VIII - AU CIEL
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VIII - AU CIEL
PRIÈRES

HUITIÈME PARTIE : AU CIEL. (Décembre 1552 - 1855.)

 

I

III

JEAN III, ROI DE PORTUGAL, AU VICE-ROI DES INDES.

IV

V

PROCÈS VERBAL DE L'OUVERTURE DU TOMBEAU DE SAINT FRANÇOIS DE XAVIER Le 12 octobre 1859.

TRADUCTION DE LA LETTRE QU'ESCRIVIT L'INTERPRÈTE CHINOIS .QUI ALLOIT AVEC SANCT FRANÇOIS DE XAVIER A LA CHINE, ET QUI SE TROUVA PRÈS DE LUI A SA MORT (1).

Rapport du R. P. Artola, de la Comyagnie de Jésus, résidant à Loyola, adressé au R. P. Maris, de la même Compagnie, recteur de la maison de Laval, sur l'état actuel du château de Xavier (1).

SAINT IGNACE DE LOYOLA A SON NEVEU BERTRANDO DE LOYOLA (1).

 

I

 

A la nouvelle de la mort du saint Père tant aimé, tous les Portugais de la Santa-Cruz éclatèrent en sanglots. Les matelots descendirent avec tout le personnel du bâtiment; tout le monde voulait voir et vénérer le corps du grand apôtre, tout le monde voulait lui baiser les pieds et les mains, se recommander à ses prières, et lui témoigner l'amour et la reconnaissance dont il avait rempli tous les coeurs !

Le saint corps resta, jusqu'au surlendemain dimanche, étendu sur la natte qui couvrait le sol de la cabane. Jorge Alvarez, Francisco d'Aghiar, Christophe et Antonio de Sainte-Foi, lui ôtèrent sa pauvre soutane dont ils se partagèrent les précieux lambeaux, et ils trouvèrent sur sa poitrine une petite. boite contenant la signature de saint Ignace, les noms des Pères avec lesquels notre saint avait vécu à Rome, la formule de ses voeux, et une parcelle des os de l’apôtre saint Thomas, sous la protection duquel il avait mis son apostolat des Indes.

On revêtit le corps de ses habits sacerdotaux, et on le mit dans un cercueil en l'entourant de chaux vive, afin que la chair fût promptement consumée, et que les ossements pussent être emportés par le retour de la Santa-Cruz. Les Portugais avaient planté une croix dans une prairie, au bas de la colline qui domine le port; ce fut au pied de cette croix que Jorge Alvarez fit déposer le cercueil. On éleva un monceau de pierres à la tête et un autre aux pieds, et ce fut tout !...

François de Yavier avait prévu ces tristes funérailles.... Pour lui, le sacrifice devait aller au-delà même de la mort ! Dieu. ne lui avait rien épargné !... Mais bientôt il n'épargna rien non plus pour manifester la gloire de l'immortel apôtre.

Après les grands froids, Luiz Alméida se disposant à mettre à la voile pour les Indes, Jorge Alvarez le conjura de ne pas laisser le corps de Xavier à Sancian, l'assurant qu'il pouvait s'en charger d'autant plus facilement, que, d'après les précautions prises, il n'y avait sûrement que les ossements dépouillés par la chaux. Le capitaine envoya deux de ses hommes, avec ordre d'ouvrir le cercueil et d'en vérifier le contenu. Cette ouverture se fit le 17 février 1553, deux mois et demi après la mort de François de Xavier. On trouva son visage frais, coloré, calme... le saint semblait dormir. Les ornements n'étaient point altérés. On examine le corps, il paraît plein de vie. Un des hommes coupe un fragment de chair au-dessus du genou... le sang coule ! On court au vaisseau, on porte la précieuse relique au capitaine; il vent juger par lui-même... il tombe à genoux devant cette grande merveille, ses larmes coulent, il ne peut croire ce qu'il voit ! En quelques instants tout l'équipage de la Santa-Cruz était descendu dans la prairie et rendait hommage au corps vénéré du saint Père. Tous s'approchèrent, lui baisèrent les pieds et les mains, et certifièrent qu'il s'exhalait de ce saint corps un parfum qui n'avait rien de comparable sur la terre. On remit dans le cercueil la chaux qu'on en avait retirée, on porta religieusement ces restes merveilleux sur la Santa-Cruz, et, peu après, on mit à la voile pour Malacca, où on arriva le 22 mars, après la plus douce traversée.

Cette ville était livrée de nouveau à toutes les horreurs de la famine et de, la peste, et les Pères de la Compagnie de Jésus n'étaient plus là pour prodiguer aux victimes de ces fléaux destructeurs, les trésors de leur saint ministère et de leur sublime dévouement. Le capitaine de la Santa-Cruz ayant envoyé la chaloupe pour annoncer à la ville l'arrivée du saint corps de l'apôtre des Indes, le clergé, la noblesse et le peuple vinrent, un cierge à la main, le chercher au port, malgré la disposition haineuse du gouverneur, et on le conduisit processionnellement, à l'église de Sainte-Marie du Mont, qui appartenait à la Compagnie de Jésus. Les païens et les mahométans se mêlèrent avec empressement à la foule pour rendre hommage à ces restes vénérés; Diogo de Pereira semblait accompagner le convoi de son père; sa douleur était déchirante :

— Qu'est-ce donc que ce lugubre vacarme? demanda don Alvare en quittant une table de jeu et ouvrant une fenêtre sur la place du Gouvernement.

            — C'est probablement, lui répond un des joueurs, le convoi du Père de Xavier; il devait arriver aujourd'hui.

— Quels fanatiques ! ils verront bientôt les honneurs que je lui réserve, à leur saint Père !

Après les cérémonies religieuses, la sainte dépouille fut retirée du cercueil qui la renfermait; on la porta dans le cimetière des pauvres, on la jeta dans une fosse trop petite, on la força pour l'y faire entrer, on foula cette terre « avec de gros leviers, — dit le catéchiste du saint, témoin oculaire, — et luy rompirent et abaissèrent le nez dans lestat que vous l'avez veu à Goa, et lui crevèrent le costé droit III... » C'étaient là, sans doute, les honneurs que le sacrilége gouverneur s'était promis de rendre à l'illustre Xavier

 

1 « Soit que la crainte du gouverneur les retint (les habitants de Malacca), soit que Dieu le permit pour la plus grande gloire de son serviteur, ayant tiré le corps du cercueil, ils l'enterrèrent hors de l'église, dans le lieu où en enterrait d'ordinaire les gens du commun.

« Ils ne firent pas même la fosse assez grande, de sorte que, pressant le coros pour l'y faire entrer, ils rompirent quelque chose aux épaules, et il en sortit du sang qui répandit une odeur très-agréable. Ils furent encore si indiscrets que de fouler la terre qui couvrait le corps, et ils le meurtrirent en plus d'un endroit, comme si c'eût été la destinée du saint homme d'être tourmenté par les gens de Malacca pendant sa vie et après sa mort. » Vie de saint François-Xavier, par le P. Bonheurs, tome II, page 184.

 

Ce jour-là même la peste cessait dans toute la ville, les malades se trouvaient guéris miraculeusement et des bâtiments chargés de vivres jetaient l'ancre devant le port et venaient mettre un terme à la famine. Le grand apôtre récompensait ainsi les témoignages de vénération que les habitants de Malacea venaient de lui donner, malgré le coupable gouverneur dont la haine avait attiré sur eux les châtiments du ciel.

Le corps de saint François de Xavier, privé de son cercueil, resta ainsi indignement enfoui dans la terre, dans la boue!... et malheur à qui eût osé le soustraire à cette profanation...

Cependant le Père Joam de Beira, retournant aux Moluques, d'après l'ordre de Xavier, avec le Frère Manoël de Tavora, arriva à Malacca dans le courant d'août et ne put se résoudre à s'embarquer pour sa destination, sans avoir vu ce qui restait de son bien-aimé supérieur. De son côté, Diogo de Pereira désirait depuis longtemps pouvoir rendre à son saint ami les honneurs mérités par son incomparable vie; mais le terrible gouverneur était là. Le Père de Beira insistait néanmoins :

            — Seulement le voir ! disait-il à Diogo; nous le recouvrirons ensuite, et Dieu saura bien un jour ménager les circonstances de manière à nous donner la consolation de rendre à son saint apôtre les honneurs qu'il mérite.

            — Eh bien ! mon Père, allons-y vers le milieu de la nuit, afin de n'être pas surpris, lui répondit Pereira. Le 15 août 1553, dans la nuit, ils s'acheminèrent silencieusement au nombre de six : le Père de Beira, le Frère Manoël de Tavora, Diogo et Guilriermo de Pereira et deux autres Portugais. Ils découvrirent le précieux corps et le trouvèrent aussi frais que si la vie lie l'eût point quitté; le linge qui couvrait le beau visage de Xavier était marqué de son sang !... Les amis de notre saint se prosternèrent devant ce prodige; ils répandirent des larmes sur la profanation dont ils étaient témoins.

« Emportons-le l'emportons-le ! se dirent-ils à voix basse et tous à la fois; la Providence nous secondera.» Et, prenant dans leurs bras ce cher et vénéré fardeau, ils le portèrent dans un petit ermitage que Diogo de Pereira possédait hors de la ville, et ils convinrent de le garder là jusqu'au moment où Dieu leur permettrait de le faire transporter prudemment à Goa. Pereira lui fit faire un cercueil de bois précieux et doublé en damas; on plaça un oreiller de brocard sous la tète du saint, on le recouvrit d'un drap d'or, et on mit un cierge allumé dans la chambre. Ce cierge devait avoir une durée de dix heures; il brûla jour et nuit pendant dix-huit jours !

Cependant, un bâtiment allait mettre à la voile pour les Moluques; le Père de Beira crut devoir laisser le Frère de Tavora auprès du corps dont il était forcé de se séparer; il le chargea de veiller sur ce cher dépôt et de l'accompagner à Goa dès qu'une occasion se présenterait, et il partit, brûlant de zèle plus que jamais pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Il semblait, disait-on, que l'esprit du grand Xavier était passé en lui. Bientôt après son départ, le Père Alcaceva venant du Japon, débarquait à Malacca, où il devait attendre qu'un vaisseau fit voile pour Goa; il se joignit à Manoël de Tavora pour honorer la sainte dépouille de leur Père bien-aimé, dans la demeure solitaire de Diogo de Pereira, demandant chaque jour à Dieu l'occasion de la transporter sûrement à la métropole des Indes portugaises, où la vénération publique l'attendait impatiemment.

Un des premiers jours de février 1554, avant le lever du soleil, un vaisseau de guerre jetait l'ancre devant le port de Malacca. Son équipage était nombreux, son armement formidable. Le débarquement s'effectua salis délai et dans le plus grand silence; il y avait du mystère et de la solennité dans cette arrivée et dans ce mouvement. Les portes de la ville s'ouvrent... Le capitaine, les officiers, un détachement de soldats se présentent; ils parlementent un instant, entrent dans la ville et vont droit au palais du Gouvernement. Les soldats entourent le palais et s'emparent de toutes les issues; les officiers, au milieu desquels on distingue un personnage dont l'autorité supérieure se devine à la déférence qu'on lui témoigne, pénètrent dans l’intérieur. Bientôt, l'agitation se manifeste dans les rues de Malacca, à la nouvelle du mystérieux débarquement et de l'entrée silencieuse d'un grand personnage entouré d'officiers et d'hommes de guerre. Chacun attend avec anxiétéque l'évènement soit connu; on va, on vient, on s'informe... Enfin, on apprend que l'heure de la justice de Dieu a sonné pour le grand coupable; que don Antonio de Noronha vient d'arriver pour le remplacer en qualité de gouverneur de la ville et de major de la mer, et qu'il a mission de s'emparer de sa personne et de l'envoyer à Goa sous bonne et sûre garde.

Peu de jours après, don Alvare d'Ataide, déclaré criminel d'État, traversait les rues de Malacca, au milieu des soldats et des officiers chargés de surveiller sa personne, et il était embarqué pour Goa, d'où le vice-roi l'envoya en Portugal pour y être jugé par la chambre royale. Reconnu coupable de haute trahison envers l'Eglise et envers l'Etat, il fut condamné à une détention perpétuelle, et tous ses biens furent confisqués. Quelques années après, son corps se couvrit d'horribles ulcères, il le vit tomber par lambeaux et il reconnut que la justice de Dieu le frappait; on croit qu'il en appela à sa miséricorde et qu'il mourut repentant. Diogo de Pereira, comblé d'honneur à la cour, fut généreusement dédommagé, par le roi, des pertes que lui avait fait subir la jalouse cupidité de son ennemi : ainsi fut accomplie la double prédiction de notre saint.

Le capitaine Lopez Noronha allait mettre à la voile pour Goa; le Père d'Alcaceva et le Frère de Tavora, déposèrent sur son bâtiment le plus précieux trésor des Indes, et s'embarquèrent avec lui sur la Santa-Anna. Ce vieux vaisseau offrait si peu de garantie, que personne n'avait voulu prendre passage à son bord; mais lorsque se répandit la nouvelle qu'il allait être chargé du saint Père, les passagers se présentèrent en foule; on se disputait le bonheur de faire ce voyage si près de lui car on l'aimait tout haut depuis qu'on n'avait plus à redouter la colère du sacrilège gouverneur.

Cependant, une tempête des plus violentes éprouve bientôt la foi des confiants passagers. Le navire est jeté sur un banc de sable, et la quille s'enfonce si profondément; que tous les efforts de la manœuvre sont impuissants à la dégager :

            — Saint Père, s'écriait-on, dégagez-nous ! vous êtes là, le navire ne peut périr!

À l'instant même, un coup de vent enlève la quille, le vaisseau remonte, reprend le large de lui-même,.... on est sauvé !

Dans le détroit de Ceylan, nouveau danger plus effrayant encore. Le bâtiment se heurte contre un écueil, le gouvernail est enlevé, on reste engagé, on ne comprend pas que le vaisseau n'ait pas volé en éclats par la violence du choc ! La mâture est abattue, on, cherche à alléger le poids, on va jeter les marchandises à la mer :

Non ! non! il faut que le saint Père nous sauve ! disent les passagers pleins de confiance dans le cher trésor qu'ils possèdent.

Le capitaine fait porter sur le pont le cercueil de l'apôtre des Indes; on s'agenouille autour de ce protecteur bien-aimé; on lui parle comme on le faisait lorsqu'il était plein de vie et que d'une parole on d'un signe il apaisait les tempêtes. Aussitôt un bruit terrible se fait entendre, la Santa-Anna glisse légèrement entre deux écueils et se trouve au large. Le rocher venait de se fendre pour la dégager ! Enfin, on arrive heureusement au mouillage de Cochin. Tous les habitants de la ville accourent rendre un hommage de vénération et de regret à celui qu'ils chérissaient comme un père, et dont ils étaient les premiers enfants. On s'arrêta à Baticala; ce fut le même empressement, les mêmes regrets, le même amour. La femme d'Alitonio Rodriguez, officier royal, malade depuis longtemps, assure qu'elle guérira si on la porte sur le navire, près du cercueil vénéré. On cède à ses instances, elle retrouve la santé.

A vingt lieues de Goa, le vent change, il est devant, on ne peut plus avancer. Le capitaine Lopez descend dans la chaloupe, gagne la ville à force de rames, va annoncer au collège l'arrivée des restes mortels du saint Provincial, et raconte les dangers qu'il a courus dans la traversée et dont le saint apôtre l'a sauvé d'une manière si miraculeuse. Ici nous allons laisser parler le Père Blandoni alors à Goa. Il mandait à la Compagnie de Jésus, en date du 24 décembre de la même année 1554 :

« ..... Melchior courut chez le vice-roi, lui demander un canot à deux rames pour aller au-devant du vaisseau dont les vents contraires ralentissaient la marche, et prendre à son bord le précieux dépôt dont il était chargé. Le vice-roi, s'empressa de faire préparer une faste. Le capitaine Lopez vit faire ces dispositions avec un vif chagrin. Il priait, il demandait en grâce qu'on né dépouillât pas son navire du puissant palladium qui l'avait miraculeusement sauvé des plus grands périls; mais Melchior et tous nos Frères brûlaient d'un trop vif désir de posséder au plus tôt les restes vénérés de leur Père, pour céder aux prières de Lopez. Il s'embarqua sans retard avec trois de nos Frères, quatre enfants élèves de la maison, et Mindez Pinto négociant portugais, qui avait été dans l'intimité de Xavier, pendant son séjour au Japon. Le vice-roi fit recommander à Melchior, au moment de son embarquement, de ne pas rentrer dans la ville avant de l'avoir fait prévenir de son arrivée.

« Après avoir erré pendant quatre jours et quatre nuits, nos Pères rencontrèrent enfin le navire de Lopez près de Baticala; ils y montèrent aussitôt et firent transporter sur leur embarcation le cercueil de Xavier avec tous ses ornements. Pendant ce temps, les enfants,

 

1 Le Père Barzée étant mort le 18 octobre 1553, le Père Melchior Nunhez l'avait remplacé dans la charge de vice-provincial, conformément à l'ordre que saint François de Xavier avait expédié sous cachet, avant de s'embarquer à Malacca, recommandant aux Pères du collège de ne l'ouvrir qu'à la mort du Père Gaspard Barzée.

 

couronnés de fleurs et portant des branches d'olivier, chantaient le Gloria in excelsis, puis, le cantique Benedictus; les matelots pavoisaient le vaisseau déchargeaient leur artillerie et faisaient retentir l'air de leurs acclamations.

« Le surplis qui revêtait le saint corps, bien qu'il eût séjourné près de trois mois dans la chaux vive (1), était d'un blanc éclatant; il était si parfaitement conservé que Melchior eut dès ce moment la pensée de le réserver pour s'en revêtir lorsqu'il irait se présenter à l'empereur du Japon. La face de Xavier était couverte; les mains étaient croisées sur la poitrine; la couleur du ruban qui les tenait attachées était aussi fraîche que s'il sortait des mains de l'ouvrier; ses pieds étaient chaussés de sandales. Melchior vint aborder, avec son cher dépôt, à un ermitage consacré à la sainte Vierge, et situé à Rebendar, éloigné de la ville d'une demi lieue environ; il y passa la nuit avec ses compagnons.

