PÉNITENCE III

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HOMÉLIES SUR LA PÉNITENCE

 

TROISIÈME HOMÉLIE. De l'aumône et des vierges.

 

ANALYSE.

 

1° Résumé du sermon précédent : on y a vu trois voies de pénitence , ce discours va en montrer une quatrième : l'aumône. — 2° Explication de la parabole des dix vierges. — Sans l'huile de la charité la virginité ne peut ouvrir le ciel. — 3° Puissance (le l'aumône, elie protégera au jour du jugement ceux qui l'auront pratiquée. — Continuation de la parabole des dix vierges. — Difficulté de la virginité inconnue des anciens, et qui n'a paru sur la terre que depuis que la fleur de la virginité a fleuri. — 4° Récapitulation, exhortation.

 

1. Savez-vous le point de départ de notre dernier discours et sa conclusion; savez-vous de quel sujet à quel autre les paroles de la précédente homélie ont passé? Je crois que vous l'avez oublié; et je ne vous en accuse ni ne vous en blâme : moi, je m'en souviens. Chacun de vous a femme et enfants, chacun de vous a le souci de, foutes les affaires domestiques; les uns sont occupés à l'armée, les autres sont artisans, tous sont absorbés par (285) des emplois divers. Mais nous, c'est à la parole divine que nous donnons nos soins, à elle que nous pensons, à elle que nous consacrons notre temps. Aussi, n'êtes-vous pas à censurer, mais plutôt à louer pour votre zèle, car vous ne nous avez pas abandonné un seul dimanche; laissant tout de côté, vous accourez à l'église en ce jour. La plus belle gloire de notre cité ne consiste pas à avoir des marchés et des faubourgs, des palais dorés et des salles de festin, mais à avoir une population zélée et active. L'arbre généreux se connaît non pas aux feuilles, mais aux fruits. Nous l'emportons sur les animaux irraisonnables précisément parce que nous avons la parole, que nous communiquons par la parole, que nous aimons la parole. L'homme qui n'aime pas la parole a moins de sens que les bêtes de somme, puisqu'il ne sait pas pourquoi il est honoré, pourquoi il mérite de l'être. Le Prophète a sagement dit : L'homme qui était élevé en honneur, n'a pas compris; il a été comparé aux animaux, il est devenu semblable à eux. (Psal. XLVIII, 13.) O homme, toi qui possèdes le privilège de la parole., tu n'aimes pas la parole ! Quelle sera, dis-moi, ton excuse?Aussi, m'êtes-vous plus intimement chers que tout au monde, vous qui accourez à la parole de la vertu, vous qui mettez au-dessus de toutes vos affections la parole divine ! — Mais allons, entreprenons notre sujet, développons la suite de ce que nous avons récemment expliqué : je suis votre débiteur et je paie une dette avec joie; ce payement, loin de m'apporter l'indigence, augmente ma richesse. Dans les affaires temporelles, le débiteur fuit son créancier pour éviter de payer; moi au contraire, je vous poursuis pour vous payer et je fais bien. : dans les affaires temporelles, s'acquitter c'est s'appauvrir, tandis que dans la dispensation de la parole, s'acquitter c'est s'enrichir. Je cite un exemple: je dois une somme à un créancier; si je la verse en payement, elle ne peut être en même temps entre ses mains et entre les miennes; elle me quitte pour lui appartenir; si au contraire je répands la parole de Dieu, elle me reste et elle devient le partage de tous ; si je la retiens, si je ne la communique pas, c'est alors que je suis pauvre; mais si j'en fais largesse, c'est alors que je m'enrichis. Quand je ne distribue pas la parole, je suis seul riche; quand je la communique, j'en retire avec vous tous le profit.

