EPIPHANIE

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SERMON SUR L'EPIPHANIE.

ANALYSE.

 

Sujet. Jésus étant né dans Bethléem de Juda, au temps que régnait Hérode, des mages vinrent d'Orient à Jérusalem, et ils demandaient : Où est le roi des Juifs, qui est nouvellement né? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l’adorer. Le roi Hérode ayant appris cela, en fut troublé, et toute la ville de Jérusalem avec lui.

 

Deux conduite! bien différentes des mages et d'Hérode à l'égard de Jésus-Christ. Les mages le viennent chercher, mais Hérode conspire contre lui. Tirons de là deux grandes instructions, qui feront la matière de ce discours.

 

Division. Modèle de la solide sagesse des élus et des vrais chrétiens, dans la conduite des mages qui cherchent le Fils de Dieu : première partie. Idée de l'aveugle sagesse des réprouvés et des impies, dans la conduite d'Hérode qui persécute le Fils de Dieu : deuxième partie.

Première partie. Modèle de la solide sagesse des élus et des vrais chrétiens, dans la conduite des mages qui cherchent le Fils de Dieu. Examinons tous les caractères de leur foi, 1° dans son commencement, 2° dans son progrès, 3° dans sa perfection.

1° Dans son commencement. Promptitude à suivre la vocation du ciel; ce fut le premier effet de la foi des mages, et le premier trait de cette haute sagesse qui les mit en état de trouver Jésus-Christ. Dès qu'ils virent son étoile, ils partirent pour aller à lui. Ainsi, chercher Dieu de la manière efficace et solide dont le cherche une âme fidèle, ce n'est plus raisonner ni délibérer, c'est exécuter et agir : point de retardement. De plus, courage à surmonter toutes les difficultés : les mages quittèrent leur pays, leurs maisons, leurs familles, leurs états; autre démarche de leur foi naissante, et nouvelle preuve de leur éminente sagesse. Si nous violions trouver comme eux Jésus-Christ, il faut vaincre comme eux tous les obstacles qui étonnent notre lâcheté et qui nous arrêtent.

Dans son progrès. Constance qu'ils témoignent lorsque l'étoile vient à disparaître; leur foi n'en est point troublée ni déconcertée; ils marchent et ils agissent toujours. C'est en quoi parait le don de sagesse dont-ils sont remplis, et c'est à de pareilles épreuves que Dieu nous met quelquefois après une conversion. Il retire certaines grâces sensibles, et il nous abandonne en quelque sorte à nous-mêmes, afin de nous donner lieu de lui marquer notre constance. Cependant, que font les mages pour suppléer au défaut de l'étoile ? Ils s'informent, ils ont recours aux prêtres et aux docteurs de la loi : et nous, pour nous éclairer et nous soutenir, en quelque délaissement que nous semblions être, nous avons aussi bien qu'eux, dans l'Eglise de Dieu, des prêtres et des docteurs à qui nous devons nous adresser. Les mages nous apprennent quelque chose encore de plus : et quoi? à chercher Dieu avec un généreux mépris de tous les respects humains. Au milieu de Jérusalem, et en présence même d'Hérode, ils demandent où est le nouveau roi des Juifs.

3° Dans sa perfection. Perfection de leur foi : arrivés à Bethléem, ils trouvent Jésus-Christ dans une étable et dans une crèche; et, malgré l'état misérable où il est, ils le reconnaissent pour leur souverain. Perfection de leur foi : non contents de l'honorer comme le souverain monarque du monde, ils l'adorent comme leur Dieu. Perfection de leur foi : ils lui font des offrandes mystérieuses qui expriment sa divinité, son humanité, sa souveraineté; car voilà ce que signifient l'encens, la myrrhe et l'or qu'ils lui présentent. C'est ainsi que des étrangers vinrent chercher Jésus-Christ dans la Judée, tandis que les Juifs, au milieu de qui il était né, le renonçaient : et qui sait si Dieu ne nous enlèvera pas à nous-mêmes le talent de la foi, dont nous ne profitons pas, pour le transporter à des infidèles ?

Deuxième partie. Idée de l'aveugle sagesse des réprouvés et des impies, dans la conduite d'Hérode qui persécute Jésus-Christ. Celle fausse sagesse 1° est ennemie de Dieu, voilà son désordre; et 2° Dieu est son ennemi, voilà son malheur. Nous voyons l'un et l'autre dans Hérode.

1° Sagesse ennemie de Dieu, qui l'attaque et qui s'élève contre lui. Que ne fit point Hérode pour perdre Jésus-Christ? Or, tout ce qu'il fit, ce fut une fausse politique qui le lui inspira : et combien y a-t-il encore de ces sages mondains aussi impies qu'Hérode. aussi opposés à Jésus-Christ, aussi intéressés et aussi hypocrites?

2° Sagesse dont Dieu est ennemi, et qu'il réprouve. Que fait de sa part Jésus-Christ naissant, pour confondre la politique d'Hérode? 1° Il la trouble ; Hérode est combattu de mille soupçons et de mille frayeurs; et rien, ajoute saint Chrysostome, n'est plus capable de troubler la paix d'un mondain que la pensée d'un Dieu pauvre et humble. 2° Il la rend odieuse : Hérode, en voulant satisfaire son ambition, est devenu l'horreur du genre humain : et qu'y a-t-il encore maintenant de plus odieux qu'un mondain qui sacrifie tout à sa fortune et à son intérêt? 3° Il la rend vaine et inutile : Hérode a beau faire massacrer tous les enfants qui sont aux environs de Bethléem, Jésus-Christ échappe à sa fureur; et le mondain, avec sa prétendue sagesse, a beau vouloir se rendre

 

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heureux il ne l'est jamais. 4° Il la fait même servir malgré elle aux desseins de Dieu; Hérode veut éteindre le nom du nouveau roi d'Israël qu' vient de naître ; et par les mesures qu'il prend, il contribue, au contraire, à le faire connaître davantage. Combien de fois l'impie a-t-il vu de la sorte, par une secrète disposition de la Providence, retomber sur lui son impiété même? Renonçons donc pour jamais à la sagesse du monde, qui est une sagesse réprouvée, et suivons la sainte sagesse de l'Evangile, pour aller à Dieu et pour le trouver.

 

Cum natus esset Jesus in Bethlehem Judœ, in diebus Herodis regis, ecce magi ab Oriente venerunt Jerosolymam, dicentes : Ubi est qui natus est rex Judœorum ? Vidimus enim stellam ejus in Oriente, et venimus adorare eum. Audiens autem Herodes rex, turbatus est, et omnis Jerosolyma cum illo.

 

Jésus étant né à Bethléem de Juda, au temps que régnait Hérode, des mages vinrent d'Orient à Jérusalem, et ils demandaient : Où est le roi des Juifs qui est nouvellement né ? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l'adorer. Le roi Hérode, ayant appris cela, en fut troublé, et toute la ville de Jérusalem avec lui. (Saint Matthieu, chap. II, 1-3.)

 

Voilà, chrétienne compagnie, l'accomplissement de la parole de Siméon, lorsque, tenant entre ses bras l'enfant Jésus, il disait à Marie, sa mère : Cet enfant que vous voyez sera la ruine et la résurrection de plusieurs : Ecce positus est hic in ruinam et in resurrectionem multorum (1). Les mages partis de l'Orient pour venir adorer ce divin Sauveur, ce sont ceux pour la résurrection desquels il commence à paraître au monde ; et l'impie Hérode, troublé de sa venue et du seul bruit de sa naissance, nous marque ceux au contraire pour qui il doit être une occasion de ruine. Voilà l'effet de ce que le même Fils de Dieu, après le célèbre miracle de la guérison de l'aveugle-né, dit à ses disciples : In judicium veni in hunc mundum, ut qui non vident, videant ; et qui vident, cœci fiant (2) ; Je suis venu dans le monde pour y exercer un jugement en conséquence duquel les aveugles voient, et ceux qui voient deviennent aveugles. C'est en ce jour que ce jugement s'accomplit à la lettre. Les muges, au milieu des ténèbres de la gentilité, sont éclairés des plus vives lumières de la grâce. Hérode et les juifs avec lui, dans le centre de la vraie religion, sont frappés d'un aveuglement terrible. La crèche de Jésus-Christ est le tribunal où, en qualité de souverain Juge, il prononce ces deux arrêts, et où par avance il peut dire : In judicium veni in hunc mundum, et qui non vident, videant; et qui vident, cœci fiant. Figurez-vous donc, Chrétiens, ce Sauveur naissant, sous l'idée que Jean-Baptiste son précurseur en concevait, ayant dès aujourd'hui le van à la main : Cujus ventilabrum in manu sua (3); c'est-à-dire faisant dès aujourd'hui le discernement des hommes; prédestinant les uns, réprouvant les autres ; appelant et éclairant ceux-ci, abandonnant et aveuglant ceux-là ; attirant des étrangers et des infidèles, rejetant les enfants et les héritiers du royaume. Mystère étonnant,

 

1 Luc, II, 34. — 2 Joan., IX, 39. — 3 Matth., III, 8.

 

nous devons avec respect adorer les conseils de Dieu. Mystère impénétrable qu'il ne nous est pas permis de sonder, et où je dois néanmoins trouver de quoi vous instruire. Or pour cela, mes chers auditeurs, je m'arrête aux deux premières vues qui se présentent d'abord, et qui semblent partager notre évangile. Nous y voyons, d'une part, les mages qui viennent chercher Jésus-Christ, et, de l'autre, Hérode qui conspire contre Jésus-Christ. C'est à quoi je m'attache, et d'où je veux tirer deux grandes instructions qui vont faire la matière de ce discours, après que, etc. Ave, Maria.