« Bien que l'on fût en carême, nos Frères firent orner les autels et décorer l'église. Plusieurs personnes voulaient qu'on mit en branle toutes les cloches de la ville, mais nos Pères s'y opposèrent et jugèrent plus convenable qu'on sonnât deux fois seulement comme pour un service funèbre. Le lendemain matin (2), le vice-roi, le chapitre, la confrérie de la Miséricorde, la noblesse, les grands officiers royaux, les magistrats, nous tous, enfin,et une immense multitude d'habitants,

 

1 Le Père Blandoni, aurait pu ajouter qu'il avait plus tard séjourné dans la terre plus longtemps encore.

2 16 mars 1554, vendredi de la semaine de la Passion.

 

nous sortîmes processionnellement au-devant du corps que nous allâmes attendre sur le rivage. Les rues étaient pavoisées dans tout le parcours, et si remplies de spectateurs de toutes les classes, qu'on pouvait à peine frayer un passage au cortège ; toutes les fenêtres et les toits étaient encombrés de monde qui faisait tomber une pluie de fleurs sur le corps du saint à mesure qu'il passait. Quatre-vingt-dix enfants, en surplis, et portant un cierge, ouvraient le cortége ; des parfums brûlaient dans toutes les rues où il passait; deux encensoirs de chaque côté du cercueil, l'entouraient d'un léger nuage d'encens. Arrivé dans notre église, le corps resta couvert, l'affluence du peuple était si grande, qu'on n'aurait pu l'exposer sans inconvénient. Le vice-roi, malgré son extrême désir de le contempler, ne put satisfaire sa dévotion par ce motif.

« La foule ayant enfin perdu l'espérance de le voir, s'était écoulée peu à peu, il ne restait plus qu'un petit nombre de personnes qui suppliaient avec larmes qu'on leur donnât la consolation de voir leur bon Père, et protestaient qu'elles ne se retireraient pas sans avoir eu ce bonheur. Melchior ne put résister à leurs instances. Il fit placer une barrière à l'entrée de la chapelle, et chacun put voir le corps sans en approcher. Tous étaient frappés d'étonnement et d'admiration en reconnaissant ses traits : «Et pourtant, disaient-ils, voilà seize mois qu'il est mort ! est-ce croyable ?» A peine furent-ils sortis de l'église, que toute la ville apprit le prodige dont ils avaient été témoins, et que la foule se porta sur notre maison avec une vivacité, un empressement inexprimables; c'était une masse prodigieuse d'assiégeants à laquelle il fut impossible de résister. Pendant quatre jours et quatre nuits l'église fut constamment remplie. Ceux qui l'avaient déjà vu voulaient le revoir encore, et puis encore ! Melchior jugeant enfin avoir assez fait pour la satisfaction du public, fit placer la châsse près du maître-autel, et fit mettre une barrière devant pour la défendre contre l'envahissement des fidèles.

« Quant à nous, si nous éprouvons une grande joie de garder le corps de. François de Xavier, nous en éprouvons une plus grande encore à la pensée qu'il nous protège et intercède pour nous dans le ciel (1).

 

Les quatre jours accordés par le Père provincial a l'empressement des habitants de Goa, tournèrent à la gloire de l'apôtre de l'Orient, au-delà même de toutes les espérances. Déjà, les malades qu'on avait portés sur son passage, le jour de son entrée triomphante dans cette ville qui lui fut si chère, avaient tous recouvré la santé miraculeusement. Une pauvre mère, dont la fille était à l'agonie, ouvre sa fenêtre au moment où le cortége passait devant sa maison, elle appelle à grand cris le saint Père cri le suppliant de ne pas passer sans guérir sa fille qui va mourir, et le saint Père l'entend et lui rend sa fille, qui se lève pleine de santé.

 

1 Le P. Blandoni ayant été témoin des faits qu'il raconte, nous avons cru devoir donner la préférence à sa relation, qui diffère en quelques détails de celle du P. Bouhours.

 

On avait placé le corps vénéré debout, et élevé, afin que le peuple pût le contempler de toutes les parties de l'église, ce qui empêcha le désordre en donnant pleine satisfaction à la multitude. On portait des malades et des infirmes de tous les points de la ville et des environs, tous s'en retournaient guéris! Les paralytiques marchaient, les aveugles voyaient, il semblait que le saint Père ne pût rien refuser à ses enfants de Goa. L'exaltation de l'amour et de la reconnaissance fut portée à ce point, parmi les fidèles sur qui tombait cette pluie de grâce et de- bénédiction, que les lépreux même purent venir se mêler à la foule et demander à leur Père bien- aimé de se souvenir des tendres soins et des caresses paternelles qu'il leur prodiguait pendant sa vie ! Nul ne songea à les éloigner, ni à s'éloigner d'eux. On les encourageait même :

« Allez ! leur disait-on, le saint Père vous guérira ! il guérit tout le monde. »

Et les lépreux voyaient disparaître leur lèpre.

Le chapitre avait chanté la messe de la Croix, le vendredi, dans l'église du Collège; les religieux franciscains y avaient chanté celle de la sainte Vierge, le samedi; personne n'avait pense à, célébrer un office funèbre pour l'apôtre qui avait rempli toutes les contrées orientales du. bruit de ses miracles, et qui opéraient de si éclatants prodiges depuis sa mort.

La Santa-Anna s'ouvrit d'elle-même, après qu'on eut débarqué les passagers et les marchandises, et coula entièrement dans les eaux de Goa, sans qu'il en restât la moindre épave !

Cette même année, 1554, il arrivait à Goa une lettre adressée à maître Francisco de Xavier; cette lettre était de saint Ignace, et appelait notre saint en Europe. Le Père de Polanco, alors secrétaire du célèbre fondateur de la Compagnie de Jésus, assure que saint Ignace rappelait saint François de Xavier dans l'intention de se décharger sur lui du titre et des fonctions de général de la Société... Cette lettre arrivait trop tard.

L'illustre géant avait fourni sa course, il avait atteint le but. En dix années seulement, il avait franchi des espaces si considérables que, d'après les calculs qui en ont été faits, il a été reconnu que les immenses distances parcourues par le grand apôtre, suffiraient, ajoutées l'une à l'autre, pour faire plusieurs fois le tour du globe (1) ! En dix années seulement il avait porté la foi sur une étendue de plus de trois mille lieues, et il avait planté la croix si solidement dans ces contrées, que des millions de chrétiens ont donné leur vie pour sa défense. Les Indes et le Japon comptent de magnifiques légions de martyrs, et le nom de François de Xavier n'y sera jamais oublié.

 

1 On a calculé que dans le cours de son apostolat, depuis son départ de Paris pour Venise jusqu'à sa mort, notre saint avait fait plus de trente cinq mille lieues!

 

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III

 

JEAN III, ROI DE PORTUGAL, AU VICE-ROI DES INDES.

 

Lisbonne, 28 mars 1556. VICE-ROI, MON AMI,

 

La vie et les actions merveilleuses de Francisco de Xavier ont été si admirables, que leur publication doit nécessairement tourner à la gloire de Dieu, Notre-Seigneur. Je vous enjoins, pour cela, de faire entendre les témoins partout où ils seront, de faire une enquête sur toutes les actions prodigieuses de cet homme extraordinaire, sur tous les faits surhumains qu'il a accomplis, sur tous les prodiges que Dieu a opérés par son ministère ou à ses prières, soit de son vivant soit après sa mort. Vous en ferez dresser des actes authentiques dont vous m'enverrez les originaux. Vous ferez inscrire tous les faits et toutes les enquêtes jour par jour, sous leurs dates respectives, dans les registres publics. Cette enquête se fera de telle manière, que tout homme qui connaîtra des particularités de la vie, des actions, des habitudes de Francisco de Xavier, dans les pays qu'il a parcourus, répondra, en conscience et sous la foi du serment, aux questions qui lui seront adressées. Vous me ferez passer une double expédition de cette enquête, revêtue de votre signature et de celle de l'auditeur général, au nombre de trois copies, par trois voies différentes. Ce faisant, vous me ferez beaucoup de plaisir.

 

Vice-roi, mon ami, je vous salue.

 

Moi, le roi.

 

Ce ne fut pas chose aisée que de satisfaire ce désir, ou plutôt d'obéir à cette volonté de Jean III. Tous les peuples indiens s'indignèrent à la seule pensée de cette enquête; c'était, à leur avis, élever des doutes sur la sainteté de leur saint Père, et rien ne pouvait les blesser plus vivement et plus profondément. Déjà les Palawars, sur la côte de la Pêcherie, ne consultant que leur tendre dévotion pour leur grand Père chéri, avaient élevé une église en son honneur, malgré les représentations des Pères de la Compagnie. Ils venaient en foule l'honorer dans cette église, où ils avaient placé son image, et leur saint apôtre, toujours plein de tendresse pour ses premiers enfants indiens, leur accordait tant de faveurs, que les miracles ne se comptaient plus; cette église devint le pèlerinage le plus célèbre. Le roi de Travancor, ne pouvant se persuader que le grand Xavier fût autre chose qu'un dieu, lui avait fait bâtir un temple plus magnifique qu'aucun de ceux qu'il avait fait élever en l'honneur de Mahomet, dont il suivait la loi. Sur la côte de Comorin, les musulmans lui avaient aussi consacré une mosquée. Tous les infidèles des Indes ne l'appelaient que le Dieu, le maître du ciel, de la terre et des mers. Les images de l'apôtre de l'Orient étaient partout, et partout elles faisaient des prodiges. L'évêque de Goa lui-même en portait une sur sa poitrine, et obtint de notre saint la guérison d'une maladie regardée alors comme incurable. Francisco Nunhez, grand vicaire de Coulan, dans un rapport sur les miracles opérés dans l'étendue de sa juridiction, dit qu'on fut obligé de faire creuser un puits pour les pèlerins qui accouraient de toute part à l'église que la ville de Coulan avait fait bâtir en son honneur. Il ajoute que les églises du pays, dédiées à d'autres saints, perdaient leur titre si on y plaçait l'image de l'apôtre des Indes. Pour tout le peuple c'était aussitôt l'église du grand Père ou du saint Père.

Les païens étaient dans l'usage de jurer en touchant un fer rougi au feu, pour attester la vérité de leur témoignage. Depuis la mort de Xavier, ils ne juraient plus que par son nom, et souvent Dieu ne voulut pas permettre qu'on mentit impunément après s'être appuyé du nom de son grand apôtre. Un païen débiteur d'une somme considérable envers un chrétien finit par nier sa dette; il n'avait rien à craindre, pensait-il, puisqu'il n'existait point de preuve et qu'il n'y avait pas eu de témoin de l'emprunt. Le créancier l'oblige, en présence de témoins, de jurer par le saint Père Francisco qu'il ne lui doit rien; l'idolâtre le jure, et, rentré chez lui, il est saisi d'une sorte de frénésie, au milieu de laquelle il vomit tout son sang, et meurt en proférant des paroles de rage qui jettent l'épouvante parmi ceux qui cherchent inutilement à le secourir.  Il y eut plusieurs exemples de ce genre de châtiment après de tels serments prêtés à faux.

Les Japonais ne témoignaient pas moins de confiance dans la sainteté de l'illustre Xavier. La maison où il avait demeuré à Amanguchi était regardée comme un lieu sanctifié par sa présence; on y venait l'invoquer, lui demander des grâces extraordinaires, et on y obtenait une infinité de miracles. A Saxuma, les chrétiens conservaient avec vénération une pierre sur laquelle il avait prêché souvent, et la montraient, avec un saint orgueil, comme leur plus cher trésor. Le roi de Firando écrivait, en 1554, au Père Melchior Nunhez, provincial de la Compagnie de Jésus dans les Indes.

 

« PÈRE BONZE CHRÉTIEN,

 

« Le grand et célèbre bonze François de Xavier vint, il y a quatre ans, dans mes Etats; il convertit un grand,nombre de mes sujets à la religion d'un seul Dieu, et j'en sais fort satisfait; je les protège contre la haine des bonzes de Chaca et d'Amida. Le bonze chrétien, qui est à Funaï, est venu deux fois à ma cour; il a baptisé plusieurs de mes parents et des grands de mon royaume; j'ai entendu sa doctrine, j'en suis fort content; elle est descendue dans mon coeur, et je veux lui obéir et être chrétien; c'est pourquoi les portes de mon palais s'ouvriront devant vous, si vous voulez vous rendre au grand désir que j'ai de vous voir. Autrefois j'ai menti, mais je ne mentirai plus. Si vous venez me voir, vous ferez une chose très-agréable au seul Dieu des chrétiens qui est le vrai, et votre venue réjouira mon cœur. »

Le roi de Cangoxima, que saint François de Xavier n'avait pu convertir, ravi de la soumission et des vertus des chrétiens de ses Etats, écrivait aussi au Père provincial pourlai demander,des prêtres de sa Société, et lui disait :

 

«Avant que vos saints mystères fussent enseignés dans mon royaume, nous étions brûlés par un air de feu, et vos bonzes furent comme des, éventails qui rafraîchirent les cœurs des mortels. »

 

Pour les habitants de Cangoxima, le grand Xavier était l'éventail céleste.

Le Père Luiz Alméida mandait à la Compagnie de Jésus qu'à son passage devant la forteresse du Prince Hexandono, où Xavier avait converti un si grand nombre de personnes par une seule prédication, il trouva la foi la plus vive dans tous ceux qui avaient

reçu le baptême de sa main. La princesse opérait de nombreux miracles par le petit livre de prières qu'il lui avait laissé, et l'intendant en avait obtenu plusieurs également, au moyen de sa discipline. On fit une foule de questions sur lui au Père Alméida qu'on retint quinze jours dans la forteresse, pour en recevoir les secours religieux dont on était avide.

Le roi de Bungo, qui aimait si tendrement le saint apôtre du Japon, mais qui n'avait pas en le courage de sacrifier ses passions à une religion qu'il reconnaissait seule vraie, éprouva l'effet de la protection de notre saint; il se convertit sincèrement, fit jeter dans la mer les idoles qu'il avait gardées jusque-là dans son palais, se livra aux exercices de la pénitence, et fut enfin baptisé par le Père Cabral. En souvenir du saint qu'il avait aimé et admiré, et à qui il se sentait redevable de sa conversion, il voulut prendre au baptême le nom de François, auquel il joignit, pour sa plus grande satisfaction, celui de Xavier. Deux mois après son baptême, il eut des guerres à soutenir; il fut vaincu, détrôné, dépouillé, mais rien n'affaiblit sa foi. Il répondait à ceux qui attribuaient à son changement de religion les revers qu'il avait subis :

«J'ai fait le vœu de vivre et de mourir chrétien; peu m'importe la perte de mon royaume ! Une seule perte est redoutable, c'est celle de la foi ! Pour moi, je tiens tant à la conserver, que tout le reste ne m'est rien ! et quand je verrais le Japon, l'Europe, les Pères de la Compagnie de Jésus, et le Pape même renoncer à la foi en Jésus-Christ, je ne la renoncerais pas! Il faudrait donner ma vie, que je n'hésiterais pas, avec la grâce de Dieu, à la donner de grand coeur. »

Ses dispositions furent bénies; il recouvra ses états et sa puissance, et sollicita vivement la canonisation de son saint ami, de concert avec les rois d'Arima, d'Omura et autres souverains du Japon.

Le Grand Mogol Akébar, émerveillé du bruit des miracles opérés en Asie par l'apôtre de l'Orient, députe un ambassadeur à Goa pour demander des prêtres de la Société du grand Xavier, afin qu'on lui explique la doctrine d'un Dieu par lequel il se fait de tels prodiges (1). L'ambassadeur sollicite de plus, pour lui-même, la faveur de voir le corps du célèbre saint Père des Indiens; et il n'ose approcher de ces restes mortels avant d'avoir ôté sa chaussure. Tous les gens de sa nombreuse suite l'imitèrent, et on vit tous ces musulmans se prosterner plusieurs fois, le front sur le pavé de l'église, avant de se permettre l'honneur de porter leurs regards sur le corps d'un saint dont la puissance était supérieure à celle de leur prophète. ,

Les vaisseaux qui passaient en vue de File de Sancian, saluaient de toute leur artillerie le lieu d'où le grand Xavier avait quitté la terre, et où son corps était resté près de trois, mois privé des honneurs qui lui étaient dus. Les Portugais y firent élever une chapelle qui depuis a été pillée et détruite par les pirates, et dont il ne reste que des ruines.

En Afrique même, le nom de François de Xavier était  vénéré comme celui de l’homme le plus extraordinaire et le plus merveilleux .

Faut-il s'étonner, après cela, que les Indiens, les

 

En 1579, le P. Rodolphe Aquaviva, neveu du général de la Compagnie de Jésus, arrivait dans l'empire d'Akébar et, accueilli avec faveur par le souverain, il prêchait librement la doctrine d'un Dieu crucifié; mais nul ne put se résoudre à sacrifier ses passions à cette religion nouvelle, et le saint missionnaire jugeant que l'heure de la miséricorde divine n'était pas venue pour ces malheureux infidèles, s'éloigna en déplorant leur aveuglement. Il était réservé au grand nom de Xavier de faire briller plus éclatante à leurs yeux la lumière de la foi, et de soumettre leurs cœurs au joug de l'Evangile.  En 1595, le P. Geronimo de Xavier, neveu de l'illustre apôtre, se présentait à la cour du Grand Mogol, et faisait courber tous les fronts devant la croix de Jésus-Christ.

 

Japonais, tous les peuples que la puissante parole du plus grand conquérant de l'Eglise avait convertis au christianisme, fussent blessés au Cœur des procédés employés pour donner à ses miracles. l'authenticité exigée pour la canonisation des saints ? Il semblait à ces bons Indiens qu'il suffisait d'ouvrir les yeux et de regarder autour d'eux, puisque les miracles éclataient partout.