Eh bien ! payons donc notre dette ! mais quelle est-elle? Nous entreprenions dernièrement un sermon sur la pénitence et nous disions que les voies en sont nombreuses et variées pour nous rendre le salut facile. Si Dieu ne nous eût donné qu'une seule voie de pénitence nous l'eussions refusée en disant : Nous ne pouvons pas la suivre, nous ne pouvons pas nous sauver ! Mais voici que nous coupons cette objection par le pied ! Ce n'est pas une voie de pénitence que Dieu vous donne, ni deux, ni trois; c'en est une foule et très-diverse, afin que leur multitude vous rende aisée votre ascension vers le ciel. Nous disions que la pénitence est facile, qu'elle n'impose pas un lourd fardeau. Etes-vous pécheur? Entrez à l'église et dites : j'ai péché, votre péché est remis. Nous avons apporté l'exemple de David, qui, après avoir commis un péché, en brisa ainsi le lien. Puis, nous avons établi la deuxième voie de pénitence : pleurer sur le péché; nous avons dit : quelle grande difficulté y a-t-il en cela? Il ne s'agit ni de débourser de grandes sommes, ni de faire à pied une longue route, ni d'accomplir rien de pareil, mais seulement de pleurer sur le péché commis; nous avons déduit cette conclusion de l'Écriture qui nous nous montre Dieu changeant ses desseins sur Achab, parce que celui-ci pleura et gémit ; le Seigneur lui-même s'en expliqua à Elie : As-tu vu comment Achab est venu à moi dans les pleurs et les gémissements? Je n'agirai pas selon ma colère. (III Rois. XXI, 29.) Enfin nous avons touché la troisième voie de pénitence, nous avons cité, d'après l'Écriture, le pharisien et le publicain : le pharisien, vaniteusement fanfaron, perd la justification; le publicain, rempli d'humbles sentiments, en recueille au contraire tous les fruits, et, sans accomplir aucune oeuvre laborieuse, il se justifie : il donne des paroles, il gagne des réalités. Maintenant, poursuivons la suite de notre sujet, ouvrons la quatrième voie de pénitence. Quelle est-elle? C'est l'aumône, cette reine des vertus, cette excellente patronne, qui élève rapidement les hommes jusqu'aux voûtes des cieux. C'est une grande chose que l'aumône; aussi Salomon criait-il : Grand est l'homme, vénérable est l'homme miséricordieux! (Prov. XX, 6.) L'aumône a des ailes puissantes : elle fend l'air, dépasse la lune, s'élance plus loin que les rayons du soleil, pénètre jusqu'aux sommets du ciel. Elle ne s'arrête pas encore là; elle franchit les cieux eux-mêmes, elle laisse en arrière (286) les troupes angéliques, les choeurs des archanges et toutes les puissances supérieures; elle se présente au trône même du Roi éternel. Voilà ce que vous apprend l'Écriture, quand elle dit : Corneille, tes aumônes sont montées en la présence de Dieu. (Act. X, 4.) Ce mot en la. présence de Dieu signifie ceci : lors même que tu aurais des péchés en foule, ne crains rien si tu as l'aumône pour avocate. Aucune des puissances d'en-haut ne lui résiste; elle réclame la dette, tenant en main son droit écrit : c'est la parole du Maître en personne : Celui qui a fait du bien au plus humble de ceux-ci, c'est à moi-même qu'il l'a fait. (Matt. XXV, 40.) Ainsi donc, votre aumône aura plus de poids que tous vos péchés ensemble, quelque nombreux qu'ils soient.

