SAINT PAUL

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SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT PAUL.

ANALYSE.

 

Sujet. Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à l'apostolat.

Voilà le ministère de ce grand apôtre : ministère qu'il a parfaitement soutenu.

Division. Saint Paul a été le fidèle serviteur de Jésus-Christ; pourquoi? parce qu'il a pleinement accompli le ministère de l'apostolat : première partie; parce qu'il a parfaitement honoré le ministère de l'apostolat : deuxième partie; parce qu'il s'est continuellement immolé pour le ministère de l'apostolat: troisième partie.

Première partie. Saint Paul a pleinement accompli le ministère de l'apostolat. Il avait été choisi de Dieu, 1° pour confondre le judaïsme ; 2° pour convertir la gentilité; 3° pour former le christianisme dès sa naissance. Or, c'est de quoi il s'est pleinement acquitté.

1° Il a confondu le judaïsme : par où? par son exemple. Car, lorsqu'il prêchait Jésus-Christ aux Juifs, sa prédication devait avoir d'autant plus de force, qu'il avait été lui-même un des plus ardents persécuteurs de l'Eglise chrétienne, et c'était aussi la preuve dont il se servait souvent.

2° Il a converti la gentilité. D'où vient qu'il a été appelé par excellence l'apôtre des Gentils. Depuis l'Asie jusqu'aux extrémités de l'Europe, il a établi l'empire de la foi.

3° Il a formé le christianisme, soit par les grands mystères qu'il nous a révélés, soit par les saintes règles de conduite qu'il nous a tracées dans ses divines Epîtres. C'est là, tout mort qu'il est, qu'il nous prêche encore. Profitons de ses enseignements.

Deuxième partie. Saint Paul a parfaitement honoré le ministère de l'apostolat : comment cela? par son désintéressement, qui a surtout consisté en trois choses :

1° Il exerça gratuitement le ministère dont Dieu l'avait chargé, ne demandant rien et n'acceptant rien. Or, qu'y a-t-il qui fasse plus d'honneur à l'Evangile que ce détachement.

2° Il ne se prêcha point lui-même, mais uniquement Jésus-Christ; c'est-à-dire qu'il n'eut point en vue sa propre gloire, mais qu'il ne chercha que la gloire de Dieu et le salut des âmes : ne se prévalant point de ses talents naturels, fuyant les applaudissements des hommes, ne souffrant jamais que, sous l'ombre d'estime et de confiance, on s'attachât à lui personnellement.

3° Il était aussi zélé pour son ministère exercé par d'autres que par lui-même; ne se réjouissant pas moins des succès des autres que des siens propres, et toujours coulent pourvu que Jésus-Christ lût annoncé et connu. C'est ainsi que les ministres évangéliques se rendent irréprochables, cl c'est par là même qu'ils honorent, comme saint Paul, leur ministère.

Troisième partie. Saint Paul s'est continuellement immolé pour le ministère de l'apostolat. Double sacrifice qu'il commença dès l'instant de sa vocation à l'apostolat, et qui a duré, sans parler de son martyre, autant que sa vie : l'un de patience, l'autre de pénitence.

1° Sacrifice de patience, par où il se dévoua aux persécutions des hommes pour le nom de son Dieu. Par quelles épreuves n'a-t-il pas passé? Il nous l'apprend lui-même dans le récit qu'il fait de ses souffrances. Du reste, quelle différence entre cet apôtre et nous? Il s'est sacrifié dans son ministère, et nous nous épargnons dans le nôtre.

2° Sacrifice de pénitence. Ce n'était point assez pour saint Paul d'être persécuté, s'il ne se persécutait lui-même, châtiant tous les jours son corps et le réduisant en servitude. Il se traitait de la sorte, premièrement pour son propre salut; secondement, ainsi qu'il le témoigne, pour toute l'Eglise. Deux grandes leçons pour nous. C'était un saint, et nous sommes pécheurs : nous devons donc encore bien plus faire pénitence que lui. C'était pour l'Eglise qu'il se mortifiait ; il faut donc, à son exemple, sacrifier dans notre profession, nos forces, nôtre santé, notre vie, pour ceux que Dieu commet à nos soins, et dont il nous demandera compte.

 

Paulus tenta Jesu Christi, vocatus apostolus.

Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à l'apostolat. (Epître aux Romains, chap. I, 1.)

 

C'est, Chrétiens, tout l'éloge du grand apôtre que vous honorez entre tous les saints, sous le titre de votre glorieux patron ; ce fut l'apôtre par excellence, et en cette qualité il a été le maître du monde, l'oracle de l'Eglise universelle , l'un des fondateurs, ou, pour mieux dire, l'un des fondements de notre religion; un homme de miracles, et dont la personne fut le plus grand de tous les miracles; un autre Moïse par les visions et les révélations divines, un second Elie par les transports et les ravissements, un ange de la terre qui n'eut de conversation que dans le ciel; un

disciple non plus de Jésus-Christ mortel, mais de Jésus-Christ glorieux ; un vaisseau d'élection, rempli, comme dit saint Chrysostome,de toutes les richesses de la grâce ; le dépositaire de l'Evangile, l'ambassadeur de Dieu. Mais il supprime tout cela, ou plutôt il comprend et il abrège tout cela, en disant qu'il est le serviteur de Jésus-Christ : Paulus, servus Jesu Christi. Arrêtons-nous donc à cette parole, qui exprime les plus nobles sentiments de son cœur ; et puisque la solennité de ce jour nous engage à le louer, louons-le selon ses inclinations. Ne disons point avec saint Jérôme que le nom de Paul est un nom de victoire, et que ce grand saint commença à le porter après la première de ses conquêtes apostoliques, qui fut le

 

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proconsul Paul gagné à Jésus-Christ ; comme les Scipions dans Rome prenaient le nom d'Africain après avoir dompté l'Afrique. Laissons tout ce que les Pères de l'Eglise ont dit de plus avantageux et de plus magnifique à la gloire de cet apôtre ; et disons seulement qu'il a été le serviteur de Jésus-Christ : Paulus, servus Jesu Christi. Ce qui rend un serviteur recommandable, c'est le zèle pour les intérêts de son maître : voyons jusqu'à quel point il a eu ce zèle, et tâchons de l'exciter en nous. Je prêche saint Paul, Chrétiens ; mais mon dessein est de le prêcher par lui-même ; c'est de lui-même que j'emprunterai toutes les preuves; lui-même parlera pour soi, lui-même rendra témoignage de ses actions et de sa vie, et nous recevrons ce témoignage avec respect; car nous savons qu'il est véritable et nous pouvons dire de lui, aussi bien que du disciple bien-aimé : Et scimus quia verum est testimonium ejus (1). J'ai besoin d'un secours extraordinaire ; il s'agit de parler du serviteur de Jésus-Christ : adressons-nous à celle qui s'appela la servante du Seigneur, lorsqu'elle fut déclarée Mère de Dieu. Ave, Maria.