Le bâtiment de Benoît Coelho faisant voile de Malacca pour Canton, quelques passagers devinrent gravement malades ; ils demandent au capitaine d'atterrir à Sancian et de les faire porter à l'endroit de la prairie où le saint Père a été inhumé. Le capitaine cède à ce pieux désir; les malades posent sur leur tête un peu de cette terre que la présence du corps révéré a sanctifiée, et à l'instant même tous recouvrent la santé.

Le capitaine Manoël de Sylva met à la voile au port de Cochin, et prend la route du Bengale. Au milieu du golfe il est assailli par une tempête qui le force à faire abattre la mâture et jeter à la mer un chargement précieux. Toutes ces mesures désespérées ne peuvent sauver le bâtiment, le naufrage est inévitable... On appelle à grands cris le saint Père qui tant de fois a calmé la fureur de la mer... Au même moment une terrible lame semblable à une montagne, qui allait s'abattre sur le navire et le submerger, recule et disparaît au nom de Xavier !

Les grains du chapelet de notre saint suffisaient pour opérer des merveilles, aussi bien que les pauvres lambeaux de ses vêtements, qu'on s'était partagés avec la plus touchante parcimonie; c'étaient à peine quelques fils ! mais c'était assez. Les croix qu'il avait plantées lui-même sur les lieux les plus élevés, étaient surchargées d'ex-voto offerts, non-seulement par les .Chrétiens, mais par les païens et les musulmans, en reconnaissance des faveurs obtenues par son intercession. La croix de Cotate, à laquelle était attachée l'image du grand Père, devint une des plus célèbres par la guérison soudaine des malades qui s'y étaient fait porter. Un paralytique y avait retrouvé le mouvement, un aveugle y avait recouvré la vue, les prodiges s'y multipliaient chaque jour, et il fallut faire des copies de l'image miraculeuse que tout le monde voulait avoir.

Gaspar Gonzalez, fier de posséder une de ces copies qu'il apportait de Cotate, arrive à Cochin à onze heures du soir. A minuit, le feu prenait à la maison voisine de la sienne, chez Christophe Miranda. Les habitations étaient généralement construites en bois et recouvertes de feuilles de palmier : en un instant, l’incendie ne présenta qu'un immense jet de flammes. La fille de Miranda avait péri dans cette fournaise; les habitants des maisons environnantes avaient jeté à la hâte, parles fenêtres, les meubles, le linge, tout ce qu'ils avaient espéré pouvoir sauver ainsi, et chacun s'occupait de sa sûreté personnelle, lorsque Gonzalez se souvient du trésor qu'il possède. Il se jette à genoux avec tous les gens de la maison, il appelle le saint Père à leur secours, et présente aux flammes l'image de celui qui ne cesse de répandre les bienfaits du ciel sur ceux qui l'invoquent avec confiance. Au même instant les flammes s'abattent, le feu s'éteint, la ville est sauvée d'un embrasement général et inévitable.

Une pieuse veuve, Lucia de Vellanzan, née en Chine, avait habité Malacca, où elle avait eu le bonheur d'être dirigée par François de Xavier; depuis, elle habitait Cochin, et avait une si vive foi dans les mérites du saint apôtre, qu'elle obtenait d'admirables merveilles au moyen d'une petite médaille frappée à son effigie. Elle faisait le signe de la croix, avec cette médaille sur les malades qu’on lui portait, en leur disant :

« Au nom de Jésus et du saint Père Francisco, que la santé vous soit rendue ! »

Gonzalvo Rodriguez avait, depuis plusieurs mois, un abcès près du coeur; malgré les remèdes employés, cet abcès avait pris tous les caractères d'un cancer et en avait tous les douloureux résultats. Il va trouver Lucia, il s'agenouille devant elle en la priant de le guérir *par la médaille du saint Père, et Lucia ayant fait le signe de la croix, par trois fois, sur la partie ulcérée, la plaie disparut aussitôt.

Maria Diaz était aveugle et paralysée de tout le côté droit, de la tête aux pieds. On la porte chez Lucia, qui la garde chez elle, et met chaque jour sur le côté paralysé une compresse imbibée de l'eau dans laquelle elle a baigné la médaille miraculeuse. Le septième jour la paralysie étant guérie, Lucia fait le signe de la croix avec la médaille sur les yeux de Maria, à qui la vue est rendue au même instant, et qui va tout de suite à l'église de la Compagnie de Jésus pour remercier son bienfaiteur.

Manoël Fernandez Ficgheredo fat guéri par le même moyen d'affreux ulcères aux jambes, en même temps que d'une dyssenterie jugée mortelle. Partout enfin, les miracles étaient innombrables.

Cependant, plusieurs prédictions de l'illustre Xavier s'accomplissaient littéralement.

La Santa-Cruz, après avoir sillonné les mers pendant vingt-deux ans, et avoir été vendue plusieurs fois, toujours fort au-dessus de sa valeur, en raison de la parole prophétique du grand apôtie, la Santa-Cruz quittait un jour le port de Malacca, et, suivant l'habitude, elle était surchargée. A peine on avait levé l'ancre, que le vaisseau enfonce, l'eau y pénètre on est forcé de revenir au port, et on demande aux capitaines qui mettent à la voile pour la même destination, de prendre une partie des marchandises. Alors s'élève un cri d'indignation et du rivage et des navires en rade:

«Quoi ! vous craignez de couler! ne savez-vous pas que le saint Père ne s’est jamais trompé ! La Santa-Cruz ne périra pas sur mer; il l'a dit: donc c'est vrai ! Il faut que vous ayez bien peu de foi ! Ne voyez-vous pas les miracles qu'il fait chaque jour partout? Vous offensez Dieu et le saint Père ! Repartez bien vite, et ne craignez rien ! »

Et la Santa-Cruz reprend le large, ne fait plus d'eau, et arrive à bon port à Cochin. La réputation de ce bâtiment l'avait fait surnommer le Navire du saint Père, et dans tous les ports de l'Orient, dès qu'il arrivait, tous les vaisseaux à l'ancre le saluaient de leur artillerie. Après avoir été acheté parle commandant de la forteresse de Dia, le Navire du saint Père fit plusieurs voyages,mais le capitaine, le trouvant un jour en mauvais état, l'envoie à Cochin pour y être radoubé. On le fait avancer dans le bassin de radoub. À peine il y est arrivé, qu'il s'ouvre de lui-même; toutes les pièces se détachent, et il ne reste de cette coque, qui tombait de vétusté, que des poutres et des planches dont on ne pouvait faire aucun emploi.

La population de Cochin, s'était portée en masse sur le port, en apprenant que la Santa-Cruz était envoyée pour être radoubée, toute la ville connaissait la prédiction de Xavier et savait que ce bâtiment avait été construit à Cochin, tout le peuple fat donc témoin de son accomplissement. Le capitaine Jorge Nanliez s'empara d'une planche qu'il fit appliquer à sa frégate, dans la pensée que ce débris aurait conservé une vertu qui la garantirait des dangers de la mer. Il lui semblait impossible que cette épave d'un navire sur lequel le grand apôtre avait voyagé pendant sa vie et après sa mort, ne lui fût pas le meilleur des préservatifs contre tout accident. Sa confiance fat bé aie. Il entreprit les traversées les plus dangereuses par les plus mauvais temps, et répondit toujours aux conseils de la prudence humaine:

«Ma frégate porte la planche du Saint Père; c'est la planche de salut, elle me sauvera de tout péril. » En effet, la frégate, après avoir résisté aux plus gros temps, aux plus violentes tempêtes, se défit d'elle-même comme la Santa-Cruz, au port de Coulan, où on devait. la radouber.

Pedro Veilho, marchand portugais, habitant à Malacca, et à qui notre saint avait prédit, à Sancian, qu'il mourrait le lendemain du jour où il aurait trouvé le vin. amer, Pedro Veillio s'était bien plus occupé, depuis ce moment, des intérêts de son âme que de ceux de son négoce. Il vivait dans les exercices de la pénitence et de la piété, malgré sa position au milieu du monde, et était arrivé ainsi à une extrême vieillesse sans rien perdre de sa gaieté naturelle, et sans oublier la prédiction de son bienheureux ami.

Un jour, étant à table avec plusieurs convives, il trouve le vin amer et demande à ceux qui l'entourent si ce goût est le même pour eux; tous répondent que le vin est excellent. Pedro Veillio tient à s'assurer que la politesse n'est pour rien dans l'affirmation de ses amis, il se fait servir un autre vin, et lui trouve une égale amertume. Il ne lui reste plus de doute, sa dernière heure est proche. Il fait intérieurement à Dieu le sacrifice de sa vie, puis il dit à ses convives la prédiction du Père de Xavier. Après le repas, il s'occupe de l'arrangement de ses affaires, il distribue sa fortune aux pauvres, il va dire adieu à ses amis, leur demande leurs prières, les invite, à son enterrement et fait préparer ses funérailles. Le lendemain matin, il assiste au saint sacrifice qui était offert à son intention, il y communie en viatique.... à la fin de la messe il était mort.

 

IV

 

Cependant le corps du grand Xavier conservait toujours toutes les apparences de la vie; c'était toujours la même fraîcheur, la même coloration, la même flexibilité ; on ne se lassait pas d'admirer cette merveille. Don Diaz Carvalho avait connu intimement le saint apôtre et voyagé souvent avec lui; il vient à Goa pour le voir, plusieurs, années après sa mort, et, frappé d'étonnement et d’admiration, il s'écrie :

« Mais il est vivant ! quelle fraîcheur ! quelles couleurs ! C'est lui !... il vit. »

Le grand vicaire de Goa, don Ambrosio de Ribeira, porta son doigt sur la blessure faite à ce saint corps a Malacca... Le sang coula de cette blessure au contact du doigt, et il en sortit aussi de l'eau ! Ce prodige se renouvela sous le doigt d'un Frère de la Compagnie de Jésus..

On expose un jour le saint corps à la vénération empressée des fidèles de Goa. Une femme lui baise les pieds, et, espérant n'être pas vue, elle enlève un fragment de chair avec ses dents et l'emporte mystérieusement, heureuse d'avoir pu ravir cette précieuse relique... Mais le sang coule, il coule abondamment et en présence d'une multitude de témoins. C'était le sang le plus pur, le plus riche, le plus beau !... Les médecins sont appelés, ils certifient le miracle, ils attestent que c'est à leurs yeux le plus grand des prodiges (1).

En 1612, le Père Aquaviva, général de la Compagnie de Jésus, demanda à la maison de Goa d'envoyer à Rome le bras droit de saint François de Xavier. Ce bras qui avait opéré de si grands prodiges, en produisit alors un nouveau et plus admirable encore. Le corps fut trouvé toujours frais, toujours flexible, toujours coloré comme celui d'un homme avant; on coupa le bras désiré par le supérieur général, et le sang ,coula avec autant d'abondance que si le corps eût été plein de vie ! On en imbiba des linges que les Pères de Goa envoyèrent à Philippe IV roi d'Espagne, et on en recueillit dans un flacon qu'on envoya avec la main à la Maison de Rome (2). Le bras fut partagé entre les collèges de Cochin, de Malacca et de Macao. Le bâtiment qui portait ces saintes reliques en Europe, fut rencontré et poursuivi par des corsaires; il allait être atteint, lorsque le capitaine s'écrie :

« Qu'on porte le bras du saint Père dans la hune ! il mettra les pirates en fuite. »

L'ordre est exécuté, et les écumeurs de mer virent de bord, s'éloignent à toutes voiles et ne reparaissent plus.

De ces précieuses reliques, la main est restée à

 

1 Nous voyons dans le procès-verbal de l'ouverture du tombeau de saint François de Xavier, en 1782, que ce doigt était alors à l'intendance de la marine, à Goa, et la propriété de l'intendant général, don Lobe Jose d'Almeïdà, qui l'attesta.

2 on verra plus loin, dans les fragments d'une lettre de Monseigneur Canoz, les résultats de cette amputation.

 

Rome, le flacon de sang est à la Maison de Jésus à Paris. L'église du Bon-Jésus, à Goa, renfermait une autre relique du grand Xavier; le crucifix, qui, probablement, reçut son dernier regard, sa dernière prière, son dernier soupir, qui fut enlacé dans ses mains vénérées, après sa mort, et que ses frères en retirèrent lorsqu'ils placèrent le saint corps dans la châsse desùnée à le recevoir.

Dans notre première édition, nous avons dit que cette relique avait été enlevée an noviciat des Jésuites, à Montrouge, en 1823; mais il résulte des renseignements qu'il nous a été donné de recueillir, qu'il existe plusieurs crucifix ayant appartenu au grand apôtre, et que celui conservé à Lisbonne ne peut être le crucifix enlevé à Montrouge. Monsieur le marquis de Ribeira-Grande, possesseur actuel de l'une de ces reliques, a bien voulu nous faire parvenir à ce sujet des renseignements dont nous aimons à lui exprimer ici notre reconnaissance :

On sait que la Compagnie de Jésus fut violemment expulsée du Portugal en 1759, et de toutes les colonies portugaises, de 1760à 1762. Plusieurs de ses religieux, accusés de crimes imaginaires, avaient été martyrisés à Lisbonne (1), et quinze cents d'entre eux étaient entassés dans les cachots souterrains de la forteresse Saint-Julien, ou dans les horribles prisons que l'impiété avait créées pour l'innocence et la vertu.

 

1 Les Jésuites ne furent pas seuls persécutés: plusieurs, familles des plus illustres, et non moins innocentes des crimes dont on les accusaient, subirent les mêmes supplices.

 

Dans les colonies, les Jésuites ignorant encore les supplices de tout genre infligés à la charité sacerdotale et au zèle apostolique de leurs frères de Portugal, s'étaient vus envahis tout à coup par la force armée, brutalement arrachés de leurs saintes et paisibles demeures, et traînés par les rues et les chemins, comme des malfaiteurs, jusqu'au port le plus voisin. Embarqués sur les vaisseaux qui les attendaient, ils avaient été enfermés à fond de cale, et là, livrés à toutes les privations spirituelles et corporelles, ils avaient à souffrir et la faim et la soif, et le froid et l'insomnie, et l'obscurité et l'infection... tout ce que la plus cruelle inhumanité peut imposer aux victimes d'une tyrannie en délire. Le pouvoir qui s'était fait leur bourreau se déclarait en même temps leur spoliateur, en s'emparant de leurs biens, de leurs meubles, de leurs effets...

Les saints religieux ne purent donc rien emporter avec eux, et ceux à de Goa se virent forcés d'abandonner non-seulement le, corps vénéré de leur glorieux frère de Xavier, mais encore tous les chers souvenirs qui se rattachaient au grand apôtre, et, entre tous, le crucifix précieusement conservé dans leur église du Bon-Jésus. Que devint cette sainte relique? Voici, textuellement, la relation que nous devons à la gracieuse obligeance de monsieur le marquis de Ribeira-Grande; elle est écrite, en son nom, par monsieur Guillon, précepteur de ses enfants :

« Quand les RR. PP. Jésuites eurent été chassés de Goa, les prêtres qui fuirent chargés de leur église seraient demeurés en possession du précieux crucifix de saint François Xavier. Plus tard, les successeurs de ces prêtres firent présent du crucifix au comte de Sarzedas, vice-roi de l'Inde de 1807 à 1814. En 1814, M. le comte de Sarzedas revint en Portugal, où il mourut en 1818, et donna à son tour la sainte relique à sa nièce Dona Eleonora da Camara, devenue depuis marquise de Ponta Delgada, et occupant une position élevée près la reine D. Maria II. Madame la marquise est morte en 1850, au palais de son neveu M. le marquis de Ribeira-Grande, et lui a légué, au moment de sa mort, le crucifix qu'elle avait reçu, pour qu'il fût conservé dans la chapelle du palais.

« Le même comte de Sarzedas fit présent à sa sœur, madame la marquise de Pombal, Dona Francisca, grand'mère du marquis de Pombal actuel, du bâton qu'il avait retiré des mains du saint, selon la coutume de tous les vice-rois, qui, au moment de prendre possession de leur charge, enlevaient le bâton déposé par leur prédécesseur et déposaient ensuite le leur. Ceci soit dit en passant pour rectifier déjà un passage d'une note insérée par M. Daurignac, dans la vie du saint — page 321 tome II. Le bâton possédé par le marquis de Pombal, n'est donc pas le bâton sur lequel s'appuyait le saint. M. le marquis possède en revanche des lettres autographes du saint.

