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HOMÉLIE SUR CETTE PAROLE APOSTOLIQUE : SACHEZ QUE DANS LES DERNIERS JOURS IL Y AURA DES TEMPS REDOUTABLES. (II TIM. III, 1.)

 

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

 

Cette homélie tirée du manuscrit 559 de la bibliothèque du Vatican, paraîtra authentique à quiconque n'est pas étranger aux ouvrages de saint Jean Chrysostome. Le style, l'expression, les idées, tout a bien sa marque.

Il la prononça après avoir été retenu chez lui quelques jours par sa santé ; il n'était pas encore guéri que son amour pour les fidèles le ramenait déjà à l'église : il le dit lui-même au commencement et surtout à la fin de son discours. Comme il a été souvent malade, nous ne pouvons guère savoir à quelle époque il prononça ce discours, ni si ce fut à Antioche ou à Constantinople. Cependant le début même où il avoue combien il a peu l'expérience de la prédication semble indiquer que ce fut à Antioche.

 

1. Il remercie les fidèles de leur attention ; ils en seront récompensés par la vue des choses nuisibles.

2. En effet, les yeux de la foi voient les choses invisibles : exemple d'Abraham, exemple contraire aux Juifs !

3. Que faut-il donc voir dans le texte du jour? — Ces paroles prouvent d'abord la sollicitude de saint Paul et de tous les apôtres pour les hommes dans le présent et dans l'avenir.

4. Autre exemple de cette sollicitude chez saint Pierre.

5. Pourquoi saint Paul annonce-t-il ainsi à ses disciples, et sans préciser le temps, un danger futur ?

6. C'est afin que les hommes se tiennent toujours sur leurs gardes , mais en même temps pour ne pas les effrayer, il rappelle qu'après lui l'Esprit-Saint leur restera, et il les supplie de se souvenir de lui-même et de son exemple. — Le Christ avertit de même ses disciples de malheurs qui n'arriveront qu'après eux. — Il faut donc que l'homme se tienne toujours prêt à comparaître devant Dieu.

7. La faiblesse de la santé de Chrysostome l'oblige de se taire, mais il est heureux d'être revenu au milieu de son troupeau.

 

