PHILIPPIENS III

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HOMÉLIE III. JE M'EN RÉJOUIS ET JE M'EN RÉJOUIRAI TOUJOURS. — CAR JE SAIS QUE L'ÉVÈNEMENT M'EN SERA SALUTAIRE, PAR VOS PRIÈRES, ET PAR L'INFUSION DE L'ESPRIT DE JÉSUS-CHRIST. — SELON LA FERME ESPÉRANCE OU JE SUIS QUE JE NE RECEVRAI PAS LA CONFUSION D'ÉTRE TROMPÉ EN RIEN DE CE QUE J'ATTENDS; MAIS QUE PARLANT AVEC TOUTE SORTE DE LIBERTÉ, JÉSUS-CHRIST SERA ENCORE MAINTENANT GLORIFIÉ DANS MON CORPS, COMME IL L'A TOUJOURS ÉTÉ, SOIT PAR MA VIE, SOIT PAR MA MORT. (CH. I , 18-20.)   

 

Analyse.

 

1 et 2. Charité et fermeté de saint Paul. — Des différentes espèces de vie.

3. Sagesse de saint Paul.

4. Exhortation au mépris de la mort, à la décence dans les funérailles, à la prière pour les trépassés.

 

1. Une âme grande et amie de la sagesse chrétienne ne peut être blessée par les misérables chagrins de cette vie, inimitiés, accusations, calomnies, périls, piéges, rien ne l'atteint. Réfugiée comme au sommet d'une haute montagne, elle est inaccessible à tous les traits qui partent de cette terre vile et abaissée. Telle était l'âme de Paul, qui avait pris position sur les plus hauts sommets, au faîte d'une sagesse toute spirituelle, d'une philosophie seule véritable. Les prétentions des sages du dehors ne sont que vains mots et jeux d'enfants. Mais nous n'avons pas à en parler nous-même : les oracles de Paul doivent seuls nous occuper.

Le bienheureux avait donc pour ennemi Néron, et, avec lui, d'autres âmes haineuses qui le poursuivaient par tous les traits les plus divers, les plus envenimés d'atroces calomnies. Que dit-il cependant? « Loin d'en gémir, je m'en réjouis et m'en réjouirai, non pour un temps, mais pour toujours, car je sais qu'il en sortira pour moi le salut. Et comment la persécution ne me serait-elle pas salutaire, puisque les inimitiés et le faux zèle, en s'armant contre moi, favorisent la prédication?»

« Grâce à vos prières», ajoute-t-il, « et par l'infusion de l'Esprit de Jésus-Christ selon mon attente et mon espérance ». Voyez l'humilité de ce grand saint. Au milieu des combats, après des bonnes oeuvres sans nombre, tenant déjà la couronne, Paul, car c'était Paul, et n'est-ce pas tout dire? Paul écrit aux Philippiens : Grâce à vos prières, je puis être sauvé, lorsque déjà des milliers d'actions saintes lui méritaient le salut. Il ajoute : « Par l'assistance de l'Esprit de Jésus-Christ» , c'est-à-dire, si vos prières me méritent cette grâce. Car ce mot « assistance » signifie, si cet esprit m'est accordé pour aide et soutien, si l'esprit m'est donné plus abondamment, « pour le saint» , pour la délivrance : ainsi pourrai-je échapper au danger présent comme au (19) précédent péril. Car de ce premier danger, il avait écrit : « Dans mon premier procès, personne ne m'assista. Que Dieu le pardonne à tous ! Le Seigneur seul fut avec moi et me donna la force ». Il se la promet encore et la prophétise: « Grâce à votre prière et avec l'aide de l'Esprit de Jésus-Christ », dit-il, « selon mon attente aussi et mon espérance ». Car de mon côté, j'espère. En effet, notre confiance aux prières que l'on fait pour nous ne doit pas être tellement exclusive et entière, que nous n'apportions aussi notre part d'action; et vous voyez ce qu'il apporte, il vous l'explique : l'espérance ! cette source ineffable de tous les biens, selon la parole du prophète : « Que votre miséricorde se répande sur nous, Seigneur, dans la mesure de notre espérance en vous! » et un autre écrivain sacré dit : « Consultez les générations passées : qui jamais espéra au Seigneur et fut confondu?» Ailleurs aussi notre saint s'écrie : « L'espérance n'est jamais confondue ».