 

C'est des Juifs en particulier que saint Paul a voulu parler, quand il a dit que nul des princes de ce monde n'avait connu la sagesse cachée dans le mystère d'un Dieu fait homme : Sapientiam in mysterio, quœ abscondita est, quam nemo principium hujus sœculi cognovit (1). Et la raison qu'il en apporte le fait bien voir, puisqu'il ajoute que s'ils avaient connu cette sagesse, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de la gloire : Si enim cognovissent, nunquam Dominum gloriœ crucifixissent (2). Par là, dis-je, il est évident que les seuls Juifs étaient ceux que l'Apôtre avait en vue, et dont il déplorait le sort : car il ne pouvait d'ailleurs ignorer qu'entre les Gentils il y avait eu des sages du monde, des hommes distingués selon le monde, des mages qui, sous la conduite de l'étoile , ou plutôt sous la conduite de Dieu même, ayant cherché Jésus-Christ et l'ayant adoré, étaient parvenus à la connaissance de cette sagesse divine. Mais saint Paul, dans la suite du même passage, nous fait remarquer que les Juifs, qui n'avaient pas connu, et qui avaient eu le malheur de ne vouloir pas connaître cette sagesse de Dieu, cachée dans le mystère de l'Homme-Dieu, s'étaient piqués de connaître et de suivre une sagesse tout opposée, savoir, la sagesse du siècle. Sagesse réprouvée, et dont Dieu, disait-il, avait pris plaisir à confondre la vanité jusqu'à la convaincre de folie : Nonne Deus stultam fecit sapientiam hujus sœculi (3) ? Or il est encore certain qu'entre ces princes du monde qui, dès le temps de saint Paul, s'étaient ainsi aveuglés dans le judaïsme, Hérode, par toute sorte de

 

1 1 Cor., II, 8. — 2 Ibid. — 3 Ibid., I, 20.

 

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raisons, a du tenir le premier rang. Voilà donc, nies chers auditeurs, les deux idées que je nie propose, et où je trouve que doit se rapporter toute la morale du grand mystère que nous célébrons, l'idée de la vraie sagesse, et l'idée de la faune sagesse : l'idée de la vraie sagesse, qui consiste à chercher Dieu ; et l'idée de la fausse sagesse, qui consiste à se chercher soi-même : l'idée de la vraie sagesse, dont nous avons le modèle dans l'exemple des mages; et l'idée de la fausse sagesse, que je découvre dans l'exemple d'Hérode : comprenez, s'il vous plaît, ces deux pensées. Qu'étaient-ce que les mages, dont nous honorons la mémoire? C'étaient les sages de la gentilité, et tous les Pères conviennent qu'Us ont été les prémices de notre vocation à la foi. Il était donc naturel que Dieu nous donnât dans eux un parfait modèle de la sagesse chrétienne, et c'est ce qu'il a prétendu, comme je vais vous le montrer dans la première partie. Au contraire , qu'était-ce qu'Hérode dans le judaïsme? Un sage politique, un sage mondain , le plus infidèle de tous les hommes envers Dieu. Il était donc plus propre que tout autre à nous faire comprendre le désordre de la fausse prudence, et c'est ce que vous verrez avec étonnement et avec frayeur dans la seconde partie. Ainsi, la solide sagesse des élus et des vrais chrétiens dans la conduite des mages, en cherchant le Fils de Dieu; et t'aveugle sagesse des réprouvés et des impies dans la conduite d'Hérode, en persécutant le Fils de Dieu : l'une qui nous fait connaître les saintes voies par où nous devons marcher pour arriver au terme du salut; l'autre, qui nous fait voir sensiblement les voies d'iniquité dont nous devons nous préserver, et qui ne peuvent aboutir qu'à la perdition : c'est tout mon dessein.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

Non, Chrétiens, jamais la Providence n'a donné au monde un modèle plus achevé de cette véritable sagesse, qui consiste à chercher et à trouver Dieu, que celui qu'elle nous propose dans la personne des mages. Examinons tous les caractères de leur foi, dans son commencement, dans son progrès, et dans sa perfection : dans son commencement, c'est-à-dire dans la promptitude avec laquelle ils se déterminent à suivre la vocation divine qui leur est marquée par l'étoile, et dans le courage qu'ils font paraître en abandonnant tout, pour obéir à l'ordre de Dieu : dans son progrès, c'est-à-dire   dans   la  constance   qu'ils   témoignent lorsque l'étoile vient à s'éclipser, s'informant avec soin du lieu ouest né l'enfant qu'ils cherchent , le reconnaissant pour roi des Juifs jusqu'au milieu de Jérusalem, et même au milieu de la cour d'Hérode, et déclarant avec une sainte liberté qu'ils sont venus pour lui rendre leurs hommages : dans sa perfection, je veux dire dans l'admirable discernement qu'ils font de Jésus-Christ, ne se scandalisant point de l'état pauvre et humble où ils le trouvent; au contraire, concluant de là même qu'il est leur Sauveur; l'adorant en esprit et en vérité ; et par les mystérieux présents qu'ils lui offrent, lui donnant autant de preuves de leur parfait dévouement et de leur religion. Cherchez-vous Dieu de bonne foi, mes chers auditeurs, et voulez-vous savoir comment on le trouve? en voilà toute la science et tout le secret. Ne disons plus après cela que les voies de Dieu sont des voies obscures et inconnues : elles nous sont ici révélées trop clairement et trop distinctement, pour avoir droit de tenir désormais un tel langage. Ne nous plaignons plus des difficultés qui s'y rencontrent, et des égarements qui y sont si ordinaires : après l'exemple de ces mages, qui n'y ont marché avant nous que pour nous y servir de guides, nos plaintes seraient également vaines et injustes. Supposez l'excellent modèle que Dieu nous met devant les yeux, nos erreurs, en matière de salut, ne peuvent plus être excusables; et si, malgré tant de lumières, nous sommes assez malheureux pour ne pas trouver Dieu et pour nous perdre, c'est à notre infidélité, c'est à notre lâcheté, c'est à notre inconstance, c'est à nos respects humains, c'est à notre orgueil, c'est à notre avarice et à un attachement opiniâtre aux biens de ce monde, c'est à nous-mêmes enfin, que nous devons imputer notre malheur. Attention, Chrétiens : ceci me fournit pour vous des leçons bien importantes.

Promptitude à suivre la vocation du ciel : ce fut le premier effet de la foi des mages, et le premier trait de cette haute sagesse qui, par un changement divin, d'infidèles qu'ils étaient, les mit en état de trouver le Dieu Sauveur. Dès qu'ils virent son étoile, ils partirent pour aller à lui : Vidimus stellam ejus, et venimus (1) ; Ils ne balancèrent point, ils ne délibérèrent point, ils ne s'arrêtèrent point, ni à former de vains projets, ni à prendre de longues mesures. Attentifs à l'étoile qui les éclairait, et uniquement appliqués à chercher celui qu'elle leur annonçait, ils hâtèrent leur marche : pourquoi?

 

1 Matth., II, 2.

 

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parce qu'ils étaient déjà remplis de cet esprit et de cette sagesse surnaturelle qui conduit les élus de Dieu. Or, comme remarque saint Chrysostome, chercher Dieu de la manière efficace et solide dont le cherche une âme fidèle, ce n'est plus raisonner, ni délibérer, c'est exécuter et agir : d'où il s'ensuit, dit ce saint docteur, que quand on délibère, quand on consulte et qu'on raisonne, quelque intention qu'on ait de trouver Dieu, le cherchant toujours, ou, pour mieux dire, se flattant toujours de le chercher, on ne le trouve jamais. Voilà sur quoi fut fondée la promptitude des mages. Ils virent l'étoile ; et, animés d'une foi vive, pressés d'un désir ardent d'arriver au terme où l'étoile les appelait, ils n'écoutèrent rien de tout ce qui pouvait les retenir : Vidimus et venimus; Nous avons vu et nous sommes venus. Paroles, ajoute saint Chrysostome, qui expriment admirablement la force et l'opération de la grâce, puisqu'il est vrai que dans l'affaire du salut tout dépend de certaines vues à quoi la grâce est attachée, ou plutôt en quoi consiste la grâce même. Ambulate dum lucem habetis (1) ; Marchez, disait le Fils de Dieu, pendant que vous avez la lumière. Or c'est ce que font à la lettre ces sages prédestinés de la gentilité. Ils marchent, parce qu'une lumière secrète pénètre intérieurement et touche leurs cœurs, tandis qu'un nouvel astre brille extérieurement à leurs yeux. Ils marchent, parce que cette double lumière leur fait connaître la naissance d'un Dieu et d'un Sauveur : d'un Dieu qui, ne se contentant plus d'être connu dans la Judée, veut recevoir les hommages de toutes les nations ; d'un Sauveur qui les a choisis, et qui veut commencer par eux à montrer qu'il n'est pas seulement venu pour Israël, mais pour tous les peuples de la terre. Ils marchent et l'extrême diligence dont ils usent est autant une preuve de leur sagesse que de l'activité de leur zèle; ils s'empressent de chercher leur salut, en cherchant Celui qui en est l'auteur, et qui en doit être bientôt le consommateur : Vidimus et venimus.