 

Il n'y a point de vertu qui n'ait ses degrés de perfection, selon lesquels elle doit être mesurée, et qui, dans les sujets où elle se trouve, ne soit capable de certains accroissements, par où Ton peut juger de son mérite. Comme nous parlons d'une vertu peu connue dans le monde, et encore moins pratiquée, qui est le zèle, je dis le zèle chrétien que nous devons tous avoir dans l'exercice de notre ministère, il est important d'en distinguer d'abord les différentes obligations ; et, pour en avoir une idée plus juste, de les reconnaître dans un grand exemple. Tel est celui de saint Paul, qui nous les rendra même sensibles : j'en trouve trois Barques par saint Grégoire, pape, dans ses instructions pastorales. Car tout homme, dit ce saint docteur, qui veut être un serviteur et un ministre fidèle, et qui aspire à la perfection de cette qualité, est obligé à trois choses : il doit accomplir son ministère, il doit honorer son ministère, et quand la nécessité l'exige, il doit même se sacrifier pour son ministère : trois devoirs qui se surpassent par degrés, et dont le second ajoute autant au premier, que le troisième enchérit sur le second ; car honorer son ministère, c'est quelque chose de plus que l'accomplir : et se sacrifier pour son ministère, c'est encore plus que

 

1 Joan., XXI, 24.

 

l'honorer; mais quand tout cela se joint ensemble, on peut dire que le zèle est au plus haut point d'excellence qu'il puisse avoir. Or, c'est ce que je découvre dans saint Paul, et ce qu'il me sera aisé de vous faire voir. Saint Paul a été le fidèle serviteur de Jésus-Christ : Paulus, servus Jesu Christi : pourquoi ? parce qu'il a pleinement accompli le ministère de l'apostolat, parce qu'il a parfaitement honoré le ministère de l'apostolat, et parce qu'il s'est continuellement immolé pour le ministère de l'apostolat. Comprenez ceci, s'il vous plaît : il a pleinement accompli le ministère de l'apostolat par la prédication de l'Evangile ; il a parfaitement honoré le ministère de l'apostolat par la conduite qu'il a tenue dans la prédication de l'Evangile ; et il s'est continuellement immolé pour le ministère de l'apostolat par les persécutions qu'il a soutenues, et par ses souffrances dans la prédication de l'Evangile. Voilà tout mon dessein. Encore une fois, Chrétiens, ne considérez pas ce discours comme un simple éloge qui se termine à vous donner une haute estime de saint Paul. Je vous l'ai dit : c'est un discours de religion, c'est une règle pour former nos mœurs, c'est un exemple que Dieu nous propose, et qu'il veut que nous nous appliquions.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Quand je dis que saint Paul a parfaitement accompli tous les devoirs de son ministère, ne pensez pas, Chrétiens, que ce soit là une louange commune. La grâce même de l'apostolat l'a tellement distingué, et a eu dans lui des effets si singuliers, que quand il se glorifiait d'être apôtre de Jésus-Christ : Paulus, servus Jesu Christi vocatus apostolus (1), il ajoutait qu'en vertu de ce titre ou de cette grâce, il avait été séparé pour prêcher l'Evangile de Dieu : Segregatus in Evangelium Dei (2) ; comme si l'un des principaux caractères de sa vocation eût été la distinction de sa personne, et qu'il n'eût pas suffi pour lui d'être apôtre, s'il ne l'eût été d'une façon toute particulière. En effet, Dieu avait choisi saint Paul pour trois grands desseins qui devaient occuper son zèle apostolique, pour confondre le judaïsme, pour convertir la gentilité, et pour former le christianisme dès sa naissance : voilà ce que la Providence prétendait de lui, et à quoi il était destiné. Or saint Paul, par une pleine correspondance à la grâce de son ministère, a accompli ces trois choses avec un succès dont il était

 

1 Rom., I, 1. — 2 Ibid.

 

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seul capable, ou du moins qui lui était uniquement réservé. Appliquez-vous, s'il vous plaît, à ma pensée.

Il fallait, pour l'établissement solide de la loi chrétienne, que l'Evangile fût prêché par un apôtre dont le témoignage en faveur de Jésus-Christ fût un témoignage absolument irréprochable, exempt de tout soupçon, et propre non-seulement à convaincre, mais à confondre l'incrédulité des Juifs. Or cet apôtre, par une disposition spéciale, a été saint Paul. Je m'explique : quand les autres apôtres prêchaient Jésus-Christ, qu'ils protestaient dans les synagogues que Jésus-Christ était le Messie envoyé de Dieu et promis par les prophètes ; quelques preuves qu'ils en donnassent et quelques miracles qu'ils lissent pour le confirmer, on avait toujours quelque prétexte de les tenir pour suspects; on pouvait dire qu'ils étaient gagnés, et qu'ayant été les sectateurs et les disciples de ce prétendu Messie, il ne fallait pas s'étonner s'ils se déclaraient pour lui ; et quoique mille raisons pussent détruire ce prétexte, ce prétexte ne laissait pas d'avoir je ne sais quelle apparence qui préoccupait d'abord l'ignorance des uns, et qui entretenait l'opiniâtreté des autres. Mais quand saint Paul paraissait confessant le nom de cet Homme-Dieu, lui qui venait d'en être le persécuteur, lui qui était connu dans Jérusalem pour avoir entrepris d'en exterminer la secte, lui qui avait reçu pour cela et demandé même des commissions et des ordres; et que, par un changement aussi subit que prodigieux, il publiait partout que ce crucifié à qui il avait fait si cruellement la guerre était le Sauveur et le Dieu d'Israël, qu'il était forcé de l'avouer, et qu'après ce qu'il avait vu et entendu, il ne refusait point de mourir pour signer de son sang une vérité si importante ; quand il parlait ainsi, que pouvait-on opposer à la force de ce témoignage? Etait-ce préoccupation, était-ce intérêt, était-ce renversement d'esprit, était-ce indifférence ou mépris pour la loi de Moïse? Tout le contraire ne se trouvait-il pas dans saint Paul? ce changement dans un homme aussi éclairé que lui, et aussi zélé pour les traditions de ses pères, n'était-ce pas une justification authentique de tout ce qu'il disait à l'avantage et à la gloire de Jésus-Christ?

De là vient que ce grand apôtre ne faisait presque jamais de discours dans les assemblées des Juifs, qu'il ne se proposât lui-même comme un argument et comme une démonstration sensible de l'Evangile qu'il annonçait. C'est moi, mes Frères, leur disait-il, qui me suis signalé dans le judaïsme, au-dessus de tous ceux de ma profession et de mon âge. Vous savez de quelle manière j'ai vécu parmi vous, et avec quel excès de fureur je ravageais cette nouvelle Eglise, que je reconnais aujourd'hui pour l'Eglise de Dieu. Il est vrai, j'étais plus infidèle que vous ne l'êtes, et plus rebelle aux lumières de la grâce ; mais c'est pour cette raison même que Dieu a jeté les yeux sur moi, et que Jésus-Christ a voulu faire éclater en moi son extrême patience, afin que je devinsse un exemple et un modèle pour vous porter à croire en lui. Oui, c'est lui-même qui m'a parlé, et qui, par des signes et des prodiges dont tous ceux qui m'accompagnaient ont été les témoins, m'a réduit à l'état où vous me voyez ; qui m'a terrassé pour me relever, qui m'a aveuglé pour m'éclairer ; qui, de blasphémateur que j'étais, m'a fait apôtre, et qui, pour réparation de tous les outrages qu'il a reçus de moi, veut maintenant que je lui serve d'ambassadeur et de ministre auprès de vous. Ces paroles, dis-je, avaient une grâce toute divine dans la bouche de saint Paul, pour persuader les Juifs. Et saint Luc remarque que c'était assez qu'il parlât, et qu'il assurât que Jésus-Christ était le Christ, pour confondre tous les ennemis du nom chrétien : Confundebat Judœos, affirmans quoniam hic est Christus (1). Au lieu qu'il fallait que les autres apôtres fissent de grands efforts, celui-ci n'avait qu'à se produire, sa personne seule prêchait; saint Paul converti était pour tous ceux de sa nation, non pas un attrait, mais une détermination invincible à embrasser la foi. Et en effet, à bien méditer les circonstances de cette conversion, à peine avons-nous un motif de créance en Jésus-Christ plus convaincant et plus touchant que celui-là. De là vient que les chefs de la Synagogue, qui avaient conjuré contre le Sauveur, se montrèrent toujours si passionnés contre saint Paul ; delà vient qu'ils usèrent de tant de stratagèmes pour le perdre et pour lui ôter la vie; et qu'entre les autres disciples ce fut celui-ci qu'ils persécutèrent le plus cruellement : pourquoi? parce qu'ils savaient que c'était celui dont le témoignage devait faire plus d'impression sur les esprits, et qu'il était impossible que Jésus-Christ ne fût reconnu dans la Judée, pendant que saint Paul y serait écouté. Il avait donc une grâce particulière pour faire l'office d'apôtre à l'égard des Juifs. Mais son ministère ne se bornait pas là. Dieu

