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Lettres de Sainte
CATHERINE DE SIENNE (suite)
TABLE DES LETTRES (2)166-373
CLXVI (120). - A FRERE RAINIER DANS LE CHRIST, au couvent de Sainte-Catherine des Frères Prêcheurs, à Pise.- De la force et de la persévérance dans les épreuves et les tentations. Il faut s'appuyer sur la Croix et sur lespérance du ciel. CCXXIII (177).- A SOEUR ALESSIA.- De la manière darriver à la perfection. CCLXIV (256).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- De la connaissance de Dieu et de soi-même. CCLXV (257).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- Du mépris du monde et de soi-même. CCLXXIX (271). A HIPPOLYTE UBERTINI, à Florence. Elle lexhorte à abandonner le monde. CCLXXXI (273). A NERI DE LANDOCOCCIO. De la lumière qui donne la charité. CCLXXXIV (276).- A NERI DE LANDOCCIO.- Des grâces que le cur reçoit de Dieu dans la prière. CCLXXXVII (279).- A NERI DE LANDOCCIO.- De la persévérance et du progrès dans la vertu. CCLXXXVIII (280). A NERI DE LANDOCCIO.- Du renoncement à soi-même. CCCVIII (300).- A MARC BINDI, marchand.- De la vertu de patience et de la manière de lacquérir. CCCXI (303).- A JEAN PEROTTI, corroyeur, à Lucques.- De la crainte et de lamour de Dieu. CCCXIV (300).- A QUELQUUN QUON NE NOMME PAS.- De linfinie bonté de Dieu, et de la haine du péché. CCCLXIII.- A LA MEME.- Elle lexhorte à croître dans les saints désirs de la vertu. CCCLXIV.- A LA MEME.- Elle lexhorte à se baigner dans le sang de Jésus-Christ. CCCLXV.- A LA MEME.- Elle lexhorte à la persévérance et aux autres vertus.
Lettres 2ème partie
CLXVI (120). - A FRERE RAINIER DANS LE CHRIST, au couvent de Sainte-Catherine des Frères Prêcheurs, à Pise.- De la force et de la persévérance dans les épreuves et les tentations. Il faut s'appuyer sur la Croix et sur lespérance du ciel.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon révérend Père dans le Christ Jésus, par respect pour le très doux Sacrement, mol, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un vrai chevalier combattant contre tous les vices et les tentations pour Jésus crucifié, avec une sainte et véritable persévérance; car c'est la persévérance qui est couronnée. Vous savez bien que [964] cest en persévérant et en combattant qu'on obtient la victoire. Nous sommes placés on cette vie comme un champ de bataille, et nous devons combattre courageusement, sans fuir et tourner la tête en arrière ; mais il faut regarder notre capitaine, Jésus qui persévère toujours, et n'est arrêté ni par les Juifs, qui disent: Descends de la Croix; ni par le démon, ni par notre ingratitude; il persévère cesse pas d'accomplir les ordres de son Père et salut, jusqu'au moment où il retourne a son Père avec la victoire, puisqu'il a tiré le genre humain des ténèbres et lui a rendu la lumière de la grâce en vainquant le démon et le monde avec ses délices, sans rester dans la mort. 2. Cet Agneau a souffert la mort pour nous rendre la vie ; par sa mort il a détruit notre mort. Le sang et la persévérance de ce capitaine doivent nous encourager à bien combattre, à supporter les peines, les coups, les injures et les affronts pour son amour, à acquérir la pauvreté volontaire, l'humilité de coeur, l'obéissance complète et parfaite. Celui qui le fera, quand sera dissipé le nuage de son corps, ira avec la victoire dans la cité de la vie éternelle; il aura vaincu le démon, le monde, la chair, qui toujours nous tourmente et combat contre l'esprit : il faut la dompter, la macérer par le jeune, les veilles et la prière; il faut chasser les mauvaises pensées qui se présentent au moyen de bonnes et saintes images, nous représentant continuellement combien est ardent le feu de la charité divine, qui a tout fait pour nous par grâce, et non par devoir. Le Père nous a donné le Verbe, son Fils unique, et le Fils a [965] donné sa vie par amour; il s'est immolé, et son corps déchiré a versé son sang de toute part, et ce sang a lavé les souillures de nos iniquités. 3. Quand l'âme contemple tant d'amour, elle se consume d'amour, et il lui semble qu'elle ne peut pas trop faire en livrant son corps à toutes sortes de peines et de tourments; elle ne croit jamais assez reconnaître tant d'amour et de bienfaits qu'elle a reçus de son Créateur notre Dieu, si bon, nous a aimés sans être aimé. C'est en y pensant que vous chasserez les pensées du démon. Vous pourrez me dire : Vous voulez que je sois un généreux chevalier, et je suis, sur le champ de bataille, attaqué par une foule d'ennemis. Il me faut des armes; dites-moi celles que je dois prendre. Je vous réponds que je ne veux pas que vous soyez sans armes, mais je veux que vous ayez les armes de saint Paul, qui fut un homme comme vous (1 Thess 5, 8): la cuirasse de la vraie et profonde humilité, le plastron de son ardente charité; et, de même que la cuirasse est unie au plastron, et le plastron à la cuirasse, l'humilité garde et nourrit la charité, et la charité nourrit l'humilité ce sont les armes que je vous donne; elles résistent à tous les coups que peuvent frapper le démon, le monde et la chair. Leurs flèches ont beau être empoisonnées, elles ne blessent jamais; car l'âme qui aime Jésus crucifié n'est pas blessée par les flèches du péché mortel, sans le consentement de sa volonté; et sa force est si grande, que ni le démon ni les créatures ne peuvent lui faire violence qu'autant qu'elle le veut bien [966]. 4. Il vous faut aussi prendre en main l'épée pour vous défendre de vos ennemis. Cette épée a deux tranchants dont le premier est la haine de vous-même et le regret du temps souvent perdu par notre peu de zèle pour la vertu, par nos misères, nos iniquités, nos offenses envers le Sauveur. Nous devons haïr ces offenses et nous-mêmes, qui les avons commises; et celui qui ressent cette haine veut se venger de sa vie passée et souffrir toutes sortes de peines pour l'amour du Christ et pour l'expiation de ses péchés, punissant l'orgueil par l'humilité, la cupidité et l'avarice par la générosité et la charité, les écarts de la volonté propre par l'obéissance. Ce sont là les saintes vengeances que nous devons exercer quand nous prenons l'épée de la haine et de l'amour. Aussi je suis heureuse, et je me réjouis des bonnes nouvelles que j'ai apprises de vous; car il me semble que vous vous êtes vengé de votre liberté en vous soumettant au joug de la sainte obéissance. Vous ne pourrez mieux faire que de renoncer au monde, à ses plaisirs, à ses délices et à votre propre volonté. 5. Je vous conjure, pour l'amour de Jésus crucifié, de combattre généreusement et avec une sainte persévérance sur ce champ de bataille; ne détournez jamais la tête pour éviter les coups de ]'épreuve et de la tentation; mais tenez ferme avec vos armes; résistez avec elles, et parez tous les coups. Avec l'épée à deux tranchants de la haine et de l'amour vous vous défendrez de vos ennemis. Je veux que l'arbre de la Croix soit planté dans votre cur et dans votre âme; devenez semblable à Jésus crucifié; cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié; baignez-vous [967] dans le sang de Jésus crucifié, enivrez-vous et revêtez-vous de Jésus crucifié; rassasiez-vous d'opprobres, de honte et d'affronts, en souffrant pour l'amour de Jésus crucifié; fixez votre cur et votre affection sur la Croix de Jésus-Christ, parce que la Croix est devenue la barque et le port qui vous conduira au port du salut. Les clous sont devenus des clefs pour ouvrir le royaume du ciel. Courage donc, mon Père, mon très cher Frère; ne dormez plus dans le lit de la négligence, mais comme un chevalier généreux et sans crainte, combattez tout adversaire. Dieu vous donnera la plénitude de la grâce; et quand votre vie sera passée, après la fatigue vous arriverez au repos, à la vue de la beauté suprême, éternelle, à la vision de Dieu, où l'âme se repose, délivrée de toute peine, de tout mal, Où elle reçoit le bien véritable, un rassasiement sans dégoût, et une faim sans douleur. Terminez votre vie sur la Croix. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CLXVII (121).- AU FRERES LAZZARINI, de Pise, de lOrdre des Frères Mineurs.- Jésus crucifié nous enseigne lamour envers Dieu, et la haine envers nous-mêmes. (Frère Lazzarini de Pise, religieux conventuel de Saint François, professait la philosophie à Sienne, Il fut attiré à une vie plus parfaite par sainte Catherine, comme le raconte le P. Barthélemi de Dominici dans sa déposition du procès de Venise. Sainte Catherine adressa un grand nombre de lettres aux religieux de Saint-François. Il nest resté que celle-ci et la suivante.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et très aimé Père, Frère et Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, sa servante inutile [968], je vous écris en me rappelant cette douce parole du Christ: « J'ai désiré avec désir faire cette pâque avec vous avant de mourir (Lc 22, 15). Ce saint désir, je le tiens de la grâce divine; car moi je ne suis pas, Dieu seul est Celui qui est; et c'est parce que Dieu a blessé mon âme que j'ose dire ce qu'a dit le Christ : J'ai désiré avec désir que nous fassions la pâque avant de mourir. Ce sera notre douce et sainte pâque dont parle David dans les Psaumes : « Goûtez et voyez. » Il ne semble pas que nous puissions voir Dieu si nous ne le goûtons pas d'abord par cette sainte pâque, si nous ne le goûtons pas par l'amour de son ineffable charité, connaissant et goûtant la bonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre bien, comme le dit l'ardent saint Paul. Dieu est notre sanctification, notre justice, notre repos, et la volonté de Dieu ne veut que notre sanctification. O ineffable dilection et charité! vous avez montré ce désir enflammé en courant, comme un homme ivre et aveugle, à l'opprobre de la Croix. L'aveugle ne voit pas, l'homme ivre non plus, lorsque son ivresse est complète. Ainsi Notre-Seigneur s'est perdu lui-même, parce qu'il était aveugle, enivré de notre salut, sans se laisser arrêter par notre ignorance, notre ingratitude, et l'amour-propre que nous avons pour nous-mêmes. O Jésus, très doux Amour! vous vous êtes [969] laissé aveugler par l'amour, qui ne vous a pas laissé apercevoir nos iniquités, et vous en avez perdu le sentiment. O doux Maître ! il semble que vous avez voulu les voir et les punir par votre corps très aimable, en vous livrant au supplice de la Croix, et en restant sur la Croix tout transporté d'amour, pour nous montrer que ce n'est pas pour votre utilité, mais pour notre sanctification, que vous nous aimez. 2. Il est là comme notre règle, notre voie, comme un livre écrit où toute personne ignorante et aveugle peut lire. La première ligne de ce livre est la haine et l'amour : l'amour de l'honneur du Père, et la haine du péché. Ainsi donc, mon très cher et très aimé Frère et Père, par respect pour l'auguste Sacrement, suivons ce livre qui nous montre si doucement le chemin, et, s'il arrive que nous rencontrions dans ce chemin nos trois ennemis, le monde, la chair et le démon, prenons les armes de la haine, comme l'a fait notre Père saint François pour que le mondé ne lui enflât pas le cur, il choisit la sainte et parfaite pauvreté. Je veux que nous agissions de même. Si le démon de la chair veut se révolter contre l'esprit, il faut le mépriser; il faut affliger et macérer notre corps, comme l'a fait aussi notre Père, qui a toujours couru dans cette route avec zèle et sans négligence. Et si le démon se présente avec ses illusions, ses fantômes, avec la crainte servile, s'il veut envahir notre esprit et notre âme, ne craignons pas, parce que toutes ces choses sont devenues impuissantes par la vertu de la Croix. O très doux amour! puisqu'ils ne peuvent rien qu'autant que Dieu le [970] permet, et puisque Dieu ne veut que notre bien, il ne nous donnera jamais de fardeau au-dessus de nos forces. 3. Courage, courage; ne fuyez pas la peine, et conservez toujours une sainte volonté, qui ne se repose eu autre chose qu'en ce que Dieu aime, et non pas en ce que Dieu hait, Notre volonté, ainsi armée de haine et d'amour, recevra tant de force, que, comme le dit saint Paul, ni le monde, ni le démon, ni la chair, ne pourront nous donner la mort. Souffrons, souffrons, très cher Frère, parce que, plus nous souffrirons ici-bas avec Jésus crucifié, plus nous recevrons de gloire; et aucune peine ne sera plus récompensée que la peine de l'esprit du cur, car ce sont les plus grandes peines, et celles qui produisent davantage. C'est ainsi qu'il faut goûter Dieu, afin que nous puissions le voir. Je ne vous dis quune chose, c'est d'être uni et transformé dans cette douce volonté de Dieu. Courons, très doux Frère, courons tout enchaînés avec le lien de la charité, à Jésus crucifié, sur le bois de la Croix. Moi, Catherine, la servante inutile de Jésus-Christ, je me recommande à vous, et je vous conjure de prier Dieu pour moi, afin que je marche dans la vérité. Jésus, Jésus, Jésus.
CLXVIII (122) .- A UN GENOIS DU TIERS ORDRE de Saint-François, qui avait avec une dame une liaison spirituelle dont il souffrait beaucoup.- De la manière daimer les créatures.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [971] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir combattre généreusement, comme un vrai chevalier, avec la lumière et le bouclier de la sainte Foi, pour repousser tous les coups et pour connaître à cette lumière ce qui fortifie l'ennemi et ce qui l'affaiblit, afin que vous preniez le remède qui l'affaiblit, et que vous fuyiez la cause qui le fortifie. Quelle est la cause qui le fortifie? C'est la volonté propre fondée sur l'amour de soi-même. Cet amour affaiblit la volonté, et la fait tourner comme la feuille au vent. La volonté court où l'amour sensitif l'attache; elle consent volontairement à la jouissance de la chose aimée; et c'est dans la volonté qu'est la faute, et non dans les mouvements que donne l'amour sensitif pour faire aimer les choses qui sont en dehors de la volonté de Dieu et de la raison, si la volonté n'y consent pas. Mais la volonté qui suit l'amour-propre fortifie l'ennemi et s'affaiblit elle-même. 2. Qu'est-ce qui fortifie l'âme et affaiblit l'ennemi? C'est notre volonté revêtue de l'amour de la douce volonté de Dieu. Cette volonté est alors si forte que ni le démon ni les créatures ne peuvent l'affaiblir, si elle ne le veut pas elle-même. Et pourquoi est-elle forte? Parce qu'elle s'est volontairement unie à Dieu, qui est l'éternelle et suprême force; elle est ferme et inébranlable, parce que notre Dieu, en qui elle fait sa demeure, est immuable, et elle n'a de mouvement qu'en lui. Et comment l'âme acquiert-elle cette force? Par la doctrine du doux et tendre Verbe, qu'elle regarde à la lumière de la très sainte Foi. Dans sa doctrine et dans son sang elle connaît que [972] la volonté de Dieu ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. C'est pourquoi elle l'aime, elle s'en revêt, elle anéantit sa volonté dans celle de Dieu. Cette volonté rend l'âme prudente; elle ne s'égare pas dans les ténèbres, mais elle règle sa vie avec sagesse et discrétion, toujours attentive à fuir les choses qui nous ravissent Dieu; et, comme elle voit que l'amour sensitif le lui ravit, elle hait la sensualité, et elle aime la raison; elle fait tout à la lumière de la raison; elle aime son Créateur sans limite et sans mesure. Non seulement elle ne veut pas que les choses créées l'arrêtent, mais elle ne veut pas s'arrêter à elle-même, c'est-à-dire à sa propre volonté perverse; et comme elle renonce à elle-même et à toutes les choses créées, qu'elle n 'aime jamais an dehors de la volonté de Dieu, mais qu'elle aime pour Dieu, son amour est bien réglé. 3. Si elle aime la créature, elle l'aime par amour du Créateur, avec ordre et non sans ordre, avec mesure et non sans mesure. Avec quelle mesure ? Avec celle de la charité de Dieu. Elle ne prend pas d'autre mesure, afin de n'être pas trompée, comme le sont beaucoup de personnes imparfaites qui se laissent égarer par le démon avec l'appât de l'amour; elles commencent à se régler sur la charité de Dieu, c'est-à-dire à aimer les créatures pour lui, puis elles abandonnent la vraie mesure pour prendre la mesure de la sensualité; et on voit le pauvre aveugle, séduit par l'apparence de la dévotion, perdre Dieu et la prière sainte dont il avait fait sa mère. Il jette à terre les armes qui lui servaient de défense; il affaiblit sa volonté et fortifie ses ennemis; il tombe [973] dans une ruine complète. Il a conçu la mort, et il n'a plus qu'à l'enfanter; il ne s'en aperçoit pas, et ne fuit pas cette créature comme un poison, mais il cherche et suit le poison, les pensées et les mouvements empoisonnés. Nous ne pouvons empêcher qu'ils se présentent, car la chair est prompte à combattre contre l'esprit, et le démon ne doit jamais ce qui doit nous apprendre à sortir de notre négligence et à être vigilant. Le libre arbitre peut lier la volonté, pour qu'elle ne consente pas et qu'elle ne reçoive pas volontairement le démon dans sa demeure. Elle peut fuir, en ne voulant pas s'exposer encore au mal, mais son aveuglement est si grand qu'elle veut attendre qu'un ange tombe du ciel et se précipite en enfer. O maudite affection! comme tu es sortie de ta mesure! O piège perfide! tu entres doucement comme un habile voleur, tu te fais le familier de la maison, et, lorsque tu as aveuglé l'oeil de l'intelligence, tu te montres; et si on ne te voit pas, on sent bien ta corruption. 4. O très cher et très doux Frère dans le Christ, le doux Jésus ! servons-nous de la main de la haine avec la contrition du cur et le regret de la faute, et avec cette main tirons la paille de notre il, afin qu'il soit clair et que nous reconnaissions cet ennemi perfide. Que la volonté fuie pour ne pas consentir aux pensées du cur, et que le corps s'éloigne du danger et de la présence de la créature. Hélas ! hélas ! attachons-nous à l'arbre de la Croix, et regardons l'Agneau immolé pour nous, et là, nous retrouverons le feu du saint désir, et, avec ce désir, nous retrouverons notre mère, la prière sainte [974], humble, fidèle et persévérante. Sans ces qualités, son sein serait tari, et elle ne pourrait nourrir les vertus, ses enfants, ni l'âme, de sa douceur. Dès que nous aurons retrouvé cette mère, nous aurons retrouvé la mesure de la charité divine, avec laquelle nous devons mesurer l'amour que nous avons pour la créature raisonnable. Nous serons forts, car nous n'aurons plus aucune faiblesse; nous serons courageux, parce que nous aurons étouffé en nous le plaisir féminin, qui rend le cur pusillanime; nous serons délivrés des ténèbres et nous marcherons dans la lumière, en suivant la doctrine de Jésus crucifié, entièrement protégés par le bouclier de la très sainte Foi. Nous resterons sur le champ de bataille, ne refusant aucune fatigue, et ne tournant jamais la tête en arrière. Toujours persévérants, sans aucune crainte servile, nous regarderons avec une sainte crainte nos ennemis affaiblis; nous serons forts de la force suprême, et nous verrons dans la persévérance la couronne de gloire qui est préparée, non pas à celui qui commence seulement, mais à celui qui persévère jusqu'à la fin. 5. Notre âme sera vêtue ainsi de force et de persévérance, mais pas autrement. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir un vrai combattant, afin que vous puissiez mieux accomplir la volonté de Dieu et mon désir, et vous tirer des circonstances pénibles où vous êtes. Ayez toujours le sang du Christ devant l'oeil de votre intelligence, pour vous exciter au combat; que dans ce sang glorieux, votre volonté s'anéantisse; qu'elle meure, et que par cette mort elle ne puisse plus céder aux tentations du [975] démon, des créatures et de la chair fragile. Fuyez surtout l'occasion, si la vie de votre âme vous est chère: cela fait, ne craignez pas les combats et les attaques du démon, et ne tombez pas dans le trouble de l'esprit; mais supportez avec patience et avec regret la faute qui vient du consentement volontaire et de son accomplissement. Ne soyez pas négligent, mais plein de zèle; préparez-vous à goûter le parfum des vertus et de la vraie et sainte pauvreté pour l'amour de l'humble et pauvre Agneau, et lorsque vous aurez mis la main à la charrue, ne tournez jamais la tête en arrière pour voir le sillon. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Fuyez dans la cellule de la connaissance de vous-même, où vous trouverez la grandeur de la bonté et de la charité divine, qui vous a sauvé de l'enfer. Doux Jésus, Jésus amour [976].
CLXIX (123).- A MAITRE JEAN, le troisième, de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin.- Dieu est le souverain bien, et le péché le souverain mal. - Rien en dehors du péché ne peut être appelé un mal. (Frère Jean Tantucci de Sienne, est appelé le troisième parce quil succéda comme prieur des Ermites de Saint-Augustin de Lecceto, à deux autres religieux qui se nommaient aussi Jean. Après avoir été hostile à sainte Catherine, Il devint son disciple le plus fidèle. Il était un des trois confesseurs qui accompagnaient notre sainte avec des pouvoirs extraordinaires. Il était maître en théologie, et docteur de l'université de Cambridge. Il mourut le 4 octobre 1391, et est honoré du titre de bienheureux.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [976] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et anéanti dans le sang de l'Agneau immolé. Ce sang lave et anéantit, c'est-à-dire qu'il tue la volonté perverse. Je dis qu'il lave la face de la conscience, et qu'il tue le ver qui la ronge, parce que ce sang devient un bain, et parce que ce sang n'est jamais sans le feu, et qu'il est mêlé au feu de la divine charité, car il a été répandu par amour. Ainsi le feu avec le sang lave et consume la rouille de la faute qui est dans la conscience, et cette faute est un ver qui ronge la conscience. Lorsque le ver est mort et la face de l'âme lavée, l'amour-propre déréglé disparaît; mais tant que l'amour-propre est dans l'âme, ce ver ne meurt pas, et la lèpre souille toujours la face de l'âme. 2. Nous devons reconnaître que le sang et le feu de l'amour divin nous ont été donnés; nous avons reçu ce sang et ce feu pour notre rédemption, mais nous n'y participons pas tous. Ce n'est pas la faute du sang, du feu et de la douce Vérité première qui nous les a donnés, mais c'est la faute de celui qui ne vide pas son vase pour pouvoir le remplir avec le Sang. Tant que le vase du cur est plein de l'amour-propre spirituel ou temporel, il ne peut se remplir de l'amour divin, et participer à la vertu du Sang; il ne lave pas sa face, et ne tue pas le ver qui le ronge (977). Il faut donc trouver le moyen de se vider et de se remplir, pour arriver à cette perfection qui tue la volonté propre; car si la volonté est tuée, le ver le sera aussi. 3. Quel sera ce moyen, très cher Fils? Je vous le dirai. Ce sera d'ouvrir l'oeil de notre intelligence pour connaître le souverain bien et le souverain mal. Le souverain bien est Dieu, qui nous aime d'un amour ineffable; cet amour s'est manifesté par le moyen du Verbe, son Fils unique, et le Fils l'a manifesté par son sang. Dans ce sang, l'homme connaît l'amour que Dieu lui porte; et il connaît son propre mal, car la faute est ce qui conduit aux peines éternelles. C'est le péché qui est le mal véritable; il procède de l'amour-propre, et c'est la seule chose qui soit un mal, c'est ce qui a été cause de la mort du Christ. Aussi je vous dis que dans le Sang, nous connaissons le souverain bien de l'amour que Dieu a, et notre véritable mal, car rien n'est mal que la faute, comme je t'ai dit. Aussi les tribulations et les persécutions du monde ne sont pas des maux, pas plus que les injures, les coups, les affronts, les tentations du démon et celle des hommes, les difficultés et les épreuves que les serviteurs de Dieu se causent entre eux. Dieu les permet pour voir si en nous se trouvent la force, la patience et la persévérance finale; et même elles conduisent l'âme à goûter l'éternel et souverain Bien. Nous le voyons clairement dans le Fils de Dieu, qui, étant Dieu et homme, et ne pouvant vouloir aucun mal, n'a choisi pour toute sa vie que les peines, les injures, les tourments, et enfin la mort honteuse de la Croix; et il l'a voulu souffrir [978], parce qu'elle était un bien, et qu'elle punissait nos fautes, qui sont le véritable mal. 4. Quand l'oeil de l'intelligence a ainsi vu et discerné ce qui est la cause du bien, et ce qui est la cause du mal, ce qui est le bien, ce qui est le mal, l'amour suit l'intelligence, et s'empresse d'aimer son Créateur, parce que l'âme connaît dans le Sang son amour ineffable; et elle aime tout ce qu'elle voit lui plaire et l'unir à lui davantage. Alors elle se réjouit des tribulations nombreuses qui l'éprouvent, et elle se prive elle-même de la consolation par amour de la vertu. Elle ne choisit pas elle-même l'instrument de la tribulation qui éprouve sa vertu, mais elle le reçoit de Celui qui l'envoie, c'est-à-dire de Dieu, qui veut uniquement que nous soyons sanctifiés en lui. L'amour vient ainsi de l'amour, et parce que dans cet amour l'oeil de lintelligence a vu son mal, c'est-à-dire son péché, elle le déteste, et elle désire se venger de ce qui en a été la cause. La cause du péché est l'amour-propre, qui nourrit la volonté déréglée et révoltée contre la raison, et l'âme ne cesse jamais d'exciter et d'augmenter la haine de l'amour sensuel jusqu'à ce qu'il soit mort. Elle devient tout à coup patiente, et ne se scandalise ni de Dieu ni d'elle-même, ni du prochain; elle a pris les armes pour tuer ce sentiment mauvais qui conduit l'âme à un si grand mal, qui lui ôte la vie de la grâce, lui donne la mort et la réduit au néant, puisqu'elle est privée de Celui qui est. Il faut donc qu'elle s'arme du glaive qui la défend contre ses ennemis, et qui tue sa sensualité. Ce glaive a deux tranchants, la haine et l'amour; la main du libre arbitre, qui sait que [979] Dieu donne par grâce et non par obligation, s'en sert pour couper et pour tuer. 5. C'est ainsi, mon Fils, que nous participons à la vertu du sang et à la chaleur du feu. Le sang lave, et le feu consume la rouille du péché; il tue le ver de la conscience. Il ne tue pas réellement la conscience, qui est la garde de l'âme, mais le ver du péché, qui la ronge intérieurement. Nous ne pourrons par un autre moyen et une autre voie arriver à la paix et au repos, ni goûter le sang de l'Agneau sans tache. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir baigné et noyé dans le sang de Jésus crucifié. Levez-vous donc, sortez du sommeil de la négligence, et détruisez la volonté propre dans ce sang précieux. N'écoutez pas la crainte servile, l'amour-propre, le langage des créatures, les murmures et les scandales du monde; mais persévérez avec un cur généreux, et prenez garde d'agir comme les insensés. Prenez garde aussi de vous scandaliser à l'avenir des serviteurs de Dieu, et de murmurer de leurs uvres, parce que c'est un signe que la volonté n'est pas morte; si elle est morte dans les choses temporelles, elle n'est pas encore morte dans les choses spirituelles. Tâchez donc de la faire mourir à tous ses caprices, et que l'éternelle et douce volonté de Dieu vive en vous; c'est à vous d'en juger comme il est dit dans notre leçon. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. 6. Vous m'écrivez qu'un fils ne peut se passer du lait de sa mère; si vous le voulez, ne tardez donc pas à venir. Vous dites que vous ne voudriez pas [980] manquer à l'obéissance; venez avec la permission, et vous n'y manquerez pas. Vous voilà nécessaire parce que Nanni a dû partir; si vous pouvez venir, j'en serai très heureuse. Doux Jésus, Jésus amour. Recommandez-nous au Bachelier, à frère Antoine, à messire Matthieu et à tous les autres.
CLXX (125). - A FRERE GUILLAUME DANGLETERRE , des Ermites de Saint-Augustin.- De la lumière parfaite et de la lumière imparfaite. - La mortification du corps doit être seulement le moyen d'arriver à la mortification de la volonté. (Frère Guillaume d'Angleterre fut un des plus illustres disciples de sainte Catherine. Ses lumières égalaient sa sainteté, et il avait reçu le don de prophétie. Le Pape Urbain VI l'appela auprès de lui, au milieu des difficultés du schisme naissant. Il mourut la même année que sainte Catherine, en 1380.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairé de la vraie lumière. Car sans la lumière nous ne pourrons marcher dans la vole de la vérité, mais nous marcherons dans les ténèbres. Deux lumières sont nécessaires à avoir. La première est celle qui nous [981] a fait connaître les choses fugitives du monde, qui passent toutes comme le vent; mais on ne les connaît bien qu'en connaissant notre propre fragilité qui nous incline, par la loi mauvaise attachée à nos membres, à nous révolter contre le Créateur. Cette lumière est nécessaire à toute créature raisonnable, dans quelque état que ce soit, si elle veut avoir la grâce divine, et participer au fruit du sang de l'Agneau sans tache. C'est la lumière commune que toute personne doit avoir, car celui qui ne l'a pas est en état de damnation. Il n'est pas en état de grâce, parce qu'il n'a pas la lumière; car celui qui ne connaît pas le mal du péché, et ce qui en est la cause, ne peut l'éviter et en détester la cause. De même celui qui ne connaît pas le bien et la cause du bien, cest-à-dire la vertu, ne peut aimer et désirer le bien. Et lorsque l'âme est parvenue à acquérir la lumière générale, elle ne doit pas s'en contenter, mais elle doit aller avec zèle à la lumière parfaite; car la première est celle des imparfaits, l'autre est celle des parfaits, qui veulent avec la lumière arriver à la perfection. 2. Deux sortes de parfaits marchent à cette lumière parfaite. Ce sont d'abord ceux qui s'appliquent entièrement à châtier leurs corps, en faisant dâpres et rudes pénitences pour que la sensualité ne se révolte plus contre la raison; ils désirent plus mortifier leur corps que tuer leur propre volonté. Ceux-là se nourrissent à la table de la pénitence; ils sont bons et parfaits. Mais s'ils n'ont pas une grande humilité, s'ils ne s'appliquent pas à voir en tout la volonté de Dieu et non celle des hommes. ils nuisent [982] souvent à leur perfection en blâmant ceux qui ne suivent pas la même voie qu'eux; et cela arrive, parce qu'ils ont mis plus de zèle et d'application à mortifier le corps qu'à tuer la volonté propre. Ceux-là veulent choisir toujours le temps, le lieu et les consolations spirituelles à leur gré, et aussi les tribulations du monde, les attaques du démon. Ils se laissent tromper par la volonté propre qui s'appelle la volonté spirituelle, et ils disent : Je voudrais cette consolation, et non pas les combats et les tentations du démon; ce n'est pas pour moi, mais c'est pour plaire davantage à Dieu; il me semble que j'y parviendrai mieux de cette manière que d'une autre. 3. C'est ainsi que souvent l'âme tombe dans la peine et l'ennui, et devient insupportable à elle-même; elle nuit à sa perfection, et l'infection de l'orgueil la pénètre sans qu'elle s'en aperçoive. Car si elle était véritablement humble et sans présomption, elle verrait bien que la douce Vérité suprême donne la position, le moment, le lieu, la consolation,. la tribulation, selon les besoins de notre salut et selon la perfection à laquelle l'âme est appelée. Elle verrait que toute chose est donnée par amour, et qu'elle doit recevoir toute chose avec amour et respect, comme les seconds qui sont dans cette douce et glorieuse lumière. Ils sont parfaits en toutes les positions où ils se trouvent, et dans tous les événements que Dieu permet; ils acceptent tout avec respect, parce qu'ils jugent qu'ils sont dignes des peines et des scandales du monde, et qu'ils méritent d'être privés de consolation. Comme ils se croient dignes des peines, ils se croient indignes de [983] la récompense qui suit la peine. Ils ont dans la lumière, connu et goûté l'éternelle volonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre bien et notre sanctification en lui; et parce que lâme l'a connue, elle s'en revêt, et elle ne s'applique qu'à trouver le moyen d'augmenter et de conserver cet état parfait pour l'honneur et la gloire du nom de Dieu. Elle fixe le regard de son intelligence sur Jésus crucifié, qui est la règle, la voie, la doctrine des parfaits et des imparfaits; elle voit le tendre Agneau qui lui donne la doctrine de la perfection, et, en le voyant, elle s'y attache avec amour. 4. La perfection est celle du Verbe, le Fils de Dieu, qui s'est nourri à la table du saint désir, de l'honneur de son Père et de notre salut; et avec ce désir il a couru à la mort honteuse de la Croix. Il n'a reculé devant aucune fatigue, aucune peine; il n'a été arrêté ni par notre ingratitude, ni par notre ignorance qui méconnaissait ses bienfaits, ni par les persécutions des Juifs, ni par les cris, les injures, les outrages du peuple; mais il a tout surmonté, comme notre chef, comme un vrai chevalier, qui est venu nous enseigner la voie, la doctrine et la règle; et il est arrivé à la porte avec la clef de son précieux sang répandu avec l'ardeur de l'amour et avec la haine et l'horreur du péché, comme si ce doux et tendre Verbe nous disait : « Voici que je me suis fait la voie et la porte ouverte avec mon sang. Ne soyez donc pas négligents à me suivre, vous arrêtant dans l'amour de vous-mêmes et dans l'ignorance qui ne connaît pas la voie, et qui veut présomptueusement la choisir selon votre goût, et non selon ma [984] volonté, qui l'a faite. Levez-vous donc, et suivez-moi; car personne ne peut aller au Père, si ce n'est par moi qui suis la voie et la porte (Jn 14, 6) ». 5. Alors l'âme embrasée d'amour court à la table du saint désir, et ne s'arrête plus à elle-même; elle ne cherche pas sa propre consolation spirituelle ou temporelle, mais comme une personne qui a entièrement détruit sa propre volonté, dans cette lumière et cette connaissance. Elle ne refuse aucune fatigue, de quelque côté qu'elle vienne, au milieu des peines, des opprobres, des attaques du démon et des murmures des hommes; elle prend sur la table de la Croix la nourriture de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, et ne cherche aucune récompense ni de Dieu ni des créatures. Ceux qui agissent ainsi ne servent pas Dieu pour leur plaisir, ni le prochain selon leur goût et par intérêt, mais ils se renoncent eux-mêmes par pur amour, se dépouillant du vieil homme, c'est-à-dire de la sensualité, pour se revêtir de l'homme nouveau du Christ le doux Jésus, qu'ils suivent avec courage. Ceux-là se nourrissent à la table du saint désir, et ils ont mis plus de zèle à tuer leur volonté propre qu'à tuer ou à mortifier le corps; ils ont bien mortifié leur corps non comme but principal, mais comme moyen, comme secours pour tuer leur volonté. Car la chose importante est et doit être de tuer la volonté, pour qu'elle ne cherche qu'à suivre Jésus crucifié, désirant l'honneur, la gloire de son nom et le salut des âmes. 6. Ceux-là sont toujours dans le calme et la Paix [985],et rien ne les scandalise, parce qu'ils ont éloigné ce qui leur causerait du trouble, c'est-à-dire la volonté. propre. Toutes ces persécutions que le monde et le démon peuvent soulever, ils les foulent aux pieds au milieu du torrent; ils s'attachent aux branches de l'ardent désir, et ils ne se noient pas. Ils se réjouissent de tout, et ne se font pas les juges des serviteurs de Dieu ni d'aucune créature raisonnable; mais ils sont contents de toutes les positions, de tous les moyens qu'ils voient prendre, car ils disent : « Grâces vous soient rendues, ô Père éternel ! parce que dans votre maison il y a plusieurs demeures. » Ils aiment mieux cette diversité de moyens que de voir tout le monde suivre la même voie, parce que cette diversité manifeste davantage la grandeur de la bonté de Dieu; ils se réjouissent de tout, et en tirent le parfum de la rose. Quand ils voient faire ce qui est évidemment un péché, ils ne jugent pas, mais ils en ressentent seulement une sainte et vraie compassion, en disant : Aujourd'hui c'est toi; demain, ce sera moi, si la grâce de Dieu ne me conserve. O saintes âmes qui vous nourrissez à la table du saint désir ! c'est la lumière qui vous a conduites à vous nourrir de cet aliment divin, à vous revêtir du vêtement de l'Agneau, c'est-à-dire de son amour, de sa charité. Vous ne perdez pas le temps à écouter les faux jugements sur les serviteurs de Dieu ou du monde, et vous ne vous troublez d'aucun murmure contre vous ou contre le prochain. Votre amour est réglé en Dieu, et il ne s'égare pas dans le prochain. C'est parce qu'il est réglé, mon très cher Fils, qu'ils ne se scandalisent jamais de ceux qu'ils aiment. Leur propre sentiment est mort, et ils ne voient en rien la volonté des hommes, mais uniquement celle du Saint-Esprit. Vous voyez bien qu'ils goûtent, dès ici-bas, les arrhes de la vie éternelle. 7. C'est à cette lumière que je voudrais vous voir parvenir, vous et mes autres fils ignorants, car je vois que cette perfection vous manque. Si elle ne vous manquait pas, vous ne vous seriez pas laissé aller au scandale, aux murmures et aux faux jugements; vous n'auriez pas cru et dit que les autres obéissaient à la volonté des créatures, et non pas à celle du Créateur. Mon cur et mon âme gémissent de vous voir blesser la perfection, à laquelle Dieu vous appelle, avec l'apparence et l'amour de la vertu. C'est là cette zizanie que le démon sème dans le champ du Seigneur; il le fait pour étouffer le bon grain des saints désirs et de la doctrine qui a été semée dans votre champ. Appliquez-vous donc à ne plus faire ainsi, car la grâce de Dieu vous a accordé plus de lumière; il vous a appelé premièrement à mépriser le monde, secondement à mortifier votre corps, troisièmement à chercher son honneur. Ne nuisez donc pas à cette perfection par la volonté spirituelle; mais passez de la table de la pénitence à la table du désir de Dieu, où l'âme est morte à toute volonté, se nourrissant en paix de lhonneur de Dieu et du salut des âmes, cherchant toujours la perfection, et ne la blessant jamais. C'est parce que je crois que sans la lumière on ne peut y parvenir, et que je vois que vous ne l'avez pas, que je vous ai dit mon désir de vous voir avec la vraie et parfaite lumière. Je vous conjure, par l'amour de Jésus crucifié, le [987] frère Antoine, les autres religieux, et vous surtout, de vous appliquer à l'acquérir, afin que vous soyez du nombre des parfaits et non des imparfaits. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je me recommande à tous. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.
CLXXI (125). - A FRERE GUILLAUME DANGLETERRE, bachelier de l'Ordre de Saint-Augustin, demeurant à Lecceto . - Des appels que Dieu fait à lâme. (Le couvent de Lecceto, à trois milles de Sienne, remonte à la plus haute antiquité. Saint Augustin y aurait trouvé des ermites en 391, et leur aurait donné sa règle. Ce couvent, qui était le chef-lieu de l'Ordre, a été souvent visité par sainte Catherine, et il en conserve le souvenir. Une petite chambre voisine de l'église a été changée en chapelle, et porte cette inscription : Siste hic, viator, et has aedes ereclas a B. Joanne Incontrio, anno 1330, ubi seraphica Catharina Senensis sponsum receptavit Christum, venerare memento. (Gigli, t. I. p. 730.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher et très aimé Père et Fils dans le Christ Jésus, votre indigne et misérable fille Catherine se recommande à vous dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir d'entendre cette parole que Dieu dit à Abraham: « Sors de ta maison et de ta terre (Gn 12, 1). » Abraham, obéissant, ne fit pas de résistance au commandement de Dieu, qui lui disait de le [988] suivre, et il le suivit. Oh que notre âme sera heureuse quand nous entendrons cette douce parole, et que nous quitterons la terre de notre misérable corps. Il y a deux manières pour l'homme de se lever et de suivre la Vérité suprême, qui nous appelle. La première est de retirer notre affection de la demeure de notre passion sensitive, de l'amour de nous-mêmes et de notre terre, c'est-à-dire que l'affection doit se séparer de tout amour terrestre, pour suivre l'Agneau immolé sur le bois de la sainte Croix. Cet Agneau nous invite et nous appelle à le suivre dans la voie des opprobres, des peines et des outrages, qui sont d'une douceur extrême pour l'âme qui les goûte. Dieu nous y attire par son infinie bonté et miséricorde. 2. Mais quelle parole l'âme peut-elle attendre lorsqu'elle a entendu la première, et qu'elle y a répondu en abandonnant le vice et en suivant les vertus, qui font goûter Dieu par la grâce en cette vie? Savez vous, mon Père, l'a parole qu'elle attend? cette douce parole du Cantique « Viens, mon Epouse bien-aimée (Ct 2,10) ! » Et alors s'accomplit véritablement, entre l'âme et le corps, la parole que le Christ disait à ses disciples : « Laissez les petits venir à moi, car c'est à eux qu'appartient le royaume du ciel (Mc 10,14). » C'est ce que fait Dieu avec ses serviteurs, quand il les tire de cette vie misérable et qu'il les mène au lieu du repos, en commandant et en disant à notre chair, qui était servante et disciple de l'âme laisse cette âme venir [989] à moi, car le royaume de la vie éternelle lui appartient. O ineffable, très douce et très ardente charité vous parlez comme si l'âme vous avait servie par elle-même, tandis qu'elle a tout fait par vous. Vous êtes l'ouvrier et le bienfaiteur, vous êtes Celui qui êtes, et, sans vous, nous ne sommes pas. L'Apôtre le disait: « Nous ne pouvons avoir une bonne pensée si elle ne nous vient d'en haut (2 Co 3,5) ». Oui, vous nous donnez tout par grâce, et non par obligation; c'est votre amour sans borne qui fait tout et qui veut nous en récompenser. Aussi, quand lâme contemple tant d'amour, elle en est enivrée au point qu'elle se perd elle-même, et qu'elle ne sent et ne voit rien qu'en son Créateur. 3. Oui, c'est cette parole par laquelle mon âme désire nous entendre appeler. Mais il me semble que je ne pourrais être bienheureuse, si avant je n'entendais cette autre parole, que tous les serviteurs de Dieu désirent entendre : Sortez, mes enfants, de votre terre et de votre demeure; suivez-moi, et venez faire le sacrifice de votre corps. Aussi, quand je considère, mon Père, que Dieu nous fait la grâce de l'entendre et de pouvoir donner notre vie pour le nom infini de l'Agneau, il semble qu'à cette pensée mon âme veut quitter mon corps. Courons donc, mes Fils et mes Frères dans le Christ Jésus; excitons nos doux et tendres désirs, priant et suppliant la Bonté divine de nous en rendre bientôt dignes; il ne faut plus commettre de négligence, mais avoir toujours un grand zèle pour nous et pour les autres [990]. 4. Il semble que le temps s'approche, car nous trouvons d'excellentes dispositions dans les créatures. Vous savez que nous avions envoyé le frère Jacomo au Juge d'Arboré avec une lettre où il était question de la croisade (Cette lettre de sainte Catherine a été perdue comme tant d'autres. Arboré, dont le nom est maintenant Oristagni, est une ville de Sardaigne. Les gouverneurs de cette île, donnée à Jacques II d'Aragon par Boniface VIII, en 1297, étaient appelés des juges. Mariano, juge d'Arboré, se rendit indépendant vers 1364, et ses successeurs prirent le titre de marquis d'Oristagni.); il m'a répondu gracieusement qu'il voulait venir en personne, et fournir pendant dix années deux galères, mille cavaliers, trois mille piétons et six cents arbalétriers. Je vous annonce aussi que Génes est dans l'enthousiasme, et que tous offrent leur fortune et leur personne. Soyez donc persuadé que Dieu tirera sa gloire de ceci et d'autre chose. 5. Je termine en vous recommandant avec instance un jeune homme qui a nom Matthieu Forestani; agissez le plus promptement possible pour qu'il soit reçu en religion; appliquez-vous tant que vous le pourrez à lui faire acquérir de vraies et solides vertus, surtout en mortifiant en lui le goût du monde et la volonté propre. Il m'a semblé qu'il était mieux pour lui de ne pas faire un nouveau voyage, parce que son esprit peut plus facilement se dissiper qu'un autre. Frère Onufre me dit que frère Etienne était malade, que vous l'aviez appris, et que vous craignez de n'avoir personne pour vous écrire. Ne craignez pas, mais soyez persuadé que quand Dieu ôte [991] d'un côté il donne d'un autre. Encouragez et bénissez mille fois frère Antoine dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CLXXII (126). - A FRERE GUILLAUME A LECCETO, pendant que sainte Catherine était à Florence. - De l'amour envers Dieu, et du désir que donne la lumière de la vérité.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et noyé dans le sang de l'humble et doux Agneau sans tache. Ce sang nous ôte la mort et nous donne la vie, il dissipe les ténèbres et répand la lumière, car dans le sang de Jésus crucifié nous connaissons la lumière de l'éternelle vérité de Dieu, qui nous a créés à son image et ressemblance par amour et par grâce, et non par obligation. Cette Vérité nous créa pour la gloire et l'honneur de son nom, pour que nous possédions et que nous goûtions l'éternel et souverain Bien; mais, après la faute d'Adam, cette vérité était obscurcie, et alors cet amour ineffable, qui avait forcé Dieu à nous tirer de lui-même en nous créant à son image et ressemblance, ce même amour s'émut; non pas que Dieu change en lui-même, car il [992] est immuable, mais son amour à notre égard nous fit donner le Verbe, son Fils unique, qui, pour obéir, voulut punir sur lui nos fautes, et laver dans son sang la face de cet âme, qu'il avait créée si noble avec tant d'amour. Il voulut que dans son sang brillât sa vérité. Aussi nous voyons bien clairement que s'il ne nous avait pas vraiment créés pour nous donner la vie éternelle, pour que nous jouissions de l'infini et souverain Bien, il ne nous aurait pas donné un tel Rédempteur, il ne se serait pas donné lui-même, Dieu et homme tout ensemble. il est donc bien vrai que le sang du Christ nous manifeste et nous rend évidente la vérité de sa douce volonté; et, si j'y réfléchis bien, aucune vertu n'a la vie en elle si elle n'est faite et développée dans l'âme avec cette lumière de la Vérité. 2. O Vérité ancienne et nouvelle ! l'âme qui vous possède est affranchie de la pauvreté des ténèbres, elle a la richesse de la lumière; je ne parle pas de la lumière des visions et des consolations spirituelles, mais de la lumière de la Vérité; car, dès que l'âme connaît la Vérité dans le sang, elle s'enivre en goûtant Dieu par le mouvement de l'a charité, avec la lumière de la très sainte Foi; et cette foi doit accompagner toutes nos uvres et nous faire goûter la nourriture des âmes, pour l'amour de Dieu, sur la table de la très sainte Croix, et non sur la table du plaisir et des consolations spirituelles et temporelles: oui, sur la Croix, en rompant et en détruisant notre volonté, en supportant les coups, les mépris, les opprobres, les affronts pour Jésus crucifié, et pour mieux se conformer à sa douce volonté. Alors l'âme [993] se réjouit quand elle se voit une même chose avec lui par l'union de l'amour quand elle se voit revêtue de son vêtement; et elle aime tant souffrir pour la gloire et l'honneur de son nom, que, s'il était possible de posséder Dieu et de goûter la nourriture des âmes sans peine, elle aimerait mieux en jouir avec peine, par amour pour son Créateur. D'où lui vient ce désir? de la Vérité. Comment la voit-elle ? la connaît-elle? avec la lumière de la Foi. Où porte-t-elle son regard pour la voir? sur le sang de Jésus crucifié. Dans quel vase le trouve-t-elle? dans son âme, quand elle se connaît. C'est la voie véritable pour connaître la Vérité, et je n'en vois pas d'autre. Aussi, je vous ai dit que je désirais vous voir baigné et noyé dans le sang de l'humble Agneau sans tache. 3. Dans ce sang, nous jouissons et nous espérons que, par amour du Sang, Dieu fera miséricorde au monde et à sa douce Epouse; il dissipera les ténèbres de l'esprit des hommes. Il me semble que les premières lueurs de l'aurore commencent à paraître, et que notre Sauveur a éclairé ce peuple pour le retirer de cet aveuglement coupable, où il était tombé en faisant célébrer de force les saints mystères. Maintenant, grâces à Dieu, ils observent l'interdit (Sainte Catherine avait été envoyée à Florence par Grégoire XI. Elle ramena le peuple à l'obéissance du Saint-Siège par ses paroles et ses prières. Etienne Maconi, qui l'avait accompagnée, en rend témoignage dans ses notes manuscrites ajoutées à sa légende : Et gratia divina tanta est per eam operata, quod ubi cum maximo contemptu Sedis Apostolicae fregerant interdictum, ad psius virginis exhortationem iterum assumpserunt atque servaverunt.), et [994] commencent à revenir sous l'obéissance de leur Père. Aussi, je vous conjure, par l'amour de Jésus crucifié, vous, frère Antoine, le Maître, frère Félix et les autres, de prier particulièrement pour forcer la Bonté divine d'envoyer, par l'amour du Sang, le soleil de sa miséricorde, afin que la paix se fasse ; ce sera bien vraiment un doux et bon soleil. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CLXXIII (127).- A FRERE GUILLAUME D'ANGLETERRE, et à frère ANTOINE DE NICE, à Lecceto.- Il faut sacrifier son propre repos à la gloire de Jésus-Christ.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE Mes très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir perdre vous-mêmes de telle manière que vous ne cherchiez la paix et le repos qu'en Jésus crucifié, ayant faim sur la table de la Croix de l'honneur de Dieu, du salut des âmes et de la réforme de la sainte Eglise. Nous la voyons aujourdhui dans une telle nécessité, que pour la secourir il faut sortir de la solitude, et s'abandonner soi-même; car, si on veut faire quelque bien, on ne doit pas s'arrêter et dire : Je ne trouverai pas ainsi la paix. Dieu nous a fait la grâce de donner à la [995] sainte Eglise un bon et saint pasteur, qui aime les serviteurs de Dieu, et les attire à lui (Les éloges que sainte Catherine donne à Urbain VI sont confirmés par un grand nombre de témoignages contemporains. La rudesse de son caractère lui attira seulement des ennemis qui le calomnièrent pour justifier leur opposition et leur schisme (Voir Gigli, t. I, p. 735.)). Il s'applique à détruire et à arracher les vices, et à faire naître les vertus sans aucune crainte humaine; il agit en homme juste et courageux. Nous devons lui venir en aide, et je verrai que nous avons réellement l'amour de la réforme de la sainte Eglise. S'il en est vraiment ainsi, vous suivrez la volonté de Dieu et de son Vicaire; vous sortirez de la solitude, et vous accourrez sur le champ de bataille; mais si vous ne le faites pas, vous oublierez la volonté de Dieu. Je vous prie donc pour l'amour de Jésus crucifié, de vous rendre promptement et sans hésiter à la demande que le Saint-Père vous a faite (D'après les conseils de sainte Catherine, le Pape Urbain VI avait appelé à Rome les hommes les plus recommandables par leurs sciences et leurs vertus. Le bref du Souverain Pontife était du 13 décembre 1378. Cette lettre est écrite deux jours après. ( Voir la lettre C)). Ne craignez pas de perdre la solitude, car il y a, ici, des bois et des retraites. Courage donc, mes Fils bien-aimés, ne dormez plus, car c'est le temps de veiller. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Rome, le 15 décembre 1378 [996].
CLXXIV (128). AU VENERABLE RELIGIEUX FRERE GUILLAUME D'ANGLETERRE, bachelier de l'Ordre des Frères Ermites de Saint-Augustin, dans la forêt du Lac. - De l'union avec Dieu, et des obstacles que cause lamour-propre.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très révérend et très cher Père dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs du Fils de Dieu, je vous encourage et je vous exhorte dans son précieux sang, avec le désir de vous voir uni et transformé dans son ineffable charité, afin que nous, qui sommes des arbres stériles et sauvages, nous soyons greffés sur l'Arbre de vie. Nous porterons alors des fruits doux et savoureux, non par nous-mêmes, mais par le Maître de la grâce qui est en nous; car, de même que le corps vit par l'âme, l'âme vit par Dieu. Le Verbe incarné ne pouvait, comme homme seulement, nous rendre la vie de la grâce; mais, comme Dieu, la divine Essence l'a voulu, et a pu le faire par amour. O feu, abîme de charité! pour que nous ne soyons pas séparés de vous, vous avez voulu vous greffer sur notre nature, et vous l'avez fait en semant votre parole dans le sein fécond de Marie; il est bien vrai que l'âme vit par vous. Le prix de ce sang répandu en abondance pour moi me profite par l'amour de la divine Essence. 2. Je ne m'étonne pas, mon très cher Père, de ce [997] que la Sagesse du Père, la Parole incarnée a dit: « Si je suis élevé en haut, j'attirerai tout à moi. » O curs endurcis, fils égarés d'Adam ! il faudrait être bien misérable pour ne pas se laisser attirer par un si doux Père. Il dit : Si je suis élevé, pourquoi cela? Pour que nous accourions. Je ne vois pas, mon très cher Père, d'autres obstacles que l'amour et l'ignorance que nous avons de nous-mêmes, notre peu de lumière et de connaissance de Dieu. Qui ne connaît pas, ne peut aimer; celui qui connaît aime. Je ne veux pas que nous restions plus longtemps dans cette ignorance, car nous ne serions pas unis à la vie; mais je veux que l'oeil de l'intelligence se lève au-dessus de nous pour voir et connaître l'éternelle et souveraine Vie. Dieu ne peut vouloir autre chose que notre sanctification; ce qu'il nous donne, ce qu'il permet, le lieu, le moment, la mort, la vie, les persécutions des hommes et des démons, tout cela n'a d'autre but que notre sanctification. Je vous le dis, dès que l'âme a ouvert son entendement, elle aime l'honneur de Dieu et des créatures; elle aime les peines, et ne se plaît que sur la Croix avec lui. Ce n'est pas étonnant, parce qu'elle a vu que la bonté de Dieu ne peut vouloir que le bien, et que toute chose vient de lui; elle est affranchie de l'amour-propre qui cause les ténèbres, et empêche de voir la lumière. 3. O mon Père! ne tardons plus, et attachons-nous à l'arbre fertile, afin que le Maître ne s'élève pas sans nous. Prenons le lien, la chaîne de son ardente charité qui le tient fixé et cloué sur le bois de la très sainte Croix; frappons, frappons avec amour, parce [998] que le Bien infini veut un désir infini. C'est la condition de l'âme d'appartenir à l'infini ; aussi elle désire sans fin, et elle n'est jamais rassasiée, tant qu'elle n'est pas unie à l'Infini. Que notre cur s'applique de toutes ses forces à aimer Celui qui aime sans être aimé. O amour ineffable! pour façonner nos âmes, vous avez fait une enclume de votre corps, afin que le corps satisfît à la peine, l'âme du Christ à la haine du péché, et pour que la nature divine en triomphât par sa puissance (Dialogue, ch XXVI). Voyez comment nous avons été fidèlement rachetés. Pourquoi? Parce qu'il a été élevé en haut. Soumettons donc notre volonté perverse sous le joug de la volonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre bien; et recevons avec respect les peines, nous jugeant indignes d'une si faveur. 4. Je vous dis, de la part de Jésus crucifié, que vous devez célébrer la sainte messe plus d'une fois la semaine dans le couvent, comme le veut le prieur; et j'ajoute même qu'il faut la célébrer tous les jours, si vous voyez que c'est sa volonté. En perdant les consolations, vous ne perdrez pas la grâce, vous l'acquerrez même à mesure que vous perdrez votre volonté. 5. Je veux que, pour montrer que nous avons faim des âmes et que nous aimons le prochain, nous ne nous attachions pas aux consolations. Nous devons écouter les plaintes du prochain, et avoir surtout compassion de ceux qui nous sont unis par les liens d'une même charité; si vous ne le faites pas [999], ce sera une grande faute. Oui, je veux que vous compatissiez aux peines et aux besoins de frère Antoine; je veux que vous ne refusiez pas de l'entendre; je veux aussi, et je demande que frère Antoine vous écoute. Je vous conjure de le faire de la part du Christ et de la mienne : c est le moyen de conserver entre vous la vraie charité; et en ne le faisant pas, vous donneriez au démon l'occasion de semer la discorde. Je termine en vous priant, en vous conjurant dêtre uni à l'Arbre divin et transformé en Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.
CLXXV (129). - AU MEME FRERE GUILLAUME, à MESSIRE MATTHIEU, recteur de la Miséricorde, à FRERE SANTINI et à ses autres fils spirituels. - Des liens de la charité parfaite. - Jésus crucifié modèle de l'amour que nous devons avoir les uns pour les autres. (Le Père Mathieu fut guéri miraculeusement de la peste, en 1374, par les prières de sainte Catherine. (Vie de sainte Catherine, Iie p., ch. 8.) Sainte Catherine sauva également le frère Santi, en lui commandant au nom de Jésus-Christ de ne pas mourir. Le B. Raymond fait le plus grand éloge de ca saint ermite dans sa Légende, 1110 part., ch. 1.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mes très chers Fils dans le Christ le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux [1000] sang, avec le désir de vous voir unis par les liens de la charité car je vois que sans ses liens, nous ne pouvons plaire à Dieu; c'est à ce doux signe que se reconnaissent les serviteurs et les enfants du Christ; mais pensez, mes enfants, que ces liens doivent être purs et sans mélange d'amour-propre. Si vous aimez votre Créateur, aimez-le et servez-le comme le Bien suprême et éternel, digne d'être aimé, et non pour votre propre utilité; car ce serait un amour mercenaire, l'amour de l'avare qui aime l'argent par avarice; l'amour du prochain ne doit pas être ainsi. Aimez-vous, aimez-vous mutuellement, vous êtes le prochain les uns des autres; mais faites attention que si votre amour est fondé sur votre intérêt ou sur le plaisir que vous avez l'un de l'autre, il ne durera pas, mais il disparaîtra, et votre âme se trouvera vide. 2. L'amour fondé en Dieu doit être tel qu'on doit s'aimer à cause de la vertu, et parce que la créature est créée à l'image de Dieu. Lorsque le plaisir ou l'utilité diminue pour celui qui aime, son amour ne diminue pas s'il est fondé en Dieu; car il aime par amour pour la vertu, pour l'honneur de Dieu et non pour le sien propre. On ne peut aimer la vertu là où elle n'est pas; mais on aime on tant que la créature de Dieu est un membre uni au corps mystique de la sainte Eglise. Alors se développent les sentiments d'une grande et sincère compassion, qui enfante par le désir les larmes, les soupirs et les prières persévérantes en la douce présence de Dieu. C'est cet amour que le Christ a laissé à ses disciples. Cet amour ne s'affaiblit, ne se ralentit jamais; il ne s'impatiente [1001] pas pour une injure qu'il reçoit, et ne tombe pas dans les murmures et le dégoût, parce qu'il n'aime pas pour lui, mais pour Dieu. Il ne juge pas, et ne veut pas juger la volonté des hommes; et ne s'occupe que de la volonté de son Créateur, qui ne cherche et ne veut que notre sanctification; il se réjouit de tout ce que Dieu permet, de quelque manière que ce soit, parce qu'il ne cherche autre chose que l'honneur de son Créateur et le salut de son prochain. On peut véritablement dire que ceux qui aiment ainsi sont unis dans le lien qui attacha et cloua l'Homme-Dieu sur l'arbre de la très sainte et très douce Croix. 3. Mais pensez, mes chers Fils, que jamais vous n'arriverez à cette parfaite union, si vous ne prenez pour modèle Jésus crucifié. En suivant ses traces, vous trouverez en lui cet amour dont il vous 'aime par bonté et non par obligation: et perce qu'il nous aime par bonté, son amour ne s'est pas arrêté à notre ingratitude, à notre ignorance, à notre orgueil, à notre vanité, mais il a persévéré jusqu'à la mort honteuse de la Croix; il nous a délivrés de la mort, et nous a donné la vie. Faites de même, mes enfants, suivez, suivez son exemple; aimezvous, aimez-vous les uns les autres dun amour pur et saint dans le Christ, le doux Jésus. Je ne vous en dis pas davantage, parce que j'espère bientôt vous revoir, s'il plaît à la Bonté divine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1002].
CLXXVI (130). - A FRERE ANTOINE, DE NICE, des Ermites de Saint-Augustin, au couvent de Lecceto, près Sienne . - Nous devons toujours chercher le salut des âmes pour la gloire de Dieu, et non pour notre propre consolation. (Frère Antoine, de Nice, fut un des plus aimés disciples de sainte Catherine. Il mourut en odeur de sainteté, en 1192.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondé sur la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, afin que l'édifice que vous bâtirez dessus ne soit jamais ébranlé par les vents contraires qui le frapperont; mais que ferme, solide, inébranlable, il persévère jusqu'à la mort dans la voie de vérité. Oh! combien est nécessaire ce vrai et solide fondement que je n'ai pas connu dans mon ignorance; car si je l'avais connu véritablement, je n'aurais pas bâti sur moi-même, qui suis pire que le sable, mais sur la pierre vive dont je parle, en suivant le Christ dans la voie des opprobres, des mépris, des affronts; je me serais privée de toute consolation pour pouvoir devenir semblable à lui. De quelque côté que vienne l'épreuve, de l'intérieur ou du dehors, je ne me serais pas cherchée moi-même; mais je n'aurais pensé qu'à l'honneur de Dieu, au salut des âmes, à la réforme de l'Eglise, que je [1003] vois dans de si grands besoins. Malheureuse! j'ai fait tout le contraire; j'ai mal fait, mon cher Fils, mais je ne voudrais pas vous voir faire de même, vous et les autres, et je désire vous voir fondés sur cette Pierre vive. 2. Voici le moment où se montrent les serviteurs de Dieu et ceux qui se cherchent eux-mêmes, qui aiment Dieu pour leur consolation, et le prochain pour leur intérêt; ils regardent où est la consolation et où elle n'est pas, comme 51 nous pensions que Dieu est dans un lieu et non dans un autre. Non, il n'en est pas ainsi; mais je vois que, pour le serviteur de Dieu, tous les lieux et les temps sont acceptables. Quand il est temps d'abandonner la consolation et d'embrasser la fatigue pour l'honneur de Dieu, il le fait; quand il est temps de quitter la solitude pour le service de Dieu, il le fait, et paraît en public comme le faisait le glorieux saint Antoine, quaimait certainement bien la solitude, mais qui la quittait souvent pour fortifier les chrétiens. On pourrait citer aussi beaucoup d'autres saints. La règle des vrais serviteurs de Dieu a toujours été de se montrer dans le temps de la nécessité et du malheur, mais non dans le temps de la prospérité, car ils la fuient. Il n'y a pas lieu de fuir maintenant, de peur que la trop grande prospérité ne laisse entraîner nos curs au vent de l'orgueil et de la vaine gloire; personne ne peut se glorifier que dans les souffrances. Mais il me semble que la lumière nous manque, quand nous nous laissons aveugler par les consolations, et que nous plaçons nos espérances dans des révélations qui nous empêchent de bien [1004] connaître la verité. Nos motifs peuvent être bons, mais il n'y a que Dieu, qui est l'éternelle et souveraine Bonté, qui nous donne la parfaite et vraie lumière. Je ne m'étendrai pas d'avantage sur ce sujet. 3. Il paraît, d'après la lettre que frère Guillaume m'a envoyée, que ni lui ni vous ne viendrez. Je ne veux pas répondre à cette lettre; mais je gémis du fond du cur de sa simplicité, car il recherche bien peu l'honneur de Dieu et lédification du prochain. S'il ne veut pas venir par humilité et par crainte de perdre la paix, il devrait pratiquer la vertu d'humilité, en demandant humblement et avec douceur la permission du Vicaire de Jésus-Christ, en suppliant Sa Sainteté de vouloir bien le laisser dans la solitude pour qu'il soit plus tranquille, mais en s'en remettant à s'a volonté, comme le veut la véritable obéissance. Cela serait certainement plus agréable à Dieu et plus utile à son âme; mais il me semble qu'il fait tout le contraire, en prétendant que celui qui est lié à l'obéissance de Dieu ne doit pas obéir aux créatures. Il peut en effet ne pas s'inquiéter des hommes; mais qu'il mette au même rang le Vicaire de Jésus-Christ, c'est ce qui m'afflige profondément. Il oublie la vérité, car l'obéissance à Dieu ne nous éloigne jamais de celle du Souverain Pontife; plus celle-ci est parfaite, plus celle-là l'est aussi; nous devons toujours être soumis à ses ordres, et lui obéir jusqu'à la mort. Lorsque ces ordres nous semblent indiscrets et capables de nous ôter la paix et les consolations spirituelles, nous devons cependant leur obéir; et si nous faisons le contraire, je suis persuadée que [1005] c'est une grande imperfection et une erreur du démon. 4. Il paraît, d'après ce qu'il écrit, que deux serviteurs de Dieu ont eu une grande révélation; le Christ sur terre et l'a personne qui la conseillé, en appelant ces serviteurs de Dieu, auraient suivi une inspiration plus humaine que divine, et c'est plutôt le démon que Dieu qui a voulu tirer ces serviteurs de leur paix et de leurs consolations. On prétend que si vous et les autres, vous veniez, vous perdriez l'a dévotion; vous ne pourriez plus vous livrer à la prière et être unis de cur au Saint-Père. Votre dévotion n'est guère solide, si elle se perd en changeant de résidence; il semble que Dieu fait attention aux lieux, et qu'il se trouve seulement dans la solitude, et non ailleurs, dans le temps de la nécessité. 5. Ainsi, nous commençons par dire que nous désirons la réforme de l'Eglise, que nous souhaitons qu'on y arrache les épines, et qu'on y plante les fleurs odoriférantes, qui sont les serviteurs de Dieu; et nous prétendrons ensuite que les appeler, les tirer de la paix et du repos de leur esprit pour qu'ils viennent en aide à la barque de saint Pierre, est une erreur du démon. Il faut au moins parler pour soi seulement, et de ne pas parler des autres serviteurs de Dieu, que nous ne devons pas confondre avec les serviteurs du monde. Frère André de Lucques et frère Paulin n'ont pas agi de la sorte; ces grands serviteurs de Dieu étaient âgés et mal portants, et ils n'ont pas ainsi recherché leur repos, mais ils se sont mis bien vite en route, malgré la fatigue et les difficultés; ils sont venus, ils ont obéi; et, quoiqu'ils désirent beaucoup [1006] retourner dans leurs cellules, ils ne veulent pas se soustraire au joug de l'obéissance, mais ils rétractent ce qu'ils avaient dit; ils renoncent à leur volonté pour ce qui est des consolations. Ils sont venus pour souffrir, non pour commander, mais pour se perfectionner dans la peine, au milieu des larmes, des veilles et des prières continuelles. C'est ainsi qu'il faut faire. N'en disons pas davantage. Que Dieu dans sa miséricorde nous purifie, et nous conduise par la voie de la vérité; qu'il nous donne la vraie et parfaite lumière, afin que nous ne marchions pas dans les ténèbres. Je vous conjure, vous, le Bachelier et les autres Serviteurs de Dieu, de demander a l'humble Agneau qu'il me fasse aller par ses voies. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CLXXVII (131).- AU VENERABLE RELIGIEUX FRERE ANTOINE, de Nice, de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin, au Bois du Lac. - Des deux volontés propres pour les choses sensibles et pour les choses spirituelles. - Comment il faut se conformer à la volonté divine.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher Père et bien aimé Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous recommande dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir embrasé et consumé [1007] dans la fournaise de la divine charité. Que là aussi soit brûlée et consumée votre volonté propre, cette volonté qui nous ôte la vie et nous donne la mort. Ouvrons les yeux, mon très cher Frère, et considérons que nous avons deux volontés : l'une sensitive, qui cherche les choses sensibles; lautre spirituelle, qui, sous l'apparence de vertu, tient beaucoup à son sentiment; elle le montre quand elle veut choisir le lieu, le temps et les consolations à son gré, et qu'elle dit: Je voudrais ceci pour jouir de Dieu davantage. C'est là une grande erreur et une illusion du démon. Lorsque le démon ne peut tromper les serviteurs de Dieu avec la première volonté, parce que les serviteurs de Dieu l'ont mortifiée dans les choses sensibles extérieures, il tente la seconde volonté au moyen des choses spirituelles. 2. L'âme reçoit souvent des consolations; Dieu l'en prive ensuite, et lui donne une chose moins douce, mais plus utile. Alors l'âme qui s'était attachée à cette douceur souffre de sa privation, et en conçoit de l'ennui. Pourquoi de l'ennui? Parce qu'elle De voudrait pas en être privée. Elle dit : Je crois que j'aimerais plus Dieu de cette manière que de l'autre, ou encore: Je retire du fruit de cette consolation, tandis que je ne reçois de ceci que de la peine, beaucoup de combats, et il me semble que j'offense Dieu. Je vous assure, mon Fils et mon Frère dans le Christ Jésus, que cette âme se trompe avec Sa propre volonté qui ne voudrait pas être privée de cette douceur; le démon l'abuse par cette amorce. Les hommes bien souvent perdent le temps en voulant le choisir à leur gré, et en ne se servant [1008] pas de celui qu'ils ont dans la peine et les ténèbres. Une fois notre doux Sauveur disait à une de ses filles bien-aimées (A Sainte Catherine de Sienne elle-même): «Sais-tu ce que font ceux qui veulent accomplir ma volonté dans la consolation, la douceur et le plaisir? Quand ils en sont privés, ils veulent sortir de ma volonté, croyant bien faire et éviter le péché; mais il y a là une sensualité cachée; et pour fuir la peine, ils tombent dans la faute, et ne s'en aperçoivent pas. Mais si l'âme avait été sage, si elle avait eu intérieurement la lumière de ma volonté, elle aurait regardé au fruit et non à la douceur. 3. « Quel est ce fruit de l'âme? La haine de soi et l'amour de moi. Cette haine et cet amour viennent de la connaissance de soi-même. L'âme connaît ses défauts, son néant, et voit en elle ma bonté qui lui conserve sa bonne volonté; elle voit que je l'ai faite pour qu'elle me serve dans la perfection, et elle juge que tout arrive pour le mieux et pour son plus grand bien. Celui-là, ma chère fille, ne cherche pas le temps selon son bon plaisir, parce qu'il est humble et qu'il connaît sa faiblesse; il n'écoute pas sa volonté, mais il m'est fidèle. Il se revêt de ma volonté suprême et éternelle, parce qu'il voit que je ne donne ou que je n'ôte rien, si ce n'est pour votre sanctification; il voit que c'est l'amour seul qui me porte à vous donner la douceur ou à vous en priver; et à cause de cela, il ne peut se plaindre de la perte de la consolation, qu'elle lui vienne de l'intérieur ou du dehors, du démon ou des créatures, parce qu'il [1009] voit que si ce n'avait pas été pour son bien, je ne l'aurais pas permis. 4. «Il se réjouit parce que la lumière lui vient du dedans et du dehors; et quand le démon remplit son esprit de ténèbres et de confusion, en lui disant : Cela arrive à cause de tes péchés, il répond comme une personne qui ne craint pas la peine : Je remercie mon Créateur, qui s'est souvenu de moi au milieu des ténèbres, et qui veut bien me punir dans le temps qui passe; c'est une grande preuve de son amour, de ne pas vouloir me punir pendant l'éternité. Oh! quelle paix profonde possède l'âme quand elle s'affranchit de la volonté qui cause les tempêtes ! Il n'en est pas ainsi de celui dont la volonté vit encore, et qui cherche les choses selon son bon plaisir; il semble qu'il croit mieux savoir que moi ce dont il a besoin. - Il me semble que c'est offenser Dieu ; ôtez-moi cette occasion, et je ferai ce qu'il veut.- La preuve qu'il n'y a pas d'offense, c'est que vous voyez en vous la bonne volonté de ne pas offenser Dieu et l'horreur du péché. 5. «Vous devez donc conserver l'espérance; car si tous les secours extérieurs et toutes les consolations intérieures venaient à vous manquer, que la volonté de plaire à Dieu soit toujours inébranlable en vous; c'est sur cette pierre qu'est fondée la grâce. Si vous dites : Il me semble que je ne l'ai pas, vous êtes dans l'erreur; car si vous ne laviez pas, vous ne craindriez pas d'offenser Dieu c'est le démon qui veut vous faire croire le contraire pour que votre âme tombe dans le trouble et dans une tristesse déréglée, et qu'elle s'obstine à vouloir les [1010] consolations, le moment et le lieu, selon son bon plaisir. Ne le croyez pas, ma fille bien-aimée; mais que votre âme soit toujours prête à supporter les peines comme Dieu vous les envoie : autrement vous seriez semblable à celui qui tient le flambeau dehors pour éclairer l'extérieur, et qui laisse l'intérieur obscur. Ainsi fait celui qui se soumet à la volonté de Dieu pour les choses extérieures, et qui méprise le monde, mais qui à l'intérieur conserve une volonté spirituelle, vive et cachée sous l'apparence de la vertu. » Voilà ce que Dieu disait à sa servante; c'est pourquoi je vous répète que je veux et désire que votre volonté soit anéantie et transformée en lui, et que vous soyez toujours prêt à supporter les peines et les fatigues, de la manière que Dieu voudra vous les donner. Nous serons ainsi délivrés des ténèbres, et nous aurons la lumière. Amen! Béni soit Jésus crucifié, avec la douce Marie.
CLXXVIII (132). - A FRERE JEROME, de Sienne, des Frères Ermites de Saint-Augustîn. Comment il faut célébrer la dernière pâque avec Jésus-Christ. - De l'amour des créatures.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher Père et bien-aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux sang, me souvenant de la parole de notre [1011] Sauveur, qui disait à ses disciples : « J'ai désiré avec désir faire la pâque avec vous avant de mourir. » Je vous dis de même, Frère Jérôme, mon Père et mon Fils bien-aimé; et si vous me demandez quelle pâque je désire faire avec vous, je vous répondrai pas d'autre pâque que celle de l'Agneau sans tache, lorsqu'il se donna lui-même à ses disciples. O doux Agneau consumé au feu de la charité divine sur le bois de la très sainte Croix! ô nourriture très suave, pleine de joie, d'allégresse et de consolation! rien ne manque en vous; car, pour l'âme qui vous sert en vérité, vous êtes la table, la nourriture et le serviteur. Nous voyons bien que le Père est une table et un lit où l'âme peut se reposer; nous voyons le Verbe, son Fils unique, qui se donne à nous en nourriture avec un si ardent amour. Et qui porte cette nourriture? l'Esprit-Saint qui devient serviteur; dans son amour infini, il n'est pas content que nous soyons servis par les autres; il veut nous servir lui-même. C'est à cette table que mon âme désire faire la pâque avec vous avant de mourir; car une fois la vie passée, nous ne pourrons la faire. 2. Sachez, mon Fils, qu'à cette table il faut se présenter dépouillés et vêtus : dépouillés de tout amour-propre, de tout amour du monde, de toute négligence, de toute tristesse et de toute confusion d'esprit, car la tristesse déréglée dessèche l'âme. Nous devons nous revêtir de son ardente charité, mais nous ne pouvons l'avoir si l'âme n'ouvre pas l'oeil de la connaissance d'elle-même, si elle ne voit pas qu'elle n'est rien, et comment nous faisons ce qui n'est pas. C'est ce qui empêche de connaître en [1012] nous l'infinie bonté de Dieu. Car, lorsque l'âme contemple son Créateur et son infinie bonté, elle ne peut s'empêcher de l'aimer, et l'amour la revêt des vraies et solides vertus, et elle préférerait mourir plutôt que de faire une chose contraire à Celui qu'elle aime; mais elle cherche toujours avec zèle à faire ce qui lui est agréable; elle aime aussitôt ce qu'il aime, elle déteste ce qu'il déteste, parce que l'amour l'a rendue un autre lui-même. C'est cet amour qui détruit en nous la négligence, l'ignorance et la tristesse, parce que la mémoire se réjouit avec le Père en retenant les bienfaits de Dieu; l'intelligence se réjouit avec le Fils, dont la sagesse et la lumière lui font connaître et aimer la volonté de Dieu; et aussitôt naît cet amour et ce désir qui la passionnent pour l'éternelle et suprême Vérité, tellement qu'elle ne peut et ne veut aimer et désirer que Jésus crucifié, et elle ne se plaît qu'à supporter les opprobres et les peines; c'est là sa joie, son bonheur; elle se défie de tout le reste, et elle met toute sa gloire à souffrir pour Jésus-Christ les peines, les affronts, les persécutions du monde et du démon. 3. Allumez donc, allumez en vous le feu du saint désir, et regardez l'Agneau immolé sur le bois de la très sainte Croix; car nous ne pouvons d'une autre manière manger à cette table douce et sacrée. Faites que dans la cellule de votre âme l'arbre de la très sainte Croix soit toujours planté et dressé; car sur cet arbre vous cueillerez le fruit de la véritable obéissance, de la patience, de la profonde humilité; vous verrez mourir en vous toute complaisance, tout amour-propre, et vous acquerrez la faim des [1013] âmes, en voyant que par faim pour notre salut et l'honneur de son Père, Notre-Seigneur s'est humilié et s'est livré lui-même à la mort ignominieuse de la Croix, comme si son amour pour nous allait jusqu'à l'ivresse, à la folie (Ce mot de folie a été appliqué à lamour de Notre-Seigneur par plusieurs grands saints. Le bienheureux Jacopone de Todi répondait à son divin Maître qui lui demandait pourquoi il s'était rendu fou aux yeux du monde : parce que vous avez été plus fou que moi : Quia stultior me fuisti.) : c'est cette pâque que je désire faire avec vous. 4. Nous avons dit que nous devions nous nourrir des âmes, et mon âme le désire pour vous, parce que vous êtes le héraut de la parole de Dieu. Je veux donc que vous soyez un vase d'élection plein du fou d'une ardente charité, pour porter le doux nom de Jésus et semer cette parole incarnée du Christ dans le champ de l'âme. Je vous y invite, et je veux qu'en recueillant la semence, c'est-à-dire on la faisant fructifier dans les créatures, vous en donniez toute la gloire au Père éternel, rapportant tout à lui et ne vous attribuant rien à vous-même; car autrement nous serions des voleurs, nous déroberions ce qui vient de Dieu et nous le garderions pour nous; mais je crois que, grâce à Dieu, cela ne nous arrivera pas ; il me semble que toujours le premier mouvement, le principe de nos actions, est pour l'honneur de Dieu et le salut des créatures; mais bien souvent cependant nous pouvons nous complaire dans la créature. Mais, comme je veux que vous soyez parfait et que vous portiez des fruits de perfection, je veux que vous n'aimiez aucune [1014] créature en général ou en particulier, si ce n'est en Dieu. 5. Comprenez bien ce que je vous dis; je sais que vous aimez la créature spirituellement en Dieu, mais quelquefois, ou par défaut d'intention, ou parce que l'homme a une nature qui l'y porte, comme vous l'avez éprouvé vous-même, on aime spirituellement, et dans cet amour on trouve un plaisir, une jouissance qui fait que souvent la sensualité y a sa part, sous l'apparence de la spiritualité. Si vous me dites : Comment puis-je m'apercevoir de cette imperfection? Je vous répondrai : Quand vous voyez que la personne qui est aimée vous manque en quelque chose, qu'elle n'est plus dans les mêmes rapports avec vous, et qu'elle semble en aimer mieux une autre; si alors vous en avez du chagrin, si ce chagrin affaiblit l'affection que vous aviez, soyez bien persuadé que cette affection était imparfaite. Quel est donc le moyen de l'a rendre parfaite? Je ne vous indiquerai pas d'autre moyen, mon très cher Fils, que celui enseigné par la Vérité même à une de ses servantes : Ma fille bien-aimée, lui disait-elle une fois, je ne veux pas que tu fasses comme celui qui tire un vase plein d'eau d'une fontaine et qui boit lorsqu'il est dehors; le vase se vide, et il ne s'en aperçoit pas; mais je veux que, lorsque tu emplis le vase de ton âme, en ne faisant par l'affection qu'une même chose avec celui que tu aimes pour moi, tu ne retires pas ce vase loin de moi, qui suis la fontaine d'eau vive, mais que tu y conserves cette créature que tu aimes pour l'amour de moi, comme le vase dans l'eau. De cette manière, vous ne serez [1015] jamais vide, ni toi ni celui que tu aimes, mais vous serez toujours remplis de la grâce divine et du feu très ardent de la charité, et alors vous ne tomberez pas dans le trouble et le dépit. Celui qui aime ainsi, lorsqu'il voit que celui qu'il aime change et s'éloigne de sa société, ne s'en afflige pas, pourvu qu'il le voie persévérer dans les douces et solides vertus, car il l'aimait pour Dieu, et non pour lui; il éprouve cependant une sainte émotion quand il se voit séparé de ce qu'il aime. Telle est la règle et le moyen que je veux vous voir prendre pour que vous soyez parfait. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CLXXIX (133). - A FRERE FELIX DE MASSA, de l'Ordre de Saint- Augustin.- Lettre écrite en extase - L'humilité et la charité s'acquièrent par la connaissance de notre néant et de la bonté divine en nous. (Le frère Félix Massa était un des disciples les plus aimés de sainte Catherine. Il laccompagna dans son voyage à Avignon. Il mourut le 22 septembre 1388, en grande réputation de sainteté.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux [1016] sang, avec le désir de vous voir fondé dans la vraie et parfaite humilité, parce que celui qui est humble, est patient à supporter toute fatigue par amour de la vérité. Comme l'humilité est la gouvernante et la nourrice de la charité, il ne peut y avoir d'humilité sans charité. Celui qui brûle dans la fournaise de la charité n'est pas négligent; il a un zèle parfait, car la charité n'est jamais oisive, elle travaille toujours. Cet amour et cette humilité, qui consument la négligence et qui éteignent l'orgueil, ne peuvent s'acquérir sans la lumière et sans un objet que l'oeil éclairé puisse contempler; car si l'oeil qui est en présence de la lumière n'est pas ouvert, la vue ne lui sera d'aucune utilité. L'oeil véritable de notre âme est l'intelligence; il possède la lumière de la très sainte Foi quand le voile de l'amour-propre ne l'obscurcit pas. Lorsque nous écartons l'amour de nous-mêmes, cet il est clair et voit combien le cur doit suivre et aimer son bienfaiteur. 2. L'oeil de l'intelligence excité par l'amour s'ouvre aussitôt et se fixe sur son objet, Jésus crucifié, dans le sang duquel surtout il reconnaît l'abîme de son ineffable charité. Mais où faut-il voir et placer cet objet? Dans la cellule de la connaissance de soi-même; c'est là qu'on connaît sa misère, parce qu'on a vu avec l'oeil de l'intelligence ses défauts, son néant, et on les voit en vérité. Quand l'homme se connaît, il connaît aussi la bonté de Dieu à son égard; car s'il se connaissait seulement, et s'il voulait connaître Dieu sans lui, cette connaissance ne serait pas fondée sur la vérité, et il n'en retirerait pas le fruit qu'il doit en retirer; il perdrait même [1017] plutôt qu'il ne gagnerait, parce qu'il ne retirerait de la connaissance de lui-même qu'ennui et confusion; son âme se dessécherait, et, en persévérant ainsi sans recevoir aucun secours, il tomberait dans le désespoir. S'il voulait connaître Dieu sans se connaître, il n'en retirerait que le fruit corrompu d'une grande présomption. Cette présomption est nourrie par l'orgueil, et ces deux vices s'entretiennent mutuellement. Il faut donc que la lumière fasse voir toute la vérité, et que la connaissance de soi-même soit unie à la connaissance de Dieu, et la connaissance de Dieu à la connaissance de soi-même. 3. Alors l'âme ne tombe ni dans la présomption ni dans le désespoir, mais elle trouve dans cette double connaissance des fruits de vie; car dans la connaissance d'elle-même elle reçoit le fruit de lhumilité véritable, qui produit la haine et l'horreur de la faute et de la loi perverse, qui est toujours prête à combattre contre l'esprit, et cette haine enfante la patience, qui est la moelle de la charité. De la connaissance de la grande bonté de Dieu qu'elle trouve en elle, l'âme reçoit le fruit d'une charité sans borne pour Dieu et pour son prochain, parce que la lumière lui fait voir et connaître que l'amour qu'elle a pour son Créateur ne peut lui être d'aucune utilité; et alors, ce qu'elle ne peut faire pour lui elle le fait pour le prochain par amour pour Dieu; car elle aime la créature parce qu'elle voit que le Créateur aime souverainement la créature, et la condition de l'amour est d'aimer toutes les choses qui sont aimées par la personne qu'on aime. 4. C'est avec cette lumière, mon très cher Fils [108], que nous acquerrons la vertu d'humilité et de charité, et que nous porterons et supporterons avec une vraie et sainte patience les défauts de notre prochain. Nous détruirons toute négligence avec le zèle parfait acquis au foyer de la divine charité, et nous éteindrons l'orgueil avec l'eau de la véritable humilité. Nous deviendrons affamés de l'honneur de Dieu. et nous nous nourrirons des âmes avec délices sur la table de l'humble Agneau sans tache; il n'y a pas d'autre chemin. C'est parce que j'ai compris qu'il fallait le suivre et marcher dans la voie de la véritable humilité, que je vous dis et que je vous répète mon désir de vous voir affermi dans une vraie et parfaite humilité, et je veux que vous y travailliez sans peine et sans trouble d'esprit.. Oui, je vous recommande de nouveau de commencer avec une foi vive, une ferme espérance, une obéissance prompte. Je veux que vous engraissiez ainsi votre âme, et qu'elle ne se dessèche pas par le trouble et l'ennui, mais secouez avec un zèle parfait le sommeil de là négligence, et dérobez les vertus que vous verrez dans vos frères, en les nourrissant dans votre cur. Que toujours la vérité soit votre joie, qu'elle soit dans votre bouche, et, quand il le faut, dites-la charitablement à tout le monde, surtout aux personnes que vous aimez d'un amour particulier, mais toujours avec douceur, vous attribuant à vous-même tous les défauts des autres; et si vous ne l'avez pas fait jusqu'à présent avec toute la prudence nécessaire, corrigez-vous-en à l'avenir. Pour cela, je veux que vous n'ayez aucune peine, aucun souci à mon sujet. II faut traverser tous les flots de cette mer [1019] orageuse avec une humilité sincère, avec la charité fraternelle et la sainte patience. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CLXXX (134). - A UN RELIGIEUX qui avait quitté son Ordre. Lettre écrite en extase. De la lumière de la sainte Foi nécessaire pour connaître et aimer la vérité. - De lamour-propre qui obscurcit cette lumière. - Combien il est coupable de persévérer dans le péché. - Elle l'exhorte à retourner dans le bercail de son Ordre, lui donnant lespérance du pardon et de la divine miséricorde, sil triomphe de lui-même par lhumilité et le regret de son erreur.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairé de la vérité, afin que la connaissant, vous puissiez vous en revêtir et détester ce qui est contre la vérité, ce qui se révolte contre elle, afin d'aimer ce qui est dans la vérité et ce que la vérité aime. O mon cher Fils ! combien est nécessaire cette lumière, car c'est en elle qu'est notre salut. Mon bien cher Fils, je ne vois pas que nous puissions avoir la lumière de l'intelligence sans la pupille de la très sainte Foi, qui est le centre de notre vie. Et si cette lumière est obscurcie et cachée par l'amour de nous-mêmes, l'oeil n'a pas [1020] de lumière; il ne voit plus, et dès lors il ne connaît plus la vérité. Il faut donc écarter ce nuage, afin de le rendre clair. Mais comment dissiper et chasser ce nuage? Par la sainte haine de nous-mêmes, en connaissant nos fautes et en connaissant l'infime bonté de Dieu à notre égard. 2. Par cette connaissance s'acquiert la vertu de patience, parce que celui qui connaît ses défauts et la loi sensitive qui combat contre l'esprit, se hait lui-même, et se réjouit, lorsque non seulement les créatures raisonnables, mais encore les animaux le punissent de ses fautes. Les injures, les affronts, les reproches l'engraissent ; les persécutions et les peines sont sa joie, et il les prend pour des consolations. Cette connaissance, que l'homme a de lui-même, fait naître une humilité profonde; il ne lève plus la tête par orgueil, mais il s'humilie toujours davantage; il se nourrit de la connaissance de la bonté de Dieu à son égard, et il développe en lui les ardeurs de la chante. Cette charité, nourrie par l'humilité, enfante la vraie discrétion, qui lui fait discerner ce qu'il doit à Dieu; il loue et glorifie son nom, il se hait lui-même et déteste sa sensualité; il est plein de bienveillance pour le prochain, l'aimant comme il doit l'aimer, avec une charité fraternelle, libre et réglée, que rien n'arrête et ne trouble, parce que la vertu de discrétion a sa raison dans la charité; elle n'est autre chose qu'une vraie connaissance que l'âme a d'elle-même et de Dieu, qui fait rendre à chacun ce qui lui est du. Elle ne le ferait pas sans lumière; si elle ne l'avait pas, ses pensées et ses uvres seraient imparfaites; et cette [1021] lumière, elle ne peut l'avoir sans la vraie connaissance d'elle-même, qui lui donne la haine; dans la connaissance de la Bonté divine, elle trouve l'amour. 3. Celui qui possède cette haine et cet amour devient le serviteur fidèle de son Créateur, et, au milieu même de la nuit de cette vie ténébreuse, il marche à la lumière, et au sein des tempêtes il possède et goûte la paix; il court toujours à la perfection avec constance et persévérance jusqu'à la mort; il résiste avec force aux assauts de l'ennemi, et ne succombe jamais dans les combats qu'il soutient. S'il est séculier, il est bon séculier; s'il est religieux, il est religieux parfait; il navigue dans la barque de l'obéissance véritable sans jamais en sortir. Le miroir où il se regarde est la règle, les coutumes, les usages, qu'il s'applique à observer toujours. Il n'écoute pas le démon, qui voudrait le combattre par la crainte servile en lui disant : Tu ne pourras pas supporter les épreuves de l'Ordre, les persécutions de tes frères, les pénitences qui te seront imposées et les obligations trop pénibles. Mais celui qui a la lumière se rit de toutes ces choses; comme il est mort à la volonté propre, et qu'il est éclairé de la lumière de la sainte Foi, il répond : Je supporte tout pour Jésus crucifié, parce que je sais bien que Dieu n'impose jamais à ses créatures de fardeaux au-dessus de leurs forces. Je lui en laisse donc la mesure, et je veux les porter avec une vraie patience, car je connais la vérité, et je sais bien que tout ce qu'il permet ou qu'il donne il le fait pour mon bien, afin que je sois sanctifié en lui. 4. Oh! combien est heureuse cette âme qui, par la [1022] douce connaissance de la vérité, est parvenue à une telle lumière et à une telle perfection, qu'elle voit et qu'elle comprend que tout ce que Dieu permet, il le permet par amour. Car celui qui est Amour ne peut s'empêcher d'aimer la créature raisonnable; il nous a aimés avant que nous fussions, parce qu'il voulait que nous participions au Bien suprême et éternel. Aussi tout ce qu'il nous donne, il nous le donne dans ce but; mais les infortunés qui sont privés de la lumière de la sainte Foi ne connaissent pas la vérité. Et pourquoi ce malheureux ne connaît-il pas la vérité? Parce qu'il ne dissipe pas le nuage de l'amour-propre; il ne se connaît pas, et alors il ne se hait pas; il ne connaît pas la Bonté divine, et il ne l'aime pas. S'il aime quelque chose, son amour est imparfait, parce qu'il aime pour son plaisir, pour la consolation qu'il reçoit de Dieu, ou l'utilité qu'il retire du prochain. Il n'est pas fort et persévérant dans le bien qu'il a entrepris, parce que peu à peu, à mesure qu'il est sevré du lait de la consolation, il faiblit et tourne la tête en arrière pour regarder la charité; s'il avait connu vraiment la Vérité, il n'en serait pas ainsi. Mais comme il est imparfait, s'il lui arrive de tourner la tête an arrière, ce qu'il n'a pas fait, comme le demandait la lumière de la Foi, il devrait le faire après sa chute; car la longue persévérance dans le péché déplaît plus à Dieu, et lui est plus nuisible que le péché même, parce que le péché est ordinaire à l'homme, mais la persévérance dans le péché est la part du démon. Il ne doit pas se mettre au nombre des morts, tandis qu'il peut encore vivre, ni résister aux remords de sa conscience [1023] qui l'appelle et le ronge sans cesse. Il ne doit pas dire : J'attends; ce fruit amer n'est pas encore mûr. Oh! combien est aveugle et insensé celui qui compte sur le temps qu'il n'a pas, qui ne profite pas de celui qu'il a, et qui agit comme s'il était sûr de toujours vivre. Quelle peine et quel effroi cette folie ne cause-t-elle pas aux serviteurs de Dieu, qui sont affamés de l'honneur de leur Créateur et du salut des âmes. 5. O mon Fils bien-aimé ! faites un retour sur vous-même, et ouvrez l'oeil de votre intelligence pour connaître vos fautes, avec l'espérance de la miséricorde. Voyez, voyez la vérité, et revenez à votre bercail, parce qu'autrement vous ne pourrez le connaître, votre faute vous en empêchera; car vous ne pouvez rester en dehors du bercail sans être en état de péché mortel et sous le poids de l'excommunication. Vous ne pourrez alors connaître la Vérité; mais en revenant au bercail, vous la connaîtrez, parce que vous vous purifierez de votre faute. Appliquez donc votre volonté à aimer et à désirer votre Créateur et l'arche sainte de votre Ordre. Placez-vous parmi ceux qui doivent le plus gémir d'une position semblable; car vous aviez montré d'abord un grand amour, une grande connaissance de Dieu, et vous paraissiez goûter avec délices le lait de la prière, et offrir de doux et tendres désirs; mais il faut croire qu'en réalité vous n'étiez pas fondé sur la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, c'est-à-dire que vous ne laimiez pas, sans recherche de votre propre consolation, et pur de toute considération humaine. Car si vous aviez été véritablement [1024] affermi sur Jésus crucifié et sur la connaissance de vous-même, comme je l'ai dit, vous ne seriez pas tombé dans une si grande erreur. Nous tombons seulement lorsque nos fondements ne sont pas bien creusés dans la vallée de l'humilité et appuyés sur la pierre vive du Christ, le doux Jésus. En suivant ses traces, on ne choisit ni le temps, ni le lieu, à son gré, mais on s'en rapporte entièrement au bon plaisir de l'éternelle Vérité. 6. O mon Fils bien-aimé! ce que vous n'avez pas fait, je veux que vous le fassiez sans vous troubler et vous décourager, avec une ferme espérance et avec la lumière de la très sainte Foi. Cette lumière vous fera bien connaître sa miséricorde; et cette miséricorde adoucira cette confusion que vous ressentirez en vous voyant tombé des hauteurs du Ciel dans un abîme de misère. Levez-vous donc avec une sainte haine, en vous trouvant digne de honte et d'affront, indigne de récompense et de grâces; cachez-vous sous les ailes de la miséricorde de Dieu, car il est plus enclin à pardonner que vous à pécher. Baignez-vous dans le sang du Christ, où votre âme se fortifiera dans l'espérance; et vous n'attendrez plus le temps, parce que le temps ne vous attend pas. Mais faites-vous violence à vous-même, et dites : Mon âme, reconnais ton Créateur et sa grande miséricorde qui t'a conservée, qui te donne le temps, et qui attends par bonté que tu reviennes au bercail. O très doux Amour, combien la miséricorde vous est propre! Considérez si elle a été grande dans notre première chute. Dieu n'a pas commandé à la terre de nous engloutir, et aux animaux de nous dévorer [1025]; mais il nous a laissé le temps, et il nous attend avec patience. Pourquoi avons-nous reçu tant de grâces; est-ce à cause de nos vertus? Non; mais seulement à cause de son infinie miséricorde. 7. Si, pendant que nous sommes plongés dans les ténèbres du péché mortel, sa miséricorde est si grande, combien davantage devons-nous espérer avec une foi vive qu'elle ne nous manquera pas, si nous reconnaissons nos fautes, et si nous revenons dans l'arche de la vie religieuse, sous le joug de l'obéissance, pour tuer et fouler aux pieds notre volonté propre, et ne plus dormir. Hélas! hélas! je crois que mes péchés sont cause de vos fautes. N'y persévérez pas, je vous en conjure, et cessez de vous perdre, d'offenser Dieu et d'affliger vos frères; mais reprenez le joug de l'obéissance et la clef du sang de Jésus-Christ que vous avez jetée dans un abîme profond. Vous ne pouvez la reprendre et vous en servir sans crime, parce que vous avez quitté le jardin de votre saint Ordre, où vous aviez été planté pour être une fleur odoriférante et bonne par votre persévérance jusqu'à la mort. Reprenez cette clef précieuse avec la contrition du cur, avec le regret de la faute commise, avec la haine de la sensualité, avec une foi vive. Fixez vos regards sur la suprême. l'éternelle Vérité, et ayez la ferme espérance que Dieu et votre Ordre vous recevront avec miséricorde; votre faute vous sera pardonnée, et vous pourrez revoir votre Père céleste dans la plénitude et l'abondance de sa grâce. 8. C'est vers la vraie Jérusalem qu'il faut aller, c'est dans votre saint Ordre qu'il faut vous rendre[1026]; vous trouverez là Jérusalem, la vision de la paix, c'est-à-dire la paix de votre conscience. Vous entrerez dans le sépulcre de la connaissance de vous-même, et vous demanderez avec Marie-Madeleine : Qui môtera la pierre du monument? car le poids de cette pierre est si grand, mon péché est si considérable, que je ne pourrai le soulever. Mais aussitôt que vous aurez vu et confessé votre imperfection, vous verrez deux anges qui écarteront cette pierre. La Providence vous enverra l'ange du saint amour et de la crainte de Dieu; cet amour n'est jamais seul, mais il donne à lâme la charité du prochain. L'ange de la haine que Dieu nous enverra aussi pour soulever la pierre, vous apportera l'humilité sincère et la patience. Et alors, avec une ferme espérance et une foi vive, on ne quitte plus le sépulcre de la connaissance de soi-même; on y reste avec persévérance jusqu'à ce qu'on trouve le Christ ressuscité dans son âme par la grâce; et quand on l'a trouvé, on va l'annoncer à ses frères, qui sont les solides et douces vertus, avec lesquelles on veut demeurer toujours. Alors le Christ apparaît dans l'âme d'une manière sensible; il se laisse toucher par l'humble et continuelle prière. Telle est la voie : il n'y en a pas d'autres. 9. Je suis certaine que si vous avez la lumière de la très sainte Foi, et si vous connaissez la vérité, comme je vous l'ai dit, vous suivrez cette voie sans négligence et sans retard; vous profiterez avec zèle du moment qui vous est donné autrement vous sciez toujours dans les ténèbres, parce que vous vous éloignez de la lumière ; vous serez dans la tristesse [1027], parce que la joie de la grâce ne sera pas en vous, mais vous serez un membre retranché du corps mystique de la sainte Eglise. Aussi je vous ai dit, puisqu'il n'y a pas d'autre voie, que je désirais vous voir éclairé de la vérité par la lumière de la très sainte Foi qui est la prunelle de l'oeil de l'intelligence, avec lequel on connaît la vérité. Je vous prie donc pour l'amour de Jésus crucifié, et pour votre salut, de satisfaire mon désir. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Si j'étais près de vous, je saurais quel démon a ravi ma brebis, et par quel lien il la tient enchaînée pour l'empêcher de retourner au bercail avec les autres; mais je tâcherai de le voir par la prière dont je me servirai pour couper la chaîne qui la retient, et alors mon âme sera heureuse. Doux Jésus, Jésus amour.
CLXXXI (135). A FRERE ANDRE DE LUCQUES, à FRERE BALDO, et à FRERE LANDO, serviteurs de Dieu à Spolète, lorsque le Saint-Père les demandait. - Il faut servir la sainte Eglise sans se laisser arrêter par les difficultés.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mes très chers Pères dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir zélés et prompts à faire la volonté de Dieu et à obéir à son Vicaire, le [1028] Pape Urbain VI, afin que par vous et par les autres serviteurs de Dieu, sa douce Epouse soit secourue. Nous la voyons dans la désolation, frappée de tous les côtés, par tous les vents contraires; vous savez surtout qu'elle est attaquée par les hommes coupables qui s'aiment eux-mêmes, et qui veulent souiller notre foi par l'hérésie et par le schisme. Hélas ! lEglise eut-elle jamais de si grands besoins. Ceux qui devaient l'assister la persécutent; ceux qui devaient l'éclairer y portent les ténèbres. Ils devaient se nourrir de la nourriture des âmes, en administrant le sang de Jésus crucifié qui donne la vie de la grâce, et ils le leur retirent de la bouche et leur donnent la mort éternelle. Ce sont des loups qui dévorent les brebis au lieu de les sauver. Les serviteurs de Dieu, :les chiens vigilants qui sont placés dans le monde pour la garde des brebis, pour qu'ils aboient lorsqu'ils voient le loup venir, que feront-ils si le berger principal les appelle? comment doivent-ils aboyer ? par une humble et continuelle prière et par de courageuses paroles. De cette manière, ils épouvanteront les démons visibles et invisibles, et ils ranimeront le cur et le zèle de notre vrai pasteur, le Pape Urbain VI. Alors, n'en doutez pas, le corps mystique de la sainte Eglise et le corps universel des chrétiens seront secourus; les brebis seront retrouvées et retirées des mains des démons. 2. Vous ne devez vous refuser pour aucune cause que ce soit; les peines que vous prévoyez, les persécutions, les affronts, les mépris dont vous pouvez être l'objet, la faim, la soif, mille morts même ne doivent pas vous arrêter, pas plus que le désir du [1029] repos et de votre consolation. Il ne faut pas dire : Je veux la paix de mon âme, et je pourrai avec la prière crier en la présence de Dieu. Oh! non, pour l'amour de Jésus crucifié, ce n'est pas le temps de se chercher soi-même, et de fuir les peines pour avoir les consolations; c'est au contraire le temps de se perdre, puisque la bonté infinie et la miséricorde de Dieu a pourvu au besoin de l'Eglise en lui donnant un pasteur juste et bon, qui veut avoir autour de lui des chiens vigilants qui aboient sans cesse pour l'honneur de Dieu. Il craint de dormir, et ne se fie pas à sa vigilance, et il désire les avoir pour se tenir éveillé. Vous êtes de ceux qu'il a choisis. Aussi je vous prie et vous conjure dans le Christ, le doux Jésus, de venir promptement faire la volonté de Dieu qui le demande, et la volonté du Vicaire de Jésus-Christ qui vous appelle avec bonté, vous et les autres. Il ne faut pas craindre les délices et les honneurs; car vous viendrez pour souffrir, et vous n'aurez d'autre jouissance que la Croix; sortez de votre solitude, et venez combattre pour la Vérité, en contemplant avec l'oeil de votre intelligence la persécution qui est faite au sang de Jésus-Christ et la perte des âmes, afin que nous soyons plus animés au combat, et que pour aucune raison nous ne tournions la tête en arrière. Venez, venez, ne tardez pas; n'attendez pas le temps, car le temps ne nous attend pas. 3. Je suis certaine que l'infinie bonté de Dieu vous fera connaître la vérité; mais je sais aussi que beaucoup de serviteurs de Dieu s'uniront et combattront cette sainte détermination en disant : Vous irez, mais cela ne servira de rien. Et moi j'ai la présomption de [1030] vous assurer du contraire. Si notre principal désir n'est pas satisfait, la voie du moins sera préparée ; et si rien ne se fait, nous pourrons dire, en présence de Dieu et des hommes, que nous avons fait tous nos efforts, et notre conscience sera tranquille; ainsi tout sera pour le bien; Plus vous aurez de contrariétés, plus vous devez être persuadés que c'est là une chose bonne et sainte; car nous avons vu et nous voyons sans cesse que les saintes et grandes uvres rencontrent plus d'obstacles que les petites; c'est qu'elles donnent plus de fruits, et le démon cherche à les combattre de toutes les manières, surtout par le moyen des serviteurs de Dieu, qu'il trompe par de faux motifs de vertu. Je vous dis cela pour que rien ne vous empêche de venir, et pour que vous vous empressiez d'accourir aux pieds de Sa Sainteté. Noyez-vous dans le sang du Christ, et qu'en toute chose meure notre volonté. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Recommandez-moi à tous les autres serviteurs de Dieu, afin que leurs prières m'obtiennent de la Bonté divine la grâce de donner ma vie pour sa vérité. Doux Jésus, Jésus amour [1031].
CLXXXII (136). - A BARTHELEMI ET A JACQUES, ermites au Campo Santo, à Pise. - Du désir de donner sa vie pour l'amour du Christ en se consumant dans le feu de la charité.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mes très chers et bien-aimés Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de nous voir sacrifier notre corps pour le doux nom de Jésus. Oh! combien serait heureuse notre âme, si sa miséricorde nous faisait la grâce de donner pour lui ce qu'il a donné pour nous avec tant d'amour et de charité! O feu qui brûle sans consumer, et qui ne consume dans l'âme que ce qui est séparé de la volonté de Dieu! C'est ce feu qui brûlait l'Agneau sans tache sur le bois de la très sainte Croix. O curs endurcis et grossiers, qui peuvent résister à cette ardeur! Je ne m'étonne pas si les saints, qui n'étaient pas aveuglés par l'amour-propre, s'appliquaient tout entiers à connaître la bonté de Dieu et le feu de son ardente charité. La pensée du précieux Sang les faisait courir répandre leur sang. Voyez cette ardeur sans borne de saint Laurent, qui sur son lit de feu est tranquille en présence du tyran. Ah! Laurent, ce feu ne vous suffit donc pas? Il répond que non, parce que son amour est si violent, que les flammes intérieures éteignent les flammes extérieures [1032] . 2. Ainsi donc, mes Fils bien-aimés dans le Christ, le doux Jésus, que vos sentiments et vos désirs ne meurent pas jusqu'au dernier moment de votre vie. Ne dormez pas, et soyez vigilants; et il n'y a pas d'autre moyen de l'être que d'avoir une haine continuelle. De cette haine naît la faim de la justice, qui fait désirer que les animaux même nous punissent; et quand elle est punie, l'âme se purifie dans ces douces flammes, ou elle comprend la bonté de Dieu à notre égard. Lorsqu'elle est plongée dans cet abîme d'amour, lorsqu'elle voit que Dieu veut agrandir son cur, alors l'oeil de l'intelligence s'ouvre pour comprendre, la mémoire pour retenir, et la volonté s'applique à aimer ce que Dieu aime. L'âme s'écrie : O Dieu aimable, qu'aimez-vous davantage? Et notre Dieu si doux répond : Regarde en toi, et tu trouveras ce que j'aime. 3. Oui, regardez en vous, mes Fils bien-aimés, et vous trouverez, vous verrez avec quelle bonté, avec quel ineffable amour il vous aime et il aime aussi toutes les créatures raisonnables. A cette vue, l'âme transportée s'applique tout entière à aimer ce que Dieu aime davantage, c'est-à-dire ceux qui sont nos frères; et les désirs de son amour sont si grands, qu'elle voudrait donner sa vie pour leur salut et pour leur rendre la vie de la grâce. Elle se nourrit des âmes, et fait comme l'aigle, qui regarde toujours le disque du soleil et s'élève sans cesse; puis il regarde la terre, y prend sa nourriture, et s'en rassasie dans les airs. Ainsi fait la créature : elle regarde en haut où est le Soleil du divin amour, puis vers la terre, c'est-à-dire vers l'humanité du Verbe incarné [1033], du Fils de Dieu; et, en regardant ce Verbe et cette humanité sortie du sein de la douce Marie, elle voit sur cette table la nourriture qu'elle prend; et non seulement elle s'en nourrit sur la terre de l'humanité du Sauveur, mais elle s'élève avec cette nourriture dans la bouche, et elle entre dans l'âme du Fils de Dieu embrasée et consumée d'amour. 4. Elle reconnaît que c'est un feu sorti de la puissance du Père, qui nous donne la sagesse du Fils et la force du Saint-Esprit; et cette force, cette union est si grande, que ni les clous ni la Croix n'auraient pu retenir le Verbe sans ce lien d'amour. L'union est si étroite, que ni la mort ni aucune cause ne peuvent séparer la nature divine de la nature humaine. Oui, je veux que vous preniez cette douce nourriture; et si vous me demandez quelles ailes il faut prendre : les ailes de la haine, de la mort, avec les souffrances, les mépris, les outrages, pour Jésus crucifié. Ne voulez pas, ne désirez pas savoir autre chose que Jésus crucifié; qu'en lui seul soit votre gloire, votre consolation et tout votre repos. Abreuvez-vous, nourrissez-vous de son sang; Dieu voit vos désirs. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1034].
CLXXXIII (137). - A NICOLAS, le pauvre de la Romagne, ermite à Florence. - Celui qui aime Dieu doit s'employer au service du prochain, et le secourir au moins par ses prières.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon bien-aimé Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir vous abandonner entièrement à la divine Providence,. en vous dépouillant de tout amour terrestre et de vous-même, afin que vous soyez revêtu de Jésus crucifié; car vous n'atteindrez pas votre fin si vous ne suivez pas la vie et la doctrine de ce tendre Verbe. Il nous l'enseigne lorsqu'il nous dit : «Personne ne peut venir au Père, si ce n'est par moi (Jn 14,6). - Mais je ne vois pas que vous puissiez bien vous abandonner à lui et vous dépouiller entièrement de vous-même, si vous ne connaissez sa souveraine et éternelle bonté et notre misère. 2. Où trouverons-nous cette connaissance de lui et de nous-mêmes? Au fond même de notre âme. Il faut entrer dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, et ouvrir l'oeil de notre intelligence; et lorsque nous aurons écarté le nuage de l'amour-propre, nous verrons que nous ne sommes rien, surtout dans le moment du combat et de la tentation; car, si nous étions quelque chose, nous nous délivrerions de ces [1035] combats, que nous voudrions éviter. Nous avons donc bien sujet de nous humilier et de nous dépouiller de nous-mêmes, car on ne peut rien espérer du néant. Nous connaîtrons la bonté de Dieu en nous, en voyant que nous sommes créés à son image et ressemblance, afin que nous participions à son bonheur éternel et infini. Nous étions morts à la grâce par le péché du premier homme, et il nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils unique. O amour ineffable! vous avez donné le Fils pour racheter le serviteur, vous avez accepté la mort pour nous rendre la vie. Nous voyons donc bien qu'il est l'éternelle et souveraine Bonté, qui nous aime d'un amour ineffable; car, s'il ne nous aimait pas, il ne nous aurait pas donné un tel Rédempteur. C'est le sang qui nous prouve cet amour. Je veux donc que vous espériez et que vous placiez en lui toute votre confiance, votre amour, vos désirs; mais pensez que nous ne pouvons lui être utiles en aucune manière, car il est notre Dieu, et il n'a pas besoin de nous. 3. Comment lui montrerons-nous donc l'amour que nous avons pour lui? Par le moyen qu'il nous a donné d'exercer en nous la vertu, c'est-à-dire par le prochain, que nous devons aimer comme nous-mêmes, en le secourant dans tous ses besoins, selon les grâces que Dieu nous a faites. Il faut offrir en sa présence d'humbles larmes et de continuelles prières pour le salut du monde entier, et surtout pour le corps mystique de la sainte Eglise, que nous verrions tomber en ruine, si la bonté de Dieu ne l'assistait. Alors vous suivrez la doctrine de Jésus crucifié, qui, pour l'honneur de son Père et pour son salut, a [1036] donné sa vie en courant, tout transporté d'amour, à la mort ignominieuse de la Croix. La souffrance, les outrages et nos ingratitudes ne l'ont point empêché d'accomplir notre salut; nous devons faire de même: rien ne doit nous empêcher de secourir notre prochain dans ses nécessités spirituelles et temporelles, sans nous arrêter à l'utilité ou à la consolation que nous pourrions recevoir; il faut l'aimer et le secourir parce que Dieu l'aime. Vous accomplirez ainsi l'amour du prochain, selon le commandement de Dieu et selon mon désir. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CLXXXIV (138). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne . - Le sang de Jésus-Christ fait naître en nous la charité. (La maison de la Miséricorde était un hospice fondé au XIIIe siècle par le B. André Gallerani. Ses revenus furent donnés, en 1408, au grand hôpital de la Scala, et le Pape Nicolas V en assigna les bâtiments à luniversité de Sienne. Le Père Matthieu on fut nommé recteur le 1er septembre 1373.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher et très aimé Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir [1037] de vous voir abîmé et consumé dans l'abondance de ce sang, dont le souvenir rend la chaleur et la lumière aux âmes froides et ténébreuses. Il leur donne la générosité et les délivre de la pauvreté; il détruit l'orgueil et inspire l'humilité, et il remplace la dureté par la compassion. O ineffable et tendre Charité! je ne m'étonne pas si, dans votre sang, je trouve la vertu de compassion; car je vois que par une divine compassion vous vous êtes immolé vous-même; vous n'y étiez pas obligé, mais vous avez tiré vengeance de cette odieuse cruauté que l'homme avait eue contre lui-même, lorsque, par le péché, il se rendit digne de mort. Je désire donc vous voir anéanti dans ce fleuve, afin que vous y puisiez la compassion et la miséricorde dont vous avez sans cesse besoin dans votre position. Oui, je désire vous voir pratiquer cette vertu à l'égard des pauvres de Jésus-Christ dans les choses temporelles; mais cela ne me suffit pas, et je vous invite, comme Dieu y invite mon âme, à étendre plus loin vos charitables et ardents désirs, vos regards compatissants et vos larmes; ayez compassion du monde entier en présence de la divine Miséricorde. 2. Dieu lui-même vous enseigne le moyen, lorsque, transporté d'amour et du désir de faire son uvre, il dit : Prenez le corps de la sainte Eglise avec ses membres liés et coupés, et mettez-les avec une tendre compassion sur mon corps; sur ce corps où furent travaillées nos iniquités, car c'est lui qui a pris avec tant de peine la cité de notre âme. Et le Père accepta le sacrifice. Nourrissons-nous donc, nourrissons-nous des âmes sur cette table, sur le corps du [1038] doux Fils de Dieu. Nous traverserons ainsi les pénibles et inquiets désirs, les attentes douloureuses, et nous arriverons à ces désirs du cur qui seront satisfaits, à ces désirs, qui apaisent l'âme quand elle voit s'accomplir ce qu'elle a désiré longtemps. Nous pourrons alors crier au Père, avec joie et douceur, ce que dit la sainte Eglise C'est par notre Seigneur Jésus-Christ que vous nous avez fait miséricorde, en éloignant les loups et en multipliant les agneaux. Oui, mon Père, mon Frère, mon Fils dans le Christ Jésus, secouons le sommeil de la négligence, afin que bientôt nous soyons délivrés de la patte des loups et que nous arrivions à la joie, non pas pour nous, mais pour l'honneur de Dieu seulement. C'est là cette vertu compatissante qu'il faut que nous ayons; et c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir embrasé dans le sang du Fils de Dieu, car c'est son souvenir qui nourrit la vertu de piété et de miséricorde dans notre âme. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour.
CLXXXV (139). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne. - Il faut travailler avec patience au salut des âmes.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [1039] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir porter le fardeau des créatures avec amour et zèle pour l'honneur de Dieu et pour leur salut. Veillez avec la sollicitude d'un bon pasteur sur les brebis qui vous sont ou vous seront confiées, afin que le loup infernal ne les ravisse pas; car, si vous commettiez quelque négligence, vous en seriez ensuite repris. C'est le moment de montrer qui a faim ou non, et qui gémit sur ces morts que nous voyons privés de la vie de la grâce. Sollicitez avec courage et intelligence, avec des prières humbles et continuelles jusqu'à la mort. Sachez que c'est la voie pour connaître la Vérité et pour en devenir l'époux; il n'y en a pas d'autre. Gardez-vous bien de fuir les fatigues, mais recevez-les avec joie, et allez au-devant d'elles par un saint désir; dites : Soyez les bienvenues; et encore : Quelle grâce me fait mon Créateur, en me faisant supporter ces peines pour sa gloire et l'honneur de son nom ! 2. L'amertume ainsi deviendra douceur et consolation. Vous offrirez avec ardeur vos larmes et vos soupirs pour les malheureuses brebis qui sont encore entre les mains des démons. Ces soupirs seront votre nourriture, et ces larmes votre boisson. Ne finissez pas autrement votre vie, vous réjouissant et vous reposant sur la Croix avec Jésus crucifié. Je termine. J'ai appris que vous avez été et que vous êtes encore bien malade, et que vous désiriez à cause de cela me voir près de vous. Je ne le puis en ce moment; mais je serai près de vous par de continuelles prières. Je ne veux pour rien au monde [1040] que vous soyez encore malade, afin que vous puissiez mieux travailler. Faites ce que je vous commande; cessez toute pénitence, et prenez au contraire tout ce qui pourra vous fortifier. Je ne vous en dis pas davantage. Le pauvre Jean est venu me trouver (Il y a ici une lacune dans le texte manuscrit)... Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Noyez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.
CLXXXVI (140). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne. - Du bon exemple que nous devons au prochain.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un miroir de vertus, afin que vous rendiez véritablement gloire et louange au nom de Dieu, et que vous accomplissiez le bien en vous d'abord, et puis dans le prochain, par l'exemple d'une bonne et sainte vie, par l'enseignement de la parole, et par d'humbles et fidèles prières; pensez que c'est la dette que Dieu exige de vous. Il veut pour lui la gloire et l'honneur de son nom, et pour vous le profit et la récompense. Répondons généreusement à tant d'amour [1041], car nous ne pouvons être à Dieu d'aucune utilité. Tournons-nous vers ce que nous voyons que Dieu aime tant, c'est-à-dire vers le prochain. Que ce soit là le but de tous nos efforts, et ne cherchons autre chose que de nous nourrir des âmes pour l'honneur de Dieu. Et où irons-nous prendre cette douce nourriture? Sur la table de la très sainte Foi, aimant souffrir les peines, les tourments, les injures, les mépris, les affronts, afin de pouvoir nous rassasier de ce glorieux aliment. Mais je ne vois pas que nous puissions le prendre, Si, avant tout, nous n'acquérons pas les vraies et solides vertus. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir un miroir de vertus, et je vous prie de vous appliquer à le devenir. Je ne vous en dis pas davantage. 2. Je vous envoie un privilège avec une bulle d'indulgence du Pape, que j'ai obtenue pour soixante-dix-sept personnes. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CLXXXVII (141). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de l'église de la Miséricorde de Sienne, pendant qu'elle était à Pise . - L'amour de Dieu fait naître la charité envers le prochain. (Sainte Catherine fit le voyage de Pise en 1375, sur la demande de beaucoup de personnes notables de la ville. Elle s'y attacha de nombreux disciples et maintint le peuple dans lobéissance au Saint-Siège. (Voir Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. 8.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher et bien-aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des [1042] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir tout enflammé du feu de l'amour, afin que vous deveniez une même chose avec la douce Vérité suprême. Et vraiment, lâme qui par amour est unie et transformée en Dieu, fait comme le feu, qui consume en lui l'humidité du bois, et lorsqu'il l'a bien échauffé, il le brûle et le convertit en lui, en lui donnant la couleur, la chaleur et la puissance qu'il a lui-même. De même l'âme qui regarde son Créateur et son ineffable charité, commence par sentir la chaleur de la connaissance d'elle-même; cette connaissance consume l'humidité de l'amour-propre, et la chaleur augmentant, l'âme se jette avec un ardent désir dans la bonté infinie de Dieu, qu'elle trouve en elle. Elle participe alors à son ardeur, et sa vertu, parce quelle se nourrit avec délices, des âmes et des créatures raisonnables; elle s'approprie, par l'amour et le désir, la couleur et la douceur des vertus qu'elle tire du bois de la sainte Croix, qui est l'arbre adorable où se repose le fruit divin, l'Agneau sans tache, Dieu et homme tout ensemble. C'est ce fruit délicieux qu'elle voudrait communiquer au prochain; car elle ne pourrait produire et donner un autre fruit que celui qu'elle tire de l'Arbre de vie; elle s'y est greffée par l'amour et le désir, lorsqu'elle a vu et connu la grandeur de la Charité infinie. 2. O mon très cher et très doux Fils dans le Christ Jésus! c'est ce que mon âme souhaite voir en vous [1043], pour que le désir de Dieu et le mien s'y accomplissent. Aussi je vous conjure et je vous commande de vous appliquer sans cesse à consumer l'humidité de l'amour-propre, de la négligence et de l'ignorance. Augmentez en vous le feu d'un saint et violent désir, en vous enivrant du sang du Fils de Dieu. Courons, tout affamés de son honneur et du salut des créatures; prenons hardiment le lien avec lequel il fut lié sur le bois de la très sainte Croix et lions-en les mains de sa justice. Voici le temps de crier, de gémir, de se lamenter; oui, c'est le moment, mon Fils, car l'Epouse du Christ est persécutée par les chrétiens, ses membres révoltés et corrompus; mais ayez courage, parce que Dieu ne méprise pas les larmes, les sueurs, les soupirs qu'on offre en sa présence. Mon âme se réjouit dans sa douleur et tressaille d'allégresse, parce qu'au milieu des épines elle sent l'odeur de la rose qui va s'ouvrir. La douce Vérité première a dit qu'avec cette persécution, s'accompliraient sa volonté et nos désirs. Je me réjouis aussi des bonnes pensées du Christ de la terre au sujet de la sainte croisade, comme de tout ce qui s'est fait ici et de ce qu'y opère la grâce divine. Aidez-moi, mon Fils; enivrez-vous du sang de l'Agneau. Je ne veux pas vous en dire davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, vous reposant toujours à l'ombre de l'arbre de la très sainte Croix. Doux Jésus, Jésus amour [1044].
CLXXXVIII (142) .- AU MEME MESSIRE MATTHIEU. - Du renoncement à la volonté propre pour se conformer en toutes choses à celle de Dieu.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et anéanti dans le sang de Jésus crucifié, dans ce sang qui enivre tellement l'âme, qu'elle se perd elle-même; elle veut qu'il ne reste rien en elle que ce sang. Le temps, le lieu, la consolation, la tribulation, les injures, les mépris, les outrages, tout ce qui lui arrive, de quelque côté que ce soit, pour elle ou pour les autres, elle ne veut rien choisir, mais elle soumet tout a la volonté de Dieu, qu'elle trouve dans le sang du Christ; car ce sang manifeste cette douce volonté, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Tout ce que Dieu donne ou permet n'a pas d'autre fin. Il donne tout par amour, afin que nous soyons sanctifiés en lui. C'est ainsi que s'accomplit sa vérité. 2. La vérité est qu'il nous a créés pour la gloire et lhonneur de son nom, et pour que nous participions a sa béatitude et à son ineffable charité, dont nous fait jouir parfaitement la vision de Dieu. L'âme a compris et vu avec l'oeil de l'intelligence, la volonté du Père éternel dans le sang du Fils; et c'est pourquoi elle s'anéantit dans le Sang, à la lumière de la [1045] douce volonté de Dieu, qu'elle trouve dans ce sang. Elle n'a jamais de peine, et ne suit sa volonté ni pour elle ni pour les autres; elle ne s'afflige pas de ceux qu'elle perd, parce qu'elle est morte à tous. Que s'applique-t-elle donc à faire? Ce qu'elle trouve dans le Sang. Et qu'y trouve-t-elle? L'honneur du Père et le salut des âmes; car le Verbe ne s'est jamais appliqué à d'autres choses ; il s'est placé sur la table de la sainte Croix pour s'y nourrir des âmes, sans craindre aucune souffrance. 3. Nous qui sommes ses membres, humilions-nous donc, nourrissons-nous du sang de l'Agneau immolé et consumé pour nous. En le faisant, nous aurons la vie, et nous goûterons les arrhes de la vie éternelle; nous aurons la lumière, et nous perdrons les ténèbres dans la lumière; nous perdrons tout scandale et tout murmure, et nous ne jugerons pas les autres, sous prétexte de bien ou de mal; mais, étant perdus et anéantis dans le Sang, nous ferons de même pour les autres, et nous serons persuadés que le Saint-Esprit les guide. Il en est autrement de ceux qui sont éprouvés, et qui ne se sont pas entièrement renoncés. Souvent ils ressentent une grande peine en se faisant les juges de la conduite et des actions des serviteurs de Dieu; ils se scandalisent et murmurent; ils font souvent murmurer en communiquant aux autres leur peine et leurs opinions, qu'ils devraient détruire dans le Sang, ou exposer seulement à la personne dont il s'agit, sans en entretenir les autres. S'ils étaient éclairés et anéantis dans le Sang, ils feraient ainsi; mais, parce qu'ils ne sont pas encore arrivés à cette grande perfection [1046] du renoncement de la volonté, nécessaire au serviteur de Dieu, qui doit mourir entièrement au monde, il leur reste des jugements sur des choses spirituelles qu'ils ignorent, et l'ignorance les fait tomber dans des erreurs et des fautes. 4. Courons donc, mon cher et bien-aimé Fils, et jetons-nous tout entiers dans le glorieux et précieux sang du Christ; que rien ne reste en nous qui n'y soit plongé; supportez avec respect et patience la fatigue, les injures, les murmures et toute chose; soyez plein d'amour et de révérence pour les serviteurs de Dieu, les conseillant, mais ne murmurant pas contre eux, et ne faisant pas connaître votre opinion à leur égard. De cette manière nous empêcherons les murmures , au lieu de les occasionner. Agissons ainsi; nous ne le pouvons que dans ce sang; je ne vois pas d'autre moyen; et c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir enivré du sang de Jésus crucifié ; c'est un besoin, une nécessité; oui, je veux que nous le fassions; je vous prie et vous conjure de le demander particulièrement à la Vérité suprême pour moi, qui ai besoin de m'anéantir et de me consumer ainsi, afin de recevoir la lumière parfaite pour connaître et voir mes brebis perdues et retrouvées, pour les placer sur mes épaules et les rapporter au bercail. 5. Combien est grande lignorance d'une brebis qui ne connaît pas la voix de son pasteur! Vous entendez depuis longtemps la voix du pasteur que vous devriez suivre, et il me semble que vous faites le contraire; vous suivez vos opinions, allant à l'aventure et ne sachant ce que vous dites; vous [1047] écoutez les jugements et les conseils des hommes. Il semble que vous avez perdu la lumière de la Foi; comme si le pasteur qui vous appelle et qui voudrait donner sa Vie pour votre salut vous appelait avec une voix humaine, et non pas avec la divine et douce volonté de Dieu. Que ne peuvent faire oublier à l'âme les paroles des créatures et l'ignorance des brebis qui ne l'accomplissent pas en elle et dans les autres! Voyez ce qu'a fait le très doux Jésus les murmures des Juifs qui se scandalisaient et notre Ingratitude ne l'ont pas empêché d'accomplir l'honneur de son Père et notre salut. Ainsi doit faire celui que Dieu a choisi pour suivre l'Agneau. Il ne doit tourner la tête en arrière pour aucune cause que ce soit; et si les brebis malades, qui devraient être saines, murmurent dans leur égarement, le pasteur ne doit pas abandonner ceux qui sont en danger de mort, et pour lesquels il doit chercher à donner sa vie; il ne doit pas abandonner les aveugles pour ceux qui ont les yeux mauvais. 6. Ne faites pas ainsi, mais voyez les saints qui voyageaient ou restaient en repos, selon ce qui leur paraissait le mieux pour la gloire de Dieu. Soyez persuadé qu'en restant ou en voyageant ils occasionnaient toujours une infinité de murmures (Sainte Catherine eut souvent à se défendre contre ceux qui murmuraient de ses fréquents voyages. (Vie de sainte Catherine, IIIe p., ch. 1.). Quand ils voyageaient, ils n'en travaillaient pas moins à l'honneur de Dieu; quand ils restaient, ils ne perdaient pas la patience et la lumière de la Foi. Ils n'oubliaient pas la voix de leur pasteur, mais ils [1048] étaient pleins de joie et de courage, parce que plus il y a d'opposition, plus luvre qu'on fait est parfaite. Soyez donc des brebis fidèles; ne craignez pas votre ombre, et ne croyez pas que j'en laisse quatre-vingt-dix-neuf pour une seule. Je vous dis, au contraire, que pour chacune de celles que je laisse, j'en ai quatre-vingt-dix-neuf qui ne sont connues maintenant que de la Bonté divine, de la Charité incréée; et c'est ce but secret qui me fait supporter la fatigue du voyage, le fardeau des infirmités, le poids des scandales et des murmures, le tout pour la gloire et l'honneur du nom de Dieu. Si je pars ou si je reste, je le fais toujours par sa volonté, et non par celle des hommes. La maladie de mon corps m'a retenue, mais c'est surtout la volonté de Dieu qui m'a empêchée de revenir. Nous reviendrons le plus tôt qu'il nous sera possible et que le Saint-Esprit nous le permettra. Réjouissez-vous de me voir partir ou rester, et que toutes vos pensées se calment, en étant bien persuadé que la Providence fait et fera. toute chose, si je ne suis pas un obstacle par la multitude de mes iniquités, qui nuisent à vous et au monde entier. Je vous conjure, autant que je le sais et que je le puis, de prier Dieu de me donner la lumière parfaite, pour que je meure dans la voie de la vérité. Je termine. Prenez courage dans le Christ, le doux Jésus. Recommandez-nous à tous, et surtout au Bachelier, et à frère Antonio. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1049].
CLXXXIX (143). - AU PRIEUR, et aux Frères de la compagnie de la Vierge-Marie . - Du souvenir de la mort pour conserver la patience dans les tribulations, et la modération dans la prospérité.- De la dévotion à la sainte Vierge - (Cette Compagnie de la Vierge-Marie remonte à la plus haute antiquité; elle se réunissait dans les souterrains qui cachaient les premiers chrétiens à leurs persécuteurs, et c'est elle qui contribua surtout à la fondation du grand hôpital de la Scala. Les confrères priaient ensemble, et pratiquaient les exercices de la pénitence et de la charité. Beaucoup de saints et de bienheureux furent affiliés à cette compagnie, et sainte Catherine elle-même assistait à ses sermons lorsqu'elle venait soigner les malades de l'hôpital. On montre encore dans les chapelles basses qui servent de réunion à la Compagnie de la Vierge, une pierre où elle avait l'habitude de prendre quelques instants de repos. Au-dessus est cette inscription : Qui giaceva la sposa di Giesu Christo, la serafica madre santa Caterina da Siena. Laus Deo )
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et doux Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir lié dans le doux lien de la charité. Ce fut ce lien qui attacha et cloua l'Homme-Dieu sur le bois de la très sainte Croix. Vous savez bien que les clous et la Croix n'étaient pas suffisants peut le retenir, si la charité ne l'avait pas retenu; c'est cet aimable et doux lien qui a uni la nature divine à la nature humaine [1050]. Quelle en fut la cause? Le seul amour. C'est l'amour qui nous a fait sortir des mains de Dieu lorsqu'il nous a créés à son image et ressemblance; et quand nous avons perdu la vie de la grâce, c'est par amour qu'il a voulu nous rendre ce que nous avions perdu par notre péché et notre faute. Dieu nous envoya son Fils unique, et voulut que par son sang, nous retrouvions la grâce; et le Fils obéissant courut a la mort ignominieuse de la Croix, tout transporté d'amour pour notre salut. 2. Ainsi tout ce que Dieu a fait et fait pour nous est fait par amour; et l'âme qui regarde cet amour ineffable et infini le contemple surtout avec l'oeil de son intelligence dans le sang de Jésus crucifié, et ce sang lui représente plus qu'aucune autre chose la grandeur de cette ineffable charité. Jésus-Christ a dit lui-même que l'homme ne pouvait pas mieux montrer son amour qu'en donnant sa vie pour son ami ( Jn 15, 13). O inestimable amour! si vous assurez qu'il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour son ami, combien devons-nous encore apprécier davantage votre amour envers nous qui étions vos ennemis! Vous avez donné votre vie, et vous avez payé pour nous avec votre sang; cela surpasse tout amour. O doux et tendre Verbe, Fils de Dieu! vous vous êtes fait médiateur; votre mort a rétabli la paix entre l'homme et Dieu; vos clous ont été les clefs de la vie éternelle. Elle est si bien ouverte, qu'elle ne peut être fermée si l'homme ne le veut pas; car l'homme ne peut être forcé à aucun péché [1051] sans son consentement. Le péché est ce qui nous ferme la porte, et nous prive de la fin pour laquelle nous avions été créés. Le péché nous ôte la vie et nous donne la mort; il nous ôte la lumière et nous donne les ténèbres, puisqu'il obscurcit l'oeil de l'intelligence, et ne lui laisse plus voir le soleil ni les ténèbres, les ténèbres de la connaissance de soi-même, où se voit et se trouve la ténébreuse sensualité qui se révolte, et combat toujours contre son Créateur; et parce que l'a me ne voit pas ces ténèbres, elle ne peut connaître l'amour et la lumière de la Bonté divine. 3. J'ai dit que l'âme qui regarde cet amour infini en conçoit un amour sans borne; elle soumet et conforme sa volonté à la volonté de Dieu; elle juge, et voit bien que Dieu ne veut autre chose que notre sanctification, et que s'il envoie ou permet les tribulations, les consolations, les persécutions, les coups, les mépris, les outrages, tout arrive pour que nous soyons sanctifiés en lui, parce que la sanctification ne peut s'obtenir que par les vertus, et que les vertus ne peuvent s'acquérir que par leur contraire. L'âme voit aussi que cet amour ne peut se troubler et se décourager, quelque chose qu'il arrive, perce que ce serait s'affliger de son bien et de la bonté de Dieu, qui le permet pour nous. Il est vrai que la sensualité ne peut souffrir ce qui lui déplaît, mais la raison en triomphe et la soumet comme elle doit. 4. Et comment soumettrons-nous cette sensualité, pour qu'elle ne se révolte pas contre son Créateur? Je vous le dirai. Les jouissances et les tribulations [1052] se modèrent par la douce et sainte pensée de Dieu,, c'est-à-dire, par la méditation continuelle de la mort, que nous trouvons dans la connaissance de nous-mêmes. Nous verrons, mes très chers Fils et Frères dans le Christ, le doux Jésus, que nous sommes tous mortels. Aussitôt que nous sommes créés dans le sein de notre mère, nous sommes condamnés à mort; nous devons mourir, et nous ne savons pas quand et comment. Lorsqu'on voit que la vie est si courte, qu'il faut attendre la mort de jour en jour, et que notre vie est comme sur une pointe d'aiguille, quel est celui qui ne réprimera pas toutes les joies déréglées qui se trouvent dans les vaines et folles joies du monde? je dis qu'il les réprimera, et qu'il ne recherchera pas les honneurs; la fortune, la grandeur, et qu'il ne possédera pas avec avarice les richesses. S'il a des richesses, il sera le distributeur du Christ aux pauvres; il ne voudra pas les posséder et les conserver avec orgueil, mais avec une humilité profonde et sincère, comprenant bien que rien n'est ferme et stable dans cette vie ténébreuse, mais que tout passe comme le vent. 5. S'il rencontre la tribulation, il la supporte patiemment, parce qu'il voit que toutes les tribulations que nous pouvons souffrir en cette vie sont bien petites. Pourquoi petites? Parce que notre temps est petit, parce que les peines passées n'existent plus, et que celles qui vous menacent, vous n'êtes pas sûr de les avoir, puisque vous ne savez pas si la mort ne viendra pas vous en délivrer. Vous n'avez donc à supporter que l'instant présent ; et ainsi la pensée de la mort ôte l'impatience dans les [1053] tribulations, et la joie déréglée dans les consolations. Il ne faut pas que cette pensée de la mort soit seule, car elle ferait tomber dans le trouble; il faut lui donner une compagnie, et cette compagnie est l'amour réglé par la sainte crainte de Dieu, c'est-à-dire la volonté d'éviter les vices et les péchés, pour ne pas offenser son Créateur. Le péché n'est pas en Dieu; il n'est pas par conséquent digne d'être aimé et désiré par nous, qui sommes les fils de Dieu, les créatures faites à son image et ressemblance Nous devons aimer ce qu'il aime, et détester ce qu'il déteste; et alors l'oeil de l'intelligence s'ouvre et voit combien il est utile de fuir le vice et d'aimer la vertu. Et quel malheur de faire le contraire! Quelle imprudence de dormir dans le péché, lorsque la mort vient si vite et donne l'éternelle damnation, qui est sans remède! 6. Vivre dans la vertu donne, toujours la joie, la paix avec Dieu, la paix avec le prochain. Toute antipathie disparaît, et on ressent cette charité fraternelle qui fait aimer le prochain comme soi-même. Nous devons aimer ainsi nos amis et nos ennemis, comme créatures raisonnables; nous devons désirer leur salut, et nous appliquer autant que nous le pouvons à porter et supporter leurs défauts, détestant leurs vices, mais non pas leurs personnes. Pleurez avec ceux qui pleurent, et réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, c'est-à-dire pleurez avec ceux qui sont dans le péché mortel. On peut bien dire qu'ils sont dans le temps des pleurs et des ténèbres; pleurez avec eux par la compassion, et offrez-les par les saints désirs en présence de Dieu [1054]. Réjouissez-vous avec ceux qui vivent dans la vertu; réjouissez-vous avec eux, non pas en enviant leur bonheur, mais en remerciant saintement la Bonté divine, qui les a tirés des ténèbres et les a conduits à la lumière de la grâce. C'est ainsi que vit dans l'unité et dans l'obéissance au précepte celui qui aime le prochain pour l'amour de Dieu. C'est le signe que le Christ donne pour reconnaître ses enfants et ses disciples. Il disait aux siens: « Aimez-vous les uns les autres, c'est à cela qu'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples (Jn 13,35) » . « Celui qui suit cette douce et sainte voie vit dans la grâce, et parvient enfin à l'éternelle vision de Dieu. Aussi, par-dessus toutes choses, mes chers Fils, je vous prie et je vous conjure de vous aimer les uns les autres, car nous devons greffer notre cur et notre affection sur l'amour de Jésus crucifié. Puisque nous voyons qu'il a tant aimé l'homme, nous devons imiter cet amour, et nous attacher si étroitement à notre prochain, que ni le démon, ni les injures qui nous viendraient du prochain lui-même, ni les faiblesses de notre amour propre, ne puissent jamais nous en séparer et rompre le lien de l'amour. Et parce que l'a me qui ferait autrement serait en état de damnation, je vous ai dit que je désirais vous voir unis clans les liens de la charité, ou vous devez être pour tant de raisons; car vo us avez été créés par le même Dieu, et vous avez été rachetés par le même sang. 7. Et puis la sainte et douce congrégation que vous avez formée porte le doux nom de Marie, qui [1055] est notre avocate, la mère de la grâce et de la miséricorde. Elle n'est pas ingrate envers ceux qui la servent, elle ne les oublie pas, et elle les récompense; elle est comme un char de feu, car elle a conçu en elle le Verbe, le Fils unique de Dieu; elle porte et répand le feu de l'amour, car son Fils est amour. Je vous prie aussi de haïr et d'avoir en horreur le péché d'impureté et toutes les autres fautes, car il ne serait pas convenable de vous souiller en servant Marie, qui est là pureté même. Ne dormez plus, mes Pères, mes Frères et chers Fils; excitez-vous à l'amour de la vertu, à la haine, à l'horreur du péché. Voyez combien le péché est abominable devant Dieu, puisqu'il a voulu que son Fils souffrit la mort et la passion; et Notre-Seigneur a souffert avec tant d'amour les peines, les tourments, les injures, les outrages, et enfin l'opprobre de la Croix ! Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, cachez-vous dans ses plaies faites par l'amour. L'ami ne peut mieux montrer son amour qu'en donnant sa vie pour son ami : eh bien, il vous a donné sa vie, en sacrifiant, en immolant son corps. Que vos curs samollissent dans ce saint temps, qui nous montre lAgneau sans tache consumé sur la Croix par le feu de la plus ardente charité. Il se donne à vous, à Pâques, comme une douce nourriture. Je vous conjure de vous disposer tous à la sainte Communion, si vous n'avez pas quelque lien qui ne puisse être délié qu'en allant à Rome. Je ne vous en dis pas davantage. Aimez-vous, aimez-vous les uns les autres. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. 8. Pour moi, votre indigne servante, je me recommande [1056] à vos prières, bien persuadée que vous ne m'oubliez pas; je vous prie et je vous conjure, de la part de Jésus crucifié, doffrir toutes vos prières et les bonnes uvres que Dieu vous permet de faire, et de célébrer le Saint Sacrifice pour la réforme de la douce L'Epouse du Christ, pour la sainte Eglise, pour la paix, l'unité de tous les chrétiens, et particulièrement pour notre cité, afin que Dieu nous envoie une véritable et parfaite union, et que les coupables se purifient des fautes qu'ils ont commises contre notre Sauveur et la sainte Eglise. Priez particulièrement pour que la ruine occasionnée par la guerre des Florentins contre le Saint-Père, à cause de nos péchés, se change, par l'effet de la Bonté divine, en une paix véritable. Je vous, assure que si nos prières continuelles et ferventes n'appellent sur nous la miséricorde divine, nous serons plus en danger que jamais pour nos âmes et nos corps. Frappons donc à la porte de la Miséricorde par la prière et le désir de la paix, et Celui qui est la bonté même ne méprisera pas la voix du peuple qui crie vers lui. Nécoutez le doux et bon Jésus, qui nous enseigne que nous devons frapper et appeler avec une ferme foi d'être exaucés, car sans cela la prière serait inutile. La douce Vérité suprême nous dit : « Frappez, et il vous sera ouvert; demandez, et Il vous sera donné; appelez, et il vous sera répondu. Puisqu'il nous enseigne ce moyen, prenons-le avec un bon et saint zèle, avec une longue et parfaite persévérance. Il l'a dit lui-même, à défaut d'autre moyen, on obtient par l'importunité de la persévérance. Je termine. Doux Jésus, Jésus amour. Marie [1057].