1. Je suis faible, et pauvre, et sans expérience de la parole ; mais quand je jette les yeux sur cette assemblée, j'oublie ma faiblesse, je ne cognais plus ma pauvreté, je n'ai plus conscience de mon incapacité, tant est grande la tyrannie de votre charité. Aussi ai-je plus d'empressement que ceux qui vivent dans l'abondance à vous offrir ma table frugale. C'est vous-mêmes qui m'inspirez cette libéralité, vous dont l'attention ardente réveille ceux qui se laissent aller, vous qui dévorez mes paroles et demeurez suspendus à mes lèvres. De même que les petits de l'hirondelle, lorsqu'ils voient leur mère voler vers eux, se penchent hors du nid et tendent leur cou, pour recevoir d'elle leur nourriture; de même, les yeux attachés sans cesse sur moi, tandis que je parle, vous recevez l'enseignement que vous apporte ma bouche, et avant même que les mots ne sortent de mes lèvres, votre pensée les saisit. Qui donc ne nous féliciterait, vous et moi, de ce que je parle « à des oreilles qui entendent ? » (Eccl. XXV, 12.) Le travail nous est commun, commune aussi sera la couronne, commun le (493) profit, commun le salaire. Le Christ a déclaré bienheureux ses disciples, en disant: « Bienheureux vos yeux, parce qu'ils voient, bienheureuses vos oreilles, parce qu'elles entendent. » (Matth. XIII , 16.) Permettez- moi d'user des mêmes termes, puisque vous montrez le même empressement : «Bienheureux vos yeux, parce qu'ils voient, bienheureuses vos oreilles, parce qu'elles entendent. » Que vos oreilles entendent, c'est chose évidente; mais que vos .yeux voient, comme voyaient les disciples du Christ, c'est ce que je vais m'efforcer de vous montrer, afin que vous ne soyez pas réduits à la moitié de leur béatitude, mais que vous l'ayez entière. Que voyaient donc les disciples? Des morts rappelés à la vie, des aveugles qui recouvraient la lumière, des lépreux purifiés, des démons chassés, des boiteux redressés, toutes les infirmités de la nature guéries. Tous ces miracles, vous les voyez aussi, sinon par les yeux du corps, au moins par ceux de la foi. Car, telle est la vertu des yeux de la foi : ils voient ce qui n'est pas visible, et ils se représentent ce qui n'est pas encore. Comment prouver que la foi est la vue et la révélation de ce qui n'est pas visible? Ecoutez les paroles de Paul : « La foi est le fondement des choses à espérer, la révélation de ce que l'on ne voit pas. » (Hébr. XI, 1.) Et regardez quelle merveille ! Les yeux du corps voient les choses visibles, mais non celles qui ne le sont pas; et les yeux de la foi, tout au contraire, voient ce qui n'est pas visible et non ce qui l'est. C'est ce que Paul a déclaré en ces termes : « Une tribulation momentanée et légère opère en nous au delà de toute mesure le poids éternel d'une sublime gloire parce que nous ne considérons point ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas. » (II Cor. IV, 17.) Et comment voir ce qui ne se voit pas? Comment, sinon par les yeux de la foi ? Il le dit ailleurs : « Par la foi nous comprenons l'enchaînement ces siècles. » (Hébr. XI, 3.) Comment? Car nous ne le voyons pas. « Parce que ce qui n'était pas visible nous apparaît. » Voulez-vous un autre témoignage encore, que les yeux de la foi voient ce qui est invisible? Paul écrivant aux Galates leur dit: « Vous dont les yeux ont vu Jésus-Christ crucifié au milieu de vous. » (Gal. III, 1.)

2. Que dites-vous, bienheureux Paul? Les Galates l'ont-ils vu crucifié en Galatie? Ne savons-nous pas tous que Jésus a souffert sa passion en Palestine, en pleine Judée? Comment donc les Galates l'ont-ils vu crucifié? Par les yeux de la foi et non  par ceux du corps. Voyez-vous que les yeux de la foi voient ce qui n'est pas visible? A une telle distance, après un si long temps, ils ont vu Jésus-Christ crucifié. C'est ainsi que volis aussi, vous voyez les morts rappelés à la vie, c'est ainsi que vous voyez aujourd'hui le lépreux guéri, et, le paralytique rétabli sur ses jambes , et plus clairement que les Juifs qui étaient là. Ils étaient présents, mais ils ne crurent pas au miracle; vous êtes éloignés, mais vous avez la foi. Aussi ai-je eu raison de vous dire : « Bienheureux vos yeux, parce qu'ils voient. »

Voulez-vous encore une autre preuve que les yeux de la foi voient ce qui est invisible et laissent échapper ce qui se voit? Car ils ne verraient pas les choses invisibles, s'ils ne se détournaient des autres :'écoutez Paul nous dire d'Abraham qu'il a vu par les yeux de la foi ce fils qui lui devait naître et qu'il en a reçu ainsi la promesse. Que dit l'Apôtre en effet? « Et il ne fut pas ébranlé dans sa foi et il ne songea pas à son corps frappé de mort. » (Rom. IV, 19.) Quelle foi puissante ! De même en effet que « les pensées des hommes sont timides et faibles (Sap. IX, 14) ; » de même la foi est forte et puissante. « Il ne songea pas à son corps frappé de mort. » Sentez-vous comme il se détourne des choses visibles? Comme il ne jette pas un regard sur sa vieillesse ! Et pourtant elle était sous ses yeux, mais il voyait par les yeux de la foi et non par ceux du corps. Aussi n'a-t-il pas vu sa vieillesse, ni le sein « de Sara frappé de mort. » (Rom. IV, 19.)

