COLOSSIENS VII

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HOMÉLIE VII. QUE PERSONNE DONC NE VOUS CONDAMNE POUR LE MANGER ET POUR LE BOIRE, AU SUJET DES JOURS DE FÊTE OBSERVÉS EN PARTIE, DES NOUVELLES LUNES ET DES JOURS DE SABBAT, PUISQUE CES CHOSES SONT L'OMBRE DE CELLES QUI DEVAIENT ARRIVER, ET QUE JÉSUS-CHRIST EN EST LE CORPS. QUE NUL NE VOUS RAVISSE LE PRIX DE VOTRE COURSE, EN AFFECTANT DE PARAITRE HUMBLE PAR UN CULTE SUPERSTITIEUX DES ANGES, EN PARLANT DE CE QU'IL N'A POINT VU, ÉTANT ENFLÉ PAR LES VAINES IMAGINATIONS D'UN ESPRIT CHARNEL, ET NE DEMEURANT PAS ATTACHÉ A CETTE TÊTE D'OU DÉPEND LE CORPS ENTIER, QUI RECEVANT SON INFLUENCE PARLES VAISSEAUX QUI EN JOIGNENT ET EN LIENT TOUTES LES PARTIES, S'ENTRETIENT ET S'AUGMENTE PAR L'ACCROISSEMENT QUE DIEU LUI DONNE. (CH. II, 16-19 JUSQU'À III, 4.)

 

Analyse.

 

1. Ne pas se préoccuper des minuties. — Une nouvelle espèce d'hypocrites.

2. Notre vie n'est pas de ce monde ; elle est cachée en Dieu. — Nous paraîtrons avec le Christ, dans la gloire.

3-5. Portrait du nouvel homme. — Nouvelle vie que les chrétiens reçoivent dans le baptême. — De la fragilité de l'homme dans tous les états de la vie. — Contre le luxe effroyable des riches. — Le saint menace de les retrancher de l'Eglise.

 

1. Saint Paul avait dit vaguement: « Prenez « garde que personne ne vous surprenne, selon « une doctrine toute humaine ». Et plus haut encore il avait dit: « Je vous parle ainsi, pour « que personne ne vous trompe par des dis« cours subtils ». Après s'être emparé de son auditoire, et réveillé les esprits, après avoir exposé les bienfaits du Christ et développé ce sujet par amplification , il exprime en ces termes une réprimande : « Que personne donc ne vous condamne pour le manger et pour le boire, pour des fêtes observées en partie, au sujet des nouvelles lunes et des jours de sabbat ». Vous voyez comme il rabaisse ces pratiques. Si vous êtes parvenus, dit-il, à faire ce qu'il y a d'essentiel, pourquoi vous astreindre à des minuties ? « Pour des fêtes observées en partie ». Expression de mépris ; car toutes les anciennes traditions n'étaient plus observées. « Au sujet des nouvelles lunes et des jours de sabbat ». Il n'a pas dit : Ne les observez pas ; mais : « Que personne ne vous condamne ». Il montre par là qu'ils avaient failli à cet égard ; mais ce n'est pas à eux qu'il s'en prend. Ne baissez pas la tête, dit-il, sous de pareilles condamnations. Mais ce n'est même pas là ce qu'il leur dit. Il s'entretient avec eux sans leur fermer la bouche, sans leur dire : Vous ne devez pas condamner ; car ce n'est pas à eux qu'il adresse directement sa réprimande. Il n'a pas dit : Au sujet de ce qui est pur ou immonde, au sujet de la fête des tabernacles, des azymes et de la Pentecôte; mais : « Au sujet des fêtes observées en partie » . Ils n'osaient pas en effet observer entièrement ces jours, ou s'ils les observaient, ce n'était pas comme des jours de fête. « En partie », c'est-à-dire en grande partie tout au plus; car le jour du sabbat lui-même n'était pas exactement et strictement observé.

