PASSION DE JÉSUS-CHRIST II

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DEUXIÈME SERMON SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST.

ANALYSE.

 

Sujet. C’est aujourd'hui le jugement du monde; c'est maintenant que le prince du monde va être chassé ; et quand on m'aura élevé de la terre, j'attirerai tout à moi. Ce qu'il disait pour marquer de quel genre de mort il devait mourir.

 

Le jugement du monde, dans la passion de Jésus-Christ, c'est le mystère que nous avons à considérer.

Division. Jésus-Christ jupe par le monde : première partie. Le monde jugé par Jésus-Christ : deuxième partie.

Première partie. Jésus-Christ jugé par le monde : 1° au tribunal de Caïphe, qui fut le tribunal de la passion; 2° au tribunal d'Hérode, qui fut le tribunal du libertinage ; 3° au tribunal de Pilate, qui fut le tribunal de la politique.

1° Au tribunal de Caïphe, qui fut le tribunal de la passion : pourquoi? 1° parce que ce fut la passion seule qui présida à ce premier jugement, car ce furent les ennemis de Jésus-Christ, les pontifes, les scribes, les pharisiens, qui, contre toutes les lois de l'équité, se déclarèrent alors ses juges; 2° parce que, dans ce premier jugement, on n'observa point d'autres procédures que celles que la passion suggéra ; savoir : la violence, l'imposture, la calomnie ; 3° parce que la passion seule exécuta ce jugement si inique. A peine le grand prêtre a-t-il prononcé que Jésus-Christ est digne de mort, que ses juges mêmes se mettent à l'insulter et l'outrager. Ils font plus : ils persuadent au peuple de demander a Pilate qu'il délivre Barabbas, plutôt que Jésus-Christ. Tel est encore tous les jours le jugement du monde, jugement de passion.

2° Au tribunal d'Hérode, qui fut le tribunal du libertinage; car ce fut là  que Jésus-Christ fut méprisé,  comme il  l'est encore présentement de tant d'impies. Quatre caractères de l'impiété. 1° Curiosité : Hérode, homme sans religion, ayant entendu parler des miracles de Jésus-Christ, voulut lui en voir faire quelqu'un. 2° Ignorance : Jésus-Christ, sans faire aucun des miracles qu'Hérode attendait, en fait d'autres qui sont des miracles d'humilité, de patience, de douceur; mais Hérode ne les connaît point. 3° Mépris

 

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des choses de Dieu : Hérode ne trouvant point dans Jésus-Christ de quoi contenter sa curiosité, il le méprise. 4° Esprit railleur : Hérode, par dérision, fait couvrir Jésus-Christ d'une robe blanche, et le renvoie comme un fou. Idée parfaite du libertinage.

3° Au tribunal de Pilate, qui fut le tribunal de la politique. 1° Politique timide et faible pour les intérêts de Dieu : Pilate devait user d'autorité pour maintenir le bon droit de Jésus-Christ; mais il n'ose le faire. 2° Politique zélée pour les intérêts du monde : dès qu'il entend parler de César et du rapport que cette cause pouvait avoir avec la personne de ce prince, il témoigne de l'empressement et de l'ardeur. 3° Politique subtile et artificieuse pour accorder les intérêts de Dion avec ceux du monde : il condamne Jésus-Christ à une sanglante flagellation, espérant par là d'une part lui sauver la vie, et d'autre part satisfaire les Juifs.

4° Politique déterminée à tout pour son intérêt propre : pressé par les Juifs qui le menacent de l'empereur, il consent à tout ce qu'ils demandent, et leur abandonne Jésus-Christ. Peinture abrégée, mais bien naturelle, de la politique du siècle.

Deuxième partie. Le monde jugé par Jésus-Christ. Les mêmes signes qui paraîtront au jugement dernier, parurent à la mort de Jésus-Christ Le ciel s'éclipsa, la terre trembla, les morts ressuscitèrent, pour marquer que le Fils de Dieu, dès ce moment-là même, commençait à juger le monde. C'est aussi pour cela qu'il fut proclamé roi sur la Croix : Jesus Nazarenus rex; comme il est qualifié de roi dans la description du jugement universel. Et dans ce jugement universel, que fera-t-il autre chose que ce qu'il faisait en publiant au monde, son Evangile, et en prononçant contre les mondains ces fameux anathèmes: Vœ vobis ! Malheur à vous! Or, c'est sur la croix reprend saint Jérôme, qu'il les a fulminés solennellement et authentiquement, non par ses paroles, mais par son exemple : Malheur à vous, riches! malheur à vous, qui cherchez votre consolation en ce monde ! etc.

Trois circonstances essentielles servent de preuve à cette vérité. 1° Au jugement dernier, le signe de la croix paraîtra dans le ciel. Or, tout ce qu'elle aura alors de plus terrible et de plus convaincant contre les pécheurs, ne l'a-t-elle pas dès aujourd'hui? 2° Selon le témoignage de saint Jean, le désespoir des damnés sera de voir le Dieu qu'ils auront outragé et crucifié. Or, dès ce jour, les réprouvés du siècle et les mondains n'ont-ils pas à soutenir cette vue, et les remords qu'elle excite dans leurs coeurs ? 3° Les prophètes nous apprennent que le jour du jugement doit être singulièrement, et par excellence, le jour des vengeances du Seigneur. Or, il est d'ailleurs évident que jamais Dieu n'a bien commencé à se venger que dans la passion de Jésus-Christ, et par la passion de Jésus-Christ. D'où il s'ensuit, selon la parole d'Isaïe, que le jour de la rédemption est le jour de la vengeance, et par conséquent celui du jugement du monde.

Voulez-vous quelques effets particuliers de ce jugement? Les voici. Jésus-Christ meurt en réprouvant les uns, et en sauvant les autres; en réprouvant Judas, les Juifs, un criminel crucifié à ses côtés, jugement de rigueur; et, en sauvant un autre criminel pénitent, en convertissant des Gentils et plusieurs même de ceux qui l'ont crucifié, jugement de faveur. Tâchons à mériter nous-mêmes un jugement favorable.

 

Nunc judicium est mundi : nunc princeps hujus mundi ejicietur forat : et ego si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad me ipsum. Hoc autem dicebat significans qua morte esset moriturus.

 

C'est aujourd'hui le jugement du monde : c'est maintenant que le prince du monde va en être chassé : et quand on m'aura élevé de la terre, j'attirerai tout à moi. Ce qu'il disait pour marquer de quel genre de mort il devait mourir. (Saint Jean, chap. XII, 33.)

 

SIRE,

 

C'est ainsi que le Sauveur du monde parlait de lui-même, et qu'entretenant ses disciples de ce qui devait lui arriver, il leur déclarait tout à la fois, par un esprit prophétique, trois grands mystères renfermés dans celui de sa passion et de sa mort : le jugement du monde commencé, le prince du monde chassé, le Fils de l'Homme élevé, et attirant à soi tout le monde. De ces trois mystères et de ces trois oracles prononcés par Jésus-Christ, nous en voyons déjà deux sensiblement accomplis. Le Fils de l'homme élevé, et attirant tout à lui : car quelle vertu la croix, où nous le contemplons en ce saint jour, n'a-t-elle pas eue pour lui attirer les cœurs? De cette croix qui l'a élevé de la terre, combien de sectateurs de sa doctrine, combien d'imitateurs de ses vertus, combien de confesseurs de son nom, combien de martyrs, témoins irréprochables de la vérité de sa religion, combien de disciples zélés pour sa gloire ; disons mieux, combien de peuples, combien de royaumes et d'états n'a-t-il pas gagnés et soumis à son Evangile ? Et ego si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad meipsum. Le prince du monde chassé : car, en vertu de ce mystère de la croix, combien de temples ont été renversés, combien d'idoles brisées, combien de faux sacrifices abolis, combien d'erreurs confondues, combien de superstitions détruites, combien d'infidèles convertis, combien de pécheurs sanctifiés? Tout cela aux dépens du prince du monde, et de ce fort armé que le Fils de Dieu, plus puissant encore et plus fort, est venu combattre, non par la force néanmoins et par la puissance, mais par la faiblesse et par l'infirmité : Nunc princeps hujus mundi ejicietur foras. Il ne reste donc plus que le jugement du monde, et c'est l'important mystère que j'ai choisi pour sujet de ce discours. Jésus-Christ nous assure que ce jugement du monde a commencé dans sa passion : Nunc judicium est mundi ; et c'est ce que j'entreprends de justifier, après que nous aurons rendu à la croix, qui fut l'instrument de toutes ces merveilles, les devoirs ordinaires, en lui adressant la prière de l'Eglise : O crux ! ave.

