ANNONCIATION  VIERGE I

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PREMIER SERMON SUR L'ANNONCIATION DE LA VIERGE.

ANALYSE.

 

Sujet. Alors Marie dit à l'ange: Je suis la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon votre parole.

 

C’est en conséquence de cette réponse et de ce consentement de Marie, que le Fils de Dieu descendit de sa gloire, et s'incarna dans les chastes entrailles de cette vierge.

 

Division. Marie conçut le Verbe de Dieu, et par l'humilité de son cœur : première partie ; et par la pureté de son corps : deuxième partie.

 

Première partie. Marie conçut le Verbe de Dieu par l'humilité de son cœur. C'est l'humilité, dit saint Augustin, qui, de la part de l'homme, doit être la première et l'essentielle disposition aux communications de Dieu : si donc Dieu choisit Marie pour sa mère, préférablement à toute autre femme, c'est qu'elle lui parut seule dans l'état de cette humilité parfaite qu'il demandait.

En effet, remarque saint Bernard, un Dieu qui lui-même était sur le point de s'humilier jusqu'à l'excès en se revêtant de notre chair, devait avoir des complaisances infinies pour l'humilité. Mais qu'y eut-il donc de si singulier dans l'humilité de Marie? 1° Ce fut une humilité jointe à la plénitude du mérite. On la salue comme pleine de grâce : Gratia plena; et elle répond qu'elle est la serrante du Seigneur : Ecce ancilla Domini. 2° Ce fui une humilité dans le comble de l'honneur. Un ange lui vient annoncer qu'elle sera la mère de Dieu : Ecce concilies; et elle ne se donne que le titre de servante de Dieu : Ecce ancilla Domini. Or, voilà ce qui ravit le ciel; voilà ce qui achève de déterminer le Verbe de Dieu à sortir du sein de son Père pour se renfermer dans le sein de Marie. Tandis qu'elle s'humilie devant Dieu, le Fils de Dieu s'anéantit en elle : Exinanivit semetipsum.

De là apprenons l'humilité. Une mère de Dieu humble, un Dieu anéanti, quelles leçons pour nous! Sans l'humilité il n'y a ni christianisme, ni religion, puisque sans l'humilité il n'y aurait pas même d'incarnation ni d'Homme-Dieu. Il est vrai que l'humilité est une vertu assez inconnue à la cour; mais c'est pour cela même qu'il faut l'y prêcher, afin de l'y faire connaître. Cependant, peut-on être humble et grand tout à la fois? En pouvons-nous douter depuis que le Fils même de Dieu a pu devenir humble en demeurant Dieu, et depuis que Marie a pu être la plus humble de toutes les créatures, en devenant la mère de Dieu? Oui, on peut être humble et être grand; et l'avantage même des grands est de trouver dans l'humilité de quoi sanctifier leur condition, et de trouver dans leur condition de quoi rendre leur humilité plus sainte et plus précieuse devant Dieu.

Deuxième partie. Marie conçut le Verbe de Dieu par la pureté de son corps et par sa virginité. Le Prophète avait prédit que le Messie naîtrait d'une vierge; et il était, dit saint Bernard, de la dignité d'un Dieu, en se faisant homme, d'avoir une mère vierge, puisque toute autre conception que celle-là eût obscurci l'éclat et la gloire de sa divinité. Aussi, selon la belle réflexion du même saint Bernard, tout ce mystère se passe entre Dieu, un ange et Marie, qui nous marquent autant de caractères différents de la plus parfaite pureté. Que devons-nous conclure de là? que Dieu étant par lui-même la pureté essentielle, il fallait et une pureté angélique, et une pureté virginale, pour concerter entre Dieu et l'homme cette ineffable union qui s'est accomplie dans le Verbe fait chair.

Dieu même, dans ce mystère, donne la préférence à la pureté virginale, en choisissant une mère vierge, et lui députant un ange qui n'est auprès d'elle que son ambassadeur. Ne nous en étonnons pas, poursuit saint Bernard, puisque la pureté de cette vierge était d'un mérite qui l'élevait au-dessus de celle des anges : car les anges sont purs par nature et par privilège de béatitude et de gloire; mais Marie l'était par choix et par vertu. Et jusqu'à quel point Pétait-elle? 1° Jusqu'à se troubler à la vue d'un ange; effet de sa vigilance pour conserver le trésor de sa virginité : 2° jusqu'à être prête de renoncer à la maternité divine, plutôt que de cesser d'être vierge; effet de sa constance pour ne pas perdre le trésor de sa virginité. Or, c'est cela même qui engage Dieu à lui donner son esprit : Spriritus sanctus, superveniet in te; et à venir lui-même dans elle pour s'y faire chair : Verbum caro factum est.

Après cette alliance merveilleuse qu'un Dieu a contractée avec notre chair, quel soin ne devons-nous pas avoir de maintenir nos corps dans une pureté inviolable, et pouvons-nous trouver étrange que saint Paul et les Pères aient témoigné une horreur Spéciale pour l'impureté? Le mystère de l'incarnation donne à ce péché un caractère de malice tout particulier.

 

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Dixit autem Maria ad angelum : Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum.

Alors Marie dit à l'ange : Je suis la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon votre parole. (Saint Luc, chap. I, 38.)

 

Sire,

 

C'est de cette réponse de Marie que dépendait l'accomplissement du glorieux mystère que nous célébrons. Ce consentement était, dans l'ordre des décrets éternels de Dieu, une des conditions requises pour l'incarnation du Verbe; et voilà, mes chers auditeurs, l'essentielle obligation que nous avons à cette reine des vierges, puisqu'il est de la foi que c'est par elle que Jésus-Christ nous a été donné, et à elle que nous sommes redevables de ce Dieu Sauveur. Car si le Fils même de Dieu descend de sa gloire ; si dans les chastes entrailles de Marie, il vient, pour le salut des hommes, se faire homme, c'est au moment qu'elle a dit, et parce qu'elle a dit : Je suis la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon votre parole : Ecce ancilla Domini ; fiat mihi secundum verbum tuum. Ne séparons donc point dans ce discours la mère du fils, et le fils de la mère : ne séparons point l'éloge de Marie du mystère adorable et incompréhensible de l'Homme-Dieu ; mais tachons à tirer de l'un et de l'autre de quoi nous instruire et de quoi nous édifier. Saint Augustin disait que, pour parler dignement et utilement du Verbe incarné dans le sein de la Vierge, il fallait que la parole de Dieu s'incarnât en quelque sorte tout de nouveau dans la bouche des prédicateurs, et que le ministre de l'Evangile devait avoir le même zèle que saint Paul, pour pouvoir dire à ses auditeurs comme cet apôtre : Filioli mei, quos iterum parturio, donec formetur in vobis Christus (1) ; Mes chers enfants, pour qui je me sens pressé des mouvements les plus vifs d'une tendresse paternelle, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous. C'est la grâce qui m'est aujourd'hui nécessaire. Il faut qu'à l'exemple du Docteur des nations, je travaille à former Jésus-Christ dans vos âmes, et que vous conceviez spirituellement le Verbe de Dieu, tandis que je vais vous annoncer sa conception substantielle et véritable. Nous avons besoin pour cela des lumières du Saint-Esprit, qui survint dans Marie ; et c'est par l'intercession de cette Vierge toute-puissante que nous les devons demander : Ave, Maria.