2. N'avez-vous pas compris dans 1'Evangile la parabole des dix vierges ? elles gardèrent la virginité; mais, comme elles n'avaient pas l'aumône, elles furent exclues des noces de l'Époux. Il était dix vierges, cinq folles et cinq sages. (Matt. XXV, 2.) Les sages avaient une provision d'huile; les folles n'en avaient pas et laissaient leurs lampes s'éteindre. Les folles allèrent trouver les sages et leur dirent : Donnez-nous de l'huile de vos vases. J'ai honte et confusion, je pleure d'entendre une vierge appelée folle ; je rougis quand ces mots accouplés frappent mon oreille ! Après avoir pratiqué une vertu si belle, après avoir tant combattu pour la conservation de la virginité, après avoir élevé leur corps à une céleste sublimité, après avoir rivalisé avec les esprits angéliques, après avoir surmonté la fièvre ardente, la flamme de la volupté, elles sont appelées folles et folles à bon droit; puisque, après avoir accompli la grande oeuvre, elles échouent dans un détail. Et les folles s'approchant des sages, leur dirent : Donnez-nous de l'huile de vos vases. Celles-ci répondirent : Nous ne pouvons vous en donner, de peur qu'il n'y en ait point assez pour nous et pour vous. (Matt. XXV, 8.) Ce n'était ni la dureté de coeur, ni la méchanceté qui les faisait agir de la sorte, mais l'embarras du moment l'Époux était sur le point d'arriver. Elles avaient toutes leurs lampes; mais les unes avaient réservé l'huile, et les autres non.

Or, la flamme représente la virginité, et l'huile l'aumône; de même que la flamme s'éteint si elle n'est alimentée par l'huile; ainsi périt la virginité si elle ne se soutient par l'aumône. Donnez-nous de l'huile de vos vases, disent les unes. Nous ne pouvons vous en donner, répondent les autres. Cette parole ne vient pas d'un mauvais sentiment, mais d'une crainte prudente : il n'y en aurait peut-être pas assez pour nous et pour vous; nous avons peur qu'en cherchant toutes à entrer, nous ne soyons toutes laissées dehors; mais retournez sur vos pas et achetez-en auprès des marchands. Quels sont les marchands de cette huile? Ce sont les pauvres, assis aux portes de l'église pour recevoir l'aumône. Et combien paie-t-on? Ce qu'on veut ! Je ne fixe pas de prix, afin que vous ne fassiez pas objection de votre indigence. Achetez pour ce que vous avez. Avez-vous une obole? Achetez le ciel, non pas que le ciel se vende à vil prix, mais parce que Dieu est doux aux hommes. N'avez-vous pas même une obole? Donnez un verre d'eau : Celui qui donnera à cause de moi un verre d'eau froide à quelqu'un de ces petits, celui-là ne perdra pas sa récompense. (Matth. X, 42.) Le ciel est un négoce, une affaire à traiter : et nous perdons notre temps ! Donnez un morceau de pain et recevez le paradis; donnez peu et recevez beaucoup; donnez ce qui meurt et recevez ce qui est immortel; donnez le corruptible et recevez l'incorruptible. S'il y avait grande foire, amenant ensemble l'abondance et le bas prix des denrées, de telle sorte que tout se vendît presque rien, est-ce que vous ne mettriez pas vos propriétés à l'encan? est-ce que vous ne laisseriez pas tout de côté pour vous rendre maître de ce coup de commerce? Là où ne sont que des biens périssables, vous déployez tant d'énergie; et là où se traite une affaire d'éternité, serez-vous si lâche et si indifférent? — Donnez au pauvre, afin que, si vous êtes vous-même obligé de vous taire, des milliers de voix puissent répondre pour vous, lorsque votre aumône s'élèvera et plaidera votre cause : l'aumône est la rançon de l'âme. Aussi, de même qu'aux portes de l'église sont placés des vases pleins d'eau dans lesquels vous lavez les mains de votre corps, de même à vos portes sont assis les pauvres qui vous offrent à purifier les mains de votre âme. Avez-vous lavé dans l'eau vos mains corporelles? lavez dans l'aumône vos mains spirituelles ! Ne prétextez pas la pauvreté: la veuve donnait à Elie l'hospitalité au sein d'une extrême indigence, et, loin de s'en faire une excuse, elle accueillit le prophète avec une (287) grande joie (III Rois. XVII) ; aussi recueillit-elle une récolte digne de sa vertu, elle moissonna l'épi de son aumône. Mais quelqu'un de mes auditeurs dira peut-être : Amenez-moi aussi un Elie ! —  Que parlez-vous d'Elie ? C'est le maître d'Elie que je vous amène, et vous ne le nourrissez pas ! Comment donc recevriez-vous Elie, si vous le rencontriez? Voici la sentence du Christ, du Maître universel : Quiconque fera du bien à l'un de ces petits, c'est â moi qu'il le fera. (Matth. XXV, 40.) Si le roi invitait un homme à sa table et disait à ses serviteurs assemblés : Rendez en mon nom de grandes actions de grâces à cet homme; il m'a nourri et logé sous son toit dans ma détresse; il m'a comblé de nombreux bienfaits dans le temps de mes infortunes, est-ce que chacun ne sacrifierait pas tout son avoir en faveur de cet homme auquel le roi voudrait témoigner sa reconnaissance? est-ce que chacun ne ferait pas son éloge? Est-ce que chacun ne s'empresserait pas de se recommander à lui et de rechercher son amitié?