« Puisque tout cela n'était que l'ombre de ce qui devait arriver », c'est-à-dire du Nouveau Testament, « et que Jésus-Christ en est le corps ». D'autres ponctuent ainsi : to de soma Xristou,  (138), Jésus-Christ en est le corps, c'est-à-dire la réalité. D'autres lisent ainsi la fin de ce verset : « Que personne, en usant de supercherie , ne vous dérobe le prix de la course, qui est le corps du Christ ». Le mot katabrabeuthenai, en effet, employé ici, à ce qu'on prétend, et employé ailleurs par saint Paul, se dit d'un prix mérité par un athlète, et décerné à un autre par supercherie et par surprise. Dans votre lutte contre le démon et le péché, vous avez le dessus. Pourquoi donner encore au péché le pouvoir de vous terrasser? Voilà pourquoi saint Paul disait dans son épître aux Galates : « Tout homme qui se fera circoncire est obligé de garder toute la loi » ; et dans un autre passage : « Jésus-Christ a-t-il donc jamais été un ministre de péché? » (Gal. V, 3, et II, 17.) Lors donc qu'il a excité leur courage par ces mots : «Que nul ne vous ravisse le prix de votre course », il reprend ainsi : « En affectant de paraître humble par un culte superstitieux des anges, en parlant des choses qu'il n'a point vues », étant enflé par les vaines « imaginations d'un esprit charnel ». Ces expressions, « en affectant de paraître humble, étant enflé », fout voir que toutes ces démonstrations sont de la vaine gloire. Mais quel est au total l'esprit de ce passage C'est qu'il y avait des gens qui disaient que ce n'était pas le Christ qui devait nous amener à Dieu, mais les anges, parce que la faveur d'être ramené par le Christ est trop au-dessus de nous, pour que nous puissions l'obtenir. Voilà pourquoi l'apôtre s'arrête si souvent sur les bienfaits du Christ, et retourne cette vérité en tous sens : « C'est par le sang du Christ versé sur la croix que nous avons été réconciliés». (Coloss. r, 20.) « Parce qu'il a souffert pour nous, parce qu'il nous a aimés ». (Ephés. II, 4.) Et leur attention était encore fixée sur cette vérité. Il n'a pas dit : En affectant d'être ramenés par les anges ; mais il a dit: En affectant le culte des anges. « En parlant de ce qu'il n'a point vu ». Car il n'a pas vu les anges, mais il affecte l'émotion d'un homme qui les aurait vus. Aussi saint Paul ajoute-t-il, « étant enflé par les vaines imaginations d'un esprit charnel ». Cet imposteur prend le masque de l'humilité, c'est-à-dire qu'il a un esprit purement charnel, et qu'il n'a que des vues mondaines. « Et ne demeurant pas attaché à celui qui est la tête », il a tout ce qu'il faut pour vivre et pour bien vivre. Pourquoi donc négliger la tête pour s'attacher aux membres? Une pareille négligence, c'est la mort. « La tête d'où dépend le corps entier ». Qui que vous soyez, c'est là que vous pouvez puiser la vie, c'est là que vous pouvez vous rattacher. Tant qu'elle possède cette tête, l'Eglise tout entière s'entretient et s'augmente. Là, point d'arrogance ni de vaine gloire, point d'invention humaine. « D'où dépend le corps entier ». — « D'où » désigne le Fils de Dieu, « qui, recevant son influence parles vaisseaux qui en joignent et lient toutes les parties, s'entretient et s'augmente par l'accroissement que Dieu lui donne ». Accroissement selon Dieu, progrès résultant d'un bon plan de vie. Si donc vous êtes morts avec Jésus-Christ; voilà le moyen terme de son raisonnement, et ce moyen terme est doublement fort. « Si vous êtes morts avec le Christ aux premières instructions du monde, pourquoi jugez-vous comme si vous viviez dans le monde ? » La conséquence n'est pas rigoureuse. Il aurait dû dire: Pourquoi vous soumettez-vous à ces instructions, comme si vous viviez dans le monde ? Mais que dit-il ensuite? « Ne touchez pas à telle chose; ne goûtez point à ceci ; ne prenez pas cela, parce que l'usage que vous feriez de toutes ces choses vous serait pernicieux ; ils vous parlent ainsi selon des maximes et des doctrines humaines ».

