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Lettres de Sainte

CATHERINE DE SIENNE (suite)

 

 

TABLE DES LETTRES (2)

166-373

 

CLXVI (120). - A FRERE RAINIER DANS LE CHRIST, au couvent de Sainte-Catherine des Frères Prêcheurs, à Pise.- De la force et de la persévérance dans les épreuves et les tentations. Il faut s'appuyer sur la Croix et sur l’espérance du ciel.

CLXVII (121).- AU FRERES LAZZARINI, de Pise, de l’Ordre des Frères Mineurs.- Jésus crucifié nous enseigne l’amour envers Dieu, et la haine envers nous-mêmes.

CLXVIII (122) .- A UN GENOIS DU TIERS ORDRE de Saint-François, qui avait avec une dame une liaison spirituelle dont il souffrait beaucoup.- De la manière d’aimer les créatures.

CLXIX (123).- A MAITRE JEAN, le troisième, de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin.- Dieu est le souverain bien, et le péché le souverain mal. - Rien en dehors du péché ne peut être appelé un mal.

CLXX (125). - A FRERE GUILLAUME D’ANGLETERRE , des Ermites de Saint-Augustin.- De la lumière parfaite et de la lumière imparfaite. - La mortification du corps doit être seulement le moyen d'arriver à la mortification de la volonté.

CLXXI (125). - A FRERE GUILLAUME D’ANGLETERRE, bachelier de l'Ordre de Saint-Augustin, demeurant à Lecceto . - Des appels que Dieu fait à l’âme.

CLXXII (126). - A FRERE GUILLAUME A LECCETO, pendant que sainte Catherine était à Florence. - De l'amour envers Dieu, et du désir que donne la lumière de la vérité.

CLXXIII (127).- A FRERE GUILLAUME D'ANGLETERRE, et à frère ANTOINE DE NICE, à Lecceto.- Il faut sacrifier son propre repos à la gloire de Jésus-Christ.

CLXXIV (128). AU VENERABLE RELIGIEUX FRERE GUILLAUME D'ANGLETERRE, bachelier de l'Ordre des Frères Ermites de Saint-Augustin, dans la forêt du Lac. - De l'union avec Dieu, et des obstacles que cause l’amour-propre.

CLXXV (129). - AU MEME FRERE GUILLAUME, à MESSIRE MATTHIEU, recteur de la Miséricorde, à FRERE SANTINI et à ses autres fils spirituels. - Des liens de la charité parfaite. - Jésus crucifié modèle de l'amour que nous devons avoir les uns pour les autres.

CLXXVI (130). - A FRERE ANTOINE, DE NICE, des Ermites de Saint-Augustin, au couvent de Lecceto, près Sienne . - Nous devons toujours chercher le salut des âmes pour la gloire de Dieu, et non pour notre propre consolation.

CLXXVII (131).- AU VENERABLE RELIGIEUX FRERE ANTOINE, de Nice, de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin, au Bois du Lac. - Des deux volontés propres pour les choses sensibles et pour les choses spirituelles. - Comment il faut se conformer à la volonté divine.

CLXXVIII (132). - A FRERE JEROME, de Sienne, des Frères Ermites de Saint-Augustin. Comment il faut célébrer la dernière pâque avec Jésus-Christ. - De l'amour des créatures.

CLXXIX (133). - A FRERE FELIX DE MASSA, de l'Ordre de Saint- Augustin.- Lettre écrite en extase - L'humilité et la charité s'acquièrent par la connaissance de notre néant et de la bonté divine en nous.

CLXXX (134). - A UN RELIGIEUX qui avait quitté son Ordre. Lettre écrite en extase. De la lumière de la sainte Foi nécessaire pour connaître et aimer la vérité. - De l’amour-propre qui obscurcit cette lumière. - Combien il est coupable de persévérer dans le péché. - Elle l'exhorte à retourner dans le bercail de son Ordre, lui donnant l’espérance du pardon et de la divine miséricorde, s’il triomphe de lui-même par l’humilité et le regret de son erreur.

CLXXXI (135). – A FRERE ANDRE DE LUCQUES, à FRERE BALDO, et à FRERE LANDO, serviteurs de Dieu à Spolète, lorsque le Saint-Père les demandait. - Il faut servir la sainte Eglise sans se laisser arrêter par les difficultés.

CLXXXII (136). - A BARTHELEMI ET A JACQUES, ermites au Campo Santo, à Pise. - Du désir de donner sa vie pour l'amour du Christ en se consumant dans le feu de la charité.

CLXXXIII (137). - A NICOLAS, le pauvre de la Romagne, ermite à Florence. - Celui qui aime Dieu doit s'employer au service du prochain, et le secourir au moins par ses prières. 

CLXXXIV (138). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne . - Le sang de Jésus-Christ fait naître en nous la charité.

CLXXXV (139). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne. - Il faut travailler avec patience au salut des âmes. 

CLXXXVI (140). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne. - Du bon exemple que nous devons au prochain. 

CLXXXVII (141). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de l'église de la Miséricorde de Sienne, pendant qu'elle était à Pise . - L'amour de Dieu fait naître la charité envers le prochain.

CLXXXVIII (142) .- AU MEME MESSIRE MATTHIEU. - Du renoncement à la volonté propre pour se conformer en toutes choses à celle de Dieu.

CLXXXIX (143). - AU PRIEUR, et aux Frères de la compagnie de la Vierge-Marie . - Du souvenir de la mort pour conserver la patience dans les tribulations, et la modération dans la prospérité.- De la dévotion à la sainte Vierge -

CXC (144). - AU PRIEUR, et aux Frères de la Société de la Vierge Marie, à 1'hôpital de Sienne.- Comment il faut cultiver sa vigne et celle du prochain.

CXCI (145). - A QUELQUES MONASTERES DE BOLOGNE. Lettre écrite en extase. - Des devoirs d'une épouse de Jésus-Christ. et des trois vœux de la vie religieuse.

CXCII (116). - AU MONASTERE DE SAINT-GAGE, de Florence, à l'Abbesse et aux Religieuses du monastère de Mont-Sansovino. - De l'imitation véritable de Jésus-Christ par les trois vœux de la vie religieuse.

CXCIII (147).- A UN MONASTERE DE RELIGIEUSES. - De l'humilité et du renoncement à sa propre volonté, en suivant les traces de Jésus-Christ. 

CXCIV (148). - A L'ABBESSE DU MONASTERE de Sainte-Marie des Déchaussées, à Florence. – De la vraie charité qui se trouve dans les plaies de Jésus crucifié - Des vertus propres aux religieuses.

CXCV (149). - A L'ABBESSE et aux Religieuses de Saint-Pierre-de-Monticelli, à Legnaia, près Florence. - Comment les épouses du Christ doivent suivre ses exemples.

CXCVI (150). - A L’ABBESSE du monastère de Sainte-Marthe, de Sienne, et à SOEUR NICOLE, du même monastère. - De la connaissance de nous-mêmes et de la divine bonté en nous.

CXCVII (151).- A SOEUIR BATHELEMI DELLA SETA, religieuse du monastère de Saint-Etienne, à Pise. – Du vêtement royal de la charité qui couvre la honte du péché et détruit le froid de l'amour-propre.

CXCVIII (152). - A SOEUR BARTHELEMI DELLA SETA, religieuse du monastère de Saint-Etienne à Pise.- De la conformité de notre volonté à celle de Dieu, et des moyens de résister aux tentations.

CXCIX (153).- A SOEUR BARTHELEMI DELLA SETA, au monastère de Saint-Etienne, à Pise.- De la vraie lumière, qui nous fait connaître et haïr la sensualité.

CC (154).- A SŒUR CONSTANCE, religieuse au monastère de Saint-Abundio, près Sienne.- De la lumière et du repos que donne le sang de JésusChrist.

CCI (155).- A SOEUR MADELEINE ALESSA, au monastère de Sainte-Abonde, près Sienne.- Du vêtement royal de la charité, et du renoncement de soi-même par l’obéissance.

CCII (156).- A LA PRIEURE, et aux autres Soeurs de Sainte-Marie-des-Vierges, à la Prieure de Saint-Georges, et aux autres Soeurs de Pérouse.- De la charité qui s’acquiert par la méditation de l’amour, et des bienfaits de Dieu.- Les trois vœux contiennent toute la doctrine de Jésus-Christ. 

CCIII (157).- A LA PRIEURE, et aux Religieuses de Sainte-Agnès, à Montepulciano. - De la reconnaissance envers Dieu, qui se prouve par l’observation de ses commandements et de ses conseils.

CCIV (158). — A SŒUR CHRISTOPHE, prieure du monastère de Sainte-Agnès, à Montepulciano.- Des vertus de sainte Agnès, qu’il faut imiter.

CCV (159).- A SŒUR EUGENIE, SA NIECE, au couvent de sainte Agnès de Montepulciano.- De la nourriture des anges, qui est le désir de s’unir à Dieu. — Des différentes sortes de prières.

CCVI (160).- A UNE RELIGIEUSE du monastère de Sainte-Agnès, de Montepulciano.- Du vêtement nuptial qu’il faut pour plaire à Jésus crucifié. 

CCVII (161). — A LA SŒUR NERA, prieure des mantelées de Saint-Dominique, pendant que sainte Catherine était à la Roche-Agnolino.- Comment il faut travailler à l’honneur de Dieu et au salut des âmes.

CCVIII (162). — A SOEUR DANIELLA D’ORVIETE, revêtue de l’habit de Saint-Dominique .- Du contentement et de la paix intérieure dont jouissent ceux qui se conforment à la volonté de Dieu. - Des obstacles à la perfection.

CCIX (163).- A SŒUR DANIELLA D’ORVIETE, religieuse de l’Ordre de Saint-Dominique, qui était très affligée de ne pouvoir continuer ses grandes pénitences.- De la vertu de discrétion nécessaire au salut. — Son but est de rendre ce qui est du à Dieu, au prochain et à soi-même.

CCX (164).- A LA MEME.- Elle la prie de se baigner dans le sang de Jésus-Christ, pour acquérir la vraie charité, le désir de l’honneur de Dieu et le salut des âmes.

CCXI (165) .- A LA MEME.- La lumière de la foi est nécessaire pour connaître l’éternelle vérité. — Des deux lumières, générale et particulière. 

CCXII (166).- A MADAME LAPA, SA MERE.- Elle l’exhorte à la vertu de patience, et a la résignation à la volonté de Dieu.

CCXIII (167). — A MADAME LAPA SA MERE, et ma soeur Cecca, au monastère de Sainte-Agnès de Montepulciano, pendant qu’elle était à la Roche. Du renoncement à la volonté et aux consolations, à l’exemple des apôtres et de la bienheureuse Vierge Marie.

CCXIV (168).- A MADAME LAPA, SA MERE.- Elle désire lui voir la vraie connaissance d’elle-même, et de la bonté de Dieu à son égard.

CCXV (169).- A MADAME LAPA, SA MERE, avant son retour d'Avignon.- Elle cherche à lui faire supporter avec patience son éloignement, parce que l’honneur de Dieu et le salut des âmes le demandent.

CCXVI (170). — A SŒUR CATHERINE, SOEUR URSULE, et aux autres dames de Pise. - L’âme unie à Dieu par la charité ne peut en être séparée par aucune tribulation et par aucune attaque du démon.

CCXVII (171).- A FRANÇOISE, fille de François Tholomei, religieuse de l’ordre de Saint-Dominique, lorsqu’elle était malade.- De la patience dans les infirmités, et les épreuves que Dieu lui envoie.-Cette patience s’acquiert par l’amour et la considération de la divine bonté.

CCXVIII (172). — A SOEUR JEANNE DE CAPO, et à sœur Françoise, à Sienne.- De la vertu de charité et de ses effets.

CCXIX (173).- A LA MEME SOEUR JEANNE, et à ses autres filles, à Sienne.- De la mansuétude de Jésus-Christ; de la douceur qu’il nous a enseignée par son exemple.

CCXX (174). — A CATHERINE DE L’HOPITAL, et à Jeanne de Capo. — Combien il faut déplorer les outrages contre Dieu et contre l’Eglise.

CCXXI (1175).- A CATHERINE DE L’HOPITAL, et à Jeanne, à Sienne. - Combien il est nécessaire de se dépouiller de notre volonté.

CCXXII (176).- A SOEUR ALESSIA, et à soeur Cecca .- De la persévérance, et des deux manières de la perdre, et de s’éloigner de la perfection.

CCXXIII (177).- A SOEUR ALESSIA.- De la manière d’arriver à la perfection.

CCXXIV (178). — A SŒUR ALESSIA, de l’Ordre de Saint-Dominique, pendant qu’elle était à La Roche. Il faut, à la lumière de la Foi, suivre la voie de Jésus-Christ.

CCXXV (179).- A LA MEME SŒUR ALESSIA.- Du désir de souffrir pour Dieu, et du renoncement à la volonté propre.

CCXXVI (180).- A SOEUR ALESSIA, et à quelques autres de ses filles de Sienne, le jour de la Conversion de Saint-Paul.- Il faut détruire la volonté propre poursuivre la vérité à la lumière de la très sainte roi.

CCXXVII (181).- A LA MEME SŒUR ALESSIA, lorsque la sainte était à Florence.- Les épouses du Christ doivent prier pour la sainte Eglise, et faire prier aussi les autres. 

CXXVIII (182). — A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- La charité s’acquiert par la connaissance de soi-même, et se montre par la charité à l’égard du prochain. 

CCXXIX (183). - A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- Des vertus de Marie-Madeleine et de sainte Agnès, qu’il faut imiter.

CCXXX (184).- A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- De la vertu de patience, et de deux sortes d’impatience.

CCXXXI (185). - A UNE SOEUR du Tiers-Ordre de Saint-Dominique, appelée Catherine de Scetto.- Les vertus s’acquièrent par l’amour de Dieu, et se montrent par la charité envers le prochain. 

CCXXXII (1224).- A MESSIRE LAURENT DU PIN, de Bologne, docteur en décrétales.- De la vérité éternelle que nous a manifestée Jésus-Christ en nous rachetant de nos péchés. — De la différence qu’il y a entre celui qui hait la vérité et celui qui l’aime.

CCXXXIII (225). — A MESSIRE FRANÇOIS DE MONTALCINO, docteur en droit .- De la patience et de l’impatience. — Il faut renoncer à ma volonté pour avoir la paix en ce monde et en l’autre.

CCXXXIV (226). - A MAITRE JACOMO médecin à Ascanio .- Le persévérance ne peut s’acquérir avec l’amour déréglé des créatures- Il ne faut pas compter sur l’avenir.

CCXXXV (227).- A MAITRE FRANÇOIS, fils de maître Barthélemi, médecin de Sienne d’une grande réputation.- Du péché mortel.- Combien la lumière est nécessaire pour en connaître la gravité, et pour obtenir la grâce de Dieu.

CCXXXVI (228).- A MESSIRE RISTORO DE CANIGIANI, à Florence.- Des moyens de plaire à Dieu et de persévérer dans la vertu.

CCXXXVII (229).- A MESSIRE RISTORO CANIGIANI.- De la lumière qui fait connaître la bonté de Dieu.- Des conditions d’une bonne prière. 

CCXXXVIII (230).- A MESSIRE RISTORO CANIGIANI.- De la vraie et parfaite charité, et la douceur qu’elle apporte. 

CCXXXIX (231).- A MESSIRE RISTORO CANIGIANI.- Des biens du monde et de la grâce de Dieu.- De l’amour avec lequel on aime Dieu et les créatures,à l’exemple de Jésus-Christ. 

CCXL (233).- A MESSIRE RISTORO CANIGIANI, de Florence, à Pistoia. — De la lumière parfaite.- La lumière naturelle que Dieu nous donne est insuffisante, parce quelle est obscurcie par l’amour-propre.

CCXLI (233).- A PIERRE CANIGIANI, à Florence.- De la charité, de ses obstacles et de ses effets.- Des peines qu’éprouvent les partisans du monde.

CCXLII (234). — A MATTHIEU, fils de Jean Colombini, de Sienne.- De la vérité que Dieu nous a manifestée en nous créant à son image et ressemblance, pour le posséder lui-même comme le souverain bien.

CCXLIII (235).- A PIERRE, fils de Jean Venture, de Sienne.- De la persévérance dans la vertu et des moyens de l’obtenir.

CCXLIV (236). — A RENAUD DE CAPOUE, esprit distingué de Naples, qui étudie les mystères de Dieu et de la sainte écriture.- De la lumière de la foi. nécessaire pour ne pas se tromper.- De ses effets dans l’âme.

CCXLV (237). — Au COMTE DE CONTI, de Florence, qui aspire à la perfection.- De la lumière de la sainte Foi, sans laquelle aucune œuvre ne peut être parfaite.- De ses effets.

CCXLVI (238).- A LOUIS, fils de messire Louis Gallerani de Sienne, à Asciano.- De la force et de la persévérance qu’on acquiert en s’appuyant sur la sainte Croix.

CCXLVII (239).- A VANNI ET FRANÇOIS, fils de Nicolas de Buonconti, de Pise.- De la sainte crainte de Dieu, et de l’horreur du péché.

CCXLVIII (240).- A SIRE CHRISTOPHE de Gano Guidini.- De l’état parfait ou nous appelle le Père céleste.

CCXLIX (241). - A SANO DE MACO, lorsque la sainte était à Pise, la première fois.- De l’amour que Dieu nous a montré dans la rédemption de nos âmes.

CCL (242). A SANO DE MACO, lorsque la sainte était à Pise. - De la force et de la paix qu’on trouve dans la Croix.

CCLI (243).- A SANO DE MACO, à Sienne.- De la foi et de ses rapports avec l’amour et l’espérance.- Exemple de la Cananéens. 

CCLII (244).- A SANO DE MACO, à Sienne.- On ne doit rien craindre en s’appuyant sur Jésus-Christ.- Il faut désirer souffrir, être méprisé, et donner sa vie pour lui. 

CCLIII (245). — A SANO DE MACO et à ses autres fils, à Sienne.- De la vertu de persévérance, et de la force nécessaire pour l’obtenir.

CCLIV (246). — A SANO DE MACO, et à ses autres fils dans le Christ, lorsqu’elle était à Florence.- Elle se réjouit de la paix conclue avec le Souverain Pontife, et les invite à rendre grâces à Dieu.

CCLV (247). — A SANO DE MACO, et à tous les autres séculiers, ses fils dans le Christ, à Sienne.- De la voie de Jésus-Christ, et de la voie du démon.

CLVI (248). — A SANO DE MACO, et à ses autres fils spirituels. Lettre écrite en extase. — De la perfection et la paix de ceux qui servent Dieu par amour, et non par intérêt et par crainte servile.

CCLVII (249). — A BENINCASA, FILS DE JACOMO, son frère selon la chair (Benincasa était le frère aîné de sainte Catherine). — De la force et de la patience dans les tribulations.

CCLVIII (250). — A BENINCASA, son frère, lorsqu’il était à Florence. — De la patience et de ses devoirs envers sa mère.

CCLIX (551). — A BENINCASA, son frère, à Florence.- De la soumission à la volonté de Dieu, et de l’exemple de Job.

CCLX (252).- A SES TROIS FRERES, à Florence.- De l’amour du Rédempteur qui est mort pour nous.- Du mépris du monde, et de l’union de la charité.

CCLXI (253).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI .- De la force et de la persévérance dans les combats. — De la charité et de ses effets.

CCLXII (254).- AU MEME ETIENNE DE CORRADO MACONI, pauvre de toute vertu, lorsqu’elle était à Florence. — Elle l’exhorte à souffrir avec une sainte patience.

CCLXIII.- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- De la cité de l’âme, qui a trois portos, la mémoire, l’intelligence et la volonté.

CCLXIV (256).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- De la connaissance de Dieu et de soi-même.

CCLXV (257).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- Du mépris du monde et de soi-même.

CCLXVI (258). — A ETIENNE DE CORRADO MACONI, son ignorant et très ingrat fils. — Il faut préférer les tribulations aux consolations spirituelles.

CCLXVII (259).- A ETIENNE DE CORRADO MACCONI.- De la lumière qu’il faut avoir pour connaître la vérité.

CCLXVIII (260).- A ETIENNE DE CORRADO MACCONI, pauvre de toute vertu.- Il ne faut pas résister à la voix de Dieu.

CCXIX (261).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- Combien on doit éviter la tiédeur qui vient de l’ingratitude.

CCLXX (262).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI, son très indigne et ingrat fils, lorsqu’elle était à Rome.- Du renoncement au monde, et des moyens d’y parvenir.

CCLXXI (263). A ETIENNE DE CORRODA MACONI, lorsqu’elle était à Rome. Ce fut la dernière lettre qu'elle lui écrivit.- Il faut se parer de vertu pour attirer les âmes à Dieu par l’exemple et par le talent reçu de Dieu.

CCLXXII (264). — A PIERRE, fils de Jean Venture, et à Etienne de Corrado, lorsqu’elle était à Rome.- Des trois grands ennemis de l’homme, qui sont le monde, le démon et la chair.

CCLXXIII (265).- A NICOLACCIO CATERINO PETRONI, de Sienne.- De l’obéissance aux divins préceptes nécessaire pour avoir la vie de la grâce.

CCLXXIV (266).- A FRANCOIS, fils de messire Vanni Malavolti, de Sienne.- Elle l’exhorte à revenir à Dieu avec confiance, et elle le reprend de sa vie coupable.

CCLXXV (267).- A AGNOLINO, fils de Jean Agnolino de Salimbeni, de Sienne.- Il faut combattre avec courage, contre la chair, le monde et le démon.

CCLXXVI (568). A MATTHIEU DE THONUCIO, d’Orviete.- Nous devons bâtir solidement sur la Pierre vive, qui est le Christ.

CCLXXVII (269). — A LEONARD FRESCOBALDI, de Florence.- Des vertus et de la paix de ceux qui suivent la volonté de Dieu.

CCLXXVIII (270).- A NIGI, fils de Docci Arzocchi.- Des exemples et des enseignements de Jésus-Christ. — De la charité envers le prochain.

CCLXXIX (271). A HIPPOLYTE UBERTINI, à Florence. — Elle l’exhorte à abandonner le monde.

CCLXXX (272).- A NERI DE LANDOCCIO, des Pagliaresi.- De l’opposition qu’il y a entre Jésus-Christ et le monde.

CCLXXXI (273). A NERI DE LANDOCOCCIO. — De la lumière qui donne la charité.

CCLXXXII (274).- A NERI DE LANDOCCIO. — La considération de notre misère et de la miséricorde de Dieu donne la paix de l’âme. 

CCLXXXIII (275). — A NERI DE LANDOCCIO.- Il faut avancer dans le renoncement de soi-même pour arriver à la paix.

CCLXXXIV (276).- A NERI DE LANDOCCIO.- Des grâces que le cœur reçoit de Dieu dans la prière.

CCLXXXV (277).- A NERI DE LANDOCCIO.- Elle désire le voir éclairé par la lumière de la très sainte Foi.

CCLXXXVI (278).- A NERI DE LANDOCCIO.- Du feu de la charité qui naît de la contemplation de Jésus crucifié.

CCLXXXVII (279).- A NERI DE LANDOCCIO.- De la persévérance et du progrès dans la vertu.

CCLXXXVIII (280). — A NERI DE LANDOCCIO.- Du renoncement à soi-même.

CCLXXXIX (281). — A NERI DE LANDOCCCIO.- Elle l’exhorte à se dépouiller de l’amour-propre, et à faire la communion fréquente.

CCXC (282). — A NERI DE LANDOCCIO.- Elle l’exhorte à vaincre la négligence, qui est une ingratitude envers Dieu.

CCXCI (283).- AU SEIGNEUR ANTOINE DE CIOLO.- De l’union à Jésus-Christ par l’amour.- De la lumière nécessaire pour conserver la pureté.

CCXCII (284). — A PIERRE, fils de Jacques Attacusi Tholomei, de Sienne.- De la bassesse de ceux qui servent le monde, et de la dignité de ceux qui servent Dieu.

CCXCIII (285).- A GABRIEL DE DAVINO PICCOLOMINI.- De la vertu de persévérance, et des armes que nous devons employer pour vaincre nos ennemis.

CCXCIV (286).- A PIERRE, fils de Thomas Bardi, de Florence. Lettre écrite en extase.- La foi doit être accompagnée des œuvres, et tonte bonne œuvre est récompensée.

CCXCV (287).- A JEAN TRENTA, et à sa femme, à Lucques. — Elle les exhorte à l’union, à la concorde et à l’imitation de Jésus-Christ. 

CCXCVI (288).- A BARTHOLE USIMBARDI, à Florence.- De la charité, de l’humilité et de la vraie persévérance.

CCXCVII (289).- A BARTHOLE USIMBARDI, à sa femme, madame Orna, à François Pépin, tailleur, et à sa femme, madame Agnès, de Florenco.- Elle les exhorte à la vertu de charité, et à suivre la croix de Jésus-Christ.

CCXCVIII (290).- A BARTHOLE USIMBARDI, et à François Pépin, de Florence.- Elle les exhorte à la reconnaissance envers Dieu, d’ou viennent toutes les vertus.

CCXCIX (291).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Elle les exhorte à acquérir les vertus, et à mépriser le monde.

CCC (292).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence.- De la persévérance, et du renoncement à la volonté propre.

CCCI (293). - A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à sa femme, madame Agnès. - Des vrais serviteurs de Jésus-Christ.- Du souvenir des bienfaits de Dieu et de nos défauts.

CCCII (294).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Nous devons marcher dans cette vie comme des pèlerins, avec patience, persévérance et mépris du monde.

CCCIII (295).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- De la sainte crainte de Dieu, qui détruit la crainte servile.

CCCIV (296).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à madame Agnès, sa femme.- De quelle manière la raison doit vaincre la sensualité. 

CCCV (597).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Il faut fuir la société des pécheurs, et rechercher celle des serviteurs de Dieu.

CCCVI (298).- A FRANCOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à dame Agnès, sa femme.- De la persévérance dans l’amour de Dieu.

CCCVII (209).- A JEAN DE PARME, à Rome, le 23 octobre.- Le corps de Jésus-Christ est le livre où nous pouvons tout apprendre.

CCCVIII (300).- A MARC BINDI, marchand.- De la vertu de patience et de la manière de l’acquérir.

CCCIX (301).- A ROMAIN, tisseur de lin, de la compagnie du Bigallo, à Florence .- De la persévérance, et de l’espoir de la récompense. 

CCCX (301).- A JEAN PEROTTI, corroyeur, et dame Lippa, ma femme.- Le vêtement dont nous devons nous revêtir est la charité de Jésus-Christ.

CCCXI (303).- A JEAN PEROTTI, corroyeur, à Lucques.- De la crainte et de l’amour de Dieu.

CCCXII (271).- A SALVI, fils de messire Pierre, orfèvre à Sienne.- La foi sans les œuvres est morte.- La foi doit conduire à l’amour de Dieu. 

CCCXIII (306).- A UN HOMME RELIGIEUX de Florence.- Elle le remercie du zèle qu’il a pour son âme; elle lui dit combien elle craint les illusions du démon.

CCCXIV (300).- A QUELQU’UN QU’ON NE NOMME PAS.- De l’infinie bonté de Dieu, et de la haine du péché.

CCCXV (307).- A UN SECULIER QU’ON NE NOMME PAS.- De la connaissance de soi-même, et l’amour envers Dieu.

CCCXVI (3O8).- A QUELQUES JEUNES GENS de Florence, fils adoptifs de dom Giovanni.- De la charité, de l’union, de la force et des vertus qui en procèdent.

CCCXVII (309). - A DES PRISONNIERS le jeudi saint, à Sienne.- De la vraie patience.- Du péché, et de la miséricorde de Dieu, qui a voulu mourir pour nous.

CCCXVIII (310).- AU JUIF CONSIGLIO.- Elle l’exhorte à se convertir à la vraie foi en recevant le baptême.

CCCXIX.- A MADAME, épouse de Barnabé Visconti.- De la charité et de l’imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ.- Elle la prie de donner l’exemple à son mari, et de le ramener à l’obéissance du Souverain Pontife.

CCCXX.- MADAME NIERA, de Gérard Gambacorti, à Pise.- Combien l’amour des créatures est dangereux, et combien l’amour de Dieu est doux et utile.

CCCXXI.- A MADAME NIERA, de Gérard Gambacorti, à Pise.- De la confiance que nous devons avoir en Dieu seul, et des fruits qu’elle produit.

CCCXXII.- A MADAME TORA, fille de messire Pierre Gambacorti, de Pise.- Elle l’exhorte à être la vraie servante et épouse de Jésus-Christ, en renonçant à tout amour des créatures.

CCCXXIII.- A MADAME TORA, fille de messire Pierre Gambacorti, à Pise.- De l’instabilité du monde.- De la prière et de ses effets.

CCCXXIV.- A MADAME JACQUELINE, femme de messire Trinci de Foligno.- De la patience.- Des motifs et des moyens pour acquérir cotte vertu.- Elle la console de la perte de son mari, mort au service de l’Eglise.

CCCXXV.- A MADAME BENEDETTA, femme de messire Bocchino de Belfort, de Volterre, lorsqu’elle était à Florence.- Elle l’exhorte à supporter avec patience l’adversité, et surtout la perte de son fils.

CCCXXVI.- A MADAME PANTASILEE, femme de Ranuccio Farnèse.- La vraie lumière s’obtient par la connaissance de notre propre misère et de la bonté de Dieu à notre égard. - De la manière de servir Dieu clans l’état du mariage.

CCCXXVII.- A LA COMTESSE JEANNE, de Milet et de Terre-Neuve, à Naples.- Du mépris du monde et de ses délices.- Les vraies richesses sont les vertus et la charité, qui reste seule dans l’autre vie.

CCCXXVIII.- À UNE DAME NAPOLITAINE, confidente de la reine.- De la sainte crainte de Dieu. et de la crainte servile.- Elle exhorte cette dame à faire tous ses efforts pour ramener le cœur de la Reine à l’obéissance de la sainte Eglise. 

CCCXXIX.- A LA COMTESSE BENEDETTA, fille de Jean d’Agnolino Salimbeni, de Sienne. - Elle l’exhorte à servir Jésus-Christ, et à renoncer à l’amour des créatures.- C’est dans les plaies de Jésus-Christ que s’acquièrent toutes les vertus.

CCCXXX.- A LA COMTESSE BENEDETTA, fille de Jean d’Agnolino Salimbeni.- De la charité parfaite et de l’amour du monde.- Des fleurs et des fruits que doit produire notre âme.

CCCXXXI.- A MADAME BIANCINA, femme de Jean d’Agnolino Salimbeni.- De l’amour déréglé de nous-mêmes et du monde.- De la bonté divine, qui seule peut satisfaire et pacifier notre âme.

CCCXXXII.- A MADAME ISA, fille de Jean d’Agnolino Salimbeni.- De la fidélité à la grâce, et de la force dans le service de Dieu. 

CCCXXXIII.- A MADAME MITARELLA, femme de Louis Mogliano, sénateur de Sienne, en 1373.- De la crainte et de l’amour que Dieu demande de nous.- Deux choses sont nécessaires pour conserver en nous la foi en Dieu, surtout dans l’adversité.

CCCXXXIV. A MADAME ORIETTA SCOTTA, à la croix de Caneto, à Gênes.- De la patience et de ses effets. — Du renoncement à la volonté propre.

CCCXXXV.- A MADAME LARIELLA, femme de messire Cieccolo Caracciolo, de Naples.- Nous devons mettre notre espérance en Dieu. et non dans les créatures; cette espérance vient de l’amour.

CCCXXXVI.- A MADAME PENTELLA, servante de Dieu, mariée à Naples.- De l’amour des souffrances, et de l’honneur que nous devons à Dieu.- Des épreuves dans le mariage.

CCCXXXVII.- A MADAME CATELLA, à madame Cecia, appelée Planula, et à madame Catherine Dentice, de Naples.- De la nourriture des anges et de la nourriture des bêtes.- Comment elles se prennent, et quels effets elles produisent.

CCCXXXVIII.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise.- De la charité envers Dieu, d’où naît la patience, et de la lumière de la Foi nécessaire pour acquérir la charité.

CCCXXXIX.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise.- Le souvenir du sang de Jésus-Christ fait acquérir la charité, et par son moyen la patience.

CCCXL.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise, et à madame Catherine, femme de Gérard, fils de Nicolas.- De l’union dans la charité.- Jésus-Christ nous a enseigné cette vertu et nous la demande. — De l’emploi du temps.

CCCXLI.- A MADAME LAUDOMIA, femme de Charles Strozzi, de Florence.- On ne peut servir en même temps Dieu et le monde. — De la manière d’aimer les créatures, et du prix de la grâce divine.

CCCXLII.- A MADAME JEANNE PAZZI.- De l’amour que Jésus-Christ nous a montré dans Sa passion.- Du moyen d’acquérir la patience.

CCCXLIII.- A MADAME CONSTANCE, femme de Nicolas Soderini, de Florence.- Du mépris du monde, et du désir de la mort qu’ont les saints, et de la manière de s’y préparer, en mourant de la volonté propre.

CCCXLIV.- A MADAME RABES, femme de François Tholomei.- Les vertus, et surtout la charité, s’acquièrent par l’union avec Jésus crucifié. — Des différents degrés de cette union.

CCCXLV.- A MADAME LOUISE DE GRANELLO.- De l’amour de Dieu, et de l’amour de nous-mêmes. - De l’utilité des épreuves.

CCCXLVI.- A MADAME STRICCA, femme de Cionne Salimbeni.- De la vertu de patience.- La tribulation et la prospérité nous viennent de Dieu pour notre bien.

CCCXLVII.- A MADAME FRANCESCHINA, à Lucques.- Elle l’exhorte à être la servante et la fille de Jésus-Christ, à aimer sa croix, et à croître toujours dans la charité.

CCCXLVIII.- A MADAME MELLINA, femme de Barthélemi Balbani, à Lucques.- De l’amour parfait que nous devons avoir pour Dieu, et de celui que nous devons avoir pour toutes les créatures.

CCCXLIX.- A MADAME COLOMBE, à Lucques.- Du bon exemple que nous devons donner.- Comment on perd et on retrouve Notre-Seigneur.

CCCL.- A MADAME FRANCESCHINA, A MADAME CATHERINE, et à deux autres compagnes spirituelles, à Lucques.- De la fidélité à suivre Jésus-Christ dans la voie de la sainte Croix. 

CCCLI.- A MADAME BARTHELEMI, femme de Salvatico, de Lucques.- C’est de l’amour de Dieu que viennent la patience et le désir de souffrir.- Du renoncement à la volonté, et de la persévérance.

CCCLII.- A PETRONILLE, fille de Masello Pepe, de Naples.- Elle l’exhorte à se dépouiller de toute affection mondaine, et à se revêtir de Jésus-Christ. — Des vierges sages et des vierges folles.

CCCLIII.- A TROIS DAMES NAPOLITAINES, ses filles spirituelles.- Des effets de la charité, et comment nous devons consumer notre vie dans les gémissements pour la sainte Eglise.

CCCLIV.- A MADAME JEANNE DE CORRADO .- Elle l’exhorte à se dépouiller de l’amour sensible des créatures.

CCCLV. — A MADAME JEANNE DE CORRADO.- Du vêtement nuptial de la charité, et de l’amour des parents pour leurs enfants.

CCCLVI.- A NANNA, fille de Benincasa, sa jeune nièce, à Florence.- Elle l’exhorte à être l’épouse de Jésus-Christ, à l’exemple des vierges sages de l’Evangile, et elle lui apprend à entretenir la lampe de son coeur.

CCCLVII.- A MADAME BARTHELEMI de Dominique, à Rome.- Du pèlerinage de la vie, et du bâton de la Croix, qu’il faut prendre pour nous soutenir et nous défendre.

CCCLVIII. — A MADAME BARTHELEMI d’Andrea Mei, de Sienne.- Du renoncement à la volonté propre, et de l’amour de Dieu dans notre création et dans notre rédemption.

CCCLIX.- A MADAME MONTAGNA, grande servante de Dieu, dans le comté de Narni, à Capitone.- De la charité parfaite.- De l’amour-propre temporel et spirituel.- De l’union de l’âme avec Dieu qui naît de la charité parfaite.

CCCLX.- A MADAME AGNES TOSCANELLA, servante de Dieu d’une grande pénitence.- Du vrai fondement que nous devons donner à l’édifice de notre âme. — La pénitence n’est qu’un moyen.

CCCLXI.- A MADAME AGNES, femme de François, tailleur, de Florence .- De l’humilité, de la prière, et de l’amour du prochain.

CCCLXII.- A LA MEME.- Elle l’exhorte à s’attacher à l’arbre de la croix, pour y cueillir le fruit des vertus. 

CCCLXIII.- A LA MEME.- Elle l’exhorte à croître dans les saints désirs de la vertu.

CCCLXIV.- A LA MEME.- Elle l’exhorte à se baigner dans le sang de Jésus-Christ.

CCCLXV.- A LA MEME.- Elle l’exhorte à la persévérance et aux autres vertus.

CCCLXVI.- A MADAME ORSA, femme de Bartholo Usimbardi, et à madame Agnès, femme de François Pépin, tailleur, de Florence.- Elle les exhorte au mépris du monde et à l’amour de Dieu.

CCCLXVII.- A TROIS DAMES DE FLORENCE.- Des vertus qui s’acquièrent dans la connaissance de soi-même, et de l’amour de Dieu envers nous.

CCCLXVIII.- A UNE DAME QUI MURMURAIT, à Florence, le 20 octobre 1378.- De la lumière nécessaire pour connaître la vérité de Dieu et la vérité des créatures.- Comment nous devons juger notre prochain. 

CCCLXIX.- A UNE DAME QU’ON NE NOMME PAS.- Elle désire la voir éclairée de la lumière de la Foi, nécessaire pour connaître la vérité et pour acquérir la patience.

CCCLXX.- A MADAME PAULE DE SIENNE, et à ses disciples, quand elle était à Fiesole.- Sans la charité toutes les autres vertus sont mortes.- De l’amour de Jésus-Christ envers nous, et du désir qu’il montre pour notre sanctification.

CCCLXXI.- A MADAME PAULE, à Fiesole.- Du mystère ineffable de l’Incarnation du Verbe, et de la Rédemption, expliqué par la comparaison de la semence, de la fleur et du fruit.

CCCLXXII.- A QUELQUES FILLES DE SIENNE.- Elle les exhorte à être persévérantes dans le service de Dieu, et à fuir les conversations frivoles.

CCCLXXIII.- A UNE FEMME PUBLIQUE DE PEROUSE, à la demande de son frère.- Elle cherche à la convertir et la menace des châtiments de Dieu ; elle lui cite l’exemple de sainte Marie-Madeleine, et l’exhorte à se recommander à la sainte Vierge.

 

Table des matières (2)


 

 

Lettres 2ème partie

 

CLXVI (120). - A FRERE RAINIER DANS LE CHRIST, au couvent de Sainte-Catherine des Frères Prêcheurs, à Pise.- De la force et de la persévérance dans les épreuves et les tentations. Il faut s'appuyer sur la Croix et sur l’espérance du ciel.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon révérend Père dans le Christ Jésus, par respect pour le très doux Sacrement, mol, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un vrai chevalier combattant contre tous les vices et les tentations pour Jésus crucifié, avec une sainte et véritable persévérance; car c'est la persévérance qui est couronnée. Vous savez bien que [964] c’est en persévérant et en combattant qu'on obtient la victoire. Nous sommes placés on cette vie comme un champ de bataille, et nous devons combattre courageusement, sans fuir et tourner la tête en arrière ; mais il faut regarder notre capitaine, Jésus qui persévère toujours, et n'est arrêté ni par les Juifs, qui disent: Descends de la Croix; ni par le démon, ni par notre ingratitude; il persévère cesse pas d'accomplir les ordres de son Père et salut, jusqu'au moment où il retourne a son Père avec la victoire, puisqu'il a tiré le genre humain des ténèbres et lui a rendu la lumière de la grâce en vainquant le démon et le monde avec ses délices, sans rester dans la mort.

2. Cet Agneau a souffert la mort pour nous rendre la vie ; par sa mort il a détruit notre mort. Le sang et la persévérance de ce capitaine doivent nous encourager à bien combattre, à supporter les peines, les coups, les injures et les affronts pour son amour, à acquérir la pauvreté volontaire, l'humilité de coeur, l'obéissance complète et parfaite. Celui qui le fera, quand sera dissipé le nuage de son corps, ira avec la victoire dans la cité de la vie éternelle; il aura vaincu le démon, le monde, la chair, qui toujours nous tourmente et combat contre l'esprit : il faut la dompter, la macérer par le jeune, les veilles et la prière; il faut chasser les mauvaises pensées qui se présentent au moyen de bonnes et saintes images, nous représentant continuellement combien est ardent le feu de la charité divine, qui a tout fait pour nous par grâce, et non par devoir. Le Père nous a donné le Verbe, son Fils unique, et le Fils a [965] donné sa vie par amour; il s'est immolé, et son corps déchiré a versé son sang de toute part, et ce sang a lavé les souillures de nos iniquités.

3. Quand l'âme contemple tant d'amour, elle se consume d'amour, et il lui semble qu'elle ne peut pas trop faire en livrant son corps à toutes sortes de peines et de tourments; elle ne croit jamais assez reconnaître tant d'amour et de bienfaits qu'elle a reçus de son Créateur notre Dieu, si bon, nous a aimés sans être aimé. C'est en y pensant que vous chasserez les pensées du démon. Vous pourrez me dire : Vous voulez que je sois un généreux chevalier, et je suis, sur le champ de bataille, attaqué par une foule d'ennemis. Il me faut des armes; dites-moi celles que je dois prendre. Je vous réponds que je ne veux pas que vous soyez sans armes, mais je veux que vous ayez les armes de saint Paul, qui fut un homme comme vous (1 Thess 5, 8): la cuirasse de la vraie et profonde humilité, le plastron de son ardente charité; et, de même que la cuirasse est unie au plastron, et le plastron à la cuirasse, l'humilité garde et nourrit la charité, et la charité nourrit l'humilité ce sont les armes que je vous donne; elles résistent à tous les coups que peuvent frapper le démon, le monde et la chair. Leurs flèches ont beau être empoisonnées, elles ne blessent jamais; car l'âme qui aime Jésus crucifié n'est pas blessée par les flèches du péché mortel, sans le consentement de sa volonté; et sa force est si grande, que ni le démon ni les créatures ne peuvent lui faire violence qu'autant qu'elle le veut bien [966].

4. Il vous faut aussi prendre en main l'épée pour vous défendre de vos ennemis. Cette épée a deux tranchants dont le premier est la haine de vous-même et le regret du temps souvent perdu par notre peu de zèle pour la vertu, par nos misères, nos iniquités, nos offenses envers le Sauveur. Nous devons haïr ces offenses et nous-mêmes, qui les avons commises; et celui qui ressent cette haine veut se venger de sa vie passée et souffrir toutes sortes de peines pour l'amour du Christ et pour l'expiation de ses péchés, punissant l'orgueil par l'humilité, la cupidité et l'avarice par la générosité et la charité, les écarts de la volonté propre par l'obéissance. Ce sont là les saintes vengeances que nous devons exercer quand nous prenons l'épée de la haine et de l'amour. Aussi je suis heureuse, et je me réjouis des bonnes nouvelles que j'ai apprises de vous; car il me semble que vous vous êtes vengé de votre liberté en vous soumettant au joug de la sainte obéissance. Vous ne pourrez mieux faire que de renoncer au monde, à ses plaisirs, à ses délices et à votre propre volonté.

5. Je vous conjure, pour l'amour de Jésus crucifié, de combattre généreusement et avec une sainte persévérance sur ce champ de bataille; ne détournez jamais la tête pour éviter les coups de ]'épreuve et de la tentation; mais tenez ferme avec vos armes; résistez avec elles, et parez tous les coups. Avec l'épée à deux tranchants de la haine et de l'amour vous vous défendrez de vos ennemis. Je veux que l'arbre de la Croix soit planté dans votre cœur et dans votre âme; devenez semblable à Jésus crucifié; cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié; baignez-vous [967] dans le sang de Jésus crucifié, enivrez-vous et revêtez-vous de Jésus crucifié; rassasiez-vous d'opprobres, de honte et d'affronts, en souffrant pour l'amour de Jésus crucifié; fixez votre cœur et votre affection sur la Croix de Jésus-Christ, parce que la Croix est devenue la barque et le port qui vous conduira au port du salut. Les clous sont devenus des clefs pour ouvrir le royaume du ciel. Courage donc, mon Père, mon très cher Frère; ne dormez plus dans le lit de la négligence, mais comme un chevalier généreux et sans crainte, combattez tout adversaire. Dieu vous donnera la plénitude de la grâce; et quand votre vie sera passée, après la fatigue vous arriverez au repos, à la vue de la beauté suprême, éternelle, à la vision de Dieu, où l'âme se repose, délivrée de toute peine, de tout mal, Où elle reçoit le bien véritable, un rassasiement sans dégoût, et une faim sans douleur. Terminez votre vie sur la Croix. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

 

Table des matières (2)


 

CLXVII (121).- AU FRERES LAZZARINI, de Pise, de l’Ordre des Frères Mineurs.- Jésus crucifié nous enseigne l’amour envers Dieu, et la haine envers nous-mêmes.

(Frère Lazzarini de Pise, religieux conventuel de Saint François, professait la philosophie à Sienne, Il fut attiré à une vie plus parfaite par sainte Catherine, comme le raconte le P. Barthélemi de Dominici dans sa déposition du procès de Venise. Sainte Catherine adressa un grand nombre de lettres aux religieux de Saint-François. Il n’est resté que celle-ci et la suivante.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et très aimé Père, Frère et Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, sa servante inutile [968], je vous écris en me rappelant cette douce parole du Christ: « J'ai désiré avec désir faire cette pâque avec vous avant de mourir (Lc 22, 15). Ce saint désir, je le tiens de la grâce divine; car moi je ne suis pas, Dieu seul est Celui qui est; et c'est parce que Dieu a blessé mon âme que j'ose dire ce qu'a dit le Christ : J'ai désiré avec désir que nous fassions la pâque avant de mourir. Ce sera notre douce et sainte pâque dont parle David dans les Psaumes : « Goûtez et voyez. » Il ne semble pas que nous puissions voir Dieu si nous ne le goûtons pas d'abord par cette sainte pâque, si nous ne le goûtons pas par l'amour de son ineffable charité, connaissant et goûtant la bonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre bien, comme le dit l'ardent saint Paul. Dieu est notre sanctification, notre justice, notre repos, et la volonté de Dieu ne veut que notre sanctification. O ineffable dilection et charité! vous avez montré ce désir enflammé en courant, comme un homme ivre et aveugle, à l'opprobre de la Croix. L'aveugle ne voit pas, l'homme ivre non plus, lorsque son ivresse est complète. Ainsi Notre-Seigneur s'est perdu lui-même, parce qu'il était aveugle, enivré de notre salut, sans se laisser arrêter par notre ignorance, notre ingratitude, et l'amour-propre que nous avons pour nous-mêmes. O Jésus, très doux Amour! vous vous êtes [969] laissé aveugler par l'amour, qui ne vous a pas laissé apercevoir nos iniquités, et vous en avez perdu le sentiment. O doux Maître ! il semble que vous avez voulu les voir et les punir par votre corps très aimable, en vous livrant au supplice de la Croix, et en restant sur la Croix tout transporté d'amour, pour nous montrer que ce n'est pas pour votre utilité, mais pour notre sanctification, que vous nous aimez.

2. Il est là comme notre règle, notre voie, comme un livre écrit où toute personne ignorante et aveugle peut lire. La première ligne de ce livre est la haine et l'amour : l'amour de l'honneur du Père, et la haine du péché. Ainsi donc, mon très cher et très aimé Frère et Père, par respect pour l'auguste Sacrement, suivons ce livre qui nous montre si doucement le chemin, et, s'il arrive que nous rencontrions dans ce chemin nos trois ennemis, le monde, la chair et le démon, prenons les armes de la haine, comme l'a fait notre Père saint François pour que le mondé ne lui enflât pas le cœur, il choisit la sainte et parfaite pauvreté. Je veux que nous agissions de même. Si le démon de la chair veut se révolter contre l'esprit, il faut le mépriser; il faut affliger et macérer notre corps, comme l'a fait aussi notre Père, qui a toujours couru dans cette route avec zèle et sans négligence. Et si le démon se présente avec ses illusions, ses fantômes, avec la crainte servile, s'il veut envahir notre esprit et notre âme, ne craignons pas, parce que toutes ces choses sont devenues impuissantes par la vertu de la Croix. O très doux amour! puisqu'ils ne peuvent rien qu'autant que Dieu le [970] permet, et puisque Dieu ne veut que notre bien, il ne nous donnera jamais de fardeau au-dessus de nos forces.

3. Courage, courage; ne fuyez pas la peine, et conservez toujours une sainte volonté, qui ne se repose eu autre chose qu'en ce que Dieu aime, et non pas en ce que Dieu hait, Notre volonté, ainsi armée de haine et d'amour, recevra tant de force, que, comme le dit saint Paul, ni le monde, ni le démon, ni la chair, ne pourront nous donner la mort. Souffrons, souffrons, très cher Frère, parce que, plus nous souffrirons ici-bas avec Jésus crucifié, plus nous recevrons de gloire; et aucune peine ne sera plus récompensée que la peine de l'esprit du cœur, car ce sont les plus grandes peines, et celles qui produisent davantage. C'est ainsi qu'il faut goûter Dieu, afin que nous puissions le voir. Je ne vous dis qu’une chose, c'est d'être uni et transformé dans cette douce volonté de Dieu. Courons, très doux Frère, courons tout enchaînés avec le lien de la charité, à Jésus crucifié, sur le bois de la Croix. Moi, Catherine, la servante inutile de Jésus-Christ, je me recommande à vous, et je vous conjure de prier Dieu pour moi, afin que je marche dans la vérité. Jésus, Jésus, Jésus.

Table des matières (2)


 

CLXVIII (122) .- A UN GENOIS DU TIERS ORDRE de Saint-François, qui avait avec une dame une liaison spirituelle dont il souffrait beaucoup.- De la manière d’aimer les créatures.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [971] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir combattre généreusement, comme un vrai chevalier, avec la lumière et le bouclier de la sainte Foi, pour repousser tous les coups et pour connaître à cette lumière ce qui fortifie l'ennemi et ce qui l'affaiblit, afin que vous preniez le remède qui l'affaiblit, et que vous fuyiez la cause qui le fortifie. Quelle est la cause qui le fortifie? C'est la volonté propre fondée sur l'amour de soi-même. Cet amour affaiblit la volonté, et la fait tourner comme la feuille au vent. La volonté court où l'amour sensitif l'attache; elle consent volontairement à la jouissance de la chose aimée; et c'est dans la volonté qu'est la faute, et non dans les mouvements que donne l'amour sensitif pour faire aimer les choses qui sont en dehors de la volonté de Dieu et de la raison, si la volonté n'y consent pas. Mais la volonté qui suit l'amour-propre fortifie l'ennemi et s'affaiblit elle-même.

2. Qu'est-ce qui fortifie l'âme et affaiblit l'ennemi? C'est notre volonté revêtue de l'amour de la douce volonté de Dieu. Cette volonté est alors si forte que ni le démon ni les créatures ne peuvent l'affaiblir, si elle ne le veut pas elle-même. Et pourquoi est-elle forte? Parce qu'elle s'est volontairement unie à Dieu, qui est l'éternelle et suprême force; elle est ferme et inébranlable, parce que notre Dieu, en qui elle fait sa demeure, est immuable, et elle n'a de mouvement qu'en lui. Et comment l'âme acquiert-elle cette force? Par la doctrine du doux et tendre Verbe, qu'elle regarde à la lumière de la très sainte Foi. Dans sa doctrine et dans son sang elle connaît que [972] la volonté de Dieu ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. C'est pourquoi elle l'aime, elle s'en revêt, elle anéantit sa volonté dans celle de Dieu. Cette volonté rend l'âme prudente; elle ne s'égare pas dans les ténèbres, mais elle règle sa vie avec sagesse et discrétion, toujours attentive à fuir les choses qui nous ravissent Dieu; et, comme elle voit que l'amour sensitif le lui ravit, elle hait la sensualité, et elle aime la raison; elle fait tout à la lumière de la raison; elle aime son Créateur sans limite et sans mesure. Non seulement elle ne veut pas que les choses créées l'arrêtent, mais elle ne veut pas s'arrêter à elle-même, c'est-à-dire à sa propre volonté perverse; et comme elle renonce à elle-même et à toutes les choses créées, qu'elle n 'aime jamais an dehors de la volonté de Dieu, mais qu'elle aime pour Dieu, son amour est bien réglé.

3. Si elle aime la créature, elle l'aime par amour du Créateur, avec ordre et non sans ordre, avec mesure et non sans mesure. Avec quelle mesure ? Avec celle de la charité de Dieu. Elle ne prend pas d'autre mesure, afin de n'être pas trompée, comme le sont beaucoup de personnes imparfaites qui se laissent égarer par le démon avec l'appât de l'amour; elles commencent à se régler sur la charité de Dieu, c'est-à-dire à aimer les créatures pour lui, puis elles abandonnent la vraie mesure pour prendre la mesure de la sensualité; et on voit le pauvre aveugle, séduit par l'apparence de la dévotion, perdre Dieu et la prière sainte dont il avait fait sa mère. Il jette à terre les armes qui lui servaient de défense; il affaiblit sa volonté et fortifie ses ennemis; il tombe [973] dans une ruine complète. Il a conçu la mort, et il n'a plus qu'à l'enfanter; il ne s'en aperçoit pas, et ne fuit pas cette créature comme un poison, mais il cherche et suit le poison, les pensées et les mouvements empoisonnés. Nous ne pouvons empêcher qu'ils se présentent, car la chair est prompte à combattre contre l'esprit, et le démon ne doit jamais ce qui doit nous apprendre à sortir de notre négligence et à être vigilant. Le libre arbitre peut lier la volonté, pour qu'elle ne consente pas et qu'elle ne reçoive pas volontairement le démon dans sa demeure. Elle peut fuir, en ne voulant pas s'exposer encore au mal, mais son aveuglement est si grand qu'elle veut attendre qu'un ange tombe du ciel et se précipite en enfer. O maudite affection! comme tu es sortie de ta mesure! O piège perfide! tu entres doucement comme un habile voleur, tu te fais le familier de la maison, et, lorsque tu as aveuglé l'oeil de l'intelligence, tu te montres; et si on ne te voit pas, on sent bien ta corruption.

4. O très cher et très doux Frère dans le Christ, le doux Jésus ! servons-nous de la main de la haine avec la contrition du cœur et le regret de la faute, et avec cette main tirons la paille de notre œil, afin qu'il soit clair et que nous reconnaissions cet ennemi perfide. Que la volonté fuie pour ne pas consentir aux pensées du cœur, et que le corps s'éloigne du danger et de la présence de la créature. Hélas ! hélas ! attachons-nous à l'arbre de la Croix, et regardons l'Agneau immolé pour nous, et là, nous retrouverons le feu du saint désir, et, avec ce désir, nous retrouverons notre mère, la prière sainte [974], humble, fidèle et persévérante. Sans ces qualités, son sein serait tari, et elle ne pourrait nourrir les vertus, ses enfants, ni l'âme, de sa douceur. Dès que nous aurons retrouvé cette mère, nous aurons retrouvé la mesure de la charité divine, avec laquelle nous devons mesurer l'amour que nous avons pour la créature raisonnable. Nous serons forts, car nous n'aurons plus aucune faiblesse; nous serons courageux, parce que nous aurons étouffé en nous le plaisir féminin, qui rend le cœur pusillanime; nous serons délivrés des ténèbres et nous marcherons dans la lumière, en suivant la doctrine de Jésus crucifié, entièrement protégés par le bouclier de la très sainte Foi. Nous resterons sur le champ de bataille, ne refusant aucune fatigue, et ne tournant jamais la tête en arrière. Toujours persévérants, sans aucune crainte servile, nous regarderons avec une sainte crainte nos ennemis affaiblis; nous serons forts de la force suprême, et nous verrons dans la persévérance la couronne de gloire qui est préparée, non pas à celui qui commence seulement, mais à celui qui persévère jusqu'à la fin.

5. Notre âme sera vêtue ainsi de force et de persévérance, mais pas autrement. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir un vrai combattant, afin que vous puissiez mieux accomplir la volonté de Dieu et mon désir, et vous tirer des circonstances pénibles où vous êtes. Ayez toujours le sang du Christ devant l'oeil de votre intelligence, pour vous exciter au combat; que dans ce sang glorieux, votre volonté s'anéantisse; qu'elle meure, et que par cette mort elle ne puisse plus céder aux tentations du [975] démon, des créatures et de la chair fragile. Fuyez surtout l'occasion, si la vie de votre âme vous est chère: cela fait, ne craignez pas les combats et les attaques du démon, et ne tombez pas dans le trouble de l'esprit; mais supportez avec patience et avec regret la faute qui vient du consentement volontaire et de son accomplissement. Ne soyez pas négligent, mais plein de zèle; préparez-vous à goûter le parfum des vertus et de la vraie et sainte pauvreté pour l'amour de l'humble et pauvre Agneau, et lorsque vous aurez mis la main à la charrue, ne tournez jamais la tête en arrière pour voir le sillon. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Fuyez dans la cellule de la connaissance de vous-même, où vous trouverez la grandeur de la bonté et de la charité divine, qui vous a sauvé de l'enfer. Doux Jésus, Jésus amour [976].

Table des matières (2)


 

CLXIX (123).- A MAITRE JEAN, le troisième, de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin.- Dieu est le souverain bien, et le péché le souverain mal. - Rien en dehors du péché ne peut être appelé un mal.

(Frère Jean Tantucci de Sienne, est appelé le troisième parce qu’il succéda comme prieur des Ermites de Saint-Augustin de Lecceto, à deux autres religieux qui se nommaient aussi Jean. Après avoir été hostile à sainte Catherine, Il devint son disciple le plus fidèle. Il était un des trois confesseurs qui accompagnaient notre sainte avec des pouvoirs extraordinaires. Il était maître en théologie, et docteur de l'université de Cambridge. Il mourut le 4 octobre 1391, et est honoré du titre de bienheureux.) 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [976] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et anéanti dans le sang de l'Agneau immolé. Ce sang lave et anéantit, c'est-à-dire qu'il tue la volonté perverse. Je dis qu'il lave la face de la conscience, et qu'il tue le ver qui la ronge, parce que ce sang devient un bain, et parce que ce sang n'est jamais sans le feu, et qu'il est mêlé au feu de la divine charité, car il a été répandu par amour. Ainsi le feu avec le sang lave et consume la rouille de la faute qui est dans la conscience, et cette faute est un ver qui ronge la conscience. Lorsque le ver est mort et la face de l'âme lavée, l'amour-propre déréglé disparaît; mais tant que l'amour-propre est dans l'âme, ce ver ne meurt pas, et la lèpre souille toujours la face de l'âme.

2. Nous devons reconnaître que le sang et le feu de l'amour divin nous ont été donnés; nous avons reçu ce sang et ce feu pour notre rédemption, mais nous n'y participons pas tous. Ce n'est pas la faute du sang, du feu et de la douce Vérité première qui nous les a donnés, mais c'est la faute de celui qui ne vide pas son vase pour pouvoir le remplir avec le Sang. Tant que le vase du cœur est plein de l'amour-propre spirituel ou temporel, il ne peut se remplir de l'amour divin, et participer à la vertu du Sang; il ne lave pas sa face, et ne tue pas le ver qui le ronge (977). Il faut donc trouver le moyen de se vider et de se remplir, pour arriver à cette perfection qui tue la volonté propre; car si la volonté est tuée, le ver le sera aussi.

3. Quel sera ce moyen, très cher Fils? Je vous le dirai. Ce sera d'ouvrir l'oeil de notre intelligence pour connaître le souverain bien et le souverain mal. Le souverain bien est Dieu, qui nous aime d'un amour ineffable; cet amour s'est manifesté par le moyen du Verbe, son Fils unique, et le Fils l'a manifesté par son sang. Dans ce sang, l'homme connaît l'amour que Dieu lui porte; et il connaît son propre mal, car la faute est ce qui conduit aux peines éternelles. C'est le péché qui est le mal véritable; il procède de l'amour-propre, et c'est la seule chose qui soit un mal, c'est ce qui a été cause de la mort du Christ. Aussi je vous dis que dans le Sang, nous connaissons le souverain bien de l'amour que Dieu a, et notre véritable mal, car rien n'est mal que la faute, comme je t'ai dit. Aussi les tribulations et les persécutions du monde ne sont pas des maux, pas plus que les injures, les coups, les affronts, les tentations du démon et celle des hommes, les difficultés et les épreuves que les serviteurs de Dieu se causent entre eux. Dieu les permet pour voir si en nous se trouvent la force, la patience et la persévérance finale; et même elles conduisent l'âme à goûter l'éternel et souverain Bien. Nous le voyons clairement dans le Fils de Dieu, qui, étant Dieu et homme, et ne pouvant vouloir aucun mal, n'a choisi pour toute sa vie que les peines, les injures, les tourments, et enfin la mort honteuse de la Croix; et il l'a voulu souffrir [978], parce qu'elle était un bien, et qu'elle punissait nos fautes, qui sont le véritable mal.

4. Quand l'oeil de l'intelligence a ainsi vu et discerné ce qui est la cause du bien, et ce qui est la cause du mal, ce qui est le bien, ce qui est le mal, l'amour suit l'intelligence, et s'empresse d'aimer son Créateur, parce que l'âme connaît dans le Sang son amour ineffable; et elle aime tout ce qu'elle voit lui plaire et l'unir à lui davantage. Alors elle se réjouit des tribulations nombreuses qui l'éprouvent, et elle se prive elle-même de la consolation par amour de la vertu. Elle ne choisit pas elle-même l'instrument de la tribulation qui éprouve sa vertu, mais elle le reçoit de Celui qui l'envoie, c'est-à-dire de Dieu, qui veut uniquement que nous soyons sanctifiés en lui. L'amour vient ainsi de l'amour, et parce que dans cet amour l'oeil de l’intelligence a vu son mal, c'est-à-dire son péché, elle le déteste, et elle désire se venger de ce qui en a été la cause. La cause du péché est l'amour-propre, qui nourrit la volonté déréglée et révoltée contre la raison, et l'âme ne cesse jamais d'exciter et d'augmenter la haine de l'amour sensuel jusqu'à ce qu'il soit mort. Elle devient tout à coup patiente, et ne se scandalise ni de Dieu ni d'elle-même, ni du prochain; elle a pris les armes pour tuer ce sentiment mauvais qui conduit l'âme à un si grand mal, qui lui ôte la vie de la grâce, lui donne la mort et la réduit au néant, puisqu'elle est privée de Celui qui est. Il faut donc qu'elle s'arme du glaive qui la défend contre ses ennemis, et qui tue sa sensualité. Ce glaive a deux tranchants, la haine et l'amour; la main du libre arbitre, qui sait que [979] Dieu donne par grâce et non par obligation, s'en sert pour couper et pour tuer.

5. C'est ainsi, mon Fils, que nous participons à la vertu du sang et à la chaleur du feu. Le sang lave, et le feu consume la rouille du péché; il tue le ver de la conscience. Il ne tue pas réellement la conscience, qui est la garde de l'âme, mais le ver du péché, qui la ronge intérieurement. Nous ne pourrons par un autre moyen et une autre voie arriver à la paix et au repos, ni goûter le sang de l'Agneau sans tache. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir baigné et noyé dans le sang de Jésus crucifié. Levez-vous donc, sortez du sommeil de la négligence, et détruisez la volonté propre dans ce sang précieux. N'écoutez pas la crainte servile, l'amour-propre, le langage des créatures, les murmures et les scandales du monde; mais persévérez avec un cœur généreux, et prenez garde d'agir comme les insensés. Prenez garde aussi de vous scandaliser à l'avenir des serviteurs de Dieu, et de murmurer de leurs œuvres, parce que c'est un signe que la volonté n'est pas morte; si elle est morte dans les choses temporelles, elle n'est pas encore morte dans les choses spirituelles. Tâchez donc de la faire mourir à tous ses caprices, et que l'éternelle et douce volonté de Dieu vive en vous; c'est à vous d'en juger comme il est dit dans notre leçon. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu.

6. Vous m'écrivez qu'un fils ne peut se passer du lait de sa mère; si vous le voulez, ne tardez donc pas à venir. Vous dites que vous ne voudriez pas [980] manquer à l'obéissance; venez avec la permission, et vous n'y manquerez pas. Vous voilà nécessaire parce que Nanni a dû partir; si vous pouvez venir, j'en serai très heureuse. Doux Jésus, Jésus amour. Recommandez-nous au Bachelier, à frère Antoine, à messire Matthieu et à tous les autres. 

Table des matières (2)


 

CLXX (125). - A FRERE GUILLAUME D’ANGLETERRE , des Ermites de Saint-Augustin.- De la lumière parfaite et de la lumière imparfaite. - La mortification du corps doit être seulement le moyen d'arriver à la mortification de la volonté.

(Frère Guillaume d'Angleterre fut un des plus illustres disciples de sainte Catherine. Ses lumières égalaient sa sainteté, et il avait reçu le don de prophétie. Le Pape Urbain VI l'appela auprès de lui, au milieu des difficultés du schisme naissant. Il mourut la même année que sainte Catherine, en 1380.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairé de la vraie lumière. Car sans la lumière nous ne pourrons marcher dans la vole de la vérité, mais nous marcherons dans les ténèbres. Deux lumières sont nécessaires à avoir. La première est celle qui nous [981] a fait connaître les choses fugitives du monde, qui passent toutes comme le vent; mais on ne les connaît bien qu'en connaissant notre propre fragilité qui nous incline, par la loi mauvaise attachée à nos membres, à nous révolter contre le Créateur. Cette lumière est nécessaire à toute créature raisonnable, dans quelque état que ce soit, si elle veut avoir la grâce divine, et participer au fruit du sang de l'Agneau sans tache. C'est la lumière commune que toute personne doit avoir, car celui qui ne l'a pas est en état de damnation. Il n'est pas en état de grâce, parce qu'il n'a pas la lumière; car celui qui ne connaît pas le mal du péché, et ce qui en est la cause, ne peut l'éviter et en détester la cause. De même celui qui ne connaît pas le bien et la cause du bien, c’est-à-dire la vertu, ne peut aimer et désirer le bien. Et lorsque l'âme est parvenue à acquérir la lumière générale, elle ne doit pas s'en contenter, mais elle doit aller avec zèle à la lumière parfaite; car la première est celle des imparfaits, l'autre est celle des parfaits, qui veulent avec la lumière arriver à la perfection.

2. Deux sortes de parfaits marchent à cette lumière parfaite. Ce sont d'abord ceux qui s'appliquent entièrement à châtier leurs corps, en faisant d’âpres et rudes pénitences pour que la sensualité ne se révolte plus contre la raison; ils désirent plus mortifier leur corps que tuer leur propre volonté. Ceux-là se nourrissent à la table de la pénitence; ils sont bons et parfaits. Mais s'ils n'ont pas une grande humilité, s'ils ne s'appliquent pas à voir en tout la volonté de Dieu et non celle des hommes. ils nuisent [982] souvent à leur perfection en blâmant ceux qui ne suivent pas la même voie qu'eux; et cela arrive, parce qu'ils ont mis plus de zèle et d'application à mortifier le corps qu'à tuer la volonté propre. Ceux-là veulent choisir toujours le temps, le lieu et les consolations spirituelles à leur gré, et aussi les tribulations du monde, les attaques du démon. Ils se laissent tromper par la volonté propre qui s'appelle la volonté spirituelle, et ils disent : Je voudrais cette consolation, et non pas les combats et les tentations du démon; ce n'est pas pour moi, mais c'est pour plaire davantage à Dieu; il me semble que j'y parviendrai mieux de cette manière que d'une autre.

3. C'est ainsi que souvent l'âme tombe dans la peine et l'ennui, et devient insupportable à elle-même; elle nuit à sa perfection, et l'infection de l'orgueil la pénètre sans qu'elle s'en aperçoive. Car si elle était véritablement humble et sans présomption, elle verrait bien que la douce Vérité suprême donne la position, le moment, le lieu, la consolation,. la tribulation, selon les besoins de notre salut et selon la perfection à laquelle l'âme est appelée. Elle verrait que toute chose est donnée par amour, et qu'elle doit recevoir toute chose avec amour et respect, comme les seconds qui sont dans cette douce et glorieuse lumière. Ils sont parfaits en toutes les positions où ils se trouvent, et dans tous les événements que Dieu permet; ils acceptent tout avec respect, parce qu'ils jugent qu'ils sont dignes des peines et des scandales du monde, et qu'ils méritent d'être privés de consolation. Comme ils se croient dignes des peines, ils se croient indignes de [983] la récompense qui suit la peine. Ils ont dans la lumière, connu et goûté l'éternelle volonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre bien et notre sanctification en lui; et parce que l’âme l'a connue, elle s'en revêt, et elle ne s'applique qu'à trouver le moyen d'augmenter et de conserver cet état parfait pour l'honneur et la gloire du nom de Dieu. Elle fixe le regard de son intelligence sur Jésus crucifié, qui est la règle, la voie, la doctrine des parfaits et des imparfaits; elle voit le tendre Agneau qui lui donne la doctrine de la perfection, et, en le voyant, elle s'y attache avec amour.

4. La perfection est celle du Verbe, le Fils de Dieu, qui s'est nourri à la table du saint désir, de l'honneur de son Père et de notre salut; et avec ce désir il a couru à la mort honteuse de la Croix. Il n'a reculé devant aucune fatigue, aucune peine; il n'a été arrêté ni par notre ingratitude, ni par notre ignorance qui méconnaissait ses bienfaits, ni par les persécutions des Juifs, ni par les cris, les injures, les outrages du peuple; mais il a tout surmonté, comme notre chef, comme un vrai chevalier, qui est venu nous enseigner la voie, la doctrine et la règle; et il est arrivé à la porte avec la clef de son précieux sang répandu avec l'ardeur de l'amour et avec la haine et l'horreur du péché, comme si ce doux et tendre Verbe nous disait : « Voici que je me suis fait la voie et la porte ouverte avec mon sang. Ne soyez donc pas négligents à me suivre, vous arrêtant dans l'amour de vous-mêmes et dans l'ignorance qui ne connaît pas la voie, et qui veut présomptueusement la choisir selon votre goût, et non selon ma [984] volonté, qui l'a faite. Levez-vous donc, et suivez-moi; car personne ne peut aller au Père, si ce n'est par moi qui suis la voie et la porte (Jn 14, 6) ».

5. Alors l'âme embrasée d'amour court à la table du saint désir, et ne s'arrête plus à elle-même; elle ne cherche pas sa propre consolation spirituelle ou temporelle, mais comme une personne qui a entièrement détruit sa propre volonté, dans cette lumière et cette connaissance. Elle ne refuse aucune fatigue, de quelque côté qu'elle vienne, au milieu des peines, des opprobres, des attaques du démon et des murmures des hommes; elle prend sur la table de la Croix la nourriture de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, et ne cherche aucune récompense ni de Dieu ni des créatures. Ceux qui agissent ainsi ne servent pas Dieu pour leur plaisir, ni le prochain selon leur goût et par intérêt, mais ils se renoncent eux-mêmes par pur amour, se dépouillant du vieil homme, c'est-à-dire de la sensualité, pour se revêtir de l'homme nouveau du Christ le doux Jésus, qu'ils suivent avec courage. Ceux-là se nourrissent à la table du saint désir, et ils ont mis plus de zèle à tuer leur volonté propre qu'à tuer ou à mortifier le corps; ils ont bien mortifié leur corps non comme but principal, mais comme moyen, comme secours pour tuer leur volonté. Car la chose importante est et doit être de tuer la volonté, pour qu'elle ne cherche qu'à suivre Jésus crucifié, désirant l'honneur, la gloire de son nom et le salut des âmes.

6. Ceux-là sont toujours dans le calme et la Paix [985],et rien ne les scandalise, parce qu'ils ont éloigné ce qui leur causerait du trouble, c'est-à-dire la volonté. propre. Toutes ces persécutions que le monde et le démon peuvent soulever, ils les foulent aux pieds au milieu du torrent; ils s'attachent aux branches de l'ardent désir, et ils ne se noient pas. Ils se réjouissent de tout, et ne se font pas les juges des serviteurs de Dieu ni d'aucune créature raisonnable; mais ils sont contents de toutes les positions, de tous les moyens qu'ils voient prendre, car ils disent : « Grâces vous soient rendues, ô Père éternel ! parce que dans votre maison il y a plusieurs demeures. » Ils aiment mieux cette diversité de moyens que de voir tout le monde suivre la même voie, parce que cette diversité manifeste davantage la grandeur de la bonté de Dieu; ils se réjouissent de tout, et en tirent le parfum de la rose. Quand ils voient faire ce qui est évidemment un péché, ils ne jugent pas, mais ils en ressentent seulement une sainte et vraie compassion, en disant : Aujourd'hui c'est toi; demain, ce sera moi, si la grâce de Dieu ne me conserve. O saintes âmes qui vous nourrissez à la table du saint désir ! c'est la lumière qui vous a conduites à vous nourrir de cet aliment divin, à vous revêtir du vêtement de l'Agneau, c'est-à-dire de son amour, de sa charité. Vous ne perdez pas le temps à écouter les faux jugements sur les serviteurs de Dieu ou du monde, et vous ne vous troublez d'aucun murmure contre vous ou contre le prochain. Votre amour est réglé en Dieu, et il ne s'égare pas dans le prochain. C'est parce qu'il est réglé, mon très cher Fils, qu'ils ne se scandalisent jamais de ceux qu'ils aiment. Leur propre sentiment est mort, et ils ne voient en rien la volonté des hommes, mais uniquement celle du Saint-Esprit. Vous voyez bien qu'ils goûtent, dès ici-bas, les arrhes de la vie éternelle.

7. C'est à cette lumière que je voudrais vous voir parvenir, vous et mes autres fils ignorants, car je vois que cette perfection vous manque. Si elle ne vous manquait pas, vous ne vous seriez pas laissé aller au scandale, aux murmures et aux faux jugements; vous n'auriez pas cru et dit que les autres obéissaient à la volonté des créatures, et non pas à celle du Créateur. Mon cœur et mon âme gémissent de vous voir blesser la perfection, à laquelle Dieu vous appelle, avec l'apparence et l'amour de la vertu. C'est là cette zizanie que le démon sème dans le champ du Seigneur; il le fait pour étouffer le bon grain des saints désirs et de la doctrine qui a été semée dans votre champ. Appliquez-vous donc à ne plus faire ainsi, car la grâce de Dieu vous a accordé plus de lumière; il vous a appelé premièrement à mépriser le monde, secondement à mortifier votre corps, troisièmement à chercher son honneur. Ne nuisez donc pas à cette perfection par la volonté spirituelle; mais passez de la table de la pénitence à la table du désir de Dieu, où l'âme est morte à toute volonté, se nourrissant en paix de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, cherchant toujours la perfection, et ne la blessant jamais. C'est parce que je crois que sans la lumière on ne peut y parvenir, et que je vois que vous ne l'avez pas, que je vous ai dit mon désir de vous voir avec la vraie et parfaite lumière. Je vous conjure, par l'amour de Jésus crucifié, le [987] frère Antoine, les autres religieux, et vous surtout, de vous appliquer à l'acquérir, afin que vous soyez du nombre des parfaits et non des imparfaits. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je me recommande à tous. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CLXXI (125). - A FRERE GUILLAUME D’ANGLETERRE, bachelier de l'Ordre de Saint-Augustin, demeurant à Lecceto . - Des appels que Dieu fait à l’âme.

(Le couvent de Lecceto, à trois milles de Sienne, remonte à la plus haute antiquité. Saint Augustin y aurait trouvé des ermites en 391, et leur aurait donné sa règle. Ce couvent, qui était le chef-lieu de l'Ordre, a été souvent visité par sainte Catherine, et il en conserve le souvenir. Une petite chambre voisine de l'église a été changée en chapelle, et porte cette inscription : Siste hic, viator, et has aedes ereclas a B. Joanne Incontrio, anno 1330, ubi seraphica Catharina Senensis sponsum receptavit Christum, venerare memento. (Gigli, t. I. p. 730.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher et très aimé Père et Fils dans le Christ Jésus, votre indigne et misérable fille Catherine se recommande à vous dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir d'entendre cette parole que Dieu dit à Abraham:  « Sors de ta maison et de ta terre (Gn 12, 1). » Abraham, obéissant, ne fit pas de résistance au commandement de Dieu, qui lui disait de le [988] suivre, et il le suivit. Oh que notre âme sera heureuse quand nous entendrons cette douce parole, et que nous quitterons la terre de notre misérable corps. Il y a deux manières pour l'homme de se lever et de suivre la Vérité suprême, qui nous appelle. La première est de retirer notre affection de la demeure de notre passion sensitive, de l'amour de nous-mêmes et de notre terre, c'est-à-dire que l'affection doit se séparer de tout amour terrestre, pour suivre l'Agneau immolé sur le bois de la sainte Croix. Cet Agneau nous invite et nous appelle à le suivre dans la voie des opprobres, des peines et des outrages, qui sont d'une douceur extrême pour l'âme qui les goûte. Dieu nous y attire par son infinie bonté et miséricorde.

2. Mais quelle parole l'âme peut-elle attendre lorsqu'elle a entendu la première, et qu'elle y a répondu en abandonnant le vice et en suivant les vertus, qui font goûter Dieu par la grâce en cette vie? Savez vous, mon Père, l'a parole qu'elle attend? cette douce parole du Cantique « Viens, mon Epouse bien-aimée (Ct 2,10) ! » Et alors s'accomplit véritablement, entre l'âme et le corps, la parole que le Christ disait à ses disciples : « Laissez les petits venir à moi, car c'est à eux qu'appartient le royaume du ciel (Mc 10,14). » C'est ce que fait Dieu avec ses serviteurs, quand il les tire de cette vie misérable et qu'il les mène au lieu du repos, en commandant et en disant à notre chair, qui était servante et disciple de l'âme laisse cette âme venir [989] à moi, car le royaume de la vie éternelle lui appartient. O ineffable, très douce et très ardente charité vous parlez comme si l'âme vous avait servie par elle-même, tandis qu'elle a tout fait par vous. Vous êtes l'ouvrier et le bienfaiteur, vous êtes Celui qui êtes, et, sans vous, nous ne sommes pas. L'Apôtre le disait: « Nous ne pouvons avoir une bonne pensée si elle ne nous vient d'en haut (2 Co 3,5) ». Oui, vous nous donnez tout par grâce, et non par obligation; c'est votre amour sans borne qui fait tout et qui veut nous en récompenser. Aussi, quand l’âme contemple tant d'amour, elle en est enivrée au point qu'elle se perd elle-même, et qu'elle ne sent et ne voit rien qu'en son Créateur.

3. Oui, c'est cette parole par laquelle mon âme désire nous entendre appeler. Mais il me semble que je ne pourrais être bienheureuse, si avant je n'entendais cette autre parole, que tous les serviteurs de Dieu désirent entendre : Sortez, mes enfants, de votre terre et de votre demeure; suivez-moi, et venez faire le sacrifice de votre corps. Aussi, quand je considère, mon Père, que Dieu nous fait la grâce de l'entendre et de pouvoir donner notre vie pour le nom infini de l'Agneau, il semble qu'à cette pensée mon âme veut quitter mon corps. Courons donc, mes Fils et mes Frères dans le Christ Jésus; excitons nos doux et tendres désirs, priant et suppliant la Bonté divine de nous en rendre bientôt dignes; il ne faut plus commettre de négligence, mais avoir toujours un grand zèle pour nous et pour les autres [990].

4. Il semble que le temps s'approche, car nous trouvons d'excellentes dispositions dans les créatures. Vous savez que nous avions envoyé le frère Jacomo au Juge d'Arboré avec une lettre où il était question de la croisade (Cette lettre de sainte Catherine a été perdue comme tant d'autres. Arboré, dont le nom est maintenant Oristagni, est une ville de Sardaigne. Les gouverneurs de cette île, donnée à Jacques II d'Aragon par Boniface VIII, en 1297, étaient appelés des juges. Mariano, juge d'Arboré, se rendit indépendant vers 1364, et ses successeurs prirent le titre de marquis d'Oristagni.); il m'a répondu gracieusement qu'il voulait venir en personne, et fournir pendant dix années deux galères, mille cavaliers, trois mille piétons et six cents arbalétriers. Je vous annonce aussi que Génes est dans l'enthousiasme, et que tous offrent leur fortune et leur personne. Soyez donc persuadé que Dieu tirera sa gloire de ceci et d'autre chose.

5. Je termine en vous recommandant avec instance un jeune homme qui a nom Matthieu Forestani; agissez le plus promptement possible pour qu'il soit reçu en religion; appliquez-vous tant que vous le pourrez à lui faire acquérir de vraies et solides vertus, surtout en mortifiant en lui le goût du monde et la volonté propre. Il m'a semblé qu'il était mieux pour lui de ne pas faire un nouveau voyage, parce que son esprit peut plus facilement se dissiper qu'un autre. Frère Onufre me dit que frère Etienne était malade, que vous l'aviez appris, et que vous craignez de n'avoir personne pour vous écrire. Ne craignez pas, mais soyez persuadé que quand Dieu ôte [991] d'un côté il donne d'un autre. Encouragez et bénissez mille fois frère Antoine dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

 

CLXXII (126). - A FRERE GUILLAUME A LECCETO, pendant que sainte Catherine était à Florence. - De l'amour envers Dieu, et du désir que donne la lumière de la vérité.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et noyé dans le sang de l'humble et doux Agneau sans tache. Ce sang nous ôte la mort et nous donne la vie, il dissipe les ténèbres et répand la lumière, car dans le sang de Jésus crucifié nous connaissons la lumière de l'éternelle vérité de Dieu, qui nous a créés à son image et ressemblance par amour et par grâce, et non par obligation. Cette Vérité nous créa pour la gloire et l'honneur de son nom, pour que nous possédions et que nous goûtions l'éternel et souverain Bien; mais, après la faute d'Adam, cette vérité était obscurcie, et alors cet amour ineffable, qui avait forcé Dieu à nous tirer de lui-même en nous créant à son image et ressemblance, ce même amour s'émut; non pas que Dieu change en lui-même, car il [992] est immuable, mais son amour à notre égard nous fit donner le Verbe, son Fils unique, qui, pour obéir, voulut punir sur lui nos fautes, et laver dans son sang la face de cet âme, qu'il avait créée si noble avec tant d'amour. Il voulut que dans son sang brillât sa vérité. Aussi nous voyons bien clairement que s'il ne nous avait pas vraiment créés pour nous donner la vie éternelle, pour que nous jouissions de l'infini et souverain Bien, il ne nous aurait pas donné un tel Rédempteur, il ne se serait pas donné lui-même, Dieu et homme tout ensemble. il est donc bien vrai que le sang du Christ nous manifeste et nous rend évidente la vérité de sa douce volonté; et, si j'y réfléchis bien, aucune vertu n'a la vie en elle si elle n'est faite et développée dans l'âme avec cette lumière de la Vérité.

2. O Vérité ancienne et nouvelle ! l'âme qui vous possède est affranchie de la pauvreté des ténèbres, elle a la richesse de la lumière; je ne parle pas de la lumière des visions et des consolations spirituelles, mais de la lumière de la Vérité; car, dès que l'âme connaît la Vérité dans le sang, elle s'enivre en goûtant Dieu par le mouvement de l'a charité, avec la lumière de la très sainte Foi; et cette foi doit accompagner toutes nos œuvres et nous faire goûter la nourriture des âmes, pour l'amour de Dieu, sur la table de la très sainte Croix, et non sur la table du plaisir et des consolations spirituelles et temporelles: oui, sur la Croix, en rompant et en détruisant notre volonté, en supportant les coups, les mépris, les opprobres, les affronts pour Jésus crucifié, et pour mieux se conformer à sa douce volonté. Alors l'âme [993] se réjouit quand elle se voit une même chose avec lui par l'union de l'amour quand elle se voit revêtue de son vêtement; et elle aime tant souffrir pour la gloire et l'honneur de son nom, que, s'il était possible de posséder Dieu et de goûter la nourriture des âmes sans peine, elle aimerait mieux en jouir avec peine, par amour pour son Créateur. D'où lui vient ce désir? de la Vérité. Comment la voit-elle ? la connaît-elle? avec la lumière de la Foi. Où porte-t-elle son regard pour la voir? sur le sang de Jésus crucifié. Dans quel vase le trouve-t-elle? dans son âme, quand elle se connaît. C'est la voie véritable pour connaître la Vérité, et je n'en vois pas d'autre. Aussi, je vous ai dit que je désirais vous voir baigné et noyé dans le sang de l'humble Agneau sans tache.

3. Dans ce sang, nous jouissons et nous espérons que, par amour du Sang, Dieu fera miséricorde au monde et à sa douce Epouse; il dissipera les ténèbres de l'esprit des hommes. Il me semble que les premières lueurs de l'aurore commencent à paraître, et que notre Sauveur a éclairé ce peuple pour le retirer de cet aveuglement coupable, où il était tombé en faisant célébrer de force les saints mystères. Maintenant, grâces à Dieu, ils observent l'interdit (Sainte Catherine avait été envoyée à Florence par Grégoire XI. Elle ramena le peuple à l'obéissance du Saint-Siège par ses paroles et ses prières. Etienne Maconi, qui l'avait accompagnée, en rend témoignage dans ses notes manuscrites ajoutées à sa légende : Et gratia divina tanta est per eam operata, quod ubi cum maximo contemptu Sedis Apostolicae fregerant interdictum, ad psius virginis exhortationem iterum assumpserunt atque servaverunt.), et [994] commencent à revenir sous l'obéissance de leur Père. Aussi, je vous conjure, par l'amour de Jésus crucifié, vous, frère Antoine, le Maître, frère Félix et les autres, de prier particulièrement pour forcer la Bonté divine d'envoyer, par l'amour du Sang, le soleil de sa miséricorde, afin que la paix se fasse ; ce sera bien vraiment un doux et bon soleil. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

 

CLXXIII (127).- A FRERE GUILLAUME D'ANGLETERRE, et à frère ANTOINE DE NICE, à Lecceto.- Il faut sacrifier son propre repos à la gloire de Jésus-Christ.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Mes très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir perdre vous-mêmes de telle manière que vous ne cherchiez la paix et le repos qu'en Jésus crucifié, ayant faim sur la table de la Croix de l'honneur de Dieu, du salut des âmes et de la réforme de la sainte Eglise. Nous la voyons aujourd’hui dans une telle nécessité, que pour la secourir il faut sortir de la solitude, et s'abandonner soi-même; car, si on veut faire quelque bien, on ne doit pas s'arrêter et dire : Je ne trouverai pas ainsi la paix. Dieu nous a fait la grâce de donner à la [995] sainte Eglise un bon et saint pasteur, qui aime les serviteurs de Dieu, et les attire à lui (Les éloges que sainte Catherine donne à Urbain VI sont confirmés par un grand nombre de témoignages contemporains. La rudesse de son caractère lui attira seulement des ennemis qui le calomnièrent pour justifier leur opposition et leur schisme (Voir Gigli, t. I, p. 735.)). Il s'applique à détruire et à arracher les vices, et à faire naître les vertus sans aucune crainte humaine; il agit en homme juste et courageux. Nous devons lui venir en aide, et je verrai que nous avons réellement l'amour de la réforme de la sainte Eglise. S'il en est vraiment ainsi, vous suivrez la volonté de Dieu et de son Vicaire; vous sortirez de la solitude, et vous accourrez sur le champ de bataille; mais si vous ne le faites pas, vous oublierez la volonté de Dieu. Je vous prie donc pour l'amour de Jésus crucifié, de vous rendre promptement et sans hésiter à la demande que le Saint-Père vous a faite (D'après les conseils de sainte Catherine, le Pape Urbain VI avait appelé à Rome les hommes les plus recommandables par leurs sciences et leurs vertus. Le bref du Souverain Pontife était du 13 décembre 1378. Cette lettre est écrite deux jours après. ( Voir la lettre C)). Ne craignez pas de perdre la solitude, car il y a, ici, des bois et des retraites. Courage donc, mes Fils bien-aimés, ne dormez plus, car c'est le temps de veiller. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Rome, le 15 décembre 1378 [996].

Table des matières (2)


  

CLXXIV (128). AU VENERABLE RELIGIEUX FRERE GUILLAUME D'ANGLETERRE, bachelier de l'Ordre des Frères Ermites de Saint-Augustin, dans la forêt du Lac. - De l'union avec Dieu, et des obstacles que cause l’amour-propre.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très révérend et très cher Père dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs du Fils de Dieu, je vous encourage et je vous exhorte dans son précieux sang, avec le désir de vous voir uni et transformé dans son ineffable charité, afin que nous, qui sommes des arbres stériles et sauvages, nous soyons greffés sur l'Arbre de vie. Nous porterons alors des fruits doux et savoureux, non par nous-mêmes, mais par le Maître de la grâce qui est en nous; car, de même que le corps vit par l'âme, l'âme vit par Dieu. Le Verbe incarné ne pouvait, comme homme seulement, nous rendre la vie de la grâce; mais, comme Dieu, la divine Essence l'a voulu, et a pu le faire par amour. O feu, abîme de charité! pour que nous ne soyons pas séparés de vous, vous avez voulu vous greffer sur notre nature, et vous l'avez fait en semant votre parole dans le sein fécond de Marie; il est bien vrai que l'âme vit par vous. Le prix de ce sang répandu en abondance pour moi me profite par l'amour de la divine Essence.

2. Je ne m'étonne pas, mon très cher Père, de ce [997] que la Sagesse du Père, la Parole incarnée a dit: « Si je suis élevé en haut, j'attirerai tout à moi. » O cœurs endurcis, fils égarés d'Adam ! il faudrait être bien misérable pour ne pas se laisser attirer par un si doux Père. Il dit : Si je suis élevé, pourquoi cela? Pour que nous accourions. Je ne vois pas, mon très cher Père, d'autres obstacles que l'amour et l'ignorance que nous avons de nous-mêmes, notre peu de lumière et de connaissance de Dieu. Qui ne connaît pas, ne peut aimer; celui qui connaît aime. Je ne veux pas que nous restions plus longtemps dans cette ignorance, car nous ne serions pas unis à la vie; mais je veux que l'oeil de l'intelligence se lève au-dessus de nous pour voir et connaître l'éternelle et souveraine Vie. Dieu ne peut vouloir autre chose que notre sanctification; ce qu'il nous donne, ce qu'il permet, le lieu, le moment, la mort, la vie, les persécutions des hommes et des démons, tout cela n'a d'autre but que notre sanctification. Je vous le dis, dès que l'âme a ouvert son entendement, elle aime l'honneur de Dieu et des créatures; elle aime les peines, et ne se plaît que sur la Croix avec lui. Ce n'est pas étonnant, parce qu'elle a vu que la bonté de Dieu ne peut vouloir que le bien, et que toute chose vient de lui; elle est affranchie de l'amour-propre qui cause les ténèbres, et empêche de voir la lumière.

3. O mon Père! ne tardons plus, et attachons-nous à l'arbre fertile, afin que le Maître ne s'élève pas sans nous. Prenons le lien, la chaîne de son ardente charité qui le tient fixé et cloué sur le bois de la très sainte Croix; frappons, frappons avec amour, parce [998] que le Bien infini veut un désir infini. C'est la condition de l'âme d'appartenir à l'infini ; aussi elle désire sans fin, et elle n'est jamais rassasiée, tant qu'elle n'est pas unie à l'Infini. Que notre cœur s'applique de toutes ses forces à aimer Celui qui aime sans être aimé. O amour ineffable! pour façonner nos âmes, vous avez fait une enclume de votre corps, afin que le corps satisfît à la peine, l'âme du Christ à la haine du péché, et pour que la nature divine en triomphât par sa puissance (Dialogue, ch XXVI). Voyez comment nous avons été fidèlement rachetés. Pourquoi? Parce qu'il a été élevé en haut. Soumettons donc notre volonté perverse sous le joug de la volonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre bien; et recevons avec respect les peines, nous jugeant indignes d'une si faveur.

4. Je vous dis, de la part de Jésus crucifié, que vous devez célébrer la sainte messe plus d'une fois la semaine dans le couvent, comme le veut le prieur; et j'ajoute même qu'il faut la célébrer tous les jours, si vous voyez que c'est sa volonté. En perdant les consolations, vous ne perdrez pas la grâce, vous l'acquerrez même à mesure que vous perdrez votre volonté.

5. Je veux que, pour montrer que nous avons faim des âmes et que nous aimons le prochain, nous ne nous attachions pas aux consolations. Nous devons écouter les plaintes du prochain, et avoir surtout compassion de ceux qui nous sont unis par les liens d'une même charité; si vous ne le faites pas [999], ce sera une grande faute. Oui, je veux que vous compatissiez aux peines et aux besoins de frère Antoine; je veux que vous ne refusiez pas de l'entendre; je veux aussi, et je demande que frère Antoine vous écoute. Je vous conjure de le faire de la part du Christ et de la mienne : c est le moyen de conserver entre vous la vraie charité; et en ne le faisant pas, vous donneriez au démon l'occasion de semer la discorde. Je termine en vous priant, en vous conjurant d’être uni à l'Arbre divin et transformé en Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.

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CLXXV (129). - AU MEME FRERE GUILLAUME, à MESSIRE MATTHIEU, recteur de la Miséricorde, à FRERE SANTINI et à ses autres fils spirituels. - Des liens de la charité parfaite. - Jésus crucifié modèle de l'amour que nous devons avoir les uns pour les autres.

(Le Père Mathieu fut guéri miraculeusement de la peste, en 1374, par les prières de sainte Catherine. (Vie de sainte Catherine, Iie p., ch. 8.) Sainte Catherine sauva également le frère Santi, en lui commandant au nom de Jésus-Christ de ne pas mourir. Le B. Raymond fait le plus grand éloge de ca saint ermite dans sa Légende, 1110 part., ch. 1.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chers Fils dans le Christ le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux [1000] sang, avec le désir de vous voir unis par les liens de la charité car je vois que sans ses liens, nous ne pouvons plaire à Dieu; c'est à ce doux signe que se reconnaissent les serviteurs et les enfants du Christ; mais pensez, mes enfants, que ces liens doivent être purs et sans mélange d'amour-propre. Si vous aimez votre Créateur, aimez-le et servez-le comme le Bien suprême et éternel, digne d'être aimé, et non pour votre propre utilité; car ce serait un amour mercenaire, l'amour de l'avare qui aime l'argent par avarice; l'amour du prochain ne doit pas être ainsi. Aimez-vous, aimez-vous mutuellement, vous êtes le prochain les uns des autres; mais faites attention que si votre amour est fondé sur votre intérêt ou sur le plaisir que vous avez l'un de l'autre, il ne durera pas, mais il disparaîtra, et votre âme se trouvera vide.

2. L'amour fondé en Dieu doit être tel qu'on doit s'aimer à cause de la vertu, et parce que la créature est créée à l'image de Dieu. Lorsque le plaisir ou l'utilité diminue pour celui qui aime, son amour ne diminue pas s'il est fondé en Dieu; car il aime par amour pour la vertu, pour l'honneur de Dieu et non pour le sien propre. On ne peut aimer la vertu là où elle n'est pas; mais on aime on tant que la créature de Dieu est un membre uni au corps mystique de la sainte Eglise. Alors se développent les sentiments d'une grande et sincère compassion, qui enfante par le désir les larmes, les soupirs et les prières persévérantes en la douce présence de Dieu. C'est cet amour que le Christ a laissé à ses disciples. Cet amour ne s'affaiblit, ne se ralentit jamais; il ne s'impatiente [1001] pas pour une injure qu'il reçoit, et ne tombe pas dans les murmures et le dégoût, parce qu'il n'aime pas pour lui, mais pour Dieu. Il ne juge pas, et ne veut pas juger la volonté des hommes; et ne s'occupe que de la volonté de son Créateur, qui ne cherche et ne veut que notre sanctification; il se réjouit de tout ce que Dieu permet, de quelque manière que ce soit, parce qu'il ne cherche autre chose que l'honneur de son Créateur et le salut de son prochain. On peut véritablement dire que ceux qui aiment ainsi sont unis dans le lien qui attacha et cloua l'Homme-Dieu sur l'arbre de la très sainte et très douce Croix.

3. Mais pensez, mes chers Fils, que jamais vous n'arriverez à cette parfaite union, si vous ne prenez pour modèle Jésus crucifié. En suivant ses traces, vous trouverez en lui cet amour dont il vous 'aime par bonté et non par obligation: et perce qu'il nous aime par bonté, son amour ne s'est pas arrêté à notre ingratitude, à notre ignorance, à notre orgueil, à notre vanité, mais il a persévéré jusqu'à la mort honteuse de la Croix; il nous a délivrés de la mort, et nous a donné la vie. Faites de même, mes enfants, suivez, suivez son exemple; aimezvous, aimez-vous les uns les autres d’un amour pur et saint dans le Christ, le doux Jésus. Je ne vous en dis pas davantage, parce que j'espère bientôt vous revoir, s'il plaît à la Bonté divine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1002].

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CLXXVI (130). - A FRERE ANTOINE, DE NICE, des Ermites de Saint-Augustin, au couvent de Lecceto, près Sienne . - Nous devons toujours chercher le salut des âmes pour la gloire de Dieu, et non pour notre propre consolation.

(Frère Antoine, de Nice, fut un des plus aimés disciples de sainte Catherine. Il mourut en odeur de sainteté, en 1192.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondé sur la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, afin que l'édifice que vous bâtirez dessus ne soit jamais ébranlé par les vents contraires qui le frapperont; mais que ferme, solide, inébranlable, il persévère jusqu'à la mort dans la voie de vérité. Oh! combien est nécessaire ce vrai et solide fondement que je n'ai pas connu dans mon ignorance; car si je l'avais connu véritablement, je n'aurais pas bâti sur moi-même, qui suis pire que le sable, mais sur la pierre vive dont je parle, en suivant le Christ dans la voie des opprobres, des mépris, des affronts; je me serais privée de toute consolation pour pouvoir devenir semblable à lui. De quelque côté que vienne l'épreuve, de l'intérieur ou du dehors, je ne me serais pas cherchée moi-même; mais je n'aurais pensé qu'à l'honneur de Dieu, au salut des âmes, à la réforme de l'Eglise, que je [1003] vois dans de si grands besoins. Malheureuse! j'ai fait tout le contraire; j'ai mal fait, mon cher Fils, mais je ne voudrais pas vous voir faire de même, vous et les autres, et je désire vous voir fondés sur cette Pierre vive.

2. Voici le moment où se montrent les serviteurs de Dieu et ceux qui se cherchent eux-mêmes, qui aiment Dieu pour leur consolation, et le prochain pour leur intérêt; ils regardent où est la consolation et où elle n'est pas, comme 51 nous pensions que Dieu est dans un lieu et non dans un autre. Non, il n'en est pas ainsi; mais je vois que, pour le serviteur de Dieu, tous les lieux et les temps sont acceptables. Quand il est temps d'abandonner la consolation et d'embrasser la fatigue pour l'honneur de Dieu, il le fait; quand il est temps de quitter la solitude pour le service de Dieu, il le fait, et paraît en public comme le faisait le glorieux saint Antoine, qu’aimait certainement bien la solitude, mais qui la quittait souvent pour fortifier les chrétiens. On pourrait citer aussi beaucoup d'autres saints. La règle des vrais serviteurs de Dieu a toujours été de se montrer dans le temps de la nécessité et du malheur, mais non dans le temps de la prospérité, car ils la fuient. Il n'y a pas lieu de fuir maintenant, de peur que la trop grande prospérité ne laisse entraîner nos cœurs au vent de l'orgueil et de la vaine gloire; personne ne peut se glorifier que dans les souffrances. Mais il me semble que la lumière nous manque, quand nous nous laissons aveugler par les consolations, et que nous plaçons nos espérances dans des révélations qui nous empêchent de bien [1004] connaître la verité. Nos motifs peuvent être bons, mais il n'y a que Dieu, qui est l'éternelle et souveraine Bonté, qui nous donne la parfaite et vraie lumière. Je ne m'étendrai pas d'avantage sur ce sujet.

3. Il paraît, d'après la lettre que frère Guillaume m'a envoyée, que ni lui ni vous ne viendrez. Je ne veux pas répondre à cette lettre; mais je gémis du fond du cœur de sa simplicité, car il recherche bien peu l'honneur de Dieu et l’édification du prochain. S'il ne veut pas venir par humilité et par crainte de perdre la paix, il devrait pratiquer la vertu d'humilité, en demandant humblement et avec douceur la permission du Vicaire de Jésus-Christ, en suppliant Sa Sainteté de vouloir bien le laisser dans la solitude pour qu'il soit plus tranquille, mais en s'en remettant à s'a volonté, comme le veut la véritable obéissance. Cela serait certainement plus agréable à Dieu et plus utile à son âme; mais il me semble qu'il fait tout le contraire, en prétendant que celui qui est lié à l'obéissance de Dieu ne doit pas obéir aux créatures. Il peut en effet ne pas s'inquiéter des hommes; mais qu'il mette au même rang le Vicaire de Jésus-Christ, c'est ce qui m'afflige profondément. Il oublie la vérité, car l'obéissance à Dieu ne nous éloigne jamais de celle du Souverain Pontife; plus celle-ci est parfaite, plus celle-là l'est aussi; nous devons toujours être soumis à ses ordres, et lui obéir jusqu'à la mort. Lorsque ces ordres nous semblent indiscrets et capables de nous ôter la paix et les consolations spirituelles, nous devons cependant leur obéir; et si nous faisons le contraire, je suis persuadée que [1005] c'est une grande imperfection et une erreur du démon.

4. Il paraît, d'après ce qu'il écrit, que deux serviteurs de Dieu ont eu une grande révélation; le Christ sur terre et l'a personne qui l’a conseillé, en appelant ces serviteurs de Dieu, auraient suivi une inspiration plus humaine que divine, et c'est plutôt le démon que Dieu qui a voulu tirer ces serviteurs de leur paix et de leurs consolations. On prétend que si vous et les autres, vous veniez, vous perdriez l'a dévotion; vous ne pourriez plus vous livrer à la prière et être unis de cœur au Saint-Père. Votre dévotion n'est guère solide, si elle se perd en changeant de résidence; il semble que Dieu fait attention aux lieux, et qu'il se trouve seulement dans la solitude, et non ailleurs, dans le temps de la nécessité.

5. Ainsi, nous commençons par dire que nous désirons la réforme de l'Eglise, que nous souhaitons qu'on y arrache les épines, et qu'on y plante les fleurs odoriférantes, qui sont les serviteurs de Dieu; et nous prétendrons ensuite que les appeler, les tirer de la paix et du repos de leur esprit pour qu'ils viennent en aide à la barque de saint Pierre, est une erreur du démon. Il faut au moins parler pour soi seulement, et de ne pas parler des autres serviteurs de Dieu, que nous ne devons pas confondre avec les serviteurs du monde. Frère André de Lucques et frère Paulin n'ont pas agi de la sorte; ces grands serviteurs de Dieu étaient âgés et mal portants, et ils n'ont pas ainsi recherché leur repos, mais ils se sont mis bien vite en route, malgré la fatigue et les difficultés; ils sont venus, ils ont obéi; et, quoiqu'ils désirent beaucoup [1006] retourner dans leurs cellules, ils ne veulent pas se soustraire au joug de l'obéissance, mais ils rétractent ce qu'ils avaient dit; ils renoncent à leur volonté pour ce qui est des consolations. Ils sont venus pour souffrir, non pour commander, mais pour se perfectionner dans la peine, au milieu des larmes, des veilles et des prières continuelles. C'est ainsi qu'il faut faire. N'en disons pas davantage. Que Dieu dans sa miséricorde nous purifie, et nous conduise par la voie de la vérité; qu'il nous donne la vraie et parfaite lumière, afin que nous ne marchions pas dans les ténèbres. Je vous conjure, vous, le Bachelier et les autres Serviteurs de Dieu, de demander a l'humble Agneau qu'il me fasse aller par ses voies. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. 

Table des matières (2)


 

CLXXVII (131).- AU VENERABLE RELIGIEUX FRERE ANTOINE, de Nice, de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin, au Bois du Lac. - Des deux volontés propres pour les choses sensibles et pour les choses spirituelles. - Comment il faut se conformer à la volonté divine.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Père et bien aimé Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous recommande dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir embrasé et consumé [1007] dans la fournaise de la divine charité. Que là aussi soit brûlée et consumée votre volonté propre, cette volonté qui nous ôte la vie et nous donne la mort. Ouvrons les yeux, mon très cher Frère, et considérons que nous avons deux volontés : l'une sensitive, qui cherche les choses sensibles; l’autre spirituelle, qui, sous l'apparence de vertu, tient beaucoup à son sentiment; elle le montre quand elle veut choisir le lieu, le temps et les consolations à son gré, et qu'elle dit: Je voudrais ceci pour jouir de Dieu davantage. C'est là une grande erreur et une illusion du démon. Lorsque le démon ne peut tromper les serviteurs de Dieu avec la première volonté, parce que les serviteurs de Dieu l'ont mortifiée dans les choses sensibles extérieures, il tente la seconde volonté au moyen des choses spirituelles.

2. L'âme reçoit souvent des consolations; Dieu l'en prive ensuite, et lui donne une chose moins douce, mais plus utile. Alors l'âme qui s'était attachée à cette douceur souffre de sa privation, et en conçoit de l'ennui. Pourquoi de l'ennui? Parce qu'elle De voudrait pas en être privée. Elle dit : Je crois que j'aimerais plus Dieu de cette manière que de l'autre, ou encore: Je retire du fruit de cette consolation, tandis que je ne reçois de ceci que de la peine, beaucoup de combats, et il me semble que j'offense Dieu. Je vous assure, mon Fils et mon Frère dans le Christ Jésus, que cette âme se trompe avec Sa propre volonté qui ne voudrait pas être privée de cette douceur; le démon l'abuse par cette amorce. Les hommes bien souvent perdent le temps en voulant le choisir à leur gré, et en ne se servant [1008] pas de celui qu'ils ont dans la peine et les ténèbres. Une fois notre doux Sauveur disait à une de ses filles bien-aimées (A Sainte Catherine de Sienne elle-même): «Sais-tu ce que font ceux qui veulent accomplir ma volonté dans la consolation, la douceur et le plaisir? Quand ils en sont privés, ils veulent sortir de ma volonté, croyant bien faire et éviter le péché; mais il y a là une sensualité cachée; et pour fuir la peine, ils tombent dans la faute, et ne s'en aperçoivent pas. Mais si l'âme avait été sage, si elle avait eu intérieurement la lumière de ma volonté, elle aurait regardé au fruit et non à la douceur.

3. « Quel est ce fruit de l'âme? La haine de soi et l'amour de moi. Cette haine et cet amour viennent de la connaissance de soi-même. L'âme connaît ses défauts, son néant, et voit en elle ma bonté qui lui conserve sa bonne volonté; elle voit que je l'ai faite pour qu'elle me serve dans la perfection, et elle juge que tout arrive pour le mieux et pour son plus grand bien. Celui-là, ma chère fille, ne cherche pas le temps selon son bon plaisir, parce qu'il est humble et qu'il connaît sa faiblesse; il n'écoute pas sa volonté, mais il m'est fidèle. Il se revêt de ma volonté suprême et éternelle, parce qu'il voit que je ne donne ou que je n'ôte rien, si ce n'est pour votre sanctification; il voit que c'est l'amour seul qui me porte à vous donner la douceur ou à vous en priver; et à cause de cela, il ne peut se plaindre de la perte de la consolation, qu'elle lui vienne de l'intérieur ou du dehors, du démon ou des créatures, parce qu'il [1009] voit que si ce n'avait pas été pour son bien, je ne l'aurais pas permis.

4. «Il se réjouit parce que la lumière lui vient du dedans et du dehors; et quand le démon remplit son esprit de ténèbres et de confusion, en lui disant : Cela arrive à cause de tes péchés, il répond comme une personne qui ne craint pas la peine : Je remercie mon Créateur, qui s'est souvenu de moi au milieu des ténèbres, et qui veut bien me punir dans le temps qui passe; c'est une grande preuve de son amour, de ne pas vouloir me punir pendant l'éternité. Oh! quelle paix profonde possède l'âme quand elle s'affranchit de la volonté qui cause les tempêtes ! Il n'en est pas ainsi de celui dont la volonté vit encore, et qui cherche les choses selon son bon plaisir; il semble qu'il croit mieux savoir que moi ce dont il a besoin. - Il me semble que c'est offenser Dieu ; ôtez-moi cette occasion, et je ferai ce qu'il veut.- La preuve qu'il n'y a pas d'offense, c'est que vous voyez en vous la bonne volonté de ne pas offenser Dieu et l'horreur du péché.

5. «Vous devez donc conserver l'espérance; car si tous les secours extérieurs et toutes les consolations intérieures venaient à vous manquer, que la volonté de plaire à Dieu soit toujours inébranlable en vous; c'est sur cette pierre qu'est fondée la grâce. Si vous dites : Il me semble que je ne l'ai pas, vous êtes dans l'erreur; car si vous ne l’aviez pas, vous ne craindriez pas d'offenser Dieu c'est le démon qui veut vous faire croire le contraire pour que votre âme tombe dans le trouble et dans une tristesse déréglée, et qu'elle s'obstine à vouloir les [1010] consolations, le moment et le lieu, selon son bon plaisir. Ne le croyez pas, ma fille bien-aimée; mais que votre âme soit toujours prête à supporter les peines comme Dieu vous les envoie : autrement vous seriez semblable à celui qui tient le flambeau dehors pour éclairer l'extérieur, et qui laisse l'intérieur obscur. Ainsi fait celui qui se soumet à la volonté de Dieu pour les choses extérieures, et qui méprise le monde, mais qui à l'intérieur conserve une volonté spirituelle, vive et cachée sous l'apparence de la vertu. » Voilà ce que Dieu disait à sa servante; c'est pourquoi je vous répète que je veux et désire que votre volonté soit anéantie et transformée en lui, et que vous soyez toujours prêt à supporter les peines et les fatigues, de la manière que Dieu voudra vous les donner. Nous serons ainsi délivrés des ténèbres, et nous aurons la lumière. Amen! Béni soit Jésus crucifié, avec la douce Marie.

Table des matières (2)


 

CLXXVIII (132). - A FRERE JEROME, de Sienne, des Frères Ermites de Saint-Augustîn. – Comment il faut célébrer la dernière pâque avec Jésus-Christ. - De l'amour des créatures.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Père et bien-aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux sang, me souvenant de la parole de notre [1011] Sauveur, qui disait à ses disciples : « J'ai désiré avec désir faire la pâque avec vous avant de mourir. » Je vous dis de même, Frère Jérôme, mon Père et mon Fils bien-aimé; et si vous me demandez quelle pâque je désire faire avec vous, je vous répondrai pas d'autre pâque que celle de l'Agneau sans tache, lorsqu'il se donna lui-même à ses disciples. O doux Agneau consumé au feu de la charité divine sur le bois de la très sainte Croix! ô nourriture très suave, pleine de joie, d'allégresse et de consolation! rien ne manque en vous; car, pour l'âme qui vous sert en vérité, vous êtes la table, la nourriture et le serviteur. Nous voyons bien que le Père est une table et un lit où l'âme peut se reposer; nous voyons le Verbe, son Fils unique, qui se donne à nous en nourriture avec un si ardent amour. Et qui porte cette nourriture? l'Esprit-Saint qui devient serviteur; dans son amour infini, il n'est pas content que nous soyons servis par les autres; il veut nous servir lui-même. C'est à cette table que mon âme désire faire la pâque avec vous avant de mourir; car une fois la vie passée, nous ne pourrons la faire.

2. Sachez, mon Fils, qu'à cette table il faut se présenter dépouillés et vêtus : dépouillés de tout amour-propre, de tout amour du monde, de toute négligence, de toute tristesse et de toute confusion d'esprit, car la tristesse déréglée dessèche l'âme. Nous devons nous revêtir de son ardente charité, mais nous ne pouvons l'avoir si l'âme n'ouvre pas l'oeil de la connaissance d'elle-même, si elle ne voit pas qu'elle n'est rien, et comment nous faisons ce qui n'est pas. C'est ce qui empêche de connaître en [1012] nous l'infinie bonté de Dieu. Car, lorsque l'âme contemple son Créateur et son infinie bonté, elle ne peut s'empêcher de l'aimer, et l'amour la revêt des vraies et solides vertus, et elle préférerait mourir plutôt que de faire une chose contraire à Celui qu'elle aime; mais elle cherche toujours avec zèle à faire ce qui lui est agréable; elle aime aussitôt ce qu'il aime, elle déteste ce qu'il déteste, parce que l'amour l'a rendue un autre lui-même. C'est cet amour qui détruit en nous la négligence, l'ignorance et la tristesse, parce que la mémoire se réjouit avec le Père en retenant les bienfaits de Dieu; l'intelligence se réjouit avec le Fils, dont la sagesse et la lumière lui font connaître et aimer la volonté de Dieu; et aussitôt naît cet amour et ce désir qui la passionnent pour l'éternelle et suprême Vérité, tellement qu'elle ne peut et ne veut aimer et désirer que Jésus crucifié, et elle ne se plaît qu'à supporter les opprobres et les peines; c'est là sa joie, son bonheur; elle se défie de tout le reste, et elle met toute sa gloire à souffrir pour Jésus-Christ les peines, les affronts, les persécutions du monde et du démon.

3. Allumez donc, allumez en vous le feu du saint désir, et regardez l'Agneau immolé sur le bois de la très sainte Croix; car nous ne pouvons d'une autre manière manger à cette table douce et sacrée. Faites que dans la cellule de votre âme l'arbre de la très sainte Croix soit toujours planté et dressé; car sur cet arbre vous cueillerez le fruit de la véritable obéissance, de la patience, de la profonde humilité; vous verrez mourir en vous toute complaisance, tout amour-propre, et vous acquerrez la faim des [1013] âmes, en voyant que par faim pour notre salut et l'honneur de son Père, Notre-Seigneur s'est humilié et s'est livré lui-même à la mort ignominieuse de la Croix, comme si son amour pour nous allait jusqu'à l'ivresse, à la folie (Ce mot de folie a été appliqué à l’amour de Notre-Seigneur par plusieurs grands saints. Le bienheureux Jacopone de Todi répondait à son divin Maître qui lui demandait pourquoi il s'était rendu fou aux yeux du monde : parce que vous avez été plus fou que moi : Quia stultior me fuisti.) : c'est cette pâque que je désire faire avec vous.

4. Nous avons dit que nous devions nous nourrir des âmes, et mon âme le désire pour vous, parce que vous êtes le héraut de la parole de Dieu. Je veux donc que vous soyez un vase d'élection plein du fou d'une ardente charité, pour porter le doux nom de Jésus et semer cette parole incarnée du Christ dans le champ de l'âme. Je vous y invite, et je veux qu'en recueillant la semence, c'est-à-dire on la faisant fructifier dans les créatures, vous en donniez toute la gloire au Père éternel, rapportant tout à lui et ne vous attribuant rien à vous-même; car autrement nous serions des voleurs, nous déroberions ce qui vient de Dieu et nous le garderions pour nous; mais je crois que, grâce à Dieu, cela ne nous arrivera pas ; il me semble que toujours le premier mouvement, le principe de nos actions, est pour l'honneur de Dieu et le salut des créatures; mais bien souvent cependant nous pouvons nous complaire dans la créature. Mais, comme je veux que vous soyez parfait et que vous portiez des fruits de perfection, je veux que vous n'aimiez aucune [1014] créature en général ou en particulier, si ce n'est en Dieu.

5. Comprenez bien ce que je vous dis; je sais que vous aimez la créature spirituellement en Dieu, mais quelquefois, ou par défaut d'intention, ou parce que l'homme a une nature qui l'y porte, comme vous l'avez éprouvé vous-même, on aime spirituellement, et dans cet amour on trouve un plaisir, une jouissance qui fait que souvent la sensualité y a sa part, sous l'apparence de la spiritualité. Si vous me dites : Comment puis-je m'apercevoir de cette imperfection? Je vous répondrai : Quand vous voyez que la personne qui est aimée vous manque en quelque chose, qu'elle n'est plus dans les mêmes rapports avec vous, et qu'elle semble en aimer mieux une autre; si alors vous en avez du chagrin, si ce chagrin affaiblit l'affection que vous aviez, soyez bien persuadé que cette affection était imparfaite. Quel est donc le moyen de l'a rendre parfaite? Je ne vous indiquerai pas d'autre moyen, mon très cher Fils, que celui enseigné par la Vérité même à une de ses servantes : Ma fille bien-aimée, lui disait-elle une fois, je ne veux pas que tu fasses comme celui qui tire un vase plein d'eau d'une fontaine et qui boit lorsqu'il est dehors; le vase se vide, et il ne s'en aperçoit pas; mais je veux que, lorsque tu emplis le vase de ton âme, en ne faisant par l'affection qu'une même chose avec celui que tu aimes pour moi, tu ne retires pas ce vase loin de moi, qui suis la fontaine d'eau vive, mais que tu y conserves cette créature que tu aimes pour l'amour de moi, comme le vase dans l'eau. De cette manière, vous ne serez [1015] jamais vide, ni toi ni celui que tu aimes, mais vous serez toujours remplis de la grâce divine et du feu très ardent de la charité, et alors vous ne tomberez pas dans le trouble et le dépit. Celui qui aime ainsi, lorsqu'il voit que celui qu'il aime change et s'éloigne de sa société, ne s'en afflige pas, pourvu qu'il le voie persévérer dans les douces et solides vertus, car il l'aimait pour Dieu, et non pour lui; il éprouve cependant une sainte émotion quand il se voit séparé de ce qu'il aime. Telle est la règle et le moyen que je veux vous voir prendre pour que vous soyez parfait. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CLXXIX (133). - A FRERE FELIX DE MASSA, de l'Ordre de Saint- Augustin.- Lettre écrite en extase - L'humilité et la charité s'acquièrent par la connaissance de notre néant et de la bonté divine en nous.

 (Le frère Félix Massa était un des disciples les plus aimés de sainte Catherine. Il l’accompagna dans son voyage à Avignon. Il mourut le 22 septembre 1388, en grande réputation de sainteté.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux [1016] sang, avec le désir de vous voir fondé dans la vraie et parfaite humilité, parce que celui qui est humble, est patient à supporter toute fatigue par amour de la vérité. Comme l'humilité est la gouvernante et la nourrice de la charité, il ne peut y avoir d'humilité sans charité. Celui qui brûle dans la fournaise de la charité n'est pas négligent; il a un zèle parfait, car la charité n'est jamais oisive, elle travaille toujours. Cet amour et cette humilité, qui consument la négligence et qui éteignent l'orgueil, ne peuvent s'acquérir sans la lumière et sans un objet que l'oeil éclairé puisse contempler; car si l'oeil qui est en présence de la lumière n'est pas ouvert, la vue ne lui sera d'aucune utilité. L'oeil véritable de notre âme est l'intelligence; il possède la lumière de la très sainte Foi quand le voile de l'amour-propre ne l'obscurcit pas. Lorsque nous écartons l'amour de nous-mêmes, cet œil est clair et voit combien le cœur doit suivre et aimer son bienfaiteur.

2. L'oeil de l'intelligence excité par l'amour s'ouvre aussitôt et se fixe sur son objet, Jésus crucifié, dans le sang duquel surtout il reconnaît l'abîme de son ineffable charité. Mais où faut-il voir et placer cet objet? Dans la cellule de la connaissance de soi-même; c'est là qu'on connaît sa misère, parce qu'on a vu avec l'oeil de l'intelligence ses défauts, son néant, et on les voit en vérité. Quand l'homme se connaît, il connaît aussi la bonté de Dieu à son égard; car s'il se connaissait seulement, et s'il voulait connaître Dieu sans lui, cette connaissance ne serait pas fondée sur la vérité, et il n'en retirerait pas le fruit qu'il doit en retirer; il perdrait même [1017] plutôt qu'il ne gagnerait, parce qu'il ne retirerait de la connaissance de lui-même qu'ennui et confusion; son âme se dessécherait, et, en persévérant ainsi sans recevoir aucun secours, il tomberait dans le désespoir. S'il voulait connaître Dieu sans se connaître, il n'en retirerait que le fruit corrompu d'une grande présomption. Cette présomption est nourrie par l'orgueil, et ces deux vices s'entretiennent mutuellement. Il faut donc que la lumière fasse voir toute la vérité, et que la connaissance de soi-même soit unie à la connaissance de Dieu, et la connaissance de Dieu à la connaissance de soi-même.

3. Alors l'âme ne tombe ni dans la présomption ni dans le désespoir, mais elle trouve dans cette double connaissance des fruits de vie; car dans la connaissance d'elle-même elle reçoit le fruit de l’humilité véritable, qui produit la haine et l'horreur de la faute et de la loi perverse, qui est toujours prête à combattre contre l'esprit, et cette haine enfante la patience, qui est la moelle de la charité. De la connaissance de la grande bonté de Dieu qu'elle trouve en elle, l'âme reçoit le fruit d'une charité sans borne pour Dieu et pour son prochain, parce que la lumière lui fait voir et connaître que l'amour qu'elle a pour son Créateur ne peut lui être d'aucune utilité; et alors, ce qu'elle ne peut faire pour lui elle le fait pour le prochain par amour pour Dieu; car elle aime la créature parce qu'elle voit que le Créateur aime souverainement la créature, et la condition de l'amour est d'aimer toutes les choses qui sont aimées par la personne qu'on aime.

4. C'est avec cette lumière, mon très cher Fils [108], que nous acquerrons la vertu d'humilité et de charité, et que nous porterons et supporterons avec une vraie et sainte patience les défauts de notre prochain. Nous détruirons toute négligence avec le zèle parfait acquis au foyer de la divine charité, et nous éteindrons l'orgueil avec l'eau de la véritable humilité. Nous deviendrons affamés de l'honneur de Dieu. et nous nous nourrirons des âmes avec délices sur la table de l'humble Agneau sans tache; il n'y a pas d'autre chemin. C'est parce que j'ai compris qu'il fallait le suivre et marcher dans la voie de la véritable humilité, que je vous dis et que je vous répète mon désir de vous voir affermi dans une vraie et parfaite humilité, et je veux que vous y travailliez sans peine et sans trouble d'esprit.. Oui, je vous recommande de nouveau de commencer avec une foi vive, une ferme espérance, une obéissance prompte. Je veux que vous engraissiez ainsi votre âme, et qu'elle ne se dessèche pas par le trouble et l'ennui, mais secouez avec un zèle parfait le sommeil de là négligence, et dérobez les vertus que vous verrez dans vos frères, en les nourrissant dans votre cœur. Que toujours la vérité soit votre joie, qu'elle soit dans votre bouche, et, quand il le faut, dites-la charitablement à tout le monde, surtout aux personnes que vous aimez d'un amour particulier, mais toujours avec douceur, vous attribuant à vous-même tous les défauts des autres; et si vous ne l'avez pas fait jusqu'à présent avec toute la prudence nécessaire, corrigez-vous-en à l'avenir. Pour cela, je veux que vous n'ayez aucune peine, aucun souci à mon sujet. II faut traverser tous les flots de cette mer [1019] orageuse avec une humilité sincère, avec la charité fraternelle et la sainte patience. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CLXXX (134). - A UN RELIGIEUX qui avait quitté son Ordre. Lettre écrite en extase. De la lumière de la sainte Foi nécessaire pour connaître et aimer la vérité. - De l’amour-propre qui obscurcit cette lumière. - Combien il est coupable de persévérer dans le péché. - Elle l'exhorte à retourner dans le bercail de son Ordre, lui donnant l’espérance du pardon et de la divine miséricorde, s’il triomphe de lui-même par l’humilité et le regret de son erreur.

  

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairé de la vérité, afin que la connaissant, vous puissiez vous en revêtir et détester ce qui est contre la vérité, ce qui se révolte contre elle, afin d'aimer ce qui est dans la vérité et ce que la vérité aime. O mon cher Fils ! combien est nécessaire cette lumière, car c'est en elle qu'est notre salut. Mon bien cher Fils, je ne vois pas que nous puissions avoir la lumière de l'intelligence sans la pupille de la très sainte Foi, qui est le centre de notre vie. Et si cette lumière est obscurcie et cachée par l'amour de nous-mêmes, l'oeil n'a pas [1020] de lumière; il ne voit plus, et dès lors il ne connaît plus la vérité. Il faut donc écarter ce nuage, afin de le rendre clair. Mais comment dissiper et chasser ce nuage? Par la sainte haine de nous-mêmes, en connaissant nos fautes et en connaissant l'infime bonté de Dieu à notre égard.

2. Par cette connaissance s'acquiert la vertu de patience, parce que celui qui connaît ses défauts et la loi sensitive qui combat contre l'esprit, se hait lui-même, et se réjouit, lorsque non seulement les créatures raisonnables, mais encore les animaux le punissent de ses fautes. Les injures, les affronts, les reproches l'engraissent ; les persécutions et les peines sont sa joie, et il les prend pour des consolations. Cette connaissance, que l'homme a de lui-même, fait naître une humilité profonde; il ne lève plus la tête par orgueil, mais il s'humilie toujours davantage; il se nourrit de la connaissance de la bonté de Dieu à son égard, et il développe en lui les ardeurs de la chante. Cette charité, nourrie par l'humilité, enfante la vraie discrétion, qui lui fait discerner ce qu'il doit à Dieu; il loue et glorifie son nom, il se hait lui-même et déteste sa sensualité; il est plein de bienveillance pour le prochain, l'aimant comme il doit l'aimer, avec une charité fraternelle, libre et réglée, que rien n'arrête et ne trouble, parce que la vertu de discrétion a sa raison dans la charité; elle n'est autre chose qu'une vraie connaissance que l'âme a d'elle-même et de Dieu, qui fait rendre à chacun ce qui lui est du. Elle ne le ferait pas sans lumière; si elle ne l'avait pas, ses pensées et ses œuvres seraient imparfaites; et cette [1021] lumière, elle ne peut l'avoir sans la vraie connaissance d'elle-même, qui lui donne la haine; dans la connaissance de la Bonté divine, elle trouve l'amour.

3. Celui qui possède cette haine et cet amour devient le serviteur fidèle de son Créateur, et, au milieu même de la nuit de cette vie ténébreuse, il marche à la lumière, et au sein des tempêtes il possède et goûte la paix; il court toujours à la perfection avec constance et persévérance jusqu'à la mort; il résiste avec force aux assauts de l'ennemi, et ne succombe jamais dans les combats qu'il soutient. S'il est séculier, il est bon séculier; s'il est religieux, il est religieux parfait; il navigue dans la barque de l'obéissance véritable sans jamais en sortir. Le miroir où il se regarde est la règle, les coutumes, les usages, qu'il s'applique à observer toujours. Il n'écoute pas le démon, qui voudrait le combattre par la crainte servile en lui disant : Tu ne pourras pas supporter les épreuves de l'Ordre, les persécutions de tes frères, les pénitences qui te seront imposées et les obligations trop pénibles. Mais celui qui a la lumière se rit de toutes ces choses; comme il est mort à la volonté propre, et qu'il est éclairé de la lumière de la sainte Foi, il répond : Je supporte tout pour Jésus crucifié, parce que je sais bien que Dieu n'impose jamais à ses créatures de fardeaux au-dessus de leurs forces. Je lui en laisse donc la mesure, et je veux les porter avec une vraie patience, car je connais la vérité, et je sais bien que tout ce qu'il permet ou qu'il donne il le fait pour mon bien, afin que je sois sanctifié en lui.

4. Oh! combien est heureuse cette âme qui, par la [1022] douce connaissance de la vérité, est parvenue à une telle lumière et à une telle perfection, qu'elle voit et qu'elle comprend que tout ce que Dieu permet, il le permet par amour. Car celui qui est Amour ne peut s'empêcher d'aimer la créature raisonnable; il nous a aimés avant que nous fussions, parce qu'il voulait que nous participions au Bien suprême et éternel. Aussi tout ce qu'il nous donne, il nous le donne dans ce but; mais les infortunés qui sont privés de la lumière de la sainte Foi ne connaissent pas la vérité. Et pourquoi ce malheureux ne connaît-il pas la vérité? Parce qu'il ne dissipe pas le nuage de l'amour-propre; il ne se connaît pas, et alors il ne se hait pas; il ne connaît pas la Bonté divine, et il ne l'aime pas. S'il aime quelque chose, son amour est imparfait, parce qu'il aime pour son plaisir, pour la consolation qu'il reçoit de Dieu, ou l'utilité qu'il retire du prochain. Il n'est pas fort et persévérant dans le bien qu'il a entrepris, parce que peu à peu, à mesure qu'il est sevré du lait de la consolation, il faiblit et tourne la tête en arrière pour regarder la charité; s'il avait connu vraiment la Vérité, il n'en serait pas ainsi. Mais comme il est imparfait, s'il lui arrive de tourner la tête an arrière, ce qu'il n'a pas fait, comme le demandait la lumière de la Foi, il devrait le faire après sa chute; car la longue persévérance dans le péché déplaît plus à Dieu, et lui est plus nuisible que le péché même, parce que le péché est ordinaire à l'homme, mais la persévérance dans le péché est la part du démon. Il ne doit pas se mettre au nombre des morts, tandis qu'il peut encore vivre, ni résister aux remords de sa conscience [1023] qui l'appelle et le ronge sans cesse. Il ne doit pas dire : J'attends; ce fruit amer n'est pas encore mûr. Oh! combien est aveugle et insensé celui qui compte sur le temps qu'il n'a pas, qui ne profite pas de celui qu'il a, et qui agit comme s'il était sûr de toujours vivre. Quelle peine et quel effroi cette folie ne cause-t-elle pas aux serviteurs de Dieu, qui sont affamés de l'honneur de leur Créateur et du salut des âmes.

5. O mon Fils bien-aimé ! faites un retour sur vous-même, et ouvrez l'oeil de votre intelligence pour connaître vos fautes, avec l'espérance de la miséricorde. Voyez, voyez la vérité, et revenez à votre bercail, parce qu'autrement vous ne pourrez le connaître, votre faute vous en empêchera; car vous ne pouvez rester en dehors du bercail sans être en état de péché mortel et sous le poids de l'excommunication. Vous ne pourrez alors connaître la Vérité; mais en revenant au bercail, vous la connaîtrez, parce que vous vous purifierez de votre faute. Appliquez donc votre volonté à aimer et à désirer votre Créateur et l'arche sainte de votre Ordre. Placez-vous parmi ceux qui doivent le plus gémir d'une position semblable; car vous aviez montré d'abord un grand amour, une grande connaissance de Dieu, et vous paraissiez goûter avec délices le lait de la prière, et offrir de doux et tendres désirs; mais il faut croire qu'en réalité vous n'étiez pas fondé sur la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, c'est-à-dire que vous ne l’aimiez pas, sans recherche de votre propre consolation, et pur de toute considération humaine. Car si vous aviez été véritablement [1024] affermi sur Jésus crucifié et sur la connaissance de vous-même, comme je l'ai dit, vous ne seriez pas tombé dans une si grande erreur. Nous tombons seulement lorsque nos fondements ne sont pas bien creusés dans la vallée de l'humilité et appuyés sur la pierre vive du Christ, le doux Jésus. En suivant ses traces, on ne choisit ni le temps, ni le lieu, à son gré, mais on s'en rapporte entièrement au bon plaisir de l'éternelle Vérité.

6. O mon Fils bien-aimé! ce que vous n'avez pas fait, je veux que vous le fassiez sans vous troubler et vous décourager, avec une ferme espérance et avec la lumière de la très sainte Foi. Cette lumière vous fera bien connaître sa miséricorde; et cette miséricorde adoucira cette confusion que vous ressentirez en vous voyant tombé des hauteurs du Ciel dans un abîme de misère. Levez-vous donc avec une sainte haine, en vous trouvant digne de honte et d'affront, indigne de récompense et de grâces; cachez-vous sous les ailes de la miséricorde de Dieu, car il est plus enclin à pardonner que vous à pécher. Baignez-vous dans le sang du Christ, où votre âme se fortifiera dans l'espérance; et vous n'attendrez plus le temps, parce que le temps ne vous attend pas. Mais faites-vous violence à vous-même, et dites : Mon âme, reconnais ton Créateur et sa grande miséricorde qui t'a conservée, qui te donne le temps, et qui attends par bonté que tu reviennes au bercail. O très doux Amour, combien la miséricorde vous est propre! Considérez si elle a été grande dans notre première chute. Dieu n'a pas commandé à la terre de nous engloutir, et aux animaux de nous dévorer [1025]; mais il nous a laissé le temps, et il nous attend avec patience. Pourquoi avons-nous reçu tant de grâces; est-ce à cause de nos vertus? Non; mais seulement à cause de son infinie miséricorde.

7. Si, pendant que nous sommes plongés dans les ténèbres du péché mortel, sa miséricorde est si grande, combien davantage devons-nous espérer avec une foi vive qu'elle ne nous manquera pas, si nous reconnaissons nos fautes, et si nous revenons dans l'arche de la vie religieuse, sous le joug de l'obéissance, pour tuer et fouler aux pieds notre volonté propre, et ne plus dormir. Hélas! hélas! je crois que mes péchés sont cause de vos fautes. N'y persévérez pas, je vous en conjure, et cessez de vous perdre, d'offenser Dieu et d'affliger vos frères; mais reprenez le joug de l'obéissance et la clef du sang de Jésus-Christ que vous avez jetée dans un abîme profond. Vous ne pouvez la reprendre et vous en servir sans crime, parce que vous avez quitté le jardin de votre saint Ordre, où vous aviez été planté pour être une fleur odoriférante et bonne par votre persévérance jusqu'à la mort. Reprenez cette clef précieuse avec la contrition du cœur, avec le regret de la faute commise, avec la haine de la sensualité, avec une foi vive. Fixez vos regards sur la suprême. l'éternelle Vérité, et ayez la ferme espérance que Dieu et votre Ordre vous recevront avec miséricorde; votre faute vous sera pardonnée, et vous pourrez revoir votre Père céleste dans la plénitude et l'abondance de sa grâce.

8. C'est vers la vraie Jérusalem qu'il faut aller, c'est dans votre saint Ordre qu'il faut vous rendre[1026]; vous trouverez là Jérusalem, la vision de la paix, c'est-à-dire la paix de votre conscience. Vous entrerez dans le sépulcre de la connaissance de vous-même, et vous demanderez avec Marie-Madeleine : Qui m’ôtera la pierre du monument? car le poids de cette pierre est si grand, mon péché est si considérable, que je ne pourrai le soulever. Mais aussitôt que vous aurez vu et confessé votre imperfection, vous verrez deux anges qui écarteront cette pierre. La Providence vous enverra l'ange du saint amour et de la crainte de Dieu; cet amour n'est jamais seul, mais il donne à l’âme la charité du prochain. L'ange de la haine que Dieu nous enverra aussi pour soulever la pierre, vous apportera l'humilité sincère et la patience. Et alors, avec une ferme espérance et une foi vive, on ne quitte plus le sépulcre de la connaissance de soi-même; on y reste avec persévérance jusqu'à ce qu'on trouve le Christ ressuscité dans son âme par la grâce; et quand on l'a trouvé, on va l'annoncer à ses frères, qui sont les solides et douces vertus, avec lesquelles on veut demeurer toujours. Alors le Christ apparaît dans l'âme d'une manière sensible; il se laisse toucher par l'humble et continuelle prière. Telle est la voie : il n'y en a pas d'autres.

9. Je suis certaine que si vous avez la lumière de la très sainte Foi, et si vous connaissez la vérité, comme je vous l'ai dit, vous suivrez cette voie sans négligence et sans retard; vous profiterez avec zèle du moment qui vous est donné autrement vous sciez toujours dans les ténèbres, parce que vous vous éloignez de la lumière ; vous serez dans la tristesse [1027], parce que la joie de la grâce ne sera pas en vous, mais vous serez un membre retranché du corps mystique de la sainte Eglise. Aussi je vous ai dit, puisqu'il n'y a pas d'autre voie, que je désirais vous voir éclairé de la vérité par la lumière de la très sainte Foi qui est la prunelle de l'oeil de l'intelligence, avec lequel on connaît la vérité. Je vous prie donc pour l'amour de Jésus crucifié, et pour votre salut, de satisfaire mon désir. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Si j'étais près de vous, je saurais quel démon a ravi ma brebis, et par quel lien il la tient enchaînée pour l'empêcher de retourner au bercail avec les autres; mais je tâcherai de le voir par la prière dont je me servirai pour couper la chaîne qui la retient, et alors mon âme sera heureuse. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CLXXXI (135). – A FRERE ANDRE DE LUCQUES, à FRERE BALDO, et à FRERE LANDO, serviteurs de Dieu à Spolète, lorsque le Saint-Père les demandait. - Il faut servir la sainte Eglise sans se laisser arrêter par les difficultés.

 

 AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chers Pères dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir zélés et prompts à faire la volonté de Dieu et à obéir à son Vicaire, le [1028] Pape Urbain VI, afin que par vous et par les autres serviteurs de Dieu, sa douce Epouse soit secourue. Nous la voyons dans la désolation, frappée de tous les côtés, par tous les vents contraires; vous savez surtout qu'elle est attaquée par les hommes coupables qui s'aiment eux-mêmes, et qui veulent souiller notre foi par l'hérésie et par le schisme. Hélas ! l’Eglise eut-elle jamais de si grands besoins. Ceux qui devaient l'assister la persécutent; ceux qui devaient l'éclairer y portent les ténèbres. Ils devaient se nourrir de la nourriture des âmes, en administrant le sang de Jésus crucifié qui donne la vie de la grâce, et ils le leur retirent de la bouche et leur donnent la mort éternelle. Ce sont des loups qui dévorent les brebis au lieu de les sauver. Les serviteurs de Dieu, :les chiens vigilants qui sont placés dans le monde pour la garde des brebis, pour qu'ils aboient lorsqu'ils voient le loup venir, que feront-ils si le berger principal les appelle? comment doivent-ils aboyer ? par une humble et continuelle prière et par de courageuses paroles. De cette manière, ils épouvanteront les démons visibles et invisibles, et ils ranimeront le cœur et le zèle de notre vrai pasteur, le Pape Urbain VI. Alors, n'en doutez pas, le corps mystique de la sainte Eglise et le corps universel des chrétiens seront secourus; les brebis seront retrouvées et retirées des mains des démons.

2. Vous ne devez vous refuser pour aucune cause que ce soit; les peines que vous prévoyez, les persécutions, les affronts, les mépris dont vous pouvez être l'objet, la faim, la soif, mille morts même ne doivent pas vous arrêter, pas plus que le désir du [1029] repos et de votre consolation. Il ne faut pas dire : Je veux la paix de mon âme, et je pourrai avec la prière crier en la présence de Dieu. Oh! non, pour l'amour de Jésus crucifié, ce n'est pas le temps de se chercher soi-même, et de fuir les peines pour avoir les consolations; c'est au contraire le temps de se perdre, puisque la bonté infinie et la miséricorde de Dieu a pourvu au besoin de l'Eglise en lui donnant un pasteur juste et bon, qui veut avoir autour de lui des chiens vigilants qui aboient sans cesse pour l'honneur de Dieu. Il craint de dormir, et ne se fie pas à sa vigilance, et il désire les avoir pour se tenir éveillé. Vous êtes de ceux qu'il a choisis. Aussi je vous prie et vous conjure dans le Christ, le doux Jésus, de venir promptement faire la volonté de Dieu qui le demande, et la volonté du Vicaire de Jésus-Christ qui vous appelle avec bonté, vous et les autres. Il ne faut pas craindre les délices et les honneurs; car vous viendrez pour souffrir, et vous n'aurez d'autre jouissance que la Croix; sortez de votre solitude, et venez combattre pour la Vérité, en contemplant avec l'oeil de votre intelligence la persécution qui est faite au sang de Jésus-Christ et la perte des âmes, afin que nous soyons plus animés au combat, et que pour aucune raison nous ne tournions la tête en arrière. Venez, venez, ne tardez pas; n'attendez pas le temps, car le temps ne nous attend pas.

3. Je suis certaine que l'infinie bonté de Dieu vous fera connaître la vérité; mais je sais aussi que beaucoup de serviteurs de Dieu s'uniront et combattront cette sainte détermination en disant : Vous irez, mais cela ne servira de rien. Et moi j'ai la présomption de [1030] vous assurer du contraire. Si notre principal désir n'est pas satisfait, la voie du moins sera préparée ; et si rien ne se fait, nous pourrons dire, en présence de Dieu et des hommes, que nous avons fait tous nos efforts, et notre conscience sera tranquille; ainsi tout sera pour le bien; Plus vous aurez de contrariétés, plus vous devez être persuadés que c'est là une chose bonne et sainte; car nous avons vu et nous voyons sans cesse que les saintes et grandes œuvres rencontrent plus d'obstacles que les petites; c'est qu'elles donnent plus de fruits, et le démon cherche à les combattre de toutes les manières, surtout par le moyen des serviteurs de Dieu, qu'il trompe par de faux motifs de vertu. Je vous dis cela pour que rien ne vous empêche de venir, et pour que vous vous empressiez d'accourir aux pieds de Sa Sainteté. Noyez-vous dans le sang du Christ, et qu'en toute chose meure notre volonté. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Recommandez-moi à tous les autres serviteurs de Dieu, afin que leurs prières m'obtiennent de la Bonté divine la grâce de donner ma vie pour sa vérité. Doux Jésus, Jésus amour [1031].

Table des matières (2)


 

CLXXXII (136). - A BARTHELEMI ET A JACQUES, ermites au Campo Santo, à Pise. - Du désir de donner sa vie pour l'amour du Christ en se consumant dans le feu de la charité.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chers et bien-aimés Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de nous voir sacrifier notre corps pour le doux nom de Jésus. Oh! combien serait heureuse notre âme, si sa miséricorde nous faisait la grâce de donner pour lui ce qu'il a donné pour nous avec tant d'amour et de charité! O feu qui brûle sans consumer, et qui ne consume dans l'âme que ce qui est séparé de la volonté de Dieu! C'est ce feu qui brûlait l'Agneau sans tache sur le bois de la très sainte Croix. O cœurs endurcis et grossiers, qui peuvent résister à cette ardeur! Je ne m'étonne pas si les saints, qui n'étaient pas aveuglés par l'amour-propre, s'appliquaient tout entiers à connaître la bonté de Dieu et le feu de son ardente charité. La pensée du précieux Sang les faisait courir répandre leur sang. Voyez cette ardeur sans borne de saint Laurent, qui sur son lit de feu est tranquille en présence du tyran. Ah! Laurent, ce feu ne vous suffit donc pas? Il répond que non, parce que son amour est si violent, que les flammes intérieures éteignent les flammes extérieures [1032] .

2. Ainsi donc, mes Fils bien-aimés dans le Christ, le doux Jésus, que vos sentiments et vos désirs ne meurent pas jusqu'au dernier moment de votre vie. Ne dormez pas, et soyez vigilants; et il n'y a pas d'autre moyen de l'être que d'avoir une haine continuelle. De cette haine naît la faim de la justice, qui fait désirer que les animaux même nous punissent; et quand elle est punie, l'âme se purifie dans ces douces flammes, ou elle comprend la bonté de Dieu à notre égard. Lorsqu'elle est plongée dans cet abîme d'amour, lorsqu'elle voit que Dieu veut agrandir son cœur, alors l'oeil de l'intelligence s'ouvre pour comprendre, la mémoire pour retenir, et la volonté s'applique à aimer ce que Dieu aime. L'âme s'écrie : O Dieu aimable, qu'aimez-vous davantage? Et notre Dieu si doux répond : Regarde en toi, et tu trouveras ce que j'aime.

3. Oui, regardez en vous, mes Fils bien-aimés, et vous trouverez, vous verrez avec quelle bonté, avec quel ineffable amour il vous aime et il aime aussi toutes les créatures raisonnables. A cette vue, l'âme transportée s'applique tout entière à aimer ce que Dieu aime davantage, c'est-à-dire ceux qui sont nos frères; et les désirs de son amour sont si grands, qu'elle voudrait donner sa vie pour leur salut et pour leur rendre la vie de la grâce. Elle se nourrit des âmes, et fait comme l'aigle, qui regarde toujours le disque du soleil et s'élève sans cesse; puis il regarde la terre, y prend sa nourriture, et s'en rassasie dans les airs. Ainsi fait la créature : elle regarde en haut où est le Soleil du divin amour, puis vers la terre, c'est-à-dire vers l'humanité du Verbe incarné [1033], du Fils de Dieu; et, en regardant ce Verbe et cette humanité sortie du sein de la douce Marie, elle voit sur cette table la nourriture qu'elle prend; et non seulement elle s'en nourrit sur la terre de l'humanité du Sauveur, mais elle s'élève avec cette nourriture dans la bouche, et elle entre dans l'âme du Fils de Dieu embrasée et consumée d'amour.

4. Elle reconnaît que c'est un feu sorti de la puissance du Père, qui nous donne la sagesse du Fils et la force du Saint-Esprit; et cette force, cette union est si grande, que ni les clous ni la Croix n'auraient pu retenir le Verbe sans ce lien d'amour. L'union est si étroite, que ni la mort ni aucune cause ne peuvent séparer la nature divine de la nature humaine. Oui, je veux que vous preniez cette douce nourriture; et si vous me demandez quelles ailes il faut prendre : les ailes de la haine, de la mort, avec les souffrances, les mépris, les outrages, pour Jésus crucifié. Ne voulez pas, ne désirez pas savoir autre chose que Jésus crucifié; qu'en lui seul soit votre gloire, votre consolation et tout votre repos. Abreuvez-vous, nourrissez-vous de son sang; Dieu voit vos désirs. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1034].

Table des matières (2)


 

CLXXXIII (137). - A NICOLAS, le pauvre de la Romagne, ermite à Florence. - Celui qui aime Dieu doit s'employer au service du prochain, et le secourir au moins par ses prières. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon bien-aimé Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir vous abandonner entièrement à la divine Providence,. en vous dépouillant de tout amour terrestre et de vous-même, afin que vous soyez revêtu de Jésus crucifié; car vous n'atteindrez pas votre fin si vous ne suivez pas la vie et la doctrine de ce tendre Verbe. Il nous l'enseigne lorsqu'il nous dit : «Personne ne peut venir au Père, si ce n'est par moi (Jn 14,6). - Mais je ne vois pas que vous puissiez bien vous abandonner à lui et vous dépouiller entièrement de vous-même, si vous ne connaissez sa souveraine et éternelle bonté et notre misère.

2. Où trouverons-nous cette connaissance de lui et de nous-mêmes? Au fond même de notre âme. Il faut entrer dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, et ouvrir l'oeil de notre intelligence; et lorsque nous aurons écarté le nuage de l'amour-propre, nous verrons que nous ne sommes rien, surtout dans le moment du combat et de la tentation; car, si nous étions quelque chose, nous nous délivrerions de ces [1035] combats, que nous voudrions éviter. Nous avons donc bien sujet de nous humilier et de nous dépouiller de nous-mêmes, car on ne peut rien espérer du néant. Nous connaîtrons la bonté de Dieu en nous, en voyant que nous sommes créés à son image et ressemblance, afin que nous participions à son bonheur éternel et infini. Nous étions morts à la grâce par le péché du premier homme, et il nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils unique. O amour ineffable! vous avez donné le Fils pour racheter le serviteur, vous avez accepté la mort pour nous rendre la vie. Nous voyons donc bien qu'il est l'éternelle et souveraine Bonté, qui nous aime d'un amour ineffable; car, s'il ne nous aimait pas, il ne nous aurait pas donné un tel Rédempteur. C'est le sang qui nous prouve cet amour. Je veux donc que vous espériez et que vous placiez en lui toute votre confiance, votre amour, vos désirs; mais pensez que nous ne pouvons lui être utiles en aucune manière, car il est notre Dieu, et il n'a pas besoin de nous.

3. Comment lui montrerons-nous donc l'amour que nous avons pour lui? Par le moyen qu'il nous a donné d'exercer en nous la vertu, c'est-à-dire par le prochain, que nous devons aimer comme nous-mêmes, en le secourant dans tous ses besoins, selon les grâces que Dieu nous a faites. Il faut offrir en sa présence d'humbles larmes et de continuelles prières pour le salut du monde entier, et surtout pour le corps mystique de la sainte Eglise, que nous verrions tomber en ruine, si la bonté de Dieu ne l'assistait. Alors vous suivrez la doctrine de Jésus crucifié, qui, pour l'honneur de son Père et pour son salut, a [1036] donné sa vie en courant, tout transporté d'amour, à la mort ignominieuse de la Croix. La souffrance, les outrages et nos ingratitudes ne l'ont point empêché d'accomplir notre salut; nous devons faire de même: rien ne doit nous empêcher de secourir notre prochain dans ses nécessités spirituelles et temporelles, sans nous arrêter à l'utilité ou à la consolation que nous pourrions recevoir; il faut l'aimer et le secourir parce que Dieu l'aime. Vous accomplirez ainsi l'amour du prochain, selon le commandement de Dieu et selon mon désir. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CLXXXIV (138). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne . - Le sang de Jésus-Christ fait naître en nous la charité.

(La maison de la Miséricorde était un hospice fondé au XIIIe siècle par le B. André Gallerani. Ses revenus furent donnés, en 1408, au grand hôpital de la Scala, et le Pape Nicolas V en assigna les bâtiments à l’université de Sienne. Le Père Matthieu on fut nommé recteur le 1er septembre 1373.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher et très aimé Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir [1037] de vous voir abîmé et consumé dans l'abondance de ce sang, dont le souvenir rend la chaleur et la lumière aux âmes froides et ténébreuses. Il leur donne la générosité et les délivre de la pauvreté; il détruit l'orgueil et inspire l'humilité, et il remplace la dureté par la compassion. O ineffable et tendre Charité! je ne m'étonne pas si, dans votre sang, je trouve la vertu de compassion; car je vois que par une divine compassion vous vous êtes immolé vous-même; vous n'y étiez pas obligé, mais vous avez tiré vengeance de cette odieuse cruauté que l'homme avait eue contre lui-même, lorsque, par le péché, il se rendit digne de mort. Je désire donc vous voir anéanti dans ce fleuve, afin que vous y puisiez la compassion et la miséricorde dont vous avez sans cesse besoin dans votre position. Oui, je désire vous voir pratiquer cette vertu à l'égard des pauvres de Jésus-Christ dans les choses temporelles; mais cela ne me suffit pas, et je vous invite, comme Dieu y invite mon âme, à étendre plus loin vos charitables et ardents désirs, vos regards compatissants et vos larmes; ayez compassion du monde entier en présence de la divine Miséricorde.

