ASSOMPTION  VIERGE II

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DEUXIÈME SERMON SUR L'ASSOMPTION DE LA VIERGE.
SUR LA DÉVOTION A LA VIERGE.

ANALYSE.

 

Sujet. Jésus entra dans une bourgade, et une femme le reçut dans sa maison.

 

Cette femme, selon le sens que l'Eglise donne à l'Evangile de ce jour, c'est Marie qui reçut dans ses chastes entrailles le Fils de Dieu : et c'est elle-même aussi qui est aujourd'hui renie par cet Homme-Dieu dans le séjour de la gloire. N'entreprenons point d'expliquer avec quelle pompe elle entre dans le ciel ; mais voyons quelle doit être sur la terre notre dévotion envers cette glorieuse mère.

 

Division. Trois devoirs en quoi consiste la dévotion à la Vierge : l'honorer, mais l'honorer judicieusement : première partie; l'invoquer, mais l'invoquer efficacement : deuxième partie ; l'imiter, et l'imiter religieusement : troisième partie.

Première partie. Honorer Marie, mais l'honorer judicieusement. S'il peut y avoir parmi les personnes adonnées au service de la Vierge quelques dévots indiscrets, il faut aussi convenir qu'il peut y avoir parmi ceux qui censurent les dévots de la Vierge, des censeurs indiscrets. Ils se sont plaints, 1° qu'on rendait des hommages à Marie comme à une divinité; 2° qu'on lui donnait des titres d'honneur qui ne lui appartenaient pas, surtout ceux de médiatrice et de réparatrice ; 3° qu'on lui attribuait de nouveaux privilèges qui ne nous étaient révélés ni dans l'Ecriture, ni dans la tradition. Examinons ces plaintes, et de là même tirons des règles sûres pour honorer discrètement la reine du ciel.

1° On s'est plaint que les dévots de Marie l'honoraient comme une divinité. Mais, grâce à la Providence, l'Eglise de Jésus-Christ n'avait pas besoin de l'avis prétendu salutaire qu'on a voulu nous donner là-dessus ; car ce n'est point à Marie que nous offrons, comme à Dieu, des sacrifices : nous l'honorons d'un culte inférieur à celui de Dieu, mais supérieur à tout autre que celui de Dieu, et c'est l'honorer judicieusement.

2° On s'est plaint que les dévots de Marie lui donnaient des titres d'honneur qui ne lui appartenaient pas, surtout ceux de médiatrice et de réparatrice. Mais puisqu'elle est mère de Dieu, y a-t-il un titre d'honneur qui ne lui convienne? et, en particulier, saint Bernard ne l'appelle-t-il pas expressément médiatrice et réparatrice, et ne témoigne-t-il pas que de son temps c'était ainsi que toute l'Eglise l'appelait? Or, c'est encore honorer judicieusement la Vierge, que de lui attribuer les qualités que toute l'Eglise lui attribue. Il n'y a qu'un médiateur de rédemption, qui est Jésus-Christ; mais il y d'autres médiateurs d'intercession, et Marie, entre ceux-ci, ne doit-elle pas avoir la première place?

3° On s'est plaint du zèle que font paraître les dévots de Marie à défendre certains privilèges qu'ils reconnaissent en elle : privilèges de grâces dans son immaculée conception, privilèges de gloire dans sa triomphante assomption. Mais raisonnons toujours sur le même principe : de tous les privilèges qui, sans prcjudicier aux droits de Dieu, servent à rehausser l'éclat de la maternité divine, y en a-t-il un seul que nous puissions raisonnablement lui contester? n'est-ce pas assez que ce soient des privilèges reconnus par les plus savants hommes de l'Eglise, autorisés par la créance commune des fidèles, appuyés au moins sur les plus foi tes conjectures et les témoignages les plus solides? Or, tels sont les privilèges que nous honorons dans Marie, et c'est par là que nous les honorons prudemment. Faut-il donc que le ministère de la parole de Dieu soit aujourd'hui nécessaire pour maintenir le culte que nous rendons à la plus sainte des vierges? mais, malgré tous les efforts de l'hérésie, le culte de Marie a subsisté, et il subsistera.

Deuxième partie. Invoquer Marie, mais l'invoquer efficacement. Nous pouvons invoquer Marie, puisque l'Eglise a défini que nous pouvons invoquer les saints, et que d'ailleurs il est certain que cette mère de Dieu a toute la miséricorde et tout le pouvoir nécessaire pour nous aider de son secours; c'est ainsi que les Pères ont raisonné. Non-seulement nous pouvons invoquer Marie, mais nous le devons : pourquoi? pour nous conformer à l'Eglise, pour nous attirer la grâce, pour nous procurer contre les dangers du monde une puissante protection, pour assurer notre salut. Mais le point est d'invoquer cette vierge efficacement, c'est-à-dire de telle sorte qu'elle puisse agréer nos prières, et que nous ne l'invoquions pas en vain ; sur quoi il y a deux extrémités à éviter, 1° trop de confiance dans la protection de Marie; 2° trop peu de confiance dans cette même protection.

1° Trop de confiance; car nous lui faisons quelquefois des prières présomptueuses, et par là injurieuses à Dieu, indignes de la mère de Dieu, et pernicieuses pour nous-mêmes; or, de telles prières ne peuvent être efficaces.

2° Trop peu de confiance. Il semble, à entendre parler les censeurs du culte de la Vierge, qu'un pécheur, dans l'état de son péché, ne peut avoir recours à elle, parce qu'il n'est pas actuellement contrit et pénitent, et parce qu'il n'a pas l'amour de Dieu. Mais, sans être actuellement contrit et pénitent, ne peut-il pas demander, par l'intercession de Marie, la grâce de la pénitence? et, sans avoir actuellement l'amour de Dieu, ne peut-il pas le désirer, et l'obtenir par Marie? Dans un siècle où nous voyons tant d'âmes s'égarer et se pervertir, ne leur fermons pas les voies du retour et du salut. Or, une de ces voies les plus assurées, c'est une sincère confiance en Marie.

Troisième partie. Imiter Marie : 1° ce que nous devons imiter dans Marie; 2° pourquoi nous le devons imiter.

1° Ce que nous devons imiter dans Marie, c'est sa sainteté : 1° la plénitude de sa sainteté; 2° la perfection de sa sainteté; 3° la persévérance et la fermeté invariable de sa sainteté.

2° Pourquoi nous le devons imiter : pour avoir part à la gloire dont elle prend aujourd'hui possession ; c'est par le secours de cette vierge que nous pouvons imiter ses exemples. Adressons-nous à elle pour cela, dévouons-nous à elle comme un de nos rois, et faisons une profession publique de notre dévouement.

Prière à la Vierge.

 

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Intravit Jesus in  quoddam castelhtm, et mulier quœdam excepit illum in domum suam.

 

Jésus entra dans une bourgade, et  une   femme le reçut dans sa maison. (Saint Luc, chap. X, 38.)

 

Cette femme ainsi honorée de la présence de Jésus-Christ, ce fut, Chrétiens, dans le sens littéral de notre évangile, Marthe, sœur de Madeleine ; mais, selon l'application de l'Eglise, c'est Marie, la Mère du Rédempteur, la reine des vierges, et la souveraine du ciel et de la terre. C'est elle qui reçut dans ses chastes entrailles le Fils de Dieu ; et c'est elle qui est aujourd'hui reçue par cet Homme-Dieu dans le séjour delà gloire. Heureuse, mes Frères, s'écrie saint Bernard , heureuse réception de l'une et de l'autre part ! Felix utraque susceptio ! soit celle que Marie fit à Jésus-Christ dans le mystère de son incarnation, soit celle que Jésus-Christ fait h Marie dans le mystère de son assomption. Mais pourquoi parler maintenant de la première, demande le même saint Bernard? Pour mieux juger de la seconde, répond ce saint docteur; pour en former une juste idée ; pour en concevoir toute la gloire et toute l'excellence ; ou plutôt, pour reconnaître que comme la première est absolument inconcevable à nos esprits, la seconde est au-dessus de toutes nos vues et de toutes nos expressions : Ut juxta inœstimabilem illius gloriam, inœstimabilis cognoscatur et ista. En effet, quel langage pourrait jamais expliquer comment ce Dieu de majesté, qui ne peut être compris dans la vaste étendue de l'univers, se renferma dans le sein d'une vierge ; et qui pourrait dire aussi avec quelle pompe cette vierge entre dans le ciel pour y être couronnée, et pour y régner pendant toute l'éternité ? Christi generationem et Mariœ assumptionem quis enarrabit ? J'ai donc cru, mes chers auditeurs, devoir prendre un sujet plus proportionné à notre faiblesse, et même plus utile pour vous. J'ai cru que le grand et ineffable mystère de l'assomption de Marie me donnait une occasion favorable de vous entretenir de la dévotion envers cette Mère de Dieu. Pest ce que je me propose , et c'est pour cela mime, Vierge sainte , que j'ai besoin de votre secours. Daignez agréer le zèle qui m'anime pour vous, et le seconder; daignez écouter la prière que je vous fais en vous saluant, et vous disant : Ave, Maria.

