HOMÉLIE SUR LES SS. MARTYRS JUVENTIN ET MAXIMIN.
ANALYSE.
Comme il est dit air commencement de cette homélie, elle fut
prononcée peu- de jours après l'homélie sur saint Babylas. Dernièrement, non pas hier,
comme on a traduit à tort, Dernièrement c'était le bienheureux Babylas et trois enfants
qui nous rassemblaient en ce lieu; aujourd'hui deux saints soldats rangent sous leurs
drapeaux la milice du Christ. C'est cependant sur l'autorité de cette traduction inexacte
, que les martyrologes ont mis la fête de saint Juventin et de saint Maximin, le 25
janvier, c'est-à-dire le lendemain de la fête de saint Babylas. Ces martyrs sont
mentionnés par Théodoret (liv. 3, Hist. eccl., c. 14). L'année de cette homélie est
incertaine.
1° Tableau de la persécution sous Julien l'Apostat. 2°
Les deux saints soldats ayant, au milieu de leurs camarades, laissé voir quels sentiments
leur inspirait la conduite de l'empereur, furent dénoncés et jetés en prison comme
coupables de conspiration; on confisqua leurs biens, mais peut-on appauvrir les martyrs ?
ce que leurs persécuteurs leur prennent, Dieu le leur rend au centuple. 3° Astuce
de Julien l'Apostat ; exécution des saints martyrs, in vita sua non sunt separati, et in
morte non sunt divisi. (Il Rois, I, 2-3.)
1. C'étaient naguère le bienheureux
Babylas et trois enfants qui nous réunissaient en ce lieu, aujourd'hui deux saints
soldats rangent sous les drapeaux la milice du Christ; naguère un quadrige de martyrs,
aujourd'hui deux martyrs attelés au char céleste. Ils n'avaient point même âge, mais
ils avaient même foi; diverses furent leurs luttes, mais pareil leur courage; les uns
moururent les premiers, les autres, victimes nouvelles, ont donné leur sang les derniers.
Tel est le trésor de l'Eglise : il enferme des joyaux anciens et d'autres nouveaux , mais
tous ont même beauté : ce sont des fleurs qui ne se fanent point et que le temps ne peut
flétrir. La rouille de la vétusté ne s'attaque point à l'éclat de leur nature. Les
biens corporels périssent et cèdent à la succession des années. les vêtements
s'usent, les maisons s'écroulent, l'or s'obscurcit, en un mot, toutes les choses
sensibles tombent et disparaissent sous l'effort du temps. Mais il n'en est point ainsi
des trésors spirituels : leur durée est éternelle, leur jeunesse et leur fraîcheur
toujours égales; toujours brille et resplendit l'éclat de la gloire qui appartient aux
martyrs. Vous vous en souviendrez et n'honorerez pas autrement les anciens et les
nouveaux; avec le même zèle, le même amour, la même ardeur, vous les devez honorer et
glorifier tous. Car ce n'est point de l'ancienneté que vous vous enquérez, mais du
courage, de la piété de l'âme, de la foi invincible, du zèle ardent et sublime, tel
que l'ont montré ceux qui nous rassemblent aujourd'hui. Car telle fut leur ferveur, tel
fut leur amour de Dieu, qu'ils auraient pu, même sans la persécution, ceindre la
couronne du martyre, sans combat élever le trophée, sans guerre emporter la victoire ,
sans lutte conquérir la palme. Comment cela se peut-il faire ? C'est ce que je vais vous
dire, mais souffrez que je reprenne les choses d'un peu plus haut.
