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CHAPITRE SIXIÈME. 1. « ET IL ARRIVA L'ANNÉE QUE MOURUT OZIAS. » ANALYSE.1. Vocation et consécration d'Isaïe pour te ministère
prophétique. Comment il faut entendre ces mots : je vis Dieu. 2. Office des puissances célestes. 3. Les séraphins ne peuvent supporter la vue de Dieu ; quelle
n'est donc pas la démence des hérétiques anoméens qui se vantent de contempler Dieu à
leur aise et de le connaître parfaitement! 4. Du grand, avantage qu'on retire de la confession. 5. Disposition excellente d'Isaïe pour le ministère prophétique
: Me voici, Seigneur, envoyez-moi. 6. Message qu'Isaïe reçoit de Dieu pour les Juifs. 1. Pourquoi le Prophète qui désigne ordinairement les armées parla vie des rois, désigue-t-il celle-ci par la mort d'Ozias? Car il ne dit pas « Il arriva pendant la vie d'Ozias, » ni « sous le règne d'Ozias, » mais bien « Lorsqu'il mourut. » Pourquoi en agit-il ainsi en cet endroit? Ce n'est pas sans raison ni motif, mais par un dessein caché. Quel est-il? Cet Ozias que sa bonne fortune avait exalté, que sa prospérité avait enivré, était devenu trop orgueilleux. Parce qu'il était roi, il avait cru pouvoir sacrifier, il s'était jeté dans le temple, avait pénétré dans le saint des saints, et bien que le grand prêtre voulût l'en empêcher et lui défendre l'entrée du sanctuaire, il n'en avait pas tenu compte, et persistant dans sa folle entreprise, il avait rejeté les paroles du pontife. Pour le punir de cette impudence, Dieu l'avait frappé de lèpre sur le front. Pour avoir voulu usurper l'honneur d'autrui il avait perdu le sien. Car non-seulement il n'obtint pas le sacerdoce, mais devenu impur, il fut chassé du palais, et il passa le reste de sa vie, caché dans une maison, ne pouvant supporter sa honte. Le peuple tout. entier fut aussi puni, parce qu'il avait méprisé les lois du Seigneur et qu'il navait pas vengé l'honneur du sacerdoce outragé. Et comment fut-il puni? Par la cessation du ministère des Prophètes : Dieu dans sa colère ne leur répondit plus rien à quoi que ce fût. Il ne le fit cependant pas pour toujours, mais il assigna pour terme à cette punition le terme de la vie du roi. Quand celui-là fut sorti de la vie, Dieu sortit aussi de sa colère et ouvrit en quelque sorte de nouveau les portes de la prophétie. C'est pour nous faire souvenir de cela que le Prophète rappelle l'année de la mort du roi. Voici le commencement de sa prophétie : « Il arriva que, l'année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis. » Et cependant le Christ dit : « Personne n'a jamais vu le Père; le Fils unique qui est dans le sein du Père est celui qui l'a fait connaître. » (Jean, II, 18.) Et encore : « Non que personne ait vu le Père, si ce n'est celui qui est de Dieu , car celui-là a vu le Père. » (Jean, vil, 46.) Et il dit lui-même à Moïse : « Personne ne pourra voir ma face et vivre encore. » Comment donc Isaïe peut-il dire qu'il a vu le Seigneur? « J'ai vu,» dit-il, « le Seigneur. » Il n'a rien dit de contraire aux paroles du Christ, rien qui ne leur fût conforme. Le Christ parle en effet d'une vue claire, telle que personne ne l'a eue; or nul autre que le Fils n'a vu cette nature divine à découvert et sans ombre, et le Prophète dit qu'il en a eu une vue conforme à sa propre nature. Il n'a pas vu ce que Dieu est, mais il l'a vu comme en figure, et Dieu avait bien voulu s'abaisser autant que le demandait la faiblesse du Voyant. Que ni lui ni les autres prophètes n'aient vu la divinité à découvert, leurs paroles le montrent clairement. « J'ai vu, e dit-il, « le Seigneur assis. » Priais Dieu ne s'assied point ; c'est une figure empruntée au corps. Et non-seulement « assis, » mais « sur un trône. » Or, rien ne peut contenir Dieu comment pourrait-il être contenu quelque part, Celui qui est présent partout, qui remplit tout, « dans la main duquel sont les limites de la terre? » (Ps. XCIV, 4.) Ce qui montre