«Maintenant, pour en revenir à notre crucifix, les uns prétendent que le véritable crucifix de saint François Xavier est à Rome (1), d'autres disent à Sevilha,

 

1 Nous avons la certitude qu'il n'existe point à Rome de crucifix attribué à saint François de Xavier. Nous parlerons plus loin de celui de Séville. (Note de 1'auteur. )

 

d'autres (et M. Daurignac consigne cette opinion dans sa note) affirment qu'il a été volé en 1823 au noviciat des Jésuites de Montrouge. Les détails qui précèdent suffisent pour prouver que madame da Camara n'a pas acheté à Paris le crucifix volé à Montrouge, et que le crucifix de Lisbonne n'a rien de commun avec les autres qu'on affirme véritables (du moins certaines personnes). Celui de Montrouge aurait été remis aux RR. PP. Jésuites après leur rétablissement en France, par Monseigneur l'archevêque de Besançon, « que les circonstances avaient mis à même d'en disposer» (dit la note). Quelles circonstances? Nous ne savons rien sur celui de Rome, ni sur celui de Sevilha; mais jusqu'à ce qu'il soit indiqué d'où Monseigneur de Besançon tenait le crucifix de Montrouge volé en 1823, et jusqu'à ce qu'il soit prouvé que les jésuites, au moment de leur expulsion de Goa, purent emporter le crucifix du saint, il est permis de regarder le crucifix possédé aujourd'hui par M. le marquis de Ribeira-Grande, comme étant le véritable crucifix de saint François Xavier. Il n'aurait passé jusqu'ici que par trois mains : des prêtres de la maison des Jésuites, à Goa, dans les mains du comte de Sarzedas, puis dans celles de madame da Camara, et finalement dans celles du marquis de Ribeira ..... M. le marquis ne ferait pas difficulté d'envoyer une photographie de ce crucifix, demandée directement... Le christ est en cuivre, le bois de la croix, appelé en portugais pao santo (bois saint) est du bois de l'Inde (gayac) renommé pour sa dureté et son poids. Le tout est d'un travail grossier. » Il résulte évidemment de ces dernières indications, que le grand apôtre eut successivement plusieurs crucifix, et que celui qui fut enlevé à Montrouge peut lui avoir appartenu quoique n'étant pas celui qu'il conserva jusqu'à sa mort. En 1540, lorsqu'il partit de Rome pour le Portugal, les Indes étaient trop récemment conquises par les Portugais, pour que le bois de gayac ne fût pas en Europe un bois de luxe de grand prix. Or, les premiers Pères de la Compagnie de Jésus, pauvres volontaires, n'avaient, ne pouvaient avoir dans les missions d'Italie, où ils avaient déjà opéré tant de bien, qu un crucifix des plus simples et des moins dispendieux. Saint François de Xavier emporta donc aux Indes un crucifix italien, dont la croix devait être du bois le moins recherché. Comment s'en sépara-t-il? C'est ce que nous ne pouvons que conjecturer.

Les constitutions de la Compagnie de Jésus interdisent aux religieux tout échange de ce genre. Le crucifix qu'ils reçoivent au noviciat, ils doivent le conserver jusqu'à leur mort et ne s'en séparer jamais : s'il se détériore par l'usage, ils doivent le faire consolider; si un accident le brise, ils doivent le faire rajuster. Leur crucifix est leur seule richesse, leur seul trésor de ce monde. Mais lorsque le grand apôtre de l'Orient quitta l'Europe, les constitutions n'étaient encore qu'ébauchées, il en emportait l'esprit, non la lettre, et, à la distance où il se trouva durant les dix années de son immortel apostolat, il ne les connut jamais que sommairement, le saint fondateur ne les ayant achevées que très-tard.

Saint François de Xavier dont l'aimable cœur ne savait rien refuser, à moins que la délicatesse de sa conscience ne lui en fit un devoir, a donc pu consentir quelquefois à un échange, soit en faveur d'un de ses 'frères qui l'aurait sollicité au moment d'un de ses départs pour une course lointaine, soit en faveur d'un vice-roi, ou Oie quelque personnage qu'il aura craint de blesser par un refus. Ce que nous pouvons regarder comme certain, c'est que ces échanges durent avoir lieu avant son embarquement à Malacca pour les Mohiques; car nulle considération humaine n'aurait pu le séparer un seul instant de l'objet du plus touchant miracle, du crucifix que l'adorable Providence lui fit rapporter par un crabe, du fond de la mer des Moluques, sur le rivage de l’île de Baranura. Nous ne pouvons douter que ce ne soit le même qui ait reçu son dernier soupir après avoir été sa dernière consolation ici-bas; le même que ses frères de Goa retirèrent avec vénération de ses mains sacrées, après sa mort. Est-ce le même, qui est aujourd'hui à Lisbonne, dans la chapelle du palais de M. le marquis de Ribeira-Grande?

D'après la relation de monsieur Guillon, nous avons dû prendre des informations à Séville, et voici ce qui a été constaté.

Le roi Ferdinand VII ayant décrété, en 1815, le rétablissement de la Compagnie de Jésus en Espagne, le révérend Père Emmanuel de Zuniga, commissaire-général, fat chargé d'offrir à ce prince en témoignage de la reconnaissance de la Compagnie, un crucifix de l'illustre apôtre des Indes. Cette précieuse relique est renfermée, dit un chapelain d'honneur de la reine Isabelle II, qui a bien voulu donner ces détails « dans une boite en écaille, croisée d'un ruban et portant deux sceaux, dont l'un est de la Compagnie, l'autre de monseigneur Gravina, nonce de Sa Sainteté dans ce royaume, à l'époque où il fut donné. La boîte en écaille est de plus enfermée dans une autre en maroquin, et sur la face principale de celle-ci, on lit en lettres d'or : crucifix de saint François-Xavier, appelé du cancre. » Cette relique est conservée dans  l'oratoire du roi.

Tels sont les renseignements donnés par l'un des chapelains d'honneur de la reine, dans une lettre adressée par lui, le 21 janvier 1861, au révérend Père Zarandona. L'inscription ne porte pas une certitude relativement au miracle qui se rattache au plus précieux des crucifix de notre saint; elle indique seulement une opinion généralement adoptée dans la Compagnie, que le crucifix alors à Rome, avait été l'objet de ce miracle. Le sceau de la Compagnie de Jésus, celui du nonce du pape garantissent son authenticité. Quant à celui de Lisbonne, la relation de monsieur Guillon ne laisse rien à désirer. Il paraît évident qu'il a été aussi à l'usage du saint apôtre, et, par cela seul il doit avoir opéré des prodiges, il est donc une relique précieuse.

On objectera peut-être que la relation de M. de Ribeira en constatant l'authenticité du crucifix, constate à la fois la légitimité des droits de la Compagnie de Jésus à la possession de cette sainte relique. A cela, nous n'avons rien à répondre. Il est vrai que les Jésuites ne s'en dessaisirent pas volontairement. Il est vrai que les prêtres qui les remplacèrent ne devinrent, par là même, nullement propriétaires de l'Eglise du Bon-Jésus, de la maison des Pères et des reliques qui y étaient renfermées. Il est vrai que ces mêmes prêtres se reconnaissant dépositaires seulement, laissèrent intactes à leurs successeurs l'église qu’ils avaient administrée, la maison qu'ils avaient habitée, les reliques dont la garde leur avait été confiée. Il est vrai enfin, que ces successeurs étant exactement dans les mêmes conditions, n'étaient pas plus légitimes possesseurs que les premiers; qu'en donnant à un vice-roi le crucifix de la plus grande gloire de la Compagnie de Jésus, ils faisaient présent de ce qui ne leur appartenait pas, et que Foi peut s'étonner que ce présent, fruit d'une déplorable spoliation, ait été accepté par le comte de Sarzeilas. Nous sommes loin d'en disconvenir. Toutefois, nous pensons que le noble comte n'accepta pas sans motif le précieux objet que nul, à Goa, n'avait le droit de lui offrir. S'il l'eût refusé, il pouvait aller dans des mains moins pieuses, et, nous le demandons, quel serait son sort aujourd'hui ?

La Compagnie de Jésus, dira-t-on, ayant été solennellement rétablie en 1815, le comte de Sarzedas n'eût-il pas fait un acte de justice en lui restituant ce trésor? — Nous le pensons; mais peut-être sa piété s'était-elle illusionnée sur la légitimité de cette possession. Ce qui est certain, c'est que la sainte relique est honorée, et que les frères de l'illustre apôtre des Indes, en déplorant encore la perte d'un bien si cher, pourront, si ces pages tombent sous leurs yeux, être consolés, par la pensée qu'il ne sera jamais exposé ni à l'indifférence, ni à la profanation; la piété héréditaire dans la noble famille de Ribeira-Grande, en est la Plus sûre garantie.

 

L'église du Bon-Jésus est à peu près tout ce qui reste aujourd'hui des beaux établissements de la Compagnie de Jésus dans la vieille cité de Goa si brillante et si riche au temps où les successeurs de saint François de Xavier la maintenaient dans les sentiments de foi et de piété que ce grand apôtre lui avait inspirés. La maison professe, attenante à l'église, n'est presque plus qu'une grande ruine... Laissons parler monseigneur Canoz, de la Compagnie de Jésus, vicaire apostolique du Maduré, qui, après avoir visité tous les lieux auxquels se rattachent encore des souvenirs du grand Xavier on de ses successeurs à Goa, écrivait en décembre 1859, au très-révérend Père Bekx, général de son Ordre :

« .... Après la dispersion de la Société, elle fût (la maison professe) convertie en un séminaire dirigé par des Lazaristes. Mais elle ne tarda pas à devenir la proie des flammes, qui en ont consumé plus des deux tiers. D'un vaste cloître carré à deux étages, ayant une cour au milieu, il ne reste plus que le côté du Nord, actuellement habité et entretenu par le R. chanoine Perez, administrateur du diocèse et gardien du sanctuaire. C'est un large corridor, avec une série de petites cellules, autrefois la demeure des religieux. Ce corps de bâtiment communique avec un autre cloître plus petit, bien conservé, adossé d'un côté à l'église et de l'autre à la chapelle du saint et à la sacristie.

« Je n'ai pas voulu quitter Goa sans visiter les ruines de l'ancien collège de Sainte-Foi, déjà si célèbre du temps de saint François Xavier et dont l'église est dédiée à saint Paul, à un bon mille de l'église du Bon-Jésus. C'est là qu'on avait d'abord déposé le corps du Saint, lorsqu'on l'apporta de Malacca. Hélas ! une partie seulement de la façade de l'église est restée debout. Tout l'espace qu'occupait le collège est maintenant couvert de ruines, de ronces et de broussailles. Tout près de là, est la- chapelle où saint François Xavier faisait tous les jours le catéchisme : elle est en meilleur état. Les murailles entières subsistent; le tout avait presque disparu on menaçait ruine: on s'occupe à le réparer. Quelle solitude dans ces rues autrefois si peuplées, devenues aujourd'hui des chemins déserts et garnis seulement de vieilles murailles tombant en ruines ! C'est la triste réflexion qui nous préoccupait dans le cours de cette excursion que nous faisions à jeun, en plein soleil. On regrette beaucoup aujourd'hui d'avoir abandonné une si belle position, une contrée si fertile, sous le prétexte d'une épidémie qui ne pouvait durer et qu'on pouvait facilement prévenir ou arrêter en desséchant une plage marécageuse, formant une île au milieu de la rivière, vis-à-vis la vieille cité.

«Je montai avec le P. Gard au sommet de la tour de la cathédrale pour voir de près les belles cloches qu'on venait de mettre en branle, et en même temps pour jouir de labelle vue qu'on nous promettait delà haut. En effet, le coup d'œil est magnifique et d'une variété charmante, comme je n'en avais vu nulle part dans l'Inde. A vos pieds coule un large fleuve qui serpentant dans la plaine, au milieu de rivages verdoyants, et se partageant en plusieurs branches, va se perdre derrière de lointaines collines. La vue se prolonge jusqu'aux Gattes, à travers des coteaux et des vallées couverts de cocotiers. On aperçoit, tout autour de soi, le vaste emplacement de l'ancienne cite, dont on ne voit plus que quelques églises encore debout et d'autres à moitié ruinées; des arbres ont remplacé les maisons. Si quelqu’un de ces anciens héros du Portugal, on de ces illustres gouverneurs de Goa venait à reparaître sur cette terre désolée, il ne manquerait pas de chanter les lamentations de Jérémie ou le cantique des Hébreux: Super flumina Babylonis pour exprimer sa douleur, en donnant un libre cours à ses larmes: Quomodo facta est desolata civitas plena populo, etc.

« Comme nous avions témoigné le désir de visiter le Séminaire de Choraà, ancien noviciat de la Compagnie de Jésus, situé sur une colline, à deux lieues environ de distance, à l'opposé de la vieille Goa, son Excellence, ( le gouverneur) eut la bonté de nous y faire conduire dans sa propre barque, et de nous faire accompagner par des musiciens qui augmentèrent le charme de la promenade par leurs sons harmonieux. Du rivage où nous débarquâmes, nous avions un mille de distance à parcourir, au grand soleil, jusqu'au séminaire. Nous y trouvâmes le P. Laurenço, ancien élève de la Propagande, supérieur on plutôt gardien de ce vaste établissement, vacant aussi pour cause d'insalubrité : en sorte que le pauvre supérieur est là comme dans une sinécure. Il nous a très-bien reçus, et nous a conduits à travers ces vastes corridors déserts pour nous faire visiter la maison. Ce qui a particulièrement excité mon attention, c'est une chapelle intérieure, dans laquelle on conserve sous l'autel les reliques de nos cinq vénérables martyrs de Salsette, parmi lesquels se trouvait le neveu lu Père Aquaviva. » ,

Ainsi, le séminaire établi dans la maison professe de la Compagnie de Jésus , en est éloigné par les flammes, celui que l'on établit dans le noviciat des Jésuites est forcé de fuir devant l'épidémie, et la ville entière pour laquelle le dévouement de ces saints religieux fût sans limites, est épouvantée du fléau qui décime ses habitants, et elle se voit bientôt abandonnée comme un lieu frappé par la colère du ciel ... Dans la cité nouvelle, on lit sur la façade du palais du gouverneur une inscription portant'. la date de sa construction.... Cette date est peu éloignée de celle de l'expulsion tics frères du saint apôtre des Indes, de l'illustre. protecteur de l'orient....

 

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V

 

La cour de Rome, sollicitée par les souverains du Japon et par le roi de Portugal, de procéder à la canonisation de François de Xavier, examina sa cause, reconnut vingt-quatre résurrections juridiquement prouvées, et quatre-vingt-huit miracles éclatants opérés pendant la vie de l'illustre saint; une bulle du pape Paul V, en date du 25 octobre 1619, le déclara bienheureux. Il fat canonisé par Grégoire XV, le 12 mars 1622, avec toutes les cérémonies ordinaires; mais la mort de Grégoire XV retarda la publication de la bulle, qui fat donnée par Urbain VIII, son successeur, sous la date du 6 août 1623.

Cette bulle fait mention de la plus grande partie des miracles dont nous avons parlé, et elle ajoute qu'un aveugle ayant invoqué l'apôtre des Indes, Xavier lui apparut, lui dit de solliciter la guérison de son infirmité pendant neuf jours de suite, et lui promit qu'il l'obtiendrait à cette condition. L'aveugle obéit et recouvra la vue le neuvième jour. Elle cite encore un lépreux qui, s'étant servi, comme d'un liniment, de l'huile de la lampe, brûlant devant le corps du saint, sa lèpre avait disparu. Enfin, la même bulle porte que les lampes placées devant l'image du saint apôtre, à Cotate, brûlaient souvent avec de l'eau bénite, aussi bien qu'avec l'huile, et que ce miracle convertissait un grand nombre de païens. En 1670, par un décret du 14 juin, le pape Clément X fixa la fête de saint François de Xavier au 3 décembre, et ordonna, par le même décret, que son office serait du rite double pour toute l'Eglise.

Peu d'années auparavant, quelques Indiens avaient fait une précieuse découverte : ils avaient rencontré, en pleine mer, un crabe d'une espèce inconnue, portant une croix latine sur la carapace, et ayant des nageoires à ses pattes de derrière, ce qui ne s'était jamais vu jusqu'alors. Ils s'étaient saisis du merveilleux crustacé, ils s'étaient empressés de le faire connaître, et il n'y avait eu qu'une voix pour lui donner le nom de crabe de saint François de Xavier; car ces bons Indiens étaient persuadés qu'il provenait de celui dont la divine providence s'était servie pour faire rapporter au saint apôtre de l'Orient, le crucifix tombé dans la mer des Moluques. Le bruit de cette découverte se répandit au loin, et le savant Père Kircher, de la Compagnie de Jésus, dans sa China illustrata, publiée en 1667, mentionne comme toute récente, l'apparition de ce crabe dont, ajoute-il, on n'avait jamais entendu parler jusqu'alors.

Plus tard, au commencement du XVIIIe siècle, un gouverneur de Pondichéry demandait à un capitaine mettant à la voile pour les Moluques, d'aller d'Amboine à Baranura, et de lui rapporter quelques crabes de ces parages, afin de les conserver en souvenir de celui qui avait rapporté le crucifix de saint François de Xavier, du fond de cette mer. Ce n'était pas pour lui-même que le gouverneur le demandait, mais pour un ami qui désirait vivement posséder ce qui lui semblait devoir être mie sorte de relique de notre saint. Le capitaine fait rechercher des crabes d'Amboine à Baranura, mais en vain; ils sont d'ordinaire si communs dans toutes les mers, que les marins de l'équipage ne peuvent s'expliquer leur complète absence sur tout le parcours qu'ils explorent avec tant d'attention. Enfin, ils en rencontrent un, un seul, et il porte la croix sur la carapace ! C'était le premier de cette espèce, que l'on eût vu dans ces parages, et ce fut le seul qu'il fut possible de présenter au gouverneur, car, malgré toutes les recherches, l'on n'en put rencontrer d'autres, d'aucune espèce. Cet unique fut donné par le gouverneur à son ami, et transmis aux héritiers de ce dernier, il a été apporté en France, et il nous a été donné de le voir et de l'admirer. Il diffère de celui que les Indiens nomment le crabe de saint François de Xavier. Dans celui-ci, dont nous avons vit le dessin, on remarque au pied de la croix, qui semble sortir d'un piédestal, deux personnages enveloppés dans le manteau arabe; toutes les formes en sont très-bien senties : c'est un homme d'un côté, une femme de l'autre ; on devine, on sent la très-sainte Vierge et saint Jean. Cette espèce ne se trouve qu'en pleine mer et très-rarement; lorsqu'un Indien est assez heureux pour trouver un de ces crabes, il s'en empare et le conserve avec un tendre respect; car c'est le crabe de saint François Xavier. Celui qui fut seul trouvé dans la mer des Moluques, il y a un siècle et demi, porte aussi la croix latine parfaitement formée, mais n'a point la figure des personnages à droite et à gauche. Ce qui le distingue, est la figure de trois clous en relief, au bas de la croix, et des veines blanches des deux côtés, dont la disposition sur le fond rosé, produit pour plusieurs, à première vue, l'effet des trois lettres I. H. S. formée par le fond, et non par les veines; la croix semble sortir de la lettre H et cette lettre se trouve barrée par une ligne transversale de points en relief. Comment se fait-il que ce soit le seul rencontré jusqu'à présent, portant ces caractères si remarquables ? Ne serait-on pas autorisé à penser, vit la longévité bien comme de ces crustacés, que celui-ci fuit peut-être l'instrument même du miracle, instrument providentiellement rencontré et conservé, et père de l'espèce si rare à laquelle les Indiens ont donné le nom de l'illustre apôtre de l'Orient

Depuis la mort de notre saint, le nombre des résurrections obtenues par l'invocation de ses mérites, — reconnues par la cotir de Rome, jointes aux actes de la canonisation, soit avant, soit après la publication de la bulle, — s'élevait, en 1715, ait chiffre énorme de vingt-sept, dont quatorze avaient été obtenues depuis peu d'années. A cette époque, en 1715, l'évêque de Malacca avait constaté huit cents miracles clans son seul diocèse. Dans cette ville de Malacca, où le grand apôtre avait opéré tant de merveilles, il ne reste d'autres souvenirs de son passage et de ses magnifiques travaux, que les ruines de sa demeure ! Près du temple des protestants, an milieu même de leur cimetière, on montre à l'étranger un amoncellement de pierres, et   on lui dit que là fut la chapelle où saint François de Xavier célébrait chaque jour les saints mystères!... Les missionnaires anglais ont obtenu ce résultat.

