HÉBREUX II

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HOMÉLIE II. QUI, ÉTANT LA SPLENDEUR DE SA GLOIRE ET LE CARACTÈRE DE SA PUISSANCE, SOUTIENT TOUT PAR LA PUISSANCE DE SA PAROLE, APRÈS NOUS AVOIR PURIFIÉS DE NOS PÉCHÉS. (1, 3.)

 

457

 

Analyse.

 

1. C'est avec respect que nous devons parler de Dieu. — Hérésies de Marcellus et de Photin. — Contre Sabellius et Arius.

2. Hérésie de Paul de Samosate. — Réfutation d'Arius, de Sabellius, de Marcellin, de Photin et de Marcion.

3. Créer le monde est une oeuvre moins grande que de le conserver. — Le Fils de Dieu est tel, non-seulement par la grâce, mais par la nature.

4. Exhortation à l'humilité. — Combien les choses de cette vie sont passagères.

5. La condition du pauvre vaut mieux que celle du riche.

 

1. L'esprit de piété est nécessaire en toute circonstance, mais surtout lorsque l'on parle ou qu'on entend parler de Dieu : la langue en effet ne peut proférer, l'oreille ne peut entendre de parole qui soit à la hauteur de la divinité. Et que dis-je, la langue et l'oreille? notre âme qui leur est bien supérieure ne nous fournit pas des idées bien exactes, quand nous voulons parler de Dieu. Car si la paix de Dieu est au-dessus de toute intelligence, si l'image des biens préparés à ceux qui l'aiment ne peut entrer dans le coeur humain,.combien le Dieu de paix lui-même, le créateur de 1'univers, ne dépasse-t-il pas mille fois la mesure de notre raison! Il faut donc, avec foi et piété, accepter tous les mystères, et c'est quand notre faible raison ne peut saisir sa parole que nous devons surtout glorifier Dieu, ce Dieu si supérieur à notre intelligence et à notre raison. Car nous avons sur Dieu bien des idées que nous ne pouvons exprimer; nous avançons à son sujet bien des propositions que nous ne pouvons comprendre. Nous savons par exemple que Dieu est partout; mais comment cela se fait-il? nous ne le comprenons pas. Nous savons que c'est une force immatérielle, source de tout bien. Mais quelle est cette force? bous j'ignorons. Ici nous parlons sans comprendre. Il est partout : je l'ai dit; mais je ne le comprends pas. Il n'a pas eu de, commencement; je parle encore sans comprendre. Je dis qu'il a engendre un Fils de lui-même, et ici encore je trouve mon intelligence en défaut. Il y a donc de ces choses qu'on ne peut pas même exprimer. L'intelligence conçoit; mais la parole est impuissante. Et tenez; vous allez voir la faiblesse de Paul lui-même, vous allez le voir dans l'impuissance de s'expliquer clairement, et vous frémirez, et vous n'en demanderez pas davantage. Écoutez seulement. Après avoir parlé du Fils de Dieu et avoir établi qu'il est le créateur, qu'ajoute-t il? « Qui était la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance ». Il faut accepter ces paroles avec piété, en en retranchant tout sens déplacé. « La splendeur de sa gloire », dit-il. Mais voyez dans quel sens Paul prend ces paroles, et prenez-les dans le même sens que lui. Il veut dire que le Christ tire de lui-même cette splendeur, qu'elle ne peut souffrir d'éclipse, qu'elle n'Est susceptible ni d'augmentation ni de diminution. Il y a des hommes qui s'emparent de cette image, pour en tirer des conséquences absurdes. La splendeur, disent-ils, n'est pas une substance, mais elle a une existence dépendante.