 

Si j'entreprends aujourd'hui de vous parler de la dévotion à la Vierge, ce n'est point précisément pour vous l'inspirer, puisque je vous suppose trop chrétiens pour n'avoir pas envers la mère de Dieu tous les sentiments de zèle et de respect qui lui sont dus. C'est donc seulement pour vous donner sur cette importante matière toute l'instruction que des chrétiens parfaits et spirituels doivent avoir, s'ils veulent parvenir à la pratique de ce culte raisonnable que le grand Apôtre nous a si fortement recommandé : Rationabile obsequium vestrum (1). Ainsi, mes chers auditeurs, au lieu de vous exhorter à la dévotion envers Marie, je veux vous apprendre à régler cette dévotion, à profiter de cette dévotion, et à vous sanctifier vous-mêmes par cette dévotion ; je veux vous en faire connaître les véritables caractères , vous en marquer les défauts, vous en découvrir les abus, et par là vous engager à en faire un saint usage : pouvais-je choisir un dessein plus convenable à votre piété, et plus avantageux à la dévotion même dont il s'agit ? Elle consiste, selon saint Bernard, en trois principaux devoirs : à honorer Marie, à l'invoquer, à l'imiter. Or, c'est à ces trois devoirs que je m'attache, et voici en trois mots le partage de ce discours. Il faut honorer Marie, mais l'honorer judicieusement; c'est la première proposition : il faut invoquer Marie, mais l'invoquer efficacement ; c'est la seconde proposition : enfin il faut imiter Marie, et l'imiter religieusement; c'est la dernière proposition. Il faut honorer cette Vierge judicieusement; car l'honneur de la reine du ciel, aussi bien que celui de Jésus-Christ le Roi des rois, demande sur toutes choses cette condition : Nam et honor reginœ judicium diligit, dit saint Bernard, appliquant à la mère ce qui est écrit du fils : Et honor Regis judicium diligit (2) ; ce sera le sujet de la première partie. Il faut invoquer cette vierge efficacement ; car en vain Marie a-t-elle pour nous du crédit auprès de Dieu , si par l'indignité de nos prières, ou par l'impénitence de notre vie, nous nous rendons son crédit inutile : ce sera la seconde partie. Il faut, autant qu'il est en notre pouvoir, imiter cette vierge religieusement; car la sainteté de Marie est un modèle sur lequel Dieu prétend que nous nous formions, et, si nous ne le faisons pas, sur lequel il nous jugera : ce sera la dernière partie. Trois vérités également capables de contribuer à la conversion des pécheurs, et à la sanctification des justes. Commençons.

 

1 Rom., XII, 1. — 2 Psalm., XCVIII, 4.

 

PREMIÈRE   PARTIE.

 

Pour honorer saintement la Mère de Dieu, il faut l'honorer judicieusement. C'est un principe qui ne peut être contesté, et dont il n'y a sans doute personne qui ne convienne avec moi. Mais on doit en même temps convenir d'une autre vérité qui me paraît également incontestable, savoir, que s'il faut du discernement et de la prudence pour honorer la Mère de Dieu, il n'en faut pas moins, que dis-je ? il en faut même encore plus pour censurer ceux qui l'honorent, et pour s'ériger en juge du culte et des honneurs qu'ils lui rendent. J'ai droit, ce me semble, d'exiger d'abord de votre piété que vous ne sépariez jamais ces deux principes, quand il s'agit de décider sur un sujet aussi important que celui-ci ; et vous avez trop de pénétration, Chrétiens, pour n'entrer pas dans ma pensée, et trop d'équité pour n'avouer pas que la raison, aussi bien que la droite et sincère religion, le demandent ainsi : je m'explique. Il peut y avoir dans le monde, parmi les personnes adonnées au service de la Vierge, des dévots indiscrets, j'en veux bien tomber d'accord avec vous; et s'il y en a de tels, à Dieu ne plaise que je prétende ici les excuser ni les autoriser ! mais aussi peut-il y avoir des censeurs indiscrets de la dévotion envers cette même Vierge; et c'est à quoi l'on ne pense point assez. De ces deux désordres, on se pique d'éviter le premier, et il arrive tous les jours qu'on se fait un faux mérite ou une vanité bizarre du second. Cependant le second n'est pas moins dangereux que le premier ; et l'homme chrétien ne court pas moins de risque devant Dieu, en condamnant avec témérité un culte légitime et saint, qu'en pratiquant par ignorance un culte outré et superstitieux. C'est donc à nous, mes chers auditeurs, à nous préserver de l'un et de l'autre ; c'est à moi, comme prédicateur de l'Evangile, à vous conduire entre ces deux écueils, et par quelle voie ? en vous donnant des règles sûres pour honorer discrètement la reine du ciel, et vous proposant les mêmes règles pour ne pas critiquer légèrement les honneurs même populaires qu'elle reçoit sur la terre. Ne disons rien de vague ; et, dans le dessein que j'ai formé d'éclaircir ces vérités , ne combattons point des fantômes, mais venons au détail des choses.

On a prétendu que, malgré le soin qu'ont eu les pasteurs d'instruire les peuples, et d'épurer, dans notre siècle, la religion ou la dévotion des fidèles, il y avait encore de l'excès, et par conséquent de l'abus dans le culte qu'on rend à la sainte Vierge ; et ce que je vous prie de bien remarquer, ce ne sont pas seulement les ennemis déclarés de l'Eglise qui en ont jugé de la sorte. Quelques-uns même de ses propres enfants ont déploré cet abus : des catholiques, prétendus zélés, mais dont le zèle sans doute n'a pas eu toutes les qualités requises pour être ce zèle selon la science que demandait l'Apôtre; quoi qu'il en soit, des catholiques même ont cru devoir prendre sur ce point la cause de Dieu ; et de la manière qu'ils s'en sont expliqués, voici les trois chefs où la vénération du commun des fidèles pour la mère de Dieu leur a paru aller jusqu'à l'indiscrétion. Car c'est le terme dont ils se sont servis, et il nous importe une fois de bien comprendre à quoi ils l'ont appliqué. Touchés des intérêts de Dieu, ils se sont plaints qu'on rendait des hommages à Marie comme à une divinité ; ils se sont plaints qu'on lui donnait des titres d'honneur qui ne lui appartenaient pas, surtout ceux de médiatrice et de réparatrice du monde perdu ; ils se sont plaints qu'on lui attribuait de nouveaux privilèges, qui ne nous étaient révélés ni dans l'Ecriture, ni dans la tradition. Examinons leurs plaintes sans préjugé; et puisqu'ils les ont publiées dans le monde chrétien en forme d'avertissements donnés par Marie elle-même à ses dévots indiscrets, nous qui voulons de bonne foi que notre dévotion soit prudente, qu'elle soit solide, qu'elle soit sans reproche, profitons de ces avis : pour peu qu'ils soient fondés, édifions-nous-en; du moins servons-nous de l'examen que nous en allons faire, pour nous rendre encore plus exacts et plus irrépréhensibles dans le culte de la Vierge que nous honorons. Ecoutez-moi : ceci n'aura rien de trop abstrait ni d'ennuyeux.

Il est donc vrai, Chrétiens, et je le dis hautement, que d'honorer Marie comme une divinité, quoique subalterne, ce serait, non pas un simple abus, ni une simple indiscrétion, mais un crime et une impiété. Car Marie, toute mère de Dieu qu'elle est, n'est qu'une pure créature; l'humble servante du Seigneur, dont tout le bonheur est fondé sur l'aveu authentique qu'elle a fait elle-même de sa bassesse et de son néant : Quia respexit humilitatem ancillœ suœ ; ecce enim ex hoc beatam me dicent omnes generationes (1). C'est ainsi qu'elle nous l'a appris ; et nous le savons si bien, que, pour ne l'oublier jamais, nous nous faisons un devoir de la saluer chaque jour en cette qualité de

 

1 Luc, I, 48.

 