2. Dieu lui-même vous enseigne le moyen, lorsque, transporté d'amour et du désir de faire son œuvre, il dit : Prenez le corps de la sainte Eglise avec ses membres liés et coupés, et mettez-les avec une tendre compassion sur mon corps; sur ce corps où furent travaillées nos iniquités, car c'est lui qui a pris avec tant de peine la cité de notre âme. Et le Père accepta le sacrifice. Nourrissons-nous donc, nourrissons-nous des âmes sur cette table, sur le corps du [1038] doux Fils de Dieu. Nous traverserons ainsi les pénibles et inquiets désirs, les attentes douloureuses, et nous arriverons à ces désirs du cœur qui seront satisfaits, à ces désirs, qui apaisent l'âme quand elle voit s'accomplir ce qu'elle a désiré longtemps. Nous pourrons alors crier au Père, avec joie et douceur, ce que dit la sainte Eglise C'est par notre Seigneur Jésus-Christ que vous nous avez fait miséricorde, en éloignant les loups et en multipliant les agneaux. Oui, mon Père, mon Frère, mon Fils dans le Christ Jésus, secouons le sommeil de la négligence, afin que bientôt nous soyons délivrés de la patte des loups et que nous arrivions à la joie, non pas pour nous, mais pour l'honneur de Dieu seulement. C'est là cette vertu compatissante qu'il faut que nous ayons; et c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir embrasé dans le sang du Fils de Dieu, car c'est son souvenir qui nourrit la vertu de piété et de miséricorde dans notre âme. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CLXXXV (139). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne. - Il faut travailler avec patience au salut des âmes. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs [1039] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir porter le fardeau des créatures avec amour et zèle pour l'honneur de Dieu et pour leur salut. Veillez avec la sollicitude d'un bon pasteur sur les brebis qui vous sont ou vous seront confiées, afin que le loup infernal ne les ravisse pas; car, si vous commettiez quelque négligence, vous en seriez ensuite repris. C'est le moment de montrer qui a faim ou non, et qui gémit sur ces morts que nous voyons privés de la vie de la grâce. Sollicitez avec courage et intelligence, avec des prières humbles et continuelles jusqu'à la mort. Sachez que c'est la voie pour connaître la Vérité et pour en devenir l'époux; il n'y en a pas d'autre. Gardez-vous bien de fuir les fatigues, mais recevez-les avec joie, et allez au-devant d'elles par un saint désir; dites : Soyez les bienvenues; et encore : Quelle grâce me fait mon Créateur, en me faisant supporter ces peines pour sa gloire et l'honneur de son nom !

2. L'amertume ainsi deviendra douceur et consolation. Vous offrirez avec ardeur vos larmes et vos soupirs pour les malheureuses brebis qui sont encore entre les mains des démons. Ces soupirs seront votre nourriture, et ces larmes votre boisson. Ne finissez pas autrement votre vie, vous réjouissant et vous reposant sur la Croix avec Jésus crucifié. Je termine. J'ai appris que vous avez été et que vous êtes encore bien malade, et que vous désiriez à cause de cela me voir près de vous. Je ne le puis en ce moment; mais je serai près de vous par de continuelles prières. Je ne veux pour rien au monde [1040] que vous soyez encore malade, afin que vous puissiez mieux travailler. Faites ce que je vous commande; cessez toute pénitence, et prenez au contraire tout ce qui pourra vous fortifier. Je ne vous en dis pas davantage. Le pauvre Jean est venu me trouver (Il y a ici une lacune dans le texte manuscrit)... Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Noyez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CLXXXVI (140). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de la maison de la Miséricorde, à Sienne. - Du bon exemple que nous devons au prochain. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un miroir de vertus, afin que vous rendiez véritablement gloire et louange au nom de Dieu, et que vous accomplissiez le bien en vous d'abord, et puis dans le prochain, par l'exemple d'une bonne et sainte vie, par l'enseignement de la parole, et par d'humbles et fidèles prières; pensez que c'est la dette que Dieu exige de vous. Il veut pour lui la gloire et l'honneur de son nom, et pour vous le profit et la récompense. Répondons généreusement à tant d'amour [1041], car nous ne pouvons être à Dieu d'aucune utilité. Tournons-nous vers ce que nous voyons que Dieu aime tant, c'est-à-dire vers le prochain. Que ce soit là le but de tous nos efforts, et ne cherchons autre chose que de nous nourrir des âmes pour l'honneur de Dieu. Et où irons-nous prendre cette douce nourriture? Sur la table de la très sainte Foi, aimant souffrir les peines, les tourments, les injures, les mépris, les affronts, afin de pouvoir nous rassasier de ce glorieux aliment. Mais je ne vois pas que nous puissions le prendre, Si, avant tout, nous n'acquérons pas les vraies et solides vertus. C'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir un miroir de vertus, et je vous prie de vous appliquer à le devenir. Je ne vous en dis pas davantage.

2. Je vous envoie un privilège avec une bulle d'indulgence du Pape, que j'ai obtenue pour soixante-dix-sept personnes. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CLXXXVII (141). - A MESSIRE MATTHIEU, recteur de l'église de la Miséricorde de Sienne, pendant qu'elle était à Pise . - L'amour de Dieu fait naître la charité envers le prochain.

(Sainte Catherine fit le voyage de Pise en 1375, sur la demande de beaucoup de personnes notables de la ville. Elle s'y attacha de nombreux disciples et maintint le peuple dans l’obéissance au Saint-Siège. (Voir Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. 8.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher et bien-aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des [1042] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir tout enflammé du feu de l'amour, afin que vous deveniez une même chose avec la douce Vérité suprême. Et vraiment, l’âme qui par amour est unie et transformée en Dieu, fait comme le feu, qui consume en lui l'humidité du bois, et lorsqu'il l'a bien échauffé, il le brûle et le convertit en lui, en lui donnant la couleur, la chaleur et la puissance qu'il a lui-même. De même l'âme qui regarde son Créateur et son ineffable charité, commence par sentir la chaleur de la connaissance d'elle-même; cette connaissance consume l'humidité de l'amour-propre, et la chaleur augmentant, l'âme se jette avec un ardent désir dans la bonté infinie de Dieu, qu'elle trouve en elle. Elle participe alors à son ardeur, et sa vertu, parce qu’elle se nourrit avec délices, des âmes et des créatures raisonnables; elle s'approprie, par l'amour et le désir, la couleur et la douceur des vertus qu'elle tire du bois de la sainte Croix, qui est l'arbre adorable où se repose le fruit divin, l'Agneau sans tache, Dieu et homme tout ensemble. C'est ce fruit délicieux qu'elle voudrait communiquer au prochain; car elle ne pourrait produire et donner un autre fruit que celui qu'elle tire de l'Arbre de vie; elle s'y est greffée par l'amour et le désir, lorsqu'elle a vu et connu la grandeur de la Charité infinie.

2. O mon très cher et très doux Fils dans le Christ Jésus! c'est ce que mon âme souhaite voir en vous [1043], pour que le désir de Dieu et le mien s'y accomplissent. Aussi je vous conjure et je vous commande de vous appliquer sans cesse à consumer l'humidité de l'amour-propre, de la négligence et de l'ignorance. Augmentez en vous le feu d'un saint et violent désir, en vous enivrant du sang du Fils de Dieu. Courons, tout affamés de son honneur et du salut des créatures; prenons hardiment le lien avec lequel il fut lié sur le bois de la très sainte Croix et lions-en les mains de sa justice. Voici le temps de crier, de gémir, de se lamenter; oui, c'est le moment, mon Fils, car l'Epouse du Christ est persécutée par les chrétiens, ses membres révoltés et corrompus; mais ayez courage, parce que Dieu ne méprise pas les larmes, les sueurs, les soupirs qu'on offre en sa présence. Mon âme se réjouit dans sa douleur et tressaille d'allégresse, parce qu'au milieu des épines elle sent l'odeur de la rose qui va s'ouvrir. La douce Vérité première a dit qu'avec cette persécution, s'accompliraient sa volonté et nos désirs. Je me réjouis aussi des bonnes pensées du Christ de la terre au sujet de la sainte croisade, comme de tout ce qui s'est fait ici et de ce qu'y opère la grâce divine. Aidez-moi, mon Fils; enivrez-vous du sang de l'Agneau. Je ne veux pas vous en dire davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, vous reposant toujours à l'ombre de l'arbre de la très sainte Croix. Doux Jésus, Jésus amour [1044].

Table des matières (2)


 

CLXXXVIII (142) .- AU MEME MESSIRE MATTHIEU. - Du renoncement à la volonté propre pour se conformer en toutes choses à celle de Dieu.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et anéanti dans le sang de Jésus crucifié, dans ce sang qui enivre tellement l'âme, qu'elle se perd elle-même; elle veut qu'il ne reste rien en elle que ce sang. Le temps, le lieu, la consolation, la tribulation, les injures, les mépris, les outrages, tout ce qui lui arrive, de quelque côté que ce soit, pour elle ou pour les autres, elle ne veut rien choisir, mais elle soumet tout a la volonté de Dieu, qu'elle trouve dans le sang du Christ; car ce sang manifeste cette douce volonté, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Tout ce que Dieu donne ou permet n'a pas d'autre fin. Il donne tout par amour, afin que nous soyons sanctifiés en lui. C'est ainsi que s'accomplit sa vérité.

2. La vérité est qu'il nous a créés pour la gloire et l’honneur de son nom, et pour que nous participions a sa béatitude et à son ineffable charité, dont nous fait jouir parfaitement la vision de Dieu. L'âme a compris et vu avec l'oeil de l'intelligence, la volonté du Père éternel dans le sang du Fils; et c'est pourquoi elle s'anéantit dans le Sang, à la lumière de la [1045] douce volonté de Dieu, qu'elle trouve dans ce sang. Elle n'a jamais de peine, et ne suit sa volonté ni pour elle ni pour les autres; elle ne s'afflige pas de ceux qu'elle perd, parce qu'elle est morte à tous. Que s'applique-t-elle donc à faire? Ce qu'elle trouve dans le Sang. Et qu'y trouve-t-elle? L'honneur du Père et le salut des âmes; car le Verbe ne s'est jamais appliqué à d'autres choses ; il s'est placé sur la table de la sainte Croix pour s'y nourrir des âmes, sans craindre aucune souffrance.

3. Nous qui sommes ses membres, humilions-nous donc, nourrissons-nous du sang de l'Agneau immolé et consumé pour nous. En le faisant, nous aurons la vie, et nous goûterons les arrhes de la vie éternelle; nous aurons la lumière, et nous perdrons les ténèbres dans la lumière; nous perdrons tout scandale et tout murmure, et nous ne jugerons pas les autres, sous prétexte de bien ou de mal; mais, étant perdus et anéantis dans le Sang, nous ferons de même pour les autres, et nous serons persuadés que le Saint-Esprit les guide. Il en est autrement de ceux qui sont éprouvés, et qui ne se sont pas entièrement renoncés. Souvent ils ressentent une grande peine en se faisant les juges de la conduite et des actions des serviteurs de Dieu; ils se scandalisent et murmurent; ils font souvent murmurer en communiquant aux autres leur peine et leurs opinions, qu'ils devraient détruire dans le Sang, ou exposer seulement à la personne dont il s'agit, sans en entretenir les autres. S'ils étaient éclairés et anéantis dans le Sang, ils feraient ainsi; mais, parce qu'ils ne sont pas encore arrivés à cette grande perfection [1046] du renoncement de la volonté, nécessaire au serviteur de Dieu, qui doit mourir entièrement au monde, il leur reste des jugements sur des choses spirituelles qu'ils ignorent, et l'ignorance les fait tomber dans des erreurs et des fautes.

4. Courons donc, mon cher et bien-aimé Fils, et jetons-nous tout entiers dans le glorieux et précieux sang du Christ; que rien ne reste en nous qui n'y soit plongé; supportez avec respect et patience la fatigue, les injures, les murmures et toute chose; soyez plein d'amour et de révérence pour les serviteurs de Dieu, les conseillant, mais ne murmurant pas contre eux, et ne faisant pas connaître votre opinion à leur égard. De cette manière nous empêcherons les murmures , au lieu de les occasionner. Agissons ainsi; nous ne le pouvons que dans ce sang; je ne vois pas d'autre moyen; et c'est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir enivré du sang de Jésus crucifié ; c'est un besoin, une nécessité; oui, je veux que nous le fassions; je vous prie et vous conjure de le demander particulièrement à la Vérité suprême pour moi, qui ai besoin de m'anéantir et de me consumer ainsi, afin de recevoir la lumière parfaite pour connaître et voir mes brebis perdues et retrouvées, pour les placer sur mes épaules et les rapporter au bercail.

5. Combien est grande l’ignorance d'une brebis qui ne connaît pas la voix de son pasteur! Vous entendez depuis longtemps la voix du pasteur que vous devriez suivre, et il me semble que vous faites le contraire; vous suivez vos opinions, allant à l'aventure et ne sachant ce que vous dites; vous [1047] écoutez les jugements et les conseils des hommes. Il semble que vous avez perdu la lumière de la Foi; comme si le pasteur qui vous appelle et qui voudrait donner sa Vie pour votre salut vous appelait avec une voix humaine, et non pas avec la divine et douce volonté de Dieu. Que ne peuvent faire oublier à l'âme les paroles des créatures et l'ignorance des brebis qui ne l'accomplissent pas en elle et dans les autres! Voyez ce qu'a fait le très doux Jésus les murmures des Juifs qui se scandalisaient et notre Ingratitude ne l'ont pas empêché d'accomplir l'honneur de son Père et notre salut. Ainsi doit faire celui que Dieu a choisi pour suivre l'Agneau. Il ne doit tourner la tête en arrière pour aucune cause que ce soit; et si les brebis malades, qui devraient être saines, murmurent dans leur égarement, le pasteur ne doit pas abandonner ceux qui sont en danger de mort, et pour lesquels il doit chercher à donner sa vie; il ne doit pas abandonner les aveugles pour ceux qui ont les yeux mauvais.

6. Ne faites pas ainsi, mais voyez les saints qui voyageaient ou restaient en repos, selon ce qui leur paraissait le mieux pour la gloire de Dieu. Soyez persuadé qu'en restant ou en voyageant ils occasionnaient toujours une infinité de murmures (Sainte Catherine eut souvent à se défendre contre ceux qui murmuraient de ses fréquents voyages. (Vie de sainte Catherine, IIIe p., ch. 1.). Quand ils voyageaient, ils n'en travaillaient pas moins à l'honneur de Dieu; quand ils restaient, ils ne perdaient pas la patience et la lumière de la Foi. Ils n'oubliaient pas la voix de leur pasteur, mais ils [1048] étaient pleins de joie et de courage, parce que plus il y a d'opposition, plus l’œuvre qu'on fait est parfaite. Soyez donc des brebis fidèles; ne craignez pas votre ombre, et ne croyez pas que j'en laisse quatre-vingt-dix-neuf pour une seule. Je vous dis, au contraire, que pour chacune de celles que je laisse, j'en ai quatre-vingt-dix-neuf qui ne sont connues maintenant que de la Bonté divine, de la Charité incréée; et c'est ce but secret qui me fait supporter la fatigue du voyage, le fardeau des infirmités, le poids des scandales et des murmures, le tout pour la gloire et l'honneur du nom de Dieu. Si je pars ou si je reste, je le fais toujours par sa volonté, et non par celle des hommes. La maladie de mon corps m'a retenue, mais c'est surtout la volonté de Dieu qui m'a empêchée de revenir. Nous reviendrons le plus tôt qu'il nous sera possible et que le Saint-Esprit nous le permettra. Réjouissez-vous de me voir partir ou rester, et que toutes vos pensées se calment, en étant bien persuadé que la Providence fait et fera. toute chose, si je ne suis pas un obstacle par la multitude de mes iniquités, qui nuisent à vous et au monde entier. Je vous conjure, autant que je le sais et que je le puis, de prier Dieu de me donner la lumière parfaite, pour que je meure dans la voie de la vérité. Je termine. Prenez courage dans le Christ, le doux Jésus. Recommandez-nous à tous, et surtout au Bachelier, et à frère Antonio. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1049].

Table des matières (2)


 

CLXXXIX (143). - AU PRIEUR, et aux Frères de la compagnie de la Vierge-Marie . - Du souvenir de la mort pour conserver la patience dans les tribulations, et la modération dans la prospérité.- De la dévotion à la sainte Vierge -

(Cette Compagnie de la Vierge-Marie remonte à la plus haute antiquité; elle se réunissait dans les souterrains qui cachaient les premiers chrétiens à leurs persécuteurs, et c'est elle qui contribua surtout à la fondation du grand hôpital de la Scala. Les confrères priaient ensemble, et pratiquaient les exercices de la pénitence et de la charité. Beaucoup de saints et de bienheureux furent affiliés à cette compagnie, et sainte Catherine elle-même assistait à ses sermons lorsqu'elle venait soigner les malades de l'hôpital. On montre encore dans les chapelles basses qui servent de réunion à la Compagnie de la Vierge, une pierre où elle avait l'habitude de prendre quelques instants de repos. Au-dessus est cette inscription : Qui giaceva la sposa di Giesu Christo, la serafica madre santa Caterina da Siena. Laus Deo )

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et doux Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir lié dans le doux lien de la charité. Ce fut ce lien qui attacha et cloua l'Homme-Dieu sur le bois de la très sainte Croix. Vous savez bien que les clous et la Croix n'étaient pas suffisants peut le retenir, si la charité ne l'avait pas retenu; c'est cet aimable et doux lien qui a uni la nature divine à la nature humaine [1050]. Quelle en fut la cause? Le seul amour. C'est l'amour qui nous a fait sortir des mains de Dieu lorsqu'il nous a créés à son image et ressemblance; et quand nous avons perdu la vie de la grâce, c'est par amour qu'il a voulu nous rendre ce que nous avions perdu par notre péché et notre faute. Dieu nous envoya son Fils unique, et voulut que par son sang, nous retrouvions la grâce; et le Fils obéissant courut a la mort ignominieuse de la Croix, tout transporté d'amour pour notre salut.

2. Ainsi tout ce que Dieu a fait et fait pour nous est fait par amour; et l'âme qui regarde cet amour ineffable et infini le contemple surtout avec l'oeil de son intelligence dans le sang de Jésus crucifié, et ce sang lui représente plus qu'aucune autre chose la grandeur de cette ineffable charité. Jésus-Christ a dit lui-même que l'homme ne pouvait pas mieux montrer son amour qu'en donnant sa vie pour son ami ( Jn 15, 13). O inestimable amour! si vous assurez qu'il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour son ami, combien devons-nous encore apprécier davantage votre amour envers nous qui étions vos ennemis! Vous avez donné votre vie, et vous avez payé pour nous avec votre sang; cela surpasse tout amour. O doux et tendre Verbe, Fils de Dieu! vous vous êtes fait médiateur; votre mort a rétabli la paix entre l'homme et Dieu; vos clous ont été les clefs de la vie éternelle. Elle est si bien ouverte, qu'elle ne peut être fermée si l'homme ne le veut pas; car l'homme ne peut être forcé à aucun péché [1051] sans son consentement. Le péché est ce qui nous ferme la porte, et nous prive de la fin pour laquelle nous avions été créés. Le péché nous ôte la vie et nous donne la mort; il nous ôte la lumière et nous donne les ténèbres, puisqu'il obscurcit l'oeil de l'intelligence, et ne lui laisse plus voir le soleil ni les ténèbres, les ténèbres de la connaissance de soi-même, où se voit et se trouve la ténébreuse sensualité qui se révolte, et combat toujours contre son Créateur; et parce que l'a me ne voit pas ces ténèbres, elle ne peut connaître l'amour et la lumière de la Bonté divine.

3. J'ai dit que l'âme qui regarde cet amour infini en conçoit un amour sans borne; elle soumet et conforme sa volonté à la volonté de Dieu; elle juge, et voit bien que Dieu ne veut autre chose que notre sanctification, et que s'il envoie ou permet les tribulations, les consolations, les persécutions, les coups, les mépris, les outrages, tout arrive pour que nous soyons sanctifiés en lui, parce que la sanctification ne peut s'obtenir que par les vertus, et que les vertus ne peuvent s'acquérir que par leur contraire. L'âme voit aussi que cet amour ne peut se troubler et se décourager, quelque chose qu'il arrive, perce que ce serait s'affliger de son bien et de la bonté de Dieu, qui le permet pour nous. Il est vrai que la sensualité ne peut souffrir ce qui lui déplaît, mais la raison en triomphe et la soumet comme elle doit.

4. Et comment soumettrons-nous cette sensualité, pour qu'elle ne se révolte pas contre son Créateur? Je vous le dirai. Les jouissances et les tribulations [1052] se modèrent par la douce et sainte pensée de Dieu,, c'est-à-dire, par la méditation continuelle de la mort, que nous trouvons dans la connaissance de nous-mêmes. Nous verrons, mes très chers Fils et Frères dans le Christ, le doux Jésus, que nous sommes tous mortels. Aussitôt que nous sommes créés dans le sein de notre mère, nous sommes condamnés à mort; nous devons mourir, et nous ne savons pas quand et comment. Lorsqu'on voit que la vie est si courte, qu'il faut attendre la mort de jour en jour, et que notre vie est comme sur une pointe d'aiguille, quel est celui qui ne réprimera pas toutes les joies déréglées qui se trouvent dans les vaines et folles joies du monde? je dis qu'il les réprimera, et qu'il ne recherchera pas les honneurs; la fortune, la grandeur, et qu'il ne possédera pas avec avarice les richesses. S'il a des richesses, il sera le distributeur du Christ aux pauvres; il ne voudra pas les posséder et les conserver avec orgueil, mais avec une humilité profonde et sincère, comprenant bien que rien n'est ferme et stable dans cette vie ténébreuse, mais que tout passe comme le vent.

5. S'il rencontre la tribulation, il la supporte patiemment, parce qu'il voit que toutes les tribulations que nous pouvons souffrir en cette vie sont bien petites. Pourquoi petites? Parce que notre temps est petit, parce que les peines passées n'existent plus, et que celles qui vous menacent, vous n'êtes pas sûr de les avoir, puisque vous ne savez pas si la mort ne viendra pas vous en délivrer. Vous n'avez donc à supporter que l'instant présent ; et ainsi la pensée de la mort ôte l'impatience dans les [1053] tribulations, et la joie déréglée dans les consolations. Il ne faut pas que cette pensée de la mort soit seule, car elle ferait tomber dans le trouble; il faut lui donner une compagnie, et cette compagnie est l'amour réglé par la sainte crainte de Dieu, c'est-à-dire la volonté d'éviter les vices et les péchés, pour ne pas offenser son Créateur. Le péché n'est pas en Dieu; il n'est pas par conséquent digne d'être aimé et désiré par nous, qui sommes les fils de Dieu, les créatures faites à son image et ressemblance Nous devons aimer ce qu'il aime, et détester ce qu'il déteste; et alors l'oeil de l'intelligence s'ouvre et voit combien il est utile de fuir le vice et d'aimer la vertu. Et quel malheur de faire le contraire! Qu’elle imprudence de dormir dans le péché, lorsque la mort vient si vite et donne l'éternelle damnation, qui est sans remède!

6. Vivre dans la vertu donne, toujours la joie, la paix avec Dieu, la paix avec le prochain. Toute antipathie disparaît, et on ressent cette charité fraternelle qui fait aimer le prochain comme soi-même. Nous devons aimer ainsi nos amis et nos ennemis, comme créatures raisonnables; nous devons désirer leur salut, et nous appliquer autant que nous le pouvons à porter et supporter leurs défauts, détestant leurs vices, mais non pas leurs personnes. Pleurez avec ceux qui pleurent, et réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, c'est-à-dire pleurez avec ceux qui sont dans le péché mortel. On peut bien dire qu'ils sont dans le temps des pleurs et des ténèbres; pleurez avec eux par la compassion, et offrez-les par les saints désirs en présence de Dieu [1054]. Réjouissez-vous avec ceux qui vivent dans la vertu; réjouissez-vous avec eux, non pas en enviant leur bonheur, mais en remerciant saintement la Bonté divine, qui les a tirés des ténèbres et les a conduits à la lumière de la grâce. C'est ainsi que vit dans l'unité et dans l'obéissance au précepte celui qui aime le prochain pour l'amour de Dieu. C'est le signe que le Christ donne pour reconnaître ses enfants et ses disciples. Il disait aux siens: « Aimez-vous les uns les autres, c'est à cela qu'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples (Jn 13,35) » . « Celui qui suit cette douce et sainte voie vit dans la grâce, et parvient enfin à l'éternelle vision de Dieu. Aussi, par-dessus toutes choses, mes chers Fils, je vous prie et je vous conjure de vous aimer les uns les autres, car nous devons greffer notre cœur et notre affection sur l'amour de Jésus crucifié. Puisque nous voyons qu'il a tant aimé l'homme, nous devons imiter cet amour, et nous attacher si étroitement à notre prochain, que ni le démon, ni les injures qui nous viendraient du prochain lui-même, ni les faiblesses de notre amour propre, ne puissent jamais nous en séparer et rompre le lien de l'amour. Et parce que l'a me qui ferait autrement serait en état de damnation, je vous ai dit que je désirais vous voir unis clans les liens de la charité, ou vous devez être pour tant de raisons; car vo us avez été créés par le même Dieu, et vous avez été rachetés par le même sang.

7. Et puis la sainte et douce congrégation que vous avez formée porte le doux nom de Marie, qui [1055] est notre avocate, la mère de la grâce et de la miséricorde. Elle n'est pas ingrate envers ceux qui la servent, elle ne les oublie pas, et elle les récompense; elle est comme un char de feu, car elle a conçu en elle le Verbe, le Fils unique de Dieu; elle porte et répand le feu de l'amour, car son Fils est amour. Je vous prie aussi de haïr et d'avoir en horreur le péché d'impureté et toutes les autres fautes, car il ne serait pas convenable de vous souiller en servant Marie, qui est là pureté même. Ne dormez plus, mes Pères, mes Frères et chers Fils; excitez-vous à l'amour de la vertu, à la haine, à l'horreur du péché. Voyez combien le péché est abominable devant Dieu, puisqu'il a voulu que son Fils souffrit la mort et la passion; et Notre-Seigneur a souffert avec tant d'amour les peines, les tourments, les injures, les outrages, et enfin l'opprobre de la Croix ! Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, cachez-vous dans ses plaies faites par l'amour. L'ami ne peut mieux montrer son amour qu'en donnant sa vie pour son ami : eh bien, il vous a donné sa vie, en sacrifiant, en immolant son corps. Que vos cœurs s’amollissent dans ce saint temps, qui nous montre l’Agneau sans tache consumé sur la Croix par le feu de la plus ardente charité. Il se donne à vous, à Pâques, comme une douce nourriture. Je vous conjure de vous disposer tous à la sainte Communion, si vous n'avez pas quelque lien qui ne puisse être délié qu'en allant à Rome. Je ne vous en dis pas davantage. Aimez-vous, aimez-vous les uns les autres. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu.

8. Pour moi, votre indigne servante, je me recommande [1056] à vos prières, bien persuadée que vous ne m'oubliez pas; je vous prie et je vous conjure, de la part de Jésus crucifié, d’offrir toutes vos prières et les bonnes œuvres que Dieu vous permet de faire, et de célébrer le Saint Sacrifice pour la réforme de la douce L'Epouse du Christ, pour la sainte Eglise, pour la paix, l'unité de tous les chrétiens, et particulièrement pour notre cité, afin que Dieu nous envoie une véritable et parfaite union, et que les coupables se purifient des fautes qu'ils ont commises contre notre Sauveur et la sainte Eglise. Priez particulièrement pour que la ruine occasionnée par la guerre des Florentins contre le Saint-Père, à cause de nos péchés, se change, par l'effet de la Bonté divine, en une paix véritable. Je vous, assure que si nos prières continuelles et ferventes n'appellent sur nous la miséricorde divine, nous serons plus en danger que jamais pour nos âmes et nos corps. Frappons donc à la porte de la Miséricorde par la prière et le désir de la paix, et Celui qui est la bonté même ne méprisera pas la voix du peuple qui crie vers lui. N’écoutez le doux et bon Jésus, qui nous enseigne que nous devons frapper et appeler avec une ferme foi d'être exaucés, car sans cela la prière serait inutile. La douce Vérité suprême nous dit : « Frappez, et il vous sera ouvert; demandez, et Il vous sera donné; appelez, et il vous sera répondu. Puisqu'il nous enseigne ce moyen, prenons-le avec un bon et saint zèle, avec une longue et parfaite persévérance. Il l'a dit lui-même, à défaut d'autre moyen, on obtient par l'importunité de la persévérance. Je termine. Doux Jésus, Jésus amour. Marie [1057].

Table des matières (2)


 

CXC (144). - AU PRIEUR, et aux Frères de la Société de la Vierge Marie, à 1'hôpital de Sienne.- Comment il faut cultiver sa vigne et celle du prochain.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chers Pères et Fils dans le Christ Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir de bon ouvriers dans la vigne de vos âmes, afin qu'au moment de la récolte vous portiez beaucoup de fruits. Vous savez que la Vérité éternelle nous a créés à son image et ressemblance; il a fait de nous une vigne dans laquelle il a voulu et il veut habiter par la grâce, si le vigneron de cette vigne veut la cultiver bien et loyalement. Si elle n'était pas bien cultivée, elle abonderait en ronces et en épines, et Dieu n'aimerait pas l'habiter. Voyons donc, mes très chers Frères, quel ouvrier le Maître a envoyé. C'est le libre arbitre, auquel il a confié la garde de la vigne; c'est la porte solide de la volonté, que personne ne peut ouvrir ou fermer quand il ne plaît pas au vigneron. La lumière de l'intelligence nous est donnée pour que nous connaissions et distinguions les amis et les ennemis qui veulent passer par cette porte, où est placé le chien de la conscience, qui aboie quand il entend ouvrir; mais il faut que ce chien veille et ne s'endorme pas. Cette lumière fait [1058] voir le fruit et le sépare de la terre, pour que le fruit soit pur et qu'on le mette dans le grenier de la mémoire, qui conserve le souvenir des bienfaits de Dieu. Au milieu de la vigne est placé le vase du cœur, plein du précieux Sang, pour en arroser les plantes, afin qu'elles ne sèchent pas.

2. C'est ainsi que la bonté de Dieu a créé et planté cette vigne; mais je m'aperçois que le poison de l'amour-propre a empoisonné et corrompu le vigneron, tellement, que notre vigne est devenue inculte; elle ne produit plus que des fruits qui donnent la mort., ou des fruits âcres et sauvages, parce que les démons, les semeurs perfides, ont passé par la porte de la volonté avec la semence de beaucoup de pensées mauvaises ; et en les semant dans le libre arbitre, ils y ont fait naître des fruits de mort, c’est-à-dire des péchés mortels. Oh! combien est triste à voir cette pauvre vigne! Elle est devenue un bois par les épines de l'orgueil et de l'avarice, par les ronces de la colère et de l'impatience; elle est pleine d'herbes vénéneuses; notre jardin est devenu une étable où nous nous plaisons dans la fange de l'impureté. Ce jardin n'est pas fermé, mais il est ouvert, et nos ennemis, les démons, y entrent comme dans leur demeure. La fontaine de la grâce est tarie ; elle avait sa source dans le saint baptême par la vertu du sang de Jésus-Christ, ce sang qui arrosait la vigne en remplissant le cœur d'amour. La lumière de l'intelligence ne voit plus que les ténèbres, parce qu'elle est privée de la lumière de la très sainte Foi; aussi ne connaît-elle plus que l'amour sensitif; la mémoire en est pleine, et alors elle ne peut avoir [1059] que le souvenir de ses misères, de ses désirs et de ses appétits désordonnés.

3. La Vérité éternelle a placé encore une autre vigne auprès de celle-là c'est celle de notre prochain, qui est si étroitement unie à la nôtre, que nous ne pouvons rien faire pour l'une qui ne profite a l'autre. Aussi. il nous est commandé de gouverner cette vigne comme la nôtre; car il est dit : Aime Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme toi-même. Oh! combien est cruel le vigneron qui gouverne mal sa vigne, et ne lui fait porter d'autres fruits que quelques actes de vertu, et ceux-là sont si aigres, que personne ne peut les goûter ces fruits sont les bonnes œuvres faites en dehors de la charité. Oh! combien est à plaindre cette âme qui, à l'instant de la mort, au moment de la récolte, se trouve sans aucun fruit ! Elle comprend quelle sera sa mort, et elle cherche le temps pour pouvoir la changer, mais elle ne le trouve pas. L'homme ignorant semble croire qu'il peut disposer du temps à son gré, mais il n'en est point ainsi.

4. O mes Frères! profitons du temps présent que la miséricorde de Dieu nous donne. Que la raison se mette l’œuvre avec le libre arbitre, et commençons à retourner la terre de cet amour coupable et déréglé, de cet amour terrestre, qui ne veut se nourrir que de choses passagères, sans consistance et sans durée, qui disparaissent comme le vent. Devenons célestes, et cherchons les biens solides et véritables, qui ne sont sujets à aucun changement; ouvrons la porte de la volonté pour recevoir la semence de cette doctrine qui produit les vraies et [1060] saintes vertus que le libre arbitre a fait sortir de terre a la lumière de la vérité, c’est-à-dire qu'il ne les a semées et récoltées par aucun amour terrestre et humain, mais par la haine et le mépris de soi-même. Il a recueilli le fruit dans sa mémoire par le souvenir des bienfaits de Dieu, reconnaissant qu'il le tient de lui, et non de sa propre vertu.

5. Quel arbre faut-il planter ? l'arbre de la charité parfaite, dont la cime s’unit au ciel, c’est-à-dire à l'abîme de la charité divine. Ses rameaux couvrent toute la vigne et conservent les fruits dans leur fraîcheur, parce que toutes les vertus procèdent de la charité, et ont la vie par elle. Comment l'arroser? non pas avec l'eau, mais avec le sang précieux répandu avec un si ardent amour. Ce sang remplit le vase du cœur, et non seulement il arrose la vigne et embellit le jardin, mais il désaltère abondamment le chien de la conscience; il le fortifie afin qu'il fasse une bonne et fidèle garde a la porte de la volonté, pour que personne ne passe sans se faire reconnaître par la raison, qu'il avertit par ses cris; et la raison, a la lumière de l'intelligence, voit si ce sont des amis ou des ennemis. Si ce sont des amis que la clémence du Saint-Esprit nous envoie, c'est-à-dire si ce sont de bonnes et saintes inspirations, le libre arbitre les reçoit en ouvrant la porte avec la clef de l'amour, et il les utilise; mais si ce sont des ennemis, des pensées coupables et des actions corrompues, il les chasse avec la verge de la haine et du mépris; il ne les laisse point passer tant qu'elles ne sont pas changées, il leur ferme la porte de la volonté, qui ne donne pas son consentement [1061].

6. Alors, voyant que le libre arbitre, le vigneron qu’il a envoyé dans la vigne, travaille bien en lui et dans le prochain qu’il assiste autant qu’il le peut par amour et charité, Dieu se repose dans cette âme par la grâce; son repos n’augmente pas par le bien que nous faisons, car il n’a pas besoin de nous, mais sa grâce repose en nous; elle nous donne la vie, elle nous revêt en couvrant notre nudité; elle nous donne la lumière et rassasie notre âme, et en la rassasiant elle la laisse toujours affamée. Elle nous offre sa nourriture sur la table de la très sainte Croix, dans la bouche du saint désir; elle nous présente le lait de la douceur divine, qu’elle mêle avec la myrrhe de l’amertume de la Croix et de la douleur de l’offense de Dieu. Elle nous donne l’encens odoriférant des humbles et continuelles prières qu’on offre avec ferveur pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Oh! combien est heureuse cette âme ! Elle goûte véritablement la vie éternelle; mais nous, pauvres ignorants, nous nous inquiétons peu de ce bonheur; car si nous nous en inquiétions, nous aimerions mieux mourir que de perdre un si grand bien. Sortons donc aujourd’hui de cette ignorance, et cherchons la perfection dans la vérité; en la cherchant ainsi, nous la trouverons où Dieu l’a placée; si nous la cherchons autrement, nous ne la trouverons pas.

7. Nous avons dit comment notre âme est une vigne, comment elle est ornée, et comment Dieu veut que nous y travaillions. Il faut voir maintenant où Dieu nous a placés: il nous a placés tous dans la vigne de la sainte Eglise, où il a mis pour vigneron [1062] le Christ de la terre, celui qui administre le précieux Sang, et qui, avec la serpe de la pénitence que nous recevons dans la confession, taille les vices de l’âme et l’unit à son sein avec les liens de la sainte obéissance. Sans cela la vigne de notre âme serait ravagée, et la grêle y détruirait tous les fruits, si elle n’était pas liée par cette obéissance. Il faut donc placer et travailler la vigne de notre âme dans la vigne de la sainte Eglise; autrement nous serions privés de tout bien, et nous tomberions dans toute sorte de mal.

8. Il est temps, mes très chers Pères et Frères, de montrer si nous sommes unis vraiment ou non à la vigne de l’Eglise. Et à quoi le verrai-je? Je le verrai si, dans ce temps de calamités, vous assistez spirituellement et temporellement le vigneron de cette vigne de la sainte Eglise, le Pape Urbain VI, le vrai Vicaire de Jésus-Christ spirituellement, par vos humbles prières; temporellement, en travaillant autant que vous le pourrez à décider les magistrats de la République à lui venir en aide comme ils le doivent. Ne voyons-nous pas que nous sommes obligés de le faire, et que cela peut nous être utile à nous-mêmes? Aimons-nous si peu notre Foi que nous ne voulions pas être ses défenseurs, et sacrifier la vie de notre corps s’il le faut? Serons-nous si ingrats et si oublieux des grands bienfaits que nous avons reçus de Dieu et du Souverain Pontife? Ne savons-nous pas que l’ingratitude fait tarir la source de la piété? Je ne veux pas que nous soyons ingrats, mais reconnaissants pour nourrir en nous la piété. Je vous prie donc par l’amour de Jésus crucifié de [1063] mettre la main à l’œuvre, et soyons prompts à servir cette vérité... Je suis certaine que si vous êtes de bons et parfaits ouvriers dans votre vigne, vous travaillerez avec un grand zèle par amour de la vérité dans la vigne de la très sainte Eglise. Mais si vous êtes de mauvais ouvriers pour vous-mêmes, vous ne vous appliquerez pas à travailler pour elle comme vous l'avez montré jusqu'à présent. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir de bons ouvriers. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. 

Table des matières (2)


 

CXCI (145). - A QUELQUES MONASTERES DE BOLOGNE. Lettre écrite en extase. - Des devoirs d'une épouse de Jésus-Christ. et des trois vœux de la vie religieuse.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chères Sœurs dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondées dans la vraie et parfaite charité. Cette charité est le vêtement nuptial que doit avoir l’âme invitée aux noces de la vie éternelle; car sans ce vêtement nous en serions exclus. Le Christ béni nous y a tous invités, et à tous il nous a donné le vêtement de sa grâce, cette grâce que nous recevons dans le saint baptême. Nous recevons cette invitation et ce présent dans le [1064] baptême; la souillure du péché originel est effacée, et la grâce nous est donnée. L'enfant qui meurt avec la pureté de ce baptême possède la vie éternelle en vertu du sang précieux de Jésus crucifié; c'est ce sang qui fait la force du baptême. Mais la créature raisonnable, lorsqu'elle est arrivée à l'âge de discrétion, peut être fidèle à l'invitation qui lui a été faite dans le saint baptême. Si elle n'y est pas fidèle, elle est repoussée par le Seigneur des noces; elle est chassée dehors, parce qu'elle est trouvée sans le vêtement nuptial. Pourquoi ne l'a-t-elle pas? Parce qu'elle n'a pas voulu observer ce qu'elle avait promis au saint baptême, c'est à dire à renoncer au monde, à ses délices, au démon, à elle-même, à sa propre sensualité.

2. C'est ce que doit faire toute créature raisonnable, dans quelque position qu'elle se trouve; car Dieu ne s'arrête pas aux positions, mais aux saints désirs; et quiconque n'accomplit pas ce qu'il doit, ce qu'il a promis d'observer et de rendre, est un voleur, car il vole ce qui ne lui appartient pas, et Dieu le chasse avec justice, en commandant de lui lier les pieds et les mains, et de le jeter dans les ténèbres extérieures. Les pieds de son amour sont liés, car il ne peut plus désirer Dieu; et celui qui est mort dans l'état de péché mortel et qui est arrivé à l'état de damnation, a les mains de ses œuvres liées, car il ne peut prendre le fruit de la vie éternelle, qui se donne aux généreux combattants, à ceux qui ont combattu les vices par l'amour de la vertu; mais il prend le fruit de la vie éternelle, qui se donne aux généreux combattants, à ceux qui ont combattu les vices par [1065] l'amour de la vertu; mais il prend le fruit qu'il m’irrite pour ses œuvres mauvaises, le fruit qui est une nourriture de mort.

3. O mes très chères Sœurs ! si des châtiments si durs punissent tous ceux qui n'accomplissent point leur devoir, que dirons-nous de nous, pauvres et ignorantes épouses, qui sommes invitées aux noces de la vie éternelle et aux délices du jardin de la vie religieuse? Ce jardin est embaumé de fleurs et plein de doux et bons fruits; l'épouse qui tient ce qu'elle a promis y devient un ange terrestre en cette vie. Car tous les hommes du monde qui vivent dans la charité commune sont des hommes justes, et s'ils tombent dans le péché mortel ils deviennent semblables aux animaux; mais ceux qui sont dans l'état de continence perpétuelle, et qui entrent dans le jardin de la vie religieuse deviennent des anges; mais s'ils n'observent pas leurs vœux ils deviennent pires que les démons. Ceux-là perdent le vêtement dont nous avons parlé. Oh! combien sera dure et cruelle la sentence qui frappera l'épouse du Christ en présence du souverain Juge! La porte de l'éternel Epoux lui sera fermée; et quel remords aura-t-elle de se voir ainsi privée de Dieu et de la société des anges par sa faute! O mes très chères Sœurs! celle qui y réfléchirait bien aimerait mieux mourir que d'offenser sa perfection je ne dis pas offenser Dieu, mais offenser sa perfection; car autre chose est d'être en péché mortel, c'est-à-dire d'offenser Dieu, autre chose est d'offenser la perfection à laquelle on s'est engagé en promettant d'observer, non seulement les commandements de Dieu, mais encore les conseils [1066] actuellement et mentalement. Les hommes qui sont dans la charité commune observent les commandements et les conseils parce qu'ils sont liés ensemble, et qu'on ne peut les observer les uns sans les autres; mais ils observent les conseils mentalement, tandis que celui qui a promis de suivre la voie parfaite doit les observer actuellement et mentalement. Aussi je dis que s'il ne les observe pas actuellement, mais seulement mentalement, il manque à la perfection qui l'oblige à les observer actuellement et mentalement. Que promettons-nous, mes très chères Sœurs? Nous promettons d'observer les conseils lorsque nous faisons les trois vœux de notre profession nous promettons la pauvreté volontaire, l’obéissance, la chasteté; et en n'y étant pas fidèles, nous offensons Dieu, à qui nous avions fait cette promesse; nous offensons la perfection que nous avions choisie. Celui qui n'a pas promis d'observer les conseils, et qui ne les observe pas actuellement, ne pèche pas, il manque seulement à la perfection qu'il désirait dans son cœur; mais celui qui en a fait le vœu commet un péché.

4. Et quelle est la cause qui empêche d'observer ce vœu? C'est l'amour de nous-mêmes. Cet amour nous ôte la robe nuptiale, il nous prive de la lumière et nous donne les ténèbres; il nous ôte la vie, il nous donne la mort et l'amour des choses passagères, frivoles et périssables; il détruit en nous le saint désir de Dieu. Oh! combien est malheureux cet amour qui nous fait perdre le temps, si précieux pour nous, et qui nous fait abandonner la nourriture des anges pour rechercher la nourriture des animaux [1067] ! La créature raisonnable devient semblable à la brute par sa vie déréglée; les vices et les péchés sont sa nourriture, tandis que la nourriture des anges de la terre doit être les 'vraies et solides vertus. Quelle différence y a-t-il entre ces deux nourritures? La différence de la vie et de la mort, d'une chose finie à une chose infinie.

5. Considérons ce qui réjouit la véritable épouse de Jésus crucifié, qui goûte cette douce et tendre nourriture, et ce qui réjouit celle qui est devenue semblable à l'animal grossier. La véritable épouse du Christ aime à chercher son Epoux, non pas dans les réunions, mais dans la connaissance d'elle-même, ou elle le trouve. En voyant et goûtant l'éternelle bonté de l’Epoux, en l'aimant de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces, elle se réjouit de s'asseoir à la table de la très sainte Croix; elle aime mieux acquérir les vertus au milieu des peines et des combats qu'au sein de la paix et sans fatigue, pour ressembler à Jésus crucifié, dont elle suit les traces, tellement que, s'il était possible de le servir sans peine, elle ne le voudrait pas; mais, comme un généreux chevalier, elle veut le servir en combattant avec courage et en se faisant violence à elle-même, parce qu'elle s'est dépouillée de l'amour-propre et revêtue d'une ardente charité. Elle passe par la porte étroite et basse de Jésus crucifié; elle a promis d'observer la pauvreté volontaire, l'obéissance, la chasteté, et elle s'applique à y être fidèle. Elle a jeté à terre le pesant fardeau des richesses du monde, de ses plaisirs, de ses honneurs; et plus elle s'en voit privée, plus elle se réjouit; et parce qu'elle est humble, son [1068] obéissance est prompte. Elle ne résiste jamais à ce qu'on lui commande, et elle ne veut pas être un instant sans avoir devant les yeux les règles de son Ordre et la promesse qu'elle a faite; elle s'applique aux vertus et à la prière.

6. De sa cellule elle a fait un ciel par ses douces psalmodies; elle ne dit pas seulement l'Office des lèvres, elle le dit de cœur, et elle veut être toujours la première qui entre au chœur, et la dernière qui en sorte; elle a en abomination la grille, le parloir et la familiarité des faux dévots (Au temps de sainte Catherine, plusieurs hérésies se cachèrent sous le voile de la dévotion. L’Eglise eut à se défendre des bégards, des béguines, des patarins et des fraticelles, dont les pratiques dont les pratiques extérieures couvraient les plus coupables doctrines.); elle ne s'applique pas à avoir une cellule bien close et bien ornée, mais elle s'applique à bien fermer la cellule de son cœur, afin d'empêcher les ennemis d'y entrer, et elle la pare de toutes les vertus. Mais, pour la cellule qu'elle habite, elle n'y met aucun ornement; si elle y trouve quelque chose, elle l'ôte par amour de la pauvreté, ou pour être utile à ses sœurs; et ainsi elle conserve son corps et son âme dans la continence parfaite, parce qu'elle éloigne ceux qui pourraient la lui faire perdre. Elle se conserve dans la charité fraternelle, aimant toutes les créatures raisonnables, et supportent les défauts de son prochain avec une vraie et sainte patience. Elle est comme le hérisson, en guerre contre la sensualité; elle craint d'offenser son Epoux; elle perd l'attachement à son pays et le souvenir de ses proches; il n'y a que ceux qui font la volonté de Dieu [1069] qui lui sont unis par l'amour. Oh ! combien cette âme est heureuse elle ne fait qu'une même chose avec son Epoux, et elle ne peut désirer et vouloir que ce que Dieu veut. Elle traverse ainsi doucement les tempêtes de la mer, et elle répand le parfum des vertus dans le jardin de la vie religieuse. Si vous demandez à Jésus crucifié qu'est cette âme, il vous dira: C'est un autre moi-même par l'effet de l'amour. Elle a le vêtement nuptial, et elle ne sera pas chassée de la salle du festin; mais l'Epoux éternel la recevra avec joie et tendresse. Elle répand la bonne odeur, non seulement en présence de Dieu, mais encore en présence des hommes coupables du monde. Qu'il le veuille ou non, le monde la respecte.

7. Le contraire arrive à celles qui ont le malheur de vivre dans l'aveuglement de l'amour-propre et de la sensualité; aussi leur vie est odieuse à Dieu et aux créatures, et leur défauts diminuent dans les séculiers le respect pour la sainte Religion. Hélas! que devient le vœu de pauvreté avec ce désir, Cet amour, cette ardeur pour les richesses du monde? Elles cherchent à posséder ce qui leur est interdit en étant avares et cruelles avec le prochain. Elles voient le couvent et des sœurs malades être dans le besoin, et elles ne s'en inquiètent pas, comme si elles avaient une troupe d'enfants à élever et des biens à laisser à leurs héritiers. O malheureuse! ce n'est pas ce qui t'arrête ton héritier c'est ta sensualité, et tu veux entretenir l'amitié et les visites de ceux qui te recherchent; tu les entretiens par des présents, et les jours se passent à causer, à raconter des nouvelles et à perdre le temps en paroles oiseuses et coupables; tu ne vois [1070] pas, ou tu vois et tu fais semblant de ne pas voir, que tu souilles ton esprit et ton âme ; tu es tourmentée par les combats de la chair, et tu succombes dans les faiblesses de ta volonté malheureuse. Est-ce là ce que doit faire l'épouse du Christ? Dieu et le monde te condamnent. Quand tu récites ton Office, ton cœur est tout entier à tes plaisirs sensuels et aux créatures, que tu aimes de la même manière.

8. O très chères Sœurs? quel esclavage que le service du démon! être toujours attachées à la grille et au parloir sous prétexte de dévotion. O maudit langage! qui règne aujourd'hui dans l'Eglise de Dieu et dans les cloîtres : on appelle dévots et dévotes ceux qui font les œuvres du démon, et qui sont des démons incarnés. Hélas! hélas! qu'est devenu ce jardin où est semée la corruption de l'impureté? Ce corps, qui devait être mortifié par le jeûne, les veilles, la pénitence et la prière continuelle, il vit au milieu des délices, des parures, des parfums et des aliments recherchés. Son lit n'est pas celui d'une épouse du Christ, mais celui d'une servante du démon et d'une prostituée. L'infection de ses désordres corrompt les créatures, et elle devient l'ennemi de l’honnêteté et des serviteurs de Dieu. Elle ne veut ni règle ni prieure au-dessus de sa tête; c'est le démon et la sensualité qu'elle choisit pour prieure. Elle leur obéit et travaille à les servir avec zèle; elle souhaite le malheur et la mort de ceux qui veulent la tirer de la mort dit péché mortel, et sa misère est si grande, qu'elle court à tous les vices avec rage, et qu'elle semble avoir perdu la raison. Elle détruit son intelligence dans la satisfaction de ses désirs déréglés. Le démon [1071] n'est pas si habile que ces démons incarnés, et elles ne songent qu'à trouver des moyens nouveaux d'inspirer aux hommes un amour coupable, tellement, que souvent on voit le lieu consacré à Dieu se changer en une étable où se commet le péché mortel. Elle devient ainsi adultère, elle se révolte contre son Epoux, et elle tombe des hauteurs du ciel dans les abîmes de l'enfer. Elle omet son Office; elle n'aime pas manger au réfectoire dans la société des pauvres; mais, pour vivre mieux et avoir des mets plus délicats, elle mange en particulier; elle devient cruelle pour elle-même, et n'a pas compassion des autres.

9. D'où vient tant de mal? de l'amour-propre sensitif qui obscurcit l'oeil de la raison, et ne lui laisse pas voir dans quel abîme elle est tombée et elle tombera si elle ne se corrige pas; car, si elle voyait que sa faute la rend servante et esclave du néant et la conduit à l'éternelle damnation, elle préférerait mourir qu'offenser Dieu et son âme. Mais l'amour-propre lui fait oublier et violer le vœu qu'elle a fait; car, par amour d'elle-même, elle possède et désire les richesses et les honneurs du monde, ce qui est la ruine et la honte de la vie religieuse. Savez-vous ce qu'entraîne cette possession des richesses contraire au vœu de pauvreté et aux règles de l'Ordre? L'impureté et la désobéissance. Pourquoi l'impureté? Parce que la possession des richesses occasionne des relations dangereuses. Si elle n'avait rien à donner, elle n'aurait d'autre amitié que celle des serviteurs de Dieu, qui n'aiment pas pour leur intérêt, mais seulement pour Jésus crucifié; et n'ayant rien à donner, les serviteurs du monde, qui ne cherchent autre chose [1072] que l'avantage qu'ils en retirent ou le plaisir coupable qu'ils y trouvent, se seraient retirés si elle n'avait eu rien à donner et si elle ne voulait plaire qu'à Dieu. De même, parce que son esprit est corrompu et superbe, elle tombe aussitôt dans la désobéissance, elle ne veut croire qu'à elle, et les choses vont toujours de mal en pire, tellement que le temple de Dieu devient le temple du démon. Elle est bannie des noces de la vie éternelle, parce qu'elle est dépouillée du vêtement de la charité.

10. Ainsi donc, très chères Sœurs, puisqu'il est si dangereux de ne pas observer les vœux que nous avons faits, appliquons-nous à y être fidèles; considérons combien notre nudité nous rend malheureuses, et comprenons combien le vêtement nuptial est utile à nos âmes et agréable à Dieu, afin que nous en soyons parfaitement revêtues. Comme unique moyen, je vous ai dit que je désirais vous voir fondées dans la vraie et parfaite charité, et je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié de le faire. Secouons le sommeil, et mettons pour jamais un terme à notre misère et à notre imperfection, car le temps ne nous appartient pas. La condamnation est prononcée, la sentence est portée, et nous devons mourir, et nous ne savons pas quand. La hache est déjà à la racine de notre arbre; il ne faut donc pas compter sur le temps que nous ne sommes pas sûrs d'avoir, mais il faut maintenant anéantir notre volonté propre et mourir péniblement à nous-mêmes par amour de la vertu.

11. A vous, Mère Prieure, je dis que vous devez donner l'exemple d'une vie sainte et irréprochable [1073], afin que vous puissiez enseigner avec vérité les filles qui vous sont soumises, les reprendre et les punir lorsqu'il en est besoin. Evitez les rapports avec les séculiers, et les conversations avec les faux dévots; fermez les grilles et le parloir, à moins que la nécessité ne le demande. Invitez vos religieuses à être pauvres dans leurs cellules, pour qu'elles n'aient rien à donner, et faites-leur retrancher les ornements, les tapis, les lits de plumes, les vêtements frivoles et déshonnêtes, si elles en ont, comme je le crains. Faites ainsi la première, ma très chère Mère, afin que votre exemple entraîne les autres. Que le chien de votre conscience aboie et morde, en pensant que vous aurez des comptes à rendre à Dieu. Ne fermez pas les yeux pour ne pas voir, parce que Dieu vous voit, et vous n'aurez pas d'excuse. Il faut avoir toujours les yeux ouverts sur celles qui vous sont confiées. Je suis certaine que vous le ferez si vous avez le vêtement nuptial; je vous en prie, et je m'engage à prier sans cesse pour vous, et à vous aider à porter votre fardeau avec toute la charité que Dieu me donnera. Tâchez que je reçoive de bonnes nouvelles. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1074].

Table des matières (2)


 

CXCII (116). - AU MONASTERE DE SAINT-GAGE, de Florence, à l'Abbesse et aux Religieuses du monastère de Mont-Sansovino. - De l'imitation véritable de Jésus-Christ par les trois vœux de la vie religieuse.

(Le couvent de Saint-Gage est près de Florence, sur la route de Rome. Les religieuses qui l’habitaient suivaient la règle de Saint-Augustin. Le couvent de Mont-Sansovino auquel la même lettre est adressée, était situé entre Sienne et Arezzo. Il observait la règle de Saint-Benoît.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUGE MARIE

1. Ma très chère Mère et mes Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir cachées et enfermées dans le côté de Jésus crucifié : autrement il vous serait inutile d'être renfermées dans un couvent, et la clôture servirait plutôt à votre condamnation. Car, comme votre corps est captif, il faut que votre cœur et vos désirs le soient aussi, puisque vous avez quitté le monde et ses délices pour suivre l'Epoux, le Christ, le doux Jésus. Je ne doute pas que si vous aimez véritablement l'Epoux éternel, vous ne suiviez ses traces. Et vous savez quelle fut sa voie la pauvreté volontaire et l'obéissance. Par humilité, la Grandeur suprême descendit jusqu’à la bassesse de la nature humaine; et par humilité, par l'amour ineffable qu'il eut pour nous, il livra son humanité à la mort honteuse de la Croix [1075], choisissent lui-même la voie des tourments, des fouets, des coups et des outrages. C'est cette humilité que vous devez suivre; et sachez qu'on ne peut l'acquérir que par la vraie et parfaite connaissance de soi-même et par la contemplation de l'humilité profonde et de la douceur de l'Agneau qui s'est immolé avec un si ardent amour. Je dis qu'il a suivi la voie de la vraie pauvreté; car il fut si pauvre, qu'il n'eut pas de quoi reposer sa tête, et à sa naissance la douce Marie avait à peine quelques langes pour envelopper son Fils.

2. Et vous, ses épouses, vous devez suivre la voie de cette pauvreté; vous savez que vous l'avez promis, et je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié d'être fidèles à votre promesse jusqu'à la mort: autrement vous ne seriez pas ses épouses, mais vous seriez des adultères, si vous aimiez quelque chose en dehors de Dieu; car l'épouse est adultère lorsqu'elle aime quelque chose plus que l'époux. Et quel est le signe de l'amour? C'est l'obéissance. Plus l'épouse est pauvre de volonté, plus elle renonce aux richesses et aux honneurs du monde, et plus elle est humble; plus elle est humble, plus elle est obéissante, parce que l'orgueilleux n'est jamais obéissant, son orgueil ne veut jamais se soumettre et obéir à aucune créature Je veux donc que vous soyez humbles, et que vous vous renonciez de cœur et d'affection jusqu'à la mort. Vous, Mère abbesse, obéissez à la règle; et vous, religieuses, obéissez à la règle et à votre abbesse. Imitez, imitez l’Epoux éternel, le doux et bon Jésus, qui a été obéissant jusqu'à la mort; sachez que sans l'obéissance vous ne pourrez participer [1076] au sang de l'Agneau. Qu'est-ce qu'une religieuse sans le joug de l'obéissance? C'est une morte et un véritable démon incarné. Elle n'observe pas la règle, elle l'outrage; elle est dans les régions de la mort, parce qu'elle a transgressé les saints commandements de Dieu; et non seulement elle a transgressé ces commandements, mais elle a violé les vœux qu'elle a faits dans sa profession.

3. O mes bien-aimées Sœurs et Filles dans le Christ, le doux Jésus, je ne veux pas que vous tombiez dans ce malheur; mais je veux que vous soyez pleines de zèle pour ne manquer en rien à vos promesses. Voulez-vous jouir de votre Epoux? Tuez en vous la volonté mauvaise, et ne vous révoltez jamais contre la véritable obéissance. Vous savez que l'obéissant véritable ne juge jamais la volonté de son supérieur, mais qu'il baisse la tête et l'accomplit sur-le-champ. Passionnez-vous donc pour celte vraie et solide vertu. Voulez-vous avoir la paix et le repos? Renoncez à votre volonté, car toute peine vient de la volonté propre. Revêtez-vous de la douce et éternelle volonté de Dieu; et de cette manière vous goûterez la vie éternelle, et vous serez appelés des anges terrestres en cette vie. Fortifiez-vous dans la douce Vérité suprême; mais vous n'y parviendrez jamais, si vous ne fixez l'oeil de votre intelligence sur le feu de la charité divine que Dieu fait briller dans la créature raisonnable. Songez, ma Mère et mes Filles, que vous êtes plus obligées que les autres créatures, parce que Dieu, outre l'amour qu'il accorde à la créature, vous a particulièrement favorisées en vous retirant de la vie ténébreuse et grossière de ce monde [1077] si plein de honte et de corruption, pour vous placer dans le cloître et vous choisir pour épouses. Vous De devez donc pas être négligentes, mais chercher toutes les choses, tous les lieux et tous les moyens capables de lui plaire. Et si vous me dites : Quelle est la voie? Je vous répondrai Celle qu'il a tracée lui-même, la voie des opprobres, des peines, des tourments et des fouets. Et quel moyen? l'humilité véritable,l'ardente charité, l'amour ineffable avec lequel on renonce aux richesses et aux honneurs du inonde. Par l'humilité on arrive à l'obéissance, comme je l'ai dit, et par l'obéissance à la paix; car l'obéissance ôte toutes les peines, et donne toutes les joies; elle détruit la volonté, qui est la cause de nos peines.

4. Afin que l'âme puisse monter à cette perfection, notre Sauveur a fait de son corps une échelle, où sont des échelons. Si vous regardez les pieds, qui sont percés et cloués sur la Croix, ils forment le premier degré, parce que l'âme doit se dépouiller avant tout de toute affection de la volonté propre; car, comme les pieds portent le corps, l'affection porte l'âme. Apprenez que l'âme n'acquiert jamais de vertu si elle ne monte le premier degré. Dès que vous êtes montées, vous parvenez à une vraie et profonde humilité; mais montez plus haut, et hâtez-vous d’arriver au côté entrouvert du Fils de Dieu, et là vous trouverez le feu et l’abîme de la charité divine. A ce degré de la plaie du côté, vous trouverez un trésor de parfum; vous trouverez l'Homme-Dieu, et votre âme se rassasiera et s'enivrera tellement, qu'elle ne se verra plus elle-même, comme celui qui [1078] est pris de vin. L'âme alors ne peut voir autre chose que ce sang répandu avec tant d'amour; elle s'élance dans l'ardeur de son désir, et elle arrive au troisième degré, à la bouche, où elle se repose dans le calme et la paix. Elle goûte la paix de l'obéissance, et elle fait comme l'homme qui dans son ivresse se met à dormir et ne sent, pendant son sommeil, ni la prospérité ni l'adversité. De même l'épouse du Christ, ivre d'amour, s'endort dans la paix de son Epoux. Toutes ses facultés sont assoupies, et la tribulation aurait beau fondre sur elle qu'elle ne s'en apercevrait pas, si elle est au milieu de la prospérité du monde, elle ne s'y attache pas d'une manière déréglée, parce qu'elle s'est dépouillée d’elle-même au premier degré. C'est le lieu ou elle s'unit et devient semblable à Jésus crucifié. Courez donc généreusement, car vous connaissez la voie et le lieu où vous pourrez trouver le lit de votre repos, et la table sur laquelle vous goûterez la nourriture qui vous rassasiera. Oui, je le veux et je vous en conjure de la part, de Jésus crucifié, réchauffez-vous, baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié; et afin d'être une même chose avec lui, ne fuyez pas la peine, mais aimez-là, car la peine est petite, et la récompense est grande. Je ne vous en dis pas davantage sur ce sujet (Ce qui suit était adressé seulement au couvent de Saint-Gage.)

5. Il me semble que votre Mère bien-aimée, ma chère Néra, est assise maintenant au festin du ciel, où elle goûte la nourriture de vie; elle a trouvé l’Agneau sans tache pour récompense, l'Agneau qui [1079] est, comme je vous l'ai dit, la table, la nourriture et le serviteur. L’épouse fidèle de Jésus crucifié a trouvé le Père éternel, qui est la table et le lit, parce que dans le Père se trouve l'abondance de tout ce qui lui est nécessaire si l'homme se tourmente, mes très chères Soeurs, s'il va d'un lieu à un autre, c est pour la nourriture, le vêtement et un lieu de repos. Eh bien, elle a trouvé l'éternelle et suprême bonté de Dieu; et il n'est plus nécessaire que l'âme cherche ces choses, et qu'elle aille de côté et d'autre, car elle a trouvé un asile assuré, où elle peut se reposer dans le sein de la Divinité. Le Père est la table, le Fils la nourriture; et c'est par le moyen du Verbe incarné, le Fils de Dieu, que nous arrivons tous, si nous le voulons, au port du salut. L'Esprit-Saint est son serviteur; car c'est par amour que le Père nous donne la nourriture de son Fils, et c'est par amour que le Fils nous donne la vie e~ prend pour lui la mort, afin que par sa mort nous ayons part à la vie éternelle. Nous qui sommes pèlerins et voyageurs dans cette vie, nous recevons cette récompense imparfaitement; mais elle l'a reçue parfaitement, et rien ne pourra la lui enlever.

6. Vous donc, ses filles véritables, vous devez vous réjouir du salut et du bonheur de votre Mère ; vous devez vous résigner saintement, à cause de celui qui vous a ôté sa présence sensible, et vous ne devez pas oublier que c'est l'éternelle volonté de Dieu. C'est pour son bien qu'elle a été délivrée de la fatigue et des peines nombreuses qu'elle éprouvait depuis longtemps et elle est maintenant dans son repos. Et vous, ses filles, je vous conjure de suivre ses traces, ses leçons [1080] et les saints usages ou elle vous nourrissait. Ne craignez pas d'être comme des orphelines ou des brebis sans pasteur; vous ne serez pas orphelines, puisque Dieu vous protégera, et qu'elle offrira en sa présence ses bonnes et saintes prières pour vous. Sœur Ghita vous est restée; je vous prie de lui obéir en toute chose, comme Dieu et votre saint Ordre le demandent. Et vous, sœur Ghita, je vous prie autant que je sais et que je peux d'avoir bien soin de cette famille, pour la conserver et l'avancer dans le bien. Ne commettez pas de négligence; Dieu vous en demanderait compte. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CXCIII (147).- A UN MONASTERE DE RELIGIEUSES. - De l'humilité et du renoncement à sa propre volonté, en suivant les traces de Jésus-Christ. 

 

AU NOM DE JESUS-CHRIST, QUI A ETE CUCIFIE POUR NOUS, ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères et bien-aimées Filles et Sœurs dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu je vous écris et vous encourage dans le sang précieux de son Fils, avec le désir de vous voir dépouillées de l'ancien vêtement et revêtues du nouveau, comme vous y exhorte le doux Apôtre, lorsqu'il dit : « Induimini Dominum nostrum Jesum Christum (Rm 13,14) » Seigneur Jésus-Christ. Oui, soyez dépouillées de l'ancien vêtement, c'est-à-dire du pêché et de la crainte servile qui était sous l'ancienne loi, la crainte uniquement fondée sur la crainte de la peine. Dieu ne veut pas que son épouse s'appuie ainsi sur la crainte, niais sur la loi sainte et nouvelle de l'amour, parce que c'est le vêtement nouveau, Je vous en conjure que ce soit là le fondement de votre cœur et de votre âme, car l’âme qui est fondée sur l'amour opère de grandes choses; elle ne fuit pas la fatigue, et ne cherche pas son intérêt, mais elle cherche toujours comment elle pourra s'unir avec la chose qu'elle aime. C'est ce que font les serviteurs de Dieu. La première chose qu'ils font pour s'unir à Jésus-Christ, c'est d'éloigner cette crainte coupable qui nous ôte la lumière et nous donne les ténèbres; elle flous prive de la société de Dieu pour nous donner celle du démon; elle nous ôte la vie, et nous donne la mort.

2. Il n'en est pas ainsi de la charité véritable, de l’amour pur de Dieu et du prochain, qui nous donne la lumière, la vie, l'union parfaite avec Dieu, tellement que par le désir et l'amour, on devient un autre lui-même; on ne peut vouloir et aimer rien hors de Dieu, mais uniquement ce qu'il aime; on déteste ce qui est hors de lui, c'est-à-dire le vice, le péché, et on aime la vertu. Le tendre saint Paul disait : « Les choses que je recherchais autrefois, je les repousse maintenant pour Jésus-Christ, et leur perte m'est un gain (Phil 3,8). L'Apôtre veut dire que [1082] quand l'homme est livré à l'amour de lui-même et aux désirs déréglés de son âme, les jouissances, les consolations, les plaisirs du monde lui paraissent bons; il les aime, et s'en réjouit; mais aussitôt que l'âme se dépouille du vieil homme et veut suivre Jésus crucifié, elle volt le malheur où elle est, et déteste son premier état; elle se passionne sur le champ pour Dieu, et ne veut s'appliquer à autre chose qu'à aimer la vertu en elle et dans le prochain. Elle s'attache surtout à deux choses, parce qu'elle les trouve particulièrement dans Jésus-Christ, à la vertu d'humilité et à la charité, parce qu'elle voit que Dieu s'est humilié jusqu'à l'homme, et que pour détruire notre orgueil, il a fui les honneurs, la gloire humaine; il a embrassé la honte, les mépris, les injures, les affronts, la peine, la faim; la soif et les persécutions.

3. De même, l'épouse consacrée au Christ et qui s'est donnée à lui entièrement et sincèrement, veut aussi suivre ses traces et non son plaisir, et elle montre par là qu'elle possède. la vertu d'humilité. Je dis aussi que cette épouse se complaît dans la charité et le montre par l'amour du prochain, si bien qu'elle donnerait volontiers la vie du corps pour sauver la vie des âmes. Et ce désir, elle le conçoit en voyant son Epoux percé, immolé, cloué sur la Croix, et versant des flots de sang, non par la force des clous et de la Croix, mais par la force de l'amour qu'il a pour l'honneur de son Père et pour notre salut. Oui, l'amour a été le seul lien qui a retenu l'Homme-Dieu attaché et cloué sur la Croix. Réveillez-vous donc, et ne dormez plus dans la négligence, vous les [1083] épouses consacrées du Christ, et comme votre corps est renfermé dans le cloître, que vos désirs et vos affections soient aussi renfermés dans le cœur enflammé et ouvert de Jésus crucifié. C'est là que l'âme s'engraissera et se fortifiera dans la vertu, et aussitôt elle trouvera les deux ailes qui la feront voler à la vie éternelle, l'humilité et la charité, dont je viens de vous entretenir.

4. Je vous supplie donc, vous ma Fille, qui êtes abbesse, de travailler avec zèle au salut de nos religieuses, sans crainte et sans découragement, mais avec confiance, en pensant que vous pouvez tout par Jésus crucifié; songez que Dieu a choisi un jardinier pour arracher les vices et planter les vertus. Faites-le, je vous en conjure, et n'y apportez aucune négligence. Je vous recommande aussi de corriger celles qui vous sont confiées, car il vaut mieux donner la correction et la recevoir en cette vie que dans l'autre. Je vous prie, toutes mes Sœurs bien-aimées dans le Christ Jésus, d'être unies et transformées dans la bonté de Dieu. Que chacune connaisse bien ses défauts, c'est le moyen de conserver la paix et l'union. Car toutes les divisions viennent de ce qu'on voit les défauts des autres et non les siens, et de ce qu'on ne sait pas se supporter mutuellement. N'agissons pas ainsi, mais liez-vous dans les liens de la charité, vous aimant et vous supportant les unes les autres, pleurant avec les imparfaites, vous réjouissant avec les parfaites; et, ainsi revêtues de la robe nuptiale, nous parviendrons avec l’Epoux aux noces de la vie éternelle. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Que la paix de Dieu soit dans vos âmes [1084]

Table des matières (2)


 

CXCIV (148). - A L'ABBESSE DU MONASTERE de Sainte-Marie des Déchaussées, à Florence. – De la vraie charité qui se trouve dans les plaies de Jésus crucifié - Des vertus propres aux religieuses.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondée dans la vraie charité, alla que vous nourrissiez et conduisiez bien vos brebis. Il est bien vrai que nous ne pourrons nourrir les autres si d'abord nous ne nourrissons pas notre âme des vraies et solides vertus, et elle ne peut se nourrir de vertus si elle ne s'attache au sein de la charité divine, où elle puise le lait de la divine douceur. Oui, ma très chère Mère, il nous faut faire comme fait le petit enfant qui désire avoir du lait: il prend le sein de Sa mère, il y applique sa bouche, et par le moyen de sa chair il attire le lait. Nous devons faire de même, Si. nous voulons nourrir notre âme; nous devons nous attacher au sein de Jésus crucifié, où est la source de la charité, et par le moyen de sa chair, nous y puiserons le lait qui nourrit notre âme et toutes les vertus qui en naissent; c'est par le moyen de l'humanité du Christ, car c est l'humanité qui est soumise à la peine et qui souffre, et non la divinité; et nous ne pouvons sans peine nous nourrir de ce lait, qui vient de la charité [1085].

2. Il y a différentes sortes de peines : ce sont souvent de grands combats du démon et des créatures, avec beaucoup de persécutions, d'outrages, de mauvais traitements; ce sont là des peines pour les hommes, mais ce ne sont pas là des peines pour l'âme qui se nourrit sur le sein doux et glorieux de Jésus crucifié; car elle y trouve l'amour en y voyant l'amour ineffable que Dieu nous a montré par le moyen du tendre Verbe, et dans cet amour elle trouve la haine de ses fautes et de la loi perverse qui combat toujours contre l'esprit. Mais, au-dessus de toutes les peines que souffre l'âme qui a faim et soif de Dieu, sont les désirs ardents et passionnés qu'elle éprouve pour le salut du monde. La charité fait qu'elle est faible avec les faibles, et forte avec les forts; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent, c’est-à-dire qu'elle pleure avec ceux qui sont dans l'affliction du péché mortel, et elle se réjouit avec ceux qui sont dans la joie de l'état de grâce. Elle a pris la chair de Jésus crucifié, et ses peines lui font porter la croix avec lui. Les peines n'affligent pas, ne dessèchent pas l'âme; elles l'engraissent, et la rendent heureuse de suivre les traces de Jésus crucifié, et elle goûte alors le lait de la douceur divine. Et comment l'a-t-elle pris? Avec la bouche du saint désir, tellement que, s'il était possible d'avoir ce lait sans peine, et d'acquérir ainsi les vertus que fait naître le lait d'une ardente charité elle ne le voudrait pas, elle préférerait l'obtenir en soupirant pour l'amour de Jésus crucifié; car il lui semble que sous un chef couronné d'épines, il ne doit pas y avoir de membres délicats, et qu'il vaut [1086] mieux souffrir des épines avec lui, sans les choisir soi-même, mais en les recevant de Sa volonté. Et en agissant ainsi, elle ne souffre pas; c'est Jésus crucifié, son chef, qui souffre.

3. Oh ! combien est douce cette tendre mère, la charité! L'âme qui la possède ne cherche pas son intérêt, c'est-à-dire ne se cherche pas pour elle, mais pour Dieu; ce qu'elle aime, ce qu'elle désire, elle mime et le désire en lui, et hors de lui elle ne veut rien posséder. Dans toutes les positions où elle se trouve, elle dépense son temps selon la volonté de Dieu. Si elle est séculière, elle veut être parfaite dans son état; si elle est religieuse, elle est dans cette vie un ange de la terre. Elle ne désire, elle n'aime rien dans le siècle; elle ne veut posséder aucune richesse, parce qu'elle voit que ce serait contre le vœu de pauvreté volontaire qu'elle a promis d'observer dans Sa profession. Elle n'aime pas et ne recherche pas la conversation de ceux qui pourraient nuire à son vœu de chasteté; elle les fuit, au contraire, comme des serpents venimeux, et elle a en aversion les grilles et le parloir. Elle écarte la familiarité des faux dévots, et revient à sa cellule comme à sa patrie, en épouse fidèle et légitime; et elle y goûte, sur le sein de Jésus crucifié, les veilles et l'humble et continuelle prière. Non seulement l'oeil du corps, mais l'oeil de l'âme veille pour se connaître elle-même, pour connaître sa faiblesse, Sa misère passée et la douce bonté de Dieu à sou égard: elle se voit aimée d'un amour ineffable par son Créateur.

4. Alors elle acquiert peu à peu la vertu de l'humilité [1087]et le saint, l'ardent désir, qui est la prière continuelle dont parle saint Paul, lorsqu'il dit que «nous ne devons jamais cesser de prier. » Ce saint désir entraîne les saintes bonnes œuvres; car celle qui ne cesse de prier ne cesse de bien faire. Elle demeure dans sa cellule avec son Epoux, embrassant avec joie toutes les hontes et les peines qu'il lui accorde, méprisant les délices et les honneurs du monde, détruisant sa malheureuse volonté propre pour imiter l'obéissance de Jésus crucifié, qui, pour obéir à son Père et nous sauver, courut à la mort ignominieuse de la Croix; son obéissance la rend obéissante, et elle observe ainsi le vœu qu'elle a fait d'obéir. Elle ne se révolte jamais contre les ordres qu'elle reçoit, et n'examine point les motifs de celui qui commande, mais elle obéit avec empressement. C'est ainsi que fait celui qui est véritablement obéissant, tandis que le désobéissant veut toujours savoir les raisons de celui: qui commande. Celle qui fait ainsi n'observe pas la règle, mais la viole, tandis que celle qui obéit la met devant elle comme un miroir; elle aimerait mieux mourir que d'y manquer; elle est ainsi parfaitement soumise.

5. Si elle doit commander, elle est parfaite dans sa direction, en nourrissant d'abord son âme de vertus sur le sein de Jésus crucifié. Lorsqu'elle a bien su obéir et qu'elle est appelée à commander, elle aura bien élevé ses filles. En elle brillera la pierre précieuse de la justice, et elle répandra le parfum de la pureté, donnant à toutes l'exemple d'une sainte et bonne vie; et comme la charité n'est jamais sans la justice, l'âme qui la possède est juste et rend à [1088] chacun ce qui lui est dû; à elle la haine et le mépris d'elle-même; à Dieu l'amour, la gloire, l'honneur de son nom, et au prochain une tendre bienveillance et tous les services possibles. Elle agit, avec ceux qui lui sont soumis, selon les dispositions de chacun : elle travaille à augmenter la vertu de celui qui est parfait; elle corrige celui qui est imparfait et qui commet des fautes; elle punit peu ou beaucoup, selon la gravité de la faute, et selon ce qu'elle juge chacun capable de porter; mais elle ne laisse jamais une faute impunie, et cela par charité, et non par animosité : elle veut punir en cette vie, pour qu'elle ne soit pas punie en l'autre. Mais si elle n'avait pas nourri d'abord son âme comme nous l'avons dit, elle n'aurait pas la pierre précieuse de la justice, elle serait injuste dans toute sa conduite; elle volerait ce qui est à Dieu pour se l'approprier, comme ce qui est au prochain, qu'elle n'aimerait que par intérêt. Elle ne dirigerait ses filles qu'en vue d'elle-même ou des créatures, et pour ne pas leur déplaire; elle ferait semblant de ne pas voir leurs défauts; ou, si elle les reprenait, cela servirait peu, parce qu'elle ne le ferait pas avec courage et fermeté de cœur. Comme sa vie n'est pas bien réglée, elle éprouve la peur et la crainte servile, et sa correction est inefficace.

6. Je ne vois donc pas d'autre moyen que de nous attacher au sein de Jésus crucifié; c'est ainsi que nous goûterons le lait de la charité divine, qui sera la règle de nos actions. C'est parce que je comprends qu'il n'y a pas d'autres remèdes et d'autres voies, que je vous ai dit que je désirais vous voir fondée [1089] dans la vraie et parfaite charité; je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié de vous appliquer à l'être, afin que vos brebis soient dirigées par l’exemple de votre bonne et sainte vie, et afin que les brebis qui sont hors du bercail y rentrent; retirez-les des conversations; prêchez-leur la cellule, et faites-leur aimer le chœur et les repas en commun, et non en particulier. Si vous ne le faites pas autant que vous le pouvez, Dieu vous en demandera compte et vous aurez à répondre pour vos fautes et pour les leurs. Ainsi donc, ma bien chère Mère, ne dormez plus et secouez le sommeil de la négligence. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CXCV (149). - A L'ABBESSE et aux Religieuses de Saint-Pierre-de-Monticelli, à Legnaia, près Florence. - Comment les épouses du Christ doivent suivre ses exemples.

(Ces religieuses suivaient la règle de Saint-Benoît. C'est à leur supérieure que Barduccio Canigiani adresse la lettre ou il raconte les derniers moments de sainte Catherine.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang. avec le désir de vous voir les vraies servantes et épouses de Jésus crucifié. Suivez ses traces de telle [1090] sorte que vous aimiez mieux mourir que de violer ses doux commandements et les conseils que vous avez promis d'observer. Oh ! qu'il est doux et bon à l'épouse consacrée au Christ de suivre la voie et la doctrine de l'Esprit-Saint! Quelle est cette voie et cette doctrine ? Il n'en est pas d'autre que l'amour, car toutes les vertus ne sont vertus que par l'amour. Sa doctrine n'est pas l'orgueil, la désobéissance, l'amour propre les richesses, les honneurs, les grandeurs du monde; ce ne sont pas les jouissances et le plaisir du corps. Son amour n'est pas d'aimer le prochain pour soi, car il nous a aimés pour notre bien, et il a donné sa vie pour nous avec un amour si ardent et une humilité si profonde ! Vit-on jamais une humilité semblable? un Dieu s'humilier jusqu'à l'homme? la Grandeur suprême descendre à la bassesse de notre humanité? Et il s'est fait obéissant jusqu'à la mort honteuse de la Croix; il a été patient avec tant de douceur, qu'on n'a jamais entendu sortir de sa bouche un murmure; il a choisi la pauvreté volontaire, lui qui est l'éternelle et souveraine richesse, tellement que la douce Marie n'eut pas de linge pour l'envelopper; et enfin il mourut nu sur la Croix, n'ayant pas où reposer sa tête. Le deux et tendre Verbe a été rassasié de peines, revêtu d'opprobres il a aimé les injures, les mépris, les affronts, il a supporté la faim et la soif, Celui qui rassasie tous les affamés par tant dé douceurs et d'amour. C'est là notre Dieu, qui n'a pas besoin de nous, et qui a travaillé à notre salut avec une persévérante ardeur, sans se laisser arrêter par notre ignorance, par notre ingratitude. et par les cris des Juifs qui lui disaient de descendre [1091] de la Croix; il n’a pas cessé d’accomplir notre salut.

2. C’est la doctrine, la voie qu’il nous a tracée; et nous, misérables remplies de défauts, nous ne sommes pas des épouses fidèles, mais des adultères; nous faisons tout le contraire, car nous cherchons les jouissances, les plaisirs, les délices de l’amour sensitif, cet amour de nous-mêmes d’où naissent la discorde et la désobéissance. La cellule devient notre ennemie, tandis que nous aimons la conversation des hommes du monde ou de ceux qui vivent comme dans le monde. Notre âme veut posséder en abondance les choses temporelles, et il lui semble qu’elle serait malheureuse si elle ne les avait pas à profusion ; elle s’éloigne de l’amour de son Créateur et elle néglige la prière, sa mère. Même en faisant les prières que vous êtes obligées de faire, souvent elle tombe dans l’ennui, parce que, pour celui qui n’aime pas, la moindre fatigue paraît un fardeau lourd à porter, et toute chose facile lui semble impossible à faire. Tout cela vient de l’amour-propre, qui naît de l’orgueil, et l’orgueil vient en s’appuyant sur des ingratitudes nombreuses, sur l’ignorance et la négligence dans les bonnes et saintes œuvres.

3. Je ne veux pas, mes bien-aimées Filles, qu’il en soit ainsi de vous. Il faut qu’en épouses fidèles, vous suiviez les traces de votre Epoux; autrement vous ne pourriez observer ce que Vous avez promis, c’est-à-dire les vœux de pauvreté, d’obéissance et de chasteté. Vous savez bien que dans votre profession, vous avez apporté pour dot votre libre arbitre à votre éternel Epoux; car c’est avec un cœur libre que vous avez [1092] pris ces engagements qui sont les trois colonnes qui soutiennent la cité de notre âme et l’empêchent de tomber en ruine; tout périt dès qu'elles manquent. L’épouse doit donc être pauvre volontairement Pour l’amour de Jésus crucifié, qui lui a montré la voie. La pauvreté est la richesse et la gloire des religieuse et c’est une honte pour elles quand elles ont quelque chose à donner. Savez-vous le malheur qui en résulte? C’est que cette faute entraîne toutes les autres. Car celle qui place son affection dans la possession des choses temporelles ne vit pas avec ses sœurs comme vous devez vivre ; vous devez vivre en commun, la plus grande comme la plus petite, et la plus petite comme la plus grande. Si elle ne le fait pas, elle est coupable et tombera bientôt dans l’incontinence actuelle ou mentale, et puis dans la désobéissance car elle désobéit à son Ordre; elle ne veut pas être corrigée par son supérieur et elle manque à ses promesses Alors viennent les conversations avec ceux qui vivent mal. Elle recherche les séculiers, les religieux, les hommes et les femmes dont la conversation n’est pas fondée en Dieu, et elle le fait uniquement cause de l’avantage ou du plaisir qu’elle y trouve ces affections, ces rapports ne vivent que de présents et de jouissances.

4. Aussi je dis que celle qui ne possède rien, qui n’a rien à donner, évite par là même toutes les relations coupables, et dès lors elle n’a plus l’occasion de dissiper son esprit et de tomber dans des souillures corporelles et spirituelles; mais elle trouve et recherche la conversation de Jésus crucifié et de ses bons serviteurs de ceux qui aiment pour le Christ, par [1093] amour de la vertu et non par intérêt. Elle conçoit un désir et une faim de la vertu qu'il lui semble impossible de satisfaire; et comme elle voit que c'est de la prière, comme de leur mère et de leur source que viennent la vie de la grâce et le trésor des vertus, elle fuit et se cache dans sa cellule, cherchant son Epoux et l'embrassant sur le bois de la très sainte Croix. Là elle se baigne dans les larmes et les sueurs; elle s'enivre du sang du tendre Agneau, elle se nourrit de ses soupirs et de ses ardents désirs. Voilà la vraie et royale épouse qui suit fidèlement son Epoux.

5. A l'exemple du Christ béni, qu'aucune peine n'a pu empêcher d'accomplir notre salut, l'épouse ne doit se laisser arrêter ni par la peine, ni par la fatigue, ni par la faim, et par la soif; elle travaille toujours à l'honneur de Dieu, et elle répond aux faiblesses de son corps en disant: Courage, mon âme! Ce qui te manque ici-bas te profite pour la vie éternelle. Elle n'abandonne pas les bonnes œuvres et les saints désirs en cédant aux tentations du démon, aux faiblesses de la chair et à ces conseils perfides de l'ennemi, pires que ceux des Juifs, lui disant sans cesse Descends de la croix de la pénitence et de la vie régulière. Elle ne doit pas se lasser de servir son prochain et de travailler à son salut, à cause de son ingratitude et de l'ignorance qui méconnaît ses services. Elle ne doit pas se lasser; car, si elle le faisait, elle paraîtrait chercher dans le prochain sa récompense, et non pas en Dieu; elle ne doit pas le faire, et préférer plutôt la mort. Supportez avec patience, mes chères Filles, vos défauts communs; on vous supportant ainsi les [1094] unes les autres, avec patience et amour, vous serez liées et unies dans les liens de la charité, et vous y trouverez une telle force, que ni les démons ni les créatures ne pourront vous séparer, si vous ne le voulez pas.

6. Soyez obéissantes jusqu’à la mort, afin d'être des épouses fidèles; et quand l'Epoux viendra vous chercher au dernier moment de la vie, vous aurez la lampe pleine, comme les vierges sages, et non vide, comme les vierges folles. Votre cœur doit être une lampe remplie d'huile, où doit briller la connaissance de vous-mêmes et de la bonté de Dieu à votre égard; c’est la lumière et la flamme de la charité, nourrie et entretenue par l'huile d'une profonde et sincère humilité; car celui qui n'a pas la lumière de la connaissance de soi-même ne peut s'humilier, il n'y a pas d'humilité possible avec l'orgueil. Quand la lampe est bien garnie, elle doit se tenir à la main, avec une droite et sainte intention pour Dieu, c'est-à-dire avec la main d'une sainte crainte, qui règle nos affections et nos désirs; je ne parle pas d'une crainte servile, mais d'une sainte crainte qui, pour tout au monde, ne voudrait pas offenser la souveraine et éternelle Bonté de Dieu.

7. Toute créature raisonnable a cette lampe, car le cœur de l'homme est une lampe; s'il la tient droite et bien remplie, avec une sainte crainte, tout va bien; mais s'il la tient avec une crainte servile, il la renverse, parce qu'il sert et qu'il aime pour lui, pour son plaisir, et non pour l'amour de Dieu. Celui-là éteint la lumière et répand l'huile, parce qu'il n'a pas la lumière de la charité ni l'huile de la véritable humilité [1095]. C'est de ceux-là que notre Sauveur a dit: « Je ne vous connais pas, et je ne sais qui vous êtes (Mt 25,12). » Je veux donc que vous soyez fortes et prudentes. Prenez votre cœur et faites-en une bonne lampe; et comme une lampe est étroite du bas et large d'en haut, votre cœur doit se rétrécir pour tout ce qui regarde le monde, le plaisir, la vanité, les délices et le bien-être, tandis qu'il doit se dilater dans sa partie supérieure, c’est-à-dire que votre cœur votre âme, vos affections, doivent se placer et se reposer en Jésus crucifié. Revêtez-vous de peines et d'opprobres pour lui; unissez-vous et aimez-vous ensemble.

8. Et vous, madame l'Abbesse, soyez la mère et le pasteur qui donne, s'il le faut, sa vie pour ses filles; empêchez-les de vivre en particulier et dans des relations qui sont la mort de l'âme et la ruine de la perfection; soyez, dans vos rapports avec les autres, un miroir de vertu; la vertu enseigne plus que les paroles. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CXCVI (150). - A L’ABBESSE du monastère de Sainte-Marthe, de Sienne, et à SOEUR NICOLE, du même monastère. - De la connaissance de nous-mêmes et de la divine bonté en nous.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et bien-aimée Mère et Sœur abbesse, et vous ma Fille et Soeur Nicole, moi, Catherine, l'inutile servante de Jésus-Christ et la vôtre, je vous écris et je veux faire pour vous ce que fait le serviteur pour son maître : Il va et vient sans cesse. Je veux aussi aller sans cesse pour vous en la présence de notre très doux Sauveur; et en m'adressant à son ineffable charité, nous obtiendrons la grâce de faire encore comme le serviteur, et de revenir en rapportant la grâce de la connaissance de nous-mêmes et de Dieu. Il ne me semble pas possible de posséder la vertu et l'abondance de la grâce sans habiter la cellule de votre cœur et de votre âme. C'est là que nous trouverons le trésor qui est la vie, c’est-à-dire le saint abîme de la connaissance de Dieu et de nous-mêmes. De cette connaissance, très chères Soeurs, vient cette sainte haine qui nous unit à la souveraine et éternelle Vérité, parce que nous reconnaissons que nous ne sommes qu'erreur et mensonge, et que nous ne faisons que ce qui n'est pas. Nous nous haïssons alors, et nous crions avec la voix du cœur, à la vue de la bonté de Dieu : Vous êtes le seul qui êtes bon, vous êtes cette mer pacifique d'où sort tout ce qui a l'être.[1097] Mais ce qui n'est pas, c'est-à-dire le péché, n'est pas en lui.

2. Voici ce que la Vérité suprême disait a une de ses inutiles servantes: « Je veux que tu aimes toutes les créatures, parce qu'elles sont toutes bonnes et parfaites; elles sont dignes d'être aimées, puisqu'elles sont toutes faites par moi, la souveraine Bonté: toutes, excepté le péché; qui n'est pas en moi; car s'il était en moi, ma fille bien-aimée, il serait digne d'être aimé.» O amour ineffable vous voulez que nous nous haïssions à cause de notre volonté coupable, d'où vient le péché, qui n'est pas en vous. Oui, mes bien chères Sœurs dans le Christ Jésus, courons, courons, courons en mourant dans la voie de la vertu; et si vous me demandez quel sera notre cri ? celui de l'Apôtre contre notre volonté coupable. Saint Paul dit: «Mortifiez les membres de votre corps; » mais il ne dit pas la même chose de la volonté; il veut qu'elle soit morte, et non pas seulement mortifiée. O très doux et très cher Amour! je ne vois pas d'autre moyen que de prendre le glaive que vous aviez, mon doux Amour, dans votre cœur et dans votre âme, votre haine pour le péché, et votre amour pour l'honneur de votre Père et pour notre salut.

3. O très doux Amour! c'est ce glaive qui a percé le coeur et l'âme de votre Mère. Le Fils était frappé dans son corps, et la Mère aussi, parce que c'était sa chair. Il était bien juste qu'elle souffrit dans ce qui lui appartenait, car c'était dans son sein qu'il avait pris sa chair immaculée. O feu de charité! j'aperçois une autre ressemblance : le Fils a la forme de la [1098] chair, mais la Mère, comme une cire chaude, a reçu l'empreinte du désir et de l'amour de notre salut par le sceau du Saint-Esprit; c'est par le moyen de ce sceau que s'est incarné le Verbe divin. La Mère, comme un arbre de miséricorde, a reçu en elle l'âme ardente du Fils, qui était frappée et blessée par la volonté du Père; et, semblable à l'arbre qui porte la greffe, elle a été aussi blessée par le glaive de la haine et de l'amour. La haine et L'amour ont tellement augmenté dans la Mère et le Fils, que le Fils a couru à la mort. Son ardeur à nous sacrifier sa vie, sa faim et son désir d'obéir à son Père étaient si grands, qu'il a perdu l'amour de lui-même et qu'il a embrassé la Croix. Sa douce et tendre Mère a fait de même; elle a volontairement sacrifié l'amour de son Fils, tellement que non seulement sa tendresse ne veut pas le sauver de la mort, mais qu'elle est prête à servir d'échelle pour qu'il monte sur la Croix; et ce n'est pas étonnant, car l'amour de notre salut l'a blessée comme une flèche.

4. O vous toutes, mes Soeurs et mes Filles dans le Christ Jésus ! si jusqu'à présent vous n'avez pas été consumées par le feu de ce saint désir de la Mère et du Fils, ne persévérez pas dans l'obstination de vos cœurs. Je vous en prie de la part de Jésus crucifié, que cette pierre se dissolve par l'abondance du sang généreux du Fils de Dieu. Sa chaleur est si grande, qu'il n'y a pas de froideur et de dureté qui puissent y résister. Comment ce sang peut-il les vaincre ? Uniquement par la haine et l'amour dont nous avons parlé; l'Esprit-Saint le fait quand il vient dans l'âme. Je vous presse donc et je vous conjure de vous servir [1099]de ce glaive en vous; et si vous me demandez: Comment le montrerons-nous ? je vous répondrai: Je veux que vous le montriez en la présence de Dieu, de deux manières. D'abord je veux que vous acceptiez le temps, non pas selon vos goûts, mais selon le bon plaisir de Celui qui est; vous vous dépouillerez ainsi de votre volonté pour vous revêtir de la sienne. Et puisque vous m'écrivez le désir que vous avez de ma visite, je veux que vous le soumettiez au joug aimable du Fils de Dieu, et que vous receviez avec respect tout ce qui arrivera, quelque pénible que ce puisse être, en pensant qu'il ne peut en être autrement pour notre bien; nous recevrons ainsi avec respect tout ce qui arrivera.

5. L'autre manière de prouver que vous voulez vous servir du glaive de la haine et de l'amour, c'est de vous soumettre au joug de la sainte obéissance. Vous surtout, madame l'Abbesse, vous devez être obéissante à Dieu, en supportant toutes les fatigues qu'il vous impose dans le gouvernement de vos brebis; et ne vous désolez pas si très souvent vous perdez la douceur de la consolation, au milieu des peines que vous vous donnez au service du prochain pour l'honneur de Dieu; car je vois qu'il en arrivait ainsi aux saints Disciples, qui méprisaient toute consolation spirituelle et temporelle. Oh ! quelle consolation c’eût été pour eux de se trouver avec la Mère de la paix, la Mère du Fils de Dieu, et de vivre ensemble ! Et pourtant, dès qu'ils sont revêtus du vêtement nuptial du Maître, ils se livrent aux fatigues, aux opprobres et à la mort pour l'honneur de Dieu et pour le salut du prochain. Et c'est en étant ainsi séparés [1100] les uns des autres, en méprisant les consolations en en choisissant les peines, qu'ils obtinrent la vie éternelle.

6. Je veux que vous fassiez de même. Et si vous me dites : Je ne voudrais pas être absorbée par les choses temporelles, je vous répondrai que c'est nous qui les rendons temporelles, car tout procède de la Bonté suprême; tout, par conséquent est bon et parfait. Je ne veux donc pas qu'à l'occasion des choses temporelles, vous évitiez la fatigue; mais je veux que le regard toujours dirigé vers Dieu, vous soyez pleine de zèle et d'ardeur, surtout pour leurs âmes, et que comme dit saint Bernard, la charité, si elle vous flatte, ne vous trompe pas; si elle vous corrige, ne vous déteste pas. Agissez donc avec sévérité et avec douceur, selon les besoins de votre état. Ne soyez pas négligente à corriger les défauts, petits ou grands; faites en sorte qu'ils soient punis autant que la personne est capable de l’être. Si quelqu'un peut porter dix livres, ne lui en imposez pas vingt, mais ôtez-lui ce que vous pourrez; je vous en prie de la part de Celui qui a voulu porter toutes nos misères. Qu'elles se baissent pour entrer par la porte étroite de la sainte obéissance, afin que l'orgueil de leur volonté ne leur brise pas la tête.

7. Mes très chères Sœurs, ne vous fâchez pas des saintes réprimandes de votre Supérieure. Oh ! si vous saviez combien est dure la réprimande que Dieu fait à l'âme qui repousse les réprimandes de cette vie il vaut bien mieux que nos négligences, notre ignorance et notre peu d'amour soient punis par la sévérité du temps que par les rigueurs terribles de l’éternité [1101]. Soyez donc obéissantes par amour pour le tendre et doux Epoux, le Fils de Dieu, qui a été obéissant jusqu'à la mort. C'est ainsi que le glaive dont nous avons parlé tranchera, par la vertu de Dieu, le vice de l'orgueil, et que nous nous enracinerons dans la sainte charité, qui se montre par la sainte obéissance, comme l'obéissance se montre par la sainte humilité. Je ne vous dis qu'une chose: faisons une sainte prière pour pouvoir observer ce que nous avons dit. Celui qui est dans le chemin a besoin de lumière, afin qu'il ne s'égare pas dans le chemin.

8. Moi je viens de trouver une bien belle lumière, et c'est cette douce vierge, sainte Lucie de Rome, qui nous la donne. Nous demanderons aussi à la tendre Madeleine le mépris qu'elle avait d'elle-même ; et Agnès, qui était un agneau de mansuétude et d'humilité, nous donnera l'humilité (Sainte Catherine avait une dévotion toute particulière à Marie-Madeleine, que Notre-Seigneur lui avait donnée pour Mère. (Vie de Sainte Catherine, IIe p., ch. 6) Elle parle sans doute ensuite de Sainte Agnès de Montepulciano). Ainsi voilà Lucie qui nous donne la lumière, Madeleine la haine et l'amour, Agnès l'huile de l'humilité; et la barque de notre âme ainsi fournie, nous irons visiter la demeure de la bienheureuse Marthe. De cette fervente hôtellerie, vous recevrez le Christ, l'Homme-Dieu. Elle habite maintenant la maison du Père céleste, c'est-à-dire l'Essence divine, cette essence, cette vision où j'espère que, par l'abondance du sang de Jésus-Christ, par les mérites de sa douce Mère Marie et par ceux des saints, nous goûterons et nous verrons le Christ [1102] face a face. Je vous conjure d’être zélées à lui sacrifier votre vie. Que loué soit notre doux Sauveur. Je me recommande à vous, Madame, et à toi, Nicole, ma Fille et ma Sœur ; je vous prie de me recommander à Sœur Augustine et à toutes les autres Sœurs; qu'elles obtiennent de Dieu, pour moi, de quitter la voie de la négligence pour suivre, en mourant, la voie de la vérité. Je ne vous dis rien de plus sur ce sujet. Que loué soit Jésus crucifié. Amen.

Table des matières (2)


 

CXCVII (151).- A SOEUR BATHELEMI DELLA SETA, religieuse du monastère de Saint-Etienne, à Pise. – Du vêtement royal de la charité qui couvre la honte du péché et détruit le froid de l'amour-propre.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus. moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteur de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement royal. c'est-à-dire du vêtement de la plus ardente charité; car c'est ce vêtement qui couvre la nudité, cache la honte, réchauffe et consume la froideur. Je dis qu'il couvre la nudité : l'âme créée à l'image et à la ressemblance de Dieu qui possède l'être, n'atteindrait pas sans la grâce divine, la fin pour laquelle elle a été créée. Il faut donc d'abord avoir le vêtement de la grâce que nous recevons dans le saint baptême [1103] par la vertu du sang de Jésus-Christ. Avec ce vêtement, les enfants qui meurent avant l'âge de raison possèdent la vie éternelle; mais nous qui sommes épouses, et qui avons le temps, si nous n'avons pas un vêtement d'amour pour le céleste Epoux, en reconnaissance de son ineffable charité, nous pourrons dire que cette grâce que nous avons reçue dans le baptême est inutile. Nous avons besoin d'élever nos cœurs et nos désirs par la vraie connaissance de nous-mêmes, de la bonté de Dieu à notre égard et de l'amour ineffable qu'il nous porte; car si l'intelligence connaît et voit, le cœur ne peut s'empêcher d'aimer, et la mémoire de retenir son bienfaiteur. Et ainsi l'âme attire l'amour par l'amour, et se trouve revêtue; sa nudité est couverte.

2. Je dis que ce vêtement cache la honte, et cela de deux manières. Le repentir éloigne d'abord la honte du péché; et par la honte que l'âme a d'avoir offensé son Créateur, le vêtement de l'amour de la vertu lui est rendu. Elle honore Dieu, et en recueille le fruit; car dans toutes nos œuvres et nos désirs, Dieu ne veut que la fleur de l'honneur, et nous laisse le fruit. Vous voyez que le vêtement de la charité couvre la honte du péché. Je dis encore qu'il ôte une autre honte, celle que causent l'amour-propre, la sensualité et les jugements du monde. La volonté qui est moite à elle-même dans toutes les choses passagères ne voit plus cette honte; elle se réjouit au contraire des mépris, des affronts, des outrages et des injustices, et elle est heureuse quand elle est foulée aux pieds du monde. Elle se réjouit pour l'honneur de Dieu, de ce que le monde l'accable d'injures [1104], le démon de tentations et la chair de ses révoltes contre l'esprit. Elle s'en réjouit par haine et par vengeance contre elle-même, pour devenir semblable à Jésus crucifié, se trouvant indigne de la paix et du repos d'esprit. Elle n'a pas honte d'être tourmentée et bafouée par ces trois ennemis, le monde, la chair, le démon, parce que sa volonté sensible est morte, et qu'elle s'est revêtue de la souveraine et éternelle volonté de Dieu. Elle reçoit tout avec respect et amour, perce qu'elle voit que Dieu a tout permis par amour et non par haine, et que nous devons avoir, en recevant, le même sentiment que celui qui donne. Il lui est doux de désirer la honte, parce que, avec cette bonté elle chasse l'autre.

3. Oh ! combien est heureuse l'âme qui possède une si douce lumière ! car elle déteste nos passions et celles des autres, et elle aime les peines qui en tiennent. Notre passion est la sensualité, et celle des autres sont les persécutions du monde. Reconnaissez-vous donc, ma très chère Fille, digne de la peine et indigne de la récompense qui suit la peine. Les peines seront les broderies de votre vêtement royal. Vous savez bien que l’Epoux céleste a fait de même; il a brodé sur son vêtement les peines, les fouets, les mépris, les tourments, les outrages, et enfin la mort honteuse de la Croix.

4. J'ai dit encore que le vêtement royal échauffe et consume la froideur; il échauffe par le feu de la plus ardente charité, qui parait dans les transports du désir qu'on a pour l'honneur de Dieu et le salut du prochain, dont on supporte les défauts. Celui qui l'a se réjouit avec les serviteurs de Dieu qui se réjouissent [1105], et il pleure avec les coupables qui devraient pleurer; il a compassion, et gémit de l'offense qu'ils commettent contre Dieu, et il souffrirait avec joie toute sorte de peines et de tourments pour les ramener à l’état de ceux qui se réjouissent et vivent dans l'amour des douces et royales vertus. Ce vêtement détruit la froideur, c’est-à-dire la froideur de l'amour-propre, qui aveugle l'âme et lui ôte la connaissance d'elle-même et de Dieu, qui la prive de la vie de la grâce et engendre l'impatience; et alors la racine de l'orgueil étend ses rameaux, et l'âme offense Dieu et offense le prochain par son amour déréglé, elle devient insupportable à elle-même, et se révolte sans cesse contre l'obéissance. Tout ce mal vient de l'amour-propre; mais le vêtement dont nous parlons le détruit, le consume, et ramène l'âme dans la lumière de la grâce divine.

5. Elle ne marche pas dans les ténèbres, mais elle suit en vérité la voie de l'Agneau sans tache immolé pour nous, et elle entre par la porte de Jésus crucifié, aux noces du Père céleste. Là, elle est affermie et tranquille en Dieu; elle ne craint pas que le monde, le démon et la chair l'en puissent séparer; elle n trouvé une vie sans mort, un apaisement sans dégoût et une faim sans souffrance. Oui, c'est assez: portez, portez, supportez; ne refusez aucun fardeau, si vous voulez gagner à la fin beaucoup. Ne serait-il pas odieux que l'épouse suivit une autre voie que l’Epoux, et vous ne pourrez le faire qu'en étant vêtue comme lui. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir revêtue du vêtement royal, c’est-à-dire de la charité infinie du Roi éternel. Je ne vous en dis [1106] pas davantage. Cachez-vous dans le côté de Jésus crucifié; baignez-vous, anéantissez-vous dans son très doux sang. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CXCVIII (152). - A SOEUR BARTHELEMI DELLA SETA, religieuse du monastère de Saint-Etienne à Pise.- De la conformité de notre volonté à celle de Dieu, et des moyens de résister aux tentations.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma Fille bien-aimée dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir l'épouse véritable consacrée à l'éternel Epoux. La condition de l'épouse véritable est de n'avoir qu'une volonté avec son époux; elle ne peut plus vouloir que ce qu'il veut, et il lui semble qu'il est impossible de penser autre chose que lui, c’est-à-dire consentir à d'autres pensées. Je ne vous dis pas que d'autres pensées ne puissent venir; vous ne pouvez l'empêcher, ni vous ni aucune créature, car le démon ne dort jamais. Dieu le permet pour entretenir son épouse dans une sainte sollicitude, et pour la faire croitre dans la vertu ; c'est pour cela que Dieu permet souvent que l'esprit soit stérile, obscur et si tourmenté de mauvaises pensées, qu'il semble impossible de penser à Dieu, et de se rappeler seulement son nom [1107].

2. Prends garde, ma Fille, lorsque tu éprouves cela en toi-même, de tomber dans le dégoût, dans un trouble déréglé, et d'abandonner tes exercices et la prière, parce que le démon te dit : Pourquoi ne pas quitter cette prière que tu fais sans amour et sans désir; il vaudrait mieux ne pas la faire? Persévère, et ne te laisse pas troubler; mais réponds généreusement: J'aime mieux pour Jésus crucifié m'exercer à souffrir les peines, les ténèbres et les combats que de ne rien faire pour jouir du repos. C'est ce que font les parfaits; s'ils pouvaient éviter l'enfer, avoir leur bien-être en cette vie, et obtenir ainsi la vie éternelle, ils ne le voudraient pas, tant ils aiment ressembler à Jésus crucifié. Ils préfèrent suivre la voie de la Croix que d'être exempts de peines. Quel plus grand bonheur peut avoir l'épouse que de ressembler à son époux, et d'être vêtue du même vêtement? Puisque Jésus crucifié, pendant sa vie, n'a pas choisi autre chose que la Croix et les peines, dont il a été couvert comme d'un vêtement, son épouse doit trouver son bonheur h porter le même vêtement; et parce qu'elle voit l’Epoux l'aimer sans mesure, elle l'aime et le reçoit avec tant d'amour et de désir, que la langue ne pourrait jamais l'exprimer.

3. Mais ta souveraine et éternelle Bonté, pour la faire arriver à ce parfait amour et pour la conserver dans l'humilité, permet que son esprit soit désolé par bien des combats, afin que le créature se connaisse elle-même et qu'elle voie son néant; car si elle était quelque chose, elle éloignerait la peine quand elle voudrait; mais elle ne le peut pas, parce qu'elle n'est rien. En le comprenant, elle s'humilie dans son néant, et elle reconnaît la bonté de Dieu, qui lui a donné l'être par grâce avec tous les dons qu'il y a ajoutés. Tu me diras : Quand j'éprouve tant de peines et de combats, je ne puis voir autre chose que la confusion, et il me semble qu'il est impossible de concevoir quelque espérance, tant je me sens misérable. Je te répondrai, ma Fille bien-aimée, que si tu cherches, tu trouveras Dieu dans la bonne volonté. Admettons que tu éprouves de grands combats, ta volonté ne cesse pas de vouloir Dieu, et c'est pour cela que tu souffres et que tu t'affliges, parce que tu crains d'offenser Dieu. Il faut donc être dans la joie et l'allégresse, et ne pas se laisser abattre par les combats, en voyant que Dieu nous conserve notre volonté bonne, et qu'il nous donne l'horreur du péché mortel.

4. Je me souviens que j'ai entendu dire une fois à une servante de Dieu les paroles que la douce Vérité suprême lui avait adressées (C'est son histoire que sainte Catherine rapporte. (Voir Vie de sainte Catherine, Ier p., ch. 12.). Elle était très éprouvée par la peine et la tentation; et elle était surtout troublée, parce que le démon lui disait : « Tu as beau faire, tu souffriras ainsi toute ta vie, et tu iras ensuite en enfer. » Alors elle répondit généreusement et sans crainte, avec une sainte haine d’elle-même. « Je ne refuse pas la peine, car je l'ai choisie pour ma consolation; et si, à la fin, je vais en enfer, je ne laisserai pas de servir mon Créateur; je mérite d'aller en enfer, puisque j'ai offensé la [1109] douce Vérité suprême; et si Dieu me donne l'enfer, il ne me fait pas injure, car je lui appartiens. » Alors notre Sauveur, au milieu de cette humilité sincère, dissipa les ténèbres et les tentations du démon, comme le soleil paraît quand tombe le brouillard; il lui accorda la grâce de sa présence. Elle répandait des flots de larmes, et s'écriait dans l'ardeur de son amour : « O doux et bon Jésus! où étiez-vous quand mon âme était si affligée? » Le doux Jésus, l'Agneau sans tache, lui répondait : « J'étais près de toi, car je suis fidèle; et je ne m'éloigne jamais de la créature, si la créature ne s 'éloigne pas de moi par le péché mortel.»

5. Cette âme poursuivait ce doux entretien, et disait: « Si vous étiez avec moi, comment ne vous sentais-je pas? Comment se peut-il qu'étant près du feu, je ne sentais pas sa chaleur; je ne sentais que le froid, la tristesse, l'amertume, et il me semblait que j'étais remplie de péchés mortels. » Et Notre-Seigneur lui répondait doucement : « Veux-tu que je te montre, ma fille, comment par ces tentations, tu n'es pas tombée en péché mortel, et comment j'étais près de toi dis-moi ce qui fait le péché mortel? la seule volonté. Le péché et la vertu sont dans le consentement de la volonté; il n'y a pas de péché ni de vertu dans ce qui n'est pas fait volontairement. Ta volonté n'y était pas; car si elle y avait été, tu aurais pris plaisir aux pensées mauvaises du démon; mais parce qu'elle n'y était pas, tu gémissais et tu souffrais par crainte de m'offenser. Tu vois bien que c'est dans la volonté que se trouve le péché ou la vertu. Je te dis que ces combats ne doivent [1110] pas te faire tomber dans un trouble déréglé mais je veux que de ces ténèbres, tu tires la lumière de la connaissance de toi-même. Par cette connaissance tu acquerras la vertu d'humilité, et tu te réjouiras dans ta bonne volonté, parce que tu comprendras que j'habite alors secrètement en toi. Cette volonté est le signe que j'y suis; car si ta volonté était mauvaise, je n'y serais pas par ma grâce. Sais-tu comment j'habite alors en toi? De la même manière que j'étais sur le bois de la Croix, et j'agis avec vous comme mon Père agissait avec moi. »

6. « Pense, ma fille, que sur la Croix j'étais heureux, et je souffrais. J'étais heureux par l'union de la nature divine avec la nature humaine; et cependant la chair souffrait, parce que le Père céleste avait retiré à lui la puissance. Il me laissait souffrir; mais il n'avait pas retiré l'union qui l'unit toujours à moi. Ainsi, pense que j'habite de la même manière dans l'âme. Je retire souvent à moi la consolation, mais je ne retire pas la grâce; la grâce ne se perd jamais que par le péché mortel. Sais-tu pourquoi je fais cela? Uniquement pour conduire l'âme à la perfection; tu sais que l'âme ne peut être parfaite sans les deux ailes de l'humilité et de la charité. L'humilité s'acquiert par la connaissance de soi-même que donne le temps des ténèbres, et la charité s'acquiert en voyant que mon amour lui a conservé une bonne et sainte volonté. Aussi je te dis que l'âme sage, en voyant qu'il en résulte un si grand bien, devient ensuite plus calme, et préfère ces temps d'épreuves à tout autre; ce n'est pas pour un autre motif que je permets les tentations du démon. Je t'ai dit le [1111] moyen : pense combien ces épreuves sont nécessaires. à votre salut. Si l’âme n’était pas quelquefois sollicitée par de nombreuses tentations, elle tombe. rait dans la négligence et perdrait l’ardeur de ses désirs et de sa prière, tandis qu’au moment du combat elle se tient sur ses gardes par crainte de l’ennemi; elle met en défense le château de son âme en recourant à moi qui suis sa force. »

7. « Le démon ne pense pas que je lui permets de vous tenter pour vous faire avancer dans la vertu, et il vous tente pour vous faire tomber dans le désespoir. Lorsque le démon tente quelqu’un qui s’est consacré à mon service, il ne prétend pas le faire tomber sur-le-champ dans le péché, parce qu’il voit bien qu’il aimerait mieux alors mourir que de m’offenser. Mais que fait-il? Il s’applique à le troubler en lui disant: « Toutes ces pensées et ces combats « ne te servent de rien. » Vois la malice du démon, qui n’a pas pu vaincre par le premier moyen, et qui triomphe souvent par le second, avec les apparences de la vertu. Je ne veux pas que tu suives sa volonté perverse, mais je veux que tu écoutes la mienne, comme je te l’ai dit; c’est la règle que je te donne, et je veux que tu l’enseignes aux autres, quand il le faudra. »

8. Ma fille bien-aimée, je te dis la même chose; je veux que tu agisses ainsi, et que tu sois un miroir de vertus, en suivant les traces de Jésus crucifié; ne cherche et ne désire que la Croix, comme doit le faire une épouse fidèle rachetée par le sang de Jésus crucifié. Tu sais bien que tu es son épouse, qu’il t’a épousée, toi et toute créature, non pas avec un [112] anneau d’argent, mais avec l’anneau de sa chair. Vois ce doux petit enfant, qui, le huitième jour de sa naissance, t’offre cet anneau dans la Circoncision. O abîme ! Ô profondeur ineffable de charité, comme vous aimez l’humanité, votre épouse ! O vie qui êtes la vie de toute chose, vous l’avez tirée des mains du démon, qui la possédait comme si elle lui appartenait: vous la lui avez prise en le trompant par votre nature humaine, et vous l’avez épousée avec votre chair; vous avez donné votre sang comme arrhes, et vous avez enfin tout payé en immolant votre corps. Oui, ma Fille, enivre-toi de ce sang et fuis la négligence; cours avec ardeur, et brise avec ce sang la dureté de ton cœur, afin qu’il ne se referme plus par ignorance, par négligence, ou par le fait de quelque créature. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. 

Table des matières (2)


 

CXCIX (153).- A SOEUR BARTHELEMI DELLA SETA, au monastère de Saint-Etienne, à Pise.- De la vraie lumière, qui nous fait connaître et haïr la sensualité.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma Fille bien-aimée dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie et [1113] parfaite lumière, cette lumière qui dissipe nos ténèbres et nous dirige dans la voie de la vérité; elle nous fait connaître notre imperfection et le malheur qu’elle cause, et aussi l’excellence de la perfection. Combien elle nous est utile, et combien elle est agréable à Dieu ! Par cette lumière nous arrivons à la haine parfaite de la sensualité et de l’imperfection, et nous parvenons à l’amour de la vertu, tellement que l’âme ne peut chercher, vouloir ou désirer autre chose que ce qui la porte à la vertu. Elle ne refuse pas les peines et les épreuves; elle les embrasse, au contraire, elle les aime, parce qu’elle voit bien qu’elle ne peut par une autre voie satisfaire son désir d’acquérir la vertu, qu’elle aime; et elle se fait un chemin de la doctrine de Jésus-Christ crucifié, qu’elle suit avec une grande ardeur; elle ne veut savoir que Jésus crucifié. Sa volonté ne lui appartient pas, car elle est morte et anéantie dans la douce volonté de Dieu, à laquelle elle s’est unie par amour; et elle demeure avec Dieu, car alors Dieu est dans l’âme par la grâce, et l’âme est en Dieu. Elle s’élève au-dessus d’elle-même, c’est-à-dire au-dessus de tout sentiment sensitif, et elle goûte la douceur de l’éternelle vérité, cette vérité qui se connaît dans la douce volonté de Dieu à la lumière de la sainte Foi; elle voit dans le sang de l’Agneau que sa volonté ne veut autre chose que notre sanctification.

2. La vérité est que Dieu a créé l’homme à son image et ressemblance, pour lui donner la vie éternelle, et pour rendre louange et gloire à son nom. Par la faute d’Adam, cette vérité ne s’accomplissait [1114] pas dans l’homme, et alors Dieu nous donna le Verbe son. Fils unique, et lui imposa cette grande tâche de racheter le genre humain avec son sang; et le Fils de Dieu, transporté d’amour, courut à la mort honteuse de la très sainte Croix. Il ne fut arrêté dans son obéissance ni par la mort, ni par les peines, ni par les injures et les outrages qu’il recevait; mais, comme un vaillant et généreux capitaine, il fit une enclume de son corps, et ne recula pas devant notre ingratitude. Ainsi fait l’âme qui, à la lumière, a reconnu cette vérité; elle ne recule pas devant les murmures et devant les attaques du démon, devant les ténèbres de l’esprit, et devant les faiblesses de la chair, qui combat contre l’esprit; mais elle foule toutes les choses aux pieds de son amour, elle est constante et persévérante, et plus elle souffre, plus elle se réjouit.

3. Il faut donc chercher cette vraie et parfaite lumière, et repousser avec haine ce qui peut nous la ravir, c’est-à-dire l’amour de nous-mêmes. Nous parviendrons à cette haine, lorsque nous nous renfermerons dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, où nous trouvons l’amour ineffable de Dieu pour nous, et avec cet amour nous chasserons l’amour-propre, parce que l’âme qui se voit aimée vie peut s’empêcher d’aimer. Alors une lumière surnaturelle brille aux yeux de notre intelligence, et cette lumière nous conduit à la perfection; mais sans cette lumière, nous ne pourrions y parvenir. C’est pour cela que j’ai dit que je désirais vous voir à cette vraie et parfaite lumière; et je veux que vous travailliez autant que vous le pourrez à l’avoir en [1115] vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu; Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

 

CC (154).- A SŒUR CONSTANCE, religieuse au monastère de Saint-Abundio, près Sienne.- De la lumière et du repos que donne le sang de JésusChrist.

 

(Le monastère de Saint-Abundio, ou de Sainte-Abonde, de l’Ordre de Saint-Benoît, est à un mille de Sienne.- Il était très aimé par le bienheureux Jean Colombini, qui voulut y être enterré, et par sainte Catherine de Sienne, qui y reçut de grandes grâces.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma Fille bien-aimée dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris et t’encourage dans son précieux sang, avec le désir de te voir baignée, anéantie dans le précieux sang du Fils de Dieu, parce que je vois que dans le souvenir de ce sang, se trouve le feu d’une ardente charité, et que dans la charité ne se trouvent jamais la tristesse et le trouble. Je veux que tu mettes toutes tes affections dans ce sang. Oui, enivre-toi de ce sang; brûle et consume l’amour-propre qui peut être en toi, et que le feu de cet amour éteigne le feu de la crainte et de l’amour de toi-même. O glorieux et précieux Sang ! tu es devenu pour nous un bain, un baume pour nos [1116] blessures. Oui, ma Fille, c’est un bain, et dans ce bain tu trouves la chaleur, l’eau et le lieu du repos. Je te dis que dans ce bain glorieux, tu trouves la chaleur de la charité divine, qui l’a donné par amour; tu trouves le lieu, c’est-à-dire le Dieu éternel ou est le Verbe, et où il était dès le commencement; tu trouves l’eau dans le Sang, car du Sang sort l’eau de la grâce, et il y a un mur qui arrête nos regards. O ineffable et très douce Charité ! vous avez pris le mur de notre humanité, qui a couvert l’éternelle et suprême divinité de l’Homme-Dieu; et cette union a été si parfaite, que la mort, que rien n’a pu la faire cesser. Quelle douceur, quel repos, quelle consolation dans ce sang ! car on y trouve le feu de la divine charité et la vertu de la souveraine et éternelle Déité. Tu sais que c’est la vertu de la divine Essence qui fait la valeur du sang de l’Agneau; tu sais que si l’homme seul eût été sans Dieu, son sang n’aurait pu nous sauver; mais c’est par l’union de Dieu à l’homme que le sacrifice de son sang fut accepté.

2. Ce sang est donc bien glorieux ! C’est un parfum d’agréable odeur qui détruit l’infection de notre iniquité; c’est une lumière qui dissipe les ténèbres, non seulement les ténèbres extérieures du péché mortel, mais encore les ténèbres de ce trouble déréglé qui s’empare souvent de l’âme sous l’apparence d’une fausse humilité; c’est ce trouble qu’excitent dans le cœur ces pensées Ce que ta fais n’est pas agréable à Dieu; tu es en état de damnation. Peu à peu le trouble augmente et obscurcit, sous l’apparence de l’humilité, la vue de l’âme, qui se dit: Tu vois bien que tes péchés te rendent indigne de toute grâce, de toute [1117] faveur. Et alors elle s’éloigne souvent de la sainte Communion et des autres exercices spirituels. C’est le démon qui cause cette erreur et ces ténèbres. Je dis que si toi ou d’autres vous vous anéantissez dans le sang de l’Agneau sans tache, ces illusions ne s’empareront pas de votre esprit; ou, si elles y entrent. elles n’y resteront pas, et elles seront chassées par la foi vive et l’espérance, placées dans ce sang. Tu les mépriseras en disant: Je puis tout par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie; et quand même je devrais tomber en enfer, je ne veux pas abandonner mes exercices. Ce serait une grande folie de se jeter avant le temps dans la confusion de l’enfer.

3. Excite donc en toi le feu de l’amour, ma très chère Fille; ne te trouble pas et réponds-toi à toi-même: Quelle comparaison y a-t-il entre mon iniquité et l’abondance de ce sang répandu avec tant d’amour? Je veux bien que tu voies ton néant, ta négligence, ton ignorance, mais je ne veux pas que tu les voies dans les ténèbres de la confusion, mais à la lumière de la Bonté divine, que tu trouves en toi. Apprends que le démon ne veut que vous arrêter à la seule connaissance de vos misères, tandis que cette connaissance doit toujours être accompagnée de l’espérance dans la miséricorde divine. Sais-tu comment il faut faire? ce que tu fais quand tu entres la nuit dans ta cellule, pour dormir. Tu trouves d’abord ta cellule, puis tu vois ton lit la première chose est nécessaire, mais tu ne t’en contentes pas, et tu cherches des yeux le lit où tu dois prendre ton repos. Tu dois faire de même lorsque tu es entrée [1118] dans la cellule de la connaissance de toi-même. Je veux que tu ouvres l’oeil de ton intelligence avec amour, que tu traverses ta cellule, et que tu ailles vers le lit de la douce Bonté que tu trouves en toi. Tu vois bien que l’être t’a été donné par grâce, et non par obligation.

4. Vois, ma Fille, ce lit est couvert d’une couverture de pourpre teinte dans le sang de l’Agneau immolé et consumé pour nous; c’est lit le lit de ton repos, qu’il ne faut quitter jamais. Tu vois qu’il n’y a pas de cellule sans lit, et de lit sans cellule. Que ton âme se nourrisse de cette Bonté de Dieu; elle peut s’y engraisser, car avec le lit tu trouves la nourriture, la table et le serviteur. Le Père est la table, le Fils est la nourriture, le Saint-Esprit lui-même devient un lit de repos. Sois persuadée que si tu veux te borner à la connaissance de toi-même, tu seras toujours dans la confusion; tu verras la table et le lit préparés, et tu n’en profiteras pas par la connaissance de la bonté divine; tu ne recevras pas la paix et le repos, tu en seras privée, et tu ne porteras aucun fruit. Je te conjure donc par l’amour de Jésus crucifié de rester dans ce doux et glorieux lit de repos. Je suis certaine que tu le feras si tu te noies dans le précieux sang. Aussi je t’ai dit que je désirais te voir baignée et noyée dans le sang du Fils de Dieu. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu [1119].

Table des matières (2)


 

CCI (155).- A SOEUR MADELEINE ALESSA, au monastère de Sainte-Abonde, près Sienne.- Du vêtement royal de la charité, et du renoncement de soi-même par l’obéissance.

(Cette lettre répète en partie avec quelques variantes, la lettre CXCVII)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement royal, du vêtement d’une ardente charité. Ce vêtement couvre la nudité, cache la honte, réchauffe et détruit le froid. Je dis qu’il couvre la nudité : si l’âme, créée à l’image et ressemblance de Dieu, avait l’être sans avoir la grâce divine, elle n’atteindrait pas la fin pour laquelle elle a été créée; Il faut donc avoir d’abord le vêtement de la grâce, que nous recevons dans le saint baptême par la vertu du sang de Jésus-Christ. Avec ce vêtement, les enfants qui meurent dans leurs premières années, possèdent la vie éternelle; mais nous, les épouses qui avons le temps, si nous, ne revêtons pas un vêtement d’amour pour l’Epoux céleste, en reconnaissant son ineffable charité, nous pourrons dire que cette grâce que nous avons reçue dans le baptême reste nue. Il faut donc que nous excitions notre amour et notre désir en [1120] ouvrant l’oeil de l’intelligence pour nous connaître et pour connaître en nous la bonté de Dieu et l’amour Ineffable qu’il a pour nous; car l’intelligence qui connaît et qui voit ne peut s’empêcher d’aimer, et la mémoire de retenir son bienfaiteur; et ainsi l’amour attire l’amour, et l’âme se trouve revêtue; sa nudité est couverte.

2. Je dis que ce vêtement cache la honte de deux manières. D’abord le regret du péché en éloigne la honte; la honte que l’âme ressent d’avoir offensé son Créateur lui a rendu le vêtement de l’amour des vertus; elle honore Dieu et y trouve sa récompense, car, dans tout ce que nous faisons et désirons, Dieu ne veut que la fleur de l’honneur, et nous le fruit de la récompense. Vous voyez donc que ce vêtement cache la honte du péché; je dis, de plus, qu’il ôte une autre honte, celle qui vient de la sensibilité de l’amour-propre et des jugements du monde. La volonté est morte à elle-même et à toutes les choses qui passent; non seulement elle ne rougit pas, mais elle se réjouit de la honte, des mauvais traitements, des mépris, des outrages et des injures; elle aime à se voir foulée aux pieds du monde; elle est heureuse pour l’honneur de Dieu, lorsque le monde la poursuit de ses injures, le démon de ses tentations, et la chair de ses révoltes contre l’esprit; elle s’en réjouit par vengeance et par haine contre elle-même, pour ressembler à Jésus crucifié, se croyant indigne de la paix et de la tranquillité d’esprit. Elle n’a pas honte d’être abaissée et tourmentée par ses trois ennemis, par le monde, la chair et le démon, parce que sa volonté sensitive est morte et revêtue du vêtement de la souveraine et éternelle [1121] bonté de Dieu. Elle reçoit tout avec respect et amour, parce qu’elle voit que Dieu permet tout par amour et non par haine; et nous recevons avec amour ce qui nous est donné avec amour. Aussi il lui est doux de désirer la honte, parce qu’avec cette honte elle chasse la honte.

3. Oh! combien est heureuse l’âme qui possède cette douce lumière! car non seulement elle hait ses inclinations et celles des autres, mais elle aime les peines que causent ces inclinations, qui sont pour nous la sensualité, et pour les autres les persécutions du monde, c’est-à-dire la haine coupable de celui qui persécute. Ma bien chère Fille, juge-toi donc digne de la peine et indigne du fruit qui suit la peiné. Ce seront là les broderies que tu porteras sur ton royal vêtement; tu sais bien que le céleste Epoux s’en est fait un semblable, car il a brodé sur son vêtement les peines, les fouets, les mauvais traitements, les outrages, et enfin la mort honteuse de la Croix.

4. Je dis que ce vêtement échauffe et détruit la froideur il échauffe par la chaleur de la charité, qui se manifeste par l’ardent désir de l’honneur de Dieu, dans le salut du prochain, dont elle fait supporter les défauts. Celui qui la possède se réjouit avec les serviteurs de Dieu qui se réjouissent, et pleure avec les coupables qui devraient pleurer; il pleure par compassion et par regret de l’offense qu’ils font à Dieu, et il se livre à toutes sortes de peines et de tourments pour le ramener à l’état de ceux qui se réjouissent et qui vivent dans l’amour des douces et royales vertus. Ce vêtement consume [1122] aussi le froid de l’amour-propre, qui aveugle l’âme et l’empêche de se connaître et de connaître Dieu. L’amour-propre ôte la vie de la grâce et engendre l’impatience; la racine de l’orgueil étend ses rameaux; l’homme offensa Dieu et le prochain par un attachement déréglé, et il devient insupportable à lui-même. Il est toujours en guerre avec l’obéissance, et il fait tout par amour de lui-même.

5. Aussi, ma très chère et bien-aimée Fille, je veux que tu perdes tout amour-propre qui vient de la sensualité, car il ne serait pas bien que l’épouse du Christ aimât autre chose que son Epoux. Il faut, à la lumière de la raison, embrasser les vertus; autrement tu ne pourrais pas traverser les orages de cette vie ténébreuse; il faut les .passer sur la barque de la sainte obéissance, où tu es entrée; sans elle tu n’arriveras pas au port de la vie véritable, où tu dois t’unir avec le céleste Epoux. Pense que si l’amour-propre la conduit sur l’écueil de la désobéissance, elle se brisera; tu feras naufrage et tu perdras ton trésor, c’est-à-dire la récompense des saintes résolutions que tu as prises en faisant vœu d’obéissance dans ta profession. Délivre-toi donc de cet amour pour ne pas périr; et comme une fidèle épouse, dresse généreusement dans ta barque le mât de l’humble Agneau sans tache, ton Epoux, c’est-à-dire la très sainte Croix avec la voile de son obéissance. Tu vois bien que c’est cette voile de l’obéissance à son Père qu’il a déployée; et il a couru, avec le vent impétueux de l’amour et de la haine du péché de la sensualité, jusqu’à la mort honteuse de la très sainte Croix [1123].

6. Agis de même, ma Fille, avec une obéissance prompte, une humilité sincère, avec l’amour de Dieu et du prochain, supportant et aimant charitablement tes sœurs, sans trouble d’esprit et sans murmure; porte et supporte tout ce que tu entends et vois de ton prochain; reçois avec respect les réprimandes qui te seront faites, pensant qu’elles viennent de l’amour, et non de la haine. Tu éviteras ainsi le mépris et la peine; tu auras l’amour de la vertu, la haine et l’horreur du vice et de l’amour déréglé de toi-même, parce que tu auras reçu les enseignements du doux et bon Jésus, qui est la règle, la voie et la doctrine. Il t’a enseigné cette doctrine par son obéissance, ne fuyant pas la peine, mais accomplissant les ordres de son Père au milieu des opprobres, des outrages, des injures, des murmures, sur l’arbre de la très sainte Croix. Il te montre la voie,. car cette voie de la Croix qu’il a suivie, toi et toute créature raisonnable, vous devez la suivre, supportant toutes les peines, les tourments, les ennuis, pour son amour, déployant sur le mât de Jésus crucifié, la voile de l’amour et du désir, par une persévérante prière.

7. La prière porte et rapporte : elle porte nos désirs pleins de la haine de nous-mêmes et de l’amour de la vertu, éprouvés dans la charité du prochain, et elle rapporte la volonté de Dieu; et lorsque l’âme la connaît, elle se l’applique par de saintes et bonnes œuvres. Alors tu te trouveras dépouillée de ton amour-propre et revêtue du vêtement nuptial. Autrement tu ne serais pas une épouse véritable, et tu ne pourrais résister aux murmures qui, je le sais [1124], t’ont causé de la peine. Je ne veux pas que tu t’en affliges, car c’est la voie que doivent suivre les vrais serviteurs de Dieu. Celui qui le fait est exempt de peine, et jouit de la paix et du repos. C’est pourquoi je t’ai dit que je désirais te voir dépouillée de l’amour-propre sensitif et revêtue du vêtement royal, afin que tu ne souffres pas de l’obéissance et des murmures, et que tu sois dans la paix et dans le calme, goûtant Dieu par la grâce jusqu’à ce que tu en jouisses dans l’éternelle vision, où toutes les peines sont finies, et où on reçoit le fruit des vertus qui suit les peines. Que Dieu vous donne, à toi et aux autres sœurs, sa douce, son éternelle bénédiction. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCII (156).- A LA PRIEURE, et aux autres Soeurs de Sainte-Marie-des-Vierges, à la Prieure de Saint-Georges, et aux autres Soeurs de Pérouse.- De la charité qui s’acquiert par la méditation de l’amour, et des bienfaits de Dieu.- Les trois vœux contiennent toute la doctrine de Jésus-Christ. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chères Mères et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des épouses fidèles, unies et liées par les liens d’une [1125] véritable et ardente charité, par ces liens qui ont cloué et attaché l’Homme-Dieu sur le bois de la très sainte Croix. Ce lien a uni Dieu à l’homme et l’homme à Dieu; il unit l’âme à son Créateur, et il lui fait aimer les véritables et solides vertus. Quel est ce lien? C’est un amour qui lie, retranche et divise; car, de même qu’il unit et lie l’âme à Dieu, il la sépare et la retranche du péché et de l’amour-propre sensitif, qui cause toutes les divisions et tout le mal; il enlève l’eau morte et donne l’eau vive de la grâce; il sépare des ténèbres et donne la lumière, qui fait voir et goûter la vérité.

2. O très doux feu d’amour, qui remplit l’âme des plus suaves douceurs ! Aucune peine, aucune amertume ne peut atteindre l’âme qui brûle de ce feu doux et glorieux. La charité ne juge jamais en mal; elle ne voit pas la volonté de l’homme, mais seulement la volonté de Dieu, sachant qu’il ne veut autre chose que notre sanctification. Puisque Dieu ne veut autre chose que notre bien, que tout vient de lui, et qu’il permet dans ce but les tribulations, les tentations, les peines et les tourments, l’âme ne doit s’affliger de rien, si ce n’est du péché, qui n’est pas. Puisqu’il n’est pas en Dieu, il n’est pas digne d’être aimé; il faut, au contraire, le haïr, et préférer la mort à l’offense de son Créateur. O douceur d’amour ! comment le cœur de votre épouse peut-il ne pas vous aimer, en voyant que vous êtes l’Epoux qui est la vie? Dieu éternel! vous nous avez créés à votre image et ressemblance uniquement par amour, et, lorsque nous avons perdu la grâce par le malheureux péché, vous nous avez donné le Verbe, votre [1126] Fils unique, et votre Fils nous a donné sa vie; il a puni nos iniquités sur son corps, et il a payé une dette qu’il n’avait pas contractée. Hélas! hélas ! misérables que nous sommes ! nous étions des voleurs, et il a été supplicié pour nous!

3. Ne doit-elle pas rougir de honte et de confusion, l’épouse ignorante, endurcie, aveugle, qui n’aime pas lorsqu’elle se voit tant aimée, et que les liens de cet amour sont si doux? Voici le signe de l’amour celui qui aime Dieu avec la raison suit les traces du Verbe, son Fils unique; celui qui ne l’aime pas au contraire, suit les traces du démon et sa propre sensualité. Il obéit aux lois du monde, qui sont opposées à celles de Dieu; il goûte la mort et ne s’en aperçoit pas. Son âme est plongée dans les ténèbres, car elle est privée de la lumière; elle souffre et elle est en querelle continuelle avec son prochain, parce qu’elle est privée des liens de la charité. Elle se trouve livrée aux mains du démon, parce qu’au lieu d’être l’épouse fidèle de Jésus crucifié, elle a, comme une adultère, abandonné son céleste Epoux; car l’épouse, est appelée adultère lorsqu’elle n’a plus l’amour de l’époux, et qu’elle aime, qu’elle s’unit à celui qui n’est pas son époux. Quel danger et quelle honte de se voir aimée, et de ne pas aimer !

4. Aimez-vous donc, aimez-vous les unes les autres; c’est à cela qu’on verra si vous êtes ou non, les épouses et les filles du Christ. On ne les reconnaît qu’à l’amour qui a Dieu pour principe, et qui s’applique au prochain. C’est ainsi qu’il faut arriver à notre but, à notre fin, on suivent les traces de Jésus [1127] crucifié; non le Père, mais le Fils, parce que le Père ne peut souffrir, mais le Fils.

5. Il faut donc suivre la voie de la très sainte Croix, supportant les opprobres, les mépris, les outrages, méprisant le monde avec toutes ses délices souffrant la faim, la soif avec l’esprit de pauvreté, avec une obéissance ferme et persévérante, avec une grande pureté d’âme et de corps, dans la société des personnes qui craignent vraiment Dieu, et dans la solitude de la cellule, en fuyant comme le poison, le parloir et la conversation des faux dévots et des séculiers. Car l’épouse du Christ n’agit pas de la sorte; elle aime la société des vrais serviteurs de Dieu, et non celle de ceux qui n’ont de religieux que l’habit. Il ne faut pas que sous un chef couronné d’épines vivent des membres délicats, comme font les insensés qui s’éloignent du Christ, leur maître, et qui ne recherchent que les délices et les délicatesses du corps. Nous surtout, qui sommes séparées du siècle et placées dans le jardin de la vie religieuse, nous, ses épouses choisies, nous devons être des fleurs de bonne odeur. Oui, si vous observez ce que vous avez promis pour répandre vos doux parfums, vous participerez à la bonté de Dieu en vivant dans sa grâce, et vous le goûterez dans son éternelle vision. Si vous ne le faites pas, vous répandrez une honteuse infection; vous goûterez l’enfer dès cette vie, et vous aurez à la fin en partage la vue des dénions. Pour suivre le Christ, sortez du siècle, renoncez au monde et à ses richesses en vous attachant à la vraie pauvreté. Renoncez à la volonté propre en tous soumettant à la véritable obéissance; éloignez [1128] vous de l’état commun en ne voulant pas être les épouses du monde, pour conserver la vraie continence et la virginité dont le parfum réjouit Dieu et les anges qui se plaisent à habiter l’âme qu’embaume la pureté. Soyez unies et non pas divisées par la haine, la jalousie et l’antipathie, les unes envers les autres; soyez unies étroitement dans les liens de la charité, car autrement vous ne pourriez plaire à Dieu ni avoir aucune vertu parfaite.

6. Quelle honte et quelle confusion pour l’âme qui ne tient pas ce qu’elle a promis, et qui fait tout le contraire ! Elle ne suit pas le Christ, et ne marche pas dans la voie de la Croix; mais elle veut suivre la voie du plaisir. Ce n’est pas la nôtre : il nous faut suivre l’humble Christ, l’Agneau sans tache, le pauvre Agneau; sa pauvreté était si grande, qu’il n’avait pas une place pour reposer sa tête très pure. La souillure du péché n’était pas en lui, et il a obéi à son Père pour notre salut jusqu’à la mort honteuse de la Croix. Les Saints et notre glorieux Père saint Dominique ont fondé leurs Ordres sur ces trois colonnes, la pauvreté, l’obéissance, la chasteté, pour pouvoir mieux ressembler au Christ et suivre sa doctrine et ses conseils ; car de ces vertus procède toute Vertu, et de leurs contraires procèdent tous les vices. La pauvreté éloigne l’orgueil, les conversations du monde et les amitiés dangereuses qui s’entretiennent par des présents; car quand on n’a rien à donner, on ne trouve que l’amitié des vrais serviteurs de Dieu, qui aiment le don de l’âme. Elle éloigne la vanité du cœur et la légèreté d’esprit; elle fait aimer la cellule, où on goûte la sainte oraison,[1129] qui conserve et augmente les vertus. Elle conduit à la pureté parfaite, et fait observer ainsi le vœu de chasteté, tellement qu’on s’abstient non seulement d’un pêché, mais de tous, en foulant aux pieds la sensualité, en macérant son corps, et en le privant de tout plaisir. En le domptant ainsi par le jeûne, les veilles et la prière, on devient humble, patient, charitable; on supporte les défauts de son prochain, et on s’unit à son Créateur par l’amour, et au prochain pour Dieu. L’âme supporte les peines du corps, parce qu’elle y trouve un gain.

7. Lorsqu’elle a ainsi triomphé de l’orgueil, elle y goûte le parfum de la sainte humilité; et elle est aussi obéissante qu’elle est humble, et aussi humble qu’elle est obéissante. Celui qui n’est pas orgueilleux suit ce qui est humble; et s’il est humble, il est vraiment obéissant; il possède ainsi la troisième colonne qui soutient la cité de l’âme. Le véritable obéissant observe les règles et les usages de son Ordre; il n’élève pas la tête de la volonté propre contre son supérieur, et ne discute jamais avec lui; mais au premier mot, il obéit et baisse la tête sous le joug. Il ne dit pas : Pourquoi me commande-t-il, me dit-il cela, et non pas autre chose? mais il cherche le moyen d’obéir promptement. O douce obéissance ! tu n’as jamais de peines ; tu fais vivre et courir les hommes morts, car tu fais mourir la volonté; et plus elle est morte, plus on court rapidement. Car l’âme qui est morte à l’amour-propre de la volonté sensitive, court plus légèrement pour s’unir à son Epoux céleste par l’amour; elle s’élève à une telle hauteur, à un tel repos d’esprit, que dès cette vie, elle commence à goûter les parfums et les fruits de la vie éternelle. Soyez, soyez donc obéissantes jusqu’à la mort; aimez-vous, aimez-vous les unes les autres; unissez-vous par les liens de la charité, car nous ne pouvons autrement atteindre la fin pour laquelle nous avons été créées. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir des épouses unies étroitement dans les liens d’une véritable et ardente charité. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCIII (157).- A LA PRIEURE, et aux Religieuses de Sainte-Agnès, à Montepulciano. - De la reconnaissance envers Dieu, qui se prouve par l’observation de ses commandements et de ses conseils.

(Le couvent de Sainte-Agnès était proche de Montepulciano. Sainte Catherine aimait beaucoup le visiter pour vénérer le corps de la bienheureuse Agnès, qui y était conservé. Plusieurs miracles s’opérèrent pour elle dans ces visites. (Vie de sainte Catherine, Ire p., ch. XII.)

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chères Mères et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir reconnaissantes envers votre Créateur, afin que la source de [1131] la piété ne se tarisse pas dans vos âmes, mais qu’elle s’alimente par la reconnaissance. Faites attention que cette reconnaissance ne doit pas consister seulement en paroles, mais encore en bonnes et saintes œuvres. Et comment la montrerez-vous? En observant les doux commandements de Dieu, et avec ces commandements, les conseils, mentalement et actuellement; car vous avez choisi cette voie des conseils, il faut donc la suivre jusqu’à la mort autrement vous pêcheriez; l’âme qui est reconnaissante les observe toujours. Que promettez-vous dans votre profession? Vous promettez d’observer l’obéissance, la charité, la pauvreté volontaire; et si vous ne les observez pas, vous tarirez la source de la piété.

2.C’est une honte pour une religieuse de posséder quelque chose qu’elle puisse donner. Elle ne doit pas le faire, mais elle doit vivre dans l’union et la charité fraternelle avec toutes ses sœurs; elle ne doit pas souffrir qu’elles éprouvent la faim et le besoin, tandis qu’elle est dans l’abondance. Celle qui est reconnaissante ne le souffre pas, mais elle assiste le prochain et lui est utile; elle voit qu’elle ne peut être utile à Dieu, car il est notre Dieu, et n’a pas besoin de nous. Et comme elle veut montrer qu’elle est véritablement reconnaissante des grâces qu’elle a reçues de lui, elle le montre à l’égard des créatures raisonnables parce qu’elle voit que Dieu les aime beaucoup. En toute chose elle s’applique à montrer dans le prochain sa reconnaissance à Dieu. Ainsi toutes les vertus se développent par la reconnaissance, c’est-à-dire par l’amour que l’âme conçoit en reconnaissant à la lumière les grâces qu’elle a reçues de son [1132] Créateur. Qui la rend patiente et lui fait supporter avec résignation les injures, les reproches, les outrages des créatures, les tentations et les attaques du démon? La reconnaissance. Qui la fait renoncer à la volonté propre, et se soumettre au joug de la sainte obéissance? La reconnaissance. Pour l’observer, elle mortifie son corps par les veilles et les jeûnes, par une humble et continuelle prière; et par l’obéissance elle tue la volonté propre, afin que son corps étant mortifié et sa volonté morte, elle puisse observer sa promesse et montrer ainsi sa reconnaissance envers Dieu.


3. Les vertus sont donc une preuve que l’âme n’oublie pas qu’elle a été créée à l’image et ressemblance de Dieu, qu’elle a été régénérée dans le sang de l’humble Agneau qui lui a rendu la grâce, et qu’elle est reconnaissante de tous les bienfaits, les dons et les faveurs qu’elle a reçus spirituellement ou temporellement; et toutes les vertus montrent que l’âme est pleine d’une grande reconnaissance envers son Créateur. Alors s’augmente en elle le feu du saint désir, qui la porte sans cesse à chercher l’honneur de Dieu et la nourriture des âmes en supportant la peine jusqu’à la mort. Si elle était ingrate, elle n’aimerait pas souffrir pour l’honneur de Dieu et pour se rassasier de cette douce nourriture; mais une paille qu’elle rencontrerait sous les pieds lui serait insupportable; elle chercherait son avantage, et se nourrirait de cette nourriture de mort, de cet amour d’elle-même, qui engendre l’ingratitude et détruit la grâce.

4. C’est en comprenant combien cette nourriture [1133] est dangereuse que je vous disais mon désir de vous voir reconnaissantes des grâces infinies que vous avez reçues de votre Créateur, et spécialement de celle que Sa Sainteté, le Vicaire de Jésus-Christ, a daigné vous accorder; cette sainte indulgence que vous avez toutes reçue est la plus grande que vous puissiez recevoir en cette vie. Il faut donc en être reconnaissantes envers Dieu en l’aimant de tout votre cœur, avec un amour ardent et sans mesure: autrement ce ne serait pas un véritable et bon amour. Je veux aussi que vous soyez reconnaissantes à l’égard du Saint-Père en faisant les humbles et continuelles prières que nous lui devons, parce qu’il est notre Père, et aussi pour la grâce que vous avez reçue de lui et pour les grandes difficultés où il se trouve. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCIV (158). — A SŒUR CHRISTOPHE, prieure du monastère de Sainte-Agnès, à Montepulciano.- Des vertus de sainte Agnès, qu’il faut imiter.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir suivre les traces de notre glorieuse Mère sainte Agnès. Je [1134] vous en conjure, et je veux que vous suiviez sa doctrine et ses exemples. Vous savez bien qu’elle vous a toujours donné les leçons et les exemples de la véritable humilité. C’était la principale vertu qui brillait en elle, et je ne m’étonne pas qu’elle eût ce que doit avoir l’épouse qui veut suivre l’humilité de son Epoux. Elle avait cette charité incréée qui brûlait sans cesse et consumait son cœur; elle avait faim des âmes et s’en rassasiait: elle s’appliquait toujours aux veilles et à l’oraison. Il n’y a pas d’autre moyen d’acquérir la vertu d’humilité, car il n’y a pas d’humilité sans charité, l’une nourrit l’autre. Savez-vous ce qui l’a fait arriver à une vertu solide et parfaite? C’est le dépouillement volontaire qui l’a fait renoncer à elle-même, à la substance du monde et à toute sorte de possession.

2. Cette glorieuse vierge a bien compris que la possession des choses temporelles conduit l’homme à l’orgueil. Il perd la douce vertu de l’humilité, il tombe dans l’amour-propre et manque au mouvement de la charité; il abandonne les veilles, l’oraison, et, parce que son coeur est plein des choses de la terre et de l’amour de lui-même, il ne peut se remplir de Jésus crucifié, ni goûter ses vraies et doux entretiens. La douce Agnès, qui le savait, s’est dépouillée d’elle-même et revêtue de Jésus crucifié, et ce n’était pas seulement pour elle, mais pour nous; c’est un exemple qu’elle vous a laissé et que vous devez suivre. Vous savez bien que vous, les épouses choisies du Christ, vous ne devez pas posséder ce qui vient de votre père, puisque vous êtes unies à votre Epoux; mais vous devez posséder et conserver le bien [1135] de votre Epoux céleste. Le bien de votre père est la sensualité, que nous devons abandonner lorsqu’est venu le moment de suivre l’Epoux et de posséder son. trésor. Quel a été le trésor de Jésus crucifié ? La Croix, les opprobres, les tourments, les injures, la pauvreté volontaire, la faim de l’honneur de son Père et de notre salut. Je vous ai dit que si vous possédez ce trésor par la force de votre âme et l’ardeur de la charité vous arriverez aux vertus dont nous avons parlé; vous serez lés dignes filles de votre Mère, des épouses fidèles et actives, et vous mériterez d’être reçues par Jésus crucifié dans sa gloire; il vous ouvrira les portes de la vie éternelle. Je termine. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié; soyez pleines de zèle et de charité. Si vous êtes unies, et non séparées, ni le démon ni les créatures ne pourront vous nuire et vous éloigner de la perfection. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1136].

Table des matières (2)


 

CCV (159).- A SŒUR EUGENIE, SA NIECE, au couvent de sainte Agnès de Montepulciano.- De la nourriture des anges, qui est le désir de s’unir à Dieu. — Des différentes sortes de prières.