3. Cette seule parole ferait la gloire et le bonheur de celui en faveur de qui elle serait dite, et ce n'est que la parole d'un homme; essayez d'après cela de vous représenter le Christ en ce grand jour où il fera, en présence de ses anges et de toutes les puissances célestes, l'appel de ses créatures et dira : Celui-ci sur la terre m'a donné l'hospitalité ; celui-ci m'a prodigué mille bienfaits; celui-ci m'a recueilli dans mon exil quand j'étais étranger, imaginez ensuite la sainte confiance du juste au milieu des anges, son bonheur au milieu du peuple céleste ! Celui de qui le Christ rend témoignage, pourrait-il ne pas jouir d'un crédit supérieur à celui des anges mêmes ? L'aumône est donc une grande chose, mes frères ! Embrassons-la comme l'oeuvre sans pareille ! Elle est assez puissante pour effacer tous les péchés et pour écarter de vous le jugement : devant le juge vous vous taisez, et elle se tient à côté de vous et plaide votre cause; bien plus, vous vous taisez, et elle fait retentir ses mille et mille voix qui vous bénissent. Donnez selon la mesure de votre pouvoir, donnez du pain; si vous n'avez pas de pain, donnez une obole; si vous n'avez pas une obole, donnez un verre d'eau seulement; si vous n'avez pas même cela, compatissez aux misères d'autrui, et vous gagnez la récompense. La récompense appartient, non pas à l'action faite par contrainte, mais à la bonne volonté. Tandis que nous discourons sur ce point, la pensée des dix vierges nous échappe : revenons à notre sujet : Donnez-nous de l'huile de vos lampes. — Nous ne pouvons vous en donner, nous craignons qu'il n'y en ait pas assez pour vous et pour nous; mais retournez sur vos pas et achetez-en auprès des marchands. — Les vierges folles étaient parties pour faire leur emplette, l'époux arriva ; les vierges qui avaient leurs lampes allumées entrèrent avec lui et la porte de la chambre nuptiale fut fermée. (Matth. XXV, 10.) Les cinq folles arrivèrent aussi et frappèrent à la porte en criant : ouvrez-nous; mais l'époux leur répondit de l'intérieur : retirez-vous : je ne vous connais pas! Après tant de peine qu'elles avaient prise, qu'entendirent-elles ? Je ne vous connais pas, c'est-à-dire, comme je l'ai énoncé plus haut, qu'elles possédèrent vainement et inutilement le riche trésor de la virginité.