O homme! ne prenez pas ainsi la parole de l'apôtre; ne gagnez pas la maladie de Marcellus et de Photin. Paul vous met lui-même sous la main un préservatif contre cette erreur; il ne veut pas vous voir affligé de cette maladie mortelle. Que vous dit-il encore? « Le caractère de sa substance ». Cette parole qu'il ajoute montré que, tout comme le Père, le Fils subsiste en lui-même. Par cette parole, il vous fait voir qu'il n'y a pas entre eux de différence, il met devant vos yeux le caractère propre et original du Fils de Dieu, il vous apprend qu'il subsiste en lui-même dans son hypostase. Après avoir dit que Dieu a créé toutes choses par lui, il lui attribue ici la souveraine autorité. Qu'ajoute-t-il en effet? « Soutenant tout par la parole de sa puissance ». Par là il veut nous faire toucher du doigt non-seulement le caractère de sa puissance, mais l'autorité souveraine avec laquelle il gouverne tout. Voyez comme il attribue au Fils les qualités du Père. Pourquoi ne s'est-il pas contenté de dire : « Soutenant tout? » Pourquoi n'a-t-il pas dit simplement : Par sa puissance? Pourquoi a-t-il dit: « Par la parole de sa puissance? » Tout, à l'heure il s'élevait peu à peu, pour redescendre bientôt; maintenant encore de degrés en degrés, pour ainsi dire, il s'élève bien haut, puis il redescend et nous dit: « Par lequel il a créé les siècles ». Voyez comme il sait ici se frayer un double chemin. Pour nous détourner des hérésies de Sabellius et d'Arius, dont l'un ne conserve de Dieu que la substance, dont l'autre partage la nature de Dieu en deux natures inégales, il bat complètement en brèche ces deux systèmes. Et comment s'y prend-il ? Il tourne et retourne sans cesse les mêmes idées pour qu'on n'aille pas s'imaginer que le Fils ne procède pas de Dieu, et qu'il lui est étranger. Et n'allez pas trouver son discours étrange, puisque, après une pareille démonstration, il s'est trouvé des hommes qui ont dit que le Christ n'avait rien de commun avec Dieu, qui lui ont donné un autre père, qui le déclarent ennemi de Dieu; que n'aurait-on pas dit, si Paul n'avait pas tenu ce (458) langage? Obligé de remédier à ces erreurs, il est obligé aussi d'employer un langage plus humble et de dire: Dieu l'a institué son héritier universel, et c'est par lui qu'il a fait les siècles. Puis d'un autre côté, pour ne pas porter atteinte à la grandeur du Christ, il s'élève et parle de sa puissance. Il le met sur la même ligne que le Père, si bien que beaucoup de gens le confondent avec le Père. Mais voyez comme il procède avec prudence. Il pose d'abord et a soin de bien établir ses bases. Puis, quand il a démontré que loin d'être étranger à Dieu, le, Christ est le Fils de Dieu, il s'élève sans difficulté aussi haut qu'il veut. Comme en parlant de Jésus-Christ d'une manière sublime il risquait d'en porter plusieurs à le confondre avec le Père, il a soin d'en parler d'abord d'une manière humble, afin de pouvoir ensuite sans danger donner tout son essor à sa parole. Après avoir dit : « Dieu l'a établi son héritier universel » ; Dieu par lui a créé les siècles, il ajoute : « Il soutient tout par la  parole de sa puissance ». Celui qui d'un seul mot gouverne l'univers, n'a besoin de personne pour le créer.

2. Cela étant, voyez comme Paul va plus loin, comme il donne au Fils l'autorité. Ces mois « par « qui » se trouvent maintenant supprimés. Comme il a fait par lui-même ce qu'il a voulu; Paul le sépare du Père, et que dit-il? « Dès le commencement du monde, Seigneur, vous avez créé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de vos mains ». Il ne dit plus « par qui », il ne dit plus : C'est par lui que Dieu a fait les siècles. Et pourquoi donc? Est-ce que les siècles n'ont pas été faits par lui? Certainement; mais ce n'est pas comme vous le dites, comme vous le croyez. Il n'a pas été réduit au rôle d'un instrument incapable d'agir par lui-même, si son Père n'avait mis la main à l'oeuvre. De même que le Père ne juge personne et juge, dit-on, par la bouche de son Fils, parce qu'il a engendré en lui le souverain Juge, de même c'est, dit-on, par son Fils qu'il crée, parce qu'il a engendré en lui le créateur. ,Car si le Fils est engendré du Père, c'est le Père qui a'engendré à plus forte raison tout ce qui a été fait par le Fils.