2. Vous n'êtes pas dans le monde, dit-il, comment se fait-il que vous vous soumettiez aux principes du monde, aux observations des hommes? Et voyez comme il se joue d'eux. Ne touchez pas à telle chose, dit-il, ne goûtez pas de ceci, ne prenez pas cela, comme si c'étaient là de grandes privations, « parce que l'usage que vous feriez de toutes ces choses vous serait pernicieux ». Il rabaisse ici l'orgueil d'un grand nombre de docteurs, et il ajoute : « Selon les ordonnances et les maximes humaines». Oui : quand même il s'agirait de la Loi cette loi, ancienne, depuis le temps, n'est plus qu'une doctrine humaine. Peut-être aussi tient-il ce langage parce qu'ils altéraient et interprétaient à tort et à travers cette loi. Peut-être encore fait-il allusion aux gentils. Tout cela, dit-il, n'est que croyance et doctrine humaine. — « Qui ont néanmoins quelque apparence de sagesse dans une superstition et une humilité affectée, dans un rigoureux traitement qu'on fait au corps, et dans (139) le peu de soin qu'on prend de rassasier la chair (23) ». Ce n'est qu'une apparence de sagesse sans effet; ce n'est donc pas la réalité. C'est pourquoi, bien que ce soit une apparence de sagesse, nous n'avons pour elle que de l'aversion. Nous voyons des hommes qui semblent pieux et modestes, qui semblent mépriser le corps; mais ce sont là de faux-semblants. « Dans le peu d'honneur qu'on fait à la chair, et dans le peu de soin qu'on prend de la rassasier ». Dieu, en effet, a honoré la chair; mais eux, ils en ont fait un usage peu honorable. Quand on en use suivant ses préceptes, c'est lui faire honneur, aux yeux de Dieu. Mais ils déshonorent la chair, dit saint Paul, en la privant, en lui ôtant tous ses ressorts, au lieu de laisser à la raison seule le soin de dominer la volonté charnelle.

« Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en-haut ». (Chap. III, 1.) Il les réunit au Christ, après avoir démontré plus haut que, le Christ était mort. Voilà pourquoi il dit : « Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en-haut ». Point d'observations à faire sur ce texte. « Recherchez les choses du ciel où le Christ est a assis à la droite de Dieu ». Ah ! comme il sait élever nos âmes ! De quels nobles sentiments il anime ses auditeurs ! Non-seulement il leur ouvre le ciel, le ciel où est le Christ, mais il le leur montre assis à la droite du Père. Il leur fait perdre ensuite la terre de vue. « N'ayez de goût que pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre; car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ. Mais quand paraîtra le Christ qui est votre vie, vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire (2-4) ». Ce n'est point ici-bas, dit-il, que vous vivez; il y a pour vous une autre vie. Il les force à se transporter dans les cieux ; il a à coeur de leur montrer qu'ils sont assis là-haut, qu'ils sont morts ici-bas, et de ce double état qui est le leur, il conclut qu'ils ne doivent pas rechercher les choses d'ici-bas. Non, vous ne devez pas les rechercher, si vous êtes morts ici-bas; non, vous ne devez pas les rechercher, si vous êtes assis là-haut. Le Christ ne paraît pas, donc votre vie ne commence pas encore : votre vie est en Dieu ; elle est là-haut. Quand donc vivrons-nous? Quand paraîtra le Christ qui est votre vie ; gloire, existence, délices, recherchez alors tout cela. Voilà comment il leur fraie le chemin du ciel, pour les détourner du relâchement et des plaisirs du monde. C'est une méthode qui lui est familière ; tout en s'appliquant à prouver, à établir une vérité, il passe à autre chose. A propos de ces fidèles qui prenaient part à la scène avant les autres, il s'élève à la contemplation des mystères. Il emploie un mode de réprimande qui fait un grand effet, parce que ses paroles ne font pas soupçonner la réprimande.