 

C'est le sentiment de tous les Pères de l'Eglise , que Marie, sans avoir pu proprement

 

1 Galat., IV, 19.

 

mériter que le Verbe divin s'incarnât, a pu néanmoins, par sa correspondance aux desseins de Dieu, servir à l'accomplissement de ce mystère ineffable. Car, au moment qu'il fut sur le point de s'accomplir, elle s'y trouva préparée par des sentiments intérieurs et par des vertus qui la rendirent non-seulement digne, mais la plus digne et la seule digne d'être la mère du Rédempteur. C'est pour cela que Dieu l'avait comblée de tant de grâces ; pour cela qu'il l'avait préservée de tout péché; pour cela que, dès ses plus tendres années, elle s'était séparée du monde ; pour cela qu'en se présentant dans le temple , elle s'était elle-même consacrée à Dieu , parce qu'elle était dès lors destinée à être le temple vivant et le sanctuaire de Dieu. Le point est de Bavoir quelles furent en particulier ces dispositions de Marie, et à quoi Dieu eut surtout égard pour la faire entrer en participation de ce mystère, et pour l'élever à la maternité divine. Les uns prétendent que ce fut par son humilité profonde, par son obéissance héroïque, par sa parfaite soumission aux ordres de Dieu, qu'elle trouva grâce devant Dieu. Les autres attribuent cette grâce, ou, pour mieux dire, cette gloire qu'elle reçut de Dieu, à sa pureté Angélique, par où elle était déjà , comme vierge, l'épouse de Dieu. Joignons, Chrétiens, l'un et l'autre ensemble; et disons, avec saint Bernard, que cette Vierge incomparable conçut le Verbe de Dieu, et par son humilité , et par sa virginité : Virginitate placuit , humilitate concepit. C'est à cette pensée que je m'attache avec d'autant plus de raison, qu'elle me paraît fondée sur les paroles de mon texte, puisqu'il est constant que la disposition la plus prochaine qu'apporta Marie à l'incarnation de Jésus-Christ fut le consentement qu'elle donna à la parole de l'ange, en lui disant : Je suis la servante du Seigneur; qu'il me soit fait selon votre parole. Or ce consentement fut tout à la fois, et une protestation sincère de son humilité, et une solennelle profession de sa virginité. Car, en se reconnaissant la servante du Seigneur, elle s'humilia; et, en ne voulant accepter l'honneur de la maternité divine qu'à condition que tout s'accomplirait selon la parole de l'ange, c'est-à-dire par l'opération du Saint-Esprit, elle déclara non-seulement qu'elle était vierge , mais qu'elle voulait toujours l'être. Ainsi il est vrai de dire qu'elle conçut ce Dieu de gloire, et par l'humilité de son cœur, et par la pureté de son corps : par l'humilité de son cœur, qui, de la condition

 

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d'une simple tille, l'éleva jusqu'à la dignité de mère de Dieu : ce sera la première partie ; par la pureté de son corps, qui, comme parle saint Ambroise, eut le pouvoir d'attirer sur la terre le Verbe de Dieu : ce sera la seconde partie. Donnez-moi, s'il vous plaît, une favorable attention.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

Quelque parfaites en elles-mêmes que soient les autres vertus, et quelque mérite d'ailleurs qu'elles puissent avoir, c'est l'humilité, dit saint Augustin, qui de la part de l'homme, doit être la première et essentielle disposition aux communications de Dieu. Et la raison qu'en apporte ce saint docteur me paraît aussi convaincante qu'elle est naturelle : parce qu'il est évident, ajoute-t-il, que, pour recevoir les grâces et les faveurs de Dieu, il faut au moins être vide de soi-même; Dieu, tout Dieu qu'il est, si j'ose m'exprimer de la sorte, ne trouvant plus de place dans un cœur plein de lui-même , c'est-à-dire dans un cœur infecté de l'amour et de la vaine estime de soi-même. Or, l'effet propre de l'humilité est de faire en nous ce vide mystérieux et salutaire , qui consiste dans l'oubli de nous-mêmes, dans le détachement de nous-mêmes, dans le renoncement à nous-mêmes ; et par conséquent, c'est l'humilité qui nous rend capables de posséder Dieu, d'être des vases d'élection propres à contenir les dons de Dieu ; en un mot, de servir de sujets aux épanchements ineffables des grâces et de l'Esprit de Dieu : principe sur lequel est fondé le mystère de ce jour. Car voici, mes chers auditeurs, l'application que j'en fais. Dieu voulait se communiquera l'homme, mais d'une manière étonnante, et qui devait même surpasser l'intelligence de l'homme; savoir, par la voie incompréhensible de l'incarnation de son Verbe. Parlons plus simplement et plus clairement. Dieu voulait que ce Verbe , que ce Fils du Très-Haut vînt au monde revêtu de notre chair ; qu'il fût homme comme nous, et, à l'exclusion du péché, parfaitement semblable à nous. Pour cela , il cherchait une vierge qui pût, en qualité de mère, coopérer à l'accomplissement de ce grand dessein ; une vierge selon son cœur, et en qui il trouvât ce fonds d'humilité indispensablement requis pour en faire le temple vivant où devait habiter neuf mois entiers la plénitude de la Divinité. Au moment qu'il fallut venir à l'exécution de l'ouvrage qu'il s'était proposé, il jeta les yeux sur Marie ; et Marie seule, entre les femmes, lui parut dans l'état de cette humilité parfaite qu'il demandait. C'est pour cela, dit saint Augustin, qu'il la choisit préférablement à toutes les autres, et qu'il l'honora de la plus éminente de toutes les grâces, qui était celle de concevoir un Dieu , parce qu'elle était sans contestation et sans exception, la plus humble des servantes de Dieu. Voilà, dis-je, en deux mots, le mystère que nous célébrons. Mais, pour votre édification et pour la mienne, permettez-moi de vous le développer.

Non, Chrétiens, quand Dieu choisit Marie pour l'élever à la maternité divine, il ne considéra en elle ni la grandeur de sa naissance, ni les talents de son esprit, ni les perfections de son corps, ni tous les autres avantages dont il l'avait, comme Créateur, si libéralement pourvue. Il est vrai Marie, même selon le monde, était la plus accomplie de toutes les créatures. Issue de David et de tant d'autres rois qu'elle comptait parmi ses ancêtres, elle avait hérité de toute leur gloire : douée des qualités naturelles qu'elle avait reçues de Dieu, elle était, comme parle saint Bernard, le chef-d'œuvre de tous les siècles, et nulle des filles d'Israël ne lui fut jamais comparable dans le merveilleux assemblage de ces grâces extérieures et éclatantes dont elle se trouvait enrichie; car c'est d'elle, à la lettre qu'on pouvait bien dire : Multœ filiœ congregaverunt divitias ; tu supergressa es universas (1). Mais rien de tout cela précisément n'engagea Dieu au choix qu'il fit d'elle pour être la mère du Messie et pour donner au monde le Rédempteur. Je dis plus, et ceci est encore plus digne de vos réflexions. Ce qui décida en faveur de Marie, ce qui détermina Dieu à lui donner la préférence de cette auguste maternité, ce ne fut pas même absolument ni en général le mérite de sa sainteté. Je m'explique. Marie, pour être mère de Dieu, devait être sainte ; mais toute espèce de sainteté n'aurait pas suffi : il fallait pour cela une sainteté d'un caractère particulier, qui disposât Marie à être la mère d'un Dieu incarné, c'est-à-dire la mère d'un Dieu qui s'anéantissait en devenant son fils et se faisant homme. Or ce caractère ne pouvait être que l'humilité; et si l'humilité n'avait pas été la vertu prédominante de cette vierge, quand elle eût eu d'ailleurs tous les mérites et toute la sainteté des anges, Dieu ne l'aurait pas choisie. Par où donc, entre toutes les vierges se distingua-t-elle devant ce Dieu de majesté? C'est elle-même qui nous l'apprend : par la connaissance qu'elle eut de

 

1 Prov., XXXII, 29.

 

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sa bassesse, et par l'aveu qu'elle en fit : or, cet aveu de sa bassesse ne fut qu'une expression vive et affectueuse de l'humilité de son cœur : Quia resperit humilitatem ancilla suœ (1). Oui, dit-elle dans ce sacré cantique, qui, selon la pensée de saint Ambroise, fut comme l'extase de son humilité, mais de son humilité glorifiée, on m'appellera bienheureuse, et je la suis en effet ; car le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses : et pourquoi les a-t-il faites? parce qu'il n'a pas dédaigné la bassesse de sa servante, et qu'il a eu égard au sentiment qu'elle en avait : Ecce enim ex hoc (2). Cela seul m'a attiré non-seulement ses bénédictions et ses grâces, mais sa personne et sa divinité même; et je veux bien le publier hautement, afin que toutes les âmes justes, profitant de la confession que j'en fais, sachent qu'il n'y a que l'humilité à qui Dieu se communique, ni qui puisse l'approcher de nous et nous approcher de lui. Il ne faut pas s'étonner. Chrétiens, que Dieu en use de la sorte à l'égard de Marie. Car, comme raisonne saint Bernard, un Dieu qui lui-même était sur le point de s'humilier jusqu'à l'excès, en se revêtant de notre chair, devait avoir des complaisances infinies pour l'humilité : puisque, dans l'état même de sa gloire, il a tant d'égard pour cette vertu, et que, par la seule raison qu'il est grand, toutes ses inclinations sont pour les petits et pour les humbles : Quoniam excelsus Dominus, et humilia respicit (3) ; que fallait-il attendre de lui dans la disposition prochaine où il se trouvait de devenir un Dieu humble, sinon qu'il se fît encore un honneur d'être conçu par la plus humble de toutes les créatures, et qu'agissant conséquemment, il voulût entrer dans le monde par l'humilité, qui fut son principal et son souverain attrait?