Ainsi agissent les mages; mais nous comparant avec eux, mes chers auditeurs, quel est ici le premier et le grand désordre que nous avons à nous reprocher? Ne sont ce pas les retardements éternels, les retardements affectés, les retardements téméraires et insensés, que nous apportons tous les jours à l'exécution des ordres de Dieu, et à ce que la grâce nous inspire? peut-être y a-t-il des années entières que

 

1 Joan., XII, 35.

 

Dieu nous appelle, et que nous lui résistons. Elevés dans le christianisme, nous avons pour marcher plus de lumières que les mages : notre foi est plus établie, plus formée, plus développée; nous connaissons beaucoup plus distinctement qu'eux les volontés et les desseins de Dieu sur nous. Pour une étoile qu'ils voyaient,   mille raisons nous convainquent, mille exemples nous confondent, toutes les Ecritures nous parlent : tant de docteurs nous instruisent, tant de prédicateurs nous pressent, nous sollicitent, nous exhortent, mais en vain, parce que nous différons toujours. Ne dirons-nous jamais comme les mages : Vidimus et venimus ; Nous avons vu, et nous sommes venus? Oui, j'ai vu, ou je vois aujourd'hui ce que Dieu demande de moi ; et c'est pour cela que dès aujourd'hui je m'engage et je commence à l'accomplir : car que sais-je si je le pourrai demain? que sais-je si je serai demain aussi touché de la vue que Dieu m'en donne? que sais-je si ce rayon de grâce fera dans mon âme la même impression? que sais-je si la lumière de ma foi, après tant de délais qui l'affaiblissent peu à peu, ne viendra point tout à fait à s'éteindre? que sais-je si, mettant par là le comble à mes iniquités, je ne tomberai point dans cet aveuglement fatal dont Dieu punit les cœurs rebelles, et si l'habitude que je me fais de temporiser, et de ne jamais rien conclure, ne sera point enfin la source de ma réprobation? Ah! suivons cette lumière favorable qui luit encore pour nous. Marchons, de peur que les ténèbres ne nous surprennent, et ne remettons point à un autre temps ce qui doit avoir la préférence dans tous les temps, ou plutôt ce qui doit être l'affaire de tous les temps. Dieu m'éclaire maintenant et je ne puis savoir s'il m'éclairera demain, ni s'il y aura même un lendemain pour moi. Mais quand je le saurais, devrais-je et voudrais-je me prévaloir contre lui de sa patience, et abuser de sa miséricorde pour l'offenser toujours avec plus d'obstination? Promptitude à suivre la voix de Dieu dès que Dieu nous la fait entendre : c'est la première leçon que nous fait l'exemple des mages ; et courage à  surmonter  pour cela toutes les difficultés qui se présentent : c'est la seconde.

Car pour suivre l'étoile et pour répondre à la vocation du ciel, les mages, aussi bien qu'Abraham, furent obligés d'abandonner leur pays, leurs maisons, leurs familles, et, selon la commune tradition, leurs royaumes et leurs états. Ils durent faire dès lors ce que saint

 

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Pierre et les apôtres firent dans la suite des années ; c'est-à-dire ils durent quitter tout pour Jésus-Christ, et ils eurent droit les premiers de dire comme saint Pierre, et même dans un sens, avec plus de mérite que saint Pierre : Ecce nos reliquimus omnia, et secuti sumus te (1). Or, leur courage à prendre une telle résolution, leur détachement héroïque en s'éloignant de ce qu'ils avaient de plus cher, en essuyant les fatigues d'un long voyage, et en sacrifiant de la sorte leur repos, c'est ce que je puis considérer comme une seconde démarche de leur foi naissante, et comme une nouvelle preuve de cette éminente sagesse qui leur fit trouver Jésus-Christ. Car il est aisé, dit saint Chrysostome, de suivre le mouvement de la grâce quand il n'en coûte rien à la nature, et d'obéir à l'inspiration de Dieu quand il ne s'y rencontre nul obstacle de la part du monde. Le mérite de la foi et de la sagesse chrétienne est de renoncer même, quand il le faut, à ce qu'on aime plus tendrement, de quitter ses habitudes, de rompre ses liens, de se priver des commodités et des douceurs de la vie, et de se faire certaines violences, sans lesquelles on ne parvient point au royaume de Dieu. C'est alors, poursuit saint Chrysostome, que la prudence de la chair est encore bien plus subtile et plus artificieuse pour nous détourner de la voix où Dieu veut nous conduire. C'est alors que, prenant le parti de notre amour-propre, elle lâche à nous persuader qu'il y a de l'indiscrétion dans un renoncement si général et si absolu. C'est alors que, tirant avantage de notre faiblesse, elle nous représente ce parfait détachement comme une entreprise au-dessus de nos forces, et que nous sommes incapables de soutenir. En un mot, c'est alors qu'étouffant les saints désirs que Dieu, par les vives lumières de sa grâce , avait excités dans nos cœurs, elle nous rend lâches, froids, languissants dans une affaire qui demande toute notre ardeur et tout notre zèle. S'il s'agissait d'un intérêt du monde, cette prétendue impossibilité que la prudence humaine nous oppose ne nous ferait pas balancer un moment. Pour une fortune temporelle, et pour satisfaire notre ambition, nous serions prêts à tout, nous oserions tout, nous nous exposerions à tout; mais parce qu'il s'agit de l'œuvre de Dieu et de notre conversion, tout nous effraie, et tout nous devient impraticable. Or c'est cette lâcheté que la foi doit combattre en nous, si nous voulons imiter l'exemple des mages; et par là même, encore

 

1 Matth., XIX, 27.

 

une fois, nous devons juger si la voie où nous marchons est la voie de Dieu. Car l'illusion la plus grossière est de nous flatter d'avoir trouvé cette voie de Dieu, tandis qu'il ne nous en coûte nul effort. Il y a, pour y entrer et pour y demeurer, des sacrifices à faire ; et nulle voie n'est sûre pour nous, qu'autant que nous les faisons à Dieu, ces sacrifices, ou que nous y sommes efficacement et sincèrement disposés. Revenons à notre modèle, et voyons le progrès de la foi des mages.

Ils arrivent à Jérusalem ; et l'étoile qui jusque-là leur avait servi de guide, par une conduite de Dieu toute particulière, vient tout à coup à disparaître. Que ne pouvaient-ils pas penser? que ne devaient-ils pas craindre?leur foi n'en dut-elle pas être ébranlée, troublée, déconcertée? Mais non, Chrétiens, la tentation la plus dangereuse, l'épreuve la plus subite et la moins attendue, le prétexte le plus spécieux qu'elle leur fournit pour penser à leur retour, rien ne les fait changer de résolution. A quelque prix que ce soit, ils veulent trouver le Dieu qu'ils cherchent ; ils ont vu son étoile, et ils ont senti l'onction de sa grâce ; c'est assez. Si cette étoile ne paraît plus, c'est un secret de la Providence qu'ils adorent, mais dont ils n'ont garde de se faire un sujet de scandale ; c'est une occasion que Dieu leur donne de lui marquer leur fidélité, et ils comprennent qu'il faut en de pareilles conjonctures se soutenir par la constance. Sans donc se troubler, sans se rebuter, ils espéreront, aussi bien qu'Abraham, contre l'espérance même ; ils continueront leur marche, sûrs du Dieu qui les a appelés, et comptant qu'au défaut de l'étoile il leur tracera lui-même le chemin.