Que celui qui est Dieu, et sans usurpation égal à Dieu, juge le monde et le condamne, c'est l'ordre naturel et inviolable ; mais que le monde entreprenne de juger et de condamner un Dieu, c'est le renversement de l'ordre et le comble même de tous les désordres. Il appartient, dit saint Ambroise, au supérieur

 

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de juger, et à l'inférieur d'être jugé. Pour juger, il faut avoir l'autorité ; et pour être jugé et condamné, il faut être dépendant et criminel. lie monde était le criminel et le sujet, et Jésus-Christ était le Juste et le souverain. C'était donc Jésus-Christ qui devait juger le monde, et non pas le monde qui devait juger Jésus-Christ. Cependant, mes chers auditeurs, nous voyons ici l'un et l'autre ; et le mystère des souffrances du Sauveur n'est qu'une preuve sensible et convaincante de cette parole que j'ai prise pour mon texte, et qui s'est vérifiée à la lettre dans le double sens que je lui vais donner : Nunc judicium est mundi. C'est aujourd'hui le jugement du monde : pourquoi ? parce que c'est aujourd'hui que le Fils de Dieu, par un secret impénétrable de sa sagesse et de sa charité divine, s'est soumis à être jugé et condamné par le monde; et parce que c'est aujourd'hui que le monde, par un retour nécessaire et inévitable, a été malgré lui condamné et jugé par le Fils de Dieu. Deux juges et deux coupables tout à la fois ; ou plutôt un coupable érigé en juge, et un juge dégradé jusqu'à la condition de coupable : un faux juge, et un vrai coupable qui est le monde ; un coupable apparent, et un juge légitime qui est Jésus-Christ : tous deux prononçant, tous deux décidant, tous deux, par une opposition mutuelle et bien surprenante, se réprouvant. Deux jugements dans la vue desquels je puis m'écrier d'abord avec le Prophète royal : Judicia tua abyssus multa (1) ; Ah ! Seigneur, que vos jugements sont profonds ! Soit que je considère celui que le monde a porté contre vous, soit que je médite celui que vous avez porté contre le monde, tous deux me paraissent de vastes abîmes : l'un de péchés, l'autre de vertus; l'un d'horreurs et d'iniquités, l'autre de grâce et de sainteté. Abîme d'iniquités, dans le jugement où je vois le Saint des saints condamné par des pécheurs : abîme de sainteté , dans le jugement où je vois les pécheurs condamnés par les exemples d'un Dieu mourant. En deux mots , Chrétiens , Jésus-Christ jugé par le monde, et le monde jugé par Jésus-Christ : c'est tout le sujet de votre attention.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Ce n'est pas sans un dessein de Dieu particulier que Jésus-Christ, qui devait être le juge de toutes les conditions des hommes, a voulu être jugé par des hommes de toutes les conditions. Le Juif et le Gentil, dit saint Chrysotome,

 

1 Psalm., XXXV, 7.

 

le laïque et le prêtre, le pontife et le magistrat, le sujet et le roi, le peuple et la cour, tous l'ont condamné, parce qu'ils devaient tous être jugés par lui; et quand nous voyons cet Homme-Dieu conduit de tribunal en tribunal pour éprouver l'iniquité des divers jugements du monde, nous ne devons pas le considérer comme un coupable qui les doit subir, mais comme un Dieu qui va les confondre. Il parut devant trois différents tribunaux, celui de Caïphe, celui d'Hérode, et celui de Pilate : celui de Caïphe où son innocence fut opprimée, celui d'Hérode où sa sainteté fut méprisée, celui de Pilate où sa cause fut trahie et abandonnée : celui de Caïphe que j'appelle le tribunal de la passion, celui d'Hérode que j'appelle le tribunal du libertinage, celui de Pilate que j'appelle le tribunal de la politique. Trois jugements du monde auxquels Jésus-Christ a bien voulu se soumettre, et dont je vais vous représenter l'injustice : écoutez-moi, s'il vous plaît.

Les soldats, dit le texte sacré, s'étaient rendus maîtres de Jésus-Christ, et l'ayant pris dans le jardin, le menèrent d'abord chez Caïphe, et là les docteurs de la loi et les anciens du peuple étaient assemblés : Tenentes Jesum, duxerunt ad Caipham,principem sacerdotum, ubi scribœ et seniores convenerant (1). Voilà le premier tribunal où le Fils de Dieu fut présenté, et où les hommes portèrent contre lui un jugement que j'appelle jugement de passion. Pourquoi? appliquez-vous à ma pensée : parce que ce fut un jugement auquel la passion seule présida ; un jugement où l'on n'observa point d'autres procédures que celle que la passion y employa ; et ce qui est encore plus inique, un jugement que la seule passion exécuta : Nunc judicium est mundi (2).

La passion seule y présida : car c'étaient les ennemis de Jésus-Christ, qui, contre toutes les lois de l'équité , se déclarèrent alors ses juges. Les mêmes qui l'avaient hautement persécuté, les mêmes qui, par un dessein formé, avaient entrepris de le faire périr, les mêmes qui étaient connus dans Jérusalem par leur l’animosité et leur haine contre lui, ce furent ceux qui prirent séance pour décider de sa cause. Ils avaient la rage dans le cœur; une maligne envie les piquait et les irritait : possédés de ce démon, ils méditaient une vengeance d'éclat, et c'est dans cette disposition qu'ils tinrent conseil. A quoi pensons-nous? disaient-ils. On ne parle plus que des miracles de cet homme, tout le monde

 

1 Matth., XXVI, 57. — 2 Joan., XII, 31.

 

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court après lui, le peuple l'écoute comme un prophète, et si nous le souffrons plus longtemps, il nous détruira : il vaut donc mieux le prévenir ; et puisque sa ruine est le seul moyen nécessaire pour empêcher la nôtre , il faut nous hâter de le perdre. C'est ainsi que raisonnaient ces esprits prévenus et envenimés. Le Fils de Dieu était pour eux un concurrent importun. Les pharisiens se tenaient mortellement offensés de ce qu'il découvrait leur hypocrisie ; les scribes, les savants de la Synagogue, de ce que leur doctrine était moins approuvée que la sienne; les pontifes et les prêtres, de ce qu'il était plus honoré qu'eux; et parce qu'ils désespéraient de pouvoir obscurcir sa réputation, ils l'attaquent lui-même , et travaillent à l'opprimer. Mais il fallait un prétexte : ah ! mes chers auditeurs, la passion en manqua-t-elle jamais? et quand elle n'en aurait point d'autre , le masque de la piété n'a-t-il pas été de tout temps le voile spécieux dont elle a su se couvrir? Ils font passer cette conjuration pour un vrai zèle : Caïphe la leur propose comme un expédient nécessaire pour le bien et le salut du peuple, c'est-à-dire qu'il les engage au plus grand de tous les sacrilèges , comme à un acte de religion et de charité. Ainsi, les mesures prises pour faire réussir leur attentat, ils commencèrent à éclater , mais avec une violence , ou , pour mieux dire , avec une fureur qui n'eut point d'égale ; voulant que Jésus-Christ fût jugé et condamné à mort le jour même qu'on célébrait la pâque, sans respecter la solennité , sans déférer à la coutume , sans garder nulle bienséance, parce que la passion avait éteint dans eux toutes les lumières de la raison.

Mais encore quelle procédure , quelle forme observa-t-on dans ce jugement? Je vous l'ai dit : point d'autre que celle que la passion leur suggéra. Car prenez bien garde, s'il vous plaît : ils sont juges, et toute leur application est à chercher contre Jésus-Christ de faux témoignages pour le faire mourir : Principes autem sacerdotum, et omne concilium quœrebant faisant testimonium contra Jesum , ut eum morti traderent (1). Au défaut de la vérité, ils emploient l'imposture et la calomnie : d'un grand nombre d'accusateurs qui ne parlaient ni conséquemment, ni à leur gré, ils en subornent deux, dont la déposition vaine et frivole est reçue avec applaudissement. Ils pressent le Sauveur de répondre s'il n'est pas vrai qu'il s'est vanté de détruire le temple de Dieu, et de le rétablir trois jours après; et quoiqu'il se fût expliqué

 

1 Matth., XXVI, 59.

 

d'une manière à faire entendre aux plus grossiers que c'était du temple de son corps qu'il s'agissait, ils lui font, de cette marque qu'il avait voulu donner de son pouvoir, un prétendu crime. Ils l'interrogent touchant sa doctrine et ses disciples : et parce qu'il répond qu'il n'a rien dit en secret, qu'il a toujours parlé publiquement, et qu'il veut bien s'en rapporter à ceux qui l'ont entendu (réponse pleine de sagesse, d'humilité, de modestie), ils le traitent d'insolent, comme s'il eût perdu le respect qu'il devait au souverain pontife. Le grand-prêtre lui commande , par le Dieu vivant, de déclarer s'il est en effet le Christ, Fils de Dieu ; et sans autre examen , ayant tiré de lui cet aveu, il l'accuse de blasphème, il déchire ses habits, il le juge digne de mort. Jamais la passion prononça-t-elle un jugement plus irrégulier? Mais elle ne se contente pas de l'avoir prononcé , puisqu'au même temps, malgré toutes les lois de l'humanité, elle en vient à l'exécution. A peine Caïphe a-t-il conclu au nom de tous contre Jésus-Christ, que chacun d'eux, oubliant la qualité de juge, ne pense plus qu'à l'outrager et à l'insulter : les uns lui crachent au visage, les autres le chargent de coups, ceux-ci lui donnent des soufflets, ceux-là lui bandent les yeux, et, en le frappant, le détient de leur marquer et de dire quel est celui qui le trappe : Tunc expuerunt in faciem ejus, et colaphis eum ceciderunt (1).