Mais enfin qu'y eut-il donc de si singulier et de si rare dans l'humilité de Marie, et en quoi l'humilité de Marie lui parut-elle alors si digne de lui ? Ah ! Chrétiens, Dieu trouva dans Marie une humilité qui ne s'était jamais vue sur la terre, et qui ne s'y verra jamais, je veux dire une humilité jointe à la plénitude du mérite ; première circonstance : car être humble sans mérite , dit saint Chrysostome, c'est une nécessité ; être humble avec quelque mérite, c'est une louange ; mais être humble dans l'actuelle possession de tous les mérites, c'est un miracle, et il fallait ce miracle pour l'incarnation. Or, c'est ce miracle qui paraît visiblement dans la personne de Marie. Car prenez garde, s'il vous plaît, on la salue comme pleine de grâce :

 

1 Luc, I, 48. — 2 Ibid. — 3 Psalm., CXXXVII, 6.

 

Ave, gratia plena (1) ; et elle proteste qu'elle est la servante du Seigneur : Ecce ancilla Domini (2). Si elle n'eût été que servante, ou si elle n'eût été que pleine de grâce, elle n'aurait jamais été mère de Dieu ; c'est l'excellente réflexion de saint Chrysostome ; mais parce qu'elle est l'un et l'autre tout ensemble ; parce qu'étant pleine de grâce, elle ne laisse pas de s'appeler l'humble servante du Seigneur, par un effet de l'opération divine, de servante elle devient mère. Voici quelque chose de plus : une humilité dans le comble de l'honneur; autre circonstance. Etre humble, poursuit saint Chrysostome, dans l'humiliation, être humble dans l'obscurité d'une condition vile et abjecte, ce n'est tout au plus qu'une vertu commune et populaire ; mais être humble, comme l'a été Marie, dans le plus haut degré d'élévation, c'est une vertu héroïque, et par où Marie mérita l'admiration, non pas simplement des hommes et des anges, mais, pour ainsi dire, de Dieu même. Car pourquoi ne parlerais-je pas ainsi, et pourquoi craindrais-je de dire que celui qui admira la foi du centenier et de la femme chananéenne dut encore bien plus admirer l'humilité de cette Vierge? Entrons dans le détail. Un ange est député à Marie : tout ange qu'il est, il ne lui parle qu'avec respect. Il lui déclare qu'elle est bénie entre toutes les femmes, qu'elle a trouvé grâce aux yeux du Seigneur, qu'elle concevra un fils à qui elle donnera le nom de Jésus, qu'elle sera remplie du Saint-Esprit, que le fruit qui naîtra d'elle sera saint par excellence, qu'il sera Fils de Dieu , qu'il rétablira le trône de David, qu'il régnera éternellement, et que c'est par elle enfin que tout cela doit être fait. Que pouvait-on lui annoncer de plus grand? quel droit ne semblait-elle pas alors avoir de se former de hautes idées d'elle-même, surtout lorsqu'elle savait que ce n'étaient point là des flatteries , puisqu'elle recevait tous ces éloges et de la bouche d'un ange et de la part de Dieu ? Cependant, Chrétiens, à tous ces éloges elle ne fait qu'une seule réponse ; mais elle la fait avec autant de sincérité qu'une âme vaine et peu solide aurait pu la faire avec dissimulation et avec affectation : Ecce ancilla Domini ; Je suis, dit-elle, la servante du Seigneur. Vous me parlez d'être sa mère , et ce serait pour moi un titre de supériorité : mais je m'en tiens à celui de ma dépendance, à celui de l'entière soumission et de la servitude que je lui ai vouée, et dont je ne me départirai jamais : Ecce ancilla.

 

1 Luc, I, 28. — 2 Ibid., 39.

 

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Or voilà , mes chers auditeurs , encore une l'ois, ce qui ravit le ciel. Voilà (souffrez que je m'explique ainsi) ce qui achève de déterminer le Verbe de Dieu à sortir du sein de son Père, et à descendre du trône de sa gloire jusque dans la profondeur de notre néant. Car c'est bien ici que s'est vérifiée la parole du Prophète royal, qu'un abîme attire un autre abîme: Abyssus abyssum invocat (1). Tandis que Marie s'humilie devant Dieu , le Verbe de Dieu s'anéantit en elle : cet abîme de l'humilité d'une vierge attire un second abîme encore plus grand, qui est celui de l'anéantissement d'un Dieu. Car c'est le terme, et le terme unique par où saint Paul a cru pouvoir dignement exprimer le mystère d'un Dieu-Homme : Qui cum in forma Dei esset, exinanivit semetipsum , formant servi accipiens (2) ; Ce Jésus-Christ que je vous prêche, disait-il aux Corinthiens, est celui qui, étant Dieu, et n'estimant point que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu , s'est anéanti lui-même, prenant la forme de serviteur, et se rendant semblable aux hommes. En effet, qu'un Dieu se fasse homme, c'est, par rapport à Dieu, ce qui surpasse tous les degrés d'abaissement que notre imagination se figure, et qu'elle peut se figurer. Il faut, pour aller jusque-là, que la révélation divine vienne à son secours, et que, fortifiée des plus vives lumières de la foi, elle nous élève au-dessus de nous-mêmes , pour nous faire comprendre ce que c'est qu'un Dieu dans cet état. Or comment le comprenons-nous? Par ce seul mot, qui signifie plus que tout ce que les théologiens et les Pères se sont efforcés de nous en dire ; aussi est-ce le Saint-Esprit qui l'a dicté : il s'est fait homme, c'est-à-dire, de Dieu qu'il était, sans préjudice de la souveraineté de son être, il s'est réduit à une espèce de néant : Exinanivit semetipsum (3).

C'est donc de ce néant divin, pour parler ainsi, que nous avons été formés; et c'est par la vertu miraculeuse de cet anéantissement d'un Dieu, que nous sommes, vous et moi, tout ce que nous sommes dans l'ordre de la grâce. Comme le premier néant, que j'appelle le néant de la création, a été le principe et l'origine de tous les êtres qui sont dans la nature, il a fallu que de ce second néant, qui est le néant de l'humiliation et de l'incarnation du Verbe, Dieu tirât tous les êtres qui sont de l'ordre surnaturel, c'est-à-dire toutes les grâces, toutes les vertus, tous les mérites , toutes les lumières, toutes les inspirations, tous les dons

 

1 Psalm., XII, 8. — 2 Philip., II, 7. — 8 Ibid.

 

célestes qui doivent contribuer au salut et à la justification des hommes. C'est sur ce néant d'un Dieu fait chair que la miséricorde a travaillé pour faire des saints, des prédestinés, des élus, comme la toute-puissance avait travaillé sur le premier néant pour créer des cieux et des astres. Sans cela nous serions demeurés dans le néant éternel de notre misère et de notre péché: il n'y avait qu'un Dieu qui pût nous en faire sortir, et il n'a point trouvé d'autre moyen que l'anéantissement de son adorable personne : Exinanivit semetipsum. Anéantissement de mon Dieu, s'écrie saint Bernard, plus avantageux pour moi que sa grandeur même et que sa puissance même ; ou plutôt, anéantissement de mon Dieu, sans lequel sa puissance et sa grandeur même n'auraient eu rien d'avantageux pour moi ! anéantissement plus fécond, plus riche, plus abondant que les trésors même de Dieu, puisque tous les trésors de la bonté et de la charité de Dieu y sont renfermés , et que de là me sont venus tous les biens que j'ai reçus de Dieu et que j'en recevrai jamais 1 anéantissement en vertu duquel je subsiste, et auquel je suis redevable de tout mon bonheur ! anéantissement qui, me représentant mon Dieu dans cet abîme d'humiliation où je le contemple aujourd'hui, me le rend encore plus admirable et plus aimable que lorsque je le considérais dans la splendeur des saints, et dans le centre glorieux de sa pure divinité : Quanto pro me vilior, tanto mihi carior. Telles étaient les pensées de saint Bernard en vue de ce mystère, qu'il méditait et dont il était pénétré.