(Deux nièces de sainte Catherine prirent l’habit dans le monastère de Sainte-Agnès; elles étaient filles de son frère Bartholo. Sœur Eugénie mourut sans doute jeune. car on ne trouve pas son nom parmi les religieuses du Chapitre tenu en 1387.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir goûter la nourriture des anges, car tu n’es pas créée pour autre chose. Et pour que tu puisses la goûter, Dieu t’a rachetée par le sang de son Fils unique; mais songes, ma Fille bien-aimée, que cette nourriture ne se prend pas sur terre, mais en haut, et c’est pour cela que le Fils de Dieu a voulu être élevé sur le bois de la très sainte Croix; c’est à cette table qu’il faut monter pour prendre cette nourriture. Mais tu me diras: Quelle est cette nourriture des anges? Je te répondrai : C’est le désir de Dieu, ce désir qui attire l’âme et en fait une même chose avec lui.

2. Cette nourriture, pendant le pèlerinage de cette vie, fait naître l’odeur des vraies et solides vertus. Ces vertus sont préparées au feu de la divine charité et se prennent sur la table de la Croix, c’est-à-dire que [1137] la vertu s’acquiert par la peine et la fatigue, en combattant sa sensualité et en conquérant, par la force et la violence, le royaume de son âme, qui est appelée au ciel parce qu’elle contient Dieu par la grâce. Cette nourriture rend l’âme semblable aux anges; aussi elle s’appelle la nourriture des anges; et quand l’âme est séparée du corps, elle goûte Dieu dans son essence; l’âme en jouit tellement, qu’elle ne peut désirer et demander autre chose que de conserver et d’augmenter cette nourriture. Elle hait tout ce qui lui est contraire, et elle regarde avec prudence, à la lumière de la très sainte Foi, qui éclaire l’oeil de son intelligence, et elle voit ce qui lui est nuisible et ce qui lui est utile; et, selon ce qu’elle voit, elle aime et elle hait. Elle méprise la sensualité, qu’elle foule aux pieds de son affection, avec tous les vices qui en découlent; elle fuit toutes les occasions qui peuvent la porter au péché ou l’éloigner de la perfection; et c’est pour cela qu’elle anéantit sa volonté propre, qui est la cause de tout mal, et elle la soumet au joug de la sainte obéissance, obéissant non seulement à l’Ordre et à son supérieur, mais à la moindre créature pour Dieu. Elle fuit toute louange et toute complaisance humaine, et se glorifie seulement dans les opprobres et les peines de Jésus crucifié. Les injures, les mépris, les outrages ont pour elle la douceur du lait; elle s’y complaît pour devenir semblable à son Epoux, Jésus crucifié. Elle renonce à la conversation des créatures, parce qu’elle voit qu’elles sont souvent un obstacle entre nous et notre Créateur, et elle se réfugie dans la cellule de son corps et de son âme [1138].

3. C’est à cela que je t’invite, toi comme les autres, et je te commande, ma Fille bien-aimée, de rester toujours dans la cellule de la connaissance de toi-même, où se trouve la nourriture angélique de l’ardent désir de Dieu pour nous. Reste aussi dans la cellule matérielle en veillant, en priant sans cesse, en dépouillant ton cœur et ton affection de toi et de toute créature, et en te revêtant de Jésus crucifié; autrement, tu prendrais ta nourriture sur la terre; et je t’ai dit que ce n’est pas là qu’il faut la prendre. Pense que ton Epoux, le Christ, le doux Jésus, ne veut aucun obstacle entre toi et lui ; il est très jaloux, et dès qu’il verra que tu aimes quelque chose hors de lui, il s’éloignera de toi, et tu deviendras digne de la nourriture des bêtes. Ne serais-tu pas réduite à la condition des bêtes, si tu abandonnais le Créateur pour les créatures, et le Bien infini pour les choses finies et transitoires qui passent comme le vent, la lumière pour les ténèbres, la vie pour la mort; Celui qui te revêt du soleil de la justice, du bracelet de l’obéissance, des pierres précieuses de la foi vive, de la ferme espérance et de la charité parfaite, pour celui qui te vole et te dépouille? Ne serais-tu pas bien insensée, si tu quittais Celui qui te donne la pureté véritable? Plus tu t’approches de lui, plus s’épure la fleur de ta virginité; l’abandonnerais-tu pour ceux qui répandent souvent l’infection de l’impureté et qui souillent l’esprit et le corps? Dieu les a éloignés de toi par son infinie miséricorde.

4. Et pour que cela n’arrive pas, prends garde de n’avoir jamais le malheur d’éprouver d’affection particulière [1139] pour un religieux ou pour un séculier. Si je pouvais le savoir ou l’apprendre, en étant même plus éloignée que je ne le suis, je te donnerais une telle pénitence, que tu t’en souviendrais, bon gré mal gré, toute ta vie. Ne donne et ne reçois jamais sans nécessité, mais rends-toi utile généralement à toutes les personnes du dedans et du dehors; sois ferme et prudente pour toi-même; sers tes sœurs avec zèle et charité, surtout celles qui sont dans le besoin. Quand des étrangers passent et te demandent à la grille, conserve-toi dans la paix; ne bouge pas, et laisse-leur dire à la prieure ce qu’ils ont à te dire, à moins que la prieure ne te dise d’y aller par obéissance; baisse alors la tête, mais sois sauvage comme un hérisson; emploie les moyens que la glorieuse vierge sainte Agnès donnait à ses filles. Lorsque tu vas te confesser, expose tes misères; reçois ta pénitence et sauve-toi. Evite ceux avec lesquels tu as été élevée; et ne t’étonne pas si je te parle ainsi, car bien souvent je l’ai entendu dire, les conversations des personnes qu’on appelle si mal des dévots et des dévotes, corrompent les âmes, les règles et les usages de la vie religieuse. Prends garde de lier ton cœur à un autre qu’à Jésus crucifié: lorsque tu voudrais le délier, tu ne le pourrais pas sans beaucoup de peine. Je t’ai dit que l’âme qui se rassasie de la nourriture des anges a vu à la lumière que ces choses étaient des obstacles à cette nourriture, et elle les fuit avec un grand zèle. Elle aime, au contraire, et recherche tout ce qui peut l’augmenter et la conserver; et, comme elle a compris que la meilleure manière d’en jouir est la prière [1140] faite dans la connaissance de soi-même, elle s’y exerce sans cesse par tous les moyens qui peuvent l’unir le plus à Dieu.

5. Il y a trois sortes de prières : il y a d’abord la prière continuelle, c’est-à-dire un saint désir qui prie sans cesse en présence de Dieu, dans tout ce que tu fais; ce désir dirige, pour son honneur, toutes les œuvres spirituelles et corporelles; c’est la prière continuelle dont parle le glorieux saint Paul lorsqu’il dit : « Priez sans jamais vous arrêter (1 Thess 5,17). » Il y a ensuite la prière vocale, lorsqu’on récite l’office et les autres prières cette prière est la préparation de la troisième, qui est la prière mentale. L’âme y arrive lorsqu’elle s’est exercée avec prudence et humilité à la prière vocale, lorsque, pendant que la bouche parlait, son cœur n’était pas loin de Dieu. Elle doit s’appliquer à maintenir et affermir son cœur dans l’amour de la divine charité; et quand elle sent que Dieu la visite, et que son esprit est attiré par son Créateur, elle doit abandonner la prière vocale, et répondre par l’amour à l’amour que Dieu lui montre. Si ensuite cet attrait cesse, et ai le temps le permet, elle doit reprendre la prière vocale, pour que son esprit soit occupé, et jamais vide. Souvent, pendant la prière, abondent les combats, les ténèbres, le trouble et la confusion; le démon veut persuader que dans cet état la prière ne peut être agréable à Dieu. L’âme en butte à ces attaques, ne doit pas cependant abandonner la prière, mais y persévérer avec force et courage, en pensant [1141] que le démon agit ainsi pour nous détourner de la prière qui nourrit notre âme, et que Dieu le permet pour éprouver sa force et sa constance. Dans ces combats et ces ténèbres, elle reconnaît son néant, et, dans la volonté droite qu’elle conserver elle reconnaît la bonté de Dieu, qui donne et conserve les bonnes et saintes résolutions ce qu’il ne refuse jamais qui le veut.

6. L’âme, par ce moyen, arrive à la troisième et dernière manière de prier, à la prière mentale, où elle reçoit la récompense des peines qu’elle a eues dans la prière vocale imparfaite. Elle goûte alors le lait de la fidèle oraison; elle s’élève au-dessus d’elle-même, c’est-à-dire au-dessus du sentiment sensible et grossier, et son esprit céleste s’unit à Dieu dans l’amour. A la lumière de l’intelligence, elle voit, elle connaît et revêt la vérité; elle devient la sœur des anges, elle s’assoit avec son Epoux à la table de l’ardent désir, et se plaît à chercher en tout l’honneur de Dieu et le salut des âmes, parce qu’elle voit bien que c’est pour cela que l’éternel Epoux a couru à la mort honteuse de la Croix, et qu’il a accompli les ordres de son Père et notre salut. La prière mentale est vraiment une mère qui conçoit les vertus dans l’amour de Dieu, et les nourrit dans l’amour du prochain. Où montreras-tu l'amour la foi, l’espérance et l’humilité? Dans la prière; car ce que tu n’aimes pas, tu ne te tourmentes pas pour le chercher, mais celui qui aime veut toujours s unir à ce qu’il aime, c’est-à-dire à Dieu. Par cette prière, tu lui exposes tes besoins, car c’est sur la connaissance de toi-même qu’est, fondée la vraie [1142] prière; tu comprends ta misère, tu te vois entourée d’ennemis, attaquée par le monde, qui te poursuit d’injures et te rappelle ses vains plaisirs, ou par le démon et ses tentations, par la chair et ses révoltes contre l’esprit; tu vois que tu n’as pas l’être par toi-même, et que tu ne peux te secourir. Alors tu cours avec confiance à Celui qui peut et veut t’assister dans tous tes besoins, et tu lui demandes, tu attends son secours avec espérance. C’est ainsi qu’il faut prier pour obtenir ce que tu désires rien de ce qui est juste ne te sera refusé, si tu implores ainsi la Bonté divine; mais, en faisant autrement, tu en retireras peu de fruit.

7. Où sentiras-tu le regret de tes fautes? Dans la prière. Où te dépouilleras-tu de l’amour-propre, qui te rend impatiente au milieu des injures et des peines? Où te revêtiras-tu de l’amour divin, qui te rendra patiente, et te fera te glorifier dans la Croix de Jésus crucifié? Dans la prière. Où respireras-tu le parfum de la virginité? Où ressentiras-tu cette. faim du martyre, qui te fera désirer de donner ta vie pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes? Dans cette douce et maternelle prière. C’est elle qui te rendra l’observatrice fidèle de ta règle, qui scellera dans ton coeur et dans ton esprit les trois vœux solennels de ta profession, et qui gravera en toi le désir de les observer jusqu’à la mort. Elle t’éloignera de la société des créatures pour te donner celle du Créateur; elle remplira le vase de ton cœur du sang de l’humble Agneau et le couvrira de feu, car c’est le feu de l’amour qui l’a répandu. L’âme goûte plus ou moins parfaitement la prière, selon qu’elle se [1143] nourrit de l’aliment des anges, c’est-à-dire du vrai et saint désir de Dieu, en quittant la terre pour le prendre à la table de la très douce Croix. C’est pourquoi je t’ai dit que je désirais te voir nourrie de la nourriture des anges, car je ne vois pas pour toi un autre moyen d’être l’épouse fidèle de Jésus crucifié, comme tu le lui as promis en embrassant la vie religieuse. Oui, que je te voie une pierre précieuse en la présence de Dieu, et- que je n’aie pas perdu mon temps. Baigne-toi, anéantis-toi dans le sang précieux de ton Epoux. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCVI (160).- A UNE RELIGIEUSE du monastère de Sainte-Agnès, de Montepulciano.- Du vêtement nuptial qu’il faut pour plaire à Jésus crucifié. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Chère et bien-aimée Fille dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de ses serviteurs, je t’encourage, je te bénis et je t’écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de te voir l’épouse fidèle et dévouée à l’Epoux, tout ornée du vêtement des vertus. Tu sais, ma Fille bien-aimée, que l’épouse, quand elle va au-devant de l’époux, se pare de ses plus beaux vêtements, et se colore de vermillon [1145] pour plaire à son époux. Je veux que tu fasses de même je veux que tu portes le vêtement de la charité; sans ce vêtement, tu ne pourrais aller aux noces, mais tu entendrais cette parole que le Christ dit à ce serviteur qui était entré sans vêtement nuptial il commanda aux autres de le chasser, et de le jeter dans les ténèbres extérieures (Mt 22, 13). Il ne faut pas que cela t’arrive, ma bien chère Fille; et si tu es appelée pour aller aux noces, je ne veux pas que tu sois trouvée sans ce doux vêtement. Je veux et je demande que tu l’ornes des broderies d’une véritable et sainte obéissance, observant toujours fidèlement la règle, te soumettant à la supérieure et à la moindre des religieuses. Prends la vertu d’humilité pour nourrir en toi la vertu de la sainte obéissance, et reconnais humblement les dons et les grâces que tu as reçus de Dieu. Applique-toi à être une épouse fidèle. Sais-tu quand tu seras fidèle à ton Epoux? Quand tu n’aimeras que lui. Oui, je ne veux pas qu’on trouve en ton cœur un autre que Dieu. Retranche tout amour-propre, toute affection sensible pour tes parents ou pour n’importe quelle chose; et cela sans aucune crainte de vie ou de mort; mais le cœur libre et revêtue de ce saint vêtement, remets-toi entre les mains de ton céleste Epoux, abandonne-toi à sa volonté, pour qu’il fasse et défasse ce qui sera le mieux pour son honneur et pour toi. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1145].

Table des matières (2)


 

CCVII (161). — A LA SŒUR NERA, prieure des mantelées de Saint-Dominique, pendant que sainte Catherine était à la Roche-Agnolino.- Comment il faut travailler à l’honneur de Dieu et au salut des âmes.

( Les Mantelées étaient les tertiaires de Saint-Dominique, parmi lesquelles fut reçue sainte Catherine. Leur nom venait du manteau noir qui les couvrait. Elles vivaient dans leurs maisons, mais elles obéissaient à une prieure. ( Voir : Vie de sainte Catherine, Ire p., ch VIII

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir faire comme le bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Vous devez faire de même, ma bien chère Mère; vous devez vous appliquer à l’honneur de Dieu et au salut des brebis qui vous ont été confiées; et cela sans négligence, pour ne pas être reprise de Dieu, mais avec un zèle véritable, en sacrifiant tout amour propre et toute complaisance pour les créatures. Vous savez, ma très chère Mère, que celui qui s’aime d’une manière sensible, s’il est supérieur, ne corrige pas, parce qu’il craint toujours; ou, s’il corrige, il le fait selon le jugement des créatures, et souvent contre la vérité. Quelquefois il le fera d’après son goût particulier, parce que la manière [1146] d’agir des autres ne lui plaira pas. Il ne faut pas faire ainsi, parce que les voies et les moyens que Dieu prend avec ses serviteurs sont très variés. Il doit nous suffire de les voir désirer suivre Jésus crucifié : autrement nous serions plutôt injustes que justes, car nous ne devons pas les corriger selon nos goûts, mais selon les défauts que nous trouvons on eux. Il faut nous attacher doucement à l’honneur de Dieu, et ouvrir l’oeil de l’intelligence sur ceux qui nous sont soumis, pour donner à chacun ce qui lui convient. Il faut agir différemment avec les moins parfaites et avec les plus parfaites. Il faut savoir condescendre à leurs besoins, en étant toujours ferme à corriger les défauts que vous apercevrez en elles, et à ne rien leur laisser passer par aucune considération humaine.

2. J’espère de l’ineffable et infinie charité de Dieu que vous ferez ainsi. Ouvrez l’oeil de l’intelligence, et regardez l’amour de l’Agneau sans tache percé et cloué sur la Croix, et vous verrez que ce bon Maître a donné Sa vie pour ses brebis. Et avec quelle tendresse, quelle bonté, il nous a parlé, souffert, supporté, nous, pauvres misérables; il a travaillé sans cesse à l’honneur de son Père et à notre salut, ne se laissant arrêter ni par notre ingratitude, ni par les murmures des hommes, ni par la malice du démon. Rien n’a empêché le tendre Agneau de glorifier son Père et d’accomplir parfaitement l’œuvre de son salut. J’espère de sa bonté que vous l’imiterez, ma très douce Mère; vous ne vous laisserez pas décourager par l’ingratitude de vos pauvres filles et de toute notre compagnie, ni par les murmures ou [1147] les propos des créatures, ni par la malice du démon, qui leur met sur la langue ce qu’elles ne devraient pas dire pour empêcher l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Agissez et poursuivez toute chose sans aucune crainte. Que votre cœur et votre intelligence ne s’éloignent jamais de la vérité; car vous ne devrez désirer autre chose que de voir Dieu honoré, et vos filles des modèles de vertus. Alors Dieu accomplira votre désir, vous trouverez votre consolation en elles et en vous-même; car lorsque les autres acquièrent une vertu, ce doit être toujours pour vous, une joie, une consolation. Faites donc ainsi pour l’amour de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCVIII (162). — A SOEUR DANIELLA D’ORVIETE, revêtue de l’habit de Saint-Dominique .- Du contentement et de la paix intérieure dont jouissent ceux qui se conforment à la volonté de Dieu.- Des obstacles à la perfection.

(Cette lettre faisait suite à la cent soixante-dixième que sainte Catherine écrivit au frère Guillaume d’Angleterre.)

1. Tu vois donc que ceux-là goûtent les arrhes de la vie éternelle en cette vie; ils reçoivent les arrhes et non le paiement, mais ils espèrent le recevoir au ciel, où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans peine. Ils évitent la peine de la faim parce qu’ils possèdent ce qu’ils désirent, et ils [1148] ne connaissent pas le dégoût du rassasiement, parce que cet aliment de vie est sans défaut, Il est vrai qu’en cette vie on commence à avoir un avant-goût de ce bonheur à mesure que l’âme est affamée de la nourriture de l’honneur de Dieu et du salut des âmes. Selon qu’elle a faim elle se satisfait, c’est-à-dire qu’elle se nourrit de la charité du prochain, dont elle a faim et désir: c’est là une nourriture qui, en la nourrissant, ne la rassasiera jamais. Elle est insatiable parce qu’elle éprouve une faim continuelle; les arrhes Sont un commencement de sûreté qu’on donne à l’homme, et qui lui fait attendre le paiement. Les arrhes ne sont pas tout certainement, mais elles donnent par la confiance l’assurance de recevoir le reste. De même l’âme qui aime le Christ reçoit, dès cette vie, les arrhes de la charité de Dieu et du prochain; elle n’est pas encore parfaite, mais elle attend la perfection de la vie immortelle.

2. Je dis que ces arrhes ne sont pas parfaites, c’est-à-dire que l’âme qui les goûte n’a pas encore la perfection, et qu’elle éprouve la peine en elle et dans les autres en elle par l’offense que fait à Dieu la loi perverse qui de ses membres, et dans les autres par tes fautes du prochain. Elle a bien la perfection de la grâce, mais elle n’a pas la perfection des saints du ciel, comme je l’ai dit, parce que leurs désirs, Sont sans la peine, et que les nôtres sont avec la peine. Sais-tu comment est le vrai serviteur de Dieu qui se nourrit à la table du saint désir? Il est à la fois dans la joie et dans la peine, comme était le Fils de Dieu sur le bois de la très sainte Croix, parce que la chair du Christ souffrait [1149] et était tourmentée, pendant que son âme était heureuse par l’union de la nature divine. Nous devons de même être heureux par l’union de notre désir en Dieu, en nous revêtant de sa douce volonté; nous devons souffrir en compatissant à notre prochain, et en supportant en nous-mêmes les mouvements sensuels, en combattant notre sensualité. Mais écoute, ma Fille, ma bien-aimée Sœur, jusqu’à présent j’ai parlé pour toi et pour moi en général; je vais maintenant parler pour toi et pour moi en particulier.

3. Je veux que nous fassions surtout deux choses, afin que l’ignorance n’empêche pas la perfection à laquelle Dieu nous appelle, et afin que le démon, sous le manteau de la vertu et de la charité du prochain, ne nourrisse pas dans notre âme la racine de la présomption. C’est ainsi que nous tombons dans les faux jugements; nous croyons bien juger, et nous jugeons mal. En suivant notre opinion, souvent le démon nous fera voir des vérités pour nous conduire au mensonge, et nous jugeons l’intérieur des créatures, que Dieu seul a le droit de juger, C’est là une des deux choses dont je veux que nous nous corrigions; mais il faut le faire avec soin, et non pas légèrement. Voici la règle : Si Dieu nous a formellement montré, non pas une fois, deux fois, mais plus souvent les défauts du prochain, nous ne devons jamais reprendre directement celui qui les a, mais nous devons combattre d’une manière générale les vices que nous avons à juger, et nous devons prêcher la vertu avec charité, avec douceur, mettant, s’il le faut, de la sévérité dans cette douceur. Nous croyons souvent que Dieu nous montre [1150] les défauts des autres; mais, si ce n’est pas une révélation expresse, il faut prendre le parti le plus sûr pour éviter les pièges et la malice du démon, qui nous séduirait avec l’appât du bon désir.

4. Garde donc le silence, ou n’ouvre la bouche que pour louer la vertu et mépriser le vice. Le vice que tu crois reconnaître dans les autres, blâme-le d’une manière générale en toi et dans les autres, toujours avec une humilité sincère; et si ce vice se trouve en la personne que tu as en vue, elle se corrigera bien mieux en se voyant reprise si doucement. Adresse-toi les reproches que tu voulais lui faire; tu ne courras aucun danger, et tu fermeras le chemin à l’ennemi, qui ne pourra te tromper et nuire à la perfection de ton âme. Apprends que nous, ne devons pas nous fier à nos jugements nous devons les mettre derrière nous et ne nous occuper que de la connaissance de nous-même. S’il arrive quelquefois qu’en priant pour quelques personnes, nous voyions dans notre prière que quelques-unes jouissent des lumières de la grâce, et que d’autres qui servent Dieu en soient privées, leurs âmes nous paraissant dans la sécheresse et les ténèbres, nous ne devons pas y voir la preuve de quelques fautes graves en elles, car ton jugement pourrait bien être faux.

5. Une autre fois il arrivera que, priant pour la même personne, tantôt tu la verras devant Dieu avec une lumière et un saint désir tels, que son âme paraîtra s’engraisser de cet heureux état; tantôt il et semblera que son esprit est loin de Dieu, et qu’elle est si remplie de ténèbres et de tentations, que c’est [1151] pour elle une fatigue de prier et de se tenir en la présence de Dieu. Il peut arriver sans doute que ce soit la faute de la personne qui prie; mais le plus souvent, ce ne sera pas sa faute : ce sera une épreuve que Dieu aura envoyée à cette âme; il se sera retiré d’elle par le sentiment de la douceur et de la consolation, mais non par la grâce c’est ce qui cause la stérilité, la sécheresse, la peine de cœur; et c’est par bonté que Dieu permet que cela arrive à l’âme qui le prie, pour pouvoir lui aider à dissiper le nuage de l’amour-propre. Ainsi tu vois, ma douce Sœur, combien serait ignorant et répréhensible le jugement que nous porterions sur cette simple apparence, si nous croyions cette âme coupable. Pieu nous la montre dans le trouble et les ténèbres; nous ne devons pas croire qu’elle est privée de la grâce, mais seulement de la douceur de la présence de Dieu. Oui, je t’en conjure, appliquons-nous, toi et les autres serviteurs de Dieu, à nous connaître parfaitement, afin de connaître plus parfaitement la bonté de Dieu. À sa lumière nous renoncerons à juger le prochain; nous ressentirons une compassion sincère, et nous aurons faim de prêcher la vertu et de reprendre le vice en nous et dans les autres, comme je viens de le dire.

6. Après t’avoir expliqué ce point, je vais te parler d’un autre défaut que nous devons corriger en nous. Quelquefois le démon, ou notre pauvre jugement, nous pousse à vouloir que tous les serviteurs de Dieu suivent la même route que nous. Il arrive souvent que, quand on suit la voie rigoureuse de la pénitence, on voudrait que tout le monde suivit la [1152] même, et si l’on voit quelqu’un qui ne le fait pas, on en a de la peine et on s’en scandalise; on s’imagine qu’il ne peut rien faire de bien, et il arrivera cependant qu’il sera meilleur et plus vertueux que celui qui le juge. Admettons qu’il ne fasse pas d’aussi grandes pénitences que celui qui murmure: c’est que la perfection ne consiste pas à macérer et à tuer son corps, mais à mortifier et à détruire la volonté propre et perverse. C’est par cette voie de la volonté vaincue et soumise à la douce volonté de Dieu, que nous devons désirer voir tout le monde marcher. La pénitence et les macérations sont bonnes, mais il ne faut pas les donner comme une règle générale, parce que tous les corps ne se ressemblent pas. Il arrive souvent que les pénitences qu’on a commencées sont interrompues par des accidents et qu’il faut les abandonner. Si nous prenions ces pénitences pour fondement de notre vie spirituelle ou de celle des autres, ce serait un malheur et une imperfection, parce que l’âme perdrait ainsi sa force et sa consolation; elle serait privée de ce qu’elle aimait, de ce qu’elle avait pris pour fonde. ment, et elle croirait être privée de Dieu. En se croyant privée de Dieu, elle tomberait dans l’ennui, la tristesse, l’abattement, et dans cet abattement elle abandonnerait ses pieux exercices et les prières ferventes qu’elle avait l’habitude de faire.

7. Tu vois combien il est dangereux de prendre la pénitence pour fondement de la perfection; ce serait une erreur, et nous nous exposerions à tomber dans le murmure, la tristesse et le découragement, nous n’offririons qu’une œuvre finie à Dieu, qui est [1153] le bien infini, et qui demande un désir infini. Il faut donc prendre pour fondement la mort et l’anéantissement de la volonté propre et perverse. En soumettant notre volonté à Dieu, nous pourrons offrir un désir ardent et infini pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Nous nous nourrirons ainsi à la table du saint désir, et ce désir ne se troublera pas de ce qui arrivera en nous et dans le prochain, mais il trouvera en tout sa joie et son profit. Je regrette bien, misérable que je suis, de n’avoir jamais suivi cette doctrine. J’ai fait tout le contraire, et je reconnais qu’il m’est arrivé bien souvent de juger défavorablement le prochain. Aussi je te conjure, par l’amour de Jésus crucifié, de me secourir dans cette infirmité et dans les autres. Commençons aujourd’hui à suivre la voie de la vérité; que sa lumière nous apprenne à prendre pour fondement le saint désir, et à ne plus nous fier sur nos jugements Ne sortons plus légèrement de nous-mêmes, et ne jugeons les défauts de notre prochain que pour en avoir compassion et les reprendre d’une manière générale. Nous le ferons en nous nourrissant à la table du saint désir, autrement nous n’y parviendrons pas; c’est du désir que vient la lumière, et la lumière donne le désir; ils se nourrissent mutuellement. Aussi je te dis que je désirais te voir avec la vraie lumière. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1154].

Table des matières (2)


 

CCIX (163).- A SŒUR DANIELLA D’ORVIETE, religieuse de l’Ordre de Saint-Dominique, qui était très affligée de ne pouvoir continuer ses grandes pénitences.- De la vertu de discrétion nécessaire au salut. — Son but est de rendre ce qui est du à Dieu, au prochain et à soi-même.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Sœur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en toi la sainte vertu de la discrétion (Dialogue, Ch IX. Traité de la discrétion). C’est la vertu qu’il est nécessaire d’avoir, si nous voulons faire notre salut. Pourquoi est-elle si nécessaire? Parce qu’elle vient de la connaissance de nous-mêmes et de Dieu. C’est là qu’elle prend ses racines; elle naît véritablement de la charité, cor la discrétion est une lumière et une connaissance que l’âme a de Dieu et d’elle-même. Son principal effet est de voir clairement ce qui est dû à chacun; et dès qu’elle sait ce qu’elle doit, elle le rend avec un discernement parfait; elle rend gloire à Dieu et louange à son nom. Toutes les œuvres que l’âme accomplit, elle les fait avec cette lumière, c’est-à-dire qu’elle les fait toutes dans le but de rendre à Dieu l’honneur qui lui est dû. Elle n’agit pas comme l’indiscret, qui vole en recherchant sa gloire, et qui, pour son honneur et son [1155] bien-être, ne craint pas d’offenser Dieu et de nuire au prochain. Lorsque la racine de l’amour est corrompue par l’indiscrétion dans l’âme, toutes ses œuvres sont viciées en elle et dans les autres; je dis dans les autres, parce qu’elle leur impose des fardeaux sans discernement. Lorsqu’elle commande aux séculiers ou aux religieux, dans quelque position qu’ils soient, si elle les avertit ou les conseille, elle le fait sans discrétion, voulant se servir pour tous du. poids dont elle se sert pour elle-même.

2. L’âme discrète fait le contraire, elle discerne ses besoins et ceux des autres; quand elle a rendu à Dieu l’honneur qu’elle lui doit, elle se rend ce qui lui est dû, c’est-à-dire la haine du vice et de la sensualité. Quelle en est la raison? C’est la vertu qu’elle aime en elle-même; la même lumière qui la rend juste pour elle, la rend juste pour le prochain; aussi je dis pour elle, et pour le prochain. Elle est bienveillante à l’égard du prochain, comme elle y est obligée; elle aime en lui la vertu, elle y déteste le vice; elle l’aime comme la créature du Père éternel et souverain, elle lui montre sa charité plus ou moins parfaitement, selon qu’elle la ressent elle-même. Tel est le principal effet que produit la vertu de discrétion dans l’âme; sa lumière lui fait voir et rendre ce qu’elle doit à chacun.

3. Ce sont les trois principaux rameaux de la discrétion, qui naît de l’arbre de la charité : ces trois rameaux portent une infinie variété de fruits d’une suavité, d’une douceur extrême, qui nourrissent l’âme dans la vie de la grâce, quand elle les prend avec la main du libre arbitre et avec la bouche [1156] d’un saint et ardent désir. Dans quelque état qu’elle soit, l’âme goûte ces fruits si elle a la lumière de la discrétion, de diverses manières, selon les différentes positions. Celui qui est dans le monde et qui a cette lumière cueille le fruit de l’obéissance aux commandements de Dieu, et le fruit du mépris du monde. Il se dépouille intérieurement des richesses, en supposant qu’il en soit revêtu extérieurement. S’il a des enfants, il cueille le fruit de la crainte de Dieu, et il les nourrit de cette sainte crainte ; s’il est puissant, il prend le fruit de la justice, parce qu’il veut rendre avec discernement à chacun ce qui lui est dû; il punit l’injuste avec la rigueur de la justice, pour punir la faute, et il récompense le juste, écoutant toujours le droit, et ne s’en laissant jamais détourner ni par les promesses ni par la crainte servile. S’il est serviteur, il cueille le fruit de l’obéissance et du respect envers son maître, évitant toutes les choses et les circonstances qui pourraient lui déplaire: et il ne le pourrait pas s’il ne les apercevait à cette lumière. Si ce sont des religieux, ou des supérieurs, ils prennent le fruit doux et agréable de l’observance de la règle, supportant mutuellement leurs défauts, acceptant avec joie la honte, le mépris, et portant sur les épaules le joug de l’obéissance. Le supérieur éprouve la faim de l’honneur de Dieu et du salut des âmes qu’il cherche à prendre avec l’amorce de sa doctrine et de ses exemples. Les fruits de la discrétion sont si variés et si nombreux dans les créatures, qu’il serait trop long de les dire, et que la langue ne pourrait suffire à les raconter [1157].

4. Mais maintenant, ma bien chère Fille, parlons plus particulièrement, et en parlant pour nous, nous parlerons pour tous; voyons la règle de la vertu de discrétion dans l’âme. Il me semble que cette règle, qu’elle donne à l’âme et au corps, s’applique à toutes les personnes qui veulent bien vivre actuellement et mentalement, car c’est elle qui doit les diriger et les conduire à tous les degrés et dans toutes les positions. La première règle qu’elle donne à l’âme est celle que nous avons dit : rendre honneur à Dieu, charité au prochain, et à soi-même la haine du vice et de la sensualité. Elle règle la charité envers le prochain, en l’empêchant de lui sacrifier son âme. Elle ne veut pas offenser Dieu pour lui être utile ou pour lui plaire; mais elle fuit la faute avec sagesse, et livre son corps à toutes sortes de peines et de tourments, à la mort même, pour sauver une âme et la retirer des mains du démon, et elle est prête à donner tous ses biens pour soulager les besoins temporels du prochain. La charité agit ainsi avec la lumière de la discrétion, qui règle parfaitement tous ses rapports avec le prochain.

5. Celui qui n’est pas discret fait le contraire; il ne craint pas d’offenser Dieu et de perdre son âme pour être utile ou pour plaire au prochain sans discernement, tantôt en l’accompagnant dans des lieux mauvais, tantôt en rendant pour lui de faux témoignages, de mille manières enfin, selon que l’occasion se présente. C’est l’habitude de l’indiscrétion, qui naît de l’orgueil et de la perversité de l’amour-propre aveugle, qui ne se connaît pas et ne connaît pas Dieu. La discrétion, qui règle l’âme dans la charité [1158] du prochain, la règle aussi et la conserve dans la charité pour elle-même, c’est-à-dire dans l’humble et persévérante prière. Elle la couvre du manteau de l’amour et de la vertu pour qu’elle ne souffre pas de la tiédeur, de la négligence et de l’amour-propre spirituel ou temporel; elle lui donne cet amour de la vertu qui l’empêche d’aimer rien de ce qui pourrait lui nuire. Elle règle et gouverne le corps de telle sorte, que l’âme qui cherche Dieu le prend toujours pour principe, comme nous l’avons dit. Puisqu’elle est renfermée dans le vase du corps, il faut que cette lumière soit sa règle, car le corps est donné à l’âme comme un instrument pour augmenter sa vertu.

6. La discrétion retire le corps des délices et des délicatesses du monde, elle l’éloigne de la société des mondains, et lui donne celle des serviteurs de Dieu. Elle lui fait fuir les lieux coupables, et le conduit dans ceux qui lui inspirent la dévotion; elle règle tous les membres du corps, pour qu’ils soient modestes et retenus. L’oeil ne regarde pas ce qui lui est défendu, et ne voit devant lui que la terre et le ciel; la langue évite les paroles oiseuses et frivoles, elle est prête à annoncer la parole de Dieu pour le salut du prochain, et à confesser ses péchés. L’oreille fuit les discours plaisants, louangeux, dissolus, et le mal qu’on dit du prochain; elle est attentive à écouter les paroles de Dieu, et les plaintes du prochain pour compatir à ses besoins; elle règle de même la main dans ce qu’elle touche et ce qu’elle fait, et elle dirige les pieds dans leur chemin, afin que cette loi mauvaise de la chair qui se révolte contre l’esprit [1159], ne vicie pas ces instruments. Elle soumet son corps aux veilles, aux jeûnes, et aux autres exercices qui servent à le mortifier.

7. Remarque qu’elle ne le fait pas sans discernement, mais bien avec la douce lumière de la discrétion. Et comment le montre-t-elle? En ne prenant pas pour but principal la pratique de la pénitence; et pour ne pas tomber dans ce défaut, la discrétion clairvoyante a soin de couvrir l’âme de l’amour de la vertu pour la lui faire employer comme moyen dans les lieux et les occasions qui le demandent. Si le corps regimbe avec trop de force contre l’esprit, elle prend la verge de la discipline, le jeûne, les cilices bien garnis et les longues veilles, elle l’accable de fardeaux pour qu’il soit plus soumis; mais si le corps est faible et Infirme, la discrétion défend d’agir ainsi. Non seulement il faut abandonner le jeûne, mais il faut manger de la viande; et si ce n’est pas assez d’une fois par jour, il faut en manger quatre. Si on ne peut dormir sur la terre, il faut se servir d’un lit; quand on ne peut se mettre à genoux, il faut s’asseoir ou se coucher s’il est nécessaire. Ainsi le veut la discrétion, qui prend la pénitence pour moyen et non pour but principal.

8. Sais-tu pourquoi? afin que l’âme serve Dieu avec une chose qui ne puisse lui être enlevée et qui ne soit pas finie, mais avec une chose infinie: c’est-à-dire avec un saint désir qui est infini par son union avec le désir infini de Dieu, et avec des vertus que ni le démon, ni les créatures, ni les infirmités ne peuvent nous enlever si nous ne le voulons pas. Et de plus, dans les infirmités s’éprouve la vertu [1160] de patience; dans les attaques et les tentations du démon, la force et la longue persévérance; dans les persécutions qui viennent des créatures, l’humilité, la patience, la charité. Dieu permet aussi que toutes les autres vertus soient éprouvées par leur contraire, sans être jamais détruites cependant, si nous ne voulons pas. C’est ce fondement que nous devons prendre, et non la pénitence. L’âme ne peut prendre deux fondements: il faut renoncer à un ou à l’autre et ce qui n’est pas le principal doit servir d’instrument. Si je prends pour fondement la pénitence corporelle, je bâtis la cité de mon âme sur le sable, et le moindre vent la renversera par terre, car aucun édifice ne peut s’y tenir; mais si je la bâtis sur la vertu, et si je l’appuie sur la pierre vive, le Christ, le doux Jésus, tout édifice, quelque grand qu’il soit, sera solide, et aucune tempête ne pourra le renverser. C’est pour cela et pour bien d’autres inconvénients, qu’il ne faut se servir de’ la pénitence que comme instrument. J’ai déjà vu bien des pénitents qui ne sont pas restés dans la patience et l’obéissance, parce qu’ils se sont appliqués à tuer leurs corps et non leur volonté.

9. C’est le défaut de discrétion qui en est cause. Sais-tu ce qui arrive? ils mettent toute leur consolation, tout leur plaisir à faire pénitence à leur manière et non à celle des autres; ils nourrissent ainsi leur volonté, puisqu’ils l’accomplissent. Ils ont de la joie et de la consolation, et il semble qu’ils sont pleins de Dieu comme s’ils étaient arrivés à la perfection, et ils ne s’aperçoivent pas qu’ils tombent dans l’estime d’eux-mêmes et la présomption. Si quelqu’un ne suit pas la même voie, ils pensent qu’il est dans un état [1161] d’imperfection et de damnation; ils veulent sans discrétion mesurer tous les corps à la mesure dont ils se servent eux-mêmes. Et lorsqu’on veut les retirer de cette voie, ou pour rompre leur volonté ou parce qu’ils en ont vraiment besoin, ils montrent une volonté plus dure que le diamant. il arrive aussi qu’au moment de l’épreuve, de la tentation ou de l’injure, ils se trouvent une volonté viciée plus faible que la paille; ils se sont persuadé, par défaut de discrétion, que la pénitence réprime la colère, l’impatience et les autres mouvements coupables qui viennent du cœur, et il n’en est rien.

10. Cette glorieuse lumière de la discrétion te montre que c’est avec la haine et le mépris de toi-même, avec la honte et le regret de tes fautes, en considérant le Dieu qu’on offense, et la créature qui l’offense, en pensant à la mort et en aimant la vertu que tu pourras tuer le vice dans ton âme, et en arracher les racines. La pénitence taille; mais il reste toujours la racine qui est prête à repousser, et qu’il faut aussi arracher. Cette terre, où viennent les vices, est toujours prête à les recevoir si sa volonté propre les y met par le libre arbitre; mais ils n’y reparaissent pas, si la racine on est arrachée. Il arrive quelquefois que le corps, qui est infirme, force l’âme à quitter ses exercices ordinaires. L’âme tombe aussitôt dans l’ennui et le trouble; elle perd toute joie, et s’imagine être damnée, abandonnée; elle ne trouve plus dans la prière cette douceur qu’elle croyait ressentir au temps de ses pénitences. Où est-elle donc? dans sa propre volonté, sur laquelle elle s’est appuyée; elle ne peut plus la satisfaire, de là sa peine et sa tristesse [1162]. Et pourquoi es-tu tombée dans le trouble et cette sorte de désespoir? où est l’espérance que tu avais du règne de Dieu? tu t’es livrée à l’amour de la pénitence, et tu espérais par son moyen, avoir la vie éternelle; et maintenant que tu ne peux plus la pratiquer, il te semble l’avoir perdue. Ce sont là les fruits du défaut de discrétion; si tu avais la lumière de discrétion, ta verrais qu’il n’y a que la privation de la vertu qui prive de Dieu, et qu’avec la vertu fécondée par le sang du Christ, on obtient la vie éternelle.

11. Secouons donc notre imperfection, et mettons notre amour dans les vraies vertus dont nous avons parlé; elles procurent une joie, une douceur que la langue est incapable d’exprimer. Rien ne peut affliger l’âme fondée sur la vertu et lui ravir l’espérance du ciel parce qu’elle est morte à sa volonté propre, dans les choses spirituelles comme dans les choses temporelles. Elle n’a pas mis son affection dans la pénitence, les consolations ou les révélations, mais dans l’entier abandon, pour l’amour de Jésus crucifié et de la vertu. Aussi elle est patiente et fidèle; elle espère en Dieu, et non pas en elle-même et dans ses œuvres. Elle est humble et obéissante jusqu’à croire aux autres plus qu’à elle-même, car elle n’a pas de présomption; elle se dilate dans les bras de la miséricorde divine, et c’est avec elle qu’elle chasse tout ce qui peut troubler son esprit. Dans les ténèbres et les combats, elle fait briller la lumière de la Foi, et lutte courageusement avec une véritable et profonde humilité; et dans la consolation, elle rentre en elle-même pour ne pas livrer son cœur à de folles joies [1163]. Elle est forte et persévérante, parce qu’elle a détruit en elle la volonté propre, qui la rendait faible et inconstante. Tous les temps, tous les lieux lui conviennent. Si le temps de la pénitence est pour elle un temps d’allégresse et de consolation; elle s’en sert comme d’un moyen; si par nécessité ou par obéissance elle est obligée de l’abandonner, elle s’en réjouit, parce qu’elle a pour fondement l’amour de la vertu qui ne peut lui être ravi, et parce qu’elle voit en cela la perte de sa volonté, contre laquelle elle sait bien qu’il faut toujours lutter avec zèle et courage.

12. Elle prie en tout lieu, parce qu’elle porte toujours avec elle le lieu où Dieu habite par sa grâce, et où nous devons prier, c’est-à-dire la cellule de notre âme, où le saint désir prie continuellement. Ce désir naît à la lumière de l’intelligence pour se contempler en soi-même, et dans le feu ineffable de la divine charité qui se trouve dans le sang répandu avec tant de générosité, tant d’amour. Ce sang remplit le vase de l’âme; c’est ce qu’elle doit s’appliquer à connaître, afin de s’enivrer de ce sang, afin de briller et de consumer dans ce sang sa volonté propre et ne pas se contenter de réciter un certain nombre de Pater noster. C’est ainsi que nous rendrons notre prière continuelle et fidèle, parce que dans le feu de la charité, nous connaîtrons que Dieu est assez puissant pour nous donner ce que nous lui demandons. Dieu est la suprême sagesse, qui sait discerner et donner ce qui nous est nécessaire; c’est un Père tendre et compatissant, qui veut nous donner plus que nous ne désirons, plus que nous ne savons lui [1164] demander pour nos besoins. L’âme est humble, parce qu’elle a reconnu ses défauts et son néant. C’est par cette prière que nous acquérons la vertu, et que nous en conservons l’amour.

13. Quel est le principe d’un si grand bien? la discrétion, fille de la charité, comme nous l’avons dit, et le bien qu’elle a en elle se communique au prochain. Car ce principe, cet amour, cette doctrine qu’elle a revus, elle veut les offrir et elle les offre à la créature, en les lui enseignant par ses exemples et par ses paroles, c’est-à-dire en donnant des conseils quand il le faut ou qu’on les lui demande. Elle fortifie et ne trouble pas l’âme du prochain en la jetant dans le désespoir, lorsqu’elle est tombée dans quelque faute; mais elle se fait faible avec les faibles, et leur donne le remède en les faisant espérer dans le sang de Jésus crucifié. Tels sont, avec bien d’autres, les fruits que donne au prochain la vertu de discrétion.

14. Puisqu’elle est si utile et si nécessaire, ma chère et bien-aimée Fille, ma Sœur dans le Christ, le doux Jésus, je te presse de faire ce qu’autrefois, je le confesse, je n’ai pas fait moi-même avec la perfection que je devais. Il ne t’est pas arrivé comme à moi d’être pleine de défauts, et de choisir malheureusement la vie commode au lieu d’en prendre une pénible; mais tu as voulu ruiner la jeunesse de ton corps pour qu’il ne se révoltât pas contre ton âme; tu as embrassé une vie si rigoureuse, qu’elle parait sortir de l’ordre de la discrétion. Il me semble que l’indiscrétion veut te faire goûter ses fruits, et nourrir ainsi ta volonté propre. Parce que ta as abandonné ce que tu avais coutume de faire, le démon veut te persuader [1165] que tu es damnée. J’en suis très affligée, et je crois que c’est une grande offense envers Dieu. Aussi je veux et je te demande que nous prenions pour fondement l’amour de la vertu, comme le veut la vraie discrétion. Tue la volonté, et fais ce qu’on te fait faire; crois plus aux autres qu’à toi-même. Si tu te sens faible et infirme, prends, tous les jours, la nourriture qui t’est nécessaire pour réparer la nature; et si la faiblesse et l’infirmité disparaissent, reprends ta vie ordinaire avec mesure et non pas sans modération. Il ne faut pas que le bien produit par la pénitence en empêche un plus grand; ne la prends pas pour but principal, car tu serais trompée. Mais je veux que nous courions par la route battue de la vertu, et que nous y conduisions les autres en méprisant et an brisant notre volonté. Si nous avons en nous la vertu de discrétion, nous le ferons; mais nous ne réussirons pas autrement. C’est pourquoi je t’ai dit que je désirais voir en toi la sainte vertu de discrétion. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonne-moi, si je t’ai parlé avec trop de présomption; l’amour de ton salut pour l’honneur de Dieu en est cause. Doux Jésus, Jésus amour [1166].

Table des matières (2)


 

CCX (164).- A LA MEME.- Elle la prie de se baigner dans le sang de Jésus-Christ, pour acquérir la vraie charité, le désir de l’honneur de Dieu et le salut des âmes.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Sœur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir baignée et noyée dans le sang de Jésus crucifié. Dans ce sang tu trouveras le feu de la divine charité, tu goûteras la beauté de l’âme et sa haute dignité. Car Dieu, en regardant en lui-même, se passionna pour la beauté de sa créature, et, comme transporté d’amour, il la créa à son image et à sa ressemblance. L’homme ignorant perdit la noblesse et la beauté de l’innocence par le péché mortel, en désobéissant à Dieu; et Dieu, qui aimait le Verbe, son Fils unique, lui ordonna de nous rendre avec son sang, la vie et la beauté de l’innocence; car c’est dans ce sang que furent lavées et que se lavent les souillures de nos fautes. Tu vois donc que c’est dans ce sang que se trouve et se goûte la beauté de l’âme et l’âme doit donc s’y plonger pour concevoir un plus grand amour de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, en suivant la doctrine du doux et tendre Verbe.

2. Méprise-toi, ma chère Fille, ne te recherche pas pour toi, mais pour Dieu ; cherche Dieu et le prochain [1167] avec zèle, pour la gloire, l’honneur du nom de Dieu et pour le salut des âmes, en offrant d’humbles et continuelles prières avec un ardent désir, en la présence de la divine Bonté. C’est le moment de prendre cette nourriture des âmes sur la table de la très sainte Croix il faut toujours le faire, mais jamais tu ne verras un moment où ce soir si nécessaire. Ma chère Fille, contemple avec douleur et amertume ces ténèbres qui sont venues dans l’Eglise. Tout secours humain paraît manquer; il faut que tu invoques le secours d’en haut avec les autres serviteurs et servantes de Dieu. Prends garde de tomber dans la négligence; c’est le temps de veiller, et non de dormir. Tu sais bien que l’ennemi est aux portes: si les gardes et les habitants de la cité dorment, il n’y a pas de doute qu’ils la perdront. Nous sommes entourés d’une foule d’ennemis, et notre âme doit savoir que le monde, notre propre faiblesse, et le démon avec toutes ses pensées, ne dorment jamais, mais qu’ils sont toujours attentifs à voir si nous dormons, pour pouvoir entrer et dévaster, comme des voleurs, la cité de notre âme.

3. Le corps mystique de la sainte Eglise aussi est entouré de nombreux ennemis. Tu vois que ceux qui devaient être les colonnes et les défenseurs de l’Eglise en sont devenus les persécuteurs par les ténèbres de l’hérésie. Il ne faut donc pas dormir, mais il faut les vaincre par les veilles, les larmes, les sueurs, les douloureux et tendres désirs, avec une humble et continuelle prière. Agis comme l’enfant fidèle de la sainte Eglise; prie et supplie le Dieu tout-puissant pour qu’il répare tout le mal; conjure-le [1168] de fortifier le Saint-Père et de l’éclairer: je parle d’Urbain VI, le vrai Pape, le Vicaire du Christ sur terre. Je le reconnais, et nous devons le reconnaître devant le monde entier, et celui qui dit et fait le contraire, nous ne devons jamais le croire, et préférer plutôt la mort. Baigne-toi dans le précieux Sang, et qu’aucun scrupule, qu’aucune crainte servile ne t’en séparent jamais. Oui, cachons-nous dans le côté de Jésus crucifié; c’est dans cette retraite que nous trouverons l’abondance du Sang; autrement nous marcherions dans les ténèbres et nous nous aimerions nous-mêmes. J’ai compris que c’est le seul moyen et je t’ai dit que je désirais te voir baignée et noyée dans le sang de Jésus crucifié, et je veux que tu le fasses. Je termine. Demeure dans ]a sainte et douce dilection de Dieu; aie désir et faim de son honneur. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXI (165) .- A LA MEME.- La lumière de la foi est nécessaire pour connaître l’éternelle vérité. — Des deux lumières, générale et particulière. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir la vraie et parfaite lumière, afin que tu puisses connaître la vérité dans sa [1169] perfection. Oh! combien est nécessaire cette lumière, ma très chère Fille! Sans elle nous ne pouvons suivre la voie de Jésus crucifié, qui est une voie lumineuse où se trouve la vie; sans elle nous marcherions dans les ténèbres et nous vivrions dans les tempêtes et l’amertume.

2. En réfléchissant bien, je vois qu’on peut avoir cette lumière de deux manières. D’abord une lumière générale que toute créature raisonnable doit posséder pour voir et connaître ce qu’elle doit aimer, et a qui elle doit obéir; elle voit à la lumière de l’intelligence, avec la pupille de la sainte Foi, qu’elle est obligée d’aimer et de servir son Créateur, de l’aimer de tout son cœur, de tout son âme, sans partage, et d’obéir aux commandements de la loi, qui veut que nous aimions Dieu par-dessus toute chose et le prochain comme nous-mêmes. C’est par là qu’il faut tous commencer. Cette lumière générale nous est nécessaire, et sans elle nous serions dans la mort; nous serions privés de la vie de la grâce, et nous suivrions la voie ténébreuse du démon. Mais il y a une autre lumière qui n’est pas séparée de celle-ci; elle lui est unie, et c’est par la première qu’on arrive à la seconde. Ceux qui observent les commandements de Dieu parviennent à une lumière plus parfaite; ils quittent l’imperfection par l’ardeur et la sainteté du désir, et ils embrassent la perfection en observant les commandements et les conseils mentalement et actuellement. Cette lumière doit se développer par la faim et le désir de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, en contemplant, avec la lumière, la lumière du doux et tendre Verbe, que l’âme goûte l’amour ineffable [1170] que Dieu a pour sa créature, cet amour qu’il nous a montré par le moyen du Verbe, qui a couru tout transporté d’ardeur à la mort honteuse de la Croix, pour l’honneur de son Père et pour notre salut.

3. Quand l’âme a connu cette vérité avec la lumière parfaite, elle s’élève au-dessus d’elle-même et de toute affection sensible; elle s’élance avec de violents et tendres désirs pour suivre les traces de Jésus crucifié, au milieu des peines, des opprobres, des mépris, des persécutions du monde, et quelquefois au milieu de celles des serviteurs de Dieu, qui l’éprouvent sous prétexte de vertu, et elle cherche avec faim l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Elle savoure tant cette glorieuse nourriture, qu’elle se méprise et qu’elle méprise le reste; elle ne cherche que cela, et s’oublie. C’est dans cette lumière parfaite que vivaient ces glorieuses vierges et ces saints qui se plaisaient uniquement à la table de la sainte Croix pour prendre cette nourriture avec l’Epoux de leurs âmes. Ainsi donc, ma bien-aimée Fille et ma douce Sœur dans le Christ, le doux Jésus, puisque Dieu nous a fait tant de grâces, et a été si miséricordieux en nous mettant au nombre de celles qui ont passé de la lumière générale à la lumière particulière, puisqu’il nous a tracé la voie parfaite des conseils, nous devons suivre cette voie douce et droite avec perfection, et ne pas tourner la tête en arrière pour quelque cause que ce soit. Nous ne devons pas avancer à notre manière, mais à la manière de Dieu, en souffrant et en évitant le péché jusqu’à la mort.

4. L’âme échappe ainsi aux mains du démon; c’est la voie et la règle que t’a enseignée l’éternelle Vérité [1171]; Il l’a écrite sur son corps en grosses lettres, pour que personne, quelque faible que soit son intelligence, ne puisse avoir d’excuse; et il l’a écrite non pas avec de l’encre, mais avec son sang. Tu vois combien les initiales de ce livre sont belles et grandes, comme elles montrent la vérité du Père, l’amour ineffable avec lequel nous avons été créés: c’est uniquement pour nous faire participer à son éternel et souverain bonheur. Ce Maître est monté dans la chaire de la Croix pour que nous puissions mieux l’entendre et pour que nous ne disions pas: Il nous enseigne d’en bas, et non pas d’en haut. Non; il est monté sur la Croix, et il s’est sacrifié pour glorifier l’honneur de son Père, et pour rétablir sur cette Croix la beauté de nos âmes. Que notre cœur se livre donc à cet amour, puisé dans le livre de vie. Perds-toi entièrement toi-même, et plus tu te perdras, pies tu te retrouveras. Dieu ne méprisera pas ton désir, il te dirigera, il t’enseignera ce que tu dois faire; il éclairera celui auquel tu es soumise pour que tu’ agisses par son conseil. L’âme doit toujours être dans une sainte crainte, et se réjouir de faire tout ce qu’elle fait, en recourant à la prière et à l’obéissance.

5. Tu m’as écrit et j’ai compris par ta lettre que c’était pour toi une épreuve, non pas petite, mais peut’ être plus grande que tontes les autres, de te sentir d’un côté appelée intérieurement de Dieu à des choses nouvelles, et de l’autre, de voir que ses serviteurs s’y opposent en disant que ce n’est pas bien. Je te plains beaucoup, parce que je ne connais pas de peine plus grande que cette crainte que l’âme a d’elle-même, quand elle ne veut pas résister à Dieu et qu’elle voudrait [1172] faire aussi la volonté de ses serviteurs se fiant plus à leur lumière et à leur science qu’a la sienne; et il lui semble que c’est impossible. Je vais te répondre simplement, selon la faiblesse et la bassesse de mon intelligence. Ne te détermine pas de toi-même, mais réponds comme tu te sens appelée. Si tu vois une âme en péril, et que tu puisses la secourir ne ferme pas les yeux, mais applique-toi avec un grand zèle à l’assister jusqu’à la mort, et ne t’inquiète pas de ce qu’on a pu te dire, ni du silence qu’on garde, ni d’aucune autre chose, pour qu’il ne te soit pas dit ensuite : « Malheur à toi, qui n’a pas parlé (Is 6,5). » Il faut prendre pour principe pour unique fondement la charité de Dieu et du prochain: tous les autres exercices sont des instruments et des matériaux placés sur ce fondement; et on ne doit pas, par amour pour les instruments et les matériaux, abandonner ce fondement de l’honneur de Dieu et de l’amour du prochain.

6. Travaille donc, ma Fille, dans ce champ, où tu vois que Dieu t’appelle à travailler, ne prends pas de peine et d’ennui de ce qu’on peut dire, mais supporte-le avec courage. Crains et sers Dieu sans penser à toi-même, et ne t’inquiète pas de ce que peuvent dire les créatures, ci ce n’est pour en avoir compassion Quant au désir que tu as de quitter la maison et de venir à Rome, abandonne-le à la volonté de ton Epoux. Si c’est son honneur et ton salut, il t’en donnera le moyen, et ce sera d’une manière à laquelle tu ne pensais pas et que tu n’aurais jamais imaginé. Laisse-lui [1173] tout faire; perds-toi, mais prends garde de ne te perdre que sur la Croix. C’est là que tu te trouveras parfaitement; mais tu ne pourras le faire qu’avec la lumière parfaite. C’est pourquoi je t’ai dit que je désirais te voir avec une vraie et parfaite lumière, autre que la lumière générale, comme nous l’avons expliqué. Ne dormons plus en nous abandonnant au sommeil de la négligence; gémissons, par d’humbles et continuelles prières, sur le corps mystique de la sainte Eglise et sur le Vicaire de Jésus-Christ. Ne cessons de prier pour lui, afin que Dieu lui donne la lumière et la force pour résister aux attaques des démons incarnés, qui s’aiment eux-mêmes et qui veulent souiller notre foi; c’est le temps de pleurer.

7. Pour ce qui est de ma visite, prie l’éternelle bonté de Dieu qu’elle fasse ce qui sera utile à l’honneur et au salut des âmes, surtout maintenant, que je vais à Rome accomplir la volonté de Jésus crucifié et de son Vicaire. Je ne sais quelle route je prendrais Prie le Christ, le doux Jésus qu’il me conduise par celle qui conviendra le mieux à sa gloire, à la paix et au repos de nos âmes. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1174].

Table des matières (2)


 

CCXII (166).- A MADAME LAPA, SA MERE.- Elle l’exhorte à la vertu de patience, et a la résignation à la volonté de Dieu.

(Lapa, mère de sainte Catherine, était de la famille Piagenti. Elle fut mariée a Jacques Benincasa, et en eut vingt-cinq enfants. Devenue veuve, elle prit l’habit du tiers ordre de Saint-Dominique, comme le prouve un bref de Grégoire XI, qui lui est adressé, ainsi qu’à Lisa, sa belle-fille. On lit : Viduis Senensibus sororibus de Poenitentia B. Dominici. Lapa vécut jusqu’à une extrême vieillesse, comme sainte Catherine le lui avait prédit. (Voir Vie de sainte Catherine, II. p., ch. VIII et la Lettre du B. E. Maconi.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Mère dans le Christ, Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie servante de Jésus crucifié, affermie dans la vraie patience; car sans la patience, nous ne pouvons plaire à Dieu. Dans la patience nous montrons le désir de l’honneur de Dieu et du salut des âmes; cette vertu fait voir aussi que l’âme est revêtue de la douce volonté de Dieu, car elle se réjouit de tout, elle est contente de tout ce qui lui arrive. Aussi la créature qui est revêtue de ce doux vêtement, possède toujours la paix et se plaît à souffrir pour la gloire et la louange du nom de Dieu ;elle se donne elle-même, avec ses enfants, ses biens, sa vie pour l’honneur de Dieu. Je veux que vous agissiez ainsi, ma très chère [1175] Mère; offrez votre volonté et votre indigne, votre misérable fille pour le service et l’honneur de Dieu, pour le salut des âmes, avec une vraie et bonne patience, vous nourrissant du fruit de la très sainte Croix avec cet humble et tendre Agneau: et alors rien ne vous paraîtra pénible. Dépouillez-vous de l’amour-propre sensitif, parce que c’est le moment de travailler à l’honneur de Dieu et au service du prochain. En vous dépouillant de l’amour-propre, vous marcherez avec joie et sans peine. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXIII (167). — A MADAME LAPA SA MERE, et ma soeur Cecca, au monastère de Sainte-Agnès de Montepulciano, pendant qu’elle était à la Roche. Du renoncement à la volonté et aux consolations, à l’exemple des apôtres et de la bienheureuse Vierge Marie.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Mère et ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtues du feu de la divine charité, tellement que toutes les peines, les souffrances, la faim, la soif, les persécutions, les injures, les mépris, les mauvais [1176] traitements, les affronts soient supportés par vous avec une vraie patience, à l’exemple de l’Agneau immolé et consumé pour nous, quand il courut avec tant d’amour à la mort ignominieuse de la Croix. Imitez Marie, notre douce Mère: lorsque les saints Apôtres cherchaient l’honneur de Dieu et le salut des âmes en suivant les traces de son doux Fils, elle consentit à se priver de leur présence, quoiqu’elle les aimât beaucoup, et elle resta seule comme une pauvre étrangère; et les disciples, qui l’aimaient aussi avec une grande tendresse, partirent avec joie, et allèrent souffrir pour l’honneur de Dieu, et endurer les persécutions et les supplices des tyrans. Si vous leur demandiez: Pourquoi partiez-vous avec joie et quittiez-vous Marie? ils vous répondraient: Parce que nous nous étions renoncés nous-mêmes, et que nous nous étions passionnés pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes.

2. Je veux, ma très chère Mère et ma Fille, que vous fassiez de même; et si vous ne l’avez pas fait jusqu’à présent, je veux que vous vous enflammiez du feu de la divine charité, recherchant toujours l’honneur de Dieu et le salut des âmes: autrement vous serez toujours dans la peine et la tribulation, et vous m’affligerez beaucoup. Vous savez bien, ma très chère Mère, que votre misérable fille n’est pas sur terre pour autre chose; c’est à cela que m’a destinée le Créateur. Je sais que vous êtes contente de me voir lui obéir. Je vous en prie, si je reste plus que vous ne le voudriez, n’en soyez pas fâchée, car je ne puis faire autrement; je suis persuadée que si vous connaissiez l’affaire, vous me diriez vous-même [1177] de rester. Je suis ici pour remédier à un grand scandale, si je le puis. Ce n’est pas la faute de la comtesse. Priez donc tous Dieu et la glorieuse Vierge Marie pour que nous réussissions; et vous, Cecca et Justina, baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, parce que c’est le moment de montrer la vertu de vos âmes. Que Dieu vous donne à toutes sa douce et éternelle bénédiction. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXIV (168).- A MADAME LAPA, SA MERE.- Elle désire lui voir la vraie connaissance d’elle-même, et de la bonté de Dieu à son égard

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie connaissance de vous-même et de la bonté de Dieu en vous, parce que, sans cette vraie connaissance, vous ne pourrez participer à la vie de la grâce. Vous devez avec un saint et véritable zèle vous appliquer à comprendre votre néant, et à reconnaître que tout ce que vous êtes, vous le tenez de Dieu, avec tant de dons et de grâces que vous avez reçus de lui, et que vous en recevez tous les jours. C’est de cette manière [1178] que vous serez reconnaissante, et que vous acquerrez une vraie et sainte Patience; vous ne prendrez pas les petites choses pour les grandes, mais les grandes vous paraîtront petites à souffrir pour Jésus crucifié.

2. Il n’y a de bon chevalier que celui qui a fait ses preuves sur le champ de bataille. De même votre âme doit s’éprouver au milieu des combats de la tribulation; il faut qu’elle donne des preuves de patience, qu’elle ne tourne pas la tête en arrière par impatience, et quelle ne se scandalise pas de ce que Dieu permet. Alors elle pourra se réjouir, et attendre la vie éternelle dans la paix et l’allégresse; car elle se reposera sur la Croix, elle se fortifiera dans les peines et les opprobres de Jésus crucifié, et elle pourra attendre avec raison l’éternelle vision de Dieu. Le Christ en a fait la promesse: ceux qui souffriront les persécutions et les tribulations de cette vie seront ensuite rassasiés, consolés, illuminés dans l’éternelle vision de Dieu. Ils goûteront pleinement et sans mesure sa douceur; même dans cette vie, Dieu commencera à consoler ceux qui souffrent pour lui. Mais sans la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, nous ne pourrons jamais arriver à ce bonheur. Je vous prie donc, autant que je le sais et que je le puis de vous appliquer à l’acquérir, afin que nous ne perdions pas le fruit de nos peines. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1179].

Table des matières (2)


 

CCXV (169).- A MADAME LAPA, SA MERE, avant son retour d'Avignon.- Elle cherche à lui faire supporter avec patience son éloignement, parce que l’honneur de Dieu et le salut des âmes le demandent.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma bien-aimée Mère dans le Christ, le doux Jésus, votre indigne et misérable petite fille, Catherine, vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu. J’ai désiré avec un grand désir vous voir la mère véritable non seulement de mon corps, mais aussi de mon âme. Je pense que si vous aimiez plus mon âme que mon corps, toute tendresse exagérée mourrait en vous, et vous ne souffririez pas tant d’être privée de ma présence corporelle. Vous en auriez au contraire de la consolation, et vous voudriez pour l’honneur de Dieu, souffrir la peine que je vous cause, en pensant qu’il s’agit de l'honneur de Dieu: en travaillant à l’honneur de Dieu, j’augmente la grâce et la vertu de mon âme. Il est donc bien vrai, ma très douce Mère, qu’en aimant plus mon âme que mon corps, vous serez consolée au lieu d’être affligée. Je veux que vous écoutiez Marie, cette douce Mère qui, pour l’honneur de Dieu et le salut de nos âmes, nous a donné son Fils mort sur le bois de la très sainte Croix. Et quand Marie resta seule, après l’ascension de Notre-Seigneur, elle resta avec les disciples. Il est bien certain que c’était pour elle et pour les disciples une grande consolation, et que ce fut [1180] une grande peine lorsqu’il fallut les quitter pour la gloire et l’honneur de son Fils et pour le bien du monde entier. Elle y consentit, et elle voulut qu’ils partissent; elle préféra la peine de leur départ à la consolation de leur présence à cause de l’amour qu’elle avait pour l’honneur de Dieu et pour notre Salut.

2. Profitez de son exemple, ma chère Mère. Vous savez qu’il faut que je suive la volonté de Dieu, et je sais que vous voulez que je la suive. Sa volonté a été que je parte, et ce départ n’a pas été sans dessein secret de sa providence et sans résultats bien utiles. Si je suis resté, c’est par sa volonté et non par la volonté de l’homme; et celui qui dira le contraire se trompe, et n’est pas dans la vérité. Il faut que j’aille, en suivant ses traces de la manière et au moment qu’il plaira à son ineffable bonté; et vous, comme ma bonne et douce Mère, vous devez être contente et ne pas vous affliger de souffrir toute sorte de peines pour l’honneur de Dieu, pour votre salut et pour le mien. Rappelez-vous ce que Vous faisiez pour les biens temporels, lorsque vos enfants s’éloignaient de vous pour acquérir des richesses; et maintenant que c’est pour acquérir la vie éternelle vous en souffrez tant que vous dites que vous allez mourir si je ne vous réponds pas bien vite. Cela vient de ce que vous aimez plus la partie de moi-même que j’ai tirée de vous que celle qui me vient de Dieu, c’est-à-dire la chair dont vous m’avez revêtue. Elevez, élevez donc un peu votre cœur et votre amour vers la douce et très sainte Croix, qui adoucit toute peine, Consentez à souffrir un peu de peine passagère pour éviter [1181] la peine infinie que méritent nos péchés; fortifie-vous dans l’amour de Jésus crucifié, et ne croyez pas être abandonnée de Dieu, ni de moi. Vous serez consolée, et vous le serez abondamment. La peine n’est pas si grande que sera grande la joie. Nous reviendrons avec la grâce de Dieu; et nous serions déjà de retour, sans l’obstacle que nous a causé la maladie grave de Néri (Cette lettre est écrite de Gênes, où Nèri fut guéri miraculeusement par les prières de sainte Catherine. (Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. VIII.). Maître Jean et frère Barthélemy aussi ont été malades. Je termine. Nous nous recommandons à vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXVI (170). — A SŒUR CATHERINE, SOEUR URSULE, et aux autres dames de Pise. - L’âme unie à Dieu par la charité ne peut en être séparée par aucune tribulation et par aucune attaque du démon.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes Filles bien-aimées dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baignées et anéanties dans le sang de l’Agneau immolé, parce que je vois que dans ce sang, nous avons la vie. Aussi je veux, mes très chères Filles, que vous ouvriez l’oeil de votre intelligence pour regarder dans le [1182] vase de la connaissance de vous-mêmes. Oui vous trouverez en vous un vase qui reçoit le glorieux et précieux sang, parce qu’au sang est uni la nature divine mêlée au feu de la charité; et l’aine qui regarde dans le vase de la connaissance de soi-même trouve ce sang, que Dieu a donné par le moyen de son Fils. Mais parce que ce sang n’a été versé que pour le péché, l’âme y trouve la connaissance de soi-même ; et en se voyant pleine de défauts, elle voit encore dans ce sang la divine justice; car c’est pour punir le péché commis que ce sang a été répandu. Alors l’âme comprend que l’éternelle volonté de Dieu ne cherche et ne veut autre chose que sa sanctification; s’il avait voulu autre chose que notre bien, il ne nous eût pas donné ainsi la vie.

2. Contemplez-vous dans le sang que vous trouverez en vous-mêmes. Fixez, fixez l’oeil de votre intelligence sur la puissance du Père, que vous trouvez dans ce sang par l’union de la nature divine à la nature humaine. Vous y trouverez encore la sagesse du Fils et dans cette sagesse vous connaîtrez son éternelle et souveraine bonté et notre profonde misère, parce que vous trouverez la clémence de l’Esprit-Saint, qui a été le lien qui unit Dieu à l’homme et l’homme à Dieu, et qui a cloué et fixé le Verbe sur le bois de la très sainte Croix. C’est ainsi que votre volonté fortifiera et augmentera son amour, et vous vous lierez tellement avec Jésus crucifié, que ni le démon ni les créatures ne pourront jamais vous en Séparer; mais tout ce qui vous arrivera de contraire vous fortifiera dans l’amour et l’union de Dieu et du prochain, car la vertu s’éprouve [1183] par les contraires, et plus l’âme est éprouvée, plus son union avec le Créateur est parfaite. Il vous semble quelquefois que les tribulations vous séparent de l’union et de la vertu il n’en est rien; elles sont même un moyen d’accroître cette union et cette vertu; car l’âme sage qui est revêtue du sang de Jésus crucifié, quand elle se voit persécutée et foulée aux pieds par le monde, se sépare davantage du monde; et si ce sont des combats qui viennent du démon, ils sont cause qu’elle s’humilie, qu’elle secoue le sommeil de la négligence et qu’elle arrive à un zèle plus parfait. Si vous êtes sages et prudentes, ces épreuves dissiperont toute ignorance, et vous concevrez une connaissance et une lumière qui vous procureront la grâce d’avoir non seulement la lumière en vous, mais encore de la répandre au dehors par vos exemples et le reflet de vos vertus sur toutes les autres créatures; et vous accomplirez ainsi la parole de notre Sauveur, qui nous commande d’être une lampe ardente qui répand la lumière et non les ténèbres.

3. Ainsi donc, mes Filles bien-aimées, que je ne vous trouve plus endormies dans les ténèbres de l’amour-propre; mais soyez remplies d’un amour ineffable qui vous fera chercher vous-mêmes pour Dieu, le prochain pour Dieu, et Dieu pour Dieu, car il est l’éternelle et souveraine Bonté, digne d’être aimée et de n’être pas offensée par nous. Je termine. Aimez-vous les unes les autres, mes très chères et bien-aimées Filles, et liez-vous par les liens d’une véritable et ardente charité. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1184].

Table des matières (2)


 

CCXVII (171). — A FRANÇOISE, fille de François Tholomei, religieuse de l’ordre de Saint-Dominique, lorsqu’elle était malade.- De la patience dans les infirmités, et les épreuves que Dieu lui envoie. —Cette patience s’acquiert par l’amour et la considération de la divine bonté.

(Françoise Tholomei fut convertie par les exhortations de sainte Catherine. avec sa sœur Ginocchia. Elles prirent l’habit de tertiaire, et moururent en odeur de sainteté. (Vie de sainte Catherine, Ire p., ch. VII.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang. avec le désir de te voir une vraie et sainte patience, afin que tu portes avec courage la maladie et tout ce que Dieu permet qu’il t’arrive, comme doit le faire une véritable servante et épouse de Jésus crucifié. Oui, l’épouse ne doit pas oublier la volonté de son époux. Mais remarque bien, ma très chère Fille, que jamais ta volonté ne sera unie et soumise à celle de Dieu, si tu ne regardes pas, à la lumière de la très sainte Foi, combien tu as été aimée de lui ; en te voyant aimée, tu ne pourras t’empêcher de l’aimer, et en l’aimant, tu détesteras la sensualité, qui rend impatiente l’âme qui l’aime; et dès que tu la détesteras tu deviendras patiente, parce que tu te connaîtras à la lumière. Mais où trouveras-tu cet amour? Dans le sang de l’humble Agneau sans tache, qui, pour laver [1185] la face de son Epouse, a couru à la mort. honteuse de la Croix; et par le feu de sa charité il l’a purifiée de sa faute, en la lavant dans l’eau du saint baptême. Ce baptême n’agit en nous que par la vertu du Sang, et le Sang a été la couleur qui a rendu vermeille la face de l’âme, qu’avait rendue toute pâle la faute d’Adam. Tout cela s’est fait par amour.

2. Tu vois donc que le sang te montre l’amour de Dieu pour toi. Il est l’éternel Epoux qui ne meurt jamais; il est la souveraine sagesse, la souveraine puissance, la souveraine clémence, la souveraine bonté, tellement que le soleil lui-même est ravi de sa beauté. Il est la souveraine pureté, ai bien que plus l’âme qui est son épouse, s’approche de lui, plus elle devient pure et libre de tout péché, plus elle respire le parfum de la virginité; et aussi l’épouse, qui voit combien il aime la pureté, s’applique à s’approcher de lui pal’ le moyen qui peut l’unir plus parfaitement à lui. Quel est ce moyen? C’est la prière humble, fidèle et persévérante. Je dis humble, par la connaissance d’elle-même; persévérante, par la persévérance des saints désirs, et fidèle par la connaissance que tu asile Dieu, en voyant qu’il est fidèle et qu’il peut te donner ce que tu demandes; car il est la souveraine sagesse qui sait, et la souveraine clémence qui veut te donner plus que ta ne sais demander.

3. Quand ainsi tu seras parvenue à une patience parfaite, en tout lieu, en tout temps, en tout état que tu te trouves et que tu te trouveras, dans la maladie ou dans la santé, dans les combats ou dans le repos, il ne faudra pas croire que les épreuves souillent l’âme quand la volonté ne les reçoit avec aucun [1186] plaisir. Si l’âme sent que la volonté ne les aime pas elle doit prendre courage, et ne pas se laisser aller au trouble et aux ennuis de l’esprit; mais elle doit voir que Dieu les permet pour lui donner l’humilité, pour la conserver et l’augmenter en elle. Je veux que tu fasses ainsi. Réjouis-toi, réjouis-toi, ma Fille, de ce que Dieu, dans sa miséricorde t’a jugée digne de souffrir pour lui; pense que tu n’en as pas digne et en le faisant, tu te soumettras en toute chose à la volonté de ton doux Epoux, tu accompliras en toi la volonté de Dieu et le désir de mon âme; car je t’ai dit que je désirais te voir une véritable et sainte patience; je t’en conjure et je le veux. Que ton très doux Epoux veuille bien t’en faire la grâce pour encore un peu de temps. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXVIII (172). — A SOEUR JEANNE DE CAPO, et à sœur Françoise, à Sienne.- De la vertu de charité et de ses effets.

(Jeanne de Capo était disciple de sainte Catherine, et l’accompagna lorsque le Pape Grégoire XI l’envoya négocier la paix à Florence. Elle fut guérie miraculeusement du mal de pied qui l’empêchait de marcher. (Vie de sainte Catherine, Iie p., ch. XI)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chères et bien-aimées Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine la servante et [1187] l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir toutes enflammées et consumées du feu de la divine charité, de sorte que tout amour-propre, toute froideur de cœur, toutes ténèbres d’esprit soient bannis de vos âmes. C’est là l’effet de la divine charité, qui agit sans cesse et ne se lasse jamais. Elle est comme l’usurier, qui gagne toujours avec le temps : s’il dort il gagne, s’il mange il gagne; quoi qu’il fasse il gagne, et ne perd jamais le temps; ce n’est pas l’usurier, c’est le trésor du temps qui rapporte. Ainsi fait l’épouse qui aime le Christ, lorsqu’elle est enflammée de la divine charité; elle gagne toujours, et n’est jamais oisive; elle dort, et la charité travaille; qu’elle mange, qu’elle dorme, qu’elle veille, tout lui profite. O charité pleine de joie ! tu es cette mère qui nourrit les enfants des vertus sur ton sein; tu es plus riche que toutes les richesses; et l’âme qui se revêt de toi ne peut être pauvre. Tu lui donnes la beauté, car tu la rends une même chose avec toi, puisque, comme dit saint Jean, Dieu est charité, et celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu en lui (1 Jn 4,16).

2. O Filles bien-aimées! la joie, le bonheur de mon âme, regardez l’excellence et la dignité que vous avez reçues de Dieu par le moyen de cette mère, la charité. Si l’amour que Dieu a eu pour sa créature l’a forcé de nous tirer de lui-même, et de nous donner son image et sa ressemblance, c’est uniquement pour que nous soyons heureux, pour [1188] que nous le goûtions, et pour que nous participions à son éternelle beauté. Il ne nous a pas fait des animaux sans intelligence et sans mémoire, mais il nous a donné la mémoire pour retenir ses bienfaits, l’intelligence pour comprendre son éternelle volonté, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification, et la volonté pour l’aimer. Le regard de l’intelligence comprend que la volonté du Verbe est que. nous suivions la voie de la très sainte Croix, en supportant les peines, les mauvais traitements, les mépris, les injures pour Jésus crucifié, qui est en nous et nous fortifie; la volonté se lève aussitôt, embrasée par le feu de la charité, et elle court aimer ce que Dieu aime, haïr ce que Dieu hait, si bien qu’elle ne veut chercher, désirer et embrasser que l’éternelle et souveraine volonté de Dieu. Parce qu’elle a vu et compris que Dieu ne veut que notre bien, et qu’il aime à être suivi dans. la voie de la Croix, elle est contente et se réjouit de ce que Dieu permet; elle accepte la maladie, la pauvreté, les injures, ou des commandements insupportables et indiscrets; elle se réjouit de toutes ces choses, pares qu’elle voit que Dieu les permet pour son utilité et sa perfection.

3. Et je ne m’étonne pas si elle est libre de toute peine, car elle a éloigné d’elle la chose qui cause la peine, c’est-à-dire sa volonté fondée sur l’amour-propre, et qu’elle a revêtu la volonté de Dieu, fondée sur la charité. Si vous me dites : Ma Mère, comment nous en revêtir? Je vous répondrai Par la haine et par l’amour. L’amour vous revêtira d’amour. Celui qui prend un vêtement se dépouille du vieux [1189] par haine, et il prend le nouveau par amour; et, mes chères Filles, est-ce ce vêtement qui revêt? Non, c’est l’amour; car le vêtement ne changerait pas si la créature n’en voulait pas, un autre par amour. Où pourrons-nous trouver cette haine? dans la seule connaissance de nous-mêmes. En voyant votre néant vous perdrez tout orgueil, et vous concevrez unè humilité sincère. Cette connaissance fait trouver la lumière et la grandeur de la bonté de Dieu, et son ineffable et salutaire charité, qui ne nous est pas cachée. Elle était cachée à nos esprits grossiers avant que le Verbe, le Fils unique de Dieu, s’incarnât; mais depuis qu’il a voulu être notre frère en se revêtant de notre grossière humanité, il s’est manifesté à nous, et il a été élevé de terre pour que le feu de son amour fût aperçu de toute créature, et qu’il attira par sa force tous les cœurs. Oui, il est bien vrai que l’amour transforme, et qu’il fait une seule chose de celui qui aime et de celui qui est aimé.

4. Appliquez-vous donc, mes chères Filles, à étendre les bras de votre amour, pour prendre et retenir dans votre mémoire ce qu’a compris votre intelligence. De cette manière, vous accomplirez le désir de Dieu et le mien en vous. Je vous verrai embrasées, consumées, revêtues du feu de la divine charité. Faites, faites que vous vous nourrissiez du précieux Sang, pour que notre moment vienne bientôt. Ne vous étonnez pas si nous ne sommes pas encore venues; nous viendrons bientôt, s’il plaît à la bonté divine - Le service de l’Eglise et la volonté du Saint-Père ont un peu retardé mon arrivée. Je vous [1190] conjure et je vous commande, mes Filles et mes Fils, de prier, d’offrir vos saints et ardents désirs en la présence de Dieu pour la sainte Eglise, car elle est bien persécutée. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXIX (173).- A LA MEME SOEUR JEANNE, et à ses autres filles, à Sienne.- De la mansuétude de Jésus-Christ; de la douceur qu’il nous a enseignée par son exemple.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères et bien-aimées Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris et vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, l’Agneau doux et sans tache, qui fut immolé, non par la force des clous et de la lance, mais par la force de l’amour et de la charité infinie qu’il avait et qu’il a pour la créature. O charité ineffable de notre Dieu! vous m’avez enseigné votre doux amour, et vous me l’avez montré non seulement par des paroles, car vous disiez que vous s’aimiez pas beaucoup les paroles, mais encore par des actes qui vous plaisent davantage, et que vous demandez de vos serviteurs. Et que m’avez-vous enseigné, charité incréée de mon Dieu? Vous m’avez enseigné que je devais souffrir patiemment comme l’Agneau, non seulement les paroles dures, mais encore les persécutions injustes[1191], les injures et les mauvais traitements. Et vous voulez qu’à son exemple je sois innocente et sans tache, c’est-à-dire sans nuire au prochain ni à aucun de mes frères, non seulement à ceux qui ne me persécutent pas, mais à ceux qui m’accablent d’injures; et vous voulez que nous priions pour eux comme pour des amis choisis qui nous ont été toujours bons et profitables. Non seulement vous voulez que nous soyons patients et doux au milieu des injures et des pertes temporelles, mais généralement dans tout ce qui est contraire à notre volonté, comme vous-mêmes vous n’avez voulu faire en rien votre volonté, mais celle de votre Père. Comment donc pourrions-nous nous révolter contre la Bonté divine? En voulant l’accomplissement de notre volonté coupable. Comment ne voudrions-nous pas l’accomplissement de la volonté de Dieu?

2. O très doux Amour Jésus ! faites que toujours votre volonté s’accomplisse en nous comme elle est accomplie dans le ciel par les anges et par les saints. C’est cette douceur, mes bien-aimées Filles dans le Christ Jésus, que notre doux Sauveur veut trouver en vous. Oui, que votre cœur calme et tranquille soit content de tout ce que Dieu ordonne et fait à notre égard. Ne voulons pas le lieu et le temps selon notre caprice, mais- acceptons-les selon son bon plaisir; et alors notre âme, ainsi dépouillée de tout vouloir et revêtue de la volonté de Dieu, est très agréable à Dieu, son maître. Et comme un cheval libre, elle court avec ardeur, de grâce en grâce, de vertu en vertu ; aucun frein, aucun lien ne l’empêche de courir, car elle a coupé l’appétit déréglé et le [1192] désir de la volonté, qui sont les freins et les liens qui empêchent l’âme de courir dans les voies spirituelles.

3. Les affaires de la croisade vont de mieux en mieux, et l’honneur de Dieu grandit chaque jour. Et vous, grandissez sans cesse en vertu; approvisionnez le vaisseau de vos âmes, car notre temps s’approche. Prenez courage, et bénissez Françoise de la part de Jésus-Christ et de la mienne; dites-lui qu’elle travaille avec zèle, pour que je la trouve grandie en vertu quand je reviendrai. Bénissez et encouragez tous mes enfants dans le Christ. Ces jours-ci est arrivé l’ambassadeur de la reine de Chypre, qui s’est entretenu avec moi (Eléonore, reine de Chypre, fille du prince d’Antioche, et veuve du roi Pierre Ier, gouvernait cette île pendant la minorité de son fils. Elle était particulièrement intéressée à la croisade, parce qu’elle était plus exposée que tout autre aux attaques des infidèles.); il va trouver le Saint-Père, le Christ sur terre, pour le presser au sujet de la croisade. Le Saint-Père a aussi envoyé à Gênes pour presser à ce sujet. Que notre doux Sauveur vous donne son éternelle bénédiction. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1193].

Table des matières (2)


 

CCXX (174). — A CATHERINE DE L’HOPITAL, et à Jeanne de Capo. — Combien il faut déplorer les outrages contre Dieu et contre l’Eglise.

(Dello spedallucio. Ce petit hôpital, situé prés du couvent de Saint-Dominique, servait autrefois aux religieux de l’Ordre. Il était sans doute occupé, au XIVe siècle, par les tertiaires malades. Cette compagne de sainte Catherine vivait encore à l’époque du procès de Venise, en1411. Le P. Thomas Caffarini en parle avec éloges dans sa déposition.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mes très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de nous voir affermies dans une patience véritable et dans une humilité profonde, afin que vous puissiez suivre le doux Agneau sans tache, car vous ne pouvez pas le suivre d’une autre manière. Voici le moment, mes chères Filles, de montrer si nous avons des vertus, et si vous êtes ses enfants. Il faut souffrir avec patience les persécutions, les calomnies, les injures et les outrages de toutes les créatures; il faut le faire avec une humilité sincère, sans se scandaliser, s’impatienter, sans lever la tête avec orgueil contre personne. Vous savez bien que c’est la doctrine qui nous a été donnée, et que c’est sur la Croix qu’il faut se nourrir de l’honneur de Dieu et du salut des âmes avec une [1194] vraie et sainte patience. Oh! oui, mes douces Filles, je vous invite de la part de la Vérité suprême à éloigner de vous le sommeil de la négligence et de l’amour-propre, et à offrir d’humbles et continuelles prières dans les veilles et la connaissance de vous-mêmes; car le monde périt sous le poids de ses iniquités et par les outrages qu’il fait à la douce Epouse du Christ. Rendons honneur à Dieu et service au prochain. Hélas! vous et les autres servantes de. Dieu, ne pensez qu’à sacrifier votre vie dans les soupirs et dans les larmes, car il n’y a pas d’autre moyen d’apaiser la colère de Dieu que nous voyons prête à éclater sur nous.

2. O mes Filles, que je suis à plaindre! je crois que c’est moi, misérable, qui suis cause de tous ces maux par mon ingratitude et les fautes que j’ai commises envers mon Créateur. Hélas! hélas! quel est ce Dieu, qui est offensé par ses créatures? C’est Celui qui est l’éternelle Bonté, Celui dont la charité a créé l’homme à son image et ressemblance, et le fait renaître à la grâce, après son péché, dans le sang du tendre Agneau sans tache, son Fils unique. Et quel est cet homme mercenaire et ignorant qui offense son Créateur? Nous sommes ceux qui ne serions rien par nous-mêmes, si Dieu ne nous avait pas créés; et par nous-mêmes, nous sommes pleins de misère, et il semble que nous ne cherchons que les moyens d’offenser Dieu et la créature en haine du Créateur. Nous voyons de nos yeux misérables persécuter dans la sainte l’Eglise de Dieu, ce précieux sang qui nous a donné la vie. Que nos cœurs se brisent donc dans l’angoisse du désir ! Que la vie [1195] quitte nos corps ! il vaut mieux mourir que de voir tant d’outrages contre Dieu. Moi, je meurs toute vivante, et je demande la mort à mon Créateur sans pouvoir l’obtenir; il me serait meilleur de mourir que de vivre, pour ne pas voir cette grande ruine qui afflige et qui menace encore les chrétiens. Servons-nous des armes de la sainte prière, car je ne vois pas d’autres ressources. Voici le temps de la persécution pour les serviteurs de Dieu, qui doivent se cacher dans les cavernes de la connaissance d’eux-mêmes, en criant miséricorde vers Dieu par les mérites du sang de son Fils. Je ne veux pas en dire davantage; car si je m’écoutais, mes Filles, je ne finirais pas, tant que Dieu me laisserait un souffle de vie.

3. Maintenant je te dirai, Andréa, que ce n’est pas celui qui commence qui reçoit la couronne de gloire, mais celui qui persévère jusqu’à la mort. O ma Fille ! tu as commencé à mettre la main à la charrue de la vertu en t’éloignant du péché mortel et de son vomissement; il faut donc persévérer pour recevoir la récompense de la peine que souffre ton âme, en voulant réprimer sa jeunesse, et l’empêcher de devenir un membre du démon. Hélas! ma Fille, tu ne penses pas que tu serais un membre du démon, si tu t’endormais dans la fange de l’impureté. La miséricorde de Dieu a retiré ton âme et ton corps des misères où tu étais plongée. Il ne faut pas être oublieuse et ingrate, parce qu’il t’arriverait malheur, et que le démon reviendrait avec sept compagnons plus terribles que la première fois. Tu montreras que tu as reconnaissante de la grâce que tu [1196] as reçue, en étant forte contre les attaques du démon, contre le monde et la chair qui te tourmentent, en persévérant dans la vertu. Ma Fille, si tu veux triompher dans les combats, attache-toi à l’arbre de la très sainte Croix par l’abstinence, par les veilles et la prière; baigne-toi par le saint désir dans le sang de Jésus crucifié. Tu acquerras ainsi la vie de la grâce, tu feras la volonté de Dieu, tu satisferas l’ardent désir que j’ai de te voir une véritable servante de Jésus crucifié. Oui, je t’en conjure, sors de l’enfance, et prends pour époux le Christ, qui t’a rachetée de son sang. Si tu veux vivre dans le monde, Il faut attendre que tu puisses le faire comme le veut l’honneur de Dieu et ton bien. Sois soumise et obéissante jusqu’à la mort, et n’abandonne jamais la direction de Catherine et de Jeanne. Je sais qu’elles ne te conseilleront et ne te diront jamais rien qui ne soit utile à l’honneur de Dieu et au salut de ton âme et de ton corps. Si tu ne le fais pas, j’en aurai un grand chagrin, et ta en retireras peu de profit. J’espère de la bonté de Dieu que tu agiras de telle manière, que Dieu y trouvera son honneur, toi une récompense, et moi une grande consolation, Catherine et Jeanne, je vous recommande bien de travailler à l’honneur de Dieu et à son salut jusqu’à la mort. Mes douces Filles, voici le moment de. peines, et ces peines deviennent des consolations par Jésus crucifié. Je m’arrête. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1197].

Table des matières (2)


 

CCXXI (1175).- A CATHERINE DE L’HOPITAL, et à Jeanne, à Sienne. - Combien il est nécessaire de se dépouiller de notre volonté.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des filles obéissantes et unies dans une vraie et parfaite charité. L’obéissance et l’amour dissiperont vos peines et vos ténèbres; car l’obéissance détruit ce qui cause vos peines, c’est-à-dire la volonté propre et mauvaise qui meurt dans la sainte et véritable obéissance. Les ténèbres sont dissipées et consumées par le feu de la charité et de l’union, car Dieu est la charité véritable et l’éternelle lumière. Celui qui prend pour guide cette lumière ne peut se tromper de chemin. Aussi je veux, mes très chères Filles, puisque cela est si nécessaire, que vous vous appliquiez à perdre vos volontés et à acquérir cette lumière. C’est cette doctrine que je me rappelle bien vous avoir toujours donnée, quoique vous l’ayez peu retenue. Ce que vous n’avez pas fait, très douces Filles, je vous conjure de le faire, et si vous ne le faites pas, vous m’affligerez beaucoup, moi, misérable, qui suis digne de toute peine. Il nous faut faire ce que firent [1198] les saints Apôtres, lorsqu’ils eurent reçu le Saint-Esprit ils se séparèrent les uns des autres et de leur douce Mère Marie. Nous pouvons croire que tout leur bonheur était d’habiter ensemble, et pourtant ils renoncèrent à. ce bonheur pour chercher l’honneur de Dieu et le salut des âmes; et quand Marie les quitta, ils ne pensèrent pas que son amour diminuerait et qu’ils en seraient oubliés. C’est la règle qu’il faut prendre pour nous-mêmes.

2. Je sais la grande consolation que vous donne ma présence; mais, pour pratiquer la véritable obéissance, Vous devez, pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes, ne pas chercher votre propre consolation, et ne pas donner prise au démon, qui vous fait croire que vous êtes privées de l’affection et de l’amour que j’ai pour vos âmes et vos corps. S’il en était autrement, vous n’auriez pas raison, car je vous assure que je ne vous aime que pour Dieu. Pourquoi donc ressentir une peine déraisonnable pour des choses qu’il faut faire nécessairement? Oh comment ferons-nous donc dans les grandes circonstances, si nous faiblissons ainsi dans les petites? Dieu nous unit et nous sépare, selon que le moment le demande. Notre doux Sauveur veut et permet que nous soyons séparés pour son honneur. Vous êtes à Sienne; Cecca et Nonna sont à Montepulciano ; frère Barthélemi et frère Matthieu ont été vous rejoindre, et resteront; Alessia et soeur Bruno sont à Montjove, éloigné de dix-huit milles de Montepulciano; elles restent avec la comtesse et avec Mme Isa; frère Raymond, frère Thomas, soeur Thomme, Lisa et moi, nous sommes à la Roche, parmi les brigands, et nous avons tant de démons incarnés à [1199] manger (Expression ordinaire à sainte Catherine, qui exhortait tout le monde à se nourrir des âmes sur la table de la sainte Croix. Elle employait ses disciples à la conversion des pécheurs. (Vie de sainte Catherine; 110 p.., ch. 7.), que frère Thomas prétend qu’il en a mal à l’estomac, et pourtant il ne peut s’en rassasier. Ils y prennent profit de plus en plus, et ils sont bien récompensés de leurs peines. Priez la Bonté divine de leur donner de bons morceaux, bien doux et bien amers; pensez que l’honneur de Dieu et le salut des âmes y gagnent beaucoup. Pouvez-vous vouloir ou désirer autre chose? En le faisant, vous ne pourrez faire une chose qui soit plus agréable à l’éternelle volonté de Dieu et à la mienne. Courage donc, mes Filles; commencez à faire le sacrifice de vos volontés à Dieu, et ne demandez pas toujours le lait des enfants, lorsqu’il faut avec les dents du désir, mordre du pain dur et même moisi, s’il en est besoin. Je termine. Liez-vous dans les doux liens de la charité; vous montrerez par là que vous êtes mes Filles, et pas autrement. Prenez courage dans le Christ, le doux Jésus, et fortifiez toutes mes autres filles, etc. Nous reviendrons le plus tôt que nous pourrons, selon le bon plaisir de la Bonté divine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1200].

Table des matières (2)


 

CCXXII (176).- A SOEUR ALESSIA, et à soeur Cecca .- De la persévérance, et des deux manières de la perdre, et de s’éloigner de la perfection.

(Soeur Alessia ou Alexis fut une des plus fidèles compagnes de sainte Catherine; elle était de Sienne, et de la famille de Saracini. Devenue veuve elle consacra tous ses biens aux bonnes œuvres, et revêtit l’habit des tertiaires de Saint-Dominique. Le B. Raymond en fait l’éloge dans sa Légende, IIIe p., ch. 1. La soeur Cecca ou Francesca était veuve de Clément Gori, noble siennois. Ses quatre enfants entrèrent dans l’ordre de Saint-Dominique. Elle mourut à Rome, en 1383, et fut enterrée dans l’église de la Minerve.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constantes et persévérantes dans la vertu, afin que ‘vous ne tourniez pas la tête en arrière pour regarder la charrue. On peut regarder en arrière de deux manières. D’abord, lorsqu’une personne qui est sortie de la fange du monde, tourne la tête pour le plaisir de sa volonté, et fixe le regard de son intelligence sur ce qu’elle avait abandonné; celle-là n’avance pas, et retourne à son vomissement pour reprendre ce qu’elle avait rejeté. Aussi le Christ dit que a personne ne doit se tourner en arrière pour regarder la charrue, c’est-à-dire ne pas se tourner pour regarder ses plaisirs [1201] passés, ni se complaire dans ce qu’on a fait soi-même, mais l’attribuer à la bonté de Dieu. Il faut donc avancer par la persévérance dans la vertu, et ne pas se tourner en arrière, mais vers la connaissance de soi-même, où se trouve la grandeur de la bonté de Dieu. Cette connaissance dépouille l’âme de l’amour-propre et la revêt d’une sainte haine et d’un amour de Dieu qui fait chercher uniquement Jésus crucifié; non pas les créatures, les choses créées ou soi-même, d’une manière sensible, mais le seul Jésus crucifié, dont on aime et on désire les opprobres.

2. Celui qui s’y applique et qui arrache la racine de l’amour-propre marche en avant et ne tourne pas la tête en arrière; mais si cette racine n’est pas entièrement arrachée spirituellement et temporellement, il tournera bientôt la tête de la seconde manière: S’il le fait cette fois, ce n’est pas pour les délices du monde; quand l’Ame a commencé à mettre la main à la charrue de la perfection, cette perfection consiste principalement à se renoncer en toute chose et à tuer sa volonté, plus encore dans les choses spirituelles que dans les choses temporelles, car l’âme a rejeté les choses temporelles, mais elle s’applique aux choses spirituelles. Dans cet état de perfection, l’âme aime véritablement son Créateur et les créatures pour lui, plus ou moins, selon qu’elles l’aiment. Je dis donc que si la racine de l’amour-propre n’est pas entièrement arrachée de cette âme, elle tournera la tête en arrière de la seconde manière, et elle nuira à sa perfection car, ou elle lui nuit en aimant la créature sans mesure, tandis qu’elle devrait seulement aimer Dieu ainsi, et aimer [1202] la créature comme le veut et le demande le Créateur; ou elle ralentira son amour envers la créature, qu’elle aimait particulièrement. Cette diminution de l’amour, qui vient de la faute de ceux qu’on aime, ne peut exister sans diminuer l’amour qu’on a pour Dieu; mais quand elle arrive aux murmures, au scandale par l’éloignement de la personne qu’on aime, ou par la privation de la consolation, elle devient coupable, et ceux qui agissent ainsi tournent la tête en arrière en ralentissant la charité envers le prochain.

3. Ce n’est donc pas là le chemin de la perfection, mais c’est la persévérance. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir constantes et persévérantes dans la vertu. J’ai vu que vous étiez au milieu des loups menaçants, et qu’aucune de vous n’était forte et ne faiblissait pas; j’ai vu tourner la tête en arrière à celles que je croyais capables de lutter contre les vents et de résister à tout jusqu’à la mort; je croyais qu’elles ne détourneraient pas, non seulement le visage, mais encore le regard. C’est une preuve que la racine n’est pas entièrement arrachée; car, si elle était arrachée, nous ferions ce que doivent faire les vrais serviteurs de Dieu, que les épines, les ronces, les murmures, les conseils, les créatures, les menaces et la crainte des parents ne font jamais reculer; nous suivrions Jésus crucifié dans la prison et dans la mort, nous suivrions ses traces en portant le joug de la vraie et sainte obéissance à la règle. Je ne dis pas cela pour moi, car si ces personnes voulaient m’obéir, je ne le voudrais pas. Non, je ne m’en afflige pas pour moi, mais pour le tort qu’elles font à la perfection [1203] de leur âme; car, pour moi, j’en profite; c’est encore un moyen de connaître mon ignorance et l’ingratitude, qui m’empêchent de bien choisir le moment et de comprendre les grâces que j’ai reçues de mon Créateur; elle me font donc pratiquer la vertu. Mais je n’ai pas voulu me taire, parce que la mère est obligée de dire ce qui est utile à ses enfants. Je vous ai enfantées, vous et les autres, avec bien des larmes et bien des sueurs; et je vous enfanterai jusqu’à la mort, comme Dieu m’en fera la grâce dans ces jours de douce solitude que Dieu donne, à moi et à cette pauvre famille de la Vérité suprême. Il semble qu’il veut que je renouvelle les provisions du vaisseau de mon âme, en ne recevant de consolation que de mon Créateur, et en m’appliquant à chercher et à connaître la douce vérité, en criant et en priant en la présence de Dieu pour le salut du monde entier. Que Dieu nous donne, à vous, à moi et à tous, la grâce de le faire avec un grand zèle.

4. Recommandez à Theopento qu’il prie Dieu pour nous, maintenant qu’il est dans sa cellule, pendant que nous sommes voyageurs et pèlerins sur cette terre, où nous goûtons le lait et les épines de Jésus crucifié. Dites-lui qu’il lise cette lettre. Que celui qui a des oreilles écoute, que celui qui a des yeux voie, que celui qui a des pieds marche sans tourner la tête en arrière; oui, qu’il marche en avant, à la suite de Jésus crucifié, et que ses mains accomplissent de saintes et vraies bonnes œuvres, fondées sur Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1204].

Table des matières (2)


 

CCXXIII (177).- A SOEUR ALESSIA.- De la manière d’arriver à la perfection.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, etc., moi, ton indigne et misérable Mère, je désire que tu arrives à la perfection pour laquelle Dieu t’a choisie. Il me semble que pour y arriver, il faut marcher avec ordre, et non pas sans direction; il faut faire toutes nos œuvres avec mesure et sans mesure. Il convient d’aimer Dieu sans mesure; l’amour que nous avons pour lui doit être sans bornes, sans limites, sans exception; mais pour arriver à la perfection de l’amour, il faut régler ta vie. La première règle est de fuir la conversation de toute créature, à moins que la charité ne le réclame; il faut aimer beaucoup le prochain et le rechercher peu; et même, avec les personnes que tu aimes d’un amour spirituel, il faut parler avec mesure. Si tu ne le fais pas, pense que cet amour sans mesure que tu dois avoir pour Dieu en souffrira, car sa créature finie lui sera un obstacle. Tu l’aimeras de l’amour sans mesure que tu devais à Dieu; ce sera un obstacle à ta perfection, car, même spirituellement, tu dois aimer avec mesure.

2. Que ton amour soit comme un vase que tu emplis dans une fontaine, et qui te sert à boire dans [1205] cette fontaine (Dialogue ch. LXIV). Si tu retires ton amour de Dieu, qui est la fontaine d’eau vive, si tu ne bois pas continuellement en lui, ton vase deviendra vide; ce sera une preuve que tu ne bois pas pleinement en Dieu. Quand la personne que tu aimes te cause quelque peine, ou par les rapports que tu as avec elle, ou par la privation des consolations que tu avais l’habitude d’en recevoir, ou par quelques autres circonstances qui se présentent, si tu souffres alors d’autre chose que de l’offense qui est faite à Dieu, c’est une preuve manifeste que cet amour est encore imparfait, et que tu bois hors la fontaine. Comment donc rendre parfait cet amour, qui est imparfait? Le moyen est de corriger et de châtier les mouvements de ton cœur par la connaissance de toi-même, par la haine et le mépris de ton imperfection, c’est-à-dire en te reprochant d’être assez grossière pour donner à la créature l’amour que tu devais tout entier à Dieu, pour aimer la créature sans mesure, et Dieu avec mesure. Car l’amour de la créature doit avoir pour mesure celui de Dieu, et non les consolations spirituelles ou temporelles. Ainsi, efforce-toi d’aimer tout en Dieu et de corriger tes affections mal réglées.

3. Fais-toi, ma Fille, deux habitations: l’une dans ta cellule, pour ne pas aller causer de tous les côtés, et pour n’en sortir que par nécessité, par obéissance à la prieure, ou par charité. Fais-toi une autre habitation spirituelle que tu porteras toujours avec toi c’est la cellule de la vraie connaissance de toi-même. Tu y trouveras la connaissance de la bonté de Dieu [1206] à ton égard; ce sont deux cellules dans une; et, en étant dans une, il ne faut pas quitter l’autre, car l’âme tomberait ainsi dans le trouble ou la présomption. Si tu ne connaissais que toi-même, tu tomberais dans le découragement; si tu ne connaissais que la bonté divine, tu tomberais dans la présomption. Il faut donc que les deux connaissances soient unies l’une à l’autre et ne fassent qu’une même chose. En agissant ainsi, tu arriveras à la perfection; car, par la connaissance de toi-même, tu acquerras la haine de ta propre sensualité, et par cette haine tu deviendras un juge, tu t’assoiras sur le tribunal de ta conscience; tu jugeras et tu ne laisseras passer aucun défaut sans en faire justice.

4. Cette connaissance est la source de l’humilité, qui ne se glorifie et ne se scandalise aussi de rien; mais l’âme est patiente, et supporte avec joie les injures, la perte des consolations et toutes sortes de peines, de quelque côté qu’elles viennent. La honte lui paraît une gloire, et les grandes persécutions un repos ; elle s’en réjouit, parce qu’elle y voit la punition de cette loi mauvaise de la volonté sensitive qui se révolte toujours contre Dieu, et parce qu’elle devient semblable à Jésus crucifié, qui est la voie et la doctrine de la vérité. Dans la connaissance de Dieu tu trouveras le feu de la divine charité.

5. Où seras-tu heureuse? sur la Croix avec l’Agneau sans tache, en cherchant son honneur et le salut des âmes par d’humbles et continuelles prières. C’est là qu’est toute notre perfection. Il y a encore bien des choses à faire, mais celle-là est la principale; et nous [1207] en recevons tant de lumières, que nous ne pouvons nous tromper dans les petites actions qui en dépendent.

6. Réjouis-toi, ma Fille, de partager les opprobres du Christ, et veille sur les mouvements de ta langue pour qu’elle ne réponde pas quelquefois aux mouvements de ton cœur; mais cache ce que tu as dans le cœur, par haine et par mépris pour toi-même. Fais que tu sois la plus petite des plus petites ; soumets-toi avec patience et humilité à toute créature pour Dieu. Ne t’excuse pas, mais reconnais ta faute; tu triompheras ainsi du vice dans ton âme et de celle de la personne à laquelle tu parles avec humilité. Règle bien ton temps; veille la nuit après avoir pris le sommeil nécessaire à ton corps, et le matin va prier à l’Eglise sans t’occuper de frivolités jusqu’à l’heure fixée. Ne change rien à tout ton règlement, si ce n’est par nécessité, par obéissance ou par charité. Après l’heure des repas, recueille-toi un peu, puis occupe-toi de quelque travail manuel qui pourra t’être utile. A l’heure de vêpres, tu iras sans t’arrêter, et tu feras ce que le Saint-Esprit te fera faire; mais tu reviendras, et tu soigneras ta vieille mère avec zèle, tu la fourniras de tout ce dont elle a besoin; c’est là ton devoir. Tâche d’ici à mon arrivée de faire tout ce que je désire. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1208].

Table des matières (2)


 

CCXXIV (178). — A SŒUR ALESSIA, de l’Ordre de Saint-Dominique, pendant qu’elle était à La Roche. Il faut, à la lumière de la Foi, suivre la voie de Jésus-Christ.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir suivre la doctrine de l’Agneau sans tache, d’un cœur libre et dépouillé de la créature, et revêtu du Créateur, à la lumière de la très sainte Foi; car sans cette lumière tu ne pourras marcher dans la voie droite de l’Agneau sans tache immolé pour nous. Oui, mon âme désire vous voir toi et les autres, fortes et courageuses, ne tournant pas la tête au moindre vent qui souffle. Prends garde de tourner la tête en arrière, mais va toujours devant toi en te rappelant la doctrine qui t’a été donnée. Visite chaque jour le jardin de ton âme à la lumière de la Foi, pour en arracher les épines qui étoufferaient la bonne semence, et pour remuer la terre, c’est-à-dire pour dépouiller ton cœur. Ce dépouillement est absolument nécessaire. Bien souvent j’ai vu ceux qui semblaient dépouillés, et je les ai trouvés vêtus, en m’arrêtant plus à leurs œuvres qu’à leurs paroles: les paroles trompent souvent, mais les œuvres montrent la réalité. Je veux donc que ta sois véritablement dépouillée, pour suivre [1209] Jésus crucifié: et tâche surtout d’habituer ta bouche au silence. Je me suis aperçue, il me semble, que ta compagne ne l’observait pas bien. C’est pour moi un grand chagrin; si mon Créateur veut que je l’aie, je le supporterai avec joie, mais je ne puis être contente de l’offense qui est faite à Dieu.

2. Tu m’écris qu’il semble que Dieu te pousse dans l’oraison à prier pour moi; j’en rends grâce à la Bonté divine, qui témoigne tant d’amour à mon âme si misérable. Tu me dis de t’écrire si je suis dans la peine, et si j’ai ressenti mes infirmités habituelles. Je te répondrai que Dieu a pourvu à tout, à l’intérieur; et à l’extérieur, pour le corps, il y a pourvu très bien pendant l’Avent, en adoucissant les peines par des lettres. Il est vrai que la Bonté divine a voulu que les peines fussent plus graves qu’à l’ordinaire; mais, si elle les a rendues plus graves, elle a voulu aussi que Lisa fût guérie en même temps que frère Santi, qui était malade et sur le point de mourir (Vie de Sainte Catherine, Iie p., ch. 8). Maintenant sa santé s’est améliorée comme par miracle, et on peut dire qu’il est guéri.

3. Il semble que mon Epoux, qui est la Vérité éternelle, a voulu faire une douce expérience à l’intérieur et à l’extérieur de moi-même, sur les choses qui se voient et qui ne se voient pas; et celles qui ne se voient pas sont bien plus nombreuses que celles, qui se voient; mais il a mis tant du sien dans cette expérience, que la langue est incapable de le raconter. Aussi je veux que les peines soient ma nourriture, les larmes mon breuvage; et les sueurs mes parfums [1210]. Oui, je veux que les peines m’engraissent; les peines me guériront, les peines me donneront la lumière, les peines couvriront ma nudité, les peines me dépouilleront de tout amour-propre spirituel et temporel. La peine que m’a causée la privation de la consolation ‘de toute créature, m’a rappelé mon manque de vertu, et m’a fait connaître mon imperfection et la lumière parfaite de la douce vérité de Celui qui veille sur tout, et qui s’arrête aux saints désirs et non pas aux personnes. Il n’a pas retiré sa bonté de dessus moi, malgré mon ingratitude, mon peu de lumière, mon ignorance; mais il n’a écouté que lui-même, et il est souverainement bon.

4. Je te prie par l’amour de Jésus crucifié, ma Fille bien-aimée, de ne pas ralentir tes prières, de les redoubler même, car j’en ai plus grand besoin que tu ne crois. Remercie aussi la bonté de Dieu pour moi, et demande-lui qu’il me fasse la grâce de donner ma vie pour lui, qu’il m’ôte s’il lui plaît le fardeau de mon corps, car ma vie n’est guère utile aux autres; elle est plutôt pénible et à charge à tout le monde, de loin et de près, à cause de mes péchés. Que Dieu, dans sa bonté, me délivre de mes nombreux défauts, et que, pendant le peu de temps qui me reste, il me fasse vivre tout embrasée de l’amour de la vertu. Que j’offre dans mes peines, de douloureux et ardents désirs en sa présence, pour le salut de tous les hommes et pour la réforme de la sainte Eglise. Réjouis-toi, réjouis-toi sur la Croix avec moi, car la Croix est un lit où se repose l’âme, une table où elle savoure la nourriture et le fruit de la patience dans le calme et la paix [1211].

5. Ce que tu m’as écrit m’a beaucoup consolée. J’espère que cette personne changera de vie, et qu’elle ne se conduira plus avec la vanité du cœur qu’elle a eue jusqu’à présent. Quant aux enfants qui marchent à la lumière du saint baptême, que Dieu leur donne sa très douce grâce; mais qu’il leur donne la mort, s’ils ne doivent pas être bons. Bénis-la, et encourage-la dans le Christ, le doux Jésus. Dis-lui qu’elle vive dans la sainte et douce crainte de Dieu, et qu’elle lui soit reconnaissante de la grâce qu’elle a reçue ; cette grâce n’est pas petite, mais bien grande. Si elle était ingrate, elle déplairait bien à Dieu, et peut-être qu’elle serait bientôt punie.

6. Je vous recommande ceux que vous savez. Je n’en ai eu aucune nouvelle, et je n’en sais pas la raison. Que la volonté de Dieu soit faite. Notre Sauveur m’a placée dans une 11e que les vents frappent de tous les côtés. Réjouis-toi de tout en Jésus crucifié; il nous éloigne l’une de l’autre. Renferme-toi dans la cellule de la connaissance de toi-même. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXXV (179).- A LA MEME SŒUR ALESSIA.- Du désir de souffrir pour Dieu, et du renoncement à la volonté propre.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs [1212] de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir la servante et l’épouse de ton Créateur, afin que tu ne te sépares jamais de la vérité, mais que par amour pour la vérité tu désires souffrir, sans être coupable, jusqu’à la mort, parce que dans les peines et les épreuves, l’âme détruit sa volonté sensitive et s’unit davantage à son Créateur, en n’ayant qu’une volonté avec lui. Il faut donc souffrir et nous perdre nous-mêmes; nous nous rendrons ainsi capables d’offrir d’humbles et continuelles prières en présence de Dieu, pour son honneur et pour le salut des âmes.

2. Nous devons être avides de savourer cette douce et glorieuse nourriture. Mais prends garde, ma Fille bien-aimée, de ne pas te tromper ; tu te tromperais, si tu voulais manger à la table du Père, et si tu voulais éviter la table du Fils; c’est sur cette table qu’il faut manger, car rien ne peut s’acquérir sans peine, et le Père ne peut connaître la peine, mais seulement le Fils. Et comme sans peine nous ne pouvons traverser cette mer orageuse, le doux et tendre Verbe, qui connaît la peine, nous a tracé notre voie, notre règle; il a préparé notre chemin avec son sang. Ne dormons donc pas, nous les esclaves rachetées par le sang du Christ, ai nous voulons être ses épouses fidèles; mais secouons le sommeil de la négligence, et courons par cette voie de Jésus crucifié avec de tendres et ardents désirs. Ce n’est plus le moment de dormir, car nous voyons le monde dans une misère plus grande que jamais. Aussi je te conjure et je te commande de renouveler tes gémissements et tes désirs, en priant beaucoup, pour le salut de tous les [1213] hommes, pour la réforme de la sainte Eglise, afin que Dieu, dans sa bonté, fasse au Saint-Père la grâce d’accomplir ce qu’il a commencé; car, d’après ce qui m’est écrit de Rome, il parait qu’il se met à l’oeuvre généreusement, et qu’il veut s’appliquer à gagner les âmes (La lettre est de 1377, date du retour de Grégoire XI à Rome). Je connais son saint désir, et j’ai l’espérance, si mes péchés n’y mettent pas obstacle, que la paix se fera bientôt. Je ne te dis qu’une chose, c’est de crier avec une foi vive en la présence de Dieu. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

 

CCXXVI (180).- A SOEUR ALESSIA, et à quelques autres de ses filles de Sienne, le jour de la Conversion de Saint-Paul.- Il faut détruire la volonté propre poursuivre la vérité à la lumière de la très sainte roi.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Bien-aimée Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir toutes suivre et aimer la vérité. Oui, que l’oeil de l’amour sensitif soit obscurci et perdu en vous, et que l’oeil de l’intelligence soit éclairé de lumière de la très sainte Foi, afin que vous puissiez dire en Vérité, avec le glorieux saint Paul [1214], lorsque votre volonté sera morte : " Seigneur, que voulez-vous que je fasse? " Dites-moi ce que vous voulez que je fasse, et je le ferai. O mes Filles bien-aimées, je vous promets que si vous faites sincèrement cette réponse à notre Créateur, vous vous trouverez monter avec saint Paul au troisième ciel, par le moyen de la sainte Trinité, c’est-à-dire que votre mémoire se remplira des bienfaits de Dieu, et que vous participerez à la puissance du Père, qui vous rendra fortes et patientes contre le démon, contre votre faiblesse et contre les persécutions du monde; et en supportant ces attaques avec patience, vous en triompherez. Votre intelligence goûtera et verra son objet, c’est-à-dire la sagesse du Fils de Dieu, et vous recevrez de cette sagesse la lumière surnaturelle; votre volonté sera liée dans les liens du Saint-Esprit, abîme de charité, et par cette charité, vous concevrez un tendre et ardent désir pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes.

2. Et en étant ainsi doucement élevées par le moyen de la Trinité, en participant à la puissance du Père, à la sagesse du Fils, à la clémence du Saint-Esprit, comme nous l’avons dit, vous pleurerez avec un amour et une douleur immenses sur le Fils de l’humanité, qui est mort, sur le corps mystique de la sainte Eglise et sur moi, votre ignorante et misérable mère. Oui, mes chères Filles, ayez compassion de mes iniquités, qui sont cause de tout le mal qui se fait dans le monde, et surtout de l’outrage commis contre la douce Epouse du Christ. Dieu pourvoira à tant de maux. Je suis certaine, et c’est ce qui me soutient, que la Providence ne nous manquera pas, et il me semble [1215] qu’elle se manifeste déjà. Aussi, mes très chères Filles, je vous conjure et je vous ordonne de vous plonger et de vous anéantir dans le sang de l’Agneau sans tache; offrez en sa présence d’humbles et continuelles prières. Je ne vous dis pas autre chose, si ce n’est que Dieu vous donne son éternelle bénédiction; et moi, de sa part, je vous donne la mienne.

3. Aimez-vous, aimez-vous les unes les autres; et toi, Alessia, ma Fille bien-aimée, je te dis de t’enivrer, toi et les autres, de ce sang, et de ne te nourrir que de ce sang. Je prie la souveraine et éternelle Vérité, la douce Bonté divine, de répandre en toi et dans les autres, une telle abondance de sa grâce, qu’en tout et pour tout je voie ta volonté morte et anéantie, afin que je puisse me glorifier de toi et des autres en présence de Dieu, et rendre gloire et honneur à son nom. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXXVII (181).- A LA MEME SŒUR ALESSIA, lorsque la sainte était à Florence.- Les épouses du Christ doivent prier pour la sainte Eglise, et faire prier aussi les autres. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux [1216] sang, avec le désir de te voir, toi et les autres épouses et servantes fidèles de Jésus crucifié, renouveler sans cesse vos gémissements pour l’honneur de Dieu, le salut des âmes et la réforme de la sainte Eglise. C’est maintenant le temps de vous renfermer dans la connaissance de vous-mêmes, dans les veilles et la prière, car le soleil va bientôt se lever, puisque l’aurore commence à paraître. L’aurore est venue, puisque les ténèbres des péchés mortels de ceux qui disaient et entendaient publiquement l’Office se dissipent, et que l’interdit est observé malgré ceux qui voulaient l’empêcher. Grâces, grâces en soient rendues à notre doux Sauveur, qui ne méprise pas les humbles prières, les larmes et les ardents désirs de ses serviteurs. Puisque non seulement il ne les méprise pas, mais qu’il les écoute, je vous invite à prier et à faire prier la Bonté divine de nous donner bientôt la paix, afin que Dieu soit glorifié, que tout le mal cesse, et que nous nous trouvions ensemble pour raconter les œuvres admirables de Dieu.

2. Courage donc, et ne dormez plus: secouez k sommeil de la négligence; faites faire des prières spéciales dans les monastères, et dites à notre Prieure qu’elle fasse prier toutes ses filles pour la paix, afin que Dieu nous fasse miséricorde, et que je ne revienne pas avant. Qu’elle prie pour moi, sa misérable fille, pour que Dieu me fasse la grâce d’aimer, d’annoncer toujours la vérité, de mourir pour la vérité. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1217].

Table des matières (2)


 

CXXVIII (182). — A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- La charité s’acquiert par la connaissance de soi-même, et se montre par la charité à l’égard du prochain. 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir liée par les liens de la divine charité. Ce sont ces liens qui ont attaché et cloué l’Homme-Dieu sur le bois de la très sainte Croix, car les clous n’auraient pas pu le retenir, si l’amour ne l’avait pas attaché. Ce sont aussi ces doux liens qui lient l’âme à Dieu et la rendent une même chose avec lui dans l’union de l’amour. O doux et tendre amour, qui purifie l’âme et dissipe les nuages de la passion sensitive, pour éclairer l’oeil de l’intelligence et lui faire contempler l’éternelle Vérité ! Il remplit la mémoire des grâces et des dons que l’âme reçoit de son Créateur, et l’âme devient reconnaissante des bienfaits qu’elle a reçus, et se rassasie de ses doux et tendres désirs. Aussi le saint Prophète disait : " Mes soupirs sont une nourriture, et mes larmes un breuvage. " Qui le faisait gémir et pleurer? L’amour, ce lien si suave et si doux. Oui, ma très chère Fille, puisqu’il est si doux, si agréable et si nécessaire, il ne faut plus dormir; il faut se lever [1218] avec un vrai et saint désir, avec zèle, il faut le chercher avec courage.

2. Et si vous me demandez, Où pourrai-je le trouver? Je vous répondrai dans la cellule de la connaissance de vous-même, où vous trouverez l’amour ineffable que Dieu vous porte; car c’est par amour que Dieu vous a créée à son image et ressemblance; c’est par amour qu’il vous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils unique. Lorsque vous aurez trouvé et connu l’amour que vous avez en vous-même, vous ne pourrez vous empêcher de l’aimer; et la preuve que vous aurez trouvé et conçu est amour, c’est que vous serez liée par les liens de la charité à votre prochain, que vous aimerez et servirez avec ardeur; car le bien et les services que nous ne pouvons rendre à Dieu, nous devons les rendre à notre prochain, supportant avec une vraie patience toutes les peines que nous recevons de lui: c’est le signe que nous aimons Véritablement notre Créateur, et que nous sommes liés du doux lien dont je vous parle. Nous ne pourrons participer autrement à la grâce, ni atteindre le but pour lequel nous avons été créés. Aussi je disais que je désire vous voir liée des liens de la charité divine. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1219].

Table des matières (2)


 

CCXXIX (183). - A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- Des vertus de Marie-Madeleine et de sainte Agnès, qu’il faut imiter.

 

QUE SOIT LOUE NOTRE DOUX SAUVEUR

1. C’est à vous, bien chère et bien-aimée Fille Agnès, et à mes autres Filles, que moi, Catherine, la servante inutile de Jésus-Christ, j’écris avec amour et désir, me rappelant la parole du Maître. J’ai désiré avec désir vous voir unies et transformées dans cet ardent et parfait amour, comme l’a fait Madeleine, qui eut le zèle d’un apôtre, et dont l’amour fut si grand, qu’elle ne s’occupa plus d’aucune chose créée. O mes bien-aimées Filles, apprenez de sainte Agnès cette vraie et sainte humilité; elle voulait toujours s’abaisser elle-même, en se soumettant à toute créature pour Dieu, et en reconnaissant que toutes les grâces et les vertus lui venaient de Dieu. C’est ainsi qu’elle conservait en elle la vertu d’humilité. Je dis qu’elle brûla encore de la vertu de charité, recherchant toujours l’honneur de Dieu et le salut des âmes, se donnant toujours elle-même dans la prière, avec une charité tendre et généreuse, pour toute créature, et elle montrait ainsi l’amour qu’elle avait pour son Créateur. Elle eut aussi un zèle continuel et persévérant, et jamais les démons et les créatures ne lui firent abandonner sa vie sainte [1220].

2. O très douce vierge, comme vous vous accordiez bien avec Madeleine, cet ardent disciple de Jésus-Christ ! Car remarquez-le, mes Filles bien-aimées, Madeleine s’humilia et se connut elle-même; elle se reposa avec tant d’amour aux pieds de notre doux Sauveur! Et si nous disons qu’elle lui montra beaucoup d’amour, nous le voyons bien à la sainte Croix du Calvaire; car elle ne redoute pas les Juifs, elle ne craint rien pour elle-même; mais, dans son transport, elle court, elle embrasse la Croix, et il n’est pas douteux que pour voir son Maître, elle fut tout inondée de sang. Madeleine s’enivra d’amour, et montra combien elle était passionnée pour son Maître; elle le montra à ses créatures par ce qu’elle fit après la Résurrection, lorsqu’elle prêcha dans la ville de Marseille (Voir l’excellent ouvrage de M. l’abbé Faillon : Monuments inédits sur l’apostolat de sainte Marie-Madeleine en Provence.). Je vous dis aussi qu’elle eut la vertu de persévérance, et elle le montra, cette douce Madeleine, lorsqu’elle chercha son doux Maître, et qu’elle ne le trouva pas dans son lieu ou on l’avait placé. O Madeleine! vous étiez folle d’amour, vous n’aviez plus votre cœur, car il était enseveli avec votre doux Maître, avec notre doux Sauveur; mais vous avez pris le bon moyen pour trouver le doux Jésus; vous persévérez et vous n’apaisez pas votre immense douleur. Oh! que vous faites bien, car vous voyez que c’est la persévérance qui vous a fait trouver votre Maître.

3. Vous voyez, mes très chères Soeurs, comment [1221] ces deux bien-aimées Mères et Soeurs s’accordent ensemble. Aussi je vous conjure et je vous commande d’entrer dans cette sainte voie; en vous y maintenant, de quelque côté que vous tourniez, vous trouverez la vertu, et vous serez alors tellement liées, que vous ne pourrez plus fuir. Je vous commande particulièrement, à vous, sœur Agnès, ma Fille, de vous unir à cette sainte vierge Agnès. Encouragez et bénissez, de la part de Jésus et de la mienne, soeur Raniera et mes autres Filles; bénissez et encouragez Catherine Gheto mille fois de ma part, de celle de soeur Alessia et de toutes les autres. Savez-vous que l’envie me prend de dire : Faisons ici trois tentes, car il me semble que c’est un paradis d’être avec ces saintes religieuses. Elles nous aiment tant, qu’elles ne veulent pas nous laisser partir, et qu’elles se lamentent toujours de notre départ. Nous avons reçu votre lettre. Bénissez ma fille Catherine, et dites-lui qu’elle prie Dieu de la remplir de vertus, pour la rendre digne d’être au nombre de ces saintes femmes. Encouragez-vous toutes de la part de Jésus crucifié et de sa nouvelle épouse. Voilà Cecca presque religieuse, car elle commence à bien chanter l’office avec les servantes de Jésus-Christ [1222].

Table des matières (2)


 

CCXXX (184).- A SOEUR AGNES DONNA, veuve de messire Orso Malavolti.- De la vertu de patience, et de deux sortes d’impatience.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie patience; car je considère que sans la patience, nous ne pouvons plaire à Dieu. Si l’impatience plaît beaucoup aux démons et à la sensualité, si elle se livre à la colère lorsqu’elle n’a pas ce qu’elle désire, elle déplaît, au contraire, beaucoup à Dieu. C’est parce que la colère et l’impatience sont la moelle de l’orgueil, qu’elles plaisent tant au démon. L’impatience perd le fruit de ses peines; elle prive l’âme de Dieu, elle lui fait goûter les arrhes de l’enfer, et la conduit enfin à la damnation éternelle. Dans l’enfer, la volonté perverse brûle avec la colère, la haine et l’impatience elle brûle et ne se consume pas, mais elle se renouvelle sans cesse et ne diminue jamais aussi je dis qu’elle ne se consume pas. La grâce est bien consumée et détruite dans l’âme, mais son être n’est pas consumé, et sa peine dure éternellement. Les saints disent que les damnés demandent la mort, et ne peuvent l’obtenir, car l’âme ne meurt jamais elle meurt bien à la grâce par le péché mortel, mais elle ne meurt pas à l’existence [1223]. 

2. Il n’y a aucun vice et aucun péché qui, dans cette vie, fassent goûter les arrhes de l’enfer comme la colère et l’impatience. L’âme qu’elles possèdent éprouve la haine de Dieu ét l’horreur du prochain; elle ne veut pas et ne sait pas supporter les défauts des autres; tout ce qu’on lui dit ou ce qu’on lui fait la met hors d’elle-même, et elle se laisse emporter par la colère et l’impatience comme la feuille par le vent. Elle devient insupportable à elle-même, parce que la volonté mauvaise la ronge toujours et lui fait désirer ce qu’elle ne peut avoir; elle oublie la volonté de Dieu et la raison. Tout cela est produit par l’arbre de l’orgueil, dont la moelle est la colère et l’impatience. L’homme devient un démon incarné, et il est plus terrible d’avoir à combattre les démons visibles que les démons invisibles : toute créature raisonnable doit les éviter.

3. Mais remarquez qu’il y a deux sortes d’impatience. La première est une impatience générale qu’éprouvent les hommes du monde, et qui leur vient de l’amour déréglé qu’ils ont pour eux-mêmes et pour les choses temporelles qu’ils aiment en dehors de Dieu; et pour les avoir, ils ne craignent pas de perdre leur âme et de la livrer’ entre les mains du démon. Ce mal est sans remède, si celui qui a offensé Dieu, ne le reconnaît pas et ne coupe pas cet arbre avec le glaive d’une humilité sincère. Cette hum lité nourrit la charité dans l’âme; et la charité est un arbre d’amour dont la moelle est la patience et la bienveillance pour le prochain. Car, comme l’impatience montre plus qu’aucun autre vice que l’âme est privée de Dieu, parce qu’elle est [1224] la moelle de l’arbre de l’orgueil, de même la patience montre mieux et plus parfaitement qu’aucune autre vertu que Dieu est par sa grâce dans l’âme. Je parle de la patience produite par l’arbre de la charité; de la patience qui, par amour pour son Créateur, méprise le monde et l’injure, de quelque côté qu’elle vienne. Je disais que la colère et l’impatience étaient de deux sortes, générale ou particulière.

4. Nous avons vu l’impatience générale; je vais maintenant parler de l’impatience particulière, de l’impatience de ceux qui ont méprisé le monde, mais qui veulent être serviteurs de Jésus crucifié à leur manière, c’est-à-dire à cause du plaisir et de la consolation qu’ils trouvent en lui. Il en est ainsi perce que la volonté propre spirituelle n’est pas morte en eux, et ils demandent à Dieu qu’il leur distribue les consolations et les tribulations à leur manière, et non à la sienne; et ils deviennent ainsi Impatients quand ils éprouvent le contraire de ce que veut la volonté propre spirituelle. C’est là un rejeton d’orgueil qui sort du véritable orgueil, comme un arbre pousse un sauvageon qui en paraît séparé, mais qui tire cependant sa substance du même arbre. Il en est ainsi de la volonté propre de l’âme qui veut servir Dieu à sa manière, et qui, ne le pouvant pas, en conçoit de la peine; et cette peine la conduit à l’impatience; elle devient insupportable à elle-même, et ne se plaît plus au service de Dieu et du prochain. Si quelqu’un vient pour lui demander conseil ou protection, elle ne lui fait que des reproches, et ne sait pas compatir à ses besoins [1225]. Tout cela vient de la volonté sensitive spirituelle, qui sort de l’arbre de l’orgueil. Cet arbre a été taillé, mais non pas arraché il est taillé, lorsqu’on éloigne son désir du monde et qu’on le place en Dieu; mais on le place imparfaitement, et il reste la racine, qui donne un sauvageon.

5. On le voit dans les choses spirituelles. Si la consolation divine manque, si l’esprit dévient sec et stérile, l’âme se trouble et s’afflige sous des apparences de vertu - Il lui semble qu’elle est privée de Dieu; elle murmure contre lui et voudrait lui donner des lois, tandis que si elle avait été sincèrement humble, avec la haine véritable et la connaissance d’elle-même, elle se serait jugée indigne de la visite intérieure de Dieu, et elle se serait trouvée digne de la peine qu’elle souffre quand elle se voit privée de la consolation de Dieu, mais non pas de sa grâce. Elle souffre alors, parce qu’il aurait fallu couper, trancher, pour que la volonté spirituelle ne souffrit pas sous prétexte de craindre d’offenser Dieu, mais à cause de sa sensualité. Au contraire, l’âme humble qui a généreusement arraché la racine de l’orgueil par l’amour, anéantit sa volonté, et ne cherche toujours que l’honneur de Dieu et le salut des âmes; elle ne s’inquiète pas des peines, et reçoit avec plus de reconnaissance dans son esprit le trouble que le repos. Elle reçoit avec un saint respect ce que Dieu lui donne et lui envoie pour son bien, afin de la retirer de l’imperfection et de la conduire à la perfection. C’est la voie pour l’y conduire, car c’est ce qui lui fait mieux connaître ses défauts et la grâce de Dieu, qu’elle trouve en elle-même par la bonne volonté [1226] que Dieu lui a donnée en lui inspirant l’horreur du péché. La vue de ses faiblesses et de ses fautes passées et présentes lui fait concevoir la haine contre elle-même, et l’amour de l’éternelle volonté de Dieu. Elle souffre avec respect, et elle est contente de souffrir au dedans et au dehors, comme Dieu le veut, afin d’accomplir et de revêtir la douce volonté de Dieu. Elle se réjouit de tout, et plus elle se voit privée de ce qu’elle aime, de la consolation de Dieu ou des créatures, plus elle est heureuse.

6. Il arrive souvent que l’âme a des affections spirituelles, et si elle ne trouve pas auprès des personnes qu’elle aime la consolation et le plaisir qu’elle voudrait, ou s’il lui semble que ces personnes aiment plus et fréquentent plus les autres, elle tombe dans la peine et l’ennui. Elle murmure contre le prochain, elle juge mal les pensées et les intentions des serviteurs de Dieu, surtout celles des personnes qui lui causent de la peine. Elle devient impatiente, elle pense ce qu’elle ne devrait pas penser; elle dit ce qu’elle ne devrait pas dire, et elle veut user à leur égard d’une fausse humilité qui a l’apparence de la véritable, mais qui est fille de l’orgueil, qui en est le rejeton Elle se dit à elle-même : Je ne veux pas faire de bruit et me fâcher contre eux; je resterai bien calme, et je ne veux causer de peine ni à eux ni à moi. Elle tombe ainsi dans un coupable dédain, et ce dédain nourrit les faux jugements de son coeur et les murmures de sa langue. Elle ne devrait pas faire ainsi; car jamais, par ce moyen, elle

n’arrachera la racine, elle ne détruira le rejeton qui [1227] empêche l’âme d’arriver à la perfection qu’elle désirait atteindre; mais elle doit, avec un cœur libre, avec une sainte haine d’elle-même, avec un ardent désir de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, et avec l’amour de la vertu, s’asseoir à la table de la très sainte Croix pour y prendre la divine nourriture. Elle doit, avec peine et sueur, chercher à acquérir la vertu, et non les consolations de Dieu et des créatures. Elle doit suivre les traces et la doctrine de Jésus crucifié, en se disant avec reproche Tu ne dois pas, mon âme, puisque tu es un membre de Jésus-Christ, passer par une autre voie que ton chef. Il n’est pas convenable de voir des membres délicats sous un chef couronné d’épines.

7. Si par sa propre fragilité ou par les artifices du démon, les orages du cœur s’élèvent, comme nous l’avons dit, ou d’une autre manière, l’âme doit alors monter sur le tribunal de sa conscience et juger avec justice, sans laisser passer rien d’impuni, par la haine et le mépris d’elle-même. C’est ainsi qu’elle arrachera la racine de l’orgueil; elle chassera avec le mépris d’elle-même le mépris du prochain, s’affligeant plus des pensées et des mouvements déréglés de son cœur que de la peine que lui ont causée les créatures, ou des injures et des désagréments qu’elle en a reçus. C’est là le doux et saint moyen que prennent ceux qui sont tout embrasés de Jésus-Christ, parce que c’est ainsi qu’ils arrachent la racine de l’orgueil et qu’ils détruisent la moelle de l’impatience, qui plaît tant, comme nous l’avons vu, au démon, car c’est le principe et la cause de tout péché; et par contre, ce qui plaît beaucoup au démon [1128] déplaît beaucoup à Dieu. Dieu a en horreur l’orgueil, et il aime l’humilité.

8. Il aima tant l’humilité de Marie, qu’il fut forcé par sa bonté à lui donner le Verbe son Fils unique, et ce fut cette douce Mère qui nous le donna. Vous savez bien que jusqu’au moment ou Marie montra son humilité et sa volonté en disant Ecce ancilla Domini: Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole, le Fils de Dieu ne s incarna pas; mais, dès qu’elle eut parlé, elle reçut et conçut en elle le doux Agneau sans tache. La douce Vérité suprême a voulu nous montrer ainsi combien est excellente cette petite vertu, et combien reçoit l’âme qui offre et donne avec humilité sa volonté au Créateur. C’est ainsi qu’il faut recevoir, dans le temps des épreuves et des persécutions, les injures, les outrages et les mauvais traitements; il faut les recevoir du prochain, ainsi que les combats intérieurs et la perte des consolations spirituelles et temporelles du Créateur et des créatures. Le Créateur nous en ôte la douceur lorsqu’il en retire le sentiment de l’esprit, et qu’il semble que Dieu n’est plus dans l’âme, tant elle éprouve de combats et de peines. Les créatures nous en privent dans leurs rapports et leurs conversations, lorsqu’il semble que nous les aimons plus que nous n’en sommes aimés. Dans toutes les circonstances, l’âme parfaite doit dire avec humilité Seigneur, voici votre servante, qu’il me soit fait selon votre volonté, et non selon ce que ma sensualité demande. Elle répand ainsi le parfum de la patience dans ses rapports avec le Créateur, avec les créatures et avec elle-même; elle [1229] goûte la paix et le repos d’esprit. Dans la guerre elle a trouvé la paix et le repos d’esprit, parce qu’elle a détruit en elle la volonté propre fondée sur l’orgueil. Elle a conçu dans son âme la grâce divine; elle porte au fond de son cœur Jésus crucifié, elle se réjouit dans les plaies de Jésus crucifié, elle ne cherche à savoir autre chose. que Jésus crucifié, et son lit est la Croix de Jésus crucifié. C’est là qu’elle anéantit sa volonté, et qu’elle devient humble et patiente.

9. Il n’y a pas d’obéissance sans humilité, et il n’y a pas d’humilité sans charité. Tout cela se trouve dans le Verbe; car c’est l’obéissance à son Père et l’humilité qui l’ont fait courir et la mort honteuse de la Croix; il s’y est attaché avec les clous et les liens de la charité, en souffrant avec une si grande patience, qu’on n’entendit jamais sortir de sa bouche le moindre murmure. Les clous étaient insuffisants pour soutenir et fixer sur la Croix l’Homme-Dieu, si l’amour ne l’y avait retenu. L’âme le comprend bien, et elle ne se plaît qu’avec Jésus crucifié. S’il lui était possible d’acquérir la vertu, de fuir l’enfer et d’avoir la vie éternelle sans peine, en goûtant ici-bas toutes les consolations spirituelles et temporelles, elle ne le voudrait pas, mais elle aimerait mieux mériter le ciel en souffrant jusqu’à la mort pour pouvoir ressembler à Jésus crucifié, et se revêtir de ses opprobres et de ses peines; et c’est ce qu’elle a trouvé à la table de l’Agneau sans tache. O glorieuse vertu ! qui ne voudrait donner mille fois sa vie et souffrir toutes sortes de tourments pour t’acquérir? Tu es une reine qui possède le monde [1230] entier; tu habites dans le ciel, car l’âme qui est revêtue de toi sur cette terre, tu la fais vivre par l’amour avec les bienheureux. Puisque cette vertu est si excellente, si agréable à Dieu, si utile à nous-mêmes et au salut du prochain, secouez donc, ma chère Fille, le sommeil de la négligence et de l’ignorance; bannissez la faiblesse de votre cœur; n’éprouvez de peine et d’impatience dans aucune chose que Dieu permet. Nous ne tomberons, par ce moyen, ni dans l’impatience générale, ni dans l’impatience particulière dont je vous ai parlé; mais nous servirons notre doux Sauveur généreusement, avec liberté de cœur, avec une parfaite et sincère patience. Si nous faisons autrement, nous perdrons la grâce dans la première impatience; la seconde empêchera notre perfection, et vous n'arriverez pas où Dieu vous appelle.

10. Il me semble que Dieu vous appelle à une grande perfection; et je le crois, parce qu’il vous ôte tous les liens qui pouvaient vous arrêter. J’ai appris qu’il avait appelé à lui votre fille; c’était votre dernier lien extérieur. Je m’en réjouis avec une sainte compassion. Dieu vous a dégagée, en la délivrant elle-même des peines de la vie. Je veux donc maintenant que vous détruisiez entièrement la volonté propre, pour ne vous attacher qu’à Jésus crucifié. De cette manière, vous accomplirez ma volonté et mon désir; et c’est pour cela que, ne connaissant pas d’autre voie pour le faire, je vous ai dit que je désirais vous voir fondée dans la vraie et sainte patience, car sans elle nous ne pourrons pas atteindre notre douce fin. Je termine [1231]. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXXXI (185). - A UNE SOEUR du Tiers-Ordre de Saint-Dominique, appelée Catherine de Scetto.- Les vertus s’acquièrent par l’amour de Dieu, et se montrent par la charité envers le prochain. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Sœur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir véritablement la servante et l’épouse de Jésus crucifié. Nous devons être ses. servantes, car nous avons été rachetées par son sang. Je ne vois pas en quoi nous pourrions lui être utiles, mais nous devons être utiles à notre prochain; c’est le moyen de pratiquer et d’acquérir la vertu. Tu sais que toute vertu reçoit la vie de l’amour. Et l’amour s’acquiert dans l’amour, c’est-à-dire en élevant le regard de notre intelligence, et en regardant combien nous sommes aimés de Dieu. En nous voyant aimés, nous ne pourrons nous empêcher d’aimer; et en l’aimant, nous embrasserons les vertus par amour, et nous fuirons le vice avec haine. Tu vois que nous concevons les vertus en Dieu, et que nous, nous les enfantons dans le prochain. Tu sais bien que des besoins de ton prochain [1232] tu fais naître la charité qui est dans ton âme; tu reçois de lui la patience dans l’injure, et tu pries particulièrement pour ceux qui t’outragent.

2. Nous devons agir de la sorte. Si les autres nous sont infidèles, nous devons leur être fidèles, et nous devons chercher avec zèle leur salut; il faut les aimer gratuitement, et non par réciprocité. Oui, prends garde d’aimer ton prochain par intérêt; ce ne serait pas là un amour fidèle, et cet amour ne répondrait pas à l’amour que Dieu te porte. Dieu t’a aimée gratuitement, et il veut que cet amour que tu ne peux lui rendre, tu le rendes à ton prochain, en l’aimant d’un amour gratuit et non pas intéressé. S’il t’injurie, ou bien si tu vois diminuer l’affection qu’il te portait ou le plaisir et le profit que tu en retirais, tu ne dois pas moins l’aimer par charité en supportant ses défauts: tu dois surtout aimer avec respect et joie les serviteurs de Dieu. Prends garde de faire comme ces insensés qui prétendent examiner et juger la conduite et les actes des serviteurs de Dieu. Celui qui fait cela mérite un châtiment sévère. C’est comme si nous voulions donner une règle et des lois à l’Esprit-Saint, en voulant conduire les serviteurs de Dieu d’après nos idées; cela ne peut jamais se faire. Pense que l’âme qui tombe dans de pareils jugements n’a pas encore arraché la racine de l’orgueil, et ne possède pas en elle pour le prochain la véritable charité, qui consiste à l’aimer d’un amour gratuit et désintéressé. Aimons donc, et ne jugeons pas les serviteurs de Dieu. Il faut aimer généralement aussi toutes les créatures raisonnables. Ceux qui sont privés de la grâce, nous [1233] devons les aimer avec douleur et regret de leurs fautes, car ils offensent Dieu et leur âme. Tu ressembleras ainsi à l’ardent apôtre saint Paul, qui pleurait avec ceux qui pleuraient, et qui se réjouissait avec ceux qui se réjouissaient. Tu pleureras avec ceux qui sont dans un état déplorable, par désir de l’honneur de Dieu et de leur salut, et tu te réjouiras avec les serviteurs de Dieu qui se réjouissent et goûtent Dieu par amour.

3. Tu vois donc que dans la charité nous concevons les vertus, et que dans la charité du prochain nous les enfantons. Si tu aimes ainsi ton prochain généreusement, sans aucun amour trompeur, sans aucun intérêt spirituel ou temporel, tu seras une vraie servante de Dieu, et tu répondras par le moyen de ton prochain à l’amour que te porte ton Créateur. Tu seras une épouse fidèle et non pas infidèle; l’épouse manque à la foi de son époux quand elle donne à une autre créature l’amour qu’elle devrait lui donner. Tu es l’épouse; tu vois bien que le Fils de Dieu nous a tous épousés dans la Circoncision; il nous a donné sa chair comme un anneau pour montrer qu’il voulait épouser- l’humanité. Et toi, en voyant cet amour ineffable, tu dois aimer aussitôt ce qui est hors de Dieu; tu dois te faire la servante de ton prochain, et le servir en toute chose autant que tu le pourras. Si tu es l’épouse du Christ, tu dois être la servante du prochain; c’est le moyen d’être épouse fidèle, car l’amour que nous portons à Dieu ne peut lui servir et lui être utile, et nous devons servir alors notre prochain avec un sincère et tendre amour. Nous ne pouvons servir Dieu d’une [1234] autre manière et dans une autre forme. C’est pourquoi je t’ai dit que je désirais te voir la vraie servante et l’épouse de Jésus crucifié. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXXXII (1224).- A MESSIRE LAURENT DU PIN, de Bologne, docteur en décrétales.- De la vérité éternelle que nous a manifestée Jésus-Christ en nous rachetant de nos péchés. — De la différence qu’il y a entre celui qui hait la vérité et celui qui l’aime.

(Laurent du Pin fut un jurisconsulte célèbre, qui enseigna dans l’université de Bologne, depuis 1365 jusqu’en 1391. Il fut un des Anciens du gouvernement en 1367, et fit partie du conseil des Quatre-Cents, en 1370. L’année suivante il fut des quatre députés chargés de faire la paix avec Grégoire XI, et ce fut lui qui répondit, en 1380, aux ambassadeurs de l’antipape, qui cherchèrent inutilement à détacher la ville de Bologne du parti d’Urbain VI. Il a laissé des écrits très savants sur les décrétales.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir aimer et suivre la vérité, et méprise le mensonge. Mais cette vérité, on ne peut l’avoir et l’aimer, si on ne la connaît pas. Qui est la vérité ? Dieu est l’éternelle et suprême [11235] Vérité. En qui la connaîtrons-nous? Dans le Christ, le doux Jésus. C’est avec son sang qu’il nous a manifesté la vérité du Père. Sa vérité à notre égard, c’est qu’il nous a créés à son image et ressemblance, pour nous donner la vie éternelle et nous faire participer à sa félicité parfaite. Mais, par la faute de l’homme. cette vérité ne s’accomplit point en lui; et c’est pourquoi Dieu nous a donné le Verbe, son Fils, et lui a imposé la tâche de rétablir l’homme dans la grâce en souffrant beaucoup, en expiant le péché sur lui-même, et en lui manifestant sa vérité dans son sang. Ainsi, par l’amour ineffable que Dieu lui a montré au moyen du sang de Jésus-Christ, l’homme connaît qu’il ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. C’est pour cette fin que Dieu nous a créés; et tout ce qu’il donne et ce qu’il permet dans cette vie, c’est pour que nous soyons sanctifiés en lui. Celui qui connaît cette vérité ne l’oublie pas, mais il la suit toujours et l’aime, marchant sur les traces de Jésus crucifié, Et, comme ce doux et tendre Verbe, pour nous enseigner et nous donner l’exemple, a méprisé le monde et ses délices, et a voulu souffrir la faim, la soif, les opprobres, les affronts, jusqu’à la mort honteuse de la Croix, pour honorer son Père et nous sauver, ainsi fait celui qui aime la vérité, qu’il a connue à la lumière de la très sainte Foi; car sans cette lumière, il ne pourrait la connaître, mais avec elle il la connaît ; en la connaissant il l’aime, et il aime aussi ce que Dieu aime, et déteste ce que Dieu déteste.

2. Il y a une grande différence entre celui qui aime la vérité et celui qui la déteste. Celui qui déteste la [1236] vérité est celui qui est plongé dans les ténèbres du péché mortel; il déteste ce que Dieu aime, et il aime ce que Dieu déteste. Dieu déteste le péché, les jouissances coupables et les plaisirs du monde; et lui, les aime et s’en repaît au milieu des misères du monde; il se corrompt dans tous les états. S’il a une charge qui l’oblige à servir son prochain, il ne le sert qu’autant qu’il y trouve son avantage, car il n’aime que lui-même. Le Christ béni a donné sa vie pour nous, et il ne voudra pas donner une seule parole utile au prochain, à moins qu’il ne soit payé, et bien payé. Si c’est un pauvre qui ne peut pas le payer, il le fera attendre avant de lui dire la vérité, et souvent même il ne la lui dira pas, mais il se moquera de lui, tandis qu’il devrait être compatissant et le père des pauvres. Il est cruel envers son âme, car il offense les pauvres. Il ne voit pas, le malheureux, que le souverain Juge ne lui rendra pas autre chose que ce qu’il reçoit de lui. Car, par sa justice, tout péché est puni, et toute vertu récompensée. Le Christ a embrassé la pauvreté volontaire et a aimé la pureté; et cet homme misérable, qui aime et suit le mensonge, fait tout le contraire. Non seulement il n’est pas content de ce qu’il a, et il ne s’en détache pas par amour de la vertu, mais il vole son prochain. Non seulement il ne se contente pas de l’état du mariage, dont il peut observer les lois sans blesser sa conscience, mais, semblable à l’animal sans raison, il se plonge dans toutes sortes de misères, et, comme le pourceau se roule dans la fange, il se roule dans la fange de l’impureté. Mais, direz-vous, que ferai-je, puisque j’ai des richesses et que je suis dans l’état du mariage [1237], si ces choses doivent causer la perte de mon âme?

3. O mon très cher Frère, dans tout état l’homme peut sauver, son âme et recevoir on lui la vie de la grâce, pourvu qu’il évite le péché mortel. Tout état est agréable à Dieu qui ne s’arrête pas à la condition des personnes, mais à leurs saints désirs. Aussi pouvons-nous tout posséder, pourvu que ce soit avec une volonté droite. Tout ce que Dieu a fait est bon et parfait; il n’y a que le péché qu’il n’a pas fuit, et qui n’est pas digne d’amour. Les richesses et les honneurs du monde, si l’homme veut les posséder, il le peut sans offenser Dieu et son âme, mais s’il les abandonne, il sera plus parfait; car il y a plus de perfection à les abandonner qu’à les garder. Mais s’il ne veut pas les abandonner réellement, il doit les laisser et les mépriser par un saint désir, et ne pas les prendre pour l’objet principal de son affection, qui doit être Dieu seul; il doit les garder pour ses besoins et pour ceux de sa famille, et comme une chose prêtée qui ne lui appartient pas. En agissant ainsi. aucune chose créée ne lui causera de la peine, car ce qu’on possède sans amour se perd toujours sans peine. Nous voyons que les serviteurs du monde, les partisans du mensonge, vivent dans des afflictions continuelles et sont cruellement tourmentés jusqu’à la fin. Quelle on est la cause? l’amour déréglé que l’homme pour lui-même et pour les choses créées qu’il aime on dehors de Dieu; car la Bonté divine a permis que tout amour déréglé soit insupportable à lui-même. Celui-là croit toujours le mensonge, parce qu’il n’a pas en lui la connaissance de la vérité [1238]; il croit posséder le monde, conserver ses richesses, et faire un dieu de son corps et de toutes les choses qu’il aime d’une manière déréglée ; et il faut s’en séparer.