Il semble qu'on ne pouvait rien ajouter à cet emportement. Vous vous trompez, Chrétiens, une nouvelle circonstance eut quelque chose encore de plus piquant, et mit le comble à tout le reste. C'était la coutume de délivrer au temps de la pâque un criminel : et sur le choix qu'on leur donne à faire, ou de Jésus, surnommé le Christ, ou de Barabbas, un des plus méchants hommes de la Judée, toujours également remplis de fiel, et aveuglés parla passion qui les transporte, ils persuadent au peuple de demander Barabbas , et d'abandonner Jésus. Cieux! s'écria le Prophète, en vue de cette iniquité, soyez-en saisis d'étonnement : Obstupescite, cœli, super hoc (2). Le Saint des saints est mis en parallèle avec un séditieux et un homicide : que devons-nous, après cela, penser de la fausse estime du monde ? Mais aux dépens du Sauveur, l'extravagance de l'estime du monde va bien encore plus loin ; car la chose mise en délibération, sans variété d'opinions et de suffrages, d'une commune voix Jésus-Christ est abandonné, et Barabbas absous. Un

 

1 Matth., XXVI, 67.— 2 Jerem., II, 12.

 

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scélérat infâme est préféré à l'innocence même; et ce peuple, dont les acclamations retentissaient, il y a quelques jours, à la gloire du Fils de David ; ce peuple qui le reçut comme le Messie, comme l'envoyé de son Père, comme le roi d'Israël, par un changement d'autant plus inconcevable qu'il est extrême, le met au-dessous de Barabbas, l'accable de malédictions, sollicite sa mort, et demande avec empressement et par mille cris redoublés qu'on le crucifie.

Encore une fois, Chrétiens, voila le jugement du monde : jugement de passion, et par là même jugement corrompu et réprouvé. De nous dire que c'est ainsi que nous en usons tous les jours, et que la plupart des jugements des hommes sont encore de ce caractère; des jugements où la passion domine, où elle prononce des arrêts, et où elle décide souverainement, mais cruellement, au désavantage du prochain; des jugements que forme l'aversion et l'envie, et dont les pernicieuses conséquences ne vont pas moins que celui des Juifs au renversement de toute l'équité naturelle; de nous dire qu'il nous suffit par exemple, de regarder un homme comme notre ennemi, pour ne pouvoir plus lui rendre justice, tant nous sommes alors déterminés à le censurer et à le décrier ; que du moment qu'il s'est attiré notre indignation, ou que, sans sujet, il a eu le malheur d'encourir notre disgrâce, l'effet de la passion qui nous préoccupe est de noircir dans notre esprit ses plus innocentes actions , et d'empoisonner jusqu'à ses intentions, de nous cacher ses vertus et de nous grossir ses vices ; qu'en vain il ferait des miracles, puisque ses miracles mêmes ne serviraient qu'à nous le rendre plus odieux : pourquoi ? parce que nous jugeons de lui, non par les qualités qui sont en lui, mais par la passion et la malignité qui est en nous; de vous dire que, par une indignité dont nous devons rougir, et qu'on ne peut assez nous reprocher, il n'est presque pas en notre pouvoir de conserver des sentiments raisonnables pour ceux qu'une malheureuse jalousie nous fait envisager comme nos compétiteurs, pour ceux qui prétendent aux mêmes rangs que nous, pour ceux qui sont en état de nous les disputer, beaucoup moins pour ceux qui les obtiennent et qu'on nous préfère; que par là, si nous n'y prenons bien garde, nous devenons ennemis de tout bien et capables de tout mal ; que par là, sans scrupule et sans remords, nous entrons dans des   intrigues   qui   ruinent  absolument   la charité chrétienne; que par là, faisant servir Dieu à notre injustice, ainsi que parle le Prophète, semblables aux pharisiens, nous appelons la religion au secours de notre passion, et nous regardons comme autant de sacrifices nos ressentiments et nos vengeances ; que de là naissent les médisances, de là les suppositions et les impostures, de là mille autres désordres si connus et si pernicieux dans la société des hommes; de vous dire, enfin, qu'à l'exemple des Juifs, parce que nous sommes passionnés, nous sommes non-seulement aveugles, mais inconstants, mais bizarres, mais emportés dans nos jugements : inconstants, condamnant aujourd'hui ce que nous approuvions hier, rabaissant par mépris jusqu'au néant celui que nous élevions jusqu'au ciel, disant anathème à qui, peu de jours auparavant, nous avions applaudi; bizarres,ne faisant grâce qu'à qui nous plaît, nous entêtant par caprice en faveur des uns, et nous déchaînant sans raison contre les autres, détruisant indiscrètement ou malicieusement ceux-ci pour élever injustement ceux-là ; et parce que c'est la passion qui nous fait juger, préférant les sujets les plus indignes à ceux qu'un vrai mérite rend malgré nous recommandables ; emportés, nous formant de fausses consciences pour justifier nos aigreurs, pour persécuter plus impunément le juste et pour accabler le faible; de m'étendre, dis-je, sur cette morale aussi salutaire qu'humiliante pour nous, ce serait un champ très vaste. J'ai à vous dire quelque chose encore de plus, en vous faisant voir Jésus-Christ à un autre tribunal.

Le second tribunal où comparut le Sauveur du monde, c'est celui d'Hérode et de sa cour : tribunal de l'impiété, qui, de tout temps ayant affecté de juger des œuvres de Dieu, entreprit de juger la personne de Dieu même. Ne craignons point de nous expliquer : parlant ici devant le plus chrétien de tous les rois, et le plus zélé pour sa religion, je puis hardiment, et sans aucun risque, profiter de l'avantage que me fournit mon sujet, pour vous représenter dans toute son horreur le désordre d'une cour profane et impie ; et si, parmi mes auditeurs, il y avait encore aujourd'hui de ces courtisans réprouvés, qui se font un mérite et une gloire de leur libertinage,, je sais trop les dispositions et les intentions du monarque qui m'écoule, pour ne pas seconder sa piété, en leur déclarant une guerre ouverte, et employant contre eux toute la force et toute la liberté du ministère évangélique. Hérode,

 

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homme sans religion, voit le Fils de Dieu soumis non-seulement à sa puissance, mais à son jugement. Que fait-il, tout impie qu'il est? Il reçoit d'abord Jésus-Christ avec honneur et même avec joie, dans l'espérance de lui voir faire des miracles. Ne perdez rien, s'il vous plaît, des circonstances que je marque. Au lieu des miracles que cherche Hérode, Jésus-Christ en fait d'autres devant lui, encore plus convaincants et plus touchants; mais Hérode ne les connaît pas. Frustré de son attente, il méprise cet homme, dont il avait entendu tant de merveilles : Sprevit illum cum exercitu suo (1); et par dérision il le renvoie revêtu d'une robe blanche : Illusit indutum veste alba, et remisit (2). Quatre caractères de l'impiété, et surtout de celle qui règne plus communément à la cour, savoir la curiosité, l'ignorance, le mépris des choses de Dieu, l'esprit railleur. En peut-on produire un exemple plus approchant de nos mœurs et plus sensible que celui-ci? Il y avait longtemps, dit l'évangéliste, qu'Hérode souhaitait de voir Jésus-Christ, parce qu'on lui en avait beaucoup parlé; et c'est pour cela qu'il lui fit en apparence un favorable accueil, et qu'il le prévint, l'interrogeant sur plusieurs choses : Viso Jesu gavisus est valde ; erat enim cupiens ex multo tempore videre eam, eo quod audierat multa de eo. Interrogabat autem eum multis sermonibus (3). Voilà l'esprit du monde, et en particulier l'esprit de la cour. On veut voir à la cour des hommes extraordinaires, les hommes rares et singuliers, les hommes mêmes distingués par la sainteté de leur vie. On les veut voir, non pas pour les écouter, ni pour les croire, mais pour les examiner et pour les censurer, mais pour y découvrir du faible, mais pour en rabattre l'estime; car c'est à quoi aboutit cette maligne curiosité dont le monde se pique. Comme les entrées à la cour sont toujours riantes et agréables, et que les issues en sont ordinairement tristes et funestes, c'est ce que le Sauveur éprouve lui-même : il est reçu dans la cour d'Hérode comme un prophète et comme un faiseur de miracles, mais il en sort bientôt après comme un misérable et comme un insensé : pourquoi cela? c'est que la joie qu'on témoigne de l'y voir ne vient pas d'un désir sincère d'apprendre de sa bouche les vérités éternelles, mais d'un esprit vain et curieux qui ne cherche qu'à se satisfaire. Or, il est injurieux à Dieu, dit admirablement saint Augustin, de servir de sujet à la vanité et à la curiosité

 

1 Luc., XXIII, 11. — 2 Ibid. — 3 Ibid., 9.

 

de l'esprit de l'homme; et c'est en quoi l'homme est impie, de vouloir contenter sa raison aux dépens de la majesté de Dieu, ou plutôt de vouloir soumettre la majesté de Dieu au jugement de sa raison, au lieu de suivre l'ordre contraire, en soumettant, par la foi, sa raison et son jugement à l'Esprit de Dieu.