Mais allons plus avant, et pour nous rendre ce mystère encore plus utile, faisons un retour sur nous-mêmes. Entrons dans les sentiments de Jésus-Christ, entrons dans ceux de Marie : je veux dire, mettons-nous, selon la maxime du grand Apôtre, dans les mêmes dispositions où se trouvèrent Jésus-Christ et Marie au moment de l'incarnation : Hoc enim sentite in vobis, quod et in Christo Jesu (1). Car voici, mes chers auditeurs , ce que le mystère de l'incarnation nous prêche, l'esprit d'humilité, la pratique de l'humilité, l'étude et la science éminente de l'humilité, le mérite de l'humilité. Les païens, disait saint Jérôme, n'ont été humbles et n'ont pu l'être que par raison : mais pour nous, qui sommes fidèles, nous devons l'être et par raison et par religion. Les Juifs n'avaient besoin d'humilité que pour obéir à un Dieu qui leur paraissait toujours

 

1 Philip., II, 5.

 

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grand, et devant lui ils devaient trembler ; mais en qualité de chrétiens, nous avons besoin d'humilité pour servir un Dieu qui s'est fait petit, et à qui nous devons nous conformer. Comme l'abîme de l'humilité de Marie a attiré un second abîme, qui est celui des humiliations du Fils de Dieu, il faut que celui des humiliations du Fils de Dieu en attire un troisième dans nous, et qu'en nous sanctifiant par l'exercice de l'humilité chrétienne, nous joignions l'anéantissement volontaire de nous-mêmes à cet anéantissement prodigieux du Verbe; afin que de l'un et de l'autre il se fasse un tout, sans lequel la foi nous enseigne qu'il n'y a point de salut pour nous, puisqu'il est de la foi que l'anéantissement du Verbe incarné relève le mérite du nôtre, et que le nôtre doit être l'effet et comme le supplément et la consommation de celui du Verbe incarné. Parlons sans figure, et réduisons ceci à des termes plus simples.

On vous a cent fois entretenus des désordres de l'orgueil, de cette passion malheureuse que l'on peut bien appeler le péché originel de l'homme, puisqu'au moins en a-t-elle été la cause , et qu'elle est encore aujourd'hui le principe le plus général de tous les dérèglements du monde : on vous en a fait des discours entiers, et peut-être plus d'une fois avez-vous été convaincus que de s'en laisser dominer, c'était une des marques les plus visibles d'un sens réprouvé. Mais, Chrétiens, on ne vous en a rien dit d'essentiel, si vous le comparez à ce que je vous en dis aujourd'hui. Oubliez donc tous les autres motifs dont on s'est servi pour vous donner horreur de ce péché : comptez pour rien tout ce qu'on vous a fait entendre de l'injustice de l'orgueil, de son indignité, de sa vanité, de ses extravagances pitoyables, de ses honteux emportements, de ses aveuglements grossiers, de ses insupportables présomptions, de ses ridicules fiertés, de ses basses et odieuses jalousies. C'étaient des raisons fortes et pressantes , mais encore trop humaines : il en fallait une prise de la sainteté même du christianisme, et dont nous ne pussions nous défendre sans renoncer à notre foi. Or cette raison était attachée à l'auguste mystère de l'incarnation. Car un Dieu tel qu'on nous le propose dans le mystère de ce jour, un Dieu volontairement et par choix revêtu de la forme de serviteur, un Dieu, pour sauver et pour réformer l'homme, couvert des misères de l'homme ; un Dieu fait chair, pour guérir, dit saint Augustin, les enflures criminelles de notre esprit, c'est ce qui confondra éternellement le vice que je combats, ce qui le confondra sans réplique, ce qui le confondra dans tous les états du christianisme, ce qui le confondra en nous convainquant d'une contradiction presque aussi incompréhensible que le mystère même qui l'a fait naître. Car la plus monstrueuse contradiction, n'est-ce pas d'invoquer ce Dieu Sauveur, que nous savons ne nous appartenir comme Sauveur que par son humilité ; et, en l'invoquant, d'être actuellement possédés d'un secret orgueil ; de lui rendre grâce de s'être abaissé pour nous, et de ne penser qu'à nous élever nous-mêmes ; d'établir toute notre confiance sur ce qu'il s'est anéanti pour nous racheter, et de ne travailler qu'à devenir quelque chose ; et , s'il était possible, toute chose selon le monde ? n'est-ce pas là, dis-je, insulter en quelque manière à son incarnation divine ?

Il faut être humbles, Chrétiens. Je ne vous dis point que sans cela il ne peut y avoir de solide vertu ; je ne vous dis point que l'humilité est, de l'aveu du monde même, le fondement du véritable mérite ; je ne vous dis point que si vous n'êtes humbles, c'est en vain même que vous espérez de parvenir à cette prétendue gloire mondaine que vous cherchez ; je ne vous dis point que sans l'humilité vous ne trouverez jamais la paix ni le repos de vos âmes; autant vous en dirait un philosophe; et quelque convaincante sur ce point que fût sa morale, je doute qu'on y déférât beaucoup : mais je vous dis qu'il faut être humble pour être chrétien, et que sans l'humilité il n'y a ni religion , ni christianisme , puisque, sans l'humilité, il n'y aurait pas même eu d'incarnation, ni d'Homme-Dieu. S'il vous reste encore de la foi, pouvez-vous n'être pas touchés de cette vérité? Je sais néanmoins que cette vérité, tout édifiante qu'elle est, ne sera pas du goût de ceux qui m'écoutent ; et je sais, quoique avec douleur, que L'humilité que je prêche ici est cette sagesse cachée que saint Paul a cru bien définir, quand il a dit que c'était celle que nul des princes de ce monde n'avait connue : Sapientiam in mysterio, quœ abscondita est, quam nemo principum hujus sœculi cognovit (1). Mais c'est pour cela même que je vous la prêche , afin que, malgré le dieu du siècle, elle soit hautement révélée là où elle est plus grossièrement ignorée et plus ouvertement combattue ; afin qu'il ne soit plus vrai que nul des princes du monde ne

 

1 1 Cor., II, 8.

 

grand , et devant lui ils devaient trembler ; mais en qualité de chrétiens, nous avons besoin d'humilité pour servir un Dieu qui s'est fait petit, et à qui nous devons nous conformer. Comme l'abîme de l'humilité de Marie a attiré un second abîme, qui est celui des humiliations du Fils de Dieu, il faut que celui des humiliations du Fils de Dieu en attire un troisième dans nous, et qu'en nous sanctifiant par l'exercice de l'humilité chrétienne, nous joignions l'anéantissement volontaire de nous-mêmes à cet anéantissement prodigieux du Verbe; afin que de l'un et de l'autre il se fasse un tout, sans lequel la foi nous enseigne qu'il n'y a point de salut pour nous, puisqu'il est de la foi que l'anéantissement du Verbe incarné relève le mérite du nôtre, et que le nôtre doit être l'effet et comme le supplément et la consommation de celui du Verbe incarné. Parlons sans figure, et réduisons ceci à des termes plus simples.