que si cette vision avait lieu, c'est parce que Dieu s'abaissait. C'est ce qu'indique encore un autre prophète, parlant au nom de Dieu : « J'ai multiplié les visions (Osée, XII, 10) ; » c'est-à-dire, je me suis laissé voir de diverses manières. Si c'était sa substance pure que l'on eût découverte, on ne l'eût pas vu de diverses manières. Mais pour marquer que c'était par condescendance qu'il se laissait voir aux prophètes, tantôt de cette manière, tantôt de cette autre, conformant ces visions aux diverses circonstances, il dit : « J'ai multiplié les visions, et les prophètes m'ont représenté à vous sous des images différentes. » Je n'ai pas paru comme j'étais, veut-il dire, mais je me suis conformé à la faiblesse de ceux qui me regardaient. Aussi vous le voyez, tantôt assis, tantôt armé, tantôt couvert de cheveux blancs, tantôt au grand air, tantôt dans le feu, tantôt st; détournant, tantôt sur les chérubins, tantôt enfin, plus éclatant que les métaux les plus brillants. Dire pourquoi il apparaît tantôt armé et couvert de sang, tantôt dans le feu, tantôt se détournant, tantôt dans le ciel, tantôt sur un trône, tantôt sur les chérubins, ce n'en est pas ici le lieu, de peur que le hors-d'oeuvre n'absorbe l'oeuvre. Cependant la vision présente demande que (381) nous l'examinions. Pourquoi donc apparaît-il assis sur un trône, et entouré de séraphins? Il emprunte les usages des hommes, parce qu'il s'adresse à des hommes. Comme il allait parler de grandes choses qui concernaient soit toute la terre, soit Jérusalem en particulier, il rend une double sentence, l'une par laquelle il annonce un grand châtiment à la capitale et à la nation tout entière, l'autre par laquelle il promet à la terre un grand bienfait, de grandes espérances et un honneur immortel. 2. Quand on rend une sentence, il est d'usage de ne pas le faire en secret, mais de s'asseoir sur une tribune élevée, de se faire entourer de tous et d'ouvrir les rideaux. C'est pour imiter ces juges de la terre que Dieu se fait entourer de séraphins, et qu'il s'assied sur un trône élevé pour prononcer son arrêt. Et pour vous montrer que ceci n'est pas une conjecture, mais que c'est la coutume du Seigneur d'agir ainsi, je veux vous faire voir la même chose dans un autre prophète. Quand, dans le prophète Daniel, il est sur le point de rendre une sentence importante au sujet des châtiments et des punitions, que se sont attirés les Juifs et des grands biens qui vont être donnés à la terre, nous voyons là aussi un trône éclatant et splendide, des légions d'anges qui l'entourent, des multitudes d'archanges, le Fils unique assis à côté du Père, des livres qui sont ouverts, des fleuves de feu qui roulent leurs ondes terribles, tout l'appareil enfin d'un redoutable tribunal. Et notre passage est tout à fait semblable à celui-là, ou plutôt celui-là est plus clair encore, les temps étant devenus plus proches et la prophétie étant arrivée à sa fin. Mais laissons aux hommes studieux le soin de comparer ces prophéties, d'en saisir la ressemblance, hâtons-nous de revenir à la première, et arrêtons-nous à chaque mot autant qu'il est possible. C'est ainsi que tout ce que nous avons dit deviendra plus clair et pour vous et pour nous. Que dit donc le Prophète ? « J'ai vu le Seigneur assis. » S'asseoir sur un trône, c'est toujours la marque d'un juge, selon cette parole de David : « Vous vous êtes assis sur un trône, vous qui jugez les justices; » et celle-ci de Daniel : « Les trônes furent apportés et les juges s'assirent.» Cet état seul d'être assis marque encore autre chose, selon le même prophète. Quoi donc? La fixité, ta fermeté, la solidité, l'éternité, la vie sans fin. C'est pourquoi il est dit : Vous êtes assis pour l'éternité, et nous, nous périssons (1). Vous, vous demeurez, vous êtes, vous vivez, vous restez toujours le même. Il ne parle pas du siège, le membre opposé le montre bien. Il ne dit pas en effet, nous