« Selon l'attente et l'espérance où je suis que je ne recevrai pas la confusion d'être trompé en rien de ce que j'attends ». Telle est l'espérance de Paul; il compte bien n'être jamais confondu. Voyez combien est puissante l'espérance en Dieu ! Quoi qu'il arrive, dit-il, je ne serai pas confondu; jamais ils ne pourront me vaincre.

« Mais en toute confiance, comme toujours il a été, ainsi maintenant même, Jésus-Christ sera glorifié dans mon corps ». Ils croyaient eux, par leurs piéges habiles, enlacer Paul, en quelque sorte, le faire un jour disparaître de ce monde, étouffer enfin sa prédication sous le poids de leurs machinations victorieuses. Paul répond : Non, vous n'aboutirez pas! Je ne mourrai pas encore aujourd'hui ! mais « comme toujours, aujourd'hui même, Jésus-Christ sera glorifié dans mon corps ». Et comment? C'est que déjà des périls m'ont environné, et si grands, que tout le monde, et que moi-même avec tous les autres, j'avais cessé d'espérer. «Nous-mêmes », c'est son mot, « n'entendions plus en nous qu'une réponse de mort » (II Cor. 1, 9), et cependant Dieu nous a sauvé de tout danger; ainsi sera-t-il encore glorifié dans mon corps. — Et pour empêcher qu'on ne dise ou qu'on ne pense ainsi : Quoi ! et si vous mourez, Dieu ne sera pas glorifié! — Je vous comprends , semble dire l'apôtre; aussi n'ai-je pas dit que ma vie seulement glorifiera Dieu , j'ai ajouté : Et ma mort même ! Mais, en attendant, ce sera par ma vie; ils ne pourront me tuer ! et, le feraient-ils, qu'ainsi encore Jésus-Christ serait glorifié ! Comment donc? Par ma vie, car il m'aura sauvé; et par ma mort, parce que la mort même ne pourrait me décider à le renier. C'est lui qui m'a donné ce courage si grand, et qui m'a fait plus fort que la mort, une première fois en me sauvant des périls, et maintenant même, parce qu'il permet que la tyrannie de la mort ne m'inspire aucune crainte. Ainsi sera-t-il glorifié et par ma vie et par ma mort. — Il le dit, non qu'il doive bientôt la subir, mais pour prévenir chez les Philippiens toute douleur humaine, en cas que la mort lui arrive. S'ils avaient pu croire qu'il parlât ainsi en vue de sa fin prochaine, grand aurait été leur deuil par avance : mais voyez comment il les console et quelles douces paroles il leur prodigue. — Et si je parle ainsi, ce n'est pas que je doive bientôt mourir; au contraire, poursuit-il : « Je sais une chose et j'en suis sûr : je demeurerai, je ferai même séjour chez vous ».