Or, c'est en cela que paraît le don de sagesse, d'intelligence, de conseil, dont ils sont remplis ; et voilà, mes chers auditeurs, comment notre Dieu tous les jours en use avec nous. Après nous avoir attirés à son service, et nous y avoir engagés, il retire pour un temps certaines grâces sensibles dont il nous avait d'abord prévenus. Nous ne sentons plus ces touches secrètes qui nous rendaient son joug aimable, et qui nous faisaient courir comme David, avec une sainte allégresse, dans la voie de ses commandements. Ainsi délaissés au milieu de notre course, et, pour ainsi dire, abandonnés à nous - mêmes, nous tombons dans des états d'obscurité, de ténèbres, de sécheresse, de dégoût ; et alors non-seulement Dieu nous éprouve, mais il veut que nous-mêmes nous nous éprouvions. Car, si ses grâces

 

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sensibles nous étaient toujours présentes , si nous ne perdions jamais de vue cette étoile lumineuse qui fut le premier attrait de notre conversion, quoi que nous fissions pour Dieu, nous ne pourrions ni répondre de nous à Dieu, ni, dans le sens que je l'entends, nous assurer de nous-mêmes : c'est-à-dire notre ferveur dans cet état nous devrait être suspecte; la sensibilité et l'abondance des consolations divines nous donnerait ou devrait nous donner une défiance raisonnable de notre vertu ; au moins est-il vrai que notre foi n'aurait pas cette fermeté qu'elle doit avoir, pour être une foi parfaite et digne de Dieu. Il faut donc qu'elle soit éprouvée : et par où? par ces délaissements et ces privations si ordinaires aux âmes les plus justes; et si nous ne sommes pas encore assez forts pour dire à Dieu ce que lui disait le Prophète royal : Proba me, Domine (1) ; Eprouvez-moi, Seigneur ; il faut qu'à l'exemple des mages, nous soyons assez saintement disposés pour persévérer dans les épreuves où il lui plaît de nous mettre; il faut que le souvenir des lumières dont nous avons été touchés nous tienne lieu de ces lumières même, quand Dieu vient à nous les ôter, et qu'il nous suffise de pouvoir dire : Vidimus stellam ejus (2) ; Je ne vois plus ce qui m'excitait autrefois, et ce qui m'attachait à Dieu : mais je l'ai vu, mais j'en ai connu la vérité et la nécessité, mais j'en ai été persuadé. Or tout ce que j'ai vu subsiste encore ; et puisqu'il subsiste encore, qu'il subsistera toujours, et qu'il aura toujours la même force, pourquoi ne fera-t-il pas toujours sur moi la même impression, et ne me servira-t-il pas toujours de motif pour m'animer, et de règle pour me conduire? Raisonner de la sorte, et indépendamment des goûts et des consolations intérieures , tenir toujours la même route, et agir de la même façon, c'est là, Chrétiens, que je reconnais la sagesse de l'Evangile, et ce que nous ne pouvons assez admirer dans les mages.

Cependant que font-ils pour suppléer à l'étoile qu'ils ne voient plus? Ils se servent des moyens naturels que leur fournit la Providence ; ils savent que le Dieu qu'ils cherchent se plaît en effet à être cherché, et que c'est à ceux qui le cherchent qu'il se découvre plus volontiers. C'est pour cela qu'ils s'informent exactement du lieu de sa naissance, c'est pour cela qu'ils ont recours aux prêtres et aux docteurs de la loi, comme à ceux qu'ils supposent plus intelligents et plus capables par leur caractère de les instruire ;

 

1 Psalm., XXV, 2. — 2 Matth., II,2.

 

c'est pour cela qu'ils parlent, qu'ils consultent, qu'ils ne se donnent aucun repos. Autre preuve de leur sagesse, dont il faut que nous profitions; car en quelque état d'aveuglement et d'obscurité que je tombe, en quelque ignorance des voies de Dieu, que je puisse être, en quelque désordre même que soit ma foi, si je cherche Dieu dans la simplicité du cœur, il est sûr que je le trouverai ; c'est lui-même qui me l'a dit, et sa parole y est expresse : In simplicitate cordas quœrite illum, quoniam invenitur ab iis qui non tentant illum (1); c'est-à-dire si je le cherche sincèrement et avec une intention pure et droite, si je  le cherche  avec  humilité, si je le cherche avec confiance, si je le cherche avec persévérance, il est sûr que je ne serai point confondu : Qui sustinent te, non confundentur (2), et qu'il ne manquera pas : Non dereliquisti quaerentes te (3). Il est sûr que mon âme, en le cherchant, vivra de la vie des justes : Quœrite Deum et vivet anima vestra (4). Il est sûr qu'à mesure que je le chercherai je m'affermirai dans la pratique du bien et dans l'horreur du vice : Quœrite Dominnm, et confirmamini (5). Oracles de l'Ecriture dont il n'est pas permis de douter. Or est-il rien de plus propre à m'encourager dans le soin de chercher Dieu et d'étudier les voies de mon salut? Vous médirez que  vous n'avez point   assez  pour cela de pénétration, et que vos lumières sont trop faibles. Je le veux, mon cher auditeur ; mais vous avez, aussi bien que les   mages, un moyen facile pour éclaircir tous vos doutes, et pour vous tirer de l'incertitude où vous pouvez être. Il y a dans l'Eglise de Dieu des docteurs et des prêtres, comme il y en avait alors ; il y a des hommes établis pour vous conduire, et qu'il ne tient qu'à vous d'écouter.  Interrogez-les comme vos pères, et ils vous diront ce que vous avez à faire : Interroga patrem tuum, et annuntiabit tibi, majores tuos,  et dicent tibi (6). Allez à eux comme aux ministres du Seigneur; leurs lèvres,  dépositaires de la science, vous enseigneront la science des sciences, qui est celle de trouver  Dieu. Pouvez-vous l'ignorer avec cela, et avec cela pouvez-vous même vous y tromper, sans vous rendre absolument inexcusables?

Les mages nous apprennent quelque chose encore de plus : et quoi? à chercher Dieu avec un généreux mépris de tous les respects humains, et avec une liberté digne de la sainteté du christianisme que nous professons. En fut-

 

1 Sap., 1, 1. — 2 Psal., XXIV, 3. — 3 Psal., IX, 11. — 4 Psal., LXVIII, 33. — 5 Psal., CIV, 4. — 6 Deut., XXXII, 7.

 

 

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il jamais un tel exemple? Au milieu de Jérusalem et en la présence d'Hérode, ils demandent où est né le nouveau roi des Juifs. Sans nul ménagement de politique, ils déclarent qu'ils sont venus pour l'adorer. Uniquement occupés de cette pensée, ils comptent pour rien toutes les considérations du monde qui pourraient refroidir leur zèle. Qu'Hérode s'en offense et qu'il se trouble ; que la Synagogue s'en scandalise et qu'elle en murmure ; qu'on pense et qu'on dise d'eux tout ce que l'on voudra : ni la censure des Juifs, ni la malignité d’Hérode. ni la crainte de lui déplaire, ni le danger qui les menace, rien ne les empêchera de rendre à ce Sauveur et à ce Dieu naissant le culte qui lui est dû. Est-ce ainsi, mon cher auditeur, que vous l'honorez? est-ce ainsi que vous pratiquez les devoirs de votre religion ? est-ce ainsi que vous êtes, quand il le faut être, libre et sincère adorateur de Jésus-Christ? Combien de fois un respect humain a-t-il retenu votre foi dans l'esclavage? combien de fois, jusque dans les sacrés mystères, lorsqu'il s'agissait d'adorer le même Dieu qu'adorèrent les mages, avez-vous été un lâche prévaricateur? combien de fois, à la face des autels, la crainte de passer pour un homme régulier et pieux vous a-t-elle fait oublier que vous étiez chrétien, et, par une faiblesse scandaleuse, vous a-t-elle fait paraître impie? combien de fois une honte criminelle vous a-t-elle fermé la bouche dans des occasions où il fallait s'expliquer hautement et parler? était alors cette liberté chrétienne dont vous deviez vous faire, et devant les hommes et devant Dieu, non-seulement une obligation, mais une gloire? était cet esprit de religion qui devait vous élever au-dessus du monde? Sont-ce là ces saintes victoires que la foi doit remporter? Et haec est victoria quœ vincit mundum, fides nostra (1) ? Ce point de morale occuperait un discours entier, je le laisse ; et pour vous faire voir la sagesse des mages dans tout son jour, je passe à ce que j'appelle la perfection de leur foi.

Perfection de leur foi. Entrons avec eux dans l'étable de Bethléem : car ils y arrivent enfin après tant de peines et tant de périls. Or, quel spectacle pour des rois, qu'un enfant couché sur la paille et dans une crèche; mais sous des dehors si vils et si méprisables, le discernement qu'ils font de ce Sauveur n'est il pas l'effet de la plus éminente sagesse? Ils le reconnaissent dans la pauvreté et dans la misère, dans

 