Un empereur a existé de nos jours, qui a
surpassé en impiété tous ses devanciers, et dont je vous parlais dernièrement. Il
voyait l'éclat que donne à notre Eglise la mort des martyrs, et que non-seulement les
hommes, mais les jeunes enfants, les vierges, chaque âge enfin et chaque sexe
s'élançaient au supplice pour notre religion. C'était pour lui une douleur et une
torture. Cependant il ne voulait (494) pas ouvertement sonner la bataille : Ils vont tous,
se disait-il, comme les abeilles à la ruche, voler au martyre. Il le savait par l'exemple
de ses ancêtres. Car les gouvernants avaient fait la guerre à l'Eglise, et les peuples
sans cesse s'étaient soulevés, alors que la religion n'était encore qu'une faible
étincelle. Mais ils n'avaient pu l'éteindre ni l'étouffer. Cette étincelle avait
gagné : le feu s'élevait et embrasait toute la terre. On égorgeait, on brûlait, on
pendait, on noyait, on livrait aux bêtes les fidèles en foule. Et ils marchaient sur les
charbons ardents comme sur la terre des chemins, entraient aux abîmes des flots comme en
des prairies, couraient au glaive comme à un diadème et à une couronne et triomphaient
des tortures de tout genre, non-seulement par leur courage à les souffrir, mais par la
joie et l'ardeur dont ils s'y portaient. Car ainsi que les plantes croissent quand on les
arrose, de même notre foi persécutée fleurit plus belle et grandit par les épreuves,
et moins féconds deviennent les jardins par l'eau qu'ils boivent que notre Eglise par le
sang des martyrs. L'empereur le savait, il savait plus encore; aussi craignait-il de nous
déclarer ouvertement la guerre. Ne leur donnons point, disait-il, l'occasion d'élever
trophées sur trophées, de remporter de continuelles victoires et de ceindre toujours la
couronne. Que fait-il alors ? Voyez sa malice ! Médecins, soldats, sophistes, rhéteurs,
tous seront arrachés à leur profession s'ils n'abjurent la foi. Ainsi attaqués de loin,
s'ils cédaient, ils se couvraient par leur défaite du ridicule de n'avoir pas préféré
leur foi à leurs richesses ; s'ils résistaient bravement et faisaient tête, leur
victoire n'avait point de retentissement, leur trophée point d'éclat; car il n'y a pas
grande gloire à dédaigner pour sa religion son art ou sa profession. Et il ne s'arrête
point encore là. Si un homme se rencontrait qui eût, dans les temps précédents, sous
le règne des empereurs pieux, renversé des autels, ou détruit des temples, ou fait
disparaître des offrandes, ou autre action semblable, il le traînait en justice et le
mettait à mort, et non-seulement quand il était convaincu, mais sur la seule accusation.
Sa ruse inventait mille prétextes pour tourmenter ceux qui vivaient dans la foi. Ce qu'il
cherchait toujours, c'était à obscurcir l'éclat de la couronne du martyre : le sang
coulait toujours sous ses mains, ses meurtres avaient leur cours, et la gloire du prix
attaché au martyre s'effaçait aux regards. Mais ses ruses furent vaines. Qu'importaient
en effet ses calculs et sa malice à ceux qu'il tourmentait ainsi? Ils attendaient tout du
Juge incorruptible qui est au ciel, c'est de sa main qu'ils devaient recevoir la couronne.
2. Les choses en étaient là : il
enfantait à grands efforts la guerre contre nous et tremblait d'y être vaincu, quand les
soldats se réunirent en un festin où prenaient part les martyrs que nous célébrons
aujourd'hui. Là , comme il arrive dans les festins, les paroles s'échangeaient, on
conversait sur divers sujets. Quelques convives se disaient les uns aux autres et disaient
aux assistants : est-ce désormais la peine de vivre, de respirer, de voir le soleil,
quand ces saintes lois sont ainsi foulées aux pieds , la religion insultée , le
Créateur, le Maître commun ainsi méprisé? Partout l'odeur des victimes et la fumée
des sacrifices impurs. L'air même que nous aspirons est chargé de souillures !
Que ces paroles ne passent point inaperçues : songez au lieu où elles étaient dites et
à la piété de ceux qui parlaient. Si dans un festin de soldats, où le vin coule à
flots , où rivalisent et l'ivresse et l'orgie , où s'ouvrent des luttes d'intempérance
et de débauche effrénée , on entendait de pareilles plaintes, de pareils gémissements,
que faisaient ces mêmes hommes enfermés dans leurs maisons et conversant les uns avec
les autres dans le secret? Comment devaient-ils prier ceux qui, à l'heure de la
débauche, montraient tant de tempérance et des coeurs si apostoliques ? D'autres
tombaient et ils pleuraient ; d'autres vivaient en impies et tous mouraient dans les
flammes; dans la maladie de leurs frères, ils ne faisaient nul état de leur santé, et
comme des tuteurs donnés au monde entier, ils gémissaient sur ses maux. Leurs
propos ne restèrent pas secrets. L'un des convives, bouffon et flatteur, pour plaire au
prince, lui rapporta toutes leurs paroles, c'était là ce qu'il cherchait depuis
longtemps. Saisissant l'occasion favorable de priver ses victimes de la gloire du martyre,
il les accuse d'avoir aspiré au pouvoir, confisque leurs biens et les jette nus en
prison. Grande joie pour ces hommes ! Que nous servent la fortune et les vêtements
précieux, disaient-ils. S'il faut dépouiller pour le Christ ce dernier vêtement, la
chair de notre corps, nous ne refuserons pas, nous le quitterons volontiers l On marque
leurs maisons, on les pille. Et comme ceux qui vont émigrer (495) vers une patrie
lointaine réalisent le prix de leurs maisons et l'envoient devant eux, de même, sur le
point de partir pour le ciel, ils envoyaient devant eux leur fortune, et leurs ennemis
même les servaient dans ce message. Car ce ne sont pas seulement ces richesses que nous
nommons aumônes qui passent dans le ciel, mais celles encore que nous arrachent les
ennemis de la foi, les persécuteurs des fidèles, celles-là aussi s'amassent là-haut.