sommes debout, mais bien nous périssons. S'asseoir sur un trône, c'est donc juger; c'est pourquoi le Prophète voit Dieu assis sur un trône haut et élevé; peut-être que la signification de ces deux mots n'est pas la même. Le trône était haut, c'est-à-dire grand, très-long; élevé, c'est-à-dire placé à une hauteur indicible. « Et la maison était « remplie de sa gloire. » Quelle maison? Dites-moi. Le temple. Comme de là provenait le sujet de sa colère, il était juste que ce fût là qu'il se montrât en cette admirable vision. Ce qu'il appelle sa gloire, c'est cette splendeur, cette lumière inaccessible que , désespérant de pouvoir rendre par la parole, il appelle gloire, et non-seulement gloire, mais gloire de Dieu. « Des séraphins se tenaient encerclé au« tour de lui. » Qu'appelle-t-il séraphins? Ces puissances incorporelles et célestes , dont le nom seul indique la vertu et le bonheur. Car ce mot de la langue hébraïque s'interprète par bouches de feu. Que nous apprend cette circonstance? La pureté de cette nature, sa vigilance, sa diligence, son agilité, sa force, sa simplicité. De même le prophète David, pour montrer combien le ministère des puissances d'en-haut est prompt, rapide, actif, dit : « Qui vous servez des vents pour en faire vos envoyés, et des flammes brûlantes pour en faire vos ministres (Ps. CIII, 4) ; » paroles par lesquelles il nous montre leur vélocité, leur légèreté, leur rapidité. Il en est de même de ces puissances qui, par des chants purs, louent le Seigneur, remplissent continuellement cet office, lui offrant sans cesse leurs louanges et leurs hommages. Ce qui montre leur dignité , c'est qu'elles sont placées près du trône. De même qu'au service des rois de la terre, ceux qui sont plus élevés en dignité, se tiennent près du trône ; ainsi ces puissances célestes, à cause de leur vertu supérieure, entourent le trône d'en-haut, jouissant sans cesse d'un bonheur indicible, et faisant éternellement leurs délices de ce sublime ministère. « L'un avait six ailes et l'autre six, de deux ils voilaient leurs pieds, de, deux ils se voilaient la face, et des deux autres ils volaient. Ils criaient l'un à l'autre 1 Ces paroles qui ont l'air d'une citation. ne se trouvent nulle part dans la sainte Ecriture. 382 et ils disaient: Saint, Saint, Saint est le Seigneur des armées. La terre est pleine de sa « gloire. » (Is. III.) Que nous indiquent, que signifient ces ailes? Ces puissances n'ont pas d'ailes puisqu'elles n'ont pas de corps; mais par ces figures sensibles, le Prophète veut nous faire comprendre des choses cachées, il condescend par là à la faiblesse de ceux qui l'écoutaient, et cependant, par cette condescendance il nous fait entendre excellemment des pensées qui surpassent toute intelligence. 3. Que signifient donc ces ailes? La nature élevée et sublime de ces puissances. Ainsi nous montre-t-on Gabriel volant et descendant des cieux, pour nous apprendre sa promptitude et sa légèreté. Et vous étonnerez-vous si le Prophète se sert de ces expressions en parlant des puissances qui servent Dieu, quand il n'a pas dédaigné de s'abaisser à ce moyen, en parlant de Dieu même, du Dieu de l'univers ? Car, voulant montrer soit son incorporéité, soit la rapidité avec laquelle il est présent partout, David dit : « Celui qui marche sur les ailes des vents (Ps. CIII , 3) ; » les vents n'ont cependant pas d'ailes, et Dieu ne marche pas sur leurs ailes. Comment, en effet, cela se ferait-il, puisqu'il est présent partout? Mais, comme je l'ai déjà dit, le Prophète condescend à la faiblesse des auditeurs et se sert de choses qu'ils peuvent comprendre pour élever leur pensée. C'est encore ainsi que, pour montrer le secours qu'il reçoit et la sûreté que ce secours lui procure, il se sert des mêmes expressions, disant « Vous me protégerez à l'ombre de vos ailes. » (Ps. XVI, 8.) Ici le Prophète ne veut pas seulement, au moyen de ces ailes, nous faire comprendre