; aussi l'Écriture dit : Qui garde sa langue, garde son
âme. Qui ne pèche point par la langue est un homme parfait. On offense le
prochain, ou plutôt Dieu dans le prochain, en parlant mal à propos et aussi
quelquefois en se taisant. L'on me dit du bien d'une personne que je n'aime pas
beaucoup, qui m'a fait du déplaisir, je me tais, ou je réponds
froidement : j'offense Dieu et ne suis point exempte de coulpe, car je
fais connaître que je n'estime pas celle de qui l'on parle, et ma froideur
ôtera peut-être la bonne estime qu'on en avait. Quelquefois une Sœur nous aura
mécontenté, fait quelques tricheries, ou nous ne lui aurons pas de
l'inclination ; une autre nous en dira du bien, nous répondrons quelques
petites paroles cachées qui rabattront ce bien, et feront comme une goutte
d'huile tombée sur du drap, une tache irrémédiable au cœur de cette Sœur à qui
nous parlons. Et notez que tout le mal que fera la Sœur, en suite de cette
mauvaise impression que nous lui aurons donnée, chargera notre conscience, et
nous en serons coupables et châtiées sévèrement. Dieu dit qu'il hait six
choses, mais que la septième lui est en abomination, ce sont ceux qui divisent
les cœurs et sèment des discordes entre les frères. Tâchez donc, mes Sœurs, d'éviter
toutes les paroles de rapports et de désunion, je vous en conjure de tout mon
cœur.
Vous me demandez, ma chère fille, ce qu'il faut faire quand on n'a pas
le sentiment du bien qu'une Sœur vient nous dire être en une autre ? En la
maison de Dieu, il ne faut ni vivre, ni opérer, ni même penser selon ses
sentiments naturels : qui les [253] voudrait suivre devrait demeurer au
monde. Certes, bien que nous ayons de l'aversion à une Sœur, ou qu'elle nous
ait désobligée, nous sommes cependant obligée d'en parler en bonne part et de
contribuer cordialement à ce que l'on en dit. Oh ! que notre amour-propre
est subtil et que notre nature est amatrice de ses satisfactions ! Si nous
avions de l'inclination, ou quelque obligation, ou sympathie, ou espérance de
recevoir quelque service d'une Sœur, quand on nous en viendrait parler, nous
dirions une milliasse de ses vertus, sans examiner s'il est vrai, ni que nous
craignons de mentir ; mais une autre qui ne nous touche en rien, pour
laquelle nous n'inclinons pas, nous demeurons sèches et séchons le cœur de
celles qui nous voient ; bien que souvent il y ait plus de vertus à dire
de celle dont nous nous taisons, que de l'autre. Mais c'est que nous vivons
selon l'esprit du monde et de notre sens propre, et non selon l'esprit de la
raison et de la grâce de Dieu, qui veut que, sans consulter notre inclination,
nous disions le bien qu'il met en ses créatures. On ne fait pas un petit
déplaisir ni une petite offense à ce bon Dieu quand on cèle et amoindrit le
bien du prochain, duquel il a dit que celui qui le touche, touche à sa
divine Majesté.
Quand on ne sait pas la vertu dont on loue une Sœur, il ne faut pas se
taire pour cela, mais dextrement dire du bien d'elle, quelque pratique de vertu
que l'on lui a vu faire, et cela suavement, par exemple : vous avez vu une
personne en diverses occasions être fine et mensongère, et l'on vous viendra
dire qu'elle est grandement droite et sincère ; vous ne devez pas répondre
que cela n'est pas vrai, puisqu'il est possible que, depuis que vous lui avez
vu faire ces fautes, elle se soit corrigée. Car, si bien maintenant je vois une
de mes Sœurs manquer de sincérité, je ne pourrais dire, d'ici à une demi-heure,
qu'elle n'est pas sincère, sans me mettre au hasard de mentir et de faire un
jugement téméraire, d'autant qu'à l'instant même de [254] sa faute elle a
peut-être fait l'acte de contrition en son cœur et s'est convertie. Si donc
l'on dit du bien que l'on ne sache point, il faut dire : C'est une bonne
Sœur, une bonne fille, de bon jugement... Pour misérable que soit une personne,
l'on en peut toujours dire quelque bien, ou spirituel, ou naturel, ou civil, ou
habituel.
C'est une chose extrêmement délicate que le prochain ; on n'y peut
guère toucher sans offenser Dieu. Certes, je dis très-souvent, et je trouve que
j'ai raison de le dire, si nous avions la vue bien éclairée de ce côté-là, nous
ne serions pas en peine de trouver matière d'absolution dans nos confessions.
Mais, parce que nous ne regardons pas de bien près ce qui concerne cette douce charité
envers le prochain, nous croyons avoir raison en tout ce que nous disons. Je
vous assure que nous sommes bien souvent déçues et trompées par l'inclination
propre, qui est bien dangereuse dans un monastère et dans une communauté
religieuse, ou par la subtilité de notre amour-propre, et même par la bonne
estime que nous avons de nous-mêmes, qui nous fait croire qu'il est impossible
que nous puissions nous tromper. Demandez à ma Sœur N... si je ne dis pas la
vérité.
Vous désirez ne point mentir. O Dieu ! ma fille, c'est un grand
secret pour attirer l'esprit de Dieu dans vos entrailles : Seigneur,
qui habitera dans vos tabernacles ? dit David. Celui, répond-il,
qui parle en vérité de tout son cœur. J'approuve fort le parler peu,
pourvu que lorsque vous parlerez vous le fassiez gracieusement et
charitablement, non point avec mélancolie et avec artifice ; oui, parlez
peu, mais parlez doucement ; peu et simple, peu et rond, peu mais
amiablement.
Les actions qui de soi sont bonnes, si elles ne sont bien faites, elles
ne nous rendront pas bonnes, car les œuvres justes ne nous rendent pas justes,
si nous ne les faisons saintement. Plusieurs font beaucoup de bonnes actions,
et des justes et des saintes, qui ne sont pas pourtant ni bonnes, ni justes, ni
saintes. [255] Or, mes filles, pour faire les vraies œuvres, bonnes, justes et
saintes, il faut les faire purement pour la gloire de Dieu, et parce qu'il est
bon et juste de le servir saintement, faisant tout ce que nous faisons
humblement, simplement et tranquillement, et surtout amoureusement pour Dieu,
sans se rechercher soi-même, ni aucune satisfaction propre, mais arrêter ses
yeux à l'éternité qui nous attend et que nous espérons. Rien n'est stable que
Dieu ; tout passe, les travaux comme les consolations ; tout le
bien consiste, comme dit saint Paul, à faire des bonnes œuvres.
SUR LA MÉDISANCE, LES JUGEMENTS TÉMÉRAIRES ET LA CONFIANCE
EN DIEU.
Il est arrivé céans une grande perte, de notre belle croix de cristal,
qu'on a rompue, dites-vous, ma chère fille ? Oh ! que c'est peu de
chose que cela, au prix de l'offense qui se commet contre Dieu ! Ce ne
sont que des fautes par inadvertance et inconsidération ; mais de dire des
paroles de plaintes, de murmures, de désapprobation et de contrôlement, ce sont
ces manquements que je crains, et qui me perceraient le cœur s'ils se
commettaient parmi nous. Dieu ne le veuille jamais permettre ! s'il lui
plaît ; car, certes, j'aimerais mieux voir la peste dans notre maison, et
qu'elle emmenât les filles drues et menues que telles imperfections se fissent,
d'autant qu'il importe peu de mourir, pourvu que nous mourions en la grâce de
Notre-Seigneur ; mais c'est une chose de grande importance d'offenser sa
souveraine Majesté, qui nous a fait tant de grâces et de [256] miséricordes, et
d'être cause des péchés que les autres commettent, et que commettront celles
qui nous succéderont, ensuite du mauvais exemple que nous leur aurons donné en
blessant la charité.
Véritablement, j'ai reçu une satisfaction nonpareille de la lecture de
table, car vous pensez peut-être, mes chères filles, que ces chapitres de la
médisance et jugements téméraires ne soient que pour les séculiers. Je sais
bien que nous ne faisons pas des médisances en choses d'importance, où il y a
du péché mortel, comme eux ; aussi n'avons-nous pas les sujets et
occasions qu'ils ont. Nous en faisons pourtant où il y a de bons gros péchés
véniels. Il est dit en ce chapitre (de l’Introduction à la vie dévote) que
celui qui médit, et celui qui écoute le médisant, ont tous deux le diable
dessus eux, l'un à la langue et l'autre à l'oreille. Je vous assure bien que
c'en est de même de nous autres ; celles qui disent des paroles de
murmures et parlent au désavantage du prochain, de leurs Sœurs, et celles qui
écoutent, ont aussi toutes les deux le diable dessus elles, les unes à leurs
langues, les autres à leurs oreilles. Sainte Thérèse dit à ses filles, que
quand elles verraient faire de grands bâtiments, qu'elles crient toutes
miséricorde, voire même jusqu'aux novices ; et moi, je dis qu'il faut
crier miséricorde quand vous verrez commettre telles imperfections,
dites hardiment que la ruine du monastère est bien proche. Il n'y a rien
qui soit tant à craindre, et qui dissipe tant l'esprit de l'Institut que ce
défaut de charité ; on ne peut être poussé que du malin esprit et de son
amour-propre à commettre telle faute, car ils nous portent toujours à nous
plaindre, murmurer, désapprouver, contrôler, mépriser, censurer et médire, et
ne tendent tous deux qu'à la désunion. Mais l'esprit de Dieu est un esprit de
suavité, de paix, d'union, de soumission et de support ; car la charité
est patiente, douce, bénigne ; elle supporte tout, elle ne se plaint
jamais. [257]
Vous dites que vous n'entendez pas bien ce que c'est que jugement téméraire.
Je suis bien aise que l'on me fasse cette question, parce que Dieu m'a donné
quantité de lumières pendant cette lecture, et plus que je n'en avais encore
reçu en lisant et en entendant lire ce livre de Philothée. J'ai donc vu
clairement que nos jugements téméraires, de nous autres, ne sont pas comme ceux
des séculiers, grâces à Notre-Seigneur ; nous n'avons pas les mêmes
sujets, qui souvent de leurs jugements font des péchés mortels, car ils jugent
en choses mortelles, par exemple : qu'on a bien prou dérobé, qu'un autre
se conduit fort mal et semblables. Nous autres, nos jugements ne sont, à
l'ordinaire, que péchés véniels, comme, par exemple : qu'une Sœur est mal
gracieuse, qu'elle est sèche ; nous jugeons aussitôt qu'elle nous a de l'aversion,
qu'elle ne veut pas faire ce que nous requérons d'elle ; elle aura
possible, quelque autre, chose en l'esprit, ou quelque chose à faire de pressé,
de sorte qu'elle ne pense pas à nous répondre.
Le grand mal, c'est que nous allons dire à d'autres ce que nous avons
jugé, tellement que nous commettons de grands péchés véniels ; nous
offensons la charité ; nous diminuons dans le cœur de nos Sœurs l'estime
qu'elles avaient les unes des autres, et nous sommes la cause de tous les
péchés véniels qu'elles commettent ensuite de cette mésestime.
Oh ! qu'il se faut bien garder soigneusement de laisser prendre
pied à telles imperfections ! Certes, celles qui les commettent en
commettraient de plus grandes si elles étaient dans l'occasion ; les
esprits immortifiés, présomptueux, bizarres et dépiteux, sont sujets à tomber
en ce vice. Or, de voir une chose qui est mal, ce n'est pas en juger, pourvu
qu'on ne détermine pas la chose, et qu'on s'en détourne tout promptement,
excusant le prochain autant qu'on peut, à l'imitation de notre doux Sauveur,
lequel ne dit pas que ceux qui le crucifiaient ne faisaient pas de mal, car
cela était clair ; néanmoins il les excusa. Le grand saint [258] Joseph
aussi ne pouvait pas s'empêcher de voir que Notre-Dame était grosse ;
mais, parce qu'il ne pouvait le croire sans juger qu'elle avait manqué à son
devoir, il se résolut d'en laisser le jugement à Dieu. Or, il nous faut faire
comme cela : voyons-nous quelque chose qui n'est pas bien en notre Sœur,
laissons-là et allons à Dieu ; rentrons, à bon escient, en nous-même, où
nous verrons plusieurs choses à corriger qui sont peut-être bien plus mal et
plus désagréables à ce doux Sauveur. Nous jugeons que cette Sœur n'est pas
douce et affable ; c'est nous qui ne le sommes pas. Nous jugeons qu'elle
n'a pas de charité ; mais c'est nous qui n'en avons pas ; car si nous
en avions un petit brin nous l'excuserions, la supporterions et couvririons ses
imperfections. Ne jugez point et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez
pas et vous ne serez point condamnés.
Or, je voudrais bien, mes Sœurs, que vous sussiez discerner les fautes
de fragilité, inadvertance, et qui ne tirent point de conséquence, d'avec
celles qui sont contre la charité, et qui tirent grande conséquence. Je romps
le silence, faute d'attention, par légèreté ; je dis trois ou quatre
paroles inconsidérées à la récréation, qui ne portent point préjudice, et
semblables, où il n'y a point de péché : ce sont des imperfections que
notre nature produira tant que nous vivrons, tant parfaites et avancées que
nous soyons. Mais ces fautes, où il y a de gros péchés véniels, comme de faire
des jugements sur les actions des Sœurs et les aller dire à d'autres, même
quand on ne les dirait pas, il y a toujours péché, de se plaindre, de murmurer,
parler des imperfections de ses Sœurs et à leur désavantage ; désapprouver
quelque chose du gouvernement de ses supérieures et semblables ; or, voilà
des manquements dangereux. Vous amoindrissez l'estime de vos supérieures et de
vos Sœurs, vous affaiblissez la charité et dissipez l'union suave ; vous
mettez des mauvaises habitudes en la religion, si que celles qui viendront
après vous auront bien de la peine de s'empêcher de tomber [259] dans ces
filets. Je ne sais pas si de telles fautes se commettent céans ; Dieu
veuille que non. Oh ! qu'il s'en faut soigneusement garder ! car ce
sont de petits renardeaux qui démolissent la vigne de notre âme, nous ôtent la
tranquillité d'esprit, et aux autres aussi, qui nous voient et nous entendent,
lesquelles néanmoins se doivent bien garder de favoriser ni contribuer à tels
discours, mais se doivent taire tout court, ou les détourner dextrement, car
autrement elles blessent leur conscience et se peuvent bien aller confesser
aussi bien que les autres ; d'autant qu'elles ont toutes commis de
très-lourdes fautes. Voilà donc les fautes qui tirent conséquence et qui sont à
craindre en une communauté, parce que celles qui les commettent ne sont pas
excusables ; ce sont sans doute des esprits mal faits et malicieux. Comme
aussi d'aller dire et rapporter à une Sœur quelque chose qu'on a ouï d'elle,
qui la puisse troubler, cela est, certes, bien mal. Oh ! qu'il faut bien
avoir plus de jalousie de la perfection et du repos de ses Sœurs ! Certes,
cela ne vaut rien. S'il s'en trouvait quelques-unes parmi nous qui fussent
sujettes à tomber en ce manquement et en tel vice, et qui ne travaillassent pas
puissamment pour s'en affranchir, à la vérité, j'aimerais mieux les voir toutes
raides mortes, pourvu qu'elles fussent en la grâce de Dieu, que de venir empester
tout ce monastère.
Enfin, mes chères filles, il faut avoir un grand courage, car
Notre-Seigneur ne nous appelle jamais à aucune chose, qu'il ne s'oblige en même
temps de nous tendre la main ; que craindrions-nous donc ? Quand il
faudrait aller jusqu'au bout du monde, allons-y joyeusement ; voire même
quand il faudrait souffrir le martyre, d'autant que celui qui nous y
appellerait nous donnerait sans doute toutes les grâces nécessaires pour le
souffrir généreusement et gaiement. Ne voyons-nous pas que les maîtres et les
pères ne commandent rien, sans donner en même temps le moyen de le faire
facilement ; pensons-nous que Dieu soit plus rigoureux ? C'est notre
bon Père qui nous aime plus [260] tendrement qu'il ne se peut dire, et qui peut
et qui veut tout ce qui est de bien ; appuyons-nous donc en sa bonté. Tous
les derniers documents de notre Bienheureux Père tendaient à se dénûment de
nous-mêmes et totale dépendance de Dieu et à cet esprit de générosité ? Ce
que c'est, je vous prie, que cet esprit de générosité, sinon l'esprit d'une
vraie et parfaite humilité, qui n'attend rien de soi, mais tout de Dieu,
demeurant comme une boule de cire chaude entre ses saintes mains, pour être
maniée à son gré ?
Oh ! que nous serions heureuses, mes chères filles, si à l'heure
de la mort nous pouvions dire en vérité avec Notre-Seigneur : Tout est
consommé, c'est-à-dire j'ai accompli ce que vous demandiez de moi ;
j'ai observé mes vœux, mes règles et tout ce qui dépend de mon Institut !
Je vous ai laissé, mon Dieu, former, écrire et imprimer en moi tout ce qui vous
a plu, n'ayant d'autre but, fin ni prétention que de vous aimer, et que votre
bon plaisir fût accompli absolument et entièrement en moi et en toutes
créatures, de quelque façon que ce fût.
SUR LE DANGER DE LA FLATTERIE ET LES AVANTAGES DE LA
SINCÉRITÉ.
Quant à ce que vous demandez, si le malin esprit ne se sert point
quelquefois d'une Sœur pour en tenter une autre ? Oui bien, ma fille,
lorsqu'une Sœur donne des fioles, dit des paroles de flatterie et de louange à
une autre, certes, elle fait l'office du diable et fait plus de mal qu'elle ne
pense. Notre Bienheureux Père avait une grande aversion à cela. Quand ma Sœur
la supérieure de Lyon lui dit que ses filles lui en disaient, car elles [261]
l'applaudissaient grandement, croyant en avoir quelque sujet, d'autant que
c'est une Mère aimable, et de grande vertu, il lui dit : « Quoi,
ma fille, cela se fait-il céans ? Il ne le faut point souffrir. Enfin, là
où il y a amas de filles, il y a amas de flatteries. » De même,
lorsque nos Sœurs de Moulins appelaient ma
Mère leur supérieure déposée, il témoigna qu'il ne l'approuvait
nullement, car c'était une parole de flatterie, de sorte qu'il dit :
« Si elles ne veulent se contenter de l'appeler ma Mère, qu'elles l'appellent ma Grand'Mère ; mais qui ne voit que ces filles
n'observent pas leur règle et ne l'honorent pas ? »
Prenons garde à ce défaut, à ce qu'il ne se commette point parmi nous,
je vous en prie, et que celles qui l'ont fait en prennent douze bons coups de
discipline pour pénitence. Certes, je le leur conseille, car elles le méritent
bien. Il ne faut jamais louer une personne en sa présence ; cela se fait
pourtant facilement. On va dire à une Sœur : « Je ne sais pourquoi on
vous laisse sans charge ; vous êtes, certes, capable ; vous entendez
si bien les choses spirituelles. » — Quand on est proche des changements,
on dit à une Sœur : « Ma Sœur, vous serez assistante, sans
doute. » — À une autre : « Ma Sœur, vous serez
directrice. » — À une qui sera déposée de sa charge, on lui dira :
« Vous donniez le linge si à propos ; il était si bien
accommodé ; vous donniez de si bon cœur et si cordialement ce qu'on vous
demandait et ce dont on avait besoin », et chose semblable ; que
sais-je, moi !... Pour dire du bien d'une Sœur, pourvu qu'elle ne
l'entende pas, ce n'est que bon, comme de dire : « Mon Dieu !
que telle Sœur est vertueuse, qu'elle est modeste, qu'elle est recueillie,
qu'elle est cordiale et de bonne observance ! » Cela encourage et
édifie celles qui l'entendent.
Si vous devez dire à la supérieure les pensées d'estime et de louange
que vous avez d'elle, dites-vous ? Non,
ma chère fille, vous n'êtes pas obligée de rendre compte de ces
pensées-là. Je vous conseille de ne les lui jamais
dire ; mais, oui bien, celles [262] que vous aurez contre elle et à son désavantage, et quand vous en
auriez les plus mauvaises et extravagantes du monde, dites-lui bien librement
et nettement. Enfin, mes chères Sœurs, allez toujours votre train, quelle
supérieure que vous ayez ; quand même elle serait la plus incapable et
imparfaite du monde, regardez toujours Dieu en elle. Soyez toujours disposées à
faire sa volonté, à obéir, vous humilier et vous soumettre avec toute la
perfection qu'il vous sera possible. Soyez toujours douces, modestes,
mortifiées et de bonne observance ; aimez et respectez, honorez et estimez
vos Sœurs ; soyez sincères envers toutes celles que Dieu vous donnera pour
supérieures ; si vous faites de la sorte, vous attirerez les bénédictions
du ciel sur vous et profiterez plus, en un mois, sous telle supérieure qui aura
moins de perfection et de talents, que vous ne feriez, en six mois, sous une
autre qui serait plus accomplie et à votre gré.
Si les séculiers et les Sœurs méprisaient la supérieure parce qu'elle
serait de basse condition ? Oh ! certes, ces Sœurs-là seraient bien
extravagantes et montreraient bien qu'elles n'ont pas le vrai esprit de la
religion, ains plutôt l'esprit du monde. Dieu nous garde de faire aucune
considération là-dessus, et quand il arrivera qu'on prendra garde à la
noblesse, véritablement l'esprit de l'Institut défaudra et périra. Non, la
supérieure ne doit point procurer d'être déposée pour cela, mais aimer son
abjection et animer son courage de la vraie noblesse de l'esprit de Dieu, pour
se tenir au-dessus de ses Sœurs, gardant l'autorité de son office, quoiqu'elle
doive pourtant l'exercer avec humilité. Il est séant à ces personnes de bas
lieu de faire de la sorte, et qu'elles disent franchement : « Il est
vrai, mes Sœurs, je suis une pauvre paysanne... » Mais nous avons déjà
parlé de ceci dans un chapitre sur la règle. Aux jésuites, ils ne regardent
nullement à cela, car il y avait à Bourges un recteur qui était paysan.
Vous demandez à quoi il y a plus de perfection, ou de [263] demander
ses habits d'hiver ou d'été, quand on en a besoin, ou bien d'attendre qu'on les
donne à la communauté ? Ma chère Sœur, n'allons pas épluchant ces
choses-là ; allons à la bonne foi. Quand nous sentons que cela préjudicie
à la santé, ou nous empêche de faire notre charge, ou nos exercices,
demandons-les tout simplement, et n'allons point faire ces réflexions :
suis-je trop tendre ou non ? Il ne faut pourtant pas être délicate, car il
y en a qui le sont si fort, que dès qu'elles ont un peu de chaud et de froid,
elles veulent incontinent poser ou prendre leurs habits. Je ne désire point que
nous nous amusions à ces petites vétilles de vertu. Quand je pense à la
perfection si haute, sublime et solide à laquelle nous sommes appelées, je m'en
trouve si éloignée que rien plus.
Quelle perfection c'est, dites-vous, ma chère fille ? Voyez un peu
ce que disent nos règles : que vous n'ayez qu'un cœur et qu'une âme en
Dieu. Nous voilà donc appelées à une union excellente avec Dieu et le
prochain. Il a accompli toute la loi, celui qui aime Dieu et le prochain, dit
saint Paul ; de là naîtra le support que nous devons avoir les unes avec
les autres. Notre Bienheureux Père dit qu'en ce doux support consiste toute la
perfection chrétienne. Oh ! qu'il nous désirait éminentes en cette
vertu ! combien ne nous l'a-t-il pas inculquée ! Il disait
« qu'il ne fallut pas prétendre à une perfection qui fût exempte
d'imperfections ; cela est bon pour le ciel. » Il faut que nous
souffrions d'être de la nature humaine, de sorte que nous ferons toujours des
manquements, et partant nous aurons toujours à nous supporter les unes les
autres.
Voyez aussi cette profonde humilité, obéissance, pauvreté et sincérité
que nos règles nous ordonnent et recommandent si étroitement, surtout la simplicité
dans laquelle je trouve que tout le reste est enclos. L'humilité et les autres
vertus ne peuvent être vraies si elles ne partent du cœur. C'est, à la vérité,
une grande chose qu'une âme sincère ; il faut être sincère [264] envers
Dieu et envers nos supérieurs. La sincérité envers Dieu console à faire tout ce
que nous faisons pour lui plaire et pour son amour, à ne chercher que lui en
toutes nos actions, de lui exposer nos cœurs, voulant qu'il en voie tous les
plis et replis et que rien ne lui soit caché. De même, la sincérité envers nos
supérieurs consiste à leur découvrir nettement tout ce qui se passe en nos
esprits, sans leur rien celer à notre escient car quand on a intention de leur
tout dire, c'est assez. Il faut demeurer en repos, encore qu'il semble qu'on ne
se déclare pas bien. La supérieure connaît fort bien celles qui sont sincères
ou non. Oh ! que cette sincérité est aimable ! et qu'elle est
importante pour notre perfection et pour nous aider à conserver la paix et la
tranquillité d'esprit.
Oh ! que je vous souhaite et désire cette sincérité, mes chères
filles ; c'est la marque à laquelle nous serons reconnues vraies filles de
la Visitation ; de même celles qui poursuivront seront reconnues être
propres pour l'Institut, d'autant que c'est la principale disposition qu'il
faut requérir d'elles et à quoi il faut grandement
regarder, parce que, si elles sont sincères, infailliblement elles
réussiront bien.
SUR L'OBÉISSANCE AVEUGLE.
Mes filles, j'ai eu une distraction dans le chœur, je ne sais si c'est
à Complies ou à l'oraison, de chercher une supérieure pour cette maison, et de
vous demander à toutes, si vous ne seriez pas bien prêtes d'obéir à une
supérieure bien fantasque et pour laquelle vous n'auriez guère d'estime, si
Dieu vous la [265] destinait ? Mes
Sœurs, ne voudriez-vous pas lui rendre (à cette supérieure imparfaite) une
obéissance aussi aveugle et aussi fidèle qu'à celle que vous aimez et que vous
estimez ? Je m'attends bien que vous me répondrez qu'oui, et
j'espère fort de trouver cette sainte indifférence dans vos chères âmes, tant
j'ai de la bonne opinion de votre vertu. En effet, mes chères Sœurs, si nous
obéissons pour Dieu, que devons-nous regarder en la personne qui nous commande,
pour voir si elle est à notre gré ou non ? Hélas ! si nous venions
jamais à regarder à notre propre intérêt, dans notre obéissance, nous serions
bien malheureuses d'en perdre de la sorte le mérite, qui est d'autant plus
grand, que nous obéissons avec plus de répugnance et à des personnes moins
parfaites, parce que nous avons lors plus d'égard d'obéir purement pour Dieu,
où gît la perfection de la pratique de cette vertu ; le vrai obéissant
obéit avec autant de joie, de soumission et d'indifférence, au moindre, comme
au plus relevé. Dieu, par sa sagesse souveraine, a disposé en cette manière
l'ordre de l'univers ; il a rendu toutes les créatures soumises et
dépendantes les unes des autres : l'Église entière et universelle obéit au
Souverain Pontife comme au vicaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; chaque
partie de cette divine Épouse a un chef, un évêque, auquel elle obéit ;
toutes les religions ont de plus un supérieur duquel chaque particulier
dépend ; toutes les familles particulières ont un père de famille pour la
diriger et gouverner. Je ne parle pas des obéissances et sujétions politiques,
des rois, des princes, des gouverneurs, des soldats à leur capitaine, de tout
le corps de l'armée au général ; obéissance pourtant si exacte, qu'elle
nous confondra possible devant Dieu ; mais je ne vous parle que pour vous
faire connaître qu'étant toutes destinées à obéir, nous le devons justement
faire pour suivre l'ordre de Dieu, qui doit être notre fin unique dans notre
soumission ; aussi tient-il fait à lui-même ce que nous faisons à l'égard
de la personne de nos supérieurs. [266]
Venons à la conclusion, mes Sœurs : ne seriez-vous pas prêtes
d'obéir à ma Sœur N..., si Dieu vous la donnait pour supérieure, et à ma Sœur
Françoise-Madeleine (de Chaugy), qui est la dernière de toutes, ou à quelque
autre de nos jeunes professes ; si elles vous commandaient des choses
rudes, et âpres, n'exécuteriez-vous pas exactement et à l'aveugle leurs ordres
ainsi difficiles, puisque je sais qu'il n'est céans ni jeune, ni ancienne qui,
pour rude qu'elle fût, ne voulût rien ordonner contraire à nos
observances ? Mes filles, si vous vous trouvez en cette sainte et
désirable détermination d'obéir à toutes les supérieures généralement, et que
votre cœur l'assure, qu'en vérité il se trouve prêt d'agir dans cette perfection
tout le temps de sa vie, dans une vraie humilité, sincérité et soumission,
qu'elle dise hardiment : Le Seigneur me gouverne, je n'ai besoin de
rien, et qu'elle s'anéantisse devant Dieu dans une humble reconnaissance que
c'est un don qui lui est-départi de la bonne main de son divin Maître, de
laquelle tout bien dérive ; qu'elle lui rende des humbles actions de
grâces, parce que je la peux assurer qu'elle a de la vertu. Mais que celles qui
ne se trouvent pas dans cette disposition s'humilient profondément devant sa
divine Majesté, confessant que leur vertu est bien faible et délicatement
enracinée dans leurs cœurs.
Remarquez encore ce que je vais vous dire ; pensez que je ne vous
le dis pas sans cause, et sans y avoir bien pensé avant que de vous en
parler : c'est la vraie marque d'un esprit qui ne va pas droit à Dieu et
qui n'a des égards que pour ses intérêts propres, sans savoir ce que c'est obéissance,
d'aimer plus à obéir à une supérieure pour laquelle nous sommes prévenues
d'estime et d'amitié, qu'à une autre qui nous contredirait incessamment. Mes
Sœurs, qui désire de plaire à Dieu et d'obéir à ses volontés, si son désir est
sincère, son cœur se trouve dans une totale dépendance à la divine Providence,
pour obéir à quelle personne que ce soit, parce qu'il sait que [267] tous ceux
qui lui commandent lui représentent Jésus-Christ. La communauté de céans a
souvent changé de supérieure ou de celles qui tiennent sa place, par mes
fréquentes sorties et longues absences, à cause de la multitude de fondations
que nous faisons ; mais aussi, elle n'en vaut pas moins. Non, mes Sœurs,
il n'en est aucune qui marche d'un meilleur pied que celle-ci, et elle ne
saurait être mieux qu'elle n'est. C'est une grande bénédiction de vous voir si
bonnes, mes très-chères filles ; c'est ce qui me fait souhaiter que Dieu
vous donne une meilleure supérieure que je ne suis. L'on me trouve trop
indulgente, et je vois moi-même que je n'ai pas assez l'esprit de mortification
pour vous bien exercer, pour vous contrarier, afin de vous mieux faire avancer
dans la plus liante perfection, et pour vous rendre, de bonnes que vous êtes,
excellentes et parfaites, parce qu'il faut monter toujours plus haut dans la
voie de Dieu, et il n'est point de meilleur moyen, pour faire cet avancement,
que d'avoir des supérieures bien opiniâtres, qui nous bouleversent toutes, qui
aient une façon de commander rude et forte. Ce serait lors le temps de faire
une copieuse et abondante moisson des bonnes vertus, parce que notre obéissance
serait solide. Le vénérable père, Frère Jérôme de la Mère de Dieu, étant
novice, se trouva sous un supérieur qui était d'une humeur si étrange et si
remplie de sévérité, qu'il fut prêt d'en perdre sa vocation ; mais Dieu,
ayant béni sa fidélité, lui départit le don de persévérance, et il confessa
lui-même qu'ayant été fidèle à se surmonter, il fit plus de profit, en cette
année-là, qu'en plusieurs autres ensemble, sous des supérieurs discrets, doux
et raisonnables.
Pour moi, je ne puis comprendre que nous puissions appréhender d'avoir
de ces sortes de supérieures qui auraient la tête un peu verte. Si j'étais
toujours comme je me trouve présentement, il m'est avis que je serais ravie
d'en avoir une telle qui ne m'épargnerait point, moi toute la première ;
et, assurément, je [268] suis prête, par la grâce de Dieu, d'obéir, depuis la
première ancienne de l'Institut jusqu'à la dernière novice, parce que je sais
que, lorsqu'il y a moins de la créature, il y a plus de Dieu et que je le glorifierai d'autant mieux, que je serai
moins satisfaite, dans ma partie inférieure, de celle qui me commande Mes
Sœurs, il faut nous tenir prêtes ; possible que ce temps viendra et que
Notre-Seigneur vous enverra une supérieure faite de la sorte, sous la conduite
de laquelle vos âmes feront beaucoup de profit, et vous connaîtrez pour lors
que tout le bien d'une Religion vient d'avoir des supérieures qui exercent bien
leurs inférieures, puisque leur obéissance est alors assurée, n'étant accomplie
et pratiquée que simplement et purement pour Dieu, pour sa gloire et son
plaisir, puisqu'il ne s'en trouve ni de notre part, ni de celle des
supérieures. C'est dans ces sortes de pratiques que la solide vertu se nourrit
O Dieu ! mes très-chères Sœurs, tâchons d'en acquérir un peu, de ces
grandes vertus solides, en nous appuyant tout à fait sur le secours de Dieu.
Je voudrais pouvoir écrire tout ce que je vous ai dit ce soir, afin
qu'il fût mieux gravé dans vos bons cœurs. C'est Dieu qui me l'a fait dire,
puisque c'est lui seul d'où la moindre bonne pensée nous vient. Je me suis
sentie extrêmement affectionnée à vous entretenir sur ce sujet, Dieu m'en a
pressée ; soyez donc toutes pénétrées, mes filles, de ce désir unique de
dépendre entièrement de l'ordre de la Providence. Laissons-nous entre les bras
de la divine Bonté, et laissons-lui la liberté de nous porter à droite et à
gauche ; qu'il nous suffise, je vous prie, d'être au soin de ce grand
Dieu, et laissons-nous conduire en quel lieu il nous voudra, puisque, partout
où sa main nous posera, nous accomplirons son adorable volonté par le moyen de
la sainte obéissance. [269]
(Fait en 1630)
SUR L'OBÉISSANCE PROMPTE.
Mes Sœurs, il faut que je vous fasse part de quelques nouvelles que je
viens de recevoir et qui m'ont fort consolée. C'est que ma Sœur la supérieure
de Lyon, en Bellecour, m'écrit que, comme elle pensait le moins à la fondation
de notre monastère du Puy, croyant que le traité en était ou rompu ou fort
retardé, elle vit arriver l'équipage, que la ville avait député, pour conduire
les Sœurs et les venir quérir, avec ordre exprès de partir le lendemain, de
manière qu'elle fut contrainte de préparer toutes choses pour le départ de ses
chères filles, le soir même. Elle ne les put toutes choisir, et fut contrainte
d'attendre le matin à les nommer, ce qu'elle fit, trouvant tant de véritable
soumission dans ces chères âmes, que, de toutes celles qui furent nommées, il
n'y en eut pas une qui dit une parole ou qui fit une réplique, ni qui demandât
à voir personne avant que de partir ; mais s'en allèrent toutes, soumises
à la volonté de Dieu, joyeusement travailler à sa gloire. Un acte d'obéissance
si parfait, mes chères Sœurs, est d'un grand exemple, et j'en ai été plus
consolée que si l'on m'avait avertie que l'Institut avait acquis un grand
trésor d'un million d'or.
Or, dites-moi, mes chères Sœurs, serions-nous bien prêtes à faire
ainsi ? Certes, si nous ne nous tenons toujours en disposition de faire
tout ce qu'il plaira à l'obéissance, nous ne serons pas dignes d'être filles de
la Visitation. Bien que l'on nous commanderait d'aller au bout du monde, cela
nous doit être indifférent, pourvu que nous y trouvions une maison de la
Visitation et le moyen d'observer nos vœux et nos règles. Celle qui [270] est
attachée plutôt à un monastère qu'à un autre, montre bien qu'elle ne cherche
pas Dieu purement et en simplicité de cœur, car, si cela était, elle aimerait
autant l'un que l'autre, puisque partout elle trouve Dieu. Qui ne cherche que
lui et son bon plaisir est indifférent de le trouver (ici ou là), pourvu que ce
soit toujours à la gloire de sa Majesté.
Oh ! mon Dieu ! si nos âmes ne cherchent et ne prétendent que
votre amour, pourquoi nous fâcherions-nous si l'on nous change de maison,
puisque nous vous emportons avec nous et vous trouvons vous-même aux lieux où
nous allons ? Je ne ferais, certes, nul état d'une fille, pour sainte
qu'elle paraisse, si je ne la voyais disposée à tout ce que l'obéissance voudra
d'elle, et à être envoyée au bout du monde si besoin était ; car, si elle
est attachée au lieu où elle sert Dieu, c'est signe qu'elle aime plus le lieu
et la consolation qu'elle y reçoit, que le Dieu qu'elle y sert.
Il y a trois ou quatre de nos maisons qui désirent avoir des Sœurs de
céans, et qui m'en demandent avec une instance très-grande. À la vérité, mes
chères Sœurs, vous me tromperiez fort et je serais extrêmement fâchée de ne
vous pas trouver prêtes à faire tout ce que je voudrais, et soumises aux ordres
de l'obéissance. Mais il faut vous préparer, mes filles, vous disposera ces
grands actes. Je ne vous avertirai que huit jours devant, et c'est bien trop
pour des filles parfaites, qui veulent servir Dieu au gré de sa Majesté, et non
au gré de leur amour-propre. Lorsqu'il s'agit de partir pour une mission où
l'on va sept ou huit ensemble, cela passe, me direz-vous, mais cela n'est pas
si parfait que ce que je veux de vous présentement : c'est qu'il s'agit
d'obéir pour aller, une en un lieu, l'autre en un autre, deux ici et deux là,
se séparant de la sorte pour s'unir mieux au bon plaisir de Celui pour la gloire
duquel nous faisons tous nos petits sacrifices. Il faut une vertu solide, dans
dépareilles occasions ; mais nous témoignerions de n'en point [271] avoir
du tout, d'avoir des égards sur nous-mêmes, si nous refusions d'acquérir de si
grands mérites que de tels actes procurent à nos âmes.
Mes chères filles, les bons Pères jésuites nous doivent beaucoup
encourager par leurs exemples dans de pareilles rencontres, car, pour
l'ordinaire, on ne les envoie pas plusieurs ensemble, mais un billet seul de
leurs supérieurs en fait partir un pour les Indes et deux pour le Japon.
Hélas ! où vont-ils ? parmi des infidèles, où leur vie sera en des
dangers perpétuels. Ils ne vont pas en des lieux où ils espèrent de trouver une
maison de leur sainte Compagnie, mais ils partent pour vivre comme des
personnes apostoliques, dispersées ici et là pour ramener des brebis errantes
au bercail de l'Église. Ils n'attendent aucune satisfaction, aucune commodité,
mais ils n'espèrent que l'unique et souveraine consolation de gagner des âmes à
Dieu, en exposant tous les jours leurs corps à la mort et au martyre.
O Dieu ! mes Sœurs, qu'ils sont heureux ! mais pour quel Dieu
font-ils de si grandes choses ? C'est pour le même que nous servons, mes
filles ; le désir d'augmenter la gloire d'un si grand Roi les fait aller
d'aussi bon cœur au Japon, en Éthiopie, qu'ils iraient dans un des plus grands,
des plus fameux, et des meilleurs de leurs collèges d'Europe ; nous ne
sommes, possible, pas si heureuses, pour être destinées à porter si loin la
croix de Notre-Seigneur et à faire de si grandes œuvres ; mais, au moins,
soyons toujours prêtes pour aller, pour venir, pour demeurer et pour retourner
où Dieu et nos supérieurs le voudront ; autrement, je vous déclare que
vous n'êtes pas des vraies épouses de Dieu, et que votre vertu n'est que dans
votre idée et non réelle et subsistante en Dieu.
Vous me dites, mes filles, que l'on est bien prête d'aller volontiers
où l'obéissance vous destine, mais qu'il vous lâche de quitter le précieux
dépôt du Corps de notre Bienheureux Père et de vous éloigner de votre vieille
Mère, son indigne fille ? [272]
Hélas ! ce Bienheureux veut qu'on s'attache à son esprit et non
pas à son Corps ; nous trouverons son esprit et son assistance partout.
Cette excuse n'est qu'une défaite d'amour-propre, aussi bien que celle de se
plus attacher à une supérieure qu'à l'autre ; nous ne serons pas des
vraies servantes de Dieu, qui est l'unique qualité que je vous souhaite le
plus.
SUR L'HUMILITÉ ET LA GÉNÉROSITÉ.
Je voudrais bien voir parmi nous, mes chères filles, cette vraie
obéissance, qui ne consiste pas seulement à aller promptement quand la cloche
sonne ; cela est bon ; mais encore à faire les choses qui nous sont
désagréables et à quoi nous avons de la répugnance, comme celles qui sont à
notre gré ; car celui qui est obéissant est humble, et celui qui est
humble est obéissant. Notre Bienheureux Père dit : « L'obéissance est
une marque très-assurée de l'humilité. Oh ! que les âmes humbles sont
heureuses ! »
Si nous ne visions qu'à acquérir cette vertu, y travaillant fidèlement,
et que nous fussions fermes, constantes et invariables en cette résolution,
nous ferions beaucoup, car ayant l'humilité, nous aurions toutes les
vertus : nous serions souples et obéissantes, bien aises d'obéir à tous,
et ne trouverions jamais que l'on eût tort de nous commander ceci et
cela ; nous ne nous plaindrions de personne, nous verrions que l'on a
toujours raison de nous contrarier et mortifier, et que nous en méritons bien
davantage. Nous ne nous troublerions point de nos fautes et infirmités, ains
nous les reconnaîtrions et en aimerions notre abjection et bassesse, à
l'imitation de notre Bienheureux Père, acquiesçant doucement à l'amour de cette
abjection, ainsi qu'il faisait ; car, comme un autre saint Paul, il
disait : Je me glorifie volontiers en mon infirmité, afin que la vertu
de Dieu habite en moi. C'est de l'humilité de se glorifier en son
infirmité, se reconnaître faible, infirme et aimer qu'on le connaisse, et que
l'on nous traite telles que nous sommes, c'est la vertu de Dieu. C'est une âme
humble celle qui se tient toujours pour la moindre et dernière de toutes, et
souffre qu'on la tienne et traite pour telle.
Nous faisons prou de belles résolutions, mes chères filles, mais nous
ne les établissons que sur le sentiment et non pas sur la raison, car sitôt que
le sentiment est passé, ces belles résolutions s'en vont en fumée ; il
n'en va pas de même quand nous les pratiquons par raison, d'autant qu'à force
de voir que Notre-Seigneur s'est humilié, nous demeurons invariables à le
vouloir être.
Quand nous avons des répugnances, des soulèvements de cœur, que nous
manquons de résolution, alors la raison nous fait dire : O Dieu, combien
est grande l'infirmité humaine ! Quelle raison aurai-je de me ressentir de
telle et telle chose, d'avoir des trémoussements sur un tel sujet ou parole que
l'on m'a dite ? Et de là on vient à connaître sou infirmité, sa bassesse,
à aimer, et à acquiescer doucement à l'amour de son abjection. Il est vrai que
ce n'est pas quand notre cœur est ému qu'il faut faire ces discours, car nous
trouverons que nous avons toujours raison et que les autres auront tort ;
mais, en ce temps-là, il faut pratiquer l'avis de notre Bienheureux Père, qui
est admirable en ceci : Parlez à Dieu d'autre chose, et ne disputez
point avec la tentation, ains allez-vous-en à Dieu, par un simple
divertissement. Puis, quand le sentiment est passé, alors on peut bien se
servir de ces considérations que j'ai dites, pour faire voir à son cœur qu'il avait
tort en son infirmité et peu de vertu. [274]
Quand nous avons de l'inclination à quelques personnes, c'est en cela
que nous devons témoigner notre fidélité à Dieu, et ne nous jamais servir de
leur inclination et affection pour nous conduire à la perfection ; de
même, quand nous avons de la répugnance ou aversion à quelque obéissance, nous
ne nous en devons point étonner, mais avoir un fort grand soin de nous servir
de cette répugnance pour faire notre action plus purement pour Dieu, et dire :
O mon Dieu, je fais choix et élection de votre volonté pour faire celle de
l'obéissance, d'autant plus volontiers que j'y sens des répugnances et
difficultés. Puis, se mettre à faire ce qui est ordonné.
Nous devons tellement être abandonnées aux événements de la Providence
de Dieu, que nous soyons prêtes de vouloir et acquiescer à tout ce qu'il lui
plaît ordonner de nous ; car, en somme, mes chères filles, puisque nous
sommes servantes de Dieu, ne devons-nous pas être tout à fait abandonnées à
Lui ? Je sais bien que la partie inférieure est quelquefois pleine de
crainte et de pusillanimité, sans que nous puissions l'empêcher ; mais je
sais bien aussi qu'en ce temps-là nous pouvons être tranquilles dans la volonté
de Dieu, qui permet, pour notre exercice, que nous soyons pleines de crainte et
de trouble.
Quoi ! y a-t-il céans des Sœurs qui perdent l'assurance quand on
les avertit des fautes qu'elles font à l'Office ?... et, au lieu de
s'amender, elles en faillent davantage, par la crainte et appréhension qu'elles
ont de mal faire ; cependant le Directoire dit si clairement qu'il ne
faut pas excéder en la crainte de faillir, non plus qu'en la présomption de
bien faire. C'est l'amour-propre qui fait cela ; car si c'était la
crainte de déplaire à Dieu nous l'aurions, cette même crainte, quand les autres
feraient l'Office. Pour moi, mes filles, je ressens autant les fautes que l'on
fait à l'Office que si c'était moi-même. Et certes, nous devons toutes avoir
cet intérêt ; et lorsque nous y allons, ce doit être avec résolution
d'aimer notre abjection, quand nous n'y faisons rien qui [275] vaille, ne
laissant pour cela de faire tout ce que nous pourrons pour le bien dire, sans
nous troubler, et trembler quand nous y manquons, et moins quand on nous
avertit des fautes qui s'y font, car cela n'est bon, dit notre Bienheureux
Père, qu'aux filles du monde.
Quant à ce qui est de se communiquer ses petits biens, il faut que cela
vienne du cœur ; car, si ce que vous dites est composé, vous ne ferez rien
qui vaille ; non plus que celles qui voudraient récréer les autres et qui
n'y auraient point de l'inclination. Il ne faut pas s'amuser à discerner celles
qui font le mieux, surtout quand on n'en a pas la charge.
(Fait le 28 août 1630)
SUR L'HUMILITÉ ET LA SOLIDE VERTU.
Mes Sœurs, je vous ai déjà bien dit autrefois que je ne fais point
profession ni de prêcher, ni de parler des choses spirituelles, étant aussi peu
entendue que je me trouve ; choisissons donc seulement de nous entretenir
de la sainte humilité de notre grand'père saint Augustin, qui était sa vertu
plus excellente et éminemment particulière. « Si l'on me demande, dit
ce grand Augustin, le chemin du ciel, je vous répondrai que c'est l'humilité ;
et si l’on me dit de nouveau : Par quel chemin peut-on aller au
ciel ? je répondrai toujours : Par l'humilité, par l'humilité. »
Quelle plus parfaite humilité que d'avoir écrit tous ses péchés pour
les publier à toute la terre ; afin que chacun sût, au [276] siècle à
venir, qu'Augustin avait été un grand pécheur : c'était bien être mort à
l'estime de lui-même pour ne priser que ce qui est éternel. Mes Sœurs, je vous
dis souvent : tous nos maux ne viennent, sinon que nous ne regardons pas
assez l'éternité, c'est ce qui nous entraîne à n'aimer que les choses basses et
caduques.
Il y a trois choses desquelles nous ne nous défaisons que
difficilement : la première, de l'honneur, de l'amour et estime de
nous-mêmes ; la deuxième, l'amour de nos corps et de ses commodités ;
et la troisième, c'est la haine que nous avons pour la soumission intérieure et
extérieure.
Or, si nous considérons bien ce que c'est que cette vie si courte et si
pleine de misères, quel état ferions-nous de nous-mêmes ? La vraie
humilité tend au mépris de cette estime propre et nous fait aimer d'être tenues
pauvres, ignorantes, petites et imparfaites, dans l'oubli de toutes les
créatures ; et, en un mot, nous ne serons jamais humbles que lorsque nous
nous tiendrons nous-mêmes pour des petits néants, et lorsque vous serez
parvenues à ce degré d'aimer d'être tenues et de vous estimer vous-mêmes comme
la souillure de la maison, vous serez très-heureuses et très-grandes devant les
yeux de Dieu. Hélas ! voyez, que sont devenues tant de créatures qui ont
été si grandes et si honorées en ce monde ? L'enfer en a reçu beaucoup ;
le purgatoire en a moins eu, et le paradis en a peu.
Pour le second sujet de nos attachements, qui est l'amour de nos corps
et de nos petites commodités ; hé, mon Dieu ! mes chères Sœurs,
considérons que tout ce que nous avons n'est pas à nous, que ce sont tous des
biens empruntés. Nos vrais biens propres ne sont pas de si petits biens et si
chétifs : ils sont là-haut, mais ce sont des biens incorruptibles ;
nos habillements seront là, beaux à merveille, et celles qui porteront de bon
cœur des plus chétifs haillons ici-bas en recevront des plus riches là ;
ainsi, la plus pauvre ici-bas sera la plus heureuse [277] là-haut. Pour notre
nourriture, jamais, à Dieu ne plaise, qu'aucune de ces épouses voulût avoir
plaisir aux viandes corrompues ; nous les devons prendre par obéissance,
comme un bien qui nous est commun avec les plus lourds animaux, parce que la
vraie vie de l'âme, épousée à Dieu, est Dieu même qui se fera notre nourriture
éternelle, nous rassasiant, dans la gloire et durant l'éternité, de sa vision
béatifique.
Pour notre volonté, ne devrions-nous pas avoir honte de la suivre,
après que Jésus-Christ a passé sa vie en obéissance, et qu'il n'a fait gloire
que de faire et suivre la volonté de son Père ! C'est le grand avantage de
l'âme que cette soumission au bon plaisir de Dieu, puisque c'est ce qui l'unit
plus intimement à lui-même et à son amour. Soyons désormais plus solides à la
vertu, pensant que tous les pas que nous faisons dans icelle, ce sont autant
d'échelons pour monter à l'heureuse et désirable éternité, à laquelle nous
devons incessamment penser, pour mieux mépriser tout ce qui se passe. Je vous
dis et redis mille et mille fois l'année, et je vous le redis encore :
travaillons, mais solidement, à cette haute vertu que Dieu veut de nous. Nous
avons des grands et bons sentiments de l'amour de ce bon Dieu ! nous avons
des excellents désirs et nous faisons des bonnes résolutions ; mais quand
il s'agit de venir à l'action, nous faisons les enfants, n'étant pas constantes
et courageuses. Oh ! que j'ai un fort désir de nous voir fidèles à sortir
de nos petites tendretés, et de nous voir des filles magnanimes, qui fassent
tout pour Dieu, soit le doux, soit l'amer, soit le facile ou le
difficile !
Non, ma fille, ce n'est pas manquer de magnanimité ou plutôt de
solidité en la vertu que de. sentir des répugnances, des rébellions, des
contradictions, pourvu qu'on ne leur accorde rien et qu'on les désavoue, car
toujours çà-bas la chair luttera contre l'esprit, la prudence humaine contre la
divine, l'orgueil contre l'humilité, la partie inférieure contre la supérieure.
[278] Serait-ce donc à dire que celles qui sentent ces mouvements soient
vicieuses du vice qui les attaque ? Oh ! non, car ces combats,
tentations ou exercices leur sont donnés pour mettre un clou à la solidité de
la vertu contraire. Ainsi, une Sœur a une charge pour laquelle elle a une
extrême répugnance, et cette répugnance l'accompagne en toutes les actions
qu'elle fait pour accomplir son devoir. Je vous dis que pourvu que cette Sœur soit
soigneuse de bien faire sa charge, ne négligeant rien, et dressant bien toutes
ses intentions (à Dieu), elle gagne plus que si elle faisait cette même charge
avec une grande suavité, inclination et contentement.
Vous me demandez ce que c'est qu'une vertu solide, mes chères
Sœurs ? C'est une vertu exercée et acquise parmi les difficultés et
combattue par son contraire ; nous ne sommes religieuses que pour
l'acquérir, mais Dieu nous fasse la grâce qu'à l'heure de la mort nous ayons la
victoire de ce combat, et que nous trouvions d'avoir acquis une seule vertu
véritable ; par exemple : vous voulez être comme notre père saint
Augustin, une vraie humble ; il faut aimer le mépris ; il faut vous
reconnaître vile et abjecte et vouloir être tenue pour telle, qu'en tout ce que
vous faites vous cherchiez à vous anéantir et vous humilier. Notre doux Jésus
dit : Apprenez de moi à être doux et humble de cœur ; si nous
apprenons à être humbles comme lui, nous ne le serons pas seulement en
obéissant parfaitement, en nous soumettant à vivre sous l'obéissance, comme lui
sous la direction de saint Joseph ; en nous humiliant nous-mêmes comme il
s'est humilié, mais nous le suivrons dans sa souveraine humiliation qui a été
de s'être laissé humilié par ses créatures, d'avoir paru un homme simple, digne
d'être méprisé, et d'avoir été fait le jouet et la risée de son peuple. Agissez
donc ainsi. Humiliez-vous fidèlement et fervemment, et lorsqu'on vous
humiliera, souffrez-le courageusement ; laissez-vous ès-mains de Dieu et
de l'obéissance. Qu'il vous mette ici ou là ; [279] qu'on vous tourne d'un
côté et d'autre, il faut laisser, en tout cela, faire de nous comme d'un peu de
boue qu'on foule aux pieds, qu'on pétrit, qu'on défait et qu'on repétrit tout
comme l'on veut : cela est une vertu solide. Ma chère Sœur, commençons de
marcher en ce chemin, sous la faveur du grand saint Augustin. Oui, mes Sœurs,
les vraies vertus religieuses sont : profonde humilité, humble soumission,
entière remise de nous-mêmes entre les mains de Dieu, une abnégation forte de
toutes les choses de ce monde, et une généreuse et magnanime résolution qui ne
s'étonne point des difficultés, mais qui, connaissant sa faiblesse propre,
s'appuie sur l'appui et sur la force de la grâce de son Bien-Aimé, persévérant
toute sa vie au bien qu'elle a commencé.
Il n'est point de meilleure marque que l'on n'est pas digne d'une
charge, que lorsqu'on la désire et qu'on s'en croit capable, parce que si cela
était, vous vous en réputeriez indignes. C'est une pure folie que de désirer quelque
chose hors de Dieu, parce que nous n'aurons ni la chose désirée, ni la
possession de Dieu, qui est la jouissance de tout bien. C'est aussi un orgueil
secret que de ne point désirer d'emploi, et de nous voir déchargées de ceux que
l'obéissance nous a donnés, puisque nous nous devons laisser absolument à la
disposition de Dieu, croyant qu'on nous l'ôtera lorsque l'on verra que nous ne
le faisons pas bien ; mais c'est que nous ne sommes pas assez humbles, et
que l'amour de notre abjection ne nous suit pas toujours, appréhendant qu'on ne
dise : ma Sœur a été ôtée de cet emploi parce qu'elle n'y faisait rien qui
vaille.
Mes filles, ne demandez rien, ne désirez rien et ne refusez
rien ; soyez indifférentes en toutes choses, soyez prêtes à recevoir
une charge comme à en être ôtées, et vous aurez de la vraie vertu.
Mes Sœurs, si nous savions le prix de l'obéissance, nous ne
négligerions pas une occasion de la pratiquer. Oui, mes filles, [280] un seul
enclin de tête fait par le mouvement de l'obéissance, quoique avec répugnance
de la partie inférieure, nous acquiert un plus grand bien que nous n'en
posséderions si nous avions en nos mains l'empire du monde. Nous le connaissons
bien dans le choix que la Sagesse incarnée a fait venant ici-bas, qui n'a pas
été des richesses et grandeurs de ce monde, mais il a uniquement choisi
l'obéissance, vivant soumis à saint Joseph et à Marie, sa mère, et à son Père
Éternel jusqu'à la mort de la croix.
Non, ma Sœur, nous n'avons jamais raison de nous excuser, mais nous
l'avons bien de nous accuser. Il n'est rien qui répande une plus sainte et
douce odeur dans une communauté, qu'une âme humble qui s'accuse franchement,
et, au contraire, il n'est rien de si désagréable qu'une qui couvre ses défauts
lorsqu'elle est avertie, disant seulement : je dis très-humblement ma
coulpe. Hélas ! ma fille, je connais soudain l'orgueil caché sous cette
petite parole ; dites tout simplement : ma Mère, j'en dis
très-humblement ma coulpe, afin que l'on connaisse que vous vous rendez
coupable ; si vous ne l'avez, possible, pas fait cette fois, vous l'aurez
fait une autre. On ne doit pas avertir, comme on ne le fait pas aussi, que de
certaines fautes dont nous ne devons pas avoir honte de nous avouer coupables,
et l'humilité se fait bien connaître en ces occasions, et nous trouverons
toujours notre profit et notre avancement à la perfection, où nous trouverons
des sujets de nous humilier. Enfin, l'âme humble s'accuse toujours, et
l'orgueilleuse s'excuse incessamment. Prions notre grand'père saint Augustin de
nous obtenir ce véritable trésor de la vraie humilité, qui l'a rendu plus grand
dans le ciel que son éminente doctrine, et que toutes ses autres vertus.
Loués soient Dieu et son grand serviteur Augustin. [281]
SUR LA SOUMISSION À LA VOLONTÉ DE DIEU ET LE RESPECT
MUTUEL.
Quand nos fautes, et tout ce que nous avons vu et fait en la journée,
nous revient en l'esprit au temps de l'oraison, il s'en faut détourner
fidèlement et unir sa volonté avec celle de Dieu, qui permet que nous soyons exercées
par telles pensées ; au lieu de nous mettre en peine pour nous en défaire,
il faut appliquer sou soin à regarder et s'unir à la volonté de Dieu. Il en
faut faire de même quand on se sent sèche, aride et distraite parmi la journée,
et ne s'en point mettre en peine, mais demeurer toujours soumise à cette
volonté première et signifiée de notre Dieu. S'il veut que nous soyons sèches,
arides et distraites, il y faut acquiescer doucement et humblement ; car,
bien qu'il ne veuille pas que nous soyons infidèles, il le permet néanmoins,
afin que, le connaissant, nous nous humiliions et abaissions. Enfin, le remède
à tous nos maux, c'est d'unir notre volonté à celle de Dieu, qui veut que nous
soyons pleines de courage, comme nos règles nous marquent...
Ce qu'il faut faire, dites-vous, ma chère fille, pour ne point perdre
la paix du cœur, quand on a quelque chose qui fait de la peine et qui revient
toujours dans l'esprit ? — Je vous dirai, avec notre Bienheureux Père, que
celle qui ne la veut point perdre, doit aller à Dieu sans réfléchir sur ce qui
fait de la peine ; mais quand nous allons à Dieu, nous lui voulons
toujours parler de nous, et, par manière de dire, lui conter ce qu'on nous
fait, et rejeter sur les autres la cause de nos manquements. Enfin mille et
mille réflexions inutiles et tout à fait contraires à la simplicité qui nous
est tant recommandée par ce Bienheureux...
C'est aussi un grand orgueil de s'étonner des fautes [282] d'infirmité
et de toutes les autres, et encore un plus grand d'en faire l'étonnée parmi les
Sœurs et de leur en faire la mine froide. Si une Sœur, par un mouvement de
colère, me venait donner un soufflet, je n'en serais ni n'en ferais l'étonnée,
pourvu que la Sœur s'humiliât de sa faute, l'ayant reconnue. Elle aurait sujet
d'aimer son abjection ; et moi, d'unir ma volonté à la volonté permise de
Dieu...
Si nous étions bien fidèles, nous ne laisserions passer aucune occasion
sans nous mortifier ; nous anéantirions tant de désirs, tant de volontés,
tant d'inclinations ; nous ne perdrions pas une occasion de condescendance
et de respect ; en somme, nous nous rendrions meilleures ménagères, tant
de ce qui se présente en nous que hors de nous, et surtout nous nous garderions
de la lâcheté et des manquements de support. Mon Dieu ! manquer de support
et de respect et dire des paroles sèches, quel défaut dans une religieuse qui
doit toujours parler affablement, comme serait : Oui bien, ma Sœur... Oui
bien, ma chère Sœur... Très-volontiers... et ainsi des paroles douces, et
témoigner, même par sa mine, qu'elle sert et qu'elle fait ce de quoi on la
prie, et de bon cœur.
Ce qui est cause que nous nous manquons de respect, c'est que nous
avons trop de familiarité les unes avec les autres. Nous disons tant de paroles
mal gracieuses et rudes qui ne se devraient point entendre parmi nous. Il se
faut porter un respect véritable, qui ne consiste pas à faire des mines et
façons affectées, car je n'aime point cela. Il y a encore une autre raison qui
empêche bien le respect, ce me semble, c'est que l'on dit trop, les unes parmi
les autres, les fautes que l'on fait ; cela rabat grandement l'estime et
le respect que l'on se doit ; car, on dit, à deux ou trois, que sais-je
moi (sous prétexte de confiance et de familiarité, ou pour témoigner de l'affection),
les pensées et sentiments, et même les fautes qui se font par infirmité ;
certes, tout cela amoindrit l'estime que l'on a des Sœurs. Enfin, [283] il me
semble que cette trop grande connaissance que nous nous donnons de nos
faiblesses ; de ce que nous disons, pensons et faisons, c'est la seule
cause que l'on ne voit pas ce respect tel que nous nous le devons. Nous ne
savons point parler des choses sérieuses, bonnes, nobles et conformes à notre
vocation. Si l'on fait quelque discours de plaisanterie ou quelque conte de
choses indifférentes, chacune prête l'oreille et y contribue en quelque chose,
et par ce moyen témoigne le plaisir qu'elle y prend ; mais si ce sont des
choses bonnes, personne n'y contribue et l'on demeure muette. Enfin, l'on ne
sait que dire, et cela sans doute amoindrit bien l'estime que nous aurions les
unes des autres, si nous nous voyions affectionnées à parler des choses
sérieuses.
SUR L'AMOUR DE L'ABJECTION.
Vous avez raison certainement de me dire que, lorsque vous lisez ces
deux constitutions de la Modestie et de l’Humilité, vous y
trouvez quelque chose de si parfait, qu'on appréhende de n'y pouvoir arriver.
Non, ma fille, on ne saurait y ajouter une plus grande perfection que celle
qu'elles nous enseignent. Que voudrions-nous de plus modeste et de mieux réglé,
qu'une âme qui serait parfaitement moulée sur la première, et où trouver une
plus intime et divine humilité, que celle qui est décrite dans la seconde de
ces constitutions ? Je trouve ces deux points les meilleurs : Humilité
profonde, et humilité qui ne consiste pas seulement en gestes et paroles, mais
en vérité et en effet. Oui, mes Sœurs, ne parlons plus tant de
l'humilité ; ne nous [284] amusons pas tant à la désirer ; mais
venons à la pratique. Cette vertu veut des œuvres, et non des paroles.
Voulez-vous être humble, ma fille, tâchez de vous bien connaître ; aimez
que l'on vous connaisse imparfaite, aimez le mépris en toutes les manières,
dans toutes les actions et de quelle part qu'il vienne Ne cachez point vos défauts ;
laissez-les connaître, en chérissant l'abjection qui vous en revient. Ne
laissez jamais abbattre votre cœur pour quelque faute que vous puissiez
commettre. Défiez-vous de vous-même, et vous confiez uniquement et incessamment
en Dieu, vous persuadant fortement que, ne pouvant rien de vous-même, vous
pouvez tout avec sa grâce et son puissant secours.
Ma fille, lorsqu'on vous traite rudement, que l'on vous rabat, qu'on
vous néglige, qu'on vous humilie et qu'on vous emploie aux offices bas et
pénibles, ne pensez pas que ce soit pour éprouver votre vertu ; mais
faites confesser à votre cœur que vous méritez bien plus que cela. Ce sont là,
à mon avis, les marques d'un esprit humble ; et, lorsque vous serez dans
ces pratiques, dites, ma fille, que vous commencez d'aimer l'humilité.
Voulez-vous connaître si un esprit est humble ? Voyez s'il est sincère à
découvrir ses imperfections sans fard et détours, mais de bonne foi ;
quand on voit une fille qui aime avec joie son abjection et d'être avertie et
corrigée, jugez que c'est une âme véritablement humble.
Lorsque je dis qu'il faut aimer le mépris, la correction, le rebut,
l'abjection, j'entends qu'il faut l'aimer dans notre partie supérieure et dans
la suprême pointe de l'esprit, malgré nos répugnances et nos difficultés ;
parce que, pour aimer des choses si contraires à notre partie inférieure, d'un
sentiment sensible, il ne serait presque pas possible. C'est une grâce que Dieu
ne départ qu'à quelques âmes qu'il veut souverainement gratifier, ou pour récompense
de leur fidélité, mais cette faveur n'est pas nécessaire. [285]
Vous me demandez si le cœur humble n'est point tenté d'orgueil, et s'il
n'a point quelquefois des pensées de vanité ? Oui, ma chère Sœur, il peut
avoir des tentations d'orgueil, mais il ne fait pas les œuvres d'orgueil, et
elles ne servent qu'à le faire mieux anéantir devant Dieu, et à le jeter plus
profondément en sa bassesse et en Dieu. Mes Sœurs, que cette humilité est une
grande vertu ! C'est la bien-aimée de Jésus-Christ et de notre divine maîtresse,
sa glorieuse Mère. Son sacré Cantique n'est qu'une louange de cette admirable
vertu. Il a regardé, dit-elle, l'humilité de sa Servante, et, pour
ce, toutes les générations me diront Bienheureuse. Il détruira les superbes et
exaltera les humbles. Toute l'Écriture-Sainte est remplie des panégyriques
des humbles : David, ce grand roi, fait selon le cœur de Dieu, dit : Le
Seigneur est le protecteur du simple d'esprit. Enfin, l'humilité attire sur
nous les yeux et le cœur du même Seigneur. Mais il faut que ce soit une
humilité plus intérieure qu'extérieure. Il ne nous dit pas d'apprendre de lui
celle-ci ; mais, oui bien, la première : Apprenez de moi. nous
dit-il à tous, que je suis humble et doux de cœur. O Dieu ! mes
Sœurs, que c'est une rare pièce qu'un cœur vraiment humble, parce qu'on le
trouve toujours plus bas qu'on ne la saurait mettre. Croyez-moi, mes chères
filles, c'est posséder un trésor et une monnaie propre à acheter le ciel et le
Cœur de Dieu, que d'avoir la possession d'un grain de vraie humilité.
SUR LA PRÉSENCE DE DIEU ET LA PENSÉE DES VÉRITÉS
ÉTERNELLES.
Mes Sœurs, nous ne pensons pas assez à cette vérité, que Dieu nous est
présent, qu'il voit nos pensées, même longtemps avant que nous les ayons ;
qu'il sait ce que nous pensons et penserons mieux que nous-mêmes, qu'il voit
les plis et replis de notre cœur, et, à cette autre vérité, que rien ne nous
arrive que par l'ordre de la Providence. Ce sont des vérités infaillibles, que
nous sommes obligés de croire, sous peine de damnation éternelle. Nous serions
toutes des saintes, si nous appréhendions bien ces vérités. De vrai, c'est une
très-grande consolation de savoir que Dieu voit le fond de notre cœur. Une
pauvre âme idiote qui sera en oraison et qui ne saura rien dire à Notre-Seigneur,
sera bien consolée au moins de dire : Mon Dieu, vous savez ce que je veux
et ce que je voudrais vous dire !
Considérons, mes Sœurs, que, quand nous serons dans cette gloire du
paradis, en quel étonnement nous serons quand nous verrons l'infinie bonté,
l'immensité incompréhensible et la Majesté suprême de Dieu, qui s'est tant
abaissée que de désirer l'amour de la créature, qui est chose si vile et si
chétive ! Si l'âme était capable de périr, elle périrait, voyant cet amour
excessif, de cette grandeur immense de son Créateur, qui l'a tant favorisée, et
de voir combien mal elle a correspondu à cet amour et le tort qu'elle se
faisait de s'amuser aux choses de cette vie, à des bagatelles, qui la pouvaient
éloigner de son Dieu, et lui faire perdre le bien inestimable de cette félicité
immortelle et de la vision de la divine Essence. Elle verra clairement que,
seulement pour jouir une heure, voire un moment, de ce Bien [287] infini, tous
les travaux, les souffrances, les mortifications, humiliations, et fout ce
qu'on saurait souffrir en ce monde, serait bien employé et ne devrait être pas
épargné. Si donc, avec ces mêmes travaux et souffrances, nous pouvons nous
acquérir ce bien pour une éternité, n'avons-nous pas grand tort, et ne
sommes-nous pas hors de notre sens, et sans jugement, si nous ne le faisons pas
et si nous plaignons cette peine ? Enfin, mes Sœurs, tout ce qui ne nous
peut servir et aider pour parvenir à celle fin, pour laquelle nous avons été
créées, doit être abhorré, délesté et évité. Ni les séculiers, ni les religieux
et religieuses, ni personne quelconque, ne saurait avoir un vrai contentement
qu'en faisant son devoir et en rendant à Dieu ce qu'on lui doit, en sa
vocation, car il faut que chacun regarde ce que Notre-Seigneur veut de lui pour
le faire ; autrement, point de contentement, ni même de salut.
Les âmes religieuses verront, lorsqu'elles seront dans la béatitude,
comme leur vocation à la religion aura été dans les éternels desseins de Dieu,
qui leur aura donné tant de moyens, en cette vocation, détendre à une grande
perfection et parvenir bien avant dans cette gloire. Quelle joie ineffable
auront-elles ? quelle reconnaissance de tous ces singuliers
bénéfices ? Et si elles étaient capables d'avoir du déplaisir, quel crève-cœur,
quels regrets auraient-elles de voir que, par la moindre omission à la plus
légère observance, elles auront perdu le bien d'une plus grande gloire et d'un
plus grand amour, lequel se pouvait accroître en faisant des petites choses
aussi bien que les grandes. Les damnés aussi, au jour du jugement, lorsqu'ils
verront la face de Dieu, voudront aller se jeter en Lui pour jouir de cette
félicité et bonheur ; mais ils seront repoussés incontinent. Hélas !
quel crève-cœur, voyant la perte qu'ils ont faite de ces biens infinis, de la
vision de l'Essence divine qu'ils pouvaient acquérir pour une éternité, s'ils
eussent vécu comme ils devaient ! S'ils pouvaient périr et se réduire en
rien, ils le [288]
feraient de déplaisir ; et
encore n'auront-ils vu cette beauté de la Divinité que comme un éclair, si
est-ce que l'idée leur en demeurera et leur sera un plus grand tourment.
SUR LA VAILLANCE SPIRITUELLE, LES EFFETS DU PUR AMOUR DANS L'ÂME RELIGIEUSE, ET LE DANGER DE
RECEVOIR DES SUJETS À CARACTÈRE LÂCHE ET NÉGLIGENT.
J'ai grande envie que nos Sœurs pensent souvent à la brièveté de la
vie, et à la durée de l'éternité. « Vous ne savez à quelle heure je
viendrai », dit le Seigneur, soyez donc veillants, je rendrai à
chacun selon ses œuvres. » Hélas ! que savons-nous ? nous
n'avons peut-être pas une heure pour acquérir la gloire éternelle, tant cette
vie trompeuse est incertaine et briève. Nous sommes bienheureuses d'être en
l'Église de Dieu ; mais il faut remarquer qu'elle se nomme militante,
c'est-à-dire bataillante ; il faut donc batailler. L'Église militante et
la triomphante sont deux sœurs qui s'aiment extrêmement, et, tandis que la
militante combat, la triomphante prie pour elle.
Qui vaincra, en l'Église militante, jouira en la triomphante. Il faut
batailler pour vaincre et vaincre pour jouir. Mais quoi, batailler ? je ne
suis pas obligée de batailler contre les infidèles, car ce n'est pas ma
vocation ; je ne suis pas obligée de batailler contre autrui, mais contre
moi-même ; j'entends les inférieures ne sont pas obligées de combattre les
imperfections de leurs Sœurs, mais les leurs propres. Les supérieures doivent
combattre les imperfections des Sœurs par les bonnes paroles, par les
corrections et pénitences, et aussi combattre les leurs par la [289] mortification
soigneuse d'elles-mêmes et l'anéantissement parfait de tout propre intérêt.
Tant que nous serons en cette vie nous aurons à travailler, qui plus, qui
moins. Les commençants ont plus à combattre que ceux qui s'avancent, et ceux
qui s'avancent ont plus à faire que ceux qui sont en un plus haut degré de
perfection ; mais tous, pourtant, ont à faire ; cette vie nous est
donnée pour travailler et cheminer ; cheminer à notre perfection,
travailler à notre mortification : voilà à quoi les vraies filles de la Visitation
sont appelées.
O Dieu ! que les filles de ce petit Institut sont obligées à une
haute perfection, laquelle est d'autant plus excellente qu'elle est plus
intime ; car enfin ce n'est autre chose que la mort totale de la nature et
du vieil homme, pour établir solidement le règne de la grâce. Il faut que les
filles de cet Institut opèrent leur salut et leur perfection en crainte, mais
une crainte confiante et filiale, qu'elles aiment Dieu purement pour lui et non
pour elles-mêmes. Aimer Dieu comme notre souverain Bien, il y a encore du nôtre,-
mais il faut l'aimer comme souverain Bien, sans regarder qu'il soit nôtre.
Et voilà une perfection d'amour pur à quoi nous devons tendre.
L'âme qui désire que Dieu vive en elle, n'y laisse rien qui puisse
déplaire à ses yeux divins, qu'elle ne mortifie et passe outre ; car,
pressée de ce désir, elle se violente de si bonne façon qu'elle meurt
heureusement à elle-même, afin que Dieu vive en elle. Les âmes qui aiment bien
Dieu n'aiment point leur chair, croyez-moi ; elles retranchent bien à la
nature tous les vains contentements, car ces âmes amoureuses de Dieu ne peuvent
souffrir aucune chose qui contrarie leur amour.
C'est la plus mauvaise condition qu'une religieuse puisse avoir que la
négligence, soit que ce vice soit intérieur et spirituel, soit qu'il soit pour
les choses extérieures. Retenez ceci, mes Sœurs, vous ne sauriez
admettre une fille à la profession d'une plus mauvaise condition que celle de
la négligence et [290] paresse
d'esprit. Ces âmes ne font point de progrès en la vertu et sainte
dévotion ; elles vont au chœur avec nous, mais c'est avec une certaine
paresse d'esprit, sans vigueur intérieure ; elles ne font rien, ou peu qui
plaise à Dieu. Elles font tous les exercices de la religion : il semble, à
l'extérieur, qu'elles marchent ; mais, en vérité, elles ne bougent pas,
d'autant qu'amoureuses de leur tépidité elles ne sortent jamais d'elles-mêmes.
J'aimerais mieux une fille trop bouillante, qu'une qui serait un peu
lâche ; car, à la bouillante, ses fautes paraissant lui donnent de
l'abjection, et on l'en mortifie ; mais, l'autre, l'on ne sait sur quoi se
fonder, car elle est toujours la même, aujourd'hui et encore demain ; et
elle ne fait pas grand mal extérieur, mais aussi elle ne fait pas de bien intérieur.
Dieu nous garde de ces esprits-là, car ils sont dangereux, plus que je ne le
saurais dire.
SUR LES AVANTAGES ET LES DANGERS D'UN NATUREL COMPLAISANT, ET SUR LE BONHEUR D'ÊTRE EMPLOYÉ
AUX OFFICES BAS.
Oui, ma fille, il n'y a point de mal d'avoir un naturel
complaisant ; c'est un don de Dieu fort précieux ; mais il faut le
diviniser. Une personne se plaît de complaire à chacun, parce qu'elle s'en fait
un plaisir, cela est bon ; mais il faut rendre cette inclination complaisante
encore meilleure, et, de naturelle, la rendre divine. Il faut obliger chacun,
non parce que c'est votre penchant de complaire à tout le monde, mais parce que
Dieu veut que par cette douceur, qui vous est propre, vous serviez à sa gloire,
vous faisant toute à tous, pour les [291] gagner tous. Il veut que vous soyez
condescendante et douce à votre prochain, pour suivre ce conseil de
Notre-Seigneur : « Donne encore ton manteau à qui te voudra
enlever ta tunique » ; mais ce serait pervertir cet aimable et
bon naturel, de complaire par prudence humaine, pour avoir de l'honneur, pour
acquérir du bien, pour s'attirer l'estime des créatures et des vaines louanges.
O Dieu ! mes filles, qu'on connaît bien, par les suites, les personnes qui
se servent mal de ce bon et excellent naturel ! Une personne remplie de
cette fausse prudence humaine dira : Je veux condescendre à cette autre,
afin qu'elle m'estime une fille bien démise de mon opinion ; je ferai
cette action humiliante pour paraître bien humble ; je ferai ces détours
d'amour-propre, afin que l'on me croie capable d'une telle charge ; je me
rendrai bien soumise à ma supérieure, bien douce, bien complaisante pour
l'obtenir ; et, cependant, je veux qu'elle croie que ma pensée en est fort
éloignée et que je me croie bien incapable. Tout ce procédé ne vaut rien, et
des actions faites de la sorte, marquent que vous pervertissez toutes les
inclinations si bonnes que votre naturel complaisant vous fournit. Il faut
opposer à ce défaut un peu de vraie humilité, qui bannit les complaisances et
ces prudences purement humaines, et nous fait tout simplement complaire à la
créature, pour l'amour de Dieu et par des motifs d'une douce charité, qui est
bénigne et bienfaisante à tous, en les supportant tous.
Je vous dirai, à ce propos, ce que notre Bienheureux Père me dit une
fois : « Toutes les amitiés et complaisances qui trempent dans
les amitiés et complaisances des sens, n'ont ni bonté ni beauté ;
mais, sitôt qu'elles sont tirées en Dieu, en l’esprit, en la charité,
elles acquièrent un grand éclat. » Il faut caresser et complaire au
prochain, parce que la douce charité a le bonheur de répandre une sainte
édification ; et, se tenant le cœur au large, il faut, quand il tombera,
lui pardonner et prendre le courage et la patience de le redresser
aimablement ; car, en [292] persévérant ainsi, l'on se formera un cœur
bien humble, gracieux, maniable, qui, par après, rendra de grands services à
Notre-Seigneur. Dieu nous en fasse la grâce, mes très-chères Sœurs ; je
suis courte, parce que je veux encore vous dire un mot sur l'autre demande.
S'il se trouve des offices bas en religion, me dites-vous ? Mes
chères Sœurs, je ne saurais me soumettre à croire que rien de ce qui est
ordonné par la sainte obéissance, dans la religion, puisse être abject ni humiliant,
puisque tout est d'un si grand prix qu'il peut mériter de plaire à Dieu et
acquérir le ciel. Si notre Bienheureux Père ne m'eût dit que le rang de Sœur
domestique est un office d'humiliation, je n'eusse jamais pu me le persuader.
Mais, bien qu'il y ait des charges abjectes, nous serions trop heureuses
qu'elles nous fussent données pour notre partage. Que les Sœurs domestiques
sont heureuses, mais je dis qu'elles sont heureuses ! Elles sont destinées
à servir les épouses de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sans avoir jamais d'autres
prétentions : tout les porte à Dieu, si elles sont fidèles, et Dieu répand
de douces bénédictions en leurs cœurs lorsqu'elles font gaiement et pour son
amour tous leurs offices.
On tient, dans les religions les mieux réformées, qu'il n'y a point,
d'emploi qui fasse plus de saints que celui-là, parce que les religieux de ce
rang-là n'ont aucune autre pensée que de plaire à Dieu, en travaillant
soigneusement pour lui, étant dans les occasions de servir incessamment le
prochain, de faire des pratiques de patience, de soumission et de ces deux
saintes vertus d'obéissance et d'humilité. Je ne puis m'empêcher de penser que
le Bienheureux m'a fait un peu de tort, de ne pas m'accorder la demande que je
lui ai si souvent faite, qu'il lui plût que je passasse, après que les
premières fondations furent faites, le reste de mes jours en cet office, sans
avoir d'autres soins que d'obéir, pour penser à réformer ma vie ; mais
j'ai bien sujet d'aimer mon abjection, de n'avoir pas été trouvée digne de
[293] servir les épouses de mon Maître. J'aurais été plus qu'heureuse en cette
désirable condition ; mais il me faut aimer celle où je suis, puisque
c'est le divin bon plaisir de mon Sauveur, et vivre en crainte, afin que,
conduisant les autres, je ne me perde pas moi-même. Mes Sœurs, ne mettez pas la
tête en terre, car je ne dis que la pure et vraie
vérité ; toutes celles qui ont charge d'âmes devraient vivre en crainte et
en grande humilité, sous le pesant faix qu'elles soutiennent. Elles distribuent
le pain spirituel aux autres ; mais elles le doivent manger elles-mêmes et
prendre en Dieu la force qui leur est nécessaire. Elles ont besoin de
constance, de charité et de diligence. Je vous ai donné un beau et bon défi, et
je ne l'observe pas moi-même. Je fis hier une faute, et j'ai manqué aujourd'hui
d'en faire une pratique ; dire et ne pas faire, c'est nourrir les autres
et nous ôter à nous-mêmes le pain. Tous doivent vivre en crainte :
l'Écriture le dit : Faites votre salut avec tremblement ; mais
ceux qui gouvernent les âmes doivent craindre plus que les autres, car, si
saint Paul dit : Si je châtie mon corps, c'est de peur qu'en prêchant
aux autres, je ne sois moi-même réprouvé, que devons-nous faire, nous
autres, faibles femmelettes ? Nous devons faire le mieux que nous
pourrons, et puis espérer en la miséricorde de Dieu. Oui, mes Sœurs, il fait
bon espérer en Dieu, David le dit, en faisant le bien. [294]
SUR LA MANIÈRE DE S'ABAISSER PAR HUMILITÉ ET DE S'ÉLEVER
PAR AMOUR, ET DE LA PURETÉ D'INTENTION.
Mes chères filles, je n'ai rien à vous dire, à moins que vous ne me
fournissiez des sujets de vous entretenir par vos demandes.
(Ma Mère, demanda une sœur, notre Bienheureux Père me dit une fois,
qu'il faut continuellement s'abaisser en humilité et s'élever en amour ;
comme s'entend cela ?)