 

1 Act., IX, 11.

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l'appelait à quelque chose de plus grand, et cette séparation mystérieuse que le Saint-Esprit commanda qu'on fît de sa personne, comme il est dit au livre des Actes, était encore pour une entreprise plus haute. Prêcher Jésus-Christ aux Juifs, c'est-à-dire à un peuple que Jésus-Christ avait instruit lui-même, à un peuple déjà prévenu de la foi du Messie, déjà éclairé des lumières delà vraie religion,c'était proprement le partage des autres apôtres, même de ceux qui paraissaient comme les colonnes de l'Eglise, sans en excepter saint Pierre; mais répandre la grâce de l'Evangile sur toutes les nations de l'univers, prêcher Jésus-Christ à des païens et à des idolâtres, porter son nom devant les monarques et les souverains, persuader sa religion aux philosophes et aux sages du monde, leur faire goûter la foi d'un Dieu-Homme, leur en inspirer le culte et la vénération, les détacher de leurs fausses divinités, et, ce qui était bien plus difficile, des fausses maximes du siècle, pour les soumettre au joug de la croix; faire adorer la sagesse de Dieu dans un mystère qui n'avait pour eux que des apparences de folie : ah! Chrétiens, c'est pour cela qu'il fallait un saint Paul, et c'est pour cela que saint Paul était prédestiné. Quelque pouvoir général qu'eût reçu saint Pierre au-dessus des autres apôtres, sa mission spéciale n'allait pas à convertir les Gentils. Le dirai-je? Jésus-Christ même ne l'avait pas voulu entreprendre, puisque, tout Sauveur et tout Dieu qu'il était, il s'était réduit aux brebis perdues de la maison d'Israël : Non sum missus nisi ad oves quœ perierunt domus Israël (1). Mais, comme remarque saint Augustin, ce que Jésus-Christ n'a pas l'ait par lui-même, il l'a fait par saint Paul : il n'était venu par lui-même que pour les Israélites; mais dans la personne et par le ministère de saint Paul, il était venu pour tous les hommes : de sorte que saint Paul devait être le supplément de la mission adorable de cet Homme-Dieu. Voilà le grand ouvrage pour lequel le Saint-Esprit avait ordonné qu'on lui séparât cet apôtre : Segregate mihi Saulum (2).

Or, comment y a-t-il réussi? Ah! Chrétiens, à peine lui-même osait-il le dire, tant la chose lui semblait surprenante; à peine en croyait-il à ses yeux, voyant, non pas les fruits, mais les prodiges que ses prédications opéraient. Imaginez-vous, dit saint Chrysostome, et il nous est aisé de l'imaginer, un conquérant qui entre à main armée dans un pays; qui mesure ses

 

1 Matth., XV, 24. — 2 Act., XIII, 2.

 

pas par ses victoires, à qui rien ne résiste, et de qui tous les peuples reçoivent la loi : voilà une image de saint Paul convertissant la gentilité. Il entre dans des pays où le démon de l'idolâtrie était en possession de régner, et il le fait fuir de toutes parts. Depuis l'Asie jusques aux extrémités de l'Europe, il établit l'empire de la foi : dans la Grèce, qui était le séjour des sciences, et par conséquent de la sagesse mondaine; dans Athènes et dans l'Aréopage, où l'on sacrifiait à un Dieu inconnu; dans Ephèse, où la superstition avait placé son trône; dans Rome où l'ambition dominait souverainement; dans la cour de Néron, qui fut le centre de tous les vices : il publie là, dis-je, l'Evangile de l'humilité, de l'austérité, de la pureté, et cet évangile y est reçu. Ce ne sont pas seulement des barbares et des ignorants qu'il persuade ; mais ce sont des riches, des nobles, des puissants du monde, des juges et des proconsuls, des hommes éclairés qu'il fait renoncer à toutes leurs lumières, en leur proposant un Dieu crucifié : ce sont des femmes vaines et sensuelles qu'il dégage de l'amour d'elles-mêmes, pour leur faire embrasser la pénitence. Il annonce Jésus-Christ dans des lieux où ce nom auguste et vénérable n'avait jamais été entendu, Non ubi nominatus est Christus (1); il y voit naître des Eglises nombreuses, ferventes, florissantes, qui remplissent toute la terre de l'admiration et de l'odeur de leur sainteté. Que pensez-vous, Chrétiens? Si la tradition, ou plutôt si l'expérience même n'autorisait ce que je dis , peut-être le prendrions-nous, vous et moi, pour une fable; mais tout l'univers témoigne encore aujourd'hui que c'est une vérité : le christianisme que nous voyons, la vaste étendue du royaume de l'Eglise, tant de nations devenues fidèles parla prédication de ce grand saint; tant de peuples qu'il a engendrés par l'Evangile, et qui le reconnaissent encore pour leur père, nous-mêmes qui en sommes sortis, et qui n'avons point d'autre origine que celle-là, tout cela ce sont autant de monuments et de preuves suffisantes des conquêtes de saint Paul sur la gentilité.

Cependant son ministère, pour un entier accomplissement , demandait qu'il travaillât à former les chrétiens : c'était son principal et dernier ouvrage, et c'est ce qu'il a fait d'une manière qui lui est si propre, que, sans rien ôter aux autres apôtres, on peut l'appeler, par excellence, le Docteur de l'Eglise. En effet, mes chers auditeurs, sans parler du premier

 

1 Rom., XV, 20.

 

444

 

christianisme qu'il a planté, qu'il a arrosé, qu'il a cultivé par ses soins, c'est lui qui nous a instruits à être ce que nous sommes ou ce que nous devons être, c'est-à-dire chrétiens, par la doctrine toute céleste qu'il nous a enseignée. Pourquoi pensez-vous qu'il ait été ravi au troisième ciel, et pourquoi Jésus-Christ, dans l'état même de son immortalité, a-t-il voulu se faire le maître de cet Apôtre ? afin de nous dire, par la bouche de cet Apôtre, ce qu'il ne nous avait pas dit par la sienne : Ego enim accepi a Domino, quod et tradidi vobis (1). Il y avait cent choses que le Fils de Dieu n'avait pas révélées aux hommes, étant avec eux, parce qu'ils ne pouvaient pas les porter ; et c'est saint Paul qui devait les en rendre capables.

C'est lui qui nous a découvert les trésors cachés dans ce mystère incompréhensible de l'incarnation du Verbe, qui nous a expliqué l'économie de la grâce, qui nous a fait concevoir la dépendance infinie que nous avons d'elle, jointe à l'obligation de travailler avec elle, afin de ne la pas recevoir en vain; qui nous a éclairci ce profond abîme de la prédestination de Dieu, pour nous apprendre à l'adorer et non pas à le pénétrer, à nous en faire un motif de zèle pour le salut, et non pas de libertinage et de désespoir; qui nous a donné ces hautes idées de l'Eglise de Jésus-Christ, qui nous a fait le plan de sa hiérarchie, qui nous a intimé ses lois, qui nous a développé ses sacrements. Sans tout cela nous ne pouvions pas être chrétiens, et à peine l'Evangile nous déclarait-il rien de tout cela; mais cette bouche, encore une fois, par laquelle, comme dit saint Chrysostome, Jésus-Christ a prononcé de plus grands oracles que par lui-même : Os illud per quod Christus majora quam per se ipsum locutus est, saint Paul nous en a pleinement informés; c'est lui qui, par les divins préceptes de sa morale, a sanctifié tous les états, et qui en a réglé tous les devoirs ; lui qui apprend aux évoques à être parfaits, aux prêtres à être réguliers et fervents, aux vierges à être modestes et humbles, aux veuves à être retirées et détachées du monde, aux grands à vivre sans faste et sans orgueil, aux riches à ne se point entier de leurs richesses, et à n'y point mettre leur appui ; aux maîtres à veiller sur leurs domestiques, aux domestiques à respecter leurs maîtres, aux pères et aux mères à conduire leur famille, aux enfants à honorer leurs pères et leurs mères ; ainsi de toutes les

 

1 1 Cor., XI, 23.