De plus, Hérode espéra que Jésus-Christ ferait quelque miracle en sa présence, et il le désira avec passion : Sperabat signum aliquod videre ab eo fieri (1). Autre caractère de l'infidélité du siècle : on veut voir des miracles, et sans cela on ne veut rien croire : Nisi signa et prodigia videritis, non creditis (2). Mais Jésus-Christ, bien loin de s'accommoder en ceci au caprice et au goût de l'impiété, la laisse dans son endurcissement et la confond, suspendant les effets de cette vertu divine dont il avait donné en tant de rencontres des marques éclatantes, et ne voulant pas prodiguer, pour ainsi dire, sa toute-puissance au gré et selon les idées d'un esprit mondain. S'il eût fait un miracle devant Hérode, peut-être Hérode se serait-il converti : mais il aime mieux, (ô profondeur et abîme des conseils de Dieu!) il aime mieux qu'Hérode périsse, que d'autoriser dans la personne de ce prince une curiosité directement opposée à l'humilité de la vraie religion. Il a fait, dit saint Chrysostome, des miracles pour seconder la foi des peuples, il en a fait pour soulager les misérables, il en a fait pour exaucer les pécheurs; mais il n'en fera point pour déférer à l'incrédule et au libertin : et en cela, mon Dieu, paraît votre gloire, aussi bien que votre sagesse ; en cela même vos serviteurs trouvent un fonds de consolation pour eux. Il a fait des miracles dans les bourgades de la Judée et de la Galilée, et il n'en veut point faire à la cour. Ah! mes Frères, reprend saint Chrysostome, n'est-ce point parce que la cour en est indigne, et qu'il était de l'honneur et de la sainteté de Jésus-Christ, la voyant dans cette corruption entière et de mœurs et de créance, de la dédaigner? Ainsi, en cessant même de faire des miracles, cet Homme-Dieu montre-t-il ce qu'il est, et réprouve-t-il le jugement du monde. Mais encore, direz-vous, pourquoi refuse-t-il ce remède à l'impiété? et puisque l'impiété ne peut être convaincue que par les miracles, pourquoi ne condescend-il pas à sa faiblesse? Pour deux raisons, qu'en apporte saint Grégoire pape : premièrement, parce que l'impiété, indépendamment des miracles, n'a d'ailleurs que trop de lumière pour se convaincre, et qu'il

 

1 Luc, XXIII, 8 — 2 Joan., IV, 48.

 

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n'est pas juste que Dieu s'oblige à employer des moyens extraordinaires, tandis qu'il nous en fournit d'autres suffisants, mais dont nous abusons par notre malice; secondement, parce que tout impie et tout libertin qui demande des miracles pour se convertir, n'en serait pas moins libertin ni moins impie après les avoir vus, et qu'ayant étouffé dans son cœur toutes les lumières de la raison et de la foi, il saurait bien encore, pour se maintenir dans la possession de son libertinage, éluder la preuve que formeraient contre lui les miracles, en les attribuant, soit à l'illusion des sens et à l'art magique, soit à toute autre vertu occulte, mais naturelle.

Tel était l'état d'Hérode, telle était la situation de son esprit, et telle est celle de tous les esprits prétendus forts que je combats. Car le Sauveur, encore une fois, pratiquant lui-même ce qu'il avait enseigné, ne voulut point, selon l'expression de l'Ecriture, donner aux chiens les choses saintes, et faire des miracles dont il n'y avait nul fruit à attendre. Que dis-je , Chrétiens? Jésus-Christ lit des miracles en présence d'Hérode, mais il en lit qu'Hérode ne connut pas, et dont son ignorance, compagne inséparable de l'impiété, ne lui permit pas de faire le discernement, car la curiosité d'Hérode allait à voir des miracles de puissance , des miracles de grandeur, des miracles de gloire et d'éclat; et Jésus-Christ, par une opposition à l'esprit du monde, qu'il soutint jusqu'à l'extrémité et aux dépens de lui -même, lui lit voir des miracles d'humilité, des miracles de charité et de douceur : miracles que le monde ignore, et qu'il fait profession de méconnaître; et c'est en cela que consiste la dépravation de son jugement. Car, si Hérode eût bien raisonné, cette modestie d'un homme que tant de miracles avaient rendu célèbre et vénérable, ce silence si constant, ce refus de se justifier, cet abandon de sa propre cause et par conséquent de sa vie. cette tranquillité et cette patience au milieu des outrages et des insultes, cette fermeté à les souffrir sans se plaindre, tout cela lui aurait paru quelque chose de plus surnaturel et de plus divin que les miracles mêmes qu'il avait souhaité de voir. Et en effet, c'est par là qu'un de ces deux criminels crucifiés avec Jésus-Christ fut non-seulement touché, mais persuadé et converti. La force héroïque et surprenante avec laquelle il vit le Sauveur sur la croix recevoir les injures et les pardonner, prier pour ses persécuteurs et les recommander à son Père, lui fit conclure qu'il y avait en lui quelque chose au-dessus de l'homme, et que quiconque mourait de la sorte ne mourait pas en homme, mais en Dieu. Ainsi en jugea-t-il; et ce ne put être que l'Esprit de Dieu, qui, élevant sa raison et la fortifiant, lui donna cette vue supérieure à toutes les vues humaines. Mais le monde en juge tout autrement : ces miracles de patience n'y sont n'y reconnus , ni goûtés, bien loin de les tenir pour des miracles, il les regarde comme des marques de faiblesse; et c'est en quoi, remarque suint Grégoire, pape, parait visiblement l'ignorance du monde, de ne vouloir pas convenir qu'il y a plus de force et plus de vertu à pardonner qu'à se venger, à s'immoler qu'à se sauver, à se taire qu'à se défendre. Quoi qu'il en soit, Jésus-Christ se laisse condamner par ce jugement du monde perverti, plutôt que de l'autoriser en faisant des miracles contraires à l'ordre de son Père. Il choisit plutôt, ajoute saint Jérôme, de périr lui-même et de sauver le monde par les miracles de sa charité, que de satisfaire le monde et de se glorifier lui-même par des miracles de sa propre volonté.

De là Hérode ne trouvant pas dans Jésus-Christ de quoi contenter sa curiosité, il le méprise : troisième caractère de l'esprit libertin du monde : Sprevit illum Herodes cum exercitu suo (1). Hérode avec sa cour; observez, s'il vous plaît, cette parole : avec sa cour. Car que ne peut point l'exemple d'un roi, pour imprimer à toute une cour les sentiments de mépris ou de respect dont il est prévenu à l'égard de Dieu? et, selon les lois du monde, que doit-on attendre autre chose de ceux que leur naissance, leur emploi, ou quelque autre engagement attachent à la cour, sinon qu'emportés par le torrent ils se fassent un mérite, si le maître qu'ils servent est impie, de l'être comme lui? L'usage du monde ne va-t-il pas là? et quand par sa miséricorde Dieu nous donne un roi qui respecte sa religion, et qui veut que sa religion soit respectée, vous, mes chers auditeurs, qui, quoique courtisans, êtes chrétiens, et qui, lorsqu'il s'agit d'être chrétiens, devez peu estimer d'être courtisans, ne devez-vous pas regarder un don si précieux comme une des grâces les plus singulières? Hérode méprisa Jésus-Christ, et plût à Dieu que Jésus-Christ n'eût jamais été méprisé que dans la cour d'Hérode! c'était la cour d'un roi infidèle; et ma douleur est que, de la cour d'un roi infidèle, cette impiété et ce mépris de Jésus-Christ

 

1 Luc, XXIII, 11.

 

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a passé dans les cours des princes chrétiens. Enfin dernier caractère du libertinage, Hérode joint au mépris la raillerie la plus outrageante. Le Verbe de Dieu, la sagesse éternelle de Dieu lui sert de jouet, et il donne Jésus-Christ en spectacle à toute sa cour et à tout le peuple, le faisant couvrir d'une robe blanche et le renvoyant comme un fou : Indutum veste alba (1). Telle est la ressource la plus ordinaire du libertin, et sa plus forte défense : un esprit railleur. Vous aurez beau vous appuyer des raisonnements  les   plus   solides ,  pour  convaincre un de ces esprits malignement enjoués et agréables; une vaine plaisanterie lui tiendra lieu de réponse : et parce que ceux qui l'écoutent ne sont souvent ni mieux instruits ni mieux disposés que lui, on s'attachera plutôt à un mot qu'il dira et qu'il saura assaisonner d'un certain sel, à un conte qu'il inventera, à un trait vif qui lui échappera, qu'aux solides vérités que vous voudrez lui faire comprendre. Esprit opposé à l'Esprit de Dieu, surtout lorsqu'il s'attaque aux choses saintes : on traite de folie les plus sages maximes de l'Evangile, et d'amusements frivoles les plus salutaires pratiques du christianisme. Esprit le plus difficile à guérir, parce qu'il ne peut être guéri que par de sérieuses réflexions, et qu'on se fait de tout un badinage et un jeu. Esprit de la cour, où la conduite d'un homme de bien n'est souvent regardée que comme superstition, que comme vision, que comme simplicité, pusillanimité, lâcheté. Reprenons. Voilà donc Jésus condamné au tribunal de la passion, condamné au tribunal du libertinage ; il ne lui reste plus que de l'être au tribunal de la politique : c'est celui de Pilate.