1 Joan., V, 4.

 

l'enfance et dans l'infirmité, dans l'humiliation et dans le plus profond abaissement. Bien loin que cet état où ils le trouvent altère leur foi, ils en sont touchés, ils en sont édifiés ; et pénétrant le mystère, ils découvrent sous ces voiles obscurs le Messie promis au monde. S'ils n'eussent eu qu'une foi faible et chancelante, l'étable, la crèche, les langes de cet enfant les eussent rebutés, leur raison se serait révoltée , leur sagesse alors toute mondaine leur eût inspiré du mépris pour un Sauveur réduit lui-même en de telles extrémités ; ils auraient dit ce que dirent ensuite les Juifs : Nolumus hunc regnare super nos (1) ; Nous ne voulons point d'un maître sans biens , sans forces, sans pouvoir, sans nom, dénué de tout : qu'il paraisse sur le trône, qu'on nous le fasse voir revêtu de gloire et de majesté, et nous nous soumettrons. Voilà comment ils auraient parlé, et ce qu'ils auraient pensé. Mais parce qu'ils sont animés d'une foi vive, d'une foi parfaite, d'une foi divine, ils en jugent tout autrement. Ils concluent que Jésus-Christ est roi par lui-même ; c'est-à-dire que pour se faire rechercher et obéir en cette qualité, il n'a nul besoin de toutes les marques extérieures et de tous les ornements de la pompe humaine. Si les autres rois en étaient dépouillés, auraient-ils autour d'eux ces troupes de clients, et ces cours nombreuses qui remplissent leurs palais? Ce n'est pas sur cet éclat et sur cette grandeur apparente qu'est fondée leur royauté ; elle vient de Dieu, qui leur a fait part de sa puissance ; mais, après tout, si leur royauté s'attire tant de respects, et si le monde lui rend tant d'honneurs, c'est parce qu'elle est accompagnée d'une splendeur et d'une magnificence qui frappe les yeux; au lieu que, sans cela, ce roi nouvellement né se fait respecter et honorer par les rois mêmes. Ils concluent qu'il est roi des esprits et des cœurs, puisqu'il les a si miraculeusement éclairés, inspirés, touchés. Les plus grands rois de la terre n'ont pas ce pouvoir : ils règnent sur nous, dit saint Jérôme, mais Jésus-Christ règne dans nous, et il n'appartient qu'à lui de s'insinuer comme il veut dans les âmes, et de leur donner telle impression qu'il lui plaît. Ils concluent qu'il est roi universel, roi du ciel où il vient de faire éclater un nouvel astre, et roi de la terre, où il fait sentir sa souveraineté et sa présence aux nations même les plus reculées ; roi des Juifs et des Gentils, de tous les états et de toutes les conditions, puisque de toutes les

 

1 Luc, XIX, 14.

 

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conditions et de tous les états il a également appelé à lui et les grands et les petits. C'est, dis-je, ce qu'une sagesse toute céleste leur découvre ; et c'est avec la même sagesse et la même foi qu'une âme qui, par un retour sincère et par une pleine consécration, s'attache désormais à ce Sauveur qu'elle a retrouvé, lui dit comme ces bienheureux mages (car je ne puis douter que ce ne fût là leur sentiment) : Rex regum , et Dominus dominantium (1) ; Vous êtes le Roi des rois et le Maître des maîtres ; vous serez le mien en particulier. Trop longtemps le monde a exercé sur moi sa tyrannie ; trop longtemps il m'a tenu dans une dure servitude et soumis à ses lois, ou plutôt à ses bizarreries et à ses caprices ; il faut enfin secouer un joug si pesant et si honteux. Vous régnerez dans mon cœur et sur mon cœur ; vous y régnerez seul, et seul vous en réglerez tous les désirs, toutes les vues, tous les desseins. Ainsi le pensent les mages ; et ainsi, mes chers auditeurs, devez-vous le dire vous-mêmes, et encore plus le penser.

Perfection de leur foi : non contents d'honorer Jésus-Christ comme le souverain monarque du monde, ils l'adorent comme leur Dieu ; non contents de lui rendre un culte extérieur en se prosternant devant lui : Et procidentes (2), ils lui rendent un culte intérieur, et l'adorent en esprit et en vérité : Adoraverunt eum. Car ce fut un culte religieux ; et pour être un culte religieux, il devait partir du cœur. Combien de faux adorateurs dans le christianisme ! c'est le vrai Dieu qu'ils adorent, mais sans l'adorer comme le vrai Dieu le doit être : pourquoi ? parce qu'ils ne l'adorent que par coutume , parce qu'ils ne l'adorent que par cérémonie, parce qu'ils ne l'adorent que par je ne sais quelles bienséances à quoi ils ne veulent pas manquer, tandis que leur cœur porte ailleurs toutes ses pensées et tous ses vœux ; c'est-à-dire qu'ils sont chrétiens en apparence, mais sans l'être en effet, comme les mages commencèrent à le devenir.

Perfection de leur foi : que présentent-ils à Jésus-Christ, et, suivant l'explication des Pères et des interprètes, que de mystères sont renfermés dans les trois offrandes qu'ils lui font ! Toute l'idée de Jésus-Christ même y est imprimée d'une manière sensible, sa divinité, son humanité, sa souveraineté : sa divinité, par l'encens, qui n'est dû qu'à Dieu ; son humanité, par la myrrhe, qui servait à embaumer et à conserver les corps; enfin, sa souveraineté,

 

1 Apoc, XIX, 16. — 2 Matth., II, 11.

 

par l'or, qui est le tribut ordinaire que nous payons aux princes et aux monarques : Et apertis thesauris suis, obtulerunt et munera, aurum, thus et myrrham (1). Voilà les grandes vues que leur donna une sagesse supérieure à toute la sagesse du siècle ; et ce fut dès lors que le Sauveur des hommes put bien dire qu'il n'avait point trouvé tant de foi, même dans Israël : Non inveni tantam fidem in Israël (2). En effet, demande saint Augustin, que devons-nous plus admirer, ou la foi des mages, ou l'aveuglement et l'infidélité des Juifs. Les Juifs avaient au milieu d'eux le Messie, et ils ne le connaissaient pas : les mages en étaient éloignés; et, malgré la plus longue distance des lieux, ils viennent le chercher dans la Judée, et ont le bonheur de l'y trouver. Les Juifs le renoncèrent, quoique né dans leur pays; et les mages, quoique étrangers, l'adorèrent. Les Juifs, dans la suite des années, le crucifièrent, lors même qu'il opérait les plus grands miracles; et les mages , tout enfant qu'il était encore, se dévouèrent à lui, lors même qu'il n'était pas en état de prononcer une parole. Ceux-ci le virent sur la paille, réduit à la plus vile condition des hommes, et cependant ils s'humilièrent devant lui comme devant un Dieu : ceux-là, témoins des hautes merveilles dont il était l'auteur, le virent agir en Dieu; et toutefois ils ne lui rendirent pas même les devoirs de justice et de charité, qu'on ne peut sans crime refuser à un homme. Marque évidente, reprend saint Augustin, mais effet terrible de leur endurcissement !

Ah ! mes Frères, n'est-ce point une image de ce qui nous arrive à nous-mêmes, ou de ce qui doit bientôt nous arriver? Jusque dans le sein de l'Eglise et dans le centre du christianisme, avons-nous la même foi que les mages? ou, si nous croyons comme eux, agissons-nous comme eux, et cherchons-nous Dieu comme eux? Ils furent,ces saints mages, selon la pensée et l'expression des Pères, les prémices de notre vocation à la foi : c'est par eux que Jésus-Christ voulut commencer à nous transmettre ce précieux trésor de la foi, dont il les fit dépositaires : c'est par eux qu'il commença à substituer les Gentils en la place des Juifs, où plutôt qu'il voulut associer les Gentils et les Juifs dans la même créance. Mais au lieu d'imiter ces Gentils fidèles, nous imitons les Juifs incrédules. Nous sommes le peuple de Dieu , et à peine connaissons-nous Dieu , ou si nous le connaissons, nous n'y pensons pas ; ou

 

1 Matth., II, 11. — 2 Ibid., VIII, 10.

 

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si quelquefois nous y pensons, ce n'est que pour rendre notre malice plus obstinée, en nous éloignant de lui, et ne retournant presque jamais à lui. Il est vrai que nous avons reçu la foi que les Juifs ne voulurent pas recevoir: mais ce riche héritage, comment l’avons-nous conservé, comment l'avons-nous cultivé, quels fruits en retirons-nous, et comment le faisons-nous profiter? Car qu'est-ce maintenant que la foi des chrétiens, cette foi si pure, si ferme, si généreuse, si agissante dans les mages ; mais dans nous si languissante, mais dans nous si paresseuse et si lente, mais dans nous si stérile, et dépouillée de toutes les œuvres qui la doivent accompagner, et qui la vivifient dotant Dieu? Or, ne craignons-nous point que Dieu ne prononce enfin contre nous le même arrêt qu'il prononça contre les Juifs par la bouche de son Apôtre ? Vobis oportebat primum loqui verbum Dei ; sed quoniam repellitis illud , et indignos vos judicatis œternœ vitœ, ecce convertimur ad gentes : sic enim prœcepit nobis Dominus (1). Mes Frères, leur disait saint Paul, c'était à vous qu'il fallait d'abord annoncer la parole de Dieu, puisque Dieu vous avait spécialement choisis ; mais vous la rejetez , cette divine parole, vous la méprisez, et vous ne voulez pas l'entendre. C'est une parole; de vie ; mais vous renoncez à cette vie éternelle où elle devait vous conduire. Le Seigneur donc nous ordonne de porter aux nations le saint Evangile que vous refusez d'embrasser : Ecce convertimur ad gentes ; sic enim praecepit nobis Dominus. N’avons-nous pas, dis-je, sujet de craindre que Dieu ne nous traite de la sorte; qu'après nous avoir distingués entre les nations, qu'après avoir fait luire sur nous sa lumière , et nous avoir donné la foi par préférence à tant de peuples qu'il a laissés dans les ténèbres, il ne nous enlève le talent qu'il nous a confié, et qu'il ne le transporte loin de nous dans dei terres étrangères? N'est-ce point déjà même ce qui commence à s'accomplir? Nous entendons parler des merveilles qu'opère la prédication de l'Evangile au delà des mers; nous voyons partir d'auprès de nous des ministres de Jésus-Christ, pour aller cultiver une chrétienté naissante au milieu de l'idolâtrie; le nom du Seigneur est porté aux extrémités du monde. Que votre miséricorde, ô mon Dieu, en soit éternellement bénie ; et malheur à nous, si nous avions sur cela d'autres sentiments ! Mais, Chrétiens, selon la parole expresse du Sauveur des hommes, tandis que les peuples