Examinez après quels travaux accomplis elles se virent exclues ! C'est après avoir réfréné l'incontinence, après avoir lutté d'émulation avec les vertus d'en-haut, après avoir dédaigné les choses de ce monde, après avoir enduré de terribles feux, après avoir franchi mille obstacles, après avoir pris leur essor de la terre vers le ciel, après avoir conservé intact le sceau de leur corps, après avoir acquis le grand honneur de la chasteté , après avoir rivalisé avec les anges, après avoir foulé aux pieds les nécessités corporelles, après avoir mis la nature en oubli, après avoir accompli dans leur corps matériel ce qui fait le privilège des esprits immatériels, après avoir conquis la possession inexpugnable de cette belle virginité, après tout cela, elles entendirent : Eloignez-vous de moi ; je ne vous connais pas. Et n'allez pas vous imaginer que ce soit une petite grandeur que celle de la virginité ! La virginité est telle que pas un des anciens n'a pu la conserver. Nous devons à une grâce exceptionnelle que les choses qui furent si redoutables aux prophètes et aux anciens justes sont devenues maintenant aisées et faciles. Quelles étaient ces choses si lourdes et si dures ? La virginité et le mépris de la mort: mais aujourd'hui de simples jeunes filles mêmes ne s'en font nulle frayeur. La possession de la virginité était autrefois tellement difficile que personne parmi les anciens n'eut la force de s'y exercer. Noë fut juste et sa vertu fut attestée de Dieu; mais il eut (288) commerce avec une femme. Abraham et Isaac furent aussi, comme lui, les héritiers de la promesse; mais ils eurent commerce avec une femme. Joseph le chaste refusa énergiquement de commettre le crime de l'adultère; mais il eut, lui aussi, commerce avec une femme. C'est qu'alors la profession de virginité était une lourde charge : la virginité n'est devenue robuste que depuis que la fleur de la virginité a germé. Aucun des anciens n'a donc pu la pratiquer, parce que c'est une grande affaire que de dompter le corps. Tracez-moi le portrait de la virginité et vous apprendrez la grandeur de cette vertu : elle a encore à soutenir chaque jour et de tous côtés une guerre qui ne peut lui laisser repos ni trêve, une guerre pire que celle des barbares. Les barbares en effet gardent des instants de relâche par suite des traités tantôt ils se lancent au combat et tantôt ils s'arrêtent; ils observent un certain ordre, ils respectent certains temps ; mais la guerre contre la virginité n'a jamais de suspension d'armes. Celui qui pousse cette guerre est le démon qui ne sait pas épier patiemment l'occasion d'entrer en campagne, qui n'attend pas de renforts pour engager la lutte; il est toujours debout cherchant à surprendre la vierge au dépourvu pour la frapper d'un coup mortel: la vierge ne peut jamais cesser la bataille, elle porte partout avec elle le combat et l'ennemi. Les condamnés eux-mêmes, après avoir comparu sous les yeux du juge au temps nécessaire, ne sont pas tourmentés de cette sorte ; mais la vierge, en quelque lieu qu'elle aille, conduit avec elle son juge et traîne son adversaire qui ne lui donne de repos ni le soir ni la nuit, ni à l'aurore ni en plein jour, qui l'attaque partout, en lui suggérant des images voluptueuses, en lui mettant le mariage en tête afin de chasser de son coeur la vertu et d'y faire naître le péché, afin d'en arracher la continence et d'y semer l'impureté. A chaque heure il met le feu à ce foyer de la volupté qui brûle si agréablement. Imaginez donc quel est le labeur de cette entreprise ! Et pourtant, malgré tout cela, les vierges folles entendirent cette parole : Eloignez-vous de moi, je ne vous connais pas!