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servante du Seigneur : Ecce ancilla Domini (1). Ainsi, grâce à la Providence et à l'esprit qui gouverne le Christianisme, je prétends que l'Eglise de Jésus-Christ, surtout dans un siècle aussi éclairé que le nôtre, n'avait nul besoin de l'avis prétendu salutaire qu'on a voulu nous donner là-dessus. Car, comme je vous l'ai fait déjà remarquer d'autres fois, ce que disait saint Augustin dans un sujet à peu près semblable, pour répondre aux Manichéens, qui, malicieusement et sans raison, accusaient de son temps les catholiques de rendre aux martyrs un culte idolâtre; ce que disait ce Père touchant les martyrs, qui de nous ne le dit pas de la Mère de Dieu, que ce n'est point à elle que nous dédions des autels, ni à elle que nous offrons le sacrifice, mais à Dieu qui l'a choisie, à Dieu qui l'a sanctifiée, à Dieu qui l'a glorifiée? Nous sommes donc bien éloignés de cette grossière erreur, ou de cette énorme indiscrétion qui consisterait à faire de Marie une déesse ; et l'indiscrétion, s'il y en avait ici, serait plutôt de la part de ceux qui, dans leurs avis , auraient supposé qu'un grand nombre de fidèles, à la vue de leurs pasteurs, avaient pu tomber et étaient en effet tombés dans une telle corruption de foi; l'indiscrétion serait, non-seulement d'avoir par là renouvelé les accusations vaines et frivoles des anciens hérétiques contre l'Eglise, mais d'avoir donné l'avantage à l'hérétique protestant, de voir des catholiques mêmes persuadés que notre foi s'était ainsi corrompue dans ces derniers siècles. Non, mes chers auditeurs, je le répète, l'Eglise de Jésus-Christ n'a point été abandonnée de la sorte. Car qu'est-ce, selon nous, que d'honorer judicieusement la Mère de Dieu? C'est l'honorer d'un culte inférieur à celui de Dieu, mais supérieur à tout autre que celui de Dieu : or, voilà comment nous l'honorons, voilà comment tous les siècles du christianisme l'ont honorée : malheur à celui qui la confondrait avec Dieu ! mais aussi malheur à celui qui ne lui rendrait pas des hommages particuliers, et qui dans son estime ne la mettrait pas au-dessus de tout ce qui n'est point Dieu! Il a été de mon devoir d'appuyer d'abord sur cet article, et de vous le faire sentir ; mais allons plus loin.

On a blâmé comme indiscret le zèle des fidèles, qui attribuaient à Marie des titres d'honneur qu'on prétend ne lui pas convenir : et moi, j'avance et je soutiens que depuis que l'Eglise universelle, par le plus solennel de ses

 

1 Luc, I, 38.

 

décrets, qui fut celui du concile d'Ephèse, a maintenu la Vierge dont je défends ici la gloire, dans la possession du titre de Mère de Dieu , que l'hérésiarque Nestorius lui disputait, il n'y a point de titre d'honneur qui ne lui convienne, ni de qualité éminente qu'on puisse sans indiscrétion lui contester. Appliquez-vous, et vous en allez être convaincus. Car, puisqu'il s'agit surtout de la qualité de médiatrice et de réparatrice du monde, que les réformateurs de son culte lui voudraient ôter, voyons comment en a parlé saint Bernard : non point dans ces occasions et dans ces discours où il n'a pensé qu'à exalter Marie par les magnifiques éloges qu'il en a faits, mais dans cette célèbre Epître aux chanoines de Lyon, où, raisonnant en théologien, et décidant à la rigueur, il a voulu nous marquer les bornes que doit avoir le culte que nous rendons à la Mère de Dieu. Je me contenterai de traduire ses paroles, et je ne puis douter que vous n'en soyez touchés. Donnez , disait-il, donnez à Marie les justes louanges qui lui appartiennent, et souvenez-vous que la sainteté, pour être honorée, n'a besoin que de la vérité. Dites, par exemple, que Marie a trouvé pour elle et pour nous la source de la grâce ; dites qu'elle est la médiatrice du salut et la restauratrice des siècles : vous le direz avec raison ; car c'est ce que toute l'Eglise publie, et ce qu'elle chante tous les jours dans ses divins offices : Magnifica gratiœ inventricem Mariam, mediatricem salutis, restauratricem sœculorum ; hœc mihi de illa cantat Ecclesia. Ceux à qui ces titres déplaisent oseront-ils s'inscrire en faux contre le témoignage de saint Bernard, et récuser un homme d'une si grande autorité parmi les Pères, et qui rapporte en fidèle historien ce que l'Eglise croyait de son temps, et ce qu'elle pratiquait? Or, voilà ce que j'appelle honorer judicieusement la Vierge, lui attribuer les qualités que toute l'Eglise lui attribue. On sait bien qu'il n'y a, pour ainsi parler, qu'un médiateur de rédemption; mais on est certain de ne point déroger à ses droits, quand on reconnaît avec l'Ecriture, outre cet unique médiateur de rédemption, qui est Jésus-Christ, d'autres médiateurs d'intercession ; et Marie, entre ceux-ci, ne doit-elle pas avoir la première place? On sait que Jésus-Christ seul a racheté le monde par son sang ; mais on ne peut ignorer que ce sang qu'il a répandu a été formé de la substance même de Marie, et par conséquent que Marie a fourni, a offert, a livré pour nous le sang qui nous a servi de rançon : car c'est sur quoi toute l'Eglise s'est fondée

 

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pour la qualifier de médiatrice et de réparatrice des hommes. Ce serait donc encore par là une indiscrétion (je devrais peut-être user d'un terme plus propre et plus fort), ce serait, dis-je, une indiscrétion, de lui refuser ces titres glorieux et si solidement établis. Mais, sans raisonner davantage, il me suffit, reprend saint Bernard, que l'Eglise m'ait appris à honorer de cette manière la Mère de Dieu : car ce que m'enseigne l'Eglise, ajoutait ce saint docteur, c'est à quoi je m'attache inviolablement, et de quoi je ne me départirai jamais. Tout ce qu'elle croit, je le crois ; et tout ce qu'elle pratique je le veux pratiquer : et en le croyant, en le pratiquant sans distinction et sans restriction, je me tiens en assurance, puisqu'elle est l'oracle que je dois écouter sur tout, et le guide infaillible que je dois suivre : Quod ab illa accepi, securus teneo.

Or, selon cette règle, mes chers auditeurs, nous ne craignons point d'être des dévots indiscrets de Marie quand nous l'appelons notre médiatrice et notre réparatrice; quand nous disons qu'elle est peur nous une source de vie, qu'elle est dans cette terre d'exil notre consolation, qu'elle est au milieu de tous les dangers notre espérance : pourquoi? parce que jusqu'à la fin des siècles, malgré le chagrin de l'hérésie,  l'Eglise la réclamera et la saluera sous toutes ces qualités : Vita, dulcedo, et spes nostra, salve. Notre vie ; comment? après Dieu et après Jésus-Christ   :   notre   consolation ; comment? après Dieu, et après Jésus-Christ : notre espérance ; comment ? après Dieu et après Jésus-Christ. Peut-on, sans indiscrétion et même sans malignité, nous soupçonner, ou plutôt soupçonner l'Eglise de l'entendre dans un autre sens? Et parce qu'il est évident et incontestable que c'est là le sens de l'Eglise, et que nous n'en avons point d'autre, malgré la fausse délicatesse des censeurs de notre dévotion envers la mère de Dieu, nous ne faisons point difficulté de l'appeler absolument notre vie, absolument notre consolation, absolument notre espérance ; Vita, dulcedo, et spes nostra. Oui, c'est ainsi que nous le chantons avec l'Eglise, et qu'on le chantera jusqu'à la dernière consommation des temps. Les ennemis de Marie passeront, mais l'Eglise leur survivra, l'Eglise après eux subsistera, et, touchée des mêmes sentiments, elle dira toujours, en s'adressant à la mère de sou époux et de son Sauveur : Vita, dulcedo, et spes nostra.

Enfin, ou a traite de zèle indiscret celui que fait paraître le peuple chrétien à détendre certains privilèges de Marie. Privilèges de grâce dans son immaculée conception, privilèges de gloire dans sa triomphante assomption ; bien d'autres dont je n'entreprends point de faire ici le dénombrement, et qu'on s'est aussi contenté de nous marquer sous des termes généraux, en les rejetant. Mais moi, voici encore, et sur le même principe, comment je raisonne : car,  puisque nous reconnaissons Marie pour mère de Dieu, de tous les privilèges propres à rehausser l'éclat de cette maternité divine, y en a-t-il un seul que nous ne devions être disposés à lui accorder, ou, pour mieux dire, y en a-t-il un seul que Dieu lui-même ne lui ait pas accordé? Si Dieu ne nous les a pas tous égale» ment révélés; si nous n'avons pas sur tous la même certitude, et si tous ne sont pas dans le christianisme des points de foi , n'est-ce pas assez, pour les attribuer à cette vierge, que, sans préjudicier aux droits de Dieu, ce soient des privilèges convenables à la dignité de mire de Dieu? n'est-ce pas assez que ce soient des privilèges reconnus par les plus savants hommes de l'Eglise, autorisés par la créance commune des fidèles , appuyés , sinon sur des preuves évidentes et des démonstrations, au moins sur les plus fortes conjectures  et les témoignages les plus solides  et   les plus irréprochables?   Or tels   sont   les   privilèges que nous honorons dans Marie ; et c'est par là que nous les honorons prudemment. Un esprit raisonnable et sage, surtout un esprit bien prévenu à l'égard de Marie, et affectionné à son culte (car voilà le point), un esprit, dis-je,guéri de certains préjugés,  ou   dégagé de certains intérêts, dans le choix de deux partis, s'il y eu avait deux à prendre, ne penchera-t-il pas toujours vers le plus favorable à la sainte mère que nous révérons? ne le préférera-t-il pas et ne l'embrassera-t-il pas, quand c'est d'ailleurs le mieux établi et le mieux fondé ? Mais que devrait-on penser d'un esprit toujours prêt à faire naître des doutes sur les grandeurs de Marie et sur ses plus illustres prérogatives? toujours appliqué à   imaginer   de nouveaux tours pour nous les rendre suspectes; mettant toute son étude a troubler la piété des peuples, et par toutes ses subtilités ne cherchant qu'à la resserrer, qu'à en décréditer les plus anciennes pratiques, peut-être qu'à l'anéantir, au lieu de travailler à la maintenir et à l'étendre? Ah! mon Dieu, fallait-il donc que le ministère de votre parole  fût aujourd'hui nécessaire pour défendre l'honneur et le culte que le inonde chrétien est en possession de rendre à la plus