CXC (144). - AU PRIEUR, et aux Frères de la Société de la Vierge Marie, à 1'hôpital de Sienne.- Comment il faut cultiver sa vigne et celle du prochain.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mes très chers Pères et Fils dans le Christ Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir de bon ouvriers dans la vigne de vos âmes, afin qu'au moment de la récolte vous portiez beaucoup de fruits. Vous savez que la Vérité éternelle nous a créés à son image et ressemblance; il a fait de nous une vigne dans laquelle il a voulu et il veut habiter par la grâce, si le vigneron de cette vigne veut la cultiver bien et loyalement. Si elle n'était pas bien cultivée, elle abonderait en ronces et en épines, et Dieu n'aimerait pas l'habiter. Voyons donc, mes très chers Frères, quel ouvrier le Maître a envoyé. C'est le libre arbitre, auquel il a confié la garde de la vigne; c'est la porte solide de la volonté, que personne ne peut ouvrir ou fermer quand il ne plaît pas au vigneron. La lumière de l'intelligence nous est donnée pour que nous connaissions et distinguions les amis et les ennemis qui veulent passer par cette porte, où est placé le chien de la conscience, qui aboie quand il entend ouvrir; mais il faut que ce chien veille et ne s'endorme pas. Cette lumière fait [1058] voir le fruit et le sépare de la terre, pour que le fruit soit pur et qu'on le mette dans le grenier de la mémoire, qui conserve le souvenir des bienfaits de Dieu. Au milieu de la vigne est placé le vase du cur, plein du précieux Sang, pour en arroser les plantes, afin qu'elles ne sèchent pas. 2. C'est ainsi que la bonté de Dieu a créé et planté cette vigne; mais je m'aperçois que le poison de l'amour-propre a empoisonné et corrompu le vigneron, tellement, que notre vigne est devenue inculte; elle ne produit plus que des fruits qui donnent la mort., ou des fruits âcres et sauvages, parce que les démons, les semeurs perfides, ont passé par la porte de la volonté avec la semence de beaucoup de pensées mauvaises ; et en les semant dans le libre arbitre, ils y ont fait naître des fruits de mort, cest-à-dire des péchés mortels. Oh! combien est triste à voir cette pauvre vigne! Elle est devenue un bois par les épines de l'orgueil et de l'avarice, par les ronces de la colère et de l'impatience; elle est pleine d'herbes vénéneuses; notre jardin est devenu une étable où nous nous plaisons dans la fange de l'impureté. Ce jardin n'est pas fermé, mais il est ouvert, et nos ennemis, les démons, y entrent comme dans leur demeure. La fontaine de la grâce est tarie ; elle avait sa source dans le saint baptême par la vertu du sang de Jésus-Christ, ce sang qui arrosait la vigne en remplissant le cur d'amour. La lumière de l'intelligence ne voit plus que les ténèbres, parce qu'elle est privée de la lumière de la très sainte Foi; aussi ne connaît-elle plus que l'amour sensitif; la mémoire en est pleine, et alors elle ne peut avoir [1059] que le souvenir de ses misères, de ses désirs et de ses appétits désordonnés. 3. La Vérité éternelle a placé encore une autre vigne auprès de celle-là c'est celle de notre prochain, qui est si étroitement unie à la nôtre, que nous ne pouvons rien faire pour l'une qui ne profite a l'autre. Aussi. il nous est commandé de gouverner cette vigne comme la nôtre; car il est dit : Aime Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme toi-même. Oh! combien est cruel le vigneron qui gouverne mal sa vigne, et ne lui fait porter d'autres fruits que quelques actes de vertu, et ceux-là sont si aigres, que personne ne peut les goûter ces fruits sont les bonnes uvres faites en dehors de la charité. Oh! combien est à plaindre cette âme qui, à l'instant de la mort, au moment de la récolte, se trouve sans aucun fruit ! Elle comprend quelle sera sa mort, et elle cherche le temps pour pouvoir la changer, mais elle ne le trouve pas. L'homme ignorant semble croire qu'il peut disposer du temps à son gré, mais il n'en est point ainsi. 4. O mes Frères! profitons du temps présent que la miséricorde de Dieu nous donne. Que la raison se mette luvre avec le libre arbitre, et commençons à retourner la terre de cet amour coupable et déréglé, de cet amour terrestre, qui ne veut se nourrir que de choses passagères, sans consistance et sans durée, qui disparaissent comme le vent. Devenons célestes, et cherchons les biens solides et véritables, qui ne sont sujets à aucun changement; ouvrons la porte de la volonté pour recevoir la semence de cette doctrine qui produit les vraies et [1060] saintes vertus que le libre arbitre a fait sortir de terre a la lumière de la vérité, cest-à-dire qu'il ne les a semées et récoltées par aucun amour terrestre et humain, mais par la haine et le mépris de soi-même. Il a recueilli le fruit dans sa mémoire par le souvenir des bienfaits de Dieu, reconnaissant qu'il le tient de lui, et non de sa propre vertu. 5. Quel arbre faut-il planter ? l'arbre de la charité parfaite, dont la cime sunit au ciel, cest-à-dire à l'abîme de la charité divine. Ses rameaux couvrent toute la vigne et conservent les fruits dans leur fraîcheur, parce que toutes les vertus procèdent de la charité, et ont la vie par elle. Comment l'arroser? non pas avec l'eau, mais avec le sang précieux répandu avec un si ardent amour. Ce sang remplit le vase du cur, et non seulement il arrose la vigne et embellit le jardin, mais il désaltère abondamment le chien de la conscience; il le fortifie afin qu'il fasse une bonne et fidèle garde a la porte de la volonté, pour que personne ne passe sans se faire reconnaître par la raison, qu'il avertit par ses cris; et la raison, a la lumière de l'intelligence, voit si ce sont des amis ou des ennemis. Si ce sont des amis que la clémence du Saint-Esprit nous envoie, c'est-à-dire si ce sont de bonnes et saintes inspirations, le libre arbitre les reçoit en ouvrant la porte avec la clef de l'amour, et il les utilise; mais si ce sont des ennemis, des pensées coupables et des actions corrompues, il les chasse avec la verge de la haine et du mépris; il ne les laisse point passer tant qu'elles ne sont pas changées, il leur ferme la porte de la volonté, qui ne donne pas son consentement [1061]. 6. Alors, voyant que le libre arbitre, le vigneron quil a envoyé dans la vigne, travaille bien en lui et dans le prochain quil assiste autant quil le peut par amour et charité, Dieu se repose dans cette âme par la grâce; son repos naugmente pas par le bien que nous faisons, car il na pas besoin de nous, mais sa grâce repose en nous; elle nous donne la vie, elle nous revêt en couvrant notre nudité; elle nous donne la lumière et rassasie notre âme, et en la rassasiant elle la laisse toujours affamée. Elle nous offre sa nourriture sur la table de la très sainte Croix, dans la bouche du saint désir; elle nous présente le lait de la douceur divine, quelle mêle avec la myrrhe de lamertume de la Croix et de la douleur de loffense de Dieu. Elle nous donne lencens odoriférant des humbles et continuelles prières quon offre avec ferveur pour lhonneur de Dieu et le salut des âmes. Oh! combien est heureuse cette âme ! Elle goûte véritablement la vie éternelle; mais nous, pauvres ignorants, nous nous inquiétons peu de ce bonheur; car si nous nous en inquiétions, nous aimerions mieux mourir que de perdre un si grand bien. Sortons donc aujourdhui de cette ignorance, et cherchons la perfection dans la vérité; en la cherchant ainsi, nous la trouverons où Dieu la placée; si nous la cherchons autrement, nous ne la trouverons pas. 7. Nous avons dit comment notre âme est une vigne, comment elle est ornée, et comment Dieu veut que nous y travaillions. Il faut voir maintenant où Dieu nous a placés: il nous a placés tous dans la vigne de la sainte Eglise, où il a mis pour vigneron [1062] le Christ de la terre, celui qui administre le précieux Sang, et qui, avec la serpe de la pénitence que nous recevons dans la confession, taille les vices de lâme et lunit à son sein avec les liens de la sainte obéissance. Sans cela la vigne de notre âme serait ravagée, et la grêle y détruirait tous les fruits, si elle nétait pas liée par cette obéissance. Il faut donc placer et travailler la vigne de notre âme dans la vigne de la sainte Eglise; autrement nous serions privés de tout bien, et nous tomberions dans toute sorte de mal. 8. Il est temps, mes très chers Pères et Frères, de montrer si nous sommes unis vraiment ou non à la vigne de lEglise. Et à quoi le verrai-je? Je le verrai si, dans ce temps de calamités, vous assistez spirituellement et temporellement le vigneron de cette vigne de la sainte Eglise, le Pape Urbain VI, le vrai Vicaire de Jésus-Christ spirituellement, par vos humbles prières; temporellement, en travaillant autant que vous le pourrez à décider les magistrats de la République à lui venir en aide comme ils le doivent. Ne voyons-nous pas que nous sommes obligés de le faire, et que cela peut nous être utile à nous-mêmes? Aimons-nous si peu notre Foi que nous ne voulions pas être ses défenseurs, et sacrifier la vie de notre corps sil le faut? Serons-nous si ingrats et si oublieux des grands bienfaits que nous avons reçus de Dieu et du Souverain Pontife? Ne savons-nous pas que lingratitude fait tarir la source de la piété? Je ne veux pas que nous soyons ingrats, mais reconnaissants pour nourrir en nous la piété. Je vous prie donc par lamour de Jésus crucifié de [1063] mettre la main à luvre, et soyons prompts à servir cette vérité... Je suis certaine que si vous êtes de bons et parfaits ouvriers dans votre vigne, vous travaillerez avec un grand zèle par amour de la vérité dans la vigne de la très sainte Eglise. Mais si vous êtes de mauvais ouvriers pour vous-mêmes, vous ne vous appliquerez pas à travailler pour elle comme vous l'avez montré jusqu'à présent. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir de bons ouvriers. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CXCI (145). - A QUELQUES MONASTERES DE BOLOGNE. Lettre écrite en extase. - Des devoirs d'une épouse de Jésus-Christ. et des trois vux de la vie religieuse.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mes très chères Surs dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondées dans la vraie et parfaite charité. Cette charité est le vêtement nuptial que doit avoir lâme invitée aux noces de la vie éternelle; car sans ce vêtement nous en serions exclus. Le Christ béni nous y a tous invités, et à tous il nous a donné le vêtement de sa grâce, cette grâce que nous recevons dans le saint baptême. Nous recevons cette invitation et ce présent dans le [1064] baptême; la souillure du péché originel est effacée, et la grâce nous est donnée. L'enfant qui meurt avec la pureté de ce baptême possède la vie éternelle en vertu du sang précieux de Jésus crucifié; c'est ce sang qui fait la force du baptême. Mais la créature raisonnable, lorsqu'elle est arrivée à l'âge de discrétion, peut être fidèle à l'invitation qui lui a été faite dans le saint baptême. Si elle n'y est pas fidèle, elle est repoussée par le Seigneur des noces; elle est chassée dehors, parce qu'elle est trouvée sans le vêtement nuptial. Pourquoi ne l'a-t-elle pas? Parce qu'elle n'a pas voulu observer ce qu'elle avait promis au saint baptême, c'est à dire à renoncer au monde, à ses délices, au démon, à elle-même, à sa propre sensualité. 2. C'est ce que doit faire toute créature raisonnable, dans quelque position qu'elle se trouve; car Dieu ne s'arrête pas aux positions, mais aux saints désirs; et quiconque n'accomplit pas ce qu'il doit, ce qu'il a promis d'observer et de rendre, est un voleur, car il vole ce qui ne lui appartient pas, et Dieu le chasse avec justice, en commandant de lui lier les pieds et les mains, et de le jeter dans les ténèbres extérieures. Les pieds de son amour sont liés, car il ne peut plus désirer Dieu; et celui qui est mort dans l'état de péché mortel et qui est arrivé à l'état de damnation, a les mains de ses uvres liées, car il ne peut prendre le fruit de la vie éternelle, qui se donne aux généreux combattants, à ceux qui ont combattu les vices par l'amour de la vertu; mais il prend le fruit de la vie éternelle, qui se donne aux généreux combattants, à ceux qui ont combattu les vices par [1065] l'amour de la vertu; mais il prend le fruit qu'il mirrite pour ses uvres mauvaises, le fruit qui est une nourriture de mort. 3. O mes très chères Surs ! si des châtiments si durs punissent tous ceux qui n'accomplissent point leur devoir, que dirons-nous de nous, pauvres et ignorantes épouses, qui sommes invitées aux noces de la vie éternelle et aux délices du jardin de la vie religieuse? Ce jardin est embaumé de fleurs et plein de doux et bons fruits; l'épouse qui tient ce qu'elle a promis y devient un ange terrestre en cette vie. Car tous les hommes du monde qui vivent dans la charité commune sont des hommes justes, et s'ils tombent dans le péché mortel ils deviennent semblables aux animaux; mais ceux qui sont dans l'état de continence perpétuelle, et qui entrent dans le jardin de la vie religieuse deviennent des anges; mais s'ils n'observent pas leurs vux ils deviennent pires que les démons. Ceux-là perdent le vêtement dont nous avons parlé. Oh! combien sera dure et cruelle la sentence qui frappera l'épouse du Christ en présence du souverain Juge! La porte de l'éternel Epoux lui sera fermée; et quel remords aura-t-elle de se voir ainsi privée de Dieu et de la société des anges par sa faute! O mes très chères Surs! celle qui y réfléchirait bien aimerait mieux mourir que d'offenser sa perfection je ne dis pas offenser Dieu, mais offenser sa perfection; car autre chose est d'être en péché mortel, c'est-à-dire d'offenser Dieu, autre chose est d'offenser la perfection à laquelle on s'est engagé en promettant d'observer, non seulement les commandements de Dieu, mais encore les conseils [1066] actuellement et mentalement. Les hommes qui sont dans la charité commune observent les commandements et les conseils parce qu'ils sont liés ensemble, et qu'on ne peut les observer les uns sans les autres; mais ils observent les conseils mentalement, tandis que celui qui a promis de suivre la voie parfaite doit les observer actuellement et mentalement. Aussi je dis que s'il ne les observe pas actuellement, mais seulement mentalement, il manque à la perfection qui l'oblige à les observer actuellement et mentalement. Que promettons-nous, mes très chères Surs? Nous promettons d'observer les conseils lorsque nous faisons les trois vux de notre profession nous promettons la pauvreté volontaire, lobéissance, la chasteté; et en n'y étant pas fidèles, nous offensons Dieu, à qui nous avions fait cette promesse; nous offensons la perfection que nous avions choisie. Celui qui n'a pas promis d'observer les conseils, et qui ne les observe pas actuellement, ne pèche pas, il manque seulement à la perfection qu'il désirait dans son cur; mais celui qui en a fait le vu commet un péché. 4. Et quelle est la cause qui empêche d'observer ce vu? C'est l'amour de nous-mêmes. Cet amour nous ôte la robe nuptiale, il nous prive de la lumière et nous donne les ténèbres; il nous ôte la vie, il nous donne la mort et l'amour des choses passagères, frivoles et périssables; il détruit en nous le saint désir de Dieu. Oh! combien est malheureux cet amour qui nous fait perdre le temps, si précieux pour nous, et qui nous fait abandonner la nourriture des anges pour rechercher la nourriture des animaux [1067] ! La créature raisonnable devient semblable à la brute par sa vie déréglée; les vices et les péchés sont sa nourriture, tandis que la nourriture des anges de la terre doit être les 'vraies et solides vertus. Quelle différence y a-t-il entre ces deux nourritures? La différence de la vie et de la mort, d'une chose finie à une chose infinie. 5. Considérons ce qui réjouit la véritable épouse de Jésus crucifié, qui goûte cette douce et tendre nourriture, et ce qui réjouit celle qui est devenue semblable à l'animal grossier. La véritable épouse du Christ aime à chercher son Epoux, non pas dans les réunions, mais dans la connaissance d'elle-même, ou elle le trouve. En voyant et goûtant l'éternelle bonté de lEpoux, en l'aimant de tout son cur, de toute son âme, de toutes ses forces, elle se réjouit de s'asseoir à la table de la très sainte Croix; elle aime mieux acquérir les vertus au milieu des peines et des combats qu'au sein de la paix et sans fatigue, pour ressembler à Jésus crucifié, dont elle suit les traces, tellement que, s'il était possible de le servir sans peine, elle ne le voudrait pas; mais, comme un généreux chevalier, elle veut le servir en combattant avec courage et en se faisant violence à elle-même, parce qu'elle s'est dépouillée de l'amour-propre et revêtue d'une ardente charité. Elle passe par la porte étroite et basse de Jésus crucifié; elle a promis d'observer la pauvreté volontaire, l'obéissance, la chasteté, et elle s'applique à y être fidèle. Elle a jeté à terre le pesant fardeau des richesses du monde, de ses plaisirs, de ses honneurs; et plus elle s'en voit privée, plus elle se réjouit; et parce qu'elle est humble, son [1068] obéissance est prompte. Elle ne résiste jamais à ce qu'on lui commande, et elle ne veut pas être un instant sans avoir devant les yeux les règles de son Ordre et la promesse qu'elle a faite; elle s'applique aux vertus et à la prière. 6. De sa cellule elle a fait un ciel par ses douces psalmodies; elle ne dit pas seulement l'Office des lèvres, elle le dit de cur, et elle veut être toujours la première qui entre au chur, et la dernière qui en sorte; elle a en abomination la grille, le parloir et la familiarité des faux dévots (Au temps de sainte Catherine, plusieurs hérésies se cachèrent sous le voile de la dévotion. LEglise eut à se défendre des bégards, des béguines, des patarins et des fraticelles, dont les pratiques dont les pratiques extérieures couvraient les plus coupables doctrines.); elle ne s'applique pas à avoir une cellule bien close et bien ornée, mais elle s'applique à bien fermer la cellule de son cur, afin d'empêcher les ennemis d'y entrer, et elle la pare de toutes les vertus. Mais, pour la cellule qu'elle habite, elle n'y met aucun ornement; si elle y trouve quelque chose, elle l'ôte par amour de la pauvreté, ou pour être utile à ses surs; et ainsi elle conserve son corps et son âme dans la continence parfaite, parce qu'elle éloigne ceux qui pourraient la lui faire perdre. Elle se conserve dans la charité fraternelle, aimant toutes les créatures raisonnables, et supportent les défauts de son prochain avec une vraie et sainte patience. Elle est comme le hérisson, en guerre contre la sensualité; elle craint d'offenser son Epoux; elle perd l'attachement à son pays et le souvenir de ses proches; il n'y a que ceux qui font la volonté de Dieu [1069] qui lui sont unis par l'amour. Oh ! combien cette âme est heureuse elle ne fait qu'une même chose avec son Epoux, et elle ne peut désirer et vouloir que ce que Dieu veut. Elle traverse ainsi doucement les tempêtes de la mer, et elle répand le parfum des vertus dans le jardin de la vie religieuse. Si vous demandez à Jésus crucifié qu'est cette âme, il vous dira: C'est un autre moi-même par l'effet de l'amour. Elle a le vêtement nuptial, et elle ne sera pas chassée de la salle du festin; mais l'Epoux éternel la recevra avec joie et tendresse. Elle répand la bonne odeur, non seulement en présence de Dieu, mais encore en présence des hommes coupables du monde. Qu'il le veuille ou non, le monde la respecte. 7. Le contraire arrive à celles qui ont le malheur de vivre dans l'aveuglement de l'amour-propre et de la sensualité; aussi leur vie est odieuse à Dieu et aux créatures, et leur défauts diminuent dans les séculiers le respect pour la sainte Religion. Hélas! que devient le vu de pauvreté avec ce désir, Cet amour, cette ardeur pour les richesses du monde? Elles cherchent à posséder ce qui leur est interdit en étant avares et cruelles avec le prochain. Elles voient le couvent et des surs malades être dans le besoin, et elles ne s'en inquiètent pas, comme si elles avaient une troupe d'enfants à élever et des biens à laisser à leurs héritiers. O malheureuse! ce n'est pas ce qui t'arrête ton héritier c'est ta sensualité, et tu veux entretenir l'amitié et les visites de ceux qui te recherchent; tu les entretiens par des présents, et les jours se passent à causer, à raconter des nouvelles et à perdre le temps en paroles oiseuses et coupables; tu ne vois [1070] pas, ou tu vois et tu fais semblant de ne pas voir, que tu souilles ton esprit et ton âme ; tu es tourmentée par les combats de la chair, et tu succombes dans les faiblesses de ta volonté malheureuse. Est-ce là ce que doit faire l'épouse du Christ? Dieu et le monde te condamnent. Quand tu récites ton Office, ton cur est tout entier à tes plaisirs sensuels et aux créatures, que tu aimes de la même manière. 8. O très chères Surs? quel esclavage que le service du démon! être toujours attachées à la grille et au parloir sous prétexte de dévotion. O maudit langage! qui règne aujourd'hui dans l'Eglise de Dieu et dans les cloîtres : on appelle dévots et dévotes ceux qui font les uvres du démon, et qui sont des démons incarnés. Hélas! hélas! qu'est devenu ce jardin où est semée la corruption de l'impureté? Ce corps, qui devait être mortifié par le jeûne, les veilles, la pénitence et la prière continuelle, il vit au milieu des délices, des parures, des parfums et des aliments recherchés. Son lit n'est pas celui d'une épouse du Christ, mais celui d'une servante du démon et d'une prostituée. L'infection de ses désordres corrompt les créatures, et elle devient l'ennemi de lhonnêteté et des serviteurs de Dieu. Elle ne veut ni règle ni prieure au-dessus de sa tête; c'est le démon et la sensualité qu'elle choisit pour prieure. Elle leur obéit et travaille à les servir avec zèle; elle souhaite le malheur et la mort de ceux qui veulent la tirer de la mort dit péché mortel, et sa misère est si grande, qu'elle court à tous les vices avec rage, et qu'elle semble avoir perdu la raison. Elle détruit son intelligence dans la satisfaction de ses désirs déréglés. Le démon [1071] n'est pas si habile que ces démons incarnés, et elles ne songent qu'à trouver des moyens nouveaux d'inspirer aux hommes un amour coupable, tellement, que souvent on voit le lieu consacré à Dieu se changer en une étable où se commet le péché mortel. Elle devient ainsi adultère, elle se révolte contre son Epoux, et elle tombe des hauteurs du ciel dans les abîmes de l'enfer. Elle omet son Office; elle n'aime pas manger au réfectoire dans la société des pauvres; mais, pour vivre mieux et avoir des mets plus délicats, elle mange en particulier; elle devient cruelle pour elle-même, et n'a pas compassion des autres. 9. D'où vient tant de mal? de l'amour-propre sensitif qui obscurcit l'oeil de la raison, et ne lui laisse pas voir dans quel abîme elle est tombée et elle tombera si elle ne se corrige pas; car, si elle voyait que sa faute la rend servante et esclave du néant et la conduit à l'éternelle damnation, elle préférerait mourir qu'offenser Dieu et son âme. Mais l'amour-propre lui fait oublier et violer le vu qu'elle a fait; car, par amour d'elle-même, elle possède et désire les richesses et les honneurs du monde, ce qui est la ruine et la honte de la vie religieuse. Savez-vous ce qu'entraîne cette possession des richesses contraire au vu de pauvreté et aux règles de l'Ordre? L'impureté et la désobéissance. Pourquoi l'impureté? Parce que la possession des richesses occasionne des relations dangereuses. Si elle n'avait rien à donner, elle n'aurait d'autre amitié que celle des serviteurs de Dieu, qui n'aiment pas pour leur intérêt, mais seulement pour Jésus crucifié; et n'ayant rien à donner, les serviteurs du monde, qui ne cherchent autre chose [1072] que l'avantage qu'ils en retirent ou le plaisir coupable qu'ils y trouvent, se seraient retirés si elle n'avait eu rien à donner et si elle ne voulait plaire qu'à Dieu. De même, parce que son esprit est corrompu et superbe, elle tombe aussitôt dans la désobéissance, elle ne veut croire qu'à elle, et les choses vont toujours de mal en pire, tellement que le temple de Dieu devient le temple du démon. Elle est bannie des noces de la vie éternelle, parce qu'elle est dépouillée du vêtement de la charité. 10. Ainsi donc, très chères Surs, puisqu'il est si dangereux de ne pas observer les vux que nous avons faits, appliquons-nous à y être fidèles; considérons combien notre nudité nous rend malheureuses, et comprenons combien le vêtement nuptial est utile à nos âmes et agréable à Dieu, afin que nous en soyons parfaitement revêtues. Comme unique moyen, je vous ai dit que je désirais vous voir fondées dans la vraie et parfaite charité, et je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié de le faire. Secouons le sommeil, et mettons pour jamais un terme à notre misère et à notre imperfection, car le temps ne nous appartient pas. La condamnation est prononcée, la sentence est portée, et nous devons mourir, et nous ne savons pas quand. La hache est déjà à la racine de notre arbre; il ne faut donc pas compter sur le temps que nous ne sommes pas sûrs d'avoir, mais il faut maintenant anéantir notre volonté propre et mourir péniblement à nous-mêmes par amour de la vertu. 11. A vous, Mère Prieure, je dis que vous devez donner l'exemple d'une vie sainte et irréprochable [1073], afin que vous puissiez enseigner avec vérité les filles qui vous sont soumises, les reprendre et les punir lorsqu'il en est besoin. Evitez les rapports avec les séculiers, et les conversations avec les faux dévots; fermez les grilles et le parloir, à moins que la nécessité ne le demande. Invitez vos religieuses à être pauvres dans leurs cellules, pour qu'elles n'aient rien à donner, et faites-leur retrancher les ornements, les tapis, les lits de plumes, les vêtements frivoles et déshonnêtes, si elles en ont, comme je le crains. Faites ainsi la première, ma très chère Mère, afin que votre exemple entraîne les autres. Que le chien de votre conscience aboie et morde, en pensant que vous aurez des comptes à rendre à Dieu. Ne fermez pas les yeux pour ne pas voir, parce que Dieu vous voit, et vous n'aurez pas d'excuse. Il faut avoir toujours les yeux ouverts sur celles qui vous sont confiées. Je suis certaine que vous le ferez si vous avez le vêtement nuptial; je vous en prie, et je m'engage à prier sans cesse pour vous, et à vous aider à porter votre fardeau avec toute la charité que Dieu me donnera. Tâchez que je reçoive de bonnes nouvelles. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1074].
CXCII (116). - AU MONASTERE DE SAINT-GAGE, de Florence, à l'Abbesse et aux Religieuses du monastère de Mont-Sansovino. - De l'imitation véritable de Jésus-Christ par les trois vux de la vie religieuse. (Le couvent de Saint-Gage est près de Florence, sur la route de Rome. Les religieuses qui lhabitaient suivaient la règle de Saint-Augustin. Le couvent de Mont-Sansovino auquel la même lettre est adressée, était situé entre Sienne et Arezzo. Il observait la règle de Saint-Benoît.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUGE MARIE 1. Ma très chère Mère et mes Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir cachées et enfermées dans le côté de Jésus crucifié : autrement il vous serait inutile d'être renfermées dans un couvent, et la clôture servirait plutôt à votre condamnation. Car, comme votre corps est captif, il faut que votre cur et vos désirs le soient aussi, puisque vous avez quitté le monde et ses délices pour suivre l'Epoux, le Christ, le doux Jésus. Je ne doute pas que si vous aimez véritablement l'Epoux éternel, vous ne suiviez ses traces. Et vous savez quelle fut sa voie la pauvreté volontaire et l'obéissance. Par humilité, la Grandeur suprême descendit jusquà la bassesse de la nature humaine; et par humilité, par l'amour ineffable qu'il eut pour nous, il livra son humanité à la mort honteuse de la Croix [1075], choisissent lui-même la voie des tourments, des fouets, des coups et des outrages. C'est cette humilité que vous devez suivre; et sachez qu'on ne peut l'acquérir que par la vraie et parfaite connaissance de soi-même et par la contemplation de l'humilité profonde et de la douceur de l'Agneau qui s'est immolé avec un si ardent amour. Je dis qu'il a suivi la voie de la vraie pauvreté; car il fut si pauvre, qu'il n'eut pas de quoi reposer sa tête, et à sa naissance la douce Marie avait à peine quelques langes pour envelopper son Fils. 2. Et vous, ses épouses, vous devez suivre la voie de cette pauvreté; vous savez que vous l'avez promis, et je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié d'être fidèles à votre promesse jusqu'à la mort: autrement vous ne seriez pas ses épouses, mais vous seriez des adultères, si vous aimiez quelque chose en dehors de Dieu; car l'épouse est adultère lorsqu'elle aime quelque chose plus que l'époux. Et quel est le signe de l'amour? C'est l'obéissance. Plus l'épouse est pauvre de volonté, plus elle renonce aux richesses et aux honneurs du monde, et plus elle est humble; plus elle est humble, plus elle est obéissante, parce que l'orgueilleux n'est jamais obéissant, son orgueil ne veut jamais se soumettre et obéir à aucune créature Je veux donc que vous soyez humbles, et que vous vous renonciez de cur et d'affection jusqu'à la mort. Vous, Mère abbesse, obéissez à la règle; et vous, religieuses, obéissez à la règle et à votre abbesse. Imitez, imitez lEpoux éternel, le doux et bon Jésus, qui a été obéissant jusqu'à la mort; sachez que sans l'obéissance vous ne pourrez participer [1076] au sang de l'Agneau. Qu'est-ce qu'une religieuse sans le joug de l'obéissance? C'est une morte et un véritable démon incarné. Elle n'observe pas la règle, elle l'outrage; elle est dans les régions de la mort, parce qu'elle a transgressé les saints commandements de Dieu; et non seulement elle a transgressé ces commandements, mais elle a violé les vux qu'elle a faits dans sa profession. 3. O mes bien-aimées Surs et Filles dans le Christ, le doux Jésus, je ne veux pas que vous tombiez dans ce malheur; mais je veux que vous soyez pleines de zèle pour ne manquer en rien à vos promesses. Voulez-vous jouir de votre Epoux? Tuez en vous la volonté mauvaise, et ne vous révoltez jamais contre la véritable obéissance. Vous savez que l'obéissant véritable ne juge jamais la volonté de son supérieur, mais qu'il baisse la tête et l'accomplit sur-le-champ. Passionnez-vous donc pour celte vraie et solide vertu. Voulez-vous avoir la paix et le repos? Renoncez à votre volonté, car toute peine vient de la volonté propre. Revêtez-vous de la douce et éternelle volonté de Dieu; et de cette manière vous goûterez la vie éternelle, et vous serez appelés des anges terrestres en cette vie. Fortifiez-vous dans la douce Vérité suprême; mais vous n'y parviendrez jamais, si vous ne fixez l'oeil de votre intelligence sur le feu de la charité divine que Dieu fait briller dans la créature raisonnable. Songez, ma Mère et mes Filles, que vous êtes plus obligées que les autres créatures, parce que Dieu, outre l'amour qu'il accorde à la créature, vous a particulièrement favorisées en vous retirant de la vie ténébreuse et grossière de ce monde [1077] si plein de honte et de corruption, pour vous placer dans le cloître et vous choisir pour épouses. Vous De devez donc pas être négligentes, mais chercher toutes les choses, tous les lieux et tous les moyens capables de lui plaire. Et si vous me dites : Quelle est la voie? Je vous répondrai Celle qu'il a tracée lui-même, la voie des opprobres, des peines, des tourments et des fouets. Et quel moyen? l'humilité véritable,l'ardente charité, l'amour ineffable avec lequel on renonce aux richesses et aux honneurs du inonde. Par l'humilité on arrive à l'obéissance, comme je l'ai dit, et par l'obéissance à la paix; car l'obéissance ôte toutes les peines, et donne toutes les joies; elle détruit la volonté, qui est la cause de nos peines. 4. Afin que l'âme puisse monter à cette perfection, notre Sauveur a fait de son corps une échelle, où sont des échelons. Si vous regardez les pieds, qui sont percés et cloués sur la Croix, ils forment le premier degré, parce que l'âme doit se dépouiller avant tout de toute affection de la volonté propre; car, comme les pieds portent le corps, l'affection porte l'âme. Apprenez que l'âme n'acquiert jamais de vertu si elle ne monte le premier degré. Dès que vous êtes montées, vous parvenez à une vraie et profonde humilité; mais montez plus haut, et hâtez-vous darriver au côté entrouvert du Fils de Dieu, et là vous trouverez le feu et labîme de la charité divine. A ce degré de la plaie du côté, vous trouverez un trésor de parfum; vous trouverez l'Homme-Dieu, et votre âme se rassasiera et s'enivrera tellement, qu'elle ne se verra plus elle-même, comme celui qui [1078] est pris de vin. L'âme alors ne peut voir autre chose que ce sang répandu avec tant d'amour; elle s'élance dans l'ardeur de son désir, et elle arrive au troisième degré, à la bouche, où elle se repose dans le calme et la paix. Elle goûte la paix de l'obéissance, et elle fait comme l'homme qui dans son ivresse se met à dormir et ne sent, pendant son sommeil, ni la prospérité ni l'adversité. De même l'épouse du Christ, ivre d'amour, s'endort dans la paix de son Epoux. Toutes ses facultés sont assoupies, et la tribulation aurait beau fondre sur elle qu'elle ne s'en apercevrait pas, si elle est au milieu de la prospérité du monde, elle ne s'y attache pas d'une manière déréglée, parce qu'elle s'est dépouillée delle-même au premier degré. C'est le lieu ou elle s'unit et devient semblable à Jésus crucifié. Courez donc généreusement, car vous connaissez la voie et le lieu où vous pourrez trouver le lit de votre repos, et la table sur laquelle vous goûterez la nourriture qui vous rassasiera. Oui, je le veux et je vous en conjure de la part, de Jésus crucifié, réchauffez-vous, baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié; et afin d'être une même chose avec lui, ne fuyez pas la peine, mais aimez-là, car la peine est petite, et la récompense est grande. Je ne vous en dis pas davantage sur ce sujet (Ce qui suit était adressé seulement au couvent de Saint-Gage.) 5. Il me semble que votre Mère bien-aimée, ma chère Néra, est assise maintenant au festin du ciel, où elle goûte la nourriture de vie; elle a trouvé lAgneau sans tache pour récompense, l'Agneau qui [1079] est, comme je vous l'ai dit, la table, la nourriture et le serviteur. Lépouse fidèle de Jésus crucifié a trouvé le Père éternel, qui est la table et le lit, parce que dans le Père se trouve l'abondance de tout ce qui lui est nécessaire si l'homme se tourmente, mes très chères Soeurs, s'il va d'un lieu à un autre, c est pour la nourriture, le vêtement et un lieu de repos. Eh bien, elle a trouvé l'éternelle et suprême bonté de Dieu; et il n'est plus nécessaire que l'âme cherche ces choses, et qu'elle aille de côté et d'autre, car elle a trouvé un asile assuré, où elle peut se reposer dans le sein de la Divinité. Le Père est la table, le Fils la nourriture; et c'est par le moyen du Verbe incarné, le Fils de Dieu, que nous arrivons tous, si nous le voulons, au port du salut. L'Esprit-Saint est son serviteur; car c'est par amour que le Père nous donne la nourriture de son Fils, et c'est par amour que le Fils nous donne la vie e~ prend pour lui la mort, afin que par sa mort nous ayons part à la vie éternelle. Nous qui sommes pèlerins et voyageurs dans cette vie, nous recevons cette récompense imparfaitement; mais elle l'a reçue parfaitement, et rien ne pourra la lui enlever. 6. Vous donc, ses filles véritables, vous devez vous réjouir du salut et du bonheur de votre Mère ; vous devez vous résigner saintement, à cause de celui qui vous a ôté sa présence sensible, et vous ne devez pas oublier que c'est l'éternelle volonté de Dieu. C'est pour son bien qu'elle a été délivrée de la fatigue et des peines nombreuses qu'elle éprouvait depuis longtemps et elle est maintenant dans son repos. Et vous, ses filles, je vous conjure de suivre ses traces, ses leçons [1080] et les saints usages ou elle vous nourrissait. Ne craignez pas d'être comme des orphelines ou des brebis sans pasteur; vous ne serez pas orphelines, puisque Dieu vous protégera, et qu'elle offrira en sa présence ses bonnes et saintes prières pour vous. Sur Ghita vous est restée; je vous prie de lui obéir en toute chose, comme Dieu et votre saint Ordre le demandent. Et vous, sur Ghita, je vous prie autant que je sais et que je peux d'avoir bien soin de cette famille, pour la conserver et l'avancer dans le bien. Ne commettez pas de négligence; Dieu vous en demanderait compte. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CXCIII (147).- A UN MONASTERE DE RELIGIEUSES. - De l'humilité et du renoncement à sa propre volonté, en suivant les traces de Jésus-Christ.
AU NOM DE JESUS-CHRIST, QUI A ETE CUCIFIE POUR NOUS, ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chères et bien-aimées Filles et Surs dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu je vous écris et vous encourage dans le sang précieux de son Fils, avec le désir de vous voir dépouillées de l'ancien vêtement et revêtues du nouveau, comme vous y exhorte le doux Apôtre, lorsqu'il dit : « Induimini Dominum nostrum Jesum Christum (Rm 13,14) » Seigneur Jésus-Christ. Oui, soyez dépouillées de l'ancien vêtement, c'est-à-dire du pêché et de la crainte servile qui était sous l'ancienne loi, la crainte uniquement fondée sur la crainte de la peine. Dieu ne veut pas que son épouse s'appuie ainsi sur la crainte, niais sur la loi sainte et nouvelle de l'amour, parce que c'est le vêtement nouveau, Je vous en conjure que ce soit là le fondement de votre cur et de votre âme, car lâme qui est fondée sur l'amour opère de grandes choses; elle ne fuit pas la fatigue, et ne cherche pas son intérêt, mais elle cherche toujours comment elle pourra s'unir avec la chose qu'elle aime. C'est ce que font les serviteurs de Dieu. La première chose qu'ils font pour s'unir à Jésus-Christ, c'est d'éloigner cette crainte coupable qui nous ôte la lumière et nous donne les ténèbres; elle flous prive de la société de Dieu pour nous donner celle du démon; elle nous ôte la vie, et nous donne la mort. 2. Il n'en est pas ainsi de la charité véritable, de lamour pur de Dieu et du prochain, qui nous donne la lumière, la vie, l'union parfaite avec Dieu, tellement que par le désir et l'amour, on devient un autre lui-même; on ne peut vouloir et aimer rien hors de Dieu, mais uniquement ce qu'il aime; on déteste ce qui est hors de lui, c'est-à-dire le vice, le péché, et on aime la vertu. Le tendre saint Paul disait : « Les choses que je recherchais autrefois, je les repousse maintenant pour Jésus-Christ, et leur perte m'est un gain (Phil 3,8). L'Apôtre veut dire que [1082] quand l'homme est livré à l'amour de lui-même et aux désirs déréglés de son âme, les jouissances, les consolations, les plaisirs du monde lui paraissent bons; il les aime, et s'en réjouit; mais aussitôt que l'âme se dépouille du vieil homme et veut suivre Jésus crucifié, elle volt le malheur où elle est, et déteste son premier état; elle se passionne sur le champ pour Dieu, et ne veut s'appliquer à autre chose qu'à aimer la vertu en elle et dans le prochain. Elle s'attache surtout à deux choses, parce qu'elle les trouve particulièrement dans Jésus-Christ, à la vertu d'humilité et à la charité, parce qu'elle voit que Dieu s'est humilié jusqu'à l'homme, et que pour détruire notre orgueil, il a fui les honneurs, la gloire humaine; il a embrassé la honte, les mépris, les injures, les affronts, la peine, la faim; la soif et les persécutions. 3. De même, l'épouse consacrée au Christ et qui s'est donnée à lui entièrement et sincèrement, veut aussi suivre ses traces et non son plaisir, et elle montre par là qu'elle possède. la vertu d'humilité. Je dis aussi que cette épouse se complaît dans la charité et le montre par l'amour du prochain, si bien qu'elle donnerait volontiers la vie du corps pour sauver la vie des âmes. Et ce désir, elle le conçoit en voyant son Epoux percé, immolé, cloué sur la Croix, et versant des flots de sang, non par la force des clous et de la Croix, mais par la force de l'amour qu'il a pour l'honneur de son Père et pour notre salut. Oui, l'amour a été le seul lien qui a retenu l'Homme-Dieu attaché et cloué sur la Croix. Réveillez-vous donc, et ne dormez plus dans la négligence, vous les [1083] épouses consacrées du Christ, et comme votre corps est renfermé dans le cloître, que vos désirs et vos affections soient aussi renfermés dans le cur enflammé et ouvert de Jésus crucifié. C'est là que l'âme s'engraissera et se fortifiera dans la vertu, et aussitôt elle trouvera les deux ailes qui la feront voler à la vie éternelle, l'humilité et la charité, dont je viens de vous entretenir. 4. Je vous supplie donc, vous ma Fille, qui êtes abbesse, de travailler avec zèle au salut de nos religieuses, sans crainte et sans découragement, mais avec confiance, en pensant que vous pouvez tout par Jésus crucifié; songez que Dieu a choisi un jardinier pour arracher les vices et planter les vertus. Faites-le, je vous en conjure, et n'y apportez aucune négligence. Je vous recommande aussi de corriger celles qui vous sont confiées, car il vaut mieux donner la correction et la recevoir en cette vie que dans l'autre. Je vous prie, toutes mes Surs bien-aimées dans le Christ Jésus, d'être unies et transformées dans la bonté de Dieu. Que chacune connaisse bien ses défauts, c'est le moyen de conserver la paix et l'union. Car toutes les divisions viennent de ce qu'on voit les défauts des autres et non les siens, et de ce qu'on ne sait pas se supporter mutuellement. N'agissons pas ainsi, mais liez-vous dans les liens de la charité, vous aimant et vous supportant les unes les autres, pleurant avec les imparfaites, vous réjouissant avec les parfaites; et, ainsi revêtues de la robe nuptiale, nous parviendrons avec lEpoux aux noces de la vie éternelle. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Que la paix de Dieu soit dans vos âmes [1084]
CXCIV (148). - A L'ABBESSE DU MONASTERE de Sainte-Marie des Déchaussées, à Florence. De la vraie charité qui se trouve dans les plaies de Jésus crucifié - Des vertus propres aux religieuses.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Ma très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondée dans la vraie charité, alla que vous nourrissiez et conduisiez bien vos brebis. Il est bien vrai que nous ne pourrons nourrir les autres si d'abord nous ne nourrissons pas notre âme des vraies et solides vertus, et elle ne peut se nourrir de vertus si elle ne s'attache au sein de la charité divine, où elle puise le lait de la divine douceur. Oui, ma très chère Mère, il nous faut faire comme fait le petit enfant qui désire avoir du lait: il prend le sein de Sa mère, il y applique sa bouche, et par le moyen de sa chair il attire le lait. Nous devons faire de même, Si. nous voulons nourrir notre âme; nous devons nous attacher au sein de Jésus crucifié, où est la source de la charité, et par le moyen de sa chair, nous y puiserons le lait qui nourrit notre âme et toutes les vertus qui en naissent; c'est par le moyen de l'humanité du Christ, car c est l'humanité qui est soumise à la peine et qui souffre, et non la divinité; et nous ne pouvons sans peine nous nourrir de ce lait, qui vient de la charité [1085]. 2. Il y a différentes sortes de peines : ce sont souvent de grands combats du démon et des créatures, avec beaucoup de persécutions, d'outrages, de mauvais traitements; ce sont là des peines pour les hommes, mais ce ne sont pas là des peines pour l'âme qui se nourrit sur le sein doux et glorieux de Jésus crucifié; car elle y trouve l'amour en y voyant l'amour ineffable que Dieu nous a montré par le moyen du tendre Verbe, et dans cet amour elle trouve la haine de ses fautes et de la loi perverse qui combat toujours contre l'esprit. Mais, au-dessus de toutes les peines que souffre l'âme qui a faim et soif de Dieu, sont les désirs ardents et passionnés qu'elle éprouve pour le salut du monde. La charité fait qu'elle est faible avec les faibles, et forte avec les forts; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent, cest-à-dire qu'elle pleure avec ceux qui sont dans l'affliction du péché mortel, et elle se réjouit avec ceux qui sont dans la joie de l'état de grâce. Elle a pris la chair de Jésus crucifié, et ses peines lui font porter la croix avec lui. Les peines n'affligent pas, ne dessèchent pas l'âme; elles l'engraissent, et la rendent heureuse de suivre les traces de Jésus crucifié, et elle goûte alors le lait de la douceur divine. Et comment l'a-t-elle pris? Avec la bouche du saint désir, tellement que, s'il était possible d'avoir ce lait sans peine, et d'acquérir ainsi les vertus que fait naître le lait d'une ardente charité elle ne le voudrait pas, elle préférerait l'obtenir en soupirant pour l'amour de Jésus crucifié; car il lui semble que sous un chef couronné d'épines, il ne doit pas y avoir de membres délicats, et qu'il vaut [1086] mieux souffrir des épines avec lui, sans les choisir soi-même, mais en les recevant de Sa volonté. Et en agissant ainsi, elle ne souffre pas; c'est Jésus crucifié, son chef, qui souffre. 3. Oh ! combien est douce cette tendre mère, la charité! L'âme qui la possède ne cherche pas son intérêt, c'est-à-dire ne se cherche pas pour elle, mais pour Dieu; ce qu'elle aime, ce qu'elle désire, elle mime et le désire en lui, et hors de lui elle ne veut rien posséder. Dans toutes les positions où elle se trouve, elle dépense son temps selon la volonté de Dieu. Si elle est séculière, elle veut être parfaite dans son état; si elle est religieuse, elle est dans cette vie un ange de la terre. Elle ne désire, elle n'aime rien dans le siècle; elle ne veut posséder aucune richesse, parce qu'elle voit que ce serait contre le vu de pauvreté volontaire qu'elle a promis d'observer dans Sa profession. Elle n'aime pas et ne recherche pas la conversation de ceux qui pourraient nuire à son vu de chasteté; elle les fuit, au contraire, comme des serpents venimeux, et elle a en aversion les grilles et le parloir. Elle écarte la familiarité des faux dévots, et revient à sa cellule comme à sa patrie, en épouse fidèle et légitime; et elle y goûte, sur le sein de Jésus crucifié, les veilles et l'humble et continuelle prière. Non seulement l'oeil du corps, mais l'oeil de l'âme veille pour se connaître elle-même, pour connaître sa faiblesse, Sa misère passée et la douce bonté de Dieu à sou égard: elle se voit aimée d'un amour ineffable par son Créateur. 4. Alors elle acquiert peu à peu la vertu de l'humilité [1087]et le saint, l'ardent désir, qui est la prière continuelle dont parle saint Paul, lorsqu'il dit que «nous ne devons jamais cesser de prier. » Ce saint désir entraîne les saintes bonnes uvres; car celle qui ne cesse de prier ne cesse de bien faire. Elle demeure dans sa cellule avec son Epoux, embrassant avec joie toutes les hontes et les peines qu'il lui accorde, méprisant les délices et les honneurs du monde, détruisant sa malheureuse volonté propre pour imiter l'obéissance de Jésus crucifié, qui, pour obéir à son Père et nous sauver, courut à la mort ignominieuse de la Croix; son obéissance la rend obéissante, et elle observe ainsi le vu qu'elle a fait d'obéir. Elle ne se révolte jamais contre les ordres qu'elle reçoit, et n'examine point les motifs de celui qui commande, mais elle obéit avec empressement. C'est ainsi que fait celui qui est véritablement obéissant, tandis que le désobéissant veut toujours savoir les raisons de celui: qui commande. Celle qui fait ainsi n'observe pas la règle, mais la viole, tandis que celle qui obéit la met devant elle comme un miroir; elle aimerait mieux mourir que d'y manquer; elle est ainsi parfaitement soumise. 5. Si elle doit commander, elle est parfaite dans sa direction, en nourrissant d'abord son âme de vertus sur le sein de Jésus crucifié. Lorsqu'elle a bien su obéir et qu'elle est appelée à commander, elle aura bien élevé ses filles. En elle brillera la pierre précieuse de la justice, et elle répandra le parfum de la pureté, donnant à toutes l'exemple d'une sainte et bonne vie; et comme la charité n'est jamais sans la justice, l'âme qui la possède est juste et rend à [1088] chacun ce qui lui est dû; à elle la haine et le mépris d'elle-même; à Dieu l'amour, la gloire, l'honneur de son nom, et au prochain une tendre bienveillance et tous les services possibles. Elle agit, avec ceux qui lui sont soumis, selon les dispositions de chacun : elle travaille à augmenter la vertu de celui qui est parfait; elle corrige celui qui est imparfait et qui commet des fautes; elle punit peu ou beaucoup, selon la gravité de la faute, et selon ce qu'elle juge chacun capable de porter; mais elle ne laisse jamais une faute impunie, et cela par charité, et non par animosité : elle veut punir en cette vie, pour qu'elle ne soit pas punie en l'autre. Mais si elle n'avait pas nourri d'abord son âme comme nous l'avons dit, elle n'aurait pas la pierre précieuse de la justice, elle serait injuste dans toute sa conduite; elle volerait ce qui est à Dieu pour se l'approprier, comme ce qui est au prochain, qu'elle n'aimerait que par intérêt. Elle ne dirigerait ses filles qu'en vue d'elle-même ou des créatures, et pour ne pas leur déplaire; elle ferait semblant de ne pas voir leurs défauts; ou, si elle les reprenait, cela servirait peu, parce qu'elle ne le ferait pas avec courage et fermeté de cur. Comme sa vie n'est pas bien réglée, elle éprouve la peur et la crainte servile, et sa correction est inefficace. 6. Je ne vois donc pas d'autre moyen que de nous attacher au sein de Jésus crucifié; c'est ainsi que nous goûterons le lait de la charité divine, qui sera la règle de nos actions. C'est parce que je comprends qu'il n'y a pas d'autres remèdes et d'autres voies, que je vous ai dit que je désirais vous voir fondée [1089] dans la vraie et parfaite charité; je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié de vous appliquer à l'être, afin que vos brebis soient dirigées par lexemple de votre bonne et sainte vie, et afin que les brebis qui sont hors du bercail y rentrent; retirez-les des conversations; prêchez-leur la cellule, et faites-leur aimer le chur et les repas en commun, et non en particulier. Si vous ne le faites pas autant que vous le pouvez, Dieu vous en demandera compte et vous aurez à répondre pour vos fautes et pour les leurs. Ainsi donc, ma bien chère Mère, ne dormez plus et secouez le sommeil de la négligence. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CXCV (149). - A L'ABBESSE et aux Religieuses de Saint-Pierre-de-Monticelli, à Legnaia, près Florence. - Comment les épouses du Christ doivent suivre ses exemples. (Ces religieuses suivaient la règle de Saint-Benoît. C'est à leur supérieure que Barduccio Canigiani adresse la lettre ou il raconte les derniers moments de sainte Catherine.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang. avec le désir de vous voir les vraies servantes et épouses de Jésus crucifié. Suivez ses traces de telle [1090] sorte que vous aimiez mieux mourir que de violer ses doux commandements et les conseils que vous avez promis d'observer. Oh ! qu'il est doux et bon à l'épouse consacrée au Christ de suivre la voie et la doctrine de l'Esprit-Saint! Quelle est cette voie et cette doctrine ? Il n'en est pas d'autre que l'amour, car toutes les vertus ne sont vertus que par l'amour. Sa doctrine n'est pas l'orgueil, la désobéissance, l'amour propre les richesses, les honneurs, les grandeurs du monde; ce ne sont pas les jouissances et le plaisir du corps. Son amour n'est pas d'aimer le prochain pour soi, car il nous a aimés pour notre bien, et il a donné sa vie pour nous avec un amour si ardent et une humilité si profonde ! Vit-on jamais une humilité semblable? un Dieu s'humilier jusqu'à l'homme? la Grandeur suprême descendre à la bassesse de notre humanité? Et il s'est fait obéissant jusqu'à la mort honteuse de la Croix; il a été patient avec tant de douceur, qu'on n'a jamais entendu sortir de sa bouche un murmure; il a choisi la pauvreté volontaire, lui qui est l'éternelle et souveraine richesse, tellement que la douce Marie n'eut pas de linge pour l'envelopper; et enfin il mourut nu sur la Croix, n'ayant pas où reposer sa tête. Le deux et tendre Verbe a été rassasié de peines, revêtu d'opprobres il a aimé les injures, les mépris, les affronts, il a supporté la faim et la soif, Celui qui rassasie tous les affamés par tant dé douceurs et d'amour. C'est là notre Dieu, qui n'a pas besoin de nous, et qui a travaillé à notre salut avec une persévérante ardeur, sans se laisser arrêter par notre ignorance, par notre ingratitude. et par les cris des Juifs qui lui disaient de descendre [1091] de la Croix; il na pas cessé daccomplir notre salut. 2. Cest la doctrine, la voie quil nous a tracée; et nous, misérables remplies de défauts, nous ne sommes pas des épouses fidèles, mais des adultères; nous faisons tout le contraire, car nous cherchons les jouissances, les plaisirs, les délices de lamour sensitif, cet amour de nous-mêmes doù naissent la discorde et la désobéissance. La cellule devient notre ennemie, tandis que nous aimons la conversation des hommes du monde ou de ceux qui vivent comme dans le monde. Notre âme veut posséder en abondance les choses temporelles, et il lui semble quelle serait malheureuse si elle ne les avait pas à profusion ; elle séloigne de lamour de son Créateur et elle néglige la prière, sa mère. Même en faisant les prières que vous êtes obligées de faire, souvent elle tombe dans lennui, parce que, pour celui qui naime pas, la moindre fatigue paraît un fardeau lourd à porter, et toute chose facile lui semble impossible à faire. Tout cela vient de lamour-propre, qui naît de lorgueil, et lorgueil vient en sappuyant sur des ingratitudes nombreuses, sur lignorance et la négligence dans les bonnes et saintes uvres. 3. Je ne veux pas, mes bien-aimées Filles, quil en soit ainsi de vous. Il faut quen épouses fidèles, vous suiviez les traces de votre Epoux; autrement vous ne pourriez observer ce que Vous avez promis, cest-à-dire les vux de pauvreté, dobéissance et de chasteté. Vous savez bien que dans votre profession, vous avez apporté pour dot votre libre arbitre à votre éternel Epoux; car cest avec un cur libre que vous avez [1092] pris ces engagements qui sont les trois colonnes qui soutiennent la cité de notre âme et lempêchent de tomber en ruine; tout périt dès qu'elles manquent. Lépouse doit donc être pauvre volontairement Pour lamour de Jésus crucifié, qui lui a montré la voie. La pauvreté est la richesse et la gloire des religieuse et cest une honte pour elles quand elles ont quelque chose à donner. Savez-vous le malheur qui en résulte? Cest que cette faute entraîne toutes les autres. Car celle qui place son affection dans la possession des choses temporelles ne vit pas avec ses surs comme vous devez vivre ; vous devez vivre en commun, la plus grande comme la plus petite, et la plus petite comme la plus grande. Si elle ne le fait pas, elle est coupable et tombera bientôt dans lincontinence actuelle ou mentale, et puis dans la désobéissance car elle désobéit à son Ordre; elle ne veut pas être corrigée par son supérieur et elle manque à ses promesses Alors viennent les conversations avec ceux qui vivent mal. Elle recherche les séculiers, les religieux, les hommes et les femmes dont la conversation nest pas fondée en Dieu, et elle le fait uniquement cause de lavantage ou du plaisir quelle y trouve ces affections, ces rapports ne vivent que de présents et de jouissances. 4. Aussi je dis que celle qui ne possède rien, qui na rien à donner, évite par là même toutes les relations coupables, et dès lors elle na plus loccasion de dissiper son esprit et de tomber dans des souillures corporelles et spirituelles; mais elle trouve et recherche la conversation de Jésus crucifié et de ses bons serviteurs de ceux qui aiment pour le Christ, par [1093] amour de la vertu et non par intérêt. Elle conçoit un désir et une faim de la vertu qu'il lui semble impossible de satisfaire; et comme elle voit que c'est de la prière, comme de leur mère et de leur source que viennent la vie de la grâce et le trésor des vertus, elle fuit et se cache dans sa cellule, cherchant son Epoux et l'embrassant sur le bois de la très sainte Croix. Là elle se baigne dans les larmes et les sueurs; elle s'enivre du sang du tendre Agneau, elle se nourrit de ses soupirs et de ses ardents désirs. Voilà la vraie et royale épouse qui suit fidèlement son Epoux. 5. A l'exemple du Christ béni, qu'aucune peine n'a pu empêcher d'accomplir notre salut, l'épouse ne doit se laisser arrêter ni par la peine, ni par la fatigue, ni par la faim, et par la soif; elle travaille toujours à l'honneur de Dieu, et elle répond aux faiblesses de son corps en disant: Courage, mon âme! Ce qui te manque ici-bas te profite pour la vie éternelle. Elle n'abandonne pas les bonnes uvres et les saints désirs en cédant aux tentations du démon, aux faiblesses de la chair et à ces conseils perfides de l'ennemi, pires que ceux des Juifs, lui disant sans cesse Descends de la croix de la pénitence et de la vie régulière. Elle ne doit pas se lasser de servir son prochain et de travailler à son salut, à cause de son ingratitude et de l'ignorance qui méconnaît ses services. Elle ne doit pas se lasser; car, si elle le faisait, elle paraîtrait chercher dans le prochain sa récompense, et non pas en Dieu; elle ne doit pas le faire, et préférer plutôt la mort. Supportez avec patience, mes chères Filles, vos défauts communs; on vous supportant ainsi les [1094] unes les autres, avec patience et amour, vous serez liées et unies dans les liens de la charité, et vous y trouverez une telle force, que ni les démons ni les créatures ne pourront vous séparer, si vous ne le voulez pas. 6. Soyez obéissantes jusquà la mort, afin d'être des épouses fidèles; et quand l'Epoux viendra vous chercher au dernier moment de la vie, vous aurez la lampe pleine, comme les vierges sages, et non vide, comme les vierges folles. Votre cur doit être une lampe remplie d'huile, où doit briller la connaissance de vous-mêmes et de la bonté de Dieu à votre égard; cest la lumière et la flamme de la charité, nourrie et entretenue par l'huile d'une profonde et sincère humilité; car celui qui n'a pas la lumière de la connaissance de soi-même ne peut s'humilier, il n'y a pas d'humilité possible avec l'orgueil. Quand la lampe est bien garnie, elle doit se tenir à la main, avec une droite et sainte intention pour Dieu, c'est-à-dire avec la main d'une sainte crainte, qui règle nos affections et nos désirs; je ne parle pas d'une crainte servile, mais d'une sainte crainte qui, pour tout au monde, ne voudrait pas offenser la souveraine et éternelle Bonté de Dieu. 7. Toute créature raisonnable a cette lampe, car le cur de l'homme est une lampe; s'il la tient droite et bien remplie, avec une sainte crainte, tout va bien; mais s'il la tient avec une crainte servile, il la renverse, parce qu'il sert et qu'il aime pour lui, pour son plaisir, et non pour l'amour de Dieu. Celui-là éteint la lumière et répand l'huile, parce qu'il n'a pas la lumière de la charité ni l'huile de la véritable humilité [1095]. C'est de ceux-là que notre Sauveur a dit: « Je ne vous connais pas, et je ne sais qui vous êtes (Mt 25,12). » Je veux donc que vous soyez fortes et prudentes. Prenez votre cur et faites-en une bonne lampe; et comme une lampe est étroite du bas et large d'en haut, votre cur doit se rétrécir pour tout ce qui regarde le monde, le plaisir, la vanité, les délices et le bien-être, tandis qu'il doit se dilater dans sa partie supérieure, cest-à-dire que votre cur votre âme, vos affections, doivent se placer et se reposer en Jésus crucifié. Revêtez-vous de peines et d'opprobres pour lui; unissez-vous et aimez-vous ensemble. 8. Et vous, madame l'Abbesse, soyez la mère et le pasteur qui donne, s'il le faut, sa vie pour ses filles; empêchez-les de vivre en particulier et dans des relations qui sont la mort de l'âme et la ruine de la perfection; soyez, dans vos rapports avec les autres, un miroir de vertu; la vertu enseigne plus que les paroles. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CXCVI (150). - A LABBESSE du monastère de Sainte-Marthe, de Sienne, et à SOEUR NICOLE, du même monastère. - De la connaissance de nous-mêmes et de la divine bonté en nous.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère et bien-aimée Mère et Sur abbesse, et vous ma Fille et Soeur Nicole, moi, Catherine, l'inutile servante de Jésus-Christ et la vôtre, je vous écris et je veux faire pour vous ce que fait le serviteur pour son maître : Il va et vient sans cesse. Je veux aussi aller sans cesse pour vous en la présence de notre très doux Sauveur; et en m'adressant à son ineffable charité, nous obtiendrons la grâce de faire encore comme le serviteur, et de revenir en rapportant la grâce de la connaissance de nous-mêmes et de Dieu. Il ne me semble pas possible de posséder la vertu et l'abondance de la grâce sans habiter la cellule de votre cur et de votre âme. C'est là que nous trouverons le trésor qui est la vie, cest-à-dire le saint abîme de la connaissance de Dieu et de nous-mêmes. De cette connaissance, très chères Soeurs, vient cette sainte haine qui nous unit à la souveraine et éternelle Vérité, parce que nous reconnaissons que nous ne sommes qu'erreur et mensonge, et que nous ne faisons que ce qui n'est pas. Nous nous haïssons alors, et nous crions avec la voix du cur, à la vue de la bonté de Dieu : Vous êtes le seul qui êtes bon, vous êtes cette mer pacifique d'où sort tout ce qui a l'être.[1097] Mais ce qui n'est pas, c'est-à-dire le péché, n'est pas en lui. 2. Voici ce que la Vérité suprême disait a une de ses inutiles servantes: « Je veux que tu aimes toutes les créatures, parce qu'elles sont toutes bonnes et parfaites; elles sont dignes d'être aimées, puisqu'elles sont toutes faites par moi, la souveraine Bonté: toutes, excepté le péché; qui n'est pas en moi; car s'il était en moi, ma fille bien-aimée, il serait digne d'être aimé.» O amour ineffable vous voulez que nous nous haïssions à cause de notre volonté coupable, d'où vient le péché, qui n'est pas en vous. Oui, mes bien chères Surs dans le Christ Jésus, courons, courons, courons en mourant dans la voie de la vertu; et si vous me demandez quel sera notre cri ? celui de l'Apôtre contre notre volonté coupable. Saint Paul dit: «Mortifiez les membres de votre corps; » mais il ne dit pas la même chose de la volonté; il veut qu'elle soit morte, et non pas seulement mortifiée. O très doux et très cher Amour! je ne vois pas d'autre moyen que de prendre le glaive que vous aviez, mon doux Amour, dans votre cur et dans votre âme, votre haine pour le péché, et votre amour pour l'honneur de votre Père et pour notre salut. 3. O très doux Amour! c'est ce glaive qui a percé le coeur et l'âme de votre Mère. Le Fils était frappé dans son corps, et la Mère aussi, parce que c'était sa chair. Il était bien juste qu'elle souffrit dans ce qui lui appartenait, car c'était dans son sein qu'il avait pris sa chair immaculée. O feu de charité! j'aperçois une autre ressemblance : le Fils a la forme de la [1098] chair, mais la Mère, comme une cire chaude, a reçu l'empreinte du désir et de l'amour de notre salut par le sceau du Saint-Esprit; c'est par le moyen de ce sceau que s'est incarné le Verbe divin. La Mère, comme un arbre de miséricorde, a reçu en elle l'âme ardente du Fils, qui était frappée et blessée par la volonté du Père; et, semblable à l'arbre qui porte la greffe, elle a été aussi blessée par le glaive de la haine et de l'amour. La haine et L'amour ont tellement augmenté dans la Mère et le Fils, que le Fils a couru à la mort. Son ardeur à nous sacrifier sa vie, sa faim et son désir d'obéir à son Père étaient si grands, qu'il a perdu l'amour de lui-même et qu'il a embrassé la Croix. Sa douce et tendre Mère a fait de même; elle a volontairement sacrifié l'amour de son Fils, tellement que non seulement sa tendresse ne veut pas le sauver de la mort, mais qu'elle est prête à servir d'échelle pour qu'il monte sur la Croix; et ce n'est pas étonnant, car l'amour de notre salut l'a blessée comme une flèche. 4. O vous toutes, mes Soeurs et mes Filles dans le Christ Jésus ! si jusqu'à présent vous n'avez pas été consumées par le feu de ce saint désir de la Mère et du Fils, ne persévérez pas dans l'obstination de vos curs. Je vous en prie de la part de Jésus crucifié, que cette pierre se dissolve par l'abondance du sang généreux du Fils de Dieu. Sa chaleur est si grande, qu'il n'y a pas de froideur et de dureté qui puissent y résister. Comment ce sang peut-il les vaincre ? Uniquement par la haine et l'amour dont nous avons parlé; l'Esprit-Saint le fait quand il vient dans l'âme. Je vous presse donc et je vous conjure de vous servir [1099]de ce glaive en vous; et si vous me demandez: Comment le montrerons-nous ? je vous répondrai: Je veux que vous le montriez en la présence de Dieu, de deux manières. D'abord je veux que vous acceptiez le temps, non pas selon vos goûts, mais selon le bon plaisir de Celui qui est; vous vous dépouillerez ainsi de votre volonté pour vous revêtir de la sienne. Et puisque vous m'écrivez le désir que vous avez de ma visite, je veux que vous le soumettiez au joug aimable du Fils de Dieu, et que vous receviez avec respect tout ce qui arrivera, quelque pénible que ce puisse être, en pensant qu'il ne peut en être autrement pour notre bien; nous recevrons ainsi avec respect tout ce qui arrivera. 5. L'autre manière de prouver que vous voulez vous servir du glaive de la haine et de l'amour, c'est de vous soumettre au joug de la sainte obéissance. Vous surtout, madame l'Abbesse, vous devez être obéissante à Dieu, en supportant toutes les fatigues qu'il vous impose dans le gouvernement de vos brebis; et ne vous désolez pas si très souvent vous perdez la douceur de la consolation, au milieu des peines que vous vous donnez au service du prochain pour l'honneur de Dieu; car je vois qu'il en arrivait ainsi aux saints Disciples, qui méprisaient toute consolation spirituelle et temporelle. Oh ! quelle consolation ceût été pour eux de se trouver avec la Mère de la paix, la Mère du Fils de Dieu, et de vivre ensemble ! Et pourtant, dès qu'ils sont revêtus du vêtement nuptial du Maître, ils se livrent aux fatigues, aux opprobres et à la mort pour l'honneur de Dieu et pour le salut du prochain. Et c'est en étant ainsi séparés [1100] les uns des autres, en méprisant les consolations en en choisissant les peines, qu'ils obtinrent la vie éternelle. 6. Je veux que vous fassiez de même. Et si vous me dites : Je ne voudrais pas être absorbée par les choses temporelles, je vous répondrai que c'est nous qui les rendons temporelles, car tout procède de la Bonté suprême; tout, par conséquent est bon et parfait. Je ne veux donc pas qu'à l'occasion des choses temporelles, vous évitiez la fatigue; mais je veux que le regard toujours dirigé vers Dieu, vous soyez pleine de zèle et d'ardeur, surtout pour leurs âmes, et que comme dit saint Bernard, la charité, si elle vous flatte, ne vous trompe pas; si elle vous corrige, ne vous déteste pas. Agissez donc avec sévérité et avec douceur, selon les besoins de votre état. Ne soyez pas négligente à corriger les défauts, petits ou grands; faites en sorte qu'ils soient punis autant que la personne est capable de lêtre. Si quelqu'un peut porter dix livres, ne lui en imposez pas vingt, mais ôtez-lui ce que vous pourrez; je vous en prie de la part de Celui qui a voulu porter toutes nos misères. Qu'elles se baissent pour entrer par la porte étroite de la sainte obéissance, afin que l'orgueil de leur volonté ne leur brise pas la tête. 7. Mes très chères Surs, ne vous fâchez pas des saintes réprimandes de votre Supérieure. Oh ! si vous saviez combien est dure la réprimande que Dieu fait à l'âme qui repousse les réprimandes de cette vie il vaut bien mieux que nos négligences, notre ignorance et notre peu d'amour soient punis par la sévérité du temps que par les rigueurs terribles de léternité [1101]. Soyez donc obéissantes par amour pour le tendre et doux Epoux, le Fils de Dieu, qui a été obéissant jusqu'à la mort. C'est ainsi que le glaive dont nous avons parlé tranchera, par la vertu de Dieu, le vice de l'orgueil, et que nous nous enracinerons dans la sainte charité, qui se montre par la sainte obéissance, comme l'obéissance se montre par la sainte humilité. Je ne vous dis qu'une chose: faisons une sainte prière pour pouvoir observer ce que nous avons dit. Celui qui est dans le chemin a besoin de lumière, afin qu'il ne s'égare pas dans le chemin. 8. Moi je viens de trouver une bien belle lumière, et c'est cette douce vierge, sainte Lucie de Rome, qui nous la donne. Nous demanderons aussi à la tendre Madeleine le mépris qu'elle avait d'elle-même ; et Agnès, qui était un agneau de mansuétude et d'humilité, nous donnera l'humilité (Sainte Catherine avait une dévotion toute particulière à Marie-Madeleine, que Notre-Seigneur lui avait donnée pour Mère. (Vie de Sainte Catherine, IIe p., ch. 6) Elle parle sans doute ensuite de Sainte Agnès de Montepulciano). Ainsi voilà Lucie qui nous donne la lumière, Madeleine la haine et l'amour, Agnès l'huile de l'humilité; et la barque de notre âme ainsi fournie, nous irons visiter la demeure de la bienheureuse Marthe. De cette fervente hôtellerie, vous recevrez le Christ, l'Homme-Dieu. Elle habite maintenant la maison du Père céleste, c'est-à-dire l'Essence divine, cette essence, cette vision où j'espère que, par l'abondance du sang de Jésus-Christ, par les mérites de sa douce Mère Marie et par ceux des saints, nous goûterons et nous verrons le Christ [1102] face a face. Je vous conjure dêtre zélées à lui sacrifier votre vie. Que loué soit notre doux Sauveur. Je me recommande à vous, Madame, et à toi, Nicole, ma Fille et ma Sur ; je vous prie de me recommander à Sur Augustine et à toutes les autres Surs; qu'elles obtiennent de Dieu, pour moi, de quitter la voie de la négligence pour suivre, en mourant, la voie de la vérité. Je ne vous dis rien de plus sur ce sujet. Que loué soit Jésus crucifié. Amen.
CXCVII (151).- A SOEUR BATHELEMI DELLA SETA, religieuse du monastère de Saint-Etienne, à Pise. Du vêtement royal de la charité qui couvre la honte du péché et détruit le froid de l'amour-propre.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus. moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteur de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement royal. c'est-à-dire du vêtement de la plus ardente charité; car c'est ce vêtement qui couvre la nudité, cache la honte, réchauffe et consume la froideur. Je dis qu'il couvre la nudité : l'âme créée à l'image et à la ressemblance de Dieu qui possède l'être, n'atteindrait pas sans la grâce divine, la fin pour laquelle elle a été créée. Il faut donc d'abord avoir le vêtement de la grâce que nous recevons dans le saint baptême [1103] par la vertu du sang de Jésus-Christ. Avec ce vêtement, les enfants qui meurent avant l'âge de raison possèdent la vie éternelle; mais nous qui sommes épouses, et qui avons le temps, si nous n'avons pas un vêtement d'amour pour le céleste Epoux, en reconnaissance de son ineffable charité, nous pourrons dire que cette grâce que nous avons reçue dans le baptême est inutile. Nous avons besoin d'élever nos curs et nos désirs par la vraie connaissance de nous-mêmes, de la bonté de Dieu à notre égard et de l'amour ineffable qu'il nous porte; car si l'intelligence connaît et voit, le cur ne peut s'empêcher d'aimer, et la mémoire de retenir son bienfaiteur. Et ainsi l'âme attire l'amour par l'amour, et se trouve revêtue; sa nudité est couverte. 2. Je dis que ce vêtement cache la honte, et cela de deux manières. Le repentir éloigne d'abord la honte du péché; et par la honte que l'âme a d'avoir offensé son Créateur, le vêtement de l'amour de la vertu lui est rendu. Elle honore Dieu, et en recueille le fruit; car dans toutes nos uvres et nos désirs, Dieu ne veut que la fleur de l'honneur, et nous laisse le fruit. Vous voyez que le vêtement de la charité couvre la honte du péché. Je dis encore qu'il ôte une autre honte, celle que causent l'amour-propre, la sensualité et les jugements du monde. La volonté qui est moite à elle-même dans toutes les choses passagères ne voit plus cette honte; elle se réjouit au contraire des mépris, des affronts, des outrages et des injustices, et elle est heureuse quand elle est foulée aux pieds du monde. Elle se réjouit pour l'honneur de Dieu, de ce que le monde l'accable d'injures [1104], le démon de tentations et la chair de ses révoltes contre l'esprit. Elle s'en réjouit par haine et par vengeance contre elle-même, pour devenir semblable à Jésus crucifié, se trouvant indigne de la paix et du repos d'esprit. Elle n'a pas honte d'être tourmentée et bafouée par ces trois ennemis, le monde, la chair, le démon, parce que sa volonté sensible est morte, et qu'elle s'est revêtue de la souveraine et éternelle volonté de Dieu. Elle reçoit tout avec respect et amour, perce qu'elle voit que Dieu a tout permis par amour et non par haine, et que nous devons avoir, en recevant, le même sentiment que celui qui donne. Il lui est doux de désirer la honte, parce que, avec cette bonté elle chasse l'autre. 3. Oh ! combien est heureuse l'âme qui possède une si douce lumière ! car elle déteste nos passions et celles des autres, et elle aime les peines qui en tiennent. Notre passion est la sensualité, et celle des autres sont les persécutions du monde. Reconnaissez-vous donc, ma très chère Fille, digne de la peine et indigne de la récompense qui suit la peine. Les peines seront les broderies de votre vêtement royal. Vous savez bien que lEpoux céleste a fait de même; il a brodé sur son vêtement les peines, les fouets, les mépris, les tourments, les outrages, et enfin la mort honteuse de la Croix. 4. J'ai dit encore que le vêtement royal échauffe et consume la froideur; il échauffe par le feu de la plus ardente charité, qui parait dans les transports du désir qu'on a pour l'honneur de Dieu et le salut du prochain, dont on supporte les défauts. Celui qui l'a se réjouit avec les serviteurs de Dieu qui se réjouissent [1105], et il pleure avec les coupables qui devraient pleurer; il a compassion, et gémit de l'offense qu'ils commettent contre Dieu, et il souffrirait avec joie toute sorte de peines et de tourments pour les ramener à létat de ceux qui se réjouissent et vivent dans l'amour des douces et royales vertus. Ce vêtement détruit la froideur, cest-à-dire la froideur de l'amour-propre, qui aveugle l'âme et lui ôte la connaissance d'elle-même et de Dieu, qui la prive de la vie de la grâce et engendre l'impatience; et alors la racine de l'orgueil étend ses rameaux, et l'âme offense Dieu et offense le prochain par son amour déréglé, elle devient insupportable à elle-même, et se révolte sans cesse contre l'obéissance. Tout ce mal vient de l'amour-propre; mais le vêtement dont nous parlons le détruit, le consume, et ramène l'âme dans la lumière de la grâce divine. 5. Elle ne marche pas dans les ténèbres, mais elle suit en vérité la voie de l'Agneau sans tache immolé pour nous, et elle entre par la porte de Jésus crucifié, aux noces du Père céleste. Là, elle est affermie et tranquille en Dieu; elle ne craint pas que le monde, le démon et la chair l'en puissent séparer; elle n trouvé une vie sans mort, un apaisement sans dégoût et une faim sans souffrance. Oui, c'est assez: portez, portez, supportez; ne refusez aucun fardeau, si vous voulez gagner à la fin beaucoup. Ne serait-il pas odieux que l'épouse suivit une autre voie que lEpoux, et vous ne pourrez le faire qu'en étant vêtue comme lui. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir revêtue du vêtement royal, cest-à-dire de la charité infinie du Roi éternel. Je ne vous en dis [1106] pas davantage. Cachez-vous dans le côté de Jésus crucifié; baignez-vous, anéantissez-vous dans son très doux sang. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CXCVIII (152). - A SOEUR BARTHELEMI DELLA SETA, religieuse du monastère de Saint-Etienne à Pise.- De la conformité de notre volonté à celle de Dieu, et des moyens de résister aux tentations.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Ma Fille bien-aimée dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir l'épouse véritable consacrée à l'éternel Epoux. La condition de l'épouse véritable est de n'avoir qu'une volonté avec son époux; elle ne peut plus vouloir que ce qu'il veut, et il lui semble qu'il est impossible de penser autre chose que lui, cest-à-dire consentir à d'autres pensées. Je ne vous dis pas que d'autres pensées ne puissent venir; vous ne pouvez l'empêcher, ni vous ni aucune créature, car le démon ne dort jamais. Dieu le permet pour entretenir son épouse dans une sainte sollicitude, et pour la faire croitre dans la vertu ; c'est pour cela que Dieu permet souvent que l'esprit soit stérile, obscur et si tourmenté de mauvaises pensées, qu'il semble impossible de penser à Dieu, et de se rappeler seulement son nom [1107]. 2. Prends garde, ma Fille, lorsque tu éprouves cela en toi-même, de tomber dans le dégoût, dans un trouble déréglé, et d'abandonner tes exercices et la prière, parce que le démon te dit : Pourquoi ne pas quitter cette prière que tu fais sans amour et sans désir; il vaudrait mieux ne pas la faire? Persévère, et ne te laisse pas troubler; mais réponds généreusement: J'aime mieux pour Jésus crucifié m'exercer à souffrir les peines, les ténèbres et les combats que de ne rien faire pour jouir du repos. C'est ce que font les parfaits; s'ils pouvaient éviter l'enfer, avoir leur bien-être en cette vie, et obtenir ainsi la vie éternelle, ils ne le voudraient pas, tant ils aiment ressembler à Jésus crucifié. Ils préfèrent suivre la voie de la Croix que d'être exempts de peines. Quel plus grand bonheur peut avoir l'épouse que de ressembler à son époux, et d'être vêtue du même vêtement? Puisque Jésus crucifié, pendant sa vie, n'a pas choisi autre chose que la Croix et les peines, dont il a été couvert comme d'un vêtement, son épouse doit trouver son bonheur h porter le même vêtement; et parce qu'elle voit lEpoux l'aimer sans mesure, elle l'aime et le reçoit avec tant d'amour et de désir, que la langue ne pourrait jamais l'exprimer. 3. Mais ta souveraine et éternelle Bonté, pour la faire arriver à ce parfait amour et pour la conserver dans l'humilité, permet que son esprit soit désolé par bien des combats, afin que le créature se connaisse elle-même et qu'elle voie son néant; car si elle était quelque chose, elle éloignerait la peine quand elle voudrait; mais elle ne le peut pas, parce qu'elle n'est rien. En le comprenant, elle s'humilie dans son néant, et elle reconnaît la bonté de Dieu, qui lui a donné l'être par grâce avec tous les dons qu'il y a ajoutés. Tu me diras : Quand j'éprouve tant de peines et de combats, je ne puis voir autre chose que la confusion, et il me semble qu'il est impossible de concevoir quelque espérance, tant je me sens misérable. Je te répondrai, ma Fille bien-aimée, que si tu cherches, tu trouveras Dieu dans la bonne volonté. Admettons que tu éprouves de grands combats, ta volonté ne cesse pas de vouloir Dieu, et c'est pour cela que tu souffres et que tu t'affliges, parce que tu crains d'offenser Dieu. Il faut donc être dans la joie et l'allégresse, et ne pas se laisser abattre par les combats, en voyant que Dieu nous conserve notre volonté bonne, et qu'il nous donne l'horreur du péché mortel. 4. Je me souviens que j'ai entendu dire une fois à une servante de Dieu les paroles que la douce Vérité suprême lui avait adressées (C'est son histoire que sainte Catherine rapporte. (Voir Vie de sainte Catherine, Ier p., ch. 12.). Elle était très éprouvée par la peine et la tentation; et elle était surtout troublée, parce que le démon lui disait : « Tu as beau faire, tu souffriras ainsi toute ta vie, et tu iras ensuite en enfer. » Alors elle répondit généreusement et sans crainte, avec une sainte haine delle-même. « Je ne refuse pas la peine, car je l'ai choisie pour ma consolation; et si, à la fin, je vais en enfer, je ne laisserai pas de servir mon Créateur; je mérite d'aller en enfer, puisque j'ai offensé la [1109] douce Vérité suprême; et si Dieu me donne l'enfer, il ne me fait pas injure, car je lui appartiens. » Alors notre Sauveur, au milieu de cette humilité sincère, dissipa les ténèbres et les tentations du démon, comme le soleil paraît quand tombe le brouillard; il lui accorda la grâce de sa présence. Elle répandait des flots de larmes, et s'écriait dans l'ardeur de son amour : « O doux et bon Jésus! où étiez-vous quand mon âme était si affligée? » Le doux Jésus, l'Agneau sans tache, lui répondait : « J'étais près de toi, car je suis fidèle; et je ne m'éloigne jamais de la créature, si la créature ne s 'éloigne pas de moi par le péché mortel.» 5. Cette âme poursuivait ce doux entretien, et disait: « Si vous étiez avec moi, comment ne vous sentais-je pas? Comment se peut-il qu'étant près du feu, je ne sentais pas sa chaleur; je ne sentais que le froid, la tristesse, l'amertume, et il me semblait que j'étais remplie de péchés mortels. » Et Notre-Seigneur lui répondait doucement : « Veux-tu que je te montre, ma fille, comment par ces tentations, tu n'es pas tombée en péché mortel, et comment j'étais près de toi dis-moi ce qui fait le péché mortel? la seule volonté. Le péché et la vertu sont dans le consentement de la volonté; il n'y a pas de péché ni de vertu dans ce qui n'est pas fait volontairement. Ta volonté n'y était pas; car si elle y avait été, tu aurais pris plaisir aux pensées mauvaises du démon; mais parce qu'elle n'y était pas, tu gémissais et tu souffrais par crainte de m'offenser. Tu vois bien que c'est dans la volonté que se trouve le péché ou la vertu. Je te dis que ces combats ne doivent [1110] pas te faire tomber dans un trouble déréglé mais je veux que de ces ténèbres, tu tires la lumière de la connaissance de toi-même. Par cette connaissance tu acquerras la vertu d'humilité, et tu te réjouiras dans ta bonne volonté, parce que tu comprendras que j'habite alors secrètement en toi. Cette volonté est le signe que j'y suis; car si ta volonté était mauvaise, je n'y serais pas par ma grâce. Sais-tu comment j'habite alors en toi? De la même manière que j'étais sur le bois de la Croix, et j'agis avec vous comme mon Père agissait avec moi. » 6. « Pense, ma fille, que sur la Croix j'étais heureux, et je souffrais. J'étais heureux par l'union de la nature divine avec la nature humaine; et cependant la chair souffrait, parce que le Père céleste avait retiré à lui la puissance. Il me laissait souffrir; mais il n'avait pas retiré l'union qui l'unit toujours à moi. Ainsi, pense que j'habite de la même manière dans l'âme. Je retire souvent à moi la consolation, mais je ne retire pas la grâce; la grâce ne se perd jamais que par le péché mortel. Sais-tu pourquoi je fais cela? Uniquement pour conduire l'âme à la perfection; tu sais que l'âme ne peut être parfaite sans les deux ailes de l'humilité et de la charité. L'humilité s'acquiert par la connaissance de soi-même que donne le temps des ténèbres, et la charité s'acquiert en voyant que mon amour lui a conservé une bonne et sainte volonté. Aussi je te dis que l'âme sage, en voyant qu'il en résulte un si grand bien, devient ensuite plus calme, et préfère ces temps d'épreuves à tout autre; ce n'est pas pour un autre motif que je permets les tentations du démon. Je t'ai dit le [1111] moyen : pense combien ces épreuves sont nécessaires. à votre salut. Si lâme nétait pas quelquefois sollicitée par de nombreuses tentations, elle tombe. rait dans la négligence et perdrait lardeur de ses désirs et de sa prière, tandis quau moment du combat elle se tient sur ses gardes par crainte de lennemi; elle met en défense le château de son âme en recourant à moi qui suis sa force. » 7. « Le démon ne pense pas que je lui permets de vous tenter pour vous faire avancer dans la vertu, et il vous tente pour vous faire tomber dans le désespoir. Lorsque le démon tente quelquun qui sest consacré à mon service, il ne prétend pas le faire tomber sur-le-champ dans le péché, parce quil voit bien quil aimerait mieux alors mourir que de moffenser. Mais que fait-il? Il sapplique à le troubler en lui disant: « Toutes ces pensées et ces combats « ne te servent de rien. » Vois la malice du démon, qui na pas pu vaincre par le premier moyen, et qui triomphe souvent par le second, avec les apparences de la vertu. Je ne veux pas que tu suives sa volonté perverse, mais je veux que tu écoutes la mienne, comme je te lai dit; cest la règle que je te donne, et je veux que tu lenseignes aux autres, quand il le faudra. » 8. Ma fille bien-aimée, je te dis la même chose; je veux que tu agisses ainsi, et que tu sois un miroir de vertus, en suivant les traces de Jésus crucifié; ne cherche et ne désire que la Croix, comme doit le faire une épouse fidèle rachetée par le sang de Jésus crucifié. Tu sais bien que tu es son épouse, quil ta épousée, toi et toute créature, non pas avec un [112] anneau dargent, mais avec lanneau de sa chair. Vois ce doux petit enfant, qui, le huitième jour de sa naissance, toffre cet anneau dans la Circoncision. O abîme ! Ô profondeur ineffable de charité, comme vous aimez lhumanité, votre épouse ! O vie qui êtes la vie de toute chose, vous lavez tirée des mains du démon, qui la possédait comme si elle lui appartenait: vous la lui avez prise en le trompant par votre nature humaine, et vous lavez épousée avec votre chair; vous avez donné votre sang comme arrhes, et vous avez enfin tout payé en immolant votre corps. Oui, ma Fille, enivre-toi de ce sang et fuis la négligence; cours avec ardeur, et brise avec ce sang la dureté de ton cur, afin quil ne se referme plus par ignorance, par négligence, ou par le fait de quelque créature. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CXCIX (153).- A SOEUR BARTHELEMI DELLA SETA, au monastère de Saint-Etienne, à Pise.- De la vraie lumière, qui nous fait connaître et haïr la sensualité.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Ma Fille bien-aimée dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie et [1113] parfaite lumière, cette lumière qui dissipe nos ténèbres et nous dirige dans la voie de la vérité; elle nous fait connaître notre imperfection et le malheur quelle cause, et aussi lexcellence de la perfection. Combien elle nous est utile, et combien elle est agréable à Dieu ! Par cette lumière nous arrivons à la haine parfaite de la sensualité et de limperfection, et nous parvenons à lamour de la vertu, tellement que lâme ne peut chercher, vouloir ou désirer autre chose que ce qui la porte à la vertu. Elle ne refuse pas les peines et les épreuves; elle les embrasse, au contraire, elle les aime, parce quelle voit bien quelle ne peut par une autre voie satisfaire son désir dacquérir la vertu, quelle aime; et elle se fait un chemin de la doctrine de Jésus-Christ crucifié, quelle suit avec une grande ardeur; elle ne veut savoir que Jésus crucifié. Sa volonté ne lui appartient pas, car elle est morte et anéantie dans la douce volonté de Dieu, à laquelle elle sest unie par amour; et elle demeure avec Dieu, car alors Dieu est dans lâme par la grâce, et lâme est en Dieu. Elle sélève au-dessus delle-même, cest-à-dire au-dessus de tout sentiment sensitif, et elle goûte la douceur de léternelle vérité, cette vérité qui se connaît dans la douce volonté de Dieu à la lumière de la sainte Foi; elle voit dans le sang de lAgneau que sa volonté ne veut autre chose que notre sanctification. 2. La vérité est que Dieu a créé lhomme à son image et ressemblance, pour lui donner la vie éternelle, et pour rendre louange et gloire à son nom. Par la faute dAdam, cette vérité ne saccomplissait [1114] pas dans lhomme, et alors Dieu nous donna le Verbe son. Fils unique, et lui imposa cette grande tâche de racheter le genre humain avec son sang; et le Fils de Dieu, transporté damour, courut à la mort honteuse de la très sainte Croix. Il ne fut arrêté dans son obéissance ni par la mort, ni par les peines, ni par les injures et les outrages quil recevait; mais, comme un vaillant et généreux capitaine, il fit une enclume de son corps, et ne recula pas devant notre ingratitude. Ainsi fait lâme qui, à la lumière, a reconnu cette vérité; elle ne recule pas devant les murmures et devant les attaques du démon, devant les ténèbres de lesprit, et devant les faiblesses de la chair, qui combat contre lesprit; mais elle foule toutes les choses aux pieds de son amour, elle est constante et persévérante, et plus elle souffre, plus elle se réjouit. 3. Il faut donc chercher cette vraie et parfaite lumière, et repousser avec haine ce qui peut nous la ravir, cest-à-dire lamour de nous-mêmes. Nous parviendrons à cette haine, lorsque nous nous renfermerons dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, où nous trouvons lamour ineffable de Dieu pour nous, et avec cet amour nous chasserons lamour-propre, parce que lâme qui se voit aimée vie peut sempêcher daimer. Alors une lumière surnaturelle brille aux yeux de notre intelligence, et cette lumière nous conduit à la perfection; mais sans cette lumière, nous ne pourrions y parvenir. Cest pour cela que jai dit que je désirais vous voir à cette vraie et parfaite lumière; et je veux que vous travailliez autant que vous le pourrez à lavoir en [1115] vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu; Doux Jésus, Jésus amour.
CC (154).- A SUR CONSTANCE, religieuse au monastère de Saint-Abundio, près Sienne.- De la lumière et du repos que donne le sang de JésusChrist.
(Le monastère de Saint-Abundio, ou de Sainte-Abonde, de lOrdre de Saint-Benoît, est à un mille de Sienne.- Il était très aimé par le bienheureux Jean Colombini, qui voulut y être enterré, et par sainte Catherine de Sienne, qui y reçut de grandes grâces.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Ma Fille bien-aimée dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris et tencourage dans son précieux sang, avec le désir de te voir baignée, anéantie dans le précieux sang du Fils de Dieu, parce que je vois que dans le souvenir de ce sang, se trouve le feu dune ardente charité, et que dans la charité ne se trouvent jamais la tristesse et le trouble. Je veux que tu mettes toutes tes affections dans ce sang. Oui, enivre-toi de ce sang; brûle et consume lamour-propre qui peut être en toi, et que le feu de cet amour éteigne le feu de la crainte et de lamour de toi-même. O glorieux et précieux Sang ! tu es devenu pour nous un bain, un baume pour nos [1116] blessures. Oui, ma Fille, cest un bain, et dans ce bain tu trouves la chaleur, leau et le lieu du repos. Je te dis que dans ce bain glorieux, tu trouves la chaleur de la charité divine, qui la donné par amour; tu trouves le lieu, cest-à-dire le Dieu éternel ou est le Verbe, et où il était dès le commencement; tu trouves leau dans le Sang, car du Sang sort leau de la grâce, et il y a un mur qui arrête nos regards. O ineffable et très douce Charité ! vous avez pris le mur de notre humanité, qui a couvert léternelle et suprême divinité de lHomme-Dieu; et cette union a été si parfaite, que la mort, que rien na pu la faire cesser. Quelle douceur, quel repos, quelle consolation dans ce sang ! car on y trouve le feu de la divine charité et la vertu de la souveraine et éternelle Déité. Tu sais que cest la vertu de la divine Essence qui fait la valeur du sang de lAgneau; tu sais que si lhomme seul eût été sans Dieu, son sang naurait pu nous sauver; mais cest par lunion de Dieu à lhomme que le sacrifice de son sang fut accepté. 2. Ce sang est donc bien glorieux ! Cest un parfum dagréable odeur qui détruit linfection de notre iniquité; cest une lumière qui dissipe les ténèbres, non seulement les ténèbres extérieures du péché mortel, mais encore les ténèbres de ce trouble déréglé qui sempare souvent de lâme sous lapparence dune fausse humilité; cest ce trouble quexcitent dans le cur ces pensées Ce que ta fais nest pas agréable à Dieu; tu es en état de damnation. Peu à peu le trouble augmente et obscurcit, sous lapparence de lhumilité, la vue de lâme, qui se dit: Tu vois bien que tes péchés te rendent indigne de toute grâce, de toute [1117] faveur. Et alors elle séloigne souvent de la sainte Communion et des autres exercices spirituels. Cest le démon qui cause cette erreur et ces ténèbres. Je dis que si toi ou dautres vous vous anéantissez dans le sang de lAgneau sans tache, ces illusions ne sempareront pas de votre esprit; ou, si elles y entrent. elles ny resteront pas, et elles seront chassées par la foi vive et lespérance, placées dans ce sang. Tu les mépriseras en disant: Je puis tout par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie; et quand même je devrais tomber en enfer, je ne veux pas abandonner mes exercices. Ce serait une grande folie de se jeter avant le temps dans la confusion de lenfer. 3. Excite donc en toi le feu de lamour, ma très chère Fille; ne te trouble pas et réponds-toi à toi-même: Quelle comparaison y a-t-il entre mon iniquité et labondance de ce sang répandu avec tant damour? Je veux bien que tu voies ton néant, ta négligence, ton ignorance, mais je ne veux pas que tu les voies dans les ténèbres de la confusion, mais à la lumière de la Bonté divine, que tu trouves en toi. Apprends que le démon ne veut que vous arrêter à la seule connaissance de vos misères, tandis que cette connaissance doit toujours être accompagnée de lespérance dans la miséricorde divine. Sais-tu comment il faut faire? ce que tu fais quand tu entres la nuit dans ta cellule, pour dormir. Tu trouves dabord ta cellule, puis tu vois ton lit la première chose est nécessaire, mais tu ne ten contentes pas, et tu cherches des yeux le lit où tu dois prendre ton repos. Tu dois faire de même lorsque tu es entrée [1118] dans la cellule de la connaissance de toi-même. Je veux que tu ouvres loeil de ton intelligence avec amour, que tu traverses ta cellule, et que tu ailles vers le lit de la douce Bonté que tu trouves en toi. Tu vois bien que lêtre ta été donné par grâce, et non par obligation. 4. Vois, ma Fille, ce lit est couvert dune couverture de pourpre teinte dans le sang de lAgneau immolé et consumé pour nous; cest lit le lit de ton repos, quil ne faut quitter jamais. Tu vois quil ny a pas de cellule sans lit, et de lit sans cellule. Que ton âme se nourrisse de cette Bonté de Dieu; elle peut sy engraisser, car avec le lit tu trouves la nourriture, la table et le serviteur. Le Père est la table, le Fils est la nourriture, le Saint-Esprit lui-même devient un lit de repos. Sois persuadée que si tu veux te borner à la connaissance de toi-même, tu seras toujours dans la confusion; tu verras la table et le lit préparés, et tu nen profiteras pas par la connaissance de la bonté divine; tu ne recevras pas la paix et le repos, tu en seras privée, et tu ne porteras aucun fruit. Je te conjure donc par lamour de Jésus crucifié de rester dans ce doux et glorieux lit de repos. Je suis certaine que tu le feras si tu te noies dans le précieux sang. Aussi je tai dit que je désirais te voir baignée et noyée dans le sang du Fils de Dieu. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu [1119].
CCI (155).- A SOEUR MADELEINE ALESSA, au monastère de Sainte-Abonde, près Sienne.- Du vêtement royal de la charité, et du renoncement de soi-même par lobéissance. (Cette lettre répète en partie avec quelques variantes, la lettre CXCVII)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement royal, du vêtement dune ardente charité. Ce vêtement couvre la nudité, cache la honte, réchauffe et détruit le froid. Je dis quil couvre la nudité : si lâme, créée à limage et ressemblance de Dieu, avait lêtre sans avoir la grâce divine, elle natteindrait pas la fin pour laquelle elle a été créée; Il faut donc avoir dabord le vêtement de la grâce, que nous recevons dans le saint baptême par la vertu du sang de Jésus-Christ. Avec ce vêtement, les enfants qui meurent dans leurs premières années, possèdent la vie éternelle; mais nous, les épouses qui avons le temps, si nous, ne revêtons pas un vêtement damour pour lEpoux céleste, en reconnaissant son ineffable charité, nous pourrons dire que cette grâce que nous avons reçue dans le baptême reste nue. Il faut donc que nous excitions notre amour et notre désir en [1120] ouvrant loeil de lintelligence pour nous connaître et pour connaître en nous la bonté de Dieu et lamour Ineffable quil a pour nous; car lintelligence qui connaît et qui voit ne peut sempêcher daimer, et la mémoire de retenir son bienfaiteur; et ainsi lamour attire lamour, et lâme se trouve revêtue; sa nudité est couverte. 2. Je dis que ce vêtement cache la honte de deux manières. Dabord le regret du péché en éloigne la honte; la honte que lâme ressent davoir offensé son Créateur lui a rendu le vêtement de lamour des vertus; elle honore Dieu et y trouve sa récompense, car, dans tout ce que nous faisons et désirons, Dieu ne veut que la fleur de lhonneur, et nous le fruit de la récompense. Vous voyez donc que ce vêtement cache la honte du péché; je dis, de plus, quil ôte une autre honte, celle qui vient de la sensibilité de lamour-propre et des jugements du monde. La volonté est morte à elle-même et à toutes les choses qui passent; non seulement elle ne rougit pas, mais elle se réjouit de la honte, des mauvais traitements, des mépris, des outrages et des injures; elle aime à se voir foulée aux pieds du monde; elle est heureuse pour lhonneur de Dieu, lorsque le monde la poursuit de ses injures, le démon de ses tentations, et la chair de ses révoltes contre lesprit; elle sen réjouit par vengeance et par haine contre elle-même, pour ressembler à Jésus crucifié, se croyant indigne de la paix et de la tranquillité desprit. Elle na pas honte dêtre abaissée et tourmentée par ses trois ennemis, par le monde, la chair et le démon, parce que sa volonté sensitive est morte et revêtue du vêtement de la souveraine et éternelle [1121] bonté de Dieu. Elle reçoit tout avec respect et amour, parce quelle voit que Dieu permet tout par amour et non par haine; et nous recevons avec amour ce qui nous est donné avec amour. Aussi il lui est doux de désirer la honte, parce quavec cette honte elle chasse la honte. 3. Oh! combien est heureuse lâme qui possède cette douce lumière! car non seulement elle hait ses inclinations et celles des autres, mais elle aime les peines que causent ces inclinations, qui sont pour nous la sensualité, et pour les autres les persécutions du monde, cest-à-dire la haine coupable de celui qui persécute. Ma bien chère Fille, juge-toi donc digne de la peine et indigne du fruit qui suit la peiné. Ce seront là les broderies que tu porteras sur ton royal vêtement; tu sais bien que le céleste Epoux sen est fait un semblable, car il a brodé sur son vêtement les peines, les fouets, les mauvais traitements, les outrages, et enfin la mort honteuse de la Croix. 4. Je dis que ce vêtement échauffe et détruit la froideur il échauffe par la chaleur de la charité, qui se manifeste par lardent désir de lhonneur de Dieu, dans le salut du prochain, dont elle fait supporter les défauts. Celui qui la possède se réjouit avec les serviteurs de Dieu qui se réjouissent, et pleure avec les coupables qui devraient pleurer; il pleure par compassion et par regret de loffense quils font à Dieu, et il se livre à toutes sortes de peines et de tourments pour le ramener à létat de ceux qui se réjouissent et qui vivent dans lamour des douces et royales vertus. Ce vêtement consume [1122] aussi le froid de lamour-propre, qui aveugle lâme et lempêche de se connaître et de connaître Dieu. Lamour-propre ôte la vie de la grâce et engendre limpatience; la racine de lorgueil étend ses rameaux; lhomme offensa Dieu et le prochain par un attachement déréglé, et il devient insupportable à lui-même. Il est toujours en guerre avec lobéissance, et il fait tout par amour de lui-même. 5. Aussi, ma très chère et bien-aimée Fille, je veux que tu perdes tout amour-propre qui vient de la sensualité, car il ne serait pas bien que lépouse du Christ aimât autre chose que son Epoux. Il faut, à la lumière de la raison, embrasser les vertus; autrement tu ne pourrais pas traverser les orages de cette vie ténébreuse; il faut les .passer sur la barque de la sainte obéissance, où tu es entrée; sans elle tu narriveras pas au port de la vie véritable, où tu dois tunir avec le céleste Epoux. Pense que si lamour-propre la conduit sur lécueil de la désobéissance, elle se brisera; tu feras naufrage et tu perdras ton trésor, cest-à-dire la récompense des saintes résolutions que tu as prises en faisant vu dobéissance dans ta profession. Délivre-toi donc de cet amour pour ne pas périr; et comme une fidèle épouse, dresse généreusement dans ta barque le mât de lhumble Agneau sans tache, ton Epoux, cest-à-dire la très sainte Croix avec la voile de son obéissance. Tu vois bien que cest cette voile de lobéissance à son Père quil a déployée; et il a couru, avec le vent impétueux de lamour et de la haine du péché de la sensualité, jusquà la mort honteuse de la très sainte Croix [1123]. 6. Agis de même, ma Fille, avec une obéissance prompte, une humilité sincère, avec lamour de Dieu et du prochain, supportant et aimant charitablement tes surs, sans trouble desprit et sans murmure; porte et supporte tout ce que tu entends et vois de ton prochain; reçois avec respect les réprimandes qui te seront faites, pensant quelles viennent de lamour, et non de la haine. Tu éviteras ainsi le mépris et la peine; tu auras lamour de la vertu, la haine et lhorreur du vice et de lamour déréglé de toi-même, parce que tu auras reçu les enseignements du doux et bon Jésus, qui est la règle, la voie et la doctrine. Il ta enseigné cette doctrine par son obéissance, ne fuyant pas la peine, mais accomplissant les ordres de son Père au milieu des opprobres, des outrages, des injures, des murmures, sur larbre de la très sainte Croix. Il te montre la voie,. car cette voie de la Croix quil a suivie, toi et toute créature raisonnable, vous devez la suivre, supportant toutes les peines, les tourments, les ennuis, pour son amour, déployant sur le mât de Jésus crucifié, la voile de lamour et du désir, par une persévérante prière. 7. La prière porte et rapporte : elle porte nos désirs pleins de la haine de nous-mêmes et de lamour de la vertu, éprouvés dans la charité du prochain, et elle rapporte la volonté de Dieu; et lorsque lâme la connaît, elle se lapplique par de saintes et bonnes uvres. Alors tu te trouveras dépouillée de ton amour-propre et revêtue du vêtement nuptial. Autrement tu ne serais pas une épouse véritable, et tu ne pourrais résister aux murmures qui, je le sais [1124], tont causé de la peine. Je ne veux pas que tu ten affliges, car cest la voie que doivent suivre les vrais serviteurs de Dieu. Celui qui le fait est exempt de peine, et jouit de la paix et du repos. Cest pourquoi je tai dit que je désirais te voir dépouillée de lamour-propre sensitif et revêtue du vêtement royal, afin que tu ne souffres pas de lobéissance et des murmures, et que tu sois dans la paix et dans le calme, goûtant Dieu par la grâce jusquà ce que tu en jouisses dans léternelle vision, où toutes les peines sont finies, et où on reçoit le fruit des vertus qui suit les peines. Que Dieu vous donne, à toi et aux autres surs, sa douce, son éternelle bénédiction. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCII (156).- A LA PRIEURE, et aux autres Soeurs de Sainte-Marie-des-Vierges, à la Prieure de Saint-Georges, et aux autres Soeurs de Pérouse.- De la charité qui sacquiert par la méditation de lamour, et des bienfaits de Dieu.- Les trois vux contiennent toute la doctrine de Jésus-Christ.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mes très chères Mères et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des épouses fidèles, unies et liées par les liens dune [1125] véritable et ardente charité, par ces liens qui ont cloué et attaché lHomme-Dieu sur le bois de la très sainte Croix. Ce lien a uni Dieu à lhomme et lhomme à Dieu; il unit lâme à son Créateur, et il lui fait aimer les véritables et solides vertus. Quel est ce lien? Cest un amour qui lie, retranche et divise; car, de même quil unit et lie lâme à Dieu, il la sépare et la retranche du péché et de lamour-propre sensitif, qui cause toutes les divisions et tout le mal; il enlève leau morte et donne leau vive de la grâce; il sépare des ténèbres et donne la lumière, qui fait voir et goûter la vérité. 2. O très doux feu damour, qui remplit lâme des plus suaves douceurs ! Aucune peine, aucune amertume ne peut atteindre lâme qui brûle de ce feu doux et glorieux. La charité ne juge jamais en mal; elle ne voit pas la volonté de lhomme, mais seulement la volonté de Dieu, sachant quil ne veut autre chose que notre sanctification. Puisque Dieu ne veut autre chose que notre bien, que tout vient de lui, et quil permet dans ce but les tribulations, les tentations, les peines et les tourments, lâme ne doit saffliger de rien, si ce nest du péché, qui nest pas. Puisquil nest pas en Dieu, il nest pas digne dêtre aimé; il faut, au contraire, le haïr, et préférer la mort à loffense de son Créateur. O douceur damour ! comment le cur de votre épouse peut-il ne pas vous aimer, en voyant que vous êtes lEpoux qui est la vie? Dieu éternel! vous nous avez créés à votre image et ressemblance uniquement par amour, et, lorsque nous avons perdu la grâce par le malheureux péché, vous nous avez donné le Verbe, votre [1126] Fils unique, et votre Fils nous a donné sa vie; il a puni nos iniquités sur son corps, et il a payé une dette quil navait pas contractée. Hélas! hélas ! misérables que nous sommes ! nous étions des voleurs, et il a été supplicié pour nous! 3. Ne doit-elle pas rougir de honte et de confusion, lépouse ignorante, endurcie, aveugle, qui naime pas lorsquelle se voit tant aimée, et que les liens de cet amour sont si doux? Voici le signe de lamour celui qui aime Dieu avec la raison suit les traces du Verbe, son Fils unique; celui qui ne laime pas au contraire, suit les traces du démon et sa propre sensualité. Il obéit aux lois du monde, qui sont opposées à celles de Dieu; il goûte la mort et ne sen aperçoit pas. Son âme est plongée dans les ténèbres, car elle est privée de la lumière; elle souffre et elle est en querelle continuelle avec son prochain, parce quelle est privée des liens de la charité. Elle se trouve livrée aux mains du démon, parce quau lieu dêtre lépouse fidèle de Jésus crucifié, elle a, comme une adultère, abandonné son céleste Epoux; car lépouse, est appelée adultère lorsquelle na plus lamour de lépoux, et quelle aime, quelle sunit à celui qui nest pas son époux. Quel danger et quelle honte de se voir aimée, et de ne pas aimer ! 4. Aimez-vous donc, aimez-vous les unes les autres; cest à cela quon verra si vous êtes ou non, les épouses et les filles du Christ. On ne les reconnaît quà lamour qui a Dieu pour principe, et qui sapplique au prochain. Cest ainsi quil faut arriver à notre but, à notre fin, on suivent les traces de Jésus [1127] crucifié; non le Père, mais le Fils, parce que le Père ne peut souffrir, mais le Fils. 5. Il faut donc suivre la voie de la très sainte Croix, supportant les opprobres, les mépris, les outrages, méprisant le monde avec toutes ses délices souffrant la faim, la soif avec lesprit de pauvreté, avec une obéissance ferme et persévérante, avec une grande pureté dâme et de corps, dans la société des personnes qui craignent vraiment Dieu, et dans la solitude de la cellule, en fuyant comme le poison, le parloir et la conversation des faux dévots et des séculiers. Car lépouse du Christ nagit pas de la sorte; elle aime la société des vrais serviteurs de Dieu, et non celle de ceux qui nont de religieux que lhabit. Il ne faut pas que sous un chef couronné dépines vivent des membres délicats, comme font les insensés qui séloignent du Christ, leur maître, et qui ne recherchent que les délices et les délicatesses du corps. Nous surtout, qui sommes séparées du siècle et placées dans le jardin de la vie religieuse, nous, ses épouses choisies, nous devons être des fleurs de bonne odeur. Oui, si vous observez ce que vous avez promis pour répandre vos doux parfums, vous participerez à la bonté de Dieu en vivant dans sa grâce, et vous le goûterez dans son éternelle vision. Si vous ne le faites pas, vous répandrez une honteuse infection; vous goûterez lenfer dès cette vie, et vous aurez à la fin en partage la vue des dénions. Pour suivre le Christ, sortez du siècle, renoncez au monde et à ses richesses en vous attachant à la vraie pauvreté. Renoncez à la volonté propre en tous soumettant à la véritable obéissance; éloignez [1128] vous de létat commun en ne voulant pas être les épouses du monde, pour conserver la vraie continence et la virginité dont le parfum réjouit Dieu et les anges qui se plaisent à habiter lâme quembaume la pureté. Soyez unies et non pas divisées par la haine, la jalousie et lantipathie, les unes envers les autres; soyez unies étroitement dans les liens de la charité, car autrement vous ne pourriez plaire à Dieu ni avoir aucune vertu parfaite. 6. Quelle honte et quelle confusion pour lâme qui ne tient pas ce quelle a promis, et qui fait tout le contraire ! Elle ne suit pas le Christ, et ne marche pas dans la voie de la Croix; mais elle veut suivre la voie du plaisir. Ce nest pas la nôtre : il nous faut suivre lhumble Christ, lAgneau sans tache, le pauvre Agneau; sa pauvreté était si grande, quil navait pas une place pour reposer sa tête très pure. La souillure du péché nétait pas en lui, et il a obéi à son Père pour notre salut jusquà la mort honteuse de la Croix. Les Saints et notre glorieux Père saint Dominique ont fondé leurs Ordres sur ces trois colonnes, la pauvreté, lobéissance, la chasteté, pour pouvoir mieux ressembler au Christ et suivre sa doctrine et ses conseils ; car de ces vertus procède toute Vertu, et de leurs contraires procèdent tous les vices. La pauvreté éloigne lorgueil, les conversations du monde et les amitiés dangereuses qui sentretiennent par des présents; car quand on na rien à donner, on ne trouve que lamitié des vrais serviteurs de Dieu, qui aiment le don de lâme. Elle éloigne la vanité du cur et la légèreté desprit; elle fait aimer la cellule, où on goûte la sainte oraison,[1129] qui conserve et augmente les vertus. Elle conduit à la pureté parfaite, et fait observer ainsi le vu de chasteté, tellement quon sabstient non seulement dun pêché, mais de tous, en foulant aux pieds la sensualité, en macérant son corps, et en le privant de tout plaisir. En le domptant ainsi par le jeûne, les veilles et la prière, on devient humble, patient, charitable; on supporte les défauts de son prochain, et on sunit à son Créateur par lamour, et au prochain pour Dieu. Lâme supporte les peines du corps, parce quelle y trouve un gain. 7. Lorsquelle a ainsi triomphé de lorgueil, elle y goûte le parfum de la sainte humilité; et elle est aussi obéissante quelle est humble, et aussi humble quelle est obéissante. Celui qui nest pas orgueilleux suit ce qui est humble; et sil est humble, il est vraiment obéissant; il possède ainsi la troisième colonne qui soutient la cité de lâme. Le véritable obéissant observe les règles et les usages de son Ordre; il nélève pas la tête de la volonté propre contre son supérieur, et ne discute jamais avec lui; mais au premier mot, il obéit et baisse la tête sous le joug. Il ne dit pas : Pourquoi me commande-t-il, me dit-il cela, et non pas autre chose? mais il cherche le moyen dobéir promptement. O douce obéissance ! tu nas jamais de peines ; tu fais vivre et courir les hommes morts, car tu fais mourir la volonté; et plus elle est morte, plus on court rapidement. Car lâme qui est morte à lamour-propre de la volonté sensitive, court plus légèrement pour sunir à son Epoux céleste par lamour; elle sélève à une telle hauteur, à un tel repos desprit, que dès cette vie, elle commence à goûter les parfums et les fruits de la vie éternelle. Soyez, soyez donc obéissantes jusquà la mort; aimez-vous, aimez-vous les unes les autres; unissez-vous par les liens de la charité, car nous ne pouvons autrement atteindre la fin pour laquelle nous avons été créées. Cest pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir des épouses unies étroitement dans les liens dune véritable et ardente charité. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCIII (157).- A LA PRIEURE, et aux Religieuses de Sainte-Agnès, à Montepulciano. - De la reconnaissance envers Dieu, qui se prouve par lobservation de ses commandements et de ses conseils. (Le couvent de Sainte-Agnès était proche de Montepulciano. Sainte Catherine aimait beaucoup le visiter pour vénérer le corps de la bienheureuse Agnès, qui y était conservé. Plusieurs miracles sopérèrent pour elle dans ces visites. (Vie de sainte Catherine, Ire p., ch. XII.) AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mes très chères Mères et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir reconnaissantes envers votre Créateur, afin que la source de [1131] la piété ne se tarisse pas dans vos âmes, mais quelle salimente par la reconnaissance. Faites attention que cette reconnaissance ne doit pas consister seulement en paroles, mais encore en bonnes et saintes uvres. Et comment la montrerez-vous? En observant les doux commandements de Dieu, et avec ces commandements, les conseils, mentalement et actuellement; car vous avez choisi cette voie des conseils, il faut donc la suivre jusquà la mort autrement vous pêcheriez; lâme qui est reconnaissante les observe toujours. Que promettez-vous dans votre profession? Vous promettez dobserver lobéissance, la charité, la pauvreté volontaire; et si vous ne les observez pas, vous tarirez la source de la piété. 2.Cest une honte pour une religieuse de posséder quelque chose quelle puisse donner. Elle ne doit pas le faire, mais elle doit vivre dans lunion et la charité fraternelle avec toutes ses surs; elle ne doit pas souffrir quelles éprouvent la faim et le besoin, tandis quelle est dans labondance. Celle qui est reconnaissante ne le souffre pas, mais elle assiste le prochain et lui est utile; elle voit quelle ne peut être utile à Dieu, car il est notre Dieu, et na pas besoin de nous. Et comme elle veut montrer quelle est véritablement reconnaissante des grâces quelle a reçues de lui, elle le montre à légard des créatures raisonnables parce quelle voit que Dieu les aime beaucoup. En toute chose elle sapplique à montrer dans le prochain sa reconnaissance à Dieu. Ainsi toutes les vertus se développent par la reconnaissance, cest-à-dire par lamour que lâme conçoit en reconnaissant à la lumière les grâces quelle a reçues de son [1132] Créateur. Qui la rend patiente et lui fait supporter avec résignation les injures, les reproches, les outrages des créatures, les tentations et les attaques du démon? La reconnaissance. Qui la fait renoncer à la volonté propre, et se soumettre au joug de la sainte obéissance? La reconnaissance. Pour lobserver, elle mortifie son corps par les veilles et les jeûnes, par une humble et continuelle prière; et par lobéissance elle tue la volonté propre, afin que son corps étant mortifié et sa volonté morte, elle puisse observer sa promesse et montrer ainsi sa reconnaissance envers Dieu.
4. Cest en comprenant combien cette nourriture [1133] est dangereuse que je vous disais mon désir de vous voir reconnaissantes des grâces infinies que vous avez reçues de votre Créateur, et spécialement de celle que Sa Sainteté, le Vicaire de Jésus-Christ, a daigné vous accorder; cette sainte indulgence que vous avez toutes reçue est la plus grande que vous puissiez recevoir en cette vie. Il faut donc en être reconnaissantes envers Dieu en laimant de tout votre cur, avec un amour ardent et sans mesure: autrement ce ne serait pas un véritable et bon amour. Je veux aussi que vous soyez reconnaissantes à légard du Saint-Père en faisant les humbles et continuelles prières que nous lui devons, parce quil est notre Père, et aussi pour la grâce que vous avez reçue de lui et pour les grandes difficultés où il se trouve. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCIV (158). A SUR CHRISTOPHE, prieure du monastère de Sainte-Agnès, à Montepulciano.- Des vertus de sainte Agnès, quil faut imiter.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir suivre les traces de notre glorieuse Mère sainte Agnès. Je [1134] vous en conjure, et je veux que vous suiviez sa doctrine et ses exemples. Vous savez bien quelle vous a toujours donné les leçons et les exemples de la véritable humilité. Cétait la principale vertu qui brillait en elle, et je ne métonne pas quelle eût ce que doit avoir lépouse qui veut suivre lhumilité de son Epoux. Elle avait cette charité incréée qui brûlait sans cesse et consumait son cur; elle avait faim des âmes et sen rassasiait: elle sappliquait toujours aux veilles et à loraison. Il ny a pas dautre moyen dacquérir la vertu dhumilité, car il ny a pas dhumilité sans charité, lune nourrit lautre. Savez-vous ce qui la fait arriver à une vertu solide et parfaite? Cest le dépouillement volontaire qui la fait renoncer à elle-même, à la substance du monde et à toute sorte de possession. 2. Cette glorieuse vierge a bien compris que la possession des choses temporelles conduit lhomme à lorgueil. Il perd la douce vertu de lhumilité, il tombe dans lamour-propre et manque au mouvement de la charité; il abandonne les veilles, loraison, et, parce que son coeur est plein des choses de la terre et de lamour de lui-même, il ne peut se remplir de Jésus crucifié, ni goûter ses vraies et doux entretiens. La douce Agnès, qui le savait, sest dépouillée delle-même et revêtue de Jésus crucifié, et ce nétait pas seulement pour elle, mais pour nous; cest un exemple quelle vous a laissé et que vous devez suivre. Vous savez bien que vous, les épouses choisies du Christ, vous ne devez pas posséder ce qui vient de votre père, puisque vous êtes unies à votre Epoux; mais vous devez posséder et conserver le bien [1135] de votre Epoux céleste. Le bien de votre père est la sensualité, que nous devons abandonner lorsquest venu le moment de suivre lEpoux et de posséder son. trésor. Quel a été le trésor de Jésus crucifié ? La Croix, les opprobres, les tourments, les injures, la pauvreté volontaire, la faim de lhonneur de son Père et de notre salut. Je vous ai dit que si vous possédez ce trésor par la force de votre âme et lardeur de la charité vous arriverez aux vertus dont nous avons parlé; vous serez lés dignes filles de votre Mère, des épouses fidèles et actives, et vous mériterez dêtre reçues par Jésus crucifié dans sa gloire; il vous ouvrira les portes de la vie éternelle. Je termine. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié; soyez pleines de zèle et de charité. Si vous êtes unies, et non séparées, ni le démon ni les créatures ne pourront vous nuire et vous éloigner de la perfection. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1136].
CCV (159).- A SUR EUGENIE, SA NIECE, au couvent de sainte Agnès de Montepulciano.- De la nourriture des anges, qui est le désir de sunir à Dieu. Des différentes sortes de prières. (Deux nièces de sainte Catherine prirent lhabit dans le monastère de Sainte-Agnès; elles étaient filles de son frère Bartholo. Sur Eugénie mourut sans doute jeune. car on ne trouve pas son nom parmi les religieuses du Chapitre tenu en 1387.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir goûter la nourriture des anges, car tu nes pas créée pour autre chose. Et pour que tu puisses la goûter, Dieu ta rachetée par le sang de son Fils unique; mais songes, ma Fille bien-aimée, que cette nourriture ne se prend pas sur terre, mais en haut, et cest pour cela que le Fils de Dieu a voulu être élevé sur le bois de la très sainte Croix; cest à cette table quil faut monter pour prendre cette nourriture. Mais tu me diras: Quelle est cette nourriture des anges? Je te répondrai : Cest le désir de Dieu, ce désir qui attire lâme et en fait une même chose avec lui. 2. Cette nourriture, pendant le pèlerinage de cette vie, fait naître lodeur des vraies et solides vertus. Ces vertus sont préparées au feu de la divine charité et se prennent sur la table de la Croix, cest-à-dire que [1137] la vertu sacquiert par la peine et la fatigue, en combattant sa sensualité et en conquérant, par la force et la violence, le royaume de son âme, qui est appelée au ciel parce quelle contient Dieu par la grâce. Cette nourriture rend lâme semblable aux anges; aussi elle sappelle la nourriture des anges; et quand lâme est séparée du corps, elle goûte Dieu dans son essence; lâme en jouit tellement, quelle ne peut désirer et demander autre chose que de conserver et daugmenter cette nourriture. Elle hait tout ce qui lui est contraire, et elle regarde avec prudence, à la lumière de la très sainte Foi, qui éclaire loeil de son intelligence, et elle voit ce qui lui est nuisible et ce qui lui est utile; et, selon ce quelle voit, elle aime et elle hait. Elle méprise la sensualité, quelle foule aux pieds de son affection, avec tous les vices qui en découlent; elle fuit toutes les occasions qui peuvent la porter au péché ou léloigner de la perfection; et cest pour cela quelle anéantit sa volonté propre, qui est la cause de tout mal, et elle la soumet au joug de la sainte obéissance, obéissant non seulement à lOrdre et à son supérieur, mais à la moindre créature pour Dieu. Elle fuit toute louange et toute complaisance humaine, et se glorifie seulement dans les opprobres et les peines de Jésus crucifié. Les injures, les mépris, les outrages ont pour elle la douceur du lait; elle sy complaît pour devenir semblable à son Epoux, Jésus crucifié. Elle renonce à la conversation des créatures, parce quelle voit quelles sont souvent un obstacle entre nous et notre Créateur, et elle se réfugie dans la cellule de son corps et de son âme [1138]. 3. Cest à cela que je tinvite, toi comme les autres, et je te commande, ma Fille bien-aimée, de rester toujours dans la cellule de la connaissance de toi-même, où se trouve la nourriture angélique de lardent désir de Dieu pour nous. Reste aussi dans la cellule matérielle en veillant, en priant sans cesse, en dépouillant ton cur et ton affection de toi et de toute créature, et en te revêtant de Jésus crucifié; autrement, tu prendrais ta nourriture sur la terre; et je tai dit que ce nest pas là quil faut la prendre. Pense que ton Epoux, le Christ, le doux Jésus, ne veut aucun obstacle entre toi et lui ; il est très jaloux, et dès quil verra que tu aimes quelque chose hors de lui, il séloignera de toi, et tu deviendras digne de la nourriture des bêtes. Ne serais-tu pas réduite à la condition des bêtes, si tu abandonnais le Créateur pour les créatures, et le Bien infini pour les choses finies et transitoires qui passent comme le vent, la lumière pour les ténèbres, la vie pour la mort; Celui qui te revêt du soleil de la justice, du bracelet de lobéissance, des pierres précieuses de la foi vive, de la ferme espérance et de la charité parfaite, pour celui qui te vole et te dépouille? Ne serais-tu pas bien insensée, si tu quittais Celui qui te donne la pureté véritable? Plus tu tapproches de lui, plus sépure la fleur de ta virginité; labandonnerais-tu pour ceux qui répandent souvent linfection de limpureté et qui souillent lesprit et le corps? Dieu les a éloignés de toi par son infinie miséricorde. 4. Et pour que cela narrive pas, prends garde de navoir jamais le malheur déprouver daffection particulière [1139] pour un religieux ou pour un séculier. Si je pouvais le savoir ou lapprendre, en étant même plus éloignée que je ne le suis, je te donnerais une telle pénitence, que tu ten souviendrais, bon gré mal gré, toute ta vie. Ne donne et ne reçois jamais sans nécessité, mais rends-toi utile généralement à toutes les personnes du dedans et du dehors; sois ferme et prudente pour toi-même; sers tes surs avec zèle et charité, surtout celles qui sont dans le besoin. Quand des étrangers passent et te demandent à la grille, conserve-toi dans la paix; ne bouge pas, et laisse-leur dire à la prieure ce quils ont à te dire, à moins que la prieure ne te dise dy aller par obéissance; baisse alors la tête, mais sois sauvage comme un hérisson; emploie les moyens que la glorieuse vierge sainte Agnès donnait à ses filles. Lorsque tu vas te confesser, expose tes misères; reçois ta pénitence et sauve-toi. Evite ceux avec lesquels tu as été élevée; et ne tétonne pas si je te parle ainsi, car bien souvent je lai entendu dire, les conversations des personnes quon appelle si mal des dévots et des dévotes, corrompent les âmes, les règles et les usages de la vie religieuse. Prends garde de lier ton cur à un autre quà Jésus crucifié: lorsque tu voudrais le délier, tu ne le pourrais pas sans beaucoup de peine. Je tai dit que lâme qui se rassasie de la nourriture des anges a vu à la lumière que ces choses étaient des obstacles à cette nourriture, et elle les fuit avec un grand zèle. Elle aime, au contraire, et recherche tout ce qui peut laugmenter et la conserver; et, comme elle a compris que la meilleure manière den jouir est la prière [1140] faite dans la connaissance de soi-même, elle sy exerce sans cesse par tous les moyens qui peuvent lunir le plus à Dieu. 5. Il y a trois sortes de prières : il y a dabord la prière continuelle, cest-à-dire un saint désir qui prie sans cesse en présence de Dieu, dans tout ce que tu fais; ce désir dirige, pour son honneur, toutes les uvres spirituelles et corporelles; cest la prière continuelle dont parle le glorieux saint Paul lorsquil dit : « Priez sans jamais vous arrêter (1 Thess 5,17). » Il y a ensuite la prière vocale, lorsquon récite loffice et les autres prières cette prière est la préparation de la troisième, qui est la prière mentale. Lâme y arrive lorsquelle sest exercée avec prudence et humilité à la prière vocale, lorsque, pendant que la bouche parlait, son cur nétait pas loin de Dieu. Elle doit sappliquer à maintenir et affermir son cur dans lamour de la divine charité; et quand elle sent que Dieu la visite, et que son esprit est attiré par son Créateur, elle doit abandonner la prière vocale, et répondre par lamour à lamour que Dieu lui montre. Si ensuite cet attrait cesse, et ai le temps le permet, elle doit reprendre la prière vocale, pour que son esprit soit occupé, et jamais vide. Souvent, pendant la prière, abondent les combats, les ténèbres, le trouble et la confusion; le démon veut persuader que dans cet état la prière ne peut être agréable à Dieu. Lâme en butte à ces attaques, ne doit pas cependant abandonner la prière, mais y persévérer avec force et courage, en pensant [1141] que le démon agit ainsi pour nous détourner de la prière qui nourrit notre âme, et que Dieu le permet pour éprouver sa force et sa constance. Dans ces combats et ces ténèbres, elle reconnaît son néant, et, dans la volonté droite quelle conserver elle reconnaît la bonté de Dieu, qui donne et conserve les bonnes et saintes résolutions ce quil ne refuse jamais qui le veut. 6. Lâme, par ce moyen, arrive à la troisième et dernière manière de prier, à la prière mentale, où elle reçoit la récompense des peines quelle a eues dans la prière vocale imparfaite. Elle goûte alors le lait de la fidèle oraison; elle sélève au-dessus delle-même, cest-à-dire au-dessus du sentiment sensible et grossier, et son esprit céleste sunit à Dieu dans lamour. A la lumière de lintelligence, elle voit, elle connaît et revêt la vérité; elle devient la sur des anges, elle sassoit avec son Epoux à la table de lardent désir, et se plaît à chercher en tout lhonneur de Dieu et le salut des âmes, parce quelle voit bien que cest pour cela que léternel Epoux a couru à la mort honteuse de la Croix, et quil a accompli les ordres de son Père et notre salut. La prière mentale est vraiment une mère qui conçoit les vertus dans lamour de Dieu, et les nourrit dans lamour du prochain. Où montreras-tu l'amour la foi, lespérance et lhumilité? Dans la prière; car ce que tu naimes pas, tu ne te tourmentes pas pour le chercher, mais celui qui aime veut toujours s unir à ce quil aime, cest-à-dire à Dieu. Par cette prière, tu lui exposes tes besoins, car cest sur la connaissance de toi-même quest, fondée la vraie [1142] prière; tu comprends ta misère, tu te vois entourée dennemis, attaquée par le monde, qui te poursuit dinjures et te rappelle ses vains plaisirs, ou par le démon et ses tentations, par la chair et ses révoltes contre lesprit; tu vois que tu nas pas lêtre par toi-même, et que tu ne peux te secourir. Alors tu cours avec confiance à Celui qui peut et veut tassister dans tous tes besoins, et tu lui demandes, tu attends son secours avec espérance. Cest ainsi quil faut prier pour obtenir ce que tu désires rien de ce qui est juste ne te sera refusé, si tu implores ainsi la Bonté divine; mais, en faisant autrement, tu en retireras peu de fruit. 7. Où sentiras-tu le regret de tes fautes? Dans la prière. Où te dépouilleras-tu de lamour-propre, qui te rend impatiente au milieu des injures et des peines? Où te revêtiras-tu de lamour divin, qui te rendra patiente, et te fera te glorifier dans la Croix de Jésus crucifié? Dans la prière. Où respireras-tu le parfum de la virginité? Où ressentiras-tu cette. faim du martyre, qui te fera désirer de donner ta vie pour lhonneur de Dieu et le salut des âmes? Dans cette douce et maternelle prière. Cest elle qui te rendra lobservatrice fidèle de ta règle, qui scellera dans ton coeur et dans ton esprit les trois vux solennels de ta profession, et qui gravera en toi le désir de les observer jusquà la mort. Elle téloignera de la société des créatures pour te donner celle du Créateur; elle remplira le vase de ton cur du sang de lhumble Agneau et le couvrira de feu, car cest le feu de lamour qui la répandu. Lâme goûte plus ou moins parfaitement la prière, selon quelle se [1143] nourrit de laliment des anges, cest-à-dire du vrai et saint désir de Dieu, en quittant la terre pour le prendre à la table de la très douce Croix. Cest pourquoi je tai dit que je désirais te voir nourrie de la nourriture des anges, car je ne vois pas pour toi un autre moyen dêtre lépouse fidèle de Jésus crucifié, comme tu le lui as promis en embrassant la vie religieuse. Oui, que je te voie une pierre précieuse en la présence de Dieu, et- que je naie pas perdu mon temps. Baigne-toi, anéantis-toi dans le sang précieux de ton Epoux. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCVI (160).- A UNE RELIGIEUSE du monastère de Sainte-Agnès, de Montepulciano.- Du vêtement nuptial quil faut pour plaire à Jésus crucifié.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE Chère et bien-aimée Fille dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de ses serviteurs, je tencourage, je te bénis et je técris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de te voir lépouse fidèle et dévouée à lEpoux, tout ornée du vêtement des vertus. Tu sais, ma Fille bien-aimée, que lépouse, quand elle va au-devant de lépoux, se pare de ses plus beaux vêtements, et se colore de vermillon [1145] pour plaire à son époux. Je veux que tu fasses de même je veux que tu portes le vêtement de la charité; sans ce vêtement, tu ne pourrais aller aux noces, mais tu entendrais cette parole que le Christ dit à ce serviteur qui était entré sans vêtement nuptial il commanda aux autres de le chasser, et de le jeter dans les ténèbres extérieures (Mt 22, 13). Il ne faut pas que cela tarrive, ma bien chère Fille; et si tu es appelée pour aller aux noces, je ne veux pas que tu sois trouvée sans ce doux vêtement. Je veux et je demande que tu lornes des broderies dune véritable et sainte obéissance, observant toujours fidèlement la règle, te soumettant à la supérieure et à la moindre des religieuses. Prends la vertu dhumilité pour nourrir en toi la vertu de la sainte obéissance, et reconnais humblement les dons et les grâces que tu as reçus de Dieu. Applique-toi à être une épouse fidèle. Sais-tu quand tu seras fidèle à ton Epoux? Quand tu naimeras que lui. Oui, je ne veux pas quon trouve en ton cur un autre que Dieu. Retranche tout amour-propre, toute affection sensible pour tes parents ou pour nimporte quelle chose; et cela sans aucune crainte de vie ou de mort; mais le cur libre et revêtue de ce saint vêtement, remets-toi entre les mains de ton céleste Epoux, abandonne-toi à sa volonté, pour quil fasse et défasse ce qui sera le mieux pour son honneur et pour toi. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1145].
CCVII (161). A LA SUR NERA, prieure des mantelées de Saint-Dominique, pendant que sainte Catherine était à la Roche-Agnolino.- Comment il faut travailler à lhonneur de Dieu et au salut des âmes. ( Les Mantelées étaient les tertiaires de Saint-Dominique, parmi lesquelles fut reçue sainte Catherine. Leur nom venait du manteau noir qui les couvrait. Elles vivaient dans leurs maisons, mais elles obéissaient à une prieure. ( Voir : Vie de sainte Catherine, Ire p., ch VIII )
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir faire comme le bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Vous devez faire de même, ma bien chère Mère; vous devez vous appliquer à lhonneur de Dieu et au salut des brebis qui vous ont été confiées; et cela sans négligence, pour ne pas être reprise de Dieu, mais avec un zèle véritable, en sacrifiant tout amour propre et toute complaisance pour les créatures. Vous savez, ma très chère Mère, que celui qui saime dune manière sensible, sil est supérieur, ne corrige pas, parce quil craint toujours; ou, sil corrige, il le fait selon le jugement des créatures, et souvent contre la vérité. Quelquefois il le fera daprès son goût particulier, parce que la manière [1146] dagir des autres ne lui plaira pas. Il ne faut pas faire ainsi, parce que les voies et les moyens que Dieu prend avec ses serviteurs sont très variés. Il doit nous suffire de les voir désirer suivre Jésus crucifié : autrement nous serions plutôt injustes que justes, car nous ne devons pas les corriger selon nos goûts, mais selon les défauts que nous trouvons on eux. Il faut nous attacher doucement à lhonneur de Dieu, et ouvrir loeil de lintelligence sur ceux qui nous sont soumis, pour donner à chacun ce qui lui convient. Il faut agir différemment avec les moins parfaites et avec les plus parfaites. Il faut savoir condescendre à leurs besoins, en étant toujours ferme à corriger les défauts que vous apercevrez en elles, et à ne rien leur laisser passer par aucune considération humaine. 2. Jespère de lineffable et infinie charité de Dieu que vous ferez ainsi. Ouvrez loeil de lintelligence, et regardez lamour de lAgneau sans tache percé et cloué sur la Croix, et vous verrez que ce bon Maître a donné Sa vie pour ses brebis. Et avec quelle tendresse, quelle bonté, il nous a parlé, souffert, supporté, nous, pauvres misérables; il a travaillé sans cesse à lhonneur de son Père et à notre salut, ne se laissant arrêter ni par notre ingratitude, ni par les murmures des hommes, ni par la malice du démon. Rien na empêché le tendre Agneau de glorifier son Père et daccomplir parfaitement luvre de son salut. Jespère de sa bonté que vous limiterez, ma très douce Mère; vous ne vous laisserez pas décourager par lingratitude de vos pauvres filles et de toute notre compagnie, ni par les murmures ou [1147] les propos des créatures, ni par la malice du démon, qui leur met sur la langue ce quelles ne devraient pas dire pour empêcher lhonneur de Dieu et le salut des âmes. Agissez et poursuivez toute chose sans aucune crainte. Que votre cur et votre intelligence ne séloignent jamais de la vérité; car vous ne devrez désirer autre chose que de voir Dieu honoré, et vos filles des modèles de vertus. Alors Dieu accomplira votre désir, vous trouverez votre consolation en elles et en vous-même; car lorsque les autres acquièrent une vertu, ce doit être toujours pour vous, une joie, une consolation. Faites donc ainsi pour lamour de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCVIII (162). A SOEUR DANIELLA DORVIETE, revêtue de lhabit de Saint-Dominique .- Du contentement et de la paix intérieure dont jouissent ceux qui se conforment à la volonté de Dieu.- Des obstacles à la perfection. (Cette lettre faisait suite à la cent soixante-dixième que sainte Catherine écrivit au frère Guillaume dAngleterre.) 1. Tu vois donc que ceux-là goûtent les arrhes de la vie éternelle en cette vie; ils reçoivent les arrhes et non le paiement, mais ils espèrent le recevoir au ciel, où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans peine. Ils évitent la peine de la faim parce quils possèdent ce quils désirent, et ils [1148] ne connaissent pas le dégoût du rassasiement, parce que cet aliment de vie est sans défaut, Il est vrai quen cette vie on commence à avoir un avant-goût de ce bonheur à mesure que lâme est affamée de la nourriture de lhonneur de Dieu et du salut des âmes. Selon quelle a faim elle se satisfait, cest-à-dire quelle se nourrit de la charité du prochain, dont elle a faim et désir: cest là une nourriture qui, en la nourrissant, ne la rassasiera jamais. Elle est insatiable parce quelle éprouve une faim continuelle; les arrhes Sont un commencement de sûreté quon donne à lhomme, et qui lui fait attendre le paiement. Les arrhes ne sont pas tout certainement, mais elles donnent par la confiance lassurance de recevoir le reste. De même lâme qui aime le Christ reçoit, dès cette vie, les arrhes de la charité de Dieu et du prochain; elle nest pas encore parfaite, mais elle attend la perfection de la vie immortelle. 2. Je dis que ces arrhes ne sont pas parfaites, cest-à-dire que lâme qui les goûte na pas encore la perfection, et quelle éprouve la peine en elle et dans les autres en elle par loffense que fait à Dieu la loi perverse qui de ses membres, et dans les autres par tes fautes du prochain. Elle a bien la perfection de la grâce, mais elle na pas la perfection des saints du ciel, comme je lai dit, parce que leurs désirs, Sont sans la peine, et que les nôtres sont avec la peine. Sais-tu comment est le vrai serviteur de Dieu qui se nourrit à la table du saint désir? Il est à la fois dans la joie et dans la peine, comme était le Fils de Dieu sur le bois de la très sainte Croix, parce que la chair du Christ souffrait [1149] et était tourmentée, pendant que son âme était heureuse par lunion de la nature divine. Nous devons de même être heureux par lunion de notre désir en Dieu, en nous revêtant de sa douce volonté; nous devons souffrir en compatissant à notre prochain, et en supportant en nous-mêmes les mouvements sensuels, en combattant notre sensualité. Mais écoute, ma Fille, ma bien-aimée Sur, jusquà présent jai parlé pour toi et pour moi en général; je vais maintenant parler pour toi et pour moi en particulier. 3. Je veux que nous fassions surtout deux choses, afin que lignorance nempêche pas la perfection à laquelle Dieu nous appelle, et afin que le démon, sous le manteau de la vertu et de la charité du prochain, ne nourrisse pas dans notre âme la racine de la présomption. Cest ainsi que nous tombons dans les faux jugements; nous croyons bien juger, et nous jugeons mal. En suivant notre opinion, souvent le démon nous fera voir des vérités pour nous conduire au mensonge, et nous jugeons lintérieur des créatures, que Dieu seul a le droit de juger, Cest là une des deux choses dont je veux que nous nous corrigions; mais il faut le faire avec soin, et non pas légèrement. Voici la règle : Si Dieu nous a formellement montré, non pas une fois, deux fois, mais plus souvent les défauts du prochain, nous ne devons jamais reprendre directement celui qui les a, mais nous devons combattre dune manière générale les vices que nous avons à juger, et nous devons prêcher la vertu avec charité, avec douceur, mettant, sil le faut, de la sévérité dans cette douceur. Nous croyons souvent que Dieu nous montre [1150] les défauts des autres; mais, si ce nest pas une révélation expresse, il faut prendre le parti le plus sûr pour éviter les pièges et la malice du démon, qui nous séduirait avec lappât du bon désir. 4. Garde donc le silence, ou nouvre la bouche que pour louer la vertu et mépriser le vice. Le vice que tu crois reconnaître dans les autres, blâme-le dune manière générale en toi et dans les autres, toujours avec une humilité sincère; et si ce vice se trouve en la personne que tu as en vue, elle se corrigera bien mieux en se voyant reprise si doucement. Adresse-toi les reproches que tu voulais lui faire; tu ne courras aucun danger, et tu fermeras le chemin à lennemi, qui ne pourra te tromper et nuire à la perfection de ton âme. Apprends que nous, ne devons pas nous fier à nos jugements nous devons les mettre derrière nous et ne nous occuper que de la connaissance de nous-même. Sil arrive quelquefois quen priant pour quelques personnes, nous voyions dans notre prière que quelques-unes jouissent des lumières de la grâce, et que dautres qui servent Dieu en soient privées, leurs âmes nous paraissant dans la sécheresse et les ténèbres, nous ne devons pas y voir la preuve de quelques fautes graves en elles, car ton jugement pourrait bien être faux. 5. Une autre fois il arrivera que, priant pour la même personne, tantôt tu la verras devant Dieu avec une lumière et un saint désir tels, que son âme paraîtra sengraisser de cet heureux état; tantôt il et semblera que son esprit est loin de Dieu, et quelle est si remplie de ténèbres et de tentations, que cest [1151] pour elle une fatigue de prier et de se tenir en la présence de Dieu. Il peut arriver sans doute que ce soit la faute de la personne qui prie; mais le plus souvent, ce ne sera pas sa faute : ce sera une épreuve que Dieu aura envoyée à cette âme; il se sera retiré delle par le sentiment de la douceur et de la consolation, mais non par la grâce cest ce qui cause la stérilité, la sécheresse, la peine de cur; et cest par bonté que Dieu permet que cela arrive à lâme qui le prie, pour pouvoir lui aider à dissiper le nuage de lamour-propre. Ainsi tu vois, ma douce Sur, combien serait ignorant et répréhensible le jugement que nous porterions sur cette simple apparence, si nous croyions cette âme coupable. Pieu nous la montre dans le trouble et les ténèbres; nous ne devons pas croire quelle est privée de la grâce, mais seulement de la douceur de la présence de Dieu. Oui, je ten conjure, appliquons-nous, toi et les autres serviteurs de Dieu, à nous connaître parfaitement, afin de connaître plus parfaitement la bonté de Dieu. À sa lumière nous renoncerons à juger le prochain; nous ressentirons une compassion sincère, et nous aurons faim de prêcher la vertu et de reprendre le vice en nous et dans les autres, comme je viens de le dire. 6. Après tavoir expliqué ce point, je vais te parler dun autre défaut que nous devons corriger en nous. Quelquefois le démon, ou notre pauvre jugement, nous pousse à vouloir que tous les serviteurs de Dieu suivent la même route que nous. Il arrive souvent que, quand on suit la voie rigoureuse de la pénitence, on voudrait que tout le monde suivit la [1152] même, et si lon voit quelquun qui ne le fait pas, on en a de la peine et on sen scandalise; on simagine quil ne peut rien faire de bien, et il arrivera cependant quil sera meilleur et plus vertueux que celui qui le juge. Admettons quil ne fasse pas daussi grandes pénitences que celui qui murmure: cest que la perfection ne consiste pas à macérer et à tuer son corps, mais à mortifier et à détruire la volonté propre et perverse. Cest par cette voie de la volonté vaincue et soumise à la douce volonté de Dieu, que nous devons désirer voir tout le monde marcher. La pénitence et les macérations sont bonnes, mais il ne faut pas les donner comme une règle générale, parce que tous les corps ne se ressemblent pas. Il arrive souvent que les pénitences quon a commencées sont interrompues par des accidents et quil faut les abandonner. Si nous prenions ces pénitences pour fondement de notre vie spirituelle ou de celle des autres, ce serait un malheur et une imperfection, parce que lâme perdrait ainsi sa force et sa consolation; elle serait privée de ce quelle aimait, de ce quelle avait pris pour fonde. ment, et elle croirait être privée de Dieu. En se croyant privée de Dieu, elle tomberait dans lennui, la tristesse, labattement, et dans cet abattement elle abandonnerait ses pieux exercices et les prières ferventes quelle avait lhabitude de faire. 7. Tu vois combien il est dangereux de prendre la pénitence pour fondement de la perfection; ce serait une erreur, et nous nous exposerions à tomber dans le murmure, la tristesse et le découragement, nous noffririons quune uvre finie à Dieu, qui est [1153] le bien infini, et qui demande un désir infini. Il faut donc prendre pour fondement la mort et lanéantissement de la volonté propre et perverse. En soumettant notre volonté à Dieu, nous pourrons offrir un désir ardent et infini pour lhonneur de Dieu et le salut des âmes. Nous nous nourrirons ainsi à la table du saint désir, et ce désir ne se troublera pas de ce qui arrivera en nous et dans le prochain, mais il trouvera en tout sa joie et son profit. Je regrette bien, misérable que je suis, de navoir jamais suivi cette doctrine. Jai fait tout le contraire, et je reconnais quil mest arrivé bien souvent de juger défavorablement le prochain. Aussi je te conjure, par lamour de Jésus crucifié, de me secourir dans cette infirmité et dans les autres. Commençons aujourdhui à suivre la voie de la vérité; que sa lumière nous apprenne à prendre pour fondement le saint désir, et à ne plus nous fier sur nos jugements Ne sortons plus légèrement de nous-mêmes, et ne jugeons les défauts de notre prochain que pour en avoir compassion et les reprendre dune manière générale. Nous le ferons en nous nourrissant à la table du saint désir, autrement nous ny parviendrons pas; cest du désir que vient la lumière, et la lumière donne le désir; ils se nourrissent mutuellement. Aussi je te dis que je désirais te voir avec la vraie lumière. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1154].