Les protestants ont eu moins de succès sur la côte de la Pêcherie , auprès des, Palawars, qui se font encore un titre de gloire de descendre de ceux qui furent baptisés ou évangélisés par le grand Père, François de Xavier. Les missionnaires ont reconnu que la foi s'est conservée chez eux plus pure et plus vive que chez les autres peuples indiens.

Lorsque les Hollandais se furent rendus maîtres de la côte de la Pêcherie, ils s'emparèrent des églises et les missionnaires furent obligés de se cacher dans les forêts. Là, ils continuaient à exercer leur saint ministère, et les bons Palawars se rendaient tous les dimanches auprès d'eux, assistaient au saint sacrifice, et recevaient l'instruction qui devait les fortifier contre la doctrine des hérétiques. Les vainqueurs se voyant repoussés avec perte, toutes les fois qu'ils tentaient de gagner les Indiens à leur religion, font venir à. Batavia un ministre évangélique, bien certains que les Palawars ne résisteront pas à son éloquence. Le ministre attaque un chef de caste et s'efforce de lui faire comprendre et apprécier tous les avantages de la religion protestante. Le chef des Palawars l'écoute tranquillement j usqu'au bout sans lui opposer un seul mot, et lorsque l'éloquent ministre, fatigué de parler, s'arrête et demande à son auditeur ce qu'il pense de son raisonnement, celui-ci lui répond :

«La foi que nous professons nous a été prêchée par  le grand Père François de Xavier qui faisait autant de miracles qu'il disait de paroles. Si vous voulez nous faire croire à votre doctrine, prouvez-nous qu'elle est meilleure que la sienne, en faisant beaucoup plus de miracles qu'il n'eu a fait. Il a ressuscité cinq ou six morts sur cette côte, ressuscitez-en douze. Il guérissait plusieurs de nos malades, guérissez-les tous. Quand vous aurez fait cela, nous aviserons. »

Le ministre, jugeant qu'il perdrait son temps avec de tels hommes, se rembarqua en toute hâte.

A Cotate, où les miracles de l'apôtre des Indes se continuaient en proportion de la foi et de la confiance des pèlerins, il arriva un fait bien remarquable le jour de la fête, 3 décembre de l'aimée 1699, et que nous trouvons dans une lettre du P. Martin, datée du 1er juin 1700. Ce missionnaire se trouvait à Cotate au moment de l'évènement. Tous les peuples de la côte de la Pêcherie et de celle de Travancor étaient accourus en pèlerinage à l'église de cette ville pour la fête du grand Père. Les idolâtres et les mahométans aussi bien que les chrétiens, car la dévotion à l'apôtre de l'Orient est commune dans les Indes à toutes les religions.

Un païen, dont le fils unique était menacé de perdre la vue, avait promis au grand Père, s'il guérissait son jeune enfant, de donner huit fanons, — le fanon est une pièce de monnaie de la valeur de vingt-cinq centimes, — à son église de Cotate. L'enfant guérit, et le père se joint à la foule des pèlerins, pour remercier le saint et lui faire son offrande. Eu sortant de l'église, avec son enfant dans ses bras, il s'aperçoit que ses yeux sont dans un état bien plus fâcheux encore qu'avant leur guérison; l'enfant n'y voyait plus! Le malheureux pore rentre dans l'Eglise, s'écrie qu'il a péché, qu'il mérite la punition que le grand Père lui inflige, car il avait promis huit fanons et il n'en a donné que cinq. Il se hâte d'ajouter les trois autres; il prend de l'huile à la lampe du saint, il en frotte les veux de l'enfant... Le mal disparaît aussitôt. La foule immense qui remplissait l'église fat témoin de ce double miracle.

Xavier est regardé par les païens comme leur divinité la plus favorable, et il est incroyable combien ils en obtiennent de grâces.

Pendant le séjour du Père Martin à Cotate, il fut témoin d'un autre fait non moins extraordinaire que le précédent. Ces peuples sont dans l'usage de s'associer au nombre de cinq cents on de mille. Chacun des associés dépose tous les mois dans une bourse commune un fanon seulement. Lorsque la somme s'est élevée an chiffre convenu, on se réunit, chaque associé écrit son nom sur nu billet, les billets sont jetés dans une urne, on les ballotte,un enfant met la main dedans, retire un billet, et celui dont ce billet porte le nom reçoit la somme entière.

Un des premiers jours de décembre 1699, un païen entre dans l'église de Cotate, et dit tout haut à notre saint :

« Grand Père, je suis engagé clans deux loteries; si vous me faites gagner la première, je vous donnerai cinq fanons; je vous le promets. »

Cela fait, le païen, ravi de sa bonne pensée et bien certain de gagner puisqu'il a promis une part au grand Père, se rend à la réunion et annonce d'avance que son nom sortira... Et son nom sort en effet an milieu des cris de joie de tous les associés. L'heureux gagnant court à l'église, dépose les cinq fanons, remercie le grand-Père, et lui promet de doubler cette somme s'il le fait gagner à la seconde loterie. Il revient sur la place, annonce qu'il va être proclamé de nouveau, et son nom est encore sur le premier billet sorti de l'urne, malgré tous les moyens employés pour éviter toute supercherie !

Cette église de Cotate est élevée, sur l'emplacement même de la cabane où saint François de Xavier se retirait le soir, après avoir passé la journée tout entière à prêcher, à confesser où à baptiser. La tradition du pays rapporte que les païens y ayant mis le feu une nuit, pendant qu'il y était en oraison ; la cabane fut réduite en cendres, mais le saint fut trouvé en extase, n'ayant pas la moindre brûlure; ses vêtements mêmes avaient été respectés par les flammes, et il n'apprit l'évènement qu'en voyant les traces du feu. Les chrétiens, en mémoire de ce miracle, plantèrent une croix sur le lieu où il s'était opéré; cette croix devint un pèlerinage célèbre où on obtenait tant de faveurs, qu'une église y fut élevée aussitôt après la canonisation de l'illustre apôtre. A Nécapatam, on montre une petite église que les habitants assurent être bâtie sur le lieu où il prêchait.

En 1832, le R. P. Moré allant à Calcuta, s'arrêta sur la côte de Comorin ; les Palawars à qui il dit être frère de leur grand Père François de Xavier, l'entourèrent aussitôt, et le supplièrent avec larmes de rester avec eux, lui promettant de l'aimer et de lui obéir. Le grand nom de Xavier est encore tout-puissant sur ces peuples.

Mais ce n'était pas seulement dans les Indes et dans le Japon que ce nom était invoqué avec un succès qui dépassait les espérances; dans toutes les parties du monde, il répondait par des faveurs à ceux qui imploraient sa protection.

Le Père de Arce, d'origine espagnole, professait la philosophie, depuis trente ans, au collège de Cordoue du Tucuman. Il est attaqué d'une maladie mortelle; les progrès en sont rapides ; il se résigne de grand coeur et fait le sacrifice de sa vie. Il était au plus mal, lorsque, poussé par une inspiration trop forte pour lui résister, il invoque la grande gloire de la Compagnie de Jésus, François de Xavier, et lui promet de se vouer au salut des Indiens, si la santé lui est rendue. Au même moment, le Père de Arec se trouve délivré, de toute souffrance; il était guéri contre toute espérance, et si subitement, que, reconnaissant le miracle, ses supérieurs lui permettent de quitter l'enseignement pour les missions. Il va chez les féroces Chiquitos, il y fonde une mission à laquelle il donne le nom de Saint-François-Xavier, qu'elle porte encore, et, en 1715, il trouve, au milieu de ses travaux apostoliques, la palme glorieuse du martyre.

 

Dans un des fréquents tremblements de terre de San-Iago, capitale du Chili, le palais épiscopal fut renversé. L'évêque, don Gaspar de Villarcelo, fut enseveli sous les ruines ; mais il avait invoqué le grand apôtre des Indes orientales au moment de l'écroulement, lui promettant de faire quelque chose à sa gloire s'il le préservait de cette mort inévitable. Le pieux prélat fut retrouvé plein de vie sous les décombres; il n'avait pas reçu la moindre blessure, il n'avait pas même été contusionné ! En reconnaissance de ce miracle, il composa en latin les litanies de saint François de Xavier, dont nous donnons plus loin la traduction.

 

En Italie, notre saint répondait par des merveilles à toutes les prières qui lui étaient adressées.

En 1633, le Père Marcel de Mastrilli, fils du marquis de Saint-Marzan, une des plus illustres familles de Naples, était mourant par suite d'une blessure grave à la tête. Un ouvrier, travaillant dans l'église, avait laissé tomber son marteau de plus de vingt pieds de haut; le Père de Mastrilli l'avait reçu sur la tête, il avait été soigné aussitôt; mais tous les efforts de la science ayant été épuisés en vain, on avait administré le malade, qui n'attendait plus que la mort, lorsque saint François de Xavier lui apparaît et lui inspire un ardent désir d'aller au Japon pour y travailler à la gloire de Dieu et y mourir pour son nom. Il lui fait faire le vœu de partir sans retard: il pose sur la blessure de sa tète un reliquaire contenant un fragment de la croix du Sauveur, et lui fait prononcer en latin cette prière qui nous a été religieusement conservée : « O croix sacrée! et vous Sauveur adorable qui  l'avez inondée de votre sang, je me consacré entièrement à vous pour toujours ! Je vous supplie de m'accorder la faveur de répandre tout mon sang pour votre saint nom ! J'implore cette grâce que l'apôtre François de Xavier n'a pu obtenir! Je renonce à ma patrie, à ma famille, à mes amis, à tout ce qui pourrait entraver on retarder mon départ pour la mission des Indes, et je me voue sans réserve au salut Êtes Indiens, en présence de mon Père saint François de Xavier. »

 

Après ce vœu, la santé fut subitement rendue au malade; le grand apôtre lui promit la couronne du martyre, et lui dit qu'il s'emploierait près de Dieu pour tous ceux qui l'invoqueraient avec foi et confiance pendant neuf jours de suite; puis il disparut.

Le Père de Mastrilli se lève aussitôt après cette vision, dans les meilleures conditions de santé; il dit la messe le lendemain et produit un étonnement général. Toute la ville de Naples savait que, la veille, on n'attendait plus que son dernier soupir, et tout le monde voyait ou apprenait qu'il était parfaitement guéri. Le pape Urbain VIII et Philippe IV, roi d'Espagne, voulurent le voir et entendre de sa bouche le récit de ce miracle; il se rendit à leur désir ; puis, il s'embarqua pour Goa, et après avoir fait présent au grand Xavier d’un magnifique tombeau, en reconnaissance de la faveur qu'il en avait reçue, il partit, avec l'agrément de ses supérieurs, pour aller faire la conquête de la couronne qui lui avait été promise. Arrivé au Japon, il écrit à son père:

« J'espère que saint François de Xavier achèvera son oeuvre; par un miracle il m'a rendu la vie, par un miracle il m'a conduit aux Philippines, par un miracle il m'a ouvert l'entrée de ce Japon tant désiré; j’ espère que par un miracle je me verrai un  jour au milieu des bourreaux. » Il eut en effet le bonheur d'être martyrisé au Japon, le 17 octobre 1637.

La guérison si prompte du Père de Mastrilli, les circonstances merveilleuses qui l'avaient précédée et suivie, eurent d'autant plus de retentissement, que la famille de Saint-Marzan occupait un rang plus élevé dans la noblesse napolitaine. La neuvaine à saint François de Xavier devient en peu de temps une dévotion populaire si vive, si ardente, qu'en 1652, les Calabrais firent publier un volume considérable des grâces extraordinaires qu'ils avaient obtenues par l'intercession de l'apôtre des Indes. Ce volume contient cent quarante-deux relations de faits miraculeux dus à sa protection.

Le Père Portier, de la Compagnie de Jésus, missionnaire en Grèce, souffrait depuis longtemps d'une jambe dont la science ne pouvait même plus soulager les violentes douleurs. Il se déclare une plaie, la carie attaque les os, les chirurgiens annoncent au malade qu'il faut en venir à l'amputation; mais ses supérieurs désirent que cette cruelle opération soit faite en France, et lui ordonnent de se rendre à Paris, dans l'espoir que l'habileté reconnue des opérateurs français lui rendra l'amputation moins douloureuse, et que les suites en seront mieux soignées. Le Père Portier s'embarque à Constantinople, en 1690. A peine embarqué, il sent une si forte inspiration de prier saint François de Xavier de le guérir, qu'il lui promet de faire en son honneur la dévotion des dix vendredis (1), et il la commence dans la même semaine. Dès le troisième vendredi, les douleurs cessent; les parties des os que la gangrène avait atteints se détachent et tombent. Le malade, voulant aider le saint dans son oeuvre merveilleuse, imagine de mettre sur cette plaie, si bien en voie de guérison, un appareil de sa façon, qui, selon lui, devait bientôt achever le miracle commencé. Mais saint François de Xavier ne voulait. pas de moyens humains, il n'avait nul besoin d'être aidé, et il le prouva aussitôt au bon Père, en lui rendant, immédiatement, toutes les douleurs dont il avait si cruellement souffert pendant plus de deux ans. Le Père Portier, suffisamment averti, retira les ingrédients dont le saint témoignait pouvoir se passer; les souffrances cessèrent de nouveau, et peu de jours après, la plaie était fermée, la jambe était parfaitement guérie, il ne restait qu'une cicatrice, comme souvenir de l’oeuvre divine obtenue par l'intercession et les mérites de l'apôtre de l'Orient.

A la fin du siècle dernier, Rome, la ville éternelle,

 

1 Cette dévotion consiste dans la récitation de dix Pater, Ave et Gloria Patri en l'honneur des dix années de l'apostolat de saint François de Xavier dans les Indes; cet exercice doit être renouvelé dix vendredis de suite.

 

avait eu la douleur de voir la Compagnie de Jésus, toujours poursuivie par la haine du vice et de l'impiété, dépouillée, incarcérée, dispersée, enfin supprimée.... L'enfer voulait l'enlever à la terre. Les Romains n'invoquaient pas avec moins de confiance les grands saints que l'illustre société de saint Ignace de Loyola avait donnés au ciel.

En 1788, Annonciade Quartieroni voyait son enfant près de mourir, des suites de la petite vérole. Gaspard avait deux ans seulement, il était l'unique joie, l'unique espérance de ses parents. Annonciade appelle à son secours l'apôtre de l'Orient; elle lui (lit sa douleur de mère et met son petit Gaspard sous sa protection spéciale. Au même instant, elle voit l'enfant revenir à la santé : saint François de Xavier lui prouvait que cet enfant était devenu sien.

Antoine de Buffalo et Annonciade Quartieroni sa femme durent rappeler souvent à leur fils le miracle qui l'avait rendu à la vie; ils durent lui inspirer une tendre reconnaissance envers son saint protecteur, car dès l'âge de cinq à six ans, le petit Gaspard aimait à se recueillir et à prier dans l'église du Gesu, devant l'autel de saint François de Xavier. Plus tard, élevé au sacerdoce, brûlant de zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, il fonda plusieurs établissements de piété on de charité, entre autres les Frères d'Elite de saint François Xavier ou Ristretta et la Congrégation du Précieux-Sang. Cette congrégation, le chanoine Buffalo voulut la placer sous le patronage de notre saint, en mémoire du sang miraculeux répandu chaque vendredi de l'année 1552 par le crucifix de l'oratoire du château de Xavier. Entre les pratiques de piété recommandées par les statuts, le fondateur indique la neuvaine au saint protecteur de la Congrégation du Précieux-Sang, saint François de Xavier.

«A Bologne, où notre saint, alors au début de son apostolat, s'était acquis tant de confiance et tant d'amour, son souvenir se conservait vivant dans tous les coeurs et à la sollicitation des habitants, la chambre qu'il avait autrefois habitée dans le presbytère de la paroisse de Santa-Lucia, fut transformée en une chapelle où le peuple accourait avec empressement pour demander à son apôtre chéri les grâces désirées, avec le plus d'ardeur. Bientôt l'église de Santa-Lucia fat donnée à la Compagnie de Jésus, ainsi que le presbytère qui y était attenant; et, plus tard, lorsqu'on l'abattit pour en construire une nouvelle sur de plus vastes proportions, le presbytère fuit détruit pour lui donner son emplacement, mais la chapelle de saint François de Xavier fut conservée parfaitement intacte et se trouva comprise dans l'enceinte de la nouvelle église. Par suite des persécutions qui ont si souvent honoré la sainte, Compagnie de Jésus, cette chapelle fut ravie tout à coup à la tendre dévotion du peuple. On la dédia à la Circoncision, mais on ne put faire oublier aux Bolonais que là avait demeuré le grand Xavier, l'illustre apôtre que leurs pères se faisaient une si grande gloire d'avoir connu, et qui avait manifesté par de nombreux prodiges le souvenir qu'il conservait au ciel pour la ville où il fut si tendrement vénéré.