l'élévation et la sublimité de ces puissances, mais encore une autre chose qui doit nous frapper de terreur. Il nous montre que, bien que, cette vision ne fût qu'une ombre, un acte de condescendance, cependant les puissances célestes elles-mêmes étaient incapables de s'élever jusqu'à cette hauteur de Dieu qui s'abaissait. Car si elles se cachaient les pieds et le dos, c'est qu'elles étaient effrayées, .qu'elles redoutaient la splendeur, qu'elles ne pouvaient supporter l'éclat qui sortait du trône. Aussi se faisaient-elles comme un rempart de leurs ailes pour assombrir l'éclat de cette vision; elles éprouvaient ce que nous éprouvons quand le tonnerre gronde et que les éclairs brillent, et que nous nous inclinons vers la terre. Or, si les séraphins, ces grandes et admirables puissances, ne pouvaient regarder qu'avec tremblement Dieu assis et assis sur un trône, s'ils se cachaient la face et les pieds, qui dira la folie de ceux qui se vantent de parfaitement connaître Dieu et qui font sur cette nature immortelle des recherches curieuses? « Des deux autres ils volaient, et ils criaient. » Qu'est-ce que ce vol et que veut-il signifier? Qu'ils sont sans cesse autour de Dieu, qu'ils ne s'éloignent pas de lui, que leur office est toujours le même, chanter sans cesse auprès de lui et louer continuellement leur Créateur. Car il n'a pas dit: « Ont crié, » mais «criaient, » c'est-à-dire qu'ils remplissent sans cesse ce devoir. « L'un à l'autre et ils draient : Saint, Saint, Saint. » Ceci marque que leur entente était parfaite et leur accord à louer Dieu complet. Ce chant n'est pas seulement une louange, mais une prophétie des biens que recevra la terre et une très juste expression du dogme. Mais pourquoi, après avoir dit « Saint » une fois, ne faisaient-ils pas silence? pourquoi ne s'arrêtaient-ils pas même après l'avoir dit deux fois? pourquoi le répétaient-ils trois fois de suite avant de faire une pause? N'est-il pas évident que c'est parce qu'ils chantaient un hymne à la Trinité? Aussi saint Jean applique-t-il cet hymne au Fils, saint Luc au Saint-Esprit, et le Prophète au l'ère. Et le reste exprime la même pensée. Car après ce chant ils ajoutent : « Toute la terre est remplie de sa gloire. » Ces paroles sont une prophétie exacte ; elles prédisent la connaissance future qui devait remplir toute la terre de la gloire de Dieu, tandis qu'au contraire, dans l'antiquité et au moment même où ces paroles étaient prononcées, toute la terre, et même la Judée, était remplie d'iniquité, et personne ne glorifiait Dieu. Et le Prophète en rend témoignage, lui qui dit : « A cause de vous, mon nom est blasphémé parmi les nations. » (Ps. LII, 5.) Quand donc la terre a-t-elle été remplie de sa gloire? Quand cet hymne a été apporté sur la terre, quand les hommes ont chanté avec les puissances célestes, qu'ils n'ont plus fait entendre qu'un même chant, retentir qu'une même louange. (lue si un juif impudent refuse de me croire, qu'il me montre quand la terre a été remplie de la gloire de Dieu, de cette gloire qui vient de la connaissance , mais jamais il ne pourrait me le montrer, quand il me démentirait mille fois. « Le dessus de la (383) porte fut ébranlé par le retentissement de ce grand cri. » Voyez-vous la clarté de la prophétie et comme les choses se suivent? Quand ce chant eut retenti et que la terre eut été remplie de la gloire de Dieu, la nation juive disparut, ce qu'indique le dessus de la porte ébranlé. 