CCIX (163).- A SUR DANIELLA DORVIETE, religieuse de lOrdre de Saint-Dominique, qui était très affligée de ne pouvoir continuer ses grandes pénitences.- De la vertu de discrétion nécessaire au salut. Son but est de rendre ce qui est du à Dieu, au prochain et à soi-même.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Sur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de voir en toi la sainte vertu de la discrétion (Dialogue, Ch IX. Traité de la discrétion). Cest la vertu quil est nécessaire davoir, si nous voulons faire notre salut. Pourquoi est-elle si nécessaire? Parce quelle vient de la connaissance de nous-mêmes et de Dieu. Cest là quelle prend ses racines; elle naît véritablement de la charité, cor la discrétion est une lumière et une connaissance que lâme a de Dieu et delle-même. Son principal effet est de voir clairement ce qui est dû à chacun; et dès quelle sait ce quelle doit, elle le rend avec un discernement parfait; elle rend gloire à Dieu et louange à son nom. Toutes les uvres que lâme accomplit, elle les fait avec cette lumière, cest-à-dire quelle les fait toutes dans le but de rendre à Dieu lhonneur qui lui est dû. Elle nagit pas comme lindiscret, qui vole en recherchant sa gloire, et qui, pour son honneur et son [1155] bien-être, ne craint pas doffenser Dieu et de nuire au prochain. Lorsque la racine de lamour est corrompue par lindiscrétion dans lâme, toutes ses uvres sont viciées en elle et dans les autres; je dis dans les autres, parce quelle leur impose des fardeaux sans discernement. Lorsquelle commande aux séculiers ou aux religieux, dans quelque position quils soient, si elle les avertit ou les conseille, elle le fait sans discrétion, voulant se servir pour tous du. poids dont elle se sert pour elle-même. 2. Lâme discrète fait le contraire, elle discerne ses besoins et ceux des autres; quand elle a rendu à Dieu lhonneur quelle lui doit, elle se rend ce qui lui est dû, cest-à-dire la haine du vice et de la sensualité. Quelle en est la raison? Cest la vertu quelle aime en elle-même; la même lumière qui la rend juste pour elle, la rend juste pour le prochain; aussi je dis pour elle, et pour le prochain. Elle est bienveillante à légard du prochain, comme elle y est obligée; elle aime en lui la vertu, elle y déteste le vice; elle laime comme la créature du Père éternel et souverain, elle lui montre sa charité plus ou moins parfaitement, selon quelle la ressent elle-même. Tel est le principal effet que produit la vertu de discrétion dans lâme; sa lumière lui fait voir et rendre ce quelle doit à chacun. 3. Ce sont les trois principaux rameaux de la discrétion, qui naît de larbre de la charité : ces trois rameaux portent une infinie variété de fruits dune suavité, dune douceur extrême, qui nourrissent lâme dans la vie de la grâce, quand elle les prend avec la main du libre arbitre et avec la bouche [1156] dun saint et ardent désir. Dans quelque état quelle soit, lâme goûte ces fruits si elle a la lumière de la discrétion, de diverses manières, selon les différentes positions. Celui qui est dans le monde et qui a cette lumière cueille le fruit de lobéissance aux commandements de Dieu, et le fruit du mépris du monde. Il se dépouille intérieurement des richesses, en supposant quil en soit revêtu extérieurement. Sil a des enfants, il cueille le fruit de la crainte de Dieu, et il les nourrit de cette sainte crainte ; sil est puissant, il prend le fruit de la justice, parce quil veut rendre avec discernement à chacun ce qui lui est dû; il punit linjuste avec la rigueur de la justice, pour punir la faute, et il récompense le juste, écoutant toujours le droit, et ne sen laissant jamais détourner ni par les promesses ni par la crainte servile. Sil est serviteur, il cueille le fruit de lobéissance et du respect envers son maître, évitant toutes les choses et les circonstances qui pourraient lui déplaire: et il ne le pourrait pas sil ne les apercevait à cette lumière. Si ce sont des religieux, ou des supérieurs, ils prennent le fruit doux et agréable de lobservance de la règle, supportant mutuellement leurs défauts, acceptant avec joie la honte, le mépris, et portant sur les épaules le joug de lobéissance. Le supérieur éprouve la faim de lhonneur de Dieu et du salut des âmes quil cherche à prendre avec lamorce de sa doctrine et de ses exemples. Les fruits de la discrétion sont si variés et si nombreux dans les créatures, quil serait trop long de les dire, et que la langue ne pourrait suffire à les raconter [1157]. 4. Mais maintenant, ma bien chère Fille, parlons plus particulièrement, et en parlant pour nous, nous parlerons pour tous; voyons la règle de la vertu de discrétion dans lâme. Il me semble que cette règle, quelle donne à lâme et au corps, sapplique à toutes les personnes qui veulent bien vivre actuellement et mentalement, car cest elle qui doit les diriger et les conduire à tous les degrés et dans toutes les positions. La première règle quelle donne à lâme est celle que nous avons dit : rendre honneur à Dieu, charité au prochain, et à soi-même la haine du vice et de la sensualité. Elle règle la charité envers le prochain, en lempêchant de lui sacrifier son âme. Elle ne veut pas offenser Dieu pour lui être utile ou pour lui plaire; mais elle fuit la faute avec sagesse, et livre son corps à toutes sortes de peines et de tourments, à la mort même, pour sauver une âme et la retirer des mains du démon, et elle est prête à donner tous ses biens pour soulager les besoins temporels du prochain. La charité agit ainsi avec la lumière de la discrétion, qui règle parfaitement tous ses rapports avec le prochain. 5. Celui qui nest pas discret fait le contraire; il ne craint pas doffenser Dieu et de perdre son âme pour être utile ou pour plaire au prochain sans discernement, tantôt en laccompagnant dans des lieux mauvais, tantôt en rendant pour lui de faux témoignages, de mille manières enfin, selon que loccasion se présente. Cest lhabitude de lindiscrétion, qui naît de lorgueil et de la perversité de lamour-propre aveugle, qui ne se connaît pas et ne connaît pas Dieu. La discrétion, qui règle lâme dans la charité [1158] du prochain, la règle aussi et la conserve dans la charité pour elle-même, cest-à-dire dans lhumble et persévérante prière. Elle la couvre du manteau de lamour et de la vertu pour quelle ne souffre pas de la tiédeur, de la négligence et de lamour-propre spirituel ou temporel; elle lui donne cet amour de la vertu qui lempêche daimer rien de ce qui pourrait lui nuire. Elle règle et gouverne le corps de telle sorte, que lâme qui cherche Dieu le prend toujours pour principe, comme nous lavons dit. Puisquelle est renfermée dans le vase du corps, il faut que cette lumière soit sa règle, car le corps est donné à lâme comme un instrument pour augmenter sa vertu. 6. La discrétion retire le corps des délices et des délicatesses du monde, elle léloigne de la société des mondains, et lui donne celle des serviteurs de Dieu. Elle lui fait fuir les lieux coupables, et le conduit dans ceux qui lui inspirent la dévotion; elle règle tous les membres du corps, pour quils soient modestes et retenus. Loeil ne regarde pas ce qui lui est défendu, et ne voit devant lui que la terre et le ciel; la langue évite les paroles oiseuses et frivoles, elle est prête à annoncer la parole de Dieu pour le salut du prochain, et à confesser ses péchés. Loreille fuit les discours plaisants, louangeux, dissolus, et le mal quon dit du prochain; elle est attentive à écouter les paroles de Dieu, et les plaintes du prochain pour compatir à ses besoins; elle règle de même la main dans ce quelle touche et ce quelle fait, et elle dirige les pieds dans leur chemin, afin que cette loi mauvaise de la chair qui se révolte contre lesprit [1159], ne vicie pas ces instruments. Elle soumet son corps aux veilles, aux jeûnes, et aux autres exercices qui servent à le mortifier. 7. Remarque quelle ne le fait pas sans discernement, mais bien avec la douce lumière de la discrétion. Et comment le montre-t-elle? En ne prenant pas pour but principal la pratique de la pénitence; et pour ne pas tomber dans ce défaut, la discrétion clairvoyante a soin de couvrir lâme de lamour de la vertu pour la lui faire employer comme moyen dans les lieux et les occasions qui le demandent. Si le corps regimbe avec trop de force contre lesprit, elle prend la verge de la discipline, le jeûne, les cilices bien garnis et les longues veilles, elle laccable de fardeaux pour quil soit plus soumis; mais si le corps est faible et Infirme, la discrétion défend dagir ainsi. Non seulement il faut abandonner le jeûne, mais il faut manger de la viande; et si ce nest pas assez dune fois par jour, il faut en manger quatre. Si on ne peut dormir sur la terre, il faut se servir dun lit; quand on ne peut se mettre à genoux, il faut sasseoir ou se coucher sil est nécessaire. Ainsi le veut la discrétion, qui prend la pénitence pour moyen et non pour but principal. 8. Sais-tu pourquoi? afin que lâme serve Dieu avec une chose qui ne puisse lui être enlevée et qui ne soit pas finie, mais avec une chose infinie: cest-à-dire avec un saint désir qui est infini par son union avec le désir infini de Dieu, et avec des vertus que ni le démon, ni les créatures, ni les infirmités ne peuvent nous enlever si nous ne le voulons pas. Et de plus, dans les infirmités séprouve la vertu [1160] de patience; dans les attaques et les tentations du démon, la force et la longue persévérance; dans les persécutions qui viennent des créatures, lhumilité, la patience, la charité. Dieu permet aussi que toutes les autres vertus soient éprouvées par leur contraire, sans être jamais détruites cependant, si nous ne voulons pas. Cest ce fondement que nous devons prendre, et non la pénitence. Lâme ne peut prendre deux fondements: il faut renoncer à un ou à lautre et ce qui nest pas le principal doit servir dinstrument. Si je prends pour fondement la pénitence corporelle, je bâtis la cité de mon âme sur le sable, et le moindre vent la renversera par terre, car aucun édifice ne peut sy tenir; mais si je la bâtis sur la vertu, et si je lappuie sur la pierre vive, le Christ, le doux Jésus, tout édifice, quelque grand quil soit, sera solide, et aucune tempête ne pourra le renverser. Cest pour cela et pour bien dautres inconvénients, quil ne faut se servir de la pénitence que comme instrument. Jai déjà vu bien des pénitents qui ne sont pas restés dans la patience et lobéissance, parce quils se sont appliqués à tuer leurs corps et non leur volonté. 9. Cest le défaut de discrétion qui en est cause. Sais-tu ce qui arrive? ils mettent toute leur consolation, tout leur plaisir à faire pénitence à leur manière et non à celle des autres; ils nourrissent ainsi leur volonté, puisquils laccomplissent. Ils ont de la joie et de la consolation, et il semble quils sont pleins de Dieu comme sils étaient arrivés à la perfection, et ils ne saperçoivent pas quils tombent dans lestime deux-mêmes et la présomption. Si quelquun ne suit pas la même voie, ils pensent quil est dans un état [1161] dimperfection et de damnation; ils veulent sans discrétion mesurer tous les corps à la mesure dont ils se servent eux-mêmes. Et lorsquon veut les retirer de cette voie, ou pour rompre leur volonté ou parce quils en ont vraiment besoin, ils montrent une volonté plus dure que le diamant. il arrive aussi quau moment de lépreuve, de la tentation ou de linjure, ils se trouvent une volonté viciée plus faible que la paille; ils se sont persuadé, par défaut de discrétion, que la pénitence réprime la colère, limpatience et les autres mouvements coupables qui viennent du cur, et il nen est rien. 10. Cette glorieuse lumière de la discrétion te montre que cest avec la haine et le mépris de toi-même, avec la honte et le regret de tes fautes, en considérant le Dieu quon offense, et la créature qui loffense, en pensant à la mort et en aimant la vertu que tu pourras tuer le vice dans ton âme, et en arracher les racines. La pénitence taille; mais il reste toujours la racine qui est prête à repousser, et quil faut aussi arracher. Cette terre, où viennent les vices, est toujours prête à les recevoir si sa volonté propre les y met par le libre arbitre; mais ils ny reparaissent pas, si la racine on est arrachée. Il arrive quelquefois que le corps, qui est infirme, force lâme à quitter ses exercices ordinaires. Lâme tombe aussitôt dans lennui et le trouble; elle perd toute joie, et simagine être damnée, abandonnée; elle ne trouve plus dans la prière cette douceur quelle croyait ressentir au temps de ses pénitences. Où est-elle donc? dans sa propre volonté, sur laquelle elle sest appuyée; elle ne peut plus la satisfaire, de là sa peine et sa tristesse [1162]. Et pourquoi es-tu tombée dans le trouble et cette sorte de désespoir? où est lespérance que tu avais du règne de Dieu? tu tes livrée à lamour de la pénitence, et tu espérais par son moyen, avoir la vie éternelle; et maintenant que tu ne peux plus la pratiquer, il te semble lavoir perdue. Ce sont là les fruits du défaut de discrétion; si tu avais la lumière de discrétion, ta verrais quil ny a que la privation de la vertu qui prive de Dieu, et quavec la vertu fécondée par le sang du Christ, on obtient la vie éternelle. 11. Secouons donc notre imperfection, et mettons notre amour dans les vraies vertus dont nous avons parlé; elles procurent une joie, une douceur que la langue est incapable dexprimer. Rien ne peut affliger lâme fondée sur la vertu et lui ravir lespérance du ciel parce quelle est morte à sa volonté propre, dans les choses spirituelles comme dans les choses temporelles. Elle na pas mis son affection dans la pénitence, les consolations ou les révélations, mais dans lentier abandon, pour lamour de Jésus crucifié et de la vertu. Aussi elle est patiente et fidèle; elle espère en Dieu, et non pas en elle-même et dans ses uvres. Elle est humble et obéissante jusquà croire aux autres plus quà elle-même, car elle na pas de présomption; elle se dilate dans les bras de la miséricorde divine, et cest avec elle quelle chasse tout ce qui peut troubler son esprit. Dans les ténèbres et les combats, elle fait briller la lumière de la Foi, et lutte courageusement avec une véritable et profonde humilité; et dans la consolation, elle rentre en elle-même pour ne pas livrer son cur à de folles joies [1163]. Elle est forte et persévérante, parce quelle a détruit en elle la volonté propre, qui la rendait faible et inconstante. Tous les temps, tous les lieux lui conviennent. Si le temps de la pénitence est pour elle un temps dallégresse et de consolation; elle sen sert comme dun moyen; si par nécessité ou par obéissance elle est obligée de labandonner, elle sen réjouit, parce quelle a pour fondement lamour de la vertu qui ne peut lui être ravi, et parce quelle voit en cela la perte de sa volonté, contre laquelle elle sait bien quil faut toujours lutter avec zèle et courage. 12. Elle prie en tout lieu, parce quelle porte toujours avec elle le lieu où Dieu habite par sa grâce, et où nous devons prier, cest-à-dire la cellule de notre âme, où le saint désir prie continuellement. Ce désir naît à la lumière de lintelligence pour se contempler en soi-même, et dans le feu ineffable de la divine charité qui se trouve dans le sang répandu avec tant de générosité, tant damour. Ce sang remplit le vase de lâme; cest ce quelle doit sappliquer à connaître, afin de senivrer de ce sang, afin de briller et de consumer dans ce sang sa volonté propre et ne pas se contenter de réciter un certain nombre de Pater noster. Cest ainsi que nous rendrons notre prière continuelle et fidèle, parce que dans le feu de la charité, nous connaîtrons que Dieu est assez puissant pour nous donner ce que nous lui demandons. Dieu est la suprême sagesse, qui sait discerner et donner ce qui nous est nécessaire; cest un Père tendre et compatissant, qui veut nous donner plus que nous ne désirons, plus que nous ne savons lui [1164] demander pour nos besoins. Lâme est humble, parce quelle a reconnu ses défauts et son néant. Cest par cette prière que nous acquérons la vertu, et que nous en conservons lamour. 13. Quel est le principe dun si grand bien? la discrétion, fille de la charité, comme nous lavons dit, et le bien quelle a en elle se communique au prochain. Car ce principe, cet amour, cette doctrine quelle a revus, elle veut les offrir et elle les offre à la créature, en les lui enseignant par ses exemples et par ses paroles, cest-à-dire en donnant des conseils quand il le faut ou quon les lui demande. Elle fortifie et ne trouble pas lâme du prochain en la jetant dans le désespoir, lorsquelle est tombée dans quelque faute; mais elle se fait faible avec les faibles, et leur donne le remède en les faisant espérer dans le sang de Jésus crucifié. Tels sont, avec bien dautres, les fruits que donne au prochain la vertu de discrétion. 14. Puisquelle est si utile et si nécessaire, ma chère et bien-aimée Fille, ma Sur dans le Christ, le doux Jésus, je te presse de faire ce quautrefois, je le confesse, je nai pas fait moi-même avec la perfection que je devais. Il ne test pas arrivé comme à moi dêtre pleine de défauts, et de choisir malheureusement la vie commode au lieu den prendre une pénible; mais tu as voulu ruiner la jeunesse de ton corps pour quil ne se révoltât pas contre ton âme; tu as embrassé une vie si rigoureuse, quelle parait sortir de lordre de la discrétion. Il me semble que lindiscrétion veut te faire goûter ses fruits, et nourrir ainsi ta volonté propre. Parce que ta as abandonné ce que tu avais coutume de faire, le démon veut te persuader [1165] que tu es damnée. Jen suis très affligée, et je crois que cest une grande offense envers Dieu. Aussi je veux et je te demande que nous prenions pour fondement lamour de la vertu, comme le veut la vraie discrétion. Tue la volonté, et fais ce quon te fait faire; crois plus aux autres quà toi-même. Si tu te sens faible et infirme, prends, tous les jours, la nourriture qui test nécessaire pour réparer la nature; et si la faiblesse et linfirmité disparaissent, reprends ta vie ordinaire avec mesure et non pas sans modération. Il ne faut pas que le bien produit par la pénitence en empêche un plus grand; ne la prends pas pour but principal, car tu serais trompée. Mais je veux que nous courions par la route battue de la vertu, et que nous y conduisions les autres en méprisant et an brisant notre volonté. Si nous avons en nous la vertu de discrétion, nous le ferons; mais nous ne réussirons pas autrement. Cest pourquoi je tai dit que je désirais voir en toi la sainte vertu de discrétion. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonne-moi, si je tai parlé avec trop de présomption; lamour de ton salut pour lhonneur de Dieu en est cause. Doux Jésus, Jésus amour [1166].
CCX (164).- A LA MEME.- Elle la prie de se baigner dans le sang de Jésus-Christ, pour acquérir la vraie charité, le désir de lhonneur de Dieu et le salut des âmes.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Ma très chère Sur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir baignée et noyée dans le sang de Jésus crucifié. Dans ce sang tu trouveras le feu de la divine charité, tu goûteras la beauté de lâme et sa haute dignité. Car Dieu, en regardant en lui-même, se passionna pour la beauté de sa créature, et, comme transporté damour, il la créa à son image et à sa ressemblance. Lhomme ignorant perdit la noblesse et la beauté de linnocence par le péché mortel, en désobéissant à Dieu; et Dieu, qui aimait le Verbe, son Fils unique, lui ordonna de nous rendre avec son sang, la vie et la beauté de linnocence; car cest dans ce sang que furent lavées et que se lavent les souillures de nos fautes. Tu vois donc que cest dans ce sang que se trouve et se goûte la beauté de lâme et lâme doit donc sy plonger pour concevoir un plus grand amour de lhonneur de Dieu et du salut des âmes, en suivant la doctrine du doux et tendre Verbe. 2. Méprise-toi, ma chère Fille, ne te recherche pas pour toi, mais pour Dieu ; cherche Dieu et le prochain [1167] avec zèle, pour la gloire, lhonneur du nom de Dieu et pour le salut des âmes, en offrant dhumbles et continuelles prières avec un ardent désir, en la présence de la divine Bonté. Cest le moment de prendre cette nourriture des âmes sur la table de la très sainte Croix il faut toujours le faire, mais jamais tu ne verras un moment où ce soir si nécessaire. Ma chère Fille, contemple avec douleur et amertume ces ténèbres qui sont venues dans lEglise. Tout secours humain paraît manquer; il faut que tu invoques le secours den haut avec les autres serviteurs et servantes de Dieu. Prends garde de tomber dans la négligence; cest le temps de veiller, et non de dormir. Tu sais bien que lennemi est aux portes: si les gardes et les habitants de la cité dorment, il ny a pas de doute quils la perdront. Nous sommes entourés dune foule dennemis, et notre âme doit savoir que le monde, notre propre faiblesse, et le démon avec toutes ses pensées, ne dorment jamais, mais quils sont toujours attentifs à voir si nous dormons, pour pouvoir entrer et dévaster, comme des voleurs, la cité de notre âme. 3. Le corps mystique de la sainte Eglise aussi est entouré de nombreux ennemis. Tu vois que ceux qui devaient être les colonnes et les défenseurs de lEglise en sont devenus les persécuteurs par les ténèbres de lhérésie. Il ne faut donc pas dormir, mais il faut les vaincre par les veilles, les larmes, les sueurs, les douloureux et tendres désirs, avec une humble et continuelle prière. Agis comme lenfant fidèle de la sainte Eglise; prie et supplie le Dieu tout-puissant pour quil répare tout le mal; conjure-le [1168] de fortifier le Saint-Père et de léclairer: je parle dUrbain VI, le vrai Pape, le Vicaire du Christ sur terre. Je le reconnais, et nous devons le reconnaître devant le monde entier, et celui qui dit et fait le contraire, nous ne devons jamais le croire, et préférer plutôt la mort. Baigne-toi dans le précieux Sang, et quaucun scrupule, quaucune crainte servile ne ten séparent jamais. Oui, cachons-nous dans le côté de Jésus crucifié; cest dans cette retraite que nous trouverons labondance du Sang; autrement nous marcherions dans les ténèbres et nous nous aimerions nous-mêmes. Jai compris que cest le seul moyen et je tai dit que je désirais te voir baignée et noyée dans le sang de Jésus crucifié, et je veux que tu le fasses. Je termine. Demeure dans ]a sainte et douce dilection de Dieu; aie désir et faim de son honneur. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXI (165) .- A LA MEME.- La lumière de la foi est nécessaire pour connaître léternelle vérité. Des deux lumières, générale et particulière.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir la vraie et parfaite lumière, afin que tu puisses connaître la vérité dans sa [1169] perfection. Oh! combien est nécessaire cette lumière, ma très chère Fille! Sans elle nous ne pouvons suivre la voie de Jésus crucifié, qui est une voie lumineuse où se trouve la vie; sans elle nous marcherions dans les ténèbres et nous vivrions dans les tempêtes et lamertume. 2. En réfléchissant bien, je vois quon peut avoir cette lumière de deux manières. Dabord une lumière générale que toute créature raisonnable doit posséder pour voir et connaître ce quelle doit aimer, et a qui elle doit obéir; elle voit à la lumière de lintelligence, avec la pupille de la sainte Foi, quelle est obligée daimer et de servir son Créateur, de laimer de tout son cur, de tout son âme, sans partage, et dobéir aux commandements de la loi, qui veut que nous aimions Dieu par-dessus toute chose et le prochain comme nous-mêmes. Cest par là quil faut tous commencer. Cette lumière générale nous est nécessaire, et sans elle nous serions dans la mort; nous serions privés de la vie de la grâce, et nous suivrions la voie ténébreuse du démon. Mais il y a une autre lumière qui nest pas séparée de celle-ci; elle lui est unie, et cest par la première quon arrive à la seconde. Ceux qui observent les commandements de Dieu parviennent à une lumière plus parfaite; ils quittent limperfection par lardeur et la sainteté du désir, et ils embrassent la perfection en observant les commandements et les conseils mentalement et actuellement. Cette lumière doit se développer par la faim et le désir de lhonneur de Dieu et du salut des âmes, en contemplant, avec la lumière, la lumière du doux et tendre Verbe, que lâme goûte lamour ineffable [1170] que Dieu a pour sa créature, cet amour quil nous a montré par le moyen du Verbe, qui a couru tout transporté dardeur à la mort honteuse de la Croix, pour lhonneur de son Père et pour notre salut. 3. Quand lâme a connu cette vérité avec la lumière parfaite, elle sélève au-dessus delle-même et de toute affection sensible; elle sélance avec de violents et tendres désirs pour suivre les traces de Jésus crucifié, au milieu des peines, des opprobres, des mépris, des persécutions du monde, et quelquefois au milieu de celles des serviteurs de Dieu, qui léprouvent sous prétexte de vertu, et elle cherche avec faim lhonneur de Dieu et le salut des âmes. Elle savoure tant cette glorieuse nourriture, quelle se méprise et quelle méprise le reste; elle ne cherche que cela, et soublie. Cest dans cette lumière parfaite que vivaient ces glorieuses vierges et ces saints qui se plaisaient uniquement à la table de la sainte Croix pour prendre cette nourriture avec lEpoux de leurs âmes. Ainsi donc, ma bien-aimée Fille et ma douce Sur dans le Christ, le doux Jésus, puisque Dieu nous a fait tant de grâces, et a été si miséricordieux en nous mettant au nombre de celles qui ont passé de la lumière générale à la lumière particulière, puisquil nous a tracé la voie parfaite des conseils, nous devons suivre cette voie douce et droite avec perfection, et ne pas tourner la tête en arrière pour quelque cause que ce soit. Nous ne devons pas avancer à notre manière, mais à la manière de Dieu, en souffrant et en évitant le péché jusquà la mort. 4. Lâme échappe ainsi aux mains du démon; cest la voie et la règle que ta enseignée léternelle Vérité [1171]; Il la écrite sur son corps en grosses lettres, pour que personne, quelque faible que soit son intelligence, ne puisse avoir dexcuse; et il la écrite non pas avec de lencre, mais avec son sang. Tu vois combien les initiales de ce livre sont belles et grandes, comme elles montrent la vérité du Père, lamour ineffable avec lequel nous avons été créés: cest uniquement pour nous faire participer à son éternel et souverain bonheur. Ce Maître est monté dans la chaire de la Croix pour que nous puissions mieux lentendre et pour que nous ne disions pas: Il nous enseigne den bas, et non pas den haut. Non; il est monté sur la Croix, et il sest sacrifié pour glorifier lhonneur de son Père, et pour rétablir sur cette Croix la beauté de nos âmes. Que notre cur se livre donc à cet amour, puisé dans le livre de vie. Perds-toi entièrement toi-même, et plus tu te perdras, pies tu te retrouveras. Dieu ne méprisera pas ton désir, il te dirigera, il tenseignera ce que tu dois faire; il éclairera celui auquel tu es soumise pour que tu agisses par son conseil. Lâme doit toujours être dans une sainte crainte, et se réjouir de faire tout ce quelle fait, en recourant à la prière et à lobéissance. 5. Tu mas écrit et jai compris par ta lettre que cétait pour toi une épreuve, non pas petite, mais peut être plus grande que tontes les autres, de te sentir dun côté appelée intérieurement de Dieu à des choses nouvelles, et de lautre, de voir que ses serviteurs sy opposent en disant que ce nest pas bien. Je te plains beaucoup, parce que je ne connais pas de peine plus grande que cette crainte que lâme a delle-même, quand elle ne veut pas résister à Dieu et quelle voudrait [1172] faire aussi la volonté de ses serviteurs se fiant plus à leur lumière et à leur science qua la sienne; et il lui semble que cest impossible. Je vais te répondre simplement, selon la faiblesse et la bassesse de mon intelligence. Ne te détermine pas de toi-même, mais réponds comme tu te sens appelée. Si tu vois une âme en péril, et que tu puisses la secourir ne ferme pas les yeux, mais applique-toi avec un grand zèle à lassister jusquà la mort, et ne tinquiète pas de ce quon a pu te dire, ni du silence quon garde, ni daucune autre chose, pour quil ne te soit pas dit ensuite : « Malheur à toi, qui na pas parlé (Is 6,5). » Il faut prendre pour principe pour unique fondement la charité de Dieu et du prochain: tous les autres exercices sont des instruments et des matériaux placés sur ce fondement; et on ne doit pas, par amour pour les instruments et les matériaux, abandonner ce fondement de lhonneur de Dieu et de lamour du prochain. 6. Travaille donc, ma Fille, dans ce champ, où tu vois que Dieu tappelle à travailler, ne prends pas de peine et dennui de ce quon peut dire, mais supporte-le avec courage. Crains et sers Dieu sans penser à toi-même, et ne tinquiète pas de ce que peuvent dire les créatures, ci ce nest pour en avoir compassion Quant au désir que tu as de quitter la maison et de venir à Rome, abandonne-le à la volonté de ton Epoux. Si cest son honneur et ton salut, il ten donnera le moyen, et ce sera dune manière à laquelle tu ne pensais pas et que tu naurais jamais imaginé. Laisse-lui [1173] tout faire; perds-toi, mais prends garde de ne te perdre que sur la Croix. Cest là que tu te trouveras parfaitement; mais tu ne pourras le faire quavec la lumière parfaite. Cest pourquoi je tai dit que je désirais te voir avec une vraie et parfaite lumière, autre que la lumière générale, comme nous lavons expliqué. Ne dormons plus en nous abandonnant au sommeil de la négligence; gémissons, par dhumbles et continuelles prières, sur le corps mystique de la sainte Eglise et sur le Vicaire de Jésus-Christ. Ne cessons de prier pour lui, afin que Dieu lui donne la lumière et la force pour résister aux attaques des démons incarnés, qui saiment eux-mêmes et qui veulent souiller notre foi; cest le temps de pleurer. 7. Pour ce qui est de ma visite, prie léternelle bonté de Dieu quelle fasse ce qui sera utile à lhonneur et au salut des âmes, surtout maintenant, que je vais à Rome accomplir la volonté de Jésus crucifié et de son Vicaire. Je ne sais quelle route je prendrais Prie le Christ, le doux Jésus quil me conduise par celle qui conviendra le mieux à sa gloire, à la paix et au repos de nos âmes. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1174].
CCXII (166).- A MADAME LAPA, SA MERE.- Elle lexhorte à la vertu de patience, et a la résignation à la volonté de Dieu. (Lapa, mère de sainte Catherine, était de la famille Piagenti. Elle fut mariée a Jacques Benincasa, et en eut vingt-cinq enfants. Devenue veuve, elle prit lhabit du tiers ordre de Saint-Dominique, comme le prouve un bref de Grégoire XI, qui lui est adressé, ainsi quà Lisa, sa belle-fille. On lit : Viduis Senensibus sororibus de Poenitentia B. Dominici. Lapa vécut jusquà une extrême vieillesse, comme sainte Catherine le lui avait prédit. (Voir Vie de sainte Catherine, II. p., ch. VIII et la Lettre du B. E. Maconi.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Ma très chère Mère dans le Christ, Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie servante de Jésus crucifié, affermie dans la vraie patience; car sans la patience, nous ne pouvons plaire à Dieu. Dans la patience nous montrons le désir de lhonneur de Dieu et du salut des âmes; cette vertu fait voir aussi que lâme est revêtue de la douce volonté de Dieu, car elle se réjouit de tout, elle est contente de tout ce qui lui arrive. Aussi la créature qui est revêtue de ce doux vêtement, possède toujours la paix et se plaît à souffrir pour la gloire et la louange du nom de Dieu ;elle se donne elle-même, avec ses enfants, ses biens, sa vie pour lhonneur de Dieu. Je veux que vous agissiez ainsi, ma très chère [1175] Mère; offrez votre volonté et votre indigne, votre misérable fille pour le service et lhonneur de Dieu, pour le salut des âmes, avec une vraie et bonne patience, vous nourrissant du fruit de la très sainte Croix avec cet humble et tendre Agneau: et alors rien ne vous paraîtra pénible. Dépouillez-vous de lamour-propre sensitif, parce que cest le moment de travailler à lhonneur de Dieu et au service du prochain. En vous dépouillant de lamour-propre, vous marcherez avec joie et sans peine. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXIII (167). A MADAME LAPA SA MERE, et ma soeur Cecca, au monastère de Sainte-Agnès de Montepulciano, pendant quelle était à la Roche. Du renoncement à la volonté et aux consolations, à lexemple des apôtres et de la bienheureuse Vierge Marie.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Ma très chère Mère et ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtues du feu de la divine charité, tellement que toutes les peines, les souffrances, la faim, la soif, les persécutions, les injures, les mépris, les mauvais [1176] traitements, les affronts soient supportés par vous avec une vraie patience, à lexemple de lAgneau immolé et consumé pour nous, quand il courut avec tant damour à la mort ignominieuse de la Croix. Imitez Marie, notre douce Mère: lorsque les saints Apôtres cherchaient lhonneur de Dieu et le salut des âmes en suivant les traces de son doux Fils, elle consentit à se priver de leur présence, quoiquelle les aimât beaucoup, et elle resta seule comme une pauvre étrangère; et les disciples, qui laimaient aussi avec une grande tendresse, partirent avec joie, et allèrent souffrir pour lhonneur de Dieu, et endurer les persécutions et les supplices des tyrans. Si vous leur demandiez: Pourquoi partiez-vous avec joie et quittiez-vous Marie? ils vous répondraient: Parce que nous nous étions renoncés nous-mêmes, et que nous nous étions passionnés pour lhonneur de Dieu et le salut des âmes. 2. Je veux, ma très chère Mère et ma Fille, que vous fassiez de même; et si vous ne lavez pas fait jusquà présent, je veux que vous vous enflammiez du feu de la divine charité, recherchant toujours lhonneur de Dieu et le salut des âmes: autrement vous serez toujours dans la peine et la tribulation, et vous maffligerez beaucoup. Vous savez bien, ma très chère Mère, que votre misérable fille nest pas sur terre pour autre chose; cest à cela que ma destinée le Créateur. Je sais que vous êtes contente de me voir lui obéir. Je vous en prie, si je reste plus que vous ne le voudriez, nen soyez pas fâchée, car je ne puis faire autrement; je suis persuadée que si vous connaissiez laffaire, vous me diriez vous-même [1177] de rester. Je suis ici pour remédier à un grand scandale, si je le puis. Ce nest pas la faute de la comtesse. Priez donc tous Dieu et la glorieuse Vierge Marie pour que nous réussissions; et vous, Cecca et Justina, baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, parce que cest le moment de montrer la vertu de vos âmes. Que Dieu vous donne à toutes sa douce et éternelle bénédiction. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXIV (168).- A MADAME LAPA, SA MERE.- Elle désire lui voir la vraie connaissance delle-même, et de la bonté de Dieu à son égard
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Ma très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie connaissance de vous-même et de la bonté de Dieu en vous, parce que, sans cette vraie connaissance, vous ne pourrez participer à la vie de la grâce. Vous devez avec un saint et véritable zèle vous appliquer à comprendre votre néant, et à reconnaître que tout ce que vous êtes, vous le tenez de Dieu, avec tant de dons et de grâces que vous avez reçus de lui, et que vous en recevez tous les jours. Cest de cette manière [1178] que vous serez reconnaissante, et que vous acquerrez une vraie et sainte Patience; vous ne prendrez pas les petites choses pour les grandes, mais les grandes vous paraîtront petites à souffrir pour Jésus crucifié. 2. Il ny a de bon chevalier que celui qui a fait ses preuves sur le champ de bataille. De même votre âme doit séprouver au milieu des combats de la tribulation; il faut quelle donne des preuves de patience, quelle ne tourne pas la tête en arrière par impatience, et quelle ne se scandalise pas de ce que Dieu permet. Alors elle pourra se réjouir, et attendre la vie éternelle dans la paix et lallégresse; car elle se reposera sur la Croix, elle se fortifiera dans les peines et les opprobres de Jésus crucifié, et elle pourra attendre avec raison léternelle vision de Dieu. Le Christ en a fait la promesse: ceux qui souffriront les persécutions et les tribulations de cette vie seront ensuite rassasiés, consolés, illuminés dans léternelle vision de Dieu. Ils goûteront pleinement et sans mesure sa douceur; même dans cette vie, Dieu commencera à consoler ceux qui souffrent pour lui. Mais sans la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, nous ne pourrons jamais arriver à ce bonheur. Je vous prie donc, autant que je le sais et que je le puis de vous appliquer à lacquérir, afin que nous ne perdions pas le fruit de nos peines. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1179].
CCXV (169).- A MADAME LAPA, SA MERE, avant son retour d'Avignon.- Elle cherche à lui faire supporter avec patience son éloignement, parce que lhonneur de Dieu et le salut des âmes le demandent.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Ma bien-aimée Mère dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne et misérable petite fille, Catherine, vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu. Jai désiré avec un grand désir vous voir la mère véritable non seulement de mon corps, mais aussi de mon âme. Je pense que si vous aimiez plus mon âme que mon corps, toute tendresse exagérée mourrait en vous, et vous ne souffririez pas tant dêtre privée de ma présence corporelle. Vous en auriez au contraire de la consolation, et vous voudriez pour lhonneur de Dieu, souffrir la peine que je vous cause, en pensant quil sagit de l'honneur de Dieu: en travaillant à lhonneur de Dieu, jaugmente la grâce et la vertu de mon âme. Il est donc bien vrai, ma très douce Mère, quen aimant plus mon âme que mon corps, vous serez consolée au lieu dêtre affligée. Je veux que vous écoutiez Marie, cette douce Mère qui, pour lhonneur de Dieu et le salut de nos âmes, nous a donné son Fils mort sur le bois de la très sainte Croix. Et quand Marie resta seule, après lascension de Notre-Seigneur, elle resta avec les disciples. Il est bien certain que cétait pour elle et pour les disciples une grande consolation, et que ce fut [1180] une grande peine lorsquil fallut les quitter pour la gloire et lhonneur de son Fils et pour le bien du monde entier. Elle y consentit, et elle voulut quils partissent; elle préféra la peine de leur départ à la consolation de leur présence à cause de lamour quelle avait pour lhonneur de Dieu et pour notre Salut. 2. Profitez de son exemple, ma chère Mère. Vous savez quil faut que je suive la volonté de Dieu, et je sais que vous voulez que je la suive. Sa volonté a été que je parte, et ce départ na pas été sans dessein secret de sa providence et sans résultats bien utiles. Si je suis resté, cest par sa volonté et non par la volonté de lhomme; et celui qui dira le contraire se trompe, et nest pas dans la vérité. Il faut que jaille, en suivant ses traces de la manière et au moment quil plaira à son ineffable bonté; et vous, comme ma bonne et douce Mère, vous devez être contente et ne pas vous affliger de souffrir toute sorte de peines pour lhonneur de Dieu, pour votre salut et pour le mien. Rappelez-vous ce que Vous faisiez pour les biens temporels, lorsque vos enfants séloignaient de vous pour acquérir des richesses; et maintenant que cest pour acquérir la vie éternelle vous en souffrez tant que vous dites que vous allez mourir si je ne vous réponds pas bien vite. Cela vient de ce que vous aimez plus la partie de moi-même que jai tirée de vous que celle qui me vient de Dieu, cest-à-dire la chair dont vous mavez revêtue. Elevez, élevez donc un peu votre cur et votre amour vers la douce et très sainte Croix, qui adoucit toute peine, Consentez à souffrir un peu de peine passagère pour éviter [1181] la peine infinie que méritent nos péchés; fortifie-vous dans lamour de Jésus crucifié, et ne croyez pas être abandonnée de Dieu, ni de moi. Vous serez consolée, et vous le serez abondamment. La peine nest pas si grande que sera grande la joie. Nous reviendrons avec la grâce de Dieu; et nous serions déjà de retour, sans lobstacle que nous a causé la maladie grave de Néri (Cette lettre est écrite de Gênes, où Nèri fut guéri miraculeusement par les prières de sainte Catherine. (Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. VIII.). Maître Jean et frère Barthélemy aussi ont été malades. Je termine. Nous nous recommandons à vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXVI (170). A SUR CATHERINE, SOEUR URSULE, et aux autres dames de Pise. - Lâme unie à Dieu par la charité ne peut en être séparée par aucune tribulation et par aucune attaque du démon.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mes Filles bien-aimées dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baignées et anéanties dans le sang de lAgneau immolé, parce que je vois que dans ce sang, nous avons la vie. Aussi je veux, mes très chères Filles, que vous ouvriez loeil de votre intelligence pour regarder dans le [1182] vase de la connaissance de vous-mêmes. Oui vous trouverez en vous un vase qui reçoit le glorieux et précieux sang, parce quau sang est uni la nature divine mêlée au feu de la charité; et laine qui regarde dans le vase de la connaissance de soi-même trouve ce sang, que Dieu a donné par le moyen de son Fils. Mais parce que ce sang na été versé que pour le péché, lâme y trouve la connaissance de soi-même ; et en se voyant pleine de défauts, elle voit encore dans ce sang la divine justice; car cest pour punir le péché commis que ce sang a été répandu. Alors lâme comprend que léternelle volonté de Dieu ne cherche et ne veut autre chose que sa sanctification; sil avait voulu autre chose que notre bien, il ne nous eût pas donné ainsi la vie. 2. Contemplez-vous dans le sang que vous trouverez en vous-mêmes. Fixez, fixez loeil de votre intelligence sur la puissance du Père, que vous trouvez dans ce sang par lunion de la nature divine à la nature humaine. Vous y trouverez encore la sagesse du Fils et dans cette sagesse vous connaîtrez son éternelle et souveraine bonté et notre profonde misère, parce que vous trouverez la clémence de lEsprit-Saint, qui a été le lien qui unit Dieu à lhomme et lhomme à Dieu, et qui a cloué et fixé le Verbe sur le bois de la très sainte Croix. Cest ainsi que votre volonté fortifiera et augmentera son amour, et vous vous lierez tellement avec Jésus crucifié, que ni le démon ni les créatures ne pourront jamais vous en Séparer; mais tout ce qui vous arrivera de contraire vous fortifiera dans lamour et lunion de Dieu et du prochain, car la vertu séprouve [1183] par les contraires, et plus lâme est éprouvée, plus son union avec le Créateur est parfaite. Il vous semble quelquefois que les tribulations vous séparent de lunion et de la vertu il nen est rien; elles sont même un moyen daccroître cette union et cette vertu; car lâme sage qui est revêtue du sang de Jésus crucifié, quand elle se voit persécutée et foulée aux pieds par le monde, se sépare davantage du monde; et si ce sont des combats qui viennent du démon, ils sont cause quelle shumilie, quelle secoue le sommeil de la négligence et quelle arrive à un zèle plus parfait. Si vous êtes sages et prudentes, ces épreuves dissiperont toute ignorance, et vous concevrez une connaissance et une lumière qui vous procureront la grâce davoir non seulement la lumière en vous, mais encore de la répandre au dehors par vos exemples et le reflet de vos vertus sur toutes les autres créatures; et vous accomplirez ainsi la parole de notre Sauveur, qui nous commande dêtre une lampe ardente qui répand la lumière et non les ténèbres. 3. Ainsi donc, mes Filles bien-aimées, que je ne vous trouve plus endormies dans les ténèbres de lamour-propre; mais soyez remplies dun amour ineffable qui vous fera chercher vous-mêmes pour Dieu, le prochain pour Dieu, et Dieu pour Dieu, car il est léternelle et souveraine Bonté, digne dêtre aimée et de nêtre pas offensée par nous. Je termine. Aimez-vous les unes les autres, mes très chères et bien-aimées Filles, et liez-vous par les liens dune véritable et ardente charité. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1184].
CCXVII (171). A FRANÇOISE, fille de François Tholomei, religieuse de lordre de Saint-Dominique, lorsquelle était malade.- De la patience dans les infirmités, et les épreuves que Dieu lui envoie. Cette patience sacquiert par lamour et la considération de la divine bonté. (Françoise Tholomei fut convertie par les exhortations de sainte Catherine. avec sa sur Ginocchia. Elles prirent lhabit de tertiaire, et moururent en odeur de sainteté. (Vie de sainte Catherine, Ire p., ch. VII.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang. avec le désir de te voir une vraie et sainte patience, afin que tu portes avec courage la maladie et tout ce que Dieu permet quil tarrive, comme doit le faire une véritable servante et épouse de Jésus crucifié. Oui, lépouse ne doit pas oublier la volonté de son époux. Mais remarque bien, ma très chère Fille, que jamais ta volonté ne sera unie et soumise à celle de Dieu, si tu ne regardes pas, à la lumière de la très sainte Foi, combien tu as été aimée de lui ; en te voyant aimée, tu ne pourras tempêcher de laimer, et en laimant, tu détesteras la sensualité, qui rend impatiente lâme qui laime; et dès que tu la détesteras tu deviendras patiente, parce que tu te connaîtras à la lumière. Mais où trouveras-tu cet amour? Dans le sang de lhumble Agneau sans tache, qui, pour laver [1185] la face de son Epouse, a couru à la mort. honteuse de la Croix; et par le feu de sa charité il la purifiée de sa faute, en la lavant dans leau du saint baptême. Ce baptême nagit en nous que par la vertu du Sang, et le Sang a été la couleur qui a rendu vermeille la face de lâme, quavait rendue toute pâle la faute dAdam. Tout cela sest fait par amour. 2. Tu vois donc que le sang te montre lamour de Dieu pour toi. Il est léternel Epoux qui ne meurt jamais; il est la souveraine sagesse, la souveraine puissance, la souveraine clémence, la souveraine bonté, tellement que le soleil lui-même est ravi de sa beauté. Il est la souveraine pureté, ai bien que plus lâme qui est son épouse, sapproche de lui, plus elle devient pure et libre de tout péché, plus elle respire le parfum de la virginité; et aussi lépouse, qui voit combien il aime la pureté, sapplique à sapprocher de lui pal le moyen qui peut lunir plus parfaitement à lui. Quel est ce moyen? Cest la prière humble, fidèle et persévérante. Je dis humble, par la connaissance delle-même; persévérante, par la persévérance des saints désirs, et fidèle par la connaissance que tu asile Dieu, en voyant quil est fidèle et quil peut te donner ce que tu demandes; car il est la souveraine sagesse qui sait, et la souveraine clémence qui veut te donner plus que ta ne sais demander. 3. Quand ainsi tu seras parvenue à une patience parfaite, en tout lieu, en tout temps, en tout état que tu te trouves et que tu te trouveras, dans la maladie ou dans la santé, dans les combats ou dans le repos, il ne faudra pas croire que les épreuves souillent lâme quand la volonté ne les reçoit avec aucun [1186] plaisir. Si lâme sent que la volonté ne les aime pas elle doit prendre courage, et ne pas se laisser aller au trouble et aux ennuis de lesprit; mais elle doit voir que Dieu les permet pour lui donner lhumilité, pour la conserver et laugmenter en elle. Je veux que tu fasses ainsi. Réjouis-toi, réjouis-toi, ma Fille, de ce que Dieu, dans sa miséricorde ta jugée digne de souffrir pour lui; pense que tu nen as pas digne et en le faisant, tu te soumettras en toute chose à la volonté de ton doux Epoux, tu accompliras en toi la volonté de Dieu et le désir de mon âme; car je tai dit que je désirais te voir une véritable et sainte patience; je ten conjure et je le veux. Que ton très doux Epoux veuille bien ten faire la grâce pour encore un peu de temps. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXVIII (172). A SOEUR JEANNE DE CAPO, et à sur Françoise, à Sienne.- De la vertu de charité et de ses effets. (Jeanne de Capo était disciple de sainte Catherine, et laccompagna lorsque le Pape Grégoire XI lenvoya négocier la paix à Florence. Elle fut guérie miraculeusement du mal de pied qui lempêchait de marcher. (Vie de sainte Catherine, Iie p., ch. XI)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mes très chères et bien-aimées Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine la servante et [1187] lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir toutes enflammées et consumées du feu de la divine charité, de sorte que tout amour-propre, toute froideur de cur, toutes ténèbres desprit soient bannis de vos âmes. Cest là leffet de la divine charité, qui agit sans cesse et ne se lasse jamais. Elle est comme lusurier, qui gagne toujours avec le temps : sil dort il gagne, sil mange il gagne; quoi quil fasse il gagne, et ne perd jamais le temps; ce nest pas lusurier, cest le trésor du temps qui rapporte. Ainsi fait lépouse qui aime le Christ, lorsquelle est enflammée de la divine charité; elle gagne toujours, et nest jamais oisive; elle dort, et la charité travaille; quelle mange, quelle dorme, quelle veille, tout lui profite. O charité pleine de joie ! tu es cette mère qui nourrit les enfants des vertus sur ton sein; tu es plus riche que toutes les richesses; et lâme qui se revêt de toi ne peut être pauvre. Tu lui donnes la beauté, car tu la rends une même chose avec toi, puisque, comme dit saint Jean, Dieu est charité, et celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu en lui (1 Jn 4,16). 2. O Filles bien-aimées! la joie, le bonheur de mon âme, regardez lexcellence et la dignité que vous avez reçues de Dieu par le moyen de cette mère, la charité. Si lamour que Dieu a eu pour sa créature la forcé de nous tirer de lui-même, et de nous donner son image et sa ressemblance, cest uniquement pour que nous soyons heureux, pour [1188] que nous le goûtions, et pour que nous participions à son éternelle beauté. Il ne nous a pas fait des animaux sans intelligence et sans mémoire, mais il nous a donné la mémoire pour retenir ses bienfaits, lintelligence pour comprendre son éternelle volonté, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification, et la volonté pour laimer. Le regard de lintelligence comprend que la volonté du Verbe est que. nous suivions la voie de la très sainte Croix, en supportant les peines, les mauvais traitements, les mépris, les injures pour Jésus crucifié, qui est en nous et nous fortifie; la volonté se lève aussitôt, embrasée par le feu de la charité, et elle court aimer ce que Dieu aime, haïr ce que Dieu hait, si bien quelle ne veut chercher, désirer et embrasser que léternelle et souveraine volonté de Dieu. Parce quelle a vu et compris que Dieu ne veut que notre bien, et quil aime à être suivi dans. la voie de la Croix, elle est contente et se réjouit de ce que Dieu permet; elle accepte la maladie, la pauvreté, les injures, ou des commandements insupportables et indiscrets; elle se réjouit de toutes ces choses, pares quelle voit que Dieu les permet pour son utilité et sa perfection. 3. Et je ne métonne pas si elle est libre de toute peine, car elle a éloigné delle la chose qui cause la peine, cest-à-dire sa volonté fondée sur lamour-propre, et quelle a revêtu la volonté de Dieu, fondée sur la charité. Si vous me dites : Ma Mère, comment nous en revêtir? Je vous répondrai Par la haine et par lamour. Lamour vous revêtira damour. Celui qui prend un vêtement se dépouille du vieux [1189] par haine, et il prend le nouveau par amour; et, mes chères Filles, est-ce ce vêtement qui revêt? Non, cest lamour; car le vêtement ne changerait pas si la créature nen voulait pas, un autre par amour. Où pourrons-nous trouver cette haine? dans la seule connaissance de nous-mêmes. En voyant votre néant vous perdrez tout orgueil, et vous concevrez unè humilité sincère. Cette connaissance fait trouver la lumière et la grandeur de la bonté de Dieu, et son ineffable et salutaire charité, qui ne nous est pas cachée. Elle était cachée à nos esprits grossiers avant que le Verbe, le Fils unique de Dieu, sincarnât; mais depuis quil a voulu être notre frère en se revêtant de notre grossière humanité, il sest manifesté à nous, et il a été élevé de terre pour que le feu de son amour fût aperçu de toute créature, et quil attira par sa force tous les curs. Oui, il est bien vrai que lamour transforme, et quil fait une seule chose de celui qui aime et de celui qui est aimé. 4. Appliquez-vous donc, mes chères Filles, à étendre les bras de votre amour, pour prendre et retenir dans votre mémoire ce qua compris votre intelligence. De cette manière, vous accomplirez le désir de Dieu et le mien en vous. Je vous verrai embrasées, consumées, revêtues du feu de la divine charité. Faites, faites que vous vous nourrissiez du précieux Sang, pour que notre moment vienne bientôt. Ne vous étonnez pas si nous ne sommes pas encore venues; nous viendrons bientôt, sil plaît à la bonté divine - Le service de lEglise et la volonté du Saint-Père ont un peu retardé mon arrivée. Je vous [1190] conjure et je vous commande, mes Filles et mes Fils, de prier, doffrir vos saints et ardents désirs en la présence de Dieu pour la sainte Eglise, car elle est bien persécutée. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXIX (173).- A LA MEME SOEUR JEANNE, et à ses autres filles, à Sienne.- De la mansuétude de Jésus-Christ; de la douceur quil nous a enseignée par son exemple.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chères et bien-aimées Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Dieu, je vous écris et vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, lAgneau doux et sans tache, qui fut immolé, non par la force des clous et de la lance, mais par la force de lamour et de la charité infinie quil avait et quil a pour la créature. O charité ineffable de notre Dieu! vous mavez enseigné votre doux amour, et vous me lavez montré non seulement par des paroles, car vous disiez que vous saimiez pas beaucoup les paroles, mais encore par des actes qui vous plaisent davantage, et que vous demandez de vos serviteurs. Et que mavez-vous enseigné, charité incréée de mon Dieu? Vous mavez enseigné que je devais souffrir patiemment comme lAgneau, non seulement les paroles dures, mais encore les persécutions injustes[1191], les injures et les mauvais traitements. Et vous voulez quà son exemple je sois innocente et sans tache, cest-à-dire sans nuire au prochain ni à aucun de mes frères, non seulement à ceux qui ne me persécutent pas, mais à ceux qui maccablent dinjures; et vous voulez que nous priions pour eux comme pour des amis choisis qui nous ont été toujours bons et profitables. Non seulement vous voulez que nous soyons patients et doux au milieu des injures et des pertes temporelles, mais généralement dans tout ce qui est contraire à notre volonté, comme vous-mêmes vous navez voulu faire en rien votre volonté, mais celle de votre Père. Comment donc pourrions-nous nous révolter contre la Bonté divine? En voulant laccomplissement de notre volonté coupable. Comment ne voudrions-nous pas laccomplissement de la volonté de Dieu? 2. O très doux Amour Jésus ! faites que toujours votre volonté saccomplisse en nous comme elle est accomplie dans le ciel par les anges et par les saints. Cest cette douceur, mes bien-aimées Filles dans le Christ Jésus, que notre doux Sauveur veut trouver en vous. Oui, que votre cur calme et tranquille soit content de tout ce que Dieu ordonne et fait à notre égard. Ne voulons pas le lieu et le temps selon notre caprice, mais- acceptons-les selon son bon plaisir; et alors notre âme, ainsi dépouillée de tout vouloir et revêtue de la volonté de Dieu, est très agréable à Dieu, son maître. Et comme un cheval libre, elle court avec ardeur, de grâce en grâce, de vertu en vertu ; aucun frein, aucun lien ne lempêche de courir, car elle a coupé lappétit déréglé et le [1192] désir de la volonté, qui sont les freins et les liens qui empêchent lâme de courir dans les voies spirituelles. 3. Les affaires de la croisade vont de mieux en mieux, et lhonneur de Dieu grandit chaque jour. Et vous, grandissez sans cesse en vertu; approvisionnez le vaisseau de vos âmes, car notre temps sapproche. Prenez courage, et bénissez Françoise de la part de Jésus-Christ et de la mienne; dites-lui quelle travaille avec zèle, pour que je la trouve grandie en vertu quand je reviendrai. Bénissez et encouragez tous mes enfants dans le Christ. Ces jours-ci est arrivé lambassadeur de la reine de Chypre, qui sest entretenu avec moi (Eléonore, reine de Chypre, fille du prince dAntioche, et veuve du roi Pierre Ier, gouvernait cette île pendant la minorité de son fils. Elle était particulièrement intéressée à la croisade, parce quelle était plus exposée que tout autre aux attaques des infidèles.); il va trouver le Saint-Père, le Christ sur terre, pour le presser au sujet de la croisade. Le Saint-Père a aussi envoyé à Gênes pour presser à ce sujet. Que notre doux Sauveur vous donne son éternelle bénédiction. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1193].
CCXX (174). A CATHERINE DE LHOPITAL, et à Jeanne de Capo. Combien il faut déplorer les outrages contre Dieu et contre lEglise. (Dello spedallucio. Ce petit hôpital, situé prés du couvent de Saint-Dominique, servait autrefois aux religieux de lOrdre. Il était sans doute occupé, au XIVe siècle, par les tertiaires malades. Cette compagne de sainte Catherine vivait encore à lépoque du procès de Venise, en1411. Le P. Thomas Caffarini en parle avec éloges dans sa déposition.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mes très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de nous voir affermies dans une patience véritable et dans une humilité profonde, afin que vous puissiez suivre le doux Agneau sans tache, car vous ne pouvez pas le suivre dune autre manière. Voici le moment, mes chères Filles, de montrer si nous avons des vertus, et si vous êtes ses enfants. Il faut souffrir avec patience les persécutions, les calomnies, les injures et les outrages de toutes les créatures; il faut le faire avec une humilité sincère, sans se scandaliser, simpatienter, sans lever la tête avec orgueil contre personne. Vous savez bien que cest la doctrine qui nous a été donnée, et que cest sur la Croix quil faut se nourrir de lhonneur de Dieu et du salut des âmes avec une [1194] vraie et sainte patience. Oh! oui, mes douces Filles, je vous invite de la part de la Vérité suprême à éloigner de vous le sommeil de la négligence et de lamour-propre, et à offrir dhumbles et continuelles prières dans les veilles et la connaissance de vous-mêmes; car le monde périt sous le poids de ses iniquités et par les outrages quil fait à la douce Epouse du Christ. Rendons honneur à Dieu et service au prochain. Hélas! vous et les autres servantes de. Dieu, ne pensez quà sacrifier votre vie dans les soupirs et dans les larmes, car il ny a pas dautre moyen dapaiser la colère de Dieu que nous voyons prête à éclater sur nous. 2. O mes Filles, que je suis à plaindre! je crois que cest moi, misérable, qui suis cause de tous ces maux par mon ingratitude et les fautes que jai commises envers mon Créateur. Hélas! hélas! quel est ce Dieu, qui est offensé par ses créatures? Cest Celui qui est léternelle Bonté, Celui dont la charité a créé lhomme à son image et ressemblance, et le fait renaître à la grâce, après son péché, dans le sang du tendre Agneau sans tache, son Fils unique. Et quel est cet homme mercenaire et ignorant qui offense son Créateur? Nous sommes ceux qui ne serions rien par nous-mêmes, si Dieu ne nous avait pas créés; et par nous-mêmes, nous sommes pleins de misère, et il semble que nous ne cherchons que les moyens doffenser Dieu et la créature en haine du Créateur. Nous voyons de nos yeux misérables persécuter dans la sainte lEglise de Dieu, ce précieux sang qui nous a donné la vie. Que nos curs se brisent donc dans langoisse du désir ! Que la vie [1195] quitte nos corps ! il vaut mieux mourir que de voir tant doutrages contre Dieu. Moi, je meurs toute vivante, et je demande la mort à mon Créateur sans pouvoir lobtenir; il me serait meilleur de mourir que de vivre, pour ne pas voir cette grande ruine qui afflige et qui menace encore les chrétiens. Servons-nous des armes de la sainte prière, car je ne vois pas dautres ressources. Voici le temps de la persécution pour les serviteurs de Dieu, qui doivent se cacher dans les cavernes de la connaissance deux-mêmes, en criant miséricorde vers Dieu par les mérites du sang de son Fils. Je ne veux pas en dire davantage; car si je mécoutais, mes Filles, je ne finirais pas, tant que Dieu me laisserait un souffle de vie. 3. Maintenant je te dirai, Andréa, que ce nest pas celui qui commence qui reçoit la couronne de gloire, mais celui qui persévère jusquà la mort. O ma Fille ! tu as commencé à mettre la main à la charrue de la vertu en téloignant du péché mortel et de son vomissement; il faut donc persévérer pour recevoir la récompense de la peine que souffre ton âme, en voulant réprimer sa jeunesse, et lempêcher de devenir un membre du démon. Hélas! ma Fille, tu ne penses pas que tu serais un membre du démon, si tu tendormais dans la fange de limpureté. La miséricorde de Dieu a retiré ton âme et ton corps des misères où tu étais plongée. Il ne faut pas être oublieuse et ingrate, parce quil tarriverait malheur, et que le démon reviendrait avec sept compagnons plus terribles que la première fois. Tu montreras que tu as reconnaissante de la grâce que tu [1196] as reçue, en étant forte contre les attaques du démon, contre le monde et la chair qui te tourmentent, en persévérant dans la vertu. Ma Fille, si tu veux triompher dans les combats, attache-toi à larbre de la très sainte Croix par labstinence, par les veilles et la prière; baigne-toi par le saint désir dans le sang de Jésus crucifié. Tu acquerras ainsi la vie de la grâce, tu feras la volonté de Dieu, tu satisferas lardent désir que jai de te voir une véritable servante de Jésus crucifié. Oui, je ten conjure, sors de lenfance, et prends pour époux le Christ, qui ta rachetée de son sang. Si tu veux vivre dans le monde, Il faut attendre que tu puisses le faire comme le veut lhonneur de Dieu et ton bien. Sois soumise et obéissante jusquà la mort, et nabandonne jamais la direction de Catherine et de Jeanne. Je sais quelles ne te conseilleront et ne te diront jamais rien qui ne soit utile à lhonneur de Dieu et au salut de ton âme et de ton corps. Si tu ne le fais pas, jen aurai un grand chagrin, et ta en retireras peu de profit. Jespère de la bonté de Dieu que tu agiras de telle manière, que Dieu y trouvera son honneur, toi une récompense, et moi une grande consolation, Catherine et Jeanne, je vous recommande bien de travailler à lhonneur de Dieu et à son salut jusquà la mort. Mes douces Filles, voici le moment de. peines, et ces peines deviennent des consolations par Jésus crucifié. Je marrête. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1197].
CCXXI (1175).- A CATHERINE DE LHOPITAL, et à Jeanne, à Sienne. - Combien il est nécessaire de se dépouiller de notre volonté.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des filles obéissantes et unies dans une vraie et parfaite charité. Lobéissance et lamour dissiperont vos peines et vos ténèbres; car lobéissance détruit ce qui cause vos peines, cest-à-dire la volonté propre et mauvaise qui meurt dans la sainte et véritable obéissance. Les ténèbres sont dissipées et consumées par le feu de la charité et de lunion, car Dieu est la charité véritable et léternelle lumière. Celui qui prend pour guide cette lumière ne peut se tromper de chemin. Aussi je veux, mes très chères Filles, puisque cela est si nécessaire, que vous vous appliquiez à perdre vos volontés et à acquérir cette lumière. Cest cette doctrine que je me rappelle bien vous avoir toujours donnée, quoique vous layez peu retenue. Ce que vous navez pas fait, très douces Filles, je vous conjure de le faire, et si vous ne le faites pas, vous maffligerez beaucoup, moi, misérable, qui suis digne de toute peine. Il nous faut faire ce que firent [1198] les saints Apôtres, lorsquils eurent reçu le Saint-Esprit ils se séparèrent les uns des autres et de leur douce Mère Marie. Nous pouvons croire que tout leur bonheur était dhabiter ensemble, et pourtant ils renoncèrent à. ce bonheur pour chercher lhonneur de Dieu et le salut des âmes; et quand Marie les quitta, ils ne pensèrent pas que son amour diminuerait et quils en seraient oubliés. Cest la règle quil faut prendre pour nous-mêmes. 2. Je sais la grande consolation que vous donne ma présence; mais, pour pratiquer la véritable obéissance, Vous devez, pour lhonneur de Dieu et le salut des âmes, ne pas chercher votre propre consolation, et ne pas donner prise au démon, qui vous fait croire que vous êtes privées de laffection et de lamour que jai pour vos âmes et vos corps. Sil en était autrement, vous nauriez pas raison, car je vous assure que je ne vous aime que pour Dieu. Pourquoi donc ressentir une peine déraisonnable pour des choses quil faut faire nécessairement? Oh comment ferons-nous donc dans les grandes circonstances, si nous faiblissons ainsi dans les petites? Dieu nous unit et nous sépare, selon que le moment le demande. Notre doux Sauveur veut et permet que nous soyons séparés pour son honneur. Vous êtes à Sienne; Cecca et Nonna sont à Montepulciano ; frère Barthélemi et frère Matthieu ont été vous rejoindre, et resteront; Alessia et soeur Bruno sont à Montjove, éloigné de dix-huit milles de Montepulciano; elles restent avec la comtesse et avec Mme Isa; frère Raymond, frère Thomas, soeur Thomme, Lisa et moi, nous sommes à la Roche, parmi les brigands, et nous avons tant de démons incarnés à [1199] manger (Expression ordinaire à sainte Catherine, qui exhortait tout le monde à se nourrir des âmes sur la table de la sainte Croix. Elle employait ses disciples à la conversion des pécheurs. (Vie de sainte Catherine; 110 p.., ch. 7.), que frère Thomas prétend quil en a mal à lestomac, et pourtant il ne peut sen rassasier. Ils y prennent profit de plus en plus, et ils sont bien récompensés de leurs peines. Priez la Bonté divine de leur donner de bons morceaux, bien doux et bien amers; pensez que lhonneur de Dieu et le salut des âmes y gagnent beaucoup. Pouvez-vous vouloir ou désirer autre chose? En le faisant, vous ne pourrez faire une chose qui soit plus agréable à léternelle volonté de Dieu et à la mienne. Courage donc, mes Filles; commencez à faire le sacrifice de vos volontés à Dieu, et ne demandez pas toujours le lait des enfants, lorsquil faut avec les dents du désir, mordre du pain dur et même moisi, sil en est besoin. Je termine. Liez-vous dans les doux liens de la charité; vous montrerez par là que vous êtes mes Filles, et pas autrement. Prenez courage dans le Christ, le doux Jésus, et fortifiez toutes mes autres filles, etc. Nous reviendrons le plus tôt que nous pourrons, selon le bon plaisir de la Bonté divine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1200].
CCXXII (176).- A SOEUR ALESSIA, et à soeur Cecca .- De la persévérance, et des deux manières de la perdre, et de séloigner de la perfection. (Soeur Alessia ou Alexis fut une des plus fidèles compagnes de sainte Catherine; elle était de Sienne, et de la famille de Saracini. Devenue veuve elle consacra tous ses biens aux bonnes uvres, et revêtit lhabit des tertiaires de Saint-Dominique. Le B. Raymond en fait léloge dans sa Légende, IIIe p., ch. 1. La soeur Cecca ou Francesca était veuve de Clément Gori, noble siennois. Ses quatre enfants entrèrent dans lordre de Saint-Dominique. Elle mourut à Rome, en 1383, et fut enterrée dans léglise de la Minerve.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constantes et persévérantes dans la vertu, afin que vous ne tourniez pas la tête en arrière pour regarder la charrue. On peut regarder en arrière de deux manières. Dabord, lorsquune personne qui est sortie de la fange du monde, tourne la tête pour le plaisir de sa volonté, et fixe le regard de son intelligence sur ce quelle avait abandonné; celle-là navance pas, et retourne à son vomissement pour reprendre ce quelle avait rejeté. Aussi le Christ dit que a personne ne doit se tourner en arrière pour regarder la charrue, cest-à-dire ne pas se tourner pour regarder ses plaisirs [1201] passés, ni se complaire dans ce quon a fait soi-même, mais lattribuer à la bonté de Dieu. Il faut donc avancer par la persévérance dans la vertu, et ne pas se tourner en arrière, mais vers la connaissance de soi-même, où se trouve la grandeur de la bonté de Dieu. Cette connaissance dépouille lâme de lamour-propre et la revêt dune sainte haine et dun amour de Dieu qui fait chercher uniquement Jésus crucifié; non pas les créatures, les choses créées ou soi-même, dune manière sensible, mais le seul Jésus crucifié, dont on aime et on désire les opprobres. 2. Celui qui sy applique et qui arrache la racine de lamour-propre marche en avant et ne tourne pas la tête en arrière; mais si cette racine nest pas entièrement arrachée spirituellement et temporellement, il tournera bientôt la tête de la seconde manière: Sil le fait cette fois, ce nest pas pour les délices du monde; quand lAme a commencé à mettre la main à la charrue de la perfection, cette perfection consiste principalement à se renoncer en toute chose et à tuer sa volonté, plus encore dans les choses spirituelles que dans les choses temporelles, car lâme a rejeté les choses temporelles, mais elle sapplique aux choses spirituelles. Dans cet état de perfection, lâme aime véritablement son Créateur et les créatures pour lui, plus ou moins, selon quelles laiment. Je dis donc que si la racine de lamour-propre nest pas entièrement arrachée de cette âme, elle tournera la tête en arrière de la seconde manière, et elle nuira à sa perfection car, ou elle lui nuit en aimant la créature sans mesure, tandis quelle devrait seulement aimer Dieu ainsi, et aimer [1202] la créature comme le veut et le demande le Créateur; ou elle ralentira son amour envers la créature, quelle aimait particulièrement. Cette diminution de lamour, qui vient de la faute de ceux quon aime, ne peut exister sans diminuer lamour quon a pour Dieu; mais quand elle arrive aux murmures, au scandale par léloignement de la personne quon aime, ou par la privation de la consolation, elle devient coupable, et ceux qui agissent ainsi tournent la tête en arrière en ralentissant la charité envers le prochain. 3. Ce nest donc pas là le chemin de la perfection, mais cest la persévérance. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir constantes et persévérantes dans la vertu. Jai vu que vous étiez au milieu des loups menaçants, et quaucune de vous nétait forte et ne faiblissait pas; jai vu tourner la tête en arrière à celles que je croyais capables de lutter contre les vents et de résister à tout jusquà la mort; je croyais quelles ne détourneraient pas, non seulement le visage, mais encore le regard. Cest une preuve que la racine nest pas entièrement arrachée; car, si elle était arrachée, nous ferions ce que doivent faire les vrais serviteurs de Dieu, que les épines, les ronces, les murmures, les conseils, les créatures, les menaces et la crainte des parents ne font jamais reculer; nous suivrions Jésus crucifié dans la prison et dans la mort, nous suivrions ses traces en portant le joug de la vraie et sainte obéissance à la règle. Je ne dis pas cela pour moi, car si ces personnes voulaient mobéir, je ne le voudrais pas. Non, je ne men afflige pas pour moi, mais pour le tort quelles font à la perfection [1203] de leur âme; car, pour moi, jen profite; cest encore un moyen de connaître mon ignorance et lingratitude, qui mempêchent de bien choisir le moment et de comprendre les grâces que jai reçues de mon Créateur; elle me font donc pratiquer la vertu. Mais je nai pas voulu me taire, parce que la mère est obligée de dire ce qui est utile à ses enfants. Je vous ai enfantées, vous et les autres, avec bien des larmes et bien des sueurs; et je vous enfanterai jusquà la mort, comme Dieu men fera la grâce dans ces jours de douce solitude que Dieu donne, à moi et à cette pauvre famille de la Vérité suprême. Il semble quil veut que je renouvelle les provisions du vaisseau de mon âme, en ne recevant de consolation que de mon Créateur, et en mappliquant à chercher et à connaître la douce vérité, en criant et en priant en la présence de Dieu pour le salut du monde entier. Que Dieu nous donne, à vous, à moi et à tous, la grâce de le faire avec un grand zèle. 4. Recommandez à Theopento quil prie Dieu pour nous, maintenant quil est dans sa cellule, pendant que nous sommes voyageurs et pèlerins sur cette terre, où nous goûtons le lait et les épines de Jésus crucifié. Dites-lui quil lise cette lettre. Que celui qui a des oreilles écoute, que celui qui a des yeux voie, que celui qui a des pieds marche sans tourner la tête en arrière; oui, quil marche en avant, à la suite de Jésus crucifié, et que ses mains accomplissent de saintes et vraies bonnes uvres, fondées sur Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1204].
CCXXIII (177).- A SOEUR ALESSIA.- De la manière darriver à la perfection.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, etc., moi, ton indigne et misérable Mère, je désire que tu arrives à la perfection pour laquelle Dieu ta choisie. Il me semble que pour y arriver, il faut marcher avec ordre, et non pas sans direction; il faut faire toutes nos uvres avec mesure et sans mesure. Il convient daimer Dieu sans mesure; lamour que nous avons pour lui doit être sans bornes, sans limites, sans exception; mais pour arriver à la perfection de lamour, il faut régler ta vie. La première règle est de fuir la conversation de toute créature, à moins que la charité ne le réclame; il faut aimer beaucoup le prochain et le rechercher peu; et même, avec les personnes que tu aimes dun amour spirituel, il faut parler avec mesure. Si tu ne le fais pas, pense que cet amour sans mesure que tu dois avoir pour Dieu en souffrira, car sa créature finie lui sera un obstacle. Tu laimeras de lamour sans mesure que tu devais à Dieu; ce sera un obstacle à ta perfection, car, même spirituellement, tu dois aimer avec mesure. 2. Que ton amour soit comme un vase que tu emplis dans une fontaine, et qui te sert à boire dans [1205] cette fontaine (Dialogue ch. LXIV). Si tu retires ton amour de Dieu, qui est la fontaine deau vive, si tu ne bois pas continuellement en lui, ton vase deviendra vide; ce sera une preuve que tu ne bois pas pleinement en Dieu. Quand la personne que tu aimes te cause quelque peine, ou par les rapports que tu as avec elle, ou par la privation des consolations que tu avais lhabitude den recevoir, ou par quelques autres circonstances qui se présentent, si tu souffres alors dautre chose que de loffense qui est faite à Dieu, cest une preuve manifeste que cet amour est encore imparfait, et que tu bois hors la fontaine. Comment donc rendre parfait cet amour, qui est imparfait? Le moyen est de corriger et de châtier les mouvements de ton cur par la connaissance de toi-même, par la haine et le mépris de ton imperfection, cest-à-dire en te reprochant dêtre assez grossière pour donner à la créature lamour que tu devais tout entier à Dieu, pour aimer la créature sans mesure, et Dieu avec mesure. Car lamour de la créature doit avoir pour mesure celui de Dieu, et non les consolations spirituelles ou temporelles. Ainsi, efforce-toi daimer tout en Dieu et de corriger tes affections mal réglées. 3. Fais-toi, ma Fille, deux habitations: lune dans ta cellule, pour ne pas aller causer de tous les côtés, et pour nen sortir que par nécessité, par obéissance à la prieure, ou par charité. Fais-toi une autre habitation spirituelle que tu porteras toujours avec toi cest la cellule de la vraie connaissance de toi-même. Tu y trouveras la connaissance de la bonté de Dieu [1206] à ton égard; ce sont deux cellules dans une; et, en étant dans une, il ne faut pas quitter lautre, car lâme tomberait ainsi dans le trouble ou la présomption. Si tu ne connaissais que toi-même, tu tomberais dans le découragement; si tu ne connaissais que la bonté divine, tu tomberais dans la présomption. Il faut donc que les deux connaissances soient unies lune à lautre et ne fassent quune même chose. En agissant ainsi, tu arriveras à la perfection; car, par la connaissance de toi-même, tu acquerras la haine de ta propre sensualité, et par cette haine tu deviendras un juge, tu tassoiras sur le tribunal de ta conscience; tu jugeras et tu ne laisseras passer aucun défaut sans en faire justice. 4. Cette connaissance est la source de lhumilité, qui ne se glorifie et ne se scandalise aussi de rien; mais lâme est patiente, et supporte avec joie les injures, la perte des consolations et toutes sortes de peines, de quelque côté quelles viennent. La honte lui paraît une gloire, et les grandes persécutions un repos ; elle sen réjouit, parce quelle y voit la punition de cette loi mauvaise de la volonté sensitive qui se révolte toujours contre Dieu, et parce quelle devient semblable à Jésus crucifié, qui est la voie et la doctrine de la vérité. Dans la connaissance de Dieu tu trouveras le feu de la divine charité. 5. Où seras-tu heureuse? sur la Croix avec lAgneau sans tache, en cherchant son honneur et le salut des âmes par dhumbles et continuelles prières. Cest là quest toute notre perfection. Il y a encore bien des choses à faire, mais celle-là est la principale; et nous [1207] en recevons tant de lumières, que nous ne pouvons nous tromper dans les petites actions qui en dépendent. 6. Réjouis-toi, ma Fille, de partager les opprobres du Christ, et veille sur les mouvements de ta langue pour quelle ne réponde pas quelquefois aux mouvements de ton cur; mais cache ce que tu as dans le cur, par haine et par mépris pour toi-même. Fais que tu sois la plus petite des plus petites ; soumets-toi avec patience et humilité à toute créature pour Dieu. Ne texcuse pas, mais reconnais ta faute; tu triompheras ainsi du vice dans ton âme et de celle de la personne à laquelle tu parles avec humilité. Règle bien ton temps; veille la nuit après avoir pris le sommeil nécessaire à ton corps, et le matin va prier à lEglise sans toccuper de frivolités jusquà lheure fixée. Ne change rien à tout ton règlement, si ce nest par nécessité, par obéissance ou par charité. Après lheure des repas, recueille-toi un peu, puis occupe-toi de quelque travail manuel qui pourra têtre utile. A lheure de vêpres, tu iras sans tarrêter, et tu feras ce que le Saint-Esprit te fera faire; mais tu reviendras, et tu soigneras ta vieille mère avec zèle, tu la fourniras de tout ce dont elle a besoin; cest là ton devoir. Tâche dici à mon arrivée de faire tout ce que je désire. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1208].
CCXXIV (178). A SUR ALESSIA, de lOrdre de Saint-Dominique, pendant quelle était à La Roche. Il faut, à la lumière de la Foi, suivre la voie de Jésus-Christ.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE. 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir suivre la doctrine de lAgneau sans tache, dun cur libre et dépouillé de la créature, et revêtu du Créateur, à la lumière de la très sainte Foi; car sans cette lumière tu ne pourras marcher dans la voie droite de lAgneau sans tache immolé pour nous. Oui, mon âme désire vous voir toi et les autres, fortes et courageuses, ne tournant pas la tête au moindre vent qui souffle. Prends garde de tourner la tête en arrière, mais va toujours devant toi en te rappelant la doctrine qui ta été donnée. Visite chaque jour le jardin de ton âme à la lumière de la Foi, pour en arracher les épines qui étoufferaient la bonne semence, et pour remuer la terre, cest-à-dire pour dépouiller ton cur. Ce dépouillement est absolument nécessaire. Bien souvent jai vu ceux qui semblaient dépouillés, et je les ai trouvés vêtus, en marrêtant plus à leurs uvres quà leurs paroles: les paroles trompent souvent, mais les uvres montrent la réalité. Je veux donc que ta sois véritablement dépouillée, pour suivre [1209] Jésus crucifié: et tâche surtout dhabituer ta bouche au silence. Je me suis aperçue, il me semble, que ta compagne ne lobservait pas bien. Cest pour moi un grand chagrin; si mon Créateur veut que je laie, je le supporterai avec joie, mais je ne puis être contente de loffense qui est faite à Dieu. 2. Tu mécris quil semble que Dieu te pousse dans loraison à prier pour moi; jen rends grâce à la Bonté divine, qui témoigne tant damour à mon âme si misérable. Tu me dis de técrire si je suis dans la peine, et si jai ressenti mes infirmités habituelles. Je te répondrai que Dieu a pourvu à tout, à lintérieur; et à lextérieur, pour le corps, il y a pourvu très bien pendant lAvent, en adoucissant les peines par des lettres. Il est vrai que la Bonté divine a voulu que les peines fussent plus graves quà lordinaire; mais, si elle les a rendues plus graves, elle a voulu aussi que Lisa fût guérie en même temps que frère Santi, qui était malade et sur le point de mourir (Vie de Sainte Catherine, Iie p., ch. 8). Maintenant sa santé sest améliorée comme par miracle, et on peut dire quil est guéri. 3. Il semble que mon Epoux, qui est la Vérité éternelle, a voulu faire une douce expérience à lintérieur et à lextérieur de moi-même, sur les choses qui se voient et qui ne se voient pas; et celles qui ne se voient pas sont bien plus nombreuses que celles, qui se voient; mais il a mis tant du sien dans cette expérience, que la langue est incapable de le raconter. Aussi je veux que les peines soient ma nourriture, les larmes mon breuvage; et les sueurs mes parfums [1210]. Oui, je veux que les peines mengraissent; les peines me guériront, les peines me donneront la lumière, les peines couvriront ma nudité, les peines me dépouilleront de tout amour-propre spirituel et temporel. La peine que ma causée la privation de la consolation de toute créature, ma rappelé mon manque de vertu, et ma fait connaître mon imperfection et la lumière parfaite de la douce vérité de Celui qui veille sur tout, et qui sarrête aux saints désirs et non pas aux personnes. Il na pas retiré sa bonté de dessus moi, malgré mon ingratitude, mon peu de lumière, mon ignorance; mais il na écouté que lui-même, et il est souverainement bon. 4. Je te prie par lamour de Jésus crucifié, ma Fille bien-aimée, de ne pas ralentir tes prières, de les redoubler même, car jen ai plus grand besoin que tu ne crois. Remercie aussi la bonté de Dieu pour moi, et demande-lui quil me fasse la grâce de donner ma vie pour lui, quil môte sil lui plaît le fardeau de mon corps, car ma vie nest guère utile aux autres; elle est plutôt pénible et à charge à tout le monde, de loin et de près, à cause de mes péchés. Que Dieu, dans sa bonté, me délivre de mes nombreux défauts, et que, pendant le peu de temps qui me reste, il me fasse vivre tout embrasée de lamour de la vertu. Que joffre dans mes peines, de douloureux et ardents désirs en sa présence, pour le salut de tous les hommes et pour la réforme de la sainte Eglise. Réjouis-toi, réjouis-toi sur la Croix avec moi, car la Croix est un lit où se repose lâme, une table où elle savoure la nourriture et le fruit de la patience dans le calme et la paix [1211]. 5. Ce que tu mas écrit ma beaucoup consolée. Jespère que cette personne changera de vie, et quelle ne se conduira plus avec la vanité du cur quelle a eue jusquà présent. Quant aux enfants qui marchent à la lumière du saint baptême, que Dieu leur donne sa très douce grâce; mais quil leur donne la mort, sils ne doivent pas être bons. Bénis-la, et encourage-la dans le Christ, le doux Jésus. Dis-lui quelle vive dans la sainte et douce crainte de Dieu, et quelle lui soit reconnaissante de la grâce quelle a reçue ; cette grâce nest pas petite, mais bien grande. Si elle était ingrate, elle déplairait bien à Dieu, et peut-être quelle serait bientôt punie. 6. Je vous recommande ceux que vous savez. Je nen ai eu aucune nouvelle, et je nen sais pas la raison. Que la volonté de Dieu soit faite. Notre Sauveur ma placée dans une 11e que les vents frappent de tous les côtés. Réjouis-toi de tout en Jésus crucifié; il nous éloigne lune de lautre. Renferme-toi dans la cellule de la connaissance de toi-même. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXXV (179).- A LA MEME SUR ALESSIA.- Du désir de souffrir pour Dieu, et du renoncement à la volonté propre.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs [1212] de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir la servante et lépouse de ton Créateur, afin que tu ne te sépares jamais de la vérité, mais que par amour pour la vérité tu désires souffrir, sans être coupable, jusquà la mort, parce que dans les peines et les épreuves, lâme détruit sa volonté sensitive et sunit davantage à son Créateur, en nayant quune volonté avec lui. Il faut donc souffrir et nous perdre nous-mêmes; nous nous rendrons ainsi capables doffrir dhumbles et continuelles prières en présence de Dieu, pour son honneur et pour le salut des âmes. 2. Nous devons être avides de savourer cette douce et glorieuse nourriture. Mais prends garde, ma Fille bien-aimée, de ne pas te tromper ; tu te tromperais, si tu voulais manger à la table du Père, et si tu voulais éviter la table du Fils; cest sur cette table quil faut manger, car rien ne peut sacquérir sans peine, et le Père ne peut connaître la peine, mais seulement le Fils. Et comme sans peine nous ne pouvons traverser cette mer orageuse, le doux et tendre Verbe, qui connaît la peine, nous a tracé notre voie, notre règle; il a préparé notre chemin avec son sang. Ne dormons donc pas, nous les esclaves rachetées par le sang du Christ, ai nous voulons être ses épouses fidèles; mais secouons le sommeil de la négligence, et courons par cette voie de Jésus crucifié avec de tendres et ardents désirs. Ce nest plus le moment de dormir, car nous voyons le monde dans une misère plus grande que jamais. Aussi je te conjure et je te commande de renouveler tes gémissements et tes désirs, en priant beaucoup, pour le salut de tous les [1213] hommes, pour la réforme de la sainte Eglise, afin que Dieu, dans sa bonté, fasse au Saint-Père la grâce daccomplir ce quil a commencé; car, daprès ce qui mest écrit de Rome, il parait quil se met à loeuvre généreusement, et quil veut sappliquer à gagner les âmes (La lettre est de 1377, date du retour de Grégoire XI à Rome). Je connais son saint désir, et jai lespérance, si mes péchés ny mettent pas obstacle, que la paix se fera bientôt. Je ne te dis quune chose, cest de crier avec une foi vive en la présence de Dieu. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXXVI (180).- A SOEUR ALESSIA, et à quelques autres de ses filles de Sienne, le jour de la Conversion de Saint-Paul.- Il faut détruire la volonté propre poursuivre la vérité à la lumière de la très sainte roi.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Bien-aimée Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir toutes suivre et aimer la vérité. Oui, que loeil de lamour sensitif soit obscurci et perdu en vous, et que loeil de lintelligence soit éclairé de lumière de la très sainte Foi, afin que vous puissiez dire en Vérité, avec le glorieux saint Paul [1214], lorsque votre volonté sera morte : " Seigneur, que voulez-vous que je fasse? " Dites-moi ce que vous voulez que je fasse, et je le ferai. O mes Filles bien-aimées, je vous promets que si vous faites sincèrement cette réponse à notre Créateur, vous vous trouverez monter avec saint Paul au troisième ciel, par le moyen de la sainte Trinité, cest-à-dire que votre mémoire se remplira des bienfaits de Dieu, et que vous participerez à la puissance du Père, qui vous rendra fortes et patientes contre le démon, contre votre faiblesse et contre les persécutions du monde; et en supportant ces attaques avec patience, vous en triompherez. Votre intelligence goûtera et verra son objet, cest-à-dire la sagesse du Fils de Dieu, et vous recevrez de cette sagesse la lumière surnaturelle; votre volonté sera liée dans les liens du Saint-Esprit, abîme de charité, et par cette charité, vous concevrez un tendre et ardent désir pour lhonneur de Dieu et le salut des âmes. 2. Et en étant ainsi doucement élevées par le moyen de la Trinité, en participant à la puissance du Père, à la sagesse du Fils, à la clémence du Saint-Esprit, comme nous lavons dit, vous pleurerez avec un amour et une douleur immenses sur le Fils de lhumanité, qui est mort, sur le corps mystique de la sainte Eglise et sur moi, votre ignorante et misérable mère. Oui, mes chères Filles, ayez compassion de mes iniquités, qui sont cause de tout le mal qui se fait dans le monde, et surtout de loutrage commis contre la douce Epouse du Christ. Dieu pourvoira à tant de maux. Je suis certaine, et cest ce qui me soutient, que la Providence ne nous manquera pas, et il me semble [1215] quelle se manifeste déjà. Aussi, mes très chères Filles, je vous conjure et je vous ordonne de vous plonger et de vous anéantir dans le sang de lAgneau sans tache; offrez en sa présence dhumbles et continuelles prières. Je ne vous dis pas autre chose, si ce nest que Dieu vous donne son éternelle bénédiction; et moi, de sa part, je vous donne la mienne. 3. Aimez-vous, aimez-vous les unes les autres; et toi, Alessia, ma Fille bien-aimée, je te dis de tenivrer, toi et les autres, de ce sang, et de ne te nourrir que de ce sang. Je prie la souveraine et éternelle Vérité, la douce Bonté divine, de répandre en toi et dans les autres, une telle abondance de sa grâce, quen tout et pour tout je voie ta volonté morte et anéantie, afin que je puisse me glorifier de toi et des autres en présence de Dieu, et rendre gloire et honneur à son nom. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXXVII (181).- A LA MEME SUR ALESSIA, lorsque la sainte était à Florence.- Les épouses du Christ doivent prier pour la sainte Eglise, et faire prier aussi les autres.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux [1216] sang, avec le désir de te voir, toi et les autres épouses et servantes fidèles de Jésus crucifié, renouveler sans cesse vos gémissements pour lhonneur de Dieu, le salut des âmes et la réforme de la sainte Eglise. Cest maintenant le temps de vous renfermer dans la connaissance de vous-mêmes, dans les veilles et la prière, car le soleil va bientôt se lever, puisque laurore commence à paraître. Laurore est venue, puisque les ténèbres des péchés mortels de ceux qui disaient et entendaient publiquement lOffice se dissipent, et que linterdit est observé malgré ceux qui voulaient lempêcher. Grâces, grâces en soient rendues à notre doux Sauveur, qui ne méprise pas les humbles prières, les larmes et les ardents désirs de ses serviteurs. Puisque non seulement il ne les méprise pas, mais quil les écoute, je vous invite à prier et à faire prier la Bonté divine de nous donner bientôt la paix, afin que Dieu soit glorifié, que tout le mal cesse, et que nous nous trouvions ensemble pour raconter les uvres admirables de Dieu. 2. Courage donc, et ne dormez plus: secouez k sommeil de la négligence; faites faire des prières spéciales dans les monastères, et dites à notre Prieure quelle fasse prier toutes ses filles pour la paix, afin que Dieu nous fasse miséricorde, et que je ne revienne pas avant. Quelle prie pour moi, sa misérable fille, pour que Dieu me fasse la grâce daimer, dannoncer toujours la vérité, de mourir pour la vérité. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1217].
CXXVIII (182). A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- La charité sacquiert par la connaissance de soi-même, et se montre par la charité à légard du prochain. AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir liée par les liens de la divine charité. Ce sont ces liens qui ont attaché et cloué lHomme-Dieu sur le bois de la très sainte Croix, car les clous nauraient pas pu le retenir, si lamour ne lavait pas attaché. Ce sont aussi ces doux liens qui lient lâme à Dieu et la rendent une même chose avec lui dans lunion de lamour. O doux et tendre amour, qui purifie lâme et dissipe les nuages de la passion sensitive, pour éclairer loeil de lintelligence et lui faire contempler léternelle Vérité ! Il remplit la mémoire des grâces et des dons que lâme reçoit de son Créateur, et lâme devient reconnaissante des bienfaits quelle a reçus, et se rassasie de ses doux et tendres désirs. Aussi le saint Prophète disait : " Mes soupirs sont une nourriture, et mes larmes un breuvage. " Qui le faisait gémir et pleurer? Lamour, ce lien si suave et si doux. Oui, ma très chère Fille, puisquil est si doux, si agréable et si nécessaire, il ne faut plus dormir; il faut se lever [1218] avec un vrai et saint désir, avec zèle, il faut le chercher avec courage. 2. Et si vous me demandez, Où pourrai-je le trouver? Je vous répondrai dans la cellule de la connaissance de vous-même, où vous trouverez lamour ineffable que Dieu vous porte; car cest par amour que Dieu vous a créée à son image et ressemblance; cest par amour quil vous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils unique. Lorsque vous aurez trouvé et connu lamour que vous avez en vous-même, vous ne pourrez vous empêcher de laimer; et la preuve que vous aurez trouvé et conçu est amour, cest que vous serez liée par les liens de la charité à votre prochain, que vous aimerez et servirez avec ardeur; car le bien et les services que nous ne pouvons rendre à Dieu, nous devons les rendre à notre prochain, supportant avec une vraie patience toutes les peines que nous recevons de lui: cest le signe que nous aimons Véritablement notre Créateur, et que nous sommes liés du doux lien dont je vous parle. Nous ne pourrons participer autrement à la grâce, ni atteindre le but pour lequel nous avons été créés. Aussi je disais que je désire vous voir liée des liens de la charité divine. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1219].
CCXXIX (183). - A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- Des vertus de Marie-Madeleine et de sainte Agnès, quil faut imiter.
QUE SOIT LOUE NOTRE DOUX SAUVEUR 1. Cest à vous, bien chère et bien-aimée Fille Agnès, et à mes autres Filles, que moi, Catherine, la servante inutile de Jésus-Christ, jécris avec amour et désir, me rappelant la parole du Maître. Jai désiré avec désir vous voir unies et transformées dans cet ardent et parfait amour, comme la fait Madeleine, qui eut le zèle dun apôtre, et dont lamour fut si grand, quelle ne soccupa plus daucune chose créée. O mes bien-aimées Filles, apprenez de sainte Agnès cette vraie et sainte humilité; elle voulait toujours sabaisser elle-même, en se soumettant à toute créature pour Dieu, et en reconnaissant que toutes les grâces et les vertus lui venaient de Dieu. Cest ainsi quelle conservait en elle la vertu dhumilité. Je dis quelle brûla encore de la vertu de charité, recherchant toujours lhonneur de Dieu et le salut des âmes, se donnant toujours elle-même dans la prière, avec une charité tendre et généreuse, pour toute créature, et elle montrait ainsi lamour quelle avait pour son Créateur. Elle eut aussi un zèle continuel et persévérant, et jamais les démons et les créatures ne lui firent abandonner sa vie sainte [1220]. 2. O très douce vierge, comme vous vous accordiez bien avec Madeleine, cet ardent disciple de Jésus-Christ ! Car remarquez-le, mes Filles bien-aimées, Madeleine shumilia et se connut elle-même; elle se reposa avec tant damour aux pieds de notre doux Sauveur! Et si nous disons quelle lui montra beaucoup damour, nous le voyons bien à la sainte Croix du Calvaire; car elle ne redoute pas les Juifs, elle ne craint rien pour elle-même; mais, dans son transport, elle court, elle embrasse la Croix, et il nest pas douteux que pour voir son Maître, elle fut tout inondée de sang. Madeleine senivra damour, et montra combien elle était passionnée pour son Maître; elle le montra à ses créatures par ce quelle fit après la Résurrection, lorsquelle prêcha dans la ville de Marseille (Voir lexcellent ouvrage de M. labbé Faillon : Monuments inédits sur lapostolat de sainte Marie-Madeleine en Provence.). Je vous dis aussi quelle eut la vertu de persévérance, et elle le montra, cette douce Madeleine, lorsquelle chercha son doux Maître, et quelle ne le trouva pas dans son lieu ou on lavait placé. O Madeleine! vous étiez folle damour, vous naviez plus votre cur, car il était enseveli avec votre doux Maître, avec notre doux Sauveur; mais vous avez pris le bon moyen pour trouver le doux Jésus; vous persévérez et vous napaisez pas votre immense douleur. Oh! que vous faites bien, car vous voyez que cest la persévérance qui vous a fait trouver votre Maître. 3. Vous voyez, mes très chères Soeurs, comment [1221] ces deux bien-aimées Mères et Soeurs saccordent ensemble. Aussi je vous conjure et je vous commande dentrer dans cette sainte voie; en vous y maintenant, de quelque côté que vous tourniez, vous trouverez la vertu, et vous serez alors tellement liées, que vous ne pourrez plus fuir. Je vous commande particulièrement, à vous, sur Agnès, ma Fille, de vous unir à cette sainte vierge Agnès. Encouragez et bénissez, de la part de Jésus et de la mienne, soeur Raniera et mes autres Filles; bénissez et encouragez Catherine Gheto mille fois de ma part, de celle de soeur Alessia et de toutes les autres. Savez-vous que lenvie me prend de dire : Faisons ici trois tentes, car il me semble que cest un paradis dêtre avec ces saintes religieuses. Elles nous aiment tant, quelles ne veulent pas nous laisser partir, et quelles se lamentent toujours de notre départ. Nous avons reçu votre lettre. Bénissez ma fille Catherine, et dites-lui quelle prie Dieu de la remplir de vertus, pour la rendre digne dêtre au nombre de ces saintes femmes. Encouragez-vous toutes de la part de Jésus crucifié et de sa nouvelle épouse. Voilà Cecca presque religieuse, car elle commence à bien chanter loffice avec les servantes de Jésus-Christ [1222]. CCXXX (184).- A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- De la vertu de patience, et de deux sortes dimpatience.
1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie patience; car je considère que sans la patience, nous ne pouvons plaire à Dieu. Si limpatience plaît beaucoup aux démons et à la sensualité, si elle se livre à la colère lorsquelle na pas ce quelle désire, elle déplaît, au contraire, beaucoup à Dieu. Cest parce que la colère et limpatience sont la moelle de lorgueil, quelles plaisent tant au démon. Limpatience perd le fruit de ses peines; elle prive lâme de Dieu, elle lui fait goûter les arrhes de lenfer, et la conduit enfin à la damnation éternelle. Dans lenfer, la volonté perverse brûle avec la colère, la haine et limpatience elle brûle et ne se consume pas, mais elle se renouvelle sans cesse et ne diminue jamais aussi je dis quelle ne se consume pas. La grâce est bien consumée et détruite dans lâme, mais son être nest pas consumé, et sa peine dure éternellement. Les saints disent que les damnés demandent la mort, et ne peuvent lobtenir, car lâme ne meurt jamais elle meurt bien à la grâce par le péché mortel, mais elle ne meurt pas à lexistence [1223]. 2. Il ny a aucun vice et aucun péché qui, dans cette vie, fassent goûter les arrhes de lenfer comme la colère et limpatience. Lâme quelles possèdent éprouve la haine de Dieu ét lhorreur du prochain; elle ne veut pas et ne sait pas supporter les défauts des autres; tout ce quon lui dit ou ce quon lui fait la met hors delle-même, et elle se laisse emporter par la colère et limpatience comme la feuille par le vent. Elle devient insupportable à elle-même, parce que la volonté mauvaise la ronge toujours et lui fait désirer ce quelle ne peut avoir; elle oublie la volonté de Dieu et la raison. Tout cela est produit par larbre de lorgueil, dont la moelle est la colère et limpatience. Lhomme devient un démon incarné, et il est plus terrible davoir à combattre les démons visibles que les démons invisibles : toute créature raisonnable doit les éviter. 3. Mais remarquez quil y a deux sortes dimpatience. La première est une impatience générale quéprouvent les hommes du monde, et qui leur vient de lamour déréglé quils ont pour eux-mêmes et pour les choses temporelles quils aiment en dehors de Dieu; et pour les avoir, ils ne craignent pas de perdre leur âme et de la livrer entre les mains du démon. Ce mal est sans remède, si celui qui a offensé Dieu, ne le reconnaît pas et ne coupe pas cet arbre avec le glaive dune humilité sincère. Cette hum lité nourrit la charité dans lâme; et la charité est un arbre damour dont la moelle est la patience et la bienveillance pour le prochain. Car, comme limpatience montre plus quaucun autre vice que lâme est privée de Dieu, parce quelle est [1224] la moelle de larbre de lorgueil, de même la patience montre mieux et plus parfaitement quaucune autre vertu que Dieu est par sa grâce dans lâme. Je parle de la patience produite par larbre de la charité; de la patience qui, par amour pour son Créateur, méprise le monde et linjure, de quelque côté quelle vienne. Je disais que la colère et limpatience étaient de deux sortes, générale ou particulière. 4. Nous avons vu limpatience générale; je vais maintenant parler de limpatience particulière, de limpatience de ceux qui ont méprisé le monde, mais qui veulent être serviteurs de Jésus crucifié à leur manière, cest-à-dire à cause du plaisir et de la consolation quils trouvent en lui. Il en est ainsi perce que la volonté propre spirituelle nest pas morte en eux, et ils demandent à Dieu quil leur distribue les consolations et les tribulations à leur manière, et non à la sienne; et ils deviennent ainsi Impatients quand ils éprouvent le contraire de ce que veut la volonté propre spirituelle. Cest là un rejeton dorgueil qui sort du véritable orgueil, comme un arbre pousse un sauvageon qui en paraît séparé, mais qui tire cependant sa substance du même arbre. Il en est ainsi de la volonté propre de lâme qui veut servir Dieu à sa manière, et qui, ne le pouvant pas, en conçoit de la peine; et cette peine la conduit à limpatience; elle devient insupportable à elle-même, et ne se plaît plus au service de Dieu et du prochain. Si quelquun vient pour lui demander conseil ou protection, elle ne lui fait que des reproches, et ne sait pas compatir à ses besoins [1225]. Tout cela vient de la volonté sensitive spirituelle, qui sort de larbre de lorgueil. Cet arbre a été taillé, mais non pas arraché il est taillé, lorsquon éloigne son désir du monde et quon le place en Dieu; mais on le place imparfaitement, et il reste la racine, qui donne un sauvageon. 5. On le voit dans les choses spirituelles. Si la consolation divine manque, si lesprit dévient sec et stérile, lâme se trouble et safflige sous des apparences de vertu - Il lui semble quelle est privée de Dieu; elle murmure contre lui et voudrait lui donner des lois, tandis que si elle avait été sincèrement humble, avec la haine véritable et la connaissance delle-même, elle se serait jugée indigne de la visite intérieure de Dieu, et elle se serait trouvée digne de la peine quelle souffre quand elle se voit privée de la consolation de Dieu, mais non pas de sa grâce. Elle souffre alors, parce quil aurait fallu couper, trancher, pour que la volonté spirituelle ne souffrit pas sous prétexte de craindre doffenser Dieu, mais à cause de sa sensualité. Au contraire, lâme humble qui a généreusement arraché la racine de lorgueil par lamour, anéantit sa volonté, et ne cherche toujours que lhonneur de Dieu et le salut des âmes; elle ne sinquiète pas des peines, et reçoit avec plus de reconnaissance dans son esprit le trouble que le repos. Elle reçoit avec un saint respect ce que Dieu lui donne et lui envoie pour son bien, afin de la retirer de limperfection et de la conduire à la perfection. Cest la voie pour ly conduire, car cest ce qui lui fait mieux connaître ses défauts et la grâce de Dieu, quelle trouve en elle-même par la bonne volonté [1226] que Dieu lui a donnée en lui inspirant lhorreur du péché. La vue de ses faiblesses et de ses fautes passées et présentes lui fait concevoir la haine contre elle-même, et lamour de léternelle volonté de Dieu. Elle souffre avec respect, et elle est contente de souffrir au dedans et au dehors, comme Dieu le veut, afin daccomplir et de revêtir la douce volonté de Dieu. Elle se réjouit de tout, et plus elle se voit privée de ce quelle aime, de la consolation de Dieu ou des créatures, plus elle est heureuse. 6. Il arrive souvent que lâme a des affections spirituelles, et si elle ne trouve pas auprès des personnes quelle aime la consolation et le plaisir quelle voudrait, ou sil lui semble que ces personnes aiment plus et fréquentent plus les autres, elle tombe dans la peine et lennui. Elle murmure contre le prochain, elle juge mal les pensées et les intentions des serviteurs de Dieu, surtout celles des personnes qui lui causent de la peine. Elle devient impatiente, elle pense ce quelle ne devrait pas penser; elle dit ce quelle ne devrait pas dire, et elle veut user à leur égard dune fausse humilité qui a lapparence de la véritable, mais qui est fille de lorgueil, qui en est le rejeton Elle se dit à elle-même : Je ne veux pas faire de bruit et me fâcher contre eux; je resterai bien calme, et je ne veux causer de peine ni à eux ni à moi. Elle tombe ainsi dans un coupable dédain, et ce dédain nourrit les faux jugements de son coeur et les murmures de sa langue. Elle ne devrait pas faire ainsi; car jamais, par ce moyen, elle narrachera la racine, elle ne détruira le rejeton qui [1227] empêche lâme darriver à la perfection quelle désirait atteindre; mais elle doit, avec un cur libre, avec une sainte haine delle-même, avec un ardent désir de lhonneur de Dieu et du salut des âmes, et avec lamour de la vertu, sasseoir à la table de la très sainte Croix pour y prendre la divine nourriture. Elle doit, avec peine et sueur, chercher à acquérir la vertu, et non les consolations de Dieu et des créatures. Elle doit suivre les traces et la doctrine de Jésus crucifié, en se disant avec reproche Tu ne dois pas, mon âme, puisque tu es un membre de Jésus-Christ, passer par une autre voie que ton chef. Il nest pas convenable de voir des membres délicats sous un chef couronné dépines. 7. Si par sa propre fragilité ou par les artifices du démon, les orages du cur sélèvent, comme nous lavons dit, ou dune autre manière, lâme doit alors monter sur le tribunal de sa conscience et juger avec justice, sans laisser passer rien dimpuni, par la haine et le mépris delle-même. Cest ainsi quelle arrachera la racine de lorgueil; elle chassera avec le mépris delle-même le mépris du prochain, saffligeant plus des pensées et des mouvements déréglés de son cur que de la peine que lui ont causée les créatures, ou des injures et des désagréments quelle en a reçus. Cest là le doux et saint moyen que prennent ceux qui sont tout embrasés de Jésus-Christ, parce que cest ainsi quils arrachent la racine de lorgueil et quils détruisent la moelle de limpatience, qui plaît tant, comme nous lavons vu, au démon, car cest le principe et la cause de tout péché; et par contre, ce qui plaît beaucoup au démon [1128] déplaît beaucoup à Dieu. Dieu a en horreur lorgueil, et il aime lhumilité. 8. Il aima tant lhumilité de Marie, quil fut forcé par sa bonté à lui donner le Verbe son Fils unique, et ce fut cette douce Mère qui nous le donna. Vous savez bien que jusquau moment ou Marie montra son humilité et sa volonté en disant Ecce ancilla Domini: Voici la servante du Seigneur, quil me soit fait selon votre parole, le Fils de Dieu ne s incarna pas; mais, dès quelle eut parlé, elle reçut et conçut en elle le doux Agneau sans tache. La douce Vérité suprême a voulu nous montrer ainsi combien est excellente cette petite vertu, et combien reçoit lâme qui offre et donne avec humilité sa volonté au Créateur. Cest ainsi quil faut recevoir, dans le temps des épreuves et des persécutions, les injures, les outrages et les mauvais traitements; il faut les recevoir du prochain, ainsi que les combats intérieurs et la perte des consolations spirituelles et temporelles du Créateur et des créatures. Le Créateur nous en ôte la douceur lorsquil en retire le sentiment de lesprit, et quil semble que Dieu nest plus dans lâme, tant elle éprouve de combats et de peines. Les créatures nous en privent dans leurs rapports et leurs conversations, lorsquil semble que nous les aimons plus que nous nen sommes aimés. Dans toutes les circonstances, lâme parfaite doit dire avec humilité Seigneur, voici votre servante, quil me soit fait selon votre volonté, et non selon ce que ma sensualité demande. Elle répand ainsi le parfum de la patience dans ses rapports avec le Créateur, avec les créatures et avec elle-même; elle [1229] goûte la paix et le repos desprit. Dans la guerre elle a trouvé la paix et le repos desprit, parce quelle a détruit en elle la volonté propre fondée sur lorgueil. Elle a conçu dans son âme la grâce divine; elle porte au fond de son cur Jésus crucifié, elle se réjouit dans les plaies de Jésus crucifié, elle ne cherche à savoir autre chose. que Jésus crucifié, et son lit est la Croix de Jésus crucifié. Cest là quelle anéantit sa volonté, et quelle devient humble et patiente. 9. Il ny a pas dobéissance sans humilité, et il ny a pas dhumilité sans charité. Tout cela se trouve dans le Verbe; car cest lobéissance à son Père et lhumilité qui lont fait courir et la mort honteuse de la Croix; il sy est attaché avec les clous et les liens de la charité, en souffrant avec une si grande patience, quon nentendit jamais sortir de sa bouche le moindre murmure. Les clous étaient insuffisants pour soutenir et fixer sur la Croix lHomme-Dieu, si lamour ne ly avait retenu. Lâme le comprend bien, et elle ne se plaît quavec Jésus crucifié. Sil lui était possible dacquérir la vertu, de fuir lenfer et davoir la vie éternelle sans peine, en goûtant ici-bas toutes les consolations spirituelles et temporelles, elle ne le voudrait pas, mais elle aimerait mieux mériter le ciel en souffrant jusquà la mort pour pouvoir ressembler à Jésus crucifié, et se revêtir de ses opprobres et de ses peines; et cest ce quelle a trouvé à la table de lAgneau sans tache. O glorieuse vertu ! qui ne voudrait donner mille fois sa vie et souffrir toutes sortes de tourments pour tacquérir? Tu es une reine qui possède le monde [1230] entier; tu habites dans le ciel, car lâme qui est revêtue de toi sur cette terre, tu la fais vivre par lamour avec les bienheureux. Puisque cette vertu est si excellente, si agréable à Dieu, si utile à nous-mêmes et au salut du prochain, secouez donc, ma chère Fille, le sommeil de la négligence et de lignorance; bannissez la faiblesse de votre cur; néprouvez de peine et dimpatience dans aucune chose que Dieu permet. Nous ne tomberons, par ce moyen, ni dans limpatience générale, ni dans limpatience particulière dont je vous ai parlé; mais nous servirons notre doux Sauveur généreusement, avec liberté de cur, avec une parfaite et sincère patience. Si nous faisons autrement, nous perdrons la grâce dans la première impatience; la seconde empêchera notre perfection, et vous n'arriverez pas où Dieu vous appelle. 10. Il me semble que Dieu vous appelle à une grande perfection; et je le crois, parce quil vous ôte tous les liens qui pouvaient vous arrêter. Jai appris quil avait appelé à lui votre fille; cétait votre dernier lien extérieur. Je men réjouis avec une sainte compassion. Dieu vous a dégagée, en la délivrant elle-même des peines de la vie. Je veux donc maintenant que vous détruisiez entièrement la volonté propre, pour ne vous attacher quà Jésus crucifié. De cette manière, vous accomplirez ma volonté et mon désir; et cest pour cela que, ne connaissant pas dautre voie pour le faire, je vous ai dit que je désirais vous voir fondée dans la vraie et sainte patience, car sans elle nous ne pourrons pas atteindre notre douce fin. Je termine [1231]. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXXXI (185). - A UNE SOEUR du Tiers-Ordre de Saint-Dominique, appelée Catherine de Scetto.- Les vertus sacquièrent par lamour de Dieu, et se montrent par la charité envers le prochain.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Sur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir véritablement la servante et lépouse de Jésus crucifié. Nous devons être ses. servantes, car nous avons été rachetées par son sang. Je ne vois pas en quoi nous pourrions lui être utiles, mais nous devons être utiles à notre prochain; cest le moyen de pratiquer et dacquérir la vertu. Tu sais que toute vertu reçoit la vie de lamour. Et lamour sacquiert dans lamour, cest-à-dire en élevant le regard de notre intelligence, et en regardant combien nous sommes aimés de Dieu. En nous voyant aimés, nous ne pourrons nous empêcher daimer; et en laimant, nous embrasserons les vertus par amour, et nous fuirons le vice avec haine. Tu vois que nous concevons les vertus en Dieu, et que nous, nous les enfantons dans le prochain. Tu sais bien que des besoins de ton prochain [1232] tu fais naître la charité qui est dans ton âme; tu reçois de lui la patience dans linjure, et tu pries particulièrement pour ceux qui toutragent. 2. Nous devons agir de la sorte. Si les autres nous sont infidèles, nous devons leur être fidèles, et nous devons chercher avec zèle leur salut; il faut les aimer gratuitement, et non par réciprocité. Oui, prends garde daimer ton prochain par intérêt; ce ne serait pas là un amour fidèle, et cet amour ne répondrait pas à lamour que Dieu te porte. Dieu ta aimée gratuitement, et il veut que cet amour que tu ne peux lui rendre, tu le rendes à ton prochain, en laimant dun amour gratuit et non pas intéressé. Sil tinjurie, ou bien si tu vois diminuer laffection quil te portait ou le plaisir et le profit que tu en retirais, tu ne dois pas moins laimer par charité en supportant ses défauts: tu dois surtout aimer avec respect et joie les serviteurs de Dieu. Prends garde de faire comme ces insensés qui prétendent examiner et juger la conduite et les actes des serviteurs de Dieu. Celui qui fait cela mérite un châtiment sévère. Cest comme si nous voulions donner une règle et des lois à lEsprit-Saint, en voulant conduire les serviteurs de Dieu daprès nos idées; cela ne peut jamais se faire. Pense que lâme qui tombe dans de pareils jugements na pas encore arraché la racine de lorgueil, et ne possède pas en elle pour le prochain la véritable charité, qui consiste à laimer dun amour gratuit et désintéressé. Aimons donc, et ne jugeons pas les serviteurs de Dieu. Il faut aimer généralement aussi toutes les créatures raisonnables. Ceux qui sont privés de la grâce, nous [1233] devons les aimer avec douleur et regret de leurs fautes, car ils offensent Dieu et leur âme. Tu ressembleras ainsi à lardent apôtre saint Paul, qui pleurait avec ceux qui pleuraient, et qui se réjouissait avec ceux qui se réjouissaient. Tu pleureras avec ceux qui sont dans un état déplorable, par désir de lhonneur de Dieu et de leur salut, et tu te réjouiras avec les serviteurs de Dieu qui se réjouissent et goûtent Dieu par amour. 3. Tu vois donc que dans la charité nous concevons les vertus, et que dans la charité du prochain nous les enfantons. Si tu aimes ainsi ton prochain généreusement, sans aucun amour trompeur, sans aucun intérêt spirituel ou temporel, tu seras une vraie servante de Dieu, et tu répondras par le moyen de ton prochain à lamour que te porte ton Créateur. Tu seras une épouse fidèle et non pas infidèle; lépouse manque à la foi de son époux quand elle donne à une autre créature lamour quelle devrait lui donner. Tu es lépouse; tu vois bien que le Fils de Dieu nous a tous épousés dans la Circoncision; il nous a donné sa chair comme un anneau pour montrer quil voulait épouser- lhumanité. Et toi, en voyant cet amour ineffable, tu dois aimer aussitôt ce qui est hors de Dieu; tu dois te faire la servante de ton prochain, et le servir en toute chose autant que tu le pourras. Si tu es lépouse du Christ, tu dois être la servante du prochain; cest le moyen dêtre épouse fidèle, car lamour que nous portons à Dieu ne peut lui servir et lui être utile, et nous devons servir alors notre prochain avec un sincère et tendre amour. Nous ne pouvons servir Dieu dune [1234] autre manière et dans une autre forme. Cest pourquoi je tai dit que je désirais te voir la vraie servante et lépouse de Jésus crucifié. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXXXII (1224).- A MESSIRE LAURENT DU PIN, de Bologne, docteur en décrétales.- De la vérité éternelle que nous a manifestée Jésus-Christ en nous rachetant de nos péchés. De la différence quil y a entre celui qui hait la vérité et celui qui laime. (Laurent du Pin fut un jurisconsulte célèbre, qui enseigna dans luniversité de Bologne, depuis 1365 jusquen 1391. Il fut un des Anciens du gouvernement en 1367, et fit partie du conseil des Quatre-Cents, en 1370. Lannée suivante il fut des quatre députés chargés de faire la paix avec Grégoire XI, et ce fut lui qui répondit, en 1380, aux ambassadeurs de lantipape, qui cherchèrent inutilement à détacher la ville de Bologne du parti dUrbain VI. Il a laissé des écrits très savants sur les décrétales.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir aimer et suivre la vérité, et méprise le mensonge. Mais cette vérité, on ne peut lavoir et laimer, si on ne la connaît pas. Qui est la vérité ? Dieu est léternelle et suprême [11235] Vérité. En qui la connaîtrons-nous? Dans le Christ, le doux Jésus. Cest avec son sang quil nous a manifesté la vérité du Père. Sa vérité à notre égard, cest quil nous a créés à son image et ressemblance, pour nous donner la vie éternelle et nous faire participer à sa félicité parfaite. Mais, par la faute de lhomme. cette vérité ne saccomplit point en lui; et cest pourquoi Dieu nous a donné le Verbe, son Fils, et lui a imposé la tâche de rétablir lhomme dans la grâce en souffrant beaucoup, en expiant le péché sur lui-même, et en lui manifestant sa vérité dans son sang. Ainsi, par lamour ineffable que Dieu lui a montré au moyen du sang de Jésus-Christ, lhomme connaît quil ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Cest pour cette fin que Dieu nous a créés; et tout ce quil donne et ce quil permet dans cette vie, cest pour que nous soyons sanctifiés en lui. Celui qui connaît cette vérité ne loublie pas, mais il la suit toujours et laime, marchant sur les traces de Jésus crucifié, Et, comme ce doux et tendre Verbe, pour nous enseigner et nous donner lexemple, a méprisé le monde et ses délices, et a voulu souffrir la faim, la soif, les opprobres, les affronts, jusquà la mort honteuse de la Croix, pour honorer son Père et nous sauver, ainsi fait celui qui aime la vérité, quil a connue à la lumière de la très sainte Foi; car sans cette lumière, il ne pourrait la connaître, mais avec elle il la connaît ; en la connaissant il laime, et il aime aussi ce que Dieu aime, et déteste ce que Dieu déteste. 2. Il y a une grande différence entre celui qui aime la vérité et celui qui la déteste. Celui qui déteste la [1236] vérité est celui qui est plongé dans les ténèbres du péché mortel; il déteste ce que Dieu aime, et il aime ce que Dieu déteste. Dieu déteste le péché, les jouissances coupables et les plaisirs du monde; et lui, les aime et sen repaît au milieu des misères du monde; il se corrompt dans tous les états. Sil a une charge qui loblige à servir son prochain, il ne le sert quautant quil y trouve son avantage, car il naime que lui-même. Le Christ béni a donné sa vie pour nous, et il ne voudra pas donner une seule parole utile au prochain, à moins quil ne soit payé, et bien payé. Si cest un pauvre qui ne peut pas le payer, il le fera attendre avant de lui dire la vérité, et souvent même il ne la lui dira pas, mais il se moquera de lui, tandis quil devrait être compatissant et le père des pauvres. Il est cruel envers son âme, car il offense les pauvres. Il ne voit pas, le malheureux, que le souverain Juge ne lui rendra pas autre chose que ce quil reçoit de lui. Car, par sa justice, tout péché est puni, et toute vertu récompensée. Le Christ a embrassé la pauvreté volontaire et a aimé la pureté; et cet homme misérable, qui aime et suit le mensonge, fait tout le contraire. Non seulement il nest pas content de ce quil a, et il ne sen détache pas par amour de la vertu, mais il vole son prochain. Non seulement il ne se contente pas de létat du mariage, dont il peut observer les lois sans blesser sa conscience, mais, semblable à lanimal sans raison, il se plonge dans toutes sortes de misères, et, comme le pourceau se roule dans la fange, il se roule dans la fange de limpureté. Mais, direz-vous, que ferai-je, puisque jai des richesses et que je suis dans létat du mariage [1237], si ces choses doivent causer la perte de mon âme? 3. O mon très cher Frère, dans tout état lhomme peut sauver, son âme et recevoir on lui la vie de la grâce, pourvu quil évite le péché mortel. Tout état est agréable à Dieu qui ne sarrête pas à la condition des personnes, mais à leurs saints désirs. Aussi pouvons-nous tout posséder, pourvu que ce soit avec une volonté droite. Tout ce que Dieu a fait est bon et parfait; il ny a que le péché quil na pas fuit, et qui nest pas digne damour. Les richesses et les honneurs du monde, si lhomme veut les posséder, il le peut sans offenser Dieu et son âme, mais sil les abandonne, il sera plus parfait; car il y a plus de perfection à les abandonner quà les garder. Mais sil ne veut pas les abandonner réellement, il doit les laisser et les mépriser par un saint désir, et ne pas les prendre pour lobjet principal de son affection, qui doit être Dieu seul; il doit les garder pour ses besoins et pour ceux de sa famille, et comme une chose prêtée qui ne lui appartient pas. En agissant ainsi. aucune chose créée ne lui causera de la peine, car ce quon possède sans amour se perd toujours sans peine. Nous voyons que les serviteurs du monde, les partisans du mensonge, vivent dans des afflictions continuelles et sont cruellement tourmentés jusquà la fin. Quelle on est la cause? lamour déréglé que lhomme pour lui-même et pour les choses créées quil aime on dehors de Dieu; car la Bonté divine a permis que tout amour déréglé soit insupportable à lui-même. Celui-là croit toujours le mensonge, parce quil na pas en lui la connaissance de la vérité [1238]; il croit posséder le monde, conserver ses richesses, et faire un dieu de son corps et de toutes les choses quil aime dune manière déréglée ; et il faut sen séparer. 4. Nous voyons quil les laisse on mourant, ou que Dieu permet quil les perde avant; cest ce qui arrive tous les jours. Un homme est riche, tout à coup il est pauvre; aujourdhui il est au sommet des honneurs, et demain il en sera précipité; il se portait bien, et il tombe malade. Ainsi tout passe; ce que nous croyons tenir nous échappe, ou nous en sommes séparés par la mort. Puisque vous voyez que toutes les choses du monde passent, lhomme doit les posséder comme le veut la lumière de la raison, les aimant comme il doit les aimer; et on les possédant de la sorte, il les possédera sans péché, mais selon la grâce, avec générosité de cur et sans avarice, avec compassion pour les pauvres et sans cruauté, avec humilité et sans orgueil, avec reconnaissance et sans ingratitude. Il reconnaîtra quelles viennent de son Créateur, et non de lui ; et avec cet amour bien ordonné il aimera ses enfants, ses amis, ses parents et toute créature raisonnable. Il observera létat du mariage, mais comme un sacrement; et il respectera les jours réservés par lEglise. Il sera et vivra comme un homme, et non comme un animal; il sera chaste même dans le mariage, et restera toujours maître de sa volonté. Il sera un arbre fertile qui produira des fruits de vertu; il répandra la bonne odeur, et, même au milieu de la corruption, il sortira de lui des parfums et des semences de vertus. Vous voyez que, dans tous les états, vous pouvez posséder [1239] Dieu. Ce nest pas létat qui léloigne, mais la seule mauvaise volonté; lorsquelle ségare dans lamour du mensonge, elle corrompt alors toutes les uvres. Mais celui qui aime la vérité suit les traces de la vérité, il hait ce que hait la vérité, et il aime ce quaime la vérité; et alors toutes ses uvres sont bonnes et parfaites. Il ne lui serait pas possible autrement de participer à la vie de la grâce, et aucune de ses uvres ne donnerait des fruits de vie. 5. Comme je ne connais pas dautre voie, je vous ai dit que je désirais vous voir aimer et suivre la vérité, et mépriser le mensonge. Laissez donc le démon, père du mensonge, et la sensualité, qui obéit à ce père. Aimez Jésus crucifié, qui est la voie, la vérité, la vie; car celui qui marche avec lui arrive à la lumière, et revêt le brillant vêtement de la charité, sur laquelle sont fondées toutes les vertus. Cette charité, cet amour ineffable une fois dans lâme, fait quelle nest plus contente de létat commun, mais quelle désire aller plus loin. Elle veut, de la pauvreté spirituelle passer à la pauvreté réelle, et de lamour de la continence à la pratique, afin dobserver à la fois les commandements et les conseils de Jésus-Christ. Elle commence à se dégoûter de la corruption du monde; et, comme il lui semble bien difficile de rester dans la fange sans se salir, elle désire ardemment àe séparer du monde autant quil lui est possible, et si elle ne peut pas le faire complètement, elle sapplique à acquérir la perfection dans son état, et elle en a au moins le désir. 6. Ainsi donc, très cher Frère, ne dormons plus [1240]; mais secouons le sommeil. Ouvrez loeil de lintelligence à la lumière de la Foi, pour voir, aimer et suivre cette vérité que vous connaîtrez dans le sang de lhumble et tendre Agneau. Ce sang, vous le connaîtrez par la connaissance de vous-même, car cest lui qui purifie la face de lâme; ce sang est à nous, et personne ne peut nous lenlever, si nous ne le voulons pas. Ne soyez donc pas négligent, mais remplissez-vous comme un vase, du sang de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXXXIII (225). A MESSIRE FRANÇOIS DE MONTALCINO, docteur en droit .- De la patience et de limpatience. Il faut renoncer à ma volonté pour avoir la paix en ce monde et en lautre. (François de Montalcino fut un professeur célèbre de luniversité de Sienne. Sainte Catherine parle de sa femme, Moranda, dans la lettre CXII.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Bien-aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir affermi dans une vraie et sainte patience. Car je vois que sans la patience nous ne pourrons plaire à Dieu, et que nous [1241] aurons dès cette vie un avant-goût de lenfer. Oui, par limpatience, nous commençons à goûter les tourments de lenfer en ce monde. 2. Oh ! que lhomme serait insensé, sil voulait goûter lenfer lorsquil peut jouir de la vie éternelle ! car la vie éternelle nest pas autre chose quune volonté en paix, en harmonie avec la volonté de Dieu, une volonté soumise qui ne peut désirer et vouloir que ce que Dieu veut; et tout le bonheur de ceux qui en jouissent est fondé sur cette volonté pacifiée. Mais au contraire ceux qui sont dans lenfer sont brûlés et dévorés par leur volonté perverse, cette volonté qui les torture par limpatience, la haine et la colère qui les rongent et les accablent; et tout cela est mérité par lignorance et laveuglement de lhomme. Sil avait été sage en cette vie; lorsquil pouvait la recevoir, sil avait voulu, il eût évité cette ignorance et cet aveuglement.. O très cher Frère ! imitez ces sages qui, dès cette vie, commencent à goûter Dieu en ne faisant quune volonté avec lui ; car toutes nos peines viennent de ce que nous voulons ce que nous ne pouvons avoir. Si la volonté aime les honneurs, les richesses, les plaisirs, la puissance ou la santé du corps, si elle les veut et les désire avec un amour déréglé, elle ne peut les avoir, et souvent même elle perd ce quelle a; elle en éprouve alors une grande peine, parce quelle aime dune manière déréglée. Puisque cest la volonté qui cause la peine, en détruisant la volonté propre on détruira toute peine. 3. Comment pourrons-nous la détruire? en nous dépouillant du vieil homme, cest-à-dire de nous-mêmes [1242], et en nous revêtant de lhomme nouveau, cest-à-dire de léternelle volonté du Verbe, de lHomme-Dieu, Et si vous cherchez ce que veut cette douce Volonté, demandez à Paul, qui vous assure quelle ne veut autre chose que notre sanctification (1 Thess 4,3). Tout ce que Dieu donne et permet, même la peine et la maladie, il le donne et le permet providentielle. ment pour notre sanctification et pour les besoins de notre salut. 4. Nous ne devons donc pas être impatients de ce qui est notre bien; mais nous devons en être très reconnaissants, nous jugeant indignes de souffrir pour Jésus crucifié et indignes de la récompense qui suit la peine, nous préparant à la peine par le mépris et la haine de nous-mêmes et de cette partie sensuelle qui se révolte et qui outrage le Créateur. Et si nous disons que cette sensualité ne semble pas vouloir accepter les souffrances, il faut la soumettre par la douce et sainte pensée de Jésus crucifié, il faut la flatter et la menacer en lui disant Souffre aujourdhui, mon âme, peut-être que demain ta vie sera terminée; pense que tu dois mourir, et tu ne sais pas quand. Considérons bien que la peine ne peut être plus grande que le temps, et que Je temps pour lhomme est étroit comme la pointe dune aiguille. Comment donc dire quune peine est grande? Il ne faut pas dire ce qui nest pas; et si cette passion sensuelle veut lever la tête, il faut lui opposer la crainte et lamour en lui disant Songe que le fruit de limpatience est la peine éternelle, et quau [1243] dernier jour du jugement, nous aurons à souffrir ensemble. Il vaut mieux vouloir ce que Dieu veut, aimer ce quil aime, que de vouloir ce que tu veux, et de taimer toi-même dun amour sensuel. Je veux que tu souffres courageusement en pensant quil ny a aucun rapport entre les souffrances de cette vie et la gloire future que Dieu prépare à ceux qui le craignent, et qui se revêtent de sa douce volonté (Rm 7, 18). 5. Et puis, mon doux Frère et Père, songez que quand lâme écoute si bien la raison, elle ouvre loeil de lintelligence et voit son néant, car lêtre quelle a vient de Dieu. Elle trouve son ineffable charité, qui, par amour et non par devoir, la créée à son image et ressemblance pour quelle jouisse et quelle possède la souveraine, léternelle beauté de Dieu, qui ne la pas créée pour un autre but. La Vérité suprême nous a montré quelle navait pas créé lhomme pour un autre but, quand Notre-Seigneur est mort sur le bois de la très sainte Croix pour nous rendre la fin que nous avions perdue. il simmola et livra son corps, doù séchappèrent de toute part des flots de sang, avec une telle ardeur damour, que toute dureté de cur devrait samollir, que toute impatience devrait disparaître et se changer en une parfaite patience; il ny a rien damer qui ne devienne doux dans le sang de lAgneau, ni rien de lourd qui ne devienne léger. Ne dormons donc plus; mais employons courageusement le peu de temps qui nous est laissé, nous attachant à létendard de la très sainte Croix par une bonne et sainte [1244] patience. Considérons que le temps est court, et que la peine nest presque rien, tandis que la récompense que nous en recevrons est immense. Je ne veux pas que vous sacrifiiez à un peu de peine un si grand bien. Se plaindre et se lamenter nôtent pas la peine, mais laugmentent, au contraire, en excitant la volonté à vouloir ce quelle ne peut avoir. 6. Revêtez-vous, revêtez-vous du Christ, le doux Jésus; ce vêtement est si fort, que ni les démons ni les créatures ne peuvent le déchirer, si vous ny consentez pas. Le Christ est léternelle et souveraine douceur qui détruit toute amertume; cest en lui que lâme goûte toute douceur. Elle sy nourrit, sy rassasie tellement, que tout ce qui est étranger à Dieu, elle le regarde comme du fumier, de la fange; elle se réjouit dans les opprobres, les mauvais traitements, les outrages, et elle ne veut autre chose que devenir semblable à Jésus crucifié. Cest là quelle met tout son bonheur et tout son zèle. Plus elle souffre, plus elle est heureuse, parce quelle sait que cest la voie droite et le meilleur moyen de ressembler à Jésus crucifié. Je veux que vous soyez un chevalier généreux, et que, pour Jésus crucifié, vous ne craigniez pas les coups de la maladie. 7. Pensez que Cest la grâce de Dieu qui nous envoie la maladie pour empêcher les fautes nombreuses que nous ferions si nous avions la santé. Elle expie et purifie nos péchés, qui mériteraient une peine infinie, et Dieu dans sa miséricorde se contente dune peine finie. Ainsi donc, pour lamour de Jésus crucifié; attachez-vous à la Croix avec Jésus crucifié; réjouissez-vous dans les plaies de Jésus [1245] crucifié. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXXXIV (226). - A MAITRE JACOMO médecin à Ascanio .- Le persévérance ne peut sacquérir avec lamour déréglé des créatures- Il ne faut pas compter sur lavenir. (Le titre de " très révérend " que sainte Catherine donne à ce médecin, peut faire croire quil était prêtre. Elle lui dit aussi ; Voi, che sette eletto sempre a lodare Dio)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE DE LA DOUCE MARIE 1. Très révérend et très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un vrai chevalier de Dieu, suivant toujours le chemin de la vertu, ne tournant jamais la tête en arrière pour regarder la charrue, mais regardant toujours ce que vous avez à faire. Car celui qui regarde en arrière, montre quil est fatigué; et nous, très cher Frère, nous ne devons jamais nous fatiguer des saintes et bonnes uvres. Vous savez bien que celui qui commence et ne persévère pas nest pas digne de la couronne; car notre doux Sauveur a dit que les persévérants et les violents, cest-à-dire ceux qui combattent fortement [1246] leurs penchants mauvais, obtiennent le royaume du ciel (Mt 11,12). 2. Je vous dis donc, mon Frère et mon cher Fils, que vous ne pourrez avoir cette persévérance dans la vertu ni posséder Dieu dans votre âme, si vous fréquentez les démons visibles et incarnés, les créatures qui veulent vous détourner de vos saintes et bonnes résolutions en vous faisant sortir de vous-même. Sachez que le démon veut vous faire sortir de vous-même, parce que lâme, une fois retirée delle-même, abandonne tous ses exercices, et tombe dans le vice de lorgueil; elle ne peut se supporter et supporter aucune créature avec patience, parce quelle na pas cette douce vertu de la véritable humilité. Celui qui nest pas humble ne peut pas être obéissant à Dieu. Ne serait-il pas déplorable que vous, qui êtes choisi pour louer Dieu sans cesse, vous suiviez la volonté coupable des hommes, que vous aimiez les hommes plutôt que Dieu? Hélas ! ne serait-ce pas devenir un membre du démon? 3. Je vous prie donc pour lamour de Jésus crucifié de nêtre pas cruel, mais compatissant pour votre âme. Vous montrerez la compassion que vous avez pour elle en la purifiant de la corruption du péché mortel, et en y plantant les vraies et solides vertus, comme doit le faire un homme généreux. Ne faisons donc pas comme lanimal, qui suit ses instincts sans aucune raison, mais comme un homme généreux. Suivez la voie de la vertu, et ne vous trompez pas en disant Je le ferai demain, car vous nêtes pas certain [1247] davoir le temps. Notre doux Sauveur disait " Ne pensez pas au lendemain à chaque jour sa tâche. " Oh ! combien court nous apparaît le temps que lhomme possède; et, malheureux que nous sommes, avec toutes nos inquiétudes et nos désirs, nous dépensons ce temps, le trésor le plus précieux que nous ayons, en choses inutiles. Secouons donc aujourdhui notre sommeil, ne dormons plus; il ne faut plus dormir, il faut sortir du sommeil de la négligence et de lerreur. 4. Jai appris que, vous et messire Pozzo, vous vouliez aller au saint Sépulcre. Cette nouvelle me cause une grande joie; mais je vous prie dune chose pour lamour de Jésus crucifié cest que vous et messire Pozzo, vous vous disposiez dabord à ce saint voyage, et que vous vous y prépariez avant tout par une sainte confession. Purifiez vos consciences avec soin, comme si vous étiez à larticle de la mort; nattendez pas le moment où vous serez en route. Si vous ne le faisiez pas, il vaudrait mieux ne pas partir. Je vous prie, mes Pères et mes Frères, de ne pas vous laisser tromper par la faiblesse humaine et par la lèpre. de lavarice; car vos biens et les créatures ne répondront pas pour vous, mais les vertus solides et la bonne conscience. Je nen dis pas davantage. Ayez toujours Dieu devant les yeux. Je moffre pour vous par une continuelle prière. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1248].