4. Nous voyons qu’il les laisse on mourant, ou que Dieu permet qu’il les perde avant; c’est ce qui arrive tous les jours. Un homme est riche, tout à coup il est pauvre; aujourd’hui il est au sommet des honneurs, et demain il en sera précipité; il se portait bien, et il tombe malade. Ainsi tout passe; ce que nous croyons tenir nous échappe, ou nous en sommes séparés par la mort. Puisque vous voyez que toutes les choses du monde passent, l’homme doit les posséder comme le veut la lumière de la raison, les aimant comme il doit les aimer; et on les possédant de la sorte, il les possédera sans péché, mais selon la grâce, avec générosité de cœur et sans avarice, avec compassion pour les pauvres et sans cruauté, avec humilité et sans orgueil, avec reconnaissance et sans ingratitude. Il reconnaîtra qu’elles viennent de son Créateur, et non de lui ; et avec cet amour bien ordonné il aimera ses enfants, ses amis, ses parents et toute créature raisonnable. Il observera l’état du mariage, mais comme un sacrement; et il respectera les jours réservés par l’Eglise. Il sera et vivra comme un homme, et non comme un animal; il sera chaste même dans le mariage, et restera toujours maître de sa volonté. Il sera un arbre fertile qui produira des fruits de vertu; il répandra la bonne odeur, et, même au milieu de la corruption, il sortira de lui des parfums et des semences de vertus. Vous voyez que, dans tous les états, vous pouvez posséder [1239] Dieu. Ce n’est pas l’état qui l’éloigne, mais la seule mauvaise volonté; lorsqu’elle s’égare dans l’amour du mensonge, elle corrompt alors toutes les œuvres. Mais celui qui aime la vérité suit les traces de la vérité, il hait ce que hait la vérité, et il aime ce qu’aime la vérité; et alors toutes ses œuvres sont bonnes et parfaites. Il ne lui serait pas possible autrement de participer à la vie de la grâce, et aucune de ses œuvres ne donnerait des fruits de vie.

5. Comme je ne connais pas d’autre voie, je vous ai dit que je désirais vous voir aimer et suivre la vérité, et mépriser le mensonge. Laissez donc le démon, père du mensonge, et la sensualité, qui obéit à ce père. Aimez Jésus crucifié, qui est la voie, la vérité, la vie; car celui qui marche avec lui arrive à la lumière, et revêt le brillant vêtement de la charité, sur laquelle sont fondées toutes les vertus. Cette charité, cet amour ineffable une fois dans l’âme, fait qu’elle n’est plus contente de l’état commun, mais qu’elle désire aller plus loin. Elle veut, de la pauvreté spirituelle passer à la pauvreté réelle, et de l’amour de la continence à la pratique, afin d’observer à la fois les commandements et les conseils de Jésus-Christ. Elle commence à se dégoûter de la corruption du monde; et, comme il lui semble bien difficile de rester dans la fange sans se salir, elle désire ardemment àe séparer du monde autant qu’il lui est possible, et si elle ne peut pas le faire complètement, elle s’applique à acquérir la perfection dans son état, et elle en a au moins le désir.

6. Ainsi donc, très cher Frère, ne dormons plus [1240]; mais secouons le sommeil. Ouvrez l’oeil de l’intelligence à la lumière de la Foi, pour voir, aimer et suivre cette vérité que vous connaîtrez dans le sang de l’humble et tendre Agneau. Ce sang, vous le connaîtrez par la connaissance de vous-même, car c’est lui qui purifie la face de l’âme; ce sang est à nous, et personne ne peut nous l’enlever, si nous ne le voulons pas. Ne soyez donc pas négligent, mais remplissez-vous comme un vase, du sang de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

 

CCXXXIII (225). — A MESSIRE FRANÇOIS DE MONTALCINO, docteur en droit .- De la patience et de l’impatience. — Il faut renoncer à ma volonté pour avoir la paix en ce monde et en l’autre.

(François de Montalcino fut un professeur célèbre de l’université de Sienne. Sainte Catherine parle de sa femme, Moranda, dans la lettre CXII.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Bien-aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux Sang, avec le désir de vous voir affermi dans une vraie et sainte patience. Car je vois que sans la patience nous ne pourrons plaire à Dieu, et que nous [1241] aurons dès cette vie un avant-goût de l’enfer. Oui, par l’impatience, nous commençons à goûter les tourments de l’enfer en ce monde.

2. Oh ! que l’homme serait insensé, s’il voulait goûter l’enfer lorsqu’il peut jouir de la vie éternelle ! car la vie éternelle n’est pas autre chose qu’une volonté en paix, en harmonie avec la volonté de Dieu, une volonté soumise qui ne peut désirer et vouloir que ce que Dieu veut; et tout le bonheur de ceux qui en jouissent est fondé sur cette volonté pacifiée. Mais au contraire ceux qui sont dans l’enfer sont brûlés et dévorés par leur volonté perverse, cette volonté qui les torture par l’impatience, la haine et la colère qui les rongent et les accablent; et tout cela est mérité par l’ignorance et l’aveuglement de l’homme. S’il avait été sage en cette vie; lorsqu’il pouvait la recevoir, s’il avait voulu, il eût évité cette ignorance et cet aveuglement.. O très cher Frère ! imitez ces sages qui, dès cette vie, commencent à goûter Dieu en ne faisant qu’une volonté avec lui ; car toutes nos peines viennent de ce que nous voulons ce que nous ne pouvons avoir. Si la volonté aime les honneurs, les richesses, les plaisirs, la puissance ou la santé du corps, si elle les veut et les désire avec un amour déréglé, elle ne peut les avoir, et souvent même elle perd ce qu’elle a; elle en éprouve alors une grande peine, parce qu’elle aime d’une manière déréglée. Puisque c’est la volonté qui cause la peine, en détruisant la volonté propre on détruira toute peine.

3. Comment pourrons-nous la détruire? en nous dépouillant du vieil homme, c’est-à-dire de nous-mêmes [1242], et en nous revêtant de l’homme nouveau, c’est-à-dire de l’éternelle volonté du Verbe, de l’Homme-Dieu, Et si vous cherchez ce que veut cette douce Volonté, demandez à Paul, qui vous assure qu’elle ne veut autre chose que notre sanctification (1 Thess 4,3). Tout ce que Dieu donne et permet, même la peine et la maladie, il le donne et le permet providentielle. ment pour notre sanctification et pour les besoins de notre salut.

4. Nous ne devons donc pas être impatients de ce qui est notre bien; mais nous devons en être très reconnaissants, nous jugeant indignes de souffrir pour Jésus crucifié et indignes de la récompense qui suit la peine, nous préparant à la peine par le mépris et la haine de nous-mêmes et de cette partie sensuelle qui se révolte et qui outrage le Créateur. Et si nous disons que cette sensualité ne semble pas vouloir accepter les souffrances, il faut la soumettre par la douce et sainte pensée de Jésus crucifié, il faut la flatter et la menacer en lui disant Souffre aujourd’hui, mon âme, peut-être que demain ta vie sera terminée; pense que tu dois mourir, et tu ne sais pas quand. Considérons bien que la peine ne peut être plus grande que le temps, et que Je temps pour l’homme est étroit comme la pointe d’une aiguille. Comment donc dire qu’une peine est grande? Il ne faut pas dire ce qui n’est pas; et si cette passion sensuelle veut lever la tête, il faut lui opposer la crainte et l’amour en lui disant Songe que le fruit de l’impatience est la peine éternelle, et qu’au [1243] dernier jour du jugement, nous aurons à souffrir ensemble. Il vaut mieux vouloir ce que Dieu veut, aimer ce qu’il aime, que de vouloir ce que tu veux, et de t’aimer toi-même d’un amour sensuel. Je veux que tu souffres courageusement en pensant qu’il n’y a aucun rapport entre les souffrances de cette vie et la gloire future que Dieu prépare à ceux qui le craignent, et qui se revêtent de sa douce volonté (Rm 7, 18).

5. Et puis, mon doux Frère et Père, songez que quand l’âme écoute si bien la raison, elle ouvre l’oeil de l’intelligence et voit son néant, car l’être qu’elle a vient de Dieu. Elle trouve son ineffable charité, qui, par amour et non par devoir, l’a créée à son image et ressemblance pour qu’elle jouisse et qu’elle possède la souveraine, l’éternelle beauté de Dieu, qui ne l’a pas créée pour un autre but. La Vérité suprême nous a montré qu’elle n’avait pas créé l’homme pour un autre but, quand Notre-Seigneur est mort sur le bois de la très sainte Croix pour nous rendre la fin que nous avions perdue. il s’immola et livra son corps, d’où s’échappèrent de toute part des flots de sang, avec une telle ardeur d’amour, que toute dureté de cœur devrait s’amollir, que toute impatience devrait disparaître et se changer en une parfaite patience; il n’y a rien d’amer qui ne devienne doux dans le sang de l’Agneau, ni rien de lourd qui ne devienne léger. Ne dormons donc plus; mais employons courageusement le peu de temps qui nous est laissé, nous attachant à l’étendard de la très sainte Croix par une bonne et sainte [1244] patience. Considérons que le temps est court, et que la peine n’est presque rien, tandis que la récompense que nous en recevrons est immense. Je ne veux pas que vous sacrifiiez à un peu de peine un si grand bien. Se plaindre et se lamenter n’ôtent pas la peine, mais l’augmentent, au contraire, en excitant la volonté à vouloir ce qu’elle ne peut avoir.

6. Revêtez-vous, revêtez-vous du Christ, le doux Jésus; ce vêtement est si fort, que ni les démons ni les créatures ne peuvent le déchirer, si vous n’y consentez pas. Le Christ est l’éternelle et souveraine douceur qui détruit toute amertume; c’est en lui que l’âme goûte toute douceur. Elle s’y nourrit, s’y rassasie tellement, que tout ce qui est étranger à Dieu, elle le regarde comme du fumier, de la fange; elle se réjouit dans les opprobres, les mauvais traitements, les outrages, et elle ne veut autre chose que devenir semblable à Jésus crucifié. C’est là qu’elle met tout son bonheur et tout son zèle. Plus elle souffre, plus elle est heureuse, parce qu’elle sait que c’est la voie droite et le meilleur moyen de ressembler à Jésus crucifié. Je veux que vous soyez un chevalier généreux, et que, pour Jésus crucifié, vous ne craigniez pas les coups de la maladie.

7. Pensez que C’est la grâce de Dieu qui nous envoie la maladie pour empêcher les fautes nombreuses que nous ferions si nous avions la santé. Elle expie et purifie nos péchés, qui mériteraient une peine infinie, et Dieu dans sa miséricorde se contente d’une peine finie. Ainsi donc, pour l’amour de Jésus crucifié; attachez-vous à la Croix avec Jésus crucifié; réjouissez-vous dans les plaies de Jésus [1245] crucifié. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. 

Table des matières (2)


 

CCXXXIV (226). - A MAITRE JACOMO médecin à Ascanio .- Le persévérance ne peut s’acquérir avec l’amour déréglé des créatures- Il ne faut pas compter sur l’avenir.

(Le titre de " très révérend " que sainte Catherine donne à ce médecin, peut faire croire qu’il était prêtre. Elle lui dit aussi ; Voi, che sette eletto sempre a lodare Dio)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE DE LA DOUCE MARIE

1. Très révérend et très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un vrai chevalier de Dieu, suivant toujours le chemin de la vertu, ne tournant jamais la tête en arrière pour regarder la charrue, mais regardant toujours ce que vous avez à faire. Car celui qui regarde en arrière, montre qu’il est fatigué; et nous, très cher Frère, nous ne devons jamais nous fatiguer des saintes et bonnes œuvres. Vous savez bien que celui qui commence et ne persévère pas n’est pas digne de la couronne; car notre doux Sauveur a dit que les persévérants et les violents, c’est-à-dire ceux qui combattent fortement [1246] leurs penchants mauvais, obtiennent le royaume du ciel (Mt 11,12).

2. Je vous dis donc, mon Frère et mon cher Fils, que vous ne pourrez avoir cette persévérance dans la vertu ni posséder Dieu dans votre âme, si vous fréquentez les démons visibles et incarnés, les créatures qui veulent vous détourner de vos saintes et bonnes résolutions en vous faisant sortir de vous-même. Sachez que le démon veut vous faire sortir de vous-même, parce que l’âme, une fois retirée d’elle-même, abandonne tous ses exercices, et tombe dans le vice de l’orgueil; elle ne peut se supporter et supporter aucune créature avec patience, parce qu’elle n’a pas cette douce vertu de la véritable humilité. Celui qui n’est pas humble ne peut pas être obéissant à Dieu. Ne serait-il pas déplorable que vous, qui êtes choisi pour louer Dieu sans cesse, vous suiviez la volonté coupable des hommes, que vous aimiez les hommes plutôt que Dieu? Hélas ! ne serait-ce pas devenir un membre du démon?

3. Je vous prie donc pour l’amour de Jésus crucifié de n’être pas cruel, mais compatissant pour votre âme. Vous montrerez la compassion que vous avez pour elle en la purifiant de la corruption du péché mortel, et en y plantant les vraies et solides vertus, comme doit le faire un homme généreux. Ne faisons donc pas comme l’animal, qui suit ses instincts sans aucune raison, mais comme un homme généreux. Suivez la voie de la vertu, et ne vous trompez pas en disant Je le ferai demain, car vous n’êtes pas certain [1247] d’avoir le temps. Notre doux Sauveur disait " Ne pensez pas au lendemain à chaque jour sa tâche. " Oh ! combien court nous apparaît le temps que l’homme possède; et, malheureux que nous sommes, avec toutes nos inquiétudes et nos désirs, nous dépensons ce temps, le trésor le plus précieux que nous ayons, en choses inutiles. Secouons donc aujourd’hui notre sommeil, ne dormons plus; il ne faut plus dormir, il faut sortir du sommeil de la négligence et de l’erreur.

4. J’ai appris que, vous et messire Pozzo, vous vouliez aller au saint Sépulcre. Cette nouvelle me cause une grande joie; mais je vous prie d’une chose pour l’amour de Jésus crucifié c’est que vous et messire Pozzo, vous vous disposiez d’abord à ce saint voyage, et que vous vous y prépariez avant tout par une sainte confession. Purifiez vos consciences avec soin, comme si vous étiez à l’article de la mort; n’attendez pas le moment où vous serez en route. Si vous ne le faisiez pas, il vaudrait mieux ne pas partir. Je vous prie, mes Pères et mes Frères, de ne pas vous laisser tromper par la faiblesse humaine et par la lèpre. de l’avarice; car vos biens et les créatures ne répondront pas pour vous, mais les vertus solides et la bonne conscience. Je n’en dis pas davantage. Ayez toujours Dieu devant les yeux. Je m’offre pour vous par une continuelle prière. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1248].

Table des matières (2)


 

CCXXXV (227).- A MAITRE FRANÇOIS, fils de maître Barthélemi, médecin de Sienne d’une grande réputation.- Du péché mortel.- Combien la lumière est nécessaire pour en connaître la gravité, et pour obtenir la grâce de Dieu.

(Maître François, de la famille des Casini, de Sienne, eut comme médecin une grande réputation dans toute l’Italie. Il était à la cour d’Avignon, à l’époque du voyage de sainte Catherine, et il devint le médecin d’Urbain VI, qui l’employa dans quelques négociations. Après la mort d’Urbain VI, il retourna dans sa patrie, et fit partie du gouvernement de la république, en 1390, date de sa mort.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir mépriser le péché mortel, car vous ne pourrez autrement avoir la grâce de Dieu dans votre âme; et cette grâce, je ne vois pas que vous ni aucun autre puissiez la posséder sans cette lumière qui fait voir et connaître la gravité du péché et l’avantage de la vertu. La chose que l’on ne connaît pas, on ne peut l’aimer, si elle est digne d’amour, ou la détester si elle digne de haine. On ne peut rien connaître sans la lumière. Nous avons donc besoin de la lumière, afin qu’elle éclaire l’oeil de notre intelligence par la prunelle de la très sainte [1249] Foi, quand le nuage de l’amour-propre ne l’a pas obscurcie.

2. Si cet amour-propre existe, nous devons le dissiper, pour qu’il ne soit pas un obstacle à notre vue. Nous devons, par le saint amour, chasser l’amour coupable de la sensualité, car l’amour-propre consume et détruit la grâce divine dans l’âme, et corrompt toutes ses œuvres. Comme un mauvais arbre dont tous les fruits sont corrompus, l’homme qui s’adonne à l’amour sensitif ne produit rien de bon et plie sous le poids du péché mortel. Toutes ses œuvres sont corrompues, parce qu’il a perdu la lumière et qu’il est dans les ténèbres, tellement qu’il ne connaît et ne discerne plus la vérité; son goût et les désirs de son âme sont viciés; toutes les choses bonnes lui paraissent mauvaises, et les choses mauvaises lui paraissent bonnes. Il méprise les vraies vertus, il s’éloigne de l’amour de Dieu et du prochain, et iL met tout son bonheur dans les délices et les plaisirs du monde. S’il aime son prochain, il ne l’aime pas pour Dieu, mais pour son seul intérêt. Celui, au contraire, qui est vraiment libre de tout amour sensitif, aime son Créateur par-dessus toute chose et son prochain comme lui-même. Il ne peut avoir cet amour, si d’abord, à la lumière de l’intelligence, il ne reconnaît pas qu’il n’est rien, qu’il a reçu de Dieu l’être et toutes les grâces qui sont ajoutées. Alors, quand il se connaît bien lui-même, avec ses défauts et la bonté de Dieu à son égard, il déteste ses défauts, et l’amour-propre qui en est cause. Il aime la vertu, et, par amour de la vertu qu’il aime, par amour de son Créateur, il est prêt à souffrir toutes sortes de peines plutôt que d’offenser [1250] Dieu et d’outrager la vertu. Toutes ses œuvres spirituelles ou temporelles sont dirigées vers Dieu, et dans quelque condition qu’il se trouve, il aime et craint toujours son Créateur. S’il a des richesses, des honneurs dans le monde, des enfants, des parents, des amis, il possède tout comme des choses prêtées qui ne lui appartiennent pas, et il en use avec mesure, et non pas sans mesure. S’il est dans l’état du mariage, il y vit en respectant les lois de ce sacrement, et en observant les jours prescrits par l’Eglise. S’il doit être en rapport avec les créatures et les servir, il le fait avec zèle, non pas avec un cœur faux, mais librement et en ne pensant qu’à Dieu.

3. Il règle toutes les puissances de son âme et tous les mouvements de son corps. Sa mémoire s’applique à retenir les bienfaits de Dieu, son intelligence à comprendre sa volonté, qui ne veut que notre sanctification, et sa volonté est décidée à aimer par-dessus tout son Créateur. Dès que les puissances de son âme sont réglées, les mouvements de son corps le sont aussi. Je vous prie donc, très cher Frère, de régler votre vie de cette manière. Ouvrez l’oeil de votre intelligence pour connaître la gravité du péché et la grandeur de la bonté de Dieu. En agissant ainsi dans toutes les conditions où vous serez, vous serez agréable à Dieu, et vous serez un arbre fertile; vous produirez des fruits de vie, c’est-à-dire de vraies et saintes vertus, et dans cette vie, vous aurez un avant-goût de la vie éternelle. Mais je considère que nous ne pouvons jamais recevoir la paix, le repos, la grâce, sans connaître, à la lumière de la très sainte Foi, sans connaître la gravité du péché mortel, la bonté de [1251] Dieu et le prix de la vertu. Je vous ai dit que je désirais vous voir mépriser le péché mortel, et je vous conjure de le faire. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXXXVI (228).- A MESSIRE RISTORO DE CANIGIANI, à Florence.- Des moyens de plaire à Dieu et de persévérer dans la vertu.

 (La famille Canigiani était une des plus nobles de Florence et beaucoup de ses membres périrent à la bataille de Montaperto. Ristoro était avocat, et très attaché à sainte Catherine, ainsi que son père Piétro et son frère Barducio, le secrétaire bien-aimé de notre Sainte. (Voir Vie de sainte Catherine. II" p., ch. 1.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constant et persévérant dans la vertu; car ce n’est pas celui qui commence qui est couronné, mais celui qui persévère. La persévérance est la reine qui est couronnée; elle est accompagnée de la force et de la vraie patience, mais c’est elle seule qui reçoit la couronne de gloire. Aussi, mon très doux Frère, je veux que vous soyez constant [1252] et persévérant dans la vertu, afin que vous receviez la récompense de toutes vos peines. J’espère de la bonté de Dieu qu’il vous fortifiera tellement, que ni le démon ni les créatures ne pourront vous faire retourner à votre premier vomissement.

2. Il me semble, d’après ce que vous m’écrivez, que vous avez bien commencé, etje m’en réjouis beaucoup pour votre salut, en voyant vos saints désirs. Vous me dites d’abord que vous pardonnez à tous ceux qui vous ont offensé, ou qui ont voulu vous offenser: c’est là une chose absolument nécessaire, si vous voulez avoir la grâce de Dieu dans votre âme, et même être tranquille selon le monde. Celui qui reste dans la haine est privé de Dieu et dans un état de damnation ; dès cette vie même il goûte l’enfer; il nourrit sans cesse en lui-même le désir de la vengeance. Il vit toujours dans la crainte, et, en croyant tuer son ennemi, il se tue lui-même, car il tue son âme avec le poignard de la haine. Oui, ceux qui croient tuer leur ennemi se tuent eux-mêmes, tandis que celui qui pardonne véritablement pour l’amour de Jésus crucifié, celui-là trouve la paix, le repos, et ne ressent aucun trouble, parce que la colère, qui trouble, est détruite dans son âme, et Dieu, qui récompense tout bien, lui rend la grâce, et lui donne après la mort, la vie éternelle. Le bonheur, la joie, la paix de conscience que l’âme reçoit alors, la langue est incapable de l’exprimer ; et même, selon le monde, c’est une grande gloire de ne pas vouloir se venger de son ennemi, par amour de la vertu et par générosité. Je vous y invite et je vous encourage à persévérer dans votre sainte résolution [1253].

3. Quant à demander et à poursuivre ce qui vous appartient justement, vous pouvez le faire en toute sûreté de conscience, si vous le voulez; car personne n’est obligé d’abandonner son bien s’il ne le veut pas; mais celui qui le veut sera plus parfait.

4. Quant à ne pas aller à l’évêché ni au palais, cela est bien et très bien. Il vaut mieux rester tranquille chez vous ; car nous sommes faibles au milieu de l’agitation ; notre âme souvent s’agite elle-même et fait des choses injustes et déraisonnables, celui-ci pour montrer qu’il en sait plus qu’un autre, celui-là par désir de gagner de l’argent. Il est bien de fuir ces occasions.

5. Je fais cependant une exception. S’il s’agit des pauvres qui ont évidemment raison, et qui n’ont personne pour les soutenir et prouver leurs droits, parce qu’ils n’ont pas d’argent, vous honorerez beaucoup Dieu en vous fatiguant pour eux avec charité, comme saint Yves, qui fut dans son temps l’avocat des pauvres (Saint Yves, une des gloires de la Bretagne, est le patron des hommes de loi.). Pensez que le service rendu aux pauvres en les assistant avec le talent que vous avez reçu du Ciel, sera très agréable à Dieu et très profitable au salut de votre âme. Saint Grégoire dit qu’il est impossible qu’un homme compatissant périsse de la mauvaise mort, c’est-à-dire de la mort éternelle. Aussi je me réjouirais beaucoup de vous le voir faire, et je vous le demande.

6. Dans toutes vos actions, ayez Dieu devant les yeux, en vous disant à vous-même, lorsque les désirs [1254] déréglés se révoltent contre votre sainte résolution Pense, mon âme, que le regard de Dieu est sur toi, qu’il pénètre le secret de ton cœur ; pense que tu dois mourir, que tu ne sais pas quand, et qu’il faudra rendre compte au souverain Juge de toutes tes actions; ce Juge punit le mal et récompense le bien. Si vous vous contenez ainsi, vous ne vous éloignerez jamais de la volonté de Dieu.

7. Travaillez au bonheur de votre âme; c’est le premier devoir que vous ayez à remplir; soulagez votre conscience de ce qui pourrait la charger, soit en réparant les torts matériels que vous avez faits aux autres, soit en demandant pardon des offenses que vous avez pu leur faire, afin que vous demeuriez toujours dans la charité du prochain. Vendez aussi ce que vous avez d’inutile, et les vêtements somptueux, qui sont bien nuisibles, mon très cher Frère, car ils enflent le cœur et nourrissent l’orgueil, en nous faisant paraître plus grands que les autres, et glorifier de ce qui ne le mérite pas. C’est une grande honte pour nous, lâches chrétiens, de voir notre chef souffrir, et de rechercher les délices. Aussi, selon saint Bernard, il n’est pas convenable de voir des membres délicats sous un chef couronné d’épines. Je dis que vous faites très bien si vous employez le remède. Mais revêtez-vous honnêtement et sans dépense extraordinaire, vous serez très agréable à Dieu; et, autant que vous le pourrez, faites de même pour votre femme et vos enfants ; soyez leur règle et leur modèle, comme doit l’être un père, obligé d’élever ses enfants selon la raison et dans la pratique de la vertu.

8. J’ajouterai une chose : conservez la crainte de [1255] Dieu dans l’état du mariage, respectez-le comme un sacrement; ne suivez pas les désirs déréglés, et observez les jours prescrits par l’Eglise, comme un homme raisonnable, et non pas comme un animal grossier. Alors, vous et les autres, vous serez de bons arbres, et vous produirez de bons fruits.

9. Vous ferez bien de refuser les emplois, car il est bien difficile de ne pas y commettre quelque faute, et le souvenir de ceux que vous avez eus doit vous être pénible. Laissez les morts ensevelir leurs morts (Mt 8,22), et appliquez-vous seulement, dans toute la liberté de votre cœur, à plaire à Dieu, l’aimant par-dessus toutes choses, par désir de la vertu, aimant le prochain comme vous-même. Fuyez le monde et ses délices; renoncez au péché, à la sensualité, et rappelez-vous sans cesse les bienfaits de Dieu, et surtout le bienfait du sang qui a été répandu pour nous avec un si ardent amour.

10. Il faut encore, pour conserver la grâce et faire des progrès dans la vertu, recourir souvent avec joie à la sainte confession, pour laver la face de votre âme dans le sang de Jésus-Christ. Nous souillons notre âme tous les jours. Confessez-vous une lois par mois; plus sera mieux, mais il me semble que vous ne devez pas faire moins. Aimez à entendre la parole de Dieu; et, quand nous serons réconciliés avec le Saint-Père, communiez aux fêtes solennelles, ou au moins une fois l’an. Aimez les offices et entendez la messe tous les matins ; si vous ne le pouvez pas tous les jours, faites-le au moins les jours prescrits par [1256] l’Eglise; nous y sommes obligés ; vous ne devez, pas y manquer, si vous le pouvez.

11. Il ne faut pas négliger la prière; et même, à certaines heures, tâchez de vous recueillir un peu pour vous connaître, pour connaître les offenses que vous avez commises contre Dieu et la grandeur de sa bonté à votre égard. Ouvrez l’oeil de l’intelligence à la lumière de la très sainte Foi, pour voir combien Dieu vous aime d’un amour ineffable; il vous l’a montré par le moyen de son Fils unique. Je vous prie, si vous ne le faites pas déjà, de dire tous les jours l’office de la Vierge, afin qu’elle soit votre refuge et votre avocate devant Dieu (L’office de la Vierge est très ancien dans l’Eglise, et remonte au delà du XIe siècle. La récitation en était prescrite aux religieux du Mont-Cassin, en 752. On le récitait dans les églises pour obtenir le succès de la première croisade, en 1095.). Réglez ainsi votre vie, et jeûnez, en l’honneur de Marie, les samedis et les jours prescrits par la sainte Eglise, sans jamais y manquer, si ce n’est par nécessité. Fuyez les festins déréglés, et vivez simplement, comme un homme qui ne veut pas faire un dieu de son ventre. Prenez la nourriture nécessaire, mais non pas avec un grossier plaisir; car il est impossible que celui qui n’est pas réglé dans sa nourriture se conserve dans la pureté. Je suis persuadée que la bonté de Dieu, pour cela et pour le reste, vous fera observer tout ce qui est nécessaire à votre salut. Je prierai et je ferai prier pour qu’il vous donne la persévérance parfaite jusqu’à la mort, et qu’il vous éclaire sur tout ce que vous aurez à faire pour votre salut. Je termine [1257]. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus. Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXXXVII (229).- A MESSIRE RISTORO CANIGIANI.- De la lumière qui fait connaître la bonté de Dieu.- Des conditions d’une bonne prière. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillé de tout amour de vous-même, afin que vous ne perdiez pas la lumière et la connaissance de l’amour ineffable que Dieu vous porte. C’est la lumière qui nous le fait connaître, et c’est l’amour-propre qui nous ôte la lumière. Aussi je désire ardemment le voir détruit en vous. Oh! que cet amour-propre est dangereux pour notre salut! Il prive l’âme de la grâce, parce qu’il ôte la charité de Dieu et du prochain, et cette charité nous fait vivre dans la grâce. Il nous prive de la lumière, disons-nous, parce qu’il obscurcit l’oeil de notre intelligence; et lorsque nous n’avons plus la lumière, nous marchons dans les ténèbres, et nous ne connaissons pas ce qui nous est nécessaire. Et qu’avons-nous besoin de connaître? La grande bonté de Dieu et son ineffable charité à notre égard, la loi [1258] perverse qui combat toujours contre l’esprit, et notre misère. C’est par cette connaissance que l’âme commence à rendre à Dieu ce qu’elle lui doit, c’est-à-dire la gloire et l’honneur de son nom, en l’aimant pardessus toutes choses, en aimant le prochain comme soi-même. La faim, le désir de la vertu doit faire naître la haine, le mépris du vice et de la sensualité, qui est la cause de tout vice.

2. L’âme acquiert la vertu et la grâce en se renfermant dans la connaissance d’elle-même, avec la lumière dont nous avons parlé. Et ou trouvera-t-elle la richesse de la contrition de ses fautes et l’abondance de la miséricorde de Dieu? Dans cette même connaissance. Voyons si nous l’avons trouvée ou non. Parlons-en un peu, puisque, d’après votre lettre, vous avez le désir d’avoir la contrition de vos péchés, et que ne pouvant l’avoir, vous abandonnez pour cela la sainte Communion. Nous verrons si c’est un motif pour le faire. Vous savez que Dieu est souverainement bon, qu’il nous a aimés avant que nous fussions; il est l’éternelle Sagesse, et sa puissance est infinie. Nous sommes donc certains qu’il peut, qu’il sait et qu’il veut vous donner ce qu’il nous faut.

3. Ne voyons-nous pas qu’il nous a donné plus que nous ne savons lui demander, et même ce que nous ne lui avons pas demandé? Lui avons-nous jamais demandé qu’il nous fît des créatures raisonnables, à son image et ressemblance, plutôt que des animaux? Non certainement. Lui avons-nous demandé qu’il nous fit renaître à la grâce dans le sang du Verbe, son Fils unique, et qu’il restât notre nourriture, lui, le l’Homme-Dieu tout entier, sa chair, son sang, son [1259] âme unie à sa divinité? Outre ces dons, qui sont si grands, et qui prouvent un amour si ardent, que les cours les plus durs devraient, en les voyant, se réchauffer et s’attendrir, combien recevons-nous de grâces et de faveurs sans les avoir demandées ! Puisqu’il nous donne tant sans que nous le demandions, combien à plus forte raison exaucera-t-il nos désirs quand nous désirerons une chose juste! Et même qui est-ce qui nous la fait désirer et demander? C’est lui seul. S’il nous la fait demander, n’est-ce pas une preuve qu’il veut nous accorder ce que nous lui demandons?

4. Vous me direz : Je confesse que ce vous dites est vrai: d’où vient cependant que j’ai demandé très souvent la contrition et d’autres choses, et que je n’ai rien obtenu? Je vous répondrai: Ou c’est la faute de celui qui demande des lèvres seulement, et non pas du cœur. Notre Sauveur dit que ceux qui crieront: Seigneur, Seigneur, il ne les reconnaîtrait pas. Il les connaît sans doute; mais, par leur faute, il ne les reconnaît pas dans sa miséricorde. Ou bien on demande quelque chose qui nuirait au salut; et en ne l’obtenant pas, on est exaucé, car on a demandé ce qu’on croit utile et qui serait nuisible. On gagne donc en ne l’obtenant pas, et Dieu a écouté l’intention qui faisait demander. Dieu est toujours bon à notre égard; mais il l’est en secret, parce qu’il connaît notre imperfection; il voit que s’il nous accordait sur-le-champ sa grâce, nous ferions comme l’animal immonde, qui quitte la douceur du miel pour la corruption de la fange. Dieu voit que nous faisons souvent de même; nous recevons sa grâce et ses bienfaits, nous participons à la douceur de sa charité, et [1260] nous ne craignons pas de nous abandonner à nos misères, et de retourner à la corruption du monde que nous avions rejetée. Dieu souvent ne nous accorde pas ce que nous demandons, aussi vite que nous le voudrions, pour augmenter notre faim et notre désir, parce qu’il aime voir devant lui l’ardeur de sa créature.

5. Quelquefois il accordera la grâce réellement, mais pas d’une manière sensible. La Providence agit ainsi parce qu’elle sait que si l’homme l’éprouvait d’une manière sensible, il se relâcherait de son désir, ou tomberait dans la présomption. Il lui ôte alors le sentiment et non la grâce; il y a d’autres au. contraire qui la reçoivent et la sentent par un effet de sa douce bonté. Il est notre médecin qui nous donne, et nous pauvres malades, ce qui convient le mieux à notre infirmité. Vous voyez donc que de toute façon l’intention de la créature qui prie Dieu est exaucée. Voyons maintenant ce que nous devons demander et dans quelle mesure. Il me semble que la douce Vérité suprême nous enseigne ce que nous devons demander. Lorsque, dans le saint Evangile, Notre-Seigneur reproche à l’homme la sollicitude déréglée qu’il met à acquérir et conserver les honneurs et les richesses du monde, il dit: " Ne vous inquiétez pas du lendemain; à chaque jour suffit sa peine, " il nous montre par là que nous devons considérer avec prudence la brièveté du temps; et il ajoute: Demandez d’abord le royaume du ciel. Le Père céleste connaît bien les petites choses dont vous avez besoin.

6. Quel est ce royaume? comment le demander? C’est le royaume de la vie éternelle et le royaume de notre [1261] âme; ce royaume de notre âme, s’il n’est pas possédé par la raison, n’entrera jamais dans le royaume du ciel. Et comment le demande-t-on? Non seulement avec des paroles, nous avons dit que ceux qui parlaient seulement, Dieu ne les connaissait pas, mais avec le désir des vraies et solides vertus. C’est la vertu qui demande et possède le royaume du ciel; cette vertu rend l’homme prudent, et il travaille avec prudence et sagesse pour l’honneur de Dieu, pour son salut et celui du prochain. Il supporte avec prudence ses défauts, et il règle son cœur avec prudence, en aimant Dieu par-dessus toute chose et le prochain comme lui-même. L’ordre véritable est d’être prêt à sacrifier la vie de son corps pour le salut des âmes, et ses biens temporels pour délivrer son prochain. C’est ce que fait la charité prudente; si elle n’était pas prudente, elle ferait le contraire, comme le font ceux qui ont une charité fausse et insensée. Souvent, pour sauver le prochain, je ne dis pas son âme, mais son corps, ils exposent leur âme pour soutenir le mensonge par de faux témoignages; ceux-là perdent la charité, parce qu’elle n’est pas unie à la prudence. Nous avons vu qu’il faut demander le royaume du ciel avec prudence. Maintenant je vous dirai ce que nous devons faire pour la sainte Communion, et comment nous devons la recevoir.

7. Nous ne devons pas user d’une fausse humilité, comme font bien des hommes du monde. Je dis qu’il faut recevoir ce doux sacrement, car il est la nourriture de l’âme; et sans cette nourriture, nous ne pouvons vivre en état de grâce. Il n’y a aucun lien [1262] assez grand qui ne puisse se rompre pour approcher de ce doux sacrement. L’homme doit faire de son côté tous ses efforts, et cela suffira. Comment devons-nous le recevoir? Avec la lumière de la très sainte Foi et avec la bouche du saint désir. Vous regarderez à la lumière de la Foi celui qui est tout Dieu et tout homme dans cette Hostie. Alors le cœur, qui suit l’intelligence, le reçoit avec un tendre amour, avec une pieuse considération de ses défauts et de ses péchés qui lui inspire la contrition. IL considère la grandeur de l’ineffable charité de Dieu, qui se donne avec tant d’amour en nourriture; et, quoiqu’il ne croie pas avoir la contrition parfaite et les dispositions où il voudrait être, il ne doit pas abandonner la Communion. Sa bonne volonté suffit, et il est dans la disposition requise.

8. Je vous dis encore qu’il faut recevoir le Sacrement comme il a été figuré dans l’Ancien Testament, lorsqu’il fut ordonné de manger l’agneau rôti et non bouilli, entier et non partagé, ceints et debout avec un bâton à la main, et après avoir mis le sang de l’agneau sur le seuil de la maison. Il faut communier de la même manière, et manger l’Agneau sans tâche rôti et non bouilli. Ce qui est bouilli est dans la ferre et l’eau, c’est-à-dire dans l’attachement terrestre et dans l’eau de l’amour-propre. Nous le prenons rôti lorsque nous le prenons au feu de la divine charité. Nous devons être ceints de la ceinture de la continence; car ce serait une chose indigne, si nous nous approchions de la pureté même avec l’esprit et le corps souillés. Nous devons être debout, c’est-à-dire le cœur et l’esprit toujours fidèles et toujours [1263] élevés vers Dieu, avec le bâton de la très sainte Croix, où nous trouvons la doctrine de Jésus crucifié. C’est sur ce bâton que nous nous appuyons; c’est avec lui que nous nous détendons de nos ennemis, c’est-à-dire du monde, du démon et de la chair. Il faut le manger tout entier et non par partie c’est-à-dire qu’à la lumière de la Foi, nous devons :dans ce sacrement voir non seulement l’humanité, mais aussi le corps, l’âme de Jésus crucifié unis à sa divinité, l’HommeDieu tout entier. Il faut prendre le sang de cet Agneau, et le mettre sur notre front: c’est-à-dire le confesser devant toute créature raisonnable, et ne le renier jamais ni dans la peine ni dans la mort. Il faut enfin prendre avec amour cet Agneau préparé au feu de la charité sur le bois de la Croix; nous serons trouvés marqués du signe du Thau, et nous ne serons pas frappés par l’ange exterminateur (Le Thau a la forme de la croix, et on lit dans Ezéchiel 9,6 : Super quem videritis Thau, ne occidatis).

9. Je vous ai dit qu’il ne faut pas faire, et je ne veux pas que vous fassiez comme les séculiers imprudents qui n’obéissent pas au précepte de l’Eglise, en disant: Je ne suis pas digne; et ils passent ainsi des années dans le péché mortel, sans prendre la nourriture de leurs âmes. Oh ! la folle humilité ! Qui ne voit pas que vous n’êtes pas dignes? Quel moment attendez-vous pour en être dignes? Ne croyez pas l’être plus à la fin qu’au commencement. Tout le bien que nous pourrons faire, ne nous en rendra pas dignes; Dieu seul est digne de lui-même, et peut nous rendre dignes de sa dignité, qui ne diminue jamais [1264]. Que devons-nous faire? Nous disposer autant que nous le pouvons, et obéir à ce doux commandement. Si nous ne le faisons pas, si nous négligeons la Communion par ce motif, en croyant éviter la faute, nous y tomberons. Je conclus, et je veux que vous ne tombiez pas dans cette folie, mais disposez-vous comme un chrétien fidèle à recevoir la sainte Communion, comme nous l’avons dit. Vous le ferez d’autant plus parfaitement que vous resterez dans la connaissance de vous-même, pas autrement: parce que cette connaissance vous fera veiller sur toute chose. Que vos saints désirs ne s’affaiblissent pas parla souffrance, la peine, l’injure et l’ingratitude de ceux que vous avez obligés; mais persévérez généreusement avec une véritable persévérance jusqu’à la mort. Je vous conjure de le faire, par l’amour de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


  

CCXXXVIII (230). — A MESSIRE RISTORO CANIGIANI. — De la vraie et parfaite charité, et la douceur qu’elle apporte. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang [1265], avec le désir de vous voir fondé sur la vraie et parfaite charité. Cette charité est la mère et la nourrice de toutes les autres vertus; elle rend l’homme constant et persévérant dans la vertu, si bien, que le démon et la créature ne peuvent l’en séparer, s’il ne le veut pas. Elle est d’une si grande douceur, qu’elle détruit toute amertume qui afflige l’âme; mais elle produit une amertume douce qui engraisse l’âme dans la vraie connaissance d’elle-même, où elle connaît les fautes passées et présentes qu’elle a commises contre son Créateur. C’est cette connaissance qui lui est amère; elle se repent d’avoir offensé l’éternel et souverain Bien, d’avoir souillé la face et la beauté de son âme, qui a été lavée dans le sang de l’humble Agneau sans tache, et c’est par ce sang qu’elle a connu le feu et l’abîme de sa charité. Cette connaissance inspire à l’âme un amour qu’elle n’aurait pas sans cela; car la créature aime son Créateur selon qu’elle se voit aimée de lui. Ainsi toute la froideur de notre cœur vient uniquement de ce que nous ne regardons pas combien nous sommes aimés de Dieu. Et pourquoi ne le voyons-nous pas? Parce que le nuage de l’amour-propre obscurcit l’oeil de l’intelligence, dont la prunelle est la lumière de la très sainte Foi.

2. Par cette lumière, nous arrivons à la charité parfaite de Dieu, et nous arrivons aussi à la charité du prochain. Car l’âme qui aime son Créateur veut aussi aimer ce qu’il aime; et, en voyant qu’il aime la créature, elle est forcée par le feu de sa charité, de l’aimer et de la servir avec zèle et empressement; et les services qu’elle ne peut rendre à Dieu, qui n’a [1266] pas besoin de nous, elle veut les rendre au prochain en lui faisant part des grâces et des dons qu’elle a requis de Dieu, spirituellement ou temporellement, et elle le fait avec une intention pure, parce que la charité droite et généreuse ne cherche pas son avantage; elle ne s’aime pas, elle n’aime pas le Créateur et les créatures pour elle, mais elle aime tout pour Dieu.

3. La charité n’est pas fausse et hypocrite, montrant au dehors ce qui n’est pas au dedans; elle est humble, et non pas orgueilleuse ; car c’est l’humilité qui nourrit la charité dans l’âme. Elle n’est pas infidèle, mais fidèle, servant Dieu fidèlement et le prochain, espérant en Dieu et non pas en elle-même. Elle n’est pas imprudente, mais elle fait tout avec une grande prudence ; elle est juste, rendant à chacun ce qui lui est dû: à Dieu, gloire et honneur à son nom par la vertu; au prochain, la bienveillance, et à elle-même la haine de fautes commises et le regret de sa propre fragilité. Elle est forte, car l’adversité ne peut l’affaiblir par l’impatience, ni la prospérité par une joie déréglée. Elle apaise les querelles, réprime la colère et foule aux pieds l’envie, parce qu’elle aime le prochain, et se réjouit du bien qui lui arrive comme du sien même. Elle revêt si bien l’âme du vêtement de la grâce, qu’aucun coup ne peut l’atteindre, mais revient sur celui qui a frappé. Nous voyons que, si le prochain nous frappe par l’injure, et que nous le supportions avec patience, le trait empoisonné revient sur celui qui l’a lancé. Si le monde nous frappe par ses plaisirs, ses délices, ses honneurs, et que nous les recevions avec mépris, ses coups tournent à [1267] sa honte; et si le démon nous frappe avec ses tentations innombrables, nous le frappons de toute la force de la volonté, en restant fermes, constants et persévérants jusqu’à la mort, ne consentant jamais à ses pensées et à sa malice.

4. En nous tenant sur ce rocher, aucune attaque ne peut nous nuire; c’est la volonté seule qui commet la faute ou pratique la vertu, selon ce qu’elle choisit. Lorsque ce sont des pensées impures qui nous attaquent, nous les repoussons par le parfum de la pureté. La pureté de la continence rend l’âme angélique; elle est fille de la charité; et cette douce mère l’aime tant, que non seulement elle la préserve des souillures qui donnent la mort à l’âme, des fautes de ceux qui se plongent dans la fange de la chair comme des animaux grossiers, mais encore elle lui fait mépriser ce qu’elle pourrait se permettre sans péché mortel dans l’état du mariage, si bien, que l’homme les fuirait s’il le pouvait; car il lui semble qu’il ne peut toucher à cette boue sans se salir: il est bien difficile en effet de la traverser, et de ne pas se souiller. Aussi, l’âme qui est dans la charité goûte le parfum de la continence, et voudrait fuir ce qui lui est contraire.

5. Oh ! combien serait doux et agréable à Dieu ce sacrifice, si vous, mon Fils et ma Fille bien-aimée, vous vous offriez à Dieu avec ce suave et délicieux parfum, si vous laissiez pour jamais la lèpre aux lépreux, et si vous suiviez l’état angélique. N’attendez pas le moment de la vieillesse où le monde nous abandonne; vous plairiez peu à Dieu en laissant ce que vous ne pouvez conserver; mais donnez-lui la fleur de votre jeunesse; il l’acceptera avec un grand [1268] amour, et vous lui serez très agréables. Ne dormons plus, pour l’amour de Jésus crucifié. Nous avons fait si longtemps une étable de notre corps et de notre âme, il faut désormais en faire un jardin. N’attendez pas le temps, parce que le temps ne nous attend pas. Que l’un invite et force l’autre à se revêtir de cette très douce pureté qui répand une si bonne odeur, en présence de Dieu et devant les créatures. Je suis certaine que si vous avez en vous la charité, cette douce mère, vous ferez pour cela tous vos efforts; vous combattrez votre fragilité quand elle voudra se révolter contre la raison, mais pas autrement. Parce que je souhaite vous voir arriver à cet état parfait, et que je comprends qu’on ne peut y arriver que par la voie de la charité, je vous ai dit et je vous répète que je désire ardemment vous voir fondés sur la vraie et parfaite charité; cette charité embrasse toutes les vertus, elle méprise et fuit tous les vices. Elle est si douce, si agréable, qu’il ne faut pas perdre de temps par négligence, mais il faut se lever avec zèle à la lumière de la très sainte Foi. Et à cette lumière, nous verrons combien Dieu nous aime; en le voyant, nous connaîtrons Sa bonté; et la connaissant, nous l’aimerons, et par cet amour nous chasserons l’amour-propre qui ôte la vie de la grâce. Emplissez sans cesse votre mémoire du souvenir du sang de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1269].

Table des matières (2)


 

 

CCXXXIX (231).- A MESSIRE RISTORO CANIGIANI.- Des biens du monde et de la grâce de Dieu.- De l’amour avec lequel on aime Dieu et les créatures,à l’exemple de Jésus-Christ. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillé du vieil homme et revêtu du nouveau; je dis dépouillé du vieux péché d’Adam, de cet amour déréglé qu’il eut lorsqu’il offensa Dieu par sa désobéissance, et il s’offensa lui-même en se privant de la vie de la grâce. Aussitôt qu’il eut offensé Dieu, il trouva la révolte en lui et dans toutes les créatures. IL en est de même de l’âme qui suit et revêt le vieil homme ; elle s’aime elle-même d’un amour sensitif, et de cet amour viennent toutes les affections déréglées. C’est cet amour misérable qui ôte la lumière de la raison, et empêche de connaître la vérité; il ôte la vie de la grâce, et nous donne la mort. Il nous ôte la liberté, et nous rend les serviteurs et les esclaves du péché, du néant; et alors on goûte en cette vie les arrhes de l’enfer. Je dis que l’homme ne connaît plus la vérité; car s’il connaissait la vérité, il ne donnerait pas son cœur, ses affections, ses désirs au monde; il n’en ferait pas son Dieu, mais il le mépriserait avec toutes ses délices [1270] en voyant son inconstance, son peu de stabilité, Combien il est vain et caduc !

 

2. Ne le voyons-nous pas tous les jours, très cher Frère les choses du monde passent comme le vent, et rien ne dure à notre gré. C’est que rien n’est à nous, excepté la grâce divine, qui ne peut nous être enlevée si nous ne le voulons pas; car la grâce ne se perd que par le péché, et ni le démon ni les créatures ne peuvent nous forcer à commettre la moindre faute, et nous ravir par conséquent la grâce. Mais les choses du monde, qui nous sont prêtées pour notre usage, peuvent nous être enlevées, et nous sont enlevées quand il plaît à la Bonté divine qui nous les a données. Aussi nous voyons l’homme tantôt riche, tantôt pauvre, aujourd’hui dans les honneurs, demain dans l’adversité. Nous passons de la santé à la maladie, de la vie à la mort. Les choses du monde changent, et celui qui veut les posséder ne le peut pas, parce qu’elles ne sont pas à lui. Si elles étaient à lui, il les garderait comme il le voudrait; mais elles lui sont prêtées pour ses besoins, et non pas pour qu’il les possède avec un amour déréglé, pour qu’il les aime hors de Dieu. Car en agissant ainsi, il transgresserait son commandement, qui nous dit que nous devons aimer Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme nous-mêmes. En ne le faisant pas, il tombe dans la désobéissance, il se prive de la vie de la grâce et devient digne de la mort éternelle.

3. Il devient ainsi insupportable à lui-même, et il goûte les arrhes de l’enfer, car le ver de la conscience le ronge toujours. il éprouve une peine insupportable en se voyant privé de la chose qu’il aime [1271] d’une affection déréglée, et qu’il faut laisser, ou pendant la vie en la perdant, ou à l’heure de la mort. Car en mourant, l’homme doit tout laisser; il n’emporte avec lui que le bien ou le mal qu’il a fait, et il reçoit ce qu’il a mérité. Toute faute est punie, toute vertu récompensée. Il ne peut emporter autre chose, et celui qui a des affections déréglées, souffre beaucoup lorsqu’il perd ce qu’il aimait tant; il perd avec autant de douleur qu’il possédait avec amour. Aussi toute sa vie est une peine, même lorsqu’il est dans les plaisirs et l’abondance, parce qu’il craint de perdre ce qu’il a. Qui ne reconnaît pas ces misères et les tourments que donne le monde? celui qui obscurcit la lumière de la raison par l’amour de lui-même. Il a perdu cette lumière en se rendant l’esclave de la sensualité, qui le revêt du vieil homme, c’est-à-dire du péché d’Adam, Il est malheureux, l’ingrat et l’insensé qui se prive de la dignité que lui donnaient la lumière de la raison, la vie de la grâce et la liberté ! il s’est fait l’esclave du démon et du péché, qui n’est que néant; car il perd cette liberté, qui lui avait été rendue par le moyen du sang du Fils de Dieu, dans lequel est purifiée la face de notre âme. Oh I combien est digne de châtiment celui qui dépense et consume sa vie d’une manière coupable ! Son iniquité l’empêche de reconnaître la bonté de Dieu à son égard, et de recevoir le fruit du Sang. Que devient ce pauvre insensé, lorsqu’il aspire et qu’il s’attache par le désir à toutes les délices du monde? Il ne trouve autre chose que confusion et remords de conscience jusqu’au moment de la mort; il est comme le fou, ou comme celui qui songe qu’il a de grandes jouissances [1272], et qui ne trouve plus rien à son réveil. De même l’homme qui s’éveille du sommeil de cette misérable vie, ne trouve que peine et remords. Quel moyen donc prendre pour ne pas perdre le bien du ciel, et pour ne pas être ici-bas dans une telle affliction !

4. Voici le remède, très doux Frère : Il faut nous dépouiller du vieil homme, qui nous cause ces peines insupportables, et nous revêtir de l’homme nouveau, du Christ, le doux Jésus, en réglant notre vie, en vivant comme un être raisonnable et non comme un animal, en dissipant le nuage de l’amour-propre et en détestant notre sensualité, cette loi mauvaise opposée à l’esprit, et le monde avec toutes ses délices. Aussitôt que vous les considérerez avec l’oeil de l’intelligence, vous verrez combien ces choses sont nuisibles à notre salut, si nous les aimons hors de Dieu, et quel supplice insupportable elles causent en cette vie. Alors, quand l’âme voit cela, elle conçoit sur-le-champ la haine de la sensualité et de tout ce qui est du monde; non pas qu’elle n’aime les choses créées, l’homme qui a des enfants aime ses enfants, sa femme et ses parents, mais il les aime d’un amour réglé et non coupable; il ne veut pas pour eux perdre son âme en offensant Dieu. Dieu ne nous défend pas d’aimer, Il nous commande au contraire d’aimer le prochain comme nous-mêmes; mais il nous défend d’aimer d’une affection déréglée. Et c’est ce que l’âme déteste, parce qu’elle voit que Dieu défend ces affections, et qu’elles lui sont nuisibles. Dès qu’elle déteste ce qu’elle doit détester, l’âme, qui ne peut vivre sans amour, s’aime aussitôt elle-même, avec le prochain et les choses créées, d’un amour légitime et vertueux [1273], fixant toujours à la lumière de la très sainte Foi, le regard de son intelligence sur Jésus crucifié; et elle voit en lui, et connaît ce qu’elle doit aimer.

5. Et, comme dans le sang du Christ, elle voit l’amour ineffable de Dieu, car ce sang nous a plus clairement manifesté l’amour et la charité de Dieu que toute autre chose, elle se met à l’aimer de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces. Une des lois de l’amour est d’aimer autant qu’on se sent aimé, et d’aimer tout ce qu’aime celui qu’on aime. Aussi, à mesure que l’âme connaît l’amour de son créateur à son égard, elle l’aime; et en l’aimant, elle aime tout ce que Dieu aime. Et parce qu’elle voit que Dieu aime souverainement sa créature raisonnable, qu’il l’aime tant, qu’il nous a donné le Verbe, son Fils, afin qu’il sacrifiât sa vie pour nous, et qu’il nous purifiât de la lèpre du péché dans son sang, le cœur de l’homme se dilate et participe à la charité divine pour le prochain; il veut lui rendre ce qu’il ne peut rendre à Dieu, c’est-à-dire lui être utile, car notre Dieu n’a pas besoin de nous, et ce que nous ne pouvons faire pour lui, nous devons le faire au prochain, que Dieu nous a donné comme moyen de lui prouver. l’amour que nous avons pour lui, Cet amour empêche l’homme de concevoir de la haine à l’égard du prochain, pour les injures qu’il en reçoit; mais il supporte avec patience ses défauts, s’affligeant plus de l’offense faite à Dieu et de la perte de son âme que de sa propre injure et de la perte qu’il éprouve lui-même.

6. Cet amour est réglé, car il ne sort pas de la charité, et il se revêt de l’homme nouveau, du [1274] Christ, le doux Jésus, dont il suit les traces et la doctrine, rendant lé bien à ceux qui lui font du mal, détestant ce que le Christ béni déteste et aimant ce qu’il aime. Que déteste le Christ béni? le vice, le péché, les honneurs, les délices du monde. Le péché lui déplaît tant, que, n’en ayant pas l’ombre en lui, il a voulu venger et punir nos fautes sur son corps; et cela dans des peines et des tourments tels, que la langue ne pourra jamais les raconter. Il méprisa tant les honneurs et les délices, que, quand les Juifs voulurent le faire roi, il disparut du milieu d’eux, et il embrassa au contraire la pauvreté, les injures, les affronts; il supporta la faim, la soif les persécutions, jusqu’à la mort honteuse de la très sainte Croix. Au lieu de la fuir, il alla au-devant des Juifs qui voulaient le prendre, et il leur dit : " Qui demandez-vous? " Ils répondirent: " Jésus de Nazareth. " " Si c’est moi que vous cherchez, dit alors le doux et tendre Verbe, me voici : prenez-moi; mais laissez ceux-ci. " Il parlait de ses disciples.

7. C’est ainsi que la douce Vérité nous a enseigné la charité du prochain que nous devons aimer, et la patience qui doit nous faire supporter tout ce que Dieu permet réellement pour la gloire et la louange de son nom, ne fuyant jamais la fatigue et le travail, ne tournant jamais la tête en arrière pour regarder la charrue par impatience ou par haine envers le prochain; il faut aller au contraire au-devant de lui avec la joie du cœur, et l’embrasser avec l’amour de Jésus crucifié. Nous devons tout supporter; nous devons le faire, parce que la peine est bien petite, et la récompense bien. grande, et aussi par amour pour [1275] Celui qui donne. La peine est petite. Savez-vous combien? comme la pointe d’une aiguille. Car la peine n’est pas plus grande que le temps, et vous savez bien qu’on ne peut s’imaginer la brièveté du temps. Le temps passé, vous ne l’avez pas; le temps à venir, vous n’êtes pas sûr de l’avoir. Vous possédez donc cet instant du temps présent, et pas davantage. La peine passée n’existe pas, et la peine à venir, nous ne sommes pas certains de l’avoir; nous n’avons que la peine de l’instant présent, et pas davantage, Il est donc vrai que cette peine est bien petite.

8. La récompense n’est-elle pas bien grande? Demandez-le au doux apôtre saint Paul, qui nous dit que les souffrances de cette vie ne sont pas à comparer avec la gloire future. Considérons aussi Celui qui nous donne la peine: c’est notre Dieu, qui est souverainement bon: et parce qu’il est souverainement bon. il ne peut vouloir que notre bien. Pourquoi nous donne-t-il la peine? Pour nous sanctifier, pour éprouver en nous sa perle précieuse de la patience. Cette vertu nous montre si nous aimons véritablement notre Créateur, et si nous avons en nous la vie de la grâce; car comme l’impatience est un signe que nous nous aimons plus nous-mêmes, et que nous aimons plus les choses créées que le Créateur, de même la patience est une preuve qui nous montre que nous aimons Dieu par-dessus toute chose et le prochain comme nous-mêmes.

9. Vous voyez que celui qui suit le Christ hait le vice et chérit la vertu. Il l’embrasse, il s’en revêt si bien, qu’il aime mieux mourir que de s’en dépouiller, tant est douce et agréable la vertu. Dès que l’âme [1276] est revêtue de l’homme nouveau par la lumière de la raison, elle goûte la vie éternelle, et rien ne peut la troubler. Si la peine arrive, elle se réjouit de ses tribulations, elle s’en nourrit; elle n’a pas cette crainte qui fait souffrir, cette crainte servile qui tremble de perdre les biens du monde, car elle les possède avec un amour raisonnable, comme des choses prêtées, et non comme des choses qui lui appartiennent; elle voit combien elles sont passagères. Elle comprend qu’elle ne peut les conserver à son gré, parce qu’elles ne lui appartiennent pas; elle est disposée alors à s’en servir avec un amour raisonnable, et toute sa vie est ainsi réglée en Dieu, dans quelque position qu’elle se trouve.

10. Celui qui est dans l’état du mariage s’y conserve avec une grande honnêteté, respectant fidèlement les jours prescrits par la sainte Eglise. S’il a des enfants, il nourrit leurs âmes et leurs corps, et les élève comme des créatures raisonnables dans les doux commandements de Dieu. Et s’il est dans un autre état, où il puisse assister son prochain, il devient le père des pauvres; il se fatiguera avec joie pour eux, les assistant autant qu’il le pourra. Il ne veut pas faire un Dieu de son corps par le luxe et les plaisirs, mais il tient son rang dans une mesure agréable à Dieu, sans frivolité, sans vanité de cœur. Il ne dépense pas son bien au seul embellissement de sa maison, parce qu’il voit que quand elle serait ornée, ces ornements et cette richesse pourraient bien lui être enlevés. Mais il s’applique à orner la demeure de son âme, des vraies et solides vertus; car cet ornement, personne ne peut le lui enlever s’il ne veut pas. Rien ne peut affliger [1277] ceux qui agissent ainsi, parce qu’ils ont placé leur affection dans une chose qui ne peut leur être enlevée. Ils parcourent cette vie si pleine d’épreuves, sans chagrins et sans remords de conscience, et ils marchent tout joyeux dans la voie de Jésus crucifié; ils suivent sa doctrine, revêtus du vêtement léger de l’homme nouveau, et dépouillés du poids du vieil homme, qui accable et retient l’âme dans le péché mortel, au milieu des peines nombreuses et des tourments de cette vie ténébreuse.

11. Celui que l’amour-propre prive de la lumière de la raison n’est pas plus en paix avec lui-même qu’avec les autres. Il ne connaît pas la Vérité, et il souffre; car, comme il ne connaît pas la Vérité, il ne peut l’aimer, et ne l’aimant pas, il ne peut s’en revêtir, et il est toujours inquiet. Aussi, pour que vous soyez délivré de ce tourment, pour que vous receviez la vie de la grâce, pour que vous répondiez à Dieu qui vous appelle et vous aime d’un amour ineffable, je vous ai dit que je désirais vous voir dépouillé du vieil homme, et revêtu de l’homme nouveau, du Christ, le doux Jésus. Faites-le, je vous en conjure.

12. Réjouissez-vous de ce qui est arrivé (Ce disciple fidèle de sainte Catherine eut à souffrir de l’émeute de Florence, où elle fut sur le point de perdre la vie. (Voir les lettres XV et LIV.), car c’est la vie de votre âme, et augmentez en vous le fruit du saint désir. Si la sensualité ou le langage trompeur des hommes vous parle autrement, ne l’écoutez pas; mais soyez ferme et courageux ; persévérez dans vos saintes résolutions, et pensez que les hommes du [1278] monde ne pourront pas répondre pour vous devant le souverain Juge au moment de la mort, et que vous n’aurez d’autre secours qu’une sainte et bonne conscience. Ne dormez donc plus, et réglez bien toute votre vie. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXL (233).- A MESSIRE RISTORO CANIGIANI, de Florence, à Pistoia. — De la lumière parfaite.- La lumière naturelle que Dieu nous donne est insuffisante, parce quelle est obscurcie par l’amour-propre.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir exciter la lumière que Dieu vous a donnée, afin qu’elle croisse continuellement en vous- Car, sans la lumière parfaite, nous ne pourrons connaître, aimer la vérité et nous en revêtir, si nous n’en sommes pas revêtus, la lumière se changera en ténèbres, et il faut que chacun aie la lumière parfaite, dans quelque état qu’il se trouve. Quelle est la preuve de la perfection qu’on met à connaître la vérité et à la discerner des mensonges et des vanités du monde? La voici : c’est l’amour et l’attachement qu’on a pour la vérité. L’homme qui la connaît se [1279] met à aimer la vertu, à détester le vice, et la sensualité, cause de tout vice, car elle est cette loi perverse qui combat contre l’esprit. Il montre alors que sa vie est parfaite, et que le nuage de l’infidélité n’a pas obscurci la prunelle de l’oeil de son intelligence, c’est-à-dire la lumière de la très sainte Foi. Si elle était imparfaite, il verrait imparfaitement avec une lumière naturelle, mais sans en profiter; il ne développerait pas cette lumière par l’amour de la vertu. Nous devons exciter la lumière naturelle, afin de perdre l’imperfection et d’arriver à la perfection de la connaissance.

2. Mais comment, très cher Fils, pouvons-nous parvenir à cette lumière parfaite? Je vous le dirai, avec la lumière et par ce moyen: Nous avons en nous une lumière naturelle, que Dieu nous a donnée pour discerner le bien du mal, les choses parfaites des choses imparfaites, les pures des impures, la lumière des ténèbres, le fini de l’infini. C’est une connaissance que Dieu nous a donnée par nature, et nous éprouvons sans cesse qu’il en est ainsi. Mais vous me direz: Si nous avons cette connaissance en nous, d’où vient que nous nous attachons à ce qui est contraire à notre salut? Je vous répondrai que cela vient de l’amour-propre, qui nous cache cette lumière comme les nuages quelquefois cachent la lumière du soleil; et alors notre erreur ne vient pas de la lumière, mais du nuage. Alors aussi le libre arbitre, dans son aveuglement, choisit les choses qui nuisent à l’âme, et non pas celles qui lui sont utiles. L’âme naturellement désire toujours ce qui est bon; mais son erreur. consiste à ne pas chercher le bien où il se trouve, parce que les ténèbres de l’amour-propre lui ôtent la lumière. Et ceux qui sont ainsi vont comme des insensés, mettant leurs cœurs et leur affection dans des choses transitoires qui passent comme le vent. O homme ! il n’y pas de folie plus grande que la tiennes Tu cherches le bien dans le souverain mal, la lumière dans les ténèbres, la vie dans la mort, la richesse dans la pauvreté même, l’infini dans les choses finies.

3. Peut-on trouver le bien en le cherchant où il n’est pas? Il faut le chercher en Dieu, qui est l’éternel et souverain Bien. En le cherchant en lui, nous le trouverons, parce que Dieu n’a aucun mal en lui, et que tout y est parfait. Il ne peut nous donner que ce qu’il a en lui, comme le soleil, qui a en lui la lumière, ne peut répandre les ténèbres. Si nous voulons nous servir de cette lumière, nous verrons que tout ce que Dieu donne et permet en cette vie, que toutes les fatigues, les tribulations, les angoisses qu’il nous envoie nous arrivent pour nous conduire au souverain Bien, pour que nous cherchions le bien en lui et non pas dans le monde, où on ne saurait le trouver, pas plus que dans les richesses, les honneurs, les délices, où se trouvent au contraire l’amertume, la tristesse, la privation de grâce pour l’âme qui les possède en dehors de la volonté de Dieu. Dieu permet l’épreuve pour une chose bonne et parfaite, c’est-à-dire pour que nous le cherchions en vérité. Mais l’homme aveuglé par sa passion prend mal ce qui est pour son bien, tandis que la faute, qui le prive de Dieu et de la vie de la grâce, ne lui semble pas mal; il se trompe ainsi lui-même. Il faut donc exciter cette [1281] lumière naturelle, pour mépriser le monde et embrasser la vertu, et chercher avec cette lumière le bien où il est. En le cherchant ainsi, nous le trouvons en Dieu, et nous verrons l’amour ineffable qu’il nous a montré par le moyen de son Fils, et son Fils par son sang répandu pour nous avec tant d’amour. Avec cette première lumière naturelle, qui est imparfaite, nous acquerrons une lumière surnaturelle, parfaite, répandue par la grâce dans nos âmes, qui nous attachera à la vertu en nous fortifiant dans tous les lieux, dans tous les temps et dans toutes les positions où Dieu nous placera, nous conformant toujours à sa volonté, que nous verrons ne vouloir autre chose que notre sanctification. Ainsi la première, si nous la développons, nous prépare, et la seconde nous lie et nous unit à la vertu.

4. Oh ! quelle joie immense mon cœur ressent au sujet de votre salut ! car il me semble, d’après ce que j’ai pu voir en présence de Dieu, et aussi d’après la lettre que j’ai reçue, que la lumière naturelle n’a pas été obscurcie en vous par les ténèbres de l’infidélité. Car, s’il en était ainsi, vous ne connaîtriez pas si bien la corruption du monde, son inconstance et les attaques qu’il dirige contre ceux qui ne veulent pas le prendre pour Dieu; vous ne le mépriseriez pas avec tant de raison, vous ne vous sépareriez pas du vice pour désirer la vertu et la perfection, pour passer de l’état imparfait du mariage à l’état de la continence des anges, qui est l’état parfait. Puisque Dieu, dans son infinie miséricorde, vous a rendu cette lumière dont vous aviez été si longtemps privé par votre ignorance. et votre faute, je veux que vous [1282] vous en serviez avez zèle, en vous séparant du vice et de l’amour sensitif avec le glaive de la haine et de l’amour, et en vous attachant par la lumière à la vertu, à la vraie et parfaite charité, aimant Dieu pardessus toute chose et le prochain comme vous-même, oubliant les injures et les torts que vous avez reçus, ou que vous recevez de lui, détruisant par l’amour la haine et le dégoût que la sensualité veut vous inspirer. Oh ! combien mon âme serait heureuse, si je vous voyais toujours avancer de vertu en vertu, avec le désir de ne jamais vous laisser arrêter par les attaques du démon, qui, je le sais, vous entoure si souvent de tant d’obstacles. Les créatures travaillent aussi de leur côté avec la passion et la faiblesse qui cherchent toujours à se révolter. Mais avec cette douce lumière, vous triompherez de tous ces combats, et vous foulerez ces ennemis aux pieds de l’affection.

5. Je veux donc, pour augmenter cette lumière, que vous ayez quatre choses présentes aux regards de votre intelligence, afin de développer la lumière et la vertu dans votre âme. La première est que vous considériez combien vous êtes aimé de Dieu: il vous a par amour créé à son image et ressemblance, et régénéré dans le sang de son Fils; par amour il vous a conservé la vie pour que vous ayez le temps de vous convertir, et il a ajouté à cette grâce tant d’autres dons spirituels et temporels, que je ne puis les rappeler; et tous ces dons vous ont été faits par grâce et non par obligation. Si vous les considérez, si vous y pensez bien, vous serez forcé d’aimer, car l’âme naturellement est entraînée à aimer celui dont [1283] elle se voit aimée. Aussi, en se voyant aimée d’un amour ineffable, elle suit cet amour; elle aime Dieu et ce qu’il aime davantage; ce qui lui plaît lui plaît, ce qui lui déplaît lui déplaît. Et parce qu’elle voit que le Créateur aime souverainement sa créature raisonnable, elle l’aime aussi ; et les services qu’elle ne peut rendre à Dieu, elle les rend à la créature par amour pour lui. La seconde chose qu’il faut considérer, c’est que nous devons aimer Dieu généreusement, comme des enfants et non comme des esclaves, dont les actes ne s’accordent pas avec les pensées et leurs cœurs. Nous ne pouvons rien cacher à l’oeil de Dieu, et il faut le servir avec zèle et sincérité. Nous devons voir en troisième lieu combien est abominable à Dieu et au monde, et combien est nuisible à l’âme le péché mortel; combien au contraire plaît et profite la vertu. Le péché répugne tant à Dieu, que de l’humble Agneau sans tache il a fait une enclume pour y châtier nos iniquités, Il est si nuisible, qu’il nous ôte la lumière, nous prive de la vie de la grâce et nous donne la damnation éternelle. La vertu est si agréable à Dieu, que l’homme vertueux devient un autre lui-même par l’amour, et que dès cette vie même, il lui fait goûter les arrhes de la vie éternelle; au milieu des orages et des afflictions, l’âme jouit de la paix et de ses douceurs. La quatrième et dernière chose qu’il faut considérer, est que toute faute est punie et toute vertu récompensée; car Dieu sait, peut et veut punir le mal et récompenser les peines que nous souffrons en cette vie, pour la gloire et l’honneur de son nom; et c’est de cette récompense que parle le glorieux apôtre saint Paul: [1284] « Les souffrances de cette vie ne sont pas comparables à la gloire future que Dieu destine à ses serviteurs (Rm 7,8). »

6. Ces quatre considérations régleront et guideront votre vie dans l’amour et la sainte crainte de Dieu; vous suivrez et vous perfectionnerez la bonne voie où vous avez commencé à marcher. Que l’ardeur du saint désir augmente en vous, et vous donne ce qui manque à votre perfection; et Dieu, comme un sage et bon médecin, portera remède à ce qui semble être un obstacle. Foulez, foulez aux pieds le monde, chassez-le de votre cœur comme il vous chasse lui-même. Unissez-vous à Jésus crucifié, afin de recevoir le fruit de son précieux sang, avec la lumière surnaturelle; la lumière naturelle bien employée vous y conduira, et vous accomplirez tout ce que nous avons dit, mais pas autrement. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir exciter la lumière que Dieu vous a donnée, afin qu’elle croisse continuellement en vous, parce que sans la lumière nous marcherons dans les ténèbres. Avec cette lumière, je veux que vous éleviez votre famille dans la sainte et vraie crainte de Dieu. Vivez dans l’état du mariage comme un homme raisonnable, et non comme un animal grossier; observez les jours qui sont commandés par la sainte Eglise, afin que votre arbre produise de bons fruits.

7. Je veux que vous usiez souvent de la confession, et que vous communiiez aux grandes fêtes, comme doit le faire une personne qui craint Dieu. Alors [1285] vous serez ma consolation et ma joie, car je vous verrai marcher dans la lumière et non dans les ténèbres. Quoique éloigné de corps, vous serez toujours près de moi, parce que vous avez et vous aurez toujours la prière et le désir qui vous offre en la présence de Dieu. Courage, courage dans le précieux sang du Christ, dont le secours est près de vous. Aimez à vous retrouver souvent avec votre Créateur par la prière actuelle, par les saintes pensées et la prière continuelle des saints désirs. Dites aussi toutes ces choses à votre femme. Quittez la vie commune, et prenez la vie des anges; Dieu vous y appelle. Répondez généreusement, et soyez une famille d’anges sur terre. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXLI (233).- A PIERRE CANIGIANI, à Florence.- De la charité, de ses obstacles et de ses effets.- Des peines qu’éprouvent les partisans du monde.

(Pierre Canigiani, père du précédent, joua un rôle important dans la république de Florence, Il en fut l’ambassadeur dans les années 1358, 1365, 1367. Il était très dévoué à sainte Catherine; sa maison fut brûlée dans l’émeute de 1378, et il fut condamné l’année suivante à une amende de deux mille florins.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Père et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des [1286] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermi dans le vrai et parfait amour, afin que vous soyez revêtu du vêtement nuptial de la parfaite charité. Sans ce vêtement, nous ne pourrons entrer aux noces de la vie éternelle, auxquelles nous sommes invités, mais nous serons chassés et bannis de la vie éternelle, à notre grande confusion. Oh ! quelle confusion pour cette âme qui, au dernier moment de la mort, quand elle devrait goûter les joies de sa patrie, en est privée et bannie par sa faute, parce qu’elle a terminé sa vie sans ce doux et beau vêtement ! Elle sera couverte de confusion en présence de Dieu, devant les anges et les hommes, au fond même de sa conscience, où un ver la rongera toujours, et à la vue des démons même, dont elle s’est faite l’esclave, en les servant avec le monde et la sensualité. La récompense qu’elle en recevra sera la confusion, l’insulte, des supplices et des tourments sans nombre. Elle revoit d’eux ce qu’ils ont pour eux-mêmes; et cela lui arrive parce qu’elle se présente au festin sans la robe nuptiale.

2. Et qui l’en a privée? l’amour-propre, car celui qui s’aime d’un amour sensitif ne peut aimer Dieu et s’aimer d’un amour raisonnable, parce que ces deux amours sont contraires et ne peuvent s’accorder ensemble. O très cher Père, regardez comme ils sont différents, combien est dangereux et pénible l’amour sensitif, et combien est doux l’amour divin ! La différence vient de ce que celui qui s’attache au monde aime et cherche toutes les choses qui peuvent flatter ses sens; il cherche les honneurs, les dignités, les richesses du monde, que le serviteur de Dieu fuit [1287] comme la peste, parce qu’il en a éloigné son cœur et son amour, pour les placer uniquement dans son Créateur, tenant à honneur d’être privé des dignités, des richesses, des jouissances, des plaisirs, et d’être en butte aux persécutions, aux injures du monde et de ses partisans. Il supporte tout avec une vraie et sainte patience, parce qu’il a tout foulé aux pieds de son affection; il est maître du monde, parce qu’il l’a complètement laissé, non pas en partie, mais tout à fait, et si ce n’est pas en réalité, c’est au moins par un saint et vrai désir, l’estimant ce qu’il vaut, et pas davantage, méprisant la sensualité, et la soumettant comme une esclave à la raison.

3. Celui qui s’aime, au contraire, se fait un Dieu du monde, de ses plaisirs et de lui-même. Le temps qu’il devrait consacrer au service de son Créateur, il le dépense en choses vaines et passagères ; il l’emploie pour son corps fragile, qui est aujourd’hui et ne sera plus demain; car c’est une pâture destinée aux vers et à la mort, un amas de corruption. Il aime l’orgueil, et Dieu, l’humilité; il est impatient, et Dieu veut la patience; son cœur étroit ne peut contenir Dieu et le prochain par l’amour, et Dieu est large et généreux. Aussi, les serviteurs de Dieu qui ont la charité divine et qui suivent véritablement la doctrine de Jésus crucifié, sont prêts à donner leur vie pour l’honneur de Dieu et le salut du prochain, tandis que le misérable serviteur du monde est intérieurement rongé par l’envie, la haine et la colère; il est dévoré par le désir de la vengeance, il se plaît dans la fange de l’impureté. Le serviteur de Dieu, au contraire, aime le parfum de la pureté et de la continence, qu’il [1288] cherche à goûter par amour de la vertu, même dans l’état légitime du mariage.

4. Nous voyons qu’en toute chose ces deux amours sont opposés; ils ne peuvent exister ensemble, et l’un chasse l’autre. Aussi nous voyons que quand l’homme se met à considérer sa misère, Je peu de durée du monde et son inconstance, il le hait, et cette haine chasse l’amour; et parce que l’âme ne peut vivre sans amour, elle aime aussitôt ce qu’à la lumière de l’intelligence, elle a vu et connu dans la charité divine; elle a trouvé la grande bonté de Dieu à son égard, la force, la stabilité qu’elle en reçoit; elle voit qu’elle a été régénérée à la grâce dans le sang de l’humble Agneau sans tache, qui, par amour, a lavé la face de l’âme avec son propre sang. Aussi, en se voyant tant aimée, elle ne peut s’empêcher d’aimer. La lumière nous est donc bien nécessaire pour connaître l’amour que Dieu nous porte, et les grâces, les bienfaits que nous recevons continuellement de lui. Cet amour rend l’homme reconnaissant et juste envers Dieu et le prochain; comme l’amour-propre le rend ingrat et injuste, parce qu’il attribue à son propre fonds ce qu’il a. Qui nous montre qu’il en est ainsi? son ingratitude, qui se manifeste par ses fautes de chaque jour, comme l’âme montre sa reconnaissance en attribuant à Dieu tout ce qu’elle a, excepté le pêché, qui est un néant. La vertu prouve sa gratitude. Il est donc vrai qu’en toute chose ces deux amours sont différents.

5. Je dis que le serviteur du monde qui s’aime lui-même éprouve de grandes et intolérables peines; car, comme dit saint Augustin, « le Seigneur a permis [1289] que l’homme qui s’aime d’une manière déréglée soit insupportable à lui-même (Conf. L. 1 ch. 12). Il porte la croix du démon; car, s’il acquiert des jouissances, il les acquiert avec peine ; et quand il les a, il les possède avec trouble, avec la crainte de les perdre. S’il les perd, c’est un tourment qu’il supporte avec une grande impatience; et s’il ne peut les avoir, il en souffre, parce qu’il les désire, Il est si aveugle, qu’il perd sa liberté en se rendant le serviteur et l’esclave du péché, du monde, de ses délices et de sa propre faiblesse. Ce sont là les peines générales des partisans du monde; mais combien n’en ont-ils pas de particulières? Nous voyons tous les jours ce que souffrent ceux qui sont au service du démon. Hélas ! pour acquérir l’enfer, ils ne craignent pas la mort corporelle; ils ne redoutent aucune fatigue; et moi, misérable, pour avoir Dieu, pour acquérir Dieu, je ne supporte pas la moindre chose; mon ombre me fait peur. Oui, je le confesse, les enfants des ténèbres couvrent de honte et de confusion les enfants de la lumière, car ils mettent plus de soin, pus de zèle, ils prennent plus de peine pour aller en enfer que les enfants de la lumière pour obtenir la vie éternelle. Combien de fatigues et d’amertume donne ce coupable et misérable amour !

6. Mais, au contraire, le véritable et parfait amour a une telle suavité, une telle douceur, qu’aucune amertume ne peut en détruire le charme. L’amertume, au lieu de la troubler, fortifie l’âme et la rapproche de son Créateur; elle goûte en lui la douceur de sa [1290] charité, parce qu’elle croit d’une foi vive que tout ce que Dieu donne ou permet, c’est toujours pour son bien et sa sanctification. Qui le lui a montré? le sang du Christ, où elle voit, à la lumière de la Foi, que s’il avait voulu autre chose que notre bien, Dieu ne nous aurait pas donné un rédempteur comme le Verbe son Fils, et son Fils ne nous aurait pas sacrifié sa vie avec tant d’amour, en punissant nos iniquités sur son corps. L’amour parfait remplit l’âme de force et de persévérance elle ne tourne pas la tête en arrière pour regarder la charrue, elle ne se scandalise ni pour elle ni pour le prochain; mais elle supporte avec bienveillance et charité fraternelle tous ses défauts. Elle ne s’afflige pas de la perte de se fortune si elle en possède, c’est avec peine; si elle en est privée, elle ne se tourmente pas pour l’acquérir, parce que ses désirs sont réglés sur la volonté de Dieu, à laquelle elle a immolé sa volonté propre c’est cette volonté qui cause nos peines et nos tourments.

7. L’amour aussi la sépare du monde et l’unit intimement à Dieu; il dispose la mémoire à retenir ses bienfaits, il éclaire l’oeil de l’intelligence pour lui faire connaître la vérité dans la doctrine de Jésus crucifié, et il dirige sa volonté pour l’aimer de tout son cœur, avec d’ardents désirs; il règle aussi les moyens du corps, c’est-à-dire que tous ses exercices temporels et spirituels sont inspirés par l’honneur de Dieu et l’amour de la vertu. L’âme alors se trouve avoir répondu à Dieu, qui l’a invitée depuis le commencement de la création jusqu’au dernier moment aux noces éternelles. Elle a, dans sa reconnaissance [1291], revêtu la robe nuptiale de la charité, parce qu’elle s’est dépouillée par la haine, de l’amour sensitif. Elle aime Dieu, elle l’aime d’un amour raisonnable; et ainsi elle se trouve revêtue de la charité : elle ne pourrait autrement parvenir à sa fin.

8. Comme je sais qu’il n’y a pas d’autre voie, je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans le véritable et parfait amour; et aussi je veux que vous profitiez de ce temps que Dieu vous a réservé dans sa miséricorde, pour commencer de nouveau à vous dépouiller de vous-même et à vous revêtir de Jésus crucifié. Laissez maintenant les morts ensevelir les morts, et suivez-le en toute vérité. Laissez maintenant pour jamais les tracas du monde, laissez l’inquiétude à qui doit l’avoir, et dérobez le temps nécessaire pour acquérir de solides vertus dans de saints exercices. N’attendez pas le temps, car nous ne sommes pas sûrs de l’avoir. Aimez, aimez Celui qui vous aime d’un amour ineffable; que votre bonheur soit d’être avec les serviteurs de Dieu, et recherchez leur société. Confessez-vous bien souvent; je ne pense pas qu’il soit nécessaire de vous le dire; recevez la sainte Communion à toutes les fêtes solennelles, afin de pouvoir acquérir plus parfaitement le doux vêtement dont je vous ai parlé. Appliquez-vous à élever votre famille dans la sainte crainte de Dieu. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1292].  

Table des matières (2)


 

CCXLII (234). — A MATTHIEU, fils de Jean Colombini, de Sienne.- De la vérité que Dieu nous a manifestée en nous créant à son image et ressemblance, pour le posséder lui-même comme le souverain bien.

(La famille des Colombini a donné à l’Eglise deux saints qui furent contemporains de sainte Catherine. Le B. Jean Colombini, fondateur des Gesuates, et la bienheureuse Catherine Colombini, qui établit des religieuses du même Ordre. L’un mourut en 1366, l’autre eu 1388. Matthieu était leur cousin.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir avec la vraie et parfaite lumière. Par cette lumière, vous connaîtrez et vous verrez la vérité, cette vérité qui nous délivre; car en la connaissant nous l’aimerons, et en l’aimant elle nous délivrera de la servitude du péché mortel. Quelle est cette vérité qu’il nous faut connaître? c’est une vérité qui nous vient de l’amour ineffable de Dieu, et nous devons rendre à cette vérité notre dette d’amour et de haine. Comment? en reconnaissant l’éternel et souverain Bien, et l’amour ineffable avec lequel Dieu nous a créés à son image et ressemblance. Il nous a créés pour cette vérité, pour que nous goûtions la félicité parfaite, et que nous rendions [1293] gloire et honneur à son nom. Afin d’accomplir cette vérité en nous, il nous a donné le Verbe, son Fils, et il nous a fait renaître à la grâce dans son sang.

2. Nous devons arriver à cette connaissance en nous y appliquant avec un grand zèle; mais nous ne pouvons l’acquérir sans la lumière, et cette lumière, nous ne pouvons l’avoir avec le nuage de l’amour. propre. Cet amour obscurcit l’oeil de l’intelligence,. et l’empêche de connaître et de discerner la venté; mais il prend le mensonge pour la vérité, et la vérité pour le mensonge; les choses passagères lui semblent être durables et heureuses, tandis qu’elles périssent comme la fleur qui, une fois cueillie, perd sur-le-champ sa beauté. Honneurs, richesses, grandeurs, plaisirs, tout passe comme le vent, tout change; et nous allons de la santé à la maladie, de la richesse à la pauvreté. de la vie à la mort. L’insensé qui s’aime lui-même juge tout le contraire dans son aveuglement, et il agit en conséquence. Qui le montre? l’amour déréglé qu’il a pour lui et pour le monde.

3. Il en est ainsi parce qu’il a perdu la lumière; car s’il avait véritablement la lumière, il saurait que Dieu est le souverain bien, le bien incompréhensible et ineffable que personne ne peut apprécier; car lui seul peut se comprendre et s’apprécier. Il est la souveraine et éternelle richesse, il est le juste et compatissant médecin qui nous donne les remèdes nécessaires à nos maladies. Aussi, le glorieux apôtre saint Paul disait: Quand le genre humain languissait malade, le grand médecin du monde vint guérir nos [1294] infirmités (Rm 5,6). Il soigne chacun selon ses blessures, avec l’ardeur de la charité divine: quelquefois il nous soigne en nous ôtant les choses qui sont nuisibles à notre salut et qui sont un obstacle entre Dieu et nous. Aux uns il enlève leurs enfants, aux autres les biens temporels, à d’autres la santé, à d’autres les honneurs du monde, en les frappant de tribulations nombreuses; et il ne le fait pas par haine, mais par un tendre amour. Il nous prive des vaines jouissances de la terre pour nous donner abondamment les biens du ciel; il est le bon, l’éternel juge, le maître juste, qui rend à chacun ce qui lui est dû. Aussi, tout bien est récompensé, toute faute est punie. C’est en forçant saintement, en domptant notre volonté perverse, c’est par la violence, que nous acquerrons les vraies et solides vertus, et notre peine sera récompensée par des biens immortels. La lumière nous fait connaître la vérité sur le monde, qui n’a en lui aucune stabilité. C’est en vain que se fatigue celui qui dépense sou temps pour le monde; en se faisant un Dieu de ses enfants et de ses richesses, il ne s’aperçoit pas que ces choses lui donnent la mort, et le privent de la vie de la grâce; il semble ignorer que Dieu a permis que l’amour déréglé le rende insupportable à lui-même; il goûte dans cette vie les arrhes de l’enfer, uniquement parce qu’il n’a pas connu la vérité, par la privation de la lumière.

4. Je ne veux pas, très cher Fils, que nous dormions davantage; mais levons-nous avec empressement, et dissipons le nuage de l’amour-propre qui [1295] obscurcit l’oeil de notre intelligence. En le faisant, vous accomplirez en vous la volonté de Dieu et mon désir; car je vois que sans la lumière, nous ne pouvons connaître la vérité, et je désire voir en vous la vraie lumière, afin que vous connaissiez parfaite. ment la vérité; et cette lumière, cette vérité vous rendront constant dans ce que vous avez entrepris avec un louable et saint désir. Ne tardez pas, car vous n’êtes pas sûr d’avoir le temps; mais agissez toujours sans crainte servile, avec une vraie et parfaite espérance, une entière confiance en votre Créateur. Réglez votre vie en toute chose; obéissez à la conscience, et détruisez avec une véritable persévérance tout ce qui n’est pas régulier dans votre vie. Bannissez toute tristesse de votre cœur, et reconnaissez avec une grande joie l’amour ineffable et la plénitude de la divine miséricorde qui a débordé sur vous. Foulez pour jamais le monde sous vos pieds, et répondez à Dieu qui vous appelle, avec un cœur généreux et non mercenaire.

5. Aimez, comme un vrai et bon fils, à purifier souvent votre conscience par la sainte confession, et recourez à. la Communion en temps et lieu convenables. Fréquentez ceux qui craignent véritablement Dieu, et employez votre temps aux veilles et à la prière, autant que vous le pourrez. N’oubliez pas d’assister à l’Office. Que votre imagination et votre intelligence soient toujours pleines de Jésus crucifié, et appliquez-vous à découvrir, non pas les Secrets de Dieu dans ses mystères cachés, mais seulement si volonté, la douceur de sa charité, qui nous aime d’une manière ineffable et ne cherche, ne veut autre [1296] chose que notre sanctification, Reconnaissons aussi nos défauts, pour nous humilier sous la douce et puissante main de Dieu. Quant à l’état du mariage où vous êtes, je vous prie d’en user comme d’un Sacrement, et d’observer avec respect les jours prescrits par l’Eglise. Appliquez-vous, dès maintenant, avec votre femme à vivre de la vie des anges: respirez le parfum de la continence pour en goûter le fruit. Et ainsi vous réglerez doucement votre vie, sans attendre davantage; car, comme je vous l’ai dit, le temps ne nous attend pas. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, cachez-vous dans ses douces, ses très douces plaies; et là, dilatez, consumez votre cœur. Gardez-vous de tourner la tête en arrière pour regarder la charrue, car je me plaindrais de vous à l’humble Agneau, et vous n’auriez personne pour vous défendre. Enfantez des vertus, et ne cessez jamais de les concevoir par l’amour dans votre cœur. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1297].

Table des matières (2)


 

CCXLIII (235).- A PIERRE, fils de Jean Venture, de Sienne.- De la persévérance dans la vertu et des moyens de l’obtenir.

(Ce disciple de sainte Catherine appartenait à une des premières familles de Sienne; Il fut ambassadeur de la république en 1392.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir persévérer dans la vertu, parce que, sans la persévérance, tu ne recevras pas la couronne de gloire qui se donne aux vrais combattants. Mais tu me diras: Comment puis-je acquérir cette persévérance? Je te répondrai : On sert la créature autant qu’on l’aime, et pas davantage; le défaut du service vient du défaut de l’amour, et l’on aime autant qu’on se voit aimé.

2. Ainsi, tu vois que l’amour vient en se voyant aimé, et c’est l’amour qui te fera persévérer. Autant tu ouvriras l’oeil de ton intelligence pour regarder le feu et l’abîme de l’ineffable charité de Dieu envers toi, cet amour infini qu’il t’a montré par le Verbe, son Fils, autant tu seras forcé par l’amour à l’aimer en vérité, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces, généreusement et purement, sans penser à ton intérêt. Tu vois que Dieu t’aime pour [1298] ton bien et non pour le sien, car il est notre Dieu, qui n’a pas besoin de nous; et toi aussi, comme toute créature raisonnable, tu dois aimer Dieu pour Dieu, en tant qu’il est l’éternelle et souveraine Bonté; tu ne dois pas l’aimer pour ton utilité, et tu dois aimer le prochain à cause de lui. Dès que tu as pris pour principe, pour fondement l’ardeur de la charité, tu commences à le servir par le moyen de la vertu.

3. Oui, c’est avec la lumière et l’amour que tu acquerras la vertu, et que tu pourras y persévérer. Mais remarque qu’en voyant que tu es aimé de Dieu, il faut voir aussi ta faute et ton ingratitude, et t’en repentir dans une sainte connaissance de toi-même, afin de ne pas oublier la chère vertu de l’humilité véritable, et de ne pas tomber dans la présomption et la bonne opinion de toi-même. Sais-tu combien il est nécessaire de connaître et de pleurer nos fautes pour conserver et augmenter la vie de la grâce dans nos âmes? autant que la nourriture corporelle est nécessaire pour conserver la vie du corps. Ecarte donc le nuage de l’amour propre, afin qu’il ne t’ôte pas la lumière. Et alors tu auras cette connaissante parfaite, inséparable de l’amour et de la haine; et dans l’amour, tu trouveras la vertu de la persévérance. Tu accompliras ainsi la volonté de Dieu et mon désir en toi. Cette volonté, ce désir, c’est de te voir croître et persévérer jusqu’à. la mort dans les vraies et solides vertus.

4. Et prends garde d’avoir confiance en toi-même, car cette confiance est un vent perfide, qui vient de l’amour-propre. Tu faiblirais aussitôt, et tu tournerais la tête en arrière pour regarder la charrue; et [1299] comme l’amour de Dieu acquis dans l’humble connaissance de toi-même te fait persévérer dans la vertu, de même l’amour-propre, qui te fait estimer toi-même, te prive de la vertu et te fait tomber et rester dans le vice. Fuis, mon Fils, fuis le vent subtil de cette confiance en toi-même. Va te cacher intérieurement dans le côté de Jésus crucifié; et là, applique ton intelligence à regarder le secret du cœur. Ton amour s’enflammera, en voyant qu’il a ouvert son corps pour t’y offrir un refuge contre les coups de tes ennemis, pour que tu puisses t’y reposer et apaiser ton âme dans l’ardeur de la charité; là aussi tu trouveras la nourriture, car tu vois bien qu’il t’a donné sa chair pour, nourriture et son sang pour breuvage. La victime a été préparée sur la Croix, au feu de la charité, et sur la table de l’autel tu trouves l’Homme-Dieu tout entier. Que la dureté de nos cœurs se brise donc maintenant, et que notre âme s’amollisse pour recevoir la doctrine de Jésus crucifié.

5. Je veux que maintenant vous commenciez, toi et mes autres Fils négligents, à devenir semblables au Verbe incarné, à ce petit Enfant que nous présente aujourd’hui la sainte Eglise. Qu’est-ce qui peut plus confondre notre orgueil que de voir Dieu humilié jusqu’à l’homme? la hauteur de la Divinité descendue à la bassesse de notre humanité? Quelle en
est la cause? l’amour. L’amour le fait habiter dans l’étable, au milieu des animaux; l’amour lui fait aimer les opprobres, revêtir la souffrance, supporter la faim et la soif; l’amour le fait courir avec une prompte obéissance jusqu’à la mort honteuse de la Croix; l’amour le fait descendre aux enfers, et dépouiller [1300] les limbes pour récompenser pleinement ceux qui l’avaient servi en vérité, et qui attendaient depuis si longtemps leur délivrance. C’est par amour aussi qu’il s’est laissé à nous en nourriture. L’amour, après l’Ascension, a envoyé le feu de l’Esprit-Saint, qui nous a éclairés par sa doctrine qui est la voie véritable; l’amour nous donne la vie, nous tire des ténèbres et nous donne la lumière dans l’éternelle vision de Dieu; l’amour a fait toute chose. L’homme doit donc rougir et mourir de honte de ne pas aimer, de ne pas reconnaître tant d’amour. N’est-il pas déplorable d’avoir du feu, et de se laisser mourir de froid? d’être près de la nourriture, et de se laisser mourir de faim? Ah ! prenez, prenez votre nourriture, le Christ, le doux Jésus crucifié; il n’y a que ce moyen pour être constants et persévérants. Et c’est la persévérance qui est couronnée, nous l’avons dit;
sans elle, l’âme sera couverte, non pas de gloire, mais de confusion. c’est pour cela que je vous ai dit que je désirais vous voir constants et persévérants dans la vertu. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1301].

Table des matières (2)


 

CCXLIV (236). — A RENAUD DE CAPOUE, esprit distingué de Naples, qui étudie les mystères de Dieu et de la sainte écriture.- De la lumière de la foi. nécessaire pour ne pas se tromper.- De ses effets dans l’âme.

(Ce Renaud de Capoue était peut-être parent du bienheureux Raymond.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir, en vous la vraie et parfaite lumière, c’est-à-dire la lumière de la très sainte Foi; car sans cette lumière, nous marcherions dans les ténèbres, et il nous arriverait malheur. Il faut donc avoir la lumière. Voyons ce qui la donne, ce qui l’ôte, ce qui fait que l’âme a en elle cette lumière, et le fruit qu’elle en retire.

2. Si nous considérons bien comment se perd la vue du corps, nous voyons qu’elle se perd par le glaive qui frappe l’oeil ou par la pierre, la terre ou l’objet qui le blesse, ou encore par une chaleur déréglée, comme il arrive à ceux qui sont aveugles par la chaleur et l’éclat d’un bassin qui dessèche la prunelle (À Constantinople, et au moyen âge, on forçait ceux qui étaient condamnés à perdre la vue, à fixer leur regard sur un bassin de bronze rougi au feu. L’éclat et la chaleur leur paralysait les yeux sans les défigurer. L’empereur Manuel fit subir ce supplice à Henri Dandolo, ambassadeur de Venise à Constantinople.). On perd ainsi la lumière corporelle, il en [1302] est de même de la vue de l’intelligence qu’aveuglent la chaleur et l’éclat, la chaleur de l’amour-propre et l’éclat de la vaine gloire. Quel glaive la blesse? la haine de la vertu. Et les pierres sont les vices, dont la main du libre arbitre aveugle l’intelligence en rendant l’homme infidèle à Dieu, et fidèle au monde. La même main jette la terre dans l’oeil; car aussitôt que l’intelligence s’attache à la terre, la nuit arrive, et l’âme est toujours dans les ténèbres. II y a bien des causes qui nous privent de la lumière, mais celles-ci sont les principales.

3. Quel est le moyen de fuir les ténèbres, et d’acquérir la lumière. Je dis que l’homme peut retrouver la lumière de la même manière qu’il l’a perdue, non par le même sentiment, mais par le même acte et avec la même main du libre arbitre, de ce libre arbitre que ni le démon ni les créatures ne peuvent enchaîner, si nous ne le voulons pas, en l’enchaînant par notre volonté propre. Et quel est ce bassin brûlant que nous devons placer devant les yeux de notre intelligence? C’est Jésus-Christ, qui, dans le bassin de notre humanité, entretient une grande chaleur, et nous montre le feu et l’abîme de l’ineffable charité de Dieu, avec l’éclat de la nature divine unie et mêlée au feu et à notre nature. Cet objet, ce doux Verbe, Jésus crucifié, jette tant de chaleur et de lumière qu’il dessèche l’humidité de l’amour-propre, dissipe les ténèbres par sa lumière, et l’âme reçoit une lumière surnaturelle répandue dans l’intelligence[1303].

4. Aussitôt que la lumière est dans l’âme, elle commence à éloigner d’elle ce qui ôte la lumière, et elle prend ce qui la donne; puis elle saisit le glaive de la haine du vice et les pierres de l’amour de la vertu pour en frapper sa vue, c’est-à-dire qu’elle fixe ses regards sur les vertus, et qu’elle voit leur excellence, combien elle sont agréables à Dieu, et combien elles lui sont utiles à elle-même. Et aussitôt qu’elle le voit, s’élèvent comme un vent léger la faim de l’honneur de Dieu et du salut des âmes et le désir de suivre la doctrine de la vérité. Ce désir est un vent léger qui enlève la terre de l’oeil, et le purifie par d’humbles et continuelles prières; et par ces prières, l’âme attire sur elle la clémence du Saint-Esprit, qui dirige son affection dans un amour bien réglé. Cette affection attire le ciel et la terre, c’est-à-dire le prochain, qu’il faut regarder avec les yeux de la Foi pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes, et qu’il faut assister dans ses nécessités corporelles autant qu’on le peut. C’est ainsi que le libre arbitre, en changeant d’affection, retrouve sa lumière.

5. Il y a beaucoup d’autres moyens, mais ce sont là les principaux... Voyons maintenant ce que fait la lumière de la Foi dans l’âme. Elle y fait naître l’amour; elle l’a conçu dans la doctrine de Jésus crucifié, et elle le nourrit dans la charité du prochain. Sans cette charité, son amour périrait, parce que l’amour du Créateur ne peut exister et se conserver sans l’amour de la créature pour Dieu. Aussi je vous ai dit que la lumière enfante l’amour, car on n’aime une chose qu’autant qu’on la connaît; et on la connaît autant qu’on la voit, et on la voit aussi parfaitement [1304] que la lumière est parfaite. L’amour et la lumière se nourrissent ensemble comme la mère nourrit son enfant sur son sein, et l’enfant, lorsqu’il a grandi, nourrit sa mère par son travail; ils se soutiennent mutuellement. De même le fils de la divine charité nourrit la lumière, et donne à l’âme de doux, de tendres et ardents désirs en la présence de Dieu. Elle suit les traces de Jésus crucifié, elle s’entoure d’une humilité véritable, se glorifie des opprobres de Jésus crucifié; et dans toutes ses peines, elle se réjouit de souffrir corporellement et spirituellement elle est toujours patiente, quelles que soient les épreuves que Dieu lui envoie. Et qui la fait agir ainsi? la Foi. Car c’est à sa lumière qu’elle connaît dans le sang du Christ que Dieu ne veut, pas autre chose que notre sanctification, et qu’il ne nous donne les tribulations, les consolations, les tentations que dans le but de nous voir sanctifiés en lui. Ainsi le fidèle est patient; il ne peut et ne doit pas se plaindre de son bien.

6. Cet humble fidèle ne cherche pas à pénétrer les secrets mystères de Dieu, en lui ou dans les autres, et à comprendre les choses visibles et invisibles; mais il cherche seulement à se connaître lui-même, à comprendre, à voir en tout l’éternelle volonté de Dieu, goûtant intérieurement l’ardeur de sa charité. Il ne veut pas s’élever comme le superbe ou le présomptueux, qui, avant de se connaître et de vouloir entrer dans la vallée de l’humilité, prétend examiner la conduite de Dieu, disant et pensant: Pourquoi Dieu agit-il ainsi ? Pourquoi ne pas plutôt agir de telle manière? Pourquoi m’a-t-il donné ce qu’il ne donne pas à un autre? Ce présomptueux voudrait [1305] faire des lois à Dieu, tandis qu’il devrait connaître et admirer dans tout ce qu’il voit sa grandeur et sa bonté, comme le fait l’humble fidèle, qui sait voir en toute chose Sa grandeur, sa puissance et sa bonté infinies.

7. Il y en a beaucoup qui, sans humilité et sans application à connaître leurs défauts, subtiliseront et voudront, avec l’oeil obscurci de leur intelligence, comprendre la sainte Ecriture et pénétrer sa profondeur; ils voudront l’expliquer et la comprendre à leur manière; ils étudieront l’Apocalypse, non pas avec humilité et avec la lumière de la Foi, mais avec orgueil et en s’égarant dans des difficultés dont ils ne peuvent sortir. Ils tirent ainsi de la vie la mort, et de la lumière les ténèbres. L’âme qui devait être pleine de Dieu est remplie de fantômes, et le fruit qu’elle acquiert n’est que confusion et ténèbres. Cela lui arrive parce qu’au lieu de descendre, elle a voulu monter. Quelle honte pour nous de ne pas encore nous connaître nous-mêmes ! Je n’observe pas les lois qui me sont imposées, et je veux en donner à Dieu et connaître tous ses secrets ! Si nous voulons voir les étoiles de ses mystères, descendons dans l’abîme d’une humilité profonde: ainsi fait le fidèle qui se jette à terre pour reconnaître sa bassesse; et alors Dieu l’élève. Il ne va pas chercher comment les choses peuvent être, parce que la sainte Foi lui fait voir clairement que c’est le démon ou la passion qui lui inspirent ses doutes. Il se regarde dans le miroir de la prière continuelle, en se regardant sans cesse dans la vérité; et la vérité lui inspire un saint et vrai désir qui lui fait offrir l’encens d’une humble [1306] prière. Cette Foi rend le cœur sincère, et lui fait confesser ses fautes simplement; il ne les cache pas par honte ni par crainte de la peine, mais il les confesse par haine de la faute, et pour se purifier de toute souillure; il n’est arrêté ni par peur des reproches, ni par aucune autre considération. Voilà ce que fait la Foi.

8. Voyons maintenant quel fruit elle nous donne. En ce monde elle nous donne la plénitude de la grâce, et dans l’autre la vie éternelle. Et comment Dieu nous en fait-il jouir? par l’espérance. Par quelle vertu? par la vertu du sang de l’humble Agneau. C’est cette humble espérance qui n’espère pas en ma propre vertu, et ne désespère pour aucune des fautes ou l’âme est tombée; mais elle espère dans le Sang, et chasse le désespoir, en jugeant la miséricorde de Dieu, qu’elle trouve dans le Sang, plus grande que sa misère.

9. O Espérance ! douce sœur de la Foi, tu es celle qui, avec les clefs du Sang, ouvre la vie éternelle. Tu gardes la cité de l’âme contre l’ennemi de la confusion; tu ne ralentis point tes pas lorsque le démon, par le poids des fautes commises, veut troubler l’âme et la porter au désespoir; mais tu persévères généreusement dans la Vertu, en mettant dans la balance le prix du Sang; tu places la couronne de la victoire sur la tête de la persévérance, parce que tu espères ravoir par la vertu du Sang. Tu as celle qui enchaînes le, démon de la confusion dans les liens d’une foi vive; tu réponds à toutes les perfidies dont il use contre l’âme pour la tenir dans les ténèbres et l’agitation [1307].

10. Il arrive quelquefois que l’âme aura confessé sincèrement sa faute, qu’elle n’en aura rien caché volontairement t le démon, cependant, pour embarrasser l’esprit et empêcher l’âme de recevoir avec amour le fruit de la confession, voudra lui faire croire qu’elle ne s’est pas bien confessée de ses fautes. Il lui dira: Tu n’as pas dit toutes tes fautes, et celles que tu as dites, tu ne les as pas expliquées comme tu le devais. Il jette ainsi dans l’âme des pensées qui la font souffrir. Si l’âme alors n’écoute pas la prudence et l’espérance, elle reste dans la tiédeur, la crainte, le trouble et les ténèbres; elle entrave ses saints désirs et se condamne à la confusion; elle se prive de toute joie, et devient insupportable à elle-même.

11. Quel est le moyen d’empêcher qu’elle ne tombe alors dans le désespoir? Il n’y en a pas d’autre que d’examiner sa conscience à la lumière de la Foi, et de voir si c’est volontairement et par malice qu’elle ne s’est pas purifiée du poison du péché par la confession. Qu’elle se confesse avec humilité d’avoir dit ses fautes imparfaitement, de ne pas les voir accusées autant qu’elle le pouvait; mais que cette confession soit appuyée par l’espérance du sang de Jésus-Christ, dont le mérite peut suppléer à ce qui lui manque. Un autre moyen est de regarder à la lumière combien Dieu l’aime d’un amour ineffable. Cet amour ne méprise pas le témoignage d’une bonne conscience, et il ne souffrirait pas qu’il restât dans l’âme quelque chose qui lui déplût. Avec cette foi, cet amour, cette espérance, elle s’abîme dans la miséricorde de Dieu, se méfiant d’elle-même, et se confessant avec une [1308] grande simplicité de cœur; mais qu’elle ne se tourmente pas davantage, qu’elle ne pense plus à elle, pour penser à la miséricorde que Dieu a montrée et montre toujours à son égard. Et si le combat et les tentations reviennent toujours, qu’elle méprise la peine qu’elle en éprouve, et qu’elle y trouve seulement un moyen de s’humilier, de se connaître et de pratiquer la vraie et parfaite espérance, pensant qu’en souffrant et en suivant le chemin de la Croix, elle sera plus agréable à Dieu que par tout autre moyen, et qu’elle recevra plus abondamment le fruit du précieux Sang. C’est là, très cher Frère, le remède que Dieu vous donne contre votre faiblesse. Ainsi, nous avons vu ce qui ôte la lumière et ce qui la rend; nous avons vu ce que fait la Foi, comment elle abat l’orgueil et détruit la présomption, et le fruit que porte la Foi, c’est-à-dire l’espérance.

12. Puisque nous l’avons vue, d’une manière bien imparfaite sans doute, je vous en supplie et je vous en conjure par l’amour de Jésus-Christ, suivons cette lumière glorieuse, pour traverser les orages de cette vie avec une ferme espérance et une vraie connaissance de nous-mêmes. Foulons aux pieds notre volonté et nos opinions avec une humilité sincère; cherchons à nous revêtir des vrais et solides vertus par la doctrine de Jésus crucifié. Je suis persuadée que si vous avez en vous la lumière de la Foi, vous le ferez, mais pas autrement. C’est pourquoi je vous ai dit que je désire voir en vous cette douce lumière, et je vous prie de vous appliquer à l’acquérir. Pensez que Dieu est plus disposé à pardonner que vous ne l’êtes à pécher. Espérez, et soyez fidèle au sang, à la [1309] sainte Eglise et au Souverain Pontife Urbain VI. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXLV (237). — Au COMTE DE CONTI, de Florence, qui aspire à la perfection.- De la lumière de la sainte Foi, sans laquelle aucune œuvre ne peut être parfaite.- De ses effets.

  

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

(Ce, disciple de sainte Catherine de Sienne était aussi très lié avec le bienheureux Jean des Cellules de Vallombreuse, qui lui adressa deux lettres sur les vertus de notre sainte. Le comte de Conti s’occupait spécialement d’assister les pauvres prisonniers.)

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en toi la lumière de la très sainte Foi. Cette lumière nous montre la voie de la vérité; et sans elle nos exercices, nos désirs et nos œuvres seraient sans utilité, sans perfection, et n’atteindraient pas le but que nous nous sommes proposé; mais toute chose serait imparfaite, et nous serions engourdis pour la charité de Dieu et du prochain. La raison de ceci est que la foi est la mesure de l’amour-propre, et l’amour celle de la foi. Celui qui aime est [1310] fidèle à celui qu’il aime, et le sert fidèlement jusqu’à la mort. O très cher Fils ! c’est cette lumière qui conduit l’âme au port du salut; elle la tire de la fange de la misère et dissipe en elle tous les ténèbres de l’amour-propre, parce qu’elle lui fait connaître combien cet amour déplaît à Dieu et nuit à son salut; alors elle se lève avec haine, et le chasse bien loin.

2. Avec une foi vive, l’âme connaît que toute faute est punie et tout bien récompensé; et alors elle embrasse la vertu et déteste le vice, elle met tous ses soins à être constante et persévérante jusqu’à la mort, et la lumière est en elle si parfaite, que ni le démon, ni les créatures, ni la chair fragile ne peuvent lui faire détourner la tête. Cette perfection s’acquiert par un long exercice, par l’ardeur du désir et par une profonde humilité. Cette humilité, l’âme l’acquiert dans la cellule de la connaissance d’elle-même, par le moyen d’une humble et continuelle prière, au milieu des combats du démon et des tentations des créatures, de la volonté perverse et de la chair, qui combat toujours contre l’esprit. Elle résiste à tout avec la lumière de la très sainte Foi; et avec cette lumière, qu’elle puise dans la doctrine du Verbe, elle se passionne pour les souffrances et les peines que Dieu lui envoie, et elle ne choisit jamais le lieu, le moment, la manière de souffrir; elle s’en rapporte à l’éternelle Vérité, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification.

3. Mais pourquoi Dieu permet-il ces fatigues et ces révoltes? pour éprouver en nous la vertu, pour qu’à la lumière, nous connaissions notre imperfection et [1311] le secours que l’âme reçoit de Dieu dans les combats dans les peines, et pour que nous comprenions l’are deur de sa charité dans cette volonté, que Dieu conserve bonne dans l’âme au milieu des ténèbres, des tentations et des peines. Par cette connaissance, a acquise au moment de l’épreuve, l’âme quitte la foi imparfaite, et arrive à la foi parfaite au moyen de l’expérience qu’elle a trouvée lorsqu’elle était encore dans le chemin de l’imperfection. Cette lumière délivre notre esprit de toute confusion; elle sert non seulement pendant le combat, mais aussi quand l’homme tombe dans le péché mortel. Quel que soit ce péché, la Folle relève, parce qu’à ma lumière il regarde la clémence, l’ardeur, l’abîme de la charité de Dieu. Il étend les bras de l’espérance pour recevoir et saisir le fruit du Sang, où il trouve ce doux et tendre feu par une contrition parfaite, en s’humiliant devant Dieu et devant le prochain pour Dieu, s’estimant le plus petit et le plus vil de tous les hommes. Il détruit ainsi la faute dans son âme par la contrition et l’espérance du Sang, où il est parvenu par la lumière de la Foi, Et de cette manière il parvient à une telle perfection, à un tel amour de la charité divine, qu’il peut dire, avec saint Grégoire: O l’heureuse et bienheureuse faute, qui nous a mérité un tel Rédempteur.

4. La faute d’Adam a-t-elle été heureuse? Non; mais le fruit que nous recevons à cause d’elle a été heureux. Dieu a revêtu son Fils de notre humanité et l’a chargé de rétablir le genre humain dans la grâce, et le Fils, tout transporté d’amour, a couru le faire au prix de son sang. Il en est de même pour [1312] l’âme: sa faute n’est pas heureuse, mais le fruit qu’elle trouve dans la charité est heureux, lorsqu’elle se corrige vraiment et parfaitement avec la lumière de la Foi, comme nous l’avons dit. Et parce qu’elle augmente dans la connaissance d’elle-même et dans l’humilité, elle court, toute joyeuse, à l’obéissance des commandements de Dieu. Elle reçoit avec haine et amour le joug sur ses épaules, et aussitôt elle court, toute transportée, donner sa vie, s’il le faut, pour le salut des âmes, parce qu’elle a vu à la lumière que l’amour et les grâces qu’elle a trouvées en Dieu, elle ne peut le lui rendre. Elle peut bien lui rendre l’amour, mais non pas les services qu’elle reçoit de la grâce de Dieu, car Dieu n’a pas besoin de nous; mais elle peut faire pour le prochain ce qu’elle ne peut faire pour Dieu; et il est bien véritable qu’en servant ainsi le prochain charitablement, nous montrons en lui l’amour que nous avons pour l’éternelle et souveraine Vérité. C’est cette charité qui prouve si les vertus sont véritablement ou non dans l’âme; car alors l’âme obéit avec zèle, sa volonté enchaînée accomplit la volonté de Dieu dans le prochain, et ne se laisse arrêter par aucune peine, aucun obstacle, jusqu’à la mort.

5. Avec cette lumière, l’âme goûte les arrhes de la vie éternelle; elle se nourrit par l’amour sur la poitrine de Jésus crucifié, elle se réjouit de dérober ainsi les vertus, la vie et la perfection des heureux habitants du ciel, pendant son pèlerinage de la terre. La Foi lui donne la clef du Sang, qui ouvre la vie éternelle; la Foi ne se confie pas en elle-même, mais
dans son Créateur; elle ne cède pas au vent de l’orgueil [1313] et de la présomption; car l’orgueil, la présomption, l’impureté et les autres vices sont les fruits de l’infidélité envers Dieu et de la confiance que nous avons en nous-mêmes. C’est là un ver qui se cache sous la racine de l’arbre de notre âme; et si l’homme ne le tue pas avec le glaive de la haine, ce ver ronge et le fait pencher, ou le renverse à terre, si l’arbre l’âme ne s’y oppose pas par son zèle et son humilité. Souvent l’homme est si aveuglé par l’amour-propre, qu’il ne voit pas ce ver, qui est caché; et alors Dieu permet les combats et les persécutions. Il permet que l’arbre penche, et quelquefois qu’il tombe; mais il ne permet pas que sa volonté se corrompe, il laisse seulement son libre arbitre s’égarer pour un temps, afin qu’en revenant à lui-même il soit humilié par cette connaissance. En s’humiliant à cette lumière, qu’il cherche ce ver, et qu’il prenne le glaive de la haine pour le tuer. Cette âme n’a-t-elle pas raison de se réjouir et de remercier Dieu de lui avoir fait voir et trouver en elle ce qu’elle ne connaissait pas? Si, assurément. Ainsi, de toute manière, mon très cher Fils, dans quelque état que l’homme se trouve, qu’il soit juste ou pécheur, qu’il soit tombé ou qu’il se relève, il a toujours besoin de cette lumière. Quel inconvénient y a-t-il à ne pas l’avoir? Il serait trop long de te l’expliquer; il suffit de ce que j’ai dit. Mais, pour te faire connaître combien il est utile et doux de la posséder, la langue ni la plume ne pourraient jamais y parvenir. Que Dieu te le fasse éprouver dans son infinie miséricorde. Je voudrais qu’il en fût ainsi, et c’est pourquoi je t’ai dit que je désirais voir en toi la lumière de la très sainte Foi [1314].

6. Je suis bien étonnée des lettres que tu as envoyées à Barduccio. Je ne veux pour aucune raison que tu quittes la. compagnie de tes Frères en Jésus-Christ. Garde-toi bien de vouloir entrer dans un Ordre religieux et de te troubler l’esprit; mais humilie-toi, soumets-toi au plus petit, et ne cesse pas cependant de communiquer aux autres les vérités que Dieu te fait connaître. Mettons-nous donc à nous servir des remèdes dont nous avons parlé, pour que le démon de la tristesse et de la confusion n’attaque pas notre âme, et qu’elle ne devienne pas pire qu’elle n’était, ce qui serait bien offenser Dieu. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXLVI (238).- A LOUIS, fils de messire Louis Gallerani de Sienne, à Asciano.- De la force et de la persévérance qu’on acquiert en s’appuyant sur la sainte Croix.

(Louis Gallerani comptait parmi ses nobles ancêtres le bienheureux André Gallerani, fondateur de l’hospice de la Miséricorde, et le premier tertiaire de l’Ordre de Saint-Dominique; il avait reçu l’habit du bienheureux Ambroise Sansedonio. (Voir sa conversion et sa vie dans les Bollandistes, 20 avril.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et bien-aimé Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave [1315] des serviteurs de Dieu, je vous écris et vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir un chevalier généreux, avançant avec courage, sans vous détourner pour éviter les coups, mais marchant toujours devant vous avec une vraie et parfaite persévérance. Vous savez bien que ce n’est pas en commençant, mais en persévérant, qu’on obtient la couronne; et si vous avez peine à persévérer sur le champ de bataille, prenez, mon très cher Frère dans le Christ Jésus, prenez l’étendard de la sainte Croix; c’est une colonne inébranlable où s’est reposé l’Agneau immolé pour nous. Sa force est si grande, qu’elle détruit toute faiblesse, et fortifie tellement le cœur de l’homme, que ni les démons ni les créatures ne peuvent le vaincre, s’il ne le veut pas lui-même; et je ne m’en étonne pas, car c’est cette force de l’amour qui le tenait lié et cloué sur le bois de la très sainte Croix. Je vous conjure de vous y attacher, afin que vous ne puissiez plus retourner en arrière. C’est là que vous trouverez le fondement de toutes les vertus, c’est là. que vous trouverez l’Homme-Dieu, par l’union de la nature divine avec la nature humaine; vous y trouverez l’abondance de la divine Charité, qui a tiré l’humanité des mains du démon, avec lequel elle vivait comme une adultère. O très doux amour Jésus ! avec votre main désarmée, percée et clouée sur la Croix, vous avez défait tous nos ennemis ! Il est venu comme notre paix, pour réconcilier l’homme avec Dieu. Saint Paul disait: «Je suis l’envoyé du Christ vers vous, et je vous supplie, mes très chers Frères, de vous réconcilier et de faire votre paix avec lui, parce [1316] qu’il est venu pour être le médiateur de la paix entre Dieu et l’homme (Co 5,20). »

2. O doux Jésus, il est bien vrai que vous êtes notre paix, le calme, le repos de la conscience. Aucune amertume, aucune tristesse, aucune privation ne peuvent affliger l’âme où vous habitez par la grâce; il est bien simple qu’elle possède la joie suprême, et la richesse véritable, car en Dieu qui est la joie suprême, on ne trouve ni tristesse ni amertume. Il est la souveraine richesse, qui ne peut jamais se perdre, et que les voleurs ne peuvent ravir. Je vous en supplie donc de toute mon âme, employez bien le temps qui vous est laissé; c’est une grande consolation de vivre saintement. Aussi je vous ai dit que je désirais que vous fussiez un vrai chevalier, ne reculant jamais, toujours fidèle à vos saintes résolutions, toujours armé des vraies et solides vertus, vous appuyant sur la colonne de la sainte Croix, qui vous défendra de toutes les morsures et les attaques du démon ou des créatures qui veulent vous détourner de la vertu. N’écoutez pas et ne croyez pas les créatures qui veulent combattre vos saintes résolutions; mais recourez souvent à la confession, et fréquentez ceux que Dieu vous a fait la grâce de connaître. Je finis. Plongez votre mémoire dans le précieux Sang, et souvenez-vous de frère Barthélemi et de Néri; recommandez-les, avec moi, à messire Bérenger. Demeurez dans la sainte paix de Dieu. Doux Jésus. Jésus amour [1317].

Table des matières (2)


 

CCXLVII (239).- A VANNI ET FRANÇOIS, fils de Nicolas de Buonconti, de Pise.- De la sainte crainte de Dieu, et de l’horreur du péché.

(Nicolas de Buonconti eut quatre fils, qui furent tous disciples de sainte Catherine. Elle demeura dans leur maison pendant son séjour à Pise, et se lia d’affection avec leur mère Natta. (Voir les lettres CCCXXXVIII, CCCCXXXIX, CCCXL.))

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1.Très chers et bien-aimés Frères dans le Christ Jésus, moi. Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris et je vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir ses véritables enfants, vivant toujours dans la sainte crainte de Dieu, et de telle manière, que non seulement vous ne méprisiez pas le sang du Christ, mais que vous ayez aussi en horreur et dégoût les souillures du péché mortel, qui a été cause de la mort du Fils de Dieu. Il est bien coupable, celui qui livre son corps à de telles iniquités, à de telles impuretés, après avoir connu l’union parfaite que Dieu a contractée avec l’humanité. Je ne veux pas qu’il en soit ainsi pour vous, mes très chers. Frères, pour toi surtout, Vanni. Il faut vivre maintenant autrement que tu ne l’as fait par le passé. Considère ton âme et la brièveté du temps; pense que tu dois mourir, et que tu ne sais pas quand. Quelle chose affreuse, si la [1318] mort te trouvait en péché mortel, si pour une triste jouissance tu perdrais ce bien, ce bonheur d’avoir Dieu dans ton âme par la grâce, et ensuite de posséder cette vie éternelle qui ne doit jamais finir! Oui, je vous invite tous les trois à sacrifier votre vie et à vous préparer à mourir pour Jésus crucifié, s’il le faut; et, afin de vous y préparer, je veux que vous soyez vertueux, que vous vous confessiez souvent, et que vous aimiez toujours à entendre la parole de Dieu. Comme le corps ne peut vivre sans nourriture l’âme aussi ne peut vivre sans la nourriture de la parole de Dieu et sans la confession. Evitez les mauvaises compagnies, parce qu’elles seraient un grand obstacle à votre sainte résolution. Je ne vous en dis pas davantage, très chers et très doux Frères dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXLVIII (240).- A SIRE CHRISTOPHE de Gano Guidini.- De l’état parfait ou nous appelle le Père céleste.

(Cette lettre a été trouvée dans les mémoires de Christophe Gano, conservés dans les archives de l’hospice de la Scala, à Sienne. Ce disciple de sainte Catherine était notaire. et prit part au gouvernement de sa patrie, en 1383 et 1384. Il avait pensé à entrer en religion, mais les instances de sa mère le décidèrent au mariage, où il vécut très saintement. Devenu veuf, il revêtit l’habit des frères de l’hôpital de Sainte-Marie, et mourut dans les bras du bienheureux Etienne Maconi. Il laissa plusieurs écrits, parmi lesquels se trouve la vie du B. Jean Colombini.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et bien-aimé Frère et le Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave [1319] des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un de ses fils véritables, accomplissant toujours fidèlement ce que recommande le vrai Père céleste, lorsqu’il dit: « Celui qui n’abandonne pas son père, mère, ses sœurs, ses frères, et qui ne se quitte pas lui-même, n’est pas digne de moi. » Il semble qu’il nous appelle à ce renoncement, et je pense que nous ne devons pas nous en éloigner sous prétexte d’un devoir de conscience. Cette raison de conscience vient plutôt du démon que de Dieu. L’ennemi veut empêcher l’état parfait auquel le Saint-Esprit semble vous appeler. Si vous me dites Dieu me commande de leur obéir, cela est vrai, pourvu qu’ils ne vous détournent pas de la voie de Dieu; et s’ils sont un obstacle, nous devons passer sur leurs corps, et suivre le vrai Père avec l’étendard de la très sainte Croix.

2. Hélas, mon doux Frère dans le Christ Jésus, je m’afflige de ta résistance; tu ne connais pas la perfection de cet état, et il me semble que ta conscience devrait plus se troubler d’y renoncer que de le suivre. Mais, puisqu’il en est ainsi, je prie la souveraine et éternelle Vérité d’étendre sa très sainte main sur toi, et de te diriger dans l’état qui doit lui plaire davantage. Je t’en conjure, en tout état et dans toutes tes œuvres, fixe tes regards sur Dieu, et [1320] cherche toujours son honneur et le salut de ma créature; n’oublie jamais le prix du sang de l’Agneau, qui a payé pour nous avec tant d’amour. Quant au choix d’une épouse, je vous répondrai qu’il m’est pénible de m’en occuper; cela regarde plutôt les séculiers que moi. Je ne puis pas cependant m’opposer à votre désir; et, en examinant les conditions des trois, je les trouve toutes bonnes. Si vous ne vous sentez pas de répugnance à épouser celle qui a déjà été mariée, faites-le, puisque vous voulez encore vous engager dans les embarras de ce siècle pervers. Si vous ne la prenez pas, prenez celle de François Ventura de Camporeggi. Je finis en priant la suprême et éternelle Charité de vous donner ce qui doit être le plus utile à son honneur et à votre salut; qu’elle répande sur vous deux la plénitude de sa grâce, et sa souveraine et éternelle bénédiction. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXLIX (241). - A SANO DE MACO, lorsque la sainte était à Pise, la première fois.- De l’amour que Dieu nous a montré dans la rédemption de nos âmes.

(Sano est le diminutif toscan d’Ansano, et Maco, celui de Jacomo. On ignore le nom de famille de ce disciple de sainte Catherine. Cette lettre est de 1375)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et bien-aimé Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans son précieux Sang qu’il a répandu sur l’arbre de la très sainte Croix; il n’y avait pas d’autres liens que l’ardente charité qu’il avait pour sa créature. La douce Vérité suprême l’a dit elle-même: C’est à cause de l’infinie charité que Dieu avait pour la nature humaine, que le Père céleste a envoyé son Fils unique et bien-aimé pour empêcher la créature de périr, et pour sauver le monde par son moyen (Eph 2,4). O ineffable et infinie charité de Dieu, qui, pour sauver le rebelle qui lui avait désobéi, se livra lui-même pour être créature, pour être méprisé, outragé, maltraité, et enfin livré à une mort honteuse comme un malfaiteur. Il n’avait rien fait et rien dit qui fût digne de blâme; nous avions commis la faute, et il en a porté la peine par amour pour nous.

2. Vous m’avez bien aimé, très doux amour Jésus, et vous apprenez combien je dois m’aimer moi-même et aimer mes frères; vous nous avez tant aimés sans voir besoin de nous, comme nous avons besoin de vous. Oui, très cher et bien-aimé Frère et Fils dans e Christ Jésus, il faut que toujours nos âmes soient avides de se nourrir des âmes de nos frères. Aucune autre nourriture ne doit tant nous plaire que de les servir avec zèle; il faut nous réjouir de souffrir les peines et les tribulations pour l’amour du prochain ce fut la nourriture de notre doux Sauveur, et c’est elle aussi que notre Sauveur nous invite à prendre. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1322].

Table des matières (2)


 

CCL (242). A SANO DE MACO, lorsque la sainte était à Pise. - De la force et de la paix qu’on trouve dans la Croix.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1.Très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un vrai chevalier combattant fortement contre toutes les illusions du démon; car nous sommes sur ce champ de bataille où nos ennemis nous attaquent de toute part. Vous, comme un vrai et généreux chevalier, plein d’un ardeur nouvelle, marchez contre eux avec la résolution de leur tenir toujours tête pour ne pas être tué ou prisonnier. Un homme est prisonnier quand il est dans un lieu d’où il ne peut sortir à son gré; de même, nous, si nous tournons la tête de notre volonté, si nous abandonnons nos saintes résolutions, et si nous obéissons aux suggestions du démon, nous serons dans la pire de toutes les prisons; nous aurons perdu la liberté, nous serons les serviteurs et les esclaves du péché.

2. Si vous me dites, très cher Fils: Je suis faible contre tant d’ennemis; je vous répondrai : Je l’avoue, nous sommes par nous-mêmes faibles et :sujets à tomber pour la moindre chose; mais la divine Providence agit dans nos âmes, nous fortifie et nous ôte toute faiblesse. Espérez donc, et croyez fermement [1323] que l’âme qui espère en Dieu est toujours secourue par lui, et le démon ne peut lui faire aucune violence, parce que la vertu de la très douce et très sainte Croix l’arrête et lui ôte toutes ses forces contre nous. L’homme. par l’ineffable bonté de Dieu, est fortifié et délivré de toute faiblesse et de toute infirmité. Par le souvenir de la très sainte Croix, nous devons concevoir l’amour de la vertu et la haine du vice. Nous sommes la pierre où est placé l’étendard de la Croix; mais nous ne pouvons pas dire que nous l’avons, s’il n’est pas affermi en nous. Et sachez-le bien, ni les clous, ni la Croix, ni la pierre n’auraient pu retenir l’Homme-Dieu sur la Croix, sans l’amour qu’il avait pour l’homme; c’est donc à nous qu’appartient le prix de son sang, et ce souvenir fait mépriser les honneurs et aimer les injures, les outrages, les affronts; la richesse désire la pauvreté, la concupiscence devient continence et pureté. L’âme bannit toute jouissance, tout désir déréglé, et se revêt seulement des vraies et solides vertus; elle ne se plaît qu’en Jésus-Christ, elle n’estime et ne veut savoir que Jésus crucifié. Elle dit : « Je ne me plais, et ne veux me glorifier que dans mon Seigneur Jésus-Christ; c’est à cause de son amour que le monde me méprise et que je méprise le monde (Gal 11,14). »

3. Courage donc, mon Fils, puisque ce souvenir est si doux, qu’il dissipe toute amertume et rend la vie aux morts; prenez la sainte Croix dans cette route où l’homme pèlerin et voyageur a besoin de s’appuyer sur ce bâton sacré jusqu’à ce qu’il soit [1324] arrivé au but ou l’âme trouvera le repos et la paix dans sa fin. Oh ! combien lui sont douces les fatigues qu’elle a supportées dans ce voyage ! Quelle paix, quel repos, quelle douceur reçoit et goûte l’âme, lorsqu’elle trouve au port l’Agneau immolé qu’elle a cherché sur la Croix, et qui s’est fait sa table, sa nourriture, son serviteur! Elle trouve le lit de la divine essence, où elle se repose et où elle dort, parce qu’elle a détruit cette loi perverse qui, pendant son pèlerinage, se révoltait sans cesse contre son Créateur. Que l’âme se réjouisse donc, qu’elle tressaille d’allégresse, qu’elle prenne avec un ardent désir le véritable étendard de la très sainte Croix, sans aucune crainte de ne pouvoir persévérer dans la vie qu’elle a commencée; mais qu’elle dise : Par Jésus crucifié, je puis tout porter et tout faire jusqu’à la mort.

4. Vous m’avez écrit, au sujet de la douce Providence, que Dieu se montre dans les petites choses pour vous fortifier et vous encourager à supporter toutes les attaques et à espérer toujours en sa Providence. C’est un motif de ne renoncer jamais à votre sainte résolution, quelque chose qu’il arrive. Je crois que si vous ne prenez plus la douce nourriture, il est à craindre que vous n’ayez commis quelque excès. Je ne vous dis rien à ce sujet. Bénissez toute votre famille dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1325] .

Table des matières (2)


 

CCLI (243).- A SANO DE MACO, à Sienne.- De la foi et de ses rapports avec l’amour et l’espérance.- Exemple de la Cananéens. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et bien-aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en vous cette vertu de la sainte Foi et de la persévérance qui était dans la Cananéenne. Elle y était si grande, qu’elle mérita que le démon fût chassé de sa fille; et même Dieu, pour manifester combien sa foi lui était agréable, voulut lui remettre son autorité en lui disant: «Qu’il soit fait à votre fille ce que vous voulez (Mt 15, 28). » O glorieuse et excellente vertu ! c’est vous qui montrez le feu de la divine charité quand elle est dans l’âme, car l’homme peut-il avoir la foi et l’espérance sans aimer? Toutes ces vertus se tiennent ensemble, et l’amour n’existe pas non plus sans la foi et l’espérance. Ce sont là trois colonnes qui maintiennent la force de notre âme, si bien que rien ne peut la renverser, ni le vent de la tentation, ni les paroles injurieuses, ni les flatteries des créatures, ni l’amour terrestre de sa femme et de ses enfants. Toujours elle est soutenue par ces colonnes inébranlables. Faisons donc comme cette Cananéenne, et, en voyant passer le Christ dans [1326] notre âme, tournons-nous vers lui par un saint désir, par une vraie contrition, par une horreur sincère du pêché, et disons-lui: Seigneur, délivrez ma fille, c’est-à-dire mon âme, car le démon la tourmente par de nombreuses tentations et des pensées mauvaises, Et si nous persévérons, si nous tenons ferme notre volonté pour qu’elle ne cède pas, et qu’elle ne s’abaisse pas à aimer quelque chose hors de Dieu; si nous nous humilions, et si nous nous estimons indignes de la paix et du repos, nous pouvons attendre avec foi, patience et espérance, supportant tout pour Jésus crucifié, et nous dirons avec saint Paul: « Je puis tout, non par moi, mais par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie (Ph 4,13). » Alors nous entendrons cette douce parole que votre fille, que votre âme soit guérie comme vous le voulez.

2. C’est ainsi que l’infinie bonté de Dieu montre quel trésor l’âme a reçu dans son libre arbitre; car ni les démons ni les créatures ne peuvent la contraindre au péché, si elle ne veut pas. O très cher Fils dans le Christ Jésus ! considérez avec foi et persévérance jusqu’à la mort ces paroles qui ont été dites. Sachez que quand l’homme a été créé, Dieu lui a dit aussi. Qu’il te soit fait selon ta volonté, c’est-à-dire : je te fais libre; tu ne seras soumis qu’à moi. » O ineffable ! ô doux feu d’amour ! comme vous nous montrez et vous nous prouvez l’excellence de la créature; vous avez tout créé pour le service de votre créature raisonnable, et vous avez fait cette créature pour vous servir [1327].

3. Mais nous, pauvres misérables, nous allons aimer le monde, ses pompes et ses plaisirs, et cet amour fait perdre à l’âme sa puissance; il la rend la servante et l’esclave du péché, il lui donne pour maître le démon. Oh ! que ce maître est dangereux ! car il cherche et prépare toujours la mort de l’homme. Non, il ne faut pas servir un tel maître; mais je veux que nous soyons de ces âmes passionnées pour Dieu, en nous rappelant toujours que nous sommes des esclaves rachetés par te sang de l’Agneau.

4. L’esclave ne peut se vendre et servir un autre maître. Nous n’avons pas été rachetés à prix d’or, ni même par l’amour seulement, mais par le sang. Que nos cœurs et nos âmes se brisent donc d’amour. Hâtons-nous de servir et de craindre le doux et bon Jésus, en pensant qu’il nous a tirés de la prison et de l’esclavage du démon, qui nous possédait véritablement; il a droit à la récolte, puisqu’il a payé et déchiré notre obligation. Et comment a-t-il acquis ce droit à la récolte? Lorsqu’il s’est fait esclave en revêtant notre humanité. Hélas! n’était-ce pas assez qu’il ait payé la dette que nous avions contractée? Et quand l’a-t-il payée? Sur le bois de la très sainte Croix, en donnant sa vie pour nous rendre la vie de la grâce que nous avions perdue. O ineffable, ô très douce Charité ! vous avez détruit l’obligation que l’homme avait souscrite au démon; vous l’avez déchirée sur le bois de la très sainte Croix. Le parchemin vient de l’Agneau, et l’Agneau sans tache nous a écrits sur lui-même, mais il a déchiré le parchemin. Que nos âmes prennent courage, car nous avons un nouvel écrit; et celui par lequel notre ennemi notre [1328] adversaire, pouvait nous réclamer, a été mis en pièces. Courons donc, très doux Fils, avec un saint et vrai désir; embrassons la vertu en nous rappelant le doux Agneau immolé avec un si ardent amour. Je ne vous en dis pas davantage.

6. Sachez qu’en cette vie, nous ne pouvons avoir autre chose que les miettes qui tombent de la table, les miettes que la Cananéenne demandait. Ces miettes sont les grâces que nous recevons, et qui tombent de la table du Maître; mais quand nous serons dans la vie durable, où nous goûterons Dieu, où nous le verrons face à face, alors nous aurons les mets de la table. Ne fuyez donc pas la peine ; je demanderai pour vous des petites miettes et de la nourriture comme pour un fils; et vous, combattez généreusement. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. 

Table des matières (2)


 

CCLII (244).- A SANO DE MACO, à Sienne.- On ne doit rien craindre en s’appuyant sur Jésus-Christ.- Il faut désirer souffrir, être méprisé, et donner sa vie pour lui. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous [1329] voir uni et fondé sur le vrai fondement, sur Jésus crucifié. C’est la pierre vive sur laquelle doit être appuyé, tout édifice solide et sûr; et sans elle rien ne peut avoir de stabilité. C’est ce que disait l’ardent saint Paul Personne ne peut trouver un fondement solide, si ce n’est sur la pierre vive, qui est Jésus crucifié. C’est le seul fondement que Dieu nous ait donné. Et vraiment, très cher Frère et Fils dans le Christ Jésus, je comprends bien que c’est la vérité; car si l’âme est fondée sur le Christ, aucun vent d’orgueil et de vaine gloire ne peut la jeter par terre; ses fondements, sont creusés dans une humilité profonde, parce qu’elle voit Dieu s’humilier jusqu’à l’homme, pour le sauver.

2. Les flots de l’avarice, des plaisirs du monde et de la chair ont beau s’enfler, ils ne peuvent renverser par terre cette âme, parce qu’elle est appuyée, affermie sur cette Pierre, qui n’a jamais ressenti les mollesses des plaisirs et des jouissances corporelles, mais qui s’est durcie dans la peine et la douleur. Aussi, l’âme qui se passionne pour le Christ ne peut vouloir que souffrir avec lui les opprobres, les affronts, la faim, la soif, le chaud, le froid, les injures, le déshonneur, et elle donnera enfin avec joie sa vie pour l’amour de lui. L’âme se réjouit et se dilate quand elle se voit digne de souffrir les outrages et les moqueries du monde pour le doux et bon Jésus. C’est ce que nous lisons des saints Apôtres, qui se réjouirent, quand ils commencèrent à être méprisés et bafoués pour le nom de Jésus. C’est ainsi que mon âme désire nous voir fondés en Jésus crucifié, de telle sorte, que ni les flots de la tribulation, ni le vent de la tentation [1330], ni le démon avec ses erreurs, le monde avec ses séductions, la chair avec ses honteux plaisirs, ne puissent jamais nous séparer de la charité du Christ et de celle du prochain.

3. Ne vous alarmez pas des paroles que le démon sème par le moyen des créatures pour troubler votre âme ou celles de mes chers fils et filles dans le Christ Jésus; car depuis longtemps il est habile à se servir de la langue des méchants; souvent même, par la permission de Dieu, il se sert de la langue des serviteurs de Dieu pour troubler les autres serviteurs de Dieu.

4. Par la grâce de notre doux Sauveur, nous sommes arrivés ici à Avignon, il y a déjà vingt-six jours (Sainte Catherine logea à Avignon dans la maison de Jean de Regio. Cette maison était une grande tour très large; elle fut jointe au collège des Pères Jésuites, et on y montrait la chambre qu’avait occupée notre sainte. Vingt-trois disciples de sainte Catherine l’avaient accompagnée, et étaient nourris aux frais du Souverain Pontife. (Voir Gigli, t. II, p. 329.). J’ai parlé au Saint-Père, à quelques cardinaux, et à d’autres seigneurs de la cour; et la grâce de notre doux Sauveur a beaucoup fait pour l’affaire qui nous amène ici. Réjouissez-vous en Notre-Seigneur Jésus-Christ, et soyez pleins de confiance. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Nous sommes arrivés à Avignon, le 18 juin 1376 [1331].

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CCLIII (245). — A SANO DE MACO et à ses autres fils, à Sienne.- De la vertu de persévérance, et de la force nécessaire pour l’obtenir.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir forts et persévérants jusqu’à la fin de votre vie; car je sais que, sans la persévérance, personne ne peut plaire k Dieu et recevoir la couronne de la récompense. Celui qui persévère est toujours fort, et la force le fait persévérer. C’est donc un besoin, une nécessité d’avoir le don de la force, parce que nous sommes assiégés de nombreux ennemis.

2. Le monde nous attaque avec ses plaisirs et ses ruses, le démon avec ses tentations, et en se servant de la langue des hommes pour nous accabler d’injures, de murmures, et pour nuire souvent à nos affaires; et en cela, son unique but est de nous détourner de l’amour et de la charité du prochain. La chair se lève aussi avec sa sensualité, pour combattre contre l’esprit. Nous sommes donc entourés d’ennemis; mais il ne faut pas les craindre d’une crainte servile, parce que ces ennemis ont été vaincus par le sang de l’Agneau sans tache [1332].

3. Nous devons courageusement répondre et résister au monde par le mépris de ses plaisirs, de ses honneurs, en pensant qu’il n’y a en lui rien de stable et de durable. Il nous promet une longue vie avec une jeunesse florissante, et de grandes richesses, et tout cela disparaît. La vie est remplacée par la mort, la jeunesse par là vieillesse, la richesse par la pauvreté, et nous nous acheminons sans cesse vers notre dernier instant. Il faut donc ouvrir l’oeil de notre intelligence, et voir combien est malheureux celui qui se fie à de telles promesses. De cette manière, on arrivera à mépriser et à détester ce qu’on aimait d’abord. Il faut résister généreusement aux ruses du démon en considérant sa faiblesse, car il ne peut vaincre que celui qui veut être vaincu. Le chrétien résistera donc avec une foi vive, une ferme espérance avec une sainte haine de lui-même; et cette haine le rendra patient au milieu des tentations, des épreuves, des tribulations du monde ; et de quelque côté qu’elles viennent, il les portera toutes avec une véritable patience, s’il hait sa propre sensualité, et il aimera à rester sur la Croix avec Jésus crucifié.

4. Sa foi vive lui donnera une volonté conforme à celle de Dieu, et il étouffera dans son cœur et son esprit tout jugement humain; il verra en tout la volonté de Dieu, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Il ne se scandalisera pas de son prochain. Il ne murmurera pas, et ne condamnera pas celui qui parle contre lui; il se condamnera plutôt lui-même, en voyant que Dieu permet qu’il soit tourmenté pour son bien. Oh ! combien est heureuse cette âme qui prend l’habitude de juger ainsi ! Elle [1333] ne condamne pas les serviteurs du monde qui lui font injure; elle ne juge pas les serviteurs de Dieu, en voulant les diriger à sa manière, comme font tant de superbes présomptueux qui, sous prétexte de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, croient pouvoir murmurer, en disant Cette manière d’agir ne me plaît pas. Et non seulement ils se troublent, mais ils troublent les autres par leurs paroles, en leur persuadant que C’est l’amour du bien qui les fait parler.

5. Mais celui qui ouvre les yeux trouvera le ver de la présomption, qui le trompe et le fait juger selon ses opinions, et non selon les mystères et les voies saintes et variées que Dieu suit à l’égard de ses créatures. Que l’orgueil de l’homme soit confondu, et qu’il apprenne que, dans la maison du Père éternel, il y plusieurs demeures; qu’il ne prétende plus donner des lois à l’Esprit-Saint, qui est la loi, la règle même, et qu’il ne mesure plus ce qui ne peut être mesuré. Ce n’est pas ainsi que fait le vrai serviteur de Dieu qui s’est revêtu de son éternelle volonté; il respecte, au contraire, les voies, les œuvres et la conduite de ses serviteurs, parce qu’il ne les juge pas, venant de l’homme, mais de Dieu. Quand les choses nous déplaisent et ne vont pas à notre gré, il faut supposer et croire qu’elles sont agréables à Dieu. Nous ne devons et nous ne pouvons juger rien que ce qui est évidemment et manifestement un péché. Et encore, l’âme qui aime Dieu et qui s’est perdue elle même, n’exprime que le regret et la peine que lui cause l’offense faite contre Dieu; elle est pleine de compassion pour l’âme de celui qui a commis [1334] l’offense, et elle se livrerait volontiers à toutes sortes de tourments pour le salut de cette âme.

6. C’est à cette perfection que je vous invite, mes Fils bien-aimés: appliquez-vous avec un saint zèle à l’acquérir; pensez que vous arriverez à cet état en jugeant bien toutes choses sans vous scandaliser, sans vous affecter, tandis qu’en les jugeant mal, vous tomberez dans le péché, les murmures et les injustices envers les serviteurs de Dieu. Tout cela vient de la passion et de l’orgueil enraciné, qui nous pousse à juger la volonté de l’homme. Celui qui l’écoute tourne la tête en arrière, et ne persévère pas dans l’amour du prochain. Il n’a jamais un amour fort et persévérant; il a l’amour imparfait des disciples du Christ avant la Passion. Ils l’aimaient parce qu’ils jouissaient de sa présence; leur amour n’était pas fondé sur la vérité, mais sur leur jouissance, sur leur plaisir. Aussi faiblit-il quand ils furent privés de sa présence ; ils ne surent pas souffrir avec le Christ, et la crainte leur fit prendre la fuite. Prenez garde, prenez garde que cela ne vous arrive. Vous vous réjouissez beaucoup de sa présence, mais vous n’avez qu’un feu de paille pour l’absence; le moindre vent, la moindre pluie l’éteint, dès que vous ne le voyez plus; et il ne reste rien qu’une fumée noire qui obscurcit votre conscience. Et tout cela arrive parce que nous nous sommes faits les juges de la volonté des hommes, de la conduite, des actions, des voies des serviteurs de Dieu, sans voir en tout sa douce volonté. Qu’il n’en soit plus ainsi, pour l’amour de Jésus crucifié; mais soyez des Fils fidèles, forts et persévérants dans le Christ, le doux [1335] Jésus, et de cette manière vous triompherez des tentations du démon et des paroles qu’il vous dit par la langue des hommes.

7. Notre dernier ennemi est notre chair misérable, avec ses appétits sensuels. On en triomphe par la chair du Christ, flagellée et percée sur le bois de la très sainte Croix; on la dompte par le jeûne, les veilles, la prière continuelle, par les désirs ardents du saint amour. Oui, nous vaincrons, nous déferons nos ennemis par la vertu du sang de Jésus-Christ. Vous accomplirez ainsi sa volonté et mon désir, car je gémis en voyant votre imperfection. J’espère que l’infinie Bonté consolera mon âme à votre sujet. Aussi je vous conjure de n’être pas négligents, mais pleins de zèle. Ne soyez pas des feuilles qui volent à tous les vents; soyez fermes, constants, vous aimant avec une vraie charité fraternelle, et supportant mutuellement vos défauts. Je verrai à cela si vous aimez Dieu, et je ne désire pas autre chose que de vous voir dans cette union parfaite. Noyez-vous dans le sang de Jésus crucifié, cachez-vous dans ses très douces plaies. Je ne vous en dis pas davantage.

8. Je vous recommande le monastère de Sainte-Marie des Anges. Ne vous étonnez pas si je n’y viens pas ; les bons fils font plus quand leur mère n’est pas présente, que quand elle est présente, parce qu’ils veulent montrer l’amour qu’ils ont pour leur mère et s’en faire plus aimer. Je vous prie, Sano, de lire cette lettre à tous mes enfants; priez tous Dieu pour nous, afin que nous accomplissions ce que nous avons commencé pour son honneur et le salut [1336] des âmes; n’ayons pas d’autres désirs, et poursuivons notre œuvre malgré ceux qui voulaient et veulent l’empêcher. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Que Dieu vous remplisse de ma très douce grâce. Doux Jésus, Jésus amour. 

Table des matières (2)


 

CCLIV (246). — A SANO DE MACO, et à ses autres fils dans le Christ, lorsqu’elle était à Florence.- Elle se réjouit de la paix conclue avec le Souverain Pontife, et les invite à rendre grâces à Dieu.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir de bons Fils qui servent fidèlement notre doux Sauveur, afin de rendre avec plus de zèle grâce et hommage à son nom.

2. O très chers Fils, Dieu a entendu la voix et les cris de ses serviteurs, qui depuis si longtemps pleurent en sa présence et gémissent sur ceux qui étaient morts. Les voilà ressuscités de la mort ils sont revenus à la vie, des ténèbres à la lumière. Mes très chers Fils, les boiteux marchent, les sourds entendent, les aveugles voient et les muets parlent; ils crient de toutes leurs forces : La paix, la paix ! Oui, la paix [1337] : quelle joie de voir les enfants revenir à l’obéissance de leur père, et recouvrer ses bonnes grâces après avoir pacifié leurs âmes ! Et comme des personnes qui commencent à voir, ils disent : Grâces vous soient rendues, Seigneur, de nous avoir réconciliés avec notre Saint-Père. On appelle saint maintenant le doux Agneau, le Christ de la terre, qu’on appelait autrefois hérétique et Patarin (Les Patarins étaient des hérétiques du XIIe siècle, qui furent condamnés par les Souverains Pontifes, et par le troisième concile de Latran. Ils propageaient les mêmes erreurs que les Vaudois.). On lui donne le titre de père, qu’on lui refusait; et je ne m’en étonne pas, car le nuage est dissipé, le temps est devenu serein. Réjouissez-vous, réjouissez-vous, mes Fils bien-aimés;. pleurez de joie et de reconnaissance en présence de l’éternel et souverain Père; mais ne soyez pas contents encore, et demandez que l’étendard de la très sainte Croix se lève bientôt. Réjouissez-vous dans le Christ le doux Jésus: que vos cœurs éclatent en voyant la grandeur de l’infinie bonté de Dieu : maintenant la paix est faite, malgré tous ceux qui voulaient l’empêcher; le démon infernal est vaincu. Samedi soir a paru l’olivier de la paix, à une heure de nuit, et aujourd’hui à vêpres, tout a été terminé (Cette paix obtenue avec tant de peine par sainte Catherine, fut conclue dans le mois de juillet 1378. Elle fut ratifiée par Urbain VI, le 1er octobre suivant.).