4. En effet, c'est un signe que le temple sera abandonné et renversé ; or le temple étant renversé, tout le reste disparaîtra. Et pour vous apprendre que le Nouveau Testament a abrogé l'Ancien, le Prophète dit : « Le dessus de la porte fut ébranlé par le retentissement de ce grand cri , » c'est-à-dire que quand cet hymne de louange se fit entendre, quand la grâce brilla, quand la gloire de Dieu se répandit sur toute la terre, les ombres s'évanouirent. « Et la maison fut remplie de fumée. » A mon sens, ceci prophétise la ruine qui l'atteindra, le feu que les étrangers y mettront, et l'incendie qui la dévorera. «Alors je dis: Malheureux que je suis ! mon affliction est grande, moi qui suis homme, qui ai des lèvres impures, qui habite au milieu d'un peuple dont les lèvres sont impures, et qui ai vu de mes yeux le Seigneur des armées (5) ! » Cette vision a terrifié, stupéfié le Prophète ; elle lui a imprimé une vive crainte, elle lui fait faire des aveux, et grâce à elle, il connaît mieux là faiblesse de sa nature. « C'est ainsi que sont tous les saints; plus ils sont honorés et plus ils s'humilient; Abraham, quand il parle à Dieu, s'appelle terre et poussière,; Paul, après avoir été jugé digne de cette admirable vision, s'appelle avorton ; de même Isaïe déplore sa condition, d'abord à cause de sa nature : « Malheureux que je suis ! Mon affliction est grande, moi qui suis homme ; » puis à cause de ses dispositions: « Moi qui aides lèvres impures.» Il appelle ses lèvres impures relativement, me semble-t-il, aux langues enflammées de ces puissances excellentes , relativement aussi à leurs hommages si parfaits. Puis, sans s'arrêter là, il fait d'humiliants aveux au nom de tout le peuple, et ajoute : « Moi qui habite au milieu d'un peuple dont les lèvres sont impures. » Pourquoi accuse-t-il ici leurs lèvres? Pour marquer qu'il n'ose pas parler. Les trois enfants dans la fournaise se servirent presque des mêmes expressions : « Il ne nous est pas permis d'ouvrir la bouche. » Et lorsque le temps était venu de chanter et de louer, qu'il voyait les anges accomplir cet office, ce n'est pas sans raison qu'il parle des lèvres, puisque c'était à elles surtout de remplir ce ministère. Voilà pour quel motif il appelle ses lèvres impures; et s'il appelle aussi impures celles du peuple, ce n'est pas pour la même raison, mais parce que le peuple était adonné à l'iniquité. « Et j'ai vu de mes propres yeux le Roi, le Seigneur. » Voilà ce qui me fait gémir et pleurer; c'est que j'ai été jugé digne de cet honneur, moi qui en suis indigne, de cet honneur qui surpasse à la fois et mes mérites et ma nature. Et lorsqu'il dit : «J'ai vu, » il n'entend pas parler d'une vue complète, mais de celle qui lui était possible. Et voyez comme ses aveux sont récompensés. Il s'est accusé et aussitôt il a été purifié ; car, quand il eut prononcé ces paroles, « un des séraphins, dit-il, fut envoyé vers moi ; il avait dans sa main un charbon qu'il avait pris avec des pincettes de dessus l'autel. Et m'en ayant touché la bouche, il me dit : Voilà que ce charbon a touché tes lèvres, qu'il a enlevé tes péchés et purifié tes iniquités (6, 7.) » Quelques-uns disent que c'étaient là des symboles des mystères futurs: l'autel, le feu qui y brûlait, les serviteurs, cette bouche purifiée par le feu, et ces péchés effacés; pour nous, attachons-nous au récit, et disons pourquoi cela est arrivé. Le Prophète va être envoyé au peuple juif pour lui annoncer des choses terribles et affreuses. Des séraphins lui sont envoyés pour le remplir de crainte et de franchise. Et afin qu'il n'aille pas prétexter, comme Moïse, qu'il avait une voix grêle, ou comme Jérémie qu'il était trop jeune et dire qu'il avait des lèvres impures, qu'il ne pouvait exécuter l'ordre qu'il avait reçu , les séraphins viennent effacer ses péchés, non par leur propre puissance (cela n'appartient qu'au Père, au Fils et au Saint-Esprit) , mais par la mission qu'on leur avait donnée et les charbons qu'ils lui apportent. Car le séraphin ne dit pas « j'efface, » mais « voici que ce charbon efface tes péchés et purifie tes iniquités.» par le commandement de Celui qui m'a envoyé. Pourquoi le séraphin, pour prendre ce charbon, se sert-il d'une pincette? Une puissance incorporelle ne peut craindre de se brûler avec un charbon. Pourquoi cela arrive-t-il ? C'est encore une nouvelle condescendance. Aussi va-t-il le prendre sur l'autel là où on offrait des sacrifices d'adoration et d'expiation. Si vous demandez pourquoi la bouche du (384) Prophète n'a point été brûlée, je vous répondrai d'abord que ce feu n'était pas un feu sensible, bien qu'il en eût les apparences, ensuite que quand Dieu opère quelque chose , il ne faut pas faire sur son opération des recherches curieuses et difficiles. 