Mes chères filles, l'humilité est le fondement et la charité le sommet
de la perfection, de sorte qu'autant on s'abaisse en humilité, on croît et
s'élève-t-on en amour. Oh ! qu'il pratiquait bien ceci, le
Bienheureux ! car, perpétuellement, il s'anéantissait et ravalait ;
on le voyait, en toute occasion, sinon qu'elle regardât bien la gloire de Dieu,
pour laquelle il fût expédient de faire autrement, il se démettait de son
jugement et opinion, pour céder aux autres, et leur condescendre avec une
débonnaireté nonpareille. Enfin, il tenait son esprit si nu et vide de toutes
sortes de désirs, desseins, affections et prétentions, qu'il ne s'entremit
jamais que de ce qui regardait sa charge. Oh ! que je désire que nous
l'imitions en ceci ! que celle qui est robière, portière, dépensière,
lingère, etc., n'ait point d'autre prétention que de faire humblement et
soigneusement son office, sans s'entremêler nullement de celui des autres.
Celle qui est sacristine de même, et ainsi toutes les autres officières, et
celles qui n'ont point de charge aussi, et que toutes fassent ce que
l'obéissance leur ordonne, sans penser ni se mêler d'autre chose. Il y a des
esprits qui veulent tout gouverner et mettre ordre à tout, de sorte qu'ils
tracassent fort une maison et y [295] apportent bien du désordre ; ceci
regarde non-seulement l'extérieur, mais aussi l'intérieur, car l'indifférence
tient l'esprit vide, dénué, et détaché de tout, afin que nous soyons disposées
pour être remplies de Dieu, et nous attacher à vivre à lui, faisant mourir nos
désirs, desseins et prétentions, dans son bon plaisir et sa très-adorable
Providence. C'est dans son soin qu'il faut nous élever par amour, après nous
être anéanties à tout ; ne voulant pas plus une chose que l'autre. Mes
Sœurs, ces inclinations sont bien difficiles à être anéanties : l'une nous
porte à aimer plus d'aller avec cette supérieure qu'avec celle-là ; quand
l'obéissance se conforme à nos volontés, nous en sommes toutes en joie.
« Je m'en vais de bon cœur à cette fondation », dit une Sœur.
— Pourquoi, lui demandera-t-on ? « Parce que la supérieure qu'on nous
destine est si bonne ; je lui ai tant d'inclinations, que mon estime pour
elle est tout entière ; je m'accommoderai si bien avec elle. » — Vous
ne faites rien qui vaille, ma pauvre Sœur, lui faut-il dire, parce que vous
n'allez pas à votre œuvre purement pour Dieu, et bien que vous quittiez, fort
généreusement, cette maison où vous êtes si bien, et que vous laissiez sans
répugnances vos commodités, votre obéissance ne vaut rien. Pourquoi ?
Parce que vous faites tout cela pour aller avec cette supérieure et pour aller
en cette ville. Après cela, vous me direz que vous allez faire votre fondation
pour Dieu. Pardonnez-moi, ma fille, c'est parce que la supérieure, les Sœurs,
vos compagnes, et la ville sont à votre gré ; ainsi, vous êtes bien
éloignée de chercher Dieu nuement et simplement. Anéantissons tout cela,
élevons nos esprits par amour, pour ne chercher que Dieu en notre obéissance,
en notre pauvreté, en notre chasteté, en nos oraisons, en nos
mortifications ; et, en tout généralement, ne cherchons que Dieu. Si l'on
nous envoie avec des supérieures que nous aimions et en un lieu qui nous agrée,
bénissons Dieu qui nous donne cette consolation, et humilions-nous en voyant
que la divine Providence s'accommode [296] à notre faiblesse, et
dépouillons-nous devant Dieu de cette satisfaction, protestant qu'en ce qui
nous plaît même, nous ne voulons chercher que Lui et l'accomplissement de ses
saintes volontés ; si, au contraire, on nous mande avec une supérieure à
laquelle nous avons de l'aversion, et en quelque lieu que nous n'aimions pas,
bénissons Notre-Seigneur et nous jetons entre ses bras, nous assurant qu'il
aura soin de nous, et que, moins nous aurons de contentement et appui
extérieur, plus il nous fera abonder ses grâces ; et nous estimons bien
heureuses d'avoir de si précieuses occasions pour lui montrer notre amour et
notre fidélité, agrandissant notre courage pour les bien employer, avec son
assistance, en laquelle il faut jeter notre confiance. Mais, surtout,
rendons-nous soumises et maniables à son bon plaisir.
Si pourtant, par notre misère, nous faisons le contraire, nous laissant
aller à l'imperfection, il ne nous abandonnera pas totalement ; il ne nous
perdra pas et ne laissera pas de nous aimer et supporter, comme vous voyez que
les pères et les mères qui ont beaucoup d'enfants ne laissent pas d'aimer et
souffrir ceux qui sont chagrins, dépiteux et revêches. Ils en ont compassion,
et ne laissent pas de leur donner ce qui est nécessaire et de faire leur part
dans leur héritage. Souvent, pourtant, ce sont des enfants qu'on laisse là
comme n'étant propres à rien, et dont on ne reçoit aucune satisfaction. S'il y
en a qui soient doux, gracieux, obéissants, et dont l'esprit soit bien tourné,
on jette incontinent les yeux sur eux pour les bien élever, pour les faire
étudier, ou les exercer selon leur talent ; les destinant les uns à une
dignité, les autres à remplir un beau poste à la cour, aux armées, et à tels
autres emplois.
Notre-Seigneur, qui est un vrai père, en fait de même ; il aime
tous ses enfants. Néanmoins, ceux qui lui sont plus fidèles gagnent mieux son
Cœur ; il leur communique plus de grâces ; il en reçoit plus de
contentement, et ils méritent plus son amour. Travaillons, mes chères filles,
pour acquérir ce bonheur [297] incomparable de nous rendre plus agréables à
Dieu, ce Père adorable de nos âmes, ne cherchant que lui en tout, nous rendant
bien indifférentes et véritablement humbles. Je voudrais qu'on m'arrachât les
yeux et rencontrer une vertu parfaite parmi nous. Mon Dieu, mes Sœurs, ne
vaut-il pas mieux se mortifier pour un peu de temps, et passer après notre vie
sur un trône de paix, comme un vrai enfant de Dieu, que non pas d'être toujours
en trouble, en chagrin, en inquiétude !
Vous me demandez, maintenant, comme les âmes religieuses peuvent
manquer aux Commandements de Dieu ? Ma chère fille, nous pouvons manquer
au plus grand de tous, qui est celui de la loi de grâce, l'amour de Dieu et du
prochain : Tu aimeras Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de
toutes tes forces, et le prochain comme toi-même. O Dieu ! que la
pratique de ce sacré précepte est délicate, et qu'il est facile d'y
manquer ! Nous le pouvons faire en préférant notre volonté à celle de Dieu
et de nos supérieurs, en engageant nos affections aux créatures, en voulant
servir ce grand Dieu avec toutes nos aises et commodités, sans nous employer
fortement à son service. Pour notre prochain, nous pouvons manquer en l'amour
qu'on lui doit, plus que nous ne croyons, c'est-à-dire, ne l'estimant et ne
l'aimant pas en notre cœur, quand nous sommes un peu marris de son bien et de
son avancement, qu'on le loue et estime, que nous parlons mal de lui et à son désavantage ;
et, quand on en dit du bien, nous n'y contribuons-pas, nous ne le pouvons
souffrir. O cela est bien contre la charité ! quand même nous aurions vu
tout le contraire, il n'en faudrait rien témoigner ; par exemple :
nous avons vu une personne qui, en cachette, boit un verre de vin pur, et qui,
dans la compagnie, n'en boira qu'un d'eau toute pure aussi ; et,
là-dessus, on loue fort sa sobriété. Il faudrait se taire, l'excuser en votre
cœur, et penser qu'elle a bu cette eau pour pénitence de ce qu'elle a bu le
vin. On peut encore penser que les jugements de Dieu sont bien différents de
[298] ceux des hommes, et que cette personne s'est amendée, et qu'elle a
maintenant la vertu contraire au vice que vous lui avez vu naguère. Il se faut
grandement plaire à ouïr louer notre prochain, tant nos chères Sœurs que les
autres, et contribuer au bien qu'on en dit, autant que nous pouvons, regardant
le bien que nous savons être véritablement en lui, nous gardant bien de louer
les unes pour ravaler les autres.
Or, pour ce que vous dites, s'il n'y a pas de mal de n'être pas aise,
et de dire quelque parole de murmure et de contrôlement, de ce que l'on sort de
céans pour donner et accommoder les maisons que l'on établit ? Certes, ce
sont là des imperfections lourdes et contre la charité. Je ne pense pas
qu'elles se fassent parmi nous, grâces à Dieu, et il s'en faudrait aussi bien
garder.
Cette première maison doit avoir une grande charité pour secourir,
non-seulement les fondations qu'elle a faites, mais encore les monastères de
l'Ordre, s'ils étaient nécessiteux. Si notre prochain même était réduit dans
une telle disette qu'il ne pût être secouru que de nous, pour étranger qu'il
fût, nous serions obligées de lui donner ce qu'il aurait besoin ; et,
quand nous n'aurions que ce qui nous serait nécessaire, nous serions obligées
de retrancher tout ce que nous pourrions bonnement, nous contentant du seul
vivre nécessaire, afin de mieux aider notre prochain. Et, pour nos pauvres
Sœurs qui ont accommodé la maison, qui nous ont laissé, en sortant, leur dot,
leurs petites commodités, pour aller augmenter la gloire de l'Institut, nous
leur refuserions de leur donner quelque chose ? À la vérité, cela serait
bien cruel ! On décharge votre maison de cinq ou six filles qu'on envoie
en un pauvre lieu, où elles ne trouveront presque rien, et l'on ne voudrait pas
leur donner ce qu'on peut, soit pour les habits qui servent à leur personne,
soit pour quelque meuble propre à accommoder leur église ou leur maison ?
Même on leur doit donner de l'argent ou leur en [299] prêter, selon le moyen
qu'on a ; mais cela de bon cœur et de bonne grâce, sans dire qu'on donne
plus ici que là, sinon qu'on le dise simplement par forme de discours, selon
l'occasion qui se présente ; mais ne le dites jamais par plainte ou
désapprouvement, parce qu'il faut laisser disposer de tout cela aux supérieurs.
Au commencement de l'Église, les anciens chrétiens n'avaient qu'un cœur et
qu'une âme, et mettaient tous leurs moyens en commun aux pieds des Apôtres, qui
les distribuaient comme ils voulaient et à qui il leur plaisait ; voire
même aux plus barbares et étrangers du monde s'ils en avaient besoin. Or, tous
les religieux doivent représenter ces anciens chrétiens, et n'avoir, comme eux,
qu'un cœur et qu'une âme, en mettant tout en commun pour en laisser l'entière
disposition à leurs supérieurs, afin qu'ils en fassent ce qu'ils jugeront, sans
que personne y trouve à redire.
Or sus, mes chères filles, emportons cette affection de notre
entretien, de nous adonner, à bon escient, aux solides vertus, de ne chercher
que Dieu, de nous laisser absolument conduire à sa divine Providence ;
qu'elle nous mette ici ou là, il importe peu ; qu'elle nous envoie de ce
côté ou de cet autre ; non, ne regardons point par quelle porte nous passerons,
ni en quel lieu nous allons ; pourvu que nous portions nos règles avec
nous, et que nous trouvions moyen de les observer, cela nous doit suffire.
Oh ! que nous sommes obligées de faire purement nos actions pour
Dieu ! Mettons hardiment la main à la conscience, et nous trouverons que
nous mettons notre contentement en notre supérieure, au lieu de le mettre en
Dieu ; que nous sommes venues en religion pour être hors des misères du
monde, pour avoir nos commodités, et non pas pour Dieu ; que nous allons en
telle part, parce que nous sommes bien aises d'y aller. Enfin, si nous
feuilletons bien, nous trouverons qu'en tout et partout nous nous cherchons
nous-mêmes, notre propre intérêt et satisfaction. [300]
Oui, oui, mes chères filles, parlons seulement de l'oraison de quiétude
et des autres ; et remettons, je vous prie, sur pied notre bonne foi et
innocence du temps passé ; car, au commencement de notre Institut, l'on
parlait tant de ces oraisons, on y prenait tant de plaisir et de contentement que
rien plus. C'était une belle affaire que de voir la ferveur qui était parmi nos
Sœurs ; il est vrai, cela encourage et anime grandement. Nous ne nous
communiquons pas assez nos petits biens. Ce n'est pas qu'il se faille dire des
grandes choses, comme des ravissements et grâces spéciales que l'on a à
l'oraison de quiétude, mais quelque petite chose de ses bons désirs, sentiments
et affections, selon les occasions et sujets. Mais cela tout cordialement et
bonnement.
Nous ne parlons pas assez ensemble des solides vertus. Surtout parlons
de la résignation et indifférence ; car c'est la vraie et excellente
oraison. Et de l'éternité ! notre Bienheureux Père me dit une fois :
« Nos filles ne parlent pas assez de l'éternité. » Enfin, il
nous disait que nous en parlassions tout familièrement, comme nous parlons de
notre maison de Paris et de Lyon. À quoi devons-nous prendre plus de plaisir,
qu'à cela ? Ces discours-là sont bien utiles, et capables de délecter et
satisfaire l'esprit des vraies religieuses comme nous devons être. Si, par la
vie de mortification que nous menons, nous nous anéantissons, élevons-nous à
Dieu, dans ce doux souvenir de son éternité glorieuse, qu'il destine à ceux qui
quittent quelque chose pour son amour. [301]
SUR LA MORT À SOI-MÊME ET L'HUMBLE GLOIRE DES FILLES DE LA
VISITATION.
Paroles royales : Si nous mourons avec Jésus-Christ, en
douleurs, en travaux et en abjections, nous ressusciterons aussi avec lui, en
gloire, en honneur et en félicité, dit le grand saint Paul. Enfin, mes
chères Sœurs, après avoir tourné et viré tout le monde, nous verrons qu'il n'y
a point de vertu si nous ne mourons à nous-mêmes, si nous ne tuons nos
inclinations et humeurs, pour ranger tout notre être sous l'obéissance et
étendard de Notre-Seigneur, qui est la sainte croix ; néanmoins, les
hommes ne veulent rien souffrir. O mes chères Sœurs ! ayez toujours en
votre mémoire, que si le grain de froment, qui est notre cœur, tombé et semé en
la terre de la religion, ne meurt, il ne portera point de fruits. Si nous ne
ruinons tout le vieil homme, le nouveau ne vivra pas en nous.
Je trouve que le père Balthazar Alvarez avait bien choisi de prendre,
pour sa pratique particulière, ces trois compagnes du Sauveur : Pauvreté,
mépris, douleurs...
Vous dites, ma fille, qu'il n'y a rien qui touche tant que
l'honneur ?... Eh, Seigneur Jésus ! ma chère fille, quel est
l'honneur que doit avoir une âme religieuse, une servante de Dieu, sinon
l'humiliation ?
Il n'y a rien qui me soit plus insupportable qu'une fille de la
Visitation veuille être soigneuse de son point d'honneur ; car n'est-ce
pas chose monstrueuse ? Quel autre honneur voulons-nous avoir que celui
que notre Maître a choisi ? Il a constitué son honneur en l'abjection, au
mépris, et dans les calomnies.
Les vaines personnes du monde mettent leur honneur à monter à cheval,
tirer des armes, danser, sauter et jouer. Quoi ! [302] notre honneur
sera-t-il en des fadaises, aux charges ? Je vous assure que c'est une
grande grâce aux supérieures de servir les épouses de Notre-Seigneur et tenir
sa place parmi elles ; mais, au partir de là, je ne sais quel honneur on y
trouve. Il faut que la pauvre supérieure soit sujette à toutes, et la première
aux offices pénibles, si elle veut édifier ses Sœurs ; qu'elle veille et
travaille souvent, tandis que les autres dorment et se reposent. Il n'y a que
deux surveillantes pour toute la communauté, et il y en a autant pour la
supérieure qu'il y a de Sœurs au monastère, parce que toutes ont l'œil sur
elle ; le moindre mal qu'elle fait ne tombe pas à terre ; et, bien
que les Sœurs ne la surveillent pas à dessein, il est vrai que ses fautes sont
beaucoup mieux vues que celles des autres. À quoi donc encore ? À être
assistante. C'est bien dit, vraiment ; on ne met pas toujours assistantes
les plus vertueuses ; et, quand cela serait, de quoi nous glorifions-nous,
poudre et cendre ? Qu’avons-nous que nous n'ayons reçu ? et si
nous l'avons reçu, pourquoi nous en élevons-nous ? Dieu s'est réservé
trois choses : la gloire, le jugement et la vengeance. Qu'est-ce
que c'est que charge abjecte ou honorable ? Certes ! ma fille, je ne
le sais pas. Qu'est-ce qui peut être abject en la maison de Dieu ?
Toutefois les pères de religion disent qu'être lingère n'est pas autant qu'être
assistante, ni réfectorière que supérieure ; l'office de la cuisine, du
jardin, de pétrir, de balayer, sont aussi appelés abjects. Mais, ô mon
Dieu ! l'heureuse abjection et le grand honneur de servir les épouses de
Notre-Seigneur ! Eh ! mon Dieu, que l'esprit humain est chétif !
Depuis que nous avons passé par les charges d'économe, d'assistante, de
directrice, et autres qui ont de l'autorité, il semble qu'on nous fait grand
tort de nous remettre aux plus basses ; quelle folie, je vous prie !
Certes, il m'a toujours semblé que toutes les obéissances, et emplois que l'on
nous donne en la religion, sont si dignes, que nous nous devrions tenir trop
heureuses et honorées pour les moindres, à quoi l'on nous emploie, et [303]
faire les plus petites choses avec autant d'amour et de soin que si c'était les
plus relevées du monde. Nous nous trompons bien souvent, car parfois nous
pensons perdre notre honneur (puisqu'il faut user de ce mot d'honneur, qui
m'est suspect et à contre-cœur), une religieuse le gagne d'autant mieux quand
on la voit s'adonner à la véritable humilité, mépris d'elle-même et l'entière
soumission ; cela est exalté jusqu'au troisième ciel.
Enfin notre bon roi David dit : J'ai choisi d'être abject, dans
la maison du Seigneur, plutôt que d'habiter ès tabernacles des pécheurs. Mieux
vaut incomparablement être humble Sœur domestique et servir les épouses de
Dieu, lavant leurs linges, apprêtant leur manger et faisant leur pain, que
d'être grande dame d'atours de la reine ; voire, si j'avais à choisir, je
choisirais plutôt l'humble voile blanc d'une Sœur laie de sainte Marie, et pour
être toute ma vie à laver les pots et les écuelles du couvent, que la riche
couronne des plus grandes reines, impératrices qui sont sous le ciel.
Mieux vaut laver les marmites en la maison de Dieu, que d'enfiler les
perles es palais des reines du monde. Mieux valent les larmes, mortifications,
pénitences et sujétions de la vie religieuse, que les honneurs, les délices et
la liberté dont les plus grands jouissent. Oh ! combien glorieuses seront
ces mains qui auront travaillé si longtemps pour le service des épouses de
Jésus-Christ ! Combien resplendissants ces pieds qui s'y seront
lassés ! Au jour du jugement, Dieu dira à ceux qui auront servi ses
serviteurs et ses servantes : « Ce que vous leur avez fait, c'est
à moi que vous l'avez fait ; venez et je vous guerdonnerai
(récompenserai). » Mais aux amateurs du monde, que leur
dira-t-il ? sinon : « Retirez-vous de moi, faiseurs
d'iniquités ; je ne vous connais point. » Alors on verra les
pauvres frères et sœurs lais, assis plus haut sur des trônes que plusieurs rois
et reines, qui peut-être seront aux enfers ou au ciel, mais bien au-dessous
d'eux. [304]
Voyez-vous donc, est-ce un mépris d'être employée aux choses
petites ? Certes, si c'est un mépris, il est bien désirable, et c'est une
abjection bien honorable et glorieuse. Combien de petites religieuses simples
et méprisées, qui n'auront jamais été employées qu'à raccommoder des habits et
à balayer, se verront, au jour du jugement, exaltées par-dessus celles qui auront
été quasi toute leur vie aux plus hautes charges de la religion ! Certes,
mes Sœurs, ce ne sera point le rang ni les offices qui nous feront grandes ou
petites en l'autre vie, mais ce seront les vertus que nous aurons pratiquées en
iceux.
L'amour de Dieu, le support du prochain, la douceur, la modestie, le
recueillement, le mépris de soi-même, l'affabilité, la fidélité à la règle,
l'humilité : voilà ce que Dieu regarde et rien autre. Ses yeux ne sont pas
charnels ; il n'est pas comme les hommes qui se trompent facilement en
l'extérieur ; mais Dieu sonde les cœurs, et ne fait état que des vraies
vertus intérieures.
Mes chères Sœurs, je n'approuve point cette pratique : une Sœur
saura bien faire les cantiques, et lorsqu'on ordonnera ou permettra d'en faire,
comme à Noël, elle fera un coq-à-l'âne afin que l'on dise qu'elle n'a point
d'esprit ; c'est qu'il y a un fin orgueil caché là-dessous, mais du bien
fin, car c'est pour que l'on dise : Mon Dieu ! que ma Sœur est
humble ! elle sait fort bien rimer et ne le fait pas paraître. Notre
Bienheureux Père ne voulait pas que l'on fit l'ignorante de ce que l'on savait,
non plus que la suffisante de ce que l'on ignorait. Je vous prie, mes Sœurs,
n'allons pas chercher de nouveaux moyens de nous mortifier, nous en trouverons
assez en l'observance ; soyons seulement bien exactes à les employer, car
autrement ce n'est pas l'esprit de notre Institut, qui doit être un esprit de
rondeur, de simplicité et d'une franche et naïve communication de nos petits
biens au prochain : cela veut dire spécialement à nos Sœurs. [305]
(Fait en 1627)
SUR LA TRANQUILLITÉ INTÉRIEURE ET LA MORTIFICATION.
Vous demandez, mes chères Sœurs, que c'est que la tranquillité
intérieure ? Je ne le sais pas bien moi-même ; toutefois, mes chères
filles, je pense que c'est la mortification intérieure de toutes nos passions
et mouvements, pour ranger tout sous l'empire de la raison, car il n'y a rien,
à mon avis, de si tranquille qu'une âme qui a ses passions accoisées et
soumises à la partie supérieure, et lorsque les passions sont toutes vives et
immortifiées, elles font un grand tintamarre et un terrible bruit et partout où
il y a du bruit et du tumulte, il n'y saurait avoir de la tranquillité. Il faut
donc avoir un grand soin d'acquérir cette tranquillité tant profitable et
désirable, par la mortification de nos passions. C'est une des vertus de notre
Institut, qui est tout fondé sur la vie intérieure.
L'on a bien des bons désirs, dites-vous, d'acquérir cette vie
intérieure, dans la partie supérieure, mais qu'ils sont quelquefois si minces
en l'inférieure, qu'elle se rend plus forte pour surmonter la première, par les
efforts de notre nature dépravée et qui entraîne tout après soi. Ma chère Sœur,
nous n'avons aucune raison d'excuse, parce qu'avec la grâce de Dieu, qui ne
nous manque jamais, nous pouvons éviter le mal et faire le bien. Si nous
eussions voulu vivre selon la nature et mauvais penchants qu'elle nous donne,
il n'y avait qu'à demeurer au monde. Mais pourquoi sommes-nous venues en religion,
sinon pour y vivre selon l'esprit, pour nous vaincre et mortifier et pour
suivre nos observances et la manière de vie que nous avons embrassée ?
Nous ne suivons pas assez, mes chères filles, [306] à mon avis, nos premières
in tentions. Je veux être plus rigide que par le passé, pour la première
réception des filles, et je veux leur dire franchement que si elles pensent de
vivre selon leurs humeurs, qu'elles demeurent dans le monde où elles les
pourront suivre. Si vous voulez être traitées, vêtues, et encore employées à
votre gré, demeurez chez vous et restez maîtresses de vous-mêmes ; mais
si, au contraire, vous êtes résolues de mourir à vous-mêmes, de vous faire
violence et de vivre selon la raison, la règle et l'obéissance, venez et
entrez, à la bonne heure, en la sainte maison de Dieu ! Que si celles qui
ont encore le voile blanc ne sont pas bien résolues de vivre comme j'ai dit, il
faut leur dire qu'on les renverra, parce que ce sera faire une grande charité
de donner moyen à telles filles de mieux faire leur salut ailleurs, et d'en
débarrasser la maison.
Il y a si peu d'entre nous qui aient la pureté de l'esprit de notre
saint Institut, que c'est pitié ! Cet esprit, mes chères filles, est
droit, pur et sincère, un esprit qui ne cherche que Dieu, qui tend
perpétuellement à l'union divine, qui doit être indépendant de tout pour ne
dépendre que de Dieu et de son bon plaisir, qui vit par-dessus soi-même pour ne
vivre qu'en Dieu, qui aime Dieu et le prochain, qui ne fait aucun état de ces
petites niaiseries de vouloir qu'on nous aime, qu'on nous préfère, qu'on nous
estime, qu'on nous contente et qu'on devine nos désirs : tout cela doit
être méprisé comme indigne d'un cœur que Dieu gratifie de ses grâces, et d'une
âme qui est appelée à son service et à une vocation si noble, qui nous oblige
de tendre et aspirer à une perfection si éminente. Mes Sœurs, il faut
travailler : vous êtes assurément de bonnes filles, mais il faut devenir
meilleures.
Voulez-vous bien, mes chères filles, que je vous parle franchement ?
Eh bien, nous sommes encore un peu trop terrestres et trop tendres, surtout sur
nous-même ; nous voulons un peu trop ce que nous voulons, et ne levons pas
assez nos yeux et nos [307] cœurs vers les choses célestes. O Dieu ! mes
Sœurs, qu'est-ce que cette vie, et de quoi faisons-nous tant d'état ?
D'être aimées estimées et considérées ! À quoi pensons-nous : si l'on
nous emploie, si l'on nous méprise, ou si l'on nous traite comme les autres ou
non, si l'on nous emploie à ceci ou à cela ? Et de quoi nous inquiétons-nous ?
de quoi nous troublons-nous ? D'avoir fait une faute, surtout si elle a
été remarquée. Et si l'on nous contrarie, si l'on nous fâche, nous ferons mille
réflexions là-dessus et autour de nous-mêmes, au lieu de nous relever généreusement
après nous être profondément et amoureusement humiliées devant Dieu, comme il
nous est enseigné ; et, après, passer avant dans notre chemin. Tant que
nous vivrons nous ferons des fautes ; tout ce que nous pouvons faire,
c'est d'en commettre le moins qu'il est possible. L'on voit plus clair que le
jour les manquements desquels l'on peut s'exempter et ceux desquels l'on ne
peut bonnement éviter : les premiers sont ceux qui se font avec vue,
volontairement et avec une totale négligence, que nous pouvons absolument
éviter avec la grâce de Notre-Seigneur, et tout l'enfer même ne peut nous les
faire faire si nous ne voulons y consentir. Les autres, desquels nous ne
pouvons nous exempter, ce sont les fautes de pure fragilité, parce que nous en
ferons toujours, et Dieu le permet pour nous tenir en humilité, pour nous faire
bien voir que nous ne sommes que de pauvres créatures, viles, fragiles et
abjectes, et encore pour nous donner un exercice continuel.
Oui, mes Sœurs, Dieu donne de plus grandes grâces aux uns qu'aux autres,
comme il donne aussi de plus grandes occasions de son assistance aux uns qu'aux
autres ; mais il donne à tous une grâce suffisante, très-assurément, pour
faire tout ce qu'il veut de nous ; mais tous ne correspondent pas
également, et ne se servent pas de cette grâce qui leur est donnée, comme il
est requis.
Dites-moi, mes chères filles, si vous étiez mères de famille, [308]
enverriez-vous bien vos valets et vos enfants travailler à la campagne ou
tailler les vignes, sans les pourvoir des outils nécessaires pour faire ce que
vous voulez qu'ils fassent ? Mon fils Celse-Bénigne m'aurait dit, si je ne
lui avais pas fourni ce qu'il lui fallait, lorsque je lui ordonnais de faire
quelque chose : « Ma Mère, donnez-moi ceci ou cela, et je ferai ce
que vous me commandez. » — Mes Sœurs, penserions-nous que Dieu nous
demande de faire quelque chose, et qu'il ne nous donne pas en même temps
l'assistance nécessaire pour exécuter son commandement ? Nous nous
tromperions grandement d'avoir cette méfiance. Non, mes Sœurs, Dieu ne nous
manque jamais.
Vous dites que la présence de Dieu nous aide fort à pratiquer la
vertu : il est vrai, tous les Saints-Pères sont d'accord que cet exercice
de la présence divine est le plus excellent qui soit en la vie spirituelle, et
ils l'ont eux-mêmes pratiqué. Il y a des âmes qui se tiennent bien à cette
continuelle présence de Dieu, bien unies à sa bonté, bien recueillies, mais
pourtant qui, étant touchées seulement du bout du doigt par une petite
contradiction ou humiliation, font soudain voir ce qu'elles sont : vives
et immortifiées. Cela fait voir que nous n'étions pas à cette sainte et
adorable présence de Dieu pour lui plaire, mais pour nous plaire à nous-même.
Il y a bien de la différence entre que Dieu nous plaise, ou que nous plaisions
à ses yeux divins ; à qui Dieu ne plaît-il pas, étant ce qu'il est, la
beauté et bonté souveraine ? — Mais pour plaire à sa Majesté, qu'est-ce
qu'il faut le plus regarder et désirer ? il faut faire sa volonté, il faut
le contenter en tout et partout ; il faut vivre mortifiées, renoncer à
nous-même ; c'est ce qu'il veut de nous, et ce qu'il nous faut faire
uniquement, qu'à cette fin de lui plaire, et parce que tel est son bon plaisir.
Vous voyez donc, mes chères filles, qu'il faut accompagner la présence de Dieu
qui nous vivifie, de la mort de nous-même ; ces deux exercices ne doivent
point aller l'un sans l'autre : présence de Dieu et mortification ;
ils se [309] soutiennent tous deux, et une âme mortifiée n'est pas sujette à se
distraire et divertir ; elle goûte Dieu et se tient bien mieux unie et
proche de lui ; elle est plus susceptible à être pénétrée de cette divine
présence qui, d'ailleurs, rend la mort facile, et qui fait tout faire et tout
supporter, nous donnant la force de nous vaincre et adoucir si fort les
difficultés, qu'elle ne les laisse presque pas ressentir à l'âme qui jouit de
cette divine approche de Dieu.
Mes Sœurs, enfin, la présence de Dieu sans la mortification est presque
inutile : Dieu nous plaît, mais nous ne lui plaisons pas, et il vaut mieux
plaire à Dieu qu'à nous-même. La mortification aussi, sans la divine présence,
n'est qu'une présomption, d'autant que nous avons besoin d'une aide
particulière de Dieu pour nous mortifier, et nous ne pouvons mieux trouver
cette aide toute-puissante qu'en nous tenant proche de ce grand Dieu, par
l'exercice de cette sainte présence. Mes Sœurs, travaillons tout de bon pour
son amour à nous rendre parfaites ; ne nous amusons plus à tant de petites
impertinences et niaiseries indignes de notre vocation. Ayons souvent ce
proverbe en l'esprit : nul bien sans peine, parce que
l'appréhension de cette peine fait tout notre mal : nous voudrions bien la
perfection, mais il nous tâche de souffrir pour l'acquérir ; il faut faire
une continuelle guerre à nous-même, et nous appréhendons qu'il nous en coûte
trop. Il en faut pourtant venir là. L'on ne saurait apprendre aucun art, pour
mécanique qu'il soit, sans peines et sans fatigues : l'on ne saurait donc
apprendre le nôtre, qui est celui de la vertu, sans souffrances et sans nous
donner du soin. Non, je ne m'étonne pas des ennuis, des jalousies et des
inclinations propres ; mais je dis qu'il faut assujettir tout cela à la
raison et au bon plaisir de Dieu. Une fois, notre Bienheureux Père eut un petit
mouvement d'envie contre un certain prélat qui était extrêmement suivi et
applaudi en ses prédications. Incontinent, ce Bienheureux s'en alla écraser la
[310] tête à son esprit, au pied de la croix de Notre-Seigneur, et portant dans
son sein ce bon évêque, supplia sa Bonté qu'il le fît pour jamais le fils aîné
de son Cœur, qu'il lui augmentât journellement ses grâces, qu'il l'exaltât au
ciel et en la terre, et que, pour lui, il le tînt toujours bas comme un ciron
et un petit vermisseau. O Dieu ! mes Sœurs, si nous nous comportions de la
sorte parmi les mouvements et pensées qui nous arrivent, que nous serions
heureuses et que nous les rendrions faibles et impuissants à nous
tourmenter ! Que nous connaîtrons bien à la mort que l'estime des
créatures est vaine, et que vaines sont toutes les choses que nous désirons
présentement ! Nous savons bien que nous devrions mépriser tout ce que
nous prisons le plus possible ; mais nous voulons pourtant toujours ce que
nous voulons, qui sont nos commodités, qu'on fasse état de nous et qu'on nous
aime ; et, si l'on ne le fait pas, tout est perdu ; nous nous
attendrissons, nous nous inquiétons et restons mélancoliques. C'est le grand
défaut des femmes que la trop grande tendresse sur leur corps et sur leur
esprit. La supérieure y doit prendre garde, et si elle en trouve qui soient
ainsi trop tendres, elle les doit encourager à se relever de ce défaut, et même
elle y est obligée. C'est aussi une grande charge que celle de la supérieure,
parce qu'elle ne doit pas seulement rendre compte pour elle, à Dieu, mais
encore de ses Sœurs, si, par son défaut, elles n'avancent pas à la perfection
comme elles doivent.
Mais, mes chères Sœurs, prenons bon courage : faisons bien tout ce
que nous venons de dire ; aimons bien Dieu, aimons bien notre prochain,
aimons-nous les uns les autres ; élevons nos cœurs aux choses hautes, et
aspirons aux choses célestes ; méprisons les terrestres, et souvenez-vous
que cette vie est un perpétuel combat que nous n'aurons nul bien sans
peine ; n'ayons rien si à cœur que de nous exercer à la pratique de
l'oraison, de la présence de Dieu et de la mortification, et je vous assure que
nous trouverons tout là, en nous disposant à [311] recevoir, par ces moyens,
les grandes grâces de Notre-Seigneur, en cette vie, et que nous acquerrons un
grand degré de gloire en l'autre. Amen.
SUR LA DÉTERMINATION QUE DOIT AVOIR L’ÂME DÉSIREUSE DE
PROGRESSER EN LA VIE SPIRITUELLE.
La solide vertu consiste à ne s'attacher qu'à Dieu, ne vouloir que
Dieu, ne chercher que Dieu et ne dépendre que de lui, à le servir constamment
et persévéramment en quel état qu'il nous mette, soit que nous soyons en
prospérité ou en adversité, en consolation ou en affliction, en santé ou en
maladie, en sécheresse ou en suavité ; car le défaut de goût, de plaisir
aux bonnes actions que nous faisons, n'ôte ni le pouvoir d'en faire, ni le
mérite d'icelles. Au contraire, elles sont plus agréables à Dieu lorsqu'il y a
moins du nôtre, parce que nous agissons plus purement pour Lui ; car Dieu
cache ses trésors dans l'abîme des tribulations.
Ayez bon courage, mes filles, car c'est le propre de la vertu solide,
d'être acquise et pratiquée avec beaucoup de difficultés ; croyez-moi, les
sécheresses et ennuis sont de grands moyens, en la vie spirituelle, pour accroître
en nous le pur amour de Dieu, et il prétend par toutes nos peines élever notre
âme au-dessus d'elle-même.
Il ne faut pas se mettre en souci de faire sentir à notre nature et
partie inférieure, cette résolution que notre âme a d'être toute à Dieu, et de
le servir aussi volontiers dans l'affliction et les douleurs comme dans la
santé et consolation. Non, car la [312] nature, qui est grossière et
matérielle, ne se nourrit pas de mets si délicats ; il suffit que la
partie supérieure ait cette conformité que l'on sent à la volonté et bon
plaisir de Dieu. Les douleurs et infirmités de corps et d'esprit sont de grands
moyens pour pratiquer d'excellentes vertus et enrichir l'âme de trésors bien
précieux. Demeurez donc en cette sainte indifférence et résignation, à tout ce
qu'il plaira à sa douce Bonté faire de vous, ne vous réservant que le seul soin
de tenir votre âme en pureté.
Je désire, mes filles, que vous affermissiez fortement en vos âmes le
dégagement de toutes choses, quelles qu'elles soient, et que vous disiez quand
le désir de quelque chose vous vient : Non, non, mon Dieu, je ne désire ni
ne voudrais pas avoir un seul brin de l'amour d'aucune créature, et surtout de
notre Mère, qu'autant qu'il sera de votre bon plaisir. — Il faut de plus que vous
fassiez une chose pour graver bien avant dans vos cœurs l'affection de la
solide vertu ; c'est que vous présentiez bien souvent à votre pensée des
choses difficiles qui vous pourraient arriver, comme si l'obéissance vous
commandait d'aller à quatre cents lieues loin de votre Mère, que l'on médît de
vous, que l'on vous accusât de quelque grande chose, que l'on parlât mal de
notre Institut, que vous fussiez accablée de peines intérieures et grandes
pressures de cœur, de travaux extérieurs, de pauvreté sans remède et
semblables ; que feriez-vous ?... Et, là-dessus, faire une forte
résolution d'être fidèle à Dieu, et la ficher et approfondir bien avant dans le
cœur. Notre Bienheureux Père approuvait et recommandait fort cette pratique que
lui-même faisait bien souvent, et il disait, ce Bienheureux : « Nous
ne devrions rien recueillir de toutes les occasions que nous rencontrons,
que la rosée du bon plaisir céleste. »
Quand nous sentons en notre âme ces grands dégoûts de toutes les choses
extérieures, c'est alors qu'elle commence à se déprendre des créatures pour
s'attacher à Dieu seul, son unique consolation, et bien heureuse est la
nécessité qui nous [313] contraint de nous reposer ainsi parfaitement en lui.
Quand tout se bouleverserait sens dessus dessous, eh bien ! qu'en
serait-ce ? faudrait-il pour cela perdre la paix du cœur ? Non, car
il ne la faut perdre pour rien, mais regarder tous les événements en la volonté
de Dieu.
La vraie manière de servir Dieu, c'est de marcher par un chemin que
l'on ne connaît point ; et, lorsqu'il semble que tout est bouleversé sens
dessus dessous dans l'âme, pourvu qu'elle demeure fidèle parmi fout cela à la
pratique des vertus, elle ne se doit point mettre en peine pour connaître
quelle est sa voie, ni même y penser ; mais marcher simplement en ce
parfait abandonnement et renoncement d'elle-même à Dieu. Oh ! mes filles,
que vous êtes heureuses de souffrir si vous le faites avec amour !
La leçon (qu'il faut apprendre) en cette vie, c'est de faire, aimer et
souffrir. C'est notre passe-port de cette vie en l'autre.
Dieu a mis ès mains de notre fidélité la perfection de nos âmes,
laquelle ne se trouve qu'au bout de la parfaite mortification de notre nature.
La meilleure et la plus grande pratique de patience que l'on puisse
faire en la vie spirituelle, c'est de se supporter soi-même en ses faiblesses
et impuissances de volonté, parmi lesquelles la pauvre âme se trouve parfois de
faire le bien.
Il y a des âmes qui, pour sentir en elles de bons désirs, croient être
des demi-saintes. Dieu nous garde de nous-même ! Il n'y a point de plus
dangereux ennemis que l'orgueil et la vanité. L'amour veut des œuvres, et celui
qui se termine en des seuls désirs est faux et supposé.
La meilleure pénitence que puissent faire les âmes religieuses, c'est
de rompre leur volonté et d'y renoncer. C'est celle que Dieu demande
particulièrement des filles de la Visitation, parce que notre vocation nous
assujettit en tout, à tant de petites obéissances, à tant de sujétions de ne
pouvoir rien faire sans congé. Il faut grandement rompre sa volonté pour
pratiquer [314] exactement cette entière dépendance. C'est aussi pour cela que notre
Bienheureux Père, qui entendait si bien ce que c'est que la perfection,
disait : « Si j'étais céans, je me rendrais si ponctuel et
si exact à toutes ces menues et plus petites obéissances, que je croirais
ravir, par ce moyen, le Cœur de Dieu. » Certes, l'honneur et le
respect que nous devons porter aux sentiments de ce Bienheureux, nous doivent
grandement affectionner à ce moyen, qu'il jugeait être capable de ravir le Cœur
de notre Dieu.
Ayez acquis toutes les vertus que vous voudrez, si vous ne les
conservez par la pratique actuelle, elles périront.
Vivre selon ses passions et inclinations, c'est vivre en bête ;
vivre selon la prudence humaine, c'est vivre en philosophe ; mais vivre
selon les maximes de l'Évangile, en esprit d'humilité et de mortification,
c'est là vivre selon Dieu, ainsi que l'ont fait tous les Saints. Il nous faut
ruiner jusqu'à la racine toutes ces petites inclinations de la nature, car tout
cela ne sert à rien qu'à l'exercice de la mortification.
SUR LA SIMPLICITÉ ET L'OBÉISSANCE.
Une fille de la Visitation doit avoir une si grande affection à la
simplicité, que, si la nature lui dérobait quelque chose en l'y faisant
manquer, que la grâce le regagne promptement par une plus sainte et fidèle
attention à sa pratique. Pour cela, nous devons marcher continuellement devant
Dieu et devant nous-même.
La vraie simplicité, mes filles, consiste à chercher Dieu purement et
droitement, et à faire voir notre cœur sur nos lèvres [315] quand nous rendrons
compte de notre conscience à nos supérieurs. La simplicité ne philosophe point
sur ce que font et disent les autres ; elle n'a point d'autre regard que
de chercher purement Dieu et sa volonté et de se détourner fidèlement de toutes
les autres choses. Et, certes, c'est un grand indice qu'une âme est bien vide
de Dieu, quand elle s'amuse à regarder les actions des autres et à discourir
pourquoi on fait ceci et cela.
Il n'y a rien qui nous rende plus semblables à Dieu que la
simplicité ; qui l'a vraiment est parfait. Il ne faut point tant de choses
pour la perfection, car il ne faut que vouloir le bien et le faire ; tout
gît en cela. Il se trouve peu de personnes parfaitement dénuées, parce que,
pour l'être parfaitement, il faut être si dégagé de tout l'intérêt propre en ce
qui peut nous provenir, tant de la nature que de la grâce, que, certes, il y a
fort peu d'âmes qui veuillent entreprendre et qui se déterminent, à bon escient,
à ce total renoncement d'elles-mêmes.
La pauvreté est un grand moyen de perfection, mais peu de personnes
peuvent le goûter. Ce n'est pas sans raison que Notre-Seigneur a dit : Bienheureux
les pauvres d'esprit, car celles qui ont l'amour de cette pauvreté, possèdent
déjà le royaume de Dieu.
Le fruit de l'amour c'est l'obéissance, car Notre-Seigneur a dit :
Celui qui m'aime garde mes paroles. O mon Dieu ! que nous serions
heureuses, si nous nous faisions reconnaître, par l'exacte pratique des solides
vertus de notre vocation, comme le Fils de Dieu, en ce monde, se fit connaître
par les œuvres de sa mission ! La nôtre, c'est la parfaite obéissance.
Nous devrions toujours avoir au cœur et à la bouche ce que le prophète Habacuc
disait à Daniel : Serviteur de Dieu, prends ce que le Seigneur
t'envoie !... Ainsi devrions-nous recevoir de la main de Dieu et de
l'obéissance tout ce qui nous est donné, soit en viandes, en habits et en
toutes autres choses, prenant tout, comme ordonné de Dieu. [316]
Tout ce qui se fait en religion et qui est ordonné par l'obéissance,
pour petite que soit la chose, est d'un grand prix et valeur et doit être
regardé et pratiqué d'un œil de dévotion. La vraie dévotion des filles de la
Visitation est celle qui les rend ponctuelles et exactes, jusqu'aux moindres
choses et plus petites observances qui sont en l'Institut. Toute autre dévotion
qui ne nous donne point cette attention est indubitablement fausse.
La perfection d'une religieuse consiste en une véritable et sincère
obéissance, rendue indifféremment à toutes sortes de supérieures, pour Dieu, et
au parfait anéantissement de soi-même. L'obéissance enrichit (glorifie)
Notre-Seigneur, et, quand nous y manquons, nous l'appauvrissons autant qu'il
est en nous.
Tout ce qui se fait par la révérence de l'obéissance, est fait pour
Dieu ; c'est pourquoi il nous doit être indifférent d'être occupée, ou
d'être en repos dans nos cellules, pourvu que nous fassions ce qui nous est
ordonné avec la pure intention de plaire à Dieu.
SUR LA SIMPLICITÉ, LA PAUVRETÉ D'ESPRIT, LA DOUCEUR DE
CŒUR, ET SUR L’ACQUISIT10N D'UNE VERTU
SOLIDE.
Vous avez lu dans un livre, dites-vous, qu'il faut avoir la simplicité
de vie, la pauvreté d'esprit et la douceur de cœur ? Ma chère fille, je ne
suis guère docte, c'est pourquoi je ne sais guère comment répondre à votre
demande. Si vous dirai-je seulement, qu'à mon avis, la simplicité de vie, c'est
d'être simple en ses habits, en sa chambre, en ses meubles, en son manger,
[317] en sa conversation, et en tous ses déportements et actions. L'on dit
qu'une personne est simple en ses habits, quand on la voit habillée simplement,
d'étoffe simple, ou bien sans façon ; de même quand quelqu'un n'a que de
simples meubles en son logis, en son lit, en tout le reste, l'on dit qu'il est
simplement couché, accommodé. Lorsqu'il ne mange que des viandes simples et
communes, l'on dit qu'il est simple en son manger. De même, lorsqu'il est rond,
franc, naïf, et véritable en sa conversation, l'on dit qu'il est simple. Pour
avoir la simplicité de vie, il faut donc être simple en toutes choses, comme
aussi en ses affections, volontés, intentions et prétentions. C'est ici la
vraie simplicité, laquelle est fort désirable, et de laquelle nous devons
principalement faire profession ; car, pour celle-là, nous la pratiquons,
d'autant que nous sommes traitées, couchées et habillées simplement.
Or, quant à la pauvreté d'esprit, c'est un détachement de toutes choses
créées, si on les possède. Cette pauvreté d'esprit requiert qu'on n'y loge point
son affection, de sorte qu'il faut être pauvre de ces choses d'affection et de
volonté, en ayant le cœur détaché et entièrement libre, étant également
contente de ne les avoir pas comme de les avoir.
Une autre pauvreté, c'est de les quitter pour l'amour de Dieu, et pour
le servir plus parfaitement ; non-seulement il les faut quitter d'effet,
mais aussi d'affection. Enfin, la vraie et parfaite pauvreté d'esprit, mes
chères filles, c'est de n'avoir rien que Dieu en son esprit. Oh ! que
cette pauvreté nous rend grandement riches ! parce qu'ayant ainsi quitté
toutes choses et tout ce qui n'est point Dieu, nous venons à posséder les
richesses du Ciel et de la terre, qui est Dieu. Soyons donc bien pauvres de
cette pauvreté ici, ne cherchant que Dieu, ne voulant que Dieu, ne nous
attachant qu'à Dieu. Et nous serons véritablement bienheureuses, et nous
posséderons une grande paix et liberté d'esprit.[318]
Pour la douceur de cœur, ma chère fille, c'est un cœur qui ne se
ressent de rien et ne s'offense de rien qu'on lui fasse, qui supporte tout, qui
endure tout, qui est compatissant et plein de dilection pour le prochain, qui
n'a point d'amertume en son cœur. Non, je n'entends point parler du cœur de
chair ; mais du cœur de la volonté et partie supérieure de notre âme. Donc
les contradictions, persécutions, traverses et difficultés, qui peuvent arriver
en un cœur vraiment doux, sont aussitôt émoussées, dès qu'elles approchent de
lui. Il y en a, de vrai, qui sont naturellement doux ; de sorte qu'ils ont
déjà bien de la besogne faite, et sont bien obligés à Notre-Seigneur, qui leur
a donné ce naturel-là ; néanmoins, s'ils ne le divinisent, cela est bien
peu de chose, et ils n'auront pas la vertu solide. Les autres, qui n'ont pas le
naturel doux, pourront pourtant acquérir cette vertu de douceur de cœur avec la
grâce de Dieu.
Notre Bienheureux Père dit qu'il y a deux sortes de voies, par lesquelles Dieu nous donne les vertus. La
première, c'est par la grâce infuse ; car Notre-Seigneur tenant toutes les
vertus en ses mains, les donne à qui il lui plaît, et rend les âmes parfaites
en un instant, comme il est arrivé en saint Paul, en sainte Madeleine, sainte
Catherine de Gênes, et autres qui ont été parfaites en un instant ; mais
ce sont là des grâces extraordinaires que nous ne devons pas désirer, ni
attendre. L'autre voie d'acquérir les vertus est ordinaire. Par la première,
Dieu y conduit peu d'âmes ; elles sont rares ; enfin, celles qu'il
rend parfaites tout d'un coup ; cela dépend de sa bonté, de son amour, qui
lui fait prévenir de ses bénédictions quelques créatures particulières. Nous ne
devons pas nous promettre, ni présumer mériter ce bonheur. Mais, pour la voie
commune, Notre-Seigneur l'a mise en notre conquête, car c'est par la fidèle
correspondance à la grâce que nous y pourrons parvenir ; et Dieu veut
donner les autres vertus de cette sorte, puisque tous ces Saints les ont
acquises, comme à la pointe de l'épée. [319]
Vous demandez maintenant ce que c'est que vertu solide ? Ma chère
fille, c'est de faire toutes ses actions purement pour Dieu, de pratiquer les
vertus comme Notre-Seigneur les a pratiquées ; car, en tout ce qu'il a
pâti et opéré en la terre, il n'a cherché que la pure gloire de son Père
éternel, le salut des créatures, et nullement son intérêt et satisfaction. En
tout ce que nous faisons, que l'honneur de Dieu, sa plus grande gloire et son
bon plaisir, soient notre seul but. Enfin, la solide vertu est fort constante
et persévérante ; car il ne suffit pas d'être humble aujourd'hui, mais il
le faut être encore demain et jusqu'à l'extrémité de notre vie.
Vous dites : si l'âme qui a la vertu solide, par exemple,
l'humilité, si elle n'a jamais des ressentiments des humiliations qui se
présentent ?
Si elle est bien fondée en cette vertu, elle n'en aura pas souvent ;
néanmoins, il en peut arriver quelquefois, mais elle se jette incontinent en
Dieu, et s'anéantit si fort en sa présence et dans son néant, que cela se
dissipe. Notre Bienheureux Père dit qu'il était insensible aux mépris, injures
et contrôlements que l'on faisait de ses actions. Oh ! c'est ici où se
font les vrais actes d'humilité, de souffrir doucement d'être humiliée, avilie,
tenue pour incapable, inutile, qu'on ne fasse point d'état de nous, qu'on
censure et contrôle tout ce que nous faisons, à se soumettre à l'obéissance, à
chercher le mépris, à se tenir pour la moindre de toutes. S'il est dit dans nos
règles que la supérieure se tiendra sous les pieds de toutes, à plus forte
raison, les Sœurs se doivent-elles tenir aux pieds les unes des autres. O Dieu !
mes chères filles, qu'il faut bien prendre garde à l'inclination de l'estime et
aux pensées de rehaussement pour les étouffer, et s'approfondir à bon escient.
Quand il nous vient à l'oraison des pensées et affections d'humilité, à quelle
pratique vous les devez rapporter, dites-vous ? À la souplesse, à
l'obéissance ; car, ma chère fille, les plus grands actes d'humilité [320]
consistent en la soumission ; c'est la pierre de touche pour connaître si
la sainteté et l'humilité qui se rencontrent aux âmes est vraie. Ne voyez-vous
pas que ce fut la marque assurée que les anciens Pères du désert eurent pour
connaître si saint Siméon Stylite était poussé par l'esprit de Dieu, à mener
une vie si extraordinaire et inusitée ? La solide vertu donc ne s'attache
qu'à Dieu, et consiste à ne vouloir que Dieu, ne dépendre que de Dieu, le
servir également, constamment et persévéramment, en quelque état qu'il nous
mette, soit que nous soyons en prospérité ou adversité, en joie ou tristesse,
en consolation ou affliction, en santé ou en maladie, en sécheresse ou en
suavité.
SUR LA PARFAITE SIMPLICITÉ.
La parfaite simplicité, mes filles, consiste à n'avoir qu'une
très-unique prétention en toutes nos actions, qui est de plaire à Dieu en
toutes choses. La deuxième pratique de cette vertu qui suit celle-là, c'est de
ne voir que la volonté de ce grand Dieu en toutes les choses qui nous arrivent
de bien et de mal-par ce moyen, aimant cette volonté adorable, notre âme sera
toujours tranquille en tout événement, même dans le retardement de notre
perfection, ne laissant pas d'y travailler fidèlement. La troisième pratique de
simplicité consiste à découvrir ses défauts sincèrement, sans les ombrager. La
quatrième, c'est d'être véritable en ses paroles, ne les multipliant guère,
surtout lorsqu'il s'agit de nous justifier. La cinquième, c'est de vivre du
jour à la journée, sans prévoyance ni soin de nous-même, mais faire bien à tout
moment, ce qui nous est prescrit, selon [321] notre vocation, nous confiant et
remettant uniquement à la divine Providence. Si nous employons fidèlement les
occasions présentes, soyons certaines qu'il nous en pourvoira de plus grandes
de travailler à son divin service, à notre perfection et à sa gloire. Nous ne
saurions être vraiment simples et avoir tant de soins de l'avenir. La bonne
simplicité rend la personne sans fard et sans réflexion sur ses actions :
si elles sont bonnes vous n'avez que faire de les considérer ; si elles
sont imparfaites,. votre cœur vous les fera bien voir ; et, si vous vous
découvrez bien à ceux qui vous dirigent, ils sauront bien faire ce
discernement.
Je trouve que c'est un acte de grande perfection, de se conformer en
toutes choses à la communauté, et de ne s'en départir jamais par notre choix,
d'autant que c'est un très-bon moyen de s'unir à notre prochain, et comme c'en
est un bien excellent pour cacher à nous-même notre perfection. Il se trouve
même, dans cette pratique, une certaine simplicité de cœur si parfaite, qu'elle
contient toute perfection. Cette sacrée simplicité fait que l'âme ne regarde
que Dieu en tout ce qu'elle fait, et se tient toute resserrée dans elle-même
pour s'appliquer à la seule fidélité de l'amour de son souverain Bien, par
l'observance de sa règle, sans épancher ses désirs à chercher des moyens de
faire plus que cela. Elle ne veut pas faire des choses extraordinaires, qui lui
pourraient acquérir l'estime des créatures ; mais elle se tient anéantie
dans elle-même. Elle n'a pas de grandes satisfactions, parce qu'elle ne fait
rien qui contente sa volonté, ni rien de plus que la communauté. Il lui semble
qu'elle ne fait rien ; et, de cette manière, sa sainteté est cachée à ses
yeux et à sa connaissance. Dieu la voit seule, qui se plaît dans cette divine
simplicité par laquelle elle ravit son Cœur, en s'unissant à lui par un amour
tout pur, tout simple, et tout fidèle. Elle n'a plus d'attention pour suivre
les lumières de son amour-propre ; elle n'écoute plus ses persuasions et
ne veut [322] plus voir ses inventions, qui voudraient chercher la propre estime
par de grandes entreprises, et par des actions suréminentes qui nous fassent
distinguer du commun.
Une telle âme jouit d'une paix toujours tranquille ; elle peut
dire qu'elle est libre pour s'élever au-dessus de soi, par la possession de
l'union divine. Ainsi, mes filles, ne croyez jamais de faire peu de chose
lorsque vous ne faites que suivre le train commun.
Mes chères Sœurs, il est vrai, certes, que Dieu attire, quoique
diversement, toutes les filles de la Visitation à lui, par une certaine sainte
simplicité. Or, cet attrait est bon lorsqu'il apprend à l'âme à ne dépendre que
de Dieu, à n'aimer que Dieu, à n'obéir qu'à Dieu, et en des choses de Dieu, et
non a nos inclinations. Je dis et le dirai toujours que, lorsque Dieu favorise
une âme de cette sacrée simplicité et familiarité avec lui, quand on voit que
cela la rend plus humble et observante, on ne l'en doit jamais, ni elle ne s'en
doit jamais divertir, pour bon que lui semble les autres voies ; car, quel
bien plus désirable ni meilleur, que de se reposer tout en Dieu ? Je dis
que c'est la vraie voie et la vraie sainteté de l'âme ; si elle s'en
détourne, elle se met en danger de résister à Dieu et le faire retirer
d'elle ; et, après, elle aura bien de la peine à retourner à sa place,
encore ne sais-je si elle y retournera.
Je ne sais pourquoi le cœur de l'homme est si imbécile : Dieu
n'est-il pas le Dieu des cœurs, n'est-ce donc pas à lui de donner l'attrait
qu'il sait être le plus convenable ? Oui, mes Sœurs, nos cœurs sont créés
pour Dieu et n'ont point de repos qu'ils ne [323] soient en Dieu. Faisons donc
notre pouvoir pour les ranger absolument en ce divin centre ; et, quand
une fois nous les y trouverons, ne les en détournons jamais, autrement nous
serions coupables devant Dieu.
Dieu est le trésor de l'âme pure et fidèle ; quand donc elle a son
trésor, qu'elle en jouisse sans désirer autre chose. La perfection des filles
de la Visitation doit être fondée sur quatre pierres, autrement leur édifice
tombera : la profonde humilité, la candide simplicité, la suave douceur et
condescendance, et le total abandonnement d'elles-mêmes entre les bras de la
divine Providence et de leur supérieure. Voilà le moyen efficace d'arriver à la
perfection de notre sainte vocation.
SUR L'EXCELLENCE DE LA PRIÈRE.
Vous faites bien, mes chères filles, de vouloir être instruites sur la
prière, et de me demander que je vous en dise un mot : elle est le canal
qui unit le cœur d'une religieuse avec celui de Dieu ; la prière attire
les eaux du ciel, qui descendent et montent de nous à Dieu, et de Dieu à nous.
C'est le premier acte de notre foi ; et, par conséquent, ce que l'Apôtre
dit de la foi, que sans elle il est impossible de plaire à Dieu, il faut
le dire de la prière. Elle est la voie par laquelle nous demandons à Dieu et à
Jésus-Christ, qui est notre unique libérateur, qu'il nous sauve parce que nous
ressentons en nous de si grands mouvements d'infirmité, que, s'il ne nous
soutenait à tout moment par des grâces nouvelles, nous péririons.
On peut dire, en un certain sens, que tout ce que nous [324] faisons,
dans la religion, le manger et le dormir, est une prière, quand nous le faisons
simplement dans l'ordre qui nous est prescrit, sans y ajouter ni diminuer rien,
par nos caprices et vaines élections ; c'est-à-dire, quand on obéit à
toute la règle morte et vivante, aussi bien à la supérieure que nous voyons et
qui nous gouverne par ses ordonnances, qu'au Bienheureux qui a fait la règle,
et que nous ne voyons pas.
Lorsque le temps de nous mettre devant sa divine Bonté, pour lui parler
seul à seul, est arrivé, ce qu'on appelle prière, la seule présence de notre
esprit devant le sien, et du sien devant le nôtre, forme la prière, soit que
nous y ayons de bonnes pensées et bons sentiments, ou que nous n'en ayons
point. Il faut seulement, avec toute simplicité, sans faire aucun violent
effort d'esprit, nous tenir devant lui, avec des mouvements d'amour et une
attention de toute notre âme, sans nous distraire volontairement ; alors
tout le temps que nous sommes à genoux sera tenu pour une prière devant
Dieu ; car il aime autant la souffrance humble des pensées vaines et
involontaires, qui nous attaquent alors, que les meilleures pensées que nous
avons eues en d'autres temps ; car une des plus excellentes prières, c'est
le désir amoureux de notre cœur envers Dieu, et la souffrance des choses qui
nous déplaisent. Elle se rencontre alors avec la patience qui est la première
des vertus, et l'âme qui s'élève ainsi humblement du milieu de ses distractions,
doit croire qu'elle a autant prié que si elle n'en eût aucunement souffert.
C'est une marque de simplicité et même d'amour de Dieu, que de lui faire nos
demandes sans vouloir le contraindre de ne donner qu'autant, et en tant qu'il
lui plaira. Il est ravi de l'oraison d'une telle âme si simple, si humble et si
soumise à sa volonté, comme nous sommes ravies de voir un pauvre nous demander
(l'aumône), sans se troubler du refus que nous lui faisons. En effet, quelque
importunité qu'il y apporte, ou, pour mieux dire, quelque longue que soit sa
présence devant nous, sans nous [325] regarder qu'avec les yeux baissés, ne
sommes-nous pas touchées, lorsqu'il s'en va après le temps qu'il a mis à nous
attendre ?
C'est de la simplicité de cette âme qui prie ainsi qu'il faut
dire : Si ton œil est simple, tout ton corps sera lumineux, c'est-à-dire
toutes les bonnes œuvres que tu feras dans la religion, le long de la journée,
ensuite d'une telle oraison, seront agréables à celui que tu as prié, et
remplies de sa lumière divine, invisible et insensible. Souvent il arrive que
lorsque nous pensons avoir la lumière et les grâces, nous ne les avons point,
et lorsque nous pensons ne les point avoir, nous les avons ; c'est
pourquoi on se met vainement en peine de chercher des lumières dans l'oraison,
puisqu'on ne les a pas : l'opération du Saint-Esprit dans l'âme étant
toute intérieure et souvent inconnue à l'âme même. C'est assez, ce me semble,
d'être ainsi présente devant Dieu et d'agir comme je vous ai dit.
Il n'y a pas longtemps que j'ai écrit à quelqu'un, qu'il faut être
comme un vase ouvert et exposé devant Dieu, lorsqu'on le prie, afin qu'il y
distille sa grâce peu à peu selon sa volonté, et demeurer presque aussi content
de le rapporter chez nous, ce vase vide, que s'il avait été tout rempli. À la
fin il arrivera que Dieu y distillera cette eau divine, si on se présente
souvent avec cette foi vive, et un entier désintéressement de ce qu'on peut
désirer de lui, car souvent on croit qu'on s'en retourne vide, lorsqu'on est
rempli de l'Esprit de Dieu, bien qu'on l'ignore.
Le chemin que tient l'Esprit de Dieu, lorsqu'il entre dans nous, est
inconnu, puisque l'Écriture dit : On ne sait d'où il vient ni où il va.
C'est assez de savoir qu'on l'a reçu, par les effets qu'il produit tous les
jours, et qu'on se sente plus forte qu'on n'était, sans savoir comment ni quand
cette grâce est venue dans nous. Il est certain qu'elle ne peut être venue que
dans l'oraison, et par suite des fréquentes oblations que nous avons faites de notre
cœur à Dieu. On ne voit point croître les arbres ni les corps des hommes, quand
bien même on les [326] regarderait depuis le matin jusqu'au soir ; mais on
est étonné de voir ensuite leur accroissement. Il en est de même des
âmes : elles avancent dans la voie de Dieu, bien qu'elles ne s'en
aperçoivent pas, pourvu qu'elles soient fidèles à correspondre aux lumières et
attraits de la grâce.
Il en est de l'Esprit de Dieu que nous demandons par la prière, comme
du Corps de Dieu que le prêtre produit, par la consécration. L'un et l'autre
nous est nécessaire et nous a été promis par Jésus-Christ Notre-Seigneur pour
la nourriture de nos âmes ; et cependant ni le prêtre, ni nous, lorsque
nous communions, et que la foi nous apprend que nous avons reçu le Corps de Jésus-Christ,
nous n'en avons d'ordinaire aucun goût ni aucun sentiment ; mais nous le
digérons (pour user de ce terme) par la foi, étant certaines sur la parole de
Dieu, quoique nous ne l'ayons ni vu, ni senti, ni goûté, qu'il nourrit
néanmoins nos âmes, et qu'il produira en elles des effets de lumières et de
force, parmi les ténèbres et les sécheresses qu'il a laissées en nous, après
l'avoir reçu.
La première de toutes les oraisons et qui est le modèle de toutes les
autres, est celle que le prêtre fait à Dieu en lui offrant le sacrifice de la
messe, et en changeant le pain matériel de la terre en son Corps glorieux qui
est la viande des Anges. Il a plu à la Bonté infinie de nous nourrir de cette
substance divine, sous les voiles du pain et du vin, parmi les obscurités et
les aridités qui l'accompagnent clans l'Église de la terre, en attendant qu'il
nous donne à contempler sa divinité dévoilée dans l'Église du ciel, où elle
produira en nous toutes les lumières et les plaisirs qui en sont inséparables.
Après cela, on n'a pas sujet de se plaindre si dans les autres prières
particulières, qui sont toutes moindres que celle qui change le pain et le vin
au sacré Corps de Jésus-Christ, et produit le grand sacrifice de la messe, il
n'y a nul goût, nulle saveur, ni aucune lumière sensible. Le prêtre, même le
plus [327] excellent, n'est pas toujours exempt des distractions au moment
qu'il consacre le Corps du Fils de Dieu ; et peut-être que nul ne pourrait
dire qu'il a goûté sensiblement la substance de cette divine nourriture, en la
prenant. Je sais qu'il y a des personnes fort unies à Dieu qui ont prié
plusieurs années sans avoir aucune consolation sensible, et qui néanmoins ont
toujours paru insensibles dans les plus grandes tentations. Elles étaient si
résolues dans les occasions où il s'agissait de servir Dieu et de lui rendre
des témoignages de leur obéissance et de leur amour, que rien ne les a pu
ébranler, s'estimant heureuses de ne rien recevoir de sensible, et de sentir et
souffrir toutes sortes de peines et de travaux pour Dieu.
SUR LE RECUEILLEMENT ET LE PARFAIT ABANDONNEMENT DE
SOI-MÊME À DIEU.
Vous voulez toujours que je vous prêche, mes Sœurs, et je ne sais point
prêcher ; je viens bien plutôt chercher parmi vous l'aumône d'un peu de
ferveur en répondant à vos demandes.
Vous voulez savoir si vous ne devez pas être bien fidèles au saint
recueillement ?
Oui, sans doute, ma chère fille ; ce sont nos vieilles leçons que
toutes nos Sœurs savent bien, Dieu merci ; mais vous m'en faites la
question comme de la chose la plus nécessaire. En effet, c'est la bonne odeur
d'une maison religieuse qu'une âme recueillie et unie à Dieu ; toutes ses
actions prêchent le recueillement. C'est l'un des plus grands moyens que nous
ayons pour nous avancer en la perfection ; car, n'ayez pas peur qu'une âme
[328] recueillie tombe en de lourdes fautes ; je dis fréquentes, car
tant que nous vivrons, nous en ferons toujours, par-ci par-là -il ne nous en
faut pas étonner, puisque même il arrivera quelquefois que Notre-Seigneur
permettra qu'une Sœur fort exemplaire et fort recueillie tombe en de grosses
fautes, pour la tenir en humilité et abjecte à ses yeux. Une Sœur bien
recueillie fera bien et à propos toutes choses, elle sera prompte à
l'obéissance, fidèle à tous ses exercices, soigneuse de tout ce qu'elle a en
charge, douce et prompte à servir ses Sœurs, zélée et fort désireuse de sa
perfection.
Or, le recueillement est un pur don de Dieu qui le donne à qui bon lui
semble. Toutefois, il est en quelque façon entre les mains de notre soin et
fidélité, de l'acquérir, et il faut un travail soigneux et fidèle, bien que
Notre-Seigneur le donne quelquefois à des âmes, par pure grâce, sans qu'elles
aient encore rien fait ou peu travaillé de leur part pour arriver à ce bonheur.
Nous ne devons pas y prétendre de cette façon extraordinaire, mais travailler
de toutes nos forces à acquérir un bien si précieux ; et, quand nous
l'aurons obtenu, confesser que c'est par la très-grande libéralité de Dieu, et
que toute notre peine a été bien petite pour la poursuite d'un si grand bien
qui est pour nous le plus rare, le plus précieux et le plus utile, et qui doit
être incessamment notre exercice plus ordinaire. Voilà, ma fille, pour votre
demande.
Mais, vous voulez encore que je vous parle de l'attention à la présence
de Dieu, d'autant que nous y sommes toujours, mais non pas toujours attentives,
ce qui est la cause que nous venons à l'offenser ; notre Bienheureux Père
disait : « Si un aveugle est en une salle où le roi est, il fait ses
badineries accoutumées, sinon qu'il soit averti que le roi est là ; alors,
bien qu'il ne le voie pas, mais parce qu'on lui a dit, ou qu'il l'ait ouï
parler, il se tient en respect, attention et révérence. » — Nous sommes,
mes filles, en ce misérable monde comme de pauvres aveugles : Dieu nous
[329] est toujours présent ; mais, charnelles que nous sommes, parce que
nous ne le voyons pas, nous faisons nos badineries et commettons l'iniquité et
nos fautes devant lui, et même dans Lui. Cette pensée touchait grandement la
Mère Thérèse, quand elle considérait que les pécheurs commettaient leurs
abominations dans Dieu. Nous ne voyons pas Notre-Seigneur, mais nous sommes
averties par la foi qu'il est présent, en toutes choses, par présence, par
essence et par puissance ; de plus, qu'il réside en nos cœurs d'une façon
particulière par assistance et par grâce. Mais, hélas ! mon Dieu, nous
sommes aveugles, et parce que nous ne vous voyons pas, nous perdons facilement
le souvenir de votre divine présence ! Que faire à cela, mes chères
filles, sinon vivifier souvent notre foi que Dieu est présent partout, et que
rien n'arrive au monde que par l'ordre de sa divine Providence qui régit tout
ce monde selon son bon plaisir.
Une âme attentive à celle vérité ne sera jamais en perturbation. Eh
bien ! dira-t-elle, je sais que Dieu m'est présent, qu'il est plus dans
moi que moi-même ; je sais qu'il gouverne toutes choses, et que son œil a
soin de tout. Je sais que rien n'arrive au ciel ni en la terre qu'il ne
l'ordonne ou permette. Voilà, si les eaux du lac s'enflent et submergent le
monastère, je sais que Dieu m'est présent et qu'il permet cette inondation pour
quelque fin qu'il appartient à sa Providence de savoir, pourquoi me
troublerai-je ? O Dieu, vous gouvernez les ondes, le ciel et la terre ;
si vous voulez que je sois noyée ou brûlée, je m'y conforme de tout mon cœur,
sans m'enquérir pourquoi vous le faites ; mais j'adore et révère, en
silence d'esprit, tous vos secrets jugements. La peste vient de ravager
tout ; cette âme attentive à Dieu dira : Seigneur ! vous êtes
avec moi ; vous savez bien me conduire ; si c'est votre volonté que
je meure de ce mal, que votre saint Nom soit béni ! j'accepte votre
ordonnance (nonobstant toutes les résistances de ma chair), de toutes les
forces de mon âme et de l'étendue de mon cœur. Mais, une [330] Sœur que
j'aime bien et qui est fort utile au monastère, meurt, j'en pleure un peu, cela
ne veut rien dire, c'est la nature, l'inclination et la compassion, et une
certaine condition de l'esprit humain qu'il est impossible d'empêcher ;
puis l'Écriture dit : Pleure un peu sur ton frère trépassé ; car,
nonobstant mes larmes, ennuis et soupirs, l'âme, en la supérieure partie,
demeure coite et tranquille auprès de Dieu, toute soumise à sa volonté.
Qui donnait cette grande douceur et égalité à notre Bienheureux
Père ? C'était l'attention à cette divine présence qui lui faisait tout
recevoir avec paix et tranquillité de cœur ; c'était qu'il recevait ces
choses-là comme si Notre-Seigneur l'eût regardé, et que, de sa propre main, il
les lui eût données ; si que, lorsqu'on lui disait de fâcheuses nouvelles,
il n'en était point ému, parce que, étant attentif à Dieu, il ne pouvait rien
refuser de tout ce que lui présentait cette main adorable. Si on lui apportait la
nouvelle de la mort de quelqu'un de ses parents ou amis, aussitôt il regardait
cet événement en la volonté de Dieu et s'y conformait soudain, disant : Seigneur,
je me tais et je n'ouvre point la bouche, parce que c'est vous qui avez fait
cela. Lui imposait-on des blâmes, lui faisait-on tort, lui disait-on des
injures, il supportait tout cela patiemment, regardant le tout en Dieu ;
après, on le voyait avec la même sérénité de visage et autant de tranquillité.
Pour moi, je l'admirai à la mort de madame sa Mère, qu'il aimait
uniquement ; il reçut cette perte avec une résignation digne de lui, et
m'écrivit : « Parce que le Seigneur l'a fait, je me suis tu et n'ai
pas ouvert la bouche pour dire un seul mot ; car c'est la main paternelle
de notre Dieu qui a donné ce coup ! » Voilà, mes chères filles, les
fruits de la présence de Dieu ; et, en somme, c'est par là que
s'acquièrent les solides vertus.
Je pensais l'autre jour, que l'un des désirs les plus pressants que je
pouvais avoir était de voir nos Sœurs travailler fortement [331] pour
l'acquisition des solides vertus. Il n'y a point pour cela de plus grands
moyens que le saint recueillement et l'attention à Dieu, voire, il n'y en a
point d'autre, au moins pour qui voudra de la vraie vertu ; car, pour
certaines vertus apparentes, nous n'en voudrions point céans, et ce n'est pas
de celles-là dont je parle, ains de celles que notre Bienheureux Père nous a
enseignées.
Or sus, je parle toujours, et nos Sœurs ne disent mot. Dites-moi
quelque chose, mes chères filles, que j'apprenne aussi un peu de vos bons
sentiments, que Dieu veuille bénir.
SUR TROIS MANIÈRES DE FAIRE L'ORAISON ET SUR LA SIMPLICITÉ.
Mes chères filles, pour nous bien disposer à faire l'oraison, il nous
faut faire souvent des retours de notre esprit à Dieu, considérant sa bonté,
son amour, sa grandeur et majesté infinie, nous tenant dans un profond respect
en sa divine présence. Il faut bien préparer ses points à méditer.
Il y a trois façons de faire l'oraison :
La première se fait en nous servant de l'imagination, nous représentant
le divin Jésus en la crèche, entre les bras de sa sainte Mère et du grand saint
Joseph ; le regardant entre un bœuf et un âne ; puis voir comme sa
divine Mère l'expose dans la crèche, puis comme elle le reprend pour lui donner
son lait virginal, et nourrir ce Fils qui est son Créateur et son Dieu. Mais il
ne faut pas se bander l'esprit à vouloir, sur tout ceci, faire des imaginations
particulières, nous voulant figurer comme ce sacré Poupon avait les yeux et
comme sa bouche était faite ; [332]
ains nous représenter tout
simplement le mystère. Cette façon de méditer est bonne pour celles qui ont
encore l'esprit plein des pensées du monde, afin que l'imagination, étant
remplie de ces objets, rechasse toute autre pensée.
La deuxième façon, c'est de nous servir de la considération, nous
représentant les vertus que Notre-Seigneur a pratiquées : son humilité, sa
patience, sa douceur, sa charité à l'endroit de ses ennemis, et ainsi des
autres. En ces considérations, notre volonté se sentira toute émue en Dieu et
produira de fortes affections, desquelles nous devons tirer des résolutions
pour la pratique de chaque jour, tâchant toujours de battre sur les passions et
inclinations par lesquelles nous sommes le plus sujettes à faillir.
La troisième façon, c'est de nous entretenir simplement en la présence
de Dieu, le regardant des yeux de la foi en quelque mystère, nous entretenant
avec lui par des paroles pleines de confiance, cœur à cœur, mais si
secrètement, comme si nous ne voulions pas que notre bon Ange le sût. Lorsque
vous vous trouverez sèche, qu'il vous semblera que vous ne pourrez pas dire une
seule parole, ne laissez pas de lui parler, et dites : « Seigneur, je
suis une pauvre terre sèche, sans eau ; donnez à ce pauvre cœur votre
grâce ! » Puis demeurez en respect en sa présence, sans jamais vous
troubler ni inquiéter pour aucune sécheresse qui puisse arriver. Cette manière
d'oraison est plus sujette à distraction que celle de la considération, et si
nous nous rendons bien fidèles, Notre-Seigneur donnera celle de l'union de
notre âme avec Lui. Que chacune suive le chemin auquel elle est attirée.
Ces trois sortes d'oraisons sont très-bonnes ; que donc celles qui
sont attirées à l'imagination la suivent, et de même celles qui le sont à la
considération et à la simplicité de la présence de Dieu ; mais, néanmoins,
pour cette troisième sorte, il faut bien se garder de s,'y porter de soi-même,
si Dieu ne nous y [333] attire. Que si quelqu'une était attirée à quelque chose
d'extraordinaire, elle le doit dire à la supérieure, et puis faire ce qu'elle
lui dira.
Votre demande n'est pas hors de propos, ma chère fille ; il peut
bien arriver qu'une personne soit si contente qu'elle ne pense pas à
s'humilier ; mais il arrivera que Dieu retirera la consolation, et alors
il faudra que l'âme s'humilie ; mais de quoi faudra-t-il qu'elle
s'humilie ? De ce qu'elle ne s'est pas humiliée, et Dieu permettra qu'elle
commette des grands manquements pour la faire rentrer en soi.
Il est requis d'être grandement simple en toutes choses, et marcher à
la bonne foi, sans jamais réfléchir en quoi on nous emploie, ni sur ce que l'on
dira ou pensera si nous faisions telle chose ou en disions une telle ;
mais, aller, dis-je, simplement et ne regarder que le bon plaisir de Dieu en
tout et incessamment, soit qu'on nous emploie aux offices bas ou aux grands, à
quelque chose qui nous mortifie, comme à quelque chose qui nous récrée, penser
que nous devons être satisfaits de tout, en tout et partout, parce qu'en tout et
partout nous pouvons avoir Dieu et trouver Dieu. J'ose vous promettre que si
vous êtes bien fidèles à cette simplicité, ne cherchant jamais que Dieu en quoi
que vous fassiez ou que vous souffriez, vous acquerrez en six mois la paix du
cœur, ce don si désirable, si aimable, et si fort profitable à nos âmes.
Oui, mes filles, allez au réfectoire pour Dieu, comme vous allez à
l'Office pour son amour et pour le louer, dressant votre intention de vouloir
le glorifier, autant dans une action comme dans l'autre, parce que vous allez à
toutes deux par obéissance et pour accomplir son bon plaisir.
Voici ce qui m'est tombé en mains, tenant nos constitutions, les
ouvrant et serrant : « Quelles soient humbles, douces, cordiales
et franches entre elles. » Il faut donc être grandement cordiales et
franches, nous communiquant nos petits avantages [334] spirituels en la manière
que j'ai dit ailleurs, avouer que nous sommes dans l'état d'une douce et sainte
consolation, lorsqu'on nous le demande ; ou bien dire tout simplement que
nous sommes en sécheresse, mais que nous faisons comme on nous a appris,
n'ayant pu avoir l'oraison de jouissance, nous avons fait celle de
patience ; ou bien encore, confesser librement qu'un point de la
prédication ou de la lecture de table nous a bien touché le cœur, et ainsi être
comme de petits enfants les unes avec les autres. Voyez-vous les petits
enfants, lorsqu'ils ont à faire quelque chose, comme ils s'appellent l'un après
l'autre ? Oui, mes chères novices, il faut être ainsi, ne le ferez-vous
pas, et toutes nos professes aussi ? Agissez avec la même simplicité et
confiance envers Notre-Seigneur qu'un saint religieux qui cachait le saint
Enfant Jésus lorsqu'il ne lui accordait pas ce qu'il désirait, et ne le sortait
qu'il n'eût obtenu la grâce qu'il en désirait.
SUR L'ORAISON ET LA MORTIFICATION.
Mon Dieu ! je n'ai point d'autre dessein ni désir, sinon que l'on
se tienne coi et tranquille auprès de Notre-Seigneur pendant l'oraison, et que
celles qui commencent à la faire se servent de l'imagination, parce que,
ordinairement, elles ont l'esprit rempli du monde, de leurs parents et autres
vanités. Quand elles méditent les mystères de la Passion, qu'elles impriment
vivement en leur esprit les tourments que Notre-Seigneur a soufferts pour
nous ; comme, par exemple : quand elles considèrent la flagellation,
il faut qu'elles se représentent le mystère [335] comme si elles étaient au
lieu même ; par cette imagination, bien empreinte en leur esprit, elles en
arracheront les peines et les soucis des choses de la ferre.
Mais quand les âmes commencent à s'avancer, on les doit conduire avec
une vérité plus grande, qui est que le Seigneur ne souffre plus, mais qu'il a
souffert, leur faire dire des paroles sur ce qu'il a pâti pour l'amour de nous,
et demeurer en cette simple pensée. Mais, si Dieu nous occupait au commencement
de l'oraison, il n'est pas besoin d'aller chercher notre point, ains il se faut
tenir simplement auprès de lui sans tant faire travailler l'imagination, ni
faire de grands discours, car, pour l'ordinaire, cela empêche de tirer de
bonnes affections, ce qui est pourtant la vraie oraison ; en somme, les
considérations ne se font que pour émouvoir notre affection. Or, il se trouve
quelquefois que l'âme s'occupe sur quelques-uns des attributs divins, comme,
par exemple : de la grandeur, de la bonté et de la puissance, et ainsi des
autres ; il faut avoir soin de marcher en cette voie, tandis que Dieu y
appelle. Mais, lorsqu'il soustrait cette vue simple et amoureuse, l'âme se
trouve toute refroidie et avec des oppressions de cœur ; il faut alors
qu'elle ouvre la porte aux paroles d'amour et de soumission, et d'autrefois,
d'adoration et d'acquiescement à sa divine volonté. Quand nous méditons la
flagellation, et que nous voyons Notre-Seigneur souffrir ce cruel supplice, il
faut dire : « O mon Seigneur ! comment avez-vous pu vous
abaisser à souffrir ces coups de fouet ?... » Puis, si vous sentez
votre affection émue à cette seule parole, il se faut arrêter là ; et,
après, quand l'affection est passée, il en faut dire d'autres, toujours selon
l'attrait.