Quel autre que Pilate devait, dans un abandon si général, se déclarer le protecteur de l'innocence? Mais ce fut au contraire la malheureuse politique de Pilate qui acheva de sacrifier l'innocence du Fils de Dieu, en portant l'arrêt de sa condamnation. Politique (remarquez bien ceci, Chrétiens), politique timide et faible pour les intérêts de Dieu ; politique ardente et zélée pour les intérêts du monde, politique subtile et artificieuse, pour accorder les intérêts du monde avec ceux de Dieu ; politique déterminée à tout pour son intérêt propre. Puis-je vous en faire une peinture plus naturelle, et ne la connaissez-vous pas à ces traits? Je dis politique timide et faible pour les intérêts de Dieu ; car il devait user de son autorité absolue pour maintenir le bon droit

 

1 Luc, XXIII, 11.

 

de Jésus-Christ, dont il était persuadé ; il devait résister hautement à la violence des Juifs : mais il voulut les adoucir, il craignit de les choquer, il ménagea leurs esprits. Il devait leur dire : Vous êtes des imposteurs, et c'est injustement que vous accusez cet homme ; mais il voulut les gagner par voie de remontrance : et, pour les flatter, il consentit même qu'ils jugeassent le Fils  de Dieu selon leur loi : Accipite eum vos, et secundum legem vestram judicate (1). Je dis politique zélée pour les intérêts du monde : car dès qu'il entendit parler de César , et du rapport que cette cause pouvait avoir à la personne de ce prince, il rentra dans la salle de l'audience, il fit paraître de l'empressement et de l'ardeur, il recommença l'interrogatoire, il ne témoigna plus à Jésus-Christ la même bienveillance ; au contraire, il lui parla avec empire, il L'intimida, il le menaça, pour montrer combien il avait à cœur tout ce qui regardait les intérêts de César, et combien il déférait à ce seul nom. Je dis politique subtile et artificieuse, pour accorder les intérêts de Dieu avec ceux du monde : voilà pourquoi il condamna Jésus-Christ à une sanglante   et honteuse flagellation , espérant par là d'une part lui sauver la vie, et de l'autre contenter les Juifs ; mais ne prenant pas garde qu'en voulant contenter les Juifs, il faisait le dernier outrage à Jésus-Christ, et qu'en voulant sauver Jésus-Christ, il ne contenterait jamais les Juifs. Je dis politique déterminée à tout pour son intérêt propre : car les Juifs le pressant toujours,  et lui déclarant que, s'il hésitait à prononcer l'arrêt de mort, ils regarderaient ce refus comme un attentat contre l'empereur, il consentit à tout ce qu'ils lui demandèrent, aimant mieux perdre Jésus-Christ que de se perdre soi-même, et conserver sa fortune que de conserver sa conscience et son honneur.

Encore une fois, Chrétiens, ne voilà-t-il pas dans la personne de ce juge, ministre de l'iniquité, une peinture achevée de la politique du siècle? Car, prenez garde que ce ne fut point l'ignorance de Pilate qui le porta à une telle extrémité ; ce ne fut point la préoccupation de son esprit, ni la malice de son cœur, mais ce fut une fausse prudence ; et il ne parut en cette occasion le plus injuste et le plus corrompu des hommes, que parce qu'il était un sage mondain. Il avait pour Jésus-Christ les intentions les plus droites, il cherchait les moyens de le délivrer, il protesta plus d'une fois qu'il ne

 

1 Joan., XVIII, 31.

 

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trouvait point de crime en lui; et, pour s'en déclarer plus hautement, il lava ses mains devant le peuple en disant : Je suis innocent de la mort de cet homme. Cependant c'est lui qui l'a sacrifié : pourquoi? parce qu'il n'eut pour le Fils de Dieu que de bonnes intentions, et rien de plus. Or, avec de bonnes intentions (observez cette réflexion de saint Augustin, si propre ou à vous édifier, ou à vous faire trembler), avec de bonnes intentions, on peut faire et on fait tous les jours les plus grands maux ; avec de bonnes intentions, on commet des injustices énormes; avec de bonnes intentions, on se damne et on se perd. Et tel est, mes chers auditeurs, le désordre, ou, si vous voulez, le malheur des grands. Dieu leur ayant donné des âmes nobles et naturellement vertueuses, ils ont, aussi bien que Pilate, de bonnes intentions; et si ces intentions étaient secondées, quels biens ne feraient-ils pas et quels maux nom pécheraient-ils pas? Mais parce qu'ils en demeurent là, c'est-à-dire parce que ce ne sont que des intentions qu'une faiblesse pitoyable rend vaines et inutiles, et qui, n'étant pas à l'épreuve de la politique du siècle, ne sont suivies de nul effet; avec ces bonnes intentions, ils se trouvent chargés devant Dieu d'un nombre infini de péchés, qu'ils commettent à tous moments, sans se les imputer jamais; d'autant plus criminels qu'ils ne sont pas seulement responsables de leurs propres iniquités, mais des iniquités d'autrui, et que les intentions qu'ils ont eues de faire le bien et de s'opposer au mal les condamnent par eux-mêmes, parce que les ayant eues sincèrement, et ne les ayant jamais eues efficacement, ils se sont eux-mêmes jugés, et ont employé contre eux-mêmes l'intégrité de leur raison et la droiture de leur cœur. On sait assez que ce que je dis est l'écueil de leur condition, et l'un des endroits par où, malgré leur grandeur, ils sont plus à plaindre. On sait que ceux qu'ils écoutent, et qui, abusant de leur confiance, servent d'obstacles à leurs justes intentions, sont encore plus coupables qu'eux, mais cela les justifie-t-il, et de bonnes intentions, anéanties ou par de pernicieux conseils, ou par une sagesse humaine, peuvent-elles leur tenir lieu d'une légitime réparation auprès du prochain qui en a souffert?Non, Chrétiens, point d'excuse en cela pour eux. Ils ont beau dire, comme Pilate : Innocens ego sum a sanguine justi hujus (1) ; ils ont beau, comme lui, se laver les mains de tant d'injustices et de violences; dès qu'elles sont autorisées de leur

 

1 Matth , XXVII, 24.

 

nom, ils en doivent être garants; et quelque louange qu'ils se donnent d'avoir été bien intentionnés, on leur dira toujours : Sanguis ejus super vos (1). Oui, vous étiez bien disposés ; mais le sang de ce pauvre que vous avez laissé opprimer, mais le sang de cette veuve que vous avez abandonnée, mais le sang de ces misérables dont vous n'avez pas pris la cause en main, ce sang, dis-je, retombera sur vous, et vos bonnes dispositions rendront leur voix plus forte, pour demander à Dieu vengeance de votre infidélité.

Ah ! Chrétiens, n'attirez pas sur vous une si affreuse malédiction ! L'avantage de vos conditions, si vous voulez bien le reconnaître, c'est que votre honneur, selon les idées mêmes du monde, est attaché à votre conscience, et que votre conscience est inséparable de votre honneur; que vous ne pouvez renoncer à l'un sans renoncera l'autre, et que par là les seules vues du monde même vous mettent dans une heureuse nécessité d'agir en chrétiens. Quoi qu'il en soit, soyez zélés pour Dieu, et Dieu le sera pour vous ; intéressez-vous pour Dieu , et Dieu s'intéressera pour vous ; exposez-vous, et, s'il est nécessaire, perdez-vous pour Dieu, et Dieu fera des miracles pour vous. Voilà ce qu'un apôtre appelle la religion pure et sans tache; et voilà ce que vous devez établir comme le fondement essentiel de toute votre conduite. Rendez à César ce qui est dû à César, c'est-à-dire aux hommes ce qui est dû aux hommes, aux grands ce qui est dû aux grands ; mais ne séparez jamais ce que vous leur devez de ce que vous devez à Dieu ; et souvenez - vous de la belle maxime de saint Jérôme, que tous les intérêts de César sont bien les intérêts de Dieu, mais que les intérêts de Dieu ne sont pas toujours ceux de César. Si vous vous faites, mon cher auditeur, l'esclave des hommes aux dépens de votre conscience, en se servant de vous ils vous mépriseront : mais, en chrétien et en homme de bien, faites votre devoir, au hasard de leur déplaire ; quand ils vous haïraient, ils vous honoreront. Or, il vaut encore mieux être honoré d'eux, quoique haï en faisant son devoir, que d'en être aimé et méprisé en ne le faisant pas. Que dis-je? si vous le faites constamment, et qu'ils en soient persuadés, ils vous aimeront et vous honoreront tout ensemble, et votre probité connue vous attirera de leur part plus d'estime et plus de confiance, qu'un dévouement lâche et sans bornes à toutes leurs volontés. Craignez de leur déplaire, j'y consens,

 

1 Joan., XII, 31.

 