Lors donc que Paul veut montrer que le Fils est engendré du Père, il est obligé de baisser le ton. Mais lorsqu'il veut parler un langage plus élevé, il donne prise aux attaques de Marcellus et de Sabellius. Mais entre ces deux excès qu'elle fuit, l'Eglise suit une ligne intermédiaire. Elle ne se renferme pas dans un humble langage, pour ne pas donner lieu à Paul de Samosate; elle ne plane pas toujours. dans les hautes régions et elle nous montre un Dieu qui se rapproche beaucoup de l'humanité, pour éviter les assauts de Sabellius. Paul dit « le Fils » et aussitôt Paul de Samosate l'arrête, en s'écriant : Le Fils soit ! comme tant d'autres. Mais Paul a porté à l'hérétique un coup mortel, avec un seul mot, le mot « d'héritier ». Alors Paul de  Samosate s'allie sans rougir à Arius, car tous les deux s'emparent de ce mot ; l'un pour dire que c'est un témoignage de faiblesse, l'autre pour attaquer ce qui suit. D'un seul mot, en disant : « Par qui il a fait les siècles », Paul a terrassé l'hérétique de Samosate; mais Arius semble encore être fort. Voyez pourtant comme Paul renverse à son tour cet adversaire, en disant:«Qui étant la splendeur de sa gloire ». Mais voici de nouveaux assaillants, Sabellius, Marcellus et Photin. À tous ces adversaires il porte un seul coup. Il dit : « Il est le caractère de sa puissance et soutient tout par la puissance de sa parole ». Ici c'est encore Marcion qu'il frappe, légèrement il est vrai , mais toujours est-il qu'il le frappe; car, dans tout le cours de cette épître, il le combat. Mais, je l'ai dit plus haut, il appelle le Fils « la splendeur de la gloire » et avec raison. Ecoutez en effet le Christ, parlant de lui-même: « Je suis », dit-il, « la lumière du monde ». Voilà pourquoi Paul appelle le Christ « la splendeur de la gloire « divine », pour montrer que c'est là aussi le langage du Christ qui est évidemment lumière de lumière. Il ne s'en tient point là; il montre que cette lumière a illuminé nos âmes. Ces mots «splendeur  de sa gloire » veulent dire égalité de substance, propinquité du Fils avec le Père. Pensez à la subtilité de ces paroles. Il ne prend qu'une essence et une substance, pour nous présenter deux hypostases. Il fait de même pour la science de l'Ésprit-Saint. Selon. lui, la science du Père et celle du Saint-Esprit forment une science unique; car elles ne sont en vérité qu'une seule et même science. De même en ce passage, il se sert d'un seul. mot; pour désigner les deux hypostases.

Il ajoute le mot « caractère ». Le caractère est autre chose que le prototype; il n'est pas tout autre, il n'en diffère qu'en ce qui regarde l'hypostase. Car ici le mot a caractère» annonce une similitude, une ressemblance parfaite.. Lors donc que Paul, emploie ces dénominations de forme et de caractère, que peuvent dire les hérétiques? Mais l'homme aussi a été appelé une image (Gen. I, 26). Quoi donc! Est-ce de la même manière que le Fils? Non, vous dit-on, sachez que l'image n'implique pas la ressemblance. parfaite : le mot image appliqué .à l'homme signifie une ressemblance compatible avec l'humanité. Ce que Dieu est' dans le ciel, l'homme l'est sur la. terre, quant à l'autorité. Si sur la terre l'homme est le maître, Dieu est le souverain maître de la terre et du ciel. D'ailleurs l'homme n'a pas été appelé figure, splendeur, forme, ce qui indique l'essence ou une ressemblance essentielle. De même que le terme «la forme d'esclave » veut dire un homme ayant tous les attributs de l'humanité,ainsi le terme «la forme de Dieu » ne peut rien signifier autre chose que Dieu. « Qui étant là splendeur de sa gloire», dit Paul. Voyez comment l'apôtre s'y prend. Après avoir dit : « Etant la splendeur de sa gloire », il a ajouté : « Il est assis à la droite de la souveraine Majesté ». Examinez les mots dont il se sert; ici il n'est plus question d'essence. Ni le mot de majesté, en effet, ni le mot de gloire ne rendent bien    , son idée. Mais il ne trouve pas de mot, pour l'exprimer. Voilà ce que je disais. en commençant. Il y a bien des choses que nous comprenons, sans pouvoir rendre notre pensée. Car le mot Dieu ne désigne pas l'essence. Mais comment désigner l'essence divine ? Et qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'on ne trouve pas un nom pour cette essence? (459) Le mot ange en lui-même n'a dans sa signification aucun rapport avec l'idée d'essence. Peut-être en est-il de même du mot « âme », qui, selon moi, a la signification de « souffle ». Ame, coeur, pensée, sont termes synonymes. « Mets en moi un coeur pur, mon Dieu », dit le psalmiste. Il y a :même des cas où le mot « âme » s'emploie dans l'acception. « d'esprit». «Et soutenant tout par la parole de sa puissance ». Entendez-vous ce qu'il dit ?