3. Samedi soir, notre ami a été arrêté avec un compagnon (Il s’agit sans doute d’Etienne Maconi. (Voir la lettre CCLXIL), et à huit heures, l’hérésie était heureusement [1338] enchaînée. La paix est conclue, et il est maintenant en prison. Priez Dieu pour lui, afin qu’il reçoive la vraie lumière, la vraie connaissance. Baignez-vous noyez-vous dans le sang de Jésus crucifié; aimez-vous les uns les autres. Je vous envoie l’olivier de la paix. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCLV (247). — A SANO DE MACO, et à tous les autres séculiers, ses fils dans le Christ, à Sienne.- De la voie de Jésus-Christ, et de la voie du démon.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermis dans la vertu de la très sainte Foi. Cette foi est une lumière qui éclaire l’oeil de l’intelligence, et lui fait voir et connaître la vérité. En connaissant une chose bonne, on l’aime; mais en ne la connaissant pas, on ne peut l’aimer, et en ne l’aimant pas, on ne peut la connaître. Cette lumière est donc nécessaire; car sans elle nous marcherons dans les ténèbres, et celui qui marche dans les ténèbres doit s’y perdre.

2. Cette lumière nous enseigne la voie, et nous montre le but; elle nous fait connaître ceux qui nous [1339] appellent à deux festins bien différents, et elle nous fait discerner Celui qui donne la vie et celui qui donne la mort. O doux et bien aimés Fils ! quels sont ceux qui nous invitent, et quelles sont leurs voies? Je vous le dirai Le premier est le Christ béni, qui nous invite à boire l’eau vive de la grâce; c’est ce qu’il faisait lorsqu’il criait dans le Temple: " Que celui qui a soif vienne à moi et boive, car je suis la fontaine d’eau vive (Jn 7,37). " Il est bien véritablement une fontaine. De même qu’une fontaine contient l’eau et la laisse passer par le mur qui l’entoure, de même le doux et tendre Verbe, qui contient son éternelle Divinité unie à l’humanité, répand le feu de la divine charité par le mur ouvert de Jésus crucifié; car ses très douces plaies ont versé son sang mêlé au feu, puisqu’il a été répandu par le feu de l’amour.

3. C’est à cette fontaine que nous puisons l’eau de la grâce; car c’est par la vertu de la Divinité, et non pas uniquement par l’humanité, qu’a été expiée la faute de l’homme. L’humanité a souffert la peine sur la Croix, et par la vertu de la Divinité, notre faute a été expiée; nous avons été rétablis dans la grâce. Notre-Seigneur est donc bien véritablement la fontaine d’eau vive, et il nous invite à boire avec une grande douceur d’amour, Mais il dit : Qui a soif vienne à moi; il n’invite pas celui qui n’a pas soif, et ne lui dit pas : Qu’il vienne à moi. Oh ! comme s’exprime bien l’éternelle Vérité ! car personne ne peut aller au Père si ce n’est par lui. Il l’assure dans le saint Evangile : Celui qui veut parvenir à la vision [1340] du Père, qui est la vie éternelle, doit suivre la doctrine du Verbe, qui est la voie, la vérité, la vie; et celui qui va par cette voie ne marche pas dans les ténèbres, mais il marche à la lumière de la très sainte Foi, et cette lumière vient de ma lumière et s’augmente en lui. Aussi nous devons dire: " Seigneur, donnez-moi votre grâce, afin que dans votre lumière, je Voie la lumière. " Il est la vérité même, et celui qui suit la doctrine du Verbe détruit et consume en lui le mensonge de l’amour-propre.

4. Il court dans cette voie avec amour et persévérance en suivant la doctrine de Jésus crucifié; cette doctrine, il l’a vue à la lumière de la Foi, lorsque le Maître est monté à la tribune de la Croix, et nous a enseigné sa doctrine, qu’il avait écrite sur son corps. Il a fait de lui-même un livre dont les lettres sont si visibles, que tout homme peut parfaitement les lire malgré la faiblesse de son intelligence et de sa vue. Que notre âme lise donc; qu’elle lise, et que, pour lire mieux, elle monte avec les pieds de son affection jusqu’à l’amour de Jésus crucifié : autrement vous ne pourriez pas bien lire. Arrivons au foyer principal de son ardente charité, que nous trouvons dans la plaie de son côté, où il nous dévoile le secret de son cœur, en nous montrant qu’une chose finie, que sa Passion qui avait des bornes, était insuffisante à manifester son amour comme il voulait le faire, et à nous donner ce qu’il voulait nous donner. Cet amour qu’il a pour nous, viles créatures, il nous le laisse par sa doctrine, pour que nous l’aimions par-dessus toute chose, et que nous aimions le prochain comme nous-mêmes; et cet amour, nous devons en donner [1341] des preuves comme il nous en a donné par ses souffrances.

5. Nous aimerons donc Dieu avec amour, et nous le témoignerons à Dieu et au prochain, si nous sommes fidèles à sa doctrine, en souffrant les peines, les opprobres, les affronts, les persécutions, les calomnies; si aucune injure n’affaiblit en nous la charité à l’égard de ceux qui nous les font, nous affligeant plus de la perte de leur âme que de notre injure. Notre-Seigneur nous enseigne encore à prier Dieu pour eux, comme il l’a fait lui-même. Lorsque les Juifs le crucifiaient, il disait :   " Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. " Voyez cet ardent amour qu’il a pour nous, voyez cette patience qui couvre de confusion ceux qui s’aiment eux-mêmes, les impatients pour lesquels une parole semble être un coup de poignard, et s’ils n’en répondent pas quatre, on dirait que leur cœur va éclater de dépit. Ils montrent qu’ils marchent sans la lumière, et qu’ils n’ont pas lu le glorieux livre de Jésus-Christ. Que celui qui l’a lu supporte donc les défauts du prochain avec compassion et charité fraternelle.

6. L’homme montre encore l’amour qu’il a pour Dieu, en souffrant avec patience et respect tout ce que sa providence donne et permet, ne cherchant jamais à scruter ses pensées, et ne voyant en tout que son infinie charité. Si nous suivons de la sorte la doctrine de la patience, nous goûterons la paix au milieu des combats, et nous trouverons la santé de l’âme dans les infirmités du corps. Et ainsi nous manifesterons la lumière de la Foi, parce que la patience montre que nous avons en vérité, vu et cru que Dieu [1342] ne veut autre chose que notre sanctification, et que c’est pour cela que nous avons tout reçu avec respect et patience. Dans cette lumière aussi, se lit l’espérance que nous avons de posséder la vie éternelle, par la vertu du sang de Jésus-Christ. Nous perdons alors l’espérance en nous-mêmes, l’espérance du monde, de ses délices, de ses biens, pour espérer uniquement en Dieu, notre véritable et souverain bien. Il serait trop long de raconter ce qu’on lit dans ce livre; mais ouvrons l’oeil de l’intelligence à la lumière de la très sainte Foi, et que les pieds de notre affection nous portent à lire ce très doux livre. Nous y trouverons la prudence, la sagesse, qui a pris le démon avec l’appât de notre humanité. En lui est la justice; car pour punir la faute, il s’est livré lui-même à la mort honteuse de la Croix; il a fait une enclume de son corps pour y forger l’homme nouveau au feu de sa charité, avec le lourd marteau des grandes souffrances. En lui se trouvent la justice, la force, la tempérance, car ni la crainte pour lui-même, ni notre ingratitude, ni les cris des Juifs ne l’ont arrêté dans le sacrifice qu’il faisait à son Père.

7. Nous y lirons aussi cette chère petite vertu d’une humilité véritable et profonde, qu’il montra pour confondre notre orgueil; nous verrons Dieu abaissé jusqu’à l’homme, la souveraine Grandeur descendue à un tel abaissement, l’Homme-Dieu humilié jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix. Et tous les jours, nous le voyons encore, user d’humilité et de patience à l’égard de nos iniquités. Il supporte notre ignorance, notre négligence, notre ingratitude, parce qu’il a faim de notre salut; il nous prête le temps, et [1343] nous donne de bonnes et saintes inspirations pour nous faire voir et nous prouver notre fragilité et le peu de stabilité du monde, afin que nous ne nous confiions pas en lui. Il nous appelle par ses serviteurs, par leurs paroles et par leurs exemples, et il les presse d’offrir sans cesse pour nous d’humbles et ferventes prières. Voilà ce que fait sa bonté, son humilité, pour nous apprendre à faire de même à l’égard de notre prochain. De cette manière, nous suivrons ses traces; en lisant dans ce livre, nous apprendrons la doctrine de la vérité, et nous arriverons par elle au Père; mais jamais autrement: car les vertus s’acquièrent avec peine, en faisant violence à notre faiblesse. Dans le Père ne se trouve pas la peine, mais seulement dans le Fils; et c’est par le moyen de son sang que nous avons la vie éternelle, car il a dit : " Personne ne peut aller au Père, si ce n’est par moi; " et c’est la vérité, puisqu’il est la voie, c’est-à-dire que sa doctrine est la voie de la vérité qui donne la vie.

8. Il est la fontaine d’eau vive, et il invite à boire ceux qui ont soif; et ceux qui suivent sa doctrine emplissent le vase de leur âme de l’eau de la grâce. Ils s’attachent au sein de son humanité, et ils se désaltèrent de cette eau sacrée en buvant avec la bouche du saint désir, l’honneur de Dieu et le salut des âmes; ils sont remplis d’ardeur pour les vertus qu’ils croient pouvoir acquérir dans cette vie, et ils s’y exercent avec zèle pour ne pas perdre le temps, qui est le plus grand trésor que nous possédions. Ceux-là sont invités, mais non pas les négligents qui sont plongés dans les ténèbres du péché mortel, et [1344] qui courent par la voie de la mort comme des aveugles obstinés dans leur misère. Ces infortunés sont appelés, mais pas invités. Ils sont appelés, puisque Dieu les a créés à son image et ressemblance, et les a fait renaître à la grâce dans le sang du Verbe; mais ils ne sont pas invités, parce qu’ils ne veulent pas l’être. La loi est faite pour tous; mais à qui appartient-elle? A ceux qui l’observent. Il en est de même pour ceux qui sont invités à boire. Nous sommes tous appelés, mais quels seront les invités? Ceux qui ont soif et faim de la vertu, les altérés qui suivent avec ardeur la doctrine de Jésus crucifié, et qui regardent à la lumière de la Foi la fontaine, pour augmenter leur soif. Avec cette soif et cette lumière, nous arriverons à la source; mais sans cette lumière, nous ne pourrions jamais y arriver. J’aurais bien des choses à dire sur ceux qui sont invités, mais je ne veux pas m’étendre davantage.

9. Voyons maintenant quelle autre invitation nous recevons. Nous avons dit que le Christ, le doux Jésus, nous invitait à boire l’eau vive. Mais le démon de son côté nous invite à boire celle qu’il a pour lui-même; il a en lui la mort, et il nous invite à boire une eau de mort. Si vous lui demandez: Qu’est-ce que tu me donneras, si je te sers? Il vous répondra: Ce que j’ai pour moi; je suis privé de Dieu, et tu seras privé de Dieu; je suis dans le feu éternel où sont les flammes et les grincements de dents, je suis privé de la lumière et plongé dans les ténèbres; j’ai perdu toute espérance, et j’ai pour compagnons tous ceux qui sont tourmentés et torturés dans l’enfer comme moi. Ce sont les joies et les consolations que [1345] tu auras pour ta peine. La Foi montre qu’il en est ainsi, et le fidèle ne suit jamais cette voie; ou, s’il s’y trouve, il s’en repent. Qu’il est insensé l’homme qui se prive de la lumière ! car celui qui est privé de la lumière ne connaît pas son malheur.

10. Quelle est la voie où le démon nous appelle? C’est la voie du mensonge; car il est le père du mensonge, et le mensonge produit ce misérable amour-propre avec lequel l’homme aime d’une manière déréglée les honneurs, les richesses du monde, les choses visibles, les créatures et lui-même, ne craignant pas de perdre Dieu et la beauté de son âme; mais, dans son aveuglement, il se fait un Dieu de lui-même et du monde. Et ce temps, qu’il devait employer pour l’honneur de Dieu, pour son salut et celui du prochain, il le dérobe comme un voleur, et il le dépense à son propre plaisir, se réjouissant et donnant à son corps tout le bien-être possible en dehors de la volonté de Dieu. Le livre qu’il ouvre devant nous est celui de la sensualité, où sont écrits tous les vices, avec tous les mouvements d’orgueil, d’impatience et d’infidélité à l’égard de son Créateur; l’injustice, l’indiscrétion, l’impureté, la haine envers le prochain, le goût du vice et le mépris de la vertu, la grossièreté, la calomnie à l’égard du prochain, la paresse, la confusion de l’esprit, la négligence, la somnolence, l’ingratitude et les autres défauts, tout y est écrit. Si la volonté lit ce livre et apprend ces vices en les mettant volontairement en pratique, elle est infidèle et suit la voie du mensonge que lui montre le démon; elle boit en lui l’eau morte, puisquelle est privée de la grâce en cette vie, et que [1346] dans l’autre, elle reçoit avec lui, en mourant dans le péché mortel, les supplices de la damnation éternelle.

11. Voyez donc, très chers Fils, combien est nécessaire cette lumière, qui nous fait éviter un si grand mal, et qui nous conduit à un si grand bien. En y pensant, et en voyant que sans cette lumière, vous n’accompliriez pas la volonté de Dieu, qui vous a créés pour vous donner la vie éternelle, ni la mienne, qui ne veut pas autre chose; je vous ai dit que je désirais voir en vous la lumière de la très sainte Foi. Aussi je vous en conjure, et je veux que vous soyez toujours les vrais et fidèles serviteurs de Jésus crucifié. Je veux que vous le serviez complètement et sans mesure, non pas à votre manière, mais à la mienne, ne choisissant jamais le temps et le lieu que selon son bon plaisir, ne recherchant pas la consolation, ne refusant pas les peines et les combats des démons visibles et invisibles, ni les épreuves de la chair fragile, mais embrassant la voie des peines pour l’honneur de Dieu. Suivez Jésus crucifié en mortifiant votre corps par le jeûne, les veilles, par une humble et continuelle prière. Anéantissez votre volonté dans la douce volonté de Dieu, et que votre société soit celle de ses serviteurs. Quand vous êtes réunis, ne perdez par le temps en paroles oiseuses, et ne vous tourmentez pas des actions des autres en déchirant votre prochain par des murmures et de faux jugements; Dieu seul est le souverain. Juge de nous tous. Mais montrez que vous êtes réunis au nom du Christ en vous entretenant de sa bonté, des vertus des saints et de vos défauts (Cette lettre montre que les disciples de sainte Catherine qui étaient très nombreux à Sienne, suivaient une sorte de règle que leur avait donnée celle qu’ils appelaient leur mère. ); soyez forts, constants [1348] et persévérants dans la vertu. Que ni le démon ni la créature, par des menaces ou des flatteries, ne vous fassent tourner la tête en arrière, car la persévérance seule obtient la couronne. Que celui qui est attaché au monde s’en retranche sur-le-champ; qu’il n’hésite pas à s’en détacher, car le temps peut lui manquer; celui qui ne se détache pas reste toujours lié. Le souvenir du précieux Sang et la lumière de la Foi vous feront détacher parfaitement de toutes les choses qui sont en dehors de la volonté de Dieu; vous lui serez fidèles, et aussi à moi misérable.

12. Croyez bien que si je ne vous écris pas, je vous aime en vérité :cependant, et je m’occupe avec zèle de votre salut en présence de Dieu. Je veux que vous en soyez bien persuadés. Il est vrai que par ma faute et à cause de mes nombreuses occupations, je ne vo us ai pas écrit; mais prenez courage, et aimez-vous les uns les autres. Je veux plus que jamais vous voir écrits dans le livre de vie. Baignez-vous dans le sang de l’humble Agneau. Ne cessez pas de prier pour la sainte Eglise et pour notre Saint-Père, le Pape Urbain VI, qui en a maintenant grand besoin. Demeurez dans là sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1348].

Table des matières (2)


 

CLVI (248). — A SANO DE MACO, et à ses autres fils spirituels. Lettre écrite en extase. — De la perfection et la paix de ceux qui servent Dieu par amour, et non par intérêt et par crainte servile.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des serviteurs fidèles de notre doux Sauveur. Le servir n’est pas être esclave, c’est régner. Sans la Foi on ne peut le servir en vérité, car celui qui sert ainsi n’est pas fidèle; c’est un mercenaire qui sert par intérêt ou par crainte servile. Cette manière de servir n’est pas parfaite à la lumière de la Foi; et celui qui sert ainsi n’est pas fort et persévérant, mais il flotte à tous les vents. Si c’est le vent de la consolation qui souffle, il s’y abandonne avec une grande légèreté de cœur; si c’est le vent de la tribulation, il se laisse aller à l’impatience; si c’est le vent des combats et des attaques du démon, il tremble, il tombe dans l’ennui et la tristesse, parce qu’il croit être privé de Dieu quand il se voit privé de la consolation et du sentiment de sa présence. Tout cela vient de ce qu’il aime plus le bienfait que le bienfaiteur, et qu’il sert plus par amour de lui-même que par amour de l’éternelle et souveraine [1349] Bonté. Son amour est aussi imparfait que la lumière de sa foi est imparfaite.

2. Mais celui qui aime parfaitement sert fidèlement et avec une foi vive; il croit en vérité que ce que Dieu donne et permet, il le donne pour sa sanctification; car il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Il a vu à la lumière de la très sainte Foi, que le même amour qui nous envoie de grandes consolations, permet que le démon nous tourmente et que les créatures nous persécutent. Ainsi nous voyons que Dieu est souverainement bon, et qu’il ne peut venir de lui qu’une souveraine bonté nous voyons que rien ne se fait sans Dieu, excepté le péché; et alors l’âme fidèle embrasse toute chose avec amour, parce que toute chose est bonne et donnée pour notre salut. On ne peut pas, on ne doit pas se plaindre de ce qui est bien.

3. Si vous me dites, très cher Fils, que dans le temps du combat, il vous semble que vous êtes rebelle, que vous offensez Dieu, et que vous êtes plus affligé de cela que de votre peine, je vous répondrai que la sensualité spirituelle s’afflige autant que l’autre. En paraissant craindre d’offenser Dieu, cette passion a mis un peu de poussière dans l’intelligence où est la prunelle de la très sainte Foi, et elle empêche ainsi de connaître et de discerner la vérité; car, s’il n’y avait rien devant l’oeil de l’intelligence, on connaîtrait que Dieu envoie ces combats à dessein, que les attaques du démon et les faiblesses de la chair ne sont des péchés et des offenses contre le Créateur que quand la volonté propre y consent entièrement. Mais [1350] l’âme qui est fidèle à la lumière de la très sainte Foi retire de grands avantages du temps des combats; elle affermit en s’éloignant de l’amour mercenaire, et elle aime d’un amour libre et généreux. Au moment du combat, elle se fait bonne guerre à elle-même, et par cette guerre, par cette sainte haine qu’elle a conçue, elle devient patiente comme un serviteur fidèle; elle se réjouit toujours de combattre pour Jésus crucifié, et son amour augmente en reconnaissant que sa sainte et bonne volonté ne vient pas d’elle, mais de la souveraine et éternelle Bonté, qui la lui donne par grâce et non par devoir.

4. O glorieux et fidèle service, qui délivre l’âme de la dure tyrannie du démon, du monde et de soi-même ! Elle est délivrée du démon, parce qu’elle a lié sa volonté avec les liens de la raison; elle ne consent pas à ses tentations, et ne se laisse pas troubler d’une manière déréglée par ses peines; mais elle les méprise, et se réjouit d’être ainsi sur le champ de bataille, car c’est le démon qui est lié et battu avec le bâton de la charité, avec les chaînes de la véritable humilité. L’homme devient réellement maître, et ne craint plus le démon; c’est le démon qui craint celui qui peut tout par Jésus crucifié. Je dis aussi qu’il est libre et maître du monde, parce qu’il ne se laisse pas dominer par ses délices et ses grandeurs en les aimant d’une manière déréglée; il en triomphe, au contraire, en les méprisant et s’en moquant, car il a vu et connu à la lumière de la très sainte Foi, que la richesse du monde n’est qu’une extrême pauvreté, que ses plaisirs et ses jouissances sont des misères au-dessus de toute misère; et il les a tellement en horreur [1351], qu’il les fuit comme des serpents venimeux. il n’est pas non plus le serviteur des hommes en dehors de la volonté de Dieu, car il ne veut leur obéir qu’autant qu’ils l’aident à chercher et à aimer l’éternelle Vérité.

5. Pourquoi aime-t-il et sert-il le prochain? parce qu’il a vu, à la douce lumière de la vérité, que le prochain est un moyen que Dieu lui a donné pour lui montrer son amour, et les services qu’il lui rend sont libres, car il ne sert pas le prochain en péchant. Je dis aussi qu’il est fidèle, libre et affranchi de la sensualité; il l’a foulée aux pieds de l’affection. il l’a méprisée et frappée avec le glaive de la haine et de l’amour, avec l’amour de la vertu et la haine du vice. Il est donc devenu roi et seigneur par ce doux esclavage, parce qu’il ne s’est pas cherché pour lui-même, mais pour Dieu, l’éternelle et souveraine Bonté, seule digne de notre amour; et il a servi le prochain pour Dieu, et non à cause de l’utilité qu’il y trouve. Qui pourrait raconter la paix de l’âme fidèle? Je ne dis pas qu’elle se trouve au milieu de la paix, qu’elle est à l’abri des flots et des tempêtes de la mer; mais sa volonté est dans la paix, parce qu’elle ne fait qu’une seule chose avec la douce volonté de Dieu. Et alors la tempête même est le repos, car elle ne s’inquiète pas d’elle; mais elle sert son Créateur, qu’il veuille la guerre ou qu’il veuille la paix. Elle n’aime pas plus la guerre que la paix, et la paix que la guerre, parce qu’à la lumière de la Foi, elle voit et connaît par son intelligence que l’une et l’autre procèdent du même amour. Celui qui agit ainsi ne se scandalise pas au sujet du prochain, parce qu’il ne s’arrête pas à la [1352] volonté de l’homme, mais seulement à la volonté de Dieu; et alors il évite tout murmure.

6. Je ne crois pas que vous soyez parfaits sous ce rapport- Bien souvent, au contraire, sous l’apparence du bien et de la compassion, vous murmurez et vous vous jugez les uns les autres. Et cela ne se fait pas sans offenser Dieu; vous lui déplaisez et vous m’affligez beaucoup. Ce n’est pas la doctrine que vous avez reçue: vous devez vous aimer mutuellement, supportant vos défauts les uns les autres. Personne n’est sans défaut; il n’y a que Dieu qui n’ait pas de défaut. Tout cela vous arrive parce que vous n’êtes pas encore des serviteurs fidèles. Si vous étiez des serviteurs fidèles, on ne verrait parmi vous ni moqueries, ni murmures, ni scandales, ni désobéissance, par plaisanterie ou par colère. J’ai vu votre imperfection, qui vient de ce que la lumière de la très sainte Foi n’est pas parfaite en vous, et je vous ai dit que je désirais vous voir des serviteurs fidèles. En servant ainsi, vous régnerez en cette vie par la grâce; vous triompherez du monde, de la chair et du démon, et vous serez vraiment libres dans les liens de la charité. Vous serez humbles, doux et patients, vous régnerez enfin avec les bienheureux dans la vie éternelle, où l’âme est récompensée de toute fatigue, où la satiété est sans dégoût, et la faim sans peine; car la peine est alors séparée de la faim, et le dégoût de la satiété.

7. Courez donc, mes Fils bien-aimés, vers le but et qu’un seul l’atteigne : c’est-à-dire, que votre cœur ne soit pas divisé, mais qu’il ne fasse qu’un avec le prochain par l’amour; et pour que vous puissiez mieux [1353]courir, désaltérez-vous, enivrez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Ce sang invite l’homme à courir et l’anime à combattre, sans fuir la peine, sans tourner la tête en arrière par peur de l’ennemi, parce qu’il ne se confie pas en lui, mais dans le sang de Jésus crucifié. Ne dormez donc plus, mais courez au sang de Jésus crucifié, et secouez le sommeil de la négligence. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. 

Table des matières (2)


 

CCLVII (249). — A BENINCASA, FILS DE JACOMO, son frère selon la chair (Benincasa était le frère aîné de sainte Catherine). — De la force et de la patience dans les tribulations.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir plongé et anéanti dans ce sang, qui vous rendra fort pour supporter avec une vraie patience toute fatigue, toute tribulation, de quelque côté qu’elles viennent. Il vous rendra persévérant pour souffrir jusqu'à la mort avec une humilité sincère. Par ce sang, l’oeil de votre intelligence sera illuminé de la vérité, et vous verrez que Dieu ne [1354] veut autre chose que notre sanctification, car il nous aime d’un amour ineffable; et s’il ne nous avait pas tant aimés, il n’aurait pas ‘payé pour nous un si grand prix. Soyez donc, soyez content en tout temps et en tout lieu, car tout nous est accordé par l’éternel Amour. Réjouissez-vous par amour dans les tribulations, reconnaissez-vous indigne que Dieu vous conduise par la voie de son Fils, et en toute chose rendez gloire et louange à son nom. Courage dans le Christ, le doux Jésus, Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCLVIII (250). — A BENINCASA, son frère, lorsqu’il était à Florence. — De la patience et de ses devoirs envers sa mère.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante inutile, je t’encourage, je te bénis et je t’invite à une douce et sainte patience, car sans la patience nous ne pouvons plaire à Dieu. Je vous prie donc, pour recevoir le fruit de vos tribulations, de prendre les armes de la patience; et s’il vous paraît bien dur de supporter tant de peine, rappelez-vous trois choses qui vous aideront être plus patient. Premièrement, je veux que vous pensiez à la [1355] brièveté du temps; vous n’êtes pas sûr du lendemain. Nous pouvons bien dire que nous ne souffrons pas de la peine passée et de la peine à venir, nous n’endurons que le moment présent, et nous devons le supporter avec patience; il est si court. Secondement, vous devez considérer le fruit qui récompense les fatigues. Saint Paul dit qu’il n’y a aucune proportion entre ces fatigues et le fruit, la récompense de la gloire éternelle. Troisièmement, considérez le malheur qui arrive à ceux qui souffrent avec colère et impatience; le malheur ici-bas est suivi de la perte éternelle de l’âme.

2. Je vous prie donc, très cher Frère, de supporter tout avec patience, et je ne voudrais pas aussi que vous oubliiez de vous corriger de votre ingratitude et de votre ignorance, au sujet de ce que vous devez à votre mère; vous y êtes obligé par les commandements de Dieu, et j’ai vu augmenter tellement votre ingratitude, que vous lui avez refusé le secours que vous lui deviez. Admettons pour vous excuser que vous ne l’avez pas pu; mais si vous l’aviez pu, je ne sais si vous l’auriez fait, car vous ne lui avez pas même donné une bonne parole. O ingratitude ! vous n’avez pas considéré les douleurs de son enfantement, et ce lait qu’elle a tiré de son sein, et les fatigues qu’elle s’est données pour vous et pour les autres, Et si vous me dites qu’elle n’a pas eu pitié de vous, je vous répondrai que ce n’est pas vrai, car elle a eu soin de vous et de l’autre, qui lui coûte bien cher. Mais supposons que cela soit vrai : vous êtes obligé envers elle, elle ne l’est pas envers vous; elle n’a pas pris votre chair, et elle vous a donné la [1356] sienne. Je vous conjure de vous corriger de ce défaut et des autres. Pardonnez à mon ignorance; si je ne vous aimais pas, je ne vous dirais pas ce que je vous dis. Rappelez-vous la confession pour vous et votre famille. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCLIX (551). — A BENINCASA, son frère, à Florence.- De la soumission à la volonté de Dieu, et de l’exemple de Job.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et bien-aimé Frère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir transformé et uni à la volonté de Dieu, sachant que c’est là le saint et doux joug qui Change toute amertume en douceur. Tout fardeau devient léger sous ce très saint joug de la douce volonté de Dieu; vous ne pourriez lui être agréable autrement, et vous auriez un avant-goût de l’enfer. Courage, courage donc, très cher Frère, et ne vous laissez pas abattre par l’épreuve que Dieu vous envoie. Pensez que quand le secours des hommes nous manque, celui de Dieu est prêt; Dieu pourvoira à tout. Songez que Job avait perdu ses biens, ses enfants, sa santé; il ne lui restait que sa femme pour le tourmenter davantage [1357] ; mais lorsque Dieu eût éprouvé sa patience, il lui rendit le double de ce qu’il avait, et lui donna aussi la vie éternelle. Le patient Job ne se troublait jamais, mais il montrait toujours sa vertu en disant : " Dieu me l’avait donné, Dieu me l’a ôté; que son saint nom soit béni (Jb 1,21). "Je veux que vous fassiez de même, très cher Frère.; je veux que vous aimiez la vertu avec une sainte patience, que vous vous confessiez souvent, afin de supporter plus facilement vos peines; et je vous dis que Dieu usera de bonté et de miséricorde à votre égard, et vous récompensera des peines que vous aurez supportées pour son amour. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour.

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CCLX (252).- A SES TROIS FRERES, à Florence.- De l’amour du Rédempteur qui est mort pour nous.- Du mépris du monde, et de l’union de la charité.

(Les trois frères de sainte Catherine, Benincasa, Barthèlemi et Etienne allèrent se fixer à Florence en 1378. On trouve leurs noms sur les rôles des quartiers de SantaCroce et de San-Spirito, Il est à croire que Benincasa éprouva des pertes considérables, et que Nicolas Soderini vint à son secours. (Voir la lettre CLXI.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chers Frères dans le Christ, le doux Jésus, souvenez-vous de l’amour infini qu’a eu notre doux [1358] Sauveur en se livrant à la mort pour nous donner la vie de la grâce. Notre doux Sauveur n’avait pas d’autre but; il voyait que nous étions sortis de l’ordre de la charité; et pour nous rendre cette union de la charité, il a voulu s’unir à la mort la plus honteuse qu’il pouvait choisir. Hélas ! notre Sauveur nous voyait malades de cet amour déréglé que nous avons en nous-mêmes pour les choses passagères qui passent comme le vent, qui nous abandonnent ou que nous abandonnons.

2. Aussi je vous prie, moi, Catherine, l’indigne, l’humble servante, de vouloir bien mettre votre espérance en Dieu, et de ne pas vous fier à cette vie mortelle, qui disparaît si vite. Je vous en conjure comme des esclaves rachetés mettez avec ardeur tous vos désirs, toute votre affection en Notre-Seigneur, qui vous a rachetés. Dites comme saint Pierre : " Il ne nous a pas rachetés avec de l’or et de l’argent, mais avec son très doux et précieux sang (P 1,18). " Aussi je vous conjure, très chers Frères, de bien en apprécier la valeur, c’est-à-dire de l’aimer; et pour montrer que vous l’aimez, d’aimer toujours et d’observer les commandements de Dieu. Je vous prie surtout, et je vous presse de la part de Jésus crucifié, d’observer le premier et dernier commandement de Dieu, c’est-à-dire la charité et l’union avec Dieu. Je veux vous voir passionnés pour cette sainte charité ; je veux vous voir unis et liés par ce doux lien, afin que le démon ni personne ne puissent vous en séparer. Rappelez-vous cette parole que disait Jésus-Christ : [1359] " Celui qui s’humilie sera élevé. " Toi, Benincasa, qui es le plus grand, il faut vouloir être le dernier de tous; toi, Bartolomeo, il faut te mettre au-dessous du plus petit; et toi, Stephano, je t’en prie, sois soumis à Dieu et à tes frères, et vous vivrez ainsi doucement dans la parfaite charité. Je ne vous en écris pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour[1360].

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CCLXI (253).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI .- De la force et de la persévérance dans les combats. — De la charité et de ses effets.

(Etienne de Corrado Maconi fut un des plus aimés disciples de sainte Catherine. Il était d’une famille consulaire de Sienne, et sa jeunesse se passa au milieu des haines sanglantes qui divisaient les nobles au moyen âge. Réconcilié et converti par notre sainte. il devint son disciple et le compagnon de presque tous ses voyages, comme il le raconte dans sa lettre écrite à l’occasion du procès de Venise. Après la mort de sainte Catherine, il prit l’habit des chartreux, remplit les premières charges de l’Ordre, et mourut en odeur de sainteté en 1424. On lui donna le titre de bienheureux. Sa vie a été écrite par le chartreux dom Barthélemi Scala.)

 

AU N0M DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec [1363] le désir de te voir fort et persévérant dans le combat, afin de recevoir la couronne de gloire. Tu sais bien que la persévérance seule obtient la couronne et la récompense des peines.

2. Mais tu me diras : Comment puis-je avoir cette force, puisque je suis si faible, que la moindre chose me fait tomber par terre? Je te réponds, et je reconnais que tu es faible et débile selon la sensualité. mais non selon la raison et la force de l’esprit, parce que nous sommes fortifiés par le sang de Jésus-Christ toute notre faiblesse est dans la sensualité. Nous pouvons donc voir comment s’acquiert cette force, puisque la faiblesse est dans la partie sensitive. Je dis que c’est de cette manière que nous acquérons cette glorieuse vertu de la force et de la persévérance; et puisque la raison est fortifiée dans le sang du Christ, nous devons nous plonger dans ce doux et glorieux sang qui nous a rachetés; nous devons le voir avec l’oeil de l’intelligence et la lumière de la très sainte Foi dans le vase de notre âme, reconnaissant que notre être vient de Dieu, et que Dieu nous a fait renaître â la grâce dans le sang de son Fils unique, qui nous a. délivrés de notre faiblesse. O mon Fils bien-aimé ! regarde, et réjouis-toi; tu as été fait comme un vase pour contenir le sang de Jésus crucifié, si tu veux le goûter par l’amour.

3. O Sang secourable, qui répands les trésors de la miséricorde Sang glorieux, où l’homme ignorant peut connaître et voir la vérité du Père, dont l’amour ineffable nous a créés à son image et ressemblance ! Et pourquoi? pour que nous participions au souverain Bien, et que nous jouissions du bonheur qu’il [1364] goûte en lui-même. Ce précieux Sang nous a montré cette vérité, et l’homme n’a pas été créé pour une autre fin.

4. O sang ! tu dissipes les ténèbres et tu donnes la lumière à l’homme, afin qu’il connaisse la vérité et la sainte volonté du Père. Tu remplis l’âme de la grâce, qui lui donne la vie et la délivre de la mort éternelle. Tu rassasies l’âme affamée de l’honneur de Dieu et du salut des âmes; tu lui fais souffrir, aimer et désirer les opprobres pour l’amour de Jésus crucifié; tu brûles et tu consumes l’âme dans le feu de la divine charité, c’est-à-dire que tu consumes tout ce que tu trouves dans l’âme en dehors de la volonté de Dieu, mais tu l’empêches d’être affligée et desséchée par le péché mortel. O doux Sang I . tu la dépouilles de l’amour-propre sensitif, de cet amour qui affaiblit l’âme qui en est revêtue, et tu la revêts du feu de la divine charité; elle ne peut te goûter, Ô Sang, si tu ne la revêts de ce feu, car tu as été répandu par le feu de l’amour pour inonder l’âme. L’amour n’est jamais sans force, ni la force sans persévérance: aussi tu fortifies, tu encourages dans toutes sortes d’adversités. Tu vois donc bien, très doux Fils, que c’est là le moyen d’arriver à la force parfaite et de t’unir au feu de la divine charité, que tu trouveras dans le Sang. Ce Sans consume et détruit toute volonté propre. Lorsque tu seras uni à la force suprême, tu seras fort et persévérant; tu pourras tuer la faiblesse de la sensualité propre, et tu goûteras dans l’amertume la douceur, et dans la guerre la paix.

5. Courage, mon Fils, et ne faiblis pas sous la [1365] charge que Dieu t’impose, jusqu’à ce que ton heure soit venue. Pense que c’est toujours à creuser les fondements qu’on a le plus de peine; une fois les fondements établis, l’édifice se construit facilement. Tu les commences maintenant, mais dès que tu les auras achevés, tout te deviendra facile. Que rien ne te paraisse dur, car tout s’adoucit par le souvenir du précieux Sang. Supporte donc, supporte tout. Je te dis seulement de faire ce que le Saint-Esprit te fait faire. J’ai bien de la peine à ne pas te dire une parole du Christ (Cette parole est sans doute celle que Notre-Seigneur dit à jeune homme dans l"Evangile de S. Luc, XVIII : " Allez, vendez ce que vous avez, et suivez-moi. " Sainte Catherine la lui dit en mourant. Elle ordonna au B. Maconi de se faire chartreux, et il obéit.), mais j’espère te la dire en temps et lieu; et tu t’empresseras alors d’approvisionner ton âme, et de remplir du précieux Sang le vase de ton cœur. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCLXII (254).- AU MEME ETIENNE DE CORRADO MACONI, pauvre de toute vertu, lorsqu’elle était à Florence. — Elle l’exhorte à souffrir avec une sainte patience.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de [1366] Jésus-Christ, je t’écris dans son, précieux sang, avec le désir de te voir souffrir avec une vraie et sainte patience, afin que tu creuses ce solide fondement que doivent avoir les vrais serviteurs de Dieu. Car dès qu’ils sont décidés à servir Dieu, ils sont décidés aussi à souffrir jusqu’à la mort pour la gloire et la louange de son nom. Ils s’éloigneraient autrement de la voie, et ne suivraient pas la doctrine de la douce Vérité. O très cher Fils, combien il te sera doux de te voir arrivé au terme tant désiré ! Que l’espérance te fasse souffrir sans ennui et sans trouble, mais avec une respectueuse résignation, avec une foi vive, croyant fermement que, quand Dieu verra que tu souffres pour son honneur et pour ton salut, sa bonté te donnera une autre vie.

2. Remplis avec respect tes devoirs envers ton père et ta mère, honore Dieu et travaille pour eux. C’est maintenant que s’acquièrent les vertus; et, afin de mieux souffrir, baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié; c’est là qu’il faut noyer et détruire ta volonté. Je ne t’en dis pas ici davantage. Je te prie, si tu le peux sans scandale et si la voie est sûre, d’aller jusqu’à… Donne-lui cette lettre, aide-le aussi bien que tu le sauras et le pourras, dirige-le, etc. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1367].

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CCLXIII.- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- De la cité de l’âme, qui a trois portos, la mémoire, l’intelligence et la volonté.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir bien garder la cité de ton âme. O très cher Fils ! cette cité a bien des portes. Les trois principales sont la mémoire, l’intelligence et la volonté. Notre Créateur permet que toutes ces portes soient attaquées, et quelquefois ouvertes de force, excepté une seule, qui est la volonté. Il arrive souvent que l’intelligence ne voit que ténèbres; la mémoire est remplie de choses frivoles et passagères, de pensées confuses et déshonnêtes; et aussi tous les mouvements du corps sont déréglés et portés au mal; il est évident qu’aucune de ces portes n’est vraiment en notre pouvoir. Nous ne sommes maîtres que de la seule porte de la volonté, que garde le libre arbitre; et cette porte est si solides que ni les démons ni les créatures ne peuvent l’ouvrir, si celui qui la garde n’y consent pas et n’ouvre pas la porte à ce que la mémoire, l’intelligence et les autres portes ont laissé pénétrer. Notre cité sera ainsi toujours franche. Reconnaissons donc, mon Fils, reconnaissons un si grand bienfait, une si grande charité, que nous avons [1368] reçue de la Bonté divine, en nous assurant la libre possession de cette noble cité.

2. Appliquons-nous à faire bonne et fidèle garde; mettons à côté du libre arbitre le chien de la conscience lorsque quelqu’un viendra à la porte, il réveillera la raison en aboyant, pour qu’elle reconnaisse si c’est un ami ou un ennemi ; et alors la garde fera entrer les amis, en accomplissant les saintes et bonnes inspirations; elle chassera les ennemis, en fermant la porte de la volonté et en ne consentant pas aux pensées mauvaises qui se présentent tous les jours; et quand le Maître te demandera la ville, tu pourras la lui rendre libre et ornée des vraies et solides vertus obtenues par sa grâce. Je ne t’en dis pas davantage. Comme Je l’ai écrit, le premier jour de ce mois, dans ma lettre adressée à tous mes fils, nous sommes arrivés en paix et heureusement, le premier dimanche de l’Avent (Cette lettre est sans doute écrite de Rome, où sainte Catherine arriva le 28 novembre 1378. La lettre dont elle parle est peut-être la CCLVI, adressée à Sano de Maco). Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1369].

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CCLXIV (256).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- De la connaissance de Dieu et de soi-même.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir hors des mains de tes ennemis. Il me semble, si je ne suis pas dans l’erreur, que la divine Bonté fait déjà apparaître l’aurore, et j’espère que bientôt viendra le jour, et que le soleil paraîtra. D’après ce que tu m’as écrit, tu as été fait prisonnier, non pendant la nuit, mais pendant le jour; puis, grâce à la clémence du Saint-Esprit, l’aurore s’est levée dans le cœur de ces démons incarnés, et tu as été délivré (La lettre de sainte Catherine à Sano de Maco (CCLIV) et à ses autres fils, parle d’un ami fait prisonnier, après la conclusion de la paix à Florence. Cet ami doit être Etienne Maconi. Burlamachi n’a pas remarqué le rapport qu’il y a entre ces deux lettres.). Pense, très doux Fils, que pendant que tu resteras dans la nuit de la vraie connaissance de toi-même, tu ne seras jamais captif; mais si la volonté propre voulait passer au jour de l’amour sensitif, ou si l’âme voulait jouir du jour de la connaissance de Dieu avant d’avoir été dans la nuit de la connaissance de soi-même, elle serait prise par ses ennemis. Il n’est pas douteux que si l’âme ne se [1370] tient pas avec un ardent désir dans la connaissance de soi-même et de la bonté de Dieu à son égard, elle se trouvera bientôt enchaînée par les ennemis de Dieu. aussitôt l’ennemi de la présomption viendra avec les liens de l’orgueil, avec les passions, les délices, les honneurs du monde; le démon et la chair te feront prisonnier. Je veux donc que tu te reposes le jour et la nuit dans la connaissance de toi-même en Dieu, et de Dieu en toi.

2. Alors tu trouveras que, quand même tes ennemis t’enchaîneraient et obscurciraient de pensées confuses ton cœur, l’aurore paraîtrait cependant; il te serait dit intérieurement, et tu dirais toi-même: Reste en paix et repose-toi sur la table de la Croix. ou tu trouveras la paix et le repos, au milieu même des tempêtes. Quelle paix n’avez-vous pas goûtée lorsque vous étiez des agneaux au milieu des loups, et qu’ils vous dirent: Allez en paix ! Vous étiez encore en guerre, et vous avez goûté la paix quand vous les avez entendus. Songe qu’il en sera ainsi de ton âme, assaillie par des pensées tumultueuses. Si elle se conforme à la volonté de Dieu, en voyant que son amour les envoie pour rendre plus parfaite sa sollicitude, et plus sincère son humilité, elle y trouvera la paix, même lorsqu’elle sera encore dans le temps de la guerre.

3. Maintenant, puisque le doux Epoux éternel vous a délivré miraculeusement et vous a tiré de leurs mains, mon âme désire et lui demande qu’il vous délivre de vos autres ennemis, qui sont plus grands et plus cruels que les autres : ceux-là étaient les ennemis du corps, mais ceux-ci sont les ennemis de [1371] l’âme. Car il est bien vrai que les serviteurs de l’homme selon le monde, sont nos ennemis, surtout ceux qui nous approchent le plus; et qui ne pensent qu’à leur intérêt. Quand tu seras délivré de leur captivité, alors le soleil se lèvera; maintenant tu n’es qu’à l’aurore, et tu ne peux pas encore bien discerner et goûter la vertu, parce que tu n’es pas arrivé à la grande lumière du soleil, où tu seras libre de tes ennemis. Mais je veux, très cher Fils, que tu prennes courage dans le temps de l’aurore, parce que viendra bientôt le temps du soleil, ou nous entendrons cette douce parole: " Laisse les morts ensevelir les morts, et suis-moi (Mt 8,22.- Sainte Catherine annonce ainsi ce qu’Etienne Maconi devait faire après sa mort.). " Je ne t’en dis pas davantage sur ce sujet. Plonge-toi dans le sang de Jésus crucifié, afin que les ennemis ne te trouvent plus. Il ne faut pas dormir dans le lit de la négligence, de peur qu’ils ne reviennent sur-le-champ et qu’ils ne te lient davantage. Je te réponds, au sujet de la messe, que vous avez bien fait de ne pas y aller. Quant à vous être faits les familiers de messire Jacomo, si je l’avais su, vous ne l’auriez pas fait, mais vous vous seriez humiliés et vous auriez obéi, attendant avec patience le moment de la paix. Maintenant je te dirai que, s’il lui semble que vous pouvez y aller en toute sûreté de conscience, vous le pouvez; autrement, non (Sainte Catherine répond ici aux questions d’Etienne Maconi sur l’observation de l’interdit. La paix était conclue. mais elle n’était pas encore ratifiée par Urbain VI, et l’interdit n’était pas levé. Messire Jacomo était un dignitaire qui avait le privilège de faire célébrer la messe pour lui et sa maison.) [1372] . J’ignore si sa dignité doit avoir des privilèges si étendus, et si on doit comprendre seulement par ses familiers tous ceux qui sont à son service. Peut-on prendre le titre de familiers quand on ne l’est pas et qu’on ne peut pas l’être? Sa dignité permet-elle de le faire, et vous en a-t-on donné l’assurance?

4. Quant à ton voyage, il n’est pas nécessaire pour l’affaire en question; je ne te demande donc pas de venir. J’aurais été très heureuse si tu étais venu, et je le serais encore si tu pouvais venir, mais sans scandale. Il ne faut pas irriter et troubler ton père et ta mère tant que ce ne sera pas nécessaire. Je veux que tu l’évites maintenant autant que tu le pourras, et je suis persuadée que si la Bonté divine voit que c’est le meilleur, elle fera cesser le scandale, et tu pourras venir en paix. Viens donc si tu peux. Si ma mère Lapa vient à Sienne, je te la recommande. Réponds à Pietro au sujet de l’argent qu’il m’envoie, en ne parlant pas du prix du cheval. Je n’en ai rien eu, et il n’en a jamais été question. Seulement, le jour ou j’ai reçu ces lettres, Mino de Simone est venu et m’a demandé si j’avais reçu cet argent. Je lui ai répondu que non. C’était la vérité, et je n’en avais pas entendu parler. Il me dit qu’il irait trouver Andrea, et qu’il lui dirait : S’il le demande, j’enverrai ce que je dois donner. S’il veut le donner, qu’il le donne à Nanni. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Encourage Pietro et mes autres fils. Dis au Prieur qu’il fera de soeur Lapa ce qu’il jugera convenable (Lapa, la mère de sainte Catherine. avait revêtu l’habit des tertiaires de Saint-Dominique, en 1378.), et qu’il lui fasse connaître sa [1373] volonté. Je ne lui écris pas, ni à Pierre, parce que je n’ai pas le temps; je suis trop occupée. Barduccio, ton négligent frère, dit qu’il faut que tu viennes pour une chose qu’il doit faire, et qu’il voudrait bien ta présence; il lui paraît difficile de la faire si tu n’es pas avec lui; si bien que, si tu ne viens pas, il ira te trouver avant de la faire. Il se recommande à tes prières et à celles des autres; il en a grand besoin, car il sera maintenant toujours éprouvé. Lisa aussi demande que tu pries pour elle, toi et les autres. Doux Jésus, Jésus amour. Baptiste te répond que ce que vous lui mandez sera bien fait... Et ce sera une bonne plante nouvelle dans le corps mystique de la sainte Eglise. J’ajouterai que je voudrais qu’il fût ou comme messire Thomas, ou comme messire Martin; car ils sont bons, vertueux et parfaits en toute chose. Tu enverras demander à la comtesse mon livre (C’était le livre du Dialogue, qu’elle avait dicté à ses disciples avant son voyage de Rome.); je l’ai attendu tous les jours, et il ne vient pas. Si tu y vas, dis bien de me l’envoyer au plus tôt et fais en sorte que celui qui ira ne l’oublie pas [1374].

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CCLXV (257).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- Du mépris du monde et de soi-même.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir mourir pour l’honneur de Dieu, de cette mort qui donne la vie à l’homme: c’est-à-dire que, pour l’honneur de Dieu, tu ne t’inquiètes plus de toi-même, mais que je te voie courir généreusement là où tu pourras mieux accomplir sa sainte volonté, Il est temps, mon doux Fils, de se perdre soi-même et de tout négliger pour rendre honneur à Dieu par tous les moyens. Je n’en dis pas davantage maintenant. Je te prie et je te commande de la part de Jésus crucifié, si le Prieur, ou d’autres pour lui, te demandent un service, de leur obéir comme à moi-même, voyant ma volonté dans tout ce qu’ils te demanderont. Qu’il en soit de même pour Thomas (Le B. Raymond de Capoue était alors prieur de la Minerve. Il allait en France pour les intérêts d’Urbain VI).

2. Efforce-toi de quitter réellement le monde, afin d’observer en vérité les commandements et les conseils de Jésus crucifié. Tous ceux qui sont ici vous saluent et vous demandent de prier pour eux. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu [1375]. Oblige de nouveau tous mes fils à prier tous les jours spécialement pour la sainte Eglise et pour le Pape Urbain VI. Il vient encore d’accorder cent jours d’indulgences à tous ceux qui prient pour la sainte Eglise (Voir la lettre C). Doux Jésus, Jésus amour.

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CCLXVI (258). — A ETIENNE DE CORRADO MACONI, son ignorant et très ingrat fils. — Il faut préférer les tribulations aux consolations spirituelles.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir sortir de l’enfance, et être un homme courageux, te détachant du lait des consolations mentales et actuelles pour manger le pain dur et moisi des tribulations spirituelles et temporelles, pour souffrir les combats du Démon, les injures des créatures, de quelque manière que Dieu veuille te les envoyer, té réjouissant alors, les désirant même, et remerciant doucement la Bonté divine quand il lui plaît de te faire de si grands présents, ce qui arrivera toujours lorsqu’il te verra bien disposé. Que ton cœur, mon Fils, ne soit plus tiède; plonge-le dans le précieux Sang, afin qu’il brûle dans la fournaise [1376] de la divine charité. Qu’il aie en horreur les œuvres de l’enfance, et qu’il s’enflamme d’ardeur pour courir sur le champ de bataille et y faire de grandes choses en combattant généreusement pour Jésus crucifié. Saint Paul dit que celui qui n’aura pas bien combattu ne sera pas couronné. Ne faut-il pas plaindre celui qui fuit même le champ de bataille? Je ne t’en dis pas davantage ici.

2. J’ai reçu ta lettre, et je l’ai lue avec plaisir. Quant au projet, je te répondrai que tes dispositions me plaisent beaucoup. J’admire les ingénieux moyens que notre Dieu prend A l’égard de ses créatures pour les conduire à la fin pour laquelle nous sommes créés. Quand il ne réussit pas par les médecins agréables et la douceur des consolations, il nous envoie la tribulation: il brûle la plaie avec le feu pour qu’elle ne se corrompe pas. Je m’occuperai bien volontiers de cette affaire pour l’amour de Dieu et de ton salut, après les saints jours de fête.

3. Les indulgences que tu désires, je tâcherai de les joindre aux premières que je demanderai; je ne sais quand, parce que j’importune les écrivains de la cour; il faut patienter un peu. J’écris une lettre à Mathieu; en la lui donnant, encourage-le, et va le voir quelquefois pour soutenir et exciter son zèle dans l’entreprise commencée. J’ai appris l’infirmité que Dieu lui a envoyée, parce qu’il en avait besoin. Je te prie et te conjure de faire tout ton possible avec tes frères pour obtenir le secours de la Compagnie de la Vierge Marie. Il faut aussi avoir grande compassion de Catherine, qui est seule, pauvre et sans ressources Sois charitable à son égard. Je n’écris pas [1377] encore à Pietro. Faites en sorte que je ne m’aperçoive pas de vos négligences. Je termine. Demeure dans sa sainte et douce dilection de Dieu. Toute la famille te salue dans le Christ, et le secrétaire ingrat se recommande à toi (Néri ou Barduccio, ses secrétaires les plus ordinaires.). Doux Jésus, Jésus amour.

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CCLXVII (259).- A ETIENNE DE CORRADO MACCONI.- De la lumière qu’il faut avoir pour connaître la vérité.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir sortir des ténèbres pour te diriger vers la lumière, sans tarder davantage; car le temps fuit, et nous ne nous en apercevons pas dans notre aveuglement; il faut écarter le nuage, et contempler la vérité. La vérité est que Dieu ne veut et ne cherche autre chose que notre sanctification; c’est pour cela qu’il nous a créés à son image et ressemblance, et que le doux et tendre Verbe a voulu donner oea vie avec tant d’amour; il nous a manifesté ainsi sa vérité. L’âme qui la regarde à la lumière ne reste plus à dormir, mais elle secoue le sommeil et cherche avec un grand zèle la manière, la voie, le temps pour [1378] l’accomplir; et elle ne compte pas pour le faire sur le lendemain, parce qu’elle n’est pas sûre de l’avoir. Je veux que tu agisses ainsi; chasse de toi les ténèbres qui pourraient te priver de cette lumière. Apprends que Dieu te l’a montrée pour que tu sortes des ténèbres; car il t’a choisi pour connaître cette vérité; tu serais vraiment trop coupable si tu résistais: et tu résisterais si, par négligence, tu voulais dénouer au lieu de trancher. Il veut que tu tranches. puisqu’il t’a fait la grâce de terminer tes affaires, ce qui m’a causé une grande joie. Maintenant, mon Fils, presse-toi comme ceux qui sont à court de temps, et termine ce qui te reste à ‘faire, afin d’accomplir la volonté de Dieu en toi. Je ne t’en dis pas davantage. Recommande à Pietro de n’être pas négligent à se débarrasser de lui-même pour être libre et courir dans la voie de Jésus crucifié. Pour l’affaire de messire...- Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. 

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CCLXVIII (260).- A ETIENNE DE CORRADO MACCONI, pauvre de toute vertu.- Il ne faut pas résister à la voix de Dieu.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi. Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux Sang, avec [1379] le désir de te voir éclairé d’une si grande lumière et connaissance, que tu comprennes qu’il faut trancher et non pas dénouer; car celui qui ne tranche pas reste lié, et celui qui ne fuit pas reste toujours prisonnier. Ne résiste plus à l’Esprit-Saint qui t’appelle; il te serait dur de lutter contre lui. Ne te laisse pas engourdir par la tiédeur dans un amour lâche et dans une compassion de femme, qui prend souvent l’apparence de la vertu; mais sois comme un homme fort, qui combat généreusement sur le champ de bataille. Fixe le regard de ton intelligence sur ce sang répandu avec tant d’amour, et tu seras libre et plein d’ardeur pour le combat. Réponds, Fils négligent; ouvre la porte de ton cœur, car c’est une honte que Dieu se tienne à la porte de ton âme, et que tu ne lui ouvres pas. Ne sois donc pas mercenaire, mais fidèle. Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, où tu trouveras le glaive de la haine et de l’amour pour trancher tous les liens qui te retiennent en dehors de la volonté de Dieu, et qui t’arrêtent dans la perfection. Tu trouveras aussi la lumière dont tu as besoin pour voir où il est nécessaire de trancher. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1381].

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CCXIX (261).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI.- Combien on doit éviter la tiédeur qui vient de l’ingratitude.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir sortir de la tiédeur, afin que tu ne sois pas vomi de la bouche de Dieu, et que tu n’entendes pas ce reproche : Malheur à vous qui êtes tièdes, il vaudrait mieux que vous fussiez glacés. Cette tiédeur vient de l’ingratitude, et l’ingratitude vient du peu de lumière, qui ne laisse pas voir l’ardent amour de Jésus crucifié, et les bienfaits infinis que nous en avons reçus ; car si nous les avions vus en vérité, notre cœur s’enflammerait d’amour, et nous serions avides de temps pour l’employer avec zèle à l’honneur de Dieu et au salut des âmes. Je t’y invite, très cher Fils, car voici une occasion nouvelle de travailler.

2. Je t’envoie une lettre que j’écris aux Seigneurs, et une autre à la Compagnie de la Vierge Marie. Tu les liras, et tu en feras ton profit; tu les remettras ensuite, et tu parleras à chacun selon l’occasion, d’après le contenu de ces lettres, conjurant tout le monde, de la part de Jésus crucifié et de la mienne, de travailler de tout leur pouvoir avec les Seigneurs et [1381] avec ceux que la chose regarde, à faire ce qu’il faut faire pour la sainte Eglise et le Vicaire du Christ, le Pape Urbain VI. Quant à moi, je regrette qu’il faille tout ce tourment lorsqu’il s’agit de l’honneur de Dieu et de l’intérêt spirituel et temporel de la ville. Tâche de n’être pas tiède, mais ardent à exciter les frères et les chefs de la Compagnie, pour qu’ils fassent tout leur possible au sujet de ce que j’écris. En étant ce que vous devez être, vous enflammerez toute l’Italie; ce n’est pas si difficile. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection :de Dieu. Courage... Tous les frères et sœurs te saluent dans le Christ, et t’attendent. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCLXX (262).- A ETIENNE DE CORRADO MACONI, son très indigne et ingrat fils, lorsqu’elle était à Rome.- Du renoncement au monde, et des moyens d’y parvenir.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir trancher et non pas dénouer; car dénouer prend du temps, et tu n’es pas sûr d’en avoir, le temps passe si vite; il vaut donc mieux trancher avec un véritable et saint zèle. Oh ! que mon [1382] âme sera heureuse quand je te verrai ainsi séparé réellement et spirituellement du monde et de l’amour de toi-même, et uni à la vie éternelle. Cette union est si bonne et si douce, qu’elle détruit toute amertume, et qu’elle rend tous les fardeaux légers. Qui ne voudrait donc prendre le glaive de la haine et de l’amour pour se séparer de soi-même, avec la main du libre arbitre; et la vertu de ce glaive est si grande, qu’aussitôt qu’il a tranché; il unit. Mais tu me diras, très cher Fils : Où trouver et préparer ce glaive? Je te répondrai : Tu le trouveras dans la cellule de la connaissance de toi-même, où tu concevras la haine du vice et de la faiblesse, et l’amour de ton Créateur et de ton prochain avec les vraies et solides vertus. où est-il préparé? dans le feu de la divine charité, en prenant pour enclume le corps du doux et tendre Verbe, du Fils de Dieu. Qu’ils sont ignorants et coupables, ceux qui ont de telles armes pour se défendre, et qui les jettent loin d’eux,

2. Non, je ne veux pas que tu sois de ces ignorants, mais je veux que tu te décides généreusement, et que tu répondes à Marie qui t’appelle avec tant d’amour. Le sang des glorieux martyrs qui sont morts ici à Rome (Sainte Catherine vénérait sans cesse le sang des martyrs qui a baigné la terre de Rome. Cornélius à Lapide. dans son commentaire sur Is 26, dit: Sancta Catharina Senensis, obiens Romae stationes, aiebat : Ego calco sanguinem martyrum.) avec tant d’ardeur, et qui ont donné leur vie par amour de la Vie, ce sang bout encore pour vous inviter, toi et les autres, à venir souffrir pour la gloire et l’honneur du nom de Dieu [1383] et de la sainte Eglise, à venir pratiquer la vertu sur cette sainte terre où Dieu a montré sa grandeur en la nommant son jardin, où il appelle ses serviteurs, en leur disant que voici le moment de venir éprouver l’or de la vertu. Ne faisons pas la sourde oreille; et si le froid nous empêche d’entendre, prenons ce sang brûlant d’ardeur, et lavons-nous avec, pour nous guérir de notre surdité. Cache-toi dans les plaies de Jésus crucifié, fuis le monde, sors de la maison de tes parents, retire-toi dans le côté de Jésus crucifié ; c’est le moyen d’arriver à la terre promise. Je dis la même chose à Pietro. Asseyez-vous à la table de la sainte Croix; et là, tout enivrés du précieux Sang, prenez la nourriture des âmes en souffrant les peines, les opprobres, les injures, la faim, la soit, la nudité, en vous glorifiant avec le doux saint Paul, ce beau vase d’élection, dans les opprobres de Jésus crucifié. Si tu tranches, comme je te l’ai dit, souffrir sera ta gloire, mais pas autrement; tu seras au contraire dans la peine, et ton ombre même te fera peur. C’est parce que mon âme le sait, et qu’elle a faim de ton salut, que je désire te voir trancher, et non pas dénouer, afin que tu puisses plus vite courir. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu.

3. J’ai reçu tes lettres, et j’ai été bien consolée au sujet de Baptiste, qui est guéri, parce que j’espère que ce sera une bonne plante, et parce que j’avais compassion de dame Giovanna (Baptiste était frère d’Etienne Maconi, et Giovanna sa mère.); mais je me suis plus réjouie encore de ce que Dieu te donne le moyen [1384] de quitter le monde, et aussi de ce que tu m’écris de la bonne disposition des Seigneurs de Sienne et de nos concitoyens à l’égard de notre doux Père, le Pape Urbain VI. Que Dieu dans son infinie miséricorde le conserve et augmente toujours le respect et l’obéissance pour lui. Soyez maintenant pleins de zèle pour répandre la vérité et confondre le mensonge autant que vous le pourrez.

4. Recommande-moi bien à dame Giovanna, à Corrado; encourage aussi Baptiste et le reste de la famille. Encourage tous mes Fils, et dis-leur surtout qu’ils me pardonnent si je ne leur écris pas; j’en suis très peinée moi-même. Encourage messire Matthieu; dis-lui qu’il nous envoie une note sur ce qu’il veut, car je l’ai oubliée, et frère Raymond part si promptement que nous ne pourrons l’avoir de lui (Sainte Catherine arriva à Rome le 28 novembre. et le bienheureux Raymond partit dans les premiers jours de décembre 1378.). Je ferai ensuite tout mon possible. Quant à frère Thomas, que je ne lui écris pas, parce que je ne sais où il se trouve, mais s’il est prêt de toi, encourage-le et dis-lui de me donner sa bénédiction. Notre Lisa et toute la famille se recommandent à toi. Néri ne t’écrit pas, parce qu’il a été bien près de mourir; mais maintenant il est guéri. Que Dieu te donne sa douce, son éternelle bénédiction. Dis à Pierre que, s’il peut venir, il nous vienne pour une affaire qui est très urgente. Doux Jésus, Jésus amour. Donne ou fais donner toutes ces lettres, et prie Dieu pour nous. Il y a aussi d’autres lettres scellées; donne-les dans cet état à dame Catherine de Giovanni : elle les distribuera [1385].

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CCLXXI (263). A ETIENNE DE CORRODA MACONI, lorsqu’elle était à Rome. Ce fut la dernière lettre qu'elle lui écrivit.- Il faut se parer de vertu pour attirer les âmes à Dieu par l’exemple et par le talent reçu de Dieu.

(Cette lettre est de 1380. Sainte Catherine était près de mourir lorsque le bienheureux Etienne Maconi reçut miraculeusement l’ordre d’aller la rejoindre a Rome. Il obéit sur-le-champ. (Gigli, t. II, p. 388.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et très doux Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir un miroir de vertus, afin que par l’exemple de ta vie, l’enseignement de ta parole, par tes humbles et continuelles prières, tu deviennes un instrument pour tirer les âmes des mains du démon et les amener à la vertu, au Christ, le doux Jésus, comme Dieu nous. le demande; car il faut faire valoir le talent que Dieu nous a donné pour pratiquer la vertu et développer la vie de l’âme. Sans cela nous serons privés de la vie de la grâce, et dès cette vie nous goûterons les arrhes de l’enfer.

2. Oh ! combien est douce et utile la vertu qu’on acquiert par le moyen de la prière faite dans la cellule de la connaissance de soi-même ! Nous trouvons dans cette connaissance, le feu de la divine charité [1386], en voyant notre misère, notre ignorance, notre ingratitude. Nous y trouverons la source de l’humilité par la connaissance que nous aurons de nous-mêmes dans l’infinie bonté de Dieu; et par l’épreuve et la foi, nous nourrirons notre cœur du feu de la charité. Alors notre prière sera humble, fidèle, persévérante, pleine du souvenir et de l’amour de l’humble Agneau, et nous arriverons ainsi à la vertu parfaite.

3. Et je ne m’étonne pas si par la connaissance que l’âme a d’elle-même, elle arrive â l’amour parfait et h la vertu; car en aucun lieu nous ne trouvons l’amour de Dieu comme en nous-mêmes, puisque toutes les choses créées, Dieu les a faites pour la créature raisonnable, et cette créature raisonnable, il l’a créée pour lui-même, pour qu’elle l’aime, le serve de tout son cœur, de toutes ses forces. Aussi l’âme qui se voit tant aimée ne peut se défendre d’aimer, car c’est une loi de l’amour. L’amour de Dieu pour nous a été si grand, si incompréhensible, qu’il a voulu nous rendre ses amis lorsque nous étions devenus ses ennemis par la faute commise, et il nous a envoyé le Verbe son Fils, afin qu’il payât la dette que la créature avait contractée, nous montrant par la valeur du prix la grandeur de notre dignité et l’énormité de la faute. Ne doit-il pas vaincre et détruire la dureté du cœur de la créature raisonnable, lorsqu’elle voit à la lumière de la raison et de la très sainte Foi, l’amour de Dieu à son égard et le prix de la rançon qu’il a payée pour elle? Mais celui qui vit sans raison ne peut jamais le voir, le connaître ne le connaissant pas, il ne l’aime pas, et ne l’aimant pas, il lui est impossible d’arriver à aucune vertu [1387].

4. Toute vertu tire sa vie de l’amour acquis dans l’ardeur de la charité. Lorsque nous avons la charité en nous, il faut nous en servir à l’égard de notre prochain, spirituellement et temporellement, selon ses besoins et selon que Dieu nous en charge, avec un ardent désir du salut du monde entier pour l’honneur de Dieu, nous réjouissant de. souffrir les peines, les fatigues, la mort, s’il le faut, pour la gloire et la louange de son nom; c’est ainsi que nous deviendrons semblables au doux Agneau. Voici maintenant le temps, très cher Fils, ou Dieu nous demande ce sacrifice, puisque nous voyons le monde dans de si épaisses ténèbres, et principalement la douce Epouse du Christ. Je veux que tu te donnes à lui avec ardeur; et comme sans le moyen des vertus tu ne le pourrais pas, j’ai dit que je désirais te voir un miroir de vertus; et je veux que tu fasses tous tes efforts pour le devenir. Je ne te dis rien de plus ici.

5. Hier j’ai reçu une de tes lettres, à laquelle je réponds en peu de mots. Pour les indulgences que je t’avais promises, je te réponds de ne rien attendre de moi, pas plus qu’un autre service, si tu ne viens toi-même. Je ne dis pas que je refuse de t’assister dans tes besoins spirituels ; jamais je n’ai plus désiré le faire et t’instruire selon ce que Dieu mettra dans mon âme ; jamais je ne t’ai offert avec plus d’ardeur en sa douce présence, car je vois que jamais tu n’en as eu plus besoin. Tu dis que ton état te déplaît; quand il te déplaira en vérité, je m’en apercevrai, tu le quitteras tout à fait. Alors tu montreras que tu connais ton état; mais jusqu’à présent il parait peu que tu le connaisses. J’espère dans la douce bonté de [1388] Dieu que, comme tu as un peu commencé à écarter le voile qui couvre tes yeux, tu l’ôteras enfin entièrement. Tu verras alors ton état, et ce sera bientôt, pourvu que tu ne fasses pas résistance, ou que mes péchés ne soient pas un obstacle.

6. Je te réponds, au sujet de messire Mathieu, que je suis bien affligée des peines et des ennuis qu’il a supportés à cause de mon ignorance et de ma négligence. Sois persuadé que sa peine est plus la mienne que la sienne. Que Dieu me fasse la grâce de nous en délivrer bientôt, lui et moi. Si cette lettre, etc. Ayez patience, etc. J’ai reçu une lettre de l’abbé, qui me parle des plantes qu’il a plantées dans son jardin et dans le mien. Il espère en planter d’autres, parmi lesquelles il vous compte, vous et vos compagnons. Vous seriez déjà engagés... C’est une grande joie pour moi de vous voir sortir de l’imperfection et avancer vers la perfection; mais je suis bien surprise que tu te sois engagé sans nous en rien faire savoir; il y a là quelque mystère (Etienne Maconi ne s’était pas engagé, et l’abbé, qui était celui des Olivétains, prenait ses espérances pour une certitude.). Je prie la Bonté divine de faire ce qui sera le mieux pour son honneur et pour ton salut.

7. Je n’ai jamais voulu ni désiré autre chose depuis Je jour où je t’ai connu, que de te voir sortir de la fange du monde. J’ai encore aujourd’hui le même désir, et j’espère, avec la grâce de Dieu, le conserver jusqu’à la fin, si tu crois que le Saint-Esprit t’appelle et te choisit pour cet état, tu as bien fait de ne pas [1389] résister, et j’en serai consolée. Dès que tu t’entends appeler, il faut répondre. J’aurais beaucoup de choses à te dire, mais je ne puis et ne veux pas te les écrire. Néri est à Naples, où il a été envoyé avec l’abbé Lisolo. Je crois qu’ils ont bien des peines, surtout spirituelles, à cause de toutes les offenses qu’ils voient commettre contre Dieu. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Encourage tous mes enfants, et surtout Pierre; dis-lui qu’en disant que Dieu aime peu de paroles et beaucoup d’œuvres, je ne lui impose pas silence, et je ne l’empêche pas de parler et de m’écrire, si c’est sa paix et sa consolation. J’ai été même quelquefois surprise de ce qu’il ne m’avait pas écrit. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCLXXII (264). — A PIERRE, fils de Jean Venture, et à Etienne de Corrado, lorsqu’elle était à Rome.- Des trois grands ennemis de l’homme, qui sont le monde, le démon et la chair.

(Voir la lettre LIII.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir des chevaliers généreux, capables de vaincre vos trois grands ennemis. O très [1390] doux Fils, ces trois ennemis sont le démon, le monde et la chair. Les deux premiers sont faciles à vaincre, car le démon a perdu la puissance qu’il avait sur nous, et, grâce au sang du Fils de Dieu, il peut nous attaquer et nous troubler par des pensées mauvaises, mais il ne peut nous forcer à la moindre faute, parce que le sang de l’Agneau sans tache nous a fortifiés et délivrés de la servitude. Que peut faire aussi le monde? absolument rien. Il peut frapper l’écorce et accabler notre corps de persécutions, d’injures, d’opprobres et de mauvais traitements. Mais qu’est-ce que reçoit le serviteur de Dieu de toutes ces choses dans le fond de son âme? rien. Le monde se fatigue à le persécuter, et lui se réjouit, parce qu’il a mis son amour en Dieu, d’où vient toute sa joie; il a choisi de souffrir avec Jésus crucifié, et plus il souffre sans le mériter, plus il est heureux, parce qu’il ressemble plus alors à son modèle.

2. Il est donc vrai que ces deux ennemis sont faciles à vaincre, Mais il n’en est pas de même du troisième, qui est la chair, c’est-à-dire la sensualité, cette loi mauvaise qui combat toujours contre l’esprit. Il n’y a pour ainsi dire pas un instant où elle ne veuille en quelque manière se révolter contre la volonté de Dieu, c’est-à-dire contre toutes les bonnes inspirations que la Bonté divine nous envoie dans notre cœur; elle les écarte tellement, que nous ne pouvons en suivre aucune tant que nous l’écoutons. Mais, au contraire, toutes les pensées coupables que le démon nous donne et que Dieu permet pour augmenter la perfection et la grâce en nous, et non pas pour que nous nous laissions vaincre, cette malheureuse passion [1391] sensitive nous les fait écouter; c’est elle, en un mot, qui nous prive de Dieu, et qui dans cette vie nous cause des peines continuelles. Nous devons donc bien nous armer contre cet ennemi.

3. Je veux que chacun de vous sépare en lui la sensualité et la raison, et qu’il en fasse des ennemis irréconciliables. Que la raison s’arme du glaive de la haine et de l’amour cette guerre ne doit pas être entreprise avec mollesse, mais avec vigueur; il faut absolument tuer la sensualité, parce que. c’est elle qui nous ôte la vie de la grâce, en nous faisant résister à Dieu. Cette loi maudite use quelquefois d’un grand artifice pour nous faire tomber plus dangereusement. Elle sommeille et paraît morte en nous; nous ne ressentons aucun combat; nous sommes, au contraire, pleins de ferveur, tous nos actes, toutes nos pensées sont dirigées vers Dieu avec une douceur qui semble un avant-goût de la vie éternelle; mais si nous ralentissons la guerre, si nous déposons le glaive et si nous manquons de vigilance, elle se lève plus forte que jamais et nous fait faire des chutes terribles. Je veux donc, mes enfants, que vous entrepreniez cette guerre avec l’intention de ne jamais faire la paix. Combattez toujours, faites toujours ce qui lui déplaît, et ne lui accordez jamais ce qui lui plaît. Que le chien de la conscience fasse bonne garde, et qu’il ne laisse entrer aucune pensée dans le cœur sans que la raison l’examine, et qu’aucun mouvement coupable ne passe sans qu’il soit sévèrement puni; que cette misérable sensualité soit servante, et que la raison soit maîtresse,. comme cela doit être. Mais si vous étiez négligents ou tièdes, vous ne vaincriez [1392] jamais cet ennemi ni les deux autres. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir de généreux chevaliers, afin que vous soyez vainqueurs. Courage donc, mes Enfants; prenez ce glaive, et qu’il ne sorte jamais de votre libre arbitre jusqu’à la mort. Votre ennemi ne vous quittera pas jusqu’au dernier moment. Dieu nous le laisse pour notre bien, pour que nous acquerrions la vertu avec peine au moyen de sa grâce. Je ne vous en dis pas davantage maintenant.

4. Je réponds aux lettres que toi, Pierre, tu m’as envoyées. Je suis persuadée que, si tu avais le désir de quitter ta maison et de venir ici, tu te hâterais de terminer promptement tout ce qui te reste à faire, afin de pouvoir suivre librement et entièrement Jésus crucifié. Mais tu es négligent, et tu n’as pas pris l’arme dont j’ai parlé; aussi, tu ne mets pas à exécution le saint désir que Dieu t’a donné. Je sais bien que tu ne crois pas que je veuille t’abandonner et que je te laisse périr; toi et les autres; car chaque jour je vous enfante de nouveau, en présence de Dieu, par de continuelles prières, et je prie surtout pour ceux qui en ont plus grand besoin. Tâche donc de te renouveler. Je te dis la même chose, Etienne. Appliquez-vous avec zèle à quitter le monde et à courir vers Dieu, qui vous attend les bras ouverts. Venez bien vite.

5. La sainte Eglise et le Pape Urbain VI, grâce à la douce Bonté divine, ont reçu, ces jours-ci, les meilleures nouvelles qu’ils aient reçues depuis bien longtemps (Il s’agit sans doute des lettres d’adhésion de l’Empereur, des rois de Hongrie et d’Angleterre.). Je vous envoie avec cette lettre une [1392] autre lettre pour le Bachelier (Fr. Guillaume d’Angleterre. (Voir la lettre CLXX.), dans laquelle vous pouvez voir comment Dieu commence à répandre ses grâces sur sa douce l’Epouse. J’espère de sa miséricorde qu’il continuera, et qu’il multipliera ses bien. faits de jour en jour. Je sais que sa vérité ne peut mentir, et il a promis de réformer l’Eglise par les souffrances de ses serviteurs, par leurs humbles et continuelles prières, faites avec les larmes et les angoisses du désir. Aussi je vous invite à frapper de nouveau à la porte de sa miséricorde avec persévérance; et je vous promets que si nous continuons à frapper, il nous sera ouvert. Dites-le bien à mes autres fils, et bénissez-les de notre part. Nonna, Lisa et toute la pauvre famille vous saluent dans le Christ, etc. Demeurez tous dans la sainte et douce dilection de Dieu. Toi, Etienne, tu ne viens pas... Doux Jésus, Jésus amour. Donnée à Rome, le 1er janvier 1378.

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CCLXXIII (265).- A NICOLACCIO CATERINO PETRONI, de Sienne.- De l’obéissance aux divins préceptes nécessaire pour avoir la vie de la grâce.

 

 AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs [1394] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir Observer les doux commandements de Dieu, afin que vous puissiez participer à la vie de la grâce. Mais vous ne pourrez le faire en méprisant et en haïssant votre prochain, car le second commandement est d’aimer le prochain comme nous-mêmes. Cet amour de la créature a sa source dans la charité divine, et celui qui n’est pas dans la charité de Dieu, n’est pas dans celle du prochain; et n’y étant pas, il est comme un membre retranché du corps, qui perd aussitôt la vie et se dessèche, parce qu’il est séparé de son principe. De même l’âme séparée par la haine de la charité divine meurt aussitôt à la grâce, et le bien qu’elle fait ne lui sert pas pour la vie éternelle.

2. Il ne faut pas cependant cesser de faire le bien dans quelque état qu’on se trouve, parce que tout bien est récompensé, et toute faute est punie. Si le bien n’est pas récompensé dans la vie éternelle, Dieu le récompense en celle-ci, en accordant le temps de se convertir à celui qui le fait, en le retirant des mains du démon par le moyen de ses serviteurs, ou en le comblant de biens temporels; et s’il meurt, lors même qu’il est en enfer, il le punit moins; il le punirait davantage s’il avait employé au mal le temps où il a fait un peu de bien. Aussi pour cette raison et pour d’autres, il ne faut jamais cesser le bien, dans quelque état qu’on se trouve. Il faut penser que Dieu est si généreux, qu’il récompense une bonne œuvre, même lorsqu’elle est faite en péché mortel. Il veut toujours la récompenser en quelque manière.

3. Mais combien sera plus grande la récompense de [1395] ceux qui font le bien en état de grâce, avec un bon et saint désir dans la charité de Dieu et l’amour du prochain ! Ils en reçoivent un fruit infini, puisqu’ils reçoivent la grâce en cette vie, et la vie éternelle dans l’autre. Je veux donc que vous vous appliquiez avec zèle à conserver la grâce, en observant les doux commandements de Dieu: vous ne le pourriez autrement. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir observer ces commandements. Je ne vous en dis pas davantage ici, et je verrai à ce que je vous demande, si vous êtes vraiment dans cette charité. Ce que je vous demande, c’est la paix. Demeurez dans la sainte et douce dilection de bleu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCLXXIV (266).- A FRANCOIS, fils de messire Vanni Malavolti, de Sienne.- Elle l’exhorte à revenir à Dieu avec confiance, et elle le reprend de sa vie coupable.

(Carissimo e sopra carissimo figliuolo. François Malvolti appartenait à une des familles puissantes de Sienne. Sainte Catherine l’avait converti, mais il retombait sans cesse dans ses premières fautes; elle lui prédit que Dieu serait enfin vainqueur. Après la mort de sainte Catherine, il fut ramené à la vertu par le B. Etienne Maconi, qui venait de se faire chartreux. Il entra chez les Olivétains, où il vécut saintement jusqu’à sa mort, arrivée en 1410.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Cher et très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus (1), moi, Catherine, la servante et l’esclave des [1396] serviteurs de Jésus-Christ, je t’écrie dans son précieux sang, avec le désir de te ramener au bercail avec tes autres compagnons. Il me semble que le démon t’a tellement enchaîné, qu’il ne te laisse pas revenir; et moi, ta pauvre mère, je vais te cherchant et te demandant, car je voudrais te porter sur les épaules de la douleur et de la compassion que j’ai pour ton âme. Ouvre donc, très cher Fils, l’oeil de ton intelligence; sors des ténèbres et reconnais ta faute, non pour te désespérer, mais pour te connaître et pour espérer dans la bonté de Dieu. Les richesses de la grâce que ton Père céleste t’avait données, tu les as perdues misérablement. Fais donc comme l’enfant prodigue, qui avait dépensé sa fortune en vivant mal. Lorsqu’il se vit tombé dans la misère, il reconnut sa faute et implora la miséricorde de son père. Fais de même, car tu es pauvre et dans le besoin; ton âme meurt de faim. Recours donc à la miséricorde du Père; il te secourra, et ne méprisera pas ton désir fondé sur le regret du péché commis : il t’accueillera même avec amour.

2. Hélas ! hélas ! où sont tes bons désirs? Que je suis à plaindre ! je vois que le démon a ravi ton âme et ses saints désirs. Le monde et ses serviteurs les ont pris et enchaînés par leurs plaisirs et leurs affections déréglées. Hâte-toi donc de prendre le remède et de ne plus dormir; console mon âme, et ne sois plus assez ennemi de ton salut pour me refuser de venir. Ne te laisse pas tromper par le démon, par la crainte et la honte; romps cette chaîne; viens, viens, très cher Fils. Je puis bien t’appeler cher, tu me coûtes tant de larmes, de pleurs et d’angoisses. Oui, viens, retourne [1397] au bercail. Mon excuse devant Dieu est que je ne puis faire davantage. Que tu viennes ou que tu restes, je ne te demande autre chose que de faire la volonté de Dieu. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCLXXV (267).- A AGNOLINO, fils de Jean Agnolino de Salimbeni, de Sienne.- Il faut combattre avec courage, contre la chair, le monde et le démon.

(Agnolino de Salimbeni était un des nobles les plus puissants de Sienne; dans un différend que sa famille eut avec la république, il alla, en 1375, soumettre sa cause aux magistrats de Florence, qui avaient été pris pour arbitres. Il servit ensuite sa patrie autant par ses conseils que par sa valeur.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir combattre généreusement, et ne pas craindre les coups comme un chevalier sans cœur. Mon doux Fils, nous sommes sur un champ de bataille, et il nous faut toujours combattre, en tout temps et en tous lieux. Nous avons des ennemis qui assiègent la cité de notre âme ce sont la chair avec ses jouissances déréglées, le monde avec ses honneurs [1398] et ses plaisirs, le démon avec sa malice. Pour empêcher les saints désirs de l’âme, il l’entoure de pièges, ou par lui-même ou par le moyen des créatures, en mettant sur la langue de ses serviteurs, des paroles trompeuses, des louanges, des menaces, des murmures ou des injures; et il agit ainsi pour troubler l’âme et la dégoûter de ses bonnes et saintes œuvres.

2. Mais nous, comme de généreux chevaliers, nous devons défendre et garder la cité; nous devons fermer la porte aux sentiments déréglés, et y mettre pour garde le chien de la conscience, afin que, quand l’ennemi passe, il aboie, pour que l’intelligence veille et regarde si c’est un ami ou un ennemi, un vice ou une vertu qui se présente. A .ce chien, il faut lui donner à boire et à manger; il faut lui donner le sang pour boisson, et le feu pour nourriture, afin qu’il secoue le froid de la négligence et qu’il soit vigilant.

3. Oui, je te le dis, mon fils Agnolino, nourris le chien de la conscience avec le feu d’une très ardente charité et avec le sang de l’Agneau sans tache, répandu sur la Croix, de toutes les parties de son corps, pour que nous puissions lui donner à boire; et en le faisant, il sera plein de vigueur, et vous combattrez bien. Prenez le glaive de la haine et de l’amour, c’est-à-dire la haine et l’horreur du vice, et l’amour de la vertu; et la chair, l’ennemi le plus mauvais et le plus perfide que nous puissions avoir, sera tuée en la frappant de ce glaive. La conscience fera voir à l’oeil de l’intelligence combien est dangereux le plaisir de la chair qui se présente à l’âme, et pour le tuer elle regardera la chair flagellée de Jésus crucifié, et elle [1399] aura honte de s’attacher aux jouissances déréglées et aux délices du corps. Le démon, avec ses ruses et les pièges qu’il tend pour faire périr les âmes, sera vaincu par la vertu de la véritable humilité. Que le chien de la conscience aboie donc pour tenir l’intelligence éveillée et, lui faire voir combien il est dangereux d’écouter les tentations et d’espérer en soi-même. Que l’homme reconnaisse son néant, afin de ne pas tomber dans l’orgueil c’est l’humilité qui brise tous les filets du démon. L’homme ne devrait pas avoir honte de s’humilier en s’oyant son néant, en voyant qu’il tient l’être de Dieu et non de lui-même, et que Dieu s’est humilié jusqu’à lui. Par un acte d’humilité profonde, il est descendu des hauteurs infinies de sa divinité jusqu’à la bassesse de notre chair.

4. Ce doux et tendre Agneau, le Verbe incarné, est notre force, car c’est de lui que vient tout secours. Il a voulu être notre chef, et avec sa main désarmée, percée et clouée sur la Croix, il a défait tous nos ennemis. Son sang est resté sur le champ de bataille pour nous animer à combattre en bons chevaliers, généreusement et sans crainte. Le démon est devenu impuissant par le sang de l’Agneau; il ne peut faire que ce que Dieu permet, et Dieu ne permet jamais que le fardeau soit au-dessus de nos forces. La chair aussi a été vaincue par la flagellation et les tourments du Christ, et le monde par les opprobres, les mépris, les injures et les outrages qu’il a reçus. La richesse a été vaincue par la pauvreté volontaire de Jésus crucifié. La richesse suprême est devenue si pauvre, qu’elle n’avait pas où reposer sa tête sur le bois de la [1400] très sainte Croix. Oui, mon Fils, quand l’ennemi voudra entrer dans ton âme par l’amour des honneurs et des biens du monde, fais en sorte que le chien de la conscience éveille l’intelligence, et qu’elle voie qu’il n’y a ni durée ni stabilité dans les honneurs et les biens du monde, de quelque côté qu’ils viennent. Vous le savez bien, vous l’avez vu et vous l’avez éprouvé. Et puis je veux que vous compreniez qu’en se donnant d’une manière déréglée à ces choses passagères, on n’arrive pas à la gloire, mais à la honte; car l’homme devient l’esclave de ce qui est moins que lui; il sert les choses finies, et Il est infini; car l’homme ne finit jamais quant à l’être, quoiqu’il finisse à la grâce par le péché mortel. Si nous voulons trouver l’honneur, le repos et le contentement, il faut servir et aimer ce qui est plus grand que nous.

5. Dieu est notre Rédempteur, notre Seigneur, notre Père, la souveraine, l’éternelle Bonté, digne d’être aimé et servi par tous; c’est une obligation pour nous, si nous voulons participer à la grâce divine. Il est la puissance suprême et le bonheur; c’est lui qui rassasie l’âme et soutient toute faiblesse; c’est en lui qu’on trouve la paix, le repos, la sûreté, le rassasiement que rien ne peut donner, parce que toutes les créatures sont moins que l’homme. Ainsi donc, le mépris du monde est un honneur, une richesse; mais les fous, les insensés ne le reconnaissent pas, et pensent tout le contraire. Pour vous, comme de généreux combattants, élevez-vous au-dessus des affections sensuelles, et connaissez la vérité. Ne croyez pas les hommes méchants et pervers; le démon se sert de leur bouche pour nuire à votre [1401] vie et à votre salut, pour vous exciter à la colère et vous révolter contre la volonté de Dieu. N’écoutez pas ces conseillers du démon, mais écoutez et répondez à l’Esprit-Saint, qui vous appelle. Montrez que vous n’hésitez pas, et répondez-leur généreusement; dites-leur que vous ne voulez pas résister à Dieu, que vous ne pouvez pas.

6. Je sais ce qui a été dit, et la Comtesse sera bien tourmentée par les uns et les autres, parce qu’elle veut être la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ (La comtesse Bandoccia de Salimbeni, soeur d’Agnolino, voulait se faire religieuse. (Voir la lettre CCCXXX). Les méchants, pour vous arrêter, elle et vous, voudront vous inspirer des craintes et des regrets; ils vous présenteront comme une honte et une bassesse le plus grand honneur que vous puissiez avoir, non seulement maintenant mais pour toujours. Devant Dieu et devant les hommes, votre gloire surpassera celle de tous vos ancêtres. Que nous serions fous et insensés si nous mettions notre amour et notre espérance dans un feu de paille? Une grande flamme parut la première fois que vous vous êtes marié, mais elle disparut bientôt, et il ne resta que la fumée de la douleur. Le feu parut ensuite vouloir se rallumer, mais il s’est éteint, le vent de la mort l’a dissipé. Il serait donc bien plus simple, pour elle et pour vous, de répondre à l’appel du Saint-Esprit. Vous voyez que le monde la repousse et la renvoie à Jésus crucifié. J’espère bien de la Bonté divine que vous n’oublierez jamais la volonté de Dieu, et que vous ne vous laisserez pas entraîner par les jugements [1402] du monde. Fermez, fermez la bouche à vos vassaux, et empêchez leurs murmures, en vous montrant ferme. Je ne doute pas que vous ne le fassiez, si le chien de la conscience ne dort pas, et si l’oeil de l’intelligence reste ouvert; car autrement vous ne seriez pas un généreux chevalier, et vous montreriez une grande lâcheté. Tout mon désir est de vous voir courageux; et je vous ai dit que je désirais vous voir. bien combattre sur le champ de bataille, surtout dans ce combat nouveau que vous avez à soutenir maintenant au sujet de la Comtesse. Le démon voit qu’il la perd, c’est pour cela qu’il vous tourmente tant par les créatures. Mais courage, méprisez tous les jugements du monde, et que Jésus crucifié vive en vous. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCLXXVI (568). A MATTHIEU DE THONUCIO, d’Orviete. — Nous devons bâtir solidement sur la Pierre vive, qui est le Christ.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une pierre ferme et non pas une feuille qui vole à tous les vents [1403]. Car l’âme qui n’est pas fondée sur la Pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus, en plaçant son amour et ses désirs en Dieu, et non pas dans les choses passagères du monde qui disparaissent comme le vent, cette âme se meurt, parce qu’elle est privée de la grâce divine; et c’est cette grâce qui conserve l’âme, et lui donne la vie et la lumière parfaite, en éloignant d’elle les ténèbres, et en l’affermissant dans la vraie patience et la sainte crainte de Dieu, par l’humilité par. faite. et la charité fraternelle à l’égard du prochain. Elle ne s’abandonne pas par l’impatience au vent de la tribulation, et elle ne se laisse pas agiter par le vent de la consolation en jouissant d’une manière déréglée; elle ne s’enfle pas d’orgueil au vent de la richesse et à la fumée des honneurs du monde.

2. Il en est ainsi parce qu’elle est ferme, et que son fondement est Jésus crucifié. Aussi lorsque soufflent les trois vents dangereux d’où vient tout le mal, elle ne s’en inquiète pas. Le démon souffle de sa bouche le vent des pensées tumultueuses et des combats. Tantôt ce sont les combats de la vanité qui rend le cœur inconstant et léger, et cette vanité augmente l’ambition et le désir des honneurs du monde; tantôt ce sont des apparences de vertu, et ce vent est le plus dangereux et le plus difficile à connaître; il n’y a que l’humble qui le connaît, et ne se laisse pas tromper. C’est par l’apparence de la vertu que le démon cherche à séduire l’âme ignorante qui n’est pas humble, et qui ne se connaît pas elle-même. Supposons qu’elle commence à désirer Dieu et à donner quelques signes de vertu, mais parce qu’elle est encore imparfaite, et qu’elle ne se connaît pas assez [1404], elle examine les actions du prochain temporellement et spirituellement, c’est-à-dire dans les choses temporelles et spirituelles. Alors le démon lui souffle le vent des faux jugements; elle juge son prochain, les serviteurs de Dieu et ceux du monde injustement, et elle ne s’en aperçoit pas. Elle veut ainsi ôter à Dieu sa puissance de juge, car lui seul doit juger.

3. Pourquoi ne s’en aperçoit-elle pas? Parce que le démon a caché son jugement sous le manteau de la vertu. Elle croit bien faire, et il lui semble quelquefois être agréable à Dieu; mais elle s’abuse à cause de l’orgueil qui est en elle. Si elle était véritablement humble et si elle se connaissait mieux elle-même, elle aurait honte de tomber dans de pareils jugements, parce qu’elle verrait qu’elle veut donner des lois à Dieu, quand elle se scandalise de ses serviteurs, et qu’elle veut conduire les créatures à sa manière, et non comme Dieu les appelle. Celui nu contraire qui sera fondé sur la Pierre vive, sur le Christ, résistera à ces mouvements et n’y consentira pas; mais il s’appliquera avec une humilité sincère à se réjouir et à rendre grâces à Dieu des actions et de la conduite de ses serviteurs. Il aura compassion des imparfaits, et il priera la Bonté divine de jeter un regard de miséricorde sur eux pour les retirer du péché et les conduire à la vertu. Il tire ainsi de l’épine la rose, et il a toujours l’esprit libre; il ne s’égare pas, et ne remplit pas sa mémoire de fantaisies spirituelles et temporelles, comme le font les fous, les insensés, les présomptueux, qui ne se connaissent pas eux-mêmes et qui veulent juger les actions des autres, sous prétexte de bien ; ils se laissent aller à ce [1405] vent coupable, qui est si dangereux. O bouche maudite ! comme tu as empoisonné le monde, et corrompu ceux qui sont dans le siècle et ceux qui sont hors du siècle. Celui qui juge intérieurement répand ensuite l’infection du murmure; il est dans le trouble, et son esprit est vide de Dieu et du prochain. Il faut donc éviter ce vent avec une vraie et sainte sollicitude.

4. L’autre vent dangereux est le monde, qui nous tente par l’amour déréglé de nous-mêmes, et nous offre ses plaisirs et ses consolations, cachant aux yeux de l’intelligence ses ténèbres, sa misère, son peu de durée, sous l’apparence de la beauté et de la joie. Il trompe en promettant une vie longue, tandis qu’elle est courte, et en faisant croire que tous ses plaisirs, ses jouissances, ses richesses sont durables, tandis qu’ils changent à chaque instant. Tout nous est prêté pour notre usage, pour nos besoins; mais il faut que ces choses quittent l’homme, ou que l’homme les quitte. Elles nous quittent quand nous les perdons, et qu’elles nous sont enlevées par quelqu’un ou par quelque accident; elles s’usent, et disparaissent. Nous les quittons aussi lorsque la Vérité suprême nous appelle en séparant l’âme et le corps. Avec le corps on abandonne le. monde et ses délices; et dans cette séparation, personne ne peut conserver ses richesses et ses honneurs. L’âme est bien faible et bien aveugle, si elle n’écarte pas de l’oeil de son intelligence la poussière du monde, si elle en fait au contraire l’objet de ses désirs. Elle vole alors comme la feuille de l’arbre au gré du vent, de l’amour déréglé de soi-même et du monde; et de cette bouche maudite sort l’envie [1406] contre le prochain et l’estime de soi-même ; elle murmure, et bien souvent elle tombe dans la haine et la vengeance. Souvent aussi elle s’approprie les biens des autres. Pour le faire, elle emploiera les serments, les parjures, les faux témoignages; et le mal deviendra si grand, qu’elle désirera la mort de son prochain. Ceux qu’elle doit aimer comme elle-même, elle les déchire et les ruine. Elle n’a aucune force; et la bonne œuvre qu’elle entreprend, elle la conduit rarement à fin. Celui qui agit de la sorte bâtit sur le sable, où tout ce qu’on élève est bientôt renversé. Il est privé de la vie de la grâce, et il a perdu la lumière de la raison; il vit comme la brute, et non comme une créature raisonnable.

5. Il est donc absolument nécessaire de bâtir sur la Pierre vive. Ceux qui ont ainsi fixé là le regard de leur intelligence et les saints désirs de leur cœur ne peuvent être renversés, et ne se laissent pas ébranler par ce vent mauvais. Ils résistent, et se défendent en méprisant le monde, ses vanités, ses jouissances; ils abattent l’orgueil par une humilité profonde et par l’amour de la pauvreté volontaire. Celui qui possède la richesse et les grandeurs les conserve, mais il ne les possède pas avec un amour déréglé, en dehors de la volonté de Dieu; il les garde avec une tendre et sainte crainte, se considérant comme l’économe du Christ. Il secourt les pauvres, nourrit les serviteurs de Dieu, et les vénère en pensant qu’ils offrent sans cesse en la présence de Dieu des prières, d’ardents désirs, des sueurs, des larmes pour le salut de toute créature. Ceux-là sont heureux en tout temps et en toute position, parce qu’ils sont exempts des chagrins [1407] que cause la volonté déréglée, qui a pour fondement l’amour-propre. Puisqu’il est si avantageux de prendre pour fondement la Pierre vive, hâtons-nous de profiter du temps, car nous ne sommes pas sûrs de l’avoir.

6. Le troisième vent est la chair, qui répand une infection telle, que non seulement elle déplaît à Dieu, mais qu’elle répugne au démon même; elle abrutit l’homme, et le rend semblable à l’animal. Il fait comme le pourceau, qui se roule dans la fange; il se roule dans la fange de l’impureté, et s’avilit dans quelque état qu’il se trouve. S’il est lié à l’état du mariage, il le corrompt par un amour déréglé; il devrait user de ce sacrement avec la Crainte de Dieu, et il le souille par ses désordres et ses excès. Le malheureux ne considère pas à quelle dignité a été élevée notre humanité par l’union que Dieu a contractée avec notre misérable chair; s’il ouvrait l’oeil de l’intelligence pour la regarder, il aimerait mieux mourir que. de s’abandonner à une telle misère. Et savez-vous quelle corruption répand cette bouche, qui empoisonne tous ceux qui l’approchent? Le cœur devient soupçonneux, la langue murmure et blasphème. Il juge les autres d’après lui-même, comme le malade dont l’estomac dérangé trouve mauvais tous les aliments, surtout ceux que le médecin lui a ordonnés; et lorsqu’il les voit prendre par ceux qui se portent bien, il le souffre avec peine, et ne comprend pas qu’ils n’y trouvent pas le même goût que lui-même.

7. Les insensés qui s’abandonnent aux jouissances de la chair ont le goût si dépravé, qu’ils ne se scandalisent [1408] pas de ceux qui vivent dans les mêmes défauts, mais de ceux qui sont sains, et de leur propre nourriture, c’est-à-dire de la femme que Dieu leur a donnée pour condescendre à leur faiblesse. Cette nourriture leur fait mal, parce qu’ils sont soupçonneux et jaloux, jugeant mauvaise une chose bonne, et ayant de la haine et du mépris où ils devraient avoir de l’amour. Celui-là voit mal, parce que son œil est malade; s’il était sain, il n’en serait pas ainsi. Que de malheurs et de ruines cause ce vent maudit ! Lorsqu’il a péché par la langue et mal jugé sa femme, il tombe dans une autre faute. Si, par l’inspiration divine, il a conçu d’embrasser un état plus parfait, le ver rongeur du soupçon qui est entré en lui détruit le parfum de la vertu, et il retourne à ses premières faiblesses. Ce qui lui plaisait d’abord lui déplaît; il n’est ni constant ni persévérant dans la vertu; il tourne la tête en arrière, et il ne s’examine pas lui-même pour connaître ses défauts et ses infirmités. Et tout cela lui arrive parce qu’il n’a pas pris pour fondement la Pierre vive, et qu’il est assailli et attaqué par le vent contraire.

8. Il ne faut donc pas qu’il s’appuie sur cette chair corrompue, mais bien sur la Pierre vive, qui est le Christ. Alors le vent aura beau s’élever, il ne pourra lui nuire; niais il lui résistera par la vertu de continence et de la pureté, en réglant sa volonté déréglée selon les 1.ois de la raison et de la sainte crainte de Dieu. Il se dira à lui-même: " N’as-tu pas honte, mon âme, de vouloir souiller ton visage et corrompre ton corps par la débauche? N’es-tu pas faite à l’image et ressemblance de Dieu? Et toi, chair, n’es-tu pas [1409] ennoblie par l’union de la nature divine faite en toi avec la nature humaine, qui est élevée au-dessus du chœur des anges? "Alors il sentira le parfum de la pureté et le désir de se corriger au moyen des veilles et des prières, par la haine et le mépris de ce vice; il se servira des instruments de pénitence pour châtier son corps lorsqu’il voudra se révolter contre l’esprit, mais il emploiera surtout les veilles, les humbles prières et la parfaite connaissance de lui-même. Qu’il ne s’arrête jamais à discuter les pensées qui l’agitent et les mouvements qui peuvent le troubler; mais qu’il recoure sur-le-champ aux remèdes qui peuvent les chasser, et qu’il les emploie comme l’eau, pour éteindre le feu de la sensualité. Qu’il ne craigne rien; mais qu’il prenne généreusement l’étendard de la très sainte Croix, et qu’il s’appuie sur elle. Ceux qui s’avancent ainsi prennent pour fondement la Pierre vive, et persévèrent jusqu’à la mort, parce qu’ils voient bien que ce n’est pas en commençant, mais en persévérant qu’on obtient la couronne.

9. Je veux donc, très cher Frère et Fils, que vous ne soyez plus inconstant, et que vous commenciez à rentrer en vous-même; car il me semble, d’après ce que me montre la Bonté divine, qu’il y a déjà longtemps que vous en êtes sorti. Et cela, parce que, dès le principe, vous n’avez pas véritablement plis pour fondement la Pierre vive. Ce qui empêche les serviteurs de Dieu de persévérer, c’est qu’ils n’ont pas de fondements solides; ils sont faibles, et lorsque viennent les vents impétueux du démon, du monde et de la chair, ils succombent, parce qu’ils sont sans force et sans vertu. J’ai cherché les moyens qu’il [1410] faut prendre pour vous relever et vous affermir davantage dans une humilité plus profonde et dans le mépris de vous-même, et je vous ai dit que je
désirais vous voir une pierre inébranlable fondée sur la Pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus, et non pas sur le sable. J’espère de la bonté infinie de Dieu que, si vous voulez vous humilier et vous connaître, vous accomplirez sa volonté et mon désir; vous acquerrez la vie de la grâce, vous serez délivré des ténèbres, et vous aurez la parfaite lumière. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCLXXVII (269). — A LEONARD FRESCOBALDI, de Florence.- Des vertus et de la paix de ceux qui suivent la volonté de Dieu.

(Léonard Frescobaldi fut un des hommes les plus remarquables de Sienne. Sainte Catherine l’aimait à cause de se grande piété. Il dit, en 1389, le pèlerinage de la terre sainte.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baigné et plongé dans le sang de Jésus crucifié, afin que là se consume tout défaut, et surtout la volonté propre, qui est la cause et [1411] l’instrument de la mort de l’âme. Quand notre volonté est ainsi toute consumée dans ce sang, l’âme possède la vie, parce qu’elle est revêtue de la souveraine et éternelle volonté.

2. O très douce volonté, qui donnes la vie et éloignes la mort, qui donnes la lumière et qui dissipes les ténèbres, tu détruis toutes les afflictions de l’âme et tu l’engraisses du parfum des vertus; tu la revêts du vêtement nuptial, du feu de la divine charité, et tu lui fais prendre à la table de la Croix la nourriture de l’honneur de Dieu et du salut des âmes; tu lui donnes le très doux baume de la paix, du repos de l’âme et du corps, de sorte qu’elle navigue tranquille au milieu des tempêtes de la mort. Ce sont là les trésors et les présents que Dieu donne à l’âme, quand elle est revêtue de l’éternelle volonté et qu’elle s’est dépouillée de la volonté propre; car la volonté propre cause toujours et enfante les tempêtes et les chagrins. Il s’ensuit que celui qui noie sa volonté dans le Sang, demeure dans une paix parfaite. Il n’y a pas d’autre moyen de goûter en cette vie, les arrhes de la vie éternelle et de l’avoir ensuite pour récompense. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir baigné et noyé dans le sang de Jésus crucifié. Je ne vous dis rien de plus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1412].

Table des matières (2)


 

CCLXXVIII (270).- A NIGI, fils de Docci Arzocchi.- Des exemples et des enseignements de Jésus-Christ. — De la charité envers le prochain.

(Nigi est le diminutif de Dionigi. Ce disciple de sainte Catherine était parent de Bérenger Arzocchi, auquel est adressée la lettre XC.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus moi, Catherine, la servante et l’eslave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir suivre les traces de Jésus crucifié, car nous n’avons pas d’autre moyen d’en recevoir la vie. Et quelle est cette vie? La voici les mépris, les opprobres, les injures, les mauvais traitements, et il faut les supporter avec une parfaite patience jusqu’à la mort, sans jamais tourner la tête en arrière à cause des injustices du monde; il ne faut jamais ralentir le pas, mais, au contraire, rendre toujours le bien à ceux qui nous font le mal. C’est la voie que nous enseigne et nous trace le doux et tendre Agneau. Il a dit : " Je suis la voie, la vérité, la vie; " et il donne véritablement la vie à ceux qui marchent dans cette voie. Il nous donne la doctrine qui nous fait goûter en cette vie, les arrhes de la vie éternelle, en nous communiquant la vie de la grâce. Ce doux Maître est monté à la tribune de la Croix [1413] afin de nous enseigner sa doctrine, fondée sur la vérité.

2. Nous sommes ses disciples, nous devons nous abaisser pour l’apprendre, nous devons être humbles, car on ne saurait l’apprendre avec l’orgueil. L’orgueil épaissit l’intelligence de l’homme et la rend incapable de connaître Dieu; mais il n’en est pas ainsi de l’humble: l’oeil de son intelligence est pur, il en a ôté la poussière de l’amour-propre et de la sensualité, et il l’a fixé dans la vraie connaissance de lui-même. C’est dans cette connaissance qu’il voit mieux et qu’il connaît plus parfaitement l’éternelle bonté de Dieu; et en la connaissant mieux, il l’aime davantage; en l’aimant davantage, il acquiert plus parfaitement l’humilité, la patience. L’humilité est la gouvernante, la nourrice de la charité. Vous voyez bien, très cher Fils, qu’il faut s’asseoir humblement, comme de vrais disciples, et de cette manière, nous apprendrons la doctrine, et nous courrons, en mourant à toute volonté, dans la voie de la douce vérité. Nous nous plairons sur la Croix, avec d’ardents et saints désirs, cherchant l’honneur de Dieu et le salut des âmes.

3. Il est temps, très cher Fils, de secouer le sommeil de la négligence et de l’ingratitude, et de montrer notre reconnaissance par notre zèle, en recherchant, en servant et en aimant notre prochain. Car nous ne pouvons témoigner notre reconnaissance à Dieu en lui étant utiles, mais nous pouvons le faire en servant le prochain. Mon Fils bien aimé, Dieu nous a-t-il jamais plus demandé que maintenant, le zèle de son honneur et du salut des âmes [1414] ?

4. Dieu nous le. demande en tout temps, parce que sans la charité du prochain nous ne pouvons avoir la vie éternelle; mais combien cela est-il plus nécessaire et plus exigé, maintenant que nous voyons parmi les chrétiens, des besoins plus grands qu’ils n’ont jamais été? Pouvons-nous cesser d’offrir continuellement des larmes et d’humbles prières? C’est à cela qu’on verra si nous sommes les vrais serviteurs de Dieu, si nous
suivons la voie de la vérité et si nous savons bien sa doctrine. Hélas ! ce n’est plus le temps de se rechercher soi-même; mais il faut chercher Jésus crucifié, et ne jamais cesser de pleurer sur les malheureuses âmes qui tombent entre les mains du démon, jusqu’à ce que Dieu jette un regard de miséricorde sur nous et apaise sa colère contre nos fautes. Hélas ! le monde périt au milieu de tous les crimes qui se commettent par ses révoltes et ses persécutions contre la sainte Eglise ! Et moi, misérable cause de tout mal, je vous demande par l’amour de Jésus crucifié, que vous et mes autres fils vous employiez les gémissements, les larmes, les humbles et saintes prières pour demander au doux et tendre Agneau sans tache de nous rendre dignes de sa miséricorde et de nous accorder la réforme de son Epouse, et aussi la lumière, l’intelligence, l’obéissance, le respect envers la sainte Eglise. Que les chrétiens vivent dans la paix et l’union, comme les vrais enfants d’un même père, et que nous ne soyons plus comme les membres du démon. Hélas ! comment le cœur n’éclate-t-il pas d’amour pour Jésus crucifié? Oui, voici le moment; honorez Dieu et servez le prochain : je verrai par là si vous êtes ou non de vrais enfants. Je vous assure [1415] que si nous ne le faisons pas, la Vérité suprême nous en demandera un compte sévère.

5. Dieu veut que nous le priions avec ferveur. Il l’a dit à un de ses serviteurs : "C’est par le moyen des prières continuelles et des ardents désirs de mes serviteurs que je ferai miséricorde au monde. " Ne soyez donc pas avare, mais généreux; donnez les trésors de la charité: c’est d’elle que toutes les vertus tirent leur vie, c’est par elle que toute bonne œuvre porte des fruits de grâce. De cette manière vous deviendrez bon et parfait, vous ne serez plus ignorant, négligent et ingrat; vous vous assoirez humblement par terre, et vous suivrez les enseignements de Jésus. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Recommandez-nous à tous mes fils et à toutes mes filles; dites-leur que c’est le moment de gémir et de prier pour la douce Epouse du Christ, et pour tout le peuple chrétien, qui est plongé dans de si grandes afflictions à cause de nos péchés. Encouragez dans le Christ, le doux Jésus, Thomas Corradino, et dites-lui qu’il ait toujours Dieu devant les yeux, afin qu’il agisse toujours avec la sainte crainte de Dieu; qu’il supporte avec une vraie patience ce que Dieu permet. qu’il méprise le monde, et qu’il embrasse les persécutions avec un saint désir jusqu’à la mort. Doux Jésus, Jésus amour [1416].

Table des matières (2)


 

CCLXXIX (271). A HIPPOLYTE UBERTINI, à Florence. — Elle l’exhorte à abandonner le monde.

(La famille des Ubertini était une des plus nobles de Florence; elle se divisait en plusieurs branches, dont l’une était établie à Sienne.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LÀ DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un cœur généreux, libre de toute passion et de toute tendresse sensible; car cette tendresse vient de l’amour-propre, qui arrête les saints désirs et causa toute sorte de maux. Celui qui s’aime est toujours tiède de cœur. Dieu l’appelle et lui fait voir le peu de temps qu’il a à vivre, les misères et la fragilité du monde, son inconstance et son peu de durée. Il lui montre que le moindre plaisir que l’homme goûte en dehors de la bonté de Dieu est sévèrement puni; il lui inspire aussi la haine et le mépris du monde. L’homme voudrait volontiers le quitter, parce qu’il voit qu’en laissant le monde on en est le maître, puisqu’on foule aux pieds ses grandeurs, ses richesses et ses délices; il voit aussi que Dieu récompense et rend tout au centuple. Il se dispose alors à tout abandonner ; mais l’amour-propre vit encore dans l’âme; ce désir se refroidit, la tendresse [1417] qu’il a pour lui-même le retient, et il s’accorde des délais.

2. Il ne faut pas faire ainsi, mais il faut tuer l’amour-propre, en considérant que le temps est incertain; si nous étions sûrs de l’avoir, nous pourrions dire: Je dénouerai le lien qui me retient au monde, et, quand je serai libre, j’irai me lier avec Jésus crucifié, et je me mettrai sous le joug de son obéissance. Très cher Frère, puisque vous avez le temps maintenant, détruisez tout amour-propre et toute tendresse sensible; ne vous arrêtez pas à dénouer, mais coupez; prenez avec la main du libre arbitre le glaive à deux tranchants de la haine et de l’amour, l’amour de la vertu, et la haine, l’horreur du vice, du monde et de la sensualité. De cette manière vous montrerez que vous êtes courageux, et non pas tiède et négligent. Répondez, répondez à Dieu qui vous appelle par ses bonnes et saintes inspirations. Vous avez une retraite, un lieu de bénédiction bien séparé du monde, et un père, le prieur de la Gorgone, un ange véritable, un modèle de vertus (Voir la lettre C). Vous trouvez une bonne et sainte famille; ne résistez pas à la grâce de Dieu, qui ‘vous demande avec tant de bonté d’habiter votre cœur.

3. D’après la lettre que vous m’avez envoyée, je vois que vous avez une bonne et sainte intention; mais vous tardez trop en demandant deux ans. C’est le démon qui s’irrite de votre bonheur, et qui vous montre des obstacles pour troubler votre paix et votre repos. Il me semble que vous ferez bien de placer le plus tôt possible votre jeune fille, et de vous [1418] délivrer de cet embarras. Vous pourrez ensuite facilement terminer le reste. Pour vos autres affaires, vous pourrez les confier à quelqu’un que vous jugerez capable de s’en charger pour l’amour de Dieu et de vous; mais occupez-vous vous-même de cette jeune fille. Je vous prie de la part de Jésus crucifié de vous hâter. N’attendez pas le temps, car le temps n’attend pas. Vous verrez le prieur de la Gorgone; ouvrez-vous entièrement à lui, et prenez une solide et ferme résolution. Si vous vous décidez à choisir cette sainte retraite, qui sera la vie de votre âme, ou si, de quelque manière que ce soit, vous voulez abandonner vos biens aux pauvres, faites des aumônes au couvent de la Gorgone, car il a besoin d’être secouru, pour vivre selon la règle de l’ordre des Chartreux. Courage donc; j’espère de la bonté de Dieu, qu’en vous baignant dans le sang de Jésus crucifié, vous ferez ceci et le reste sans tarder davantage. Je ne dis rien de plus. Recommandez- moi à Léonard et à Nicolas Soderini, à Mme Antonia. Bénissez toute la famille au non du Christ, le doux Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1419].

Table des matières (2)


 

CCLXXX (272).- A NERI DE LANDOCCIO, des Pagliaresi.- De l’opposition qu’il y a entre Jésus-Christ et le monde.

(Néri, ou Ranieri de Landoccio, fut un des premiers et des plus dévoués disciples de sainte Catherine; il lui servit habituellement de secrétaire, et souvent d’intermédiaire auprès de Grégoire XI. d’Urbain VI, et de la reine de Naples. Après la mort de sainte Catherine, il se fit ermite et mourut en odeur de sainteté. (Voir le procès de Venise, déposition de Thomas Caffarini, de Sienne, et la Vie de sainte Catherine, p. III, ch. 2. )

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon très cher et très aimé Frère et Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir uni et tout transformé dans le Christ Jésus; et cela, mon très doux Fils, l’âme ne peut le faire, c’est-à-dire être parfaitement semblable au Christ, si elle ne se détache entièrement de toute ressemblance avec le siècle, car Je monde est opposé à Dieu, et Dieu est opposé au monde. lis ne peuvent avoir aucun rapport ensemble, et c’est pourquoi nous voyons l’Homme-Dieu choisir la pauvreté complète, les Injures, les mauvais traitements, la honte, la faim, la soif; il a méprisé la gloire et les honneurs des hommes; toujours il a cherché la gloire de son Père et notre salut, toujours il a persévéré dans la vraie [1420] et parfaite patience; il n’y avait pas d’orgueil en lui, mais une humilité parfaite. O ineffable charité ! combien vous êtes contraire au siècle ! Le siècle cherche la gloire, les honneurs, les délices, l’orgueil, l’impatience, l’avarice, la haine, la vengeance, l’amour de soi-même, qui rétrécit le cœur au point de ne plus laisser de place pour le prochain. Oh ! combien sont insensés ceux qui suivent ce siècle maudit ! En voulant les honneurs, ils trouvent la honte; en voulant les richesses, ils deviennent pauvres, parce qu’ils ne cherchent pas la vraie richesse; en voulant la joie et les jouissances, ils n’éprouvent que tristesse et amertume, parce qu’ils sont privés de Dieu, qui est la joie suprême. Ils ne veulent ni la mort ni la peine, et ils tombent dans la mort et la peine; ils veulent la force et la stabilité, et ils s’éloignent de la Pierre vive.

2. Vois donc, mon très cher Fils, quelle différence il y a entre le Christ et le siècle. Aussi les vrais serviteurs de Dieu, en voyant que le monde n’a aucune ressemblance avec le Christ, font tous leurs efforts pour n’avoir aucune ressemblance avec ce monde, qu’ils veulent haïr et mépriser. Ils aiment ce que Dieu aime, et n’ont d’autres désirs que de se conformer à Jésus crucifié en suivant ses traces; ils se passionnent pour les vraies et solides vertus; et ce qu’ils voient que le Christ a choisi pour lui, ils le veulent pour eux : mais ils ont tout le contraire. Ils ont choisi la pauvreté, l’abaissement, et ils sont toujours glorifiés; ils ont la paix, le bonheur, la joie, la consolation, et n’éprouvent jamais la tristesse. Et ce n’est pas étonnant, car ils sont tout transformés par la souveraine, l’éternelle Vérité et par la bonté de [1421] Dieu, qui renferme tous les biens et satisfait tous les saints désirs.

3. Il est donc bon de suivre le Christ, pour tout quitter et se séparer de la vie ténébreuse du monde; il faut nous en retrancher avec le glaive de la haine et du mépris de nous-mêmes et du pur amour de Dieu. Je vous dis, très cher Fils, que vous ne pourrez prendre ce glaive sans vous rappeler sans cesse la pensée de Dieu et surtout l’abondance du sang de son Fils, dont il a été inondé lorsqu’il s’est immolé avec un si ardent amour sur le bois de la très sainte Croix. C’est là que vous trouverez le glaive de la haine, car c’est à cause de la haine et de l’horreur du péché qu’il est mort. L’amour le tenait attaché; et, comme le disent les saints, ni les clous ni la Croix n’auraient pu le retenir s’il ne l’avait été parles liens de la divine charité.

4. Oui, c’est là que je veux fixer et reposer toujours le regard de votre intelligence; c’est là que vous vous passionnerez pour la vertu et que vous trouverez la persévérance; et ni les démons ni les créatures ne pourront vous en détourner. Vous voudrez vous soumettre et vous assujettir à toute créature, à cause de Dieu, avec une vraie et parfaite humilité; vous aurez en dégoût et en abomination le monde et toutes ses œuvres, en vous souvenant de ce précieux sang, et vous aurez faim et soif des âmes, qui sont la nourriture des serviteurs de Dieu.

5. Je vous prie et vous conseille de prendre sans cesse avec amour cette nourriture. Que la connaissance de vos défauts ne vous arrête pas, car Dieu regarde plus à notre bonne volonté qu’à nos défauts [1422]. Je vous le répète vous trouverez dans l’amour du prochain pour Dieu, le feu qui purifie l’âme. Pour que l’a vôtre soit bien purifiée, aidez frère Barthélemy de tout votre pouvoir, pendant qu’il travaille à retirer les âmes des mains du démon. Si je pouvais venir l’aider, je le ferais bien volontiers, mais il ne me semble pas que ce soit la volonté de Dieu. Maintenant nous avons peu de temps, nous n’en ferons pas moins ce que Dieu nous promet de faire; mais sachez, Frère, que ce que je ne fais pas visiblement, je le fais et je le ferai invisiblement.

6. Vous ma demandez que je vous reçoive pour mon fils; j’en suis, il est vrai, indigne; je ne suis qu’une pauvre misérable, mais je vous ai reçu et je vous revois avec un tendre amour. Je m’engage devant Dieu à répondre pour vous de toutes les fautes que vous avez commises et que vous commettez mais je vous en conjure, satisfaites mon désir, devenez conforme à Jésus crucifié, et séparez-vous entièrement du siècle, comme je vous l’ai dit, car nous ne pouvons être autrement semblables à Jésus-Christ. Revêtez-vous, revêtez-vous de Jésus crucifié c’est là le vêtement nuptial qui vous donnera la grâce, et vous permettra de vous asseoir à la table de ta vie éternelle avec les bienheureux. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Bénissez et encouragez frère Barthélemy et frère Simon dans le Christ Jésus [1423].

Table des matières (2)


 

CCLXXXI (273). A NERI DE LANDOCOCCIO. — De la lumière qui donne la charité.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir employer la lumière que Dieu t’a donnée, afin d’augmenter en toi la parfaite lumière, parce que sans la parfaite lumière, nous ne pourrons jamais posséder la vérité, l’aimer et nous en revêtir; et si nous n’en sommes pas revêtus, notre première lumière deviendra ténèbres; et il faut arriver à la parfaite lumière, puisque Dieu nous y appelle. Je veux donc que tu t’appliques avec zèle à contempler la vérité dans l’abîme de la charité divine; tu arriveras ainsi à la parfaite lumière surnaturelle, à l’amour très parfait de ton Créateur et à l’amour du prochain, et tu accompliras ainsi en toi la volonté de Dieu et mon désir. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1424].

Table des matières (2)


 

CCLXXXII (274).- A NERI DE LANDOCCIO. — La considération de notre misère et de la miséricorde de Dieu donne la paix de l’âme. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir posséder la vraie lumière; afin que par cette lumière, tu connaisses la vérité de ton Créateur. Cette vérité est qu’il nous a créés pour nous donner la vie éternelle; mais par la révolte de l’homme contre Dieu, cette vérité ne s’est pas accomplie. Alors il s’est abaissé autant qu’il pouvait le faire, puisque la Divinité s’est revêtue de notre humanité. Nous voyons aussi à cette glorieuse lumière que Dieu s’est fait homme, et cela pour accomplir la vérité en nous. Le sang du tendre Verbe nous l’a bien montré; et ce que nous croyons par la Foi nous est garanti par le prix de ce sang. La créature raisonnable ne peut nier qu’il n’en soit ainsi.

2. Je veux donc que le trouble de ton âme soit détruit et disparaisse dans l’espérance du Sang et dans le feu de l’ineffable charité de Dieu, et qu’il reste seulement la vraie connaissance de toi-même. Cette connaissance, en t’humiliant, augmentera et nourrira la lumière. Dieu n’est-il pas plus disposé à pardonner que nous à pécher? N’est-il pas notre médecin [1425] et nous ses malades? N’a-t-il pas porté nos iniquités? Et le trouble de l’âme n’est-il pas le pire des défauts? Si assurément, très cher Fils. Ouvre donc l’oeil de l’intelligence à la lumière de la très sainte Foi, et regarde combien tu es aimé de Dieu; et en regardant son amour, l’ignorance et la froideur de ton cœur, ne te trouble pas, mais que cette connaissance augmente le feu du saint désir et ton humilité, comme je te l’ai dit. Et plus tu verras combien tu réponds mal aux grandes grâces que t’a faites et que te fait ton Créateur, plus tu devras t’humilier et dire avec une sainte résolution Ce que je n’ai pas fait jusqu’à présent, je veux le faire maintenant. Considère que le trouble d’esprit fait oublier entièrement la doctrine qui t’a été toujours donnée c’est une lèpre qui dessèche l’âme et le corps, et qui nous cause une affliction continuelle. Ce trouble enchaîne les bras du saint désir, et nous empêche de faire ce que nous voulons; il rend l’âme insupportable à elle-même, et l’agite sans cesse par des combats et des fantômes; il ôte la lumière surnaturelle et obscurcit la lumière naturelle. Et l’âme tombe ainsi dans des infidélités nombreuses, parce qu’elle ne connaît plus la vérité pour laquelle Dieu l’a créée il l’a créée pour lui donner la vie éternelle. Courage donc! que la foi vive, les saints désirs et la ferme espérance dans le Sang précieux triomphent du démon qui te trouble. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je le prie qu’il te donne sa douce bénédiction. Doux Jésus, Jésus amour [1426].

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CCLXXXIII (275). — A NERI DE LANDOCCIO.- Il faut avancer dans le renoncement de soi-même pour arriver à la paix.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et très doux Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir toujours croitre de vertu en vertu jusqu’à ce que je te voie arriver à l’océan de la paix, où tu ne craindras plus d’être séparé de Dieu. Alors la corruption de la loi mauvaise, qui combat contre l’esprit, sera détruite et la dette sera payée. Je veux, mon très doux Fils, que tant que tu seras en cette vie, tu t’appliques à vivre mort à toute volonté propre. C’est par cette mort que tu acquerras les vertus; et c’est en vivant ainsi que tu vaincras la loi de la volonté mauvaise. Tu ne craindras plus que Dieu permette pour toi ce qu’il a permis pour d’autres, et tu ne t’affligeras plus de ce que tu es séparé pour un peu de temps de moi et de l’autre congrégation. Courage, et rappelle-toi ce que la Vérité a dit: Qu’aucun ne sera ravi de ses mains (Jn 17,12.- Sainte Catherine, au témoignage de Christophe de Gano, aurait reçu de Notre-Seigneur la promesse du salut éternel de tous ses disciples.). Je dis de ses mains, parce que tout lui appartient, et je sais que tu comprends sans beaucoup [1427]de paroles. Ainsi je n’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCLXXXIV (276).- A NERI DE LANDOCCIO.- Des grâces que le cœur reçoit de Dieu dans la prière.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et très doux Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris clans son précieux sang, avec le désir de te voir disposer le vase de ton cœur et de ton âme pour recevoir ce que Dieu veut te donner par le moyen de la prière. Pourquoi vouloir que tu te prépares ainsi ? Parce que tu ne pourrais autrement rien recevoir, et, comme Dieu est toujours disposé à donner, il faut que l’âme aussi se dispose toujours elle-même à recevoir. Et comment s’y disposera-t-elle? Avec les moyens que nous avons reçus de Dieu lorsque nous avons été créés à son image et ressemblance. Nous recevons avec la lumière la mémoire, qui est le vase pour la contenir, l’intelligence, qui reçoit la lumière de la Foi dans le saint baptême, et la volonté, qui est capable d’aimer, car il n’est pas possible de vivre sans amour.

2. Puisque nous avons reçu de Dieu avec l’être cette disposition à l’amour, lorsque nous avons été faits par amour, nous devons par le libre arbitre présenter [1428] et offrir en la présence de Dieu cet être donné par amour, et recevoir avec amour l’amour. Je parle de l’amour général que Dieu a pour toutes les créatures raisonnables, et les dons, les grâces particulières que lame reconnaît avoir reçus, Alors nous invitons Dieu à répandre sur nous le feu et l’abime de son ineffable charité, avec une lumière surnaturelle, une plénitude de grâce et une parure de vertu, que l’âme reçoit, en étant lavée dans le précieux sang de l’humble Agneau sans tache. Elle a faim de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, elle court à la table des douloureux désirs, et elle y prend cette nourriture en si grande abondance, que la sensualité en est étouffée et détruite. La volonté meurt à tout amour-propre, à tout mouvement sensitif, et elle est prête comme une épouse fidèle à mourir et à donner mille fois sa vie, si elle le pouvait, pour la Vérité. Voici le temps, très cher et très doux Fils, d’offrir ta vie; et tu seras prêt à la donner, lorsque tu seras dans la disposition dont je t’ai parlé. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1429].

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CCLXXXV (277).- A NERI DE LANDOCCIO.- Elle désire le voir éclairé par la lumière de la très sainte Foi.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et très doux Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en toi la lumière de la très sainte Foi, afin que jamais rien de ce qui t’arrive ne te scandalise, mais que ton âme conserve la paix dans tous les mystères de Dieu, et qu’elle considère l’amour ineffable qu’il a montré en nous faisant des créatures raisonnables, en nous donnant son image et sa ressemblance, et en nous rachetant avec le sang de l’humble Agneau sans tache. Cette vue te fera recevoir avec respect tout ce qui t’arrive ; et tu renonceras à ton jugement avec une humilité sincère toutes les fois que, par une illusion du démon, il te semblera que les choses ne sont pas ce qu’elles devraient être au milieu de tes peines spirituelles et corporelles. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1430] .

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CCLXXXVI (278).- A NERI DE LANDOCCIO.- Du feu de la charité qui naît de la contemplation de Jésus crucifié.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Mon cher et bien-aimé Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir uni et transformé dans le feu de la plus ardente charité, afin que tu sois un vase d’élection capable de porter la parole de Dieu selon ses grands desseins, en la présence de notre doux Christ de la terre, et que tu parviennes à embraser son cœur (Néri avait été envoyé à Avignon par sainte Catherine porter une lettre à Grégoire XI (lettre IIIe); il s’était arrêté à Pise pour prendre la voie de mer.). Aussi je veux, mon Fils, que tu fixes le regard de ton intelligence sur Jésus crucifié il est la source où l’âme s’enivre et se consume d’ardents désirs. Ces désirs, je veux que tu les étendes au corps mystique de la sainte Eglise, pour l’honneur de Dieu et le salut de toute créature. En le faisant, tes œuvres et tes paroles seront comme la flèche qu’on retire d’un foyer bien embrasé et qu’on jette : elle embrase ce qu’elle touche, car elle ne peut faire autrement que de donner ce qu’elle a. De même, mon Fils, si ton âme entre dans la fournaise de la charité divine, elle sera toute changée par l’ardeur de l’amour, et en s’élançant elle communiquera ce que tu as trouvé dans le feu [1431].

2. Et qu’as-tu trouvé en Dieu? la haine et le mépris de toi-même, l’amour de la vertu, la faim du salut des âmes, et de l’honneur du Père éternel. Tu ne peux trouver autre chose dans le doux Verbe. Tu vois bien qu’il est mort de la faim qu’il avait de notre salut, et il en était si tourmenté, qu’il a sué non pas de l’eau, mais des gouttes de sang par la violence de l’amour. Quel cœur serait assez dur, assez obstiné pour ne pas ressentir le feu et ne pas se fondre à sa chaleur? En regardant, vous ne pourrez vous empêcher d’être comme l’étoupe qu’on met dans le feu, et qui ne peut y être sans brêler; car la nature du feu est de brûler et de convertir en lui tout ce qui en approche, De même l’âme qui considère l’amour de son Créateur est aussitôt entraînée à l’aimer et à changer tout son cœur en lui. C’est là que se consume toute l’humidité de l’amour-propre, et que l’âme perd la ressemblance du feu de l’Esprit-Saint; et le signe qu’elle l’a, c’est qu’elle aime aussitôt tout ce que Dieu aime, et qu’elle déteste tout ce qu’il déteste.

3. Voilà pourquoi mon âme désire te voir uni et transformé dans le feu de la charité divine. Travailles-y de tout ton pouvoir, de toutes tes forces, mon Fils bien aimé, afin d’accomplir la volonté de Dieu et celle de ta pauvre et triste mère. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Dis à Nanni et à Papi de crier si bien, que j’aie enfin de leurs nouvelles. Dis à mon fils Gherad qu’il réponde à la voix de sa mère, qui l’appelle, et qu’il vienne bientôt, car je l’attends. Vanni, messire François, Mme Nella et Catherine me sont toujours chers. Bénis-les au nom de la très sainte Croix; j’en fais de même pour le [1432] père (Les personnes dont sainte Catherine parle étaient de la famille Buonoconti, de Pise. )... Jésus, doux Jésus. François dit qu’il n’est obligé à rien; François, le méchant, le paresseux, dit que tu salues mille fois le frère Raymond dans le Christ Jésus. Dis-lui de prier Dieu pour lui. Jésus, Jésus. Tu sais que quand j’ai obtenu l’indulgence plénière du Saint-Père (Cette indulgence avait été demandée par le confesseur de sainte Brigitte, Alphonse de Vadaterra. (Lettre CLXIII) Sainte Catherine demandait un changement dans les conditions de l’indulgence, parce ce qu’elle avait peine à réciter un Pater sans entrer en extase. Son jeûne du reste était continuel. (Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. 5.), il m’a obligée de dire, tous les vendredis, trente-trois Pater et trente-trois Ave Maria et ensuite soixante-douze Ave Maria. Maintenant je désirerais, si tu veux bien le demander, qu’il m’oblige à jeûner, tous les vendredis, au pain et à l’eau; n’oublie pas de le demander, si tu le peux. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCLXXXVII (279).- A NERI DE LANDOCCIO.- De la persévérance et du progrès dans la vertu.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang [1433], avec le désir de voir croître en toi les bons et saints désirs, avec une douce et vraie persévérance jusqu’à la mort. Pense, mon Fils, que, chaque jour, nous devons nous appliquer à croître en vertu ; car, si nous n’avançons pas, nous reculerons. J’espère de la divine Bonté que mon désir s’accomplira en toi, pour ceci et pour d’autres choses. Je n’ajoute rien maintenant, parce que le temps presse et que j’ai beaucoup d’affaires qui ne peuvent attendre. Mets ta force en Jésus crucifié, et sois bien patient. Encourage et bénis mille fois de ma part Simon; recommande-lui de prier Dieu pour tous tes frères, qui t’envoient bien des compliments, surtout ce négligent d’Etienne. Barduccio et François se portent bien et te saluent. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCLXXXVIII (280). — A NERI DE LANDOCCIO.- Du renoncement à soi-même.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher. Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir posséder la parfaite lumière et la connaissance de l’éternelle vérité, afin que toutes tes œuvres soient faites avec lumière et discernement. Sans la lumière, tout est fait dans les [1434] ténèbres ; et tu ne pourras avoir parfaitement cette lumière si tu ne dissipes, par la haine, le nuage de l’amour-propre. Applique-toi donc avec un grand zèle à te perdre toi-même, afin que tu puisses acquérir cette lumière, et que toutes tes pensées soient anéanties dans la pensée et la volonté de la Bonté divine. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCLXXXIX (281). — A NERI DE LANDOCCCIO.- Elle l’exhorte à se dépouiller de l’amour-propre, et à faire la communion fréquente.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de voir mourir en toi tout sentiment propre, afin que ton esprit et tes désirs ne soient lamais souillés par l’intérêt personnel, mais qu’au contraire. la vertu augmente toujours en toi. Tu le feras, si avec l’oeil de ton intelligence, tu te regardes dans l’éternelle Vérité; tu ne pourras autrement déraciner l’amour-propre. Je veux donc, mon doux Fils, que tu regardes dans la suprême et éternelle Vérité; ne perds pas de temps, et applique-toi de toutes tes forces à supporter, autant que tu le [1435] pourras, les défauts des créatures. Tâche de ne pas négliger la sainte oraison, et de faire tous les dimanches la sainte Communion. Ne t’inquiète pas de te voir éloigné de moi corporellement, car par le saint désir et la sainte prière, je serai toujours près de toi. Courage; agis avec force et violence, afin de ravir le royaume des cieux. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Que Dieu te donne sa douce et éternelle bénédiction. Mme Lisa, Alessia, François et Barduccio te saluent. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCXC (282). — A NERI DE LANDOCCIO.- Elle l’exhorte à vaincre la négligence, qui est une ingratitude envers Dieu.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de voir éteindre en toi toute négligence et toute ingratitude, car la négligence est inséparable de l’ingratitude. Si l’âme était reconnaissante envers son Créateur, elle serait pleine de zèle, et ne laisserait pas le temps s’échapper de ses mains, mais elle en déroberait plutôt par amour de la vertu. Je veux donc, très cher Fils, que, plein d’ardeur pour la vertu, et de reconnaissance pour les bienfaits reçus, tu emploies toujours le temps à une humble et continuelle [1436] prière. Je termine. Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, et demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCXCI (283).- AU SEIGNEUR ANTOINE DE CIOLO.- De l’union à Jésus-Christ par l’amour. — De la lumière nécessaire pour conserver la pureté.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris avec le désir de vous voir uni par de saints désirs à notre doux Sauveur; car autrement nous ne pouvons mépriser le monde et acquérir une pureté parfaite, en conservant notre esprit et notre corps dans une vraie continence. Car, ou l’âme s’attache à Dieu et s’unit à lui par l’amour, ou elle s’unit nécessairement aux créatures en dehors de Dieu, et s’attache aux délices, aux plaisirs et aux honneurs du monde. L’âme ne peut vivre sans amour; il faut qu’elle aime ou Dieu, ou le monde; et l’âme s’unit toujours à ce qu’elle aime; elle s’y transforme, elle en prend toujours quelque chose. Si elle aime le monde, elle n’y trouve que la peine, parce que le péché fait naître les ronces et les épines de l’affliction. Notre chair ne nous donne que la corruption et le poison du péché; et si l’âme suit la volonté de la [1437] chair et la passion sensitive, elle reçoit le poison qui lui donne la mort et lui ôte la vie de la grâce, en la faisant tomber dans le péché mortel. C’est tout ce qu’elle peut recevoir d’un pareil amour. Elle est toujours dans la tristesse, et devient insupportable à elle-même, parce que Dieu a permis que toute affection déréglée soit ainsi punie.

2. Le coeur, au contraire, qui est réglé sur la douce volonté de. Dieu, et qui lui est uni par l’amour, donne à l’âme ce qu’il a en lui-même. Dieu est la souveraine et éternelle douceur, et ses serviteurs trouvent la joie dans les choses amères et fâcheuses, parce qu’ils y trouvent Dieu par la grâce; et leur âme est calme et satisfaite. Il n’y a que Dieu qui puisse satisfaire l’âme, parce qu’il est plus grand qu’elle, et qu’elle est plus grande que toutes les choses créées. Tout ce que Dieu a créé, il l’a créé pour le service de l’homme; et il a créé l’homme pour lui, afin qu’il l’aimât de tout son cœur, de toutes ses forces, et qu’il le servit dans la vérité. Aussi les choses du monde ne peuvent rassasier l’homme, parce qu’elles sont moins que lui.; il ne trouve sa paix, son repos qu’en Dieu. Son cœur alors s’agrandit, et peut contenir toutes les créatures raisonnables par le sentiment de la charité; il s’applique même à les servir; il secourt son prochain, et montre en lui l’amour qu’il a pour son Créateur.

3. Comme Dieu est la souveraine et éternelle pureté, l’âme et le corps participent à lui par l’union, et se conservent dans une pureté parfaite; l’homme aimerait mieux mourir que de les souiller par la moindre impureté. Il ne peut pas maîtriser les pensées de son coeur, et il éprouve souvent les mouvements de la chair; mais ces mouvements et ces pensées ne souillent pas l’âme; il faudrait que la volonté y consentit librement. Dès qu’il n’y a pas de faute, il y a mérite, puisqu’il résiste saintement, et il retire toujours de ces épines la rose embaumée d’une pureté parfaite. Il arrive ainsi à une connaissance plus grande de lui-même; il se lève avec une sainte haine contre sa propre sensualité, et il se réfugie avec amour en Jésus crucifié par une humble et continuelle prière; il voit bien que c’est le seul moyen d’échapper à tant de. dangers. Nous avons dit que, plus il s’attache à Dieu, plus il participe à sa pureté, et il est bien vrai qu’il peut cueillir dans les combats une rose très pure. C’est là le remède souverain contre le misérable péché de la chair faible et fragile, et contre tous les autres. Il faut nous attacher et nous rendre semblables à Dieu par l’amour mais ne différons pas, très cher Fils; le temps est court et ne nous attend pas, nous ne devons pas non plus l’attendre.

4. N’est-il pas étonnant que l’homme veuille rester dans cet aveuglement et ne pas sortir de ce sommeil? Mais il est vrai aussi que? nous ne pouvons en sortir et arriver à cette union sans la lumière. Il faut connaître à la lumière de la très sainte Foi notre misère et nos fautes; il faut que notre regard purifié contemple l’amour ineffable que Dieu a pour nous, et qu’il nous a manifesté dans le Verbe, son Fils unique. Son Fils nous l’a montré par ce sang répandu avec tant d’amour lorsqu’il courut, comme hors de lui, à la mort honteuse de la très sainte Croix [1439]. Comment l’âme, en se voyant tant aimée, pourrait-elle ne pas aimer? O très cher Fils, ne vous éloignez pas de cette lumière, mais dissipez avec zèle le nuage de l’amour-propre, et regardez avec une foi libre, l’Agneau sans tache qui vous appelle avec tant d’amour; répondez-lui, unissez-vous parfaitement à lui, et alors vous sentirez le parfum de la pureté parfaite. Il est bon, pour combattre ce vice, de considérer à quelle dignité l’âme et la chair ont été élevées par l’union que Dieu a faite de la nature divine avec la nature humaine. Que l’âme rougisse donc de s’abandonner à de pareilles misères. en la voyant ainsi élevée au-dessus de tous les chœurs des anges. Lorsque votre esprit et vos désirs seront si doucement excités, la corruption du vice disparaîtra nécessairement.

5. Il faut aussi châtier notre corps, et le mortifier par les veilles, par une humble et continuelle prière; il faut s’attacher à l’arbre de la très sainte Croix, fuir les conversations, surtout celles des personnes relâchées ; et ne doutez pas que Dieu ne vous fasse de grandes grâces, si vous voulez couper sans vous arrêter ù dénouer. Arrangez promptement vos affaires, et courez, avec un doux et tendre désir, au joug de la sainte obéissance. Là vous tuerez votre volonté, vous mortifierez votre corps, et vous goûterez les arrhes de la vie éternelle. Rien ne vous paraîtra pénible. parce que la peine se changera en véritable jouissance. Je suis persuadée que si vous vous unissez par l’amour au doux et bon Jésus, il en sera ainsi, mais pas autrement. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir uni par l’amour à notre Sauveur [1440], afin que vous arriviez à la vraie pureté, et que vous perdiez cette passion qui vous cause tant de peine. Je ne doute pas que, si vous le faites, vous n’en soyez délivré, et votre volonté préférera la mort à de nouvelles offenses.

6. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et commencez une vie nouvelle, avec l’espérance que vos fautes seront consumées dans le sang et le feu de l’amour. Je veux prendre vos fautes et les effacer par les larmes de la prière, dans les flammes de la charité divine; je veux en faire pénitence pour vous. Je vous prie seulement, et je vous conjure de mépriser le monde et de le fouler aux pieds. Si vous ne le quittez promptement, c’est lui qui vous quittera bientôt. Ne résistez pas à l’Esprit-Saint qui vous appelle. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCXCII (284). — A PIERRE, fils de Jacques Attacusi Tholomei, de Sienne.- De la bassesse de ceux qui servent le monde, et de la dignité de ceux qui servent Dieu.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et très aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir l’ami et[1441] le serviteur de Jésus crucifié; car nous ne pouvons autrement plaire à Dieu, et nous sommes obligés de le faire par reconnaissance. Toute créature raisonnable est obligée de l’aimer, car nous n’avons reçu de Dieu que des services, de grâces, des bienfaits; il nous a aimés sans être aimé de nous. Nous n’étions pas, et il nous a crées à son image et ressemblance; nous avions perdu la grâce par la désobéissance d’Adam, et il nous a donné le Verbe, son Fils unique, par amour seulement; car, au lieu de l’avoir servi, nous l’avions offensé par le péché. Nous étions en guerre avec Dieu, et ce Dieu offensé nous a donné le Verbe son Fils pour être notre rançon, notre médiateur, pour apaiser cette grande guerre avec le précieux sang de l’Agneau. Son obéissance a détruit la désobéissance d’Adam, et comme par la désobéissance nous avons contracté le péché, par l’obéissance du Fils de Dieu nous avons contracté la grâce; et la grâce que nous recevons par le moyen du Verbe est infinie; car toutes les fois que l’homme pèche, et recourt au sang de Jésus-Christ avec douleur et regret de sa faute, il reçoit miséricorde par ce sang, qui nous est appliqué dans le sacrement de pénitence; puisqu’en vomissant les souillures de nos iniquités, c’est-à-dire en nous confessant fidèlement et sincèrement à un prêtre, il nous donne par l’absolution le sang de Jésus-Christ; et ce sang lave la lèpre des péchés et des défauts qui sont en nous. Cette grâce, Dieu nous la fait par amour et sans y être obligé. Nous sommes donc tenus de l’aimer; nous devons l’aimer, si nous voulons éviter l’éternelle damnation [1442].

2. Mais remarquez une chose : ceux qui agissent contre le Sang, ou qui s’unissent à ceux qui le persécutent, en poursuivant de leurs injures, de leurs mépris et de leurs outrages l’Epouse de Jésus-Christ, ceux-là, s’ils ne se convertissent pas, ne participeront jamais au fruit du Sang; ils auront beau s’excuser sur les défauts de ceux qui distribuent le Sang, et dire: Nous poursuivons seulement les fautes des mauvais pasteurs, comme le disent tant de faux chrétiens qui semblent vouloir plaire à Dieu en persécutant son Eglise, cette excuse ne leur servira de rien. Admettons que ces ministres soient des démons incarnés remplis de misères, nous ne devons pas nous faire les justiciers et les bourreaux du Christ. Ce sont les oints du Seigneur, qui veut se réserver le droit d’en faire justice par lui ou par ceux qu’il en a chargés. Aucun pouvoir temporel, aucune loi civile ne peut empêcher celui qui l’usurpe d’encourir la mort de son âme. Dieu ne le veut pas, et celui qui le fait ne montre pas son amour pour le Créateur, mais sa haine. Il est bien ignorant et bien misérable, celui qui se voit tant aimée, et qui n’aime pas; et la patience de Dieu est bien grande pour supporter une telle iniquité. N’oublions donc pas de servir et d’aimer notre Créateur, car nous sommes tenus de l’aimer; et ce n’est pas une honte de le servir, car, servir Dieu, ce n’est pas être esclave, c’est régner; plus on le sert, plus on se soumet à lui, et plus on est maître de soi-même. On n’est pas sous la dépendance du néant, c’est-à-dire du péché, et il ne peut pas arriver de plus grand malheur à l’homme que de se faire le serviteur et l’esclave du péché; car il perd [1443] l’être de la grâce, il sert le néant et devient un néant.

3. Qu’il est donc malheureux, l’homme assez insensé, assez privé de toute lumière pour s’avilir au point d’abandonner son Créateur et de servir le démon, le monde, ses délices qui passent, et sa propre sensualité? Il ne sert plus cette Bonté infinie qui l’aime d’un amour ineffable, ce doux et glorieux Maître qui l’a racheté, non pas avec de l’or et de l’argent, mais avec le précieux sang de son Fils unique. Personne ne peut se refuser à lui; car nous sommes vendus, et nous ne pouvons plus nous vendre au démon ni aux créatures, en les servant hors de Dieu. Nous sommes bien obligés de servir notre prochain, mais jamais en ce qui est contraire à la volonté de Dieu, Oh! combien est glorieuse cette puissance que l’âme acquiert en servant son Créateur ! Elle règne sur le monde entier, dont elle méprise les lois et les usages; elle règne sur elle-même, et ne se laisse jamais commander par la colère, par l’impureté, par aucun vice; mais elle les domine tous par l’amour de la vertu.

4. Il y en a beaucoup qui possèdent des villes et des châteaux, et ne se possèdent pas eux-mêmes; mais toute puissance sans celle-là, est misérable et dure peu; on l’exerce mal, sans consulter la raison et la justice, en n’écoutant que la sensualité, l’amour de soi-même et les caprices des autres. Ce n’est pas alors la justice, mais l’injustice; car la justice ne veut pas être corrompue par l’amour-propre, par les présents, l’argent et les flatteries des hommes, et celui qui l’aime voudra plutôt mourir que d’offenser

Dieu en cela ou en autre chose; c’est un serviteur fidèle, et il est maître de lui-même en gouvernant la sensualité et le libre arbitre par la raison. Puisque aimer et servir Dieu est si noble, si nécessaire à notre salut, puisque le contraire entraîne tant de danger et de misère, je le veux et je vous en conjure, très cher Frère, servez Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme. Ne comptez pas sur le temps, vous n’êtes pas sûr de l’avoir, car nous sommes tous condamnés à mort, et nous ne savons pas le moment; nous ne devons pas perdre le temps présent à cause de celui qui est incertain.

5. Et parce que nous avons dit que nous sommes obligés d’aimer Dieu, j’ajoute que celui qui aime doit être utile à celui qu’il aime, et le servir, Mais je vois que nous ne pouvons être utiles à Dieu. Quel profit lui cause notre bien? quel tort lui fait notre mal? Que devons-nous donc faire? Nous devons rendre gloire et louange à son nom, orner notre vie de vertus, et nous fatiguer pour le prochain; nous devons travailler à lui être utile, le servir en toutes les choses qui sont selon Dieu, et supporter ses défauts avec une charité bien entendue et non pas déréglée. L’amour déréglé fait quelquefois commettre des fautes pour sauver le prochain, ou pour lui plaire; il ne doit pas en être ainsi, car l’amour bien réglé en Dieu ne veut jamais sacrifier son âme. même pour sauver le monde entier. S’il était possible, en commettant un péché, d’assurer la vie éternelle à toutes les créatures raisonnables, il ne faudrait pas le faire; mais on doit sacrifier la vie du corps pour l’âme de son prochain. et sa fortune pour sauver son corps. C’est ainsi, c’est [1445] par le moyen du prochain que nous devons aimer Dieu, et montrer que nous l’aimons.

6. Vous savez bien ce que le Christ disait à saint Pierre : " Pierre, m’aimes-tu " Et Pierre répondait qu’il savait bien qu’il l’aimait. Et, après trois fois, le Sauveur ajouta: "Si tu m’aimes, pais mes brebis. " Il semblait lui dire : C’est à cela que je verrai si tu m’aimes; tu ne peux m’être utile, mais tu peux secourir ton prochain, le nourrir et lui donner à la sueur de ton front, la sainte et vraie doctrine. Nous devons donc aussi le secourir selon nos aptitudes, les uns par l’enseignement, les autres par la prière, d’autres par leur fortune; et celui qui n’en a pas peut le faire par ses amis, afin que nous exercions tous la charité, et que nous nous servions des moyens que Dieu nous a donnés. C’est ce que je vous demande par grâce et par miséricorde. Je vous redis la parole du Christ e Pierre, aimes-tu ton Créateur, et m’aimes-tu? il faut alors me servir dans ton prochain, qui a besoin et qui souffre. " Il faut le faire de tout notre pouvoir, en cherchant toujours l’honneur de Dieu, et sans jamais l’offenser.