La dévotion à notre saint s'étendit en Allemagne; comme partout elle y obtint des merveilles, et, vers la fin du siècle dernier, on publiait à Oberbourg un volume considérable des faveurs signalées qu'il avait répandues sur la haute et basse Styrie.

Au château de Xavier, les miracles étaient innombrables. On avait fait une chapelle de la chambre dans laquelle il était né, et les pèlerins s'y portaient en foule. La Navarre le choisit -pour patron, et, aujourd'hui encore, tous les Navarrais donnent an baptême le nom de Xavier à leurs enfants, et les pèlerinages sont toujours nombreux à cette chapelle,livrée au publie par les descendants de la famille de notre saint. Tous ont conservé, avec un religieux respect, ce noble manoir, illustré par de si glorieux souvenirs. Le château de Xavier est encore ce qu'il était en 1524, alors que don Francisco s'en éloignait pour toujours... La chapelle de la noble famille est restée ce qu'elle était, au temps où l'heureuse et triste mère du grand apôtre de l'Orient allait y puiser la force de remercier Dieu de tant de souffrance et de bonheur. Le crucifix miraculeux est encore à la place où don Francisco le laissa; le sang merveilleux, coagulé depuis le jour où l'apôtre des Indes monta au ciel, se voit encore maintenant. A la fin du dix-septième siècle, quelques pèlerins avant osé en enlever des parcelles, l'évêque de Pampelune, averti de cette pieuse témérité, menaça d'excommunication quiconque oserait la renouveler. Depuis longtemps, le publie n'a plus l'entrée de cette chapelle; il faut une autorisation particulière pour être admis à contempler le précieux crucifix (1).

En 1744, sur l'ordre du roi Jean IV, l'archevêque de Goa et le marquis de Castel Nuovo, vice-roi des Indes, accompagnés de tous les grands dignitaires, firent la visite des restes de saint François de Xavier, et constatèrent, avec toutes les formalités requises, la parfaite conservation de son corps. Le pape Benoit XIV, voyant les miracles sans nombre qu'on obtenait chaque jour par ses mérites, le déclara protecteur de l'Orient, par un bref du 24 février 1747.

En 1782, le Père Cicala, de la Congrégation des Lazaristes, assista à l'exposition des reliques du grand apôtre, les 10, 11 et 12 février. Il écrivait que le concours du peuple avait été si considérable cette année-là, qu'il dépassait tout ce qu'on avait vu depuis trente ans, de son empressement à venir visiter le saint tom. beau. On y était accouru de toutes les parties des Indes. Le cercueil, de huit pieds de longueur de deux pieds de hauteur et fermé par trois serrures, fat ouvert en présence de l'évêque de Cochin, administrateur du diocèse de Goa, de tout le clergé, de tous les Ordres religieux, du vice-roi et de tous les grands dignitaires et magistrats. Le corps du saint était entièrement recouvert d'un voile d'étoffe de soie qu'on enleva, et tous les assistants parent contempler ce qui restait du grand apôtre de l'Orient. Il était revêtu des habits sacerdotaux; sa chasuble, présent de la reine

 

1 Voir, à la fin, l'intéressant rapport du R. P. Artola, de la Compagnie de Jésus.

 

de Portugal,  (1) et brodée de sa main, était de la plus grande fraîcheur. Le corps n'avait pas le moindre indice de corruption; mais il n'avait plus les apparences de vie qu'il avait conservées durant plus d'un siècle. «La peau, écrivait le P. Cicala, la peau, et la chair qui est desséchée, est totalement unie avec les os; on voit un beau blanc sur la face; il ne lui manque que le bras droit qui est à Rome, et deux doigts du pied droit, ainsi que les intestins. Les pieds surtout se sont conservés dans la plus grande beauté (2).

En 1859, le roi de Portugal, don Pedro V, ordonnait une nouvelle identification de l'état du saint corps. L'un des médecins appelés, juge cet ordre téméraire, car il y a plus de trois siècles que ces restes précieux sont dans le tombeau. Il se trompait; le procès-verbal que nous reproduisons ici en fait foi.

 

1 Il est d'usage que les reines de Portugal brodent de leurs propres mains la chasuble de laquelle est revêtu le corps du saint. Tous les vingt ans on fait l'ouverture de la châsse et on change la chasuble; la vieille est envoyée à la cotir, qui en fait ses générosités à qui elle juge, à propos. (Note de M. Perrin, citée par M. Crétineau-Joly, dans l'Histoire de la Compagnie de Jésus.)

2 Le P. Cicala ajoute            « Il est à observer que le saint était de stature très-basse. » Le 4 décembre 1859, Monseigneur Catioz, vicaire apostolique du Maduré, accompagné des BR. PP. Gard et Charmillot, demandait, en présence du saint corps, à l'un des trois médecins appelés à l'ouverture du tombeau, la raison d'un tel raccourcissement. Le docteur l'expliqua par l'absence de plusieurs cartilages, enlevés sans doute, ainsi que les intestins, pour en faire des reliques.

 

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PROCÈS VERBAL DE L'OUVERTURE DU TOMBEAU DE SAINT FRANÇOIS DE XAVIER Le 12 octobre 1859.

 

L'an mil huit cent cinquante-neuf de la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le 12 octobre, à neuf heures du matin, dans l'église glu lion-Jésus, ancienne maison professe des prêtres de la Compagnie, située dans l'antique ville de Goa, oit se trouvent le tombeau et le corps de saint François-Xavier, ont comparu le très-illustre et excellentissime seigneur vicomte de Torres-Novas, gouverneur-général de l'état de l'Inde ; le gouverneur de l'archevêché de Goa, la cour de justice, la Chambre municipale de l'arrondissement des îles et les autres corporations, autorités et chefs des administrations de cet Etat, soussignés, lesquels avaient été invités pour assister à l'ouverture dudit tombeau, dans le but de connaître l'état oit se trouve le corps du même saint, en vertu de l'autorisation concédée par Sa Majesté, par un décret du ministère de la marine et d'outre-mer, n° 100 du 11 septembre de l'année indiquée et transcrit ci-dessous. Et aussitôt avec les clefs qui existaient dans la secrétairerie du gouvernement général, et qui out été présentées dans cet acte, on a ouvert le coffre ont est le corps du saint, et on l'a trouvé revêtu d'habillements sacerdotaux; puis, les médecins composant la commission sanitaire le médecin en chef Edouardo de Freitas et Almeida, le chirurgien en chef Jozé Antonio d'Oliveira et le chirurgien de ter classe Antonio Jozé da Gama, ayant procédé à l'examen du corps, ont trouvé le crâne revêtu, sur le côté droit, du cuir chevelu respectif, où se voient encore quelques rares cheveux, et complètement découvert du côté gauche. La face tout entière est revêtue d'une peau sèche et obscure avec une ouverture du côté droit communiquant avec le creux maxillaire du même côté, et qui paraît correspondre à l'endroit de la contusion dont parle le procès-verbal dressé le 1er janvier 1782; des dents visibles, il ne manque qu'une des incisives inférieures, les deux vieilles existent. Le bras droit manque, la main gauche est complète, y compris les ongles, ainsi qu'il est dit dans le procès-verbal de 1782; l'abdomen est couvert d'une peau sèche et tant soit peu obscure; le ventre ne contient pas les intestins; les pieds sont couverts d'une peau également sèche et obscure, laissant apercevoir la saillie des tendons; il manque an pied droit le quatrième et le cinquième doigt; mais, pourtant, il existe encore de l'un d'eux des restes de peau et des phalanges dans un état très-spongieux; conformément à cette vue, il a été décidé que le corps et les reliques du même saint sont dans un état tel, qu'ils peuvent être exposés à la vénération publique, afin d'exciter et d'augmenter la dévotion des peuples; et de tout ce qui a été dit, moi, Christorauo Sebastiano de Xavier, grand officier de la secrétairerie du gouvernement général de cet Etat, ai rédigé ce procès-verbal, au bas duquel ont signé toutes les corporations et autorités ci-dessus mentionnées. Et moi, Joaquim Heliodoro da Cunha Rivera, secrétaire du gouvernement général, l'ai fait écrire, — Vicomte de Torres Novas. — Le gouverneur de l'archevêché, Gaetano Peres, etc ....... suivent 57 signatures.

Ajoutons ici la description du tombeau de notre saint donnée au journal l'Univers par son correspondant de Lisbonne ;

«La grandeur du couvent du Bon-Jésus et la somptuosité de l'église méritent de fixer l'attention. C'est dans cette église que repose aujourd'hui le corps de l'apôtre de l’Inde, saint François-Xavier, fondateur de la Compagnie de Jésus à Goa, déposé dans un cercueil de cuivre doré et parfaitement ciselé. Ce cercueil est placé dans nu superbe mausolée de marbre noir d'Italie, appuyé sur trois autels qui occupent les trois faces du mausolée, où sont sculptées sur le marbre, en bas-relief, et avec beaucoup d'art, les actions principales de la vie de ce saint apôtre. Ce monument, riche et précieux, mérite d'être admiré dans tous ses détails. C'est dans cette église que venaient autrefois prendre possession du pouvoir les anciens vice-rois et les capitaines-généraux, les gouverneurs-généraux actuels continuent cet usage, en pratiquant les mêmes formalités. La sacristie est en tout proportionnée à la magnificence de ce temple, et l'on y rencontre une belle collection de peintures et de tableaux.

«Derrière le tombeau en se rendant de la sacristie au couvent on voit un tableau représentant saint François-Xavier. C'est, dit-on, son véritable portrait, tiré peu de temps après sa mort. Près de la porte de ce temple majestueux, on lit l'inscription suivante.

«Sépulture de D. Jeronymo Mascarenhas, capitaine de Cochin et d'Ormuz, qui a élevé cette église à ses frais; et, par reconnaissance, la Compagnie de Jésus lui a consacré ce lien. »

Sur une colonne d'entrée de la porte principale, on lit:

«Reverendissimus et illustrissimus D. Alexis Menesius, archiepiscopus Goanensis, Indiae primas, Anno Domini MDCVI. d. ma.» (Annales maritimes et coloniales. Année 1843, p. 214.)

Il avait été annoncé que l'exposition du saint corps serait publique depuis le 2 décembre jour de la mort du grand apôtre des Indes, jusqu'au 11 janvier 1860 Mais déjà on comptait plus de trente mille étrangers accourus à Goa avant le jour de la vérification juridique de la sainte relique. «Les rues désertes de la ville de Goa, dit le Jornal do commercio, — rédigé dans un esprit peu catholique d'ordinaire, — ont vu défiler une foule de peuples appartenant à toutes les sectes et à toutes les religions. La rivière était couverte d'embarcations, et le temple majestueux du Bon-Jésus, où est enterré le saint, était rempli de personnes distinguées accourues à cet acte solennel. Un autre acte semblable, et qui avait excité peut-être moins d'enthousiasme avait eu lieu, il y a plus de 77 ans, le 1er janvier 1782 ; mais peu de personnes y avaient assisté.» Monseigneur Canoz, de la Compagnie de Jésus, évêque de Tamase et vicaire apostolique du Maduré, invité à faire partie des pèlerins auxquels le gouverneur de Bombay avait offert son steamer pour se rendre à l'exposition solennelle du saint corps, va nous donner l'intéressante description de cette cérémonie, et nous dire le bonheur qu'il goûta près du tombeau vénéré de notre illustre saint. Nions trouvons ces détails dans la lettre qu'il écrivit an révérend Père Bekx supérieur général de la Compagnie de Jésus; elle porte la date du 10 décembre 1859.

L'église du Bon-Jésus attenante à l'ancienne maison professe de la Compagnie, et bâtie par don Pedro de Mascarenhas, en 1592, n'a, dit-il «qu'une seule nef très-large, et deux bras de croix; au fond desquels se trouvent d'un côté l'autel de saint François Xavier, et de l'autre celui de saint François de Borgia. Le grand autel est à saint Ignace ......

« Derrière la chapelle de saint François Xavier, s'élève le fameux monument érigé à la mémoire de l'apôtre des Indes par le grand-duc de Toscane en 1653, et qu'on aperçoit à travers une large grille en bronze doré et artistement travaillée. On regrette qu'il soit enfermé dans un espace étroit et obscur, qui ne permet pas de l’apprécier comme il le mérite. Il est composé de marbre blanc laissant aux quatre côtés de la base nu large espace, libre pour un autel. La seconde partie du monument, placée sur cette base, est ornée dans le milieu de bas-reliefs en bronze; ils représentent, d'un côté, le Saint baptisant de pauvres infidèles, de l'autre côté prêchant les vérités du salut, et, sur une troisième face, mourant, abandonné dans File de Sancian, à la vue de la Mine. Enfin la troisième partie, qui diminue graduellement de largeur en s'élevant, est surmontée par une magnifique châsse d'argent, contenant le corps du Saint et ornée de petites colonnes entre lesquelles sont enchâssés des vitraux. On avait déjà descendu cette châsse pour la placer sur une estrade élevée an milieu du transept de l'église, et couverte d'un tapis vert; mais la caisse, garnie d'une riche étoffe, qui renferme le saint corps, en avait été retirée et déposée sur une des tables de marbre du monument, où il était permis aux fidèles de le vénérer. Un jour, après avoir dit la sainte messe à l'autel opposé, je vins mb prosterner devant cette caisse que j'embrassai avec effusion de Cœur; et, jusqu'à l'arrivée de la foule des pieux pèlerins, je prolongeai avec délices mon action de grâces, méditant sur les vertus et les mérites du Saint que le même corps de Jésus-Christ, que je venais de recevoir, avait sanctifié d'une manière si prodigieuse.

« Enfin, le grand jour de la fête de saint François Xavier était venu et annoncé solennellement par le son majestueux des cloches de la cathédrale et de toutes les églises de la cité, ainsi que par les décharges de l'artillerie. Les troupes réunies à cette occasion défilaient, musique en tête, devant la façade de l'église du Bon-Jésus, et allaient s'échelonner sur la route par laquelle devait arriver le gouverneur. Les chanoines de la cathédrale et le clergé étaient déjà rendus à la chapelle du monument, attendant Son Excellence. Aussitôt qu'il fut arrivé, à dix heures précises, commença la procession, qui, traversant le large corridor du cloître entra dans l'église. La caisse était portée par six chanoines en chape de drap d'argent, sous un baldaquin, et suivie du gouverneur, de son état-major et de tous les officiers civils et militaires de la colonie, convoqués à cette belle cérémonie. On s'arrêta en présence de la barrière du sanctuaire, pour ouvrir la caisse et en enlever la partie supérieure. Alors le corps du saint, mis à découvert, fut glissé dans l'intérieur de la châsse, et bientôt après commença une messe solennelle en musique, qui fut interrompue par le panégyrique de l'apôtre des Indes.

« L'administrateur du diocèse nous avait préparé une place dans la tribune, d'où nous pouvions contempler à notre aise la procession religieuse. Pour le sermon, impossible d'entendre une seule Parole, à cause de notre éloignement et du bruit de la foule, qui allait et venait, se pressant près de' la tombe sacrée, sans faire attention au prédicateur qu'elle ne pouvait comprendre ......

«La messe finie, un des officiers de service vint me chercher ainsi que mes deux compagnons, le P. Gard et le P. Charmillot, arrivés la veille de Belgaum, pour nous introduire dans le sanctuaire au moment où Fon allait procéder au baisement des pieds du saint. Je m'arrêtai en présence de la châsse, pénétré de dévotion, laissant volontiers passer devant moi tous les chanoines et les clercs en fonctions. Je ne saurais vous exprimer, mon T. R. Père, l'émotion et le sentiment de joie, de bonheur que j'éprouvai en collant mes lèvres sur ces pieds sacrés qui ont parcouru tant de régions lointaines, et foulé si souvent cette terre de l'Inde, pour annoncer à tant de peuples divers, plongés dans les ténèbres de l'idolâtrie, la bonne nouvelle de la paix et du salut : Quam speciosi pedes evangelizantium pacem, evangelizantium bona ! Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui évangélisent la paix, qui évangélisent les biens !

« Que Dieu est admirable dans ses saints, et comme il se plaît à les glorifier, même ici-bas, eux qui n'ont travaillé que pour sa gloire ! Je me considérais comme député avec mes deux compagnons, au nom de toute la Société, à une si touchante cérémonie, et je priais, avec toute la ferveur dont j'étais capable, pour l'Eglise et son chef dans les graves conjonctures où il se trouve actuellement; pour toute la compagnie et pour celui qui la gouverne; et pour les missions de l'Inde et de la Chine, unissant dans mon Cœur Maduré et Bombay, demandant pour tous nos missionnaires l'esprit apostolique de saint François Xavier, et, pour les peuples infidèles, des grâces de conversion.