Il y a des âmes qui vont avec tant d'empressement et d'avidité à
l'oraison, que c'est un grand plaisir de les voir ; elles s'échauffent
tellement ès discours, qu'elles ne se donnent pas quasi le temps de respirer.
Elles disent avec tant d'affection : « Hé !
Seigneur !.. » qu'il semble qu'elles se veulent fondre et [336]
anéantir devant Lui. Il ne faut pas faire cela, mais faire l'oraison avec
beaucoup de tranquillité et douceur. Quand nous y entrons il faut se prosterner
en esprit d'humilité devant Notre-Seigneur, prendre notre point doucement,
jusqu'à ce que notre affection soit émue ; et ne se faut jamais étonner,
si nous n'avons pas de sentiments en l'oraison, car ce n'est pas ce que Dieu
demande de nous ; mais, oui bien, que nous soyons douces, tranquilles et
humbles. Si donc, au sortir de l'oraison, nous ne sentons point d'affection, il
faut dire à Notre-Seigneur : « Il est vrai, ô mon Dieu ! que je
ne sens point d'affection, si ne laisserai-je point d'être grandement douce
parmi nos Sœurs »,... et sortir de l'oraison avec cette affection de
douceur ; et, ainsi faisant, bien que nous n'ayons point de consolation en
l'oraison, nous ne laisserons pas d'être fort douces et tranquilles. Il faut
parler à Notre-Seigneur fort familièrement, cœur à cœur, et si doucement que
notre bon Ange ne l'entende pas.
Dites-vous, ma fille, quand vous avez fait quelques manquements, s'il
serait bon d'y pensera l'oraison pour vous en humilier ? Oui, vous le pouvez
faire, mais cela très-simplement ; car, si vous vouliez regarder par le
menu vos manquements et les personnes contre qui vous les avez commis, il
serait en danger qu'au lieu de parler à Dieu, vous parlassiez aux créatures, et
cela vous distrairait. Il suffit de lui dire : « Hé !
Seigneur ! vous savez ma misère » !... puis s'arrêter là, car il
la sait prou, sans que nous la lui représentions par le menu.
Vous dites, ma chère fille, s'il ne faut pas écouter parler
Notre-Seigneur dans notre cœur ? O Jésus ! oui, je vous le
conseille ; et, après que vous aurez un peu discouru sur votre point, il
faut l'écouter, car c'est par là qu'il vous donnera de bons désirs de le
servir.
Si on faisait l'oraison, dites-vous, ma fille, sans savoir ce qu'on y
fait et les affections que l'on y a ? O dà ! il ne faut pas faire
comme cela, nous perdrions le temps inutilement. Nous [337] devons toujours
savoir à quoi nous nous sommes occupées, et quelles affections Dieu nous y a
données, au moins en la volonté, car il ne faut jamais s'arrêter au sentiment.
Nous ne devons jamais sortir de l'oraison sans faire de bonnes et efficaces
résolutions, c'est-à-dire qu'il faut qu'elles produisent des œuvres, car,
autrement, il ne nous servirait de rien d'en faire.
Il faut que vous sachiez, mes chères filles, que l'oraison doit être
tellement suivie de la mortification, qu'en même temps que nous avançons en
l'oraison, nous avancions à la mortification ; et, du même pas que nous y
irons, aussi avancerons-nous à l'oraison ; j'en reviens toujours là. Il
faut que la mortification soit la planche pour entrer à l'oraison ;
quoique ce soit à l'oraison où nous recevons de bonnes inspirations, c'est
toujours par le moyen de la mortification que cela nous arrive. Nous devons
être telles hors de l'oraison, que nous désirerions être pendant icelle. Il
faut avoir grand soin, parmi la journée, de tenir notre esprit en Dieu, de le
vider de toute inutilité, surtout de ce dont nous n'avons que faire, parce que,
quand nous le laissons se dissiper, nous le rendons inhabile d'être uni à Dieu
et de faire l'oraison.
Je vous conseille fort, mes chères filles, l'oraison cordiale,
c'est-à-dire qui ne se fait point de l'entendement, ains du cœur. Elle se
pratique en cette sorte : quand nous sommes abaissées devant Dieu et mises
en sa présence, ne forçons point notre cerveau pour faire des
considérations ; mais servons-nous de nos affections, les excitant autant
qu'il nous sera possible ; et, quand nous ne pouvons pas les exciter par
des paroles intérieures, nous nous devons servir des vocales, comme
celles-ci : Je vous rends grâce, ô mon Dieu ! de ce que votre bonté
permet que je sois ici, devant votre face, moi qui ne suis qu'un néant. Une
autre fois : O mon Seigneur ! faites-moi la grâce d'apprendre à vous
parler, car je préfère ce bonheur à tout autre. [338] Enfin, pour l'oraison, il
y faut aller avec beaucoup de simplicité ; mais, pour celles qui prennent
Notre-Seigneur au Jardin des Olives, et le mènent jusqu'au Calvaire ; je
leur conseille de s'arrêter, parce qu'elles font bien du chemin en peu de temps
et vont trop vite.
Or, pour l'imagination, elle est bonne pour les âmes
embarrassées ; c'est un bon moyen de les divertir de cet embarras et des
choses inutiles. Il y en a qui ne peuvent rien faire à l'oraison que de se
tenir avec un grand honneur et respect devant Dieu, et cette oraison est
bonne ; d'autres ont mille sortes de pensées et sentiments mauvais ;
cela est pâtir et souffrir, et ne laisse pas d'être une oraison.
D'autres encore ont beaucoup de distractions ; il faut qu'elles aient
bonne patience ; et, pourvu que la volonté n'y soit point, l'oraison ne
laisse pas d'être bonne. Enfin, il y en a d'autres qui vont à l'oraison et
trouvent Notre-Seigneur comme elles veulent, et font tout ce qu'elles désirent
avec lui ; cela est l'oraison de repos, où il y a plus à jouir qu'à
souffrir. Celles qui sont lâches à l'oraison prennent leur ruine par la
racine ; certes, il faut avoir un soin tout particulier pour combattre la
lâcheté, car elle porte un grand préjudice à l'âme. Être fille d'oraison, c'est
beaucoup l'aimer, être fidèle à s'y préparer, être grandement ponctuelle à
observer toutes les circonstances qu'il faut pour la bien faire, être fidèle à
rejeter toutes les distractions qui nous y arrivent. Voilà ce que c'est qu'être
fille d'oraison. [339]
SUR LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR ET L'ORAISON.
Nous allons célébrer de grandes fêtes. Nous allons faire commémoration
de la Passion du Sauveur ; tâchons de nous y préparer par une grande
pureté de cœur. Dieu a envoyé le trésor du grand jubilé à son peuple, faisons
notre possible pour le bien gagner selon son bon plaisir. Regardons notre
Sauveur dans l'excès de ses souffrances et dans l'excès de son amour ;
tenons nos cœurs toujours là dedans, afin que ce divin Époux leur communique et
leur donne force pour souffrir les choses que sa main adorable leur enverra.
Mais, hélas ! toutes nos souffrances ne sont que des vétilles auprès de
celles du Sauveur ; aussi, sa paternelle bonté voit bien la faiblesse de
nos épaules, qui ne peuvent pas porter de plus grands faix, en quoi nous avons
grand sujet de nous humilier, de voir notre Seigneur et Maître, qui souffre
tant et endure tant pour notre amour, et nous ne pouvons comme rien faire pour
lui. Nous le verrons, cette sainte semaine prochaine, sur l'arbre de la croix,
consumé pour notre amour, ouvrir toutes ses veines, et donner tout son sang
pour nous laver, ouvrir son Cœur pour nous y loger, incliner la tête pour nous
baiser d'un baiser de paix, de grâce et de vie éternelle. Enfin nous le
verrons, comme un aimant sacré, qui attire à soi toutes nos iniquités (pour en
porter la peine et les effacer). Il s'est donné tout à nous ; donnons-nous
donc tout à lui, et lui rendons grâces des bienfaits qui nous viennent par ses
douleurs. Faisons profit des moyens qu'il nous présente pour commencer tout de
bon à batailler sous l'étendard de la sainte croix. Faisons, pendant nos
solitudes, de bonnes et fermes résolutions pour notre amendement, et sa bonté
nous bénira. C'est une bonne finesse pour l'oraison, que la simplicité avec [340] Dieu ;
car, par cette voie, l'âme se conforme et se rend semblable, en quelque façon,
à son Dieu, qui est un esprit fort pur, très-saint et très-simple.
Bienheureuses sont les âmes qui se laissent entièrement conduire à l'attrait de
Dieu, le suivant en simplicité de cœur, retranchant à leur esprit toute
curiosité, multiplicité, réplique, distinction ou désirs de se voir soi-même,
suivant fidèlement et en simplicité de cœur leur attrait. Mais, c'est un grand
malheur, que bien souvent nous voulons spéculer, et Dieu veut que nous ne
fassions qu'aimer sa souveraine Bonté, nous laissant simplement et entièrement
comme un pauvre petit enfant tout nu entre les bras et sur le sein de sa
très-chère mère.
Ma fille, quand les distractions sont importunes et ne s'en vont point,
quoique vous les repoussiez, il faut alors faire l'oraison de patience et dire
humblement notre Pater, ou quelques paroles amoureuses, comme : Mon
bon Seigneur ! vous êtes le seul appui de mon âme, vous êtes ma quiétude,
ma consolation et mon unique repos ; encore que je cesserai de vivre, je
ne cesserai point pourtant de vous aimer, moyennant votre sainte grâce. Il faut
ainsi exciter son cœur, sans attendre que Dieu nous mette le lait ou le miel en
la bouche, pour parler à sa Bonté, car il veut que nous nous aidions nous-même.
Quand l'âme est si fort accablée qu'elle ne sait presque où se mettre, ni
quelle mine tenir, et cela, non tant pour les pensées volages que pour une rude
et âpre sécheresse qui lui ôte quasi tout pouvoir d'agir, alors Dieu la fait
souffrir d'une manière bien plus haute ; elle doit faire l'oraison de
révérence, de soumission et souffrance, de conformité, de pauvreté d'esprit, se
tenant devant Dieu comme une pauvre devant son souverain libérateur. Je suis, ô
mon Seigneur ! doit-elle dire, une terre sèche, toute hâlée et crevassée
par la véhémence de la bise et du froid ; mais, vous le voyez, je ne vous
demande plus rien, vous m'enverrez, quand il vous plaira, et la rosée et la chaleur.
[341]
Il ne faut jamais aller dire à ces Pères de religion, à qui l'on parle
quelquefois : Je ne fais rien en l'oraison ; car celles qui sont
conduites par cette voie d'amoureuse simplicité, ne font rien en agissant, mais
elles font bien en jouissant. Lorsque Dieu tire l’âme pour la faire reposer sur
son sein amoureux, il ne la faut jamais divertir de là, et ceux qui le font ne
savent pas le dommage qu'ils portent à cette âme et le déplaisir qu'ils font à
Dieu. Oh ! tous ceux qui sont à genoux ne font pas l'oraison ! Il
faut avoir l'esprit bien pur et dénué de tout ce qui n'est pas Dieu pour faire
une bonne oraison. L'arrêt de l'esprit en Dieu est la plus utile occupation que
les filles de la Visitation puissent avoir. Elles ne se doivent point soucier
des considérations, conceptions, imaginations et spéculations des autres, bien
qu'elles les doivent honorer comme des choses de Dieu et qui conduisent à Dieu
même ; il leur doit suffire d'être avec Dieu en la simplicité de leur
cœur. Je ne blâme point celles qui considèrent, au contraire, je vous dis
souvent, mes très-chères Sœurs, qu'il nous arrive de grands maux faute de
considérer nos obligations, ce que Dieu a fait pour nous ; mais, ce que je
blâme, ce sont les âmes que Dieu attire à lui, par une grande simplicité,
lesquelles, néanmoins, ne se peuvent tenir là, ains veulent toujours quelque
autre chose. Et d'autres aussi, qui ont l'esprit subtil et qui s'efforcent de
faire, en leurs méditations, des recherches, lesquelles ne sont pas moins
curieuses qu'inutiles. Les considérations que je loue, c'est de considérer que
Notre-Seigneur est mort pour nous, qu'il nous prépare son éternité, qu'il est
avec les hommes, au Très-Saint Sacrement, jusqu'à la consommation des
siècles : les quatre fins de l'homme, l'excellence des vertus et de la vie
religieuse, de la vanité du monde, tout cela porte coup.
Les considérations que je blâme dans les filles de la Visitation, et
dont je n'aime pas qu'on se serve en l'oraison, c'est, par exemple, considérer
comme l'étoile conduisit les trois Rois [342]
pour adorer l'Enfant Jésus,
vouloir penser ce que c'est qu'étoile, en quel ciel elles sont colloquées, d'où
elles tirent leur lumière, si elles ont un mouvement local, ou si elles sont
immobiles, de quelle grandeur elles sont, si celle qui conduisit les Mages
était naturelle ou miraculeuse, et semblables. Quelques âmes pourraient penser
utilement à cela pendant le silence, pour en tirer de bonnes et dévotes
conceptions ; mais, pour l'oraison, mes chères Sœurs, n'employons pas si
mal notre temps, ne parlons point avec les étoiles ; faisons plutôt
quelque acte d'action de grâce au Père éternel de ce que toutes choses :
le ciel, la terre, les étoiles, et toutes les créatures, honorent et servent
son adorable fils Jésus. Puis, suivons l'étoile de l'inspiration et attrait
divin qui nous appelle à la crèche, et allons-y adorer et aimer l'Enfant Jésus
et nous offrir à lui. Toutes ces imaginations à l'oraison sont bonnes, et
nécessaires aux grands esprits qui s'emploient à l'étude et prédication ;
mais, à nous autres, petites femmelettes, il nous faut peu de science et
beaucoup de simplicité, d'humilité et d'amour.
Il ne faut pas tant mettre de peine à se défaire de ses imperfections,
qu'à acquérir et établir en son cœur les solides vertus : la profonde
humilité, la douceur et simplicité, le support du prochain, le respect cordial.
C'est une excellente pratique d'aller à Dieu par actions de grâces du bien que
nous faisons, et le faire avec une douce confusion ; et, quand on a quelques
difficultés, il est toujours mieux d'aller à Dieu tout simplement.
Ma chère Sœur, toute bonne oraison est celle qui se produit et se
conserve par la mortification ; j'aimerais mieux une fille qui irait par
le chemin ordinaire des considérations et qui serait bien fidèle à
l'observance, qu'une autre qui serait ravie vingt fois le jour, et qui ne
s'adonnerait pas tant à l'obéissance ni à la mortification d'elle-même. L'on ne
peut pas beaucoup dire de l'oraison, en commun, d'autant que chacune a son
attrait particulier ; toutefois, on peut dire ceci, qu'il ne se faut pas
[343] arrêter aux goûts, ni sentiments qui se reçoivent, si l'on n'en tire ces
trois fruits : la mortification et remise entière de soi-même entre les
mains de Dieu et de l'obéissance, la profonde humilité, et la sainte
simplicité. Celle qui voit qu'elle tire ces trois fruits avec la bonne
observance de ce qu'elle a vu, qu'elle suive son chemin, il est bon, et elle
n'en demeurera pas là, ains ira toujours croissant si elle est fidèle à
correspondre à Dieu.
L'on voit quelquefois des âmes qui voudraient toujours être unies à
Dieu ; mais sont-elles humbles et simples ? si on les contrarie, le
supportent-elles patiemment ? sont-elles indifférentes à quoi on les
emploie ? Certes, si cela n'est, je leur conseille de tout mon cœur de se
désabuser ; car, tout recueillement qui ne produit pas ce fruit est
amusement de l'amour-propre, consolation provenant de la nature ou du malin
esprit. L'on en voit aussi qui ont un grand attrait à l'oraison, et sont fort
attirées à l'humilité et simplicité avec Dieu ; pour connaître si leur
union est bonne, il faut les faire sortir de l'oraison, leur faire faire
quelque chose que l'on sait qui leur répugne puissamment, leur donner quelque
obéissance âpre, rude et difficile ou leur faire quelque forte humiliation. Si
elles supportent cela humblement, doucement et sans dire mot, certes, il les
faut laisser marcher, car elles vont bien ; si, au contraire, elles
murmurent, ou font des répliques volontaires (car par soudaineté elles
pourraient bien dire quelque mot ou faire quelque action où il n'y aurait pas
grand mal), mais si cela continue et qu'elles fassent ce qu'on leur enjoint
avec chagrin, certes, elles sont unies, non avec Dieu, mais avec
elles-mêmes ; enfin, l'on connaît l'ouvrier à la besogne. Il faut recevoir
les goûts quand Dieu nous les donne, nous humiliant beaucoup, et nous
anéantissant en notre misère ; et, au partir de là, en jouir en
simplicité, et en tirer fidèlement les fruits pour les rendre au Seigneur, qui
ne nous donne ces talents à autre fin.
Ma fille, il advient quelquefois que l'on va à l'oraison après [344]
avoir été tout le jour dissipée et sans recueillement ; ce n'est pas
merveille si l'on y est distraite, car on le mérite bien : on suit ses
inclinations, on est revêche à l'obéissance ; on n'est ni douce, ni
condescendante envers le prochain, et l'on va hardiment à l'oraison pour se
tenir unie à Dieu, et avoir des consolations et douceurs : si l'on trouve
la porte fermée, la pièce est bien mise. La perfection ne consiste point aux
goûts et sentiments, mais en une entière mortification et à avoir une
résolution ferme et invariable d'être toute à Dieu, ayant un courage de longue
haleine, c'est-à-dire une généreuse persévérance à se mortifier et à se surmonter,
renonçant à tout, sans relâche : il est impossible d'être parfaite sans
cela. Nous vivons trop et nous arrêtons trop aux sentiments, qui ne sont pas
pourtant le plus précieux.
O Dieu ! que la simplicité est admirable, et qu'une âme qui marche
simplement, marche assurément ! Quand il semble que tout est perdu, que
tout est renversé sens dessus dessous, c'est alors qu'il faut, comme Abraham,
espérer contre l'espérance, et se confier que Dieu pourvoira et aura soin de
tout, et demeurer ainsi en paix et en repos dans la douce Providence de Dieu.
Nous ne vivons pas assez selon les vérités de la foi, nous ne sommes
pas assez généreuses ; nous faisons les enfants et les peureuses ; de
quoi, je vous prie, avoir peur ? La foi nous enseigne que rien n'arrive
sans la permission de Dieu, et qu'il a soin de tous, plus que les pères de
leurs enfants. Il a dit : Quand bien même la mère oublierait son
enfant, je ne vous oublierai point. Si nous vivions selon cette vérité,
comment est-ce que nous aurions peur de quelque chose ? Eh bien ! si
nous voyons un fantôme, ne faut-il pas le souffrir ? Nous tuera-t-il sans
la permission de Dieu ? Nenni. — Et puis, nous autres, mes chères filles,
nous devons être tellement abandonnées à la volonté de Dieu, en tous les
événements, que [345] nous devons toujours acquiescer de bon cœur à tout ce
qu'elle permet, tellement que si Dieu voulait qu'un esprit fût jour et nuit
après nous, et que nous mourussions, ou devinssions folles de peur, nous le
devons aussi vouloir sans résistance. Je sais bien que la partie inférieure
frissonne, et qu'elle nous remplit de crainte ; mais il faut bien faire
valoir la raison, nous tranquillisant en la divine volonté. Bienheureuse est
l'âme de qui Dieu prend soin, car elle fera un grand chemin ; et, pour cela,
il lui donnera de grandes occasions de s'avancer, de la générosité à les
entreprendre, comme aussi la fidélité pour les poursuivre, et une grâce
spéciale pour persévérer ; mais pendant que Dieu ne nous conduit pas de la
sorte, faisons notre besogne, je veux dire, tâchons de prendre l'esprit de la
règle qui est caché sous l'écorce. Pour l'acquérir, tenons-nous au pied de la
lettre, dans nos observances, et croyez que cela est ce que Dieu veut de vous.
Les filles de la Visitation doivent beaucoup penser à Dieu, peu à
elles-mêmes, et point du tout au monde. Marcher en la présence de Dieu, c'est
marcher dans les sentiers de son bon plaisir, et non par la voie de la chair,
de l'esprit humain et de l'amour-propre, dans l'estime de soi-même, de son
jugement et volonté, mais dans la voie de la divine volonté, perdant leur
intérêt, jugement et volonté propres, dans la volonté de Dieu.
La sainte crainte de Dieu dans une âme est un indice des plus certains
du salut éternel, et que l'on est dans la prescience de Dieu pour être des
élus. Toutes les actions du juste louent Dieu ; au contraire,
toutes les propres volontés, convoitises, l'offensent et le déshonorent, et
toutes les mortifications et pratiques des vertus l'honorent. Oh ! que
grande et désirable est la gloire que Dieu donne aux bons, et que grande et
redoutable est la peine qu'il donne aux méchants !
Dieu donne quelquefois des insinuations à l'âme, lui faisant connaître
quelque vérité, comme quand une personne parle à [346] une autre, à laquelle il
veut bien imprimer ce qu'il désire qu'elle sache ; ainsi, Dieu insinue par
ses lumières, une claire connaissance de ce qu'il veut nous faire savoir,
laquelle demeure incomparablement mieux en l'esprit qu'une autre connaissance
acquise par plusieurs discours ou considérations de l'entendement. Insinuer,
c'est donc faire voir son désir, éclaircir un doute, ou bien enseigner à l'âme
quelque chose qu'elle ne savait pas ; cela étant un don de Dieu est
grandement profitable à l'âme, et lui sert plus que beaucoup de raisons que les
créatures ou son propre esprit lui pourraient faire apercevoir.
Une personne à laquelle Dieu fait des grâces à l'oraison doit prendre
garde de les accompagner de la vraie mortification et de l'humilité, car c'est
pour cela principalement que Dieu les donne ; si elle ne le fait pas, ces
grâces ne dureront pas, ou ce ne sont que des illusions. Nous n'entendons pas
ce que c'est que l'essence de la vraie oraison, qui n'est autre que d'être
toujours prête à recevoir toutes sortes d'obéissances, et tenir notre âme unie
à la volonté de Dieu, autant qu'il nous est possible. Voilà en quoi consiste la
vraie oraison, et non pas à être toujours en un coin, en douceur et bien
recueillie ; ce n'est pas cela que Notre-Seigneur regarde, mais le cœur,
et si nous sommes prêtes à laisser faire tout ce que l'on voudra de nous. L'âme
qui peut dire en vérité qu'elle est toujours disposée à tout ce qu'on voudra et
à ce qu'on lui commandera, peut dire aussi en vérité qu'elle est toujours en
oraison. Il ne faut pas toujours être à genoux pour faire l'oraison, on la peut
faire en pétrissant, en balayant. Pour moi, j'ai plus de consolation à voir une
Sœur faire une pratique d'exactitude à l'obéissance, que si je la voyais ravie
et être moins observante.
Il est impossible qu'une âme vraiment humble croie les louanges et le
bien qu'on dit d'elle, parce que la lumière de Dieu lui fait connaître
l'excellence des vertus ; et plus elle s'avance, plus elle voit la pureté
que doivent avoir les âmes qui [347] tendent à la perfection, si bien que les
moindres impuretés (imperfections) lui paraissent fort grandes ; et
lorsque l'Esprit-Saint retire la lumière qu'il lui donne et les secours
sensibles, elle ne voit en soi qu'imperfections et misères.
Être fille de la Visitation, c'est mépriser l'honneur et estimer le
mépris, non un mépris recherché et désigné, mais humblement accepté quand Dieu
l'envoie ou le permet.
SUR LA PATIENCE À SUPPORTER LES DÉLAISSEMENTS À L’ORAISON.
Il faut souvent user de cette pratique d'abnégation intérieure, de
demander à Dieu, dans tous nos exercices, la parfaite nudité ; mais quand
il nous arrivera quelque autre trait d'amour, d'union avec Dieu, de confiance
en sa bonté, il faut s'y bien exercer, en user fidèlement, sans les troubler ou
interrompre pour vouloir pratiquer l'abnégation. Tout ce que doivent prétendre
celles qui commencent à s'adonner à l'oraison, doit être de travailler a se
résoudre et disposer, par tous les efforts d'esprit et de cœur imaginables, de
conformer leur volonté à celle de Dieu, parce qu'en ce point seul consiste la
plus haute perfection que l'on puisse obtenir dans la vie spirituelle. Il faut
vivre au jour de la journée présente, sans user de prévoyance ni de soin de
nous, pour l'avenir ni pour le présent ; faire les choses ainsi qu'elles
se présentent, profiter de tout de bonne foi et sans autre égard que de plaire
uniquement à Dieu, par les seuls moyens que notre vocation nous fournit, sans
user de recherches étrangères.
Il faut que l'âme soit fidèle à donner lieu à la parole de Dieu, si
nous voulons qu'elle opère en nous, et que Dieu puisse [348] disposer de nos
cœurs selon sa volonté, et afin d'obtenir la grâce que nous-mêmes puissions
adhérer à cette volonté adorable.
L'âme qui se trouve encore atteinte et remplie de mille imperfections,
est ridicule de prétendre déjà aux goûts divins, aux sacrées
consolations ; elle n'a encore acquis les vertus qu'en désir, et voudrait
déjà en avoir les plus douces récompenses, que Dieu a coutume de donner à
celles qui les possèdent en effet, et par une longue et constante pratique.
Devant que de-prétendre aux couronnes et à la gloire, mes filles, il faut
embrasser la croix de Notre-Seigneur dans les sécheresses qui nous-arrivent à
l'oraison. Ce doit être notre premier exercice, et celle qui souffre le plus
est la plus heureuse. Vous devez avoir l'âme constamment occupée de cette
vérité, que le cœur qui a offensé la bonté de Dieu ne doit jamais demander ces
plaisirs divins, ces jouissances et ces douceurs ineffables dont jouissent les
âmes innocentes ou purifiées parle saint amour.
Nous ne devons point prétendre ni croire les mériter, quels que soient
les services que nous puissions rendre à la divine Majesté. Il y a un manque
d'humilité, de faire tant de cas de servir Dieu parles sécheresses, de s'en
tant plaindre ; Dieu nous les donne pour nous rendre humbles et non pour
nous élever ou inquiéter. C'est le démon qui voudrait nous faire faire ce
mauvais usage ; il faut pourtant bien compatir et consoler celles qui
souffrent de grands et longs travaux intérieurs.
Une âme qui est humble vit aussi paisible, aussi soumise à Dieu, parmi
les désolations et les stérilités intérieures que si elle nageait dans les
goûts, consolations, et plaisirs intérieurs ; Dieu les départ souvent aux
faibles. Mes filles, il faut avoir bon courage et vivre dans une profonde
humilité. Il ne faut pas même craindre les tentations, car Dieu les permet pour
purifier notre cœur ; et, bien qu'il arrive que nous y fassions quelques
fautes, il faut s'en confesser, s'en humilier et demeurer en paix. [349] Une
âme qui est toute à Dieu agit ainsi ; faisons-le aussi et soyons bien tout
à Dieu.
Mes filles, hormis que Dieu vous attire par des voies secrètes et
intimes au recueillement et à une profonde occupation en lui, il est toujours
mieux de se rendre attentives aux exercices du Directoire qu'à toute autre
pensée, soit pour l'Office, où l'on doit surtout faire une grande attention de
bien prononcer et de bien faire toutes les cérémonies, soit aux récréations et
aux assemblées, écoutant avec attention le rapport des lectures. Mais si Dieu
vous occupe, laissez-le faire, et ne faites rien autre que d'être bien
attentive à nos observances.
Il faut tenir son esprit en tranquillité pour bien faire toutes choses
à propos : la douceur, l'humilité et la tranquillité d'esprit sont le
siège et le repos du Saint-Esprit. Suivez Dieu en simplicité de cœur, vous
soumettant à la direction qu'on vous donne ; il ne nous appartient pas de
faire aucun dessein dans notre esprit, cela appartient à ceux à qui Dieu a
commis le soin de notre âme.
Nous autres, qu'on croit si parfaites, sommes souvent atteintes de tant
de distractions, que c'est pitié ; mais Dieu le permet pour nous tenir
humbles. Il ne faut pas tant penser à la perfection, mais à faire de moment en
moment tout le mieux que nous pouvons.
Tâchez, petit à petit, de vous quitter vous-même pour abîmer ce
vous-même en Dieu. Il n'y a que la recherche de notre amour-propre et de nos
satisfactions qui puisse inquiéter une âme qui veut bien être à Dieu. [350]
SUR LA FIDÉLITÉ À SUIVRE L’ATTRAIT
DE LA GRÂCE PENDANT L’ORAISON.
Le secret de la vie spirituelle est de se tenir auprès de Dieu et de
marcher en une continuelle présence de sa divine Majesté, mais une présence de
foi et non de sentiment ; d'autant que la perfection ne consiste point au
goût et sentiment, mais en une parfaite résolution d'être à Dieu et à avoir un
courage de longue haleine, à se mortifier et renoncer en tout, sans se relâcher
jamais ; car il est impossible d'être parfaite sans cette résolution. Nous
nous arrêtons trop aux sentiments et ne vivons pas assez selon l'esprit et la
foi.
Pour être en de grandes sécheresses d'esprit, on ne laisse pas de
pouvoir faire des actes de confiance en Dieu, tant en l'oraison que hors d'icelle,
comme : Eh Dieu ! vous êtes mon Père, je me confie totalement en
vous ! Si c'est sans goût et sentiment, ce ne sera point sans profit.
Ordinairement, Dieu lire les âmes qui s'adonnent sérieusement à la
pureté de cœur, à un grand abandonnement, et il prend des soins fort
particuliers de ces âmes-là.
Lorsqu'à l'oraison on est attiré à une grande simplicité, il ne se faut
pas mettre en peine quand, autour des bonnes fêtes, on ne s'y occupe pas aux
pensées de ces grands mystères, car il faut toujours suivre son attrait. Hors
de l'oraison on peut faire des pensées, et regarder ces mystères simplement ou
les lire ; car, bien que l'on n'y fasse pas de grandes considérations, on
ne laisse pas de sentir en soi certaines douces affections d'imitation, de joie
ou autres. Et pour l'oraison, le grand secret est toujours d'y suivre l'attrait
qui nous est donné. Mon Dieu ! combien y a-t-il des âmes qui se peinent
quelquefois autour de leur [351] oraison pour la pouvoir bien faire, et
cependant il n'y a rien à faire qu'à suivre l'attrait ; et plus l'oraison
est pure, simple et dénuée d'objet, plus elle est excellente et parfaite, car
Dieu est esprit, et une essence très-simple. C'est pourquoi plus l'âme traite
délicatement et simplement avec Lui, en l'oraison, plus elle est rendue capable
de s'unir à Lui.
Oui vraiment, mes filles, c'est une grande consolation de s'abandonner
totalement à Dieu et de savoir qu'il voit et pénètre le plus intime de nos
cœurs. Cette manière de se tenir en sa présence est bonne, mais surtout je vous
recommande de vous garder de l'empressement.
Oui, mes filles, quand on a besoin de quelque lumière, en des choses
importantes, il faut la demander à Dieu, et si dans l'oraison elle vous vient,
vous pouvez la conserver, sans pourtant vous détourner du regard de Dieu, et
ceci se peut faire ainsi ; par exemple : bien que je regarde et que
je tienne ma vue arrêtée sur ce rayon de soleil, je ne laisse pas de voir
encore, des deux côtés de ce rayon, le plancher, quoique je ne regarde pourtant
que le rayon. Après l'oraison, il faut simplement, en se remettant en la
présence de Dieu et s'abaissant devant Lui, rechercher cette lumière.
C'est une bonne pratique de simplicité, que notre Bienheureux Père
recommandait fort, de n'avoir point tant de réflexions ni sur le passé, ni sur
l'avenir, ni même sur le présent ; mais à chaque occasion demander conseil
à Dieu en élevant sa pensée à Lui, soit allant au parloir pour traiter de
quelque affaire, soit pour les autres choses de notre charge. Notre-Seigneur m'enseigna
cette pratique, il y a bien longtemps, et je vous la recommande.
Les âmes attirées à la simplicité dans l'oraison doivent avoir un grand
soin de retrancher un certain empressement, qui donne souvent envie de faire et
multiplier les actes en icelle, parce que c'est une pure recherche de soi-même
qui donne cette [352] ardeur, laquelle nous prive de cette simple attention et
occupation de notre âme en la présence de Dieu. L'oraison n'est autre chose que
cette intime communication de l'âme avec son Dieu et ces paroles intérieures ou
actes que nous voulons faire alors, pour accroître ce sentiment, et le rendre
plus sensible, est ce qu'il faut très-soigneusement retrancher.
Mais, comme il ne faut jamais de soi-même se porter à cette oraison,
aussi faut-il suivre l'attrait dès que Dieu le donne, avec grande humilité et
soumission. Il porte et affectionne grandement les âmes qui l'ont, à la pureté
de cœur, à l'exacte observance, à un grand renoncement d'elle-même, à
l'humilité, simplicité, mais surtout à un grand abandonnement de tout soi-même
à la divine Providence. Monseigneur de Langres disait qu'il estimait que cet
attrait était tellement l'attrait des filles de la Visitation, qu'il ne pensait
pas qu'une fille en pût bien avoir l'esprit, si elle n'avait cet attrait
d'heureuse et sainte simplicité intérieure.
Nous devrions prendre toutes nos délices à traiter avec Notre-Seigneur,
et être indifférentes que les siennes, en nous, fussent de nous donner de la
consolation et' suavité, ou bien des distractions, des peines ou travaux ;
pourvu que son bon plaisir s'accomplisse, il nous doit suffire. Enfin, c'est
l'abrégé et le sommaire de la perfection que la totale dépendance et conformité
de notre volonté à celle de Dieu. Toute la doctrine de notre Bienheureux Père
tendait au parfait dénûment de soi-même. J'aime mieux que l'on se tienne
simplement attentive à recevoir tout ce qui arrive de la main de Dieu, selon
l'ordre que sa Providence présente les choses, que non pas d'occuper
continuellement son attention à choisir ce qui mortifie le plus, parce que
notre Bienheureux Père faisait ainsi. Mais s'il y a quelque rencontre où il
faille choisir, alors il faut prendre ce qui mortifie le plus, car à mesure que
nous nous vidons de nous-même, Notre-Seigneur nous remplit de ses dons et de
ses [353] grâces. O Dieu ! qu'heureuses sont les âmes véritablement
simples et méprisant tout ce qui n'est point Dieu !
La douceur et tranquillité d'esprit sont le siège du Saint-Esprit. Pour
avoir la perfection que Dieu demande de nous, en notre vocation, il faut être
parfaitement mortifiées de corps, de cœur et d'esprit, se perdre tout soi-même
avec ses recherches, ses intérêts, et ne rien vouloir que ce que Dieu veut, et
être entièrement abandonnée à sa Bonté. Tout arbre porte fruit selon son
espèce ; s'il ne le fait, il mérite d'être coupé et jeté au feu. Ainsi, si
l'oraison, tant haute et élevée que vous voudrez, ne produit le fruit de la
mortification, elle n'est rien ; car pour être vraie, il faut
nécessairement qu'elle produise des fruits, c'est-à-dire la pratique des
vertus ; car on ne se mortifie que pour l'acquisition d'icelles, et il ne
faut, pour en acquérir la perfection, que bien débrouiller son cœur et se
donner vraiment à Dieu. O que nous perdons, pour avoir trop de recherches de nous-même !
Mes filles, la plus grande affaire que nous ayons depuis que nous
sommes entrées en Religion, c'est de nous y occuper à aimer Dieu. Tout le temps
que nous n'employons pas à cela, nous le dérobons à Dieu.
La fin de ceux qui travaillent, c'est le repos ; ainsi la fin de
ceux qui cherchent Dieu, c'est de se reposer en Lui, et partant, quand ils en
jouissent, ils peuvent bien dire avec l'Épouse : J'ai trouvé Celui que
mon âme aime, je le tiendrai et ne le laisserai point aller. Le fruit de la
perfection chrétienne et religieuse est de s'abandonner tout à Dieu, et de se
reposer entre ses bras, comme un enfant, lui recommandant néanmoins cette
affaire. Il n'y a rien qui nous rende plus semblables à Dieu que la
simplicité ; l'âme qui l'a vraiment est parfaite. Quand les âmes
s'adonnent bien à la vraie mortification, Dieu les rend capables de grandes
choses.
L'essence de l'oraison n'est pas d'être toujours à genoux, [354] mais bien de tenir notre volonté unie à celle de Dieu en tout
événement... L'âme qui se tient prête et disposée à recevoir toutes sortes
d'obéissances, et qui les reçoit amoureusement, comme de la part de Dieu, peut
dire en vérité qu'elle est toujours en oraison ; car, de cette sorte, on
la peut faire même en balayant.
Nous devons vivre de la seule volonté de Dieu. Oh ! qu'une âme qui
ferait cette entreprise, de regarder et suivre en toutes choses cette divine
volonté, serait heureuse ! car elle jouirait d'une profonde paix en sa
résignation, parce que en tout elle trouverait cette divine volonté, et
l'aimerait autant en une chose qu'en une autre, parce qu'elle ne mettrait pas
son contentement es événements, ains en la volonté de Dieu qui les veut et les
permet. Nous sommes appelées à cette perfection, et pour y parvenir, il n'est
pas besoin d'altérer le corps par pénitences et austérités ; c'est
pourquoi nous n'avons nulle excuse de ne la point pratiquer. Certes, la plus
grande assurance de salut que nous puissions avoir en cette vie, consiste en
cette entière et absolue remise de tout notre être à la volonté de Dieu, et à
nous reposer au soin de sa Providence. Se reposer est bien doux, facile, aisé
et bien aimable ; mais être abandonnée à la sainte volonté est un point
bien plus haut, plus grand et plus relevé, parce qu'il comprend la parfaite
indifférence à tout ce que Dieu veut de nous.
SUR LA PERTE DE SOI-MÊME EN DIEU.
Ma chère Sœur, à ce que je vois, vous avez désir de vous perdre en
Dieu. Etre perdue en Dieu, n'est autre chose que [355] d'être absolument et
entièrement résignée et remise entre les. mains de Dieu, et abandonnée au soin
de son adorable Providence. Ce mot de se
perdre en Dieu, porte une certaine substance, que je ne crois pas
pouvoir être bien entendue que par ceux qui se sont ainsi heureusement perdus.
Le grand saint Paul l'entendait bien lorsqu'il disait avec tant
d'assurance : « Je vis, mais je ne vis plus en moi, ains c'est
Jésus-Christ qui vit en moi. » O Dieu ! mes Sœurs, que nous
serions heureuses si nous pouvions véritablement dire : Ce n'est plus moi
qui vis en moi, parce que toute ma vie est toute perdue en Dieu, et c'est lui
qui vit par moi, et en moi. Ne vivre plus en nous-même mais perdue en Dieu,
c'est la plus sublime perfection à laquelle une âme puisse arriver. Nous y
devons pourtant toutes aspirer, nous perdant et reperdant mille fois dans
l'Océan de cette grandeur infinie. Mais une âme ainsi perdue est toujours
anéantie devant Dieu ; elle est toujours contente de ce que Dieu fait dans
elle, et hors d'elle. Tout ce qui lui arrive la satisfait ; l'affliction
lui plaît ; elle la regarde sans se troubler, parce qu'elle dira :
J'ai perdu toute consolation dans celle d'être perdue en Dieu. Si on lui
annonce la mort de ses proches ou de ses amis, elle n'en paraît point troublée,
car elle les avait déjà perdus en Dieu. Si on l'humilie fortement, qu'on touche
son point d'honneur, hélas ! elle ne tient point compte de cela, parce
qu'elle s'est toute donnée et perdue dans Celui qui doit faire son honneur et
sa gloire, et on ne saurait rien lui ôter qu'elle n'ait perdu et voulu perdre
elle-même. J'admire ce grand Job : il est sur son fumier rongé des
vers : Le Seigneur a fait cela, dit-il, son saint Nom soit béni.
Il y a quelque temps qu'une personne m'écrivait sur des grandes peines
qu'elle souffrait. Je lui mandai de perdre tout cela en Dieu. Cette
parole fit un tel effet dans son âme, qu'il m'écrivait d'en être tout étonné,
et tout ravi de contentement de ce que cette seule parole : perdre tout
cela en Dieu, [356] avait produit en lui. Pour nous, mes chères Sœurs, nous
voudrions bien nous perdre, mais nous voudrions aussi qu'il ne nous en
coûtât guère. Nous disons bien à Notre-Seigneur que nous nous abandonnons entre
ses bras divins, mais nous ne le faisons pas de la bonne sorte. Nous voulons
toujours avoir quelques petits soins de nous-même, non pas tant pour le
temporel comme pour le spirituel, l'amour-propre par sa subtile finesse nous
persuadant toujours que si nous ne nous en mêlons un peu, tout n'ira pas bien.
Non, ma Sœur, une âme totalement perdue en Dieu ne veut avoir ni
de vertu, ni de perfection que ce que Dieu veut qu'elle en ait. Elle travaille
fidèlement, parce que Dieu le veut, mais elle lui laisse tout le soin de son
travail, et ne se met pas en peine de chercher des moyens nouveaux de perfection,
ains ne s'applique qu'à bien employer ceux que la Providence lui fournit et
qu'elle lui présente à chaque occasion.
Il est vrai, mes très-chères Sœurs, bien que l'on se soit parfaitement
donné à Dieu, on peut se reprendre facilement. Mais que faire à cela, ma chère
fille, sinon de s'en bien humilier, et reconnaître que notre perte en
Dieu n'était pas entière, puisque nous avons été si prompte à nous retrouver,
et après cet acte d'humilité profonde se reperdre de nouveau, se
jeter en Dieu comme une petite goutte d'eau dans la mer, et se bien perdre dans
cet océan de la divine bonté pour ne se plus retrouver. Toutes les fois
qu'il vous arrivera de vous reprendre, ma fille, refaites la même chose
constamment, et si vous persévérez fidèlement à vous redonner toujours,
j'ose vous assurer que vous vous perdrez enfin d'une si heureuse perte
que vous ne vous trouverez plus. Il est facile de perdre ce qu'on veut
bien perdre, et qu'on perd souvent sans apporter du soin à le retrouver ;
l'on ne pense plus à une chose perdue. Si nous voulons tout de bon nous perdre,
ne pensons plus ni à nos cœurs, ni à nos corps, ni à nous-même, ni à rien
de tout ce qui n'est pas Dieu ou pour [357] Dieu. Ah ! que je voudrais
bien voir mes chères filles ainsi perdues ! Ne voulez-vous pas bien
entreprendre cette perte si désirable pour votre défi ? Je le
désire bien, mes chères Sœurs. O Dieu ! que ces paroles sont
fidèles : Mourons avec Jésus-Christ si nous voulons ressusciter avec
Lui ! C'est notre grand saint Paul qui nous les dit, prêtons-lui foi,
et vous verrez qu'il dit vrai, parce qu'il est impossible de trouver la vraie
et solide vertu qu'en cette mort de nous-même, de nos inclinations, et de nos
humeurs pour ranger tout sous l'étendard de la croix de Notre-Seigneur. Malgré
cette divine semonce, nous souffrons avec tant de répugnances. O mes
Sœurs ! mes chères sœurs ! si le grain du plus beau froment ne meurt,
il ne fructifiera point. C'est la vérité éternelle qui nous en avertit, elle
est bien digne d'être crue. Si le vieil Adam n'est ruiné, le nouveau ne vivra
pas en nous.
(Fait en 1631)
SUR LA GLOIRE ET LE BONHEUR DE L'ÂME RELIGIEUSE.
La Maison de Dieu, c'est la sainte Église ; les cabinets du Roi,
c'est la religion. Il y a vingt et un ans qu'il plut à sa Bonté de s'édifier un
nouveau cabinet, pour nous y faire reposer et jouir en icelui de sa divine
présence et de ses caresses célestes. Voyez-vous, mes filles, quand un roi a
fait bâtir un cabinet, dans un ancien château, il s'y plaît tellement que l'on
dirait que c'est son séjour le plus agréable. Il le fait soudain remplir de
mignardises, d'enrichissures, d'odeurs et de parfums, le faisant dépositaire
des choses les plus précieuses qu'il [358] ait, et fait une faveur signalée à
ceux qu'il y mène, et là il les entretient seul à seul continuellement avec la
reine sa chère épouse. Certes, le bon Sauveur Jésus, notre Roi souverain et
notre Époux très-adorable et très-aimable, en ces derniers siècles, a pris
plaisir de s'édifier un nouveau cabinet, dans sa royale et sainte Maison, et
c'est notre petit Institut, duquel il a pris un soin si amoureux, si paternel
et si spécial, qu'il a bien fait voir que c'était une œuvre de sa main que cet
édifice, lequel, à la vérité, il a enrichi de beaucoup de vertus ; et les odeurs
qu'il a mises en ce cabinet se sont déjà exhalées en divers lieux, et ont
grandement édifié et réjoui l'Église.
Nous n'étions, mes très-chères filles, que de pauvres et chétives
créatures ; néanmoins, Dieu, par un excès de bonté envers nous, nous a
choisies pour ses épouses et nous
a rendues reines. Il nous a tirées
dans son cabinet avec des chaînes d'or, d'amour et de suavité ; ses
délices seront d'être avec nous et de nous distribuer ses faveurs, si nous
prenons réciproquement toutes nos délices d'être avec sa souveraine Bonté. Si
nous sommes si heureuses que de ne chercher que cela, vous verrez que ses
libéralités s'étendront plus loin qu'elles n'ont encore fait, et il fera sur
nous une sainte profusion de ses faveurs qu'il ne communique qu'à ses épouses.
Mais, quand je parle des grâces et faveurs que Dieu communique à ses épouses, je ne veux pas que vous
entendiez seulement les caresses intérieures qu'il donne souvent aux âmes
religieuses ; mais bien plus faut-il entendre les croix, les
mortifications et les souffrances, car ce sont là les vraies odeurs que nous
devons suivre et qui nous doivent attirer.
Les odeurs qui nous doivent davantage allécher à la poursuite du vrai
bien, sont celles que le Sauveur de nos âmes répandit sur le mont de Calvaire,
et non pas celles du Thabor ; car les unes sont plus constantes et
efficaces que les autres. Oh ! quel bonheur et quel honneur à l'âme, épouse du Fils de [359] Dieu, de suivre
son Époux par le chemin où il a marché ! C'est la vraie joie de la fidèle épouse, de suivre son Bien-Aimé,
soit emmi le parterre fleuri des consolations savoureuses, soit au champ et au
travail de l'action, soit au doux repos du midi sur la sacrée poitrine ;
ou dans sa sainte et nuptiale couche, par une douce contemplation ; ou sur
la montagne dure, âpre, épineuse et amère de la myrrhe, je veux dire des
dérélictions, ténèbres et amertumes qui arrivent quelquefois aux âmes les plus
aimées de Dieu. Bienheureuses serons-nous, mes très-chères filles, si nous nous
tenons fermement attachées à l'Époux, ne sortant point du lieu où il nous a
mises, en son cabinet, pour nous communiquer sa bonté et tout ce qui est de
lui. Ne cherchons point d'autre passe-temps, d'autre repos, ni d'autre joie que
celle-là, car aussi bien hors d'elle nous ne trouvons qu'ennemis, troubles,
amertumes et tristesses.
(Fait le 24 novembre 1629)
SUR LA PERFECTION DE NOTRE INSTITUT ET SUR LA FIDÉLITÉ À LA
GRÂCE.
La perfection de céans, mes chères Sœurs, n'est pas fondée sur les
grâces extraordinaires en l'oraison, mais sur la solide vertu. Nos premières
Mères et Sœurs n'auraient jamais voulu parler d'autre (chose) que de
l'oraison ; elles en faisaient de perpétuelles demandes à notre
Bienheureux Père, et elles n'étaient pas bien satisfaites, parce qu'il leur répondait
courtement, s'étendant sur les pratiques de la vertu véritable, auxquelles il
portait tout à fait les âmes qu'il conduisait, plus que par toutes [360] autres
voies, et bien qu'il eût vu les âmes gratifiées des plus sublimes ravissements,
s'il n'y trouvait un fond de véritable humilité, il n'en faisait point d'état.
Il aimait fort une âme courageuse, laquelle il voyait absolument
déterminée au bien, quoi qu'il lui pût arriver, et ne voulait pas qu'on
regardât aux goûts et aux plaisirs, ni aux dégoûts et aux privations, mais il
voulait que dans les douceurs comme dans l'amertume, on allât droit à Dieu par
une remise humble et soumise aux divines dispositions sur nous, par l'exercice
d'une sincère douceur de cœur et égalité d'esprit. Lorsqu'il rencontrait de
telles âmes, il les chérissait fort, et pour mériter ses tendresses, je voyais
qu'il ne fallait qu'aimer le bon plaisir de Dieu et sa sainte volonté sans se
regarder soi-même ; mais il ne laissait d'aimer les moins parfaites, et il
travaillait patiemment et doucement autour de ces âmes moins fortes.
Mes chères Sœurs, il y a des âmes qui, comme les lys, plantés
profondément en la terre, ne portent que fort tard ; et d'autres, comme
ceux qui sont moins enfoncés, portent de meilleure heure. Oui, mes chères
filles, nous sommes fort enterrées en nous-même, c'est pitié ! nous ne
portons guère de fruits, ni de fleurs que bien tard. Mais si nous sommes
généreuses, peu enracinées en notre propre terre, que nous ne prenions que par
nécessité tout ce qui est de la nature, nous porterons des fruits beaux, bons
et de bonne heure.
Dieu ne cesse jamais, tant il est bon, d'être autour du cœur de l'homme
pour l'aider à sortir de lui-même, des choses vaines et périssables, afin qu'il
puisse recevoir sa grâce et se donner tout à lui. Il appelle l'un par une
prédication, l'autre par un exemple ; celui-ci par une sainte lecture, ou
par sa seule inspiration ; d'autres par quelques afflictions. Enfin, il
présente sa grâce à chacun suffisamment et très-abondamment pour le salut, et
pour l'avancement et progrès en la perfection. [361]
Notre Mère la Sainte Église, détermine très-assurément que jamais la
grâce ne nous manque, ni ne nous quitte, que nous ne la quittions. Ce bon Dieu
nous attend en patience dans nos délais, il nous appelle incessamment, bien que
nous ne lui répondions pas ; il frappe à la porte même du cœur qui lui est
fermé. À cette heure que je vous parle, combien pensez-vous qu'il y ait des
âmes que sa grâce gagne, et qui sont destinées au salut éternel, étant encore
embourbées dans de grands péchés ? Notre-Seigneur les voit dans leurs
crimes, il les regarde, il les patiente, il les inspire, enfin, il les retire
parce qu'elles coopèrent à sa grâce, bien qu'elles se soient mises en grand
danger, différant leur coopération ; l'Esprit de Dieu s'en va, se retire,
quand nous ne le recevons pas, et que nous le refusons. L'Écriture le témoigne
en plusieurs endroits : lorsque l'Époux eut fort prié son Épouse de lui
ouvrir la porte, et qu'elle continua ses excuses, cet Amant sacré passa, et
elle ne le trouva plus lorsqu'elle se ravisa de lui ouvrir. Mes chères Sœurs,
lorsque nous nous sentons pressées de sortir d'un péché, de quitter une
imperfection, de nous relever d'une négligence, d'acquérir une vertu, de nous
avancer fortement à la perfection du divin amour, alors, l'heure est venue pour
nous, levons-nous promptement, accourons au divin Époux, acceptons sa grâce,
profitons de son inspiration, c'est le temps de notre délivrance, ne différons
point, accourons, accourons sans délai, autrement il se dépitera et s'en ira.
Il me vient une similitude sur ce sujet, qui est un peu de récréation,
mes chères filles. Je me souviens que Monsieur de Chantal aimait fort à dormir
la grasse matinée ; moi qui avais toute l'économie de la maison à mon
soin, j'étais forcée de me lever matin pour donner tous mes ordres. Lorsqu'il
commençait d'être tard, et que j'étais revenue dans la chambre, y faisant assez
de bruit pour l'éveiller, afin qu'on dit la messe à la chapelle, pour faire
après les affaires qui restaient, l'impatience [362] me
venait ; j'allais tirer les rideaux du lit en lui criant qu'il était tard,
qu'il se levât, que le chapelain était habillé et qu'il allait commencer la
messe ; enfin, je prenais une bougie allumée, et la lui mettais sous les
yeux, et le tourmentais tant, qu'enfin je le faisais quitter son sommeil et
sortir du lit. Je veux vous dire, par ce petit conte, que Notre-Seigneur fait
de même avec nous : nous ayant attendues et patienté longtemps, et voyant
que par des moyens généraux nous ne sortons point de nos imperfections, il
s'approche plus près de nous, il tire le rideau lui-même de quelques
difficultés, il nous apporte sa lumière jusque sur les yeux, nous sollicite et
nous presse si fort, que souvent il nous contraint, comme par une douce
violence, de nous lever ; et lorsque nous sentons ses traits, que nous
avons sa lumière, mes Sœurs, il faut lui obéir, nous lever promptement et
sortir de nous-même, autrement il s'irritera, s'en ira et nous quittera. C'est
le malheur des malheurs lorsque Dieu retire ses inspirations. Hélas ! il
le fait pourtant après avoir bien attendu, il le dit lui-même : J'ai
été de longues années après ce peuple, mais il ne m'a point voulu ouïr, et je
jure pour cela qu'il n'entrera point en mon repos.
Oh ! Dieu, mes filles, lorsque par notre négligence nous laissons
de profiter de ces précieuses et divines inspirations, craignons très-justement
de ne trouver plus le temps propice de le ravoir. Le même Seigneur a dit :
Un temps viendra que vous me chercherez et ne me trouverez ; vous
m'appellerez et je ne vous répondrai point. Et pourquoi, Seigneur ? Parce
que, lorsque je vous ai cherchés et recherchés, demandés et redemandés, vous ne
vous êtes pas laissé trouver, et que vous ne m’avez pas voulu répondre. Je me
suis montré à vous, et vous ne m'avez point voulu voir, maintenant je vous
rendrai la pareille. Correspondez, mes chères filles, à ces divins attraits
quoi qu'il nous en coûte. Le ciel souffre violence, et les forts le ravissent.
Il se faut vaincre et surmonter fortement, et lorsque Dieu nous appelle, le
suivre [363] fidèlement et humblement, opérant l'œuvre de notre salut avec
crainte et tremblement, puisque le chemin qui conduit à la vie est si étroit,
que peu de personnes y entrent bien comme il faut. Pour y bien marcher, il faut
agir, souffrir et soutenir, puisque nous ne sommes en cette
vallée de larmes que pour fatiguer et endurer, pour souffrir et non pour
jouir ; pour combattre et non pour nous tenir en repos. L'Église de Dieu,
Épouse de Jésus-Christ, est appelée militante, c'est-à-dire souffrante,
combattante, guerrière. Tous les fidèles sont les membres de cette Église, il
faut donc que ces membres fidèles soient tous soldais combattants, forts et
vaillants, pour vaincre les trois ennemis communs de tous.
Or, pour les deux premiers, le démon et le monde, ils ne nous font pas
grande peine, ni ennui ; ce n'est que ce nous-même qui nous
tourmente et qui est notre grand ennemi, sur lequel les deux autres se
reposent, parce qu'ils savent que le plus fier ennemi de l'homme est en
lui-même. J'aime fort, mes Sœurs, ce mot de saint Bernard qui dit : Ce
corps que tu vois, tu crois que c'est toi-même, et il n'en est rien, parce que
ce n'est qu'un sac de corruption, une pâture pour les vers, et néanmoins le
trop d’amour pour une chose si vile nous retarde bien souvent au chemin de la
vraie vertu. Ce corps est ce faux nous-même, tout rempli de rébellions, de
passions mauvaises, habitudes vicieuses, de propres recherches, et comme il
tend toujours en bas, il tire, s'il peut, l'âme après soi ; et, si l'on
n'a bien l'éveil à le mortifier, pour saint que l'on soit, l'on fait des faux
pas en cet endroit, parce qu'on sent toujours quelques rébellions et
contrariétés en la partie inférieure. Ces ermites hypocrites qui ont voulu
soutenir le contraire, ont été condamnés par l'Église ; et, à la vérité,
je ne sais aucun saint qui n'ait eu besoin de faire attention à mortifier le
corps. En quelle manière notre Bienheureux avait-il acquis ce grand empire sur
lui-même, pour ne craindre ni froid, ni chaud, ni aucune incommodité, [464] sinon en ne
laissant passer aucune occasion de se mortifier, ce qui a paru si éminemment
dans la patience merveilleuse qu'il exerça dans sa dernière maladie.
Enfin, tant que nous serons vivantes, nous aurons besoin de bien
combattre ce nous-même. Je trouve que c'est une grande bassesse d'être
attachées à nos corps, nous qui goûtons les plus doux et purs plaisirs
d'esprit, et qui sommes destinées à vivre d'une vie toute d'esprit. Le corps n'est
rien, nous le voyons bien, dès que l'âme en est sortie, ce n'est plus pour nous
qu'un objet d'horreur ; et, néanmoins, ce n'est que la mort qui le réduit
dans l'état où il devrait être. (Pendant la vie) il ne devrait avoir de
mouvement que par le commandement de la raison, tout ainsi qu'un cadavre ne se
meut, comme disait le bon saint François d'Assise, que par autrui, et non de
lui-même. Tâchons donc de nous bien mortifier, mes Sœurs, d'assujettir le corps
à la raison, et non la raison à lui-même. À quel prix que ce soit, acquérons la
vraie vertu ; mais ne nous appuyons pas, en cette entreprise, sur nos
propres forces, ains jetons notre confiance en la bonté divine, qui nous
soutient en tout.
SUR L'ESPRIT D'HUMILITÉ, CARACTÈRE DISTINCTIF DE NOTRE
INSTITUT.
L'excellence de l'esprit de notre Institut consiste en l'amour de
l'humilité, vileté et abjection : quand cette humilité défaudra, notre
excellence manquera. Pour être vraie fille de la Visitation, il faut être
vraiment humble, mépriser l'honneur et estimer le mépris.
Quand Dieu trouve dans une âme un entendement anéanti, [365] il lui
fait de grandes grâces, et lui communique des lumières et faveurs fort
spéciales ; voire même, que cet anéantissement est l'une des plus grandes
grâces qu'une âme puisse recevoir. Si nous avions les yeux bien ouverts, et le
goût intérieur bien disposé pour savourer les fruits de l'humilité et
anéantissement, nous serions dans un continuel bonheur ; puisque c'est
cela seul qui peut nous rendre riches et agréables devant Dieu, aux yeux duquel
tout ce qui n'est pas vertu n'est rien.
Le vrai esprit de l'Institut, mes chères filles, n'est autre que celui
de Notre-Seigneur, vraiment humble, vraiment simple, droit, sincère et joyeux,
dans la sainte innocence et liberté.
Il n'y a que les humbles qui glorifient et honorent Dieu comme il faut,
parce que, reconnaissant que d'eux-mêmes ils ne sont rien et ne peuvent rien de
bon, ils rendent à Dieu l'honneur et la gloire de tout ce qu'ils font de bien,
connaissant et confessant qu'il est la source et l'origine de toutes grâces et
vertus. Dieu se plaît à faire de grandes choses par les âmes humbles, mais
vraiment humbles de cœur.
Toutes les filles de la Visitation sont obligées par leur vocation, de
chercher, en tous leurs exercices, leur humiliation et abjection ; et Dieu
ne favorise que les âmes humbles et qui se confient entièrement en lui. La plus
grande abjection et vileté qui puisse être en une âme, après le péché, c'est
d'être sans vertu.
L'humilité et la charité sont les mères des vertus : l'une nous
abaisse jusqu'au néant, par la propre connaissance de ce que nous sommes ;
et l'autre nous élève jusqu'à l'union de nos âmes avec Dieu ; toutes les
autres vertus suivent ces deux-là, comme les poussins, leur mère.
L'humilité est une précieuse monnaie pour acquérir le ciel. Il n'y a
point de perfection sans humilité, et nous avons autant de degrés de perfection
que nous en aurons en l'humilité et non plus. [366]
La vertu se cache aux yeux de ceux qui l'ont, et se découvre à ceux des
autres. Le moyen de posséder la paix intérieure, c'est d'avoir une véritable et
très-sincère humilité, car le vrai humble n'a rien qui lui fasse peine.
L'humilité de cœur n'est autre chose qu'une véritable connaissance que
nous ne sommes rien, que nous ne pouvons rien, et désirer d'un vrai désir que
les autres nous tiennent et traitent comme telle, c'est cela qui s'appelle
humilité de cœur, laquelle fait encore que nous nous anéantissons en tout, sans
exception, et que nous nous estimons toujours mieux traitées et plus estimées
que nous ne méritons.
Nous sommes d'autant plus saintes que nous sommes plus humbles, et non
pas plus ; et si nous portons peu de fruits, c'est parce que nous ne nous
anéantissons pas assez en nous-même. Cependant, si l'homme ne se mortifie et ne
se fait violence, il ne portera jamais le fruit de la volonté de Dieu en soi.
Mes filles, nous devons regarder l'éclat de notre Institut et l'estime
que l'on en fait, non en nous, mais en Dieu, d'où il provient, et ne nous
jamais départir, pour tout l'éclat du monde, de l'amour de notre petitesse,
vileté et abjection. C'est une chose grandement mauvaise, en une âme
religieuse, que l'amour de sa propre réputation, et la crainte que quelques
grains d'icelle ne nous en soit Ôtés, parce qu'il faut être totalement
abandonnée à la Providence de Dieu, sans la permission de laquelle rien ne nous
saurait arriver, car l'essence de l'humilité consiste à avoir une volonté
entièrement soumise à celle de Dieu.
L'accusation franche de soi-même (de ses fautes) est une des plus
vraies marques de l'humilité en une âme, comme, au contraire, l'excusation de
ses fautes et manquements est le signe évident d'un très-grand orgueil. Il est
impossible d'avoir la paix, au moins une vraie paix intérieure et de vertu, que
par le moyen de l'humilité sincèrement pratiquée. Par l'humilité, [367] l'on
surmonte toutes les tentations. O humilité ! fondement de toutes les
vertus ; humilité, sans le fondement de laquelle nulle vertu ne saurait
subsister ! Enfin, mes Sœurs, l'humilité est la princesse et la reine de
toutes les autres vertus. Je désire que nous soyons toutes des saintes, mais des saintes d'une très-pure pureté, et d'une
très-profonde humilité.
L'amour de la propre estime est un casque et un plastron à l'âme, et
qui l'empêche de pouvoir recevoir et d'être susceptible des traits de l'amour
de Dieu.
SUR L’ABANDON À LA PROVIDENCE, AUTRE CARACTÈRE DISTINCTIF
DE L'ESPRIT DE NOTRE INSTITUT.
Oui, ma Sœur, c'est un vrai point de la plus haute et sublime perfection,
que d'être entièrement remise, dépendante et soumise aux événements de la
divine Providence. Si nous nous y sommes bien remises, nous aimerons autant
d'être à cent lieues d'ici, qu'ici même ; et possible mieux, pour y
trouver plus du bon plaisir de Dieu et moins de noire propre satisfaction. Il
nous serait indifférent d'être humiliée ou exaltée, que cette main ou cette
autre nous conduise, d'être en sécheresse, aridité, tristesse et privation, ou
d'être consolée par la divine onction et dans la jouissance de Dieu. Enfin,
nous nous tiendrions entre les bonnes mains de ce grand Dieu comme l'étoffe en
celles du tailleur, qui la coupe en cent façons pour l'usage qui lui plaît et
auquel il l'a destinée, sans qu'elle y apporte de l'obstacle ; ainsi nous
endurerions que cette puissante main de Dieu nous coupe, martèle, cisèle, tout
comme elle veut que nous soyons faites, [368] pour être une pierre propre à
parer son édifice, et les afflictions comme les délices ne seraient qu'une même
chose, nous écriant avec notre grand Père saint Augustin : Coupez,
tranchez, brûlez, mon Seigneur Jésus-Christ ; pourvu que je sois avec vous
et que je vous possède, je suis content !
Mes Sœurs, ne parviendrons-nous jamais à la totale destruction de nos
sentiments humains et à la ruine de la prudence humaine, pour voir, d'un œil
pur, d'une vraie foi, la beauté et bonté des afflictions, des souffrances, des
pressures de cœur, des dérélictions et maladies ? Le monde ne s'attache
qu'à l'écorce, et ne va pas jusqu'à voir la moelle cachée sous la douceur de la
croix ; il ne voit que l'écorce, qui paraît rude et fâcheuse ; mais
il ne pénètre point jusqu'au dedans, où l'on goûte plus de plaisir, si l'on
aime bien Dieu, que l'on n'en trouvera jamais dans la jouissance des faux et
vains contentements, que le même monde peut donner. L'esprit humain voit une
personne délaissée, persécutée et mortifiée ; il la croit misérable et
pleurerait volontiers de compassion sur elle, quand il voit que la créature l'a
comme rejetée ; mais, s'il discernait et pénétrait la douceur que Dieu
fait trouver à cette âme dans l'humiliation, il aurait de l'envie du bonheur
qu'elle possède d'être admise à l'honneur de la divine familiarité.
C'est un grand trait de la divine Providence, quand elle permet
l'infidélité de la créature, et que des affaires succèdent mal et contrarient
quelquefois nos désirs, parce que tout cela oblige notre cœur, que Dieu a créé
libre et désengagé, à aller se reposer en lui ; ce pauvre cœur est si
faible, que, s'il rencontrait toujours dans les créatures du contentement, il
irait avec peine au Créateur. Les yeux de la chair ne voient pas bien cela,
mais Dieu le voit pour nous ; il sait que la douleur et l'humiliation nous
rendent conformes a son Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais pour nous, mes
chères Sœurs, que la divine miséricorde a séparées du monde, qu'elle a retirées
dans ce cloître pour nous [369] distinguer par tant de grâces et de bienfaits
du reste des créatures, soyons toujours prêtes à faire et souffrir tout ce que
Dieu veut de nous, ne disant jamais : c'est
assez de peines, de mépris et d'abnégation ; mais, me voici, toute soumise et prête à faire
votre bon plaisir. C'est vivre selon l'esprit, de parler de la sorte, et non
selon les mouvements de la partie inférieure, qui n'entre point en
participation dans cette façon d'agir si parfaite. C'est par cette voie que les
vraies filles de la Visitation doivent marcher.
Le bon Job s'écriait sur son fumier : Que celui qui a commencé
de m’affliger parachève seulement son œuvre en moi ; j'y trouve mon
plaisir, parce que je vois le sien dans mon extrême souffrance, et je bénis son
saint Nom au milieu de cette rude épreuve. La vraie résignation consiste
dans la pratique de cette merveilleuse patience, et à bénir Dieu de ce qu'il
nous a ôté, comme de ce qu'il nous a donné. Il faut vous avouer la vérité, mes
chères Sœurs, j'aurais bien de la sainte joie de vous voir toutes bien
abandonnées au bon plaisir de ce grand Dieu, et soumises à sa divine
Providence. Notre Bienheureux Père me disait un jour, que c'était là le
rendez-vous unique de notre cœur, que nous n'en devions point avoir d'autre.
La grande besogne que nous trouvons en nos règles et la perfection
angélique à laquelle cet Institut doit aspirer, ne consistent pas à une grande
multiplicité d'actes et œuvres pénales, beaucoup estimés du vulgaire ;
mais elle nous conduit à la perfection de l'esprit, toute cachée en Dieu. C'est
là notre excellence, de voir la volonté de Dieu en toutes choses et la suivre.
Cette vie cachée nous conduit à l'union divine, à la séparation de toutes les
choses créées et à une-parfaite pureté de cœur, qui plaît infiniment à
Dieu ; il ne nous a ainsi cachées que pour nous faire vivre de Lui et en
Lui. Faisons donc de notre douce clôture un paradis en terre, et de nos
cellules, le séjour de l'Époux ; rendons tout notre monastère le lieu de
ces délices, et [370]
le midi de son amour pour y
venir reposer. Nous le pouvons par sa grâce ; ayons seulement un grand
courage et nous obtiendrons cette faveur, en observant nos règles exactement,
en faisant toutes nos actions dans une profonde, sincère et franche
humilité, vivant dans la parfaite abnégation de nous-même et dans une
pauvreté dépouillée de tout, ne vivant, respirant ni aspirant que pour ce
céleste Époux de nos âmes. Aimons tendrement et également nos chères Sœurs,
et servons Notre-Seigneur d'un esprit joyeux et content dans l'état de notre
vocation, vivant enfin paisibles et tranquilles sous les ailes de sa divine
Providence, qui prend tant soin de nous. Sa grâce ne nous manquera jamais,
soyons-lui fidèles ; suivons ses attraits, et Dieu bénira de sa grande
bénédiction, nous et nos desseins.
SUR TROIS MOYENS PROPRES À MAINTENIR L'ESPRIT DE NOTRE
INSTITUT : L'UNION AVEC DIEU, LE SUPPORT, ET LA CORRECTION FRATERNELLE.
Ma fille, je vous remercie de la demande que vous me faites au sujet du
zèle que nous devons avoir chacune en particulier, et toutes en général, pour
maintenir l'esprit de notre Institut ; c’est tout juste ce que j'ai pensé
ce matin de vous recommander.
Ce zèle est extrêmement nécessaire pour conserver l'esprit de la
Visitation en une grande pureté et intégrité de vie, les unes envers les
autres. Il consiste en trois points : le premier est de s'unir avec Dieu,
et pour cela être bien exacte à l'observance et aux vœux que nous lui avons
faits, de vivre selon les Règles de saint Augustin et les Constitutions de
Notre-Dame de la Visitation ; car il faut avoir ce zèle, premièrement
pour soi, avant [371] que de l'exercer sur les autres. Il y aurait danger de
s'oublier soi-même, voulant perfectionner les autres. Nous devons donc
travailler toute notre vie à l'acquisition des vertus propres à notre
Institut : ces vœux, que nous avons faits à Dieu de vivre selon nos
règles, nous obligent à n'avoir qu'un cœur et une âme en Dieu. Il faut que
nous regardions si nous aimons autant le bien fait à nos Sœurs qu'à
nous-même ; si nous sommes bien aises quand nous les voyons vertueuses et
estimées ; si nous avons un grand déplaisir de leur voir faire des manquements,
et si nous les voudrions cacher, afin qu'on ne les vît pas : voilà le zèle
qu'il faut que nous ayons pour notre particulier.
Le deuxième, c'est le support les unes des autres, en nos défauts et
imperfections ; et, lorsque nous en voyons commettre à nos Sœurs, nous
nous devons humilier devant Dieu et prier pour elles, croyant que nous en
faisons d'autres plus grandes, qui nous sont inconnues, et que, si l'on nous
connaissait, on aurait bien de la peine à nous supporter ; voici un
exemple comme il faut pratiquer ceci. Une fille a une charge de grand
tracas : une Sœur vient lui demander quelque chose, elle lui répond un peu
sèchement ; celle qui est ainsi reçue doit grandement excuser sa Sœur, et
croire que c'est sa grande occupation qui la fait parler de la sorte.
Néanmoins, l'autre, s'apercevant de ce défaut, doit demander pardon à celle à
qui elle a dit ces paroles sèches, et la Sœur à qui elle demande pardon se doit
grandement humilier et dire en elle-même : Hélas ! mon Dieu, ma Sœur
n'a point de tort, et elle s'humilie si fort en mon endroit !... C'est en
ces occasions où l'on doit pratiquer le support, bien que chacune doive en son
particulier tâcher de faire son devoir.
Le troisième, c'est d'avertir des manquements que nous voyons faire à
nos Sœurs. Mais il faut que ce soit avec beaucoup de charité et
d'humilité ; car, si on manque de ces vertus, les avertissements nuisent
quelquefois plus qu'ils ne profitent ; [372] il se faut bien garder de les
faire avec ressentiment contre les défaillantes, pour décharger son cœur.
Pour moi, je crois que si j'étais avertie d'une chose que je n'aurais
pas faite, je n'en parlerais jamais, et n'irais point dire mes raisons à la
supérieure, car cela est fort contraire à l'humilité que Dieu requiert des
filles de la Visitation, qui ne doivent chercher que l'humiliation. Enfin, mes
chères Sœurs, notre gloire doit être de nous voir petites, basses, abjectes et
méprisées, si nous voulons ressembler au Fils de Dieu, qui s'est humilié
jusqu'à la mort de la croix. Humilions-nous de ce que, après toutes ces grandes
leçons, nous ne sommes pas encore saintes ; et si, après avoir supporté
patiemment une humiliation, nous pensions avoir rendu quelque grand service à
Dieu, il se faut bien garder de cette vaine complaisance, et s'en détourner si
elle se présente à nous.
SUR LE DÉTACHEMENT DES CRÉATURES, ET SUR LE ZÈLE POUR LA
PERFECTION DE NOTRE INSTITUT.
Mes chères filles, il faut avoir bon courage, et nous bien disposer
pour recevoir la dernière bénédiction de Notre-Seigneur, qui nous dit : Pax
vobis. Il nous laisse sa paix, son amour et son union ; il s'en va au
ciel ; envoyons notre cœur après lui, surtout durant cette sainte octave,
et jusqu'à la Pentecôte, pour imiter Notre-Dame et les Apôtres, qui se tinrent
tous ensemble en oraison dans le Cénacle, pour se préparer à recevoir le
Saint-Esprit ; humilions-nous grandement, et nous détachons de toutes
choses. [373]
Si l'attache qu'avaient les Apôtres à la sacrée humanité de
Notre-Seigneur leur servait d'obstacle pour la descente du Saint-Esprit sur
eux ; car il leur dit : Si je ne m'en vais, le Consolateur ne
viendra point à vous ; il est donc expédient que je m'en aille, quel
empêchement, je vous prie, ne nous apportera pas l'attache et l'affection que
nous avons aux choses caduques de cette, vie, aux créatures et à
nous-mêmes ? Rompons donc avec tout ce qui n'est point Dieu : faisons
en sorte que nous puissions nous voir toutes en cette félicité
immortelle ; et je vous assure que si nous accroissons la gloire accidentelle
de notre Bienheureux Père en cette vie, il nous aidera bien pour avoir notre
gloire essentielle en l'autre. Après Dieu, c'est de lui que nous tenons notre
bonheur, et tout ce que nous avons, car sa divine Majesté s'est servie de lui
pour nous dresser notre chemin et la voie que nous devons suivre pour parvenir
au paradis. C'est notre Moteur et Patron qui nous touche et excite à suivre ses
traces. La divine Sapience avait mis en lui toutes les grâces et lumières
nécessaires pour notre conduite, et celle de tout l'Institut.
Il dit aussi dans l'une de ses lettres, que la supérieure n'est pas
mise en charge pour faire des nouvelles règles, ni pour introduire d'autres
coutumes ; mais pour y maintenir celles qui y sont établies, et faire
observer tout ce qui dépend de l'Ordre.
O, mes filles, qu'il faut avoir de zèle pour ce regard, surtout vous
autres, qui avez l'honneur d'être filles de ce premier monastère d'Annecy, et
mères de celles qui viendront après vous. Vous êtes celles qui avez reçu les
prémices de l'esprit, de sorte que si quelques-unes de nos maisons tombaient
dans le relâchement, et ne se tenaient pas à l'observance, quand bien même
elles seraient au bout du monde, il faudrait que non-seulement les supérieures
de céans, car c'est peu de chose qu'une créature, mais aussi tout le chapitre,
s'efforçassent d'y [374] remédier, en écrivant ou faisant écrire au
nom de la communauté et du chapitre, à l'évêque du lieu, où est le couvent,
pour le convier et le prier très-humblement, au nom de Dieu, de mettre ordre à
ce qu'on se redresse et remette au train de l'observance. Si tout cela ne sert
de rien, il faut employer les personnes de crédit auprès du Prélat, comme le
grand vicaire et le Père spirituel, sinon il faut recourir au Nonce
apostolique, ou à Sa Sainteté, sans épargner chose quelconque, jusque même à
vendre le calice de l'église, s'il en était besoin.
Comment, mes Sœurs ! vous envoyez des filles ici et là établir des
maisons, et vous n'en auriez point de soin ? Certes, si quelqu'une d'entre
vous n'avait pas cette affection, ce zèle' et ce courage, je la voudrais mettre
dehors. Mon Dieu ! il se faudrait faire crucifier pour la conservation de
l'Institut ! Que nous laissions déchoir ce que notre saint Fondateur a si
saintement institué avec tant de peines et de labeurs ! Oh ! qu'il
s'en faut bien garder ! Mais, vous me dites que peut-être les monastères
le trouveront mauvais, et ne voudront pas souffrir que nous nous mêlions de
leurs affaires, surtout là où il n'y a point de filles de céans.
Non, ne faisons pas tant de réflexions ; allons avec simplicité et
humilité, faisant ce qui est de notre devoir, ne déférant, ne cherchant, en
tout et partout, que la plus grande gloire de Dieu, et tout ira bien pour nous.
Si les autres ne font pas leur devoir, ne déférant pas assez à cette maison, à
ce qu'ils lui doivent, ne l'honorant et ne la respectant pas tout
particulièrement, véritablement, ils auraient très-grand tort, et déplairaient
fort à Notre-Seigneur, lequel requiert cela d'eux.
Mais, dites-vous, si la supérieure d'Annecy, ni la plupart des Sœurs,
ains seulement quelques-unes, le font, comment faudrait-il faire ? Il
faudrait que celles-ci tinssent bon, pour attirer les autres, et qu'elles le
dissent à la Mère avec humilité et respect, et si elle n'en veut tenir compte,
elles se doivent adresser à [375] l'Évêque, ou au Père spirituel. Néanmoins, il
faut bien savoir les choses au vrai, avant que d'en venir là.
Il faut que les filles de la Visitation, surtout celles de céans,
soient merveilleusement passionnées et affectionnées à toutes les observances
qui sont écrites et de coutume, demeurant fermes en cela, sans jamais fléchir,
ni à droite, ni à gauche, se gardant des nouveautés, et de dire seulement une
syllable de plus ou de moins, tellement que quand on viendrait leur dire :
Vous ne faites pas bien telle chose ; on ne chante pas les litanies le
jour de la Toussaint, à cause de l'Office des morts ; il faut qu'elles
répondent, mais hardiment : Nos Règles, Constitutions, Coutumier et
Coutumes portent que nous le fassions ainsi, et que nous chantions les litanies
ce jour-là ; nous désirons de nous tenir à cela, et n'en point déprendre. Oh !
si l'on nous disait : Vous n'êtes point modestes, il le faudrait bien
recevoir, et s'en amender. Notre saint Fondateur dit que, « quand bien
même tout le monde décherrait de la foi, et que nous serions toutes seules,
nous devons demeurer inébranlables et constantes à merveille, sans recevoir
aucun chancellement. » De même, quand il arriverait que tout notre Ordre serait
bouleversé, qu'il n'y aurait plus une Sœur qui ne voulût rien en observer, que
nous restassions toute seule, il faudrait demeurer immobile, demeurant entre
les bras de l'exacte observance, sans jamais nous en départir.
Quand les séculiers louent et exaltent notre Institut, il faut répondre
fort humblement : nous sommes les dernières venues en l'Église de
Dieu ; il nous faut bien tenir notre place, mes chères filles.
L'excellence de notre Ordre consiste en l'amour de la bassesse et petitesse.
Nous avons de vrai beaucoup de moyens, en notre manière de vie, pour parvenir à
une très-grande et sublime perfection ; mais l'importance est de les bien
pratiquer, selon les occasions.
Quelle est l'excellence de notre Institut ? dites-vous, ma [376]
chère fille. Notre excellence consiste, comme j'ai déjà dit, en l'amour de
l'humilité, petitesse et bassesse. Tenons-nous donc bien pour ce que nous
sommes ; puis, de se préférer aux autres, il s'en faut bien garder. Or,
nous avons le petit Office à perpétuité, grâce à Notre-Seigneur, lequel je
supplie nous vouloir octroyer la perpétuité de l'observance. Véritablement,
nous sommes bien obligées de remercier sa divine Bonté de ce grand bénéfice, et
de faire tout notre possible pour dire ce divin Office avec toute la révérence,
dévotion et attention requise. O Dieu ! quel bonheur pour nous, de réciter
jour et nuit les louanges de la Vierge ! nous devons donc nous en
acquitter dignement. Je voudrais bien que nous dressassions nos cœurs vers
elle, et que nous essayassions d'entendre quelque chose de ce que nous disons,
car, mon Dieu ! ce cantique du Magnificat, y a-t-il rien de plus
beau et de plus ravissant ?
SUR L'ESPRIT DE NOS RÈGLES, SUR TROIS POINTS QUI
DOIVENT SERVIR DE FONDEMENTS À LA VERTU DES NOVICES, ET SUR LE PROFIT ATTIRER
DE SES MANQUEMENTS.
L'esprit de nos règles, nos chères Sœurs, est, comme vous avez souvent
ouï-dire, un esprit de douceur et d'humilité et d'une totale dépendance de
notre volonté à celle de Dieu, et voici en quoi en consiste la pratique. Il faut
avoir une grande douceur dans la charité, et une humilité véritable dans sa
simplicité, avec une totale dépendance de la Providence divine. Nous pratiquons
la douceur en nos conversations, en nous supportant en nos défauts et
infirmités. [377]
La charité s'exerce à ne point renvoyer les filles pour des difformités
corporelles, à compatir aux maux et peines de nos Sœurs, et à les excuser en
nous-même, quand nous leur voyons faire quelque manquement. La vraie marque de
l'humilité, c'est quand elle produit la soumission et l'amour à son abjection,
soit qu'elle vienne de notre côté ou de celui de nos Sœurs, c'est-à-dire, soit
qu'elle vienne de nos imperfections, ou que l'on n'ait pas bonne opinion de
nous. L'humilité nous rend simple à l'obéissance, et soumise à la volonté de
Dieu en toutes sortes d'événements. La simplicité entre nos Sœurs bannit les
détours dans nos actions, et ne nous fait point user de finesse les unes envers
les autres ; mais quand nous voulons savoir quelque chose, nous dirons simplement
et franchement à une Sœur : J'ai envie de savoir telle chose de Votre
Charité.
La simplicité envers Dieu consiste à ne chercher que Lui en toutes nos
actions, soit que nous allions à l'Office, soit que l'on nous ordonne d'aller
au réfectoire, et puis à la récréation ; allons partout pour chercher Dieu
et pour obéir à Dieu. Dans toutes nos œuvres intérieures et extérieures, ne
cherchons qu'à plaire à Dieu, et à nous avancer en son amour et dans cette
simplicité d'esprit. Tenez-vous à la présence de ce grand Dieu, soumise et
attentive à son amour, et cette attention est suffisante et efficace pour
redresser toutes nos actions et intentions ; mais, aux œuvres de grande
importance, il est bon de les redresser souvent.