« Votre vie vous est cachée », dit-il. C'est avec Jésus-Christ que vous paraîtrez. Voilà pourquoi vous êtes éclipsés maintenant. Voyez comme il les transporte dans les cieux ! Car, je le répète, il s'attache toujours à leur montrer qu'ils ont les mêmes avantages que le Christ. Dans toutes ses épîtres, il s'arrange de manière à leur prouver qu'en toutes choses, ils sont ses associés, qu'ils sont avec lui en communauté pleine et entière. Si donc nous devons paraître un jour avec lui, ne nous affligeons pas de ne pas être encore honorés. Si la vie d'ici-bas n'est pas la nôtre, si notre vie est encore cachée, nous devons vivre ici-bas, comme si nous étions morts, « Un jour », dit saint Paul, « vous paraîtrez avec lui dans la gloire ».Oui, « dans la gloire » ; le mot est à sa place, le mot est juste. La perle aussi est cachée, tant qu'elle est renfermée dans le coquillage. Si donc nous sommes humiliés, si nous souffrons, ne nous affligeons pas. Notre vie n'est pas de ce monde; nous sommes, sur cette terre, des hôtes et des étrangers. « Vous êtes morts », dit-il. Qui donc ferait la folie d'acheter des esclaves, de bâtir des maisons, de payer des vêtements précieux pour un cadavre enseveli? Personne. N'agissons donc pas ainsi. Si notre unique but est de ne pas être dépouillés des biens du ciel, que notre unique but ici-bas soit d'être dépouillés des biens de la terre. Le vieil homme, en nous, a été enseveli ; il a été enseveli, non pas dans la terre, mais dans l'eau ; ce n'est pas la mort qui l'a détruit, c'est le destructeur de la mort qui l'a enseveli; il n'a pas accompli la loi de la nature; il a accompli l'ordre d'un Maître plus fort que la nature. On peut défaire l'ouvrage de la nature, on ne peut défaire l'oeuvre accomplie par l'ordre de ce Maître. Heureuse sépulture qui réjouit tous les coeurs, qui réjouit les anges, les hommes et le Maître des anges ! Sépulture où il ne faut ni linceul, ni sépulcre, ni rien de semblable. Voulez-vous en voir le symbole? Voyez cette piscine où un homme (140) meurt, où un autre homme ressuscite; voyez la Mer Rouge qui engloutit les Egyptiens pour livrer passage aux Israélites. Ce qui, pour les uns, est un sépulcre, devient, pour les autres, un berceau.

3. Ne vous étonnez pas si le baptême renferme à la fois la vie et la mort. Dites-moi la dissolution et la réunion ne constituent-elles pas deux phénomènes contraires? C'est là une vérité évidente pour tout le monde. Eh bien ! le feu opère ces deux phénomènes; il liquéfie et fait disparaître la cire; il réunit les minéraux pour en faire de l'or. Ici donc encore le feu, après avoir détruit une statue de cire, produit de l'or; car, avant le baptême nous étions d'argile; après le baptême, l'argile s'est changée en or. Qu'est-ce qui le prouve ? Ecoutez l'Apôtre lui-même : « Le premier homme vient de la terre, c'est une créature terrestre; le nouvel homme vient du ciel, c'est une créature céleste ». (I Cor. XV, 47.) Il y a, je le répète, une grande différence entre la boue et l'or ; mais entre les choses du ciel et les choses de la terre, la différence est bien plus grande encore. Nous étions de cire et de boue ; car nous fondions à la flamme des passions plus rapidement que la cire au contact du feu, et la tentation avait, pour nous briser, plus de pouvoir que n'en a le caillou pour briser l'argile. Représentons-nous, si vous voulez, la vie de l'homme, sous l'ancienne Loi, pour voir si tout n'était pas alors terre et eau, si les choses humaines n'étaient pas sujettes au flux et au reflux comme l'Euripe, si tout, dans cet ancien monde, ne tombait pas et ne se dissipait pas comme la poussière.

Et, si vous voulez, jetons les yeux non sur ce qui se passait autrefois, mais sur ce qui se passe aujourd'hui. Est-ce que nous ne voyons pas que tout s'évanouit comme l'onde et la poussière? Parlerons-nous des dignités? Rien, au premier coup d'oeil, ne semble plus digne d'envie. Et pourtant tout cela est plus fugitif que la poussière, aujourd'hui surtout. Ces magistrats, ces grands dignitaires dépendent de leurs courtisans, des eunuques, de ces hommes qui ne voient que l'argent, des colères du peuple, de l'indignation des grands. Cet homme qui , hier encore majestueusement assis sur son tribunal, était entouré de hérauts élevant la voix, cet homme que précédait sur la place publique un magnifique et nombreux cortége, cet homme-là est aujourd'hui dédaigné; ce n'est plus qu'un être vil et abject que tout le monde abandonne. Le voilà dénué d'amis; sa grandeur a été jetée au vent comme la poussière, elle a passé comme l'onde. Comme nos pieds soulèvent la poussière, ce sont les hommes d'argent, ces pieds de notre société, pour ainsi dire, qui portent les magistrats au pinacle. La poussière, quand elle s'élève, occupe dans les airs beaucoup de place, sans être elle-même beaucoup de choses; il en est de même des dignitaires, et, comme la poussière, le tourbillon de la grandeur nous aveugle.