3. Comment donc, hérétiques, pouvez-vous vous armer de cette parole de l’Ecriture : « Dieu dit que  la lumière soit », pour soutenir que lé Père seul a ordonné, que le Fils n'a fait qu'obéir? Mais voilà le Fils qui agit ici par sa parole. « Soutenant tout », dit l'apôtre ; c'est-à-dire gouvernant tout, arrêtant l'édifice dans sa chute. Ah ! c'est une oeuvre aussi grande, que dis-je ? c'est une oeuvre plus grande de soutenir le monde que de le créer. Créer, c'est faire quelque- chose de rien. Mais arrêter dans sa chute ce qui va tomber dans le néant, rattacher entre eux tant d'éléments, voilà qui est grand, voilà qui est admirable, voilà qui révèle un grand pouvoir. Et comme l'apôtre montre que cette oeuvre est facile au Fils par ce seul mot « soutenant». Il n'a pas dit, gouvernant; il a emprunté une image; c'est l'être fort qui remue et porte un fardeau avec un seul doigt. Il montre la pesanteur du fardeau c'est le monde, et ce fardeau n'est rien pour celui qui le porte. Cette dernière vérité est encore exprimée en ces mots : « Par la parole de sa puissance ». C'est bien dit : car c'est montrer la puissance de cette parole divine différente de la parole humaine qui est si peu de chose. Mais en 'nous disant que la parole divine soutient le monde, il ne nous dit pas comment; car il est impossible de le savoir. Il passe à la majesté divine. Et c'est ce qu'a fait saint Jean, qui, après avoir parlé de l'existence de Dieu, parle de la création. Ce que l'évangéliste a fait entendre en disant : « Au commencement était le Verbe et tout a été fait par lui» (Jean, I, 1, 3), l'apôtre le dit à son tour et l'exprime clairement en ces termes: « Parce qu'il a même créé les siècles ». Voilà l’ouvrier qui a fait les siècles et qui subsistait avant tous les siècles. Que dire en présence de ces paroles du Prophète, à propos du Père : « Tu existes depuis le commencement des siècles jusqu'à la fin des siècles » (Ps. LXXXIX, 2), si on les compare à ces paroles de l'apôtre, à propos du Fils: « Il existait avant tous les siècles et il a fait tous les siècles ? » Ne se hâtera-t-on pas d'appliquer au Fils ces mots qui ont été dit du Père: II existe avant les siècles? « En lui était la vie », dit saint Jean, pour faire voir qu'il a la force et le pouvoir de soutenir l'univers, puisqu'il est la vie universelle. Saint Paul tient le même langage: « Il soutient tout par la parole de sa puissance ». Il ne fait pas comme les philosophes grecs, qui, autant que cela dépend d'eux, le dépouillent de sa force créatrice et de sa Providence, et qui renferment son pouvoir dans un cercle qui s'arrête à la. lune.