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et vous le devez ; mais ne le craignez jamais quand il faudra leur déplaire pour ne pas déplaire à Dieu. Telle est la vraie piété. Par là, vous vous préserverez de la corruption des jugements du monde, et par là vous éviterez la rigueur du jugement de Dieu, jugement commencé dans la passion et à la mort de Jésus-Christ, comme vous l'allez voir dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Ce n'est pas sans raison, Chrétiens, mais par une providence de Dieu toute particulière, que les mêmes signes qui doivent précéder le jugement universel parurent visiblement et distinctement à la mort de Jésus-Christ, puisqu'il est de la foi que la mort de Jésus-Christ fut comme la première scène de ce jugement général du monde, ou, pour parler plus simplement, puisqu'elle fut déjà le jugement même du monde : Nunc judicium est mundi (1). Il y aura, disait le Sauveur instruisant ses apôtres, et les préparant à ce dernier jour qui doit décider du sort de tous les hommes, il y aura des prodiges dans la nature : le soleil s'obscurcira, la terre tremblera, tous les éléments seront dans la confusion, les morts sortiront de leurs tombeaux, et alors on verra le Fils de l’Homme venir sur une nuée, avec une grande puissance et une grande majesté. Pour vous , ajoutait ce divin Maître, parlant dans la personne de ses disciples à tous les fidèles, quand ces choses arriveront, ne craignez point, mais levez la tète, parce que votre rédemption approchera. Or, sans attendre la fin du monde, nous voyons déjà toutes ces choses arrivées, et nul de ces signes n'a manqué à la passion de Jésus-Christ. Car au moment qu'il expira, le soleil, par le miracle le plus étonnant, et contre toutes les lois de la nature, parut éclipsé ; la terre, par un prodigieux tremblement, fut ébranlée ; les pierres se fendirent, les sépulcres s'ouvrirent, les corps de plusieurs saints, ensevelis dans le sommeil de la mort, ressuscitèrent. N'était-il donc pas évident alors que le jugement du monde commençait? Il ne restait plus que de voir le Fils de l'Homme assis sur la nuée qui lui doit servir de trône ; mais au lieu de le voir sur cette nuée, on le voyait sur la croix ; et la croix était le premier tribunal où, comme juge de l'univers, il devait prononcer des arrêts de vie et de mort : de vie en faveur des élus, de mort contre les réprouvés : O ineffabilis gloria passionis, in qua et tribunal

 

1 Joan., XII, 31.

 

Domini, et judicium mundi, et potestas est crucifixi ! s'écrie le savant pape saint Léon : O passion adorable et mystérieuse, qui nous a fait voir par avance, et même qui nous a fait sentir la rigueur infinie du jugement que nous attendons, la sainteté du maître devant qui nous devons comparaître, et le pouvoir suprême de ce Dieu crucifié, qui, tout mourant qu'il était, ne laissait pas, selon saint Paul, d'être le Dieu vivant entre les mains duquel il est terrible, mais infaillible de tomber!

C'est pour cela, dit saint Augustin (et cette remarque est essentielle à mon sujet), c'est pour cela que Jésus-Christ, malgré l'opposition des Juifs, et par une destinée bien surprenante, fut proclamé roi sur la croix : Et imposuerunt super caput ejus causam ipsius scriptam : Hic est Jesus Nazarenus rex (1). Qualité qui lui avait été disputée jusqu'alors, mais qui lui fut juridiquement accordée : pourquoi? parce que c'était là qu'il commençait à exercer la fonction déjuge; car qui dit roi dit juge absolu, juge né, juge sans appel et en dernier ressort : d'où vient que dans la description du jugement, je dis de celui qui se fera à la fin des siècles, l'évangéliste ne donne point au Fils de Dieu d'autre titre que celui de roi : Tunc dicet rex his qui a sinistris ejus erunt (2). Prenez garde, mes Frères, continue saint Augustin : roi au Calvaire, et roi sur le Thabor dans son dernier avènement, parce que c'est au Calvaire qu'il a usé premièrement du pouvoir de juger que lui avait donné le Père céleste, et sur le Thabor qu'il en doit finir l'exercice. Approfondissons cette importante vérité ; car ce qui rendra le jugement de Dieu si terrible, ce ne seront point ces signes extérieurs dont l'évangéliste nous fait une si vive peinture, mais la venue d'un Dieu Sauveur, transformé dans un Dieu vengeur, dans un Dieu animé de colère, et armé de foudres pour les lancer sur les pécheurs. Or, de même en est-il du redoutable mystère de la passion que nous célébrons. Que le soleil s'obscurcisse, et que les étoiles tombent du ciel, disait éloquemment saint Chrysostome, ce n'est point ce qui me trouble quand je pense au jugement dernier; mais le sujet de ma crainte et de ma frayeur, c'est de penser que le même Dieu qui m'a sauvé descendra en personne pour me juger. Ainsi parlait ce saint docteur; et moi, parla même raison, je dis aujourd'hui : Que la terre tremble et que les pierres se fendent, ce n'est point là de quoi je suis touché; mais ce qui me pénètre et ce qui me saisit, à la vue de

 

1 Matth., XXXII, 37. — 2 Ibid., XXV, 41.

 

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Jésus-Christ expirant, c'est la réflexion que je fais, non-seulement que le même Dieu qui me sauve et qui meurt pour moi est celui qui me jugera et qui me condamnera, mais qu'il me condamne actuellement, et qu'actuellement il me juge en me sauvant et en mourant pour moi. Voilà, si j'ai le don d'intelligence, et si je sais discerner les œuvres de Dieu, ce qui doit me faire frémir.

Car il est vrai, mes chers auditeurs, que ce Dieu, devant qui nous craignons tant vous et moi de répondre, quelque sévère et quelque inflexible que nous le concevions, ne prononcera contre les hommes d'autres arrêts de réprobation que ceux qu'il aura prononcés et signés de son sang, en accomplissant l'ouvrage de notre rédemption. Il est vrai que si son jugement doit être exact et rigoureux, c'est par le rapport qu'il aura à son crucifiement et à sa mort. Enfin, il est vrai que la dernière malédiction qu'il donnera aux pécheurs de la terre, quand il leur dira : Retirez-vous de moi, maudits, ne sera qu'une ratification générale de toutes les malédictions particulières qu'il aura données en mourant aux ennemis de sa croix. En effet, que fera-t-il lorsqu'il jugera les vivants et les morts? Ce qu'il faisait en publiant au monde son Evangile, et en fulminant contre les mondains ces fameux anathèmes, quand il disait : Vœ vobis (1) ! Malheur à vous ! Or, c'est sur la croix, reprend saint Jérôme, qu'il les a fulminés solennellement et authentiquement ; c'est sur la croix qu'il a eu droit de dire, et qu'il a dit : Vœ mundo (2) ! Malheur à vous, âmes sensuelles et voluptueuses, qui, quoique chargées de crimes, secouez le joug de la pénitence, et ne respirez que la joie et le plaisir! Malheur à vous, riches avares, qui, retenant vos biens sans jamais les répandre, ou les faisant servir à vos passions, êtes insensibles aux misères des pauvres 1 Malheur à vous, esclaves de l'ambition et de la gloire, qui, vous croyant tout permis pour vous élever, sacrifiez à votre fortune votre conscience et votre religion ! Malheur à vous, cœurs durs et insensibles, qui, traitant de faiblesse l'oubli des injures, vous faites de la vengeance un faux honneur et un faux triomphe! Malheur à vous, homicides des âmes, qui par vos artifices et vos scandales faites périr celles que je suis venu racheter ! C'est sur la croix, dis-je, que cet Homme-Dieu, avec autant de raison que d'autorité, parlant, ou plutôt agissant non pas en simple législateur, mais en juge et en juge irréprochable, frappe

 

1 Luc, VI, 24. — 2 Matth., XVIII, 7.

 

de tous ces anathèmes autant de mauvais chrétiens qu'il y en a qui se les attirent. S'il n'était monté sur la croix, ces anathèmes, quoique sortis de sa bouche, auraient moins de force ; disons mieux, s'il n'était monté sur la croix, ces anathèmes ne seraient jamais sortis de sa bouche, puisque nous savons qu'il n'a reçu le pouvoir déjuger que parce qu'il était Fils de l'homme, et capable, comme Fils de l'homme, de souffrir et de mourir : Et potestatem dedit ei judicium facere, quia Filius hominis est (1). En sorte que la même croix qui fut le trône de son humilité, de sa patience et de sa charité, par une conséquence nécessaire, devient à ce moment-là même le siège de sa justice pour condamner les hauteurs de notre orgueil, les délicatesses de notre amour-propre, la dureté de notre cœur, et les sensualités de notre chair. Il a fallu qu'il fût l'homme de douleurs, et traité comme le dernier des hommes, pour être en possession de dire aux ambitieux et aux impudiques : Vœ vobis ! J'ai donc eu raison de vous le représenter, tout crucifié et tout mourant qu'il est, comme jugeant et réprouvant le monde, et de conclure avec lui-même : Nunc judicium est mundi.