5. Que dis-je, on a parfois vu un feu ardent et sensible reproduire l'effet qui lui est propre sur des corps qu'on lui livrait. Si donc dans cette fournaise remplie de sarments et de poix la flamme oublia sa propre nature, pourquoi vous étonner que dans une circonstance si extraordinaire, le feu, loin de consumer, n'ait servi qu'à purifier? « J'entendis la voix du Seigneur qui disait: Qui enverrai-je et qui ira vers ce peuple (8) ? » Voyez-vous ce qu'a produit la vision , le bien que la crainte a opéré? La même chose est arrivée à Moïse. S'il ne vit ni les séraphins ni Dieu assis sur un trône, le spectacle qui lui apparut n'était pas moins étrange, il était même si étonnant que personne n'eût pu le contempler. Car « le buisson brûlait., sans se consumer. » (Exod. III, 2.) Et pourtant après ce grand prodige et bien que Dieu l'eût beaucoup encouragé , le grand Moïse hésitait , il imaginait mille prétextes pour se soustraire à sa mission: « J'ai, » dit-il, « la voix grêle et la langue embarrassée.» (Exod. IV, 10, 13.) Un autre prophète dit . « Choisissez-en un autre, Seigneur, pour l'envoyer. » C'est Jérémie qui parle ainsi en alléguant sa jeunesse (Jérém. I, 16.) Ezéchiel, bien qu'il eût reçu un ordre précis, reste encore sept jours auprès du fleuve, rempli d'hésitation et ne se sentant point la force d'accomplir sa mission. Aussi Dieu lui dit-il encore : « Je t'ai établi pour surveiller la maison d'Israël ; » et encore : « Je te redemanderai leur âme » (Ezéch. III, 17, 18.) Jonas fit plus que de refuser, il s'enfuit. Quoi donc ! Isaïe est-il plus hardi qu'eux tous, plus hardi que le grand Moïse? Qui oserait le dire? Pourquoi donc l'un hésite-t-il après avoir reçu l'ordre , tandis que l'autre, sans un commandement évident, embrasse avec ardeur cet office de prophète? Dieu ne lui dit pas: Va , mais il dit seulement: « Qui enverrai-je? » et Isaïe part aussitôt. Quelques-uns disent qu'après avoir péché en ne reprenant pas Ozias de son audace sacrilège, il voulut réparer sa faute, en acceptant avec empressement la mission que lui. donnait Dieu , afin de l'apaiser: c'est pour cela que ses lèvres, disait-il, étaient impures, parce qu'il n'avait pas parlé avec franchise. Mais je ne saurais me ranger à cet avis ; Paul est plus digne de foi , lui qui appelle Isaïe homme sans crainte : « Isaïe ne craint pas de dire. » (Rom. X, 20.) C'est peur cela qu'il ne termina pas sa vie par une mort naturelle, mais les Juifs lui infligèrent le dernier châtiment, parce qu'ils ne pouffaient supporter son tannage énergique. D'ailleurs l'Ecriture ne dit nulle part qu'il fût présent quand Ozias montra son audace, ni que le voyant il se soit tu : ceux qui l'affirment ne font qu'une conjecture sans fondement. Que dirons-nous donc ? Que le ministère de Moïse et celui ci ne se ressemblent pas. L'un est envoyé clans un pays étranger et barbare , à un roi furieux et insensé , l'autre est envoyé vers ses compatriotes, qui avaient souvent entendu les prophètes et reçu longtemps leurs instructions l'obéissance de l'un n'exigeait pas le même courage que celle de l'autre. Quelques-uns disent encore que ce fut une autre cause qui lui donna cette hardiesse. Comme il avait fait des aveux en son nom et au nom du peuple, et qu'un séraphin avait été envoyé vers lui pour purifier ses lèvres , il espérait que la même faveur serait accordée au peuple et qu'il serait député pour le lui annoncer: telle serait la raison pour laquelle il aurait montré tarit d'empressement. Si les saints aiment Dieu , ils sont aussi ceux qui aiment le plus