 

1 Act., XIII, 47.

 

de l'Orient entrent dans le royaume de Dieu, les enfants mêmes du royaume n'en seront-ils point bannis? La ruine des Juifs fit l'abondance et l'élévation des Gentils; et la richesse de tant de nations, sur qui Dieu répand ses trésors, ne fera-t-elle point notre pauvreté et notre misère? Si la foi passe en de vastes contrées où elle était inconnue, n'est-ce point qu'elle nous quitte après que nous l'avons si longtemps outragée, si longtemps déshonorée, si longtemps retenue captive dans l'injustice et dans l'iniquité? Prévenons, mes chers auditeurs, cet affreux châtiment. Ranimons notre foi, et suivons-la ; c'est notre guide, c'est notre étoile ; ne la perdons jamais de vue. Allons à Dieu, et n'y allons pas les mains vides. L'encens, que nous lui devons présenter, c'est, selon l'explication de saint Grégoire, la ferveur de nos prières; la myrrhe que nous lui devons offrir, c'est, suivant la pensée du même Père, la mortification de nos corps et l'austérité de la pénitence ; l'or qu'il attend de nous, ce sont nos bonnes œuvres. Avec cela, nous le trouverons aussi bien que les mages; et j'ai dit que c'était le souverain point de la solide sagesse des élus. Voyons maintenant, dans l'exemple d'Hérode , quelle est l'aveugle sagesse des impies et des réprouvés : c'est la seconde partie.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

C'est un oracle de l'Apôtre, et par conséquent un oracle de la vérité éternelle, que la sagesse de ce monde est ennemie de Dieu. Mais comme elle est ennemie de Dieu, cette sagesse mondaine, aussi Dieu en est-il ennemi; et c'est lui-même qui s'en déclare par un de ses prophètes : Perdam sapientiam sapientium (1) ; Je confondrai la prudence des prudents du siècle. Voilà, dit saint Chrysostome, les deux caractères de cette fausse sagesse qui règne parmi les impies, et qui est le principe de leur conduite. Elle s'élève contre Dieu, et Dieu la confond ; elle fait la guerre à Dieu, et Dieu la réprouve; elle voudrait anéantir Dieu et Dieu la détruit et l'anéantit. Caractère dont l'opposition même fait la liaison, puisque l'un comme vous le verrez, est inséparable de l'autre. Elle est ennemie de Dieu, voilà son désordre; et Dieu, par un juste retour, est son plus mortel ennemi, voilà son malheur. Or, je soutiens que jamais ces deux caractères de la sagesse du monde n'ont paru plus visiblement que dans la personne d'Hérode. Car, quelle a été la destinée de ce prince, et à quoi sa détestable politique

 

1 Cor., I, 19.

 

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fut-elle occupée ? vous le savez, Chrétiens; à former des desseins contre Jésus-Christ, à lui susciter une cruelle persécution, à vouloir L'étouffer dès son berceau, et, par la plus abominable hypocrisie, à le chercher en apparence pour l'adorer, mais en effet pour le faire périr. C'est ce que j'appelle le crime de la sagesse du siècle. Et que fit de sa part Jésus-Christ naissant, ou plutôt que ne fit-il pas , pour montrer que cette prétendue sagesse était une sagesse maudite et réprouvée? Vous l'avez vu dans l'Evangile : il la troubla, il la rendit odieuse, il apprit à tout l'univers combien elle est vaine et impuissante contre le Seigneur; enfin, il la fit servir malgré elle au dessein de Dieu, qu'elle voulait renverser. Quatre effets sensibles de la justice divine, qui, par une singulière disposition de la Providence, eurent dans Hérode leur entier accomplissement, et c'est en quoi consiste le châtiment de la politique du monde. Appliquez-vous, mes chers auditeurs , à l'excellente morale que je prétends tirer de là, et que j'aurai soin d'abréger, pour ne passer pas les bornes du temps qui m'est prescrit.

Hérode , quoique étranger et usurpateur, voulait régner dans la Judée, et sa passion dominante fut une damnable ambition à laquelle il sacrifia tout. C'est ce qui le pervertit, ce qui l'aveugla, ce qui l'endurcit, ce qui le précipita dans le plus profond abîme de l'iniquité. Il sut que les Juifs attendaient un nouveau roi, et par une grossière erreur il crut que ce nouveau roi venait le déposséder. Il n'en fallut pas davantage pour piquer sa jalousie : sa jalousie inquiète et tyrannique le porta aux derniers excès de la violence et de la fureur, et lui inspira contre le Saint des saints une haine irréconciliable. On lui dit que ce roi qu'il craint doit être de la maison de David : pour s'assurer donc ou pour se délivrer de lui, il forme railleuse résolution d'exterminer toute la race de David. En vain lui remontre-t-on que celui qu'il veut perdre est le Messie promis par les prophètes, que c'est lui qui doit sauver et racheter Israël ; il renonce à la rédemption d'Israël plutôt que de renoncer à son intérêt, et il aime mieux qu'il n'y ait point de Sauveur pour lui, que d'avoir un concurrent. Bien loin de se préparer à recevoir ce Messie, et à profiter de sa venue, il jure sa ruine : l'arrivée des mages à Jérusalem lui l'ait comprendre qu'il est né; il emploie la fourberie et l'imposture pour le découvrir; il feint de vouloir l'adorer, pour L'immoler plus sûrement à sa fortune; et pour en être le meurtrier, il contrefait l'homme de bien. Lorsqu'il se voit trompé parles mages et frustré de son espérance , il lève le masque, il se livre à la colère et à la rage , et dans son emportement il oublie toute l'humanité. Les prêtres qu'il a assemblés lui ont répondu que ce roi des Juifs devait naître dans la contrée de Bethléem : pour ne le pas manquer, il ordonne que, dans Bethléem et aux environs, on égorge tous les enfants âgés de deux ans et au-dessous : et pourvu qu'il s'affermisse la couronne sur la tête, il ne compte pour rien de remplir de sang et de carnage tout un pays. Telle fut la source de son désordre : son ambition le rendit jaloux, son ambition le rendit cruel, son ambition le rendit impie, son ambition le rendit fourbe et hypocrite, son ambition en fit un tyran, son ambition en fit non-seulement le plus méchant de tous les hommes, mais le persécuteur d'un Dieu : il est vrai, et c'est ce qui doit nous faire trembler, quand nous voyons dans cet exemple ce que peut et jusqu'où va une passion dès qu'elle a pris une fois l'empire sur un cœur.

Mais il est encore vrai que l'ambition d'Hérode n'eut des suites si affreuses que parce qu'elle fut conduite par les règles d'une politique humaine. Car si Hérode, dans sa malice, eût été un insensé, un emporté, un homme volage et inconsidéré, il eût été , dans sa malice même, moins opposé à Jésus-Christ, et moins ennemi de Dieu. Sa politique fut comme la consommation de son impiété, et c'est ce qui mit le comble à tous ses vices. C'était un sage mondain, et par là (souffrez que je m'exprime ainsi), ce fut un parfait scélérat. Or, ce que vous concevez en lui de plus monstrueux, et ce qui vous fait plus d'horreur est néanmoins par proportion ce qui se passe tous les jours parmi vous, et ce que vous avez même cent fois détesté dans des sujets plus communs, mais aussi réels. Car ne croyez pas, mes chers auditeurs, qu'Hérode soit un exemple singulier, ni que son péché ait cessé dans sa personne. On voit encore dans le monde des Hérodes et des persécuteurs de Jésus-Christ : peut-être y sont-ils plus obscurs et plus cachés aux yeux des hommes, mais peut-être n'y sont-ils pas moins corrompus, ni moins criminels devant Dieu ; et ma douleur est d'être obligé de reconnaître que la même impiété se renouvelle sans cesse jusqu'au milieu du christianisme ; que dans le sein de l'Eglise il se trouve encore des hommes animés du même esprit, et pleins des mêmes sentiments que ce roi infidèle, dont au reste je

 