CCXXXV (227).- A MAITRE FRANÇOIS, fils de maître Barthélemi, médecin de Sienne dune grande réputation.- Du péché mortel.- Combien la lumière est nécessaire pour en connaître la gravité, et pour obtenir la grâce de Dieu. (Maître François, de la famille des Casini, de Sienne, eut comme médecin une grande réputation dans toute lItalie. Il était à la cour dAvignon, à lépoque du voyage de sainte Catherine, et il devint le médecin dUrbain VI, qui lemploya dans quelques négociations. Après la mort dUrbain VI, il retourna dans sa patrie, et fit partie du gouvernement de la république, en 1390, date de sa mort.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir mépriser le péché mortel, car vous ne pourrez autrement avoir la grâce de Dieu dans votre âme; et cette grâce, je ne vois pas que vous ni aucun autre puissiez la posséder sans cette lumière qui fait voir et connaître la gravité du péché et lavantage de la vertu. La chose que lon ne connaît pas, on ne peut laimer, si elle est digne damour, ou la détester si elle digne de haine. On ne peut rien connaître sans la lumière. Nous avons donc besoin de la lumière, afin quelle éclaire loeil de notre intelligence par la prunelle de la très sainte [1249] Foi, quand le nuage de lamour-propre ne la pas obscurcie. 2. Si cet amour-propre existe, nous devons le dissiper, pour quil ne soit pas un obstacle à notre vue. Nous devons, par le saint amour, chasser lamour coupable de la sensualité, car lamour-propre consume et détruit la grâce divine dans lâme, et corrompt toutes ses uvres. Comme un mauvais arbre dont tous les fruits sont corrompus, lhomme qui sadonne à lamour sensitif ne produit rien de bon et plie sous le poids du péché mortel. Toutes ses uvres sont corrompues, parce quil a perdu la lumière et quil est dans les ténèbres, tellement quil ne connaît et ne discerne plus la vérité; son goût et les désirs de son âme sont viciés; toutes les choses bonnes lui paraissent mauvaises, et les choses mauvaises lui paraissent bonnes. Il méprise les vraies vertus, il séloigne de lamour de Dieu et du prochain, et iL met tout son bonheur dans les délices et les plaisirs du monde. Sil aime son prochain, il ne laime pas pour Dieu, mais pour son seul intérêt. Celui, au contraire, qui est vraiment libre de tout amour sensitif, aime son Créateur par-dessus toute chose et son prochain comme lui-même. Il ne peut avoir cet amour, si dabord, à la lumière de lintelligence, il ne reconnaît pas quil nest rien, quil a reçu de Dieu lêtre et toutes les grâces qui sont ajoutées. Alors, quand il se connaît bien lui-même, avec ses défauts et la bonté de Dieu à son égard, il déteste ses défauts, et lamour-propre qui en est cause. Il aime la vertu, et, par amour de la vertu quil aime, par amour de son Créateur, il est prêt à souffrir toutes sortes de peines plutôt que doffenser [1250] Dieu et doutrager la vertu. Toutes ses uvres spirituelles ou temporelles sont dirigées vers Dieu, et dans quelque condition quil se trouve, il aime et craint toujours son Créateur. Sil a des richesses, des honneurs dans le monde, des enfants, des parents, des amis, il possède tout comme des choses prêtées qui ne lui appartiennent pas, et il en use avec mesure, et non pas sans mesure. Sil est dans létat du mariage, il y vit en respectant les lois de ce sacrement, et en observant les jours prescrits par lEglise. Sil doit être en rapport avec les créatures et les servir, il le fait avec zèle, non pas avec un cur faux, mais librement et en ne pensant quà Dieu. 3. Il règle toutes les puissances de son âme et tous les mouvements de son corps. Sa mémoire sapplique à retenir les bienfaits de Dieu, son intelligence à comprendre sa volonté, qui ne veut que notre sanctification, et sa volonté est décidée à aimer par-dessus tout son Créateur. Dès que les puissances de son âme sont réglées, les mouvements de son corps le sont aussi. Je vous prie donc, très cher Frère, de régler votre vie de cette manière. Ouvrez loeil de votre intelligence pour connaître la gravité du péché et la grandeur de la bonté de Dieu. En agissant ainsi dans toutes les conditions où vous serez, vous serez agréable à Dieu, et vous serez un arbre fertile; vous produirez des fruits de vie, cest-à-dire de vraies et saintes vertus, et dans cette vie, vous aurez un avant-goût de la vie éternelle. Mais je considère que nous ne pouvons jamais recevoir la paix, le repos, la grâce, sans connaître, à la lumière de la très sainte Foi, sans connaître la gravité du péché mortel, la bonté de [1251] Dieu et le prix de la vertu. Je vous ai dit que je désirais vous voir mépriser le péché mortel, et je vous conjure de le faire. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXXXVI (228).- A MESSIRE RISTORO DE CANIGIANI, à Florence.- Des moyens de plaire à Dieu et de persévérer dans la vertu. (La famille Canigiani était une des plus nobles de Florence et beaucoup de ses membres périrent à la bataille de Montaperto. Ristoro était avocat, et très attaché à sainte Catherine, ainsi que son père Piétro et son frère Barducio, le secrétaire bien-aimé de notre Sainte. (Voir Vie de sainte Catherine. II" p., ch. 1.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constant et persévérant dans la vertu; car ce nest pas celui qui commence qui est couronné, mais celui qui persévère. La persévérance est la reine qui est couronnée; elle est accompagnée de la force et de la vraie patience, mais cest elle seule qui reçoit la couronne de gloire. Aussi, mon très doux Frère, je veux que vous soyez constant [1252] et persévérant dans la vertu, afin que vous receviez la récompense de toutes vos peines. Jespère de la bonté de Dieu quil vous fortifiera tellement, que ni le démon ni les créatures ne pourront vous faire retourner à votre premier vomissement.2. Il me semble, daprès ce que vous mécrivez, que vous avez bien commencé, etje men réjouis beaucoup pour votre salut, en voyant vos saints désirs. Vous me dites dabord que vous pardonnez à tous ceux qui vous ont offensé, ou qui ont voulu vous offenser: cest là une chose absolument nécessaire, si vous voulez avoir la grâce de Dieu dans votre âme, et même être tranquille selon le monde. Celui qui reste dans la haine est privé de Dieu et dans un état de damnation ; dès cette vie même il goûte lenfer; il nourrit sans cesse en lui-même le désir de la vengeance. Il vit toujours dans la crainte, et, en croyant tuer son ennemi, il se tue lui-même, car il tue son âme avec le poignard de la haine. Oui, ceux qui croient tuer leur ennemi se tuent eux-mêmes, tandis que celui qui pardonne véritablement pour lamour de Jésus crucifié, celui-là trouve la paix, le repos, et ne ressent aucun trouble, parce que la colère, qui trouble, est détruite dans son âme, et Dieu, qui récompense tout bien, lui rend la grâce, et lui donne après la mort, la vie éternelle. Le bonheur, la joie, la paix de conscience que lâme reçoit alors, la langue est incapable de lexprimer ; et même, selon le monde, cest une grande gloire de ne pas vouloir se venger de son ennemi, par amour de la vertu et par générosité. Je vous y invite et je vous encourage à persévérer dans votre sainte résolution [1253]. 3. Quant à demander et à poursuivre ce qui vous appartient justement, vous pouvez le faire en toute sûreté de conscience, si vous le voulez; car personne nest obligé dabandonner son bien sil ne le veut pas; mais celui qui le veut sera plus parfait. 4. Quant à ne pas aller à lévêché ni au palais, cela est bien et très bien. Il vaut mieux rester tranquille chez vous ; car nous sommes faibles au milieu de lagitation ; notre âme souvent sagite elle-même et fait des choses injustes et déraisonnables, celui-ci pour montrer quil en sait plus quun autre, celui-là par désir de gagner de largent. Il est bien de fuir ces occasions. 5. Je fais cependant une exception. Sil sagit des pauvres qui ont évidemment raison, et qui nont personne pour les soutenir et prouver leurs droits, parce quils nont pas dargent, vous honorerez beaucoup Dieu en vous fatiguant pour eux avec charité, comme saint Yves, qui fut dans son temps lavocat des pauvres (Saint Yves, une des gloires de la Bretagne, est le patron des hommes de loi.). Pensez que le service rendu aux pauvres en les assistant avec le talent que vous avez reçu du Ciel, sera très agréable à Dieu et très profitable au salut de votre âme. Saint Grégoire dit quil est impossible quun homme compatissant périsse de la mauvaise mort, cest-à-dire de la mort éternelle. Aussi je me réjouirais beaucoup de vous le voir faire, et je vous le demande. 6. Dans toutes vos actions, ayez Dieu devant les yeux, en vous disant à vous-même, lorsque les désirs [1254] déréglés se révoltent contre votre sainte résolution Pense, mon âme, que le regard de Dieu est sur toi, quil pénètre le secret de ton cur ; pense que tu dois mourir, que tu ne sais pas quand, et quil faudra rendre compte au souverain Juge de toutes tes actions; ce Juge punit le mal et récompense le bien. Si vous vous contenez ainsi, vous ne vous éloignerez jamais de la volonté de Dieu. 7. Travaillez au bonheur de votre âme; cest le premier devoir que vous ayez à remplir; soulagez votre conscience de ce qui pourrait la charger, soit en réparant les torts matériels que vous avez faits aux autres, soit en demandant pardon des offenses que vous avez pu leur faire, afin que vous demeuriez toujours dans la charité du prochain. Vendez aussi ce que vous avez dinutile, et les vêtements somptueux, qui sont bien nuisibles, mon très cher Frère, car ils enflent le cur et nourrissent lorgueil, en nous faisant paraître plus grands que les autres, et glorifier de ce qui ne le mérite pas. Cest une grande honte pour nous, lâches chrétiens, de voir notre chef souffrir, et de rechercher les délices. Aussi, selon saint Bernard, il nest pas convenable de voir des membres délicats sous un chef couronné dépines. Je dis que vous faites très bien si vous employez le remède. Mais revêtez-vous honnêtement et sans dépense extraordinaire, vous serez très agréable à Dieu; et, autant que vous le pourrez, faites de même pour votre femme et vos enfants ; soyez leur règle et leur modèle, comme doit lêtre un père, obligé délever ses enfants selon la raison et dans la pratique de la vertu. 8. Jajouterai une chose : conservez la crainte de [1255] Dieu dans létat du mariage, respectez-le comme un sacrement; ne suivez pas les désirs déréglés, et observez les jours prescrits par lEglise, comme un homme raisonnable, et non pas comme un animal grossier. Alors, vous et les autres, vous serez de bons arbres, et vous produirez de bons fruits. 9. Vous ferez bien de refuser les emplois, car il est bien difficile de ne pas y commettre quelque faute, et le souvenir de ceux que vous avez eus doit vous être pénible. Laissez les morts ensevelir leurs morts (Mt 8,22), et appliquez-vous seulement, dans toute la liberté de votre cur, à plaire à Dieu, laimant par-dessus toutes choses, par désir de la vertu, aimant le prochain comme vous-même. Fuyez le monde et ses délices; renoncez au péché, à la sensualité, et rappelez-vous sans cesse les bienfaits de Dieu, et surtout le bienfait du sang qui a été répandu pour nous avec un si ardent amour. 10. Il faut encore, pour conserver la grâce et faire des progrès dans la vertu, recourir souvent avec joie à la sainte confession, pour laver la face de votre âme dans le sang de Jésus-Christ. Nous souillons notre âme tous les jours. Confessez-vous une lois par mois; plus sera mieux, mais il me semble que vous ne devez pas faire moins. Aimez à entendre la parole de Dieu; et, quand nous serons réconciliés avec le Saint-Père, communiez aux fêtes solennelles, ou au moins une fois lan. Aimez les offices et entendez la messe tous les matins ; si vous ne le pouvez pas tous les jours, faites-le au moins les jours prescrits par [1256] lEglise; nous y sommes obligés ; vous ne devez, pas y manquer, si vous le pouvez. 11. Il ne faut pas négliger la prière; et même, à certaines heures, tâchez de vous recueillir un peu pour vous connaître, pour connaître les offenses que vous avez commises contre Dieu et la grandeur de sa bonté à votre égard. Ouvrez loeil de lintelligence à la lumière de la très sainte Foi, pour voir combien Dieu vous aime dun amour ineffable; il vous la montré par le moyen de son Fils unique. Je vous prie, si vous ne le faites pas déjà, de dire tous les jours loffice de la Vierge, afin quelle soit votre refuge et votre avocate devant Dieu (Loffice de la Vierge est très ancien dans lEglise, et remonte au delà du XIe siècle. La récitation en était prescrite aux religieux du Mont-Cassin, en 752. On le récitait dans les églises pour obtenir le succès de la première croisade, en 1095.). Réglez ainsi votre vie, et jeûnez, en lhonneur de Marie, les samedis et les jours prescrits par la sainte Eglise, sans jamais y manquer, si ce nest par nécessité. Fuyez les festins déréglés, et vivez simplement, comme un homme qui ne veut pas faire un dieu de son ventre. Prenez la nourriture nécessaire, mais non pas avec un grossier plaisir; car il est impossible que celui qui nest pas réglé dans sa nourriture se conserve dans la pureté. Je suis persuadée que la bonté de Dieu, pour cela et pour le reste, vous fera observer tout ce qui est nécessaire à votre salut. Je prierai et je ferai prier pour quil vous donne la persévérance parfaite jusquà la mort, et quil vous éclaire sur tout ce que vous aurez à faire pour votre salut. Je termine [1257]. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus. Jésus amour.
CCXXXVII (229).- A MESSIRE RISTORO CANIGIANI.- De la lumière qui fait connaître la bonté de Dieu.- Des conditions dune bonne prière.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillé de tout amour de vous-même, afin que vous ne perdiez pas la lumière et la connaissance de lamour ineffable que Dieu vous porte. Cest la lumière qui nous le fait connaître, et cest lamour-propre qui nous ôte la lumière. Aussi je désire ardemment le voir détruit en vous. Oh! que cet amour-propre est dangereux pour notre salut! Il prive lâme de la grâce, parce quil ôte la charité de Dieu et du prochain, et cette charité nous fait vivre dans la grâce. Il nous prive de la lumière, disons-nous, parce quil obscurcit loeil de notre intelligence; et lorsque nous navons plus la lumière, nous marchons dans les ténèbres, et nous ne connaissons pas ce qui nous est nécessaire. Et quavons-nous besoin de connaître? La grande bonté de Dieu et son ineffable charité à notre égard, la loi [1258] perverse qui combat toujours contre lesprit, et notre misère. Cest par cette connaissance que lâme commence à rendre à Dieu ce quelle lui doit, cest-à-dire la gloire et lhonneur de son nom, en laimant pardessus toutes choses, en aimant le prochain comme soi-même. La faim, le désir de la vertu doit faire naître la haine, le mépris du vice et de la sensualité, qui est la cause de tout vice. 2. Lâme acquiert la vertu et la grâce en se renfermant dans la connaissance delle-même, avec la lumière dont nous avons parlé. Et ou trouvera-t-elle la richesse de la contrition de ses fautes et labondance de la miséricorde de Dieu? Dans cette même connaissance. Voyons si nous lavons trouvée ou non. Parlons-en un peu, puisque, daprès votre lettre, vous avez le désir davoir la contrition de vos péchés, et que ne pouvant lavoir, vous abandonnez pour cela la sainte Communion. Nous verrons si cest un motif pour le faire. Vous savez que Dieu est souverainement bon, quil nous a aimés avant que nous fussions; il est léternelle Sagesse, et sa puissance est infinie. Nous sommes donc certains quil peut, quil sait et quil veut vous donner ce quil nous faut. 3. Ne voyons-nous pas quil nous a donné plus que nous ne savons lui demander, et même ce que nous ne lui avons pas demandé? Lui avons-nous jamais demandé quil nous fît des créatures raisonnables, à son image et ressemblance, plutôt que des animaux? Non certainement. Lui avons-nous demandé quil nous fit renaître à la grâce dans le sang du Verbe, son Fils unique, et quil restât notre nourriture, lui, le lHomme-Dieu tout entier, sa chair, son sang, son [1259] âme unie à sa divinité? Outre ces dons, qui sont si grands, et qui prouvent un amour si ardent, que les cours les plus durs devraient, en les voyant, se réchauffer et sattendrir, combien recevons-nous de grâces et de faveurs sans les avoir demandées ! Puisquil nous donne tant sans que nous le demandions, combien à plus forte raison exaucera-t-il nos désirs quand nous désirerons une chose juste! Et même qui est-ce qui nous la fait désirer et demander? Cest lui seul. Sil nous la fait demander, nest-ce pas une preuve quil veut nous accorder ce que nous lui demandons? 4. Vous me direz : Je confesse que ce vous dites est vrai: doù vient cependant que jai demandé très souvent la contrition et dautres choses, et que je nai rien obtenu? Je vous répondrai: Ou cest la faute de celui qui demande des lèvres seulement, et non pas du cur. Notre Sauveur dit que ceux qui crieront: Seigneur, Seigneur, il ne les reconnaîtrait pas. Il les connaît sans doute; mais, par leur faute, il ne les reconnaît pas dans sa miséricorde. Ou bien on demande quelque chose qui nuirait au salut; et en ne lobtenant pas, on est exaucé, car on a demandé ce quon croit utile et qui serait nuisible. On gagne donc en ne lobtenant pas, et Dieu a écouté lintention qui faisait demander. Dieu est toujours bon à notre égard; mais il lest en secret, parce quil connaît notre imperfection; il voit que sil nous accordait sur-le-champ sa grâce, nous ferions comme lanimal immonde, qui quitte la douceur du miel pour la corruption de la fange. Dieu voit que nous faisons souvent de même; nous recevons sa grâce et ses bienfaits, nous participons à la douceur de sa charité, et [1260] nous ne craignons pas de nous abandonner à nos misères, et de retourner à la corruption du monde que nous avions rejetée. Dieu souvent ne nous accorde pas ce que nous demandons, aussi vite que nous le voudrions, pour augmenter notre faim et notre désir, parce quil aime voir devant lui lardeur de sa créature. 5. Quelquefois il accordera la grâce réellement, mais pas dune manière sensible. La Providence agit ainsi parce quelle sait que si lhomme léprouvait dune manière sensible, il se relâcherait de son désir, ou tomberait dans la présomption. Il lui ôte alors le sentiment et non la grâce; il y a dautres au. contraire qui la reçoivent et la sentent par un effet de sa douce bonté. Il est notre médecin qui nous donne, et nous pauvres malades, ce qui convient le mieux à notre infirmité. Vous voyez donc que de toute façon lintention de la créature qui prie Dieu est exaucée. Voyons maintenant ce que nous devons demander et dans quelle mesure. Il me semble que la douce Vérité suprême nous enseigne ce que nous devons demander. Lorsque, dans le saint Evangile, Notre-Seigneur reproche à lhomme la sollicitude déréglée quil met à acquérir et conserver les honneurs et les richesses du monde, il dit: " Ne vous inquiétez pas du lendemain; à chaque jour suffit sa peine, " il nous montre par là que nous devons considérer avec prudence la brièveté du temps; et il ajoute: Demandez dabord le royaume du ciel. Le Père céleste connaît bien les petites choses dont vous avez besoin. 6. Quel est ce royaume? comment le demander? Cest le royaume de la vie éternelle et le royaume de notre [1261] âme; ce royaume de notre âme, sil nest pas possédé par la raison, nentrera jamais dans le royaume du ciel. Et comment le demande-t-on? Non seulement avec des paroles, nous avons dit que ceux qui parlaient seulement, Dieu ne les connaissait pas, mais avec le désir des vraies et solides vertus. Cest la vertu qui demande et possède le royaume du ciel; cette vertu rend lhomme prudent, et il travaille avec prudence et sagesse pour lhonneur de Dieu, pour son salut et celui du prochain. Il supporte avec prudence ses défauts, et il règle son cur avec prudence, en aimant Dieu par-dessus toute chose et le prochain comme lui-même. Lordre véritable est dêtre prêt à sacrifier la vie de son corps pour le salut des âmes, et ses biens temporels pour délivrer son prochain. Cest ce que fait la charité prudente; si elle nétait pas prudente, elle ferait le contraire, comme le font ceux qui ont une charité fausse et insensée. Souvent, pour sauver le prochain, je ne dis pas son âme, mais son corps, ils exposent leur âme pour soutenir le mensonge par de faux témoignages; ceux-là perdent la charité, parce quelle nest pas unie à la prudence. Nous avons vu quil faut demander le royaume du ciel avec prudence. Maintenant je vous dirai ce que nous devons faire pour la sainte Communion, et comment nous devons la recevoir. 7. Nous ne devons pas user dune fausse humilité, comme font bien des hommes du monde. Je dis quil faut recevoir ce doux sacrement, car il est la nourriture de lâme; et sans cette nourriture, nous ne pouvons vivre en état de grâce. Il ny a aucun lien [1262] assez grand qui ne puisse se rompre pour approcher de ce doux sacrement. Lhomme doit faire de son côté tous ses efforts, et cela suffira. Comment devons-nous le recevoir? Avec la lumière de la très sainte Foi et avec la bouche du saint désir. Vous regarderez à la lumière de la Foi celui qui est tout Dieu et tout homme dans cette Hostie. Alors le cur, qui suit lintelligence, le reçoit avec un tendre amour, avec une pieuse considération de ses défauts et de ses péchés qui lui inspire la contrition. IL considère la grandeur de lineffable charité de Dieu, qui se donne avec tant damour en nourriture; et, quoiquil ne croie pas avoir la contrition parfaite et les dispositions où il voudrait être, il ne doit pas abandonner la Communion. Sa bonne volonté suffit, et il est dans la disposition requise. 8. Je vous dis encore quil faut recevoir le Sacrement comme il a été figuré dans lAncien Testament, lorsquil fut ordonné de manger lagneau rôti et non bouilli, entier et non partagé, ceints et debout avec un bâton à la main, et après avoir mis le sang de lagneau sur le seuil de la maison. Il faut communier de la même manière, et manger lAgneau sans tâche rôti et non bouilli. Ce qui est bouilli est dans la ferre et leau, cest-à-dire dans lattachement terrestre et dans leau de lamour-propre. Nous le prenons rôti lorsque nous le prenons au feu de la divine charité. Nous devons être ceints de la ceinture de la continence; car ce serait une chose indigne, si nous nous approchions de la pureté même avec lesprit et le corps souillés. Nous devons être debout, cest-à-dire le cur et lesprit toujours fidèles et toujours [1263] élevés vers Dieu, avec le bâton de la très sainte Croix, où nous trouvons la doctrine de Jésus crucifié. Cest sur ce bâton que nous nous appuyons; cest avec lui que nous nous détendons de nos ennemis, cest-à-dire du monde, du démon et de la chair. Il faut le manger tout entier et non par partie cest-à-dire quà la lumière de la Foi, nous devons :dans ce sacrement voir non seulement lhumanité, mais aussi le corps, lâme de Jésus crucifié unis à sa divinité, lHommeDieu tout entier. Il faut prendre le sang de cet Agneau, et le mettre sur notre front: cest-à-dire le confesser devant toute créature raisonnable, et ne le renier jamais ni dans la peine ni dans la mort. Il faut enfin prendre avec amour cet Agneau préparé au feu de la charité sur le bois de la Croix; nous serons trouvés marqués du signe du Thau, et nous ne serons pas frappés par lange exterminateur (Le Thau a la forme de la croix, et on lit dans Ezéchiel 9,6 : Super quem videritis Thau, ne occidatis). 9. Je vous ai dit quil ne faut pas faire, et je ne veux pas que vous fassiez comme les séculiers imprudents qui nobéissent pas au précepte de lEglise, en disant: Je ne suis pas digne; et ils passent ainsi des années dans le péché mortel, sans prendre la nourriture de leurs âmes. Oh ! la folle humilité ! Qui ne voit pas que vous nêtes pas dignes? Quel moment attendez-vous pour en être dignes? Ne croyez pas lêtre plus à la fin quau commencement. Tout le bien que nous pourrons faire, ne nous en rendra pas dignes; Dieu seul est digne de lui-même, et peut nous rendre dignes de sa dignité, qui ne diminue jamais [1264]. Que devons-nous faire? Nous disposer autant que nous le pouvons, et obéir à ce doux commandement. Si nous ne le faisons pas, si nous négligeons la Communion par ce motif, en croyant éviter la faute, nous y tomberons. Je conclus, et je veux que vous ne tombiez pas dans cette folie, mais disposez-vous comme un chrétien fidèle à recevoir la sainte Communion, comme nous lavons dit. Vous le ferez dautant plus parfaitement que vous resterez dans la connaissance de vous-même, pas autrement: parce que cette connaissance vous fera veiller sur toute chose. Que vos saints désirs ne saffaiblissent pas parla souffrance, la peine, linjure et lingratitude de ceux que vous avez obligés; mais persévérez généreusement avec une véritable persévérance jusquà la mort. Je vous conjure de le faire, par lamour de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXXXVIII (230). A MESSIRE RISTORO CANIGIANI. De la vraie et parfaite charité, et la douceur quelle apporte.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang [1265], avec le désir de vous voir fondé sur la vraie et parfaite charité. Cette charité est la mère et la nourrice de toutes les autres vertus; elle rend lhomme constant et persévérant dans la vertu, si bien, que le démon et la créature ne peuvent len séparer, sil ne le veut pas. Elle est dune si grande douceur, quelle détruit toute amertume qui afflige lâme; mais elle produit une amertume douce qui engraisse lâme dans la vraie connaissance delle-même, où elle connaît les fautes passées et présentes quelle a commises contre son Créateur. Cest cette connaissance qui lui est amère; elle se repent davoir offensé léternel et souverain Bien, davoir souillé la face et la beauté de son âme, qui a été lavée dans le sang de lhumble Agneau sans tache, et cest par ce sang quelle a connu le feu et labîme de sa charité. Cette connaissance inspire à lâme un amour quelle naurait pas sans cela; car la créature aime son Créateur selon quelle se voit aimée de lui. Ainsi toute la froideur de notre cur vient uniquement de ce que nous ne regardons pas combien nous sommes aimés de Dieu. Et pourquoi ne le voyons-nous pas? Parce que le nuage de lamour-propre obscurcit loeil de lintelligence, dont la prunelle est la lumière de la très sainte Foi. 2. Par cette lumière, nous arrivons à la charité parfaite de Dieu, et nous arrivons aussi à la charité du prochain. Car lâme qui aime son Créateur veut aussi aimer ce quil aime; et, en voyant quil aime la créature, elle est forcée par le feu de sa charité, de laimer et de la servir avec zèle et empressement; et les services quelle ne peut rendre à Dieu, qui na [1266] pas besoin de nous, elle veut les rendre au prochain en lui faisant part des grâces et des dons quelle a requis de Dieu, spirituellement ou temporellement, et elle le fait avec une intention pure, parce que la charité droite et généreuse ne cherche pas son avantage; elle ne saime pas, elle naime pas le Créateur et les créatures pour elle, mais elle aime tout pour Dieu. 3. La charité nest pas fausse et hypocrite, montrant au dehors ce qui nest pas au dedans; elle est humble, et non pas orgueilleuse ; car cest lhumilité qui nourrit la charité dans lâme. Elle nest pas infidèle, mais fidèle, servant Dieu fidèlement et le prochain, espérant en Dieu et non pas en elle-même. Elle nest pas imprudente, mais elle fait tout avec une grande prudence ; elle est juste, rendant à chacun ce qui lui est dû: à Dieu, gloire et honneur à son nom par la vertu; au prochain, la bienveillance, et à elle-même la haine de fautes commises et le regret de sa propre fragilité. Elle est forte, car ladversité ne peut laffaiblir par limpatience, ni la prospérité par une joie déréglée. Elle apaise les querelles, réprime la colère et foule aux pieds lenvie, parce quelle aime le prochain, et se réjouit du bien qui lui arrive comme du sien même. Elle revêt si bien lâme du vêtement de la grâce, quaucun coup ne peut latteindre, mais revient sur celui qui a frappé. Nous voyons que, si le prochain nous frappe par linjure, et que nous le supportions avec patience, le trait empoisonné revient sur celui qui la lancé. Si le monde nous frappe par ses plaisirs, ses délices, ses honneurs, et que nous les recevions avec mépris, ses coups tournent à [1267] sa honte; et si le démon nous frappe avec ses tentations innombrables, nous le frappons de toute la force de la volonté, en restant fermes, constants et persévérants jusquà la mort, ne consentant jamais à ses pensées et à sa malice. 4. En nous tenant sur ce rocher, aucune attaque ne peut nous nuire; cest la volonté seule qui commet la faute ou pratique la vertu, selon ce quelle choisit. Lorsque ce sont des pensées impures qui nous attaquent, nous les repoussons par le parfum de la pureté. La pureté de la continence rend lâme angélique; elle est fille de la charité; et cette douce mère laime tant, que non seulement elle la préserve des souillures qui donnent la mort à lâme, des fautes de ceux qui se plongent dans la fange de la chair comme des animaux grossiers, mais encore elle lui fait mépriser ce quelle pourrait se permettre sans péché mortel dans létat du mariage, si bien, que lhomme les fuirait sil le pouvait; car il lui semble quil ne peut toucher à cette boue sans se salir: il est bien difficile en effet de la traverser, et de ne pas se souiller. Aussi, lâme qui est dans la charité goûte le parfum de la continence, et voudrait fuir ce qui lui est contraire. 5. Oh ! combien serait doux et agréable à Dieu ce sacrifice, si vous, mon Fils et ma Fille bien-aimée, vous vous offriez à Dieu avec ce suave et délicieux parfum, si vous laissiez pour jamais la lèpre aux lépreux, et si vous suiviez létat angélique. Nattendez pas le moment de la vieillesse où le monde nous abandonne; vous plairiez peu à Dieu en laissant ce que vous ne pouvez conserver; mais donnez-lui la fleur de votre jeunesse; il lacceptera avec un grand [1268] amour, et vous lui serez très agréables. Ne dormons plus, pour lamour de Jésus crucifié. Nous avons fait si longtemps une étable de notre corps et de notre âme, il faut désormais en faire un jardin. Nattendez pas le temps, parce que le temps ne nous attend pas. Que lun invite et force lautre à se revêtir de cette très douce pureté qui répand une si bonne odeur, en présence de Dieu et devant les créatures. Je suis certaine que si vous avez en vous la charité, cette douce mère, vous ferez pour cela tous vos efforts; vous combattrez votre fragilité quand elle voudra se révolter contre la raison, mais pas autrement. Parce que je souhaite vous voir arriver à cet état parfait, et que je comprends quon ne peut y arriver que par la voie de la charité, je vous ai dit et je vous répète que je désire ardemment vous voir fondés sur la vraie et parfaite charité; cette charité embrasse toutes les vertus, elle méprise et fuit tous les vices. Elle est si douce, si agréable, quil ne faut pas perdre de temps par négligence, mais il faut se lever avec zèle à la lumière de la très sainte Foi. Et à cette lumière, nous verrons combien Dieu nous aime; en le voyant, nous connaîtrons Sa bonté; et la connaissant, nous laimerons, et par cet amour nous chasserons lamour-propre qui ôte la vie de la grâce. Emplissez sans cesse votre mémoire du souvenir du sang de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1269].
CCXXXIX (231).- A MESSIRE RISTORO CANIGIANI.- Des biens du monde et de la grâce de Dieu.- De lamour avec lequel on aime Dieu et les créatures,à lexemple de Jésus-Christ.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillé du vieil homme et revêtu du nouveau; je dis dépouillé du vieux péché dAdam, de cet amour déréglé quil eut lorsquil offensa Dieu par sa désobéissance, et il soffensa lui-même en se privant de la vie de la grâce. Aussitôt quil eut offensé Dieu, il trouva la révolte en lui et dans toutes les créatures. IL en est de même de lâme qui suit et revêt le vieil homme ; elle saime elle-même dun amour sensitif, et de cet amour viennent toutes les affections déréglées. Cest cet amour misérable qui ôte la lumière de la raison, et empêche de connaître la vérité; il ôte la vie de la grâce, et nous donne la mort. Il nous ôte la liberté, et nous rend les serviteurs et les esclaves du péché, du néant; et alors on goûte en cette vie les arrhes de lenfer. Je dis que lhomme ne connaît plus la vérité; car sil connaissait la vérité, il ne donnerait pas son cur, ses affections, ses désirs au monde; il nen ferait pas son Dieu, mais il le mépriserait avec toutes ses délices [1270] en voyant son inconstance, son peu de stabilité, Combien il est vain et caduc !
2. Ne le voyons-nous pas tous les jours, très cher Frère les choses du monde passent comme le vent, et rien ne dure à notre gré. Cest que rien nest à nous, excepté la grâce divine, qui ne peut nous être enlevée si nous ne le voulons pas; car la grâce ne se perd que par le péché, et ni le démon ni les créatures ne peuvent nous forcer à commettre la moindre faute, et nous ravir par conséquent la grâce. Mais les choses du monde, qui nous sont prêtées pour notre usage, peuvent nous être enlevées, et nous sont enlevées quand il plaît à la Bonté divine qui nous les a données. Aussi nous voyons lhomme tantôt riche, tantôt pauvre, aujourdhui dans les honneurs, demain dans ladversité. Nous passons de la santé à la maladie, de la vie à la mort. Les choses du monde changent, et celui qui veut les posséder ne le peut pas, parce quelles ne sont pas à lui. Si elles étaient à lui, il les garderait comme il le voudrait; mais elles lui sont prêtées pour ses besoins, et non pas pour quil les possède avec un amour déréglé, pour quil les aime hors de Dieu. Car en agissant ainsi, il transgresserait son commandement, qui nous dit que nous devons aimer Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme nous-mêmes. En ne le faisant pas, il tombe dans la désobéissance, il se prive de la vie de la grâce et devient digne de la mort éternelle. 3. Il devient ainsi insupportable à lui-même, et il goûte les arrhes de lenfer, car le ver de la conscience le ronge toujours. il éprouve une peine insupportable en se voyant privé de la chose quil aime [1271] dune affection déréglée, et quil faut laisser, ou pendant la vie en la perdant, ou à lheure de la mort. Car en mourant, lhomme doit tout laisser; il nemporte avec lui que le bien ou le mal quil a fait, et il reçoit ce quil a mérité. Toute faute est punie, toute vertu récompensée. Il ne peut emporter autre chose, et celui qui a des affections déréglées, souffre beaucoup lorsquil perd ce quil aimait tant; il perd avec autant de douleur quil possédait avec amour. Aussi toute sa vie est une peine, même lorsquil est dans les plaisirs et labondance, parce quil craint de perdre ce quil a. Qui ne reconnaît pas ces misères et les tourments que donne le monde? celui qui obscurcit la lumière de la raison par lamour de lui-même. Il a perdu cette lumière en se rendant lesclave de la sensualité, qui le revêt du vieil homme, cest-à-dire du péché dAdam, Il est malheureux, lingrat et linsensé qui se prive de la dignité que lui donnaient la lumière de la raison, la vie de la grâce et la liberté ! il sest fait lesclave du démon et du péché, qui nest que néant; car il perd cette liberté, qui lui avait été rendue par le moyen du sang du Fils de Dieu, dans lequel est purifiée la face de notre âme. Oh I combien est digne de châtiment celui qui dépense et consume sa vie dune manière coupable ! Son iniquité lempêche de reconnaître la bonté de Dieu à son égard, et de recevoir le fruit du Sang. Que devient ce pauvre insensé, lorsquil aspire et quil sattache par le désir à toutes les délices du monde? Il ne trouve autre chose que confusion et remords de conscience jusquau moment de la mort; il est comme le fou, ou comme celui qui songe quil a de grandes jouissances [1272], et qui ne trouve plus rien à son réveil. De même lhomme qui séveille du sommeil de cette misérable vie, ne trouve que peine et remords. Quel moyen donc prendre pour ne pas perdre le bien du ciel, et pour ne pas être ici-bas dans une telle affliction ! 4. Voici le remède, très doux Frère : Il faut nous dépouiller du vieil homme, qui nous cause ces peines insupportables, et nous revêtir de lhomme nouveau, du Christ, le doux Jésus, en réglant notre vie, en vivant comme un être raisonnable et non comme un animal, en dissipant le nuage de lamour-propre et en détestant notre sensualité, cette loi mauvaise opposée à lesprit, et le monde avec toutes ses délices. Aussitôt que vous les considérerez avec loeil de lintelligence, vous verrez combien ces choses sont nuisibles à notre salut, si nous les aimons hors de Dieu, et quel supplice insupportable elles causent en cette vie. Alors, quand lâme voit cela, elle conçoit sur-le-champ la haine de la sensualité et de tout ce qui est du monde; non pas quelle naime les choses créées, lhomme qui a des enfants aime ses enfants, sa femme et ses parents, mais il les aime dun amour réglé et non coupable; il ne veut pas pour eux perdre son âme en offensant Dieu. Dieu ne nous défend pas daimer, Il nous commande au contraire daimer le prochain comme nous-mêmes; mais il nous défend daimer dune affection déréglée. Et cest ce que lâme déteste, parce quelle voit que Dieu défend ces affections, et quelles lui sont nuisibles. Dès quelle déteste ce quelle doit détester, lâme, qui ne peut vivre sans amour, saime aussitôt elle-même, avec le prochain et les choses créées, dun amour légitime et vertueux [1273], fixant toujours à la lumière de la très sainte Foi, le regard de son intelligence sur Jésus crucifié; et elle voit en lui, et connaît ce quelle doit aimer. 5. Et, comme dans le sang du Christ, elle voit lamour ineffable de Dieu, car ce sang nous a plus clairement manifesté lamour et la charité de Dieu que toute autre chose, elle se met à laimer de tout son cur, de toute son âme, de toutes ses forces. Une des lois de lamour est daimer autant quon se sent aimé, et daimer tout ce quaime celui quon aime. Aussi, à mesure que lâme connaît lamour de son créateur à son égard, elle laime; et en laimant, elle aime tout ce que Dieu aime. Et parce quelle voit que Dieu aime souverainement sa créature raisonnable, quil laime tant, quil nous a donné le Verbe, son Fils, afin quil sacrifiât sa vie pour nous, et quil nous purifiât de la lèpre du péché dans son sang, le cur de lhomme se dilate et participe à la charité divine pour le prochain; il veut lui rendre ce quil ne peut rendre à Dieu, cest-à-dire lui être utile, car notre Dieu na pas besoin de nous, et ce que nous ne pouvons faire pour lui, nous devons le faire au prochain, que Dieu nous a donné comme moyen de lui prouver. lamour que nous avons pour lui, Cet amour empêche lhomme de concevoir de la haine à légard du prochain, pour les injures quil en reçoit; mais il supporte avec patience ses défauts, saffligeant plus de loffense faite à Dieu et de la perte de son âme que de sa propre injure et de la perte quil éprouve lui-même. 6. Cet amour est réglé, car il ne sort pas de la charité, et il se revêt de lhomme nouveau, du [1274] Christ, le doux Jésus, dont il suit les traces et la doctrine, rendant lé bien à ceux qui lui font du mal, détestant ce que le Christ béni déteste et aimant ce quil aime. Que déteste le Christ béni? le vice, le péché, les honneurs, les délices du monde. Le péché lui déplaît tant, que, nen ayant pas lombre en lui, il a voulu venger et punir nos fautes sur son corps; et cela dans des peines et des tourments tels, que la langue ne pourra jamais les raconter. Il méprisa tant les honneurs et les délices, que, quand les Juifs voulurent le faire roi, il disparut du milieu deux, et il embrassa au contraire la pauvreté, les injures, les affronts; il supporta la faim, la soif les persécutions, jusquà la mort honteuse de la très sainte Croix. Au lieu de la fuir, il alla au-devant des Juifs qui voulaient le prendre, et il leur dit : " Qui demandez-vous? " Ils répondirent: " Jésus de Nazareth. " " Si cest moi que vous cherchez, dit alors le doux et tendre Verbe, me voici : prenez-moi; mais laissez ceux-ci. " Il parlait de ses disciples. 7. Cest ainsi que la douce Vérité nous a enseigné la charité du prochain que nous devons aimer, et la patience qui doit nous faire supporter tout ce que Dieu permet réellement pour la gloire et la louange de son nom, ne fuyant jamais la fatigue et le travail, ne tournant jamais la tête en arrière pour regarder la charrue par impatience ou par haine envers le prochain; il faut aller au contraire au-devant de lui avec la joie du cur, et lembrasser avec lamour de Jésus crucifié. Nous devons tout supporter; nous devons le faire, parce que la peine est bien petite, et la récompense bien. grande, et aussi par amour pour [1275] Celui qui donne. La peine est petite. Savez-vous combien? comme la pointe dune aiguille. Car la peine nest pas plus grande que le temps, et vous savez bien quon ne peut simaginer la brièveté du temps. Le temps passé, vous ne lavez pas; le temps à venir, vous nêtes pas sûr de lavoir. Vous possédez donc cet instant du temps présent, et pas davantage. La peine passée nexiste pas, et la peine à venir, nous ne sommes pas certains de lavoir; nous navons que la peine de linstant présent, et pas davantage, Il est donc vrai que cette peine est bien petite. 8. La récompense nest-elle pas bien grande? Demandez-le au doux apôtre saint Paul, qui nous dit que les souffrances de cette vie ne sont pas à comparer avec la gloire future. Considérons aussi Celui qui nous donne la peine: cest notre Dieu, qui est souverainement bon: et parce quil est souverainement bon. il ne peut vouloir que notre bien. Pourquoi nous donne-t-il la peine? Pour nous sanctifier, pour éprouver en nous sa perle précieuse de la patience. Cette vertu nous montre si nous aimons véritablement notre Créateur, et si nous avons en nous la vie de la grâce; car comme limpatience est un signe que nous nous aimons plus nous-mêmes, et que nous aimons plus les choses créées que le Créateur, de même la patience est une preuve qui nous montre que nous aimons Dieu par-dessus toute chose et le prochain comme nous-mêmes. 9. Vous voyez que celui qui suit le Christ hait le vice et chérit la vertu. Il lembrasse, il sen revêt si bien, quil aime mieux mourir que de sen dépouiller, tant est douce et agréable la vertu. Dès que lâme [1276] est revêtue de lhomme nouveau par la lumière de la raison, elle goûte la vie éternelle, et rien ne peut la troubler. Si la peine arrive, elle se réjouit de ses tribulations, elle sen nourrit; elle na pas cette crainte qui fait souffrir, cette crainte servile qui tremble de perdre les biens du monde, car elle les possède avec un amour raisonnable, comme des choses prêtées, et non comme des choses qui lui appartiennent; elle voit combien elles sont passagères. Elle comprend quelle ne peut les conserver à son gré, parce quelles ne lui appartiennent pas; elle est disposée alors à sen servir avec un amour raisonnable, et toute sa vie est ainsi réglée en Dieu, dans quelque position quelle se trouve. 10. Celui qui est dans létat du mariage sy conserve avec une grande honnêteté, respectant fidèlement les jours prescrits par la sainte Eglise. Sil a des enfants, il nourrit leurs âmes et leurs corps, et les élève comme des créatures raisonnables dans les doux commandements de Dieu. Et sil est dans un autre état, où il puisse assister son prochain, il devient le père des pauvres; il se fatiguera avec joie pour eux, les assistant autant quil le pourra. Il ne veut pas faire un Dieu de son corps par le luxe et les plaisirs, mais il tient son rang dans une mesure agréable à Dieu, sans frivolité, sans vanité de cur. Il ne dépense pas son bien au seul embellissement de sa maison, parce quil voit que quand elle serait ornée, ces ornements et cette richesse pourraient bien lui être enlevés. Mais il sapplique à orner la demeure de son âme, des vraies et solides vertus; car cet ornement, personne ne peut le lui enlever sil ne veut pas. Rien ne peut affliger [1277] ceux qui agissent ainsi, parce quils ont placé leur affection dans une chose qui ne peut leur être enlevée. Ils parcourent cette vie si pleine dépreuves, sans chagrins et sans remords de conscience, et ils marchent tout joyeux dans la voie de Jésus crucifié; ils suivent sa doctrine, revêtus du vêtement léger de lhomme nouveau, et dépouillés du poids du vieil homme, qui accable et retient lâme dans le péché mortel, au milieu des peines nombreuses et des tourments de cette vie ténébreuse. 11. Celui que lamour-propre prive de la lumière de la raison nest pas plus en paix avec lui-même quavec les autres. Il ne connaît pas la Vérité, et il souffre; car, comme il ne connaît pas la Vérité, il ne peut laimer, et ne laimant pas, il ne peut sen revêtir, et il est toujours inquiet. Aussi, pour que vous soyez délivré de ce tourment, pour que vous receviez la vie de la grâce, pour que vous répondiez à Dieu qui vous appelle et vous aime dun amour ineffable, je vous ai dit que je désirais vous voir dépouillé du vieil homme, et revêtu de lhomme nouveau, du Christ, le doux Jésus. Faites-le, je vous en conjure. 12. Réjouissez-vous de ce qui est arrivé (Ce disciple fidèle de sainte Catherine eut à souffrir de lémeute de Florence, où elle fut sur le point de perdre la vie. (Voir les lettres XV et LIV.), car cest la vie de votre âme, et augmentez en vous le fruit du saint désir. Si la sensualité ou le langage trompeur des hommes vous parle autrement, ne lécoutez pas; mais soyez ferme et courageux ; persévérez dans vos saintes résolutions, et pensez que les hommes du [1278] monde ne pourront pas répondre pour vous devant le souverain Juge au moment de la mort, et que vous naurez dautre secours quune sainte et bonne conscience. Ne dormez donc plus, et réglez bien toute votre vie. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXL (233).- A MESSIRE RISTORO CANIGIANI, de Florence, à Pistoia. De la lumière parfaite.- La lumière naturelle que Dieu nous donne est insuffisante, parce quelle est obscurcie par lamour-propre.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir exciter la lumière que Dieu vous a donnée, afin quelle croisse continuellement en vous- Car, sans la lumière parfaite, nous ne pourrons connaître, aimer la vérité et nous en revêtir, si nous nen sommes pas revêtus, la lumière se changera en ténèbres, et il faut que chacun aie la lumière parfaite, dans quelque état quil se trouve. Quelle est la preuve de la perfection quon met à connaître la vérité et à la discerner des mensonges et des vanités du monde? La voici : cest lamour et lattachement quon a pour la vérité. Lhomme qui la connaît se [1279] met à aimer la vertu, à détester le vice, et la sensualité, cause de tout vice, car elle est cette loi perverse qui combat contre lesprit. Il montre alors que sa vie est parfaite, et que le nuage de linfidélité na pas obscurci la prunelle de loeil de son intelligence, cest-à-dire la lumière de la très sainte Foi. Si elle était imparfaite, il verrait imparfaitement avec une lumière naturelle, mais sans en profiter; il ne développerait pas cette lumière par lamour de la vertu. Nous devons exciter la lumière naturelle, afin de perdre limperfection et darriver à la perfection de la connaissance. 2. Mais comment, très cher Fils, pouvons-nous parvenir à cette lumière parfaite? Je vous le dirai, avec la lumière et par ce moyen: Nous avons en nous une lumière naturelle, que Dieu nous a donnée pour discerner le bien du mal, les choses parfaites des choses imparfaites, les pures des impures, la lumière des ténèbres, le fini de linfini. Cest une connaissance que Dieu nous a donnée par nature, et nous éprouvons sans cesse quil en est ainsi. Mais vous me direz: Si nous avons cette connaissance en nous, doù vient que nous nous attachons à ce qui est contraire à notre salut? Je vous répondrai que cela vient de lamour-propre, qui nous cache cette lumière comme les nuages quelquefois cachent la lumière du soleil; et alors notre erreur ne vient pas de la lumière, mais du nuage. Alors aussi le libre arbitre, dans son aveuglement, choisit les choses qui nuisent à lâme, et non pas celles qui lui sont utiles. Lâme naturellement désire toujours ce qui est bon; mais son erreur. consiste à ne pas chercher le bien où il se trouve, parce que les ténèbres de lamour-propre lui ôtent la lumière. Et ceux qui sont ainsi vont comme des insensés, mettant leurs curs et leur affection dans des choses transitoires qui passent comme le vent. O homme ! il ny pas de folie plus grande que la tiennes Tu cherches le bien dans le souverain mal, la lumière dans les ténèbres, la vie dans la mort, la richesse dans la pauvreté même, linfini dans les choses finies. 3. Peut-on trouver le bien en le cherchant où il nest pas? Il faut le chercher en Dieu, qui est léternel et souverain Bien. En le cherchant en lui, nous le trouverons, parce que Dieu na aucun mal en lui, et que tout y est parfait. Il ne peut nous donner que ce quil a en lui, comme le soleil, qui a en lui la lumière, ne peut répandre les ténèbres. Si nous voulons nous servir de cette lumière, nous verrons que tout ce que Dieu donne et permet en cette vie, que toutes les fatigues, les tribulations, les angoisses quil nous envoie nous arrivent pour nous conduire au souverain Bien, pour que nous cherchions le bien en lui et non pas dans le monde, où on ne saurait le trouver, pas plus que dans les richesses, les honneurs, les délices, où se trouvent au contraire lamertume, la tristesse, la privation de grâce pour lâme qui les possède en dehors de la volonté de Dieu. Dieu permet lépreuve pour une chose bonne et parfaite, cest-à-dire pour que nous le cherchions en vérité. Mais lhomme aveuglé par sa passion prend mal ce qui est pour son bien, tandis que la faute, qui le prive de Dieu et de la vie de la grâce, ne lui semble pas mal; il se trompe ainsi lui-même. Il faut donc exciter cette [1281] lumière naturelle, pour mépriser le monde et embrasser la vertu, et chercher avec cette lumière le bien où il est. En le cherchant ainsi, nous le trouvons en Dieu, et nous verrons lamour ineffable quil nous a montré par le moyen de son Fils, et son Fils par son sang répandu pour nous avec tant damour. Avec cette première lumière naturelle, qui est imparfaite, nous acquerrons une lumière surnaturelle, parfaite, répandue par la grâce dans nos âmes, qui nous attachera à la vertu en nous fortifiant dans tous les lieux, dans tous les temps et dans toutes les positions où Dieu nous placera, nous conformant toujours à sa volonté, que nous verrons ne vouloir autre chose que notre sanctification. Ainsi la première, si nous la développons, nous prépare, et la seconde nous lie et nous unit à la vertu. 4. Oh ! quelle joie immense mon cur ressent au sujet de votre salut ! car il me semble, daprès ce que jai pu voir en présence de Dieu, et aussi daprès la lettre que jai reçue, que la lumière naturelle na pas été obscurcie en vous par les ténèbres de linfidélité. Car, sil en était ainsi, vous ne connaîtriez pas si bien la corruption du monde, son inconstance et les attaques quil dirige contre ceux qui ne veulent pas le prendre pour Dieu; vous ne le mépriseriez pas avec tant de raison, vous ne vous sépareriez pas du vice pour désirer la vertu et la perfection, pour passer de létat imparfait du mariage à létat de la continence des anges, qui est létat parfait. Puisque Dieu, dans son infinie miséricorde, vous a rendu cette lumière dont vous aviez été si longtemps privé par votre ignorance. et votre faute, je veux que vous [1282] vous en serviez avez zèle, en vous séparant du vice et de lamour sensitif avec le glaive de la haine et de lamour, et en vous attachant par la lumière à la vertu, à la vraie et parfaite charité, aimant Dieu pardessus toute chose et le prochain comme vous-même, oubliant les injures et les torts que vous avez reçus, ou que vous recevez de lui, détruisant par lamour la haine et le dégoût que la sensualité veut vous inspirer. Oh ! combien mon âme serait heureuse, si je vous voyais toujours avancer de vertu en vertu, avec le désir de ne jamais vous laisser arrêter par les attaques du démon, qui, je le sais, vous entoure si souvent de tant dobstacles. Les créatures travaillent aussi de leur côté avec la passion et la faiblesse qui cherchent toujours à se révolter. Mais avec cette douce lumière, vous triompherez de tous ces combats, et vous foulerez ces ennemis aux pieds de laffection. 5. Je veux donc, pour augmenter cette lumière, que vous ayez quatre choses présentes aux regards de votre intelligence, afin de développer la lumière et la vertu dans votre âme. La première est que vous considériez combien vous êtes aimé de Dieu: il vous a par amour créé à son image et ressemblance, et régénéré dans le sang de son Fils; par amour il vous a conservé la vie pour que vous ayez le temps de vous convertir, et il a ajouté à cette grâce tant dautres dons spirituels et temporels, que je ne puis les rappeler; et tous ces dons vous ont été faits par grâce et non par obligation. Si vous les considérez, si vous y pensez bien, vous serez forcé daimer, car lâme naturellement est entraînée à aimer celui dont [1283] elle se voit aimée. Aussi, en se voyant aimée dun amour ineffable, elle suit cet amour; elle aime Dieu et ce quil aime davantage; ce qui lui plaît lui plaît, ce qui lui déplaît lui déplaît. Et parce quelle voit que le Créateur aime souverainement sa créature raisonnable, elle laime aussi ; et les services quelle ne peut rendre à Dieu, elle les rend à la créature par amour pour lui. La seconde chose quil faut considérer, cest que nous devons aimer Dieu généreusement, comme des enfants et non comme des esclaves, dont les actes ne saccordent pas avec les pensées et leurs curs. Nous ne pouvons rien cacher à loeil de Dieu, et il faut le servir avec zèle et sincérité. Nous devons voir en troisième lieu combien est abominable à Dieu et au monde, et combien est nuisible à lâme le péché mortel; combien au contraire plaît et profite la vertu. Le péché répugne tant à Dieu, que de lhumble Agneau sans tache il a fait une enclume pour y châtier nos iniquités, Il est si nuisible, quil nous ôte la lumière, nous prive de la vie de la grâce et nous donne la damnation éternelle. La vertu est si agréable à Dieu, que lhomme vertueux devient un autre lui-même par lamour, et que dès cette vie même, il lui fait goûter les arrhes de la vie éternelle; au milieu des orages et des afflictions, lâme jouit de la paix et de ses douceurs. La quatrième et dernière chose quil faut considérer, est que toute faute est punie et toute vertu récompensée; car Dieu sait, peut et veut punir le mal et récompenser les peines que nous souffrons en cette vie, pour la gloire et lhonneur de son nom; et cest de cette récompense que parle le glorieux apôtre saint Paul: [1284] « Les souffrances de cette vie ne sont pas comparables à la gloire future que Dieu destine à ses serviteurs (Rm 7,8). » 6. Ces quatre considérations régleront et guideront votre vie dans lamour et la sainte crainte de Dieu; vous suivrez et vous perfectionnerez la bonne voie où vous avez commencé à marcher. Que lardeur du saint désir augmente en vous, et vous donne ce qui manque à votre perfection; et Dieu, comme un sage et bon médecin, portera remède à ce qui semble être un obstacle. Foulez, foulez aux pieds le monde, chassez-le de votre cur comme il vous chasse lui-même. Unissez-vous à Jésus crucifié, afin de recevoir le fruit de son précieux sang, avec la lumière surnaturelle; la lumière naturelle bien employée vous y conduira, et vous accomplirez tout ce que nous avons dit, mais pas autrement. Cest pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir exciter la lumière que Dieu vous a donnée, afin quelle croisse continuellement en vous, parce que sans la lumière nous marcherons dans les ténèbres. Avec cette lumière, je veux que vous éleviez votre famille dans la sainte et vraie crainte de Dieu. Vivez dans létat du mariage comme un homme raisonnable, et non comme un animal grossier; observez les jours qui sont commandés par la sainte Eglise, afin que votre arbre produise de bons fruits. 7. Je veux que vous usiez souvent de la confession, et que vous communiiez aux grandes fêtes, comme doit le faire une personne qui craint Dieu. Alors [1285] vous serez ma consolation et ma joie, car je vous verrai marcher dans la lumière et non dans les ténèbres. Quoique éloigné de corps, vous serez toujours près de moi, parce que vous avez et vous aurez toujours la prière et le désir qui vous offre en la présence de Dieu. Courage, courage dans le précieux sang du Christ, dont le secours est près de vous. Aimez à vous retrouver souvent avec votre Créateur par la prière actuelle, par les saintes pensées et la prière continuelle des saints désirs. Dites aussi toutes ces choses à votre femme. Quittez la vie commune, et prenez la vie des anges; Dieu vous y appelle. Répondez généreusement, et soyez une famille danges sur terre. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXLI (233).- A PIERRE CANIGIANI, à Florence.- De la charité, de ses obstacles et de ses effets.- Des peines quéprouvent les partisans du monde. (Pierre Canigiani, père du précédent, joua un rôle important dans la république de Florence, Il en fut lambassadeur dans les années 1358, 1365, 1367. Il était très dévoué à sainte Catherine; sa maison fut brûlée dans lémeute de 1378, et il fut condamné lannée suivante à une amende de deux mille florins.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Père et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des [1286] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermi dans le vrai et parfait amour, afin que vous soyez revêtu du vêtement nuptial de la parfaite charité. Sans ce vêtement, nous ne pourrons entrer aux noces de la vie éternelle, auxquelles nous sommes invités, mais nous serons chassés et bannis de la vie éternelle, à notre grande confusion. Oh ! quelle confusion pour cette âme qui, au dernier moment de la mort, quand elle devrait goûter les joies de sa patrie, en est privée et bannie par sa faute, parce quelle a terminé sa vie sans ce doux et beau vêtement ! Elle sera couverte de confusion en présence de Dieu, devant les anges et les hommes, au fond même de sa conscience, où un ver la rongera toujours, et à la vue des démons même, dont elle sest faite lesclave, en les servant avec le monde et la sensualité. La récompense quelle en recevra sera la confusion, linsulte, des supplices et des tourments sans nombre. Elle revoit deux ce quils ont pour eux-mêmes; et cela lui arrive parce quelle se présente au festin sans la robe nuptiale. 2. Et qui len a privée? lamour-propre, car celui qui saime dun amour sensitif ne peut aimer Dieu et saimer dun amour raisonnable, parce que ces deux amours sont contraires et ne peuvent saccorder ensemble. O très cher Père, regardez comme ils sont différents, combien est dangereux et pénible lamour sensitif, et combien est doux lamour divin ! La différence vient de ce que celui qui sattache au monde aime et cherche toutes les choses qui peuvent flatter ses sens; il cherche les honneurs, les dignités, les richesses du monde, que le serviteur de Dieu fuit [1287] comme la peste, parce quil en a éloigné son cur et son amour, pour les placer uniquement dans son Créateur, tenant à honneur dêtre privé des dignités, des richesses, des jouissances, des plaisirs, et dêtre en butte aux persécutions, aux injures du monde et de ses partisans. Il supporte tout avec une vraie et sainte patience, parce quil a tout foulé aux pieds de son affection; il est maître du monde, parce quil la complètement laissé, non pas en partie, mais tout à fait, et si ce nest pas en réalité, cest au moins par un saint et vrai désir, lestimant ce quil vaut, et pas davantage, méprisant la sensualité, et la soumettant comme une esclave à la raison. 3. Celui qui saime, au contraire, se fait un Dieu du monde, de ses plaisirs et de lui-même. Le temps quil devrait consacrer au service de son Créateur, il le dépense en choses vaines et passagères ; il lemploie pour son corps fragile, qui est aujourdhui et ne sera plus demain; car cest une pâture destinée aux vers et à la mort, un amas de corruption. Il aime lorgueil, et Dieu, lhumilité; il est impatient, et Dieu veut la patience; son cur étroit ne peut contenir Dieu et le prochain par lamour, et Dieu est large et généreux. Aussi, les serviteurs de Dieu qui ont la charité divine et qui suivent véritablement la doctrine de Jésus crucifié, sont prêts à donner leur vie pour lhonneur de Dieu et le salut du prochain, tandis que le misérable serviteur du monde est intérieurement rongé par lenvie, la haine et la colère; il est dévoré par le désir de la vengeance, il se plaît dans la fange de limpureté. Le serviteur de Dieu, au contraire, aime le parfum de la pureté et de la continence, quil [1288] cherche à goûter par amour de la vertu, même dans létat légitime du mariage. 4. Nous voyons quen toute chose ces deux amours sont opposés; ils ne peuvent exister ensemble, et lun chasse lautre. Aussi nous voyons que quand lhomme se met à considérer sa misère, Je peu de durée du monde et son inconstance, il le hait, et cette haine chasse lamour; et parce que lâme ne peut vivre sans amour, elle aime aussitôt ce quà la lumière de lintelligence, elle a vu et connu dans la charité divine; elle a trouvé la grande bonté de Dieu à son égard, la force, la stabilité quelle en reçoit; elle voit quelle a été régénérée à la grâce dans le sang de lhumble Agneau sans tache, qui, par amour, a lavé la face de lâme avec son propre sang. Aussi, en se voyant tant aimée, elle ne peut sempêcher daimer. La lumière nous est donc bien nécessaire pour connaître lamour que Dieu nous porte, et les grâces, les bienfaits que nous recevons continuellement de lui. Cet amour rend lhomme reconnaissant et juste envers Dieu et le prochain; comme lamour-propre le rend ingrat et injuste, parce quil attribue à son propre fonds ce quil a. Qui nous montre quil en est ainsi? son ingratitude, qui se manifeste par ses fautes de chaque jour, comme lâme montre sa reconnaissance en attribuant à Dieu tout ce quelle a, excepté le pêché, qui est un néant. La vertu prouve sa gratitude. Il est donc vrai quen toute chose ces deux amours sont différents. 5. Je dis que le serviteur du monde qui saime lui-même éprouve de grandes et intolérables peines; car, comme dit saint Augustin, « le Seigneur a permis [1289] que lhomme qui saime dune manière déréglée soit insupportable à lui-même (Conf. L. 1 ch. 12). Il porte la croix du démon; car, sil acquiert des jouissances, il les acquiert avec peine ; et quand il les a, il les possède avec trouble, avec la crainte de les perdre. Sil les perd, cest un tourment quil supporte avec une grande impatience; et sil ne peut les avoir, il en souffre, parce quil les désire, Il est si aveugle, quil perd sa liberté en se rendant le serviteur et lesclave du péché, du monde, de ses délices et de sa propre faiblesse. Ce sont là les peines générales des partisans du monde; mais combien nen ont-ils pas de particulières? Nous voyons tous les jours ce que souffrent ceux qui sont au service du démon. Hélas ! pour acquérir lenfer, ils ne craignent pas la mort corporelle; ils ne redoutent aucune fatigue; et moi, misérable, pour avoir Dieu, pour acquérir Dieu, je ne supporte pas la moindre chose; mon ombre me fait peur. Oui, je le confesse, les enfants des ténèbres couvrent de honte et de confusion les enfants de la lumière, car ils mettent plus de soin, pus de zèle, ils prennent plus de peine pour aller en enfer que les enfants de la lumière pour obtenir la vie éternelle. Combien de fatigues et damertume donne ce coupable et misérable amour ! 6. Mais, au contraire, le véritable et parfait amour a une telle suavité, une telle douceur, quaucune amertume ne peut en détruire le charme. Lamertume, au lieu de la troubler, fortifie lâme et la rapproche de son Créateur; elle goûte en lui la douceur de sa [1290] charité, parce quelle croit dune foi vive que tout ce que Dieu donne ou permet, cest toujours pour son bien et sa sanctification. Qui le lui a montré? le sang du Christ, où elle voit, à la lumière de la Foi, que sil avait voulu autre chose que notre bien, Dieu ne nous aurait pas donné un rédempteur comme le Verbe son Fils, et son Fils ne nous aurait pas sacrifié sa vie avec tant damour, en punissant nos iniquités sur son corps. Lamour parfait remplit lâme de force et de persévérance elle ne tourne pas la tête en arrière pour regarder la charrue, elle ne se scandalise ni pour elle ni pour le prochain; mais elle supporte avec bienveillance et charité fraternelle tous ses défauts. Elle ne safflige pas de la perte de se fortune si elle en possède, cest avec peine; si elle en est privée, elle ne se tourmente pas pour lacquérir, parce que ses désirs sont réglés sur la volonté de Dieu, à laquelle elle a immolé sa volonté propre cest cette volonté qui cause nos peines et nos tourments. 7. Lamour aussi la sépare du monde et lunit intimement à Dieu; il dispose la mémoire à retenir ses bienfaits, il éclaire loeil de lintelligence pour lui faire connaître la vérité dans la doctrine de Jésus crucifié, et il dirige sa volonté pour laimer de tout son cur, avec dardents désirs; il règle aussi les moyens du corps, cest-à-dire que tous ses exercices temporels et spirituels sont inspirés par lhonneur de Dieu et lamour de la vertu. Lâme alors se trouve avoir répondu à Dieu, qui la invitée depuis le commencement de la création jusquau dernier moment aux noces éternelles. Elle a, dans sa reconnaissance [1291], revêtu la robe nuptiale de la charité, parce quelle sest dépouillée par la haine, de lamour sensitif. Elle aime Dieu, elle laime dun amour raisonnable; et ainsi elle se trouve revêtue de la charité : elle ne pourrait autrement parvenir à sa fin. 8. Comme je sais quil ny a pas dautre voie, je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans le véritable et parfait amour; et aussi je veux que vous profitiez de ce temps que Dieu vous a réservé dans sa miséricorde, pour commencer de nouveau à vous dépouiller de vous-même et à vous revêtir de Jésus crucifié. Laissez maintenant les morts ensevelir les morts, et suivez-le en toute vérité. Laissez maintenant pour jamais les tracas du monde, laissez linquiétude à qui doit lavoir, et dérobez le temps nécessaire pour acquérir de solides vertus dans de saints exercices. Nattendez pas le temps, car nous ne sommes pas sûrs de lavoir. Aimez, aimez Celui qui vous aime dun amour ineffable; que votre bonheur soit dêtre avec les serviteurs de Dieu, et recherchez leur société. Confessez-vous bien souvent; je ne pense pas quil soit nécessaire de vous le dire; recevez la sainte Communion à toutes les fêtes solennelles, afin de pouvoir acquérir plus parfaitement le doux vêtement dont je vous ai parlé. Appliquez-vous à élever votre famille dans la sainte crainte de Dieu. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1292].
CCXLII (234). A MATTHIEU, fils de Jean Colombini, de Sienne.- De la vérité que Dieu nous a manifestée en nous créant à son image et ressemblance, pour le posséder lui-même comme le souverain bien. (La famille des Colombini a donné à lEglise deux saints qui furent contemporains de sainte Catherine. Le B. Jean Colombini, fondateur des Gesuates, et la bienheureuse Catherine Colombini, qui établit des religieuses du même Ordre. Lun mourut en 1366, lautre eu 1388. Matthieu était leur cousin.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir avec la vraie et parfaite lumière. Par cette lumière, vous connaîtrez et vous verrez la vérité, cette vérité qui nous délivre; car en la connaissant nous laimerons, et en laimant elle nous délivrera de la servitude du péché mortel. Quelle est cette vérité quil nous faut connaître? cest une vérité qui nous vient de lamour ineffable de Dieu, et nous devons rendre à cette vérité notre dette damour et de haine. Comment? en reconnaissant léternel et souverain Bien, et lamour ineffable avec lequel Dieu nous a créés à son image et ressemblance. Il nous a créés pour cette vérité, pour que nous goûtions la félicité parfaite, et que nous rendions [1293] gloire et honneur à son nom. Afin daccomplir cette vérité en nous, il nous a donné le Verbe, son Fils, et il nous a fait renaître à la grâce dans son sang. 2. Nous devons arriver à cette connaissance en nous y appliquant avec un grand zèle; mais nous ne pouvons lacquérir sans la lumière, et cette lumière, nous ne pouvons lavoir avec le nuage de lamour. propre. Cet amour obscurcit loeil de lintelligence,. et lempêche de connaître et de discerner la venté; mais il prend le mensonge pour la vérité, et la vérité pour le mensonge; les choses passagères lui semblent être durables et heureuses, tandis quelles périssent comme la fleur qui, une fois cueillie, perd sur-le-champ sa beauté. Honneurs, richesses, grandeurs, plaisirs, tout passe comme le vent, tout change; et nous allons de la santé à la maladie, de la richesse à la pauvreté. de la vie à la mort. Linsensé qui saime lui-même juge tout le contraire dans son aveuglement, et il agit en conséquence. Qui le montre? lamour déréglé quil a pour lui et pour le monde. 3. Il en est ainsi parce quil a perdu la lumière; car sil avait véritablement la lumière, il saurait que Dieu est le souverain bien, le bien incompréhensible et ineffable que personne ne peut apprécier; car lui seul peut se comprendre et sapprécier. Il est la souveraine et éternelle richesse, il est le juste et compatissant médecin qui nous donne les remèdes nécessaires à nos maladies. Aussi, le glorieux apôtre saint Paul disait: Quand le genre humain languissait malade, le grand médecin du monde vint guérir nos [1294] infirmités (Rm 5,6). Il soigne chacun selon ses blessures, avec lardeur de la charité divine: quelquefois il nous soigne en nous ôtant les choses qui sont nuisibles à notre salut et qui sont un obstacle entre Dieu et nous. Aux uns il enlève leurs enfants, aux autres les biens temporels, à dautres la santé, à dautres les honneurs du monde, en les frappant de tribulations nombreuses; et il ne le fait pas par haine, mais par un tendre amour. Il nous prive des vaines jouissances de la terre pour nous donner abondamment les biens du ciel; il est le bon, léternel juge, le maître juste, qui rend à chacun ce qui lui est dû. Aussi, tout bien est récompensé, toute faute est punie. Cest en forçant saintement, en domptant notre volonté perverse, cest par la violence, que nous acquerrons les vraies et solides vertus, et notre peine sera récompensée par des biens immortels. La lumière nous fait connaître la vérité sur le monde, qui na en lui aucune stabilité. Cest en vain que se fatigue celui qui dépense sou temps pour le monde; en se faisant un Dieu de ses enfants et de ses richesses, il ne saperçoit pas que ces choses lui donnent la mort, et le privent de la vie de la grâce; il semble ignorer que Dieu a permis que lamour déréglé le rende insupportable à lui-même; il goûte dans cette vie les arrhes de lenfer, uniquement parce quil na pas connu la vérité, par la privation de la lumière. 4. Je ne veux pas, très cher Fils, que nous dormions davantage; mais levons-nous avec empressement, et dissipons le nuage de lamour-propre qui [1295] obscurcit loeil de notre intelligence. En le faisant, vous accomplirez en vous la volonté de Dieu et mon désir; car je vois que sans la lumière, nous ne pouvons connaître la vérité, et je désire voir en vous la vraie lumière, afin que vous connaissiez parfaite. ment la vérité; et cette lumière, cette vérité vous rendront constant dans ce que vous avez entrepris avec un louable et saint désir. Ne tardez pas, car vous nêtes pas sûr davoir le temps; mais agissez toujours sans crainte servile, avec une vraie et parfaite espérance, une entière confiance en votre Créateur. Réglez votre vie en toute chose; obéissez à la conscience, et détruisez avec une véritable persévérance tout ce qui nest pas régulier dans votre vie. Bannissez toute tristesse de votre cur, et reconnaissez avec une grande joie lamour ineffable et la plénitude de la divine miséricorde qui a débordé sur vous. Foulez pour jamais le monde sous vos pieds, et répondez à Dieu qui vous appelle, avec un cur généreux et non mercenaire. 5. Aimez, comme un vrai et bon fils, à purifier souvent votre conscience par la sainte confession, et recourez à. la Communion en temps et lieu convenables. Fréquentez ceux qui craignent véritablement Dieu, et employez votre temps aux veilles et à la prière, autant que vous le pourrez. Noubliez pas dassister à lOffice. Que votre imagination et votre intelligence soient toujours pleines de Jésus crucifié, et appliquez-vous à découvrir, non pas les Secrets de Dieu dans ses mystères cachés, mais seulement si volonté, la douceur de sa charité, qui nous aime dune manière ineffable et ne cherche, ne veut autre [1296] chose que notre sanctification, Reconnaissons aussi nos défauts, pour nous humilier sous la douce et puissante main de Dieu. Quant à létat du mariage où vous êtes, je vous prie den user comme dun Sacrement, et dobserver avec respect les jours prescrits par lEglise. Appliquez-vous, dès maintenant, avec votre femme à vivre de la vie des anges: respirez le parfum de la continence pour en goûter le fruit. Et ainsi vous réglerez doucement votre vie, sans attendre davantage; car, comme je vous lai dit, le temps ne nous attend pas. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, cachez-vous dans ses douces, ses très douces plaies; et là, dilatez, consumez votre cur. Gardez-vous de tourner la tête en arrière pour regarder la charrue, car je me plaindrais de vous à lhumble Agneau, et vous nauriez personne pour vous défendre. Enfantez des vertus, et ne cessez jamais de les concevoir par lamour dans votre cur. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1297].
CCXLIII (235).- A PIERRE, fils de Jean Venture, de Sienne.- De la persévérance dans la vertu et des moyens de lobtenir. (Ce disciple de sainte Catherine appartenait à une des premières familles de Sienne; Il fut ambassadeur de la république en 1392.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir persévérer dans la vertu, parce que, sans la persévérance, tu ne recevras pas la couronne de gloire qui se donne aux vrais combattants. Mais tu me diras: Comment puis-je acquérir cette persévérance? Je te répondrai : On sert la créature autant quon laime, et pas davantage; le défaut du service vient du défaut de lamour, et lon aime autant quon se voit aimé. 2. Ainsi, tu vois que lamour vient en se voyant aimé, et cest lamour qui te fera persévérer. Autant tu ouvriras loeil de ton intelligence pour regarder le feu et labîme de lineffable charité de Dieu envers toi, cet amour infini quil ta montré par le Verbe, son Fils, autant tu seras forcé par lamour à laimer en vérité, de tout ton cur, de toute ton âme, de toutes tes forces, généreusement et purement, sans penser à ton intérêt. Tu vois que Dieu taime pour [1298] ton bien et non pour le sien, car il est notre Dieu, qui na pas besoin de nous; et toi aussi, comme toute créature raisonnable, tu dois aimer Dieu pour Dieu, en tant quil est léternelle et souveraine Bonté; tu ne dois pas laimer pour ton utilité, et tu dois aimer le prochain à cause de lui. Dès que tu as pris pour principe, pour fondement lardeur de la charité, tu commences à le servir par le moyen de la vertu. 3. Oui, cest avec la lumière et lamour que tu acquerras la vertu, et que tu pourras y persévérer. Mais remarque quen voyant que tu es aimé de Dieu, il faut voir aussi ta faute et ton ingratitude, et ten repentir dans une sainte connaissance de toi-même, afin de ne pas oublier la chère vertu de lhumilité véritable, et de ne pas tomber dans la présomption et la bonne opinion de toi-même. Sais-tu combien il est nécessaire de connaître et de pleurer nos fautes pour conserver et augmenter la vie de la grâce dans nos âmes? autant que la nourriture corporelle est nécessaire pour conserver la vie du corps. Ecarte donc le nuage de lamour propre, afin quil ne tôte pas la lumière. Et alors tu auras cette connaissante parfaite, inséparable de lamour et de la haine; et dans lamour, tu trouveras la vertu de la persévérance. Tu accompliras ainsi la volonté de Dieu et mon désir en toi. Cette volonté, ce désir, cest de te voir croître et persévérer jusquà. la mort dans les vraies et solides vertus. 4. Et prends garde davoir confiance en toi-même, car cette confiance est un vent perfide, qui vient de lamour-propre. Tu faiblirais aussitôt, et tu tournerais la tête en arrière pour regarder la charrue; et [1299] comme lamour de Dieu acquis dans lhumble connaissance de toi-même te fait persévérer dans la vertu, de même lamour-propre, qui te fait estimer toi-même, te prive de la vertu et te fait tomber et rester dans le vice. Fuis, mon Fils, fuis le vent subtil de cette confiance en toi-même. Va te cacher intérieurement dans le côté de Jésus crucifié; et là, applique ton intelligence à regarder le secret du cur. Ton amour senflammera, en voyant quil a ouvert son corps pour ty offrir un refuge contre les coups de tes ennemis, pour que tu puisses ty reposer et apaiser ton âme dans lardeur de la charité; là aussi tu trouveras la nourriture, car tu vois bien quil ta donné sa chair pour, nourriture et son sang pour breuvage. La victime a été préparée sur la Croix, au feu de la charité, et sur la table de lautel tu trouves lHomme-Dieu tout entier. Que la dureté de nos curs se brise donc maintenant, et que notre âme samollisse pour recevoir la doctrine de Jésus crucifié. 5. Je veux que maintenant vous commenciez, toi et mes autres Fils négligents, à
devenir semblables au Verbe incarné, à ce petit Enfant que nous présente
aujourdhui la sainte Eglise. Quest-ce qui peut plus confondre notre orgueil
que de voir Dieu humilié jusquà lhomme? la hauteur de la Divinité descendue
à la bassesse de notre humanité? Quelle en
CCXLIV (236). A RENAUD DE CAPOUE, esprit distingué de Naples, qui étudie les mystères de Dieu et de la sainte écriture.- De la lumière de la foi. nécessaire pour ne pas se tromper.- De ses effets dans lâme. (Ce Renaud de Capoue était peut-être parent du bienheureux Raymond.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir, en vous la vraie et parfaite lumière, cest-à-dire la lumière de la très sainte Foi; car sans cette lumière, nous marcherions dans les ténèbres, et il nous arriverait malheur. Il faut donc avoir la lumière. Voyons ce qui la donne, ce qui lôte, ce qui fait que lâme a en elle cette lumière, et le fruit quelle en retire. 2. Si nous considérons bien comment se perd la vue du corps, nous voyons quelle se perd par le glaive qui frappe loeil ou par la pierre, la terre ou lobjet qui le blesse, ou encore par une chaleur déréglée, comme il arrive à ceux qui sont aveugles par la chaleur et léclat dun bassin qui dessèche la prunelle (À Constantinople, et au moyen âge, on forçait ceux qui étaient condamnés à perdre la vue, à fixer leur regard sur un bassin de bronze rougi au feu. Léclat et la chaleur leur paralysait les yeux sans les défigurer. Lempereur Manuel fit subir ce supplice à Henri Dandolo, ambassadeur de Venise à Constantinople.). On perd ainsi la lumière corporelle, il en [1302] est de même de la vue de lintelligence quaveuglent la chaleur et léclat, la chaleur de lamour-propre et léclat de la vaine gloire. Quel glaive la blesse? la haine de la vertu. Et les pierres sont les vices, dont la main du libre arbitre aveugle lintelligence en rendant lhomme infidèle à Dieu, et fidèle au monde. La même main jette la terre dans loeil; car aussitôt que lintelligence sattache à la terre, la nuit arrive, et lâme est toujours dans les ténèbres. II y a bien des causes qui nous privent de la lumière, mais celles-ci sont les principales. 3. Quel est le moyen de fuir les ténèbres, et dacquérir la lumière. Je dis que lhomme peut retrouver la lumière de la même manière quil la perdue, non par le même sentiment, mais par le même acte et avec la même main du libre arbitre, de ce libre arbitre que ni le démon ni les créatures ne peuvent enchaîner, si nous ne le voulons pas, en lenchaînant par notre volonté propre. Et quel est ce bassin brûlant que nous devons placer devant les yeux de notre intelligence? Cest Jésus-Christ, qui, dans le bassin de notre humanité, entretient une grande chaleur, et nous montre le feu et labîme de lineffable charité de Dieu, avec léclat de la nature divine unie et mêlée au feu et à notre nature. Cet objet, ce doux Verbe, Jésus crucifié, jette tant de chaleur et de lumière quil dessèche lhumidité de lamour-propre, dissipe les ténèbres par sa lumière, et lâme reçoit une lumière surnaturelle répandue dans lintelligence[1303]. 4. Aussitôt que la lumière est dans lâme, elle commence à éloigner delle ce qui ôte la lumière, et elle prend ce qui la donne; puis elle saisit le glaive de la haine du vice et les pierres de lamour de la vertu pour en frapper sa vue, cest-à-dire quelle fixe ses regards sur les vertus, et quelle voit leur excellence, combien elle sont agréables à Dieu, et combien elles lui sont utiles à elle-même. Et aussitôt quelle le voit, sélèvent comme un vent léger la faim de lhonneur de Dieu et du salut des âmes et le désir de suivre la doctrine de la vérité. Ce désir est un vent léger qui enlève la terre de loeil, et le purifie par dhumbles et continuelles prières; et par ces prières, lâme attire sur elle la clémence du Saint-Esprit, qui dirige son affection dans un amour bien réglé. Cette affection attire le ciel et la terre, cest-à-dire le prochain, quil faut regarder avec les yeux de la Foi pour lhonneur de Dieu et le salut des âmes, et quil faut assister dans ses nécessités corporelles autant quon le peut. Cest ainsi que le libre arbitre, en changeant daffection, retrouve sa lumière. 5. Il y a beaucoup dautres moyens, mais ce sont là les principaux... Voyons maintenant ce que fait la lumière de la Foi dans lâme. Elle y fait naître lamour; elle la conçu dans la doctrine de Jésus crucifié, et elle le nourrit dans la charité du prochain. Sans cette charité, son amour périrait, parce que lamour du Créateur ne peut exister et se conserver sans lamour de la créature pour Dieu. Aussi je vous ai dit que la lumière enfante lamour, car on naime une chose quautant quon la connaît; et on la connaît autant quon la voit, et on la voit aussi parfaitement [1304] que la lumière est parfaite. Lamour et la lumière se nourrissent ensemble comme la mère nourrit son enfant sur son sein, et lenfant, lorsquil a grandi, nourrit sa mère par son travail; ils se soutiennent mutuellement. De même le fils de la divine charité nourrit la lumière, et donne à lâme de doux, de tendres et ardents désirs en la présence de Dieu. Elle suit les traces de Jésus crucifié, elle sentoure dune humilité véritable, se glorifie des opprobres de Jésus crucifié; et dans toutes ses peines, elle se réjouit de souffrir corporellement et spirituellement elle est toujours patiente, quelles que soient les épreuves que Dieu lui envoie. Et qui la fait agir ainsi? la Foi. Car cest à sa lumière quelle connaît dans le sang du Christ que Dieu ne veut, pas autre chose que notre sanctification, et quil ne nous donne les tribulations, les consolations, les tentations que dans le but de nous voir sanctifiés en lui. Ainsi le fidèle est patient; il ne peut et ne doit pas se plaindre de son bien. 6. Cet humble fidèle ne cherche pas à pénétrer les secrets mystères de Dieu, en lui ou dans les autres, et à comprendre les choses visibles et invisibles; mais il cherche seulement à se connaître lui-même, à comprendre, à voir en tout léternelle volonté de Dieu, goûtant intérieurement lardeur de sa charité. Il ne veut pas sélever comme le superbe ou le présomptueux, qui, avant de se connaître et de vouloir entrer dans la vallée de lhumilité, prétend examiner la conduite de Dieu, disant et pensant: Pourquoi Dieu agit-il ainsi ? Pourquoi ne pas plutôt agir de telle manière? Pourquoi ma-t-il donné ce quil ne donne pas à un autre? Ce présomptueux voudrait [1305] faire des lois à Dieu, tandis quil devrait connaître et admirer dans tout ce quil voit sa grandeur et sa bonté, comme le fait lhumble fidèle, qui sait voir en toute chose Sa grandeur, sa puissance et sa bonté infinies. 7. Il y en a beaucoup qui, sans humilité et sans application à connaître leurs défauts, subtiliseront et voudront, avec loeil obscurci de leur intelligence, comprendre la sainte Ecriture et pénétrer sa profondeur; ils voudront lexpliquer et la comprendre à leur manière; ils étudieront lApocalypse, non pas avec humilité et avec la lumière de la Foi, mais avec orgueil et en ségarant dans des difficultés dont ils ne peuvent sortir. Ils tirent ainsi de la vie la mort, et de la lumière les ténèbres. Lâme qui devait être pleine de Dieu est remplie de fantômes, et le fruit quelle acquiert nest que confusion et ténèbres. Cela lui arrive parce quau lieu de descendre, elle a voulu monter. Quelle honte pour nous de ne pas encore nous connaître nous-mêmes ! Je nobserve pas les lois qui me sont imposées, et je veux en donner à Dieu et connaître tous ses secrets ! Si nous voulons voir les étoiles de ses mystères, descendons dans labîme dune humilité profonde: ainsi fait le fidèle qui se jette à terre pour reconnaître sa bassesse; et alors Dieu lélève. Il ne va pas chercher comment les choses peuvent être, parce que la sainte Foi lui fait voir clairement que cest le démon ou la passion qui lui inspirent ses doutes. Il se regarde dans le miroir de la prière continuelle, en se regardant sans cesse dans la vérité; et la vérité lui inspire un saint et vrai désir qui lui fait offrir lencens dune humble [1306] prière. Cette Foi rend le cur sincère, et lui fait confesser ses fautes simplement; il ne les cache pas par honte ni par crainte de la peine, mais il les confesse par haine de la faute, et pour se purifier de toute souillure; il nest arrêté ni par peur des reproches, ni par aucune autre considération. Voilà ce que fait la Foi. 8. Voyons maintenant quel fruit elle nous donne. En ce monde elle nous donne la plénitude de la grâce, et dans lautre la vie éternelle. Et comment Dieu nous en fait-il jouir? par lespérance. Par quelle vertu? par la vertu du sang de lhumble Agneau. Cest cette humble espérance qui nespère pas en ma propre vertu, et ne désespère pour aucune des fautes ou lâme est tombée; mais elle espère dans le Sang, et chasse le désespoir, en jugeant la miséricorde de Dieu, quelle trouve dans le Sang, plus grande que sa misère. 9. O Espérance ! douce sur de la Foi, tu es celle qui, avec les clefs du Sang, ouvre la vie éternelle. Tu gardes la cité de lâme contre lennemi de la confusion; tu ne ralentis point tes pas lorsque le démon, par le poids des fautes commises, veut troubler lâme et la porter au désespoir; mais tu persévères généreusement dans la Vertu, en mettant dans la balance le prix du Sang; tu places la couronne de la victoire sur la tête de la persévérance, parce que tu espères ravoir par la vertu du Sang. Tu as celle qui enchaînes le, démon de la confusion dans les liens dune foi vive; tu réponds à toutes les perfidies dont il use contre lâme pour la tenir dans les ténèbres et lagitation [1307]. 10. Il arrive quelquefois que lâme aura confessé sincèrement sa faute, quelle nen aura rien caché volontairement t le démon, cependant, pour embarrasser lesprit et empêcher lâme de recevoir avec amour le fruit de la confession, voudra lui faire croire quelle ne sest pas bien confessée de ses fautes. Il lui dira: Tu nas pas dit toutes tes fautes, et celles que tu as dites, tu ne les as pas expliquées comme tu le devais. Il jette ainsi dans lâme des pensées qui la font souffrir. Si lâme alors nécoute pas la prudence et lespérance, elle reste dans la tiédeur, la crainte, le trouble et les ténèbres; elle entrave ses saints désirs et se condamne à la confusion; elle se prive de toute joie, et devient insupportable à elle-même. 11. Quel est le moyen dempêcher quelle ne tombe alors dans le désespoir? Il ny en a pas dautre que dexaminer sa conscience à la lumière de la Foi, et de voir si cest volontairement et par malice quelle ne sest pas purifiée du poison du péché par la confession. Quelle se confesse avec humilité davoir dit ses fautes imparfaitement, de ne pas les voir accusées autant quelle le pouvait; mais que cette confession soit appuyée par lespérance du sang de Jésus-Christ, dont le mérite peut suppléer à ce qui lui manque. Un autre moyen est de regarder à la lumière combien Dieu laime dun amour ineffable. Cet amour ne méprise pas le témoignage dune bonne conscience, et il ne souffrirait pas quil restât dans lâme quelque chose qui lui déplût. Avec cette foi, cet amour, cette espérance, elle sabîme dans la miséricorde de Dieu, se méfiant delle-même, et se confessant avec une [1308] grande simplicité de cur; mais quelle ne se tourmente pas davantage, quelle ne pense plus à elle, pour penser à la miséricorde que Dieu a montrée et montre toujours à son égard. Et si le combat et les tentations reviennent toujours, quelle méprise la peine quelle en éprouve, et quelle y trouve seulement un moyen de shumilier, de se connaître et de pratiquer la vraie et parfaite espérance, pensant quen souffrant et en suivant le chemin de la Croix, elle sera plus agréable à Dieu que par tout autre moyen, et quelle recevra plus abondamment le fruit du précieux Sang. Cest là, très cher Frère, le remède que Dieu vous donne contre votre faiblesse. Ainsi, nous avons vu ce qui ôte la lumière et ce qui la rend; nous avons vu ce que fait la Foi, comment elle abat lorgueil et détruit la présomption, et le fruit que porte la Foi, cest-à-dire lespérance. 12. Puisque nous lavons vue, dune manière bien imparfaite sans doute, je vous en supplie et je vous en conjure par lamour de Jésus-Christ, suivons cette lumière glorieuse, pour traverser les orages de cette vie avec une ferme espérance et une vraie connaissance de nous-mêmes. Foulons aux pieds notre volonté et nos opinions avec une humilité sincère; cherchons à nous revêtir des vrais et solides vertus par la doctrine de Jésus crucifié. Je suis persuadée que si vous avez en vous la lumière de la Foi, vous le ferez, mais pas autrement. Cest pourquoi je vous ai dit que je désire voir en vous cette douce lumière, et je vous prie de vous appliquer à lacquérir. Pensez que Dieu est plus disposé à pardonner que vous ne lêtes à pécher. Espérez, et soyez fidèle au sang, à la [1309] sainte Eglise et au Souverain Pontife Urbain VI. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXLV (237). Au COMTE DE CONTI, de Florence, qui aspire à la perfection.- De la lumière de la sainte Foi, sans laquelle aucune uvre ne peut être parfaite.- De ses effets.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE (Ce, disciple de sainte Catherine de Sienne était aussi très lié avec le bienheureux Jean des Cellules de Vallombreuse, qui lui adressa deux lettres sur les vertus de notre sainte. Le comte de Conti soccupait spécialement dassister les pauvres prisonniers.) 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de voir en toi la lumière de la très sainte Foi. Cette lumière nous montre la voie de la vérité; et sans elle nos exercices, nos désirs et nos uvres seraient sans utilité, sans perfection, et natteindraient pas le but que nous nous sommes proposé; mais toute chose serait imparfaite, et nous serions engourdis pour la charité de Dieu et du prochain. La raison de ceci est que la foi est la mesure de lamour-propre, et lamour celle de la foi. Celui qui aime est [1310] fidèle à celui quil aime, et le sert fidèlement jusquà la mort. O très cher Fils ! cest cette lumière qui conduit lâme au port du salut; elle la tire de la fange de la misère et dissipe en elle tous les ténèbres de lamour-propre, parce quelle lui fait connaître combien cet amour déplaît à Dieu et nuit à son salut; alors elle se lève avec haine, et le chasse bien loin. 2. Avec une foi vive, lâme connaît que toute faute est punie et tout bien récompensé; et alors elle embrasse la vertu et déteste le vice, elle met tous ses soins à être constante et persévérante jusquà la mort, et la lumière est en elle si parfaite, que ni le démon, ni les créatures, ni la chair fragile ne peuvent lui faire détourner la tête. Cette perfection sacquiert par un long exercice, par lardeur du désir et par une profonde humilité. Cette humilité, lâme lacquiert dans la cellule de la connaissance delle-même, par le moyen dune humble et continuelle prière, au milieu des combats du démon et des tentations des créatures, de la volonté perverse et de la chair, qui combat toujours contre lesprit. Elle résiste à tout avec la lumière de la très sainte Foi; et avec cette lumière, quelle puise dans la doctrine du Verbe, elle se passionne pour les souffrances et les peines que Dieu lui envoie, et elle ne choisit jamais le lieu, le moment, la manière de souffrir; elle sen rapporte à léternelle Vérité, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. 3. Mais pourquoi Dieu permet-il ces fatigues et ces révoltes? pour éprouver en nous la vertu, pour quà la lumière, nous connaissions notre imperfection et [1311] le secours que lâme reçoit de Dieu dans les combats dans les peines, et pour que nous comprenions lare deur de sa charité dans cette volonté, que Dieu conserve bonne dans lâme au milieu des ténèbres, des tentations et des peines. Par cette connaissance, a acquise au moment de lépreuve, lâme quitte la foi imparfaite, et arrive à la foi parfaite au moyen de lexpérience quelle a trouvée lorsquelle était encore dans le chemin de limperfection. Cette lumière délivre notre esprit de toute confusion; elle sert non seulement pendant le combat, mais aussi quand lhomme tombe dans le péché mortel. Quel que soit ce péché, la Folle relève, parce quà ma lumière il regarde la clémence, lardeur, labîme de la charité de Dieu. Il étend les bras de lespérance pour recevoir et saisir le fruit du Sang, où il trouve ce doux et tendre feu par une contrition parfaite, en shumiliant devant Dieu et devant le prochain pour Dieu, sestimant le plus petit et le plus vil de tous les hommes. Il détruit ainsi la faute dans son âme par la contrition et lespérance du Sang, où il est parvenu par la lumière de la Foi, Et de cette manière il parvient à une telle perfection, à un tel amour de la charité divine, quil peut dire, avec saint Grégoire: O lheureuse et bienheureuse faute, qui nous a mérité un tel Rédempteur. 4. La faute dAdam a-t-elle été heureuse? Non; mais le fruit que nous recevons à cause delle a été heureux. Dieu a revêtu son Fils de notre humanité et la chargé de rétablir le genre humain dans la grâce, et le Fils, tout transporté damour, a couru le faire au prix de son sang. Il en est de même pour [1312] lâme: sa faute nest pas heureuse, mais le fruit quelle trouve dans la charité est heureux, lorsquelle se corrige vraiment et parfaitement avec la lumière de la Foi, comme nous lavons dit. Et parce quelle augmente dans la connaissance delle-même et dans lhumilité, elle court, toute joyeuse, à lobéissance des commandements de Dieu. Elle reçoit avec haine et amour le joug sur ses épaules, et aussitôt elle court, toute transportée, donner sa vie, sil le faut, pour le salut des âmes, parce quelle a vu à la lumière que lamour et les grâces quelle a trouvées en Dieu, elle ne peut le lui rendre. Elle peut bien lui rendre lamour, mais non pas les services quelle reçoit de la grâce de Dieu, car Dieu na pas besoin de nous; mais elle peut faire pour le prochain ce quelle ne peut faire pour Dieu; et il est bien véritable quen servant ainsi le prochain charitablement, nous montrons en lui lamour que nous avons pour léternelle et souveraine Vérité. Cest cette charité qui prouve si les vertus sont véritablement ou non dans lâme; car alors lâme obéit avec zèle, sa volonté enchaînée accomplit la volonté de Dieu dans le prochain, et ne se laisse arrêter par aucune peine, aucun obstacle, jusquà la mort. 5. Avec cette lumière, lâme goûte les arrhes de la vie éternelle; elle se
nourrit par lamour sur la poitrine de Jésus crucifié, elle se réjouit de dérober
ainsi les vertus, la vie et la perfection des heureux habitants du ciel, pendant son
pèlerinage de la terre. La Foi lui donne la clef du Sang, qui ouvre la vie éternelle; la
Foi ne se confie pas en elle-même, mais 6. Je suis bien étonnée des lettres que tu as envoyées à Barduccio. Je ne veux pour aucune raison que tu quittes la. compagnie de tes Frères en Jésus-Christ. Garde-toi bien de vouloir entrer dans un Ordre religieux et de te troubler lesprit; mais humilie-toi, soumets-toi au plus petit, et ne cesse pas cependant de communiquer aux autres les vérités que Dieu te fait connaître. Mettons-nous donc à nous servir des remèdes dont nous avons parlé, pour que le démon de la tristesse et de la confusion nattaque pas notre âme, et quelle ne devienne pas pire quelle nétait, ce qui serait bien offenser Dieu. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXLVI (238).- A LOUIS, fils de messire Louis Gallerani de Sienne, à Asciano.- De la force et de la persévérance quon acquiert en sappuyant sur la sainte Croix. (Louis Gallerani comptait parmi ses nobles ancêtres le bienheureux André Gallerani, fondateur de lhospice de la Miséricorde, et le premier tertiaire de lOrdre de Saint-Dominique; il avait reçu lhabit du bienheureux Ambroise Sansedonio. (Voir sa conversion et sa vie dans les Bollandistes, 20 avril.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et bien-aimé Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave [1315] des serviteurs de Dieu, je vous écris et vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir un chevalier généreux, avançant avec courage, sans vous détourner pour éviter les coups, mais marchant toujours devant vous avec une vraie et parfaite persévérance. Vous savez bien que ce nest pas en commençant, mais en persévérant, quon obtient la couronne; et si vous avez peine à persévérer sur le champ de bataille, prenez, mon très cher Frère dans le Christ Jésus, prenez létendard de la sainte Croix; cest une colonne inébranlable où sest reposé lAgneau immolé pour nous. Sa force est si grande, quelle détruit toute faiblesse, et fortifie tellement le cur de lhomme, que ni les démons ni les créatures ne peuvent le vaincre, sil ne le veut pas lui-même; et je ne men étonne pas, car cest cette force de lamour qui le tenait lié et cloué sur le bois de la très sainte Croix. Je vous conjure de vous y attacher, afin que vous ne puissiez plus retourner en arrière. Cest là que vous trouverez le fondement de toutes les vertus, cest là. que vous trouverez lHomme-Dieu, par lunion de la nature divine avec la nature humaine; vous y trouverez labondance de la divine Charité, qui a tiré lhumanité des mains du démon, avec lequel elle vivait comme une adultère. O très doux amour Jésus ! avec votre main désarmée, percée et clouée sur la Croix, vous avez défait tous nos ennemis ! Il est venu comme notre paix, pour réconcilier lhomme avec Dieu. Saint Paul disait: «Je suis lenvoyé du Christ vers vous, et je vous supplie, mes très chers Frères, de vous réconcilier et de faire votre paix avec lui, parce [1316] quil est venu pour être le médiateur de la paix entre Dieu et lhomme (Co 5,20). » 2. O doux Jésus, il est bien vrai que vous êtes notre paix, le calme, le repos de la conscience. Aucune amertume, aucune tristesse, aucune privation ne peuvent affliger lâme où vous habitez par la grâce; il est bien simple quelle possède la joie suprême, et la richesse véritable, car en Dieu qui est la joie suprême, on ne trouve ni tristesse ni amertume. Il est la souveraine richesse, qui ne peut jamais se perdre, et que les voleurs ne peuvent ravir. Je vous en supplie donc de toute mon âme, employez bien le temps qui vous est laissé; cest une grande consolation de vivre saintement. Aussi je vous ai dit que je désirais que vous fussiez un vrai chevalier, ne reculant jamais, toujours fidèle à vos saintes résolutions, toujours armé des vraies et solides vertus, vous appuyant sur la colonne de la sainte Croix, qui vous défendra de toutes les morsures et les attaques du démon ou des créatures qui veulent vous détourner de la vertu. Nécoutez pas et ne croyez pas les créatures qui veulent combattre vos saintes résolutions; mais recourez souvent à la confession, et fréquentez ceux que Dieu vous a fait la grâce de connaître. Je finis. Plongez votre mémoire dans le précieux Sang, et souvenez-vous de frère Barthélemi et de Néri; recommandez-les, avec moi, à messire Bérenger. Demeurez dans la sainte paix de Dieu. Doux Jésus. Jésus amour [1317].
CCXLVII (239).- A VANNI ET FRANÇOIS, fils de Nicolas de Buonconti, de Pise.- De la sainte crainte de Dieu, et de lhorreur du péché. (Nicolas de Buonconti eut quatre fils, qui furent tous disciples de sainte Catherine. Elle demeura dans leur maison pendant son séjour à Pise, et se lia daffection avec leur mère Natta. (Voir les lettres CCCXXXVIII, CCCCXXXIX, CCCXL.))
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1.Très chers et bien-aimés Frères dans le Christ Jésus, moi. Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Dieu, je vous écris et je vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir ses véritables enfants, vivant toujours dans la sainte crainte de Dieu, et de telle manière, que non seulement vous ne méprisiez pas le sang du Christ, mais que vous ayez aussi en horreur et dégoût les souillures du péché mortel, qui a été cause de la mort du Fils de Dieu. Il est bien coupable, celui qui livre son corps à de telles iniquités, à de telles impuretés, après avoir connu lunion parfaite que Dieu a contractée avec lhumanité. Je ne veux pas quil en soit ainsi pour vous, mes très chers. Frères, pour toi surtout, Vanni. Il faut vivre maintenant autrement que tu ne las fait par le passé. Considère ton âme et la brièveté du temps; pense que tu dois mourir, et que tu ne sais pas quand. Quelle chose affreuse, si la [1318] mort te trouvait en péché mortel, si pour une triste jouissance tu perdrais ce bien, ce bonheur davoir Dieu dans ton âme par la grâce, et ensuite de posséder cette vie éternelle qui ne doit jamais finir! Oui, je vous invite tous les trois à sacrifier votre vie et à vous préparer à mourir pour Jésus crucifié, sil le faut; et, afin de vous y préparer, je veux que vous soyez vertueux, que vous vous confessiez souvent, et que vous aimiez toujours à entendre la parole de Dieu. Comme le corps ne peut vivre sans nourriture lâme aussi ne peut vivre sans la nourriture de la parole de Dieu et sans la confession. Evitez les mauvaises compagnies, parce quelles seraient un grand obstacle à votre sainte résolution. Je ne vous en dis pas davantage, très chers et très doux Frères dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXLVIII (240).- A SIRE CHRISTOPHE de Gano Guidini.- De létat parfait ou nous appelle le Père céleste. (Cette lettre a été trouvée dans les mémoires de Christophe Gano, conservés dans les archives de lhospice de la Scala, à Sienne. Ce disciple de sainte Catherine était notaire. et prit part au gouvernement de sa patrie, en 1383 et 1384. Il avait pensé à entrer en religion, mais les instances de sa mère le décidèrent au mariage, où il vécut très saintement. Devenu veuf, il revêtit lhabit des frères de lhôpital de Sainte-Marie, et mourut dans les bras du bienheureux Etienne Maconi. Il laissa plusieurs écrits, parmi lesquels se trouve la vie du B. Jean Colombini.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et bien-aimé Frère et le Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave [1319] des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un de ses fils véritables, accomplissant toujours fidèlement ce que recommande le vrai Père céleste, lorsquil dit: « Celui qui nabandonne pas son père, mère, ses surs, ses frères, et qui ne se quitte pas lui-même, nest pas digne de moi. » Il semble quil nous appelle à ce renoncement, et je pense que nous ne devons pas nous en éloigner sous prétexte dun devoir de conscience. Cette raison de conscience vient plutôt du démon que de Dieu. Lennemi veut empêcher létat parfait auquel le Saint-Esprit semble vous appeler. Si vous me dites Dieu me commande de leur obéir, cela est vrai, pourvu quils ne vous détournent pas de la voie de Dieu; et sils sont un obstacle, nous devons passer sur leurs corps, et suivre le vrai Père avec létendard de la très sainte Croix. 2. Hélas, mon doux Frère dans le Christ Jésus, je mafflige de ta résistance; tu ne connais pas la perfection de cet état, et il me semble que ta conscience devrait plus se troubler dy renoncer que de le suivre. Mais, puisquil en est ainsi, je prie la souveraine et éternelle Vérité détendre sa très sainte main sur toi, et de te diriger dans létat qui doit lui plaire davantage. Je ten conjure, en tout état et dans toutes tes uvres, fixe tes regards sur Dieu, et [1320] cherche toujours son honneur et le salut de ma créature; noublie jamais le prix du sang de lAgneau, qui a payé pour nous avec tant damour. Quant au choix dune épouse, je vous répondrai quil mest pénible de men occuper; cela regarde plutôt les séculiers que moi. Je ne puis pas cependant mopposer à votre désir; et, en examinant les conditions des trois, je les trouve toutes bonnes. Si vous ne vous sentez pas de répugnance à épouser celle qui a déjà été mariée, faites-le, puisque vous voulez encore vous engager dans les embarras de ce siècle pervers. Si vous ne la prenez pas, prenez celle de François Ventura de Camporeggi. Je finis en priant la suprême et éternelle Charité de vous donner ce qui doit être le plus utile à son honneur et à votre salut; quelle répande sur vous deux la plénitude de sa grâce, et sa souveraine et éternelle bénédiction. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXLIX (241). - A SANO DE MACO, lorsque la sainte était à Pise, la première fois.- De lamour que Dieu nous a montré dans la rédemption de nos âmes. (Sano est le diminutif toscan dAnsano, et Maco, celui de Jacomo. On ignore le nom de famille de ce disciple de sainte Catherine. Cette lettre est de 1375)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et bien-aimé Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans son précieux Sang quil a répandu sur larbre de la très sainte Croix; il ny avait pas dautres liens que lardente charité quil avait pour sa créature. La douce Vérité suprême la dit elle-même: Cest à cause de linfinie charité que Dieu avait pour la nature humaine, que le Père céleste a envoyé son Fils unique et bien-aimé pour empêcher la créature de périr, et pour sauver le monde par son moyen (Eph 2,4). O ineffable et infinie charité de Dieu, qui, pour sauver le rebelle qui lui avait désobéi, se livra lui-même pour être créature, pour être méprisé, outragé, maltraité, et enfin livré à une mort honteuse comme un malfaiteur. Il navait rien fait et rien dit qui fût digne de blâme; nous avions commis la faute, et il en a porté la peine par amour pour nous. 2. Vous mavez bien aimé, très doux amour Jésus, et vous apprenez combien je dois maimer moi-même et aimer mes frères; vous nous avez tant aimés sans voir besoin de nous, comme nous avons besoin de vous. Oui, très cher et bien-aimé Frère et Fils dans e Christ Jésus, il faut que toujours nos âmes soient avides de se nourrir des âmes de nos frères. Aucune autre nourriture ne doit tant nous plaire que de les servir avec zèle; il faut nous réjouir de souffrir les peines et les tribulations pour lamour du prochain ce fut la nourriture de notre doux Sauveur, et cest elle aussi que notre Sauveur nous invite à prendre. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1322].
CCL (242). A SANO DE MACO, lorsque la sainte était à Pise. - De la force et de la paix quon trouve dans la Croix.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1.Très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un vrai chevalier combattant fortement contre toutes les illusions du démon; car nous sommes sur ce champ de bataille où nos ennemis nous attaquent de toute part. Vous, comme un vrai et généreux chevalier, plein dun ardeur nouvelle, marchez contre eux avec la résolution de leur tenir toujours tête pour ne pas être tué ou prisonnier. Un homme est prisonnier quand il est dans un lieu doù il ne peut sortir à son gré; de même, nous, si nous tournons la tête de notre volonté, si nous abandonnons nos saintes résolutions, et si nous obéissons aux suggestions du démon, nous serons dans la pire de toutes les prisons; nous aurons perdu la liberté, nous serons les serviteurs et les esclaves du péché. 2. Si vous me dites, très cher Fils: Je suis faible contre tant dennemis; je vous répondrai : Je lavoue, nous sommes par nous-mêmes faibles et :sujets à tomber pour la moindre chose; mais la divine Providence agit dans nos âmes, nous fortifie et nous ôte toute faiblesse. Espérez donc, et croyez fermement [1323] que lâme qui espère en Dieu est toujours secourue par lui, et le démon ne peut lui faire aucune violence, parce que la vertu de la très douce et très sainte Croix larrête et lui ôte toutes ses forces contre nous. Lhomme. par lineffable bonté de Dieu, est fortifié et délivré de toute faiblesse et de toute infirmité. Par le souvenir de la très sainte Croix, nous devons concevoir lamour de la vertu et la haine du vice. Nous sommes la pierre où est placé létendard de la Croix; mais nous ne pouvons pas dire que nous lavons, sil nest pas affermi en nous. Et sachez-le bien, ni les clous, ni la Croix, ni la pierre nauraient pu retenir lHomme-Dieu sur la Croix, sans lamour quil avait pour lhomme; cest donc à nous quappartient le prix de son sang, et ce souvenir fait mépriser les honneurs et aimer les injures, les outrages, les affronts; la richesse désire la pauvreté, la concupiscence devient continence et pureté. Lâme bannit toute jouissance, tout désir déréglé, et se revêt seulement des vraies et solides vertus; elle ne se plaît quen Jésus-Christ, elle nestime et ne veut savoir que Jésus crucifié. Elle dit : « Je ne me plais, et ne veux me glorifier que dans mon Seigneur Jésus-Christ; cest à cause de son amour que le monde me méprise et que je méprise le monde (Gal 11,14). » 3. Courage donc, mon Fils, puisque ce souvenir est si doux, quil dissipe toute amertume et rend la vie aux morts; prenez la sainte Croix dans cette route où lhomme pèlerin et voyageur a besoin de sappuyer sur ce bâton sacré jusquà ce quil soit [1324] arrivé au but ou lâme trouvera le repos et la paix dans sa fin. Oh ! combien lui sont douces les fatigues quelle a supportées dans ce voyage ! Quelle paix, quel repos, quelle douceur reçoit et goûte lâme, lorsquelle trouve au port lAgneau immolé quelle a cherché sur la Croix, et qui sest fait sa table, sa nourriture, son serviteur! Elle trouve le lit de la divine essence, où elle se repose et où elle dort, parce quelle a détruit cette loi perverse qui, pendant son pèlerinage, se révoltait sans cesse contre son Créateur. Que lâme se réjouisse donc, quelle tressaille dallégresse, quelle prenne avec un ardent désir le véritable étendard de la très sainte Croix, sans aucune crainte de ne pouvoir persévérer dans la vie quelle a commencée; mais quelle dise : Par Jésus crucifié, je puis tout porter et tout faire jusquà la mort. 4. Vous mavez écrit, au sujet de la douce Providence, que Dieu se montre dans les petites choses pour vous fortifier et vous encourager à supporter toutes les attaques et à espérer toujours en sa Providence. Cest un motif de ne renoncer jamais à votre sainte résolution, quelque chose quil arrive. Je crois que si vous ne prenez plus la douce nourriture, il est à craindre que vous nayez commis quelque excès. Je ne vous dis rien à ce sujet. Bénissez toute votre famille dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1325] .
CCLI (243).- A SANO DE MACO, à Sienne.- De la foi et de ses rapports avec lamour et lespérance.- Exemple de la Cananéens.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et bien-aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en vous cette vertu de la sainte Foi et de la persévérance qui était dans la Cananéenne. Elle y était si grande, quelle mérita que le démon fût chassé de sa fille; et même Dieu, pour manifester combien sa foi lui était agréable, voulut lui remettre son autorité en lui disant: «Quil soit fait à votre fille ce que vous voulez (Mt 15, 28). » O glorieuse et excellente vertu ! cest vous qui montrez le feu de la divine charité quand elle est dans lâme, car lhomme peut-il avoir la foi et lespérance sans aimer? Toutes ces vertus se tiennent ensemble, et lamour nexiste pas non plus sans la foi et lespérance. Ce sont là trois colonnes qui maintiennent la force de notre âme, si bien que rien ne peut la renverser, ni le vent de la tentation, ni les paroles injurieuses, ni les flatteries des créatures, ni lamour terrestre de sa femme et de ses enfants. Toujours elle est soutenue par ces colonnes inébranlables. Faisons donc comme cette Cananéenne, et, en voyant passer le Christ dans [1326] notre âme, tournons-nous vers lui par un saint désir, par une vraie contrition, par une horreur sincère du pêché, et disons-lui: Seigneur, délivrez ma fille, cest-à-dire mon âme, car le démon la tourmente par de nombreuses tentations et des pensées mauvaises, Et si nous persévérons, si nous tenons ferme notre volonté pour quelle ne cède pas, et quelle ne sabaisse pas à aimer quelque chose hors de Dieu; si nous nous humilions, et si nous nous estimons indignes de la paix et du repos, nous pouvons attendre avec foi, patience et espérance, supportant tout pour Jésus crucifié, et nous dirons avec saint Paul: « Je puis tout, non par moi, mais par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie (Ph 4,13). » Alors nous entendrons cette douce parole que votre fille, que votre âme soit guérie comme vous le voulez. 2. Cest ainsi que linfinie bonté de Dieu montre quel trésor lâme a reçu dans son libre arbitre; car ni les démons ni les créatures ne peuvent la contraindre au péché, si elle ne veut pas. O très cher Fils dans le Christ Jésus ! considérez avec foi et persévérance jusquà la mort ces paroles qui ont été dites. Sachez que quand lhomme a été créé, Dieu lui a dit aussi. Quil te soit fait selon ta volonté, cest-à-dire : je te fais libre; tu ne seras soumis quà moi. » O ineffable ! ô doux feu damour ! comme vous nous montrez et vous nous prouvez lexcellence de la créature; vous avez tout créé pour le service de votre créature raisonnable, et vous avez fait cette créature pour vous servir [1327]. 3. Mais nous, pauvres misérables, nous allons aimer le monde, ses pompes et ses plaisirs, et cet amour fait perdre à lâme sa puissance; il la rend la servante et lesclave du péché, il lui donne pour maître le démon. Oh ! que ce maître est dangereux ! car il cherche et prépare toujours la mort de lhomme. Non, il ne faut pas servir un tel maître; mais je veux que nous soyons de ces âmes passionnées pour Dieu, en nous rappelant toujours que nous sommes des esclaves rachetés par te sang de lAgneau. 4. Lesclave ne peut se vendre et servir un autre maître. Nous navons pas été rachetés à prix dor, ni même par lamour seulement, mais par le sang. Que nos curs et nos âmes se brisent donc damour. Hâtons-nous de servir et de craindre le doux et bon Jésus, en pensant quil nous a tirés de la prison et de lesclavage du démon, qui nous possédait véritablement; il a droit à la récolte, puisquil a payé et déchiré notre obligation. Et comment a-t-il acquis ce droit à la récolte? Lorsquil sest fait esclave en revêtant notre humanité. Hélas! nétait-ce pas assez quil ait payé la dette que nous avions contractée? Et quand la-t-il payée? Sur le bois de la très sainte Croix, en donnant sa vie pour nous rendre la vie de la grâce que nous avions perdue. O ineffable, ô très douce Charité ! vous avez détruit lobligation que lhomme avait souscrite au démon; vous lavez déchirée sur le bois de la très sainte Croix. Le parchemin vient de lAgneau, et lAgneau sans tache nous a écrits sur lui-même, mais il a déchiré le parchemin. Que nos âmes prennent courage, car nous avons un nouvel écrit; et celui par lequel notre ennemi notre [1328] adversaire, pouvait nous réclamer, a été mis en pièces. Courons donc, très doux Fils, avec un saint et vrai désir; embrassons la vertu en nous rappelant le doux Agneau immolé avec un si ardent amour. Je ne vous en dis pas davantage. 6. Sachez quen cette vie, nous ne pouvons avoir autre chose que les miettes qui tombent de la table, les miettes que la Cananéenne demandait. Ces miettes sont les grâces que nous recevons, et qui tombent de la table du Maître; mais quand nous serons dans la vie durable, où nous goûterons Dieu, où nous le verrons face à face, alors nous aurons les mets de la table. Ne fuyez donc pas la peine ; je demanderai pour vous des petites miettes et de la nourriture comme pour un fils; et vous, combattez généreusement. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLII (244).- A SANO DE MACO, à Sienne.- On ne doit rien craindre en sappuyant sur Jésus-Christ.- Il faut désirer souffrir, être méprisé, et donner sa vie pour lui.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous [1329] voir uni et fondé sur le vrai fondement, sur Jésus crucifié. Cest la pierre vive sur laquelle doit être appuyé, tout édifice solide et sûr; et sans elle rien ne peut avoir de stabilité. Cest ce que disait lardent saint Paul Personne ne peut trouver un fondement solide, si ce nest sur la pierre vive, qui est Jésus crucifié. Cest le seul fondement que Dieu nous ait donné. Et vraiment, très cher Frère et Fils dans le Christ Jésus, je comprends bien que cest la vérité; car si lâme est fondée sur le Christ, aucun vent dorgueil et de vaine gloire ne peut la jeter par terre; ses fondements, sont creusés dans une humilité profonde, parce quelle voit Dieu shumilier jusquà lhomme, pour le sauver. 2. Les flots de lavarice, des plaisirs du monde et de la chair ont beau senfler, ils ne peuvent renverser par terre cette âme, parce quelle est appuyée, affermie sur cette Pierre, qui na jamais ressenti les mollesses des plaisirs et des jouissances corporelles, mais qui sest durcie dans la peine et la douleur. Aussi, lâme qui se passionne pour le Christ ne peut vouloir que souffrir avec lui les opprobres, les affronts, la faim, la soif, le chaud, le froid, les injures, le déshonneur, et elle donnera enfin avec joie sa vie pour lamour de lui. Lâme se réjouit et se dilate quand elle se voit digne de souffrir les outrages et les moqueries du monde pour le doux et bon Jésus. Cest ce que nous lisons des saints Apôtres, qui se réjouirent, quand ils commencèrent à être méprisés et bafoués pour le nom de Jésus. Cest ainsi que mon âme désire nous voir fondés en Jésus crucifié, de telle sorte, que ni les flots de la tribulation, ni le vent de la tentation [1330], ni le démon avec ses erreurs, le monde avec ses séductions, la chair avec ses honteux plaisirs, ne puissent jamais nous séparer de la charité du Christ et de celle du prochain. 3. Ne vous alarmez pas des paroles que le démon sème par le moyen des créatures pour troubler votre âme ou celles de mes chers fils et filles dans le Christ Jésus; car depuis longtemps il est habile à se servir de la langue des méchants; souvent même, par la permission de Dieu, il se sert de la langue des serviteurs de Dieu pour troubler les autres serviteurs de Dieu. 4. Par la grâce de notre doux Sauveur, nous sommes arrivés ici à Avignon, il y a déjà vingt-six jours (Sainte Catherine logea à Avignon dans la maison de Jean de Regio. Cette maison était une grande tour très large; elle fut jointe au collège des Pères Jésuites, et on y montrait la chambre quavait occupée notre sainte. Vingt-trois disciples de sainte Catherine lavaient accompagnée, et étaient nourris aux frais du Souverain Pontife. (Voir Gigli, t. II, p. 329.). Jai parlé au Saint-Père, à quelques cardinaux, et à dautres seigneurs de la cour; et la grâce de notre doux Sauveur a beaucoup fait pour laffaire qui nous amène ici. Réjouissez-vous en Notre-Seigneur Jésus-Christ, et soyez pleins de confiance. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Nous sommes arrivés à Avignon, le 18 juin 1376 [1331].
CCLIII (245). A SANO DE MACO et à ses autres fils, à Sienne.- De la vertu de persévérance, et de la force nécessaire pour lobtenir.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir forts et persévérants jusquà la fin de votre vie; car je sais que, sans la persévérance, personne ne peut plaire k Dieu et recevoir la couronne de la récompense. Celui qui persévère est toujours fort, et la force le fait persévérer. Cest donc un besoin, une nécessité davoir le don de la force, parce que nous sommes assiégés de nombreux ennemis. 2. Le monde nous attaque avec ses plaisirs et ses ruses, le démon avec ses tentations, et en se servant de la langue des hommes pour nous accabler dinjures, de murmures, et pour nuire souvent à nos affaires; et en cela, son unique but est de nous détourner de lamour et de la charité du prochain. La chair se lève aussi avec sa sensualité, pour combattre contre lesprit. Nous sommes donc entourés dennemis; mais il ne faut pas les craindre dune crainte servile, parce que ces ennemis ont été vaincus par le sang de lAgneau sans tache [1332]. 3. Nous devons courageusement répondre et résister au monde par le mépris de ses plaisirs, de ses honneurs, en pensant quil ny a en lui rien de stable et de durable. Il nous promet une longue vie avec une jeunesse florissante, et de grandes richesses, et tout cela disparaît. La vie est remplacée par la mort, la jeunesse par là vieillesse, la richesse par la pauvreté, et nous nous acheminons sans cesse vers notre dernier instant. Il faut donc ouvrir loeil de notre intelligence, et voir combien est malheureux celui qui se fie à de telles promesses. De cette manière, on arrivera à mépriser et à détester ce quon aimait dabord. Il faut résister généreusement aux ruses du démon en considérant sa faiblesse, car il ne peut vaincre que celui qui veut être vaincu. Le chrétien résistera donc avec une foi vive, une ferme espérance avec une sainte haine de lui-même; et cette haine le rendra patient au milieu des tentations, des épreuves, des tribulations du monde ; et de quelque côté quelles viennent, il les portera toutes avec une véritable patience, sil hait sa propre sensualité, et il aimera à rester sur la Croix avec Jésus crucifié. 4. Sa foi vive lui donnera une volonté conforme à celle de Dieu, et il étouffera dans son cur et son esprit tout jugement humain; il verra en tout la volonté de Dieu, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Il ne se scandalisera pas de son prochain. Il ne murmurera pas, et ne condamnera pas celui qui parle contre lui; il se condamnera plutôt lui-même, en voyant que Dieu permet quil soit tourmenté pour son bien. Oh ! combien est heureuse cette âme qui prend lhabitude de juger ainsi ! Elle [1333] ne condamne pas les serviteurs du monde qui lui font injure; elle ne juge pas les serviteurs de Dieu, en voulant les diriger à sa manière, comme font tant de superbes présomptueux qui, sous prétexte de lhonneur de Dieu et du salut des âmes, croient pouvoir murmurer, en disant Cette manière dagir ne me plaît pas. Et non seulement ils se troublent, mais ils troublent les autres par leurs paroles, en leur persuadant que Cest lamour du bien qui les fait parler. 5. Mais celui qui ouvre les yeux trouvera le ver de la présomption, qui le trompe et le fait juger selon ses opinions, et non selon les mystères et les voies saintes et variées que Dieu suit à légard de ses créatures. Que lorgueil de lhomme soit confondu, et quil apprenne que, dans la maison du Père éternel, il y plusieurs demeures; quil ne prétende plus donner des lois à lEsprit-Saint, qui est la loi, la règle même, et quil ne mesure plus ce qui ne peut être mesuré. Ce nest pas ainsi que fait le vrai serviteur de Dieu qui sest revêtu de son éternelle volonté; il respecte, au contraire, les voies, les uvres et la conduite de ses serviteurs, parce quil ne les juge pas, venant de lhomme, mais de Dieu. Quand les choses nous déplaisent et ne vont pas à notre gré, il faut supposer et croire quelles sont agréables à Dieu. Nous ne devons et nous ne pouvons juger rien que ce qui est évidemment et manifestement un péché. Et encore, lâme qui aime Dieu et qui sest perdue elle même, nexprime que le regret et la peine que lui cause loffense faite contre Dieu; elle est pleine de compassion pour lâme de celui qui a commis [1334] loffense, et elle se livrerait volontiers à toutes sortes de tourments pour le salut de cette âme. 6. Cest à cette perfection que je vous invite, mes Fils bien-aimés: appliquez-vous avec un saint zèle à lacquérir; pensez que vous arriverez à cet état en jugeant bien toutes choses sans vous scandaliser, sans vous affecter, tandis quen les jugeant mal, vous tomberez dans le péché, les murmures et les injustices envers les serviteurs de Dieu. Tout cela vient de la passion et de lorgueil enraciné, qui nous pousse à juger la volonté de lhomme. Celui qui lécoute tourne la tête en arrière, et ne persévère pas dans lamour du prochain. Il na jamais un amour fort et persévérant; il a lamour imparfait des disciples du Christ avant la Passion. Ils laimaient parce quils jouissaient de sa présence; leur amour nétait pas fondé sur la vérité, mais sur leur jouissance, sur leur plaisir. Aussi faiblit-il quand ils furent privés de sa présence ; ils ne surent pas souffrir avec le Christ, et la crainte leur fit prendre la fuite. Prenez garde, prenez garde que cela ne vous arrive. Vous vous réjouissez beaucoup de sa présence, mais vous navez quun feu de paille pour labsence; le moindre vent, la moindre pluie léteint, dès que vous ne le voyez plus; et il ne reste rien quune fumée noire qui obscurcit votre conscience. Et tout cela arrive parce que nous nous sommes faits les juges de la volonté des hommes, de la conduite, des actions, des voies des serviteurs de Dieu, sans voir en tout sa douce volonté. Quil nen soit plus ainsi, pour lamour de Jésus crucifié; mais soyez des Fils fidèles, forts et persévérants dans le Christ, le doux [1335] Jésus, et de cette manière vous triompherez des tentations du démon et des paroles quil vous dit par la langue des hommes. 7. Notre dernier ennemi est notre chair misérable, avec ses appétits sensuels. On en triomphe par la chair du Christ, flagellée et percée sur le bois de la très sainte Croix; on la dompte par le jeûne, les veilles, la prière continuelle, par les désirs ardents du saint amour. Oui, nous vaincrons, nous déferons nos ennemis par la vertu du sang de Jésus-Christ. Vous accomplirez ainsi sa volonté et mon désir, car je gémis en voyant votre imperfection. Jespère que linfinie Bonté consolera mon âme à votre sujet. Aussi je vous conjure de nêtre pas négligents, mais pleins de zèle. Ne soyez pas des feuilles qui volent à tous les vents; soyez fermes, constants, vous aimant avec une vraie charité fraternelle, et supportant mutuellement vos défauts. Je verrai à cela si vous aimez Dieu, et je ne désire pas autre chose que de vous voir dans cette union parfaite. Noyez-vous dans le sang de Jésus crucifié, cachez-vous dans ses très douces plaies. Je ne vous en dis pas davantage. 8. Je vous recommande le monastère de Sainte-Marie des Anges. Ne vous étonnez pas si je ny viens pas ; les bons fils font plus quand leur mère nest pas présente, que quand elle est présente, parce quils veulent montrer lamour quils ont pour leur mère et sen faire plus aimer. Je vous prie, Sano, de lire cette lettre à tous mes enfants; priez tous Dieu pour nous, afin que nous accomplissions ce que nous avons commencé pour son honneur et le salut [1336] des âmes; nayons pas dautres désirs, et poursuivons notre uvre malgré ceux qui voulaient et veulent lempêcher. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Que Dieu vous remplisse de ma très douce grâce. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLIV (246). A SANO DE MACO, et à ses autres fils dans le Christ, lorsquelle était à Florence.- Elle se réjouit de la paix conclue avec le Souverain Pontife, et les invite à rendre grâces à Dieu.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir de bons Fils qui servent fidèlement notre doux Sauveur, afin de rendre avec plus de zèle grâce et hommage à son nom. 2. O très chers Fils, Dieu a entendu la voix et les cris de ses serviteurs, qui depuis si longtemps pleurent en sa présence et gémissent sur ceux qui étaient morts. Les voilà ressuscités de la mort ils sont revenus à la vie, des ténèbres à la lumière. Mes très chers Fils, les boiteux marchent, les sourds entendent, les aveugles voient et les muets parlent; ils crient de toutes leurs forces : La paix, la paix ! Oui, la paix [1337] : quelle joie de voir les enfants revenir à lobéissance de leur père, et recouvrer ses bonnes grâces après avoir pacifié leurs âmes ! Et comme des personnes qui commencent à voir, ils disent : Grâces vous soient rendues, Seigneur, de nous avoir réconciliés avec notre Saint-Père. On appelle saint maintenant le doux Agneau, le Christ de la terre, quon appelait autrefois hérétique et Patarin (Les Patarins étaient des hérétiques du XIIe siècle, qui furent condamnés par les Souverains Pontifes, et par le troisième concile de Latran. Ils propageaient les mêmes erreurs que les Vaudois.). On lui donne le titre de père, quon lui refusait; et je ne men étonne pas, car le nuage est dissipé, le temps est devenu serein. Réjouissez-vous, réjouissez-vous, mes Fils bien-aimés;. pleurez de joie et de reconnaissance en présence de léternel et souverain Père; mais ne soyez pas contents encore, et demandez que létendard de la très sainte Croix se lève bientôt. Réjouissez-vous dans le Christ le doux Jésus: que vos curs éclatent en voyant la grandeur de linfinie bonté de Dieu : maintenant la paix est faite, malgré tous ceux qui voulaient lempêcher; le démon infernal est vaincu. Samedi soir a paru lolivier de la paix, à une heure de nuit, et aujourdhui à vêpres, tout a été terminé (Cette paix obtenue avec tant de peine par sainte Catherine, fut conclue dans le mois de juillet 1378. Elle fut ratifiée par Urbain VI, le 1er octobre suivant.). 3. Samedi soir, notre ami a été arrêté avec un compagnon (Il sagit sans doute dEtienne Maconi. (Voir la lettre CCLXIL), et à huit heures, lhérésie était heureusement [1338] enchaînée. La paix est conclue, et il est maintenant en prison. Priez Dieu pour lui, afin quil reçoive la vraie lumière, la vraie connaissance. Baignez-vous noyez-vous dans le sang de Jésus crucifié; aimez-vous les uns les autres. Je vous envoie lolivier de la paix. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLV (247). A SANO DE MACO, et à tous les autres séculiers, ses fils dans le Christ, à Sienne.- De la voie de Jésus-Christ, et de la voie du démon.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermis dans la vertu de la très sainte Foi. Cette foi est une lumière qui éclaire loeil de lintelligence, et lui fait voir et connaître la vérité. En connaissant une chose bonne, on laime; mais en ne la connaissant pas, on ne peut laimer, et en ne laimant pas, on ne peut la connaître. Cette lumière est donc nécessaire; car sans elle nous marcherons dans les ténèbres, et celui qui marche dans les ténèbres doit sy perdre. 2. Cette lumière nous enseigne la voie, et nous montre le but; elle nous fait connaître ceux qui nous [1339] appellent à deux festins bien différents, et elle nous fait discerner Celui qui donne la vie et celui qui donne la mort. O doux et bien aimés Fils ! quels sont ceux qui nous invitent, et quelles sont leurs voies? Je vous le dirai Le premier est le Christ béni, qui nous invite à boire leau vive de la grâce; cest ce quil faisait lorsquil criait dans le Temple: " Que celui qui a soif vienne à moi et boive, car je suis la fontaine deau vive (Jn 7,37). " Il est bien véritablement une fontaine. De même quune fontaine contient leau et la laisse passer par le mur qui lentoure, de même le doux et tendre Verbe, qui contient son éternelle Divinité unie à lhumanité, répand le feu de la divine charité par le mur ouvert de Jésus crucifié; car ses très douces plaies ont versé son sang mêlé au feu, puisquil a été répandu par le feu de lamour. 3. Cest à cette fontaine que nous puisons leau de la grâce; car cest par la vertu de la Divinité, et non pas uniquement par lhumanité, qua été expiée la faute de lhomme. Lhumanité a souffert la peine sur la Croix, et par la vertu de la Divinité, notre faute a été expiée; nous avons été rétablis dans la grâce. Notre-Seigneur est donc bien véritablement la fontaine deau vive, et il nous invite à boire avec une grande douceur damour, Mais il dit : Qui a soif vienne à moi; il ninvite pas celui qui na pas soif, et ne lui dit pas : Quil vienne à moi. Oh ! comme sexprime bien léternelle Vérité ! car personne ne peut aller au Père si ce nest par lui. Il lassure dans le saint Evangile : Celui qui veut parvenir à la vision [1340] du Père, qui est la vie éternelle, doit suivre la doctrine du Verbe, qui est la voie, la vérité, la vie; et celui qui va par cette voie ne marche pas dans les ténèbres, mais il marche à la lumière de la très sainte Foi, et cette lumière vient de ma lumière et saugmente en lui. Aussi nous devons dire: " Seigneur, donnez-moi votre grâce, afin que dans votre lumière, je Voie la lumière. " Il est la vérité même, et celui qui suit la doctrine du Verbe détruit et consume en lui le mensonge de lamour-propre. 4. Il court dans cette voie avec amour et persévérance en suivant la doctrine de Jésus crucifié; cette doctrine, il la vue à la lumière de la Foi, lorsque le Maître est monté à la tribune de la Croix, et nous a enseigné sa doctrine, quil avait écrite sur son corps. Il a fait de lui-même un livre dont les lettres sont si visibles, que tout homme peut parfaitement les lire malgré la faiblesse de son intelligence et de sa vue. Que notre âme lise donc; quelle lise, et que, pour lire mieux, elle monte avec les pieds de son affection jusquà lamour de Jésus crucifié : autrement vous ne pourriez pas bien lire. Arrivons au foyer principal de son ardente charité, que nous trouvons dans la plaie de son côté, où il nous dévoile le secret de son cur, en nous montrant quune chose finie, que sa Passion qui avait des bornes, était insuffisante à manifester son amour comme il voulait le faire, et à nous donner ce quil voulait nous donner. Cet amour quil a pour nous, viles créatures, il nous le laisse par sa doctrine, pour que nous laimions par-dessus toute chose, et que nous aimions le prochain comme nous-mêmes; et cet amour, nous devons en donner [1341] des preuves comme il nous en a donné par ses souffrances. 5. Nous aimerons donc Dieu avec amour, et nous le témoignerons à Dieu et au prochain, si nous sommes fidèles à sa doctrine, en souffrant les peines, les opprobres, les affronts, les persécutions, les calomnies; si aucune injure naffaiblit en nous la charité à légard de ceux qui nous les font, nous affligeant plus de la perte de leur âme que de notre injure. Notre-Seigneur nous enseigne encore à prier Dieu pour eux, comme il la fait lui-même. Lorsque les Juifs le crucifiaient, il disait : " Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font. " Voyez cet ardent amour quil a pour nous, voyez cette patience qui couvre de confusion ceux qui saiment eux-mêmes, les impatients pour lesquels une parole semble être un coup de poignard, et sils nen répondent pas quatre, on dirait que leur cur va éclater de dépit. Ils montrent quils marchent sans la lumière, et quils nont pas lu le glorieux livre de Jésus-Christ. Que celui qui la lu supporte donc les défauts du prochain avec compassion et charité fraternelle. 6. Lhomme montre encore lamour quil a pour Dieu, en souffrant avec patience et respect tout ce que sa providence donne et permet, ne cherchant jamais à scruter ses pensées, et ne voyant en tout que son infinie charité. Si nous suivons de la sorte la doctrine de la patience, nous goûterons la paix au milieu des combats, et nous trouverons la santé de lâme dans les infirmités du corps. Et ainsi nous manifesterons la lumière de la Foi, parce que la patience montre que nous avons en vérité, vu et cru que Dieu [1342] ne veut autre chose que notre sanctification, et que cest pour cela que nous avons tout reçu avec respect et patience. Dans cette lumière aussi, se lit lespérance que nous avons de posséder la vie éternelle, par la vertu du sang de Jésus-Christ. Nous perdons alors lespérance en nous-mêmes, lespérance du monde, de ses délices, de ses biens, pour espérer uniquement en Dieu, notre véritable et souverain bien. Il serait trop long de raconter ce quon lit dans ce livre; mais ouvrons loeil de lintelligence à la lumière de la très sainte Foi, et que les pieds de notre affection nous portent à lire ce très doux livre. Nous y trouverons la prudence, la sagesse, qui a pris le démon avec lappât de notre humanité. En lui est la justice; car pour punir la faute, il sest livré lui-même à la mort honteuse de la Croix; il a fait une enclume de son corps pour y forger lhomme nouveau au feu de sa charité, avec le lourd marteau des grandes souffrances. En lui se trouvent la justice, la force, la tempérance, car ni la crainte pour lui-même, ni notre ingratitude, ni les cris des Juifs ne lont arrêté dans le sacrifice quil faisait à son Père. 7. Nous y lirons aussi cette chère petite vertu dune humilité véritable et profonde, quil montra pour confondre notre orgueil; nous verrons Dieu abaissé jusquà lhomme, la souveraine Grandeur descendue à un tel abaissement, lHomme-Dieu humilié jusquà la mort ignominieuse de la Croix. Et tous les jours, nous le voyons encore, user dhumilité et de patience à légard de nos iniquités. Il supporte notre ignorance, notre négligence, notre ingratitude, parce quil a faim de notre salut; il nous prête le temps, et [1343] nous donne de bonnes et saintes inspirations pour nous faire voir et nous prouver notre fragilité et le peu de stabilité du monde, afin que nous ne nous confiions pas en lui. Il nous appelle par ses serviteurs, par leurs paroles et par leurs exemples, et il les presse doffrir sans cesse pour nous dhumbles et ferventes prières. Voilà ce que fait sa bonté, son humilité, pour nous apprendre à faire de même à légard de notre prochain. De cette manière, nous suivrons ses traces; en lisant dans ce livre, nous apprendrons la doctrine de la vérité, et nous arriverons par elle au Père; mais jamais autrement: car les vertus sacquièrent avec peine, en faisant violence à notre faiblesse. Dans le Père ne se trouve pas la peine, mais seulement dans le Fils; et cest par le moyen de son sang que nous avons la vie éternelle, car il a dit : " Personne ne peut aller au Père, si ce nest par moi; " et cest la vérité, puisquil est la voie, cest-à-dire que sa doctrine est la voie de la vérité qui donne la vie. 8. Il est la fontaine deau vive, et il invite à boire ceux qui ont soif; et ceux qui suivent sa doctrine emplissent le vase de leur âme de leau de la grâce. Ils sattachent au sein de son humanité, et ils se désaltèrent de cette eau sacrée en buvant avec la bouche du saint désir, lhonneur de Dieu et le salut des âmes; ils sont remplis dardeur pour les vertus quils croient pouvoir acquérir dans cette vie, et ils sy exercent avec zèle pour ne pas perdre le temps, qui est le plus grand trésor que nous possédions. Ceux-là sont invités, mais non pas les négligents qui sont plongés dans les ténèbres du péché mortel, et [1344] qui courent par la voie de la mort comme des aveugles obstinés dans leur misère. Ces infortunés sont appelés, mais pas invités. Ils sont appelés, puisque Dieu les a créés à son image et ressemblance, et les a fait renaître à la grâce dans le sang du Verbe; mais ils ne sont pas invités, parce quils ne veulent pas lêtre. La loi est faite pour tous; mais à qui appartient-elle? A ceux qui lobservent. Il en est de même pour ceux qui sont invités à boire. Nous sommes tous appelés, mais quels seront les invités? Ceux qui ont soif et faim de la vertu, les altérés qui suivent avec ardeur la doctrine de Jésus crucifié, et qui regardent à la lumière de la Foi la fontaine, pour augmenter leur soif. Avec cette soif et cette lumière, nous arriverons à la source; mais sans cette lumière, nous ne pourrions jamais y arriver. Jaurais bien des choses à dire sur ceux qui sont invités, mais je ne veux pas métendre davantage. 9. Voyons maintenant quelle autre invitation nous recevons. Nous avons dit que le Christ, le doux Jésus, nous invitait à boire leau vive. Mais le démon de son côté nous invite à boire celle quil a pour lui-même; il a en lui la mort, et il nous invite à boire une eau de mort. Si vous lui demandez: Quest-ce que tu me donneras, si je te sers? Il vous répondra: Ce que jai pour moi; je suis privé de Dieu, et tu seras privé de Dieu; je suis dans le feu éternel où sont les flammes et les grincements de dents, je suis privé de la lumière et plongé dans les ténèbres; jai perdu toute espérance, et jai pour compagnons tous ceux qui sont tourmentés et torturés dans lenfer comme moi. Ce sont les joies et les consolations que [1345] tu auras pour ta peine. La Foi montre quil en est ainsi, et le fidèle ne suit jamais cette voie; ou, sil sy trouve, il sen repent. Quil est insensé lhomme qui se prive de la lumière ! car celui qui est privé de la lumière ne connaît pas son malheur. 10. Quelle est la voie où le démon nous appelle? Cest la voie du mensonge; car il est le père du mensonge, et le mensonge produit ce misérable amour-propre avec lequel lhomme aime dune manière déréglée les honneurs, les richesses du monde, les choses visibles, les créatures et lui-même, ne craignant pas de perdre Dieu et la beauté de son âme; mais, dans son aveuglement, il se fait un Dieu de lui-même et du monde. Et ce temps, quil devait employer pour lhonneur de Dieu, pour son salut et celui du prochain, il le dérobe comme un voleur, et il le dépense à son propre plaisir, se réjouissant et donnant à son corps tout le bien-être possible en dehors de la volonté de Dieu. Le livre quil ouvre devant nous est celui de la sensualité, où sont écrits tous les vices, avec tous les mouvements dorgueil, dimpatience et dinfidélité à légard de son Créateur; linjustice, lindiscrétion, limpureté, la haine envers le prochain, le goût du vice et le mépris de la vertu, la grossièreté, la calomnie à légard du prochain, la paresse, la confusion de lesprit, la négligence, la somnolence, lingratitude et les autres défauts, tout y est écrit. Si la volonté lit ce livre et apprend ces vices en les mettant volontairement en pratique, elle est infidèle et suit la voie du mensonge que lui montre le démon; elle boit en lui leau morte, puisquelle est privée de la grâce en cette vie, et que [1346] dans lautre, elle reçoit avec lui, en mourant dans le péché mortel, les supplices de la damnation éternelle. 11. Voyez donc, très chers Fils, combien est nécessaire cette lumière, qui nous fait éviter un si grand mal, et qui nous conduit à un si grand bien. En y pensant, et en voyant que sans cette lumière, vous naccompliriez pas la volonté de Dieu, qui vous a créés pour vous donner la vie éternelle, ni la mienne, qui ne veut pas autre chose; je vous ai dit que je désirais voir en vous la lumière de la très sainte Foi. Aussi je vous en conjure, et je veux que vous soyez toujours les vrais et fidèles serviteurs de Jésus crucifié. Je veux que vous le serviez complètement et sans mesure, non pas à votre manière, mais à la mienne, ne choisissant jamais le temps et le lieu que selon son bon plaisir, ne recherchant pas la consolation, ne refusant pas les peines et les combats des démons visibles et invisibles, ni les épreuves de la chair fragile, mais embrassant la voie des peines pour lhonneur de Dieu. Suivez Jésus crucifié en mortifiant votre corps par le jeûne, les veilles, par une humble et continuelle prière. Anéantissez votre volonté dans la douce volonté de Dieu, et que votre société soit celle de ses serviteurs. Quand vous êtes réunis, ne perdez par le temps en paroles oiseuses, et ne vous tourmentez pas des actions des autres en déchirant votre prochain par des murmures et de faux jugements; Dieu seul est le souverain. Juge de nous tous. Mais montrez que vous êtes réunis au nom du Christ en vous entretenant de sa bonté, des vertus des saints et de vos défauts (Cette lettre montre que les disciples de sainte Catherine qui étaient très nombreux à Sienne, suivaient une sorte de règle que leur avait donnée celle quils appelaient leur mère. ); soyez forts, constants [1348] et persévérants dans la vertu. Que ni le démon ni la créature, par des menaces ou des flatteries, ne vous fassent tourner la tête en arrière, car la persévérance seule obtient la couronne. Que celui qui est attaché au monde sen retranche sur-le-champ; quil nhésite pas à sen détacher, car le temps peut lui manquer; celui qui ne se détache pas reste toujours lié. Le souvenir du précieux Sang et la lumière de la Foi vous feront détacher parfaitement de toutes les choses qui sont en dehors de la volonté de Dieu; vous lui serez fidèles, et aussi à moi misérable. 12. Croyez bien que si je ne vous écris pas, je vous aime en vérité :cependant, et je moccupe avec zèle de votre salut en présence de Dieu. Je veux que vous en soyez bien persuadés. Il est vrai que par ma faute et à cause de mes nombreuses occupations, je ne vo us ai pas écrit; mais prenez courage, et aimez-vous les uns les autres. Je veux plus que jamais vous voir écrits dans le livre de vie. Baignez-vous dans le sang de lhumble Agneau. Ne cessez pas de prier pour la sainte Eglise et pour notre Saint-Père, le Pape Urbain VI, qui en a maintenant grand besoin. Demeurez dans là sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1348].