Ce ne sont point là de vaines spéculations, ni de simples idées que la piété inspire. Trois circonstances essentielles, spécifiées dans l'Ecriture pour nous marquer le jugement de Dieu, vont vous convaincre sensiblement de ce que je dis. Car il est de la foi (première circonstance) que quand toutes les nations de la terre seront assemblées pour subir ce jugement divin, le signe du Fils de l'homme paraîtra dans le ciel : Tunc parebit signum Filii hominis in cœlo (2); et, selon tous les Pères de l'Eglise, ce signe du Fils de l'homme dont parle l'évangéliste, c'est la croix du Sauveur. Pourquoi paraîtra-t-elle dans le ciel? demande saint Chrysostome, et après lui saint Hilaire. Pour séparer ceux que le Sauveur, alors reconnu et déclaré juge, renoncera et rejettera de son royaume, d'avec ceux qu'il couronnera et qu'il recevra au nombre de ses prédestinés, pour nous être confrontée, si je puis ainsi parler, et pour faire ou notre justification, ou notre condamnation, selon la conformité ou l'opposition qui se trouvera entre elle et nous; par conséquent, pour signifier et pour exécuter au même temps, par une action secrète et intérieure, la sentence définitive  qui  réprouvera les  impies.  Point donc de titre de damnation plus efficace et plus fort, contre une âme pervertie par l'esprit du

 

1 Joan., V, 27. — 2 Matth., XXIV, 30.

 

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monde, que la croix de Jésus-Christ ; et cette croix, après avoir été le supplice du Dieu Sauveur, sera éternellement celui de l'homme réprouvé et perdu. Oui, Chrétiens, et c'est de quoi l'Evangile ne nous permet pas de douter ; c'est ce que tous les saints, éclairés des lumières de la grâce, ont considéré dans le jugement de Dieu avec le plus d'horreur, quand ils ont médité ces paroles : Tunc parebit signum Filii hominis.

Or, dites-moi, ce signe vénérable du Fils de l'Homme ne paraît-il pas dès aujourd'hui, et dès aujourd'hui ne sépare-t-il pas les superbes d'avec les humbles, les vindicatifs d'avec les miséricordieux, les sensuels d'avec les pénitents? L'Eglise, en nous le proposant sur nos autels comme l'objet de notre culte, ne nous oblige-t-elle pas à regarder ce signe comme l'étendard qui partage déjà le christianisme en deux troupes, aussi contraires que celles qui nous sont désignées sous ces symboles mystérieux des brebis et des boucs?  Parlons sans ligure : cette croix que nous révérons n'a-t-elle pas dès maintenant tout ce qui consternera, tout ce qui désolera, tout ce qui accablera les âmes mondaines au dernier avènement de Jésus-Christ? et quand elle paraîtra à la fin des siècles, aura-t-elle quelque chose de plus affreux, je dis de plus affreux pour un damné, que ce qu'elle a pour un pécheur dans le mystère de ce jour? Si présentement il n'en est pas ému, ce pécheur dont je parle, comme il le sera alors, n'est-ce pas l'effet de son endurcissement? Mais approche, lui dirais-je, s'il y en avait ici quelqu'un de ce caractère, et plût à Dieu qu'il n'y en eut qu'un seul ! approche, et quelque endurci que tu sois, rends  par ton expérience propre un témoignage sincère à la vérité que je te prêche. Pourras-tu aujourd'hui te présenter devant la croix de ton Dieu? Possédé d'une passion criminelle, et livré à un amour impur,   pourras-tu  selon l'usage   de l'Eglise, l'adorer, et ne te pas confondre en l'adorant? Cette croix, tandis que tu lui rendras ce devoir apparent de ta religion, ne te reprochera-t-elle pas tes abominations et tes scandaleux attachements, ne te convaincra-t-elle pas des extravagances de ton orgueil, des dérèglements de ta cupidité, des injustices de tes projets et de tes entreprises ; et ne renversera-t-elle pas tous les prétextes dont tu voudrais inutilement justifier devant Dieu et ton impénitence et ton péché? Pourras-tu, en te prosternant devant elle, soutenir les pressantes accusations qu'elle  formera contre toi? Or, voilà ce que j'appelle le jugement du pécheur : Nunc judicium est mundi (1). Hommes de Galilée, dirent les anges aux apôtres, en les voyant sur la montagne appliqués à contempler la gloire de Jésus-Christ dans sa bienheureuse ascension; hommes de Galilée, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder vers le ciel ? Ce triomphe de votre Maître n'est pas ce qui doit occuper vos esprits; mais pensez à ce que nous vous annonçons, et ne l'oubliez jamais; savoir, que ce Jésus viendra tel que vous l'avez vu monter : Hic Jesus qui assumptus est a vobis, sic veniet quemadmodum vidistis eum (1). Permettez-moi , mes chers auditeurs, de vous adresser les mêmes paroles. Non, Chrétiens, ne vous arrêtez point aujourd'hui à admirer la grandeur et la profondeur des mystères qui s'accomplissent dans la passion d'un Dieu mourant : ne vous contentez pas de regarder la croix de Jésus-Christ comme la source de son élévation et de la vôtre ; et si vous avez quelque sentiment de piété, ne vous en tenez point à une vaine et stérile componction que la solennité de ce jour excite communément dans les cœurs. Ce que j'ai à vous annoncer est bien plus digne de vos réflexions, et plus digne même de vos larmes : et quoi? c'est que ce Jésus que vous voyez élevé sur la croix : Hic Jesus qui assumptus est, non-seulement viendra, mais viendra de la même sorte que vous le voyez, c'est-à-dire armé contre l'impiété de la croix même sur laquelle il meurt : Sic veniet quemadmodum vidistis eum. Quelque languissante et quelque assoupie que soit votre foi, cette prédiction que je vous fais ne doit-elle pas la réveiller? Mais voici un motif plus pressant que j'y ajoute : c'est que ce Jésus, élevé de terre comme il le paraît maintenant à vos yeux : Hic Jesus qui assumptus est ; ne viendra pas seulement, mais est déjà venu, puisque sur la croix il a déjà fait tout ce que pouvait faire un Dieu de plus juridique et de plus fort pour la destruction de l'impiété et pour la réprobation du monde. En sorte, dit saint Augustin, que le monde se trouvera déjà tout réprouvé, et l'impiété toute détruite, quand ce Jésus, brillant de gloire, viendra pour la seconde fois : Hic Jesus qui assumptus est, sic veniet quemadmodum vidistis eum. Je le répète. Chrétiens, voilà ce qui doit jeter dans nos âmes l'épouvante et la terreur, si nous savons peser les choses au poids du sanctuaire.

Et en effet (seconde circonstance qui se rapporte à la première), il est de la foi que le

 

1 Joan., XII, 31  — 2 Act., I, 11.

 

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désespoir des damnés, selon la parole de saint Jean, sera de voir le Dieu qu'ils auront outragé, persécuté, crucifié ; et une des raisons pourquoi le Sauveur du monde, après sa résurrection, conservera les cicatrices et les vestiges de ses plaies, fut de les produire aux impies quand il les jugera, comme autant de bouches ouvertes pour leur condamnation : Videbunt in quem transfixerunt (1). Ils verront Celui qu'ils ont percé de leurs traits ; et cette seule vue, par les violents remords qu'elle leur causera, par la douleur profonde où elle les plongera, par les fureurs secrètes qu'elle leur inspirera contre eux-mêmes, leur tiendra lieu de conviction et de punition : Videbunt in quem transfixerunt. La vue des démons, exécuteurs de l'arrêt de Dieu, ne fera tout au plus sur eux qu'une légère impression : mais celle d'un Dieu immolé pour eux, celle d'un Dieu portant encore les marques de sa bonté et de leur ingratitude, celle d'un Dieu qui, leur découvrant ses plaies, semblera leur dire : Voilà ce que j'ai souffert pour toi ; c'est pour toi que ce côté a été ouvert, pour toi que ces pieds et ces mains ont été percés; ces plaies étaient des sources intarissables, où il ne tenait qu'à toi de puiser les eaux de ma grâce ; je voulais par là te donner entrée dans mon cœur, mais ton endurcissement a rendu inutiles tous les desseins de ma miséricorde : réponds-moi donc, âme insensée! qu'ai-je pu faire pour ton salut que je n'aie pas lait; et que n'as-tu pas fait ou voulu faire de tout ce qui pouvait contribuer à ta perte? cette vue, dis-je, accompagnée de ces reproches, sera plus insoutenable que la vue même de l'enfer. Or, dès ce jour, les réprouvés du siècle et les mondains ont à soutenir cette vue ; et quand l'Eglise, selon sa religieuse coutume, leur découvrira le visage de ce Christ qu'elle tient depuis si longtemps voilé, ce qu'a dit saint Jean ne s'accomplira-t-il pas? Videbunt in quem transfixerunt. Ils le verront ce Dieu percé d'une lance et de clous, du moins ils en verront la figure, et elle suffira pour leur reprocher leur insensibilité, l'abus qu'ils font des grâces divines, et l'oubli de leur salut où ils ont vécu et où ils veulent vivre. Ils le verront : Videbunt; et pour peu qu'il leur reste de religion, la vue de ce Sauveur dont les plaies sanglantes demandent justice et crient plus haut que le sang d'Abel, remuera tous les ressorts de leur conscience, et les remplira de trouble et d'effroi : Videbunt in quem transfixerunt. Ah ! Seigneur, s'écriait Job, qui

 

1 Joan., XIX, 37.

 

m'accordera par grâce que je sois caché dans les ombres de la mort, jusqu'à ce que votre colère soit passée ? Quis mihi hoc tribuat ut in inferno protegas me, et abscondas me, donec pertranseat furor tuus (1) ? comme si le tombeau, tout affreux qu'il est, était un asile à rechercher, quand il est question de se mettre à couvert des yeux et de la présence d'un juge aussi courroucé que le sera Jésus-Christ. Ainsi parlait ce saint patriarche. Et moi, si j'étais assez malheureux pour être de ces chrétiens du siècle dont je déplore ici le sort, concevant Jésus-Christ crucifié plus redoutable pour moi que Jésus-Christ glorieux, je lui dirais aujourd'hui dans le même esprit : Oui, Seigneur, cachez-moi, s'il est nécessaire, dans le fond des abîmes, et que je sois enveloppé des plus sombres ténèbres, plutôt que de vous voir, pécheur et impénitent que je suis, sur cette croix où mes péchés vous ont attaché, et qui me retrace toute l'iniquité de mes désordres, et toute la justice de vos divins jugements : Videbunt in quem transfixerunt (2). Pourquoi ne le dirais-je pas, puisque c'est le conseil qu'il donna lui-même aux filles de Jérusalem, lorsque, marchant vers le Calvaire, il les avertit de pleurer et de ne pas pleurer; de ne pas pleurer sur lui, qui par sa mort allait être glorifié ; mais de pleurer sur elles-mêmes et sur leurs enfants, parce que le temps approchait où les hommes auraient sujet de dire : Montagnes tombez sur nous; couvrez-nous, collines, et défendez-nous du triste spectacle qui va se présenter à nos yeux, c'est-à-dire de la vue d’un Dieu mourant pour le monde, et par sa mort même jugeant le monde.