 

autres conditions que le temps ne me permet pas de parcourir.

C'est pour cela que saint Chrysostome appelait saint Paul le grand livre des chrétiens, et c'est pour cela même qu'il exhortait tant les fidèles à la lecture des divines Epîtres de cet Apôtre. Il n'en fallut pas davantage pour achever la conversion de saint Augustin; vous savez en quelles perplexités il se trouvait : Dieu l'attirait fortement, et le monde le retenait, la grâce le pressait, et ne lui donnait aucun repos ; mais la passion d'ailleurs livrait à son cœur les plus rudes combats, et l'habitude faisait évanouir ses plus belles résolutions. Que fallait-il donc pour le faire triompher de l'habitude, pour le fortifier contre la passion, pour l'arracher au monde et à tous ses engagements ? Rien autre chose que ce que lui marqua cette voix qu'il entendit; et c'était d'ouvrir et de lire les Epîtres de saint Paul : Tolle, lege : Prenez et lisez. Il obéit, et tout à coup ses fers furent rompus : quelques paroles de ces saintes lettres dissipèrent tous les nuages de son esprit, et, d'impudique qu'il était, en firent un homme chaste et un saint. A quoi tient-il que nous n'en retirions le même fruit? l'Esprit de Dieu, dont ces excellentes Epîtres sont remplies, n'est pas moins puissant pour nous qu'il le fut pour saint Augustin.

Ah ! Chrétiens, pourquoi pensez-vous que le christianisme ait de nos jours dégénéré dans cette corruption de mœurs, et dans ce désordre où nous le voyons? Disons-le à notre confusion : après tout ce qu'a fait saint Paul pour l'accomplissement de son ministère, pourquoi avons-nous encore la douleur de voir, au milieu du christianisme, un certain levain de judaïsme et de paganisme ? car j'appelle levain de judaïsme, cette opposition secrète à Jésus-Christ, qui est dans le cœur de tant de chrétiens ; opposition, dis-je, à la croix de Jésus-Christ, à l'humilité de Jésus-Christ, aux maximes et aux exemples de Jésus-Christ : j'appelle levain de paganisme, cette malheureuse coutume qu'on se fait de n'agir que par les vues du monde, sans prendre jamais les vues de la foi ; de ne se conduire en toutes choses que par politique, que par raison, que par des considérations et des respects humains, sans consulter jamais la religion. Est-il rien aujourd'hui de plus commun que ce scandale, et d'où vient cela? c'est, mes Frères, que nous n'écoutons pas saint Paul, et que nous ne profitons pas des salutaires enseignements qu'il nous donne :  tout mort qu'il est, il nous

 

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prêche encore ; disons mieux, il est encore vivant dans ses incomparables écrits. Voulez-vous réformer le christianisme, ou plutôt voulez-vous vous réformer vous-mêmes? Tolle, lege : Prenez et lisez. Il ne vous faut point d'autre maître, point d'autre prédicateur, point d'autre guide et d'autre directeur que saint Paul, tel que l'Eglise vous le présente, et tel qu'elle vous le fait entendre. Je dis plus : voulez-vous avoir part au ministère de ce grand Apôtre? voulez-vous, pères et mères, faire de vos familles des familles chrétiennes? servez-vous de la morale de saint Paul ; ayez soin de vous en instruire et d'en instruire les autres. Au lieu de tant de livres scandaleux, de tant de livres impies, de tant de livres médisants et insolents, attachez-vous à celui-là, et dans peu vous en connaîtrez le mérite, et en ressentirez l'efficace : ce sera votre sanctification particulière, et la sanctification de vos maisons. Quoi qu'il en soit, comme saint Paul a pleinement accompli le ministère de l'apostolat par la prédication de l'Evangile, il l'a encore parfaitement honoré par la conduite qu'il a tenue dans la prédication de l'Evangile : c'est la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Tirer de l'honneur de son ministère parce qu'on l'exerce dignement, c'est la récompense du mérite ; affecter l'honneur qui est attaché à son ministère et s'en prévaloir, c'est l'effet de l'ambition humaine; se faire honneur aux dépens de son ministère, c'est une criminelle prévarication : mais faire honneur à son ministère aux dépens mêmes de sa personne, c'est le caractère des grandes âmes, et en particulier celui de saint Paul : il ne se vit pas plutôt engagé dans ce glorieux emploi de prêcher l'Evangile aux gentils, qu'il s'en expliqua hautement : Vobis enim dico gentibus : Quamdiu quidem ego sum gentium apostolus, ministerium meum honorificabo (1) ; Oui, mes Frères, leur dit-il, je vous le déclare, puisqu'il a plu à Dieu de me choisir pour être le ministre de sa parole, et qu'il m'a établi votre apôtre, tant que j'en porterai le titre et le nom, je travaillerai à le soutenir honorablement. C'est ainsi qu'il parlait aux Romains, et il n'en faudrait pas davantage pour vérifier ma proposition ; mais il est nécessaire , pour notre instruction, de la développer et d'entrer dans le détail, afin d'apprendre l'usage d'une maxime aussi essentielle au christianisme que celle-ci, qui est

 

1 Rom., XI, 13.

 

d'honorer les ministères que Dieu nous confie. Voici donc, Chrétiens, de quelle manière y procéda saint Paul : appliquez-vous à cette morale, plus capable que tous les éloges du monde de vous faire admirer cet apôtre.

Première règle. Il considéra que si quelque chose pouvait jamais déshonorer le ministère apostolique , et l'exposer à la censure des hommes, c'était surtout l'esprit d'intérêt, esprit bas et sordide dans quelque condition qu'il se trouve, mais honteux et infâme quand il entre dans le commerce des choses saintes. Il prévit dès lors que ce qui obscurcirait dans la suite des temps l'éclat et la gloire de l'Evangile de Jésus-Christ, ce serait la cupidité de certaines âmes mercenaires qui y chercheraient des avantages temporels, et qui, sous des apparences spécieuses, feraient trafic du don de Dieu : Existimantium quœstum esse pietatem (1) ; que cela seul ruinerait de réputation et de crédit, non-seulement les prédicateurs de la vérité et les dispensateurs des sacrés mystères, mais la vérité et les mystères mêmes ; que cela seul ferait perdre aux peuples tout le respect qu'ils devaient avoir pour eux, et serait un prétexte éternel pour les rendre odieux et méprisables aux ennemis de l'Eglise : au contraire , qu'un désintéressement parfait serait toujours l'ornement de leur état et de leur fonction , et qu'ils n'annonceraient jamais Jésus-Christ avec plus d'honneur, que quand ils paraîtraient plus libres et plus dégagés des prétentions de la terre. Voilà le principe qu'il établit; et que conclut-il de là? Ah! Chrétiens, ce qu'il conclut! Il se fit une loi, mais une loi inviolable et qu'il observa dans toute la rigueur , d'exercer gratuitement le ministère dont Dieu l'avait chargé; et dans cette vue ( ne perdez pas, s'il vous plaît, ceci), de renoncer à tous les droits , même les plus légitimes et les plus acquis, bien loin d'en exiger de douteux ; ne demandant rien , n'acceptant rien, se passant de toutes choses, se retranchant mille commodités de la vie, dont la dépendance et la recherche est ce qui rend les hommes intéressés ; ne se fondant, même pour le nécessaire, que sur Dieu et sur soi ; vivant du travail de ses mains, se faisant serviteur de tous, et, pour l'honneur de l'apostolat, ne tirant service de personne, afin qu'on ne lui reprochât jamais qu'en nourrissant le troupeau il s'était enrichi de sa dépouille, et qu'en semant d'une main il avait moissonné de l'autre : car voilà proprement l'esprit de saint Paul. Vous le