Il veut dire par là sa stérilité. Car il y avait en elle double impuissance, celle de l'âge et celle de la nature. Non-seulement l'âge avait rendu son corps inhabile à enfanter, mais son sein, l'organe où se fait le travail de la nature était mort, même avant la vieillesse, par stérilité. Voyez combien d'obstacles ! Vieillesse du mari, vieillesse de la femme; stérilité, empêchement plus grand encore que la vieillesse, car la stérilité interdit absolument d'être mère. Eh bien ! il ne s'est arrêté à rien de tout cela, il a levé vers le ciel les yeux de la foi, rassuré sur l'exécution de la promesse parla puissance de celui qui promettait. Aussi « n'eut-il pas de doute sur la promesse de Dieu, mais il (494) fut fortifié par la foi. » (Rom. IV, 20.) Oui, ta foi est un appui solide, un port sûr, ou l’âme, revenue des écarts du raisonnement, se repose en paix. « Bienheureux vos yeux, parce qu'ils voient; » car Il nous faut revenir encore à cette même parole. Les Juifs pourtant voyaient aussi ce qui se passait. Mais ce n'est , pas cette vision extérieure qui est proclamée bienheureuse, ce n'est pas elle qui par ses organes voit les miracles, mais la vision intérieure. Ils ne voyaient que ténèbres et ils disaient : « C'est lui, ce n'est pas lui ; appelons ses parents. » (Jean, IX, 8, 9, 18.) Entendez-vous leur incertitude? Voyez-vous qu'il ne suffit pas des yeux du corps pour voir les miracles? Ceux qui étaient près de lui et le regardaient de leurs yeux, disaient : « C'est lui, ce n'est pas lui, » et nous qui- sommes loin, nous ne disons pas : « C'est lui, ce n'est pas lui; » mais c'est lui-même. Comprenez-vous qu'être loin, n'y fait rien, quand on a les yeux de la foi et qu'être, près ne sert de rien, quand on ne les a pas? Qu'ont-ils gagné à voir? Rien. Car nous avons une vision plus claire que la leur.

Puis donc que vos yeux voient et que vos oreilles entendent comme ceux que le Christ a proclamés bienheureux, je veux vous présenter les perles précieuses de l'Ecriture. Car de même que le Christ, loin de répondre aux questions des Juifs augmenta encore leur ignorance, parce qu'ils ne comprenaient pas; de même, puisque vous comprenez, vous devez avoir l'explication de ces mystères. Les disciples s'approchaient étonnés et lui disaient : « Pourquoi leur parlez-vous en paraboles? » (Matth. XIII, 10, 13.) Et il leur répondit : « Parce qu'ils voient sans voir. » Vous qui tout au contraire sans avoir vu alors, voyez maintenant, il ne faut pas que je vous parle en paraboles; et il ajoutait : « Ils entendent sans entendre; » vous qui, sans avoir entendu alors, n'entendez pas moins aujourd'hui que vous n'auriez entendu au moment même, il ne faut pas que je vous prive de vous faire asseoir à cette table. Car le Christ n'a pas proclamé moins heureux ceux qui sont comme vous que les autres : « Tu as vu, dit-il, et, tu as cru; bienheureux ceux qui n'ont pas vu  et ont cru. » (Jean, XX, 29.) Ne soyez doue pas moins ardents au bien, pour n'avoir pas vécu alors, pour être venus au monde seulement aujourd'hui. Car si vous le voulez, vous n'en souffrirez pas, de même que beaucoup de ceux qui ont vécu au temps du Christ, parce qu'ils n'ont pas voulu , n'y ont rien gagné.