2. Cette autre affirmation : « Je ne serai en rien confondu », répond à celle-ci : La mort ne m'apportera aucun déshonneur, mais plutôt un gain immense. En quel sens? C'est que, sans être immortel, je serai plus glorieux encore que si l’immortalité était mon partage. La gloire n'est pas égale à mépriser la mort quand oh est immortel, ou quand, au contraire, on est soumis au trépas. Aussi, dussé-je mourir à l'instant, il n'y aurait pour moi aucun déshonneur; cependant je ne mourrai pas encore; d'ailleurs, « je ne serai confondu en aucun cas », que je vive ou que je meure : vie ou mort je subirai l'une ou l'autre avec courage. Admirable sentiment, vraiment digne d'une âme chrétienne ! Il y a plus : « En toute confiance ». Vous voyez que rien ne peut me confondre. Car si la peur de mourir m'avait ravi cette confiance, je mourrais avec honte; mais maintenant que je ne crains pas même son glaive suspendu, qu'elle frappe ! Je ne puis être déshonoré ! Car si je vis, je n'aurai pas à rougir de ma vie, qui sera la prédication continuée du saint Evangile; si je meurs, la mort ne peut me confondre, puisque ses terreurs ne m'arrêtent nullement, et que je lui oppose une confiance (20) inébranlable. J'ai parlé de mes chaînes: n'allez pas croire qu'elles m'humilient. Elles m'ont été tellement fécondes en biens solides, qu'elles ont augmenté le courage dans les autres et redoublé leur confiance. La honte n'est pas d'être prisonnier pour Jésus-Christ, mais bien de trahir par quelque endroit la cause de Jésus-Christ par la crainte des chaînes. Tant que je ne serai point un traître, les fers ne peuvent que me rendre plus confiant. Toutefois, mes frères, évitez un écueil : souvent j'ai échappé à des dangers imminents, et je puis en tirer gloire contre les infidèles ; eh bien! si le contraire arrivait, n'allez pas croire que ce serait une honte! Délivrance ou martyre doivent vous inspirer même confiance. Saint Paul se fait ici l'application personnelle d'un sort qui peut atteindre tous les chrétiens; souvent il emploie cette façon de traiter une question; ainsi quand il dit aux Romains: « Je ne rougis point de l'Evangile », (Rom, I, 16) , ou aux Corinthiens : « J'ai proposé ces choses en ma personne et en celle d'Apollon ». (I Cor. IV, 6.) « Soit par ma vie, soit par ma mort », il ne parle pas dans l'ignorance de son avenir. Il savait qu'il ne mourrait pas à cette époque, mais plus tard toutefois il veut y préparer leurs âmes.

«Car Jésus-Christ est ma vie, et la mort m'est un gain (21) ». En mourant, en effet, je ne -pourrai mourir, puisqu'en moi-même toujours je possède la vie. Ils m'auraient déjà tué, s'ils avaient pu, par la crainte, chasser la foi de mon coeur. Mais tant que Jésus-Christ sera avec moi, la mort dût-elle m'accabler, je vivrai, puisque dans cette vie même, vivre n'est pas ce qu'on suppose; vivre pour moi, c'est Jésus-Christ ! Or si, tandis que je vis ici-bas, la vie présente n'est pas la vraie vie, qu'en sera-t-il donc dans l'éternité? « Maintenant même que je vis dans la chair », a-t-il dit ailleurs, « je vis dans la foi ». Je le répète donc aujourd'hui même, continue-t-il : « Je vis ! non, ce c'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi ». Tel doit être le chrétien : Je ne vis pas, dit l'apôtre, de la vie commune. Comment donc vivez-vous, ô bienheureux Paul? N'est-ce point, comme nous, du soleil que vous voyez? de l'air que vous respirez? des aliments qui servent à vous nourrir? Vos pieds, comme les nôtres, ne foulent-ils point la terre? N'avez-vous besoin ni de sommeil, ni de vêtements, ni de chaussures? Pourquoi dites- vous :Non, je ne vis point? Comment ne vivez-vous donc plus? Quel langage prétentieux est le vôtre! Mais non, tout cela n'est point parole d'orgueil. On pourrait, sans doute, les taxer d'enflure et de vaine gloire, si les faits n'attestaient le contraire; ruais devant ce témoignage des faits, où est encore l'ombre de prétention ? Apprenons donc comment l'apôtre ne vit plus; car il le répète ailleurs équivalemment : « Je suis crucifié au monde, le monde est crucifié pour moi ». Gal. VI, 14.)