 

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sainte des vierges? Après que les premiers hommes de notre religion se sont épuisés à célébrer les grandeurs de Marie, après qu'ils ont désespéré de trouver des termes proportionnés à la sublimité de son état, après qu'au nom de tous saint Augustin a confessé son insuffisance, et protesté hautement qu'il manquait d'expressions pour donner à la mère de Dieu les louanges qui lui étaient dues : Quibus te laudibus efferam nescio ; fallait-il que je fusse obligé de combattre les fausses réserves de ceux qui Craignent de la louer avec excès, et qui osent se plaindre qu'on l'honore trop? Voilà toutefois un des désordres de notre siècle. A mesure que lus mœurs se sont perverties, par une apparence de réforme, on a raffiné sur la simplicité du culte : à mesure que la foi est devenue tiède et languissante, on a affecté de la faire paraître vive et ardente, sur je ne sais combien d'articles qui n'ont servi qu'à exciter des disputes, et à diviser les esprits sans les édifier. Si ces prétendus zélés et ces censeurs indiscrets du culte de la Vierge avaient été appelés au conseil, et qu'on eût pris leur avis, jamais ils n'auraient consenti à cette multiplicité de fêtes instituées en son honneur. Ce nombre infini de temples et d'autels consacrés à Dieu sous son nom, n'eût pas été de leur goût. Tant de pratiques établies par l'Eglise pour entretenir notre piété envers la mère de Dieu les auraient choqués; et pour peu qu'on les écoutât, ils concluraient à les abolir. Il n'a pas tenu à eux, et il n'y tiendrait pas encore, que sous le vain prétexte de ce culte judicieux, mais judicieux selon leur sens, qu'ils voudraient introduire dans le Christianisme, la religion ne fut réduite à une sèche spéculation, qui bientôt dégénérerait, et qui de nos jours, en effet, ne dégénère que trop visiblement dans une véritable indévotion. Mais malgré toutes les entreprises que l'hérésie, depuis tant de siècles, a formées contre vous, Vierge sainte, votre culte a subsisté, et il subsistera; jamais les portes de l'enfer ne prévaudront contre le zèle des vrais chrétiens, et contre leur fidélité à vous rendre les justes hommages qui vous appartiennent. De quelque artifice qu'on use, et quelque effort qu'on fasse pour arracher de leurs cœurs les sentiments tendres et respectueux qui les lient étroitement à vos intérêts, ils les conserveront, ils les publieront, ils en feront gloire. Leur piété remportera, et rien ne sera capable de les séduire et de les ébranler. Vous êtes, ô sainte Mère de Dieu, vous êtes l'écueil contre lequel ont échoué toutes les erreurs, et vous le serez toujours. Vous seule avez triomphé de toutes les hérésies : à peine s'en est-il formé une dans le christianisme qui ne vous ait attaquée, et il n'y en a point que vous n'ayez confondue : Cunctas hœreses sola interemisti in universo mundo. La victoire que vous remporterez, et que vous remportez déjà sur les téméraires censeurs de votre culte, achèvera votre triomphe : s'il faut y contribuer par nos soins, nous n'y épargnerons rien ; s'il faut parler, nous parlerons ; dans la chaire de vérité, nous élèverons la voix, nous nous ferons entendre, et, après avoir appris au peuple chrétien à vous honorer judicieusement, nous lui apprendrons à vous invoquer efficacement : c'est le sujet de la seconde partie.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

Que nous puissions invoquer Marie et qu'elle soit pour nous dans nos besoins une protectrice toute-puissante et toute miséricordieuse, c'est une vérité, Chrétiens, sur laquelle nous ne pouvons former le moindre doute, si nous sommes de fidèles enfants de l'Eglise, et si nous sommes bien instruits des principes de notre foi : car puisque l'Eglise a défini en général que nous pouvons invoquer les saints que Dieu a retirés de cette terre d'exil où nous vivons, et qu'il a placés auprès de lui dans son royaume, à combien plus forte raison pouvons-nous, dans toutes les nécessités de cette vie, nous adresser à la reine, non-seulement des saints, mais des anges bienheureux, et lui présenter nos prières? Que lui manque-t-il de tout ce qui peut affermir notre confiance? Croirons-nous qu'uniquement touchée de son bonheur, et tout occupée, pour ainsi dire, de sa propre gloire, elle soit devenue insensible à nos intérêts? mais n'est-elle pas toujours la mère de miséricorde? Nous persuaderons-nous que Dieu, en la glorifiant, ait tellement borné son pouvoir, qu'elle ne soit plus en état de nous en faire sentir les salutaires effets? mais n'est-elle pas toujours la mère de ce Dieu Sauveur qu'elle adonné au monde, et qui lui fut si soumis? est-ce en recevant la récompense de ses mérites qu'elle a perdu ses plus beaux droits ; et si ce Fils adorable qu'elle porta dans son sein a fait pour elle des miracles sur la terre, que lui refusera-t-il dans le ciel? C'est ainsi que les Pères ont raisonné, et c'est là-dessus qu'ils se sont fondés pour nous exhorter, dans des termes si énergiques et si forts, à réclamer sans cesse la mère de Dieu. Que ne puis-je les faire tous ici parler, ou  plutôt que ne puis-je rapporter

 

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ici, dans un recueil abrégé, tout ce qu'ils ont dit de l'invocation de Marie, et des avantages qui y sont attachés ! que ne puis-je vous faire entendre ces grands maîtres, et, selon l'expression de saint Paul, vous convaincre par cette nuée de témoins ! car, quand nous n'aurions point d'autres preuves, en faudrait-il davantage, et ne serait-ce pas une témérité, que dis-je? ne serait-ce pas l'obstination la plus outrée, que de vouloir tenir contre l'autorité de tout ce qu'il y a eu depuis tant de siècles d'oracles et de docteurs dans l'Eglise de Jésus-Christ?

Je vais plus loin, et je ne dis pas seulement que nous pouvons invoquer Marie, mais j'ajoute que nous le devons : et pourquoi? Pour nous conformer à l'Eglise, pour nous attirer la grâce, pour nous procurer, contre les dangers du monde, un secours puissant et un ferme soutien pour assurer notre salut. En effet, Chrétiens, si nous sommes obligés de croire ce que croit l'Eglise comme la règle de notre foi. ne sommes-nous pas obligés défaire ce que fait l'Eglise comme la règle de nos mœurs? Or combien de prières solennelles l'Eglise, tous les jours, adresse-t-elle à la Mère de Dieu, pour implorer son assistance? et n'est-ce pas une espèce d'infidélité de ne pratiquer pas ce qu'elle pratique avec tant de soin, et de ne demander pas ce qu'elle demande, ni à qui, ou plutôt par qui elle le demande? Si la grâce nous est nécessaire, et si nous ne pouvons surtout ignorer combien il nous est important d'avoir certaines grâces particulières et en certaines conjonctures, nous est-il permis de négliger un des plus sûrs moyens de les obtenir? Or ce moyen, c'est l'intercession de Marie; et mille fois ne vous a-t-on pas avertis que c'est par elle que Dieu dispense ses dons, et par les mains de cette vierge qu'il les fait passer, en nous les communiquant? Si nous sentons notre faiblesse, et si nous gémissons de nous voir exposés à tant de périls, dans l'obligation où nous sommes d'ailleurs de nous conserver, ne devons-nous pas pour cela mettre tout en œuvre? Or, de tout ce que nous pouvons mettre en œuvre, rien de plus efficace, de plus présent, que la médiation de Marie ; et puisque tant d'autres qui l'ont éprouvé nous en instruisent, n'est-ce pas consentir à notre perte, que de ne vouloir pas nous servir d'une telle défense? Enfin, si le salut est notre affaire, et par ses conséquences infinies, notre grande affaire, notre essentielle affaire, notre unique affaire, nous peut-il   être   pardonnable   de   n'y   pas   employer tout ce que la religion nous fournit de plus propre à en garantir le succès? Or la coadjutrice de Dieu, dans l'accomplissement de ce salut, c'est Marie ; et comme ce salut a commencé par elle et par son consentement à la parole de Dieu, c'est par elle et par sa coopération qu'il doit être consommé. D'où il s'ensuit que nous ne pouvons donc trop, dans cette vie mortelle, la solliciter, la presser, l'intéresser en notre faveur par nos supplications et par nos vœux. Avançons.