« Nous ayant par lui-même purifiés de nos péchés ». Après avoir parlé de ses oeuvres, si grandes, qui sont autant de suprêmes merveilles, Paul nous parle de sa sollicitude pour les hommes. Ce mot : « Soutenant tout» était bien vaste et embrassait tout. Le mot suivant est plus grand encore, car lui aussi il embrasse tout. En tant qu'ira dépendu de, lui, le Fils nous a tous sauvés. Jean, après avoir dit: : « En lui était la vie», pour marquer sa providence, ajoute . « Et il était la lumière », ce qui revient à ce que dit saint Paul. « Nous ayant par lui-même purifiés de nos péchés, il est assis à la droite de la majesté suprême ». Il y a là deux preuves éclatantes; de sa sollicitude pour nous: il nous purifie de nos péchés, et il le fait par ses mérites. Que de fois ne le voyons-nous pas se glorifier de cet événement, non-seulement parce que Dieu s'est réconcilié avec les hommes, mais parce que le Fils a été le médiateur de cette réconciliation devenue ainsi de sa part un plus éclatant bienfait. Après avoir dit qu'il s'est assis à la droite du Père, et qu'il nous a purifiés de nos péchés, après avoir rappelé la croix, 'l'apôtre nous parle de sa Résurrection et de son Ascension. Et voyez ici sa prudence ineffable. Il ne dit pas : On l'a fait asseoir; il dit : « Il s'est assis ». Puis, pour qu'on ne pense pas qu'il se tient debout, il ajoute: « Qui est fange à qui le Seigneur ait jamais dit : « Asseyez-vous à ma droite? » —  « Il est assis à la « droite de la majesté suprême, au plus haut des cieux ». Que signifie « au plus haut des cieux ? » Veut-il donc renfermer Dieu dans un espace limité? Loin de là. Il ne veut pas nous donner de Dieu une semblable idée. Quand il a dit: « Il est assis à la droite du Père », il a voulu seulement faire allusion à la dignité de Fils qui égale celle du Père; et, quand il a dit: « Au plus haut des cieux», il a voulu non pas renfermer Dieu dans ces limites, mais nous montrer ce Dieu dominant l'univers, et s'élevant jusqu'au trône de son Père ! Comme son Père, il est au plus haut des cieux, et ce trône qu'ils, partagent montre qu'ils sont égaux eu dignité. Mais, poursuivent les hérétiques, le Père a dit au Fils : « Asseyez-vous à ma droite ». Eh bien ! cela prouve-t-il que-le Fils se tenait debout? Voilà ce que les hérétiques eux-mêmes ne sauraient prouver. D'ailleurs Paul ne dit pas que le mot précédent soit un ordre ou une injonction ; il n'a d'autre but que de nous faire voir que le Fils procède d'un principe et d'une cause. Et la preuve, c'est la place à laquelle ce Fils est invité à s'asseoir. Elle est à la droite du Père... Pour désigner l'infériorité, le Père aurait dit: Asseyez-vous à ma gauche.

4. « Etant aussi supérieur aux anges que le nom qu'il a reçu est plus excellent que le leur ». Le mot « étant » signifie ici « déclaré », pour ainsi dire. Paul le prouve. Comment est-il supérieur aux anges? Par le nom qu'il a reçu. « Voyez-vous que a le nom de Fils désigne ici la parenté légitime ? » Certes, s'il ne se fût agi d'un fils légitime, Paul n'aurait pas tenu ce langage. Pourquoi? Parce que le Fils n'est légitime qu'à la condition d'avoir été engendré par le Père. Paul confirme donc ici sa parole. Car si le Christ est Fils de Dieu par la grâce, loin d'être supérieur aux anges, il leur serait inférieur. Comment? c'est que les justes ont aussi été appelés les fils de Dieu, et le nom de fils, quand il ne s'agit pas du Fils proprement dit, du Fils (460) légitime, n'est pas un titre de supériorité. Et, pour marquer l'intervalle qui existe entre les créatures et le créateur, Paul s'exprime ainsi: « Qui est l'ange à qui Dieu ait jamais dit : Vous êtes mon fils, je vous ai engendré aujourd'hui ? » Et ailleurs: « Je serai son Père, et il sera mon Fils ». Ces paroles marquent la filiation selon la chair. Car le mot: « Je serai son Père, et il sera mon Fils », fait allusion évidemment à l'Incarnation. Mais cet autre : « Vous êtes mon Fils », ne prouve qu'une chose: c'est qu'il est de lui. De même qu'il est dit « qui est», on, au temps présent, car cela lui convient, admirablement; de même le mot « aujourd'hui m s'applique, selon moi, à l'Incarnation Lorsqu'en effet il aborde ce mystère, son langage est plein d'assurance. La chair participe à l'élévation, comme la divinité à l'abaissement. Dieu n'a pas dédaigné de se faire homme; il n'a pas reculé devant cette humiliation réelle ; pourquoi donc n'accepterait-il pas le mot qui l'exprime ?