 

1 Tim., VI, 5.

 

savez, mes Frères, disait-il aux Milésiens en se séparant d'eux, si j'ai jamais désiré votre or ni votre argent, et si d'autres mains que celles que vous voyez ont fourni à ma subsistance ; vous m'êtes témoins si j'ai été à charge à aucun de vous, et si, dans mes fatigues les plus laborieuses , je me suis permis ou accordé le moindre soulagement qui vous pût être onéreux , m'étant toujours souvenu de la parole de notre Maître, qu'il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir. Cela les faisait fondre en pleurs, dit le texte sacré; ils se jetaient tous avec respect aux pieds de l'apôtre , et, en l'embrassant avec tendresse, ils s'affligeaient de ce qu'ils ne le verraient plus. S'il était sorti de leur ville bien pourvu de tout, c'est-à-dire chargé de leurs biens et de leurs présents, l'auraient-ils pleuré de la sorte? Ils l'honoraient, dit saint Chrysostome, ou, pour mieux dire, ils honoraient l'Evangile en lui, parce que dans lui l'Evangile n'était point avili ni dégradé par cette servitude de l'intérêt qui avilit et dégrade les choses les plus nobles. Ce n'est pas, ajoutait ailleurs ce grand apôtre écrivant à ceux de Corinthe, que je sois obligé d'en user ainsi; car ne suis-je pas libre, et ne m'employant que pour vous, ne m'êtes-vous pas redevables de tout ce qui me manque? n'ai-je pas le même droit que les autres de vivre de vos aumônes, et de recevoir ce tribut et cette reconnaissance de votre foi? n'est-il pas juste que celui qui plante la vigne en mange des fruits, et que celui qui sert à l'autel ait part aux oblations de l'autel? Mais, pour moi, je n'ai point voulu me servir de ce pouvoir, ayant mieux aimé souffrir des incommodités extérieures , que d'apporter tant soit peu d'obstacles à l'Evangile de Jésus-Christ. Tout ceci ce sont ses paroles : car c'est en quoi, poursuivait-il, consiste ma gloire , et malheur à moi si je la perds jamais l Encore une fois, Chrétiens, ce renoncement si généreux et si absolu, c'est ce qui rendait si vénérable le ministère de saint Paul ; avec cela il parlait hardiment et sans crainte , il reprochait, il menaçait, il faisait trembler le vice, ne l'épargnant et ne le respectant dans quelque condition que ce lut. Car que ne peut point un homme qui ne prétend rien, et qui est détaché de tout intérêt quand il porte la parole et les ordres de Dieu? S'il eût été d'humeur à faire valoir ses droits et à les disputer sans en rien rabattre, on n'eût eu que du mépris pour son zèle ; et s'il se fût proposé une fortune et un établissement, il eût lui-même ménagé son zèle, c'est-à-dire qu'il l'eût corrompu par de lâches complaisances : car ce qui rend tous les jours la parole de Dieu timide, faible, esclave des respects humains, n'est-ce pas l'intérêt? ce qui fait qu'on la déguise, et qu'on trouve le secret de l'accommoder aux passions des hommes, n'est-ce pas l'intérêt? ce qui la retient captive dans l'injustice, et ce qui empêche que la vérité ne soit écoutée dans le monde, n'est-ce pas l'intérêt? Mais parce que saint Paul avait triomphé de cet intérêt, et la parole de Dieu et la vérité remportaient dans sa personne de continuelles victoires.

Je dis plus, et c'est une seconde règle; ce grand saint conçut qu'il y avait encore un autre intérêt secret, d'autant plus dangereux qu'il était plus subtil et plus délicat : car Dieu lui fit voir en esprit un certain genre d'apôtres, qui, par le plus funeste de tous les abus, au lieu d'avoir pour fin d'honorer leur profession, se serviraient de leur profession pour s'honorer eux-mêmes; qui, au lieu de prêcher Jésus-Christ, se prêcheraient eux-mêmes; qui au lieu d'attirer les âmes à Dieu, se les attireraient à eux-mêmes : c'est-à-dire qui, au lieu de faire que Dieu régnât en elles, entreprendraient eux-mêmes de régner sur elles, qui se proposeraient en elles un fonds de domination, de juridiction, d'empire, et bien d'autres avantages dont, comme parle saint Grégoire pape, le ministre serait glorifié, mais le ministère détruit. Que fit saint Paul ? il eut horreur de tout cela, et, par un effet de cette fidélité qui fut en lui sans exemple, il sépara l'honneur de l'Evangile du sien ; il ne confondit point l'un avec l'autre; il considéra le sien comme un néant, il le foula aux pieds, pour n'avoir plus désormais en vue que celui de l'Evangile. Comme il s'était déclaré aux fidèles qu'il ne cherchait point leurs biens, mais leurs personnes : Non quœro quœ vestra sunt, sed vos (1); aussi protesta-t-il qu'il ne se prêchait point soi-même, mais uniquement Jésus-Christ : Non nosmetipsos prœdicamus, sed Jesum Christum (2). Et parce qu'il est aisé de le dire, et que la difficulté est de se défendre soi-même dans une matière aussi sujette aux illusions de la vanité que celle-là, il le dit en sorte qu'il en donna les preuves les plus sensibles. Car prenez garde, Chrétiens, s'il vous plaît : pour cela, lui qui était naturellement éloquent, il n'usa jamais, dans le ministère de la prédication, ni de discours élevés, ni d'aucun ornement des sciences humaines, comme il l'aurait pu faire avec succès :

 

1 2 Cor., XII, 14.— 2 Ibid., IV, 5.

 

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pourquoi ? de peur que l'Evangile de la croix n'en fût affaibli : Ut non evacuetur crux Christi (1). Un autre que lui se serait prévalu de son talent, et, au hasard du véritable et solide Lien de la conversion des cœurs, aurait fait valoir ce qu'il savait et ce qu'il pouvait; mais c'aurait été au détriment de la parole de Dieu et de sa grâce, et c'est de quoi saint Paul était incapable. Pour cela, il eut toujours une aversion sincère pour tous les vains applaudissements des hommes, dont les emplois éclatants, comme était le sien, sont ordinairement suivis. Eh! que faites-vous? disait-il aux Lycaoniens, qui étaient idolâtres de lui, et qui se préparaient à lui rendre des honneurs extraordinaires; que faites-vous? Ne savez-vous pas que nous sommes comme vous des hommes mortels, pécheurs, sujets aux mêmes infirmités? Si Dieu a voulu se servir de nous pour vous enseigner la voie du ciel, et s'il a voulu autoriser sa parole par des prodiges et des miracles, est-il juste que la gloire nous en revienne? faut-il que, par une fausse bienveillance que vous avez pour nous, vous nous rendiez les usurpateurs d'une gloire qui ne nous est point due? Pour cela, il ne souffrit jamais que, sous ombre d'estime et de confiance, on s'attachât à lui personnellement : chose d'ailleurs si engageante, et à laquelle les hommes les plus spirituels à peine peuvent-ils s'empêcher d'être sensibles. Et parce qu'il s'était formé dans Corinthe un parti de Chrétiens qui se déclaraient pour lui, qui reconnaissaient ne devoir qu'à lui tout ce qu'ils étaient selon Dieu, et qui, se détachant en quelque sorte des autres apôtres, disaient : Nous sommes les disciples de Paul, Ego sum Pauli (2); il les en reprit : Hé quoi ! mes Frères, leur remontrait-il, est-ce Paul qui a été crucifié pour vous? est-ce au nom de Paul que vous avez reçu le baptême? qu'est-ce que ce Paul que vous vantez tant? c'est un instrument faible et inutile de celui en qui vous avez cru. Pourquoi donc me regarder autrement, et pourquoi tous partager, en disant que vous êtes à moi, au lieu de penser à vous réunir tous comme appartenant tous à Dieu ? O merveille ! s'écrie saint Chrysostome, un homme ému d'une véritable indignation, parce qu'on a du zèle pour sa personne; un homme affligé de ce que l'on est trop à lui, parce qu'il craint que l'on en soit moins à Jésus-Christ ! Ah ! grand saint, c'est ce qui s'appelle travailler pour la gloire de son ministère. C'est ainsi que vous avez donné crédit à l'Evangile; et c'est pour

 

1 1 Cor., I, 17. — 2 Ibid., 12.