les hommes. Aussi comme Isaïe espérait qu'il aurait à annoncer au peuple le pardon de ses péchés, il s'empressa de s'écrier: « Me voici : envoyez-moi. » D'ailleurs il avait une âme hardie contre le danger, c'est ce que nous montre tout son ministère. Comme, après sa promesse, il n'osait plus refuser, il reçut son triste message. Mais voyez avec quelle sagesse Dieu le manie ! Il ne lui dit pas dès l'abord : Va et dis, mais il le tient un instant en suspens avant de lui révéler quel ordre il va lui donner, quelle mission il doit lui confier. Puis, quand il le voit disposé à obéir, il lui déclare les maux qui vont foudre sur les Juifs. Quels sont-ils? « Va et dis à ce peuple: Vous entendrez et vous ne comprendrez pas; vous regarderez et vous ne verrez pas. Car le coeur de ce peuple est endurci, ses oreilles sont bouchées, et ses yeux fermés, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n'entendent, que leurs coeurs ne comprennent, qu'ils ne se convertissent (385) et que je ne les guérisse (9, 10).» Tout commentaire est inutile, puisque ce passage a eu des interprètes si éminents, je veux dire, Jean, le fils du tonnerre, et Paul,qui connaissait si bien l'Ancien et le Nouveau Testament. Celui-ci, s'adressant à Rome à des personnes qui l'avaient écouté, mais qui ne pouvant supporter sa doctrine s'étaient éloignées, leur disait : « Le Saint-Esprit a bien dit : Vous entendrez et ne comprendrez pas. » (Act. XXVIII, 23, 26.) Quant au fils du tonnerre, comme les Juifs- voyaient des miracles et ne croyaient pas, entendaient la doctrine et ne l'embrassaient pas, ils avaient vu Lazare ressuscité et ils voulaient, tuer le Christ qui l'avait rendu à la vie; Jésus avait chassé les démons et ils l'appelaient possédé du démon; il les avait offerts à son Père et ils l'appelaient séducteur; ils adoptaient à son sujet des opinions contraires à la vérité. Jean leur rappelait cette prophétie dans les termes suivants: « Le prophète Isaïe l'a bien dit: Vous entendrez et ne comprendrez pas; vous verrez et ne discernerez pas. » (Jean, XII, 38, 40.) 6. Comme en eux les yeux intérieurs de
l'âme étaient aveuglés, il ne leur servait de rien d'avoir les yeux du corps ouverts,
si leur jugement était corrompu. Voilà pourquoi ils entendaient sans comprendre et
voyaient sans discerner; et le Prophète en indique la cause qui résidait non dans la
corruption de leurs sens, ni dans la dépravation de leur nature, mais dans l'aveuglement
de leur coeur. « Le coeur de ce peuple est endurci ; » or cet endurcissement est causé
par les péchés et les passions. C'est de lui que saint Paul dit : « Je ne pouvais pas
vous parler comme à des hommes spirituels; vous n'auriez pas pu supporter ce langage et
vous ne le pouvez pas encore. » (I Cor. III, 1.) Et il en indique la cause en ces termes:
« Puisqu'il y a entre vous des procès, de la jalousie, des rivalités, « n'êtes-vous
pas des hommes charnels ? » (Ibid. 3.) Ceux-là aussi , aveuglés par la haine et
l'envie, en proie à mille autres passion,-, avaient comme perdu l'il de leur
intelligence et ne pouvaient plus avoir des choses une vue claire: aussi leurs pensées,
au sujet des choses qu'ils voyaient, s'éloignaient-elles de la vérité et se
contredisaient-elles. Le prophète, qui connaissait parfaitement leur état, découvrit
par avance la cause du mal. Mais voyez à qui sont confiées les deux prophéties! ce sont