Il faut avoir une grande fidélité à bien pratiquer le Directoire des
exercices spirituels, surtout celui qui regarde la droiture d'intention ;
et pour ce que j'ai dit, que la simplicité d'esprit à se tenir à la divine
présence est suffisante, c'est pour les âmes qui sont déjà fort avancées et que
Dieu occupe et attire lui-même, par sa grâce, dans ce chemin de l'amoureuse
simplicité.
La soumission à la volonté de Dieu gît en deux points, qui sont la
volonté : signifiée et la volonté du bon plaisir. La volonté [378] signifiée
sont les Commandements de Dieu et de l'Église, nos Règles et Constitutions,
avec les obéissances qui nous sont données par les supérieurs. La volonté du
bon plaisir se doit regarder en toutes sortes d'événements, soit qu'on nous
mortifie, qu'on nous mésestime, qu'on nous afflige, ou que l'on souffre ;
comme lorsqu'on nous aime, qu'on fait état de nous, qu'on nous console, et que
tout seconde nos souhaits : dans tous ces états nous devons également
aimer et adorer ce divin bon plaisir. Même en nos fautes, après avoir rejeté le
péché commis, nous devons regarder la volonté de Dieu en l'abjection qui nous
en revient.
Non, mes filles, vous ne faites point de mal en commettant quelque
manquement par ignorance, et avec bonne intention ; parce que, où il n'y a
point de volonté et d'intention, il n'est point de péché, et Dieu même coopère
à l'action, ce qu'il ne ferait pas en l'intention si elle était mauvaise. De
même un exécuteur de justice ne fait point de mal de tuer un homme condamné à
mort, s'il ne le fait mourir que parce que les juges le lui ordonnent ; de
même aussi les soldats qui combattent pour leur prince, contre les infidèles,
bien loin de commettre le péché, en tuant, méritent beaucoup, en exposant leur
vie pour la loi, et pour l'obéissance due à leur souverain.
Mes chères Sœurs novices, vous me demandez quels sont les premiers
fondements sur lesquels vous devez établir votre vertu ? Je veux bien
volontiers vous le dire, et vous en donner trois seulement.
Le premier fondement qui doit être la vertu des novices, c'est la
sainte et amoureuse crainte de Dieu, c'est-à-dire qu'elles doivent avoir une
ferme résolution de ne jamais offenser la bonté divine, à escient, et
volontairement. Le deuxième, c'est l'amour à leur vocation qui doit procéder
d'une grande reconnaissance de la grâce que Dieu leur a faite, de les avoir
retirées du monde et des occasions de l'offenser, y ayant laissé tant [379]
d'autres qui eussent mieux fait leur profit de ces grâces que nous. Le
troisième, est la reconnaissance de notre néant, car si Dieu nous ôtait ses
grâces, que ferions-nous ? et s'il nous ôtait la vie qu'il nous a donnée,
que deviendrions-nous ?
Cette humilité fera que nous ne nous troublerons point de voir que nous
commettons souvent des fautes, mais que nous regagnerons par humilité ce que
nous avons perdu par infidélité. Voyez-vous, mes Sœurs, quand nous manquerions
vingt-quatre fois le jour, pourvu que nous ne nous troublions point et fassions
toujours résolution de nous amender, de nous en humilier devant Dieu, de ne
point fuir l'abjection qui nous en revient, et de ne point couvrir notre faute,
c'est un moyen plus assuré pour arriver à la perfection que la fidélité
constante. J'ai connu une âme qui a fait un avancement incroyable par cette
voie-là.
Quelles sont les deux ailes de la vie spirituelle ? dites-vous
encore. C'est un grand amour à l'oraison et une grande affection à la
mortification ; une fidélité grande à nous bien occuper à la première, et
une constance inviolable à nous exercer en la seconde. L'oraison ne va point
sans la mortification ; l'amour de l'oraison s'étend encore au
recueillement, et à se rendre attentive aux prédications, aux lectures de
table, aux assemblées, et toutes les fois qu'on parle de Dieu. Pour la
mortification, elle s'étend à ranger et dompter nos passions sous la domination
de la raison, et à mortifier les affections de notre cœur et toutes nos
inclinations, à retrancher toutes sortes de réflexions, et à dire, à
l'imitation de Notre-Seigneur : Je ne suis pas venue ici pour faire ma
volonté, mais celle du Père céleste ; enfin c'est une bonne
mortification que de bien pratiquer nos règles et constitutions. [380]
(Fait le 28 décembre 1625)
SUR LE DOCUMENT DE NOTRE BIENHEUREUX PÈRE : NE
DEMANDEZ RIEN, NE REFUSEZ RIEN, ET SUR LA REDDITION DE COMPTE.
Vous me demandez, mes chères filles, en quoi consiste la perfection
intérieure de laquelle nous devons faire profession, et qui nous doit être en
plus grande et singulière recommandation. Ma très-chère fille, elle consiste en
la pratique exacte du dernier document que notre Bienheureux Père nous a
laissé, et qu'il nous a mille fois inculqué, et par ses paroles et par ses
écrits. Comme un peu avant sa mort, ma sœur Marie-Aimée de Blonay, supérieure
de Lyon, lui demanda : « Monseigneur, qu'est-ce que vous désirez qui
demeure le plus engravé dans nos cœurs ? » — Il lui répondit :
« Je l'ai déjà tant dit : Ne
demandez rien, ne refusez rien. » — Ainsi, mes Sœurs, on peut dire
que cette sainte ordonnance est son testament pour nous, où il a abrégé tous
les enseignements qu'il nous a donnés, et ses dernières intentions sur nous.
On peut dire, qu'à l'imitation de notre divin Sauveur Jésus, qui scella
tous ses commandements par le doux précepte de la charité : Aimez-vous
comme je vous ai aimés, qu'il donna à ses Apôtres dans sa dernière Cène,
mon Bienheureux Père a fait ainsi, l'avant-veille de sa mort, scellant aussi
tout ce qu'il nous avait appris, par ce document : Ne demandez rien, ne refusez rien. Mais je ne vois pas, mes
Sœurs, que nous portions assez de respect à ce saint document ; je n'en
entends jamais parler, je ne le vois guère pratiquer. Il y a bien deux ou trois
mois que je fis dessein d'en faire le sujet du premier entretien, afin de vous
en rafraîchir la mémoire. [381]
Dans les maisons de notre Institut où j'ai passé, j'y vois une ardeur
non pareille dans cette sainte pratique ; on ne parle quasi d'autre chose,
sinon : notre Bienheureux Père a dit : Ne demandez rien et ne
refusez tien ; et, céans, où son esprit doit régner tout
particulièrement, l'on n'y pense presque pas ; et il n'y a pas une Sœur
qui, en me rendant compte, m'ait parlé là-dessus, et dit qu'elle faisait
attention à pratiquer ce dernier précepte de son Bienheureux Fondateur.
Vous dites, s'il en faut rendre compte ? Oui-dà, ma chère fille,
car nous y devons être grandement affectionnées, comme étant le moyen le plus
important de notre perfection. Ce n'est autre chose qu'une parfaite
indifférence, non-seulement pour les choses extérieures, mais encore plus pour
les intérieures ; ne désirant ni refusant les consolations, suavités,
peines, sécheresses, désolations, délaissements, tentations ; ne
recherchant pas d'être aimée, estimée, ni d'être en cet état ou en cet
autre ; d'aller par le chemin de celle-ci ou de celle-là ; d'avoir de
la satisfaction ou non ; enfin, c'est ne vouloir chose quelconque que le
bon plaisir de Dieu. Notre Bienheureux Père en faisait de même, ayant pratiqué
par excellence ce saint document, car il disait : Je ne désire ni ne
demande point de travaux et afflictions ; mais je me contente de me tenir
disposé à recevoir celles qui m’arriveront. De sorte que, s'il lui arrivait
des persécutions et souffrances, il les endurait patiemment ; s'il ne lui
en arrivait point, il se tenait prêt, attendant celles que Dieu lui enverrait,
contre lesquelles il fortifiait son cœur. Quelquefois, en se promenant tout
seul, il pensait à part soi : Si on venait maintenant me dire des injures,
faire tels et tels affronts et mépris, me mener au gibet pour être exécuté,
comment te comporterais-tu ? Et ainsi, il s'armait contre les occasions,
faisant ce que le Combat Spirituel enseigne ; car, encore qu'il
allât fort simplement pour l'occasion, néanmoins, hors de là, il faisait bien
quelques considérations, et il les conseille aussi. Certes, nos esprits font
[382] toujours quelque chose, si nous ne les occupons en Dieu, ils s'occupent
en des inutilités.
Croyez-moi, mes Sœurs, ceci sert beaucoup : je serais bien aise
que nous le fissions quelquefois comme ce Bienheureux, nous représentant les
difficultés, humiliations et contradictions qui nous peuvent arriver. Cela nous
apporterait du profit, parce que, à l'occasion, nous serions plus fidèles et
aurions plus de force, car nous nous ressouviendrions de notre détermination et
des résolutions que nous avons faites pour bien employer ces rencontres,
d'autant qu'il ne suffit pas d'être vaillantes en imagination ; mais il le
faut être principalement en l'exécution, comme était ce Bienheureux Père,
lequel était si constant, si immobile, si égala lui-même, et si invincible, que
rien ne le pouvait ébranler tant soit peu. Il ne négligeait aucune occasion de
pratiquer la vertu, pour petite qu'elle fût, mais l'employait fidèlement ;
faisons de la sorte, mes chères filles, soyons fidèles comme lui, et bonnes
ménagères, je vous prie. Si Dieu nous donne une petite occasion de souffrir,
souffrons ; si, de patience, patientons ; si, de nous humilier,
humilions-nous ; si, de nous soumettre, soumettons-nous ; si, de
pratiquer la douceur, soyons douces et débonnaires ; si, de nous
mortifier, mortifions-nous ; si, de charité, soyons charitables ; si,
de support, supportons-nous ; ainsi de toutes les autres vertus qui se
rencontrent en notre chemin.
Vous me demandez si une supérieure disait ce que nous lui avons dit en
rendant compte, nous le reprochant, et l'apprenant aux autres, qu'est-ce qu'il
faudrait faire ? O Dieu ! si cela était, elle devrait être estimée
indigne de cette charge et en pourrait être démise ; mais, premièrement,
il faudrait la faire avertir par sa coadjutrice ou par le Père spirituel, parce
qu'il est certain qu'elle est obligée de garder, comme un secret de conscience,
tout ce qui lui est dit en cette action de la reddition de compte. On peut le
lui dire soi-même, avec le respect qu'il ne [383] faut jamais rabattre pour
aucune chose, et ne pas conserver contre elle de la froideur et sécheresse de
cœur. Mais savez-vous, mes chères Sœurs, il ne faut pas prendre des soupçons
légèrement et sans de bons fondements. La supérieure peut quelquefois vous dire
des choses pour vous mortifier et éprouver ; et, comme je vous ai dit
autrefois, il ne faut pas obliger la supérieure à vous garder la fidélité du
secret qu'en des choses qui le méritent, et non pas à tant de petites
bagatelles que nous disons souvent nous-même à d'autres personnes ; et, si
ces mêmes choses viennent à se répéter, on se plaint de quoi la supérieure n'a
pas gardé le secret, tandis que c'est vous seule qui l'avez publié. Il faut
prendre bien garde à ceci pour ne pas former des plaintes injustes sur le procédé
des pauvres supérieures. Dieu merci, jusqu'à présent, je n'en ai trouvé que de
très-bonnes, et je crois qu'il est impossible qu'elles soient autrement,
puisqu'elles sont choisies et faites par élection, ce qu'on ne fait pas à la
légère et sans mûre considération. Néanmoins, il s'en pourrait trouver qui
commanderaient à baguette, qui seraient rudes, turbulentes et fâcheuses ;
si cela était, il faudrait le supporter doucement, embrasser cette
mortification et tâcher d'en profiter.
Le grand saint Pierre, mes chères filles, était rébarbatif, mal poli,
rude et peu civilisé. Notre-Seigneur ne laissa pas de le faire chef de son
Église. Les Apôtres ne s'en plaignirent point, et ne laissèrent pas de
l'honorer, estimer, et de lui obéir. Enfin, si Dieu permet que nous ayons une
telle supérieure, c'est pour nous établir dans les vertus solides, pour que
nous le servions plus purement et généreusement ; car, si bien nous sommes
plus paisibles sous une qui sera bien douce et à notre gré, nous ne profiterons
pas tant sous sa conduite que sous celle de l'autre, d'autant que sous la
bonne, souvent tout s'en va en complaisances et vaines satisfactions. Il est
bien facile d'être bonne, douce et soumise, lorsqu'on nous caresse, qu'on nous
[384] supporte, qu'on s'accommode à nos humeurs, et condescend à nos
volontés ; mais il n'est pas si aisé d'être vertueuse lorsqu'on nous
contredit, qu'on nous humilie, et mortifie souvent. Mes chères filles, il faut
aussi dire qu'il se trouve parfois des inférieures si immortifiées, et si peu
disposées à se laisser conduire, que la supérieure, n'ayant plus de liberté sur
elles, est souvent contrainte de les employer à leur gré, à ce qu'elles
veulent, et non à ce qui serait pour leur bien...
Non, il ne faudrait pas, pour aucune prudence humaine, laisser de dire
à la supérieure tout ce qui regarde l'état de notre âme, crainte qu'elle suive
nos inclinations et nos désirs, parce qu'il faut que la candeur, naïveté, et
simplicité à se découvrir, surnagent toujours ; lorsqu'une fille agit de
la sorte, c'est une des meilleures marques pour faire connaître qu'elle prendra
bien l'esprit de notre Institut, et qu'elle se rendra digne de sa vocation.
La première disposition pour bien rendre compte, n'est autre qu'une
bonne volonté de se bien faire connaître à la supérieure, de lui bien découvrir
nos sentiments, en lui disant nettement, franchement, cordialement, tout ce qui
se passe en nous, avec le plus de vérité, simplicité et humilité qu'il nous est
possible. Mais la crainte vous empêche de vous déclarer, dites-vous ? Il
n'y a remède ; il faut avoir patience, puisqu'il n'y a là aucune malice.
J'ai vu de grandes âmes, de nos premières Sœurs, lesquelles avaient un désir
insatiable de bien pratiquer ce point qu'elles reconnaissaient être des plus importants
pour leur perfection. Elles venaient donc avec une ardeur et affection
extrêmes, et, lorsqu'elles étaient devant moi, elles se mettaient à pleurer
sans pouvoir me rien dire, parce qu'elles craignaient de n'avoir pas assez de
temps, et me disaient qu'on m'appellerait pour d'autres choses, ou qu'on
sonnerait aussitôt quelque exercice ; or, cela était une tentation qui
leur donnait bien de la peine. [385]
Or sus, mes Sœurs, vous me dites encore que notre Bienheureux Père dit
que c'est une grande grâce de Dieu d'avoir de bonnes supérieures. Il est vrai,
mes chères filles, mais il ne faut pas les demander comme ceci ou comme cela,
ni moins refuser les unes que les autres, ains, les recevoir telles que Dieu
nous les donne, et regarder toujours ce grand Dieu en leur personne. Nous
sommes certainement de bonnes filles, comme je vous dis souvent, mais il faut
devenir meilleures, puisque nous en sommes capables, Dieu merci. Jusqu'à cette
heure, vous vous êtes nourries de lait, et dans une vertu de coton, Dieu nous
ayant traitées en faibles, ne permettant pas que nous ayons vécu sous des
supérieures qui nous aient beaucoup exercées ; mais, tenons-nous désormais
bien disposées à tout ce que sa divine Bonté voudra faire de nous.
Vous voulez encore me dire que pour le document de notre Bienheureux
Père de ne rien demander ni rien refuser, que l'on y pense bien, qu'on
tâche de le pratiquer aussi, mais qu'on ne pense pas d'en rendre compte
lorsqu'on parle à la supérieure. Il faut le faire, mes chères filles, car ce
sont les principales affections, résolutions et dispositions que nous devons
tâcher d'avoir, puisque enfin ce saint et dernier précepte de notre Saint
Fondateur et Législateur doit faire toute notre attention, et doit être notre
pratique mignonne. [386]
(Fait en 1638)
SUR LA REDDITION DE COMPTE ET LES AVERTISSEMENTS.
Vous désirez savoir si, à la reddition, on est obligé de dire tout à la
supérieure, même les péchés secrets ? Je vous dirai, mes chères Sœurs, que
notre Bienheureux Père disait que les plus sincères étaient les meilleures. Je
sais qu'il témoignait de la joie quand quelqu'une de nos Sœurs lui
disait : « Monseigneur, j'ai dit cela à notre Mère. » —
Néanmoins, pour les péchés secrets que nous avons commis contre Dieu et notre
âme, il n'a jamais entendu de nous obliger à les dire ; je sais qu'il
voulait que nous fussions en liberté de ne les pas dire, si nous ne voulions,
et il n'y a rien dans l'Institut, ni en ses Écrits, ni enseignements qu'il nous
a donnés, qui nous fasse voir que nous avons cette obligation. Ainsi, quand
nous avons commis quelques péchés secrets, nous pouvons, sans scrupule, ne les
pas dire à la supérieure, si nous n'avons pas besoin d'instruction sur cela, et
que nous n'y retombions pas d'autres fois facilement. Quand Dieu nous fait la
grâce de nous en donner de la contrition, et de nous en bien accuser au
confesseur, cela nous doit suffire. Pour moi, je m'en contenterais, et ne le
dirais pas à ma supérieure, si j'y avais trop de répugnance, et que je n'y
eusse pas confiance, ni la force de me surmonter, et je crois que Dieu ne m'en
diminuerait pour cela en rien de sa grâce, ni à celles qui feront de la sorte.
Ce serait une erreur de croire que l'on fut obligée de tout dire à la
supérieure. Telle supérieure que l'on pourrait avoir (envers laquelle) il
faudrait user de quelque prudence, et faire quelque considération, surtout pour
ne lui pas dire toutes les [387] grosses pensées que l'on aurait contre
elle ; car, si elle était immortifiée et imparfaite, elle s'en ombragerait
peut-être, en sorte qu'elle contristerait cette pauvre Sœur qui les lui dirait,
et l'humilierait et maltraiterait ; en quoi elle ferait mal. Vous n'aurez
pas toujours des supérieures qui soient soutenues de notre Bienheureux Père
comme je l'ai été. Il y a des Sœurs, de son temps, qui m'ont dit des pensées du
tout étranges qu'elles avaient eues contre moi...
Il n'y a point de mal aux pensées qui sont contre la volonté ; on
en peut bien avoir contre Notre-Seigneur ; il ne faut donc jamais s'en
étonner, pour mauvaises qu'elles soient. Ceux contre qui on les a, ne s'en
doivent jamais offenser, quand on les leur dit, surtout quand on témoigne
d'être marri de les avoir, et qu'on les dit avec douceur et humilité. Celle qui
irait dire à sa supérieure les pensées qu'on a contre elle, pour se venger et
satisfaire sa passion, et allant dire, par après, en esprit de gausserie :
« Oh ! que je lui ai bien dit son fait !... » cela serait
bien odieux, et tout à fait mal et insupportable.
Si les Sœurs qui ont été sous la directrice la doivent avertir
lorsqu'elles lui voient faire des manquements, dites-vous, ma chère
fille ! Oui, vraiment, elles y sont obligées, tout comme à une autre.
Elles doivent toute leur vie lui porter du respect, et avoir une grande
gratitude envers elle, mais non pas, pour cela, manquer à la règle. Je
n'approuve pas pourtant qu'aussitôt qu'une Sœur est dehors du noviciat, ou de
dessous la conduite de la maîtresse, elle aille d'abord faire des
avertissements ; car cela ne serait pas de bonne odeur.
Pour ce que vous dites, si les Sœurs qui sont sous la directrice,
surtout les jeunes professes, si elles lui doivent ou peuvent dire les fautes
qu'elles voient commettre aux Sœurs de communauté ? Nullement, ma chère
fille, elles s'en doivent garder, et la maîtresse ne le doit pas souffrir, ni
s'en informer ; il les faut dire à la supérieure, puisque c'est elle qui
doit y remédier ; [388] car, s'il suffit de faire connaître les
défauts des Sœurs à une personne, pourquoi le fera-t-on savoir à deux ?
Pour moi, si je pouvais empêcher que mes deux yeux vissent les défauts du
prochain, je le ferais, et en fermerais un, afin de ne les voir qu'avec un
seul. Quand un suffit, il n'est pas nécessaire de regarder avec les deux. Donc,
mes Sœurs, il faut avoir un grand soin et une grande charité, pour couvrir les
défauts du prochain, et ne les jamais faire savoir qu'à celles qui peuvent et
doivent y remédier ; par exemple : si une novice professe est aide
d'une officière, et qu'elle voie que cette Sœur n'observe pas son directoire en
sa charge, ou qu'elle fasse quelque autre manquement contre l'observance, comme
de dire des paroles inutiles, parler du monde, rompre le silence et autres
semblables ; quelle qu'elle soit, elle doit incontinent le faire savoir à
la supérieure, et se doit bien garder d'en faire rien, connaître à la
directrice. Elles lui peuvent bien dire les manquements de celles qui sont au
noviciat, parce que c'est elle qui y doit apporter remède ; mais, les
autres défauts qui se font par des Sœurs qui ne sont pas sous sa conduite, à
quel propos, je vous prie, les lui dire ? Que cela ne se fasse donc
jamais, je vous supplie.
SUR LA REDDITION DE COMPTE, ET SUR L'OBLIGATION DES
SUPÉRIEURES DE GARDER LE SECRET.
Seigneur Jésus ! et qui en doute que les supérieures ne soient
obligées de garder le secret à leurs Sœurs, quand ce sont choses qui le
méritent ? car pour certaines badineries propres à dire en récréation, la
supérieure n'est pas obligée à les tenir secrètes. [389]
Mais, quand ce sont des choses de conséquence, ou que les Sœurs ne
désirent pas qu'on le sache, oh ! certes, si je savais une supérieure dans
l'Ordre qui les révélât, je procurerais sa déposition ; et, si j'avais
quelque crédit, elle serait démise, comme indigne et incapable de gouverner
jamais, ne sachant pas tenir les secrets quand il est requis ; car, ôtant
à ses Sœurs le moyen de découvrir leur cœur sincèrement, elle leur ôte aussi le
moyen de se perfectionner.
S'il advient qu'une Sœur, ayant vu faire une faute à une autre, le dise
à la supérieure, en secret, la supérieure ne doit pas dire à la
défaillante : « Une telle Sœur m'a dit que vous aviez fait telle
chose ; amendez-vous-en », ains lui faire la correction selon la
gravité de la chose. — Mais, si la défaillante vient à dire : Personne n'a
vu faire cela qu'une telle Sœur. — Oh ! (doit répondre la supérieure),
contentez-vous que vous l'ayez fait, et ne vous mettez pas en peine de savoir
si je l'ai vu, ou si on me l'a dit... La supérieure pécherait, si elle faisait
connaître aux Sœurs celles qui avertissent des défauts, bien qu'elle corrige
selon que sa conscience l'oblige.
Oui, ma fille, votre maîtresse (la directrice) est obligée de vous
tenir la fidélité du secret, quand ce sont des choses qui le méritent ;
mais, toutefois,,elle peut dire à la supérieure ce que vous lui dites, quand
elle juge qu'il est expédient, ou pour prendre conseil, et recevoir instruction
comme elle se doit comporter en votre gouvernement ; elle le peut faire,
non-seulement à la supérieure, mais aussi à quelques Pères de religion, sans
toutefois faire connaître à ceux-ci pour qui c'est que l'on requiert leur
conseil. Voilà une fille qui a des troubles de conscience, des embarrassements,
et des scrupules ; je ne me sens pas assez capable pour les lui résoudre, j'en
dois conférer avec quelque Père de piété pour recevoir des lumières de
lui ; mais, je dois le faire si discrètement, qu'il ne s'aperçoive point
pour qui on parle, sinon que la fille le désire ; car alors il serait bon
[390] que ce fût elle-même qui en parlât, si la supérieure le juge expédient.
Mais, si une novice avait dit quelque chose à sa maîtresse qu'elle
témoignât désirer bien fort que la supérieure ne le sût pas, que faudrait-il
faire ? La directrice doit considérer si la chose étant dite sera à l'utilité
de la fille ou de la maison ; cela étant, elle le doit dire ; en
telle sorte que la supérieure connaisse que la novice ne désire pas qu'elle le
sache ; et jamais la supérieure ne doit témoigner à la novice ce que sa
maîtresse lui a dit. Il y a même des occasions où la prudente maîtresse doit
dire les choses en telle sorte que la supérieure ne s'aperçoive point que la
novice ne veut pas qu'elle le sache, et manque de confiance envers elle. Mais
si la chose est de nulle utilité, ni d'un côté ni d'un autre, la directrice n'a
que faire d'en parler, et elle ne le doit pas faire. Car, à quel propos, je
vous prie, irait-elle ôter la confiance à une pauvre novice de lui découvrir
son cœur, pour une chose qui ne tire point à conséquence ? Les maîtresses
ne sauraient être trop soigneuses de donner une grande confiance aux novices,
de s'adresser à elles ; car c'est une partie de leur devoir, et du bonheur
de la persévérance d'une novice, que d'avoir une maîtresse qu'elle aime, et
dans le cœur de laquelle elle puisse, à toute heure, verser le sien, pour
prendre force, lumière et haleine en son entreprise. Il est bon, quand les
novices lui disent quelque chose, qu'elle pense être à propos de faire savoir à
la supérieure qu'elle les porte à le dire elles-mêmes, ou bien qu'elle leur
demande : Voulez-vous que je le lui dise moi-même ? puis se comporter
comme j'ai dit.
Oui, les novices peuvent dire les bonnes choses que la maîtresse leur a
dites au noviciat, comme serait leur défi, pratique des vertus, et entreprises
dévotes, sans qu'elles contreviennent au Directoire. Je n'agrée pas que l'on
fasse les renchéries de ces petits biens ; une pauvre Sœur en pourrait
tirer bien du [391] profit, quoiqu'elle ferait mal d'interroger, par curiosité,
une novice. Après avoir dit les bonnes choses, celle-ci doit se taire et dire
humblement que le Directoire ne lui permet pas de dire autre chose.
Je voudrais, quand nos Sœurs viennent rendre compte, qu'elles eussent
toutes leurs petites affaires prêtes, pour les dire tout d'une suite, et après
la supérieure dit ce qu'elle veut. Il ne faut point tant dire de petites
chosettes qui ne servent à rien, mais : J'ai souvent fait telle faute...
je suis sujette à dire des paroles inutiles... j'ai sept ou huit fois suivi une
telle inclination, quand l'occasion s'en est présentée... Ensuite, dire un ou
deux bons mots, une ou deux bonnes fautes particulières ; puis,
ajouter : Il me semble, ma Mère, que j'ai fait les pratiques dont j'ai eu
la vue... Ou bien, j'y ai manqué... J'ai été attentive à faire ce que Votre
Charité m'avait dit le mois passé... et en dire deux ou trois pratiques ;
et, après, dire ses petites peines et comme on s'y est comporté.
Pour l'oraison, dire : Ma Mère, j'ai, ce mois, fait l'oraison
comme Votre Charité sait... Je n'ai rien eu d'extraordinaire... il me semble
que je me sens fort inclinée à unir ma volonté à celle de Dieu en toutes
choses ; je fais profit de cela. Ou bien dire : J'ai été environ huit
ou quinze jours avec beaucoup de distractions et de peines, je m'y suis
comportée ainsi... Mes exercices, je les fais selon le Directoire... ou
bien : Je fais les exercices avec l'occupation intérieure que vous
savez… ; et de même pour le silence. Si l'on a quelque spéciale
inclination, l'avouer, afin de recevoir lumière vers la supérieure comme on s'y
doit comporter, et ainsi dire de suite ce que l'on éprouve pour recevoir
humblement ce que la supérieure conseille, et s'en aller, tâchant, tout le
mois, de pratiquer ce que l'on nous a dit jusqu'à l'autre mois, et ainsi aller
toujours en avançant dans les voies de Dieu. [392]
(Fait le 25 avril 1633)
SUR LA CONFIANCE ENVERS LA SUPÉRIEURE ET LA NÉCESSITÉ DE
FAIRE LES AVERTISSEMENTS.
Mes chères Sœurs, il m'est venu une pensée, que je veux vous dire tout
simplement : c'est qu'il m'est tombé en l'esprit que nous avons besoin de
purifier notre intention. Je vois clairement, ce me semble, que nous ne sommes
pas assez épurées, et que, de ce défaut, viennent presque tous nos
manquements : si notre intention était bien droite, nous ne regarderions
que Dieu en notre supérieure et en nos Sœurs, de sorte que nous serions simples
et sincères comme un enfant, en la reddition de compte que nous faisons à la
supérieure. Nous lui ferions voir avec une grande naïveté tous les replis de
notre cœur, comme nos saintes constitutions nous marquent ; nous aurions
recours à elle avec une grande confiance, pour lui dire tout ce que nous
croirions être obligées de lui dire, tant de nous que des autres, sans tant de
regards et de réflexions. Nous aurions aussi une grande candeur, confiance et
sainte liberté d'esprit avec nos Sœurs ; nous ne nous craindrions pas tant
l'une l'autre.
Si donc notre intention était pure, nous marcherions confidemment notre
grand chemin, tâchant de ne rien faire, ni ne rien dire qui ne fût à
propos ; puis nous laisserions aller tout le reste sans tant craindre et
soupçonner si on l'a bien ou mal pris ; si on pensera ceci ou cela ;
si l'on ira le dire à la supérieure ; si on le redira à celle-ci ou à
celle-là ; si l'on nous en avertira ; si l'on en concevra de la
mésestime, que sais-je moi ? mille tracasseries, qui ne servent de rien
qu'à troubler nos esprits et nous faire concevoir de la mésestime de nos Sœurs,
de nous [393] refroidir et sécher le cœur, et être plus réservées envers elles.
Quand même nous aurions dit quelque chose, ne nous en mettons pas en
peine ; humilions-nous doucement et laissons à la divine Providence que
les Sœurs l'aillent dire, ou non ; qu'elles le disent comme il est, ou
tout autrement, comme sa Bonté permettra.
Si les aides s'avertissent au réfectoire ? Non, ma Sœur, ce n'est
pas la coutume. Vous me demandez si, lorsque l'on a reconnu quelque Sœur se
refroidir en votre endroit quand vous l'avez avertie, si vous ne devriez point
ne lui plus faire d'avertissement, de peur que vous ne soyez cause des fautes
qu'elle fait ensuite ? Notre Bienheureux Père a répondu à celle
question ; car il dit, en un de ses Entretiens, qu'il ne faut pas laisser
d'avertir les Sœurs, encore qu'elles commettent des défauts sur les
avertissements ; d'autant, dit-il, que si une Sœur fait un péché véniel
sur un avertissement qu'on lui a fait, elle en évitera aussi plusieurs, qu'elle
eût commis, si elle eût continué à commettre le défaut duquel on l'a avertie.
Il ne faut pas aussi prendre garde si celle qu'on a avertie témoigne de la
froideur. Les premiers mouvements ne sont pas à nous-même ; il faut
laisser passer ce jour-là, pourvu que le lendemain elle traite avec vous comme
à l'ordinaire. Mon Dieu ! qu'est-ce que tout cela ? quel mal lui
avez-vous fait ? vous lui avez fait un acte de charité et un office de
vraie Sœur. Vous avez observé votre règle, en laquelle rien n'a été mis en
vain : c'est par l'inspiration du Saint-Esprit qu'elle a été
dressée ; et ceux qui l'ont dressée n'y ont rien mis, sinon ce que le
Saint-Esprit leur a inspiré.
Nous craignons les avertissements, et nous ne nous avertissons pas
assez fidèlement ; prenons garde, mes Sœurs, nous amassons de la crasse et
de la mousse... Savez-vous de quoi il faut avertir ? Des fautes contre la
Règle, Constitutions, Coutumier, et les ordonnances de la supérieure. Non, mes
Sœurs, n'ayez point peur que vos avertissements ne soient bien reçus, [394] et qu'ils
ne profitent, à vous et à celles à qui vous les faites, si vous avez soin de
les faire comme il faut, avec esprit d'humilité et charité, de support et
compassion. L'on sent si bien cela, et l'on connaît clairement celles qui les
font de la sorte. Si c'était une chose controuvée que les avertissements, nous
aurions sujet de nous offenser ; quoique pourtant nous ne le devions
jamais faire, ains supporter doucement cela pour l'amour de Notre-Seigneur.
Comment voulons-nous l'imiter, ce divin Sauveur, si nous ne voulons pas
souffrir la moindre contrariété, une petite mortification, un petit
avertissement d'une faute que nous avons bien commise ? Les épouses
doivent être conformes à leur Époux. Nous sommes épouses de Notre-Seigneur,
quia été tout couvert d'opprobres, de mépris, d'humiliations et souffrances,
sans ouvrir la bouche pour se plaindre ou s'excuser, quoiqu'il fût innocent,
voire, l'innocence même.
Vous me demandez maintenant quelle différence entre avertir la
supérieure des manquements qui se commettent, et faire des rapports ?
J'aime cette question ; car elle est bien utile, ma chère Sœur. Il faut
que nous sachions que tout ce que l'on dit à la supérieure n'est point rapport.
Il est bien nécessaire de lui dire les fautes que les Sœurs font ; et la
règle y oblige, afin qu'elle y mette ordre. Comment remédiera-t-elle à ceci ou
à cela, si elle ne le sait pas ? Il faut donc lui faire savoir les choses,
et ce qui se passe, avec une grande confiance et simplicité, prenant garde de
ne lui rien dire qui ne soit bien vrai, et de lui dire ce qu'on a remarqué sans
passion, ni préoccupation d'esprit et d'intérêt, ains seulement pour observer
sa règle, et pour le zèle du bien de la maison. Et qu'on ne sème point cette
mauvaise semence parmi nous, de dire que l'on va faire des rapports à la
supérieure ; que celles qui s'en apercevront me le viennent dire ;
car cela est très-mal. Quoi ! on pourrait trouver mauvais qu'une Sœur
observât sa règle ! qu'elle fit son devoir en disant à la supérieure ce
qu'elle juge lui devoir dire en conscience, pour [395] l'avertir des fautes qui
se commettent dans le monastère, et des choses qui tirent à conséquence, afin
qu'elle y remédie, et ne laisse pas prendre pied à ces défauts ?
Savez-vous ce que c'est de faire des rapports, mes Sœurs ? C'est d'aller
redire à une Sœur ce qu'une autre Sœur a dit d'elle, qui serait à son
désavantage, et qui porterait à la désunion ; d'aller rapporter enfin les
unes parmi les autres ce qui se fait, ce qui se dit, qui ne servirait de rien
qu'à nous mortifier, refroidir la charité, et nous inquiéter et donner de la
distraction : il faut éviter absolument telles imperfections qui seraient
bien dangereuses et feraient bien du mal en une communauté. Dieu nous garde de
ces manquements, s'il lui plaît !
Or sus, mes Sœurs, c'est assez ; ayons, je vous prie, notre
intention pure, comme je vous ai dit, et vous verrez que nous éviterons
beaucoup de manquements, que nous croîtrons en perfection comme l'aube du
jour ; dans peu de temps nous nous trouverons fort avancées et attirerons
les grâces de Dieu sur nous en abondance ; sa douce Bonté veuille qu'il
aille de la sorte et nous bénisse. Retirons-nous en paix.
SUR LA CONFESSION ET SUR LES AVERTISSEMENTS.
Il faut que je dise un mot de la confession, si toutefois nos Sœurs me
le veulent permettre. C'est que je pense qu'on se confesse comme l'on dit ses
coulpes ; si cela était, les confesseurs ne sauraient pas ce que nous
voulons dire : Je m'accuse de ce que je me suis arrêtée à des pensées
de répugnance ; j'ai dit des paroles de désapprobation. Cela n'est pas
assez ; il faut dire plus clairement quelles paroles ce sont. N'est-ce
point une [396] parole de dépit, de dédain, de murmure, que vous avez
dite ? Il faut dire les choses comme on les a faites, sans les déguiser ni
chercher à pallier ses fautes : Il faut donc dire : J'ai fait des
actes de légèreté, ou des actions légères, par un mouvement de dépit ou
d'impatience... ou bien, par une grande inconsidération ou précipitation...
j'ai commencé à dire des paroles de murmure ou de plainte... car, bien
que sitôt que vous avez dit la parole vous vous en soyez repentie, il ne faut
pas laisser de vous en confesser, parce qu'il est à craindre qu'il y ait eu de
la volonté ; et partant, il peut y avoir du péché. Il faut donc bien regarder le consentement, car c'est
ce qui fait le mal et examiner les actions que l'on a faites par suite du
consentement.
Ma fille, si vous allez dire à une Sœur qu'elle vous a bien mortifiée,
vous êtes plus immortifiée qu'elle ; et qui doute qu'il ne se faille
confesser de cela, quoique vous vous en repentiez aussitôt que vous l'avez dit.
Il ne faut pas aller dire au confesseur : Je m'accuse d'avoir
dit des paroles par suite de mon désagrément, ou de mon dépit, car ce ne
serait pas faire connaître votre faute ; mais il faut dire : Je
m'accuse de ce que, par dépit, pour un mot qu'on m'a dit... ou pour une
chose pénible qu'on m'a faite, ou qui n'était pas comme je voulais... j’ai
dit une parole froidement pour faire sentir qu'on m'avait bien mortifiée...
j'ai dit que je ne demanderai plus rien, et que j'aurai besoin de beaucoup
de choses avant que j'en demande une seule... et ainsi dire les autres
fautes tout simplement.
Quand je dors une partie de l'office, bien que j'aie fait mon possible
pour m'éveiller, je ne laisse pas de m'en confesser ; et tout de même pour
l'oraison.
Qui en doute, qu'il ne faille se confesser, si vous avez laissé à faire
quelques avertissements, et aussi si vous avez bien disputé [397] avant que de
vous résoudre à le faire, à cause du peu d'inclination que vous y avez, ou
crainte de fâcher votre Sœur ; si ce n'était que vous vissiez que cette
Sœur fût abattue de quelque peine ou fâcherie, et que la véritable charité ne
nous fit laisser ou différer l'avertissement, ou que peut-être elle ne fera pas
cela une autre fois ; alors vous ne feriez point de mal de le laisser.
Mais prenez garde, que ce soit la charité qui fasse cela et non votre
inclination ; car, ma fille, vous n'êtes pas venue ici pour vivre selon
icelle, mais pour y vivre selon la raison, la règle et l'obéissance. Si vous
vivez autrement, il aurait mieux valu que vous fussiez demeurée au monde.
Et qu'avez-vous à faire, ma fille, de regarder si les autres ont plus
de lumières que vous, pour connaître les fautes ? Votre règle vous
dit-elle que vous fassiez regard si celles qui ont plus de lumières ne font
point d'avertissement ? Non. — Quand vous en avez à faire, faites-les. Ma
fille, nos Sœurs sont si humbles, qu'elles ne voient point les défauts des
autres, ains seulement les leurs. Elles n'ont pas la lumière que vous avez pour
voir les manquements que l'on fait ; voilà pourquoi elles n'en avertissent
pas. Il faut donc que vous, qui l'avez vu, fassiez l'avertissement, sans
examiner si les autres le font ou non.
Quand nous pensons que les surveillantes ont vu la faute qu'a commise
une Sœur, aussi bien que nous, nous voudrions attendre qu'elles en fissent
l'avertissement, combien de temps ? Deux ou trois jours... — Non pas, ma
chère Sœur. Ah ! je ne le ferais pas, moi ! mais si elles n'en
avertissaient aujourd'hui, j'en avertirais demain.
Il ne faut pas exagérer, en avertissant, mais dire simplement ce que
l'on a vu, avec support, ainsi que dit notre Bienheureux Père : Si les
fautes avaient cent visages, il les faudrait prendre par le meilleur. Que
si celle qui est avertie pense que l'on exagère, ou bien qu'elle n'a pas fait
la faute, il faut qu'elle pense que c'est son amour-propre qui trompe et qui
l'aveugle, et [398]
que les autres ont bien plus de
lumières pour connaître ses défauts.
Il ne faut pas avertir les Sœurs des manquements intérieurs, comme
serait : qu'elles ont manqué à la charité, qu'elles témoignent beaucoup de
curiosité. Mais, si on n'a pas donné à une malade, ou à vous, ce que vous
demandiez, dites-le ainsi ; ou si on s'informe souvent des nouvelles,
avertissez que souvent on s'enquiert de plusieurs petites choses. Et si la Sœur
a fait une mine froide, et n'a pas laissé de vous donner ce que vous lui
demandiez, n'est-ce pas assez ? Que savez vous, si sa mine froide ne vient
point de ce qu'elle a mal à la tête, ou de quelque autre chose qui la fâche, et
qui est cause (encore qu'elle vous donne de bon cœur ce que vous lui avez
demandé) de l'air mal gracieux que vous lui voyez ? Que voulez-vous ?
c'est qu'elle a froid ; soufflez-lui les doigts, pour les lui réchauffer.
Je voudrais bien que l'on fit ainsi les avertissements : « Je
dis très-humblement ma coulpe, et avertis, en charité, ma Sœur Marie-Alexis et
ma Sœur Anne-Innocente de ce que nous avons parlé inutilement en écrivant ce
livre. » — Oh ! que celles-là font bien qui s'avertissent de cette
sorte ! Je voudrais bien qu'en telles ou semblables fautes l'on se fît la
même charité.
Non, on ne doit pas avertir une Sœur, quand elle demande ses
imperfections, toujours d'une même chose. Dites-vous, si l'on pourrait lui dire
qu'elle a l'esprit suffisant ? Oh ! certes, celle qui le ferait,
l'aurait bien suffisant elle-même. Ce n'est pas à vous de connaître si les
Sœurs ont l'esprit suffisant ; mais vous leur pouvez dire, si vous l'avez
remarqué, qu'elles font, ce vous semble, des actions qui ressentent la
suffisance. En un mot, il ne faut point toucher l'intérieur des Sœurs, ains
dire les fautes extérieures, et ce, avec grande cordialité et non sèchement.
Si l'on peut dire sa coulpe de quelque faute, crainte d'être
avertie ? O Dieu ! sont-ce là nos pratiques ? Si l'on faisait de
telles [399] fautes, et que l'on en vînt dire sa coulpe, je priverais ces Sœurs
de la communion.
Je n'ai rien à dire, sur la question faite, sinon que vous fassiez
attention à ce que dit le Coutumier, que l’on ne se doit point plaindre,
les unes parmi les autres, de ses incommodités. Cela est contraire à la
perfection et contre la charité d'aller dire : Mon Dieu ! ma Sœur,
n'avez-vous point vu la mine que m'a faite une telle Sœur, quand je lui ai
demandé telle chose ? Croyez que j'aurai de grands besoins avant de
m'adresser à elle. Oh ! que c'est pitié d'avoir affaire à elle... — et
telle autre parole que l'on dit tout doucement, quand il nous manque quelque
chose, ou qu'on ne nous le donne pas, en la façon que nous voulons, et
semblables petits murmures que j'entends assez souvent. Certes, tout cela est
contraire à la charité ; c'est pourquoi il s'en faut amender, car à quoi
nous sert cela ? Celle à qui vous faites ces plaintes ne peut pas corriger
la Sœur de qui vous vous plaignez, ni vous faire donner ce qui vous
manque ; au lieu que si vous vous adressiez à la supérieure, elle pourrait
corriger la Sœur et remédier à votre mal. Mais, outre cette imperfection, vous
faites encore ce mal à votre âme, qu'en vous plaignant vous perdez le mérite de
la souffrance, que vous deviez cacher entre Dieu et vous.
SUR LES DISPOSITIONS À LA RETRAITE, LA MORTIFICATION DES
PASSIONS ET LA CONFIANCE EN DIEU.
La disposition que l'on doit avoir pour entrer en solitude, c'est d'y
aller avec une bonne volonté et ferme résolution de se renouveler entièrement,
et de bien revoir l'état de sa conscience [400] et tous ses manquements, afin
de les confesser et de s'en bien humilier ; puis il faut faire de bons
propos et fortes résolutions de s'amender, moyennant l'aide de Dieu, et d'être
plus fidèle à l'observance au temps à venir. Mais ce n'est pas tout : il
faut si bien établir ses résolutions qu'elles soient efficaces, car elles ne
serviraient de rien si nous ne les pratiquions.
Quand on voit (dites-vous, ma chère fille) qu'on a tant fait de fautes
et de manquements à toutes les constitutions, on ne sait par où
commencer ? Mes chères filles, il s'en faut humilier, à bon escient,
reconnaître notre grande faiblesse et puis dire les plus grands (manquements),
car il ne se faut pas tourmenter l'esprit à les vouloir tous chercher par le
menu ; ains il les faut dire en gros, et s'examiner sur les Commandements
de Dieu et du prochain, et puis voir les principaux devoirs de nos constitutions ;
si nous avons manqué à celles de l'Obéissance et de la Modestie, et ainsi de
toutes les autres.
Je ne vois point que nous soyons filles d'oraison : je remarque
qu'on s'attache trop à ce que l'on fait et autour de soi-même ; je ne vois
point tant cet esprit de recueillement comme autrefois ; nous nous
laissons dissiper à mille petites choses : à voir, à parler, à nous mêler
de ce que nous n'avons que faire, et mille autres petits manquements que nous
commettons, faute de nous occuper en Dieu. Je vous mets toutes surveillantes
les unes des autres, pour vous avertir fidèlement des fautes que vous verrez
commettre. Ce n'est pas qu'il faille être en attention pour épier et surveiller
vos Sœurs ; mais les avertir des manquements que vous leur verrez commettre,
comme des défauts de support, de respect, de charité, et tous les autres
manquements, desquels je désire qu'on se corrige, à bon escient. Il ne faut
nullement censurer ni trouver à redire à celles qui sont plus exactes que nous,
car il y en a qui sont trop libres. Il s'en trouve fort peu qui soient
parfaitement exactes ; tâchons cependant de les imiter, et d'aller notre
chemin, comme elles, avec humilité et douceur. [401]
Je ne vois point que nous nous appliquions assez à la pratique des
vraies vertus, quoique nos Constitutions et les Entretiens de notre Bienheureux
Père nous en marquent tant. Je crois bien que nous faisons attention aux
principaux articles de nos règles, comme de garder le silence, d'aller à
l'Office et ailleurs, quand la cloche nous appelle ; mais de faire
attention à l'humilité, à l'amour de notre propre abjection, à la simplicité,
pour dire naïvement ses infirmités et demander ce qui pourrait soulager, comme
il est marqué dans nos constitutions, c'est le point sur lequel nous devons
travailler ; car, voyez-vous, celles qui ne le font pas ainsi, mais
disputent, perdent beaucoup de temps à penser si elles le demanderont ou
non ; celles-ci manquent aussi bien à la règle que si elles n'allaient pas
au chœur ou au réfectoire, quand la cloche les appelle. Mais vous dites que
notre Bienheureux Père recommande de ne rien demander ni rien refuser. Or,
ce qu'il dit ne contrarie point à la simplicité que nous devons avoir de
demander nos petites nécessités, car il l'entend pour les choses
superflues ; les nécessaires et utiles selon la règle se doivent demander,
il l'entendait ainsi.
Mon Dieu ! qu'heureuses sont les âmes qui ne cherchent que Dieu,
qui font tout pour Dieu, qui n'ont point de soin que de s'occuper autour de
Notre-Seigneur, et de se rendre attentives à son amour !
Celles qui ont leurs passions vives, et beaucoup à redresser en leur
commencement, doivent penser à leurs inclinations pour y renoncer. Si elles ne
voulaient rien faire que se tenir auprès de Dieu, elles ne feraient pas bien,
n'étant pas encore duites au recueillement ; et, ayant beaucoup de choses
à mortifier, difficilement pourraient-elles toujours être occupées à caresser
Notre-Seigneur ; mais il faut qu'elles travaillent à se vaincre et
mortifier. En le faisant, je leur conseille de se tourner souvent vers Dieu,
car il serait bien difficile de le faire sans cela. Celles qui le feront
marcheront des deux pieds et feront beaucoup de [402] chemin en peu de temps.
Quand on est faible, il faut tant plus jeter sa confiance en Dieu, comme
faisait David, lequel disait : Mes ennemis sont en grand nombre,
Seigneur, mais je vous en laisse le soin. O mon Dieu ! que cela me
plaît ! Que cette parole est aimable ! Nous devrions dire de même à
Notre-Seigneur, lui parlant de nos ennemis spirituels, de nos passions et
inclinations, esquelles nous sommes sujettes, et en laisser le soin à Dieu,
nous confiant qu'il nous assistera pour les vaincre. Plus notre misère est
grande, plus nous devons nous confier en la divine Bonté.
SUR LA RETRAITE ET LA CONFESSION ANNUELLE.
Les Sœurs doivent entreprendre leurs exercices (de la retraite), moins
pour jouir de la douceur spirituelle que pour se confondre des fautes et
négligences passées, et reprendre nouvelle force pour avancer en la voie de
Notre-Seigneur.
La veille (du jour) où elles devront entrer en solitude, elles
penseront sérieusement à la faire comme pour la dernière fois. Entre tous les
avis propres aux filles, celui de faire les exercices sans aucun empressement
ni effort d'esprit est un des plus utiles. Qu'elles se préparent donc avec
grande paix et tranquillité, pour recevoir les lumières et les mouvements de
Dieu et entendre ce qu'il veut d'elles, car de cela dépend tout leur bonheur et
non des efforts d'esprit.
Je ne dis point qu'il ne faille travailler, mais simplement et
tranquillement. Il ne se faut pas tant mettre en peine de se défaire de toutes
ses imperfections, qu'à acquérir et établir en son [403] cœur les solides
vertus, la profonde humilité, le respect à la présence de Dieu, etc.
Il ne faut pas, pour les confessions, se mettre beaucoup en peine, mais
s'examiner tout doucement, après avoir invoqué Dieu et lui avoir demandé sa
grâce. Pour moi, je garde toujours la méthode de notre Bienheureux Père :
C'est de voir comment je me suis comportée envers Dieu, envers moi-même et
envers le prochain. Premièrement, envers Dieu : je m'examine
sur les vœux et les exercices spirituels, puis sur l'Office ; car cela
regarde principalement Dieu. Secondement, envers moi-même : sur mes
impatiences et manquements de condescendance, car c'est moi qui fais
cela ; comme aussi sur le peu de soumission que j'ai eu à la divine
Providence, lorsqu'elle ordonne ou permet des événements qui sont contraires à
mes inclinations, ou propre jugement. Troisièmement, envers le
prochain : si je ne l'ai pas bien servi et soulagé, le pouvant et
devant faire, comme encore de ne l'avoir pas supporté en ses humeurs contraires
aux miennes.
Pour bien se confesser, il ne faut que mettre sa conscience devant
Dieu, avec humilité, sincérité, et avec un ferme propos de s'amender, et avec
la contrition de ses péchés ; alors notre conscience se présente devant
nous, comme un livre, pour nous faire voir tout ce que nous avons fait. Pour ce
qui est de savoir si on a le cœur aigre contre quelqu'un, il faut prendre garde
si on a la volonté de lui nuire ; car l'aigreur n'est pas de soi péché,
bien que j'en sente mon cœur tout plein et mon sang tout ému de colère. (Si,
malgré cela), je fais un acte de vertu à l'endroit de la personne, et si je
vois que je suis marrie de quelque bien qui lui soit arrivé, ou du contentement
de son mal, je ferai un acte contraire à mon sentiment et demeurerai en paix.
Mais je sais bien d'où viennent ces aigreurs : c'est que nous ne
voulons pas mettre dans notre cœur l'amour du mépris et [404] du
déshonneur ; la moindre parole nous humilie ; nos cœurs s'aigrissent,
ce qui ne serait pas si nous aimions le mépris. Si nous étions des personnes
droites et sincères, je veux dire aimant les vertus, et que nous ne soyons pas
vaines et superbes, les fautes de fragilité involontaires ne nous feraient pas
grand mal ; car toutes les fautes que l'on fait par promptitude ne nuisent
pas beaucoup, pourvu qu'on s'en humilie fidèlement.
Une autrefois la Sainte dit à des Sœurs qui allaient en retraite :
Mes Sœurs, cherchez Dieu en la simplicité de vos cœurs, avec l'humilité
et la vérité, et non vous-mêmes, ni votre propre satisfaction, car c'est ainsi
qu'il veut être cherché. Le Prophète disait : Faites bien et espérez en
Dieu ; de sorte, mes très-chères Sœurs, qu'il nous faut bien faire,
pour pouvoir bien espérer, car il faut que ce point de bien faire
et de rendre à Dieu nos obligations marche devant, autrement notre
espérance est sans fondement ; car Dieu, qui nous a bien fait sans nous,
ne nous veut pas sauver sans nous. Tous les Saints et les âmes qui ont fait et
qui font profession de perfection sont, certes, fort sérieux, parce qu'ils
savent que Dieu veut être servi sérieusement ; mais nous autres, chétives
gens que nous sommes, nous nous jetons facilement dehors, et nous récréons en
des bien petites choses, là où nous devrions voir la seule volonté de Dieu.
Oh ! qu'une âme qui ferait bien cette entreprise de regarder et
suivre en toutes choses cette divine volonté serait heureuse ! car
elle jouirait d'une profonde paix en sa résignation, parce qu'en tout elle
trouverait cette divine volonté et l'aimerait. Dieu nous en fasse la grâce.
Amen. [405]
(Fait en 1634)
SUR LA
FIDÉLITÉ À ACCOMPLIR LES RÉSOLUTIONS DE RETRAITE, ET SURTOUT À ÉVITER LES PLUS
PETITES FAUTES VOLONTAIRES.
(Parlant de l'amour qu'on doit avoir pour son abjection, cette sainte
Mère nous dit :)
Voilà grands cas ! qu'une personne soit la plus défaillante, la
plus misérable du monde, si elle aime son abjection, l'humilité répare
tout ; mais, hélas ! le plus souvent, nous voulons avoir ceci et
cela ; nous voulons avoir les grands sentiments, les choses relevées, et
Dieu ne veut pas ; ains, il permet que nous ayons une telle tentation, et
veut que là-dedans nous aimions notre propre abjection.
Pour bien tirer le fruit de la solitude, il ne se faut pas contenter de
faire et écrire des bonnes résolutions, mais il les faut lire deux ou trois
fois le jour, et se tenir toujours prête de les pratiquer dans les rencontres ;
surtout il s'y faut préparer, allant au lieu où se font les mortifications et
avertissements, lesquels nous devons recevoir sur-le-champ, avec humilité, et
par après nous ne devons laisser réfléchir notre esprit sur cela, ni penser que
c'est par aversion ; car bien souvent nous sommes causes de nos
distractions et nous nous tentons nous-mêmes.
L'esprit de la Visitation est un esprit qui conduit à une haute
perfection, laquelle ne s'acquiert que par la pratique des solides vertus.
On doit se récréer joyeusement et suavement la demi-heure que le
Coutumier permet, mais nous ne devons pas nous laisser aller à une joie trop
excessive qui pourrait dissiper l'esprit ; il [406] ne faut point
confondre les temps ; c'est pourquoi il est mieux de ne pas faire des
prières ni mortifications en ce temps-là (de la récréation) ; mais, la
demi-heure étant passée, l'on peut bien toutes ensemble saluer la Sainte-Vierge
d'un Salve Regina ou autres prières, car ce n'est plus le temps de la
récréation ; comme aussi, le soir, on peut aller dire, toutes ensemble,
les litanies de notre Bienheureux Père, en son Oratoire, après ladite
demi-heure.
(Le dernier soir nous priâmes Sa Charité de nous donner le mot du guet,
duquel nous nous souviendrions. Cette unique Mère nous répondit :) Certes, j'y ai déjà bien pensé sept ou huit
fois, mais il ne m'est toujours rien tombé en l'esprit, sinon fidélité, mais une grande fidélité, mes Sœurs, à nos
résolutions. Je sais que Dieu a donné à chacune assez de lumières pour
connaître ses besoins, et je crois aussi que toutes ont fait les résolutions
qu'elles ont connues, ou connaissaient déjà à peu près, avant la solitude, de
ce qui lui est nécessaire. Il ne faut donc point tant de choses, mais seulement
se bien mettre fidèlement à la pratique, aux rencontres de ce que nous nous
sommes proposé ; mais il n'y faut pas être faiblement
fidèles, mais fidèlement
fidèles ; car, ne pensez pas, mes Sœurs, qu'il soit aussi facile de
les pratiquer comme de les penser. Oh ! non, certes, ce serait se tromper ;
il les faut écrire et graver sur le parchemin de nos cœurs, et non sur du
papier, où elles nous servent de peu, si nous n'avons cette fidélité ; ce que je ne dis pas
pour dire qu'il ne faille point les écrire ; car, en cela, je laisse à
chacune la liberté qui lui est donnée ; mais je dis qu'il s'en faut
souvenir, au moins deux ou trois fois le jour, et les mettre en pratique ;
enfin, il faut combattre et se surmonter.
Je n'ai point encore trouvé ès paroles de Notre-Seigneur que personne
soit entré en paradis, en riant, folâtrant, et en suivant ses inclinations,
ains tous y sont entrés par la porte étroite, et le Seigneur même n'y
est pas entré autrement, et le [407] même Seigneur dit : Par tes
paroles tu seras condamné, et par tes paroles tu seras justifié.
Je lisais aujourd'hui, dans saint Matthieu, que le chemin qui mène à
perdition est fort large et spacieux, et beaucoup y marchent ; mais celui
qui conduit au ciel est fort étroit, et que peu de gens le suivent. Voyez-vous,
mes chères Sœurs, Dieu nous a tirées de la lie du monde pour nous mettre en la
religion qui est ce chemin étroit ; marchons-y donc soigneusement et
fidèlement ; car nul bien sans peines.
Mais vous dites qu'encore que l'on fait bien des résolutions, l'on ne
laisse pas de retomber. Certes, ma chère Sœur, vous devez savoir que nous
sommes d'une nature fragile ; et si faut-il souffrir que nous en
soyons ; c'est pourquoi nous serons sujettes, jusqu'à la mort, à faire des
fautes par promptitude et surprise, et c'est de celles-là que l'Écriture dit
que le Juste pèche sept fois le jour et se relève autant de fois ; mais
vous dites que quelquefois l'on en a bien la vue, et l'on s'y laisse aller.
Oh ! cela est bien gros, ma fille ; mais, pourtant, que faire là,
sinon de se profondément humilier et faire le moins que nous pourrons de telles
fautes ? Non, certes, il n'en faut point faire, s'il se peut, car ces
fautes volontaires sont fort dangereuses, et une faite par vue est plus à
craindre que cent autres faites sans y penser, parce que celles que nous
faisons sans y penser, elles s'effacent aussi sans que nous y pensions ;
car nous faisons bien des péchés véniels, dont nous n'avons pas toujours la
vue. Mais Dieu est si bon ! voyant que nous sommes tombées sans que nous
le sachions, aussi nous fait-il relever sans que nous nous en apercevions, nous
pardonnant, par un acte d'amour que nous ferons, ou de contrition, ou bien de
charité et humilité, que nous exercerons à l'endroit de quelques Sœurs, ou en
prenant de l'eau bénite. Mais une faute faite avec vue, volontairement, pour
petite qu'elle soit, est plus désagréable à Dieu, et plus dangereuse pour notre
âme, qu'une qui serait plus grosse [408] faite par surprise ; et, certes,
« il n'est pas possible, dit notre Bienheureux Père, qu'une âme puisse faire
grand avancement, en nourrissant volontairement ces fautes-là, car elles nous
empêchent de correspondre aux grâces de Dieu. »
Il ne nous faut jamais perdre courage, ains nous relever
humblement ; que si la faute mérite confession, accusons-nous-en de bon
cœur ; et, si nous avons offensé le prochain, c'est-à-dire nos Sœurs,
faisons ce que le Coutumier ordonne ; demandons-leur pardon ; c'est
une coutume que je désire fort que l'on conserve soigneusement céans ; et
pour ce, je vous prie, mes Sœurs, d'emporter de vos solitudes l'affection à
cette pratique-là, car elle est bonne, humble, charitable et de bon exemple.
À Dieu, mes Sœurs, nous nous séparons de corps, mais non pas
d'esprit ; puis, nous devons toujours être unies par la très-sainte
dilection. Je prie Dieu qu'il vous bénisse toutes. Je vous recommande encore la
fidélité. Et me croyez, mes Sœurs, faites trois ou quatre fois le jour
l'examen sur vos résolutions ; et, pour conclusion, allez, mes filles,
faites tout le bien que vous verrez, et évitez tout le mal que vous connaîtrez.
SUR LE PRINCIPAL FRUIT QUE DOIT PRODUIRE LA RETRAITE :
FAIRE SES EXERCICES SPIRITUELS AVEC UNE PLUS GRANDE ATTENTION À DIEU.
Mon Dieu ! que c'est une douce vie que celle de n'avoir à parler
que de Dieu, et de se tenir auprès de lui ! Nous devrions bien profiter de
la grâce que la religion nous fait, de nous désigner certain temps ; et
nombre de jours, pendant lesquels nous n'avons à faire qu'à penser à cette
souveraine Bonté et à nous-même. [409]
Ce que vous devez principalement lâcher de remporter de votre retraite,
mes chères filles, c'est de faire toutes vos actions, particulièrement vos
exercices spirituels, avec une grande attention à Dieu, et de graver vivement
dans vos esprits, qu'en quelque part que vous soyez, Dieu vous voit beaucoup
mieux que je ne vois ma main, maintenant que je la regarde. Il voit et pénètre
tout ce qui est au fond du cœur de la créature, jusqu'à la moindre
pensée ; il la connaît beaucoup mieux qu'elle-même ne se saurait connaître.
Si nous gravions bien ces vérités de la foi dans nos cœurs et nos esprits, cela
nous aiderait grandement à bien faire nos actions, dans une grande crainte et
rabaissement de nous-même, devant cette haute Majesté.
Si quelqu'un, parlant à un grand seigneur, se tient très-attentif pour
le faire avec respect, à combien plus forte raison, quand nous parlons à Dieu,
nous devons nous tenir dans une profonde révérence, particulièrement aux
Offices divins, et quand nous faisons des prières vocales. Combien de fois les disons-nous
de bouche, nos cœurs étant bien éloignés de ce que nous disons, surtout les Oremus,
qui s'adressent tous, ou presque tous, au Père Éternel, auquel nous
demandons des grâces et faveurs, par le mérite de son Fils ou l'intercession de
la Sainte-Vierge. Comment disons-nous les. Antiennes et les Hymnes, qui
sont toutes si dignes, et surtout le Pater, l’Ave et le Credo,
qui sont les prières les plus belles que nous puissions faire ?
Notre-Seigneur nous a commandé de dire le Pater, et nous a enseigné lui-même
la manière de prier lorsqu'il dit à ses apôtres : Quand vous voudrez
prier, entrez en votre cabinet, fermez la porte sur vous, et priez votre Père
céleste dans le secret, et votre Père, qui vous voit, vous le saura bien
rendre.
Cela vous montre comme nous devons nous retirer au-dedans de nos cœurs.
En d'autres endroits il dit : Ne faites pas comme les hypocrites qui
disent une multitude de prières de bouche, et leurs cœurs sont bien éloignés de
moi ; mais [410] retirez-vous en votre cabinet, et voulant prier
votre Père céleste, dites : Notre Père, qui êtes aux deux, etc.
Enfin, mes chères Sœurs, il faut faire une grande attention à porter
une sainte révérence à cette Toute-Puissance présente, et surtout au
commencement de nos prières et oraisons. C'est la finesse des finesses de se
bien mettre en cette divine présence, et de bien approfondir cette
vérité : que c'est à Dieu que nous parlons et qui nous voit. Enfin, mes
chères filles, il faut faire comme ce bon chevalier qui, ne sachant pas où la
mort le prendrait, l'attendait partout, afin qu'elle le trouvât toujours prêt.
Voyez-vous, il faut l'attendre partout, et nous y bien disposer par une vive
attention à cette toute-présence. Il est raconté en tant de divers endroits de
l'Écriture Sainte, que Notre-Seigneur disait : Bienheureux le serviteur
qui sera trouvé veillant, quand le Maître viendra.
Et, en d'autres lieux : Veillez, car vous ne savez l'heure
qu'il viendra ; quelquefois, il viendra à l'heure du matin, d'autres
fois, à l'heure du midi ; ou bien à l'heure du soir.
Pour moi, je ne sais ce que veulent dire ces heures ; mais je
pense que c'est pour nous faire voir qu'il nous faut tenir prêtes partout,
parce que nous ne savons pas l'heure qu'il faut mourir, mais seulement qu'il
est certain qu'il faudra mourir.
SUR LA FAÇON D'ENTRETENIR SON AIDE.
Quand on entretient son aide, il le faut faire avec une grande
cordialité. Pour moi, si j'avais une aide, quand je l'entretiendrais, je lui
dirais : Or sus, ma chère aide, comment avez-vous [411] passé ce
mois-ci ? Pour moi, j'ai été grandement travaillée de distractions et de
sécheresses — Mais, mon Dieu, ma chère aide, ne remarquez-vous point comme je
suis légère et maussade, rude et peu charitable ? — Oui, mon aide,
devrait-elle dire, si elle l'a remarqué, mais que voulez-cous ? il vous
faut bien amender de cela, et encore de telle et telle chose. — Et moi, mon
aide, devrait-elle dire, ne vous êtes-vous point aperçue que je ne me suis
point amendée de ce que vous m'aviez avertie, et que j'étais mélancolique ou
trop joyeuse ? — Il est vrai, je m'en suis bien aperçue, devrait-elle
répondre. — C'est que j'ai été bien tranquille ce mois, et le contentement
intérieur m'a fait rire quelquefois trop haut et faire telles autres légèretés.
Si votre aide ne vous avertit point, il lui faut dire quelques fautes
que vous avez faites, bien suavement, comme : Mon Dieu ! notre aide,
oh ! que j'ai eu de peine à me surmonter en telle occasion !... Je
m'assure que vous avez vu beaucoup de fautes que j'ai faites.
Si elle témoignait un peu de froideur, sur les avertissements que vous
lui faites, il le faudrait supporter, et ne lui en pas tant faire en ce
temps-là, ou du moins il faudrait bien sucrer la pilule ; mais il ne
faudrait pas perdre la confiance de l'avertir une autre fois, et il ne faudrait
jamais lui dire : O mon aide ! je vois bien que vous n'avez pas pris
en bonne part ce que je vous ai dit..., jamais plus je ne vous oserai
avertir... Je serai plus avisée une autre fois..., car tout cela sèche le
cœur ; mais il ne faudrait point faire semblant de le connaître, et si
vous ne l'avertissez ce mois, vous l'avertirez l'autre. Si vous vous en
oubliez, il n'y aura point de mal. Non, il ne se faut point confesser quand on
ne surveille pas son aide ; il la faut bien quelquefois observer, mais non
pas au chœur, ni au réfectoire, ni tant aux autres lieux, car ce n'est pas
l'intention des constitutions, non plus, que de dire si courtement : Je
vous [412]
avertis, notre aide, de ceci et
de cela..., c'est trop sec. Il faut un peu sucrer les pilules avant de les
donner, et s'encouragera l'amour de l'observance, disant : Ma chère aide,
faisons un défi de telle chose, afin que nous nous amendions plus fidèlement.
Ce n'est pas non plus l'intention des constitutions, de prendre le quart
d'heure d'après l'oraison pour s'entretenir ; car, en si peu de temps, on
ne peut que dire ses fautes ; cela n'est pas cordial.
SUR LES MOTIFS QUI PEUVENT DISPENSER DU JEÛNE.
J'approuve fort, pour le jeûne, que personne ne s'en dispense de
soi-même, et qu'on ne cherche point de ne le pas observer, par propre
élection ; mais qu'on se laisse, pour cela, avec toute sorte de
soumission, à la discrétion de la supérieure et de ceux qui conduisent. Si l'on
s'en remet à notre choix, choisissez le jeûne, parce qu'il est toujours bon de
pencher du côté de la rigueur pour nous. Mais si vous vous sentez un véritable
besoin de ne point observer le saint jeûne, et qu'on vous dise : Ne
jeûnez point, ou qu'on s'en remette à votre jugement, usez tout simplement
de cette obéissance ou de cette liberté, surtout pour les nécessités
suivantes :
1° Si vous sentez que le jeûne vous rende extrêmement chagrine ;
2° Si vous êtes sujette à de fréquents étourdissements de tête, ou si
vous souffrez souvent de douleurs d'estomac et d'entrailles, parce que le jeûne
est extrêmement contraire à ces infirmités-là ; car la sainte Église
n'ordonne le jeûne que pour mortifier la sensualité et non pour ruiner la santé
des infirmes [413] et des faibles, et donner de grandes incommodités à
l'esprit ; 3° Si, en prenant quelque petite chose le malin, vous supportez
mieux le jeûne le reste du jour, il faut le faire sans scrupule ; mais
toujours avec l'avis de ceux qui vous conduisent.
SUR LA FIDÉLITÉ À SUIVRE LE DIRECTOIRE DE L'OFFICE.
(Le premier jour de novembre 1632, à l'obéissance, sur le sujet des Litanies des Saints que l'on
a coutume de chanter ledit jour, quelques Sœurs ayant fait remarquer que
l'année passée on ne les chanta pas, parce que M. Michel, notre confesseur,
avait dit qu'il ne les fallait pas chanter, à cause de la fête des Trépassés,
qui est le lendemain, la Sainte dit :)
Comment, mes Sœurs, êtes-vous des girouettes, pour vous laisser ainsi
aller et tourner à ce que l'on veut, et que l'on vous vient dire ? Certes,
je ne suis pas édifiée de celles qui sont ainsi, qui ne se tiennent pas fermes
en ce qui est de leur Institut. Quoi qu'on vienne vous dire, Regardez vos
Règles, vos Coutumiers et vos Coutumes, et vous tenez à cela.
Quoi ! qu'en cette maison telle chose se fasse ! qu'on ne se
tienne pas à ce qui est écrit, et qu'on écoute ce que dit celui-ci et
celui-là ! Que cela ne se fasse plus, et que je n'entende plus tel
langage. Si l'on vous vient dire au parloir : Ne faites pas ceci ou cela,
ainsi ou ainsi ; telle chose ne se doit pas faire ; répondez
hardiment à ces personnes-là : Nos Règles et notre Coutumier nous
ordonnent de le faire de la sorte ; ou bien ne leur dites rien, et
continuez d'aller votre train, sans démordre [414]
en rien que ce soit de vos
coutumes. Notre Bienheureux Père a tant ouï chanter les Litanies en cette fête
et n'en a rien dit ; et nous nous amuserions au moindre qui viendra nous
dire qu'il ne les faut pas chanter !
Il n'y a rien dans notre Coutumier qui ne soit conforme à ses
intentions ; il se faut donc tenir à cela, surtout les filles de ce
monastère (d'Annecy), dans lequel ce Bienheureux a dit qu'il fallait que les
Règles, Constitutions, Coutumier et Coutumes et tout ce qui dépend de
l'Institut, fût pratiqué et gardé en sa parfaite vigueur, et que les autres
monastères y doivent avoir recours, pour s'éclaircir es doutes qu'ils
pourraient avoir en la parfaite observance, afin d'être aidés, redressés,
encouragés et fortifiés pour ce regard. Ne soyons donc pas, mes Sœurs, des girouettes,
mais maintenons-nous et soyons inébranlables en nos observances et coutumes que
ce très-heureux Père a établies et que Monseigneur a approuvées. Ils ne nous
ont pas dit qu'il ne fallait pas chanter les Litanies ; chantons-les donc,
et ne nous amusons point à ce qu'a dit, ou que dira celui-ci ou celui-là.
SUR LES ÉLECTIONS DES SUPÉRIEURES.
Mes chères Sœurs, je désirerais bien que nous fussions bien instruites
touchant les élections des supérieures ; je voudrais bien tout dire à la fois
ce qui est nécessaire pour n'en plus parler, nous contentant d'agir en cela,
dans l'occasion, selon que notre conscience nous dictera, sans autre égard que
de suivre la lumière de Dieu, et sans consulter ni l'assistante ni la
directrice, l'économe, la coadjutrice, la portière, l'infirmière, enfin
celle-ci ou [415] celle-là ; car si ces manquements se commettaient, que
des Sœurs cherchassent à faire élire une Sœur plutôt qu'une autre ; si
celles qui le savent et qui l'ont entendu n'en disent rien, je leur donnerais
une si bonne pénitence, aux unes et aux autres, qu'elles s'en souviendraient.
Elles n'auraient de voix au chapitre d'un an, encore ne sais-je si je ne la
donnerais pas plus grosse.
Je ne voudrais pas que ce défaut se commit ; néanmoins, si on y
devait tomber, je voudrais, et serais bien aise que ce fût pendant ma vie, et
vous verriez si je ne tiendrais pas ma promesse, de donner une grosse
pénitence.
Il faut, mes chères Sœurs, consulter Dieu et nous-même, et faire notre
devoir, le plus sincèrement et droitement qu'il nous sera possible, sans
regarder ni ceci ni cela ; comme, par exemple dépenser : Cette Sœur
est bien charitable, elle a une grande compassion des malades, il faut que je
lui baille ma voix ; cette autre Sœur est bien portée aux austérités, j'y
ai aussi de l'inclination ; il me faut la choisir, ce sera bien mon fait.
Une autre pensera : Cette Sœur aime bien le parloir, elle donnera
librement congé d'y aller ; partant, il me faut lui donner ma voix ;
cette autre Sœur est bien aimable, et semblables tricheries, niaiseries, que
sais-je, moi ! Quoi encore ?
Il faut que je vous avoue la vérité, mes Sœurs ; je fus grandement
consolée, à Paris, quand je vis nos Sœurs qui rendaient si bien leur devoir à
la Mère qu'elles avaient alors, laquelle fut élue après notre Sœur
Hélène-Angélique Lhuillier. C'est une fille qui n'est pas de si grand lieu que
celle qui l'a précédée ; qui n'a presque point d'apparence, qui est bègue
et de mauvaise grâce ; mais, au reste, c'est une âme très-vertueuse, qui
va droit à Dieu. Enfin toute bègue et de mauvaise grâce quelle est, les Sœurs
allaient toujours leur train, tout comme elles faisaient avec l'autre qui
l'avait précédée, laquelle aussi rendait son devoir et donnait grande
édification. [416]
Nous sommes tant enseignées, mes Sœurs, à ne point regarder au visage
de nos supérieurs, que notre infidélité à cette pratique est cause que nous
faisons plusieurs manquements.
Prenons garde de bien choisir nos supérieures, car Dieu nous fera
rendre compte des-élections que nous faisons ; et si nous ne les faisons
pas comme il faut, croyez-moi, nous ne nous en trouverons pas bien. Quand donc
nos Sœurs sont mises en ces charges, rendons-leur ce que nous leur
devons ; car, si nous le faisons, nous attirerons les bénédictions du ciel
sur nous ; et, si nous ne le faisons pas, nous attirerons ses châtiments.
Oh ! mes Sœurs, que je désire vous voir marcher droit devant Dieu, que
vous vous avanciez toujours dans la voie de la perfection et de son saint
amour, que vous vous affranchissiez de tant de niaiseries et d'impertinences
(imperfections) qui se peuvent passer en vos esprit ; mais savez-vous
comme je désire cela ? Je le désire jusqu'au point de vouloir donner ma
chétive vie !... Certes, mes Sœurs, il est très-vrai qu'il n'y a créature
sous le ciel qui soit plus obligée à Dieu et à son saint Fondateur que nous
autres.
Si une Sœur donnait le branle, dites-vous, à une autre sur le sujet de
l'élection d'une supérieure, qu'est-ce qu'il faudrait faire ? Certes, ma
chère fille, cette Sœur ne ferait pas bien ; car nous ne devons pas dire
du bien de quelque Sœur, en particulier, à quelque autre, à dessein de donner
le branle, afin qu'elle lui donne sa voix, car il se faut bien garder de la
bailler d'après cela ; mais on doit la donner, selon le sentiment et la
lumière que Dieu donnera, à celle qu'on jugera et croira être plus propre pour
cette charge de supérieure, soit que ce soit à une de celles qui sont sur le
catalogue, ou à une des autres qui sont dans la maison, puisqu'on est en liberté
de le faire. À la vérité, si on était bien assurée de la vertu et sincérité des
Supérieurs et des quatre Sœurs conseillères, on ferait bien de [417] s'arrêter
aux Sœurs qui sont sur le catalogue ; autrement on se pourrait exposer à
faire des élections nulles.
Notre-Seigneur fait de grandes choses par les âmes petites et humbles,
choisissant les choses faibles pour confondre les fortes. Les âmes vraiment
humbles qui ne s'ingèrent point, qui croient qu'elles n'ont point de capacité
pour les emplois relevés et charges honorables, ce sont celles que Dieu a
destinées, et lesquelles les exercent avec grand fruit.
Vous dites, s'il ne faut pourtant pas faire un bon choix des
supérieures ? Cela s'entend bien, ma très-chère fille, qu'il les faut bien
choisir, ce que l'on fera bien toujours, quand on se comportera comme la
constitution ordonne ; car, voyez-vous ce qu'elle dit, cette bénite
constitution : « Que chacune pensera, à part soi, à faire
l'élection qu'elle estimera meilleure selon Dieu. » Elle ne veut donc pas
qu'on fasse ce choix selon son goût, selon son inclination, selon sa volonté,
selon la prudence humaine, mais selon Dieu ; de sorte que si l'on
se met devant lui avec une profonde humilité et désintéressement, il ne
manquera pas de donner sa lumière et de faire connaître celle qu'il a destinée.
Bienheureuses seront celles qui ne manqueront pas de la suivre, et de faire ce
que leur conscience dictera et de rendre leur devoir à celle qu'elles auront
pour supérieure quelle qu'elle soit.
Nous ne regardons pas assez Dieu en nos supérieures, c'est un mal plus
grand qu'on ne pense. Le mal que nous commettons à leur endroit s'adresse
particulièrement à Dieu, lequel a dit, parlant des supérieurs : Qui
vous écoute, m'écoute ; qui vous méprise, me méprise. Je me souviens
que Monseigneur de Sens dit une belle parole à nos Sœurs de Melun, laquelle
mérite bien d'être pesée, considérée, et encore plus pratiquée. « Mes
Sœurs, leur dit-il, celles qui regarderont et s'appuieront sur la sainteté, les
qualités, et autres belles parties de leurs supérieures, Dieu ne les conduira
pas ! » Voyez donc [418] mes Sœurs, combien cela est important, et si
nous n'avons pas bien sujet de regarder Dieu en la personne de celles qui nous
tiennent sa place.
Mais enfin, c'est pitié combien nous sommes farcies
d'amour-propre ; tantôt il nous démange au pied, tantôt au bras, puis à la
tête, ici ou là ; enfin ce n'est que démangeaison. Ah ! mes Sœurs,
vous verrez bien, et moi aussi, à l'heure de la mort, que nous étions bien aveugles,
et que ce dont nous faisions tant d'état, que nous désirions et que nous
aimions si ardemment, n'étaient que des bagatelles et niaiseries d'enfant. De
vrai, mes Sœurs, quand je vois qu'il se fait des choses contre les règles, j'en
ai une telle douleur, que si notre Bienheureux Père était en vie, je lui
dirais : Monseigneur et mon Père, vous dites telle et telle chose en
vos constitutions, et cela ne se fait pas ; on ne l’observe pas ; que
voulez-vous que je fasse ? ôtez-moi de charge et en mettez une autre qui
les fasse pratiquer et garder.
Tandis que nous sommes en quelque charge, mes Sœurs, il s'en faut
acquitter le mieux qu'il nous est possible, et quand nous ne l'avons plus, il
n'y faut plus penser.
Quand on dit les défauts à une supérieure, ce doit toujours être avec
tout le respect et l'humilité possibles ; et encore qu'elle ne fût pas
comme elle devrait être, il ne faudrait pas laisser de lui obéir ; car,
mon Dieu ! il lui faut toujours rendre l'honneur, le respect et
l'obéissance qu'on lui doit.
Si la supérieure nouvellement élue doit donner facilement congé général
à quelque Sœur de parler en particulier à la Mère déposée, ou d'aller au
noviciat, quand elle est directrice, dites-vous ? Non, ma chère fille, je
n'approuve point qu'on donne ces permissions. Nous savons, par expérience, que
cela fait bien des tracasseries dans les maisons, quand les supérieures
déposées veulent entretenir leur crédit parmi les Sœurs, les attirant à elles,
et désirant qu'elles fassent des flatteries autour d'elles. Elle doit se tenir
en son devoir envers la Mère élue, [419] et montrer à toute la communauté, par
son exemple, ce qu'elle a enseigné de paroles ; et même si la supérieure
donne des congés aux Sœurs de lui parler ou d'aller au noviciat, si elle est
maîtresse, elle lui doit dire que cela n'est pas nécessaire, et ne le point
permettre, lui représentant que ces Sœurs n'en ont pas besoin. Si une
supérieure déposée peut être élue assistante dans une autre maison que celle où
elle a gouverné, puisqu'on l'y pourrait élire supérieure ? Il y a bien de
la différence, ma très-chère fille, parce qu'il n'y peut pas avoir tant de
nécessité, d'autant qu'il se trouve plus de Sœurs capables d'exercer la charge
d'assistante que non pas celle de supérieure ; donc, il ne le faut pas faire
(la première année qui suit la déposition.)
(Fait en novembre 1626)
SUR LA RÉCEPTION DES SUJETS.
Vous me demandez, mes chères Sœurs, comme il faut dire son sentiment et
se comporter pour donner sa voix aux filles, que l'on propose pour l'habit et la
profession. Je lisais l'autre jour, dans le Coutumier, que l’on dira son
sentiment et ce que l'on a à dire, en la présence de Dieu, courtement et
humblement : voilà ces mêmes paroles.