« Mon esprit, livré à une foule de réflexions pieuses, ne pouvait s'arracher de ce lien béni. Je n'étais point satisfait de ce premier acte de vénération; j'y revins le soir, j'y revins le lendemain. Mais pour contenter plus à mon aise ma dévotion et une religieuse curiosité, je désirais être admis à une visite privée; j'en avais déjà parlé au chanoine Pereira, vicaire général, chargé de présider le dimanche à la vénération des saintes reliques. J'en parlai encore à l'administrateur, puis an secrétaire du gouverneur, et je réussis. Il se trouva qu'on avait oublié d'insérer sous la caisse une planche à rebords et garnie de petites roulettes, qui devait faciliter le mouvement journalier de la caisse avant et après le baisement des pieds. Le milieu du jour fut fixé pour cette opération, et j'y fus invité avec mes compagnons. Vous pouvez penser si nous fûmes fidèles ait rendez-vous. J'aidai moi-même à soulever le précieux fardeau qui fuit déposé sur l'estrade en avant de la châsse, de manière à nous laisser tout le loisir de contempler le corps saint. Il est couvert d'une riche chasuble, brodée en or et garnie de perles, présent d'une reine de Portugal en 1699, lorsque saint François Xavier fut déclaré défenseur des Indes. Mais ce n'était pas là ce qui attirait notre attention ; nous étions occupés à faire tomber des objets de piété, images, médailles et chapelets à ses pieds sacrés. A cette occasion, un des assistants me remit nu ruban rose, mesure de la longueur du corps, que j'envoie à Votre Paternité. J'aidai de nouveau à remettre la caisse dans la châsse; et c'est alors surtout que, m'agenouillant près de cette tète vénérable, je tue mis à contempler seul ce visage d'apôtre, qui semblait prêcher encore toutes les vertus apostoliques dont il a laissé au monde de si beaux exemples, et surtout cette maxime salutaire qui, tombée de la bouche d'Ignace, avait fait sur lui une, impression si  profonde et si durable, exercé une si merveilleuse influence sur sa conversion et son dévouement entier au service de Dieu; cette maxime qu'il inculquait à tous, spécialement aux heureux du monde et aux princes de la terre , qui en avaient un plus grand besoin : « Quid prodest homini si mundum universum lucretur, animae vero suae  detrimentum patiatur ? » Que sert à l'homme de gagner l'univers, s'il vient à perdre son âme ?

On reconnaît encore les traits de cette figure de héros, que trois siècles n'ont pu effacer. La peau qui couvre le visage est un peu basanée; la bouche entr'ouverte laisse apercevoir les dents; vous distinguez les lèvres, le nez, les tempes; on dirait voir épars sur le crâne des cheveux grisâtres, comme incrustés dans la peau; la tête est un peu soulevée, appuyée sur un coussin. Le bras gauche, couvert par les manches d'une aube précieuse étendue sur la chasuble, laisse à découvert la main tout entière, dont les doigts restent suspendus et un peu séparés les uns des autres. On sait que le bras droit fut coupé en 1616 par ordre du P. général Aquaviva et transporté à Rome, où il est exposé au Jésus, à l'autel de saint François de Xavier. Depuis cette amputation, faite dans une grande salle de la maison professe, le corps du saint a perdu cette fraîcheur et cette souplesse qu'il avait retenues jusque-là. Les pieds ont conservé toute leur forme et tous les doigts, excepté les deux petits du pied droit qui ont été enlevés; on distingue même les ongles. J'entre dans ces mêmes détails, parce que je suis persuadé qu'ils feront plaisir à Votre Paternité et à ceux des nôtres qui les liront et qui sans doute envieront mon bonheur d'avoir vu de mes yeux ces restes miraculeusement conservés, qui nous prêchent si fortement, la pénitence et la mortification, en nous faisant voir déjà sur la terre la gloire de ces membres crucifiés pour le service de Dieu... »

Un fragment du bras droit, nous l'avons dit, avait été accordé au collège que la Compagnie de Jésus avait établi à Macao ; mais sous l’influence on plutôt sous la domination anglaise, le collège des Jésuites fut transformé en caserne, l'église seule fut conservée. En 1834, une imprudence des soldats mit le feu à la caserne, les secours furent mal dirigés, l'incendie dévora les bâtiments, gagna l'église et ne laissa que des ruines... Nous nous trompons : au milieu de cette grande et déplorable destruction, un miracle frappant fut constaté : quatre statues seulement avaient été respectées par les flammes; quatre statues seulement étaient restées debout, et toutes les quatre parfaitement intactes : c'étaient celles de saint Ignace de Loyola, de saint François de Xavier, de saint François de Borgia et de saint Louis de Gonzague.

De nombreuses reliques des martyrs du Japon disparurent dans ce désastre... Celle de saint François de Xavier fut seule sauvée !

Nous pourrions citer des faits plus récents encore, attestant que la puissance des mérites de l'illustre apôtre dont il nous a été si doux d'écrire l'admirable vie est bien loin d'être affaiblie; mais nous nous bornerons à affirmer qu'on ne l'invoque pas en vain. En Belgique, il s'est formé une association pour la conversion des pécheurs, sous le patronage et l'invocation de saint François de Xavier, et cette association obtient de nombreux miracles de conversion. Qui ne sait le bien qui s'opère dans une association d'un autre genre, fondée à Paris, pour les ouvriers, sous le même patronage et la même invocation? Et qui ne sait les progrès merveilleux et toujours croissants de celle de la Propagation de la Foi également placée sous sa protection? Un moyen sûr de toucher le cœur du grand apôtre de l'Orient est de prier pour la conversion des infidèles; qu'on veuille bien adopter dans ce but la récitation quotidienne de la prière que Dieu lui inspira (1), et qu'on lui demande tout ce qu'on désirera. Nous ajoutons que les pages qu'on vient de lire ont été inspirées par le sentiment de la plus profonde, de la plus vive, de la plus douce reconnaissance.

Gloire à Dieu ! Gloire à saint François de Xavier!

 

P. S. Au moment de faire mettre sous presse, on nous signale un article de la Revue des Deux-Mondes, numéro du 15 décembre 1856, intitulé Les Anglais et l'Inde, et signé par un écrivain protestant, d'où il résulterait (2) que Saint-François de Xavier n'a fait rien d'important pour le bien des Indiens. Nous n'avons pas lu cet article,et ne chercherons pas à le lire. Pour nous éclairer sur le magnifique apostolat du grand Xavier, il nous suffit du témoignage des écrivains catholiques, il nous suffit surtout et avant tout de

 

1 Voir à la fin.

2 Page 768 et suiv.

 

celui de l'Eglise. Au reste, nous reproduirons, pour ceux de nos lecteurs qui auraient connaissance de l'article dont on nous a parlé, quelques citations que nous avons trouvées dans le P. Bouhours, et que nous avions négligé de rapporter, en raison de l'étendue de cet ouvrage. A la fin de la Vie de saint François de Xavier, le P. Bouhours nous fait connaître ait passage de Baldeus, écrivain protestant, et que l'évêque de Castorie cite dans sa lettre pastorale adressée aux catholiques des Provinces-Unies (1).

« Si la religion de Xavier s'accordait avec la nôtre, dit Baldeus, dans son Histoire des Indes, nous devrions l'estimer et l'honorer comme un autre saint Paul. Toutefois, nonobstant cette différence de religion, son zèle, sa vigilance et la sainteté de ses  mœurs doivent exciter tous les gens de bien à ne point faire l'œuvre de Dieu négligemment, car les dons que Xavier avait reçus pour exercer la charge de ministre et d'ambassadeur de Jésus-Christ étaient si éminents, que mon esprit n'est pas capable de les exprimer. Si je considère la patience et la douceur avec lesquelles il a présenté aux grands et aux petits les eaux saintes et vives de l'Evangile, si je regarde le courage avec lequel il a souffert les injures et les affronts, je suis contraint de m'écrier avec l'Apôtre : Qui est capable, comme lui, de ces choses merveilleuses ? »

 

1 Cette lettre pastorale est placée en tête du Traité de la lecture de l’Ecriture sainte.

 

Baldeus termine son éloge par cette parole remarquable, qu'il adresse à Xavier :

« Plût à Dieu, qu'ayant été ce que vous avez été, vous fassiez, ou eussiez été des nôtres !»

Un ministre anglican, Richard HaIkwit, dans son Recueil de voyages, s'exprime ainsi :

« Sancian est une île sur les confins de la Chine, près le port de Canton, et célèbre par la mort de François de Xavier, ce digne ouvrier évangélique, ce divin maître des Indiens en ce qui concerne la religion, qui, après de grands. travaux et des peines infinies, souffertes avec patience et avec joie, mourut dans une cabane sur une montagne déserte, le 2 décembre de  l'année 1552, dépourvu de toutes les choses de ce a monde, mais comblé de toutes sortes de bénédictions spirituelles, ayant fait connaître Jésus-Christ à plusieurs milliers de ces peuples orientaux. Les histoires des Indes sont remplies des excellentes vertus et des œuvres miraculeuses de ce saint personnage.

Un autre protestant, Tavernier, dit, en parlant de l'île de Sancian:

« Saint François de Xavier finit en ce lieu sa mission avec sa vie, après avoir établi la foi chrétienne, avec a un succès admirable, dans tous les lieux où il avait passé, non-seulement par son zèle, mais aussi par l'exemple de sa sainteté. Il n'a jamais été dans l'empire chinois, mais il est bien probable que le christianisme qu'il établit dans l'île de Niphon s'étendit dans les pays voisins et se multiplia par les soins de ce saint homme, qu'on petit nommer à juste titre le saint Paul et le véritable apôtre des Indes. » Un autre anglican, mort récemment, Babington Maccaulay, ancien ministre de la guerre en Angleterre, écrivait en 1812, dans l'Edinburg review, à propos du «noble enthousiasme, de l'abnégation rare et sublime »

des missionnaires de la Compagnie de Jésus: « Nous avons le fade enthousiasme de nos faiseurs d'expériences dévotes, l'enthousiasme sentimental de nos bazars de religion, l'enthousiasme rhéteur des trétaux où notre charité pérore, l'enthousiasme écrivassier de nos ascètes bien rentés; mais en quoi tous ces enthousiasmes ressemblent-ils à la ferveur intime, au frémissement divin, à la foi pleine de transports, apanage de François Xavier?»

 

Nous recommandons ces auteurs protestants à celui qui a signé, clans la Revue des Deux-Mondes. Les Anglais et l'Inde, s'il est vrai qu'il ait jugé si différemment l'illustre apôtre de l'Orient.

 

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TRADUCTION DE LA LETTRE QU'ESCRIVIT L'INTERPRÈTE CHINOIS .QUI ALLOIT AVEC SANCT FRANÇOIS DE XAVIER A LA CHINE, ET QUI SE TROUVA PRÈS DE LUI A SA MORT (1).

 

MON TRÈS-CHER PÈRE,

 

Puisque vous désirez sçavoir les circonstances de l'heureuse mort du Père maistre François que rassistay dans sa maladie, je veux vous donner cette consolation. Vous sçavez les ennuis et les travaux qui l'accueillirent dans Malaca; toute cette persécution ne l'empescha

 

1 Cette relation que nous devons à l'obligeance du R. P. de Motézon diffère en quelques points de celle des historiens de note saint, et c'est là sans doute le motif qui l'a fait rester inédite jusqu'à ce jour. Mais si l'on veut bien se rappeler que le fidèle Antonio avait assez peu de mémoire pour avoir oublié sa langue maternelle pendant les quelques années qu'il passa dans les Indes, on comprendra qu'il ait fait une telle confusion de jours et d'heures au sujet d'évènements accomplis depuis plus de cinq ans; car l'ordre de faire les informations ne fut expédié d'Europe qu'en 1556, et n'arriva dans les Indes que l'année suivante. On doit calculer aussi que la différence de latitude produit une différence relative entre le calendrier des Portugais des Indes et celui des Portugais d'Europe, à plus forte raison à une distance comme celle de Sancian. Les Portugais firent leur rapport pour Rome et Lisbonne en tenant compte de cette différence qu'ils avaient l'habitude de calculer; mais le naïf Antonio fit le sien avec ses souvenirs seulement. Nous trouvons dans sa lettre tant de simplicité et de naturel, elle rapproche si bien les faits du lecteur et les rend tellement présents, que nous tenons à la publier telle que l'a laissée le traducteur, sans en changer même l'orthographe. Peut-être est-ce à ce dernier que les erreurs de jours et d'heures doivent être attribuées.

 

pas d'effectuer son dessein. Nous partismes nous deux de Malaca, et le vent nous fut si favorable, que dans peu de jours nous arrivasmes à la hauteur de la coste de Chine, et néantmoins nostre patron ne sçavoit si nous avions passé le port où nous devions aller, ou s'il estoit encore devant nous. Le Père maistre François le voyant ainsy chanceler luy dist que nous l'avions désià passé, ce qui se trouva vray. En mesme temps nous retournons sur nos pas et entrons dans le port de Sanciam avec bien de la joye. Les Portugais qui estoient dans ce lieu aïant sceu que le Père maistre François estoit arrivé, le vinrent tous recevoir et chacun à l'envi le vôuloient loger parce que tous l'aymoient. Enfin Jorge Alvarez son intime amy fut le plus heureux; il le logea, et tous l'accompagnèrent pendant deux mois ou environ. Le Père maistre François n'eut pas plutost descendu du basteau qu'il pria les Porta-ais de luy faire une petite église de paille pour y dire la messe et y enseigner la doctrine chrestienne aux enfants et aux esclaves, lesquels, bien qu'ils fussent en petit nombre, il enseignoit néantmoins selon sa coustume avec un zèle et une charité incomparables. Il s'occapoit aussi à oiûr les confessions de plusieurs personnes, et le temps qui luy restoit il le donnoit à demander l'aumosne pour les pauvres et à converser avec les marchands chinois auxquels il ne parloit pas de la foy, mais de leurs entretiens ordinaires pour s'insinuer et s'y familiariser; il respondoit à leurs demandes qui pour l'ordinaire estoient question de philosophie, côme de quoy estoit composé le monde, et il y satisfaisoit si bien qu'ils se retiroient disant : Le Père François est hôme de grande science et de grande vertu. En même temps, un hôme si dévot et affectionné au Père maistre François qu'il ne perdoit pas un joar sa messe, tomba malade, et dans cet estat, côme ses serviteurs le portoient dans son vaisseau, ainsy qu'il l'avoit désyré, le Père leur dit : Vous portez aujourd'hui dans son vaisseau Diogo de Sousavos, ainsy se nômoit-il, et dans trois iours vous le rapporterez mort à terre pour l'enterrer. Ce qui arriva, et le Père sortit de son petit hermitage avec son surplis pour le recevoir et ensevelir côme il faisoit à tous ceux qui moururent dans cette !le tout le temps qu'il y fut, mais tous ses soins et toutes ses pensées estoient d'entrer dans la Chine pour y prescher Jésus-Christ. Il traita plusieurs fois de cette grande affaire avec les marchands chinois qui lui disoient que l'entrée de ce royaume leur paroissoit impossible, parce que le roy l'avoit défendue à tous les estrangers, et chastioit rigoureusement ceux qui leur donnoient entrée. D'autres luy disoient que sa vert a et sa saincte vie leur sembloit rendre cette entreprise-plus facile, enfin presque tous en iugeoient l'exécution impossible et très funeste. Mais toutes ces difficultés n'ébranloient pas sa confiance. Luy qui avoit un cœur plein et animé de grandes espérances en la bonté de Nostre-Seigneur-qui le vouloit dans la Chine, il résolut, s'il ne pouvait passer de Sanciam à la Chine, d'aller au royaume de Siam pour passer de là dans ce grand royaume avec les ambassadeurs du roi de Siam, qui y sont envoyés tous les ans. Dans cette résolution, il fat attaqué d'une fièvre qui au cômencement estoit petite, elle ne l'empeschoit pas de dire la messe tous les iours; il se purgea par le conseil des Portugais ses amis, et se porta mieux. Aussi Lost il reprend ses exercices ordinaires de catéchisme et converse avec les Chinois, lun desquels luy promist de le prendre et moy dans son vaisseau, et de nous exposer de nuict à la coste de Canton; car le Père n'en demandoit pas plus, sans que personne en sceut rien, pour n'estre pas mis à mort selon les ordonnances du roy. Le Père luy devoit donner pour récompense du poivre que les Chinois estiment beaucoup, côme de cent cinquante séraphis, qui est une monoye qui vaut trente sols et demi de France. Cela ainsi arresté, le Père fut trouver le capitaine général des Portugais pour lui demander la licence de partir. Il la luy accorda, mais il le pria d'en différer l'exécution jusqu'à ce que les vaisseaux portugais qui estoient dans la Chine en fussent partis pour retourner à Malaca, de peur que les mandarins le voyant n'en prissent occasion de maltraiter tous les Portugai et confisquer leurs vaisseaux. Le Père iugeant sa prière raisonnable résolut d'attendre. Cependant, celui qui le logeoit partit pour Malaca et ainsy nous demeurasmes tous deux sans maison pour nous retirer ny sans avoir de quoy manger. Il me disoit souvent que ie fusse demander aux Portugais qui estoient encore dans l'isle un morceau de pain pour l'amour de Dieu, et ils lui envoyèrent plusieurs fois: mais leur charité selon leurs indiens ne l'empeschèrent pas de pastir, en sorte qu'il tomba malade, et se voyant dans cet estat sans avoir de quoy manger, il me demanda s'il ne feroit pas bien d'aller dans le vaisseau de Dio-o de Pereira qui estoit à l'ancre dans la rade; ie luy dis que ouy parce que nous trouverions là quelque chose pour manger, et quelques médicaments et que peut-être l'air de la mer luy seroit plus favorable. Il s'embarqua aussitost pour le vaisseau. C'estoit le mardy après midy, mais il n'y demeura guère; car aïant passé cette nuict avec de grandes douleurs, tant pour le bransle du vaisseau qui estoit extraordinairement agité que pour l'ardeur de la fièvre qui avoit beaucoup accru: il retourna avec moy à terre, portant sous son bras des haut-de-chausses de drap qu'on luy avoit donnés par aumosne contre le froid qui estoit pressant, et quelque peu d'amandes qu'il mist dans sa manche. Il arriva dans cet estat de pauvreté avec une fièvre si ardente qu'il ressemblait à un fer embrasé dans la fournaise. Au mesme temps qu'il sortoit du basteau, nous rencontrasmes un de ses amis nomé Jorge Alvarez qui le voulut avoir dans sa maison qui estoit une chaumière de paille, où estant arrivé il luy dict qu'il falloit qu'il se fit seigner au plus tost. Le Père luy dict qu'il n'estoit point besoin de remède, et dans la seignée il pasma, et avec un peu d'eau qu'on lui ietta sur le visage il revint. Depuis cette seignée il fast si dégousté qu'il ne pouvoit du tout manger. Le lendemain qui estoit le ieudy, la fièvre ayant redoublé on le seigna pour la seconde fois avec les mêmes accidents; et bien que ses douleurs fussent très-véhémentes, côme il savoit tout souffrir et estoit très-patient, on n'ouït iamais sortir une parole de sa bouche pour se plaindre. Il entra ce même iour en délire et convulsions, et néantmoins il ne dict iamais une parole et il ne fist aucune action qui fust tant soit peu indécente, et le visage plein de ioye avec des soupirs et une voix élevée comme s'il eust presché il disoit des choses que ie ne comprenois pas pour n'estre pas en mesme langue; il est vrai que ie luy entendois souvent répester ces paroles : Tu autem peccatorum meorum et delictorum meorum miserere, et il les profàroit et les autres aussy quy m'estoient inconnues, avec tant de ferveur pendant cinq ou six heures que i'en estois ravy et consolé. Il avoit aussi souvent le saint nom de Iésus en la bouche. Il fut dans ces entretiens le ieudy et le vendredy avec tant de patience et bénignité, qu'il ne donnoit aucun travail à ceux qui le servoient. Et depuis qu'il eust été seigné, ce fust le mercredy, il ne mangea du tout rien jusqu'au samedy, auquel il commença à perdre la parolle. Aussitost que ie le vis en cet estat, ie iugeay que Nostre Seigneur le vouloit bientost appeler au ciel et ie le veillay ceste nuict du samedy au dimanche, et pendant tout ce temps il ne retira iamais les yeux de dessus son crucifix qui estoit là; car à la pointe du iour du dimanche, luy aïant ven rendre un grand souspir ie luy mis une chandelle béniste allumée dans sa main, et son âme saincte partit de ce misérable monde sans peine et sans travail, pour aller iouïr de son Créateur et recevoir dans le repos bienheureux la récompense de ses travaux pour l'exaltation et la propagation de la foy et du saint nom de Iésus. Il mourut la nuict du dimanche sur les deux heures après minuit (1) le deuxième, décembre 1552, dans une chaumine de paille, dans Fisle de Sanciam, vis-à-vis de Canton. Après sa mort son visage estoit si agréable, si vermeil et si beau que ie le tenois encore vivant, mais puisque Nostre Seigneur l'avoit voulu enlever, i'en allay avertir le capitaine du vaisseau, et y aïant pris ce qui estoit nécessaire pour l'ensevelir, ie le laissay estant tout en deuil et en tristesse de me voir privé d'une si douce et si amiable conversation qui estoit celle du Père, et men revins a son corps que ie trouvay en mesme estat que je l'avois laissé. Ie le mis dans le suaire avec bien de la douleur et des larmes de tous ceux qui estoient présents. Dans cette occupation m'estant souvenu de la coustume des Chinois qui mettent leurs morts dans un coffre bien fermé, ie iugeay qu'il seroit meilleur d'user de cette façon,Jorge Alvarez fust de mon sentiment, et aïantfait faire un coffre nous y mismes le corps du bienheureux Père,y estant assistés de deux hômes quim'aydèrent à le lever, nous nous embarquasmes seuls dans un basteau et allasmes avec ce sacré dépost à leur vaisseau qui appartenoit à Diogo Pereira qui estoit de l'autre costé de l'isle, où la terre estoit plus propre pour la sépulture,