7. J’ai appris que Louis des Vignes de Capoue, frère de Frère Raymond, a été pris par les gens du Préfet lorsqu’il était avec les troupes de la Reine (Louis des Vigne était au services de la reine de Naples, et combattait pour l’Eglise; il faisait partie d’une troupe qui allait attaquer Viterbe, et qui fut battue par le préfet de Rome, Français de Vico, en guerre avec Grégoire XI.). On l’a taxé à quatre mille florins, et il est dans l’impossibilité de les donner, car il est pauvre. Je vous [1446] prie donc et je vous conjure, au nom de l’ineffable charité que Dieu nous a montrée en répandant pour toute créature le sang de son Fils, de vous employer autant que vous le pourrez auprès du Préfet, afin que, par amour pour Jésus crucifié, le fasse grâce et miséricorde à son prisonnier, et ne lui demande pas ce qu’il ne peut donner. Dites-lui que c’est une aumône qui lui obtiendra de Dieu le temps de corriger sa vie, et d’arriver à la vertu, à la paix, au repos de l’âme et du corps, et surtout au respect et à l’obéissance de la sainte Eglise, comme un bon serviteur et un fidèle chrétien. Et après cela il jouira de la vie éternelle, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, et la faim sans peine. Et moi, je m’engage envers lui et envers vous, tant que je vivrai, à offrir sans cesse des prières, des larmes, des désirs pour votre salut, autant que Dieu m’en fera la grâce. Je n’ai pas d’autre chose à vous donner. Faites cela pour lui et pour moi, par amour de Jésus crucifié; vous montrerez ainsi les sentiments que vous avez pour lui, pour moi, pour le Frère Raymond, qui est le père de mon âme. Saluez de ma part le Préfet, et dites-lui de suivre les traces de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1447] .

Table des matières (2)


 

CCXCIII (285).- A GABRIEL DE DAVINO PICCOLOMINI.- De la vertu de persévérance, et des armes que nous devons employer pour vaincre nos ennemis.

 

(L’illustre famille des Piccolomini a donné à l’Eglise trois papes, quatre cardinaux, quatorze archevêques et vingt et un évêques. Gabriel Piccolomini était très dévoué à sainte Catherine. Son fils, le bienheureux Jean Piccolomini fut aussi son disciple. Il mourut dans l’ordre de Saint-Dominique, le 20 août 1410.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir constant et persévérant dans la vertu, de manière que jamais tu ne détournes la tête en arrière: autrement tu ne pourrais pas être agréable à Dieu et recevoir le fruit du sang de l’humble Agneau sans tache, car la persévérance seule est couronnée. Et si tu me dis, très cher Fils Comment puis-je avoir cette constance et cette persévérance? j’ai tant d’ennemis autour de moi, le monde, les créatures, qui me poursuivent de leurs injures et de leurs murmures, et ma propre sensualité, qui se révolte si souvent contre la raison ! je te répondrai que, pour vaincre ces ennemis, il faut des armes et du courage; il faut entrer généreusement sur le champ de bataille, ne pas craindre la mort et [1448] aimer la gloire qui suit le combat. Ou!, nous sommes sur le champ de bataille pour combattre nos ennemis, c’est-à-dire le monde, la chair et le démon; nous ne pourrons pas combattre sans armes et parer les coups qu’on nous donnera. Quelle arme faut-il donc avoir? une épée. Il faut aussi avoir la cuirasse de la vraie charité, qui résiste aux coups du monde de différentes manières, aux tentations nombreuses du démon et aux attaques de la chair, qui se révolte contre l’esprit; il faut que la cuirasse soit couverte d’une cotte d’armes vermeille, c’est-à-dire du sang de Jésus crucifié; uni et mêlé au feu de la divine charité.
2. Il faut que ce sang paraisse, c’est-à-dire que tu le confesses devant toute créature, et que tu te montres par de bonnes et saintes œuvres, par des paroles s’il le faut, et ne pas faire comme les insensés, qui rougissent devant le monde de reconnaître Jésus crucifié, et de se déclarer ses serviteurs; ceux-là ne veulent pas revêtir la cotte de mailles. Quelle honte pour le monde de ne pas oser reconnaître le Christ et son sang, qui nous a rachetés avec tant d’amour ! Et ils ne rougissent pas de leurs iniquités, qui les privent si malheureusement du prix du Sang, qui ternissent la beauté de leur âme, leur font perdre leur dignité, et les rendent semblables à des animaux grossiers. Ils deviennent les serviteurs et les esclaves du péché, et ils ne s’aperçoivent pas qu’ils ont perdu la lumière de la raison; ils vont comme des aveugles et des insensés, s’attachant aux choses du monde, qu’ils ne peuvent jamais retenir, parce qu’elles passent comme le vent. Elles nous quittent, ou nous les quittons, lorsque le souverain Juge nous appelle et [1449] que l’âme est séparée du corps. S’ils ne se convertissent pas pendant la vie ou à l’heure de la mort, et personne ne doit être assez ignorante pour attendre ce moment, car nous ne savons pas comment et quand nous mourrons, s’ils ne se convertissent pas, ils sont privés des biens de la terre et de ceux de ciel; ils tombent dans l’éternelle damnation.

3. Aussi je ne veux pas, mon Fils, puisqu’ils courent un si grand danger, que tu leur ressembles. Mais arme-toi, comme je te l’ai dit; sois constant, persévérant dans ce combat jusqu’à la mort, sans jamais craindre. Il faut avoir aussi à la main pour te défendre Je glaive de la haine et de l’amour, l’amour de la vertu et la haine du vice; et avec ce glaive, tu frapperas le monde, en détestant ses honneurs, ses délices, ses pompes, ses vanités, son orgueil infini. Tu frapperas tes persécuteurs avec la vraie patience que tu acquerras par l’amour de la vertu; tu frapperas le démon, parce que la charité seule le frappe, et le chasse de l’âme comme la mouche est chassée par la vapeur de l’eau qui bout. Tu frapperas aussi la sensualité et ta faiblesse par la haine que tu trouveras dans la sainte connaissance de toi-même, et par l’amour de ton Créateur, que tu acquerras par la connaissance de Dieu en toi; c’est cet amour qui te fera combattre.

4. Tu dois avoir sans cesse devant les yeux de ton intelligence, Jésus crucifié se glorifiant dans ses opprobres et dans ses peines; tu verras en lui la gloire qui est préparée pour toi et pour ceux qui le servent. Dans cette gloire, tu trouveras et tu recevras la récompense de tout ce que tu auras souffert pour la [1450] gloire et l’honneur de son nom. C’est ainsi, très cher Fils que tu parviendras à la vertu parfaite, que tu vaincras ta faiblesse et que tu persévéreras jusqu’à la mort. Sans la persévérance, notre arbre ne peut produire aucun fruit. C’est pourquoi je t’ai dit que je désirais te voir constant et persévérant, afin que tu ne tournes jamais la tête en arrière. Je ne t’en dis pas davantage. Je t’ai parlé d’armes pour que tu sois prêt quand se lèvera l’étendard de la très sainte Croix. J’ai voulu te faire connaître les armes les meilleures, et il faut que tu commences à t’en servir parmi les chrétiens, pour quelles ne soient pas rouillées quand tu marcheras contre les infidèles. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXCIV (286).- A PIERRE, fils de Thomas Bardi, de Florence. Lettre écrite en extase.- La foi doit être accompagnée des œuvres, et tonte bonne œuvre est récompensée.

(La famille Bardi est une des plus illustres de Florence. Pierre Bardi fut un des dix du gouvernement, en 1395. )

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

 

1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairé de [1451] la lumière de la très sainte Foi, et revêtu de la parfaite espérance. Vous ne pourrez autrement plaire à notre Créateur et participer à la vie de la grâce, car la Foi vive n’est jamais sans les œuvres (Jc 2,17). Si la Foi était sans les œuvres, elle serait morte, et n’enfanterait que des vertus mortes et stériles. Car celui qui n’a pas la lumière de la Foi est privé de la vertu de charité; et sans la charité, tout le bien, tous les actes de vertu qu’on fait ne servent pas pour la vie éternelle; il ne faut pas cependant cesser de les faire, parce que tout bien est récompensé et toute faute punie. Le bien fait en péché mortel, et privé par conséquent de la lumière de la très sainte Foi, ne profite pas pour la vie éternelle; mais il profite pour d’autres choses, et attire les grâces de Dieu. La Bonté divine ne veut pas que le bien fait par l’homme soit inutile, et il le récompense, quelquefois en nous donnant le temps de nous convertir, quelquefois en mettant dans les cœurs de ses serviteurs le désir de notre salut, et en nous aidant par ce désir et par leurs prières à sortir des ténèbres du péché mortel, et à revenir à l’état de grâce. Il le récompense encore dans les choses temporelles, lorsque l’homme par sa faute se rend incapable de recevoir des grâces spirituelles. Vous voyez donc que tout bien est récompensé, et que nous ne devons jamais cesser de faire le bien; mais nous devons nous appliquer à le faire en état de grâce, pour qu’il soit fait à la lumière de la Foi; c’est à cette lumière que naissent les vraies vertus, qui donnent à l’âme la vie de la grâce [1452].

2. O glorieuse lumière ! qui délivres l’âme des ténèbres, et la dépouilles de l’espérance qu’elle met en soi-même, dans le monde, les enfants et les créatures, pour la revêtir de la véritable espérance qu’elle place en Jésus crucifié. L’âme ne craint jamais qu’il lui manque quelque chose, parce qu’à la lumière de la Foi, elle a connu la bonté de Dieu à son égard; elle voit que Dieu est tout-puissant, et qu’il peut la secourir, qu’il est très sage et qu’il sait comment le faire, qu’il est très bon et qu’il veut le bien de sa créature raisonnable. Celui qui espère en lui, Dieu ne l’abandonne jamais; il nous assiste selon que nous espérons en ses largesses, et il mesure ses dons à nos espérances. Si l’homme se connaît à la lumière de la Foi, il ne se confie pas en lui-même et en ce qu’il possède; car il connaît son néant, et il voit que, si ce qu’il aime était à lui réellement, il le posséderait selon son désir. Mais il veut être riche, il est souvent pauvre; quand il souhaite la santé et une longue vie, il devient malade, et le temps lui échappe. Bien fou et bien malheureux est celui qui met son espérance dans l’homme ! car il doit voir qu’il n’a rien par lui-même, et que le monde et l’homme ne le servent que par intérêt. Celui donc qui met en eux son espérance est toujours trompé; rien ne lui réussira; en voulant s’enrichir et donner de la fortune à ses enfants, il appauvrira son âme. L’existence lui devient insupportable, parce qu’il désire ce qu’il ne doit pas désirer; et comme sa volonté s’égare à vouloir ce qu’il n’a pas, il est toujours dans la peine, parce qu’il est privé du Bien suprême, qui apaise, calme et rassasie l’âme[1453].

3. O mon Frère, mon très cher Fils, ouvrez l’oeil de l’intelligence à la lumière de la très sainte Foi, afin de connaître le néant, la vanité du monde et l’infinie bonté de Dieu, qui seul est fidèle, immuable, qui seul nourrit et rassasie l’âme dans son ardente charité, qui la revêt d’espérance. Elle espère en son doux Créateur, et sait bien que la Bonté divine voit ses besoins: elle lui offre ses désirs, ses besoins; elle le sort de tout son cœur, de toutes ses forces. Elle travaille pour sa famille, elle l’aide et l’assiste autant qu’elle peut, et selon les lois de la conscience; mais elle laisse faire le reste à la divine Bonté, en qui elle a mis son espérance, parce qu’elle connaît à la lumière de la Foi toute la tendresse de sa providence. Je ne vois pas comment vous pourriez échapper àla fange du monde sans la lumière de la Foi, d’où vient l’espérance de la charité, qui fait goûter à l’âme les arrhes de la vie éternelle, parce que sa volonté est revêtue de la douce volonté de Dieu.

4. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir éclairé de la lumière de la très sainte Foi et revêtu de l’espérance parfaite. Et je vous prie de le faire, vous et votre femme, par amour de Jésus crucifié, afin de ne pas être en état de damnation, Et si vous ne l’avez pas fait autrefois, je veux que vous le fassiez maintenant. Ne tardez pas à vous occuper de votre salut, car le temps ne vous attend pas; vous ne devez pas non plus l’attendre et faire comme le corbeau, qui crie: Cras, cras, demain, demain. Ceux qui perdent le temps disent aussi toujours: Je le ferai demain; et ils arrivent la mort sans s’en apercevoir. Ils demandent alors du temps, et ils ne peuvent [1454] en obtenir; ils ont dépensé celui qu’ils avaient, à vivre dans l’avarice et la débauche, à souiller leur esprit et leur corps; ils ont profané Je sacrement de mariage, et ils ont fait leur Dieu de leurs enfants. Dans leur aveuglement, ils mettent leur espérance où ils ne doivent pas la mettre, et ils vont ainsi de chute en chute, tellement que, s’ils ne se convertissent pas, s’ils n’expient pas leur faute par la contrition du cœur, la confession et la satisfaction autant qu’ils le peuvent, car Dieu ne leur demande pas l’impossible, ils arrivent à. l’éternelle damnation. Je veux donc que vous sortiez de votre sommeil avant que vienne la mort. Ne perdez pas ce désir, cette lumière, que Dieu vous a donnés; mais augmentez-les par la pratique des vertus, par la lumière de la Foi et la sainte espérance. Ne pensez pas que la divine Providence puisse jamais vous abandonner; mais elle vous secourra toujours si vous espérez en elle dans tous vos besoins. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCXCV (287). — A JEAN TRENTA, et à sa femme, à Lucques. — Elle les exhorte à l’union, à la concorde et à l’imitation de Jésus-Christ. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Jean, mon très cher Frère et Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des [1455] serviteurs de Dieu, je vous bénis et je vous encourage dans le précieux sang de son Fils. Mon Fils, j’ai désiré avec désir vous voir, vous, votre famille, et surtout votre femme, si parfaitement unis dans les liens de la vertu, que ni les démons ni les créatures ne puissent jamais vous séparer. O ma Fille et mon Fils bien-aimés, qu’il ne vous paraisse pas pénible et dur de faire quelque chose pour Jésus crucifié. Ne serait-ce pas une grande ignorance, une grande insensibilité de cœur, de voir la souveraine, l’éternelle Grandeur, le Christ, descendre jusqu’à notre humanité, et ne pas nous humilier ! Ne voyez-vous pas le Christ, pauvre, s’humilier dans une crèche, entre deux animaux, et repousser toute pompe, toute gloire humaine? Ce qui fait dire à saint Bernard, nous montrant l’humilité profonde et la pauvreté du Christ pour confondre notre orgueil: "Rougis donc, homme superbe qui cherches les honneurs, les délices et les pompes du monde ! Tu crois peut-être que ton Roi, le doux Agneau, a nu des palais somptueux et une cour brillante? Non; la douce Vérité suprême ne l’a pas voulu. Pour notre exemple et notre règle, Notre-Seigneur a choisi une pauvreté si grande, qu’il n’avait pas un morceau d’étoffe convenable pour s’envelopper; et comme il faisait bien froid, un animal soufflait sur le corps de l’enfant; et jusqu’au dernier instant de sa vie, sur le lit de la Croix, il fut si nu, qu’il disait: Les oiseaux ont un nid, et les renards une tanière; mais le Fils de la Vierge n’a pas où reposer sa tête (Lc 9,58).[1456]"

2. O pauvres misérables que nous sommes ! Mon doux Frère, ma Sœur, est-ce que vos cœurs ne sont pas assez touchés pour résister à toutes les illusions du démon et à tous les propos des créatures? Donnez-vous donc généreusement à Pieu, et suivez dans la paix et l’union les traces de notre doux Sauveur, qui nous dira cette douce parole: Venez. mes enfants- Pour mon très doux amour, vous avez quitté les désirs déréglés de la terre; je vous remplirai et je vous comblerai des biens du ciel; je vous donnerai le centuple, et vous posséderez la vie éternelle. Quand la douce Vérité vous donne-t-elle le centuple? Quand elle répand dans vos âmes sa très ardente charité. C’est là ce doux centuple sans lequel nous ne pouvons avoir la vie éternelle, mais avec lequel elle ne peut nous être enlevée. Oui, je vous conjure de ne pas affaiblir, mais d’augmenter les saintes résolutions, les bons désirs que Dieu vous a donnés; c’est ce que désire mon âme. Je termine. Que Dieu vous donne sa douce, son éternelle bénédiction. Moi, l’inutile servante, je me recommande à vous- Moi Jeanne Pazzi (Jeanne Pazzi, compagne de sainte Catherine lui servit de secrétaire pour cette lettre.), et toutes les autres, nous demandons toutes à Dieu de mourir d’amour. Doux Jésus, Jésus amour [1457].

Table des matières (2)


 

CCXCVI (288).- A BARTHOLE USIMBARDI, à Florence.- De la charité, de l’humilité et de la vraie persévérance.

(Barthole Usimbardi était un des disciples de sainte Catherine, à Florence. Il appartenait à une des plus nobles familles de cette ville.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir brûler dans la fournaise de la charité divine, afin que tout amour-propre soit consumé en vous, et que vous vous appliquiez uniquement à. plaire à votre Créateur, ne vous inquiétant pas de ce que disent les créatures, ni des injures, des mépris et des reproches que vous en recevez mais inclinant humblement la tête devant tout ce que la Bonté divine voudra permettre. Pour être fort contre les tentations et les attaques du démon, ayez une volonté ferme de n’y jamais consentir, mais d’aimer uniquement et de servir votre Créateur. En faisant ainsi, vous serez persévérant jusqu’à la mort, et vous recevrez enfin la récompense de toutes vos fatigues, qui est, nous dit saint Paul, incomparablement plus grande que tout ce que nous pouvons souffrir en cette vie [1458].

2. Réjouissez-vous, mon doux Fils de ce que vous avez encore reçu le sang de Jésus-Christ en grande abondance; car j’ai obtenu du Saint-Père l’indulgence plénière de la mort pour beaucoup de mes enfants. Vous êtes du nombre, ainsi que François et sa femme; mais je ne ferai faire pour tous qu’une expédition de cette grâce, afin d’éviter les difficultés et la dépense. Ne vous tourmentez pas si vous n’avez pas d’écrit, la parole du Vicaire de Jésus-Christ doit vous suffire; et au moment de la mort vous pourrez demander au prêtre l’absolution de la faute et de la peine, comme il peut et doit vous la donner. Croyez, mon Fils, avec une foi vive et une ferme espérance qu’avec cette indulgence, en quittant cette vie bien confessé et bien repentant de vos fautes, votre âme, ira pure et préparée pour la vie éternelle, comme le jour où elle a reçu le saint baptême.

3. Je veux donc que vous changiez de vie, et que vous la régliez entièrement sur la volonté de Dieu. Mettez votre cœur et votre affection en lui; méprisez le monde, et n’en usez que par nécessité. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1459].

Table des matières (2)


 

CCXCVII (289). — A BARTHOLE USIMBARDI, à sa femme, madame Orna, à François Pépin, tailleur, et à sa femme, madame Agnès, de Florenco.- Elle les exhorte à la vertu de charité, et à suivre la croix de Jésus-Christ.

(Le mot tailleur peut bien n’être qu’une indication de profession. Les corps de métiers avaient le pas sur la noblesse dans la république de Florence.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir brûlés et consumés dans le feu de la charité. Ce feu, en brûlant, ne consume pas, mais engraisse l’âme; elle l’unit et la transforme en lui, le feu de l’amour divin. L’âme voit qu’elle a reçu de Dieu l’être uniquement par amour, et que, par amour aussi, Dieu lui accorde toutes les grâces et tous les dons qui sont ajoutés à l’être. Elle voit ensuite que, par amour, Dieu le Père nous a donné le Verbe son Fils pour qu’il payât nos dettes, et qu’il nous tirât de l’obscure prison et de la servitude du démon, dont l’homme ne pouvait pas sortir. Ce Verbe divin, en devenant homme mortel, descendit sur le champ de bataille pour nous. Il défit le démon, brisa l’obscure prison, et nous tira de la malheureuse servitude où, depuis si longtemps, le [1460] genre humain était plongé; il nous ouvrit avec la Croix, la porte de la vie éternelle. Il a fait tout cela par amour. Puisqu’il nous a montré la voie et ouvert la porte, il ne nous reste plus qu’à avancer, Nous pouvons marcher en toute assurance sous l’étendard glorieux de la Croix, et nos ennemis seront épouvantés et vaincus. Notre Dieu nous attend avec amour, et nous invite à venir jouir de lui, le souverain Bien.

2. O amour ineffable, charité infinie, feu de la divine charité ! quel est le cœur qui, en se voyant aimé avec tant d’ardeur, ne se brisera pas d’amour, et ne se transformera pas tout en lui? Ce cœur serait trop dur, plus dur que le diamant, s’il résistait àune telle flamme. Je veux donc, mes très chères Filles, dame Orsa et dame Agnès, que vous quittiez le sommeil de la négligence, et que vous contempliez avec l’oeil de l’intelligence, ce foyer d’amour. Je vous dis la même chose, mon Fils François; et lorsque vous aurez vu, vous serez forcé d’aimer; et lorsque vous aimerez, tous les fardeaux vous seront légers pour Dieu; et aussitôt votre amour s’étendra sur votre prochain, c’est ce que Dieu aime le plus; vous satisferez ainsi à l’amour de Dieu et du prochain. Le temps me presse, et je vous dis seulement de mettre votre force en Jésus crucifié et de vous baigner dans son très doux sang. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1461].

Table des matières (2)


  

 

CCXCVIII (290). — A BARTHOLE USIMBARDI, et à François Pépin, de Florence.- Elle les exhorte à la reconnaissance envers Dieu, d’ou viennent toutes les vertus.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir pleins de reconnaissance pour les bienfaits que vous avez reçus de notre Créateur, afin que la source de la piété coule en vous. Cette reconnaissance vous rendra zélés à pratiquer la vertu. Car, de même que l’ingratitude rend l’âme paresseuse et négligente, de même la douce habitude nous rend avares du temps, et nous ne passons pas un instant sans travailler. De cette gratitude procède toute véritable vertu. Qui nous donne la charité? qui nous rend humbles et patients? la seule gratitude. Car celui qui voit la grande dette qu’il a contractée envers Dieu s’applique à. vivre vertueusement, parce qu’il sait que Dieu ne nous demande pas autre chose. Aussi, mes doux enfants, rappelez-vous avec zèle tous les nombreux bienfaits que vous avez reçus de lui, afin d’acquérir parfaitement cette mère des vertus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1462].

Table des matières (2)


 

CCXCIX (291).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Elle les exhorte à acquérir les vertus, et à mépriser le monde.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très cher Fils et très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus- Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir aimer la vertu, car vous ne pouvez pas autrement avoir la vie de la grâce et participer au sang du Fils de Dieu. Puisque cela est si nécessaire, il faut absolument extirper les vices en nous. et planter la vertu; il faut faire violence à nos passions sensitives, et nous dire à nous-mêmes : Je veux plutôt mourir qu’offenser mon Créateur et perdre la beauté de mon âme. Je veux qu’il en soit ainsi, mes très chers enfants. Soyez. des miroirs de vertus, foulez aux pieds le monde avec toutes ses délices, et suivez Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1463].

Table des matières (2)


 

CCC (292).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence.- De la persévérance, et du renoncement à la volonté propre.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir constant et persévérant dans la vertu, afin que vous receviez la couronne de gloire, qui ne se donne pas à. celui qui commence seulement, mais à. celui qui persévère jusqu’à. la mort. Aussi je veux que vous grandissiez et que vous persévériez dans la vertu jusqu’à la mort, et qu’aucune tribulation, aucune attaque du démon ou des créatures ne vous fassent tourner la tête en arrière. Baignez-vous dans le sang du Christ, en anéantissant et en tuant toute volonté propre, toute passion sensitive; et alors vous serez fort, et rien ne pourra vous ébranler, parce que vous aurez pour fondement la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, et vous recevrez la récompense de vos fatigues. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1464].

Table des matières (2)


 

CCCI (293). — A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à sa femme, madame Agnès. — Des vrais serviteurs de Jésus-Christ. — Du souvenir des bienfaits de Dieu et de nos défauts.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils et très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir les vrais serviteurs de Jésus crucifié, constants et persévérants jusqu’à la mort, afin que vous receviez la couronne de gloire, qui ne se donne pas à celui qui commence seulement, mais à celui qui persévère jusqu’à. la fin. Je veux donc que vous vous appliquiez avec zèle à courir dans la voie de la vérité, vous efforçant toujours d’avancer de vertu en vertu. Ne pas avancer, c’est reculer, car l’âme ne peut jamais rester stationnaire. Et comment pourrons-nous, très cher Fils, augmenter le feu du saint désir? en mettant du bois sur le feu. Mais quel bois? le souvenir des nombreux et infinis bienfaits de Dieu, qui sont innombrables, et surtout le souvenir du sang versé par le Verbe, son Fils unique, pour nous montrer l’amour ineffable que Dieu a pour nous; en nous rappelant ce bienfait et tant d’autres, nous verrons augmenter notre amour [1465].

2. Il faut aussi considérer nos nombreux et innombrables défauts, les péchés que nous avons commis contre Dieu; il faut les regretter, les pleurer amèrement en comprenant combien a été grande la miséricorde de Dieu envers nous, puisqu’il ne nous a pas fait engloutir par la terre, ou dévorer par les bêtes féroces. C’est ainsi que vous mettrez du bois pour augmenter le feu; la vue des bienfaits nous donnera l’amour de la vertu, et celle de nos iniquités nous fera concevoir la haine du vice et de la sensualité qui en est cause. De cette manière nous persévérerons jusqu’à. la mort, en avançant toujours, et alors vous serez les vrais serviteurs de Jésus crucifié. Je vous disais que c’était là mon désir pour vous, et je vous conjure de le faire pour l’amour de Jésus crucifié, afin que je voie s’accomplir en vous la volonté de Dieu et mon désir. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCII (294).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Nous devons marcher dans cette vie comme des pèlerins, avec patience, persévérance et mépris du monde.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils et très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave [1466] des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir de bons et vrais pèlerins. Car pour toute créature raisonnable, la vie est un pèlerinage; ici-bas n’est pas notre fin le but que nous devons atteindre, et pour lequel nous avons été créés, est la vie éternelle. Aussi je veux que nous suivions la voie qui a été tracée, c’est-à-dire la doctrine de Jésus crucifié. Celui qui la suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il arrive à. la parfaite lumière. Nous devons donc être comme des pèlerins que les plaisirs ou les difficultés du chemin ne détournent et n’arrêtent pas, mais qui marchent toujours jusqu’à ce qu’ils soient arrivés au terme.

2. Il faut faire de même, très chers Fils; nous sommes entrés dans ce chemin de la doctrine du doux et tendre Verbe, pour arriver à Dieu le Père; nous trouvons des passages mauvais, nous rencontrons les injures et les outrages des créatures, les attaques du démon. Il ne faut pas pour cela nous arrêter et tourner la tête en arrière par impatience, mais il faut surmonter tout généreusement, avec la lumière de la Foi; il faut humblement baisser la tête sous la douce volonté de Dieu, qui, pour nôtre bien, permet ces moments difficiles, afin de pouvoir nous mieux récompenser. Car, comme le dit le glorieux apôtre saint Jacques: " Heureux celui qui supporte la tentation;car quand il aura été éprouvé, il recevra la couronne de vie (Jc 1,12)." Et saint Paul dit: " Il n’y aura de couronné que celui qui aura vaillamment combattu (2 Rim 2,5) [1467]. " Réjouissez-vous donc quand vous êtes tourmentés par les démons et les créatures, puisqu’ils vous préparent ainsi la couronne. Marchez avec persévérance dans le chemin de la vérité. Que les plaisirs, les honneurs, les jouissances que le monde vous promet, et que notre chair fragile désire, ne vous engagent jamais à vous arrêter pour jouir; mais, comme de vrais pèlerins, faites semblant de ne rien voir, et poursuivez votre voyage avec courage jusqu’à la mort, afin d’arriver au terme. Je vous prie de le faire par amour pour Jésus-Christ. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCIII (295).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à madame Agnès, sa femme.- De la sainte crainte de Dieu, qui détruit la crainte servile.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermis dans la sainte crainte de Dieu, parce que sans cette crainte, vous ne pourrez participer a la vie de la grâce. Cette sainte crainte chasse la crainte servile qui était dans l’âme, et lui donne une telle assurance, que pour accomplir la volonté de Dieu, elle ne craint pas de déplaire aux [1468] hommes; elle ne redoute ni les reproches, ni les mauvais traitements, ni les outrages. Elle ne craint pas de perdre sa fortune, sa vie même, pourvu qu’elle rende au nom de Dieu la gloire qui. lui est due; elle a détaché son regard de la terre pour le fixer sur son Créateur, et suivre avec zèle les traces de Jésus crucifié. Toutes ses œuvres sont dirigées et réglées selon la volonté de Dieu; elle demeure dans les liens de la charité avec toutes les créatures raisonnables. Tout bien, toute paix, tout repos découlent de cette sainte et douce crainte, et elle donne la perfection à. l’âme qui l’a prise pour fondement. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir affermis dans cette sainte crainte, et je vous prie de le faire pour l’amour de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCIV (296).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à madame Agnès, sa femme.- De quelle manière la raison doit vaincre la sensualité. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillés de vous-mêmes et revêtus de Jésus crucifié, morts à toute volonté, à [1469] toute complaisance humaine, afin que la douce vérité vive seule en vous. Car je ne vois pas que vous puissiez autrement persévérer dans la vertu; et en ne persévérant pas, vous ne recevrez pas la couronne de la béatitude, et vous perdrez ainsi le fruit de vos fatigues.

2. Je veux donc, mes doux Fils, qu’en toute chose vous vous étudiiez, à tuer cette volonté sensitive, qui veut toujours se révolter contre Dieu; et voici le moyen de la tuer: il faut que la raison siège sur le tribunal de votre conscience, et ne laisse jamais passer la moindre pensée contraire à Dieu sans la reprendre sévèrement. Que l’homme sépare en lui la sensualité et la raison; que la raison prenne le glaive à deux tranchants, le glaive de la haine du vice et de l’amour de la vertu, et que par son moyen, il réduise la sensualité en esclavage, déracinant et détruisant le vice et les mouvements déréglés dans son âme. Il faut qu’il ne donne jamais à la sensualité, son esclave, ce qu’elle lui demande, mais qu’il la foule aux pieds par l’amour de la vertu. Si elle veut dormir, Il faut recourir aux veilles et à l’humble prière; si elle veut manger, il faut jeûner; si elle veut écouter la concupiscence, il faut prendre la discipline; si elle veut s’abandonner à la négligence, il faut faire de saints exercices; si elle se laisse entraîner par sa fragilité ou par les illusions du démon à des pensées déshonnêtes, il faut la reprendre sévèrement, l’effrayer par le souvenir de la mort, et chasser par de saintes pensées, les pensées coupables.

3. Il faut ainsi en toute chose vous faire violence à vous-mêmes, mais toujours avec discrétion, en [1470] tenant compte des besoins de la nature, afin que le corps, comme instrument, puisse aider l’âme à servir Dieu. De cette manière, par la violence que vous ferez à cette loi de votre chair et de votre volonté propre, vous aurez la victoire de tous les vices, et vous acquerrez toutes les vertus, Mais je ne vois pas que vous puissiez le faire, tant que vous serez revêtus de vous-mêmes. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous en voir dépouillés, et revêtus de Jésus crucifié; et je vous conjure de vous appliquer à le faire, afin que vous soyez ma gloire. Soyez :deux miroirs de vertu en la présence de Dieu; quittez toute négligence et toute ignorance que je vois encore en vous; ne me causez pas de peine, mais de la joie. J’espère de la bonté de Dieu que vous me donnerez cette consolation. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCV (597).- A FRANÇOIS PEPIN, tailleur de Florence, et à madame Agnès, sa femme.- Il faut fuir la société des pécheurs, et rechercher celle des serviteurs de Dieu.

  

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang [1471], avec le désir de vous voir éclairés de la vraie lumière, afin que vous persévériez dans la vertu Jusqu’à la mort. Sans cette lumière, mes amis, vous marcherez dans les ténèbres, et vous ne connaîtrez pas la vérité les choses douces vous paraîtront amères, et les amères, douces. Mais en ayant la lumière, nous serons prudents, et nous fuirons tout ce qui peut diminuer en nous la vertu et l’amour parfait que nous devons avoir pour notre Créateur. Avec cette lumière, nous verrons combien est dangereuse la société de ceux qui vivent sans la crainte de Dieu; car elle cause notre ruine, elle abrutit la conscience, elle éloigne la prière, qui nourrit ; elle chasse l’abstinence, empêche la ferveur et développe l’amour de vains plaisirs du monde. Elle nous ravit la sainte humilité, détruit la retenue, excite les passions et obscurcit l’oeil de l’intelligence, au point que l’âme paraît ne pas avoir commencé à connaître son Créateur. Et ainsi, peu à peu, la créature change sans s’en apercevoir; l’ange terrestre devient un démon de l’enfer. Où est la pureté d’autrefois? où est le désir de souffrir pour Dieu? où sont les larmes que vous aviez coutume de répandre en la présence de Dieu avec d’humbles et continuelles prières? où est cette charité fraternelle que vous aviez pour toute créature raisonnable? Rien n’est resté, parce que le démon a tout volé par le moyen de ses serviteurs.

2. Je ne veux pas, mes très chers et doux enfants, que cela vous arrive; mais que votre conversation soit toujours avec ceux qui craignent et aiment Dieu en vérité. Ceux-là. sont un moyen de réchauffer nos cœurs et d’en amollir la dureté, en nous parlant doucement [1472] de Dieu, de sa bonté infinie, de sa charité envers nous. On se communique la lumière les uns aux autres, en s’entretenant de la doctrine de Jésus crucifié et de la vie des saints; on méprise toutes les passions sensuelles, on embrasse avec une sainte modestie l’humilité, et l’humiliation, sa sœur, en se méprisant soi-même : ainsi profite la société des serviteurs de Dieu, tandis que tout le mal vient de la société des serviteurs du monde. Le Saint-Esprit a dit, par la bouche du Prophète " Tu seras saint avec les saints, innocent avec les Innocents, élu avec les élus, et méchant avec les méchants (Ps 27,26). Je veux donc que vous ayez un grand soin de fréquenter toujours les serviteurs de Dieu, et de fuir ceux du monde comme le feu. Ne vous fiez pas à vous-mêmes, en disant : Je suis fort, et je ne crains pas qu’ils me fassent tomber. Non, ne le dites pas, pour l’amour de Dieu; mais reconnaissons que si Dieu ne nous soutenait pas, nous serions de véritables démons. N’avons-nous pas un exemple qui doit nous faire toujours trembler? Je suis persuadée que, si vous avez la vraie lumière, vous accomplirez pour cela et pour le reste la volonté de Dieu et mon désir, mais pas autrement. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir éclairés de la lumière parfaite. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1473].

Table des matières (2)


 

CCCVI (298).- A FRANCOIS PEPIN, tailleur à Florence, et à dame Agnès, sa femme.- De la persévérance dans l’amour de Dieu.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir augmenter en vous le feu du saint désir, de peur que, n’avançant pas, vous reculiez, et que, reculant, vous deveniez digne d’un jugement plus sévère que si vous n’aviez jamais été touché; car il sera plus demandé à celui qui aura plus reçu. Je veux donc que vous sortiez courageuse. ment du sommeil de la négligence, et que vous soyez plein de zèle pour augmenter en vous la lumière; car si la lumière augmente, l’amour augmentera, et si l’amour augmente, les vertus et les bonnes œuvres augmenteront aussi jusqu’à la mort; et alors vous ferez ce qui vous est demandé, c’est-à-dire que vous aimerez Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme vous-même.

2. Et toi, Agnès, je te dirai aussi, tâche d’augmenter en toi la faim de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, et de répandre des torrents de larmes avec d’humbles et continuelles prières en présence de Dieu pour le salut du monde entier, et surtout pour la réforme de la douce Epouse du Christ, que nous [1474] voyons exposée à tant de ténèbres et de ruines. Je n’en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. 

Table des matières (2)


 

CCCVII (209).- A JEAN DE PARME, à Rome, le 23 octobre.- Le corps de Jésus-Christ est le livra où nous pouvons tout apprendre.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondé sur la Pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus; car autrement l’édifice ne serait pas solide, et le moindre vent contraire le renverserait. Mais l’âme qui est fondée sur cette douce Pierre vive, c’est-à-dire qui suit la doctrine de Jésus crucifié, ne périt jamais. Quelle est cette doctrine qu’enseigne le doux et tendre Verbe, qui est appelé la Pierre vive? ou nous l’enseigne-t-il? Ce n’est pas au milieu des délices et des plaisirs du monde, mais sur la table de la très sainte Croix. Elle nous enseigne à aimer Dieu en vérité, en détestant le vice et la sensualité, cause du vice, et en aimant la vertu et Dieu, cause de toute vertu. Elle nous enseigne à obéir aux commandements de la loi, elle nous fait aimer les conseils, et nous donne le désir de les acquérir sur [1475] la table de la très sainte Croix, ou l’âme se revêt de la charité de Dieu et du prochain. Mais considérez qu’on ne peut apprendre sans la lumière et sans le livre.

2. Nous avons besoin que l’oeil de l’intelligence soit éclairé de la lumière de la très sainte Foi, et que le livre soit écrit. C’est par l’Ecriture que nous apprenons la doctrine. Si nous regardons bien, très cher Frère, nous verrons que Dieu nous a donné l’oeil de l’intelligence. et intérieurement la lumière de la Foi, qui ne peut nous être enlevée ni par le démon ni par les créatures, si nous ne la perdons nous-mêmes par l’amour-propre. Il nous a donné le livre écrit, le Verbe, le Fils de Dieu; il a été écrit sur le bois de la Croix, non pas avec de l’encre, mais avec du sang; et les initiales sont les très douces et très sacrées plaies du Christ. Et quel est l’ignorant et l’esprit grossier qui ne saura pas lire ce livre? personne, excepté ceux qui s’aiment eux-mêmes, et cela non pas par défaut de science, mais par défaut de volonté. Ce qui est écrit à ses pieds percés nous invite à fixer en lui notre affection, en nous dépouillant de toute volonté déréglée, et en ne cherchant et ne voulant que Jésus crucifié.

3. Celui qui veut aller au Père par le moyen de la Parole Incarnée écrite sur ce livre, doit désirer souffrir sans l’avoir mérité, souffrir les peines du corps et de l’esprit, les tentations nombreuses que Dieu permet, les attaques du démon et des créatures; il doit tout supporter pour la gloire et l’honneur de son nom; et en suivant cette voie, il accomplira en lui cette parole de notre doux Sauveur, qui disait [1476]: " Personne ne peut aller au Père, si ce n’est par moi (Jn 14,6). i Il est la voie et la vérité, et celui qui va par lui marche dans la lumière et ne s’égare pas dans les ténèbres. De cette manière il perce les pieds de son affection, et en suivant la voie de la vérité il arrive au côté de Jésus crucifié, où il trouve la vie de la grâce. Il a dépouillé l’amour du vieil homme par la sainte haine du vice et de la passion sensitive; et cette haine, il l’a trouvée dans le livre divin, car Notre-Seigneur a tant bai le péché, qu’il a voulu le punir sur son corps. Il trouve aussi l’amour sincère des vraies et solides vertus dans son cœur ouvert, car cette blessure nous a montré cet ardent amour; elle nous a fait un bain de son sang, et ce sang était mêlé au feu de la divine charité, puisqu’il a été répandu par amour; c’est par amour pour l’honneur de son Père et pour notre salut que le Christ a couru avec transport à la mort honteuse de la Croix, afin d’accomplir les ordres de son Père.

4. Vous voyez donc bien la doctrine qu’il nous enseigne sur la tahle de la Croix; il nous apprend à être humble et doux de cœur. Avec cette humilité et cette douceur nous observerons les doux commandements de Dieu. et nous leur obéirons. Où les avons-nous trouvés? dans ce livre. Avec quelle lumière? avec la lumière de la très sainte Foi. Et en ayant ainsi faim de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, nous recevrons en nous la vie de la grâce. Peu à peu nous lirons sur la tête couronnée d’épines de Jésus crucifié, et sur sa bouche; nous couronnerons d’épines notre [1477] volonté, qui est elle-même une épine qui déchire et tourmente l’âme lorsqu’elle est en dehors de la douce volonté de Dieu. Cette douce tête couronnée d’épines de Jésus crucifié nous fait perdre cette douloureuse épine, et alors nous trouvons la paix dans sa bouche abreuvée du fief et du vinaigre de nos iniquités. Nos Iniquités ont été un fiel amer et un vinaigre qui nous ont ôté la force de la grâce; mais notre âme, en devenant semblable à Notre-Seigneur et en se revêtant de la douce volonté de Dieu, goûte la paix qu’il nous a acquise au prix de tant d’amertume, en pacifiant Dieu avec l’homme, qui était depuis longtemps son ennemi. Car, comme le dit le glorieux saint Paul, " le Christ béni est notre paix, il s’est fait le médiateur entre Dieu et l’homme (1 Tim 2,5 ; 2 Co, 5,18). " Le doux apôtre nous exhorte à nous réconcilier et à faire notre paix avec lui, puisqu’il est venu pour être notre médiateur.

5. En suivant cette voie douce et droite, nous recevrons le fruit de cette paix en cette vie, nous mangerons les miettes de la grâce, et dans la vie éternelle, nous jouirons de la nourriture abondante et parfaite qui rassasie parfaitement, sans laisser rien à désirer. C’est ce que veut nous apprendre le glorieux docteur, saint Augustin lorsqu’il dit que le rassasiement y est sans dégoût, et la faim sans peine. La peine est bien loin de la faim, et le dégoût du rassasiement; car dès que l’âme a goûté la paix, et qu’elle est arrivée à ce bonheur, elle a lu et elle lit sans cesse dans les mains clouées du Fils de Dieu, le moyen de faire toutes ses [1478] œuvres spirituelles et mentales, suivant la volonté de Dieu, en les faisant toutes pour la gloire de son nom. Si elle fait une œuvre spirituelle, elle s’applique à la faire selon la charité divine; son cœur y est toujours uni par tous les exercices qu’on peut employer pour arriver à la vertu, autant que Dieu le permet et qu’elle le peut. Elle fait tout avec la sainte crainte de Dieu et en s’attachant à la Croix. Le vrai serviteur de Dieu ne voudrait pas vivre sans souffrir. il veut prendre sa croix et suivre le Christ avec vérité, constance, patience et persévérance jusqu’à la mort, parce qu’il a pris pour fondement la Pierre vive, et qu’il a appris la doctrine dans le livre divin dont nous avons parlé, au moyen de la lumière de la très sainte Foi. Les peines ne l’empêchent pas de persévérer dans la vertu; elles sont au contraire sa joie, à l’exemple de l’humble Agneau, qui n’a pas craint la souffrance et la mort pour nous sauver et pour obéir à son Père. Il n’a pas été arrêté par notre ingratitude et par les Juifs, qui lui disaient Descends de la Croix, et nous croirons en toi. C’est de Jésus crucifié qu’il apprend la persévérance; mais s’il n’avait pas pour fondement cette Pierre vive, il tournerait la tète en arrière ; il craindrait son ombre, et succomberait en toute occasion.

6. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir fondé sur la Pierre vive, sur le Christ, le doux Jésus; je vous conjure de le faire, et je suis persuadée que si vous lisez dans ce doux livre, le livre qui vous trouble ne vous fera aucun mal. Si ce livre s’écarte de la vérité et de la doctrine des sainte approuvée par la sainte Eglise, laissez-le, ou faites-le corriger, et ne [1479] vous en servez plus. Contentez-vous de ceux que vous savez être certainement conformes à la vérité. SI votre conscience est inquiète, et si le démon vous dit, pour vous troubler: Vois combien de temps tu as été dans l’erreur; tu crois avoir servi Dieu, et tu as servi le démon, tu lui as été agréable; vous ne devez pas l’écouter, mais vous devez voir à la lumière, que Dieu regarde seulement la bonne et sainte volonté qui nous fait agir. Admettons que le livre ne soit pas selon Dieu: c’est la seule volonté mauvaise qui fait le péché, c’est la volonté qui fait le péché ou la vertu, selon qu’elle aime l’un ou l’autre. Vous ne devez donc pas vous affliger à ce sujet, mais vous devez vous rassurer en homme généreux, et chasser cette amertume avec la douceur de l’humble Agneau. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCVIII (300).- A MARC BINDI, marchand.- De la vertu de patience et de la manière de l’acquérir.

  

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

 1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondé dans la vraie et sainte patience. Sans elle nous ne pouvons plaire à Dieu, et nous perdons le fruit de nos peines. Cette glorieuse [1480] vertu de la patience est donc bien nécessaire; et si vous me dites, très cher Frère: J’ai de grandes épreuves, je ne me sens pas assez fort pour avoir cette patience, et je ne connais pas les moyens de l’acquérir; je vous répondrai que tous ceux qui veulent écouter la raison peuvent l’avoir; mais je reconnais aussi que nous sommes faibles et fragiles par nous-mêmes, selon la sensualité, surtout quand l’homme s’aime beaucoup lui-même, et qu’il s’attache aux créatures et aux biens de ce monde. Car, lorsqu’il les aime dune manière trop sensible, s’il les perd il en éprouve une peine insupportable. Mais Dieu est notre force; et si nous voulons, avec notre raison, avec la puissance de la volonté et la main du libre arbitre, triompher de notre faiblesse, Dieu ne méprisera pas la violence que nous nous ferons à nous-mêmes, pour ne pas nous plaindre sans mesure; il tient compte des saints désire. et nous donnera cette douce et solide vertu; nous supporterons toutes les peines avec une vraie et sainte patience. Vous voyez donc que tout le monde peut l’avoir, s’il veut user de la raison que Dieu lui a donnée, et ne pas écouter seulement sa faiblesse. Ne serait-ce pas une chose bien honteuse, si nous, des créatures raisonnables, noua ne nous servions pas plus de notre raison que les animaux. Ils ne peuvent se servir de la raison, puisqu’ils n’en ont pus; mais nous, qui l’avons, nous devons nous en servir ; et en ne nous en servant pas, nous devenons impatients, nous nous scandalisons des choses que Dieu nous envoie, et ainsi nous l’offensons.

2. Quel moyen devons-nous prendre pour avoir cette patience? Car je puis et je dois l’avoir, et si je [1481] ne l’ai pas, j’offenserai Dieu. Il y a quatre choses principales qu’il faut rechercher et acquérir. Je dis d’abord qu’il faut avoir la lumière de la Foi, car c’est par la lumière de la Foi qu’on acquiert toute vertu; et sans cette lumière, nous marcherions dans les ténèbres comme l’aveugle, pour lequel le jour devient la nuit. Il en est de même pour l’âme qui n’a pas cette lumière : ce que Dieu a fait par amour comme un jour plus brillant que la lumière, elle le prend pour les ténèbres de la haine, en s’imaginant que Dieu permet par haine les tribulations et les fatigues qu’elle éprouve. Vous voyez donc bien qu’il faut avoir la lumière de la très sainte Foi. Le second moyen d’avoir la patience s’acquiert avec cette lumière, c’est-à-dire qu’il faut croire en vérité, et non seulement croire, mais être bien certain que tout ce qui a l’être procède de Dieu, excepté le péché, qui est un néant. C’est la volonté coupable de l’homme qui commet le péché, Dieu ne le fait pas; mais tout le reste, ce qui arrive par le feu, par l’eau, par un accident, quelconque, tout vient de lui. Aussi le Christ dit dans l’Evangile, qu’il ne tombe pas une feuille d’arbre sans sa providence; il dit encore que tous les cheveux de notre tête sont comptés, et qu’il n’en tombe pas un sans qu’il le sache (Lc 21,18). S’il parle ainsi des choses insensibles, combien plus ne doit-il pas avoir soin de nous, ses créatures raisonnables ! Aussi, tout ce que donne et permet sa providence, c’est dans un but mystérieux, par amour, et non par haine.

3. La troisième chose qu’il faut voir et connaître à [1482] la lumière de la Foi, c’est que Dieu est l’éternelle et souveraine Bonté, et qu’il ne veut autre chose que notre bien. Sa volonté est que nous soyons sanctifiés en lui; tout ce qu’il donne et permet est pour cette fin. Si nous doutions qu’il ne veuille autre chose que notre bien, je vous dirais que ce doute devient impossible en regardant le sang de l’humble Agneau sans tache. Le Christ déchiré, accablé, tourmenté par la soif sur la Croix, nous montre que son Père nous aime d’un amour ineffable, puisque par amour pour nous, qui étions devenus ses ennemis par le péché, il nous a donné sa vie, en courant avec transport à la mort honteuse de la Croix. Quelle en fut la cause? l’amour qu’il avait pour notre. salut. Vous voyez donc bien que le Sang doit nous empêcher de douter que Dieu ne veuille autre chose que notre bien. Et comment la souveraine Bonté pourrait-elle faire autre chose que le bien? C’est impossible. L’éternelle Providence ne peut cesser un instant d’être Providence. Celui qui nous a aimés avant que nous fussions, Celui qui nous a créés à son image et ressemblance ne peut s’empêcher de nous aimer, et de pourvoir à tous les besoins de notre âme et de notre corps. Dieu aime toujours ses créatures en tant que créatures ; il n’y a que le péché qu’il déteste en nous; et s’il permet pendant cette vie que nous souffrions de différentes manières dans nos corps ou dans nos biens temporels, c’est qu’il voit que nous en avons besoin, Il est comme un bon médecin qui donne la médecine nécessaire à notre maladie: il le fait pour punir nos fautes dans cette vie, afin de les moins punir dans l’autre, ou pour exercer en nous la vertu de patience, comme [1483] il le fit à l’égard de Job, qu’il éprouva en lui ôtant ses fils, tout ce qu’il possédait, et en affligeant son corps d’une maladie qui engendrait des vers. Il lui laissa ma femme, qui était sa croix, et qui l’accablait de reproches et d’injures. Et lorsque Dieu eut bien éprouvé sa patience, il lui rendit le double de ce qu’il avait perdu. Job, dans tous ses malheurs, ne se plaignait jamais, et il disait: " Dieu me l’a donné, Dieu me l’a ôté; que son saint nom soit béni. "

4. Quelquefois Dieu permet ces malheurs pour que nous nous connaissions nous-mêmes, et que nous connaissions aussi l’inconstance et la fragilité du monde. Tout ce que nous possédons, la vie, la santé, une femme, des enfants, des richesses, les honneurs et les plaisirs du monde, il faut les posséder comme des choses que Dieu nous a prêtées pour notre usage, mail qui ne nous appartiennent pas; nous devons nous en servir en conséquence. Cela est évident, puisque nous ne pouvons rien garder qui soit à nous et qui ne puisse nous être enlevé, excepté la grâce de Dieu. Cette grâce, ni le démon, ni les créatures, ni tous les malheurs ne peuvent nous l’enlever, si nous ne le voulons pas. Quand l’homme connaît bien la perfection de la grâce et l’imperfection du monde et de la vie corporelle, il déteste le monde avec ses délices et sa propre fragilité, qui souvent lui fait perdre la grâce lorsqu’il aime d’une manière sensuelle; et il aime la vertu, qui est le moyen de nous conserver dans la grâce. Vous voyez donc bien que Dieu permet ces choses par amour, afin que nous méprisions généreusement le monde, et que nous cherchions avec une sainte ardeur Les biens éternels. Oui, abandonnons [1484] la terre avec ses corruptions, et cherchons le ciel Nous n’avons pas été faits pour nous nourrir de terre, mais nous sommes en cette vie, comme des pèlerins pour avancer sans cesse vers notre but, qui est la vie éternelle, au moyen des vraies et solides vertus; et nous ne devons pas noue laisser arrêter sur la route par les joies et les plaisirs que le monde nous offre, ni par l’adversité; mais nous devons marcher avec courage, sans nous attarder par des joies déréglées ou l’impatience. Nous devons triompher de tous ces obstacles par la patience et la sainte crainte de Dieu. Cette épreuve vous était très nécessaire. Dieu vous a donné le désir de vous délivrer de vos liens, et de purifier votre conscience; le monde vous tirait d’un côté, et Dieu de l’autre. Maintenant Dieu, par amour pour votre salut, vous a délié; il vous donne la vie, si vous savez la prendre. Il a donné à vos enfanta la vie éternelle, et vous, il vous y appelle par le trésor de la tribulation, non pas pour que vous en soyez privés, mais pour que, pendant le temps qui vous reste, vous reconnaissiez vos fautes et sa bonté.

5. La quatrième chose qu’il faut avoir pour pouvoir arriver à la vraie patience est celle-ci : considérer nos péchés et nos défauts, combien nous avons offensé Dieu, qui est le bien suprême, infini. La plus petite de nos fautes mérite une peine infinie; nous sommes mille fois dignes de l’enfer, et nous devons comprendre combien nous sommes malheureux d’avoir ainsi offensé notre Créateur. Et quel est le Créateur que nous avons offensé? C’est Celui qui est le bien suprême, et nous ne sommes rien par nous-mêmes, L’être et toutes les grâces qui y sont ajoutées, nous les [1485] tenons de lui; et quoique nous soyons malheureux par notre faute, et que nous méritions une peine infinie, sa miséricorde veut bien nous punir en cette vie, parce qu’en souffrant maintenant avec patience, nous expions et nous méritons, tandis qu’il n’en est pas de même des peines que l’âme endure dans l’autre vie. Les peines du purgatoire la purifient, mais ne lui acquièrent pas de mérites. Nous devons donc supporter volontiers ces petites épreuves je dis petites, à cause de la brièveté du temps, car la peine n’est pas plus longue que la vie. Et combien dure-t-elle, la vie? un instant. La peine est donc bien courte? Elle n’est rien lorsqu’elle est passée ; et pour celle qui nous menace, nous ne sommes pas certains d’avoir le temps de la souffrir, car nous devons mourir, et nous ne savons pas quand. Nous n’avons donc à supporter que la peine du moment présent, et pas davantage.

6. Souffrons donc avec une grande joie, car tout bien est récompensé, et toute faute punie. Saint Paul dit que les souffrances de cette vie ne sont pas comparables à la gloire future de l’âme qui souffre avec patience. C’est ainsi que vous pourrez acquérir la vertu de la vraie patience. La patience acquise par amour, à la lumière de la très sainte Foi, fera fructifier vos peines: autrement vous perdriez à la fois les biens de la terre et les biens du ciel; vous ne devez pas en douter. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir affermi dans la vraie et sainte patience, et je vous conjure de le faire. Souvenez-vous du sang de Jésus crucifié, et toute amertume deviendra douce, tout fardeau deviendra léger. Ne [1486] prétendez pas choisir le lieu et le temps à votre gré; mais soyez content de ce qu’il plaît à Dieu de vous donner. J’ai bien compati à ce qui vous est arrivé, et l’épreuve m’a semblé bien forte; c’est cependant la Providence qui vous l’envoie, et pour votre salut. Je vous prie de prendre courage, et de ne pas vous laisser abattre sous la douce main de Dieu. Je termine en vous disant de savoir apprécier le temps, pendant que vous l’avez. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCIX (301).- A ROMAIN, tisseur de lin, de la compagnie du Bigallo, à Florence .- De la persévérance, et de l’espoir de la récompense. 

(Ce fut saint Pierre martyr qui organisa la compagnie du Bigallo pour défendre Florence contre les manichéens. Les membres qui faisaient partie de cette association, après avoir triomphé par les armes, se consacrèrent aux œuvres de charité; ils desservaient l’hôpital de Santa-Maria del Bigallo. De là leur nom.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de ne te voir jamais détourner la tête en arrière, mais de te voir persévérer dans la [1487] vertu, car tu sais bien que la persévérance seule est couronnée. Tu sais que le Christ t’appelle et t’invite aux noces de la vie éternelle; mais il faut y aller revêtu, il faut avoir la robe nuptiale; sans cela, on est chassé de la salle du festin comme un serviteur coupable. Il me semble que la douce Vérité suprême t’a envoyé ses messagers pour t’inviter aux noces, et pour te revêtir. Ces messagers sont les saintes et bonnes inspirations, les doux et pieux désirs que te donne la clémence du Saint-Esprit ; ce sont ces saintes pensées qui te font fuir le vice, mépriser le monde et ses délices, et arriver aux noces des vraies et solides vertus. Que ton âme se revête d’amour; c’est avec l’amour qu’on entre dans la vie éternelle. Tu vois que les saintes inspirations de Dieu t’offrent le vêtement de la vertu; en te le faisant aimer, elles te revêtent et t’invitent aux noces de la vie éternelle. Car après le vêtement de la vertu et de l’ardente charité, vient la grâce; et après la grâce. la vision de Dieu, où se trouve notre béatitude. Aussi je te conjure par l’amour de Jésus crucifié de répondre généreusement et sans retard. Pense que ce n’est rien de commencer et de mettre la main à la charrue, comme je l’ai dit. Les saintes pensées commencent le sillon ; mais c’est la persévérance dans la vertu qui l’achève. Celui qui laboure tourne la terre; de même l’Esprit-Saint retourne la terre de la mauvaise volonté sensitive.

2. Souvent l’homme, séduit par une si douce invitation et un si beau vêtement, cherche, pour mieux travailler sa terre, s’il ne trouvera pas une charrue bien tranchante, qui puisse la remuer plus profondément [1488]; et il voit qu’il est impossible de trouver un instrument meilleur pour briser, couper et arracher notre volonté, que le fer et le joug de la mainte obéissance. Et lorsqu’il l’a trouvé, il suit l’exemple du Verbe, du Fils de Dieu, et veut, par amour pour lui, être obéissant jusqu’à la mort. Il ne résiste jamais, et fait comme le sage, qui se laisse conduire par les autres, c’est-à-dire par une règle, sans vouloir se gouverner lui-même. Je me souviens que tu m’as quittée avec le saint désir et la résolution de répondre à Dieu qui t’appelait, et de te soumettre à la sainte obéissance. Je ne sais pas si tu l’as rais Je te conjure, si tu ne l’as pas fait, de le faire promptement et généreusement. Hâte-toi de te séparer du monde, et de couper les liens qui t’y attachent; ne compte pas sur le temps que tu n’es pas sûr d’avoir, Quelle folie de perdre celui qu’on a pour celui qu’on n’a pas ! Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, cache-toi dans la blessure de son côté, tu y verras le secret de son cœur. La douce Vérité nous montre que ce qu’il fait en nous, il le fait par amour; réponds-lui aussi avec amour. C’est notre Dieu, qui ne veut autre chemin que notre amour, et celui qui aime n’offensera Jamais ce qu’il aime. Courage donc, mon Fils, ne dors plus du sommeil de la négligence. Va bien vite b ton Père, le seigneur Abbé, avec une volonté morte et non vivante; si tu te présentais avec la volonté vivante, je te dirais de n’y pas aller; il ne le faudrait ni pour toi ni pour lui J’espère de la volonté de Dieu que tu suivras les traces de Jésus crucifié. Ne cherche pas à dénouer les liens du monde; mais tire le glaive de la haine et de l’amour, et coupe [1489] bien vite. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCX (301).- A JEAN PEROTTI, corroyeur, et dame Lippa, ma femme.- Le vêtement dont nous devons nous revêtir est la charité de Jésus-Christ.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et très aimé Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de voir accomplir en vous cette douce parole de l’apôtre saint Paul, qui disait Induimini Domirnum nostrum Jesum Christum (Rm 13,14). Revêtez-vous de notre Seigneur Jésus-Christ : c’est-à-dire dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de l’homme nouveau, qui est Jésus crucifié, le vrai vêtement qui couvre la nudité de l’homme, et l’orne de vertus. O ineffable et chère charité ! qui s’est faite notre vêtement, parce que nous avions perdu par le péché la vie de la grâce ! Le feu de la divine charité le transporte, et il est venu, parce que nous avions perdu le vêtement de la grâce; la chaleur de la divine charité et son ardent amour ont réchauffé notre froideur. Il a revêtu [1490] notre humanité, et alors nous avons retrouvé Je vêtement de la grâce, qui ne peut nous être enlevé ni par les démons, ni par les créatures, si nous n’y consentons pas nous-mêmes.

2. Oui, je vous conjure, mon Frère et ma Soeur bien-aimés, d’être pleins de zèle pour prendre ce saint et doux vêtement. Ne soyez pas négligents, afin de ne pas entendre cette parole de reproche: sois maudit, toi qui te laisses mourir de froid et de faim, tandis que le Christ s’offre pour être ton vêtement et ta nourriture. Hélas ! quel cœur serait assez dur, assez obstiné pour ne pas se dépouiller de toute ignorance, de toute négligence, et se revêtir de ce saint et doux vêtement, qui donne la vie à ceux qui sont morts ! Combien sera heureuse notre âme, quand la douce Vérité suprême nous appellera au doux moment de la mort ! L’âme alors sera dans la joie et l’allégresse, en se voyant revêtue du vêtement de la grâce divine, de ce vêtement contre lequel les démons ne peuvent rien, parce que la grâce fortifie et ôte toute faiblesse. Le péché est la seule chose qui affaiblisse l’âme. Oh ! combien est mauvais et dangereux le vêtement du péché ! Il faut le fuir par la haine et le mépris, car il est bien nuisible, et Dieu l’a en horreur. Enflammez-vous donc d’un saint désir, et hâtez-vous de prendre ce doux vêtement nuptial de la grâce divine. L’âme doit l’avoir pour n’être pas chassée des noces de la vie éternelle, auxquelles Dieu nous invite, et il noue y a invités sur le bois de la très sainte Croix: Je conjure l’éternelle et souveraine Vérité de vous faire marcher avec courage, et arriver au but pour lequel vous avez été créés. Et comme [1491]par charité et par amour vous avez revêtu l’enfant Jésus (Les petits enfants jésus qu’on faisait à Lucques étaient très renommés: Jean Perotti, qui était de cette ville, en avait peut-être donné un à sainte Catherine.), il vous revêtira de lui-même, de l’homme nouveau, de Jésus Crucifié. Je vous remercie de tout mon cœur. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXI (303).- A JEAN PEROTTI, corroyeur, à Lucques.- De la crainte et de l’amour de Dieu.

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 

1. Très cher et bien-aimé Pus dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un vrai père, nourrissant, conduisant et gouvernant votre famille dans la sainte crainte Dieu. Vous êtes un arbre fertile, et il faut que le fruit qui sort de vous soit bon et vertueux. Vous savez, mon Fils, que l’arbre, avant de porter du fruit, doit être bon et bien cultivé; je dis de même que votre âme doit être cultivée par la sainte crainte et l’amour de Dieu. Et si nous disons : Je ne sais pas comment le faire, voici le Verbe, le Pus de Dieu, qui s’est fait notre guide [1492], et qui nous dit: Je suis la vole, la vérité, la vie; celui qui marchera dans cette vole ne peut s’égarer mais il produira un fruit de vie. Ce fruit nourrira votre âme, et vos enfants eux-mêmes en goûteront la substance et la douceur. Quelle voie nous a tracée ce doux Maître, l’Agneau sans tache? Il nous a tracé la vole de la profonde et véritable humilité, car il était Dieu, et il s’est humilié jusqu’à l’homme. Il a marché au milieu des opprobres, des mauvais traitements, des peines, des fatigues, jusqu’à la mort honteuse de la Croix. Il a méprisé toutes les délices, les plaisirs, et il a toujours voulu suivre la route la plus humble et la plus délaissée. Et quel fruit a-t-il produit en nous traçant cette route? Quiconque le t’eut peut le suivre. Ecoutez-le sur le bois de la très sainte Croix, et voyez s’il fut jamais un fruit de patience semblable. Les Juifs criaient crucifige, et il disait :  " Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. "

2. O Bonté infinie ! qui non seulement pardonne, mais encore nous excuse devant son Père; C’est un doux Agneau qui ne fit jamais entendre la moindre plainte. Il a produit aussi pour nous le fruit de la charité, car c’est l’amour ineffable que Dieu a eu pour l’homme qui l’a attaché et cloué sur la Croix. Les clous et la Croix n’auraient pu le retenir, s’il ne l’avait pas été par les liens de la charité; il fut obéissant à son Père sans penser à lui-même, mais seulement à l’honneur de Dieu, du Père et à notre salut. C’est cette voie, mon doux Fils, que je veux voua voir suivre, afin que vous soyez le vrai père de votre âme et des enfants que Dieu vous a donnés, et que vous croissiez toujours de vertus en vertus. Sachez [1493] que nous n’ayons aucun moyen de produire par nous-mêmes des fruits de vertu, car nous sommes des arbres sauvages; il faut que nous soyons greffés par l’amour et le désir de Dieu sur ce doux arbre de Jésus crucifié, en voyant qu’il nous a aimés jusqu’à donner sa vie pour nous. Nous ne pourrons nous empêcher de devenir une même chose avec lui; et alors l’âme enivrée d’amour ne veut pas suivre une autre voie que son Maître. Elle fuit les plaisirs et les consolations du monde, parce qu’il les a fuis; elle aime la vertu et déteste ce que Dieu déteste. Elle aime la vertu et déteste le vice, et elle préfère mourir qu’offenser son Créateur. Elle ne souffrira pas que ses enfants et sa famille l’offensent, mais elle les corrige comme un vrai père, et elle fait tout ce qu’elle peut pour leur faire suivre ses traces. Je vous conjure de vous y appliquer avec zèle. Encouragez et bénissez toute la famille, saluez bien pour moi votre mère et votre femme. Bénissez surtout ma fille; je désire vivement qu’elle soit l’épouse du Christ, et qu’elle se consacre à lui. Je termine; Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1494].

Table des matières (2)


 

CCCXII (271).- A SALVI, fils de messire Pierre, orfèvre à Sienne.- La foi sans les œuvres est morte.- La foi doit conduire à l’amour de Dieu. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fils dans le Christ, le doux. Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir ie serviteur fidèle de Jésus crucifié, ne détournant jamais la tête, ni dans la prospérité ni dans le malheur, mais agissant généreusement avec une foi vive. Sachez bien qu’autrement la Foi sans les œuvres est morte. L’action de la Foi est de nous faire concevoir les vertus par l’amour, et produire des fruits par la patience au moyen de notre prochain, en supportant les défauts les uns des autres. Il ne suffirait pas pour notre salut d’avoir reçu la forme de la Foi avec la grâce divine dans le saint baptême. Cela suffirait au petit enfant, qui mourrait avant d’avoir la raison; il recevrait la vie éternelle au moyen du sang de l’Agneau. Mais lorsque nous sommes parvenus à l’âge parfait, il ne nous suffirait pas d’avoir reçu le saint baptême, si noua ne profitions pas de la lumière de la Foi par rameur. Il en est de nous comme de l’oeil du corps. S’il est pur et sain, l’homme peut voir; mais s’il ne veut pas l’ouvrir, quoiqu’il puisse le faire et jouir de la lumière avec amour, on peut dire qu’ayant des yeux il n’en a [1495] pas. Il en a reçu de la bonté du Créateur; mais il n’a pas leur vertu par défaut de sa propre volonté, qui refuse de s’en servir. On peut donc dire que son regard est mort et qu’il ne porte pas de fruit. De même, très cher Fils, Dieu dans son infinie bonté nous a donné l’oeil de l’intelligence qu’il a éclairé de la lumière de la Foi dans le saint baptême, et en même temps le libre arbitre, en nous délivrant des liens du péché originel. Mais dès que nous sommes arrivés à l’âge de connaître, Dieu nous demande d’ouvrir l’oeil qu’il nous a donné, avec le libre arbitre et l’amour de la lumière.

2. Dès que l’âme reconnaît en elle cette faculté de voir, elle doit s’en servir pour son Créateur. Et comment doit-elle employer la lumière? à voir en Dieu seul l’amour; car rien ne peut se faire sans amour, ni spirituellement, ni corporellement. Si je veux aimer les choses sensibles, aussitôt l’oeil s’y fixe pour en jouir. Mais si l’homme veut aimer et servir Dieu, l’oeil de l’intelligence s’ouvre, et le prend pour Objet; il trouve l’amour dans l’amour: car, en voyant que Dieu l’aime infiniment, il ne peut s’empêcher de l’aimer, et de lui rendre amour pour amour. Il perd alors l’amour sensuel, et conçoit un amour vrai en se voyant créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, et régénéré à la grâce par le sang de son Fils unique. Son œil a trouvé la lumière, et l’ayant trouvée, il a aimé cette lumière, et il ne peut s’empêcher de fuir et de haïr ce qui ôté la lumière, et d’aimer, de désirer ce qui la donne. Alors il s’élève avec une foi vive, et conçoit les vertus avec le désir de se revêtir de l’éternelle et souveraine volonté de Dieu ; car son [1496] intelligence et son cœur ont vu, à la lumière de la Foi, que la volonté de Dieu ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification.

3. Qui nous montre clairement cette vérité? le Verbe, son Fils unique, qui est venu tout embrasé d’amour, dans la chair de notre humanité, pour nous manifester par son sang la Volonté du Père et pour l’accomplir en nous. Cette douce Volonté nous avait créés pour nous donner la vie éternelle; mais elle ne s’accomplissait pas à cause de notre péché, qui nous en avait séparés, et il nous a envoyé mon Fils, pour nous la rendre évidente, en le livrant à la mort honteuse de la Croix. Tout ce qu’il nous donne, tout ce qu’il permet nous arrive pour cette fin. pour que nous participions à son éternelle et souveraine beauté. Aussi l’âme prudente, qui a ouvert les yeux à la lumière de la Foi, voit aussitôt en toute chose la sainte volonté de Dieu qui ne veut que notre bien, et non la volonté des hommes.

4. Savez-vous ce qui sort de cette lumière? une eau paisible, et sans souillure, que ne troublent jamais ni l’impatience dans le malheur, ni les attaques du démon, ni les injures, les persécutions et les mur. mures des hommes. L’âme n’est jamais ébranlée; mais elle est ferme, parce qu’elle a vu que Dieu permet tout pour son bien, pour lui faire atteindre le but pour lequel il l’a créée. Telle est la voie, et il n’y en a pas d’autre; Il faut passer à travers les ronces et les épines en suivant Jésus crucifié, qui est la voie, car il a dit qu’il est la voie, la vérité, la vie. Il suit bien la vérité, celui qui marche dans cette voie, puisqu’il accomplit en lui la vérité du Père, qui nous [1497] conduit à la fin pour laquelle nous avons été créés. S’il y avait une autre voie, il nous aurait dit que personne ne peut aller au Père que par le Père; il ne l’a pas dit, parce que, dans le Père, ne se trouve pas la peine, mais dans le Fils, et il faut passer par la voie de la peine; il nous faut donc suivre Jésus crucifié, qui est notre voie et notre règle. Je vous dis encore que cette âme n’est pas troublée par la prospérité du monde en s’y attachant trop et en la désirant; mais elle en triomphe, elle la méprise en voyant à la lumière de la Foi. que ces choses fragiles passent comme le vent, et qu’elles ôtent la vie et la lumière de la grâce à celui qui les souhaite et les possède avec un amour déréglé.

5. Celui qui a une foi vivante enfante des œuvres vivantes pour l’honneur de Dieu et le salut du prochain. C’est au moyen du prochain que se trouve l’amour que nous avons pour Dieu. Notre amour ne peut être utile à Dieu; mais Dieu veut que nous l’utilisions pour notre prochain. en supportant ses défauts, en priant pour lui avec compassion et patience, en pardonnant les injures qu’on nous fait, et en respectant comme nous le devons ses serviteurs. Puisque nous n avons pas d’autre moyen, nous pouvons dire que la Foi est morte sans les œuvres. Je ne nie pas que la sensualité ne fasse naître bien des obstacles, mais ces obstacles n’empêchent pas la perfection; ils l’aident au contraire, car l’âme connaît mieux ses enfants et la bonté de Dieu, qui conserve ma volonté, et l’empêche de consentir et de s’abandonner aux plaisirs des sens. Au lieu de les aimer, elle les hait et les méprise; elle profite donc [1498] de cette épreuve en acquérant l’humilité par la connaissance d’elle-même, et la charité par la connaissance de la bonté de Dieu à son égard. C’est parce que je comprends son excellence et sa nécessité pour avoir la vie de la grâce, que je désire vous voir affermi dans la lumière de la Foi vive. Je vous si dit que je désirais vous voir le serviteur fidèle de Jésus crucifié; et je vous conjure de le faire, avec zèle, en secouant le sommeil de la négligence et en ouvrant l’oeil de l’intelligence sur l’amour que Dieu vous porte afin que vous accomplissiez en vous sa volonté et mon désir. Je ne vous en dis pas davantage à ce sujet.

6. Je réponds, très cher Fils, aux lettres que vous m’avez adressées, et que j’ai lues avec une joie véritable. J’y ai vu une chose que Dieu avait révélée à une de ses servantes Ceux qui s’appellent ses fils se sont scandalisés par une illusion du démon, qui rôde toujours autour d’eux pour arracher le bon grain que le Saint-Esprit avait semé dans leurs âmes. Les imprudents, qui n’étaient pas affermis sur la Pierre vive, n’ont pas résisté; et comme ils avaient éprouvé du scandale , ils l’ont aussi semé dans les autres, sous prétexte de vertu et d’amour. Et maintenant je vous déclare que la volonté de Dieu est que je reste. J’avais un grand désir de ne pas offenser Dieu en restant, à cause des murmures et des soupçons dont j’étais l’objet, ainsi que mon Père spirituel, frère Raymond. Mais la Vérité, qui ne peut mentir, a rassuré sa servante en lui disant : " Continue à prendre ta nourriture à la table où je t’ai placée. Je t’ai placée à la. table de la Croix pour que tu puisses, au milieu des [1499] peines et des murmures, goûter et chercher l’honneur de Dieu et le salut des âmes je t’ai confié en cet endroit, des âmes pour qu’elles sortent des mains du démon, pour qu’elles se réconcilient avec moi et avec le prochain. Achève donc ce que tu as commencé. C’est pour empêcher tant de bien que le démon fait naître tant de mal; mais continue et ne crains rien, je serai pour toi. " Mon âme a été calmée par ces paroles que Dieu disait à ma servante.

7. Je m’appliquerai donc à faire le bien pour l’honneur de Dieu, le salut des âmes et l’avantage de notre ville. Quoique je le fasse peut-être avec négligence, je me réjouis de suivre les traces de mon Créateur. Je fais le bien, et ils me rendent le mal; je travaille à leur honneur, et ils m’outragent; je veux leur vie, et ils veulent ma mort mais cette mort est notre vie, cet outrage notre gloire; la honte est seulement pour celui qui commet la faute. Là où il n’y a pas de faute, il n’y a pas de honte et de crainte de la peine. Je me confie en notre Seigneur Jésus-Christ, et non dans les hommes. Je continuerai donc, et s’ils ma donnent des injures et des persécutions, je donnerai des larmes et de continuelles prières, autant que Dieu m’en fera la grâce. Que le démon le veuille ou non, j’emploierai toute ma vie pour l’honneur de Dieu, le salut des âmes, pour le monde entier, et surtout pour ma patrie. Quelle honte pour les citoyens de Sienne de croire et de s’imaginer que nous nous occupons de politique sur les terres des Salimbeni ou autre part !

8. Ils se méfient des serviteurs de Dieu, et ils ne craignent rien des méchants; mais ils prophétisent [1500] sans s’en apercevoir. Ils font comme Caïphe, qui prophétisait qu’un seul devait mourir pour le peuple, afin de le sauver. il ne savait pas ce qu’il disait: mais le Saint-Esprit le savait bien, et prophétisait par ma bouche. De même mes concitoyens croient que, moi et ceux qui m’accompagnent, nous tramons des complots; ils disent la vérité sans la connaître, ils prophétisent. Car je neveux pas faire autre chose avec ceux qui sont avec moi; je veux triompher du démon, et lui ôter le pouvoir qu’il a pris sur l’homme par le péché mortel; je veux ôter la haine de tous les cœurs, et les réconcilier avec Jésus crucifié et avec le prochain. Ce sont là les complots que nous tramons, et où j’entraîne tous ceux qui sont avec moi. Je me plains de notre négligence; nous agissons trop mollement. Et toi, mon doux Fils, toi et tous les autres, je vous conjure de prier Dieu pour que je sois pleine de zèle pour cette œuvre et pour tout ce qui peut contribuer à l’honneur de Dieu et au salut des âmes. Je termine. J’aurais encore bien des choses à dire. Le disciple du Christ n’est pas celui qui dit: Seigneur, Seigneur, mais celui qui suit ses traces. Encourage François en Jésus-Christ. Le frère Raymond, le pauvre calomnié, se recommande à toi, afin que tu obtiennes de Dieu qu’il soit bon et patient. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1501].

Table des matières (2)


 

CCCXIII (306).- A UN HOMME RELIGIEUX de Florence.- Elle le remercie du zèle qu’il a pour son âme; elle lui dit combien elle craint les illusions du démon.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et très aimé Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante Inutile de Jésus-Christ, je me recommande à vous avec le désir de nous voir unis et transformés dans cette douce et éternelle Vérité qui éloigne de nous toute erreur et tout mensonge. Pour moi, très cher Père, je vous remercie cordialement du saint zèle et de l’inquiétude que vous avez pour mon âme. Il me semble que vous êtes bien étonné de ce que vous apprenez de mou genre de vie, et je suis certaine que vous n’avez d’autre mobile que le désir de l’honneur de Dieu et de mon salut; vous craignez pour moi les pièges et les illusions du démon. Cette crainte que vous avez, mon Père, au sujet de la nourriture, ne m’étonne pas (Voir vie de sainte Catherine, Iie p., ch. 5) ; et je vous assure que, si vous l’avez, je tremble moi-même, tant je redoute les tromperies du démon; mais je me confie en la bonté de Dieu; et je suis en garde contre moi-même, sachant bien que je ne puis rien en attendre. Vous me demandez si je crois ou si je ne crois pas pouvoir être trompée par le démon; et vous me dites que si je ne le crois pas, c’est une [1502] preuve que je le suis. Je vous réponds que, non seulement pour ce fait, qui dépasse les forces naturelles, mais pour toutes mes autres actions, ma faiblesse et la malice du démon me remplissent toujours de crainte; je pense que je puis être dans l’erreur, parce que je sais et je vois que le démon a perdu la béatitude, mais non pas l’intelligence; et je comprends qu’avec cette supériorité d’esprit, il pourrait bien me tromper. Mais aussi je me réfugie et je m’appuie sur l’arbre de la très sainte Croix de Jésus crucifié; je m’y attache, et je suis persuadée que si j’y reste fixée et clouée par l’amour et par l’humilité, tous les démons ne pourront rien contre moi, non pas à cause de mes mérites, mais à cause de ceux de Jésus crucifié.

2. Vous m’écrivez aussi de demander particulièrement à Dieu de pouvoir manger ; je vous réponds, mon Père, et je vous assure devant Dieu, que j’ai pris tous les moyens de le faire, et que je m’efforce une ou deux fois par jour de prendre de la nourriture; j’ai prié Dieu sans cesse, je le prie et je le prierai encore de me faire la grâce de vivre comme toutes les autres, si c’est sa volonté, car c’est aussi la mienne. Je vous assure que souvent, après avoir fait tous mes efforts, j’ai bien examiné cette infirmité, et j’ai pensé que Dieu me la donnait, dans sa bonté, pour me corriger du vice de la gourmandise. Je gémis bien de n’avoir pas eu la force de m’en corriger par amour. Je ne sais maintenant quel remède employer, et je vous demande de prier l’éternelle Vérité de me faire la grâce, si cela vaut mieux pour son honneur et le salut de mon âme, de me laisser [1503] prendre de la nourriture, si cela lui plaît. Je suis certaine que la bonté de Dieu ne méprisera pas vos prières. Je vous prie de m’écrire le remède que vous connaissez, et pourvu qu’il honore Dieu, je le ferai volontiers. Je vous prie aussi de ne pas juger légèrement ce que vous n’avez pas bien examiné devant Dieu. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXIV (300).- A QUELQU’UN QU’ON NE NOMME PAS.- De l’infinie bonté de Dieu, et de la haine du péché.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un débiteur loyal, afin que vous vous acquittiez envers votre Créateur. Vous savez que nous sommes tous les débiteurs de Dieu; car, tout ce que nous avons, nous le tenons de sa grâce et de son amour ineffable. Nous ne lui demandons jamais de nous créer; c’est l’ardeur de son amour qui le porte à nous créer à son image et ressemblance, et à nous élever à une telle dignité, que la langue ne peut l’exprimer, l’oeil la voir, et le cœur de l’homme la comprendre. Cette dette que nous avons contractée envers lui, Dieu veut que nous [1504] l’acquittions en lui rendant amour pour amour. N’est-il pas juste et raisonnable que celui qui se voit aimé, aime aussi de sou côté? Dieu ne pouvait pas nous montrer plus d’amour qu’en donnant sa vie pour nous. Il a vu que l’homme avait perdu sa dignité par si faute, et qu’il s’était engagé à l’égard du démon, et la souveraine Bonté, pleine d’amour pour se créature, a voulu la sauver et l’affranchir de cet engagement. Elle a envoyé le Verbe son Fils unique, en le condamnant à mort pour rendre à l’homme la vie de la grâce, et le retirer de la prison du péché et des mains du démon. O doux et tendre Fils de Dieu, Verbe ineffable, très douce Charité ! vous avez payé la rançon, vous avez déchiré l’obligation souscrite entre l’homme et le démon par le péché; vous nous avez délivrés par le sacrifice de votre corps. Hélas ! Seigneur, qui peut résister à un si ardent amour? Ils résistent, ceux qui, tous les jours, renouvellent cette obligation avec le démon, en ne vous regardant pas,, vous le Christ Jésus, vous l’Homme-Dieu, flagellé et abreuvé d’épreuves. Hélas ! hélas ! ceux-là font de leur corps une étable d’animaux grossiers et sans raison.

2. Hélas ! très cher Frère, ne dormez plus dans la mort du péché mortel. Je vous le dis, la hache est déjà à la racine de l’arbre: prenez la pelle de la sainte crainte de Dieu, et avec la main de l’amour, hâtez-vous d’enlever les souillures de votre âme et de votre corps. Ne soyez pas votre ennemi, votre bourreau, en vous séparant de votre chef, le Christ, le doux et bon Jésus; plus de souillures, plus de débauches; revenez à votre Créateur, ouvrez les yeux de votre [1505] âme, et voyez l’ardeur de sa charité, qui vous a supporté et n’a pas commandé à la terre de s’ouvrir et aux bêtes féroces de vous dévorer; et même la terre vous a donné ses fruits, le soleil sa chaleur et sa lumière; le ciel a continué son mouvement, afin que vous viviez et que vous ayez le temps de vous convertir; et tout cela s’est fait par amour. O débiteur aveugle et déloyal! ne tardez donc pas davantage; sacrifiez à Jésus crucifié votre esprit, votre âme, votre corps. Je ne dis pas de vous donner la mort: ce n’est pas la vie corporelle qu’il faut quitter, ce sont les passions sensuelles; il faut que la volonté meure et que la raison vive, en suivant les traces de Jésus crucifié; alors vous acquitterez votre dette.

3. Donnez à Dieu ce qui est à Dieu, et à la terre ce qui est à la terre. À Dieu il faut donner le cœur, l’âme, toute l’affection, sans négligence et avec zèle; toutes vos œuvres doivent avoir Dieu pour fondement. Que faut-il donner à la terre, c’est-à-dire à la partie sensitive? ce qu’elle mérite. Et que mérite celui qui tue? de mourir. Il faut donc tuer cette volonté, en flagellant notre chair, en l’affligeant, pour lui imposer le joug des saints commandements de Dieu. Et ne voyez-vous pas que la chair est mortelle? Sa beauté passe aussi vite que la fleur séparée de sa tige. Ne vivez plus ainsi, pour l’amour de Jésus crucifié, car je vous annonce que Dieu ne souffrira plus de pareilles abominations, une semblable iniquité; si vous ne vous convertissez, sa justice s’exercera avec rigueur sur vous. Je vous le dis non seulement Dieu, qui est la pureté même, ne peut voir votre iniquité, mais elle déplaît aux démons, qui se plaisent [1506] aux autres péchés mais qui répugnent au pêché contre nature. N’êtes-vous pas semblable à l’animal grossier? Je vois bien que vous avez une forme humaine mais de cette chair, vous avez fait une fange qu’habitent les animaux immondes du vice. Oh ! convertissez-vous donc, pour l’amour de Dieu; pensez à votre salut, répondez à Jésus, qui vous appelle. Vous êtes fait pour être un temple où vous devez recevoir Dieu par la grâce, en vivant saintement et en participant au sang de l’Agneau, qui lave nos iniquités.

4. Hélas ! hélas ! que je suis malheureuse! je ne puis arrêter mes iniquités et les vôtres. Oh ! combien a été cruelle et impitoyable votre âme ! Et votre passion brutale ne s’est pas arrêtée à ce péché contre nature... Oh ! oui, les cœurs devraient se briser, la terre s’entrouvrir, les rochers nous écraser, les loups nous dévorer; ils ne devraient pas supporter cette iniquité, cet outrage à Dieu et à votre âme. Mon Frère, la parole me manque et les forces m’abandonnent. Non, ne le faites plus, mettez un terme à vos désordres. Je vous l’ai dit et je vous le répète, Dieu vous punira si vous ne vous corrigez pas; mais aussi je vous promets que, si vous voulez vous convertir et profiter des instants qui vous sont laissés, Dieu est si bon, si miséricordieux, qu’il vous pardonnera, vous recevra dans ses bras, vous fera participer au sang de l’Agneau, répandu avec tant d’amour qu’il n’y a pas de pécheur qui ne puisse obtenir miséricorde; car la miséricorde de Dieu est plus grande que nos iniquités, dès que nous voulons changer de vie et rejeter la corruption du péché par la sainte confession, avec le ferme propos de préférer mourir [1507] que de retourner à notre vomissement. De cette manière nous recouvrons la dignité que nous avons perdue par le péché, et nous acquittons la dette que nous devons payer à Dieu. Vous savez bien que, si vous ne la payez pas, vous serez jeté dans une prison plus horrible qu’on ne peut l’imaginer; vous savez bien que, quand on ne s’acquitte pas par la confession et le regret du péché, il est inutile que d’autres cherchent à le faire pour vous. Le débiteur s’en va avec les démons, qui sont ses maîtres, et il tombe au fond des enfers.

5. Mon doux Frère dans le Christ, le doux Jésus, je ne veux pas vous voir enseveli dans cette horrible prison, mais je veux vous voir sortir des mains du démon. Je vous en conjure, et je veux vous aider, de la part de Jésus crucifié. Payez votre dette par la sainte confession, avec le regret de l’outrage fait à Dieu, et avec la sainte résolution de ne jamais tomber dans de semblables fautes. Souvenez-vous de Jésus crucifié; guérissez le poison de votre chair, en vous rappelant la chair flagellée de Jésus crucifié, de l’Homme-Dieu, qui, par l’union de la nature divine avec la nature humaine, a tellement anobli notre chair, qu’il l’a élevée au-dessus de tous les chœurs des anges. Les fils insensés d’Adam ne devraient-ils pas rougir de s’abandonner à une telle misère, et de souiller ainsi leur dignité ! Contemplez Jésus crucifié, cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié, baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et ne tardez pas; ne comptez pas sur le temps, car le temps ne vous attend pas; et si votre faiblesse vous tourmente, que vôtre raison en fasse bonne justice[1508]. Asseyez-vous sur le tribunal de votre conscience, et ne laissez passer aucun mouvement qui ne soit contrôlé par la sainte et douce pensée de Dieu. Excitez-vous à résister et à ne consentir jamais au péché, ni par pensée ni par action; mais dites-vous: Souffre aujourd’hui, mon âme, cette petite peine; résiste et ne consens pas à la tentation : peut-être que demain finira ta vie, et si tu vis encore, tu feras ce que Dieu te fera faire; mais aujourd’hui fais cela. Je vous le dis, en agissant de la sorte, votre âme et votre corps, qui sont maintenant profanés, deviendront un temple où Dieu aimera résider par la grâce. Puis, lorsque votre vie sera terminée, vous recevrez pour récompense l’éternelle vision de Dieu, où la vie est sans mort, et le rassasiement sans dégoût. Ne vous exposez pas à perdre un si grand bien par un délai coupable. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Excusez mon ignorance; je vous ai dit peut-être des choses qu’il est dur d’entendre : excusez-moi; c’est le désir et l’amour du salut de votre âme qui me l’ont fait faire, Si je ne vous aimais pas, je ne m’affligerais pas de vous voir entre les mains du démon; mais, parce que je vous aime, je ne puis le souffrir. Je veux que vous participiez au sang du Fils de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Douce Marie [1509].

Table des matières (2)


 

CCCXV (307).- A UN SECULIER QU’ON NE NOMME PAS.- De la connaissance de soi-même, et l’amour envers Dieu.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher et bien-aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous encourage dans le précieux sang de son Fils, avec le désir de vous voir le vrai serviteur de Jésus-Christ et le fidèle observateur de ses commandements, car personne ne peut avoir la vie de la grâce s’il ne les accomplit pas. Ainsi donc, très cher frère, je veux que vous ouvriez l’oeil de votre intelligence sur vous-même pour reconnaître que vous êtes un néant, et. que la seule œuvre que vous puissiez vous attribuer est le pêché. L’homme, en voyant qu’il n’est rien par lui-même, s’humilie et reconnaît les bienfaits qu’il a reçus; et son amour augmente tellement à mesure qu’il connaît la grandeur de la bonté de Dieu à son égard, qu’il aimerait mieux mourir que de violer les commandements de son très doux Créateur. La sainte crainte qu’il en a le conduit à un ardent amour; et cet amour, nous le puisons dans le sang du Fils de Dieu, qu’il a répandu uniquement pour nous sauver en lavant les souillures du péché. Oh ! quelle chose terrible que le péché l combien il déplaît à Dieu ! Non seulement il ne l’a pas laissé impuni, mais encore Il en a fait justice sur son propre corps. Qu’il serait [1510] malheureux celui qui ne voudrait pas venger ce pêché sur lui-même !

2. Je vous prie, très cher et très doux Frère, de prendre les deux ailes qui vous feront observer les Commandements de Dieu, et qui vous feront ensuite voler jusqu’à la vie éternelle : l’aile de la haine, de l’horreur du péché et de l’amour-propre, source de tout mal, et l’aile de l’amour de la vertu. Celui qui voit combien la vertu lui est nécessaire, l’aime, parce qu’il voit que Dieu veut qu’il aime la vertus et qu’il déteste le vice. Oh ! combien il vous sera doux d’avoir cette vertu, qui délivre de la servitude du démon et donne la liberté, qui délivre de la mort et donne la vie, qui dissipe les ténèbres et donne la lumière ! Et le péché, au contraire, conduit l’homme à toute sorte de malheurs; il faut être plein de zèle, et se hâter d’employer avec une sainte ardeur le temps qui vous est accordé à vous et à votre famille. Je vous supplie par l’amour de Jésus crucifié, de fixer sur Dieu le regard de votre âme dans toutes vos actions. Oh ! quelle joie et quel bonheur pour votre âme quand viendra le moment où vous appellera la Vérité suprême ! Vous vous verrez entouré de vertu, appuyé sur le bâton de la très sainte Croix, qui fait accomplir les saints commandements de Dieu, et vous entendrez enfin cette douce parole: Viens, mon Fils bien-aimé, posséder le royaume du ciel, parce que tu as eu soin de détacher ton cœur des choses du monde, et que tu as élevé ta famille dans ma sainte crainte. Maintenant je te donne le repos parfait, car je récompense toutes les peines que tu as souffertes pour moi. Je n’ajoute rien, mon très cher Frère, si ce [1511] n’est que je supplie l’éternelle Vérité suprême de vous remplir de son éternelle et très douce grâce, afin que vous puissiez croître de vertu en vertu, jusqu’à être prêt à donner votre vie pour lui. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXVI (3O8). — A QUELQUES JEUNES GENS de Florence, fils adoptifs de dom Giovanni.- De la charité, de l’union, de la force et des vertus qui en procèdent.

(Ces jeunes gens étaient sans doute les fils spirituels de dom Jean des cellules de Vallombreuse, auquel sont adressées les lettres CXVI et CXVII.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir liés du doux lien de la charité, de telle sorte que ni les démons ni les créatures ne puissent jamais vous séparer. C’est ce doux lien qui unit Dieu à l’homme et l’homme à Dieu, quand la nature divine s’unit à la nature humaine; et c’est cet amour ineffable qui donna l’être à l’homme, lorsque Dieu le tira de lui-même en le créant à son Image et ressemblance ; et parce que l’âme est faite par pur amour, l’amour accorde les puissances de [1512] notre âme, et les lie toutes ensemble. La volonté excite l’intelligence à voir, parce qu’elle veut aimer quelque chose ; et lorsque l’intelligence comprend que la volonté veut aimer, si la volonté est raisonnable, elle lui offre pour objet l’amour ineffable du Père, qui nous a donné le Verbe, son Fils unique, et l’obéissance, l’humilité de ce Fils, qui a supporté avec douceur les peines, les injures, les coups, les mauvais traitements, les outrages, et qui les a soufferts aveu un amour ineffable. Et ce que l’oeil de l’intelligence a vu, sa volonté s’y attache. avec un ardent amour et d’une main puissante; elle dépose dans sa mémoire le trésor qu’elle tire de cet amour, et l’homme devient ainsi envers son Créateur reconnaissant des grâces et des dons qu’il sait avoir reçus de Dieu. Tout ce qu’il a, il ne l’a pas par lui-même, car nous ne sommes que néant, et nous ne pouvons nous attribuer que le pêché.

2. Oh ! quelle horrible mort que la faute qui nous prive de la vie ! Lorsque l’âme te comprend, elle se revêt d’amour et d’une humilité parfaite; elle trouve et goûte la charité dans la bonté de Dieu, elle voit en elle les dons qu’elle a reçus et qu’elle reçoit continuellement. La connaissance qu’elle a d’elle-même et du pêché, qui vient de la loi mauvaise, qui se révolte sans cesse en elle contre le Créateur, lui fait concevoir la haine et le mépris de la sensualité; et dans cette haine elle trouve la patience, qui la rend capable de supporter les peines, les mépris, les affronts, la faim, la soif, le froid, le chaud, les tentations et les attaques du démon. Elle méprise et fuit le monde avec tous ses plaisirs; elle embrasse l’humilité, qui [1513] est la nourrice de la charité, et elle souffre tout avec une grande patience, parce que la charité, l’amour par excellence, a trouvé l’humilité, qui la nourrit, et la haine de soi-même, qui la sert avec une patience parfaite; elle se venge, et fait justice des ennemis de la divine charité. Ces ennemis sont l’amour-propre, qui s’aime par intérêt, et tout ce qu’il aime, il l’aime pour lui et non pour Dieu, ce sont les plaisirs, les louanges, les dignités, les honneurs, les richesses.

3. Quelle vengeance exerce-t-elle? une si douce, que la langue ne saurait le dire. De l’amour-propre, qui donne la mort, elle vient à l’amour divin, qui donne la vie; des ténèbres, de la haine et du mépris de la vertu, elle arrive à la lumière et à l’amour de la vertu, si bien qu’elle aimerait mieux mourir que de l’abandonner; elle prend tous les moyens, toutes les voies qu’elle peut imaginer pour l’acquérir et la conserver. Et parce que les plaisirs des sens, les délicatesses du corps, les conversations des méchants lui sont nuisibles, elle les fuit de tout son cœur et de toutes ses forces. Elle combat son corps, elle s’en venge en le mortifiant par la pénitence, le jeûne, les veilles, la prière, les disciplines, surtout quand elle voit qu’il en a besoin, c’est-à-dire quand la chair veut se révolter contre l’esprit. Elle se venge de la volonté propre par la mort; elle la tue, en la soumettant aux commandements de Dieu et aux conseils que le Christ, le Fils unique de Dieu, nous a laissés avec ses commandements; elle se revêt ainsi de son éternelle volonté, et traverse courageusement cette mer orageuse en suivant les traces de Jésus crucifié. C’est là le doux lien [1514] qui lie l’âme à son Créateur; c’est lui qui a lié Dieu à l’homme et l’homme à Dieu, quand vous, le Père, vous nous avez donné le Verbe, votre Fils, et que vous avez uni la nature divine à la nature humaine. O mes Fils bien-aimés ! ce fut ce lien qui attacha et cloua l’Homme-Dieu sur la Croix. Si l’amour. ne l’eût pas retenu, les clous et la Croix n’auraient pu le faire. L’amour que le Christ a eu pour l’honneur du Père et pour notre salut, la haine, l’horreur qu’il a eue du péché, cet amour et cette haine réunis lui ont fait tirer vengeance de nos iniquités, et il les a punies sur son corps par des peines et des tourmente.

4. Ainsi donc l’âme qui est liée à Jésus crucifié le suit, et se venge de la partie sensitive pour l’honneur de Dieu, pour son salut et celui du prochain. Elle chasse ses ennemis, les vices et la désobéissance, qui lui a fait offenser son Créateur en violant ses commandements; elle ouvre au contraire et reçoit ses amis. Ces amis sont les vraies et solides vertus inspirées par l’amour et la charité parfaite. Un des meilleurs amis que l’âme puisse avoir, c’est la véritable obéissance; on est humble autant qu’on est obéissant, et qu’on observe les saints commandements de Dieu. L’âme se passionne pour cette obéissance, qui consiste à tuer et à détruire sa volonté; et pour la pratiquer davantage, elle veut obéir aux conseils de Jésus-Christ, en prenant dans un Ordre approuvé le joug de la sainte obéissance, Il est certain, mes Enfants, que c’est là le parti le plus sûr. Nous avons beau voir des religieux relâchés qui n’observent pas leur règle, la règle est toujours bonne, parce qu’elle est établie et donnée par l’Esprit-Saint [1515].

5. Si vous croyez donc que Dieu vous appelle à l’obéissance, répondez-lui, et ne vous laissez pas arrêter par ces Ordres qui sont tombés dans la tiédeur et le scandale, car il y a beaucoup de monastères dont on a retranché les abus; et si vous voulez entrer en religion, vous ferez bien et vous honorerez Dieu, pourvu que vous preniez un bon guide. Parmi tous les monastères, je vous recommande celui de Saint-Anthime (Voir la lettre CXI). L’abbé, comme vous le dira dom Giovanni, est un modèle d’humilité, de pauvreté et de charité; il ne voudrait pas être le plus grand, mais le plus petit. Que Dieu, dans son infinie bonté, dispose tout ce qui sera le plus utile à sa gloire et le plus profitable pour vous. Unissez-vous, unissez-vous ensemble, mes Enfants, par la charité supportez mutuellement vos défauts, afin, que vous soyez toujours unis et jamais séparés dans le Christ, le doux Jésus. Aimez-vous, aimez-vous les uns les autres. Vous savez que c’est là le signe que le Christ a laissé à ses disciples, en disant qu’on ne reconnaît les enfants de Dieu qu’à l’union de l’amour que l’homme a pour le prochain dans la perfection de la charité. J’ai éprouvé une grande consolation en apprenant que vous êtes bien unis. Avancez toujours, et ne tournez pas la tête en arrière. Que je puisse parler comme saint Paul, quand il disait à ses disciples qu’ils étaient sa joie, son bonheur, sa couronne. Je vous en conjure, faites en sorte que je puisse le dire aussi. Je termine. Baignez-vous dans le sang da Jésus crucifié, et unissez-vous ensemble par les liens de l’amour. Demeurez [1516] dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus,Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXVII (309). - A DES PRISONNIERS le jeudi saint, à Sienne.- De la vraie patience.- Du péché, et de la miséricorde de Dieu, qui a voulu mourir pour nous.

( Cette lettre fut écrite le Jeudi saint, 9 avril 1377)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baignés par un saint désir dans le sang de Jésus crucifié. C’est sur lui qu’il faut fixer le regard de Votre intelligence; et en le faisant, vous acquerrez la vraie patience. Car le sang de Jésus-Christ nous rappelle nos iniquités, et l’infinie miséricorde, la charité de Dieu; ce souvenir nous fait haïr nos défauts et nos péchés; il nous dit aussi aimer la vertu, Et si vous me demandez, très chers Fils, pourquoi ce sang nous rappelle plus particulièrement nos fautes et la miséricorde divine, je vous répondrai Parce que la mort du Fils de Dieu a été causée par nos péchés.

2. Le péché a été cause de la mort du Christ. Le Fils de Dieu n’avait pas besoin de suivre la voie de la Croix pour entrer dans sa gloire, car le poison du [1517] péché n’était pas en lui, et la vie éternelle lui appartenait ; mais nous, malheureux, nous l’avions perdue par nos péchés, et il y avait entre Dieu et nous, une grande guerre. L’homme s’était affaibli et rendu malade en se révoltant contre son Créateur, et il ne pouvait prendre la médecine amère que nécessitait ma faute. Il fallait que Dieu nous donnât le Verbe, son Fils unique, et son ineffable charité unit la nature divine à la nature humaine, l’infini avec le fini, avec notre chair misérable; il est venu souffrir pour nous guérir, notre médecin a été notre Sauveur. Je dis qu’avec son sang, il a guéri nos iniquités; il nous a donné sa chair en nourriture, et son sang précieux en breuvage. Ce sang est d’une si grande douceur, d’une si grande suavité, d’une telle force, d’une telle vertu, qu’il guérit toutes les infirmités, qu’il rappelle de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière, car le péché mortel fait tomber l’âme dans tous ces malheurs. Le péché nous ôte la grâce et la vie; il nous donne la mort, il obscurcit la lumière de l’intelligence, et rend l’homme le serviteur et l’esclave du démon: il lui ôte le calme, et il lui cause une crainte déréglée, car le pécheur craint toujours. Celui qui se laisse dominer par le péché a perdu tout pouvoir. Hélas ! combien de maux suivent le péché, combien à cause de lui Dieu permet-il de peines et d’angoisses? Toutes ces misères, toutes ces angoisses, le sang de Jésus crucifié les détruit, parce que ce sang lave l’âme de ses souillures, en les soumettant à la sainte Confession. Dans ce sang s’acquiert la patience; en voyant l’offense que nous avons commise contre Dieu, et le remède qu’il a employé pour nous donner [1518] la vie de la grâce, nous arrivons à la vraie patience. Il est donc bien vrai que Jésus-Christ est un médecin qui nous a donné son sang pour nous guérir.

3. Je dis aussi qu’il est infirme, c’est-à-dire qu’il a pris notre infirmité en prenant notre faiblesse et notre chair mortelle, et c’est sur la chair de son très doux corps qu’ont été punies nos fautes. Il a fait comme la nourrice qui nourrit un enfant malade; elle prend la médecine, parce que l’enfant est trop petit et trop faible pour en supporter l’amertume, il ne peut prendre que du lait. O doux amour Jésus ! vous avez fait comme la nourrice; vous avez pris la médecine amère, vous avez supporté les peines, les opprobres, les mauvais traitements, les outrages; vous avez été lié, battu, flagellé à la colonne, attaché, cloué à la Croix, abreuvé d’injures et d’affronts, tourmenté, dévoré par la soif; et pour tout soulagement on vous a donné par dérision du fiel et du vinaigre; et vous avez tout souffert avec patience, en priant pour ceux qui vous crucifiaient, O amour ineffable ! non seulement vous avez prié pour ceux qui vous crucifiaient, mais vous les. avez excusés en disant: " Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font." O patience qui surpasse toute patience ! Quel est celui qui, au milieu des coups, des supplices, des outrages, de la mort, a jamais pardonné et prié pour ses bourreaux? Vous seul l’avez fait, Seigneur. Il est donc bien vrai que vous avez pris la médecine amère pour nous, pauvres enfants malades; et avec votre mort, vous nous avez donné la vie; en goûtant l’amertume, vous nous avez rendu la douceur. Vous nous tenez sur votre sein comme la nourrice, et vous nous [1519] donnez le lait de la grâce divine; vous avez pris l’amertume pour vous, et nous avons ainsi recouvré la santé. Vous voyez bien qu’il s’est fait malade pour nous.

4. Il s’est fait aussi notre champion, et il est descendu sur le champ de bataille; il a combattu et vaincu les démons. Saint Augustin dit qu’avec sa main désarmée, notre Chevalier a défait nos ennemis; il a chevauché sur le bois de la très sainte Croix. La couronne d’épines était son casque, sa chair flagellée sa cuirasse, les clous de ses mains ses gantelets, la lance de son côté le glaive qui vainquit l’homme, et les clous de ses pieds ses éperons. Vous voyez comme il est bien armé notre Chevalier; nous devons le suivre et reprendre courage dans toutes nos épreuves et nos tribulations. Aussi je vous ai dit que le sang du Christ nous rappelle nos pêchés, et nous montre le remède et l’abondance de la miséricorde divine que nous avons reçue dans son sang. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, car nous ne pouvons autrement participer à sa grâce, ni atteindre la fin pour laquelle nous avons été créés. Vous ne pourriez pas non plus souffrir patiemment votre malheur; car c’est dans la mémoire du Sang que toute chose amère devient douce, et tout fardeau devient léger. Je n’ai pas le temps de vous en dire davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, et souvenez-vous que vous devez mourir, vous ne savez pas quand. Préparez-vous à la confession et à la sainte Communion, afin de pouvoir ressusciter à la grâce avec Jésus-Christ. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXVIII (310).- AU JUIF CONSIGLIO.- Elle l’exhorte à se convertir à la vraie foi en recevant le baptême.

(Le Juif Consiglio était de Padoue, et vint s’établir à Sienne pour prêter à usure. Les Juifs prêtaient à quatre deniers pour livre par mois. Ils avaient des fortunes si monstrueuses, que le peuple les fit chasser de Florence. Saint Bernardin parla aussi contre eux à Sienne.)

 

LOUANGE A JESUS-CHRIST CRUCIFIE, FILS DE LA GLORIEUSE VIERGE MARIE

1. C’est à vous, très cher et bien-aimé Frère, racheté comme moi par le sang précieux du Fils de Dieu, c’est à vous que j’écris, moi, l’indigne Catherine. Jésus crucifié et sa douce Mère Marie me forcent de vous prier d’abandonner promptement la dureté de votre cœur, de quitter les ténèbres de l’infidélité pour venir recevoir la grâce du saint baptême; car sans le baptême, nous ne pouvons avoir la grâce de Dieu. Celui qui n’a pas le baptême ne participe pas au fruit de la sainte Eglise; il est comme un membre corrompu et retranché de la société des fidèles chrétiens, et il passe de la mort corporelle à la mort éternelle; la peine et les ténèbres seront sa juste punition; car il n’a pas voulu se laver dans l’eau du saint baptême, et il a méprisé le sang du Fils de Dieu, répandu avec tant d’amour.

2. O très cher Frère dans le Christ Jésus, ouvrez les yeux de votre intelligence, et regardez son ineffable [1521] charité, qui vous presse par les inspirations saintes qu’il a mises dans votre cœur. Il vous appelle par ses serviteurs, il vous invite à faire la paix avec lui; il oubliera la longue guerre que vous lui avez faite, les injures qu’il a reçues de vous par votre infidélité. Il est si bon, si doux, notre Dieu, que depuis la loi d’amour, depuis que son Fils est descendu dans la Vierge Marie, et qu’il a répandu l’abondance de son sang sur le bois de la très sainte Croix, nous pouvons recevoir aussi l’abondance de la divine miséricorde. La loi de Moïse était fondée sur la justice et sur le châtiment; la loi nouvelle, donnée par Jésus crucifié dans l’Evangile, est fondée sur l’amour et la miséricorde. Dieu est si doux et si bon, pourvu que l’homme revienne à lui avec foi et humilité, pourvu qu’il croie obtenir la vie éternelle par Jésus-Christ, qu’il semble qu’il ne veuille pas se souvenir des offenses que nous lui faisons, qu’il ne veuille pas nous damner éternellement, mais nous faire toujours miséricorde. Hâtez-vous donc, mon Frère, si vous voulez vous unir à Jésus-Christ; ne dormez plus dans un pareil aveuglement, car Dieu ne veut pas, et je ne veux pas que l’heure de la mort vous trouve aveugle. Mon âme désire vous voir arriver à la lumière du saint baptême, comme le cerf altéré désire l’eau vive. Ne résistez donc plus à l’Esprit-Saint" qui vous appelle, et ne méprisez pas l’amour qu’a pour vous Marie, ni les larmes ni les prières qui sont offertes pour vous; ce serait encourir un trop grand châtiment. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je prie Celui qui est la Vérité suprême de vous éclairer, de vous remplir de sa très sainte grâce, et [1522] d’exaucer mon désir à votre égard, Consiglio. Je vous écris cette lettre, Consiglio, de la part du Christ Jésus. Louange à Jésus crucifié et à sa très douce Mère, la glorieuse Vierge, notre Dame sainte Marie. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCCXIX.- A MADAME, épouse de Barnabé Visconti.- De la charité et de l’imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ. — Elle la prie de donner l’exemple à son mari, et de le ramener à l’obéissance du Souverain Pontife.

(Béatrix della Scala femme de Barnabé Visconti, seigneur de Milan, eut de son mariage quatorze enfants, cinq garçons et neuf filles. Les historiens la représentent comme ambitieuse et méchante. Voir la lettre LXXIV, adressée à son mari.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Révérende Mère dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement d’une ardente charité, afin que vous soyez un moyen, un instrument pour réconcilier votre mari avec le Christ, le doux Jésus, et avec son Vicaire, le Christ de la terre. Je suis persuadée que, si la vertu de la charité est en vous, votre mari ne pourra pas éviter d’en ressentir la chaleur. La Vérité suprême veut que [1523] vous soyez deux dans un même esprit, une même affection, un même désir; et vous ne le pourrez jamais, si vous n’avez pas en vous cet amour.

2. Mais vous me dites: Je n’ai pas cet amour, et sans amour, je n’ai aucun moyen de réussir. Je vous répondrai que l’amour ne s’acquiert que par l’amour. Celui qui veut être aimé doit d’abord aimer, c’est-à-dire avoir la volonté d’aimer; et puis, quand il a cette volonté, il faut qu’il ouvre l’oeil de l’entendement, et qu’il voie où et comment se trouve cet amour. Il le trouve en lui-même. Comment? En reconnaissant son néant, en voyant qu’il n’est pas par lui-même, il attribue à Dieu son existence et toutes les grâces qui y sont ajoutées, c’est-à-dire toutes les grâces, tous les dons spirituels et temporels que Dieu nous faits. Si nous n’étions pas, nous ne pourrions recevoir aucune grâce; et ainsi, tout ce que l’homme possède. il le tient de l’ineffable bonté et charité de Dieu. Quand l’âme a reconnu en elle cette ineffable bonté du Créateur, elle s’anime et s’enflamme tellement de désir, qu’elle se méprise et qu’elle méprise le monde, avec toutes ses délices. Et je ne m’en étonne pas : une des lois de l’amour est que, quand la créature se voit aimée, elle aime aussitôt; et quand elle aime, elle aimerait mieux mourir que d’offenser celui qu’elle aime. Elle se nourrit dans le feu de l’amour :elle s’est vue tant aimée quand elle a reconnu qu’elle a été le champ et la pierre où fut planté l’étendard de la très sainte Croix! Vous savez bien que ni la terre ni la pierre n’auraient pu fixer la Croix, que ni les clous ni la Croix n’auraient pu retenir le Verbe le Fils de Dieu, si l’amour ne l’eût pas attaché. C’est donc [1524] l’amour que Dieu a eu pour notre âme qui a été la pierre et les clous qui l’ont retenu.

3. Voilà le moyen de trouver l’amour. Et puis, quand nous avons trouvé le lieu où est l’amour, comment faut-il aimer? O très douce et révérende Mère! c’est lui qui est la règle, la voie, et il n’y en a pas d’autres. La voie qu’il nous enseigne, nous devons la suivre, si nous voulons marcher à la lumière et recevoir la vie de la grâce; il faut avancer au milieu des peines, des opprobres, des mépris, des persécutions, afin de devenir semblables à Jésus crucifié. Cet Agneau sans tache a méprisé les richesses, les honneurs du monde; et quoiqu’il fût Dieu et homme, comme il était notre règle et notre voie, il nous a enseigné la loi, il l’a observée et ne l’a pas transgressée, Il est si humble et si doux qu’on n’entendit jamais sortir de sa bouche la moindre plainte. Il s’est sacrifié lui-même, et, dans la générosité de son amour, il s’est nourri de notre salut, ne cherchant jamais son intérêt, mais uniquement l’honneur de son Père et le bien des créatures. Il n’a pas fui les peines, il a été même au-devant d’elles. N’est-ce pas admirable de voir le bon et doux Jésus, qui gouverne et nourrit l’univers, se trouver dans un tel dénuement, que jamais personne n’a été pauvre comme lui? Il était si pauvre, que Marie n’eût pas un linge convenable pour envelopper son Fils; et lorsqu’il mourut sur la Croix, il n’avait pas de quoi couvrir sa nudité. Il était nu, parce que le péché nous avait fait perdre le vêtement de la grâce, et il s’est dépouillé de la vie pour nous revêtir. Je dis que l’âme qui aura trouvé l’amour dans l’affection de Jésus crucifié aura honte [1525] de marcher par une autre voie que par celle de Jésus crucifié; elle ne recherchera ni les délices, ni les honneurs, ni les magnificences; mais elle sera en cette vie comme un pèlerin qui ne pense qu’à atteindre le terme de son voyage. S’il est sage, il ne se laisse retarder ni par la prospérité ni par l’adversité qu’il rencontre, mais il avance toujours généreusement vers le but qu’il aime et qu’il espère.

4. Faites de même, très douce Mère et Soeur dans le Christ, le doux Jésus. Je ne veux pas que vous vous arrêtiez aux grandes richesses que vous avez, aux honneurs, aux jouissances plus qu’aux malheurs et aux tribulations qui peuvent venir. Que ni la peine ni le plaisir ne ,vous détournent, mais courez généreusement dans cette voie, n’aimant que la vertu, et vous réjouissant de souffrir, comme Jésus crucifié vous l’a si doucement appris. Usez des choses du monde par nécessité, et non pas avec un attachement déréglé, qui déplairait trop à Dieu. Si vous mettiez votre amour en quelque chose qui est moins que vous, ce serait perdre votre dignité, car la créature devient la même chose que ce qu’elle aime. Si j’aime le péché, qui est un néant, je deviens un néant, et je ne puis m’avilir davantage, car le péché consiste uniquement à aimer ce que Dieu déteste, et à détester ce que Dieu aime. En aimant les choses passagères du monde, et en s’aimant d’un amour sensitif, on pèche; et c’est une chose que Dieu hait et qui lui déplaît tant, qu’il a voulu en faire justice et la punir sur son corps. Il est devenu l’enclume où il a travaillé nos iniquités. Quelle misère et quel aveuglement de la créature, créée à [1526] l’image et ressemblance divine, régénérée à la grâce qu’elle avait perdue par le péché mortel, et rétablie dans sa beauté première par les flots du sang de Jésus-Christ ! Elle est si aveugle, qu’elle abandonne cet amour qui l’avait anoblie avec tant de bonté, et qu’elle se met à. aimer les choses qui sont hors de Dieu; elle s’éloigne de lui pour aimer les choses créées, pour s’aimer elle-même sans lui. Et ce ne sont pas les grandeurs et les délices du monde, ni les créatures, qui sont condamnables; c’est l’amour que l’âme y place, en violant par cet attachement le doux commandement de Dieu.

5. Mais, au contraire, quand l’âme se détache d’elle-même et place tout son amour en Jésus crucifié, elle s’élève à la plus haute dignité qu’elle puisse atteindre, puisqu’elle devient une même chose avec son Créateur; et qu’y a-t-il de meilleur que d’être uni à Celui qui est le Bien suprême! Elle ne peut s’attribuer cette grandeur, cette dignité ,mais elle l’attribue à l’amour de Dieu. Une servante qui serait choisie pour épouse par un empereur, aussitôt qu’elle serait unie à lui deviendrait impératrice, non pas par elle-même, puisqu’elle était servante, mais par la puissance de l’empereur. De même, très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, pensez que l’âme qui aime Dieu, de servante qu’elle était, d’esclave rachetée par le sang du sang du Fils de Dieu, devient tellement élevée en dignité qu’on ne peut plus l’appeler servante, mais impératrice, épouse de l’Empereur éternel. La Vérité suprême ne l’a-t-elle pas dit? servir Dieu, ce n’est pas être esclave, c’est régner; car c’est être affranchi de la servitude du péché, c’est devenir libre. Elle est [1527] donc bien puissante, cette union de l’amour et de la vertu, qui à la noblesse de la créature ajoute encore la noblesse du Créateur! L’âme, en se détachant d’elle-même, se dépouille du vieil homme, et se revêt de l’homme nouveau, du Christ, le doux Jésus; elle devient capable de recevoir, de posséder la grâce qui lui fait goûter Dieu en cette vie et en l’autre; enfin elle jouit de son éternelle vision, où elle trouve la paix. le repos parfait, car tous ses désirs sont remplis. En cette vie, elle ne peut avoir la paix, parce que son désir n’est pas satisfait tant qu’elle n’est pas parvenue à l’union de la divine Essence; elle a seulement faim et désir pendant tout son pèlerinage. Elle désire suivre la voie droite, elle a faim d’arriver au terme, au but, et son désir la fait courir dans la voie tracée par Jésus crucifié, dont nous avons parlé; si elle n’aimait pas sa fin, c’est-à-dire Dieu, elle ne chercherait pas à connaître la voie.

6. Je voudrais donc vous voir augmenter le saint et vrai désir de suivre cette voie, qui doit vous conduire au terme. Apprenez qu’elle n’est pas incertaine, ténébreuse, pleine d’épines ; c’est une route lumineuse et arrosée du sang de Jésus-Christ, qui est la vraie lumière. Elle n’a pas d’épines, mais elle est pleine de fleurs parfumées et de fruits délicieux; si bien que la créature qui a commencé à suivre cette douce voie, y trouve tant de douceur, qu’elle aimerait mieux mourir que de la quitter. On rencontre bien en cette voie, des épines, les épines nombreuses de la tribulation, les illusions du démon, le monde avec les tourments de l’orgueil, mais l’âme qui se plaît en cette voie ne s’en inquiète pas, elle fait comme celui [1528] qui trouve un rosier : il cueille la rose, et laisse l’épine. Elle fait de même pour les tribulations et les angoisses du monde; elle les laisse derrière elle, et cueille la rose parfumée de la vraie et sainte patience, en fixant le regard de son intelligence sur le sang de l’Agneau, qui donne la vie et nous trace le chemin. Courez donc, ma Mère, courons tous, chrétiens fidèles, attirés par l’odeur de ce sang ! Nous nous enivrerons, nous serons consumés et brûlés par la douce charité de Dieu, et nous deviendrons une même chose avec lui; nous ferons comme celui qui, dans son ivresse, ne pense plus à lui, mais à la liqueur qu’il a bue et qui lui reste à boire. Enivrez-vous du sang de Jésus crucifié, puisque vous le pouvez; ne vous laissez pas mourir de soif; n’en prenez pas un peu, mais beaucoup, pour vous enivrer et vous perdre vous-même.

7. Ne vous aimez pas pour vous, mais pour Dieu; n’aimez pas la créature pour la créature, mais seulement pour l’honneur et la gloire du nom de Dieu;. n’aimez pas Dieu pour vous, pour votre utilité, mais aimez Dieu pour Dieu, parce qu’il est la Bonté suprême, si digne d’être aimée. Alors votre amour sera parfait, et non mercenaire. Vous ne pourrez penser qu’à Jésus crucifié, à la liqueur que vous avez bue, c’est-à-dire à la charité parfaite que Dieu vous a témoignée avant la création du monde, en vous aimant avant que vous fussiez; car, s’il ne vous avait point aimée, il ne vous eût pas créée; mais il vous a vue en lui-même par amour, et il a voulu vous donner l’être. Alors toutes vos pensées seront fixées dans cette charité, et vous penserez à ce qui doit vous [1529] désaltérer; vous désirerez ardemment voir et goûter l’éternelle et suprême beauté de Dieu. Nous savons maintenant le lieu où se repose l’amour, et où l’âme trouve le moyen qu’il faut prendre pour l’acquérir. Je vous en conjure par l’amour de Jésus crucifié, ne soyez pas négligente, mais hâtez-vous d’aller dans ce lieu, et de suivre cette voie qui vous est montrée. En le faisant, vous accomplirez en vous le désir et la volonté de Dieu, qui ne cherche et ne veut que votre sanctification.

8. Vous apaiserez aussi mon désir; car moi, pauvre misérable, remplie de péchés et d’iniquités, j’ai faim de votre salut ; je le veux pour vous, et afin que vous soyez aussi pour votre mari un moyen de le conduire à la vertu, et de lui faire suivre la voie de la vérité. Invitez-le, engagez-le autant que vous le pourrez à être le vrai fils et le serviteur de Jésus crucifié par son obéissance au Saint-Père, qui le représente. Non, qu’il ne se révolte plus contre lui. Père et Mère bien-aimés, soyez unis dans une même Volonté, un même esprit. Ne comptez pas sur le temps, car le temps n’attend pas. Pensez, pensez que l’oeil de Dieu est fixé sur vous, et que personne ne peut échapper à ses regards c’est votre Dieu, qui n’a pas besoin de vous; il nous a aimés avant, que nous l’aimions, et il s’est. donné lui-même à nous par la grâce, et non par obligation. Je ne veux pas que vous méconnaissiez un si grand bienfait, mais que vous soyez pleine de reconnaissance,. en répondant à la grâce et à la clémence du Saint-Esprit. Je vous prie d’élever et de nourrir vos enfants dans la crainte de Dieu. Ne vous inquiétez pas de leur corps, mais du salut de leur [1530] âme vous savez que Dieu vous en demandera compte au dernier jour. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez à mon ignorance si je vous ai importunée; mais j’ai faim et soif de votre salut plus que je ne pourrais le dire. Votre fidèle serviteur est venu de votre part, et m’a dit de vive voix ce dont vous l’aviez chargé, et j’en ai été bien heureuse. Doux Jésus, Jésus amour.

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CCCXX.- MADAME NIERA, de Gérard Gambacorti, à Pise.- Combien l’amour des créatures est dangereux, et combien l’amour de Dieu est doux et utile.

(Le nom de Niéri ou Niera vient de celui de saint Ranier, protecteur de Pise. Gérard Gambacorti était frère de Pierre Gambacorti, dont nous avons parlé à la lettre LXXV.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement de la charité divine, du véritable et parfait amour, tellement que tout autre amour sorte de votre cœur, parce que l’âme ne peut être revêtue de deux amours. Si elle a celui du monde, elle ne peut avoir celui de Dieu; car l’un est l’ennemi de l’autre. L’amour qu’on [1531] a pour le monde fait, qu’on s’aime d’un amour sensitif, et qu’on recherche sans cesse les honneurs, la puissance, les richesses, les plaisirs, les délices, les consolations sensibles; et ces jouissances conduisent l’âme à la mort éternelle. Celui qui aime le monde et ses plaisirs d’une manière déréglée, est toujours enraciné dans l’orgueil, et de l’orgueil naissent tous les vices. Oh ! quel malheur s’attire celui qui se perd dans les soucis coupables du monde ! il acquiert la mort en perdant la vie de la grâce; il s’égare dans les ténèbres en perdant la lumière, et il tombe dans la triste servitude du péché; il devient esclave, et esclave du néant. Il ne peut y avoir un sort plus déplorable; l’âme se perd elle-même et se livre entre les mains de ses ennemis.

2. Je ne veux pas qu’il en soit ainsi, très chère Fille, et vous, mon Fils Gérard; mais je veux qu’avec un saint et vrai zèle vous dépouilliez votre cœur de cet amour coupable, et que vous le revêtiez de l’amour de Jésus crucifié, dans une parfaite et ardente charité, restant toujours dans l’amour et la dilection de votre prochain. Cet amour est plein de joie et de douceur, il nourrit et remplit l’âme de vertu; il ouvre l’oeil de l’intelligence, et le fixe sur Jésus crucifié et sur son amour ineffable. L’âme alors s’embrase d’amour, et s’empresse de suivre les traces du Christ, en s’attachant toujours à la vertu, en lui ressemblant dans les épreuves par la patience, et dans la prospérité, les plaisirs de la terre, les dignités, les grandeurs, par le dégoût, méprisant, avec Jésus-Christ, toutes les jouissances du monde. L’âme ainsi revêtue d’amour le fuit avec un maint et vrai zèle. Voilà ce que fait le [1532] saint et divin amour; c’est là le vêtement nuptial qu’il faut avoir, parce que nous sommes invités aux noces de la vie éternelle. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir revêtue du véritable et parfait amour, afin que vous puissiez pleinement satisfaire la volonté de Dieu et mon désir. Dieu ne cherche et ne veut que votre sanctification. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Dans ce sang vous trouverez le feu de l’amour; dans ce sang se lavent nos iniquités. C’est ce que fait le représentant de Jésus-Christ, lorsqu’il absout notre âme dans la confession; il ne fait pas autre chose que de jeter le sang du Christ sur notre tête.

3. Dites à Gérard que voici le temps favorable; pour vivre il ne faut pas mépriser ce sang, et il ignore combien il doit vivre et quand il doit mourir. Qu’il se débarrasse de la corruption de ses pêchés par une bonne et sainte confession; il ne pourrait pas autrement participer à la grâce divine. Je vous en conjure, mon Fils et ma Fille, par l’amour de Jésus-Christ, que l’amour de vos enfants et de vous-mêmes, que les jouissances du monde ne vous éloignent jamais de ce que vous devez faire. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1533].

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CCCXXI.- A MADAME NIERA, de Gérard Gambacorti, à Pise.- De la confiance que nous devons avoir en Dieu seul, et des fruits qu’elle produit.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la servante et la fille fidèle du Père. Vous savez que l’amour est ce qui rend fidèle; on n’a confiance qu’en ce qu’on aime. Aussi nous voyons les vrais serviteurs. de Dieu, à cause de l’amour qu’ils ont pour leur Créateur, perdre toute confiance et toute espérance en eux-mêmes; ils ne comptent pas sur leur vertu et leur savoir, mais ils reconnaissent leur néant; ils rapportent tout ce qu’ils ont à Dieu, qui le leur a donné par grâce, et non par obligation. Ceux qui aiment avec foi ont une foi vive; elle n’est pas morte, et produit de douces et saintes, œuvres. Quelles sont les œuvres qui montrent cette foi vive fondée. sur le véritable amour? la patience contre l’injure ou contre les peines, de quelque manière que Dieu nous les envoie; la charité divine contre l’amour sensuel de nous-mêmes; l’humilité contre l’orgueil que font naître dans l’homme le rang, les délices, les honneurs et les plaisirs du monde. Cette humilité méprise le monde avec toutes ses pompes; mais personne ne peut l’avoir s’il ne reconnaît [1535] pas son néant, et s’il ne voit pas que Dieu s’est humilié jusqu’à l’homme. Lorsque l’âme considère que la souveraine Grandeur s’est abaissée jusqu’à notre humanité, elle rougit de son orgueil à la vue d’un Dieu si humilié. Ce sont les fruits produits par la foi vive qu’elle place uniquement en son Créateur.

2. Ceux qui possèdent et goûtent Dieu en vérité ne souffrent pas des peines et des tourments qu’ils éprouvent, parce qu’ils croient fermement que Dieu ne cherche, ne veut et ne permet rien que pour notre sanctification. Tout cela vient de l’amour, car sans l’amour la foi n’existerait pas. Voyez, au contraire, ceux qui ont placé leurs affections dans le monde: ils mettent toute leur foi, toute leur espérance en eux et dans le monde, et ils sont toujours dans la peine et le chagrin, parce qu’ils mettent leur âme dans une chose qui n’est pas ferme et stable, et ils se trouvent ainsi trompés. Quelle sûreté présentent un père, une mère, les honneurs, les richesses, la puissance? aucune, car tout cela passe comme le vent; ils vivent aujourd’hui, et demain ils seront. morts; de bien portants ils deviennent malades, et de riches, pauvres; ils mettent leur bonheur dans leurs enfants, et ils les perdent. Ils souffrent, parce qu’ils placent leur amour et leur désir dans des choses incapables de les satisfaire, parce qu’ils ne peuvent posséder ce qu’ils aiment. Aussi je ne veux pas, ma très douce Fille, que vous placiez votre affection, votre foi, votre espérance en vous et dans ce qui est corruptible; mais je veux que vous vous donniez tout entière à servir le Christ, le doux Jésus, où se trouvent tout bonheur, toute consolation. C’est là que l’âme s’enivre [1535] du sang de l’Agneau sans tache, qu’elle s’enflamme et se consume dans le feu d’une ardente charité; et elle y reçoit tant de force, que ni le démon ni les créatures ne peuvent lui ravir son bien. Cachez-vous donc dans les plaies de Jésus crucifié, placez votre affection, votre foi, votre espérance en Jésus crucifié, et avec ce doux et tendre Agneau, vous traverserez cette vie ténébreuse, et vous arriverez à la vie éternelle, où les âmes goûtent le bonheur parfait. Je ne veux pas vous en dire davantage.

3. Quant à ce que vous me dites de l’établissement de votre Fils, je vous répondrai que vous vous arrêtiez, non pas à la fortune et à la naissance, mais seulement à la vertu et au mérite de la jeune fille (Niera eut deux fils, Lotto, qui fut archevêque de Pise en 1382, et Jean, qui rétablit la fortune de sa famille en 1406.). Lorsque vous aurez trouvé cela, allez en toute assurance. Ce que vous faites, faites-le avec la crainte de Dieu, en fixant toujours sur lui les regards de votre âme. Bénissez et encouragez Gérard dans le Christ, le doux Jésus; dites à Gérard que je me plaindrai de lui à Jésus crucifié, parce qu’il n’a pas fait ce que doit faire tout fidèle chrétien. Dites-lui de ne pas attendre le dernier jour de sa vie, car il ne sait quand et comment il mourra. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1536] .

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CCCXXII.- A MADAME TORA, fille de messire Pierre Gambacorti, de Pise.- Elle l’exhorte à être la vraie servante et épouse de Jésus-Christ, en renonçant à tout amour des créatures.

(Tora est le diminutif de Théodora ou de Victoria. Cette fille de Gambacorti avait été fiancée très jeune à Simon de Massa; elle devint veuve à l’âge de quinze ans. Elle entre dans l’ordre de Saint-Dominique, et fut béatitiée sous le nom de bienheureuse Claire de Gambacorti; sa fête se célèbre le 17 avril.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très cher Fille dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir la vraie servante et épouse de Jésus crucifié, si bien que son amour te rende insupportables le monde et ses délices, parce qu’on n’y trouve aucune force, aucune stabilité. Tu sais bien, ma Fille, que c’est la vérité. Le monde t’a montré ses magnificences et ses plaisirs; mais tu sais maintenant combien ses joies sont vaines et misérables; elles engendrent la tristesse et l’amertume dans l’âme qui les possède d’une manière déréglée; elles ôtent la vie et donnent la mort, et l’âme tombe dans une affreuse misère et pauvreté. Il faut donc les fuir; il faut haïr la sensualité et lu plaisirs du monde, les mépriser de tout son cœur, de toutes ses forces, et se [1537] consacrer entièrement a" service de notre très doux Créateur. Le servir n’est pas être esclave, c’est régner, car c’est devenir tout puissant dans la vie éternelle, et dans celle-ci c’est devenir libre. L’âme est affranchie des liens du péché mortel, de l’amour du monde et de la sensualité. La raison devient maîtresse; elle règne sur le monde, qu’elle dédaigne, car personne ne peut le posséder qu’en le méprisant parfaitement.

2. L’âme ne serait-elle pas bien insensée si, pouvant être libre et épouse, elle se faisait servante et esclave en se livrant encore au démon, en devenant adultère? Oui, assurément, et c’est pourtant ce que fait l’âme affranchie de la servitude du démon, rachetée par le sang de Jésus crucifié, non pas avec de l’or et de l’argent, mais avec ce sang; elle s’avilit, elle méconnaît sa dignité, elle méprise et foule aux pieds ce sang qui l’a rachetée avec un si ardent amour. Dieu l’avait rendue l’épouse du Verbe, son Fils, et le doux Jésus l’a épousée avec sa chair dans la Circoncision; il a donné un anneau de sa chair pour preuve qu’il voulait être l’époux de l’humanité. Et l’âme aime quelque chose hors de lui, ou son père, ou sa mère, ses sœurs, ses frères, des parents, des richesses, des honneurs du monde, elle devient adultère; elle cesse d’être l’épouse fidèle de son Epoux, car une véritable épouse n’aime que son époux, et n’aime rien qui puisse être contre sa volonté. C’est ce que devrait faire la véritable épouse du Christ. Elle devrait l’aimer uniquement de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces, et détester tout ce qu’il déteste, le vice, le péché qu’il a tellement en [1538] horreur, qu’il a voulu le punir sur son propre corps pour nous sauver; elle devrait aimer tout ce qu’il aime, c’est-à-dire les vertus qui s’exercent par la charité du prochain en le servant autant que possible dans ses besoins avec une affection fraternelle.

3. Oui, je veux que tu sois une servante fidèle, et Je ne veux pas que tu sois sans époux. J’ai appris que Dieu avait appelé à lui ton époux. Si c’est pour le bien de son âme, je suis contente qu’il ait atteint le but pour lequel il avait été créé; mais puisque Dieu t’a délivrée du monde, je veux te lier à lui, et te faire épouser Jésus crucifié avec l’anneau de la très sainte Foi. Je ne veux pas te vêtir de deuil, c’est-à-dire du noir de l’amour-propre et des plaisirs du monde, mais du blanc de la pureté, en conservant ton esprit et ton corps dans l’état de continence. Tu couvriras cette pureté du manteau pourpre de la charité de Dieu, avec l’agrafe de l’humilité parfaite, avec les ornements des vraies et solides vertus, avec l’humble et continuelle prière, sans laquelle il est impossible d’acquérir aucune vertu. Lave souvent la face de ton âme avec la confession et la contrition du cœur; ce sera un parfum d’agréable odeur, qui te fera plaire à ton Epoux, le Christ béni. Et ainsi parée, va t’asseoir à la table de l’Autel pour y recevoir la nourriture des anges, le Pain vivant qui donne la vie, quand viendra le temps, comme à Pâques, aux fêtes de la douce Marie, et, selon que Dieu, t’y préparera, pour les autres fêtes solennelles. Réjouis-toi de te trouver sans cesse à la table de la très sainte Croix; et là, cache-toi, renferme-toi dans la douce chambre nuptiale, c’est-à-dire dans le côté de Jésus crucifié, où tu [1539] pourras te baigner dans son sang, qu’il a répandu pour laver la lèpre de ton âme. Là, tu sauras le secret de son cœur; il te montre par la blessure de son côté, qu’il t’a aimé et qu’il t’aime d’un amour ineffable.

4. Pense que ce doux Epoux est très jaloux de ton âme, et que, s’il voit son épouse s’éloigner un peu de lui, il l’abandonne et lui retire ses grâces et sa douceur. Je veux donc que tu évites la conversation des gens du monde autant que tu le pourras, afin de ne pas faire des choses qui éloignent de toi ton Epoux. Aime à rester dans ta cellule, et prends garde de perdre le temps, car il t’en sera maintenant demandé un compte plus sévère qu’autrefois; mais applique. toi sans cesse à la prière, à la lecture, à quelque ouvrage manuel pour ne pas tomber dans l’oisiveté, qui serait bien dangereuse. Combats généreusement et sans crainte, et repousse tous les coups avec le bouclier de la très sainte Foi. en mettant toute ta confiance dans le Christ, ton Epoux, qui combattra pour toi. Je sais que tu vas avoir, ou peut-être, pour parler plus juste, que tu as à soutenir déjà de grands combats contre le démon qui trouble ton âme de bien des pensées; les créatures ne te feront pas moins souffrir, et peut-être davantage. Je sais qu’on te dira que tu es bien jeune, et qu’il n’est pas convenable que tu restes dans cet état, comme si c’était une honte pour ces ignorants et ces aveugles de ne pas te rattacher au monde. Mais sois forte et constante en t’appuyant sur la Pierre vives, et ronge qui si Dieu est pour toi, personne ne pourra rien contre toi. N’écoute ni le démon ni les créatures, qui te conseillent [1540] des choses opposées à Dieu, à sa volonté et au saint état de continence; mets ta confiance en Jésus crucifié, qui te fera traverser cette mer orageuse, et tu arriveras à cette mer pacifique, où la paix n’est jamais troublée. Afin de te conduire plus sûrement au port de la vie éternelle, je te conseillerais pour ton bien d’entrer dans la barque de la sainte obéissance, parce que c’est la voie la plus sûre et la plus parfaite; elle fait avancer l’âme sur cette mer, non pas avec ses forces, mais avec celles de l’Ordre. Je te prie d’y penser sérieusement, afin que tu Sois plus capable d’être la servante et l’épouse de Jésus crucifié. Car le servir, c’est régner; et pour te voir régner et vivre dans la grâce, je t’ai dit que je désirais te voir la vraie servante et épouse de Jésus crucifié. Fais preuve d’une bonne et sainte patience en cette occasion et dans tout ce qui pourrait t’arriver. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXXIII.- A MADAME TORA, fille de messire Pierre Gambacorti, à Pise.- De l’instabilité du monde. — De la prière et de ses effets.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans Le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs [1541] de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de voir ton cœur et ton affection détachés du monde et de toi-même tu ne pourras pas autrement te revêtir de Jésus crucifié; car le monde n’a aucun rapport avec Dieu. Le cœur attaché au monde aime l’orgueil, Dieu aime l’humilité. Le monde recherche les honneurs, la fortune, la puissance, et le Christ béni les a méprisés, choisissant les opprobres, la honte, les affronts, les injures, la faim, la soif, le froid, le chaud, et jusqu’à la mort honteuse de la Croix; c’est cette mort qui a rendu honneur à son Père, et qui nous a fait renaître à la grâce. L’amour déréglé cherche à plaire aux créatures sans craindre. de déplaire au Créateur; et lui n’a jamais cherché autre chose que d’obéir à son Père pour notre salut; il a embrassé et revêtu la pauvreté Volontaire, et le monde cherche les grandes richesses. L’un est donc bien différent de l’autre; et nécessairement si le cœur est dépouillé du monde, il est plein de Dieu; s’il est vide de Dieu, il est plein du monde. Notre Sauveur l’a dit: Nul ne peut servir deux maîtres; s’il sert l’un, il méprisera l’autre. Nous devons donc avec un grand zèle détacher notre cœur et notre affection de ce monde tyrannique, et le donner librement et sincèrement tout à Dieu, sans partage, sans réserve, sans faux amour, parce que c’est notre Dieu, qui nous regarde, et qui voit les secrets les plus cachés de notre cœur.

2. Quelle serait notre folie, notre erreur si, sachant que Dieu nous regarde et qu’il est un juge juste, qui punit toutes les fautes et récompense toutes les vertus, nous étions assez aveugles pour attendre sans [1542] crainte le temps que nous n’avons pas, et que nous ne sommes pas sûrs d’avoir. Nous différons toujours, et si Dieu nous présente une chose, nous en prenons une autre; nous craignons beaucoup plus de perdre les biens qui passent et les créatures, que nous ne noua inquiétons de perdre Dieu lui-même. Tout cela vient de l’amour déréglé que nous avons mis en ces choses que nous gardons et possédons en dehors de la volonté de Dieu. Aussi nous goûtons, dès cette vie, les arrhes de l’enfer. Dieu permet justement que celui qui aime ces choses avec un amour déréglé, devienne insupportable à lui-même, et soit toujours en guerre dans son âme et dans son corps. Il souffre de ce qu’il possède, parce qu’il a peur de le perdre; et pour le conserver, il se fatigue le jour et la nuit; il souffre aussi de ce qu’il n’a pas, parce qu’il désire l’avoir, et ainsi jamais l’âme n’est calme au milieu des choses de ce monde, parce que ces choses sont moindres qu’elle. Elles sont faites pour nous, et non pas nous pour elles; nous sommes faits pour Dieu, pour jouir de l’éternel et souverain Bien. Dieu seul donc peu: satisfaire l’âme; c’est en lui qu’elle trouve sa paix, son repos, car elle ne peut désirer et vouloir quelque chose qu’elle ne trouve pas en Dieu. Dieu sait, peut et veut nous donner plus que nous ne savons désirer pour notre salut. Nous l’avons éprouvé, car non seulement il nous donne ce que nous lui demandons, mais encore il nous a donné avant que nous fussions. Sans que nous l’en prions, il nous a créés à son image et à sa ressemblance, et il nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils. Aussi l’âme trouve sa paix en lui seulement, car il est la suprême [1543] Richesse, la suprême Sagesse, la suprême Bonté, la suprême Beauté, tellement que personne ne peut comprendre sa bonté, sa grandeur, sa félicité, si ce n’est lui-même; et il sait, il peut, il veut satisfaire et combler les saints désirs de ceux qui veulent se dépouiller du monde et se revêtir de lui. Je veux donc que nous mettions tout notre soin, tous nos efforts à dépouiller notre cœur de toutes les choses de la terre et de toutes les créatures, aimant tout le morde en Dieu et pour Dieu, et rien en dehors de lui.

3. Oui, ma très douce Fille, je t’engage à placer et à affermir ton cœur et ton esprit en Jésus crucifié. Cherche-le, pense à lui, que ton bonheur soit d’être toujours devant Dieu par une humble et continuelle prière: c’est là le principal exercice que je te recommande. Consacres-y Je plus de temps que tu pourras, car la prière est une mère qui, par l’amour de Dieu, conçoit les vraies vertus et les enfante par la charité du prochain. Dans la prière, l’âme apprend à se dépouiller elle-même et à se revêtir du Christ. Par elle tu goûteras le parfum de la continence, tu acquerras une force si grande, que tu ne craindras plus les attaques du démon, les révoltes de la chair fragile et la langue des créatures, qui veulent t’éloigner de tes saintes résolutions; contre tous ces ennemis, tu seras forte, constante et persévérante jusqu’à la mort. Dans la prière, tu trouveras l’amour des souffrances, qui te rendra conforme à Jésus crucifié; tu trouveras une lumière surnaturelle, qui t’éclairera dans le chemin de la vérité. J’aurais bien d’autres chose à te dire sur cette mère, sur la prière mais le peu de temps que j’ai ne me le permet pas. Applique-toi [1544] donc à la prière, et fais toujours tous tes efforts pour te connaître, pour connaître tes défauts, la grande bonté de Dieu à ton égard, l’ardeur de an charité et ses bienfaits infinis. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXXIV.- A MADAME JACQUELINE, femme de messire Trinci de Foligno.- De la patience.- Des motifs et des moyens pour acquérir cotte vertu.- Elle la console de la perte de son mari, mort au service de l’Eglise.

(Cette dame était femme de Trinci des Trinci, seigneur de Foligno, auquel est adressée la lettre LXXVI)

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

 1. Très chère Sœur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience; car je pense que l’âme ne peut plaire à Dieu ni rester dans an grâce sans la vertu de patience, parce que, dès qu’elle est impatiente, elle est privée de la grâce de Dieu. L’impatience procède de l’amour de soi-même; elle est revêtue de la volonté sensitive, et l’amour-propre, et la sensualité ne peuvent être en Dieu. Vous voyez donc bien que l’âme [1545] qui est impatiente est privée de Dieu. " Il est impossible, dit le Christ, que l’homme puisse servir deux maîtres; s’il sert l’un, il méprisera l’autre, car ils sont opposés. " Le monde et Dieu n’ont aucun rapport ensemble ; les serviteurs du monde et les serviteurs de Dieu sont aussi différents. Celui qui sert le monde ne se plaît que dans l’amour sensuel et déréglé des plaisirs, des richesses, des honneurs, de la puissance, de toutes les choses qui passent comme le vent, parce qu’elles n’offrent aucune sûreté, aucune durée.

2. L’homme désire outre mesure une vie longue, et la vie est courte; il désire la santé, et bien souvent il est malade. Toutes les joies et les consolations du monde sont si peu durables, qu’il faut qu’elles nous quittent ou que nous les quittions. Quelquefois Dieu permet qu’elles nous soient enlevées; nous perdons notre fortune ou ceux qui nous sont chers, ou quelquefois nous les abandonnons nous-mêmes lorsque Dieu nous retire de la vie. Je dis donc que l’amour déréglé des serviteurs du monde pour eux-mêmes leur fait aimer aussi d’un amour déréglé les créatures, enfants, maris, frères, pères, mères et tous les biens du monde. Lorsqu’ils les perdent, ils en souffrent cruellement, ils tombent dans l’impatience et le désespoir, et ce n’est pas étonnant. La douleur de la perte qu’ils éprouvent est proportionnée à l’amour avec lequel ils possédaient; ils goûtent, dès cette vie, les arrhes de l’enfer, et s’ils n’ont pas soin de reconnaître leur faute et de supporter avec patience le malheur que Dieu a permis pour leur bien, ils arrivent à l’éternelle damnation [1546].

3. O mes très chères Soeurs et Filles ( Cette lettre s’adressait aussi à d’autres dames de la famille), combien est insensé celui qui s’attache au monde, à ce maître misérable, sans loyauté et plein d’artifices! Comme il trompe celui qui met en lui sa confiance ! Il parait beau, et il est affreux; il veut faire croire qu’il est stable et sûr, et il change toujours. Ne le voyons-nous pas jusqu’à l’évidence? aujourd’hui nous sommes riches, et demain pauvres; aujourd’hui maîtres, et demain serviteurs; aujourd’hui vivants, et demain morts. Nous voyons donc bien que rien n’est assuré. C’est ce que voulait enseigner le glorieux saint Paul, lorsqu’il disait: " Gardez-vous de ceux qui mettent leur confiance en eux-mêmes et dans le monde, car, lorsqu’on se croit bien affermi " tout tombe et c’est là vérité. Nous devons retirer au monde notre amour et notre confiance, puisque, de quelque côté que nous nous tournions, il cause tant de fautes et tant de peines. Il ne vient vraiment que chagrin et scandale des choses du monde qu’on possède hors de Dieu. Ce que nous aimons, nous devons l’aimer en Dieu pour l’honneur et la gloire de son nom. Je ne voudrais pas cependant que vous croyiez que Dieu ne veut pas que nous nous aimions. Il veut que nous nous aimions, parce que toutes les choses qu’il a faites sont dignes d’être aimées. Dieu, qui est la bonté suprême, a fait bonnes toutes les choses, car il ne peut que bien faire; mais l’homme doit les aimer selon l’ordre, selon Dieu, et reconnaître humblement que lui seul les rend mauvaises par sa faute. Le mal [1547] vient uniquement de notre volonté déréglée avec laquelle nous les aimons, et cette volonté, non seule. ment n’est pas digne d’être aimée, mais elle est digne de haine et de châtiment, puisqu’elle n’est pas en Dieu.

4. Le monde, ce misérable maître, est vraiment bien en opposition avec Dieu ; Dieu veut la vertu, et le monde le vice; Dieu est la patience même, et le monde est impatient; en Jésus crucifié se trouve la clémence, la paix, le repos que rien ne peut trou hier; ses promesses ne trompent jamais; il est la vie, et nous avons en lui la vie; il est la vérité, et il tient toujours sa parole; il récompense le bien, et punit le mal; il est la lumière qui nous donne la lumière; il est notre espérance, notre protecteur, notre force, et il n’abandonne jamais ceux qui mettent en lui leur confiance. L’âme reçoit autant qu’elle espère en sou Créateur. Il soutient notre faiblesse, et fortifie le cœur de l’affligé qui réclame son secours avec une humilité sincère et avec confiance, pourvu que nous fixions l’oeil de l’intelligence, éclairé de la vraie lumière, sur son ineffable charité. Nous acquérons cette lumière en contemplant le sang de Jésus crucifié; car sans la lumière nous ne pouvons voir combien c’est une chose misérable d’aimer le monde, et combien il est bon et utile d’aimer et de craindre Dieu; car, en ne voyant pas, nous ne pourrons aimer ce qui est digne d’être aimé, et détester le péché, qui est digne de haine.

5. Voici le moment de servir le doux Maître avec une vraie patience. Vous avez éprouvé combien est pénible la servitude du monde, et combien ses biens [1548] disparaissent promptement. Attachez-vous donc à Jésus crucifié, et commencez à le servir de tout votre cœur, de tout votre âme; supportez avec une Vraie patience la sainte affliction qu’il vous a imposée non parla haine, mais par amour pour le salut de son âme, à l’égard de laquelle il a été si miséricordieux en lui permettant de mourir au service de la sainte Eglise ( Voir la Lettre LXXVI). S’il était mort d’une autre manière, au milieu des erreurs et des jouissances du monde, entouré d’amis et de parents qui bien souvent sont des obstacles à notre salut, il aurait eu bien à faire; mais Dieu qui l’aimait particulièrement a voulu le sauver, et a permis cette circonstance qui a été favorable à son âme. Et vous devez plus aimer l’âme que le corps, car ce corps est mortel et fini, et l’âme est immortelle et infinie. Vous voyez donc que le Providence a pourvu à son salut; et pour vous, elle a voulu vous faire souffrir des peines, afin de vous en récompenser dans la vie éternelle. Nous l’avons dit, tout bien est récompensé, toute faute punie; c’est-à-dire toute peine, toute affliction supportées avec patience, et toute impatience tout murmure, toute haine que nous avons eus contre Dieu, notre prochain et nous-mêmes. Le doux et bon Jésus a voulu que vous connaissiez le monde, et combien il est misérable de prendre pour Dieu ses enfants, son mari, sa fortune, ou quelque chose que ce soit, Et si vous me dites L’épreuve est si grande, que je ne puis la porter, je vous répondrai, très chère sœur, que l’épreuve est petite, et que vous pouvez la porter; je dis petite [1549], à cause de la petitesse et de la brièveté du temps, car l’épreuve ne dure pas plus que. le temps, et quand nous quittons cette vie, nos épreuves sont finies. Qu’est-ce le temps pour nous? Les saints disent : Une pointe d’aiguille sans hauteur et sans largeur. Il est de même de la vie de notre corps, qui disparaît dès qu’il plaît à la Bonté divine de nous retirer de ce monde.

6. Je dis encore qu’il faut souffrir l’épreuve, car personne ne peut s’en délivrer par l’impatience. On a beau dire : Je ne puis pas, je ne veux pas souffrir, il faut toujours souffrir, et la résistance ne fait qu’ajouter à la souffrance par la volonté propre; c’est dans cette volonté que se trouve toute peine. La peine est proportionnée à la volonté; ôtez la volonté, et vous ôterez la peine. Et comment perdre cette volonté? dans le souvenir du sang de Jésus crucifié. Ce sang est si désirable, que toute amertume devient douce par le souvenir de ce sang, et que tout fardeau devient léger. C’est que dans le sang du Christ nous trouvons l’amour ineffable qu’il a eu pour nous; c’est par amour qu’il nous a donné la vie, et rendu la grâce que nous avions perdue par le péché. Dans ce sang nous trouvons la grandeur de sa miséricorde, et nous voyons que Dieu ne veut autre chose que notre bien. O doux Sang qui enivre l’âme qui nous donne la patience et nous revêt de la robe nuptiale qu’il faut avoir pour entrer dans la vie éternelle ! C’est le vêtement de la charité, sans lequel nous serons chassés du festin de la vie éternelle. Oui, très chère Sœur, c’est dans le souvenir de ce sang que nous trouvons la joie et la consolation dans toutes nos peines et nos adversités. Aussi je vous ai dit que, par le souvenir du sang du Christ, est détruite la volonté sensitive, qui cause l’impatience, et ce souvenir du sang nous revêt de la volonté de Dieu, où l’âme trouve tant de patience, que rien de ce qui lui arrive ne peut la troubler, mais qu’elle gémit plus de ne pas aimer souffrir et de résister à la volonté de Dieu que de ses peines mêmes. Vous devez faire ainsi, et gémir de votre faiblesse et de vos plaintes. De cette manière vous mortifierez le vice de la colère et de l’impatience, et vous acquerrez la vertu parfaite.