Vous voyez donc, mes chères filles, comme il se faut conduire pour ce
regard, et qu'il ne faut pas aller faire de grandes harangues, ni à l'avantage,
ni au désavantage des filles, ni dire par le menu leurs défauts et leurs
vertus. Oh ! non, il ne faut pas tant dire de choses, soit de leur bien
soit de leur mal ; ce n'est que perte de temps. Quand ce n'est pas chose
qui puisse [420] empêcher d'être reçue, à quoi bon tout cela ? Il faut
donc regarder, devant Dieu, le bien et le mal qui est en cette fille : si
elle a ce qu'il faut, ou bien ce qui lui manque ; enfin, si elle a les
dispositions ou non, ou bien si l'on juge qu'il lui faille donner du temps pour
son amendement ; puis dire simplement ce que nous jugeons et pouvons
connaître, comme serait : Ma Mère, il me semble que cette bonne Sœur est
bien propre pour nous, et qu'elle a les dispositions nécessaires ; je ne
connais rien qui puisse l'empêcher d'être reçue... Ou bien : Il me semble
qu'elle n'est pas propre pour nous, d'autant qu'elle est fort tendre sur
elle-même, qu'elle est sujette à murmurer et à se plaindre, qu'elle est fort
opiniâtre, ferme en son propre jugement, et qu'elle n'a point enfin les
dispositions que la règle marque... Ou bien : C'est une bonne fille ;
mais, néanmoins, je lui reconnais un tel défaut ; il me semble qu'il
serait bon de lui donner un peu de temps, et de lui faire savoir que l'on a
remarqué telle et telle chose en elle, afin de voir si elle s'amendera.
Si l'on ne peut point former de jugement pour ce regard, il faut dire
tout simplement qu'on ne sait bonnement qu'en dire, que l'on est entre deux.
Car il y a quatre sortes de filles : les unes sont jugées propres ;
les autres ne le sont pas ; les troisièmes, on juge qu'il sera bon de leur
donner du temps pour leur amendement ; et les quatrièmes nous tiennent en
suspens, et on ne sait à quoi se résoudre. Quant à la première et seconde
sorte, on est bientôt résolu à ce que l'on doit faire ; pour la troisième,
on n'y voit pas d'obstacles de conséquence ; mais, néanmoins, elles ne
sont pas encore assez disposées, on le dit ainsi tout simplement ; or, la
quatrième nous tient en doute, et c'est ici la difficulté. Il faut pourtant se
résoudre, et bien recommander la chose à Notre-Seigneur, et la bien considérer
devant lui, consulter ses Règles et l'Entretien que notre Bienheureux Père a
fait sur ce sujet.
Dans cet article de la réception des filles, il faut toujours [421]
agir avec charité ; mais on doit toujours préférer le bien de la maison au
bien particulier. Néanmoins, si c'est une fille qui ne soit point tracassière,
et n'apporte point de trouble au monastère ; que, du reste, si elle
retourne au monde, elle est en danger de se perdre et damner, cela mérite
considération ; car, si elle ne fait pas grand bien à la maison, elle n'y
fera pas grand mal. Il faut entendre l'avis de la supérieure, de l'assistante,
de la directrice, et celui des Sœurs les plus judicieuses. Il se faut toujours
déterminer selon les sentiments que Dieu nous donne, pourvu qu'ils soient
fondés sur la raison ; car il faut toujours avoir quelques fondements bien
solides, soit pour rejeter les filles, soit pour les recevoir. Il faut savoir
sur quoi on est fondé ; car Notre-Seigneur nous fera rendre compte, aux
unes et aux autres, de celles que nous recevons et de celles que nous rejetons.
Oui, mes Sœurs, la supérieure et la directrice peuvent dire nettement
que la fille est propre, ou bien qu'elle n'est pas propre, et qu'il n'y a point
de bon fondement, en elle, pour la recevoir, et choses semblables. Cela sert de
lumière aux Sœurs, et les peut consoler d'entendre parler si franchement leur
Mère, quoiqu'elles ne laissent pas de demeurer en pleine liberté de faire ce
que Dieu leur inspirera.
La supérieure doit aller droitement, ne pas tracasser les Sœurs pour
les porter à recevoir les filles, parce qu'elle leur a de l'inclination, leur
en disant plusieurs biens en particulier, comme : C'est une si bonne
fille... Elle fait ceci ou cela... et choses semblables. Si la supérieure
faisait ainsi, elle ne ferait pas bien ; mais elle doit dire tout
simplement son sentiment, au chapitre, sans aucune prétention, et seulement
parce que c'est le devoir. On connaît bien vite si la supérieure a de l'intérêt
et si elle va droitement ; car il s'en pourrait trouver qui manquerait en
ce point ; de sorte qu'on y doit prendre garde, afin de ne point
contourner son sentiment de son côté. [422]
On ne doit pas non plus se laisser renverser par les belles harangues
que quelques Sœurs pourraient faire, au chapitre, sur la vertu ou les
imperfections de la Sœur de qui l'on parle. Oh ! non, nos jeunes
professes, gardez-vous bien de vous laisser aller à cela ; tenez-vous
fermes aux lumières et aux sentiments que Dieu vous en donne, pourvu qu'ils
soient bien fondés et appuyés sur la raison. Dieu ne vous demandera pas compte
si votre supérieure ou telle Sœur a bien ou mal donné sa voix ; mais si
vous avez bien justement donné la vôtre.
Vous dites, si l'on voyait qu'une fille fût comme désespérée, et
qu'elle ferait bien du mal dans le monde, si elle était renvoyée, devrait-on
avoir égard à cela pour lui donner sa voix ? Nullement, ma fille ;
certes, elle aurait beau se désespérer, si je ne la juge pas propre pour la
religion, je ne lui donnerais pas ma voix en aucune façon ; d'autant que
Notre-Seigneur ne me fera pas rendre compte du mal qu'elle fera au monde, mais,
oui bien, de celui qu'elle eût fait en religion, si on l'eût reçue.
Quant à ce que vous me demandez, s'il ne faudrait point que les jeunes
professes ne donnassent leur voix quand ce sont des filles douteuses, de
crainte qu'elles ne se méprennent, ne sachant pas faire un bon
discernement ? Je dis qu'après le temps marqué par le Coutumier, elles
doivent la donner ; mais la supérieure et la directrice les doivent bien
instruire sur ce point, autrement elles seraient responsables des fautes
qu'elles (les jeunes Sœurs) commettraient. Si elles ont été bien enseignées et
soigneusement, et qu'elles ne fassent pas leur devoir, ce sera sur leur
conscience.
Pour retirer les voix, quand il n'en manque qu'une, si l'on craint que
l'on se soit mépris, cela dépend de la discrétion de la supérieure, laquelle
doit faire en cela ce qu'elle jugera pour le mieux. Enfin il en faut revenir
toujours là, d'approuver ce que le chapitre fait, et il ne faut nullement se
mettre en peine [423] ni en scrupule de n'avoir pas donné sa voix à une fille
qui est reçue, ou bien de l'avoir donnée à une autre qui est rejetée. Quand on
a procédé droitement, selon que Dieu inspire, il faut demeurer en paix. Il faut
bien discerner les esprits : il y en a qui sont simples, ignorants et qui
n'ont pas grande capacité pour bien servir la religion, néanmoins, ils ne
doivent pas être rejetés ; ils feront bien pour eux et n'apporteront pas
de dommage et préjudice à la religion.
Il faut regarder et considérer cela devant Dieu et surtout la lui bien
recommander ; on a huit jours pour y penser, depuis qu'on en a parlé au
chapitre. Nous ne devons pas avoir de la peine (à former notre jugement), nous
voyons tant les novices ! Toutes les Sœurs professes, qui doivent donner
leur voix, les doivent bien considérer, l'année du noviciat. Certes, il faut y
faire attention, mais sérieusement, et qu'on exerce bien (les novices), le plus
qu'il se peut, selon leur portée : qu'on les fasse aides de quelque
officière, comme de la robière, de la lingère, réfectorière et semblables, afin
que l'on connaisse si elles sont souples, maniables, soumises et mortifiées. La
maîtresse les doit aussi éprouver soigneusement ; mais, savez-vous quelles
épreuves ? Ce n'est pas seulement de leur faire pratiquer les pénitences
marquées au Coutumier, détester leurs fautes et semblables ; ce qu'on leur
doit pourtant faire selon la coutume. Mais la principale mortification et
épreuve, c'est de bien les humilier, avilir et de ne tenir aucun compte de ce
qu'elles disent, désapprouver tout ce qu'elles font, et telles autres épreuves
qui anéantissent les passions et le naturel.
O Dieu ! si cela arrivait que les Sœurs professes dissent ce qui
se passe au chapitre, il faudrait bien promptement y remédier, et les en
corriger. Si ces fautes se faisaient en une maison où j'eusse du pouvoir,
certes, je leur ferais faire les pénitences que le Coutumier enjoint. Je ne
permettrais nullement que les Sœurs qui seraient tombées en ce manquement
donnassent [424] leur voix d'une année, car c'est la pénitence qu'il faudrait
donner pour telle faute, et de ne point entrer au chapitre pour dire son
sentiment, et savoir rien de ce qui s'y dit. C'est une étrange chose que des
femmes, quand elles ne savent pas tenir leur langue ; il ne faut nullement
souffrir que tels défauts se fassent, car ils sont trop dangereux et de grande
importance
Pour revenir aux novices, il faut que les Sœurs professes les
avertissent fidèlement, au chapitre et au réfectoire, des défauts qu’elles leur
verront commettre ; c'est en cela qu'on reconnaît la vertu des filles,
pour voir si elles reçoivent comme il faut les avertissements, et si elles en
font profit.
On peut parler, des défauts des novices, à la supérieure, hormis les
professes qui sont encore au noviciat, qui en doivent avertir la
directrice ; mais, pour les autres Sœurs, qui ne sont pas du noviciat, il
n'est pas à propos de leur laisser cette liberté, parce que, sous le prétexte
de dire à la directrice les manquements des novices, on peut dire autre chose,
et manquer ainsi à la perfection de laquelle nous devons être si zélées les
unes pour les autres.
Enfin, la directrice doit avoir un grand soin d'animer ses novices à
l'oraison et à la mortification, car ce sont les deux principaux exercices par
lesquels elles doivent s'avancer à la perfection.
Si une novice, dites-vous, pleurait en entretenant une professe, sur la
crainte qu'elle aurait d'être renvoyée, qu'est-ce que la professe doit
répondre ? Rien autre, sinon dire fort doucement : Ma chère Sœur,
Notre-Seigneur ne vous manquera pas de sa grâce si vous ne lui manquez pas de
fidélité, et vous aurez sujet de ne rien craindre ; il faut se confier en
lui, il ne délaisse jamais ceux qui espèrent en sa bonté... et semblables
paroles, fort courtement, pour la consoler, sans pourtant rien lui témoigner de
ce que l'on sait pour ce regard, si l'on est pour elle ou contre elle, si on
lui donnera sa voix, ou si on la lui [425] refusera. Il faut se bien garder de
faire cela en aucune façon que ce soit.
Or sus, pour ce qui est de donner sa voix, quand on voit que la supérieure,
la directrice et les conseillères, nonobstant les manquements qu'on voit en
elle (la novice), ne laissent pas de la recevoir et d'avoir bon sentiment
d'elle, il n'y a pas de danger de pencher de leur côté ; car elles ont
plus de connaissance de leur intérieur ; et puis, Dieu donne plus de
lumières aux supérieurs. Pour moi, si j'étais en doute, je suivrais leurs
sentiments (des supérieurs), comme firent nos Sœurs de Paris, qui voulaient
mettre dehors une fille, pour quelque manquement extérieur, et moi qui
connaissais que cette fille avait le cœur bon, je leur dis : « Mes
Sœurs, vous vous arrêtez à quelques défauts extérieurs ; cette fille a
l'intérieur bon, j'espère qu'elle fera bien et sera propre pour nous. »
Alors toutes donnèrent leur voix ; elle fut reçue, et est maintenant une
bonne religieuse.
Mais, quand je verrais une fille qui aurait des passions bien fortes,
et qui tiendrait à son propre jugement, je ne lui donnerais pas ma voix, parce
que malaisément se peut-elle guérir. Je ne la donnerais pas non plus à celle
que l'on voit indifférente à demeurer ou à sortir, sinon que ce fût une
tentation. [426]
(Fait en 1633)
LUMIÈRE DE LA SAINTE SUR CES PAROLES : LA CONGRÉGATION
EST PRINCIPALEMENT POUR LES INFIRMES.
Il est vrai ce que dit notre Bienheureux Père, que si on lit les
constitutions avec attention, l'on recevra toujours de nouvelles lumières. Ce
débonnaire Pasteur avait bien l'esprit de Dieu quand il dit : Cette
Congrégation est principalement pour les infirmes. En lisant ce point, j'ai
eu clairement cette lumière, je voudrais l'avoir eue plutôt, car je l'aurais
mise dans nos Réponses (la voici) : Il n'y a point d'infirmités qui
empêchent les infirmes de suivre la communauté ; il faut absolument être
malade, ou bien sortir de quelque grande maladie pour en être empêchée ;
et je sais que ceci est bien vrai, par ma propre expérience : j'ai
toujours été infirme, et celles qui sont céans depuis vingt années savent que
je dis la vérité. J'ai toujours suivi la communauté, et je ne trouvais aucune
peine à me lever tout comme les autres et à me coucher de même, aller aux
Offices, manger de la viande de la communauté et faire généralement tout ce
qu'elle fait. Qu'est-ce donc que les infirmes ne peuvent pas, si elles ont tant
soit peu de cœur pour leur salut éternel ? j'entends si elles veulent
vivre selon l'esprit ; car, si elles veulent vivre selon la chair, elles
ne manqueront pas de trouver beaucoup de difficultés.
Six semaines après que nous fûmes ensemble, Dieu donna commencement à la
Congrégation par de grandes maladies dont je fus attaquée, sans lesquelles il
eût été bien difficile d'arrêter l'Institut dans la douceur où il est à
présent, et je disais quelquefois : Mon Dieu ! vous êtes bien
provident et bien [427] miséricordieux
de me traiter de la sorte pour accomplir plus facilement vos desseins, qui
étaient que ces maisons servissent à la retraite des infirmes ; et moi je
penchais beaucoup plus du côté de la rigueur et de l'austérité, en quoi
peut-être je correspondais davantage à la nature qu'à la grâce. Et maintenant
tout est dans une telle modération, qu'il n'y a généralement rien que les
infirmes ne puissent ; et s'il y en a auxquelles il faille quelques
dispenses de la règle, par l'avis et le conseil du prudent médecin, il n'en
faut qu'une en chaque monastère.
Les filles de la Visitation doivent avoir un esprit fort courageux et
relevé en Dieu, sans le rabaisser autour d'elles-mêmes. Nous sommes aussi bien
instruites que personne qui soit au monde, Dieu merci, et il ne nous reste plus
qu'à faire. Nous devrions être si fidèles à toutes les choses que notre
Bienheureux Père nous enseignait, que nous devrions comme nous les naturaliser,
pour ainsi dire, pratiquant les avis et enseignements qu'il nous a donnés, avec
autant de facilité que l'on fait les actions qui plaisent à nos corps. Ce
Bienheureux était un Saint qui enseignait la perfection dans la perfection
même ; il disait que « le désir de plaire à Dieu doit produire
L'attention à sa bonté et à la fidèle pratique des vertus. »
Or sus, vous désirez savoir qu'elle est l'excellence de notre Institut.
Ma chère fille, notre excellence consiste en l'humilité, en la petitesse et en
l'abjection, et quand cette humilité viendra à manquer, assurément notre
excellence manquera, tenons-nous donc bien pour ce que nous sommes ; car,
mon Dieu, que sommes-nous au prix de ces grands Ordres de religion, comme celui
de saint Benoît, et tant d'autres qui ont rempli le ciel et la terre de tant de
saints personnages, lesquels ont tant travaillé pour la gloire de Dieu et pour
maintenir la foi catholique ! Quelles Saintes avons-nous envoyées au
ciel ? Enfin, nous sommes les dernières plantées en l'Église de Dieu. Il
n'y a qu'environ vingt ans que nous sommes au monde, lesquels (Ordres) [428]
avaient déjà duré mille et tant d'années, et de nous il n'en était nulle
nouvelle ; de sorte qu'ils s'étaient fort bien passés de nous ; et
puis, nous voudrions nous élever et nous préférer aux autres ? Oh !
certes, il s'en faut bien garder ! Or, nous avons le petit Office
perpétuel, grâce à Notre-Seigneur, lequel je supplie nous vouloir
miséricordieusement impétrer la perpétuité de l'observance.
(Fait en 1625)
SUR L'INDIFFÉRENCE QU'IL FAUT AVOIR POUR ÊTRE ENVOYÉE EN
FONDATION.
Tâchez, mes chères filles, de rendre votre vertu stable, permanente et
très-solide, ce mot-là comprend tout ; et pour cela il faut qu'elle soit
fondée en Notre-Seigneur ; que vous n'ayez autre chose à considérer que
Lui, et que ce soit là votre seul et unique objet. Je veux dire : si vous
vous humiliez, que ce soit particulièrement parce que Dieu le veut ; si
vous êtes recueillie et fidèle à l'oraison, que ce soit pour être encore
beaucoup plus agréable à Dieu. Si vous travaillez à la mortification de vos
passions et à vous rendre exacte dans la bonne observance, que ce soit parce
que Dieu vous l'ordonne ; ainsi de toutes les autres (vertus) que vous
pratiquerez, sans jamais détourner votre vue de cette considération, pour
entreprendre ni faire aucune chose pour les yeux et la satisfaction des
créatures, mais qu'enfin Jésus-Christ soit l'unique objet de toutes vos
prétentions et de vos actions. Oui, si cela était ainsi on ne verrait point
paraître tant d'immortifications, d'inclinations, et d'aversions parmi vous, ni
tant de curiosité. Oh ! certes, nous n'attachons pas assez [429] notre
esprit à Dieu, et nous ne nous tenons pas assez ramassées autour de sa sacrée
présence, car nous serions plus disposées à l'obéissance, plus indifférentes
aux choses qui ne regardent ni Dieu, ni nos devoirs ; nous ne montrerions
pas tant ce que nous agréons ou nous désagréons ; comme dès qu'on parle de
faire quelques fondations, ce n'est purement que réflexions, témoignages
d'inclinations, et aversions d'aller bien plutôt à un lieu qu'à un autre, dans
une grande ville que dans une petite ; tout cela n'est qu'orgueil, mes
Sœurs, quelque prétexte que vous puissiez m'alléguer. Mettez hardiment la main
à votre conscience, car il est tout clair que cela ne vient point d'aucune
autre racine ; et si quelqu'une trouve ceci dans son cœur, qu'elle le
mette au jour, et sans excuse, reconnaissant sa vanité qui la porterait à
rechercher les choses qui sont les plus excellentes selon le monde ;
autrement elle se porterait un notable préjudice, et cela ira beaucoup plus loin
qu'elle ne pense. Hé ! comment donc, comment l'entendez-vous ? car
que sommes-nous, je vous prie, pour tant mépriser les petits lieux ?
sommes-nous des princesses et avons-nous été nées en de si grandes
villes ? avons-nous tant anobli et enrichi le monastère par nos alliances
et nos richesses ? Notre-Seigneur les a-t-il méprisées (les petites
villes) ? Ne les a-t-il pas toujours chéries et choisies ? Ne
savez-vous pas, et ne voyez-vous pas qu'il ne voulut pas naître en Jérusalem,
mais bien plutôt en Bethléem, qui était une petite ville, et dans une étable.
Il y a de certaines imperfections que je ne crains aucunement, d'autant
qu'elles se font par pure fragilité ; mais celles où il y a un certain
orgueil caché, et qui nous cache aussi toutes ces mêmes imperfections, ne se
laissant point voir telles qu'elles sont, je les appréhende fort, car elles
sont grandement préjudiciables.
Enfin, c'est pitié de voir notre peu de vertu ! et combien elle
est frêle et chancelante, car maintenant nous aimons une chose [430] et tantôt nous y aurons de l'aversion et du
dégoût : à cette heure nous avons du zèle et de la ferveur, tantôt nous
sommes lâches et sans courage ; tantôt nous sommes douces et ardentes pour
la mortification, quelque temps après nous seront mal gracieuses, sèches,
immortifiées, et toutes dégoûtées ; tantôt nous sommes recueillies, et
tantôt nous serons dissipées ; tantôt nous sommes extrêmement fidèles et
bien affectionnées à nos saints exercices et à l'oraison, et tantôt nous serons
toutes refroidies et négligentes ; tantôt nous sommes fort exactes à
l'observance, et tantôt nous nous relâchons à l'observance. D'où vient donc
tout cela ? sinon parce que nous ne sommes pas solidement vertueuses, et
que notre vertu n'est pas fondée en Notre-Seigneur ; nous faisons voir
par-là que nous travaillons purement pour quelques créatures, en considération
de quelque respect humain, et seulement pour contenter notre vanité ; de
sorte que tandis que nous avons une supérieure selon notre gré et contentement,
qui nous est agréable et qui nous tient en courage, nous ne manquons pas
d'aller toujours notre train. Mais du moment hors de la maison, l'on en voit
broncher une dans une chose, l'autre en l'autre ; l'une fait une échappée
d'un côté, l'autre en fait une de l'autre ; ainsi toutes, voire, même la
communauté, ne manquera pas de se relâcher en quelque chose, et d'où vient
cela ? sinon que vous n'êtes pas solidement vertueuses ; que vous ne
regardez pas assez Dieu en la personne de votre supérieure, et que votre vertu
n'est pas fondée en Notre-Seigneur Jésus-Christ ; car, absolument, si cela
était, vous seriez assurément toujours égales, toujours constantes, toujours
ferventes et fidèles, parce que Dieu est toujours permanent, toujours égal à
soi-même, toujours bon et toujours saint.
Or, je vous dis tout ceci de sa part, mes très-chères filles ; je
vous supplie de le bien retenir et d'en vouloir faire votre profit, d'autant
que ce sont des choses très-désirables et [431] très-importantes. Croyez que
c'est notre bon Sauveur qui vous parle et non pas moi ; et ainsi vous
devez recevoir ces choses-ci comme venant immédiatement de sa propre bouche,
car vous savez fort bien qu'en toute assemblée (faite en son nom), il y est, il
y préside, et tout particulièrement en celle-ci ; vous devez conséquemment
l'y regarder et vous affermir et fortifier en cette croyance.
Mais que sera-ce donc si nous n'avons cette vertu solide nous autres
qui sommes si sujettes à être envoyées de part et d'autre ? Quoi
donc ! tout aussitôt qu'une fille se trouvera hors de céans, un peu parmi
les tracas et les divertissements, ce ne sera plus désormais que troubles,
qu'inquiétudes, que chagrins, que lâchetés, qu'infidélités et
détraquements ! Elle semblait être bien recueillie, bien modeste, mortifiée,
et de bonne observance à Annecy, et néanmoins toute sa vertu s'évanouira.
Travaillons donc puissamment à notre propre perfection, soit pour aller
ou pour demeurer. Certes, nous devrions bien consumer notre âme, notre corps,
et généralement tout ce qui est en nous, pour le service de notre Institut.
Prenons courage, et nous affranchissons généreusement de tous ces défauts,
lesquels, quoiqu'ils semblent être petits et très-légers, nous peuvent pourtant
beaucoup nuire et aux autres aussi ; et qu'absolument on ne parle plus de
fondation pour témoigner ses inclinations et aversions, pour se faire la guerre
l'une à l'autre, disant : Ma Sœur, vous vous en irez ici ; vous vous
en irez là ; celle-ci demeurera ou ne demeurera pas ; enfin ces
curiosités-là ne valent rien.
Je vous mets toutes surveillantes les unes des autres pour vous avertir
de tous ces manquements. Hé ! pour Dieu, tenons-nous un peu plus en
nous-mêmes, et laissons la charge de tout cela aux supérieurs ; c'est à
eux de nommer et de destiner les Sœurs que l'on doit y envoyer. Mais, pour
nous, de quoi nous mêlons-nous ? tenons-nous seulement disposées à faire
ce que [432] la sainte obéissance nous ordonnera, nous laissant doucement
conduire à Dieu et à nos supérieurs, soit que l'on nous envoie en des pays fort
éloignés, ou bien à trois pas d'ici ; que toutes sortes de lieux nous
soient absolument indifférents, autrement nous n'aurons aucun repos, et nous ne
serons jamais de vraies filles de notre Bienheureux Père et très-saint
Fondateur. En quoi devons-nous plus l'imiter, sinon en cette totale dépendance
de Dieu et de sa Providence qu'il a eue en si souverain degré ?
(Fait pendant une maladie de la Sainte)
POUR DÉFENDRE AUX SŒURS DE PARLER EN PARTICULIER ET HORS DE
LA CHAMBRE DE RÉCRÉATION.
Mes chères Sœurs, il y a environ trots semaines que je n'ai tenu de
chapitre, c'est pourquoi il me tarde beaucoup de vous voir toutes assemblées
pour vous parler familièrement et vous encourager ; ce ne sera pas un
chapitre de coulpes, de corrections et de pénitences, mais un entretien
d'avertissements charitables qui partent d'un cœur tout à vous et désireux de
votre perfection, comme de vous servir tant qu'il plaira à Dieu me conserver la
vie.
Nous vous avons fait lire les défauts que nos Sœurs surveillantes ont
remarqués ; je n'ai pas voulu que l'on ait nommé personne ; mais
pourtant celles qui ont fait les fautes m'entendent bien et savent bien que je
parle à elles ; je les supplie de se venir accuser en particulier ;
et, si elles ne le font, je ne manquerai pas de les faire appeler et leur dirai
moi-même leurs manquements. Je me promets tant de la bonté de vos cœurs, [433]
que vous prendrez en bonne part ce que je vous dis, et que vous en tirerez
beaucoup plus de profit que si je vous faisais de grosses corrections, et que
je vous en donnasse de bonnes pénitences. Je vous conjure de le faire et de me
donner le contentement de vous voir affranchies de ces défauts, qui, tout
légers qu'ils sont, demandent néanmoins d'être corrigés, étant contre nos
observances et nos règles.
Mais vous direz peut-être que c'est bien gêner de pauvres filles, si
elles ne peuvent pas seulement se dire une parole ; non, mes Sœurs, il ne
faut pas se parler en particulier, cela nous est bien défendu par nos règles.
Parlez autant que vous le voudrez aux récréations, de la façon marquée ;
mais, hors delà, ne parlez que pour chose nécessaire, prestement, et vous
retirez de même quand l'obéissance est donnée, surtout celles qui n'ont rien à
demander et qui n'ont point de charges qui les obligent d'arrêter ; et que
l'on se demande, dans la chambre même de la récréation, ce que l'on a à se
demander, qu'on ne se parle point dans les allées, et que l'on ne se donne
point d'assignation ; c'est une obéissance que je donne à celles qui font
ce manquement, de ne pas parler dans les allées. J'aime beaucoup mieux vous
voir privées de votre liberté en ce monde, que de vous voir privées du paradis
en l'autre.
Or sus, mes chères Sœurs, voilà tout ce que j'avais à vous dire ;
je vous prie encore d'en vouloir faire votre profit. Cependant, je vous
remercie de toutes les prières que vous avez faites pour moi, et vous prie de
me les continuer, implorant toujours la divine miséricorde de notre bon Dieu. [434]
(Fait à nos Sœurs de N.)
SUR L'ORAISON, LA TRANQUILLITÉ DE L'ÂME, ET LA SOUMISSION À
LA VOLONTÉ DE DIEU.
(Parlant du chapitre du livre de l’Amour de Dieu, où notre Bienheureux Père traite de l'extase, de la
volonté et de l'opération, cette sainte Mère nous dit :)
Les vraies extases sont les vraies vertus. Il n'y a point de doute
(illusion) en l'humilité, en l'obéissance, en la mortification et renonciation
à sa propre volonté ; comme, au contraire, il y en a souvent en l'extase
de l'entendement et autres oraisons extraordinaires, lorsqu'elles ne sont pas
suivies de la pratique des vertus, parce que alors ce n'est pas Dieu qui les
donne, mais le malin esprit qui voudrait tromper les âmes par ses
illusions ; c'est aussi quelquefois nous-mêmes qui nous nous imaginons des
choses qui ne sont pas. Or, pour moi, je ne ferais aucun état de ces âmes-là
(qui disent avoir des extases ou grâces particulières à l'oraison) si elles
sont sans vertu et sans mortification, parce que ces vertus sont assurément les
marques de toute bonne oraison, étant chose certaine que Dieu ne manquera
jamais de donner une oraison suffisante aux âmes humbles, dévotes et fidèles à
l'observance.
J'ai toujours connu que la voie des filles de la Visitation, parlant
généralement, est pour l'oraison de se tenir simplement en la présence de Dieu,
ou de s'abandonner à lui, et c'est là qu'il conduit infailliblement celles qui
sont fidèles en ce saint exercice et à l'observance de la règle.
Notre Bienheureux Père disait que « ceux qui se tiennent [435]
avec simplicité en la présence de Dieu se reposent dans son sein, pendant que
les autres cherchent plusieurs autres choses ailleurs », faisant cette
comparaison de saint Jean qui dormait amoureusement sur la poitrine du Sauveur
pendant que les autres mangeaient diverses viandes en la table du même Sauveur,
ajoutant « qu'il vaut beaucoup mieux dormir sur ce sacré oreiller que de
veiller en toutes autres postures. »
J'ai dit que toutes les religieuses de la Visitation sont conduites en
cette sorte d'oraison, si elles veulent travailler : cela est vrai ;
mais ce n'est pas toutes de la même façon ; chacune, selon l'attrait
particulier de Dieu en elle, y ayant une différence si considérable et si
grande des unes aux autres, qu'il y a presque autant de divers degrés qu'il y a
des âmes qui la pratiquent, le Saint-Esprit mouvant chacune différemment selon
les mesures de sa grâce ou de leurs dispositions ; il ne faut pas s'y
ingérer de soi-même, mais oui bien s'y laisser conduire à Dieu avec humilité.
On connaît bien celles qu'il y attire, par la fidélité qu'elles ont à
l'observance de tout ce qui est généralement de l'Institut, par la pratique des
vertus, surtout de la mortification de l'amour de soi-même, de ses commodités
et propre volonté, car on connaît ordinairement l'arbre par ses fruits, selon
que le dit Jésus-Christ en saint Mathieu : Vous les connaîtrez par
leurs fruits, il veut dire : par leurs œuvres. Ne pensez donc
pas, mes filles, attirer les faveurs de Dieu en la sainte oraison sans la
mortification.
Quand on connaît bien ce qui empêche de faire ses actions purement pour
Dieu, on n'a pas besoin d'aucun conseil, mais bien plutôt d'une grande fidélité
à suivre ponctuellement les inspirations de Dieu. Il faut être grandement épuré
et ennemi de soi-même pour ne chercher purement que Dieu : vous devez
savoir que qui cherche l'honneur, le perdra ; et quiconque le méprise,
trouvera la vraie gloire, bien qu'il ne faut pas chercher l'humiliation pour
cela, mais parce que Dieu le veut et [436] pour sa propre perfection. Il faut
être profondément humble, sincèrement simple, et entièrement fidèle à Dieu. Il
faut réserver la tristesse pour ses fautes, encore faut-il qu'elle soit humble
et confiante.
C'est le grand bonheur des âmes de se savoir maintenir en tranquillité,
non-seulement lorsqu'on se trouve hors du tracas et de l'embarras, mais
principalement en se trouvant dans icelui, faisant toutes choses sans aucun
empressement, sans inquiétude, sans altération d'esprit, avec modération, avec
douceur. La vraie tranquillité et le vrai repos en toutes ses actions, c'est de
conserver la pureté de cœur et l'union de l'âme à son Dieu ; comme, au
contraire, de les faire (ses actions) avec empressement, c'est se mettre en
danger de les mal faire, et, partant, d'offenser la souveraine Majesté de Dieu.
On ne saurait croire combien cette vertu (de tranquillité) aide à l'acquisition
de toutes les autres.
Il est bien vrai qu'il y a deux sortes de tranquillité d'esprit, l'une
desquelles nous pouvons toujours avoir, et c'est celle qui se fait par la
conformité de notre volonté à celle de Dieu, en la pointe de l'esprit, rien
n'est plus vrai.
On peut toujours acquiescer au bon plaisir de Dieu, en quelque
tribulation, angoisse, pressure de cœur, aveuglement d'esprit, peine
intérieure, où l'on se peut trouver, car si l'on peut bien chanter une chanson,
dire bonjour, aussi peut-on bien parler à Dieu, quoique nous n'ayons point de
sentiment de notre foi, espérance et charité, ni même des autres vertus ;
mais il faut parler à Dieu de tout autre chose que de la peine que l'on a. Je
vous assure, mes filles, que lorsque l'on est bien résolue de souffrir ces
peines, cela ne gâte plus rien, car je le sais par expérience, et notre
Bienheureux Père me l'a dit fort souvent, et même trois ou quatre années après
ma retraite (du monde).
Une fois il me dit, ou il écrivit : « La croix est de Dieu,
mais [437] elle est croix parce que nous ne nous joignons pas à
elle ; car, quand on est fortement résolu de vouloir la croix que Dieu
nous donne, ce n'est plus croix ; elle n'est croix que parce que nous ne
la voulons pas ; et, si elle est de Dieu, pourquoi donc ne la voulons-nous
pas ? » J'ai beaucoup souffert de ces peines intérieures, pendant
l'espace de dix années, avant que je fusse soumise à la direction de notre
Bienheureux Père, car j'étais toute champêtre, et je n'avais personne à qui les
aller dire : ma pauvre âme était si enrouillée de péchés, qu'il lui
fallait bien ces feux (des peines intérieures) ; j'ai dit : beaucoup
souffert, car c'était beaucoup pour moi. Le Bienheureux me dit ou
m'écrivit, « qu'il fallait vivre de la mort même. »
Les âmes (éprouvées) sont assurément bien favorisées
lorsqu'elles ont à qui se découvrir et à parler (de leurs peines), car par ce
moyen elles sont bien soulagées. Certainement, il ne faut que se soumettre à
Dieu ; et, après cela, on est bien certain de tout ce qui lui plaît. Pour
moi, j'ai eu très-longtemps de ces peines intérieures durant la vie de noire
Bienheureux Père qui ne me font aujourd'hui non plus de peine que cela (lors
elle toucha la table), et j'en ai encore qui ne me font non plus que si elles
étaient sur une montagne.
Ce Bienheureux disait à une bonne
âme : « Ça, pratiquez bien votre règle, et vous trouverez tout
là. » Il voulait que l'on se tînt particulièrement attentive à
l'observance, et non pas que l'on désirât certaine je ne sais quelle perfection
extraordinaire. Il me dit à Lyon : « On parle maintenant de tant de
choses et oraisons extraordinaires, et si peu de vertu » ; c'étaient
les vertus qu'il aimait, aussi disait-il : « Faites, faites de votre
côté, et laissez faire Dieu du sien tout ce qu'il lui plaira ; il le fera
toujours assez ; faites seulement, et ne vous mettez pas en peine du
reste. Pour ne vous surcharger, je ne veux autre chose, sinon que nous soyons
attentives à Dieu et à nous-même, faisant tout ce qui se présentera dans la
volonté [438] de Dieu, ne nous
précipitant point en toutes nos actions, ni intérieurement ni
extérieurement ; mais avec cette attention à Dieu et à soi-même. »
Ce mot, mes filles, ne nous précipitons pas, veut dire :
faisons toutes choses étant fort attentives à Dieu et à nous-mêmes, pratiquant
régulièrement cette sentence : « Ne parlez point à la volée, ne
vous précipitez point en parlant devant Dieu, ce sont les paroles de
l'Ecclésiaste. Marchons devant Dieu, ne nous précipitons point, voilà notre
pratique.
(Fait à nos Sœurs de N.)
SUR LA NÉCESSITÉ ET LES AVANTAGES DU DÉPOUILLEMENT
EXTÉRIEUR ET INTÉRIEUR.
Mes chères filles, je veux bien, puisque vous le désirez, vous dire
quelques mots du dépouillement, et c'est avec raison, d'autant que nous voici
proches de la fin de l'année.
Notre Bienheureux Père a sagement institué les changements pour nous
montrer qu'il nous faut dépouiller, non-seulement des choses extérieures, mais
aussi des intérieures. C'est indigne d'une âme religieuse de s'attacher à autre
chose qu'à Dieu, et de loger ses affections ailleurs.
Ce n'est pas grand'chose, ce semble, d'être un peu attachée aux images,
au chapelet, à une croix, à une cellule, à sa charge ; néanmoins, il ne le
faut pas faire, car cela servirait d'obstacle à notre perfection, et nous
ferions contre la perfection du vœu de la sainte pauvreté, et contre l'esprit
de notre Institut, qui nous montre bien que nous ne pouvons pas même nous
attacher [439] aux choses qui nous sont données pour notre usage, puisqu'il est
ordonné qu'on nous les changera. Mais d'être attachée à sa volonté propre, à
son jugement et à son opinion, à sa propre estime, à ses intérêts et
satisfactions, et de vouloir être aimée, oh ! que cela est bien plus
dangereux et nuisible à notre avancement, et beaucoup plus malaisé à découvrir
et déraciner !
Or, je vous veux donner seulement deux pratiques du dépouillement pour
ne pas beaucoup charger votre esprit : c'est l'humilité et la
douceur : il se faut dépouiller de la vanité, de la bonne opinion que nous
avons de nous-mêmes.
Oh ! que nous avons sujet de nous anéantir, de nous mésestimer, et
non pas d'avoir de la complaisance ; tenons-nous donc basses et petites
aux yeux de Notre-Seigneur, des créatures et de nous-même ; car, enfin,
nous nous tenons si peu rabaissées et si peu humiliées, que c'est pitié !
Nous avons trop bonne opinion de nous-mêmes, partant, connaissons-nous bien, et
nous tenons simplement pour ce que nous sommes ; autrement nos affaires n'iront
pas bien, et nous ne prendrons pas bien l'esprit de l'Institut. Soyons donc
telles, je vous supplie, mes chères Sœurs, que l'on ne voie respirer
qu'humilité en nos paroles, en nos actions et déportements, et que cette vertu
reluise davantage en nous.
La douceur, selon que l'entend notre Bienheureux Père, nous fera
dépouiller de nos inclinations et passions, et nous rendra gracieuses envers le
prochain, et tranquille en nous-mêmes, sans nous chagriner de nos
imperfections, ne recevant aucune sécheresse et dureté de cœur, quoi qu'il nous
arrive. Je vous souhaite cette cordialité et celle douceur.
Si notre saint Fondateur n'en avait fait un Entretien, j'en parlerais
davantage, tant j'ai d'affection de la voir régner parmi nous. La vraie douceur
et dilection n'est autre chose qu'un amour de cœur qui nous fait tirer à nous,
par compassion, toutes les peines, souffrances et défauts de nos Sœurs, pour y
[440] compatir. Cette dilection doit être si grande les unes envers les autres,
que si une Sœur nous demandait une pièce de notre cœur, nous la lui devrions
donner, si c'était en notre pouvoir.
Oh ! que nous sommes bien éloignées de ces sentiments-là, puisque
même nous ne leur donnons pas librement et gracieusement, un réchaud, un pot,
une corbeille, un mouchoir, ou choses semblables ; et néanmoins la Sœur a
tout autant de part que nous à ce qu'elle nous demande à emprunter.
Or, je sais bien que tant que nous vivrons nous ferons continuellement
des manquements, et je ne m'en étonne point ; mais de toujours commettre
les mêmes, cela montre que nous ne travaillons pas assez fidèlement à notre
amendement ; car dès que nous connaissons quelques imperfections en nous,
nous devrions tellement bander nos efforts de ce côté-là, que nous nous en
affranchissions, d'autant que ces imperfections étant corrigées, il en renaîtra
d'autres, et ainsi nous avons assez d'ouvrage, et Notre-Seigneur a coutume d'en
laisser pour nous tenir en humilité. Mais, pour Dieu, prenons un grand courage,
et quand nous aurons commis quelques fautes, ne craignons point de mettre les
genoux en terre, pour demander pardon à la Sœur envers laquelle nous avons
failli, et nous réparerons suffisamment notre défaut devant Dieu et devant les
créatures ; mais qu'on ne néglige pas, je vous prie, cette pratique, qui
nous doit être en recommandation particulière, puisqu'elle nous a été
conseillée et recommandée par notre Bienheureux Père.
C'est un des plus sensibles crève-cœur que nous puissions avoir à
l'heure de la mort, que de n'avoir pas bien vécu et fait notre profit des
avertissements et corrections qui nous auront été faits, et même des
enseignements qui nous auront été donnés. Oui, nous aurons beaucoup de regrets
en ce passage-là, et je vous puis assurer que ce sera un des plus sensibles,
car nous verrons bien que cela aura été la cause du peu d'avancement que nous
aurons fait. Or, prenons donc garde à nous, et [441] faisons bien pendant que
nous en avons le temps ; nous devons cela à Dieu et à notre perfection,
rendant nos âmes pures et agréables à sa divine Majesté : nous y sommes
étroitement obligées par le devoir de notre vocation, et nous devons cet
accroissement de gloire accidentelle à notre Bienheureux Père. Pour moi, je ne
suis pas digue d'être mise en considération ; mais je sais pourtant que
l'amour filial que vous me portez, mes chères filles, vous fait désirer ma
consolation.
Véritablement, je n'en ai point de plus grande en ce monde, que de voir
mes Sœurs faire leur devoir et s'avancer à la perfection ; comme aussi ma
plus grande douleur serait d'en voir quelques-unes de lâches et négligentes qui
ne travaillent point à leur avancement, de sorte que ce qui m'afflige ou me
console en ce monde, c'est le bien ou le mal de nos Sœurs, car l'amour maternel
que je leur porte me fait désirer leur bonheur et profit spirituel. Pour moi,
je suis la plus défaillante de toutes ; mais, grâce à mon Dieu, je ne
pèche point de propos délibéré. J'espère que si vous priez bien pour moi je me
relèverai de mes misères et que je ferai beaucoup mieux mon devoir à l'avenir.
Je sais que vous faites toutes de même, et que vous ne péchez point avec
réflexion. Prions bien les unes pour les autres ; non-seulement pour
celles avec qui nous vivons, mais encore pour toutes celles de l'Institut, car
je souhaite ardemment que tous nos monastères n'aient qu'un seul cœur et une
seule âme en Dieu. [442]
(Fait à nos Sœurs de N.)
SUR LA PURETÉ D'INTENTION, LA SIMPLICITÉ, LE CHANGEMENT DES
CHARGES, ETC.
Je suis bien aise que nos Sœurs fassent bien la récréation, car il faut
bien faire l'action présente, et c'est une bénédiction de Dieu sur toutes nos
maisons. Mais il faut faire l'oraison aussi bien que la récréation. C'est une
chose nécessaire aux filles que de bien se récréer ; mais, quand l'on est
sujette à faire des éclats de rire, il faut, en dressant son intention, faire
un petit regard sur cela.
Vous demandez, ma chère fille, comme il faut dresser son intention, et
si, quand on fait ses actions sans y prendre garde, et que l'on se redresse
ensuite, si elles ne sont pas valables ? Oui, ma fille, car quand vous
avez offert à Dieu, le matin, toutes vos actions, il faut marcher en
simplicité. Notre Bienheureux Père dit qu'il ne faut pas tant d'exercices
spirituels, mais qu'il les faut bien faire.
Vous demandez comme il faut marcher en simplicité avec Dieu ? Il
ne faut point faire de réflexions sur ce que l'on nous dira. Une Sœur vous
viendra prier de quelque chose : eh bien, il le faut faire simplement et
penser à Dieu, le faisant, sans réfléchir sur ce qu'elle nous aura dit, et
c'est marcher en simplicité. Comme quand vous rendez compte, il faut dire
simplement ce que vous savez.
Vous dites, quand on rend compte et que l'on biaise un peu, afin que
l'on ne connaisse pas la chose comme elle est, si cela est marcher droitement devant
Dieu ? Non, ma fille ; nous ne venons rendre compte que pour nous
humilier, et afin de faire [443] connaître qui nous sommes ; si je savais
qu'une de nos Sœurs aimât bien son abjection et qu'elle s'humiliât, vraiment
j'en serais bien aise, car je n'aime point ces coulpes que l'on dit (en
direction :) J'ai parlé trop haut..., j'ai fait des éclats de
rire... ; des choses que tout le monde sait et a vues ; mais il faut
dire les pensées qui nous peuvent bien humilier et mortifier.
Vous demandez comme il faut garder l'unité avec Dieu ? Ma fille,
il faut bien observer votre règle, bien faire ce que votre supérieure vous
ordonnera, tout ce que nos Sœurs vous diront et être bien condescendante ;
quand vous observerez bien tout ceci, vous conserverez votre union avec Dieu.
Je désirerais bien que nos Sœurs soient ferventes, non de cette ferveur
que l'on ressent, qui fait soupirer gros, mais d'une bonne résolution.
Il faut travailler, car si Dieu a fait des grâces particulières à
quelques Saintes, comme à sainte Catherine de Gènes, sainte Madeleine et
plusieurs autres, lesquelles ont eu prou peine et travail parmi les tentations,
il ne serait pas raisonnable que nous eussions les vertus sans peine. La bonne
Mère Thérèse dit que si nous voulons, nous acquerrons le recueillement en un
an, voire, en six mois, même en trois ; mais il faut aimer
parfaitement. Saint Augustin dit : Aime et fais tout ce que tu
voudras...
Ma fille, je n'aime point qu'on pratique cela, de prendre les
intentions (de la supérieure). Vous les pouvez néanmoins prendre pour la
charité ; comme, par exemple, si une Sœur avait mal au cœur, il faudrait
aller quérir quelque cordial pour lui en donner ; et, quand elle est
malade et qu'elle est couchée près de vous, si elle a besoin de quelque chose,
ou bien d'être recouverte, il le faut faire, car alors la charité nous fait
courir, et c'est l’intention de la charité et de la nécessité. Mais de
dire : Ma Mère, j'ai pris votre intention pour faire cela ; vous
avez plutôt pris celle de votre inclination. Oh ! je n'aime point [444] cela.
Enfin, la vraie règle des filles de la Visitation, c'est l'humilité et la
douceur envers le prochain.
Il est vrai que c'est une rude chose de changer si souvent de
charges ; mais il le faut, et que les supérieures renversent tout :
que les directrices soient un peu portières, les portières un peu dépensières,
etc. L'on fait ainsi à Annecy et je faisais de même à N..., parce que ces
filles étaient un peu sujettes à la vanité ; je les changeais de trois en
trois mois. Quelquefois, je mettais de jeunes Sœurs officières, et les
anciennes, leurs aides, ce que notre Bienheureux Père ayant vu, il en fut bien
aise. Ma Sœur, vous les devez tantôt faire monter au grenier, puis les faire
descendre à la cave, et ainsi toujours changer. Si elles n'étaient pas capables
de cela, il les y faudrait rendre ; car la constitution ne dit-elle pas,
qu'on leur enseignera que la Congrégation est une école de la mortification
des sens et de l'entière abnégation de sa propre volonté...
Je remarque que nos Sœurs ont un grand désir de la perfection ;
mais elles ne peuvent se mortifier. Je ne conseillerais pas que l'on demandât
les mortifications, les humiliations, les robes rompues, mais se tenir prêtes
quand on les donnera, et cela est ne rien demander, ni rien refuser.
Il est malséant à une religieuse de lui voir toujours les mains à
travers une grille. Oui, ma Sœur, c'est trop de demeurer une heure au
parloir ; c'est bien assez d'une demi-heure, si ce n'est en quelque
occasion particulière. Aller au parloir à l'heure des Offices et de l'oraison,
cela ne se doit jamais faire que pour des grandes occasions ; et, si ce
sont des amis, ils doivent savoir le temps des Offices et de l'oraison et leur
dire, après la première fois : C'est maintenant le temps de notre oraison,
si vous désirez de me parler, il faut revenir à une telle heure. La règle ne
dit-elle pas que l’on ne retirera point les Sœurs des Offices, de l'oraison
et du réfectoire que pour de pressantes occasions ? [445]
(Fait à nos Sœurs de N. )
SUR L'UNION ENTRE LES MONASTÈRES, L’ESTIME DU PROCHAIN, LA
SIMPLICITÉ À SUIVRE LA DIRECTION DE LA SUPÉRIEURE, ETC.
Mes très-chères filles, si nous sommes bien unies les unes avec les
autres, nous marcherons à grands pas à la perfection. Cette union est tellement
nécessaire aux filles de la Visitation pour conserver leur esprit, que
lorsqu'elle manquera, l'esprit de l'Ordre défaudra. Cette union ne doit pas
seulement s'étendre à celle maison, mais généralement à tous les monastères de
l'Ordre, et lorsque nous verrons que les autres auront besoin de quelque chose,
soit pour le temporel, soit pour le spirituel, nous les devons aider d'aussi
bon cœur que si c'était pour nous-mêmes, voire, de meilleur cœur, s'il se
pouvait. C'était l'intention de notre Bienheureux Père et son désir, comme, au
contraire, ce lui eût été un grand déplaisir de voir de la désunion entre
nous... Nous ne devons chercher en toutes choses que la plus grande gloire de
Dieu, et faire à autrui ce que nous voudrions qui nous fût fait, car nous
devons autant aimer le repos de nos Sœurs que le nôtre propre.
La marque de l'amour de Dieu, c'est l'amour du prochain, et cette
parole que le Fils de Dieu dit à ses Apôtres : Aimez-vous les uns les
autres, comme je vous ai aimés, nous y doit bien exciter.
Vous me demandez encore, comme il se faut comporter quand il nous vient
des pensées d'envie contre celles que nous voyons être plus estimées que nous,
et qu'on emploie en des charges honorables ? À cela, je vous dirai, que
notre Bienheureux Père avait tellement d'estime du prochain, qu'il ne le [446]
regardait jamais que comme la vive image de Jésus-Christ, et non jamais ses
imperfections, mais la vertu qui y était ; et, s'il n'y en connaissait
aucune, il y regardait la grâce de Dieu en l'âme. Mes chères Sœurs, lorsque
nous regarderons les vertus qui sont en nos Sœurs, nous les estimerons. Il est
impossible d'aimer une personne si on ne l'estime ; cet amour sera solide,
et ne sera point sujet à changement ; et ne laissons point emporter notre
esprit à ces tricheries d'envie et de jalousie contre celles que nous croirons
être estimées et louées.
Je vous conjure, mes chères filles, de ne point désirer
l'agrandissement des maisons par les biens temporels, comme de regarder que
celles qu'on reçoit aient beaucoup ; mais regardons plutôt si elles sont
bien douces et bien humbles. Cette vertu d'humilité doit être le fondement de
notre Institut. J'ai ouï dire à notre Bienheureux Père, qu'il y avait une fois
une religieuse d'un Ordre déchu de sa première ferveur, laquelle lui dit :
« Monseigneur, vous établissez un Ordre, mais quand il y aura aussi
longtemps qu'il aura été établi que le nôtre, il ne fleurira pas plus que
celui-ci. » Il lui fit une réponse à sa façon accoutumée : « Nous
y mettrons bien ordre, lui dit-il, et ferons les fondements si bas, et
prendrons garde à ne pas élever le toit si haut ; et, par ce moyen-là, il
ne sera pas si facile à abattre, » Il disait encore : qu'il ne
pouvait souffrir qu'on prît si fort garde de recevoir des filles droites,
grandes, de belle taille.
Vous dites, si une fille croyait n'avoir point de jugement, si ce ne
serait pas une marque d'humilité ? L'humilité et la vérité est une même
chose ; mais ce serait une vanité de croire d'avoir un bon jugement, et
s'arrêter en ces pensées. C'est avoir bon jugement que de le savoir bien
soumettre à ce que l'on veut de nous ; et, lorsque nous y résistons, c'est
une marque infaillible que nous n'avons point un bon jugement ; car, pour
l'ordinaire, celles qui croient en avoir, n'en ont point.
Nous devons toujours nous ressouvenir de ce qui est en nous [447] de
plus abject, pour nous humilier devant Dieu toute notre vie, et devons avoir un
grand amour de notre abjection, et notre Bienheureux Père disait, « qu'il
ne se faut pas s'étonner des défauts que l'on voit au prochain, pourvu qu'il
ait la volonté de s'en corriger ! » Il était ennemi des immortifiées.
Pour moi, j'aimerais mieux voir une fille manger hors du repas, et commettre
des imperfections grossières, que d'en voir une autre en commettre d'orgueil,
de duplicité, d'opiniâtreté et mutinerie ; car celles-ci sont bien plus
dangereuses et bien plus contraires à l'esprit de l'Ordre ; pourvu que
l'autre veuille se découvrir et en dire sa coulpe, l'abjection qu'elle en
reçoit lui sert pour s'en humilier profondément devant Dieu, le reste de sa
vie.
Vous dites, ma fille, si ce n'est pas un grand manquement de murmurer
quand la supérieure ne laisse faire que six ou sept jours de retraite ? Le
murmure ne vaut rien en toutes façons, ma chère fille, mais surtout quand c'est
contre la supérieure, et que l'on trouve à redire contre ses ordonnances ;
car il est en son pouvoir de faire faire la retraite plus courte ou plus
longue, selon qu'elle le juge à propos, ainsi que la constitution dit. Il se
faut bien garder de ces petits murmures, car nous devons regarder notre
supérieure comme Jésus-Christ en terre. Lui-même a dit : Qui vous
écoute, m'écoute, qui vous méprise, me méprise. Voyez, je vous prie, ce que
nous faisons quand nous contrevenons à ces ordonnances, et voulons examiner ses
actions (de la supérieure) et lorsque nous y contrevenons, infailliblement nous
résistons à l'esprit de Dieu, et suivons l'instinct du diable.
Notre Institut nous porte à l'humilité et bassesse, et ne veut point
que nous fassions des choses qui nous puissent l'aire surestimer ; car,
pour l'ordinaire, l'esprit humain s'attache à ces choses apparentes, et ne
regarde point à mortifier l'intérieur, qui est ce que Dieu demande de nous.
J'ai ouï dire à notre Bienheureux Père que « qui est fidèle en la pratique
de ses [448] règles, trouve assez à faire. » Quand la pensée nous vient de
baiser les pieds à nos Sœurs, il les faut baiser en esprit et se tenir
au-dessous de toutes. C'est néanmoins une meilleure marque à une commençante de
la voir portée à faire des pénitences, pourvu qu'elle soit soumise au jugement
de ses supérieures, que d'en voir une autre pesante et paresseuse. Les
pénitences sont bonnes quand elles nous sont ordonnées par la supérieure, car
elle connaît celles à qui elles sont nécessaires ; mais d'en faire de
notre tête et de notre propre mouvement, cela ne se doit pas. La supérieure,
qui est le gouvernail, doit ordonner des pénitences selon les fautes que l'on
commet, car ce n'est pas à dire qu'il ne faille mortifier les défaillantes.
Vous-dites, ma chère fille, si une Sœur pensait que la supérieure
n'aurait pas assez d'expérience pour la conduire à la perfection où Dieu
l'appelle, croyant en elle-même que les mortifications lui sont nécessaires
pour sa perfection, et la supérieure lui dit que non ; comme il faut faire
à cela ? O Jésus ! il se faut bien garder d'écouter telles
pensées ; c'est un signe d'un grand orgueil et présomption. Si une fille
avait ces pensées, il y aurait grande pitié en elle, et aurait grand besoin
d'humilité, et devrait sans cesse demander à Notre-Seigneur la lumière pour se
bien connaître ; car de penser se mieux connaître soi-même que la
supérieure, c'est une tromperie de notre esprit. Lucifer ne voulut pas
s'assujettir à son Dieu, qui l'avait créé si beau et si parfait ; et, se
voulant trop fier en son excellence, fut perdu misérablement. Le grand saint
Michel, voyant sa présomption, prit la cause de son Maître en main, et
dit : Qui est comme Dieu ? et le jeta hors du paradis. Nous
pouvons dire de la supérieure : Qui est comme la supérieure ? car
elle tient la place de Dieu, et ainsi, renverser notre propre jugement, et
devons croire qu'elle a la lumière pour connaître par quelle voie il nous faut
conduire au bien. Ma fille, ceci s'étend bien loin, nous en parlerons une autre
fois. [449]
Vous demandez si ce serait une bonne marque à une fille de la
Visitation de désirer de changer de monastère ? Non, certes, ma chère
fille. Quand une Sœur a le désir de changer de monastère, c'est signe qu'elle a
l'esprit léger et ne l'a guère solide, et a dans son âme quelque passion mal
mortifiée. Vous dites : Mais si c'était qu'une supérieure ne connût pas
bien mon esprit, et me voulût conduire autrement qu'il ne faudrait, ne
serait-il pas permis de le représenter ? Voilà un beau prétexte, certes,
et qui témoigne que l'on a de la vanité. Il y en eut une qui me fit une fois
cette proposition, et me mandait qu'elle avancerait plus, ce lui semblait, sous
ma conduite que non pas sous la supérieure qu'elle avait. C'est une tromperie
de l'imagination, et une démangeaison d'esprit qu'il faut mortifier. Il se faut
grandement humilier quand ces désirs frivoles nous viennent, car, que
feriez-vous à cela ? Notre Bienheureux Père dit « qu'il ne faut
jamais ouvrir la porte à celles qui le désirent ; car, pour changer de
lieux, on ne change pas d'habitants ; on trouve toujours les mêmes choses
à faire et les mêmes difficultés. » Si vous êtes immortifiée, vous
trouverez toutes choses difficiles. Mais, si on avait pour supérieure une jeune
fille qui n'eût pas de l'expérience et qui n'eût pas demeuré dans le monde, ni
passé par la mortification, si elle serait aussi capable d'entendre les peines
qui peuvent survenir aux esprits ? À cela je vous dis : que la grâce est
au-dessus de toute expérience ; car, si elle se confie en Dieu et qu'elle
soit humble, Dieu ne manquera jamais de lui donner la lumière nécessaire pour
la conduite de ses filles ; et les inférieures, pourvu qu'elles soient
bien obéissantes, quelles supérieures qu'elles aient, n'iront jamais que par
une voie bien assurée, car le vrai obéissant ne périra jamais. Pour moi,
si j'avais une supérieure de sept ans, je crois que je lui obéirais de tout mon
cœur, pourvu qu'elle ait l'esprit de Dieu. Ce serait une belle façon d'obéir,
que de ne se vouloir soumettre qu'à une supérieure qui serait à notre goût, qui
fût bien [450] douce et qui nous supportât bien en nos imperfections ; au
contraire, c'est une obéissance très-parfaite d'obéir à une supérieure qui
n'aurait pas ces conditions-là, et qui nous mortifierait très-bien. Nous
serions bien plus heureuses, dis-je, si on nous en donnait une de la
sorte ; car, si nous étions fidèles, nous ferions un grand avancement en
peu de temps, à l'exemple d'un saint religieux qui fut si fidèle à la
mortification, que jamais il ne se voulut plaindre de la conduite de son
supérieur qui avait l'esprit altier et absolu, et qui mortifiait sans raison ce
jeune religieux, lequel disait : « Non, Seigneur, quand je devrais
mourir, je lui obéirai toute ma vie. » — Et lui-même a dit qu'il croyait
que Dieu lui avait donné ce supérieur-là pour son bien, et qu'il avait plus
avancé sous lui qu'il n'avait fait toute sa vie sous un autre, et croyait qu'il
eût été perdu sans ce malgracieux supérieur. C'est la vérité que la vertu se
connaît en ces occasions-là, car il est bien aisé d'être vertueux sous un
supérieur qui est bien entendu. Quelquefois Dieu permet que nous ayons de ces
malgracieux supérieurs, pour voir si nous lui serons fidèles. Je me souviens d'une
supérieure, qui, en sortant de sa charge, emporta toute la perfection de ses
filles ; or, si nous ne regardions que Dieu, pourquoi n'obéirions-nous pas
à une supérieure comme à l'autre ?
Vous dites : si c'était une fille qui eût été nourrie dans des charges
honorables, et n'aurait pas passé par la mortification, s'il n'y aurait pas à
craindre ? Je vous dis que ce n'est pas aux inférieures à prendre garde à
cela, mais, oui bien, si elle a l'esprit de l'Ordre. Vous ne pouvez savoir si
elle n'a pas été mortifiée. C'est un bon signe quand la supérieure emploie une
Sœur en des charges honorables et qu'elle est estimée d'elle ; car, si
elle la croyait imparfaite, elle ne l'y emploierait pas. Pour moi, je ne ferais
guère d'état d'une fille qui ne serait pas estimée de sa supérieure, pourvu que
je reconnaisse en la supérieure, l'humilité, la charité et le zèle de la
perfection de ses [451] filles ; au contraire, je ferai beaucoup d'état
d'une que je verrais estimée d'elle.
Si une supérieure, nouvellement élue, ne faisait pas observer ce que la
précédente avait coutume de faire ? Je réponds que, pour les choses
indifférentes qui ne sont ni commandées ni défendues, il n'y faut pas prendre
garde, car il est bien dangereux de pointiller sur les actions de la supérieure.
Néanmoins, si c'est chose contraire aux constitutions, j'aimerais mieux le dire
à elle-même, avec humilité, que non pas à sa coadjutrice, car notre Bienheureux
Père dit « que les plus confidentes sont les meilleures. »
Vous dites : si les conseillères devraient parler entre elles des
manquements qu'elles voient commettre à la supérieure ? Non, elles ne le
doivent pas faire, non plus que les autres Sœurs ; car, si elles voient
des manquements, elles doivent faire comme je viens de dire, mais avec beaucoup
d'humilité et de simplicité : « Ma Mère, il me semble que Votre
Charité manque en cela et en cela » ; et la supérieure serait bien
maussade si elle ne recevait cet avertissement de bon cœur.
Vous demandez si les surveillantes doivent aller dans les cellules des
Sœurs et dans les chambres de celles qui ont des charges ? Non, elles n'y
doivent point aller sans congé, non plus que les autres, si la supérieure ne le
commet à quelqu'une, et ne doivent lever la vue qu'une ou deux fois, au plus,
là où les Sœurs sont assemblées. Nous avons tant de surveillantes ! Nous
avons la supérieure et l'assistante, qui doivent prendre garde aux manquements
que les Sœurs font. Il ne se faut pas tant tourmenter pour remarquer et
éplucher les fautes des Sœurs. Chacune y est pour soi en particulier. Je dis
même que la supérieure ne se doit point tant peiner à cela.
Vous demandez quelles imperfections l'on doit dire au réfectoire quand
on les demande ? Il faut dire celles que nous voyons faire plus
ordinairement et n'en dire qu'une ou deux, car je [452] n'approuve pas que l'on
soit un quart d'heure, par manière de dire, à l'oreille d'une Sœur, pour lui
dire ses imperfections, car cela étonne une pauvre fille, de lui en dire tant à
la fois ; et celles qui les disent se peuvent très-bien contenter en
disant bien le fait aux autres. C'est pourquoi, quand quelqu'une demande ses
imperfections, il se faut grandement anéantir en soi-même, et les dire avec
beaucoup d'humilité, car l'on peut fort bien manquer en cela ; il serait
mieux toutefois d'en dire de grosses en particulier, que d'en avertir, pourvu
que cela se fasse avec charité.
Il ne faut jamais demander de parler en particulier à ses parents, et
c'est bien assez de leur écrire une ou deux fois l'année ; il ne faut pas
non plus faire d'ouvrage pour eux.
Pour moi, je n'approuve point que l'on ait tant d'inclination à nous
étendre et faire beaucoup de maisons ; car, disait notre Bienheureux Père,
« ce n'est pas par la multiplicité des maisons que Dieu est glorifié,
mais, oui bien, par la fidélité d'une chacune à l'observance des règles. »
(Fait à nos Sœurs de Lyon)
SUR LA REDDITION DE COMPTE ; EXPLICATION DE CES
PAROLES : VIVRE DANS UNE PURETÉ IMMACULÉE ET ANGÉLIQUE, ET SUR L'AMOUR DE
DIEU ET DU PROCHAIN, ETC.
Vous désirez savoir, mes chères filles, comment il faut faire pour
rendre compte courtement, clairement et simplement ?
Je vous dis que c'est une chose grandement importante que la reddition
de compte. [453]
La première chose qu'il faut faire, c'est d'y aller et procéder avec
une grande sincérité de cœur, comme étant véritablement devant Dieu, et ensuite
dire fort brièvement ce que nous avons à dire. Si nous avons une supérieure
nouvelle qui ne nous connaisse pas, comme on en change assez souvent en nos
maisons, il faut bien lui dire par le menu ce que nous faisons ; mais, à
la supérieure à laquelle nous rendons compte tous les mois, il n'est nullement
besoin de faire tout cela, ni d'en agir delà sorte, car elle nous connaît assez
d'ailleurs. Il nous faut donc rendre compte courtement, brièvement, et
dire : Ma Mère, j'ai été ce mois-ci grandement fidèle ou infidèle à
rejeter les distractions pendant l'oraison, et je m'y suis arrêtée
volontairement, en telle ou telle occasion... ou bien dire : Ce mois-ci,
je n'ai pas eu tant de distractions à l'oraison, j'ai fait tous mes efforts
pour les pouvoir rejeter ; j'ai été beaucoup plus attentive à suivre mon
point d'oraison... et s'il est fortuitement arrivé quelque chose
d'extraordinaire, il le faut dire.
Il y a des filles qui viennent dire : J'ai fait l'oraison sur la
flagellation de Notre-Seigneur... j'ai considéré sa patience... j'ai en
affection d'être beaucoup patiente... et elles ne disent rien plus. Il ne faut
pas faire comme cela, mais dire : J'ai senti mon esprit bien plus
recueilli et attentif à Dieu... j'ai eu une telle et telle affection à me
mortifier... Et puis, pour l'obéissance, il faut dire généralement tous les
manquements que l'on y a faits, autant qu'on le peut, parce que cette
Congrégation est établie universellement dans une parfaite obéissance.
Pour ce qui regarde la mortification, il faut dire : J'ai été fort
lâche ou fidèle à la pratiquer... j'en ai laissé passer beaucoup de bonnes
occasions, par ma pure faute et par ma négligence... ou bien : j'ai été
plus fidèle à n'en pas tant laisser passer sans en tirer profit...
Il ne faut pas dire par le menu toutes les pratiques des vertus que
l'on a faites, comme : d'avoir donné un siège, ou bien [454] d'avoir mortifié la curiosité en quelque chose ; mais, si on avait
fait quelque pratique de vertu extraordinaire, il la faudrait dire...
Il me souvient d'avoir vu une fille qui semblait, quand elle venait
rendre compte, qu'elle apportait un couteau pour s'égorger : elle
exagérait si bien ses fautes, que les plus petites et les plus légères elle les
faisait paraître aussi grosses que des montagnes, et il lui semblait qu'elle ne
faisait jamais rien qui vaille, ne disant jamais aucune pratique de
vertu ; il ne faut pas faire comme cela ; ains dire tout simplement
et le bien et le mal.
Que dites-vous, ma chère fille, comme il faut faire pour vivre dans
une pureté immaculée et tout à fait angélique, pour ne vivre et
ne respirer que pour notre Époux céleste ? Votre demande, ma chère
fille, porte sa réponse. Il faut faire comme vous le dites : mais pour
vivre évangéliquement, nous ne devons avoir que notre corps en terre et notre
cœur au ciel, selon que le Texte Sacré nous enseigne par ces paroles : Votre
conversation doit être dans le ciel. La conversation des Épouses de Jésus-Christ
doit être toute innocente, toute pure et toute angélique, comme devant toujours
être dans les cieux et avec Dieu même. Ainsi, à l'imitation des Anges, une
vraie religieuse ne doit vivre que pour Dieu, ne parler que de Dieu, ne
s'occuper que de Dieu, ne désirer que la gloire de Dieu, ne se réjouir qu'en
Dieu et se contenter de Dieu.
Vous dites, ma fille, s'il ne faut pas aimer une Sœur que l'on verrait
bien vertueuse, beaucoup plus qu'une autre qui ne le serait pas tant ? Je
vous dis, ma fille, qu'il faut aimer également nos Sœurs ; mais pourtant
il faut toujours aimer et honorer la vertu dans ceux en qui elle se trouve
véritablement.
Notre Bienheureux Père le dit excellemment bien dans un de ses
Entretiens ; mais il ne faut pas examiner celles qui sont plus vertueuses
ou celles qui ne le sont pas tant, car Notre-Seigneur [455] n'a pas dit :
Aimez le plus parfait ; mais il a dit : Aimez-vous les uns et les
autres comme je vous ai aimés.
(Une Sœur voulant répliquer quelque chose, notre digne Mère lui dit :)
Laissez-moi faire, car les
paroles de Dieu doivent être dites fort posément, avec tranquillité et
dévotion, et une seule mériterait bien d'être écoutée avec beaucoup de
recueillement et d'attention. Nous ne devons donc rien épargner pour le bien de
notre prochain, non pas même la santé, s'il en était besoin, tout à l'exemple
de Notre-Seigneur qui ne s'est pas contenté de dire qu'il nous aimait, mais il
a donné son sang et sa vie pour nous. Et au dernier sermon qu'il fit à ses
Apôtres, à la Cène, il leur dit : Aimez-vous les uns les autres comme
je vous ai aimés, car c'est là mon Commandement.
Dans l'ancienne Loi Dieu avait bien donné des Commandements à Moïse
d'aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces, et le
prochain comme soi-même ; mais quant à maintenant, dans la nouvelle Loi,
Notre-Seigneur ordonne à ses Apôtres « de s'aimer les uns les autres comme
il les avait aimés », et dans un autre lieu il leur dit ces paroles
expresses : C'est ici mon Commandement, que vous vous aimiez les uns
les autres ; car encore bien qu'il eût fait tous les autres
commandements, il appelle néanmoins celui-ci par excellence et par éminence, son commandement.
Quand on nous accuse et que l'on nous avertit de quelques manquements,
comme par exemple : de lever la vue, de faire des répliques à
l'obéissance, et tels autres défauts, et qu'ensuite de cela on parle mal
gracieusement aux Sœurs qui nous ont donné cet avis, cela provient de ce que
nous ne considérons pas assez le Commandement que Notre-Seigneur nous a fait
d'aimer le prochain comme nous-même. Mais, ô Dieu, mes chères filles, il faut
être si réjouies que l'on voie nos manquements, et si vous n'avez pas fait ceux
dont on vous avertit, humiliez-vous, en croyant que vous en avez fait cent
autres [456] bien encore plus grands, qui sont cachés à vos yeux ; et puis on
ne peut jamais nous accuser à tort, car nous faisons ordinairement quantité de
manquements sans les connaître.
Oh ! que c'est un grand bonheur que l'on nous fasse voir nos
défauts avec charité ! Hélas ! voyez-vous Notre-Seigneur qui est
l’innocence et la pureté même, à qui on disait : endiablé, ivrogne,
séducteur du peuple ; et, pourtant, parmi tous ces diffamants opprobres,
jamais il ne témoignait d'en avoir aucun sentiment ; il ne prononça aucune
parole, ou pour se plaindre ou pour se justifier.
Recevez donc généralement tout ce qui vous arrivera, quoi que ce soit,
avec amour, et comme provenant immédiatement de sa sainte main, qui ne permet
jamais qu'il nous arrive chose quelconque qui ne tourne à notre plus grand
bien, et pour nous faire beaucoup mériter.
Quelquefois il permet, ce bon Sauveur, que l'on nous accuse de choses
que nous n'avons pas faites, pour éprouver si nous avons de l'amour pour lui,
et si nous voulons bien l'imiter en quelque chose ; c'est pourquoi il faut
aimer de tout notre cœur celles qui nous avertissent, et les embrasser fort
amoureusement en esprit, sans prendre garde ni écouter le sentiment naturel qui
nous en vient ; il faut pour lors tordre son cœur comme une serviette, et
le faire venir à la raison.
Nous devons être toutes capables des défauts les unes des autres ;
il ne faut, en façon quelconque, s'en étonner, car si nous demeurons pendant un
temps sans tomber en faute, viendra un autre temps, où nous ne ferons que
faillir, et nous tomberons dans plusieurs imperfections, desquelles il ne faut
pas manquer de faire un bon profit, en aimant l'abjection qui en revient,
souffrant avec patience le retardement de notre perfection, faisant
continuellement tout ce que nous pouvons pour notre avancement, et de bon cœur.
Travaillez tout de bon pour vous rendre fidèles à [457] Notre-Seigneur. Il faut, mes filles,
vous résoudre à mourir à vous-mêmes, à vous rendre tout à fait dignes de votre
vocation, car Notre-Seigneur vous demandera un compte sévère et très-exact des
grâces et des talents qu'il vous aura confiés.
(Fait à nos Sœurs du deuxième monastère d'Annecy)
SUR L'EXACTITUDE À ASSISTER EN CHŒUR, À DEMANDER LES
PERMISSIONS AUX OBÉISSANCES, ETC.
On me dit que les officières s'exemptent facilement des communautés,
mais avec congé. Je vous dis qu'il ne faut pas le faire, bien qu'avec
permission, sans la vraie nécessité ; autrement la faute est pour celle
qui la demande et non pour celle qui la donne. Il faut, dans ces occasions,
prendre toujours l'avis de la discrétion et de la charité ; surtout les
infirmières ne doivent rien laisser à faire autour des pauvres malades, à
quelque heure que ce soit, de ce qui est de la nécessité et de la charité,
parce que c'est là une première obéissance. Mais surtout, ce à quoi il faut
prendre garde, c'est de ne point perdre de temps, en sorte qu'il ne soit besoin
de prendre celui des exercices pour faire ce que nous aurions pu faire, au lieu
de nous amuser à parler ou à faire des petites choses qui se peuvent différer.
L'économe doit assurément assister aux communautés, et lorsqu'on a
besoin d'elle, on la sonne ; il ne faut pas qu'on craigne de mal édifier
de la sonner souvent, parce qu'on sait bien qu'elle a des affaires qui ne se
peuvent pas souvent remettre.
Pour la grande jardinière, je voudrais qu'elle fût des Sœurs
domestiques, d'autant que c'est un exercice de fatigue et qui [458] requiert de
l'assiduité à y travailler le matin après Prime, et pendant l'assemblée,
pour y planter des herbes ou pour aider à le nettoyer ; cela sert même de
récréation.
Prenez garde, mes filles ; n'attendez pas de venir demander vos
congés à la supérieure, lorsque vous la voyez plus préoccupée des affaires,
pour les obtenir plus facilement. Il est vrai, la supérieure se doit toujours
rendre attentive, mais il faut aussi que vous usiez de discrétion et de
simplicité dans ces occasions. Il ne faut pas, sous prétexte qu'on ne fait rien
à l'Office, s'en exempter souvent ; parce que, si bien vous ne chantez
pas, vous faites toujours votre devoir en assistant, en chœur, avec modestie et
attention à Dieu. La supérieure peut pourtant, en cela comme du reste,
dispenser selon la nécessité.
Il n'y a rien, mes filles, qui maintient tant le bon ordre d'une maison
religieuse que de voir les communautés bien suivies et nombreuses.
La supérieure peut commander ; si elle commande bien, à la bonne
heure ; si elle commande mal, la faute sera sur elle, et vous ne rendrez
pas compte de ce que vous faites par obéissance. C'est à nous d'obéir : si
nous obéissons bien, Dieu nous bénira ; si nous obéissons mal, et que nous
demandions des congés non nécessaires, la faute sera sur nous. Si la supérieure
accorde les congés à une qu'elle affectionnera, qui ne soient de nécessité,
alors la faute sera à toutes deux.
L'on dit que nos Sœurs se récréent fort bien durant la récréation, mais
qu'elles ne pensent point aux congés qu'elles ont à demander (aux obéissances),
et qu'elles vont, à toute heure, trouver la supérieure pour les avoir ?
Pour cela, je ne sais point d'autre remède pour les faire amender que de leur
dire doucement : Ma Sœur, venez à l'obéissance de midi, de ce soir, ou de
demain, et je vous donnerai la permission que vous demandez. Cela les rend
attentives à leur devoir. Mais si ce qu'on demande est nécessaire, il faut le
leur permettre, et leur dire qu'on le [459] refusera si elles ne s'amendent. La
supérieure se doit tenir un quart d'heure, après l'obéissance, pour écouter les
Sœurs ; un demi-quart pour la communauté. Mais la Sœur économe, si elle
voit qu'il y ait quelque Sœur un peu longue, elle doit s'avancer et dire :
Ma Mère, nos Sœurs officières ont besoin de parler à Votre Charité. Ainsi ces
Sœurs si longues à parler se retireront, et si quelque Sœur veut parler en
particulier un peu plus long, qu'elle prenne l'heure avec la supérieure ;
autrement les pauvres Mères seraient bien importunées.
Il y a des Sœurs qui arrêtent la supérieure, dites-vous, lorsqu'elle
vient à table, que le dernier est sonné ? C'est ce qu'il ne faut pas
faire, que par nécessité, parce que cela fait retarder la Bénédiction, et il
faut toujours que la communauté aille son train ordinaire. Mais si la
supérieure ne peut pas venir, pour quelque affaire, après que la communauté est
assemblée, tant au chœur qu'au réfectoire, il faut que l'assistante attende
l'espace d'un Pater et Ave, et puis, sans sortir de sa place,
pour aller voir si la supérieure vient, qu'elle dise le Benedicite...
Or, mes filles sont bonnes ; mais elles veulent bien que je leur
dise un petit mot en confiance : c'est que je ne vois pas, ce me semble,
chez elles, autant d'esprit intérieur que j'en trouvais autrefois. C'est
peut-être parce que, présentement, vous êtes toutes dans l'occupation et dans
les charges ; mais, mes chères filles, c'est en ce temps qu'il faut
prendre garde à vous, afin que ces choses inférieures ne vous ôtent point les
célestes. Il n'est rien qui relâche plus le cœur que la dissipation, et le peu
de soin de conserver en tout temps la pureté de ce même cœur. On manque à ce
soin lorsqu'on veut suivre ses inclinations, qu'on ne va aux exercices de
communauté que de corps, et que l'affection (de ce cœur) reste à une quenouille
et à un ouvrage. Travaillez bien lorsqu'il en est l'heure ; mais, soit par
complaisance pour la supérieure, pour les autres ou pour vous-mêmes, ne vous
amusez point à votre besogne ; ne vous y empressez [460] point au
détriment de la dévotion, qui apportera plus d'avantages à votre monastère,
avec la suite des exercices, que tout autre travail. Cherchons toujours premièrement
le royaume de Dieu, et tout le reste nous sera donné. Notre Bienheureux
Père disait une fois « qu'il faut préférer l'obéissance à tous ces petits
désirs. »
Tâchons donc de garder cette pureté de cœur, que Dieu demande de nous,
et ne souhaitons point tant d'être aimées et estimées des créatures.
Contentons-nous de posséder cette pureté : pureté d'intention, pureté
d'action, pureté d'affection ; que votre âme ne respire, en tout, que
pureté ; de cette façon vous attirerez sur vous toutes sortes de
bénédictions et de grâces célestes. Je vous les souhaite. Amen.
(Fait à nos Sœurs de Moulins et de Nevers)
SUR LA LECTURE DES RÈGLES, LE PROFIT À RETIRER DE LA
MALADIE, LA LIBERTÉ QU'À LA
SUPÉRIEURE DE LIMITER LE NOMBRE DES JOURS DE RETRAITE, ET SUR PLUSIEURS POINTS D'OBSERVANCE.
Un monastère de la Visitation peut toujours aller en bon ordre quand
les Sœurs aimeront l'occupation manuelle, et s'y emploieront avec recueillement
d'esprit, simplement, sans finesse et artifice.
Par toutes nos maisons où je passe, je trouve toujours dans l'esprit de
nos Sœurs plusieurs bons désirs pour leur avancement en la fidélité de
l'observance : nulle ne prétend de s'en éloigner ; mais ce qui fait
que trop souvent cela n'est pas suivi [461] des effets, c'est parce que nous ne
nous appliquons pas à lire, avec attention, les règles : on court
par-dessus sans considérer ce qu'on lit, et cela est la cause que cette lecture
n'opère point de bonne pratique.
Il n'y a point, en l'Église de Dieu, de religieux qui aient tant
d'instructions et d'éclaircissements que nous ; mais, faute de bien lire,
l'on ne fait pas mieux ; je ne dis pas que nous ne lisons pas assez, je
dis que nous ne lisons pas attentivement.
Quand nos Sœurs se voient infirmes ou malades du poumon, dont on
languit longtemps, elles doivent se réjouir de se voir courir à grands pas à la
mort, pour aller bientôt jouir de Dieu. Jamais nous ne trouverons une parfaite
félicité en cette vie, parce que nous avons avec nous l'objet de nos
déplaisirs ; mais, en paradis, il n'en sera pas de la sorte, car nous
aurons la jouissance de Dieu. Pour arriver à ce bien, il faut encore courir
plus vite à la vertu qu'à la mort, c'est-à-dire ne pas perdre une seule
occasion sans la mettre en pratique, puisque, aussi bien malade que saine, nous
pouvons toujours faire le bien.
Il ne faut pas que nos robes traînent d'un doigt ; cette
interprétation est très-mauvaise. Ce n'est pas ainsi que le Coutumier
l'entend ; il dit qu'elles seront, à un doigt, à fleur de terre ; il
entend qu'elles seront d'un doigt près (distant) de terre, et non traînantes.
La supérieure est en liberté de faire mettre des bancs ou placets pour
faire asseoir les Sœurs à la récréation ; il faut faire, en cela, ce
qu'elle jugera pour le mieux ; mais il semble néanmoins que les placets
sont plus commodes pour les Sœurs, quand, chacune se levant, range le sien.
Il ne faut pas que nos chapelets soient si gros, comme je vois que l'on
commence à les porter. Le Coutumier marque qu'ils seront médiocres.
Quand il passe des Sœurs de notre Institut dans les maisons des unes
des autres, je remarque que l'on s'informe de leurs [462] coutumes et
façons de faire ; comme chacune croit de bien faire, elles disent que cela
est conforme à celui d'Annecy ; et par ainsi, l'on n'a jamais fait ;
ce sont toujours des nouveautés. Il ne faut jamais changer ni amplifier que
l'on ne sache d'Annecy s'il le faut faire, et si on le fait ainsi. En somme,
c'est que, pour le plus sûr, il ne faut que bien lire, avec application
d'esprit, tous nos Écrits, et les bien pratiquer au pied de la lettre.
Il ne faut pas que la supérieure soit complaisante à faire goûter les
Sœurs plus souvent qu'il n'est marqué, parce que de l'un on vient à
l'autre ; et quand une année on y ajoute une fois, l'autre année on y en
ajoute deux, et ainsi on s'émancipe.
L'on ne cuit (le pain) que deux fois la semaine au plus, et il n'est
pas religieux de cuire davantage, cela ressent trop la délicatesse et
sensualité.
Il est très-bon, et même nécessaire, d'employer les Sœurs du chœur à
travailler au jardin, faire la lessive et pétrir, quand elles ont assez de
forces pour cela, car la qualité de choristes ne leur doit pas empêcher de
pratiquer l'humilité et la bassesse.
Non, certes, ma fille, la supérieure ne doit point souffrir d'affection
particulière en ses filles, sous quelque prétexte que ce soit.