3. Qu'avons-nous donc lu aujourd'hui? « Sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. » C'est de la seconde épître à Timothée que sont tirées ces paroles. Terrible menace ! mais relevons la tête : il laisse entendre sans préciser et les temps on nous sommes, et les temps futurs, et les temps jusqu'à la consommation des siècles. « Sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. » Parole concise, et d'une grande force ! De même en effet que les aromates répandent leur parfum, non par leur masse, mais par leur vertu même : de même les saintes Ecritures nous sont utiles, non par l'abondance des paroles , mais par l'énergie du sens. L'essence même d'un aromate est son parfum : si vous en jetez une parcelle au feu, elle développe toutes ses enivrantes vertus; ainsi l'Ecriture sainte en elle-même est pleine de suavité : et quand elle descend dans notre âme, c'est comme si elle était jetée dans un vase à brûler les parfums elle en remplit tout le dedans d'une suave odeur.

« Or sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. » Il parle de la consommation des siècles. Que vous fait à vous, bienheureux Paul, la consommation des siècles, ainsi qu'à Timothée, et à veut qui vous entendent? Dans peu d'années ils doivent mourir, échapper aux dangers futurs et au contact des méchants. Je ne borne pas mes regards au présent, répond-il, je les étends jusque sur l'avenir. Je ne veille pas seulement sur le troupeau qui m'entoure; je, crains, je tremble aussi pour celui qui doit naître. Nous autres nous ne songeons guère qu'aux hommes qui vivent à nos côtés, mais lui , il porte sa sollicitude jusque sur ceux qui ne sont pas nés encore. Le bon pasteur n'attend pas de voir le loup attaquer ses brebis et se jeter sur elles, pour les avertir, mais il signale l'ennemi au loin. De même Paul, à l'exemple du bon pasteur, placé sur une hauteur, au rang des prophètes, et voyant de loin d'un regard prophétique les bêtes cruelles qui menacent le troupeau, prédit et prophétise leur attaque lors de la consommation des siècles, pour préparer ceux qui ne sont pas (495) nés encore à la vigilance, et mettre lotit le troupeau à l'abri par ses avertissements..Un père, dévoué aux siens, élève-t-il une maison, il la bâtit belle et grande, non pour ses fils seuls, riais pour leurs enfants et les enfants de leurs enfants. Ainsi- encore un roi entoure-t-il dé murailles une ville qu'il aime, il les fait solides et sûres, non pour garantir seulement la génération qu'il gouverne, mais pour protéger toutes celles qui doivent venir après; il les veut capables de résister non-seulement contre les entreprises du moment, mais contre les attaques futures. Ainsi a fait Paul. Comme les écrits des apôtres sont les remparts des Eglises, il met à l'abri derrière eux non-seulement ceux qui vivent de son temps, mais ceux qui doivent venir plus tard. Et il a formé une enceinte si solide, si inexpugnable, qui couvre et enferme si bien la terre entière, qu'elle défend et les hommes de son temps, et ceux qui ont suivi, et ceux d'aujourd'hui, et ceux qui suivent encore, contre tout assaut des ennemis. Telles sont , les âmes des saints : pleines de dévouement, de sollicitude, d'un amour qui dépasse les tendresses du sang, qui parle plus liant que les entrailles d'une mère : c'est l'amour inspiré par l'Esprit-Saint; parla grâce divine.