On peut invoquer Marie, on doit invoquer Marie, vérités incontestables : mais le point est de l'invoquer efficacement, c'est-à-dire de l'invoquer de telle sorte qu'elle puisse agréer nos prières, qu'elle puisse les trouver dignes d'elle, et y prendre part. Car, selon l'oracle de Jésus-Christ, tous ceux qui disent à Dieu : Seigneur, Seigneur, ne seront pas écoutés pour cela de Dieu, ni n'entreront pas dans le royaume de Dieu : et, suivant la même règle, j'ajoute que, de ceux qui se mettent ou qui prétendent se mettre sous la protection de la mère de Dieu, plusieurs l'invoquent en vain : pourquoi? parce qu'ils ne le font pas dans un esprit chrétien, ni avec les sentiments convenables pour l'engager dans leurs intérêts, et pour la toucher. Il y a donc ici deux écueils à craindre, et deux extrémités à éviter ; et comme la vérité tient le milieu entre deux vices opposés, la vérité se trouve toujours entre deux erreurs contraires. Je veux dire que les uns comptent trop sur la protection de Marie, mais que les autres aussi, ne connaissent point assez, ou semblent ne point assez connaître tout le fonds qu'on y doit faire : que les uns, selon leurs désirs et le gré de leurs passions, lui donnent trop d'étendue, et c'est l'erreur des chrétiens présomptueux; mais que les autres aussi, selon leurs fausses maximes, la resserrent dans des bornes trop étroites, et c'est l'erreur de nos réformateurs, je dis de ceux à qui je parle dans ce discours, et qui, par une autre prudence que celle de l'Evangile, se sont ingérés à nous donner des avis dont le peuple fidèle n'a pu tirer qu'un scandale, à quoi je me sens obligé, par le devoir de mon ministère, d'opposer toute la force de la divine parole. Appliquez-vous, s'il vous plaît.

Car, pour combattre d'abord ce que j'ai marqué comme la première erreur, il faut convenir, Chrétiens, que nous portons quelquefois trop loin notre confiance et que nous faisons à Marie des prières qu'elle ne peut écouter : comment cela? parce que ce sont des prières injurieuses à Dieu, parce que ce sont des prières indignes de

 

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la Mère de Dieu ; parce que ce sont des prières pernicieuses pour nous-mêmes. Prières injurieuses à Dieu : pourquoi? c'est qu'elles sont directement opposées à l'ordre de sa providence, et qu'elles vont à renverser toute l'économie de notre salut. En effet, tel est l'ordre de la Providence, que le salut dépende premièrement de Dieu, et ensuite de nous-mêmes; qu'aidés de la grâce de Dieu, nous y travaillions nous-mêmes; que nous obtenions cette grâce par la Mère de Dieu, mais pour la faire valoir par nos soins, mais pour la rendre féconde par nos œuvres, mais pour la conserver par notre vigilance : voilà le plan que Dieu s'est tracé, et qu'il nous a proposé. Et nous, sans égard aux vues de Dieu, et nous promettant tout de la Mère de Dieu, nous nous en formons un autre selon nos idées particulières, c'est-à-dire selon notre sens réprouvé et nos inclinations corrompues. Car si nous prétendons que, sous la protection de Marie, le salut ne nous coûtera plus rien; qu'après avoir satisfait à certaines pratiques d'une fausse piété envers Marie, nous pourrons devant Dieu nous tenir quittes de tout le reste; que, revêtus des livrées de Marie, nous serons à couvert de tous les dangers du monde, à couvert de toutes les tentations de la vie, à couvert de tous les arrêts de la justice divine et de tous les foudres du ciel; et qu'ainsi nous n'aurons rien à craindre, en nous exposant aux occasions, en demeurant dans nos habitudes, en vivant dans l'état de péché, en remettant notre pénitence : ah ! Chrétiens, si c'est de la sorte que nous l'entendons, ce n'est pas de la sorte que Dieu l'entend, ni jamais ce ne sera de la sorte qu'il l'entendra. Autrement il se démentirait bien lui-même : et quel lieu auriez-vous d'espérer, surtout en de pareilles dispositions, qu'il changeât pour vous les immuables décrets de sa sagesse éternelle ? Prières indignes de la Mère de Dieu, puisque c'est attendre d'elle qu'elle nous autorise contre Dieu même, qu'elle nous rassure contre la crainte de ses jugements, jusqu'à ne plus nous mettre en peine de les prévenir ; qu'elle nous serve de prétexte pour persévérer dans nos désordres, et pour mourir dans l’impénitence. Et de là enfin, prières qui, bien loin de nous sanctifier, ne peuvent servir qu'à nous corrompre ; qui, bien loin de nous approcher de Dieu, ne peuvent servir qu'à nous en éloigner sans retour; qui,, bien loin de nous sauver, ne peuvent servir qu'à nous perdre; par conséquent prières infiniment pernicieuses pour nous-mêmes. Or ,  de   penser  que de telles prières fussent assez efficaces pour toucher le cœur de la plus sainte de toutes les vierges, de la plus fidèle à la loi de Dieu, de la plus soumise aux desseins et aux volontés de Dieu, de la plus zélée pour la gloire de Dieu et pour la sanctification du peuple de Dieu, ne serait-ce pas la plus sensible et la plus évidente contradiction ?

Vous me direz qu'il faut donc conclure de là qu'un pécheur, dans l'état de son péché, ne peut invoquer efficacement la Mère de Dieu ; que n'ayant pas alors l'amour de Dieu, que vivant actuellement sans pénitence, il a beau du reste se confier en Marie et la prier, que tous ses vœux sont inutiles, et que toute sa dévotion envers la Vierge ne le sauvera pas : autre erreur dont nous avons à nous préserver, mais qui, déguisée sous des termes captieux et pleins d'artifice , proposée sous la forme trompeuse d'avertissements utiles et chrétiens, cachée sous un air de vérité qui impose, et qui empêche d'en voir le danger, demande toute la précision nécessaire pour la découvrir. Rien de plus spécieux que les propositions qu'on nous fait : propositions équivoques , vraies dans un sens, fausses dans l'autre, toujours dangereuses, parce qu'elles ne tendent qu'à détruire toute notre confiance en cette mère de miséricorde, qui doit être l'asile des pécheurs. On nous dit qu'il ne faut pas jeter les simples dans l'illusion, en leur faisant plus espérer de Marie qu'il ne convient; je l'avoue : mais je dis aussi .qu'il ne faut pas jeter les simples dans l'illusion, en ruinant toute leur espérance; et pour donner plus de jour à ma pensée, et vous faire prendre là-dessus le point juste à quoi tout fidèle doit s'en tenir, je m'explique, mes chers auditeurs, et je vous prie de me suivre.

Il est vrai, dire à un pécheur que sans pénitence et par la seule intercession de Marie il peut être réconcilié et sauvé, c'est le jeter dans l'illusion et dans la plus grossière de toutes les illusions; car, sans la pénitence, il n'y a ni justification ni salut. Mais aussi lui faire entendre que s'il ne renonce actuellement à son péché, que s'il n'est actuellement clans la résolution de rompre ses engagements criminels, que s'il n'est actuellement touché d'un sentiment de pénitence, il ne lui sert à rien d'invoquer Marie, et que sa confiance ne lui peut être de nul avantage, c'est le séduire et le tromper; car, sans être encore pénitent, ne peut-il pas, par l'intercession de la Mère de Dieu, le devenir ? sans avoir encore le courage

 

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de s'arracher au monde et à ses honteux attachements, ne peut-il pas, par l'intercession de la Mère de Dieu, le demander et l'obtenir? sans être encore assez vivement touché de Dieu, sentant la faiblesse de son cœur , et se défiant de lui-même, ne peut-il pas, par l'intercession de Marie, engager Dieu à lui accorder une grâce qui le touche , une grâce qui l'éclairé et le fortifie? Ne peut-il pas, du fond de l'abîme où il est plongé, lever les mains vers cette vierge, et s'écrier, en l'appelant à son secours : Reine du ciel, et toute-puissante médiatrice des hommes , ne m'abandonnez pas, moi pécheur, moi aveugle et endurci, moi faible et affaissé sous le poids de mes iniquités, incapable par moi-même de me relever, et n'ayant point d'autre avocate que vous pour prendre mes intérêts auprès de mon juge , et pour le porter à me rendre les forces que j'ai perdues et qui me manquent : Ora pro nobis peccatoribus ? ne peut-il pas, dis-je , l'invoquer de la sorte; et pouvons-nous croire qu'elle soit insensible à ses gémissements, et qu'elle ne s'emploie pas à lui ménager la grâce de sa conversion ?