CLVI (248). A SANO DE MACO, et à ses autres fils spirituels. Lettre écrite en extase. De la perfection et la paix de ceux qui servent Dieu par amour, et non par intérêt et par crainte servile.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des serviteurs fidèles de notre doux Sauveur. Le servir nest pas être esclave, cest régner. Sans la Foi on ne peut le servir en vérité, car celui qui sert ainsi nest pas fidèle; cest un mercenaire qui sert par intérêt ou par crainte servile. Cette manière de servir nest pas parfaite à la lumière de la Foi; et celui qui sert ainsi nest pas fort et persévérant, mais il flotte à tous les vents. Si cest le vent de la consolation qui souffle, il sy abandonne avec une grande légèreté de cur; si cest le vent de la tribulation, il se laisse aller à limpatience; si cest le vent des combats et des attaques du démon, il tremble, il tombe dans lennui et la tristesse, parce quil croit être privé de Dieu quand il se voit privé de la consolation et du sentiment de sa présence. Tout cela vient de ce quil aime plus le bienfait que le bienfaiteur, et quil sert plus par amour de lui-même que par amour de léternelle et souveraine [1349] Bonté. Son amour est aussi imparfait que la lumière de sa foi est imparfaite. 2. Mais celui qui aime parfaitement sert fidèlement et avec une foi vive; il croit en vérité que ce que Dieu donne et permet, il le donne pour sa sanctification; car il ne veut pas la mort du pécheur, mais quil se convertisse et quil vive. Il a vu à la lumière de la très sainte Foi, que le même amour qui nous envoie de grandes consolations, permet que le démon nous tourmente et que les créatures nous persécutent. Ainsi nous voyons que Dieu est souverainement bon, et quil ne peut venir de lui quune souveraine bonté nous voyons que rien ne se fait sans Dieu, excepté le péché; et alors lâme fidèle embrasse toute chose avec amour, parce que toute chose est bonne et donnée pour notre salut. On ne peut pas, on ne doit pas se plaindre de ce qui est bien. 3. Si vous me dites, très cher Fils, que dans le temps du combat, il vous semble que vous êtes rebelle, que vous offensez Dieu, et que vous êtes plus affligé de cela que de votre peine, je vous répondrai que la sensualité spirituelle safflige autant que lautre. En paraissant craindre doffenser Dieu, cette passion a mis un peu de poussière dans lintelligence où est la prunelle de la très sainte Foi, et elle empêche ainsi de connaître et de discerner la vérité; car, sil ny avait rien devant loeil de lintelligence, on connaîtrait que Dieu envoie ces combats à dessein, que les attaques du démon et les faiblesses de la chair ne sont des péchés et des offenses contre le Créateur que quand la volonté propre y consent entièrement. Mais [1350] lâme qui est fidèle à la lumière de la très sainte Foi retire de grands avantages du temps des combats; elle affermit en séloignant de lamour mercenaire, et elle aime dun amour libre et généreux. Au moment du combat, elle se fait bonne guerre à elle-même, et par cette guerre, par cette sainte haine quelle a conçue, elle devient patiente comme un serviteur fidèle; elle se réjouit toujours de combattre pour Jésus crucifié, et son amour augmente en reconnaissant que sa sainte et bonne volonté ne vient pas delle, mais de la souveraine et éternelle Bonté, qui la lui donne par grâce et non par devoir. 4. O glorieux et fidèle service, qui délivre lâme de la dure tyrannie du démon, du monde et de soi-même ! Elle est délivrée du démon, parce quelle a lié sa volonté avec les liens de la raison; elle ne consent pas à ses tentations, et ne se laisse pas troubler dune manière déréglée par ses peines; mais elle les méprise, et se réjouit dêtre ainsi sur le champ de bataille, car cest le démon qui est lié et battu avec le bâton de la charité, avec les chaînes de la véritable humilité. Lhomme devient réellement maître, et ne craint plus le démon; cest le démon qui craint celui qui peut tout par Jésus crucifié. Je dis aussi quil est libre et maître du monde, parce quil ne se laisse pas dominer par ses délices et ses grandeurs en les aimant dune manière déréglée; il en triomphe, au contraire, en les méprisant et sen moquant, car il a vu et connu à la lumière de la très sainte Foi, que la richesse du monde nest quune extrême pauvreté, que ses plaisirs et ses jouissances sont des misères au-dessus de toute misère; et il les a tellement en horreur [1351], quil les fuit comme des serpents venimeux. il nest pas non plus le serviteur des hommes en dehors de la volonté de Dieu, car il ne veut leur obéir quautant quils laident à chercher et à aimer léternelle Vérité. 5. Pourquoi aime-t-il et sert-il le prochain? parce quil a vu, à la douce lumière de la vérité, que le prochain est un moyen que Dieu lui a donné pour lui montrer son amour, et les services quil lui rend sont libres, car il ne sert pas le prochain en péchant. Je dis aussi quil est fidèle, libre et affranchi de la sensualité; il la foulée aux pieds de laffection. il la méprisée et frappée avec le glaive de la haine et de lamour, avec lamour de la vertu et la haine du vice. Il est donc devenu roi et seigneur par ce doux esclavage, parce quil ne sest pas cherché pour lui-même, mais pour Dieu, léternelle et souveraine Bonté, seule digne de notre amour; et il a servi le prochain pour Dieu, et non à cause de lutilité quil y trouve. Qui pourrait raconter la paix de lâme fidèle? Je ne dis pas quelle se trouve au milieu de la paix, quelle est à labri des flots et des tempêtes de la mer; mais sa volonté est dans la paix, parce quelle ne fait quune seule chose avec la douce volonté de Dieu. Et alors la tempête même est le repos, car elle ne sinquiète pas delle; mais elle sert son Créateur, quil veuille la guerre ou quil veuille la paix. Elle naime pas plus la guerre que la paix, et la paix que la guerre, parce quà la lumière de la Foi, elle voit et connaît par son intelligence que lune et lautre procèdent du même amour. Celui qui agit ainsi ne se scandalise pas au sujet du prochain, parce quil ne sarrête pas à la [1352] volonté de lhomme, mais seulement à la volonté de Dieu; et alors il évite tout murmure. 6. Je ne crois pas que vous soyez parfaits sous ce rapport- Bien souvent, au contraire, sous lapparence du bien et de la compassion, vous murmurez et vous vous jugez les uns les autres. Et cela ne se fait pas sans offenser Dieu; vous lui déplaisez et vous maffligez beaucoup. Ce nest pas la doctrine que vous avez reçue: vous devez vous aimer mutuellement, supportant vos défauts les uns les autres. Personne nest sans défaut; il ny a que Dieu qui nait pas de défaut. Tout cela vous arrive parce que vous nêtes pas encore des serviteurs fidèles. Si vous étiez des serviteurs fidèles, on ne verrait parmi vous ni moqueries, ni murmures, ni scandales, ni désobéissance, par plaisanterie ou par colère. Jai vu votre imperfection, qui vient de ce que la lumière de la très sainte Foi nest pas parfaite en vous, et je vous ai dit que je désirais vous voir des serviteurs fidèles. En servant ainsi, vous régnerez en cette vie par la grâce; vous triompherez du monde, de la chair et du démon, et vous serez vraiment libres dans les liens de la charité. Vous serez humbles, doux et patients, vous régnerez enfin avec les bienheureux dans la vie éternelle, où lâme est récompensée de toute fatigue, où la satiété est sans dégoût, et la faim sans peine; car la peine est alors séparée de la faim, et le dégoût de la satiété. 7. Courez donc, mes Fils bien-aimés, vers le but et quun seul latteigne : cest-à-dire, que votre cur ne soit pas divisé, mais quil ne fasse quun avec le prochain par lamour; et pour que vous puissiez mieux [1353]courir, désaltérez-vous, enivrez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Ce sang invite lhomme à courir et lanime à combattre, sans fuir la peine, sans tourner la tête en arrière par peur de lennemi, parce quil ne se confie pas en lui, mais dans le sang de Jésus crucifié. Ne dormez donc plus, mais courez au sang de Jésus crucifié, et secouez le sommeil de la négligence. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLVII (249). A BENINCASA, FILS DE JACOMO, son frère selon la chair (Benincasa était le frère aîné de sainte Catherine). De la force et de la patience dans les tribulations.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir plongé et anéanti dans ce sang, qui vous rendra fort pour supporter avec une vraie patience toute fatigue, toute tribulation, de quelque côté quelles viennent. Il vous rendra persévérant pour souffrir jusqu'à la mort avec une humilité sincère. Par ce sang, loeil de votre intelligence sera illuminé de la vérité, et vous verrez que Dieu ne [1354] veut autre chose que notre sanctification, car il nous aime dun amour ineffable; et sil ne nous avait pas tant aimés, il naurait pas payé pour nous un si grand prix. Soyez donc, soyez content en tout temps et en tout lieu, car tout nous est accordé par léternel Amour. Réjouissez-vous par amour dans les tribulations, reconnaissez-vous indigne que Dieu vous conduise par la voie de son Fils, et en toute chose rendez gloire et louange à son nom. Courage dans le Christ, le doux Jésus, Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLVIII (250). A BENINCASA, son frère, lorsquil était à Florence. De la patience et de ses devoirs envers sa mère.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante inutile, je tencourage, je te bénis et je tinvite à une douce et sainte patience, car sans la patience nous ne pouvons plaire à Dieu. Je vous prie donc, pour recevoir le fruit de vos tribulations, de prendre les armes de la patience; et sil vous paraît bien dur de supporter tant de peine, rappelez-vous trois choses qui vous aideront être plus patient. Premièrement, je veux que vous pensiez à la [1355] brièveté du temps; vous nêtes pas sûr du lendemain. Nous pouvons bien dire que nous ne souffrons pas de la peine passée et de la peine à venir, nous nendurons que le moment présent, et nous devons le supporter avec patience; il est si court. Secondement, vous devez considérer le fruit qui récompense les fatigues. Saint Paul dit quil ny a aucune proportion entre ces fatigues et le fruit, la récompense de la gloire éternelle. Troisièmement, considérez le malheur qui arrive à ceux qui souffrent avec colère et impatience; le malheur ici-bas est suivi de la perte éternelle de lâme. 2. Je vous prie donc, très cher Frère, de supporter tout avec patience, et je ne voudrais pas aussi que vous oubliiez de vous corriger de votre ingratitude et de votre ignorance, au sujet de ce que vous devez à votre mère; vous y êtes obligé par les commandements de Dieu, et jai vu augmenter tellement votre ingratitude, que vous lui avez refusé le secours que vous lui deviez. Admettons pour vous excuser que vous ne lavez pas pu; mais si vous laviez pu, je ne sais si vous lauriez fait, car vous ne lui avez pas même donné une bonne parole. O ingratitude ! vous navez pas considéré les douleurs de son enfantement, et ce lait quelle a tiré de son sein, et les fatigues quelle sest données pour vous et pour les autres, Et si vous me dites quelle na pas eu pitié de vous, je vous répondrai que ce nest pas vrai, car elle a eu soin de vous et de lautre, qui lui coûte bien cher. Mais supposons que cela soit vrai : vous êtes obligé envers elle, elle ne lest pas envers vous; elle na pas pris votre chair, et elle vous a donné la [1356] sienne. Je vous conjure de vous corriger de ce défaut et des autres. Pardonnez à mon ignorance; si je ne vous aimais pas, je ne vous dirais pas ce que je vous dis. Rappelez-vous la confession pour vous et votre famille. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLIX (551). A BENINCASA, son frère, à Florence.- De la soumission à la volonté de Dieu, et de lexemple de Job.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et bien-aimé Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir transformé et uni à la volonté de Dieu, sachant que cest là le saint et doux joug qui Change toute amertume en douceur. Tout fardeau devient léger sous ce très saint joug de la douce volonté de Dieu; vous ne pourriez lui être agréable autrement, et vous auriez un avant-goût de lenfer. Courage, courage donc, très cher Frère, et ne vous laissez pas abattre par lépreuve que Dieu vous envoie. Pensez que quand le secours des hommes nous manque, celui de Dieu est prêt; Dieu pourvoira à tout. Songez que Job avait perdu ses biens, ses enfants, sa santé; il ne lui restait que sa femme pour le tourmenter davantage [1357] ; mais lorsque Dieu eût éprouvé sa patience, il lui rendit le double de ce quil avait, et lui donna aussi la vie éternelle. Le patient Job ne se troublait jamais, mais il montrait toujours sa vertu en disant : " Dieu me lavait donné, Dieu me la ôté; que son saint nom soit béni (Jb 1,21). "Je veux que vous fassiez de même, très cher Frère.; je veux que vous aimiez la vertu avec une sainte patience, que vous vous confessiez souvent, afin de supporter plus facilement vos peines; et je vous dis que Dieu usera de bonté et de miséricorde à votre égard, et vous récompensera des peines que vous aurez supportées pour son amour. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour.
CCLX (252).- A SES TROIS FRERES, à Florence.- De lamour du Rédempteur qui est mort pour nous.- Du mépris du monde, et de lunion de la charité. (Les trois frères de sainte Catherine, Benincasa, Barthèlemi et Etienne allèrent se fixer à Florence en 1378. On trouve leurs noms sur les rôles des quartiers de SantaCroce et de San-Spirito, Il est à croire que Benincasa éprouva des pertes considérables, et que Nicolas Soderini vint à son secours. (Voir la lettre CLXI.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chers Frères dans le Christ, le doux Jésus, souvenez-vous de lamour infini qua eu notre doux [1358] Sauveur en se livrant à la mort pour nous donner la vie de la grâce. Notre doux Sauveur navait pas dautre but; il voyait que nous étions sortis de lordre de la charité; et pour nous rendre cette union de la charité, il a voulu sunir à la mort la plus honteuse quil pouvait choisir. Hélas ! notre Sauveur nous voyait malades de cet amour déréglé que nous avons en nous-mêmes pour les choses passagères qui passent comme le vent, qui nous abandonnent ou que nous abandonnons. 2. Aussi je vous prie, moi, Catherine, lindigne, lhumble servante, de vouloir bien mettre votre espérance en Dieu, et de ne pas vous fier à cette vie mortelle, qui disparaît si vite. Je vous en conjure comme des esclaves rachetés mettez avec ardeur tous vos désirs, toute votre affection en Notre-Seigneur, qui vous a rachetés. Dites comme saint Pierre : " Il ne nous a pas rachetés avec de lor et de largent, mais avec son très doux et précieux sang (P 1,18). " Aussi je vous conjure, très chers Frères, de bien en apprécier la valeur, cest-à-dire de laimer; et pour montrer que vous laimez, daimer toujours et dobserver les commandements de Dieu. Je vous prie surtout, et je vous presse de la part de Jésus crucifié, dobserver le premier et dernier commandement de Dieu, cest-à-dire la charité et lunion avec Dieu. Je veux vous voir passionnés pour cette sainte charité ; je veux vous voir unis et liés par ce doux lien, afin que le démon ni personne ne puissent vous en séparer. Rappelez-vous cette parole que disait Jésus-Christ : [1359] " Celui qui shumilie sera élevé. " Toi, Benincasa, qui es le plus grand, il faut vouloir être le dernier de tous; toi, Bartolomeo, il faut te mettre au-dessous du plus petit; et toi, Stephano, je ten prie, sois soumis à Dieu et à tes frères, et vous vivrez ainsi doucement dans la parfaite charité. Je ne vous en écris pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour[1360].
CCLXI (253).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI .- De la force et de la persévérance dans les combats. De la charité et de ses effets. (Etienne de Corrado Maconi fut un des plus aimés disciples de sainte Catherine. Il était dune famille consulaire de Sienne, et sa jeunesse se passa au milieu des haines sanglantes qui divisaient les nobles au moyen âge. Réconcilié et converti par notre sainte. il devint son disciple et le compagnon de presque tous ses voyages, comme il le raconte dans sa lettre écrite à loccasion du procès de Venise. Après la mort de sainte Catherine, il prit lhabit des chartreux, remplit les premières charges de lOrdre, et mourut en odeur de sainteté en 1424. On lui donna le titre de bienheureux. Sa vie a été écrite par le chartreux dom Barthélemi Scala.)
AU N0M DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec [1363] le désir de te voir fort et persévérant dans le combat, afin de recevoir la couronne de gloire. Tu sais bien que la persévérance seule obtient la couronne et la récompense des peines. 2. Mais tu me diras : Comment puis-je avoir cette force, puisque je suis si faible, que la moindre chose me fait tomber par terre? Je te réponds, et je reconnais que tu es faible et débile selon la sensualité. mais non selon la raison et la force de lesprit, parce que nous sommes fortifiés par le sang de Jésus-Christ toute notre faiblesse est dans la sensualité. Nous pouvons donc voir comment sacquiert cette force, puisque la faiblesse est dans la partie sensitive. Je dis que cest de cette manière que nous acquérons cette glorieuse vertu de la force et de la persévérance; et puisque la raison est fortifiée dans le sang du Christ, nous devons nous plonger dans ce doux et glorieux sang qui nous a rachetés; nous devons le voir avec loeil de lintelligence et la lumière de la très sainte Foi dans le vase de notre âme, reconnaissant que notre être vient de Dieu, et que Dieu nous a fait renaître â la grâce dans le sang de son Fils unique, qui nous a. délivrés de notre faiblesse. O mon Fils bien-aimé ! regarde, et réjouis-toi; tu as été fait comme un vase pour contenir le sang de Jésus crucifié, si tu veux le goûter par lamour. 3. O Sang secourable, qui répands les trésors de la miséricorde Sang glorieux, où lhomme ignorant peut connaître et voir la vérité du Père, dont lamour ineffable nous a créés à son image et ressemblance ! Et pourquoi? pour que nous participions au souverain Bien, et que nous jouissions du bonheur quil [1364] goûte en lui-même. Ce précieux Sang nous a montré cette vérité, et lhomme na pas été créé pour une autre fin. 4. O sang ! tu dissipes les ténèbres et tu donnes la lumière à lhomme, afin quil connaisse la vérité et la sainte volonté du Père. Tu remplis lâme de la grâce, qui lui donne la vie et la délivre de la mort éternelle. Tu rassasies lâme affamée de lhonneur de Dieu et du salut des âmes; tu lui fais souffrir, aimer et désirer les opprobres pour lamour de Jésus crucifié; tu brûles et tu consumes lâme dans le feu de la divine charité, cest-à-dire que tu consumes tout ce que tu trouves dans lâme en dehors de la volonté de Dieu, mais tu lempêches dêtre affligée et desséchée par le péché mortel. O doux Sang I . tu la dépouilles de lamour-propre sensitif, de cet amour qui affaiblit lâme qui en est revêtue, et tu la revêts du feu de la divine charité; elle ne peut te goûter, Ô Sang, si tu ne la revêts de ce feu, car tu as été répandu par le feu de lamour pour inonder lâme. Lamour nest jamais sans force, ni la force sans persévérance: aussi tu fortifies, tu encourages dans toutes sortes dadversités. Tu vois donc bien, très doux Fils, que cest là le moyen darriver à la force parfaite et de tunir au feu de la divine charité, que tu trouveras dans le Sang. Ce Sans consume et détruit toute volonté propre. Lorsque tu seras uni à la force suprême, tu seras fort et persévérant; tu pourras tuer la faiblesse de la sensualité propre, et tu goûteras dans lamertume la douceur, et dans la guerre la paix. 5. Courage, mon Fils, et ne faiblis pas sous la [1365] charge que Dieu timpose, jusquà ce que ton heure soit venue. Pense que cest toujours à creuser les fondements quon a le plus de peine; une fois les fondements établis, lédifice se construit facilement. Tu les commences maintenant, mais dès que tu les auras achevés, tout te deviendra facile. Que rien ne te paraisse dur, car tout sadoucit par le souvenir du précieux Sang. Supporte donc, supporte tout. Je te dis seulement de faire ce que le Saint-Esprit te fait faire. Jai bien de la peine à ne pas te dire une parole du Christ (Cette parole est sans doute celle que Notre-Seigneur dit à jeune homme dans l"Evangile de S. Luc, XVIII : " Allez, vendez ce que vous avez, et suivez-moi. " Sainte Catherine la lui dit en mourant. Elle ordonna au B. Maconi de se faire chartreux, et il obéit.), mais jespère te la dire en temps et lieu; et tu tempresseras alors dapprovisionner ton âme, et de remplir du précieux Sang le vase de ton cur. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLXII (254).- AU MEME ETIENNE DE CORRADO MACONI, pauvre de toute vertu, lorsquelle était à Florence. Elle lexhorte à souffrir avec une sainte patience.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de [1366] Jésus-Christ, je técris dans son, précieux sang, avec le désir de te voir souffrir avec une vraie et sainte patience, afin que tu creuses ce solide fondement que doivent avoir les vrais serviteurs de Dieu. Car dès quils sont décidés à servir Dieu, ils sont décidés aussi à souffrir jusquà la mort pour la gloire et la louange de son nom. Ils séloigneraient autrement de la voie, et ne suivraient pas la doctrine de la douce Vérité. O très cher Fils, combien il te sera doux de te voir arrivé au terme tant désiré ! Que lespérance te fasse souffrir sans ennui et sans trouble, mais avec une respectueuse résignation, avec une foi vive, croyant fermement que, quand Dieu verra que tu souffres pour son honneur et pour ton salut, sa bonté te donnera une autre vie. 2. Remplis avec respect tes devoirs envers ton père et ta mère, honore Dieu et travaille pour eux. Cest maintenant que sacquièrent les vertus; et, afin de mieux souffrir, baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié; cest là quil faut noyer et détruire ta volonté. Je ne ten dis pas ici davantage. Je te prie, si tu le peux sans scandale et si la voie est sûre, daller jusquà Donne-lui cette lettre, aide-le aussi bien que tu le sauras et le pourras, dirige-le, etc. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1367].
CCLXIII.- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- De la cité de lâme, qui a trois portos, la mémoire, lintelligence et la volonté.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir bien garder la cité de ton âme. O très cher Fils ! cette cité a bien des portes. Les trois principales sont la mémoire, lintelligence et la volonté. Notre Créateur permet que toutes ces portes soient attaquées, et quelquefois ouvertes de force, excepté une seule, qui est la volonté. Il arrive souvent que lintelligence ne voit que ténèbres; la mémoire est remplie de choses frivoles et passagères, de pensées confuses et déshonnêtes; et aussi tous les mouvements du corps sont déréglés et portés au mal; il est évident quaucune de ces portes nest vraiment en notre pouvoir. Nous ne sommes maîtres que de la seule porte de la volonté, que garde le libre arbitre; et cette porte est si solides que ni les démons ni les créatures ne peuvent louvrir, si celui qui la garde ny consent pas et nouvre pas la porte à ce que la mémoire, lintelligence et les autres portes ont laissé pénétrer. Notre cité sera ainsi toujours franche. Reconnaissons donc, mon Fils, reconnaissons un si grand bienfait, une si grande charité, que nous avons [1368] reçue de la Bonté divine, en nous assurant la libre possession de cette noble cité. 2. Appliquons-nous à faire bonne et fidèle garde; mettons à côté du libre arbitre le chien de la conscience lorsque quelquun viendra à la porte, il réveillera la raison en aboyant, pour quelle reconnaisse si cest un ami ou un ennemi ; et alors la garde fera entrer les amis, en accomplissant les saintes et bonnes inspirations; elle chassera les ennemis, en fermant la porte de la volonté et en ne consentant pas aux pensées mauvaises qui se présentent tous les jours; et quand le Maître te demandera la ville, tu pourras la lui rendre libre et ornée des vraies et solides vertus obtenues par sa grâce. Je ne ten dis pas davantage. Comme Je lai écrit, le premier jour de ce mois, dans ma lettre adressée à tous mes fils, nous sommes arrivés en paix et heureusement, le premier dimanche de lAvent (Cette lettre est sans doute écrite de Rome, où sainte Catherine arriva le 28 novembre 1378. La lettre dont elle parle est peut-être la CCLVI, adressée à Sano de Maco). Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1369].
CCLXIV (256).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- De la connaissance de Dieu et de soi-même.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir hors des mains de tes ennemis. Il me semble, si je ne suis pas dans lerreur, que la divine Bonté fait déjà apparaître laurore, et jespère que bientôt viendra le jour, et que le soleil paraîtra. Daprès ce que tu mas écrit, tu as été fait prisonnier, non pendant la nuit, mais pendant le jour; puis, grâce à la clémence du Saint-Esprit, laurore sest levée dans le cur de ces démons incarnés, et tu as été délivré (La lettre de sainte Catherine à Sano de Maco (CCLIV) et à ses autres fils, parle dun ami fait prisonnier, après la conclusion de la paix à Florence. Cet ami doit être Etienne Maconi. Burlamachi na pas remarqué le rapport quil y a entre ces deux lettres.). Pense, très doux Fils, que pendant que tu resteras dans la nuit de la vraie connaissance de toi-même, tu ne seras jamais captif; mais si la volonté propre voulait passer au jour de lamour sensitif, ou si lâme voulait jouir du jour de la connaissance de Dieu avant davoir été dans la nuit de la connaissance de soi-même, elle serait prise par ses ennemis. Il nest pas douteux que si lâme ne se [1370] tient pas avec un ardent désir dans la connaissance de soi-même et de la bonté de Dieu à son égard, elle se trouvera bientôt enchaînée par les ennemis de Dieu. aussitôt lennemi de la présomption viendra avec les liens de lorgueil, avec les passions, les délices, les honneurs du monde; le démon et la chair te feront prisonnier. Je veux donc que tu te reposes le jour et la nuit dans la connaissance de toi-même en Dieu, et de Dieu en toi. 2. Alors tu trouveras que, quand même tes ennemis tenchaîneraient et obscurciraient de pensées confuses ton cur, laurore paraîtrait cependant; il te serait dit intérieurement, et tu dirais toi-même: Reste en paix et repose-toi sur la table de la Croix. ou tu trouveras la paix et le repos, au milieu même des tempêtes. Quelle paix navez-vous pas goûtée lorsque vous étiez des agneaux au milieu des loups, et quils vous dirent: Allez en paix ! Vous étiez encore en guerre, et vous avez goûté la paix quand vous les avez entendus. Songe quil en sera ainsi de ton âme, assaillie par des pensées tumultueuses. Si elle se conforme à la volonté de Dieu, en voyant que son amour les envoie pour rendre plus parfaite sa sollicitude, et plus sincère son humilité, elle y trouvera la paix, même lorsquelle sera encore dans le temps de la guerre. 3. Maintenant, puisque le doux Epoux éternel vous a délivré miraculeusement et vous a tiré de leurs mains, mon âme désire et lui demande quil vous délivre de vos autres ennemis, qui sont plus grands et plus cruels que les autres : ceux-là étaient les ennemis du corps, mais ceux-ci sont les ennemis de [1371] lâme. Car il est bien vrai que les serviteurs de lhomme selon le monde, sont nos ennemis, surtout ceux qui nous approchent le plus; et qui ne pensent quà leur intérêt. Quand tu seras délivré de leur captivité, alors le soleil se lèvera; maintenant tu nes quà laurore, et tu ne peux pas encore bien discerner et goûter la vertu, parce que tu nes pas arrivé à la grande lumière du soleil, où tu seras libre de tes ennemis. Mais je veux, très cher Fils, que tu prennes courage dans le temps de laurore, parce que viendra bientôt le temps du soleil, ou nous entendrons cette douce parole: " Laisse les morts ensevelir les morts, et suis-moi (Mt 8,22.- Sainte Catherine annonce ainsi ce quEtienne Maconi devait faire après sa mort.). " Je ne ten dis pas davantage sur ce sujet. Plonge-toi dans le sang de Jésus crucifié, afin que les ennemis ne te trouvent plus. Il ne faut pas dormir dans le lit de la négligence, de peur quils ne reviennent sur-le-champ et quils ne te lient davantage. Je te réponds, au sujet de la messe, que vous avez bien fait de ne pas y aller. Quant à vous être faits les familiers de messire Jacomo, si je lavais su, vous ne lauriez pas fait, mais vous vous seriez humiliés et vous auriez obéi, attendant avec patience le moment de la paix. Maintenant je te dirai que, sil lui semble que vous pouvez y aller en toute sûreté de conscience, vous le pouvez; autrement, non (Sainte Catherine répond ici aux questions dEtienne Maconi sur lobservation de linterdit. La paix était conclue. mais elle nétait pas encore ratifiée par Urbain VI, et linterdit nétait pas levé. Messire Jacomo était un dignitaire qui avait le privilège de faire célébrer la messe pour lui et sa maison .) [1372] . Jignore si sa dignité doit avoir des privilèges si étendus, et si on doit comprendre seulement par ses familiers tous ceux qui sont à son service. Peut-on prendre le titre de familiers quand on ne lest pas et quon ne peut pas lêtre? Sa dignité permet-elle de le faire, et vous en a-t-on donné lassurance?4. Quant à ton voyage, il nest pas nécessaire pour laffaire en question; je ne te demande donc pas de venir. Jaurais été très heureuse si tu étais venu, et je le serais encore si tu pouvais venir, mais sans scandale. Il ne faut pas irriter et troubler ton père et ta mère tant que ce ne sera pas nécessaire. Je veux que tu lévites maintenant autant que tu le pourras, et je suis persuadée que si la Bonté divine voit que cest le meilleur, elle fera cesser le scandale, et tu pourras venir en paix. Viens donc si tu peux. Si ma mère Lapa vient à Sienne, je te la recommande. Réponds à Pietro au sujet de largent quil menvoie, en ne parlant pas du prix du cheval. Je nen ai rien eu, et il nen a jamais été question. Seulement, le jour ou jai reçu ces lettres, Mino de Simone est venu et ma demandé si javais reçu cet argent. Je lui ai répondu que non. Cétait la vérité, et je nen avais pas entendu parler. Il me dit quil irait trouver Andrea, et quil lui dirait : Sil le demande, jenverrai ce que je dois donner. Sil veut le donner, quil le donne à Nanni. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Encourage Pietro et mes autres fils. Dis au Prieur quil fera de soeur Lapa ce quil jugera convenable (Lapa, la mère de sainte Catherine. avait revêtu lhabit des tertiaires de Saint-Dominique, en 1378.), et quil lui fasse connaître sa [1373] volonté. Je ne lui écris pas, ni à Pierre, parce que je nai pas le temps; je suis trop occupée. Barduccio, ton négligent frère, dit quil faut que tu viennes pour une chose quil doit faire, et quil voudrait bien ta présence; il lui paraît difficile de la faire si tu nes pas avec lui; si bien que, si tu ne viens pas, il ira te trouver avant de la faire. Il se recommande à tes prières et à celles des autres; il en a grand besoin, car il sera maintenant toujours éprouvé. Lisa aussi demande que tu pries pour elle, toi et les autres. Doux Jésus, Jésus amour. Baptiste te répond que ce que vous lui mandez sera bien fait... Et ce sera une bonne plante nouvelle dans le corps mystique de la sainte Eglise. Jajouterai que je voudrais quil fût ou comme messire Thomas, ou comme messire Martin; car ils sont bons, vertueux et parfaits en toute chose. Tu enverras demander à la comtesse mon livre (Cétait le livre du Dialogue, quelle avait dicté à ses disciples avant son voyage de Rome.); je lai attendu tous les jours, et il ne vient pas. Si tu y vas, dis bien de me lenvoyer au plus tôt et fais en sorte que celui qui ira ne loublie pas [1374].
CCLXV (257).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- Du mépris du monde et de soi-même.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir mourir pour lhonneur de Dieu, de cette mort qui donne la vie à lhomme: cest-à-dire que, pour lhonneur de Dieu, tu ne tinquiètes plus de toi-même, mais que je te voie courir généreusement là où tu pourras mieux accomplir sa sainte volonté, Il est temps, mon doux Fils, de se perdre soi-même et de tout négliger pour rendre honneur à Dieu par tous les moyens. Je nen dis pas davantage maintenant. Je te prie et je te commande de la part de Jésus crucifié, si le Prieur, ou dautres pour lui, te demandent un service, de leur obéir comme à moi-même, voyant ma volonté dans tout ce quils te demanderont. Quil en soit de même pour Thomas (Le B. Raymond de Capoue était alors prieur de la Minerve. Il allait en France pour les intérêts dUrbain VI). 2. Efforce-toi de quitter réellement le monde, afin dobserver en vérité les commandements et les conseils de Jésus crucifié. Tous ceux qui sont ici vous saluent et vous demandent de prier pour eux. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu [1375]. Oblige de nouveau tous mes fils à prier tous les jours spécialement pour la sainte Eglise et pour le Pape Urbain VI. Il vient encore daccorder cent jours dindulgences à tous ceux qui prient pour la sainte Eglise (Voir la lettre C). Doux Jésus, Jésus amour.
CCLXVI (258). A ETIENNE DE CORRADO MACONI, son ignorant et très ingrat fils. Il faut préférer les tribulations aux consolations spirituelles.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir sortir de lenfance, et être un homme courageux, te détachant du lait des consolations mentales et actuelles pour manger le pain dur et moisi des tribulations spirituelles et temporelles, pour souffrir les combats du Démon, les injures des créatures, de quelque manière que Dieu veuille te les envoyer, té réjouissant alors, les désirant même, et remerciant doucement la Bonté divine quand il lui plaît de te faire de si grands présents, ce qui arrivera toujours lorsquil te verra bien disposé. Que ton cur, mon Fils, ne soit plus tiède; plonge-le dans le précieux Sang, afin quil brûle dans la fournaise [1376] de la divine charité. Quil aie en horreur les uvres de lenfance, et quil senflamme dardeur pour courir sur le champ de bataille et y faire de grandes choses en combattant généreusement pour Jésus crucifié. Saint Paul dit que celui qui naura pas bien combattu ne sera pas couronné. Ne faut-il pas plaindre celui qui fuit même le champ de bataille? Je ne ten dis pas davantage ici. 2. Jai reçu ta lettre, et je lai lue avec plaisir. Quant au projet, je te répondrai que tes dispositions me plaisent beaucoup. Jadmire les ingénieux moyens que notre Dieu prend A légard de ses créatures pour les conduire à la fin pour laquelle nous sommes créés. Quand il ne réussit pas par les médecins agréables et la douceur des consolations, il nous envoie la tribulation: il brûle la plaie avec le feu pour quelle ne se corrompe pas. Je moccuperai bien volontiers de cette affaire pour lamour de Dieu et de ton salut, après les saints jours de fête. 3. Les indulgences que tu désires, je tâcherai de les joindre aux premières que je demanderai; je ne sais quand, parce que jimportune les écrivains de la cour; il faut patienter un peu. Jécris une lettre à Mathieu; en la lui donnant, encourage-le, et va le voir quelquefois pour soutenir et exciter son zèle dans lentreprise commencée. Jai appris linfirmité que Dieu lui a envoyée, parce quil en avait besoin. Je te prie et te conjure de faire tout ton possible avec tes frères pour obtenir le secours de la Compagnie de la Vierge Marie. Il faut aussi avoir grande compassion de Catherine, qui est seule, pauvre et sans ressources Sois charitable à son égard. Je nécris pas [1377] encore à Pietro. Faites en sorte que je ne maperçoive pas de vos négligences. Je termine. Demeure dans sa sainte et douce dilection de Dieu. Toute la famille te salue dans le Christ, et le secrétaire ingrat se recommande à toi (Néri ou Barduccio, ses secrétaires les plus ordinaires.). Doux Jésus, Jésus amour.
CCLXVII (259).- A ETIENNE DE CORRADO MACCONI.- De la lumière quil faut avoir pour connaître la vérité.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir sortir des ténèbres pour te diriger vers la lumière, sans tarder davantage; car le temps fuit, et nous ne nous en apercevons pas dans notre aveuglement; il faut écarter le nuage, et contempler la vérité. La vérité est que Dieu ne veut et ne cherche autre chose que notre sanctification; cest pour cela quil nous a créés à son image et ressemblance, et que le doux et tendre Verbe a voulu donner oea vie avec tant damour; il nous a manifesté ainsi sa vérité. Lâme qui la regarde à la lumière ne reste plus à dormir, mais elle secoue le sommeil et cherche avec un grand zèle la manière, la voie, le temps pour [1378] laccomplir; et elle ne compte pas pour le faire sur le lendemain, parce quelle nest pas sûre de lavoir. Je veux que tu agisses ainsi; chasse de toi les ténèbres qui pourraient te priver de cette lumière. Apprends que Dieu te la montrée pour que tu sortes des ténèbres; car il ta choisi pour connaître cette vérité; tu serais vraiment trop coupable si tu résistais: et tu résisterais si, par négligence, tu voulais dénouer au lieu de trancher. Il veut que tu tranches. puisquil ta fait la grâce de terminer tes affaires, ce qui ma causé une grande joie. Maintenant, mon Fils, presse-toi comme ceux qui sont à court de temps, et termine ce qui te reste à faire, afin daccomplir la volonté de Dieu en toi. Je ne ten dis pas davantage. Recommande à Pietro de nêtre pas négligent à se débarrasser de lui-même pour être libre et courir dans la voie de Jésus crucifié. Pour laffaire de messire...- Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLXVIII (260).- A ETIENNE DE CORRADO MACCONI, pauvre de toute vertu.- Il ne faut pas résister à la voix de Dieu.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi. Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux Sang, avec [1379] le désir de te voir éclairé dune si grande lumière et connaissance, que tu comprennes quil faut trancher et non pas dénouer; car celui qui ne tranche pas reste lié, et celui qui ne fuit pas reste toujours prisonnier. Ne résiste plus à lEsprit-Saint qui tappelle; il te serait dur de lutter contre lui. Ne te laisse pas engourdir par la tiédeur dans un amour lâche et dans une compassion de femme, qui prend souvent lapparence de la vertu; mais sois comme un homme fort, qui combat généreusement sur le champ de bataille. Fixe le regard de ton intelligence sur ce sang répandu avec tant damour, et tu seras libre et plein dardeur pour le combat. Réponds, Fils négligent; ouvre la porte de ton cur, car cest une honte que Dieu se tienne à la porte de ton âme, et que tu ne lui ouvres pas. Ne sois donc pas mercenaire, mais fidèle. Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, où tu trouveras le glaive de la haine et de lamour pour trancher tous les liens qui te retiennent en dehors de la volonté de Dieu, et qui tarrêtent dans la perfection. Tu trouveras aussi la lumière dont tu as besoin pour voir où il est nécessaire de trancher. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1381].
CCXIX (261).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- Combien on doit éviter la tiédeur qui vient de lingratitude.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir sortir de la tiédeur, afin que tu ne sois pas vomi de la bouche de Dieu, et que tu nentendes pas ce reproche : Malheur à vous qui êtes tièdes, il vaudrait mieux que vous fussiez glacés. Cette tiédeur vient de lingratitude, et lingratitude vient du peu de lumière, qui ne laisse pas voir lardent amour de Jésus crucifié, et les bienfaits infinis que nous en avons reçus ; car si nous les avions vus en vérité, notre cur senflammerait damour, et nous serions avides de temps pour lemployer avec zèle à lhonneur de Dieu et au salut des âmes. Je ty invite, très cher Fils, car voici une occasion nouvelle de travailler. 2. Je tenvoie une lettre que jécris aux Seigneurs, et une autre à la Compagnie de la Vierge Marie. Tu les liras, et tu en feras ton profit; tu les remettras ensuite, et tu parleras à chacun selon loccasion, daprès le contenu de ces lettres, conjurant tout le monde, de la part de Jésus crucifié et de la mienne, de travailler de tout leur pouvoir avec les Seigneurs et [1381] avec ceux que la chose regarde, à faire ce quil faut faire pour la sainte Eglise et le Vicaire du Christ, le Pape Urbain VI. Quant à moi, je regrette quil faille tout ce tourment lorsquil sagit de lhonneur de Dieu et de lintérêt spirituel et temporel de la ville. Tâche de nêtre pas tiède, mais ardent à exciter les frères et les chefs de la Compagnie, pour quils fassent tout leur possible au sujet de ce que jécris. En étant ce que vous devez être, vous enflammerez toute lItalie; ce nest pas si difficile. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection :de Dieu. Courage... Tous les frères et surs te saluent dans le Christ, et tattendent. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLXX (262).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI, son très indigne et ingrat fils, lorsquelle était à Rome.- Du renoncement au monde, et des moyens dy parvenir.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir trancher et non pas dénouer; car dénouer prend du temps, et tu nes pas sûr den avoir, le temps passe si vite; il vaut donc mieux trancher avec un véritable et saint zèle. Oh ! que mon [1382] âme sera heureuse quand je te verrai ainsi séparé réellement et spirituellement du monde et de lamour de toi-même, et uni à la vie éternelle. Cette union est si bonne et si douce, quelle détruit toute amertume, et quelle rend tous les fardeaux légers. Qui ne voudrait donc prendre le glaive de la haine et de lamour pour se séparer de soi-même, avec la main du libre arbitre; et la vertu de ce glaive est si grande, quaussitôt quil a tranché; il unit. Mais tu me diras, très cher Fils : Où trouver et préparer ce glaive? Je te répondrai : Tu le trouveras dans la cellule de la connaissance de toi-même, où tu concevras la haine du vice et de la faiblesse, et lamour de ton Créateur et de ton prochain avec les vraies et solides vertus. où est-il préparé? dans le feu de la divine charité, en prenant pour enclume le corps du doux et tendre Verbe, du Fils de Dieu. Quils sont ignorants et coupables, ceux qui ont de telles armes pour se défendre, et qui les jettent loin deux, 2. Non, je ne veux pas que tu sois de ces ignorants, mais je veux que tu te décides généreusement, et que tu répondes à Marie qui tappelle avec tant damour. Le sang des glorieux martyrs qui sont morts ici à Rome (Sainte Catherine vénérait sans cesse le sang des martyrs qui a baigné la terre de Rome. Cornélius à Lapide. dans son commentaire sur Is 26, dit: Sancta Catharina Senensis, obiens Romae stationes, aiebat : Ego calco sanguinem martyrum.) avec tant dardeur, et qui ont donné leur vie par amour de la Vie, ce sang bout encore pour vous inviter, toi et les autres, à venir souffrir pour la gloire et lhonneur du nom de Dieu [1383] et de la sainte Eglise, à venir pratiquer la vertu sur cette sainte terre où Dieu a montré sa grandeur en la nommant son jardin, où il appelle ses serviteurs, en leur disant que voici le moment de venir éprouver lor de la vertu. Ne faisons pas la sourde oreille; et si le froid nous empêche dentendre, prenons ce sang brûlant dardeur, et lavons-nous avec, pour nous guérir de notre surdité. Cache-toi dans les plaies de Jésus crucifié, fuis le monde, sors de la maison de tes parents, retire-toi dans le côté de Jésus crucifié ; cest le moyen darriver à la terre promise. Je dis la même chose à Pietro. Asseyez-vous à la table de la sainte Croix; et là, tout enivrés du précieux Sang, prenez la nourriture des âmes en souffrant les peines, les opprobres, les injures, la faim, la soit, la nudité, en vous glorifiant avec le doux saint Paul, ce beau vase délection, dans les opprobres de Jésus crucifié. Si tu tranches, comme je te lai dit, souffrir sera ta gloire, mais pas autrement; tu seras au contraire dans la peine, et ton ombre même te fera peur. Cest parce que mon âme le sait, et quelle a faim de ton salut, que je désire te voir trancher, et non pas dénouer, afin que tu puisses plus vite courir. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. 3. Jai reçu tes lettres, et jai été bien consolée au sujet de Baptiste, qui est guéri, parce que jespère que ce sera une bonne plante, et parce que javais compassion de dame Giovanna (Baptiste était frère dEtienne Maconi, et Giovanna sa mère.); mais je me suis plus réjouie encore de ce que Dieu te donne le moyen [1384] de quitter le monde, et aussi de ce que tu mécris de la bonne disposition des Seigneurs de Sienne et de nos concitoyens à légard de notre doux Père, le Pape Urbain VI. Que Dieu dans son infinie miséricorde le conserve et augmente toujours le respect et lobéissance pour lui. Soyez maintenant pleins de zèle pour répandre la vérité et confondre le mensonge autant que vous le pourrez. 4. Recommande-moi bien à dame Giovanna, à Corrado; encourage aussi Baptiste et le reste de la famille. Encourage tous mes Fils, et dis-leur surtout quils me pardonnent si je ne leur écris pas; jen suis très peinée moi-même. Encourage messire Matthieu; dis-lui quil nous envoie une note sur ce quil veut, car je lai oubliée, et frère Raymond part si promptement que nous ne pourrons lavoir de lui (Sainte Catherine arriva à Rome le 28 novembre. et le bienheureux Raymond partit dans les premiers jours de décembre 1378.). Je ferai ensuite tout mon possible. Quant à frère Thomas, que je ne lui écris pas, parce que je ne sais où il se trouve, mais sil est prêt de toi, encourage-le et dis-lui de me donner sa bénédiction. Notre Lisa et toute la famille se recommandent à toi. Néri ne técrit pas, parce quil a été bien près de mourir; mais maintenant il est guéri. Que Dieu te donne sa douce, son éternelle bénédiction. Dis à Pierre que, sil peut venir, il nous vienne pour une affaire qui est très urgente. Doux Jésus, Jésus amour. Donne ou fais donner toutes ces lettres, et prie Dieu pour nous. Il y a aussi dautres lettres scellées; donne-les dans cet état à dame Catherine de Giovanni : elle les distribuera [1385].
CCLXXI (263). A ETIENNE DE CORRODA MACONI, lorsquelle était à Rome. Ce fut la dernière lettre qu'elle lui écrivit.- Il faut se parer de vertu pour attirer les âmes à Dieu par lexemple et par le talent reçu de Dieu. (Cette lettre est de 1380. Sainte Catherine était près de mourir lorsque le bienheureux Etienne Maconi reçut miraculeusement lordre daller la rejoindre a Rome. Il obéit sur-le-champ. (Gigli, t. II, p. 388.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et très doux Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir un miroir de vertus, afin que par lexemple de ta vie, lenseignement de ta parole, par tes humbles et continuelles prières, tu deviennes un instrument pour tirer les âmes des mains du démon et les amener à la vertu, au Christ, le doux Jésus, comme Dieu nous. le demande; car il faut faire valoir le talent que Dieu nous a donné pour pratiquer la vertu et développer la vie de lâme. Sans cela nous serons privés de la vie de la grâce, et dès cette vie nous goûterons les arrhes de lenfer. 2. Oh ! combien est douce et utile la vertu quon acquiert par le moyen de la prière faite dans la cellule de la connaissance de soi-même ! Nous trouvons dans cette connaissance, le feu de la divine charité [1386], en voyant notre misère, notre ignorance, notre ingratitude. Nous y trouverons la source de lhumilité par la connaissance que nous aurons de nous-mêmes dans linfinie bonté de Dieu; et par lépreuve et la foi, nous nourrirons notre cur du feu de la charité. Alors notre prière sera humble, fidèle, persévérante, pleine du souvenir et de lamour de lhumble Agneau, et nous arriverons ainsi à la vertu parfaite. 3. Et je ne métonne pas si par la connaissance que lâme a delle-même, elle arrive â lamour parfait et h la vertu; car en aucun lieu nous ne trouvons lamour de Dieu comme en nous-mêmes, puisque toutes les choses créées, Dieu les a faites pour la créature raisonnable, et cette créature raisonnable, il la créée pour lui-même, pour quelle laime, le serve de tout son cur, de toutes ses forces. Aussi lâme qui se voit tant aimée ne peut se défendre daimer, car cest une loi de lamour. Lamour de Dieu pour nous a été si grand, si incompréhensible, quil a voulu nous rendre ses amis lorsque nous étions devenus ses ennemis par la faute commise, et il nous a envoyé le Verbe son Fils, afin quil payât la dette que la créature avait contractée, nous montrant par la valeur du prix la grandeur de notre dignité et lénormité de la faute. Ne doit-il pas vaincre et détruire la dureté du cur de la créature raisonnable, lorsquelle voit à la lumière de la raison et de la très sainte Foi, lamour de Dieu à son égard et le prix de la rançon quil a payée pour elle? Mais celui qui vit sans raison ne peut jamais le voir, le connaître ne le connaissant pas, il ne laime pas, et ne laimant pas, il lui est impossible darriver à aucune vertu [1387]. 4. Toute vertu tire sa vie de lamour acquis dans lardeur de la charité. Lorsque nous avons la charité en nous, il faut nous en servir à légard de notre prochain, spirituellement et temporellement, selon ses besoins et selon que Dieu nous en charge, avec un ardent désir du salut du monde entier pour lhonneur de Dieu, nous réjouissant de. souffrir les peines, les fatigues, la mort, sil le faut, pour la gloire et la louange de son nom; cest ainsi que nous deviendrons semblables au doux Agneau. Voici maintenant le temps, très cher Fils, ou Dieu nous demande ce sacrifice, puisque nous voyons le monde dans de si épaisses ténèbres, et principalement la douce Epouse du Christ. Je veux que tu te donnes à lui avec ardeur; et comme sans le moyen des vertus tu ne le pourrais pas, jai dit que je désirais te voir un miroir de vertus; et je veux que tu fasses tous tes efforts pour le devenir. Je ne te dis rien de plus ici. 5. Hier jai reçu une de tes lettres, à laquelle je réponds en peu de mots. Pour les indulgences que je tavais promises, je te réponds de ne rien attendre de moi, pas plus quun autre service, si tu ne viens toi-même. Je ne dis pas que je refuse de tassister dans tes besoins spirituels ; jamais je nai plus désiré le faire et tinstruire selon ce que Dieu mettra dans mon âme ; jamais je ne tai offert avec plus dardeur en sa douce présence, car je vois que jamais tu nen as eu plus besoin. Tu dis que ton état te déplaît; quand il te déplaira en vérité, je men apercevrai, tu le quitteras tout à fait. Alors tu montreras que tu connais ton état; mais jusquà présent il parait peu que tu le connaisses. Jespère dans la douce bonté de [1388] Dieu que, comme tu as un peu commencé à écarter le voile qui couvre tes yeux, tu lôteras enfin entièrement. Tu verras alors ton état, et ce sera bientôt, pourvu que tu ne fasses pas résistance, ou que mes péchés ne soient pas un obstacle. 6. Je te réponds, au sujet de messire Mathieu, que je suis bien affligée des peines et des ennuis quil a supportés à cause de mon ignorance et de ma négligence. Sois persuadé que sa peine est plus la mienne que la sienne. Que Dieu me fasse la grâce de nous en délivrer bientôt, lui et moi. Si cette lettre, etc. Ayez patience, etc. Jai reçu une lettre de labbé, qui me parle des plantes quil a plantées dans son jardin et dans le mien. Il espère en planter dautres, parmi lesquelles il vous compte, vous et vos compagnons. Vous seriez déjà engagés... Cest une grande joie pour moi de vous voir sortir de limperfection et avancer vers la perfection; mais je suis bien surprise que tu te sois engagé sans nous en rien faire savoir; il y a là quelque mystère (Etienne Maconi ne sétait pas engagé, et labbé, qui était celui des Olivétains, prenait ses espérances pour une certitude.). Je prie la Bonté divine de faire ce qui sera le mieux pour son honneur et pour ton salut. 7. Je nai jamais voulu ni désiré autre chose depuis Je jour où je tai connu, que de te voir sortir de la fange du monde. Jai encore aujourdhui le même désir, et jespère, avec la grâce de Dieu, le conserver jusquà la fin, si tu crois que le Saint-Esprit tappelle et te choisit pour cet état, tu as bien fait de ne pas [1389] résister, et jen serai consolée. Dès que tu tentends appeler, il faut répondre. Jaurais beaucoup de choses à te dire, mais je ne puis et ne veux pas te les écrire. Néri est à Naples, où il a été envoyé avec labbé Lisolo. Je crois quils ont bien des peines, surtout spirituelles, à cause de toutes les offenses quils voient commettre contre Dieu. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Encourage tous mes enfants, et surtout Pierre; dis-lui quen disant que Dieu aime peu de paroles et beaucoup duvres, je ne lui impose pas silence, et je ne lempêche pas de parler et de mécrire, si cest sa paix et sa consolation. Jai été même quelquefois surprise de ce quil ne mavait pas écrit. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLXXII (264). A PIERRE, fils de Jean Venture, et à Etienne de Corrado, lorsquelle était à Rome.- Des trois grands ennemis de lhomme, qui sont le monde, le démon et la chair. (Voir la lettre LIII.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des chevaliers généreux, capables de vaincre vos trois grands ennemis. O très [1390] doux Fils, ces trois ennemis sont le démon, le monde et la chair. Les deux premiers sont faciles à vaincre, car le démon a perdu la puissance quil avait sur nous, et, grâce au sang du Fils de Dieu, il peut nous attaquer et nous troubler par des pensées mauvaises, mais il ne peut nous forcer à la moindre faute, parce que le sang de lAgneau sans tache nous a fortifiés et délivrés de la servitude. Que peut faire aussi le monde? absolument rien. Il peut frapper lécorce et accabler notre corps de persécutions, dinjures, dopprobres et de mauvais traitements. Mais quest-ce que reçoit le serviteur de Dieu de toutes ces choses dans le fond de son âme? rien. Le monde se fatigue à le persécuter, et lui se réjouit, parce quil a mis son amour en Dieu, doù vient toute sa joie; il a choisi de souffrir avec Jésus crucifié, et plus il souffre sans le mériter, plus il est heureux, parce quil ressemble plus alors à son modèle. 2. Il est donc vrai que ces deux ennemis sont faciles à vaincre, Mais il nen est pas de même du troisième, qui est la chair, cest-à-dire la sensualité, cette loi mauvaise qui combat toujours contre lesprit. Il ny a pour ainsi dire pas un instant où elle ne veuille en quelque manière se révolter contre la volonté de Dieu, cest-à-dire contre toutes les bonnes inspirations que la Bonté divine nous envoie dans notre cur; elle les écarte tellement, que nous ne pouvons en suivre aucune tant que nous lécoutons. Mais, au contraire, toutes les pensées coupables que le démon nous donne et que Dieu permet pour augmenter la perfection et la grâce en nous, et non pas pour que nous nous laissions vaincre, cette malheureuse passion [1391] sensitive nous les fait écouter; cest elle, en un mot, qui nous prive de Dieu, et qui dans cette vie nous cause des peines continuelles. Nous devons donc bien nous armer contre cet ennemi. 3. Je veux que chacun de vous sépare en lui la sensualité et la raison, et quil en fasse des ennemis irréconciliables. Que la raison sarme du glaive de la haine et de lamour cette guerre ne doit pas être entreprise avec mollesse, mais avec vigueur; il faut absolument tuer la sensualité, parce que. cest elle qui nous ôte la vie de la grâce, en nous faisant résister à Dieu. Cette loi maudite use quelquefois dun grand artifice pour nous faire tomber plus dangereusement. Elle sommeille et paraît morte en nous; nous ne ressentons aucun combat; nous sommes, au contraire, pleins de ferveur, tous nos actes, toutes nos pensées sont dirigées vers Dieu avec une douceur qui semble un avant-goût de la vie éternelle; mais si nous ralentissons la guerre, si nous déposons le glaive et si nous manquons de vigilance, elle se lève plus forte que jamais et nous fait faire des chutes terribles. Je veux donc, mes enfants, que vous entrepreniez cette guerre avec lintention de ne jamais faire la paix. Combattez toujours, faites toujours ce qui lui déplaît, et ne lui accordez jamais ce qui lui plaît. Que le chien de la conscience fasse bonne garde, et quil ne laisse entrer aucune pensée dans le cur sans que la raison lexamine, et quaucun mouvement coupable ne passe sans quil soit sévèrement puni; que cette misérable sensualité soit servante, et que la raison soit maîtresse,. comme cela doit être. Mais si vous étiez négligents ou tièdes, vous ne vaincriez [1392] jamais cet ennemi ni les deux autres. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir de généreux chevaliers, afin que vous soyez vainqueurs. Courage donc, mes Enfants; prenez ce glaive, et quil ne sorte jamais de votre libre arbitre jusquà la mort. Votre ennemi ne vous quittera pas jusquau dernier moment. Dieu nous le laisse pour notre bien, pour que nous acquerrions la vertu avec peine au moyen de sa grâce. Je ne vous en dis pas davantage maintenant. 4. Je réponds aux lettres que toi, Pierre, tu mas envoyées. Je suis persuadée que, si tu avais le désir de quitter ta maison et de venir ici, tu te hâterais de terminer promptement tout ce qui te reste à faire, afin de pouvoir suivre librement et entièrement Jésus crucifié. Mais tu es négligent, et tu nas pas pris larme dont jai parlé; aussi, tu ne mets pas à exécution le saint désir que Dieu ta donné. Je sais bien que tu ne crois pas que je veuille tabandonner et que je te laisse périr; toi et les autres; car chaque jour je vous enfante de nouveau, en présence de Dieu, par de continuelles prières, et je prie surtout pour ceux qui en ont plus grand besoin. Tâche donc de te renouveler. Je te dis la même chose, Etienne. Appliquez-vous avec zèle à quitter le monde et à courir vers Dieu, qui vous attend les bras ouverts. Venez bien vite. 5. La sainte Eglise et le Pape Urbain VI, grâce à la douce Bonté divine, ont reçu, ces jours-ci, les meilleures nouvelles quils aient reçues depuis bien longtemps (Il sagit sans doute des lettres dadhésion de lEmpereur, des rois de Hongrie et dAngleterre.). Je vous envoie avec cette lettre une [1392] autre lettre pour le Bachelier (Fr. Guillaume dAngleterre. (Voir la lettre CLXX.), dans laquelle vous pouvez voir comment Dieu commence à répandre ses grâces sur sa douce lEpouse. Jespère de sa miséricorde quil continuera, et quil multipliera ses bien. faits de jour en jour. Je sais que sa vérité ne peut mentir, et il a promis de réformer lEglise par les souffrances de ses serviteurs, par leurs humbles et continuelles prières, faites avec les larmes et les angoisses du désir. Aussi je vous invite à frapper de nouveau à la porte de sa miséricorde avec persévérance; et je vous promets que si nous continuons à frapper, il nous sera ouvert. Dites-le bien à mes autres fils, et bénissez-les de notre part. Nonna, Lisa et toute la pauvre famille vous saluent dans le Christ, etc. Demeurez tous dans la sainte et douce dilection de Dieu. Toi, Etienne, tu ne viens pas... Doux Jésus, Jésus amour. Donnée à Rome, le 1er janvier 1378.
CCLXXIII (265).- A NICOLACCIO CATERINO PETRONI, de Sienne.- De lobéissance aux divins préceptes nécessaire pour avoir la vie de la grâce.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs [1394] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir Observer les doux commandements de Dieu, afin que vous puissiez participer à la vie de la grâce. Mais vous ne pourrez le faire en méprisant et en haïssant votre prochain, car le second commandement est daimer le prochain comme nous-mêmes. Cet amour de la créature a sa source dans la charité divine, et celui qui nest pas dans la charité de Dieu, nest pas dans celle du prochain; et ny étant pas, il est comme un membre retranché du corps, qui perd aussitôt la vie et se dessèche, parce quil est séparé de son principe. De même lâme séparée par la haine de la charité divine meurt aussitôt à la grâce, et le bien quelle fait ne lui sert pas pour la vie éternelle. 2. Il ne faut pas cependant cesser de faire le bien dans quelque état quon se trouve, parce que tout bien est récompensé, et toute faute est punie. Si le bien nest pas récompensé dans la vie éternelle, Dieu le récompense en celle-ci, en accordant le temps de se convertir à celui qui le fait, en le retirant des mains du démon par le moyen de ses serviteurs, ou en le comblant de biens temporels; et sil meurt, lors même quil est en enfer, il le punit moins; il le punirait davantage sil avait employé au mal le temps où il a fait un peu de bien. Aussi pour cette raison et pour dautres, il ne faut jamais cesser le bien, dans quelque état quon se trouve. Il faut penser que Dieu est si généreux, quil récompense une bonne uvre, même lorsquelle est faite en péché mortel. Il veut toujours la récompenser en quelque manière. 3. Mais combien sera plus grande la récompense de [1395] ceux qui font le bien en état de grâce, avec un bon et saint désir dans la charité de Dieu et lamour du prochain ! Ils en reçoivent un fruit infini, puisquils reçoivent la grâce en cette vie, et la vie éternelle dans lautre. Je veux donc que vous vous appliquiez avec zèle à conserver la grâce, en observant les doux commandements de Dieu: vous ne le pourriez autrement. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir observer ces commandements. Je ne vous en dis pas davantage ici, et je verrai à ce que je vous demande, si vous êtes vraiment dans cette charité. Ce que je vous demande, cest la paix. Demeurez dans la sainte et douce dilection de bleu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLXXIV (266).- A FRANCOIS, fils de messire Vanni Malavolti, de Sienne.- Elle lexhorte à revenir à Dieu avec confiance, et elle le reprend de sa vie coupable. (Carissimo e sopra carissimo figliuolo. François Malvolti appartenait à une des familles puissantes de Sienne. Sainte Catherine lavait converti, mais il retombait sans cesse dans ses premières fautes; elle lui prédit que Dieu serait enfin vainqueur. Après la mort de sainte Catherine, il fut ramené à la vertu par le B. Etienne Maconi, qui venait de se faire chartreux. Il entra chez les Olivétains, où il vécut saintement jusquà sa mort, arrivée en 1410.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Cher et très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus (1), moi, Catherine, la servante et lesclave des [1396] serviteurs de Jésus-Christ, je técrie dans son précieux sang, avec le désir de te ramener au bercail avec tes autres compagnons. Il me semble que le démon ta tellement enchaîné, quil ne te laisse pas revenir; et moi, ta pauvre mère, je vais te cherchant et te demandant, car je voudrais te porter sur les épaules de la douleur et de la compassion que jai pour ton âme. Ouvre donc, très cher Fils, loeil de ton intelligence; sors des ténèbres et reconnais ta faute, non pour te désespérer, mais pour te connaître et pour espérer dans la bonté de Dieu. Les richesses de la grâce que ton Père céleste tavait données, tu les as perdues misérablement. Fais donc comme lenfant prodigue, qui avait dépensé sa fortune en vivant mal. Lorsquil se vit tombé dans la misère, il reconnut sa faute et implora la miséricorde de son père. Fais de même, car tu es pauvre et dans le besoin; ton âme meurt de faim. Recours donc à la miséricorde du Père; il te secourra, et ne méprisera pas ton désir fondé sur le regret du péché commis : il taccueillera même avec amour. 2. Hélas ! hélas ! où sont tes bons désirs? Que je suis à plaindre ! je vois que le démon a ravi ton âme et ses saints désirs. Le monde et ses serviteurs les ont pris et enchaînés par leurs plaisirs et leurs affections déréglées. Hâte-toi donc de prendre le remède et de ne plus dormir; console mon âme, et ne sois plus assez ennemi de ton salut pour me refuser de venir. Ne te laisse pas tromper par le démon, par la crainte et la honte; romps cette chaîne; viens, viens, très cher Fils. Je puis bien tappeler cher, tu me coûtes tant de larmes, de pleurs et dangoisses. Oui, viens, retourne [1397] au bercail. Mon excuse devant Dieu est que je ne puis faire davantage. Que tu viennes ou que tu restes, je ne te demande autre chose que de faire la volonté de Dieu. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLXXV (267).- A AGNOLINO, fils de Jean Agnolino de Salimbeni, de Sienne.- Il faut combattre avec courage, contre la chair, le monde et le démon. (Agnolino de Salimbeni était un des nobles les plus puissants de Sienne; dans un différend que sa famille eut avec la république, il alla, en 1375, soumettre sa cause aux magistrats de Florence, qui avaient été pris pour arbitres. Il servit ensuite sa patrie autant par ses conseils que par sa valeur.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir combattre généreusement, et ne pas craindre les coups comme un chevalier sans cur. Mon doux Fils, nous sommes sur un champ de bataille, et il nous faut toujours combattre, en tout temps et en tous lieux. Nous avons des ennemis qui assiègent la cité de notre âme ce sont la chair avec ses jouissances déréglées, le monde avec ses honneurs [1398] et ses plaisirs, le démon avec sa malice. Pour empêcher les saints désirs de lâme, il lentoure de pièges, ou par lui-même ou par le moyen des créatures, en mettant sur la langue de ses serviteurs, des paroles trompeuses, des louanges, des menaces, des murmures ou des injures; et il agit ainsi pour troubler lâme et la dégoûter de ses bonnes et saintes uvres. 2. Mais nous, comme de généreux chevaliers, nous devons défendre et garder la cité; nous devons fermer la porte aux sentiments déréglés, et y mettre pour garde le chien de la conscience, afin que, quand lennemi passe, il aboie, pour que lintelligence veille et regarde si cest un ami ou un ennemi, un vice ou une vertu qui se présente. A .ce chien, il faut lui donner à boire et à manger; il faut lui donner le sang pour boisson, et le feu pour nourriture, afin quil secoue le froid de la négligence et quil soit vigilant. 3. Oui, je te le dis, mon fils Agnolino, nourris le chien de la conscience avec le feu dune très ardente charité et avec le sang de lAgneau sans tache, répandu sur la Croix, de toutes les parties de son corps, pour que nous puissions lui donner à boire; et en le faisant, il sera plein de vigueur, et vous combattrez bien. Prenez le glaive de la haine et de lamour, cest-à-dire la haine et lhorreur du vice, et lamour de la vertu; et la chair, lennemi le plus mauvais et le plus perfide que nous puissions avoir, sera tuée en la frappant de ce glaive. La conscience fera voir à loeil de lintelligence combien est dangereux le plaisir de la chair qui se présente à lâme, et pour le tuer elle regardera la chair flagellée de Jésus crucifié, et elle [1399] aura honte de sattacher aux jouissances déréglées et aux délices du corps. Le démon, avec ses ruses et les pièges quil tend pour faire périr les âmes, sera vaincu par la vertu de la véritable humilité. Que le chien de la conscience aboie donc pour tenir lintelligence éveillée et, lui faire voir combien il est dangereux découter les tentations et despérer en soi-même. Que lhomme reconnaisse son néant, afin de ne pas tomber dans lorgueil cest lhumilité qui brise tous les filets du démon. Lhomme ne devrait pas avoir honte de shumilier en soyant son néant, en voyant quil tient lêtre de Dieu et non de lui-même, et que Dieu sest humilié jusquà lui. Par un acte dhumilité profonde, il est descendu des hauteurs infinies de sa divinité jusquà la bassesse de notre chair. 4. Ce doux et tendre Agneau, le Verbe incarné, est notre force, car cest de lui que vient tout secours. Il a voulu être notre chef, et avec sa main désarmée, percée et clouée sur la Croix, il a défait tous nos ennemis. Son sang est resté sur le champ de bataille pour nous animer à combattre en bons chevaliers, généreusement et sans crainte. Le démon est devenu impuissant par le sang de lAgneau; il ne peut faire que ce que Dieu permet, et Dieu ne permet jamais que le fardeau soit au-dessus de nos forces. La chair aussi a été vaincue par la flagellation et les tourments du Christ, et le monde par les opprobres, les mépris, les injures et les outrages quil a reçus. La richesse a été vaincue par la pauvreté volontaire de Jésus crucifié. La richesse suprême est devenue si pauvre, quelle navait pas où reposer sa tête sur le bois de la [1400] très sainte Croix. Oui, mon Fils, quand lennemi voudra entrer dans ton âme par lamour des honneurs et des biens du monde, fais en sorte que le chien de la conscience éveille lintelligence, et quelle voie quil ny a ni durée ni stabilité dans les honneurs et les biens du monde, de quelque côté quils viennent. Vous le savez bien, vous lavez vu et vous lavez éprouvé. Et puis je veux que vous compreniez quen se donnant dune manière déréglée à ces choses passagères, on narrive pas à la gloire, mais à la honte; car lhomme devient lesclave de ce qui est moins que lui; il sert les choses finies, et Il est infini; car lhomme ne finit jamais quant à lêtre, quoiquil finisse à la grâce par le péché mortel. Si nous voulons trouver lhonneur, le repos et le contentement, il faut servir et aimer ce qui est plus grand que nous. 5. Dieu est notre Rédempteur, notre Seigneur, notre Père, la souveraine, léternelle Bonté, digne dêtre aimé et servi par tous; cest une obligation pour nous, si nous voulons participer à la grâce divine. Il est la puissance suprême et le bonheur; cest lui qui rassasie lâme et soutient toute faiblesse; cest en lui quon trouve la paix, le repos, la sûreté, le rassasiement que rien ne peut donner, parce que toutes les créatures sont moins que lhomme. Ainsi donc, le mépris du monde est un honneur, une richesse; mais les fous, les insensés ne le reconnaissent pas, et pensent tout le contraire. Pour vous, comme de généreux combattants, élevez-vous au-dessus des affections sensuelles, et connaissez la vérité. Ne croyez pas les hommes méchants et pervers; le démon se sert de leur bouche pour nuire à votre [1401] vie et à votre salut, pour vous exciter à la colère et vous révolter contre la volonté de Dieu. Nécoutez pas ces conseillers du démon, mais écoutez et répondez à lEsprit-Saint, qui vous appelle. Montrez que vous nhésitez pas, et répondez-leur généreusement; dites-leur que vous ne voulez pas résister à Dieu, que vous ne pouvez pas. 6. Je sais ce qui a été dit, et la Comtesse sera bien tourmentée par les uns et les autres, parce quelle veut être la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ (La comtesse Bandoccia de Salimbeni, soeur dAgnolino, voulait se faire religieuse. (Voir la lettre CCCXXX). Les méchants, pour vous arrêter, elle et vous, voudront vous inspirer des craintes et des regrets; ils vous présenteront comme une honte et une bassesse le plus grand honneur que vous puissiez avoir, non seulement maintenant mais pour toujours. Devant Dieu et devant les hommes, votre gloire surpassera celle de tous vos ancêtres. Que nous serions fous et insensés si nous mettions notre amour et notre espérance dans un feu de paille? Une grande flamme parut la première fois que vous vous êtes marié, mais elle disparut bientôt, et il ne resta que la fumée de la douleur. Le feu parut ensuite vouloir se rallumer, mais il sest éteint, le vent de la mort la dissipé. Il serait donc bien plus simple, pour elle et pour vous, de répondre à lappel du Saint-Esprit. Vous voyez que le monde la repousse et la renvoie à Jésus crucifié. Jespère bien de la Bonté divine que vous noublierez jamais la volonté de Dieu, et que vous ne vous laisserez pas entraîner par les jugements [1402] du monde. Fermez, fermez la bouche à vos vassaux, et empêchez leurs murmures, en vous montrant ferme. Je ne doute pas que vous ne le fassiez, si le chien de la conscience ne dort pas, et si loeil de lintelligence reste ouvert; car autrement vous ne seriez pas un généreux chevalier, et vous montreriez une grande lâcheté. Tout mon désir est de vous voir courageux; et je vous ai dit que je désirais vous voir. bien combattre sur le champ de bataille, surtout dans ce combat nouveau que vous avez à soutenir maintenant au sujet de la Comtesse. Le démon voit quil la perd, cest pour cela quil vous tourmente tant par les créatures. Mais courage, méprisez tous les jugements du monde, et que Jésus crucifié vive en vous. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLXXVI (568). A MATTHIEU DE THONUCIO, dOrviete. Nous devons bâtir solidement sur la Pierre vive, qui est le Christ.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une pierre ferme et non pas une feuille qui vole à tous les vents [1403]. Car lâme qui nest pas fondée sur la Pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus, en plaçant son amour et ses désirs en Dieu, et non pas dans les choses passagères du monde qui disparaissent comme le vent, cette âme se meurt, parce quelle est privée de la grâce divine; et cest cette grâce qui conserve lâme, et lui donne la vie et la lumière parfaite, en éloignant delle les ténèbres, et en laffermissant dans la vraie patience et la sainte crainte de Dieu, par lhumilité par. faite. et la charité fraternelle à légard du prochain. Elle ne sabandonne pas par limpatience au vent de la tribulation, et elle ne se laisse pas agiter par le vent de la consolation en jouissant dune manière déréglée; elle ne senfle pas dorgueil au vent de la richesse et à la fumée des honneurs du monde. 2. Il en est ainsi parce quelle est ferme, et que son fondement est Jésus crucifié. Aussi lorsque soufflent les trois vents dangereux doù vient tout le mal, elle ne sen inquiète pas. Le démon souffle de sa bouche le vent des pensées tumultueuses et des combats. Tantôt ce sont les combats de la vanité qui rend le cur inconstant et léger, et cette vanité augmente lambition et le désir des honneurs du monde; tantôt ce sont des apparences de vertu, et ce vent est le plus dangereux et le plus difficile à connaître; il ny a que lhumble qui le connaît, et ne se laisse pas tromper. Cest par lapparence de la vertu que le démon cherche à séduire lâme ignorante qui nest pas humble, et qui ne se connaît pas elle-même. Supposons quelle commence à désirer Dieu et à donner quelques signes de vertu, mais parce quelle est encore imparfaite, et quelle ne se connaît pas assez [1404], elle examine les actions du prochain temporellement et spirituellement, cest-à-dire dans les choses temporelles et spirituelles. Alors le démon lui souffle le vent des faux jugements; elle juge son prochain, les serviteurs de Dieu et ceux du monde injustement, et elle ne sen aperçoit pas. Elle veut ainsi ôter à Dieu sa puissance de juge, car lui seul doit juger. 3. Pourquoi ne sen aperçoit-elle pas? Parce que le démon a caché son jugement sous le manteau de la vertu. Elle croit bien faire, et il lui semble quelquefois être agréable à Dieu; mais elle sabuse à cause de lorgueil qui est en elle. Si elle était véritablement humble et si elle se connaissait mieux elle-même, elle aurait honte de tomber dans de pareils jugements, parce quelle verrait quelle veut donner des lois à Dieu, quand elle se scandalise de ses serviteurs, et quelle veut conduire les créatures à sa manière, et non comme Dieu les appelle. Celui nu contraire qui sera fondé sur la Pierre vive, sur le Christ, résistera à ces mouvements et ny consentira pas; mais il sappliquera avec une humilité sincère à se réjouir et à rendre grâces à Dieu des actions et de la conduite de ses serviteurs. Il aura compassion des imparfaits, et il priera la Bonté divine de jeter un regard de miséricorde sur eux pour les retirer du péché et les conduire à la vertu. Il tire ainsi de lépine la rose, et il a toujours lesprit libre; il ne ségare pas, et ne remplit pas sa mémoire de fantaisies spirituelles et temporelles, comme le font les fous, les insensés, les présomptueux, qui ne se connaissent pas eux-mêmes et qui veulent juger les actions des autres, sous prétexte de bien ; ils se laissent aller à ce [1405] vent coupable, qui est si dangereux. O bouche maudite ! comme tu as empoisonné le monde, et corrompu ceux qui sont dans le siècle et ceux qui sont hors du siècle. Celui qui juge intérieurement répand ensuite linfection du murmure; il est dans le trouble, et son esprit est vide de Dieu et du prochain. Il faut donc éviter ce vent avec une vraie et sainte sollicitude. 4. Lautre vent dangereux est le monde, qui nous tente par lamour déréglé de nous-mêmes, et nous offre ses plaisirs et ses consolations, cachant aux yeux de lintelligence ses ténèbres, sa misère, son peu de durée, sous lapparence de la beauté et de la joie. Il trompe en promettant une vie longue, tandis quelle est courte, et en faisant croire que tous ses plaisirs, ses jouissances, ses richesses sont durables, tandis quils changent à chaque instant. Tout nous est prêté pour notre usage, pour nos besoins; mais il faut que ces choses quittent lhomme, ou que lhomme les quitte. Elles nous quittent quand nous les perdons, et quelles nous sont enlevées par quelquun ou par quelque accident; elles susent, et disparaissent. Nous les quittons aussi lorsque la Vérité suprême nous appelle en séparant lâme et le corps. Avec le corps on abandonne le. monde et ses délices; et dans cette séparation, personne ne peut conserver ses richesses et ses honneurs. Lâme est bien faible et bien aveugle, si elle nécarte pas de loeil de son intelligence la poussière du monde, si elle en fait au contraire lobjet de ses désirs. Elle vole alors comme la feuille de larbre au gré du vent, de lamour déréglé de soi-même et du monde; et de cette bouche maudite sort lenvie [1406] contre le prochain et lestime de soi-même ; elle murmure, et bien souvent elle tombe dans la haine et la vengeance. Souvent aussi elle sapproprie les biens des autres. Pour le faire, elle emploiera les serments, les parjures, les faux témoignages; et le mal deviendra si grand, quelle désirera la mort de son prochain. Ceux quelle doit aimer comme elle-même, elle les déchire et les ruine. Elle na aucune force; et la bonne uvre quelle entreprend, elle la conduit rarement à fin. Celui qui agit de la sorte bâtit sur le sable, où tout ce quon élève est bientôt renversé. Il est privé de la vie de la grâce, et il a perdu la lumière de la raison; il vit comme la brute, et non comme une créature raisonnable. 5. Il est donc absolument nécessaire de bâtir sur la Pierre vive. Ceux qui ont ainsi fixé là le regard de leur intelligence et les saints désirs de leur cur ne peuvent être renversés, et ne se laissent pas ébranler par ce vent mauvais. Ils résistent, et se défendent en méprisant le monde, ses vanités, ses jouissances; ils abattent lorgueil par une humilité profonde et par lamour de la pauvreté volontaire. Celui qui possède la richesse et les grandeurs les conserve, mais il ne les possède pas avec un amour déréglé, en dehors de la volonté de Dieu; il les garde avec une tendre et sainte crainte, se considérant comme léconome du Christ. Il secourt les pauvres, nourrit les serviteurs de Dieu, et les vénère en pensant quils offrent sans cesse en la présence de Dieu des prières, dardents désirs, des sueurs, des larmes pour le salut de toute créature. Ceux-là sont heureux en tout temps et en toute position, parce quils sont exempts des chagrins [1407] que cause la volonté déréglée, qui a pour fondement lamour-propre. Puisquil est si avantageux de prendre pour fondement la Pierre vive, hâtons-nous de profiter du temps, car nous ne sommes pas sûrs de lavoir. 6. Le troisième vent est la chair, qui répand une infection telle, que non seulement elle déplaît à Dieu, mais quelle répugne au démon même; elle abrutit lhomme, et le rend semblable à lanimal. Il fait comme le pourceau, qui se roule dans la fange; il se roule dans la fange de limpureté, et savilit dans quelque état quil se trouve. Sil est lié à létat du mariage, il le corrompt par un amour déréglé; il devrait user de ce sacrement avec la Crainte de Dieu, et il le souille par ses désordres et ses excès. Le malheureux ne considère pas à quelle dignité a été élevée notre humanité par lunion que Dieu a contractée avec notre misérable chair; sil ouvrait loeil de lintelligence pour la regarder, il aimerait mieux mourir que. de sabandonner à une telle misère. Et savez-vous quelle corruption répand cette bouche, qui empoisonne tous ceux qui lapprochent? Le cur devient soupçonneux, la langue murmure et blasphème. Il juge les autres daprès lui-même, comme le malade dont lestomac dérangé trouve mauvais tous les aliments, surtout ceux que le médecin lui a ordonnés; et lorsquil les voit prendre par ceux qui se portent bien, il le souffre avec peine, et ne comprend pas quils ny trouvent pas le même goût que lui-même. 7. Les insensés qui sabandonnent aux jouissances de la chair ont le goût si dépravé, quils ne se scandalisent [1408] pas de ceux qui vivent dans les mêmes défauts, mais de ceux qui sont sains, et de leur propre nourriture, cest-à-dire de la femme que Dieu leur a donnée pour condescendre à leur faiblesse. Cette nourriture leur fait mal, parce quils sont soupçonneux et jaloux, jugeant mauvaise une chose bonne, et ayant de la haine et du mépris où ils devraient avoir de lamour. Celui-là voit mal, parce que son il est malade; sil était sain, il nen serait pas ainsi. Que de malheurs et de ruines cause ce vent maudit ! Lorsquil a péché par la langue et mal jugé sa femme, il tombe dans une autre faute. Si, par linspiration divine, il a conçu dembrasser un état plus parfait, le ver rongeur du soupçon qui est entré en lui détruit le parfum de la vertu, et il retourne à ses premières faiblesses. Ce qui lui plaisait dabord lui déplaît; il nest ni constant ni persévérant dans la vertu; il tourne la tête en arrière, et il ne sexamine pas lui-même pour connaître ses défauts et ses infirmités. Et tout cela lui arrive parce quil na pas pris pour fondement la Pierre vive, et quil est assailli et attaqué par le vent contraire. 8. Il ne faut donc pas quil sappuie sur cette chair corrompue, mais bien sur la Pierre vive, qui est le Christ. Alors le vent aura beau sélever, il ne pourra lui nuire; niais il lui résistera par la vertu de continence et de la pureté, en réglant sa volonté déréglée selon les 1.ois de la raison et de la sainte crainte de Dieu. Il se dira à lui-même: " Nas-tu pas honte, mon âme, de vouloir souiller ton visage et corrompre ton corps par la débauche? Nes-tu pas faite à limage et ressemblance de Dieu? Et toi, chair, nes-tu pas [1409] ennoblie par lunion de la nature divine faite en toi avec la nature humaine, qui est élevée au-dessus du chur des anges? "Alors il sentira le parfum de la pureté et le désir de se corriger au moyen des veilles et des prières, par la haine et le mépris de ce vice; il se servira des instruments de pénitence pour châtier son corps lorsquil voudra se révolter contre lesprit, mais il emploiera surtout les veilles, les humbles prières et la parfaite connaissance de lui-même. Quil ne sarrête jamais à discuter les pensées qui lagitent et les mouvements qui peuvent le troubler; mais quil recoure sur-le-champ aux remèdes qui peuvent les chasser, et quil les emploie comme leau, pour éteindre le feu de la sensualité. Quil ne craigne rien; mais quil prenne généreusement létendard de la très sainte Croix, et quil sappuie sur elle. Ceux qui savancent ainsi prennent pour fondement la Pierre vive, et persévèrent jusquà la mort, parce quils voient bien que ce nest pas en commençant, mais en persévérant quon obtient la couronne. 9. Je veux donc, très cher Frère et Fils, que vous ne soyez plus inconstant, et que
vous commenciez à rentrer en vous-même; car il me semble, daprès ce que me montre
la Bonté divine, quil y a déjà longtemps que vous en êtes sorti. Et cela, parce
que, dès le principe, vous navez pas véritablement plis pour fondement la Pierre
vive. Ce qui empêche les serviteurs de Dieu de persévérer, cest quils
nont pas de fondements solides; ils sont faibles, et lorsque viennent les vents
impétueux du démon, du monde et de la chair, ils succombent, parce quils sont sans
force et sans vertu. Jai cherché les moyens quil [1410] faut prendre pour
vous relever et vous affermir davantage dans une humilité plus profonde et dans le
mépris de vous-même, et je vous ai dit que je
CCLXXVII (269). A LEONARD FRESCOBALDI, de Florence.- Des vertus et de la paix de ceux qui suivent la volonté de Dieu. (Léonard Frescobaldi fut un des hommes les plus remarquables de Sienne. Sainte Catherine laimait à cause de se grande piété. Il dit, en 1389, le pèlerinage de la terre sainte.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et plongé dans le sang de Jésus crucifié, afin que là se consume tout défaut, et surtout la volonté propre, qui est la cause et [1411] linstrument de la mort de lâme. Quand notre volonté est ainsi toute consumée dans ce sang, lâme possède la vie, parce quelle est revêtue de la souveraine et éternelle volonté. 2. O très douce volonté, qui donnes la vie et éloignes la mort, qui donnes la lumière et qui dissipes les ténèbres, tu détruis toutes les afflictions de lâme et tu lengraisses du parfum des vertus; tu la revêts du vêtement nuptial, du feu de la divine charité, et tu lui fais prendre à la table de la Croix la nourriture de lhonneur de Dieu et du salut des âmes; tu lui donnes le très doux baume de la paix, du repos de lâme et du corps, de sorte quelle navigue tranquille au milieu des tempêtes de la mort. Ce sont là les trésors et les présents que Dieu donne à lâme, quand elle est revêtue de léternelle volonté et quelle sest dépouillée de la volonté propre; car la volonté propre cause toujours et enfante les tempêtes et les chagrins. Il sensuit que celui qui noie sa volonté dans le Sang, demeure dans une paix parfaite. Il ny a pas dautre moyen de goûter en cette vie, les arrhes de la vie éternelle et de lavoir ensuite pour récompense. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir baigné et noyé dans le sang de Jésus crucifié. Je ne vous dis rien de plus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1412].
CCLXXVIII (270).- A NIGI, fils de Docci Arzocchi.- Des exemples et des enseignements de Jésus-Christ. De la charité envers le prochain. (Nigi est le diminutif de Dionigi. Ce disciple de sainte Catherine était parent de Bérenger Arzocchi, auquel est adressée la lettre XC.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus moi, Catherine, la servante et leslave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir suivre les traces de Jésus crucifié, car nous navons pas dautre moyen den recevoir la vie. Et quelle est cette vie? La voici les mépris, les opprobres, les injures, les mauvais traitements, et il faut les supporter avec une parfaite patience jusquà la mort, sans jamais tourner la tête en arrière à cause des injustices du monde; il ne faut jamais ralentir le pas, mais, au contraire, rendre toujours le bien à ceux qui nous font le mal. Cest la voie que nous enseigne et nous trace le doux et tendre Agneau. Il a dit : " Je suis la voie, la vérité, la vie; " et il donne véritablement la vie à ceux qui marchent dans cette voie. Il nous donne la doctrine qui nous fait goûter en cette vie, les arrhes de la vie éternelle, en nous communiquant la vie de la grâce. Ce doux Maître est monté à la tribune de la Croix [1413] afin de nous enseigner sa doctrine, fondée sur la vérité. 2. Nous sommes ses disciples, nous devons nous abaisser pour lapprendre, nous devons être humbles, car on ne saurait lapprendre avec lorgueil. Lorgueil épaissit lintelligence de lhomme et la rend incapable de connaître Dieu; mais il nen est pas ainsi de lhumble: loeil de son intelligence est pur, il en a ôté la poussière de lamour-propre et de la sensualité, et il la fixé dans la vraie connaissance de lui-même. Cest dans cette connaissance quil voit mieux et quil connaît plus parfaitement léternelle bonté de Dieu; et en la connaissant mieux, il laime davantage; en laimant davantage, il acquiert plus parfaitement lhumilité, la patience. Lhumilité est la gouvernante, la nourrice de la charité. Vous voyez bien, très cher Fils, quil faut sasseoir humblement, comme de vrais disciples, et de cette manière, nous apprendrons la doctrine, et nous courrons, en mourant à toute volonté, dans la voie de la douce vérité. Nous nous plairons sur la Croix, avec dardents et saints désirs, cherchant lhonneur de Dieu et le salut des âmes. 3. Il est temps, très cher Fils, de secouer le sommeil de la négligence et de lingratitude, et de montrer notre reconnaissance par notre zèle, en recherchant, en servant et en aimant notre prochain. Car nous ne pouvons témoigner notre reconnaissance à Dieu en lui étant utiles, mais nous pouvons le faire en servant le prochain. Mon Fils bien aimé, Dieu nous a-t-il jamais plus demandé que maintenant, le zèle de son honneur et du salut des âmes [1414] ? 4. Dieu nous le. demande en tout temps, parce que sans la charité du prochain nous ne
pouvons avoir la vie éternelle; mais combien cela est-il plus nécessaire et plus exigé,
maintenant que nous voyons parmi les chrétiens, des besoins plus grands quils
nont jamais été? Pouvons-nous cesser doffrir continuellement des larmes et
dhumbles prières? Cest à cela quon verra si nous sommes les vrais
serviteurs de Dieu, si nous 5. Dieu veut que nous le priions avec ferveur. Il la dit à un de ses serviteurs : "Cest par le moyen des prières continuelles et des ardents désirs de mes serviteurs que je ferai miséricorde au monde. " Ne soyez donc pas avare, mais généreux; donnez les trésors de la charité: cest delle que toutes les vertus tirent leur vie, cest par elle que toute bonne uvre porte des fruits de grâce. De cette manière vous deviendrez bon et parfait, vous ne serez plus ignorant, négligent et ingrat; vous vous assoirez humblement par terre, et vous suivrez les enseignements de Jésus. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Recommandez-nous à tous mes fils et à toutes mes filles; dites-leur que cest le moment de gémir et de prier pour la douce Epouse du Christ, et pour tout le peuple chrétien, qui est plongé dans de si grandes afflictions à cause de nos péchés. Encouragez dans le Christ, le doux Jésus, Thomas Corradino, et dites-lui quil ait toujours Dieu devant les yeux, afin quil agisse toujours avec la sainte crainte de Dieu; quil supporte avec une vraie patience ce que Dieu permet. quil méprise le monde, et quil embrasse les persécutions avec un saint désir jusquà la mort. Doux Jésus, Jésus amour [1416].
CCLXXIX (271). A HIPPOLYTE UBERTINI, à Florence. Elle lexhorte à abandonner le monde. (La famille des Ubertini était une des plus nobles de Florence; elle se divisait en plusieurs branches, dont lune était établie à Sienne.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LÀ DOUCE MARIE 1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un cur généreux, libre de toute passion et de toute tendresse sensible; car cette tendresse vient de lamour-propre, qui arrête les saints désirs et causa toute sorte de maux. Celui qui saime est toujours tiède de cur. Dieu lappelle et lui fait voir le peu de temps quil a à vivre, les misères et la fragilité du monde, son inconstance et son peu de durée. Il lui montre que le moindre plaisir que lhomme goûte en dehors de la bonté de Dieu est sévèrement puni; il lui inspire aussi la haine et le mépris du monde. Lhomme voudrait volontiers le quitter, parce quil voit quen laissant le monde on en est le maître, puisquon foule aux pieds ses grandeurs, ses richesses et ses délices; il voit aussi que Dieu récompense et rend tout au centuple. Il se dispose alors à tout abandonner ; mais lamour-propre vit encore dans lâme; ce désir se refroidit, la tendresse [1417] quil a pour lui-même le retient, et il saccorde des délais. 2. Il ne faut pas faire ainsi, mais il faut tuer lamour-propre, en considérant que le temps est incertain; si nous étions sûrs de lavoir, nous pourrions dire: Je dénouerai le lien qui me retient au monde, et, quand je serai libre, jirai me lier avec Jésus crucifié, et je me mettrai sous le joug de son obéissance. Très cher Frère, puisque vous avez le temps maintenant, détruisez tout amour-propre et toute tendresse sensible; ne vous arrêtez pas à dénouer, mais coupez; prenez avec la main du libre arbitre le glaive à deux tranchants de la haine et de lamour, lamour de la vertu, et la haine, lhorreur du vice, du monde et de la sensualité. De cette manière vous montrerez que vous êtes courageux, et non pas tiède et négligent. Répondez, répondez à Dieu qui vous appelle par ses bonnes et saintes inspirations. Vous avez une retraite, un lieu de bénédiction bien séparé du monde, et un père, le prieur de la Gorgone, un ange véritable, un modèle de vertus (Voir la lettre C). Vous trouvez une bonne et sainte famille; ne résistez pas à la grâce de Dieu, qui vous demande avec tant de bonté dhabiter votre cur. 3. Daprès la lettre que vous mavez envoyée, je vois que vous avez une bonne et sainte intention; mais vous tardez trop en demandant deux ans. Cest le démon qui sirrite de votre bonheur, et qui vous montre des obstacles pour troubler votre paix et votre repos. Il me semble que vous ferez bien de placer le plus tôt possible votre jeune fille, et de vous [1418] délivrer de cet embarras. Vous pourrez ensuite facilement terminer le reste. Pour vos autres affaires, vous pourrez les confier à quelquun que vous jugerez capable de sen charger pour lamour de Dieu et de vous; mais occupez-vous vous-même de cette jeune fille. Je vous prie de la part de Jésus crucifié de vous hâter. Nattendez pas le temps, car le temps nattend pas. Vous verrez le prieur de la Gorgone; ouvrez-vous entièrement à lui, et prenez une solide et ferme résolution. Si vous vous décidez à choisir cette sainte retraite, qui sera la vie de votre âme, ou si, de quelque manière que ce soit, vous voulez abandonner vos biens aux pauvres, faites des aumônes au couvent de la Gorgone, car il a besoin dêtre secouru, pour vivre selon la règle de lordre des Chartreux. Courage donc; jespère de la bonté de Dieu, quen vous baignant dans le sang de Jésus crucifié, vous ferez ceci et le reste sans tarder davantage. Je ne dis rien de plus. Recommandez- moi à Léonard et à Nicolas Soderini, à Mme Antonia. Bénissez toute la famille au non du Christ, le doux Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1419].
CCLXXX (272).- A NERI DE LANDOCCIO, des Pagliaresi.- De lopposition quil y a entre Jésus-Christ et le monde. (Néri, ou Ranieri de Landoccio, fut un des premiers et des plus dévoués disciples de sainte Catherine; il lui servit habituellement de secrétaire, et souvent dintermédiaire auprès de Grégoire XI. dUrbain VI, et de la reine de Naples. Après la mort de sainte Catherine, il se fit ermite et mourut en odeur de sainteté. (Voir le procès de Venise, déposition de Thomas Caffarini, de Sienne, et la Vie de sainte Catherine, p. III, ch. 2. )
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon très cher et très aimé Frère et Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir uni et tout transformé dans le Christ Jésus; et cela, mon très doux Fils, lâme ne peut le faire, cest-à-dire être parfaitement semblable au Christ, si elle ne se détache entièrement de toute ressemblance avec le siècle, car Je monde est opposé à Dieu, et Dieu est opposé au monde. lis ne peuvent avoir aucun rapport ensemble, et cest pourquoi nous voyons lHomme-Dieu choisir la pauvreté complète, les Injures, les mauvais traitements, la honte, la faim, la soif; il a méprisé la gloire et les honneurs des hommes; toujours il a cherché la gloire de son Père et notre salut, toujours il a persévéré dans la vraie [1420] et parfaite patience; il ny avait pas dorgueil en lui, mais une humilité parfaite. O ineffable charité ! combien vous êtes contraire au siècle ! Le siècle cherche la gloire, les honneurs, les délices, lorgueil, limpatience, lavarice, la haine, la vengeance, lamour de soi-même, qui rétrécit le cur au point de ne plus laisser de place pour le prochain. Oh ! combien sont insensés ceux qui suivent ce siècle maudit ! En voulant les honneurs, ils trouvent la honte; en voulant les richesses, ils deviennent pauvres, parce quils ne cherchent pas la vraie richesse; en voulant la joie et les jouissances, ils néprouvent que tristesse et amertume, parce quils sont privés de Dieu, qui est la joie suprême. Ils ne veulent ni la mort ni la peine, et ils tombent dans la mort et la peine; ils veulent la force et la stabilité, et ils séloignent de la Pierre vive. 2. Vois donc, mon très cher Fils, quelle différence il y a entre le Christ et le siècle. Aussi les vrais serviteurs de Dieu, en voyant que le monde na aucune ressemblance avec le Christ, font tous leurs efforts pour navoir aucune ressemblance avec ce monde, quils veulent haïr et mépriser. Ils aiment ce que Dieu aime, et nont dautres désirs que de se conformer à Jésus crucifié en suivant ses traces; ils se passionnent pour les vraies et solides vertus; et ce quils voient que le Christ a choisi pour lui, ils le veulent pour eux : mais ils ont tout le contraire. Ils ont choisi la pauvreté, labaissement, et ils sont toujours glorifiés; ils ont la paix, le bonheur, la joie, la consolation, et néprouvent jamais la tristesse. Et ce nest pas étonnant, car ils sont tout transformés par la souveraine, léternelle Vérité et par la bonté de [1421] Dieu, qui renferme tous les biens et satisfait tous les saints désirs. 3. Il est donc bon de suivre le Christ, pour tout quitter et se séparer de la vie ténébreuse du monde; il faut nous en retrancher avec le glaive de la haine et du mépris de nous-mêmes et du pur amour de Dieu. Je vous dis, très cher Fils, que vous ne pourrez prendre ce glaive sans vous rappeler sans cesse la pensée de Dieu et surtout labondance du sang de son Fils, dont il a été inondé lorsquil sest immolé avec un si ardent amour sur le bois de la très sainte Croix. Cest là que vous trouverez le glaive de la haine, car cest à cause de la haine et de lhorreur du péché quil est mort. Lamour le tenait attaché; et, comme le disent les saints, ni les clous ni la Croix nauraient pu le retenir sil ne lavait été parles liens de la divine charité. 4. Oui, cest là que je veux fixer et reposer toujours le regard de votre intelligence; cest là que vous vous passionnerez pour la vertu et que vous trouverez la persévérance; et ni les démons ni les créatures ne pourront vous en détourner. Vous voudrez vous soumettre et vous assujettir à toute créature, à cause de Dieu, avec une vraie et parfaite humilité; vous aurez en dégoût et en abomination le monde et toutes ses uvres, en vous souvenant de ce précieux sang, et vous aurez faim et soif des âmes, qui sont la nourriture des serviteurs de Dieu. 5. Je vous prie et vous conseille de prendre sans cesse avec amour cette nourriture. Que la connaissance de vos défauts ne vous arrête pas, car Dieu regarde plus à notre bonne volonté quà nos défauts [1422]. Je vous le répète vous trouverez dans lamour du prochain pour Dieu, le feu qui purifie lâme. Pour que la vôtre soit bien purifiée, aidez frère Barthélemy de tout votre pouvoir, pendant quil travaille à retirer les âmes des mains du démon. Si je pouvais venir laider, je le ferais bien volontiers, mais il ne me semble pas que ce soit la volonté de Dieu. Maintenant nous avons peu de temps, nous nen ferons pas moins ce que Dieu nous promet de faire; mais sachez, Frère, que ce que je ne fais pas visiblement, je le fais et je le ferai invisiblement. 6. Vous ma demandez que je vous reçoive pour mon fils; jen suis, il est vrai, indigne; je ne suis quune pauvre misérable, mais je vous ai reçu et je vous revois avec un tendre amour. Je mengage devant Dieu à répondre pour vous de toutes les fautes que vous avez commises et que vous commettez mais je vous en conjure, satisfaites mon désir, devenez conforme à Jésus crucifié, et séparez-vous entièrement du siècle, comme je vous lai dit, car nous ne pouvons être autrement semblables à Jésus-Christ. Revêtez-vous, revêtez-vous de Jésus crucifié cest là le vêtement nuptial qui vous donnera la grâce, et vous permettra de vous asseoir à la table de ta vie éternelle avec les bienheureux. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Bénissez et encouragez frère Barthélemy et frère Simon dans le Christ Jésus [1423].
CCLXXXI (273). A NERI DE LANDOCOCCIO. De la lumière qui donne la charité.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir employer la lumière que Dieu ta donnée, afin daugmenter en toi la parfaite lumière, parce que sans la parfaite lumière, nous ne pourrons jamais posséder la vérité, laimer et nous en revêtir; et si nous nen sommes pas revêtus, notre première lumière deviendra ténèbres; et il faut arriver à la parfaite lumière, puisque Dieu nous y appelle. Je veux donc que tu tappliques avec zèle à contempler la vérité dans labîme de la charité divine; tu arriveras ainsi à la parfaite lumière surnaturelle, à lamour très parfait de ton Créateur et à lamour du prochain, et tu accompliras ainsi en toi la volonté de Dieu et mon désir. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1424].
CCLXXXII (274).- A NERI DE LANDOCCIO. La considération de notre misère et de la miséricorde de Dieu donne la paix de lâme.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE. 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir posséder la vraie lumière; afin que par cette lumière, tu connaisses la vérité de ton Créateur. Cette vérité est quil nous a créés pour nous donner la vie éternelle; mais par la révolte de lhomme contre Dieu, cette vérité ne sest pas accomplie. Alors il sest abaissé autant quil pouvait le faire, puisque la Divinité sest revêtue de notre humanité. Nous voyons aussi à cette glorieuse lumière que Dieu sest fait homme, et cela pour accomplir la vérité en nous. Le sang du tendre Verbe nous la bien montré; et ce que nous croyons par la Foi nous est garanti par le prix de ce sang. La créature raisonnable ne peut nier quil nen soit ainsi. 2. Je veux donc que le trouble de ton âme soit détruit et disparaisse dans lespérance du Sang et dans le feu de lineffable charité de Dieu, et quil reste seulement la vraie connaissance de toi-même. Cette connaissance, en thumiliant, augmentera et nourrira la lumière. Dieu nest-il pas plus disposé à pardonner que nous à pécher? Nest-il pas notre médecin [1425] et nous ses malades? Na-t-il pas porté nos iniquités? Et le trouble de lâme nest-il pas le pire des défauts? Si assurément, très cher Fils. Ouvre donc loeil de lintelligence à la lumière de la très sainte Foi, et regarde combien tu es aimé de Dieu; et en regardant son amour, lignorance et la froideur de ton cur, ne te trouble pas, mais que cette connaissance augmente le feu du saint désir et ton humilité, comme je te lai dit. Et plus tu verras combien tu réponds mal aux grandes grâces que ta faites et que te fait ton Créateur, plus tu devras thumilier et dire avec une sainte résolution Ce que je nai pas fait jusquà présent, je veux le faire maintenant. Considère que le trouble desprit fait oublier entièrement la doctrine qui ta été toujours donnée cest une lèpre qui dessèche lâme et le corps, et qui nous cause une affliction continuelle. Ce trouble enchaîne les bras du saint désir, et nous empêche de faire ce que nous voulons; il rend lâme insupportable à elle-même, et lagite sans cesse par des combats et des fantômes; il ôte la lumière surnaturelle et obscurcit la lumière naturelle. Et lâme tombe ainsi dans des infidélités nombreuses, parce quelle ne connaît plus la vérité pour laquelle Dieu la créée il la créée pour lui donner la vie éternelle. Courage donc! que la foi vive, les saints désirs et la ferme espérance dans le Sang précieux triomphent du démon qui te trouble. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je le prie quil te donne sa douce bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour [1426].
CCLXXXIII (275). A NERI DE LANDOCCIO.- Il faut avancer dans le renoncement de soi-même pour arriver à la paix.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et très doux Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir toujours croitre de vertu en vertu jusquà ce que je te voie arriver à locéan de la paix, où tu ne craindras plus dêtre séparé de Dieu. Alors la corruption de la loi mauvaise, qui combat contre lesprit, sera détruite et la dette sera payée. Je veux, mon très doux Fils, que tant que tu seras en cette vie, tu tappliques à vivre mort à toute volonté propre. Cest par cette mort que tu acquerras les vertus; et cest en vivant ainsi que tu vaincras la loi de la volonté mauvaise. Tu ne craindras plus que Dieu permette pour toi ce quil a permis pour dautres, et tu ne taffligeras plus de ce que tu es séparé pour un peu de temps de moi et de lautre congrégation. Courage, et rappelle-toi ce que la Vérité a dit: Quaucun ne sera ravi de ses mains (Jn 17,12.- Sainte Catherine, au témoignage de Christophe de Gano, aurait reçu de Notre-Seigneur la promesse du salut éternel de tous ses disciples.). Je dis de ses mains, parce que tout lui appartient, et je sais que tu comprends sans beaucoup [1427]de paroles. Ainsi je nen dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLXXXIV (276).- A NERI DE LANDOCCIO.- Des grâces que le cur reçoit de Dieu dans la prière.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et très doux Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris clans son précieux sang, avec le désir de te voir disposer le vase de ton cur et de ton âme pour recevoir ce que Dieu veut te donner par le moyen de la prière. Pourquoi vouloir que tu te prépares ainsi ? Parce que tu ne pourrais autrement rien recevoir, et, comme Dieu est toujours disposé à donner, il faut que lâme aussi se dispose toujours elle-même à recevoir. Et comment sy disposera-t-elle? Avec les moyens que nous avons reçus de Dieu lorsque nous avons été créés à son image et ressemblance. Nous recevons avec la lumière la mémoire, qui est le vase pour la contenir, lintelligence, qui reçoit la lumière de la Foi dans le saint baptême, et la volonté, qui est capable daimer, car il nest pas possible de vivre sans amour. 2. Puisque nous avons reçu de Dieu avec lêtre cette disposition à lamour, lorsque nous avons été faits par amour, nous devons par le libre arbitre présenter [1428] et offrir en la présence de Dieu cet être donné par amour, et recevoir avec amour lamour. Je parle de lamour général que Dieu a pour toutes les créatures raisonnables, et les dons, les grâces particulières que lame reconnaît avoir reçus, Alors nous invitons Dieu à répandre sur nous le feu et labime de son ineffable charité, avec une lumière surnaturelle, une plénitude de grâce et une parure de vertu, que lâme reçoit, en étant lavée dans le précieux sang de lhumble Agneau sans tache. Elle a faim de lhonneur de Dieu et du salut des âmes, elle court à la table des douloureux désirs, et elle y prend cette nourriture en si grande abondance, que la sensualité en est étouffée et détruite. La volonté meurt à tout amour-propre, à tout mouvement sensitif, et elle est prête comme une épouse fidèle à mourir et à donner mille fois sa vie, si elle le pouvait, pour la Vérité. Voici le temps, très cher et très doux Fils, doffrir ta vie; et tu seras prêt à la donner, lorsque tu seras dans la disposition dont je tai parlé. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1429].
CCLXXXV (277).- A NERI DE LANDOCCIO.- Elle désire le voir éclairé par la lumière de la très sainte Foi.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et très doux Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de voir en toi la lumière de la très sainte Foi, afin que jamais rien de ce qui tarrive ne te scandalise, mais que ton âme conserve la paix dans tous les mystères de Dieu, et quelle considère lamour ineffable quil a montré en nous faisant des créatures raisonnables, en nous donnant son image et sa ressemblance, et en nous rachetant avec le sang de lhumble Agneau sans tache. Cette vue te fera recevoir avec respect tout ce qui tarrive ; et tu renonceras à ton jugement avec une humilité sincère toutes les fois que, par une illusion du démon, il te semblera que les choses ne sont pas ce quelles devraient être au milieu de tes peines spirituelles et corporelles. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1430] .
CCLXXXVI (278).- A NERI DE LANDOCCIO.- Du feu de la charité qui naît de la contemplation de Jésus crucifié.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Mon cher et bien-aimé Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir uni et transformé dans le feu de la plus ardente charité, afin que tu sois un vase délection capable de porter la parole de Dieu selon ses grands desseins, en la présence de notre doux Christ de la terre, et que tu parviennes à embraser son cur (Néri avait été envoyé à Avignon par sainte Catherine porter une lettre à Grégoire XI (lettre IIIe); il sétait arrêté à Pise pour prendre la voie de mer.). Aussi je veux, mon Fils, que tu fixes le regard de ton intelligence sur Jésus crucifié il est la source où lâme senivre et se consume dardents désirs. Ces désirs, je veux que tu les étendes au corps mystique de la sainte Eglise, pour lhonneur de Dieu et le salut de toute créature. En le faisant, tes uvres et tes paroles seront comme la flèche quon retire dun foyer bien embrasé et quon jette : elle embrase ce quelle touche, car elle ne peut faire autrement que de donner ce quelle a. De même, mon Fils, si ton âme entre dans la fournaise de la charité divine, elle sera toute changée par lardeur de lamour, et en sélançant elle communiquera ce que tu as trouvé dans le feu [1431]. 2. Et quas-tu trouvé en Dieu? la haine et le mépris de toi-même, lamour de la vertu, la faim du salut des âmes, et de lhonneur du Père éternel. Tu ne peux trouver autre chose dans le doux Verbe. Tu vois bien quil est mort de la faim quil avait de notre salut, et il en était si tourmenté, quil a sué non pas de leau, mais des gouttes de sang par la violence de lamour. Quel cur serait assez dur, assez obstiné pour ne pas ressentir le feu et ne pas se fondre à sa chaleur? En regardant, vous ne pourrez vous empêcher dêtre comme létoupe quon met dans le feu, et qui ne peut y être sans brêler; car la nature du feu est de brûler et de convertir en lui tout ce qui en approche, De même lâme qui considère lamour de son Créateur est aussitôt entraînée à laimer et à changer tout son cur en lui. Cest là que se consume toute lhumidité de lamour-propre, et que lâme perd la ressemblance du feu de lEsprit-Saint; et le signe quelle la, cest quelle aime aussitôt tout ce que Dieu aime, et quelle déteste tout ce quil déteste. 3. Voilà pourquoi mon âme désire te voir uni et transformé dans le feu de la charité divine. Travailles-y de tout ton pouvoir, de toutes tes forces, mon Fils bien aimé, afin daccomplir la volonté de Dieu et celle de ta pauvre et triste mère. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Dis à Nanni et à Papi de crier si bien, que jaie enfin de leurs nouvelles. Dis à mon fils Gherad quil réponde à la voix de sa mère, qui lappelle, et quil vienne bientôt, car je lattends. Vanni, messire François, Mme Nella et Catherine me sont toujours chers. Bénis-les au nom de la très sainte Croix; jen fais de même pour le [1432] père (Les personnes dont sainte Catherine parle étaient de la famille Buonoconti, de Pise. )... Jésus, doux Jésus. François dit quil nest obligé à rien; François, le méchant, le paresseux, dit que tu salues mille fois le frère Raymond dans le Christ Jésus. Dis-lui de prier Dieu pour lui. Jésus, Jésus. Tu sais que quand jai obtenu lindulgence plénière du Saint-Père (Cette indulgence avait été demandée par le confesseur de sainte Brigitte, Alphonse de Vadaterra. (Lettre CLXIII) Sainte Catherine demandait un changement dans les conditions de lindulgence, parce ce quelle avait peine à réciter un Pater sans entrer en extase. Son jeûne du reste était continuel. (Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. 5.), il ma obligée de dire, tous les vendredis, trente-trois Pater et trente-trois Ave Maria et ensuite soixante-douze Ave Maria. Maintenant je désirerais, si tu veux bien le demander, quil moblige à jeûner, tous les vendredis, au pain et à leau; noublie pas de le demander, si tu le peux. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLXXXVII (279).- A NERI DE LANDOCCIO.- De la persévérance et du progrès dans la vertu.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang [1433], avec le désir de voir croître en toi les bons et saints désirs, avec une douce et vraie persévérance jusquà la mort. Pense, mon Fils, que, chaque jour, nous devons nous appliquer à croître en vertu ; car, si nous navançons pas, nous reculerons. Jespère de la divine Bonté que mon désir saccomplira en toi, pour ceci et pour dautres choses. Je najoute rien maintenant, parce que le temps presse et que jai beaucoup daffaires qui ne peuvent attendre. Mets ta force en Jésus crucifié, et sois bien patient. Encourage et bénis mille fois de ma part Simon; recommande-lui de prier Dieu pour tous tes frères, qui tenvoient bien des compliments, surtout ce négligent dEtienne. Barduccio et François se portent bien et te saluent. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLXXXVIII (280). A NERI DE LANDOCCIO.- Du renoncement à soi-même.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher. Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir posséder la parfaite lumière et la connaissance de léternelle vérité, afin que toutes tes uvres soient faites avec lumière et discernement. Sans la lumière, tout est fait dans les [1434] ténèbres ; et tu ne pourras avoir parfaitement cette lumière si tu ne dissipes, par la haine, le nuage de lamour-propre. Applique-toi donc avec un grand zèle à te perdre toi-même, afin que tu puisses acquérir cette lumière, et que toutes tes pensées soient anéanties dans la pensée et la volonté de la Bonté divine. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCLXXXIX (281). A NERI DE LANDOCCCIO.- Elle lexhorte à se dépouiller de lamour-propre, et à faire la communion fréquente.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de voir mourir en toi tout sentiment propre, afin que ton esprit et tes désirs ne soient lamais souillés par lintérêt personnel, mais quau contraire. la vertu augmente toujours en toi. Tu le feras, si avec loeil de ton intelligence, tu te regardes dans léternelle Vérité; tu ne pourras autrement déraciner lamour-propre. Je veux donc, mon doux Fils, que tu regardes dans la suprême et éternelle Vérité; ne perds pas de temps, et applique-toi de toutes tes forces à supporter, autant que tu le [1435] pourras, les défauts des créatures. Tâche de ne pas négliger la sainte oraison, et de faire tous les dimanches la sainte Communion. Ne tinquiète pas de te voir éloigné de moi corporellement, car par le saint désir et la sainte prière, je serai toujours près de toi. Courage; agis avec force et violence, afin de ravir le royaume des cieux. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Que Dieu te donne sa douce et éternelle bénédiction. Mme Lisa, Alessia, François et Barduccio te saluent. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXC (282). A NERI DE LANDOCCIO.- Elle lexhorte à vaincre la négligence, qui est une ingratitude envers Dieu.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de voir éteindre en toi toute négligence et toute ingratitude, car la négligence est inséparable de lingratitude. Si lâme était reconnaissante envers son Créateur, elle serait pleine de zèle, et ne laisserait pas le temps séchapper de ses mains, mais elle en déroberait plutôt par amour de la vertu. Je veux donc, très cher Fils, que, plein dardeur pour la vertu, et de reconnaissance pour les bienfaits reçus, tu emploies toujours le temps à une humble et continuelle [1436] prière. Je termine. Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, et demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXCI (283).- AU SEIGNEUR ANTOINE DE CIOLO.- De lunion à Jésus-Christ par lamour. De la lumière nécessaire pour conserver la pureté.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Dieu, je vous écris avec le désir de vous voir uni par de saints désirs à notre doux Sauveur; car autrement nous ne pouvons mépriser le monde et acquérir une pureté parfaite, en conservant notre esprit et notre corps dans une vraie continence. Car, ou lâme sattache à Dieu et sunit à lui par lamour, ou elle sunit nécessairement aux créatures en dehors de Dieu, et sattache aux délices, aux plaisirs et aux honneurs du monde. Lâme ne peut vivre sans amour; il faut quelle aime ou Dieu, ou le monde; et lâme sunit toujours à ce quelle aime; elle sy transforme, elle en prend toujours quelque chose. Si elle aime le monde, elle ny trouve que la peine, parce que le péché fait naître les ronces et les épines de laffliction. Notre chair ne nous donne que la corruption et le poison du péché; et si lâme suit la volonté de la [1437] chair et la passion sensitive, elle reçoit le poison qui lui donne la mort et lui ôte la vie de la grâce, en la faisant tomber dans le péché mortel. Cest tout ce quelle peut recevoir dun pareil amour. Elle est toujours dans la tristesse, et devient insupportable à elle-même, parce que Dieu a permis que toute affection déréglée soit ainsi punie. 2. Le coeur, au contraire, qui est réglé sur la douce volonté de. Dieu, et qui lui est uni par lamour, donne à lâme ce quil a en lui-même. Dieu est la souveraine et éternelle douceur, et ses serviteurs trouvent la joie dans les choses amères et fâcheuses, parce quils y trouvent Dieu par la grâce; et leur âme est calme et satisfaite. Il ny a que Dieu qui puisse satisfaire lâme, parce quil est plus grand quelle, et quelle est plus grande que toutes les choses créées. Tout ce que Dieu a créé, il la créé pour le service de lhomme; et il a créé lhomme pour lui, afin quil laimât de tout son cur, de toutes ses forces, et quil le servit dans la vérité. Aussi les choses du monde ne peuvent rassasier lhomme, parce quelles sont moins que lui.; il ne trouve sa paix, son repos quen Dieu. Son cur alors sagrandit, et peut contenir toutes les créatures raisonnables par le sentiment de la charité; il sapplique même à les servir; il secourt son prochain, et montre en lui lamour quil a pour son Créateur. 3. Comme Dieu est la souveraine et éternelle pureté, lâme et le corps participent à lui par lunion, et se conservent dans une pureté parfaite; lhomme aimerait mieux mourir que de les souiller par la moindre impureté. Il ne peut pas maîtriser les pensées de son coeur, et il éprouve souvent les mouvements de la chair; mais ces mouvements et ces pensées ne souillent pas lâme; il faudrait que la volonté y consentit librement. Dès quil ny a pas de faute, il y a mérite, puisquil résiste saintement, et il retire toujours de ces épines la rose embaumée dune pureté parfaite. Il arrive ainsi à une connaissance plus grande de lui-même; il se lève avec une sainte haine contre sa propre sensualité, et il se réfugie avec amour en Jésus crucifié par une humble et continuelle prière; il voit bien que cest le seul moyen déchapper à tant de. dangers. Nous avons dit que, plus il sattache à Dieu, plus il participe à sa pureté, et il est bien vrai quil peut cueillir dans les combats une rose très pure. Cest là le remède souverain contre le misérable péché de la chair faible et fragile, et contre tous les autres. Il faut nous attacher et nous rendre semblables à Dieu par lamour mais ne différons pas, très cher Fils; le temps est court et ne nous attend pas, nous ne devons pas non plus lattendre. 4. Nest-il pas étonnant que lhomme veuille rester dans cet aveuglement et ne pas sortir de ce sommeil? Mais il est vrai aussi que? nous ne pouvons en sortir et arriver à cette union sans la lumière. Il faut connaître à la lumière de la très sainte Foi notre misère et nos fautes; il faut que notre regard purifié contemple lamour ineffable que Dieu a pour nous, et quil nous a manifesté dans le Verbe, son Fils unique. Son Fils nous la montré par ce sang répandu avec tant damour lorsquil courut, comme hors de lui, à la mort honteuse de la très sainte Croix [1439]. Comment lâme, en se voyant tant aimée, pourrait-elle ne pas aimer? O très cher Fils, ne vous éloignez pas de cette lumière, mais dissipez avec zèle le nuage de lamour-propre, et regardez avec une foi libre, lAgneau sans tache qui vous appelle avec tant damour; répondez-lui, unissez-vous parfaitement à lui, et alors vous sentirez le parfum de la pureté parfaite. Il est bon, pour combattre ce vice, de considérer à quelle dignité lâme et la chair ont été élevées par lunion que Dieu a faite de la nature divine avec la nature humaine. Que lâme rougisse donc de sabandonner à de pareilles misères. en la voyant ainsi élevée au-dessus de tous les churs des anges. Lorsque votre esprit et vos désirs seront si doucement excités, la corruption du vice disparaîtra nécessairement. 5. Il faut aussi châtier notre corps, et le mortifier par les veilles, par une humble et continuelle prière; il faut sattacher à larbre de la très sainte Croix, fuir les conversations, surtout celles des personnes relâchées ; et ne doutez pas que Dieu ne vous fasse de grandes grâces, si vous voulez couper sans vous arrêter ù dénouer. Arrangez promptement vos affaires, et courez, avec un doux et tendre désir, au joug de la sainte obéissance. Là vous tuerez votre volonté, vous mortifierez votre corps, et vous goûterez les arrhes de la vie éternelle. Rien ne vous paraîtra pénible. parce que la peine se changera en véritable jouissance. Je suis persuadée que si vous vous unissez par lamour au doux et bon Jésus, il en sera ainsi, mais pas autrement. Cest pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir uni par lamour à notre Sauveur [1440], afin que vous arriviez à la vraie pureté, et que vous perdiez cette passion qui vous cause tant de peine. Je ne doute pas que, si vous le faites, vous nen soyez délivré, et votre volonté préférera la mort à de nouvelles offenses. 6. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et commencez une vie nouvelle, avec lespérance que vos fautes seront consumées dans le sang et le feu de lamour. Je veux prendre vos fautes et les effacer par les larmes de la prière, dans les flammes de la charité divine; je veux en faire pénitence pour vous. Je vous prie seulement, et je vous conjure de mépriser le monde et de le fouler aux pieds. Si vous ne le quittez promptement, cest lui qui vous quittera bientôt. Ne résistez pas à lEsprit-Saint qui vous appelle. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXCII (284). A PIERRE, fils de Jacques Attacusi Tholomei, de Sienne.- De la bassesse de ceux qui servent le monde, et de la dignité de ceux qui servent Dieu.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et très aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir lami et[1441] le serviteur de Jésus crucifié; car nous ne pouvons autrement plaire à Dieu, et nous sommes obligés de le faire par reconnaissance. Toute créature raisonnable est obligée de laimer, car nous navons reçu de Dieu que des services, de grâces, des bienfaits; il nous a aimés sans être aimé de nous. Nous nétions pas, et il nous a crées à son image et ressemblance; nous avions perdu la grâce par la désobéissance dAdam, et il nous a donné le Verbe, son Fils unique, par amour seulement; car, au lieu de lavoir servi, nous lavions offensé par le péché. Nous étions en guerre avec Dieu, et ce Dieu offensé nous a donné le Verbe son Fils pour être notre rançon, notre médiateur, pour apaiser cette grande guerre avec le précieux sang de lAgneau. Son obéissance a détruit la désobéissance dAdam, et comme par la désobéissance nous avons contracté le péché, par lobéissance du Fils de Dieu nous avons contracté la grâce; et la grâce que nous recevons par le moyen du Verbe est infinie; car toutes les fois que lhomme pèche, et recourt au sang de Jésus-Christ avec douleur et regret de sa faute, il reçoit miséricorde par ce sang, qui nous est appliqué dans le sacrement de pénitence; puisquen vomissant les souillures de nos iniquités, cest-à-dire en nous confessant fidèlement et sincèrement à un prêtre, il nous donne par labsolution le sang de Jésus-Christ; et ce sang lave la lèpre des péchés et des défauts qui sont en nous. Cette grâce, Dieu nous la fait par amour et sans y être obligé. Nous sommes donc tenus de laimer; nous devons laimer, si nous voulons éviter léternelle damnation [1442]. 2. Mais remarquez une chose : ceux qui agissent contre le Sang, ou qui sunissent à ceux qui le persécutent, en poursuivant de leurs injures, de leurs mépris et de leurs outrages lEpouse de Jésus-Christ, ceux-là, sils ne se convertissent pas, ne participeront jamais au fruit du Sang; ils auront beau sexcuser sur les défauts de ceux qui distribuent le Sang, et dire: Nous poursuivons seulement les fautes des mauvais pasteurs, comme le disent tant de faux chrétiens qui semblent vouloir plaire à Dieu en persécutant son Eglise, cette excuse ne leur servira de rien. Admettons que ces ministres soient des démons incarnés remplis de misères, nous ne devons pas nous faire les justiciers et les bourreaux du Christ. Ce sont les oints du Seigneur, qui veut se réserver le droit den faire justice par lui ou par ceux quil en a chargés. Aucun pouvoir temporel, aucune loi civile ne peut empêcher celui qui lusurpe dencourir la mort de son âme. Dieu ne le veut pas, et celui qui le fait ne montre pas son amour pour le Créateur, mais sa haine. Il est bien ignorant et bien misérable, celui qui se voit tant aimée, et qui naime pas; et la patience de Dieu est bien grande pour supporter une telle iniquité. Noublions donc pas de servir et daimer notre Créateur, car nous sommes tenus de laimer; et ce nest pas une honte de le servir, car, servir Dieu, ce nest pas être esclave, cest régner; plus on le sert, plus on se soumet à lui, et plus on est maître de soi-même. On nest pas sous la dépendance du néant, cest-à-dire du péché, et il ne peut pas arriver de plus grand malheur à lhomme que de se faire le serviteur et lesclave du péché; car il perd [1443] lêtre de la grâce, il sert le néant et devient un néant. 3. Quil est donc malheureux, lhomme assez insensé, assez privé de toute lumière pour savilir au point dabandonner son Créateur et de servir le démon, le monde, ses délices qui passent, et sa propre sensualité? Il ne sert plus cette Bonté infinie qui laime dun amour ineffable, ce doux et glorieux Maître qui la racheté, non pas avec de lor et de largent, mais avec le précieux sang de son Fils unique. Personne ne peut se refuser à lui; car nous sommes vendus, et nous ne pouvons plus nous vendre au démon ni aux créatures, en les servant hors de Dieu. Nous sommes bien obligés de servir notre prochain, mais jamais en ce qui est contraire à la volonté de Dieu, Oh! combien est glorieuse cette puissance que lâme acquiert en servant son Créateur ! Elle règne sur le monde entier, dont elle méprise les lois et les usages; elle règne sur elle-même, et ne se laisse jamais commander par la colère, par limpureté, par aucun vice; mais elle les domine tous par lamour de la vertu. 4. Il y en a beaucoup qui possèdent des villes et des châteaux, et ne se possèdent pas eux-mêmes; mais toute puissance sans celle-là, est misérable et dure peu; on lexerce mal, sans consulter la raison et la justice, en nécoutant que la sensualité, lamour de soi-même et les caprices des autres. Ce nest pas alors la justice, mais linjustice; car la justice ne veut pas être corrompue par lamour-propre, par les présents, largent et les flatteries des hommes, et celui qui laime voudra plutôt mourir que doffenser Dieu en cela ou en autre chose; cest un serviteur fidèle, et il est maître de lui-même en gouvernant la sensualité et le libre arbitre par la raison. Puisque aimer et servir Dieu est si noble, si nécessaire à notre salut, puisque le contraire entraîne tant de danger et de misère, je le veux et je vous en conjure, très cher Frère, servez Dieu de tout votre cur, de toute votre âme. Ne comptez pas sur le temps, vous nêtes pas sûr de lavoir, car nous sommes tous condamnés à mort, et nous ne savons pas le moment; nous ne devons pas perdre le temps présent à cause de celui qui est incertain. 5. Et parce que nous avons dit que nous sommes obligés daimer Dieu, jajoute que celui qui aime doit être utile à celui quil aime, et le servir, Mais je vois que nous ne pouvons être utiles à Dieu. Quel profit lui cause notre bien? quel tort lui fait notre mal? Que devons-nous donc faire? Nous devons rendre gloire et louange à son nom, orner notre vie de vertus, et nous fatiguer pour le prochain; nous devons travailler à lui être utile, le servir en toutes les choses qui sont selon Dieu, et supporter ses défauts avec une charité bien entendue et non pas déréglée. Lamour déréglé fait quelquefois commettre des fautes pour sauver le prochain, ou pour lui plaire; il ne doit pas en être ainsi, car lamour bien réglé en Dieu ne veut jamais sacrifier son âme. même pour sauver le monde entier. Sil était possible, en commettant un péché, dassurer la vie éternelle à toutes les créatures raisonnables, il ne faudrait pas le faire; mais on doit sacrifier la vie du corps pour lâme de son prochain. et sa fortune pour sauver son corps. Cest ainsi, cest [1445] par le moyen du prochain que nous devons aimer Dieu, et montrer que nous laimons. 6. Vous savez bien ce que le Christ disait à saint Pierre : " Pierre, maimes-tu " Et Pierre répondait quil savait bien quil laimait. Et, après trois fois, le Sauveur ajouta: "Si tu maimes, pais mes brebis. " Il semblait lui dire : Cest à cela que je verrai si tu maimes; tu ne peux mêtre utile, mais tu peux secourir ton prochain, le nourrir et lui donner à la sueur de ton front, la sainte et vraie doctrine. Nous devons donc aussi le secourir selon nos aptitudes, les uns par lenseignement, les autres par la prière, dautres par leur fortune; et celui qui nen a pas peut le faire par ses amis, afin que nous exercions tous la charité, et que nous nous servions des moyens que Dieu nous a donnés. Cest ce que je vous demande par grâce et par miséricorde. Je vous redis la parole du Christ e Pierre, aimes-tu ton Créateur, et maimes-tu? il faut alors me servir dans ton prochain, qui a besoin et qui souffre. " Il faut le faire de tout notre pouvoir, en cherchant toujours lhonneur de Dieu, et sans jamais loffenser. 7. Jai appris que Louis des Vignes de Capoue, frère de Frère Raymond, a été pris par les gens du Préfet lorsquil était avec les troupes de la Reine (Louis des Vigne était au services de la reine de Naples, et combattait pour lEglise; il faisait partie dune troupe qui allait attaquer Viterbe, et qui fut battue par le préfet de Rome, Français de Vico, en guerre avec Grégoire XI.). On la taxé à quatre mille florins, et il est dans limpossibilité de les donner, car il est pauvre. Je vous [1446] prie donc et je vous conjure, au nom de lineffable charité que Dieu nous a montrée en répandant pour toute créature le sang de son Fils, de vous employer autant que vous le pourrez auprès du Préfet, afin que, par amour pour Jésus crucifié, le fasse grâce et miséricorde à son prisonnier, et ne lui demande pas ce quil ne peut donner. Dites-lui que cest une aumône qui lui obtiendra de Dieu le temps de corriger sa vie, et darriver à la vertu, à la paix, au repos de lâme et du corps, et surtout au respect et à lobéissance de la sainte Eglise, comme un bon serviteur et un fidèle chrétien. Et après cela il jouira de la vie éternelle, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, et la faim sans peine. Et moi, je mengage envers lui et envers vous, tant que je vivrai, à offrir sans cesse des prières, des larmes, des désirs pour votre salut, autant que Dieu men fera la grâce. Je nai pas dautre chose à vous donner. Faites cela pour lui et pour moi, par amour de Jésus crucifié; vous montrerez ainsi les sentiments que vous avez pour lui, pour moi, pour le Frère Raymond, qui est le père de mon âme. Saluez de ma part le Préfet, et dites-lui de suivre les traces de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1447] .
CCXCIII (285).- A GABRIEL DE DAVINO PICCOLOMINI.- De la vertu de persévérance, et des armes que nous devons employer pour vaincre nos ennemis.
(Lillustre famille des Piccolomini a donné à lEglise trois papes, quatre cardinaux, quatorze archevêques et vingt et un évêques. Gabriel Piccolomini était très dévoué à sainte Catherine. Son fils, le bienheureux Jean Piccolomini fut aussi son disciple. Il mourut dans lordre de Saint-Dominique, le 20 août 1410.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et
lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang,
avec le désir de te voir constant et persévérant dans la vertu, de manière que jamais
tu ne détournes la tête en arrière: autrement tu ne pourrais pas être agréable à
Dieu et recevoir le fruit du sang de lhumble Agneau sans tache, car la
persévérance seule est couronnée. Et si tu me dis, très cher Fils Comment puis-je
avoir cette constance et cette persévérance? jai tant dennemis autour de
moi, le monde, les créatures, qui me poursuivent de leurs injures et de leurs murmures,
et ma propre sensualité, qui se révolte si souvent contre la raison ! je te répondrai
que, pour vaincre ces ennemis, il faut des armes et du courage; il faut entrer
généreusement sur le champ de bataille, ne pas craindre la mort et [1448] aimer la
gloire qui suit le combat. Ou!, nous sommes sur le champ de bataille pour combattre nos
ennemis, cest-à-dire le monde, la chair et le démon; nous ne pourrons pas
combattre sans armes et parer les coups quon nous donnera. Quelle arme faut-il donc
avoir? une épée. Il faut aussi avoir la cuirasse de la vraie charité, qui résiste aux
coups du monde de différentes manières, aux tentations nombreuses du démon et aux
attaques de la chair, qui se révolte contre lesprit; il faut que la cuirasse soit
couverte dune cotte darmes vermeille, cest-à-dire du sang de Jésus
crucifié; uni et mêlé au feu de la divine charité. 3. Aussi je ne veux pas, mon Fils, puisquils courent un si grand danger, que tu leur ressembles. Mais arme-toi, comme je te lai dit; sois constant, persévérant dans ce combat jusquà la mort, sans jamais craindre. Il faut avoir aussi à la main pour te défendre Je glaive de la haine et de lamour, lamour de la vertu et la haine du vice; et avec ce glaive, tu frapperas le monde, en détestant ses honneurs, ses délices, ses pompes, ses vanités, son orgueil infini. Tu frapperas tes persécuteurs avec la vraie patience que tu acquerras par lamour de la vertu; tu frapperas le démon, parce que la charité seule le frappe, et le chasse de lâme comme la mouche est chassée par la vapeur de leau qui bout. Tu frapperas aussi la sensualité et ta faiblesse par la haine que tu trouveras dans la sainte connaissance de toi-même, et par lamour de ton Créateur, que tu acquerras par la connaissance de Dieu en toi; cest cet amour qui te fera combattre. 4. Tu dois avoir sans cesse devant les yeux de ton intelligence, Jésus crucifié se glorifiant dans ses opprobres et dans ses peines; tu verras en lui la gloire qui est préparée pour toi et pour ceux qui le servent. Dans cette gloire, tu trouveras et tu recevras la récompense de tout ce que tu auras souffert pour la [1450] gloire et lhonneur de son nom. Cest ainsi, très cher Fils que tu parviendras à la vertu parfaite, que tu vaincras ta faiblesse et que tu persévéreras jusquà la mort. Sans la persévérance, notre arbre ne peut produire aucun fruit. Cest pourquoi je tai dit que je désirais te voir constant et persévérant, afin que tu ne tournes jamais la tête en arrière. Je ne ten dis pas davantage. Je tai parlé darmes pour que tu sois prêt quand se lèvera létendard de la très sainte Croix. Jai voulu te faire connaître les armes les meilleures, et il faut que tu commences à ten servir parmi les chrétiens, pour quelles ne soient pas rouillées quand tu marcheras contre les infidèles. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXCIV (286).- A PIERRE, fils de Thomas Bardi, de Florence. Lettre écrite en extase.- La foi doit être accompagnée des uvres, et tonte bonne uvre est récompensée. (La famille Bardi est une des plus illustres de Florence. Pierre Bardi fut un des dix du gouvernement, en 1395. )
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE
1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairé de [1451] la lumière de la très sainte Foi, et revêtu de la parfaite espérance. Vous ne pourrez autrement plaire à notre Créateur et participer à la vie de la grâce, car la Foi vive nest jamais sans les uvres (Jc 2,17). Si la Foi était sans les uvres, elle serait morte, et nenfanterait que des vertus mortes et stériles. Car celui qui na pas la lumière de la Foi est privé de la vertu de charité; et sans la charité, tout le bien, tous les actes de vertu quon fait ne servent pas pour la vie éternelle; il ne faut pas cependant cesser de les faire, parce que tout bien est récompensé et toute faute punie. Le bien fait en péché mortel, et privé par conséquent de la lumière de la très sainte Foi, ne profite pas pour la vie éternelle; mais il profite pour dautres choses, et attire les grâces de Dieu. La Bonté divine ne veut pas que le bien fait par lhomme soit inutile, et il le récompense, quelquefois en nous donnant le temps de nous convertir, quelquefois en mettant dans les curs de ses serviteurs le désir de notre salut, et en nous aidant par ce désir et par leurs prières à sortir des ténèbres du péché mortel, et à revenir à létat de grâce. Il le récompense encore dans les choses temporelles, lorsque lhomme par sa faute se rend incapable de recevoir des grâces spirituelles. Vous voyez donc que tout bien est récompensé, et que nous ne devons jamais cesser de faire le bien; mais nous devons nous appliquer à le faire en état de grâce, pour quil soit fait à la lumière de la Foi; cest à cette lumière que naissent les vraies vertus, qui donnent à lâme la vie de la grâce [1452]. 2. O glorieuse lumière ! qui délivres lâme des ténèbres, et la dépouilles de lespérance quelle met en soi-même, dans le monde, les enfants et les créatures, pour la revêtir de la véritable espérance quelle place en Jésus crucifié. Lâme ne craint jamais quil lui manque quelque chose, parce quà la lumière de la Foi, elle a connu la bonté de Dieu à son égard; elle voit que Dieu est tout-puissant, et quil peut la secourir, quil est très sage et quil sait comment le faire, quil est très bon et quil veut le bien de sa créature raisonnable. Celui qui espère en lui, Dieu ne labandonne jamais; il nous assiste selon que nous espérons en ses largesses, et il mesure ses dons à nos espérances. Si lhomme se connaît à la lumière de la Foi, il ne se confie pas en lui-même et en ce quil possède; car il connaît son néant, et il voit que, si ce quil aime était à lui réellement, il le posséderait selon son désir. Mais il veut être riche, il est souvent pauvre; quand il souhaite la santé et une longue vie, il devient malade, et le temps lui échappe. Bien fou et bien malheureux est celui qui met son espérance dans lhomme ! car il doit voir quil na rien par lui-même, et que le monde et lhomme ne le servent que par intérêt. Celui donc qui met en eux son espérance est toujours trompé; rien ne lui réussira; en voulant senrichir et donner de la fortune à ses enfants, il appauvrira son âme. Lexistence lui devient insupportable, parce quil désire ce quil ne doit pas désirer; et comme sa volonté ségare à vouloir ce quil na pas, il est toujours dans la peine, parce quil est privé du Bien suprême, qui apaise, calme et rassasie lâme[1453]. 3. O mon Frère, mon très cher Fils, ouvrez loeil de lintelligence à la lumière de la très sainte Foi, afin de connaître le néant, la vanité du monde et linfinie bonté de Dieu, qui seul est fidèle, immuable, qui seul nourrit et rassasie lâme dans son ardente charité, qui la revêt despérance. Elle espère en son doux Créateur, et sait bien que la Bonté divine voit ses besoins: elle lui offre ses désirs, ses besoins; elle le sort de tout son cur, de toutes ses forces. Elle travaille pour sa famille, elle laide et lassiste autant quelle peut, et selon les lois de la conscience; mais elle laisse faire le reste à la divine Bonté, en qui elle a mis son espérance, parce quelle connaît à la lumière de la Foi toute la tendresse de sa providence. Je ne vois pas comment vous pourriez échapper àla fange du monde sans la lumière de la Foi, doù vient lespérance de la charité, qui fait goûter à lâme les arrhes de la vie éternelle, parce que sa volonté est revêtue de la douce volonté de Dieu. 4. Cest pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir éclairé de la lumière de la très sainte Foi et revêtu de lespérance parfaite. Et je vous prie de le faire, vous et votre femme, par amour de Jésus crucifié, afin de ne pas être en état de damnation, Et si vous ne lavez pas fait autrefois, je veux que vous le fassiez maintenant. Ne tardez pas à vous occuper de votre salut, car le temps ne vous attend pas; vous ne devez pas non plus lattendre et faire comme le corbeau, qui crie: Cras, cras, demain, demain. Ceux qui perdent le temps disent aussi toujours: Je le ferai demain; et ils arrivent la mort sans sen apercevoir. Ils demandent alors du temps, et ils ne peuvent [1454] en obtenir; ils ont dépensé celui quils avaient, à vivre dans lavarice et la débauche, à souiller leur esprit et leur corps; ils ont profané Je sacrement de mariage, et ils ont fait leur Dieu de leurs enfants. Dans leur aveuglement, ils mettent leur espérance où ils ne doivent pas la mettre, et ils vont ainsi de chute en chute, tellement que, sils ne se convertissent pas, sils nexpient pas leur faute par la contrition du cur, la confession et la satisfaction autant quils le peuvent, car Dieu ne leur demande pas limpossible, ils arrivent à. léternelle damnation. Je veux donc que vous sortiez de votre sommeil avant que vienne la mort. Ne perdez pas ce désir, cette lumière, que Dieu vous a donnés; mais augmentez-les par la pratique des vertus, par la lumière de la Foi et la sainte espérance. Ne pensez pas que la divine Providence puisse jamais vous abandonner; mais elle vous secourra toujours si vous espérez en elle dans tous vos besoins. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCXCV (287). A JEAN TRENTA, et à sa femme, à Lucques. Elle les exhorte à lunion, à la concorde et à limitation de Jésus-Christ.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Jean, mon très cher Frère et Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des [1455] serviteurs de Dieu, je vous bénis et je vous encourage dans le précieux sang de son Fils. Mon Fils, jai désiré avec désir vous voir, vous, votre famille, et surtout votre femme, si parfaitement unis dans les liens de la vertu, que ni les démons ni les créatures ne puissent jamais vous séparer. O ma Fille et mon Fils bien-aimés, quil ne vous paraisse pas pénible et dur de faire quelque chose pour Jésus crucifié. Ne serait-ce pas une grande ignorance, une grande insensibilité de cur, de voir la souveraine, léternelle Grandeur, le Christ, descendre jusquà notre humanité, et ne pas nous humilier ! Ne voyez-vous pas le Christ, pauvre, shumilier dans une crèche, entre deux animaux, et repousser toute pompe, toute gloire humaine? Ce qui fait dire à saint Bernard, nous montrant lhumilité profonde et la pauvreté du Christ pour confondre notre orgueil: "Rougis donc, homme superbe qui cherches les honneurs, les délices et les pompes du monde ! Tu crois peut-être que ton Roi, le doux Agneau, a nu des palais somptueux et une cour brillante? Non; la douce Vérité suprême ne la pas voulu. Pour notre exemple et notre règle, Notre-Seigneur a choisi une pauvreté si grande, quil navait pas un morceau détoffe convenable pour senvelopper; et comme il faisait bien froid, un animal soufflait sur le corps de lenfant; et jusquau dernier instant de sa vie, sur le lit de la Croix, il fut si nu, quil disait: Les oiseaux ont un nid, et les renards une tanière; mais le Fils de la Vierge na pas où reposer sa tête (Lc 9,58).[1456]" 2. O pauvres misérables que nous sommes ! Mon doux Frère, ma Sur, est-ce que vos curs ne sont pas assez touchés pour résister à toutes les illusions du démon et à tous les propos des créatures? Donnez-vous donc généreusement à Pieu, et suivez dans la paix et lunion les traces de notre doux Sauveur, qui nous dira cette douce parole: Venez. mes enfants- Pour mon très doux amour, vous avez quitté les désirs déréglés de la terre; je vous remplirai et je vous comblerai des biens du ciel; je vous donnerai le centuple, et vous posséderez la vie éternelle. Quand la douce Vérité vous donne-t-elle le centuple? Quand elle répand dans vos âmes sa très ardente charité. Cest là ce doux centuple sans lequel nous ne pouvons avoir la vie éternelle, mais avec lequel elle ne peut nous être enlevée. Oui, je vous conjure de ne pas affaiblir, mais daugmenter les saintes résolutions, les bons désirs que Dieu vous a donnés; cest ce que désire mon âme. Je termine. Que Dieu vous donne sa douce, son éternelle bénédiction. Moi, linutile servante, je me recommande à vous- Moi Jeanne Pazzi (Jeanne Pazzi, compagne de sainte Catherine lui servit de secrétaire pour cette lettre.), et toutes les autres, nous demandons toutes à Dieu de mourir damour. Doux Jésus, Jésus amour [1457].