Et maintenant, voulez-vous approfondir ce qui fait ici-bas l'objet de nos désirs les plus vifs, la richesse? Examinons-la dans tous ses détails. Elle apporte avec elle les plaisirs, les honneurs, la puissance. Examinons d'abord les plaisirs; sont-ils autre chose que poussière ; ne sont-ils même pas plus fugitifs encore ? C'est là une volupté qui ne dépasse point le palais et qui n'arrive même plus jusqu'au palais, une fois que le ventre est plein. Mais les honneurs, dira-t-on, sont toujours agréables et flatteurs. Et qu'y a-t-il de plus amer que ces honneurs, fruits de la richesse? Ces honneurs, qui ne sont le résultat ni du libre choix ni de la sympathie, ne sont pas pour vous; on les décerne à votre fortune. C'est ce qui fait que le riche est l'homme du monde le moins honoré. Dites-moi, en effet, si on vous honorait .parce que vous, avez un ami, en déclarant que vous n'avez aucune valeur personnelle , mais qu'on est obligé de vous honorer à cause de votre ami, ne serait-ce pas vous faire le dernier des outrages? Eh bien ! la richesse ne nous rapporte qu'ignominie, puisqu'elle est honorée plutôt que son possesseur et puisqu'elle est un signe de faiblesse plutôt que de puissance. N'est-il pas bizarre que, tout en nous regardant comme indignes de posséder cet amas de terre et de cendre qu'on appelle de l'or, on nous honore parce que nous le possédons. C'est là sans doute une bizarrerie. Et l'homme qui méprise les richesses n'a pas ces sentiments vulgaires; mieux vaut, en effet, ne pas être honoré que de l'être ainsi. Dites-moi, je vous prie : si l'on venait vous dire : Vous ne méritez pas qu'on vous fasse honneur, mais je vous honore à cause de vos nombreux domestiques, ce langage ne serait-il pas tout ce qu'il y a de plus insultant? Or, si c'est une honte de n'être (141) honoré qu'à cause de ces serviteurs qui ont une âme comme nous, qui sont faits comme nous, n'est-ce pas à plus forte raison un déshonneur de devoir sa considération à un entourage encore plus vil, à des murailles, à des galeries, à de la vaisselle d'or, à des vêtements? Voilà qui est vraiment ridicule et honteux. Mieux vaut la mort que de pareils honneurs.

Je vous le demande : si, au milieu de tout ce faste, vous couriez quelque danger, et si quelque être vil et méprisable s'offrait à vous pour vous en délivrer, votre situation ne serait-elle pas affreuse? Que vous disiez-vous les uns aux autres à propos d'une certaine cité? Je veux vous le rappeler. Notre ville offensa un jour son souverain, et le souverain ordonna qu'elle fût anéantie avec ses habitants, ses enfants et ses maisons. Car telle est la colère des rois; ils usent, comme ils veulent, de leur pouvoir, tant il est vrai que le pouvoir est un grand malheur ! Notre ville était donc dans un péril extrême. Une ville maritime de notre voisinage intercéda pour nous auprès de l'empereur. Mais les habitants de notre cité disaient qu'une pareille intercession était pire que la ruine. Tant il est vrai qu'un pareil honneur est pire que l'ignominie ! Voyez, en effet, sur quoi repose souvent l'honneur humain. C'est l'oeuvre de nos cuisiniers, et c'est à eux que nous devons en savoir gré; c'est aussi l'œuvre de cet éleveur de porcs qui fournit au luxe de notre table ; c'est l'œuvre des tisserands, des cotonnadiers, de ceux qui travaillent les métaux; c'est l'œuvre des pâtissiers et des gens de service.