Il est vrai, dire à un pécheur que, sans amour pour Dieu, par la seule médiation de Marie, il peut parvenir à l'héritage de Dieu, ce serait, non plus seulement une illusion, mais une impiété. Car, sans la charité de Dieu, l'on ne peut être ami de Dieu ; et Dieu ne recevra jamais au nombre de ses élus et dans son royaume, que ses amis. Mais aussi, faire entendre à ce pécheur que n'ayant pas actuellement l'amour de Dieu, il ne peut rien prétendre de Marie, et qu'inutilement il s'efforce de se la rendre propice, c'est abuser de sa crédulité, et lui ôter, dans son malheur, une des plus certaines et des plus solides ressources. Car cet amour de Dieu qu'il n'a pas, ne peut-il plus l'avoir dans la suite; et, pour l'avoir, ne peut-il plus, selon le langage de l'Ecriture, recourir à la mère du bel amour? Ego mater pulchrœ dilectionis (1). Comme, sans amour actuel de Dieu, il peut néanmoins croire en Dieu, et de cette foi passer à l'espérance pour s'élever enfin à la charité de Dieu ; ne peut-il pas, sans un amour actuel de Dieu, former dans son cœur un sentiment de confiance en Marie? et, animé de ce sentiment, ne peut-il pas se prosterner devant elle, lui exposer sa misère, et par là réveiller toute la tendresse d'une vierge déjà si favorablement prévenue pour nous ; par là trouver accès auprès d'elle, et par elle se mettre

 

1 Eccli., XXIV, 24.

 

en grâce avec Dieu, et recourver le don précieux de l'amour de Dieu? Et il ne faut point m'opposer que sans l'amour de Dieu l'on ne peut être prédestiné, et, par une conséquence qui paraît nécessaire, que sans l'amour de Dieu l'on ne peut se promettre aucun fruit du culte de l'invocation de la Mère de Dieu. Raisonnement dont il ne faut qu'éclaircir l'ambiguïté pour en faire connaître la fausseté, et, j'ose dire la malignité. Je le sais, sans l'amour de Dieu l'on ne peut être prédestiné d'une prédestination parfaite et consommée ; ou, pour m'exprimer encore plus clairement, sans l'amour de Dieu l'on ne peut arriver au terme de la prédestination, qui est la gloire ; mais avant que d'y arriver, et dans le temps même qu'on est pécheur et sans amour de Dieu, on peut être prédestiné pour parvenir un jour à cette gloire : comment cela ? parce qu'on peut être prédestiné pour sortir de l'état du péché, pour rentrer dans les voies de la justice, pour rallumer dans son cœur le feu de la charité; et par où? par les moyens que Dieu nous fournira. Ainsi Madeleine, au milieu même de ses désordres, était prédestinée; ainsi l'Apôtre des nations, saint Paul, lors même qu'il persécutait l'Eglise de Dieu, était prédestiné; ainsi des millions de libertins , jusque dans leur libertinage même, ont été prédestinés. Or ces moyens de prédestination, par qui pourrons-nous plus sûrement et plus infailliblement les obtenir que par Marie ?

Disons le même de bien d'autres avis par où l'on a prétendu régler notre confiance en la Mère de Dieu, et nous précautionner contre des abus imaginaires. Je dis contre des abus imaginaires ; car, quand on nous avertit de ne pas croire qu'il ne soit plus au pouvoir de Dieu de damner un pécheur dès qu'il porte quelque marque d'une dévotion extérieure à la bienheureuse Vierge ; de ne nous pas persuader qu'elle ait plus de bonté, plus de zèle pour nous que Jésus-Christ même, et de ne pas plus compter sur ses prières que sur les mérites de son Fils ; de ne penser pas que sans elle on ne puisse approcher de Dieu par le Sauveur même des hommes, et de ne la point mettre en parallèle ni avec Dieu ni avec l'Homme-Dieu ; de ne pas ôter à cet Homme-Dieu la miséricorde pour la donner toute à sa Mère, et de ne pas préférer le culte de cette divine Mère à l'amour de Dieu et à la confiance que nous devons avoir en lui ; quand, dis-je, on s'arrête vainement à nous étaler ces pompeuses maximes, n'est-ce pas attribuer au peuple chrétien

 

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des abus que l'on imagine pour décrier les dévots de Marie? n'est-ce pas sans sujet vouloir les représenter comme des esprits outrés, comme des esprits frivoles et superstitieux? Et qui de nous eut jamais de telles idées? qui de nous porta jamais les choses à de tels excès, et, pour user dune expression plus forte, mais plus propre, à de telles extravagances? Ah! mes Frères (je parle à vous, ministres des autels ; à vous, que Dieu a choisis pour être les conducteurs et comme les sauveurs de son peuple), dans un siècle où la corruption est si générale, et où nous voyons tant d'âmes rachetées du sang de Jésus-Christ s'égarer et se pervertir, ne leur fermons pas les voies du retour au salut; or une de ces voies les plus assurées, c'est une sincère dévotion envers la Mère de Dieu. Disons aux fidèles que pour invoquer efficacement Marie, il faut l'invoquer chrétiennement, c'est-à-dire l'invoquer en vue de pouvoir, par son crédit auprès de Dieu, changer de vie et réformer leur conduite, abandonner le vice et réprimer leurs passions, vaincre la chair et résister à ses attaques, se préserver des pièges du démon et du monde, plus dangereux encore mille fois pour eux que toutes les puissances de l'enfer ; s'adonner aux exercices de la religion et en soutenir la pratique, se sanctifier et mériter l'éternité bienheureuse. Mais, en même temps, disons-leur qu'en quelques dérèglements qu'ils aient vécu , que quelque pécheurs qu'ils aient été et qu'ils soient même à présent, ils peuvent être favorablement écoutés de Marie, en s'adressant à elle avec une confiance humble et filiale ; que, bien loin de les rejeter, elle leur tend les bras, elle leur ouvre son sein, elle les invite, elle leur offre son secours. Voilà ce que nous leur devons dire et ce que je leur dis, Vierge sainte, de votre part et en votre nom. Vous ne m'en désavouerez point, et vous confirmerez toutes mes paroles. Je parle dans un auditoire chrétien, mais dans cet auditoire, tout chrétien qu'il est, combien y a-t-il d'âmes chancelantes, et sur le point d'une ruine prochaine ? combien d'âmes tièdes et languissantes dans le service de Dieu, et dans l'observation de leurs devoirs ? combien d'âmes aveugles et trompées , qui se flattent d'une prétendue innocence, et qui vivent dans l'état d'une fausse conscience ? combien dames criminelles, ennemies de Dieu, haïes de Dieu, exposées à toutes les vengeances de Dieu? C'est pour ces âmes et pour moi-même que je vous l'ai s entendre ma voix, et que je pousse des cris vers vous ; ou plutôt c'est à vous que je les envoie, ces tièdes et ces lâches, ces aveugles et ces ignorants, ces mondains et ces pécheurs. Vous les recevrez, vous les ranimerez, vous les éclairerez , vous les réconcilierez ; vous ferez agir pour eux tout le .ciel, et vous agirez vous-même. Ainsi, Chrétiens, devons-nous invoquer efficacement Marie, l'imiter enfin religieusement. C'est la dernière partie.

 

TROISIÈME PARTIE.

 

C'est une belle pensée de saint Augustin, lorsque, parlant des martyrs et des honneurs que nous leur rendons, il nous avertit de célébrer tellement leurs fêtes, que nous travaillions au même temps à imiter leur constance. Car, dit ce grand docteur, les saints ne sont bien honorés sur la terre que par ceux qui s'efforcent de suivre leurs exemples; et les solennités qu'a instituées l'Eglise en mémoire des martyrs, doivent être pour nous comme autant d'exhortations au martyre : Solemnitates enim martyrum exhortationes sunt martyriorum. Or, Chrétiens, j'applique ces paroles à mon sujet; et dans ce jour où nous célébrons le triomphe de Marie et sa bienheureuse assomption au ciel, je prétends que nous ne pouvons mieux renouveler notre dévotion envers cette mère de Dieu, ni la rendre plus solide, que par une fidèle et constante imitation de ses vertus. Sur quoi j'ai deux choses à vous dire : premièrement, ce que nous devons imiter dans Marie; et, secondement, pourquoi nous le devons imiter. Ce que nous devons imiter, c'est la sainteté de sa vie ; et voilà le modèle que nous avons à nous proposer : pourquoi nous le devons imiter, c'est pour avoir part à sa gloire ; et voilà le motif qui doit nous animer. Ceci suffirait pour faire la matière de tout un discours : j'abrège, et je vous demande encore un moment de votre attention.