CCXCVI (288).- A BARTHOLE USIMBARDI, à Florence.- De la charité, de lhumilité et de la vraie persévérance. (Barthole Usimbardi était un des disciples de sainte Catherine, à Florence. Il appartenait à une des plus nobles familles de cette ville.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir brûler dans la fournaise de la charité divine, afin que tout amour-propre soit consumé en vous, et que vous vous appliquiez uniquement à. plaire à votre Créateur, ne vous inquiétant pas de ce que disent les créatures, ni des injures, des mépris et des reproches que vous en recevez mais inclinant humblement la tête devant tout ce que la Bonté divine voudra permettre. Pour être fort contre les tentations et les attaques du démon, ayez une volonté ferme de ny jamais consentir, mais daimer uniquement et de servir votre Créateur. En faisant ainsi, vous serez persévérant jusquà la mort, et vous recevrez enfin la récompense de toutes vos fatigues, qui est, nous dit saint Paul, incomparablement plus grande que tout ce que nous pouvons souffrir en cette vie [1458]. 2. Réjouissez-vous, mon doux Fils de ce que vous avez encore reçu le sang de Jésus-Christ en grande abondance; car jai obtenu du Saint-Père lindulgence plénière de la mort pour beaucoup de mes enfants. Vous êtes du nombre, ainsi que François et sa femme; mais je ne ferai faire pour tous quune expédition de cette grâce, afin déviter les difficultés et la dépense. Ne vous tourmentez pas si vous navez pas décrit, la parole du Vicaire de Jésus-Christ doit vous suffire; et au moment de la mort vous pourrez demander au prêtre labsolution de la faute et de la peine, comme il peut et doit vous la donner. Croyez, mon Fils, avec une foi vive et une ferme espérance quavec cette indulgence, en quittant cette vie bien confessé et bien repentant de vos fautes, votre âme, ira pure et préparée pour la vie éternelle, comme le jour où elle a reçu le saint baptême. 3. Je veux donc que vous changiez de vie, et que vous la régliez entièrement sur la volonté de Dieu. Mettez votre cur et votre affection en lui; méprisez le monde, et nen usez que par nécessité. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1459].
CCXCVII (289). A BARTHOLE USIMBARDI, à sa femme, madame Orna, à François Pépin, tailleur, et à sa femme, madame Agnès, de Florenco.- Elle les exhorte à la vertu de charité, et à suivre la croix de Jésus-Christ. (Le mot tailleur peut bien nêtre quune indication de profession. Les corps de métiers avaient le pas sur la noblesse dans la république de Florence.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir brûlés et consumés dans le feu de la charité. Ce feu, en brûlant, ne consume pas, mais engraisse lâme; elle lunit et la transforme en lui, le feu de lamour divin. Lâme voit quelle a reçu de Dieu lêtre uniquement par amour, et que, par amour aussi, Dieu lui accorde toutes les grâces et tous les dons qui sont ajoutés à lêtre. Elle voit ensuite que, par amour, Dieu le Père nous a donné le Verbe son Fils pour quil payât nos dettes, et quil nous tirât de lobscure prison et de la servitude du démon, dont lhomme ne pouvait pas sortir. Ce Verbe divin, en devenant homme mortel, descendit sur le champ de bataille pour nous. Il défit le démon, brisa lobscure prison, et nous tira de la malheureuse servitude où, depuis si longtemps, le [1460] genre humain était plongé; il nous ouvrit avec la Croix, la porte de la vie éternelle. Il a fait tout cela par amour. Puisquil nous a montré la voie et ouvert la porte, il ne nous reste plus quà avancer, Nous pouvons marcher en toute assurance sous létendard glorieux de la Croix, et nos ennemis seront épouvantés et vaincus. Notre Dieu nous attend avec amour, et nous invite à venir jouir de lui, le souverain Bien. 2. O amour ineffable, charité infinie, feu de la divine charité ! quel est le cur qui, en se voyant aimé avec tant dardeur, ne se brisera pas damour, et ne se transformera pas tout en lui? Ce cur serait trop dur, plus dur que le diamant, sil résistait àune telle flamme. Je veux donc, mes très chères Filles, dame Orsa et dame Agnès, que vous quittiez le sommeil de la négligence, et que vous contempliez avec loeil de lintelligence, ce foyer damour. Je vous dis la même chose, mon Fils François; et lorsque vous aurez vu, vous serez forcé daimer; et lorsque vous aimerez, tous les fardeaux vous seront légers pour Dieu; et aussitôt votre amour sétendra sur votre prochain, cest ce que Dieu aime le plus; vous satisferez ainsi à lamour de Dieu et du prochain. Le temps me presse, et je vous dis seulement de mettre votre force en Jésus crucifié et de vous baigner dans son très doux sang. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1461].
CCXCVIII (290). A BARTHOLE USIMBARDI, et à François Pépin, de Florence.- Elle les exhorte à la reconnaissance envers Dieu, dou viennent toutes les vertus.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir pleins de reconnaissance pour les bienfaits que vous avez reçus de notre Créateur, afin que la source de la piété coule en vous. Cette reconnaissance vous rendra zélés à pratiquer la vertu. Car, de même que lingratitude rend lâme paresseuse et négligente, de même la douce habitude nous rend avares du temps, et nous ne passons pas un instant sans travailler. De cette gratitude procède toute véritable vertu. Qui nous donne la charité? qui nous rend humbles et patients? la seule gratitude. Car celui qui voit la grande dette quil a contractée envers Dieu sapplique à. vivre vertueusement, parce quil sait que Dieu ne nous demande pas autre chose. Aussi, mes doux enfants, rappelez-vous avec zèle tous les nombreux bienfaits que vous avez reçus de lui, afin dacquérir parfaitement cette mère des vertus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1462].
CCXCIX (291).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Elle les exhorte à acquérir les vertus, et à mépriser le monde.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE Très cher Fils et très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus- Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir aimer la vertu, car vous ne pouvez pas autrement avoir la vie de la grâce et participer au sang du Fils de Dieu. Puisque cela est si nécessaire, il faut absolument extirper les vices en nous. et planter la vertu; il faut faire violence à nos passions sensitives, et nous dire à nous-mêmes : Je veux plutôt mourir quoffenser mon Créateur et perdre la beauté de mon âme. Je veux quil en soit ainsi, mes très chers enfants. Soyez. des miroirs de vertus, foulez aux pieds le monde avec toutes ses délices, et suivez Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1463].
CCC (292).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence.- De la persévérance, et du renoncement à la volonté propre.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constant et persévérant dans la vertu, afin que vous receviez la couronne de gloire, qui ne se donne pas à. celui qui commence seulement, mais à. celui qui persévère jusquà. la mort. Aussi je veux que vous grandissiez et que vous persévériez dans la vertu jusquà la mort, et quaucune tribulation, aucune attaque du démon ou des créatures ne vous fassent tourner la tête en arrière. Baignez-vous dans le sang du Christ, en anéantissant et en tuant toute volonté propre, toute passion sensitive; et alors vous serez fort, et rien ne pourra vous ébranler, parce que vous aurez pour fondement la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, et vous recevrez la récompense de vos fatigues. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1464].
CCCI (293). A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à sa femme, madame Agnès. Des vrais serviteurs de Jésus-Christ. Du souvenir des bienfaits de Dieu et de nos défauts.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils et très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir les vrais serviteurs de Jésus crucifié, constants et persévérants jusquà la mort, afin que vous receviez la couronne de gloire, qui ne se donne pas à celui qui commence seulement, mais à celui qui persévère jusquà. la fin. Je veux donc que vous vous appliquiez avec zèle à courir dans la voie de la vérité, vous efforçant toujours davancer de vertu en vertu. Ne pas avancer, cest reculer, car lâme ne peut jamais rester stationnaire. Et comment pourrons-nous, très cher Fils, augmenter le feu du saint désir? en mettant du bois sur le feu. Mais quel bois? le souvenir des nombreux et infinis bienfaits de Dieu, qui sont innombrables, et surtout le souvenir du sang versé par le Verbe, son Fils unique, pour nous montrer lamour ineffable que Dieu a pour nous; en nous rappelant ce bienfait et tant dautres, nous verrons augmenter notre amour [1465]. 2. Il faut aussi considérer nos nombreux et innombrables défauts, les péchés que nous avons commis contre Dieu; il faut les regretter, les pleurer amèrement en comprenant combien a été grande la miséricorde de Dieu envers nous, puisquil ne nous a pas fait engloutir par la terre, ou dévorer par les bêtes féroces. Cest ainsi que vous mettrez du bois pour augmenter le feu; la vue des bienfaits nous donnera lamour de la vertu, et celle de nos iniquités nous fera concevoir la haine du vice et de la sensualité qui en est cause. De cette manière nous persévérerons jusquà. la mort, en avançant toujours, et alors vous serez les vrais serviteurs de Jésus crucifié. Je vous disais que cétait là mon désir pour vous, et je vous conjure de le faire pour lamour de Jésus crucifié, afin que je voie saccomplir en vous la volonté de Dieu et mon désir. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCII (294).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Nous devons marcher dans cette vie comme des pèlerins, avec patience, persévérance et mépris du monde.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils et très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave [1466] des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir de bons et vrais pèlerins. Car pour toute créature raisonnable, la vie est un pèlerinage; ici-bas nest pas notre fin le but que nous devons atteindre, et pour lequel nous avons été créés, est la vie éternelle. Aussi je veux que nous suivions la voie qui a été tracée, cest-à-dire la doctrine de Jésus crucifié. Celui qui la suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il arrive à. la parfaite lumière. Nous devons donc être comme des pèlerins que les plaisirs ou les difficultés du chemin ne détournent et narrêtent pas, mais qui marchent toujours jusquà ce quils soient arrivés au terme. 2. Il faut faire de même, très chers Fils; nous sommes entrés dans ce chemin de la doctrine du doux et tendre Verbe, pour arriver à Dieu le Père; nous trouvons des passages mauvais, nous rencontrons les injures et les outrages des créatures, les attaques du démon. Il ne faut pas pour cela nous arrêter et tourner la tête en arrière par impatience, mais il faut surmonter tout généreusement, avec la lumière de la Foi; il faut humblement baisser la tête sous la douce volonté de Dieu, qui, pour nôtre bien, permet ces moments difficiles, afin de pouvoir nous mieux récompenser. Car, comme le dit le glorieux apôtre saint Jacques: " Heureux celui qui supporte la tentation;car quand il aura été éprouvé, il recevra la couronne de vie (Jc 1,12)." Et saint Paul dit: " Il ny aura de couronné que celui qui aura vaillamment combattu (2 Rim 2,5) [1467]. " Réjouissez-vous donc quand vous êtes tourmentés par les démons et les créatures, puisquils vous préparent ainsi la couronne. Marchez avec persévérance dans le chemin de la vérité. Que les plaisirs, les honneurs, les jouissances que le monde vous promet, et que notre chair fragile désire, ne vous engagent jamais à vous arrêter pour jouir; mais, comme de vrais pèlerins, faites semblant de ne rien voir, et poursuivez votre voyage avec courage jusquà la mort, afin darriver au terme. Je vous prie de le faire par amour pour Jésus-Christ. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCIII (295).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- De la sainte crainte de Dieu, qui détruit la crainte servile.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermis dans la sainte crainte de Dieu, parce que sans cette crainte, vous ne pourrez participer a la vie de la grâce. Cette sainte crainte chasse la crainte servile qui était dans lâme, et lui donne une telle assurance, que pour accomplir la volonté de Dieu, elle ne craint pas de déplaire aux [1468] hommes; elle ne redoute ni les reproches, ni les mauvais traitements, ni les outrages. Elle ne craint pas de perdre sa fortune, sa vie même, pourvu quelle rende au nom de Dieu la gloire qui. lui est due; elle a détaché son regard de la terre pour le fixer sur son Créateur, et suivre avec zèle les traces de Jésus crucifié. Toutes ses uvres sont dirigées et réglées selon la volonté de Dieu; elle demeure dans les liens de la charité avec toutes les créatures raisonnables. Tout bien, toute paix, tout repos découlent de cette sainte et douce crainte, et elle donne la perfection à. lâme qui la prise pour fondement. Cest pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir affermis dans cette sainte crainte, et je vous prie de le faire pour lamour de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCIV (296).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à madame Agnès, sa femme.- De quelle manière la raison doit vaincre la sensualité.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillés de vous-mêmes et revêtus de Jésus crucifié, morts à toute volonté, à [1469] toute complaisance humaine, afin que la douce vérité vive seule en vous. Car je ne vois pas que vous puissiez autrement persévérer dans la vertu; et en ne persévérant pas, vous ne recevrez pas la couronne de la béatitude, et vous perdrez ainsi le fruit de vos fatigues. 2. Je veux donc, mes doux Fils, quen toute chose vous vous étudiiez, à tuer cette volonté sensitive, qui veut toujours se révolter contre Dieu; et voici le moyen de la tuer: il faut que la raison siège sur le tribunal de votre conscience, et ne laisse jamais passer la moindre pensée contraire à Dieu sans la reprendre sévèrement. Que lhomme sépare en lui la sensualité et la raison; que la raison prenne le glaive à deux tranchants, le glaive de la haine du vice et de lamour de la vertu, et que par son moyen, il réduise la sensualité en esclavage, déracinant et détruisant le vice et les mouvements déréglés dans son âme. Il faut quil ne donne jamais à la sensualité, son esclave, ce quelle lui demande, mais quil la foule aux pieds par lamour de la vertu. Si elle veut dormir, Il faut recourir aux veilles et à lhumble prière; si elle veut manger, il faut jeûner; si elle veut écouter la concupiscence, il faut prendre la discipline; si elle veut sabandonner à la négligence, il faut faire de saints exercices; si elle se laisse entraîner par sa fragilité ou par les illusions du démon à des pensées déshonnêtes, il faut la reprendre sévèrement, leffrayer par le souvenir de la mort, et chasser par de saintes pensées, les pensées coupables. 3. Il faut ainsi en toute chose vous faire violence à vous-mêmes, mais toujours avec discrétion, en [1470] tenant compte des besoins de la nature, afin que le corps, comme instrument, puisse aider lâme à servir Dieu. De cette manière, par la violence que vous ferez à cette loi de votre chair et de votre volonté propre, vous aurez la victoire de tous les vices, et vous acquerrez toutes les vertus, Mais je ne vois pas que vous puissiez le faire, tant que vous serez revêtus de vous-mêmes. Cest pourquoi je vous ai dit que je désirais vous en voir dépouillés, et revêtus de Jésus crucifié; et je vous conjure de vous appliquer à le faire, afin que vous soyez ma gloire. Soyez :deux miroirs de vertu en la présence de Dieu; quittez toute négligence et toute ignorance que je vois encore en vous; ne me causez pas de peine, mais de la joie. Jespère de la bonté de Dieu que vous me donnerez cette consolation. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCV (597).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Il faut fuir la société des pécheurs, et rechercher celle des serviteurs de Dieu.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang [1471], avec le désir de vous voir éclairés de la vraie lumière, afin que vous persévériez dans la vertu Jusquà la mort. Sans cette lumière, mes amis, vous marcherez dans les ténèbres, et vous ne connaîtrez pas la vérité les choses douces vous paraîtront amères, et les amères, douces. Mais en ayant la lumière, nous serons prudents, et nous fuirons tout ce qui peut diminuer en nous la vertu et lamour parfait que nous devons avoir pour notre Créateur. Avec cette lumière, nous verrons combien est dangereuse la société de ceux qui vivent sans la crainte de Dieu; car elle cause notre ruine, elle abrutit la conscience, elle éloigne la prière, qui nourrit ; elle chasse labstinence, empêche la ferveur et développe lamour de vains plaisirs du monde. Elle nous ravit la sainte humilité, détruit la retenue, excite les passions et obscurcit loeil de lintelligence, au point que lâme paraît ne pas avoir commencé à connaître son Créateur. Et ainsi, peu à peu, la créature change sans sen apercevoir; lange terrestre devient un démon de lenfer. Où est la pureté dautrefois? où est le désir de souffrir pour Dieu? où sont les larmes que vous aviez coutume de répandre en la présence de Dieu avec dhumbles et continuelles prières? où est cette charité fraternelle que vous aviez pour toute créature raisonnable? Rien nest resté, parce que le démon a tout volé par le moyen de ses serviteurs. 2. Je ne veux pas, mes très chers et doux enfants, que cela vous arrive; mais que votre conversation soit toujours avec ceux qui craignent et aiment Dieu en vérité. Ceux-là. sont un moyen de réchauffer nos curs et den amollir la dureté, en nous parlant doucement [1472] de Dieu, de sa bonté infinie, de sa charité envers nous. On se communique la lumière les uns aux autres, en sentretenant de la doctrine de Jésus crucifié et de la vie des saints; on méprise toutes les passions sensuelles, on embrasse avec une sainte modestie lhumilité, et lhumiliation, sa sur, en se méprisant soi-même : ainsi profite la société des serviteurs de Dieu, tandis que tout le mal vient de la société des serviteurs du monde. Le Saint-Esprit a dit, par la bouche du Prophète " Tu seras saint avec les saints, innocent avec les Innocents, élu avec les élus, et méchant avec les méchants (Ps 27,26). Je veux donc que vous ayez un grand soin de fréquenter toujours les serviteurs de Dieu, et de fuir ceux du monde comme le feu. Ne vous fiez pas à vous-mêmes, en disant : Je suis fort, et je ne crains pas quils me fassent tomber. Non, ne le dites pas, pour lamour de Dieu; mais reconnaissons que si Dieu ne nous soutenait pas, nous serions de véritables démons. Navons-nous pas un exemple qui doit nous faire toujours trembler? Je suis persuadée que, si vous avez la vraie lumière, vous accomplirez pour cela et pour le reste la volonté de Dieu et mon désir, mais pas autrement. Cest pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir éclairés de la lumière parfaite. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1473].
CCCVI (298).- A FRANCOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à dame Agnès, sa femme.- De la persévérance dans lamour de Dieu.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir augmenter en vous le feu du saint désir, de peur que, navançant pas, vous reculiez, et que, reculant, vous deveniez digne dun jugement plus sévère que si vous naviez jamais été touché; car il sera plus demandé à celui qui aura plus reçu. Je veux donc que vous sortiez courageuse. ment du sommeil de la négligence, et que vous soyez plein de zèle pour augmenter en vous la lumière; car si la lumière augmente, lamour augmentera, et si lamour augmente, les vertus et les bonnes uvres augmenteront aussi jusquà la mort; et alors vous ferez ce qui vous est demandé, cest-à-dire que vous aimerez Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme vous-même. 2. Et toi, Agnès, je te dirai aussi, tâche daugmenter en toi la faim de lhonneur de Dieu et du salut des âmes, et de répandre des torrents de larmes avec dhumbles et continuelles prières en présence de Dieu pour le salut du monde entier, et surtout pour la réforme de la douce Epouse du Christ, que nous [1474] voyons exposée à tant de ténèbres et de ruines. Je nen dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCVII (209).- A JEAN DE PARME, à Rome, le 23 octobre.- Le corps de Jésus-Christ est le livra où nous pouvons tout apprendre.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondé sur la Pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus; car autrement lédifice ne serait pas solide, et le moindre vent contraire le renverserait. Mais lâme qui est fondée sur cette douce Pierre vive, cest-à-dire qui suit la doctrine de Jésus crucifié, ne périt jamais. Quelle est cette doctrine quenseigne le doux et tendre Verbe, qui est appelé la Pierre vive? ou nous lenseigne-t-il? Ce nest pas au milieu des délices et des plaisirs du monde, mais sur la table de la très sainte Croix. Elle nous enseigne à aimer Dieu en vérité, en détestant le vice et la sensualité, cause du vice, et en aimant la vertu et Dieu, cause de toute vertu. Elle nous enseigne à obéir aux commandements de la loi, elle nous fait aimer les conseils, et nous donne le désir de les acquérir sur [1475] la table de la très sainte Croix, ou lâme se revêt de la charité de Dieu et du prochain. Mais considérez quon ne peut apprendre sans la lumière et sans le livre. 2. Nous avons besoin que loeil de lintelligence soit éclairé de la lumière de la très sainte Foi, et que le livre soit écrit. Cest par lEcriture que nous apprenons la doctrine. Si nous regardons bien, très cher Frère, nous verrons que Dieu nous a donné loeil de lintelligence. et intérieurement la lumière de la Foi, qui ne peut nous être enlevée ni par le démon ni par les créatures, si nous ne la perdons nous-mêmes par lamour-propre. Il nous a donné le livre écrit, le Verbe, le Fils de Dieu; il a été écrit sur le bois de la Croix, non pas avec de lencre, mais avec du sang; et les initiales sont les très douces et très sacrées plaies du Christ. Et quel est lignorant et lesprit grossier qui ne saura pas lire ce livre? personne, excepté ceux qui saiment eux-mêmes, et cela non pas par défaut de science, mais par défaut de volonté. Ce qui est écrit à ses pieds percés nous invite à fixer en lui notre affection, en nous dépouillant de toute volonté déréglée, et en ne cherchant et ne voulant que Jésus crucifié. 3. Celui qui veut aller au Père par le moyen de la Parole Incarnée écrite sur ce livre, doit désirer souffrir sans lavoir mérité, souffrir les peines du corps et de lesprit, les tentations nombreuses que Dieu permet, les attaques du démon et des créatures; il doit tout supporter pour la gloire et lhonneur de son nom; et en suivant cette voie, il accomplira en lui cette parole de notre doux Sauveur, qui disait [1476]: " Personne ne peut aller au Père, si ce nest par moi (Jn 14,6). i Il est la voie et la vérité, et celui qui va par lui marche dans la lumière et ne ségare pas dans les ténèbres. De cette manière il perce les pieds de son affection, et en suivant la voie de la vérité il arrive au côté de Jésus crucifié, où il trouve la vie de la grâce. Il a dépouillé lamour du vieil homme par la sainte haine du vice et de la passion sensitive; et cette haine, il la trouvée dans le livre divin, car Notre-Seigneur a tant bai le péché, quil a voulu le punir sur son corps. Il trouve aussi lamour sincère des vraies et solides vertus dans son cur ouvert, car cette blessure nous a montré cet ardent amour; elle nous a fait un bain de son sang, et ce sang était mêlé au feu de la divine charité, puisquil a été répandu par amour; cest par amour pour lhonneur de son Père et pour notre salut que le Christ a couru avec transport à la mort honteuse de la Croix, afin daccomplir les ordres de son Père. 4. Vous voyez donc bien la doctrine quil nous enseigne sur la tahle de la Croix; il nous apprend à être humble et doux de cur. Avec cette humilité et cette douceur nous observerons les doux commandements de Dieu. et nous leur obéirons. Où les avons-nous trouvés? dans ce livre. Avec quelle lumière? avec la lumière de la très sainte Foi. Et en ayant ainsi faim de lhonneur de Dieu et du salut des âmes, nous recevrons en nous la vie de la grâce. Peu à peu nous lirons sur la tête couronnée dépines de Jésus crucifié, et sur sa bouche; nous couronnerons dépines notre [1477] volonté, qui est elle-même une épine qui déchire et tourmente lâme lorsquelle est en dehors de la douce volonté de Dieu. Cette douce tête couronnée dépines de Jésus crucifié nous fait perdre cette douloureuse épine, et alors nous trouvons la paix dans sa bouche abreuvée du fief et du vinaigre de nos iniquités. Nos Iniquités ont été un fiel amer et un vinaigre qui nous ont ôté la force de la grâce; mais notre âme, en devenant semblable à Notre-Seigneur et en se revêtant de la douce volonté de Dieu, goûte la paix quil nous a acquise au prix de tant damertume, en pacifiant Dieu avec lhomme, qui était depuis longtemps son ennemi. Car, comme le dit le glorieux saint Paul, " le Christ béni est notre paix, il sest fait le médiateur entre Dieu et lhomme (1 Tim 2,5 ; 2 Co, 5,18). " Le doux apôtre nous exhorte à nous réconcilier et à faire notre paix avec lui, puisquil est venu pour être notre médiateur. 5. En suivant cette voie douce et droite, nous recevrons le fruit de cette paix en cette vie, nous mangerons les miettes de la grâce, et dans la vie éternelle, nous jouirons de la nourriture abondante et parfaite qui rassasie parfaitement, sans laisser rien à désirer. Cest ce que veut nous apprendre le glorieux docteur, saint Augustin lorsquil dit que le rassasiement y est sans dégoût, et la faim sans peine. La peine est bien loin de la faim, et le dégoût du rassasiement; car dès que lâme a goûté la paix, et quelle est arrivée à ce bonheur, elle a lu et elle lit sans cesse dans les mains clouées du Fils de Dieu, le moyen de faire toutes ses [1478] uvres spirituelles et mentales, suivant la volonté de Dieu, en les faisant toutes pour la gloire de son nom. Si elle fait une uvre spirituelle, elle sapplique à la faire selon la charité divine; son cur y est toujours uni par tous les exercices quon peut employer pour arriver à la vertu, autant que Dieu le permet et quelle le peut. Elle fait tout avec la sainte crainte de Dieu et en sattachant à la Croix. Le vrai serviteur de Dieu ne voudrait pas vivre sans souffrir. il veut prendre sa croix et suivre le Christ avec vérité, constance, patience et persévérance jusquà la mort, parce quil a pris pour fondement la Pierre vive, et quil a appris la doctrine dans le livre divin dont nous avons parlé, au moyen de la lumière de la très sainte Foi. Les peines ne lempêchent pas de persévérer dans la vertu; elles sont au contraire sa joie, à lexemple de lhumble Agneau, qui na pas craint la souffrance et la mort pour nous sauver et pour obéir à son Père. Il na pas été arrêté par notre ingratitude et par les Juifs, qui lui disaient Descends de la Croix, et nous croirons en toi. Cest de Jésus crucifié quil apprend la persévérance; mais sil navait pas pour fondement cette Pierre vive, il tournerait la tète en arrière ; il craindrait son ombre, et succomberait en toute occasion. 6. Cest pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir fondé sur la Pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus; je vous conjure de le faire, et je suis persuadée que si vous lisez dans ce doux livre, le livre qui vous trouble ne vous fera aucun mal. Si ce livre sécarte de la vérité et de la doctrine des sainte approuvée par la sainte Eglise, laissez-le, ou faites-le corriger, et ne [1479] vous en servez plus. Contentez-vous de ceux que vous savez être certainement conformes à la vérité. SI votre conscience est inquiète, et si le démon vous dit, pour vous troubler: Vois combien de temps tu as été dans lerreur; tu crois avoir servi Dieu, et tu as servi le démon, tu lui as été agréable; vous ne devez pas lécouter, mais vous devez voir à la lumière, que Dieu regarde seulement la bonne et sainte volonté qui nous fait agir. Admettons que le livre ne soit pas selon Dieu: cest la seule volonté mauvaise qui fait le péché, cest la volonté qui fait le péché ou la vertu, selon quelle aime lun ou lautre. Vous ne devez donc pas vous affliger à ce sujet, mais vous devez vous rassurer en homme généreux, et chasser cette amertume avec la douceur de lhumble Agneau. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCVIII (300).- A MARC BINDI, marchand.- De la vertu de patience et de la manière de lacquérir.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondé dans la vraie et sainte patience. Sans elle nous ne pouvons plaire à Dieu, et nous perdons le fruit de nos peines. Cette glorieuse [1480] vertu de la patience est donc bien nécessaire; et si vous me dites, très cher Frère: Jai de grandes épreuves, je ne me sens pas assez fort pour avoir cette patience, et je ne connais pas les moyens de lacquérir; je vous répondrai que tous ceux qui veulent écouter la raison peuvent lavoir; mais je reconnais aussi que nous sommes faibles et fragiles par nous-mêmes, selon la sensualité, surtout quand lhomme saime beaucoup lui-même, et quil sattache aux créatures et aux biens de ce monde. Car, lorsquil les aime dune manière trop sensible, sil les perd il en éprouve une peine insupportable. Mais Dieu est notre force; et si nous voulons, avec notre raison, avec la puissance de la volonté et la main du libre arbitre, triompher de notre faiblesse, Dieu ne méprisera pas la violence que nous nous ferons à nous-mêmes, pour ne pas nous plaindre sans mesure; il tient compte des saints désire. et nous donnera cette douce et solide vertu; nous supporterons toutes les peines avec une vraie et sainte patience. Vous voyez donc que tout le monde peut lavoir, sil veut user de la raison que Dieu lui a donnée, et ne pas écouter seulement sa faiblesse. Ne serait-ce pas une chose bien honteuse, si nous, des créatures raisonnables, noua ne nous servions pas plus de notre raison que les animaux. Ils ne peuvent se servir de la raison, puisquils nen ont pus; mais nous, qui lavons, nous devons nous en servir ; et en ne nous en servant pas, nous devenons impatients, nous nous scandalisons des choses que Dieu nous envoie, et ainsi nous loffensons. 2. Quel moyen devons-nous prendre pour avoir cette patience? Car je puis et je dois lavoir, et si je [1481] ne lai pas, joffenserai Dieu. Il y a quatre choses principales quil faut rechercher et acquérir. Je dis dabord quil faut avoir la lumière de la Foi, car cest par la lumière de la Foi quon acquiert toute vertu; et sans cette lumière, nous marcherions dans les ténèbres comme laveugle, pour lequel le jour devient la nuit. Il en est de même pour lâme qui na pas cette lumière : ce que Dieu a fait par amour comme un jour plus brillant que la lumière, elle le prend pour les ténèbres de la haine, en simaginant que Dieu permet par haine les tribulations et les fatigues quelle éprouve. Vous voyez donc bien quil faut avoir la lumière de la très sainte Foi. Le second moyen davoir la patience sacquiert avec cette lumière, cest-à-dire quil faut croire en vérité, et non seulement croire, mais être bien certain que tout ce qui a lêtre procède de Dieu, excepté le péché, qui est un néant. Cest la volonté coupable de lhomme qui commet le péché, Dieu ne le fait pas; mais tout le reste, ce qui arrive par le feu, par leau, par un accident, quelconque, tout vient de lui. Aussi le Christ dit dans lEvangile, quil ne tombe pas une feuille darbre sans sa providence; il dit encore que tous les cheveux de notre tête sont comptés, et quil nen tombe pas un sans quil le sache (Lc 21,18). Sil parle ainsi des choses insensibles, combien plus ne doit-il pas avoir soin de nous, ses créatures raisonnables ! Aussi, tout ce que donne et permet sa providence, cest dans un but mystérieux, par amour, et non par haine. 3. La troisième chose quil faut voir et connaître à [1482] la lumière de la Foi, cest que Dieu est léternelle et souveraine Bonté, et quil ne veut autre chose que notre bien. Sa volonté est que nous soyons sanctifiés en lui; tout ce quil donne et permet est pour cette fin. Si nous doutions quil ne veuille autre chose que notre bien, je vous dirais que ce doute devient impossible en regardant le sang de lhumble Agneau sans tache. Le Christ déchiré, accablé, tourmenté par la soif sur la Croix, nous montre que son Père nous aime dun amour ineffable, puisque par amour pour nous, qui étions devenus ses ennemis par le péché, il nous a donné sa vie, en courant avec transport à la mort honteuse de la Croix. Quelle en fut la cause? lamour quil avait pour notre. salut. Vous voyez donc bien que le Sang doit nous empêcher de douter que Dieu ne veuille autre chose que notre bien. Et comment la souveraine Bonté pourrait-elle faire autre chose que le bien? Cest impossible. Léternelle Providence ne peut cesser un instant dêtre Providence. Celui qui nous a aimés avant que nous fussions, Celui qui nous a créés à son image et ressemblance ne peut sempêcher de nous aimer, et de pourvoir à tous les besoins de notre âme et de notre corps. Dieu aime toujours ses créatures en tant que créatures ; il ny a que le péché quil déteste en nous; et sil permet pendant cette vie que nous souffrions de différentes manières dans nos corps ou dans nos biens temporels, cest quil voit que nous en avons besoin, Il est comme un bon médecin qui donne la médecine nécessaire à notre maladie: il le fait pour punir nos fautes dans cette vie, afin de les moins punir dans lautre, ou pour exercer en nous la vertu de patience, comme [1483] il le fit à légard de Job, quil éprouva en lui ôtant ses fils, tout ce quil possédait, et en affligeant son corps dune maladie qui engendrait des vers. Il lui laissa ma femme, qui était sa croix, et qui laccablait de reproches et dinjures. Et lorsque Dieu eut bien éprouvé sa patience, il lui rendit le double de ce quil avait perdu. Job, dans tous ses malheurs, ne se plaignait jamais, et il disait: " Dieu me la donné, Dieu me la ôté; que son saint nom soit béni. " 4. Quelquefois Dieu permet ces malheurs pour que nous nous connaissions nous-mêmes, et que nous connaissions aussi linconstance et la fragilité du monde. Tout ce que nous possédons, la vie, la santé, une femme, des enfants, des richesses, les honneurs et les plaisirs du monde, il faut les posséder comme des choses que Dieu nous a prêtées pour notre usage, mail qui ne nous appartiennent pas; nous devons nous en servir en conséquence. Cela est évident, puisque nous ne pouvons rien garder qui soit à nous et qui ne puisse nous être enlevé, excepté la grâce de Dieu. Cette grâce, ni le démon, ni les créatures, ni tous les malheurs ne peuvent nous lenlever, si nous ne le voulons pas. Quand lhomme connaît bien la perfection de la grâce et limperfection du monde et de la vie corporelle, il déteste le monde avec ses délices et sa propre fragilité, qui souvent lui fait perdre la grâce lorsquil aime dune manière sensuelle; et il aime la vertu, qui est le moyen de nous conserver dans la grâce. Vous voyez donc bien que Dieu permet ces choses par amour, afin que nous méprisions généreusement le monde, et que nous cherchions avec une sainte ardeur Les biens éternels. Oui, abandonnons [1484] la terre avec ses corruptions, et cherchons le ciel Nous navons pas été faits pour nous nourrir de terre, mais nous sommes en cette vie, comme des pèlerins pour avancer sans cesse vers notre but, qui est la vie éternelle, au moyen des vraies et solides vertus; et nous ne devons pas noue laisser arrêter sur la route par les joies et les plaisirs que le monde nous offre, ni par ladversité; mais nous devons marcher avec courage, sans nous attarder par des joies déréglées ou limpatience. Nous devons triompher de tous ces obstacles par la patience et la sainte crainte de Dieu. Cette épreuve vous était très nécessaire. Dieu vous a donné le désir de vous délivrer de vos liens, et de purifier votre conscience; le monde vous tirait dun côté, et Dieu de lautre. Maintenant Dieu, par amour pour votre salut, vous a délié; il vous donne la vie, si vous savez la prendre. Il a donné à vos enfanta la vie éternelle, et vous, il vous y appelle par le trésor de la tribulation, non pas pour que vous en soyez privés, mais pour que, pendant le temps qui vous reste, vous reconnaissiez vos fautes et sa bonté. 5. La quatrième chose quil faut avoir pour pouvoir arriver à la vraie patience est celle-ci : considérer nos péchés et nos défauts, combien nous avons offensé Dieu, qui est le bien suprême, infini. La plus petite de nos fautes mérite une peine infinie; nous sommes mille fois dignes de lenfer, et nous devons comprendre combien nous sommes malheureux davoir ainsi offensé notre Créateur. Et quel est le Créateur que nous avons offensé? Cest Celui qui est le bien suprême, et nous ne sommes rien par nous-mêmes, Lêtre et toutes les grâces qui y sont ajoutées, nous les [1485] tenons de lui; et quoique nous soyons malheureux par notre faute, et que nous méritions une peine infinie, sa miséricorde veut bien nous punir en cette vie, parce quen souffrant maintenant avec patience, nous expions et nous méritons, tandis quil nen est pas de même des peines que lâme endure dans lautre vie. Les peines du purgatoire la purifient, mais ne lui acquièrent pas de mérites. Nous devons donc supporter volontiers ces petites épreuves je dis petites, à cause de la brièveté du temps, car la peine nest pas plus longue que la vie. Et combien dure-t-elle, la vie? un instant. La peine est donc bien courte? Elle nest rien lorsquelle est passée ; et pour celle qui nous menace, nous ne sommes pas certains davoir le temps de la souffrir, car nous devons mourir, et nous ne savons pas quand. Nous navons donc à supporter que la peine du moment présent, et pas davantage. 6. Souffrons donc avec une grande joie, car tout bien est récompensé, et toute faute punie. Saint Paul dit que les souffrances de cette vie ne sont pas comparables à la gloire future de lâme qui souffre avec patience. Cest ainsi que vous pourrez acquérir la vertu de la vraie patience. La patience acquise par amour, à la lumière de la très sainte Foi, fera fructifier vos peines: autrement vous perdriez à la fois les biens de la terre et les biens du ciel; vous ne devez pas en douter. Cest pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans la vraie et sainte patience, et je vous conjure de le faire. Souvenez-vous du sang de Jésus crucifié, et toute amertume deviendra douce, tout fardeau deviendra léger. Ne [1486] prétendez pas choisir le lieu et le temps à votre gré; mais soyez content de ce quil plaît à Dieu de vous donner. Jai bien compati à ce qui vous est arrivé, et lépreuve ma semblé bien forte; cest cependant la Providence qui vous lenvoie, et pour votre salut. Je vous prie de prendre courage, et de ne pas vous laisser abattre sous la douce main de Dieu. Je termine en vous disant de savoir apprécier le temps, pendant que vous lavez. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCIX (301).- A ROMAIN, tisseur de lin, de la compagnie du Bigallo, à Florence .- De la persévérance, et de lespoir de la récompense. (Ce fut saint Pierre martyr qui organisa la compagnie du Bigallo pour défendre Florence contre les manichéens. Les membres qui faisaient partie de cette association, après avoir triomphé par les armes, se consacrèrent aux uvres de charité; ils desservaient lhôpital de Santa-Maria del Bigallo. De là leur nom.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de ne te voir jamais détourner la tête en arrière, mais de te voir persévérer dans la [1487] vertu, car tu sais bien que la persévérance seule est couronnée. Tu sais que le Christ tappelle et tinvite aux noces de la vie éternelle; mais il faut y aller revêtu, il faut avoir la robe nuptiale; sans cela, on est chassé de la salle du festin comme un serviteur coupable. Il me semble que la douce Vérité suprême ta envoyé ses messagers pour tinviter aux noces, et pour te revêtir. Ces messagers sont les saintes et bonnes inspirations, les doux et pieux désirs que te donne la clémence du Saint-Esprit ; ce sont ces saintes pensées qui te font fuir le vice, mépriser le monde et ses délices, et arriver aux noces des vraies et solides vertus. Que ton âme se revête damour; cest avec lamour quon entre dans la vie éternelle. Tu vois que les saintes inspirations de Dieu toffrent le vêtement de la vertu; en te le faisant aimer, elles te revêtent et tinvitent aux noces de la vie éternelle. Car après le vêtement de la vertu et de lardente charité, vient la grâce; et après la grâce. la vision de Dieu, où se trouve notre béatitude. Aussi je te conjure par lamour de Jésus crucifié de répondre généreusement et sans retard. Pense que ce nest rien de commencer et de mettre la main à la charrue, comme je lai dit. Les saintes pensées commencent le sillon ; mais cest la persévérance dans la vertu qui lachève. Celui qui laboure tourne la terre; de même lEsprit-Saint retourne la terre de la mauvaise volonté sensitive. 2. Souvent lhomme, séduit par une si douce invitation et un si beau vêtement, cherche, pour mieux travailler sa terre, sil ne trouvera pas une charrue bien tranchante, qui puisse la remuer plus profondément [1488]; et il voit quil est impossible de trouver un instrument meilleur pour briser, couper et arracher notre volonté, que le fer et le joug de la mainte obéissance. Et lorsquil la trouvé, il suit lexemple du Verbe, du Fils de Dieu, et veut, par amour pour lui, être obéissant jusquà la mort. Il ne résiste jamais, et fait comme le sage, qui se laisse conduire par les autres, cest-à-dire par une règle, sans vouloir se gouverner lui-même. Je me souviens que tu mas quittée avec le saint désir et la résolution de répondre à Dieu qui tappelait, et de te soumettre à la sainte obéissance. Je ne sais pas si tu las rais Je te conjure, si tu ne las pas fait, de le faire promptement et généreusement. Hâte-toi de te séparer du monde, et de couper les liens qui ty attachent; ne compte pas sur le temps que tu nes pas sûr davoir, Quelle folie de perdre celui quon a pour celui quon na pas ! Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, cache-toi dans la blessure de son côté, tu y verras le secret de son cur. La douce Vérité nous montre que ce quil fait en nous, il le fait par amour; réponds-lui aussi avec amour. Cest notre Dieu, qui ne veut autre chemin que notre amour, et celui qui aime noffensera Jamais ce quil aime. Courage donc, mon Fils, ne dors plus du sommeil de la négligence. Va bien vite b ton Père, le seigneur Abbé, avec une volonté morte et non vivante; si tu te présentais avec la volonté vivante, je te dirais de ny pas aller; il ne le faudrait ni pour toi ni pour lui Jespère de la volonté de Dieu que tu suivras les traces de Jésus crucifié. Ne cherche pas à dénouer les liens du monde; mais tire le glaive de la haine et de lamour, et coupe [1489] bien vite. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCX (301).- A JEAN PEROTTI, corroyeur, et dame Lippa, ma femme.- Le vêtement dont nous devons nous revêtir est la charité de Jésus-Christ.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et très aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de voir accomplir en vous cette douce parole de lapôtre saint Paul, qui disait Induimini Domirnum nostrum Jesum Christum (Rm 13,14). Revêtez-vous de notre Seigneur Jésus-Christ : cest-à-dire dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de lhomme nouveau, qui est Jésus crucifié, le vrai vêtement qui couvre la nudité de lhomme, et lorne de vertus. O ineffable et chère charité ! qui sest faite notre vêtement, parce que nous avions perdu par le péché la vie de la grâce ! Le feu de la divine charité le transporte, et il est venu, parce que nous avions perdu le vêtement de la grâce; la chaleur de la divine charité et son ardent amour ont réchauffé notre froideur. Il a revêtu [1490] notre humanité, et alors nous avons retrouvé Je vêtement de la grâce, qui ne peut nous être enlevé ni par les démons, ni par les créatures, si nous ny consentons pas nous-mêmes. 2. Oui, je vous conjure, mon Frère et ma Soeur bien-aimés, dêtre pleins de zèle pour prendre ce saint et doux vêtement. Ne soyez pas négligents, afin de ne pas entendre cette parole de reproche: sois maudit, toi qui te laisses mourir de froid et de faim, tandis que le Christ soffre pour être ton vêtement et ta nourriture. Hélas ! quel cur serait assez dur, assez obstiné pour ne pas se dépouiller de toute ignorance, de toute négligence, et se revêtir de ce saint et doux vêtement, qui donne la vie à ceux qui sont morts ! Combien sera heureuse notre âme, quand la douce Vérité suprême nous appellera au doux moment de la mort ! Lâme alors sera dans la joie et lallégresse, en se voyant revêtue du vêtement de la grâce divine, de ce vêtement contre lequel les démons ne peuvent rien, parce que la grâce fortifie et ôte toute faiblesse. Le péché est la seule chose qui affaiblisse lâme. Oh ! combien est mauvais et dangereux le vêtement du péché ! Il faut le fuir par la haine et le mépris, car il est bien nuisible, et Dieu la en horreur. Enflammez-vous donc dun saint désir, et hâtez-vous de prendre ce doux vêtement nuptial de la grâce divine. Lâme doit lavoir pour nêtre pas chassée des noces de la vie éternelle, auxquelles Dieu nous invite, et il noue y a invités sur le bois de la très sainte Croix: Je conjure léternelle et souveraine Vérité de vous faire marcher avec courage, et arriver au but pour lequel vous avez été créés. Et comme [1491]par charité et par amour vous avez revêtu lenfant Jésus (Les petits enfants jésus quon faisait à Lucques étaient très renommés: Jean Perotti, qui était de cette ville, en avait peut-être donné un à sainte Catherine.), il vous revêtira de lui-même, de lhomme nouveau, de Jésus Crucifié. Je vous remercie de tout mon cur. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXI (303).- A JEAN PEROTTI, corroyeur, à Lucques.- De la crainte et de lamour de Dieu. AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et bien-aimé Pus dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un vrai père, nourrissant, conduisant et gouvernant votre famille dans la sainte crainte Dieu. Vous êtes un arbre fertile, et il faut que le fruit qui sort de vous soit bon et vertueux. Vous savez, mon Fils, que larbre, avant de porter du fruit, doit être bon et bien cultivé; je dis de même que votre âme doit être cultivée par la sainte crainte et lamour de Dieu. Et si nous disons : Je ne sais pas comment le faire, voici le Verbe, le Pus de Dieu, qui sest fait notre guide [1492], et qui nous dit: Je suis la vole, la vérité, la vie; celui qui marchera dans cette vole ne peut ségarer mais il produira un fruit de vie. Ce fruit nourrira votre âme, et vos enfants eux-mêmes en goûteront la substance et la douceur. Quelle voie nous a tracée ce doux Maître, lAgneau sans tache? Il nous a tracé la vole de la profonde et véritable humilité, car il était Dieu, et il sest humilié jusquà lhomme. Il a marché au milieu des opprobres, des mauvais traitements, des peines, des fatigues, jusquà la mort honteuse de la Croix. Il a méprisé toutes les délices, les plaisirs, et il a toujours voulu suivre la route la plus humble et la plus délaissée. Et quel fruit a-t-il produit en nous traçant cette route? Quiconque le teut peut le suivre. Ecoutez-le sur le bois de la très sainte Croix, et voyez sil fut jamais un fruit de patience semblable. Les Juifs criaient crucifige, et il disait : " Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font. " 2. O Bonté infinie ! qui non seulement pardonne, mais encore nous excuse devant son Père; Cest un doux Agneau qui ne fit jamais entendre la moindre plainte. Il a produit aussi pour nous le fruit de la charité, car cest lamour ineffable que Dieu a eu pour lhomme qui la attaché et cloué sur la Croix. Les clous et la Croix nauraient pu le retenir, sil ne lavait pas été par les liens de la charité; il fut obéissant à son Père sans penser à lui-même, mais seulement à lhonneur de Dieu, du Père et à notre salut. Cest cette voie, mon doux Fils, que je veux voua voir suivre, afin que vous soyez le vrai père de votre âme et des enfants que Dieu vous a donnés, et que vous croissiez toujours de vertus en vertus. Sachez [1493] que nous nayons aucun moyen de produire par nous-mêmes des fruits de vertu, car nous sommes des arbres sauvages; il faut que nous soyons greffés par lamour et le désir de Dieu sur ce doux arbre de Jésus crucifié, en voyant quil nous a aimés jusquà donner sa vie pour nous. Nous ne pourrons nous empêcher de devenir une même chose avec lui; et alors lâme enivrée damour ne veut pas suivre une autre voie que son Maître. Elle fuit les plaisirs et les consolations du monde, parce quil les a fuis; elle aime la vertu et déteste ce que Dieu déteste. Elle aime la vertu et déteste le vice, et elle préfère mourir quoffenser son Créateur. Elle ne souffrira pas que ses enfants et sa famille loffensent, mais elle les corrige comme un vrai père, et elle fait tout ce quelle peut pour leur faire suivre ses traces. Je vous conjure de vous y appliquer avec zèle. Encouragez et bénissez toute la famille, saluez bien pour moi votre mère et votre femme. Bénissez surtout ma fille; je désire vivement quelle soit lépouse du Christ, et quelle se consacre à lui. Je termine; Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1494].
CCCXII (271).- A SALVI, fils de messire Pierre, orfèvre à Sienne.- La foi sans les uvres est morte.- La foi doit conduire à lamour de Dieu.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fils dans le Christ, le doux. Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir ie serviteur fidèle de Jésus crucifié, ne détournant jamais la tête, ni dans la prospérité ni dans le malheur, mais agissant généreusement avec une foi vive. Sachez bien quautrement la Foi sans les uvres est morte. Laction de la Foi est de nous faire concevoir les vertus par lamour, et produire des fruits par la patience au moyen de notre prochain, en supportant les défauts les uns des autres. Il ne suffirait pas pour notre salut davoir reçu la forme de la Foi avec la grâce divine dans le saint baptême. Cela suffirait au petit enfant, qui mourrait avant davoir la raison; il recevrait la vie éternelle au moyen du sang de lAgneau. Mais lorsque nous sommes parvenus à lâge parfait, il ne nous suffirait pas davoir reçu le saint baptême, si noua ne profitions pas de la lumière de la Foi par rameur. Il en est de nous comme de loeil du corps. Sil est pur et sain, lhomme peut voir; mais sil ne veut pas louvrir, quoiquil puisse le faire et jouir de la lumière avec amour, on peut dire quayant des yeux il nen a [1495] pas. Il en a reçu de la bonté du Créateur; mais il na pas leur vertu par défaut de sa propre volonté, qui refuse de sen servir. On peut donc dire que son regard est mort et quil ne porte pas de fruit. De même, très cher Fils, Dieu dans son infinie bonté nous a donné loeil de lintelligence quil a éclairé de la lumière de la Foi dans le saint baptême, et en même temps le libre arbitre, en nous délivrant des liens du péché originel. Mais dès que nous sommes arrivés à lâge de connaître, Dieu nous demande douvrir loeil quil nous a donné, avec le libre arbitre et lamour de la lumière. 2. Dès que lâme reconnaît en elle cette faculté de voir, elle doit sen servir pour son Créateur. Et comment doit-elle employer la lumière? à voir en Dieu seul lamour; car rien ne peut se faire sans amour, ni spirituellement, ni corporellement. Si je veux aimer les choses sensibles, aussitôt loeil sy fixe pour en jouir. Mais si lhomme veut aimer et servir Dieu, loeil de lintelligence souvre, et le prend pour Objet; il trouve lamour dans lamour: car, en voyant que Dieu laime infiniment, il ne peut sempêcher de laimer, et de lui rendre amour pour amour. Il perd alors lamour sensuel, et conçoit un amour vrai en se voyant créé à limage et à la ressemblance de Dieu, et régénéré à la grâce par le sang de son Fils unique. Son il a trouvé la lumière, et layant trouvée, il a aimé cette lumière, et il ne peut sempêcher de fuir et de haïr ce qui ôté la lumière, et daimer, de désirer ce qui la donne. Alors il sélève avec une foi vive, et conçoit les vertus avec le désir de se revêtir de léternelle et souveraine volonté de Dieu ; car son [1496] intelligence et son cur ont vu, à la lumière de la Foi, que la volonté de Dieu ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. 3. Qui nous montre clairement cette vérité? le Verbe, son Fils unique, qui est venu tout embrasé damour, dans la chair de notre humanité, pour nous manifester par son sang la Volonté du Père et pour laccomplir en nous. Cette douce Volonté nous avait créés pour nous donner la vie éternelle; mais elle ne saccomplissait pas à cause de notre péché, qui nous en avait séparés, et il nous a envoyé mon Fils, pour nous la rendre évidente, en le livrant à la mort honteuse de la Croix. Tout ce quil nous donne, tout ce quil permet nous arrive pour cette fin. pour que nous participions à son éternelle et souveraine beauté. Aussi lâme prudente, qui a ouvert les yeux à la lumière de la Foi, voit aussitôt en toute chose la sainte volonté de Dieu qui ne veut que notre bien, et non la volonté des hommes. 4. Savez-vous ce qui sort de cette lumière? une eau paisible, et sans souillure, que ne troublent jamais ni limpatience dans le malheur, ni les attaques du démon, ni les injures, les persécutions et les mur. mures des hommes. Lâme nest jamais ébranlée; mais elle est ferme, parce quelle a vu que Dieu permet tout pour son bien, pour lui faire atteindre le but pour lequel il la créée. Telle est la voie, et il ny en a pas dautre; Il faut passer à travers les ronces et les épines en suivant Jésus crucifié, qui est la voie, car il a dit quil est la voie, la vérité, la vie. Il suit bien la vérité, celui qui marche dans cette voie, puisquil accomplit en lui la vérité du Père, qui nous [1497] conduit à la fin pour laquelle nous avons été créés. Sil y avait une autre voie, il nous aurait dit que personne ne peut aller au Père que par le Père; il ne la pas dit, parce que, dans le Père, ne se trouve pas la peine, mais dans le Fils, et il faut passer par la voie de la peine; il nous faut donc suivre Jésus crucifié, qui est notre voie et notre règle. Je vous dis encore que cette âme nest pas troublée par la prospérité du monde en sy attachant trop et en la désirant; mais elle en triomphe, elle la méprise en voyant à la lumière de la Foi. que ces choses fragiles passent comme le vent, et quelles ôtent la vie et la lumière de la grâce à celui qui les souhaite et les possède avec un amour déréglé. 5. Celui qui a une foi vivante enfante des uvres vivantes pour lhonneur de Dieu et le salut du prochain. Cest au moyen du prochain que se trouve lamour que nous avons pour Dieu. Notre amour ne peut être utile à Dieu; mais Dieu veut que nous lutilisions pour notre prochain. en supportant ses défauts, en priant pour lui avec compassion et patience, en pardonnant les injures quon nous fait, et en respectant comme nous le devons ses serviteurs. Puisque nous n avons pas dautre moyen, nous pouvons dire que la Foi est morte sans les uvres. Je ne nie pas que la sensualité ne fasse naître bien des obstacles, mais ces obstacles nempêchent pas la perfection; ils laident au contraire, car lâme connaît mieux ses enfants et la bonté de Dieu, qui conserve ma volonté, et lempêche de consentir et de sabandonner aux plaisirs des sens. Au lieu de les aimer, elle les hait et les méprise; elle profite donc [1498] de cette épreuve en acquérant lhumilité par la connaissance delle-même, et la charité par la connaissance de la bonté de Dieu à son égard. Cest parce que je comprends son excellence et sa nécessité pour avoir la vie de la grâce, que je désire vous voir affermi dans la lumière de la Foi vive. Je vous si dit que je désirais vous voir le serviteur fidèle de Jésus crucifié; et je vous conjure de le faire, avec zèle, en secouant le sommeil de la négligence et en ouvrant loeil de lintelligence sur lamour que Dieu vous porte afin que vous accomplissiez en vous sa volonté et mon désir. Je ne vous en dis pas davantage à ce sujet. 6. Je réponds, très cher Fils, aux lettres que vous mavez adressées, et que jai lues avec une joie véritable. Jy ai vu une chose que Dieu avait révélée à une de ses servantes Ceux qui sappellent ses fils se sont scandalisés par une illusion du démon, qui rôde toujours autour deux pour arracher le bon grain que le Saint-Esprit avait semé dans leurs âmes. Les imprudents, qui nétaient pas affermis sur la Pierre vive, nont pas résisté; et comme ils avaient éprouvé du scandale , ils lont aussi semé dans les autres, sous prétexte de vertu et damour. Et maintenant je vous déclare que la volonté de Dieu est que je reste. Javais un grand désir de ne pas offenser Dieu en restant, à cause des murmures et des soupçons dont jétais lobjet, ainsi que mon Père spirituel, frère Raymond. Mais la Vérité, qui ne peut mentir, a rassuré sa servante en lui disant : " Continue à prendre ta nourriture à la table où je tai placée. Je tai placée à la. table de la Croix pour que tu puisses, au milieu des [1499] peines et des murmures, goûter et chercher lhonneur de Dieu et le salut des âmes je tai confié en cet endroit, des âmes pour quelles sortent des mains du démon, pour quelles se réconcilient avec moi et avec le prochain. Achève donc ce que tu as commencé. Cest pour empêcher tant de bien que le démon fait naître tant de mal; mais continue et ne crains rien, je serai pour toi. " Mon âme a été calmée par ces paroles que Dieu disait à ma servante. 7. Je mappliquerai donc à faire le bien pour lhonneur de Dieu, le salut des âmes et lavantage de notre ville. Quoique je le fasse peut-être avec négligence, je me réjouis de suivre les traces de mon Créateur. Je fais le bien, et ils me rendent le mal; je travaille à leur honneur, et ils moutragent; je veux leur vie, et ils veulent ma mort mais cette mort est notre vie, cet outrage notre gloire; la honte est seulement pour celui qui commet la faute. Là où il ny a pas de faute, il ny a pas de honte et de crainte de la peine. Je me confie en notre Seigneur Jésus-Christ, et non dans les hommes. Je continuerai donc, et sils ma donnent des injures et des persécutions, je donnerai des larmes et de continuelles prières, autant que Dieu men fera la grâce. Que le démon le veuille ou non, jemploierai toute ma vie pour lhonneur de Dieu, le salut des âmes, pour le monde entier, et surtout pour ma patrie. Quelle honte pour les citoyens de Sienne de croire et de simaginer que nous nous occupons de politique sur les terres des Salimbeni ou autre part ! 8. Ils se méfient des serviteurs de Dieu, et ils ne craignent rien des méchants; mais ils prophétisent [1500] sans sen apercevoir. Ils font comme Caïphe, qui prophétisait quun seul devait mourir pour le peuple, afin de le sauver. il ne savait pas ce quil disait: mais le Saint-Esprit le savait bien, et prophétisait par ma bouche. De même mes concitoyens croient que, moi et ceux qui maccompagnent, nous tramons des complots; ils disent la vérité sans la connaître, ils prophétisent. Car je neveux pas faire autre chose avec ceux qui sont avec moi; je veux triompher du démon, et lui ôter le pouvoir quil a pris sur lhomme par le péché mortel; je veux ôter la haine de tous les curs, et les réconcilier avec Jésus crucifié et avec le prochain. Ce sont là les complots que nous tramons, et où jentraîne tous ceux qui sont avec moi. Je me plains de notre négligence; nous agissons trop mollement. Et toi, mon doux Fils, toi et tous les autres, je vous conjure de prier Dieu pour que je sois pleine de zèle pour cette uvre et pour tout ce qui peut contribuer à lhonneur de Dieu et au salut des âmes. Je termine. Jaurais encore bien des choses à dire. Le disciple du Christ nest pas celui qui dit: Seigneur, Seigneur, mais celui qui suit ses traces. Encourage François en Jésus-Christ. Le frère Raymond, le pauvre calomnié, se recommande à toi, afin que tu obtiennes de Dieu quil soit bon et patient. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1501].
CCCXIII (306).- A UN HOMME RELIGIEUX de Florence.- Elle le remercie du zèle quil a pour son âme; elle lui dit combien elle craint les illusions du démon.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et très aimé Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante Inutile de Jésus-Christ, je me recommande à vous avec le désir de nous voir unis et transformés dans cette douce et éternelle Vérité qui éloigne de nous toute erreur et tout mensonge. Pour moi, très cher Père, je vous remercie cordialement du saint zèle et de linquiétude que vous avez pour mon âme. Il me semble que vous êtes bien étonné de ce que vous apprenez de mou genre de vie, et je suis certaine que vous navez dautre mobile que le désir de lhonneur de Dieu et de mon salut; vous craignez pour moi les pièges et les illusions du démon. Cette crainte que vous avez, mon Père, au sujet de la nourriture, ne métonne pas (Voir vie de sainte Catherine, Iie p., ch. 5) ; et je vous assure que, si vous lavez, je tremble moi-même, tant je redoute les tromperies du démon; mais je me confie en la bonté de Dieu; et je suis en garde contre moi-même, sachant bien que je ne puis rien en attendre. Vous me demandez si je crois ou si je ne crois pas pouvoir être trompée par le démon; et vous me dites que si je ne le crois pas, cest une [1502] preuve que je le suis. Je vous réponds que, non seulement pour ce fait, qui dépasse les forces naturelles, mais pour toutes mes autres actions, ma faiblesse et la malice du démon me remplissent toujours de crainte; je pense que je puis être dans lerreur, parce que je sais et je vois que le démon a perdu la béatitude, mais non pas lintelligence; et je comprends quavec cette supériorité desprit, il pourrait bien me tromper. Mais aussi je me réfugie et je mappuie sur larbre de la très sainte Croix de Jésus crucifié; je my attache, et je suis persuadée que si jy reste fixée et clouée par lamour et par lhumilité, tous les démons ne pourront rien contre moi, non pas à cause de mes mérites, mais à cause de ceux de Jésus crucifié. 2. Vous mécrivez aussi de demander particulièrement à Dieu de pouvoir manger ; je vous réponds, mon Père, et je vous assure devant Dieu, que jai pris tous les moyens de le faire, et que je mefforce une ou deux fois par jour de prendre de la nourriture; jai prié Dieu sans cesse, je le prie et je le prierai encore de me faire la grâce de vivre comme toutes les autres, si cest sa volonté, car cest aussi la mienne. Je vous assure que souvent, après avoir fait tous mes efforts, jai bien examiné cette infirmité, et jai pensé que Dieu me la donnait, dans sa bonté, pour me corriger du vice de la gourmandise. Je gémis bien de navoir pas eu la force de men corriger par amour. Je ne sais maintenant quel remède employer, et je vous demande de prier léternelle Vérité de me faire la grâce, si cela vaut mieux pour son honneur et le salut de mon âme, de me laisser [1503] prendre de la nourriture, si cela lui plaît. Je suis certaine que la bonté de Dieu ne méprisera pas vos prières. Je vous prie de mécrire le remède que vous connaissez, et pourvu quil honore Dieu, je le ferai volontiers. Je vous prie aussi de ne pas juger légèrement ce que vous navez pas bien examiné devant Dieu. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXIV (300).- A QUELQUUN QUON NE NOMME PAS.- De linfinie bonté de Dieu, et de la haine du péché.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un débiteur loyal, afin que vous vous acquittiez envers votre Créateur. Vous savez que nous sommes tous les débiteurs de Dieu; car, tout ce que nous avons, nous le tenons de sa grâce et de son amour ineffable. Nous ne lui demandons jamais de nous créer; cest lardeur de son amour qui le porte à nous créer à son image et ressemblance, et à nous élever à une telle dignité, que la langue ne peut lexprimer, loeil la voir, et le cur de lhomme la comprendre. Cette dette que nous avons contractée envers lui, Dieu veut que nous [1504] lacquittions en lui rendant amour pour amour. Nest-il pas juste et raisonnable que celui qui se voit aimé, aime aussi de sou côté? Dieu ne pouvait pas nous montrer plus damour quen donnant sa vie pour nous. Il a vu que lhomme avait perdu sa dignité par si faute, et quil sétait engagé à légard du démon, et la souveraine Bonté, pleine damour pour se créature, a voulu la sauver et laffranchir de cet engagement. Elle a envoyé le Verbe son Fils unique, en le condamnant à mort pour rendre à lhomme la vie de la grâce, et le retirer de la prison du péché et des mains du démon. O doux et tendre Fils de Dieu, Verbe ineffable, très douce Charité ! vous avez payé la rançon, vous avez déchiré lobligation souscrite entre lhomme et le démon par le péché; vous nous avez délivrés par le sacrifice de votre corps. Hélas ! Seigneur, qui peut résister à un si ardent amour? Ils résistent, ceux qui, tous les jours, renouvellent cette obligation avec le démon, en ne vous regardant pas,, vous le Christ Jésus, vous lHomme-Dieu, flagellé et abreuvé dépreuves. Hélas ! hélas ! ceux-là font de leur corps une étable danimaux grossiers et sans raison. 2. Hélas ! très cher Frère, ne dormez plus dans la mort du péché mortel. Je vous le dis, la hache est déjà à la racine de larbre: prenez la pelle de la sainte crainte de Dieu, et avec la main de lamour, hâtez-vous denlever les souillures de votre âme et de votre corps. Ne soyez pas votre ennemi, votre bourreau, en vous séparant de votre chef, le Christ, le doux et bon Jésus; plus de souillures, plus de débauches; revenez à votre Créateur, ouvrez les yeux de votre [1505] âme, et voyez lardeur de sa charité, qui vous a supporté et na pas commandé à la terre de souvrir et aux bêtes féroces de vous dévorer; et même la terre vous a donné ses fruits, le soleil sa chaleur et sa lumière; le ciel a continué son mouvement, afin que vous viviez et que vous ayez le temps de vous convertir; et tout cela sest fait par amour. O débiteur aveugle et déloyal! ne tardez donc pas davantage; sacrifiez à Jésus crucifié votre esprit, votre âme, votre corps. Je ne dis pas de vous donner la mort: ce nest pas la vie corporelle quil faut quitter, ce sont les passions sensuelles; il faut que la volonté meure et que la raison vive, en suivant les traces de Jésus crucifié; alors vous acquitterez votre dette. 3. Donnez à Dieu ce qui est à Dieu, et à la terre ce qui est à la terre. À Dieu il faut donner le cur, lâme, toute laffection, sans négligence et avec zèle; toutes vos uvres doivent avoir Dieu pour fondement. Que faut-il donner à la terre, cest-à-dire à la partie sensitive? ce quelle mérite. Et que mérite celui qui tue? de mourir. Il faut donc tuer cette volonté, en flagellant notre chair, en laffligeant, pour lui imposer le joug des saints commandements de Dieu. Et ne voyez-vous pas que la chair est mortelle? Sa beauté passe aussi vite que la fleur séparée de sa tige. Ne vivez plus ainsi, pour lamour de Jésus crucifié, car je vous annonce que Dieu ne souffrira plus de pareilles abominations, une semblable iniquité; si vous ne vous convertissez, sa justice sexercera avec rigueur sur vous. Je vous le dis non seulement Dieu, qui est la pureté même, ne peut voir votre iniquité, mais elle déplaît aux démons, qui se plaisent [1506] aux autres péchés mais qui répugnent au pêché contre nature. Nêtes-vous pas semblable à lanimal grossier? Je vois bien que vous avez une forme humaine mais de cette chair, vous avez fait une fange quhabitent les animaux immondes du vice. Oh ! convertissez-vous donc, pour lamour de Dieu; pensez à votre salut, répondez à Jésus, qui vous appelle. Vous êtes fait pour être un temple où vous devez recevoir Dieu par la grâce, en vivant saintement et en participant au sang de lAgneau, qui lave nos iniquités. 4. Hélas ! hélas ! que je suis malheureuse! je ne puis arrêter mes iniquités et les vôtres. Oh ! combien a été cruelle et impitoyable votre âme ! Et votre passion brutale ne sest pas arrêtée à ce péché contre nature... Oh ! oui, les curs devraient se briser, la terre sentrouvrir, les rochers nous écraser, les loups nous dévorer; ils ne devraient pas supporter cette iniquité, cet outrage à Dieu et à votre âme. Mon Frère, la parole me manque et les forces mabandonnent. Non, ne le faites plus, mettez un terme à vos désordres. Je vous lai dit et je vous le répète, Dieu vous punira si vous ne vous corrigez pas; mais aussi je vous promets que, si vous voulez vous convertir et profiter des instants qui vous sont laissés, Dieu est si bon, si miséricordieux, quil vous pardonnera, vous recevra dans ses bras, vous fera participer au sang de lAgneau, répandu avec tant damour quil ny a pas de pécheur qui ne puisse obtenir miséricorde; car la miséricorde de Dieu est plus grande que nos iniquités, dès que nous voulons changer de vie et rejeter la corruption du péché par la sainte confession, avec le ferme propos de préférer mourir [1507] que de retourner à notre vomissement. De cette manière nous recouvrons la dignité que nous avons perdue par le péché, et nous acquittons la dette que nous devons payer à Dieu. Vous savez bien que, si vous ne la payez pas, vous serez jeté dans une prison plus horrible quon ne peut limaginer; vous savez bien que, quand on ne sacquitte pas par la confession et le regret du péché, il est inutile que dautres cherchent à le faire pour vous. Le débiteur sen va avec les démons, qui sont ses maîtres, et il tombe au fond des enfers. 5. Mon doux Frère dans le Christ, le doux Jésus, je ne veux pas vous voir enseveli dans cette horrible prison, mais je veux vous voir sortir des mains du démon. Je vous en conjure, et je veux vous aider, de la part de Jésus crucifié. Payez votre dette par la sainte confession, avec le regret de loutrage fait à Dieu, et avec la sainte résolution de ne jamais tomber dans de semblables fautes. Souvenez-vous de Jésus crucifié; guérissez le poison de votre chair, en vous rappelant la chair flagellée de Jésus crucifié, de lHomme-Dieu, qui, par lunion de la nature divine avec la nature humaine, a tellement anobli notre chair, quil la élevée au-dessus de tous les churs des anges. Les fils insensés dAdam ne devraient-ils pas rougir de sabandonner à une telle misère, et de souiller ainsi leur dignité ! Contemplez Jésus crucifié, cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié, baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et ne tardez pas; ne comptez pas sur le temps, car le temps ne vous attend pas; et si votre faiblesse vous tourmente, que vôtre raison en fasse bonne justice[1508]. Asseyez-vous sur le tribunal de votre conscience, et ne laissez passer aucun mouvement qui ne soit contrôlé par la sainte et douce pensée de Dieu. Excitez-vous à résister et à ne consentir jamais au péché, ni par pensée ni par action; mais dites-vous: Souffre aujourdhui, mon âme, cette petite peine; résiste et ne consens pas à la tentation : peut-être que demain finira ta vie, et si tu vis encore, tu feras ce que Dieu te fera faire; mais aujourdhui fais cela. Je vous le dis, en agissant de la sorte, votre âme et votre corps, qui sont maintenant profanés, deviendront un temple où Dieu aimera résider par la grâce. Puis, lorsque votre vie sera terminée, vous recevrez pour récompense léternelle vision de Dieu, où la vie est sans mort, et le rassasiement sans dégoût. Ne vous exposez pas à perdre un si grand bien par un délai coupable. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Excusez mon ignorance; je vous ai dit peut-être des choses quil est dur dentendre : excusez-moi; cest le désir et lamour du salut de votre âme qui me lont fait faire, Si je ne vous aimais pas, je ne maffligerais pas de vous voir entre les mains du démon; mais, parce que je vous aime, je ne puis le souffrir. Je veux que vous participiez au sang du Fils de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Douce Marie [1509].
CCCXV (307).- A UN SECULIER QUON NE NOMME PAS.- De la connaissance de soi-même, et lamour envers Dieu.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher et bien-aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir le vrai serviteur de Jésus-Christ et le fidèle observateur de ses commandements, car personne ne peut avoir la vie de la grâce sil ne les accomplit pas. Ainsi donc, très cher frère, je veux que vous ouvriez loeil de votre intelligence sur vous-même pour reconnaître que vous êtes un néant, et. que la seule uvre que vous puissiez vous attribuer est le pêché. Lhomme, en voyant quil nest rien par lui-même, shumilie et reconnaît les bienfaits quil a reçus; et son amour augmente tellement à mesure quil connaît la grandeur de la bonté de Dieu à son égard, quil aimerait mieux mourir que de violer les commandements de son très doux Créateur. La sainte crainte quil en a le conduit à un ardent amour; et cet amour, nous le puisons dans le sang du Fils de Dieu, quil a répandu uniquement pour nous sauver en lavant les souillures du péché. Oh ! quelle chose terrible que le péché l combien il déplaît à Dieu ! Non seulement il ne la pas laissé impuni, mais encore Il en a fait justice sur son propre corps. Quil serait [1510] malheureux celui qui ne voudrait pas venger ce pêché sur lui-même ! 2. Je vous prie, très cher et très doux Frère, de prendre les deux ailes qui vous feront observer les Commandements de Dieu, et qui vous feront ensuite voler jusquà la vie éternelle : laile de la haine, de lhorreur du péché et de lamour-propre, source de tout mal, et laile de lamour de la vertu. Celui qui voit combien la vertu lui est nécessaire, laime, parce quil voit que Dieu veut quil aime la vertus et quil déteste le vice. Oh ! combien il vous sera doux davoir cette vertu, qui délivre de la servitude du démon et donne la liberté, qui délivre de la mort et donne la vie, qui dissipe les ténèbres et donne la lumière ! Et le péché, au contraire, conduit lhomme à toute sorte de malheurs; il faut être plein de zèle, et se hâter demployer avec une sainte ardeur le temps qui vous est accordé à vous et à votre famille. Je vous supplie par lamour de Jésus crucifié, de fixer sur Dieu le regard de votre âme dans toutes vos actions. Oh ! quelle joie et quel bonheur pour votre âme quand viendra le moment où vous appellera la Vérité suprême ! Vous vous verrez entouré de vertu, appuyé sur le bâton de la très sainte Croix, qui fait accomplir les saints commandements de Dieu, et vous entendrez enfin cette douce parole: Viens, mon Fils bien-aimé, posséder le royaume du ciel, parce que tu as eu soin de détacher ton cur des choses du monde, et que tu as élevé ta famille dans ma sainte crainte. Maintenant je te donne le repos parfait, car je récompense toutes les peines que tu as souffertes pour moi. Je najoute rien, mon très cher Frère, si ce [1511] nest que je supplie léternelle Vérité suprême de vous remplir de son éternelle et très douce grâce, afin que vous puissiez croître de vertu en vertu, jusquà être prêt à donner votre vie pour lui. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXVI (3O8). A QUELQUES JEUNES GENS de Florence, fils adoptifs de dom Giovanni.- De la charité, de lunion, de la force et des vertus qui en procèdent. (Ces jeunes gens étaient sans doute les fils spirituels de dom Jean des cellules de Vallombreuse, auquel sont adressées les lettres CXVI et CXVII.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir liés du doux lien de la charité, de telle sorte que ni les démons ni les créatures ne puissent jamais vous séparer. Cest ce doux lien qui unit Dieu à lhomme et lhomme à Dieu, quand la nature divine sunit à la nature humaine; et cest cet amour ineffable qui donna lêtre à lhomme, lorsque Dieu le tira de lui-même en le créant à son Image et ressemblance ; et parce que lâme est faite par pur amour, lamour accorde les puissances de [1512] notre âme, et les lie toutes ensemble. La volonté excite lintelligence à voir, parce quelle veut aimer quelque chose ; et lorsque lintelligence comprend que la volonté veut aimer, si la volonté est raisonnable, elle lui offre pour objet lamour ineffable du Père, qui nous a donné le Verbe, son Fils unique, et lobéissance, lhumilité de ce Fils, qui a supporté avec douceur les peines, les injures, les coups, les mauvais traitements, les outrages, et qui les a soufferts aveu un amour ineffable. Et ce que loeil de lintelligence a vu, sa volonté sy attache. avec un ardent amour et dune main puissante; elle dépose dans sa mémoire le trésor quelle tire de cet amour, et lhomme devient ainsi envers son Créateur reconnaissant des grâces et des dons quil sait avoir reçus de Dieu. Tout ce quil a, il ne la pas par lui-même, car nous ne sommes que néant, et nous ne pouvons nous attribuer que le pêché. 2. Oh ! quelle horrible mort que la faute qui nous prive de la vie ! Lorsque lâme te comprend, elle se revêt damour et dune humilité parfaite; elle trouve et goûte la charité dans la bonté de Dieu, elle voit en elle les dons quelle a reçus et quelle reçoit continuellement. La connaissance quelle a delle-même et du pêché, qui vient de la loi mauvaise, qui se révolte sans cesse en elle contre le Créateur, lui fait concevoir la haine et le mépris de la sensualité; et dans cette haine elle trouve la patience, qui la rend capable de supporter les peines, les mépris, les affronts, la faim, la soif, le froid, le chaud, les tentations et les attaques du démon. Elle méprise et fuit le monde avec tous ses plaisirs; elle embrasse lhumilité, qui [1513] est la nourrice de la charité, et elle souffre tout avec une grande patience, parce que la charité, lamour par excellence, a trouvé lhumilité, qui la nourrit, et la haine de soi-même, qui la sert avec une patience parfaite; elle se venge, et fait justice des ennemis de la divine charité. Ces ennemis sont lamour-propre, qui saime par intérêt, et tout ce quil aime, il laime pour lui et non pour Dieu, ce sont les plaisirs, les louanges, les dignités, les honneurs, les richesses. 3. Quelle vengeance exerce-t-elle? une si douce, que la langue ne saurait le dire. De lamour-propre, qui donne la mort, elle vient à lamour divin, qui donne la vie; des ténèbres, de la haine et du mépris de la vertu, elle arrive à la lumière et à lamour de la vertu, si bien quelle aimerait mieux mourir que de labandonner; elle prend tous les moyens, toutes les voies quelle peut imaginer pour lacquérir et la conserver. Et parce que les plaisirs des sens, les délicatesses du corps, les conversations des méchants lui sont nuisibles, elle les fuit de tout son cur et de toutes ses forces. Elle combat son corps, elle sen venge en le mortifiant par la pénitence, le jeûne, les veilles, la prière, les disciplines, surtout quand elle voit quil en a besoin, cest-à-dire quand la chair veut se révolter contre lesprit. Elle se venge de la volonté propre par la mort; elle la tue, en la soumettant aux commandements de Dieu et aux conseils que le Christ, le Fils unique de Dieu, nous a laissés avec ses commandements; elle se revêt ainsi de son éternelle volonté, et traverse courageusement cette mer orageuse en suivant les traces de Jésus crucifié. Cest là le doux lien [1514] qui lie lâme à son Créateur; cest lui qui a lié Dieu à lhomme et lhomme à Dieu, quand vous, le Père, vous nous avez donné le Verbe, votre Fils, et que vous avez uni la nature divine à la nature humaine. O mes Fils bien-aimés ! ce fut ce lien qui attacha et cloua lHomme-Dieu sur la Croix. Si lamour. ne leût pas retenu, les clous et la Croix nauraient pu le faire. Lamour que le Christ a eu pour lhonneur du Père et pour notre salut, la haine, lhorreur quil a eue du péché, cet amour et cette haine réunis lui ont fait tirer vengeance de nos iniquités, et il les a punies sur son corps par des peines et des tourmente. 4. Ainsi donc lâme qui est liée à Jésus crucifié le suit, et se venge de la partie sensitive pour lhonneur de Dieu, pour son salut et celui du prochain. Elle chasse ses ennemis, les vices et la désobéissance, qui lui a fait offenser son Créateur en violant ses commandements; elle ouvre au contraire et reçoit ses amis. Ces amis sont les vraies et solides vertus inspirées par lamour et la charité parfaite. Un des meilleurs amis que lâme puisse avoir, cest la véritable obéissance; on est humble autant quon est obéissant, et quon observe les saints commandements de Dieu. Lâme se passionne pour cette obéissance, qui consiste à tuer et à détruire sa volonté; et pour la pratiquer davantage, elle veut obéir aux conseils de Jésus-Christ, en prenant dans un Ordre approuvé le joug de la sainte obéissance, Il est certain, mes Enfants, que cest là le parti le plus sûr. Nous avons beau voir des religieux relâchés qui nobservent pas leur règle, la règle est toujours bonne, parce quelle est établie et donnée par lEsprit-Saint [1515]. 5. Si vous croyez donc que Dieu vous appelle à lobéissance, répondez-lui, et ne vous laissez pas arrêter par ces Ordres qui sont tombés dans la tiédeur et le scandale, car il y a beaucoup de monastères dont on a retranché les abus; et si vous voulez entrer en religion, vous ferez bien et vous honorerez Dieu, pourvu que vous preniez un bon guide. Parmi tous les monastères, je vous recommande celui de Saint-Anthime (Voir la lettre CXI). Labbé, comme vous le dira dom Giovanni, est un modèle dhumilité, de pauvreté et de charité; il ne voudrait pas être le plus grand, mais le plus petit. Que Dieu, dans son infinie bonté, dispose tout ce qui sera le plus utile à sa gloire et le plus profitable pour vous. Unissez-vous, unissez-vous ensemble, mes Enfants, par la charité supportez mutuellement vos défauts, afin, que vous soyez toujours unis et jamais séparés dans le Christ, le doux Jésus. Aimez-vous, aimez-vous les uns les autres. Vous savez que cest là le signe que le Christ a laissé à ses disciples, en disant quon ne reconnaît les enfants de Dieu quà lunion de lamour que lhomme a pour le prochain dans la perfection de la charité. Jai éprouvé une grande consolation en apprenant que vous êtes bien unis. Avancez toujours, et ne tournez pas la tête en arrière. Que je puisse parler comme saint Paul, quand il disait à ses disciples quils étaient sa joie, son bonheur, sa couronne. Je vous en conjure, faites en sorte que je puisse le dire aussi. Je termine. Baignez-vous dans le sang da Jésus crucifié, et unissez-vous ensemble par les liens de lamour. Demeurez [1516] dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus,Jésus amour.
CCCXVII (309). - A DES PRISONNIERS le jeudi saint, à Sienne.- De la vraie patience.- Du péché, et de la miséricorde de Dieu, qui a voulu mourir pour nous. ( Cette lettre fut écrite le Jeudi saint, 9 avril 1377)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baignés par un saint désir dans le sang de Jésus crucifié. Cest sur lui quil faut fixer le regard de Votre intelligence; et en le faisant, vous acquerrez la vraie patience. Car le sang de Jésus-Christ nous rappelle nos iniquités, et linfinie miséricorde, la charité de Dieu; ce souvenir nous fait haïr nos défauts et nos péchés; il nous dit aussi aimer la vertu, Et si vous me demandez, très chers Fils, pourquoi ce sang nous rappelle plus particulièrement nos fautes et la miséricorde divine, je vous répondrai Parce que la mort du Fils de Dieu a été causée par nos péchés. 2. Le péché a été cause de la mort du Christ. Le Fils de Dieu navait pas besoin de suivre la voie de la Croix pour entrer dans sa gloire, car le poison du [1517] péché nétait pas en lui, et la vie éternelle lui appartenait ; mais nous, malheureux, nous lavions perdue par nos péchés, et il y avait entre Dieu et nous, une grande guerre. Lhomme sétait affaibli et rendu malade en se révoltant contre son Créateur, et il ne pouvait prendre la médecine amère que nécessitait ma faute. Il fallait que Dieu nous donnât le Verbe, son Fils unique, et son ineffable charité unit la nature divine à la nature humaine, linfini avec le fini, avec notre chair misérable; il est venu souffrir pour nous guérir, notre médecin a été notre Sauveur. Je dis quavec son sang, il a guéri nos iniquités; il nous a donné sa chair en nourriture, et son sang précieux en breuvage. Ce sang est dune si grande douceur, dune si grande suavité, dune telle force, dune telle vertu, quil guérit toutes les infirmités, quil rappelle de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière, car le péché mortel fait tomber lâme dans tous ces malheurs. Le péché nous ôte la grâce et la vie; il nous donne la mort, il obscurcit la lumière de lintelligence, et rend lhomme le serviteur et lesclave du démon: il lui ôte le calme, et il lui cause une crainte déréglée, car le pécheur craint toujours. Celui qui se laisse dominer par le péché a perdu tout pouvoir. Hélas ! combien de maux suivent le péché, combien à cause de lui Dieu permet-il de peines et dangoisses? Toutes ces misères, toutes ces angoisses, le sang de Jésus crucifié les détruit, parce que ce sang lave lâme de ses souillures, en les soumettant à la sainte Confession. Dans ce sang sacquiert la patience; en voyant loffense que nous avons commise contre Dieu, et le remède quil a employé pour nous donner [1518] la vie de la grâce, nous arrivons à la vraie patience. Il est donc bien vrai que Jésus-Christ est un médecin qui nous a donné son sang pour nous guérir. 3. Je dis aussi quil est infirme, cest-à-dire quil a pris notre infirmité en prenant notre faiblesse et notre chair mortelle, et cest sur la chair de son très doux corps quont été punies nos fautes. Il a fait comme la nourrice qui nourrit un enfant malade; elle prend la médecine, parce que lenfant est trop petit et trop faible pour en supporter lamertume, il ne peut prendre que du lait. O doux amour Jésus ! vous avez fait comme la nourrice; vous avez pris la médecine amère, vous avez supporté les peines, les opprobres, les mauvais traitements, les outrages; vous avez été lié, battu, flagellé à la colonne, attaché, cloué à la Croix, abreuvé dinjures et daffronts, tourmenté, dévoré par la soif; et pour tout soulagement on vous a donné par dérision du fiel et du vinaigre; et vous avez tout souffert avec patience, en priant pour ceux qui vous crucifiaient, O amour ineffable ! non seulement vous avez prié pour ceux qui vous crucifiaient, mais vous les. avez excusés en disant: " Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font." O patience qui surpasse toute patience ! Quel est celui qui, au milieu des coups, des supplices, des outrages, de la mort, a jamais pardonné et prié pour ses bourreaux? Vous seul lavez fait, Seigneur. Il est donc bien vrai que vous avez pris la médecine amère pour nous, pauvres enfants malades; et avec votre mort, vous nous avez donné la vie; en goûtant lamertume, vous nous avez rendu la douceur. Vous nous tenez sur votre sein comme la nourrice, et vous nous [1519] donnez le lait de la grâce divine; vous avez pris lamertume pour vous, et nous avons ainsi recouvré la santé. Vous voyez bien quil sest fait malade pour nous. 4. Il sest fait aussi notre champion, et il est descendu sur le champ de bataille; il a combattu et vaincu les démons. Saint Augustin dit quavec sa main désarmée, notre Chevalier a défait nos ennemis; il a chevauché sur le bois de la très sainte Croix. La couronne dépines était son casque, sa chair flagellée sa cuirasse, les clous de ses mains ses gantelets, la lance de son côté le glaive qui vainquit lhomme, et les clous de ses pieds ses éperons. Vous voyez comme il est bien armé notre Chevalier; nous devons le suivre et reprendre courage dans toutes nos épreuves et nos tribulations. Aussi je vous ai dit que le sang du Christ nous rappelle nos pêchés, et nous montre le remède et labondance de la miséricorde divine que nous avons reçue dans son sang. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, car nous ne pouvons autrement participer à sa grâce, ni atteindre la fin pour laquelle nous avons été créés. Vous ne pourriez pas non plus souffrir patiemment votre malheur; car cest dans la mémoire du Sang que toute chose amère devient douce, et tout fardeau devient léger. Je nai pas le temps de vous en dire davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, et souvenez-vous que vous devez mourir, vous ne savez pas quand. Préparez-vous à la confession et à la sainte Communion, afin de pouvoir ressusciter à la grâce avec Jésus-Christ. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXVIII (310).- AU JUIF CONSIGLIO.- Elle lexhorte à se convertir à la vraie foi en recevant le baptême. (Le Juif Consiglio était de Padoue, et vint sétablir à Sienne pour prêter à usure. Les Juifs prêtaient à quatre deniers pour livre par mois. Ils avaient des fortunes si monstrueuses, que le peuple les fit chasser de Florence. Saint Bernardin parla aussi contre eux à Sienne.)
LOUANGE A JESUS-CHRIST CRUCIFIE, FILS DE LA GLORIEUSE VIERGE MARIE 1. Cest à vous, très cher et bien-aimé Frère, racheté comme moi par le sang précieux du Fils de Dieu, cest à vous que jécris, moi, lindigne Catherine. Jésus crucifié et sa douce Mère Marie me forcent de vous prier dabandonner promptement la dureté de votre cur, de quitter les ténèbres de linfidélité pour venir recevoir la grâce du saint baptême; car sans le baptême, nous ne pouvons avoir la grâce de Dieu. Celui qui na pas le baptême ne participe pas au fruit de la sainte Eglise; il est comme un membre corrompu et retranché de la société des fidèles chrétiens, et il passe de la mort corporelle à la mort éternelle; la peine et les ténèbres seront sa juste punition; car il na pas voulu se laver dans leau du saint baptême, et il a méprisé le sang du Fils de Dieu, répandu avec tant damour. 2. O très cher Frère dans le Christ Jésus, ouvrez les yeux de votre intelligence, et regardez son ineffable [1521] charité, qui vous presse par les inspirations saintes quil a mises dans votre cur. Il vous appelle par ses serviteurs, il vous invite à faire la paix avec lui; il oubliera la longue guerre que vous lui avez faite, les injures quil a reçues de vous par votre infidélité. Il est si bon, si doux, notre Dieu, que depuis la loi damour, depuis que son Fils est descendu dans la Vierge Marie, et quil a répandu labondance de son sang sur le bois de la très sainte Croix, nous pouvons recevoir aussi labondance de la divine miséricorde. La loi de Moïse était fondée sur la justice et sur le châtiment; la loi nouvelle, donnée par Jésus crucifié dans lEvangile, est fondée sur lamour et la miséricorde. Dieu est si doux et si bon, pourvu que lhomme revienne à lui avec foi et humilité, pourvu quil croie obtenir la vie éternelle par Jésus-Christ, quil semble quil ne veuille pas se souvenir des offenses que nous lui faisons, quil ne veuille pas nous damner éternellement, mais nous faire toujours miséricorde. Hâtez-vous donc, mon Frère, si vous voulez vous unir à Jésus-Christ; ne dormez plus dans un pareil aveuglement, car Dieu ne veut pas, et je ne veux pas que lheure de la mort vous trouve aveugle. Mon âme désire vous voir arriver à la lumière du saint baptême, comme le cerf altéré désire leau vive. Ne résistez donc plus à lEsprit-Saint" qui vous appelle, et ne méprisez pas lamour qua pour vous Marie, ni les larmes ni les prières qui sont offertes pour vous; ce serait encourir un trop grand châtiment. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je prie Celui qui est la Vérité suprême de vous éclairer, de vous remplir de sa très sainte grâce, et [1522] dexaucer mon désir à votre égard, Consiglio. Je vous écris cette lettre, Consiglio, de la part du Christ Jésus. Louange à Jésus crucifié et à sa très douce Mère, la glorieuse Vierge, notre Dame sainte Marie. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXIX.- A MADAME, épouse de Barnabé Visconti.- De la charité et de limitation de Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle la prie de donner lexemple à son mari, et de le ramener à lobéissance du Souverain Pontife. (Béatrix della Scala femme de Barnabé Visconti, seigneur de Milan, eut de son mariage quatorze enfants, cinq garçons et neuf filles. Les historiens la représentent comme ambitieuse et méchante. Voir la lettre LXXIV, adressée à son mari.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Révérende Mère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement dune ardente charité, afin que vous soyez un moyen, un instrument pour réconcilier votre mari avec le Christ, le doux Jésus, et avec son Vicaire, le Christ de la terre. Je suis persuadée que, si la vertu de la charité est en vous, votre mari ne pourra pas éviter den ressentir la chaleur. La Vérité suprême veut que [1523] vous soyez deux dans un même esprit, une même affection, un même désir; et vous ne le pourrez jamais, si vous navez pas en vous cet amour. 2. Mais vous me dites: Je nai pas cet amour, et sans amour, je nai aucun moyen de réussir. Je vous répondrai que lamour ne sacquiert que par lamour. Celui qui veut être aimé doit dabord aimer, cest-à-dire avoir la volonté daimer; et puis, quand il a cette volonté, il faut quil ouvre loeil de lentendement, et quil voie où et comment se trouve cet amour. Il le trouve en lui-même. Comment? En reconnaissant son néant, en voyant quil nest pas par lui-même, il attribue à Dieu son existence et toutes les grâces qui y sont ajoutées, cest-à-dire toutes les grâces, tous les dons spirituels et temporels que Dieu nous faits. Si nous nétions pas, nous ne pourrions recevoir aucune grâce; et ainsi, tout ce que lhomme possède. il le tient de lineffable bonté et charité de Dieu. Quand lâme a reconnu en elle cette ineffable bonté du Créateur, elle sanime et senflamme tellement de désir, quelle se méprise et quelle méprise le monde, avec toutes ses délices. Et je ne men étonne pas : une des lois de lamour est que, quand la créature se voit aimée, elle aime aussitôt; et quand elle aime, elle aimerait mieux mourir que doffenser celui quelle aime. Elle se nourrit dans le feu de lamour :elle sest vue tant aimée quand elle a reconnu quelle a été le champ et la pierre où fut planté létendard de la très sainte Croix! Vous savez bien que ni la terre ni la pierre nauraient pu fixer la Croix, que ni les clous ni la Croix nauraient pu retenir le Verbe le Fils de Dieu, si lamour ne leût pas attaché. Cest donc [1524] lamour que Dieu a eu pour notre âme qui a été la pierre et les clous qui lont retenu. 3. Voilà le moyen de trouver lamour. Et puis, quand nous avons trouvé le lieu où est lamour, comment faut-il aimer? O très douce et révérende Mère! cest lui qui est la règle, la voie, et il ny en a pas dautres. La voie quil nous enseigne, nous devons la suivre, si nous voulons marcher à la lumière et recevoir la vie de la grâce; il faut avancer au milieu des peines, des opprobres, des mépris, des persécutions, afin de devenir semblables à Jésus crucifié. Cet Agneau sans tache a méprisé les richesses, les honneurs du monde; et quoiquil fût Dieu et homme, comme il était notre règle et notre voie, il nous a enseigné la loi, il la observée et ne la pas transgressée, Il est si humble et si doux quon nentendit jamais sortir de sa bouche la moindre plainte. Il sest sacrifié lui-même, et, dans la générosité de son amour, il sest nourri de notre salut, ne cherchant jamais son intérêt, mais uniquement lhonneur de son Père et le bien des créatures. Il na pas fui les peines, il a été même au-devant delles. Nest-ce pas admirable de voir le bon et doux Jésus, qui gouverne et nourrit lunivers, se trouver dans un tel dénuement, que jamais personne na été pauvre comme lui? Il était si pauvre, que Marie neût pas un linge convenable pour envelopper son Fils; et lorsquil mourut sur la Croix, il navait pas de quoi couvrir sa nudité. Il était nu, parce que le péché nous avait fait perdre le vêtement de la grâce, et il sest dépouillé de la vie pour nous revêtir. Je dis que lâme qui aura trouvé lamour dans laffection de Jésus crucifié aura honte [1525] de marcher par une autre voie que par celle de Jésus crucifié; elle ne recherchera ni les délices, ni les honneurs, ni les magnificences; mais elle sera en cette vie comme un pèlerin qui ne pense quà atteindre le terme de son voyage. Sil est sage, il ne se laisse retarder ni par la prospérité ni par ladversité quil rencontre, mais il avance toujours généreusement vers le but quil aime et quil espère. 4. Faites de même, très douce Mère et Soeur dans le Christ, le doux Jésus. Je ne veux pas que vous vous arrêtiez aux grandes richesses que vous avez, aux honneurs, aux jouissances plus quaux malheurs et aux tribulations qui peuvent venir. Que ni la peine ni le plaisir ne ,vous détournent, mais courez généreusement dans cette voie, naimant que la vertu, et vous réjouissant de souffrir, comme Jésus crucifié vous la si doucement appris. Usez des choses du monde par nécessité, et non pas avec un attachement déréglé, qui déplairait trop à Dieu. Si vous mettiez votre amour en quelque chose qui est moins que vous, ce serait perdre votre dignité, car la créature devient la même chose que ce quelle aime. Si jaime le péché, qui est un néant, je deviens un néant, et je ne puis mavilir davantage, car le péché consiste uniquement à aimer ce que Dieu déteste, et à détester ce que Dieu aime. En aimant les choses passagères du monde, et en saimant dun amour sensitif, on pèche; et cest une chose que Dieu hait et qui lui déplaît tant, quil a voulu en faire justice et la punir sur son corps. Il est devenu lenclume où il a travaillé nos iniquités. Quelle misère et quel aveuglement de la créature, créée à [1526] limage et ressemblance divine, régénérée à la grâce quelle avait perdue par le péché mortel, et rétablie dans sa beauté première par les flots du sang de Jésus-Christ ! Elle est si aveugle, quelle abandonne cet amour qui lavait anoblie avec tant de bonté, et quelle se met à. aimer les choses qui sont hors de Dieu; elle séloigne de lui pour aimer les choses créées, pour saimer elle-même sans lui. Et ce ne sont pas les grandeurs et les délices du monde, ni les créatures, qui sont condamnables; cest lamour que lâme y place, en violant par cet attachement le doux commandement de Dieu. 5. Mais, au contraire, quand lâme se détache delle-même et place tout son amour en Jésus crucifié, elle sélève à la plus haute dignité quelle puisse atteindre, puisquelle devient une même chose avec son Créateur; et quy a-t-il de meilleur que dêtre uni à Celui qui est le Bien suprême! Elle ne peut sattribuer cette grandeur, cette dignité ,mais elle lattribue à lamour de Dieu. Une servante qui serait choisie pour épouse par un empereur, aussitôt quelle serait unie à lui deviendrait impératrice, non pas par elle-même, puisquelle était servante, mais par la puissance de lempereur. De même, très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, pensez que lâme qui aime Dieu, de servante quelle était, desclave rachetée par le sang du sang du Fils de Dieu, devient tellement élevée en dignité quon ne peut plus lappeler servante, mais impératrice, épouse de lEmpereur éternel. La Vérité suprême ne la-t-elle pas dit? servir Dieu, ce nest pas être esclave, cest régner; car cest être affranchi de la servitude du péché, cest devenir libre. Elle est [1527] donc bien puissante, cette union de lamour et de la vertu, qui à la noblesse de la créature ajoute encore la noblesse du Créateur! Lâme, en se détachant delle-même, se dépouille du vieil homme, et se revêt de lhomme nouveau, du Christ, le doux Jésus; elle devient capable de recevoir, de posséder la grâce qui lui fait goûter Dieu en cette vie et en lautre; enfin elle jouit de son éternelle vision, où elle trouve la paix. le repos parfait, car tous ses désirs sont remplis. En cette vie, elle ne peut avoir la paix, parce que son désir nest pas satisfait tant quelle nest pas parvenue à lunion de la divine Essence; elle a seulement faim et désir pendant tout son pèlerinage. Elle désire suivre la voie droite, elle a faim darriver au terme, au but, et son désir la fait courir dans la voie tracée par Jésus crucifié, dont nous avons parlé; si elle naimait pas sa fin, cest-à-dire Dieu, elle ne chercherait pas à connaître la voie. 6. Je voudrais donc vous voir augmenter le saint et vrai désir de suivre cette voie, qui doit vous conduire au terme. Apprenez quelle nest pas incertaine, ténébreuse, pleine dépines ; cest une route lumineuse et arrosée du sang de Jésus-Christ, qui est la vraie lumière. Elle na pas dépines, mais elle est pleine de fleurs parfumées et de fruits délicieux; si bien que la créature qui a commencé à suivre cette douce voie, y trouve tant de douceur, quelle aimerait mieux mourir que de la quitter. On rencontre bien en cette voie, des épines, les épines nombreuses de la tribulation, les illusions du démon, le monde avec les tourments de lorgueil, mais lâme qui se plaît en cette voie ne sen inquiète pas, elle fait comme celui [1528] qui trouve un rosier : il cueille la rose, et laisse lépine. Elle fait de même pour les tribulations et les angoisses du monde; elle les laisse derrière elle, et cueille la rose parfumée de la vraie et sainte patience, en fixant le regard de son intelligence sur le sang de lAgneau, qui donne la vie et nous trace le chemin. Courez donc, ma Mère, courons tous, chrétiens fidèles, attirés par lodeur de ce sang ! Nous nous enivrerons, nous serons consumés et brûlés par la douce charité de Dieu, et nous deviendrons une même chose avec lui; nous ferons comme celui qui, dans son ivresse, ne pense plus à lui, mais à la liqueur quil a bue et qui lui reste à boire. Enivrez-vous du sang de Jésus crucifié, puisque vous le pouvez; ne vous laissez pas mourir de soif; nen prenez pas un peu, mais beaucoup, pour vous enivrer et vous perdre vous-même. 7. Ne vous aimez pas pour vous, mais pour Dieu; naimez pas la créature pour la créature, mais seulement pour lhonneur et la gloire du nom de Dieu;. naimez pas Dieu pour vous, pour votre utilité, mais aimez Dieu pour Dieu, parce quil est la Bonté suprême, si digne dêtre aimée. Alors votre amour sera parfait, et non mercenaire. Vous ne pourrez penser quà Jésus crucifié, à la liqueur que vous avez bue, cest-à-dire à la charité parfaite que Dieu vous a témoignée avant la création du monde, en vous aimant avant que vous fussiez; car, sil ne vous avait point aimée, il ne vous eût pas créée; mais il vous a vue en lui-même par amour, et il a voulu vous donner lêtre. Alors toutes vos pensées seront fixées dans cette charité, et vous penserez à ce qui doit vous [1529] désaltérer; vous désirerez ardemment voir et goûter léternelle et suprême beauté de Dieu. Nous savons maintenant le lieu où se repose lamour, et où lâme trouve le moyen quil faut prendre pour lacquérir. Je vous en conjure par lamour de Jésus crucifié, ne soyez pas négligente, mais hâtez-vous daller dans ce lieu, et de suivre cette voie qui vous est montrée. En le faisant, vous accomplirez en vous le désir et la volonté de Dieu, qui ne cherche et ne veut que votre sanctification. 8. Vous apaiserez aussi mon désir; car moi, pauvre misérable, remplie de péchés et diniquités, jai faim de votre salut ; je le veux pour vous, et afin que vous soyez aussi pour votre mari un moyen de le conduire à la vertu, et de lui faire suivre la voie de la vérité. Invitez-le, engagez-le autant que vous le pourrez à être le vrai fils et le serviteur de Jésus crucifié par son obéissance au Saint-Père, qui le représente. Non, quil ne se révolte plus contre lui. Père et Mère bien-aimés, soyez unis dans une même Volonté, un même esprit. Ne comptez pas sur le temps, car le temps nattend pas. Pensez, pensez que loeil de Dieu est fixé sur vous, et que personne ne peut échapper à ses regards cest votre Dieu, qui na pas besoin de vous; il nous a aimés avant, que nous laimions, et il sest. donné lui-même à nous par la grâce, et non par obligation. Je ne veux pas que vous méconnaissiez un si grand bienfait, mais que vous soyez pleine de reconnaissance,. en répondant à la grâce et à la clémence du Saint-Esprit. Je vous prie délever et de nourrir vos enfants dans la crainte de Dieu. Ne vous inquiétez pas de leur corps, mais du salut de leur [1530] âme vous savez que Dieu vous en demandera compte au dernier jour. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez à mon ignorance si je vous ai importunée; mais jai faim et soif de votre salut plus que je ne pourrais le dire. Votre fidèle serviteur est venu de votre part, et ma dit de vive voix ce dont vous laviez chargé, et jen ai été bien heureuse. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXX.- MADAME NIERA, de Gérard Gambacorti, à Pise.- Combien lamour des créatures est dangereux, et combien lamour de Dieu est doux et utile. (Le nom de Niéri ou Niera vient de celui de saint Ranier, protecteur de Pise. Gérard Gambacorti était frère de Pierre Gambacorti, dont nous avons parlé à la lettre LXXV.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement de la charité divine, du véritable et parfait amour, tellement que tout autre amour sorte de votre cur, parce que lâme ne peut être revêtue de deux amours. Si elle a celui du monde, elle ne peut avoir celui de Dieu; car lun est lennemi de lautre. Lamour quon [1531] a pour le monde fait, quon saime dun amour sensitif, et quon recherche sans cesse les honneurs, la puissance, les richesses, les plaisirs, les délices, les consolations sensibles; et ces jouissances conduisent lâme à la mort éternelle. Celui qui aime le monde et ses plaisirs dune manière déréglée, est toujours enraciné dans lorgueil, et de lorgueil naissent tous les vices. Oh ! quel malheur sattire celui qui se perd dans les soucis coupables du monde ! il acquiert la mort en perdant la vie de la grâce; il ségare dans les ténèbres en perdant la lumière, et il tombe dans la triste servitude du péché; il devient esclave, et esclave du néant. Il ne peut y avoir un sort plus déplorable; lâme se perd elle-même et se livre entre les mains de ses ennemis. 2. Je ne veux pas quil en soit ainsi, très chère Fille, et vous, mon Fils Gérard; mais je veux quavec un saint et vrai zèle vous dépouilliez votre cur de cet amour coupable, et que vous le revêtiez de lamour de Jésus crucifié, dans une parfaite et ardente charité, restant toujours dans lamour et la dilection de votre prochain. Cet amour est plein de joie et de douceur, il nourrit et remplit lâme de vertu; il ouvre loeil de lintelligence, et le fixe sur Jésus crucifié et sur son amour ineffable. Lâme alors sembrase damour, et sempresse de suivre les traces du Christ, en sattachant toujours à la vertu, en lui ressemblant dans les épreuves par la patience, et dans la prospérité, les plaisirs de la terre, les dignités, les grandeurs, par le dégoût, méprisant, avec Jésus-Christ, toutes les jouissances du monde. Lâme ainsi revêtue damour le fuit avec un maint et vrai zèle. Voilà ce que fait le [1532] saint et divin amour; cest là le vêtement nuptial quil faut avoir, parce que nous sommes invités aux noces de la vie éternelle. Cest pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir revêtue du véritable et parfait amour, afin que vous puissiez pleinement satisfaire la volonté de Dieu et mon désir. Dieu ne cherche et ne veut que votre sanctification. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Dans ce sang vous trouverez le feu de lamour; dans ce sang se lavent nos iniquités. Cest ce que fait le représentant de Jésus-Christ, lorsquil absout notre âme dans la confession; il ne fait pas autre chose que de jeter le sang du Christ sur notre tête. 3. Dites à Gérard que voici le temps favorable; pour vivre il ne faut pas mépriser ce sang, et il ignore combien il doit vivre et quand il doit mourir. Quil se débarrasse de la corruption de ses pêchés par une bonne et sainte confession; il ne pourrait pas autrement participer à la grâce divine. Je vous en conjure, mon Fils et ma Fille, par lamour de Jésus-Christ, que lamour de vos enfants et de vous-mêmes, que les jouissances du monde ne vous éloignent jamais de ce que vous devez faire. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1533].
CCCXXI.- A MADAME NIERA, de Gérard Gambacorti, à Pise.- De la confiance que nous devons avoir en Dieu seul, et des fruits quelle produit.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la servante et la fille fidèle du Père. Vous savez que lamour est ce qui rend fidèle; on na confiance quen ce quon aime. Aussi nous voyons les vrais serviteurs. de Dieu, à cause de lamour quils ont pour leur Créateur, perdre toute confiance et toute espérance en eux-mêmes; ils ne comptent pas sur leur vertu et leur savoir, mais ils reconnaissent leur néant; ils rapportent tout ce quils ont à Dieu, qui le leur a donné par grâce, et non par obligation. Ceux qui aiment avec foi ont une foi vive; elle nest pas morte, et produit de douces et saintes, uvres. Quelles sont les uvres qui montrent cette foi vive fondée. sur le véritable amour? la patience contre linjure ou contre les peines, de quelque manière que Dieu nous les envoie; la charité divine contre lamour sensuel de nous-mêmes; lhumilité contre lorgueil que font naître dans lhomme le rang, les délices, les honneurs et les plaisirs du monde. Cette humilité méprise le monde avec toutes ses pompes; mais personne ne peut lavoir sil ne reconnaît [1535] pas son néant, et sil ne voit pas que Dieu sest humilié jusquà lhomme. Lorsque lâme considère que la souveraine Grandeur sest abaissée jusquà notre humanité, elle rougit de son orgueil à la vue dun Dieu si humilié. Ce sont les fruits produits par la foi vive quelle place uniquement en son Créateur. 2. Ceux qui possèdent et goûtent Dieu en vérité ne souffrent pas des peines et des tourments quils éprouvent, parce quils croient fermement que Dieu ne cherche, ne veut et ne permet rien que pour notre sanctification. Tout cela vient de lamour, car sans lamour la foi nexisterait pas. Voyez, au contraire, ceux qui ont placé leurs affections dans le monde: ils mettent toute leur foi, toute leur espérance en eux et dans le monde, et ils sont toujours dans la peine et le chagrin, parce quils mettent leur âme dans une chose qui nest pas ferme et stable, et ils se trouvent ainsi trompés. Quelle sûreté présentent un père, une mère, les honneurs, les richesses, la puissance? aucune, car tout cela passe comme le vent; ils vivent aujourdhui, et demain ils seront. morts; de bien portants ils deviennent malades, et de riches, pauvres; ils mettent leur bonheur dans leurs enfants, et ils les perdent. Ils souffrent, parce quils placent leur amour et leur désir dans des choses incapables de les satisfaire, parce quils ne peuvent posséder ce quils aiment. Aussi je ne veux pas, ma très douce Fille, que vous placiez votre affection, votre foi, votre espérance en vous et dans ce qui est corruptible; mais je veux que vous vous donniez tout entière à servir le Christ, le doux Jésus, où se trouvent tout bonheur, toute consolation. Cest là que lâme senivre [1535] du sang de lAgneau sans tache, quelle senflamme et se consume dans le feu dune ardente charité; et elle y reçoit tant de force, que ni le démon ni les créatures ne peuvent lui ravir son bien. Cachez-vous donc dans les plaies de Jésus crucifié, placez votre affection, votre foi, votre espérance en Jésus crucifié, et avec ce doux et tendre Agneau, vous traverserez cette vie ténébreuse, et vous arriverez à la vie éternelle, où les âmes goûtent le bonheur parfait. Je ne veux pas vous en dire davantage. 3. Quant à ce que vous me dites de létablissement de votre Fils, je vous répondrai que vous vous arrêtiez, non pas à la fortune et à la naissance, mais seulement à la vertu et au mérite de la jeune fille (Niera eut deux fils, Lotto, qui fut archevêque de Pise en 1382, et Jean, qui rétablit la fortune de sa famille en 1406.). Lorsque vous aurez trouvé cela, allez en toute assurance. Ce que vous faites, faites-le avec la crainte de Dieu, en fixant toujours sur lui les regards de votre âme. Bénissez et encouragez Gérard dans le Christ, le doux Jésus; dites à Gérard que je me plaindrai de lui à Jésus crucifié, parce quil na pas fait ce que doit faire tout fidèle chrétien. Dites-lui de ne pas attendre le dernier jour de sa vie, car il ne sait quand et comment il mourra. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1536] .
CCCXXII.- A MADAME TORA, fille de messire Pierre Gambacorti, de Pise.- Elle lexhorte à être la vraie servante et épouse de Jésus-Christ, en renonçant à tout amour des créatures. (Tora est le diminutif de Théodora ou de Victoria. Cette fille de Gambacorti avait été fiancée très jeune à Simon de Massa; elle devint veuve à lâge de quinze ans. Elle entre dans lordre de Saint-Dominique, et fut béatitiée sous le nom de bienheureuse Claire de Gambacorti; sa fête se célèbre le 17 avril.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très cher Fille dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir la vraie servante et épouse de Jésus crucifié, si bien que son amour te rende insupportables le monde et ses délices, parce quon ny trouve aucune force, aucune stabilité. Tu sais bien, ma Fille, que cest la vérité. Le monde ta montré ses magnificences et ses plaisirs; mais tu sais maintenant combien ses joies sont vaines et misérables; elles engendrent la tristesse et lamertume dans lâme qui les possède dune manière déréglée; elles ôtent la vie et donnent la mort, et lâme tombe dans une affreuse misère et pauvreté. Il faut donc les fuir; il faut haïr la sensualité et lu plaisirs du monde, les mépriser de tout son cur, de toutes ses forces, et se [1537] consacrer entièrement a" service de notre très doux Créateur. Le servir nest pas être esclave, cest régner, car cest devenir tout puissant dans la vie éternelle, et dans celle-ci cest devenir libre. Lâme est affranchie des liens du péché mortel, de lamour du monde et de la sensualité. La raison devient maîtresse; elle règne sur le monde, quelle dédaigne, car personne ne peut le posséder quen le méprisant parfaitement. 2. Lâme ne serait-elle pas bien insensée si, pouvant être libre et épouse, elle se faisait servante et esclave en se livrant encore au démon, en devenant adultère? Oui, assurément, et cest pourtant ce que fait lâme affranchie de la servitude du démon, rachetée par le sang de Jésus crucifié, non pas avec de lor et de largent, mais avec ce sang; elle savilit, elle méconnaît sa dignité, elle méprise et foule aux pieds ce sang qui la rachetée avec un si ardent amour. Dieu lavait rendue lépouse du Verbe, son Fils, et le doux Jésus la épousée avec sa chair dans la Circoncision; il a donné un anneau de sa chair pour preuve quil voulait être lépoux de lhumanité. Et lâme aime quelque chose hors de lui, ou son père, ou sa mère, ses surs, ses frères, des parents, des richesses, des honneurs du monde, elle devient adultère; elle cesse dêtre lépouse fidèle de son Epoux, car une véritable épouse naime que son époux, et naime rien qui puisse être contre sa volonté. Cest ce que devrait faire la véritable épouse du Christ. Elle devrait laimer uniquement de tout son cur, de toute son âme, de toutes ses forces, et détester tout ce quil déteste, le vice, le péché quil a tellement en [1538] horreur, quil a voulu le punir sur son propre corps pour nous sauver; elle devrait aimer tout ce quil aime, cest-à-dire les vertus qui sexercent par la charité du prochain en le servant autant que possible dans ses besoins avec une affection fraternelle. 3. Oui, je veux que tu sois une servante fidèle, et Je ne veux pas que tu sois sans époux. Jai appris que Dieu avait appelé à lui ton époux. Si cest pour le bien de son âme, je suis contente quil ait atteint le but pour lequel il avait été créé; mais puisque Dieu ta délivrée du monde, je veux te lier à lui, et te faire épouser Jésus crucifié avec lanneau de la très sainte Foi. Je ne veux pas te vêtir de deuil, cest-à-dire du noir de lamour-propre et des plaisirs du monde, mais du blanc de la pureté, en conservant ton esprit et ton corps dans létat de continence. Tu couvriras cette pureté du manteau pourpre de la charité de Dieu, avec lagrafe de lhumilité parfaite, avec les ornements des vraies et solides vertus, avec lhumble et continuelle prière, sans laquelle il est impossible dacquérir aucune vertu. Lave souvent la face de ton âme avec la confession et la contrition du cur; ce sera un parfum dagréable odeur, qui te fera plaire à ton Epoux, le Christ béni. Et ainsi parée, va tasseoir à la table de lAutel pour y recevoir la nourriture des anges, le Pain vivant qui donne la vie, quand viendra le temps, comme à Pâques, aux fêtes de la douce Marie, et, selon que Dieu, ty préparera, pour les autres fêtes solennelles. Réjouis-toi de te trouver sans cesse à la table de la très sainte Croix; et là, cache-toi, renferme-toi dans la douce chambre nuptiale, cest-à-dire dans le côté de Jésus crucifié, où tu [1539] pourras te baigner dans son sang, quil a répandu pour laver la lèpre de ton âme. Là, tu sauras le secret de son cur; il te montre par la blessure de son côté, quil ta aimé et quil taime dun amour ineffable. 4. Pense que ce doux Epoux est très jaloux de ton âme, et que, sil voit son épouse séloigner un peu de lui, il labandonne et lui retire ses grâces et sa douceur. Je veux donc que tu évites la conversation des gens du monde autant que tu le pourras, afin de ne pas faire des choses qui éloignent de toi ton Epoux. Aime à rester dans ta cellule, et prends garde de perdre le temps, car il ten sera maintenant demandé un compte plus sévère quautrefois; mais applique. toi sans cesse à la prière, à la lecture, à quelque ouvrage manuel pour ne pas tomber dans loisiveté, qui serait bien dangereuse. Combats généreusement et sans crainte, et repousse tous les coups avec le bouclier de la très sainte Foi. en mettant toute ta confiance dans le Christ, ton Epoux, qui combattra pour toi. Je sais que tu vas avoir, ou peut-être, pour parler plus juste, que tu as à soutenir déjà de grands combats contre le démon qui trouble ton âme de bien des pensées; les créatures ne te feront pas moins souffrir, et peut-être davantage. Je sais quon te dira que tu es bien jeune, et quil nest pas convenable que tu restes dans cet état, comme si cétait une honte pour ces ignorants et ces aveugles de ne pas te rattacher au monde. Mais sois forte et constante en tappuyant sur la Pierre vives, et ronge qui si Dieu est pour toi, personne ne pourra rien contre toi. Nécoute ni le démon ni les créatures, qui te conseillent [1540] des choses opposées à Dieu, à sa volonté et au saint état de continence; mets ta confiance en Jésus crucifié, qui te fera traverser cette mer orageuse, et tu arriveras à cette mer pacifique, où la paix nest jamais troublée. Afin de te conduire plus sûrement au port de la vie éternelle, je te conseillerais pour ton bien dentrer dans la barque de la sainte obéissance, parce que cest la voie la plus sûre et la plus parfaite; elle fait avancer lâme sur cette mer, non pas avec ses forces, mais avec celles de lOrdre. Je te prie dy penser sérieusement, afin que tu Sois plus capable dêtre la servante et lépouse de Jésus crucifié. Car le servir, cest régner; et pour te voir régner et vivre dans la grâce, je tai dit que je désirais te voir la vraie servante et épouse de Jésus crucifié. Fais preuve dune bonne et sainte patience en cette occasion et dans tout ce qui pourrait tarriver. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXXIII.- A MADAME TORA, fille de messire Pierre Gambacorti, à Pise.- De linstabilité du monde. De la prière et de ses effets.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans Le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs [1541] de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de voir ton cur et ton affection détachés du monde et de toi-même tu ne pourras pas autrement te revêtir de Jésus crucifié; car le monde na aucun rapport avec Dieu. Le cur attaché au monde aime lorgueil, Dieu aime lhumilité. Le monde recherche les honneurs, la fortune, la puissance, et le Christ béni les a méprisés, choisissant les opprobres, la honte, les affronts, les injures, la faim, la soif, le froid, le chaud, et jusquà la mort honteuse de la Croix; cest cette mort qui a rendu honneur à son Père, et qui nous a fait renaître à la grâce. Lamour déréglé cherche à plaire aux créatures sans craindre. de déplaire au Créateur; et lui na jamais cherché autre chose que dobéir à son Père pour notre salut; il a embrassé et revêtu la pauvreté Volontaire, et le monde cherche les grandes richesses. Lun est donc bien différent de lautre; et nécessairement si le cur est dépouillé du monde, il est plein de Dieu; sil est vide de Dieu, il est plein du monde. Notre Sauveur la dit: Nul ne peut servir deux maîtres; sil sert lun, il méprisera lautre. Nous devons donc avec un grand zèle détacher notre cur et notre affection de ce monde tyrannique, et le donner librement et sincèrement tout à Dieu, sans partage, sans réserve, sans faux amour, parce que cest notre Dieu, qui nous regarde, et qui voit les secrets les plus cachés de notre cur. 2. Quelle serait notre folie, notre erreur si, sachant que Dieu nous regarde et quil est un juge juste, qui punit toutes les fautes et récompense toutes les vertus, nous étions assez aveugles pour attendre sans [1542] crainte le temps que nous navons pas, et que nous ne sommes pas sûrs davoir. Nous différons toujours, et si Dieu nous présente une chose, nous en prenons une autre; nous craignons beaucoup plus de perdre les biens qui passent et les créatures, que nous ne noua inquiétons de perdre Dieu lui-même. Tout cela vient de lamour déréglé que nous avons mis en ces choses que nous gardons et possédons en dehors de la volonté de Dieu. Aussi nous goûtons, dès cette vie, les arrhes de lenfer. Dieu permet justement que celui qui aime ces choses avec un amour déréglé, devienne insupportable à lui-même, et soit toujours en guerre dans son âme et dans son corps. Il souffre de ce quil possède, parce quil a peur de le perdre; et pour le conserver, il se fatigue le jour et la nuit; il souffre aussi de ce quil na pas, parce quil désire lavoir, et ainsi jamais lâme nest calme au milieu des choses de ce monde, parce que ces choses sont moindres quelle. Elles sont faites pour nous, et non pas nous pour elles; nous sommes faits pour Dieu, pour jouir de léternel et souverain Bien. Dieu seul donc peu: satisfaire lâme; cest en lui quelle trouve sa paix, son repos, car elle ne peut désirer et vouloir quelque chose quelle ne trouve pas en Dieu. Dieu sait, peut et veut nous donner plus que nous ne savons désirer pour notre salut. Nous lavons éprouvé, car non seulement il nous donne ce que nous lui demandons, mais encore il nous a donné avant que nous fussions. Sans que nous len prions, il nous a créés à son image et à sa ressemblance, et il nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils. Aussi lâme trouve sa paix en lui seulement, car il est la suprême [1543] Richesse, la suprême Sagesse, la suprême Bonté, la suprême Beauté, tellement que personne ne peut comprendre sa bonté, sa grandeur, sa félicité, si ce nest lui-même; et il sait, il peut, il veut satisfaire et combler les saints désirs de ceux qui veulent se dépouiller du monde et se revêtir de lui. Je veux donc que nous mettions tout notre soin, tous nos efforts à dépouiller notre cur de toutes les choses de la terre et de toutes les créatures, aimant tout le morde en Dieu et pour Dieu, et rien en dehors de lui. 3. Oui, ma très douce Fille, je tengage à placer et à affermir ton cur et ton esprit en Jésus crucifié. Cherche-le, pense à lui, que ton bonheur soit dêtre toujours devant Dieu par une humble et continuelle prière: cest là le principal exercice que je te recommande. Consacres-y Je plus de temps que tu pourras, car la prière est une mère qui, par lamour de Dieu, conçoit les vraies vertus et les enfante par la charité du prochain. Dans la prière, lâme apprend à se dépouiller elle-même et à se revêtir du Christ. Par elle tu goûteras le parfum de la continence, tu acquerras une force si grande, que tu ne craindras plus les attaques du démon, les révoltes de la chair fragile et la langue des créatures, qui veulent téloigner de tes saintes résolutions; contre tous ces ennemis, tu seras forte, constante et persévérante jusquà la mort. Dans la prière, tu trouveras lamour des souffrances, qui te rendra conforme à Jésus crucifié; tu trouveras une lumière surnaturelle, qui téclairera dans le chemin de la vérité. Jaurais bien dautres chose à te dire sur cette mère, sur la prière mais le peu de temps que jai ne me le permet pas. Applique-toi [1544] donc à la prière, et fais toujours tous tes efforts pour te connaître, pour connaître tes défauts, la grande bonté de Dieu à ton égard, lardeur de an charité et ses bienfaits infinis. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXXIV.- A MADAME JACQUELINE, femme de messire Trinci de Foligno.- De la patience.- Des motifs et des moyens pour acquérir cotte vertu.- Elle la console de la perte de son mari, mort au service de lEglise. (Cette dame était femme de Trinci des Trinci, seigneur de Foligno, auquel est adressée la lettre LXXVI) AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Sur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience; car je pense que lâme ne peut plaire à Dieu ni rester dans an grâce sans la vertu de patience, parce que, dès quelle est impatiente, elle est privée de la grâce de Dieu. Limpatience procède de lamour de soi-même; elle est revêtue de la volonté sensitive, et lamour-propre, et la sensualité ne peuvent être en Dieu. Vous voyez donc bien que lâme [1545] qui est impatiente est privée de Dieu. " Il est impossible, dit le Christ, que lhomme puisse servir deux maîtres; sil sert lun, il méprisera lautre, car ils sont opposés. " Le monde et Dieu nont aucun rapport ensemble ; les serviteurs du monde et les serviteurs de Dieu sont aussi différents. Celui qui sert le monde ne se plaît que dans lamour sensuel et déréglé des plaisirs, des richesses, des honneurs, de la puissance, de toutes les choses qui passent comme le vent, parce quelles noffrent aucune sûreté, aucune durée. 2. Lhomme désire outre mesure une vie longue, et la vie est courte; il désire la santé, et bien souvent il est malade. Toutes les joies et les consolations du monde sont si peu durables, quil faut quelles nous quittent ou que nous les quittions. Quelquefois Dieu permet quelles nous soient enlevées; nous perdons notre fortune ou ceux qui nous sont chers, ou quelquefois nous les abandonnons nous-mêmes lorsque Dieu nous retire de la vie. Je dis donc que lamour déréglé des serviteurs du monde pour eux-mêmes leur fait aimer aussi dun amour déréglé les créatures, enfants, maris, frères, pères, mères et tous les biens du monde. Lorsquils les perdent, ils en souffrent cruellement, ils tombent dans limpatience et le désespoir, et ce nest pas étonnant. La douleur de la perte quils éprouvent est proportionnée à lamour avec lequel ils possédaient; ils goûtent, dès cette vie, les arrhes de lenfer, et sils nont pas soin de reconnaître leur faute et de supporter avec patience le malheur que Dieu a permis pour leur bien, ils arrivent à léternelle damnation [1546]. 3. O mes très chères Soeurs et Filles ( Cette lettre sadressait aussi à dautres dames de la famille), combien est insensé celui qui sattache au monde, à ce maître misérable, sans loyauté et plein dartifices! Comme il trompe celui qui met en lui sa confiance ! Il parait beau, et il est affreux; il veut faire croire quil est stable et sûr, et il change toujours. Ne le voyons-nous pas jusquà lévidence? aujourdhui nous sommes riches, et demain pauvres; aujourdhui maîtres, et demain serviteurs; aujourdhui vivants, et demain morts. Nous voyons donc bien que rien nest assuré. Cest ce que voulait enseigner le glorieux saint Paul, lorsquil disait: " Gardez-vous de ceux qui mettent leur confiance en eux-mêmes et dans le monde, car, lorsquon se croit bien affermi " tout tombe et cest là vérité. Nous devons retirer au monde notre amour et notre confiance, puisque, de quelque côté que nous nous tournions, il cause tant de fautes et tant de peines. Il ne vient vraiment que chagrin et scandale des choses du monde quon possède hors de Dieu. Ce que nous aimons, nous devons laimer en Dieu pour lhonneur et la gloire de son nom. Je ne voudrais pas cependant que vous croyiez que Dieu ne veut pas que nous nous aimions. Il veut que nous nous aimions, parce que toutes les choses quil a faites sont dignes dêtre aimées. Dieu, qui est la bonté suprême, a fait bonnes toutes les choses, car il ne peut que bien faire; mais lhomme doit les aimer selon lordre, selon Dieu, et reconnaître humblement que lui seul les rend mauvaises par sa faute. Le mal [1547] vient uniquement de notre volonté déréglée avec laquelle nous les aimons, et cette volonté, non seule. ment nest pas digne dêtre aimée, mais elle est digne de haine et de châtiment, puisquelle nest pas en Dieu. 4. Le monde, ce misérable maître, est vraiment bien en opposition avec Dieu ; Dieu veut la vertu, et le monde le vice; Dieu est la patience même, et le monde est impatient; en Jésus crucifié se trouve la clémence, la paix, le repos que rien ne peut trou hier; ses promesses ne trompent jamais; il est la vie, et nous avons en lui la vie; il est la vérité, et il tient toujours sa parole; il récompense le bien, et punit le mal; il est la lumière qui nous donne la lumière; il est notre espérance, notre protecteur, notre force, et il nabandonne jamais ceux qui mettent en lui leur confiance. Lâme reçoit autant quelle espère en sou Créateur. Il soutient notre faiblesse, et fortifie le cur de laffligé qui réclame son secours avec une humilité sincère et avec confiance, pourvu que nous fixions loeil de lintelligence, éclairé de la vraie lumière, sur son ineffable charité. Nous acquérons cette lumière en contemplant le sang de Jésus crucifié; car sans la lumière nous ne pouvons voir combien cest une chose misérable daimer le monde, et combien il est bon et utile daimer et de craindre Dieu; car, en ne voyant pas, nous ne pourrons aimer ce qui est digne dêtre aimé, et détester le péché, qui est digne de haine. 5. Voici le moment de servir le doux Maître avec une vraie patience. Vous avez éprouvé combien est pénible la servitude du monde, et combien ses biens [1548] disparaissent promptement. Attachez-vous donc à Jésus crucifié, et commencez à le servir de tout votre cur, de tout votre âme; supportez avec une Vraie patience la sainte affliction quil vous a imposée non parla haine, mais par amour pour le salut de son âme, à légard de laquelle il a été si miséricordieux en lui permettant de mourir au service de la sainte Eglise ( Voir la Lettre LXXVI). Sil était mort dune autre manière, au milieu des erreurs et des jouissances du monde, entouré damis et de parents qui bien souvent sont des obstacles à notre salut, il aurait eu bien à faire; mais Dieu qui laimait particulièrement a voulu le sauver, et a permis cette circonstance qui a été favorable à son âme. Et vous devez plus aimer lâme que le corps, car ce corps est mortel et fini, et lâme est immortelle et infinie. Vous voyez donc que le Providence a pourvu à son salut; et pour vous, elle a voulu vous faire souffrir des peines, afin de vous en récompenser dans la vie éternelle. Nous lavons dit, tout bien est récompensé, toute faute punie; cest-à-dire toute peine, toute affliction supportées avec patience, et toute impatience tout murmure, toute haine que nous avons eus contre Dieu, notre prochain et nous-mêmes. Le doux et bon Jésus a voulu que vous connaissiez le monde, et combien il est misérable de prendre pour Dieu ses enfants, son mari, sa fortune, ou quelque chose que ce soit, Et si vous me dites Lépreuve est si grande, que je ne puis la porter, je vous répondrai, très chère sur, que lépreuve est petite, et que vous pouvez la porter; je dis petite [1549], à cause de la petitesse et de la brièveté du temps, car lépreuve ne dure pas plus que. le temps, et quand nous quittons cette vie, nos épreuves sont finies. Quest-ce le temps pour nous? Les saints disent : Une pointe daiguille sans hauteur et sans largeur. Il est de même de la vie de notre corps, qui disparaît dès quil plaît à la Bonté divine de nous retirer de ce monde. 6. Je dis encore quil faut souffrir lépreuve, car personne ne peut sen délivrer par limpatience. On a beau dire : Je ne puis pas, je ne veux pas souffrir, il faut toujours souffrir, et la résistance ne fait quajouter à la souffrance par la volonté propre; cest dans cette volonté que se trouve toute peine. La peine est proportionnée à la volonté; ôtez la volonté, et vous ôterez la peine. Et comment perdre cette volonté? dans le souvenir du sang de Jésus crucifié. Ce sang est si désirable, que toute amertume devient douce par le souvenir de ce sang, et que tout fardeau devient léger. Cest que dans le sang du Christ nous trouvons lamour ineffable quil a eu pour nous; cest par amour quil nous a donné la vie, et rendu la grâce que nous avions perdue par le péché. Dans ce sang nous trouvons la grandeur de sa miséricorde, et nous voyons que Dieu ne veut autre chose que notre bien. O doux Sang qui enivre lâme qui nous donne la patience et nous revêt de la robe nuptiale quil faut avoir pour entrer dans la vie éternelle ! Cest le vêtement de la charité, sans lequel nous serons chassés du festin de la vie éternelle. Oui, très chère Sur, cest dans le souvenir de ce sang que nous trouvons la joie et la consolation dans toutes nos peines et nos adversités. Aussi je vous ai dit que, par le souvenir du sang du Christ, est détruite la volonté sensitive, qui cause limpatience, et ce souvenir du sang nous revêt de la volonté de Dieu, où lâme trouve tant de patience, que rien de ce qui lui arrive ne peut la troubler, mais quelle gémit plus de ne pas aimer souffrir et de résister à la volonté de Dieu que de ses peines mêmes. Vous devez faire ainsi, et gémir de votre faiblesse et de vos plaintes. De cette manière vous mortifierez le vice de la colère et de limpatience, et vous acquerrez la vertu parfaite. 7. Considérez vous-même combien de peines le Christ a souffertes pour nous, avec quel amour il vous a accordé les vôtres, afin que vous soyez sanctifiée en lui. Voyez combien la peine est petite, puisque le temps est si court; combien toutes nos épreuves seront récompensées; combien Dieu est bon, puisquil ne veut autre chose que notre bien et en y réfléchissant saintement, tout vous deviendra léger; vous supporterez la tribulation, en voyant nos fautes qui la méritent, et la bonté de Dieu si pleine de miséricorde envers nous ; car nos fautes mériteraient une peine infinie, et il nous punit avec ces peines finies. Non seulement elles détruisent le péché, mais elles nous méritent la vie éternelle par la grâce que Dieu donne à celui qui le sert avec patience. Il est si bon, que le servir nest pas être esclave, cest régner. Il nous a fait tous libres et rois, parce quil nous a tirés de la servitude du démon, de son odieuse tyrannie, de son affreux esclavage. Courage donc, très chère Fille: puisquil est si amer de servir et daimer dun amour [1551] déréglé le monde, les créatures et nous-mêmes, et puisquil est si doux daimer et de craindre notre doux Sauveur, notre Maître légitime, qui noue a aimés avant que nous fussions, à cause de son infinie charité; il ny a plus de temps à perdre; il faut, avec une foi vive et une parfaite lumière, nous confier en Celui qui nous secourra dans tous nos besoins; il faut le servir de tout notre cur, de toute notre âme. de toutes nos forces, avec une véritable patience, qui est pleine de douceur. 8. La patience est toujours maîtresse; elle triomphe toujours, et nest jamais vaincue, parce quelle ne se laisse pas dominer et posséder par la colère. Aussi, celui qui la, ne voit pas la mort éternelle, mais il goûte, dès cette vie, les arrhes de la vie éternelle, Sans elle, au contraire, nous sommes privés par la mort, des biens de la terre et des biens du ciel. En voyant ce danger et en apprenant la position où vous a réduite le malheur qui vous est arrivé, jai craint que vous ne perdiez le fruit de votre peine, et je vous ai dit, je vous répète que je désire vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Vous devez le faire afin que, quand vous serez appelée par la douce Vérité première, vous puissiez lui dire, au moment de la mort Seigneur, jai passé et terminé ma vie dans la foi et lespérance que javais en vous, supportant avec patience les peines que vous mavez accordées pour mon bien. Maintenant je vous demande en grâce, par les mérites de votre sang précieux, de vous donner à moi, vous qui êtes la vie sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, la faim désirable sans souffrance, le bien parfait que [1552] la langue ne peut exprimer, le cur imaginer, loeil contempler, le bien que vous avez préparé pour moi et pour tous ceux qui souffrent volontairement toutes les peines pour votre amour. 9. Je vous promets, très chère Sur, quen agissant ainsi Dieu vous rendra même vos biens temporels (En effet, le successeur dUrbain VI, Boniface IX, rendit à la famille des Trinci de Foligno son ancienne puisssance.), et quà la fin vous arriverez dans votre patrie, à Jérusalem, la vision de la paix. Il la fait pour Job, qui montra si bien sa patience. Il avait perdu tout ce quil avait, ses enfants, sa fortune, tellement que sa chair était dévorée de vers. Sa femme seule lui était restée pour le tourmenter sans cesse; et dans tous ses malheurs, Job ne se plaignait pas, mais il disait: Dieu me la donné, Dieu me la ôté; que son saint nom soit béni. Dieu, en voyant tant de patience en Job, lui rendit le double de ce quil avait; il lui donna la grâce en ce monde et la vie éternelle dans lautre. Faites de même, et ne vous laissez pas tromper par la passion sensitive, par le monde, le démon et la parole des créatures. Préservez votre cur de la haine contre le prochain, car ce mal est pire que la lèpre; la haine fait dans lâme comme celui qui veut tuer son ennemi, et qui, en tournant la pointe de son épée contre lui-même, se tue avant de le tuer. La haine fait de même; lâme se tue avant de tuer son ennemi. Jespère de la bonté de Dieu que vous ferez ce que je vous recommande; et pour mieux le faire, confessez-vous souvent, et recherchez la société des serviteurs de Dieu; aimez la prière, où lâme se connaît [1553] et connaît Dieu. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXXV.- A MADAME BENEDETTA, femme de messire Bocchino de Belfort, de Volterre, lorsquelle était à Florence.- Elle lexhorte à supporter avec patience ladversité, et surtout la perte de son fils. (Benedetta était fille du Florentin Jean de Rossi, et femme de Bocchino de Belfort, despote de Volterre. Son mari fut tué en 1411, Voir la lettre LXXVII.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère et bien-aimée Mère et Sur dans le Christ, Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillée du vieil homme et revêtue de lhomme nouveau, cest-à-dire de la patience de Jésus. crucifié, sachant bien que, sans la patience, nous ne pouvons plaire à Dieu; et je vous invite du fond du cur à cette patience, parce que celui qui est impatient et revêtu du vieil homme, cest-à-dire du péché, a perdu la liberté, et nest pas maître de la cité de son âme, car il se laisse dominer par la colère. Il nen est pas ainsi de celui qui est patient, parce [1554] quil se possède lui-même. Notre Sauveur Jésus a dit: " Dans votre patience vous posséderez vos âmes (Lc 21,19). " O douce patience ! pleine de joie et de paix ! Quand elle procède de la charité, elle supporte pour Dieu toute tribulation, de quelque manière que Dieu la lui envoie, que ce soit dans la mort ou dans la vie. Je dis que, sous le joug de la patience qui fait ses délices de la volonté de Dieu, toute amertume devient douce, tout fardeau devient léger. Lâme se revêt de ce doux et saint vêtement quand elle se revêt de la volonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre sanctification; tout ce quil donne, tout ce quil permet est pour notre bien, pour que nous soyons sanctifiés en lui. 2. Ne vous est-il pas bien doux de penser, très chère Mère et Sur dans le Christ Jésus, que le médecin du ciel est venu dans le monde pour guérir nos infirmités? Et vraiment il fait comme un bon médecin, qui nous donne une médecine amère et qui nous saigne pour nous conserver la santé. Vous savez bien que le malade supporte tout dans lespoir de guérir. Hélas ! pourquoi ne faisons-nous pas avec le Médecin du ciel ce que nous faisons avec le médecin de la terre? Il ne veut pas la mort du pécheur: il veut quil se convertisse et quil vive. Oui, très douce Mère, le bon Dieu donne lamertume à la sensualité, mais non pas sans raison. Il nous saigne quand il nous retire les enfants, la santé, la prospérité, ou quoi que ce soit. Courage donc, puisquil ne la pas fait pour vous donner la mort, mais pour vous donner [1555] la vie et pour vous conserver la santé. Oui, je vous en supplie par lamour de ce sang très doux et très abondant qui a été répandu pour notre rédemption, que la volonté de Dieu saccomplisse en vous parfaitement, et que tous vos chagrins profitent à votre sanctification. Puisque cest la volonté de Dieu, revêtez-vous véritablement de la vertu de patience. 3. Je ne veux pas que vous regardiez le fils qui vous reste comme vous appartenant; il ne faut pas vous approprier ce qui nest pas à vous, mais il faut en user pour vos besoins, comme dune chose prêtée. Vous savez que cest la vérité; si ces choses étaient à nous, nous pourrions les garder et nous en servir à notre volonté; mais parce quelles nous sont prêtées, il faut les rendre selon le bon plaisir du doux Maître de la vérité, qui nous les a données, et qui a fait tout ce qui existe. O ineffable ardeur de la charité, combien est grande votre patience à légard des curs ignorants et endurcis, qui veulent posséder ce qui vous appartient, et qui se plaignent de ce que vous faites pour leur bien! Ne faisons pas ainsi, pour lamour de Dieu; mais supportons avec patience les épreuves quil nous envoie. Et si vous me dites: Je ne puis calmer cette sensibilité, je vous dirai que la raison en triomphe en considérant trois choses. 4. La première est la brièveté du temps; la seconde est la volonté de Dieu, qui les a appelés à lui, comme vous me lécrivez. Lorsque je lai appris. je me suis réjouie de leur salut, et je vous ai plainte; mais je vous avouerai aussi que je me suis réjouie du fruit que vous avez retiré de la tribulation. La troisième [1556] chose est le tort que vous causerait limpatience. Courage donc, car le temps est court, la peine petite et la récompense bien grande. Je ne vous dis rien de plus. Que la paix de Dieu soit avec vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Catherine, la servante inutile, vous salue.