4. Voulez-vous que je vous montre encore autrement que les saints ne songent pas eux-mêmes, qu'ils ne s'inquiètent pas seulement de leurs frères vivants, mais aussi de ceux qui sont encore à naître? Jésus, nous dit l'Evangile, étant assis sur la montagne, ses disciples s'approchèrent de lui. Or- c'étaient des hommes déjà vieux et qui devaient bientôt quitter cette vie. Que lui demandent-ils donc? De quoi s'inquiètent-ils? Que craignent-ils? Sur quoi interrogent-ils leur maître? Sur ce qui devait arriver de leur vivant, ou peu après? Nullement. Ils négligent tout cela pour dire quoi? « Quel sera le signe de votre venue et de la consommation des siècles? » (Math. XXIV, 3.) Les voyez-vous eux aussi s'informant de la consommation des siècles, et se préoccupant des hommes qui vivront plus tard? C'est que les apôtres ne regardent pas ce qui les concerne, mais tous ensemble et chacun en particulier ce qui concerne les autres. Voyez Pierre, le maître du choeur apostolique, la voix des apôtres, le chef de cette famille, le souverain de toute la terre, le fondement de l'Eglise, l'ardent ami du Christ, lui à qui le Christ dit : « Pierre, m'aimes-tu plus que ceux-ci? » (Jean XXI, 2,»; et si je fais ainsi son éloge, c'est pour que vous voyiez qu'il aimait véritablement le Christ : et certes la plus grande preuve de l'amour qu'on a pour le Christ, c'est le soin qu'on prend de ses serviteurs; ce n'est pas moi qui le dis, c'est ce maître bien aimé : « Si tu m'aimes, lui dit-il, pais mes brebis. » Examinons s'il remplit son devoir de pasteur, s'il a soin des brebis, s'il les aime vraiment, s'il est dévoué au troupeau; pour apprendre de là s'il aime aussi le vrai pasteur car c'est le signe proclamé par Jésus même. Pierre donc, jetant tout ce qu'il avait, son filet, tous ses instruments de pêche et sa barque, abandonne la mer, son métier, sa. maison. Considérons non pas que tout cela était peu, mais que c'était tout ce qu'il avait, et louons son empressement. Car la veuve qui donna deux deniers, ne déposa pas un bien gros poids d'argent; mais elle montra un grand trésor de bonne volonté, de même que l'apôtre, au sein de la pauvreté, fit voir un grand trésor d'empressement. Ce que sont à d'autres des terres, des esclaves, des maisons, de l'or, tout cela, était pour lui dans son filet, dans la mer, dans son métier, dans sa barque. Ne cherchons donc pas s'il a peu abandonné, mais s'il a tout laissé. Ce que l'on demande, ce n'est pas de donner peu ou beaucoup, mais de ne pas offrir moins qu'on ne peut. Il a donc tout quitté, patrie, maison, amis,-famille, et jusqu'à sa tranquillité ; car il s'est ainsi aliéné le peuple juif : « Déjà, est-il dit, les Juifs s'étaient entendus pour que quiconque confesserait qu'il était le Christ, fût chassé de la Synagogue. » (Jean, IX, 22). Ce qui nous montre qu'il ne douta pas, qu'il n'hésita pas à espérer le royaume des cieux, mais qu'il crut pleinement, et sur l'évidence même des faits, et, avant l'évidence des faits, sur la parole du Sauveur, qui s'engageait à lui en assurer la possession. Comme Pierre lui avait dit

« Nous avons tout abandonné, et nous vous avons suivi ; » qu'aurons-nous? Le Christ lui répondit : « Vous siègerez sur douze trônes, jugeant les douze tribus d'Israël. » (Math. XIX, 27, 28.)

J'ai établi ce point, afin qu'au moment où je vous le montrerai, craignant pour les autres serviteurs; vous ne disiez pas qu'il craint pour (496) lui-même. Comment craindrait-il, quand Celui qui doit le couronner, a lui-même annoncé et la couronne et les récompenses? Hé bien ! ce Pierre, qui avait tout laissé, qui espérait fermement le royaume des cieux, un jour qu'un riche s'était approché et avait demandé au Christ: « Que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ? (Matth. XIX, 16) ; » et que le Christ lui avait répondu : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et suis-moi (Ibid. 21) ; » comme le Christ, voyant ce riche tout triste, disait à ses disciples: « Regardez comme il est difficile aux riches d'entrer dans le royaume des cieux; en vérité, en vérité je vous le dis, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'à. un riche de pénétrer dans le royaume de Dieu (Matth. XIX, 24) ; » Pierre, ce Pierre, dépouillé de tout, sûr d'avoir le royaume céleste, qui n'avait rien à craindre pour son propre salut, qui savait de source certaine quels honneurs lui étaient réservés là-haut, entendant ces mots dit: « Qui pourra se sauver? » (Ibid. 25.) Que crains-tu, ô bienheureux Pierre? Que redoutes-tu ? Pourquoi trembles-tu ? Tu as tout dépouillé, tu as tout abandonné ; c'est des riches que parle le Christ, ce sont eux qu'il accuse, et toi tu vis dans le dépouillement et la pauvreté. Mais ce n'est pas à moi que je songe, répond-il, c'est le salut des autres qui m'occupe. Voilà pourquoi, assuré pour lui-même, il s'inquiète des autres, demandant: « Qui pourra se sauver? »