Ce que nous devons imiter dans la Vierge que nous honorons et que nous invoquons, c'est la sainteté de sa vie, et voilà en quoi nous pouvons nous la proposer comme notre modèle. Ce n'est point dans les grâces singulières et extraordinaires qu'elle a reçues du ciel; dès que ce sont des grâces extraordinaires et singulières à Marie, Dieu n'a point voulu nous les communiquer, et ce serait une présomption que d'y prétendre. Ce n'est point dans l'éclatante dignité dont elle a été revêtue, ni dans les glorieux privilèges qui lui furent accordés en conséquence du choix que Dieu fit d'elle : admirons toutes ces merveilles, reconnaissons

 

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y la souveraine grandeur du Tout-Puissant, qui les a opérées; concevons pour le digne sujet sur qui le Très-Haut jeta les yeux, et en qui il exerça toute sa vertu, les sentiments de zèle, de respect, de vénération qui lui sont dus; mais ce ne sont point de tels miracles qui nous doivent servir de règles, puisque Dieu ne les a point mis en notre pouvoir, et qu'ils sont si fort au-dessus de nous. En quoi donc, je le répète, nous devons imiter la Mère de Dieu, c'est dans la sainteté de sa vie; c'est, dis-je, dans la plénitude de sa sainteté, dans la perfection de sa sainteté, dans la persévérance et la fermeté inviolable de sa sainteté. Quels fonds d'instruction pour nous, mes chers auditeurs, et quel champ à nos réflexions !

Je dis dans la plénitude de sa sainteté. Car, selon que l'a remarqué saint Ambroise, il n'en est pas de Marie comme de certaines âmes en qui nous voyons reluire quelques vertus, à quoi elles se bornent, et où elles font consister tout leur mérite. Etudions la vie de cette Mère de Dieu ; c'est une leçon universelle de toute vertu et pour tout état : Talis fuit Maria, ut ejus unius vita omnium sit disciplina ; en formant notre conduite sur la sienne, nous apprendrons à être fidèles à Dieu, à être équitables et charitables envers le prochain, à être détachés de nous-mêmes et attentifs sur nous-mêmes : vous apprendrez, jeunes personnes, ce que vous êtes si peu en peine de savoir, et ce qu'il vous est néanmoins si important de ne pas ignorer, à mettre en sûreté l'innocence de votre âme, et le précieux et inestimable trésor d'une virginité sans tache ; à fuir pour cela le monde, et surtout certaines sociétés du monde; à vous tenir dans une défiance continuelle de votre cœur, et à ne lui permettre pas de s'échapper jusque dans les moindres rencontres ; à réprimer vos sens, et à leur interdire toute liberté, non-seulement criminelle, mais dangereuse; à garder en toutes choses la retenue, la modestie, la sagesse qui conviennent à votre sexe, et qui en font le plus bel ornement. Pères et mères, vous apprendrez à régler vos familles, et à y maintenir l'ordre et la piété; à élever vos enfants, non selon vos vues, mais selon les vues de Dieu; non pour vous-mêmes et pour votre propre consolation ; mais pour Dieu et pour la gloire de Dieu ; à les lui dévouer, et à lui en faire le sacrifice. Je m'engage insensiblement dans un détail qui me conduirait trop loin; et sans qu'il soit nécessaire que je descende à tant de points particuliers, qui ne sait pas que dans la prospérité ou dans l'adversité, dans la grandeur ou dans l'humiliation, soit qu'il faille agir ou souffrir, ordonner ou obéir, prier ou vaquer aux affaires même humaines, satisfaire aux devoirs de la vie civile ou à ceux de la vie chrétienne et dévote, aux lois de Dieu ou aux lois des hommes, en quelque conjoncture que ce puisse être, partout Marie se présente à nous pour nous instruire et pour nous servir d'exemplaire et de guide? Talis fuit Maria, ut ejus unius vita omnium sit disciplina.

Je dis, dans la perfection de sa sainteté, de cette sainteté éminente et au-dessus de toute autre sainteté que celle de Dieu : car voilà où sa fidélité à la grâce Ta élevée. Mais ne semble-t-il pas que plus la sainteté de Marie a été sublime et parfaite, moins nous pouvons l'imiter? A cela je réponds que Jésus-Christ veut bien que nous l'imitions lui-même, tout Dieu qu'il est, et comme Dieu, infiniment encore plus saint que Marie ; qu'il veut bien que nous imitions son Père, et que nous soyons parfaits comme son Père :  Estote ergo vos perfecti, sicut Pater vester cœlestis perfectus est (1). Il est vrai, nous n'avons pas été prévenus des mêmes grâces que la Mère de Dieu , et par conséquent nous ne devons pas espérer d'atteindre jamais à la même perfection que la Mère de Dieu. Mais nous pouvons plus ou moins en approcher; mais nous pouvons, en nous proposant Marie et la ferveur de sa piété, nous réveiller de cette langueur qui nous rend si tièdes et si négligents dans la pratique  des devoirs les plus ordinaires de la religion ; mais nous pouvons, en nous proposant Marie et son amour pour Dieu, nous reprocher notre indifférence pour un maître si digue de tout notre zèle, et rallumer dans nos âmes un feu tout nouveau ; mais nous pouvons , en nous proposant Marie et le recueillement de son cœur, nous confondre de ces   dissipations volontaires et si  fréquentes dans les plus saints exercices, et nous former à l'usage de la prière ; mais nous pouvons, en nous proposant Marie et l'ardeur de son courage , et la force de sa patience , et la droiture de ses vues, et la profondeur de son humilité, reconnaître devant Dieu nos faiblesses, nos délicatesses, la vanité de nos intentions, les folles complaisances de notre orgueil, et nous exciter à les combattre et à les corriger. Nous ne monterons pas au même degré qu'elle; mais, suivant d'aussi près que nous le pouvons ses vestiges, nous tiendrons après elle les premiers rangs.

 

1 Matth., V, 48.

 

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Enfin, je dis dans la persévérance et la fermeté invariable de sa sainteté. Ah ! Chrétiens, M célébrant aujourd'hui la fête de sa bienheureuse assomption, nous célébrons pareillement la mémoire de sa précieuse mort : et par où cette mort fut-elle si précieuse devant Dieu? parce qu'elle avait été précédée d'une vie toujours sainte, ou plutôt d'une vie toujours plus sainte d'un jour à un autre, par de continuels   et  de   nouveaux   accroissements  de mérites. Imitons Marie dans tout le reste, et ne l'imitons pas dans cette persévérance : tout le reste, quelque grand , quelque héroïque qu'il soit, ne vous est peut-être de nul avantage, puisque, dans les chrétiens, ce ne sont pas tant les commencements que Dieu couronne, dit saint Jérôme, que la fin. Tel est donc, je le répète, l'excellent modèle que nous devons avoir sans cesse devant les yeux, la sainteté de Marie, cette sainteté pleine et entière, cette sainteté sublime et relevée , cette sainteté durable et constante : voilà ce que nous devons étudier, ce que nous devons méditer, ce que nous devons nous appliquer, si nous voulons être solidement dévoués à cette mère de Dieu. Mais voilà, mes chers auditeurs, avouons-le de bonne foi, voilà le point essentiel où notre dévotion se dément, et où notre zèle se refroidit. Nous ne manquons pas de zèle pour publier les grandeurs de Marie, nous ne manquons pas de zèle pour défendre ses prérogatives et ses privilèges , nous ne manquons pas même de zèle pour lui rendre certains honneurs, et pour nous acquitter de certaines pratiques ; tout cela est bon et louable : et nous y sommes assez fidèles, parce que tout cela coûte peu : mais imiter cette Vierge dans son inviolable pureté, et dans le soin qu'elle eut de la conserver; l'imiter dans son éloignement du monde, dans son amour pour la retraite, dans son détachement d'elle-même et de tous les biens temporels,  dans  son   obéissance  aveugle  à toutes les volontés de Dieu, dans sa générosité à tout faire et à tout souffrir pour Dieu , dans la mortification de ses sens, dans son assiduité à la prière, en tout ce qui l'a sanctifiée, c'est ce qui effraye la nature, parce que c'est ce qui la combat et ce qui la gêne. Toutefois ne nous y trompons pas ; et comme nous savons ce qu'il faut imiter dans Marie, apprenons encore pourquoi il le faut imiter; je dis que c'est pour avoir part à la gloire dont cette reine du ciel va prendre possession. Ceci est d'une extrême importance, ne le perdez pas de vue.