 

cela que la grâce que vous dispensiez n'a rien perdu entre vos mains de son efficace. Dans les nôtres, elle la perd tous les jours : parce que nous nous cherchons nous-mêmes, nous nous trouvons misérablement nous-mêmes, et en nous trouvant, nous devenons la honte et l'opprobre de cette grâce. Nous parlons d'elle magnifiquement, mais elle n'opère rien par nous ; le monde nous applaudit, mais le monde ne se convertit pas; nous établissons notre réputation, mais nous n'établissons pas l'empire de Dieu : pourquoi? parce que nous n'avons rien moins que ce zèle d'honorer le ministère que Dieu nous a commis.

Voulez-vous, Chrétiens, une preuve encore plus solide et plus convaincante de celui qu'avait saint Paul? oubliez le reste, et appliquez-vous à ceci : c'est qu'il était aussi zélé pour son ministère exercé par d'autres que par lui-même; troisième règle. C'est que le bien des âmes et l'avancement du christianisme lui étaient également chers, soit qu'il le vît procuré par d'autres, soit qu'il le procurât lui-même : c'est qu'il se souciait peu par qui Jésus-Christ fût annoncé, pourvu qu'il fût annoncé : jusque-là (ô admirable et divine leçon, si elle était bien entendue !) jusque-là que quelques-uns prêchant par un esprit d'émulation et de jalousie contre lui (car dès lors, Chrétiens, on voyait des contentions entre les ministres de l'Evangile; et c'est une simplicité et une erreur de regarder ce scandale comme un scandale de notre siècle, puisqu'il est aussi ancien que l'Eglise, et que Dieu, pour notre instruction, l'a permis dans tous les temps) : jusque-là, dis-je, que quelques-uns prêchant Jésus-Christ par jalousie contre lui et dans le dessein, comme il parle lui-même, d'ajouter de nouvelles traverses à celles qu'il avait déjà éprouvées, Existimantes pressuram se suscitare vinculis meis (1) il ne laissait pas de s'en réjouir : In hoc gaudeo, sed et gaudebo : touché d'une part de la malignité de leur intention, et ravi de l'autre de ce que l'Evangile profitait de cette malignité. Car que m'importe, disait-il, qu'il soit publié par ceux-ci ou par ceux-là, qu'il le soit par mes amis ou par mes ennemis, qu'il le soit à ma confusion ou à ma gloire, pourvu qu'il le soit véritablement? Or, parler ainsi et être disposé de même, c'est faire honneur à son ministère et non pas à soi. Car, de n'estimer le bien que quand il se fait par nous, de ne le goûter qu'autant qu'il a de rapport à nous, de ne pouvoir supporter que les

 

1 Philip., I, 17.

 

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autres soient plus employés que nous dans les intérêts de Dieu, d'avoir peine à souffrir qu'ils le soient autant, de souhaiter peut-être qu'ils ne le fussent point du tout ; et ensuite diminuer leurs succès, sans prendre garde que ce sont les succès de l'Evangile, et amplifier les nôtres comme s'ils étaient les fruits de notre industrie : qu'est-ce que tout cela, Chrétiens, sinon s'usurper l'honneur de son ministère et le dérober à Dieu?

Je serais infini si je m'étendais sur les autres règles que saint Paul se proposa, et qu'il observa. Ah ! mes Frères, dit saint Grégoire, pape, que ce grand apôtre fut éloigné de l'aveuglement de ceux qui croient ne pouvoir soutenir leur ministère que par le faste du monde, que par l'affectation de la grandeur, que par la magnificence du train, que par l'éclat d'une somptuosité superflue, que par les disputes éternelles sur les préséances, sur les prérogatives, sur la dignité, en un mot, que par toutes les choses dont l'ambition des hommes s'entête et s'occupe! Non, non, saint Paul n'en jugea pas ainsi; il prit pour maxime coque l'Esprit de Dieu, qui est l'esprit de la vraie sagesse, lui avait enseigné, que ni son ministère, ni tout autre, ne seraient jamais moins honorés que par là; et que, s'ils le devaient être, c'était par une conduite  irréprochable et  exempte de blâme, par une vie qui ne fût point sujette à rougir, qui ne craignît point la lumière du jour, qui fût à l'épreuve de toutes les censures; par une réputation qui n'eût rien de suspect ni d'équivoque, et que le libertinage même respectât. Maxime qu'il avait à cœur par-dessus tout, et qu'il inspirait à ses disciples, leur disant sans cesse : Mes Frères, comportons-nous comme des ministres de Dieu ; rendons-nous recommandables par la pureté de notre doctrine, par l'intégrité de nos mœurs, par la douceur de notre charité, par les armes de la justice; que nos entretiens soient religieux et nos actions exemplaires : et pourquoi? Ah! mes chers disciples, ajoutait-il, afin que la parole de notre Dieu ne soit point exposée aux blasphèmes des hommes, et afin que notre ministère ne soit point déshonoré : Ut non vituperetur ministerium nostrum (1). Cela seul le faisait agir ; cela seul était en lui comme le premier mobile de toutes les vertus qu'il pratiquait. Cette ferveur sans indiscrétion et cette prudence sans ménagement; cette humilité de cœur sans bassesse et cette grandeur d'âme sans orgueil; ce mépris du monde sans arrogance,

 

1 2 Cor., VI, 3.

 

et ce zèle pour le monde sans attache ; cette tendresse envers les pécheurs, jointe à cette sévérité envers le péché ; cette exactitude de discipline, accompagnée de cette sage condescendance ; cette science de se modérer dans la prospérité et de se soutenir dans l'adversité : voilà ce qui faisait de saint Paul un homme respectable, et ce qui comblait d'honneur son ministère.

Arrêtons-nous là, Chrétiens : car voilà au même temps notre modèle et notre exemple. C'est ainsi que nous devons, chacun dans notre condition, honorer le ministère où il a plu à Dieu de nous appeler. Ayons-y le même désintéressement que saint Paul. Dès que nous ne penserons point à nous-mêmes, nous nous préserverons de mille fautes qui avilissent les plus saints emplois, en avilissant les ministres qui en sont chargés; nous serons exacts, droits, réguliers, équitables, vigilants, et l'on en sera édifié : mais au contraire, dès que nous aurons des vues intéressées, toute notre conduite s'en ressentira ; nous aurons beau vouloir cacher cet intérêt, le monde le remarquera bientôt; et nous ferions alors des miracles, que le monde ne nous croira pas. Travaillons à faire le bien pour le bien même, pour la gloire de Dieu, pour l'avantage du prochain, selon l'esprit et la fin de notre état. Car souvent on fait le bien pour soi-même; on le fait parce qu'on se met par là dans une certaine estime; on le fait parce qu'on s'acquiert par là un certain crédit; on le fait, parce que le monde le verra et qu'il en parlera. De là tant de faiblesses humiliantes, que nous découvrons dans des gens que leur âge, leur expérience, leur mérite en devraient pleinement dégager. S'ils en portaient toute la honte, et qu'elle ne retombât point sur leurs ministères, le mal serait moins à craindre : mais de ces exemples quelles conséquences ne tire-t-on pas contre les plus saintes professions et les dignités les plus sacrées? Je sais que, pour ce désintéressement parfait que demande le vrai zèle, il faut beaucoup prendre sur soi ; mais quand il faudrait même s'immoler pour son ministère, n'est-ce pas le devoir d'un serviteur fidèle? c'est ce que saint Paul a fait, comme je vais vous le montrer dans la troisième partie.