Quel est le sens de cette double assertion , d'une part : « Je ne vis plus » ; de l'autre « Ma vie, c'est Jésus-Christ ? » Comprenez-le, mes bien-aimés ! Le mot de « vie » est tellement significatif, je veux dire, il présente tant de significations différentes, qu'il peut désigner la mort même. Il y a cette vie, la vie du corps; il y a la vie même du péché, puisque saint Paul dit ailleurs. « Si nous sommes morts au péché , comment pourrions-nous avoir encore la vie dans le péché ? » (Rom. VI, 2.) Il y a donc une vie du péché possible, hélas! Ecoutez-moi, suivez-moi bien, pour que nous -ne perdions pas le temps. Il y a une vie immortelle et éternelle, qui est aussi la vie céleste... « Notre conversation est dans les cieux », dit-il quelque part. (Philip. III, 20.) Il y a notre vie corporelle, dont il affirme que c'est « par Lui (Dieu) que nous avons la vie, le mouvement, l'existence ». Act. XVII, 28.) Ce n'est pas cette vie naturelle, que saint Paul affirme ne plus avoir; c'est cette vie des péchés, dont vivent tous les hommes. Et il a raison de dire qu'il ne l'a plus. Vit-il encore dans le temps, celui qui ne désire plus la vie présente? Vit-il dans le temps, celui qui vers un autre monde précipite sa marche? Vit-il dans le temps, celui qui ne convoite plus ce qui est de la terre? Un coeur de diamant serait en vain mille fois frappé; rien ne l'entame : ainsi Paul ! « Je vis », nous dit-il, « non plus moi », c'est-à-dire, non plus le vieil homme, selon ce qu'il dit ailleurs : « Malheureux que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort? » (Rom. VII, 24.) Répétons-le donc vit-il encore celui qui ne fait rien pour l'aliment, pour le vêtement, pour aucune chose de la vie présente? Il faut avouer qu'un homme de cette trempe ne vit plus de la vie naturelle. Il est mort vraiment, celui. qui n'a aucun souci des choses de la vie. Nous qui (21) faisons tout pour elle, nous vivons de cette vie misérable; Paul n'en vivait plus, puisqu'il ne s'occupait plus des soins de ce bas monde. Comment vivait-il alors? — Comme certaines personnes dont nous disons : Un tel n'est plus la ! c'est-à-dire il ne fait rien de ce qui peut m'aider ou m'intéresser. Nous ajoutons même Pour moi, il ne vit plus. — Quant à saint Paul, loin de repousser la vie naturelle, il dit expressément ailleurs : « Maintenant que je vis dans la chair, je vis dans la foi du Fils de Dieu, qui m'a aimé et qui s'est livré pour moi » (Gal. II, 20), c'est-à-dire, je vis d'une vie nouvelle et toute différente de la vie vulgaire.

3. Et toutes ses paroles vont à consoler les Philippiens : Ne craignez pas, leur dit-il, que je puisse être dépouillé en perdant la vie puisque vivant même, je n'ai plus la vie présente, mais celle que Jésus-Christ voulait pour les siens. Dites-moi, l'homme qui méprise la nourriture autant que la faim et la soif, qui dédaigne dangers, santé, délivrance, vit-il encore de cette vie ? Celui qui ne possède rien ici-bas, et voudrait souvent ;faire le dernier sacrifice, s'il le fallait, sans jamais lutter pour sauver ses jours, celui-là vit-il de cette vie ? Bien sûr, non.

Mais il faut éclaircir ce point par un exemple évident. Voici un individu qui regorge de richesses, d'or, de serviteurs, mais qui n'en use jamais : avec toute sa fortune est-ce un riche? Non. Supposez qu'il voie ses enfants, vagabonds et dissipateurs, semer son or au hasard, et qu'il n'en ait point souci; ajoutez, si vous voulez encore, qu'on le frappe sans qu'il se plaigne : direz-vous qu'il est dans les richesses ? Non, quoiqu'il en soit le véritable propriétaire. — Tel était Paul : « Vivre, pour moi » , dit-il, « c'est Jésus-Christ »; si vous voulez connaître ma vie, c'est Lui seul !