On vous a cent fois entretenus des désordres de l'orgueil, de cette passion malheureuse que Ton peut bien appeler le péché originel de l'homme, puisqu'au moins en a-t-elle été la cause , et qu'elle est encore aujourd'hui le principe le plus général de tous les dérèglements du monde : on vous en a fait des discours entiers, et peut-être plus d'une fois avez-vous été convaincus que de s'en laisser dominer, c'était une des marques les plus visibles d'un sens réprouvé. Mais, Chrétiens, on ne vous en a rien dit d'essentiel, si vous le comparez à ce que je vous eu dis aujourd'hui. Oubliez donc tous les autres motifs dont on s'est servi pour vous donner horreur* de ce jicché : comptez pour rien tout ce qu'on vous a l'ait entendre de l'injustice de l'orgueil, de son indignité, de sa vanité, de ses extravagances pitoyables . de ses honteux emportements, de ses aveuglements grossiers, de ses insupportables présomptions, de ses ridicules fiertés, de ses basses et odieuses jalousies. C'étaient des raisons fortes et pressantes , mais encore trop humaines : il en fallait une prise de la sainteté même du christianisme, et dont nous ne pussions nous défendre sans renoncer à notre foi. Or cette raison était attachée à l'auguste mystère de l'incarnation. Car un Dieu tel qu'on nous le propose dans le mystère de ce jour, un Dieu volontairement et par choix revêtu de la forme de serviteur, un Dieu, pour sauver et pour réformer l'homme, couvert des misères de L'homme ; un Dieu fait chair, pour guérir, dit saint Augustin, les enflures criminelles

 

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de notre esprit, c'est ce qui confondra éternellement le vice que je combats, ce qui le confondra sans réplique, ce qui le confondra dans tous les états du christianisme, ce qui le confondra en nous convainquant d'une contradiction presque aussi incompréhensible que le mystère même qui l'a fait naître. Car la plus monstrueuse contradiction, n'est-ce pas d'invoquer ce Dieu Sauveur, que nous savons ne nous appartenir comme Sauveur que par son humilité ; et, en l'invoquant, d'être actuellement possédés d'un secret orgueil ; de lui rendre grâce de s'être abaissé pour nous, et de ne penser qu'à nous élever nous-mêmes ; d'établir toute notre confiance sur ce qu'il s'est anéanti pour nous racheter, et de ne travailler qu'à devenir quelque chose ; et , s'il était possible, toute chose selon le monde ? n'est-ce pas là, dis-je, insulter en quelque manière à son incarnation divine ?

Il faut être humbles, Chrétiens. Je ne vous dis point que sans cela il ne peut y avoir de solide vertu ; je ne vous dis point que l'humilité est, de l'aveu du monde même, le fondement du véritable mérite ; je ne vous dis point que si vous n'êtes humbles, c'est en vain même que vous espérez de parvenir à cette prétendue gloire mondaine que vous cherchez ; je ne vous dis point que sans l'humilité vous ne trouverez jamais la paix ni le repos de vos âmes ; autant vous en dirait un philosophe ; et quelque convaincante sur ce point que fût sa morale, je doute qu'on y déférât beaucoup : mais je vous dis qu'il faut être humble pour être chrétien, et que sans l'humilité il n'y a ni religion , ni christianisme , puisque, sans l'humilité, il n'y aurait pas même eu d'incarnation, ni d'Homme-Dieu. S'il vous reste encore de la foi, pouvez-vous n'être pas touchés de cette vérité? Je sais néanmoins que cette vérité, tout édifiante qu'elle est, ne sera pas du goût de ceux qui m'écoutent ; et je sais, quoique avec douleur, que L'humilité que je prêche ici est cette sagesse cachée que saint Paul a cru bien définir, quand il a dit que c'était celle que nul des princes de ce monde n'avait connue : Sapientiam in mysterio, quœ abscondita est, quam nemo principum hujus sœculi cognovit (1). Mais c'est pour cela même que je vous la prêche , afin que, malgré le dieu du siècle, elle soit hautement révélée là où elle est plus grossièrement ignorée et plus ouvertement combattue ; afin qu'il ne soit plus vrai que nul des princes du monde ne

 

1 1 Cor., II, 8.

 

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l’a connue ; afin que, jusque dans la cour elle reçoive un témoignage ou qui sanctifie ceux qui la croient, ou qui serve à justifier Dieu contre ceux qui ne la croient pas : car, de l'une ou de l'autre manière, il faut, Chrétiens, que cette sagesse triomphe de vos erreurs. Et je vous rends grâce , ô mon Dieu, de ce qu'il y a encore des âmes dans qui elle en triomphe pleinement; de ce que votre main n'est pas raccourcie; de ce que, parmi les grands à qui je parle, il se trouve encore des humbles de cœur à qui vous découvrez vos voies : ce sont vos élus, Seigneur, et à vous seul en appartient le discernement. S'ils sont en petit nombre , c'est cette profondeur de vos conseils que nous révérons : mais, quoi qu'il en soit, j'ai toujours droit de me consoler aujourd'hui de ce que la proposition de votre apôtre n'est plus si absolue ni si générale, et tout indigne que je suis de mon ministère, j'ai le bonheur de prêcher avec plus d'avantage que lui cette sagesse de vos humiliations, puisque je la prêche devant des puissants du siècle, non-seulement qui la connaissent, mais qui l'adorent, et qui conviennent avec moi de l'obligation indispensable où ils sont de la pratiquer.

Vous me direz, Chrétiens : Mais peut-on être humble et grand tout à la fois?car voilà le prétexte que l'esprit du monde a opposé de tout temps à cette vérité. Et moi je vous réponds : En peut-on douter, après la preuve authentique et le modèle admirable que Dieu nous en a donné dans l'incarnation de son Fils? Vous me demandez si l'on peut être humble et grand tout à la fois : et le Fils de Dieu a bien pu devenir humble en demeurant Dieu ; et Marie a bien pu être la plus humble de toutes les créatures en devenant la mère d'un Dieu. Quoi donc ! reprend saint Chrysostome, les grandeurs humaines ont-elles quelque chose de plus éclatant que la maternité de Dieu, et que la divinité même? et puisque la divinité et la maternité de Dieu se sont si bien accordées avec l'humilité dans Jésus-Christ et dans Marie, oserons-nous dire qu'il y ait rien de grand sur la terre avec quoi l'humilité puisse être incompatible? Oui, Chrétiens, on peut être grand et humble tout ensemble, c'est-à-dire on peut être humble dans la grandeur, comme on peut être superbe dans la bassesse. On ne peut pas être humble et ambitionner d'être grand, et se plaire à être grand, et faire toutes choses pour être grand; mais on peut être humble et être grand, parce qu'on peut être grand par l'ordre de Dieu, et que l'ordre de Dieu n'a rien qui ne contribue à maintenir l'humilité. Et voilà, mes chers auditeurs, ce que j'appelle la grâce de votre état. Vous qui tenez dans le monde des rangs honorables, et que la Providence a élevés au-dessus du commun des hommes, voilà, si vous voulez le reconnaître, l'avantage que vous possédez. de trouver dans l'humilité que ce mystère vous inspire de quoi sanctifier votre condition, et de trouver dans votre condition de quoi rendre votre humilité plus sainte et plus précieuse devant Dieu ; voilà en quoi Dieu vous a privilégiés, de vous avoir donné le moyen d'être humbles avec mérite, et d'être grands sans risque et sans péril. Concevez bien, s'il vous plaît, ce secret de sa miséricorde. Si Dieu vous avait laissés dans la corruption du péché, livrés à vos propres désirs, cette grandeur dont vous êtes revêtus serait une grandeur funeste qui vous perdrait, qui vous aveuglerait, qui serait pour vous une source de crimes, et qui n'aboutirait enfin qu'à votre damnation : ou si, par un changement d'état, Dieu, au contraire, vous avait fait naître dans la poussière et dans les plus viles conditions du monde, l'humilité dont vous auriez fait profession n'eût été souvent qu'une humilité naturelle, qu'une impuissance de vous élever plus haut, ou même qu'une bassesse de cœur indigne du nom d'humilité. Qu'a fait Dieu? Par une providence toute singulière, il vous a préservés de ces deux écueils : il vous a donné de la naissance , des emplois, des rangs, afin que si vous étiez humbles et chrétiens, vous le fussiez par vertu ; et il vous a pourvus de l'humilité chrétienne , afin que cette naissance, ces emplois, ces rangs ne dégénérassent point dans une grandeur profane, et abominable à ses yeux. La grandeur toute seule aurait dû vous faire trembler : l'humilité toute seule, dans le sens que je viens de le dire, n'aurait pas pu vous assurer : l'une vous aurait exposés à des tentations presque invincibles; l'autre, sous l'apparence même du bien, aurait été douteuse et équivoque. L'alliance des deux est ce qui doit faire votre consolation : car l'humilité , à l'épreuve de la grandeur, est le plus infaillible ouvrage de la grâce , et le mérite le plus pur sur lequel vous puissiez compter; et la grandeur, sanctifiée par l'humilité, non-seulement n'est plus un piège, mais devient elle-même salutaire. Quel hommage, Chrétiens, n'en pouvez-vous pas faire à Dieu? à combien de saintes œuvres ne peut-elle pas vous servir pour les intérêts de Dieu? dans quelle