CCCXXVI.- A MADAME PANTASILEE, femme de Ranuccio Farnèse. La vraie lumière sobtient par la connaissance de notre propre misère et de la bonté de Dieu à notre égard. De la manière de servir Dieu clans létat du mariage. (Ranuccio Farnèse était frère de Pierre Farnèse, le célèbre capitaine qui commanda les troupes de Florence dans la guerre contre Pise. )
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir avec la vraie lumière et la connaissance de vous-même et de Dieu, afin que vous connaissiez bien la misère et la fragilité du monde. Car lâme qui connaît sa misère connaît bien celle du monde; elle connaît aussi la bonté de Dieu à son égard. Elle la trouve en elle-même en voyant quelle [1557] est une créature raisonnable, créée à limage et ressemblance de Dieu; et aussitôt que lâme est arrivée à cette sainte et vraie connaissance, elle aime Dieu en vérité; et dès quelle aime, elle rapporte à son Créateur tous les dons, toutes les grâces quelle reçoit, et elle est toujours daccord avec sa volonté; elle est contente de tout ce que Dieu fait et permet, parce quelle voit que Dieu ne veut autre chose que sa sanctification. Cest ce que nous a montré le doux Verbe le Fils de Dieu; car, pour que nous soyons sanctifiés en lui, il a couru avec transport à la mort honteuse de la Croix; il a souffert la mort et daffreux tourmente pour nous délivrer de la mort éternelle. Puisque la mort et le sang du Christ nous montrent que Dieu nous aime dun amour ineffable et quil ne veut que notre bien, nous devons supporter avec une vraie patience toutes nos peines et nos tribulations; et, quelle que soit la manière dont il nous les envoie, il faut toujours les recevoir avec une sainte espérance, en pensant quil pourvoit à tous nos besoins, et quil ne nous donnera pas plus que nous ne pourrons en porter. A mesure quil nous donne et quil augmente la peine, il augmente notre force, pour que nous ne succombions pas. Il faut donc la supporter et la recevoir avec respect, à cause de Jésus crucifié, car elle est la cause et linstrument de notre salut. 2. Les tribulations de cette vie nous font humilier et abaisser notre orgueil; elles nous font détacher de lamour déréglé du monde, et mettre notre amour en Dieu; elles nous rendent conformes a Jésus crucifié, et nous font compatir à ses peines et à ses [1558] opprobres. Elles nous sont donc bien nécessaires, si nous voulons jouir de léternelle vision de Dieu. Les afflictions nous réveillent du sommeil de la négligence et de lignorance; car dans le temps de lépreuve nous recourons au Christ, en reconnaissant que lui seul peut nous secourir; et de cette manière nous devenons reconnaissants des bienfaits que nous avons reçus et que nous recevons, et nous connaissons mieux sa bonté et notre misère. Il est Celui qui est, et nous sommes ceux qui ne sommes pas; tout notre être vient de lui. Ne le voyons-nous pas avec évidence? nous voulons vivre, et il faut mourir; nous voulons la santé, et nous avons la maladie; nous aimons posséder les enfants, les richesses, les plaisirs du monde, parce quils nous plaisent, et il faut les laisser. Cest la vérité que toutes ces choses nous abandonnent par la volonté divine, ou que nous les abandonnons nous-mêmes par la mort, en quittant cette vie ténébreuse. Vous voyez bien que nous ne sommes rien par nous-mêmes, si ce nest que nous sommes remplis de pêchés et de misères; cest la seule chose qui nous appartienne, le reste vient de Dieu. 3. Ainsi donc, très chère Sur, ouvrez loeil de lintelligence, et aimez votre Créateur et ce quil aime, cest-à-dire la vertu, surtout la patience, avec une humilité sincère et parfaite, en pensant que vous nêtes rien, et en rendant honneur et gloire à Dieu, en possédant les choses du monde, un mari, des enfants, des richesses et les autres jouissances comme des choses prêtées qui ne vous appartiennent pas; car, comme je lai dit, elles disparaissent, et vous ne pouvez les avoir et les conserver quautant quil plaît à [1559] la bonté de Dieu de vous les prêter. En agissant ainsi, vous ne vous ferez pas des dieux de vos enfants ni des autres choses, mais vous aimerez tout pour Dieu, et rien en dehors de Dieu; vous fuirez le péché et vous aimerez la vertu. Eloignez, éloignez du monde vos affections et vos désirs, et placez-les en Jésus crucifié, qui est ferme et inébranlable; vous ne le perdrez jamais, et il ne vous sera pas enlevé, si vous ne le voulez pas. 4. Je ne dis pas pour cela que vous quittiez le monde et létat du mariage plus que vous ne le voulez, et que vous ne gouverniez pas votre maison comme le demande votre rang, mais je dis que vous devez vivre dans lordre, et non pas dans le désordre. Il faut avoir sans cesse Dieu devant les yeux, rester dans létat de mariage, y vivre avec une sainte crainte, le respecter comme un sacrement, et observer les jours réservés par la sainte Eglise autant que vous le pourrez. Il faut élever vos enfants dans la vertu et dans lamour des saints commandements de Dieu. Car il ne suffit pas au père et à la mère de nourrir le corps de leurs enfants, comme le font les animaux; il faut encore nourrir leur âme dans la grâce autant quils le peuvent, les reprenant et les corrigeant des fautes quils ont commises. Faites toujours en sorte quils se confessent souvent, quils entendent, le matin, la messe, au moins les jours commandés par la sainte Eglise; et ainsi vous serez la mère de leurs âmes et de leurs corps. Je suis persuadée que, si vous avez la vraie connaissance de Dieu et de vous-même, vous le ferez; mais sans cette connaissance vous ne pourrez le faire. Aussi, en voyant que vous ne pouvez pas [1560] autrement avoir la grâce de Dieu, je vous ai dit que je désirais vous voir dans la vraie lumière et la connaissance de vous-même et de Dieu. Je vous prie, pour lamour de Jésus crucifié et pour votre bien même, de le faire; vous accomplirez ainsi en vous la volonté de Dieu et mon désir. Je termine. Demeurez dans la et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXXVII.- A LA COMTESSE JEANNE, de Milet et de Terre-Neuve, à Naples.- Du mépris du monde et de ses délices.- Les vraies richesses sont les vertus et la charité, qui reste seule dans lautre vie. (La comtesse Jeanne était de la famille des seigneurs dAquin, une des plus nobles du royaume de Naples.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Sur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir mépriser le monde et ses délices de toute votre âme, afin que vous cherchiez véritablement la richesse de Jésus crucifié. Nous avons bien raison de mépriser les choses du monde, si nous considérons leur peu de durée et de stabilité, et combien elles sont nuisibles à notre salut. Je ne voudrais pas cependant que vous croyiez que, selon moi, la fortune et les biens temporels [1561] sont nuisibles et causent notre mort. Non, mais cest lamour déréglé avec lequel la créature les possède. Si elles avaient été nuisibles, Dieu ne les eût pas créées et ne nous les aurait pas données; car celui qui est souverainement bon, ne peut vouloir et faire que des choses bonnes et utiles à notre bien. Qui les rend mauvaises? celui qui en use mal et les possède sans la crainte de Dieu. Mais en les possédant avec une sainte crainte, en les appréciant pour ce quelles valent, en ne faisant pas son Dieu des créatures, des richesses, des honneurs du monde, en les aimant, au contraire, en les possédant, en les méprisant pour Dieu, alors on ne peut les conserver en toute conscience. Il est vrai quil est plus parfait, plus agréable à Dieu, plus utile et moins pénible de les abandonner mentalement et réellement. Nous devons, si nous voulons les conserver, en détacher notre cur, notre affection, et je veux que vous le fassiez; car les richesses du monde sont une grande pauvreté, et elles ne peuvent être jamais véritablement possédées que par celui qui les méprise complètement. Mais la vraie richesse, celle qui ne peut être détruite et ravie par le démon et les créatures, cest la richesse des vraies et solides vertus. 2. Cest là une richesse durable, qui nous délivre de toute pauvreté; elle nous donne la nourriture de la grâce, elle couvre notre nudité, elle répond pour nous, au moment de la mort, devant le souverain Juge; elle, acquitte notre dette, celle de rendre à Dieu lamour que nous lui devons; et cet amour, nous le montrons au moyen de la vertu. Elle nous accompagne dans cette vie de pèlerinage, qui est une voie où [1562] nous avons beaucoup dennemis qui cherchent à nous donner la mort. Les trois principaux sont le monde, le démon, la chair fragile. Tous cherchent à nous jeter leurs flèches empoisonnées le monde, par ses faux et vains plaisirs; la chair fragile et la sensualité, par son amour déréglé et ses folles jouissances; le démon, par ses pensées mauvaises, en cherchant à nous dépouiller et à nous faire injurier par notre prochain, pour nous priver de la charité fraternelle et pour nous inspirer Sa haine et son mépris. 3. Ces vertus nous délivrent de tous ces ennemis. La vertu nous donne la lumière, et avec la lumière, elle nous conduit à la porte de la vie éternelle. Cette porte nous est ouverte par le sang de Jésus-Christ; alors entre la charité, qui est mère de toutes les autres vertus. Les autres vertus restent dehors, elle seule en recueille la récompense, parce que lâme vertueuse, quand elle quitte cette vie, entre dans la vie éternelle avec la vertu de la charité. Les autres vertus dans le ciel ne sont pas nécessaires et ny entrent pas La vertu, de la foi y est inutile, puisquelle est certaine de ce quelle croyait; elle na pas besoin non plus de lespérance, puisquelle possède ce quelle espérait avoir. Il en est de même de toutes les autres vertus quil faut avoir en cette vie, parce que sans elles, nous serions privés de Dieu; mais au ciel il suffit de la charité, cest-à-dire de lamour, parce que la vie éternelle nest autre chose que lamour avec lequel nous goûtons Dieu dans son essence. Son amour nous a rendus dignes de le voir face à face, et cest cette vue qui est notre béatitude. Lamour mous fait participer au bonheur de tous, au bonheur des anges et [1563] au bonheur de tous ceux qui ont la vie éternelle par lamour (Dialogue, XLI-XLV). Dieu nous fait jouir de lui-même; nous sommes remplis et rassasiés de lui dans la mer pacifique de son essence, et ceux qui sont rassasiés ont encore faim, mais sans connaître la peine de la faim et le dégoût de la satiété. Il y a tant damour et de charité fraternelle entre eux, que le plus petit nenvie pas le plus grand, mais ils sont tous contents et heureux de leur mutuel bonheur. Au ciel, la charité est nécessaire, et personne ne peut y aller sans lavoir. 4. La malheureuse créature ne pense pas à ce bonheur, mais au châtiment qui punit ce quelle fait contre la douce volonté de Dieu, pour satisfaire ses coupables désirs. Elle abandonne la vertu pour le vice, la vie pour la mort, linfini pour le fini, les biens du ciel pour les biens de la terre, le Créateur pour les créatures. Pour servir le démon et suivre la voie du mensonge, elle cesse de servir Jésus crucifié, de suivre sa doctrine, qui est la voie, la vérité, la vie; car celui qui marche avec lui marche dans la lumière, et non pas dans les ténèbres. Pour remplir son cur des choses passagères du monde, il se laisse mourir de faim, parce quil ne prend pas la nourriture des anges, cette nourriture que Dieu, dans sa miséricorde, a donnée aux hommes, en soffrant lui-même, Dieu et homme, sur la table de lAutel. Il quitte son vêtement nuptial pour se revêtir des tristesses du monde, et il meurt de froid; il se dépouille lui-même pour dépouiller les autres. Ces pauvres insensés, dans leur [1564] aveuglement, ne saperçoivent pas de leur malheur: et tout cela leur arrive par lamour déréglé quils ont pour le monde, en possédant et en aimant les choses temporelles en dehors de la douce volonté de Dieu. 5. Je ne veux pas quil en soit ainsi pour vous; mais je veux et je vous ai dit que je désire voir votre cur détaché de ces choses, afin que vous aimiez et possédiez les créatures et les choses créées pour lui et rien sans lui. Oui, aimez-le de tout votre cur, de toutes vos forces, sans réserve, avec une véritable et profonde humilité, aimant le prochain comme vous-même. Mais vous me direz Comment puis-je avoir cette humilité? Je me sens pleine damour-propre et entraînée à toutes les uvres de lorgueil. Je vous répondrai que, si vous le voulez, vous le pourrez, avec la grâce de Dieu, qui ne la refuse jamais à qui la demande. Le vrai moyen est de contempler à la lumière lhumilité de Dieu et sa charité, Son humilité est si profonde, que lintelligence de lhomme en est confondue. En vit-on jamais une semblable dans la créature? Non, certainement. Y a-t-il quelque chose de plus étonnant, que de voir Dieu humilié jusquà lhomme, la souveraine Grandeur descendue à un tel abaissement. 6. Dieu sest revêtu de notre humanité; il a conversé visiblement avec les hommes; il a supporté nos infirmités, la pauvreté, la misère; il sest humilié jusquà la mort honteuse de la Croix. La Grandeur suprême sest faite petite pour confondre les superbes, qui cherchent toujours à sélever, et ne saperçoivent pas quils tombent dans une profonde misère. Vous [1565] trouvez en lui la source de lhumilité, qui lui fait visiter lâme de toute créature raisonnable. Et si nous considérons ma charité, où verra-t-on jamais celui qui est offensé donner volontairement sa vie pour celui qui loffense? Il ny a vraiment que lhumble Agneau sans tache qui ait ainsi acquitté pour nous, mauvais débiteurs, la dette quil navait pas contractée. Nous avions été des voleurs, et il a voulu être cloué sur le bois de la très sainte Croix; il a pris la médecine amère pour nous donner la santé, et il nous a fait un bain de son sang. Dans sa tendresse, il nous a ouvert son corps, et de tous ses membres, il a répandu son sang avec tant dabondance, tant damour, tant de patience, quon ne lui a entendu proférer aucune plainte. Cette générosité ne doit-elle pas faire rougir de honte les hommes avides et avares qui verront les pauvres mourir de faim, et qui ne détourneront seulement pas la tête? Ils feront plus mal encore : non seulement ils ne donneront rien, mais ils prendront le bien des autres. La charité divine confondra ceux qui saiment eux-mêmes, ceux dont lamour-propre ne craint pas doffenser Dieu et la vérité. Sils considèrent sa patience, les impatients seront effrayés, eux qui ne veulent pas supporter la moindre chose, mais qui sont tourmentés par la colère et la haine de leur prochain. 7. Nous avons donc trouvé le moyen dacquérir la vertu: cest par la connaissance de la bonté de Dieu et par la lumière, qui nous fait voir son humilité et sa charité. Cest en lui que nous lacquerrons, en la cherchant au fond de notre âme; autrement, nous ne la posséderons jamais. Cest là le fondement, le [1566] principe, le moyen, la fin de toute vertu et de notre perfection. Par là vous arriverez au mépris du monde et de vous-même, et vous disposerez toute votre vie selon le temps et le lieu où vous serez ; et non seulement vous vivrez bien, mais vous dirigerez toute votre famille, suivant le bon plaisir de Dieu, dans de saintes et louables habitudes, comme doit le faire une mère pour ses enfants, une maîtresse pour ses serviteurs, en recourant à la sainte Confession et à la Communion au lieu et au temps prescrits par la sainte Eglise, à laquelle il faut obéir, ainsi quau Pape Urbain VI, jusquà la mort. Réglez donc en toute chose vos actions. Je vous en supplie, ne cessez jamais de contempler lhumble et tendre Agneau, afin que nous jouissions ensemble de lui par la grâce en cette vie, et quà la fin nous entrions avec la cha rité, la mère des vertus, dans la gloire de la vie éternelle. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXXVIII.- À UNE DAME NAPOLITAINE, confidente de la reine.- De la sainte crainte de Dieu. et de la crainte servile. Elle exhorte cette dame à faire tous ses efforts pour ramener le cur de la Reine à lobéissance de la sainte Eglise.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Sur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs [1567] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir libre de toute crainte servile, afin que vous annonciez généreusement la vérité, et que vous demeuriez dans la sainte crainte de Dieu. Cette crainte rend lâme virile et lempêche De craindre les peines, la mort, les persécutions; elle ne craint pas de déplaire aux créatures, parce quelle veut plaire uniquement à son Créateur. Sa seule crainte est doffenser Dieu, elle nen a pas dautre. Oh ! quil est doux à lâme de vivre dans cette crainte, Car elle procède de la douce charité et du respect que nous devons à Dieu. Elle est comme le bon fils, qui, par amour et par respect, craint de faire quelque chose qui déplaise à son père, non par peur du châtiment, mais pour ne pas loffenser. Cest ce que fait lâme qui sest donnée au serviCe de son Créateur généreusement, de tout son cur, de son affection, le servant non par crainte et avec un amour mercenaire, mais avec un amour libre. Comme elle aime librement, elle sert librement; aussi elle ne craint pas la peine, et elle est prête à tout souffrir avec une sainte crainte. 2. Cette sainte crainte nous est nécessaire dans le temps où nous sommes, bien quen tout temps, en tout état, en tout lieu, nous devions lavoir, et fuir ce misérable amour, doù vient la crainte servile, qui craint tant que son ombre lui fait peur. Oh ! combien est misérable cette crainte, combien elle avilit lâme! Elle resserre tellement le cur pour la charité, quil ne peut plus contenir lhonneur de Dieu et lamour du prochain; elle le rend timide au point que, voyant le prochain offenser Dieu, il paraîtra par crainte ne [1568] pas sapercevoir de linjure faite à son Créateur, et quelquefois, pour plaire et ne pas déplaire, il semblera même approuver les fautes quil voit, commettre, agissant ainsi contre sa conscience, qui lui dit que tous les deux font mal. O maudit amour-propre, qui as corrompu le monde entier ! Tu prives lâme du trésor des vertus, et tu la remplis de crainte servile; tu lappauvris, tu lui ôtes la lumière, tu pervertis son goût tellement, que les choses amères lui semblent douces, et les douces, amères. Tu la dépouilles de la sainte crainte, et tu la revêts de crainte servile et de misères: dès cette vie elle goûte les arrhes de lenfer; elle devient insupportable à elle-même. Cette misérable crainte entraîne avec elle tous les maux; lâme doit donc bien la détester; elle doit se lever et sasseoir sur le tribunal de sa conscience, et faire justice de tous les mouvements de crainte qui ne seraient pas conformes à la raison. Très chère Soeur, je vous invite à quitter cette crainte servile; et, avec la lumière de la vérité et la sainte crainte de Dieu, commencez à semer la vérité dans le cur de la Reine, afin que la justice divine ne sappesantisse pas sur elle, et quelle ne tienne pas la sainte Eglise et tous les chrétiens dans une affliction si amère. Sainte Catherine ajoute ensuite beaucoup de choses pour prouver la validité de lélection dUrbain VI, et elle combat lerreur de la Reine par dexcellentes raisons. Elle finit par ces mots: Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1569].
CCCXXIX. A LA COMTESSE BENEDETTA, fille de Jean dAgnolino Salimbeni, de Sienne. Elle lexhorte à servir Jésus-Christ, et à renoncer à lamour des créatures. Cest dans les plaies de Jésus-Christ que sacquièrent toutes les vertus.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir servante et épouse de Jésus crucifié, parce que je sais que servir Dieu ce nest pas être esclave, cest régner. Ce nest pas comme la coupable servitude du monde, qui avilit la créature, et la rend servante et esclave du péché et du démon. Le péché est un néant, et conduit lhomme au néant. Tu sais, très chère et douce fille, que lâme qui sert les créatures et les richesses en dehors de Dieu, cest-à-dire. qui aime sans mesure et désire les richesses, les délices du monde et toutes ces vanités qui ressemblent à la feuille agitée par le vent, tu sais que cette âme tombe dans la mort et savilit elle-même; car elle se soumet à des choses qui sont moindres quelle, puisque toutes les choses créées sont faites pour le service de la créature raisonnable, et la créature raisonnable est faite pour servir son Créateur. Nous nous trompons donc; et plus lhomme désire ces choses passagères, plus il perd cette douce puissance [1570], quil acquiert en servant son Créateur. Il se soumet à une chose qui nest pas; et en aimant hors de Dieu dune manière déréglée, il offense Dieu. Il est donc bien vrai que la servitude du monde nous réduit au néant. 2. Oh ! combien est insensé celui qui sert ce qui na de puissance que sur le néant, cest-à-dire sur le péché ! Le démon est le maître de ceux-là seulement qui commettent liniquité. Et comment exerce-t-il son empire? par des supplices, en tourmentant ses sujets dans léternelle damnation. Il règne aussi sur le monde, cest-à-dire sur les affections déréglées que nous avons pour le monde. Les choses du monde sont bonnes en elles-mêmes, mais la volonté coupable qui sen sert les rend mauvaises, parce quon les possède et les désire sans crainte de Dieu; et, de cette manière, je dis que ceux-là sont des serviteurs qui sunissent au démon dans les supplices; je dis que cette servitude de la mort ôte la lumière de la raison, et donne les ténèbres; elle ôte la richesse de la grâce, et donne la pauvreté du vice. Je ne veux pas, ma Fille, puisquil y a tant de danger, que tu te livres à la servitude coupable du monde; mais je veux que tu sois une vraie servante de Jésus crucifié, qui ta rachetée de son précieux sang. Cest notre doux Maître qui nous a créés à son image et ressemblance; il nous a donné le Verbe, son Fils unique, pour nous délivrer de la mort et nous donner la vie. Avec son sang, il nous a affranchis de la servitude du péché; il nous a faits libres en vous retirant de la puissance du démon, qui nous possédait. Son sang aussi nous a rendus forts, et nous a mis en possession de la vie [1571] éternelle. Ses clous sont devenus les clefs qui ont ouvert la porte fermée par le péché que nous avions commis. Le doux Verbe, en montant sur le bols de la Croix comme un vaillant chevalier, a défait nos ennemis et nous a mis en possession de la vie éternelle, tellement, que ni le démon ni les créatures ne peuvent nous lenlever, si nous ne le voulons pas. 3. La servitude du Christ est donc bien douce; et sans cette servitude, nous ne pouvons participer à la grâce divine. Aussi je tai dit que je désirais te voir la servante et lépouse de Jésus crucifié; car, aussitôt que tu te seras faite sa servante, comme servir Dieu cest régner, tu deviendras peu à peu son épouse. Je veux que tu sols une épouse fidèle, que tu ne te sépares jamais de ton Epoux, naimant, ne désirant rien en dehors de Dieu. Aime ce doux et glorieux Epoux, qui ta donné la vie, et qui ne meurt jamais. Les autres époux meurent et passent comme le vent, et souvent Ils sont cause de notre mort. Tu en as fait lexpérience, car, en peu de temps, le monde ta frappée de deux coups cruels (La comtesse Benedetta avait perdu deux maris. Le premier était mort peu de temps après ses noces; le second navait été que son fiancé. Voir la lettre CCLXXV.), et la bonté de Dieu la permis pour que tu fuies le monde et pour que tu cherches un refuge en lui, ton Père et ton Epoux. Fuis donc le poison du monde, qui semble agréable comme la fleur; il parait un enfant, et cest un vieillard; il promet une longue vie, et elle est courte; on croit quil est fidèle, et il est mobile comme la feuille quagite le vent. Tu as bien vu par toi-même [1572] quil noffre aucune sûreté. Sois persuadée quil te fera la même chose, si tu mets encore en lui ta confiance; car le dernier est mortel comme le premier. 4. Renonce donc à toute tendresse, à tout amour de toi-même; entre dans les plaies
de Jésus crucifié, où se trouve la vraie et parfaite sûreté. Cest là le doux
lieu où lépouse remplit la lampe de son coeur. Le coeur est vraiment une lampe, et
il doit être une lampe qui soit étroite du pied et large de la tête le désir,
lamour doit être étroit pour le monde, et large pour le haut: cest-à-dire
que le coeur doit se dilater en Jésus crucifié, laimant et le craignant avec un
vrai et saint zèle. Et alors tu rempliras cette lampe au côté de Jésus crucifié ce
côté ouvert te laisse voir le secret du coeur, ce coeur qui nous fait tout, qui nous
donne tout par amour. Là se trouve aussi la vraie et profonde humilité, qui est
lhuile pour nourrir le feu et la lumière dans le coeur de lépouse du Christ.
Où pourrais-tu trouver un plus grand amour, puisque tu vois quil a sacrifié sa vie
pour toi? Où rencontrer jamais un plus grand abaissement que de voir Dieu humilié
jusquà lhomme, et lHomme-Dieu courir jusquà la mort honteuse de
la Croix? Cette humilité confond lorgueil, les délices, les grandeurs du monde.
Cette bonne petite vertu est la nourrice de la charité. 5. Alors lâme devient lépouse de son Epoux, et elle est introduite dans la chambre où se trouvent la table, la nourriture et le serviteur. La chambre est la divine Essence où se nourrissent les Bienheureux. Là on goûte le Père, qui est la table, le Fils, qui est la nourriture, et lEsprit-Saint, qui est le serviteur [1573]; et lâme se nourrit et se rassasie véritablement de léternelle vision de Dieu. Non, il ne faut plus dormir; il faut secouer le sommeil des délices du monde, et suivre ton bien-aimé Jésus. Ne compte pas sur le temps, que tu nes pas sûre davoir; il disparaît bien vite, et quand nous croyons vivre, la mort vient nous surprendre. Celui qui est sage ne perd pas le temps quil a pour celui quil na pas. Réponds donc généreusement à Dieu, qui tappelle, et nécoute pas ta mère, ta soeur, ton frère, ni aucune créature qui voudrait tarrêter; tu sais que pour cela nous ne devons pas leur obéir, car notre Sauveur a dit: " Celui qui ne renonce pas à son père, à sa mère, à sa soeur, à ses frères et à lui-même, nest pas digne de moi (Lc 14,26). " Il faut donc renoncer au monde et à soi-même pour suivre létendard de la très sainte Croix. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Je te dis, ma Fille, que si tu veux être lépouse véritable de ton Créateur, il faut quitter la maison de ton père, et te préparer à venir quand le lieu sera terminé; il est commencé, et on y travaille à force; cest le monastère de Sainte-Marie-des-Anges, à Belcaro (Ce monastère avait été fondé par une donation de Nanni de Vanni, que sainte Catherine avait converti. Grégaire XI avait autorisé son établissement. (Vie de sainte Catherine, IIe p., ch.VII.) . Si tu le fais, tu entreras dans la terre promise. Je ne te dis rien de plus. Que Dieu te remplisse de sa très douce grâce [1574].
CCCXXX.- A LA COMTESSE BENEDETTA, fille de Jean dAgnolino Salimbeni.- De la charité parfaite et de lamour du monde. Des fleurs et des fruits que doit produire notre âme.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite charité. Cette charité est un vêtement nuptial, qui recouvre notre nudité et cache notre honte, cest-à-dire le péché, qui fait naître la honte. Elle le détruit et le consume par en chaleur; et sans ce vêtement, nous ne pouvons entrer dans la vie éternelle, à laquelle nous sommes appelés. Quest-ce que la charité? un amour ineffable que lâme tire de son Créateur quelle aime de toute son affection, de toutes ses forces. Je dis quelle le tire de son Créateur, et cest la vérité. Mais comment? avec lamour, parce que lamour ne sacquiert quavec lamour et par lamour. Mais tu me diras, très chère Fille Quel moyen prendre pour trouver et acquérir cet amour? Je te répondrai: Tout amour sacquiert avec la lumière, parce que la chose quon ne voit pas, on ne la connaît pas; et. ne la connaissant pas, on ne laime pas: il faut donc avoir la lumière pour voir et connaître ce que tu dois aimer. Et parce que la lumière [1575] nous est nécessaire, Dieu pourvoit à nos besoins en nous donnant la lumière de lintelligence, qui est la partie la plus noble de lâme, avec la prunelle intérieure de la très sainte Foi. Je dis cependant que la personne qui offense son créateur nest pas, ne vit pas sans amour et sans lumière; car lâme, qui est faite damour et créée par amour à limage et ressemblance de Dieu, ne peut vivre sans amour, et elle naimerait pas sans lumière. 2. Si lâme veut aimer, il faut quelle voie; mais sais-tu ce que cest que voir et aimer pour les personnes du monde? cest voir les ténèbres et lobscurité. Et dans cette nuit profonde, lâme ne discerne pas la vérité; son amour est mortel, car il lui donne la mort, en lui ôtant la vie de la grâce. Mais pourquoi ce quelle voit est-il obscur? parce quelle a fixé ses yeux dans lobscurité des choses passagères du monde; elle les regarde en dehors de Dieu, et non pas dans sa bonté; elle les regarde avec un amour sensitif, et cet amour sensitif nexcite lintelligence à ne voir et connaître que les choses sensibles. Cet amour, qui se nourrit de la lumière de lintelligence, quil excite comme nous lavons dit, cet amour lui donne la mort en commettant la faute et en lui ôtant la vie de la grâce, car hors de Dieu, on ne peut aimer et voir rien qui ne donne la mort. Celui qui saime doit saimer en lui et pour lui, cest-à-dire reconnaître quil tient de sa bonté lêtre et toute chose. Tu vois bien que tous aiment et voient, parce que sans aimer et sans voir, il est impossible de vivre. Mais combien est différent lamour des hommes du monde, qui donne la mort, de lamour des serviteurs de Dieu, qui [1576] donne la vie ! Puisque lamour qui vient de léternel et suprême Amour donne la vie de la grâce, la lumière que possède loeil de lintelligence doit louvrir la lumière de la très sainte Foi, et le fixer sur lamour ineffable que Dieu nous a montré; et alors lamour, en se voyant aimé, ne peut sempêcher daimer ce que lintelligence voit et connaît en vérité. O très chère Fille, ne vois-tu pas que notre âme est un arbre damour, car nous sommes faits par amour? 3. Cet arbre est si bien fait, que personne ne peut lempêcher de croître et lui enlever ses fruits, sil ne veut pas. Et Dieu a donné à cet arbre un ouvrier qui le cultive pour lui plaire; cet ouvrier est le libre arbitre. Si lâme navait pas cet ouvrier, elle ne serait pas libre; et nétant pas libre, elle aurait une excuse à son péché; mais elle ne peut en avoir, parce que personne, ni le monde, ni le démon, ni la chair fragile ne peut la forcer à la moindre faute, si elle ne veut pas, car cet arbre a pour lui la raison dont le libre arbitre peut se servir; il a loeil de lintelligence, qui connaît et voit la vérité, quand le nuage de lamour-propre ne lobscurcit pas. Avec cette lumière, louvrier voit où doit être planté larbre: car, sil ne le voyait pas, et sil navait pas cette douce faculté de lintelligence, louvrier aurait une excuse, et pourrait dire : Jétais libre, mais je ne voyais pas où je devais planter mon arbre, si cétait en haut ou en bas, Mais il ne peut le dire, parce quil a lintelligence qui voit et la raison qui est un lien de lamour légitime, qui peut se lier et se greffer sur lArbre de vie, sur le Christ, le doux Jésus. il doit donc planter son arbre où loeil de lintelligence [1577] a vu le lieu et la terre la plus favorable pour lui faire produire des fruits de vie. Très chère Fille, si louvrier, le libre arbitre, plante larbre ou il doit être planté, cest-à-dire dans la terre de la véritable humilité, non pas sur la montagne de lorgueil, mais dans la vallée de lhumilité, il produit alors les fleurs embaumées des vertus; et surtout il produira cette belle fleur de la gloire et de la louange du nom de Dieu, et toutes ses uvres, qui sont de douces fleurs, de doux fruits, en recevront le parfum. 4. Cest cette fleur, très chère Fille, qui fait fleurir vos vertus. Dieu la veut pour lui; mais il veut que le fruit soit pour nous. De cet arbre il veut seulement des fleurs de gloire, cest-à-dire que nous rendions gloire et honneur à son nom, et il nous donne le fruit, car il na pas besoin de nos fruits. Il ne lui manque rien, puisquil est Celui qui est, tandis que nous sommes ceux qui ne sommes pas, et nous avons besoin de lui. Nous ne sommes pas par nous-mêmes, mais par lui; il nous a donné lêtre et toute grâce ajoutée à lêtre, et nous ne pouvons lui être utile en aucune manière. Et comme léternelle et souveraine Bonté voit que lhomme ne vit pas de fleurs, mais seulement de fruits, car la fleur nous ferait mourir, et le fruit nous fait vivre, alors il prend la fleur pour lui, et nous donne le fruit. Si la créature ignorante veut se nourrir de fleurs, cest-à-dire, si elle prend pour elle-même la gloire et la louange quelle doit à Dieu, elle se prive de la vie de la grâce, et se donne la mort éternelle; elle meurt, si elle ne se convertit pas, cest-à-dire, si elle ne prend pas le fruit pour elle, et si elle ne donne pas à. Dieu la fleur, cest-à-dire [1578] dire la gloire. Lorsque notre arbre est bien planté, il croît tellement, que la cime de larbre, cest-à-dire laffection de lâme, ne se voit plus de la terre, parce quelle est unie au Dieu infini par lamour. 5. O très chère Fille ! je veux te dire dans quel champ se trouve cette terre, afin que tu ne te trompes pas. La terre est la véritable humilité, et le lieu où elle se trouve est le jardin fermé, parce que lâme qui est dans la cellule de la connaissance delle-même, sy renferme et nouvre pas, cest-à-dire quelle naime pas les délices du monde, quelle ne cherche pas les richesses, mais plutôt la pauvreté volontaire; elle ne les cherche, ni pour elle ni pour les autres, et elle ne se complaît pas dans les créatures, mais uniquement dans le Créateur. Et quand le démon lui offre des pensées mauvaises, qui troublent son esprit et lui inspirent des craintes déraisonnables, alors elle nouvre pas: cest-à-dire quelle ne les arrête pas, et ne veut pas savoir doù elles viennent. Elle ne les discute pas, et négare pas son cur dans le trouble et la confusion; mais elle se renferme avec la compagnie de lespérance, avec la lumière de la très sainte Foi, avec la haine et le mépris de la sensualité, se jugeant indigne de la paix et du repos de lesprit par humilité; elle se croit digne de la guerre et indigne de la récompense, cest-à-dire quelle se croit digne de la peine quelle éprouve. Dans le temps des grands combats, elle contemple toujours Jésus crucifié, se réjouissant dêtre avec lui sur la Croix, et cette pensée chasse toutes les autres. Cest là le doux lieu ou se trouve la terre de la véritable humilité [1579]. 6. Lorsque la cime de larbre, cest-à-dire laffection de lâme qui suit lintelligence, a connu Jésus crucifié, elle connaît dans le Verbe labîme de son ardente charité, parce que cest par son moyen que sest manifesté lamour que Dieu a pour nous. Lâme connaît le Verbe dans la connaissance delle-même, quand elle voit quelle est une créature raisonnable créée à limage et ressemblance de Dieu, et régénérée dans le sang de son Fils unique. Alors son coeur sunit au coeur de Jésus crucifié, parce que lamour attire lamour cest-à-dire que par lamour bien réglé, qui lélève au-dessus des affections sensibles, il attire à lui lamour embrasé de Jésus crucifié, parce que notre coeur, quand il se remplit de lamour divin, fait comme léponge, qui attire leau à elle; mais elle ne le pourrait pas, si elle nétait pas mise dans leau, quoique sa nature soit de sen remplir. Je dis de même que, malgré la disposition de notre coeur à aimer, si la lumière de la raison et la main du libre arbitre ne le prennent pas, et ne lunissent pas au feu de la charité divine, il ne semplira jamais de la grâce de Dieu; mais sil sy unit, il sen remplira. Cest pourquoi je dis que cest de lamour et par lamour que vient lamour. 7. Lorsque le vase du cur est plein, le jardinier arrose larbre avec leau de la divine charité du prochain, qui est une rosée, une pluie bienfaisante qui rafraîchit le pied de larbre et la terre de la véritable humilité. Elle engraisse le sol et le jardin de la connaissance de soi-même, parce qualors cette connaissance est fortifiée de la connaissance de la bonté de Dieu à son égard. Tu sais bien que si larbre nest pas [1580] bien arrosé par la rosée et par la pluie, sil nest pas réchauffé par lardeur du soleil, il ne produira pas de fruits, il ne sera pas parfait, mais imparfait. De même lâme, qui est un arbre, si, lorsquelle est plantée, elle nest pas arrosée par la pluie de la charité du prochain et par la rosée de la connaissance de soi-même; si elle nest pas réchauffée par les rayons du soleil de la grâce divine, elle ne portera pas de fruits de vie, et son fruit natteindra pas la maturité. 8. Lorsque larbre est grand, il étend ses rameaux, et présente son fruit au prochain, le fruit des humbles et ferventes prières, les exemples dune sainte et bonne vie; il les étend aussi loin quil peut, assistant le prochain de ses biens temporels avec un cur généreux et libéral, simplement et sans détour, accomplissant ce quil a promis, et rendant avec une affectueuse charité, tous les services quil peut rendre, dès quil aperçoit quelques besoins. La charité ne cherche pas son intérêt; elle ne se cherche pas pour elle, mais elle se cherche pour Dieu, pour offrir des fleurs de gloire et de louange à son nom. Elle ne cherche pas Dieu pour elle, mais Dieu pour Dieu, parce quil est digne de notre amour par sa bonté. Elle naime pas, ne cherche pas, ne sert pas le prochain par intérêt, mais seulement pour Dieu, pour acquitter la dette quelle ne peut payer à Dieu en lui étant utile; car, comme je te lai dit, nous ne pouvons pas être utiles à Dieu, et alors Dieu nous donne le prochain comme un moyen dexercer la vertu, et de montrer lamour que nous avons pour Dieu, léternelle Douceur [1581]. 9. Cette charité goûte la vie éternelle; elle consume et détruit toutes nos iniquités, et nous donne la lumière parfaite avec la vraie patience. Elle nous rend forts et persévérants, si bien que nous ne tournons jamais la tête pour regarder le sillon; mais nous persévérons jusquà la mort, nous réjouissant dêtre sur le champ de bataille pour Jésus crucifié, et contemplant toujours son sang pour nous animer à combattre comme de vaillants chevaliers. Aussi cette charité. est si utile, si nécessaire et si délectable, que sans elle nous serons toujours dans lamertume, et nous recevrons la mort. Notre honte sera découverte, et au dernier jour du jugement, nous serons confondus en présence de tout lunivers, devant les anges et les habitants du ciel, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, où la charité est parfaite et générale, parce que chacun partage et goûte la félicité des autres par lamour. Il faut donc nous attacher à cette douce reine, et revêtir le vêtement nuptial de la charité. Il faut avec un ardent et saint désir se disposer à la mort pour sunir à cette reine des vertus; et quand nous laurons, il faut vouloir souffrir jusquà la mort toutes les peines, de quelque côté quelles nous viennent, afin de la conserver et de laugmenter dans le jardin de notre âme. 10. Je ne vois pas dautre voie et dautre moyen; et cest pourquoi tai dit que je désirais te voir fondée dans la vraie et parfaite charité. Je te prie par lamour de Jésus crucifié dy travailler autant que tu le pourras, et tu nauras pas besoin de craindre dune crainte servile, et davoir peur des vents contraires que font naître le démon et les créatures pour [1582] empêcher notre salut; car, dès que larbre est dans la vallée, il est à labri des vents. Sois donc humble et douce de cur. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXXXI.- A MADAME BIANCINA, femme de Jean dAgnolino Salimbeni.- De lamour déréglé de nous-mêmes et du monde.- De la bonté divine, qui seule peut satisfaire et pacifier notre âme. -
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillée de lamour du monde et de vous-même; vous ne pourrez autrement vous revêtir de Jésus crucifié, car il ny a aucune ressemblance, entre Dieu et le monde. Celui qui aime le monde aime lorgueil, et Dieu aime lhumilité: il cherche les honneurs, la puissance, la grandeur, et Dieu les méprise, car il a choisi pour lui la honte, les mépris, les injures, la faim, la soif, le chaud, le froid, et jusquà la mort ignominieuse de la Croix; par cette mort il a rendu honneur à son Père, et nous a rétablis dans la grâce. Il cherche à plaire aux créatures sans craindre de déplaire à son [1583] Créateur, et le Christ béni na jamais cherché autre chose que dobéir à son Père pour notre salut. Il a embrassé et revêtu la pauvreté volontaire, tandis que le monde cherche les richesses. Il y a donc une grande différence, et nécessairement, le cur qui est vide de Dieu, est plein du monde. Aussi notre Sauveur a dit: " Personne ne peut servir deux maîtres; sil sert lun, il méprisera lautre. " Nous devons donc avoir bien soin de refuser notre cur au monde, à ce tyran; mais nous devons le donner librement et sans réserve à Dieu, en laimant avec vérité, parce quil est notre Dieu, qui nous regarde sans cesse, et voit les secrets cachés de notre cur. 2. Combien nous serions fous et insensés, si, sachant que Dieu nous voit, que sa justice punit toute faute et récompense tout bien, nous étions assez aveugles pour attendre sans crainte le temps que nous navons pas, et que nous ne sommes pas sûrs davoir ! Nous allons toujours nous attachant : si Dieu nous coupe une branche, nous en prenons une autre. Nous craignons plus de perdre les créatures et les choses qui passent comme le vent, que nous ne craignons de perdre Dieu. Tout cela vient de lamour déréglé que nous leur donnons. En les tenant et les possédant en dehors de la volonté de Dieu, nous goûtons, en cette vie, les arrhes de lenfer, parce que Dieu a permis que celui qui saime dun amour déréglé devienne insupportable à lui-même. Il est toujours en guerre dans son âme et dans son corps; il souffre de ce quil a par la crainte de le perdre, et pour le conserver, il se fatigue la nuit et le jour; il souffre aussi de ce quil na pas, parce quil désire lavoir, et ne [1584] peut y parvenir. Et ainsi lâme nest jamais tranquille au milieu des choses du monde, parce quelles sont toutes moindres quelle: elles sont faites pour nous, et nous ne sommes pas faits pour elles; mais nous sommes faits pour Dieu, pour jouir de son éternel et souverain bonheur. 3. Dieu seul peut donc satisfaire lâme; cest en lui quelle sapaise et se repose. Tout ce quelle peut vouloir et désirer, elle le trouve en Dieu; et en le trouvant, elle trouve aussi la sagesse qui sait donner, et la volonté, qui veut donner les choses utiles à son salut. Nous lavons bien éprouvé; non seulement il nous donne quand nous demandons, mais il nous a donné avant que nous fussions, et sans que nous len ayons prié; il nous a créés à son image et ressemblance, et il nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils. Lâme trouve sa paix en lui, et pas ailleurs, parce quil est Celui qui est, la suprême Richesse, la suprême Puissance, la suprême Bonté, la suprême Beauté. Cest un bien ineffable dont personne ne peut apprécier la bonté, la grandeur, les délices; lui seul peut se comprendre et sestimer. Il sait, il peut, il veut satisfaire et contenter tous les saints désirs de celui qui veut se dépouiller du monde et se revêtir de lui. Il ne faut donc plus dormir, très chère Mère; mais il faut secouer notre sommeil, car le temps nous rapproche sans cesse de la mort. Les choses temporelles et passagères, et les créatures, je veux que vous les ayez pour votre usage, les aimant et les gardant comme des choses qui vous sont prêtées et qui ne vous appartiennent pas. Vous le ferez en détachant votre cur, mais pas autrement. Il [1585] faut le faire, si nous voulons participer au fruit du sang de Jésus crucifié. Cest parce que je sais quil ny a pas dautre voie que je vous ai dit que je désirais voir votre cur dépouillé du monde; et il me semble que Dieu vous y invite sans cesse. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXXXII. A MADAME ISA, fille de Jean dAgnolino Salimbeni.- De la fidélité à la grâce, et de la force dans le service de Dieu.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une épouse ferme et fidèle, sans être agitée comme la feuille par le vent. Je ne veux pas que votre âme et votre saint désir cèdent au vent contraire de la tribulation et de la persécution, que suscitent le monde et le démon; mais surmontez tout par lamour de la vertu, la persévérance et le souvenir du sang de Jésus-Christ. Que les discours des créatures et leurs mauvais conseils ne vous détournent jamais de votre dessein. Alors vous serez une épouse fidèle, et, fermement appuyée sur la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, vous ne perdrez pas la force, et la parole ne faiblira pas sur vos lèvres: vous la trouverez, au contraire, car les vertus [1586] et lardeur ne doivent pas diminuer en celui qui désire et veut bien faire, mais elles doivent augmenter. Je me rappelle que dans le monde vous vous faisiez craindre; vous fouliez aux pieds les propos et les caprices des hommes, et cest tout ce que mérite ce monde misérable. Votre vertu maintenant ne doit pas avoir moins de force, et au lieu dune parole, vous devez en avoir douze pour répondre hardiment aux propos du démon, qui veut empêcher votre salut. Si vous gardez le silence, vous serez reprise au dernier jour; il vous sera dit: " Sois maudite, parce que tu as gardé le silence (Is 6,5). " Nattendez pas un si dur reproche. Je suis persuadée que, si vous voulez suivre lAgneau abandonné et immolé sur la Croix, dans la voie des peines, des outrages, des opprobres et des injures, vous ne garderez pas le silence. 2. Je veux donc que vous suiviez le Christ, votre Epoux, et que vous descendiez avec un ardent et saint désir sur ce champ de bataille nouveau, pour y combattre avec persévérance jusquà la mort, en disant: " Je puis tout par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie (Phil 4,13). " Au commencement vous sentirez les épines mais ensuite vous recueillerez le fruit, et goûterez la gloire de lhonneur de Dieu. Courage donc; ayez une véritable et sainte persévérance, et nhésitez jamais. Il me semble, quand à lhabit, quil faut suivre ce que lEsprit-Saint demande par votre bouche, sans vous laisser influencer par personne, et sans vous inquiéter de ce quon dira (Il sagissait sans doute de lhabit du tiers ordre de Saint-Dominique. Dans un bref dUrbain VI, en date du 27 mas 1380, une indulgence plénière pour lheure de la mort est accordée à cinquante tertiaires de Sienne, et Isa, fille de Jean dAgnolino, est nommée la première) [1587]. Cela ne diminuera en rien votre dévotion pour votre glorieux Père saint François; elle augmentera même, et vous nen serez pas moins libre. Il y aurait plutôt de linconvénient à revenir sur ce qui est commencé. Quant à la comtesse, je crois que, si elle pouvait venir à la Roche avant mon arrivée, ce serait bien; nous ferions ensuite ce que le Saint-Esprit nous ferait faire. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXXXIII.- A MADAME MITARELLA, femme de Louis Mogliano, sénateur de Sienne, en 1373.- De la crainte et de lamour que Dieu demande de nous.- Deux choses sont nécessaires pour conserver en nous la foi en Dieu, surtout dans ladversité.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère et bien aimée Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous salue et je vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir devant Dieu une servante fidèle, cest-à-dire [1588] pleine de cette foi qui met la paix et la joie dans notre âme. Cest cette douce foi quil faut avoir, cette foi dont notre Sauveur a dit: " Si vous aviez de la fol gros comme un grain de sénevé, et que vous disiez à cette montagne davancer, elle avancerait (Mt 17,19) ". Cest dans cette foi, bien-aimée Sur que je vous prie de persévérer. En mannonçant laccident qui est arrivé au Sénateur, et qui vous a causé, il me semble, une grande frayeur (Ce sénateur de Sienne avait probablement couru quelque grand danger dans une des émeutes populaires très fréquentes à cette époque.), vous mavez dit que vous naviez de foi et despérance que dans les prières des servi. tours de Dieu. Je vous prie, de la part de Dieu et du doux Amour Jésus, de rester toujours dans cette douce et sainte foi. O douce et sainte foi qui nous donne la vie ! Si vous conservez cette sainte foi, jamais votre cur ne connaîtra la tristesse, car la tristesse vient uniquement de la foi que nous plaçons dans les créatures. Les créatures sont des choses fragiles et périssables, et notre cur ne peut jamais se reposer que dans une chose ferme et durable. Quand notre cur sappuie sur la créature, ce nest pas sur une chose solide; car aujourdhui lhomme est vivant, et demain il est mort. Il faut donc, si nous voulons avoir le repos, que notre cur et notre âme se reposent par la foi et lamour en Jésus crucifié. Alors nous verrons notre âme se remplir de joie. O très doux Amour Jésus ! 2. Ma sur, ne craignez pas les créatures; le Christ béni a dit: " Ne craignez pas les hommes, qui ne [1589] peuvent tuer que le corps; mais craignez-moi; car je peux tuer lâme et le corps (Mt 10,28). " Craignons Celui qui dit quil ne veut pas la mort du pécheur, mais quil se convertisse et quil vive. O ineffable charité de Dieu, qui menace dabord, en nous disant quil peut tuer le corps et lâme, pour nous faire humilier et rester dans sa sainte crainte ! O bonté de Dieu, qui, pour consoler lâme, dit ensuite quil ne veut pas que nous mourions, mais que nous vivions en lui ! Ma bien-aimée Sur, vous montrerez que vous vivez, quand votre volonté sera unie et semblable à volonté de Dieu; cette douce volonté vous donnera la foi et lespérance, qui fait vivre en Dieu. 3. Si vous voulez vivifier cette sainte foi, je vous prie de vous rappeler deux choses. La première, cest que Dieu ne peut vouloir que notre bien : pour nous donner le vrai bien, il sest donné lui-même jusquà la mort honteuse de la Croix, parce que nous avions été privés de ce bien par le péché. Il sest humilié doucement lui-même pour nous rendre la grâce et ôter de nous lorgueil. Il est donc bien vrai que Dieu ne veut que notre bien. La seconde chose est que vous croyiez fermement que tout ce que nous causent la vie ou la mort, la maladie ou la santé, la richesse, la pauvreté, les injures qui nous sont faites par nos amis, nos parents, ou par quelque créature, je veux que vous croyiez que cest par la permission de Dieu; car il ne tombe pas une seule feuille darbre sans sa volonté. Ne craignez donc rien; Dieu ne nous donne que ce que nous pouvons [1590] porter, et jamais plus; recevons tout avec respect, ma bien-aimée Soeur, nous jugeant indignes du bonheur quon a en souffrant pour Dieu. Et parce que le démon veut vous effrayer du mal que vous craignez, prenez sur-le-champ les armes de la Foi, croyant que nous serons délivrés par Jésus crucifié. Vous resterez ainsi dans la joie parfaite, bien persuadée, comme nous lavons dit, que Dieu ne veut que notre bien. Espérez en Jésus crucifié, et ne craignez rien. Je ne vous dis pas autre chose que de faire vos oeuvres avec lamour et la crainte de Dieu. Rappelez-vous que vous devez mourir, et vous ne savez pas quand; et loeil de Dieu est ouvert sur vous pour voir toutes vos oeuvres. O doux Jésus, donnez-nous la mort avant que nous vous offensions. Loué soit Jésus-Christ.
CCCXXXIV. A MADAME ORIETTA SCOTTA, à la croix de Caneto, à Gênes.- De la patience et de ses effets. Du renoncement à la volonté propre. (Ce fut cette dame qui donna lhospitalité à sainte Catherine revenant dAvignon, en 1376. Notre sainte resta un mois à Gênes, avec ses nombreux disciples, et y fit plusieurs miracles, (Vie de mainte Catherie, II p., ch. VIII)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Mère et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des [1591] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Cette patience montre si nous aimons véritablement ou non, notre Créateur; car elle est la moelle de la charité, et il ny a pas de charité sans patience, et de patience sans charité. Cest une vertu si belle, si nécessaire à notre salut, que sans elle nous ne pouvons plaire à Dieu, ni recevoir le fruit des peines que Dieu permet pour notre salut. Sans elle aussi nous goûterons en cette vie les arrhes de lenfer. Cette vertu nous montre la lumière qui est dans lâme qui la possède, cest-à-dire quelle montre que lâme, avec la lumière de la très sainte Foi, a vu et connu que Dieu ne veut autre chose que son bien, et que tout ce quil donne ou permet en ce monde, est pour notre sanctification. Dès que lâme la reconnu, elle devient patiente, car elle se dit à elle-même: quand la sensualité veut se révolter par impatience : Veux-tu donc te plaindre de ton bien? Tu ne peux pas, tu ne dois pas te plaindre, mais tu dois souffrir généreusement pour la gloire et lhonneur du nom de Dieu. 2. La patience fait naître une grande douceur au fond de lâme; elle est forte,
et elle éloigne toute impatience et toute affliction; elle est persévérante, et aucune
fatigue ne lui fait tourner la tète en arrière, mais elle avance toujours à la suite de
lhumble Agneau, dont la patience et la douceur furent si grandes, quon ne
lentendit jamais se plaindre. Elle se conforme à Jésus crucifié, en se revêtant
de sa doctrine et en se rassasiant dopprobres. Elle triomphe de la colère en la
foulant aux pieds par la douceur elle ne se laisse abattre par aucune fatigue, parce
quelle est unie à la charité; elle ne prend pas le bien dautrui; elle donne,
au contraire, généreusement. Rien ne lui est trop précieux pour ne pas le donner; mais
elle se prive de tout avec une douce patience; elle senivre du sang de Jésus
crucifié pour se perdre elle-même , et plus elle se perd, plus elle se trouve unie et
lié à la douce volonté de Dieu, méprisant le monde avec toutes ses délices, se
plaisant à suivre la voie de la véritable humiliation, et embrassant la pauvreté
volontaire par de saints et véritables désirs. 3. O ma très chère Mère et Fille ! voici le temps dembrasser cette vraie et solide vertu. Vous voyez que le monde poursuit dinjures et de reproches ceux qui aiment la vérité. Il faut donc être patients dans les injures et les peines que nous éprouverons; mais nous devons aussi avoir grande compassion des autres, et nous élever seulement contre le péché de celui qui offense. Très chère Mère et Fille, fut-il jamais plus juste de pleurer et de gémir sur les offenses faites à Dieu; avons-nous jamais vu le monde plongé dans de pareilles ténèbres? et cela à cause de lamour de nous-mêmes, qui a tout empoisonné, tout corrompu. Qui aura la patience, aura la charité parfaite, et quand on a la charité parfaite, on gémit, et on doit gémir plus de ce mal quon voit, que de ses propres peines et de ses afflictions. Hélas ! ne voyez-vous pas que notre Foi est souillée par :des chrétiens marqués du signe de Jésus-Christ ! ils perdent dans les ténèbres de lhérésie le sang du Christ. Nous devons en gémir amèrement, et cette douleur doit faire [1593] oublier toute autre douleur. Je vous invite à souffrir avec une vraie patience, à vous offrir vous-même à Dieu par une humble et continuelle prière. Ne dormons plus, mais secouons le sommeil, car il est temps de se lever. Donnez-vous tout entière en vous dépouillant de toute affection, de tout attachement. Attachez-vous à larbre de vie; à lhumble Agneau sans tache, où vous trouverez la vertu de patience et toutes les autres vertus, qui sont arrosées et mûries par ce sang. Oh ! combien est heureuse lâme qui, en souffrant avec force et courage, se revêt de vertu ! La langue est incapable de lexprimer; mais faites-en lexpérience, baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, dans ce sang qui rend douce toute chose amère, et légers tous les fardeaux. Ce sang nous apprend à gouverner les biens temporels, comme vous lavez fait et comme vous le faites toujours, en ennoblissant pour vous les malheureux et ceux qui sont dans le besoin. 4. Maintenant soumettez à ce sang précieux votre volonté propre, faites-en le sacrifice à Dieu; lorsque vous laurez fait, vous le montrerez par la vertu de la patience, vous ne pourrez pas le montrer autrement. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Mettez votre force dans le Christ, le doux Jésus. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Bénissez et saluez tous les vôtres, et faites prier particulièrement pour la sainte Eglise et pour le Christ de la terre, Doux Jésus, Jésus amour [1594].
CCCXXXV.- A MADAME LARIELLA, femme de messire Cieccolo Caracciolo, de Naples.- Nous devons mettre notre espérance en Dieu. et non dans les créatures; cette espérance vient de lamour. (Lariella est sans doute le diminutif de Laura. comme Cieccolo est celui de Francesco. Le comte Caracciolo sattira la disgrâce de la reine de Naples par sa fidélité à Urbain VI, dont il était parent.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir placer votre affection et votre espérance en Dieu seul, et mettre votre confiance en lui et non dans les créatures, car on peut appeler maudit celui qui met sa confiance dans lhomme. Oh ! quel malheur pour notre âme, et comme est vaine lespérance que nous mettons autre part quen Dieu ! des paroles ne pourraient jamais lexprimer. Cette espérance est vaine et passagère, car cest en vain que se fatigue celui qui cherche les délices, les honneurs et les richesses du monde. Quest-ce qui nous montre quelle est vaine? Le peu de sûreté que nous y trouvons. Quand nous croyons les posséder, elles nous échappent, ou par une disposition de la Providence qui nous les ôte pour notre bien, ou par la mort, qui nous fait quitter cette ténébreuse vie. Souvent [1595] nous croyons gagner beaucoup et parvenir à une haute position, et nous perdons ce que nous avions ; ou, si nous le conservons, ce nest pas sans une grande peine, et nous avons tellement peur de le perdre, que la vie devient insupportable, Il est donc bien insensé lhomme qui met là son espérance. 2. Je dis que cette espérance est nuisible, parce quelle ôte la puissance, la liberté, et quelle rend esclave. Si nous aimons dun amour déréglé les créatures et les choses créées en dehors de Dieu, nous péchons. En offensant Dieu, nous nous rendons esclaves du péché, qui est un néant, et des choses créées, qui sont toutes moindres que nous, car elles sont toutes créées pour nous servir, et nous, nous sommes faits pour servir Dieu. Mais nous faisons tout le contraire nous les servons, et nous ne servons pas notre Créateur. Elles nous privent alors de la lumière, et ne nous laissent pas voir et discerner la vérité. Car, comme loeil malade ne peut regarder la lumière, loeil de lâme, lorsquelle est tombée dans cette infidélité et cette maladie de lamour déréglé, perd tellement la lumière, quelle ne peut plus se connaître et connaître Dieu, cest-à-dire la Bonté infinie, et sa propre misère. Elle perd la richesse des vertus, parce quelle est séparée de la charité à laquelle toutes les vertus sont unies. Elle na plus lamour de Dieu et du prochain; elle ne sert que par intérêt; elle na plus lhumilité véritable, car elle na dautre désir et dautre jouissance que davoir une grande réputation et un haut rang. Toute son étude est de plaire aux créatures, et elle aime mieux leur être agréable que dêtre agréable au Créateur. Si elle [1596] reçoit une injure, elle la supporte avec impatience; et si elle rend service à son prochain ou à ses parents, sans quelle en tire quelque profit ou quelque honneur, elle en est fâchée, et cesserait volontiers de leur être utile. 3. Cest là ce que fait lamour-propre, et vous savez bien que cest la vérité. Vous lavez peut-être éprouvé vous-même, à loccasion du séjour de messire Cieccolo ici. Vous en êtes un peu contrariée; mais si vous le voyiez récompensé de ses services, et recevoir un peu de la fumée du monde, cest-à-dire un peu de gloire humaine, vous le seriez moins. Je crois que vous vous affligez plus des propos qui vous inquiètent et de ce vain honneur du monde, que vous ne désirez son propre avantage. Ce nest pas bien, cest un grand défaut, qui offense Dieu; votre âme et votre corps en souffrent, et vous lui causez aussi de la peine. Je ne veux pas quil en soit ainsi. Ce serait une preuve que vous avez mis votre espérance et votre affection dans les créatures et les honneurs du monde plus que dans le Créateur, et cela ne doit pas être. Vous devez au contraire être courageuse, et mépriser les sottises du monde en désirant les biens du ciel et lhonneur de Dieu plutôt que les biens frivoles de la terre et les honneurs qui peuvent vous en revenir. Je veux quil en soit ainsi. Répondez à ceux qui vous diront le contraire, que tout votre désir est de voir messire Cieccolo servir fidèlement, de tout son cur, de toute son âme, le Christ de la terre et la sainte Eglise, sans penser à lavancement, aux grandeurs et à lintérêt, mais seulement à lhonneur de Dieu, et à ce que doit un fils [1597] à son père. Alors ses services seront agréables à Dieu, et ils vous seront glorieux et utiles: je dis utiles par les grâces que vous obtiendrez, et que Dieu veut que nous cherchions avec un grand zèle. Vous le ferez si vous mettez votre espérance en Dieu, mais pas autrement. Cest pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir mettre votre amour et votre espérance uniquement en lui; et vous devez le faire, puisque vous voyez quil est si nuisible de la mettre en soi, ou dans la créature, ou dans les choses créées, en dehors de Dieu; cette malheureuse espérance plonge lâme dans de nombreuses afflictions. Combien est différente lespérance que lhomme met en Dieu ! car lespérance procède de lamour. Toujours la créature espère en celui quelle aime: si elle aime la créature, elle espère dans la créature; si elle aime son Créateur, elle espère uniquement en lui, et lamour, le sentiment de la charité, met toujours une grande joie dans le cur qui la possède. 4. Oui, lespérance donne une grande joie; tous les trésors de la charité se trouvent dans lespérance, parce quelle vient delle. Elle est humble et douce pour ceux qui linjurient; elle est patiente à souffrir les tribulations, de quelque manière que Dieu les lui envoie; bien plus, elle désire souffrir pour Jésus crucifié, et elle cherche sa gloire dans ses opprobres; cest là quelle se repose, et elle ne veut se glorifier en rien autre chose, parce quelle ne cherche pas sa propre gloire, mais la gloire du nom de Dieu. La charité ne cherche pas ses intérêts, et ses services ne sont pas mercenaires, parce quelle sert par amour, et non à cause du profit quelle [1598] attend; elle éloigne toute amertume, parce quelle sest dépouillée de la volonté propre pour se revêtir de la douce Volonté de Dieu, et cest la volonté propre qui seule fait souffrir la créature. Cette vertu est si douce, si délectable, quelle fait paraître douces les choses amères; les grands fardeaux deviennent petits, et les contrariétés agréables; elle ôte à lâme le poids de la terre et le lui rend léger; elle léloigne de la société des hommes, et la fait converser avec les Bienheureux. 5. Cette espérance, fondée sur la charité, est si utile, quelle rapporte au centuple. Lhomme donne oa volonté seule, et il reçoit le centuple, la charité, avec laquelle il obtient la vie éternelle. Cest ce que disait le Christ au glorieux saint Pierre qui lui demandait: " Maître, nous avons laissé tout pour vous; que nous donnerez-vous ?" Le Christ répondait : Tu as bien fait, Pierre. Comme si la douce Vérité disait : Autrement tu ne pourrais pas me suivre. Celui qui ne renonce pas à sa propre volonté ne peut suivre Jésus crucifié. Puis il ajoute: " Je vous donnerai le centuple, et vous posséderez la vie éternelle. " La charité est donc bien utile, et nulle vertu ne peut lêtre davantage. Elle rend lhomme libre et souverain, puisquelle le tire de lesclavage du péché et lui assujettit la sensualité. Celui qui est maître de lui-même devient maître du monde, parce quil méprise ses grandeurs et ses délices, parce quil voit que tous ses biens sont sans consistance et sans durée; il en retire son espérance pour la placer en son Créateur, qui seul est sûr et immuable, et qui rien peut nous être ôté, si nous ne le voulons pas [1599]. 6. Oh ! combien est heureuse cette âme qui a mis son coeur et son amour en Dieu, qui est sa béatitude ! Dès quelle possède Dieu, elle ne sinquiète de rien, et elle ne tombe pas dans limpatience si elle vient à perdre un mari, des enfants, son rang, les honneurs et les richesses du monde, parce quelle les possède, non pas comme des choses qui lui appartiennent, mais comme des choses prêtées; son seul bien est la grâce divine. Elle ne sinquiète pas des propos des hommes, et pour leur plaire, elle ne veut offenser Dieu en aucune façon. Elle ne fait pas comme les personnes faibles, qui, pour plaire aux créatures, déplaisent au Créateur par leur vanité, tout en loffensant sur dautres points par leur sensualité. Elles résistent à la grâce que Dieu avait faite à leur âme de ne pas aimer à se parer de curieux et délicats vêtements, et à se parfumer le visage. Lorsquelles sont dans leur intérieur, elles ne paraissent pas sinquiéter de leur personne; mais pour plaire elles forcent la nature et se révoltent contre la grâce, voulant paraître aussi bien que les autres, sans crainte doffenser Dieu et de nuire à leur âme; et quand on les reprend, elles répondent : Je ne le fais pas pour moi, mais pour plaire à mon mari et ne pas me montrer plus triste que les autres. Elles se trompent, et ne savent pas où se trouve la vertu, à cause de la complaisance quelles ont pour elles-mêmes. Mais celle qui est dans la charité le sait bien; comme nous lavons dit, elle se dépouille de toute vanité et choisit ce qui est honnête, quels que soient la position, le moment et le lieu où elle se trouve. En toute chose elle considère Dieu, et ce quelle fait, elle le fait avec [1600] sa sainte crainte. Elle participe au sang de Jésus crucifié, parce quelle a déchargé sa conscience dans la sainte Confession avec la contrition, le regret de ses fautes et une entière satisfaction; elle reçoit ainsi la vie de la grâce. 7. Quelle différence, très chère Mère, entre ceux qui espèrent véritablement en Dieu et ceux qui ny espèrent véritablement en Dieu et ceux qui ny espèrent pas ! Aucune comparaison nest possible. Que dirons-nous donc? Nous dirons que les uns jouissent du vrai bonheur, et que les autres sont dans une profonde misère. Nous devons donc quitter avec grand soin tout amour sensitif, et nous occuper sans cesse de la douce pensée de Dieu et du Sang répandu pour nous avec tant damour. Nous devons montrer lamour que nous avons pour lui par notre charité envers notre prochain, que nous assisterons dans tous ses besoins; nous aimerons aussi entendre la parole de Dieu, veiller, prier sans cesse; nous aimerons tout pour Dieu, et rien sans lui. Cest à cela que je veux voua voir apporter tout votre zèle, afin que vous puissiez recevoir léternel et souverain bien qui vous est préparé. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1601]
CCCXXXVI.- A MADAME PENTELLA, servante de Dieu, mariée à Naples.- De lamour des souffrances, et de lhonneur que nous devons à Dieu.- Des épreuves dans le mariage.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie et parfaite lumière. Cette lumière vous fera connaître la vérité; en la connaissant vous laimerez, et vous verrez la voie quil vous faut prendre. Voyons quelle est cette voie et cette vérité, comment nous pourrons la suivre, et pourquoi nous devons la suivre. Jésus crucifié est notre voie, et il est la vérité, la vie. Na-t-il pas dit: " Je suis la voie, la vérité, la vie? " Celui qui suit cette voie, cest-à-dire qui suit en doctrine et ses traces, suit la voie de la vérité ; et celui qui suit la voie de la vérité reçoit en lui la vie de la grâce. Quel moyen lâme doit-elle prendre pour marcher dans cette voie? quel moyen Notre-Seigneur a-t-il pris lui-même? Le voici. Lui qui était et qui est la lumière, il regarda la volonté du Père, et cette volonté voulait, pour nous sanctifier, manifester son éternelle vérité. La vérité était quil avait créé lhomme pour lui donner la vie éternelle et le faire jouir du souverain Bien; mais, à cause du péché [1602] commis, cette vérité ne saccomplissait pas en nous; Il fallait pour laccomplir, détruire la faute; Dieu voulut à la fois détruire la faute et accomplir sa vérité dans lhomme; et alors cette vérité contraignit le Père, et, à cause de lamour ineffable quil avait pour nous et pour Sa vérité, il nous donna la vérité du Verbe, son Fils, quil revêtit de notre humanité, afin quil pût avec elle, par ses souffrances, satisfaire pour nos fautes, et accomplir ainsi an vérité en nous. 2. Lorsque le Verbe, le doux Fils de Dieu, eut reçu cette grande tâche de son Père, il courut, plein damour, à la mort honteuse de la très sainte Croix; et en accomplissant lobéissance, il accomplit la vérité. Nous avons été rétablis par lui dans la grâce, pourvu que, de notre côté, nous ne nous y opposions pas par nos fautes et nos misères. Ce doux Verbe savait que sans souffrir il ne pouvait nous rendre la vie, et il sest passionné pour les peines, il sest rassasié dopprobres; il a choisi comme vêtement les injures, la faim, la soif, les mépris, les outrages; et le péché lui a tant déplu, que, quoiquil ny eût pas en lui la moindre tache, il la puni sur son corps; et il a tant aimé les vertus, quil les a mûries dans son sang. Cet arbre de vie a produit pour nous des fruits de vertu; car, après la rédemption que nous avons reçue par son sang, le fruit des vertus nous profite pour la vie éternelle. Qua cherché le Verbe, et de quoi sest-il affligé? Il a cherché lhonneur de son Père et notre salut, et il sest plus affligé de loffense qui était faite et du malheur qui suivait loffense, que de sa propre peine. Nous voyons quil a plus gémi de la damnation de Judas que de sa trahison [1603]. 3. Voici la douce voie quil nous a enseignée et que nous devons suivre. Si vous me dites: Il était le vrai Fils de Dieu, et il pouvait agir ainsi; mais moi, je suis faible, et je ne le puis pas: regardez les saints qui lont suivi, ils étaient soumis à la même faiblesse. Ils ont été conçus, élevés et nourris de la même manière que nous, et cependant, avec le secours de Dieu, Ils ont tous suivi généreusement cette voie, et le secours quils ont eu, nous pouvons lavoir, si nous le voulons. Mais, parce que nous croyons ne pas le pouvoir, nous ne le faisons pas; dans notre aveuglement, nous ne connaissons pas et nous ne nous appliquons pas à connaître dans as doctrine, léternelle Vérité, et cela parce que nous ne voulons pas ; car, si nous le voulions, avec la haine véritable, du vice et avec lamour de la vertu, nous résisterions à la sensualité, et nous ne chercherions pas à la satin. faire par nos complaisances et nos faiblesses de femme, mais nous nous lèverions avec une sainte haine; nous détruirions en nous la volonté propre, et nous embrasserions la Croix avec un ardent et saint désir. 4. Nous nous réjouirions de nous voir foulés aux pieds par le monde, et notre gloire serait de souffrir sans lavoir mérité. Cest là le signe le plus certain qui montre si le serviteur de Dieu a ou na pas la lumière, pour connaître la vérité, O douce vie, combien tu es délicieuse pour lâme qui ta goûtée, en se perdant et en se renonçant elle-même ! Cette connaissance la fait courir, morte à toute volonté prou et, comme elle est morte, rien ne lui fait plus guerre, car cest de la volonté seulement que vient la [1604] guerre. Les tribulations et les persécutions du monde ne lui sont point amères; elles sont même la joie et la consolation du vrai serviteur de Dieu; plus il souffre, plus il est content, et lorsquil voit le monde avoir pour lui quelque respect et quelque estime, il sen afflige, parce quil craint que Dieu ne veuille le récompenser en cette vie du peu de bien quil fait, et parce quil voudrait ressembler à Jésus crucifié et suivre ses traces. Il ne se plaint pas de celui qui lui fait injure, et il ne voudrait pas être privé de ce quon lui fait souffrir; mais ce qui lafflige, cest loffense de Dieu et la, perte de lâme de son prochain : aussi il ne cesse de penser à lui devant Dieu avec un grand désir, et doffrir pour lui dhumbles et continuelles prières. 5. Pourquoi le fait-il? parce que dans la lumière et la doctrine de Jésus crucifié, il a connu la vérité, et parce quavec cette lumière, il a vu ce quil devait faire. Lâme doit répondre au démon et à sa fragilité, qui veulent combattre contre la raison et la vertu. Je ne puis vous écouter, mais je dois servir mon Créateur de tout mon cur, de toute mon âme, de toutes mes forces, et je dois le lui montrer en souffrant. Pourquoi ? parce que cest un commandement auquel je suis obligé dobéir. Outre le commandement, je dois le faire par reconnaissance, parce que tu as reçu gratuitement lexistence et toutes les grâces qui y sont ajoutées: et quand même je nen aurais pas reçu le commandement, je devrais le faire à cause des grâces reçues, car je ne veux pas être oublieuse ingrate après tant de bienfaits. Je veux rendre ce qui ne mappartient pas, car je travaille avec ce qui [1605] est à mon Créateur, et cest avec cela que je macquitte envers Dieu; je ne lui donne rien qui mappartienne, mais je lui rends ce que je dois lui rendre. 6. Oh ! combien est digne de châtiment le serviteur mercenaire qui veut prendre ce qui nest pas à lui ! Il sera sévèrement condamné par le souverain Juge et par sa conscience, parce quil doit honorer Dieu et se mépriser lui-même. Pourquoi est-il coupable et digne de châtiment? parce quil est tenu de servir fidèlement, sans avoir égard à sa propre consolation, au plaisir quil y trouve, ou à lapprobation des créatures; et, comme il est obligé de rendre gloire et honneur à son nom, ses services mercenaires ne pourront jamais lui faire remplir ses devoirs comme il le devrait. Admettons que Dieu soit glorifié; il nen serait pas de même de notre côté, et léternelle Vérité ne saccomplirait pas en nous; car elle nous a créés et fait renaître à la grâce dans le Sang pour nous donner la vie éternelle. Aussi lâme voit à la lumière la dette quelle a contractée, et en même temps elle voit quelle a été aimée de Dieu, et que toutes les grâces spirituelles et temporelles quelle a reçues lui ont été données par amour; elle se sent forcée de répondre à Dieu, de faire comme il a fait, et de ne pas quitter les traces de Jésus crucifié. 7. Il est vrai que nous ne pouvons rendre un amour gratuit à Dieu, car il nous a aimés avant que nous fussions, et nous, nous sommes obligés de laimer. Mais lâme, lorsquelle est éclairée par la lumière, prend le moyen que Dieu lui a donné pour sacquitter; elle aime le prochain dun amour désintéressé, et, quelque soit la peine quil lui cause, les reproches [1606] quelle en reçoit, et lingratitude dont il paie ses services, elle ne se rebute jamais, parce que la lumière la rendue constante et persévérante, à lexemple de lhumble Agneau, qui ne sest laissé arrêter ni par les tourments ni par les Juifs, qui lui criaient: " Descends de la Croix, et nous croirons en toi; " ni par notre ingratitude; mais il est resté constant et persévérant jusquau dernier instant où il remit lhumanité, quil avait reçue pour épouse, entre les mains de son Père éternel, en disant : In manus tuas, etc. Lâme, de même, triomphe par la lumière de la malice et des ruses du démon quand il veut la tromper sous de spécieux prétextes. Elle ne veut pas descendre de la Croix de son douloureux et saint désir, malgré les cris des Juifs, cest-à-dire des démons, qui emploient, mille moyens pour la faire descendre, tantôt sous prétexte de ne pas offenser Dieu, tantôt sous lapparence de la justice, en voulant faire reconnaître au prochain toute son ingratitude. 8. Quelquefois ils veulent renverser lâme en lui faisant désirer la mort de son prochain, sous prétexte davoir plus de paix et de repos dans lesprit; et le démon lui donne tant de raisons, ce désir insensé sincarne tellement en elle, que personne ne peut len ôter, parce que son aveuglement, sa sensualité, et lantipathie quelle éprouve lempêchent de voir et de connaître la vérité; et en cela elle est bien opposée à la volonté de Dieu, qui ne veut pas la mort du pêcheur, mais, au contraire, quil se convertisse et quil vive. Nous devons souhaiter aux créatures la vie spirituelle et corporelle, pour les voir vivre dans la grâce, et pour que Dieu donne au [1607] pécheur le temps de se convertir, afin quil ne meure pas dans les ténèbres du péché mortel. Cest là le désir de celle qui voit à la lumière quelle doit rendre au prochain lamour désintéressé quelle ne peut rendre à Dieu; avec cette lumière, elle foule aux pieds lesclavage de la sensualité. Ce nest pas as peine, cest loffense de Dieu quelle considère lorsquune créature, un époux, si vous le voulez, ne la traite pas comme femme, mais comme esclave, lorsquun fils ne la reconnaît pas pour mère, et une servante pour maîtresse. Quelle que soit la personne qui veuille lopprimer, elle ne se plaint pas; elle souffre tout avec résignation, elle supporte son injure avec une parfaite patience; mais elle gémit de loutrage fait à Dieu, et demande pour ses créatures, non pas la mort, mais la vraie lumière. Tels sont les saints désirs dune âme éclairée. 9. Il me semble, très chère Sur, que vous avez besoin, dune semblable lumière dans votre position; et cest pourquoi je vous ai dit que je désirais voir en vous la vraie et parfaite lumière, afin que vous connaissiez la véritable voie que vous devez prendre, comment et pourquoi vous la devez suivre. Vous connaîtrez ainsi la ruse et la malice du démon, qui enchaîne votre âme en vous faisant follement désirer la mort de quelquun, et en vous la faisant désirer si vivement, que personne ne peut vous ôter ce désir. Ce nest pas là servir Dieu, mais servir le monde et le démon. Quelle vertu pourrait prendre racine dans une âme semblable? On pourrait y voir des actes de vertu, mais des vertus, jamais. Combien de misères se montrent dans ce désir insensé ! On y voit le poison [1608] de lorgueil et de sa propre estime; car, si lâme nen était pas infectée, elle croirait plus aux autres quà elle-même, elle ne serait pas sans respect et sans docilité à légard de son Père spirituel; elle lécouterait, au contraire, elle lui obéirait lorsquil lui montre que ce désir nest pas véritablement selon Dieu, mais quil vient directement du démon et de sa passion sensuelle; lorsquil lui prouve que son amour pour le prochain et pour Dieu est intéressé, et quelle na quune patience pleine de mépris et de haine, de cette haine quelle ne devrait pas avoir contre la créature, mais contre la faute seulement. Et ensuite que de murmures, de faux jugements, de blasphèmes et de maux. Il serait bien difficile de les raconter. Aussi, très chère Sur, sortons de cet aveuglement, et prenons la résolution de suivre Dieu en vérité, de laimer entièrement et sans partage, de laimer généreusement comme il doit lêtre, sans penser à vous, et en le suivant dans la voie de la Croix, ne voulant pas souffrir à votre manière, mais à la sienne, aimant votre prochain comme vous-même, désirant voir en lui ce que vous voulez voir en vous. Offrez pour lui vos larmes, vos humbles et continuelles prières, à la lumière de la Foi, et soyez bien persuadée que tout ce que Dieu donne et permet, il le fait pour votre salut; et vous souffrirez avec une humilité sincère, une patience parfaite, vous jugeant digne de la peine, et indigne du fruit qui vient après la peine. 10. Voyez si vous êtes sage vous-même ! Ne faites-vous pas plus mal encore avec la chair, votre esclave et le libre arbitre, votre époux, qui sunit volontairement à cette esclave, pour maltraiter et avilir avec [1609] elle la raison, qui est la maîtresse? Certainement si. Vous devez donc plus haïr cette injustice, qui est en vous-même, que cette esclave et ce mari, qui sont hors de vous; car ceux-ci naffligent que votre corps avec leurs injures et leurs mauvais traitements, tandis que ceux-là frappent votre Ame, incomparablement plus noble que votre corps; toute la noblesse du corps vient de lâme1 et lâme vient de Dieu. Vous devez donc vous appliquer avec zèle à lhonorer, en veillant à ce que vous avez de plus noble, et en tournant toute votre haine contre vous-même. Faites en sorte que cette haine soit mortelle, cest-à-dire, désirez toujours la mort de votre propre volonté, afin que vive toujours en vous léternelle volonté de Dieu. Baignez-vous, anéantissez-vous dans le sang de Jésus crucifié, qui vous fera aimer Dieu et les créatures purement, et faites en sorte que ce qui a été jusquà présent nexiste plus. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour [1610].
CCCXXXVII.- A MADAME CATELLA, à madame Cecia, appelée Planula, et à madame Catherine Dentice, de Naples.- De la nourriture des anges et de la nourriture des bêtes.- Comment elles se prennent, et quels effets elles produisent.
(Cette lettre a beaucoup de rapport avec la CCVe que sainte Catherine adressait à la soeur Eugénie, sa nièce, au monastère de Montepulciano.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chères Surs et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir goûter la nourriture des Anges, car vous nêtes pas faites pour autre chose; et afin que vous puissiez la goûter, Dieu vous a rachetées avec le sang de son Fils. Mais pensez, très chères Filles, que cette nourriture ne se prend pas sur la terre, cest-à-dire avec un amour terrestre, mais en haut. Cest pour cela que le Fils de Dieu a été élevé sur le bois de la très sainte Croix, afin quavec lui et sur cette table sacrée, nous puissions prendre cette nourriture. Vous me direz : Quest-ce cette nourriture des anges? Je vous répondrai : Cest le désir affectif de lâme qui attire à soi le désir de Dieu, et de ces deux désirs, il ne se fait plus quune seule et même chose. Cette nourriture, pendant [1611] le pèlerinage de cette vie, prend le parfum des vraies et solides vertus. Ces vertus sont préparées au feu de la charité divine et prises sur la table de la très sainte Croix, cest-à-dire en souffrant les peines et les épreuves par lamour de la vertu, en résistant à la sensualité; et, de cette manière, lâme ravit par la force et la violence le royaume qui est appelé le ciel, parce que Dieu habite en elle par la grâce Cette nourriture rend lâme semblable aux anges; aussi elle est appelée la nourriture des anges. Lorsque lâme, séparée du corps, goûte Dieu dans son essence, il la rassasie tellement, quelle ne désire et ne peut désirer autre chose que de posséder plus parfaitement et daugmenter cette nourriture. Elle hait tout ce qui lui est contraire; et alors elle regarde avec prudence à la lumière de la très sainte Foi, qui éclaire loeil de son intelligence, ce qui lui est nuisible et ce qui lui est utile; et, selon ce quelle a vu, elle a de lamour ou de la haine, elle déteste la sensualité et la foule aux pieds de laffection, avec tous les vices qui en procèdent. Elle fuit toutes les causes qui peuvent lincliner au mal ou empêcher sa perfection; elle réduit la volonté propre, qui est le principe de tout mal, et la soumet au joug de la sainte obéissance aux commandements de Dieu. 2. Tous les chrétiens sont obligés à cette obéissance; mais il y en a beaucoup qui se soumettent à lobéissance religieuse dans un Ordre, et cest une plus grande perfection. Quand lâme est véritablement obéissante, non seulement aux commandements de Dieu et à lobéissance dun Ordre, mais encore à toute créature pour Dieu, elle fuit et retranche toute [1612] complaisance humaine, et se glorifie uniquement dans les opprobres et les souffrances de Jésus crucifié. Les injures, les mauvais traitements, les mépris, les outrages ont pour elle la douceur du lait, et elle sy plaît pour être semblable au Christ, son Epoux. Elle renonce à la conversation des créatures, parce que souvent elles sont des obstacles entre nous et notre Créateur; elle se réfugie dans la cellule de la connaissance delle-même et dans la cellule véritable. Je vous invite, mes Biens-Aimées, à rester dans la cellule de la connaissance de vous-mêmes, où nous trouvons ce désir affectif de Dieu pour nous, e dans la cellule véritable pour y veiller et y persévérer dans une humble et fidèle prière, détachant votre cur de la créature et des choses créées, naimant rien en dehors de Dieu, et vous revêtant de Jésus crucifié. Autrement vous prendriez cette nourriture sur la terre, et je vous ai dit quil ne fallait pas la prendre sur la terre. Pensez que le doux Epoux Jésus ne veut aucun obstacle entre lui et lâme, son épouse; il est très jaloux, et dés quil verrait que nous aimons quelque chose en dehors de lui, il séloignerait de nous, et nous deviendrions dignes de manger la nourritures des bêtes. Et ne leur deviendrons-nous pas semblables? Nous prendrions la nourriture des bêtes, si nous abandonnions le Créateur pour les créatures et les choses créées, le Bien infini pour les choses finies et éphémères, qui passent comme le vent, la lumière pour les ténèbres, la vie pour la mort, Celui qui nous revêt du soleil de justice avec lagrafe de lobéissance et les perles de la. foi, de lespérance et de la charité parfaite, pour celui [1613] qui nous en dépouille au contraire. Ne serions-nous pas bien insensés de nous séparer de Celui qui nous donne une pureté de plus en plus parfaite, à mesure que nous nous approchons de lui, pour ceux qui répandent linfection du vice et qui souillent nos curs et nos âmes ? Que Dieu les éloigne de nous dans son infinie miséricorde. 3. Pour que cela ne puisse jamais arriver, gardons-nous de la conversation coupable des personnes qui. mènent une vie débauchée; soyons fermes et prudentes, avec nous-mêmes et veillons avec une ardente charité aux besoins de notre prochain; nous montrerons par là que nous portons dans notre cur, Jésus crucifié. Je dis donc que lâme qui se nourrit de la nourriture des anges a vu à la lumière que lamour et les conversations des créatures en dehors du Créateur sont des obstacles qui privent de cette nourriture; aussi elle les fuit avec un grand zèle, et elle aime, elle recherche ce qui la fait croître et persévérer dans la vertu. Et parce quelle voit quon goûte mieux cette nourriture au moyen de la prière faite avec la connaissance de soi-même, elle sy applique continuellement, et fait tous ses efforts pour se rapprocher de Dieu. 4. Il y a trois sortes de prières. La première est la prière continuelle, cest-à-dire le saint et continuel désir, qui prie toujours en présence de Dieu dans tout ce que fait la créature, car ce désir dirige sans cesse vers son honneur, toutes nos uvres spirituelles et temporelles cest pourquoi on lappelle la prière continuelle. Le glorieux saint Paul en parle lorsquil dit : " Priez sans cesse. " La seconde prière [1614] est la prière vocale, quon fait lorsquon récite loffice ou quelque autre prière; cest une préparation pour arriver à la troisième, qui est la prière mentale; et lâme y arrive, quand lesprit sexerce avec prudence et humilité à la prière vocale. Lorsque ses lèvres parlent, son cur ne doit pas séloigner de Dieu, mais elle doit sappliquer à fixer et à affermir son cur dans la charité divine. Quand elle sent que son esprit est visité de Dieu, cest-à-dire quand elle éprouve un certain attrait à penser à Dieu, elle doit abandonner la prière vocale pour se livrer à lamour de Dieu, dont elle goûte la présence; et si son attrait cesse, elle doit reprendre la prière vocale, afin que lesprit . soit toujours occupé, et jamais vide. Si dans la prière nous éprouvons beaucoup de combats et de ténèbres qui troublent notre esprit, et si le démon veut nous persuader que notre prière nest pas agréable à Dieu, à cause de ces combats et de ces ténèbres, nous ne devons pas cesser, mais au contraire persévérer avec courage, en pensant que le démon agit de la sorte pour nous faire quitter la prière qui est une mère pour nous, et que Dieu le permet pour éprouver notre force et notre constance. Dans les combats et les batailles nous connaissons notre néant, et dans notre bonne volonté nous connaissons la bonté de Dieu, qui donne et conserve les bonnes et saintes résolutions, et qui ne les refuse jamais à ceux qui le veulent. 5. Lâme parvient ainsi à la troisième et dernière prière, qui est la prière mentale, où elle reçoit la récompense des peines quelle a souffertes dans la. prière vocale imparfaite. Alors elle goûte le lait de la [1615] prière fidèle; elle sélève au-dessus des sens; son esprit purifié sunit à Dieu par lamour, et, à la lumière de lintelligence, elle voit, elle connaît et se revêt de vérité. Elle est devenue la sur des anges; elle reste avec son Epoux à la table dun ardent désir, aimant à chercher lhonneur de Dieu et le salut des âmes, parce quelle voit bien que pour cela léternel Epoux a couru à la mort honteuse de la Croix pour accomplir les ordres de son Père et notre salut. Ainsi la prière est bien vraiment une mère qui, dans la charité de Dieu, conçoit les vertus et les enfante dans la charité du prochain. Où trouverez-vous la lumière qui vous guidera dans la voie de la vérité? dans la prière. Ou montrerez-vous lamour, la foi, lespérance et lhumilité? dans la prière. Et, si vous naimez pas, vous ne ferez pas ces choses; mais la créature qui aime veut sunir à ce quelle aime par le moyen de loraison cest là quelle expose ses besoins, parce quelle se connaît, et cette connaissance est le fondement de la vraie prière. Elle voit sa misère, elle se sent entourée dennemis, du monde avec ses Injures, du démon avec ses tentations, de la chair, qui combat lesprit et se révolte contre la raison. Elle voit quelle na pas lêtre elle-même, et quelle ne peut se guérir; et alors elle court avec foi à Celui qui est, qui sait, peut et veut la secourir dans toutes ses nécessités; elle limplore avec espérance, et attend son secours. 6. Cest ainsi que veut être faite la prière pour obtenir ce que nous désirons; et, de cette manière, les choses justes que nous demanderons à la Bonté divine, ne nous seront pas refusées; mais, en agissant autrement [1616] , nous en retirerons peu de fruit. Où sentirons. nous lodeur de lobéissance? dans la prière. Où nous dépouillerons-nous de lamour-propre, qui nous rend impatients? dans le temps dès injures et des peines. Ou nous revêtirons-nous de lamour divin, qui nous rendra patients et nous fera nous glorifier dans la Croix de Jésus crucifié? dans la prière. Où sentirons-nous le parfum de la continence, de la pureté, la faim du martyre, qui nous dispose à donner notre vie pour lhonneur de Dieu et le salut des âmes? dans cette mère si douce, dans la prière. Elle nous fera observer les saints commandements de Dieu; elle mettra ses conseils dans notre esprit et notre coeur, et y imprimera le désir de les suivre jusquà la mort. Elle nous éloignera de la société des créatures, et nous donnera celle du Créateur. La prière emplit le vase de notre cur avec le sang de lhumble Agneau sans tache et le couvre de feu, car il a été répandu avec un ardent amour. Il est vrai que lâme reçoit et goûte plus ou moins parfaitement les avantages de la prière, selon quelle se nourrit de la nourriture des anges, cest-à-dire du saint désir de Dieu, sélevant, comme nous Pavons dit, pour le prendre sur la table de la très sainte Croix, mais pas autrement. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir vous nourrir de la nourriture des anges; car vous ne pourrez pas avoir dune autre manière la vie de la grâce et être les vraies Servantes de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. 7. Jai reçu votre lettre, qui ma causé beaucoup de joie, parce que je désirais beaucoup avoir de vos [1617] nouvelles, et parce que vous men donniez en peu de mots, de très bonnes. Je veux parler du retour de la lumière dans ce pays. Le cur de Pharaon sest adouci. La Reine sétait montrée bien endurcie jusquà présent; elle sétait séparée de son chef, du Christ de la terre, pour sunir à lAntéchrist, au membre du démon; elle poursuivait la vérité, et exaltait le mensonge. Grâces, grâces soient rendues à notre Sauveur, qui a éclairé son cur par la force ou par lamour, et qui a fait en elle des choses admirables (Ces bonnes dispositions de la reine Jeanne ne durèrent pas, et elle retomba dans le schisme.). Réjouissez-vous et soyons dans lallégresse; appliquons-nous an saint exercice dont, nous avons parlé, et purifions souvent notre conscience par la Confession et par la Communion à toutes les fêtes solennelles, afin que, fortifiée dans votre pèlerinage, vous courriez généreusement à la table de la Croix, par la doctrine de lhumble Agneau, pour prendre la nourriture des anges, et faire briller en vous les stigmates de Jésus crucifié. Baignez-vous dans son précieux sang. Je me recommande instamment à notre Sauveur. Doux Jésus, Jésus amour [1618].
CCCXXXVIII.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise.- De la charité envers Dieu, doù naît la patience, et de la lumière de la Foi nécessaire pour acquérir la charité. (Cette dame était la mère des trois frères Buonconti, disciples de sainte Catherine, qui laccompagnèrent dans son voyage dAvignon. (Voir la lettre CCXLVII.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience, car autrement nous ne pourrons pas plaire à Dieu, et en cette vie nous goûterons les arrhes de lenfer. O vraie et douce Patience ! tu es cette vertu qui nest jamais vaincue, mais toujours victorieuse. Toi seule tu montres si lâme aime ou non son Créateur; tu nous donnes lespérance de la grâce, tu détruis la haine et la rancune du cur, tu éloignes le dégoût du prochain, et tu délivres lâme de la peine. Par toi, le fardeau des nombreuses tribulations devient léger, lamertume devient douce. En toi, Patience, royale vertu acquise par les mérites du sang de Jésus crucifié, nous trouvons la vie. O très chère Mère, parmi toutes les vertus, celle-là est la plus nécessaire, car nous ne passons pas cette mer du [1619] monde sans beaucoup de tribulations. De quelque côté que nous nous tournions, ses flots orageux nous poursuivent. Le démon nous attaque par de nombreuses tentations, et ce quil ne peut faire par lui-même, il le fait par le moyen des créatures, en se mettant sur les langues et dans le cur de ses serviteurs. Il trompe le regard de lintelligence. et fait voir ce qui nest pas; il inspire des pensées et des antipathies contre le prochain, souvent contre ceux quon aime davantage; et, lorsque le cur a conçu ces sentiments, il les met sur la langue et les fait enfanter par des paroles. Des paroles on arrive aux effets, et de cette manière il sépare ceux qui saiment, et occasionne ainsi les impatiences, la haine, la co1ère, qui nous privent de la vie de lamour. 2. Il ne faut donc pas le croire, mais il faut monter sur le tribunal de la conscience, et y rendre la justice; il faut opposer à ces flots dangereux la haine et le mépris de vous-même, en ouvrant loeil de votre intelligence, et en connaissant la bonté de Dieu et son éternelle volonté, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Il permet que le démon nous attaque et que les hommes nous persécutent, afin déprouver en nous lamour de la vertu et de la vraie patience, et de faire arriver de lamour imparfait à la perfection. Car lamour de la vertu se manifeste et se fortifie au moyen de notre prochain. Il faut aimer Dieu pour Dieu, parce quil est léternelle et souveraine Bonté, véritablement digne dêtre aimée. Il faut saimer et aimer le prochain pour Dieu, et non pour lintérêt ou pour le plaisir quon y trouve. Mais parce que la créature est créée et aimée par la [1620] souveraine Bonté, il faut lui rendre les services que nous ne pouvons rendre à Dieu lui-même, Ce que nous ne pouvons faire pour Dieu, nous devons le faire pour notre prochain. Cest ainsi que se manifeste la perfection de lamour; et quand lamour est parfait, il ne cesse jamais daimer et de servir, malgré les injures quon lui fait, les ennuis quon lui cause, parce quil ne cherche à plaire quà Dieu seulement. Cest dans ce but que Dieu nous accorde toutes les tribulations que nous avons. Le démon, au contraire, nagit que pour nous éloigner de la charité; mais si nous gommes prudents, nous combattrons les intentions du démon, et nous suivrons la douce volonté de Dieu; nous nous opposerons aussi au monde, qui nous persécute de tout son pouvoir. Il est bien peu ferme et durable; il est si pauvre, quil ne pourrait satisfaire notre cur. Toutes les choses du monde sont moindres que nous; elles sont faites pour notre service, et nous sommes faits pour Dieu. Il faut donc servir Dieu seul de tout notre cur, de toute notre affection, parce quil est le bien qui apaise et rassasie notre cur. 3. Puisque cette patience est si utile et si nécessaire, il faut lacquérir. Mais comment lacquérir? Je vous le dirai; avec la lumière, en ouvrant loeil de lintelligence, en reconnaissant son néant, et en attribuant tout ce quon est à lineffable charité de Dieu. On connaît sa bonté, qui nous a donné lêtre et toutes les grâces quil y a ajoutées. Et lorsquon a vu que Dieu nous a ainsi aimés, on voit encore que par amour, il nous a donné le Verbe son Fils unique, ce Fils qui nous a donné la vie. Et puisquil nous a [1621] donné la vie avec tant damour, nous devons être persuadés que toute peine, de quelque côté quelle vienne, que toutes choses, prospères ou contraires, nous sont données par amour, et non par haine, mais pour notre bien, afin de nous faire atteindre le but pour lequel nous avons été créés. Nous devons voir que, quelque grande que soit la peine, elle est au fond bien petite, puisquelle nest pas plus grande que le temps, et que le temps, pour nous, na pas plus de longueur et de largeur que la pointe dune aiguille. Toutes nos peines sont donc petites et finies. La peine qui est passée, nous ne lavons plus, puisque le temps sest enfui; celle qui doit venir, nous ne lavons pas encore, et le temps peut nous manquer pour lavoir. 4. Après avoir vu combien est courte la peine, nous devons voir combien elle est utile. Et cela, demandez-le au doux et ardent saint Paul, qui nous dit: " Les souffrances de cette vie ne sont pas comparables à la gloire future que Dieu a préparée pour ceux qui le craignent et qui supportent bien avec patience les saintes épreuves que la Bonté divine leur envoie ( Rm 8, 18)." Celui qui le fait goûte les arrhes du ciel en cette vie par sa patience; et si notre chair, dans sa faiblesse, veut par limpatience se révolter contre son Créateur, en refusant de souffrir, il réfléchit en lui-même et voit où doit le conduire limpatience; car, après avoir commencé son enfer en cette vie, il arrive enfin à léternelle damnation. Jamais on na vu limpatience éloigner la peine; elle laugmente [1622] au contraire; car la peine est ce que la volonté la fait. Détruisez en vous la volonté propre sensitive, pour vous revêtir de la douce volonté de Dieu, et vous aurez détruit la peine. Voilà le moyen et la voie pour parvenir à la vraie et parfaite patience; et je vous conjure, par lamour de Jésus crucifié, de ne pas négliger ces doux et précieux moyens, alla dacquérir la vertu de patience, car je sais combien elle est nécessaire à vous et à tout le monde. Cest parce que je connais le besoin que vous en avez, que jai dit que je désirais vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXXXIX.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise.- Le souvenir du sang de Jésus-Christ fait acquérir la charité, et par son moyen la patience.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baignée par le saint désir, dans le sang de Jésus crucifié. Dans ce sang, lâme se purifie de toute tache du péché, et elle y trouve lardeur de la divine charité, en voyant quil a été [1623] répandu par amour. Lâme alors senivre damour, elle sent le parfum de la patience, et, à cause de lamour quelle a trouvé dans le sang, elle se dépouille de tout amour delle-même, et elle supporte avec douceur toutes les adversités et les tribulations du monde, elle les traverse avec patience. Les prospérités, les délices du monde, les honneurs, laffection de ses enfants ne la troublent pas; elle les possède avec une vraie et sainte crainte, elle les aime comme des choses prêtées, et non comme des choses qui lui appartiennent. Cest ce que doit faire toute créature raisonnable. En le faisant elle noffense pas Dieu, et elle goûte dès cette vie les arrhes du bonheur céleste dans la charité fraternelle pour son prochain. Lâme trouve tout cela dans le souvenir du Sang. Cest la vérité; car tant que nous penserons avec un ardent désir au bienfait du Sang, nous serons reconnaissants, et nous nous acquitterons envers lui par lardeur de la charité et, par des vraies et solides vertus. En faisant autrement, la créature se rend coupable, non seulement parce quelle oublie le Sang et quelle est ingrate, mais parce quelle ne cherche pas à acquérir la vertu. Ainsi donc, très chère Mère, puisque le souvenir de ce sang précieux est si nécessaire, attachez-vous à lhumble Agneau sans tache, et baignez-vous dans son très doux sang. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1624].
CCCXL.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise, et à madame Catherine, femme de Gérard, fils de Nicolas.- De lunion dans la charité.- Jésus-Christ nous a enseigné cette vertu et nous la demande. De lemploi du temps.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Mère Nella, et très chère Catherine, ma Fille dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous encourage et je vous bénis dans son précieux Bang, avec le désir de vous voir unies et liées par le lien de la charité qui a attaché et cloué le Fils de Dieu sur la Croix. O ineffable et très douce charité ! combien est fort ce lien qui a retenu lHomme-Dieu, blessé et déchiré sur larbre de la Croix ! Cest là quil a porté le poids de nos iniquités; et comme lenclume est frappée par le marteau, lâme du Christ, dans sa Passion, a été travaillée par le feu de sa charité. O union douce et parfaite, que Dieu a contractée avec lhomme ! Je veux donc que vous vous embrasiez dun saint zèle, et que vous contractiez une union que ni le démon ni les créatures ne puissent rompre; et cette union est le Commandement que Dieu nous a laissé, parce quil navait rien de plus précieux à nous donner. Pourquoi ny a-t-il rien de plus précieux que davoir Dieu et dêtre dans la parfaite union de la charité de Dieu? Parce que Dieu [1625] est la charité, et celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu en lui, comme la dit la Vérité suprême: " Celui qui observera ma parole, je serai en lui, et lui en moi, et je me manifesterai moi-même à lui ( Jn 4,14). " O très doux Amour ! qui sommes-nous, pour vous manifester à lhomme? quelle est cette manifestation que vous faites dans lâme? Rien quune ineffable charité; la charité est une mère qui conçoit le parfum des vertus; et comme une mère nourrit ses enfants sur son sein, la charité nourrit les vertus, ses enfants, et produit des fruits pour la vie éternelle. 2. Il faut donc vous lever avec un saint zèle, ma très douce Mère et ma Fille, pour suivre les vertus et vous reposer sur ce glorieux sein de la charité. Si vous me dites: Où pourrons-nous trouver cette glorieuse mère? je vous dirai: Sur larbre de ladorable et très sainte Croix, où a été greffé le Verbe incarné, le Fils de Dieu, immolé avec tant damour. En fixant le regard de votre intelligence sur la Charité divine, qui se repose sans cesse sur vous, votre cur ne pourra sempêcher daimer en se voyant tant aimé; et cet amour produira la haine, le mépris de vous-mêmes et le dégoût du monde. Alors vous mépriserez ses délices, ses honneurs, et vous embrasserez les injures, les outrages, et vous les supporterez avec joie, en considérant les injures de votre Créateur. Oh ! combien est ignorant et vil le cur qui veut suivre une autre voie que celle de son Maître ! Car celui qui veut la vie éternelle doit suivre ses traces. il a dit : " Je suis la voie, la [1626] vérité, la vie; celui qui marche avec moi ne marche pas dans les ténèbres, mais il arrive à la lumière. " Et dans un autre endroit il dit: " Personne ne peut aller à mon Père, si ce nest par moi. " Puisque nous voyons tant damour en notre âme, il faut nécessairement retirer notre affection et nos désirs du siècle, qui est plein de ténèbres et damertume; il est sans sûreté, sans stabilité, sans ressemblance avec Jésus crucifié: le Christ est la vie, et lui la mort. 3. Levez-vous donc généreusement, très chère Mère et très chère Fille; abandonnez la pompe et la vanité du siècle; regrettez maintenant le temps perdu, et tâchez de le réparer avec le temps que vous avez; pensez quil vous faudra en rendre compte au moment suprême de la mort. Oh ! quelle confusion pour celui qui aura employé son temps dune manière négligente et coupable ! Je ne veux pas que nous nous exposions à cette confusion, mais que nous vivions si bien, quaprès cette vie nous nous trouvions avec le feu des vertus, avec la douce charité, leur mère, dans cette vraie cité de Jérusalem, où nous nous reposerons dans cette vision de la paix où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, et la faim sans peine. Oh ! Combien est bon et doux notre Dieu, qui, pour avoir abandonné les choses finies, nous donne des choses infinies ! Oui, plus de négligence et dingratitude; mais suivons les traces de Jésus crucifié. Aimez-vous, aimez-vous mutuellement, ma bien-aimée Mère et ma Sur. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Loué soit notre Seigneur Jésus-Christ. Doux Jésus, Jésus amour [1627].
CCCXLI.- A MADAME LAUDOMIA, femme de Charles Strozzi, de Florence.- On ne peut servir en même temps Dieu et le monde. De la manière daimer les créatures, et du prix de la grâce divine. (Cette dame était femme de Charles Strozzi, un des citoyens les plus illustres de Florence; cest lui qui conclut, en 1369 la paix avec la république de Pise, et qui fut envoyé en 1374, à Sienne, pour terminer les différends de la ville avec la famille des Salimbeni.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie servante de Jésus crucifié. Le servir nest pas servir, cest régner; car il affranchit lâme en la retirant de la servitude du péché; il nous ôte notre aveuglement, et nous donne la parfaite lumière; il nous ôte la mort, et nous donne la vie, la paix, le repos, en éloignant toute guerre. Il nous revêt du vêtement de la charité, et nous rassasie en nous donnant pour nourriture lAgneau qui a été préparé sur le bois de la très sainte Croix, au feu de lamour de lhonneur de son Père et de notre salut; il rassasie lhomme et lui ôte toute crainte servile. Cest donc un doux et ineffable honneur que de servir Dieu [1628]. 2. Oui, nous devons le servir avec un grand zèle, de tout notre cur, de toute notre âme. Remarquez que Notre-Seigneur ne veut pas de partage; il ne veut pas être servi à moitié, mais complètement. Car il est impossible de servir à la fois Dieu et le monde. Le Christ béni a dit : " Nul ne peut servir deux maîtres, car, en servant lun, il méprisera lautre, parce quils nont aucun rapport ensemble. " Le monde donne tout le contraire de ce que nous avons dit; car à celui qui le sert dans la sensualité, les délices, les honneurs, les richesses, les plaisirs des sens, dans ses enfants, son mari, ou nimporte quelle créature quil aime en dehors de Dieu dun amour sensuel. il donne la mort, laveuglement, la nudité; il le prive du vêtement de la charité, et lui donne la honte en lui faisant perdre sa dignité. Il a vendu son libre arbitre au monde et au démon, et il est enchaîné dans lesclavage du péché, parce quil a mis son affection et son amour dans ce qui est moins que lui, et il a offensé Dieu, car toutes les choses créées ont été faites pour nous servir, et nous pour servir Dieu. En les servant hors de Dieu, je loffense; je deviens le serviteur, lesclave du péché, qui est un néant, et je deviens néant parce que je suis privé de Dieu, qui est Celui qui est. 3. Il faut donc renoncer entièrement au monde, et servir Dieu. Mais pourquoi le monde est-il si opposé à Dieu? Parce que le Christ béni nous invite et nous enseigne à le servir dans la pauvreté volontaire. Si lhomme possède les richesses actuellement, il ne doit pas les posséder mentalement, cest-à-dire par le désir, mais il doit se dépouiller de tout attachement [1629] aux choses de la terre. Le monde aime lorgueil, et Dieu lhumilité; et cette vertu lui plaît tant, que nous voyons Dieu shumilier jusquà nous, et son Fils courir pour nous dans lhumilité et la patience jusquà la mort honteuse de la Croix. Il nous invite et nous engage à être patients avec lespérance et la foi vive; patients à souffrir tout ce que Dieu envoie, et à pardonner, pour son amour, à tous ceux qui nous offensent. Le monde veut tout le contraire: il veut se venger et rester dans la haine et la colère envers le prochain. Lespérance et la foi doivent être mises en Dieu, qui seul est immuable, et non pas dans les créatures; il faut se confier et être fidèle à Jésus crucifié, et ne pas espérer dans la sensualité. La foi vive, alors, enfantera des vertus et de saintes et bonnes uvres. 4. Dieu aussi aime la justice, et le monde linjustice. Faisons donc, faisons une sainte justice de nous-mêmes. Quand nos sens veulent se révolter contre leur Créateur, levons-nous avec lamour du cur et la lumière de la conscience, et dénonçons-les au maître, cest-à-dire au libre arbitre, qui enchaînera lennemi avec les liens de la haine, et le tuera avec le glaive de lamour divin. Faisons cela, très chère Sur, parce quen le faisant nous serons des serviteurs fidèles, et en étant serviteurs, nous deviendrons maîtres. Vous avez vu quel honneur et quel profit procure à lâme ce service; et sans lui nous ne pouvons atteindre le but pour lequel nous avons été créés. Nous avons vu aussi dans quel danger, quel abaissement, quelle misère tombe lâme qui sert le monde, ses joies et ses plaisirs. Nous avons vu aussi pourquoi [1630] Dieu et le monde nont pas de rapport ensemble, pourquoi ils sont si éloignés lun de lautre. Le Christ aime la vertu et déteste le péché, et il aime et déteste tant, que, pour nous revêtir, il sest dépouillé de la vie et a expié nos iniquités sur son corps, au milieu des fouets, des peines, des outrages, des injures, et enfin dans la mort honteuse de la Croix. Puisque le péché lui déplaît tant, nous devons le fuir et le haïr jusquà la mort; car lâme noffense Dieu quen aimant ce quil déteste, et en détestant ce quil aime. 5. Excitons-nous donc à un saint désir, et servons Dieu avec un ardent amour, dépouillant notre cur de toute vanité et de toute affection déréglée pour un mari, des enfants, des richesses; possédez-les et aimez-les comme des choses qui nous sont prêtées; car toute chose nous est donnée comme prêt et comme usage, et elle ne dure quautant quil plaît à Dieu, qui nous la donnée. Il ne convient pas de posséder comme nous appartenant ce qui ne nous appartient pas. Mais la grâce divine est à nous, et nous devons la conserver comme à nous; elle est si bien à nous, que ni le démon ni les créatures ne peuvent nous lenlever, si nous ne le voulons pas; et il est bien ignorant, celui qui se prive lui-même dun si grand trésor: nous devons bien lestimer, puisquil est si précieux. Et pour que vous puissiez mieux lavoir, le posséder, cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié, et baignez-vous dans son précieux sang. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1631].
CCCXLII.- A MADAME JEANNE PAZZI.- De lamour que Jésus-Christ nous a montré dans Sa passion.- Du moyen dacquérir la patience. (Jeanne Pazzi fut une des compagnes de sainte Catherine; elle appartenait à une des plus illustres familles de Florence.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine. la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir bien souffrir ce que notre doux Sauveur permet. Cest à cela que la Vérité éternelle reconnaîtra que vous laimez; car nous ne pouvons lui donner une autre preuve de notre amour, si ce nest daimer avec charité toute créature raisonnable, et de souffrir avec une vraie et inaltérable patience jusquà la mort. ne choisissant jamais le lieu et la manière. mais nous en rapportant à Dieu, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Ne serait-ce pas folie à nous, pauvres malades; de demander à notre médecin, le Christ, une médecine selon notre bon plaisir, et non selon sa volonté, puisquil voit et connaît ce dont nous avons besoin. Je veux que vous sachiez bien, ma Fille, que tout ce que Dieu donne ,et permet en cette vie, il le fait ou pour notre salut, ou pour notre perfection [1632]. Nous devons alors souffrir humblement et avec patience, et recevoir tout avec respect, en fixant le regard de notre intelligence sur la charité, lardent amour avec lequel il donne; et en voyant quil donne par amour, non par haine, nous recevrons avec amour. Cette vertu de la patience est si nécessaire, quil faut sans cesse la poursuivre pour ne pas perdre le fruit de nos peines; nous devons secouer toute négligence, et aller avec zèle là où elle se trouve. 2. Où se trouve-t-elle? en Jésus crucifié. Sa patience fut si grande, quon ne lentendit jamais se plaindre. Les Juifs criaient: " Crucifiez-le ! " Et lui disait: " Père, pardonnez à ceux qui me crucifient, car ils ne savent ce quils font. " O patience qui nous donnes la vie ! En supportant nos iniquités avec patience, vous les avez crucifiées avec votre corps ! Il a lavé avec son sang la face de notre âme; et dans ce sang répandu avec un si ardent amour et une si parfaite patience, il nous a fait renaître à la grâce. Ce sang a recouvert notre nudité et nous a revêtus de la grâce; la chaleur a détruit la glace et réchauffé la tiédeur de lhomme; il a dissipé les ténèbres et donné la lumière. Dans ce sang, se consume lamour-propre, cest-à-dire que lâme qui se voit ainsi aimée dans ce sang, se décide à quitter le misérable amour delle-même et à aimer son Rédempteur, qui a donné sa vie avec tant damour, et qui a couru avec transport à la mort honteuse de la Croix. Il a fait de son sang un breuvage, et de sa chair une nourriture pour tous ceux qui le veulent. Il ny a pas dautre moyen de rassasier lhomme: il napaise la faim et la soif que dans ce sang [1633]. 3. Lhomme posséderait le monde entier, quil ne pourrait être rassasié, parce que les choses du monde sont moindres que lui. Tout ce qui est moindre ne saurait lui suffire; mais il peut se rassasier dans le Sang, parce que le sang est uni et mêlé à la Divinité, à la nature infinie, Il est plus grand que lhomme, et lhomme peut satisfaire son désir dans le feu de la divine Charité, parce quil a été répandu par amour; il nous a été donné en abondance. Huit jours après sa naissance, son corps en répandit un peu dans la Circoncision : ce nétait pas assez pour désaltérer la créature; mais sur la Croix, la lance perça son coté, et Longin lui ouvrit le cur (Voir Legenda Aurea Acta Sanctorum, 15 mars). Des flots de vie séchappèrent, lorsque lâme fut séparée du corps, et le Sang fut donné à pleines mains, et annoncé avec éclat par la miséricorde. LEsprit-Saint criait: " Que celui qui veut du Sang accoure. " Et où? à la source même, à Jésus crucifié, en suivant sa doctrine et sa voie. Quelle est sa doctrine? aimer lhonneur de Dieu et le salut des âmes, et acquérir la vérité, en souffrant et en faisant violence à la sensualité. 4. Quelle voie doit tenir celui qui veut arriver à la doctrine pour avoir le Sang? quel vase et quelle lumière faut-il avoir? la lumière de la très sainte Foi. La Foi est la prunelle de loeil de lintelligence; et si lâme navait pas cette glorieuse lumière, elle perdrait la voie, comme le font les hommes du monde, qui ont obscurci loeil de leur intelligence avec le nuage de lamour-propre et de la tendresse pour eux-mêmes, et qui vont par les ténèbres comme des aveugles: [1634] non seulement ils ne profitent pas du Sang, mais ils le méprisent et le foulent aux pieds. Il faut donc avoir la lumière, comme nous lavons dit, et suivre la voie de la vraie connaissance de nous-mêmes et de la bonté de Dieu à notre égard; avec la haine du vice et lamour de la vertu. Cest là une voie et une demeure où lâme connaît et apprend la doctrine de Jésus crucifié. Dans cette demeure de la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, nous trouvons le Sang, où est purifiée notre âme. Quel vase faut-il porter? le vase de notre cur, afin que, mettant comme une éponge, son amour dans le Sang, il attire à lui le Sang et lardeur de la charité avec laquelle il a été répandu. 5. Alors lâme senivre, parce quelle a eu la lumière; elle est allée par la voie en suivant la doctrine de Jésus crucifié elle est arrivée au lieu, elle a rempli le vase, et elle goûte la nourriture de la patience, le parfum de la vertu et le désir de la souffrance, tellement quil lui semble ne pas pouvoir se rassasier de porter la Croix pour Jésus crucifié. Elle fait comme lhomme ivre, plus il boit, plus il voudrait boire: de même plus lâme souffre, plus elle voudrait souffrir; sa seule consolation sont les peines; les larmes que lui cause le souvenir du Sang deviennent son breuvage, et les gémissements sa nourriture. Cest donc la voie et la manière de pouvoir arriver à la grâce et acquérir la royale patience. Cest ce qui me faisait, dire que je désirais vous voir souffrir tout ce que la Bonté divine vous envoie avec une vraie et sainte patience. Ainsi, très chère Fille, ne dormons plus du sommeil de la négligence, mais entrons dans la plaie ouverte du côté de Jésus crucifié, où nous [1635] trouverons ce sang, avec une vive et profonde douleur de loutrage fait à Dieu. Il ny a vraiment pas dautre lieu pour reposer sa tête, si ce nest le Sang et la tête couronnée dépines de Jésus crucifié. Lancez donc là les flèches dun ardent désir, dune humble et continuelle prière pour lhonneur de Dieu et le salut des âmes. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXLIII.- A MADAME CONSTANCE, femme de Nicolas Soderini, de Florence.- Du mépris du monde, et du désir de la mort quont les saints, et de la manière de sy préparer, en mourant de la volonté propre. (Voir les lettres LII, LIII, LIV, et la vie de sainte Catherine, IIIe p., ch. 6.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1.Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de voir votre cur dépouillé de lamour misérable du monde, si bien que toute chose lennuie et lui déplaise tant, que vous disiez avec le doux apôtre saint Paul: " Je désire être délivré de mon corps pour être avec le Christ (Phil 1,23). " Saint Paul savait [1636] que la vie du corps était un grand obstacle entre Dieu et lui, de deux manières La première, parce que le corps se révolte toujours contre lesprit, et en se révoltant contre lesprit, il se révolte contre son Créateur. La seconde, parce que la vie du corps lempêche de voir et de jouir de la vision de Dieu jusquau moment où lâme est affranchie de cette chaîne. Aussi saint Paul et les autres serviteurs de Dieu désirent la mort et supportent seulement la vie avec patience. Mais songez quil faut mourir deux fois avant darriver à la vie. Il faut dabord que lhomme meure à toute volonté propre, coupable et sensuelle, car cette volonté sensuelle conduit celui qui ne la tue pas, à la mort éternelle. Il faut donc que lhomme se lève et la frappe avec le glaive de la haine et de lamour, cest-à-dire avec la haine du péché et lamour de la vertu, Et de cette manière, lâme attendra la seconde mort, cest-à-dire la mort corporelle, comme un sommeil qui est la fin de toute peine, qui dissipe les ténèbres, et fait arriver lâme à la lumière de la vision de son Dieu. 2. Mais pensez, ma Fille, que si lhomme na pas vécu en tuant sa volonté, comme nous lavons dit, sa mort corporelle ne sera pas si glorieuse, elle sera même bien pénible. Je veux donc que vous suiviez les vraies et solides vertus, fuyant le monde et ses délices, et vous rapprochant toujours de Dieu. Vous recevrez la joie parfaite et une paix inaltérable, vous perdrez toute crainte servile; vous concevrez une foi vive avec laquelle vous regarderez la divine miséricorde; et dans cette foi, vous trouverez que Dieu ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification [1637]. Cest pour que nous soyons sanctifiés en lui quil nous a donné le Verbe, son Fils unique, et quil a voulu quil mourût de la mort honteuse de la Croix. Il y a là tant de miséricorde, que la langue et le cur de lhomme sont incapables de le dire et de limaginer; et dans cette miséricorde disparaissent toute crainte et toute peine. Quelquefois lâme qui saime encore elle-même souffre beaucoup de la crainte de la mort, et cest une illusion du démon. Le démon lui dit: Tu vois bien que tu mourras sans avoir fait aucun bien: et sais-tu où tu iras? tes uvres ne méritent autre chose que lenfer. Dun autre côté, il lui inspire de la tendresse pour elle-même en lui disant: Ne sais-tu pas que ton corps, qui jouit des biens et des délices du monde, sera bientôt mort, et plus laid que celui dun autre animal ? La malice du démon met ainsi ces pensées dans le cur pour jeter lâme dans le trouble et le désespoir, en lui faisant voir ses défauts et ses péchés, et en lui cachant la miséricorde divine. 3. Il faut donc que lâme combattre cette malice du démon, et réponde intérieurement, en regardant son Créateur, à ces pensées qui le troublent : Je confesse que je suis mortelle, et cest là une grande grâce; car par la mort jarriverai à ma fin, à Dieu, qui est ma vie. Je confesse aussi que ma vie avec les uvres que jai faites ne méritent autre chose que lenfer; mais jai foi et espérance dans mon Créateur, dans le sang de lAgneau immolé pour moi. Il me pardonnera mes péchés, et me donnera sa grâce. Je mappliquerai à me corriger pendant le temps qui me reste; et si la mort vient avant que je puisse y parvenir, avant que je puisse faire pénitence de mes péchés, je me confie [1638] en Jésus-Christ, mon Seigneur, parce que je vois quil ny a aucune comparaison entre la miséricorde divine et mes péchés. Si tous les péchés quon peut commettre étaient réunis en une créature, ce serait comme une goutte de vinaigre au milieu de la mer, si on les comparaît à la miséricorde divine, pourvu que lâme veuille la recevoir avec une vraie et sainte disposition, avec le regret de la faute commise. Ce regret lui fait perdre toute faiblesse pour son corps et pour les choses créées. De cette manière, lâme se ranime; elle augmente lamour quelle a pour sa fin, et perd la crainte servile qui la trouble; elle jouit avec délices de son bien-aimé Jésus crucifié, et elle attend avec joie et calme lheure de la mort. Non seulement elle lattend, mais elle désire quitter le monde, et être avec le Christ. 4. Ainsi donc, ma douce Fille, plus de crainte; mais passez dans la joie cet instant de la vie, avec le désir de la vertu, avec la vraie patience, supportant toutes les peines temporelles et spirituelles que Dieu vous accordera par la maladie ou par quelque autre moyen. Cest quil veut pouvoir vous récompenser quand vous sortirez des tempêtes de cette vie ténébreuse pour aller dans le lieu de repos, dans la vraie cité de Jérusalem, la vision de la paix, où tout bien est récompensé, cest-à-dire toute patience et toute bonne uvre que nous accomplissons en cette vie. Oh ! combien serait fou et insensé le marchand auquel on confierait un trésor pour le faire profiter, et qui, par crainte de la peine, lenfouirait dans la terre ! Ne serait-il pas digne dêtre condamné et de perdre la vie? Nous sommes aussi des marchands auxquels est [1639] confié le trésor du temps, avec le libre arbitre, la volonté que Dieu nous a donnée pour le faire profiter pendant toute notre vie; nous pouvons perdre ou gagner selon notre volonté. Nous serions bien insensés si, par crainte de la peine, nous enfouissions le temps qui nous est donné pour gagner la vie éternelle par la pratique de la vertu, et si nous achetions lenfer par notre vie coupable. Car notre vie est coupable lorsque nous enfouissons notre temps et notre volonté dans la terre, cest-à-dire lorsque nous désirons, et que nous aimons les choses de la terre avec un amour déréglé, en dehors de Dieu. Cest pourquoi je vous ai dit que je désirais voir votre cur dépouillé de tout amour et de tout attachement pour le monde et de toute crainte servile; je veux que vous soyez toute revêtue de Jésus crucifié, que vous mettiez là votre foi, votre espérance, afin que le démon, avec toutes ses ruses, ne puisse pas vous tromper par une peur déréglée de la mort, mais que vous désiriez au contraire retourner à votre fin. Je ne vous dis pas autre chose. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Bénissez la jeune fille dans le Christ, le doux Jésus. Saluez de ma part Mme Néra et Nicolas. Dites leur de bien estimer le temps, et de lemployer avec un vrai et saint désir pendant quils lont. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1640].
CCCXLIV.- A MADAME RABES, femme de François Tholomei.- Les vertus, et surtout la charité, sacquièrent par lunion avec Jésus crucifié. Des différents degrés de cette union. (Le bienheureux Raymond fait léloge de cette dame, en racontant la conversion de ses deux filles et de son fils Jacques. (Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. 7)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ. je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir morte à la sensualité: autrement vous ne pourrez participer à la vie de la grâce. Oui, je voudrais vous voir vous appliquer avec un ardent désir à quitter les choses fragiles du monde, car il nest pas convenable que nous, qui sommes faits pour goûter le bonheur du ciel en nous nourrissant de la nourriture des vertus, nous goûtions la terre, et nous nous nourrissions de lamour sensitif, doù procèdent tous les vices. Il faut nous lever et monter les hauteurs de la vertu en fixant le regard de notre intelligence sur le bois de la Croix, où nous trouverons lAgneau et larbre de vie, qui de son corps, nous a fait des degrés. 2. Le premier degré où il nous enseigne à monter sont les pieds, cest-à-dire laffection. Comme les pieds[1641] portent le corps, laffection porte lâme. En montant ce degré, cest-à-dire ses pieds percés et cloués sur la Croix, vous trouverez laffection dépouillée de tout amour déréglé. En arrivant au second, cest-à-dire au côté ouvert de Jésus crucifié, vous verrez le secret de son cur, avec quel amour ineffable il nous a fait un bain de son sang. Au premier degré, on se dépouille de toute affection; et au second, on goûte lamour quon trouve dans le cur ouvert de Jésus-Christ. Par le troisième degré, on arrive à la bouche du Fils de Dieu; on sy nourrit dans la paix, parce que lâme qui a revêtu lamour de Jésus crucifié, et qui sest dépouillée de lamour sensitif qui lui faisait la guerre, a trouvé la patience. et toute amertume lui parait douce (Dialogue, ch LXXV, LXXVI). Elle se réjouit même des persécutions et des tribulations du monde, de quelque côté que Dieu les lui envoie, parce quelle a trouvé la paix de la bouche. Celui qui donne la paix sunit à celui à qui il la donne: ainsi lâme revêtue de vertus par lamour goûte Dieu par la bouche du saint désir dans le désir de Dieu; et dans ce désir de Dieu, elle sunit à lui avec paix et quiétude. Vous voyez que Jésus crucifié nous a fait une échelle de son corps, afin que nous atteignions les hauteurs du ciel, de la vie éternelle, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût et la faim sans peine, car, comme dit saint Augustin, le dégoût de la satiété et le tourment de la faim y sont inconnus; les bienheureux sont rassasiés de ce dont ils ont faim et désir dans léternelle vision de Dieu. Elle est bien ignorante et [1642] bien malheureuse lâme qui, par sa faute, perd un si grand bien, et se rend digne dun si grand mal. Courage donc, très chère Fille, et ne comptez pas sur le temps que vous navez pas ; mais quittez par la force de lamour, la perversité de votre amour sensitif, qui vous ôte la lumière de la raison, et vous fait aimer le monde et vos enfants outre mesure: autrement vous ne pourrez pas atteindre la fin pour laquelle vous avez été créée. 3. Je vous ai dit que je désirais vous voir vivre morte à la volonté propre et à lamour de vous-même, parce quil me semble que vous êtes encore bien vivante, et jai vu par la lettre que vous mavez écrite que lamour aveugle vous faisait sortir de lordre que Dieu veut. Vous me dites que Françoise est très mal (Françoise était une des filles de Mme Rabès; elle était entrée dans le Tiers Ordre. Matthieu, son fils, avait revêtu lhabit de Saint-Dominique, et la règle défendait quil sortit sans être accompagné dun autre religieux.), et que vous voulez que Frère Matthieu vienne sur-le-champ, malgré tout obstacle, et que, sil ne vient pas, vous lui donnerez votre malédiction; sil ne peut faire autrement, il doit prendre un paysan pour laccompagner. Je vous dis que vous ne pouvez excuser votre folle impatience. Jugeons, non pas seulement daprès la religion, mais daprès le simple bon sens que la nature donne; si vous laviez eu, vous nauriez pas agi de la sorte. Sil fallait, pour contenter votre désir ou celui de votre fille, que frère Matthieu vint, vous deviez demander deux Frères: lun serait venu avec lui, lautre serait resté, car vous savez bien que ni lun ni lautre ne peut venir ou rester seul; [1643] mais la passion vous égarait, et vous aviez les oreilles pleines de murmures. Tout cela vient de ce que vous navez pas levé les yeux de la terre, ni monté le premier degré dont nous avons parlé. Si vous laviez monté, vous désireriez uniquement voir votre fils chercher lhonneur de Dieu et le salut des âmes. Avec ce désir, vous et les autres, vous auriez bouché vos oreilles, et retenu votre langue pour ne pas entendre les paroles qui ont été dites, et pour ne pas les dire. Quil nen soit plus ainsi. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et quittez la société des morts pour celle des vivants, des vraies et solides vertus. Je ne vous en dis pas davantage. Encouragez Françoise, et demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXLV.- A MADAME LOUISE DE GRANELLO.- De lamour de Dieu, et de lamour de nous-mêmes. De lutilité des épreuves. (Cette dame était de la famille des Tholomei, de Sienne)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et [1644] parfaite charité; car sans la charité, aucun acte de vertu naurait en lui la vie. Toute vertu vit par la charité; cest cette mère qui enfante les vertus, non pas mortes, mais pleines de la vie de la grâce. Cette douce charité possède la lumière de la très sainte Foi; et à cause de lamour quelle a pour son Créateur, elle croit fermement que Dieu ne veut autre chose que son bien, et que tout ce quil donne et permet est pour sa sanctification. Cette connaissance et cette lumière quelle reçoit de lardeur de la charité la rend patiente; elle ne se scandalise et ne se trouble de rien de ce qui lui arrive, elle le reçoit au contraire avec respect. O très chère Fille et Sur dans le Christ, le doux Jésus ! il me semble que la Bonté divine permet bien des fatigues, des ennuis, des tentations du démon pour votre bien, non pas pour que vous soyez vaincue, mais pour que vous soyez victorieuse. Ces peines et ces combats vous rendent bien nécessaire cet amour éclairé par la lumière de la très sainte Foi. Si vous lavez, lamertume vous deviendra dune douceur extrême, et les fardeaux pesants vous paraîtront légers, parce que vous connaîtrez à la lumière que Dieu vous donne tout pour votre bien, et vous ne pourrez pas vous plaindre de votre bien. Mais vous me direz: Puisquil est si doux et si nécessaire davoir cette charité, comment lavoir, et où la trouver? Je vous répondrai en deux mots, que lamour ne peut venir que de lamour, et que, sans la lumière, on ne peut le trouver. Car en marchant sans la lumière, nous marcherons où il nest pas, et nous marcherons ainsi dans les ténèbres. 2. Il faut donc éloigner de nous ce qui nous prive [1645] de la lumière, cest-à-dire lamour-propre, qui est un nuage qui nous empêche de voir et de connaître la vérité de ce que nous devons aimer. Ce nuage fait aimer dans les ténèbres, aimer hors de Dieu, non dun amour raisonnable, mais dun amour sensuel. Il faut donc dissiper ce nuage en nous détachant par la haine et le mépris, de cette loi mauvaise, qui combat toujours contre lesprit avec lamour coupable et déréglé; et lorsque loeil de lintelligence est éclairé par la lumière de la Foi, il se fixe sur lamour ineffable que Dieu nous a montré par le moyen du Verbe incarné, son Fils unique. Ce doux et tendre Verbe, lAgneau sans tache, nous la montré avec son sang, et lâme senivre de ce sang quelle voit répandu avec tant damour. Par ce sang, elle connaît la Vie éternelle, Dieu, qui pour accomplir sa vérité dans nos âmes, et nous donner la fin pour laquelle nous avons été créés, permet que nos ennemis, le monde, le démon et notre chair nous tourmentent, uniquement pour que notre cur ne mette pas sa fin dans le monde et la sensualité, mais pour quil séloigne des épines cruelles du monde, qui nous déchirent, et de ses plaisirs éphémères, qui passent comme le vent. Oh ! combien est insensé celui qui met là son désir et son affection ! Il ne faut jamais le faire; la créature raisonnable doit prendre les choses du monde pour ce quelles valent, et pas davantage. Elle doit les aimer et les conserver pour Dieu, et non pas sans Dieu, elle doit sen servir comme de choses prêtées, qui ne lui appartiennent pas, en sattachant aux vertus quon trouve dans la charité, cette charité que fait naître dans lâme la lumière; [1646] car par cette lumière, lâme connaît quelle est aimée de Dieu. Vous voyez donc que de lamour par la lumière, vient lamour. 3. Mais où le trouverons-nous? dans la sainte connaissance de nous-mêmes, en nous voyant aimés avant que nous fussions, parce que lamour que Dieu a eu pour nous la forcé à nous créer à son image et ressemblance. Nous trouvons en nous le sang qui a manifesté lamour que Dieu nous porte; et dans ce sang, nous recevons notre rédemption, car après avoir perdu lêtre de la grâce, nous avons été régénérés à la grâce. Nous sommes le vase qui a reçu ce sang, puisquil a été uniquement répandu pour nous. Ne quittons donc jamais la demeure de la connaissance de nous-mêmes; et dans cette lumière, par lardeur de la charité qui nous vient de la lumière, nous souffrirons avec une vraie et solide patience, ne méprisant, ne fuyant jamais les peines, de quelque manière quelles viennent; mais les acceptant avec amour, parce que nous voyons que cest par amour que Dieu les donne et non par haine, non pour nuire à notre salut, mais pour nous le rendre facile. Je veux donc, très chère et très douce Fille, que vous vous appliquiez avec un grand zèle à acquérir cet amour à la lumière de la Foi. Demeurez dans les sentiments de la charité : autrement vos vertus ne seraient pas vivantes, mais mortes, et nous goûterions, en cette vie, les arrhes de lenfer. 4. Comme je sais quil ny a pas dautres moyens, je vous ai dit que je désirais vous voir affermie dans la vraie et parfaite charité. Elle vous fera supporter toutes vos peines; et Dieu, qui ne méprise pas les [1647] saints désirs et les peines que vous souffrirez pour la gloire et la louange de son nom, éloignera la peine, et nous conduira au but, au terme désiré, si nous triomphons nous-mêmes de la volonté propre en lunissant à la douce volonté de Dieu. Je ne veux pas que vous tombiez dans le trouble et le désespoir à cause des illusions et des tentations que le démon veut vous donner, en mettant dans votre esprit de laides images et des pensées déshonnêtes; mais embrassez la très sainte Croix avec une foi vive et une ferme espérance, où vous verrez que Dieu les permet par amour, et quil ne vous donne pas plus que vous ne pouvez porter. Je veux que vous sachiez bien quaucune tentation, aucune pensée, quelque laide quelle soit, nest un péché, pourvu que nous ny consentions pas volontairement en nous y complaisant. Conservons donc notre volonté en méprisant ces pensées, et fortifions-la dans léternelle et douce volonté de Dieu, avec le souvenir du sang de Jésus crucifié. 5. Bannissez toute peine de votre esprit, et laissez-moi porter devant Dieu le poids de vos ennuis, pourvu que de votre côté, vous ne résistiez pas à Dieu, qui vous appelle par ces épreuves. Pratiquez la vertu, et recourez souvent à la sainte Confession ; aimez à entendre la parole de Dieu et la sainte messe, quand vous le pouvez, au moins les jours prescrits par lEglise, Souffrez généreusement, espérant que si Dieu est pour vous, le démon et les créatures ne pourront rien contre vous. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je rends [1648] grâce à la Bonté divine, et je vous remercie de laumône que vous avez faite, et quil semble que vous voulez faire aux serviteurs de Dieu, les religieux, qui, en priant, nous obtiennent des biens infinis pour quelques biens finis. Faites toujours votre devoir, autant que vous le pourrez. Vous devez être la providence des pauvres, de ceux qui nont rien, car les pauvres sont les mains qui, avec la charité de laumône, ouvrent les portes du ciel. Soyez donc pleine de zèle pour votre salut. Doux Jésus, Jésus amour. Fait à Sienne, le 27 du mois daoût 1378.
CCCXLVI.- A MADAME STRICCA, femme de Cionne Salimbeni.- De la vertu de patience.- La tribulation et la prospérité nous viennent de Dieu pour notre bien.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la servante fidèle de notre Créateur, affermie dans la vraie et sainte patience. Pensez quautrement vous ne pourrez pas plaire à Dieu. Nous sommes des pèlerins et des voyageurs en cette vie, et nous courons sans cesse vers la mort. Il faut avoir la lumière de la très sainte Foi, parce que sans elle, les ténèbres nous empêcheraient datteindre [1649] notre fin; mais il faut une foi vivante, cest-à-dire de saintes et bonnes uvres, parce que les saints disent que la Foi sans les uvres est morte. Croyons donc que Dieu est Dieu, quil nous a créés à son image et ressemblance, quil nous a donné le Verbe, son Fils unique, né du sein de la douce Vierge Marie, et mort sur le bois de la très sainte Croix pour nous délivrer de la mort, et nous donner la vie de la grâce que nous avions perdue par la désobéissance dAdam. Nous avons tous, par lobéissance du Verbe, contracté la grâce, comme nous avons tous contracté la mort par le premier péché. Aussitôt que lâme a si doucement acquis la lumière de la Foi, elle voit que Dieu nous aime dun amour ineffable, et que, pour nous donner lespérance de notre résurrection au dernier jour du jugement, il nous a manifesté sa résurrection. 2. Lâme se passionne pour cette lumière et ce doux amour que Dieu lui porte, et elle commence à voir de la même manière, que Dieu ne veut autre chose que notre sanctification, et que tout ce quil donne ou permet dans cette vie, il le fait pour cette fin. Les tribulations et les consolations, les injures, les mépris, les affronts, les persécutions du monde, les tentations du démon, la faim, la soif, les infirmités, la pauvreté, la prospérité, les délices, il permet tout pour notre bien. Il permet la richesse pour que nous soyons les bienfaiteurs des pauvres; il permet les délices et les honneurs, non pas pour que nous levions la tête avec orgueil, mais pour que nous nous humiliions au contraire davantage, en reconnaissant saintement la divine Bonté. La pauvreté et les tribulations [1650], de quelque côté quelles viennent, il nous les donne pour que nous parvenions à la vraie et parfaite patience, pour que nous connaissions le peu de fermeté et de sûreté du monde, et que nous en éloignions notre affection et nos désirs pour les mettre uniquement en Dieu, et pratiquer les vraies et solides vertus. Nous recevrons ainsi le fruit de toutes nos peines; car toutes les peines que nous supporterons pour son amour seront récompensées et nous mériteront le ciel, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, et la faim sans peine. Saint Augustin dit quon ny connaît pas le dégoût de la satiété et la peine de la faim, et que dans lautre vie, tout bien est récompensé comme toute faute punie (S. Aug., Médit., ch. XXII).
3. Celui qui a cette foi vive enfante les vraies et saintes vertus; il est vraiment patient à supporter toute peine et toute fatigue pour Dieu et pour la rémission de ses péchés; il les reçoit même avec respect, parce quil considère celui qui les donne, pourquoi il donne et à qui il donne. Quel est celui qui donne? Cest Dieu, léternelle et souveraine Bonté, qui donne non par haine, mais par un véritable amour. Il dit à ses disciples : " Je vous envoie pour être persécutés et martyrisés dans le monde, non par haine, mais par amour. Cet amour, que mon Père a eu pour moi, je lai pour vous. Il maimait dun tendre amour, et il ne ma pas moins envoyé souffrir la peine honteuse de la très sainte Croix. " Et pourquoi donne-t-il? Je lai dit, par amour pour notre sanctification [1651], afin que nous soyons sanctifiés en lui. Et qui sommes-nous, nous qui avons reçu les peines? Nous sommes ceux qui ne sommes pas; par notre faute, nous avons mérité mille enfers, si nous pouvions les souffrir; et, puisque nous avons offensé un bien infini, nous avons encouru une peine infinie. Mais Dieu, dans sa miséricorde, nous punit dans le temps fini et nous donne une peine finie; car la tribulation ne dure pas plus que cette vie, et toute peine est petite, puisque le temps est si court. 4. Le temps, pour nous, disent les saints, nest quune pointe daiguille. La vie de lhomme nest rien, tant elle est peu de chose. Toute peine est petite; celle qui est passée, nous ne lavons plus, et celle qui doit venir, nous ne sommes pas sûrs de lavoir, puisque nous ne sommes pas sûrs davoir le temps de la souffrir. Le présent nest donc quun point, et pas davantage. Ainsi, ma très douce Fille, secouons notre sommeil et ne dormons plus; mais suivons avec une foi vive, les traces de Jésus crucifié, avec une vraie et sainte patience. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Je ne voua dis rien de plus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour[1652].