« Et mourir m'est un gain ». Pourquoi? Parce qu'alors je le connaîtrai de plus près dans sa beauté, et que même je serai avec lui. Mourir ainsi, est-ce autre chose que parvenir à la vie? C'est tout le mal que feront sur moi ceux qui me tueront : ils m'enverront vers ma vie, ils me délivreront, de celle-ci, qui ne me convient pas. — Mais quoi? Tant que vous êtes ici-bas, n'êtes-vous pas à Jésus-Christ? Tout au contraire, car : « Si demeurer plus longtemps dans ce corps mortel, fait fructifier mon travail, je ne sais que choisir (22) ».

Il prévient l'objection suivante : Si votre vie est ailleurs, pourquoi Jésus-Christ vous laisse-t-il ici-bas? « C'est pour le fruit de mon travail », répond-il. Ainsi nous pouvons user même de la vie présente, mais comme il faut devant Dieu, et non comme la plupart des hommes. Il parle ainsi pour que personne ne calomnie la vie actuelle, et ne dise : Puisque nous n'avons rien à gagner ici-bas, pourquoi ne pas nous soustraire à l'existence par une mort volontaire? Jamais, dit-il; car nous avons à gagner même sur la terre, si nous ne vivons pas de cette vie, mais d'une autre bien plus digne. Quoi! demandera quelqu'un : vivre en ce monde rapporte aussi son fruit? Certainement, dit l'apôtre... Où sont maintenant les hérétiques (1)? Vous l'entendez: « Vivre dans la chair, c'est », dit-il, « produire du fruit par mon travail »; Il a dit « de mon travail » , mais comment vient ce fruit? « Si je vis dans ma chair, je vis de la foi » : c'est de là que vient le fruit du travail.

« Et je ne sais que choisir ». Dieu ! quelle admirable philosophie! Comme il avait abjuré tout désir de la vie présente, sans vouloir toutefois la calomnier ! D'un mot : « Mourir c'est un gain», il renonçait au désir; par un autre mot : « Vivre dans la chair c'est fructifier par le travail », il montre aussitôt que la vie présente est une nécessité. Et comment? Si nous en usons pour porter du fruit; car si elle est stérile, elle n'est plus la vie. Un arbre qui ne porte point de fruit nous est un objet d'aversion tout comme un tronc sec, et nous le jetons au feu. Ainsi la vie est du nombre de ces biens neutres et indifférents : c'est à nous de la faire ou bonne ou mauvaise. Ne haïssons point la vie : car nous pouvons la mener noble et belle. Quand même d'ailleurs nous en userions mal, nous n'avons pas le droit de la calomnier. Pourquoi ? Parce que le crime n'est pas la vie, mais le choix de vie que font ceux qui abusent de la vie. Si Dieu vous accorde de vivre, c'est afin que vous viviez pour lui; mais puisque vos vices s'accommodent d'une vie de péché, toute la responsabilité en retombe sur vous par votre fait.

Mais qu'ajoutez-vous, bienheureux Paul? « Vous ne savez que choisir? » Ce passage

 

1 Les prédicateurs du suicide: il s'en rencontrait à cette époque qui le prêchaient au nom de la religion, comme. Il s'en voit aujourd'hui qui l'approuvent au nom de la raison.

 

 

22

 

nous révèle un grand mystère : l'apôtre était maître de son sort, puisque avoir le choix c'est être maître de l'avenir. — « Je ne sais que choisir », dit-il : ainsi tout dépend de vous? Sans doute, répond-il, si je veux demander cette grâce à Dieu.

« Je me trouve pressé des deux côtés, ayant le désir (23) »... Remarquez la tendresse paternelle du bienheureux. Il veut encore ainsi les consoler, en leur faisant comprendre que son avenir est remis à son choix, qu'il ne dépend pas de la malice des hommes, mais de la providence de Dieu. Pourquoi donc, continue-t-il, vous chagriner de cette idée de la mort? mieux aurait valu qu'elle m'eût enlevé depuis longtemps, « car être dégagé des liens du corps et habiter avec Jésus-Christ, c'est bien le meilleur ».