 

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nécessité ne vous met-elle pas d'être sur la terre, chacun à proportion de votre pouvoir, les ministres et les hommes de Dieu? Cette grandeur soumise à Dieu , employée pour Dieu, anéantie par l'humilité de la religion en présence de Dieu, quel tribut de gloire ne lui rapporte-t-elle pas, et quelle facilité ne vous donne-t-elle pas à vous-mêmes, sans cesser d'être tout ce que vous êtes, d'être encore des saints? Il est vrai, disait saint Pierre, notre Dieu est un juge équitable, qui ne regarde point la qualité , et qui ne fait nulle différence des conditions des hommes : Non est personarum acceptor Deus (1). Mais il faut pourtant convenir que, agissant même en juge équitable, Dieu se tient en quelque sorte plus honoré de la piété des grands que de celle des hommes du commun : pourquoi ? parce que la piété dans les grands, pour être sincère et véritable, suppose un plus grand fonds d'humilité. Or Dieu, à proprement parler, ne nous considère que par le plus ou le moins d'humilité qui est en nous ; et si nos vertus, par rapport à nous, ont devant lui quelque distinction, c'est uniquement par là qu'il les mesure ; c'est pour cela même aussi, vous disais-je il y a quelque temps, .que Dieu vous a faits ce que vous êtes, et c'est enfin ce qui vous doit faire aimer l'humilité. Non, vous ne la devez point regarder comme une vertu odieuse qui vous dispute vos droits et vos rangs, mais comme une vertu précieuse qui sanctifie la grandeur même, et qui la rend méritoire devant Dieu, et plus vénérable devant les hommes. Sainte humilité, c'est vous qui avez conçu le Verbe de Dieu, ou plutôt c'est par vous que Marie l'a conçu dans son sein, et que nous le devons concevoir dans nous-mêmes. Voyons encore comment Marie contribue par sa virginité à cette divine conception : c'est la seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Dieu l'avait dit, Chrétiens; et le plus authentique de tous les signes qu'il avait promis au monde, pour marquer l'accomplissement du grand mystère de notre rédemption, c'était, selon le rapport d'Isaïe, qu'une vierge demeurant vierge concevrait un fils, et que ce fils serait Dieu; non pas un Dieu séparé de nous, ni élevé comme Dieu au-dessus de nous, mais un Dieu abaissé jusqu'à nous, et entretenant, quoique Dieu, un commerce intime avec nous. Car voilà, ajoute l'évangéliste. ce que signifiait l'auguste   nom   d'Emmanuel :   Ecce

 

1 Act., X, 84.

 

virgo in utero habebit, et pariet filum : et vocabunt nomen ejus Emmanuel, quod est interpretatum, nobiscum Deus (1). Ce prodige, je l'avoue, surpassait toutes les lois de la nature ; mais après tout, il ne laissait pas d'être, dans un sens, parfaitement naturel. Car, comme raisonne saint Bernard, si un Dieu se faisant homme, devait avoir une mère, il était de sa dignité, et par là d'une espèce de nécessité, que cette mère fût vierge ; et si une vierge, par le plus inouï de tous les miracles, devait, sans cesser d'être vierge, avoir un fils, il était pour elle d'une bienséance absolue et comme indispensable que ce fils fût Dieu : Neque enim aut partus alius virginem, aut Deum decuit partus alter. Il fallait que le Verbe de Dieu, par un excès de son amour et de sa charité, sortît hors du sein de Dieu, et, si je puis ainsi dire, hors de lui-même, pour se mettre en état d'être conçu selon la chair : mais supposé cette sortie, qui est proprement ce que nous appelons incarnation, le Verbe de Dieu ne pouvait être autrement conçu selon la chair, que par la voie miraculeuse de la virginité : pourquoi? Parce que toute autre conception que celle-là aurait obscurci l'éclat et la gloire de sa divinité. Cette pensée de saint Bernard a je ne sais quoi de sublime ; et pour peu d'étendue qu'on lui donnât, elle remplirait vos esprits des plus hautes idées de la religion. Mais, sans rien rabattre de la sublimité de cette pensée, il faut encore quelque chose de plus sensible et de plus propre à l'édification de vos mœurs : or c'est à quoi le Saint-Esprit me paraît avoir admirablement pourvu par la conduite qu'il a tenue dans l'exécution de ce mystère, conduite, si vous l'examinez bien, capable de vous inspirer toute la vénération, tout le respect, tout l'amour dû à l'excellente vertu dont je dois présentement vous parler, et qui est la pureté chrétienne. Car en voici, mes chers auditeurs, la plus solide et la plus touchante leçon : étudiez-la dans la suite de notre évangile.

Dieu, par un mouvement de son infinie miséricorde, envoie un ange sur la terre, non-seulement pour annoncer, mais pour négocier la divine alliance qu'il est sur le point de faire avec les hommes. Et à qui envoie-t-il cet ange? A une vierge : Missus est angelus a Deo ad virginem (2). Or vous savez (belle réflexion de saint Bernard sur ces trois noms, ou plutôt sur ces trois personnes, un ange, un Dieu, une vierge), vous savez que Dieu, qui est le plus pur de tous les esprits et la source de toute pureté,

 

1 Luc, I, 26. — 2 Matth., XXII, 30.

 

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engendre éternellement son Fils par la plus pure et par la plus sainte de toutes les générations ; d'où vient que saint Grégoire de Nazianze, en parlant du Père céleste, l'appelle vierge par excellence, et le premier des vierges. Vous savez que les anges sont de purs esprits dégagés de la matière, et que ceux qui ont persévéré dans la justice et dans la sainteté originelle où Dieu les avait créés, j'entends les anges bienheureux, ont encore l'avantage d'être spécialement purs et sans tache devant Dieu. Et vous savez enfin, que les vierges, quoique dans un corps mortel, par la profession qu'elles font d'une sainte virginité, sont comme les anges de la terre : Erunt sicut angeli Dei (1). Dieu qui députe, l'ange qui est député, Marie à qui la députation est faite, autant de caractères différents de la plus parfaite pureté, selon la différence des sujets qui concourent à ce mystère : Angélus a Deo ad vir-qinem. Que veux-je conclure de là? Ce que le Saint-Esprit semble avoir prétendu par là nous déclarer, savoir : que Dieu étant par lui-même la pureté essentielle, il fallait, ou une pureté angélique, ou une pureté virginale; disons mieux, qu'il fallait l'une et l'autre ensemble, pour concerter entre Dieu et l'homme cette ineffable et adorable union qui s'est accomplie dans le Verbe fait chair. Mais encore, reprend saint Bernard, laquelle de ces deux sortes de pureté, l'angélique et la virginale, a eu plus de part à ce mystère ; et pour laquelle Dieu paraît-il avoir eu plus de considération ? Ah ! répond ce saint docteur, en peut-on douter, après l'exemple que ce Dieu de gloire nous en donne aujourd'hui lui-même, c'est-à-dire après la haute préférence qu'il donne aujourd'hui à la pureté virginale sur la pureté angélique? Vous me demandez en quoi consiste cette préférence : le voici. Le Verbe de Dieu, dans le dessein de s'incarner, choisit une vierge pour mère, et il lui députe un ange qui n'est auprès d'elle que son ambassadeur. Elle est donc, en vertu de ce mystère, aussi élevée comme vierge au-dessus de l'ange, que le nom de mère qu'elle reçoit surpasse celui de ministre et de serviteur. Tanto melior angelis, pourrais-je dire, en me servant des termes de saint Paul, quanto differentius prœ illis nomen hœreditavit (2).