.5. Vous voyez la sollicitude des apôtres. Et comme ils ne forment qu'un seul corps? Vous voyez comment Pierre craint et pour ceux qui vivent en même temps que lui , et pour ceux qui sont à naître? Il en est de même de Paul. Aussi a-t-il dit : « Sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. » Il y revient encore ailleurs. Sur le point de quitter l'Asie, pour être transporté à Rome , et de là monter aux cieux (car la mort des saints n'est pas une mort mais une migration de la terre au ciel, d'un séjour moins bon à un séjour meilleur, c’est l'échange de compagnon d'esclavage contre le Seigneur, de la société des hommes contre celle des anges), comme il allait partir vers Dieu le souverain Maître, il règle avec soin toutes ses affaires. En effet tout le temps qu'il fut avec ses disciples, il leur distribua l'instruction avec le plus grand zèle; aussi déclare-t-il : « Je suis pur du sang de tous (Act. XX, 26) ; » je n'ai rien négligé de ce. que je devais leur apprendre pour leur salut. Mais quoi? après s'être mis en sûreté lui-même, puisque Dieu ne devait l'accuser sur rien de ce qui se rapportait au temps de sa vie, a-t-il donc négligé les âmes qui devaient venir plus tard? Nullement; mais comme s'il avait à rendre compte aussi de celle-là, il a eu soin de leur adresser les paroles que nous avons lues, et celles que nous allons lire: « Veillez, » dit-il , « sur vous-mêmes et sur tout le troupeau. » (Act. XX, 28.) Voyez-vous de quelle sollicitude il était travaillé pour tous? Chacun de nous s'inquiète de sa propre personne, mais lui, le chef, il s'inquiète de tous. Aussi dit-il de ceux qui sont chargés d'enseigner: « Ceux qui veillent sur nos âmes, comme s'ils avaient à en rendre compte. » (Héb. XIII, 17.) Redoutable jugement en vérité, quand il faut rendre compte d'un si grand peuple ! Mais comme je vous le disais, il les appelle et leur dit : « Veillez sur vous-mêmes et sur tout le « troupeau, dont l'Esprit-Saint vous a faits pas« leurs et gardiens. » ( Act. XX, 28.) Qu'est-il arrivé ? Pourquoi ces exhortations ? Quel danger .prévois-tu? Quelle épreuve devines-tu? Quel péril, quelle calamité , quelle guerre? Réponds : car tu es placé plus haut que nous: et tu ne vois pas seulement le présent, mais aussi l'avenir. Dis-nous donc pourquoi ces avertissements, ces recommandations? « Je sais, dit-il, qu'après mon départ des loups redoutables se jetteront au milieu du troupeau. » Voyez-vous ce que je disais, qu'il ne craint pas et ne tremble pas seulement pour son temps, mais aussi pour les temps qui suivront son départ? « Des loups se jetteront, » dit-il, et non pas simplement des loups , mais « des loups redoutables qui n'épargneront pas le troupeau. » Ainsi double danger : l'absence de Paul, et l'attaque des loups; le maître ne sera plus là, et les ennemis surviendront. Et examinez la cruauté de ces bêtes sauvages, et la malice des méchants ! ils ont guetté l'absence du maître, et alors ils se sont jetés sur le troupeau. Hé quoi ? nous abandonnes-tu sans chef et sans protecteurs; te bornes-tu à annoncer les dangers, sans nous adresser la moindre exhortation? Mais si tu agis ainsi, tu vas augmenter l'effroi, abattre les âmes de ceux qui t'entendent, les énerver, les paralyser. Aussi leur a-t-il d'abord rappelé l'Esprit-Saint à la pensée : « Dont l'Esprit-Saint vous a faits pasteurs et (497) gardiens. » C'est-à-dire, si Paul vous quitte, l'Esprit-Saint vous reste. Voyez-vous comme il a relevé leur âme, en leur rappelant ce Maître divin, qui lui donnait à lui-même la force? Pourquoi donc les a-t-il effrayés ? Pour chasser l'indolence. Qui donne un conseil a deux devoirs à remplir : ne pas laisser une confiance trop grande qui mènerait à l'indolence; ne pas se borner non plus à effrayer, de crainte de pousser au découragement; donc en leur rappelant l'Esprit-Saint, il a chassé le découragement , et en leur parlant des loups , l'indolence. « Des loups redoutables, qui n'épargneront pas le troupeau. Veillez sur vous-même. Je ne vous ai rien caché, »dit-il: souvenez-vous de moi. Il suffit en effet de se souvenir de Paul pour reprendre courage. Et encore il ne parle pas de se souvenir de lui seulement, mais plutôt de ses actions. Et la preuve qu'il ne s'agit pas simplement de lui , mais qu'il veut les exciter par ce souvenir à l'imiter, c'est qu'il dit à tous ceux qui pourront l'entendre : « Souvenez-vous de moi, qui trois jours et trois nuits n'ai cessé de pleurer et de gémir pour avertir chacun de vous. » (Act. XX, 31.) Je ne veux pas que vous vous souveniez seulement de moi , mais aussi du temps, et de rues conseils, et de mon dévouement, et de mes larmes , et de tous mes gémissements; de même que les parents des malades , quand après de longs efforts ils ne peuvent leur persuader de prendre les aliments et les remèdes convenables à leur santé, se mettent à pleurer pour les toucher davantage ; ainsi fait Paul avec ses disciples: quand il voit ses paroles et l'enseignement impuissant, il a recours aux larmes pour remède.