Car prenez garde , Chrétiens, Marie est aujourd'hui portée dans le sein de Dieu pour y goûter une éternelle et souveraine béatitude; mais ce suprême bonheur n'est point pour elle, comme bien d'autres dons qu'elle avait reçus , une pure grâce; c'est une récompense, et, selon l'ordre de la prédestination de Dieu, il fallait que ce fût le fruit de ses mérites et de sa sainteté. Tout autre titre n'eût point suffi pour lui donner droit à ce bienheureux héritage ; et de là n'ai-je pas raison de conclure que, si nous voulons entrer en participation de sa gloire, nous devons nous y disposer par une fidèle imitation de sa vie? Oui, mes chers auditeurs, je puis bien vous dire ici, en vous montrant la Mère de Dieu, ce que saint Paul disait aux premiers fidèles, en leur proposant Jésus-Christ même : Si compatimur, et conglorificabimur ; Si vous agissez comme Marie, vous serez couronnés comme Marie ; si vous souffrez comme elle, vous serez glorifiés comme elle : voilà tout à la fois et le terme où vous devez aspirer, et la route par où vous y devez arriver. Ne séparons jamais ces deux choses, puisque c'est en les séparant que nous tombons, ou dans une présomption criminelle, ou dans une lâche pusillanimité. Présomption criminelle, si, ne considérant que le triomphe de Marie et l'éclat de sa gloire, vous prétendez y parvenir sans marcher par la même voie, et sans user des mêmes moyens : car ne serait-il pas bien étonnant que Dieu fût plus libéral pour vous que pour sa mère ; et que par une faveur toute gratuite, il vous donnât, sans rien exiger de vous, ce qu'il a voulu lui vendre et ce qu'elle a dû acheter si cher? Pusillanimité lâche, si, n'ayant égard qu'aux difficultés du chemin où Marie vous a précédés, vous désespérez d'atteindre au terme où elle est parvenue ; au lieu de vous animer, par la vue du terme, à soutenir toutes les difficultés du chemin, à vaincre tous les obstacles qui s'y rencontrent. Ayons donc toujours ces deux grands objets devant les yeux, Marie sur la terre, et Marie dans le ciel : si l'éclat de sa vie pénible et laborieuse sur la terre étonne notre faiblesse, l'état de sa vie glorieuse dans le ciel nous rassurera et nous consolera.

D'autant plus (remarquez bien ce que je dis, c'est avec cette pensée que je vous renvoie), d'autant plus que l'état de cette reine triomphante dans le ciel doit spécialement servir à nous procurer les plus puissants secours pour imiter l'état de sa vie laborieuse sur la terre. Je m'explique, et c'est là que j'en reviens, pour votre  consolation et pour conclusion de ce

 

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discours. En effet, Chrétiens, Marie va prendre place auprès du trône de Dieu, et s'asseoir elle-même sur le trône que Dieu lui a préparé : pourquoi ? afin que de là elle parle et agisse plus efficacement en notre faveur, afin que de là elle fasse couler plus abondamment sur nous les trésors célestes ; afin que de là elle se rende attentive à nos vœux , que de là elle pourvoie à tous nos besoins, que de ce trône de gloire où elle domine elle fasse pour nous un trône de miséricorde et de grâce. Voilà ce qui a rendu la dévotion à la Vierge si générale et si commune dans tous les siècles de l'Eglise ; voilà ce qui lui a attiré la confiance et la vénération de tous les peuples et de tous les états du monde ; voilà pourquoi il n'y a pas une ville, pas même une bourgade dans toute la chrétienté, où l'on ne voie de sensibles monuments de la piété des fidèles envers cette Mère de Dieu ; voilà ce qui a porté les princes et les monarques à mettre leur sceptre et leur couronne sous sa protection, persuadés qu'ils ne pouvaient avoir un appui plus solide ni plus inébranlable que dans une vierge dont le crédit auprès de Dieu, selon l'expression de saint Ildefonse, tient quelque chose de l'empire et de l'autorité ; voilà ce qui a engagé un de nos rois, Louis XIII, de glorieuse mémoire, à lui consacrer et sa personne et son royaume ; non point par un vœu secret, seulement formé dans son cœur, mais par le vœu le plus authentique qu'ait jamais fait un roi chrétien, puisqu'il le fit, aussi bien que David, en présence de tout son peuple : In conspectu omnis populi ejus (1) ; puisqu'il en ordonna la publication dans tous les lieux de son obéissance, puisqu'il y intéressa tous ses sujets, et qu'il voulut que le souvenir en fût éternel. Voilà l'origine et la fin de ces saintes et solennelles processions qui se font aujourd'hui par toute la France, et qui sont autant de témoignages publics par où nos rois protestent qu'ils veulent dépendre de Marie, et qu'ils la reconnaissent pour leur souveraine. Voulez-vous, mes chers auditeurs, que je vous donne une pratique digne de votre piété? elle est aisée, il n'y a point de prétexte qui vous en puisse dispenser. Faites, chacun dans votre condition, ce que fit ce prince très-chrétien et très-religieux dont nous accomplissons le vœu. Il consacra son royaume à la reine des vierges ; consacrez-lui vos familles et vos maisons : il lui dévoua sa personne et celle de ses peuples ; dévouez-lui la vôtre et celle de vos enfants. Ce n'est pas

 

1 Psalm., CXV, 18.

 

assez; mais comme ce grand monarque, par une conduite solidement pieuse, qui ne lui acquit pas moins devant Dieu que devant les hommes la qualité de juste, voulut que son dévouement fût public, ne rougissons point de faire connaître le nôtre ; confessons librement ce que nous sommes, puisque c'est la profession de ce que nous sommes qui nous doit sauver. Ne soutirons pas que les libertins du siècle soient plus hardis à railler du culte que nous rendons à la Mère de Dieu, que nous à le défendre. Si nous sommes employés au soin et à la direction des âmes, inspirons-leur la même ardeur et le même esprit. Surtout, Chrétiens, souvenez-vous de cette parole de saint Anselme, que, comme toute famille solidement et saintement dévouée à la glorieuse Vierge ne périt point, aussi ne devons-nous pas compter que la bénédiction de Dieu se trouve dans une famille où la glorieuse Vierge n'est pas honorée.

C'est dans ce sentiment, ô Reine toute-puissante, que nous nous présentons à vous ; et quel comble de joie pour vos zélés serviteurs, de voir en ce jour les puissances de la terre humiliées à vos pieds ! Car c'est en ce jour que tous les grands et tous les riches du peuple implorent votre assistance, selon la prophétie de David : Vultum tuum deprecabuntur omnes divites plebis (1). C'est en ce jour qu'à l'exemple de nos rois, et en exécution du traite qu'ils ont l'ait avec vous, on voit les juges, les magistrats, ceux qui tiennent parmi nous les premières places et qui occupent les premières dignités, paraître devant vos autels et vous rendre hommage. Mais si les riches du peuple vous honorent de la sorte, que ne font pas les pauvres du peuple, les simples du peuple, les petits et les humbles du peuple, dont la foi est communément plus vive, et la dévotion plus ardente et plus tendre? Quoi qu'il en soit, il est de mon ministère et de mon devoir, ô sainte Mère de Dieu, de ramasser les vœux de tout ce peuple qui m'écoute, ceux des riches et ceux des pauvres, et de vous les offrir. Souffrez que j'y joigne les miens, ou plutôt soutirez qu'au nom de tout cet auditoire je vous demande les grâces que vous savez nous être nécessaires, et que vous pouvez faire descendre sur nous. Répandez-les, ces grâces divines dont vous êtes comme la dépositaire et l'économe, répandez-les sur la personne sacrée de l'incomparable monarque qui nous gouverne, répandez-les sur ce royaume spécialement

 

1 Psalm., XLIV, 13.

 

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dévoué à votre culte, répandez-les sur tous en général et sur chacun en particulier. Quoique vous soyez en toutes choses notre ressource, nous ne vous demandons point tant, après tout, des grâces temporelles, que des grâces spirituelles. Eteignez le feu d'une guerre allumée dans toute l'Europe, et qui divise les princes chrétiens; mais aidez-nous encore plus à éteindre le feu dé nos passions, et cette guerre intestine qu'elles excitent au fond de notre cœur. Donnez-nous la paix avec les ennemis de cet Etat ; mais préférablement à cette paix, aidez-nous à recouvrer la paix de Dieu, si nous l'avons perdue, et à nous y maintenir, si nous sommes assez heureux pour y rentrer. Et puisque toutes les grâces du salut peuvent se réduire à une seule, obtenez-nous, ô parfait modèle des vertus chrétiennes, obtenez-nous la grâce d'être vos imitateurs comme vous l'avez été de Jésus-Christ, afin que nous régnions avec Jésus-Christ et avec vous-même dans l'éternité bienheureuse, où nous conduise, etc.

 

 

 

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