Il s'en trouve, dites-vous, quelques-unes qui aiment mieux se retirer
en silence que s'entretenir une heure avec les autres (lorsque, pour
l'entretien du mois, les Sœurs sont en liberté de se choisir). Oh ! ma
fille, ce sentiment particulier n'est pas bon. Elles doivent soumettre leur
inclination à cette pratique de mortification.
Mais s'il arrivait qu'une Sœur fût laissée là, et que personne ne
pensât à elle pour la prendre, alors elle ferait fort bien de faire comme feu
notre Sœur Simplicienne d'Annecy, qui, en pareille rencontre, n'osa demander à
pas une de l'entretenir. Quand elle vit que toutes s'étaient couplées et qu'on
ne pensait [463] pas à elle, elle dit : « Mon Dieu, il est vrai que
je ne suis pas digne de l'entretien de nos Sœurs, mais je m'en vais entretenir
mon Bienheureux Père, » et s'en alla au chœur devant son tableau, où elle
demeura depuis l'obéissance jusqu'à la fin des Vêpres ; elle
l'entretint si bien et à cœur ouvert, qu'elle reçut des grâces bien
singulières, qui lui durèrent plus de trois mois. Pendant cet entretien, quand
elle avait besoin de s'asseoir, elle lui demandait : « Mon
Bienheureux Père, vous plaît-il que je m'assoie un peu ? » — Voilà,
mes Sœurs, comme il faut faire, et non pas se priver de l'entretien de son
propre choix et volonté.
Oui, mes Sœurs, vous pouvez emporter les livres de la chambre des
assemblées, où vous voulez ; mais il faut avoir soin de les rapporter, le
jour même, au lieu où on les tient ; car autrement il y aurait du
désordre, et j'approuve fort que l'on avertisse en charité celles qui s'y
rendent négligentes. À Annecy, on est exacte à cela à merveille ; jamais
un livre n'y manque et n'est mal arrangé : chacune le remet en même ordre
où elle le trouve. Si quelqu'une y manque, on l'en reprend et même on lui donne
fort bien des pénitences, comme d'être trois mois privée de les porter hors de
la chambre. Il y a de nos maisons où l'on donne à chacune un livre de notre
Bienheureux Père, aux unes d'une sorte, aux autres d'une autre ;
j'approuve fort cette dévotion.
Les Sœurs ne sont point gênées de rapporter, à l'assemblée, toujours
leurs mêmes livres de lecture. Elles pourront dire ce qu'elles auront lu dans
les livres de notre Bienheureux Père. Et, les fêtes, après le rapport des
lectures, celles qui voudront pourront lire tout bas, dans leurs règles et dans
l’Imitation, pourvu qu'elles ne se lèvent point pour les aller chercher.
Elles peuvent aussi dire leurs chapelets, ou chanter et parler de choses
bonnes ; le tout selon le jugement de la supérieure.
O Dieu ! que dites-vous, ma fille, qu'il se rencontre des Sœurs
[464] qui sont jalouses quand on ne leur donne pas également des communions,
pendant leur retraite, ni tant de jours de solitude aux unes comme aux autres.
Eh quoi ! veulent-elles être supérieures de leur supérieure et non pas se
laisser conduire ? N'y a-t-il pas diversité d'esprits comme il y a, au
ciel, des anges différents en gloire ? Donc çà-bas voudrions-nous être
égales ? C'est à la supérieure de conduire chacune selon sa nécessité, et
non pas aux inférieures de se rendre examinatrices de sa conduite. Certes, à
celles qui font cela, on leur doit répondre : Ma Sœur, faites un peu votre
examen devant le Saint-Sacrement, et demandez à votre cœur s'il serait bien
aise, s'il était supérieur, que les Sœurs contrôlassent vos actions ? Il
est vrai, vous auriez bien besoin de faire davantage la solitude, et plus que
les autres, car vous êtes bien immortifiée ; et, au lieu de six jours, il
vous en faudrait onze pour vous apprendre à être en votre devoir, et ne pas
trouver à redire à ce que fait votre supérieure.
Ma fille, les supérieures doivent, dans leur gouvernement, agir
librement sans crainte des jalousies : elles doivent donner aux unes six
jours de retraite, aux autres huit, dix ou douze, selon la nécessité ; et,
pour la communion, trois ou quatre jours : aux unes plus, aux autres
moins, cela est à sa discrétion. Il faut bouleverser toutes leurs opinions et
les changer si souvent, qu'elles s'affermissent enfin en la sainte indifférence
de leur conduite : contrariez vos Sœurs, élevez-les, et puis
rabaissez-les ; car l'esprit de générosité ne s'acquiert que dans les
contradictions. Les surveillantes sont obligées de prendre garde aux défauts
afin d'y remédier, par le moyen de charitables avertissements ; et, pour
peu d'intérêt que l'on ait en la faute, il faut, en premier lieu, en parler à
la supérieure. Il faut toujours, en soi-même, excuser la défaillante.
Il faut avoir un esprit de sainte liberté à la récréation, ne faisant
point les réservées, à rire, parler, se récréer, aux dépens de quelques Sœurs,
pourvu que la modestie et l'humble respect [465] soient observés... Il ne faut
pas trop de liberté à la récréation, non plus qu'une trop grande circonspection
à ne vouloir parler sur rien que ce soit, crainte d'en dire son avis, comme sur
les ouvrages ou choses indifférentes. Il ne faut pas être si réservées :
je n'aime point quand on me vient dire avoir fait semblables pratiques de
vertu. Il en faut bien faire en d'autres occasions plus signalées, et par
conséquent plus relevées. Il faut être amples, rondes et naïves, car tel était
l'esprit de notre Bien-heureux Père.
(Fait à nos Sœurs de Dijon)
SUR L'ABANDON À LA PROVIDENCE, LA MORTIFICATION, LA
GÉNÉROSITÉ, ET L'AMOUR DE L'ABJECTION.
La négligence est un grand mal pour les religieuses ; si vous êtes
lâches et que vous ne preniez point de soin de combattre généreusement cette
mauvaise inclination, vous serez religieuses d'habit et non d'effet.
Non, mes filles, il ne faut point désirer les consolations. Quelquefois
elles font grand bien ! Oui, principalement à celles qui commencent ;
aussi voit-on que Notre-Seigneur a coutume d’en donner en ce temps-là. Mais,
pour nous autres anciennes il nous faut vivre de pain sec.
La marque de la fidélité de l'âme, c'est quand elle est entièrement
abandonnée à Dieu, qu'elle ne veut que Dieu et qu'elle se contente de lui. Mes
chères filles, quand sera-ce que je verrai vos cœurs ne chercher que Dieu, ne
vouloir que lui ? Mais c'est grand cas ; nous voulons et cherchons
tant de choses avec Dieu [466] que cela nous empêche de le trouver. Nous
voulons être aimées et estimées, et que l'on trouve bien ce que nous faisons. L'une
voudra une charge, l'autre une autre ; cela ne sert qu'à nous inquiéter et
troubler ; au lieu que si nous ne cherchions que Dieu, nous serions
toujours contentes et nous trouverions toutes choses en Lui.
Oui, une âme peut bien être tranquille parmi ses peines, car il arrive
souvent que, bien que tout soit en trouble en la partie inférieure, l'âme ne
laisse pas d'être soumise à la volonté de Dieu. On en voit qui souffrent de
grandes peines, en leur intérieur, et qui sont en même temps extrêmement douces
et suaves en leur conversation ; cela vient de ce qu'elles ont fait mourir
leur volonté en celle de Dieu. Mais celles qui ressentent vivement une petite
vétille, certes, celles-là n'ont pas pris soin de se mortifier ! Quel
remède à cela ? Il se faut bien tenir en la présence de Dieu, et le
regarder près de nous ; je ne sache rien qui retienne mieux dans le
devoir.
Pour ne point perdre la paix intérieure, il faut faire ce que dit notre
Bienheureux Père : Aller à Dieu sans réfléchir sur ce qui nous fait
peine.
Mais nous voulons toujours conter ce que l'on nous a dit, ce que l'on
nous a fait, qui est cause que nous avons failli, enfin, tant de choses
inutiles, et tout à fait contraires à la simplicité qui nous a tant été
recommandée par ce Bienheureux. C'est ce qui me fâche, que nous ne fassions
point notre profit de tant d'enseignements qu'il nous a laissés. Je connais un
homme séculier qui a le maniement de beaucoup d'affaires, qui toutefois se sert
des documents de notre Bienheureux Père avec grand profit. « Quand je
rencontre des difficultés, dit-il, je les jette de çà, de là ; si elles
sont trop grandes, je passe par-dessus. »
Mes chères filles, il faut faire ainsi : Vous avez un petit mal de
tête ou d'estomac, vous avez fait une lourdise, on vous a contrariée, ne vous
arrêtez pas à tout cela ; passez par-dessus ; et [467] allez à
Dieu, sans regarder votre mal. Mais je voudrais remarquer mon mal pour l'offrir
à Dieu. Cela est bon ; mais, en le lui offrant, ne faites pas tant de
regards sur icelui ; afin de l'agrandir et voir que vous avez bien raison
de vous plaindre. Oh ! certes, il faut être plus courageuses et
s'abandonner totalement à Dieu, ne voulant que Lui, et nous contentant de Lui
seul,
O Dieu ! que la simplicité est aimable ! Croyez, mes chères
filles, une âme qui est simple est aussi confiante en Dieu, elle n'a rien à
craindre. Hélas ! il semble parfois que tout est perdu et que tout se
renverse. Que ferait-on hors de cette confiance ? car c'est en ces
pressures de cœur qu'il faut espérer contre l'espérance, comme faisait Abraham,
et croire que Dieu y pourvoira ; lui ayant recommandé le tout, il faut
demeurer en paix, et ne cesser d'espérer en sa douce Providence.
L'amour de Dieu ne consiste pas aux goûts et sentiments, mais à faire,
à souffrir, et à se bien mortifier.
La mortification sans l'oraison est bien pénible, et l'oraison sans la
mortification est bien dangereuse. Il vaut mieux être fille de mortification
que d'oraison. Le moyen d'acquérir la mortification, c'est de se mortifier en
tout. Si nous étions bien fidèles, nous anéantirions tant de désirs, tant de
volontés, tant d'inclinations ; nous ne laisserions pas passer la moindre
occasion sans nous mortifier. Il faut avoir une résolution ferme et invariable
d'être tout à Dieu, un grand courage et une longue haleine, c'est-à-dire une
inviolable persévérance à se mortifier, et renoncer en tout à sa propre
volonté, sans jamais se relâcher ; car il est impossible d'être parfaite
sans cela. Nous nous arrêtons trop aux sentiments, et nous ne vivons pas assez
selon l'esprit et la raison.
Quand nous n'avons point de charges, comme de surveillante, coadjutrice
ou autres, qui nous obligent à prendre garde au bon ordre de la maison, et aux
manquements qui s'y font [468] contre l'observance, certes, nous ferions bien
de nous tenir tellement en nous-mêmes, que nous ne voyions ni sachions ce que
font les autres, approuvant et estimant tout, croyant que l'on a raison de
faire ceci ou cela. Pour moi, si je n'en avais aucune (de charge), je me
tiendrais si proche de Notre-Seigneur, que je ne saurais non plus, ce qui se
fait dans la maison, que si je n'y étais pas ; certes, il faudrait faire
ainsi.
C'est un grand secret, en la vie spirituelle, que de bien s'occuper en
Dieu. Quoiqu'on ait beaucoup de passions à combattre, il vaut mieux se tenir
attentive à Dieu, qu'à soi, car si vous vous occupez bien auprès de Dieu, vous
recevrez la lumière et la force pour vous défaire de vos passions. Celles qui
commencent et qui ne sont encore duites (formées) au recueillement et à la
mortification, difficilement pourraient-elles être occupées à caresser
Notre-Seigneur ; mais je leur conseille de travailler à se vaincre en le
regardant, car c'est le moyen d'être victorieuses.
Nous ne sommes pas assez généreuses ; quoi ! des religieuses
qui doivent faire profession d'une si grande perfection, avoir peur ?...
Mais de quoi avez-vous peur ? Nous ne vivons pas assez selon l'esprit de
la foi. Nous savons que rien n'arrive que par la permission de Dieu, qu'il a
soin de nous comme un père de ses enfants, et plus encore ; car le père et
la mère peuvent oublier leurs enfants, tandis que Dieu ne nous oubliera jamais.
Si nous vivions de cette vérité nous ne craindrions rien. Eh ! mon
Dieu ! nous sommes servantes de Notre-Seigneur, ne voulons-nous pas nous
abandonner tout à fait à Lui ? Oui, ma fille, je sais bien qu'en la partie
inférieure nous sommes toutes pleines de crainte, et que nous ne la saurions
éviter ; mais je sais bien aussi que nous pouvons être tranquilles et
assurées, regardant doucement la volonté de Dieu, qui permet que nous soyons à
cette heure pleines de trouble et de crainte.
Quand on fait de bonnes fautes, il s'en faut humilier et ne s'en point
troubler. Il y en a diverses : les unes sont naturelles, [469] les
autres viennent d'infirmité, et les autres d'orgueil. Pour les naturelles,
on ne peut pas sitôt s'en défaire ; car, par exemple : voilà une
Sœur qui est d'un naturel froid et lent ; il ne faut pas s'attendre
qu'elle en soit sitôt défaite ; elle sera toujours un peu sujette à cette
imperfection. Les fautes d’infirmités sont celles que l'on fait par
surprise, lourdise et par un prompt mouvement. Pour celles-là, elles sont
pardonnables, pourvu qu'on s’en humilie et qu'on soit bien aise que l'on
connaisse notre infirmité, et ensuite s'en aller promptement à Dieu, avec cette
affection et amour de notre abjection, et voir la volonté de Dieu, qui permet
ces chutes pour notre humiliation. Mais les fautes qui viennent d'orgueil, c'est
lorsque nous voulons couvrir nos défauts, ou qu'on se trouble quand les autres
les connaissent, ou qu'on s'excuse quand on nous en reprend, ne voulant pas
avouer qu'on a faibli ; c'est où se connaît le vrai orgueil.
Vous dites : si c'est mal fait de dire sa coulpe de quelque faute
que vous avez faite, crainte qu'on ne vous en avertisse ? O Dieu ! ma
chère fille, sont-ce là nos pratiques ? est-ce ainsi que nous aimons notre
abjection ? Cela est très-mal ; mais, le fait-on céans ? On n'en
dit point sa coulpe. Si j'entendais de ces coulpes-là, je priverais ces Sœurs
de la communion.
Je ne vois point que nous nous appliquions à la pratique des vraies
vertus, quoique nos Constitutions et nos Entretiens nous en marquent tant. Je
crois bien que nous faisons attention à quelques articles, comme de garder le
silence, d'aller à l'Office et au réfectoire. Mais, fait-on attention à ce qui
nous est marqué sur la simplicité, l'humilité, l'amour de notre abjection, la
mortification de nos sens et passions ? Celles qui s'excusent sur les
avertissements, qui font des répliques, qui sont sèches, qui manquent de
respect à l'endroit des Sœurs, celles-là ne manquent-elles pas à la règle,
aussi bien que celles qui rompraient le silence et n'iraient pas au chœur
lorsque la cloche les y appelle ? Il faut bien prendre garde de ne nous
attacher pas [470] seulement à l'écorce de nos règles, mais à la
pratique des solides vertus qui y sont marquées. Il y a plusieurs âmes qui se
sont perfectionnées et se perfectionnent tous les jours en suivant les avis qui
nous ont été donnés par notre Bienheureux Père. Nous, qui les avons entre les
mains, qui les lisons si souvent, qui les devons regarder comme le pain céleste
et la doctrine divine qui a été faite pour nous, et nous pour elle, faut-il
que, par lâcheté, elle manque d'opérer en nous ce qu'elle opère dans les
autres ? Mon Dieu, mes chères filles, redressons-nous, je vous prie ;
soyons saintes de la sainteté de notre Bienheureux Père, qui consiste en une
vraie humilité, en l'amour de notre bassesse et abjection, en la cordialité et
le respect les unes envers les autres ; car ce sont là les vertus que ce
Bienheureux a fidèlement pratiquées et qu'il nous a tant enseignées.
Enfin, mes chères filles, en vous disant à Dieu, je vous recommande
derechef cette union les unes envers les autres et que vous soyez très-humbles.
Je m'assure que vous ne m'oublierez pas dans vos prières.
(Fait à nos Sœurs d'Autun, en 1626)
SUR LE PUR AMOUR ET LES FRUITS QU'IL FAUT RETIRER DE LA
SAINTE COMMUNION, ETC.
Vous demandez, mes chères filles, en quoi consiste le pur amour de
Dieu ? Il consiste, non pas à connaître le bien, à en parler, ni à le
désirer, non plus qu'à ressentir de grandes consolations spirituelles, parce
que plusieurs personnes ont tout cela, et ne laissent pas d'être pleines de l'amour
d'elles-mêmes, [471] et vides de celui de Dieu ; mais le vrai et pur amour
consiste à faire tout ce qu'on connaît être des divines volontés et à bien
observer tout ce qu'on a voué et promis, chacun selon son état. Le pur amour ne
peut rien souffrir dans le cœur qu'il possède qui ne soit tout pour lui, et
l'âme qui en est vivement touchée, n'adhère plus à la nature.
Celles qui suivent beaucoup leur instinct naturel sont fort éloignées
de cette pureté d'amour, d'autant plus que la grâce et la nature, l'amour divin
et l'amour-propre, ne peuvent subsister ensemble dans un même cœur, il faut que
l'un ou l'autre périsse.
Vous demandez, comment on peut acquérir la défiance de soi-même et la
confiance en Dieu ?
Je réponds, ma fille, que c'est en en produisant souvent les actes, ne
nous reconnaissant que de purs néants, nous accoutumant à regarder, en tout ce
qui arrive, la volonté de Dieu, qui ne fait rien pour nous qui ne soit pour
notre bien. Nous devons tenir fort chères les occasions d'humiliations,
contradictions et sécheresses, ainsi que les abandons et répugnances qui sont
des moyens que Dieu nous donne, par un amour incomparable, pour nous enrichir
et avancer dans les voies de la perfection, si nous en faisons bon usage.
Nous devons veiller surtout à ne point perdre d'occasion de nous
anéantir, et embrasser notre abjection, devant être si fervente, en cet amour
du mépris, que nous ayons peine à nous empêcher de le désirer et rechercher.
Vous désirez savoir si l'on peut demander à Dieu la délivrance des
infirmités corporelles, pour le mieux servir ?
Je réponds que non, parce que la souffrance est plus agréable à Dieu
que le travail.
(Une Sœur lui demanda comment on doit se comporter parmi les grands
désirs qu'on sentait quelquefois de souffrir pour Dieu, dans le temps de
l’oraison.) [472]
Je vous dirai, ma chère fille, que quand Dieu donne de semblables
désirs, il se faut tenir prête pour embrasser tout ce qui s'offre, quelque
crucifiant qu'il soit, sans rien demander ni sans rien refuser, soit
consolation ou peine ; nous ne pouvons rien faire de plus agréable à Dieu
que de nous remettre et résigner entièrement à lui.
Vous me dites (sur une question qu'on lui fit au sujet de la sainte
Communion) que vous sentez quelquefois de si grandes froideurs pour Dieu et
la vertu que cela vous fait craindre d'en approcher. Nos chères Sœurs, en
pareilles occasions, il se faut infiniment humilier et recourir amoureusement à
la divine bonté, la suppliant d'avoir pitié de notre misère. Nous devons avoir
à tout moment un extrême désir de nous unir à Dieu par le divin sacrement de
nos Autels, pour la réception duquel la meilleure disposition consiste en la
pure intention que nous devons avoir de glorifier Dieu et nous unir à lui, et
non d'y recevoir des consolations, goûts et satisfactions.
Il faut encore venir à cette sainte Table avec un esprit de gratitude,
renouvelant nos bons propos pour la vertu, singulièrement pour la charité et
l'humilité, qui sont les fruits propres des communions bien faites ; et
quand nous nous trouverons en sécheresses, dans l'aridité et dans les plus
grandes dérélictions possibles, il faut, selon la partie supérieure, de l'âme,
en être aussi contente que de toutes les jouissances imaginables, Dieu nous
devant suffire pour toutes choses.
Mes chères filles, faites que toutes vos actions soient pour Dieu seul,
et qu'en toutes choses votre intention soit d'accomplir sa sainte volonté,
c'est là votre grande affaire, tout le reste vous doit être à mépris ; et
jamais le désir de rendre à Dieu ce que vous lui devez ne doit sortir, un seul
moment, de votre esprit et de votre cœur. [473]
(Fait à nos Sœurs de N., le 16 juillet 1635)
SUR LA PRUDENCE DANS LES COMMUNICATIONS DE CONSCIENCE, L'ASSIDUITÉ AUX EXERCICES DE LA
COMMUNAUTÉ, ET PLUSIEURS POINTS D'OBSERVANCE.
Sur les questions que vous me faites, mes chères filles, je vous
répondrais qu'il ne faut jamais parler, dans les communications que l'on fait
avec les Pères de religion, des peines que l'on peut avoir envers la
supérieure ; vous ne savez pas le tort que vous faites ayant recours au
dehors, par la communication. Se servir des Pères, c'est le moyen de faire
savoir aux autres monastères ce qui se fait au vôtre, d'autant que, passant
d'un lieu à l'autre, ils diront, non par malice, mais par liberté, ce qu'ils
savent par la communication qu'ils ont eue avec vous. S'il y a du bien, ils le
diront ; de même s'il y a du mal, et par là, on s'ôte bien souvent toute
la réputation. Je sais tout ce qui se passe dans nos maisons par ce moyen-là.
Vous dites qu'on pense que les Pères sont capables de tout. Quand on a
des oraisons extraordinaires, il faut savoir si elles sont bonnes ou mauvaises.
Là où il est besoin d'avoir un Père, c'est à la supérieure d'en pourvoir,
lorsqu'elle voit des esprits troublés, si elle le juge nécessaire.
Bienheureuses seront celles qui se contenteront de ce que leur Mère leur
dira ! elles seront les plus sages. Celles qui parlent beaucoup aux
hommes, et peu à Dieu, sont toujours en inquiétude.
Vous dites, ma fille, que l'on demande quelquefois d'aller faire
l'oraison au jardin, en se promenant, pour prendre un peu l'air ? Mes
chères filles, pour ce qui est de la communauté, il n'y faut faire aucune
brèche ; fait-on souvent cela ? Pourvu [474] qu'il n'arrive qu'une
fois en six ans, ce n'est pas trop. Si l'on a besoin d'air, pendant les
assemblées de la communauté, il faut attendre, après l'obéissance, pour en
aller prendre, en faisant son ouvrage ; mais, de sortir des communautés,
il ne le faut jamais faire que pour des absolues nécessités, et non pour de
légères incommodités.
Si une Sœur dit : J'ai mal à la tête... il lui faut dire :
Souffrez votre mal pour l'amour de Dieu ; si vous étiez en compagnie,
sortiriez-vous si légèrement ? Si vous faites cela pour le monde, pourquoi
ne le feriez-vous pas pour Dieu ? À Annecy, il y avait une Sœur fort
travaillée d'une colique et autres incommodités, qui demandait quelquefois
congé de sortir de table, pour se désennuyer et pour faire passer son mal. Je
le dis à notre Bienheureux Père, qui me dit : « Ma fille, nous devons
souffrir notre mal, partout où nous nous trouvons : la bonne Sœur est
assise, qu'elle s'appuie ; elle est avec ses Sœurs, et entend la lecture
qui la peut consoler. » Si on me demande de sortir une fois de la communauté,
je le permets ; si on me demande une seconde fois, cela m'est
ennuyeux ; mais la troisième fois, cela m'est insupportable. — À moins que
l'on n'ait des dévoiements d'estomac, car, en ce cas, cela est nécessaire. On
prend, des deux noms que l'on a, celui que l'on veut pour communier à la fête
du Saint ou Sainte que l'on a choisi, et l'on s'y tient toujours.
À Annecy, on ne donne pas la communion, les petites fêtes, aux Sœurs
Tourières, ni le jeudi. La supérieure la leur peut donner les jeudis de Carême,
si elle le juge à propos.
La supérieure ne fait pas la mortification de manger par aumône, ni de
manger à terre.
Les Sœurs de la seconde table se doivent desservir avant de s'en aller.
Quand la fête de saint Michel se trouve le vendredi, l'on jeûne le
samedi, comme dit la règle. [475]
(Faits à nos Sœurs du premier monastère de Paris)
(En 1022, avant de quitter le monastère, la Sainte écrivit
les lignes suivantes dans le Livre des Vœux :)
Mes très-chères Sœurs et filles bien-aimées, selon le désir de ma toute
chère Sœur Hélène-Angélique (Lhuillier), et l'affection incomparable que Dieu
m'a donnée pour vous, je vais vous dire, en abrégé, trois ou quatre maximes que
notre Bienheureux Père nous a recommandées.
La première, que nous fussions totalement dépendantes de la divine
Providence et de l'obéissance, recevant de sa part tout ce qui nous arrivera,
comme chose voulue de Dieu et disposée pour notre bien, si nous en faisons bon
usage.
La deuxième, l'humilité de cœur, qui nous fasse aimer et supporter nos
Sœurs très-cordialement, et tous les prochains.
La troisième, que le Bienheureux nous désirait singulièrement, la
simplicité et pauvreté de vie, dans l'exacte observance.
La quatrième et dernière, la sainte liberté d'esprit des vrais enfants
de Dieu, qui consiste à faire gaiement, fidèlement et de bon cœur, tout ce à
quoi notre condition chrétienne et religieuse nous oblige ; mais avec
cette condition, que lorsque l'obéissance, la charité ou la nécessité le
requerront, notre cœur se trouve toujours dégagé de tout, pour suivre la
volonté de Dieu, reconnue par l'un de ces trois moyens. [476]
Cette pratique vous affranchira des surprises de la fausse liberté, qui
nous fait suivre nos inclinations naturelles, au préjudice de la vertu et de
l'observance ; Dieu nous en garde.
Vivez donc humblement et simplement, mes très-chères filles, selon la
lumière des saintes instructions dont notre Institut est tout rempli, et
demeurez en la sainte paix de Notre-Seigneur, n'ayant qu'un cœur et qu'une âme
en lui. Je supplie sa Bonté de vous bénir de sa grâce, et me tenir au souvenir
de vos prières et de votre chère amitié ; vous assurant que je vous
emporte toutes dans mon cœur, comme mes Sœurs très-chéries et mes filles
cordialement et tendrement aimées, en Notre-Seigneur.
Sœur Jeanne-Françoise
Frémyot
(En une autre visite, cette sainte Mère dit les
paroles suivantes :)
Concevez bien, mes filles, que l'esprit de l'Institut est un esprit
sincère, droit et épuré, qui ne cherche que Dieu, et qui tend continuellement à
son union, indépendamment de tout, excepté du divin bon plaisir ; qui
s'élève au-dessus de soi-même, pour n'aimer que Lui, sans avoir désir d'être
aimée et estimée, ni qu'on suive nos inclinations ; cela serait indigne
des âmes si chéries de Dieu et qui le goûtent dans l'oraison ; car la vie
religieuse nous oblige de tendre à la plus haute perfection. Ne perdons jamais
la vue de l'éternité ; car, comme m'a dit souvent Monseigneur de
Genève : Les fautes de nos filles viennent de ce quelles n'y pensent
point et n'en parlent point assez.
Dans l'oraison, nous nous plaisons en Dieu ; et, dans la
mortification, Dieu se plaît en nous. Soyez petites, mes très-chères Sœurs,
aimez à être inconnues et abjectes : soyez obéissantes, douces et
condescendantes ; que votre lâcheté ne mette point d'obstacles aux
desseins que Dieu a de vous sanctifier [477] hautement. Souvenez-vous qu'en
vous établissant, il a prétendu avoir des filles très-humbles et très-petites
en son Église.
En un autre entretien, la Sainte a dit :
J'aime et chéris plus que jamais la petitesse et bassesse (ce
qu'elle disait avec un si profond sentiment d'humilité, qu'il semblait qu'elle
se voulait toute abîmer dans le néant. Rien ne lui était plus pénible comme de
souffrir les louanges. Une fois, entendant quelques paroles d'estime que les
Sœurs disaient à son sujet, elle dit tout bas à notre chère Sœur
Hélène-Angélique :) Mon Dieu, ma fille, si vous saviez combien
cela me fait de peine ! Puis elle répéta : C'est notre esprit
propre que l'amour à la petitesse et bassesse, en ne se produisant point pour
faire les choses dont on n'a point de charge, et n'évitant point aussi celles
où l'obéissance désire nous employer. La véritable pauvreté d'esprit consiste à
n'avoir, et à ne vouloir que Dieu seul, sans se réserver aucune autre chose.
Nous devons être des filles dépendantes de la divine Providence,
recevant toutes sortes d'événements de son amoureuse main.
Lorsqu'on regarde les occasions de peines et contradictions en
elles-mêmes, c'est faire, sans comparaison, comme les chiens qui mordent la
pierre, sans regarder le bras qui la leur a lancée, et c'est empêcher les
desseins de Dieu sur nous, qui sont de nous faire pratiquer la douceur de cœur
et mille autres vertus dans cette contradiction qu'il permet exprès par amour.
Celles qui sont fidèles jusqu'aux moindres choses de l'observance, ont beaucoup
à espérer et rien à craindre.
Si une Sœur nous dit quelque parole qui témoigne ne pas estimer quelque
légère ordonnance, pour être peu de chose, il lui faut répondre bien
cordialement : Ma chère Sœur, [478] Notre-Seigneur dit que, si nous ne
sommes faits comme petits enfants, nous n'entrerons pas au royaume des cieux.
(Une autre fois, la Sainte recommanda surtout l'union des
cœurs et la conformité de vie, dans une parfaite observance.)
... Ah ! mes chères Sœurs,
notre bien-aimée Visitation est un petit royaume de charité ; si l'union
et sainte dilection n'y fait son règne, il sera bientôt divisé, et par
conséquent désolé perdant son lustre que toutes les inventions de la prudence
humaine ne lui sauraient redonner, parce qu'étant destituées de charité, elles
ne sont que superficie et apparence au dehors vides de substance et de
véritable solidité, malheur que notre Bienheureux Père disait n'être pas
capable de souffrir ; et, moi mes chères filles, je donnerais mille cœurs
et mille vies pour l'éviter, et perpétuer cette sainte et agréable union, qui
s'est pratiquée avec tant de bonheur, de suavité, et de sainte déférence
jusqu'à présent. Prions donc toutes ensemble l'Esprit d'amour, unisseur des
cœurs, qu'il nous accorde cette étroite et amoureuse liaison à Dieu, par une
totale dépendance de notre volonté à la sienne : entre nous, par une
parfaite dilection et réciproque union de cœur et d'esprit ; à notre petit
Institut, par une mutuelle et ponctuelle conformité de vie et d'affection, sans
qu'il soit jamais parlé entre nous de tien et de mien, nous
employant aimablement les unes pour les autres, à la plus grande gloire de Dieu
et utilité de chaque monastère.
(Puis elle répéta plusieurs fois ces paroles :) Croyez,
mes chères Sœurs, que ce moyen de charité, amitié, et réciproque bienveillance,
est plus fort, plus doux, et plus indissoluble que nulle subordination qui
porte obligation de contrainte, si la même charité ne les anime ; et, si
elle y règne, tous ces moyens ne servent qu'à nuire à la sainte liberté des
enfants de Dieu ; non pas que je veuille dire une liberté qui suit sa
propre [479] volonté, car elle n'est pas celle des enfants de Dieu ; mais
j'entends la liberté qui s'unit à la divine volonté, librement, suavement, et,
s'il faut user de ce terme, passionnément, parce que c'est le bon
plaisir de Celui pour lequel et auquel notre unique contentement est de plaire.
(Le 11 novembre 1641, avant
de quitter le monastère pour la dernière fois, la Sainte, après avoir
fait lire dans le Livre des Vœux ce qu'elle-même y avait écrit en 1622, ajouta :)
Voilà, mes chères Sœurs, les choses qui m'ont semblé plus
importantes ; mais, pour dire quelque chose de plus particulier, ce que je
vois d'ordinaire de plus nécessaire, c'est la vertu d'obéissance, car, pour
l'obéissance, il faut qu'elle subsiste et elle subsistera ; mais, pour la
vertu qui nous rend dépendantes de la souveraine Providence, et qui fait que
nous ne regardons que Dieu en ceux qui nous conduisent, c'est ce qui manque
bien souvent, et l'on verra, quelque jour, bien des obéissances vides devant
Dieu. C'est pourquoi, mes Sœurs, rendez votre obéissance solide et véritable,
ne regardant que Dieu.
Quand une supérieure serait jeune, sans expérience, brusque et
semblables, ce qui n'est pas, grâce à Dieu, il lui faudrait obéir aussi
parfaitement qu'à une autre. Au contraire, quand une supérieure serait la plus
aimée, la plus aimante, la plus parfaite, une sainte, si vous voulez ; si
c'est à cause de ses bonnes qualités que vous lui obéissez, je vous dis que
votre obéissance est vide devant Dieu, et que vous sortez de sa conduite. Ce
n'est pas moi qui le dis, c'est notre Bienheureux Père en ses Entretiens. Je
vous exhorte de les lire bien attentivement, surtout celui de l'obéissance. Je
vous prie, mes Sœurs, quelle obéissance serait-ce d'obéir à l'une et non pas à
l'autre ? À qui avez-vous fait votre vœu d'obéissance ? Ce n'est pas
à Monseigneur l'archevêque et à ceux qui lui succéderont ; ce n'est pas
[480] à moi, qui ai été votre première supérieure, ni aux supérieures
subséquentes que vous aurez ; c'est à Dieu, que vous devez regarder
également dans toutes. C'est pourquoi, bien que l'on doive grand respect,
humilité et déférence à la Mère déposée nous en devons, je ne dis pas
également, mais incomparablement plus à la nouvelle Mère, contournant notre
cœur et notre affection à celle que nous avons présentement.
La deuxième chose que j'avais à vous dire, et que je trouve bien
considérable, c'est ce que notre Bienheureux Père dit dans la constitution du
compte de tous les mois : les paroles de cette constitution sont si
pleines, et nous montrent si bien la sincérité et candeur avec laquelle nous
devons nous découvrir à la supérieure, qu'il n'y a rien à ajouter, que la.
pratique. Notre Bienheureux Père n'a mis la béatitude qu'à cette constitution
seule, bien qu'elle soit à toutes les autres. Bienheureuses, dit-il, seront
celles qui pratiqueront naïvement et dévotement cette constitution ; étant
bien observée, elle remplira le paradis d'âmes. Que si ces paroles sont si
expresses pour la reddition de compte, à plus forte raison pour la confession,
qui est un si grand et si saint sacrement, où nous recevons la rémission de nos
péchés et où le mérite du sang d'un Dieu nous est appliqué. Mes Sœurs, c'est un
si grand sacrement, qu'il ne m'appartient pas d'en parler ; mais je
supplie nos Sœurs les supérieures de faire faire de temps en temps des
entretiens à leurs filles, pour leur apprendre avec quelle humilité, simplicité,
candeur, clarté, et révérence, et crainte de faillir, elles se doivent
approcher d'un si grand sacrement. J'ai fait faire un petit recueil de ce que
notre Bienheureux Père a dit de la confession. Cela était dans les Entretiens
et n'a pas été imprimé, je ne sais pourquoi ; mais, puisqu'il est sorti de
son esprit, je désire qu'il entre dans les nôtres.
La troisième chose que je vous souhaite, c'est la sainte union ;
gardons-nous bien de jamais dire une seule parole, [481] même petite, qui
puisse tant soit peu causer de désunion des Sœurs avec la supérieure, ou des
unes envers les autres, ni amoindrir l'estime réciproque ni de tous les
prochains. Et, quand on en a dit, il s'en faut dédire et réparer ce
manquement ; car, si les personnes du monde sont obligées de restituer, et
si elles n'entrent point en paradis qu'elles n'aient payé jusqu'au dernier sol
du bien mal acquis, à plus forte raison sommes-nous obligées de restituer
l'honneur, qui est bien plus précieux et considérable que les biens temporels.
Je vous prie, mes Sœurs, prenez garde à ceci ; ne parlez jamais du
prochain qu'avec estime : « C'est l'arbre de science auquel il
ne nous est point permis de toucher », disait notre saint Fondateur.
(En sortant, la Sainte ajouta :) À Dieu, mes chères
filles, je vous emporte toutes dans mon cœur, et cela est vrai. Demeurez
toujours dans une sainte union les unes envers les autres, et conservez ce que
Dieu vous a donné, par une exacte observance.
Je prie sa sainte Mère qu'elle soit votre vraie Mère et Directrice.
(Fait à nos Sœurs de Nevers, en novembre 1641)
SUR TROIS VERTUS FONDAMENTALES : L’OBÉISSANCE, L'HUMILITÉ, ET LA DÉPENDANCE DE DIEU.
(Le 21, jour de la Présentation, la Sainte, après avoir
renouvelé ses vœux, écrivit sur le Livre du Couvent les lignes suivantes :)
Notre Bienheureux Père disait que, sur toutes les vertus, il [482] aimait
singulièrement et nous désirait l'humilité et la douceur de cœur, la simplicité
et pauvreté de vie dans l'exacte observance : ce qui contient ce que nous
pouvons désirer pour nous unir à Dieu et nous acheminera la bienheureuse
éternité. Puisque c'est la voie que la céleste Providence nous a marquée pour y
parvenir, marchons-y, mes très-chères filles, humblement, amoureusement et
gaiement ; je vous en conjure par les entrailles de la divine miséricorde,
par la pureté de la très-sainte Vierge, et par les devoirs que nous avons à
notre Bienheureux Père. Je vous laisse en la protection de notre bon Dieu, que
je supplie vous bénir. Je vous dis à Dieu, mes très-chères Sœurs. Mes chères
Enfants, je vous emporte toutes dans mon cœur. Demeurez dans la paix de
Notre-Seigneur, en parfaite dilection et unité d'esprit entre vous et votre
bonne Mère ; ne m'oubliez jamais devant Dieu ; mais impétrez de sa miséricorde
que je vive et meure en sa grâce et au parfait accomplissement de sa volonté.
Sœur Jeanne-Françoise
Frémyot.
(Le jour de saint, André, cette sainte Mère fit un long entretien à
la communauté sur le bonheur des souffrances, et y ajouta ces paroles :)
Mes très-chères filles, je ne suis pas grande prédicatrice, comme vous
savez, je ne sais presque point parler qu'en répondant, je veux pourtant vous
dire deux petits mots sur trois choses que je désirerais être pratiquées par
toutes les filles de la Visitation.
La première, c'est l'obéissance, qui est vraiment la propre vertu des
âmes religieuses. Mes très-chères Sœurs, vous la devez rendre entière à tous
vos saints règlements ; en les suivant, vous êtes assurées d'être dans la
bonne voie et d'accomplir la volonté de Dieu. Qui néglige sa voie sera tué, disent
nos saintes règles ; aimons-les, ces saintes règles, et les pressons trois
fois [483] le jour sur nos poitrines, ainsi que disait le Bienheureux.
Rendons-leur nos obéissances avec beaucoup de respect, comme aux desseins que
la Providence a sur nous ; soumettons amoureusement nos esprits à cette
sainte conduite, soyons-y invariables et fermes, en sorte que rien ne nous
puisse ébranler ; le bien que nous ferons, faisons-le parce qu'il est
marqué dans nos règles ; le mal que nous éviterons, il le faut éviter
parce que nos règles nous le défendent. Mais surtout, mes chères Sœurs, je vous
prie, ne permettez pas que la raison humaine se mêle de vos affaires, elle
gâterait tout. C'est ce que j'appréhende ; que le sens humain ne
s'introduise à la place de nos saints règlements, et que nous fassions les
choses parce que nous avons conçu qu'il les faut faire ainsi, et qu'elles sont
conformes à notre jugement et à notre raison, ce qui nous éloignerait fort de
la pureté de l'obéissance, laquelle, pour être parfaite, doit être rendue sans
autre considération que celle d'obéir à la volonté de Dieu, qui nous est
signifiée dans nos observances.
Voyez-vous, mes chères filles, pour bien obéir, il ne faut pas
s'appliquer l'obéissance, mais il faut se laisser appliquer l'obéissance, par
exemple : si vous observez votre règle, parce qu'elle vous est agréable et
conforme à votre sens et à votre jugement, vous vous appliquez
l'obéissance ; mais si vous l'observez, parce que Dieu le veut et
l'ordonne ainsi, sans avoir égard à ce que votre raison vous dicte, vous vous
laissez appliquer l'obéissance. Je ne voudrais pas même que, dans les
différentes affaires que nous traitons, l'on apportât d'autres raisons,
sinon : Nos règlements disent une telle chose ; et, quoique nos
raisons soient conformes à nos règlements, il ne les faut pas alléguer, mais
toujours : nos règles, notre Coutumier. Voilà donc le premier point de
l'obéissance.
Le second est d'obéir à la règle vivante et parlante, je veux dire à la
supérieure ; mais savez-vous, mes chères Sœurs, comme il lui faut
obéir ? comme à Dieu même. Si vous ne [484] regardez Dieu en sa personne,
quelque obéissance que vous lui puissiez rendre, je n'en fais point
d'état ; c'est une obéissance humaine, et non une obéissance religieuse,
qui ne doit avoir que Dieu pour fondement. Quand nos obéissances seront
établies là-dessus, toutes sortes de supérieures nous seront bonnes :
prenez donc garde, mes Sœurs, je vous prie, de ne pas obéir à vos supérieures à
cause des conditions naturelles, parce qu'elles sont agréables, de bonne mine,
fort intelligentes, fort estimées, ni même parce qu'elles sont
vertueuses ; il faut purifier vos intentions et ne regarder qu'à
Dieu ; autrement vos obéissances seront purement humaines et se trouveront
vides à l'heure de la mort. N'obéissez jamais à vos supérieures parce que vous
leur avez de l'inclination ; c'est un point où il est dangereux de chopper
dans la religion ; il faut obéir d'aussi bon cœur quand nous avons des
supérieures maussades, de mauvaise grâce, qu'à celles qui nous sont bien
agréables. Nous devrions souhaiter, mes Sœurs, d'avoir des supérieures qui
bouleversassent et renversassent toutes nos inclinations. Quand on nous
commande quelque chose à quoi nous avons bien de l'inclination, nous sommes les
plus braves enfants du monde, nous obéissons de si bon cœur ; mais, quand
les choses nous répugnent, nous nous ennuyons et témoignons bien par là que
nous n'obéissons pas pour Dieu.
(Une Sœur demandant si une aide est obligée d'obéir à son officière,
elle en eut cette réponse :) Qui en doute ? et, si elle y
manque, c'est matière de confession ; et, de même, les malades, si elles
n'obéissent à l'infirmière, elles s'en doivent confesser.
Mes chères filles, nous nous sommes embarquées volontairement dans le
grand vaisseau de la sainte obéissance, il faut voguer au gré de la sainte et
divine volonté, qui doit être le seul fondement de notre soumission. Il faut
bien aimer nos supérieures, mais il leur faut porter un grand respect,
regardant Dieu en elles ; si nous faisons cela, mes très-chères filles,
nos [485] obéissances seront toutes divinisées, ce ne sera plus à une créature
que nous obéirons, mais à Dieu. Que de joie à nos cœurs de pouvoir dire à
l'heure de la mort : Je vous ai rendu toutes mes obéissances. Vous savez,
mes Sœurs, que ce divin Maître a dit, parlant des supérieurs : Qui vous
écoute, m'écoute ; qui vous méprise, me méprise ; faites ce qu'ils
disent et non pas ce qu'ils font. Non, jamais il ne faut regarder si la
supérieure est vertueuse ou imparfaite, parce que ce n'est pas sur cela que
doit rouler notre obéissance. Voilà, mes chères Sœurs, ce que j'avais à vous
dire de cette vertu. N'y a-t-il point de difficulté ?
(Une sœur demanda s'il ne faudrait pas rejeter la complaisance qui
nous viendrait, si l'on nous commandait des choses qui nous fussent
agréables ?) — Oui, certes, mes chères filles, car la complaisance ôte
bien souvent le prix de nos obéissances ; il faut de même rejeter la
répugnance que nous y sentons, et nos obéissances n'en valent pas moins ;
au contraire, un acte fait avec répugnance est plus agréable à Dieu que cent
faits avec suavité.
(Si l'on avait répugnance à quelque charge, répliqua une Sœur, serait-il
mieux de n'en rien dire, pour donner plus de liberté à la supérieure de nous la
laisser tant qu'il lui plaira ?) — Cela est bien pur, ma
fille ; mais il faut dire le bien et le mal à la supérieure sans ce
préambule : Ma Mère, encore que j'aie de la répugnance, ne laissez pas de
m'y laisser, je supplie Votre Charité de prendre la confiance de m'exercer, et
semblables belles paroles qui satisfont notre amour-propre, lequel se glisse
imperceptiblement dans nos meilleures actions ; c'est un petit renardeau
qui vient démolir la vigne de notre intérieur ; il lui faut couper chemin
dès que nous l'apercevons. Les âmes religieuses ne sont pas tentées de faire de
gros péchés, cela est trop grossier ; mais un peu de propre volonté,
quelques petites désobéissances, etc. ; prenons-y garde, mes Sœurs, et
sachez [486] que la religion ne saurait non plus subsister sans obéissance,
qu'un corps, sans âme.
La deuxième chose que je désire à toutes nos Sœurs, c'est une profonde
humilité, qui ne cherche point l'éclat, ni rien qui paraisse aux yeux du monde.
J'appréhende que l'esprit de vanité ne s'introduise céans, et que vous ne
preniez de la complaisance d'avoir une belle église, de beaux ornements, un
beau portail.
(La Mère Marie Suzanne lui dit que ce serait sujet de son abjection,
puisqu’en cela elle avait contrevenu aux intentions de notre Bienheureux Père
et aux siennes, et que cela servirait seulement à humilier.)
C'est, (répondit la Sainte,) ce qu'il faut faire, mes Sœurs, si vous
voulez être filles de notre Bienheureux Père, qui aimait si fort la petitesse,
la simplicité, la pauvreté, qu'il n'eut jamais de maison à lui ; et,
quelquefois, quand il revenait de quelque part, et qu'on le faisait attendre à
la porte, il demeurait tout anéanti, comme un pauvre qui demande le couvert par
charité ; ses paroles et son maintien étaient très-humbles et
rabaissés ; il disait souvent : J'aime la pauvreté et simplicité
de vie ; aussi ce Bienheureux a-t-il caché sous les larges feuilles de
son abjection tant de grandes et rares vertus, qui le rendent recommandable.
O Dieu, mes chères Sœurs, que n'ai-je un dard enflammé pour jeter dans
vos cœurs l'amour à l'humilité ! ayez toujours devant les yeux ce point de
votre Directoire, où il est dit : Dieu voit volontiers ce qui est
méprisé, et la bassesse agréée lui est toujours fort agréable.
Tout ce qui est dans ce béni Coutumier est sorti de la bouche de notre
Bienheureux Père ; il voulait, ce Bienheureux, que nous fussions dans
l'Église de Dieu comme de petites violettes, sans éclat, sans apparence
extérieure, mais toutes ramassées dans nos saintes observances. Mon Dieu !
mes Sœurs, qu'elles sont aimables et qu'elles nous rendront de bonne odeur à
Dieu [487] et aux hommes ! Elles nous mettent tout à fait dans la pratique
de cette sacrée leçon de Notre-Seigneur : Apprenez de moi que je suis
doux et humble de cœur ; et, encore, ce divin Maître voulait que nous
fussions faites comme petits enfants ; pour cela, mes Sœurs, il faut être
bien humbles et bien petites.
Il faut maintenant dire un mot de cette absolue dépendance que nous
devons avoir de Dieu. Nos Sœurs, que cette pratique est sainte et capable de
vous faire faire de grands progrès dans la vertu, savoir que cette grande
Providence de Dieu ordonne toutes choses, qu'elle voit tout, et qu'elle fait
tout pour noire bien ! N'est-il pas vrai, mes Sœurs, qu'il s'y faut
abandonner sans réserve ? Vous avez tout bien fait avec sagesse, disait
David. Oui, puisque ce grand Dieu ne dédaigne pas d'employer sa sagesse à la
conduite d'une pauvre petite créature, pourquoi donc, mes Sœurs, prendrions-nous
encore des soins superflus de nous-mêmes ? Une âme bien abandonnée à la
divine Providence ne veut que Dieu, ne s'attache qu'à Dieu ; elle est
inébranlable dans tous les événements, enfin elle est à Dieu.
C'était la chère vertu de notre Bienheureux Père, que cet abandonnement
total et cette dépendance parfaite du bon plaisir de Dieu. Les trois dernières
années de sa vie, il répétait sans cesse ces chères paroles : Ne
demandez rien et ne refusez rien. Et nos Sœurs de Lyon lui demandant ce
qu'il désirait qui demeurât le plus gravé dans leurs esprits, il leur dit que
tout était compris dans ces deux mots : Ne demandez rien et ne refusez
rien. Cette sentence est écrite en plus de trente endroits à Annecy. Il me
semble, mes Sœurs, que rien ne nous met dans un plus parfait dénûment, et dans
une plus grande dépendance de Dieu, que la pratique de ces deux mots : Ne
demandez rien et ne refusez rien. Il faut s'attacher à cela dans les plus
petites occurrences : sommes-nous à l'infirmerie, où l'on [488] ne nous servira
peut-être pas à notre gré, où l'on nous baillera un bouillon salé, amer, ou
quelque autre chose qui ne sera pas à notre goût ? Faisons profit de ces
petites rencontres acceptons-les de la main de Dieu, qui nous envoie cette
mortification pour notre plus grand bien. Mon Dieu ! que nous amasserions
de richesses spirituelles par la fidélité à cette pratique ! Je me
souviens d'une parole de mon père (le président Frémyot), lorsque je fus
prendre congé de lui pour ma retraite ; après quelques mots de tendresse,
il leva les yeux au ciel et dit : « Il ne m'appartient pas, Ô
Seigneur, de pénétrer les secrets de votre adorable Providence ; qu'il
soit fait de cette fille selon vos desseins éternels. » C'était une parole
vraiment chrétienne que celle-là !
(Ma Mère, interrompit une Sœur, n'est-il pas permis de penser
que les choses qui nous arrivent ont été ménagées par les créatures ?)
— Ma fille, c'est une ignorance ; les créatures ne font rien dans nos
affaires, sinon autant que Dieu le permet.
(On ajouta : Serait-il loisible de s'offrir à la supérieure
pour faire quelque action pénible, lorsqu'on la voit en peine de trouver
quelqu'une pour y employer ?) — Savez-vous, mes Sœurs, comme je
m'offrirais dans cette occasion ? je dirais simplement : Ma Mère, me
voici, et puis attendrais son ordonnance, ainsi que faisait un prophète. Dieu
lui ayant fait voir qu'il avait besoin de quelqu'un pour une action importante,
il ne lui dit pas : Seigneur, où vous plaît-il que j'aille ? mais
il lui dit : Seigneur, me voici. Cette façon de s'offrir est bonne
et ne contrevient pas à l'indifférence.
(On lui demanda encore : Serait-il permis à une fille de
désirer d’être employée à des choses quelle estime servir à son repos ?)
— Mes Sœurs, il ne nous est pas permis de faire cette distinction ; il
ne faut rien désirer ni rien refuser.
(La directrice souhaitant savoir s'il fallait mettre les filles, dès
leur entrée en religion, dans cette voie d'indifférence et [489]
d'abandonnement, la Sainte répondit :) Ma fille, voyez votre
Directoire ; s'il vous marque ces pratiques, il s'y faut attacher
fortement, et à toutes nos saintes observances ; elles ont été toutes
dressées par notre Bienheureux Père, qui est un docteur approuvé de tout le
monde ; on voit que toutes les personnes qui font profession de piété
prennent l'esprit de ce Bienheureux, dont nous avons reçu les prémices. Pourvu
qu'un livre porte son nom, il est bien reçu d'un chacun. Quel amour devons-nous
avoir pour ses Écrits, nous qui sommes ses filles ! Ce doit être notre
pâture et nourriture ; aimons-les, mes chères filles, et je vous dis,
derechef, aimons la pauvreté et simplicité de vie.
Mes chères filles, je vous conjure de vivre toutes en la dilection de
notre bon Sauveur et de vous aimer cordialement en lui ; qu'il soit
lui-même le lien sacré de notre union. Honorez-vous les unes les autres, ainsi
que disent nos saintes règles, comme le temple de Dieu, et, si vous
faites cela, mes chères filles, votre union sera toute divine ; vous
honorerez Dieu en vos Sœurs, et vous honorerez vos Sœurs en Dieu. Vivez toutes
unanimement et conformément, n'ayant qu'une âme et un cœur en Dieu. Priez-le
pour moi, mes chères filles ; je vous aime toutes et vous connais
toutes ; il me semble que je vous laisse en la grâce de Dieu ; je
prie sa Bonté de vous y maintenir et de vous donner sa sainte bénédiction.
Ne vous départez jamais de nos saintes observances.
À Dieu encore une fois, mes très-chères Sœurs ; je ne sais si nous
nous reverrons encore en cette vie ; il faut tout laisser à la divine
Providence ; si ce n'est en ce monde, ce sera en la sainte éternité. Je
vous visiterai souvent et vous verrai des yeux de l'esprit. Je ne sais ce que
veut dire cela, mais je vous connais toutes très-bien. [490]
SUR LA DÉVOTION À NOTRE BIENHEUREUX PÈRE.
Mon Dieu ! mes chères filles, à la vérité je ne trouve pas que
nous soyons assez dévotes à notre Bienheureux Père. Nous devrions être autour
de lui comme des enfants autour de leur nourrice, nous adressant librement,
avec une singulière confiance, à lui, en tous nos besoins et nécessités. Quand
il était sur la terre, quel amour n'avait-il pas pour nous autres ! quel
désir de notre perfection et avancement ! que n'a-t-il pas fait pour
contribuer à cela ! combien suavement excitait-il nos cœurs ! combien
de saints documents nous a-t-il donnés ! Mais il disait : Je ne
puis pas donner la perfection ; il faut travailler de son coté et
correspondre à la grâce. Or, il n'y a point de doute que maintenant il nous
aide encore du ciel, où son crédit est si grand. Il voit nos nécessités en
Dieu ; et, partant, il nous impétrera, de sa bonté, les grâces qui nous
seront requises pour faire notre devoir, si nous avons notre recours et pleine
confiance en lui. Il dit une fois en un sermon, que la Sainte-Vierge avait dit aux
noces de Cana : Faites ce que mon Fils vous dira... nous montrant
par là que nous ne la saurions plus honorer qu'en faisant ce que son sacré Fils
nous a dit. Et moi, je vous dis, mes chères filles, voulons-nous bien honorer
et contenter notre Bienheureux Père et Fondateur, faisons ce qu'il nous a
dit ; imitons-le, et pratiquons au pied de la lettre les saints documents
qu'il nous a laissés, et je vous assure que si nous le faisons, nous
accroîtrons sa gloire accidentelle, et il nous assistera à parvenir là où il
est, en cette félicité, où nous aspirons toutes. Si nous prenions seulement
tous les mois un de ses Entretiens, de la Condescendance, de l’Obéissance,
de la Cordialité et des [491] autres, pour faire particulière
attention à la pratique, avec une fidélité extrême et remarquable ; dans
peu de temps nous serions parfaites.
Ce Bienheureux disait que les filles de cette maison d'Annecy
doivent faire conscience de tout. Certes, elles sont mises comme les gardes
et gardiennes de tout l'Institut. Tous les monastères doivent avoir leur
recours ici, en leurs doutes, et ès choses de l'observance. Si donc tout n'est
pas pratiqué céans au pied de la lettre, que sera-ce ? Oh Dieu ! ce
serait une grande honte si les filles de Nessy n'étaient telles qu'elles doivent
être, et qu'elles se laissassent devancer par les autres, ayant été prévenues
de tant et tant de bénédictions, ayant eu la grâce et le bonheur d'avoir douze
ans de suite, pour directeur, leur Fondateur et Instituteur, à la vérité cette
faveur est nonpareille !... Elles la doivent bien reconnaître et accroître
la gloire accidentelle de ce Bienheureux, ce qu'elles peuvent faire en
s'avançant en la perfection, par la fidélité qu'elles doivent avoir à l'imiter
et à pratiquer les saints documents qu'il nous a laissés.
Pour Dieu, mes Sœurs, ayons, ayons un peu de ces grandes vertus
d'abandonnement et dépendance ; cette obéissance établie en une parfaite
abnégation de sa propre volonté, cette pauvreté dépouillée de toutes choses,
cette pureté angélique !... O Dieu ! qu'il y a du chemin à faire
d'ici là ! Nous sommes de bonnes filles, mais nous dépendons tant de nos
inclinations que c'est pitié ! Nous ne faisons pas de fautes de grande
importance, grâce à Notre-Seigneur. Je n'en vois pas une qui veuille nourrir aucune
de ses imperfections, qui n'ait la volonté bonne pour travailler à son
avancement. Je ne me soucie pas de voir commettre des fautes ; pourvu
qu'on se relève avec générosité et confiance en Dieu, et qu'on en tire
l'humilité, cela n'empêche pas qu'on ne soit vertueuse et parfaite. Faire des
fautes et des péchés véniels, les Saints en ont fait, et ne laissent pas d'être
Saints. Le juste tombe sept fois le jour et se relève, dit l'Écriture. [492] Notre
Bienheureux Père dit que nous faisons bien des fautes que nous ne connaissons
pas, mais que nous nous relevons aussi quelquefois sans nous en apercevoir.
Il y a plusieurs âmes qui se sont perfectionnées et se perfectionnent
tous les jours en suivant les avis qui nous ont été donnés par ce
Bienheureux ; et nous qui les avons, qui les lisons si souvent, qui devons
avoir tant d'affection à les méditer, qui les devons regarder comme le pain
céleste, et la doctrine divine qui a été faite pour nous, et nous pour elle,
faudra-t-il que, par notre lâcheté, elle manque d'opérer en nous les effets
qu'elle opère dans les autres ? Mon Dieu ! mes chères filles,
serait-il bien possible que, par trop d'infidélité, nous nous privassions des
bénédictions que les autres reçoivent par la lecture et pratique de ces saints
enseignements ? Il est vrai, mes chères filles, que ce Bienheureux a pris
cet Institut sous sa spéciale protection, comme en étant l'Instituteur, et tout
particulièrement ce monastère d'Annecy ; mais il est vrai aussi que si les
autres monastères lui sont plus fidèles que celui-ci, il les assistera et les
gratifiera de beaucoup plus de grâces et bénédictions ; et si d'autres
Instituts sont plus fidèles que le nôtre à la pratique de ses avis et
enseignements, il n'y a point de doute qu'ils recevront plus de grâces de lui,
que non pas nous qui lui serons moins fidèles.
O Dieu ! quel sera le jugement que nous en devons attendre ?
et cette maison plus que nulle autre, qui a toujours été nourrie, non du lait,
mais de la crème de ses saints documents. Mon Dieu ! mes chères filles,
faisons bien, je vous en prie ! J'ai une si grande envie que nous soyons
toutes saintes, que, si nous ne le devenons, j'en serai très-marrie ; mais
il faut que ce soit d'une vraie sainteté, qui consiste en une profonde humilité
et amour de la petitesse, en une grande pureté et douceur. Oh ! que nous
serons heureuses quand nous serons saintes ! car alors cette douceur de
cœur paraîtra sur nos visages. Quand je verrai régner parmi nous ce respect,
cette cordialité, ah ! certes, alors [493] je vous croirai saintes, de la sainteté de laquelle notre Bienheureux
Père était saint, car ce sont les vertus qu'il a fidèlement pratiquées et qu'il
nous a tant enseignées.
(Les Entretiens particuliers de quelques supérieures avec notre
sainte Mère feront partie de ses Avis de direction pour le gouvernement.)
Faits au premier monastère d'Annecy,
(Recueillis par les contemporaines de la Sainte et reproduits
textuellement).
(Notre digne Mère parlant un jour de l'aversion qu'elle avait à la
prudence humaine, dit ces admirables paroles :)
Dieu m'a donné une si grande aversion à ces conduites et prudences
humaines, et une si grande inclination à la simplicité et bonne foi, que je ne
pense pas que j'en puisse avoir, au moins je ne le connais pas. Je vois aussi
que tout notre bonheur consiste à suivre la conduite de la Providence de Dieu
sur nous, et non de la devancer, et je m'étonne comme l'on a tant de soin et de
prévoyance humaine, et qu'on se laisse si peu entre les bras de cette
Providence. Il m'est avis que c'est faute de bien considérer et être attentive
à cette vérité : Rien ne nous arrive que par l'ordre de la divine
Providence, selon que dit [484] l'Écriture : O Père ! votre
Providence gouverne toutes choses dès le commencement.
Les péchés mêmes arrivent par la permission de cette divine Providence,
quoiqu'elle ne le veuille pas. Et combien ne nous présente-elle pas
d'occasions, par iceux, de pratiquer la vertu ? Car, si quelqu'un pèche
contre nous, quelle occasion n'avons-nous pas de nous exercer en icelle ?
Voire même, il faut regarder nos propres péchés comme permis par cette divine
Providence, pour nous donner sujet de faire plusieurs bons actes de vertus,
ainsi que nous le témoigne notre Bienheureux Père. Et Notre-Seigneur lui-même
n'a-t-il pas dit qu'une feuille d'arbre ne tombe pas sans la permission de son
Père céleste ? Comment donc mêlons-nous tant nos prudences humaines avec
la Providence divine ? Que ne la laissons-nous conduire ? Car nous
voyons-bien que nos trop grands soins gâtent, pour l'ordinaire, tout. Je vois
cela en moi-même : après que je me suis prou peinée à penser à quelque
affaire, il n'en est souvent rien, ou elle va tout autrement. À quoi a servi ma
prévoyance, sinon à me fournir matière de préoccupation inutile ?
Si nous avions bien cette vérité en l'esprit : O Père !
votre Providence gouverne tout ! nous nous abandonnerions bien mieux à
la conduite amoureuse de notre bon Dieu. Ceci est la particulière pratique des
filles de la Visitation, que de regarder et de recevoir tout de l'amoureuse Providence. Oh ! qu'elles sont
obligées à Dieu de leur avoir donné un Fondateur qui la leur a si bien
enseignée ! et ne nous dit-il pas que si on nous présentait quelque chose
qui ne soit pas à notre gré, quelle qu'elle soit, nous devons la recevoir comme
de la main de Dieu ; et cela était toute la dévotion de ce Bienheureux, et
m'est avis aussi que c'est la vraie pratique pour devenir Sainte.
Notre Bienheureux Père disait souvent : « Il se faut bien
garder d'user des finesses de la prudence humaine, car elles gâteraient tout,
et ne pourraient rien faire subsister. » Et, [495] pour cela, il a voulu
que la prudence humaine fût si entièrement bannie de notre Congrégation, et que
nous allassions avec tant de simplicité et dépendance de la divine Providence,
en toutes choses, que nous attendissions les événements en paix, sans nous
tracasser, ni peiner nos esprits pour devancer ses ordres ou ses permissions.
Oh ! pour moi, j'ai tant d'aversion à la prévoyance, que quand je vois des
esprits qui se conduisent de cette sorte-là, il m'est impossible de leur celer
la vérité, parce que je vois que ce n'est pas là l'esprit de notre Bienheureux
Père qui voulait tant qu'on laissât faire à Dieu.
Il m'est avis que la vraie dévotion consiste principalement à se donner
et abandonner entièrement soi-même à Dieu, avec fout ce qui nous appartient,
et, après cela, lui laisser le soin de tout ce qui nous regarde ; n'en
ayant point d'autre que de nous remettre et abandonner continuellement, et sans
aucune réserve, à son bon plaisir, car, que peut faire une âme, sinon de se
donner toute à Dieu, et lui laisser faire d'elle ce qu'il veut ? Pour moi,
je crois qu'en cela consiste la vraie dévotion, et la dévotion des dévotions,
et la plus excellente de toutes, ainsi que l'assure notre Bienheureux Père dans
sa Philothée.
(Cette sainte Mère parlant un jour de l’admirable soumission de
notre bon Sauveur, nous avoua qu'en lisant la Passion, en saint Matthieu, elle
avait remarqué une façon de prier de Notre-Seigneur, et que sans doute nous
serions bien aises qu'elle nous communiquât sa lumière. Elle nous dit
donc :)
La première fois que le divin Maître priait au jardin des Olives, il
dit : Mon Père, s'il est possible que ce calice passe, [496] pour nous
montrer que n'ayant pas encore la connaissance-requise, nous pouvions demander
à Dieu entièrement une chose, pourvu que nous ajoutions : Votre volonté
soit faite, et non la mienne. Mais lorsque Notre-Seigneur retourna pour la
deuxième fois, il dit : Mon Père, s'il n’est pas possible que ce calice
passe, sans que je le boive, fiat !
Voyez la résignation ; c'est une manière d'oraison d'une parfaite
simplicité avec Dieu y et il m'est venu en vue que c'est ainsi qu'une
personne angoissée, parlant tout confidemment avec son ami, lui dit qu'elle a
besoin de consolation, et s'il peut la lui donner. L'ami ayant allégué
un peu de raisons, cette personne répond : S'il ne se peut pas, si cela ne
doit pas être fait, soit, je ne
veux que ce qui se pourra, ce qui sera pour le mieux, et que vous jugerez
m'être convenable. Ainsi on expose à Dieu et le désir humain et la soumission
de l'esprit.
Que la réponse de notre bon Sauveur me plaît ! Mon Père, non ce
que je veux, mais ce que vous voulez ; comme si ce bon Sauveur eût
dit : Je souhaite, d'un désir ardent, de mourir pour sauver l'homme,
mais je ne veux pas mourir par cette mienne volonté, ains par celle que vous
avez, ô mon Père ! non comme je veux, mais comme il vous plaira ! non
ma volonté, mais la votre !
(À l'occasion d'un voyage qu'elle fit à Lyon, cette digne Mère dit
quantité de choses pour nous exciter à la confiance en Dieu ; et, entre
autres belles paroles, elle dit celles-ci :)
Mes Sœurs, je vous assure que l'âme qui est si heureuse que de se
reposer en Dieu par une entière confiance n'est jamais ébranlée de rien ;
tout lui succède bien ; tout ce qui est au gré de Dieu, est au sien. L'âme
qui a fixé toute sa confiance en Dieu n'a jamais besoin de rien, parce que
Celui sur lequel elle se confie, en a un tel soin, qu'il a toujours l'œil sur
elle, pour son bien. [497]
Il me fâche que nous nous appuyions trop sur les créatures. Les filles
de la Visitation doivent être tellement remises et abandonnées à Dieu, et avoir
une telle confiance en ce doux Sauveur, que, quand tout le monde leur manquerait,
elles ne s'en devraient point troubler, ni affliger. Mes chères Sœurs, je m'en
vais, mais Dieu vous demeure ; le Père céleste a soin de tout ;
pourquoi craindre et appréhender ? les créatures ne peuvent rien ;
leur service est inutile aux âmes sans le secours de Dieu.
(En l'année 1632, plusieurs Sœurs ayant fait la retraite
annuelle avec notre digne Mère, l'une d'elles a déposé ce qui suit : Cette
sainte âme ne parlait, que de mortification, d'abaissement, de mépris de cette
vie, et du désir de posséder la bienheureuse éternité. Voici ses paroles les
plus remarquables :)
Je ne puis goûter la méthode de ceux qui ne veulent parler et penser
qu'à des choses hautes et sublimes. Plus je vais en avant, plus Dieu me fait
connaître que tout le bien de l'âme gît à s'anéantir et détruire, et laisser
Dieu régner paisiblement en elle. Les supérieures qui ne veulent parler que des
choses hautes à leurs filles, n'en ont pas, à mon avis, quantité de bien
mortifiées, anéanties, et toutes soumises à tout, et en tout ce que l'on veut
d'elles.
Croyez, mes Sœurs, que le chemin qui conduit à la vie est étroit. Il
faut faire concevoir cela aux filles, afin qu'elles embrassent l'étroite
mortification, et non pas l'excellence des pensées, lesquelles, si elles ne
sont accompagnées de profonde humilité, obéissance, modestie, vérité, droiture,
mépris de soi-même, ne sont propres qu'à enfler le courage, et n'ont aucun
effet qui ne soit vain. [498]
J'aime fort le père Dom Sens de sainte Catherine, et désire fort que
les filles de la Visitation l'aiment ; il n'est point rude, ains il est
véritable. Il est bien vrai qu'il a des sentences un peu outrées à l'abord, et
un style un peu pressant et mouvant ; mais le considérant de près, et sans
appeler l'esprit sensuel au conseil, certes, l'on voit que c'est le vrai esprit
des Saints, et que ce bon Père qui l'a fait, a l'esprit de vrai religieux.
Les filles amies d'elles-mêmes ne goûtent pas ce livre-ci, parce qu'il
parle contre elles ; mais celles qui ont un vrai désir de leur perfection,
le trouveront bon et solide, et en aimeront la lecture. Notre Bienheureux le
goûtait grandement, et m'en dit beaucoup de bien, lorsque nous étions à Paris.
Vous voyez qu'il a écrit de sa propre main au commencement de celui qu'il nous
donna céans, et qu'il destinait à notre usage.
Je conseille souvent et de tout mon cœur, aux supérieures, de le donner
pour lecture les premiers jours de solitude, et encore pour l'oraison, à celles
qui vont par la voie des considérations, spéculations, prenant seulement, si elles
veulent, les enseignements et résolutions qui sont admirables pour' les jours
mitoyens, et même pour le reste de la solitude.
(Après les trois premiers jours de retraite, une défluxion couvrit
tout le visage de la Sainte, en telle sorte quelle ne pouvait plus lire, ni
presque faire aucun autre exercice. Une Sœur lui dit : Ma Mère,
pouvez-vous faire l'oraison ? À quoi elle répondit :)
Je me tiens soumise à la volonté de Dieu qui me suffit pour tout, ne
pouvant remuer mon esprit pour faire autre chose. Oh ! mes Sœurs, c'est le
grand secret de la vie spirituelle de ne point confondre les temps :
pâtir, quand Dieu veut que nous pâtissions ; agir, quand il veut que nous
agissions ; enfin, faire en tout sa volonté. Si sa bonté juge que ma
solitude soit plus à sa gloire, en n'y faisant rien que souffrir mon mal, que
son Nom soit béni ! [499]
(Le mercredi des Cendres 1635, cette sainte Mère a recommandé
de bien accompagner le jeûne extérieur de l'intérieur, disant avec un air tout
recueilli :)
Mes Sœurs, faites jeûner vos passions, particulièrement la langue, ne
disant point de paroles inutiles, ne parlant que pour les choses nécessaires,
courtement, hors le temps des récréations, et que vous soyez grandement fidèles
à vous avertir en charité, et à en dire vos coulpes quand vous y manquerez.
(Puis, elle ajouta avec un grand sentiment :) Que
bénites soient, et que mille bénédictions tombent sur celles qui le feront
fidèlement, et sécheresses, et doubles sécheresses sur celles qui ne le feront
pas.
De même en nos récréations, que nous en bannissions les choses du monde
et dissipantes, que l'on avertisse aussi celles qui manqueraient en ceci. Je ne
demande rien que ce que nos constitutions nous ordonnent : de faire la
récréation saintement joyeuse, de faire une attention toute particulière à y
parler souvent de bonnes choses ; néanmoins, je ne veux pas en bannir
quelques petits contes de récréation ; mais il faudra éviter ces grands
bruits et ces grands éclats de rire et parlement de niaiseries ; que chacune,
à part soi, lise plus attentivement la règle et les constitutions pour y
conformer sa conduite, et que notre vie devienne semblable à celle de notre
Époux solitaire, priant, jeûnant, occupé jour et nuit à glorifier son Père
céleste, et a nous obtenir des grâces de salut et de vie éternelle. Pour cela,
mes Sœurs, tenons-nous dans nos cellules, n'allant par le monastère que le
moins qui se pourra. Et si nous sommes fidèles à faire ce qu'enseigne le
Directoire, nous serons instruites et aidées pour vaincre les ennemis de notre
salut. Ainsi, mes chères filles, j'attends de vos bons cœurs une sainte
quarantaine toute de fidélité à l'observance et à la prière. [500]
(Le samedi avant l'Ascension, à l'obéissance du soir, Sa Charité a
dit :)
Mes Sœurs, nous avons tous ces jours-ci de beaux Évangiles qui
promettent que tout ce qu'on demandera à Dieu, au nom de son Fils, on
l'obtiendra. Je vous prie, mes Sœurs, de prier très-soigneusement, et de bien
demandera Dieu qu'il lui plaise de donner sa sainte lumière aux Sœurs de nos maisons
qui doivent faire des élections, lesquelles sont en si grand nombre cette
année, afin qu'elles fassent choix de celles que sa Bonté leur a destinées dès
son éternité ; et si nous joignons à nos prières la mortification,
l'observance de nos règles et la pureté et sainteté de vie que demande notre
vocation, infailliblement nous serons exaucées. Faisons-le, mes Sœurs, mais
sérieusement, je vous en conjure.
(Le samedi après l'Ascension, à la fin de la récréation du matin, en
donnant l'obéissance, Sa Charité a dit :)
Mes Sœurs, montrez, je vous prie, que vous êtes dépendantes de la
volonté de Dieu. Si je me décharge du fardeau de cette maison, je ne me
décharge pas du soin et de l'affection que je conserverai, Dieu aidant, tant
qu'on le désirera. Attachez-vous à Dieu, mes Sœurs ; aimez-le ;
aimez-vous les unes les autres-que cet amour et dilection règnent parmi vous,
je vous en conjure ; c'est ce que je vous recommande, et l'observance de
nos règles. Allez votre train dans ce chemin, et vous tenez entre les bras de
cette exacte observance, sans jamais vous en départir : attachez-vous si
fortement à cela que rien ne vous en puisse déprendre. Aimez franchement les
choses basses et petites ; ne faites état que de la bassesse, abjection,
petitesse et anéantissement. [501]
(Une âme fort craintive disant un jour à notre digne Mère qu'elle
appréhendait, plus qu'il ne se pouvait dire, le dernier passage, parce que bien
peu de gens iraient au ciel, à cause de la pureté qu'il faut pour aller voir et
jouir de Dieu, cette sainte Mère lui répondit :)
Mon Dieu ! ma très-chère fille, je vous assure que quand je
regarde mon Sauveur, je ne puis croire autre chose, sinon que je le verrai dans
le ciel ; et, pour vous dire le vrai, si c'était sa volonté, je voudrais y
être déjà... Oh ! quand je me regarde moi-même en moi-même, hors de mon
Sauveur, certes, de vrai, je frémis, et vois que véritablement je mérite
l'enfer ; mais, quand je me regarde avec toutes mes misères, au côté percé
de mon Rédempteur, j'espère le ciel, car je me vois là dedans comme un
misérable gueux à la porte d'un seigneur, et je me tiens pour l'exercice de sa
divine miséricorde. J'ai deux maximes, l'une de David, l'autre de notre
Bienheureux Père, qui tous deux me disent : « Faites le bien, et
espérez en Dieu, car sa miséricorde est éternelle. Je ferai donc, avec la
grâce divine, le mieux que je pourrai, et puis, je n'espérerai pas en moi ni en
mes œuvres, mais en mon Dieu et en sa miséricorde, et au désir qu'il a de me
donner sa gloire. Notre Bienheureux Père m'a si fort mis en l'esprit que
Notre-Seigneur veut donner son paradis aux pauvres petites âmes abjectes et
misérables, qui désirent de l'aimer, que jamais cela ne me sortira de
l'esprit ; ains, je crois-fermement et espère qu'assurément, par les incompréhensibles
mérites de la très-copieuse rédemption du Sauveur, je le verrai un jour dans la
terre des vivants. Quoique je sois toute misérable et la pauvreté même,
n'importe, j'espère en Dieu ; il est mon Père tout bon, Tout-Puissant et
tout miséricordieux. Oh ! ma très-chère fille, Dieu est
incompréhensiblement plus bon que l'homme est mauvais. [502]
(Une Sœur disant un jour qu'elle espérait voir cette digne Mère
arriver à une heureuse vieillesse, la Sainte repartit :)
Dieu vous pardonne, encore, encore tant d'années çà-bas, où nous
cheminons, comme dit mon grand saint Paul, au milieu des obscurités et
des ombres de la mort. Le Seigneur fasse de moi sa volonté ; mais je
ne désire pas qu'il prolonge mes jours. Ceux que j'ai vécu, je les ai si mal
employés, que je crains la prolongation de mon pèlerinage. Que pensent les
mortels de désirer la vie ? Certes, cette vie n'est qu'un fantôme de vie,
et les plaisirs ne sont que des ombres de plaisirs. La vie des vivants, c'est
le ciel, qui peut s'appeler vie ; la mort, c'est ce monde.
Je sais bien que la vie des morts-vivants, qui meurent toujours de ne pouvoir
mourir, c'est l'enfer. Néanmoins, c'est une pensée qui me vient assez
souvent : cette vie n'est point une vie, parce que l'âme peut y mourir,
outre qu'elle n'est pas entièrement unie à Dieu qui est la souveraine vie, et
la vie des vrais vivants ; si le plaisir se trouve çà-bas, il est plus
frêle que l'ombre, car la vraie satisfaction de l'âme est de tendre et
d'arriver à sa fin qui est Dieu, et à cette perdurable et si désirable
éternité.
L'on me disait aujourd'hui la disgrâce du favori d'un grand ;
oh ! me suis-je dit : parce que nous sommes misérables, nous nous
attachons à ce qui périt et ès choses esquelles il n'y a non plus d'assurance
que sur des planches pourries ; et nous ne faisons point compte d'être en
grâce auprès de Dieu, du Roi de la gloire éternelle, qui donne des honneurs,
des biens immuables.
(Une Sœur lui demanda ce qui la chatouillait de plus près ?) :Le
désir de voir Dieu (dit-elle tout simplement), vient souvent frapper à la porte
de mon cœur ; mais je ne lui ai pas ouvert, par la grâce de Dieu ;
car je me suis dépouillée de tout, au moins désiré-je le faire ; je ne
désire le désir d'un désir de volonté absolue que de faire la volonté de Dieu
en toutes choses. [503]
Mes Sœurs, oh ! le grand bien de se perdre en Dieu et de se tenir
tout à l'aise dans cette mer de bonté souveraine ! O mes chères
filles ! Dieu, par la main de son Verbe, ne cesse d'opérer et de
travailler dans l'âme, qui, dépouillée de tout autre soin, souci, prétention,
désir et amour, se démet et dépouille d'elle-même pour se donner toute à Lui.
J'ai toujours eu cette lumière, que la gloire de notre entendement gît
dans la captivité et l'assujettissement aux choses obscures de notre foi, qui
surpassent les sens et l'intelligence humaine, comme sont ces quatre principaux
mystères : celui de l'adorable Trinité, de l'Incarnation, du Très-Auguste
Sacrement de nos Autels, et de la Résurrection.
J'ai longtemps regardé aujourd'hui une abeille qui cueillait du miel
sur une petite fleur ; je n'ai jamais su comprendre comme quoi, après
l'avoir tiré par sa petite bouchette, elle en avait sur les jambes pour le
porter en sa ruche, et j'ai pensé : Misérables mortels ! si nous ne
pouvons comprendre ce que ces petites bestioles font, pourquoi voudrions-nous
comprendre ce que Dieu fait ? Ah ! il me semble (la gloire en soit à
l'auteur de tout bien) que lorsque je sais que Dieu ou l'Église ont dit une
chose, je la crois mieux que je ne crois que j'ai mes deux yeux à la tête.
Tout ce qui se fait par la règle de l'obéissance est fait pour Dieu,
c'est pourquoi il nous doit être indifférent d'être occupée ou d'être en repos
dans notre cellule ; pourvu que nous fassions ce qui nous est ordonné,
avec pureté d'intention de plaire à Dieu, cela suffit.
Nous n'estimons pas assez la dignité que nous portons de servantes
de Dieu et le choix qu'il a fait de nous pour nous rendre ses Épouses et
chanter ses louanges, quand nous nous attachons à tant de petites choses et que
nous manquons d'attention à faire ce qui est de notre devoir.
C'est le plus haut point de la perfection que d'être [504] entièrement
remise et soumise à tous les événements de la Providence-si nous avions ce vrai
abandon, nous aimerions autant être à cent lieues d'ici, qu'ici même plus, car
nous y trouverions plus du bon plaisir de Dieu et plus de mortification ;
il nous serait tout un d'être conduite par les déserts des tentations ou par la
plaine des consolations.
Nous devons toujours dire avec le grand saint Augustin notre
Père : « O Seigneur Jésus ! coupez, taillez, brûlez-moi, pourvu
que je vous voie, vous possède et jouisse de vous, je suis plus que
content. » Oh ! quand sera-ce, mes chères Sœurs, que nous verrons la
beauté, l'utilité, la valeur, la bonté et mérites des afflictions, tentations,
pressures de cœur, contrariétés, dérélictions, maladies, bref, de tout ce qui
répugne à nos sens naturels : sous cette cendre est cachée la divine
douceur du feu divin, et Notre-Seigneur reçoit suavement les âmes que les
créatures rejettent ; quand elles le supportent pour lui seul, il les
tient près de lui et les fait reposer en son sein paternel.
Les retraites annuelles sont établies pour quatre sujets :
1° Pour honorer et adorer Dieu ;
2° Pour restituer à Dieu, par notre humiliation profonde, la gloire que
nous lui avons ravie, ayant abusé de ses grâces et du bienfait de notre
vocation ;
3° Pour nous renouveler dans l'esprit de notre saint état et dans celui
de retraite intérieure ;
4° Pour traiter, négocier et communiquer avec Dieu. De ce point dépend
tout l'affermissement des âmes intérieures ; car quiconque accomplit tout
par esprit de retraite ou de récollection ne s'embarrasse point dans quelque
emploi que ce soit. Cet esprit met dans une entière conformité avec Dieu,
lequel, bien [505] qu'il se répande en toutes choses par sa divine Providence,
si est-il toutefois retiré et séparé de tout par sa sainteté, qui le met en une
solitude sacrée de toutes les créatures. Cet esprit de retraite et de
séparation du créé est une des plus grandes nécessités que nous ayons dans la
vie chrétienne et surtout dans la vie religieuse.