Achevons, Chrétiens, et suivons cette pensée. Les prophètes nous apprennent (troisième et dernière circonstance) que le jour du jugement doit être singulièrement et par excellence le jour des vengeances du Seigneur : Dies ultionis (3); jour que Dieu a destiné pour punir toutes les iniquités des hommes, jour qu'il a consacré à sa justice la plus rigoureuse , jour qu'il a choisi entre tous les autres jours pour se satisfaire, et pour tirer raison des injures qu'il a reçues. Or, il est d'ailleurs évident que jamais Dieu, à proprement parler, et dans la rigueur, n'a bien commencé à se venger que dans la passion de Jésus-Christ : pourquoi? parce qu'il n'y avait que les souffrances de Jésus-Christ qui pussent être une réparation suffisante du péché. Le déluge avait inondé la terre, le feu du ciel avait consumé Sodome « mais le feu

 

1 Job., XIVv, 13. — 2 Joan., XIX, 37.— 3 Jerem., XLVI, 10.

 

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du ciel et le déluge, tant d'autres fléaux que Dieu jusqu'alors avait employés, et dont il s'était servi contre les pécheurs, n'avaient été pour lui que des essais de vengeance : je dis plus, l'éternité des peines que souffriront les réprouvés, quelque infinie qu'elle soit dans sa durée, ne sera jamais, par rapport à lui, une vengeance complète, puisque c'est pour cela même qu'elle ne finira jamais. Il fallait dans la plénitude des temps un sacrifice plus parfait, et qui, par son mérite et sa dignité , rétablît pleinement les intérêts de Dieu aux dépens de l'homme. Il fallait qu'un Dieu-Homme mourût, afin qu'il fût vrai une fois de dire que Dieu était satisfait. Or, c'est ce qui s'accomplit aujourd'hui. Voici donc ce jour si clairement prévu et si distinctement marqué par Isaïe, lorsque, envisageant le Sauveur ensanglanté et défiguré sur la croix, il lui mettait dans la bouche ces paroles : Dies enim ultionis in corde meo, dies redemptionis meœ venit (1). Le jour de la vengeance est venu ; et quel est-il, Seigneur? Celui de la rédemption. Prenez garde , Chrétiens, il ne sépare point ces deux jours, et, bien loin de les séparer, il les confond en quelque sorte, et exprime l'un par l'autre :  pourquoi? parce qu'en effet, dit saint Augustin, Dieu n'a été vengé que dans le moment où l'homme a été racheté.  D'où il s'ensuit que le jour de la rédemption a été celui de la vengeance, et, par une conséquence nécessaire, que le jour de la passion de Jésus-Christ a été celui du jugement du monde. Jugement du monde, vengeance de Dieu qui s'exécuta dès lors dans le cœur adorable du Sauveur, et dont nous n'attendons plus que la manifestation : Dies ultionis in corde meo, dies redemptionis meœ venit. Vengeance de Dieu, qui commença par le Juste et par l'Innocent, mais qui se terminera par les coupables. Car si le bois vert est ainsi traité, ajouta le Fils de Dieu aux femmes de Jérusalem , que sera-ce du bois sec ? c'est-à-dire, si l'Unique du Père et le Saint des saints, parce qu'il a eu l'ombre du péché, et qu'il s'est revêtu d'une chair semblable à celle du péché, a essuyé tant de rigueurs, que sera-ce du péché même? que sera-ce de ceux qui en ont toute la malice , de ceux en qui le péché règne, et qui font régner le péché par leurs scandales ; de ceux dont la chair corrompue et dissolue est une source de péchés ; de ceux qui semblent n'avoir de raison et de liberté que pour se rendre rebelles à Dieu et esclaves de leurs sens ; de ceux qui, non contents d'être pécheurs, se plaisent à l'être et se

 

1 Isa., LXIII, 4.

 

glorifient de l'être ? que peuvent-ils et que doivent-ils attendre, après que le Dieu des vengeances a si peu épargné celui même qui, malgré l'apparence du péché, ne laissait pas d'être toujours l'objet de ses complaisances?

En voulez-vous voir, Chrétiens, quelques effets particuliers? je dis quelques effets particuliers de ces vengeances divines dont vous êtes menacés : ne quittons point notre mystère, mais considérons ce qui se passe à la mort du Sauveur, et tremblons. Il meurt en réprouvant les Juifs, et leur annonçant leur ruine future, ruine temporelle, ruine spirituelle. Or, si sa mort, reprend saint Augustin , a servi, contre son intention même, à la réprobation des Juifs, combien plus servira-t-elle à la réprobation des mauvais chrétiens ?  Il meurt en réprouvant Judas et l'abandonnant, d'abord à son avarice, et ensuite à son désespoir. Il meurt en réprouvant un criminel crucifié avec lui, et le laissant mourir dans son endurcissement et dans son impénitence. Mais que fais-je, mes chers auditeurs? et, dans ce jour de salut, dois-je vous renvoyer tous sans consolation ? Le jugement de Dieu ne  sera pas terrible pour tous les hommes : il y aura des élus et des saints, pour qui même il sera glorieux ; et tandis que les réprouvés sécheront de peur, les justes triompheront de joie. Or il en est de même , par proportion, de ce mystère. Jésus-Christ ne paraît pas tant, après tout, sur la croix pour condamner les hommes, que pour les convertir, que pour les toucher, que pour les sanctifier, que pour répandre sur eux les dons de sa grâce, et pour leur assurer le ciel ; et c'est encore à ces hommes que j'ai le droit de dire : Nunc judicium est mundi (1) ; Voici le jugement du monde, non plus un jugement de rigueur, mais un jugement de faveur : appliquez-vous, je finis ; car Jésus-Christ meurt en promettant sa gloire à ce criminel pénitent qui se tourne vers lui, et qui lui demande d'être reçu dans son royaume. Or, un arrêt aussi favorable et aussi décisif que celui-ci : Hodie mecum eris in paradiso (2), n'était-ce pas quelque chose encore de plus exprès que l'invitation qu'il fera à ses élus, quand il leur dira : Venite, benedicti (3)? Il meurt en convertissant des Gentils, c'est-à-dire des infidèles, et leur ouvrant les yeux, leur communiquant le don de la foi, les appelant à son Eglise ; témoin le centenier et ceux de sa troupe, qui s'en retournent glorifiant Dieu , et reconnaissant le Sauveur, tout mort qu'il est, pour le vrai Fils de Dieu. Il meurt en sauvant

 

1 Joan., XII, 31. — 2 Luc, XXIII, 43. — 3 Matt., XXV, 34.

 

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ceux qui le crucifient, en pardonnant à ses  ennemis, mais d'un pardon sincère et efficace,  qui va jusqu'à les gagner, jusqu'à en faire des saints, jusqu'à effacer par son sang le péché même qu'ils ont commis en le répandant : Iste sanguis sic fusus est, dit saint Augustin, ut ipsum peccatum posset delere quo fusus est. C'est donc ici le jour du salut et de votre salut, pécheurs, si vous en voulez profiter. Le Dieu qui meurt sur cette croix y a établi le trône de sa miséricorde. Approchez, on vous y appelle. Allez recueillir ce sang divin, c'est pour vous qu'il coule ; allez vous jeter entre les bras de ce Dieu mourant, ils sont ouverts pour vous recevoir. Ah! Seigneur, vous ne m'en désavouerez point, et vous ratifierez la parole que je leur donne en votre nom. Vous vous souviendrez que vous êtes sur la croix encore plus    sauveur que juge. Au moment que le pécheur    viendra à vos pieds confesser son injustice et    la pleurer, vous vous attendrirez tout de nouveau sur lui, vous le comblerez de l'abondance   de vos mérites ; et par la vertu de ces mérites    infinis il sera purifié, il sera justifié, il sera     remis en grâce, il rentrera dans tous ses droits    à l'héritage éternel que vous lui avez acheté,  et où nous conduise, etc.

 

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