Voyez combien c'est une grande chose que la virginité : quand elle a l'aumône pour soeur, aucun obstacle ne lui résiste, elle est supérieure à tout. C'est pourquoi, si les cinq folles n'entrèrent point en la chambre nuptiale, c'est qu'elles n'eurent pas l'aumône avec la virginité. Quelle honte ! Elles ont vaincu la volupté et n'ont pas méprisé l'argent; vierges, elles ont renoncé à la vie, et crucifiées, elles ont aimé les biens de la vie. Plût à Dieu que vous eussiez souhaité un mari ! votre faute eût été moindre; vos désirs eussent eu pour objet ce qui est de même nature que vous, tandis que présentement votre culpabilité est plus grave, parce que vous avez désiré ce qui est d'une nature étrangère. Que celles qui se trouvent soumises à un mari se montrent inhumaines et dures, soit; elles ont leurs enfants pour prétexte. Si vous dites à l'une d'elles donne-moi l'aumône, elle répond : j'ai des enfants : je ne peux pas. Si Dieu t'a donné des enfants, s'il t'a fait recueillir le fruit de tes entrailles, ce fut pour te rendre humaine et charitable, et non pas dure et impitoyable : ne change donc pas une cause de douceur en motif de dureté. Veux-tu laisser à tes enfants un bel héritage ? Laisse-leur l'aumône, afin que tous célèbrent ta louange, afin que tu lègues un souvenir illustre. — Mais toi qui n'as pas d'enfants, toi qui es crucifiée à cette vie, pourquoi amasses-tu les biens de cette vie ?