4. Ne vaut-il donc pas mieux être privé de tous ces honneurs, que d'avoir des obligations à de pareils gens? Mais, outre cela, je vais essayer de prouver qu'on s'avilit en s'enrichissant. Oui, la richesse donne au riche une vilaine âme : quoi de plus honteux? Je vais vous faire une question. Je suppose qu'un homme ait le don de la beauté et qu'il soit doué d'une beauté supérieure. La fortune veut bien le visiter, mais à condition qu'elle remplacera, chez cet homme, la beauté par la laideur, la santé par la maladie, la juste proportion des membres par l'enflure et l'inflammation. Et, grâce à la fortune, voilà le nouveau riche qui est hydropique de tous ses membres ! Voilà son visage qui se gonfle et qui se boursouffle ! Voilà ses pieds qui atteignent à la grosseur de deux poutres ! Voilà son ventre qui est plus gros qu'un tonneau ! La fortune, en outre, abusant de son pouvoir, lui déclare qu'elle ne laissera pas aux médecins de bonne volonté, liberté pleine et entière de le soigner. Tout ce qu'elle peut faire, c'est de les laisser approcher du malade, à condition qu'elle les punira. Qu'y aurait-il de plus déplorable, je vous le demande, qu'une pareille condition? Voilà pourtant ce que la richesse fait de notre âme. Comment donc serait-elle un bien? Mais le pouvoir excessif que donne la richesse est encore pire que le mal. Car, ne pas même écouter les ordonnances des médecins, c'est encore pis que d'être malade. Eh bien ! tel est l'effet de la richesse : quand elle a produit l'hydropisie complète et l'inflammation de l'âme, elle éloigne les médecins.

Ne disons donc pas qu'ils sont heureux ces hommes revêtus d'un pouvoir excessif, et plaignons-les plutôt. Cet hydropique gisant sur son lit, que personne n'empêche de se gorger de boissons et de viandes malfaisantes, dirons-nous qu'il est heureux, parce qu'il peut prendre tout ce qu'il lui plaît? Car le pouvoir de . tout faire n'est pas toujours un bien, pas plus que les honneurs. Tout cela remplit l'âme d'orgueil et d'arrogance. Vous ne voudriez pas avoir en partage les maladies du corps en même temps que la richesse; pourquoi donc faire si bon marché de votre âme pour laquelle non-seulement la maladie, mais un autre châtiment encore est la suite de la richesse? L'âme du riche, en effet, est attaquée de tous côtés par la fièvre et par l'inflammation ; et cette fièvre, personne ne peut l'éteindre. La richesse le défend, la richesse qui persuade au malade que ce qui fait son malheur doit le rendre heureux, la richesse qui lui souffle à l'oreille de ne supporter aucun avis et de n'écouter que ses fantaisies. Il n'y a que l'âme du riche, en effet, pour être en proie à mille fantaisies monstrueuses. Quelles idées puériles n'ont-ils pas? Ils en ont plus que ces fous qui se forgent des monstres et des chimères, qui n'ont devant les yeux que Scyllas et que fantômes aux pieds de serpents. En comparaison d'un de leurs caprices bizarres, les Scyllas, les chimères, les hippocentaures ne sont rien; un seul de leurs caprices est tout ce qu'il y a au monde de plus monstrueux. On croira peut-être que j'ai dû être bien riche moi-même, quand on me verra faire des riches une peinture si fidèle. On dit, car je veux d'abord (142) prouver ma thèse par des exemptes puisés chez les gentils, on dit, je le répète, qu'un de leurs princes efféminés poussa les raffinements du luxe jusqu'à ordonner à un sculpteur de lui faire un platane d'or, avec un ciel d'or au dessus; c'était sous ce platane qu'il s'asseyait, et cela, quand il faisait la guerre à une nation belliqueuse. Cette fantaisie ne vaut-elle pas les hippocentaures et les Scyllas? Un autre faisait enfermer des hommes dans un taureau de bois. N'est-ce pas la encore la fable de Scylla ? Il y a encore un roi guerrier de l'antiquité auquel les richesses ont fait perdre sa qualité d'homme, pour le transformer en femme. Quand je dis « en femme », je devrais dire en brute et même en quelque chose de pis. Car les bêtes, si elles vivent dans les forêts, mènent du moins une existence conforme à leur nature, tandis que ce roi menait une vie bien plus abrutissante que les brutes.