6. Quel homme ne serait touché de voir Paul pleurer et gémir, fût-il plus insensible que les pierres? Voyez-vous comme là encore il prédit ce qui doit arriver? C'est ce qu'il fait aussi en disant: «Sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. » Pourquoi donc s'adresse-t-il à Timothée, au lieu de dire : « Que ceux qui doivent venir sachent qu'il y aura des temps redoutables ? » Sache, dit-il, sache toi-même, et il le dit pour lui apprendre que le disciple comme le maître doit s'inquiéter de l'avenir. Autrement, il ne lui aurait pas imposé une sollicitude semblable à la sienne. Ainsi fait également le Christ. Quand les disciples se sont approchés pour s'informer de la consommation des siècles, il leur dit : «Vous entendrez parler de guerres.» (Matth. XXIV, 6.) Or ils ne devaient pas eux-mêmes en entendre parler. C'est que les fidèles ne forment qu'un même corps. Et de même que les hommes de son temps entendaient ce qui ne devait être que plus tard, de même nous aussi nous apprenons ce qui a été en ce temps-là. Comme je vous le disais, en effet, nous ne formons qu'un même corps, eux et nous, étroitement liés les uns aux autres, quoique nous occupions l'extrémité des membres; et ce corps n'est divisé ni par le temps, ni par ;l'espace; car nous sommes unis, non par les ligaments des nerfs, mais par les liens de la charité qui nous enserrent de toutes parts. Aussi leur parle-t-il de nous, et nous-mêmes pouvons-nous entendre ce qui les regarde.