C'est une grande partie de notre perfection que de nous supporter les
unes les autres en nos imperfections. Je crains que les aversions et répugnances,
qui sont les tentations des Saints, n'entrent en notre vigne ;
étouffez-les en leur naissance. Notre Bienheureux Père disait : « Les
vrais signes de la bonté de nos œuvres, c'est quand l'accès y est toujours
difficile, le progrès un peu moins, la fin bienheureuse. » Croyez-moi, mes
chères filles, il faut semer en angoisses pour recueillir en joie ; ne
vous confiez pas de pouvoir réussir en vos affaires par votre industrie, ains
seulement par l'assistance de Dieu. Lisez les louanges de l'oraison qui sont en
Grenade, Bellintani et ailleurs. La dissimulation, en fait d'injures, guérit
plus de mal en une heure que les ressentiments en un an.
Les occasions de désapprouvements sur nos actions et conduite nous
doivent être précieuses ; il les faut aimer et chérir tendrement ; la
voie des combats intérieurs est la plus assurée.
Dieu m'a fait connaître qu'après le saint Sacrifice de la Messe et la
sainte Communion, une personne religieuse ne peut rien lui offrir de plus
satisfactoire ni de plus agréable, pour les âmes du purgatoire, que le soin et
la peine que l'on prend pour observer exactement sa règle. La routine avec
laquelle on approche des Sacrements est la ruine de la vraie piété dans une
âme, et la cause du déchet dans la religion. Si l'on est lâche à l'oraison, on
est de même en l'action. [506]
Dieu sèvre les âmes qui sont à lui : premièrement, des plaisirs
qu'on reçoit par les sens ; secondement, des lumières de la raison ;
troisièmement, du secours qu'on reçoit des personnes de piété ;
quatrièmement, de la dévotion sensible ; cinquièmement enfin, Dieu permet,
à ces âmes chères à son cœur, qu'elles tombent dans des états où il leur semble
être dépouillées de la paix et confiance en Lui. C'est alors que ces âmes
chéries de Dieu ne trouvent plus qu'amertume dans les choses extérieures ;
que la raison avec toutes ses précautions ne servent qu'à augmenter leurs
peines ; que le secours des hommes leur paraît inutile, et que la paix
intérieure leur manque dans le temps qu'elles croient en avoir plus de besoin.
Il est très-utile à l'âme d'être dans ces privations, afin qu'étant
parfaitement dénuée et vide de toutes les choses créées, Dieu soit sa lumière,
sa vie, son plaisir, son secours, son vêtement, son repos et son tout.
L'amoureuse soumission à la volonté de Dieu, dans les souffrances intérieures,
nous est plus utile, pour une plus intime union, que la consolation de nous
soulager en disant notre mal.
Qui n'affectionne que Dieu le sert gaiement et également en tous les
lieux : qu'importe, à une fille de Sainte Marie d'être ici ou là, pourvu
qu'elle rencontre une maison de la Visitation où elle puisse observer ses
règles ? Nous devons accoutumer petit à petit notre volonté à suivre celle
de Dieu, par quels sentiers il lui plaira, et faire qu'elle se sente fort
piquée lorsque notre conscience nous dira : Dieu le veut ! et
peu à peu ces répugnances, que nous sentons si fortes, s'affaibliront, et
bientôt après cesseront du tout.
Il n'y a rien qui détruise tant la paix et l'union que la liberté qu'on
prend de laisser voir et examiner toutes choses à son esprit, car cela donne
une grande facilité à s'en expliquer dans les occasions, au préjudice de
l'estime et de la charité du prochain. [507]
Puisque les supérieures sont les pierres fondamentales de la maison de Dieu,
elles doivent se poser si basses qu'elles ne puissent plus se trouver pour
monter en haut.
L'âme qui soutiendra bien céans l'amour à la sainte humilité, à la
bassesse et la parfaite soumission aux supérieurs, parviendra bien haut, tout
en ne remplissant que les emplois les plus bas (si toutefois il peut y en avoir
dans la maison de Dieu, où c'est régner que servir), car c'est l'amour de notre
abjection qui doit faire notre élévation. Toute la perfection de nos règles est
comprise dans cette sentence de l'Évangile : Celui qui vent venir après
moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive. Avançons,
mes sœurs, dans ses trois pratiques : renoncer à soi-même par la sainte
abnégation ; prendre sa croix, c'est-à-dire toutes les occasions
mortifiantes, et s'offrir chaque jour à Notre-Seigneur avec une absolue
détermination de le suivre dans la pratique de toutes les vertus. Pour être
vraie fille de notre Bienheureux Père, il suffit d'avoir ces trois
choses : l'amour de Dieu, l'amour du prochain et l'abnégation de
nous-même.
Notre saint Fondateur voulait que nous eussions une entière liberté
d'esprit : il nous a enseigné qu'il se faut faire tout à tous par
charité ; que si nous nous plaisons en Dieu dans la solitude, Dieu se
plaît en nous dans l'embarras des affaires, où nous nous devons toujours
exposer sans crainte, quand l'obéissance nous y emploie sans notre choix.
Une âme véritablement humble ne doit réclamer ni l'abaissement ni
l'élévation, mais demeurer dans une sainte indifférence, recevant de la main de
Dieu tout ce qu'il lui envoie. On connaît la volonté divine par la voie de
l'obéissance ; le propre choix, [508] au
contraire, peut tromper quelque saint qu'il paraisse. On ne peut être en assurance que par une entière
soumission à ses supérieurs : c'est par là qu'on se met à couvert de la
vanité, qui sous une humilité apparente, se nourrit bien souvent de la bonne
estime qu'on aura de nous-même en nous voyant si bien rabaissé.
La pauvreté ne consiste pas à n'avoir rien, mais à détacher son cœur de
tout ce qu'on possède. Il en est ainsi de l'humilité : elle doit nous
tenir dans une sainte indifférence pour l'élévation ou l'anéantissement, dégagé
de l'un et de l'autre par un vrai mépris et de bas sentiments de nous-même.
Il faut être entre les mains de Dieu comme l'argile entre les mains du
potier, nous laissant donner la forme qu'il lui plaira et réduire au néant par
l'humiliation, l'abjection, la défaillance. C'est là le creuset dans lequel
Dieu éprouve l'âme, comme l'or par le feu, afin que, convaincue de sa
corruption, elle y ensevelisse sa propre estime et ne se regarde qu'avec
frayeur, ne s'attribuant aucun bien, mais rendant gloire à Dieu de tout. Il
faut en venir là pour faire une heureuse course et continuer d'éprouver les effets
merveilleux de la divine miséricorde.
INSTRUCTIONS FAITES AU
NOVICIAT
SUR LA NÉCESSITÉ DE PROFITER DU NOVICIAT POUR ÉTABLIR DANS
L'ÂME LES FONDEMENTS D’UNE VERTU
SOLIDE.
Je vous amène une maîtresse, mes chères filles, et vous lui aurez le même
amour et respect que vous aviez à l'autre. Vous n'êtes pas des enfants ;
il y en a trois qui sont déjà Épouses de Dieu, et, pour cela, doivent être les
plus humbles, douces, soumises, condescendantes, et obéissantes aux
observances.
Nos Sœurs du voile blanc, tâchez, cette année que l'on vous donne, de
vous fonder aux solides vertus d'humilité ; obéissance, douceur,
condescendance, et vous n'avez autre chose à faire que cela durant ce
temps ; car vous êtes toujours parmi les exercices spirituels ; et,
pour cela, l'on vous donne des maîtresses qui sont capables de vous instruire
et conduire, et qui ont toujours l'œil sur vous et sur vos actions pour vous
encourager à la vertu. Voyez-vous, mes chères filles, je désire bien que vous
vous fondiez en ces solides vertus pendant ces deux années, afin que quand vous
serez au grand train de la communauté, rien ne vous puisse ébranler, et que
vous vous soyez si bien établies aux vertus solides, dans votre noviciat, qu'il
suffise d'une seule œillade de la supérieure, à laquelle on ne parle, comme
vous le voyez, qu'une fois le mois, sinon quand il est requis. [510]
Aimez-vous bien votre maîtresse, mes chères filles ? Oh ! il
la faut bien aimer, et lui avoir une grande confiance et sincérité à vider vos
cœurs dans le sien, entièrement.
Et vous, notre maîtresse, ne caressez point vos novices, car la
meilleure caresse que vous leur sauriez faire, c'est de leur montrer un cœur
plein d'amour pour elles, leur donnant une entière liberté d'aller à vous en
tous leurs besoins. Tâchez de déraciner les épines, tant de celles qui sont
maintenant sous votre charge, que de celles qui y viendront, et y plantez, tant
que vous pourrez, les plantes des solides vertus, en les arrosant par votre
douceur et bon exemple. Coupez et tranchez tout ce que vous verrez devoir être
ôté, et présentez bien à Dieu ce petit travail, vous contentant du fruit que
vous en retirerez, sans en désirer davantage, et Dieu bénira encore une fois
votre besogne. Or sus, Dieu vous bénisse, petit troupeau.
SUR LA FIN QU'IL FAUT AVOIR EN ENTRANT EN RELIGION, QUI EST
DE SE DÉSUNIR DE SOI-MÊME POUR S’UNIR PLUS PARFAITEMENT À DIEU.
Mes filles, ne dites point vos coulpes ; car je suis bien si
pauvre de temps, que je n'ai pas un bon quart d'heure de franc sans quelque
interruption. Or, dites-moi, que pensez-vous que je vienne faire au
noviciat ? Je vous viens toutes détruire ; mais spécialement la
petite N..., car, quand je trouve une tête tout entière, je m'essaye de tout
mon cœur de l'entamer. Je viens pour toutes ; mais je parlerai pour nos
Sœurs les prétendantes, auxquelles je viens annoncer la destruction [511]
d'elles-mêmes, si elles veulent être de vraies servantes de Dieu.
Voyez-vous, mes filles, « ce n'est pas le tout, dit notre
Bienheureux Père, de venir en religion ; il faut savoir pourquoi faire, à
quelle fin et à quelle intention ? » Votre intention, venant à
la Visitation, doit être pour vous unir à Dieu, et vous désunir de vous-même et
du monde. Les saints Pères disent bien que d'avoir quitté le monde, c'est avoir
fait les trois quarts du chemin, parce que c'est déjà beaucoup d'avoir quitté
le monde, les biens et les parents pour se retirer au cloître ; mais,
l'autre quart qui reste n'est pas de moindre importance que les trois autres,
ains il est des plus grands. Je pense pourquoi ils nomment un seul (quart),
c'est parce que ce qui se fait, en un jour, en religion, vaut plus que ce qui
se fait en un mois, voire, en un an dans le monde ; car, en religion, tout
porte son prix par le mérite de l'obéissance que nous professons. Voici donc la
fin et la prétention qu'il faut que vous conceviez maintenant, si vous ne
l'avez conçue. Vous venez pour vous unir à Dieu, et, pour le mieux faire, vous
désunir de tout ce qui n'est pas lui. Mais, encore, qu'est-ce que notre
Congrégation, et qu'y venez-vous faire, mes filles ? Il est dit en la
constitution que c'est un mont de Calvaire, qu'il faut continuellement se
mortifier et détruire soi-même. Vous avez quitté le monde, et votre Époux
céleste vous fait monter après lui sur Je mont du Calvaire, où il se laisse
déshabiller, clouer et couronner d'épines, abreuver de fiel, mépriser à
outrance, percer le côté, bref, mille et millions de choses âpres et
douloureuses à sa sacrée humanité. Il faut que vous soyez ainsi en la religion,
mes filles ; car, voyez-vous, il y a deux points en cette affaire :
premièrement, il faut que vous vous ruiniez vous-même ; je veux dire que
vous travailliez courageusement et fidèlement à votre perfection.
Secondement, il faut laisser faire les autres, nous laissant écorcher,
dépouiller, et plier le cœur, tout ainsi que l'on [512] voudra. Si
vous résistez, vous ne serez pas de vraies épouses de Jésus-Christ crucifié.
Pour faire un bon ménage, il faut que les partis soient bien d'accord ; si
l'on veut qu'il soit béni du ciel, il faut que l'époux et l'épouse n'aient
qu'une même volonté et un même jugement. Et, je vous dis de même, mes chères
filles, que vous ne serez point vraies Épouses du Fils de Dieu qu'autant que
vous crucifierez votre propre volonté, votre jugement et vos inclinations, pour
les rendre toutes conformes à votre Époux crucifié.
Dites-moi, n'est-ce pas une chose impossible de joindre une chose toute
tordue avec une bien droite ? Vous voyez mon doigt, quand je le courbe, je
ne puis le joindre avec ma main qui est bien droite, que, premièrement, je ne
décourbe le doigt, pour le rendre droit. Nous venons du monde toutes
raboteuses, toutes pleines de mauvaises inclinations ; il faut redresser
tout cela, afin de le pouvoir tout joindre au divin Sauveur. Ah ! ce n'est
pas à lui de se redresser pour se joindre à nous, car il est tout beau et tout
parfait ; c'est donc à nous de nous ajuster à lui ; et, c'est à nous,
mes filles, de nous tordre et courber par la vraie mortification, afin que nous
soyons droites et capables de nous joindre à ce souverain Bien.
Vous savez, par expérience, que l'on ne peut pas faire une belle
écriture sur du papier vieux et sale ; on écrit bien quelque chose ;
mais cela est si laid, qu'il ne mérite pas le nom d'écriture. Quand nous
entrons en religion, nos cœurs sont du papier sale, sur lequel Dieu ne veut pas
écrire des paroles, que premièrement nous ne l'ayons frotté, rendu blanc et
poli. Et, comment faire cela, me direz-vous, mes chères filles ? Par le moyen
d'une courageuse mortification, et anéantissement de tout nous-mêmes ;
vous devez entreprendre de bonne heure à vous ruiner vous-mêmes, car autrement
vous n'aurez jamais la paix en la religion. Si vous ne vous mortifiez que
lâchement, vous ne jouirez jamais des délices spirituelles, puisqu'il est [513]
très-certain que les vraies délices spirituelles ne se trouvent que dans la
destruction de la nature. De quoi jouirez-vous donc ? de l'inquiétude de
vos passions mal mortifiées ; et vous ne serez bonne ni pour le ciel, ni
pour le monde, ni pour la religion, ni pour vous-même. Avez-vous assez de
courage pour entreprendre cette bataille ? Oh ! mes filles, il le
faut bien considérer.
Nous ne vous trompons point, en vous disant tout franchement que vous
serez traitées en malades ; l'on ne vous épargnera point les médecines
propres à vous guérir. Quand vous voudrez rire, l'on vous fera taire ;
vous voudrez coudre, l'on vous fera faire quelque autre chose ; vous
voudrez être en bonne estime parmi vos Sœurs, on ne fera que vous avilir et
humilier, pour abattre l'orgueil que l'on apporte du monde. Enfin, pour être
digne épouse de l'Époux céleste, il faut vous parer des habits nouveaux, et
quitter les vieux. Il faut vous dépouiller de l'amour de tout ce qui est sur la
terre, oublier tout le monde, et tout ce que vous y avez laissé ; et, vos
parents, ne pensez plus à eux que devant Dieu, pour les lui recommander. La
bonne veuve de Sarepta, tandis qu'elle eut de la vieille huile en sa fiole, le
Seigneur n'y en mit point d'autre ; mais quand elle fut vide, ce fut alors
qu'il la secourut. Tandis que vous voudrez garder dans votre cœur quelque
huile, quelque souvenir du monde, quelques inclinations, jamais vous n'aurez la
vraie et salutaire huile, que le Sauveur vous donnera assurément, si vous êtes
si heureuses que de vous vider entièrement de la vieille. Oui, mes filles,
jetez-la, elle ne vaut rien, pour la porter, et la vouloir garder à la
Visitation ; car il faut que toutes celles qui veulent être de vraies
religieuses, se vident d'elles-mêmes, se dépouillent de leur propre peau, se
laissent détruire par autrui, et se ruinent elles-mêmes ; car, la
Visitation est une petite terre, où, si l'on ne meurt à soi-même, on ne porte
jamais des fruits dignes de cette vocation, laquelle nous oblige si étroitement
de tendre à une si haute perfection, [514] que je vous dis, mes Sœurs (et à
toutes tant que nous sommes en cette Congrégation) : Le cœur qui ne
tend et ne prétend à la perfection, tend à la perdition. Pesez cette
parole, elle est véritable.
Pensez-vous, mes filles, que si l'on disait à un ambitieux : Vous
aurez une belle charge, la plus honorable de la cour ; à condition que
vous fassiez telle chose, en tel temps durant, qui sera dure et pénible ;
mais aussi vous serez honoré, après cela, non pareillement : que ne ferait
pas cet homme ? il donnerait tout, jusqu'à sa peau, si besoin était. Et
nous, mes filles, nous ne travaillerons pas à la destruction de nous-même pour
acquérir, non un honneur périssable, une charge terrestre, qui souvent fait
perdre l'éternité à celui qui la possède ! Mais, vous prétendez à
l'honneur incomparable d'épouse du Fils de Dieu, fille par conséquent de sa
très-sainte Mère ; que ne faut-il donc pas faire ? Oh ! il faut,
sans doute, poser toute pusillanimité, et nous donner toutes à Dieu, par une
continuelle attention à sa présence et une perpétuelle mortification, un entier
abandonnement de nous-même entre les mains de Dieu, et de ceux qui nous
conduisent. Qu'ils nous écorchent, s'ils veulent, qu'ils nous dépouillent de
tout, s'il leur plaît ; il nous doit être tout un, mes filles, pourvu
qu'après cela vous parveniez à la dignité souveraine d'Épouses du Fils de Dieu,
laquelle dignité nous donnera, non un honneur périssable, mais un honneur
éternel, et vous rendra pleines de biens, et toutes glorieuses en la belle
éternité ; voire, dès cette vie, si vous vous délaissez tout de bon, vous
aurez des suavités nonpareilles au service de Dieu ; il vous donnera de
son sucre ; ne l'avez-vous point expérimenté ?
Je l'ai expérimenté moi-même, qui ai été fille à toute folie. Quand je
donnais aux étourneaux que je nourrissais un petit morceau de sucre, je me
faisais suivre en haut et en bas, partout où je voulais. Quand Notre-Seigneur
vous donnera un peu de son sucre divin, vous courrez après, en haut par les
bonnes [515] mortifications, et en bas par les humiliations. Enfin ce vous sera
un délice de ruiner la nature pour voir régner la grâce. C'est aussi la
récompense qu'il promet à ceux qui vaincront. Je leur donnerai, dit-il, d'une
manne cachée, de laquelle, dès qu'ils en auront un peu goûté, ils ne se
soucieront plus des délices de la terre. Mais, remarquez qu'il faut être
vainqueur pour savourer cette manne cachée. Elle n'est pas pour les lâches et
les vaincus ; elle est gardée pour les âmes vaillantes, courageuses et
fortes, qui se déterminent d'abattre tout ce qu'elles connaissent, qui s'élève
en elles, de contraire à Dieu à sa sainte volonté, ou à ses divines
intentions ; elles ne se réservent rien ; elles lui donnent tout,
aussi tout sera pour elles.
Croyez-moi, mes chères filles, n'exceptez rien, tuez tout. L'esprit du
monde et de la chair ne peuvent demeurer avec l'esprit de la religion et la vie
spirituelle : il faut abattre l'un pour édifier l'autre. Il faut quitter
le propre jugement, la propre volonté, le propre amour : ce sont les trois
choses auxquelles vous avez le plus de peine, aussi ce sont les plus
nécessaires. Il faut que vous vous démettiez tellement de vous-mêmes, entre les
mains de ceux qui vous conduisent, qu'ils vous tordent à leur gré, comme l'on
fait d'un mouchoir.
Bref, mes filles, je ne vous conseille que deux choses :
ruinez-vous vous-même courageusement ; laissez-vous ruiner humblement et
doucement par ceux qui vous conduisent. Mortifiez-vous, sans réserve d'aucune
inclination, quelle qu'elle soit ; tuez tout. Je ne vous en conseille pas
moins, à vous autres, mes filles, qui êtes déjà voilées en noir ; car je
connais très-bien que toute la perfection de la vie spirituelle gît et aboutit
à la totale mortification et destruction de la nature, et à la bonne oraison.
Oh ! notre maîtresse, s'il se trouve quelqu'une de nos Sœurs qui
n'aime pas la mortification, il lui en faut donner sans se lasser, jusqu'à ce
qu'elle l'aime. Mortifiez-vous bien, mes [516] filles, je vous le recommande,
mais de tout mon cœur, et, si la petite N... a des mines froides, venez au
conseil vers moi, je vous dirai : Encore davantage ; il faut doubler.
Et les autres, qui font plus les sanctifiées, je ne sais pas si elles aiment bien
la mortification ; mais il faut mortifier celles qui l'aiment, afin de
leur donner sujet de pratiquer la vertu, et celles qui ne l'aiment pas, afin
qu'elles apprennent à l'aimer. Pour nos Sœurs prétendantes, il les faut bien
aider à se rendre de vraies servantes de Dieu, à détruire leurs vieilles
inclinations, habitudes et propensions.
Vous savez que j'ai promis à nos Sœurs de ne point suivre leurs
inclinations ; je tiens ma promesse, ou bien je ne les reconnais
pas ; car, toutes celles que je connais, je les ruine ; faites-en de
même à nos Sœurs du noviciat ; faites-leur bien faire ce qu'elles ne
voudront pas ; empêchez-les de faire ce qu'elles voudront ;
mortifiez-les d'autant mieux que vous verrez qu'elles ne se mortifient pas ;
car, par la mort de vous-mêmes, ô mes filles, vous vivrez d'une vie éternelle
en votre Époux. Ne vous épouvantez pas de tout ce que j'ai dit, car l'on ne
veut pas aller chercher des mortifications autres que celles d'une très-exacte
observance. L'on ne requiert de vous que cela : ajustez toutes vos
inclinations de telle sorte à la règle morte, que vous vous rendiez toutes des
petites règles vivantes. Vous ne le ferez pas sans peine, c'est pourquoi je
vous invite à la soigneuse et fidèle mortification, toutes tant que nous sommes.
C'est aujourd'hui la veille de la fête du très-auguste Sacrement de
l'Autel ; il sera notre force et notre protection.
Courage, mes filles, Dieu bénira votre travail, s'il est humble et
fidèle. [517]
(Faite on 1631)
SUR L'ESTIME QU'IL FAUT AVOIR DE LA VOCATION RELIGIEUSE, ET
LA FIDÉLITÉ À PRATIQUER LES DEVOIRS QU'ELLE IMPOSE.
Notre maîtresse, je n'apporte que de petites choses à nos deux Sœurs
novices ; car, pour les autres, elles sont assez instruites, quoiqu'elles
fassent bien de faire profit de ce que l'on dira aux novices.
Voyez, mes filles, si vous voulez profiter en votre vocation, il faut
que vous tâchiez, de tout votre pouvoir, d'en bien connaître la valeur, et d'en
bien concevoir l'estime, non par des spéculations, mais par de fréquentes
lectures et considérations du propre esprit du Fondateur.
Sachez, mes filles, que la vocation religieuse est si digne et si
sainte, qu'après celle des évêques et des prêtres, elle est la plus grande qui
soit en l'Église de Dieu. Encore y en a-t-il qui, par le grand honneur qu'ils
portent à la religion, l'ont préférée à l'ordre de prêtrise ; et cela,
parce que la religion est une académie de toutes vertus, perfection et
sainteté, et un droit chemin pour conduire nos âmes à l'union avec l'Époux
céleste, qui, comme il est dit en la constitution de la directrice, doit avoir
été notre unique prétention en quittant le monde pour nous enfermer dans le
cloître.
Or, mes chères filles, je désire bien fort que vous graviez dans vos
cœurs cette estime de la vocation religieuse, puisque c'est le plus excellent
état qui soit en l'Église de Dieu, après celui du Sacerdoce, à cause de
l'administration du Corps précieux de notre Rédempteur. Pour les évêques, comme
étant [518] pères des peuples, ils sont en état de perfection plus parfaite, et les
religieux sont dans un état auquel on travaille sans cesse pour arriver à la
perfection, qui n'est autre que l'union parfaite de notre âme avec Dieu, par
les voies que la religion nous fournit. Considérez, en général, quel bonheur
c'est d'être tirées du monde, pour entrer dans un état si heureux que celui de
la sainte religion.
Et puis, considérez encore quelle grâce Dieu vous a faite de vous avoir
appelées à cette religion, qui fournit tous les moyens propres pour arriver à
la plus haute perfection, et de laquelle Dieu a pris un spécial soin, et
témoigne tant d'agréer les services que ce petit Institut lui rend, qu'il
permet qu'il jette une odeur si douce et suave, que son Église en est déjà
réjouie et édifiée, et chacun estime tant cet Ordre et cette manière de servir
Dieu, que, quoiqu'il n'y ait que vingt et un ans que Dieu le fit naître, il est
déjà étendu dans toute la France et autres contrées éloignées, et l'on ne peut
fournir aux fondations nouvelles que chacun désire, pour avoir des filles de la
Visitation. Connaissez donc la grandeur de cette grâce, et ce à quoi, celles
qui sont appelées à cette sorte de vie, doivent tendre, qui n'est autre qu'à
détruire et anéantir la nature pour faire régner la grâce. Vous venez de l'école
du monde, qui n'enseigne à ses enfants que vanité et mensonge ; vous
entrez en l'école de Notre-Seigneur, dans laquelle on ne vous enseigne que
vérité, mortification et humilité.
Concevez-vous bien ce que je vous dis ? Si vous le concevez bien,
vous serez bien heureuses. Oui, mes filles, voyez de quelle excellence est la
vocation religieuse. Elle est l'école de Jésus-Christ, où lui-même se rend
Maître des âmes et leur enseigne, par le moyen des inspirations, des règles et
des supérieurs, ses désirs et volontés. Affectionnez-vous fort à cette
connaissance et à l'amour et estime de votre vocation.
La seconde chose que je désire de vous, mes chères filles, [519] c'est
la ponctualité à la moindre petite observance, aux plus petites pratiques de
vertu ; que vous fassiez conscience, je ne dis pas de manquer de
promptitude à l'obéissance, car c'est une grande faute pour une novice ;
mais, je dis, à la plus petite pratique, à la plus petite ordonnance. Et ceci
vous est tant nécessaire, mes filles, que si vous n'entreprenez la ponctuelle
pratique de ces petites vertus, vous n'arriverez jamais aux grandes et
relevées ; car, en la vie spirituelle, il faut marcher par en bas avant
que de marcher par en haut ; et, marchez en bas, jusqu'à ce que Dieu et
vos supérieurs vous fassent suivre le haut. Il faut que vous soyez si exactes à
suivre de point en point votre Directoire, et les pratiques que votre maîtresse
vous marquera, que, s'il se peut, vous n'y manquiez jamais. Si vous y manquiez,
mes filles, par fragilité, il ne faut pas s'en étonner, ni s'en troubler ;
mais il faut s'humilier et se relever courageusement et vaillamment.
Je désire surtout, mes filles, que vous soyez très-humbles, soumises et
obéissantes, car ce sont les vraies vertus des novices. L'obéissance, qui est
fille aînée de l'humilité, il la faut pratiquer inviolablement, s'il se peut.
Si vous n'êtes humbles et obéissantes, vous ne serez que des fantômes de
religion. Oh ! ma Sœur la directrice, je vous prie, exercez fort nos Sœurs
en cette pratique de l'obéissance, puisque c'est en cela que gît tout le bien
d'une religieuse.
Vous devez, mes filles, vous tenir toutes si basses, si soumises que
rien plus, disant en vous-mêmes : mon Dieu ! que suis-je ? un
néant ; je me veux donc tenir en cette qualité. Je suis si petite,
très-petite, si chétive et incapable, que je ne vaux rien qu'à me soumettre. Si
donc toutes les créatures étaient ici, je me voudrais tenir sous elles ;
mais, puisqu'il n'y a que mes Sœurs, et que Dieu m'a retirée de parmi les
autres créatures, au moins je veux, pour son seul amour et plaisir, me
soumettre à la volonté de toutes ; qu'elles fassent ce que [520] Dieu
voudra, je lui serai toujours soumise. Oh ! mes filles, apprenez bien
cette leçon ; car, cette humilité de cœur, cette soumission de volonté et
de jugement doivent être le fondement de votre perfection, et c'est en quoi
l'on doit tâcher de bien établir les novices. Quelle témérité n'est-ce pas de
vouloir avoir un jugement et volonté propre, au lieu de suivre celle de
Dieu ?
Hé Dieu ! si nous considérons bien Notre-Seigneur jusqu'à sa
douloureuse mort, aurions-nous de la peine à nous soumettre, petites créatures
que nous sommes, indignes pécheresses et pauvres vermisseaux ! Enfin, mes
filles, il faut servir Dieu par une abnégation parfaite des choses de la terre,
et une générosité et magnanimité de courage qui ne s'étonne point des
difficultés ; mais qui s'appuie sur les forces et les secours de son
Bien-Aimé, persévérant ainsi toute sa vie à faire le bien une fois commencé.
O mes filles ! il faut faire tout par amour, et tout par
obéissance, et tout pour Dieu, voire, les moindres de vos actions.
Notre maîtresse, ce que je désire que vous inculquiez à toutes vos
novices, c'est la pureté de cœur qui bannit toutes sortes de péchés et imperfections
volontaires, une pureté qui se plaît de plaire à Dieu et de faire tout par
amour.
En deuxième lieu, faites-leur comprendre l'obligation qu'elles ont à la
très-exacte observance de tout
ce qui est de notre petit Institut ; être soigneuse que tout entièrement
s'y pratique, voire, les moindres choses, et, par ce moyen, les rendre souples
comme des gants. C'est une de nos observances que l'humble déférence des unes
pour les autres ; nous rendre un honneur grand et cordial, qui, comme dit
notre Bienheureux Père, ne consiste pas en gestes extérieurs, mais en
véritables sentiments du cœur.
Faites-leur encore comprendre comme elles doivent s'affectionner à
l'oraison et au recueillement, car c'est là où elles recevront la lumière et
force pour une plus parfaite observance. [521] Voyez-vous, mes chères filles,
plus l'âme approche de Dieu, plus elle se rend familière avec sa bonté par
l'oraison et le recueillement, plus il lui donne de force pour embrasser ce
qu'elle voit lui être agréable.
Je ne vous recommande pas de mortifier nos filles que voici, car elles
le sont déjà toutes, et puis, je n'aime pas ces mortifications qui surchargent
et bandent l'esprit et accablent le corps, mais oui bien celles qui se
rencontrent en l'observance et à chaque moment, selon l'ordre de la divine
Providence.
À Dieu, mes chères filles, dans dix-neuf jours nous nous reverrons,
Dieu aidant. Demeurez en Notre-Seigneur, et ne crains point, petit troupeau,
car c'est Dieu qui te gouverne, et ton Père céleste a soin de toi.
SUR CES PAROLES DE LA CONSTITUTION DE LA DIRECTRICE :
RAPPELER TOUTES SES FORCES AU SERVICE DE L'ÉPOUX
CÉLESTE, ETC.
Il y avait l'autre jour une Sœur qui me mandait ce que c'est que rappeler
toutes ses forces au service de l’Époux céleste. Ce sont deux paroles sur
lesquelles nous avons à nous entretenir ; mais je ne dirai guère
aujourd'hui. Je ne parlerai pas sur la chasteté, mais sur ce premier point de rappeler
toutes ses forces au service de l'Époux céleste. Cela se fait par le moyen
de la mortification, et ne se peut pratiquer sans se mortifier : car cela
veut dire qu'il faut rappeler toutes ses forces pour se retirer des choses dans
lesquelles nous nous trouvons engagées. Si notre volonté est arrêtée dans
l'affection et désir d'être aimée et caressée, il la faut rappeler de là pour
la porter en Dieu, [522] renonçant à celle inclination, pour ne vouloir être
aimée et caressée qu'autant que Dieu voudra. Si notre entendement est engagé
aux créatures, à l'amour de nos parents, à discourir et faire des réflexions
inutiles, il faut se dépouiller de ces attaches et unir toutes ses forces pour
nous attacher à Dieu, et nous occuper et ramasser autour de sa sacrée présence,
ne discourant, ni réfléchissant que sur cela. De même si notre mémoire est
engagée dans des souvenirs du monde, des choses que nous y avons quittées, et
des choses qui nous donnent du plaisir, il faut, dès que nous nous en
apercevons, la rappeler et la remplir des souvenirs de Dieu et de ses
bienfaits, de ce qu'il a fait et opéré pour nous. Si nous avons de
l'inclination à faire ceci plutôt que cela, à aller ici plutôt que là, il faut,
incontinent, rappeler ces inclinations pour nous soumettre à l'obéissance et à
la volonté de nos supérieurs, nous rendant souples et maniables à faire ce que
l'on nous dira et ordonnera.
Certes, mes chères filles, il faut servir Notre-Seigneur selon son gré,
et non pas selon le nôtre. Si un seigneur donnait à un sien serviteur, une
somme d'argent, et qu'il lui ordonnât de lui acheter des étoffes, pour
s'habiller lui et sa famille, et que ce serviteur, rencontrant en son chemin du
blé, par exemple, et autres choses qui fussent à bon marché, et que, sous
prétexte de faire du gain, il employât l'argent de son maître à cela, il ne
ferait pas bien, il ne serait pas bon serviteur, car il ne contenterait pas son
maître, et ne ferait pas les choses selon la volonté d'icelui, d'autant que son
maître n'a pas besoin du gain qu'il veut faire avec cet argent ; mais il a
besoin d'étoffes. C'est pourquoi il donne son argent pour en avoir, et il veut
que son serviteur lui obéisse, faisant les choses comme il lui a ordonné et non
pas comme il lui vient en fantaisie. De même, Notre-Seigneur nous a donné des
règles, afin que nous vivions selon icelles, et des supérieurs, afin que nous leur
obéissions tout simplement. Nous sommes obligées de prendre ce qu'on nous [523]
donne, comme dit le Directoire ; néanmoins, si on nous donne une robe trop
légère, ou trop pesante, ou trop usée, ou trop neuve, que sais-je moi ;
nous prendrons des prétextes ; que si notre robe était plus légère nous
ferions mieux ce que nous avons à faire, plus gaiement, plus diligemment, que
nous en servirions mieux la religion ; que si elle était aussi plus
pesante et plus chaude, nous n'en ressentirions pas tant d'incommodités, nous
en ferions mieux nos exercices et les fonctions de la religion. Enfin tout cela
sont des imperfections et infidélités. Notre-Seigneur n'a pas besoin que nous
soyons saines et gaies, que nous fassions nos exercices selon notre
satisfaction, et que nous le servions selon notre goût ; il veut notre
obéissance et soumission, et il ne veut point tous ces gains, ni toutes ces
prudences humaines ; il veut la simplicité et pureté. Rendez-donc une
obéissance entière à tous nos saints règlements, mes chères filles, car
l'obéissance est proprement la vertu des vraies religieuses.
Vous demandez ce qu'il faut faire quand il vous vient de la
complaisance, après vous être surmontées. Oh ! mes chères filles !
gardez-vous de ce larron, car il dérobe tout. Ne savez-vous pas ce que
dit saint Augustin en nos règles, que l'orgueil fait des embûches aux bonnes
œuvres mêmes. Quand nous sentons ces complaisances nous devons nous
humilier, sans nous y complaire ; car, hélas ! de quoi pouvons-nous
avoir de la vaine gloire ? Si nous avons quelque bien, n'est-ce pas Dieu
qui nous le donne ? Ne lui dérobons-nous pas ce qui est à lui ? Quant
à celles qui n'ont pas de répugnance, elles ont autant d'avance, et ont moins à
travailler pour Dieu ; mais aussi, elles sont plus obligées de se tenir
auprès de sa bonté, et de s'exercer aux vertus solides. [524]
SUR CES PAROLES DE LA CONSTITUTION DE LA DIRECTRICE :
ELLE LEUR APPRENDRA À NE POINT SE CONFIER EN ELLES-MÊMES, ETC.
Je veux suivre ce que j'avais commencé l'autre jour, en la constitution
de la directrice. Notre Bienheureux Père dit : Parce que l'entreprise
est grande, elle leur apprendra à ne se point confier en elles-mêmes, mais à
jeter toute leur confiance en Dieu. Qui d'entre vous sait pourquoi nous
nous devons méfier de nous-même ? Je le demande aux novices ; car,
pour les professes, elles sont toutes doctes.
Vous dites, ma chère fille, que c'est parce que notre esprit est si
inconstant qu'il va tantôt à une chose, tantôt à une autre. — Une autre
novice répondit : « C'est parce que nous ne sommes rien. — Oui,
ma fille, c'est parce que nous ne sommes rien, ne valons rien, et ne pouvons
rien de nous-mêmes ; et, ce qui est bon en nous, vient de Dieu, ainsi
que dit saint Augustin, lequel demandait aux arbres, aux plantes, aux pierres.
Qui est-ce qui vous a créés ? Ainsi nous ne nous sommes pas faites
nous-mêmes. Or, cette humilité morale, cette connaissance que nous avons de
nous-mêmes, que nous ne sommes rien, il n'y a personne si pauvre qui ne le
sache bien, et cette connaissance ne nous peut sauver ; mais, l'humilité
chrétienne, c'est d'aimer, et nous réjouir lorsqu'on nous traite pour pauvres,
viles et abjectes créatures, que l'on nous méprise, que l'on ne fait nul état
de nous ; enfin, c'est d'aimer d'être mortifiées et méprisées. Vous voyez,
mes chères filles, que nous ne sommes que boue, fange et ordure, et que ce
n'est pas nous qui nous sommes faites ; c'est donc Dieu qui nous a tirées
du néant où nous étions, pour nous faire ce que nous sommes ; car, il n'y
en a [525] pas une ici qui ne puisse dire qu'elle n'était rien, il y a
cinquante-deux ans, car je pense être la plus vieille.
Voilà donc, mes chères filles, comment nous devons nous méfier de
nous-même et nous confier en Dieu. Si nous avions quelque chose de grand à
faire, quelque difficile ouvrage, quelque belle harangue, nous appuierions-nous
sur une fétu de paille ? Oh ! non certes ; cependant nous sommes
moins que cela ; nous ne pouvons même prononcer le saint Nom de Jésus,
comme dit l'Apôtre, sans une particulière grâce et assistance. Oh ! je
désire que nos Sœurs aient cette connaissance d'elles-mêmes, car c'est le
fondement de l'édifice spirituel.
Ma Sœur la directrice, lisez souvent à vos novices les chapitres de la
Connaissance de soi-même, qui sont dans le père Rodriguez ; et les
deux premiers chapitres du Combat spirituel, de la Défiance de soi-même
et de la Confiance en Dieu. Enfin voilà, mes chères filles, comment nous ne
pouvons rien de nous-même ; mais Dieu peut tout en nous. Disons avec saint
Paul : Je puis tout en celui qui me conforte. Confions-nous en
Dieu, car il n'y a rien qui attire tant son esprit dans une âme, que la
confiance qu'elle a en lui.
Ma Mère, faut-il chercher l'occasion de se faire mépriser ? — Non, ma fille, ce n'est pas là notre
esprit ; mais il faut bien recevoir les occasions qui se présentent, et,
lorsque nous n'en avons pas, il en faut faire des actes intérieurs, disant en
soi-même, que l'on n'est que vileté et misère, et s'anéantir devant Dieu. Vous
me dites encore que lorsqu'on vous méprise ou humilie, vous le ressentez
vivement, encore que vous ayez bien la volonté de l'aimer.
Ma Mère, cette volonté est-elle bonne ? — O Jésus ! Oui, ma fille, cela nous a
tant été enseigné par notre Bienheureux Père, que toutes nos répugnances et nos
sentiments ne nous peuvent nuire, pourvu que nous ne fassions rien ensuite, et
que, quant à la volonté, nous acceptions de bon cœur le mépris, croyant [526]
que nous le méritons bien ; ce sont là les vrais actes de vertus. Il faut
encore dire ceci : c'est qu'il ne faut pas regarder les Sœurs dans leur
néant, mais dans leurs vertus et les dons que Dieu a mis en elles, les
regardant dans le Cœur de Dieu et voir son image en elles, et nous tenir
au-dessous et aux pieds de toutes et nous mépriser nous-même. Je vais dire les
pratiques : Soyez serviables, grandement condescendantes ; préférez
la volonté de vos Sœurs à la vôtre ; si vous ne vous estimez rien, vous
serez bien aises de vous soumettre à elles et de suivre leurs volontés.
Or sus, mes chères filles, vous souviendrez-vous bien de ce que je vous
ai dit, et le direz-vous bien aux autres ? — Oui, nous ne sommes rien, ne
valons rien, et ne sommes qu'un vrai néant ! Dites-vous souvent les unes
aux autres : ma Sœur, je vous donne la joie de ce que je ne vaux rien, ni
vous aussi. Mais il faut encore redire ceci : il ne faut pas regarder en
nos Sœurs leur néant, mais leurs vertus et ce qui est de bon en elles ; il
les faut regarder dans le Cœur de Dieu, et regarder l'image de Dieu en nos Sœurs.
Vous demandez à qui les novices se doivent adresser pour demander congé
aux assemblées de la communauté, quand la directrice n'y est pas, si c'est à
l'assistante de la communauté ? À celle du noviciat, ma fille, car la
directrice qui voudra savoir où est sa novice, ne la demandera pas à
l'assistante de la communauté, mais oui bien à l'assistante et surveillante du
noviciat. Elles doivent lever la vue au chœur, au réfectoire et autres lieux où
la communauté est assemblée, pour surveiller les novices.
Vous dites encore, si l'on peut bien parler de choses bonnes que l'on
vous dit au noviciat ? Hé ! oui, je n'aime pas que l'on soit si
secrète, pourvu que l'on ne dise rien des coulpes et avertissements, ni rien
qui puisse malédifier. [527]
SUR LA CONFIANCE QUE NOUS DEVONS AVOIR EN L'INFINIE
SAGESSE, BONTÉ ET TOUTE-PUISSANCE DE DIEU.
Mes chères filles, je vous ai dit dernièrement que vous deviez vous
défier de vous-même, et les moyens et les causes pourquoi vous vous en deviez
défier. Maintenant, il faut passer plus outre et nous confier pleinement en la
bonté de Dieu pour toutes choses. Vous désirez peut-être savoir le fondement
sur lequel nous devons appuyer notre confiance en Dieu, le voici en trois
points : premièrement, c'est qu'il est tout sage ; secondement, il
est tout bon ; troisièmement, il est tout puissant ; donc il sait
tout ce qu'il nous faut pour l'âme et pour le corps. Il est tout bon, et la
bonté même ; ce qu'il nous témoigne en ce qu'il a fait pour nous. Il est
tout-puissant pour nous donner ce qu'il voit nous être nécessaire. Voilà donc,
mes chères Sœurs, sur quoi nous devons établir noire confiance, c'est en Dieu,
et non pas en nous-même ; car, dites-moi, si vous aviez à passer quelque
grosse rivière, et qu'il n'y eut qu'une planche toute pourrie, si vous vous
fieriez sur icelle pour la passer ? Non certes, vous craindriez de vous
noyer ; eh bien, nous ne sommes qu'une méchante planche pourrie et qu'un
faible roseau ; il ne nous faut pas appuyer sur nous.
Savez-vous d'où vient que plusieurs se troublent de se voir tombés en
de grosses fautes et imperfections ? C'est parce qu'ils ne sont pas fondés
sur la connaissance d'eux-mêmes ; car se doit-on étonner de voir que la
misère soit misérable, l'infirmité, infirme, et la faiblesse tomber par terre ?
Mais quand nous sommes tombées, faisons comme les enfants qui vont de tout à
[528] leur mère nourrice ; s'ils tombent, ils la regardent ; s'ils
trouvent quelques bûches et chose semblable, ils la lui portent ; si on
leur fait peur, si on les contrarie, ils se jettent entre ses bras. Faisons-en
de même, mes très-chères filles, allons de-tout à Dieu avec humilité.
Si nous sommes travaillées de quelques peines et tentations, recourons
promptement à Lui, réclamons son secours, et il nous aidera ; avons-nous
quelques difficultés, jetons-nous entre ses bras et il nous consolera ; et
tant pour les choses extérieure que pour les intérieures, réclamons le secours
de notre Père céleste et nous jetons sans réserve entre ses bras, et il nous
assistera et fortifiera selon notre besoin, par exemple : si l'on vous
apprend à faire l'oraison et que vous ne le sachiez comprendre, allez-vous-en à
Dieu avec confiance, et il vous illuminera et inspirera. Vous donne-t-on
quelque charge difficile ? faites-en de même, et dites comme notre
Bienheureux Père à son prédécesseur, Monseigneur de Granier, quand il lui
commanda d'aller au Chablais, Ternier et Gaillard, convertir ces peuples. Il
était fort jeune, il avait sujet de s'excuser, mais il ne dit autre chose,
sinon : « À votre parole je jetterai les filets. » Ainsi
en devons-nous faire, disant à Notre-Seigneur que sur sa parole nous
commencerons à faire tout notre possible pour nous bien acquitter de notre
charge, considérant que de nous-même nous ne pouvons rien, mais qu'en lui nous
pouvons toutes choses. Et celles qui ne sentent pas cette confiance ne doivent
pas laisser d'en faire les actes sans s'arrêter aux sentiments, car nous ne
devons pas vivre selon nos sentiments, mais selon la foi et la raison ; et
enfin, mes filles, il faut être fort généreuses et jeter notre confiance en
Dieu.
Il n'y a rien qui attire tant sa miséricorde sur nous que quand on
recourt à sa bonté avec humilité, pour toutes choses.
L'on s'en va bien à Dieu, dites-vous, mais notre esprit s'en distrait
incontinent. Tant que nous serons en cette vie, nous ne [529] pouvons pas avoir
une continuelle attention à Dieu ; mais, quand vous trouverez votre esprit
dissipé, il faut retourner à Dieu, disant : Seigneur, vous voyez ma
misère. L'on voit quelquefois des personnes avoir toute leur attention à leur
ouvrage ou à leur charge, à leur quenouille, etc. Oh ! il faut avoir soin
de retourner souvent son esprit à Dieu. Bref, je voudrais que nous fussions
fort familières avec Dieu, et que nous allassions en toutes choses à Lui, comme
font les petits enfants vers leur mère. Mes chères filles, je voudrais que nous
fussions dans la pratique des vertus, ainsi qu'en toute autre occasion, que
nous eussions toujours recours à Dieu, en réclamant son assistance. Le
Psalmiste dit : Fais bien et espère en Dieu. Il ne dit pas :
Fais mal ; or, nous qui voulons bien faire, espérons en sa bonté et
il nous assistera ; et les pécheurs qui se veulent convertir doivent
espérer en sa bonté et miséricorde, car il ne rejette personne.
Vous demandez si, lorsqu'on vous a commandé quelque chose que vous ne
savez pas faire, si vous devez laisser de vous le faire montrer, sous le
prétexte de vous confier en Dieu ? Non pas, ma fille, ce serait tenter
Dieu ; car nous ne devons pas attendre qu'il fasse des miracles pour nous
pendant que nous pouvons avoir des secours humains ; si je puis aller au
chœur sur mes jambes, pourquoi voudrais-je que Dieu fit un miracle et m'y
portât ? Quand tous les secours humains nous manquent et que nous nous confions
en Dieu, alors il fera plutôt des miracles que de manquer de nous assister,
comme il fit, arrêtant le soleil et fendant la mer ; et même il en a fait
en notre Ordre ; car, au commencement, nous ne savions de quoi vivre et
Dieu y pourvut admirablement. Il en fit de même en plusieurs de nos maisons.
Or, dites-moi, si l'on vous avait dit, de quelque personne, que vous eussiez
recours à elle en toutes vos nécessités, et qu'assurément elle vous donnerait
tout ce que vous auriez besoin, n'iriez-vous pas à elle en toute
confiance ? Dieu en est de même envers nous, car il a dit : Demandez,
et il vous sera [530] donné ; heurtez, et l'on vous ouvrira. Demandez-lui bien toutes vos nécessités, avec
confiance, et il vous donnera sans remise.
J'ai gardé trois ou quatre jours cette pensée : je considérais que
notre bon Seigneur a bien permis que, dès le temps même des Apôtres, il y a
toujours eu des hérésies, et il souffrait que l'on adorât des chiens, des chats
et autres sortes d'idoles comme si c'étaient de vrais dieux ; et je
considérais que nous, chétives créatures que nous sommes, nous nous voulons
préférer aux autres ; nous voulons que l'on nous estime, et sommes fâchées
si on ne fait pas plus d'état de nous que des autres ; et néanmoins, nous
voyons que le Fils de Dieu a souffert tant de mépris ! Il se faut mettre,
à bon escient, h travailler pour faire ce que Dieu désire de nous, car il a dit
qu'il examinera Israël la lanterne à la main, c'est-à-dire les personnes
les plus justes. Pensez donc ce qu'il ne fera pas aux pécheurs et à tout son
peuple ?
Il se faut bien ressouvenir de ce mot, qu'il faut que l'on fasse les
avertissements avec charité et pour profiter aux Sœurs, et que celle qui est
avertie tâche non-seulement de l'écouter sans réplique ni excuse, mais il faut
encore qu'elle s'accuse intérieurement en faisant avouer son manquement à son
jugement, et qu'incontinent elle fasse de bonnes résolutions efficaces de se
corriger de ce dont on l'avertit, et doit savoir bon gré et aimer les Sœurs qui
lui ont fait la charité. O certes ! ce n'est pas le tout que d'avoir la
volonté bonne, de pratiquer ce que l'on nous dit ; il faut faire des
œuvres, autrement nous en recevrons de la confusion et répondrons devant Dieu.
Ce n'est pas que je veuille que vous ne fassiez point de faute, car je sais
bien qu'il ne se peut ; mais au moins humilions-nous-en devant Dieu ;
faisons-nous souvent la demande que se faisait saint Bernard, lequel se
disait : Bernard, pourquoi es-tu venu en religion ? Ainsi
disant, nous verrons que notre intention doit avoir été de nous unir à Dieu
plus fortement par l'exacte observance de nos règles. [531]
Enfin, mes chères filles, Notre-Seigneur a dit : Cherchez
premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et il vous sera donné toutes
choses nécessaires ; car il a plus soin de nous qu'une mère n'a pas de
son petit enfant.
Il faut qu'une âme qui a la tentation qu'elle sera du nombre des damnés
dise à Notre-Seigneur : Mon Dieu, il est vrai que je mérite de l'être,
mais je ne laisserai pas d'espérer en vous et de faire tout mon possible pour
m'acquitter de mon devoir ; et puis je me résigne à tout ce qu'il vous
plaira ordonner et faire de moi. C'est aussi un bon moyen que de découvrir ses
tentations à ceux qui ont charge de nous ; car la première chose que fait
le malin esprit, c'est de nous empêcher de dire ses tentations et de nous
donner de beaux prétextes en apparence, comme : il les faut souffrir sans
le faire connaître ; ou tel autre : parce qu'il a plus de puissance
sur nous (l'ennemi) quand nous les tenons secrètes. Il se rencontre quantité
d'âmes, lesquelles, après s'être découvertes de leurs peines, s'en trouvent
quittes. Quand nous avons donc quelque chose qui nous trouble et fait de la
peine, il la faut aller dire simplement ; mais si la chose est légère et
que nous la puissions souffrir sans le dire, il le faut remettre jusqu'à ce que
nous rendions compte, s'il se peut, facilement. Grâce à Dieu, nous sommes
toutes de bonnes filles et qui avons de bons désirs ; il ne faut que nous
mettre en la pratique.
SUR LA MÉFIANCE DE SOI-MÊME, LA CONFIANCE EN DIEU, LA
MORTIFICATION ET LA FIDÉLITÉ À L'ORAISON.
Je vous ai parlé, mes chères Sœurs, du fondement que nous devons jeter
pour notre édifice spirituel, qui est de la méfiance [532] de nous-même et de
la confiance en Dieu. Or, il faut maintenant venir à la pratique, car nous ne
saurions acquérir la perfection sans ces deux points : la fidélité à
l'oraison, et la mortification en tout ce qui met obstacle à l'observance de
nos règles, ou qui n'est point conforme à la volonté de Dieu, qui nous est
signifiée par icelles et par nos supérieurs, comme, par exemple : vous
auriez bien envie de faire quelque chose quand la cloche sonne, il faut partir
promptement et tout quitter ; on sonne le réveil et vous voudriez dormir,
mortifiez cette inclination ; vous auriez envie de lever les yeux, et la
constitution le défend, mortifiez-vous en cela ; mortifiez encore
l'inclination de parler sèchement aux Sœurs, et ainsi de toutes les autres
choses, car je ne veux point commander de mortifications au delà des règles.
Il faut encore embrasser la mortification qui se trouve en la volonté
de Dieu, qui nous est signifiée par nos supérieurs, et aussi celle du bon
plaisir qui nous est signifiée par les événements : comme si vous tombiez
malade, il vous faudrait prendre des médecines, recevez cette
mortification ; ou bien : il pleut, il fait chaud ou mauvais temps,
et vous désireriez de vous aller promener, mortifiez cette inclination en ces
rencontres : voilà, mes chères filles, la mortification que Dieu désire de
vous. L'on vous vient dire la mort de quelqu'un de vos parents ou amis,
allez-vous-en à Dieu, et unissez votre volonté à la sienne, et renoncez ainsi à
la vôtre en toute rencontre et tout événement. Je vous assure que cette
mortification nous est tellement nécessaire, que, sans elle, nous ne saurions
arriver à la perfection de notre sainte vocation. Y en a-t-il quelqu'une parmi
vous qui croie d'y pouvoir arriver sans cela ? Qu'elle le dise. Non
certes. Le Fils de Dieu, qui n'en avait nul besoin (de mortification), l'a bien
voulu pratiquer, comme il nous l'enseigne au Jardin des Olives, suant le sang
et l'eau. Yen a-t-il parmi vous, qui, pour vaincre ses passions, ait sué
l'eau ? car, pour le sang, cela n'est pas pour nous. Oui, il y a des âmes
qui ont leurs passions si [533] fortes qu'elles sont toutes en eau, de la
violence qu'elles se font pour les surmonter ; mais celles-là ne sont pas
même parmi nous autres ; car nos Sœurs sont si bonnes qu'elles ne les ont
pas si fortes, et encore qu'il y en aurait quelqu'une, je ne l'en estimerais
pas moins, pourvu qu'elle fût bien fidèle à les vaincre et mortifier.
Non, non, ma fille, je ne vous demande point d'autres mortifications
que celles qui sont en la règle, car je ne veux pas apporter plus de haire et
de discipline que nous n'en avons. Or sus, ne pratiquerons-nous pas bien ce que
nous venons de dire ? avons-nous bien bon courage pour
l'entreprendre ? S'il vous donne quelque doute, vous me feriez plaisir de
me le dire, j'espère en Dieu d'y satisfaire. Il me semble cependant que cela
est tout clair, il ne faut que le bien pratiquer. Ne me le promettez-vous
pas ? « Oui, ma Mère, nous le ferons bien, s'il plaît à Dieu. »
— Je vous en demanderai compte au jour du jugement... Notre maîtresse, qu'il y
aura de plaisir de voir nos Sœurs qui seront si mortifiées et si
recueillies !
Il faut passer au second point qui est de l'oraison, car la
mortification sans l'oraison est bien difficile, et l'oraison sans la
mortification est bien dangereuse. Je n'ai jamais aimé la multiplicité ;
je voudrais porter nos Sœurs à l'unité. Comme je disais hier, allons à Dieu de
tout notre cœur ; car enfin nous y irons tant qu'à la fin nous y serons
portées. Apprivoisons-nous fort autour de Notre-Seigneur ; faisons en
sorte que notre vie soif une oraison continuelle : soit que nous allions
par le monastère, soit que nous travaillions, que tout nous serve pour aller à
Dieu, ainsi notre vie ne sera qu'une continuelle oraison.
Vous demandez si, pour aider cette continuelle oraison, il ne serait
pas bon de n'en pas perdre de celles que la constitution permet ? Oui, je
vous assure, et je voudrais bien que nos Sœurs n'en perdissent pas un
demi-quart d'heure, particulièrement celles qui n'ont rien à faire ; et
encore, quelque charge que l'on [534]
ait, l'on peut avoir le temps,
si l'on veut, de la faire ; et, si l'on ne peut avoir demi-heure avant
l'Office, faites-la un quart d'heure après. Vous demandez aussi si, lorsqu'on
n'a pas pu faire l'oraison du matin, on la peut reprendre au silence ?
Oh ! je vous assure, ma fille, que c'est la pénitence que je voudrais
donner à celles qui la perdraient par leur faute. Oui, on peut encore employer,
les fêtes, la demi-heure après None, en actions de grâces, encore que
l'on ait fait demi-heure d'oraison devant l'Office, et demeurer une partie du
silence dans le chœur, si l'on veut, pour y faire quelques prières vocales.
Vous dites encore, si, lorsque vous ne pouvez faire oraison, à cause
des distractions, si vous ne feriez pas bien de lire, y trouvant plus de
dévotion ? Ma fille, portez un livre, lisez trois ou quatre lignes,
arrêtez-vous là-dessus ; et, quand vous vous sentirez distraite, lisez
encore, et passez ainsi votre oraison. La première chose que nous devons faire
à l'oraison, c'est de nous humilier devant Dieu, reconnaissant que nous sommes
inutiles s'il ne nous occupe ; et puis, comme que l'on y soit, n'importe,
pourvu que l'on y soit fidèle, l'on y est assurément selon la volonté de
Dieu ; quand nous ne pouvons rien faire, il nous faut, au moins, tenir en
grande révérence, avec un maintien humble et dévot, car ce nous est toujours
trop d'honneur d'être là, devant Dieu, et cette oraison d'humilité et de
patience est quelquefois aussi bonne, pour le moins, que celle de consolation.
Or sus, mes chères filles, vous vous souviendrez de ces quatre
points : 1° la méfiance de vous-même ; 2° la confiance en Dieu ;
3° la mortification ; 4° la fidélité à l'oraison ; les
pratiquerons-nous bien ? Nous y aurons de la difficulté ; car, tant
que nous serons en cette vie, nous en aurons toujours ; mais il la faut
surmonter, car Notre-Seigneur a dit que : nul ne sera couronné s’il n'a
vaillamment combattu. Nous autres qui sommes obligées de tendre à la
perfection, sous peine de péché mortel, [535] il faut bien que nous tendions à
la sainteté de notre vocation, qui est l'union de notre âme avec Dieu, par la
voie d'une exacte observance. Je voudrais avoir un pinceau, un burin, pour
graver ces vertus dans le cœur de nos Sœurs avec mon propre sang ; et s'il
ne fallait qu'un de mes yeux, je l'arracherais de bon cœur ; oui, je vous
assure, mes chères filles. Amen. Dieu vous bénisse.
SUR L'HUMILITÉ, L'OBÉISSANCE ET L'ORAISON.
Ce noviciat fut tenu au moment du départ de notre sainte Mère pour un
voyage, après qu'elle eut demandé aux Sœurs novices si elles ne seraient pas
abattues en perdant leur maitresse, quelle venait leur ôter, elle leur demanda
à toutes leurs résolutions et dit ensuite :
Or sus, mes très-chères filles, il nous faut embrasser courageusement
la sainte humilité, car c'est de cette vertu que dépendent toutes les
autres ; c'est elle qui nous fait obéir, et nous ne sommes religieuses que
par l'obéissance. Anciennement, le nom de religieuses voulait dire reliée ;
qu'est-ce qui nous doit lier, qu'une parfaite obéissance, et l'exacte
observance de nos règles ? Si nous sommes bien humbles, nous serons bien
obéissantes ; car, la fille aînée de l'humilité, c'est l'obéissance ;
la condescendance est la cadette. Notre Père saint François dit :
« que ce n'est pas proprement obéir que de condescendre à ses égaux, mais
c'est une espèce d'humilité. »
Voyez-vous, mes filles, une âme qui est bien humble, et qui [536] est
tout abîmée dans son néant, se tient si basse et si petite devant Dieu et les
yeux des créatures, qu'elle s'estime trop heureuse d'être employée aux offices
les plus bas de la maison. Oh ! si nous pouvions une fois acquérir cette
vertu, nous aurions bientôt toutes les autres ; car, comme elle est la
mère de toutes, elle n'entre point eu une âme sans être accompagnée de
l'obéissance. C'est cette obéissance que je vous recommande, vous rendant si
grandement promptes, que, soudain que l'on entend le son de la cloche, l'on ait
le pied en l'air pour marcher. Oh Dieu ! mes filles, les grandes vertus
que celles-là ! soyez bien obéissantes, afin qu'à mon retour je trouve nos
novices des règles vivantes. Nous avons toutes bon courage de
l'entreprendre ; car, véritablement, nous ne serons jamais de vraies
filles de la Visitation, si nous ne nous rendons exactes en l'observance.
Qui sont celles qui désirent les consolations à l'oraison, ou qui
s'attendrissent quand elles ne les ont pas ? Oh ! il ne faut pas les
chercher ni les désirer ; mais les recevoir de bon cœur et avec actions de
grâces quant elles arrivent, en tirer le profit que Dieu désire, et pour lequel
il nous les envoie, qui est afin de nous donner toujours meilleur courage pour
le servir.
Mes filles, mortifiez-vous bien ; soyez exactes à l'obéissance,
bien condescendantes, et surtout bien fidèles à l'oraison et au
recueillement ; faites force aspirations et élancements d'esprit en Dieu,
et d'actes de soumission à sa volonté.
Il ne faut pas toujours être à genoux pour faire l'oraison ; mais,
à l'imitation de sainte Catherine de Sienne, faire un petit oratoire dans son
cœur, et, comme elle, y regarder Notre-Seigneur en tout. Aussi, quand nous
faisons quelque chose, faisons-le purement pour plaire à Dieu, comme dit le
Directoire ; il le faut bien pratiquer.
Notre-Seigneur a dit en l'Évangile, et c'est un article de foi : Demandez,
et il vous sera donné ; frappez, et il vous sera ouvert ; cherchez,
et vous trouverez. C'est une chose assurée que, si nous nous rendons
fidèles à Dieu, nous aurons des consolations en l'oraison, toutefois, ce n'est
pas en quoi consiste la perfection. Ne voyez-vous pas que, quand il y a du
sucre en une viande, cela la gâte et la rend fade ; le sucre, en
l'oraison, engendre les petits vermisseaux de vaine gloire.
(Faite la semaine de Pâques)
SUR LES VERTUS À PRATIQUER POUR ÊTRE VRAIES RELIGIEUSES, ET
SUR LE RECOURS CONTINUEL QU'IL FAUT AVOIR À NOTRE-SEIGNEUR POUR VAINCRE LES
TENTATIONS.
Après avoir demandé nos résolutions, cette digne Mère nous dit : Or sus, mes chères filles, êtes-vous bien
ressuscitées ? Vous avez été toute cette semaine en solitude ; vous
avez vu, en vos oraisons et méditations, et aux prédications que vous avez
ouïes ce carême, les tourments que Notre-Seigneur a voulu endurer pour nous,
tant intérieurement qu'extérieurement. Voyez-vous, mes chères filles, la grande
violence que Notre-Seigneur se fit, au jardin des Olives, pour surmonter la
nature humaine, et la faire unir à la volonté du Père éternel ; il nous
montre bien l'exemple de surmonter nos inclinations ; mais ce n'est pas
pour nous faire endurer les opprobres, les humiliations, les mépris, les
injures qu'il a voulu souffrir pour nous, car jamais nous n'aurons ces
occasions. Mais, au moins, nous devons bien faire profit des humiliations,
mortifications et anéantissements qui nous arrivent, tant de nos supérieures
que d'autre part. [538]
Enfin, voyez-vous, mes filles, nous ne sommes religieuses que par
l'obéissance, car le premier fruit de l'humilité, c'est l'obéissance : la
condescendance est sa fille cadette. Mais ce n'est pas obéissance de
condescendre à nos égaux, mais c'est une espèce d'humilité. Une âme qui est
bien humble et qui s'est toute abîmée dans son néant, se tient si petite et
basse devant les yeux de Dieu et ceux des créatures, qu'elle s'estime trop heureuse
d'être employée aux offices les plus vils, abjects et pénibles de la maison. Si
une fois nous pouvons acquérir cette vertu d'humilité, nous aurons aussi toutes
les autres ; car, comme elle est mère de toutes, elle n'entre point dans
une âme sans être accompagnée de l'obéissance, qui est sa fille aînée. C'est ce
que je vous recommande que cette obéissance, et la douce condescendance les
unes envers les autres. O Dieu ! mes chères filles, que ce sont de grandes
vertus que celles-là, car Notre-Seigneur dit qu'il n'est pas venu pour faire sa
volonté, mais celle de son Père qui l'a envoyé. Soyons bien obéissantes et bien
exactes à l'observance ; car je veux qu'à mon retour toutes nos novices
soient de vraies règles vivantes. N'avons-nous pas bon courage pour bien
entreprendre ? car, voyez-vous, l'observance des règles est grandement
agréable à Notre-Seigneur ; quand vous les observerez bien, vous serez de
vraies filles de la Visitation. Or sus, mes filles, ayez toutes bon
courage !
Notre maîtresse, n'avons-nous pas de braves novices ? Elles sont
bien aussi braves que les vôtres de Grenoble ; je les aime bien autant,
pour le moins, et un peu plus, car elles sont miennes.
Qui est-ce qui a bien trouvé Notre-Seigneur par le sentiment ?
Oh ! ce n'est pas ainsi qu'il faut le chercher, mais c'est avec le cœur et
non pas avec le doigt. Qui est-ce qui les désire, les consolations à l'oraison,
et qui est triste quand il ne les a pas ? Vous dites que c'est vous, ma
Sœur N. ; si vous me l'eussiez [539] dit, j'eusse un peu pleuré avec vous.
Oh ! il ne les faut pas chercher ni les désirer, mais les recevoir de bon
cœur, avec actions de grâces, afin d'en retirer bon profit. Pourquoi
pensez-vous que Notre-Seigneur nous les envoie, si ce n'est pour nous donner
toujours meilleur courage de le servir. Mes chères filles, mortifiez-vous bien,
soyez bien exactes à l'obéissance, bien condescendantes, fidèles au
recueillement en faisant souvent des aspirations, des actes d'adoration, de
dénuement, d'abandonnement de vous-même et de soumission à la volonté de Dieu.
Il ne faut pas toujours être à genoux pour faire oraison : si nous faisons
quelque chose, faisons-le purement pour Dieu, et pour lui plaire, comme dit le Directoire,
il le faut bien pratiquer ; car, voyez-vous, mes chères filles, c'est
un article de foi, que ces paroles que Notre-Seigneur dit dans
l'Evangile : Demandez, et il vous sera donné ; frappez, et il vous
sera ouvert ; cherchez, et vous trouverez. C'est une chose assurée, si
je ne me trompe, que nous aurions des consolations à l'oraison, si,
véritablement, nous ne faisions rien que pour les yeux de Dieu ;
faisons-le, et nous aurons de grandes faveurs ; Notre-Seigneur nous
donnera sa grâce prévenante.
Qui est-ce qui craint bien la mortification, et qui s'étonne de la ressentir
et d'avoir des répugnances ? Oh ! il ne s'en faut point étonner, mais
quand nous avons des mortifications, ou que nous ressentons des répugnances, il
se faut contenter de dire comme David : « Seigneur, je me suis tu,
parce que c'est vous qui l'avez fait. » Il faut prendre notre peine et
la porter au pied de la croix et se garder de ne rien faire ensuite. Remarquez
cet exemple : les poussins, quand ils voient le milan, ils se retirent
vite sous les ailes de leur mère ; ils se cachent là. Faisons-en de même,
quand nous sentons le milan de nos passions et inclinations ; portons vite
cela aux pieds de Notre-Seigneur, et nous cachons sous les ailes de sa
Providence, et nous tenir là comme ayant peur que l'on nous vienne prendre. Il
nous [540] faut faire comme notre Bienheureux Père, qui me dit une fois qu'il
avait pris les rênes de sa colère avec les deux mains.
Or, vous me demandez quand vous vous êtes surmontées, et qu'il vous en vient de la complaisance,
comme il faut faire ? Oh Dieu ! mes chères filles, tranchez
promptement la tête à cet ennemi de votre salut, en renvoyant à Dieu la gloire
du peu de bien que vous avez fait. Saint Augustin ne dit-il pas : « L’orgueil
fait des embûches aux bonnes œuvres même, afin qu'étant faites elles
périssent. » Quand donc nous voyons ces complaisances, oh ! que
nous devons nous humilier, et c'est bien alors que nous nous devons jeter en
l'abîme de notre néant, reconnaissant notre misère, faiblesse et vileté.
Hélas ! de quoi pouvons-nous avoir de l'orgueil ? Si nous avons de
l'esprit, il ne faut qu'un trouble de cerveau pour nous le faire perdre ;
notre corps, nous ne nous le sommes pas fait : c'est Notre-Seigneur qui
l'a fait et tout ce que nous sommes. Gardons-nous bien d'en. prendre de la
vanité, car Notre-Seigneur s'est réservé trois, choses : la gloire, le
jugement et la vengeance.
SUR L'AMOUR DE DIEU ET DU PROCHAIN, ET L'ATTENTION À ÉVITER
TOUTE CURIOSITÉ SUR LA CONDUITE D'AUTRUI.
Voilà, mes filles, c'est bien de dire ses coulpes, et je suis fort aise
que vous vous accusiez bien ; mais, je vous prie, faites le moins de
fautes que vous pourrez, ayant une si grande affection de plaire à Dieu, que
cela vous fasse craindre de lui déplaire. Aimez-le si fort que cela vous fasse
fuir tout ce qui le pourrait fâcher. Quand on estime quelqu'un, on tâche de lui
plaire le plus que l'on peut. Soyez tellement amoureuses de Dieu que jamais
vous ne l'offensiez. [511]
Notre maîtresse, nos filles sont certes bonnes ; je le dis
simplement devant elles ; mais je veux qu'elles deviennent excellentes,
qu'elles ne se contentent pas de ne point faire de mal, mais qu'elles fassent
beaucoup de bien. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble qu'elles n'ont
pas assez d'ardeur et de ferveur ; et, c'est cela, mes filles, que je vous
désire, et c'est à quoi il faut mettre la main. Que je voie, je vous prie, des
cœurs tout enflammés de l'amour de Dieu. Mais, souvenez-vous que nous ne
saurions jamais atteindre à la perfection de la sainte dilection et union avec
Dieu, que nous n'ayons aussi l'amour du prochain.
Saint Jean déclare que celui qui dit « qu'il aime Dieu, et n'aime
pas son prochain, est un menteur. » Ainsi, mes filles, si nous n'avons pas
l'amour cordial, ni la sainte dilection envers nos Sœurs, qui représentent
l'image de Dieu, nous devons croire que nous n'avons pas du vrai amour de Dieu.
Oh ! mes chères filles, qu'il est bien vrai que l'âme qui tend à la vraie
perfection, suit son chemin sans regarder par où vont les autres. Oui, la
dévotion généreuse s'applique sincèrement à Dieu, et fidèlement à l'obéissance
et à soi-même, sans regarder ce que font les autres ; et, par cette voie,
l'âme s'enrichit des vraies et saintes vertus, et des biens inestimables de la
perfection qui la portent au ciel, ou, pour mieux dire, l'aident à s'y
acheminer. Que si, au contraire, elle s'amuse à remarquer les actions et le
chemin des autres, elle s'occupe inutilement, la bonne odeur s'évapore au
dehors ; car, il faut que, pour observer les autres, elle se dissipe, et
perde l'attention qu'elle doit avoir à Dieu, et ainsi elle s'anéantit, se rend
misérable sans vertu et esclave de la curiosité, d'autant que les esprits qui
s'occupent autour des autres sont en perpétuelle action pour voir et pour
savoir tout, et se mettent en grand danger d'offenser Dieu, et de tomber en des
ambitions et jalousies qui leur nuiraient beaucoup, si elles n'y prennent
garde. [542]
(Faite en 1627)
SUR LES DANGERS DE LA TIÉDEUR ET DES MAUVAISES HABITUDES.
Mes chères filles, nous sommes toutes venues au monastère pour servir
Dieu et nous y perfectionner ; mais, nous n'y travaillons pas assez.
Notre-Seigneur est au fond de notre cœur qui nous y attend, et dit que ses
délices sont d'être avec les enfants des hommes, et, nous le laissons là,
sans nous excitera son amour et au désir de sa présence, sans nous entretenir
avec Lui. Certes, mes chères filles, je ne suis pas contente de vous voir
toujours vivre avec tant de lâcheté et commettre tant de fautes. Ce n'est pas
que je veuille dire que, tant que nous serons en cette vie, nous n'en
commettions ; mais, il faut que ce soit des fautes de pure faiblesse et
fragilité. Autrefois, je voyais des noviciats qui me contentaient fort ;
il n'y avait que des fautes de surprise et fragilité. Et, maintenant, je ne vois
que des fautes de lâcheté ; qui, suit son inclination ; qui, fait sa
volonté ; qui, n'a pas le courage de se surmonter, que sais-je moi ?
Certes, mes chères filles, je ne sais pas si je deviens impatiente (ne vous
bougez pas, j'aime mieux que vous abaissiez vos cœurs, et que vous fassiez
profit de ce qu'on vous dit, que de faire tant de mystères), mais, il est vrai,
ou je deviens impatiente, ou j'ai trop de zèle de votre perfection, ce qui est
cause que je ne suis pas contente de voir si peu d'avancement parmi vous.
Voulez-vous demeurer ainsi ? Certes, si cela est, vous nous donnerez bien
de l'exercice les unes aux autres, et vous vous le donnerez les premières, et
mon cœur en ressentirait une cuisante affliction. [543]
S'il y en a quelqu'une qui n'ait
pas le courage d'entreprendre, à bon escient, la perfection, et de sortir de sa
lâcheté et tiédeur, je prie Dieu qu'il lui inspire de s'en retourner au monde,
parce qu'elle ne vaudrait rien pour elle, ni pour la religion ; car, pour
moi, j'aimerais mieux être froide, femme séculière, que tiède religieuse ;
parce que Notre-Seigneur a dit : Je vomirai le tiède. Les froids,
ce sont les séculiers qui sont en péché mortel ; mais, à ceux-là, il ne
faut qu'une bonne parole, une inspiration, ou entendre quelque bonne prédication
pour les ramener au bon chemin ; mais, les religieuses tièdes, elles
croient être arrivées où elles le désirent, ce qui est cause qu'elles ne se
mettent pas en peine de sortir de leur tépidité. Céans, l’on ne nous crie
point, l'on ne nous va point après, pour voir ce que nous faisons ; l'on
ne fait que nous dire quelques paroles bien douces : votre maîtresse,
votre supérieure, ne peuvent pas voir quel esprit vous portez à vos exercices,
et si, quand vous allez au chœur, vous vous excitez à louer Dieu, comme marque
votre Directoire, encore que l'on le puisse connaître sur le visage ; pour
moi, quand j'en regarde quelqu'une, je reconnais bien vite si elle est
attentive à Dieu ou non. Oh ! je vous prie, mes filles, faites un peu
votre examen sur la manière dont vous faites vos exercices, car c'est un des
principaux points pour vous avancer en votre voie.
Voyez encore comment vous vous
exercez en la mortification, et si vous vous rendez fidèle au recueillement.
L'on ne vous surcharge pas l'esprit d'une multitude d'exercices, vous n'avez à
faire qu'à bien pratiquer ces deux points : la mortification et le
recueillement. Voyez-vous, mes filles, nous ne sommes pas assez amoureuses de
Dieu, et nous ne nous complaisons pas assez auprès de sa bonté qui daigne prendre
ses délices en nos cœurs. Nous ne correspondons pas assez à sa grâce, ains,
nous avons souvent notre esprit, l'une à son ouvrage, l'autre au feu quand elle
se chauffe, etc. Eh ! mon Dieu ! devrions-nous jamais [544] manger sans penser à Notre-Seigneur et au
festin éternel ? Devrions-nous jamais nous chauffer sans nous souvenir de
l'amour divin, tâchant d'en enflammer nos cœurs, afin qu'on nous voie aller
toujours soupirant après la sainte éternité ?
Nous voici proches de la sainte quarantaine, où nous verrons notre doux
Sauveur, dans l'excès et ferveur de son amour, souffrir pour nous tant de
travaux et de peines ; ne voulons-nous pas animer nos cœurs et
entreprendre tout de bon notre amendement ? Or sus ! mes chères
filles, Notre-Seigneur nous bénisse, allons-nous-en en paix.
SUITE DU MÊME SUJET.
J'ai remarqué que nos Sœurs s'arrêtent trop à de petites bagatelles et
niaiseries, et à je ne sais pas quoi qui se rencontre en leur chemin, elles ne
s'appliquent pas assez aux vertus solides, qui est de considérer pourquoi nous
sommes venues en religion, qui doit être pour nous unir à Dieu, nous faisant
souvent la demande que se faisait saint Bernard : Bernard, pourquoi
es-tu venu en religion ? et nous verrons que notre intention doit être
de nous unir à Dieu par l'exacte observance de nos règles, et de tout ce qui
concerne notre Institut.
O mes filles ! ce n'est pas une petite chose que de servir à Dieu,
il faut beaucoup travailler pour cela toute notre vie, et elle sera bien
employée.
Il faut être soigneusement fidèles à vous entretenir en de saintes
pensées, en travaillant, et à bien employer le temps que l'on donne au noviciat
pour vous former à une vraie vie [545] intérieure ; car, plus tard, quand
vous aurez des charges, vous regretterez bien le temps mal employé, auquel vous
n'auriez pas pris de bonnes habitudes, surtout au saint recueillement.
Gardez-vous bien d'être lâches, et de faire vos actions extérieures par
coutume, ou négligemment, d'autant que Notre-Seigneur a dit, qu'il vomira
les tièdes, et qu'il aime mieux que l'on soit, ou froid, ou chaud, que
tiède, c'est-à-dire ou tout bon ou tout mauvais, comme sont les
séculiers ; mais les religieux sont volontiers tièdes, parce qu'ils se
contentent de ne pas faire de grands manquements, aussi n'en ont-ils pas les
occasions comme eux. L'on doit avoir un grand soin de n'être pas de ce nombre,
et de se rendre fidèle à se préparer à l'oraison, d'autant que qui néglige
l'oraison, néglige la perfection, et l'on ne saurait être parfaite sans aimer
l'oraison et la mortification
Soyez donc fort attentives, mes chères filles, de bien offrir à Dieu
tout ce que vous ferez, le faisant purement pour lui plaire ; et, ne s'en
ressouvenant pas au commencement, il le faut faire aussitôt que l'on s'en
aperçoit.
Je vous recommande aussi de bien lire nos Constitutions et de vous
entretenir sur icelles quelque temps, en faisant votre ouvrage et en vous
promenant, et que celles qui sont douillettes pensent un peu au vœu de pauvreté
qu'elles ont fait ou veulent faire. Et aussi celles qui ont des ressentiments
quand quelque chose leur manque, ou bien qui n'est pas comme elles désirent, et
que celles qui ont des dégoûts ou répugnances à quelques obéissances, pensent
et considèrent le vœu qu'elles ont fait, d'obéir promptement, franchement et
simplement, et toutes les autres conditions qui sont marquées en la
constitution, considérant mûrement si vous faites bien tout ce à quoi vous
désirez vous engager.
Voyez aussi un peu si vous êtes bien respectueuses et cordiales parmi
nos Sœurs, et prenez bien garde de ne pas [546] négliger les petites choses,
d'autant que qui néglige les petites choses tombe bientôt aux grandes, et ceux
qui se rendent fidèles aux petites seront constitués sur beaucoup et sur de
grandes choses.
SUR LE PROFIT QUE L'ON PEUT RETIRER DE SES FAUTES, ET AVEC
QUEL ESPRIT DE FOI IL FAUT VOIR LA VOLONTÉ DE DIEU EN TOUT CE QUI ARRIVE.
Mes chères filles, tout notre bonheur consiste à tirer profit de toutes
les occasions que la divine Providence nous présente, puisque c'est une vérité
de foi que rien ne nous arrive que par son ordre, excepté le péché, car Dieu ne
le veut pas ; mais il le permet. Toutefois, sa bonté est si grande, qu'il
donne moyen d'en tirer profit par l'humiliation que nous en recevons ; et,
en cela, la Providence se rend admirable à faire que le mal nous le puissions
convertir en bien, si nous voulons. Mais tout le reste qui nous arrive, soit
tentations, aridités, contradictions, répugnances, souffrances et occasions de
pratiquer la vertu, tout cela, mes Sœurs, nous est présenté par l'ordre de la
divine Providence, qui a prévu de toute éternité ces occasions, pour notre
bonheur et avancement en son amour ; c'est pourquoi nous les devons toutes
recevoir de la main de Dieu, et regarder en chacune de ces choses la volonté
divine, afin de nous conformer en cela à son bon plaisir, souffrant nos peines,
non-seulement parce que telle est sa volonté, qui est bien la plus digne
intention que nous puissions donner à nos souffrances ; mais encore n'aimant
et ne regardant que la volonté de Dieu en icelle, ce qui est encore une plus
pure intention. [547]
Et en nos fautes et imperfections, comment pouvons-nous, dites-vous, y
regarder la volonté de Dieu ? Oui bien, mes chères filles, car nous y
pouvons toujours voir sa volonté permissive, qui nous a laissé tomber en tels
et tels manquements, afin que nous nous humiliions, que nous nous accusions et
aimions notre abjection ; et que, par ces pratiques, nous réparions nos
fautes et en obtenions le pardon ; ce que nous faisons bien souvent même
avant de les avoir confessées, quoiqu'il ne faut pas laisser de les confesser
toujours pour cela ; mais il ne faut pas beaucoup s'empresser à les
chercher. Non, mes Sœurs, mettons-nous en la présence de Dieu, et, la première
vue qu'il nous donnera, après nous être ainsi mises devant lui,
arrêtons-nous-y, sans en rechercher davantage, car c'est toujours la
meilleure ; et c'est toujours l’amour-propre qui nous fait réfléchir pour
voir si nous n'avons pas fait autrement, ce qui nous fait inquiéter, quand nous
ne nous savons pas bien confesser de toutes nos fautes ; car il semble que
nous voudrions être si justes, que nous ne voudrions rien devoir à
Notre-Seigneur, et nous pensons pouvoir ric-à-ric satisfaire à sa justice sans
avoir besoin de sa miséricorde. Vraiment, il nous appartient bien !
Oh ! mes chères Sœurs, humilions-nous bien de cela, reconnaissant que ce
n'est qu'orgueil et propre recherche de nous-même, bien qu'il soit couvert de
quelque apparence ; car il semble que ce désir soit de grande
pureté ; mais, en vérité, ce n'est qu'orgueil, et encore du plus fin et
subtil qu'on en saurait guère rencontrer dans les âmes. C'est pourquoi
gardons-nous bien de nous y laisser surprendre, et soyons simples, retranchant
fidèlement toutes les réflexions que l'amour-propre nous suggère en telles
occasions.