Quoi donc de plus insensé que les riches? Voilà l'effet de leurs passions effrénées ! Mais ne trouvent-ils pas de nombreux admirateurs? Eh bien! ces admirateurs deviennent aussi ridicules qu'eux. Les exemples ci-dessus, en effet, ne prouvent pas l'opulence, mais la démence. Ce fameux platane d'or est loin de valoir et d'égaler un platane naturel. Car ce qui est conforme à la nature a toujours plus de charme que ce qui est contre nature. Que voulais-tu faire avec ton ciel d'or, monarque insensé? Voyez-vous combien la richesse nous égare? Voyez vous comme elle gonfle l'âme d'orgueil, comme; elle lui donne la fièvre ? On dirait que le riche ne sait pas ce que c'est que la mer et qu'il voudrait y marcher. Ne sont-ce pas là de pures chimères? Eh bien ! il y a maintenant des riches qui ressemblent à ceux de l'antiquité et qui sont même beaucoup plus insensés. Ces amphores et ces marmites d'or, en effet, n'annoncent-elles pas la folie aussi bien que le platane d'or ? Que dire de ces femmes (j'ai honte de citer ce fait, mais j'y suis forcé), que dire de ces femmes qui ont des vases immondes en argent? Ah! vous devriez rougir de votre conduite. Le Christ a faim, et vous vous livrez ainsi à votre sensualité. Mais vous êtes fou et vous paierez cher votre folie. Puis vous demandez pourquoi il y a tant de voleurs, tant de parricides et tant de fléaux, quand vous êtes agités de toutes les fureurs du démon ! Avoir des tablettes d'argent n'est pas de la sagesse; c'est du luxe. Mais faire faire eu argent des vases destinés aux plus vils usages, c'est du luxe, ou plutôt de la folie, ou plutôt de la fureur; c'est même quelque chose de pis.

5. Bien des gens, je le sais, rient de mes paroles; mais peu m'importe, si mes paroles portent leurs fruits. Oui, la démence et la fureur sont filles de la richesse. Si ces riches le pouvaient, ils feraient faire une terre d'or, des murailles d'or, peut-être même un ciel d'or et une atmosphère d'or. Quelle fureur! quelle injustice ! quelle fièvre ! Voilà une créature faite à l'image de Dieu qui meurt de froid, et voilà les couvres qui vous occupent! O quel faste ! et que pourrait faire de plus un insensé? Trouvez-vous donc vos excréments assez précieux pour employer l'argent à les recueillir ? Je sais qu'en entendant ces paroles vous êtes frappés de stupeur. Mais les personnes qui devraient être frappées de stupeur sont celles qui commettent de pareils actes, et qui se rendent esclaves de pareilles manies;, car il y a là de l'indécence, de la cruauté, de l'inhumanité, de la férocité et de la mollesse. Quel monstre, quel reptile, quel mauvais génie, quel démon peut être capable d'agir de la sorte? A quoi sert le Christ? A quoi sert la foi, si l'on suit l'exemple des païens ou plutôt du démon ? Si l'on ne doit point parer sa tête d'or et de perles, celui qui emploie l'argent au plus vil de tous les usages est-il excusable? Ne vous suffit-il pas d'avoir déjà tant de meubles en argent, d'avoir des sièges et des escabeaux en argent, luxe déjà intolérable et insensé? Mais partout aujourd'hui règne. un faste inutile, partout la. vanité ; la raison n'est plus de mode; on n'aime que le superflu. Ah ! j'ai bien peur qu'en donnant de plus en plus dans toutes ces folies, les femmes ne deviennent de véritables monstres; aujourd'hui probablement elles voudraient avoir des cheveux d'or. Avouez donc que mes paroles n'ont pu ni émouvoir ni réveiller vos âmes; avouez que vous êtes plongés dans la concupiscence et que, si la honte ne vous retenait, vous tomberiez dans tous les excès. D'après ce qu'on ose déjà faire, je puis croire que les femmes voudront bientôt avoir des cheveux d'or, des lèvres, des sourcils de même métal, et qu'elles se doreront de la tête aux pieds.