4. Notre discours s'est animé ut sur le sujet de la pénitence, et sur celui de l'aumône. Nous avons dit que l'aumône est une magnifique possession; puis la question de la virginité, vaste comme l'Océan, s'est ouverte à nous. Vous avez donc pour première et grande voie de pénitence l'aumône, assez puissante pour rompre la chaîne de vos péchés; vous en avez une autre par laquelle vous pourrez vous affranchir du péché. Priez à chaque instant; mais priez sans défaillir, implorez la clémence divine sans lâcheté : Dieu ne résistera pas à votre persévérance, il vous fera remise de vos fautes, il vous accordera ce que vous demanderez. Si vous êtes exaucé pendant que vous priez, persistez dans la prière pour rendre grâces ; si vous n'êtes pas exaucé, persistez encore pour obtenir de l'être. Ne dites pas : J'ai beaucoup prié et je n'ai pas été exaucé : c'est souvent pour votre propre utilité qu'il en arrive ainsi. Dieu sait que vous êtes paresseux et facile au découragement et que, vu besoins une fois satisfaits, vous vous retirez et cessez votre prière : il vous ajourne, il fait de vos besoins un moyen de vous obliger à vous adresser à lui plus assidûment et à le prier, avec ferveur. En effet si, pressé par la nécessité, et l'indigence, vous êtes lâche, vous n'avez (289) aucune application à la prière, que seriez-vous si vous n'aviez besoin de rien? C'est donc pour votre avantage que Dieu agit de la sorte il veut que vous ne laissiez pas la prière de côté. Persévérez donc, ne faiblissez pas : la prière peut obtenir beaucoup, mes amis; mais ne l'entreprenez pas comme une affaire de petite importance. Que la prière remette les péchés, apprenez-le des divins Evangiles eux-mêmes. Que disent-ils? Le royaume des cieux ressemble à un homme qui vient de fermer sa porte et d'aller à son repos avec ses serviteurs, lorsque arrive, à la nuit, un voisin qui réclame du pain et qui heurte en disant : Ouvre-moi; j'ai besoin de pain. Il lui répond : Je ne puis t'en donner. Nous sommes couchés, mes serviteurs et moi. L'autre continuant de heurter à la porte, il lui dit une seconde fois : Je ne puis t'en donner. Nous sommes couchés, mes serviteurs et moi. Le voisin, même après avoir entendu ce refus, resta à la porte heurtant toujours; il ne s'en alla pas que le maître de la maison n'eût dit : Levez-vous, donnez-lui ce qu'il demande et laissez-le partir. (Luc, XI, 5.) L'Evangile nous enseigne donc qu'il faut prier toujours; ne vous rebutez jamais, et, si vous ne recevez pas ce que vous sollicitez, persévérez jusqu'à ce que vous le receviez. Vous trouverez dans les Ecritures plusieurs autres voies de pénitence. La pénitence fut, dès avant la venue du Christ, prêchée par son prophète Jérémie qui a dit : Celui qui est tombé ne se relève-t-il pas? Celui qui s'est égaré ne revient-il pas au chemin ? (Jérém. VIII, 4.) Et ailleurs : Ensuite je lui ai dit : après avoir commis la fornication, reviens encore à moi. (Id. III, 7.) Ainsi Dieu nous a donné nombreuses et diverses les voies de pénitence afin de couper à la racine tout prétexte de lâcheté . si nous rien avions qu'une seule, nous ne pourrions pas y passer. Le diable fuit toujours devant la pointe acérée de la pénitence : avez-vous péché? entrez à l'église et effacez-y votre péché. Autant de fois vous tombez à terre, autant de fois vous vous relevez : de même autant de fois que vous aurez péché, autant de fois repentez-vous de votre péché et ne perdez pas courage ; si vous péchez encore une fois, encore une fois repentez-vous et ne laissez pas échapper finalement par votre lâcheté l'espérance des biens futurs. Lors même que vous auriez péché sous les cheveux blancs de l'extrême vieillesse, entrez à l'église; faites-y pénitence : là réside le médecin qui guérit et non pas le juge qui condamne; là on n'exige pas le châtiment du péché, mais en octroie la rémission. Dites votre péché à Dieu seul : J'ai péché contre vous seul, j'ai fait le mal en votre présence (Ps. L, 6), et votre péché vous sera remis. Vous avez encore une autre voie de pénitence, non pas la voie difficile, mais la voie facile entre toutes. Et laquelle ? Pleurez sur votre péché. Voici ce que nous enseignent les divins Evangiles. Pierre, le coryphée des apôtres, le premier dans l'Eglise, l'ami du Christ, celui qui a reçu la révélation non pas des hommes, mais de Dieu, selon le témoignage rendu par le Seigneur : Bienheureux es-tu, Simon, fils de Jona, parce que ce n'est ni la chair ni le sang qui t'ont révélé mes mystères; mais c'est mon Père qui est dans les cieux (Matth. XVI, 17); ce Pierre que j'appelle ainsi parce que j'entends désigner le roc indestructible, la base inébranlable, le grand apôtre, le premier d'entre les disciples, le premier appelé et le premier obéissant, ce Pierre a commis une faute, non pas une faute légère, mais la plus grave que possible, en reniant le Seigneur : je le dis, non pas pour incriminer le juste, mais pour donner un modèle de pénitence ; il a renié le Maître même de l'univers, le Protecteur et le