 

TROISIÈME PARTIE.

 

C'est une belle idée qu'a eue Tertullien, en parlant du Sauveur du monde, quand il dit que cet Homme-Dieu n'a pas seulement été immolé sur la croix, mais qu'il a commencé à

 

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être victime dès le moment qu'il s'est fait homme. Une hostie destinée pour expier le péché, mais une hostie vivante et mourante , dont le sacrifice n'a jamais été interrompu , voilà ce que c'est que Jésus-Christ. Permettez-moi, Chrétiens, en gardant les proportions requises, d'appliquer ceci à l'apôtre saint Paul : il s'est sacrifié pour son ministère, c'est-à-dire pour le salut de ses frères et pour la gloire de l'Evangile ; mais ne vous imaginez pas qu'il ait attendu pour cela l'arrêt de Néron, et qu'il n'ait offert à Dieu ce sacrifice de lui-même que quand il versa son sang dans Rome pour la confession de sa foi; ce n'est point là de quoi je prétends parler; ce n'est point, dis-je, de son bienheureux martyre et de sa glorieuse mort. Dès l'instant de sa vocation à l'apostolat, il se regarda comme la victime de son apostolat même, et il le fut en effet : car je trouve qu'il commença dès lors deux grands sacrifices qui ont duré autant que sa vie : l'un de patience, par lequel il se dévoua aux persécutions des hommes, pour le nom de son Dieu; et l'autre de pénitence, par lequel lui-même, touché du zèle que la charité lui inspirait de satisfaire pour les hommes, il devint son propre persécuteur. De sorte que l'on peut dire de lui, pour couronnement de son éloge, qu'il a été immolé aussitôt qu'appelé ; et qu'au moment qu'il s'est vu apôtre, il a paru devant Dieu en qualité d'hostie : voilà la véritable idée de saint Paul, et voilà sur quoi nous devons travailler encore à nous former.

Non, Chrétiens, jamais homme mortel n'a dû faire à Dieu un sacrifice de patience si continuel et si héroïque que ce grand saint. A peine, s'il m'est permis de parler ainsi, eut-il levé l'étendard de l'Evangile, que tout l'univers sembla conspirer contre lui. Dès là il n'y eut plus pour lui que des trahisons sur la terre, que des naufrages sur la mer, que des emprisonnements dans les villes, que des embûches dans les lieux écartés. Tout ce que la malice de l'envie et tout ce que l'animosité de la haine peuvent susciter d'adversités et de misères, il l'éprouva dan? sa personne. Ceux de sa nation se firent un point de religion d'être ses ennemis les plus cruels; les gentils l'accablèrent d'outrages; parmi les chrétiens mêmes qu'il avait engendrés en Jésus-Christ, il trouva de faux frères et de faux apôtres ; tous les jours exposé aux insultes des séditions populaires, tous les jours traduit de tribunal en tribunal, tantôt fouetté comme un esclave, tantôt lapidé comme un sacrilège et comme un blasphémateur. Combien de travaux ? combien de voyages? combien de bannissements? Si c'était un autre que lui-même qui en fît le détail, nous croirions qu'il y a de l'exagération ; mais nous savons, dit l'abbé Rupert, que le Saint-Esprit dont saint Paul a été l'organe, est éloquent sans rien amplifier. C'est saint Paul lui-même qui, malgré toutes les résistances de son humilité, a été obligé de rendre compte à l'Eglise de ce qu'il avait souffert ; il en a fait excuse aux fidèles, il les a priés de supporter en cela son imprudence, il a semblé même s'accuser tout le premier de vaine gloire ot d'ostentation, et par là, dit saint Jérôme, il a bien montré qu'il n'avait pas besoin de s'en justifier; mais enfin il l'a reconnu ; et, forcé par l'Esprit de Dieu qui le faisait parler, il en a pris le ciel à témoin, qu'aucun des apôtres n'avait été si persécuté ni si maltraité que lui. Ils sont plus grands que moi, disait-il aux Corinthiens ; mais ce Dieu de gloire, qui est l'auteur de ma destinée, a voulu que j'eusse plus à endurer qu'eux, que je fusse plus souvent dans les chaînes, que je courusse et que j'essuyasse plus de dangers de mort, que je me trouvasse réduit plus communément aux rigueurs extrêmes de la faim et de la soif; et pourquoi tout cela ! Ah ! Chrétiens, ne vous l'ai-je pas dit, et cet homme apostolique n'avoue-t-il pas que c'était uniquement pour les intérêts de son ministère? Il avait fait la guerre à Jésus-Christ ; et Jésus-Christ, dit saint Augustin, lui faisait la guerre à son tour, ou plutôt il faisait à Jésus-Christ une espèce de réparation , acceptant de lui persécution pour persécution , captivité pour captivité , supplice pour supplice. Car il se souvenait toujours d'être ce Saul qui avait été le fléau de l'Eglise; et voilà pourquoi il se croyait obligé, par un devoir indispensable, de souffrir pour son Dieu les mêmes choses qu'il avait fait souffrir à son Dieu. Il était responsable à son Dieu de la conversion d'une infinité de peuples, et il ne pouvait pas retirer ces peuples de l'infidélité qu'il ne lui en coûtât des afflictions et des croix. C'est pour cela que les croix lui étaient si chères et si précieuses, parce qu'elles lui gagnaient des âmes, et des âmes prédestinées, pour lesquelles il s'estimait heureux de pouvoir endurer tout : Ideo omnia sustineo propter electos (1). Remarquez ce mot, Chrétiens : Propter electos, car pour lui-même, répond admirablement saint Chrysostome, il aurait été chéri, honoré, respecté de tout le monde ; mais pour les élus il devait être haï,

 

1 2 Tim., II, 10.

 

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méprisé, calomnié, puisqu'il ne pouvait pas autrement être le coopérateur de leur salut, et c'est ce qui soutenait l'ardeur de son courage. Je m'en vais à Jérusalem, disait-il, et je ne sais ce qui m'y doit arriver, sinon que dans toutes les villes par où je passe, l'esprit de Dieu me fait connaître que des tribulations et des chaînes m'y sont préparées ; mais je ne crains rien de toutes ces choses, et ma vie ne m'est pas plus considérable que moi-même, pourvu que j'achève ma course, et que je m'acquitte du ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus : Dummodo consummem cursum meum, et ministerium verbi quod accepi a Domino Jesu (1).

Que répondrez-vous à cela, hommes du siècle, esprits lâches et mondains , qui dans les emplois dont la Providence vous a chargés, et même dans ceux qui vous attachent, aussi bien que saint Paul, au service des autels, cherchez vos aises et votre repos? Venez, venez vous confronter aujourd'hui avec cet apôtre ; et, dans l'opposition que vous découvrirez entre vous et lui, apprenez ce que vous devez être , et confondez-vous de ce que vous n'êtes pas. Saint Paul s'est immolé pour son ministère, et vous vous épargnez dans le vôtre : voilà le reproche que vous avez à soutenir devant Dieu ; consultez-vous un peu sur ce point. Je sais que l’amour-propre ne manque pas de vous imposer, et de vous faire croire, par ses artifices, que l'on doit être content de vous, comme vous l'êtes de vous-mêmes. Mais entrons dans le détail, et dites-moi : ces ménagements de votre personne si étudiés et si affectés, ce refus d'un travail nécessaire et que vous devez au public, cette horreur de l'assiduité que vous traitez d'esclavage et de servitude, cette habitude que vous vous faites de vous divertir beaucoup et de vous appliquer peu, au lieu de suivre l’ordre de Dieu, qui serait de vous divertir peu, pour vous appliquer beaucoup ; cette liberté que vous vous donnez de vous décharger sur autrui des soins les plus personnels, et dont vous devez uniquement répondre; cette facilité à vous émanciper des obligations onéreuses, même les plus indispensables, qui sont attachées à votre état; cette peine a être où il faut que vous soyez, et cette disposition à être volontiers où il faut que vous ne soyez pas ; cette fuite des affaires qui vous sont importunes et incommodes, quoique Dieu ne vous ait fait ce que vous êtes que pour en être incommodés et importunés ; cette prudence de la chair à ne vous engager jamais, ni pour la vérité, ni pour