Dieu, prêt à se faire homme, oblige l'ange à s'humilier devant cette vierge, et lui-même, tout Dieu qu'il est, par un honneur anticipé qu'il veut bien lui faire comme à sa future

 

1 Matth., XXII, 30. — 2 Hebr., I, 4.

 

mère, il commence en quelque sorte à dépendre d'elle,puisque, dans la plus importante négociation, il demande son consentement. Ne vous en étonnez pas, poursuit saint Bernard ; c'est qu'en effet la pureté de cette vierge était d'un mérite qui la rendait bien plus précieuse et plus estimable devant Dieu que celle des anges. L'ange qui saluait Marie était pur, il est vrai : mais comment? par nature et par un privilège de béatitude et de gloire; mais Marie était vierge par choix, par vœu , par esprit de religion. La virginité de Marie était donc comme un sacrifice continuel qu'elle faisait à Dieu, une oblation de son corps qu'elle immolait comme une hostie vivante et agréable aux yeux de Dieu, une consécration de sa personne qui devait être le sanctuaire et la demeure de son Dieu. Voyez avec quelle prudence et quelle circonspection elle conserve le trésor de sa virginité ; admirez la constance et la fermeté qu'elle témoigne pour ne le pas perdre. Deux devoirs des vierges chrétiennes, dont Dieu veut que Marie soit aujourd'hui le modèle. Ecoutez-moi, et instruisez-vous. Un ange se présente à elle, et elle se trouble. A peine a-t-il recommencé à lui parler, que la crainte la saisit, qu'elle paraît surprise et inquiète, qu'elle se sent intérieurement combattue de mille pensées : Turbata est, et cogitabat qualis esset ista salutatio (1). Si Marie eût été de ces personnes mondaines, qui ne sont vierges que de corps sans l'être d'esprit, cette visite qu'elle recevait n'aurait eu rien pour elle de si surprenant ; et les louanges qu'on lui donnait, au lieu de l'étonner, l'auraient agréablement flattée. Mais la profession qu'elle a toujours faite de n'avoir, comme vierge, d'entretien particulier qu'avec Dieu, la loi qu'elle s'est prescrite, et qu'elle a gardée, de fuir tout autre commerce, et de renoncer aux mœurs et aux usages du siècle profane; son exacte et sévère régularité, son attention à ne se relâcher jamais sur les moindres bienséances ; la possession où elle est d'une conduite irrépréhensible et à l'épreuve de la plus rigide censure ; la pudeur et la modestie qui lui sont plus naturelles; l'opinion dont elle est prévenue, que les louanges données à son sexe et favorablement reçues, que les louanges même souffertes et écoutées tranquillement, sont le poison le plus contagieux et le plus mortel : tout cela lui cause un trouble qu'elle n'a pas honte de faire paraître, parce que, être troublée de la sorte, c'est le véritable caractère d'une vierge fidèle à Dieu. Voilà sa prudence

 

1 Luc., I, 29.

 

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et sa vigilance : ajoutez-y sa constance et sa fermeté. On déclare à Marie qu'elle doit être la mère d'un Fils qui sera éternellement roi, qui sera le Saint des saints, qui sera le Fils du Très-Haut, qui sera le Sauveur de tout le monde; et elle demande comment cela se pourra faire, parce qu'elle est vierge, et vierge par un engagement auquel ni la qualité de mère de Dieu, ni celle de reine du ciel et de la terre, ne la feront jamais renoncer : Quomodo fiet istud, quoniam virum non cognosco (1)? Ah ! Marie, s'écrie là-dessus saint Augustin , c'est pour cela même que la chose se pourra faire et qu'elle se fera, parce que vous ne comprenez pas comment elle est possible : car si vous le compreniez de la manière que tout autre l'aurait compris, dès là vous seriez incapable d'être à Dieu ce que Dieu veut que vous lui soyez. Il a fallu que votre virginité parût en ce moment-là vous rendre comme incrédule ; il a fallu que la proposition qu'on vous faisait d'être la mère de votre Dieu vous alarmai d'abord et vous troublât, afin que vous fussiez digne de l'être.

En effet, ce refus de la maternité divine plutôt que de cesser d'être vierge, ce vœu de virginité dans lequel elle demeura ferme et immobile jusqu'à n'être pas ébranlée par la parole même d'un ange qui lui promettait no Dieu pour fils : Immobile virginitatis propositum, quod nec angelo filium Deum promittente, aliquatenus titubavit ; voilà, dit saint Jérôme, ce que Dieu a considéré dans Marie, et par où Marie, entre toutes les autres vierges, a eu la préférence de l'estime et du choix de Dieu. Or qu'est-il arrivé de là? Une chose, Chrétiens, aussi consolante pour vous qu'elle vous paraîtra merveilleuse. Vous savez quelle fut la cause de ce déluge universel qui inonda toute la terre. Dieu, dans sa colère, voyant la corruption du genre humain, avait juré que son Esprit ne demeurerait jamais dans l'homme parce que l'homme était devenu tout charnel : Non permanebit Spiritus meus in œternum in homine, quia caro est (1). Mais aujourd'hui (réflexion admirable de saint Augustin) Dieu révoque, pour ainsi dire, cet arrêt; et, par un autre serment tout contraire en apparence, mais qui néanmoins s'accorde parfaitement avec le premier, il assure que son Esprit demeurera dans Marie, et que de Marie il se répandra dans tous les hommes : pourquoi ? parce que, dans la personne de Marie, l'homme a cessé d'être charnel ; c'est-à-dire parce que Marie est vierge, et

 

1 Luc, 1, 34. — 2 Genes., VI, 3.

 

vierge par une profession qui, l'élevant au-dessus de l'homme, la rend capable des plus hautes faveurs de Dieu, et de la plénitude même de l'Esprit de Dieu : Spiritus Sanctus superveniet in te (1). Au lieu que, dans la création, l'Esprit de Dieu était simplement venu pour se communiquer à l'homme en vue de son innocence, et parce que l'homme n'avait point encore péché ; au moment de l'incarnation , ce même Esprit, selon la parole sacrée, survint dans Marie; et comment? avec un surcroît, avec une surabondance, avec un épanchement de dons et de grâces sans mesure, en vue de sa pureté, et parce qu'elle était vierge : Superveniet in te.

Ce n'est pas assez : non-seulement Dieu veut que Marie, en conséquence de ce qu'elle est vierge, soit remplie de son Esprit ; mais parce qu'elle a fait, comme vierge, un éternel divorce avec la chair et le sang, c'est par elle que lui-même, qui est un pur Esprit, veut faire une éternelle alliance avec notre chair ; disons mieux, c'est par elle que lui-même veut être fait chair : car voilà le terme qu'a employé l'évangéliste, pour exprimer le miracle de ce Verbe de Dieu incarné et fait homme : Et Verbum caro factum est  (2). Saint Jean n'a pas cru qu'il suffît de dire que le Verbe de Dieu s'était fait homme, de dire qu'il s'était allié à une nature raisonnable, de dire qu'il avait pris une âme immortelle et spirituelle; mais il a réduit en quelque sorte tout ce mystère à la bienheureuse adoption que le Verbe a faite de notre chair dans le sein de Marie : Et Verbum caro factum est. O mon Dieu ! est-il possible que la virginité ait eu ce pouvoir sur vous ; et qu'un Dieu aussi grand, aussi saint, aussi parfait que vous, en soit venu jusqu'à se faire chair? Oui, Chrétiens, c'est ce que la foi nous révèle : ce Dieu-Homme, par son incarnation, a ennobli dans sa personne tout l'homme ; mais il a particulièrement ennobli la chair de l'homme par les merveilleux rapports que son incarnation a fondés entre lui et nous. Car c'est selon la chair que cet Homme-Dieu est notre frère, c'est selon la chair que nous ne faisons qu'un corps avec lui, c'est selon la chair qu'il est notre chef, et que nous sommes ses membres : Nescitis quoniam corpora vestra membra sunt Christi (3)? Ne savez-vous pas, mes Frères, disait saint Paul, et pouvez-vous l'ignorer, que, depuis qu'un Dieu a bien daigné prendre un corps semblable au nôtre, nos corps, par un merveilleux changement, ont cessé, pour ainsi

 

1 Luc, I, 35. — 2 Joan., I, 14. — 3 1 Cor., VI, 15.

 