J'ai un grand désir que nos Sœurs soient bien simples, et qu'elles
soient aussi bien fidèles à bien employer tous les moyens de perfection que la
divine Providence leur présentera, quels qu'ils soient, sans en désirer ni
rechercher d'autres, pour bonne apparence qu'ils puissent avoir. [548]
Il y a des âmes quelquefois qui voudraient avoir des consolations à
l'oraison pour moyens de leur perfection ; et néanmoins Dieu ne veut pas
leur en donner ; ains, au contraire, il permet qu'elles aient des
sécheresses, des aridités, des impuissances et aveuglements, en sorte qu'elles
ne savent pas même ce qu'elles y font. Eh bien ! recherchons notre
perfection dans ces ténèbres et obscurités, par l'humilité, patience et
résignation au bon plaisir de Dieu qui nous les envoie, et ne désirons pas les
lumières qu'il ne veut pas nous donner encore. Une autre voudrait bien avoir la
tranquillité d'esprit, parce qu'il lui semble qu'elle ferait bien mieux ses
exercices ; et cependant Dieu permet qu'il lui arrive du trouble, de
l'inquiétude, des distractions, tentations et autres peines ; eh !
que faut-il faire à cela ? Chercher la paix au milieu de votre peine,
tranquilliser votre esprit au milieu de vos inquiétudes en y regardant la
volonté de Dieu et acquiesçant à son bon plaisir ; par ce moyen, vous vous
disposez à recevoir la tranquillité que vous désirez tant, et faisant ainsi de
tout autre désir qui vous pourrait venir, pratiquant fidèlement le saint
document de notre Père saint François de Sales, de ne rien refuser de ce
que la Providence de Dieu nous présentera pour notre perfection, et ne pas
désirer ce qu'elle ne voudra pas nous donner. Enfin, il faut être bonnes
ménagères et faire tout valoir pour notre avancement, même nos propres défauts
et imperfections, comme nous avons dit.
Je me souviens, à ce propos, de ce que disait la bonne Mère Louise,
carmélite, que je crois être maintenant devant le bon Dieu : au
commencement qu'elle fut à Dijon, elle trouvait que les filles de ce lieu
qu'elle recevait étaient fort propres à bien prendre leur esprit, et elle
disait : « J'aime tant les Dijonnaises, parce qu'elles sont tant
bonnes praticiennes et qu'elles font si bien profit de tout. » Faisons-en
de même, mes chères filles, devenons grandes praticiennes et faisons
profit de tout ; car en cela consiste notre bonheur et perfection. Je ne
vous dis rien [549] de nouveau, car ce sont les instructions communes que l'on
donne aux novices et les vérités que l'on lâche de graver bien avant dans leur
esprit. Dieu nous fasse la grâce, à toutes, de les bien pratiquer, et sa bonté
nous bénira.
SUR LES MOTIFS QUI DOIVENT DÉTERMINER L'ÂME RELIGIEUSE DE
TENDRE À LA PERFECTION.
Je voudrais bien, mes chères filles, apporter ici le pur amour de Dieu
dans vos cœurs, lesquels, je crois, voudraient bien aimer Dieu ; mais ils
ne voudraient pas se servir du couteau de la mortification, qui est nécessaire
pour avancer en la perfection religieuse, à laquelle nous prétendons. Je n'ai
point d'autre ambition que de vous servir et aider à l'acquérir. Je ne veux
point d'autre perfection que celle qui est comprise dans nos règles, desquelles
je veux parler. Je crois que toutes celles qui sont voilées ont vu la constitution
de la directrice, dans laquelle notre Bienheureux Père, parlant à toutes, dit
que la directrice doit tâcher de bien faire comprendre (aux cœurs des
novices) l'intention qu'elles doivent avoir eue, en l'élection qu'elles
ont faite d'abandonner le monde pour se retirer au monastère, qui est afin de
s'unir plus parfaitement à Dieu, mortifiant leurs sens extérieurs, et encore
plus leurs passions intérieures, pour rappeler toutes leurs forces au service
de l’Époux céleste, par une pauvreté dépouillée de toute chose, une chasteté
toute pure, une obéissance établie en une parfaite abnégation de sa propre
volonté. [550]
Je ne vous veux parler maintenant que de l'obligation que nous avons de
tendre à la perfection chrétienne, sans laquelle nous n'aurons jamais le bonheur
de jouir de la vision de Dieu. Il faut donc l'entreprendre et nous déterminer
toutes à suivre la volonté de nos supérieurs, regagner le temps que nous avons
perdu, et faire, dans cinq jours, plus que nous n'aurions fait dans un an. Je
ne veux que cela de vous, qui est de prendre bon courage à vouloir faire le
bien que nous voyons et éviter le mal ; car, si en vérité nous voulons, en
vérité nous parviendrons.
Vous savez combien nous sommes obligées à Dieu, puisqu'il est notre
Créateur et Rédempteur, lequel nous a donné une âme capable de la grâce, de la
gloire et de son amour, qui est plus que tout. Il est notre Père, et ne demande
de nous que la parfaite observance de nos règles, qui nous enseignent le moyen
de tendre à la perfection. Si les enfants du monde sont obligés d'obéir à leur
père, sous peine de la damnation éternelle, ne sommes-nous pas plus obligées
d'obéir à Dieu, pour les raisons que je viens de dire, qui nous obligent si
étroitement de l'aimer et servir, et tâcher de bien employer le temps qu'il
nous donne ; car, si nous ne le faisons, il nous en faudra rendre un
compte très-étroit à l'heure de la mort. Cette âme qu'il nous a donnée doit
vivre éternellement, et le corps doit ressusciter un jour glorieux si nous
vivons en l'observance de nos règles. Il nous a laissé notre volonté libre,
pour nourrir et élever notre âme à la plus haute perfection. Il nous a donné
notre âme en garde, comme ferait un grand roi s'il nous venait dire : Ma
Sœur, je vous donne mon fils unique pour l'élever, je vous prie d'en avoir un
grand soin ; je récompenserai bien vos peines. Considérez combien vous en
auriez de soin, afin que son père en eût du contentement : vous vous
tiendriez bien heureuse que le prince vous eût fait l'honneur de vous donner
son fils pour le servir ; car vous en espéreriez une grande récompense, et
[551] d'avoir un jour un fidèle ami en ce petit prince. Son père vous
dirait : demandez-moi tout ce qu'il sera besoin pour lui, car je ne veux
pas que vous épargniez rien de tout ce qui sera nécessaire pour le servir.
Voyez-vous, mes chères filles, votre âme est la fille unique du Père
Éternel, il vous l'a donnée pour en avoir le même soin, voire, davantage que
l'on n'en aurait pas du fils du roi. Il nous a dit que nous lui demandions
toutes les vertus nécessaires et tout ce qui peut servir à la perfection ;
car il a dit : Demandez, et l'on vous donnera ; frappez, et l'on
vous ouvrira. Ce sont les paroles de l'Évangile que Notre-Seigneur a
prononcées de sa sacrée bouche ; demandez-lui donc avec une confiance
toute filiale, car il ne manquera pas de vous donner ce qu'il connaît vous être
nécessaire pour votre avancement en la perfection. Il nous fera aussi rendre un
compte très-exact des grâces qu'il nous donne, si nous les négligeons, et que
nous n'en profitions pas assez. Faites-y donc attention, mes très-chères
filles, je vous en conjure de tout mon cœur.
(Faite en 1621)
SUR L'OBLIGATION DE MORTIFIER LES SENS EXTÉRIEURS ET ENCORE
PLUS LES PASSIONS INTÉRIEURES.
Mes chères filles, vous voulez que je continue de vous parler sur
l'article de la directrice. O Dieu ! qu'il nous faut bien prendre à cœur
cette pratique de la mortification de nos sens extérieurs, et encore plus de
nos passions intérieures. Voilà bien de la besogne, mes chères filles ;
quelles sont celles qui la [552]
feront bien, et qui désirent
d'embrasser, à bon escient, cette pratique de la mortification de nos sens
extérieurs, et encore plus de nos passions intérieures ? Oh ! que
nous serons heureuses, si nous travaillons puissamment à ceci ! Ne le
voulons-nous pas bien faire ?
Mortifions nos sens extérieurs : que notre vue soit pour
l'ordinaire baissée, lorsque nous allons parle monastère, et quand nous parlons
aux séculiers. Levons-la aussi quelquefois seulement pour les voir ; mais
que ce soit courtement et rarement. Tenons-la aussi baissée es autres lieux que
la constitution nous marque, et la mortifions à ne pas lui laisser regarder les
choses qu'elle désirera de voir par curiosité.
Mortifions notre ouïe pour ne pas entendre les nouvelles du monde, les
devis inutiles, et autres choses que nous désirons de savoir par curiosité.
Mortifions notre langue, lui faisant faire le silence quand il est
ordonné, l'empêchant de dire des paroles inutiles, sèches et mal gracieuses aux
Sœurs, de s'excuser, de dire des paroles de plainte, de suffisance et
semblables. Oh ! qu'il la faut bien mortifier, cette langue ! car il
y a bien de quoi, et c'est l'un des sens qui nous fait faire le plus de mal. Il
est bien difficile de ne point parler mal à propos, et de ne pas dire des
paroles inutiles et inconsidérées, quand on parle beaucoup. Or donc, il faut
mortifier la langue, pour parler bien à propos, pour se taire et parler quand
il faut.
Mortifions le goût, en sorte que nous mangions tout simplement ce que
l'on nous mettra devant, soit-il à notre goût ou non ; et à même ordre
qu'on nous le donne, sans tourner le plat ni l'assiette. Il faut rendre cet
honneur à la parole de Notre-Seigneur, qui ordonne de manger ce que l'on nous
présente, et au document de notre Bienheureux Père, qui nous a tant enseigné
cette pratique, et qui l'enseigne tant en son livre de Philothée. Non,
mes chères filles, il ne faut point chercher de [553] perfection hors de là,
sous prétexte de se mortifier. Je n'approuve pas que l'on choisisse le pire, et
ce qui est moins à son goût. Si Dieu nous veut donner aujourd'hui cette
consolation, de nous présenter ce qui est le meilleur et à notre goût, il le
faut recevoir simplement, pourvu que l'on soit également fidèle, une autre fois,
à recevoir le pire, et ce que nous n'aimerons pas, quand il nous sera présenté.
Et, pour ce que vous dites, quand on donne deux portions, si l'on doit
manger de toutes les deux ? Pour moi, mes filles, j'approuverais fort que
l'on mangeât celle que l'on a prise la première, entièrement si l'on peut, et,
si elle ne nous suffit pas, que l'on mangeât encore de l'autre ; car ce
serait suivre plus exactement ce que Notre-Seigneur a ordonné. Certes, mes
filles, cela serait bien odieux, que nous voulussions préférer notre goût aux
paroles de Notre-Seigneur et à sa volonté, et que nous nous privions des grâces
qu'il nous a préparées et des goûts spirituels, faute de nous surmonter pour un
goût qui est aussitôt passé que le morceau est avalé ; il ne faut pas néanmoins
le faire à l'intention de recevoir des goûts spirituels ; mais pour
accomplir la volonté de Dieu ; car, il faut tout faire pour le seul bon
plaisir éternel, tendant et battant perpétuellement là, en tout ce que nous
faisons ; recevons donc toujours humblement et très-simplement ce qu'il
nous enverra comme venant de sa main. Quand il nous présentera la consolation,
prenons-la, et quand il nous enverra l'affliction et désolation, faisons-en de
même, et ne pensons pas vouloir ni l'un ni l'autre, ni en faire aucun choix.
Pour le toucher, en quoi le mortifierons-nous ? Quand on donnera
des chemises bien étouppées (grossières et dures), la chair sera
mortifiée ; de cela il faut être bien aise, le recevoir et le caresser de
tout son cœur.
Oh ! mes chères filles ! quelles seront celles qui feront
bien tout ce que nous venons de dire ? Ne voulons-nous pas bien [554]
l'entreprendre ? Certes, il faut avoir l'amour de Dieu pour bien faire
tout ceci. Il me semble que nous ne l'aimons pas assez, j'en reviens toujours
là ; car, si nous n'avons de l'amour, il n'y a moyen de se bien mortifier,
ni de rien faire qui vaille ; et, si nous n'avons de la fidélité à faire
les choses qui nous sont ordonnées, nous n'avancerons pas à la perfection.
Faisons-le donc, mes chères filles, car nous nous sommes données à Dieu pour
cela, et nous en avons fait les vœux ; que donc celles qui les ont faits,
et qui ont le voile noir, y pensent, et que celles qui ne l'ont pas encore, et
qui prétendent à la sainte profession, le considèrent bien. Certes, mes chères
filles, il faut s'évertuer, et que cette année soit remarquée belle en la
mortification, autrement vous me ferez vieillir avant le temps. Or sus, c'est
assez ; je suis lasse ; que l'on fasse les avertissements...
Pour Dieu, mes Sœurs, faisons attention de nous amender de nos fautes
et imperfections. Quand nous sortons du noviciat, emportons chacune quelque
chose pour faire notre profit : que l’une emporte de s'amender de tel et
tel défaut, dont on l'aura avertie ; une autre, de pratiquer une telle
vertu, de laquelle on a parlé ; une autre, d'être bien fidèle à suivre un
tel et tel enseignement, que l'on a donné, ainsi des autres ; et, je vous
assure, que si nous faisons de la sorte, nous profiterons davantage que nous ne
faisons, et Dieu nous donnera de grandes bénédictions et grâces particulières.
(Faite en 1631)
SUR CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « SI
QUELQU'UN VEUT VENIR APRÈS MOI, QU’IL SE RENONCE LUI-MÊME, ETC. «
J'ai pensé, ce matin, à cette parole de Notre-Seigneur : Qui
veut venir après moi et être parfait, qu’il renonce à soi-même, prenne sa croix
et me suive. Voilà le fondement de toute la perfection chrétienne et
religieuse.
Je voudrais bien savoir si ces filles savent ce que c'est que renoncer
à soi-même ? C'est renoncer à toutes les volontés de la chair, à
toutes nos inclinations, désirs, contentements, satisfactions, recherches,
goûts, plaisirs, humeurs, habitudes, propensions, aversions et répugnances, ès
choses rudes ; enfin, renoncer en tout et partout à ce mauvais nous-même.
Ce renoncement, mes chères filles, est l'exercice auquel vous êtes, et
auquel vous devez être en votre noviciat, si vous voulez commencer à suivre
Notre-Seigneur : or, vous ne le pouvez suivre qu'en le laissant détruire,
et détruisant vous-même, vos humeurs, passions et inclinations, bref, votre
nature ; vous ne la pouvez laisser détruire qu'en vous renonçant
vous-même, que par une forte volonté, généreuse et persévérante mortification
de tout vous-même.
Il faut savoir qu'il faut seulement mortifier les inclinations
imparfaites, ou ès choses mauvaises, et non pas les bonnes, et celles qu'on a
aux choses bonnes, par exemple : on me commande de faire un ouvrage, et
mon inclination est à un autre, il faut mortifier cette inclination et l'assujettir
à l'obéissance. Mais, l'on me donne un ouvrage auquel j'ai de l'inclination, il
[556] ne faut pas, sous prétexte de mortifier son inclination, refuser cet
ouvrage ; mais je dois offrir à Dieu cette besogne, et dire : je la
fais, non pour l'inclination que j'y ai, mais parce que l'obéissance me
l'ordonne. Une fille a un grand amour à la solitude et au recueillement, il ne
faut pas qu'elle mortifie cela, ni qu'elle se dissipe, suffit qu'elle ne veut
de solitude que selon la volonté de Dieu, et qu'elle reçoive doucement les
sujets de distractions et divertissements, quand l'obéissance le voudra. Mais,
j'ai inclination à voir mes parents, à penser et parler du monde, à être ferme
en mes opinions, et semblables ; c'est cela, mes filles, qu'il faut mortifier
sérieusement et courageusement, et toutes vos mauvaises inclinations, petites
ou grandes. J'ai inclination à penser au monde (quoiqu'en vérité il n'y ait
rien parmi les mondains qui ne soit périssable, méprisable, vil et abject, et
l'objet des dédains d'un cœur noble et généreux qui désire un peu le ciel), je
mortifierai en telle sorte, cette inclination, que, quand les pensées, que je
ne peux pas empêcher, m'en viendront, je leur ferai un si mauvais traitement,
je les regarderai d'un si mauvais œil, avec un mépris et rejet si absolu, que
mon ennemi craindra de m'en présenter ; que s'il continue, je les
laisserai à la porte, et ne les regarderai pas seulement, sinon de temps en
temps, par quelque acte de mépris, comme elles le méritent : voilà comme
les cœurs vaillants et généreux se font la guerre à eux-mêmes.
J'ai une forte répugnance à ceci, n'importe, je l'étouffé pour suivre
la raison ; d'autre côté, j'ai une bonne inclination, très-ardente à cela,
je lui mettrai courageusement le pied sur la gorge ; j'ai un désir
nonpareil de telle chose, cela ne veut rien dire ; j'ai un autre meilleur
désir, qui est de suivre en toutes choses la sainte obéissance, je ruinerai
donc le premier désir, pour suivre le second. Si vous faites cela, mes chères
filles, avec une sainte et absolue détermination, je vous promets que bientôt
vous jouirez de la suave paix intérieure, qui vaut mieux [557] que tous les
plaisirs de la terre, car c'est la paix de Dieu qui surpasse tout sentiment, et
laquelle sa bonté donne aux vainqueurs.
Mais souvenez-vous de donner vos premiers coups fermement et
fortement ; autrement, vos ennemis se fortifieront de telle sorte, que
vous n'en pourrez venir à bout, et vous demeurerez toute votre vie immortifiée,
troublée, inquiétée, et sans paix en vous-même. O mes filles ! mes
filles ! tuez hardiment vos ennemis, faites vaillamment mourir ce mauvais
vous-même ; il ne cherche que votre ruine, et, par sa mort, vous gagnerez
la paix et la vie de votre âme.
Vous êtes venues céans avec intention de suivre Notre-Seigneur :
or sus, à la bonne heure, écoutez donc des oreilles de votre cœur, ce que ce
divin Maître vous dit : Si vous voulez venir après moi, renoncez à
vous-mêmes prenez votre croix, qui sont tous les sujets de mortifications,
petits et grands, que je vous présenterai, et que vous trouverez en
l'observance, et ainsi suivez-moi, inclinez vos oreilles à la voix de
mes inspirations ; oubliez votre maison paternelle et tout votre
peuple, et ainsi suivez-moi ; servez-moi ;
aimez-moi ; et apprenez, à mon école, que je suis d’un cœur humble et
débonnaire.
SUITE DU MÊME SUJET.
Je vous ai promis, mes chères filles, de vous conduire par la voie en
laquelle le Maître souverain veut que ses disciples marchent. Qui veut venir
après moi, dit cet aimable Sauveur, [558]
qu'il renonce à soi-même,
prenne sa croix et me suive. Dernièrement,
nous fîmes voir ce que c'était que renoncer à soi-même, qui n'est autre
chose que de laisser ruiner et abattre ses inclinations, passions et volontés
propres, et cela par une très-absolue mortification de tout soi-même, tant en
l'esprit qu'au cœur et au corps. Maintenant donc j'ai à vous dire que,
quiconque veut suivre notre cher Sauveur, il ne suffit pas de renoncer à
soi-même, quoique ce soit déjà une chose bien bonne, mais il faut encore prendre
sa croix et la porter.
Céans, nous n'avons pas de grandes croix ; au moins, pour mon
regard, je n'en trouve presque pas ; néanmoins, c'est une chose certaine
qu'il y en a. Ce sera quelquefois une croix à une fille que le silence, que de
recevoir la correction, les avertissements, les mortifications, les pénitences,
avoir disette de quelque chose, souffrir ses petits maux quotidiens, sans en
rien dire, sinon aux supérieurs, ou directrice. C'est une bonne croix et bien
utile, de supporter le prochain, s'assujettir à être entièrement modeste, et
mille autres pratiques qui sont journalières. Voilà les croix qu'il faut
porter, et non-seulement les porter, mais joyeusement. O vrai Dieu ! ce
seul mot de croix, réjouit toute une âme fervente et amoureuse de son
Dieu. Je vous recommande donc, mes chères filles, d'aimer vos croix en les
portant de bonne grâce et de bon cœur ; acceptez-les ; offrez-les à
Notre-Seigneur, et les unissez à la sienne.
Vous demandez, si c'est une croix qu'il faille aimer d'avoir des
distractions à l'oraison ? Non, certes, il la faut détester ; mais il
faut aimer la peine qu'elles nous donnent. Quelquefois nous les avons méritées
pour une juste punition de nos lâchetés à nous tenir en la présence divine, le
long de la journée. Alors, recevons-les comme un juste châtiment de notre
paresse. Mais, cela n'étant pas, recevons la peine qu'elles nous apportent
comme une juste croix, mais avec une grande humilité, nous reconnaissant
toujours coupables. [559]
Vous demandez encore si c'est une croix que les imperfections
(impatiences) qui traversent l'esprit. Oui, puisque tout ce qui peine est
croix, c'est une croix aux âmes généreuses de se voir sujettes aux aversions,
répugnances et chutes ; bien qu'elles tâchent toujours d'en tirer le fruit
d'une douce et sainte humilité. Non, mes chères Sœurs, il n'est point permis de
choisir nos croix : celle que la divine Providence nous présente,
portons-la ; c'est la nôtre. Mais celles que nous choisirions seraient
infectées d'amour-propre, recherche, vaine complaisance ; bref, notre
choix gâte tout. Non, vraiment, ma fille, l'on ne perd pas tout le gain que
l'on avait fait en supportant plusieurs années quelque croix, pour en avoir,
par après, parlé avec complaisance à quelque Sœur. Mais, savez-vous ce qu'il
faut faire ? Il se faut bien humilier de voir notre faiblesse, et puis ne
plus retourner à telle faute.
Ce qui empêche la perfection chrétienne, et ce qui retarde la
perfection religieuse, c'est la recherche du propre intérêt. Un esprit nu du
monde, qui tâche à mortifier la chair, et qui est désintéressé, parviendra, en
peu de temps, à la très-haute perfection de l'union amoureuse avec son Dieu,
qui est le trésor des trésors. — La fidèle Épouse de Jésus-Christ ne doit
rechercher, ni avoir d'autre intérêt que celui de la gloire de son Roi et
Époux. Chose déplorable au temps où nous sommes ! Plusieurs se plaisent
plus à se contenter eux-mêmes qu'à contenter Dieu ! [560]
SUR CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « LE ROYAUME
DES CIEUX SOUFFRE VIOLENCE, ETC. »
Je vous apporte, mes filles, une vérité infaillible : il est
impossible que vous entriez au ciel, ni par conséquent que vous soyez sauvées,
sans vous faire violence ; car, Notre-Seigneur l'a dit lui-même : Il
n’y a que les violents qui le ravissent. Je vous répète cela, afin que,
sachant cette vérité, vous graviez dans vos cœurs cette intime résolution de ne
vous épargner en rien ; mais de vous vaincre et faire force en tout, pour
acquérir les saintes vertus, et vous rendre conformes et exactes à tout ce que
la règle ordonne, au péril de toutes vos inclinations. Il faut toutefois que
cette violence soit douce, quoique forte ; car, vous voyez, mes filles,
que la voie par laquelle on vous conduit est suave, et, néanmoins, ferme.
Toujours il en faut venir là : se faire violence ; et si Dieu
a caché le prix de la gloire éternelle, qui est un bien inestimable, dans la
victoire que nous devons remporter sur nous-mêmes, comment ne tâcherions-nous
pas de nous vaincre ? Comment oserions-nous penser d'être lâches à nous
surmonter ? Voyez que pour apprendre un art, quoique vil, il y faut du
travail et de l'attention ; regardez un jeune garçon qui veut apprendre à
être cordonnier, combien de fois le jour faut-il qu'il renonce à ses inclinations ?
Il faut qu'il demeure tout le jour courbé à tirer des bras ; il faut qu'il
souffre d'être battu. Voyez encore un qui prétend d'être docteur, il passera
quelquefois vingt ans pour parvenir à la fin de ses études, qui ne sont pas toutefois
comparables à la vocation à laquelle nous travaillons, ni pour une fin plus
sainte, plus haute et plus [561] pure ; car c'est pour parvenir à l'union
de notre âme avec Dieu, à la perfection de notre vocation, et pour acquérir les
vertus solides, qui demeurent toujours, voire, qui nous accompagnent jusqu'au
ciel, et seront notre richesse. Il faut donc travailler, mais d'un travail
fidèle, constant, fort, suave et amoureux ; car, c'est pour Dieu que nous
travaillons, c'est pour l'éternité que nous combattons contre nous-mêmes. Il
faut travailler fidèlement ; mais nous ne devons pas entreprendre toutes
les vertus ensemble, ains, une après l'autre ; c'est pourquoi, le mois
passé, je vous donnai le défi de l'attention aux petites choses, et je
vous donne, ce mois-ci, celui de l'obéissance avec ses deux
dépendances : la promptitude aux exercices et la simplicité. Il faut,
mes chères filles, que vous rapportiez toute votre vie à cette sainte
obéissance, et que toutes vos actions tendent à cette fin. Si vous observez le silence,
que ce soit par obéissance ; si vous pratiquez quelque autre point de
notre sainte règle, que ce soit encore à cette fin ; que si vous
condescendez à vos Sœurs, que ce soit avec intention d'obéir ; bref, que
vous donniez à tout ce que vous ferez, et même à tout ce que vous penserez, le
mérite de la sainte obéissance.
Il faut obéir à tout ce que votre maîtresse vous dira, simplement et
amoureusement, et ne permettre jamais à votre esprit de discourir si ce que
l'on vous commande est bien ou mal ; mais, faire simplement et promptement
tout ce que l'on voudra de vous. Non, mes filles, ne permettez pas à vos
esprits de faire le discernement : ceci ne serait-il point mieux que
cela ? Non, répondez à de telles pensées : il me suffit que l'on me
commande ; c'est assez, quoique les choses vous semblent extravagantes. Ne
désistez point de faire cette réponse : l'obéissance le veut, je le ferai.
Il faut, de plus, être si promptes, que l'on ne tarde pas un moment,
pas d'un clin d'œil. Quand l'obéissance vous appelle, il faut quitter tout ce
qui se peut quitter, sinon que vous teniez [562] une
chandelle allumée ; il ne faudrait pas la jeter là, mais il la faudrait
éteindre. Comme aussi, si vous teniez un pot de vin, il faudrait le mettre à
terre et fermer le tonneau, afin qu'il ne répandît pas. Mais, tout ce qui se
peut quitter, il le faut lâcher soudain, sans retardement quelconque ; et
je ne veux point que le mois prochain l'on me dise que l'on a fait beaucoup de
fautes, et que l'on n'y a pas pensé. Oh ! non, mes filles, pensez-y ;
j'en veux être moi-même ; que si je fais de grosses fautes, je vous les
viendrai dire fidèlement.
(Faite en 1631)
SUR LE MAL QU'APPORTE À L'ÂME UNE CRAINTE SERVILE, ET LE
BIEN QU'ON TROUVE À SERVIR DIEU AVEC UN CŒUR PUR, SIMPLE, LARGE ET CONFIANT.
Notre maîtresse, que voulez-vous que je dise à vos Sœurs novices ?
Je leur dirai simplement la pensée qui m'est venue plus de vingt fois :
c'est que je regarde quelquefois nos filles, et je vois, grâces à Dieu,
qu'elles marchent comme il faut ; mais, il m'est venu cette pensée,
qu'elles marchent un peu trop par la crainte. Je veux dire qu'il me vient en
vue qu'elles craignent un peu trop les yeux de leur maîtresse et de leurs
Sœurs, et qu'elles craignent trop de faillir, et cela me fait penser que c'est
plutôt par la crainte d'être averties que par le seul et unique motif de plaire
à Dieu. Ma pensée n'est-elle pas véritable, mes chères filles ? Si cela
est, il faut tout de bon s'affranchir de ce défaut ; car, si vous faites
vos actions pour les yeux de votre [563] maîtresse, ou par crainte que vos Sœurs ne vous en avertissent, et si
vous n'êtes soigneuses de garder cette pureté de cœur, et de faire tout pour
plaire à Dieu seul, je vous dis et vous assure que vous ne serez jamais que de
vraies idoles de religion.
Notre maîtresse, inculquez bien dans l'esprit de vos novices l'amour à
la pureté d'intention ; car où est la pureté d'intention en une âme,
toutes les vertus y seront bientôt assurément ; et, si elle n'a pas la
pureté d'intention, elle n'a ni vraie vertu ni vraie dévotion.
Je vous dis derechef, mes chères filles, que si vous ne faites autant
de bonnes actions lorsque nul ne vous voit que Dieu, si vous n'êtes aussi
soigneuses de vous maintenir modestes et recueillies lorsque vous êtes en vos
cellules, et aussi affectionnées à vous maintenir dans l'exacte observance,
quand vous êtes seules, que quand vous êtes à la vue de votre maîtresse, vous
ne vaudrez jamais rien en la religion, ni pour vous, ni pour les autres, ni
pour le monastère, et ne serez que des fantômes, des masques et des idoles de
religion, qui ne font qu'occuper les cloîtres, et n'y servent que d'ennuis et
de matière de mortification aux autres ; car quand vous n'aurez plus votre
maîtresse, vous vous relâcherez et donnerez bien de l'exercice à une
supérieure. Vous devez être beaucoup plus soigneuses de vous tenir sur vos
gardes, pour ne pas faillir et pour bien faire, lorsqu'il n'y a que Dieu et
vous, qui si vous étiez à la vue de toute la terre, de votre supérieure, de
votre maîtresse et de toutes vos Sœurs ; car les yeux de Dieu vous doivent
être en tel respect, que tout votre soin, toute votre étude, toute votre
attention doivent être de ne leur point déplaire et de ne les point offenser.
Il n'y a rien qui offense tant les yeux de Dieu que de voir une
religieuse se garder de broncher, et de faire des infidélités devant les yeux
des créatures, et ne faire cas de commettre des infidélités devant les siens
divins ; comme il n'y a rien qui lui agrée tant que [564] de voir une âme
fidèle, soit qu'on la voie ou qu'on ne la voie pas. La chaste épouse doit
craindre, mais d'une sainte crainte, d'offenser les yeux de son Époux ;
elle doit toujours penser que si les créatures ne la voient pas, le Créateur,
auquel rien n'est caché, la voit ; et elle craint d'une sainte crainte
d'offenser ses yeux divins. C'est là, ma fille, la vraie fidélité ; car
c'est où vous trouverez le plus d'amour de Dieu et de quoi il vous saura bon
gré.
Au commencement il se faut servir de tout : de la crainte servile,
de la chaste, de l'amoureuse et de la filiale ; enfin il faut faire flèche
de tout bois, à cause de la multitude d'ennemis qui attaque les commençants.
Cela donc n'est pas mauvais, d'honorer la vue et la présence de la maîtresse,
et se tenir en respect devant elle, pourvu que vous ayez cette fidélité d'être
aussi attentives sur vous, quand il n'y aura que Dieu qui vous verra, que
lorsque vos supérieures vous verront. Voire même, mes filles, je voudrais que
vous fussiez si fidèles à Dieu, que vous fissiez plus d'attention, quand vous
êtes seules, pour ne point broncher, que quand vous êtes devant votre
maîtresse, comme disant en vous-mêmes : Je. suis ici devant ma maîtresse,
si je fais quelque faute elle me le fera bien savoir, car elle aime mon
bien ; il faut donc me tenir en liberté de cœur. Mais je suis seule ici
avec mon Dieu ; si je suis infidèle, si je me relâche, qui m'en
reprendra ? Oh ! c'est ici qu'il faut être fidèle, car les yeux de
Dieu sont sur moi. Je suis en secret, mais Dieu voit le secret des cœurs et
rien ne lui est caché. O mon Dieu ! je respecterai votre présence et
honorerai votre regard.
J'aurais encore envie, mes chères filles, que vous fussiez plus
attentives à faire le bien qu'à vous garder du mal. J'entends ces petites
imperfections, tant il semble que vous soyez restreintes, gênées, comme si on
vous avait pressées entre deux ais, tant vous craignez, ce semble, de faire, ou
dire rien de mal. Il ne faut pas cela, mes filles ; il faut la sainte
franchise, la douce [565] affabilité, une sainte et modeste liberté d'esprit et
de cœur, une conversation affable et gracieuse, humble, courageuse, égale et
naïve. C'est là qu'est l'esprit de notre vocation, et non pas d'être si
resserrées, de tout craindre ; élargissez-vous, je vous prie, et n'ayez
pas des cœurs tant étroits ; mais des cœurs larges, grands, spacieux,
amples, qui tiennent sans contrainte Dieu, toutes ses grâces, et les vertus de
votre vocation et Institut. La vraie servante de Dieu doit avoir toujours dans
son cœur et sur son visage, la candeur, la douceur, la franchise, et la sainte
liberté des enfants de Dieu.
Eh ! savez-vous ? Dieu ne se plaît pas dans des cœurs étroits
et resserrés comme celui de ma sœur N. Elle est légère naturellement ;
elle veut dompter cela, elle se tient si resserrée qu'on dirait qu'elle n'ose
pas souffler. Oh ! ma fille ! ce n'est pas ainsi qu'il faut
entreprendre votre besogne. Il faut aller tout doux ; se garder, dans
l'occasion, de faire le mal ; être attentive à faire le bien, et cela sans
contrainte ni gène. Faire le bien parce qu'il plaît à Dieu ; fuir le mal
parce qu'il lui déplaît, sans autre motif.
Quand on vous dit, mes filles, qu'il vous faut tenir humbles, basses,
petites et soumises, l'on vous dit vrai ; car c'est le propre lieu des
novices que d'être sous les pieds de tout le monde : c'est leur vrai
élément que l'humilité et abjection ; leur vrai bien, que la
mortification ; leur vraie nourriture, que l'oraison et attention à Dieu.
Mais l'on ne veut pas dire pour cela que vous vous teniez gênées, car la
contrainte n'est rien moins que l'humilité.
La vraie et parfaite humilité est sans contrainte. Elle est fondée sur
la sainte liberté d'esprit qu'ont les enfants de Dieu, qui est d'être
indépendante de toutes les choses créées. L'essence de la vraie humilité de
cœur, que le Sauveur nous recommande, c'est de connaître que nous ne sommes
rien qu'une vapeur, qu'une ombre, qu'un vrai rien, et en être bien aise ;
se [566] complaire et se délecter de notre rien, afin que Dieu soit notre tout :
et le haut point d'humilité c'est de désirer, d'accepter, et être bien aise de
se voir pourchassée, et nous complaire que tout le monde nous connaisse, estime
et traite comme des choses viles, abjectes et de néant. Cette humilité-ci
n'apporte point de contrainte ; au contraire, elle donne à l'âme qui la
possède la vraie et sainte liberté. Elle ouvre le cœur pour recevoir tout de la
main du bon Dieu.
Mes chères filles, il faut mettre cette maxime bien avant dans vos
cœurs : que rien du tout n'arrive que par l'ordonnance de ce grand bon
Père Céleste, duquel l'œil et la Providence s'étendent sur toutes les
créatures ; et, sous cette Providence divine, il faut vivre toute remise
et toute libre ; car les contraintes et les gênes sont pour les enfants du
siècle, qui vivent sous l'esclavage du monde, et non pour les enfants de Dieu,
qui vivent sous son joug, qui est doux et suave.
Quand je dis de vous ouvrir, de prendre de la liberté d'esprit, cela ne
veut pas dire qu'il faille s'évaporer, faire des gestes contre la modestie,
dire des paroles oiseuses, porter la vue égarée : ce n'est pas cela, mes
filles, car c'est la liberté malheureuse et fausse. Mais, ce que je veux dire,
c'est que vous fassiez tout en esprit de joie, avec plaisir de voir que vous
faites des choses pour plaire à Dieu. Si vous portez la vue basse, que ce soit
sans gêne, gaiement pour Dieu, étant en vous-mêmes bien aises d'avoir cette
pratique à lui présenter ; que vous soyez intérieurement bien aises de
vous tenir en modestie, et d'assujettir votre corps et tous ses sens et ses
mouvements, parce que les yeux de Dieu sont sur vous, et que la modestie
religieuse lui est agréable, et ainsi de toutes les mortifications. Conversez
franchement, joyeusement, simplement et très-cordialement ensemble, parce que
Dieu aime l'innocence et la suave rondeur des âmes dédiées à son service et
vouées à son amour.
Voilà donc la pratique que je laisse à nos filles, de faire leurs [567]
actions avec une intention pure et droite, et non pas pour les yeux de leur
maîtresse ni de leurs Sœurs, mais par la révérence de ceux de leur Sauveur, et
qu'elles soient fort suaves et libres de la sainte liberté qui les conduira à
la parfaite observance ; toute liberté qui n'aboutit pas là est fausse.
Apprenons donc à ces filles à s'ouvrir de telle sorte, qu'elles se tiennent
toujours exactes à leurs devoirs ; car la liberté d'esprit n'est pas la
dissipation, c'est l'observance amoureuse. Cela est bien doux, mes filles,
n'est-il pas vrai, de servir Dieu sans autre contrainte que celle de l'amour de
ce bon Dieu et de votre vocation. Certes, il vous faut faire force à
vous-mêmes, car il n'y a que les violents qui ravissent le ciel. Il faut
contraindre vos vieilles habitudes et inclinations pour les ajuster à la raison
et à la règle ; mais il faut que cette sainte violence se fasse sans
contrainte, ains avec liberté d'esprit, et avec une suave joie intérieure de se
contraindre pour Dieu. Mais, mes filles, que ce soit bien pour Dieu seul :
pesez bien ceci ; car, puisqu'il me semble que vous le comprenez, et que
vous désirez de l'embrasser, j'espère que vous le pratiquerez. Je vous assure
que c'est la doctrine salutaire et qui me semble vous être maintenant plus
utile. Notre maîtresse, inculquez-la bien dans les cœurs et la leur faites bien
comprendre, afin que, l'ayant bien comprise, elles la pratiquent. Elles sont de
bonne volonté, toutes nos filles, et j'espère que Dieu les bénira, pourvu
qu'elles soient très-humbles, très-douces, de bonne observance, et qu'elles
fassent bien ce que je viens de dire.
Ma sœur N. ne rira plus quand on la mortifiera, car c'est une légèreté
de laquelle elle veut bien s'amender. O ma fille ! toutes les
mortifications que l'on vous fait au noviciat vous doivent être en
respect ; car non-seulement elles ont été ordonnées par notre saint
Fondateur ; mais aussi Dieu, de toute éternité, vous a préparé tous ces
petits moyens pour vous aider à vous avancer en la voie de la perfection et du
salut. Voyez-vous donc de quel [568] œil il les
faut regarder ? Dorénavant, ma fille, regardez-les avec révérence et
recevez-les avec dévotion.
Nos filles se récréent-elles bien ? Je désire qu'elles soient
non-seulement recueillies, cordiales et suaves, mais je veux aussi qu'elles
soient joyeuses et allègres, et qu'elles travaillent à leur besogne avec des
cœurs qui ne soient ni contraints ni timides ; mais avec des cœurs larges,
contents et joyeux, et qu'elles soient toujours gracieuses, sans mines
refrognées.
SUR L'INDIFFÉRENCE À RECEVOIR DES CONSOLATIONS OU DES
SÉCHERESSES EN L'ORAISON.
Mes très-chères filles, c'est une bonne finesse pour l'oraison que la
simplicité avec Dieu, car par cette voie l'âme se conforme et se rend
semblable, en quelque façon, à son Dieu, qui est un esprit fort pur et
très-simple. Bienheureuses sont les âmes qui se laissent entièrement conduire à
l'attrait de Dieu, le suivant en simplicité de cœur, retranchant à leur esprit
toute curiosité, multiplicité, répliques, distinctions, ou désirs de se voir
soi-même, suivant simplement et fidèlement la simplicité de leur attrait.
Ma fille, qui ne cherche pas la suavité de l'oraison, ne s'aperçoit pas
quand il n'y trouve pas la douceur et suavité. Quand une personne va en un lieu
sans prétention d'y trouver quelque chose, encore qu'elle la rencontre, elle
n'y pense pas toutefois ; et, si elle n'y trouve rien, elle ne s'en met
pas en peine, parce qu'elle ne cherchait rien : ainsi, mes chères filles,
allez à l'oraison, non pour chercher les goûts, non pour y recevoir des
consolations, mais pour vous tenir en une extrême révérence et [569]
abaissement devant Dieu, pour épancher votre misère devant sa miséricorde, pour
vous tenir, nonobstant toutes vos distractions, en sa sainte présence, ne
voulant et ne cherchant que son bon plaisir et sa sainte volonté ; ainsi
faisant, vous ne vous apercevrez pas si vous n'avez point de goût, parce que ce
n'est point le goût que vous cherchez, mais Notre-Seigneur, lequel vous
trouverez toujours par la foi ; cela doit vous suffire. Faites fidèlement
votre devoir et ne vous mettez pas en peine, il saura bien faire le sien envers
vous quand il en sera temps.
Oh ! que je voudrais bien que nos Sœurs n'allassent point chercher
leurs goûts et consolations en l'oraison, mais seulement Notre-Seigneur et sa
sainte volonté, qui n'est pas moins dans les distractions involontaires que
dans les suavités délectables, qui font grand bien toutefois quand
Notre-Seigneur les donne. Et j'ai tant de confiance en nos Sœurs, que je
m'assure que quand il plaira à Notre-Seigneur de leur en donner elles ne les
refuseront pas. Quand vous en aurez, mes filles, humiliez-vous fort, et
confessez que vous ne méritez pas d'être nourries de cette manne qui fortifie
si fort l'âme et la fait courir si allègrement au service de Dieu ;
faites-en profit, mais ne vous y attachez pas. Quand vous n'en aurez point ne
les désirez pas ; mais humiliez-vous fort, reconnaissant que vous ne
méritez pas ces suavités divines, parce que vous ne vous mortifiez pas assez ou
que vous n'êtes pas assez fidèles à en tirer profit, et ne laissez pas de faire
votre petit devoir, étant soigneuses de faire force pratiques de vertus, force
oraisons jaculatoires, force rejet des distractions, et, Dieu vous voyant
ainsi, vous bénira. [570]
SUR LA PURETÉ DE CŒUR
ET L'IMPORTANCE DE S'AFFECTIONNER À L'ORAISON.
Hé bien, mes filles, je vous amène une maîtresse ; vous lui
obéirez bien de bon cœur, je le sais bien, et lui rendrez le même honneur et la
même simplicité qu'aux autres que vous avez eues ci-devant.
Et vous, notre maîtresse, vous servirez nos filles que voici,
joyeusement, fidèlement et de bon cœur, notre nombre s'accroîtra. Ce que je
désire que vous inculquiez le plus à celles qui seront sous votre charge, ce
sont ces trois choses : premièrement la pureté de cœur, qui bannit toute
sorte de péchés et imperfections volontaires ; car qui se plaît de plaire
à Dieu, fait tout purement pour son amour. La seconde chose, c'est la
très-exacte observance de tout ce qui est de l'Institut, être très-soigneuses
que tout, entièrement, se pratique, voire même les moindres choses, et par ce
moyen les rendre souples comme des gants ; car c'est l'une de nos
observances, que l'humble déférence des unes aux autres, avec un honneur grand
et cordial, lequel, comme dit notre Bienheureux Père, ne consiste pas aux
gestes extérieurs, mais aux véritables sentiments du cœur. La troisième chose
c'est l'affection à l'oraison et au saint recueillement ; car c'est là où
elles recevront lumière et force pour une plus parfaite observance. Voyez-vous,
mes filles, plus l'âme est proche de Dieu, mieux elle connaît sa volonté ;
et plus elle se rend familière avec sa bonté par l'oraison et le recueillement,
plus aussi il lui donne de force pour embrasser ce qu'elle voit lui être
agréable. Notre maîtresse, je ne [571] vous recommande pas de mortifier ces
filles-ci, elles le sont déjà toutes. Et puis je n'aime pas ces mortifications
qui surchargent l'attention, bandent l'esprit, accablent le corps, mais oui
bien celles qui se rencontrent dans l'observance à chaque moment, selon l'ordre
de la Divine Providence. À Dieu, mes chères filles, dans dix-neuf jours nous
nous reverrons, Dieu aidant. Demeurez avec notre Seigneur, toutes à Lui, et ne
crains point, petit troupeau, car c'est Dieu qui te gouverne, et mon Père
Céleste a soin de loi.
(Faite en 1633)
SUR CES PAROLES : RIEN NE PEUT PROFITER À L'ÂME SANS L’AMOUR ET SANS L'OBÉISSANCE.
Mes très-chères filles, il faut que vous mettiez cette maxime bien
avant dans vos esprits, que rien ne peut profiter à l'âme religieuse sans la
soumission à l'obéissance. L'amour est vraiment ce qui donne le prix à nos
œuvres, mais l'obéissance est la preuve du prix que valent nos œuvres,
lesquelles ne sont prisables qu'autant qu'elles sont faites avec charité et
obéissance.
Je vous assure, mes chères filles, que quand même vous auriez le don
des larmes, jusqu'à vous consumer à pleurer les péchés de votre prochain ;
quand vous auriez le don de prophétie ; quand vous seriez ravies et
verriez les anges ; quand vous seriez toujours récolligées et unies à
Dieu, si vous n'êtes obéissantes et simples, tout ce que je viens de dire n'est
[572] que tromperie de votre ennemi, et votre amour n'est qu'illusion ;
car Notre Sauveur a dit : Tous ceux qui me crieront, Seigneur,
Seigneur, c'est-à-dire qui prient souvent, n’entreront pas au royaume
des cieux ; mais seulement ceux qui feront la volonté de mon Père. Voyez
comme ce bon Sauveur a mis la marque du vrai amour en l'obéissance : Si
vous m'aimez, faites ce que je vous commande ; en cela je connaîtrai que
vous m'aimez. Et, en un autre lieu, il fait voir que la béatitude se donne
à cause de l'obéissance : Vous serez bien heureux, dit-il, quand
vous aurez fait tout ce que je vous ai enseigné, et que vous aurez accompli
tous ces petits commandements. Mes chères filles, toutes ces choses sont
vérités de l'Écriture ; la récompense se donne à proportion de l'amour, et
l'obéissance est la preuve du vrai amour. Or, je désire grandement que vous
aimiez souverainement cette pratique d'obéir en tout, se soumettre en tout, ne
rien faire sans obéissance, et cela époinçonné de l'amour de votre Époux.
Je ne veux point que vous pensiez qu'il faille faire de grandes choses
pour montrer à Notre-Seigneur que vous l'aimez : non, mes filles, les
grandes choses sont bonnes quand Dieu les offre ; mais, nos petites,
offrons-les à sa bonté avec un grand amour et grande soumission, et la
récompense sera à l'égal de ces deux choses : amour et soumission.
Notre-Seigneur, dans aucun endroit de l'Écriture, ne dit pas : Mon
fils, donne-moi ta tête, tes bras, ta vie, mais seulement : Mon enfant,
donne-moi ton cœur ; qui a le cœur de l'homme a tout l'homme. Le cœur
est le siège de l'amour ; quand j'aurai ton cœur, j'asseierai mon amour
dessus ; et même je logerai mon amour dedans, et puis tout le reste suivra
en conséquence.
J'ai toujours fort estimé ce que saint Ignace dit à un frère qui
balayait lâchement : « Pour qui faites-vous cela, mon
frère ? » lui dit-il. — « Pour Dieu, mon père. » —
« Oh ! mon frère, répondit le Saint, vous le faites pour quelque
faquin de [573] boutique. Dieu est si grand Seigneur, qu'il serait hors de
raison de lui offrir une chose faite si négligemment. » Remarquez, mes
filles, comme ce grand Saint veut que tout, jusqu'aux moindres actions, soient faites
non-seulement par obéissance, mais encore avec un amour fervent. Quand on ne
vous commanderait que de donner trois ou quatre coups de balai dans une
chambre, ne laissez pas d'accepter amoureusement cela, et de le faire avec
dilection, soin et ferveur ; et ne pensez point que cela soit sans
récompense, parce qu'il est petit ; car écoutez ce que dit le
Sauveur : Si vous donnez un verre d'eau froide en mon Nom, vous aurez
la vie éternelle. Vrai Dieu, quelle bonté ! qu'y a-t-il plus à notre
commandement que de l'eau ? Cela nous signifie que pour petite que soit la
chose qu'on nous commande, dès que nous la faisons au nom de Notre-Seigneur,
c'est à-dire pour son amour, pour lui plaire, il nous donne un degré de grâce
dès cette vie et nous assigne un degré de gloire dans l'autre ; et, par
là, il nous montre l'incomparable profondeur de sa miséricorde, l'inconcevable
hauteur de ses richesses et libéralités, donnant des choses si précieuses pour
de si minces : qu'en pensez-vous, mes filles ? un seul degré de grâce
ne vaut-il pas plus que tout le monde ? un seul degré de gloire, plus
qu'on ne saurait dire ? Saint Paul dit que ces choses célestes sont
au-dessus de tout ce que l'homme peut penser. Il ne faut point travailler pour
la récompense, mais pour l'amour de Notre-Seigneur, purement et
simplement ; néanmoins, il faut quelquefois considérer ce que je viens de
dire pour en bénir Notre-Seigneur.
Retenez bien ce premier point, cheminez toute votre vie avec ces deux
pieds : l'amour et l'obéissance, soit aux règles, coutumes ou ordonnances
de vos supérieures ou directrices, et croyez assurément que ce que vous faites
sans cette intention d'obéir et plaire à Dieu ne vous peut profiter de rien
pour l'éternité, ainsi qu'il fut assuré à ceux qui dirent : Nom avons [574] chassé
les démons en votre Nom, auxquels
Notre-Seigneur répondit : Retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité, je
ne vous connais point. Je ne veux cependant pas dire, mes filles, que vous
bandiez votre esprit pour dire à chaque pas : je fais ceci pour
Dieu ; mais il faut, outre l'offrande générale du matin, avoir encore la
virtuelle et l'actuelle ès choses principales.
La seconde chose que je désire vous voir pratiquer, c'est l'amour du
prochain. Ayez ces trois choses : l'affection à l'aimer et honorer, la
promptitude à le servir et secourir en ses besoins, et le doux support qui vous
fasse prendre garde à ne jamais vous ombrager de ses fautes ni d'en concevoir
de la mésestime ; gardez-vous-en bien, mes filles, et croyez que nous
sommes tous fragiles. Votre Sœur choppe maintenant, supportez-la doucement et
priez pour elle ; cela n'est rien, ce sont des fruits de cette misérable
vie où chacun à son tour fait quelques fautes ; maintenant ma Sœur, et
tantôt moi ; et ainsi n'ouvrez jamais votre cœur à la mésestime du prochain ;
mais d'une cordiale affection aimez-le constamment et parfaitement.
Notre-Seigneur n'a jamais dit : Aimez vos prochains qui sont parfaits
ou ceux qui ne font pas de fautes, car il savait bien, ce bon Sauveur, que
peu de mortels sont parfaits, et que point ne sont exempts de quelques
fautes ; c'est pourquoi il a dit indifféremment : Aimez-vous les
uns les autres comme je vous ai aimés.
Je désire en troisième lieu, mes filles, que vous vous affectionniez
grandement à la pratique de ce document : Ne demandez rien, ne refusez
rien ; ayant obtenu de notre Sauveur la grâce de la vocation
religieuse, ne demandez rien, ne refusez rien de tout ce qui se trouve
en icelle ; mais tenez votre cœur dans une sainte abnégation de tout ce
qui se trouve çà-bas. L'âme vraiment indifférente ne demande pas seulement sa
propre perfection, ains, d'une douce et constante fidélité, elle [575] emploie
les occasions que Notre-Seigneur lui présente pour le servir et lui laisse le
soin du surplus.
Lorsque l'on a des incommodités, il les faut exposer simplement à la
supérieure ou à la maîtresse, puis ne rien demander ni refuser.
Quand nous avons quelques pensées orgueilleuses, il les faut traiter
sévèrement et dire : Hé quoi, petit ver de terre, chétif avorton, tu n'es
qu'un petit monceau d'ordure et tu veux lever la tête ? Je te mettrai le
pied dessus ; tu crèveras ou tu t'approfondiras et t'humilieras.
SUR LA MANIÈRE DE TOUT VOIR VENIR DE DIEU ET DE TOUTES
CHOSES ALLER À DIEU.
Je voudrais savoir si nos Sœurs du noviciat sont bien ferventes, car il
fait mauvais voir des novices tièdes. Voyez-vous, mes Sœurs, si vous êtes
tièdes novices, vous serez tièdes professes, et par conséquent toute votre vie.
Êtes-vous bien dans la pratique de l'indifférence ? la volonté d'y
travailler est déjà un bon commencement. Il n'y a point de plus court chemin
pour arriver à la perfection que celui de regarder toutes choses venant par la
disposition de la divine Providence de Dieu ; par exemple : si Dieu
vous envoie une grande douleur de tête, il faut croire que c'est un moyen qu'il
vous donne pour pratiquer la vertu, car il nous faut avoir la patience pour
supporter le mal. Il nous faut avoir la mortification pour prendre les remèdes,
l'assujettissement d'obéir au médecin et à l'infirmière, manger quand vous
n'avez pas faim. Tout cela sont [576]
des moyens pour pratiquer la
vertu, et c'est la volonté de Dieu que vous fassiez cela ; mais ce n'est
pas sa volonté que vous vous impatientiez, que vous ne preniez pas les remèdes,
que vous ne mangiez pas quand on vous le dira. L'on vous donnera une robe qui
sera bien déchirée, qui ne sera pas bien comme il faut, vous aurez beaucoup de
peine à la mettre. Eh bien, il faut considérer que c'est un moyen que Dieu vous
envoie pour pratiquer la vertu et la mortification. L'on nous apporte une
portion qui n'est pas à notre goût, il faut considérer que c'est un moyen que
Dieu nous envoie pour pratiquer la vertu et mortifier le goût ; il la faut
manger, encore que vous ne l'aimiez pas. Si vous la repoussez rudement, que
vous en témoigniez de la répugnance, alors vous ne faites pas la volonté de
Dieu, qui avait permis ce moyen pour vous mortifier.
Si l'on vous avertit en charité, il ne faut pas penser en vous-même que
peut-être vous avez fait quelque chose à cette Sœur, de quoi elle se venge, et
quand même vous croiriez de ne l'avoir pas fait, il faut croire que la Sœur,
qui vous avertit, ne le dirait pas s'il n'était vrai et si elle ne l'avait pas
vu ; mais il faut prendre cela comme un moyen que Dieu a permis pour nous
humilier, et c'est sa volonté que vous fassiez cela, mais non pas que vous en
sachiez mauvais gré à la Sœur, ni que vous croyiez que c'est par vengeance.
Si une Sœur nous dit une parole sèche, eh bien, il faut souffrir cela,
car ce n'est pas la volonté de Dieu que vous vous en vengiez, ni que, pour une
qu'elle vous a dite, vous lui en disiez deux. Quand l'on aura du ressentiment,
et que l'on sent le désir de se revenger, il faut s'humilier devant Dieu et
prendre-cela comme une production de notre mauvaise nature, et puis laisser
gronder les sentiments tant qu'ils voudront, car vous ne faites point
d'imperfection si vous ne dites pas ce que votre nature vous porte à dire.
C'était la grande pratique de notre Bienheureux Père et ce qui l'a rendu saint.
Combien de fois est-il monté [577] et descendu ces degrés pour contenter des panures gens qui lui
disaient : « Monsieur, nous vous voudrions dire un mot », et il
leur disait avec sa douceur et cordialité ordinaires : Allons, mon ami.
Il n'en laissait passer aucune pratique. Il lui survenait quelquefois tant
d'affaires, qu'il aurait, ce semble, fallu quinze jours pour s'en démêler, et
il les expédiait souvent dans deux ou trois jours. Ah ! mes Sœurs, que
nous sommes filles d'un grand Saint ! Si nous l'imitons et que nous
pratiquions tout ce qu'il nous ordonne par nos règles et constitutions, nous
irions bien avant dans le ciel.
Je parlais, il y a quelque temps, à une bonne âme qui me dit qu'elle
avait été quatre mois dans des contradictions et des épreuves bien grandes.
Premièrement, il lui arriva une maladie très-longue et très-fâcheuse ;
elle était contrariée de sa supérieure et n'avait aucune consolation ;
elle était grandement sèche à l'oraison. Quand elle avait besoin de manger, on
la faisait mourir de faim ; quand elle n'avait pas besoin de manger,
l'infirmière la contraignait et la faisait manger par force. Elle demeura
quatre mois de cette sorte sans jamais s'impatienter ; au contraire, elle
recevait tout de la main de Dieu, non qu'elle me l'ait dit, mais je connaissais
à l'ouïr parler qu'il en était ainsi.
Elle ne put cependant s'empêcher de me dire en confiance, que par sa
fidélité à cette pratique de tout voir venir de Dieu, et de toutes choses
aller à Dieu, elle avait plus avancé chemin en l'union divine, que si elle
eût eu toutes choses à souhait, et qu'un chacun se fût empressé de lui
témoigner de la compassion.
Vous me demandez comme il faut faire pour avoir une grande [578]
générosité et une grande confiance en Dieu, quant après s'être confessée, vous
n'avez pas toute la contrition que vous voudriez. Ma chère fille, il faut alors
dire de tout votre cœur : Mon Dieu, je vous demande la contrition de mes
péchés, et après que l'on vous a donné l'absolution, ayez assurance que la
coulpe de vos péchés vous est pardonnée, car pour avoir un vrai esprit de
générosité, il ne faut pas avoir confiance en soi-même, mais il la faut mettre
toute en Dieu.
Nos Sœurs lisent-elles bien leurs règles ? Je vous dis, mes Sœurs,
qu'il faut bien faire attention en les lisant et considérer un peu ce qu'elles
disent. Je ne dis pas qu'il faille s'arrêter sur ce qui regarde la communauté,
mais il faut faire attention quand on lit la constitution de l’Humilité, de
la Modestie, de l’Obéissance, de l’Entrée des novices. Ah !
si celles-là étaient bien considérées et observées, il y aurait bien assez pour
arriver à une grande perfection.
DE LA PRÉSENCE DE DIEU, DONNÉES PAR NOTRE BIENHEUREUSE
MÈRE, POUR DÉFI, EN 1623.
La première pratique est de faire toutes ses actions pour l'amour de
Dieu, tant pour laisser le mal que pour faire le bien.
La deuxième, que toutes pensent en Dieu simplement, selon leur attrait,
sans s'empresser ni se charger de multitudes de pensées et d'attentions. [579]
La troisième, c'est de penser, par la vérité de la foi, que Dieu est
présent par essence et puissance, et que nous devons être honteuses de faillir
devant Lui, qui est la pureté même, et pratiquer les vertus parce qu'elles lui
sont agréables et qu'il aime les âmes vertueuses.
La quatrième, est de regarder Dieu dans notre cœur, comme dans son
temple, qu'il ne faut pas oser salir, ni rien faire qui déplaise à sa divine
Majesté, ni laisser rien à faire de ce que nous savons qui lui plaît.
La cinquième, c'est la pensée que Dieu nous voit de son trône céleste,
pour observer si nous sommes fidèles à sa grâce, à faire sa volonté, à ce que
nous lui avons promis et à nos observances.
La sixième, sera d'imiter Notre-Seigneur, par la patience ès-travaux,
tant intérieurs qu'extérieurs, et dans la douceur et l'humilité, les deux
vertus de son Cœur, qu'il veut que nous apprenions de Lui.
La septième, est d'être attentive à ne pas être plus d'un quart d'heure
sans faire quelque acte d'amour vers la divine Majesté toujours présente, ou
quelque autre acte conforme à l'attrait de chacune et selon sa dévotion
particulière, pour nous unir à sa Bonté.
La huitième : pour être plus fidèle à ce défi, l'on rendra compte
des vertus que l'on aura pratiquées ; ensuite, de l'attention qu'on aura
faite à cette adorable présence, et des fautes qu'elle nous aura fait éviter.
[580]
DÉFI GÉNÉRAL
QUE NOTRE BIENHEUREUSE MÈRE A DONNÉ AUX SŒURS D'ANNECY, POUR L'AVENT DE 1625.
Il faut avoir le cœur doux et gracieux envers le prochain ;
l'esprit doux est soumis à Dieu, retournant à Lui avec humilité et abaissement
intérieur, en toutes occasions, les acceptant comme venant de sa main.
Ce défi, mes chères filles, est fondé sur la doctrine de notre
Bienheureux Père, qui nous dit d'aller de Dieu à l'humilité et de
l’humilité à Dieu.
Vous voulez savoir comment cet avis se pratique, d'aller à Dieu avec
abaissement en toutes occasions. Ma chère fille, lorsque vous êtes tombée
en quelque faute considérable, au lieu de vous amuser à réfléchir sur votre
manquement, allez à Dieu en vous humiliant doucement ; si l'on vous loue,
jetez votre cœur en Dieu, vous abaissant devant Lui profondément ; si l'on
vous blâme et méprise, allez à Dieu et vous anéantissez, vous abaissant encore
plus bas qu'on ne vous met, reconnaissant votre misère et confessant qu'on a
bien sujet de vous traiter de la sorte ; si l'on vous contrarie, allez à
Dieu ; si l'on vous satisfait, allez à Dieu et acceptez tout de sa main.
Pour la douceur, je n'entreprends pas de vous en parler à cette
heure ; tout ce que je vous en puis dire, c'est que, lorsque je vous prie
d'avoir le cœur doux envers votre prochain, je n'entends pas parler du cœur de
chair, de la partie inférieure ; mais de notre cœur d'esprit, de la partie
supérieure. [581]
DÉFI GÉNÉRAL
QUE NOTRE DIGNE MÈRE A DONNÉ, EN 1633.
Les pratiques générales seront : de s'accuser franchement de ses
fautes ou défauts, et d'aimer la correction.
Cette sainte Mère a fait dire tout haut à chacune une pratique
particulière, que l'on a choisie selon son besoin. Ainsi l'une a pris, de ne
point s'excuser ; une autre, de ne perdre aucune occasion de s'avilir et
faire oublier ; d'autres ont dit qu'elles prieraient pour les personnes
qui leur fourniraient occasion d'abjection ; et, plusieurs, qu'elles ne
refuseraient aucun service au prochain, se regardant comme trop honorées de
servir les épouses de Jésus-Christ. Les plus ardentes à la perfection ont
dit : qu'elles seraient vigilantes à n'accorder aucune satisfaction à
leurs sens, pour les punir d'avoir cherché du plaisir hors de Dieu. Quelques-unes,
enfin, ont dit qu'elles s'affectionneraient tout particulièrement à pratiquer
le document de notre Bienheureux Père : ne rien demander, ne rien
refuser. Ainsi chacune a choisi sa pratique selon sa nécessité et dévotion.
Cette Bienheureuse Mère a ensuite ajouté : qu'il fallait tous les
jours, à l'exercice du matin, exciter en nous cette affection de faire toutes
choses en esprit de profonde, sincère et franche humilité, ainsi que nos
Constitutions nous ordonnent ; puis elle a dit qu'elle ne voulait point
donner d'autre défi hors de là, que même elle y avait pensé plusieurs fois, et
qu'il ne lui était point venu autre chose en l'esprit que l’humilité.
Elle a aussi dit que tous les mois on changera les pratiques générales
et particulières, de sorte que le second mois elle a donné, pour la pratique
générale, de se tenir en soi-même dans [582] un saint rabaissement avec
une filiale crainte de déplaire à Dieu par nos paroles.
Le troisième mois, qui se trouve en carême, elle a donné pour pratique
de bien recevoir, pour l'amour de Notre-Seigneur, toutes les peines,
mortifications et humiliations qui arriveront, en union de celles
que ce divin Maître a endurées pour nous, et de penser souvent à sa sainte Mort
et Passion.
Le quatrième mois, Sa Charité a donné la condescendance. Puis,
quelque temps après, elle a dit au Chapitre, que, pour nous davantage
assujettir, elle nous donnait de faire tous les jours trois actes d'humilité
extérieure et neuf actes intérieurs, et qu'on en rendrait compte tous les
dimanches.
TABLE DES MATIÈRES
............................................................................................................................................ Pages
Préface.................................................................................................................................... 2
Précieux
fragments du Petit Livret de Notre Bienheureuse Mère Jeanne-Françoise Frémyot
de Chantal, on
Recueil fait par elle des principaux avis de direction qu'elle avait reçus de
notre Bienheureux Père, saint François de Sales 16
Cantique.................................................................................................................................. 30
Cantique à la Sainte-Vierge................................................................................................... 31
Derniers avis du Bienheureux
(pendant la retraite de 1616)............................................ 31
Exercices faits en retraite....................................................................................................... 33
Sentiments et résolutions à
la fin d'une retraite annuelle................................................. 37
Autre
Recueil de quelques paroles, instructions et avis de notre Père François de
Sales, donnés à
notre digne Mère Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal................................................................... 40
Questions
adressées par notre Bienheureuse Mère Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal à notre Bienheureux Père
saint François de Sales, et Réponses faites par lui........................................................ 49
Papiers
intimes qui se sont trouvés sur notre Bienheureuse Mère Jeanne Françoise
Frémyot de Chantal, et qu'elle ordonna être mis sur elle dans le cercueil.............................................................. 57
Papiers
trouvés dans le livre des Constitutions de notre Bienheureuse Mère, écrits de sa main 69
Avis de notre saint Fondateur
à notre digne Mère, copiés dans le livre de ses Constitutions 72
Oraison à notre saint
Fondateur, composée par notre digne Mère................................ 74
Règlement de retraite............................................................................................................. 75
EXHORTATIONS
(faites en
chapitre)
SUR PLUSIEURS POINTS DE LA RÈGLE DE SAINT-AUGUSTIN
I. Sur le premier chapitre de
la Règle................................................................................... 79
II. Sur le second chapitre de
la Règle.................................................................................. 80
III. Sur le sixième chapitre
de la Règle................................................................................. 82
[584]
IV. Sur le dixième chapitre
de la Règle................................................................................. 83
V. Sur le onzième chapitre de
la Règle................................................................................. 85
VI. Sur le douzième chapitre
de la Règle............................................................................. 86
VII. Sur le seizième chapitre
de la Règle.............................................................................. 87
VIII. Sur le seizième
chapitre (suite).................................................................................... 90
IX. Sur le seizième chapitre
(suite)....................................................................................... 91
X. Sur le dix-septième
chapitre de la Règle......................................................................... 93
XI. Sur le dix-septième
chapitre (suite)............................................................................... 95
XII. Sur le dix-neuvième
chapitre de la Règle..................................................................... 96
XIII. Sur le vingtième
chapitre de la Règle....................................................................... 100
XIV. Sur le vingt-deuxième
chapitre de la Règle.............................................................. 102
XV. Sur le vingt-troisième
chapitre de la Règle............................................................... 104
XVI. Sur le vingt-quatrième
chapitre de la Règle............................................................. 105
XVII. Sur le vingt-sixième
chapitre de la Règle................................................................ 107
XVIII. Sur le vingt-sixième
chapitre (suite)....................................................................... 109
XIX. Conclusion de
l'explication de la Règle................................................................... 111
EXHORTATIONS SUR PLUSIEURS
POINTS DES CONSTITUTIONS DE LA VISITATION
I. Sur la préface de nos
Constitutions............................................................................... 114
II. Sur la préface de nos
Constitutions (suite)................................................................. 116
III. Sur la troisième
Constitution. — De l'obéissance..................................................... 119
IV. Sur la troisième
Constitution.— De l'obéissance (suite).......................................... 123
V. Sur la quatrième
Constitution. — De la chasteté........................................................ 125
VI. Sur la cinquième
Constitution. — De la pauvreté..................................................... 126
VII. Sur la vingt-deuxième
Constitution. — De l'humilité............................................... 130
VIII. Sur la vingt-cinquième
Constitution. — De la correction..................................... 132
IX. Sur la fidèle observation
des Constitutions.............................................................. 134
EXHORTATIONS SUR DIVERS
SUJETS
I. Sur la constance qu'il
faut avoir au service de Dieu au milieu des vicissitudes de la vie 136
II. Sur la vigilance et la
guerre à faire aux ennemis de l'âme........................................... 137
III. Sur les maux que causent
à l'âme les finesses de l'amour-propre, et de la prudence humaine 138
IV. Sur les motifs qui
doivent animer nos vertus pour les rendre fermes et religieuses 139
V. Sur l'excellence et la
beauté de la vie religieuse.......................................................... 141
VI. Sur l'obligation qu'ont
les Sœurs d'Annecy de conserver l'esprit de l'Institut..... 142
VII. Sur la manière de suivre
le Sauveur........................................................................... 145
VIII. Sur la nomination des
Sœurs, pour la fondation du deuxième monastère d'Annecy 147
IX. Sur le changement des
officières. — Derniers adieux de la Sainte à une communauté 150
[585]
EXHORTATIONS POUR QUELQUES
FÊTES ET PRINCIPAUX TEMPS DE L'ANNÉE
I. Pour le premier samedi
de l’Avent. — Sur l'imitation de la Sainte-Vierge.............. 154
II. Pour le deuxième
samedi de l’Avent. — Sur la pureté du cœur et la fête de l'Immaculée
Conception 155
III. Pour le troisième
samedi de l’Avent. — Sur les anéantissements du Verbe éternel en sa venue
ici-bas 157
IV. Pour le quatrième
samedi de l’Avent. — Sur l'humilité de saint Jean-Baptiste... 160
V. Avant la petite
retraite de Noël. — Sur les présents qu'il faut faire à Notre-Seigneur 163
VI. Pour le dernier samedi
de 1629. — Sur la brièveté de la vie.................................. 164
VII. Pour le dernier jour
de l'année. — Sur les dispositions requises pour bien faire les
dépouillements marqués par la Règle 166
VIII. Sur le bon usage du
temps......................................................................................... 172
IX. Pour le premier samedi
de Carême. — Sur la vigilance et la prière. — Admirable définition de
l'esprit de la Visitation, par notre Bienheureux Père saint François de Sales........................................................... 173
X. Pour le deuxième samedi
de Carême. — Sur l'excellence de la perfection de l'Institut, qui est des
plus pures que l'on puisse trouver en l'Église de Dieu......................................................................................................... 175
XI. Pour le samedi avant
le dimanche de la Passion. — Sur la mort et les souffrances du Sauveur 176
XII. Pour la fête de la
Pentecôte. — Sur les dispositions qu'il faut avoir pour attirer en soi
l'Esprit-Saint 178
XIII. Grand désir de la
Sainte de recevoir l'Esprit-Saint, sa résolution à conduire les âmes sans
écouter les plaintes de la nature 181
XIV. Pour la teille de la
Très-Sainte Trinité. — Sur l'obligation de ruiner la nature pour faire
régner la grâce 183
XV. Pour la fêle de saint
Jean-Baptiste. — Sur les vertus qu'il pratiqua
au désert. 185
XVI. Pour la fête de la
Visitation. — Sur l'obéissance et la modestie de la Sainte Vierge 187
XVII. Pour la fête de la
Nativité de Notre-Dame. — Sur les vertus qui
ont brillé en sa naissance.................................................................................................... 188
XVIII. Pour le temps des
retraites. — Sur le bénéfice de la vocation......................... 191
XIX. Pour le temps des
retraites. — Sur les qualités que doit avoir notre dilection pour être
selon Dieu 192
XX. Pour le temps des
retraites. — Sur l'importance de renouveler nos saints vœux en esprit de
foi et de générosité 194
XXI. Avant la petite retraite
de la Présentation............................................................... 195
XXII. Après le renouvellement
de nos saints vœux....................................................... 197
[586]
ENTRETIENS
faits
à la récréation et aux assemblées de la communauté.
I. Sur la réforme de l'âme...................................................................................................... 199
II. Sur les causes qui
mettent obstacle à la perfection................................................... 203
III. Sur les qualités que
doit avoir le vrai zèle ; et sur les fondements de la solide vertu 207
IV. Sur la défiance de
soi-même et la confiance en Dieu................................................ 213
V. Sur la nécessité de se
faire violence et de vivre conformément aux lumières de la foi..... 215
VI. Sur les passions et la
façon de les combattre............................................................ 216
VII. Sur la mortification des
inclinations naturelles........................................................ 219
VIII. Sur l'amour-propre et
les dommages qu'il fait en l'âme........................................... 222
IX. Sur la générosité à se
relever de ses fautes............................................................... 226
X. Sur la vraie vie
surnaturelle et le doux support du prochain.................................... 227
XI. Sur la charité et la
pureté d'intention.......................................................................... 232
XII. Sur la médisance, les
jugements téméraires et la confiance en Dieu.................... 235
XIII. Sur le danger de la
flatterie et les avantages de la sincérité................................. 239
XIV. Sur l'obéissance aveugle............................................................................................ 243
XV. Sur l'obéissance prompte............................................................................................ 247
XVI. Sur l'humilité et la
générosité..................................................................................... 250
XVII. Sur l'humilité et la
solide vertu................................................................................. 252
XVIII. Sur la soumission à la
volonté de Dieu et le respect mutuel.............................. 257
XIX. Sur ! amour de
l'abjection.......................................................................................... 260
XX. Sur la présence de Dieu
et la pensée des vérités éternelles.................................. 262
XXI. Sur la vaillance
spirituelle, les effets du pur amour dans l'âme religieuse, et le danger de
recevoir des sujets à caractère lâche et négligent...................................................................................... 264
XXII. Sur les avantages et
les dangers d'un naturel complaisant, et sur le bonheur d'être employé aux
offices bas 266
XXIII. De la manière de
s'abaisser par humilité et de s'élever par amour,
et de la pureté d'intention................................................................................................... 269
XXIV. Sur la mort à soi-même
et l'humble gloire des Filles de la Visitation................. 275
XXV. Sur la tranquillité
intérieure et la mortification...................................................... 278
XXVI. Sur la détermination
que doit avoir l'âme désireuse de progresser en • la vie spirituelle 284
XXVII. Sur la simplicité et
l'obéissance............................................................................ 287
XXVIII. Sur la simplicité, la
pauvreté d'esprit, la douceur de cœur, et sur l'acquisition d'une vertu solide 289
XXIX. Sur la parfaite
simplicité.......................................................................................... 292
Autre fragment sur le même
sujet...................................................................................... 294
XXX. Sur l'excellence de la
prière...................................................................................... 295
XXXI. Sur le recueillement et
le parfait abandonnement de soi-même à Dieu............ 299
[587]
XXXII. Sur trois manières de
faire l'oraison et sur la simplicité.................................... 302
XXXIII. Sur l'oraison et la
mortification............................................................................ 305
XXXIV. Sur la Passion de
Notre-Seigneur et l'oraison................................................... 309
XXXV. Sur la patience à
supporter les délaissements à l'oraison................................ 316
XXXVI. Sur la fidélité à
suivre l'attrait de la grâce pendant l'oraison........................... 319
XXXVII. Sur la perte de
soi-même en Dieu...................................................................... 323
XXXVIII. Sur la gloire et le
bonheur de l'âme religieuse................................................ 325
XXXIX. Sur la perfection de
notre Institut et sur la fidélité à la grâce......................... 327
XL. Sur l'esprit d'humilité,
caractère distinctif de notre Institut.................................... 332
XLI. Sur l'abandon à la
Providence, autre caractère distinctif de l'esprit de notre Institut 334
XLII. Sur trois moyens
propres à maintenir l'esprit de notre Institut : l'union avec Dieu, le
support et la correction fraternelle 337
XLIII. Sur le détachement des
créatures, et sur le zèle pour la perfection de notre Institut 339
XLIV. Sur l'esprit de nos
Règles, sur trois points qui doivent servir de fondements à la vertu des
novices, et sur le profit à tirer de ses manquements........................................................................................................... 342
XLV. Sur le document de notre
Bienheureux Père : Ne demandez rien, ne refusez rien, et sur la
reddition de compte 346
XLVI. Sur la reddition de
compte et les avertissements................................................. 351
XLVII. Sur la reddition de
compte, et sur l'obligation des supérieures de garder le secret 353
XLVIII. Sur la confiance
envers la supérieure et la nécessité de faire les avertissements 356
XLIX. Sur la confession et
sur les avertissements......................................................... 359
L. Sur les dispositions à la
retraite, la mortification des passions et la confiance en Dieu 363
LI. Sur la retraite et la
confession annuelle...................................................................... 366
LII. Sur la fidélité a
accomplir les révolutions de retraite, et surtout à éviter les plus petites
fautes volontaires 368
LIII. Sur le principal fruit
que doit produire la retraite : Faire ses exercices spirituels avec une
plus grande attention à Dieu 371
LIV. Sur la façon
d'entretenir son aide.............................................................................. 373
LV. Sur les motifs qui
peuvent dispenser du jeune........................................................ 375
LVI. Sur la fidélité a suivre
le directoire de l'Office.......................................................... 375
LVII. Sur les élections des
supérieures............................................................................. 377
LVIII. Sur la réception des
sujets....................................................................................... 381
LIX. Lumière de la Sainte sur
ces paroles : la Congrégation est principalement pour les infirmes 387
LX. Sur l'indifférence qu'il
faut avoir pour être envoyée en fondation........................ 389
LXI.
(Pendant une maladie de la Sainte.) Pour défendre aux Sœurs de parler en particulier et
hors de la chambre de récréation 392
LXII. (Fait à nos Sœurs de
N ) Sur l'oraison, la tranquillité de l'âme, et la soumission à la volonté
de Dieu 394
[588]
LXIII. (Fait à nos Sœurs
de N.) Sur la nécessité et les avantages du dépouillement extérieur et
intérieur 398
LXIV. (Fait à nos Sœurs de
N.) Sur la pureté d'intention, la simplicité, le changement des charges,
etc. 401
LXV. (Fait à nos Sœurs de
N.) Sur l'union entre les monastères, l'estime du prochain, la simplicité à
suivre la direction de la supérieure, etc.............................................................................................................................. 404
LXVI. (Fait à nos Sœurs de
Lyon) Sur la reddition de compte ; explications de ces paroles : Vivre
dans une pureté immaculée et angélique, et sur l'amour de Dieu et du
prochain, etc....................................... 411
LXVII. (Fait à nos Sœurs
du deuxième monastère d'Annecy.) Sur l'exactitude à assister en chœur, à
demander les permissions aux obéissances.............................................................................................................. 415
LXVIII. (Fait à nos Sœurs
de Moulins et de Nevers.) Sur la lecture des Règles. le profit à retirer de
la maladie, la liberté qu'a la supérieure de limiter le nombre des jours de
retraite, et sur plusieurs points d'observance. 418
LXIX. (Fait à nos Sœurs de
Dijon.) Sur l'abandon à la Providence, la mortification, la générosité, et
l'amour de l'abjection 422
LXX. (Fait à nos Sœurs
d'Autun, en 1626.) Sur le pur amour et les fruits qu'il faut retirer de la
sainte Communion, etc. 427
LXXI. (Fait à nos Sœurs de
N., en 1635.) Sur la prudence dans les communications de conscience,
l'assiduité aux exercices de la communauté, et plusieurs points d'observance................................................. 429
LXXII. (Fait à nos Sœurs
du premier monastère de Paris, de 1622-1641.) Sur quatre maximes de notre
bienheureux Père sur l'esprit de l'Institut, l'amour de la bassesse, etc., etc............................................................ 431
LXXIII. (Fait à nos Sœurs
de Nevers, 30 novembre 1641.) Sur trois vertus fondamentales :
l'obéissance, l'humilité, et la dépendance de Dieu........................................................................................................................... 438
LXXIV. Sur la dévotion à
notre Bienheureux Père.......................................................... 445
Fragments
d'entretiens faits
au premier monastère d'Annecy............................. 448
INSTRUCTIONS FAITES AU
NOVICIAT.
I. Sur la nécessité de
profiter du noviciat pour établir dans l'âme les fondements d'une vertu solide 462
II. Sur la fin qu'il faut
avoir en entrant en religion, qui est de se désunir de soi-même pour s'unir
plus parfaitement à Dieu 463
III. Sur l'estime qu'il faut
avoir de la vocation religieuse, et la fidélité à pratiquer les devoirs qu'elle
impose 469
IV. Sur ces paroles de la
constitution de la directrice : Rappeler toutes ses forces au service
de l'Époux céleste, etc. 473
V. Sur ces paroles de la
constitution de la directrice : Elle leur apprendra à ne point se
confier en elles-mêmes, etc. 475
VI. Sur la confiance que nous
devons avoir en l'infinie Sagesse, bonté et toute-puissance de Dieu 478
VII. Sur la méfiance de
soi-même, la confiance en Dieu, la mortification et la fidélité à l'oraison 482
[589]
VIII. Sur l'humilité,
l'obéissance et l'oraison..................................................................... 485
IX. Sur les vertus à
pratiquer pour être vraies Religieuses, et sur le recours continuel qu'il faut
avoir à Notre-Seigneur pour vaincre les tentations.................................................................................................................. 487
X. Sur l'amour de Dieu et du
prochain, et l'attention à éviter toute curiosité sur la conduite d'autrui 490
XI. Sur les dangers de la
tiédeur et des mauvaises habitudes...................................... 491
XII. Suite du même sujet..................................................................................................... 493
XIII. Sur le profit que l'on
peut retirer de ses fautes, et avec quel esprit de foi il faut voir la volonté
de Dieu en tout ce qui arrive 495
XIV. Sur les moyens qui
doivent déterminer l'âme religieuse de tendre à la perfection 497
XV. Sur l'obligation de
mortifier les sens extérieurs et encore plus les passions intérieures 499
XVI. Sur ces paroles de
Notre-Seigneur : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce
lui-même, etc. 502
XVII. Suite du même sujet................................................................................................... 505
XVIII. Sur ces paroles de
Notre-Seigneur : Le royaume des deux souffre violence, etc. 506
XIX. Sur le mal qu'apporte à
l'âme une crainte servile, et le bien qu'on trouve à servir Dieu avec un cœur
pur, simple, large et confiant 508
XX. Sur l'indifférence à
recevoir des consolations ou des sécheresses en l'oraison 514
XXI. Sur la pureté de cœur et
l'importance de s'affectionner à l'oraison...................... 515
XXII. Sur ces paroles : Rien
ne peut profiter à l'âme sans l'amour et sans l'obéissance 516
XXIII. Sur la manière de tout
voir venir de Dieu et de toutes choses aller à Dieu..... 520
Défis de Notre bienheureuse
Mère donnés aux Sœurs d'Annecy................................ 524
fin de la table des matières
paris. — typographie de e. plon et cie,
8, rue garancière.