 

1 Act., XX, 24.

 

la justice; cette crainte de vous exposer cl de vous perdre, dans les occasions où Dieu demande que vous vous exposiez et que vous vous perdiez ; en un mot, ce secret que le monde vous a appris et que vous pratiquez si bien, de ne prendre de votre condition que le doux et l'honorable, et d'en laisser le pénible et le rigoureux : ce n'est pas tout ; cette indifférence pour cent choses où il faudrait que vous eussiez de saintes inquiétudes ; cette froideur à la vue des scandales qui devraient enflammer votre zèle , et au contraire cette impatience et cette chaleur sur les moindres défauts dont votre délicatesse se trouve blessée ; cette sensibilité à vous offenser de tout, et à ne pouvoir rien supporter dans une place qui vous oblige à tout supporter, et à ne vous offenser de rien ; ces plaintes et ces éclats dans les traverses et dans les contradictions qui vous arrivent, preuves évidentes d'un cœur immortifié et incirconcis : tout cela convient-il à un homme qui, dans quelque genre de vie que ce soit, veut être, à l'exemple de saint Paul, un ministre fidèle? et puisque, pour être tel, il faut se résoudre à être une victime , tout cela s'accorde-t-il avec l'état d'une victime ? Si saint Paul en avait usé de la sorte, aurait-il été apôtre de Jésus-Christ? aurait-il glorifié Dieu au point qu'il l’a fait? aurait-il sauvé ce grand nombre d'âmes? se serait-il fait tout à tous, pour avoir part à la rédemption de tous? Nous nous flattons qu'il ne faut pas nous prodiguer, et que l'intérêt même de nos ministères demande que nous nous conservions ; et parce que nous sommes en ceci les juges du plus ou du moins, nous abusons de ce prétexte, pour porter les choses jusqu'à un excès d'amour et d'indulgence envers nous-mêmes. Mais que dirons-nous à Dieu, quand il nous opposera l'exemple de saint Paul? sa conservation n'était-elle pas aussi importante que la nôtre? sommes-nous plus dignes d'être épargnés que lui? était-il moins nécessaire à Dieu que nous? Ah! grand saint, que vous serez un témoin redoutable pour nous dans le jugement de Dieu ?

Mais concluons : une vie aussi persécutée et aussi accablée de fatigues que celle-là, n'était-ce pas une assez grande pénitence? s'il restait des forces à saint Paul, devait-il les épuiser par des mortifications volontaires? pouvait-il conspirer lui-même à ruiner une santé si précieuse à l'Evangile ; et quelque amour qu'il eût pour les croix, ne devait-il pas se contenter de celles que Dieu lui envoyait, puisqu'elles suffisaient

 

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déjà pour le faire vivre dans un état continuel de mort ? C’est ainsi, Chrétiens, que raisonne l'esprit du monde, et c'est ainsi que nous nous aveuglons encore tous les jours. Ne souffrir que ce que nous ne pouvons éviter, et n'exercer jamais contre nous aucun acte de cette sévérité que l'Evangile nous recommande, sous ombre que la Providence nous envoie assez elle-même de souffrances et de croix ; voilà notre maxime. Mais saint Paul n'en jugeait pas de la sorte : non, ce n'était point assez pour lui que d'être persécuté, s'il ne se persécutait lui-même ; ce n'était point assez d'être haï, s'il ne se haïssait lui-même ; ce n'était point assez d'être mortifié, s'il ne se mortifiait lui-même : il voulait avoir part à la gloire du sacerdoce de Jésus-Christ, et être tout ensemble le prêtre et la victime de son holocauste. Que fait-il donc ? à ce sacrifice héroïque de patience, il en joint un autre de pénitence; châtiant tous les jours son corps, le réduisant en servitude, lui faisant porter continuellement la mortification de Jésus-Christ, accomplissant dans sa chair ce qui manquait aux souffrances de Jésus ; et pourquoi ? Ah ! Chrétiens, je finis, maison finissant je tremble, et pour moi qui vous parle, el pour vous qui m'écoutez. Saint Paul châtie son corps, parce qu'il craint qu'étant apôtre et prêchant aux autres, il ne devienne un réprouvé ; et il accomplit dans sa chair ce qui manquait aux souffrances de Jésus-Christ, non point seulement pour soi, mais pour tout le corps de l'Eglise : Pro corpore ejus, quod est Ecclesia (1) ; c'est-à-dire pour son ministère qui l'engage à procurer auprès de Dieu le salut de tous les hommes ; pensées terribles, et qui devraient être le sujet éternel de nos considérations. Car qu'est-ce que ceci, devons-nous nous dire à nous-mêmes? saint Paul a fait de son corps une victime de pénitence, de peur d'être réprouvé ; cet homme confirmé en grâce, cet homme à qui sa conscience ne reprochait rien, cet homme ravi jusqu'au troisième ciel, cet homme si parfaitement attaché à Dieu, croyait qu'il lui était nécessaire, pour ne pas tomber dans le malheur de la réprobation, de traiter durement son corps; et moi qui suis un pécheur, moi sujet à toutes sortes de passions, je ménagerai le mien, je le ferai vivre dans les délices, je lui accorderai tout; bien loin de le

 

1 Colos., I, 24.

 

réduire en servitude, je me ferai son esclave ; je ne penserai qu'à le bien nourrir, qu'à le vêtir mollement, qu'à lui donner toutes ses aises ? et avec cela je vivrai sans aucune crainte pour mon salut, sans remords et sans scrupule ? et avec cela je me persuaderai que je puis aimer Dieu , et que je l'aime en effet? et avec cela je croirai pouvoir être reçu au nombre des enfants et des élus de Dieu? non, mon Dieu : c'est une erreur, et une erreur aussi pernicieuse qu'injuste , dans laquelle j'ai vécu jusqu'à présent, mais dont je me détrompe aujourd'hui. Quand mille autres raisons ne m'en feraient pas connaître la fausseté, il ne faudrait que l'exemple de saint Paul : car enfin, Chrétiens , saint Paul n'était pas un esprit faible ; il était aussi bien instruit que nous des jugements de Dieu ; il savait aussi bien que nous quel est le tempérament de l'homme : je n'aurai donc plus de confiance, qu'autant que je pratiquerai comme lui la pénitence.

Ce n'est pas tout : saint Paul a châtié son corps, et l'a sacrifié, non pas seulement pour soi-même, mais pour l'Eglise et pour les fidèles, parce que son ministère l'engageait à procurer par ses souffrances le salut de ses frères : il est donc juste que dans mon emploi, dans ma charge, dans ma profession, je sacrifie moi-même mes forces, ma santé, ma vie, pour ceux que Dieu a bien voulu commettre à mes soins, et dont il me demandera compte. Oh! si nous étions convaincus, comme saint Paul, de cette importante vérité , quel changement verrait-on dans toutes les conditions du monde? avec quelle assiduité en remplirait-on les devoirs? avec quel courage en porterait-on toutes les peines? quel ordre régnerait sur la terre, et combien Dieu serait-il glorifié dans tous les états? Pour cela, grand Apôtre, vous que l'Eglise nous propose pour modèle, faites-nous part de ce zèle ardent, de ce zèle constant, de ce zèle infatigable qui vous a soutenu, qui vous a embrasé, qui vous a consumé. La gloire dont vous jouissez, bien loin de l'éteindre, n'a fait que le purifier et que l'allumer davantage ; exercez-le encore sur nous; et que l'effet de ce zèle soit de réveiller le nôtre, et de nous apprendre à travailler comme vous, pour être récompensés comme vous dans l'éternité bienheureuse, où nous conduise, etc.

 

 

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