les séraphins qui manifestent celle qui regarde l'Eg « Et je dis : Jusques à quand, Seigneur ? » Voyez-vous que nos conjectures étaient bien fondées, quand nous disions que le Prophète avait montré beaucoup d'empressement à obéir? Après avoir appris des choses fort contraires à celles qu'il attendait, je veux dire des fléaux, des désastres, il veut savoir jusqu'oit ira la punition; car il n'ose pas entreprendre de détourner d'eux toute la colère du Seigneur, parce que Dieu lui avait montré d'abord que leurs péchés ne méritaient pas de pardon. Leur crime, en effet, ce n'était ni le vol ni l'esprit de rapine, mais une désobéissance affectée, un esprit de contradiction qui s'opposait par système et de parti pris à ce que Dieu faisait. C'est ce que le Prophète indique en ces termes : « De peur que leurs yeux ne voient, que leur coeur ne comprenne, qu'ils ne se convertissent et que je ne les guérisse. » Comme s'ils craignaient, veut-il dire, d'apprendre ce qu'il faudrait savoir, ils ont mis tous leurs soins à aveugler leur intelligence. Comme le crime était grave et la punition inévitable, le Prophète désire apprendre ce qu'il en ignore encore; mais tout en voulant s'en instruire il supplie. Comme il n'osait pas faire voir manifestement qu'il suppliait, il imagine d'interroger sous prétexte d'apprendre : « Jusques à quand, Seigneur?» et il dit : «Jusqu'à ce que les villes soient désertes et privées d'habitants, jusqu'à ce que les maisons n'aient plus personne qui y demeure; et la terre sera déserte. Et ensuite Dieu bannira les hommes loin de leur pays, et ceux qui auront été laissés sur la terre se multiplieront: car il en demeurera un dixième. Et cette partie même sera frappée, et elle deviendra comme le fruit du térébinthe ou comme le gland sorti de son enveloppe, et la race qui en naîtra sera sainte (11-13). » Après cette prophétie, il revient de nouveau au récit, prédit la défaite des dix tribus, puis la patience dont Dieu, à cause de cette captivité, usera envers les deux tribus; puis comment ces dernières seront emmenées , à leur tour parce qu'elles n'auront (386) retiré de la patience céleste aucun profit, comment enfin leurs débris refleuriront. Lorsqu'il dit en effet « jusqu'à ce que leurs villes soient désertes et privées d'habitants, » il annonce la ruine des dix tribus. En effet tous, tous, je le répète, avaient disparu, et violemment enlevés, tous avaient été emmenés dans un pays étranger, de sorte que toutes les villes étaient désertes et que personne n'était plus là pour faire produire à la terre les fruits nécessaires à ceux qui étaient restés. En disant donc «jusqu'à ce que les villes soient désertes et privées d'habitants, jusqu'à ce que les maisons n'aient plus personne qui les habite, » il annonce la captivité. Et lorsqu'il dit: « Ensuite Dieu bannira tes hommes loin de leur pays,» il annonce ou un bonheur complet pour tous, ou la prospérité des deux tribus après le départ des dix autres. Et en effet, après avoir été délivrés de Sennachérib et de l'armée des barbares, après avoir obtenu cette victoire inespérée, ils virent leur nombre s'accroître prodigieusement, et leur vie se prolonger, parce qu'aucune guerre ne les troublait plus. Puis en disant « il s'éloigna, » il veut parler des hommes ou des armées. Et pour vous faire voir qu'il parle des deux tribus, il ajoute, « il en demeurera un dixième,» appelant dixième ce qui dépasse dix, ce qui est au-dessus de dix, c'est-à-dire les deux tribus. C'est ainsi que Paul dit « plus de cinq cents frères (I Cor. XV,10), » c'est-à-dire un nombre plus grand que cinq cents. « Et cette partie même sera frappée, et a elle deviendra comme le térébinthe, » cest-à-dire les deux tribus. « Ou comme le gland sorti de son enveloppe. » De même que ce fruit, une fois sorti de son enveloppe, est désagréable à voir, de même ils seront un objet de raillerie et de moquerie, lorsqu'ils seront bannis de leur ville et privés de leur gloire. « Et la race qui en naîtra sera sainte. » Ces maux, veut-il dire, ne seront ni sans guérison ni sans terme; leur race sera sainte et elle demeurera, c'est-à-dire elle sera ferme, fixe, immobile, et elle pourra attendre que la face des événements change. Il est vrai qu'ils perdront leur prospérité ; mais ils n'auront pas à subir les maux extrêmes ; ils demeureront et resteront jusqu'à ce qu'ils reviennent à leur première manière de vivre et à leur première sainteté.
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