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puis dire que jamais il n'eût persécuté le Fils de Dieu, s'il l'eût connu comme nous le connaissons. Ce qui m'afflige, c'est de penser que je n'exagère point, quand je parle de la sorte; et qu'Hérode, dans l'opinion des Pères, ayant été le premier Antéchrist, il s'en est depuis formé d'autres, dont le nombre croît chaque jour : Et nunc Antichristi multi facti sunt (1). Car combien, dans le monde, de faux chrétiens, si je l'ose dire , aussi antéchrists qu'Hérode, et d'esprit et de cœur? Expliquons-nous : combien, dans le monde, de faux chrétiens aussi contraires à Jésus-Christ, aussi opposés à ses maximes , aussi ennemis de son humilité , aussi remplis d'orgueil et de fierté, aussi ambitieux et aussi idolâtres de leur fortune, aussi jaloux de leur rang, aussi prêts à tout sacrifier pour leur grandeur imaginaire ? Combien de mondains du caractère d'Hérode qui n'ont point d'autre Dieu que leur intérêt; qui ne connaissent ni foi ni loi, et ne distinguent ni sacré, ni profane, quand il s'agit de maintenir cet intérêt, à qui cet intérêt fait oublier les plus inviolables devoirs, non-seulement de la conscience, mais de la probité et de l'honneur; en qui ce démon de l'intérêt étouffe non-seulement la charité, mais la piété et la compassion naturelle ; que l'attachement à cet intérêt rend durs, violents, intraitables ; qui, aveuglés par cet intérêt, renoncent sans peine à leur salut, non pas pour un royaume, comme Hérode, mais pour de vaines prétentions? Combien d'hypocrites qui se couvrent, aussi bien qu'Hérode, du voile de la religion pour arriver à leurs fins criminelles ; qui, sous les apparences d'une trompeuse piété, cachent foule la corruption d'une vie impure et d'un libertinage raffiné? Mais ce que je déplore encore bien plus, combien d'esprits préoccupés et entêtés des erreurs du siècle, qui, à la honte du christianisme qu'ils professent, se font de tout cela une politique, je veux dire qui, par un renversement de principes, se font de leur ambition même une vertu , une grandeur d'âme, une supériorité de génie ; de leur injustice, un talent, un art, un secret de réussir dans les affaires : de leur duplicité, une prudence, une science du monde, une habileté ; qui, en suivant le mouvement de leurs plus ardentes passions, se croient souverainement sages, affectent de passer pour tels, se glorifient et s'applaudissent de l'être; qui se moquent de tout ce que l'Ecriture appelle simplicité du juste; qui ne regardent qu'avec mépris la

 

1 Joan., II, 18.

 

mission et la patience des gens de bien ; qui traitent de faiblesse la conduite d'une âme fidèle, modérée dans ses désirs, occupée à régler son cœur, tranquille dans sa condition et sincère dans sa religion? Car voilà, mon Dieu, les désordres de cette prudence charnelle qui règne dans le monde. Elle n'a pas épargné le Messie que vous y avez envoyé. Dès qu'il a paru, elle s'est élevée contre lui, elle lui a déclaré une guerre ouverte ; et depuis tant de siècles elle n'a point cessé de lui susciter des persécuteurs plus dangereux qu'Hérode même. Peut-être en voyez-vous dans cet auditoire. Ah ! Seigneur, que ne puis-je les toucher aujourd'hui, et leur imprimer une sainte horreur de l'état où les a réduits la fausse sagesse à laquelle ils se sont abandonnés, et qui les a perdus!

Cependant si la sagesse du monde est ennemie de Dieu, j'ajoute que Dieu n'en est pas moins ennemi : et c'est ici, Chrétiens, que je vous demande une attention toute nouvelle. Car, que fait Jésus-Christ naissant, pour confondre la malheureuse politique d'Hérode? En premier lieu, il la trouble : Audiens autem Herodes rex, turbatus est (1). Ce Dieu de paix, qui venait pour pacifier le monde, commence par y répandre l'épouvante et la terreur; et comment? voici la merveille : par son seul nom, par le seul bruit de sa venue, par le seul doute s'il est né. Chose étrange ! dit saint Chrysostome. Jésus-Christ ne paraît point encore, il n'a point encore fait de miracles, il n'est pas encore sorti de l'étable de Bethléem ; c'est un enfant couché dans une crèche, qui pleure et qui souffre ; et cependant Hérode est déjà déconcerté ; le voilà déjà combattu de mille soupçons et de mille frayeurs : Audiens autem Herodes rex, turbatus est. Quoi qu'il en soit de ce prince,et quelque puisse être le sujet de ses craintes, rien, mes Frères, ajoute le même saint docteur, rien n'est plus capable de troubler la paix d'un mondain, que l'idée d'un Dieu pauvre et humble; surtout quand, avec un esprit et un cœur possédés du monde, il ne laisse pas d'avoir encore un reste de foi, et d'être toujours, quoique très-imparfaitement, chrétien. Car c'est alors que l'idée d'un tel Sauveur a quelque chose de bien désolant pour lui et de bien effrayant. Ce reste de foi avec les sentiments et les maximes d'un cœur mondain, ce reste de foi avec une ambition païenne, ce reste de foi avec le désordre d'une passion déréglée, voilà ce qui fait le trouble intérieur

 

1 Matth., II, 3.

 

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d'une âme partagée entre le monde et sa religion. Si l'on ne croyait point du tout ce mystère de l'humilité d'un Dieu , peut-être serait-on moins à plaindre : si on le croyait bien, et que l'on conformât sa vie à sa créance, on jouirait d'un parfait repos. Mais le croire, quoique faiblement, et d'ailleurs penser, parler, agir comme si on ne le croyait pas, c'est ce que le mondain prétendu sage n'a jamais accordé, ni n'accordera jamais avec le calme.

Et en effet, quoi qu'on fasse alors pour s'aveugler ou pour se dissiper, pour s'étourdir ou pour s'endurcir, on sent malgré soi un fond de trouble qui subsiste, et dont on ne peut se défaire. Car au moins est-il vrai que le mondain, avec ce reste de foi, ne peut rentrer dans lui-même sans être alarmé de ces réflexions affligeantes : Si le Dieu qui vient pour me sauver est tel qu'on m'assure, je suis un impie; si les maximes de ce Dieu sont aussi solides qu'on me le dit, je suis non-seulement un insensé, mais un réprouvé : si je dois être jugé selon son Evangile, il n'y a point de salut pour moi. Or ces réflexions, dont je défie le plus lier mondain de se pouvoir défendre, doivent l'agiter, pour peu qu'il ait de sens, des plus mortelles inquiétudes. Avec cela, quoiqu'il s'efforce d'étouffer les remords de cette foi qui l'importune, il reconnaît bien par lui-même qu'il n'en peut venir à bout; ou s'il en vient à bout, sa condition pour cela n'en est pas meilleure. Du trouble que lui causait sa foi, il tombe dans un autre trouble encore plus déplorable, qui est celui de son incrédulité. Le seul doute, si Jésus-Christ était né, fit trembler Hérode : le seul doute d'un mondain, si ces maximes qu'on lui prêche ne sont pas les vrais principes qu'il doit suivre; le seul doute, s'il ne se trompe pas; le seul doute sur les risques qu'il court, et dont son libertinage ne le peut garantir, tout cela le doit jeter dans une affreuse confusion de pensées, et former en lui comme un enfer. Ah ! disait le saint homme Job, ce sont deux choses incompatibles que d'être tranquille, et rebelle à Dieu : Quis restitit ei, et pacem habuit (1)? Hérode n'y put parvenir : qui le pourra?

Je n'en ai pas encore dit assez. Outre que le Fils de Dieu, dès sa naissance, trouble la politique et la fausse sagesse du monde, il la rend odieuse. Hérode, comme persécuteur de Jésus-Christ, est devenu l'horreur du genre humain. Il a tout sacrifié à son ambition ; mais sa mémoire est en abomination. Il n'a rien épargné pour satisfaire la passion qu'il avait de régner;

 

1 Job., IX, 4.

 

mais c'est pour cela que son règne, au rapport même des historiens profanes, a été un règne monstrueux. Il a cru pour sa sûreté devoir répandre du sang ; mais ce sang répandu criera éternellement contre lui, et Dieu, jusqu'à la fin des siècles, vengera ce sang innocent par le caractère d'ignominie qui se trouve attaché au seul nom d'Hérode, et qui ne s'effacera jamais. Inévitable destinée du sage mondain, qui, malgré lui, se rend odieux en se cherchant lui-même. Qu'y a-t-il en effet de plus odieux dans le monde qu'un homme intéressé, qu'un homme ambitieux et jaloux, c'est-à-dire un homme ennemi par profession de tous les autres hommes, je dis de tous ceux qui peuvent lui donner quelque ombrage, et s'opposera ses prétentions; un homme qui n'aime sincèrement personne, et que personne ne peut sincèrement aimer ; un homme qui n'a de vues que pour lui-même, et qui rapporte tout à lui-même ; un homme qui ne peut voir dans autrui la prospérité sans l'envier, ni le mérite sans le combattre; toujours prêt dans la concurrence à trahir l'un, à supplanter l'autre, à décrier celui-ci, à perdre celui-là, pour peu qu'il espère en profiter? Qu'y a-t-il, encore une fois, non-seulement de plus haïssable dans l'idée du monde, mais même de plus haï? Or, par là, dit saint Chrysostome, le monde, tout corrompu qu'il est, se fait lui-même justice : car voilà, par un secret jugement de Dieu, ce que le mondain veut être, et en même temps ce qu'il ne peut souffrir; ce qu'il entretient dans lui-même, et ce qu'il déteste dans les autres : comme si Dieu, ajoute ce Père, se plaisait à réprouver la sagesse du monde par elle-même ; au lieu que le monde, quoique d'ailleurs plein d'injustice, ne peut s'empêcher néanmoins d'aimer dans les autres l'humilité, d'honorer dans les autres le désintéressement, de respecter dans les autres la droiture, la bonne foi, toutes les vertus, et de rendre hommage par là même à la sagesse chrétienne.