 

1 Est-ce le traducteur, est-ce Antonio qui met la pointe du tour à deux heures du matin? Toutes les informations prises auprès des Portugais de la Santa-Cruz prouvent d'ailleurs que le saint mourut le 9 décembre, un vendredi, à deux heures après midi, et non après minuit. C'est évidemment une erreur du traducteur.

 

nous y fismes une fosse et nous y mismes le corps : mais côme nous estions prests à le fermer, il me vint à l'esprit que Nostre-Seigneur vouloit manifester les merveilles que vous sçavez. En mesme temps un de ces hômes qui estoient avec moy, nômé Jorge Mendez, me dit qu'il seroit à propos de ietter dessus et dessous le corps sainct dans la caisse de la chau vive affin de consumer la chair et qu'il ne restast que les os, lesquels sans doute quelqu'un désireroi avoir dans l'Inde. Nous fasmes tous de son avis, et sans perdre de temps nous allasmes chercher quatre grands sacs de chau que nous versasmes dans ce coffre lequel nous enlevasmes et. enterrasmes, et après avoir bien bastu la terre ie mis dessus quelques pierres pour signal du lieu où estoit le bénin Père, et ainsi fust ensevelyce grand serviteur de Dieu par quatre hômes sçavoir deux mulastres, c'est-à-dire qui sont nés d'un père européen et d'une mère asiatique, un Portugais et un Chinois; car les autres n'osoient sortir de leur cabanne tant le froid estoit rigoureux. La sépulture se fist le mesme jour ! de son trespas sur le midy. Le sainct corps demeura dessous la terre depuis ce iour iusqu'au 17 febvrier que le temps estoit propre pour faire voile en l'Inde, et côme le mesme vaisseau où il estoit venu se préparoit au despart, ie dis au capitaine: Quoy donc, vous laisseriez

 

1 Il est impossible que cette erreur soit du fait d'Antonio; elle ne peut être attribuée qu'au traducteur. On ne peut inhumer un corps dix heures seulement après la mort; d'ailleurs, tous les Portugais de la Santa Cruz affirmèrent que l'inhumation n'eut lieu, que le troisième jour.

 

icy dans cette isle le corps du Père moistre François qui estoit si grand sainct. Ie sçais bien, me respondit-il, qu'il estoit sainct et que Notre Seigneur a fait par luy plusieurs merveilles et prodiges, mais que voulez-vous, Antonio, que nous fassions ? le corps ne sera pas en estat d'estre transporté; i'envoyeraye néantmoins voir, et s'il est en estat ie ne veux partir sans le prendre. Il commande sur le champ à un Portugais auquel il se confloit, de le désenterrer et de lui apporter les os s'ils estoient déchaisnés, mais que s'il sentoit mal, il le laissast et le remist souls terre. Cet hôme alant ouvert la fosse et la caisse, il trouva le corps du Père tout entier aussi sain que nous l'avions mis, sans autre senteur que celle de la chau. Voïant ce miracle, il rendit grâce à Dieu qui conservoit ainsy son serviteur, et retournant vers le capitaine, il apporta avec soy un morceau de la chair du sainct corps, qu'il coupa côme ie crois de sa cuisse ' affin qu'il iugeast de là en quel estat estoit tout le corps. Le capitaine sentit ce morceau de chair sans y trouver aucune mauvaise odeur, et cômanda qu'on lay apportast tout le corps côme il estoit dans. la chau, qu'on fermast le coffre et qu'on foignist de braye (1), affin qu'estant sur mer, il ne iestast aucune mauvaise senteur. Cela estant faist nous partismes pour Malaca. Quand nous y arrivasmes on avoit déià sceu par une ionque, qui est un petit basteau chinois, que le corps du saint Père venoit dans nostre vaiseau, et côme tous l'est-il

 

1 Braie. — Toile goudronnée.

 

moient; beaucoup, ils résolurent de le recevoir avec plus de magnificence qu'ils pourroient; mais surtout son gratit ami Diogo de Pereira à qui appartenoit le vaisseau. Il faiet faire une grande quantité de cierges et préparer tout ce qui estoit nécessaire pour cette réception. D'autres vous diront mieux que moy cette solennité. Néanmoins puisque vous m'en demandez compte, ie vous dirai ce que ma mémoire m'en fournit.

Nous arrivasines à Malacà le 20 mars sur le midy, et parce que il estoit déià tard pour recevoir le corps du Père, on remit au lendemain, se contentant pour ce iour de le porter du vaisseau à terre, dans une maison proche du port. Ce lieu fut bientost rempli de peuple qui y accouroit de toute la ville parce qu'on sçavoit en quel estast il estoit. Les vicaires vinrent aussy, et pour s'asseurer si ce qu'on en disoit estoit vray, firent oster toutes les planches du coffre où il estoit, excepté celles du fond, et l'aïant veu frais, vermeil et entier ils louèrent Nostre-Seigneur. Le jour suivant, tout le clergé vient le matin pour l'enlever avec des cierges, et l'appareil de Diogo' de Pereira, et on le porta à Nostre-Dame du Mont pour l'ensevelir. La procession étoit si belle et si nombreuse que iamais, dit-on, il s'en estoit ven une pareille dans Malaca. Estant arrivé à l'église on fist son office selon la coustume, et on l'enterra sans coffre pour la second fois avec la chau dans la chapelle de Nostre-Dame, et ils foulèrent et battirent la terre avec de gros leviers et luy rompirent et abaissèrent le nez dans l'estat que vous l'avez veu à Goa, et luy crevèrent le costé droit, dans lequel côme vous savez un Père de la Compagnie à Goa aïant mis les doits de la main droitte, les en tira sanglans et parfumés d'une odeur toute céleste. Le sainct corps demeura ainsy depuis le 21 mars jusqu'au 15 d'aoust, que le Père Joam. de Beiras et le Frère qui alloient aux Moluques le découvrirent une nuict secrètement lorsque les vaisseaux devoient partir pour Goa, dans l'un desquels le Frère Manoel de Tavora l'enlevast. Pour les merveilles que NostreSeigneur fist dans ce voyage, et pour la réception qu'on luy fist à Goa vous le scavez mieux qà moy pour l'avoir veu de nos yeux et y avoir assisté. le ne dis que ce que Vay veu excepté cette circonstance des doits dans le costé, aïant esté si heureux que de converser avec le Père maistre François dans son voyage de la Chine et assisté à sa mort .  Ce que ie dis Nostre-Seigneur m'est témoin que c'est la vérité mesme, bien que ie ne dise pas toutes les merveilles qu'il a opérées par son sainct Plaise à Dieu de miséricorde par l'intercession de son sainct serviteur, partant de ce monde, nous puissions aller où ie crois qu'ils est. Ainsi soit-il.

 

Nostre-Seigneur soit avec vous mon très cher Père.

           

Le chinois Antonio DE SANTA FE.

 

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Rapport du R. P. Artola, de la Comyagnie de Jésus, résidant à Loyola, adressé au R. P. Maris, de la même Compagnie, recteur de la maison de Laval, sur l'état actuel du château de Xavier (1).

 

«1° Xavier est un petit village de dix-sept maisons et d'environ une centaine d'habitants. Il a pris son nom du château que ces maisons entourent, et qui, dans lestemps féodaux, étaient habitées par les gens du château. Le village de Xavier est situé dans la vallée d'Aïbar, que traverse la rivière Axagon; il a une petite église paroissiale, dédiée à Notre-Dame de, l'Assomption, et desservie par,un curé de seconde classe, qu'en Espagne on appelle vicaire; les habitants ont, de plus, la chapelle publique du château.

«Le château de Xavier était jadis le manoir de la très-illustre famille de don Juan Jasso, Seigneur d'Ido cin, favori de don Juan III, roi de Navarre, président de son conseil, et son ambassadeur extraordinaire auprès du roi catholique. Il avait épousé dona Maria d'Azpileucta y Xavier, issue d'une famille des plus distinguées de Navarre. Le dernier enfant de ce mariage fut François, à qui on donna l'illustre nom de sa Mère, afin qu'il ne fût pas éteint dans la personne de donna Maria. François naquit dans le château de

 

1 Le B. P. Artola venait de faire le pèlerinage de Xavier l'année précédente, 1854.

 

Xavier. Cet ancien manoir, situé au pied des Pyrénées, fut donné par le roi Thibaud, en récompense de services signalés, à la famille de Xavier, qui l'a habité pendant plus de trois siècles. Il est parfaitement conservé, — beaucoup mieux même que celui de Loyola, — et il est resté absolument tel qu'il était au temps de saint François. On y voit encore les créneaux, meurtrières, machicoulis, tout ce qui rappelle une forteresse du moyen-âge. L'entrée n'est pas au rez de chaussée, mais au premier étage. Le château est bâti sur le sommet d'un rocher qui, s'élevant graduellement, forme une rampe par laquelle on monte jusqu’à l'entrée. La porte est étroite et plaquée de fer.

«Le château de Xavier appartient aujourd'hui au due de Grenade d'Ega, qui, par suite des alliances de sa famille avec celle de Xavier, en est devenu légitime héritier.

«2° Le crucifix miraculeux qui suait du sang tous les vendredis, et toutes les fois que saint François de Xavier éprouvait de plus grandes fatigues, se conserve dans l'oratoire ou ancienne chapelle du château. Cette Chapelle est petite, elle a une tribune qui peut contenir cinq ou six personnes, et un autel au-dessus duquel est placé le crucifix qu'on a mis dans une sorte de niche ou armoire vitrée, afin de le garantir de la poussière. Il porte tous les caractères d'une grande ancienneté. Monté sur l'autel, et me faisant éclairer, car la chapelle est un peu sombre, je l'ai examiné avec une scrupuleuse attention, et j'ai remarqué que, de la tète aux pieds, il y a des lignes noirâtres comme celles qu'aurait formées du sang coagulé. Dans quelques endroits ces lignes sont interrompues, la croûte du vernis, ou couleur dont le crucifix (qui est en bois) est peint, a disparu (1); maison peut néanmoins vérifier le cours que suivait le sang en ruisselant. Voilà ce que j'ai vu, ce qu'on appelle vu, de mes propres yeux vu.

« 3° Cette chapelle n'est pas livrée au publie; il n'y a même pas de culte. La sainte messe est célébrée dans une autre chapelle, érigée plus tard dans la partie basse du château et dédiée à saint François de Xavier (2). Un chapelain ou aumônier y est attaché aux frais du duc de Grenade, dans le seul but de continuer le culte du saint dans le lieu où il est né. C'est cette chapelle qui est visitée parles pèlerins. On y voit quatre bons tableaux , je présentant plusieurs traits de la vie du saint.

« 4° Les fonts baptismaux où saint François de Xavier fut baptisé existent encore dans  l'église paroissiale du village. Ils sont plus ornés que ceux où saint Ignace reçut le baptême, à Azpeitia, bien que, pendant les guerres soutenues contre Napoléon Ier, les soldats français aient emporté les plaques d'argent qui les couvraient; on y voit les barres de fer ou de plomb qui les tenaient fixées au couvercle; ce couvercle, en pierre, existe encore.

«Il y a toujours dans le pays une grande dévotion

 

1 Ces vides observés par le R. P. Artola sont probablement les marques de l'enlèvement des parcelles du sang miraculeux que les pèlerins se permirent avant que l'évêque de Pampelune eût fait défense, sous peine d'excommunication, de porter la main sur cette précieuse relique.

2 C'était la chambre où naquit l'illustre saint.

 

à saint François de Xavier; il est toujours invoqué avec confiance, et, en été surtout, de nombreux pèlerins vont visiter la chapelle publique du château. Dans les environs de Loyola on donne pour second nom de baptême à tous les enfants, le nom d'Ignace; dans les environs de Xavier, on leur donne celui de Xavier. Tous les enfants s'appellent : Joseph Xavier, Pierre Xavier, Antoine Xavier, etc., etc.

«La neuvaine à saint François de Xavier se fait, à peu d'exceptions près, dans toutes les paroisses de la Navarre, dont il est le patron. La guerre civile ait fait tomber cet usage, mais on y est revenu depuis.

« Dans le cloître de la cathédrale de Pampelune, on voit encore l'épitaphe du docteur Gérôme Garcès (plus connu sous le nom de maître Frago), docteur en théologie au collège de la Sorbonne, et professeur de saint François de Xavier et de saint Ignace de Loyola. Maître Frago mourut peu après avoir été élu chanoine de la cathédrale de Pampelune. Saint François de Xavier, élu chanoine de la même cathédrale en même temps que son professeur, n'accepta pas comme lui, et, à cette occasion, il écrivit deux lettres de remerciement au chapitre. Ces lettres sont restées inédites; elles ont échappé aux recherches du P. Roque Menchaca, pour sa précieuse et exacte collection des lettres de notre saint publiées à Bologne. »

 

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SAINT IGNACE DE LOYOLA A SON NEVEU BERTRANDO DE LOYOLA (1).

 

« Que la grâce de Notre-Seigneur nous soit toujours en aide !

«Pressés par les ordres que nous avons reçus d'envoyer nos Frères, les uns dans les Indes, les autres en Écosse d'autres en divers lieux d'Italie, il ne m'est pas possible de vous écrire aussi longuement que je l’aurais désiré. Cette lettre vous sera remise par maître Francisco de Xavier, frère du seigneur de Xavier et membre de notre Société. Sur la demande du roi de Portugal et par l'ordre du souverain Pontife, il part avec le senhor ambassadeur. Un autre de nos Frères vient de s'embarquer et se rend à Lisbonne par mer. Maître Francisco vous dira le but de ce voyage et vous mettra au courant de nos affaires, comme je le ferais moi-même. Vous savez que le senhor ambassadeur , avec qui maître Francisco fait ce voyage, est notre ami très-dévoué, et que nous lui sommes très-redevables; il espère nous être infiniment utile auprès de son

 

1 Nous reproduisons, à titre de document, cette lettre de saint Ignace, où on voit qu'il appelait notre saint Francisco de Xavier, et que le jeune don Francisco, du collège de Sainte-Barbe, ne connaissait par la famille de Loyola, mais que ses frères la connaissaient et en étaient connus, ainsi que nous l'avons dit dans la première partie.

 

souverain pour tout ce qui intéresse la gloire de Dieu. Je vous demande de le recevoir avec tout l'honneur qui lui est dû, et si Araos est avec vous, je le prie de regarder cette lettre comme lui étant adressée personnellement. Voyez en maître Francisco un second moi-même, et témoignez-lui la même confiance que vous auriez en moi.

« Rappelez-moi, au souvenir de la senhora de Loyola et à celui de chacun des membres de notre famille.

 

« Que la grâce et l'amour de Notre-Seigneur nous soient toujours en aide !

 

«Pauvre de vertu,

 

« IGNACIO. »

 

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