Sauveur de toute créature. Mais, pour prendre ce sujet de plus haut, rappelons qu'un jour le Sauveur, voyant quelques disciples abandonner son enseignement, dit à Pierre : Et toi, ne veux-tu pas te retirer aussi ? Mais Pierre lui répondit : Quand même il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas (Matt. XXVI, 35.) Que dis-tu, Pierre ? C'est Dieu qui te dénonce et tu résistes ! Sans doute la bonne volonté de Pierre s'est montrée, mais la faiblesse de la nature s'est trahie et quand cela? Dans la nuit où le Christ fut livré : en ce moment donc, dit l'Evangile, Pierre se tenait auprès du foyer et se chauffait, lorsqu'une jeune fille s'approcha et lui dit : Hier, tu étais, toi aussi, avec cet homme. (Matth. XXV1, 69.) Et il répondit: Je ne connais pas cet homme (Marc, XIV, 68); et ainsi une deuxième, puis une troisième fois; et la dénonciation fut vérifiée. Alors le Christ regarda Pierre, lui parla le langage des yeux : il évita de lui parler des lèvres afin de ne pas accuser en face des Juifs et de ne pas couvrir de honte son propre disciple, mais il lui parla le langage des yeux comme pour lui dire : Pierre, ce que j'ai annoncé est arrivé. Pierre comprit et il se (290)  prit à pleurer; il pleura, il versa non pas (les larmes telles quelles, mais des lamies amères, faisant de ces larmes l'eau d'un second baptême; et par ces larmes amères il se purifia de son péché, de telle sorte qu'ensuite il reçut en garde les clefs du ciel. Et si les larmes de Pierre ont effacé un péché si énorme, comment se pourrait-il que vous n'obtinssiez pas remise du vôtre, si vous pleurez de même? Ce ne fut pas une faute légère que de renier le Seigneur, ce fut un crime considérable, terrible : et pourtant les larmes l'ont effacé. Pleurez donc, vous aussi, sur vos péchés; pleurez, non pas des larmes telles quelles , ni des larmes feintes , mais des larmes amères comme celles de Pierre faites jaillir des profondeurs de votre âme la source des vraies larmes, afin que Dieu, ému de miséricorde, vous remette votre péché : il est doux à l'homme et il a dit: Je ne veux pas la mort du pécheur, mais je veux qu'il se convertisse, qu'il fasse pénitence et qu'il vive. (Ezéch. XVIII, 23.) Il n'exige de vous qu'une petite peine et il vous offre un grand présent; il cherche que vous lui fournissiez l'occasion de vous ouvrir le trésor du salut. Apportez vos larmes et il vous accordera le pardon; apportez le repentir et il vous accordera la rémission de vos péchés. Fournissez un léger motif et vous gagnerez la plus belle récompense: il y a en effet une mise fournie par Dieu et une mise fournie par l'homme; et si nous apportons la nôtre, Dieu apportera une seconde fois la sienne. Il a déjà fourni sa part, je veux dire qu'il a créé le soleil, la lune, le choeur varié des astres, versé les flots de l'atmosphère, creusé les Océans, déployé les continents, distribué les montagnes, les collines, les forêts, les fontaines, les lacs, les fleuves, les innombrables familles des plantes, les beaux vergers, et tout le reste. Apportez donc aussi votre petite part afin qu'il puisse vous octroyer encore les choses du monde supérieur. Ne nous négligeons pas nous-mêmes, ne renonçons pas à notre salut, puisque nous avons devant nous, comme un immense océan, la bonté de ce Maître universel qui est le premier à regretter nos péchés. Devant nous s'ouvrent le royaume des cieux, le paradis et tous ces biens que l'oeil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, que le coeur n'a pas conçus, ces biens que Dieu a préparés à ceux qui l'aiment. (I Cor. II, 9.) Ne devons-nous pas mettre tout notre souci à faire quelque chose pour ne pas être exclus de tout cela? Ignorez-vous ce que dit saint Paul? lui qui s'est épuisé à tant de travaux, quia remporté des milliers de victoires sur le démon, qui a porté ses pas en tout lieu habité, qui a parcouru la terre, la mer et les airs, qui a sillonné comme sur des ailes tous les points de l'univers, qui a été lapidé, maltraité, frappé de verges, qui a tant souffert pour le nom de Dieu, qui a été appelé d'en-haut par une voix céleste, écoutez ce qu'il dit, quelles paroles il fait entendre : Nous recevons de Dieu la grâce; mais de mon côté j'ai travaillé et j'ai fourni ma part; Et la grâce qui est en moi n'est pas demeurée inutile; car plus qu'eux tous j'ai travaillé et contribué. (I Cor. XV, 10.) Je connais, dit-il, je connais la grandeur de la grâce que j'ai reçue ; mais elle n'a pas trouvé en moi un paresseux; les œuvres que j'ai apportées pour ma part sont manifestes. — Et nous aussi, à cet exemple, enseignons à nos mains l'aumône afin de fournir notre petite part; pleurons nos péchés et gémissons sur nos iniquités, afin de prouver que nous fournissons notre petite part . les dons que Dieu nous réserve sont grands, ils dépassent la portée de notre puissance; ce sont le paradis, le royaume céleste auxquels puissions-nous tous parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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