Il est utile de rechercher encore pourquoi, en toutes circonstances, l'Apôtre parle de malheurs terribles qui doivent s'accumuler vers la fin de cette vie présente. Ailleurs, en effet, il dit: «Dans les derniers jours quelques-uns renonceront à la foi (I Tim. IV, 1),» et ici il dit encore : «Dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. » Et le Christ , d'accord « avec ces prédictions, disait : « A la consommation des siècles vous entendrez parler de guerres, et de bruits de guerres, et de famines et de pestes.» (Matth. XXIV, 6, 7.) Pourquoi donc à la consommation des siècles ce concours de tant de calamités épouvantables? Certains disent que la création, fatiguée, épuisée, de même qu'un corps vieilli contracte une foule de maladies, dans sa vieillesse, elle aussi se chargera d'une foule de misères. Mais le corps, c'est en vertu de son infirmité naturelle, des lois de sa nature, qu'il arrive à la caducité. Les pestes, au contraire, les guerres, les tremblements de terre, ne viennent pas de la vieillesse de la création. Non, ce n'est pas à la vieillesse des choses créées qu'il faut attribuer ces maux, «famines, pestes, tremblements de terre, en certaines régions; » mais à la corruption qui doit envahir les âmes des hommes; car ce sont tous châtiments du péché, et moyens de remédier aux iniquités humaines. Car les iniquités humaines grandissent alors. Et pourquoi grandissent-elles, me dites-vous? C'est, à ce qu'il me semble, que le jugement tarde, que la vérification est reculée, que le Juge se fait attendre, et qu'alors ceux qui ont à rendre leurs comptes se relâchent. Ainsi du mauvais (498) serviteur, qui, comme le dit le Christ, devint moins vigilant. Mon maître ne vient pas, se dit-il, et sous ce prétexte il battait les autres serviteurs, et dissipait la fortune de son maître. Aussi le Christ, quand les disciples le vinrent trouver et voulurent savoir le jour de la consommation, ne le leur dit-il pas, pour que l'incertitude de l'avenir nous tînt toujours en émoi : de la sorte chacun de nous, sans cesse songeant à l'avenir et vivant dans l'attente de la venue du Christ, aurait plus de zèle. Ecoutez cet avertissement: « Ne remets  pas à te tourner vers le Seigneur, et n'attends pas de jour en jour, de peur d'être brisé au milieu de tes lenteurs. » (Eccli. V, 8, 9.) C'est-à-dire le jour de la mort est incertain, et il l'est, pour que toujours tu te tiennes en éveil. Le jour du Seigneur arrivera, comme un voleur de nuit, non pour dérober, mais pour assurer notre salut. Car celui qui s'attend à la venue d'un voleur, ne cesse de veiller, et allumant un flambeau, il reste debout toute la nuit. Ainsi vous-mêmes, ayant allumé le flambeau de la foi et de la sagesse, entretenez la lumière de vos lampes, dans une veille continue. Puisque nous ne savons quand doit venir l'époux, il faut être toujours prêts, afin qu'à son arrivée il nous trouve veillants.

7. Je voulais vous parler plus longuement; mais à peine la faiblesse de ma santé m'a-t-elle permis d'arriver jusqu'ici, après m'avoir si longtemps séparé de vous. Oui, le temps m'a paru long, non par le nombre des jours, mais à la mesure de mon affection. Pour ceux qui aiment, le plus court instant de séparation paraît un siècle. Aussi saint Paul, après avoir été séparé quelques jours des fidèles de Thessalonique, leur dit-il: « Privé de vous, mes frères, pour un instant, j'ai eu d'autant plus de hâte de voir en face et non plus de coeur votre visage. » Saint Paul, le plus sage des hommes, ne pouvait supporter l'absence un instant, comment la supporterons-nous tant de jours ? Il (1) [ne l'a pu supporter un instant; et moi ne pouvant plus longtemps supporter une absence de tant de jours], encore tout malade, je suis accouru à vous, persuadé que je trouverais le remède le plus efficace dans votre vue, mes frères bien-aimés. Oui, jouir de votre affection, voilà qui m'est meilleur que les soins des médecins, plus salutaire que tous leurs secours: puissé-je jouir longtemps de ce bonheur, par les prières et l'intercession de tous les saints, pour la gloire de Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui et avec qui gloire, honneur, puissance, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

1 Les mots renfermés entre crochets ne sont pas dans le texte grec ; ils ont été rétablis par conjecture dans la traduction latine.

 

 

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