7. Considérez vous-même combien de peines le Christ a souffertes pour nous, avec quel amour il vous a accordé les vôtres, afin que vous soyez sanctifiée en lui. Voyez combien la peine est petite, puisque le temps est si court; combien toutes nos épreuves seront récompensées; combien Dieu est bon, puisqu’il ne veut autre chose que notre bien et en y réfléchissant saintement, tout vous deviendra léger; vous supporterez la tribulation, en voyant nos fautes qui la méritent, et la bonté de Dieu si pleine de miséricorde envers nous ; car nos fautes mériteraient une peine infinie, et il nous punit avec ces peines finies. Non seulement elles détruisent le péché, mais elles nous méritent la vie éternelle par la grâce que Dieu donne à celui qui le sert avec patience. Il est si bon, que le servir n’est pas être esclave, c’est régner. Il nous a fait tous libres et rois, parce qu’il nous a tirés de la servitude du démon, de son odieuse tyrannie, de son affreux esclavage. Courage donc, très chère Fille: puisqu’il est si amer de servir et d’aimer d’un amour [1551] déréglé le monde, les créatures et nous-mêmes, et puisqu’il est si doux d’aimer et de craindre notre doux Sauveur, notre Maître légitime, qui noue a aimés avant que nous fussions, à cause de son infinie charité; il n’y a plus de temps à perdre; il faut, avec une foi vive et une parfaite lumière, nous confier en Celui qui nous secourra dans tous nos besoins; il faut le servir de tout notre cœur, de toute notre âme. de toutes nos forces, avec une véritable patience, qui est pleine de douceur.

8. La patience est toujours maîtresse; elle triomphe toujours, et n’est jamais vaincue, parce qu’elle ne se laisse pas dominer et posséder par la colère. Aussi, celui qui l’a, ne voit pas la mort éternelle, mais il goûte, dès cette vie, les arrhes de la vie éternelle, Sans elle, au contraire, nous sommes privés par la mort, des biens de la terre et des biens du ciel. En voyant ce danger et en apprenant la position où vous a réduite le malheur qui vous est arrivé, j’ai craint que vous ne perdiez le fruit de votre peine, et je vous ai dit, je vous répète que je désire vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Vous devez le faire afin que, quand vous serez appelée par la douce Vérité première, vous puissiez lui dire, au moment de la mort Seigneur, j’ai passé et terminé ma vie dans la foi et l’espérance que j’avais en vous, supportant avec patience les peines que vous m’avez accordées pour mon bien. Maintenant je vous demande en grâce, par les mérites de votre sang précieux, de vous donner à moi, vous qui êtes la vie sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, la faim désirable sans souffrance, le bien parfait que [1552] la langue ne peut exprimer, le cœur imaginer, l’oeil contempler, le bien que vous avez préparé pour moi et pour tous ceux qui souffrent volontairement toutes les peines pour votre amour.

9. Je vous promets, très chère Sœur, qu’en agissant ainsi Dieu vous rendra même vos biens temporels (En effet, le successeur d’Urbain VI, Boniface IX, rendit à la famille des Trinci de Foligno son ancienne puisssance.), et qu’à la fin vous arriverez dans votre patrie, à Jérusalem, la vision de la paix. Il l’a fait pour Job, qui montra si bien sa patience. Il avait perdu tout ce qu’il avait, ses enfants, sa fortune, tellement que sa chair était dévorée de vers. Sa femme seule lui était restée pour le tourmenter sans cesse; et dans tous ses malheurs, Job ne se plaignait pas, mais il disait: Dieu me l’a donné, Dieu me l’a ôté; que son saint nom soit béni. Dieu, en voyant tant de patience en Job, lui rendit le double de ce qu’il avait; il lui donna la grâce en ce monde et la vie éternelle dans l’autre. Faites de même, et ne vous laissez pas tromper par la passion sensitive, par le monde, le démon et la parole des créatures. Préservez votre cœur de la haine contre le prochain, car ce mal est pire que la lèpre; la haine fait dans l’âme comme celui qui veut tuer son ennemi, et qui, en tournant la pointe de son épée contre lui-même, se tue avant de le tuer. La haine fait de même; l’âme se tue avant de tuer son ennemi. J’espère de la bonté de Dieu que vous ferez ce que je vous recommande; et pour mieux le faire, confessez-vous souvent, et recherchez la société des serviteurs de Dieu; aimez la prière, où l’âme se connaît [1553] et connaît Dieu. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXXV.- A MADAME BENEDETTA, femme de messire Bocchino de Belfort, de Volterre, lorsqu’elle était à Florence.- Elle l’exhorte à supporter avec patience l’adversité, et surtout la perte de son fils.

 (Benedetta était fille du Florentin Jean de Rossi, et femme de Bocchino de Belfort, despote de Volterre. Son mari fut tué en 1411, Voir la lettre LXXVII.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et bien-aimée Mère et Sœur dans le Christ, Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillée du vieil homme et revêtue de l’homme nouveau, c’est-à-dire de la patience de Jésus. crucifié, sachant bien que, sans la patience, nous ne pouvons plaire à Dieu; et je vous invite du fond du cœur à cette patience, parce que celui qui est impatient et revêtu du vieil homme, c’est-à-dire du péché, a perdu la liberté, et n’est pas maître de la cité de son âme, car il se laisse dominer par la colère. Il n’en est pas ainsi de celui qui est patient, parce [1554] qu’il se possède lui-même. Notre Sauveur Jésus a dit: " Dans votre patience vous posséderez vos âmes (Lc 21,19). " O douce patience ! pleine de joie et de paix ! Quand elle procède de la charité, elle supporte pour Dieu toute tribulation, de quelque manière que Dieu la lui envoie, que ce soit dans la mort ou dans la vie. Je dis que, sous le joug de la patience qui fait ses délices de la volonté de Dieu, toute amertume devient douce, tout fardeau devient léger. L’âme se revêt de ce doux et saint vêtement quand elle se revêt de la volonté de Dieu, qui ne veut autre chose que notre sanctification; tout ce qu’il donne, tout ce qu’il permet est pour notre bien, pour que nous soyons sanctifiés en lui.

2. Ne vous est-il pas bien doux de penser, très chère Mère et Sœur dans le Christ Jésus, que le médecin du ciel est venu dans le monde pour guérir nos infirmités? Et vraiment il fait comme un bon médecin, qui nous donne une médecine amère et qui nous saigne pour nous conserver la santé. Vous savez bien que le malade supporte tout dans l’espoir de guérir. Hélas ! pourquoi ne faisons-nous pas avec le Médecin du ciel ce que nous faisons avec le médecin de la terre? Il ne veut pas la mort du pécheur: il veut qu’il se convertisse et qu’il vive. Oui, très douce Mère, le bon Dieu donne l’amertume à la sensualité, mais non pas sans raison. Il nous saigne quand il nous retire les enfants, la santé, la prospérité, ou quoi que ce soit. Courage donc, puisqu’il ne l’a pas fait pour vous donner la mort, mais pour vous donner [1555] la vie et pour vous conserver la santé. Oui, je vous en supplie par l’amour de ce sang très doux et très abondant qui a été répandu pour notre rédemption, que la volonté de Dieu s’accomplisse en vous parfaitement, et que tous vos chagrins profitent à votre sanctification. Puisque c’est la volonté de Dieu, revêtez-vous véritablement de la vertu de patience.

3. Je ne veux pas que vous regardiez le fils qui vous reste comme vous appartenant; il ne faut pas vous approprier ce qui n’est pas à vous, mais il faut en user pour vos besoins, comme d’une chose prêtée. Vous savez que c’est la vérité; si ces choses étaient à nous, nous pourrions les garder et nous en servir à notre volonté; mais parce qu’elles nous sont prêtées, il faut les rendre selon le bon plaisir du doux Maître de la vérité, qui nous les a données, et qui a fait tout ce qui existe. O ineffable ardeur de la charité, combien est grande votre patience à l’égard des cœurs ignorants et endurcis, qui veulent posséder ce qui vous appartient, et qui se plaignent de ce que vous faites pour leur bien! Ne faisons pas ainsi, pour l’amour de Dieu; mais supportons avec patience les épreuves qu’il nous envoie. Et si vous me dites: Je ne puis calmer cette sensibilité, je vous dirai que la raison en triomphe en considérant trois choses.

4. La première est la brièveté du temps; la seconde est la volonté de Dieu, qui les a appelés à lui, comme vous me l’écrivez. Lorsque je l’ai appris. je me suis réjouie de leur salut, et je vous ai plainte; mais je vous avouerai aussi que je me suis réjouie du fruit que vous avez retiré de la tribulation. La troisième [1556] chose est le tort que vous causerait l’impatience. Courage donc, car le temps est court, la peine petite et la récompense bien grande. Je ne vous dis rien de plus. Que la paix de Dieu soit avec vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Catherine, la servante inutile, vous salue.

Table des matières (2)


 

CCCXXVI.- A MADAME PANTASILEE, femme de Ranuccio Farnèse. — La vraie lumière s’obtient par la connaissance de notre propre misère et de la bonté de Dieu à notre égard. — De la manière de servir Dieu clans l’état du mariage.

(Ranuccio Farnèse était frère de Pierre Farnèse, le célèbre capitaine qui commanda les troupes de Florence dans la guerre contre Pise. )

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir avec la vraie lumière et la connaissance de vous-même et de Dieu, afin que vous connaissiez bien la misère et la fragilité du monde. Car l’âme qui connaît sa misère connaît bien celle du monde; elle connaît aussi la bonté de Dieu à son égard. Elle la trouve en elle-même en voyant qu’elle [1557] est une créature raisonnable, créée à l’image et ressemblance de Dieu; et aussitôt que l’âme est arrivée à cette sainte et vraie connaissance, elle aime Dieu en vérité; et dès qu’elle aime, elle rapporte à son Créateur tous les dons, toutes les grâces qu’elle reçoit, et elle est toujours d’accord avec sa volonté; elle est contente de tout ce que Dieu fait et permet, parce qu’elle voit que Dieu ne veut autre chose que sa sanctification. C’est ce que nous a montré le doux Verbe le Fils de Dieu; car, pour que nous soyons sanctifiés en lui, il a couru avec transport à la mort honteuse de la Croix; il a souffert la mort et d’affreux tourmente pour nous délivrer de la mort éternelle. Puisque la mort et le sang du Christ nous montrent que Dieu nous aime d’un amour ineffable et qu’il ne veut que notre bien, nous devons supporter avec une vraie patience toutes nos peines et nos tribulations; et, quelle que soit la manière dont il nous les envoie, il faut toujours les recevoir avec une sainte espérance, en pensant qu’il pourvoit à tous nos besoins, et qu’il ne nous donnera pas plus que nous ne pourrons en porter. A mesure qu’il nous donne et qu’il augmente la peine, il augmente notre force, pour que nous ne succombions pas. Il faut donc la supporter et la recevoir avec respect, à cause de Jésus crucifié, car elle est la cause et l’instrument de notre salut.

2. Les tribulations de cette vie nous font humilier et abaisser notre orgueil; elles nous font détacher de l’amour déréglé du monde, et mettre notre amour en Dieu; elles nous rendent conformes a Jésus crucifié, et nous font compatir à ses peines et à ses [1558] opprobres. Elles nous sont donc bien nécessaires, si nous voulons jouir de l’éternelle vision de Dieu. Les afflictions nous réveillent du sommeil de la négligence et de l’ignorance; car dans le temps de l’épreuve nous recourons au Christ, en reconnaissant que lui seul peut nous secourir; et de cette manière nous devenons reconnaissants des bienfaits que nous avons reçus et que nous recevons, et nous connaissons mieux sa bonté et notre misère. Il est Celui qui est, et nous sommes ceux qui ne sommes pas; tout notre être vient de lui. Ne le voyons-nous pas avec évidence? nous voulons vivre, et il faut mourir; nous voulons la santé, et nous avons la maladie; nous aimons posséder les enfants, les richesses, les plaisirs du monde, parce qu’ils nous plaisent, et il faut les laisser. C’est la vérité que toutes ces choses nous abandonnent par la volonté divine, ou que nous les abandonnons nous-mêmes par la mort, en quittant cette vie ténébreuse. Vous voyez bien que nous ne sommes rien par nous-mêmes, si ce n’est que nous sommes remplis de pêchés et de misères; c’est la seule chose qui nous appartienne, le reste vient de Dieu.

3. Ainsi donc, très chère Sœur, ouvrez l’oeil de l’intelligence, et aimez votre Créateur et ce qu’il aime, c’est-à-dire la vertu, surtout la patience, avec une humilité sincère et parfaite, en pensant que vous n’êtes rien, et en rendant honneur et gloire à Dieu, en possédant les choses du monde, un mari, des enfants, des richesses et les autres jouissances comme des choses prêtées qui ne vous appartiennent pas; car, comme je l’ai dit, elles disparaissent, et vous ne pouvez les avoir et les conserver qu’autant qu’il plaît à [1559] la bonté de Dieu de vous les prêter. En agissant ainsi, vous ne vous ferez pas des dieux de vos enfants ni des autres choses, mais vous aimerez tout pour Dieu, et rien en dehors de Dieu; vous fuirez le péché et vous aimerez la vertu. Eloignez, éloignez du monde vos affections et vos désirs, et placez-les en Jésus crucifié, qui est ferme et inébranlable; vous ne le perdrez jamais, et il ne vous sera pas enlevé, si vous ne le voulez pas.

4. Je ne dis pas pour cela que vous quittiez le monde et l’état du mariage plus que vous ne le voulez, et que vous ne gouverniez pas votre maison comme le demande votre rang, mais je dis que vous devez vivre dans l’ordre, et non pas dans le désordre. Il faut avoir sans cesse Dieu devant les yeux, rester dans l’état de mariage, y vivre avec une sainte crainte, le respecter comme un sacrement, et observer les jours réservés par la sainte Eglise autant que vous le pourrez. Il faut élever vos enfants dans la vertu et dans l’amour des saints commandements de Dieu. Car il ne suffit pas au père et à la mère de nourrir le corps de leurs enfants, comme le font les animaux; il faut encore nourrir leur âme dans la grâce autant qu’ils le peuvent, les reprenant et les corrigeant des fautes qu’ils ont commises. Faites toujours en sorte qu’ils se confessent souvent, qu’ils entendent, le matin, la messe, au moins les jours commandés par la sainte Eglise; et ainsi vous serez la mère de leurs âmes et de leurs corps. Je suis persuadée que, si vous avez la vraie connaissance de Dieu et de vous-même, vous le ferez; mais sans cette connaissance vous ne pourrez le faire. Aussi, en voyant que vous ne pouvez pas [1560] autrement avoir la grâce de Dieu, je vous ai dit que je désirais vous voir dans la vraie lumière et la connaissance de vous-même et de Dieu. Je vous prie, pour l’amour de Jésus crucifié et pour votre bien même, de le faire; vous accomplirez ainsi en vous la volonté de Dieu et mon désir. Je termine. Demeurez dans la et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXXVII.- A LA COMTESSE JEANNE, de Milet et de Terre-Neuve, à Naples.- Du mépris du monde et de ses délices.- Les vraies richesses sont les vertus et la charité, qui reste seule dans l’autre vie.

(La comtesse Jeanne était de la famille des seigneurs d’Aquin, une des plus nobles du royaume de Naples.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Sœur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir mépriser le monde et ses délices de toute votre âme, afin que vous cherchiez véritablement la richesse de Jésus crucifié. Nous avons bien raison de mépriser les choses du monde, si nous considérons leur peu de durée et de stabilité, et combien elles sont nuisibles à notre salut. Je ne voudrais pas cependant que vous croyiez que, selon moi, la fortune et les biens temporels [1561] sont nuisibles et causent notre mort. Non, mais c’est l’amour déréglé avec lequel la créature les possède. Si elles avaient été nuisibles, Dieu ne les eût pas créées et ne nous les aurait pas données; car celui qui est souverainement bon, ne peut vouloir et faire que des choses bonnes et utiles à notre bien. Qui les rend mauvaises? celui qui en use mal et les possède sans la crainte de Dieu. Mais en les possédant avec une sainte crainte, en les appréciant pour ce qu’elles valent, en ne faisant pas son Dieu des créatures, des richesses, des honneurs du monde, en les aimant, au contraire, en les possédant, en les méprisant pour Dieu, alors on ne peut les conserver en toute conscience. Il est vrai qu’il est plus parfait, plus agréable à Dieu, plus utile et moins pénible de les abandonner mentalement et réellement. Nous devons, si nous voulons les conserver, en détacher notre cœur, notre affection, et je veux que vous le fassiez; car les richesses du monde sont une grande pauvreté, et elles ne peuvent être jamais véritablement possédées que par celui qui les méprise complètement. Mais la vraie richesse, celle qui ne peut être détruite et ravie par le démon et les créatures, c’est la richesse des vraies et solides vertus.

2. C’est là une richesse durable, qui nous délivre de toute pauvreté; elle nous donne la nourriture de la grâce, elle couvre notre nudité, elle répond pour nous, au moment de la mort, devant le souverain Juge; elle, acquitte notre dette, celle de rendre à Dieu l’amour que nous lui devons; et cet amour, nous le montrons au moyen de la vertu. Elle nous accompagne dans cette vie de pèlerinage, qui est une voie où [1562] nous avons beaucoup d’ennemis qui cherchent à nous donner la mort. Les trois principaux sont le monde, le démon, la chair fragile. Tous cherchent à nous jeter leurs flèches empoisonnées le monde, par ses faux et vains plaisirs; la chair fragile et la sensualité, par son amour déréglé et ses folles jouissances; le démon, par ses pensées mauvaises, en cherchant à nous dépouiller et à nous faire injurier par notre prochain, pour nous priver de la charité fraternelle et pour nous inspirer Sa haine et son mépris.

3. Ces vertus nous délivrent de tous ces ennemis. La vertu nous donne la lumière, et avec la lumière, elle nous conduit à la porte de la vie éternelle. Cette porte nous est ouverte par le sang de Jésus-Christ; alors entre la charité, qui est mère de toutes les autres vertus. Les autres vertus restent dehors, elle seule en recueille la récompense, parce que l’âme vertueuse, quand elle quitte cette vie, entre dans la vie éternelle avec la vertu de la charité. Les autres vertus dans le ciel ne sont pas nécessaires et n’y entrent pas La vertu, de la foi y est inutile, puisqu’elle est certaine de ce qu’elle croyait; elle n’a pas besoin non plus de l’espérance, puisqu’elle possède ce qu’elle espérait avoir. Il en est de même de toutes les autres vertus qu’il faut avoir en cette vie, parce que sans elles, nous serions privés de Dieu; mais au ciel il suffit de la charité, c’est-à-dire de l’amour, parce que la vie éternelle n’est autre chose que l’amour avec lequel nous goûtons Dieu dans son essence. Son amour nous a rendus dignes de le voir face à face, et c’est cette vue qui est notre béatitude. L’amour mous fait participer au bonheur de tous, au bonheur des anges et [1563] au bonheur de tous ceux qui ont la vie éternelle par l’amour (Dialogue, XLI-XLV). Dieu nous fait jouir de lui-même; nous sommes remplis et rassasiés de lui dans la mer pacifique de son essence, et ceux qui sont rassasiés ont encore faim, mais sans connaître la peine de la faim et le dégoût de la satiété. Il y a tant d’amour et de charité fraternelle entre eux, que le plus petit n’envie pas le plus grand, mais ils sont tous contents et heureux de leur mutuel bonheur. Au ciel, la charité est nécessaire, et personne ne peut y aller sans l’avoir.

4. La malheureuse créature ne pense pas à ce bonheur, mais au châtiment qui punit ce qu’elle fait contre la douce volonté de Dieu, pour satisfaire ses coupables désirs. Elle abandonne la vertu pour le vice, la vie pour la mort, l’infini pour le fini, les biens du ciel pour les biens de la terre, le Créateur pour les créatures. Pour servir le démon et suivre la voie du mensonge, elle cesse de servir Jésus crucifié, de suivre sa doctrine, qui est la voie, la vérité, la vie; car celui qui marche avec lui marche dans la lumière, et non pas dans les ténèbres. Pour remplir son cœur des choses passagères du monde, il se laisse mourir de faim, parce qu’il ne prend pas la nourriture des anges, cette nourriture que Dieu, dans sa miséricorde, a donnée aux hommes, en s’offrant lui-même, Dieu et homme, sur la table de l’Autel. Il quitte son vêtement nuptial pour se revêtir des tristesses du monde, et il meurt de froid; il se dépouille lui-même pour dépouiller les autres. Ces pauvres insensés, dans leur [1564] aveuglement, ne s’aperçoivent pas de leur malheur: et tout cela leur arrive par l’amour déréglé qu’ils ont pour le monde, en possédant et en aimant les choses temporelles en dehors de la douce volonté de Dieu.

5. Je ne veux pas qu’il en soit ainsi pour vous; mais je veux et je vous ai dit que je désire voir votre cœur détaché de ces choses, afin que vous aimiez et possédiez les créatures et les choses créées pour lui et rien sans lui. Oui, aimez-le de tout votre cœur, de toutes vos forces, sans réserve, avec une véritable et profonde humilité, aimant le prochain comme vous-même. Mais vous me direz Comment puis-je avoir cette humilité? Je me sens pleine d’amour-propre et entraînée à toutes les œuvres de l’orgueil. Je vous répondrai que, si vous le voulez, vous le pourrez, avec la grâce de Dieu, qui ne la refuse jamais à qui la demande. Le vrai moyen est de contempler à la lumière l’humilité de Dieu et sa charité, Son humilité est si profonde, que l’intelligence de l’homme en est confondue. En vit-on jamais une semblable dans la créature? Non, certainement. Y a-t-il quelque chose de plus étonnant, que de voir Dieu humilié jusqu’à l’homme, la souveraine Grandeur descendue à un tel abaissement.

6. Dieu s’est revêtu de notre humanité; il a conversé visiblement avec les hommes; il a supporté nos infirmités, la pauvreté, la misère; il s’est humilié jusqu’à la mort honteuse de la Croix. La Grandeur suprême s’est faite petite pour confondre les superbes, qui cherchent toujours à s’élever, et ne s’aperçoivent pas qu’ils tombent dans une profonde misère. Vous [1565] trouvez en lui la source de l’humilité, qui lui fait visiter l’âme de toute créature raisonnable. Et si nous considérons ma charité, où verra-t-on jamais celui qui est offensé donner volontairement sa vie pour celui qui l’offense? Il n’y a vraiment que l’humble Agneau sans tache qui ait ainsi acquitté pour nous, mauvais débiteurs, la dette qu’il n’avait pas contractée. Nous avions été des voleurs, et il a voulu être cloué sur le bois de la très sainte Croix; il a pris la médecine amère pour nous donner la santé, et il nous a fait un bain de son sang. Dans sa tendresse, il nous a ouvert son corps, et de tous ses membres, il a répandu son sang avec tant d’abondance, tant d’amour, tant de patience, qu’on ne lui a entendu proférer aucune plainte. Cette générosité ne doit-elle pas faire rougir de honte les hommes avides et avares qui verront les pauvres mourir de faim, et qui ne détourneront seulement pas la tête? Ils feront plus mal encore : non seulement ils ne donneront rien, mais ils prendront le bien des autres. La charité divine confondra ceux qui s’aiment eux-mêmes, ceux dont l’amour-propre ne craint pas d’offenser Dieu et la vérité. S’ils considèrent sa patience, les impatients seront effrayés, eux qui ne veulent pas supporter la moindre chose, mais qui sont tourmentés par la colère et la haine de leur prochain.

7. Nous avons donc trouvé le moyen d’acquérir la vertu: c’est par la connaissance de la bonté de Dieu et par la lumière, qui nous fait voir son humilité et sa charité. C’est en lui que nous l’acquerrons, en la cherchant au fond de notre âme; autrement, nous ne la posséderons jamais. C’est là le fondement, le [1566] principe, le moyen, la fin de toute vertu et de notre perfection. Par là vous arriverez au mépris du monde et de vous-même, et vous disposerez toute votre vie selon le temps et le lieu où vous serez ; et non seulement vous vivrez bien, mais vous dirigerez toute votre famille, suivant le bon plaisir de Dieu, dans de saintes et louables habitudes, comme doit le faire une mère pour ses enfants, une maîtresse pour ses serviteurs, en recourant à la sainte Confession et à la Communion au lieu et au temps prescrits par la sainte Eglise, à laquelle il faut obéir, ainsi qu’au Pape Urbain VI, jusqu’à la mort. Réglez donc en toute chose vos actions. Je vous en supplie, ne cessez jamais de contempler l’humble et tendre Agneau, afin que nous jouissions ensemble de lui par la grâce en cette vie, et qu’à la fin nous entrions avec la cha rité, la mère des vertus, dans la gloire de la vie éternelle. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXXVIII.- À UNE DAME NAPOLITAINE, confidente de la reine.- De la sainte crainte de Dieu. et de la crainte servile. — Elle exhorte cette dame à faire tous ses efforts pour ramener le cœur de la Reine à l’obéissance de la sainte Eglise. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Sœur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs [1567] de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir libre de toute crainte servile, afin que vous annonciez généreusement la vérité, et que vous demeuriez dans la sainte crainte de Dieu. Cette crainte rend l’âme virile et l’empêche De craindre les peines, la mort, les persécutions; elle ne craint pas de déplaire aux créatures, parce qu’elle veut plaire uniquement à son Créateur. Sa seule crainte est d’offenser Dieu, elle n’en a pas d’autre. Oh ! qu’il est doux à l’âme de vivre dans cette crainte, Car elle procède de la douce charité et du respect que nous devons à Dieu. Elle est comme le bon fils, qui, par amour et par respect, craint de faire quelque chose qui déplaise à son père, non par peur du châtiment, mais pour ne pas l’offenser. C’est ce que fait l’âme qui s’est donnée au serviCe de son Créateur généreusement, de tout son cœur, de son affection, le servant non par crainte et avec un amour mercenaire, mais avec un amour libre. Comme elle aime librement, elle sert librement; aussi elle ne craint pas la peine, et elle est prête à tout souffrir avec une sainte crainte.

2. Cette sainte crainte nous est nécessaire dans le temps où nous sommes, bien qu’en tout temps, en tout état, en tout lieu, nous devions l’avoir, et fuir ce misérable amour, d’où vient la crainte servile, qui craint tant que son ombre lui fait peur. Oh ! combien est misérable cette crainte, combien elle avilit l’âme! Elle resserre tellement le cœur pour la charité, qu’il ne peut plus contenir l’honneur de Dieu et l’amour du prochain; elle le rend timide au point que, voyant le prochain offenser Dieu, il paraîtra par crainte ne [1568] pas s’apercevoir de l’injure faite à son Créateur, et quelquefois, pour plaire et ne pas déplaire, il semblera même approuver les fautes qu’il voit, commettre, agissant ainsi contre sa conscience, qui lui dit que tous les deux font mal. O maudit amour-propre, qui as corrompu le monde entier ! Tu prives l’âme du trésor des vertus, et tu la remplis de crainte servile; tu l’appauvris, tu lui ôtes la lumière, tu pervertis son goût tellement, que les choses amères lui semblent douces, et les douces, amères. Tu la dépouilles de la sainte crainte, et tu la revêts de crainte servile et de misères: dès cette vie elle goûte les arrhes de l’enfer; elle devient insupportable à elle-même. Cette misérable crainte entraîne avec elle tous les maux; l’âme doit donc bien la détester; elle doit se lever et s’asseoir sur le tribunal de sa conscience, et faire justice de tous les mouvements de crainte qui ne seraient pas conformes à la raison. Très chère Soeur, je vous invite à quitter cette crainte servile; et, avec la lumière de la vérité et la sainte crainte de Dieu, commencez à semer la vérité dans le cœur de la Reine, afin que la justice divine ne s’appesantisse pas sur elle, et qu’elle ne tienne pas la sainte Eglise et tous les chrétiens dans une affliction si amère.

Sainte Catherine ajoute ensuite beaucoup de choses pour prouver la validité de l’élection d’Urbain VI, et elle combat l’erreur de la Reine par d’excellentes raisons. Elle finit par ces mots: Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1569].

Table des matières (2)


 

CCCXXIX. A LA COMTESSE BENEDETTA, fille de Jean d’Agnolino Salimbeni, de Sienne. — Elle l’exhorte à servir Jésus-Christ, et à renoncer à l’amour des créatures. — C’est dans les plaies de Jésus-Christ que s’acquièrent toutes les vertus.

  

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir servante et épouse de Jésus crucifié, parce que je sais que servir Dieu ce n’est pas être esclave, c’est régner. Ce n’est pas comme la coupable servitude du monde, qui avilit la créature, et la rend servante et esclave du péché et du démon. Le péché est un néant, et conduit l’homme au néant. Tu sais, très chère et douce fille, que l’âme qui sert les créatures et les richesses en dehors de Dieu, c’est-à-dire. qui aime sans mesure et désire les richesses, les délices du monde et toutes ces vanités qui ressemblent à la feuille agitée par le vent, tu sais que cette âme tombe dans la mort et s’avilit elle-même; car elle se soumet à des choses qui sont moindres qu’elle, puisque toutes les choses créées sont faites pour le service de la créature raisonnable, et la créature raisonnable est faite pour servir son Créateur. Nous nous trompons donc; et plus l’homme désire ces choses passagères, plus il perd cette douce puissance [1570], qu’il acquiert en servant son Créateur. Il se soumet à une chose qui n’est pas; et en aimant hors de Dieu d’une manière déréglée, il offense Dieu. Il est donc bien vrai que la servitude du monde nous réduit au néant.

2. Oh ! combien est insensé celui qui sert ce qui n’a de puissance que sur le néant, c’est-à-dire sur le péché ! Le démon est le maître de ceux-là seulement qui commettent l’iniquité. Et comment exerce-t-il son empire? par des supplices, en tourmentant ses sujets dans l’éternelle damnation. Il règne aussi sur le monde, c’est-à-dire sur les affections déréglées que nous avons pour le monde. Les choses du monde sont bonnes en elles-mêmes, mais la volonté coupable qui s’en sert les rend mauvaises, parce qu’on les possède et les désire sans crainte de Dieu; et, de cette manière, je dis que ceux-là sont des serviteurs qui s’unissent au démon dans les supplices; je dis que cette servitude de la mort ôte la lumière de la raison, et donne les ténèbres; elle ôte la richesse de la grâce, et donne la pauvreté du vice. Je ne veux pas, ma Fille, puisqu’il y a tant de danger, que tu te livres à la servitude coupable du monde; mais je veux que tu sois une vraie servante de Jésus crucifié, qui t’a rachetée de son précieux sang. C’est notre doux Maître qui nous a créés à son image et ressemblance; il nous a donné le Verbe, son Fils unique, pour nous délivrer de la mort et nous donner la vie. Avec son sang, il nous a affranchis de la servitude du péché; il nous a faits libres en vous retirant de la puissance du démon, qui nous possédait. Son sang aussi nous a rendus forts, et nous a mis en possession de la vie [1571] éternelle. Ses clous sont devenus les clefs qui ont ouvert la porte fermée par le péché que nous avions commis. Le doux Verbe, en montant sur le bols de la Croix comme un vaillant chevalier, a défait nos ennemis et nous a mis en possession de la vie éternelle, tellement, que ni le démon ni les créatures ne peuvent nous l’enlever, si nous ne le voulons pas.

3. La servitude du Christ est donc bien douce; et sans cette servitude, nous ne pouvons participer à la grâce divine. Aussi je t’ai dit que je désirais te voir la servante et l’épouse de Jésus crucifié; car, aussitôt que tu te seras faite sa servante, comme servir Dieu c’est régner, tu deviendras peu à peu son épouse. Je veux que tu sols une épouse fidèle, que tu ne te sépares jamais de ton Epoux, n’aimant, ne désirant rien en dehors de Dieu. Aime ce doux et glorieux Epoux, qui t’a donné la vie, et qui ne meurt jamais. Les autres époux meurent et passent comme le vent, et souvent Ils sont cause de notre mort. Tu en as fait l’expérience, car, en peu de temps, le monde t’a frappée de deux coups cruels (La comtesse Benedetta avait perdu deux maris. Le premier était mort peu de temps après ses noces; le second n’avait été que son fiancé. Voir la lettre CCLXXV.), et la bonté de Dieu l’a permis pour que tu fuies le monde et pour que tu cherches un refuge en lui, ton Père et ton Epoux. Fuis donc le poison du monde, qui semble agréable comme la fleur; il parait un enfant, et c’est un vieillard; il promet une longue vie, et elle est courte; on croit qu’il est fidèle, et il est mobile comme la feuille qu’agite le vent. Tu as bien vu par toi-même [1572] qu’il n’offre aucune sûreté. Sois persuadée qu’il te fera la même chose, si tu mets encore en lui ta confiance; car le dernier est mortel comme le premier.

4. Renonce donc à toute tendresse, à tout amour de toi-même; entre dans les plaies de Jésus crucifié, où se trouve la vraie et parfaite sûreté. C’est là le doux lieu où l’épouse remplit la lampe de son coeur. Le coeur est vraiment une lampe, et il doit être une lampe qui soit étroite du pied et large de la tête le désir, l’amour doit être étroit pour le monde, et large pour le haut: c’est-à-dire que le coeur doit se dilater en Jésus crucifié, l’aimant et le craignant avec un vrai et saint zèle. Et alors tu rempliras cette lampe au côté de Jésus crucifié ce côté ouvert te laisse voir le secret du coeur, ce coeur qui nous fait tout, qui nous donne tout par amour. Là se trouve aussi la vraie et profonde humilité, qui est l’huile pour nourrir le feu et la lumière dans le coeur de l’épouse du Christ. Où pourrais-tu trouver un plus grand amour, puisque tu vois qu’il a sacrifié sa vie pour toi? Où rencontrer jamais un plus grand abaissement que de voir Dieu humilié jusqu’à l’homme, et l’Homme-Dieu courir jusqu’à la mort honteuse de la Croix? Cette humilité confond l’orgueil, les délices, les grandeurs du monde. Cette bonne petite vertu est la nourrice de la charité.

5. Alors l’âme devient l’épouse de son Epoux, et elle est introduite dans la chambre où se trouvent la table, la nourriture et le serviteur. La chambre est la divine Essence où se nourrissent les Bienheureux. Là on goûte le Père, qui est la table, le Fils, qui est la nourriture, et l’Esprit-Saint, qui est le serviteur [1573]; et l’âme se nourrit et se rassasie véritablement de l’éternelle vision de Dieu. Non, il ne faut plus dormir; il faut secouer le sommeil des délices du monde, et suivre ton bien-aimé Jésus. Ne compte pas sur le temps, que tu n’es pas sûre d’avoir; il disparaît bien vite, et quand nous croyons vivre, la mort vient nous surprendre. Celui qui est sage ne perd pas le temps qu’il a pour celui qu’il n’a pas. Réponds donc généreusement à Dieu, qui t’appelle, et n’écoute pas ta mère, ta soeur, ton frère, ni aucune créature qui voudrait t’arrêter; tu sais que pour cela nous ne devons pas leur obéir, car notre Sauveur a dit: " Celui qui ne renonce pas à son père, à sa mère, à sa soeur, à ses frères et à lui-même, n’est pas digne de moi (Lc 14,26). " Il faut donc renoncer au monde et à soi-même pour suivre l’étendard de la très sainte Croix. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Je te dis, ma Fille, que si tu veux être l’épouse véritable de ton Créateur, il faut quitter la maison de ton père, et te préparer à venir quand le lieu sera terminé; il est commencé, et on y travaille à force; c’est le monastère de Sainte-Marie-des-Anges, à Belcaro (Ce monastère avait été fondé par une donation de Nanni de Vanni, que sainte Catherine avait converti. Grégaire XI avait autorisé son établissement. (Vie de sainte Catherine, IIe p., ch.VII.) . Si tu le fais, tu entreras dans la terre promise. Je ne te dis rien de plus. Que Dieu te remplisse de sa très douce grâce [1574].

Table des matières (2)


 

CCCXXX.- A LA COMTESSE BENEDETTA, fille de Jean d’Agnolino Salimbeni.- De la charité parfaite et de l’amour du monde. — Des fleurs et des fruits que doit produire notre âme.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE 

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite charité. Cette charité est un vêtement nuptial, qui recouvre notre nudité et cache notre honte, c’est-à-dire le péché, qui fait naître la honte. Elle le détruit et le consume par en chaleur; et sans ce vêtement, nous ne pouvons entrer dans la vie éternelle, à laquelle nous sommes appelés. Qu’est-ce que la charité? un amour ineffable que l’âme tire de son Créateur quelle aime de toute son affection, de toutes ses forces. Je dis qu’elle le tire de son Créateur, et c’est la vérité. Mais comment? avec l’amour, parce que l’amour ne s’acquiert qu’avec l’amour et par l’amour. Mais tu me diras, très chère Fille Quel moyen prendre pour trouver et acquérir cet amour? Je te répondrai: Tout amour s’acquiert avec la lumière, parce que la chose qu’on ne voit pas, on ne la connaît pas; et. ne la connaissant pas, on ne l’aime pas: il faut donc avoir la lumière pour voir et connaître ce que tu dois aimer. Et parce que la lumière [1575] nous est nécessaire, Dieu pourvoit à nos besoins en nous donnant la lumière de l’intelligence, qui est la partie la plus noble de l’âme, avec la prunelle intérieure de la très sainte Foi. Je dis cependant que la personne qui offense son créateur n’est pas, ne vit pas sans amour et sans lumière; car l’âme, qui est faite d’amour et créée par amour à l’image et ressemblance de Dieu, ne peut vivre sans amour, et elle n’aimerait pas sans lumière.

2. Si l’âme veut aimer, il faut qu’elle voie; mais sais-tu ce que c’est que voir et aimer pour les personnes du monde? c’est voir les ténèbres et l’obscurité. Et dans cette nuit profonde, l’âme ne discerne pas la vérité; son amour est mortel, car il lui donne la mort, en lui ôtant la vie de la grâce. Mais pourquoi ce qu’elle voit est-il obscur? parce qu’elle a fixé ses yeux dans l’obscurité des choses passagères du monde; elle les regarde en dehors de Dieu, et non pas dans sa bonté; elle les regarde avec un amour sensitif, et cet amour sensitif n’excite l’intelligence à ne voir et connaître que les choses sensibles. Cet amour, qui se nourrit de la lumière de l’intelligence, qu’il excite comme nous l’avons dit, cet amour lui donne la mort en commettant la faute et en lui ôtant la vie de la grâce, car hors de Dieu, on ne peut aimer et voir rien qui ne donne la mort. Celui qui s’aime doit s’aimer en lui et pour lui, c’est-à-dire reconnaître qu’il tient de sa bonté l’être et toute chose. Tu vois bien que tous aiment et voient, parce que sans aimer et sans voir, il est impossible de vivre. Mais combien est différent l’amour des hommes du monde, qui donne la mort, de l’amour des serviteurs de Dieu, qui [1576] donne la vie ! Puisque l’amour qui vient de l’éternel et suprême Amour donne la vie de la grâce, la lumière que possède l’oeil de l’intelligence doit l’ouvrir la lumière de la très sainte Foi, et le fixer sur l’amour ineffable que Dieu nous a montré; et alors l’amour, en se voyant aimé, ne peut s’empêcher d’aimer ce que l’intelligence voit et connaît en vérité. O très chère Fille, ne vois-tu pas que notre âme est un arbre d’amour, car nous sommes faits par amour?

3. Cet arbre est si bien fait, que personne ne peut l’empêcher de croître et lui enlever ses fruits, s’il ne veut pas. Et Dieu a donné à cet arbre un ouvrier qui le cultive pour lui plaire; cet ouvrier est le libre arbitre. Si l’âme n’avait pas cet ouvrier, elle ne serait pas libre; et n’étant pas libre, elle aurait une excuse à son péché; mais elle ne peut en avoir, parce que personne, ni le monde, ni le démon, ni la chair fragile ne peut la forcer à la moindre faute, si elle ne veut pas, car cet arbre a pour lui la raison dont le libre arbitre peut se servir; il a l’oeil de l’intelligence, qui connaît et voit la vérité, quand le nuage de l’amour-propre ne l’obscurcit pas. Avec cette lumière, l’ouvrier voit où doit être planté l’arbre: car, s’il ne le voyait pas, et s’il n’avait pas cette douce faculté de l’intelligence, l’ouvrier aurait une excuse, et pourrait dire : J’étais libre, mais je ne voyais pas où je devais planter mon arbre, si c’était en haut ou en bas, Mais il ne peut le dire, parce qu’il a l’intelligence qui voit et la raison qui est un lien de l’amour légitime, qui peut se lier et se greffer sur l’Arbre de vie, sur le Christ, le doux Jésus. il doit donc planter son arbre où l’oeil de l’intelligence [1577] a vu le lieu et la terre la plus favorable pour lui faire produire des fruits de vie. Très chère Fille, si l’ouvrier, le libre arbitre, plante l’arbre ou il doit être planté, c’est-à-dire dans la terre de la véritable humilité, non pas sur la montagne de l’orgueil, mais dans la vallée de l’humilité, il produit alors les fleurs embaumées des vertus; et surtout il produira cette belle fleur de la gloire et de la louange du nom de Dieu, et toutes ses œuvres, qui sont de douces fleurs, de doux fruits, en recevront le parfum.

4. C’est cette fleur, très chère Fille, qui fait fleurir vos vertus. Dieu la veut pour lui; mais il veut que le fruit soit pour nous. De cet arbre il veut seulement des fleurs de gloire, c’est-à-dire que nous rendions gloire et honneur à son nom, et il nous donne le fruit, car il n’a pas besoin de nos fruits. Il ne lui manque rien, puisqu’il est Celui qui est, tandis que nous sommes ceux qui ne sommes pas, et nous avons besoin de lui. Nous ne sommes pas par nous-mêmes, mais par lui; il nous a donné l’être et toute grâce ajoutée à l’être, et nous ne pouvons lui être utile en aucune manière. Et comme l’éternelle et souveraine Bonté voit que l’homme ne vit pas de fleurs, mais seulement de fruits, car la fleur nous ferait mourir, et le fruit nous fait vivre, alors il prend la fleur pour lui, et nous donne le fruit. Si la créature ignorante veut se nourrir de fleurs, c’est-à-dire, si elle prend pour elle-même la gloire et la louange qu’elle doit à Dieu, elle se prive de la vie de la grâce, et se donne la mort éternelle; elle meurt, si elle ne se convertit pas, c’est-à-dire, si elle ne prend pas le fruit pour elle, et si elle ne donne pas à. Dieu la fleur, c’est-à-dire [1578] dire la gloire. Lorsque notre arbre est bien planté, il croît tellement, que la cime de l’arbre, c’est-à-dire l’affection de l’âme, ne se voit plus de la terre, parce qu’elle est unie au Dieu infini par l’amour.

5. O très chère Fille ! je veux te dire dans quel champ se trouve cette terre, afin que tu ne te trompes pas. La terre est la véritable humilité, et le lieu où elle se trouve est le jardin fermé, parce que l’âme qui est dans la cellule de la connaissance d’elle-même, s’y renferme et n’ouvre pas, c’est-à-dire qu’elle n’aime pas les délices du monde, qu’elle ne cherche pas les richesses, mais plutôt la pauvreté volontaire; elle ne les cherche, ni pour elle ni pour les autres, et elle ne se complaît pas dans les créatures, mais uniquement dans le Créateur. Et quand le démon lui offre des pensées mauvaises, qui troublent son esprit et lui inspirent des craintes déraisonnables, alors elle n’ouvre pas: c’est-à-dire qu’elle ne les arrête pas, et ne veut pas savoir d’où elles viennent. Elle ne les discute pas, et n’égare pas son cœur dans le trouble et la confusion; mais elle se renferme avec la compagnie de l’espérance, avec la lumière de la très sainte Foi, avec la haine et le mépris de la sensualité, se jugeant indigne de la paix et du repos de l’esprit par humilité; elle se croit digne de la guerre et indigne de la récompense, c’est-à-dire qu’elle se croit digne de la peine qu’elle éprouve. Dans le temps des grands combats, elle contemple toujours Jésus crucifié, se réjouissant d’être avec lui sur la Croix, et cette pensée chasse toutes les autres. C’est là le doux lieu ou se trouve la terre de la véritable humilité [1579].

6. Lorsque la cime de l’arbre, c’est-à-dire l’affection de l’âme qui suit l’intelligence, a connu Jésus crucifié, elle connaît dans le Verbe l’abîme de son ardente charité, parce que c’est par son moyen que s’est manifesté l’amour que Dieu a pour nous. L’âme connaît le Verbe dans la connaissance d’elle-même, quand elle voit qu’elle est une créature raisonnable créée à l’image et ressemblance de Dieu, et régénérée dans le sang de son Fils unique. Alors son coeur s’unit au coeur de Jésus crucifié, parce que l’amour attire l’amour c’est-à-dire que par l’amour bien réglé, qui l’élève au-dessus des affections sensibles, il attire à lui l’amour embrasé de Jésus crucifié, parce que notre coeur, quand il se remplit de l’amour divin, fait comme l’éponge, qui attire l’eau à elle; mais elle ne le pourrait pas, si elle n’était pas mise dans l’eau, quoique sa nature soit de s’en remplir. Je dis de même que, malgré la disposition de notre coeur à aimer, si la lumière de la raison et la main du libre arbitre ne le prennent pas, et ne l’unissent pas au feu de la charité divine, il ne s’emplira jamais de la grâce de Dieu; mais s’il s’y unit, il s’en remplira. C’est pourquoi je dis que c’est de l’amour et par l’amour que vient l’amour.

7. Lorsque le vase du cœur est plein, le jardinier arrose l’arbre avec l’eau de la divine charité du prochain, qui est une rosée, une pluie bienfaisante qui rafraîchit le pied de l’arbre et la terre de la véritable humilité. Elle engraisse le sol et le jardin de la connaissance de soi-même, parce qu’alors cette connaissance est fortifiée de la connaissance de la bonté de Dieu à son égard. Tu sais bien que si l’arbre n’est pas [1580] bien arrosé par la rosée et par la pluie, s’il n’est pas réchauffé par l’ardeur du soleil, il ne produira pas de fruits, il ne sera pas parfait, mais imparfait. De même l’âme, qui est un arbre, si, lorsqu’elle est plantée, elle n’est pas arrosée par la pluie de la charité du prochain et par la rosée de la connaissance de soi-même; si elle n’est pas réchauffée par les rayons du soleil de la grâce divine, elle ne portera pas de fruits de vie, et son fruit n’atteindra pas la maturité.

8. Lorsque l’arbre est grand, il étend ses rameaux, et présente son fruit au prochain, le fruit des humbles et ferventes prières, les exemples d’une sainte et bonne vie; il les étend aussi loin qu’il peut, assistant le prochain de ses biens temporels avec un cœur généreux et libéral, simplement et sans détour, accomplissant ce qu’il a promis, et rendant avec une affectueuse charité, tous les services qu’il peut rendre, dès qu’il aperçoit quelques besoins. La charité ne cherche pas son intérêt; elle ne se cherche pas pour elle, mais elle se cherche pour Dieu, pour offrir des fleurs de gloire et de louange à son nom. Elle ne cherche pas Dieu pour elle, mais Dieu pour Dieu, parce qu’il est digne de notre amour par sa bonté. Elle n’aime pas, ne cherche pas, ne sert pas le prochain par intérêt, mais seulement pour Dieu, pour acquitter la dette qu’elle ne peut payer à Dieu en lui étant utile; car, comme je te l’ai dit, nous ne pouvons pas être utiles à Dieu, et alors Dieu nous donne le prochain comme un moyen d’exercer la vertu, et de montrer l’amour que nous avons pour Dieu, l’éternelle Douceur [1581].

9. Cette charité goûte la vie éternelle; elle consume et détruit toutes nos iniquités, et nous donne la lumière parfaite avec la vraie patience. Elle nous rend forts et persévérants, si bien que nous ne tournons jamais la tête pour regarder le sillon; mais nous persévérons jusqu’à la mort, nous réjouissant d’être sur le champ de bataille pour Jésus crucifié, et contemplant toujours son sang pour nous animer à combattre comme de vaillants chevaliers. Aussi cette charité. est si utile, si nécessaire et si délectable, que sans elle nous serons toujours dans l’amertume, et nous recevrons la mort. Notre honte sera découverte, et au dernier jour du jugement, nous serons confondus en présence de tout l’univers, devant les anges et les habitants du ciel, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, où la charité est parfaite et générale, parce que chacun partage et goûte la félicité des autres par l’amour. Il faut donc nous attacher à cette douce reine, et revêtir le vêtement nuptial de la charité. Il faut avec un ardent et saint désir se disposer à la mort pour s’unir à cette reine des vertus; et quand nous l’aurons, il faut vouloir souffrir jusqu’à la mort toutes les peines, de quelque côté qu’elles nous viennent, afin de la conserver et de l’augmenter dans le jardin de notre âme.

10. Je ne vois pas d’autre voie et d’autre moyen; et c’est pourquoi t’ai dit que je désirais te voir fondée dans la vraie et parfaite charité. Je te prie par l’amour de Jésus crucifié d’y travailler autant que tu le pourras, et tu n’auras pas besoin de craindre d’une crainte servile, et d’avoir peur des vents contraires que font naître le démon et les créatures pour [1582] empêcher notre salut; car, dès que l’arbre est dans la vallée, il est à l’abri des vents. Sois donc humble et douce de cœur. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXXXI.- A MADAME BIANCINA, femme de Jean d’Agnolino Salimbeni.- De l’amour déréglé de nous-mêmes et du monde.- De la bonté divine, qui seule peut satisfaire et pacifier notre âme. - 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir dépouillée de l’amour du monde et de vous-même; vous ne pourrez autrement vous revêtir de Jésus crucifié, car il n’y a aucune ressemblance, entre Dieu et le monde. Celui qui aime le monde aime l’orgueil, et Dieu aime l’humilité: il cherche les honneurs, la puissance, la grandeur, et Dieu les méprise, car il a choisi pour lui la honte, les mépris, les injures, la faim, la soif, le chaud, le froid, et jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix; par cette mort il a rendu honneur à son Père, et nous a rétablis dans la grâce. Il cherche à plaire aux créatures sans craindre de déplaire à son [1583] Créateur, et le Christ béni n’a jamais cherché autre chose que d’obéir à son Père pour notre salut. Il a embrassé et revêtu la pauvreté volontaire, tandis que le monde cherche les richesses. Il y a donc une grande différence, et nécessairement, le cœur qui est vide de Dieu, est plein du monde. Aussi notre Sauveur a dit: " Personne ne peut servir deux maîtres; s’il sert l’un, il méprisera l’autre. " Nous devons donc avoir bien soin de refuser notre cœur au monde, à ce tyran; mais nous devons le donner librement et sans réserve à Dieu, en l’aimant avec vérité, parce qu’il est notre Dieu, qui nous regarde sans cesse, et voit les secrets cachés de notre cœur.

2. Combien nous serions fous et insensés, si, sachant que Dieu nous voit, que sa justice punit toute faute et récompense tout bien, nous étions assez aveugles pour attendre sans crainte le temps que nous n’avons pas, et que nous ne sommes pas sûrs d’avoir ! Nous allons toujours nous attachant : si Dieu nous coupe une branche, nous en prenons une autre. Nous craignons plus de perdre les créatures et les choses qui passent comme le vent, que nous ne craignons de perdre Dieu. Tout cela vient de l’amour déréglé que nous leur donnons. En les tenant et les possédant en dehors de la volonté de Dieu, nous goûtons, en cette vie, les arrhes de l’enfer, parce que Dieu a permis que celui qui s’aime d’un amour déréglé devienne insupportable à lui-même. Il est toujours en guerre dans son âme et dans son corps; il souffre de ce qu’il a par la crainte de le perdre, et pour le conserver, il se fatigue la nuit et le jour; il souffre aussi de ce qu’il n’a pas, parce qu’il désire l’avoir, et ne [1584] peut y parvenir. Et ainsi l’âme n’est jamais tranquille au milieu des choses du monde, parce qu’elles sont toutes moindres qu’elle: elles sont faites pour nous, et nous ne sommes pas faits pour elles; mais nous sommes faits pour Dieu, pour jouir de son éternel et souverain bonheur.

3. Dieu seul peut donc satisfaire l’âme; c’est en lui qu’elle s’apaise et se repose. Tout ce qu’elle peut vouloir et désirer, elle le trouve en Dieu; et en le trouvant, elle trouve aussi la sagesse qui sait donner, et la volonté, qui veut donner les choses utiles à son salut. Nous l’avons bien éprouvé; non seulement il nous donne quand nous demandons, mais il nous a donné avant que nous fussions, et sans que nous l’en ayons prié; il nous a créés à son image et ressemblance, et il nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils. L’âme trouve sa paix en lui, et pas ailleurs, parce qu’il est Celui qui est, la suprême Richesse, la suprême Puissance, la suprême Bonté, la suprême Beauté. C’est un bien ineffable dont personne ne peut apprécier la bonté, la grandeur, les délices; lui seul peut se comprendre et s’estimer. Il sait, il peut, il veut satisfaire et contenter tous les saints désirs de celui qui veut se dépouiller du monde et se revêtir de lui. Il ne faut donc plus dormir, très chère Mère; mais il faut secouer notre sommeil, car le temps nous rapproche sans cesse de la mort. Les choses temporelles et passagères, et les créatures, je veux que vous les ayez pour votre usage, les aimant et les gardant comme des choses qui vous sont prêtées et qui ne vous appartiennent pas. Vous le ferez en détachant votre cœur, mais pas autrement. Il [1585] faut le faire, si nous voulons participer au fruit du sang de Jésus crucifié. C’est parce que je sais qu’il n’y a pas d’autre voie que je vous ai dit que je désirais voir votre cœur dépouillé du monde; et il me semble que Dieu vous y invite sans cesse. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXXXII. — A MADAME ISA, fille de Jean d’Agnolino Salimbeni.- De la fidélité à la grâce, et de la force dans le service de Dieu. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une épouse ferme et fidèle, sans être agitée comme la feuille par le vent. Je ne veux pas que votre âme et votre saint désir cèdent au vent contraire de la tribulation et de la persécution, que suscitent le monde et le démon; mais surmontez tout par l’amour de la vertu, la persévérance et le souvenir du sang de Jésus-Christ. Que les discours des créatures et leurs mauvais conseils ne vous détournent jamais de votre dessein. Alors vous serez une épouse fidèle, et, fermement appuyée sur la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus, vous ne perdrez pas la force, et la parole ne faiblira pas sur vos lèvres: vous la trouverez, au contraire, car les vertus [1586] et l’ardeur ne doivent pas diminuer en celui qui désire et veut bien faire, mais elles doivent augmenter. Je me rappelle que dans le monde vous vous faisiez craindre; vous fouliez aux pieds les propos et les caprices des hommes, et c’est tout ce que mérite ce monde misérable. Votre vertu maintenant ne doit pas avoir moins de force, et au lieu d’une parole, vous devez en avoir douze pour répondre hardiment aux propos du démon, qui veut empêcher votre salut. Si vous gardez le silence, vous serez reprise au dernier jour; il vous sera dit: " Sois maudite, parce que tu as gardé le silence (Is 6,5). " N’attendez pas un si dur reproche. Je suis persuadée que, si vous voulez suivre l’Agneau abandonné et immolé sur la Croix, dans la voie des peines, des outrages, des opprobres et des injures, vous ne garderez pas le silence.

2. Je veux donc que vous suiviez le Christ, votre Epoux, et que vous descendiez avec un ardent et saint désir sur ce champ de bataille nouveau, pour y combattre avec persévérance jusqu’à la mort, en disant: " Je puis tout par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie (Phil 4,13). " Au commencement vous sentirez les épines mais ensuite vous recueillerez le fruit, et goûterez la gloire de l’honneur de Dieu. Courage donc; ayez une véritable et sainte persévérance, et n’hésitez jamais. Il me semble, quand à l’habit, qu’il faut suivre ce que l’Esprit-Saint demande par votre bouche, sans vous laisser influencer par personne, et sans vous inquiéter de ce qu’on dira (Il s’agissait sans doute de l’habit du tiers ordre de Saint-Dominique. Dans un bref d’Urbain VI, en date du 27 mas 1380, une indulgence plénière pour l’heure de la mort est accordée à cinquante tertiaires de Sienne, et Isa, fille de Jean d’Agnolino, est nommée la première) [1587]. Cela ne diminuera en rien votre dévotion pour votre glorieux Père saint François; elle augmentera même, et vous n’en serez pas moins libre. Il y aurait plutôt de l’inconvénient à revenir sur ce qui est commencé. Quant à la comtesse, je crois que, si elle pouvait venir à la Roche avant mon arrivée, ce serait bien; nous ferions ensuite ce que le Saint-Esprit nous ferait faire. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXXXIII.- A MADAME MITARELLA, femme de Louis Mogliano, sénateur de Sienne, en 1373.- De la crainte et de l’amour que Dieu demande de nous.- Deux choses sont nécessaires pour conserver en nous la foi en Dieu, surtout dans l’adversité.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et bien aimée Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous salue et je vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir devant Dieu une servante fidèle, c’est-à-dire [1588] pleine de cette foi qui met la paix et la joie dans notre âme. C’est cette douce foi qu’il faut avoir, cette foi dont notre Sauveur a dit: " Si vous aviez de la fol gros comme un grain de sénevé, et que vous disiez à cette montagne d’avancer, elle avancerait (Mt 17,19) ". C’est dans cette foi, bien-aimée Sœur que je vous prie de persévérer. En m’annonçant l’accident qui est arrivé au Sénateur, et qui vous a causé, il me semble, une grande frayeur (Ce sénateur de Sienne avait probablement couru quelque grand danger dans une des émeutes populaires très fréquentes à cette époque.), vous m’avez dit que vous n’aviez de foi et d’espérance que dans les prières des servi. tours de Dieu. Je vous prie, de la part de Dieu et du doux Amour Jésus, de rester toujours dans cette douce et sainte foi. O douce et sainte foi qui nous donne la vie ! Si vous conservez cette sainte foi, jamais votre cœur ne connaîtra la tristesse, car la tristesse vient uniquement de la foi que nous plaçons dans les créatures. Les créatures sont des choses fragiles et périssables, et notre cœur ne peut jamais se reposer que dans une chose ferme et durable. Quand notre cœur s’appuie sur la créature, ce n’est pas sur une chose solide; car aujourd’hui l’homme est vivant, et demain il est mort. Il faut donc, si nous voulons avoir le repos, que notre cœur et notre âme se reposent par la foi et l’amour en Jésus crucifié. Alors nous verrons notre âme se remplir de joie. O très doux Amour Jésus !

2. Ma sœur, ne craignez pas les créatures; le Christ béni a dit: " Ne craignez pas les hommes, qui ne [1589] peuvent tuer que le corps; mais craignez-moi; car je peux tuer l’âme et le corps (Mt 10,28). " Craignons Celui qui dit qu’il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. O ineffable charité de Dieu, qui menace d’abord, en nous disant qu’il peut tuer le corps et l’âme, pour nous faire humilier et rester dans sa sainte crainte ! O bonté de Dieu, qui, pour consoler l’âme, dit ensuite qu’il ne veut pas que nous mourions, mais que nous vivions en lui ! Ma bien-aimée Sœur, vous montrerez que vous vivez, quand votre volonté sera unie et semblable à volonté de Dieu; cette douce volonté vous donnera la foi et l’espérance, qui fait vivre en Dieu.

3. Si vous voulez vivifier cette sainte foi, je vous prie de vous rappeler deux choses. La première, c’est que Dieu ne peut vouloir que notre bien : pour nous donner le vrai bien, il s’est donné lui-même jusqu’à la mort honteuse de la Croix, parce que nous avions été privés de ce bien par le péché. Il s’est humilié doucement lui-même pour nous rendre la grâce et ôter de nous l’orgueil. Il est donc bien vrai que Dieu ne veut que notre bien. La seconde chose est que vous croyiez fermement que tout ce que nous causent la vie ou la mort, la maladie ou la santé, la richesse, la pauvreté, les injures qui nous sont faites par nos amis, nos parents, ou par quelque créature, je veux que vous croyiez que c’est par la permission de Dieu; car il ne tombe pas une seule feuille d’arbre sans sa volonté. Ne craignez donc rien; Dieu ne nous donne que ce que nous pouvons [1590] porter, et jamais plus; recevons tout avec respect, ma bien-aimée Soeur, nous jugeant indignes du bonheur qu’on a en souffrant pour Dieu. Et parce que le démon veut vous effrayer du mal que vous craignez, prenez sur-le-champ les armes de la Foi, croyant que nous serons délivrés par Jésus crucifié. Vous resterez ainsi dans la joie parfaite, bien persuadée, comme nous l’avons dit, que Dieu ne veut que notre bien. Espérez en Jésus crucifié, et ne craignez rien. Je ne vous dis pas autre chose que de faire vos oeuvres avec l’amour et la crainte de Dieu. Rappelez-vous que vous devez mourir, et vous ne savez pas quand; et l’oeil de Dieu est ouvert sur vous pour voir toutes vos oeuvres. O doux Jésus, donnez-nous la mort avant que nous vous offensions. Loué soit Jésus-Christ.

Table des matières (2)


 

 

CCCXXXIV. A MADAME ORIETTA SCOTTA, à la croix de Caneto, à Gênes.- De la patience et de ses effets. — Du renoncement à la volonté propre.

(Ce fut cette dame qui donna l’hospitalité à sainte Catherine revenant d’Avignon, en 1376. Notre sainte resta un mois à Gênes, avec ses nombreux disciples, et y fit plusieurs miracles, (Vie de mainte Catherie, II p., ch. VIII)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des [1591] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Cette patience montre si nous aimons véritablement ou non, notre Créateur; car elle est la moelle de la charité, et il n’y a pas de charité sans patience, et de patience sans charité. C’est une vertu si belle, si nécessaire à notre salut, que sans elle nous ne pouvons plaire à Dieu, ni recevoir le fruit des peines que Dieu permet pour notre salut. Sans elle aussi nous goûterons en cette vie les arrhes de l’enfer. Cette vertu nous montre la lumière qui est dans l’âme qui la possède, c’est-à-dire qu’elle montre que l’âme, avec la lumière de la très sainte Foi, a vu et connu que Dieu ne veut autre chose que son bien, et que tout ce qu’il donne ou permet en ce monde, est pour notre sanctification. Dès que l’âme l’a reconnu, elle devient patiente, car elle se dit à elle-même: quand la sensualité veut se révolter par impatience : Veux-tu donc te plaindre de ton bien? Tu ne peux pas, tu ne dois pas te plaindre, mais tu dois souffrir généreusement pour la gloire et l’honneur du nom de Dieu.

2. La patience fait naître une grande douceur au fond de l’âme; elle est forte, et elle éloigne toute impatience et toute affliction; elle est persévérante, et aucune fatigue ne lui fait tourner la tète en arrière, mais elle avance toujours à la suite de l’humble Agneau, dont la patience et la douceur furent si grandes, qu’on ne l’entendit jamais se plaindre. Elle se conforme à Jésus crucifié, en se revêtant de sa doctrine et en se rassasiant d’opprobres. Elle triomphe de la colère en la foulant aux pieds par la douceur elle ne se laisse abattre par aucune fatigue, parce qu’elle est unie à la charité; elle ne prend pas le bien d’autrui; elle donne, au contraire, généreusement. Rien ne lui est trop précieux pour ne pas le donner; mais elle se prive de tout avec une douce patience; elle s’enivre du sang de Jésus crucifié pour se perdre elle-même , et plus elle se perd, plus elle se trouve unie et lié à la douce volonté de Dieu, méprisant le monde avec toutes ses délices, se plaisant à suivre la voie de la véritable humiliation, et embrassant la pauvreté volontaire par de saints et véritables désirs.

3. O ma très chère Mère et Fille ! voici le temps d’embrasser cette vraie et solide vertu. Vous voyez que le monde poursuit d’injures et de reproches ceux qui aiment la vérité. Il faut donc être patients dans les injures et les peines que nous éprouverons; mais nous devons aussi avoir grande compassion des autres, et nous élever seulement contre le péché de celui qui offense. Très chère Mère et Fille, fut-il jamais plus juste de pleurer et de gémir sur les offenses faites à Dieu; avons-nous jamais vu le monde plongé dans de pareilles ténèbres? et cela à cause de l’amour de nous-mêmes, qui a tout empoisonné, tout corrompu. Qui aura la patience, aura la charité parfaite, et quand on a la charité parfaite, on gémit, et on doit gémir plus de ce mal qu’on voit, que de ses propres peines et de ses afflictions. Hélas ! ne voyez-vous pas que notre Foi est souillée par :des chrétiens marqués du signe de Jésus-Christ ! ils perdent dans les ténèbres de l’hérésie le sang du Christ. Nous devons en gémir amèrement, et cette douleur doit faire [1593] oublier toute autre douleur. Je vous invite à souffrir avec une vraie patience, à vous offrir vous-même à Dieu par une humble et continuelle prière. Ne dormons plus, mais secouons le sommeil, car il est temps de se lever. Donnez-vous tout entière en vous dépouillant de toute affection, de tout attachement. Attachez-vous à l’arbre de vie; à l’humble Agneau sans tache, où vous trouverez la vertu de patience et toutes les autres vertus, qui sont arrosées et mûries par ce sang. Oh ! combien est heureuse l’âme qui, en souffrant avec force et courage, se revêt de vertu ! La langue est incapable de l’exprimer; mais faites-en l’expérience, baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, dans ce sang qui rend douce toute chose amère, et légers tous les fardeaux. Ce sang nous apprend à gouverner les biens temporels, comme vous l’avez fait et comme vous le faites toujours, en ennoblissant pour vous les malheureux et ceux qui sont dans le besoin.

4. Maintenant soumettez à ce sang précieux votre volonté propre, faites-en le sacrifice à Dieu; lorsque vous l’aurez fait, vous le montrerez par la vertu de la patience, vous ne pourrez pas le montrer autrement. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Mettez votre force dans le Christ, le doux Jésus. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Bénissez et saluez tous les vôtres, et faites prier particulièrement pour la sainte Eglise et pour le Christ de la terre, Doux Jésus, Jésus amour [1594].

Table des matières (2)


 

CCCXXXV.- A MADAME LARIELLA, femme de messire Cieccolo Caracciolo, de Naples.- Nous devons mettre notre espérance en Dieu. et non dans les créatures; cette espérance vient de l’amour.

(Lariella est sans doute le diminutif de Laura. comme Cieccolo est celui de Francesco. Le comte Caracciolo s’attira la disgrâce de la reine de Naples par sa fidélité à Urbain VI, dont il était parent.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir placer votre affection et votre espérance en Dieu seul, et mettre votre confiance en lui et non dans les créatures, car on peut appeler maudit celui qui met sa confiance dans l’homme. Oh ! quel malheur pour notre âme, et comme est vaine l’espérance que nous mettons autre part qu’en Dieu ! des paroles ne pourraient jamais l’exprimer. Cette espérance est vaine et passagère, car c’est en vain que se fatigue celui qui cherche les délices, les honneurs et les richesses du monde. Qu’est-ce qui nous montre qu’elle est vaine? Le peu de sûreté que nous y trouvons. Quand nous croyons les posséder, elles nous échappent, ou par une disposition de la Providence qui nous les ôte pour notre bien, ou par la mort, qui nous fait quitter cette ténébreuse vie. Souvent [1595] nous croyons gagner beaucoup et parvenir à une haute position, et nous perdons ce que nous avions ; ou, si nous le conservons, ce n’est pas sans une grande peine, et nous avons tellement peur de le perdre, que la vie devient insupportable, Il est donc bien insensé l’homme qui met là son espérance.

2. Je dis que cette espérance est nuisible, parce qu’elle ôte la puissance, la liberté, et qu’elle rend esclave. Si nous aimons d’un amour déréglé les créatures et les choses créées en dehors de Dieu, nous péchons. En offensant Dieu, nous nous rendons esclaves du péché, qui est un néant, et des choses créées, qui sont toutes moindres que nous, car elles sont toutes créées pour nous servir, et nous, nous sommes faits pour servir Dieu. Mais nous faisons tout le contraire nous les servons, et nous ne servons pas notre Créateur. Elles nous privent alors de la lumière, et ne nous laissent pas voir et discerner la vérité. Car, comme l’oeil malade ne peut regarder la lumière, l’oeil de l’âme, lorsqu’elle est tombée dans cette infidélité et cette maladie de l’amour déréglé, perd tellement la lumière, qu’elle ne peut plus se connaître et connaître Dieu, c’est-à-dire la Bonté infinie, et sa propre misère. Elle perd la richesse des vertus, parce qu’elle est séparée de la charité à laquelle toutes les vertus sont unies. Elle n’a plus l’amour de Dieu et du prochain; elle ne sert que par intérêt; elle n’a plus l’humilité véritable, car elle n’a d’autre désir et d’autre jouissance que d’avoir une grande réputation et un haut rang. Toute son étude est de plaire aux créatures, et elle aime mieux leur être agréable que d’être agréable au Créateur. Si elle [1596] reçoit une injure, elle la supporte avec impatience; et si elle rend service à son prochain ou à ses parents, sans qu’elle en tire quelque profit ou quelque honneur, elle en est fâchée, et cesserait volontiers de leur être utile.

3. C’est là ce que fait l’amour-propre, et vous savez bien que c’est la vérité. Vous l’avez peut-être éprouvé vous-même, à l’occasion du séjour de messire Cieccolo ici. Vous en êtes un peu contrariée; mais si vous le voyiez récompensé de ses services, et recevoir un peu de la fumée du monde, c’est-à-dire un peu de gloire humaine, vous le seriez moins. Je crois que vous vous affligez plus des propos qui vous inquiètent et de ce vain honneur du monde, que vous ne désirez son propre avantage. Ce n’est pas bien, c’est un grand défaut, qui offense Dieu; votre âme et votre corps en souffrent, et vous lui causez aussi de la peine. Je ne veux pas qu’il en soit ainsi. Ce serait une preuve que vous avez mis votre espérance et votre affection dans les créatures et les honneurs du monde plus que dans le Créateur, et cela ne doit pas être. Vous devez au contraire être courageuse, et mépriser les sottises du monde en désirant les biens du ciel et l’honneur de Dieu plutôt que les biens frivoles de la terre et les honneurs qui peuvent vous en revenir. Je veux qu’il en soit ainsi. Répondez à ceux qui vous diront le contraire, que tout votre désir est de voir messire Cieccolo servir fidèlement, de tout son cœur, de toute son âme, le Christ de la terre et la sainte Eglise, sans penser à l’avancement, aux grandeurs et à l’intérêt, mais seulement à l’honneur de Dieu, et à ce que doit un fils [1597] à son père. Alors ses services seront agréables à Dieu, et ils vous seront glorieux et utiles: je dis utiles par les grâces que vous obtiendrez, et que Dieu veut que nous cherchions avec un grand zèle. Vous le ferez si vous mettez votre espérance en Dieu, mais pas autrement. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir mettre votre amour et votre espérance uniquement en lui; et vous devez le faire, puisque vous voyez qu’il est si nuisible de la mettre en soi, ou dans la créature, ou dans les choses créées, en dehors de Dieu; cette malheureuse espérance plonge l’âme dans de nombreuses afflictions. Combien est différente l’espérance que l’homme met en Dieu ! car l’espérance procède de l’amour. Toujours la créature espère en celui qu’elle aime: si elle aime la créature, elle espère dans la créature; si elle aime son Créateur, elle espère uniquement en lui, et l’amour, le sentiment de la charité, met toujours une grande joie dans le cœur qui la possède.

4. Oui, l’espérance donne une grande joie; tous les trésors de la charité se trouvent dans l’espérance, parce qu’elle vient d’elle. Elle est humble et douce pour ceux qui l’injurient; elle est patiente à souffrir les tribulations, de quelque manière que Dieu les lui envoie; bien plus, elle désire souffrir pour Jésus crucifié, et elle cherche sa gloire dans ses opprobres; c’est là qu’elle se repose, et elle ne veut se glorifier en rien autre chose, parce qu’elle ne cherche pas sa propre gloire, mais la gloire du nom de Dieu. La charité ne cherche pas ses intérêts, et ses services ne sont pas mercenaires, parce qu’elle sert par amour, et non à cause du profit qu’elle [1598] attend; elle éloigne toute amertume, parce qu’elle s’est dépouillée de la volonté propre pour se revêtir de la douce Volonté de Dieu, et c’est la volonté propre qui seule fait souffrir la créature. Cette vertu est si douce, si délectable, qu’elle fait paraître douces les choses amères; les grands fardeaux deviennent petits, et les contrariétés agréables; elle ôte à l’âme le poids de la terre et le lui rend léger; elle l’éloigne de la société des hommes, et la fait converser avec les Bienheureux.

5. Cette espérance, fondée sur la charité, est si utile, qu’elle rapporte au centuple. L’homme donne oa volonté seule, et il reçoit le centuple, la charité, avec laquelle il obtient la vie éternelle. C’est ce que disait le Christ au glorieux saint Pierre qui lui demandait: " Maître, nous avons laissé tout pour vous; que nous donnerez-vous ?" Le Christ répondait : Tu as bien fait, Pierre. Comme si la douce Vérité disait : Autrement tu ne pourrais pas me suivre. Celui qui ne renonce pas à sa propre volonté ne peut suivre Jésus crucifié. Puis il ajoute: " Je vous donnerai le centuple, et vous posséderez la vie éternelle. " La charité est donc bien utile, et nulle vertu ne peut l’être davantage. Elle rend l’homme libre et souverain, puisqu’elle le tire de l’esclavage du péché et lui assujettit la sensualité. Celui qui est maître de lui-même devient maître du monde, parce qu’il méprise ses grandeurs et ses délices, parce qu’il voit que tous ses biens sont sans consistance et sans durée; il en retire son espérance pour la placer en son Créateur, qui seul est sûr et immuable, et qui rien peut nous être ôté, si nous ne le voulons pas [1599].

6. Oh ! combien est heureuse cette âme qui a mis son coeur et son amour en Dieu, qui est sa béatitude ! Dès qu’elle possède Dieu, elle ne s’inquiète de rien, et elle ne tombe pas dans l’impatience si elle vient à perdre un mari, des enfants, son rang, les honneurs et les richesses du monde, parce qu’elle les possède, non pas comme des choses qui lui appartiennent, mais comme des choses prêtées; son seul bien est la grâce divine. Elle ne s’inquiète pas des propos des hommes, et pour leur plaire, elle ne veut offenser Dieu en aucune façon. Elle ne fait pas comme les personnes faibles, qui, pour plaire aux créatures, déplaisent au Créateur par leur vanité, tout en l’offensant sur d’autres points par leur sensualité. Elles résistent à la grâce que Dieu avait faite à leur âme de ne pas aimer à se parer de curieux et délicats vêtements, et à se parfumer le visage. Lorsqu’elles sont dans leur intérieur, elles ne paraissent pas s’inquiéter de leur personne; mais pour plaire elles forcent la nature et se révoltent contre la grâce, voulant paraître aussi bien que les autres, sans crainte d’offenser Dieu et de nuire à leur âme; et quand on les reprend, elles répondent : Je ne le fais pas pour moi, mais pour plaire à mon mari et ne pas me montrer plus triste que les autres. Elles se trompent, et ne savent pas où se trouve la vertu, à cause de la complaisance qu’elles ont pour elles-mêmes. Mais celle qui est dans la charité le sait bien; comme nous l’avons dit, elle se dépouille de toute vanité et choisit ce qui est honnête, quels que soient la position, le moment et le lieu où elle se trouve. En toute chose elle considère Dieu, et ce qu’elle fait, elle le fait avec [1600] sa sainte crainte. Elle participe au sang de Jésus crucifié, parce qu’elle a déchargé sa conscience dans la sainte Confession avec la contrition, le regret de ses fautes et une entière satisfaction; elle reçoit ainsi la vie de la grâce.

7. Quelle différence, très chère Mère, entre ceux qui espèrent véritablement en Dieu et ceux qui n’y espèrent véritablement en Dieu et ceux qui n’y espèrent pas ! Aucune comparaison n’est possible. Que dirons-nous donc? Nous dirons que les uns jouissent du vrai bonheur, et que les autres sont dans une profonde misère. Nous devons donc quitter avec grand soin tout amour sensitif, et nous occuper sans cesse de la douce pensée de Dieu et du Sang répandu pour nous avec tant d’amour. Nous devons montrer l’amour que nous avons pour lui par notre charité envers notre prochain, que nous assisterons dans tous ses besoins; nous aimerons aussi entendre la parole de Dieu, veiller, prier sans cesse; nous aimerons tout pour Dieu, et rien sans lui. C’est à cela que je veux voua voir apporter tout votre zèle, afin que vous puissiez recevoir l’éternel et souverain bien qui vous est préparé. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1601]

Table des matières (2)


 

CCCXXXVI.- A MADAME PENTELLA, servante de Dieu, mariée à Naples.- De l’amour des souffrances, et de l’honneur que nous devons à Dieu.- Des épreuves dans le mariage.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie et parfaite lumière. Cette lumière vous fera connaître la vérité; en la connaissant vous l’aimerez, et vous verrez la voie qu’il vous faut prendre. Voyons quelle est cette voie et cette vérité, comment nous pourrons la suivre, et pourquoi nous devons la suivre. Jésus crucifié est notre voie, et il est la vérité, la vie. N’a-t-il pas dit: " Je suis la voie, la vérité, la vie? " Celui qui suit cette voie, c’est-à-dire qui suit en doctrine et ses traces, suit la voie de la vérité ; et celui qui suit la voie de la vérité reçoit en lui la vie de la grâce. Quel moyen l’âme doit-elle prendre pour marcher dans cette voie? quel moyen Notre-Seigneur a-t-il pris lui-même? Le voici. Lui qui était et qui est la lumière, il regarda la volonté du Père, et cette volonté voulait, pour nous sanctifier, manifester son éternelle vérité. La vérité était qu’il avait créé l’homme pour lui donner la vie éternelle et le faire jouir du souverain Bien; mais, à cause du péché [1602] commis, cette vérité ne s’accomplissait pas en nous; Il fallait pour l’accomplir, détruire la faute; Dieu voulut à la fois détruire la faute et accomplir sa vérité dans l’homme; et alors cette vérité contraignit le Père, et, à cause de l’amour ineffable qu’il avait pour nous et pour Sa vérité, il nous donna la vérité du Verbe, son Fils, qu’il revêtit de notre humanité, afin qu’il pût avec elle, par ses souffrances, satisfaire pour nos fautes, et accomplir ainsi an vérité en nous.

2. Lorsque le Verbe, le doux Fils de Dieu, eut reçu cette grande tâche de son Père, il courut, plein d’amour, à la mort honteuse de la très sainte Croix; et en accomplissant l’obéissance, il accomplit la vérité. Nous avons été rétablis par lui dans la grâce, pourvu que, de notre côté, nous ne nous y opposions pas par nos fautes et nos misères. Ce doux Verbe savait que sans souffrir il ne pouvait nous rendre la vie, et il s’est passionné pour les peines, il s’est rassasié d’opprobres; il a choisi comme vêtement les injures, la faim, la soif, les mépris, les outrages; et le péché lui a tant déplu, que, quoiqu’il n’y eût pas en lui la moindre tache, il l’a puni sur son corps; et il a tant aimé les vertus, qu’il les a mûries dans son sang. Cet arbre de vie a produit pour nous des fruits de vertu; car, après la rédemption que nous avons reçue par son sang, le fruit des vertus nous profite pour la vie éternelle. Qu’a cherché le Verbe, et de quoi s’est-il affligé? Il a cherché l’honneur de son Père et notre salut, et il s’est plus affligé de l’offense qui était faite et du malheur qui suivait l’offense, que de sa propre peine. Nous voyons qu’il a plus gémi de la damnation de Judas que de sa trahison [1603].

3. Voici la douce voie qu’il nous a enseignée et que nous devons suivre. Si vous me dites: Il était le vrai Fils de Dieu, et il pouvait agir ainsi; mais moi, je suis faible, et je ne le puis pas: regardez les saints qui l’ont suivi, ils étaient soumis à la même faiblesse. Ils ont été conçus, élevés et nourris de la même manière que nous, et cependant, avec le secours de Dieu, Ils ont tous suivi généreusement cette voie, et le secours qu’ils ont eu, nous pouvons l’avoir, si nous le voulons. Mais, parce que nous croyons ne pas le pouvoir, nous ne le faisons pas; dans notre aveuglement, nous ne connaissons pas et nous ne nous appliquons pas à connaître dans as doctrine, l’éternelle Vérité, et cela parce que nous ne voulons pas ; car, si nous le voulions, avec la haine véritable, du vice et avec l’amour de la vertu, nous résisterions à la sensualité, et nous ne chercherions pas à la satin. faire par nos complaisances et nos faiblesses de femme, mais nous nous lèverions avec une sainte haine; nous détruirions en nous la volonté propre, et nous embrasserions la Croix avec un ardent et saint désir.

4. Nous nous réjouirions de nous voir foulés aux pieds par le monde, et notre gloire serait de souffrir sans l’avoir mérité. C’est là le signe le plus certain qui montre si le serviteur de Dieu a ou n’a pas la lumière, pour connaître la vérité, O douce vie, combien tu es délicieuse pour l’âme qui t’a goûtée, en se perdant et en se renonçant elle-même ! Cette connaissance la fait courir, morte à toute volonté prou et, comme elle est morte, rien ne lui fait plus guerre, car c’est de la volonté seulement que vient la [1604] guerre. Les tribulations et les persécutions du monde ne lui sont point amères; elles sont même la joie et la consolation du vrai serviteur de Dieu; plus il souffre, plus il est content, et lorsqu’il voit le monde avoir pour lui quelque respect et quelque estime, il s’en afflige, parce qu’il craint que Dieu ne veuille le récompenser en cette vie du peu de bien qu’il fait, et parce qu’il voudrait ressembler à Jésus crucifié et suivre ses traces. Il ne se plaint pas de celui qui lui fait injure, et il ne voudrait pas être privé de ce qu’on lui fait souffrir; mais ce qui l’afflige, c’est l’offense de Dieu et la, perte de l’âme de son prochain : aussi il ne cesse de penser à lui devant Dieu avec un grand désir, et d’offrir pour lui d’humbles et continuelles prières.

5. Pourquoi le fait-il? parce que dans la lumière et la doctrine de Jésus crucifié, il a connu la vérité, et parce qu’avec cette lumière, il a vu ce qu’il devait faire. L’âme doit répondre au démon et à sa fragilité, qui veulent combattre contre la raison et la vertu. Je ne puis vous écouter, mais je dois servir mon Créateur de tout mon cœur, de toute mon âme, de toutes mes forces, et je dois le lui montrer en souffrant. Pourquoi ? parce que c’est un commandement auquel je suis obligé d’obéir. Outre le commandement, je dois le faire par reconnaissance, parce que tu as reçu gratuitement l’existence et toutes les grâces qui y sont ajoutées: et quand même je n’en aurais pas reçu le commandement, je devrais le faire à cause des grâces reçues, car je ne veux pas être oublieuse ingrate après tant de bienfaits. Je veux rendre ce qui ne m’appartient pas, car je travaille avec ce qui [1605] est à mon Créateur, et c’est avec cela que je m’acquitte envers Dieu; je ne lui donne rien qui m’appartienne, mais je lui rends ce que je dois lui rendre.

6. Oh ! combien est digne de châtiment le serviteur mercenaire qui veut prendre ce qui n’est pas à lui ! Il sera sévèrement condamné par le souverain Juge et par sa conscience, parce qu’il doit honorer Dieu et se mépriser lui-même. Pourquoi est-il coupable et digne de châtiment? parce qu’il est tenu de servir fidèlement, sans avoir égard à sa propre consolation, au plaisir qu’il y trouve, ou à l’approbation des créatures; et, comme il est obligé de rendre gloire et honneur à son nom, ses services mercenaires ne pourront jamais lui faire remplir ses devoirs comme il le devrait. Admettons que Dieu soit glorifié; il n’en serait pas de même de notre côté, et l’éternelle Vérité ne s’accomplirait pas en nous; car elle nous a créés et fait renaître à la grâce dans le Sang pour nous donner la vie éternelle. Aussi l’âme voit à la lumière la dette qu’elle a contractée, et en même temps elle voit qu’elle a été aimée de Dieu, et que toutes les grâces spirituelles et temporelles qu’elle a reçues lui ont été données par amour; elle se sent forcée de répondre à Dieu, de faire comme il a fait, et de ne pas quitter les traces de Jésus crucifié.

7. Il est vrai que nous ne pouvons rendre un amour gratuit à Dieu, car il nous a aimés avant que nous fussions, et nous, nous sommes obligés de l’aimer. Mais l’âme, lorsqu’elle est éclairée par la lumière, prend le moyen que Dieu lui a donné pour s’acquitter; elle aime le prochain d’un amour désintéressé, et, quelque soit la peine qu’il lui cause, les reproches [1606] qu’elle en reçoit, et l’ingratitude dont il paie ses services, elle ne se rebute jamais, parce que la lumière l’a rendue constante et persévérante, à l’exemple de l’humble Agneau, qui ne s’est laissé arrêter ni par les tourments ni par les Juifs, qui lui criaient: " Descends de la Croix, et nous croirons en toi; " ni par notre ingratitude; mais il est resté constant et persévérant jusqu’au dernier instant où il remit l’humanité, qu’il avait reçue pour épouse, entre les mains de son Père éternel, en disant : In manus tuas, etc. L’âme, de même, triomphe par la lumière de la malice et des ruses du démon quand il veut la tromper sous de spécieux prétextes. Elle ne veut pas descendre de la Croix de son douloureux et saint désir, malgré les cris des Juifs, c’est-à-dire des démons, qui emploient, mille moyens pour la faire descendre, tantôt sous prétexte de ne pas offenser Dieu, tantôt sous l’apparence de la justice, en voulant faire reconnaître au prochain toute son ingratitude.

8. Quelquefois ils veulent renverser l’âme en lui faisant désirer la mort de son prochain, sous prétexte d’avoir plus de paix et de repos dans l’esprit; et le démon lui donne tant de raisons, ce désir insensé s’incarne tellement en elle, que personne ne peut l’en ôter, parce que son aveuglement, sa sensualité, et l’antipathie qu’elle éprouve l’empêchent de voir et de connaître la vérité; et en cela elle est bien opposée à la volonté de Dieu, qui ne veut pas la mort du pêcheur, mais, au contraire, qu’il se convertisse et qu’il vive. Nous devons souhaiter aux créatures la vie spirituelle et corporelle, pour les voir vivre dans la grâce, et pour que Dieu donne au [1607] pécheur le temps de se convertir, afin qu’il ne meure pas dans les ténèbres du péché mortel. C’est là le désir de celle qui voit à la lumière qu’elle doit rendre au prochain l’amour désintéressé qu’elle ne peut rendre à Dieu; avec cette lumière, elle foule aux pieds l’esclavage de la sensualité. Ce n’est pas as peine, c’est l’offense de Dieu qu’elle considère lorsqu’une créature, un époux, si vous le voulez, ne la traite pas comme femme, mais comme esclave, lorsqu’un fils ne la reconnaît pas pour mère, et une servante pour maîtresse. Quelle que soit la personne qui veuille l’opprimer, elle ne se plaint pas; elle souffre tout avec résignation, elle supporte son injure avec une parfaite patience; mais elle gémit de l’outrage fait à Dieu, et demande pour ses créatures, non pas la mort, mais la vraie lumière. Tels sont les saints désirs d’une âme éclairée.

9. Il me semble, très chère Sœur, que vous avez besoin, d’une semblable lumière dans votre position; et c’est pourquoi je vous ai dit que je désirais voir en vous la vraie et parfaite lumière, afin que vous connaissiez la véritable voie que vous devez prendre, comment et pourquoi vous la devez suivre. Vous connaîtrez ainsi la ruse et la malice du démon, qui enchaîne votre âme en vous faisant follement désirer la mort de quelqu’un, et en vous la faisant désirer si vivement, que personne ne peut vous ôter ce désir. Ce n’est pas là servir Dieu, mais servir le monde et le démon. Quelle vertu pourrait prendre racine dans une âme semblable? On pourrait y voir des actes de vertu, mais des vertus, jamais. Combien de misères se montrent dans ce désir insensé ! On y voit le poison [1608] de l’orgueil et de sa propre estime; car, si l’âme n’en était pas infectée, elle croirait plus aux autres qu’à elle-même, elle ne serait pas sans respect et sans docilité à l’égard de son Père spirituel; elle l’écouterait, au contraire, elle lui obéirait lorsqu’il lui montre que ce désir n’est pas véritablement selon Dieu, mais qu’il vient directement du démon et de sa passion sensuelle; lorsqu’il lui prouve que son amour pour le prochain et pour Dieu est intéressé, et qu’elle n’a qu’une patience pleine de mépris et de haine, de cette haine qu’elle ne devrait pas avoir contre la créature, mais contre la faute seulement. Et ensuite que de murmures, de faux jugements, de blasphèmes et de maux. Il serait bien difficile de les raconter. Aussi, très chère Sœur, sortons de cet aveuglement, et prenons la résolution de suivre Dieu en vérité, de l’aimer entièrement et sans partage, de l’aimer généreusement comme il doit l’être, sans penser à vous, et en le suivant dans la voie de la Croix, ne voulant pas souffrir à votre manière, mais à la sienne, aimant votre prochain comme vous-même, désirant voir en lui ce que vous voulez voir en vous. Offrez pour lui vos larmes, vos humbles et continuelles prières, à la lumière de la Foi, et soyez bien persuadée que tout ce que Dieu donne et permet, il le fait pour votre salut; et vous souffrirez avec une humilité sincère, une patience parfaite, vous jugeant digne de la peine, et indigne du fruit qui vient après la peine.

10. Voyez si vous êtes sage vous-même ! Ne faites-vous pas plus mal encore avec la chair, votre esclave et le libre arbitre, votre époux, qui s’unit volontairement à cette esclave, pour maltraiter et avilir avec [1609] elle la raison, qui est la maîtresse? Certainement si. Vous devez donc plus haïr cette injustice, qui est en vous-même, que cette esclave et ce mari, qui sont hors de vous; car ceux-ci n’affligent que votre corps avec leurs injures et leurs mauvais traitements, tandis que ceux-là frappent votre Ame, incomparablement plus noble que votre corps; toute la noblesse du corps vient de l’âme1 et l’âme vient de Dieu. Vous devez donc vous appliquer avec zèle à l’honorer, en veillant à ce que vous avez de plus noble, et en tournant toute votre haine contre vous-même. Faites en sorte que cette haine soit mortelle, c’est-à-dire, désirez toujours la mort de votre propre volonté, afin que vive toujours en vous l’éternelle volonté de Dieu. Baignez-vous, anéantissez-vous dans le sang de Jésus crucifié, qui vous fera aimer Dieu et les créatures purement, et faites en sorte que ce qui a été jusqu’à présent n’existe plus. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour [1610].

Table des matières (2)


 

CCCXXXVII.- A MADAME CATELLA, à madame Cecia, appelée Planula, et à madame Catherine Dentice, de Naples.- De la nourriture des anges et de la nourriture des bêtes.- Comment elles se prennent, et quels effets elles produisent.

 

(Cette lettre a beaucoup de rapport avec la CCVe que sainte Catherine adressait à la soeur Eugénie, sa nièce, au monastère de Montepulciano.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Sœurs et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir goûter la nourriture des Anges, car vous n’êtes pas faites pour autre chose; et afin que vous puissiez la goûter, Dieu vous a rachetées avec le sang de son Fils. Mais pensez, très chères Filles, que cette nourriture ne se prend pas sur la terre, c’est-à-dire avec un amour terrestre, mais en haut. C’est pour cela que le Fils de Dieu a été élevé sur le bois de la très sainte Croix, afin qu’avec lui et sur cette table sacrée, nous puissions prendre cette nourriture. Vous me direz : Qu’est-ce cette nourriture des anges? Je vous répondrai : C’est le désir affectif de l’âme qui attire à soi le désir de Dieu, et de ces deux désirs, il ne se fait plus qu’une seule et même chose. Cette nourriture, pendant [1611] le pèlerinage de cette vie, prend le parfum des vraies et solides vertus. Ces vertus sont préparées au feu de la charité divine et prises sur la table de la très sainte Croix, c’est-à-dire en souffrant les peines et les épreuves par l’amour de la vertu, en résistant à la sensualité; et, de cette manière, l’âme ravit par la force et la violence le royaume qui est appelé le ciel, parce que Dieu habite en elle par la grâce Cette nourriture rend l’âme semblable aux anges; aussi elle est appelée la nourriture des anges. Lorsque l’âme, séparée du corps, goûte Dieu dans son essence, il la rassasie tellement, qu’elle ne désire et ne peut désirer autre chose que de posséder plus parfaitement et d’augmenter cette nourriture. Elle hait tout ce qui lui est contraire; et alors elle regarde avec prudence à la lumière de la très sainte Foi, qui éclaire l’oeil de son intelligence, ce qui lui est nuisible et ce qui lui est utile; et, selon ce qu’elle a vu, elle a de l’amour ou de la haine, elle déteste la sensualité et la foule aux pieds de l’affection, avec tous les vices qui en procèdent. Elle fuit toutes les causes qui peuvent l’incliner au mal ou empêcher sa perfection; elle réduit la volonté propre, qui est le principe de tout mal, et la soumet au joug de la sainte obéissance aux commandements de Dieu.

2. Tous les chrétiens sont obligés à cette obéissance; mais il y en a beaucoup qui se soumettent à l’obéissance religieuse dans un Ordre, et c’est une plus grande perfection. Quand l’âme est véritablement obéissante, non seulement aux commandements de Dieu et à l’obéissance d’un Ordre, mais encore à toute créature pour Dieu, elle fuit et retranche toute [1612] complaisance humaine, et se glorifie uniquement dans les opprobres et les souffrances de Jésus crucifié. Les injures, les mauvais traitements, les mépris, les outrages ont pour elle la douceur du lait, et elle s’y plaît pour être semblable au Christ, son Epoux. Elle renonce à la conversation des créatures, parce que souvent elles sont des obstacles entre nous et notre Créateur; elle se réfugie dans la cellule de la connaissance d’elle-même et dans la cellule véritable. Je vous invite, mes Biens-Aimées, à rester dans la cellule de la connaissance de vous-mêmes, où nous trouvons ce désir affectif de Dieu pour nous, e dans la cellule véritable pour y veiller et y persévérer dans une humble et fidèle prière, détachant votre cœur de la créature et des choses créées, n’aimant rien en dehors de Dieu, et vous revêtant de Jésus crucifié. Autrement vous prendriez cette nourriture sur la terre, et je vous ai dit qu’il ne fallait pas la prendre sur la terre. Pensez que le doux Epoux Jésus ne veut aucun obstacle entre lui et l’âme, son épouse; il est très jaloux, et dés qu’il verrait que nous aimons quelque chose en dehors de lui, il s’éloignerait de nous, et nous deviendrions dignes de manger la nourritures des bêtes. Et ne leur deviendrons-nous pas semblables? Nous prendrions la nourriture des bêtes, si nous abandonnions le Créateur pour les créatures et les choses créées, le Bien infini pour les choses finies et éphémères, qui passent comme le vent, la lumière pour les ténèbres, la vie pour la mort, Celui qui nous revêt du soleil de justice avec l’agrafe de l’obéissance et les perles de la. foi, de l’espérance et de la charité parfaite, pour celui [1613] qui nous en dépouille au contraire. Ne serions-nous pas bien insensés de nous séparer de Celui qui nous donne une pureté de plus en plus parfaite, à mesure que nous nous approchons de lui, pour ceux qui répandent l’infection du vice et qui souillent nos cœurs et nos âmes ? Que Dieu les éloigne de nous dans son infinie miséricorde.

3. Pour que cela ne puisse jamais arriver, gardons-nous de la conversation coupable des personnes qui. mènent une vie débauchée; soyons fermes et prudentes, avec nous-mêmes et veillons avec une ardente charité aux besoins de notre prochain; nous montrerons par là que nous portons dans notre cœur, Jésus crucifié. Je dis donc que l’âme qui se nourrit de la nourriture des anges a vu à la lumière que l’amour et les conversations des créatures en dehors du Créateur sont des obstacles qui privent de cette nourriture; aussi elle les fuit avec un grand zèle, et elle aime, elle recherche ce qui la fait croître et persévérer dans la vertu. Et parce qu’elle voit qu’on goûte mieux cette nourriture au moyen de la prière faite avec la connaissance de soi-même, elle s’y applique continuellement, et fait tous ses efforts pour se rapprocher de Dieu.

4. Il y a trois sortes de prières. La première est la prière continuelle, c’est-à-dire le saint et continuel désir, qui prie toujours en présence de Dieu dans tout ce que fait la créature, car ce désir dirige sans cesse vers son honneur, toutes nos œuvres spirituelles et temporelles c’est pourquoi on l’appelle la prière continuelle. Le glorieux saint Paul en parle lorsqu’il dit : " Priez sans cesse. " La seconde prière [1614] est la prière vocale, qu’on fait lorsqu’on récite l’office ou quelque autre prière; c’est une préparation pour arriver à la troisième, qui est la prière mentale; et l’âme y arrive, quand l’esprit s’exerce avec prudence et humilité à la prière vocale. Lorsque ses lèvres parlent, son cœur ne doit pas s’éloigner de Dieu, mais elle doit s’appliquer à fixer et à affermir son cœur dans la charité divine. Quand elle sent que son esprit est visité de Dieu, c’est-à-dire quand elle éprouve un certain attrait à penser à Dieu, elle doit abandonner la prière vocale pour se livrer à l’amour de Dieu, dont elle goûte la présence; et si son attrait cesse, elle doit reprendre la prière vocale, afin que l’esprit . soit toujours occupé, et jamais vide. Si dans la prière nous éprouvons beaucoup de combats et de ténèbres qui troublent notre esprit, et si le démon veut nous persuader que notre prière n’est pas agréable à Dieu, à cause de ces combats et de ces ténèbres, nous ne devons pas cesser, mais au contraire persévérer avec courage, en pensant que le démon agit de la sorte pour nous faire quitter la prière qui est une mère pour nous, et que Dieu le permet pour éprouver notre force et notre constance. Dans les combats et les batailles nous connaissons notre néant, et dans notre bonne volonté nous connaissons la bonté de Dieu, qui donne et conserve les bonnes et saintes résolutions, et qui ne les refuse jamais à ceux qui le veulent.

5. L’âme parvient ainsi à la troisième et dernière prière, qui est la prière mentale, où elle reçoit la récompense des peines qu’elle a souffertes dans la. prière vocale imparfaite. Alors elle goûte le lait de la [1615] prière fidèle; elle s’élève au-dessus des sens; son esprit purifié s’unit à Dieu par l’amour, et, à la lumière de l’intelligence, elle voit, elle connaît et se revêt de vérité. Elle est devenue la sœur des anges; elle reste avec son Epoux à la table d’un ardent désir, aimant à chercher l’honneur de Dieu et le salut des âmes, parce qu’elle voit bien que pour cela l’éternel Epoux a couru à la mort honteuse de la Croix pour accomplir les ordres de son Père et notre salut. Ainsi la prière est bien vraiment une mère qui, dans la charité de Dieu, conçoit les vertus et les enfante dans la charité du prochain. Où trouverez-vous la lumière qui vous guidera dans la voie de la vérité? dans la prière. Ou montrerez-vous l’amour, la foi, l’espérance et l’humilité? dans la prière. Et, si vous n’aimez pas, vous ne ferez pas ces choses; mais la créature qui aime veut s’unir à ce qu’elle aime par le moyen de l’oraison c’est là qu’elle expose ses besoins, parce qu’elle se connaît, et cette connaissance est le fondement de la vraie prière. Elle voit sa misère, elle se sent entourée d’ennemis, du monde avec ses Injures, du démon avec ses tentations, de la chair, qui combat l’esprit et se révolte contre la raison. Elle voit qu’elle n’a pas l’être elle-même, et qu’elle ne peut se guérir; et alors elle court avec foi à Celui qui est, qui sait, peut et veut la secourir dans toutes ses nécessités; elle l’implore avec espérance, et attend son secours.

6. C’est ainsi que veut être faite la prière pour obtenir ce que nous désirons; et, de cette manière, les choses justes que nous demanderons à la Bonté divine, ne nous seront pas refusées; mais, en agissant autrement [1616] , nous en retirerons peu de fruit. Où sentirons. nous l’odeur de l’obéissance? dans la prière. Où nous dépouillerons-nous de l’amour-propre, qui nous rend impatients? dans le temps dès injures et des peines. Ou nous revêtirons-nous de l’amour divin, qui nous rendra patients et nous fera nous glorifier dans la Croix de Jésus crucifié? dans la prière. Où sentirons-nous le parfum de la continence, de la pureté, la faim du martyre, qui nous dispose à donner notre vie pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes? dans cette mère si douce, dans la prière. Elle nous fera observer les saints commandements de Dieu; elle mettra ses conseils dans notre esprit et notre coeur, et y imprimera le désir de les suivre jusqu’à la mort. Elle nous éloignera de la société des créatures, et nous donnera celle du Créateur. La prière emplit le vase de notre cœur avec le sang de l’humble Agneau sans tache et le couvre de feu, car il a été répandu avec un ardent amour. Il est vrai que l’âme reçoit et goûte plus ou moins parfaitement les avantages de la prière, selon qu’elle se nourrit de la nourriture des anges, c’est-à-dire du saint désir de Dieu, s’élevant, comme nous Pavons dit, pour le prendre sur la table de la très sainte Croix, mais pas autrement. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir vous nourrir de la nourriture des anges; car vous ne pourrez pas avoir d’une autre manière la vie de la grâce et être les vraies Servantes de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu.

7. J’ai reçu votre lettre, qui m’a causé beaucoup de joie, parce que je désirais beaucoup avoir de vos [1617] nouvelles, et parce que vous m’en donniez en peu de mots, de très bonnes. Je veux parler du retour de la lumière dans ce pays. Le cœur de Pharaon s’est adouci. La Reine s’était montrée bien endurcie jusqu’à présent; elle s’était séparée de son chef, du Christ de la terre, pour s’unir à l’Antéchrist, au membre du démon; elle poursuivait la vérité, et exaltait le mensonge. Grâces, grâces soient rendues à notre Sauveur, qui a éclairé son cœur par la force ou par l’amour, et qui a fait en elle des choses admirables (Ces bonnes dispositions de la reine Jeanne ne durèrent pas, et elle retomba dans le schisme.). Réjouissez-vous et soyons dans l’allégresse; appliquons-nous an saint exercice dont, nous avons parlé, et purifions souvent notre conscience par la Confession et par la Communion à toutes les fêtes solennelles, afin que, fortifiée dans votre pèlerinage, vous courriez généreusement à la table de la Croix, par la doctrine de l’humble Agneau, pour prendre la nourriture des anges, et faire briller en vous les stigmates de Jésus crucifié. Baignez-vous dans son précieux sang. Je me recommande instamment à notre Sauveur. Doux Jésus, Jésus amour [1618].

Table des matières (2)


 

CCCXXXVIII.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise.- De la charité envers Dieu, d’où naît la patience, et de la lumière de la Foi nécessaire pour acquérir la charité.

(Cette dame était la mère des trois frères Buonconti, disciples de sainte Catherine, qui l’accompagnèrent dans son voyage d’Avignon. (Voir la lettre CCXLVII.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience, car autrement nous ne pourrons pas plaire à Dieu, et en cette vie nous goûterons les arrhes de l’enfer. O vraie et douce Patience ! tu es cette vertu qui n’est jamais vaincue, mais toujours victorieuse. Toi seule tu montres si l’âme aime ou non son Créateur; tu nous donnes l’espérance de la grâce, tu détruis la haine et la rancune du cœur, tu éloignes le dégoût du prochain, et tu délivres l’âme de la peine. Par toi, le fardeau des nombreuses tribulations devient léger, l’amertume devient douce. En toi, Patience, royale vertu acquise par les mérites du sang de Jésus crucifié, nous trouvons la vie. O très chère Mère, parmi toutes les vertus, celle-là est la plus nécessaire, car nous ne passons pas cette mer du [1619] monde sans beaucoup de tribulations. De quelque côté que nous nous tournions, ses flots orageux nous poursuivent. Le démon nous attaque par de nombreuses tentations, et ce qu’il ne peut faire par lui-même, il le fait par le moyen des créatures, en se mettant sur les langues et dans le cœur de ses serviteurs. Il trompe le regard de l’intelligence. et fait voir ce qui n’est pas; il inspire des pensées et des antipathies contre le prochain, souvent contre ceux qu’on aime davantage; et, lorsque le cœur a conçu ces sentiments, il les met sur la langue et les fait enfanter par des paroles. Des paroles on arrive aux effets, et de cette manière il sépare ceux qui s’aiment, et occasionne ainsi les impatiences, la haine, la co1ère, qui nous privent de la vie de l’amour.

2. Il ne faut donc pas le croire, mais il faut monter sur le tribunal de la conscience, et y rendre la justice; il faut opposer à ces flots dangereux la haine et le mépris de vous-même, en ouvrant l’oeil de votre intelligence, et en connaissant la bonté de Dieu et son éternelle volonté, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Il permet que le démon nous attaque et que les hommes nous persécutent, afin d’éprouver en nous l’amour de la vertu et de la vraie patience, et de faire arriver de l’amour imparfait à la perfection. Car l’amour de la vertu se manifeste et se fortifie au moyen de notre prochain. Il faut aimer Dieu pour Dieu, parce qu’il est l’éternelle et souveraine Bonté, véritablement digne d’être aimée. Il faut s’aimer et aimer le prochain pour Dieu, et non pour l’intérêt ou pour le plaisir qu’on y trouve. Mais parce que la créature est créée et aimée par la [1620] souveraine Bonté, il faut lui rendre les services que nous ne pouvons rendre à Dieu lui-même, Ce que nous ne pouvons faire pour Dieu, nous devons le faire pour notre prochain. C’est ainsi que se manifeste la perfection de l’amour; et quand l’amour est parfait, il ne cesse jamais d’aimer et de servir, malgré les injures qu’on lui fait, les ennuis qu’on lui cause, parce qu’il ne cherche à plaire qu’à Dieu seulement. C’est dans ce but que Dieu nous accorde toutes les tribulations que nous avons. Le démon, au contraire, n’agit que pour nous éloigner de la charité; mais si nous gommes prudents, nous combattrons les intentions du démon, et nous suivrons la douce volonté de Dieu; nous nous opposerons aussi au monde, qui nous persécute de tout son pouvoir. Il est bien peu ferme et durable; il est si pauvre, qu’il ne pourrait satisfaire notre cœur. Toutes les choses du monde sont moindres que nous; elles sont faites pour notre service, et nous sommes faits pour Dieu. Il faut donc servir Dieu seul de tout notre cœur, de toute notre affection, parce qu’il est le bien qui apaise et rassasie notre cœur.

3. Puisque cette patience est si utile et si nécessaire, il faut l’acquérir. Mais comment l’acquérir? Je vous le dirai; avec la lumière, en ouvrant l’oeil de l’intelligence, en reconnaissant son néant, et en attribuant tout ce qu’on est à l’ineffable charité de Dieu. On connaît sa bonté, qui nous a donné l’être et toutes les grâces qu’il y a ajoutées. Et lorsqu’on a vu que Dieu nous a ainsi aimés, on voit encore que par amour, il nous a donné le Verbe son Fils unique, ce Fils qui nous a donné la vie. Et puisqu’il nous a [1621] donné la vie avec tant d’amour, nous devons être persuadés que toute peine, de quelque côté qu’elle vienne, que toutes choses, prospères ou contraires, nous sont données par amour, et non par haine, mais pour notre bien, afin de nous faire atteindre le but pour lequel nous avons été créés. Nous devons voir que, quelque grande que soit la peine, elle est au fond bien petite, puisqu’elle n’est pas plus grande que le temps, et que le temps, pour nous, n’a pas plus de longueur et de largeur que la pointe d’une aiguille. Toutes nos peines sont donc petites et finies. La peine qui est passée, nous ne l’avons plus, puisque le temps s’est enfui; celle qui doit venir, nous ne l’avons pas encore, et le temps peut nous manquer pour l’avoir.

4. Après avoir vu combien est courte la peine, nous devons voir combien elle est utile. Et cela, demandez-le au doux et ardent saint Paul, qui nous dit: " Les souffrances de cette vie ne sont pas comparables à la gloire future que Dieu a préparée pour ceux qui le craignent et qui supportent bien avec patience les saintes épreuves que la Bonté divine leur envoie ( Rm 8, 18)." Celui qui le fait goûte les arrhes du ciel en cette vie par sa patience; et si notre chair, dans sa faiblesse, veut par l’impatience se révolter contre son Créateur, en refusant de souffrir, il réfléchit en lui-même et voit où doit le conduire l’impatience; car, après avoir commencé son enfer en cette vie, il arrive enfin à l’éternelle damnation. Jamais on n’a vu l’impatience éloigner la peine; elle l’augmente [1622] au contraire; car la peine est ce que la volonté la fait. Détruisez en vous la volonté propre sensitive, pour vous revêtir de la douce volonté de Dieu, et vous aurez détruit la peine. Voilà le moyen et la voie pour parvenir à la vraie et parfaite patience; et je vous conjure, par l’amour de Jésus crucifié, de ne pas négliger ces doux et précieux moyens, alla d’acquérir la vertu de patience, car je sais combien elle est nécessaire à vous et à tout le monde. C’est parce que je connais le besoin que vous en avez, que j’ai dit que je désirais vous voir affermie dans la vraie et parfaite patience. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXXXIX.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise.- Le souvenir du sang de Jésus-Christ fait acquérir la charité, et par son moyen la patience.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir baignée par le saint désir, dans le sang de Jésus crucifié. Dans ce sang, l’âme se purifie de toute tache du péché, et elle y trouve l’ardeur de la divine charité, en voyant qu’il a été [1623] répandu par amour. L’âme alors s’enivre d’amour, elle sent le parfum de la patience, et, à cause de l’amour qu’elle a trouvé dans le sang, elle se dépouille de tout amour d’elle-même, et elle supporte avec douceur toutes les adversités et les tribulations du monde, elle les traverse avec patience. Les prospérités, les délices du monde, les honneurs, l’affection de ses enfants ne la troublent pas; elle les possède avec une vraie et sainte crainte, elle les aime comme des choses prêtées, et non comme des choses qui lui appartiennent. C’est ce que doit faire toute créature raisonnable. En le faisant elle n’offense pas Dieu, et elle goûte dès cette vie les arrhes du bonheur céleste dans la charité fraternelle pour son prochain. L’âme trouve tout cela dans le souvenir du Sang. C’est la vérité; car tant que nous penserons avec un ardent désir au bienfait du Sang, nous serons reconnaissants, et nous nous acquitterons envers lui par l’ardeur de la charité et, par des vraies et solides vertus. En faisant autrement, la créature se rend coupable, non seulement parce qu’elle oublie le Sang et qu’elle est ingrate, mais parce qu’elle ne cherche pas à acquérir la vertu. Ainsi donc, très chère Mère, puisque le souvenir de ce sang précieux est si nécessaire, attachez-vous à l’humble Agneau sans tache, et baignez-vous dans son très doux sang. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1624].

 

CCCXL.- A MADAME NELLA, femme de Nicolas Buonconti, de Pise, et à madame Catherine, femme de Gérard, fils de Nicolas.- De l’union dans la charité.- Jésus-Christ nous a enseigné cette vertu et nous la demande. — De l’emploi du temps.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère Nella, et très chère Catherine, ma Fille dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous encourage et je vous bénis dans son précieux Bang, avec le désir de vous voir unies et liées par le lien de la charité qui a attaché et cloué le Fils de Dieu sur la Croix. O ineffable et très douce charité ! combien est fort ce lien qui a retenu l’Homme-Dieu, blessé et déchiré sur l’arbre de la Croix ! C’est là qu’il a porté le poids de nos iniquités; et comme l’enclume est frappée par le marteau, l’âme du Christ, dans sa Passion, a été travaillée par le feu de sa charité. O union douce et parfaite, que Dieu a contractée avec l’homme ! Je veux donc que vous vous embrasiez d’un saint zèle, et que vous contractiez une union que ni le démon ni les créatures ne puissent rompre; et cette union est le Commandement que Dieu nous a laissé, parce qu’il n’avait rien de plus précieux à nous donner. Pourquoi n’y a-t-il rien de plus précieux que d’avoir Dieu et d’être dans la parfaite union de la charité de Dieu? Parce que Dieu [1625] est la charité, et celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu en lui, comme l’a dit la Vérité suprême: " Celui qui observera ma parole, je serai en lui, et lui en moi, et je me manifesterai moi-même à lui ( Jn 4,14). " O très doux Amour ! qui sommes-nous, pour vous manifester à l’homme? quelle est cette manifestation que vous faites dans l’âme? Rien qu’une ineffable charité; la charité est une mère qui conçoit le parfum des vertus; et comme une mère nourrit ses enfants sur son sein, la charité nourrit les vertus, ses enfants, et produit des fruits pour la vie éternelle.

2. Il faut donc vous lever avec un saint zèle, ma très douce Mère et ma Fille, pour suivre les vertus et vous reposer sur ce glorieux sein de la charité. Si vous me dites: Où pourrons-nous trouver cette glorieuse mère? je vous dirai: Sur l’arbre de l’adorable et très sainte Croix, où a été greffé le Verbe incarné, le Fils de Dieu, immolé avec tant d’amour. En fixant le regard de votre intelligence sur la Charité divine, qui se repose sans cesse sur vous, votre cœur ne pourra s’empêcher d’aimer en se voyant tant aimé; et cet amour produira la haine, le mépris de vous-mêmes et le dégoût du monde. Alors vous mépriserez ses délices, ses honneurs, et vous embrasserez les injures, les outrages, et vous les supporterez avec joie, en considérant les injures de votre Créateur. Oh ! combien est ignorant et vil le cœur qui veut suivre une autre voie que celle de son Maître ! Car celui qui veut la vie éternelle doit suivre ses traces. il a dit : " Je suis la voie, la [1626] vérité, la vie; celui qui marche avec moi ne marche pas dans les ténèbres, mais il arrive à la lumière. " Et dans un autre endroit il dit: " Personne ne peut aller à mon Père, si ce n’est par moi. " Puisque nous voyons tant d’amour en notre âme, il faut nécessairement retirer notre affection et nos désirs du siècle, qui est plein de ténèbres et d’amertume; il est sans sûreté, sans stabilité, sans ressemblance avec Jésus crucifié: le Christ est la vie, et lui la mort.

3. Levez-vous donc généreusement, très chère Mère et très chère Fille; abandonnez la pompe et la vanité du siècle; regrettez maintenant le temps perdu, et tâchez de le réparer avec le temps que vous avez; pensez qu’il vous faudra en rendre compte au moment suprême de la mort. Oh ! quelle confusion pour celui qui aura employé son temps d’une manière négligente et coupable ! Je ne veux pas que nous nous exposions à cette confusion, mais que nous vivions si bien, qu’après cette vie nous nous trouvions avec le feu des vertus, avec la douce charité, leur mère, dans cette vraie cité de Jérusalem, où nous nous reposerons dans cette vision de la paix où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, et la faim sans peine. Oh ! Combien est bon et doux notre Dieu, qui, pour avoir abandonné les choses finies, nous donne des choses infinies ! Oui, plus de négligence et d’ingratitude; mais suivons les traces de Jésus crucifié. Aimez-vous, aimez-vous mutuellement, ma bien-aimée Mère et ma Sœur. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Loué soit notre Seigneur Jésus-Christ. Doux Jésus, Jésus amour [1627].

Table des matières (2)


 

CCCXLI.- A MADAME LAUDOMIA, femme de Charles Strozzi, de Florence.- On ne peut servir en même temps Dieu et le monde. — De la manière d’aimer les créatures, et du prix de la grâce divine.

(Cette dame était femme de Charles Strozzi, un des citoyens les plus illustres de Florence; c’est lui qui conclut, en 1369 la paix avec la république de Pise, et qui fut envoyé en 1374, à Sienne, pour terminer les différends de la ville avec la famille des Salimbeni.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie servante de Jésus crucifié. Le servir n’est pas servir, c’est régner; car il affranchit l’âme en la retirant de la servitude du péché; il nous ôte notre aveuglement, et nous donne la parfaite lumière; il nous ôte la mort, et nous donne la vie, la paix, le repos, en éloignant toute guerre. Il nous revêt du vêtement de la charité, et nous rassasie en nous donnant pour nourriture l’Agneau qui a été préparé sur le bois de la très sainte Croix, au feu de l’amour de l’honneur de son Père et de notre salut; il rassasie l’homme et lui ôte toute crainte servile. C’est donc un doux et ineffable honneur que de servir Dieu [1628].

2. Oui, nous devons le servir avec un grand zèle, de tout notre cœur, de toute notre âme. Remarquez que Notre-Seigneur ne veut pas de partage; il ne veut pas être servi à moitié, mais complètement. Car il est impossible de servir à la fois Dieu et le monde. Le Christ béni a dit : " Nul ne peut servir deux maîtres, car, en servant l’un, il méprisera l’autre, parce qu’ils n’ont aucun rapport ensemble. " Le monde donne tout le contraire de ce que nous avons dit; car à celui qui le sert dans la sensualité, les délices, les honneurs, les richesses, les plaisirs des sens, dans ses enfants, son mari, ou n’importe quelle créature qu’il aime en dehors de Dieu d’un amour sensuel. il donne la mort, l’aveuglement, la nudité; il le prive du vêtement de la charité, et lui donne la honte en lui faisant perdre sa dignité. Il a vendu son libre arbitre au monde et au démon, et il est enchaîné dans l’esclavage du péché, parce qu’il a mis son affection et son amour dans ce qui est moins que lui, et il a offensé Dieu, car toutes les choses créées ont été faites pour nous servir, et nous pour servir Dieu. En les servant hors de Dieu, je l’offense; je deviens le serviteur, l’esclave du péché, qui est un néant, et je deviens néant parce que je suis privé de Dieu, qui est Celui qui est.

3. Il faut donc renoncer entièrement au monde, et servir Dieu. Mais pourquoi le monde est-il si opposé à Dieu? Parce que le Christ béni nous invite et nous enseigne à le servir dans la pauvreté volontaire. Si l’homme possède les richesses actuellement, il ne doit pas les posséder mentalement, c’est-à-dire par le désir, mais il doit se dépouiller de tout attachement [1629] aux choses de la terre. Le monde aime l’orgueil, et Dieu l’humilité; et cette vertu lui plaît tant, que nous voyons Dieu s’humilier jusqu’à nous, et son Fils courir pour nous dans l’humilité et la patience jusqu’à la mort honteuse de la Croix. Il nous invite et nous engage à être patients avec l’espérance et la foi vive; patients à souffrir tout ce que Dieu envoie, et à pardonner, pour son amour, à tous ceux qui nous offensent. Le monde veut tout le contraire: il veut se venger et rester dans la haine et la colère envers le prochain. L’espérance et la foi doivent être mises en Dieu, qui seul est immuable, et non pas dans les créatures; il faut se confier et être fidèle à Jésus crucifié, et ne pas espérer dans la sensualité. La foi vive, alors, enfantera des vertus et de saintes et bonnes œuvres.

4. Dieu aussi aime la justice, et le monde l’injustice. Faisons donc, faisons une sainte justice de nous-mêmes. Quand nos sens veulent se révolter contre leur Créateur, levons-nous avec l’amour du cœur et la lumière de la conscience, et dénonçons-les au maître, c’est-à-dire au libre arbitre, qui enchaînera l’ennemi avec les liens de la haine, et le tuera avec le glaive de l’amour divin. Faisons cela, très chère Sœur, parce qu’en le faisant nous serons des serviteurs fidèles, et en étant serviteurs, nous deviendrons maîtres. Vous avez vu quel honneur et quel profit procure à l’âme ce service; et sans lui nous ne pouvons atteindre le but pour lequel nous avons été créés. Nous avons vu aussi dans quel danger, quel abaissement, quelle misère tombe l’âme qui sert le monde, ses joies et ses plaisirs. Nous avons vu aussi pourquoi [1630] Dieu et le monde n’ont pas de rapport ensemble, pourquoi ils sont si éloignés l’un de l’autre. Le Christ aime la vertu et déteste le péché, et il aime et déteste tant, que, pour nous revêtir, il s’est dépouillé de la vie et a expié nos iniquités sur son corps, au milieu des fouets, des peines, des outrages, des injures, et enfin dans la mort honteuse de la Croix. Puisque le péché lui déplaît tant, nous devons le fuir et le haïr jusqu’à la mort; car l’âme n’offense Dieu qu’en aimant ce qu’il déteste, et en détestant ce qu’il aime.

5. Excitons-nous donc à un saint désir, et servons Dieu avec un ardent amour, dépouillant notre cœur de toute vanité et de toute affection déréglée pour un mari, des enfants, des richesses; possédez-les et aimez-les comme des choses qui nous sont prêtées; car toute chose nous est donnée comme prêt et comme usage, et elle ne dure qu’autant qu’il plaît à Dieu, qui nous l’a donnée. Il ne convient pas de posséder comme nous appartenant ce qui ne nous appartient pas. Mais la grâce divine est à nous, et nous devons la conserver comme à nous; elle est si bien à nous, que ni le démon ni les créatures ne peuvent nous l’enlever, si nous ne le voulons pas; et il est bien ignorant, celui qui se prive lui-même d’un si grand trésor: nous devons bien l’estimer, puisqu’il est si précieux. Et pour que vous puissiez mieux l’avoir, le posséder, cachez-vous dans les plaies de Jésus crucifié, et baignez-vous dans son précieux sang. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1631].

Table des matières (2)


 

CCCXLII.- A MADAME JEANNE PAZZI.- De l’amour que Jésus-Christ nous a montré dans Sa passion.- Du moyen d’acquérir la patience.

(Jeanne Pazzi fut une des compagnes de sainte Catherine; elle appartenait à une des plus illustres familles de Florence.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine. la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir bien souffrir ce que notre doux Sauveur permet. C’est à cela que la Vérité éternelle reconnaîtra que vous l’aimez; car nous ne pouvons lui donner une autre preuve de notre amour, si ce n’est d’aimer avec charité toute créature raisonnable, et de souffrir avec une vraie et inaltérable patience jusqu’à la mort. ne choisissant jamais le lieu et la manière. mais nous en rapportant à Dieu, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Ne serait-ce pas folie à nous, pauvres malades; de demander à notre médecin, le Christ, une médecine selon notre bon plaisir, et non selon sa volonté, puisqu’il voit et connaît ce dont nous avons besoin. Je veux que vous sachiez bien, ma Fille, que tout ce que Dieu donne ,et permet en cette vie, il le fait ou pour notre salut, ou pour notre perfection [1632]. Nous devons alors souffrir humblement et avec patience, et recevoir tout avec respect, en fixant le regard de notre intelligence sur la charité, l’ardent amour avec lequel il donne; et en voyant qu’il donne par amour, non par haine, nous recevrons avec amour. Cette vertu de la patience est si nécessaire, qu’il faut sans cesse la poursuivre pour ne pas perdre le fruit de nos peines; nous devons secouer toute négligence, et aller avec zèle là où elle se trouve.

2. Où se trouve-t-elle? en Jésus crucifié. Sa patience fut si grande, qu’on ne l’entendit jamais se plaindre. Les Juifs criaient: " Crucifiez-le ! " Et lui disait: " Père, pardonnez à ceux qui me crucifient, car ils ne savent ce qu’ils font. " O patience qui nous donnes la vie ! En supportant nos iniquités avec patience, vous les avez crucifiées avec votre corps ! Il a lavé avec son sang la face de notre âme; et dans ce sang répandu avec un si ardent amour et une si parfaite patience, il nous a fait renaître à la grâce. Ce sang a recouvert notre nudité et nous a revêtus de la grâce; la chaleur a détruit la glace et réchauffé la tiédeur de l’homme; il a dissipé les ténèbres et donné la lumière. Dans ce sang, se consume l’amour-propre, c’est-à-dire que l’âme qui se voit ainsi aimée dans ce sang, se décide à quitter le misérable amour d’elle-même et à aimer son Rédempteur, qui a donné sa vie avec tant d’amour, et qui a couru avec transport à la mort honteuse de la Croix. Il a fait de son sang un breuvage, et de sa chair une nourriture pour tous ceux qui le veulent. Il n’y a pas d’autre moyen de rassasier l’homme: il n’apaise la faim et la soif que dans ce sang [1633].

3. L’homme posséderait le monde entier, qu’il ne pourrait être rassasié, parce que les choses du monde sont moindres que lui. Tout ce qui est moindre ne saurait lui suffire; mais il peut se rassasier dans le Sang, parce que le sang est uni et mêlé à la Divinité, à la nature infinie, Il est plus grand que l’homme, et l’homme peut satisfaire son désir dans le feu de la divine Charité, parce qu’il a été répandu par amour; il nous a été donné en abondance. Huit jours après sa naissance, son corps en répandit un peu dans la Circoncision : ce n’était pas assez pour désaltérer la créature; mais sur la Croix, la lance perça son coté, et Longin lui ouvrit le cœur (Voir Legenda Aurea – Acta Sanctorum, 15 mars). Des flots de vie s’échappèrent, lorsque l’âme fut séparée du corps, et le Sang fut donné à pleines mains, et annoncé avec éclat par la miséricorde. L’Esprit-Saint criait: " Que celui qui veut du Sang accoure. " Et où? à la source même, à Jésus crucifié, en suivant sa doctrine et sa voie. Quelle est sa doctrine? aimer l’honneur de Dieu et le salut des âmes, et acquérir la vérité, en souffrant et en faisant violence à la sensualité.

4. Quelle voie doit tenir celui qui veut arriver à la doctrine pour avoir le Sang? quel vase et quelle lumière faut-il avoir? la lumière de la très sainte Foi. La Foi est la prunelle de l’oeil de l’intelligence; et si l’âme n’avait pas cette glorieuse lumière, elle perdrait la voie, comme le font les hommes du monde, qui ont obscurci l’oeil de leur intelligence avec le nuage de l’amour-propre et de la tendresse pour eux-mêmes, et qui vont par les ténèbres comme des aveugles: [1634] non seulement ils ne profitent pas du Sang, mais ils le méprisent et le foulent aux pieds. Il faut donc avoir la lumière, comme nous l’avons dit, et suivre la voie de la vraie connaissance de nous-mêmes et de la bonté de Dieu à notre égard; avec la haine du vice et l’amour de la vertu. C’est là une voie et une demeure où l’âme connaît et apprend la doctrine de Jésus crucifié. Dans cette demeure de la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, nous trouvons le Sang, où est purifiée notre âme. Quel vase faut-il porter? le vase de notre cœur, afin que, mettant comme une éponge, son amour dans le Sang, il attire à lui le Sang et l’ardeur de la charité avec laquelle il a été répandu.

5. Alors l’âme s’enivre, parce qu’elle a eu la lumière; elle est allée par la voie en suivant la doctrine de Jésus crucifié elle est arrivée au lieu, elle a rempli le vase, et elle goûte la nourriture de la patience, le parfum de la vertu et le désir de la souffrance, tellement qu’il lui semble ne pas pouvoir se rassasier de porter la Croix pour Jésus crucifié. Elle fait comme l’homme ivre, plus il boit, plus il voudrait boire: de même plus l’âme souffre, plus elle voudrait souffrir; sa seule consolation sont les peines; les larmes que lui cause le souvenir du Sang deviennent son breuvage, et les gémissements sa nourriture. C’est donc la voie et la manière de pouvoir arriver à la grâce et acquérir la royale patience. C’est ce qui me faisait, dire que je désirais vous voir souffrir tout ce que la Bonté divine vous envoie avec une vraie et sainte patience. Ainsi, très chère Fille, ne dormons plus du sommeil de la négligence, mais entrons dans la plaie ouverte du côté de Jésus crucifié, où nous [1635] trouverons ce sang, avec une vive et profonde douleur de l’outrage fait à Dieu. Il n’y a vraiment pas d’autre lieu pour reposer sa tête, si ce n’est le Sang et la tête couronnée d’épines de Jésus crucifié. Lancez donc là les flèches d’un ardent désir, d’une humble et continuelle prière pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXLIII.- A MADAME CONSTANCE, femme de Nicolas Soderini, de Florence.- Du mépris du monde, et du désir de la mort qu’ont les saints, et de la manière de s’y préparer, en mourant de la volonté propre.

(Voir les lettres LII, LIII, LIV, et la vie de sainte Catherine, IIIe p., ch. 6.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1.Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de voir votre cœur dépouillé de l’amour misérable du monde, si bien que toute chose l’ennuie et lui déplaise tant, que vous disiez avec le doux apôtre saint Paul: " Je désire être délivré de mon corps pour être avec le Christ (Phil 1,23). " Saint Paul savait [1636] que la vie du corps était un grand obstacle entre Dieu et lui, de deux manières La première, parce que le corps se révolte toujours contre l’esprit, et en se révoltant contre l’esprit, il se révolte contre son Créateur. La seconde, parce que la vie du corps l’empêche de voir et de jouir de la vision de Dieu jusqu’au moment où l’âme est affranchie de cette chaîne. Aussi saint Paul et les autres serviteurs de Dieu désirent la mort et supportent seulement la vie avec patience. Mais songez qu’il faut mourir deux fois avant d’arriver à la vie. Il faut d’abord que l’homme meure à toute volonté propre, coupable et sensuelle, car cette volonté sensuelle conduit celui qui ne la tue pas, à la mort éternelle. Il faut donc que l’homme se lève et la frappe avec le glaive de la haine et de l’amour, c’est-à-dire avec la haine du péché et l’amour de la vertu, Et de cette manière, l’âme attendra la seconde mort, c’est-à-dire la mort corporelle, comme un sommeil qui est la fin de toute peine, qui dissipe les ténèbres, et fait arriver l’âme à la lumière de la vision de son Dieu.

2. Mais pensez, ma Fille, que si l’homme n’a pas vécu en tuant sa volonté, comme nous l’avons dit, sa mort corporelle ne sera pas si glorieuse, elle sera même bien pénible. Je veux donc que vous suiviez les vraies et solides vertus, fuyant le monde et ses délices, et vous rapprochant toujours de Dieu. Vous recevrez la joie parfaite et une paix inaltérable, vous perdrez toute crainte servile; vous concevrez une foi vive avec laquelle vous regarderez la divine miséricorde; et dans cette foi, vous trouverez que Dieu ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification [1637]. C’est pour que nous soyons sanctifiés en lui qu’il nous a donné le Verbe, son Fils unique, et qu’il a voulu qu’il mourût de la mort honteuse de la Croix. Il y a là tant de miséricorde, que la langue et le cœur de l’homme sont incapables de le dire et de l’imaginer; et dans cette miséricorde disparaissent toute crainte et toute peine. Quelquefois l’âme qui s’aime encore elle-même souffre beaucoup de la crainte de la mort, et c’est une illusion du démon. Le démon lui dit: Tu vois bien que tu mourras sans avoir fait aucun bien: et sais-tu où tu iras? tes œuvres ne méritent autre chose que l’enfer. D’un autre côté, il lui inspire de la tendresse pour elle-même en lui disant: Ne sais-tu pas que ton corps, qui jouit des biens et des délices du monde, sera bientôt mort, et plus laid que celui d’un autre animal ? La malice du démon met ainsi ces pensées dans le cœur pour jeter l’âme dans le trouble et le désespoir, en lui faisant voir ses défauts et ses péchés, et en lui cachant la miséricorde divine.

3. Il faut donc que l’âme combattre cette malice du démon, et réponde intérieurement, en regardant son Créateur, à ces pensées qui le troublent : Je confesse que je suis mortelle, et c’est là une grande grâce; car par la mort j’arriverai à ma fin, à Dieu, qui est ma vie. Je confesse aussi que ma vie avec les œuvres que j’ai faites ne méritent autre chose que l’enfer; mais j’ai foi et espérance dans mon Créateur, dans le sang de l’Agneau immolé pour moi. Il me pardonnera mes péchés, et me donnera sa grâce. Je m’appliquerai à me corriger pendant le temps qui me reste; et si la mort vient avant que je puisse y parvenir, avant que je puisse faire pénitence de mes péchés, je me confie [1638] en Jésus-Christ, mon Seigneur, parce que je vois qu’il n’y a aucune comparaison entre la miséricorde divine et mes péchés. Si tous les péchés qu’on peut commettre étaient réunis en une créature, ce serait comme une goutte de vinaigre au milieu de la mer, si on les comparaît à la miséricorde divine, pourvu que l’âme veuille la recevoir avec une vraie et sainte disposition, avec le regret de la faute commise. Ce regret lui fait perdre toute faiblesse pour son corps et pour les choses créées. De cette manière, l’âme se ranime; elle augmente l’amour qu’elle a pour sa fin, et perd la crainte servile qui la trouble; elle jouit avec délices de son bien-aimé Jésus crucifié, et elle attend avec joie et calme l’heure de la mort. Non seulement elle l’attend, mais elle désire quitter le monde, et être avec le Christ.

4. Ainsi donc, ma douce Fille, plus de crainte; mais passez dans la joie cet instant de la vie, avec le désir de la vertu, avec la vraie patience, supportant toutes les peines temporelles et spirituelles que Dieu vous accordera par la maladie ou par quelque autre moyen. C’est qu’il veut pouvoir vous récompenser quand vous sortirez des tempêtes de cette vie ténébreuse pour aller dans le lieu de repos, dans la vraie cité de Jérusalem, la vision de la paix, où tout bien est récompensé, c’est-à-dire toute patience et toute bonne œuvre que nous accomplissons en cette vie. Oh ! combien serait fou et insensé le marchand auquel on confierait un trésor pour le faire profiter, et qui, par crainte de la peine, l’enfouirait dans la terre ! Ne serait-il pas digne d’être condamné et de perdre la vie? Nous sommes aussi des marchands auxquels est [1639] confié le trésor du temps, avec le libre arbitre, la volonté que Dieu nous a donnée pour le faire profiter pendant toute notre vie; nous pouvons perdre ou gagner selon notre volonté. Nous serions bien insensés si, par crainte de la peine, nous enfouissions le temps qui nous est donné pour gagner la vie éternelle par la pratique de la vertu, et si nous achetions l’enfer par notre vie coupable. Car notre vie est coupable lorsque nous enfouissons notre temps et notre volonté dans la terre, c’est-à-dire lorsque nous désirons, et que nous aimons les choses de la terre avec un amour déréglé, en dehors de Dieu. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais voir votre cœur dépouillé de tout amour et de tout attachement pour le monde et de toute crainte servile; je veux que vous soyez toute revêtue de Jésus crucifié, que vous mettiez là votre foi, votre espérance, afin que le démon, avec toutes ses ruses, ne puisse pas vous tromper par une peur déréglée de la mort, mais que vous désiriez au contraire retourner à votre fin. Je ne vous dis pas autre chose. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Bénissez la jeune fille dans le Christ, le doux Jésus. Saluez de ma part Mme Néra et Nicolas. Dites leur de bien estimer le temps, et de l’employer avec un vrai et saint désir pendant qu’ils l’ont. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1640].

Table des matières (2)


 

CCCXLIV.- A MADAME RABES, femme de François Tholomei.- Les vertus, et surtout la charité, s’acquièrent par l’union avec Jésus crucifié. — Des différents degrés de cette union.

(Le bienheureux Raymond fait l’éloge de cette dame, en racontant la conversion de ses deux filles et de son fils Jacques. (Vie de sainte Catherine, IIe p., ch. 7)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ. je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir morte à la sensualité: autrement vous ne pourrez participer à la vie de la grâce. Oui, je voudrais vous voir vous appliquer avec un ardent désir à quitter les choses fragiles du monde, car il n’est pas convenable que nous, qui sommes faits pour goûter le bonheur du ciel en nous nourrissant de la nourriture des vertus, nous goûtions la terre, et nous nous nourrissions de l’amour sensitif, d’où procèdent tous les vices. Il faut nous lever et monter les hauteurs de la vertu en fixant le regard de notre intelligence sur le bois de la Croix, où nous trouverons l’Agneau et l’arbre de vie, qui de son corps, nous a fait des degrés.

2. Le premier degré où il nous enseigne à monter sont les pieds, c’est-à-dire l’affection. Comme les pieds[1641] portent le corps, l’affection porte l’âme. En montant ce degré, c’est-à-dire ses pieds percés et cloués sur la Croix, vous trouverez l’affection dépouillée de tout amour déréglé. En arrivant au second, c’est-à-dire au côté ouvert de Jésus crucifié, vous verrez le secret de son cœur, avec quel amour ineffable il nous a fait un bain de son sang. Au premier degré, on se dépouille de toute affection; et au second, on goûte l’amour qu’on trouve dans le cœur ouvert de Jésus-Christ. Par le troisième degré, on arrive à la bouche du Fils de Dieu; on s’y nourrit dans la paix, parce que l’âme qui a revêtu l’amour de Jésus crucifié, et qui s’est dépouillée de l’amour sensitif qui lui faisait la guerre, a trouvé la patience. et toute amertume lui parait douce (Dialogue, ch LXXV, LXXVI). Elle se réjouit même des persécutions et des tribulations du monde, de quelque côté que Dieu les lui envoie, parce qu’elle a trouvé la paix de la bouche. Celui qui donne la paix s’unit à celui à qui il la donne: ainsi l’âme revêtue de vertus par l’amour goûte Dieu par la bouche du saint désir dans le désir de Dieu; et dans ce désir de Dieu, elle s’unit à lui avec paix et quiétude. Vous voyez que Jésus crucifié nous a fait une échelle de son corps, afin que nous atteignions les hauteurs du ciel, de la vie éternelle, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût et la faim sans peine, car, comme dit saint Augustin, le dégoût de la satiété et le tourment de la faim y sont inconnus; les bienheureux sont rassasiés de ce dont ils ont faim et désir dans l’éternelle vision de Dieu. Elle est bien ignorante et [1642] bien malheureuse l’âme qui, par sa faute, perd un si grand bien, et se rend digne d’un si grand mal. Courage donc, très chère Fille, et ne comptez pas sur le temps que vous n’avez pas ; mais quittez par la force de l’amour, la perversité de votre amour sensitif, qui vous ôte la lumière de la raison, et vous fait aimer le monde et vos enfants outre mesure: autrement vous ne pourrez pas atteindre la fin pour laquelle vous avez été créée.

3. Je vous ai dit que je désirais vous voir vivre morte à la volonté propre et à l’amour de vous-même, parce qu’il me semble que vous êtes encore bien vivante, et j’ai vu par la lettre que vous m’avez écrite que l’amour aveugle vous faisait sortir de l’ordre que Dieu veut. Vous me dites que Françoise est très mal (Françoise était une des filles de Mme Rabès; elle était entrée dans le Tiers Ordre. Matthieu, son fils, avait revêtu l’habit de Saint-Dominique, et la règle défendait qu’il sortit sans être accompagné d’un autre religieux.), et que vous voulez que Frère Matthieu vienne sur-le-champ, malgré tout obstacle, et que, s’il ne vient pas, vous lui donnerez votre malédiction; s’il ne peut faire autrement, il doit prendre un paysan pour l’accompagner. Je vous dis que vous ne pouvez excuser votre folle impatience. Jugeons, non pas seulement d’après la religion, mais d’après le simple bon sens que la nature donne; si vous l’aviez eu, vous n’auriez pas agi de la sorte. S’il fallait, pour contenter votre désir ou celui de votre fille, que frère Matthieu vint, vous deviez demander deux Frères: l’un serait venu avec lui, l’autre serait resté, car vous savez bien que ni l’un ni l’autre ne peut venir ou rester seul; [1643] mais la passion vous égarait, et vous aviez les oreilles pleines de murmures. Tout cela vient de ce que vous n’avez pas levé les yeux de la terre, ni monté le premier degré dont nous avons parlé. Si vous l’aviez monté, vous désireriez uniquement voir votre fils chercher l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Avec ce désir, vous et les autres, vous auriez bouché vos oreilles, et retenu votre langue pour ne pas entendre les paroles qui ont été dites, et pour ne pas les dire. Qu’il n’en soit plus ainsi. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié, et quittez la société des morts pour celle des vivants, des vraies et solides vertus. Je ne vous en dis pas davantage. Encouragez Françoise, et demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu, Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXLV.- A MADAME LOUISE DE GRANELLO.- De l’amour de Dieu, et de l’amour de nous-mêmes. — De l’utilité des épreuves.

(Cette dame était de la famille des Tholomei, de Sienne)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et [1644] parfaite charité; car sans la charité, aucun acte de vertu n’aurait en lui la vie. Toute vertu vit par la charité; c’est cette mère qui enfante les vertus, non pas mortes, mais pleines de la vie de la grâce. Cette douce charité possède la lumière de la très sainte Foi; et à cause de l’amour qu’elle a pour son Créateur, elle croit fermement que Dieu ne veut autre chose que son bien, et que tout ce qu’il donne et permet est pour sa sanctification. Cette connaissance et cette lumière qu’elle reçoit de l’ardeur de la charité la rend patiente; elle ne se scandalise et ne se trouble de rien de ce qui lui arrive, elle le reçoit au contraire avec respect. O très chère Fille et Sœur dans le Christ, le doux Jésus ! il me semble que la Bonté divine permet bien des fatigues, des ennuis, des tentations du démon pour votre bien, non pas pour que vous soyez vaincue, mais pour que vous soyez victorieuse. Ces peines et ces combats vous rendent bien nécessaire cet amour éclairé par la lumière de la très sainte Foi. Si vous l’avez, l’amertume vous deviendra d’une douceur extrême, et les fardeaux pesants vous paraîtront légers, parce que vous connaîtrez à la lumière que Dieu vous donne tout pour votre bien, et vous ne pourrez pas vous plaindre de votre bien. Mais vous me direz: Puisqu’il est si doux et si nécessaire d’avoir cette charité, comment l’avoir, et où la trouver? Je vous répondrai en deux mots, que l’amour ne peut venir que de l’amour, et que, sans la lumière, on ne peut le trouver. Car en marchant sans la lumière, nous marcherons où il n’est pas, et nous marcherons ainsi dans les ténèbres.

2. Il faut donc éloigner de nous ce qui nous prive [1645] de la lumière, c’est-à-dire l’amour-propre, qui est un nuage qui nous empêche de voir et de connaître la vérité de ce que nous devons aimer. Ce nuage fait aimer dans les ténèbres, aimer hors de Dieu, non d’un amour raisonnable, mais d’un amour sensuel. Il faut donc dissiper ce nuage en nous détachant par la haine et le mépris, de cette loi mauvaise, qui combat toujours contre l’esprit avec l’amour coupable et déréglé; et lorsque l’oeil de l’intelligence est éclairé par la lumière de la Foi, il se fixe sur l’amour ineffable que Dieu nous a montré par le moyen du Verbe incarné, son Fils unique. Ce doux et tendre Verbe, l’Agneau sans tache, nous l’a montré avec son sang, et l’âme s’enivre de ce sang qu’elle voit répandu avec tant d’amour. Par ce sang, elle connaît la Vie éternelle, Dieu, qui pour accomplir sa vérité dans nos âmes, et nous donner la fin pour laquelle nous avons été créés, permet que nos ennemis, le monde, le démon et notre chair nous tourmentent, uniquement pour que notre cœur ne mette pas sa fin dans le monde et la sensualité, mais pour qu’il s’éloigne des épines cruelles du monde, qui nous déchirent, et de ses plaisirs éphémères, qui passent comme le vent. Oh ! combien est insensé celui qui met là son désir et son affection ! Il ne faut jamais le faire; la créature raisonnable doit prendre les choses du monde pour ce qu’elles valent, et pas davantage. Elle doit les aimer et les conserver pour Dieu, et non pas sans Dieu, elle doit s’en servir comme de choses prêtées, qui ne lui appartiennent pas, en s’attachant aux vertus qu’on trouve dans la charité, cette charité que fait naître dans l’âme la lumière; [1646] car par cette lumière, l’âme connaît qu’elle est aimée de Dieu. Vous voyez donc que de l’amour par la lumière, vient l’amour.

3. Mais où le trouverons-nous? dans la sainte connaissance de nous-mêmes, en nous voyant aimés avant que nous fussions, parce que l’amour que Dieu a eu pour nous l’a forcé à nous créer à son image et ressemblance. Nous trouvons en nous le sang qui a manifesté l’amour que Dieu nous porte; et dans ce sang, nous recevons notre rédemption, car après avoir perdu l’être de la grâce, nous avons été régénérés à la grâce. Nous sommes le vase qui a reçu ce sang, puisqu’il a été uniquement répandu pour nous. Ne quittons donc jamais la demeure de la connaissance de nous-mêmes; et dans cette lumière, par l’ardeur de la charité qui nous vient de la lumière, nous souffrirons avec une vraie et solide patience, ne méprisant, ne fuyant jamais les peines, de quelque manière qu’elles viennent; mais les acceptant avec amour, parce que nous voyons que c’est par amour que Dieu les donne et non par haine, non pour nuire à notre salut, mais pour nous le rendre facile. Je veux donc, très chère et très douce Fille, que vous vous appliquiez avec un grand zèle à acquérir cet amour à la lumière de la Foi. Demeurez dans les sentiments de la charité : autrement vos vertus ne seraient pas vivantes, mais mortes, et nous goûterions, en cette vie, les arrhes de l’enfer.

4. Comme je sais qu’il n’y a pas d’autres moyens, je vous ai dit que je désirais vous voir affermie dans la vraie et parfaite charité. Elle vous fera supporter toutes vos peines; et Dieu, qui ne méprise pas les [1647] saints désirs et les peines que vous souffrirez pour la gloire et la louange de son nom, éloignera la peine, et nous conduira au but, au terme désiré, si nous triomphons nous-mêmes de la volonté propre en l’unissant à la douce volonté de Dieu. Je ne veux pas que vous tombiez dans le trouble et le désespoir à cause des illusions et des tentations que le démon veut vous donner, en mettant dans votre esprit de laides images et des pensées déshonnêtes; mais embrassez la très sainte Croix avec une foi vive et une ferme espérance, où vous verrez que Dieu les permet par amour, et qu’il ne vous donne pas plus que vous ne pouvez porter. Je veux que vous sachiez bien qu’aucune tentation, aucune pensée, quelque laide qu’elle soit, n’est un péché, pourvu que nous n’y consentions pas volontairement en nous y complaisant. Conservons donc notre volonté en méprisant ces pensées, et fortifions-la dans l’éternelle et douce volonté de Dieu, avec le souvenir du sang de Jésus crucifié.

5. Bannissez toute peine de votre esprit, et laissez-moi porter devant Dieu le poids de vos ennuis, pourvu que de votre côté, vous ne résistiez pas à Dieu, qui vous appelle par ces épreuves. Pratiquez la vertu, et recourez souvent à la sainte Confession ; aimez à entendre la parole de Dieu et la sainte messe, quand vous le pouvez, au moins les jours prescrits par l’Eglise, Souffrez généreusement, espérant que si Dieu est pour vous, le démon et les créatures ne pourront rien contre vous. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Je rends [1648] grâce à la Bonté divine, et je vous remercie de l’aumône que vous avez faite, et qu’il semble que vous voulez faire aux serviteurs de Dieu, les religieux, qui, en priant, nous obtiennent des biens infinis pour quelques biens finis. Faites toujours votre devoir, autant que vous le pourrez. Vous devez être la providence des pauvres, de ceux qui n’ont rien, car les pauvres sont les mains qui, avec la charité de l’aumône, ouvrent les portes du ciel. Soyez donc pleine de zèle pour votre salut. Doux Jésus, Jésus amour.

Fait à Sienne, le 27 du mois d’août 1378.

Table des matières (2)


 

CCCXLVI.- A MADAME STRICCA, femme de Cionne Salimbeni.- De la vertu de patience.- La tribulation et la prospérité nous viennent de Dieu pour notre bien.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la servante fidèle de notre Créateur, affermie dans la vraie et sainte patience. Pensez qu’autrement vous ne pourrez pas plaire à Dieu. Nous sommes des pèlerins et des voyageurs en cette vie, et nous courons sans cesse vers la mort. Il faut avoir la lumière de la très sainte Foi, parce que sans elle, les ténèbres nous empêcheraient d’atteindre [1649] notre fin; mais il faut une foi vivante, c’est-à-dire de saintes et bonnes œuvres, parce que les saints disent que la Foi sans les œuvres est morte. Croyons donc que Dieu est Dieu, qu’il nous a créés à son image et ressemblance, qu’il nous a donné le Verbe, son Fils unique, né du sein de la douce Vierge Marie, et mort sur le bois de la très sainte Croix pour nous délivrer de la mort, et nous donner la vie de la grâce que nous avions perdue par la désobéissance d’Adam. Nous avons tous, par l’obéissance du Verbe, contracté la grâce, comme nous avons tous contracté la mort par le premier péché. Aussitôt que l’âme a si doucement acquis la lumière de la Foi, elle voit que Dieu nous aime d’un amour ineffable, et que, pour nous donner l’espérance de notre résurrection au dernier jour du jugement, il nous a manifesté sa résurrection.

2. L’âme se passionne pour cette lumière et ce doux amour que Dieu lui porte, et elle commence à voir de la même manière, que Dieu ne veut autre chose que notre sanctification, et que tout ce qu’il donne ou permet dans cette vie, il le fait pour cette fin. Les tribulations et les consolations, les injures, les mépris, les affronts, les persécutions du monde, les tentations du démon, la faim, la soif, les infirmités, la pauvreté, la prospérité, les délices, il permet tout pour notre bien. Il permet la richesse pour que nous soyons les bienfaiteurs des pauvres; il permet les délices et les honneurs, non pas pour que nous levions la tête avec orgueil, mais pour que nous nous humiliions au contraire davantage, en reconnaissant saintement la divine Bonté. La pauvreté et les tribulations [1650], de quelque côté qu’elles viennent, il nous les donne pour que nous parvenions à la vraie et parfaite patience, pour que nous connaissions le peu de fermeté et de sûreté du monde, et que nous en éloignions notre affection et nos désirs pour les mettre uniquement en Dieu, et pratiquer les vraies et solides vertus. Nous recevrons ainsi le fruit de toutes nos peines; car toutes les peines que nous supporterons pour son amour seront récompensées et nous mériteront le ciel, où la vie est sans mort, la lumière sans ténèbres, le rassasiement sans dégoût, et la faim sans peine. Saint Augustin dit qu’on n’y connaît pas le dégoût de la satiété et la peine de la faim, et que dans l’autre vie, tout bien est récompensé comme toute faute punie (S. Aug., Médit., ch. XXII).