« Mais il est plus utile pour votre bien que je demeure en cette vie (24) ».Autant de paroles qui les préparaient à supporter généreusement la mort qui un jour frapperait l'apôtre ; autant de leçons de haute sagesse. « Il est bon d'être dégagé des liens du corps et d'être avec Jésus-Christ ». Car la mort elle-même est du nombre des choses indifférentes. Le malheur n'est point de mourir, c'est de souffrir après la mort un juste châtiment. Le bonheur, non plus, n'est point dé mourir, c'est d'être avec Jésus-Christ après votre trépas. Ce qui suit la mort, voilà le bien ou voilà le mal.

4. Ainsi ne pleurons pas en général ceux qui meurent , et n'ayons non plus tant de joie pour ceux qui survivent. Que ferons - nous donc? Pleurons sur les pécheurs, soit qu'ils meurent, soit qu'ils vivent. Réjouissons-nous sur les justes, soit qu'ils vivent, soit qu'ils meurent. Les premiers sont déjà morts tout vifs; les autres, même moissonnés par la mort, vivent toujours. Les uns, même habitant ce monde , méritent la compassion de tous, puisqu'ils sont ennemis de Dieu; les autres, même après le départ sans retour, sont heureux : ils sont allés à Jésus-Christ. Les pécheurs, quelque part qu'ils soient, dans ce monde ou dans l'autre, sont loin de leur roi et par conséquent dignes de pitié. Mais les justes, ici-bas ou au ciel, sont avec leur souverain, et bien plus heureux encore là-haut, parce qu'il le voient de plus près, non plus dans un reflet, non plus dans la foi, mais, Paul le dit, face à face.

Non, tous les morts ne doivent pas être pleurés; mais ceux-là seulement qui meurent dans leurs iniquités : à eux, nos lamentations, nos gémissements, nos larmes; car enfin, dites-moi, quelle espérance reste-t-il encore, quand on s'en va, chargé de péchés, vers ce lieu où il n'est plus possible de dépouiller le péché? Du moins, tant que dura leur séjour ici-bas, il restait une grande espérance : peut-être se convertiraient-ils ! Ils pouvaient s'amender ! Une fois partis pour l'enfer, ils n'ont rien à attendre de la pénitence même. « Qui, ô mon Dieu », s'écriait le prophète, « qui vous glorifiera dans l'enfer? » (Ps. VI, 6.) Comment ne pas pleurer ces misérables?

Pleurons donc ceux qui meurent ainsi; je ne vous le défends pas; pleurons ! non pas toutefois au mépris des bienséances , sans nous arracher les cheveux, sans nous dénuder les bras, sans nous déchirer le visage, sans revêtir de sombres livrées, mais en silence, mais avec les pleurs amers de notre âme. On peut bien pleurer avec amertume, sans y mettre cet appareil, sans en faire un jeu publie: car c'est vraiment un jeu d'enfant, que la douleur de quelques personnes. Ces gémissements en pleines rues ne partent pas d'un vrai chagrin, mais c'est pure montre, ambition, vanité ! bien des femmes même en font métier ! Pleurez avec amertume, gémissez dans votre demeure, sans témoin: ce sera une véritable compassion, qui même vous deviendra salutaire. Qui pleure ainsi sérieusement s'étudie, en conséquence, à mériter d'autant moins un si redoutable malheur; vous en concevez d'autant plus de crainte du péché à venir.

Pleurez les infidèles; pleurez ceux qui leur ressemblent et sortent de ce monde sans avoir connu la lumière, sans avoir été marqués du sceau de la foi. Voilà ceux qui méritent et vos gémissements et vos larmes. Ils sont exclus de la cour céleste, avec les damnés , avec ceux dont l'arrêt est prononcé. « En vérité, si quelqu'un ne renaît pas de l'eau et du Saint-Esprit, il n'entrera pas dans le royaume céleste ». Pleurez lies riches qui meurent au sein de leur opulence, sans avoir fait servir leurs richesses à la consolation de leurs âmes; ceux qui avaient l'occasion de laver leurs péchés, et qui ne l'ont point voulu. Oui, ceux-là, que chacun de nous les pleure en public et en particulier, mais sans jamais nous écarter des bienséances, mais en gardant toujours la (23) gravité, mais en évitant de nous ridiculiser. Pleurons-les non pas seulement un jour ou deux, mais toute notre vie : ainsi continuent les larmes, quand elles ne coulent pas d'une émotion insensée, mais d'un amour véritable et pur. Quant aux pleurs de folle tendresse, ils sont bientôt séchés, tandis que ceux qu'inspire la crainte de Dieu sont intarissables.