Jésus-Christ fait plus : il apprend à tout l'univers combien la sagesse du monde est vaine et inutile. Hérode a beau chercher le roi des Juifs, il ne le trouvera pas ; il a beau user d'artifice en dissimulant avec les mages, pour les engager à lui en venir dire des nouvelles, les mages prendront une autre route, et ne retourneront plus à Jérusalem. Il a beau faire un massacre de tous les enfants qui sont aux environs de Bethléem, celui qu'il cherche n'y sera pas enveloppé. Il en égorgera mille pour un seul ; et ce seul dont il veut s'assurer, est celui

 

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qui lui échappera : pourquoi ? parce qu'il est écrit qu'il n'y a point de conseil ni de prudence contre le Seigneur : Non est prudentia, non est consilium contra Dominum (1). Ainsi, Chrétiens, sans parler d'Hérode, jamais le mondain, avec sa prétendue sagesse, ne parvient ni ne parviendra à la fin qu'il se propose ; car il se propose d'être heureux, et jamais il ne le sera. Il sera riche si vous le voulez, comblé d'honneur si vous le voulez ; mais, suivant les principes et les règles de la fausse prudence, il n'arrivera jamais au bonheur où il aspire. Or dès là sa sagesse n'est plus sagesse, puisqu'elle ne le peut conduire à son but. Vérité aussi ancienne que Dieu même, mais encore plus incontestable depuis que le Fils de Dieu a établi la béatitude des hommes dans des choses où. évidemment la sagesse du monde n'est d'aucun usage. Car supposé, comme l'Evangile nous l'enseigne, que la béatitude d'un chrétien consiste à être pauvre de cœur, à souffrir persécution pour la justice, à pardonner les injures ; en quoi la prudence du siècle nous peut-elle être désormais utile? Quelle prudence du siècle, dit saint Chrysostome, faut-il pour tout cela? Usant de cette prudence, quel avantage en tirez-vous, et à quoi vous mènera-t-elle ? Si vous vous servez de cette prudence de la chair pour satisfaire vos désirs, vous renoncez à la béatitude du christianisme. Si vous prétendez à la béatitude du christianisme, cette prudence de la chair n'y peut en rien contribuer. Par conséquent elle n'est plus prudence ; ou plutôt de prudence qu'elle semblait être, elle devient folie, puisque, bien loin de vous découvrir la véritable félicité et de vous aider à la trouver, elle y devient un obstacle ; ce qui faisait dire à l'Apôtre : Nonne stultam fecit Deus sapientiam hujus sœculi (1) ?

Enfin, le Sauveur, venant au monde, fait servir malgré elle aux desseins de Dieu la politique même du monde. Car, prenez garde, il fallait que la naissance de Jésus-Christ fût publiée et connue ; et c'est la violence et la tyrannie d'Hérode qui la rend publique. Il voulait éteindre le nom de ce nouveau roi d'Israël ; et c'est lui qui le fait connaître. Il voulait qu'il n'en fut point parlé ; et la voie qu'il prend pour cela est justement le moyen d'en faire parler par toute la terre et dans tous les siècles. Quel bruit en effet, et quel tumulte! que de mouvements différents, et que d'effroi, lorsque tant de victimes innocentes sont impitoyablement arrachées du sein de leurs mères, et

 

1 Prov., XXI, 30. — 2 1 Cor., I, 20.

 

immolées devant leurs yeux ! Quels cris confus et quels gémissements se firent entendre de toutes parts ! Vox in Roma audita est, ploratus et ululatus multus (1). Etait-il possible qu'une action si éclatante demeurât cachée? Etait-il possible que de la Judée elle ne passât pas bientôt dans les pays voisins, et de là chez les nations les plus éloignées ? Etait-il possible qu'on n'en voulût pas savoir le sujet, et qu'on ne prît pas soin de s'en faire instruire ? Et, par une conséquence nécessaire, n'était-ce pas là de quoi rendre Jésus-Christ célèbre, et de quoi faire admirer sa puissance, lorsqu'on apprendrait que des mages et des rois étaient venus l'adorer ; qu'Hérode en avait conçu de la jalousie ; que, dans l'excès de sa fureur, il avait fait les derniers efforts pour perdre cet enfant; et que, malgré tous ses efforts, cet enfant sans armes et sans défense avait su néanmoins se dérober à ses coups ? Sagesse adorable de mon Dieu , c'est ainsi que vous vous jouez de la sagesse des hommes quand elle se tourne contre vous, et que vous employez à exécuter vos immuables décrets cela même qui devrait, selon nos vues faibles, les arrêter. C'est ainsi que s'accomplit cette menace que vous nous avez fait entendre par la bouche de votre Apôtre : Perdam sapientiam sapientium, et prudentiam prudentium reprobabo (2) ; Je détruirai la sagesse des sages du siècle, et je la réprouverai. Combien de preuves en a-t-on eues dans les âges précédents, et combien en avons-nous encore dans le nôtre? Combien de fois l'impie, selon le langage de l'Ecriture, a-t-il vu retomber sur lui son impiété même, et combien de fois s'est-il trouvé, par une secrète disposition de la Providence, engagé et pris dans le piège où il voulait attirer les autres? Aman voulait perdre Mardochée, et tous les Juifs avec lui ; mais, courtisan ambitieux, ce sera vous-même qui servirez à l'établissement de cette nation que vous vouliez exterminer ; vous-même qui servirez à relever la gloire de cet homme juste que vous vouliez opprimer ; vous-même qui périrez, et qui périrez parle même supplice que vous lui aviez préparé. L'orgueilleux veut s'agrandir, et c'est par là souvent qu'il est dépouillé ; le voluptueux veut satisfaire sa passion , et sa passion devient son bourreau, et lui fait souffrir les plus cruelles peines. Effets sensibles de la suprême sagesse de notre Dieu ! Mais que n'ai-je le temps de vous développer tant d'autres mystères qui nous sont cachés ! mystères

 

1 Matth., II, 18. — 2 4 Cor., I, 19.

 

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profonds , et surtout mystères d'autant plus terribles, qu'ils regardent, non plus la ruine temporelle, mais l'éternelle damnation du sage mondain.

Renonçons, mes chers auditeurs, mais renonçons pour jamais et de bonne foi, à cette sagesse réprouvée qui se cherche elle-même, et qui ne cherche qu'elle-même : en nous cherchant nous-mêmes, nous nous perdrons. Je me trompe, en nous cherchant nous-mêmes, nous nous trouverons ; mais le plus grand de tous les malheurs pour nous, est de nous trouver nous-mêmes , puisqu'en nous trouvant nous-mêmes, nous ne pouvons trouver que ce que nous sommes, c'est-à-dire que confusion, que désordre, que misère, que péché. Cherchons Dieu, et, sans penser à nous, nous nous trouverons saintement, sûrement, heureusement en Dieu. Cherchons Dieu, et dès cette vie nous trouverons notre souverain bien, qui ne peut être hors de Dieu. Et parce que Dieu ne peut plus être désormais trouvé qu'en Jésus-Christ, à l'exemple des mages , pour trouver Dieu , cherchons Jésus-Christ. Et parce que Jésus-Christ ne peut être trouvé lui-même que dans les états où il a voulu se réduire pour nous servir de modèle, ne le cherchons point ailleurs ; c'est-à-dire, parce que Jésus-Christ ne peut être trouvé que par la voie d'une humilité sincère, d'une obéissance fidèle, d'un véritable renoncement au monde, ne le cherchons point par d'autres voies que celles-là. Aimons-les, ces saintes voies qui nous conduisent à lui ; et puisqu'il n'y a plus d'autre sagesse que la sienne, attachons-nous à cette divine sagesse : étudions-la dans les maximes de ce Sauveur, dans la pureté de sa doctrine et de sa loi, dans la sainteté de ses mystères, dans la perfection de ses exemples. Préférons cette sagesse chrétienne à toute la sagesse du monde, ou plutôt faisons profession de ne connaître point d'autre sagesse, pour pouvoir dire avec saint Paul : Non judicavi me scire aliquid inter vos, nisi Jesum Christum, et hunc crucifixum (1). C'est cette sagesse qui nous éclairera, cette sagesse qui nous sanctifiera, cette sagesse qui fera de nous des hommes parfaits sur la terre, et des bienheureux dans le ciel, où nous conduise, etc.

 

1 1 Cor., II, 2.

 

 

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