CCCXLVII.- A MADAME FRANCESCHINA, à Lucques.- Elle lexhorte à être la servante et la fille de Jésus-Christ, à aimer sa croix, et à croître toujours dans la charité.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère et bien-aimée Soeur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie servante et fille du doux et bon Jésus, toute baignée et toute revêtue du sang du Fils de Dieu, afin que vous soyez dépouillée de tout vêtement damour-propre, de toute négligence et de toute Ignorance. Je veux que vous imitiez la douce et tendre Madeleine, qui ne pouvait se détacher de larbre de la très sainte Croix, mais qui senivrait toujours, se couvrait du sang du Fils de Dieu, et sen remplissait tellement la mémoire, le cur et lintelligence, que jamais il ne lui fut possible daimer autre chose que Jésus-Christ. Je veux que vous agissiez ainsi jusquau dernier moment de votre vie, croissant de vertu en vertu, et employant toujours vos journées comme le bon pèlerin, quaucune fatigue ne fait regarder en arrière. Ne vous arrêtez pas dans la négligence, mais prenez le bâton de la très sainte Croix, qui fait naître et soutient toutes les vertus; regardez lAgneau immolé avec tant damour pour [1653] nous, que vous devez laimer aussi, et détruire par lardeur de cet amour toute froideur, toute dureté de cur, et tout amour-propre qui se trouve dans votre âme. 2. Oh ! comment pourra faire lépouse pour ne pas suivre les traces de son Epoux, cest-à-dire souffrir avec amour et marcher dans la voie des peines, quelle que soit la manière dont Dieu vous les envoie? Levez-vous donc avec une sainte patience et une véritable humilité, pour suivre le doux Agneau, avec un cur généreux et plein damour; sacrifiez-vous pour lui comme il sest sacrifié pour nous, lorsque, pour nous donner la vie de la grâce, il a perdu la vie de son corps. Pour nous prouver son amour, il a ouvert son côté, et après sa mort, il nous a encore baignés de son sang. Voulez-vous être sans crainte? cachez-vous dans la blessure de ce côté, et ne vous éloignez jamais de son cur. Si vous y entrez une fois, vous y trouverez tant de joie, de douceur, que vous ne voudrez jamais le quitter; car cest un trésor de parfum et de miséricorde, et cette miséricorde donne la grâce et conduit à la vie éternelle, où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans peines, et la joie entière, parfaite et sans mélange. Cest là que sont apaisés tous les besoins et les désirs de la créature. 3. O ineffable et infinie Charité ! qui vous a forcée à nous donner un pareil trésor? Cest votre amour sans bornes qui vous a fait créer votre créature sans y être obligé; car nous vous devons tout, et vous ne nous devez rien, Mais, bien-aimés Soeur dans le Christ, le doux Jésus, songez que lâme ne peut parvenir [1655] à ce bonheur de voir Dieu, si elle ne sefforce dabord dans cette vie à le goûter par un sincère et ardent amour. Cet amour renferme et fait naître toutes les vertus. La vertu ne manque jamais à lâme qui est blessée par la flèche de la divine charité; et cette charité sacquiert à la table de la très sainte Croix, où lAgneau sans tache est la table, la nourriture et le serviteur. Comment lâme pourrait-elle ne pas aimer son doux Sauveur, en se voyant tant aimée de lui? Lhabitude de lamour est de rendre amour pour amour, et de transformer celui qui aime en celui qui est aimé. Aussi lâme, lépouse du Christ, qui se voit aimée de lui, montre quelle veut le payer de retour; elle veut souffrir les peines et les opprobres pour lamour de lui, et elle se transforme et devient une même chose avec lui par lamour et le désir. Elle aime ce que Dieu aime, elle déteste ce que Dieu déteste, parce quelle voit que le doux Jésus a mis tout son bonheur à porter la croix de bien des peines pour lhonneur de son Père et notre salut, pour se nourrir et se désaltérer des âmes. Il faut le faire aussi, afin de lui devenir semblables. Courons donc, et ne dormons plus dans le lit de la négligence; mais courons vers le bien véritable. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1655].
CCCXLVIII.- A MADAME MELLINA, femme de Barthélemi Balbani, à Lucques.- De lamour parfait que nous devons avoir pour Dieu, et de celui que nous devons avoir pour toutes les créatures. (La tradition veut quen 1375, pendant son séjour à Lucques, sainte Catherine ait reçu lhospitalité de la famille Balbani, une des plus puissantes de la ville.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Ma Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris et je tencourage dans son précieux sang, avec le désir de te voir unie et transformée dans lardeur de la divine charité, tellement quaucune créature, quaucune chose ne puisse jamais ten séparer. Tu sais, ma chère et bien-aimée Fille, que, pour unir deux choses, il faut quil ny ait entre elles aucun obstacle qui empêche leur parfaite union. Pense aussi que Dieu ne veut entre lui et toi, aucun amour de toi-même ou de quelque créature, car Dieu nous aime sans partage, généreusement, gratuitement, sans obligation, sans avoir été dabord aimé, Lhomme ne peut aimer de cet amour, car il est toujours tenu daimer par devoir, puisquil est toujours lobjet des bienfaits et de la bonté de Dieu. Nous devons donc laimer dun amour reconnaissant, et cet amour doit être sincère, généreux, en naimant rien [1656] en dehors de Dieu, ni créature ni chose créée, spirituellement ou temporellement. Et si tu me dis : Comment puis-je avoir cet amour? je te répondrai, ma Fille, que nous ne pouvons lavoir quen le puisant à la source de la Vérité suprême. A cette source tu trouveras la dignité, la beauté de ton âme; tu verras le Verbe, lAgneau Immolé qui sest donné à toi pour nourriture et pour rançon, uniquement poussé par le feu de sa charité, et non par les services de lhomme dont il navait reçu que des offenses. Je dis donc que lâme qui regarde à cette source devient altérée et affamée de vertus; elle y boit aussitôt, ne voyant, naimant plus ni elle ni autre chose pour elle-même, mais voyant tout dans la fontaine de la bonté de Dieu, aimant pour lui tout ce quil aime, et rien sans lui. Lâme, lorsquelle a vu linfinie bonté de Dieu, pourrait-elle sempêcher de laimer? Cest à cela que semble nous Inviter la douce Vérité suprême, nous criant dans le Temple, de toute lardeur de son amour: " Qui a soif vienne à moi et boive, car je suis la fontaine deau vive. " Tu vois bien, ma Fille, que tous ceux qui ont soif sont invités. Notre-Seigneur ne dit pas, celui qui na pas soif, mais, celui qui a soif. 2. Dieu demande que nous portions le vase du libre arbitre avec la soif et la volonté daimer. Allons donc à la fontaine de la douce bonté de Dieu, comme nous lavons dit. Dans cette fontaine nous trouverons la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, où lhomme puise avec son vase, et tire leau de la grâce divine, qui seule peut donner la vie éternelle; mais pense que pour suivre cette voie, Il faut nous défaire de tout [1657] fardeau. Aussi je ne veux pas que tu conserves de laffection pour moi, ou pour quelque créature, si ce nest en Dieu. Je te dis cela parce que je vois, daprès ce que tu mécris, que tu as souffert de mon départ; mais je veux que tu suives lexemple de la Vérité suprême, que lamour de sa Mère et de ses disciples na pas empêchée de courir à la mort honteuse de la Croix. Il a laissé Marie et ses disciples, et il les aimait bien cependant, pour lhonneur de Dieu et le salut des créatures. Les Apôtres se sont aussi séparés, parce quils ne sarrêtaient pas à eux-mêmes; ils renonçaient à leur propre consolation pour louer et glorifier Dieu, pour se nourrir et se rassasier des âmes. Il faut croire quau temps de la tribulation, ils seraient restés bien volontiers avec Marie, quils aimaient tendrement; mais ils se sont tous éloignés, parce quils ne saimaient pas, et quils naimaient pas le prochain et Dieu pour eux-mêmes. ils aimaient Dieu parce quil est digne dêtre aimé, parce quil est infiniment bon, et ils aimaient en Dieu le prochain et toutes choses. 3. Cest ainsi quil faut vous aimer et aimer les autres. Ne songez quà lhonneur de Dieu et au service du prochain. Si vous éprouvez quelque tristesse de voir partir ceux que vous aimez, vous ne vous laisserez pas au moins abattre; votre amour doit être véritablement fondé sur lhonneur de Dieu, et sarrêter plus au salut des âmes quà vous-mêmes. Faites en sorte de ne plus vous affliger à mon sujet, car ce serait là un obstacle qui vous empêcherait de vivre avec Jésus crucifié et de lui ressembler. Dieu sest donné généreusement, et il nous demande la même [1658] chose. Cest pourquoi je tai dit que je voulais que toi et mes autres Filles vous soyez unies et transformées en Dieu par lamour, vous séparant de toute affection qui pourrait sy opposer, et ne conservant que celle de la divine charité. Cette douce et glorieuse affection ne divise jamais, mais elle unit. Elle fait comme le maître qui bâtit un mur avec beaucoup de pierres: ces pierres sappellent un mur quand la chaux les a unies; mais sil navait pas pris ce moyen, elles seraient tombées, et se seraient brisées et séparées plus que jamais. Pense aussi que notre âme doit sunir à toutes les créatures par lamour et le désir de leur salut, afin quelles aient part au sang de lAgneau; alors le mur est solide: il y a beaucoup de créatures, mais elles ne font plus quune. Il semble que saint Paul nous y invite, lorsquil dit quil y en a beaucoup qui courent vers le prix, mais quun seul le gagne (1 Co 9,24): cest celui qui prend le moyen de la divine charité. 4. Tu peux me dire, comme les disciples à Jésus-Christ leur disant: " Un peu de temps, et vous ne me verrez plus; un peu de temps, et vous me verrez. " Ils disaient alors entre eux: " Que veut-il dire par ces mots: Un peu de temps, et vous ne me verrez plus; un peu de temps, et vous me verrez?" Tu peux me dire aussi : Pourquoi dire que Dieu ne veut pas de lien, et dire ensuite quil doit y en avoir? Je te répondrai que je parle du lien de la divine charité : ce lien nest pas un lien, car il ne fait quun avec la chose quil unit, comme il arrive au bois quon met dans le feu. Diras-tu alors que le bois est bois? ne fait-il pas [1659] une même chose avec le feu? Mais si tu prenais le lien de lamour-propre, ce serait un lien qui nous priverait de Dieu et nous conduirait au néant; car le péché nest que néant; et tous les péchés ne sont fondés que sur lamour-propre, sur les plaisirs et les jouissances hors de Dieu, tandis que la charité enfante et vivifie toute vertu. Lamour-propre au contraire, engendre tous les vices, donne la mort, et détruit toute vertu dans lâme. Aussi Je vous ai dit que Dieu ne voulait pas de lien, et que toute affection qui nest pas fondée sur la véritable charité ne dure pas. Courez donc, mes bien-aimées Filles, et ne dormons plus. Jai eu compassion de vos peines, et je vous en indique que le remède: cest daimer Dieu sans partage; et si vous voulez maimer aussi, moi, pauvre misérable, je veux vous dire où vous me trouverez, afin que vous ne vous éloigniez jamais du véritable amour. Allez à cette douce, à cette adorable Croix (Sainte Catherine fait peut-être allusion au célèbre crucifix appelé le sacro vollo, quon dit peint par Nicodème, et quon vénère dans la cathédrale de Lucques depuis le VIIIe siècle.) avec la bonne et tendre Madeleine; là vous trouverez lAgneau, vous me trouverez, et vous pourrez nourrir et satisfaire tous vos désirs. 5. Voilà de quelle manière je veux que vous me cherchiez, moi et toute chose créée. Que ce soit là votre étendard et votre consolation, et ne pensez pas que mon éloignement diminue mon affection et mou zèle pour votre salut; je men occupe même plus absente que présente. Ne savez-vous pas que les [1660] saints Apôtres, après le départ du Maître, le connurent et laimèrent davantage, parce quils jouissaient de son humanité, et ne cherchaient pas autre chose. Mais lorsquIls furent privés de sa présence, ils purent connaître et comprendre sa bonté; la Vérité suprême leur dit: " Il est bon que je men aille; autrement vous ne recevriez pas le Consolateur. " Moi je vous dis de même : Il était bon que je méloignasse de vous, afin que vous cherchiez Dieu en vérité et sans partage. Je vous assure que vous y gagnerez, en méditant en vous-mêmes les paroles et la doctrine que vous avez reçues; et vous recevrez ainsi la plénitude de la grâce par la grâce même de Jésus-Christ. Je ne vous écris pas plus longuement parce que je nai pas le temps de le faire. Jadresse cette lettre à toi surtout, Mellina, puis à Catherine, à Mme Claire, à Mme Barthélemi, à Mme Lagine et à Mme Colombe. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCXLIX.- A MADAME COLOMBE, à Lucques.- Du bon exemple que nous devons donner.- Comment on perd et on retrouve Notre-Seigneur.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Bien-aimée Soeur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des [1661] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir comme un champ fertile qui reçoive la semence de la parole divine, et porte du fruit pour vous et pour les autres. Maintenant, que vous avez vieilli dans le monde et que vous êtes dégagée des liens du siècle, vous devez être un modèle de vertu pour les jeunes, qui sont encore attachées au monde par les. liens du mariage. Hélas ! hélas ! je maperçois que nous sommes une terre stérile qui laisse étouffer la semence de la parole divine par les épines et par les ronces des affections déréglées et des désirs du monde; nous suivons la voie de ses jouissances et de ses délices, cherchant plus à plaire aux créatures quau Créateur. Et ce nest pas assez de nous faire si grand tort à nous-mêmes : là où nous devrions donner des exemples de vertu et dhonnêteté, nous donnons des exemples de péché et de vanité. Il semble que, comme le démon, qui na pas voulu tomber seul, mais qui a voulu en entraîner beaucoup dautres, nous voulons perdre aussi les autres avec nous dans les mêmes vanités, les mêmes plaisirs et les mêmes complaisances. Vous devez, puisque votre position ne le demande pas, vous retirer des vaines joies et des fêtes du monde, et vous appliquer à en retirer ceux qui veulent y aller; vous le devez par amour de la vertu et de votre salut: et, au contraire, vous y invitez les jeunes personnes qui voudraient se retirer et ne pas y aller, parce quelles voient que cest offenser Dieu. Je ne métonne donc pas si le fruit ne paraît pas, et si la semence est étouffée, comme je lai dit. 2. Peut-être vous voudrez vous excuser, en disant: [1662] Il faut plaire à mes parents et à mes amis; sans cela ils se fâcheraient et se scandaliseraient à mon sujet. Ainsi, la crainte et une complaisance coupable nous ôtent la vie, nous donnent souvent la mort; elles nous éloignent de la perfection à laquelle Dieu nous appelait. Dieu nadmet pas cette excuse, car nous ne devons pas plaire aux hommes en ce qui offense Dieu et notre âme; nous devons les aimer et les servir dans les choses seulement qui sont selon Dieu et selon notre état. Hélas ! pauvres misérables que nous sommes, ce ne sont pas les parents, les amis ou quelques créatures qui nous ont rachetés; non, cest le seul Jésus crucifié, cet Agneau qui sest immolé avec tant damour; il a été percé pour se donner à nous comme un bain, une médecine, une nourriture, un vêtement, un lit où nous pouvons nous reposer. il na pas écouté lamour de lui-même et son bien-être; mais il a choisi les peines, les souffrances, les outrages; il sest abaissé volontairement pour lhonneur de son Père et notre salut. Il ne convient pas que nous, misérables, nous suivions, une autre voie que celle de la douce Vérité suprême. 3. Vous savez bien que Dieu ne se trouve pas dans les délices et dans les jouissances. Nous voyons que quand notre Sauveur fut perdu dans le Temple en allant à la fête, Marie rie put le retrouver parmi ses amis et ses parents; mais elle le trouva dans le Temple, où il discutait avec les docteurs. Il la fait pour nous donner un exemple, car il est la règle, la voie que nous devons suivre. Comprenez pourquoi il sest perdu pendant la fête, et apprenez, très chère Sur, que Dieu ne se trouve pas dans les fêtes, les danses [1663], les jeux, les noces, les plaisirs : y aller est un moyen, une occasion de le perdre, en tombant dans les fautes,les péchés et lamour des jouissances déréglées. Mais lorsque nous avons ainsi perdu Dieu par la grâce, quel est le moyen de le retrouver? Le voici : accompagner Marie pour le chercher avec elle, en nous repentant amèrement de la faute commise envers notre Créateur par complaisance pour la volonté des créatures. Il faut aller au temple, cest là quil se trouve. Que notre cur se lève donc avec repentir, et quil aille au temple de son âme; cest là quon se connaît soi-même, et, en reconnaissant son néant, il connaîtra en lui la bonté de Dieu, qui est Celui qui est. La volonté se lèvera avec zèle pour aimer ce que Dieu aime, pour détester ce quil déteste; et alors elle condamnera en elle-même la mémoire, qui a reçu les plaisirs et les jouissances du monde, et qui na pas reçu et gardé les grâces, les dons et les grands bienfaits dont Dieu nous a comblés avec tant damour. Elle condamnera son intelligence, qui a cherché plus à connaître la volonté des créatures et à écouter les opinions du monde que la volonté de son Créateur, tellement que la volonté, lamour sensitif, sest mis à aimer et à désirer les choses sensibles, grossières, qui passent comme le vent. Il ne faut pas faire ainsi; mais il faut sappliquer à connaître la volonté de Dieu, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification, car cest pour cela quil nous a donné la vie. Il vous a séparée du monde parce que vous vous y perdiez par votre amour et vos désirs déréglés. Avez-vous plus dune âme? Non. Si vous en aviez deux, vous pourriez en donner une[1664] à Dieu et lautre au monde. Vous navez aussi quun corps, et cest bien peu de chose. 4. Donnez aux pauvres de vos biens temporels, soumettez-vous au joug de la sainte et vraie obéissance; tuez, tuez votre volonté, afin que vous ne soyez pas si enchaînée à vos parents; mortifiez votre corps, et ne recherchez pas tant les délicatesses. Méprisez-vous vous-même, ne regardez pas tant à la noblesse et à la richesse, car il ny a que la vertu qui nous rend nobles, et les richesses de Cette vie sont une bien triste pauvreté, quand nous les possédons avec un amour déréglé en dehors de Dieu. Rappelez-vous ce que disait le glorieux saint Jérôme, qui semble ne pouvoir jamais assez recommander aux veuves de ne pas rechercher les délices, de rie pas aimer les plaisirs, de ne pas orner leur visage, déviter de riches et élégants vêtements, et de fuir la société des personnes frivoles et dissolues, mais de se retirer dans leur cellule. Elles doivent faire comme, la tourterelle, qui, lorsque son compagnon est mort, gémit toujours et vit solitaire, sans vouloir dautre compagnie (Bestiaires du moyen âge, Mélanges darchéologie, t. III, p.262.). Très chère et très aimée Soeur, ne connaissez plus maintenant que Jésus crucifié; mettez tout votre bonheur à le suivre par la voie des opprobres, de lhumilité, de la douceur; unissez-vous à lAgneau par les liens de la charité. Mon âme désire que vous, la vraie fille et lépouse choisie de Jésus-Christ, vous soyez un champ fertile et non stérile, rempli des fruits des véritables vertus. Courez, courez, car le temps est court et le chemin [1665] est long; quand même vous auriez le monde entier, le temps nen poursuivrait pas moins son cours. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez-moi si jai trop parlé; cest lamour et le zèle que jai pris pour votre salut qui mont pressée de le faire. Soyez persuadée que je le désire plus que je ne puis le dire. Que Dieu vous remplisse de sa très douce grâce. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCL.- A MADAME FRANCESCHINA, A MADAME CATHERINE, et à deux autres compagnes spirituelles, à Lucques.- De la fidélité à suivre Jésus-Christ dans la voie de la sainte Croix.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chères et bien-aimées Filles et Surs dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans le sang de son Fils unique, avec le désir de vous voir de vraies filles et des épouses consacrées à lEpoux éternel, qui a donné pour nous sa vie avec tant damour. Faites de même, et suivez généreusement, avec un ardent désir, létendard de la très sainte Croix; suivez ses traces dans la voie des peines, des tourments et des tendres désirs. Un fils doit toujours aimer, suivre son père, et une épouse son époux: [1666] sil est dans la peine, elle partage sa peine; sil est dans la joie, elle partage sa joie. Cest ce que disait lapôtre saint Paul de lui-même : " Je me réjouis avec ceux qui se réjouissent, et je pleure avec ceux qui pleurent (Rm 12,15). " Ainsi fait lâme qui est dans la charité parfaite; et en faisant ainsi elle accomplit en elle la parole de lapôtre saint Paul; et, comme elle partage la tribulation, cest-à-dire la Croix du Christ, elle partagera les consolations, cest-à-dire quelle sera dans la gloire avec le Christ. Nest-il pas juste que Dieu lui donne son héritage, puisquelle a renoncé à lhéritage et aux soins du monde? Elle a laissé les plaisirs et les consolations de la terre pour suivre la Croix de Jésus crucifié, pour embrasser les peines, les opprobres et les outrages par amour pour lui. Cest à ce feu, mes très chères Filles, que lâme doit aller enflammer ses désirs, et elle ne doit avoir dautre jouissance; car toute autre voie est obscure et ténébreuse, elle conduit lâme à la mort éternelle. Ne soyez donc pas négligentes, mais empressées dans cette douce et droite voie du Christ Jésus. il vous dit : " Je suis la voie, la vérité, la vie; celui qui va par moi va par la lumière, et non par les ténèbres, et il parvient à la véritable vie, qui ne lui sera jamais ôtée." Point dignorance et damour-propre en vous, car cest ce qui empêche lâme de courir, ce qui lenchaîne dans la voie et la fait regarder toujours en arrière. 2. La véritable épouse, la fille du Christ, a bien soin de ne pas regarder en arrière, mais elle court [1667] toujours en avant avec lhuile de la véritable humilité, avec le feu de lardente charité. Cest là sa continuelle étude, et elle le montre en servant fidèlement son très doux Sauveur. Je vous en conjure par lamour de Jésus crucifié, puisque notre doux et bon Jésus est si aimable et si généreux, nhésitons plus; rachetons par notre zèle la brièveté de temps, et réparons par un saint repentir le temps souvent perdu avec bien de la négligence, et de cette manière nous regagnerons le temps qui nest plus. Je ne vous dis pas autre chose. Je prie la Vérité suprême de vous faire croître de vertu en vertu, jusquà ce que vous arriviez à ce terme où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans peine, la joie sans tristesse, ou Je bonheur est sans mélange. Que la paix de Dieu soit toujours dans vos âmes. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCLI.- A MADAME BARTHELEMI, femme de Salvatico, de Lucques.- Cest de lamour de Dieu que viennent la patience et le désir de souffrir.- Du renoncement à la volonté, et de la persévérance.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère et très aimée Sur dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang; avec le désir de vous voir toujours vous reposer [1668] et vous nourrir sur le sein de la charité; car je sais que sans le lait de cette glorieuse mère, personne ne peut avoir la vie. Elle est si douce, si agréable à lâme qui la goûte, que toute chose amère devient douce, et tout fardeau léger; et je nen suis pas surprise, car celui qui est dans la charité et lamour est en Dieu. Saint Jean la dit: a Dieu est charité, et celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu en lui (1Jn 4,16). Dès quon a Dieu, on ne peut avoir aucune amertume, car il est le souverain bonheur, la douceur, la joie parfaite. Cest pourquoi les serviteurs de Dieu se réjouissent toujours; ils se réjouissent lorsquils souffrent de la faim, de la soif, de la pauvreté, lorsquils sont affligés, éprouvés, persécutés par les créatures. Toutes les langues se déchaîneraient contre le serviteur de Dieu, quil ne sen inquiéterait pas; il se réjouit de toute chose, parce quil possède Dieu, qui est tout son repos, et parce quil goûte le lait de la divine charité. 2. Comme un enfant qui attire à lui le lait du sein de sa mère, celui qui aime Dieu lattire à lui par le moyen de Jésus crucifié. Pour suivre toujours ses traces, il veut suivre la voie des opprobres, des peines et des injures; il ne veut se plaire quen Jésus crucifié, et il fuit toute autre gloire que celle de la Croix. Ceux-là disent avec saint Paul : " Je me glorifie dans les tribulations pour lamour de Jésus-Christ, mon Seigneur, par qui le monde est crucifié pour moi, et par qui je suis crucifié pour le monde (Gal 6,14) ". Alors [1669] lâme sattache au bois de la Croix, et élève le regard du saint désir pour contempler cet amour infini qui a porté notre Sauveur à répandre son sang de toutes les parties de son corps. Je ne métonne plus alors si lâme est patiente. dans les tribulations, puisque par amour, elle a volontairement renoncé aux consolations du monde, et quelle sest passionnée pour les peinés et les persécutions. Elle a vu que cétait le vêtement que le Fils de Dieu avait choisi comme le plus précieux et le plus glorieux quil pouvait trouver. Cest cette belle perle dont parle notre doux Sauveur: lhomme qui la trouvée doit tout vendre pour lacheter. Quelle est cette chose qui est à nous, que Dieu nous a donnée, et que le démon et les créatures ne peuvent nous enlever? La volonté. 3. À qui vendrons-nous le trésor de notre volonté? à Jésus crucifié: cest-à-dire que nous renoncerons généreusement et avec patience à notre volonté propre, qui, une fois quelle est en Dieu, est un trésor; et avec ce trésor nous achèterons la perle précieuse des tribulations, et nous mériterons par la vertu de patience, la récompense dont nous jouirons au festin de la vie éternelle. Cest à cette nourriture, à cette table, à ce lait que je vous invite. ma très douce Fille,. et je vous conjure de faire tous vos efforts pour y parvenir. Sortez du sommeil de la négligence, parce que je ne veux pas que vous soyez trouvée à dormir, quand la Vérité suprême vous appellera. O doux et tendre appel, qui nous délivre du fardeau de notre corps, de cet obstacle qui se révolte toujours contre son Créateur par ses désirs et ses mouvements déréglés, et qui se fait notre dieu par son amour coupable ! [1670] Notre aveuglement est si grand, que nous ne regardons plus notre néant, et que dans notre orgueil nous croyons passer par la porte étroite avec le fardeau de cet attachement au monde, qui est la mort de notre âme. 4. Je veux donc que nous nous déchargions du poids de la vanité du monde et de lamour de nous-mêmes. Savez-vous pourquoi il est dit que la porte par laquelle nous devons passer est étroite? Parce que nous devons étouffer notre amour et nos désirs pour les jouissances et les consolations du monde, et nous transformer tout entiers dans cette maternelle charité. Je dis aussi que nous devons baisser la tête, parce que la porte est basse, et quen la relevant, nous nous la briserions. Baissons donc la tête avec une sainte et véritable humilité, en voyant que Dieu sest humilié jusquà nous. Vous devez vous regarder, et je veux que vous vous regardiez comme la plus vile des créatures, et que rien ne vous fasse détourner la tête, ni les illusions du démon, ni les paroles que vous entendrez dire par votre mari, ou par quelquautre personne. 5. Persévérez courageusement dans votre sainte entreprise. Vous savez que le Christ a dit de ne pas regarder derrière soi, quand on a mis la main à la charrue, car la persévérance seule est couronnée. A lexemple de la tendre Madeleine, embrassez avec amour la sainte Croix, et vous y trouverez les douces et royales vertus, parce que nous y trouvons lHomme-Dieu. Pensez que lardeur. de la charité a fait une telle violence à son corps adorable, que le sang a coulé de tous ses membres, et avec tant [1671] damour et de patience, quon nentendit pas cet Agneau proférer une seule plainte. Il est toujours humble, méprisé, abreuvé dopprobres. Que votre cur et votre âme se consument damour sur le sein de la charité par le moyen de la chair de Jésus crucifié; autrement vous ne pourrez en goûter et posséder la vertu, car il est la voie, et il est la vérité, et celui qui la suit ne peut être trompé. Oui, quand même le monde entier serait contre vous, il faut avoir un cur fort et généreux, ne pas détourner la tête, mais parer tous les coups, le bouclier à ta main. 6. Vous savez quun bouclier a trois parties; il faut aussi avoir en vous trois vertus. Dabord la haine et le regret de la faute que vous avez commise envers votre Créateur, surtout autrefois, lorsque voua étiez un démon, puisque vous suiviez ses traces. Il faut ensuite avoir lamour, en contemplant la bonté de Dieu, qui vous a aimée non par devoir, mais par grâce et à cause de son ineffable amour. Il na pas séparé votre âme de votre corps au moment où vous étiez révoltée contre lui; mais le doux Jésus vous a tirée des mains du démon, et vous a fait rentrer en grâce. Et aussitôt que vous aurez parfaitement cet amour et cette haine, vous verrez naître la troisième vertu, cest-à-dire une patience qui vous empêchera de vous plaindre des paroles et des injures qui vous fieront dites, des peines qui vous seront faites; et non seulement vous néprouverez pas dimpatience, mais vous les supporterez avec joie, vous les recevrez avec respect, vous regardant indigne dune pareille grâce. 7. Avec le bouclier de la haine, de lamour et de la vraie patience, aucune attaque du démon ou des créatures ne pourra vous nuire, parce que ces vertus sont trois colonnes puissantes qui protègent et soutiennent la faiblesse de lâme. La douce Madeleine a si bien pris le moyen, quelle soublie elle-même pour se revêtir généreusement de Jésus crucifié; elle ne retourne pas à ses richesses, à ses grandeurs, à ses vanités; elle a perdu tout amour du monde, et elle na plus dautre soin et dautre pensée que de suivre Jésus-Christ. Aussitôt quelle a mis son affection en lui, et quelle sest connue elle-même, elle embrasse et prend la vote de labaissement; elle se méprise elle-même, parce quelle ne voit pas dautre moyen de le suivre et de lui plaire. Elle se regarde comme la plus vile créature qui soit au monde. Dans le transport de son amour, elle ne fait pas attention si elle est seule ou accompagnée; si elle avait réfléchi, elle ne serait pas restée au milieu des soldats de Pilate; mais elle va seule, elle reste au sépulcre. Lamour lempêche de se dire: Ne pensera-t-on pas, ne dira-t-on pas du mal de moi, car je suis belle et dun haut rang. Non, elle ny songe pas, elle cherche seulement à trouver et à suivre son Maître. Cest cette compagne que je vous donne et que je veux que vous suiviez; car elle sait si bien la voie, quelle peut nous lapprendre. Courez, ma Fille, courez, mes Filles; ne dormez plus, car le temps fuit et nattend pas. Je ne veux pas en dire davantage. Encouragez Mme Colombe; je madresse à elle comme à vous, et aussi à Mme Jeanne dAzzolino. Mille bénédictions à Mme Melina, à Catherine, à Mme Lagma et à toutes [1673] mes autres Filles dans le Christ Jésus. Quelles ne sétonnent pas et ne saffligent pas si je ne leur ai point écrit. Je les unis toutes ensemble, et je fais ainsi parce que les plantes nouvelles ont plus besoin de soins que les autres. Toutes vous saluent dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCLII. A PETRONILLE, fille de Masello Pepe, de Naples.- Elle lexhorte à se dépouiller de toute affection mondaine, et à se revêtir de Jésus-Christ. Des vierges sages et des vierges folles.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir le cur dépouillé de lamour du monde et de toi-même; tu ne pourras autrement te revêtir de Jésus crucifié, car le monde et Dieu nont aucun rapport ensemble. Le monde aime lorgueil, et Dieu lhumilité; il cherche les honneurs, la puissance, la grandeur, et le Christ béni les a méprisés; il a embrassé les outrages, les mépris, les injures, la faim, la soif, le froid, le chaud, et enfin la mort honteuse de la Croix. Par cette mort, il a rendu gloire à son Père, et nous avons été rétablis dans la grâce. Le [1674] monde cherche à plaire aux créatures, sans craindre de déplaire au Créateur, et le Christ na pas cherché autre chose que dobéir à son Père pour notre salut. Il a embrassé et revêtu la pauvreté volontaire, et le monde poursuit sans cesse les richesses. Il y a donc entre eux une grande différence; et il est nécessaire que le cur vide de Dieu suit plein du monde, et que le cur vide du monde soit plein de Dieu. Notre Sauveur a dit: " Personne ne peut servir deux maîtres; il en servira un, et méprisera lautre. " Nous devons donc avoir un grand soin de fuir la tyrannie du monde pour donner à Dieu notre cur libre de tout obstacle et de tout faux amour, parce quil est Dieu, dont le regard, toujours fixé sur nous, voit les secrets de notre cur. 2. Quelle serait notre folie, notre aveuglement, si, sachant que Dieu nous voit, et que sa justice punit tout mal et récompense tout bien, nous navions aucune crainte de lui, si nous comptions sur le temps que nous navons pas et que nous ne sommes pas sûrs davoir. Nous différons pourtant toujours. Si Dieu coupe une branche, nous nous attachons à une autre, et nous craignons plus de perdre les créatures et les choses qui passent comme le vent, que nous ne nous inquiétons de perdre Dieu. Cela vient de lamour déréglé que nous leur portons, Et en les ayant, en les possédant ainsi en dehors de la volonté de Dieu, nous goûtons en cette vie, les arrhes de lenfer. Dieu a permis que celui qui aime ainsi soit insupportable à lui-même et ne jouisse daucun repos dans son âme et dans son corps, car il souffre de ce quil a par la crainte de le perdre, et pour le conserver il se fatigue [1675] nuit et jour; il souffre aussi de ce quil na pas, parce quil désire lavoir, et se désespère de ne pas réussir. Ainsi lâme nest jamais tranquille au milieu de toutes les choses du monde, parce quelles lui sont toutes inférieures. Elles sont faites pour nous, et nous ne sommes pas faits pour elles ; nous sommes faits pour Dieu, pour que nous goûtions son éternelle et souveraine félicité. Dieu seul peut satisfaire lâme. 3. Cest en lui quelle sapaise et se repose, car tout ce quelle peut désirer et vouloir, elle le trouve en Dieu; elle y trouve aussi la sagesse, qui sait, et la volonté, qui veut donner; et nous en avons la preuve: car Dieu, non seulement nous accorde ce que nous lui demandons, mais il nous a donné avant que nous fussions; il na pas attendu notre prière pour nous créer à son image et ressemblance, et pour nous faire renaître à la grène dans le sang de son Fils. Lâme trouve sa paix en lui, et non pas dans un autre, car Il est la souveraine Richesse, la souveraine Sagesse, la souveraine Bonté, la souveraine Beauté; cest un bien inestimable ; personne ne peut apprécier se bonté, sa grandeur, sa félicité; lui seul se comprend et sestime. Il peut, il sait, il veut satisfaire et combler tous les saints désirs de celui qui veut se dépouiller du monde et se revêtir de lui. Je ne veux donc pins que nous dormions, très chère Fille; secouons notre sommeil, car le temps nous approche continuellement de la mort. Les choses passagères du monde et les créatures, il faut nous en servir en les aimant et en les gardant comme des choses prêtées qui ne sont pas à tua. Tu le feras en ten détachant, mais pas autrement [1676]. Il faut sen détacher, sI nous voulons participer au sang de Jésus crucifié. Je sais quil ny a pas dautre voie, et je tai dit que je désirais voir ton coeur détaché de lamour du monde. 4. Débarrasse-toi donc de ces liens, ma chère Fille, afin que tu puisses être la vraie servante de Jésus crucifié, et que tu suives sa très douce volonté. Cette volonté tinvite aux noces de la vie éternelle, parce quelle ne veut autre chose que ta satisfaction; mais remarque, très chère Fille, quil faut être comme les vierges prudentes, et non pas comme les vierges folles, qui attendirent au dernier moment pour garnir leur lampe, et qui, à cause de leur négligence, trouvèrent la porte fermée; tandis que les vierges prudentes, parce quelles attendaient la venue de lEpoux et quelles laimaient, se pourvurent avant son arrivée. Et toi, tu dois être lépouse fidèle, tu dois porter la lampe de ton cour; cette lampe doit être étroite par le bas, et large par le haut: étroite pour le monde, et large pour Dieu; et dedans tu dois mettre lhuile de la véritable humilité, le feu de la plus ardente charité avec la lumière de la très sainte Foi; et de cette manière, tu trouveras la porte ouverte, la porte du ciel, qui est fermée aux vierges folles qui attendent le moment de la mort, lorsquelles nont plus le temps. La porte ouverte, tu trouveras léternel lEpoux, qui te recevra en lui-même; tu partageras sa beauté, sa bonté, sa sagesse, sa clémence, son éternelle et souveraine richesse, qui ne tarit jamais. Il est la nourriture qui rassasie lâme, et en la rassasiant, Il lui donne faim; mais cette faim est sans peine, ce rassasiement sans dégoût [1677]. 5. Réjouis-toi, ma Fille, dhabiter cette douce patrie; et ce bonheur, tu lacquerras avec la lumière, le feu et lhuile de lhumilité dont je tai parlé, avec lhumble et fervente prière. Applique-toi aux veilles de la nuit, fuis les conversations, renferme-toi dans ta cellule, retranche les paroles oiseuses et les vains souvenirs du monde, dont la corruption empoisonne lâme; mortifie ton corps par le jeûne et par la pénitence. Evite de te vêtir et de te coucher délicatement, pour que ton cur ne sabandonne pas à la vanité, et que la chair ne se révolte pas contre lesprit; triomphe de toi-même par une sainte haine et une ferme résolution dêtre véritablement à Dieu. Fais que. la raison combatte sans relâche la sensualité, le démon et le monde, qui, je le sais, te préparent de grands combats. Mais ne crains rien, et ne te laisse pas abattre par lépreuve; combats généreusement, en te rappelant que tu peux tout par Jésus crucifié; et dans les tentations qui viendront, nabandonne jamais tes pieux exercices, et ne te laisse pas troubler, car aucune tentation nest une faute si la volonté ny consent pas. Conserve ta volonté pure, en lunissant à la douce volonté de Dieu, et tu te réjouiras dêtre sur la Croix avec ton Epoux. Ne te plais quen la Croix de Jésus crucifié, en le suivant par la voie des peines, des opprobres, des mépris et des outrages. 6. Remplis ta mémoire du souvenir du précieux sang, et dans ce sang toute chose amère deviendra douce, tout fardeau deviendra léger, et il ny aura pas de peines et de grandes tribulations que tu ne puisses porter. Il me semble que tu as besoin de ce souvenir [1678], car tu es entrée dans le champ de bataille de la tribulation par la mort de ton frère; mais cette mort doit te réjouir plutôt que taffliger, car il a fourni sa course, et il a été la vie de ton âme. Tu ne dois donc pas te plaindre de son bien et du tien, mais au contraire rendre gloire et louange au nom de Dieu. Laisse les morts ensevelir les morts, et suis Jésus crucifié. Je najoute rien ici. Quant au désir que tu as dêtre tout à fait religieuse, je me réjouis de lapprendre, et je serai heureuse si tu sais et si tu veux fouler aux pieds le monde, sous le joug de la sainte obéissance. Jai répondu à Néri sur les moyens quil me semble que tu dois prendre (Néri Landoccio, disciple de sainte Catherine, fut envoyé par elle à Naples. auprès de la reine Jeanne. (Voir la lettre CCLXXII.); il ten informera. Prends bien en toi-même la résolution dêtre la vraie servante de Jésus crucifié. Je ne te dis rien de plus. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Recours souvent à la sainte confession, et fréquente quelquefois les servantes de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1679].
CCCLIII.- A TROIS DAMES NAPOLITAINES, ses filles spirituelles.- Des effets de la charité, et comment nous devons consumer notre vie dans les gémissements pour la sainte Eglise.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chères Mères et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermies dans la parfaite charité, afin que vous soyez les vraies nourrices et gouvernantes de vos âmes, parce que jamais nous ne pourrons nourrir notre prochain, si nous ne nourrissons notre âme de vraies et solides vertus; si elle ne sattache dabord au sein de la divine charité, où elle trouve un lait dune céleste douceur. Mes très chères Surs, il vous faut faire comme fait lenfant qui veut du lait : il prend le sein avec sa main, y met ses lèvres, et attire le lait au moyen de la chair. Il faut faire de même, si nous voulons nourrir notre âme; nous devons nous attacher au sein de Jésus crucifié, où est la source de la charité, et nous y puiserons le lait qui nourrit lâme avec toutes les vertus qui en naissent, au moyen de sa chair, cest-à-dire de son humanité; car cest lhumanité qui a souffert, et non la divinité. Nous ne pourrons pas prendre ce lait maternel de la charité sans souffrir. Il y a bien des manières de souffrir. Souvent nous souffrons [1680] beaucoup des combats du démon, ou des persécutions des créatures qui nous maltraitent et nous injurient. Ce sont là des peines, mais non pour lâme qui se nourrit sur ce doux et glorieux sein, où elle puise lamour, et voit en Jésus crucifié lamour ineffable que Dieu nous a montré au moyen de ce doux et tendre Fils; et dans cet amour, elle trouve la haine du péché et de la loi mauvaise, qui combat toujours contre lesprit. 2. Mais ce qui surpasse toutes les peines que souffre lâme arrivée à cet amour et à cette haine, ce sont les cruels et ardents désirs quelle a pour le salut du monde entier. La charité la rend malade avec ceux qui sont malades, et bien portante avec ceux qui sont en santé; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent cest-à-dire quelle gémit avec ceux qui gémissent dans le péché mortel, et quelle est heureuse avec ceux qui sont en état de grâce. Alors elle a pris la chair de Jésus crucifié, et elle porte la Croix avec lui. Ce nest pas une peine afflictive qui dessèche lâme, mais une peine qui lengraisse, parce quelle se plaît et sapplique à suivre sa doctrine et ses traces, et elle goûte le lait de la douceur divine. Et comment la-t-elle pris ? avec la bouche du saint désir. Et si elle pouvait avoir ce lait sans peine, et acquérir toutes les vertus qui reçoivent la vie de ce lait dune ardente charité, elle ne le voudrait pas, mais elle aimerait mieux y parvenir en souffrant pour lamour de Jésus crucifié, parce quil lui semble que, sous un chef couronné dépines, il ne doit pas y avoir de membre délicat, et quil faut porter avec lui des épines, ne les choisissant pas à son [1681] gré, mais les recevant de son Chef. En agissant ainsi, ce nest pas elle qui souffre, cest son Chef, Jésus crucifié, qui souffre pour elle. Oh ! combien est douce la charité, cette douce mère ! Elle ne cherche pas son intérêt, elle ne le cherche pas pour elle, mais pour Dieu, et ce quelle aime, ce quelle désire, elle laime et le désire en lui et pour lui; et hors de lui elle ne veut rien avoir. Dans toutes les positions où elle se trouve, elle emploie son temps à faire la volonté de Dieu. Si elle est séculière, elle veut être parfaite dans son état; si elle est soumise à la vie religieuse, elle devient un ange de la terre; elle ne souhaite, elle naime rien du siècle et des richesses temporelles, et elle ne veut rien posséder elle-même, parce quelle voit que ce serait contre le vu de pauvreté volontaire. Dans quelque position que lâme se trouve, elle est comme une veuve; elle a toujours en elle la charité, et en se nourrissant sur le sein de Jésus crucifié, elîs goûte le lait délicieux avec un ardent désir et une parfaite lumière, parce quelle a quitté les ténèbres du coupable et misérable amour-propre. 3. Voici le temps, très chères Surs, de se perdre soi-même, de ne plus se chercher pour soi, mais pour Dieu, daimer le prochain pour Dieu, et Dieu pour lui-même, parce quil est léternelle et souveraine Bonté, parce quil est digne dêtre aimé, servi et désiré par nous. Il faut connaître en lui la vérité pour lannoncer, la fortifier dans les curs des créatures raisonnables, et sans crainte servile. Voici le moment où il faut que vous et les autres serviteurs de Dieu vous vous prépariez à souffrir: pour la vérité. Cet amour, que vous avez trouvé sur le sein de Jésus [1682] crucifié, il faut le manifester à légard du prochain, en vous offrant devant Dieu avec amour et compassion, par des larmes, des veilles, par dhumbles et continuelles prières. Nous devons consumer notre vie dans les gémissements et la douleur, jusquà ce que nous voyions se dissiper les épaisses ténèbres où sont plongés ceux qui devraient donner la lumière dans le corps mystique de la sainte Eglise. Sacrifions donc notre vie, que nos yeux versent des torrents de larmes, et que nos désirs poussent des cris sur ces morts, afin quils séloignent de la mort et quils arrivent à la vie. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCLIV.- A MADAME JEANNE DE CORRADO .- Elle lexhorte à se dépouiller de lamour sensible des créatures. (Jeanne de Corrado était la mère dEtienne Maconi, le disciple et le secrétaire de sainte Catherine. Elle était de la famille de Bandinelli, doù sortit le pape Alexandre III, et un grand nombre de cardinaux et dhommes illustres.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang [1683], avec le désir de vous voir habiter la cellule de la connaissance de vous-même, afin que vous puissiez arriver à lamour parfait; car je sais que celui qui naime pas son Créateur ne peut lui plaire, parce quil est amour, et quil ne veut autre chose que lamour. Lâme trouve cet amour dans la connaissance delle-même; elle voit quelle nest pas, et quelle reçoit lexistence par grâce, et non par obligation, ainsi que les bienfaits que Dieu y ajoute dans son ineffable amour. Elle voit alors que la bonté de Dieu à son égard est si grande, quaucune parole ne peut lexprimer. En se voyant tant aimée, elle ne peut sempêcher daimer; elle aime Dieu et la raison; elle hait la sensualité, qui veut trop sattacher au monde, et qui aime plus les honneurs, les richesses et les créatures qui lui plaisent, que le Créateur. Ceux qui mettent ainsi leur bonheur dans les jouissances du monde aiment leurs enfants, un mari, une mère, un père dun amour trop sensible; et cet amour est un obstacle entre lâme et Dieu, parce quil empêche de connaître le vrai et suprême amour. 2. La douce Vérité a dit: " Celui qui nabandonne pas son père, sa mère, ses soeurs, ses frères et lui-même, nest pas digne de moi (Mt 10,37). " Les vrais serviteurs de Dieu le savent bien, et ils détachent leur coeur et leur âme du monde, de ses pompes, de ses délices, et de toute créature hors de Dieu. Ce nest pas quils naiment les créatures, mais ils les aiment seulement pour Dieu, en tant quelles sont des créatures infiniment aimées par leur Créateur; et, comme [1684] ils détestent la partie sensitive qui se révolte en eux contre Dieu, ils la détestent aussi dans le prochain, parce quils voient quelle offense la souveraine Bonté. Je veux que vous fassiez de même, très chère Mère dans le Christ Jésus je veux que vous aimiez la bonté de Dieu en vous, et son infinie charité, que vous trouverez dans la cellule de la connaissance de vous-même. Dans cette cellule vous trouverez Dieu; et comme Dieu renferme en lui tout ce qui participe à lêtre, vous trouverez en lui la mémoire, qui reçoit et peut conserver le trésor des bienfaits de Dieu. Vous y trouverez lintelligence, qui nous fait participer à la sagesse du Fils de Dieu, en nous faisant connaître et comprendre sa volonté, qui ne veut autre chose que notre sanctification; et en voyant cela, lâme ne peut se plaindre et se troubler de ce qui arrive, car elle sait que toute chose vient de la providence de Dieu et de son amour infini. 3. Avec cette connaissance je veux, et je vous en conjure par lamour de lAgneau immolé, que vous vous guérissiez du chagrin et de la peine que vous cause le départ dEtienne. Réjouissez-vous et soyez dans lallégresse, parce que ce voyage ne sera pas sans profit pour son âme et pour la vôtre, et parce que, grâce à Dieu, vous le reverrez bientôt. Je dis aussi que dans la connaissance de vous-même, vous trouverez la douce clémence du Saint-Esprit, qui se donne tout entier, et qui nest autre chose quamour; tout ce quil fait, il le fait par amour. Vous trouverez cet amour dans votre âme, parce que la volonté nest autre chose que lamour; toutes ses affections, tous ses mouvements sont réglés par lamour; elle aime [1685] et elle hait ce que loeil de lintelligence a vu et compris, Il est donc bien vrai, très chère Mère, que dans la cellule de votre âme vous trouverez Dieu tout entier, qui lui donne tant de douceur, de paix et de consolation, que rien ne peut la troubler, parce quelle est remplie de la volonté de Dieu. 4. Lâme devient alors véritablement un jardin plein des fleurs odoriférantes du saint désir. Au centre est planté larbre de la très sainte Croix, ou se repose lAgneau sans tache, qui verse son sang pour baigner et arroser ce doux et glorieux jardin; et il rapporte les fruits mûrs des vraies et solides vertus. Si vous voulez la patience, cest là que vous la trouverez, si douce, que jamais en nentendit lAgneau pousser la moindre plainte. Vous trouverez lhumilité en voyant Dieu humilié jusquà lhomme, et le Verbe humilié jusquà la mort honteuse de la Croix. Si cest la charité que vous cherchez, il est la force de lamour et de la charité qui la tenu attaché et cloué sur la Croix. Les clous et la Croix ne pouvaient retenir lHomme-Dieu sans la force de la charité. Je ne m étonne pas que lâme, qui est devenue un jardin par la connaissance delle-même, soit forte contre le monde entier, puisquelle sest unie, elle sest faite une même chose avec la Force suprême. Elle commence véritablement à goûter ici-bas les arrhes de la vie éternelle; elle est maîtresse du monde, puisquelle le méprise. Les démons craignent dapprocher de cette âme, parce quelle brûle du feu de la charité. Ainsi, courage, très chère Mère; je ne veux plus que vous dormiez dans la négligence et dans lamour sensitif; mais réveillez-vous avec un ardent [1686] amour, pour vous baigner dans le sang du Christ, pour vous cacher dans les plaies de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Je suis certaine que, si vous restez dans votre cellule, vous ne trouverez que Jésus crucifié. Dites aussi à Corrado de faire de même. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCLV. A MADAME JEANNE DE CORRADO.- Du vêtement nuptial de la charité, et de lamour des parents pour leurs enfants.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Soeur et Fille dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement nuptial; car sans ce vêtement, lâme ne peut plaire à son Créateur, ni prendre part aux noces de la vie éternelle. Je veux donc que vous en soyez revêtue; et afin que vous puissiez vous en mieux revêtir, je veux que vous vous dépouilliez de lamour sensible que vous pouvez avoir pour vous, pour vos enfants ou pour toute autre créature en dehors de Dieu. Vous ne devez pas vous aimer ainsi, ni aimer autre chose, parce quil est impossible que lhomme serve deux maîtres; il servira lun et méprisera lautre. Personne [1687] ne peut servir à la fois Dieu et le monde, parce que Dieu et le monde nont aucune ressemblance. Le monde cherche lhonneur, la puissance, les richesses, lélévation des enfants, la noblesse, les plaisirs et les jouissances, qui ont pour principe un coupable orgueil. Mais Dieu demande et veut tout le contraire: il veut la pauvreté volontaire, lhumilité du cur, le mépris de soi-même, la fuite des plaisirs et de lestime du monde; il veut que lhomme ne cherche pas son honneur, mais lhonneur de Dieu et le salut du prochain, en sefforçant de se revêtir dune ardente charité et des ornements de la vertu et de la vraie et sainte patience. 2. Lhomme ne doit se venger daucune injure que le prochain lui a faite; mais il doit tout supporter avec patience, et chercher à se venger de lui-même, parce quil voit quil a offensé la douce Vérité suprême. Ce quil aime, il laime en Dieu; et hors de Dieu, il naime rien. Si vous me dites : Comment dois-je aimer? je vous répondrai que les enfants et toutes les choses de ce monde doivent être aimés pour lamour de Celui qui les a créés, et non pour lamour de soi-même ou de ses enfants; quil ne faut jamais offenser Dieu pour eux ou pour autre chose. Il ne faut pas aimer les créatures par intérêt et comme des choses qui vous appartiennent, mais comme des choses qui vous sont prêtées; car ce qui nous est donné en cette vie, nous est donné pour notre usage, pour en jouir autant quil plaira à la bonté de Dieu de nous les laisser. Vous devez donc user de tout comme léconome de Jésus crucifié, et assister de vos biens, autant que vous le pourrez, les pauvres qui représentent [1688] la personne de Dieu même. Vous devez avoir soin de vos enfants, cest-à-dire les nourrir et les élever dans la crainte de Dieu, et préférer les voir mourir que de les voir offenser leur Créateur. Faites, faites le sacrifice de vous-même et de vos enfants à Dieu; et si vous voyez que Dieu les appelle, ne résistez pas à sa douce volonté. Sil les prend dune main, donnez-les-lui des deux, comme une véritable et bonne mère qui aime leur salut. Ne choisissez pas vous-même leur état; ce serait une preuve que vous les aimez hors de Dieu, et soyez contente de celui auquel Dieu les appelle. Souvent les mères qui aiment leurs enfants selon le monde, disent : Je désire bien que mes enfants soient agréables à Dieu, et puissent le servir aussi bien dans le monde que dans un autre état; mais il arrive aussi bien souvent que ces pauvres mères, en voulant livrer leurs enfants au monde, ne les conservent ni pour Dieu ni pour le monde, et il est juste quelles en soient privées spirituellement et corporellement. puisquelles poussent ainsi lorgueil et lignorance jusquà vouloir donner des lois et des règles à lEsprit-Saint, qui les appelle. Elles ne les aiment pas en Dieu, mais elles les aiment dun amour sensible, hors de Dieu; elles aiment plus leurs corps que leurs âmes; 3. Bien-aimée Soeur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, jamais on ne peut se revêtir de Jésus crucifié avant de sêtre dépouillé de cet amour. Jespère de la Bonté suprême quil nen sera jamais ainsi pour vous; mais, comme une véritable et bonne mère, vous vous offrirez, vous et vos enfants, pour lhonneur et la gloire du nom de Dieu, et vous serez ainsi revêtue du [1689] vêtement nuptial. Mais afin que vous puissiez plus facilement vous en revêtir, je veux que vous détachiez vos désirs et votre affection, du monde et de ce qui lui appartient; je veux que vous ouvriez loeil de votre intelligence pour connaître lamour que Dieu vous porte, cet amour avec lequel il vous a donné le Verbe, son Fils unique. Et ce Fils vous a donné sa vie avec le même ardent amour; il a immolé son corps, et vous a fait un bain de son sang. Ignorants et misérables que nous sommes ! nous ne connaissons pas, nous naimons pas un si grand bienfait, et cela, parce que nos yeux sont fermés; sils étaient ouverts pour contempler Jésus crucifié, pourrions-nous méconnaître tant de grâces? Aussi je vous le dis: ouvrez toujours vos yeux, et fixez votre regard sur lAgneau immolé pour nous, afin de ne jamais tomber dans une pareille ignorance. Oui, ma très douce Fille, ne tardons plus, réparons le temps perdu à force damour; et si, dans cette vie, nous nous revêtons de ce vêtement par la grâce, nous nous réjouirons aux noces de la vie éternelle avec votre époux et vos enfants. 4. Prenez doucement courage, soyez patiente, et ne vous troublez pas si jai gardé votre Etienne trop longtemps (Sainte Catherine aimait particulièrement Etienne Maconi; elle le garda avec elle prés de six mois, à lépoque de son voyage dAvignon.); jai bien veillé sur lui, car laffection na fait de nous deux quune même chose, et vos intérêts sont les miens. Je pense que vous navez pas trop souffert; moi, je veux, pour vous et pour lui, jusquà la mort, faire tout ce que je pourrai faire [1690]. Vous, sa mère, vous lavez enfanté une fois; et moi je veux vous enfanter, lui, vous et votre famille, dans les larmes et les angoisses, en offrant sans cesse à Dieu mes prières et le désir de votre salut. Je ne vous dis rien de plus. Saluez Corrado de ma part, et bénissez pour moi toute la famille, surtout ma plante nouvelle, qui vient dêtre plantée dans le jardin de la sainte Eglise. Ayez-en bien soin, et nourrissez-la dans la vertu, pour quelle répande son parfum parmi les autres fleurs. Que Dieu vous remplisse de se douce grâce. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCLVI.- A NANNA, fille de Benincasa, sa jeune nièce, à Florence.- Elle lexhorte à être lépouse de Jésus-Christ, à lexemple des vierges sages de lEvangile, et elle lui apprend à entretenir la lampe de son coeur. (Nanna est le diminutif de Giovanna. Cette nièce de sainte Catherine était fille de Benincasa, son frère aîné, qui sétablit à Florence.)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Dieu, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir la véritable épouse de Jésus [1691] crucifié, en fuyant tout ce qui pourrait tempêcher davoir ce doux et glorieux Epoux. Mais tu ne pourras le foire, si tu nes pas de ces vierges sages du Christ, qui avaient leurs lampes avec de lhuile et de la lumière. Sais-tu, ma Fille, ce que cela veut dire? La lampe signifie notre cur, et notre cur doit être fait comme une lampe. Tu vois bien quune lampe est large par le haut et très étroite par le bas: cest la figure de notre coeur, parce que nous devons toujours louvrir vers les choses supérieures par les saintes pensées, par les peines et les prières continuelles, en nous rappelant toujours les bienfaits de Dieu, surtout le bienfait du Sang qui nous a rachetés. 2. Oui, ma Fille, le Christ béni ne nous a pas rachetés avec de lor, de largent, des perles et des pierres précieuses. Il nous a rachetés avec son précieux sang; et un si grand bienfait, il ne faut jamais loublier, niais lavoir toujours devant les yeux avec une sainte et douce reconnaissance, en voyant que Dieu nous a aimés dune manière si ineffable, quil na pas craint de livrer son Fils unique à la mort honteuse de la Croix, pour nous donner la vie de la grâce. Jai dit que la lampe est étroite par le pied; et notre cur aussi doit se resserrer vers les choses de la terre: cest-à-dire quil ne doit pas les désirer et les aimer dune manière déréglée, les souhaiter plus que Dieu ne veut nous les donner, mais toujours le remercier en voyant combien il pourvoit doucement à tout, puisque jamais rien ne nous manque. Notre cur sera ainsi une lampe; mais songe, ma Fille, quelle serait inutile sil ny avait pas de lhuile dedans [1692]. 3. Lhuile nous représente cette douce petite vertu de lhumilité véritable, car il faut que lépouse du Christ soit humble, douce et patiente; plus elle sera patiente, plus elle sera humble. Mais cette vertu de lhumilité, nous ne pourrons lavoir quen nous connaissant véritablement nous-mêmes, en reconnaissant notre misère, notre fragilité, en reconnaissant que nous ne pouvons seuls, faire aucun bien, et nous délivrer daucun combat et daucune peine ; car si nous avons quelque maladie dans notre corps ou quelque affliction dans notre esprit, nous ne pouvons nous en débarrasser; si nous le pouvions, nous le ferions sur-le-champ. Il est donc vrai que par nous-mêmes, nous ne sommes rien que honte, misère, corruption, faiblesse et péché; et cest pour cela que nous devons toujours nous abaisser, nous humilier. Mais il ne serait pas bon de se borner à cette connaissance, parce que lâme tomberait dans lennui, le trouble et du trouble dans le désespoir; le démon ne cherche quà nous troubler pour nous faire ensuite tomber dans le désespoir. 4. Il faut donc aussi connaître la bonté de Dieu à notre égard, en voyant quil nous a créés à son image et ressemblance, quil nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils unique, le doux Verbe incarné, et que cette bonté de Dieu agit sans cesse en nous. Mais vois aussi quil ne serait pas bon de se borner à cette connaissance de Dieu, parce que lâme tomberait dans lorgueil et la présomption; il faut donc réunir ces deux connaissances, la sainte connaissance de la bonté de Dieu et la connaissance de nous-mêmes. Alors nous serons humbles, patients et [1693] doux; et de cette manière nous aurons de lhuile dans la lampe. 5. Il faut maintenant de la lumière; sans cela le reste ne suffirait pas. Cette lumière doit être la lumière. de la très sainte Foi; mais les saints disent que la foi sans les uvres est morte ce ne serait pas une foi vive et sainte, mais une, foi morte. Il faut donc nous appliquer sans cesse à la vertu et abandonner nos enfantillages et nos vanités, et ne plus faire comme les jeunes personnes mondaines, mais être comme des épouses fidèles consacrées à Jésus crucifié; de cette manière, nous aurons la lampe, lhuile et la lumière. LEvangile dit que les vierges sages étaient cinq et je te dis aussi quil faut être toujours cinq autrement nous nentrerions pas aux noces. de la vie éternelle. 6. Ce nombre cinq nous apprend que nous devons vaincre et mortifier les cinq sens de notre corps, pour que nous ne pêchions jamais avec eux, et quils ne prennent jamais aucun plaisir défendu; et de cette manière nous serons cinq, parce que nous aurons assujetti les cinq sens de notre corps. Mais panse que le doux Epoux, le Christ, est si jaloux de ses épouses, que je ne pourrai jamais assez te le dire; sil voyait que tu aimes autre chose que lui, il se fâcherait sur-le-champ avec toi; et si tu ne te corrigeais pas, la porte serait fermée, et tu ne pourrais entrer où lAgneau sans tache célèbre les noces avec toute ses épouses fidèles. Mais nous serions chassées comme des adultères, comme les cinq vierges folles, qui se glorifiaient de la virginité de leur âme par la corruption de leurs cinq sens, parce quelles navaient pas porté [1694] avec elles lhuile de lhumilité. Aussi leurs lampas séteignirent, et il leur fut dit: Allez acheter de lhuile. Par cette huile on doit entendre les flatteries et les louanges des hommes. 7. Ceux qui flattent et louent dans le monde vendent cette huile. Cest comme sil avait été dit aux vierges folles: Avec votre virginité et vos bonnes uvres vous navez pas voulu acheter la vie éternelle, mais vous avez voulu acheter les louanges des hommes, et vous avez tout fait pour cela; allez acheter des louanges, vous nentrerez pas ici. Ainsi, ma Fille, garde-toi bien des louanges des hommes; ne désire être louée pour aucune de tes actions, car autrement la porte de la vie éternelle ne te serait pas ouverte. Comme je sais que cette voie est la meilleure, je tai dit que je désirais te voir la véritable épouse de Jésus crucifié, et je te ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCLVII.- A MADAME BARTHELEMI de Dominique, à Rome.- Du pèlerinage de la vie, et du bâton de la Croix, quil faut prendre pour nous soutenir et nous défendre.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Mère et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une bonne voyageuse [1696], vivant comme vit le vrai pèlerin qui voyage en ce monde ; et puisque nous marchons tous vers la mort, je veux que vous fassiez comme le sage pèlerin, qui ne sarrête ni aux peines ni aux plaisirs quil rencontre dans la route, mais qui ne regarde que le terme où il veut arriver. Nous pommes aussi des voyageurs, et nous ne devons être arrêtés ni par les tribulations, ni par les outrages, ni par les injures qui nous seront dites ou faites en cette vie. Ne vous détournez pas du chemin par impatience; mais continuez avec un vraie et sainte patience, comme une personne qui ne doit pas sarrêter: je dis que nous ne devons pas nous arrêter aux plaisirs et aux consolations par un attachement déréglé, mais nous devons passer outre généreusement, sans nous y complaire. Il faut aussi avoir dans cette route, un bâton à la main pour nous défendre des animaux sauvages et de nos ennemis. 2. Ce sera, ma Mère et ma très chère Fille, le bâton de la très sainte Croix, et avec ce bâton vous trouverez lAgneau immolé et consumé damour, qui nous défend de la sensualité, notre ennemie ; car lâme, en voyant tant damour, mortifie et tue ses désirs déréglés. Je dis quil nous défend des animaux, cest-à-dire des pensées du démon, des trompeuses flatteries du monde et de lamour déréglé des enfants et des créatures. Oh ! combien est doux ce bois glorieux, où lâme sappuie pour courir et arriver à son terme ! Notre terme, notre fin est la vie éternelle. Je veux que vous layez toujours devant les yeux de votre esprit ; et alors vous serez un véritable pèlerin, et vous arriverez an port du salut. Baignez-vous, baignez-vous [1696] dans le sang de Jésus crucifié, allez recueillir le sang de Jésus crucifié dans les pèlerinages, car, par les pèlerinage (Per cotesti perdonni. Par ces pardons, mot encore employé en Bretagne pour exprimer les pèlerinages où sont attachées des indulgences) le chrétien ne fait autre chose que de recueillir le précieux sang. Les indulgences nous sont données par le sang de lAgneau sans tache. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCLVIII. A MADAME BARTHELEMI dAndrea Mei, de Sienne.- Du renoncement à la volonté propre, et de lamour de Dieu dans notre création et dan notre rédemption.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Mère et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et solide vertu, parce que sans la vertu nous ne pourrons plaire à notre Créateur; Dieu a toujours voulu nous donner la vie de la grâce par son moyen. Vous savez bien que, quand le premier homme, Adam, tomba dans le péché par la désobéissance, ce péché fut suivi de la mort éternelle; et Dieu [1697], voulant le rétablir dans la grâce et lui donner la vie éternelle, le fit par le moyen de son Fils unique, en le chargeant de tuer par lobéissance notre désobéissance, de nous rendre la vie par sa mort, et de consumer, de détruire notre mort. Il en fut vraiment ainsi dans le tournoi du Calvaire. Le doux et tendre Verbe jouta contre la mort, et par an mort il vainquit la mort. La mort tua la vie, cest-à-dire que la mort de notre péché tua le Fils de Dieu sur le bois de la très sainte Croix; mais par sa mort il nous délivra de la mort, et nous rendit la vie parfaite. Ainsi la vie est restée maîtresse; elle a défait le démon infernal, qui tenait lhomme en en puissance; lhomme ne devait avoir dautre maître que Dieu seul, léternel Seigneur. 2. Mais nous revenons à cette première mort, et nous perdons la vie que nous avons par le sang de Jésus crucifié, lorsque lâme se met à servir la sensualité par ses désirs déréglés pour les honneurs, les richesses, les enfants ou les autres créatures, et par tout autre sentiment qui nest pas selon Dieu - Quelquefois aussi lâme devient spirituellement servante et esclave de la volonté propre, sous prétexte dêtre plus fervente, et de posséder Dieu davantage; cest lorsque nous désirons la consolation, la tribulation, la tentation du démon, le temps ou le lieu à notre manière, en disant souvent : Je voudrais avoir cette épreuve autrement, parce quelle me fait perdre Dieu. Je la supporterais alors patiemment, tandis que je ne le puis pas de cette manière, Si je noffensais pas Dieu, je laccepterais; mais je me plains, parce que je crains doffenser Dieu. Très chère Mère, si vous [1698] ouvrez loeil de lintelligence, vous verrez que cest la volonté propre sensitive qui se couvre du manteau de la spiritualité. Car si lâme était sage, il nen serait pas ainsi; mais elle croirait avec une foi vive que Dieu ne permet jamais plus quelle ne peut en porter, et plus quil nest nécessaire à son salut, car il est notre Dieu, qui ne veut autre chose que notre sanctification. Nous faisons souvent de même pour les consolations de lâme; elle ne les reçoit pas quand elle veut, dans les moments et les lieux quelle désire; elle éprouve, au contraire, des combats, des ennuis, des sécheresses; et alors elle tombe dans la peine, laffliction, le dégoût et le découragement. 3. Souvent le démon lui fait croire que tout ce quelle dit et tout ce quelle fait alors, nest pas agréable à Dieu. Il semble lui dire : Puisque tu ne peux lui plaire, parce que tu es mal disposée, reste tranquille et une autre fois: si tu te sens mieux disposée, tu pourras reprendre la prière. Le démon agit ainsi pour nous faire abandonner lexercice corporel et spirituel de la sainte prière actuelle, vocale et mentale, parce quen ôtant les armes avec lesquelles le serviteur de Dieu se défend des coups du démon, de la chair et du monde, il obtient de nous ce quil veut; la cité de lâme est obligée de se rendre, et il y entre en maître. Il ne peut en être autrement dès quelle a perdu les armes et la force de la prière; la prière nous donne les armes de lhumilité véritable et de lardente charité, parce que la sainte prière nous fait parfaitement connaître notre néant, notre faiblesse et la bonté, la charité infinie dé Dieu. Lune et lautre se connaissent mieux dans le temps de lépreuve et de [1699] la sécheresse, et lâme devient plus humble et plus vigilante. Si elle est prudente, elle ne cédera pas à la volonté propre dans la consolation, et elle nécoutera pas le démon; mais elle persévérera généreusement et avec une sainte haine, dans la prière, que Dieu lui envoie des douceurs ou des amertumes. Elle gagne plus dans les peines et les amertumes que Dieu lui accorde que dans les douceurs: car quand elle est dans le besoin, elle court avec zèle et humilité vert son bienfaiteur, sachant bien que par elle-même elle ne peut rien, et quil ny a que Dieu en qui elle espère, qui peut et veut la secourir. Sans ce moyen, nous ne pourrions jamais arriver à la pratique de la vertu, nous nen aurions que le désir. Pour y arriver, il faut souffrir avec une vraie et solide patience les peines intérieures que nous causent les créatures pal leurs persécutions et leurs scandales. 4. Nous parviendrons ainsi à la vertu, parce que ce sont ces moyens qui nous font enfanter la vertu. La vertu est éprouvée par la peine, comme lor pas le feu; car si dans la peine, lâme non seulement ne montre pas sa patience, mais encore faiblit pour cela ou pour autre chose, ce sera une preuve quelle ne sert pas son Créateur et quelle ne lui obéit pas, en recevant humblement et avec amour ce que le Maître lui donne. Elle ne montre pas non plus sa foi dans lamour de Notre-Seigneur; car, si elle croyait en être véritablement aimée, rien ne pourrait la scandaliser: elle recevrait aussi bien et avec autant de respect, ladversité que la prospérité et la consolation, parce quelle verrait que tout lui est donné par amour, Mais elle ne le voit pas, et elle montre quelle sest [1700] faite lesclave de la sensualité et de la volonté propre. Dans toutes les circonstances dont nous avons. parlé, elle se laisse commander et tyranniser par elles. Cette servitude, la servitude du monde et de la volonté propre spirituelle, nous donne la mort. Il faut donc la fuir, puisquelle nous empêche dêtre les serviteurs fidèles de Dieu, et quelle nous pousse à vouloir le servir, non pas selon son bon plaisir, mais selon le nôtre, ce qui est coupable et nous rend des serviteurs mercenaires. Puisquil en résulte tant de mal, et que Dieu veut faire toute chose selon ses desseins, je dis que nous devons suivre cette voie et la doctrine quil nous a donnée. 5. Nous voyons bien que nous ne nous sommes pas créés nous-mêmes, mais que nous devons lexistence à linfinie Charité. Cest par pur amour que Dieu nous a créés à son image et ressemblance, pour qui nous partagions son bonheur et que nous jouissions de son éternelle vision; mais nous lavons perdue par la faute et par lamour-propre de notre premier père. Alors, pour rendre à lhomme ce quil avait perdu, Dieu nous donna son Fils pour médiateur; et ce médiateur, afin de réconcilier Dieu et lhomme, a reçu lui-même le châtiment. La paix ne pouvait se faire autrement, car la guerre était grande; un Dieu in, fini avait été offensé, et lhomme fini, qui lavait offensé, ne pouvait par aucune peine, aucune souffrance, satisfaire ce Dieu muni. Cest pourquoi lardeur de son ineffable charité trouva le moyen de faire la paix, et, pour que la justice fut satisfaite, il sunit lui-même, il unit la nature divine à notre nature humaine; linfini de Dieu et le fini de lhomme [1701] sunirent dans la personne du Christ, qui souffrit sur le bois de la très sainte Croix pour satisfaire son Père et apaiser sa colère contre lhomme. Dun seul coup, sur le bois de la Croix, le doux Verbe a ainsi satisfait la miséricorde, en nous donnant la grâce que nous avions perdue, et il a satisfait la justice, qui demandait une punition de la faute; cette punition, il la soufferte dans son corps, dans cette même nature qui avait commis loffense, car la chair du Christ venait de la chair dAdam. Mais nous, ingrats que nous sommes, bien souvent nous perdons la grâce par nos péchés, et nous entrons en guerre avec Dieu. 6. Quelquefois cette guerre est mortelle, quelquefois seulement indigne dun ami. La guerre est mortelle quand lâme est plongée dans la mort du péché mortel, en faisant son dieu du monde, de la chair et de ses misérables plaisirs. Ceux-là ont véritablement perdu la vie; mais ils peuvent la recouvrer, tant quils sont sur terre, par la confession et par le moyen du sang de Jésus-Christ. Vous le voyez donc bien, sans ce moyen on ne peut vivre en état de grâce et parvenir à la vie éternelle. Ceux qui méprisent lamour sont ceux qui servent Dieu sans être en péché mortel; ils sont en état de grâce et veulent être de vrais serviteurs de Dieu; mais ils tombent souvent dans une erreur qui vient de la volonté propre spirituelle. Cette volonté, qui sest rendue maîtresse, les éloigne de la vérité, pas assez cependant pour quils tombent dans le péché mortel, mais ils nuisent à la perfection quils voulaient atteindre, parce quils prétendent choisir le lieu, le temps, la consolation [1702], lépreuve et la tentation à leur manière. Alors Dieu se refroidit pour lâme quil aimait, parce quil ne la voit pas marcher avec la liberté et la générosité quelle devrait avoir. Il nous a donné un moyen, et il veut que nous nous en servions, si nous voulons éviter de lui déplaire et détruire lobstacle qui soppose à notre perfection; il veut que nous renoncions à notre volonté propre, afin de ne chercher et de ne vouloir autre chose que Jésus crucifié. Tout le bonheur de lâme doit être de se reposer dans les opprobres du Christ et denfanter les vertus conçues par un saint désir dans la charité du prochain, avec une humilité véritable. En supportant les peines et les fatigues comme Dieu nous les envoie, et la sécheresse de lâme avec une vraie et sainte patience, nous serons affermis dans la vertu, et nous aurons la force et lintelligence de lhomme fait, et non de lenfant, qui ne veut marcher et agir quà sa manière. Je ne vois pas que nous puissions avancer par une autre voie, et cest pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir fondée sur la vraie et solide vertu; et, comme je veux que votre âme soit unie à Dieu par lamour, je vous ai dit que cela ne pouvait être sans le moyen de la vertu, parce que tout doit se faire par le moyen dont nous avons parlé. Je suis persuadée quavec le secours de linfinie bonté de Dieu, vous accomplirez sa volonté et mon désir. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1703].
CCCLIX.- A MADAME MONTAGNA, grande servante de Dieu, dans le comté de Narni, à Capitone.- De la charité parfaite.- De lamour-propre temporel et spirituel.- De lunion de lâme avec Dieu qui naît de la charité parfaite.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère et bien-aimée Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir brûlée et consumée dans le feu de la divine charité. Celui qui a cette charité ne cherche pas ses intérêts; il ne se cherche pas, et il ne cherche pas le prochain pour lui-même; mais il se cherche et cherche le prochain pour Dieu, et Dieu pour pieu même, parce quil est digne dêtre aimé, et quil est léternelle et souveraine Bonté. Ce feu brûle, il consume et ne consume pas, cest-à-dire quil ne consume pas et ne dessèche pas lâme, mais il lengraisse par lonction de la vraie et parfaite humilité, de lhumilité, qui est la gardienne et la nourrice de la charité il consume tout amour-propre, spirituel et temporel, avec tout ce qui, dans lêtre, se trouve opposé à la douce volonté de Dieu. 2. Je dis que ce feu consume lamour-propre temporel, parce quil fait connaître à la lumière que toutes les choses temporelles et passagères sont des [1704] instruments de mort pour lâme qui les possède avec un amour déréglé; elle commence alors à les haïr et à les chasser de son cur et de sa pensée; et comme lâme ne peut vivre sans amour, elle dirige ses affections vers les richesses de la vertu ; et ce feu damour, par la force de son ardeur, consume entièrement tout autre amour. Lorsque lâme sest ainsi purifiée, elle nest pas encore parfaite, et tant quelle nest pas arrivée à la perfection, il lui reste un amour-propre spirituel, ou pour la créature ou pour le Créateur, et même lun nest pas sans lautre; car, comme nous aimons Dieu, nous aimons la créature raisonnable. A quoi saperçoit-on que cet amour-propre est dans lâme? Quand elle aime sa propre consolation, et quelle néglige le salut du prochain, parce quelle voit diminuer alors la paix et le calme de son esprit, ou quelle se voit gênée dans les exercices quelle voulait faire pour sa consolation. Quelquefois aussi elle aime la créature dun amour spirituel, et il lui semble que la créature ne répond pas à son amour et quelle lui préfère une autre personne; elle souffre beaucoup et sindigne de cette préférence, et souvent elle jugera intérieurement cette créature, et sen éloignera sous prétexte dêtre humble et de mieux conserver la paix, mais cest lamour quelle a pour elle-même qui la fait agir. Cette conduite envers la créature montre que lamour-propre spirituel de lâme nest pas encore consumé à légard du Créateur. 3. Quand lâme est tourmentée par les ténèbres, les combats de la privation de ses consolations ordinaires, elle se laisse aller quelquefois au trouble, à lennui ; ce trouble et cet ennui lui feront souvent négliger [1705] doux exercice de la prière, ce qui ne devrait pas être, car elle devrait sy attacher comme à une mère, et ne sen éloigner jamais. Si elle labandonne, surtout Si elle abandonne quelquautre acte de vertu, cest une preuve que son amour est mercenaire, cest-à-dire quelle aime sa propre consolation, et que lattachement aux jouissances spirituelles Dest pas encore déraciné de son cur. Je dis que le feu de la divine charité consume et détruit limperfection. Il rend lâme parfaite dans lamour de Dieu et lamour du prochain; elle ne craint pas, pour lhonneur de Dieu et le salut des âmes, de perdre sa propre consolation; elle ne refuse pas le travail, mais elle se plaît à sasseoir à la table des pénibles désirs dans la compagnie de lhumble Agneau sans tache. Elle pleure avec ceux qui pleurent, et se fait malade avec ceux qui sont malades, parce quelle prend les fautes dautrui pour les siennes; elle se réjouit avec ceux qui. se réjouissent, dilatant son cur dans la charité du prochain, tellement quelle est plus heureuse du bonheur, de la paix des autres, que de sa propre consolation. Celui quelle aime, elle voudrait le voir aimé partout le monde. Elle ne se scandalise pas de se voir moins aimée que les autres, mais elle est contente de tout par humilité, parce quelle se trouve pleine de défauts, et quelle trouve les autres remplis de vertus; il lui paraît juste et convenable que ceux qui ont plus de vertus soient aimés davantage. 4. Cette charité unit lâme à Dieu, en détruisant la volonté propre, et en la revêtant en lunissant avec léternelle Volonté, si bien que rien ne peut la scandaliser et la troubler, excepté les offenses faites à son [1706] Créateur et la perte des âmes. La charité est un feu qui convertit tout en lui, et qui élève lâme au-dessus delle-même. Son union est si grande dans lextase de la charité divine, que le corps qui la contient perd tout sentiment, si bien quil voit sans voir, quil entend sans entendre, quil parle sans parler, quil marche sans marcher, quil touche sans toucher. Tous les sens du corps paraissent enchaînés ; il semble quils ont perdu leur vertu, parce que la sensibilité sest perdue elle-même en sunissant à Dieu. Dieu, par sa vertu et sa charité, attire tout à lui, et la sensibilité du corps même nexiste plus. Lunion de l'âme avec Dieu est plus parfaite que celle de lâme avec le corps. Dieu attire à lui toutes les puissances de lâme et toutes ses opérations. La mémoire est remplie du souvenir de ses bienfaits et de son ineffable bonté ; lintelligence contemple la doctrine que Jésus crucifié nous a donnée par amour, et la volonté se précipite avec ardeur pour laimer. 5. Alors toutes les opérations de lâme sont réglées et réunies en son nom. Elle goûte le lait de la divine douceur; elle senivre du sang du Christ, et dans son ivresse elle ne veut se rassasier que dopprobres; elle embrasse les mépris, les injures, les outrages, le froid, le chaud, la faim, la soif, les persécutions des hommes et les attaques des démons. Elle se glorifie toujours avec le glorieux saint Paul dans le Christ, le doux Jésus. Jai dit que la charité ne se recherche pas, parce quelle ne choisit pas le lieu et le temps selon son bon plaisir, mais selon que le veut la divine Bonté; elle accepte tous les lieux et tous les instants [1707]. La tribulation ne lui pèse pas plus que la consolation, parce quelle cherche lhonneur de bleu dans le salut des âmes, avec te désir dacquérir et daugmenter les vraies et solides vertus. Elle na pas placé la perfection dans les consolations spirituelles, dans les révélations, dans la mortification du corps, mais dans la mort de la volonté, parce quelle a vu à la lumière que ce nest pas en cela que consiste la perfection, mais dans la mort de la volonté spirituelle et temporelle; aussi elle la jette généreusement dans la fournaise de la charité divine; et quand elle y est, il faut bien quelle y brille et quelle y soit consumée. Tout ce que nous avons dit nest rien auprès de ce quest et de ce que donne la charité, cette douce mère. Voyons maintenant où elle sacquiert, et comment. 6. Je vous le dirai en peu de mots. On lacquiert avec la lumière de la très sainte Foi, et cette Foi est la prunelle de loeil de lintelligence. Avec cette lumière, lâme voit ce quelle doit aimer et ce quelle doit haïr. En voyant elle connaît, et en connaissant elle aime et elle hait. Elle aime ce quelle a connu de la Bonté divine, et elle hait ce quelle a vu de sa propre malice; et sa misère lui fait comprendre ce qui est nécessaire à son salut. Quelle en est la cause? la lumière, dou vient la connaissance, et de la connaissance vient lamour. Car ce quon ne connaît pas, on ne peut laimer. La lumière nous conduit donc à la chaleur; lune est inséparable de lautre: il ny a pas de feu sans lumière, et de lumière sans feu. Ou le trouverons-nous? dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes. Cest en nous que [1708] nous trouvons ce doux et tendre feu, puisque par amour Dieu nous a donné lêtre à son image et ressemblance ; par amour nous avons été régénérés à la grâce dans Je sang de Jésus crucifié car cest lamour qui la attaché et cloué sur la Croix. Nous sommes les vases qui ont reçu labondance du sang, et toutes les grâces spirituelles qui nous ont été données avec lêtre, nous les avons revues par amour. Ainsi lâme trouve et connaît en elle-même ce doux feu. Allons donc avec la lumière dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, et nous nous y nourrirons de la divine charité, en nous voyant aimés de bleu dune manière ineffable. La charité nourrit les vertus sur son sein, et fait vivre lâme dans la grâce; Sans elle nous serions stériles et privés de la vie. 7. Ces pensées mont fait dire que je désirais et que je désire, pour vous comme pour moi, nous voir brûlées et consumées dans la fournaise de la divine charité. Je prie ta clémence du Saint-Esprit de nous en faire la grâce, afin que la Bonté divine soit glorifiée en nous, en consumant notre vie dans la douleur amère des fautes commises contre Dieu, et en lui offrant sans cesse dhumbles et fidèles prières pour la sainte Eglise et pour toute créature raisonnable; Anéantissez-vous dans le sang de lAgneau. Je ne dis rien de plus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1709].
CCCLX.- A MADAME AGNES TOSCANELLA, servante de Dieu dune grande pénitence.- Du vrai fondement que nous devons donner à lédifice de notre âme. La pénitence nest quun moyen.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir creuser un vrai et solide fondement, de manière quil puisse supporter un grand et bel édifice, quaucun vent contraire ne puisse renverser. Ne vous étonnez pas si je vous dis que je désire vous voir creuser un véritable fondement. Il semblerait, à mentendre, que nous commençons maintenant seulement à bâtir la cité de notre âme: il y a tant de temps cependant que nous paraissons vouloir creuser ce fondement, bien que, je le confesse, je ne laie jamais fait; mais, ce qui me fait dire de commencer maintenant, cest que lâme, tous les jours, doit commencer à y travailler. Puisque nous avons vu quil faut creuser ce fondement, voyons où, comment et avec quoi. Le lieu est la vraie connaissance de nous-mêmes, et cette connaissance se creuse dans la vallée de la véritable humilité. De quelle manière? avec la lumière de la très sainte Foi, en ôtant avec les mains de la haine, la terre qui encombre lâme, cest-à-dire lamour déréglé de nous-mêmes [1710], en y mettant les pierres des vraies et solides vertus avec la main de lamour, avec un ardent et saint désir. 2. Et que mettrons-nous dessus? la faim de lhonneur de Dieu et du salut des âmes, en écoutant lhumble Agneau sans tache, en suivant sa doctrine. Cette doctrine ne nous enseigne quà aimer Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme nous-mêmes. Mais lâme prudente qui a creusé son fondement dans la sainte connaissance delle-même, y a connu la grande bonté de Dieu et lamour ineffable quil nous porte; elle sattache alors à lui et à tout oe quil aime, cest-à-dire à la créature raisonnable; et elle sasseoit aussitôt à la table du saint désir pour y prendre la nourriture des âmes, pour tuer en elle la volonté propre, et se revêtir de vertus pour lhonneur de Dieu; cette volonté doit se tuer tout entière, et non pas à moitié. 3. Savez-vous quand elle se tue à moitié? quand lâme se détache des choses passagères en retranchant lamour sensitif, et quand elle se met à faire la volonté de Dieu, qui veut que nous nous en dépouillions. Elle reste à moitié morte en mourant à ces choses, mais elle reste à moitié vivante dans les choses spirituelles, recherchant sa propre consolation, choisissant le lieu, le temps et les consolations à sa convenance, et ne les acceptant pas selon le bon plaisir de Dieu. Nous ne devons pas agir ainsi, nous devons servir notre Créateur sincèrement, généreusement, lui laissant discerner les lieux, les temps et les consolations comme il le veut, Il est le médecin, et nous sommes les malades; cest de lui que nous devons recevoir et [1711] prendre la médecine. Elle est bien folle et bien insensée, lâme qui veut se conduire elle-même ! Il semble quelle croit en savoir plus que Dieu, et elle ne sen aperçoit pas. Il en est ainsi parce quelle simagine être plus agréable en faisant ce quelle veut quen se soumettant à ce que Dieu permet; et de cette manière elle tombe souvent dans de grandes erreurs. 4. Doù vient que la volonté nest pas morte en cela? de lamour quelle a pour les consolations, dont elle a fait son fondement. Dautres âmes le placent dans les visions et les révélations; elles y trouvent un grand plaisir quand elles les reçoivent, et elles souffrent beaucoup quand elles en sont privées. Ce fondement nest pas bon; car souvent nous croyons que cet état vient de Dieu, et il vient du démon; le démon nous prend avec lamorce quil sait être la plus propre à nous séduire. Quelquefois Dieu permettra que nous goûtions beaucoup de consolations spirituelles, non pas pour que nous y attachions notre cur, mais pour que nous considérions plus lamour de celui qui donne, que ce quil donne. Il nous les refusera dans un autre moment, et nous livrera aux combats, aux ténèbres et à la sécheresse de lesprit, tellement que lâme en souffre beaucoup, et croit être privée de Dieu, parce quelle est privée de ce quelle aime. Dieu le permet pour 1a retirer de limperfection et la conduire à la perfection, pour la guérir de lamour des révélations, et la faire asseoir à la table du sincère désir, qui doit être le principe de toute sa conduite. 5. Il y en a beaucoup aussi qui se trompent au sujet de la pénitence. Souvent la créature met tout son zèle dans la pénitence, et sapplique plus à tuer le [1712] corps que la volonté propre, tandis quelle devrait tuer la volonté, et mortifier seulement son corps; mais elle sattache tellement à la pénitence, quil lui semble ne pas pouvoir sans elle posséder Dieu. Ce fondement nest pas suffisant pour porter un grand édifice: il est dangereux et nuisible à lâme de sappuyer uniquement sur la pénitence; mais elle doit prendre pour base la charité et les vertus intérieures de lâme, qui ne détruisent ni le lieu ni le temps, si nous ne le voulons pas, et qui ne peuvent nous être enlevées par aucune créature. La pénitence doit se prendre comme instrument, et servir à augmenter la vertu en mortifiant le corps, mais elle ne doit pas être lobjet principal de lâme. Celui qui ferait autrement se tromperait beaucoup lui-même. Il faut reconnaître que la pénitence dépend du temps, parce quil nest pas toujours possible de continuer celle quon a commencée. Le corps mortifié et macéré dans un moment, ne peut lêtre dans un autre : et lâme souffre de cette impuissance; elle simagine être réprouvée de Dieu, et se remplit de ténèbres, parce quelle a perdu la voie ou il lui semblait recevoir la lumière et la consolation; et cela lui arrive parce quelle a pris la pénitence pour fondement. Ceux qui agissent ainsi sont exposés à se fatiguer beaucoup pour recueillir peu de fruits; ils sont disposés aux murmures et aux jugements à légard de ceux qui ne suivent pas la même voie queux; ils ne saperçoivent pas quils semblent vouloir donner des lois à lEsprit-Saint, qui nous appelle et nous conduit par des voix différentes, les uns par la pénitence, les autres par dautres moyens; les uns se [1713] mortifient peu ou beaucoup, selon que le permet la nature; les autres avancent seulement par lardeur du désir. 6. Ce sont ceux-là qui gagnent davantage; ils courent dans la lumière et la liberté sans connaître la peine, parce que leur volonté est morte; ils ne jugent pas, mais ils se réjouissent de la diversité des moyens que prennent les serviteurs de Dieu, parce quils voient que, dans la maison du Père céleste, il y a plusieurs logements, et que Dieu a de quoi donner. Ils ne saffligent pas de la perte des consolations, mais ils sen réjouissent à cause de la haine quils ont pour eux-mêmes, se jugeant dignes de la peine, et indignes de la récompense qui suit la peine. Ils ne se cherchent pas pour eux, mais pour Dieu; et ils naiment pas Dieu pour la douceur quils y trouvent, mais pour sa bonté, parce quil est digne de tout notre amour. Ils aiment le prochain parce que Dieu la commandé, et quils ont vu à la lumière de la Foi vive, que Dieu laime dune manière ineffable ; et alors ils laiment aussi. Dès cette vie, ils goûtent les arrhes de la vie éternelle, parce que leur volonté est morte non pas à moitié, mais entièrement, dans les choses spirituelles et temporelles. O très chère Sur, ne Croyez pas que je méprise la pénitence corporelle: je la recommande au contraire comme moyen, mais non pas comme but principal. Autrement nous tomberions dans bien des erreurs. 7. Nous devons donc prendre pour fondement la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, et nous devons courir simplement et généreusement à la table de la très sainte Croix, où nous trouverons le feu de [1714] la divine charité, et là prendre avec empressement la nourriture de lhonneur de Dieu et du salut des âmes, nous rassasiant dopprobres, de mépris, dinjures et de souffrances jusquà la mort. De cette manière nous suivrons la doctrine de Jésus crucifié, qui est la voie, la vérité, la vie; et celui qui va par lui ne va pas par les ténèbres, mais il arrive à la lumière. Le Christ est vraiment la vérité; celui qui suit sa doctrine reçoit la lumière de la, grâce, qui dissipe les ténèbres de lamour-propre et de lignorance. Il reçoit une lumière surnaturelle, qui lui fait voir et comprendre où il doit creuser ses fondements; il a fait et il a bâti la cité de son âme. Il a vu avec une grande prudence. la cause qui empêche sa perfection, et il la éloignée de lui; il a pris et embrassé ce qui pouvait laider à se conserver et à grandir dans la perfection. Il dilate son cur et son amour dans lardeur de la charité divine; il ne pense plus à lui, mais il pense seulement au moyen de plaire davantage à Dieu, en cherchant son honneur et le salut des âmes et, comme il voit quil ne pourra y réussir tant que sa volonté vivra, il sapplique à tuer et à anéantir entièrement cette volonté, à mortifier son corps, si bien quil ne semble occupé quà se revêtir de vertus. 8. Lorsque cette âme reçoit des consolations de Dieu ou des créatures pour Dieu, elle shumilie et les reçoit avec reconnaissance, sen jugeant indigne. Si elle éprouve des tribulations, des tentations et des ténèbres intérieures, elle les reçoit avec patience et amour, reconnaissant que tout ce que Dieu permet, de quelque source que ce soit, il le permet par amour, pour la faire arriver à la perfection quelle désire. Si [1715] elle est arrêtée dans les pénitences quelle faisait pour mortifier son corps, ou par obéissance ou par impuissance elle conserve la paix, et ne ressent ni tempête ni amertume. elle navait pas mis là son fondement, mais bien dans lamour de la vertu, et elle néprouve alors aucune peine. Le contraire arrive à ceux qui ont pris pour base unique la pénitence, parce que leur volonté est vivante, et non pas morte. Aussi leur chagrin est extrême, lorsque les circonstances ou la faiblesse de leur nature les obligent de cesser les pénitences quils avaient commencées; ils tombent dans impatience à légard deux-mêmes, et dans le murmure à légard de ceux qui les arrêtent; et en voulant parvenir à la perfection ils arrivent à limperfection 9. Oui, très chère Fille, prenons pour principe, pour fondement véritable, non pas une chose imparfaite, mais une chose parfaite, cest-à-dire la vraie connaissance de nous-mêmes avec le désir des vertus quon ne peut pas nous enlever nourrissons-nous à la table du vrai et saint désir, et rassasions-nous des opprobres de lhumble Agneau. Nous ne pourrons pas autrement pleurer par dhumbles et continuelles prières sur le Fils mort de lhumanité et sur le corps mystique de la sainte Eglise, que nous voyons maintenant dans de si grandes tribulations. Je ne vois pas de meilleur moyen de travailler en nous et dans les autres que de prendre ce principe, et je vous ai dit que je désirais vous voir établir un vrai et solide fondement, afin de pouvoir y élever ensuite lédifice des vertus véritables. Je vous conjure de le faire pour lamour de Jésus crucifié Ne soyez pas indiscrète par défaut de lumière; ne cherchez pas à tuer votre [1716] corps, mais bien votre volonté propre, ne voulant que ce que Dieu veut, selon son bon plaisir, et non selon le nôtre. Je ne vous en dis pas davantage. 10. Quant à ce que vous mécrivez du voyage au Saint-Sépulcre, il me semble que vous ne devez pas le faire maintenant; je crois que cest plutôt la douce volonté de Dieu que vous restiez où vous êtes, et que vous gémissiez sans cesse en sa présence, du fond de votre cur et avec une grande amertume, de le voir tant offensé, surtout par lhérésie quont fait naître des hommes coupables pour souiller notre foi. Ils disent que le Pape Urbain VI nest pas le vrai Pape. Il est bien le vrai Souverain Pontife, le Vicaire de Jésus-Christ, je le déclare devant Dieu et devant toutes les créatures. Baignez-vous dans le sang répandu pour nous avec un si ardent amour, et pardonnez-moi si je vous ai parlé avec trop de présomption. Priez Dieu pour le Christ de la terre et pour moi, afin quil me fasse la grâce de donner ma vie pour Sa douce vérité... Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1717].
CCCLXI.- A MADAME AGNES, femme de François, tailleur, de Florence .- De lhumilité, de la prière, et de lamour du prochain. (Sainte Catherine a adressée dix lettres au mari de cette dame. (Voir la lettre CCXCVII)
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE. 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir revêtue de la vraie et parfaite humilité, car cest cette chère petite vertu qui nous fait grandes en la douce présence de Dieu. Cest elle qui a forcé et incliné Dieu à faire incarner son très doux Fils dans le sein de Marie. Elle est autant glorifiée que les superbes sont humiliés; elle brille en la présence de Dieu et des hommes; elle lie les mains du méchant et unit lâme à Dieu; elle purifie et lave les souillures de nos fautes, et engage Dieu à nous faire miséricorde. 2. Aussi, ma très douce Fille, je veux que tu tappliques à embrasser cette glorieuse vertu, afin que tu traverses cette mer orageuse du monde sans tempêtes et sans périls. Appuie-toi sur cette douce et solide vertu, et baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié. Quand tu pourras consacrer du temps à la prière, je te conjure de ny pas manquer; aime aussi [1718] avec charité toute créature raisonnable. Je te prie ensuite, et je te commande de ne pas jeûner, excepté les jours prescrits par la sainte Eglise, si tu le peux. Lorsque tu sens que tu ne peux pas jeûner, ne jeûne pas; et en autre temps ne jeûne que le samedi, si tu crois le pouvoir. Quand les chaleurs seront passées, tu jeûneras pour les fêtes de la Vierge, si tu le peux, mais pas davantage. Ne te réduis pas à boire tous les jours seulement de leau; efforce-toi daugmenter tes sainte désirs, et ne te tourmente pas maintenant du reste. Naie point de peine et de tristesse à notre sujet, car nous nous portons toutes bien. Quand il plaira à la divine Bonté nous nous reverrons. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Encourage de ma part mes douces filles Ursule et Ginevra. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCLXII.- A LA MEME.- Elle lexhorte à sattacher à larbre de la croix, pour y cueillir le fruit des vertus.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir revêtue dune vraie et solide vertu, parce que sans la vertu, nous ne pouvons plaire à Dieu. Mais cette vertu, tu ne peux la trouver que [1719] dans lardeur de la charité, lardeur de la charité se trouve dans le doux et tendre Verbe; et ces vertus se nourrissent sur larbre de la très sainte Croix. Attache-toi donc à cet arbre comme une vraie fille du Christ, pour y cueillir ces fruits; tu ty enivreras et te revêtiras des vraies et solides vertus. saigne-toi dans le Sang de Jésus crucifié, cache-toi dans la plaie de son côté, et fais-toi là une douce demeure par une sainte connaissance de toi-même, par une vraie connaissance de la grandeur de sa bonté. Enflamme-toi damour pour son honneur et pour le salut des âmes, en offrant pour elles à Dieu de doux et tendres désirs. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Poux Jésus, Jésus amour.
CCCLXIII.- A LA MEME.- Elle lexhorte à croître dans les saints désirs de la vertu.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des Serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir grandir dans un saint désir et une vraie patience, de manière, que tu noublies jamais la douce volonté de Dieu, mais que tu saches ty soumettre toujours avec joie, pendant tout le temps que Dieu te donnera. Aime à tanéantir dans le sang de Jésus crucifié, à en faire ton repos, ton [1720] unique demeure. Dans ce glorieux sang tu recevras la lumière, car dans ce sang se dissipent les ténèbres. Tu recevras dans ce sang la vie de la grâce, parce que ce sang détruit la mort; et tu goûteras dans ce sang le fruit dune ardente charité, car il a été répandu par amour. Cest lamour qui la attaché et cloué sur la Croix. Les clous nauraient pu suffire, si lamour ne lavait pas retenu; mais lamour la retenu. Oui, je veux que tu te revêtes de cet amour, et, pour ten revêtir, il faut te baigner dans le sang de Jésus crucifié. Je veux que tu le fasses. Applique-toi à la sainte prière, quand et où tu pourras, car la prière est une mère qui nourrit les vertus, ses enfants. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCLXIV.- A LA MEME.- Elle lexhorte à se baigner dans le sang de Jésus-Christ.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang, avec le désir de te voir baignée et anéantie dans le sang de Jésus crucifié, afin que tu donnes ton sang par amour du Sang et ta vie par amour de la Vie. O très chère Fille, voilà le temps de mourir dardeur pour lhonneur de Dieu et le salut des âmes, le temps [1721] doffrir des larmes et dhumbles et continuelles prières pour les besoins du monde entier. Je veux donc que, pour mieux faire à Dieu le sacrifice de nous-mêmes, tu te caches dans la plaie du côté de Jésus crucifié, et que tu te baignes dans son très doux sang. Je ne ten dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCLXV.- A LA MEME.- Elle lexhorte à la persévérance et aux autres vertus.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je técris dans son précieux sang. avec le désir de te voir une servante fidèle de ton Créateur, persévérant toujours dans la vertu, afin que tu reçoives en cette vie, labondance de la grâce, et que dans lautre, nous jouissions de léternelle vision de Dieu, unies ensemble dans les doux liens de la charité. Mais, pour mieux croître et te conserver dans lamour des vertus, je veux que par le saint désir, toi et François, vous vous cachiez dans le côté de Jésus crucifié. Son sang alors remplira le vase de votre cur, afin que, transportés et enivrés du sang de Jésus-Christ, vous goûtiez les effets de la charité. Alors léternel Epoux vous recevra et vous pressera [1722] dans ses bras avec bonté et miséricorde. Je connais, ma Fille, les mouvements de ta charité. Tu me demandes si je veux que tu viennes pour moi je ne te réponds pas, mais je te dis seulement que je remplirai ton désir, et que je consolerai ton âme quand viendra le moment choisi pour toi; et ce sera bientôt, avec la grâce de Dieu. Courage dans le Christ, le doux Jésus. Salue bien de ma part Bartholo et M. Orsa. Bénis tout le reste de la famille, et dis surtout mille choses à François. Je ne te dis rien de plus pour le moment. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCLXVI.- A MADAME ORSA, femme de Bartholo Usimbardi, et à madame Agnès, femme de François Pépin, tailleur, de Florence.- Elle les exhorte au mépris du monde et à lamour de Dieu. (Ces deux familles, qui paraissent avoir été de conditions si différentes, étaient unies par leur attachement à sainte Catherine. (Voir les lettres CCLXXXIX ET CCXC )
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir persévérer dans vos saints [1723] désirs, afin que vous ne tourniez jamais la tête en arrière; car vous ne recevriez pas la récompense, et vous transgresseriez la parole de notre Sauveur, qui nous dit de ne pas tourner la tête pour regarder la charrue. Soyez donc persévérantes, et regardez, non pas ce que vous avez fait, mais ce que vous avez à faire. Et quavons-nous à faire? à diriger sans cesse notre amour vers Dieu, à mépriser le monde avec toutes ses délices, et à aimer la vertu, en souffrant avec une vraie patience tout ce que la divine Bonté permet, sachant bien que ce que Dieu nous donne, il le donne pour notre bien, afin que nous soyons sanctifiés en lui. Nous verrons dans le Sang que cest la vérité. Ce glorieux sang nous a manifesté cette si douce vérité; nous devons en remplir notre mémoire, afin de nous le rappeler toujours avec reconnaissance. Je veux que vous agissiez ainsi, très chères Filles, parce que de cette manière vous persévérerez jusquà la mort; et au dernier jour de votre vie, vous recevrez pour récompense léternelle vision de Dieu. Je ne vous dis rien de plus. 2. Je te gronderai, ma très douce Fille, davoir oublié ce que je tai dit. Je tavais recommandé de ne rien répondre à ceux qui parleraient de moi dune manière qui ne te semblerait pas avantageuse. Je ne veux plus que tu recommences, mais je vous dirai ce quil faut répondre à ceux qui vous parlent de mes défauts. Ils sont, hélas! si considérables, quil serait bien difficile de tous les confesser. Dites-leur quils aient compassion de moi devant Dieu, comme ils le témoignent par leurs paroles, et quils prient tant la Bonté divine, quenfin je change de vie. Dites-leur [1724] aussi que le souverain Juge punira tous mes défauts, et récompensera toutes les peines quon aura supportées pour son amour. A légard de Mme Paule, je ne veux pas que tu prennes de lhumeur; mais pense quelle fait comme une bonne mère qui veut éprouver si sa fille a de la vertu ou non. Je confesse sincèrement que je ne trouve rien de bien en moi; mais jespère en mon Créateur, qui me changera et me corrigera. Courage donc, et ne vous tourmentez plus, car nous nous trouverons unies dans lardeur de la charité divine, et nous ne serons séparées ni par le démon ni par les créatures. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCLXVII.- A TROIS DAMES DE FLORENCE.- Des vertus qui sacquièrent dans la connaissance de soi-même, et de lamour de Dieu envers nous.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, puisque la Bonté divine vous a retirées de la fange du monde, ne tournez pas la tête en arrière pour regarder la charrue, mais regardez toujours ce quil faut faire pour conserver en vous la sainte résolution que vous avez prise. Quest-ce quil faut voir et faire pour conserver cette volonté? Je vous dirai quil faut toujours rester dans la cellule de la connaissance de [1725] vous-mêmes. Vous y connaîtrez que vous nêtes pas, et que vous tenez de Dieu seul lexistence; vous connaîtrez vos défauts et la brièveté du temps, qui est si précieux pour nous; car avec le temps on peut acquérir la vie éternelle ou la perdre, selon notre bon plaisir; et lorsque le temps est passé nous ne pouvons plus faire aucun bien. Vous devez aussi connaître en vous la grande bonté de Dieu et lamour ineffable quil vous porte. Cet amour, il vous la montré par le moyen du Verbe, son Fils unique, et ce doux et tendre Verbe la montré par le moyen de son sang. Nous sommes les vases qui ont reçu ce sang, et nous sommes la pierre où a été planté létendard de la très sainte Croix. Ni la Croix, ni les clous, ni la terre ne pouvaient retenir, ainsi cloué et attaché, lhumble et tendre Verbe, si lamour ne lavait pas retenu. Mais lamour quil avait pour nous la retenu et la fait rester sur larbre de la Croix. Il faut que notre cur soit uni à lui par lamour, si nous voulons participer au fruit de son sang. Alors lâme qui connaît Dieu si doucement, aime ce quelle connaît de sa bonté, et déteste ce quelle connaît delle. même dans la partie sensitive. 2. Cest là quelle trouve lhumilité, qui est la gardienne et la nourrice de la charité. Et alors elle avance toujours, et ne retourne jamais en arrière, croissant de vertu en vertu, sexerçant dans les vertus,, les humbles prières, les saints désirs et les bonnes uvres, qui sont cette prière continuelle que doit pratiquer toute personne raisonnable. Elle sexerce aussi aux prières particulières, qui se font aux heures réglées et ordinaires; ces prières, il ne [1726] faut pas les abandonner, à moins que ce ne soit par obéissance ou par charité, mais jamais pour un autre motif, ni à cause des tentations, ni à cause de la somnolence de lesprit ou du corps. Il faut secouer le sommeil du corps par les exercices corporels, par des prostrations et par les moyens que nous avons pour chasser le sommeil, quand nous en avons pris ce qui était nécessaire. La somnolence de lesprit doit être chassée par la haine et le mépris de soi-même, et par une sainte résistance; il faut monter sur le tribunal de la conscience et se reprendre soi-même, en disant: Quoi ! tu dors, mon âme; tu dors, et la Bonté divine veille sur toi ! Le temps passe et ne tattend pas. Veux-tu être surprise dans le sommeil par le souverain Juge, lorsquil te demandera de lui rendre compte de ton temps, comment tu las dépensé, et comment tu as été reconnaissante du bienfait de son sang? 3. Alors lâme se réveille, et si elle ne peut sappliquer à ce quelle voulait, elle travaille du moins à combattre, son amour-propre ; et de cette manière elle avance toujours, elle va de limperfection à la perfection à laquelle, il me semble, vous voulez atteindre; lamour nest jamais oisif, mais il fait toujours de grandes choses. En agissant ainsi vous vous revêtirez de la vertu de patience, qui est la moelle de la charité, et vous vous réjouirez des peines, afin que vous puissiez devenir semblables à Jésus crucifié. Il vous paraîtra doux de supporter ses peines et ses opprobres; vous fuirez les conversations et vous aimerez la solitude; vous ne présumerez pas de vous-mêmes, mais vous vous confierez en Jésus crucifié, et votre [1727] esprit ne se remplira pas de fantômes, mais de vraies et solides vertus. Vous aimerez Dieu avec un cur droit, simple, pur, généreux ; vous laimerez pardessus toute chose, et vous aimerez le prochain comme vous-mêmes. Ni les attaques du démon, qui vous donnera de laides et mauvaises pensées, ni les faiblesses de la chair, ni les persécutions des créatures ne pourront vous troubler et vous décourager, mais vous direz avec une foi vive, comme lapôtre saint Paul: Je puis tout par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie (Phil 4,13). Croyez-vous dignes des peines et indignes des récompenses par humilité. Aimez-vous les unes les autres dans le Christ, le doux Jésus, aimez-vous dune charité fraternelle puisée dans labîme de sa charité. Je ne vous dis rien de plus. Que Dieu vous remplisse de sa très sainte grâce. 4. Je vous prie dune chose, cest de ne pas rechercher beaucoup de conseils; mais prenez un conseiller qui vous conseillera simplement, et que vous écouterez. Sadresser à plusieurs est une chose dangereuse, non pas que tout conseil fondé sur la charité ne soit bon, mais, comme les serviteurs de Dieu suivent des voies différentes, ils peuvent, en étant tous dans la charité, avoir des doctrines différentes. Si vous en consultez beaucoup, vous voudrez tous les suivre; et quand vous voudrez agir vous ne trouverez que doute et incertitude, Il est meilleur, il est nécessaire que lâme nait quun directeur, et tâche de devenir parfaite en lécoutant. Cela ne vous empêchera pas destimer les avis de tout le monde, sans vous en servir pour vous-mêmes; mais vous devez admirer les moyens différents que Dieu prend avec ses créatures; vous devez les respecter en voyant que, dans la maison de notre Père, il y a bien des demeures. Baignez-vous, anéantissez-vous dans le sang de Jésus crucifié, le doux amour. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCLXVIII. A UNE DAME QUI MURMURAIT, à Florence, le 20 octobre 1378.- De la lumière nécessaire pour connaître la vérité de Dieu et la vérité des créatures.- Comment nous devons juger notre prochain.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Sur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir posséder la vraie et parfaite lumière ; car sans la lumière nous ne pourrons connaître la vérité de Dieu et la vérité des créatures, et nous tomberons dans de faux et misérables jugements. Pourquoi? Parce que nous serons privés de la lumière. Lâme qui est éclairée et délivrée de la passion sensitive, discerne et connaît la vérité, et alors elle juge bien et avec discrétion [1729]. Quel jugement devons-nous porter de Dieu? quelle vérité devons-nous connaître en lui et dans le prochain? Je vous le dirai. Nous devons connaître cette vérité, qui nest pas aperçue par les yeux du corps, mais par ceux de lintelligence, à la lumière intérieure de la très sainte Foi. Nous devons savoir que Dieu nous aime dun amour ineffable, et que par amour il nous a Créés ~ son image et ressemblance, pour que nous recevions et nous goûtions son suprême et éternel bonheur. Et quest-ce qui nous montre cette vérité? le sang de lhumble Agneau sans tache, répandu avec tant damour sur le bois de la très sainte Croix. 2. Dès que lâme a vu et connu cette vérité, elle laime et la goûte avec amour; elle juge que tout ce que Dieu donne et permet pour la créature raisonnable, il le permet pour notre bien, pour que nous soyons sanctifiés en lui. Elle juge justement, à la lumière de la discrétion. Si elle est dans la prospérité elle reconnaît que cette prospérité vient de son Créateur, qui la lui a donnée, non à cause de son mérite, mais à cause de son infinie bonté: et cette connaissance fait quelle laime dun amour raisonnable, laimant pour Dieu, et la possédant comme une chose prêtée, qui nest pas à elle, puisquelle ne lui appartient pas. Nous le voyons; car, quand nous voulons la conserver, elle nous est enlevée; non seulement les biens temporels, mais la vie, la santé de lhomme et tout le reste, passent comme le vent, et personne ne peut retenir ces choses quautant quil plaît à Celui qui les a données. Lâme juge ainsi parce quelle est éclairée de la douce vérité. Si elle est [1730] éprouvée par la tribulation, elle la reçoit humblement, avec une vraie et parfaite patience, se jugeant digne de la peine, et Indigne de la récompense qui suit la peine; elle pense humblement quelle reçoit le châtiment de ses péchés, parce quelle sait que le souverain Juge récompense tout bien et punit tout mal. Elle est pleine de reconnaissance pour Dieu, qui est si miséricordieux à son égard, puisque ce qui méritait une peine infinie, comme offense du Bien infini, Dieu le punit dune manière finie dans le temps fini, en nous donnant des peines et des tribulations. Quelle que soit la manière dont elle les donne, léternelle Vérité nous les donne, ou pour que nous nous corrigions de nos défauts, ou pour que nous arrivions à la perfection; de quelque manière quelle les donne, nous sommes certains quelle les donne par amour et non par haine. Cest ce que voit et connaît lâme éclairée par la douce Vérité, et elle reçoit tout avec respect; elle juge justement la volonté de Dieu et sa providence envers elle, parce que sa providence pourvoit à tous nos besoins, et sa volonté ne veut pas autre chose que notre bien. 3. Lorsque lâme a eu le bonheur de connaître ainsi la vérité dans son Créateur, et quelle a jugé de même en bien tous ses desseins secrets, elle applique cette même vérité à juger son prochain, parce que la charité du prochain sort de la charité de Dieu. La règle de ceux qui craignent Dieu est de ne jamais juger personne, si ce nest en bien, à moins quils ne volent évidemment commettre un péché mortel; et même alors ils ne jugent pas, mais ils ressentent une sainte compassion devant Dieu, et ils disent: Aujourdhui [1731] cest lui, demain ce sera moi, si la souveraine bonté de Dieu ne me conserve. Ils abandonnent tout jugement au souverain Juge, qui doit juger les bons et les méchants, et au juge de la terre, qui est établi pour rendre à chacun selon ce quil mérite. Lâme se garde bien de juger sur les paroles, les habitudes et les actes extérieurs des créatures, parce quelle voit que le Christ béni la défendu, dons lEvangile, en disant: " Ne jugez pas sur le visage. " Elle aime dans le prochain la Vérité elle-même, sans songer à ses intérêts; et, avec lamour pur quelle a pour Dieu, elle juge saintement la volonté de Dieu dans ses créatures, voyant en elles le bien, et laissant Dieu juger le mal. Elle ne se scandalise ni des mystères de Dieu, ni de la conduite du prochain; elle ne diminue pas sa charité, son amour et son respect, envers le Créateur à cause des tribulations quil permet, ou envers les créatures à cause des injures et des préjudices quelle en reçoit, parce quelle a jugé saintement que Dieu le permet pour éprouver sa charité envers ceux qui lui font injure, ou pour la punir de ses pêchés. Elle dit: Seigneur, vous permettez tout ceci justement, car, si je nai pas offensé cette créature qui moutrage, je vous ai bien offensé cest pour mon bien que vous me lavez envoyé, comme un moyen de me corriger de mes défauts. Je vous dis, très chère Fille, que cette âme goûte, dès cette vie, la vie éternelle, parce. quelle juge tout en Dieu et dans le prochain avec la lumière de la vérité. 4. Je vous invite à vous appliquer tant que vous vivrez à suivre cette règle, afin que vous évitiez le souverain mal et que vous parveniez à léternel et [1732] souverain Bien, car comme nous jugeons les autres, nous serons jugés nous-mêmes. Ne soyons pas comme ces insensés qui font tout le contraire ! ils veulent juger la volonté des hommes sans indulgence et sans raison ; leurs passions les aveuglent et leur font prendre la vérité pour le mensonge, et le mensonge pour la vérité. Oh ! combien leur voie est fausse ! ils sont aveugles, et ils veulent juger la lumière ! Ils prétendent juger à leur manière les mystères de Dieu, et ce quil fait dans ses serviteurs. O orgueil de lhomme ! la créature ne devrait-elle pas rougir dusurper les fonctions du Créateur, tandis quau lieu de juger, elle doit être elle-même jugée? Mais elle ne le voit pas, parce quelle est privée de la lumière de la vérité, et elle juge légèrement, elle condamne ce quelle a entendu dire de son prochain et ce quelle na pas vu, et elle égare ainsi sa conscience; elle se scandalise de Dieu et du prochain, elle perd la charité, et tombe dans toute sorte de fautes et derreurs. Son goût se gâte, et ne sait plus distinguer ce qui est bon de ce qui est mauvais, et ce qui est mauvais de ce qui est bon. Elle en vient à haïr et à mépriser les mystères de Dieu et les uvres des créatures; elle se prive du paix du sang de Jésus crucifié, séloigne du bien, et tombe dans le mal. Elle méconnaît les bienfaits quelle a reçus et quelle reçoit, et son ingratitude tarit en elle la source de la piété; elle devient insupportable à elle-même, recherchant et aimant en dehors de Dieu les richesses, les délices et les honneurs du monde. Elle souffre les peines avec impatience, ne les attribuant point à ses péchés, mais bien souvent à celui qui nen est pas cause. Cest ce qui [1733] arrive aujourdhui dans le monde et surtout dans votre ville. Les grandes tribulations et les révolutions que nous avons et que nous devons éprouver encore à cause de nos fautes et de nos vices (La république de Florence était alors troublée par desrévolutions continuelles.), nous voulons en charger les autres, comme ces insensés qui jugent mal les intentions les plus saintes, et qui applaudissent au contraire les desseins coupables de ceux qui nécoutent que leur amour-propre. Cela est causé par la privation de la lumière; mais les pierres retombent sur Celui qui les jette. 5. Il ne faut pas faire ainsi, ma très chère Fille, mais il faut que chacun de nous attribue tout le mal à ses fautes. En le faisant, nous apaiserons la colère de Dieu, nous fuirons le mal et bien des peines, et nous obtiendrons miséricorde. Je suis certaine que si, vous et les autres, vous êtes affermies dans la lumière, avec cette lumière vous connaîtrez la vérité et vous vous y conformerez, mais pas autrement. Cest pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir fondées dans la vraie et parfaite lumière, et je vous, prie, pour lamour de Jésus crucifié, de vous appliquer à lacquérir. Mettez désormais un terme à votre passion, et ne prêtez plus loreille à ce que vous ne devez pas entendre; mais comme une personne qui ne veut pas la damnation de son âme, attachez-vous à la. vérité, et ne vous scandalisez plus si facilement. Considérez laffection de Celui qui vous aime avec tendresse. Je suis persuadée que si vous voulez user de lintelligence que Dieu vous a donnée, vous pourrez [1734] parfaitement comprendre ce que je vous écris pour votre salut. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Fuyez la mort du mensonge et du faux jugement, vous et les autres; ne dormez plus, et ne comptez pas sur le temps que vous navez pas. Doux Jésus, Jésus amour.
CCCLXIX.- A UNE DAME QUON NE NOMME PAS.- Elle désire la voir éclairée de la lumière de la Foi, nécessaire pour connaître la vérité et pour acquérir la patience.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Sur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairée par la vérité de Dieu : autrement vous ne pourrez participer à la vie de la grâce en ce monde, vous serez dans une affliction continuelle, et vous recevrez enfin léternelle damnation; car en étant privée de la lumière, vous vous scandaliserez sans cesse de la Providence, et ce quelle vous donne par amour, vous lattribuerez à la haine; ce qui est la vie, vous le prendrez pour la mort. Et quelle est cette vérité que nous devons connaître, très chère Sur? Nous devons voir que Dieu nous aime souverainement, et que, par amour, il a voulu nous créer à son image et ressemblance[1735], pour nous faire jouir de son éternelle vision. Quest-ce qui nous manifeste cette vérité et cet amour? le sang de lhumble Agneau sans tache; lorsque nous étions privés par le péché dAdam de la vision de Dieu et bannis de la vie éternelle. ce doux et tendre Verbe a été envoyé par son Père pour souffrir la mort, afin de nous donner la vie et de laver nos fautes avec son précieux sang; et lui, tout transporté damour il courut à la mort honteuse de la Croix pour accomplit les ordres de son Père et notre salut. Cette vérité ne nous est pas cachée; le Sang nous la manifeste. Si Dieu ne nous eût pas créés pour cette fin, sil ne nous aimait pas dun amour ineffable, il ne nous eût pas donné un tel Rédempteur. Aussitôt que lâme est éclairée par cette vérité, loeil de son intelligence reçoit la lumière de la très sainte Foi. et elle crut fermement que tout ce que Dieu donne et permet pour sa créature, il le donne et le permet par amour et pour que cette vérité saccomplisse en nous. Elle devient aussitôt patiente, et rien ne peut la troubler; elle se trouve heureuse de tout ce que permet la divine Bonté. 2. Elle supporte avec une vraie et sainte patience, la maladie, la perte des richesses, des honneurs, des parents, des amis, et non seulement elle supporte tout avec patience, mais elle le reçoit avec respect, comme une chose que lui envoie son doux Créateur par amour et pour sa sanctification. Quel est linsensé qui pourrait se plaindre de son bien? Il ny a que celui qui est privé de la lumière, parce quil ne connaît pas la vérité et ce qui lui est utile. Je veux donc, très chère Sur, que vous ouvriez loeil de [1736] votre intelligence et que vous arrachiez avec soin toutes les racines damour-propre et de complaisance pour vous-même, afin que vous puissiez connaître cette vérité, et voir que Dieu est le médecin suprême qui sait, qui peut et qui veut nous donner ce qui nous est nécessaire, la médecine qui guérira notre maladie; et alors vous recevrez avec une douce, une sainte et vraie patience, la médecine quil vous donne à cause de lamour particulier quil vous porte. Je vous y invite, très douce Sur, afin que, par limpatience, vous ne perdiez pas la récompense de vos peines; mais que vous jouissiez dans cette vie dune paix, dune tranquillité parfaites, étant toujours soumise à la douce volonté de Dieu, et ne vous troublant jamais de rien, si ce nest des offenses contre Dieu et de la perte des Amas. En faisant ainsi, vous montrerez que vous êtes éclairée par la vérité, et vous recevrez à la fin de votre vie la récompense infinie de vos peines. Jai bien pris part au malheur qui vous est arrivé; mais si je vois que vous êtes docile a la volonté de Dieu, et que vous en profitez comme vous le devez je men réjouirai avec vous. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1737].
CCCLXX.- A MADAME PAULE DE SIENNE, et à ses disciples, quand elle était à Fiesole.- Sans la charité toutes les autres vertus sont mortes. De lamour de Jésus-Christ envers nous, et du désir quil montre pour notre sanctification.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère et très aimée Fille et Sur dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris, vous encourage et vous bénis dans son précieux sang. Jai désiré avec désir vous voir unies dans sa très ardente charité, parce que la charité, lamour fait devenir une même chose avec Dieu. O charité si pleine de joie, de bonheur et de paix ! avec vous, tout ce qui est troublé par la tempête devient calme et tranquille ! O douce Charité, très chère Mère ! vous donnez naissance à toutes les vertus. Vous savez, ma bien-aimée Sur, quaucune vertu ne vit sans la charité. Lardent saint Paul, ce vase délection, la dit : " Si je parlais la langue des anges, et si je donnais tout aux pauvres, sans avoir la charité, tout me serait inutile ( 1Co 13,3) " Et il en est vraiment ainsi : car lâme qui na pas la charité ne peut rien faire qui soit agréable à Dieu, et elle nenfante que des vertus mortes. Pourquoi sont-elles morte? parce quelles sont privées de [1738] Dieu, qui donne la vie, cest-à-dire la charité. Car celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu est en lui. Mais lépouse du Christ qui est blessée par la flèche de la charité, ne reste jamais oisive. Comme une blessure nouvelle agite tous les jours davantage notre cur, des flèches nouvelles dune ardente charité lui sont sans cesse lancées, car il ne se passe pas un instant que la bonté de Dieu ne jette des charbons allumés sur notre corps. 2. Si nous considérons lêtre que la bonté de Dieu nous a donné, nous verrons quil nous a créés par pure charité, pour nous faire jouir du bien quil avait en lui-même, et nous donner la vie éternelle. Saint Paul dit que Dieu ne veut autre chose que notre sanctification; ce quil nous donne, il nous le donne pour que nous soyons sanctifiés en lui, O souveraine et éternelle Vérité ! il est bien évident quayant perdu la grâce, nous ne pouvions participer à ce bien; et comme Dieu voyait que sa volonté ne pouvait saccomplir en nous à cause du péché, lamour inconcevable quil avait pour nous lui a fait violence, et il a envoyé son Fils unique pour expier sur son corps nos iniquités. 3. Aussitôt que le Verbe eut pris notre chair dans le sein de Marie, son Père le condamna à la mort honteuse de la Croix; il lenvoya sur le champ de bataille de cette vie combattre pour son Epouse, et la retirer des mains du démon, qui la possédait comme une adultère. Alors, dit saint Bernard, ce généreux Chevalier monta sur le bois de la très sainte Croix, et prit pour casque la dure couronne dépines, les clous à ses mains et à ses pieds, la lance à son côté, pour [1739] nous montrer le secret de son coeur. Hélas ! amour, amour! te semble-t-il bien armé notre doux Sauveur. Ayons courage, puisquil a combattu pour nous. Il a dit à ses disciples : " Réjouissez-vous, car jai vaincu le prince du monde. " Et saint Augustin dit que cest avec sa main percée et clouée quil a défait les démons. Nayez donc aucune crainte, mes bien-aimées Filles, ni des démons visibles, ni des démons invisibles. Sils vous livrent des combats, sils veulent vous faire croire que vous ne pourrez persévérer dans vos uvres, prenez courage et dites: Je puis tout par Jésus crucifié, car il a vaincu pour moi les démons. O très doux amour Jésus! vous avez lutté avec la mort sur la Croix; la mou a vaincu la vie, et la vie a vaincu la mort; par la mort de son corps il a détruit notre mort, et à cause de notre mort il a détruit la vie de son corps. O preuve ineffable de charité ! et tout cela manifeste lamour, la volonté, la fin pour laquelle il nous a créés : cest pour nous donner la vie éternelle. 4. O doux Amour! quel amour ne senflammera pas à un tel foyer damour, en voyant que Dieu nous a donné son Fils unique; et ce Fils unique nous a donné sa vie avec un si grand désir, quil semble ne pouvoir lexprimer quand il dit: " Jai désiré avec désir faire cette pâque avec vous avant de mourir. " O très doux Amour! cette pâque, cétait le sacrifice de votre corps à votre Père pour nous. O Amour! avec quelle charité, avec quelle joie, vous parlez de votre sacrifice, parce quil approche ! Vous faites comme celui qui a grandement désiré faire une grande uvre; et quand il voit quelle est près de [1740] saccomplir, il en éprouve une joie immense; cest avec cette joie que le Christ, tout transporté damour, a couru aux opprobres de la très sainte Croix. Je vous prie donc, ma Sur, et vous, mes Filles. de vous réjouir de partager ses opprobres. Mettez, mettez vos lèvres au côté du Fils de Dieu; cest une ouverture qui lance le feu de la charité, et qui verse le Sang pour laver nos iniquités. Je dis que lâme qui sy repose, et qui regarde avec loeil de lintelligence, ce cur ouvert et consumé par lamour, devient semblable à lui, parce quen se voyant tant aimée, elle ne peut sempêcher aussi daimer. Et alors lâme devient parfaite; car ce quelle aime, elle laime pour Dieu, et elle naime rien hors de lui ; et elle devient ainsi un autre lui-même par ce désir, car elle na pas dautre volonté que celle de Dieu. Ne soyez donc plus négligentes ; mais courez toujours en brisant vos volontés. 5. Demeurez, mes Filles, dans la sainte dilection de Dieu. Remplissez mon désir, et que je vous voie, unies et transformées, faire une seule chose avec lui. Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ. Encouragez Mme Barthélemy et toutes les autres. Dites-leur de ne pas détourner la tête en arrière, mais de persévérer toujours dans leur sainte résolution; car sans la persévérance, vous ne pourrez recevoir la couronne. Loué soit Jésus-Christ. Doux Jésus, Jésus amour [1741].
CCCLXXI.- A MADAME PAULE, à Fiesole.- Du mystère ineffable de lIncarnation du Verbe, et de la Rédemption, expliqué par la comparaison de la semence, de la fleur et du fruit.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère et très douce Sur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir unie et transformée dans le feu de la divine charité. Ce feu a uni Dieu à lhomme, et la tenu attaché et cloué sur la Croix. O ineffable et très douce charité, combien est douce lunion que vous avez faite avec lhomme ! Vous avez bien montré votre amour incompréhensible par les grâces et les bienfaits sans nombre dont vous avez comblé les créatures, surtout par le bienfait de lincarnation de son Fils. Voyez la souveraine Grandeur descendre jusquà la bassesse de notre humanité. Lorgueil de lhomme devrait rougir de voir Dieu si humilié dans le sein de la douce Marie. Ce fut dans cette douce terre que fut semée la semence de la parole incarnée du Fils de Dieu. Oui, très chère Sur, dans le champ doux et béni de la Vierge Marie, le Verbe fut uni à sa chair, comme la graine quon jette dans la terre, et que la chaleur du soleil fait germer; puis viennent la fleur et le fruit, et lenveloppe de la graine reste à la terre. Cest ce qui arriva par la chaleur et le feu [1742] de la charité divine que Dieu eut pour lhumanité, lorsquil jeta la semence de son Verbe dans le sein de Marie. O bienheureuse et douce Marie, vous nous avez donné la fleur du doux Jésus. Et quand cette douce fleur a-t-elle produit son fruit? Quand il fut attaché au bois de la très sainte Croix; alors nous avons reçu la vie parfaite. 2. Pourquoi avons-nous dit que lenveloppe de la graine est restée sur la terre? quelle est cette enveloppe? Ce fut la volonté du Fils unique de Dieu, qui, comme homme, était tellement revêtu du désir de lhonneur de son Père et de notre salut, quil courut, tout transporté damour, souffrir les peines, les affronts, les injures, jusquà la mort honteuse de la Croix. Considérez aussi, très chère Sur, que Marie a fait de même; elle ne pouvait désirer autre chose que lhonneur de Dieu et le salut des créatures; et les saints docteurs disent, pour faire comprendre la charité sans bornes de Marie, quelle aurait servi elle-même déchelle pour mettre son Fils sur la Croix, sil ny avait pas eu dautres moyens; et il en était ainsi parce que la volonté de son Fils était restée en elle. 3. Pensez, ma très chère Soeur, et que cette pensée ne sorte jamais de votre coeur, de votre mémoire et de votre âme, pensez que vous vous êtes offertes et données à Marie, vous et toutes vos filles; priez-la donc de vous présenter et de vous donner au doux Jésus, son Fils, et elle le fera comme une douce et bonne Mère, comme la Mère de miséricorde. Ne soyez pas ingrates et infidèles, car elle na pas repoussé cette demande, mais elle la écoutée avec bonté. Soyez [1743] toutes fidèles, ne vous arrêtant pas aux illusions du démon et aux discours des créatures; mais courez généreusement avec le doux amour de Marie, cest-à-dire, cherchez toujours lhonneur de Dieu et le salut des âmes. Je vous en conjure, autant quil vous sera possible, gardez la cellule de votre âme et de votre corps, vous appliquant par lamour et le saint désir à goûter et à enfanter les âmes en la présence de Dieu; et quand vous verrez quelque personne dans la tribulation, appliquez-vous avez zèle à la retirer des mains du démon. Cest le signe qui montre que nous sommes les enfants véritables, car nous suivrons ainsi les traces du Père. Mais sachez que nous ne pourrons jamais arriver à ce grand et saint désir sans lamour crucifié du Fils de Dieu, car il est cette mer paisible qui rassasie tous ceux qui ont la faim, la soif, le désir de Dieu; il donne la paix à tous ceux qui sont en guerre et qui veulent se réconcilier avec lui. Cette mer jette un feu qui réchauffe le froid de notre cur, et il est si bien réchauffé, quil perd toute crainte servile, et quil reste dans la charité parfaite et la sainte crainte, ne voulant plus offenser son Créateur. 4. Ne craignez pas; non, je ne veux pas que vous craigniez les embûches et les attaques des démons qui voudront dévaster. et prendre la cité de votre âme; ne craignez pas, mais, comme de bons chevaliers sur le champ de bataille, combattez avec les armes et le glaive de la charité divine, car cest là le moyen de frapper le démon. Vous savez que si on ne veut pas perdre les armes avec lesquelles on doit se défendre, il faut se tenir caché dans la cellule de notre âme [1744] par la vraie connaissance de nous-mêmes; car, quand lâme voit quelle nest rien, et quelle soccupe toujours de choses qui ne sont rien, elle shumilie aussitôt devant Dieu, et devant toute créature pour Dieu; elle reconnaît que toutes les grâces et les bienfaits viennent de lui, et elle voit tellement déborder en elle la bonté de Dieu, que son amour, qui augmente, voudrait se punir, mais encore elle désire que toutes les créatures la punissent; elle juge tous les autres meilleurs quelle. Alors naît un tel parfum de patience, quil ny a rien de si pesant et de si amer quelle ne supporte pour lamour de ce tendre Verbe. 5. Oui, très chères Filles, courons toutes ensemble avec ardeur, et unissons-nous à ce Verbe. Je vous invite à ses noces, cest-à-dire à répandre votre sang pour lui, comme il la répandu pour vous, à aller au Saint-Sépulcre, et à y donner votre vie pour lui. Le Saint-Père a envoyé une lettre avec son sceau à notre Provincial, à celui des Frères Mineurs et à Frère Raymond, pour quils fassent inscrire tous ceux qui ont le désir et la volonté daller conquérir le Saint-Sépulcre et mourir pour la foi (Lettres XXV, LII, CLXI). Il veut que tous sy engagent par écrit, et je vous invite à vous préparer. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Mille compliments de la part de la pauvre Cecca, dAlessia et de Jeanne Pezzi. Ayez toutes bon courage en Jésus crucifié. Jésus, Jésus, Jésus [1745].
CCCLXXII.- A QUELQUES FILLES DE SIENNE.- Elle les exhorte à être persévérantes dans le service de Dieu, et à fuir les conversations frivoles.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir les servantes fidèles de votre Créateur, et cela avec tant de persévérance, que vous ne tourniez jamais la tête en arrière pour aucune cause, ni dans la prospérité, en vous abandonnant trop à la joie, ni dans ladversité, en vous livrant à limpatience et à la tristesse. Je vous en conjure, que rien narrête et naffaiblisse votre saint désir; et, afin que ce saint désir augmente en vous et ne séteigne jamais, je veux que vous ouvriez loeil de lintelligence pour connaître lamour ineffable que Dieu vous porte, puisque par amour il vous a donné son Fils unique; et ce Fils vous a donné sa vie avec tant damour, que le cur le plus dur doit amollir sa dureté. 2. Cest là quil faut fixer le regard de votre intelligence, en pensant au prix qua payé pour nous le Fils de Dieu. Il faut laver dans son sang la face de votre âme. Levez-vous donc, et secouez le sommeil de la négligence; soyez pleines de zèle, et lorsque vous aurez acquis la blancheur de la pureté, ayez [1746] toute lardeur de la charité, que vous trouverez dans le sang de lAgneau. Je veux, mes très chères Filles, que vous soyez bien persuadées que vous ne pourrez jamais avoir la pureté de lesprit et du corps, en recherchant les conversations des créatures et en y plaçant votre affection, en aimant les choses créées en dehors de la volonté de Dieu, et en ayant de lattachement et de la faiblesse pour votre corps; mais vous lacquerrez en vous appliquant aux veilles, à la prière, en vous rappelant sans cesse votre Créateur, et en reconnaissant toujours lamour ineffable que Dieu vous porte. Lorsque lâme aura acquis la pureté par ce moyen, comme elle verra quelle ne peut pas être utile à Dieu, elle étendra son amour au prochain, et lui rendra les services quelle ne peut rendre à Dieu. Elle visitera les infirmes, elle secourra les pauvres, elle consolera les affligés, pleurant avec ceux qui pleurent, se réjouissant avec ceux qui se réjouissent: cest-à-dire quelle pleurera avec ceux qui gémissent dans le péché mortel ; elle en aura compassion, et offrira pour eux à Dieu des prières continuelles; elle se réjouira avec ceux qui ont le bonheur dêtre les serviteurs fidèles de Jésus crucifié, et elle recherchera toujours leurs conversations. Je vous prie, mes Filles, de le faire, afin dêtre des servantes fidèles et non pas infidèles. Cest tout ce que mon âme désire voir en vous. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1747].
CCCLXXIII.- A UNE FEMME PUBLIQUE DE PEROUSE, à la demande de son frère.- Elle cherche à la convertir et la menace des châtiments de Dieu ; elle lui cite lexemple de sainte Marie-Madeleine, et lexhorte à se recommander à la sainte Vierge.
AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et lesclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir participer au sang du Fils de Dieu, parce que sans ce sang tu ne peux avoir la vie. Qui sont ceux qui participent à ce sang? ceux qui vivent dans la douce et sainte crainte de Dieu. Celui qui craint Dieu aime mieux mourir que de loffenser jamais mortellement. Ma Fille, je pleure et je gémis de voir que toi, créée à limage et ressemblance de Dieu, rachetée par son précieux sang, tu oublies ta dignité et la riche rançon qui a été payée pour toi. Hélas ! il me semble que tu fais comme le pourceau qui se roule dans la fange tu te roules de même dans la fange de limpureté, tu te fais la servante et lesclave du péché; tu as pris pour maître le démon, et tu le sers nuit et jour. Si tu sers le démon tu auras son sort. Et quel est son partage, ma Fille? Les ténèbres, les tempêtes, lamertume, les peines, les tourments, les supplices. Dans le lieu quil habite, se trouvent les pleurs, les grincements de [1748]dents et la privation de la vue de Dieu, de cette vue de Dieu, qui est la béatitude de lâme. Les démons furent privés de cette béatitude à cause de leur orgueil; ceux qui suivent la volonté du démon seront aussi privés de la vision divine : et les peines intolérables qui sont infligées à lâme livrée à liniquité du péché mortel, la langue ne pourra jamais les raconter. 2. Hélas ! hélas ! comment croire que tu as oublié ton Créateur, et que tu ne vois pas que tu es devenue comme un membre retranché du corps, et qui se dessèche aussitôt. Tu es retranchée et séparée du Christ par le péché mortel; tu es devenue comme un bois sec et aride, qui ne porte plus de fruits, et tu as dès cette vie, un avant-goût de lenfer. Tu ne songes pas, ma Fille, quelle est ta servitude, et combien tu es misérable et malheureuse davoir en cette vie lenfer et la société horrible des démons. Sors, sors de ce dangereux esclavage, de ces ténèbres où tu es tombée. Hélas ! si tu ne le fais pas par amour pour Dieu. Tu devrais le faire au moins par honte et par crainte du monde. Ne vois-tu pas que tu te livres aux mains des hommes, qui méprisent et avilissent ta chair? Ne vois-tu pas que tu es aimée, et que tu aimes dun amour mercenaire qui donne la mort, dun amour qui ne repose que sur une jouissance ou un profit, qui disparaît avec le plaisir et largent, parce quil nest pas selon Dieu, mais selon le démon. Pense, ma Fille, que tu as à mourir, et tu ne sais pas quand. Notre doux Sauveur disait : " Soyez prêts, car vous ne savez pas le jour et lheure où vous serez appelés. " Et saint Jean dit que la hache est [1749] déjà à la racine de larbre pour le couper. Pense que si maintenant le souverain Juge tappelait, tu serais livrée aux démons et à létat de damnation. Sil te fallait comparaître devant lui, tu naurais pas pour répondre les vertus qui pourraient te défendre, tassister, te secourir : tu ne les aurais pas; mais tu aurais tes amis, qui te condamneraient devant le souverain Juge, cest-à-dire le monde, le démon et la chair que tu as servis avec tant de zèle; ils taccuseraient, en manifestant pour ta honte et ta confusion les offenses que tu as commises contre Dieu; ils te condamneraient à la mort éternelle, et ils tentraîneraient avec eux là où lon trouve les flammes ardentes, la puanteur du soufre, les grincements de dents, le froid, le chaud, le ver de la conscience, qui ronge toujours, et reproche à lâme de sêtre privée par sa faute de la vision de Dieu, et de sêtre rendue digne de la vision des démons. 3. Voilà ce que tu as mérité à servir avec tant de peine le monde, le démon et la chair, et à goûter lenfer dès cette vie. Puisque tu vois quils te rendent digne de tant de maux, et quils te privent de tant de biens, fais-toi une sainte violence, et quitte tant de misère et de corruption. Recours à ton Créateur, qui te recevra, si tu veux abandonner le péché mortel et revenir à létat de grâce. Ecoute-moi, ma très douce Fille, si tu vomis les souillures du péché par la sainte confession, avec un ferme propos de ne plus tomber et de ne plus retourner à ton vomissement, la douce bonté de Dieu le dit elle-même : " Je te promets que je ne me rappellerai jamais que tu mas offensé. " Il est bien vrai que celui qui expie son péché par la [1750] contrition et la douleur, Dieu ne veut pas le punir dans lautre vie. Il ne peut te paraître dur de recourir à la douce Marie, qui est la mère de la compassion et de la miséricorde; elle te mènera en présence de son Fils, et, en lui montrant le sein qui la nourri, elle le décidera à te faire miséricorde; et alors, comme une fille et une esclave rachetée par son sang, tu entreras dans les plaies du Fils de Dieu, où tu trouveras le feu de son ineffable charité, qui consumera et purifiera toutes tes misères et toutes tes fautes. Tu verras quil ta fait un bain de son sang pour te laver de la lèpre du péché mortel et de limpureté ou tu es restée si longtemps. Notre doux Seigneur ne te méprisera pas. 4. Ecoute et suis la douce et tendre Madeleine. Dès quelle reconnaît son malheur et sa faute, dès quelle voit quelle est en état de damnation, elle conçoit une grande haine de loffense de Dieu et un grand amour de la vertu ; elle cherche où elle trouvera miséricorde. Elle voit bien quelle ne peut la trouver que dans le Christ, le doux Jésus; et pour arriver à lui, elle ne pense pas à son honneur, à sa honte; elle court humblement se jeter à ses pieds; et là, son amour, sa douleur amère, son humilité parfaite lui obtiennent la lémission de ses péchés, et elle mérite dentendre cette douce parole : "Marie, va en paix, et ne pèche plus." Fais de même, ma très douce Fille; imite lhumble conduite de Madeleine, qui se met à ses pieds, qui lui montre son amour par la contrition de son cur, et qui ne se juge pas digne de regarder le visage de son Maître. Donne-lui aussi ton cur, ton âme, ton corps. Ne dors plus, car le temps presse, tu [1751] nes pas sûre de lavoir; ne lattends pas. Réponds à Jésus crucifié, qui tappelle de Sa douce voix, et cours à lodeur de ses parfums. Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, et tu participeras ainsi à son sang. Mon âme désire te voir participer au Sang. et devenir un membre uni par la grâce à ton chef, Jésus crucifié. Si tu me dis : Je ne le puis, parce que je nai pas de quoi vivre, je te répondrai que Dieu y pourvoira. Jai appris que ton frère veut taider dans tes besoins. Nattends donc pas le jugement de Dieu qui sappesantirait sur toi, si tu ne changeais pas. Cesse dêtre un membre du démon, qui se sert de toi comme dun filet pour prendre les créatures. Ce nest pas assez du mal que tu te fais à toi-même; songe aussi combien tu en fais tomber dans lenfer. Je ne ten dis pas davantage. Aime Jésus crucifié, et pense que tu dois mourir, tu ne sais pas quand. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Marie, douce Marie [1752] !
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