5. Puisque nous sommes pénétrés de ces vérités, plus de mauvaise honte, plus d'orgueil. Si Jésus qui est Dieu, maître et Fils de Dieu, a daigné prendre la forme d'un esclave, ne devons-nous pas accepter toutes les tâches, même les plus humbles? Répondez, homme, d'où vient votre orgueil ? Des biens que vous possédez en cette vie? Mais ils s'éclipsent avant de briller. Des dons spirituels? Mais c'en est un que de n'avoir pas d'orgueil. D'où vient donc votre orgueil? De votre droiture? Ecoutez cette parole du Christ: « Quand vous aurez fait toutes choses, dites: Nous sommés des serviteurs inutiles» (Luc, XVII,10), car nous avons fait ce que nous devions faire. Mais c'est votre richesse qui vous rend orgueilleux. Eh! pourquoi donc? Ne savez-vous pas que nous sommes entrés nus dans la vie, et que nous en sortirons nus? Ne voyez-vous pas que ceux qui vous ont précédés sont partis nus, et dépouillés? Pourquoi s'enorgueillir de la possession des biens extérieurs? Ceux qui veulent s'en servir et en jouir, ne s'en voient-ils pas privés, même malgré eux, souvent avant leur mort, toujours au moment de la mort ? Mais; de notre vivant, dites-vous, nous en faisons ce que nous voulons. D'abord on voit rarement les riches jouir de leur fortune, comme ils l'entendent. Et quand on serait assez heureux pour cela, ce ne serait pas là un grand bonheur. Le présent en effet est bien court, quand on le compare aux siècles sans fin.

Tu es orgueilleux de tes richesses,-'ô homme ! Et pourquoi donc ? C'est un avantage qui t'est commun avec les brigands, avec les voleurs, avec les meurtriers, avec une foule de gens efféminés et corrompus, avec tous les méchants. Pourquoi donc cet orgueil? Si tu fais de ta fortune un boit usage, tu dois bannir l'orgueil, pour ne pas enfreindre les commandements; si tu fais un mauvais usage de tes biens, l'orgueil te sied moins encore, puisque tu es l'esclave de ces biens, de ces trésors qui sont devenus tes tyrans. Dites-moi, ce fiévreux qui boit de l'eau avec excès et dont la soif s'éteint un instant pour se rallumer, doit-il s'enorgueillir? Cet homme qui se forge mille soucis inutiles, doit-il s'enorgueillir? De quoi vous enorgueillissez-vous, dites-moi? d'avoir une foule de maîtres? d'avoir mille soucis? d'être entouré de flatteurs ? Mais ce sont autant de chaînes que vous avez là. Voulez-vous sentir le poids de ces chaînes, écoutez-moi bien. Les autres passions ont parfois leur utilité. La colère est quelquefois utile. « Colère injuste », dit l'Ecclésiaste, « colère coupable ». (Ecclés. I , 22) La colère peut donc être juste en certains cas. Ecoutez encore saint Matthieu: « Se fâcher sans raison contre son frère, c'est s'exposer à la géhenne». (Matth. V, 22.) La jalousie et la concupiscence ont aussi leur bon côté: celle-ci quand elle a pour but la procréation des enfants; celle-là quand elle produit une noble émulation. C'est ce que dit saint Paul. « Il est toujours bien d'être jaloux de bien faire », et ailleurs. « Choisissez entre les dons de la grâce et montrez-vous jaloux d'acquérir les meilleurs ». (Galat. IV, 18; I Cor. XII, 31.) Voilà donc deux passions qui peuvent avoir leur utilité. Mais l'orgueil n'est jamais bon; il est toujours inutile et nuisible. S'il faut s'enorgueillir de quelque chose, c'est de la pauvreté, non de la richesse. Pourquoi? C'est que l'homme qui sait vivre de peu, est bien plus grand et bien meilleur que celui qui ne le sait pas.

Dites-moi : voilà des gens qui sont invités à se rendre dans une résidence royale; les uns n'ont besoin en voyage ni de nombreux attelages, ni de serviteurs, ni de parasols, ni d'hôtelleries, ni de chaussures, ni de vaisselles; il leur suffit d'avoir du pain et de l'eau des sources. Les autres disent:Si vous ne nous donnez pas des chariots et de bons lits, nous ne pouvons pas 'venir; nous ne pouvons venir, si nous n'avons pas une suite nombreuse; si nous ne pouvons rions reposer à chaque instant; nous ne pouvons venir, si nous n'avons pas dés attelages à notre disposition, et si nous ne passons une partie du jour à nous promener; et nous avons besoin de bien d'autres choses encore. De ces deux espèces d'hommes, laquelle excitera notre admiration? Sera-ce la première? Sera-ce la dernière? Il est évident que nous réserverons notre admiration pour ceux qui n'ont besoin de rien. Il en est de même ici. Pour faire le voyage de la vie, les uns ont besoin de mille choses, les autres n'ont besoin de rien. Et ce seraient les pauvres qui devraient être orgueilleux, s'il fallait avoir de l'orgueil. Mais, dira-t-on, c'est un être méprisable que le pauvre. Non: ce n'est pas lui qu'il faut mépriser; ce sont ceux qui le méprisent. Eh! Pourquoi ne mépriserais-je pas ceux qui ne placent pas bien leur admiration ? Un bon peintre se moquera de tous ceux qui s'aviseront de le railler, si les rail. leurs sont des ignorants ; il ne fera pas attention à leurs propos; il se contentera du témoignage qu'il se rend à lui-même : et nous autres, nous dé. pendrons de l'opinion du vulgaire! Quelle impardonnable faiblesse !