 

3. Celui qui a cette foi vive enfante les vraies et saintes vertus; il est vraiment patient à supporter toute peine et toute fatigue pour Dieu et pour la rémission de ses péchés; il les reçoit même avec respect, parce qu’il considère celui qui les donne, pourquoi il donne et à qui il donne. Quel est celui qui donne? C’est Dieu, l’éternelle et souveraine Bonté, qui donne non par haine, mais par un véritable amour. Il dit à ses disciples : " Je vous envoie pour être persécutés et martyrisés dans le monde, non par haine, mais par amour. Cet amour, que mon Père a eu pour moi, je l’ai pour vous. Il m’aimait d’un tendre amour, et il ne m’a pas moins envoyé souffrir la peine honteuse de la très sainte Croix. " Et pourquoi donne-t-il? Je l’ai dit, par amour pour notre sanctification [1651], afin que nous soyons sanctifiés en lui. Et qui sommes-nous, nous qui avons reçu les peines? Nous sommes ceux qui ne sommes pas; par notre faute, nous avons mérité mille enfers, si nous pouvions les souffrir; et, puisque nous avons offensé un bien infini, nous avons encouru une peine infinie. Mais Dieu, dans sa miséricorde, nous punit dans le temps fini et nous donne une peine finie; car la tribulation ne dure pas plus que cette vie, et toute peine est petite, puisque le temps est si court.

4. Le temps, pour nous, disent les saints, n’est qu’une pointe d’aiguille. La vie de l’homme n’est rien, tant elle est peu de chose. Toute peine est petite; celle qui est passée, nous ne l’avons plus, et celle qui doit venir, nous ne sommes pas sûrs de l’avoir, puisque nous ne sommes pas sûrs d’avoir le temps de la souffrir. Le présent n’est donc qu’un point, et pas davantage. Ainsi, ma très douce Fille, secouons notre sommeil et ne dormons plus; mais suivons avec une foi vive, les traces de Jésus crucifié, avec une vraie et sainte patience. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Je ne voua dis rien de plus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour[1652].

Table des matières (2)


 

CCCXLVII.- A MADAME FRANCESCHINA, à Lucques.- Elle l’exhorte à être la servante et la fille de Jésus-Christ, à aimer sa croix, et à croître toujours dans la charité.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et bien-aimée Soeur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie servante et fille du doux et bon Jésus, toute baignée et toute revêtue du sang du Fils de Dieu, afin que vous soyez dépouillée de tout vêtement d’amour-propre, de toute négligence et de toute Ignorance. Je veux que vous imitiez la douce et tendre Madeleine, qui ne pouvait se détacher de l’arbre de la très sainte Croix, mais qui s’enivrait toujours, se couvrait du sang du Fils de Dieu, et s’en remplissait tellement la mémoire, le cœur et l’intelligence, que jamais il ne lui fut possible d’aimer autre chose que Jésus-Christ. Je veux que vous agissiez ainsi jusqu’au dernier moment de votre vie, croissant de vertu en vertu, et employant toujours vos journées comme le bon pèlerin, qu’aucune fatigue ne fait regarder en arrière. Ne vous arrêtez pas dans la négligence, mais prenez le bâton de la très sainte Croix, qui fait naître et soutient toutes les vertus; regardez l’Agneau immolé avec tant d’amour pour [1653] nous, que vous devez l’aimer aussi, et détruire par l’ardeur de cet amour toute froideur, toute dureté de cœur, et tout amour-propre qui se trouve dans votre âme.

2. Oh ! comment pourra faire l’épouse pour ne pas suivre les traces de son Epoux, c’est-à-dire souffrir avec amour et marcher dans la voie des peines, quelle que soit la manière dont Dieu vous les envoie? Levez-vous donc avec une sainte patience et une véritable humilité, pour suivre le doux Agneau, avec un cœur généreux et plein d’amour; sacrifiez-vous pour lui comme il s’est sacrifié pour nous, lorsque, pour nous donner la vie de la grâce, il a perdu la vie de son corps. Pour nous prouver son amour, il a ouvert son côté, et après sa mort, il nous a encore baignés de son sang. Voulez-vous être sans crainte? cachez-vous dans la blessure de ce côté, et ne vous éloignez jamais de son cœur. Si vous y entrez une fois, vous y trouverez tant de joie, de douceur, que vous ne voudrez jamais le quitter; car c’est un trésor de parfum et de miséricorde, et cette miséricorde donne la grâce et conduit à la vie éternelle, où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans peines, et la joie entière, parfaite et sans mélange. C’est là que sont apaisés tous les besoins et les désirs de la créature.

3. O ineffable et infinie Charité ! qui vous a forcée à nous donner un pareil trésor? C’est votre amour sans bornes qui vous a fait créer votre créature sans y être obligé; car nous vous devons tout, et vous ne nous devez rien, Mais, bien-aimés Soeur dans le Christ, le doux Jésus, songez que l’âme ne peut parvenir [1655] à ce bonheur de voir Dieu, si elle ne s’efforce d’abord dans cette vie à le goûter par un sincère et ardent amour. Cet amour renferme et fait naître toutes les vertus. La vertu ne manque jamais à l’âme qui est blessée par la flèche de la divine charité; et cette charité s’acquiert à la table de la très sainte Croix, où l’Agneau sans tache est la table, la nourriture et le serviteur. Comment l’âme pourrait-elle ne pas aimer son doux Sauveur, en se voyant tant aimée de lui? L’habitude de l’amour est de rendre amour pour amour, et de transformer celui qui aime en celui qui est aimé. Aussi l’âme, l’épouse du Christ, qui se voit aimée de lui, montre qu’elle veut le payer de retour; elle veut souffrir les peines et les opprobres pour l’amour de lui, et elle se transforme et devient une même chose avec lui par l’amour et le désir. Elle aime ce que Dieu aime, elle déteste ce que Dieu déteste, parce qu’elle voit que le doux Jésus a mis tout son bonheur à porter la croix de bien des peines pour l’honneur de son Père et notre salut, pour se nourrir et se désaltérer des âmes. Il faut le faire aussi, afin de lui devenir semblables. Courons donc, et ne dormons plus dans le lit de la négligence; mais courons vers le bien véritable. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1655].

Table des matières (2)


 

CCCXLVIII.- A MADAME MELLINA, femme de Barthélemi Balbani, à Lucques.- De l’amour parfait que nous devons avoir pour Dieu, et de celui que nous devons avoir pour toutes les créatures.

(La tradition veut qu’en 1375, pendant son séjour à Lucques, sainte Catherine ait reçu l’hospitalité de la famille Balbani, une des plus puissantes de la ville.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Ma Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris et je t’encourage dans son précieux sang, avec le désir de te voir unie et transformée dans l’ardeur de la divine charité, tellement qu’aucune créature, qu’aucune chose ne puisse jamais t’en séparer. Tu sais, ma chère et bien-aimée Fille, que, pour unir deux choses, il faut qu’il n’y ait entre elles aucun obstacle qui empêche leur parfaite union. Pense aussi que Dieu ne veut entre lui et toi, aucun amour de toi-même ou de quelque créature, car Dieu nous aime sans partage, généreusement, gratuitement, sans obligation, sans avoir été d’abord aimé, L’homme ne peut aimer de cet amour, car il est toujours tenu d’aimer par devoir, puisqu’il est toujours l’objet des bienfaits et de la bonté de Dieu. Nous devons donc l’aimer d’un amour reconnaissant, et cet amour doit être sincère, généreux, en n’aimant rien [1656] en dehors de Dieu, ni créature ni chose créée, spirituellement ou temporellement. Et si tu me dis : Comment puis-je avoir cet amour? je te répondrai, ma Fille, que nous ne pouvons l’avoir qu’en le puisant à la source de la Vérité suprême. A cette source tu trouveras la dignité, la beauté de ton âme; tu verras le Verbe, l’Agneau Immolé qui s’est donné à toi pour nourriture et pour rançon, uniquement poussé par le feu de sa charité, et non par les services de l’homme dont il n’avait reçu que des offenses. Je dis donc que l’âme qui regarde à cette source devient altérée et affamée de vertus; elle y boit aussitôt, ne voyant, n’aimant plus ni elle ni autre chose pour elle-même, mais voyant tout dans la fontaine de la bonté de Dieu, aimant pour lui tout ce qu’il aime, et rien sans lui. L’âme, lorsqu’elle a vu l’infinie bonté de Dieu, pourrait-elle s’empêcher de l’aimer? C’est à cela que semble nous Inviter la douce Vérité suprême, nous criant dans le Temple, de toute l’ardeur de son amour: " Qui a soif vienne à moi et boive, car je suis la fontaine d’eau vive. " Tu vois bien, ma Fille, que tous ceux qui ont soif sont invités. Notre-Seigneur ne dit pas, celui qui n’a pas soif, mais, celui qui a soif.

2. Dieu demande que nous portions le vase du libre arbitre avec la soif et la volonté d’aimer. Allons donc à la fontaine de la douce bonté de Dieu, comme nous l’avons dit. Dans cette fontaine nous trouverons la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, où l’homme puise avec son vase, et tire l’eau de la grâce divine, qui seule peut donner la vie éternelle; mais pense que pour suivre cette voie, Il faut nous défaire de tout [1657] fardeau. Aussi je ne veux pas que tu conserves de l’affection pour moi, ou pour quelque créature, si ce n’est en Dieu. Je te dis cela parce que je vois, d’après ce que tu m’écris, que tu as souffert de mon départ; mais je veux que tu suives l’exemple de la Vérité suprême, que l’amour de sa Mère et de ses disciples n’a pas empêchée de courir à la mort honteuse de la Croix. Il a laissé Marie et ses disciples, et il les aimait bien cependant, pour l’honneur de Dieu et le salut des créatures. Les Apôtres se sont aussi séparés, parce qu’ils ne s’arrêtaient pas à eux-mêmes; ils renonçaient à leur propre consolation pour louer et glorifier Dieu, pour se nourrir et se rassasier des âmes. Il faut croire qu’au temps de la tribulation, ils seraient restés bien volontiers avec Marie, qu’ils aimaient tendrement; mais ils se sont tous éloignés, parce qu’ils ne s’aimaient pas, et qu’ils n’aimaient pas le prochain et Dieu pour eux-mêmes. ils aimaient Dieu parce qu’il est digne d’être aimé, parce qu’il est infiniment bon, et ils aimaient en Dieu le prochain et toutes choses.

3. C’est ainsi qu’il faut vous aimer et aimer les autres. Ne songez qu’à l’honneur de Dieu et au service du prochain. Si vous éprouvez quelque tristesse de voir partir ceux que vous aimez, vous ne vous laisserez pas au moins abattre; votre amour doit être véritablement fondé sur l’honneur de Dieu, et s’arrêter plus au salut des âmes qu’à vous-mêmes. Faites en sorte de ne plus vous affliger à mon sujet, car ce serait là un obstacle qui vous empêcherait de vivre avec Jésus crucifié et de lui ressembler. Dieu s’est donné généreusement, et il nous demande la même [1658] chose. C’est pourquoi je t’ai dit que je voulais que toi et mes autres Filles vous soyez unies et transformées en Dieu par l’amour, vous séparant de toute affection qui pourrait s’y opposer, et ne conservant que celle de la divine charité. Cette douce et glorieuse affection ne divise jamais, mais elle unit. Elle fait comme le maître qui bâtit un mur avec beaucoup de pierres: ces pierres s’appellent un mur quand la chaux les a unies; mais s’il n’avait pas pris ce moyen, elles seraient tombées, et se seraient brisées et séparées plus que jamais. Pense aussi que notre âme doit s’unir à toutes les créatures par l’amour et le désir de leur salut, afin qu’elles aient part au sang de l’Agneau; alors le mur est solide: il y a beaucoup de créatures, mais elles ne font plus qu’une. Il semble que saint Paul nous y invite, lorsqu’il dit qu’il y en a beaucoup qui courent vers le prix, mais qu’un seul le gagne (1 Co 9,24): c’est celui qui prend le moyen de la divine charité.

4. Tu peux me dire, comme les disciples à Jésus-Christ leur disant: " Un peu de temps, et vous ne me verrez plus; un peu de temps, et vous me verrez. " Ils disaient alors entre eux: " Que veut-il dire par ces mots: Un peu de temps, et vous ne me verrez plus; un peu de temps, et vous me verrez?" Tu peux me dire aussi : Pourquoi dire que Dieu ne veut pas de lien, et dire ensuite qu’il doit y en avoir? Je te répondrai que je parle du lien de la divine charité : ce lien n’est pas un lien, car il ne fait qu’un avec la chose qu’il unit, comme il arrive au bois qu’on met dans le feu. Diras-tu alors que le bois est bois? ne fait-il pas [1659] une même chose avec le feu? Mais si tu prenais le lien de l’amour-propre, ce serait un lien qui nous priverait de Dieu et nous conduirait au néant; car le péché n’est que néant; et tous les péchés ne sont fondés que sur l’amour-propre, sur les plaisirs et les jouissances hors de Dieu, tandis que la charité enfante et vivifie toute vertu. L’amour-propre au contraire, engendre tous les vices, donne la mort, et détruit toute vertu dans l’âme. Aussi Je vous ai dit que Dieu ne voulait pas de lien, et que toute affection qui n’est pas fondée sur la véritable charité ne dure pas. Courez donc, mes bien-aimées Filles, et ne dormons plus. J’ai eu compassion de vos peines, et je vous en indique que le remède: c’est d’aimer Dieu sans partage; et si vous voulez m’aimer aussi, moi, pauvre misérable, je veux vous dire où vous me trouverez, afin que vous ne vous éloigniez jamais du véritable amour. Allez à cette douce, à cette adorable Croix (Sainte Catherine fait peut-être allusion au célèbre crucifix appelé le sacro vollo, qu’on dit peint par Nicodème, et qu’on vénère dans la cathédrale de Lucques depuis le VIIIe siècle.) avec la bonne et tendre Madeleine; là vous trouverez l’Agneau, vous me trouverez, et vous pourrez nourrir et satisfaire tous vos désirs.

5. Voilà de quelle manière je veux que vous me cherchiez, moi et toute chose créée. Que ce soit là votre étendard et votre consolation, et ne pensez pas que mon éloignement diminue mon affection et mou zèle pour votre salut; je m’en occupe même plus absente que présente. Ne savez-vous pas que les [1660] saints Apôtres, après le départ du Maître, le connurent et l’aimèrent davantage, parce qu’ils jouissaient de son humanité, et ne cherchaient pas autre chose. Mais lorsqu’Ils furent privés de sa présence, ils purent connaître et comprendre sa bonté; la Vérité suprême leur dit: " Il est bon que je m’en aille; autrement vous ne recevriez pas le Consolateur. " Moi je vous dis de même : Il était bon que je m’éloignasse de vous, afin que vous cherchiez Dieu en vérité et sans partage. Je vous assure que vous y gagnerez, en méditant en vous-mêmes les paroles et la doctrine que vous avez reçues; et vous recevrez ainsi la plénitude de la grâce par la grâce même de Jésus-Christ. Je ne vous écris pas plus longuement parce que je n’ai pas le temps de le faire. J’adresse cette lettre à toi surtout, Mellina, puis à Catherine, à Mme Claire, à Mme Barthélemi, à Mme Lagine et à Mme Colombe. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCXLIX.- A MADAME COLOMBE, à Lucques.- Du bon exemple que nous devons donner.- Comment on perd et on retrouve Notre-Seigneur.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Bien-aimée Soeur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des [1661] serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir comme un champ fertile qui reçoive la semence de la parole divine, et porte du fruit pour vous et pour les autres. Maintenant, que vous avez vieilli dans le monde et que vous êtes dégagée des liens du siècle, vous devez être un modèle de vertu pour les jeunes, qui sont encore attachées au monde par les. liens du mariage. Hélas ! hélas ! je m’aperçois que nous sommes une terre stérile qui laisse étouffer la semence de la parole divine par les épines et par les ronces des affections déréglées et des désirs du monde; nous suivons la voie de ses jouissances et de ses délices, cherchant plus à plaire aux créatures qu’au Créateur. Et ce n’est pas assez de nous faire si grand tort à nous-mêmes : là où nous devrions donner des exemples de vertu et d’honnêteté, nous donnons des exemples de péché et de vanité. Il semble que, comme le démon, qui n’a pas voulu tomber seul, mais qui a voulu en entraîner beaucoup d’autres, nous voulons perdre aussi les autres avec nous dans les mêmes vanités, les mêmes plaisirs et les mêmes complaisances. Vous devez, puisque votre position ne le demande pas, vous retirer des vaines joies et des fêtes du monde, et vous appliquer à en retirer ceux qui veulent y aller; vous le devez par amour de la vertu et de votre salut: et, au contraire, vous y invitez les jeunes personnes qui voudraient se retirer et ne pas y aller, parce qu’elles voient que c’est offenser Dieu. Je ne m’étonne donc pas si le fruit ne paraît pas, et si la semence est étouffée, comme je l’ai dit.

2. Peut-être vous voudrez vous excuser, en disant: [1662] Il faut plaire à mes parents et à mes amis; sans cela ils se fâcheraient et se scandaliseraient à mon sujet. Ainsi, la crainte et une complaisance coupable nous ôtent la vie, nous donnent souvent la mort; elles nous éloignent de la perfection à laquelle Dieu nous appelait. Dieu n’admet pas cette excuse, car nous ne devons pas plaire aux hommes en ce qui offense Dieu et notre âme; nous devons les aimer et les servir dans les choses seulement qui sont selon Dieu et selon notre état. Hélas ! pauvres misérables que nous sommes, ce ne sont pas les parents, les amis ou quelques créatures qui nous ont rachetés; non, c’est le seul Jésus crucifié, cet Agneau qui s’est immolé avec tant d’amour; il a été percé pour se donner à nous comme un bain, une médecine, une nourriture, un vêtement, un lit où nous pouvons nous reposer. il n’a pas écouté l’amour de lui-même et son bien-être; mais il a choisi les peines, les souffrances, les outrages; il s’est abaissé volontairement pour l’honneur de son Père et notre salut. Il ne convient pas que nous, misérables, nous suivions, une autre voie que celle de la douce Vérité suprême.

3. Vous savez bien que Dieu ne se trouve pas dans les délices et dans les jouissances. Nous voyons que quand notre Sauveur fut perdu dans le Temple en allant à la fête, Marie rie put le retrouver parmi ses amis et ses parents; mais elle le trouva dans le Temple, où il discutait avec les docteurs. Il l’a fait pour nous donner un exemple, car il est la règle, la voie que nous devons suivre. Comprenez pourquoi il s’est perdu pendant la fête, et apprenez, très chère Sœur, que Dieu ne se trouve pas dans les fêtes, les danses [1663], les jeux, les noces, les plaisirs : y aller est un moyen, une occasion de le perdre, en tombant dans les fautes,les péchés et l’amour des jouissances déréglées. Mais lorsque nous avons ainsi perdu Dieu par la grâce, quel est le moyen de le retrouver? Le voici : accompagner Marie pour le chercher avec elle, en nous repentant amèrement de la faute commise envers notre Créateur par complaisance pour la volonté des créatures. Il faut aller au temple, c’est là qu’il se trouve. Que notre cœur se lève donc avec repentir, et qu’il aille au temple de son âme; c’est là qu’on se connaît soi-même, et, en reconnaissant son néant, il connaîtra en lui la bonté de Dieu, qui est Celui qui est. La volonté se lèvera avec zèle pour aimer ce que Dieu aime, pour détester ce qu’il déteste; et alors elle condamnera en elle-même la mémoire, qui a reçu les plaisirs et les jouissances du monde, et qui n’a pas reçu et gardé les grâces, les dons et les grands bienfaits dont Dieu nous a comblés avec tant d’amour. Elle condamnera son intelligence, qui a cherché plus à connaître la volonté des créatures et à écouter les opinions du monde que la volonté de son Créateur, tellement que la volonté, l’amour sensitif, s’est mis à aimer et à désirer les choses sensibles, grossières, qui passent comme le vent. Il ne faut pas faire ainsi; mais il faut s’appliquer à connaître la volonté de Dieu, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification, car c’est pour cela qu’il nous a donné la vie. Il vous a séparée du monde parce que vous vous y perdiez par votre amour et vos désirs déréglés. Avez-vous plus d’une âme? Non. Si vous en aviez deux, vous pourriez en donner une[1664] à Dieu et l’autre au monde. Vous n’avez aussi qu’un corps, et c’est bien peu de chose.

4. Donnez aux pauvres de vos biens temporels, soumettez-vous au joug de la sainte et vraie obéissance; tuez, tuez votre volonté, afin que vous ne soyez pas si enchaînée à vos parents; mortifiez votre corps, et ne recherchez pas tant les délicatesses. Méprisez-vous vous-même, ne regardez pas tant à la noblesse et à la richesse, car il n’y a que la vertu qui nous rend nobles, et les richesses de Cette vie sont une bien triste pauvreté, quand nous les possédons avec un amour déréglé en dehors de Dieu. Rappelez-vous ce que disait le glorieux saint Jérôme, qui semble ne pouvoir jamais assez recommander aux veuves de ne pas rechercher les délices, de rie pas aimer les plaisirs, de ne pas orner leur visage, d’éviter de riches et élégants vêtements, et de fuir la société des personnes frivoles et dissolues, mais de se retirer dans leur cellule. Elles doivent faire comme, la tourterelle, qui, lorsque son compagnon est mort, gémit toujours et vit solitaire, sans vouloir d’autre compagnie (Bestiaires du moyen âge, Mélanges d’archéologie, t. III, p.262.). Très chère et très aimée Soeur, ne connaissez plus maintenant que Jésus crucifié; mettez tout votre bonheur à le suivre par la voie des opprobres, de l’humilité, de la douceur; unissez-vous à l’Agneau par les liens de la charité. Mon âme désire que vous, la vraie fille et l’épouse choisie de Jésus-Christ, vous soyez un champ fertile et non stérile, rempli des fruits des véritables vertus. Courez, courez, car le temps est court et le chemin [1665] est long; quand même vous auriez le monde entier, le temps n’en poursuivrait pas moins son cours. Je ne vous dis pas autre chose. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Pardonnez-moi si j’ai trop parlé; c’est l’amour et le zèle que j’ai pris pour votre salut qui m’ont pressée de le faire. Soyez persuadée que je le désire plus que je ne puis le dire. Que Dieu vous remplisse de sa très douce grâce. Doux Jésus, Jésus amour. 

Table des matières (2)


 

CCCL.- A MADAME FRANCESCHINA, A MADAME CATHERINE, et à deux autres compagnes spirituelles, à Lucques.- De la fidélité à suivre Jésus-Christ dans la voie de la sainte Croix. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères et bien-aimées Filles et Sœurs dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Dieu, je vous écris dans le sang de son Fils unique, avec le désir de vous voir de vraies filles et des épouses consacrées à l’Epoux éternel, qui a donné pour nous sa vie avec tant d’amour. Faites de même, et suivez généreusement, avec un ardent désir, l’étendard de la très sainte Croix; suivez ses traces dans la voie des peines, des tourments et des tendres désirs. Un fils doit toujours aimer, suivre son père, et une épouse son époux: [1666] s’il est dans la peine, elle partage sa peine; s’il est dans la joie, elle partage sa joie. C’est ce que disait l’apôtre saint Paul de lui-même : " Je me réjouis avec ceux qui se réjouissent, et je pleure avec ceux qui pleurent (Rm 12,15). " Ainsi fait l’âme qui est dans la charité parfaite; et en faisant ainsi elle accomplit en elle la parole de l’apôtre saint Paul; et, comme elle partage la tribulation, c’est-à-dire la Croix du Christ, elle partagera les consolations, c’est-à-dire qu’elle sera dans la gloire avec le Christ. N’est-il pas juste que Dieu lui donne son héritage, puisqu’elle a renoncé à l’héritage et aux soins du monde? Elle a laissé les plaisirs et les consolations de la terre pour suivre la Croix de Jésus crucifié, pour embrasser les peines, les opprobres et les outrages par amour pour lui. C’est à ce feu, mes très chères Filles, que l’âme doit aller enflammer ses désirs, et elle ne doit avoir d’autre jouissance; car toute autre voie est obscure et ténébreuse, elle conduit l’âme à la mort éternelle. Ne soyez donc pas négligentes, mais empressées dans cette douce et droite voie du Christ Jésus. il vous dit : " Je suis la voie, la vérité, la vie; celui qui va par moi va par la lumière, et non par les ténèbres, et il parvient à la véritable vie, qui ne lui sera jamais ôtée." Point d’ignorance et d’amour-propre en vous, car c’est ce qui empêche l’âme de courir, ce qui l’enchaîne dans la voie et la fait regarder toujours en arrière.

2. La véritable épouse, la fille du Christ, a bien soin de ne pas regarder en arrière, mais elle court [1667] toujours en avant avec l’huile de la véritable humilité, avec le feu de l’ardente charité. C’est là sa continuelle étude, et elle le montre en servant fidèlement son très doux Sauveur. Je vous en conjure par l’amour de Jésus crucifié, puisque notre doux et bon Jésus est si aimable et si généreux, n’hésitons plus; rachetons par notre zèle la brièveté de temps, et réparons par un saint repentir le temps souvent perdu avec bien de la négligence, et de cette manière nous regagnerons le temps qui n’est plus. Je ne vous dis pas autre chose. Je prie la Vérité suprême de vous faire croître de vertu en vertu, jusqu’à ce que vous arriviez à ce terme où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans peine, la joie sans tristesse, ou Je bonheur est sans mélange. Que la paix de Dieu soit toujours dans vos âmes. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCLI.- A MADAME BARTHELEMI, femme de Salvatico, de Lucques.- C’est de l’amour de Dieu que viennent la patience et le désir de souffrir.- Du renoncement à la volonté, et de la persévérance.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et très aimée Sœur dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang; avec le désir de vous voir toujours vous reposer [1668] et vous nourrir sur le sein de la charité; car je sais que sans le lait de cette glorieuse mère, personne ne peut avoir la vie. Elle est si douce, si agréable à l’âme qui la goûte, que toute chose amère devient douce, et tout fardeau léger; et je n’en suis pas surprise, car celui qui est dans la charité et l’amour est en Dieu. Saint Jean l’a dit: a Dieu est charité, et celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu en lui (1Jn 4,16). Dès qu’on a Dieu, on ne peut avoir aucune amertume, car il est le souverain bonheur, la douceur, la joie parfaite. C’est pourquoi les serviteurs de Dieu se réjouissent toujours; ils se réjouissent lorsqu’ils souffrent de la faim, de la soif, de la pauvreté, lorsqu’ils sont affligés, éprouvés, persécutés par les créatures. Toutes les langues se déchaîneraient contre le serviteur de Dieu, qu’il ne s’en inquiéterait pas; il se réjouit de toute chose, parce qu’il possède Dieu, qui est tout son repos, et parce qu’il goûte le lait de la divine charité.

2. Comme un enfant qui attire à lui le lait du sein de sa mère, celui qui aime Dieu l’attire à lui par le moyen de Jésus crucifié. Pour suivre toujours ses traces, il veut suivre la voie des opprobres, des peines et des injures; il ne veut se plaire qu’en Jésus crucifié, et il fuit toute autre gloire que celle de la Croix. Ceux-là disent avec saint Paul : " Je me glorifie dans les tribulations pour l’amour de Jésus-Christ, mon Seigneur, par qui le monde est crucifié pour moi, et par qui je suis crucifié pour le monde (Gal 6,14) ". Alors [1669] l’âme s’attache au bois de la Croix, et élève le regard du saint désir pour contempler cet amour infini qui a porté notre Sauveur à répandre son sang de toutes les parties de son corps. Je ne m’étonne plus alors si l’âme est patiente. dans les tribulations, puisque par amour, elle a volontairement renoncé aux consolations du monde, et qu’elle s’est passionnée pour les peinés et les persécutions. Elle a vu que c’était le vêtement que le Fils de Dieu avait choisi comme le plus précieux et le plus glorieux qu’il pouvait trouver. C’est cette belle perle dont parle notre doux Sauveur: l’homme qui l’a trouvée doit tout vendre pour l’acheter. Quelle est cette chose qui est à nous, que Dieu nous a donnée, et que le démon et les créatures ne peuvent nous enlever? La volonté.

3. À qui vendrons-nous le trésor de notre volonté? à Jésus crucifié: c’est-à-dire que nous renoncerons généreusement et avec patience à notre volonté propre, qui, une fois qu’elle est en Dieu, est un trésor; et avec ce trésor nous achèterons la perle précieuse des tribulations, et nous mériterons par la vertu de patience, la récompense dont nous jouirons au festin de la vie éternelle. C’est à cette nourriture, à cette table, à ce lait que je vous invite. ma très douce Fille,. et je vous conjure de faire tous vos efforts pour y parvenir. Sortez du sommeil de la négligence, parce que je ne veux pas que vous soyez trouvée à dormir, quand la Vérité suprême vous appellera. O doux et tendre appel, qui nous délivre du fardeau de notre corps, de cet obstacle qui se révolte toujours contre son Créateur par ses désirs et ses mouvements déréglés, et qui se fait notre dieu par son amour coupable ! [1670] Notre aveuglement est si grand, que nous ne regardons plus notre néant, et que dans notre orgueil nous croyons passer par la porte étroite avec le fardeau de cet attachement au monde, qui est la mort de notre âme.

4. Je veux donc que nous nous déchargions du poids de la vanité du monde et de l’amour de nous-mêmes. Savez-vous pourquoi il est dit que la porte par laquelle nous devons passer est étroite? Parce que nous devons étouffer notre amour et nos désirs pour les jouissances et les consolations du monde, et nous transformer tout entiers dans cette maternelle charité. Je dis aussi que nous devons baisser la tête, parce que la porte est basse, et qu’en la relevant, nous nous la briserions. Baissons donc la tête avec une sainte et véritable humilité, en voyant que Dieu s’est humilié jusqu’à nous. Vous devez vous regarder, et je veux que vous vous regardiez comme la plus vile des créatures, et que rien ne vous fasse détourner la tête, ni les illusions du démon, ni les paroles que vous entendrez dire par votre mari, ou par quelqu’autre personne.

5. Persévérez courageusement dans votre sainte entreprise. Vous savez que le Christ a dit de ne pas regarder derrière soi, quand on a mis la main à la charrue, car la persévérance seule est couronnée. A l’exemple de la tendre Madeleine, embrassez avec amour la sainte Croix, et vous y trouverez les douces et royales vertus, parce que nous y trouvons l’Homme-Dieu. Pensez que l’ardeur. de la charité a fait une telle violence à son corps adorable, que le sang a coulé de tous ses membres, et avec tant [1671] d’amour et de patience, qu’on n’entendit pas cet Agneau proférer une seule plainte. Il est toujours humble, méprisé, abreuvé d’opprobres. Que votre cœur et votre âme se consument d’amour sur le sein de la charité par le moyen de la chair de Jésus crucifié; autrement vous ne pourrez en goûter et posséder la vertu, car il est la voie, et il est la vérité, et celui qui la suit ne peut être trompé. Oui, quand même le monde entier serait contre vous, il faut avoir un cœur fort et généreux, ne pas détourner la tête, mais parer tous les coups, le bouclier à ta main.

6. Vous savez qu’un bouclier a trois parties; il faut aussi avoir en vous trois vertus. D’abord la haine et le regret de la faute que vous avez commise envers votre Créateur, surtout autrefois, lorsque voua étiez un démon, puisque vous suiviez ses traces. Il faut ensuite avoir l’amour, en contemplant la bonté de Dieu, qui vous a aimée non par devoir, mais par grâce et à cause de son ineffable amour. Il n’a pas séparé votre âme de votre corps au moment où vous étiez révoltée contre lui; mais le doux Jésus vous a tirée des mains du démon, et vous a fait rentrer en grâce. Et aussitôt que vous aurez parfaitement cet amour et cette haine, vous verrez naître la troisième vertu, c’est-à-dire une patience qui vous empêchera de vous plaindre des paroles et des injures qui vous fieront dites, des peines qui vous seront faites; et non seulement vous n’éprouverez pas d’impatience, mais vous les supporterez avec joie, vous les recevrez avec respect, vous regardant indigne d’une pareille grâce.

7. Avec le bouclier de la haine, de l’amour et de la vraie patience, aucune attaque du démon ou des créatures ne pourra vous nuire, parce que ces vertus sont trois colonnes puissantes qui protègent et soutiennent la faiblesse de l’âme. La douce Madeleine a si bien pris le moyen, qu’elle s’oublie elle-même pour se revêtir généreusement de Jésus crucifié; elle ne retourne pas à ses richesses, à ses grandeurs, à ses vanités; elle a perdu tout amour du monde, et elle n’a plus d’autre soin et d’autre pensée que de suivre Jésus-Christ. Aussitôt qu’elle a mis son affection en lui, et qu’elle s’est connue elle-même, elle embrasse et prend la vote de l’abaissement; elle se méprise elle-même, parce qu’elle ne voit pas d’autre moyen de le suivre et de lui plaire. Elle se regarde comme la plus vile créature qui soit au monde. Dans le transport de son amour, elle ne fait pas attention si elle est seule ou accompagnée; si elle avait réfléchi, elle ne serait pas restée au milieu des soldats de Pilate; mais elle va seule, elle reste au sépulcre. L’amour l’empêche de se dire: Ne pensera-t-on pas, ne dira-t-on pas du mal de moi, car je suis belle et d’un haut rang. Non, elle n’y songe pas, elle cherche seulement à trouver et à suivre son Maître. C’est cette compagne que je vous donne et que je veux que vous suiviez; car elle sait si bien la voie, qu’elle peut nous l’apprendre. Courez, ma Fille, courez, mes Filles; ne dormez plus, car le temps fuit et n’attend pas. Je ne veux pas en dire davantage. Encouragez Mme Colombe; je m’adresse à elle comme à vous, et aussi à Mme Jeanne d’Azzolino. Mille bénédictions à Mme Melina, à Catherine, à Mme Lagma et à toutes [1673] mes autres Filles dans le Christ Jésus. Qu’elles ne s’étonnent pas et ne s’affligent pas si je ne leur ai point écrit. Je les unis toutes ensemble, et je fais ainsi parce que les plantes nouvelles ont plus besoin de soins que les autres. Toutes vous saluent dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCLII. — A PETRONILLE, fille de Masello Pepe, de Naples.- Elle l’exhorte à se dépouiller de toute affection mondaine, et à se revêtir de Jésus-Christ. — Des vierges sages et des vierges folles.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir le cœur dépouillé de l’amour du monde et de toi-même; tu ne pourras autrement te revêtir de Jésus crucifié, car le monde et Dieu n’ont aucun rapport ensemble. Le monde aime l’orgueil, et Dieu l’humilité; il cherche les honneurs, la puissance, la grandeur, et le Christ béni les a méprisés; il a embrassé les outrages, les mépris, les injures, la faim, la soif, le froid, le chaud, et enfin la mort honteuse de la Croix. Par cette mort, il a rendu gloire à son Père, et nous avons été rétablis dans la grâce. Le [1674] monde cherche à plaire aux créatures, sans craindre de déplaire au Créateur, et le Christ n’a pas cherché autre chose que d’obéir à son Père pour notre salut. Il a embrassé et revêtu la pauvreté volontaire, et le monde poursuit sans cesse les richesses. Il y a donc entre eux une grande différence; et il est nécessaire que le cœur vide de Dieu suit plein du monde, et que le cœur vide du monde soit plein de Dieu. Notre Sauveur a dit:   " Personne ne peut servir deux maîtres; il en servira un, et méprisera l’autre. " Nous devons donc avoir un grand soin de fuir la tyrannie du monde pour donner à Dieu notre cœur libre de tout obstacle et de tout faux amour, parce qu’il est Dieu, dont le regard, toujours fixé sur nous, voit les secrets de notre cœur.

2. Quelle serait notre folie, notre aveuglement, si, sachant que Dieu nous voit, et que sa justice punit tout mal et récompense tout bien, nous n’avions aucune crainte de lui, si nous comptions sur le temps que nous n’avons pas et que nous ne sommes pas sûrs d’avoir. Nous différons pourtant toujours. Si Dieu coupe une branche, nous nous attachons à une autre, et nous craignons plus de perdre les créatures et les choses qui passent comme le vent, que nous ne nous inquiétons de perdre Dieu. Cela vient de l’amour déréglé que nous leur portons, Et en les ayant, en les possédant ainsi en dehors de la volonté de Dieu, nous goûtons en cette vie, les arrhes de l’enfer. Dieu a permis que celui qui aime ainsi soit insupportable à lui-même et ne jouisse d’aucun repos dans son âme et dans son corps, car il souffre de ce qu’il a par la crainte de le perdre, et pour le conserver il se fatigue [1675] nuit et jour; il souffre aussi de ce qu’il n’a pas, parce qu’il désire l’avoir, et se désespère de ne pas réussir. Ainsi l’âme n’est jamais tranquille au milieu de toutes les choses du monde, parce qu’elles lui sont toutes inférieures. Elles sont faites pour nous, et nous ne sommes pas faits pour elles ; nous sommes faits pour Dieu, pour que nous goûtions son éternelle et souveraine félicité. Dieu seul peut satisfaire l’âme.

3. C’est en lui qu’elle s’apaise et se repose, car tout ce qu’elle peut désirer et vouloir, elle le trouve en Dieu; elle y trouve aussi la sagesse, qui sait, et la volonté, qui veut donner; et nous en avons la preuve: car Dieu, non seulement nous accorde ce que nous lui demandons, mais il nous a donné avant que nous fussions; il n’a pas attendu notre prière pour nous créer à son image et ressemblance, et pour nous faire renaître à la grène dans le sang de son Fils. L’âme trouve sa paix en lui, et non pas dans un autre, car Il est la souveraine Richesse, la souveraine Sagesse, la souveraine Bonté, la souveraine Beauté; c’est un bien inestimable ; personne ne peut apprécier se bonté, sa grandeur, sa félicité; lui seul se comprend et s’estime. Il peut, il sait, il veut satisfaire et combler tous les saints désirs de celui qui veut se dépouiller du monde et se revêtir de lui. Je ne veux donc pins que nous dormions, très chère Fille; secouons notre sommeil, car le temps nous approche continuellement de la mort. Les choses passagères du monde et les créatures, il faut nous en servir en les aimant et en les gardant comme des choses prêtées qui ne sont pas à tua. Tu le feras en t’en détachant, mais pas autrement [1676]. Il faut s’en détacher, sI nous voulons participer au sang de Jésus crucifié. Je sais qu’il n’y a pas d’autre voie, et je t’ai dit que je désirais voir ton coeur détaché de l’amour du monde.

4. Débarrasse-toi donc de ces liens, ma chère Fille, afin que tu puisses être la vraie servante de Jésus crucifié, et que tu suives sa très douce volonté. Cette volonté t’invite aux noces de la vie éternelle, parce qu’elle ne veut autre chose que ta satisfaction; mais remarque, très chère Fille, qu’il faut être comme les vierges prudentes, et non pas comme les vierges folles, qui attendirent au dernier moment pour garnir leur lampe, et qui, à cause de leur négligence, trouvèrent la porte fermée; tandis que les vierges prudentes, parce qu’elles attendaient la venue de l’Epoux et qu’elles l’aimaient, se pourvurent avant son arrivée. Et toi, tu dois être l’épouse fidèle, tu dois porter la lampe de ton cour; cette lampe doit être étroite par le bas, et large par le haut: étroite pour le monde, et large pour Dieu; et dedans tu dois mettre l’huile de la véritable humilité, le feu de la plus ardente charité avec la lumière de la très sainte Foi; et de cette manière, tu trouveras la porte ouverte, la porte du ciel, qui est fermée aux vierges folles qui attendent le moment de la mort, lorsqu’elles n’ont plus le temps. La porte ouverte, tu trouveras l’éternel l’Epoux, qui te recevra en lui-même; tu partageras sa beauté, sa bonté, sa sagesse, sa clémence, son éternelle et souveraine richesse, qui ne tarit jamais. Il est la nourriture qui rassasie l’âme, et en la rassasiant, Il lui donne faim; mais cette faim est sans peine, ce rassasiement sans dégoût [1677].

5. Réjouis-toi, ma Fille, d’habiter cette douce patrie; et ce bonheur, tu l’acquerras avec la lumière, le feu et l’huile de l’humilité dont je t’ai parlé, avec l’humble et fervente prière. Applique-toi aux veilles de la nuit, fuis les conversations, renferme-toi dans ta cellule, retranche les paroles oiseuses et les vains souvenirs du monde, dont la corruption empoisonne l’âme; mortifie ton corps par le jeûne et par la pénitence. Evite de te vêtir et de te coucher délicatement, pour que ton cœur ne s’abandonne pas à la vanité, et que la chair ne se révolte pas contre l’esprit; triomphe de toi-même par une sainte haine et une ferme résolution d’être véritablement à Dieu. Fais que. la raison combatte sans relâche la sensualité, le démon et le monde, qui, je le sais, te préparent de grands combats. Mais ne crains rien, et ne te laisse pas abattre par l’épreuve; combats généreusement, en te rappelant que tu peux tout par Jésus crucifié; et dans les tentations qui viendront, n’abandonne jamais tes pieux exercices, et ne te laisse pas troubler, car aucune tentation n’est une faute si la volonté n’y consent pas. Conserve ta volonté pure, en l’unissant à la douce volonté de Dieu, et tu te réjouiras d’être sur la Croix avec ton Epoux. Ne te plais qu’en la Croix de Jésus crucifié, en le suivant par la voie des peines, des opprobres, des mépris et des outrages.

6. Remplis ta mémoire du souvenir du précieux sang, et dans ce sang toute chose amère deviendra douce, tout fardeau deviendra léger, et il n’y aura pas de peines et de grandes tribulations que tu ne puisses porter. Il me semble que tu as besoin de ce souvenir [1678], car tu es entrée dans le champ de bataille de la tribulation par la mort de ton frère; mais cette mort doit te réjouir plutôt que t’affliger, car il a fourni sa course, et il a été la vie de ton âme. Tu ne dois donc pas te plaindre de son bien et du tien, mais au contraire rendre gloire et louange au nom de Dieu. Laisse les morts ensevelir les morts, et suis Jésus crucifié. Je n’ajoute rien ici. Quant au désir que tu as d’être tout à fait religieuse, je me réjouis de l’apprendre, et je serai heureuse si tu sais et si tu veux fouler aux pieds le monde, sous le joug de la sainte obéissance. J’ai répondu à Néri sur les moyens qu’il me semble que tu dois prendre (Néri Landoccio, disciple de sainte Catherine, fut envoyé par elle à Naples. auprès de la reine Jeanne. (Voir la lettre CCLXXII.); il t’en informera. Prends bien en toi-même la résolution d’être la vraie servante de Jésus crucifié. Je ne te dis rien de plus. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Recours souvent à la sainte confession, et fréquente quelquefois les servantes de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1679].

Table des matières (2)


 

CCCLIII.- A TROIS DAMES NAPOLITAINES, ses filles spirituelles.- Des effets de la charité, et comment nous devons consumer notre vie dans les gémissements pour la sainte Eglise.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Mères et Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermies dans la parfaite charité, afin que vous soyez les vraies nourrices et gouvernantes de vos âmes, parce que jamais nous ne pourrons nourrir notre prochain, si nous ne nourrissons notre âme de vraies et solides vertus; si elle ne s’attache d’abord au sein de la divine charité, où elle trouve un lait d’une céleste douceur. Mes très chères Sœurs, il vous faut faire comme fait l’enfant qui veut du lait : il prend le sein avec sa main, y met ses lèvres, et attire le lait au moyen de la chair. Il faut faire de même, si nous voulons nourrir notre âme; nous devons nous attacher au sein de Jésus crucifié, où est la source de la charité, et nous y puiserons le lait qui nourrit l’âme avec toutes les vertus qui en naissent, au moyen de sa chair, c’est-à-dire de son humanité; car c’est l’humanité qui a souffert, et non la divinité. Nous ne pourrons pas prendre ce lait maternel de la charité sans souffrir. Il y a bien des manières de souffrir. Souvent nous souffrons [1680] beaucoup des combats du démon, ou des persécutions des créatures qui nous maltraitent et nous injurient. Ce sont là des peines, mais non pour l’âme qui se nourrit sur ce doux et glorieux sein, où elle puise l’amour, et voit en Jésus crucifié l’amour ineffable que Dieu nous a montré au moyen de ce doux et tendre Fils; et dans cet amour, elle trouve la haine du péché et de la loi mauvaise, qui combat toujours contre l’esprit.

2. Mais ce qui surpasse toutes les peines que souffre l’âme arrivée à cet amour et à cette haine, ce sont les cruels et ardents désirs qu’elle a pour le salut du monde entier. La charité la rend malade avec ceux qui sont malades, et bien portante avec ceux qui sont en santé; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent c’est-à-dire qu’elle gémit avec ceux qui gémissent dans le péché mortel, et qu’elle est heureuse avec ceux qui sont en état de grâce. Alors elle a pris la chair de Jésus crucifié, et elle porte la Croix avec lui. Ce n’est pas une peine afflictive qui dessèche l’âme, mais une peine qui l’engraisse, parce qu’elle se plaît et s’applique à suivre sa doctrine et ses traces, et elle goûte le lait de la douceur divine. Et comment l’a-t-elle pris ? avec la bouche du saint désir. Et si elle pouvait avoir ce lait sans peine, et acquérir toutes les vertus qui reçoivent la vie de ce lait d’une ardente charité, elle ne le voudrait pas, mais elle aimerait mieux y parvenir en souffrant pour l’amour de Jésus crucifié, parce qu’il lui semble que, sous un chef couronné d’épines, il ne doit pas y avoir de membre délicat, et qu’il faut porter avec lui des épines, ne les choisissant pas à son [1681] gré, mais les recevant de son Chef. En agissant ainsi, ce n’est pas elle qui souffre, c’est son Chef, Jésus crucifié, qui souffre pour elle. Oh ! combien est douce la charité, cette douce mère ! Elle ne cherche pas son intérêt, elle ne le cherche pas pour elle, mais pour Dieu, et ce qu’elle aime, ce qu’elle désire, elle l’aime et le désire en lui et pour lui; et hors de lui elle ne veut rien avoir. Dans toutes les positions où elle se trouve, elle emploie son temps à faire la volonté de Dieu. Si elle est séculière, elle veut être parfaite dans son état; si elle est soumise à la vie religieuse, elle devient un ange de la terre; elle ne souhaite, elle n’aime rien du siècle et des richesses temporelles, et elle ne veut rien posséder elle-même, parce qu’elle voit que ce serait contre le vœu de pauvreté volontaire. Dans quelque position que l’âme se trouve, elle est comme une veuve; elle a toujours en elle la charité, et en se nourrissant sur le sein de Jésus crucifié, elîs goûte le lait délicieux avec un ardent désir et une parfaite lumière, parce qu’elle a quitté les ténèbres du coupable et misérable amour-propre.

3. Voici le temps, très chères Sœurs, de se perdre soi-même, de ne plus se chercher pour soi, mais pour Dieu, d’aimer le prochain pour Dieu, et Dieu pour lui-même, parce qu’il est l’éternelle et souveraine Bonté, parce qu’il est digne d’être aimé, servi et désiré par nous. Il faut connaître en lui la vérité pour l’annoncer, la fortifier dans les cœurs des créatures raisonnables, et sans crainte servile. Voici le moment où il faut que vous et les autres serviteurs de Dieu vous vous prépariez à souffrir: pour la vérité. Cet amour, que vous avez trouvé sur le sein de Jésus [1682] crucifié, il faut le manifester à l’égard du prochain, en vous offrant devant Dieu avec amour et compassion, par des larmes, des veilles, par d’humbles et continuelles prières. Nous devons consumer notre vie dans les gémissements et la douleur, jusqu’à ce que nous voyions se dissiper les épaisses ténèbres où sont plongés ceux qui devraient donner la lumière dans le corps mystique de la sainte Eglise. Sacrifions donc notre vie, que nos yeux versent des torrents de larmes, et que nos désirs poussent des cris sur ces morts, afin qu’ils s’éloignent de la mort et qu’ils arrivent à la vie. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. 

Table des matières (2)


 

CCCLIV.- A MADAME JEANNE DE CORRADO .- Elle l’exhorte à se dépouiller de l’amour sensible des créatures.

(Jeanne de Corrado était la mère d’Etienne Maconi, le disciple et le secrétaire de sainte Catherine. Elle était de la famille de Bandinelli, d’où sortit le pape Alexandre III, et un grand nombre de cardinaux et d’hommes illustres.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang [1683], avec le désir de vous voir habiter la cellule de la connaissance de vous-même, afin que vous puissiez arriver à l’amour parfait; car je sais que celui qui n’aime pas son Créateur ne peut lui plaire, parce qu’il est amour, et qu’il ne veut autre chose que l’amour. L’âme trouve cet amour dans la connaissance d’elle-même; elle voit qu’elle n’est pas, et qu’elle reçoit l’existence par grâce, et non par obligation, ainsi que les bienfaits que Dieu y ajoute dans son ineffable amour. Elle voit alors que la bonté de Dieu à son égard est si grande, qu’aucune parole ne peut l’exprimer. En se voyant tant aimée, elle ne peut s’empêcher d’aimer; elle aime Dieu et la raison; elle hait la sensualité, qui veut trop s’attacher au monde, et qui aime plus les honneurs, les richesses et les créatures qui lui plaisent, que le Créateur. Ceux qui mettent ainsi leur bonheur dans les jouissances du monde aiment leurs enfants, un mari, une mère, un père d’un amour trop sensible; et cet amour est un obstacle entre l’âme et Dieu, parce qu’il empêche de connaître le vrai et suprême amour.

2. La douce Vérité a dit: " Celui qui n’abandonne pas son père, sa mère, ses soeurs, ses frères et lui-même, n’est pas digne de moi (Mt 10,37). " Les vrais serviteurs de Dieu le savent bien, et ils détachent leur coeur et leur âme du monde, de ses pompes, de ses délices, et de toute créature hors de Dieu. Ce n’est pas qu’ils n’aiment les créatures, mais ils les aiment seulement pour Dieu, en tant qu’elles sont des créatures infiniment aimées par leur Créateur; et, comme [1684] ils détestent la partie sensitive qui se révolte en eux contre Dieu, ils la détestent aussi dans le prochain, parce qu’ils voient qu’elle offense la souveraine Bonté. Je veux que vous fassiez de même, très chère Mère dans le Christ Jésus je veux que vous aimiez la bonté de Dieu en vous, et son infinie charité, que vous trouverez dans la cellule de la connaissance de vous-même. Dans cette cellule vous trouverez Dieu; et comme Dieu renferme en lui tout ce qui participe à l’être, vous trouverez en lui la mémoire, qui reçoit et peut conserver le trésor des bienfaits de Dieu. Vous y trouverez l’intelligence, qui nous fait participer à la sagesse du Fils de Dieu, en nous faisant connaître et comprendre sa volonté, qui ne veut autre chose que notre sanctification; et en voyant cela, l’âme ne peut se plaindre et se troubler de ce qui arrive, car elle sait que toute chose vient de la providence de Dieu et de son amour infini.

3. Avec cette connaissance je veux, et je vous en conjure par l’amour de l’Agneau immolé, que vous vous guérissiez du chagrin et de la peine que vous cause le départ d’Etienne. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que ce voyage ne sera pas sans profit pour son âme et pour la vôtre, et parce que, grâce à Dieu, vous le reverrez bientôt. Je dis aussi que dans la connaissance de vous-même, vous trouverez la douce clémence du Saint-Esprit, qui se donne tout entier, et qui n’est autre chose qu’amour; tout ce qu’il fait, il le fait par amour. Vous trouverez cet amour dans votre âme, parce que la volonté n’est autre chose que l’amour; toutes ses affections, tous ses mouvements sont réglés par l’amour; elle aime [1685] et elle hait ce que l’oeil de l’intelligence a vu et compris, Il est donc bien vrai, très chère Mère, que dans la cellule de votre âme vous trouverez Dieu tout entier, qui lui donne tant de douceur, de paix et de consolation, que rien ne peut la troubler, parce qu’elle est remplie de la volonté de Dieu.

4. L’âme devient alors véritablement un jardin plein des fleurs odoriférantes du saint désir. Au centre est planté l’arbre de la très sainte Croix, ou se repose l’Agneau sans tache, qui verse son sang pour baigner et arroser ce doux et glorieux jardin; et il rapporte les fruits mûrs des vraies et solides vertus. Si vous voulez la patience, c’est là que vous la trouverez, si douce, que jamais en n’entendit l’Agneau pousser la moindre plainte. Vous trouverez l’humilité en voyant Dieu humilié jusqu’à l’homme, et le Verbe humilié jusqu’à la mort honteuse de la Croix. Si c’est la charité que vous cherchez, il est la force de l’amour et de la charité qui l’a tenu attaché et cloué sur la Croix. Les clous et la Croix ne pouvaient retenir l’Homme-Dieu sans la force de la charité. Je ne m étonne pas que l’âme, qui est devenue un jardin par la connaissance d’elle-même, soit forte contre le monde entier, puisqu’elle s’est unie, elle s’est faite une même chose avec la Force suprême. Elle commence véritablement à goûter ici-bas les arrhes de la vie éternelle; elle est maîtresse du monde, puisqu’elle le méprise. Les démons craignent d’approcher de cette âme, parce qu’elle brûle du feu de la charité. Ainsi, courage, très chère Mère; je ne veux plus que vous dormiez dans la négligence et dans l’amour sensitif; mais réveillez-vous avec un ardent [1686] amour, pour vous baigner dans le sang du Christ, pour vous cacher dans les plaies de Jésus crucifié. Je ne vous en dis pas davantage. Je suis certaine que, si vous restez dans votre cellule, vous ne trouverez que Jésus crucifié. Dites aussi à Corrado de faire de même. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCLV. — A MADAME JEANNE DE CORRADO.- Du vêtement nuptial de la charité, et de l’amour des parents pour leurs enfants.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Soeur et Fille dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement nuptial; car sans ce vêtement, l’âme ne peut plaire à son Créateur, ni prendre part aux noces de la vie éternelle. Je veux donc que vous en soyez revêtue; et afin que vous puissiez vous en mieux revêtir, je veux que vous vous dépouilliez de l’amour sensible que vous pouvez avoir pour vous, pour vos enfants ou pour toute autre créature en dehors de Dieu. Vous ne devez pas vous aimer ainsi, ni aimer autre chose, parce qu’il est impossible que l’homme serve deux maîtres; il servira l’un et méprisera l’autre. Personne [1687] ne peut servir à la fois Dieu et le monde, parce que Dieu et le monde n’ont aucune ressemblance. Le monde cherche l’honneur, la puissance, les richesses, l’élévation des enfants, la noblesse, les plaisirs et les jouissances, qui ont pour principe un coupable orgueil. Mais Dieu demande et veut tout le contraire: il veut la pauvreté volontaire, l’humilité du cœur, le mépris de soi-même, la fuite des plaisirs et de l’estime du monde; il veut que l’homme ne cherche pas son honneur, mais l’honneur de Dieu et le salut du prochain, en s’efforçant de se revêtir d’une ardente charité et des ornements de la vertu et de la vraie et sainte patience.

2. L’homme ne doit se venger d’aucune injure que le prochain lui a faite; mais il doit tout supporter avec patience, et chercher à se venger de lui-même, parce qu’il voit qu’il a offensé la douce Vérité suprême. Ce qu’il aime, il l’aime en Dieu; et hors de Dieu, il n’aime rien. Si vous me dites : Comment dois-je aimer? je vous répondrai que les enfants et toutes les choses de ce monde doivent être aimés pour l’amour de Celui qui les a créés, et non pour l’amour de soi-même ou de ses enfants; qu’il ne faut jamais offenser Dieu pour eux ou pour autre chose. Il ne faut pas aimer les créatures par intérêt et comme des choses qui vous appartiennent, mais comme des choses qui vous sont prêtées; car ce qui nous est donné en cette vie, nous est donné pour notre usage, pour en jouir autant qu’il plaira à la bonté de Dieu de nous les laisser. Vous devez donc user de tout comme l’économe de Jésus crucifié, et assister de vos biens, autant que vous le pourrez, les pauvres qui représentent [1688] la personne de Dieu même. Vous devez avoir soin de vos enfants, c’est-à-dire les nourrir et les élever dans la crainte de Dieu, et préférer les voir mourir que de les voir offenser leur Créateur. Faites, faites le sacrifice de vous-même et de vos enfants à Dieu; et si vous voyez que Dieu les appelle, ne résistez pas à sa douce volonté. S’il les prend d’une main, donnez-les-lui des deux, comme une véritable et bonne mère qui aime leur salut. Ne choisissez pas vous-même leur état; ce serait une preuve que vous les aimez hors de Dieu, et soyez contente de celui auquel Dieu les appelle. Souvent les mères qui aiment leurs enfants selon le monde, disent : Je désire bien que mes enfants soient agréables à Dieu, et puissent le servir aussi bien dans le monde que dans un autre état; mais il arrive aussi bien souvent que ces pauvres mères, en voulant livrer leurs enfants au monde, ne les conservent ni pour Dieu ni pour le monde, et il est juste qu’elles en soient privées spirituellement et corporellement. puisqu’elles poussent ainsi l’orgueil et l’ignorance jusqu’à vouloir donner des lois et des règles à l’Esprit-Saint, qui les appelle. Elles ne les aiment pas en Dieu, mais elles les aiment d’un amour sensible, hors de Dieu; elles aiment plus leurs corps que leurs âmes;

3. Bien-aimée Soeur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, jamais on ne peut se revêtir de Jésus crucifié avant de s’être dépouillé de cet amour. J’espère de la Bonté suprême qu’il n’en sera jamais ainsi pour vous; mais, comme une véritable et bonne mère, vous vous offrirez, vous et vos enfants, pour l’honneur et la gloire du nom de Dieu, et vous serez ainsi revêtue du [1689] vêtement nuptial. Mais afin que vous puissiez plus facilement vous en revêtir, je veux que vous détachiez vos désirs et votre affection, du monde et de ce qui lui appartient; je veux que vous ouvriez l’oeil de votre intelligence pour connaître l’amour que Dieu vous porte, cet amour avec lequel il vous a donné le Verbe, son Fils unique. Et ce Fils vous a donné sa vie avec le même ardent amour; il a immolé son corps, et vous a fait un bain de son sang. Ignorants et misérables que nous sommes ! nous ne connaissons pas, nous n’aimons pas un si grand bienfait, et cela, parce que nos yeux sont fermés; s’ils étaient ouverts pour contempler Jésus crucifié, pourrions-nous méconnaître tant de grâces? Aussi je vous le dis: ouvrez toujours vos yeux, et fixez votre regard sur l’Agneau immolé pour nous, afin de ne jamais tomber dans une pareille ignorance. Oui, ma très douce Fille, ne tardons plus, réparons le temps perdu à force d’amour; et si, dans cette vie, nous nous revêtons de ce vêtement par la grâce, nous nous réjouirons aux noces de la vie éternelle avec votre époux et vos enfants.

4. Prenez doucement courage, soyez patiente, et ne vous troublez pas si j’ai gardé votre Etienne trop longtemps (Sainte Catherine aimait particulièrement Etienne Maconi; elle le garda avec elle prés de six mois, à l’époque de son voyage d’Avignon.); j’ai bien veillé sur lui, car l’affection n’a fait de nous deux qu’une même chose, et vos intérêts sont les miens. Je pense que vous n’avez pas trop souffert; moi, je veux, pour vous et pour lui, jusqu’à la mort, faire tout ce que je pourrai faire [1690]. Vous, sa mère, vous l’avez enfanté une fois; et moi je veux vous enfanter, lui, vous et votre famille, dans les larmes et les angoisses, en offrant sans cesse à Dieu mes prières et le désir de votre salut. Je ne vous dis rien de plus. Saluez Corrado de ma part, et bénissez pour moi toute la famille, surtout ma plante nouvelle, qui vient d’être plantée dans le jardin de la sainte Eglise. Ayez-en bien soin, et nourrissez-la dans la vertu, pour qu’elle répande son parfum parmi les autres fleurs. Que Dieu vous remplisse de se douce grâce. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCLVI.- A NANNA, fille de Benincasa, sa jeune nièce, à Florence.- Elle l’exhorte à être l’épouse de Jésus-Christ, à l’exemple des vierges sages de l’Evangile, et elle lui apprend à entretenir la lampe de son coeur.

(Nanna est le diminutif de Giovanna. Cette nièce de sainte Catherine était fille de Benincasa, son frère aîné, qui s’établit à Florence.)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Dieu, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir la véritable épouse de Jésus [1691] crucifié, en fuyant tout ce qui pourrait t’empêcher d’avoir ce doux et glorieux Epoux. Mais tu ne pourras le foire, si tu n’es pas de ces vierges sages du Christ, qui avaient leurs lampes avec de l’huile et de la lumière. Sais-tu, ma Fille, ce que cela veut dire? La lampe signifie notre cœur, et notre cœur doit être fait comme une lampe. Tu vois bien qu’une lampe est large par le haut et très étroite par le bas: c’est la figure de notre coeur, parce que nous devons toujours l’ouvrir vers les choses supérieures par les saintes pensées, par les peines et les prières continuelles, en nous rappelant toujours les bienfaits de Dieu, surtout le bienfait du Sang qui nous a rachetés.

2. Oui, ma Fille, le Christ béni ne nous a pas rachetés avec de l’or, de l’argent, des perles et des pierres précieuses. Il nous a rachetés avec son précieux sang; et un si grand bienfait, il ne faut jamais l’oublier, niais l’avoir toujours devant les yeux avec une sainte et douce reconnaissance, en voyant que Dieu nous a aimés d’une manière si ineffable, qu’il n’a pas craint de livrer son Fils unique à la mort honteuse de la Croix, pour nous donner la vie de la grâce. J’ai dit que la lampe est étroite par le pied; et notre cœur aussi doit se resserrer vers les choses de la terre: c’est-à-dire qu’il ne doit pas les désirer et les aimer d’une manière déréglée, les souhaiter plus que Dieu ne veut nous les donner, mais toujours le remercier en voyant combien il pourvoit doucement à tout, puisque jamais rien ne nous manque. Notre cœur sera ainsi une lampe; mais songe, ma Fille, qu’elle serait inutile s’il n’y avait pas de l’huile dedans [1692].

3. L’huile nous représente cette douce petite vertu de l’humilité véritable, car il faut que l’épouse du Christ soit humble, douce et patiente; plus elle sera patiente, plus elle sera humble. Mais cette vertu de l’humilité, nous ne pourrons l’avoir qu’en nous connaissant véritablement nous-mêmes, en reconnaissant notre misère, notre fragilité, en reconnaissant que nous ne pouvons seuls, faire aucun bien, et nous délivrer d’aucun combat et d’aucune peine ; car si nous avons quelque maladie dans notre corps ou quelque affliction dans notre esprit, nous ne pouvons nous en débarrasser; si nous le pouvions, nous le ferions sur-le-champ. Il est donc vrai que par nous-mêmes, nous ne sommes rien que honte, misère, corruption, faiblesse et péché; et c’est pour cela que nous devons toujours nous abaisser, nous humilier. Mais il ne serait pas bon de se borner à cette connaissance, parce que l’âme tomberait dans l’ennui, le trouble et du trouble dans le désespoir; le démon ne cherche qu’à nous troubler pour nous faire ensuite tomber dans le désespoir.

4. Il faut donc aussi connaître la bonté de Dieu à notre égard, en voyant qu’il nous a créés à son image et ressemblance, qu’il nous a fait renaître à la grâce dans le sang de son Fils unique, le doux Verbe incarné, et que cette bonté de Dieu agit sans cesse en nous. Mais vois aussi qu’il ne serait pas bon de se borner à cette connaissance de Dieu, parce que l’âme tomberait dans l’orgueil et la présomption; il faut donc réunir ces deux connaissances, la sainte connaissance de la bonté de Dieu et la connaissance de nous-mêmes. Alors nous serons humbles, patients et [1693] doux; et de cette manière nous aurons de l’huile dans la lampe.

5. Il faut maintenant de la lumière; sans cela le reste ne suffirait pas. Cette lumière doit être la lumière. de la très sainte Foi; mais les saints disent que la foi sans les œuvres est morte ce ne serait pas une foi vive et sainte, mais une, foi morte. Il faut donc nous appliquer sans cesse à la vertu et abandonner nos enfantillages et nos vanités, et ne plus faire comme les jeunes personnes mondaines, mais être comme des épouses fidèles consacrées à Jésus crucifié; de cette manière, nous aurons la lampe, l’huile et la lumière. L’Evangile dit que les vierges sages étaient cinq et je te dis aussi qu’il faut être toujours cinq autrement nous n’entrerions pas aux noces. de la vie éternelle.

6. Ce nombre cinq nous apprend que nous devons vaincre et mortifier les cinq sens de notre corps, pour que nous ne pêchions jamais avec eux, et qu’ils ne prennent jamais aucun plaisir défendu; et de cette manière nous serons cinq, parce que nous aurons assujetti les cinq sens de notre corps. Mais panse que le doux Epoux, le Christ, est si jaloux de ses épouses, que je ne pourrai jamais assez te le dire; s’il voyait que tu aimes autre chose que lui, il se fâcherait sur-le-champ avec toi; et si tu ne te corrigeais pas, la porte serait fermée, et tu ne pourrais entrer où l’Agneau sans tache célèbre les noces avec toute ses épouses fidèles. Mais nous serions chassées comme des adultères, comme les cinq vierges folles, qui se glorifiaient de la virginité de leur âme par la corruption de leurs cinq sens, parce qu’elles n’avaient pas porté [1694] avec elles l’huile de l’humilité. Aussi leurs lampas s’éteignirent, et il leur fut dit: Allez acheter de l’huile. Par cette huile on doit entendre les flatteries et les louanges des hommes.

7. Ceux qui flattent et louent dans le monde vendent cette huile. C’est comme s’il avait été dit aux vierges folles: Avec votre virginité et vos bonnes œuvres vous n’avez pas voulu acheter la vie éternelle, mais vous avez voulu acheter les louanges des hommes, et vous avez tout fait pour cela; allez acheter des louanges, vous n’entrerez pas ici. Ainsi, ma Fille, garde-toi bien des louanges des hommes; ne désire être louée pour aucune de tes actions, car autrement la porte de la vie éternelle ne te serait pas ouverte. Comme je sais que cette voie est la meilleure, je t’ai dit que je désirais te voir la véritable épouse de Jésus crucifié, et je te t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCLVII.- A MADAME BARTHELEMI de Dominique, à Rome.- Du pèlerinage de la vie, et du bâton de la Croix, qu’il faut prendre pour nous soutenir et nous défendre.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir une bonne voyageuse [1696], vivant comme vit le vrai pèlerin qui voyage en ce monde ; et puisque nous marchons tous vers la mort, je veux que vous fassiez comme le sage pèlerin, qui ne s’arrête ni aux peines ni aux plaisirs qu’il rencontre dans la route, mais qui ne regarde que le terme où il veut arriver. Nous pommes aussi des voyageurs, et nous ne devons être arrêtés ni par les tribulations, ni par les outrages, ni par les injures qui nous seront dites ou faites en cette vie. Ne vous détournez pas du chemin par impatience; mais continuez avec un vraie et sainte patience, comme une personne qui ne doit pas s’arrêter: je dis que nous ne devons pas nous arrêter aux plaisirs et aux consolations par un attachement déréglé, mais nous devons passer outre généreusement, sans nous y complaire. Il faut aussi avoir dans cette route, un bâton à la main pour nous défendre des animaux sauvages et de nos ennemis.

2. Ce sera, ma Mère et ma très chère Fille, le bâton de la très sainte Croix, et avec ce bâton vous trouverez l’Agneau immolé et consumé d’amour, qui nous défend de la sensualité, notre ennemie ; car l’âme, en voyant tant d’amour, mortifie et tue ses désirs déréglés. Je dis qu’il nous défend des animaux, c’est-à-dire des pensées du démon, des trompeuses flatteries du monde et de l’amour déréglé des enfants et des créatures. Oh ! combien est doux ce bois glorieux, où l’âme s’appuie pour courir et arriver à son terme ! Notre terme, notre fin est la vie éternelle. Je veux que vous l’ayez toujours devant les yeux de votre esprit ; et alors vous serez un véritable pèlerin, et vous arriverez an port du salut. Baignez-vous, baignez-vous [1696] dans le sang de Jésus crucifié, allez recueillir le sang de Jésus crucifié dans les pèlerinages, car, par les pèlerinage (Per cotesti perdonni. Par ces pardons, mot encore employé en Bretagne pour exprimer les pèlerinages où sont attachées des indulgences) le chrétien ne fait autre chose que de recueillir le précieux sang. Les indulgences nous sont données par le sang de l’Agneau sans tache. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. 

Table des matières (2)


 

CCCLVIII. — A MADAME BARTHELEMI d’Andrea Mei, de Sienne.- Du renoncement à la volonté propre, et de l’amour de Dieu dans notre création et dan notre rédemption.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Mère et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermie dans la vraie et solide vertu, parce que sans la vertu nous ne pourrons plaire à notre Créateur; Dieu a toujours voulu nous donner la vie de la grâce par son moyen. Vous savez bien que, quand le premier homme, Adam, tomba dans le péché par la désobéissance, ce péché fut suivi de la mort éternelle; et Dieu [1697], voulant le rétablir dans la grâce et lui donner la vie éternelle, le fit par le moyen de son Fils unique, en le chargeant de tuer par l’obéissance notre désobéissance, de nous rendre la vie par sa mort, et de consumer, de détruire notre mort. Il en fut vraiment ainsi dans le tournoi du Calvaire. Le doux et tendre Verbe jouta contre la mort, et par an mort il vainquit la mort. La mort tua la vie, c’est-à-dire que la mort de notre péché tua le Fils de Dieu sur le bois de la très sainte Croix; mais par sa mort il nous délivra de la mort, et nous rendit la vie parfaite. Ainsi la vie est restée maîtresse; elle a défait le démon infernal, qui tenait l’homme en en puissance; l’homme ne devait avoir d’autre maître que Dieu seul, l’éternel Seigneur.

2. Mais nous revenons à cette première mort, et nous perdons la vie que nous avons par le sang de Jésus crucifié, lorsque l’âme se met à servir la sensualité par ses désirs déréglés pour les honneurs, les richesses, les enfants ou les autres créatures, et par tout autre sentiment qui n’est pas selon Dieu - Quelquefois aussi l’âme devient spirituellement servante et esclave de la volonté propre, sous prétexte d’être plus fervente, et de posséder Dieu davantage; c’est lorsque nous désirons la consolation, la tribulation, la tentation du démon, le temps ou le lieu à notre manière, en disant souvent : Je voudrais avoir cette épreuve autrement, parce qu’elle me fait perdre Dieu. Je la supporterais alors patiemment, tandis que je ne le puis pas de cette manière, Si je n’offensais pas Dieu, je l’accepterais; mais je me plains, parce que je crains d’offenser Dieu. Très chère Mère, si vous [1698] ouvrez l’oeil de l’intelligence, vous verrez que c’est la volonté propre sensitive qui se couvre du manteau de la spiritualité. Car si l’âme était sage, il n’en serait pas ainsi; mais elle croirait avec une foi vive que Dieu ne permet jamais plus qu’elle ne peut en porter, et plus qu’il n’est nécessaire à son salut, car il est notre Dieu, qui ne veut autre chose que notre sanctification. Nous faisons souvent de même pour les consolations de l’âme; elle ne les reçoit pas quand elle veut, dans les moments et les lieux qu’elle désire; elle éprouve, au contraire, des combats, des ennuis, des sécheresses; et alors elle tombe dans la peine, l’affliction, le dégoût et le découragement.

3. Souvent le démon lui fait croire que tout ce qu’elle dit et tout ce qu’elle fait alors, n’est pas agréable à Dieu. Il semble lui dire : Puisque tu ne peux lui plaire, parce que tu es mal disposée, reste tranquille et une autre fois: si tu te sens mieux disposée, tu pourras reprendre la prière. Le démon agit ainsi pour nous faire abandonner l’exercice corporel et spirituel de la sainte prière actuelle, vocale et mentale, parce qu’en ôtant les armes avec lesquelles le serviteur de Dieu se défend des coups du démon, de la chair et du monde, il obtient de nous ce qu’il veut; la cité de l’âme est obligée de se rendre, et il y entre en maître. Il ne peut en être autrement dès qu’elle a perdu les armes et la force de la prière; la prière nous donne les armes de l’humilité véritable et de l’ardente charité, parce que la sainte prière nous fait parfaitement connaître notre néant, notre faiblesse et la bonté, la charité infinie dé Dieu. L’une et l’autre se connaissent mieux dans le temps de l’épreuve et de [1699] la sécheresse, et l’âme devient plus humble et plus vigilante. Si elle est prudente, elle ne cédera pas à la volonté propre dans la consolation, et elle n’écoutera pas le démon; mais elle persévérera généreusement et avec une sainte haine, dans la prière, que Dieu lui envoie des douceurs ou des amertumes. Elle gagne plus dans les peines et les amertumes que Dieu lui accorde que dans les douceurs: car quand elle est dans le besoin, elle court avec zèle et humilité vert son bienfaiteur, sachant bien que par elle-même elle ne peut rien, et qu’il n’y a que Dieu en qui elle espère, qui peut et veut la secourir. Sans ce moyen, nous ne pourrions jamais arriver à la pratique de la vertu, nous n’en aurions que le désir. Pour y arriver, il faut souffrir avec une vraie et solide patience les peines intérieures que nous causent les créatures pal leurs persécutions et leurs scandales.

4. Nous parviendrons ainsi à la vertu, parce que ce sont ces moyens qui nous font enfanter la vertu. La vertu est éprouvée par la peine, comme l’or pas le feu; car si dans la peine, l’âme non seulement ne montre pas sa patience, mais encore faiblit pour cela ou pour autre chose, ce sera une preuve qu’elle ne sert pas son Créateur et qu’elle ne lui obéit pas, en recevant humblement et avec amour ce que le Maître lui donne. Elle ne montre pas non plus sa foi dans l’amour de Notre-Seigneur; car, si elle croyait en être véritablement aimée, rien ne pourrait la scandaliser: elle recevrait aussi bien et avec autant de respect, l’adversité que la prospérité et la consolation, parce qu’elle verrait que tout lui est donné par amour, Mais elle ne le voit pas, et elle montre qu’elle s’est [1700] faite l’esclave de la sensualité et de la volonté propre. Dans toutes les circonstances dont nous avons. parlé, elle se laisse commander et tyranniser par elles. Cette servitude, la servitude du monde et de la volonté propre spirituelle, nous donne la mort. Il faut donc la fuir, puisqu’elle nous empêche d’être les serviteurs fidèles de Dieu, et qu’elle nous pousse à vouloir le servir, non pas selon son bon plaisir, mais selon le nôtre, ce qui est coupable et nous rend des serviteurs mercenaires. Puisqu’il en résulte tant de mal, et que Dieu veut faire toute chose selon ses desseins, je dis que nous devons suivre cette voie et la doctrine qu’il nous a donnée.

5. Nous voyons bien que nous ne nous sommes pas créés nous-mêmes, mais que nous devons l’existence à l’infinie Charité. C’est par pur amour que Dieu nous a créés à son image et ressemblance, pour qui nous partagions son bonheur et que nous jouissions de son éternelle vision; mais nous l’avons perdue par la faute et par l’amour-propre de notre premier père. Alors, pour rendre à l’homme ce qu’il avait perdu, Dieu nous donna son Fils pour médiateur; et ce médiateur, afin de réconcilier Dieu et l’homme, a reçu lui-même le châtiment. La paix ne pouvait se faire autrement, car la guerre était grande; un Dieu in, fini avait été offensé, et l’homme fini, qui l’avait offensé, ne pouvait par aucune peine, aucune souffrance, satisfaire ce Dieu muni. C’est pourquoi l’ardeur de son ineffable charité trouva le moyen de faire la paix, et, pour que la justice fut satisfaite, il s’unit lui-même, il unit la nature divine à notre nature humaine; l’infini de Dieu et le fini de l’homme [1701] s’unirent dans la personne du Christ, qui souffrit sur le bois de la très sainte Croix pour satisfaire son Père et apaiser sa colère contre l’homme. D’un seul coup, sur le bois de la Croix, le doux Verbe a ainsi satisfait la miséricorde, en nous donnant la grâce que nous avions perdue, et il a satisfait la justice, qui demandait une punition de la faute; cette punition, il l’a soufferte dans son corps, dans cette même nature qui avait commis l’offense, car la chair du Christ venait de la chair d’Adam. Mais nous, ingrats que nous sommes, bien souvent nous perdons la grâce par nos péchés, et nous entrons en guerre avec Dieu.

6. Quelquefois cette guerre est mortelle, quelquefois seulement indigne d’un ami. La guerre est mortelle quand l’âme est plongée dans la mort du péché mortel, en faisant son dieu du monde, de la chair et de ses misérables plaisirs. Ceux-là ont véritablement perdu la vie; mais ils peuvent la recouvrer, tant qu’ils sont sur terre, par la confession et par le moyen du sang de Jésus-Christ. Vous le voyez donc bien, sans ce moyen on ne peut vivre en état de grâce et parvenir à la vie éternelle. Ceux qui méprisent l’amour sont ceux qui servent Dieu sans être en péché mortel; ils sont en état de grâce et veulent être de vrais serviteurs de Dieu; mais ils tombent souvent dans une erreur qui vient de la volonté propre spirituelle. Cette volonté, qui s’est rendue maîtresse, les éloigne de la vérité, pas assez cependant pour qu’ils tombent dans le péché mortel, mais ils nuisent à la perfection qu’ils voulaient atteindre, parce qu’ils prétendent choisir le lieu, le temps, la consolation [1702], l’épreuve et la tentation à leur manière. Alors Dieu se refroidit pour l’âme qu’il aimait, parce qu’il ne la voit pas marcher avec la liberté et la générosité qu’elle devrait avoir. Il nous a donné un moyen, et il veut que nous nous en servions, si nous voulons éviter de lui déplaire et détruire l’obstacle qui s’oppose à notre perfection; il veut que nous renoncions à notre volonté propre, afin de ne chercher et de ne vouloir autre chose que Jésus crucifié. Tout le bonheur de l’âme doit être de se reposer dans les opprobres du Christ et d’enfanter les vertus conçues par un saint désir dans la charité du prochain, avec une humilité véritable. En supportant les peines et les fatigues comme Dieu nous les envoie, et la sécheresse de l’âme avec une vraie et sainte patience, nous serons affermis dans la vertu, et nous aurons la force et l’intelligence de l’homme fait, et non de l’enfant, qui ne veut marcher et agir qu’à sa manière. Je ne vois pas que nous puissions avancer par une autre voie, et c’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir fondée sur la vraie et solide vertu; et, comme je veux que votre âme soit unie à Dieu par l’amour, je vous ai dit que cela ne pouvait être sans le moyen de la vertu, parce que tout doit se faire par le moyen dont nous avons parlé. Je suis persuadée qu’avec le secours de l’infinie bonté de Dieu, vous accomplirez sa volonté et mon désir. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1703].

Table des matières (2)


 

CCCLIX.- A MADAME MONTAGNA, grande servante de Dieu, dans le comté de Narni, à Capitone.- De la charité parfaite.- De l’amour-propre temporel et spirituel.- De l’union de l’âme avec Dieu qui naît de la charité parfaite.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et bien-aimée Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir brûlée et consumée dans le feu de la divine charité. Celui qui a cette charité ne cherche pas ses intérêts; il ne se cherche pas, et il ne cherche pas le prochain pour lui-même; mais il se cherche et cherche le prochain pour Dieu, et Dieu pour pieu même, parce qu’il est digne d’être aimé, et qu’il est l’éternelle et souveraine Bonté. Ce feu brûle, il consume et ne consume pas, c’est-à-dire qu’il ne consume pas et ne dessèche pas l’âme, mais il l’engraisse par l’onction de la vraie et parfaite humilité, de l’humilité, qui est la gardienne et la nourrice de la charité il consume tout amour-propre, spirituel et temporel, avec tout ce qui, dans l’être, se trouve opposé à la douce volonté de Dieu.

2. Je dis que ce feu consume l’amour-propre temporel, parce qu’il fait connaître à la lumière que toutes les choses temporelles et passagères sont des [1704] instruments de mort pour l’âme qui les possède avec un amour déréglé; elle commence alors à les haïr et à les chasser de son cœur et de sa pensée; et comme l’âme ne peut vivre sans amour, elle dirige ses affections vers les richesses de la vertu ; et ce feu d’amour, par la force de son ardeur, consume entièrement tout autre amour. Lorsque l’âme s’est ainsi purifiée, elle n’est pas encore parfaite, et tant qu’elle n’est pas arrivée à la perfection, il lui reste un amour-propre spirituel, ou pour la créature ou pour le Créateur, et même l’un n’est pas sans l’autre; car, comme nous aimons Dieu, nous aimons la créature raisonnable. A quoi s’aperçoit-on que cet amour-propre est dans l’âme? Quand elle aime sa propre consolation, et qu’elle néglige le salut du prochain, parce qu’elle voit diminuer alors la paix et le calme de son esprit, ou qu’elle se voit gênée dans les exercices qu’elle voulait faire pour sa consolation. Quelquefois aussi elle aime la créature d’un amour spirituel, et il lui semble que la créature ne répond pas à son amour et qu’elle lui préfère une autre personne; elle souffre beaucoup et s’indigne de cette préférence, et souvent elle jugera intérieurement cette créature, et s’en éloignera sous prétexte d’être humble et de mieux conserver la paix, mais c’est l’amour qu’elle a pour elle-même qui la fait agir. Cette conduite envers la créature montre que l’amour-propre spirituel de l’âme n’est pas encore consumé à l’égard du Créateur.

3. Quand l’âme est tourmentée par les ténèbres, les combats de la privation de ses consolations ordinaires, elle se laisse aller quelquefois au trouble, à l’ennui ; ce trouble et cet ennui lui feront souvent négliger [1705] doux exercice de la prière, ce qui ne devrait pas être, car elle devrait s’y attacher comme à une mère, et ne sen éloigner jamais. Si elle l’abandonne, surtout Si elle abandonne quelqu’autre acte de vertu, c’est une preuve que son amour est mercenaire, c’est-à-dire qu’elle aime sa propre consolation, et que l’attachement aux jouissances spirituelles D’est pas encore déraciné de son cœur. Je dis que le feu de la divine charité consume et détruit l’imperfection. Il rend l’âme parfaite dans l’amour de Dieu et l’amour du prochain; elle ne craint pas, pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes, de perdre sa propre consolation; elle ne refuse pas le travail, mais elle se plaît à s’asseoir à la table des pénibles désirs dans la compagnie de l’humble Agneau sans tache. Elle pleure avec ceux qui pleurent, et se fait malade avec ceux qui sont malades, parce qu’elle prend les fautes d’autrui pour les siennes; elle se réjouit avec ceux qui. se réjouissent, dilatant son cœur dans la charité du prochain, tellement qu’elle est plus heureuse du bonheur, de la paix des autres, que de sa propre consolation. Celui qu’elle aime, elle voudrait le voir aimé partout le monde. Elle ne se scandalise pas de se voir moins aimée que les autres, mais elle est contente de tout par humilité, parce qu’elle se trouve pleine de défauts, et qu’elle trouve les autres remplis de vertus; il lui paraît juste et convenable que ceux qui ont plus de vertus soient aimés davantage.

4. Cette charité unit l’âme à Dieu, en détruisant la volonté propre, et en la revêtant en l’unissant avec l’éternelle Volonté, si bien que rien ne peut la scandaliser et la troubler, excepté les offenses faites à son [1706] Créateur et la perte des âmes. La charité est un feu qui convertit tout en lui, et qui élève l’âme au-dessus d’elle-même. Son union est si grande dans l’extase de la charité divine, que le corps qui la contient perd tout sentiment, si bien qu’il voit sans voir, qu’il entend sans entendre, qu’il parle sans parler, qu’il marche sans marcher, qu’il touche sans toucher. Tous les sens du corps paraissent enchaînés ; il semble qu’ils ont perdu leur vertu, parce que la sensibilité s’est perdue elle-même en s’unissant à Dieu. Dieu, par sa vertu et sa charité, attire tout à lui, et la sensibilité du corps même n’existe plus. L’union de l'âme avec Dieu est plus parfaite que celle de l’âme avec le corps. Dieu attire à lui toutes les puissances de l’âme et toutes ses opérations. La mémoire est remplie du souvenir de ses bienfaits et de son ineffable bonté ; l’intelligence contemple la doctrine que Jésus crucifié nous a donnée par amour, et la volonté se précipite avec ardeur pour l’aimer.

5. Alors toutes les opérations de l’âme sont réglées et réunies en son nom. Elle goûte le lait de la divine douceur; elle s’enivre du sang du Christ, et dans son ivresse elle ne veut se rassasier que d’opprobres; elle embrasse les mépris, les injures, les outrages, le froid, le chaud, la faim, la soif, les persécutions des hommes et les attaques des démons. Elle se glorifie toujours avec le glorieux saint Paul dans le Christ, le doux Jésus. J’ai dit que la charité ne se recherche pas, parce qu’elle ne choisit pas le lieu et le temps selon son bon plaisir, mais selon que le veut la divine Bonté; elle accepte tous les lieux et tous les instants [1707]. La tribulation ne lui pèse pas plus que la consolation, parce qu’elle cherche l’honneur de bleu dans le salut des âmes, avec te désir d’acquérir et d’augmenter les vraies et solides vertus. Elle n’a pas placé la perfection dans les consolations spirituelles, dans les révélations, dans la mortification du corps, mais dans la mort de la volonté, parce qu’elle a vu à la lumière que ce n’est pas en cela que consiste la perfection, mais dans la mort de la volonté spirituelle et temporelle; aussi elle la jette généreusement dans la fournaise de la charité divine; et quand elle y est, il faut bien qu’elle y brille et qu’elle y soit consumée. Tout ce que nous avons dit n’est rien auprès de ce qu’est et de ce que donne la charité, cette douce mère. Voyons maintenant où elle s’acquiert, et comment.

6. Je vous le dirai en peu de mots. On l’acquiert avec la lumière de la très sainte Foi, et cette Foi est la prunelle de l’oeil de l’intelligence. Avec cette lumière, l’âme voit ce qu’elle doit aimer et ce qu’elle doit haïr. En voyant elle connaît, et en connaissant elle aime et elle hait. Elle aime ce qu’elle a connu de la Bonté divine, et elle hait ce qu’elle a vu de sa propre malice; et sa misère lui fait comprendre ce qui est nécessaire à son salut. Quelle en est la cause? la lumière, d’ou vient la connaissance, et de la connaissance vient l’amour. Car ce qu’on ne connaît pas, on ne peut l’aimer. La lumière nous conduit donc à la chaleur; l’une est inséparable de l’autre: il n’y a pas de feu sans lumière, et de lumière sans feu. Ou le trouverons-nous? dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes. C’est en nous que [1708] nous trouvons ce doux et tendre feu, puisque par amour Dieu nous a donné l’être à son image et ressemblance ; par amour nous avons été régénérés à la grâce dans Je sang de Jésus crucifié car c’est l’amour qui l’a attaché et cloué sur la Croix. Nous sommes les vases qui ont reçu l’abondance du sang, et toutes les grâces spirituelles qui nous ont été données avec l’être, nous les avons revues par amour. Ainsi l’âme trouve et connaît en elle-même ce doux feu. Allons donc avec la lumière dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, et nous nous y nourrirons de la divine charité, en nous voyant aimés de bleu d’une manière ineffable. La charité nourrit les vertus sur son sein, et fait vivre l’âme dans la grâce; Sans elle nous serions stériles et privés de la vie.

7. Ces pensées m’ont fait dire que je désirais et que je désire, pour vous comme pour moi, nous voir brûlées et consumées dans la fournaise de la divine charité. Je prie ta clémence du Saint-Esprit de nous en faire la grâce, afin que la Bonté divine soit glorifiée en nous, en consumant notre vie dans la douleur amère des fautes commises contre Dieu, et en lui offrant sans cesse d’humbles et fidèles prières pour la sainte Eglise et pour toute créature raisonnable; Anéantissez-vous dans le sang de l’Agneau. Je ne dis rien de plus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1709].

Table des matières (2)


 

CCCLX.- A MADAME AGNES TOSCANELLA, servante de Dieu d’une grande pénitence.- Du vrai fondement que nous devons donner à l’édifice de notre âme. — La pénitence n’est qu’un moyen.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Soeur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir creuser un vrai et solide fondement, de manière qu’il puisse supporter un grand et bel édifice, qu’aucun vent contraire ne puisse renverser. Ne vous étonnez pas si je vous dis que je désire vous voir creuser un véritable fondement. Il semblerait, à m’entendre, que nous commençons maintenant seulement à bâtir la cité de notre âme: il y a tant de temps cependant que nous paraissons vouloir creuser ce fondement, bien que, je le confesse, je ne l’aie jamais fait; mais, ce qui me fait dire de commencer maintenant, c’est que l’âme, tous les jours, doit commencer à y travailler. Puisque nous avons vu qu’il faut creuser ce fondement, voyons où, comment et avec quoi. Le lieu est la vraie connaissance de nous-mêmes, et cette connaissance se creuse dans la vallée de la véritable humilité. De quelle manière? avec la lumière de la très sainte Foi, en ôtant avec les mains de la haine, la terre qui encombre l’âme, c’est-à-dire l’amour déréglé de nous-mêmes [1710], en y mettant les pierres des vraies et solides vertus avec la main de l’amour, avec un ardent et saint désir.

2. Et que mettrons-nous dessus? la faim de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, en écoutant l’humble Agneau sans tache, en suivant sa doctrine. Cette doctrine ne nous enseigne qu’à aimer Dieu par-dessus toute chose, et le prochain comme nous-mêmes. Mais l’âme prudente qui a creusé son fondement dans la sainte connaissance d’elle-même, y a connu la grande bonté de Dieu et l’amour ineffable qu’il nous porte; elle s’attache alors à lui et à tout oe qu’il aime, c’est-à-dire à la créature raisonnable; et elle s’asseoit aussitôt à la table du saint désir pour y prendre la nourriture des âmes, pour tuer en elle la volonté propre, et se revêtir de vertus pour l’honneur de Dieu; cette volonté doit se tuer tout entière, et non pas à moitié.

3. Savez-vous quand elle se tue à moitié? quand l’âme se détache des choses passagères en retranchant l’amour sensitif, et quand elle se met à faire la volonté de Dieu, qui veut que nous nous en dépouillions. Elle reste à moitié morte en mourant à ces choses, mais elle reste à moitié vivante dans les choses spirituelles, recherchant sa propre consolation, choisissant le lieu, le temps et les consolations à sa convenance, et ne les acceptant pas selon le bon plaisir de Dieu. Nous ne devons pas agir ainsi, nous devons servir notre Créateur sincèrement, généreusement, lui laissant discerner les lieux, les temps et les consolations comme il le veut, Il est le médecin, et nous sommes les malades; c’est de lui que nous devons recevoir et [1711] prendre la médecine. Elle est bien folle et bien insensée, l’âme qui veut se conduire elle-même ! Il semble qu’elle croit en savoir plus que Dieu, et elle ne s’en aperçoit pas. Il en est ainsi parce qu’elle s’imagine être plus agréable en faisant ce quelle veut qu’en se soumettant à ce que Dieu permet; et de cette manière elle tombe souvent dans de grandes erreurs.

4. D’où vient que la volonté n’est pas morte en cela? de l’amour qu’elle a pour les consolations, dont elle a fait son fondement. D’autres âmes le placent dans les visions et les révélations; elles y trouvent un grand plaisir quand elles les reçoivent, et elles souffrent beaucoup quand elles en sont privées. Ce fondement n’est pas bon; car souvent nous croyons que cet état vient de Dieu, et il vient du démon; le démon nous prend avec l’amorce qu’il sait être la plus propre à nous séduire. Quelquefois Dieu permettra que nous goûtions beaucoup de consolations spirituelles, non pas pour que nous y attachions notre cœur, mais pour que nous considérions plus l’amour de celui qui donne, que ce qu’il donne. Il nous les refusera dans un autre moment, et nous livrera aux combats, aux ténèbres et à la sécheresse de l’esprit, tellement que l’âme en souffre beaucoup, et croit être privée de Dieu, parce qu’elle est privée de ce qu’elle aime. Dieu le permet pour 1a retirer de l’imperfection et la conduire à la perfection, pour la guérir de l’amour des révélations, et la faire asseoir à la table du sincère désir, qui doit être le principe de toute sa conduite.

5. Il y en a beaucoup aussi qui se trompent au sujet de la pénitence. Souvent la créature met tout son zèle dans la pénitence, et s’applique plus à tuer le [1712] corps que la volonté propre, tandis qu’elle devrait tuer la volonté, et mortifier seulement son corps; mais elle s’attache tellement à la pénitence, qu’il lui semble ne pas pouvoir sans elle posséder Dieu. Ce fondement n’est pas suffisant pour porter un grand édifice: il est dangereux et nuisible à l’âme de s’appuyer uniquement sur la pénitence; mais elle doit prendre pour base la charité et les vertus intérieures de l’âme, qui ne détruisent ni le lieu ni le temps, si nous ne le voulons pas, et qui ne peuvent nous être enlevées par aucune créature. La pénitence doit se prendre comme instrument, et servir à augmenter la vertu en mortifiant le corps, mais elle ne doit pas être l’objet principal de l’âme. Celui qui ferait autrement se tromperait beaucoup lui-même. Il faut reconnaître que la pénitence dépend du temps, parce qu’il n’est pas toujours possible de continuer celle qu’on a commencée. Le corps mortifié et macéré dans un moment, ne peut l’être dans un autre : et l’âme souffre de cette impuissance; elle s’imagine être réprouvée de Dieu, et se remplit de ténèbres, parce qu’elle a perdu la voie ou il lui semblait recevoir la lumière et la consolation; et cela lui arrive parce qu’elle a pris la pénitence pour fondement. Ceux qui agissent ainsi sont exposés à se fatiguer beaucoup pour recueillir peu de fruits; ils sont disposés aux murmures et aux jugements à l’égard de ceux qui ne suivent pas la même voie qu’eux; ils ne s’aperçoivent pas qu’ils semblent vouloir donner des lois à l’Esprit-Saint, qui nous appelle et nous conduit par des voix différentes, les uns par la pénitence, les autres par d’autres moyens; les uns se [1713] mortifient peu ou beaucoup, selon que le permet la nature; les autres avancent seulement par l’ardeur du désir.

6. Ce sont ceux-là qui gagnent davantage; ils courent dans la lumière et la liberté sans connaître la peine, parce que leur volonté est morte; ils ne jugent pas, mais ils se réjouissent de la diversité des moyens que prennent les serviteurs de Dieu, parce qu’ils voient que, dans la maison du Père céleste, il y a plusieurs logements, et que Dieu a de quoi donner. Ils ne s’affligent pas de la perte des consolations, mais ils s’en réjouissent à cause de la haine qu’ils ont pour eux-mêmes, se jugeant dignes de la peine, et indignes de la récompense qui suit la peine. Ils ne se cherchent pas pour eux, mais pour Dieu; et ils n’aiment pas Dieu pour la douceur qu’ils y trouvent, mais pour sa bonté, parce qu’il est digne de tout notre amour. Ils aiment le prochain parce que Dieu l’a ‘commandé, et qu’ils ont vu à la lumière de la Foi vive, que Dieu l’aime d’une manière ineffable ; et alors ils l’aiment aussi. Dès cette vie, ils goûtent les arrhes de la vie éternelle, parce que leur volonté est morte non pas à moitié, mais entièrement, dans les choses spirituelles et temporelles. O très chère Sœur, ne Croyez pas que je méprise la pénitence corporelle: je la recommande au contraire comme moyen, mais non pas comme but principal. Autrement nous tomberions dans bien des erreurs.

7. Nous devons donc prendre pour fondement la connaissance de nous-mêmes et de Dieu, et nous devons courir simplement et généreusement à la table de la très sainte Croix, où nous trouverons le feu de [1714] la divine charité, et là prendre avec empressement la nourriture de l’honneur de Dieu et du salut des âmes, nous rassasiant d’opprobres, de mépris, d’injures et de souffrances jusqu’à la mort. De cette manière nous suivrons la doctrine de Jésus crucifié, qui est la voie, la vérité, la vie; et celui qui va par lui ne va pas par les ténèbres, mais il arrive à la lumière. Le Christ est vraiment la vérité; celui qui suit sa doctrine reçoit la lumière de la, grâce, qui dissipe les ténèbres de l’amour-propre et de l’ignorance. Il reçoit une lumière surnaturelle, qui lui fait voir et comprendre où il doit creuser ses fondements; il a fait et il a bâti la cité de son âme. Il a vu avec une grande prudence. la cause qui empêche sa perfection, et il l’a éloignée de lui; il a pris et embrassé ce qui pouvait l’aider à se conserver et à grandir dans la perfection. Il dilate son cœur et son amour dans l’ardeur de la charité divine; il ne pense plus à lui, mais il pense seulement au moyen de plaire davantage à Dieu, en cherchant son honneur et le salut des âmes et, comme il voit qu’il ne pourra y réussir tant que sa volonté vivra, il s’applique à tuer et à anéantir entièrement cette volonté, à mortifier son corps, si bien qu’il ne semble occupé qu’à se revêtir de vertus.

8. Lorsque cette âme reçoit des consolations de Dieu ou des créatures pour Dieu, elle s’humilie et les reçoit avec reconnaissance, s’en jugeant indigne. Si elle éprouve des tribulations, des tentations et des ténèbres intérieures, elle les reçoit avec patience et amour, reconnaissant que tout ce que Dieu permet, de quelque source que ce soit, il le permet par amour, pour la faire arriver à la perfection qu’elle désire. Si [1715] elle est arrêtée dans les pénitences qu’elle faisait pour mortifier son corps, ou par obéissance ou par impuissance elle conserve la paix, et ne ressent ni tempête ni amertume. elle n’avait pas mis là son fondement, mais bien dans l’amour de la vertu, et elle n’éprouve alors aucune peine. Le contraire arrive à ceux qui ont pris pour base unique la pénitence, parce que leur volonté est vivante, et non pas morte. Aussi leur chagrin est extrême, lorsque les circonstances ou la faiblesse de leur nature les obligent de cesser les pénitences qu’ils avaient commencées; ils tombent dans impatience à l’égard d’eux-mêmes, et dans le murmure à l’égard de ceux qui les arrêtent; et en voulant parvenir à la perfection ils arrivent à l’imperfection

9. Oui, très chère Fille, prenons pour principe, pour fondement véritable, non pas une chose imparfaite, mais une chose parfaite, c’est-à-dire la vraie connaissance de nous-mêmes avec le désir des vertus qu’on ne peut pas nous enlever nourrissons-nous à la table du vrai et saint désir, et rassasions-nous des opprobres de l’humble Agneau. Nous ne pourrons pas autrement pleurer par d’humbles et continuelles prières sur le Fils mort de l’humanité et sur le corps mystique de la sainte Eglise, que nous voyons maintenant dans de si grandes tribulations. Je ne vois pas de meilleur moyen de travailler en nous et dans les autres que de prendre ce principe, et je vous ai dit que je désirais vous voir établir un vrai et solide fondement, afin de pouvoir y élever ensuite l’édifice des vertus véritables. Je vous conjure de le faire pour l’amour de Jésus crucifié Ne soyez pas indiscrète par défaut de lumière; ne cherchez pas à tuer votre [1716] corps, mais bien votre volonté propre, ne voulant que ce que Dieu veut, selon son bon plaisir, et non selon le nôtre. Je ne vous en dis pas davantage.

10. Quant à ce que vous m’écrivez du voyage au Saint-Sépulcre, il me semble que vous ne devez pas le faire maintenant; je crois que c’est plutôt la douce volonté de Dieu que vous restiez où vous êtes, et que vous gémissiez sans cesse en sa présence, du fond de votre cœur et avec une grande amertume, de le voir tant offensé, surtout par l’hérésie qu’ont fait naître des hommes coupables pour souiller notre foi. Ils disent que le Pape Urbain VI n’est pas le vrai Pape. Il est bien le vrai Souverain Pontife, le Vicaire de Jésus-Christ, je le déclare devant Dieu et devant toutes les créatures. Baignez-vous dans le sang répandu pour nous avec un si ardent amour, et pardonnez-moi si je vous ai parlé avec trop de présomption. Priez Dieu pour le Christ de la terre et pour moi, afin qu’il me fasse la grâce de donner ma vie pour Sa douce vérité... Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1717].

Table des matières (2)


 

CCCLXI.- A MADAME AGNES, femme de François, tailleur, de Florence .- De l’humilité, de la prière, et de l’amour du prochain.

(Sainte Catherine a adressée dix lettres au mari de cette dame. (Voir la lettre CCXCVII)

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE.

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir revêtue de la vraie et parfaite humilité, car c’est cette chère petite vertu qui nous fait grandes en la douce présence de Dieu. C’est elle qui a forcé et incliné Dieu à faire incarner son très doux Fils dans le sein de Marie. Elle est autant glorifiée que les superbes sont humiliés; elle brille en la présence de Dieu et des hommes; elle lie les mains du méchant et unit l’âme à Dieu; elle purifie et lave les souillures de nos fautes, et engage Dieu à nous faire miséricorde.

2. Aussi, ma très douce Fille, je veux que tu t’appliques à embrasser cette glorieuse vertu, afin que tu traverses cette mer orageuse du monde sans tempêtes et sans périls. Appuie-toi sur cette douce et solide vertu, et baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié. Quand tu pourras consacrer du temps à la prière, je te conjure de n’y pas manquer; aime aussi [1718] avec charité toute créature raisonnable. Je te prie ensuite, et je te commande de ne pas jeûner, excepté les jours prescrits par la sainte Eglise, si tu le peux. Lorsque tu sens que tu ne peux pas jeûner, ne jeûne pas; et en autre temps ne jeûne que le samedi, si tu crois le pouvoir. Quand les chaleurs seront passées, tu jeûneras pour les fêtes de la Vierge, si tu le peux, mais pas davantage. Ne te réduis pas à boire tous les jours seulement de l’eau; efforce-toi d’augmenter tes sainte désirs, et ne te tourmente pas maintenant du reste. N’aie point de peine et de tristesse à notre sujet, car nous nous portons toutes bien. Quand il plaira à la divine Bonté nous nous reverrons. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Encourage de ma part mes douces filles Ursule et Ginevra. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCLXII.- A LA MEME.- Elle l’exhorte à s’attacher à l’arbre de la croix, pour y cueillir le fruit des vertus. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir revêtue d’une vraie et solide vertu, parce que sans la vertu, nous ne pouvons plaire à Dieu. Mais cette vertu, tu ne peux la trouver que [1719] dans l’ardeur de la charité, l’ardeur de la charité se trouve dans le doux et tendre Verbe; et ces vertus se nourrissent sur l’arbre de la très sainte Croix. Attache-toi donc à cet arbre comme une vraie fille du Christ, pour y cueillir ces fruits; tu t’y enivreras et te revêtiras des vraies et solides vertus. saigne-toi dans le Sang de Jésus crucifié, cache-toi dans la plaie de son côté, et fais-toi là une douce demeure par une sainte connaissance de toi-même, par une vraie connaissance de la grandeur de sa bonté. Enflamme-toi d’amour pour son honneur et pour le salut des âmes, en offrant pour elles à Dieu de doux et tendres désirs. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Poux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCLXIII.- A LA MEME.- Elle l’exhorte à croître dans les saints désirs de la vertu.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des Serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir grandir dans un saint désir et une vraie patience, de manière, que tu n’oublies jamais la douce volonté de Dieu, mais que tu saches t’y soumettre toujours avec joie, pendant tout le temps que Dieu te donnera. Aime à t’anéantir dans le sang de Jésus crucifié, à en faire ton repos, ton [1720] unique demeure. Dans ce glorieux sang tu recevras la lumière, car dans ce sang se dissipent les ténèbres. Tu recevras dans ce sang la vie de la grâce, parce que ce sang détruit la mort; et tu goûteras dans ce sang le fruit d’une ardente charité, car il a été répandu par amour. C’est l’amour qui l’a attaché et cloué sur la Croix. Les clous n’auraient pu suffire, si l’amour ne l’avait pas retenu; mais l’amour l’a retenu. Oui, je veux que tu te revêtes de cet amour, et, pour t’en revêtir, il faut te baigner dans le sang de Jésus crucifié. Je veux que tu le fasses. Applique-toi à la sainte prière, quand et où tu pourras, car la prière est une mère qui nourrit les vertus, ses enfants. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCLXIV.- A LA MEME.- Elle l’exhorte à se baigner dans le sang de Jésus-Christ.

  

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir baignée et anéantie dans le sang de Jésus crucifié, afin que tu donnes ton sang par amour du Sang et ta vie par amour de la Vie. O très chère Fille, voilà le temps de mourir d’ardeur pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes, le temps [1721] d’offrir des larmes et d’humbles et continuelles prières pour les besoins du monde entier. Je veux donc que, pour mieux faire à Dieu le sacrifice de nous-mêmes, tu te caches dans la plaie du côté de Jésus crucifié, et que tu te baignes dans son très doux sang. Je ne t’en dis pas davantage. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCLXV.- A LA MEME.- Elle l’exhorte à la persévérance et aux autres vertus.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t’écris dans son précieux sang. avec le désir de te voir une servante fidèle de ton Créateur, persévérant toujours dans la vertu, afin que tu reçoives en cette vie, l’abondance de la grâce, et que dans l’autre, nous jouissions de l’éternelle vision de Dieu, unies ensemble dans les doux liens de la charité. Mais, pour mieux croître et te conserver dans l’amour des vertus, je veux que par le saint désir, toi et François, vous vous cachiez dans le côté de Jésus crucifié. Son sang alors remplira le vase de votre cœur, afin que, transportés et enivrés du sang de Jésus-Christ, vous goûtiez les effets de la charité. Alors l’éternel Epoux vous recevra et vous pressera [1722] dans ses bras avec bonté et miséricorde. Je connais, ma Fille, les mouvements de ta charité. Tu me demandes si je veux que tu viennes pour moi je ne te réponds pas, mais je te dis seulement que je remplirai ton désir, et que je consolerai ton âme quand viendra le moment choisi pour toi; et ce sera bientôt, avec la grâce de Dieu. Courage dans le Christ, le doux Jésus. Salue bien de ma part Bartholo et M. Orsa. Bénis tout le reste de la famille, et dis surtout mille choses à François. Je ne te dis rien de plus pour le moment. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCLXVI.- A MADAME ORSA, femme de Bartholo Usimbardi, et à madame Agnès, femme de François Pépin, tailleur, de Florence.- Elle les exhorte au mépris du monde et à l’amour de Dieu.

(Ces deux familles, qui paraissent avoir été de conditions si différentes, étaient unies par leur attachement à sainte Catherine. (Voir les lettres CCLXXXIX ET CCXC )

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir persévérer dans vos saints [1723] désirs, afin que vous ne tourniez jamais la tête en arrière; car vous ne recevriez pas la récompense, et vous transgresseriez la parole de notre Sauveur, qui nous dit de ne pas tourner la tête pour regarder la charrue. Soyez donc persévérantes, et regardez, non pas ce que vous avez fait, mais ce que vous avez à faire. Et qu’avons-nous à faire? à diriger sans cesse notre amour vers Dieu, à mépriser le monde avec toutes ses délices, et à aimer la vertu, en souffrant avec une vraie patience tout ce que la divine Bonté permet, sachant bien que ce que Dieu nous donne, il le donne pour notre bien, afin que nous soyons sanctifiés en lui. Nous verrons dans le Sang que c’est la vérité. Ce glorieux sang nous a manifesté cette si douce vérité; nous devons en remplir notre mémoire, afin de nous le rappeler toujours avec reconnaissance. Je veux que vous agissiez ainsi, très chères Filles, parce que de cette manière vous persévérerez jusqu’à la mort; et au dernier jour de votre vie, vous recevrez pour récompense l’éternelle vision de Dieu. Je ne vous dis rien de plus.

2. Je te gronderai, ma très douce Fille, d’avoir oublié ce que je t’ai dit. Je t’avais recommandé de ne rien répondre à ceux qui parleraient de moi d’une manière qui ne te semblerait pas avantageuse. Je ne veux plus que tu recommences, mais je vous dirai ce qu’il faut répondre à ceux qui vous parlent de mes défauts. Ils sont, hélas! si considérables, qu’il serait bien difficile de tous les confesser. Dites-leur qu’ils aient compassion de moi devant Dieu, comme ils le témoignent par leurs paroles, et qu’ils prient tant la Bonté divine, qu’enfin je change de vie. Dites-leur [1724] aussi que le souverain Juge punira tous mes défauts, et récompensera toutes les peines qu’on aura supportées pour son amour. A l’égard de Mme Paule, je ne veux pas que tu prennes de l’humeur; mais pense qu’elle fait comme une bonne mère qui veut éprouver si sa fille a de la vertu ou non. Je confesse sincèrement que je ne trouve rien de bien en moi; mais j’espère en mon Créateur, qui me changera et me corrigera. Courage donc, et ne vous tourmentez plus, car nous nous trouverons unies dans l’ardeur de la charité divine, et nous ne serons séparées ni par le démon ni par les créatures. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCLXVII.- A TROIS DAMES DE FLORENCE.- Des vertus qui s’acquièrent dans la connaissance de soi-même, et de l’amour de Dieu envers nous.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, puisque la Bonté divine vous a retirées de la fange du monde, ne tournez pas la tête en arrière pour regarder la charrue, mais regardez toujours ce qu’il faut faire pour conserver en vous la sainte résolution que vous avez prise. Qu’est-ce qu’il faut voir et faire pour conserver cette volonté? Je vous dirai qu’il faut toujours rester dans la cellule de la connaissance de [1725] vous-mêmes. Vous y connaîtrez que vous n’êtes pas, et que vous tenez de Dieu seul l’existence; vous connaîtrez vos défauts et la brièveté du temps, qui est si précieux pour nous; car avec le temps on peut acquérir la vie éternelle ou la perdre, selon notre bon plaisir; et lorsque le temps est passé nous ne pouvons plus faire aucun bien. Vous devez aussi connaître en vous la grande bonté de Dieu et l’amour ineffable qu’il vous porte. Cet amour, il vous l’a montré par le moyen du Verbe, son Fils unique, et ce doux et tendre Verbe l’a montré par le moyen de son sang. Nous sommes les vases qui ont reçu ce sang, et nous sommes la pierre où a été planté l’étendard de la très sainte Croix. Ni la Croix, ni les clous, ni la terre ne pouvaient retenir, ainsi cloué et attaché, l’humble et tendre Verbe, si l’amour ne l’avait pas retenu. Mais l’amour qu’il avait pour nous l’a retenu et l’a fait rester sur l’arbre de la Croix. Il faut que notre cœur soit uni à lui par l’amour, si nous voulons participer au fruit de son sang. Alors l’âme qui connaît Dieu si doucement, aime ce qu’elle connaît de sa bonté, et déteste ce qu’elle connaît d’elle. même dans la partie sensitive.

2. C’est là qu’elle trouve l’humilité, qui est la gardienne et la nourrice de la charité. Et alors elle avance toujours, et ne retourne jamais en arrière, croissant de vertu en vertu, s’exerçant dans les vertus,, les humbles prières, les saints désirs et les bonnes œuvres, qui sont cette prière continuelle que doit pratiquer toute personne raisonnable. Elle s’exerce aussi aux prières particulières, qui se font aux heures réglées et ordinaires; ces prières, il ne [1726] faut pas les abandonner, à moins que ce ne soit par obéissance ou par charité, mais jamais pour un autre motif, ni à cause des tentations, ni à cause de la somnolence de l’esprit ou du corps. Il faut secouer le sommeil du corps par les exercices corporels, par des prostrations et par les moyens que nous avons pour chasser le sommeil, quand nous en avons pris ce qui était nécessaire. La somnolence de l’esprit doit être chassée par la haine et le mépris de soi-même, et par une sainte résistance; il faut monter sur le tribunal de la conscience et se reprendre soi-même, en disant: Quoi ! tu dors, mon âme; tu dors, et la Bonté divine veille sur toi ! Le temps passe et ne t’attend pas. Veux-tu être surprise dans le sommeil par le souverain Juge, lorsqu’il te demandera de lui rendre compte de ton temps, comment tu l’as dépensé, et comment tu as été reconnaissante du bienfait de son sang?

3. Alors l’âme se réveille, et si elle ne peut s’appliquer à ce qu’elle voulait, elle travaille du moins à combattre, son amour-propre ; et de cette manière elle avance toujours, elle va de l’imperfection à la perfection à laquelle, il me semble, vous voulez atteindre; l’amour n’est jamais oisif, mais il fait toujours de grandes choses. En agissant ainsi vous vous revêtirez de la vertu de patience, qui est la moelle de la charité, et vous vous réjouirez des peines, afin que vous puissiez devenir semblables à Jésus crucifié. Il vous paraîtra doux de supporter ses peines et ses opprobres; vous fuirez les conversations et vous aimerez la solitude; vous ne présumerez pas de vous-mêmes, mais vous vous confierez en Jésus crucifié, et votre [1727] esprit ne se remplira pas de fantômes, mais de vraies et solides vertus. Vous aimerez Dieu avec un cœur droit, simple, pur, généreux ; vous l’aimerez pardessus toute chose, et vous aimerez le prochain comme vous-mêmes. Ni les attaques du démon, qui vous donnera de laides et mauvaises pensées, ni les faiblesses de la chair, ni les persécutions des créatures ne pourront vous troubler et vous décourager, mais vous direz avec une foi vive, comme l’apôtre saint Paul: Je puis tout par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie (Phil 4,13). Croyez-vous dignes des peines et indignes des récompenses par humilité. Aimez-vous les unes les autres dans le Christ, le doux Jésus, aimez-vous d’une charité fraternelle puisée dans l’abîme de sa charité. Je ne vous dis rien de plus. Que Dieu vous remplisse de sa très sainte grâce.

4. Je vous prie d’une chose, c’est de ne pas rechercher beaucoup de conseils; mais prenez un conseiller qui vous conseillera simplement, et que vous écouterez. S’adresser à plusieurs est une chose dangereuse, non pas que tout conseil fondé sur la charité ne soit bon, mais, comme les serviteurs de Dieu suivent des voies différentes, ils peuvent, en étant tous dans la charité, avoir des doctrines différentes. Si vous en consultez beaucoup, vous voudrez tous les suivre; et quand vous voudrez agir vous ne trouverez que doute et incertitude, Il est meilleur, il est nécessaire que l’âme n’ait qu’un directeur, et tâche de devenir parfaite en l’écoutant. Cela ne vous empêchera pas d’estimer les avis de tout le monde, sans vous en servir pour vous-mêmes; mais vous devez admirer les moyens différents que Dieu prend avec ses créatures; vous devez les respecter en voyant que, dans la maison de notre Père, il y a bien des demeures. Baignez-vous, anéantissez-vous dans le sang de Jésus crucifié, le doux amour. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCLXVIII. — A UNE DAME QUI MURMURAIT, à Florence, le 20 octobre 1378.- De la lumière nécessaire pour connaître la vérité de Dieu et la vérité des créatures.- Comment nous devons juger notre prochain. 

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Sœur et Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir posséder la vraie et parfaite lumière ; car sans la lumière nous ne pourrons connaître la vérité de Dieu et la vérité des créatures, et nous tomberons dans de faux et misérables jugements. Pourquoi? Parce que nous serons privés de la lumière. L’âme qui est éclairée et délivrée de la passion sensitive, discerne et connaît la vérité, et alors elle juge bien et avec discrétion [1729]. Quel jugement devons-nous porter de Dieu? quelle vérité devons-nous connaître en lui et dans le prochain? Je vous le dirai. Nous devons connaître cette vérité, qui n’est pas aperçue par les yeux du corps, mais par ceux de l’intelligence, à la lumière intérieure de la très sainte Foi. Nous devons savoir que Dieu nous aime d’un amour ineffable, et que par amour il nous a Créés ~ son image et ressemblance, pour que nous recevions et nous goûtions son suprême et éternel bonheur. Et qu’est-ce qui nous montre cette vérité? le sang de l’humble Agneau sans tache, répandu avec tant d’amour sur le bois de la très sainte Croix.

2. Dès que l’âme a vu et connu cette vérité, elle l’aime et la goûte avec amour; elle juge que tout ce que Dieu donne et permet pour la créature raisonnable, il le permet pour notre bien, pour que nous soyons sanctifiés en lui. Elle juge justement, à la lumière de la discrétion. Si elle est dans la prospérité elle reconnaît que cette prospérité vient de son Créateur, qui la lui a donnée, non à cause de son mérite, mais à cause de son infinie bonté: et cette connaissance fait qu’elle l’aime d’un amour raisonnable, l’aimant pour Dieu, et la possédant comme une chose prêtée, qui n’est pas à elle, puisqu’elle ne lui appartient pas. Nous le voyons; car, quand nous voulons la conserver, elle nous est enlevée; non seulement les biens temporels, mais la vie, la santé de l’homme et tout le reste, passent comme le vent, et personne ne peut retenir ces choses qu’autant qu’il plaît à Celui qui les a données. L’âme juge ainsi parce qu’elle est éclairée de la douce vérité. Si elle est [1730] éprouvée par la tribulation, elle la reçoit humblement, avec une vraie et parfaite patience, se jugeant digne de la peine, et Indigne de la récompense qui suit la peine; elle pense humblement qu’elle reçoit le châtiment de ses péchés, parce qu’elle sait que le souverain Juge récompense tout bien et punit tout mal. Elle est pleine de reconnaissance pour Dieu, qui est si miséricordieux à son égard, puisque ce qui méritait une peine infinie, comme offense du Bien infini, Dieu le punit d’une manière finie dans le temps fini, en nous donnant des peines et des tribulations. Quelle que soit la manière dont elle les donne, l’éternelle Vérité nous les donne, ou pour que nous nous corrigions de nos défauts, ou pour que nous arrivions à la perfection; de quelque manière qu’elle les donne, nous sommes certains qu’elle les donne par amour et non par haine. C’est ce que voit et connaît l’âme éclairée par la douce Vérité, et elle reçoit tout avec respect; elle juge justement la volonté de Dieu et sa providence envers elle, parce que sa providence pourvoit à tous nos besoins, et sa volonté ne veut pas autre chose que notre bien.

3. Lorsque l’âme a eu le bonheur de connaître ainsi la vérité dans son Créateur, et qu’elle a jugé de même en bien tous ses desseins secrets, elle applique cette même vérité à juger son prochain, parce que la charité du prochain sort de la charité de Dieu. La règle de ceux qui craignent Dieu est de ne jamais juger personne, si ce n’est en bien, à moins qu’ils ne volent évidemment commettre un péché mortel; et même alors ils ne jugent pas, mais ils ressentent une sainte compassion devant Dieu, et ils disent: Aujourd’hui [1731] c’est lui, demain ce sera moi, si la souveraine bonté de Dieu ne me conserve. Ils abandonnent tout jugement au souverain Juge, qui doit juger les bons et les méchants, et au juge de la terre, qui est établi pour rendre à chacun selon ce qu’il mérite. L’âme se garde bien de juger sur les paroles, les habitudes et les actes extérieurs des créatures, parce qu’elle voit que le Christ béni l’a défendu, dons l’Evangile, en disant: " Ne jugez pas sur le visage. " Elle aime dans le prochain la Vérité elle-même, sans songer à ses intérêts; et, avec l’amour pur qu’elle a pour Dieu, elle juge saintement la volonté de Dieu dans ses créatures, voyant en elles le bien, et laissant Dieu juger le mal. Elle ne se scandalise ni des mystères de Dieu, ni de la conduite du prochain; elle ne diminue pas sa charité, son amour et son respect, envers le Créateur à cause des tribulations qu’il permet, ou envers les créatures à cause des injures et des préjudices qu’elle en reçoit, parce qu’elle a jugé saintement que Dieu le permet pour éprouver sa charité envers ceux qui lui font injure, ou pour la punir de ses pêchés. Elle dit: Seigneur, vous permettez tout ceci justement, car, si je n’ai pas offensé cette créature qui m’outrage, je vous ai bien offensé c’est pour mon bien que vous me l’avez envoyé, comme un moyen de me corriger de mes défauts. Je vous dis, très chère Fille, que cette âme goûte, dès cette vie, la vie éternelle, parce. qu’elle juge tout en Dieu et dans le prochain avec la lumière de la vérité.

4. Je vous invite à vous appliquer tant que vous vivrez à suivre cette règle, afin que vous évitiez le souverain mal et que vous parveniez à l’éternel et [1732] souverain Bien, car comme nous jugeons les autres, nous serons jugés nous-mêmes. Ne soyons pas comme ces insensés qui font tout le contraire ! ils veulent juger la volonté des hommes sans indulgence et sans raison ; leurs passions les aveuglent et leur font prendre la vérité pour le mensonge, et le mensonge pour la vérité. Oh ! combien leur voie est fausse ! ils sont aveugles, et ils veulent juger la lumière ! Ils prétendent juger à leur manière les mystères de Dieu, et ce qu’il fait dans ses serviteurs. O orgueil de l’homme ! la créature ne devrait-elle pas rougir d’usurper les fonctions du Créateur, tandis qu’au lieu de juger, elle doit être elle-même jugée? Mais elle ne le voit pas, parce qu’elle est privée de la lumière de la vérité, et elle juge légèrement, elle condamne ce qu’elle a entendu dire de son prochain et ce qu’elle n’a pas vu, et elle égare ainsi sa conscience; elle se scandalise de Dieu et du prochain, elle perd la charité, et tombe dans toute sorte de fautes et d’erreurs. Son goût se gâte, et ne sait plus distinguer ce qui est bon de ce qui est mauvais, et ce qui est mauvais de ce qui est bon. Elle en vient à haïr et à mépriser les mystères de Dieu et les œuvres des créatures; elle se prive du paix du sang de Jésus crucifié, s’éloigne du bien, et tombe dans le mal. Elle méconnaît les bienfaits qu’elle a reçus et qu’elle reçoit, et son ingratitude tarit en elle la source de la piété; elle devient insupportable à elle-même, recherchant et aimant en dehors de Dieu les richesses, les délices et les honneurs du monde. Elle souffre les peines avec impatience, ne les attribuant point à ses péchés, mais bien souvent à celui qui n’en est pas cause. C’est ce qui [1733] arrive aujourd’hui dans le monde et surtout dans votre ville. Les grandes tribulations et les révolutions que nous avons et que nous devons éprouver encore à cause de nos fautes et de nos vices (La république de Florence était alors troublée par desrévolutions continuelles.), nous voulons en charger les autres, comme ces insensés qui jugent mal les intentions les plus saintes, et qui applaudissent au contraire les desseins coupables de ceux qui n’écoutent que leur amour-propre. Cela est causé par la privation de la lumière; mais les pierres retombent sur Celui qui les jette.

5. Il ne faut pas faire ainsi, ma très chère Fille, mais il faut que chacun de nous attribue tout le mal à ses fautes. En le faisant, nous apaiserons la colère de Dieu, nous fuirons le mal et bien des peines, et nous obtiendrons miséricorde. Je suis certaine que si, vous et les autres, vous êtes affermies dans la lumière, avec cette lumière vous connaîtrez la vérité et vous vous y conformerez, mais pas autrement. C’est pourquoi je vous ai dit que je désirais vous voir fondées dans la vraie et parfaite lumière, et je vous, prie, pour l’amour de Jésus crucifié, de vous appliquer à l’acquérir. Mettez désormais un terme à votre passion, et ne prêtez plus l’oreille à ce que vous ne devez pas entendre; mais comme une personne qui ne veut pas la damnation de son âme, attachez-vous à la. vérité, et ne vous scandalisez plus si facilement. Considérez l’affection de Celui qui vous aime avec tendresse. Je suis persuadée que si vous voulez user de l’intelligence que Dieu vous a donnée, vous pourrez [1734] parfaitement comprendre ce que je vous écris pour votre salut. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Fuyez la mort du mensonge et du faux jugement, vous et les autres; ne dormez plus, et ne comptez pas sur le temps que vous n’avez pas. Doux Jésus, Jésus amour.

Table des matières (2)


 

CCCLXIX.- A UNE DAME QU’ON NE NOMME PAS.- Elle désire la voir éclairée de la lumière de la Foi, nécessaire pour connaître la vérité et pour acquérir la patience.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Sœur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir éclairée par la vérité de Dieu : autrement vous ne pourrez participer à la vie de la grâce en ce monde, vous serez dans une affliction continuelle, et vous recevrez enfin l’éternelle damnation; car en étant privée de la lumière, vous vous scandaliserez sans cesse de la Providence, et ce qu’elle vous donne par amour, vous l’attribuerez à la haine; ce qui est la vie, vous le prendrez pour la mort. Et quelle est cette vérité que nous devons connaître, très chère Sœur? Nous devons voir que Dieu nous aime souverainement, et que, par amour, il a voulu nous créer à son image et ressemblance[1735], pour nous faire jouir de son éternelle vision. Qu’est-ce qui nous manifeste cette vérité et cet amour? le sang de l’humble Agneau sans tache; lorsque nous étions privés par le péché d’Adam de la vision de Dieu et bannis de la vie éternelle. ce doux et tendre Verbe a été envoyé par son Père pour souffrir la mort, afin de nous donner la vie et de laver nos fautes avec son précieux sang; et lui, tout transporté d’amour il courut à la mort honteuse de la Croix pour accomplit les ordres de son Père et notre salut. Cette vérité ne nous est pas cachée; le Sang nous la manifeste. Si Dieu ne nous eût pas créés pour cette fin, s’il ne nous aimait pas d’un amour ineffable, il ne nous eût pas donné un tel Rédempteur. Aussitôt que l’âme est éclairée par cette vérité, l’oeil de son intelligence reçoit la lumière de la très sainte Foi. et elle crut fermement que tout ce que Dieu donne et permet pour sa créature, il le donne et le permet par amour et pour que cette vérité s’accomplisse en nous. Elle devient aussitôt patiente, et rien ne peut la troubler; elle se trouve heureuse de tout ce que permet la divine Bonté.

2. Elle supporte avec une vraie et sainte patience, la maladie, la perte des richesses, des honneurs, des parents, des amis, et non seulement elle supporte tout avec patience, mais elle le reçoit avec respect, comme une chose que lui envoie son doux Créateur par amour et pour sa sanctification. Quel est l’insensé qui pourrait se plaindre de son bien? Il n’y a que celui qui est privé de la lumière, parce qu’il ne connaît pas la vérité et ce qui lui est utile. Je veux donc, très chère Sœur, que vous ouvriez l’oeil de [1736] votre intelligence et que vous arrachiez avec soin toutes les racines d’amour-propre et de complaisance pour vous-même, afin que vous puissiez connaître cette vérité, et voir que Dieu est le médecin suprême qui sait, qui peut et qui veut nous donner ce qui nous est nécessaire, la médecine qui guérira notre maladie; et alors vous recevrez avec une douce, une sainte et vraie patience, la médecine qu’il vous donne à cause de l’amour particulier qu’il vous porte. Je vous y invite, très douce Sœur, afin que, par l’impatience, vous ne perdiez pas la récompense de vos peines; mais que vous jouissiez dans cette vie d’une paix, d’une tranquillité parfaites, étant toujours soumise à la douce volonté de Dieu, et ne vous troublant jamais de rien, si ce n’est des offenses contre Dieu et de la perte des Amas. En faisant ainsi, vous montrerez que vous êtes éclairée par la vérité, et vous recevrez à la fin de votre vie la récompense infinie de vos peines. J’ai bien pris part au malheur qui vous est arrivé; mais si je vois que vous êtes docile a la volonté de Dieu, et que vous en profitez comme vous le devez je m’en réjouirai avec vous. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1737].

Table des matières (2)


 

CCCLXX.- A MADAME PAULE DE SIENNE, et à ses disciples, quand elle était à Fiesole.- Sans la charité toutes les autres vertus sont mortes. — De l’amour de Jésus-Christ envers nous, et du désir qu’il montre pour notre sanctification.

 

 AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et très aimée Fille et Sœur dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris, vous encourage et vous bénis dans son précieux sang. J’ai désiré avec désir vous voir unies dans sa très ardente charité, parce que la charité, l’amour fait devenir une même chose avec Dieu. O charité si pleine de joie, de bonheur et de paix ! avec vous, tout ce qui est troublé par la tempête devient calme et tranquille ! O douce Charité, très chère Mère ! vous donnez naissance à toutes les vertus. Vous savez, ma bien-aimée Sœur, qu’aucune vertu ne vit sans la charité. L’ardent saint Paul, ce vase d’élection, l’a dit : " Si je parlais la langue des anges, et si je donnais tout aux pauvres, sans avoir la charité, tout me serait inutile ( 1Co 13,3) " Et il en est vraiment ainsi : car l’âme qui n’a pas la charité ne peut rien faire qui soit agréable à Dieu, et elle n’enfante que des vertus mortes. Pourquoi sont-elles morte? parce qu’elles sont privées de [1738] Dieu, qui donne la vie, c’est-à-dire la charité. Car celui qui est dans la charité est en Dieu, et Dieu est en lui. Mais l’épouse du Christ qui est blessée par la flèche de la charité, ne reste jamais oisive. Comme une blessure nouvelle agite tous les jours davantage notre cœur, des flèches nouvelles d’une ardente charité lui sont sans cesse lancées, car il ne se passe pas un instant que la bonté de Dieu ne jette des charbons allumés sur notre corps.

2. Si nous considérons l’être que la bonté de Dieu nous a donné, nous verrons qu’il nous a créés par pure charité, pour nous faire jouir du bien qu’il avait en lui-même, et nous donner la vie éternelle. Saint Paul dit que Dieu ne veut autre chose que notre sanctification; ce qu’il nous donne, il nous le donne pour que nous soyons sanctifiés en lui, O souveraine et éternelle Vérité ! il est bien évident qu’ayant perdu la grâce, nous ne pouvions participer à ce bien; et comme Dieu voyait que sa volonté ne pouvait s’accomplir en nous à cause du péché, l’amour inconcevable qu’il avait pour nous lui a fait violence, et il a envoyé son Fils unique pour expier sur son corps nos iniquités.

3. Aussitôt que le Verbe eut pris notre chair dans le sein de Marie, son Père le condamna à la mort honteuse de la Croix; il l’envoya sur le champ de bataille de cette vie combattre pour son Epouse, et la retirer des mains du démon, qui la possédait comme une adultère. Alors, dit saint Bernard, ce généreux Chevalier monta sur le bois de la très sainte Croix, et prit pour casque la dure couronne d’épines, les clous à ses mains et à ses pieds, la lance à son côté, pour [1739] nous montrer le secret de son coeur. Hélas ! amour, amour! te semble-t-il bien armé notre doux Sauveur. Ayons courage, puisqu’il a combattu pour nous. Il a dit à ses disciples : " Réjouissez-vous, car j’ai vaincu le prince du monde. " Et saint Augustin dit que c’est avec sa main percée et clouée qu’il a défait les démons. N’ayez donc aucune crainte, mes bien-aimées Filles, ni des démons visibles, ni des démons invisibles. S’ils vous livrent des combats, s’ils veulent vous faire croire que vous ne pourrez persévérer dans vos œuvres, prenez courage et dites: Je puis tout par Jésus crucifié, car il a vaincu pour moi les démons. O très doux amour Jésus! vous avez lutté avec la mort sur la Croix; la mou a vaincu la vie, et la vie a vaincu la mort; par la mort de son corps il a détruit notre mort, et à cause de notre mort il a détruit la vie de son corps. O preuve ineffable de charité ! et tout cela manifeste l’amour, la volonté, la fin pour laquelle il nous a créés : c’est pour nous donner la vie éternelle.

4. O doux Amour! quel amour ne s’enflammera pas à un tel foyer d’amour, en voyant que Dieu nous a donné son Fils unique; et ce Fils unique nous a donné sa vie avec un si grand désir, qu’il semble ne pouvoir l’exprimer quand il dit: " J’ai désiré avec désir faire cette pâque avec vous avant de mourir. " O très doux Amour! cette pâque, c’était le sacrifice de votre corps à votre Père pour nous. O Amour! avec quelle charité, avec quelle joie, vous parlez de votre sacrifice, parce qu’il approche ! Vous faites comme celui qui a grandement désiré faire une grande œuvre; et quand il voit qu’elle est près de [1740] s’accomplir, il en éprouve une joie immense; c’est avec cette joie que le Christ, tout transporté d’amour, a couru aux opprobres de la très sainte Croix. Je vous prie donc, ma Sœur, et vous, mes Filles. de vous réjouir de partager ses opprobres. Mettez, mettez vos lèvres au côté du Fils de Dieu; c’est une ouverture qui lance le feu de la charité, et qui verse le Sang pour laver nos iniquités. Je dis que l’âme qui s’y repose, et qui regarde avec l’oeil de l’intelligence, ce cœur ouvert et consumé par l’amour, devient semblable à lui, parce qu’en se voyant tant aimée, elle ne peut s’empêcher aussi d’aimer. Et alors l’âme devient parfaite; car ce qu’elle aime, elle l’aime pour Dieu, et elle n’aime rien hors de lui ; et elle devient ainsi un autre lui-même par ce désir, car elle n’a pas d’autre volonté que celle de Dieu. Ne soyez donc plus négligentes ; mais courez toujours en brisant vos volontés.

5. Demeurez, mes Filles, dans la sainte dilection de Dieu. Remplissez mon désir, et que je vous voie, unies et transformées, faire une seule chose avec lui. Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ. Encouragez Mme Barthélemy et toutes les autres. Dites-leur de ne pas détourner la tête en arrière, mais de persévérer toujours dans leur sainte résolution; car sans la persévérance, vous ne pourrez recevoir la couronne. Loué soit Jésus-Christ. Doux Jésus, Jésus amour [1741].

Table des matières (2)


 

CCCLXXI.- A MADAME PAULE, à Fiesole.- Du mystère ineffable de l’Incarnation du Verbe, et de la Rédemption, expliqué par la comparaison de la semence, de la fleur et du fruit.

  

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère et très douce Sœur dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous voir unie et transformée dans le feu de la divine charité. Ce feu a uni Dieu à l’homme, et l’a tenu attaché et cloué sur la Croix. O ineffable et très douce charité, combien est douce l’union que vous avez faite avec l’homme ! Vous avez bien montré votre amour incompréhensible par les grâces et les bienfaits sans nombre dont vous avez comblé les créatures, surtout par le bienfait de l’incarnation de son Fils. Voyez la souveraine Grandeur descendre jusqu’à la bassesse de notre humanité. L’orgueil de l’homme devrait rougir de voir Dieu si humilié dans le sein de la douce Marie. Ce fut dans cette douce terre que fut semée la semence de la parole incarnée du Fils de Dieu. Oui, très chère Sœur, dans le champ doux et béni de la Vierge Marie, le Verbe fut uni à sa chair, comme la graine qu’on jette dans la terre, et que la chaleur du soleil fait germer; puis viennent la fleur et le fruit, et l’enveloppe de la graine reste à la terre. C’est ce qui arriva par la chaleur et le feu [1742] de la charité divine que Dieu eut pour l’humanité, lorsqu’il jeta la semence de son Verbe dans le sein de Marie. O bienheureuse et douce Marie, vous nous avez donné la fleur du doux Jésus. Et quand cette douce fleur a-t-elle produit son fruit? Quand il fut attaché au bois de la très sainte Croix; alors nous avons reçu la vie parfaite.

2. Pourquoi avons-nous dit que l’enveloppe de la graine est restée sur la terre? quelle est cette enveloppe? Ce fut la volonté du Fils unique de Dieu, qui, comme homme, était tellement revêtu du désir de l’honneur de son Père et de notre salut, qu’il courut, tout transporté d’amour, souffrir les peines, les affronts, les injures, jusqu’à la mort honteuse de la Croix. Considérez aussi, très chère Sœur, que Marie a fait de même; elle ne pouvait désirer autre chose que l’honneur de Dieu et le salut des créatures; et les saints docteurs disent, pour faire comprendre la charité sans bornes de Marie, qu’elle aurait servi elle-même d’échelle pour mettre son Fils sur la Croix, s’il n’y avait pas eu d’autres moyens; et il en était ainsi parce que la volonté de son Fils était restée en elle.

3. Pensez, ma très chère Soeur, et que cette pensée ne sorte jamais de votre coeur, de votre mémoire et de votre âme, pensez que vous vous êtes offertes et données à Marie, vous et toutes vos filles; priez-la donc de vous présenter et de vous donner au doux Jésus, son Fils, et elle le fera comme une douce et bonne Mère, comme la Mère de miséricorde. Ne soyez pas ingrates et infidèles, car elle n’a pas repoussé cette demande, mais elle l’a écoutée avec bonté. Soyez [1743] toutes fidèles, ne vous arrêtant pas aux illusions du démon et aux discours des créatures; mais courez généreusement avec le doux amour de Marie, c’est-à-dire, cherchez toujours l’honneur de Dieu et le salut des âmes. Je vous en conjure, autant qu’il vous sera possible, gardez la cellule de votre âme et de votre corps, vous appliquant par l’amour et le saint désir à goûter et à enfanter les âmes en la présence de Dieu; et quand vous verrez quelque personne dans la tribulation, appliquez-vous avez zèle à la retirer des mains du démon. C’est le signe qui montre que nous sommes les enfants véritables, car nous suivrons ainsi les traces du Père. Mais sachez que nous ne pourrons jamais arriver à ce grand et saint désir sans l’amour crucifié du Fils de Dieu, car il est cette mer paisible qui rassasie tous ceux qui ont la faim, la soif, le désir de Dieu; il donne la paix à tous ceux qui sont en guerre et qui veulent se réconcilier avec lui. Cette mer jette un feu qui réchauffe le froid de notre cœur, et il est si bien réchauffé, qu’il perd toute crainte servile, et qu’il reste dans la charité parfaite et la sainte crainte, ne voulant plus offenser son Créateur.

4. Ne craignez pas; non, je ne veux pas que vous craigniez les embûches et les attaques des démons qui voudront dévaster. et prendre la cité de votre âme; ne craignez pas, mais, comme de bons chevaliers sur le champ de bataille, combattez avec les armes et le glaive de la charité divine, car c’est là le moyen de frapper le démon. Vous savez que si on ne veut pas perdre les armes avec lesquelles on doit se défendre, il faut se tenir caché dans la cellule de notre âme [1744] par la vraie connaissance de nous-mêmes; car, quand l’âme voit qu’elle n’est rien, et qu’elle s’occupe toujours de choses qui ne sont rien, elle s’humilie aussitôt devant Dieu, et devant toute créature pour Dieu; elle reconnaît que toutes les grâces et les bienfaits viennent de lui, et elle voit tellement déborder en elle la bonté de Dieu, que son amour, qui augmente, voudrait se punir, mais encore elle désire que toutes les créatures la punissent; elle juge tous les autres meilleurs qu’elle. Alors naît un tel parfum de patience, qu’il n’y a rien de si pesant et de si amer qu’elle ne supporte pour l’amour de ce tendre Verbe.

5. Oui, très chères Filles, courons toutes ensemble avec ardeur, et unissons-nous à ce Verbe. Je vous invite à ses noces, c’est-à-dire à répandre votre sang pour lui, comme il l’a répandu pour vous, à aller au Saint-Sépulcre, et à y donner votre vie pour lui. Le Saint-Père a envoyé une lettre avec son sceau à notre Provincial, à celui des Frères Mineurs et à Frère Raymond, pour qu’ils fassent inscrire tous ceux qui ont le désir et la volonté d’aller conquérir le Saint-Sépulcre et mourir pour la foi (Lettres XXV, LII, CLXI). Il veut que tous s’y engagent par écrit, et je vous invite à vous préparer. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Mille compliments de la part de la pauvre Cecca, d’Alessia et de Jeanne Pezzi. Ayez toutes bon courage en Jésus crucifié. Jésus, Jésus, Jésus [1745].

Table des matières (2)


 

CCCLXXII.- A QUELQUES FILLES DE SIENNE.- Elle les exhorte à être persévérantes dans le service de Dieu, et à fuir les conversations frivoles.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir les servantes fidèles de votre Créateur, et cela avec tant de persévérance, que vous ne tourniez jamais la tête en arrière pour aucune cause, ni dans la prospérité, en vous abandonnant trop à la joie, ni dans l’adversité, en vous livrant à l’impatience et à la tristesse. Je vous en conjure, que rien n’arrête et n’affaiblisse votre saint désir; et, afin que ce saint désir augmente en vous et ne s’éteigne jamais, je veux que vous ouvriez l’oeil de l’intelligence pour connaître l’amour ineffable que Dieu vous porte, puisque par amour il vous a donné son Fils unique; et ce Fils vous a donné sa vie avec tant d’amour, que le cœur le plus dur doit amollir sa dureté.

2. C’est là qu’il faut fixer le regard de votre intelligence, en pensant au prix qu’a payé pour nous le Fils de Dieu. Il faut laver dans son sang la face de votre âme. Levez-vous donc, et secouez le sommeil de la négligence; soyez pleines de zèle, et lorsque vous aurez acquis la blancheur de la pureté, ayez [1746] toute l’ardeur de la charité, que vous trouverez dans le sang de l’Agneau. Je veux, mes très chères Filles, que vous soyez bien persuadées que vous ne pourrez jamais avoir la pureté de l’esprit et du corps, en recherchant les conversations des créatures et en y plaçant votre affection, en aimant les choses créées en dehors de la volonté de Dieu, et en ayant de l’attachement et de la faiblesse pour votre corps; mais vous l’acquerrez en vous appliquant aux veilles, à la prière, en vous rappelant sans cesse votre Créateur, et en reconnaissant toujours l’amour ineffable que Dieu vous porte. Lorsque l’âme aura acquis la pureté par ce moyen, comme elle verra qu’elle ne peut pas être utile à Dieu, elle étendra son amour au prochain, et lui rendra les services qu’elle ne peut rendre à Dieu. Elle visitera les infirmes, elle secourra les pauvres, elle consolera les affligés, pleurant avec ceux qui pleurent, se réjouissant avec ceux qui se réjouissent: c’est-à-dire qu’elle pleurera avec ceux qui gémissent dans le péché mortel ; elle en aura compassion, et offrira pour eux à Dieu des prières continuelles; elle se réjouira avec ceux qui ont le bonheur d’être les serviteurs fidèles de Jésus crucifié, et elle recherchera toujours leurs conversations. Je vous prie, mes Filles, de le faire, afin d’être des servantes fidèles et non pas infidèles. C’est tout ce que mon âme désire voir en vous. Je ne vous en dis pas davantage. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1747].

Table des matières (2)


 

CCCLXXIII.- A UNE FEMME PUBLIQUE DE PEROUSE, à la demande de son frère.- Elle cherche à la convertir et la menace des châtiments de Dieu ; elle lui cite l’exemple de sainte Marie-Madeleine, et l’exhorte à se recommander à la sainte Vierge.

 

AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de te voir participer au sang du Fils de Dieu, parce que sans ce sang tu ne peux avoir la vie. Qui sont ceux qui participent à ce sang? ceux qui vivent dans la douce et sainte crainte de Dieu. Celui qui craint Dieu aime mieux mourir que de l’offenser jamais mortellement. Ma Fille, je pleure et je gémis de voir que toi, créée à l’image et ressemblance de Dieu, rachetée par son précieux sang, tu oublies ta dignité et la riche rançon qui a été payée pour toi. Hélas ! il me semble que tu fais comme le pourceau qui se roule dans la fange tu te roules de même dans la fange de l’impureté, tu te fais la servante et l’esclave du péché; tu as pris pour maître le démon, et tu le sers nuit et jour. Si tu sers le démon tu auras son sort. Et quel est son partage, ma Fille? Les ténèbres, les tempêtes, l’amertume, les peines, les tourments, les supplices. Dans le lieu qu’il habite, se trouvent les pleurs, les grincements de [1748]dents et la privation de la vue de Dieu, de cette vue de Dieu, qui est la béatitude de l’âme. Les démons furent privés de cette béatitude à cause de leur orgueil; ceux qui suivent la volonté du démon seront aussi privés de la vision divine : et les peines intolérables qui sont infligées à l’âme livrée à l’iniquité du péché mortel, la langue ne pourra jamais les raconter.

2. Hélas ! hélas ! comment croire que tu as oublié ton Créateur, et que tu ne vois pas que tu es devenue comme un membre retranché du corps, et qui se dessèche aussitôt. Tu es retranchée et séparée du Christ par le péché mortel; tu es devenue comme un bois sec et aride, qui ne porte plus de fruits, et tu as dès cette vie, un avant-goût de l’enfer. Tu ne songes pas, ma Fille, quelle est ta servitude, et combien tu es misérable et malheureuse d’avoir en cette vie l’enfer et la société horrible des démons. Sors, sors de ce dangereux esclavage, de ces ténèbres où tu es tombée. Hélas ! si tu ne le fais pas par amour pour Dieu. Tu devrais le faire au moins par honte et par crainte du monde. Ne vois-tu pas que tu te livres aux mains des hommes, qui méprisent et avilissent ta chair? Ne vois-tu pas que tu es aimée, et que tu aimes d’un amour mercenaire qui donne la mort, d’un amour qui ne repose que sur une jouissance ou un profit, qui disparaît avec le plaisir et l’argent, parce qu’il n’est pas selon Dieu, mais selon le démon. Pense, ma Fille, que tu as à mourir, et tu ne sais pas quand. Notre doux Sauveur disait : " Soyez prêts, car vous ne savez pas le jour et l’heure où vous serez appelés. " Et saint Jean dit que la hache est [1749] déjà à la racine de l’arbre pour le couper. Pense que si maintenant le souverain Juge t’appelait, tu serais livrée aux démons et à l’état de damnation. S’il te fallait comparaître devant lui, tu n’aurais pas pour répondre les vertus qui pourraient te défendre, t’assister, te secourir : tu ne les aurais pas; mais tu aurais tes amis, qui te condamneraient devant le souverain Juge, c’est-à-dire le monde, le démon et la chair que tu as servis avec tant de zèle; ils t’accuseraient, en manifestant pour ta honte et ta confusion les offenses que tu as commises contre Dieu; ils te condamneraient à la mort éternelle, et ils t’entraîneraient avec eux là où l’on trouve les flammes ardentes, la puanteur du soufre, les grincements de dents, le froid, le chaud, le ver de la conscience, qui ronge toujours, et reproche à l’âme de s’être privée par sa faute de la vision de Dieu, et de s’être rendue digne de la vision des démons.

3. Voilà ce que tu as mérité à servir avec tant de peine le monde, le démon et la chair, et à goûter l’enfer dès cette vie. Puisque tu vois qu’ils te rendent digne de tant de maux, et qu’ils te privent de tant de biens, fais-toi une sainte violence, et quitte tant de misère et de corruption. Recours à ton Créateur, qui te recevra, si tu veux abandonner le péché mortel et revenir à l’état de grâce. Ecoute-moi, ma très douce Fille, si tu vomis les souillures du péché par la sainte confession, avec un ferme propos de ne plus tomber et de ne plus retourner à ton vomissement, la douce bonté de Dieu le dit elle-même : " Je te promets que je ne me rappellerai jamais que tu m’as offensé. " Il est bien vrai que celui qui expie son péché par la [1750] contrition et la douleur, Dieu ne veut pas le punir dans l’autre vie. Il ne peut te paraître dur de recourir à la douce Marie, qui est la mère de la compassion et de la miséricorde; elle te mènera en présence de son Fils, et, en lui montrant le sein qui l’a nourri, elle le décidera à te faire miséricorde; et alors, comme une fille et une esclave rachetée par son sang, tu entreras dans les plaies du Fils de Dieu, où tu trouveras le feu de son ineffable charité, qui consumera et purifiera toutes tes misères et toutes tes fautes. Tu verras qu’il t’a fait un bain de son sang pour te laver de la lèpre du péché mortel et de l’impureté ou tu es restée si longtemps. Notre doux Seigneur ne te méprisera pas.

4. Ecoute et suis la douce et tendre Madeleine. Dès qu’elle reconnaît son malheur et sa faute, dès qu’elle voit qu’elle est en état de damnation, elle conçoit une grande haine de l’offense de Dieu et un grand amour de la vertu ; elle cherche où elle trouvera miséricorde. Elle voit bien qu’elle ne peut la trouver que dans le Christ, le doux Jésus; et pour arriver à lui, elle ne pense pas à son honneur, à sa honte; elle court humblement se jeter à ses pieds; et là, son amour, sa douleur amère, son humilité parfaite lui obtiennent la l’émission de ses péchés, et elle mérite d’entendre cette douce parole : "Marie, va en paix, et ne pèche plus." Fais de même, ma très douce Fille; imite l’humble conduite de Madeleine, qui se met à ses pieds, qui lui montre son amour par la contrition de son cœur, et qui ne se juge pas digne de regarder le visage de son Maître. Donne-lui aussi ton cœur, ton âme, ton corps. Ne dors plus, car le temps presse, tu [1751] n’es pas sûre de l’avoir; ne l’attends pas. Réponds à Jésus crucifié, qui t’appelle de Sa douce voix, et cours à l’odeur de ses parfums. Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, et tu participeras ainsi à son sang. Mon âme désire te voir participer au Sang. et devenir un membre uni par la grâce à ton chef, Jésus crucifié. Si tu me dis : Je ne le puis, parce que je n’ai pas de quoi vivre, je te répondrai que Dieu y pourvoira. J’ai appris que ton frère veut t’aider dans tes besoins. N’attends donc pas le jugement de Dieu qui s’appesantirait sur toi, si tu ne changeais pas. Cesse d’être un membre du démon, qui se sert de toi comme d’un filet pour prendre les créatures. Ce n’est pas assez du mal que tu te fais à toi-même; songe aussi combien tu en fais tomber dans l’enfer. Je ne t’en dis pas davantage. Aime Jésus crucifié, et pense que tu dois mourir, tu ne sais pas quand. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Marie, douce Marie [1752] !

Table des matières (2)


 

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