Et les unes ne sont pas moindres que les autres. Écoutez Paul: Vous vous êtes vu avec
joie arracher vos biens, espérant trouver au ciel une fortune plus belle et plus solide. (Hébr.
X, 34.) Les martyrs y étaient donc dans la prison, et la ville entière accourait,
malgré les dangers, les menaces, les périls sans nombre qu'encourait quiconque les
aborderait, leur parlerait et communiquerait avec eux. Mais la crainte de Dieu chassa ces
terreurs : et ces martyrs en enfantèrent d'autres en grand nombre. Ceux qui
précédemment les avaient fréquentés avaient appris d'eux le mépris de la vie. Ce
n'étaient dans ces réunions que cantiques sacrés, saintes veilles, enseignements
spirituels , et quand l'église fut fermée, la prison devint désormais une église. Car
non-seulement ceux qui venaient du dehors, mais encore ceux qui vivaient captifs
trouvaient de grandes leçons de sagesse et de vertu dans la patience et la foi de ces
saints hommes. L'empereur l'apprit et sa douleur augmenta. Pour les abattre et éteindre
leur zèle, il leur envoya quelques scélérats, des imposteurs chargés de leur tendre
des piéges; habitant avec eux, les trouvaient-ils seuls, ils leur conseillaient, comme
d'eux-mêmes et sans laisser paraître qu'ils fussent envoyés du prince, de renier leur
religion et de passer au parti de l'impiété. Ainsi, dis~rient-ils, non-seulement vous
conjurerez le péril qui vous menace, mais vous verrez s'accroître vos honneurs et vos
dignités, si vous désarmez la colère de l'empereur. Ne voyez-vous pas l'exemple que
vous en ont donné plusieurs gens de votre parti? Ils répondirent : C'est pourquoi nous
resterons plus fermes, afin de nous offrir comme victimes expiatoires et de racheter leur
faiblesse. Nous avons un bore Maître ; il sait, par un seul sacrifice , se réconcilier
avec tout l'univers. Et comme autrefois les trois enfants disaient: Il n'est en ce
temps ni prince, ni prophète, ni chef, ni holocauste, ni sacrifice, ni offrande qui nous
puisse obtenir ta miséricorde; soyons agréés dans la contrition de notre coeur et
l'humilité de notre âme (Dan. III, 38-39) ; de même les martyrs voyant les autels
renversés, les églises fermées, les prêtres chassés, les fidèles dispersés
voulaient s'offrir à Dieu pour le salut de tous, et, quittant les rangs des soldats, ils
avaient hâte de se mêler aux choeurs des anges. Si nous ne mourons pas maintenant,
disent-ils, la mort ne tardera guère et dans peu nous en aurons la douleur. Mieux vaut
mourir pour le roi des anges que pour un roi impie. Mieux vaut poser les armes en tombant
pour la patrie céleste que pour cette patrie terrestre que foulent nos pieds. Qu'un
soldat meure ici , il ne saurait recevoir de son roi un prix digne de son courage; car à
celui qui est mort que peut donner un homme? Souvent il n'a pas même l'honneur d'un
tombeau et reste en pâture aux chiens ! Mais en mourant pour le Roi des anges, nous
recevrons en échange un corps plus glorieux, une nouvelle vie plus brillante, une plus
riche récompense de nos travaux, et de plus nobles couronnes. Prenons donc les armes
spirituelles : arrière les javelots, les arcs, arrière toute arme sensible. Il nous
suffit de nos voix. En effet, les bouches des saints ressemblent à des carquois pleins de
traits sans cesse dirigés contre la tête du démon.