Aussi sommes-nous méprisables, quand nous ne méprisons pas ceux qui nous méprisent à cause de notre pauvreté, quand nous ne les trouvons pas malheureux. Je passe sous silence toutes les fautes dont la richesse est la source, tous les avantages de la pauvreté. Mais que dis-je? Ni la richesse, ni la pauvreté ne sont pas elles-mêmes des biens; elle ne le deviennent que par l'usage qu'a (461) en fait. La vertu du chrétien brille d'un plus grand lustre dans la pauvreté que dans la richesse. Comment? C'est que dans la pauvreté, il est plus modeste, plus sage, plus respectueux, plus juste, plus prudent; dans la richesse au contraire, la vertu trouve mille obstacles. Examinons les actions du riche, de celui-là surtout qui fait de sa richesse un mauvais usagé. Ce ne sont que rapines, fraudes, pièges, violences.. Que dis-je? Les passions déréglées, les commerces illicites, les sortilèges, les maléfices, toutes les noirceurs en un mot ne dérivent-elles pas de la richesse ? Ne voyez-vous pas qu'il est plus facile d'être vertueux au sein de la pauvreté qu'au sein de la richesse ? Et parce que les riches ne sont pas punis ici-bas, n'allez pas croire qu'ils né commettent pas de fautes. S'il était facile de punir les riches, ils peupleraient les cachots. Mais entre autres inconvénients,la richesse a celui-ci: le riche, qui fait le mal impunément, ne s'arrêtera jamais dans la voie du mal; pour lui, le remède. ne sera jamais à côté de la blessure, et nul homme ne pourra lui mettre un frein. La pauvreté au contraire, si l'on veut y regarder, offrira à nos yeux bien des côtés agréables. N'affranchit-elle pas l'homme des soucis, de la haine, des luttes, des rivalités, des querelles, dé mille maux enfin ? Ne courons donc pas après la richesse, et n'envions pas le sort de ceux qui la possèdent. Avons-nous de la fortune, faisons-en un bon usage. En sommes-nous privés , n'en gémissons, pas, mais remercions Dieu de ce qu'il nous permet d'obtenir facilement la même récompense que les riches, et une plus grande encore, si nous le voulons. Alors notre faible capital nous rapportera un gros revenu. Celui qui rapporta les deux talents ne fut-il pas aussi honoré, aussi admiré que celui qui en rapporta cinq ? Pourquoi ? C'est que ces deux talents lui avaient été confiés, c'est qu'il sut remplir toutes ses obligations; c'est qu'il rapporta le double de ce qu'on lui avait confié. Pourquoi donc cherchons-nous à nous faire confier des trésors, lorsque nous pouvons retirer autant de fruit d'un modeste dépôt que d'un dépôt considérable; lorsqu'avec moins de peine, nous pouvons obtenir une récompense bien plus grande? Le pauvre renoncera plus facilement à ce qu'il possède que le riche, gui nage dans l'opulence. Ne savez-vous pas que, plus on est environné de richesses, plus on a soif de richesses? Pour éviter ce tourment, ne cherchons pas la richesse et supportons sans peine la pauvreté. Avons-nous de la fortune, servons-nous-en, comme le veut saint Paul: que ceux qui possèdent, soient comme s'ils ne possédaient point, et que ceux qui usent de ce monde, soient comme n'en usant point, afin. d'obtenir les biens promis, et puissions-nous les obtenir avec la grâce de Dieu et par un effet de sa bonté!

 

 

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