Pleurons ainsi nos morts, et secourons-les de tout notre pouvoir. Préparons-leur quelque consolation, si faible qu'elle soit, mais qui puisse être vraie et efficace. Comment? Par quel moyen? Prions pour eux, faisons prier, pour eux continuellement versons l'aumône aux pauvres. Toujours ainsi leur procurerons-nous quelque consolation. Ecoutez Dieu même qui dit : « Je protégerai cette ville, et pour moi-même, et pour David mon serviteur». Si le seul souvenir d'un juste a eu cette puissance, que ne pourront pas des oeuvres accomplies en faveur des morts?

Aussi n'est-ce pas en vain que les apôtres nous ont laissé la coutume et la loi : vous savez que, d'après eux, dans nos saints et redoutables mystères, il doit être fait mémoire des défunts. Ils savaient quel avantage, quel bien immense ce souvenir devait leur procurer. Dans le moment, en effet, où tout le peuple fidèle, uni au corps sacerdotal, debout, les bras étendus, offre le redoutable sacrifice, comment Dieu ne serait-il pas fléchi par les prières que nous adressons en leur faveur ? Car nous parlons de ceux qui sont morts dans la foi. Les catéchumènes n'ont aucune part à ces consolantes prières; privés de tout autre secours, il leur en reste un cependant, un seul, et lequel ? C'est que nous fassions pour eux l'aumône aux pauvres : leur pauvre âme en recueillera quelque bienfait.

Dieu veut, en effet, que nous nous prêtions mutuellement secours. Pour quel autre motif nous aurait-il commandé de prier pour la paix et pour la tranquillité publique? Pourquoi pour tous les hommes? lorsque dans cette universalité sont englobés les brigands , les violateurs de sépultures, les voleurs, et tant d'autres pervers chargés de crimes sans nombre? C'est que peut-être leur conversion s'en suivra. Comme donc nous prions pour des vivants en tout semblables à des cadavres, ainsi est-il permis de prier pour les défunts.

Job autrefois offrait des sacrifices pour ses enfants, et obtenait le pardon de leurs péchés: Je « crains », disait-il, «qu'ils n'aient péché dans leur coeur ». Voilà vraiment consulter les intérêts des siens. Loin de dire, comme le répètent aujourd'hui la plupart des hommes : Je leur laisserai des richesses ! Loin de dire J'amasserai pour eux la gloire ! loin de dire J'achèterai pour eux quelque commandement, quelques terres; que dit-il? J'ai peur que leur coeur n'ait péché! Quel avantage, en effet, procurent en définitive toutes ces propriétés attachées à ce bas monde ? Aucun. Le Roi, le suprême Roi et ses miséricordes, voilà ce que je veux leur laisser, certain qu'avec Lui, rien ne peut leur manquer. Car « le Seigneur me nourrit », a dit le prophète, « et rien ne me manquera ». Magnifique fortune, riche trésor ! Si nous avons la crainte de Dieu, nous n'aurons besoin de rien; sinon, eussions-nous gagné un royaume, nous serions encore les plus pauvres des hommes. Rien n'est grand comme celui qui craint Dieu. « Est-ce qu'en effet », dit la Sagesse, « cette crainte» du Seigneur « ne s'est pas placée au-dessus de tout ?» Ah! sachons donc l'acquérir; faisons tout pour sa conquête, fallût-il rendre à Dieu notre dernier souffle, fallût-il livrer notre corps aux tourments : que rien au monde ne nous fasse reculer : faisons tout pour gagner cette crainte salutaire. Ainsi deviendrons-nous plus riches que personne ici-bas; ainsi atteindrons-nous encore les biens à venir, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec lequel soit au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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