Peut-être ne me croyez-vous pas; vous croyez peut-être que je veux rire ; eh bien ! je vais vous raconter ce que j'ai appris, ce qui a (143) lieu encore de nos jours. Le roi de Perse porte une barbe d'or; des artistes habiles ont soin de garnir de lames d'or sa barbe naturelle, et c'est dans cet accoutrement qu'il se fait voir comme un phénomène. Gloire à toi, Jésus-Christ !  De combien de faveurs ne nous as-tu pas comblés pour guérir nos âmes ! De combien de folies monstrueuses ne nous as-tu pas délivrés ! Aujourd'hui donc j'élève la voix, non pour vous donner des avis, mais pour vous donner des ordres. M'entende qui voudra, et qu'on me désobéisse, si l'on veut. Mais je vous déclare que , si vous persistez dans votre conduite, je ne la supporterai plus, je ne vous accueillerai plus, je ne vous laisserai plus passer le seuil de ce temple. Qu'ai-je besoin, en effet, de cette multitude de malades que je cherche en vain à guérir de leurs manies? Paul ne défendait-il pas aussi l'or et les perles? Eh bien ! nous autres nous servons de risée aux gentils, et nous sommes la fable des païens. C'est aussi pour les hommes que je parle : voulez-vous venir à l'école du Christ, pour y apprendre la science de l'âme? Déposez d'abord votre faste. C'est aux hommes et aux femmes que je m'adresse, et je ne souffrirai plus qu'on me désobéisse.

Jésus-Christ n'avait que douze disciples. Ecoutez ce qu'il leur dit : « Et vous, ne voulez-vous point aussi me quitter ? » (Jean, VI, 68.) Car, si nous ne cessons de vous flatter, quand vous soulagerons-nous? Quel progrès ferons-nous? Mais il y a, dites-vous, d'autres sectes que l'on peut embrasser, en changeant de croyance. Une pareille objection ne me touche pas. « Mieux vaut un seul fidèle faisant la volonté de Dieu, que mille impies ». (Eccl. XVI, 3.) Car, je vous le demande, aimeriez-vous mieux avoir une foule d'esclaves fugitifs et voleurs qu'un seul esclave affectionné ? Oui, je vous le conseille et je vous l'ordonne : défaites-vous de ces ornements, de ces vases, donnez-en le prix aux pauvres et corrigez-vous de votre folie. Qu'on se révolte, si l'on veut; qu'on m'accuse et qu'on me critique, si l'on veut : je n'excuse plus personne. Quand je comparaîtrai devant le tribunal du Christ, vous ne serez pas là pour me défendre, et vous ne pourrez pas me secourir, lorsque je rendrai mes comptes. C'est vouloir me corrompre que de me dire : Cet homme vous abandonnera, il passera à l'ennemi et embrassera une autre secte. C'est une âme faible; descendez jusqu'à lui et pliez-vous un peu à sa faiblesse. Et jusques à quand faut-il user de condescendance? C'est bon pour une fois, pour deux ou trois fois tout au plus; mais ça ne peut pas toujours durer. Je vous le déclare donc de nouveau et je vous le proteste avec saint Paul : Si vous y revenez, je ne vous épargnerai plus (II Cor. XIII, 2). Quand vous vous serez corrigés, vous verrez tout ce que vous aurez gagné à écouter mes paroles. Je vous prie donc, je vous conjure de vous corriger; je suis prêt, s'il le faut, à embrasser vos genoux et à me répandre en supplications. Que signifient cette faiblesse, cette sensualité, cette conduite qui outrage Dieu? Car votre conduite n'est pas pour vous le bonheur; c'est un outrage envers Dieu. Quelle est cette démence ? quelle est cette folie? Quoi ! il y a tant de pauvres autour de l'Eglise, et l'Eglise qui possède dans son sein tant de riches enfants ne peut venir au secours du pauvre ! L'un meurt de faim, tandis que l'autre est ivre ! L'un emploie l'argent aux plus vils usages, tandis que l'autre n'a pas de pain ! Quelle est cette folie? Quelle est cette férocité? A Dieu ne plaise que nous soyons réduits, dans notre indignation,. à punir votre désobéissance ! Puissiez-vous au contraire remplir tous vos devoirs avec résignation,. avec plaisir, afin que nous vivions pour honorer Dieu , afin que nous évitions les peines de l'autre vie et que nous obtenions le bonheur promis à ceux qui aiment Dieu, par sa grâce et par sa bonté !

 

 

 

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