3. Voilà ce qu'on rapportait à
l'empereur; mais il ne se rebuta point et dressa contre eux de nouveaux piéges. Il
voulait, le fourbe, le scélérat, l'homme habile à tous les crimes, s'ils se laissaient
fléchir et vaincre, les faire paraître aux regards du peuple et les amener à sacrifier;
s'ils persévéraient, s'ils montraient un ferme courage et résistaient avec vigueur dans
la lutte, il effaçait l'éclat de leur«victoire, et les accusant d'avoir aspiré au
pouvoir, les traînait au supplice. Mais Celui qui dévoile les secrets ensevelis dans
l'ombre ne voulut point que ces embûches et ces piéges restassent cachés. L'Égyptienne
qui dans l'entière solitude de son appartement tentait de séduire Joseph, espérait
échapper aux regards des hommes; mais elle n'échappa point à l'il dont la
vigilance jamais ne s'endort : bien plus, la postérité connut son crime; les paroles
qu'elle dit sans témoin à Joseph, la terre entière les répète. De même , le tyran
comptait qu'on ignorerait qu'il parlait dans la prison par la bouche de ces conseillers
imposteurs; mais il se trompait. (496) La postérité tout entière connut les embûches
et les piéges, la victoire et le triomphe. Car, comme le temps passait et que les jours
coulaient sans que leur nombre ralentît l'ardeur des captifs ; comme au contraire leur
zèle s'enflammait encore et attirait de nombreux imitateurs, il les fait conduire de nuit
au lieu du supplice. Au milieu des ténèbres on allume les torches et ils meurent. Et
leurs têtes, même après la mort, effrayaient le démon plus qu'au temps où elles
parlaient encore : la tête de Jean était moins effrayante quand elle avait la voix que
lorsqu'on la portait muette sur le plateau. Car il a une voix aussi, le sang des saints;
non point une voix qui parle aux oreilles , mais qui saisit la conscience des bourreaux.
Après ce supplice, gage d'immortalité , ceux qui ensevelissent les restes des
suppliciés, peu soucieux de leur salut, enlevèrent les corps de ces braves : ils
étaient eux-mêmes des martyrs vivants. Car s'ils ne perdirent point la vie, ce n'était
qu'après l'avoir sacrifiée qu'ils s'élancèrent à cette sainte proie. Ceux qui vinrent
alors et qui eurent le bonheur devoir ces corps à peine inanimés, disent qu'au moment
qu'ils étaient gisants au bord du tombeau, on voyait fleurir en eux la même grâce que
Luc accorde à Etienne, quand il va répondre aux Juifs ; à cette vue tous les assistants
se sentirent frappés et saisis d'une religieuse terreur, ils répétèrent tous la parole
de David : Unis dans la vie, ils ne furent point séparés dans la mort. (Il Rois,
I, 23.) Car ensemble ils avaient rendu témoignage, habité la prison, vu le lieu du
supplice, ensemble leurs têtes étaient tombées, le même cercueil enferme leurs corps
et le même tabernacle les attend au ciel quand ils les reprendront dans une gloire plus
grande. Nous pouvons dire qu'ils furent comme des colonnes, des rochers, des tours, des
flambeaux et des taureaux; car ils soutiennent l'Eglise comme des colonnes; comme
destours, ils la fortifient, comme des rochers, ils repoussent les surprises et assurent
un calme parfait à ceux qu'ils protègent; comme des flambeaux, ils ont dissipé les
ténèbres de l'impiété; comme des taureaux, corps et âme , avec une égale ardeur, ils
ont porté le joug bien-aimé du Christ.
Il nous faut donc les visiter souvent,
toucher leur châsse et avec foi embrasser leurs reliques pour gagner ainsi des
bénédictions. De même que des soldats montrent les blessures reçues au combat et
parlent à leur roi avec confiance, de même ces martyrs, portant-dans leurs mains leurs
têtes coupées, s'avanceront parmi les saints et obtiendront sans peine du Roi des cieux
tout ce qu'ils demanderont. Approchons-nous donc avec foi, avec ardeur, contemplons ces
reliques saintes, considérons les prix du martyre, amassons de toutes parts de riches
trésors avec lesquels, lorsque finira la vie présente au terme fixé par Dieu, nous
aborderons au port céleste et prendrons possession du royaume des cieux , par la grâce
et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, ainsi qu'au Père et au
Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur et l'adoration dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. VIERRJSKI.
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