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dire, d'être nos corps, et qu'ils sont devenus le corps de Jésus-Christ? N'est-ce pas une des premières leçons qu'on vous a faites dans le christianisme, que vous êtes incorporés à Jésus-Christ, ou plutôt que vous êtes le corps de Jésus-Christ même? Vos estis corpus Christi, et membra de membro (1). Après cela, faut-il s'étonner que le même Apôtre ait cru avoir droit d'exiger des chrétiens, comme chrétiens, une pureté de mœurs si inviolable ; et que, de toutes les choses qu'il leur recommandait, celle qu'il a paru avoir plus à cœur ait été qu'ils sanctifiassent leurs corps? Supposé ces principes de la foi, que je viens de vous expliquer, pouvait-il trop insister sur ce devoir? Ayant les liaisons que nous avons avec Jésus-Christ, serons-nous jamais aussi purs et aussi saints que nous devons l'être ? Notre chair étant la chair de Jésus-Christ, oserons-nous nous plaindre des soins et de l'exacte régularité à quoi nous assujettit ce point de notre religion , comme si c'était un excès de perfection? Voulons-nous qu'il ne nous en coûte rien, d'être non-seulement les frères, mais les membres et le corps d'un Homme-Dieu ? et cette alliance sacrée que nous avons contractée avec lui n'aurait-elle en nous point d'autre effet que de nous avoir élevés à un si haut rang d'honneur, pour en être éternellement indignes ? Après cela même, devons-nous trouver étrange que les Pères de l'Eglise, parlant de l'impureté qui corrompt aujourd'hui tout le christianisme, en aient témoigné tant d'horreur, puisqu'il est certain que ce péché, déshonorant nos corps, déshonore le corps de Jésus-Christ? Devons-nous être surpris que ce péché, par la seule raison que le Verbe s'est fait chair, leur ait paru d'une tout autre grièveté que s'il violait simplement la loi de Dieu ; et que l'Eglise des premiers siècles ait été pour cela si rigoureuse et si sévère à le punir, persuadée qu'elle était qu'en le punissant, elle vengeait l'affront personnel qu'en recevait son Epoux ? Que la chair de l'homme, disait éloquemment Tertullien, que la chair de l'homme, avant l'incarnation de Jésus-Christ, ait été corrompue et souillée de crimes, ses dérèglements pouvaient être alors plus pardonnables ; elle n'avait pas encore la gloire d'être entrée dans l'alliance d'un Dieu ; elle n'était pas encore incorporée au Verbe de Dieu ; elle n'avait pas encore reçu cette onction de grâce, en vertu de laquelle elle devait être hypostatiquement unie à Dieu. Mais depuis que le Fils de Dieu l'a ennoblie,

 

1  1 Cor., XII, 27.

 

et que, par le plus grand de tous les miracles, il en a fait sa propre chair ; depuis que cette chair a commencé à lui appartenir; depuis qu'elle a changé dans sa personne de condition et d'état, ah! mes Frères, concluait-il, ne traitons plus ses désordres de simple faiblesse; et toute chair qu'elle est, ne l'excusons plus par sa fragilité, puisque sa faiblesse et sa fragilité est l'opprobre de l'incarnation de notre Dieu. Non, Chrétiens, je n'ai pas de peine à comprendre pourquoi Tertullien parlait ainsi. Il outrait quelquefois la morale du christianisme, et il abondait en son sens : mais sur le point que nous traitons, il n'a rien dit qui ne soit encore au-dessous de la vérité, puisqu'il n'a rien dit qui approche de la parole de saint Paul. Car ce grand apôtre , après avoir supposé que, par le mystère de l'incarnation, tous les hommes, sans en excepter aucun, sont devenus les membres de Jésus-Christ, n'a plus hésité à tirer de là cette affreuse conséquence, dont il n'y a point d'impudique qui ne doive trembler : Tollens ergo membra Christi, faciam membra meretricis (1) ? Si c'était un autre que saint Paul qui se fût expliqué de la sorte, nous ne pourrions entendre ces termes ; et la pudeur que nous affectons, malgré la licence et le débordement des mœurs où nous vivons, nous ferait rebuter une instruction si nécessaire et si essentielle : mais si c'est l'esprit de la foi qui nous anime et qui nous conduit, quel effet cette conséquence ne doit-elle pas produire en nous? quelle horreur ne doit-elle pas nous inspirer pour le péché que je combats? et si nous en sommes esclaves, quelle indignation ne doit-elle pas nous faire concevoir contre nous-mêmes? Tollens ergo membra Christi, faciam membra meretricis? Cela seul, bien médité, ne doit-il pas être pour nous plus convaincant que toutes les prédications ; et pour peu qu'il nous reste de religion, en faut-il davantage pour nous préserver de l'emportement des passions impures ?

Vous me direz : Mais il s'ensuit donc que le Fils de Dieu, s'incarnant et se faisant homme, a rendu le péché de l'homme plus abominable et plus irrémissible qu'il ne le serait de lui-même? Oui, reprend saint Chrysostome, cela s'ensuit et doit s'ensuivre nécessairement. Mais nous sommes donc, en conséquence de ce mystère, plus criminels que nous ne l'aurions été si nous étions demeurés dans l'état de notre première corruption? Rien de plus incontestable et de plus vrai. Mais l'incarnation de

 

1 1 Cor., VI, 15.

 

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Jésus-Christ nous devient donc préjudiciable quand nous nous abandonnons à notre incontinence ? C'est ce que toutes les Ecritures vous prêchent. Ah ! Chrétiens, peut-être y en a-t-il parmi vous d'assez ingrats et d'assez insensibles aux bienfaits de Dieu, pour souhaiter que Dieu ne les eût point tant honorés ; peut-être leur infidélité va-t-elle jusque-là; sll était dans leur choix de prendre l'un ou l'autre des deux partis, peut-être renonceraient-ils à la gloire d'appartenir à Jésus-Christ, pourvu qu'il leur fût permis de satisfaire impunément leurs désirs déréglés, et qu'ils se trouvassent par là déchargés de l'obligation que ce mystère leur impose, de vivre dans l'ordre. Mais il ne dépend plus d'eux ni de nous que cela soit ainsi, et il ne dépend plus de Jésus-Christ même qu'il cesse d'être ce qu'il nous est. Soyons libertins tant que nous voudrons, nous serons toujours ses frères selon la chair : jusque dans les enfers , si nous sommes jamais réprouvés de Dieu, nous en porterons le caractère ; et ces désordres de la chair tireront éternellement de lui, malgré que nous en ayons, un sujet particulier , ou un surcroît de condamnation.

Peut-être, mes chers auditeurs, ces désordres ont-ils déjà éteint les plus vives lumières de votre foi, et peut-être ceux à qui je parle ne croient-ils plus que faiblement le mystère de l'incarnation d'un Dieu : car le moyen de le croire et de vivre dans l'habitude de ce péché ? Mais croyons-le, ou ne le croyons pas : si nous vivons dans le désordre de ce péché, nous nous faisons de ce mystère, qui par excellence est le mystère du salut, un mystère de réprobation. Si nous ne le croyons pas, notre arrêt est déjà porté, et dès là nous voilà jugés: Qui non credit, jam judicatus est (1) ; si nous

 

1 Joan., III, 18.

 

le croyons, nous nous jugeons et nous nous condamnons nous-mêmes. Si nous ne le croyons pas, il n'y a point de Sauveur pour nous ; et si nous le croyons, il y en a un, mais pour notre confusion. Car souvenons-nous, Chrétiens, que ce Dieu fait homme est en même temps, selon l'oracle du saint pontife Siméon, pour la ruine des uns et pour la résurrection des autres : Positus est in ruinam et in resurrectionem multorum (1). Il s'est incarné pour nous sauver ; mais il pourra bien arriver, par l'abus que nous faisons de ses grâces , qu'il se soit incarné pour nous perdre. Or, s'il doit jamais contribuer à la perte de quelques pécheurs, comme l'Evangile nous l'assure , sur qui doit-on présumer que tomberont ses anathèmes, si ce n'est pas en particulier sur ces chrétiens sensuels, sur ces voluptueux impénitents et obstinés dans leur péché? Ah! Seigneur, ne permettez pas qu'une si funeste prédiction se vérifie jamais en nous, et que les mérites de votre vie mortelle, qui, dans les vues de votre infinie miséricorde, doivent servir à notre salut, par un châtiment de votre redoutable justice servent à notre malheur éternel ! Et vous, Vierge sainte et toute pure, puissante médiatrice des hommes, et leur mère, puisque vous êtes la mère d'un Dieu-Homme, en nous donnant ce Sauveur que vous portez dans votre sein virginal, et qui vient nous racheter, aidez-nous à recueillir les fruits d'une si abondante rédemption, afin que, par les grâces dont votre Fils adorable est la source et dont vous êtes la dispensatrice, nous puissions parvenir à la bienheureuse éternité, où nous conduise, etc.

 

1 Luc, II, 34.

 

 

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